Вы находитесь на странице: 1из 17

PRÉCARITÉ ET STIGMATES : USAGE DU CORPS CHEZ LES PERSONNES

SANS DOMICILE FIXE

Aubeline Vinay

L’Esprit du temps | « Champ psy »

2015/2 N° 68 | pages 125 à 140


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
ISSN 2260-2100
ISBN 978284953244
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-champ-psy-2015-2-page-125.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour L’Esprit du temps.


© L’Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Précarité et stigmates :
usage du corps chez les personnes
sans domicile fixe
Aubeline Vinay

1. inTRODuCTiOn

l
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
1.1. Les stigmates de la précarité
a précarité renvoie à de nombreuses représentations
négatives. Elle possède plusieurs dimensions relevant et
constitutives de nos représentations. Deux premières dimen-
sions ont à voir avec l’insécurité matérielle et économique
relative à la pauvreté et l’insécurité statutaire amenant la
personne précaire à éprouver l’insécurité sociale (R. Castel,
2003). la troisième dimension est celle sur laquelle nous
allons réfléchir ici, celle qui relève de la déshumanisation
contrainte par la vie en rue, en lien à des comportements
autodestructeurs visant la disparition physique et psychique du
sujet. les expériences d’inhumanité en rue durcissent parfois
les personnes qui, pour ne plus souffrir, coupent le contact avec
leurs ressentis émotionnels, se détachent affectivement et
relationnellement. On est ici dans la dimension du stigmate ou
de l’indignité sociale (M. Boumaza & E. Pierru, 2007). Ainsi,
est précaire ce qui, à tout moment, est révocable. la situation
de précarité fait disparaître le sujet, sa vie même et son expres-
sion identitaire lui échappent (G. le Blanc, 2007).
Par la stigmatisation sociale, le sujet est à la marge de la
norme et ne parvient plus à générer l’expression de sa créati-
vité, du sens à son existence. Seul le corps visible de l’individu

Vinay AuBElinE – Professeure de Psychologie Clinique du lien Social.


université d’Angers. laboratoire de Psychologie des Pays de la loire. (uPRES
EA 4638). aubeline.vinay@univ-angers.fr

Champ Psy, 2015, n° 68, 125-140.


126 CHAMP PSY

fait la preuve de son existence. le sens sera à rechercher dans


les stigmates du corps, les traces, les blessures, dernières
preuves d’une orientation de vie et d’une histoire relationnelle.
Dans la littérature générale, tout stigmate constitue une
marque visible et durable sur la peau, témoin d’une vie à la
marge ou trace honteuse de l’existence (tels les galériens, les
esclaves fugitifs ou les voleurs de l’Antiquité Romaine,
marqués au fer rouge sur le front). Mais le stigmate n’est pas
une séquelle qui est indélébile. ici, la guérison peut faire dispa-
raitre le stigmate. Toutefois, l’emplacement sur le corps du
stigmate peut aussi conférer une identité et une reconnaissance
sociale. Ainsi, l’homme marqué des cinq plaies de Jésus
crucifié est touché par le Sacré et doit être respecté, accom-
pagné et vénéré. Paradoxalement, en biologie, le terme
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
stigmate fait référence à l’orifice respiratoire de l’insecte lui
permettant de faire entrer de l’air dans la trachée. nommé ainsi
par son caractère visible, le stigmate est aussi ce qui maintient
la vie de l’individu, une pulsion de vie dans la précarité et la
fragilité des existences.
Mais le stigmate n’est pas exclusivement physique ou
psychique, il se situe à l’interface entre l’individu et la Société,
entre l’en-soi et l’en-dehors, entre le visible et l’invisible. le
stigmate relève d’une construction sociale (E. Goffman, 1975),
« il exprime des attributs personnels que la Société désigne
comme indésirables à un moment » (R. Dericquebourg, 1989,
p.66). Aussi, il est complexe de mesurer ou d’évaluer les
stigmates de la précarité dans la mesure où il s’agit d’avantage
d’un écart, d’un marqueur venant délimiter la différence et
l’altérité. nous postulons de ce fait que l’attachement perçu
dans sa forme narrative et expressive est le pendant des
stigmates de la précarité. Effectivement, tout comme les traces
physiques et les comportements stigmatisant fréquemment
observés dans la grande précarité forment l’identité sociale du
sujet, l’attachement narratif et sa fonction réflexive (P. Fonagy
et al., 1991) en tant que traces émotionnelles des liens précoces
constituent l’identité personnelle, souvent « oubliée », chez le
sujet précaire.

1.2. Le corps dans la précarité


les personnes précaires, vivant dans la rue font l’expé-
rience de l’isolement et de la solitude. Ces moments sont des
PRÉCARITÉ ET STIGMATES: USAGE DU CORPS 127
CHEZ LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

temps de centration sur soi, de renfermement psychique et de


sentiment d’exil intérieur (P. Jamoulle, 2013). « Pourtant les
précaires sont rarement isolés, leurs pénuries et leurs stratégies
de survie les propulsent au cœur de sociabilités complexes.
Cependant ils se sentent seuls et divisés, comme si les liens à
eux-mêmes et aux autres s’étaient troublés » (P. Jamoulle,
2009, p. 128). Ce sont alors les conditions réunies pour un
centrage sur le corporel qui est au final la seule valeur exploi-
table et l’unique lieu où des traces de l’existence sont
présentes.
le corps est ainsi déplacé, utilisé et lieu de refuge
psychique. Celui-ci va être simultanément mis en évidence et
effacé dans l’espace public/privé. G. Dambuyant-Wargny
(2004) explique que malgré la précarité, il existe une grande
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
diversité d’espaces occupés au sein desquels l’exposition du
corps au regard d’autrui se décline de façons variées :
- l’espace privé visibilisé (ex : une place publique);
- l’espace privé caché (ex : cabane de jardin);
- l’espace privé dissimulé (ex : dans le hall d’une gare,
dissimulé derrière les billetteries).
Parmi les caractéristiques psychologiques décrites dans les
années 50 par A. Vexliard (1952) concernant les clochards, le
corps est envisagé en référence à la fragilité des enveloppes
psychiques, à laquelle les odeurs corporelles, la crasse et les
maladies de peau offrent un substitut sous forme d’enveloppe
odorante et douloureuse. Ainsi, le corps de la personne précaire
va être la seule ressource pour se référer à l’existence mais la
surexposition, la surexploitation et la surconsommation du
corps génèrent également l’affaiblissement des derniers
remparts d’humanité (G. Dambuyant-Wargny, 2004). la rue
place la personne précaire dans une posture de non-gestion de
son corps, où la défense par l’odeur et la crasse devient la seule
alternative. la rue, le trottoir ne cache pas, elle rend visible au
passant. On notera au passage que bien souvent, le passant
détourne son chemin ou son regard de la surexposition.
De plus, lorsque la personne en situation de précarité arrive
dans une structure d’accueil après un passage à la rue et donc
à la surexposition, on remarque l’application d’un contrôle
social des usages du corps (passage à la douche par exemple).
le corps est surexposé aux violences, aux conditions de climat.
De plus, dans la grande précarité, les simples activités de
128 CHAMP PSY

survie obligent une hyperadaptation physique nécessitant des


capacités de mobilité rapide, une endurance face aux intempé-
ries (A. Vinay & F. Salvi, 2007). le corps devient central dans
toutes les interactions. D’ailleurs, l’individu situé dans la
grande exclusion possédant un corps extrêmement délabré, n’a
d’autre alternative que d’exhiber son corps pour obtenir une
contrepartie financière.
Enfin, ce sont les échanges avec les pairs qui participent à
la surconsommation addictive. Ainsi, la sur-sollicitation du
corps peut alors être comprise comme une façon de se situer
dans une société qui renvoie sans cesse les personnes précaires
à leurs manques et, au-delà, à leur inutilité sociale. les
stigmates deviennent marques identitaires.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
1.3. Habiter son corps
lorsque le logement fait défaut, le corps reste un espace à
investir. G. n. Fischer (1997) souligne qu’habiter un espace
définit un rapport essentiel de l’être humain au territoire
(espace de socialisation); c’est y établir un chez soi, ne pas
avoir de chez soi étant l’image même du dénuement. le fait
d’habiter a une fonction vitale qui est de répondre au besoin
essentiel de vivre dans un espace qui met à l’abri des dangers
extérieurs, qui est protégé à la fois contre les risques naturels et
les violences d’autrui (espace d’intimité et d’ancrage favori-
sant la stabilité). Habiter renvoie également aux conditions
sociales qui déterminent tel ou tel type d’espace pour se loger
(espace de sécurité). l’habitat est un espace personnel, social
et culturel.
Selon A. Eiguer (2009), l’habitat remplit cinq fonctions :
- de contenance qui protège la famille de l’extérieur et
développe une intimité réconfortante ;
- d’identification où chacun se reconnaît seul et collective-
ment ;
- de continuité historique où là mémoire joue un rôle de
liant social ;
- de création avec la distribution des lieux, le choix des
objets, de la décoration et de l’appropriation de l’espace ;
- d’esthétisme qui vise à rechercher la beauté, fonction de
plaisir et de sentiment d’existence.
Chez les personnes en grande précarité, le rapport au
logement absent vient souvent s’inscrire dans une histoire
PRÉCARITÉ ET STIGMATES: USAGE DU CORPS 129
CHEZ LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

d’insécurité relationnelle dans laquelle de multiples ruptures à


l’habitat sont observées de façon précoce (P. Cuynet & A.
Mariage, 2001). la décompensation psychique précocement
éprouvée se mue en un traumatisme non résolu inscrivant une
marque stigmatisante autour de l’errance, de la « déshabita-
tion » et de la désaffiliation (R. Castel, 2003) recouvrant la
désappartenance et la vulnérabilité sociale. la répétition des
expériences traumatiques restées sans élaboration bloque les
possibilités d’attachement. Ainsi la répétition des ruptures de
liens prend la place du processus de symbolisation (D. Cupa,
2000).
l’expérience de la précarité et de l’errance marque non
seulement le corps par les stigmates de la peau, mais faute
d’habitat, l’en-soi est également fragilisé laissant place à des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
stigmates psychiques souvent décrits par les différents auteurs.

1.4. Les plaies psychiques de la précarité


Déjà en 1952, A. Vexliard décrivait l’importance des
angoisses dépressives et de la souffrance narcissique chez les
clochards. On distingue aussi des formes spécifiques d’orga-
nisations psychopathologiques chez les squatteurs dans
lesquelles la violence et la mise en acte des conflits sont davan-
tage présentes. Ainsi, sur la population globale des personnes
sans domicile fixe recensées en 2001, 5% d’entre elles sont
atteintes de troubles mentaux et 23% connaissent un état
dépressif (J. Furtos & C. laval, 1997). Plus les individus sont
en situation de précarité et d’exclusion, plus nombreuses sont
les psychopathologies (R. D. Schweitzer et al., 1994).
Mais l’individu peut s’exclure lui-même de la société. le
« syndrome d’auto-exclusion » est la forme la plus grave de la
« pathologie de la disparition » (M. R. Dadds et al., 1993). la
personne qui s’auto-exclut anesthésie ses pensées, ses
émotions et même son propre corps pour ne plus ressentir la
douleur morale et physique. Cela conduit à la fois à un isole-
ment social et à l’incurie. Par la béance des plaies, ces négli-
gences corporelles peuvent avoir des conséquences drama-
tiques allant jusqu’à entraîner la mort.
le morcellement, la possession et la dévalorisation de soi
viennent faire obstacle à la capacité d’aimer, de s’allier, et de
s’attacher. « Déboussolés, le délire peut devenir pour eux le
dernier rempart contre la douleur » (P. Jamoulle, 2009, p. 125).
130 CHAMP PSY

le monde de la folie peut constituer un espace possible de vie


à investir notamment lorsque le réel est insupportable. les
délires et les désordres psychiques permettent d’exister face à
la dureté de la vie dans l’errance. C’est alors un sentiment
d’échec, de culpabilité et des préoccupations relatives à l’appa-
rence physique qui alimentent diverses formes de dépressivités
(A. n’Djin, A. Vinay & K. Chahraoui, 2011). Plusieurs études
mettent en évidence le rôle et les fonctions du corps dans les
situations de grande précarité.

2. RECHERCHE : l’EXPRESSiOn DES STiGMATES


En SiTuATiOn DE PRÉCARiTÉ
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
Plusieurs études ont été réalisées entre 2007 et 2011 (A.
Vinay & F. Salvi, 2007; A. n’Djin, A. Vinay & K. Chahraoui,
2011; A. Vinay, F. Salvi & A. n’Djin, 2011) venant entre autre
questionner l’usage du corps chez les personnes sans domicile
fixe. le corps et son usage passant par les stigmates de la peau
sont compris comme des mécanismes de défense permettant
de gérer les conflits intrapsychiques liés au sentiment d’exclu-
sion et de rupture sociale, familiale et personnelle. la façon de
s’approprier l’espace et de mettre en avant son corps consti-
tuent des indicateurs essentiels au sentiment d’identité person-
nelle du sujet.

2.1. Échantillons d’étude


C’est à partir de l’analyse d’un échantillon de 30 personnes
sans domicile fixe (26 hommes et 4 femmes) âgées de 20 à 64
ans que nous observons les fonctions des stigmates dans la
précarité. la majorité des personnes rencontrées trouve un
hébergement provisoire en foyer, dans des associations, dans
des squats ou chez des amis notamment en période hivernale.
Mais huit d’entre elles sont dans la rue (dans une gare, sous un
pont, dans des halls d’immeuble, dans une cabane de carton).
la plupart ne travaille pas (24 personnes), une personne sans
domicile fixe est retraitée et cinq ont un Contrat à Durée Déter-
minée de manutention au moment de la rencontre. Quasiment
tous les sujets de l’étude sont célibataires avec des expériences
de séparation et divorce (25 personnes). Parmi les personnes
de l’échantillon, cinq sont en couple. les comportements
PRÉCARITÉ ET STIGMATES: USAGE DU CORPS 131
CHEZ LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

d’addiction tabagique sont majoritaires et lorsque l’alcoolisa-


tion est présente elle est associée au tabagisme ou à la toxico-
manie. Six des personnes rencontrées déclarent ne pas fumer
ni boire ou se droguer. nous notons que lorsque l’addiction est
présente, aucun des sujets interrogé ne se déclare dépendant au
produit.

2.2. Méthodologie de l’étude


Plusieurs outils ont été utilisés dans le cadre de cette
recherche. nous ne présenterons ceux-ci que brièvement ici,
préférant réserver davantage notre texte à la réflexion autour
des résultats liés aux stigmates de la précarité. un outil permet-
tant d’évaluer les mécanismes défensifs, le DSQ88 de Bond
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
(1995), a été utilisé. Ainsi les différents niveaux de maturité
des mécanismes de défense peuvent être mis en corrélation
avec les atteintes du corps chez les personnes précaires.
le principal axe de nos recherches se centre sur la fonction
réflexive, initialement développée par P. Fonagy et al. (1991)
en psychologie. À partir d’un entretien d’attachement narratif
inspiré de l’Adult Attachment interview (AAi) de M. Main et
al. (1985), nous pouvons identifier dans le discours du sujet ce
qui fait trace au niveau émotionnel à propos des relations de
son enfance. Cet entretien semi-directif se focalise « sur l’état
d’esprit actuel de la personne à l’égard de ses expériences
relationnelles durant son enfance » (B. Pierrehumbert et al.,
1996, p. 170). Par l’analyse discursive des modalités d’acces-
sion aux souvenirs relationnels de l’enfance et à l’expression
des émotions, l’outil Edicode (B. Pierrehumbert et al., 1999)
permet de repérer pour chaque sujet, les modèles d’attache-
ment privilégiés dans la vie relationnelle. Ainsi, cinq facteurs
du discours sont analysés : la fluidité, l’adéquation, la réflexi-
vité, la cohérence et l’authenticité.

2.3. Quelques résultats


nous avons retenu quelques critères discriminants relatifs à
l’apparence physique (propreté), à la nature de l’échange,
(capacité de contact à autrui), à l’attachement narratif et à la
demande de soin. le corps est un espace d’exposition de soi,
de la souffrance physique et psychique qui peut être observée
selon plusieurs modes perceptifs (visuel, olfactif et auditif).
132 CHAMP PSY

l’apparence directe est nettement teintée de l’aspect repous-


sant des personnes rencontrées. Effectivement, 18 sont
malodorantes et témoignent, par leur tenue vestimentaire, de
l’incurie. Six personnes sans domicile fixe présentent une
tenue négligée, usée mais propre. Et six personnes de l’étude
ont une apparence propre et soignée. Parmi ces dernières, on
relève l’intervention des foyers d’accueil dans lesquels elles
résident, contraignant à un entretien du corps et à une propreté
vestimentaire en partie garante de la vie en collectivité.
le besoin d’exposer les traces laissées par des accidents
successifs, mutilations, maltraitance, maladies et tatouages
divers reflète le besoin de se sentir en vie. les démonstrations
de courage, d’expérience incroyable, de parcours de vie
marqué par la difficulté passent fréquemment par l’exhibition
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
des stigmates corporels. Mr R. soulève son t-shirt pour montrer
sa cicatrice tout le long de son ventre, trace d’un accident avec
un guidon de vélo pendant son enfance. « J’ai eu le frein et le
guidon du vélo qui sont rentrés dans les côtes. Et ben, j’ai rien
dit à ma mère, j’ai pas été voir le médecin et quand on a fait
une visite médicale à l’école, et ben, y se sont aperçus que y
avait du pu, des plaies quoi. Et pis, y z’ont fait venir ma mère…
Oh mais moi, j’ai rien dit, j’ai rien dit à personne. J’avais mal
mais je disais rien. Je disais rien. Je gardais tout pour moi.
J’avais… 10 ans, par là. Et je disais rien» (A. Vinay & F.
Salvi, 2007, p. 221). Mr D. ôte son œil de verre dans un grand
éclat de rire. Mr G. montre son dos recouvert de tatouages plus
ou moins disgracieux. Mme B. tire la langue, montre son
nombril et ses seins marqués de nombreux piercings. À chaque
fois, c’est une partie de l’histoire du sujet qui est évoquée, des
expériences relevant de la séparation, de l’accidentel, de la
maladie, du défi, de la sensation douloureuse contre laquelle
on lutte au quotidien et qui maintient en vie.
Ainsi, le discours de 22 sujets de l’étude est caractérisé par
des faits héroïques ou subis, souvent avec des accès d’émotion
exagérés ou inappropriés au contexte de l’entretien. Seulement
huit personnes ont du mal à parler d’elles et de leur corps. le
contact envers autrui peut être catégorisé selon trois attitudes
principales : la méfiance, la fuite et l’accroche. Celles-ci sont à
rapprocher des stratégies d’attachement. la méfiance est
caractéristique du détachement, le modèle des autres est
négatif et le modèle de soi est positif. Cela amène à des
comportements parfois agressifs, de rejet et de non recherche
PRÉCARITÉ ET STIGMATES: USAGE DU CORPS 133
CHEZ LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

de proximité avec autrui. la proximité physique est ressentie


comme une menace de l’intégrité de soi car elle est perçue
comme n’entrainant que des déceptions. le contrôle de soi et
de ses émotions se met en place générant une incapacité à
ressentir les besoins d’autrui et ses propres besoins relation-
nels.
la fuite peut relever du détachement mais aussi de la désor-
ganisation d’attachement. lorsque la proximité affective
provoque des émotions négatives de colère, il est parfois préfé-
rable de s’en échapper pour ne pas ressentir la confusion des
sentiments éprouvés. les personnes désorganisées sont
perdues émotionnellement. l’accroche est caractéristique de
la préoccupation d’attachement. C’est une façon de provoquer
et de maintenir le rapprochement en permanence avec autrui
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
afin de ne pas risquer de le perdre. Cela génère des relations
de soumission et de dépendance, l’autre pouvant devenir une
figure sécurisante ou malveillante faisant du sujet préoccupé
son objet de satisfaction perverse.
Ainsi, l’histoire relationnelle des sujets de l’échantillon est
marquée par des événements traumatiques survenus pendant
l’enfance en lien avec la perte d’un parent, des maltraitances
ou des carences affectives au sein de la famille. Certains
discours sont fortement connotés de ressentiments négatifs
envers les figures d’attachement. une seule personne de
l’échantillon privilégie un modèle d’attachement sécurisé.
Dans son récit d’attachement narratif, on constate un fort
soutien familial malgré la précarité dans le présent.
la désorganisation d’attachement est présente chez 5 sujets
de l’étude. Des traumatismes non résolus relevant d’abus et de
maltraitance sont alors mentionnés. l’attachement insécurisé
préoccupé est majoritaire ici. l’ambivalence relevée dans le
discours va de paire avec une ambivalence comportementale
et à l’égard du corps. En effet, les personnes préoccupées au
plan relationnel, sont également celles qui exhibent le plus les
marques de leur corps. la quête identitaire chez ces personnes
semble se traduire par la recherche du sentiment d’existence à
travers le ressenti physique douloureux.
la moitié des personnes de l’échantillon est en demande de
soin, toutefois il est nécessaire de préciser que cette demande,
lorsqu’elle apparaît, n’est réalisée qu’à la condition d’un
espace de confiance relationnel établi, parfois après plusieurs
semaines de contacts réguliers et d’échange. la moitié des
134 CHAMP PSY

personnes rencontrées ici ne formule aucune demande de soin


relative à la situation de précarité.
À la suite d’analyses statistiques, nous avons repéré quatre
types de défense chez les personnes sans domicile fixe (A.
Vinay & F. Salvi, 2007) :
- Des défenses dites maladaptatives: les sujets gèrent leurs
conflits psychiques par des attitudes ou comportements leur
paraissant adaptés mais n’ayant pas l’efficacité souhaitée et
d’un faible niveau de maturité. la désorganisation des
comportements paraît majeure ici.
- Des défenses dites de victimisation: les affects sont ici
réprimés par des mécanismes de défense de retrait, d’isolation
et de déni. la dévalorisation de soi y est repérable.
- Des défenses dites de sur-estime de soi: celles-ci sont
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
caractérisées par des passages à l’acte, de l’agressivité.
- Des défenses matures: les sujets ont une bonne connais-
sance d’eux-mêmes, une capacité d’élaboration et de réflexi-
vité sur eux-mêmes et sur les autres.
les sujets de l’échantillon d’étude sont plus nombreux dans
les défenses maladaptatives (neuf personnes), suivis des
défenses de sur-estime de soi (huit personnes). On notera que
dans cet échantillon composé de 30 personnes sans abri, sept
personnes parviennent à élaborer et présentent des défenses
matures. Enfin, six personnes semblent « embourbées » dans
des stratégies de victimisation, ne parvenant plus à trouver une
part de responsabilité dans leur propre histoire de vie.

3. DiSCuSSiOn : lA nÉCESSiTÉ DES STiGMATES


POuR SE SEnTiR EXiSTER

la précarité met la personne dans une situation de fragilités


et de vulnérabilités tant au plan social et économique qu’au
niveau psychologique. l’avenir n’ayant plus de certitudes,
seule l’histoire du passé existe et elle est souvent fort
complexe, douloureuse et insécurisante. Ainsi, aucune assise
de sécurité ne parvient à consolider un sentiment d’identité
personnelle chez les personnes sans domicile fixe ou dans la
grande précarité. il leur est alors nécessaire de faire avec le
seul objet qu’ils possèdent ou ont à leur disposition : leur
corps, seule certitude d’eux-mêmes dans un contexte flou
devenu intemporel. D’autant que « le discours n’est plus dans
PRÉCARITÉ ET STIGMATES: USAGE DU CORPS 135
CHEZ LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

ce monde, au mieux, que le support du fantasme. il n’engage à


rien et n’est pas soumis à l’épreuve du réel » (P. Declerck,
2001, p. 30).
De plus, fréquemment, le lien à autrui est source de décep-
tion : le regard d’autrui renvoie à la stigmatisation sociale, le
lien aux pairs met en jeu des stratégies de dépendance-contre-
dépendance et pour tenir le coup, finalement, le lien addictif
permet d’avoir l’illusion de l’oubli de la solitude extrême.
le corps et ses stigmates peuvent alors servir de protection
tant dans l’échange avec autrui que dans la structuration
psychique individuelle. les sujets qui utilisent un système
défensif d’ordre psychotique apparaissent en lutte contre eux-
mêmes, contre leurs propres délires exacerbés par l’inadapta-
tion sociale. la violence fait partie intégrale de leur mode de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
communication, reflet de leur conflit intrapsychique. Dans la
majorité des situations, le corps est blessé, amputé, marqué,
représentant la seule trace possible de leur existence et de leur
souffrance.
Par ses blessures exhibées, la personne précaire se sent
revivre, retrouve des traces de son histoire relationnelle,
reconstruit sa trajectoire identitaire. Toutefois, la situation au
quotidien reste inchangée, les stigmates deviennent alors un
refuge existentiel. Ceux-ci peuvent être dissimulés puis
exhibés dès qu’un semblant de lien s’amorce, telle une pulsion
de vie qui ferait entrer dans le monde des vivants et du langage
ou l’orifice respiratoire évoqué chez les insectes. P. Declerck
(2001) parle du « coup de la strip-teaseuse » où « le patient
exhibe une pathologie grave, généralement externe, pour voir
la tête que font les soignants, pour les exciter, les voir s’affoler,
se presser, s’agiter. Puis il se refuse, se rhabille. Et s’en va,
méprisant, laissant les soignants face à leur impuissance » (P.
Declerck, 2001, p. 90). Certaines plaies sont également secrè-
tement entretenues, frottées, réouvertes régulièrement, non
soignées car elles relient à soi-même. leur béance fait sens et
est dynamique par la douleur qu’elles génèrent. En se refer-
mant, les stigmates annonceraient la perte complète de soi-
même.
136 CHAMP PSY

4. COnCluSiOn : COMMEnT FAiRE SEnS DAnS


lE SOin ?

nous retiendrons de ces nombreuses rencontres avec les


personnes sans domicile fixe ayant des trajectoires de vie
singulières, l’effet surprenant et de changement de la mise en
paroles et plus précisément, de la mise en récit de soi. « Rendre
sa voix à une vie précaire, suppose qu’on lui redonne sa
capacité à se raconter » (G. le Blanc, 2007, p. 121). Redonner
de la voix, reconstruire du sens par une réappropriation de son
histoire relationnelle narrative : tels sont les objectifs favori-
sant la construction psychique des sujets précaires. « Si le récit
est construit, il construit aussi celui qui le fait » (J. leahey & C.
Yelle, 2003, p. 65).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
Mr O. est rencontré lors d’une maraude du Samu social, il
est le premier à accepter de parler de son enfance et malgré le
froid il souhaite sortir du camion pour s’isoler à quelques
mètres pendant l’entretien qui durera 57 minutes. «Ma mère,
elle était assez dure, quoi. Et après elle devenait encore plus
dure ; elle disait : « ouais, t’es plus mon fils », euh… parce que
je sais pas, parce qu’elle écoutait trop les gens qui euh.. ; elle
tombait dans un engrenage, quoi… Elle était jamais pareille.
Y avait de la haine, de la méchanceté. Oui… (long silence)…
Un jour j’ai été battu parce que je voulais pas prêter mon vélo
à un de mes frères, alors, elle m’a battu». Mr O., âgé de 46 ans,
dira une fois l’entretien terminé : « bouh, c’est dur ton truc, ça
fait réfléchir…». C’est lui qui, à ce point de maraude, fera par
la suite venir ses «copains de la bouteille» comme il les
appelle pour qu’ils passent à leur tour l’entretien d’attachement
narratif.
Ainsi, nous avons observé de nombreuses réactions à la
suite des entretiens qui se sont notamment exprimées par
divers comportements (état confusionnel entraînant une prise
en charge médicale, mise en valeur de soi dans la communauté
SDF, mise en route d’une démarche d’accompagnement théra-
peutique…). Mme M. ayant accepté une semaine auparavant
d’effectuer un entretien d’attachement narratif, n’était pas au
rendez-vous. Elle s’est présentée avec 45 minutes de retard
indiquant qu’après une douche, elle était prête à raconter son
histoire. Mme M. a beaucoup pleuré tout au long de l’entretien
mais n’a pas souhaité interrompre son récit. «J’étais toute
petite et… (pleure) j’avais 6 ans et demi. On dit pas de la
PRÉCARITÉ ET STIGMATES: USAGE DU CORPS 137
CHEZ LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

même façon que quand c’est arrivé à 18 ans, mais… mais ça je


peux pas en parler comme ça… (pleure toujours) Vous êtes
bien la seule personne à qui j’en ai parlé…». le viol familial
subi par Mme M. est exprimé en lien avec l’état émotionnel
ressenti « parce que pour moi, c’était un choc, enfin, un
choc…». Au fil de l’entretien, Mme M. fait du lien, crée du
sens entre son expérience traumatique et ses relations avec ses
enfants. «Mon fils, j’ai pas réussi à lui faire des câlins quand
il avait envie… c’était plus fort que moi… J’ai toujours vécu…
(pleure à nouveau)». À l’issue de cette narration de plus de 40
minutes, Mme M. a demandé des rendez-vous réguliers avec
le psychiatre du centre d’hébergement ; rendez-vous qu’elle a
honorés sur une période d’une année.
le schéma traditionnel de l’accompagnement thérapeu-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
tique est ici modifié, voire inversé. C’est bien la demande
d’écoute formulée par le chercheur qui semble avoir agi
comme un levier pour certaines personnes précaires. la
rupture de liens ou la pathologie de la relation ont rendu diffi-
cile la rencontre, ont obligé à sortir du cadre de référence
technique du professionnel (rencontres fortuites sans rendez-
vous, périodes préalables de mise en confiance, etc.). Ce mode
de fonctionnement des personnes sans abri nécessite pour les
professionnels d’aller à leur rencontre, dans un espace « non
prémédité » et bien souvent, non conventionnel.
Ainsi, dans les situations d’errance, nous proposons une
forme d’itinérance professionnelle (A. Vinay et al., 2011). les
professionnels sont alors les garants d’une présence physique
permanente et contenante tel un miroir déformant à l’absence
d’état statutaire, économique, relationnel ou social. la
rencontre avec la singularité des personnes précaires est rendue
compliquée également par les défenses mises en place relevant
des effets du rejet social et des troubles des comportements
avec la diminution des capacités de penser, par l’effet de la
fatigue, de l’insomnie, de l’alcoolisation et des maladies non
traitées. il se construit ainsi une barrière rendant la communi-
cation bien difficile. Mr J., âgé de 45 ans, met fin à l’entretien
au bout de 20 minutes dans des accès de colère intenses. «Non
y a pas de « d’accord », c’est que je suis écœuré. Alors les
Arabes, c’est con, et les français, les américains, les blancs,
n’importe quel humain, tous les humains, j’en suis écœuré, j’en
suis amené à être écœuré de tout le monde, y en a aucun qui
est bien. Que ce soit les blancs, les noirs ! (il crie, se lève de sa
138 CHAMP PSY

chaise dans une posture menaçante) y a toujours un problème,


y en a marre ! Maintenant je veux arrêter. Je veux partir». En
mettant sa veste au moment de sortir du bureau, Mr J. nous
propose de reprendre un rendez-vous. une fois sorti de la
pièce, il nous demande : « ça va ?». nous traversons la cour et
nous lui demandons si, lui, va bien. il répond : « Oui, oui. Et si
tu veux me revoir, tu dis à l’antenne médicale et tu me donnes
un rendez-vous, je viendrai ». Mr J. est confus dans ses propos,
dans ses émotions, dans ses sentiments relatifs à l’enfance. il
met souvent l’institution en échec par des comportements
agressifs. Exclu de la Société, stigmatisé dès son plus jeune
âge par son père qui le traitait de « fou, envoûté par la sorcel-
lerie », Mr J. a cependant pu au cours de cet entretien, maîtriser
sa colère en y mettant fin.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
Effectivement, la pratique du récit de vie est compliquée
auprès des personnes en rue. Car, pour elles, confier son
histoire personnelle c’est risquer de la voir colportée et utilisée
pour soutirer quelque chose (P. Jamoulle, 2009). la narration
permet de tracer la trajectoire de nos liens. Tout récit de vie se
construit à partir de ses propres expériences mais aussi avec
les outils de sa culture. Ainsi, l’attachement narratif possède
une double fonction de création de sens et de structuration du
sentiment d’identité personnelle. Mais « la parole n’accède
véritablement à sa dimension propre que lorsqu’elle se trouve
ponctuée de silences, c’est-à-dire de rétentions. il importe que
le sujet reste maître de sa distribution » (P. Declerck, 2001, p.
298). En ce sens, il est des personnes en grande précarité qui ne
pourront narrer expressément leur vie et leurs liens d’attache-
ment, la narration ne sera mesurable que dans le rapport au
corps et aux stigmates physiques. Et c’est bien en comprenant
les stigmates comme partie intégrante dans le récit de vie que
l’existence des personnes précaires peut devenir à la fois origi-
nale et singulière.

BIBLIOGRAPHIE

BOnD, M.- P. 1995. « The development and properties of the Defense Style
Questionnaire » in COnTE, H.R & PluTCHiK, R. (Eds) Ego defenses.
Theory and measurement. new York : J. Wiley and sons.
BOuMAzA, M. & PiERRu, E. 2007. « Des mouvements de précaires à
l’unification d’une cause », Sociétés contemporaines, 1(65), 7-25.
PRÉCARITÉ ET STIGMATES: USAGE DU CORPS 139
CHEZ LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

CASTEl, R. 2003. L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ? Paris :


le Seuil.
CuPA, D. 2000. L’attachement. Perspectives actuelles. Paris : EDK.
CuYnET, P. & MARiAGE, A. 2001. « la maison et le corps : image du
corps et habitat », Perspectives Psy, 40-5, 364-370.
DADDS, M.R.; BRADDOCK, D.; CuERS, S. & ElliOTT, A. 1993.
« Personal and family distress in homeless adolescents », Com Ment
Health J, 29, 413-422.
DAMBuAnT-WARGnY, G. 2001. « la gestion du corps en situation de
précarité extrême », Ecorêve, 5.
DAMBuAnT-WARGnY, G. 2004. «« Sans toit ni loi » : les exclus », Ethno-
logie française, 3, 34, 499-508.
DEClERCK, P. 2001. Les naufragés. Avec les clochards de Paris. Paris :
Plon.
DERiCQuEBOuRG, R. 1989. « Stigmates, préjugés, discrimination dans
une perspective psychosociale », Études Interethniques, 9, 65-74.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps
EiGuER, A. 2009. L’inconscient de la Maison. Paris : Dunod.
FiSCHER, G.n. 1997. Psychologie de l’environnement social. Paris : Dunod.
FOnAGY, P.; STEElE, H. & STEElE, M. 1991. « Maternal representations
of attachment during pregnancy predict the organization of infant-mother
attachment at one year of age », Child Development, 62, 891-905.
FuRTOS, J. & lAVAl, C. 1997. « une psychopathologie de la disparition
dans le contexte de la précarité et de l’exclusion », Gest Hosp, 370, 743-
749.
GOFFMAn, E. 1963. Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris :
Éditions de minuit, 1975.
JAMOullE, P. 2009. Fragments d’intime. Amours, corps et solitudes aux
marges urbaines. Paris : la Découverte.
JAMOullE, P. 2013. Par-delà les silences. Non-dits et ruptures dans les
parcours d’immigration. Paris : la Découverte.
lEAHEY, J. & YEllE, C. 2003. Histoires de liens, histoires de vie. Paris :
l’Harmattan.
lE BlAnC, G. 2007. Vies ordinaires, vies précaires. Paris : Seuil, coll. « la
couleur des idées ».
MAin, M.; KAPlAn, K. & CASSiDY, J. 1985. « Security in infancy, child-
hood and adultthood : a move to the level of representations » in i.
BRETHERTOn, E. & WATERS (Eds.) Growing points of attachment
theory and research. Monographs of the society for research in child
development, 50 (1-2 serial no. 209), 66-104.
n’DJin, A.; M’Bâ, A..; VinAY, A. & CHAHRAOui, K. 2011. « Stratégies
d’attachement et niveau de dépression chez l’adulte en situation de préca-
rité » in De lÉOnARDiS, M. & al. (Eds.) Précarités et éducation
familiale. Toulouse : Erès, 97-102.
PiERREHuMBERT, B.; KARniOlA, A.; SiEYE, A.; MEiSTER, C.;
MilJKOViTCH, R. & HAlFOn, O. 1996. « les modèles de relations :
développement d’un autoquestionnaire d’attachement pour adulte »,
Psychiatrie de l’enfant, XXXiX, 1, 161-206.
PiERREHuMBERT, B.; DiECKMAnn, S.; MilJKOViTCH de HEREDiA,
R.; BADER, M. & HAlFOn, O. 1999. « une procédure d’analyse des
entretiens semi-structurés inspirée du paradigme de l’attachement »,
140 CHAMP PSY

Devenir, 11 (1), 97-126.


SCHWEiTzER, R.D; HiER, S.J. & TERRY, D.J. (1994) « Parental bonding,
family systems, and environmental predictors of adolescent homeless-
ness », J Emot Behav Disor, 2, pp 39-45.
VEXliARD, A. (1952) « le clochard : un homme sans histoire », L’évolution
psychiatrique, 3, 507-527.
VinAY, A. & SAlVi, F. 2007. « image du corps et gestion de l’espace chez
les Sans Domicile Fixe » in MARiAGE A. & CuYnET P. (Eds) Corpo-
réité et famille. Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté,
221-230.
VinAY, A.; SAlVi F. & n’DJin, A. 2011. « la construction relationnelle et
affective des personnes Sans Domicile Fixe : quels attachements ? »,
Annales médico-psychologiques, 169/8, 496-502.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 13 - - 81.194.43.202 - 26/11/2019 07:06 - © L?Esprit du temps

Вам также может понравиться