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Sainte indignation contre indignation éclairée: L'affaire du Chevalier de La Barre

Author(s): Élisabeth Claverie


Source: Ethnologie française, nouvelle serie, T. 22, No. 3, paroles d'outrage (Juillet-
Septembre 1992), pp. 271-290
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40989323
Accessed: 23-10-2017 15:32 UTC

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Sainte indignation
Elisabeth Claverie contre indignation éclairée
L'affaire du Chevalier de La Barre
CNRS, GSPM, CERMES

Accuser et défendre, dans une affaire de blasphème,critiques ayant pour objet ou pour prétexte d'extrapo-
consiste dans les deux cas, à transformer une plainte lation la seule littérature. Pour cela, il fallait constituer
en accusation ou à construire une accusation à partird'autres objets comme objets d'intérêt, opiniables,
d'une plainte, en en conservant la structure mais en évaluables, nécessitant des compétences de jugement
changeant son dispositif d'adresse, sa destination.comme il fallait que s'organise la disposition d'infor-
Dans une procédure criminelle en effet, la plainte judi- mations construites sur un certain mode et échan-
ciaire est en position initiale dans les séquences degeables au moins dans quelques « réseaux ». C'est par
1'« attaque », où elle a un rôle institutionnellement le biais des procès dont il entreprit la défense dans les
prescrit, ont dit « porter plainte » comme elle l'est années 1 760, que Voltaire participera de façon essen-
aussi dans la défense où, sans statut juridique, elle esttielle et tout à fait nouvelle à la mise en place de cet
le lieu d'exposition des arguments. C'est à travers « laespace critique contre certains attendus du système
plainte » que les intéressés respectifs cherchent à maî-politique et certaines formes d'actions déclarées « aller
triser la formulation des règles d'énonciations et les de soi » et ne pas nécessiter de justifications ou
configurations de coupables, de victimes et d'offensés,d'explicitations publiques. Ses arguments définiront et
comme aussi une première version de « l'histoire ». Lamettront à disposition une anthropologie, un monde,
contrainte particulière d'une affaire de blasphèmeles raisons de se mobiliser ou de se battre pour son
consiste dans la difficulté que pose, pour l'accusation, existence et indiqueront aussi les techniques de ce
la désignation de qui occupe la place du plaignant combat et les types de liens sociaux « ouverts »
(Dieu), puisqu'un plaignant est formellement requis (jusqu'à quel point, comment, jusqu'à qui dans un
pour démarrer une action en justice dans la procédure espace hiérarchique ?) qu'il supposerait.
d'Ancien Régime. Étant donné que la plainte engendre Voltaire et les autres « philosophes » à cette occa-
le dispositif d'accusation, elle doit être construite desion, cernent ou font apparaître une série de questions :
sorte que la rupture entre les deux genres judiciaires par exemple, la question de l'influence et du rôle des
(plainte et accusation) ne soit pas perceptible maisgens de lettres, de l'espoir d'être compris d'un public,
apparaisse comme un continuum et présente une du rapport entre l'effort et l'austérité du travail par rap-
imbrication telle d'auteurs-énonciateurs, qu'ils seport à son gain toujours incertain en influence mora-
confondent, que le texte devienne anonyme, ou qu'il le, en progrès (pour le bien public) et sociale (pour
soit perçu comme l'expression d'un « tous », sanssoi)3, la question de la censure, ou encore la question
qu'une attribution d'auteur soit possible, de sorte que,implicite, décisive à mon avis, dans ses réponses et ses
du point de vue de sa perception, la plainte de la par- découpages sur l'organisation ultérieure des représen-
tie accusatrice soit une totalisation sans sujet et pren-tations politiques de la qualification des modes de
ne la forme d'une indignation partagée. rationalité dans les processus de connaissance et dans
A charge pour la défense d'oser, à ses risques etla mobilisation considérée comme nécessaire, natu-
périls, défaire ce dispositif, convaincre de son inanitérelle, de tel ou tel fragment de population pour
et en proposer un autre, qui sera, lui, empli de sujets « emplir » ou approprier tel ou tel combat politique en
nommés et responsables. Cette proposition de formevertu de sa position de savoir et des intérêts qui en
faite par la défense pose le corollaire de l'existence oudécouleraient (débats sur le Grand Partage mais aussi
de la formation d'un public capable d'apprécier1 et dedébats sur la notion et l'utilisation des termes « idéo-
soutenir les termes et l'organisation de cette défense.logie », « aliénation »).
Se pose ici la question de l'existence d'une opinion Voltaire en particulier et les Lumières en général
(Habermas, 1978, Koselleck, 1979) et de sa capacitéfirent apparaître un calcul : combien de personnes et
de participation à un espace critique de « conversa- lesquelles faut-il et suffit-il d'« éclairer », combien
tions »2 capable d'excéder, notamment pour les « gensde personnes et lesquelles faut-il et suffit-il de « lais-
de lettres », les conversations littéraires ou les écrits ser dans la croyance » pour l'équilibre, le bien et la

Ethnologie française, XXII, 1992, 3, Paroles d'outrage

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272 Elisabeth Claverie

sûreté d'un État ? Jusqu'où la croyance est-elle dan-


tante abbesse à Abbeville, à l'âge de dix-sept ans, en
gereuse, nécessaire, stabilisatrice, crée-t-elle
avril 1762, de la que son frère tentait d'entrer, après
tandis
cohérence, des dissenssions ? La raison est-elle
un bref bonne
passage chez ladite tante, à Paris, dans le corps
ou souhaitable pour tous du point de vuedes demousquetaires.
l'État ?
avec quelles conséquences ? et la croyance Le
? A 26 qui la
septembre 1765, le chevalier fut décrété de
croyance ? A qui la raison ? Gauche etprise
droite,
de corps ou
ainsi que quatre autres jeunes gens de
conservateurs et progressistes ont constitué au dix-
la ville, ses amis, après qu'une enquête judiciaire
neuvième siècle et dans la première moitié dupar
menée ving-
le procureur du roi « sur les impiétés com-
tième siècle leur clientèle et ses attributs sur ce modè-
mises dans la ville » ait signalé le nom de ces cinq
le, les ont effectivement associés dans des combats jeunes gens, appartenant tous à « d'excellentes familles
qui les ont opposés. C'est toujours vrai de l'extrême de la ville ». Trois s'enfuirent à temps, seuls furent
droite. Il est donc urgent d'arracher des groupes entiersarrêtés La Barre et « un dénommé Moisnel, âgé de
de la population à une quelconque vocation à tomber quinze ans ».
dans ses griffes.
La sentence de mort prononcée à Abbeville fut
confirmée à Paris, en Appel, au Parlement, par la
Dans l'affaire du Chevalier de La Barre, les deux Grand'Chambre assemblée, à la majorité des voix. On
ensembles « accusation » et « défense » comprennent avait amené le Chevalier de la prison d' Abbeville à la
des personnes bigarrées : l'accusation est menée par conciergerie de Paris, où il fut enfermé trois mois, du
quelques juges provinciaux de la même ville que La 14 mars 66 au 4 juin 66, avant d'être entendu. Il fut
Barre, par l'évêque d'Amiens, Monseigneur de la réinterrogé et le nouveau jugement fut rendu en sa
Motte4, grand pourfendeur de jansénistes dans sa jeu- présence. Les juges parisiens avaient préalablement
nesse et adversaire, par là, des parlementaires, par Joly pris connaissance du dossier constitué par Abbeville,
de Fîeury, procureur du roi au Parlement de Paris et un selon les prescriptions habituelles de la procédure écri-
certain nombre d'autres parlementaires et enfin par le te. L'écrit, en droit criminel d'Ancien Régime, porte
roi qui choisit de ne pas gracier. La défense, quant à en effet la charge de légitimer la voix de toutes les par-
elle, s'assortit de l'abbesse d' Abbeville, tante du Che- ties du procès et se présente comme un effort de rup-
valier, de Douville, maire d' Abbeville, de d' Ormes- ture avec l'oral. Rompre avec les roueries potentielles
son, parlementaire parisien, de Linguet, avocat et de la parole était un souci constant du ministère public
publiciste et de Voltaire, homme de lettres de grande et l'écriture était considérée comme la seule condition
notoriété, arrivé à la fin de son existence : il a soixan- de garantie contre le mensonge et la souplesse de
te-quatorze ans lors de ce procès. l'oral, - malgré les garanties que représentaient, en
Pour l'accusation comme pour la défense, c'est le principe aussi, l'usage du serment. Ainsi les procès-
mode de construction de la plainte qui configure la verbaux d'interrogatoires, parce qu'ils fixaient et arrê-
désignation de la victime, de l'accusé, de l'offensé, taient le jeu sans fin des versions, étalonnaient la véri-
des faits délictueux. Le mode de construction de la té. Les interrogatoires successifs étaient rapportés au
plainte en défense et ce qu'elle configure comme premier procès-verbal qui servait à montrer la diffé-
construction critique généralisable face à la construc- rence ou l'analogie des nouveaux dires : seuls deux
tion conservatrice de la plainte sera l'objet de témoignagescet de la même personne dans le même sens
article. valaient preuve (le « recollement de témoins »), et
Ce procès5, en 1765-66, fut le dernier, en France,seuls
à deux témoignages de deux personnes différentes
l'issue duquel un homme fut supplicié et condamné à moins, valaient preuve complète dans le système
au
une mort publique pour blasphème, sur la place cen- des preuves légales.
trale de la ville où il venait de passer quelques annéesCependant, la connaissance du dossier par les juges
de son adolescence et «fait une partie de sa jeunes- du Parlement de Paris avait été introduite et accom-
pagnée par une série de missives écrites à la main,
se ». Il avait dix-neuf ans, était un gentilhomme
envoyées, dès le début de l'enquête, par le procureur
pauvre, de petite noblesse, dont les parents étaient
d' Abbeville à celui de la Grand'Chambre à Paris. Ces
morts, la mère quand il était enfant et le père, ruiné
missives manuscrites d'accompagnement des pièces
dans des affaires de commerce, lorsqu'il eut dix-sept
ans. Le jeune homme était cependant apparenté, sansdu procès (procès- verbaux d'interrogatoires) d' Abbe-
les connaître personnellement, à des familles de laville vers Paris comme la réponse de Paris à Abbevil-
noblesse parlementaire parisienne la plus eminente le, :établirent, entre des juges de « taille » très diffé-
les familles de Brou et d'Ormesson. A la mort de son rente, un accord progressif sur l'horizon
père, son château rural de Picardie fut vendu pour d'interprétation qu'il s'agissait de donner au procès et
dettes, et le Chevalier de La Barre fut accueilli par une à la sentence.

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Sainte indignation contre indignation éclairée 273

A ce dossier, composé de pièces officieuses et offi- « l'accord politique », prit place dans la sphère d'un
cielles, les juges du Parlement ajoutèrent, pour ache- arrêt de justice, c'est-à-dire dans un dispositif très par-
ver d'établir leur verdict, les interrogatoires effectués ticulier du système d'adresse et de la relation espace
avant et pendant l'audience et les pièces et mémoires secret/espace public (Baker, 1988) au sein de la
introduits par les défenseurs des accusés. Ces pièces, monarchie absolue. Restent cachées, pour le public,
les mémoires ou factums, étaient elles-mêmes offi- les raisons respectives de parvenir à l'accord - raisons
cieuses et donnaient une contrainte et une limite tech- qui n'ont pas à être posées par un quelconque
nique à l'audience, ne pouvant être alléguées publi- « public » dans l'espace politique de la volonté du roi
quement pendant le cours du procès lui-même, pas et de ses sujets, forme non représentée - mais se
plus que les missives. Cependant les factums comme montre l'unanimité du résultat, l'exécution (sur ce
les missives avaient une forme de présence et étaient point, Foucault, 1971), qui se charge de « faire
une référence constante. La pragmatique de leur usage savoir ». L'exécution fait savoir qu'il existe une volon-
ne peut évidemment pas être étudiée dans le détail, té politique d'homogénéité par le biais des croyances
mais on peut l'inférer grossièrement. On sait qu'un partagées et offre l'occasion d'une participation et
accusé, au criminel, n'a pas droit à la défense au 18e complicité dans la scène consensuelle du dispositif
siècle, qu'il ne peut être représenté par un avocat spectaculaire. Faire savoir quoi, à qui, comment et
(Code de procédure criminelle, 1670). Les séquences avec quels moyens descriptifs, devient, en effet, une
du procès dans lesquelles il peut répondre à ses adver- technique de réalisation de l'espace politique. Art de
saires sont extrêmement limitées, à l'instruction gouvernement depuis toujours, le privilège de « faire
comme à l'audience (Esmein, 1979). savoir » deviendra, dans cette deuxième moitié du dix-
La Grand'Chambre comprenait le large éventail des huitième siècle où se forme une opinion publique
parlementaires, juges et conseillers laïcs et ecclésias- consciente d'elle-même, un objet de bataille fonda-
tiques admis à y siéger. Ces juges, les plus âgés et mental, où les parties auront à constituer leurs schemes
expérimentés des magistrats du palais, en représen- et leurs moyens descriptifs. Schemes qui, de l'affaire
taient l'aile conservatrice (Bluche, 1984), mais pou- Calas7 à l'affaire Dreyfus, instruiront les partitions
vaient appartenir à des coteries et à des positions essentielles de l'espace politique et, à certains égards,
rivales dans les querelles fondamentales du temps. Le jusqu'à une date très récente, les instruisaient encore.
roi Louis XV, enfin, ne fit pas grâce. L'arrêt de sen-
tence d' Abbeville comme celui du Parlement portait
également que « le Dictionnaire Philosophique Por- I L'accusation
tatif » de Voltaire serait lacéré et brûlé dans le même
bûcher que La Barre.
Le Chevalier et le Dictionnaire Philosophique Dresser un acte d'accusation avec une plainte
furent donc reconduits à Abbeville de nuit, en carros- Dans la nuit du 8 au 9 août, des coups de couteau
se, sur le lieu du délit et de l'offense6. C'est ainsi, furent portés sur le crucifix du pont d' Abbeville. Le
qu'un mois après le verdict, après avoir subi la ques- dix au matin, le procureur du roi Hécquet, « averti par
tion, le Chevalier mourut, le Dictionnaire Philoso- la rumeur publique » et afin de « constater les faits »
phique attaché à son corps, dans les supplices réservés décide d'un « transport de justice » sur « le dit pont ».
aux blasphémateurs : langue et poing coupés, tête tran- II est accompagné de deux témoins officiels, l'asses-
chée, corps brûlé et privé de sépulture, le 1er juillet seur du lieutenant criminel, Duval de Soicourt et Mar-
1766, au milieu d'une foule de spectateurs. cotte, greffier de justice. Le procès-verbal de cette
opération porte que : « Étant parvenus sur ledit Pont-
Il y eut donc, à l'occasion de ce procès, de cette neuf et ayant examiné le crucifix placé sur celui-ci,
condamnation et de ce chef d'accusation, un consen- nous avons remarqué qu'à la jambe droite du Christ
sus légal entre des acteurs quant au spectacle qu'ils qui est de bois, il y avait trois coupures faites avec un
allaient offrir aux sujets du royaume. Or, ces acteurs instrument tranchant. Que ces coupures étaient de
étaient depuis de nombreuses années, en proie à des plus d'un pouce de long chacune et profondes de trois
désaccords fondamentaux et se livraient, à cette exac- ou quatre lignes. Qu'au dessus de V estomac du côté
te période, à d'incessants combats, combats qui se gauche, il y avait aussi deux coupures mais pas aussi
poursuivront jusqu'à la suspension et la mise en exil profondes et aussi longues que les autres. » C'est avec
par le roi du Parlement de Paris dans les années 1770 ce texte que commence le procès du Chevalier de La
et l'installation du Parlement Maupeou (Egret, 1977 ; Barre.
Baker, 1988). Cet accord inattendu des jugements sur Dans la procédure d'Ancien Régime, réglée par le
une action qualifiée de « blasphème », type de code de procédure criminelle de 1670, l'action de por-

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~274 Elisabeth Claverie

ter plainte est soumise à certaines contraintes. Pour judiciaire, ce qui donne pourtant une orientation nou-
qu'une plainte soit recevable en justice, et donc sus- velle au texte. Ainsi, on l'a vu, une unanimité est
ceptible d'embrayer une instruction et un jugement, il constituée qui recouvre la ville, la foule d' Abbeville et
faut que l'instance qui la reçoit, généralement une ins- ses institutions, jusqu'au roi, sans rupture d'opinion,
tance mineure mi police-mi justice, la formule par sans rupture du tissu social à l'exception d'un seul,
écrit, d'après un constat « de visu » et l'adresse au l'accusé encore inconnu, dessinant une indignation
juge de l'instance judiciaire supérieure, ici le séné- partagée a l'égard de X encore inconnu, pour une
chal, pour que celui-ci confirme ou infirme le bien action connue, et des motifs qui fournissent un spectre
fondé d'une plainte dans ce cas-là. Ce procès- verbal assez large à l'exercice de l'imagination et dont la
initial, dicté par un juge, à la requête d'un plaignant juste interprétation fait le prix. Des choses, des per-
nominal ou d'une rumeur, rédigé devant deux témoins sonnes, des institutions forment désormais une ligne
judiciaires, et confirmé par un troisième réputé plus continue, orientée vers un même engagement, un
qualifié, portera et transportera alors une description même sentiment, un même but, et dessinent un cou-
« telle et telle », définitive, de la situation de délit. Le pable, un plaignant, une victime, un offensé, une accu-
dispositif de cette description initiale gardera un carac- sation, une demande de réparation, une punition. Tou-
tère pregnant et persistant pendant toute l'affaire et tefois, l'accusation, définie comme je viens de le faire
s'installera progressivement au lieu et place de la comprend toujours en elle la plainte (de la rue, de
situation réelle, au fur et à mesure de son usage comme tous), qui lui sert de fondement, de justification.
référence. Ce texte, ou plutôt cette description, en Cependant, le nouveau partenariat ou dispositif dans
effet, ne sera bientôt plus référée comme texte, mais lequel le texte comme accusation fait fonctionner les
comme scène réelle, dès lors que l'approbation du choses et les personnes qu'il mentionne, les place dans
caractère délictueux qu'elle décrit, sera reconnu par le un nouvel état, une nouvelle économie, et dans de nou-
sénéchal, et que des missives privées en feront, ensui- velles situations : ils sont transportés dans un procès.
te, le récit parallèle ou le commentaire.
Cette toute première phase du procès travaille à pro- La scène et son procès-verbal
duire un acte légal qui conserve un caractère sponta-
Une femme, traversant le pont de la ville au petit
né, naturel, émotionnel et tend à donner une épaisseur
matin pour se rendre à la première messe, voit que le
à la plainte et à lui conférer une pluralité de voix expri-
mant unanimement le même sentiment d'offense : de bois du crucifix a été entaillé ou plus exactement que
le Christ a été mutilé. Elle alerte les voisins qui se
la rumeur de la rue, à l'assesseur, au procureur
récrient avec émotion et indignation, scandalisés et
d' Abbeville, au procureur du Parlement et à l'État, au
peines, tandis qu'un ouvrier goguenard passant par là
roi, par le biais de la circulation de papiers officiels et
s'écrie : « on a abattu la patte du Bon Dieu. » Ces
officieux, marqués des signes légitimes, pré-impri-
paroles et quelques autres de ce style ne seront pas
més, sur lesquels figurent aussi, les appréciations
incluses dans le procès- verbal, mais elles figurent dans
manuscrites qui organisent un emboîtement réglé de
le dossier des témoignages, en style indirect, rappor-
formulaires et de lettres personnelles-professionnelles.
tées par un témoin. Petit à petit une foule s'amasse,
A la demande de « permission d'informer », quibeaucoup s'agenouillent en prière, quelques-uns, peut-
donne son rôle fonctionnel à la description s'ajoute être, passent leur chemin. Les magistrats sont alertés,
une demande de monitoires, c'est-à-dire la demandes'ensuit le procès-verbal précité et l'alerte aux autori-
de la justice à l'évêque que les prêtres du ressort, entés supérieures. La configuration accusatoire du pro-
chaire, exigent pendant trois dimanches successifs que cès-verbal se dessine. Elle désigne un plaignant aux
leurs paroissiens déclarent ce qu'ils savent des faits figures emboîtées et métonymiques : une femme qui
« par ouïe dire ou autrement », sous peine d'excom-égale ou représente quelques personnes, la ville, la
munication.
rumeur publique, et à l'inverse la ville qui représente
Ce « procès- verbal » en tant que forme particulière une femme ou même la piété violée d'une femme. Le
de rapport d'une configuration d'actions, opère un plaignant (la ville) est un offensé, offensé dans ce qui
passage entre deux modes de jugements : un jugement a du prix pour lui. Elle désigne une victime, le Christ,
de la rue, dont il est sous-entendu au moyen du choix souffrant une seconde passion, sans défense ; une
du terme unificateur « la rue » ou du terme « la rumeur action délictueuse, les coups de couteau, et enfin un
publique » qu'il recouvre et vise un sujet homogène et coupable, inconnu. L'indignation se porte ici vers le
total, « toute la ville » et un jugement judiciaire qui se coupable et l'action réparatrice se dirige vers la
présente comme son expression directe et son simple recherche et le châtiment de celui ou de ceux qui ont
prolongement, sans que soit rendu perceptible le chan- offensé la ville et le Christ. Plaignant et victime se
gement du dispositif d'adresse vers un destinataire recouvrent dans cette opération. Dans cette économie,

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Sainte indignation contre indignation éclairée 275

le peuple, son émotion, la rumeur publique disent le sang ». Un autre perruquier rapporte encore qu'un
vrai, d'après constat judiciaire, dans la vérité de client lui a déclaré que « la mutilation du Christ pour-
l'émotion, présentée comme « hors calcul ». rait avoir été faite par des jeunes gens d 'Abbeville
que l'on disait avoir profané une hostie ».
L 'enquête par témoins, formulation
Dès le lendemain de la déposition de Nature, Mois-
d'une deuxième plainte « pour impiété » nel, quinze ans, est convoqué et prié de s'expliquer sur
La permission d'informer et les monitoires furent
l'histoire de la profanation d'hostie dont parle « la
obtenus. Les monitoires ne donnèrent pas grand résul-
ville ». Il relate alors que Douville, fils de l'ancien
maire de la ville, a en effet raconté l'histoire d'un
tat (contrairement à ce qui s'était passé dans l'affaire
Calas). Les témoignages ne révélèrent rien sur les faits jeune homme qui avait souillé une hostie parce que le
de la plainte, personne n'avait rien vu ni entendu de sang n'en jaillissait pas et que Saveuse de Belleval et
Blondin de Breville étaient présents mais que Douville
précis, parmi la quarantaine de témoins interrogés, si
ce n'est deux témoins qui avaient, de loin, « vu une ne savait pas qui était le jeune homme. Convoqué
veste blanchette ». derechef, le jour même, par Duval de Soicourt, Dou-
ville dira que « c'était une histoire légendaire qu'on
En revanche, de nombreux témoignages révélaient
racontait à Paris tous les ans et que tous les ans on fai-
qu'il se commettait dans la ville des actes impies. Le
sait à raison de cela une cérémonie de réparation ».
13 août, jour de l'ouverture de l'information judiciai-
re, un dénommé Nature, maître d'armes, rapporte qu'il Une deuxième plainte portant sur le fait de ces
« a entendu le sieur d'Etallonde, le sieur Chevalier de impiétés fut alors mise en branle par le procureur du
La Barre, et le sieur Moisnel, étant tous trois dans la roi d' Abbeville qui demanda à nouveau une permis-
sion d'informer au sénéchal. Procédure tout à fait inac-
salle d'armes, se vanter qu'au temps de la fête du
Saint Sacrement dernière, étant sur la place Saint coutumée, cette plainte fut juridiquement liée à la pre-
Pierre lorsque la procession de Saint Pierre passait où mière : si des personnes commettaient des impiétés
l'on portait le Saint Sacrement, ils ne défirent point c'est certainement qu'elles avaient agressé le Christ du
leurs chapeaux et ne se mirent point à genoux et qu 'ils pont de la ville. Dans la procédure d'Ancien Régime,
en firent une sorte de bravade ». l'information ne doit strictement porter que sur les
L'audition des témoins par Duval de Soicourt se faits contenus dans l'acte d'accusation. Ici, la premiè-
poursuit et il apparaît que si personne n'a vu quoi que re plainte révéla des faits qui n'avaient rien à voir avec
ce soit concernant la mutilation du crucifix, nombre de elle, ne correspondaient pas au contenu de cette plain-
témoins se plaignent de la conduite impie de certains te. Une deuxième plainte vint donc donner aux faits de
jeunes gens, ainsi la Dame Tarmont : « M. le Cheva- l'information, révélés par les témoins, une forme léga-
lier de La Barre, cousin de Mme l 'abbesse de Willan- le et criminelle, et donc une possibilité technique de
court, corrompt tous les jeunes gens du quartier, même répression. Ainsi, les auteurs des délits évoqués par la
son fils à qui il avait fait voir chez lui des livres abo- seconde plainte seront supposés être les auteurs du
minables, qu'on appelait "Dom B", le "Tableau de premier délit.
l'amour conjugal" et autres. » Elle dit encore qu'elle L'information engagée par cette deuxième plainte
connaissait un sieur Beauvarlet qui résidait à l'abbaye confirma le nom de cinq jeunes gens qui furent inter-
et savait beaucoup de choses mais qui hésite à com- rogés puis décrétés de prise de corps : Douville,
paraître « dans l'appréhension de déplaire à Mme Saveuse de Belleval, d'Etallonde, le Chevalier de La
V abbesse et qu'elle lui ôte son pain ». Beauvarlet,Barre et Moisnel. Tous avaient entre quinze et dix-huit
convoqué, témoigne qu' : « II y a environ un mois le ans. Le Chevalier de La Barre et Moisnel furent arrê-
chevalier de La Barre entra dans sa chambre avec un tés, tandis que les trois autres purent s'enfuir.
jeune monsieur qu 'il ne connaît point, que ce jeune
L 'amende honorable
monsieur remarquant un crucifix de plâtre qui est dans
sa chambre, lui demanda s 'il voulait le vendre, que lui En même temps que se déroulait l'enquête, le 8
ayant demandé ce qu 'il voulait en faire, il répondit queseptembre 1765, jour de la nativité de la Vierge, eut
c'était pour le briser. » La Barre est convoqué et lieu à Abbeville, la cérémonie de l'amende honorable.
déclare ne rien savoir. Pour demander au ciel pardon des offenses, une céré-
Un perruquier, dépose qu'il a entendu dire, le jour monie publique eut lieu. « Toute » la ville et les
de l'agression par le dénommé Belleval fils, que paroisses environnantes se rendirent dans l'église de
l'affaire du crucifix évoque les rumeurs qui circulent Saint Wulfram, au centre de la ville. La messe fut
à propos d'un sacrilège concernant une hostie : « c'est dite par l'évêque d'Amiens, Monseigneur de La
à peu près comme ceux qui racontent avoir communié, Motte, âgé de quatre-vingt-deux ans, en présence des
avoir gardé l'hostie, l'avoir piquée et en avoir tiré le corps constitués et corporations assemblées. La Motte

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276 Elisabeth Claverie

avait joué un rôle actif dans la lutte contre le ville,


cette jansé-et de couvrir d'ordures celui qui se tro
dans le cimetière
nisme en général et dans le Ponthieu en particulier. La de Sainte-Catherine. En relevant
messe terminée, après un long sermon, toutes
plainte lesfait, et demandant au juge la permission
de ce
de faire
cloches des églises de la ville et des paroisses informer, j'ai appris qu'on débitait que plu-
avoisi-
nantes, répondant à celles de Saint Wulfram,sieurssonnè-
jeunes gens se vantaient d'avoir commis des
impiétés
rent le tocsin. Puis, toute l'assemblée s'ébranla encore plus grandes. J'en ai fait mention
pour
dans ma plainte, sans les désigner autrement.
se diriger en cortège vers le Pont d' Abbeville,
l'évêque de la Motte en tête, pieds nus,J'apprends
la corde dans
au le moment par V information qu 'on a
cou, un cierge énorme allumé à la main ouï
audire, sur la fin du mois dernier, qu 'un jeune
milieu
d'une foule immense. Arrivés au Pont, des artisans
homme ayant entendu parler de l'histoire d'un juif
qui avaitavec
descendirent le Christ de sa croix et le posèrent piqué une hostie dont il était sorti du sang,
précaution sur un brancard que s'apprêtent avaità voulu
portervoir si effectivement il en sortirait ; qu 'en
conséquence,
deux prêtres en chape violette. Tout le monde s'age- il avait communié, avait gardé l'hostie
nouilla pour prier. et l'avait piquée. Et que, voyant qu 'il n 'en sortait pas
L'évêque commença la prière de réparation de sang, ilet avait jeté l'hostie à terre, l'avait couverte
d'exhortation : « Pénétré ô Mon Dieu, desdeoutrages
crachats et l'avait même polluée (iseminis effusio-
ne "Vdisant
que vous ont fait quelques impies, en frappant image que, puisqu 'il ne sortait pas de sang, il ne
sainte de votre corps adorable, cloué à la croyait pas à la présence réelle. Ce crime est si énor-
croix pour
le salut de tous les hommes, je vous en faisme queje crois devoir vous en faire part. Je fais conti-
ici une
amende honorable, en réparation d'honneur. nuer V information.
Com- Si je viens à découvrir le coupable,
j'aurais l'honneur
bien n 'est-il pas douloureux de voir des chrétiens, qui de vous le mander. J'ai celui d'être
ne doivent ce titre précieux, qu 'aux mérites avec d'un
respect. »
Dieu
crucifié, porter l 'ingratitude jusqu 'à l 'outrageRéponse de Joly de Fleury, le 22 août : « J'ai reçu
même
dans son image sur la croix. Ils se sont par votre là lettre
rendus au sujet des particuliers qui se sont livrés
dignes des derniers supplices en ce monde aux excès et etdes
autres impiétés les plus criminelles. Vous
peines éternelles dans l'autre. » Puis la devez continuer d'en faire informer et de faire toutes
procession,
les diligences
avec le brancard porté par les prêtres au milieu d'elle, nécessaires pour faire découvrir et arrê-
devant l'évêque, se rendit au cimetière Sainteter ces Cathe-
particuliers et leur instruire le procès dans la
plus L'évêque
rine, qui avait été souillé par des excréments. grande rigueur de l'ordonnance. Vous aurez
redit le texte de l'amende honorable. Enfin, agréable de m' envoyer au fur et à mesure copie des
la proces-
procédures.fut
sion regagna l'église Saint Wulfram. Le crucifix » Ainsi Paris reçoit la plainte, d' Abbevil-
déposé dans une chapelle afin qu'on putle,l'honorer.la conforte et la rapporte au texte de l'ordonnance
L'évêque accorda quarante jours d'indulgence réprimant à les
qui blasphèmes.
s'agenouillerait là et y réciterait des paters.Nouvelle
Un culte lettre du 30 août d'Hécquet à Joly, pour
s'organisa, et il y eut quelques miracles depréparer
guérisons. le terrain d'une demande de deuxième plain-
Transporté dans les combats laïcs du dix-neuvième
te : « J'ai l'honneur de vous envoyer l'extrait de
siècle, le récit « voltairien » donnera ceci :l' «information
Alors quefaite à ma requête au sujet des excès et
le bruit des miracles prétendus que faisait des le Christ
impiétés criminelles dont je vous ai rendu compte
mutilé excitait un peuple qui se portait enfouie dans lettre. Il y a eu près de quarante
dans ma dernière
le temple où il était placé, un peuple tumultueux
témoins entendus qui dans l'information. Si je ne découvre
voyait un Christ outragé roulant les yeux et rienfaisant un du monitoire, dont la troisième publi-
par la voie
effort pour s 'arracher de sa croix, un peuplecation sequ fait'ildimanche prochain, Ier septembre, il fau-
aurait fallu contenir par des paroles. » dra nécessairement arrêter toutes poursuites », mais
depuis trois jours déjà, Hécquet avait lancé des décrets
Abbeville-Paris, Paris- Abbeville de prise de corps contre La Barre, Moisnel et d'Etal-
londel'ouver-
Dès le 17 août 1765, soit quatre jours après et avait demandé au sénéchal sa deuxième per-
mission
ture de l'information, le procureur du roi d' Abbeville d'informer contre blasphème. Joly de Fleury
en recevra bientôt l'avis, mais aussi, il commencera à
envoie au procureur général du Parlement de Paris,
recevoir des lettres et Mémoires des défenseurs des
Joly de Fleury, le rapport de la première plainte, les
procès- verbaux d'auditions de témoins, et inculpés,
ses pre-et devra donc estimer la direction qu'il don-
nera à l'affaire.
mières conclusions : « Monseigneur, j'ai l'honneur de
vous informer que plusieurs particuliers de Le 10 octobre
cette ville une mission de justice, des huissiers,
ont eu l'insolence de mutiler, la nuit du 8seau 9 de ce
rendent à l'abbaye pour y saisir les livres prohibés,
qui avaient été
mois, le crucifix qui est sur le milieu du Pont-Neuf de cachés mais que les huissiers trouve-

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Sainte indignation contre indignation éclairée 277

ront : « // était essentiel de ne pas laisser égarer de réprimer par les peines qu 'elles ont établies contre les
pareils ouvrages capables de corrompre le cœur et les blasphémateurs ».
mœurs de ceux entre les mains desquels ils tom- La référence implicite, allant de soi, porte sur le
baient » indique le procureur du roi. Furent décou- rituel d'une jeunesse noble et virile, dégagée des obli-
verts : les Galanteries de Thérèse, Le Canapé de Cou- gations extérieures, populaires de la croyance, sans
leur feu, Les amusements des Dames de B, L'Art de affecter le vrai respect des conventions ou des conve-
faire des garçons, et le Dictionnaire philosophique de nances, qui se marqueront néanmoins dans toutes
Voltaire*.
situations requises. Mais aussi, surtout, elle indique la
référence, le monde relatif dans lequel elle doit être
interprétée, référence que Joly, étant de ce monde sous
certains aspects (comme homme noble, si ce n'est
I La défense comme magistrat engagé dans la raison d'état, et donc
au-dessus de tout particulier en ses mœurs) peut com-
prendre et partager. Pour renforcer cette indication,
Abbeville-Paris/Paris-Paris
d'Ormesson la transporte dans le monde judiciaire des
« précédents », mais comme sous-argument : «je me
L'abbesse de Willancourt, tante du Chevalier,
remets à votre justice et à votre prudence ordinaires.
inquiète du tour que prennent les événements, écrit à
Vous pourrez vous rappeler qu 'il y a trois ou quatre
d'Ormesson, son cousin, pour lui faire part des charges
ans le lieutenant criminel de Rochefort avait com-
qui pèsent sur son neveu. Celui-ci, qui avait été pro-
mencé une procédure du même genre. Il me semble
cureur général au Parlement en même temps que Joly
qu'on fut obligé de l'abandonner parce que les faits
de Fleury, s'entremet, et invoque, comme allant de
n'étaient rien autre chose que les étourderies d'un
soi, la solidarité qu'il doit à son parent. Il fait parve-
jeune officier irlandais » (conseil de bonne économie
nir à Joly de Fleury la lettre que l'abbesse lui a écrite,
professionnelle). A cela d'Ormesson ajoute un argu-
accompagnée d'une autre de sa main, dans laquelle il
ment « domestique » : le procureur du roi d' Abbevil-
signale les liens de parenté qui l'unissent au chevalier
et à l'abbesse, comme aussi, les liens de statut, dele s'en prend au chevalier, parce que celui-ci, orphe-
lin, n'a pas vraiment, à part l'abbesse (ici minimisée),
rang, et de caste qui le lie lui-même à Joly de Fleury.
de protection locale, il est persécuté à la place d'autres
Ce faisant, il réinstalle Joly de Fleury dans le « bon »
jeunes gens de famille, mieux protégés. C'est donc à
contexte d'interprétation : le « entre nous » de cette
sa famille parisienne, et d'une certaine façon grâce à
situation, « ensemble » qui contient : lui-même, Joly
la chaîne de solidarité qu'il vient de signaler, à Joly lui-
de Fleury, le Chevalier, l'abbesse et leurs actions mais
même, de le protéger contre les familles locales. Après
qui exclue le juge provincial. D'extraction inconnue,
quoi, pour clore le texte, il signe avec la mention
celui-ci est incapable, dans cette anthropologie, de
« votre ancien collègue et ami ».
juger des choses dont il ne peut comprendre la signi-
fication ni la portée simplement « coutumière », « n 'en
étant pas ». Ce raisonnement reprend la ligne ordinai- En réponse à d'Ormesson, l'accusation devra alors
re de pensée d'une société à ordre, qui en trouve quel-montrer que les actes blasphématoires de La Barre et
quefois l'usage. Il figure dans le code de 1670 etde ses amis n'appartiennent pas à la tradition libertine
ordonne ses articles : un noble ne peut être jugé quede la jeunesse noble mais que ces actes ont une sour-
par ses pairs et dans une cour du Parlement. Ici, les ce différente, nouvelle et dangereuse, échappant au
actions n'ont pas de sens généralisable hors du grou-traditionnel « droit » de jouissance aristocratique et à
pe, et ne peuvent, par voie de conséquence être son esthétique : la lecture des « livres philoso-
capables d'une appréciation hors du groupe. D'Ormes-phiques » a des conséquences. Se lient ici, à ce
son dans son argumentaire figure un monde continu demoment (si ce n'est rétrospectivement pour évaluer la
personnes, dans lequel les actes ont une certaine signi-nature des origines de la révolution), dans une accu-
fication, une signification qui pour être comprise doitsation au tribunal, choix de lecture et sûreté publique.
être dégagée d'un contexte ordinaire, littéral, « pour Les philosophes engagés depuis longtemps dans une
guerre pamphlétaire avec les apologistes se voient ici
tous ». Ainsi son jugement sur l'affaire : « le fait de la
procession dont parle la lettre ne paraît pas un fait donner une importance et même une existence poli-
bien grave. Celui des propos irréligieux, surtout entretique, se voient conférer une reconnaissance de leur
des jeunes gens, n 'est souvent que de ces jurements ouinfluence et voient s'exprimer une inquiétude sur la
de ces expressions qu 'ils regardent entre eux commenature de cette influence.
des gentillesses, et qui ne tiennent en rien à cet esprit Cependant, six jours plus tard, Joly de Fleury rece-
d'impiété que les ordonnances ont voulu punir etvra cette lettre d' Abbeville, signée du procureur du

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278 Elisabeth Claverie

façon inédite
roi : « Le sieur Moisnel dans son interrogatoire du 5 par la voix des factums (Maza, 1982,
de ce mois avoue que la chanson abominable a été
1990), dans l'espace judiciaire à la délectation et à
chantée par deux jeunes militaires de cette ville Dou- critique publique, annonçant la sensibi-
l'appréciation
ville et Saveuse qui sont de son âge. Cette lité au roman, au feuilleton et construisant une com-
chanson
peut être regardée comme un des plus énormes pétence d'appréciation,
blas- un goût de l'intrigue domes-
phèmes qui, suivant la déclaration du 30 juillet
tique et 1666,
politique.
doit être punie rigoureusement. » Entre les deux inter-
Quelques années après, toutefois, le publiciste sera
prétations de la nature de la plainte, l'État renvoyé
en ces jours
du Barreau pour son plaid dans l'affaire
de 1766 doit choisir.
Morangiès, ses démêlés avec d'Aiguillon et il s'enga-
L'abbesse se déplaça, en décembre 1765, à Paris et gera dans une guerre de pamphlets virulents contre
essaya de mobiliser des influences, d'alerter lesles philosophes, que ses positions paradoxales sur des
membres les plus « en vue » de sa famille. Surtout, elle questions d'économie (il était contre la libre circula-
écrivit un Mémoire en défense qu'elle adressa à Jolytion des grains et se faisait l'apologète paradoxal du
de Fleury : « 5/ le chevalier de La Barre avait troublédespotisme. Il avait en outre sous l'influence de Fré-
l 'ordre de la société et de la religion par des discoursron pris la défense des jésuites dans un Mémoire
impies, s'il avait donné lieu par quelque scandalepublic). Il aura des disputes célèbres avec l'abbé
public, il aurait excité avec fondement la sévérité desMorellet, La Harpe et d' Alembert et passera quelques
magistrats, mais on ne peut imputer au chevalier de La années à la Bastille. « Cruellement puni, écrit-il,
Barre des faits de cette nature, on V accuse deparólesd'avoir osé le premier dans ma profession imiter
irréligieuses mais ce n'est pas publiquement qu'il lesl 'exemple de Cicerón étant aussi loin de ses talents,
a tenues ce n 'est que dans des entretiens particuliersd'avoir essayé de mêler le goût des lettres à V exerci-
qu 'il a pu s 'échapper en paroles inconsidérées » et ce de la jurisprudence, poursuivi au Borreau par des
elle ajoute : « le juge de l'instruction devait avant quevengeances littéraires, inquiété dans la littérature par
de décerner son décret, considérer l 'âge de l 'accusé,les haines du Barreau. »
sa condition, la qualité du crime dont il pouvait être En septembre 1763, âgé de trente-deux ans, reve-
chargé, telle est la disposition de l'article 2 du titre 10
nant de Hollande, pour « observer la liberté », après
de l'ordonnance de 1670 ; du côté de l'âge, la mino- des essais plutôt infructueux à Paris, au théâtre et en
rité du chevalier devait le rendre plus excusable auxlittérature, et des périples aventureux dans l'équipage
yeux de la justice. Sa condition devait encore déter- en gens de lettres et savants de grands seigneurs, en
miner le juge en sa faveur, étant de maxime que le Espagne et au Portugal et après avoir tenté de fonder
décret doit être moins fort contre une personne nobleune fabrique de savons à Lyon, il s'arrêta à Abbevil-
ou constituée en dignité que contre un manœuvrier oule. Là, il se présenta comme « philosophe observa-
un artisan ».
teur » et donna des leçons de mathématiques à
quelques jeunes gens, dont Douville. Puis, regagnant
Le père de l'un des jeunes gens en fuite, Douville Reims, il fit son droit et devint avocat- stagiaire au Par-
de Maillefeu était l'ancien maire de la ville. Quelqueslement de Paris. Sur la demande de Douville, Linguet,
années auparavant, il avait employé, comme précep-qui avait vécu deux ans à Abbeville et fréquenté avec
les jeunes élites, la librairie Devérité, où l'on pouvait
teur de son fils, Simon Henri Linguet. Celui-ci était le
fils d'un professeur en Sorbonne, renvoyé de cette uni-trouver des livres des philosophes « and more » et dis-
versité pour s'être converti au jansénisme après qu'il cuter les idées nouvelles, accepta d'entreprendre la
eût été témoin d'un miracle du bienheureux diacre défense du fils Douville qu'il connaissait bien et de ses
Paris et exilé à Reims où naîtra son fils. Dans son camarades.

autobiographie, Linguet se présente comme « né sous Pour cela, il abandonna, un temps, la rédaction de
son grand ouvrage en réponse à Montesquieu, la
les auspices d'une lettre de cachet ». Il deviendra
célèbre après le procès La Barre et la publication de« saThéorie des lois civiles ou principes fondamentaux
de la société » qui paraîtra l'année suivante, à Londres.
Théorie des Lois Civiles, l'année suivante, faisant par-
Dans le discours préliminaire de ce livre adressé à
tie de cette frange d'hommes de lettres, de publicistes,
Douville père, il déclare : «... Le temps et les cir-
que les factums rendirent célèbres et qui contribuèrent
à élaborer un genre qui aura des conséquences directesconstances m 'ont forcé de m 'arrêter au milieu de mon
entreprise. J'ai préféré au plaisir d'indiquer le bien,
sur l'éloquence des révolutionnaires et sur la réception
de descriptions engageant des « ensembles » nouveaux celui de le faire. J'ai abandonné des spéculations très
de personnages, de situations, d'indignations, de importantes, pour ne m 'occuper que de la justification
démonstrations, de chaînes de causalités politiques de mon ami injustement opprimé. Je ne m 'en repens
mais aussi de sensibilité aux drames privés offerts, pas
de puisque j'ai réussi. L'histoire de l'affaire où j'ai

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Sainte indignation contre indignation éclairée 279

eu le bonheur de vous servir, serait peut-être le mains, on m 'a fermé la bouche. On ne m 'a pas permis
meilleur supplément queje puisse donner à mon livre. de publier la moindre chose pour leur justification. Il
Si les détails en étaient bien connus, il ne faudrait pas a fallu substituer aux écrits imprimés qui auraient tout
d'autres preuves de la nécessité de réformer notre d'un coup instruit et désabusé le public, des
jurisprudence dans presque toutes ses parties. On y démarches, des sollicitations, des remontrances
verrait un terrible exemple de l'abus que Von peut manuscrites, ce qui m 'a coûté mille fois plus de peines
faire contre V innocence des ressources imaginées et n 'a produit aucun effet. »
pour la punition du crime. On y remarquerait avec
II décide alors de rédiger un « Mémoire en consul-
effroi jusqu'où V esprit de vengeance peut porter
tation », qu'il fera signer de huit avocats réputés, dont
V audace dans une province, quand il est armé des
Gerbier, ténor du Barreau. Ce Mémoire, pour circon-
formes judiciaires. » En effet s'il ne put rien pour La
venir l'interdiction du Parlement, ne nomme pas La
Barre et d'Etallonde, les autres furent réhabilités après
Barre, mais prend la défense de ses co-inculpés en
un jugement à Abbeville par de nouveaux juges.
fuite, qui devaient être jugés par contumace. Ce fac-
tum, publié le 27 juin (trois jours avant la mort de La
Revenons encore aux factums (Maza, 1982, 1991 ; Barre) contient trois thèmes majeurs10 : une contesta-
Claverie, 1987). On a déjà dit que, selon l'ordonnan- tion juridique de la possibilité légale de jonction des
ce de 1670, un criminel n'a pas droit à la défense. Une deux plaintes, un récit des événements d'Abbeville
pratique s'était cependant répandue : dans les ins- mettant en scène le juge, Duval de Soicourt, non plus
tances civiles, la défense des accusés était exposée comme juge, c'est-à-dire en position d'impartialité,
dans un Mémoire écrit ou «factum » par des avocats, mais comme quelqu'un qui est engagé dans des
procureurs, clercs ou écrivains divers. Ces pièces guerres de clans provinciales et dans les peines de
étaient jointes au dossier quand une affaire changeait l'ascension sociales, et qui règle par le biais de sa
d'instance, et cette pratique se maintenant occulte, profession, de vieilles inimitiés personnelles avec les
officieuse, non mentionnée au criminel dès lors que les familles des cinq inculpés. Son jugement, dit Linguet,
familles des accusés, ceux-ci étant au secret, avaient n'est en fait qu'une vengeance contre leurs enfants
les moyens de se procurer les services d'un avocat ou (thème de plus en plus conscient en dehors des spé-
d'un écrivain public. Ces factums, notamment après cialistes, de la constitution d'une séparation entre ven-
que Voltaire puis Beaumarchais (Pomeau) se furent geance et justice qu'il faut construire par des procé-
emparés du genre, devinrent une pièce de la littératu- dés institutionnels et organisationnels patents parce
re pamphlétaire et polémique, et connurent un grand que d'équilibre toujours fragile) : « des cinq accusés,
succès dans les deux décennies qui précédèrent la il y en a quatre dont les parents ont eu avec lui des
révolution. torts ou des procédés qui le touchent de près »... « des
Chaque partie d'un procès avait ses écrivains, et on quatre accusés, le premier est parent proche et chéri
s'arrachait les versions, imprimées, puis vendues dans de la supérieure, le second et le troisième sont l'un
la rue, sous le manteau. Ces factums, qui brisaient le frère, l'autre cousin germain du rival préféré et le
secret de la procédure, étaient souvent l'objet de quatrième est fils du conseiller devant qui l'assemblée
mesures de police et brûlés dans la cour du Palais, sur de famille s'est tenue. Le ressentiment de l'assesseur
ordre du Parlement. Ils établissaient des batailles avait éclaté. Il semblait que la délicatesse, la décen-
publiques d'arguments, des prises de partis et contri- ce et même l'équité lui ordonnaient de se déporter
buèrent notablement à la construction d'une opiniond'un et jugement, où il voyait compromises tant de per-
sonnes qu'on pouvait le soupçonner de ne pas
d'un espace public critique et le rôle que jouèrent cette
foule de personnages mi procureurs, mi avocats, mi aimer ».

hommes de lettres dans cette élaboration. L'interpé-Enfin son troisième point posait la question crucia-
nétration9 des milieux du Barreau et ses marges floues le suivante : est-il légitime de laisser un crucifix, un
avec la société des lettres et du théâtre, - les mêmes
objet religieux, dans l'espace public, dehors, et non pas
personnes souvent -, indiquent l'influence réciproque dans une église, où des personnes peuvent ou non
des styles, des thèmes, des dramatisations présentes choisir de le vénérer ? L'implication de ce raisonne-
dans le roman qui voit le jour, sur la scène des drames ment - le Christ ne fait partie que de la croyance de
comme dans les factums.
quelques-uns, c'est une croyance relative qui s'oppo-
Le 26 juin, Linguet reçoit notification du Parlement se à l'édification de la tolérance civile - engendra la
lui interdisant de rédiger et publier tout Mémoire oufoudre du Parlement qui demanda qu'on brûle le
factum en défense du Chevalier. «J'ai essuyé dansMémoire. Mais il était trop tard, tout le Palais l'avait
cette affaire, écrira-t-il plus tard, tous les déboires,lu et « la ville » aussi : « J'écrivis pour eux, les yeux
tous les désagréments imaginables. On m'a lié less 'ouvrirent et on rougit du passé. »

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280 Elisabeth Claverie

I La défense, Voltaire11 gnation par des « spécialistes », les juges. Ceux-ci


réapparaissent comme sujets du récit qu'au terme d
travail d'héroïsation de leur rôle.
Pasquier, procureur général, dans son réquisitoire au
Parlement contre La Barre, attaquait directementLeur présence
« le dans le récit apparaît dans sa simple
nécessité fonctionnelle : suffisamment puissante, et
parti de l'encyclopédie » et s'en prenait nommément
au Dictionnaire Philosophique qu'il associaaimante,
au châti-pour recevoir et bloquer des choses terribles,
ment de La Barre. Un certain nombre desales, impliquant la divinité, et en dégager la ville.
personnes
appartenant aux cercles philosophiques en Ainsi
furent les magistrats
alors et évêques, sont placés, dans ce
récit,
informées par le réseau des salons, et Voltaire futdans la situation de simples médiateurs dans un
aver-
ti dans sa résidence habituelle de Ferney àdispositif,
la frontiè-implicite, de sacrifice. La nécessité d'une
re suisse que le Parlement venait de rendre purification
un arrêt de surgit alors, suggérée par la morale
condamnation à mort. Le premier récit qui condensée
parvint parà le récit comme une conséquence évi-
dente,
Voltaire, celui qui circulait dans les cercles nécessaire. Le récit prend valeur de récit de
informés
de Paris et de province était le suivant : post-justification engageant tous ceux qui le pronon-
- Des jeunes gens à Abbeville, en Picardie, ont com-
cent dans une même complicité. Néanmoins, deux
mis des actes épouvantables et sacrilèges.« Le mondes
récit» sont
ne présents dans ce récit, l'un recou-
vrant l'autre : une morale rationalisatrice délivrée par
dit pas quels sont ces actes mais se centre sur la réac-
une fable, politique et fonctionnelle (qui sera ensuite
tion qu'ils ont causée : le scandale, et, plus spécifi-
aisément dévoilée et dénoncée par la critique comme
quement, le scandale unanime, l'indignation sacrée.
simple mensonge recouvrant des intérêts), et, moins
Cet agencement du récit met l'accent non sur les actes,
maîtrisée, portée différemment par et dans la langue,
passés sous silence et laissés à l'indignation, mais sur
leur « innommabilité ». Dans ce récit (la la crainte réelle qu'ait été touchée l'économie fonda-
première
mentale
lettre à Voltaire en conserve les caractéristiques nondu sacré, soit que ce sacré fut l'horreur de la
rupture de la piété communautaire soit qu'il fut le sen-
critiques si on l'infère par les réponses de Voltaire),
timent d'une injure à Dieu ou les deux. La résolution
dans ce bruit qui court, dans ces fragments d'infor-
d'un trouble par une traduction morale vient ici
mation qui circulent du Palais de Justice à la rue, aux
comme catharsis de la part de tous les protagonistes,
salons philosophiques et jusque dans la lettre que rece-
à ce moment de l'affaire.
vra Voltaire, et dont on trouve des traces décousues
dans quelques correspondances et Mémoires, - Celes
récit, ce rapport, en contient un autre, ayant un
actes
sujet
sont estompés au profit de la réaction qu'ils ontpersonnel
susci- celui-là (Pasquier, procureur général,
porte-parole
tée. Seuls subsistent la sensation de leur degré d'hor- de la plainte émise par les jeunes gens) :
reur et de la sage censure accomplie par ce des récit rapporte ce que rapporte le procureur général,
profes-
Pasquier, de
sionnels en vue de la protection de l'innocence, qui la
n'est qu'un simple porte-parole navré,
cohésion et de la sûreté publiques. - du côté de la plainte -, ayant appris de l'aveu des
- Ce récit anonyme, ce premier rapport de jeunes gens
ce qui (ce sont eux qui parlent par sa bouche),
s'est
qu'ils avaient été corrompus par la lecture des ency-
dit au Palais, « ce qui a filtré » mi par information
directe, mi par commentaires de commentaires, clopédies,cette
sans résistance du fait de la malléabilité
« synthèse », possède un auteur invisible,conséquente
auteur qui à leur jeunesse. Pasquier co-participant à
occupe, dans le récit, la place de celui quilaagence
plainte dite
la par les jeunes gens peut alors énoncer,
au nom
description et donc, l'objective et lui fournit unederéa-
ces mêmes jeunes gens, une accusation :
lité et une intention : le descripteur. Celuiles vrais
qui coupables, et aussi les vrais bourreaux de
raconte
cette l'offre,
l'histoire, qui s'en saisit à nouveau, la répète, affaire, les vrais responsables de la condamnation
s'en effraie, en donne l'avertissement, leà narrateur
mort, sont les encyclopédistes en particulier et la lec-
ture» sans
sériel, fait parler et circuler un « descripteur qui instance
pré- politique (c'est-à-dire émanant d'un
sente l'agencement de situations mentionnées ordre religieux
plus identifié à toute morale possible) de
censure
haut. Ce descripteur-auteur du récit, différent du morale
nar- en général.
rateur d'occasion qui lui prête la parole n'estCette
pas strate
iden-du récit, qui estompe Pasquier comme
tifiable comme une ou comme des personnes mais
sujet ayant des intentions autonomes et n'étant qu'un
comme une entité morale, ou plus exactement porte-parole
comme passif, jointe à la formulation d'une accu-
une pure réaction, saine, rapportée à unesationmoralefut la
quipremière configuration que les philo-
n'a pas à être spécifiée, un « allant de soisophes
». Lepurent
des- mettre en doute et le premier levier qui
fit basculer
cripteur n'est pas une personne. Il n'est présent la validité du récit. Très vite circula le
dans
le récit qu'à l'état de pure réaction devant bruit quelque
que, bien sûr, il ne s'agissait pas de la confession
déjeunes
chose ayant produit un effroi, effroi surmonté nobles innocents corrompus mais d'accusa-
en indi-

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Sainte indignation contre indignation éclairée 281

tions « opportunistes » d'un procureur général dans comptent la vie d'un citoyen pour rien et parce qu 'ils
une économie de la raison d'état, du maintien de son cherchent à se tirer du mépris par des actes des ter-
univers, de rivalités de coteries parlementaires, de reurs » (Diderot-Grimm, corr.).
gages de fidélité auprès du roi, d'alliances compensa- Ce moment de peur de Voltaire, alors qu'il a connu,
trices dans la configuration tendue du moment (assem- à ses dépens, les limites de Frédéric comme prince
blée du clergé, mort du dauphin, remontrances parle- éclairé, ces atermoiements, ce calcul sur la dangerosi-
mentaires, expulsion des jésuites, sortie des derniers té de la situation, son insistance auprès de Diderot et
volumes de l'encyclopédie, écrits de d'Alembert). d'Alembert pour qu'ils le rejoignent en exil en Prus-
L'horizon d'interprétation était donné, que Voltaire se, sont des séquences qui seront immédiatement
saura étayer, égayer et transformer. Le moteur des connues du public : il en fait part dans ses lettres,
« intérêts cachés » était donné à l'affaire. Cependant, le lettres qui sont lues, copiées, commentées avidement
réquisitoire de Pasquier, qui associait les philosophes dans les salons, reprises en fragments par Grimm dans
ou la lecture des philosophes à une affaire criminelle, sa Correspondance Littéraire que lisent les cercles
sera une des grandes tentatives, déjà d'arrière-garde, de européens des abonnés princiers de cette gazette.
les objectiver comme réellement dangereux pour un
Son évaluation de l'état insane et non susceptible de
certain ordre social qui se met alors en perspective, en
perspective d'être vraiment menacé. modification du royaume « Welche », malgré les
efforts des philosophes, puis le retour rapide à une
estimation inverse et à une peur surmontée, donne-
ront une valeur à sa décision et seront essentiels à sa
construction de la notion d'affaire et de cause. En
Estimation publique de la situation effet, son pari sur la possibilité de réversibilité d'une
d'un homme de lettres face aux magistrats situation dominée par les manigances de « l'infâme »
dans laquelle sa propre sécurité et celle de ses amis est
A la réception de ces nouvelles, Voltaire prend peur, engagée, viendra appuyer d'un gage de risque per-
«j'ai peur qu'on ne dise que ces gens-là sont des sonnel sa procédure d'engagement, de protestation et
encyclopédistes ». Il s'inquiète pour sa sécurité per- de réfutation. Il décide de rester à Ferney, avec de fré-
sonnelle et pour celle de ses amis parisiens. Surtout, il quentes incursions aux Eaux de Rolle, en Suisse, Fer-
est découragé et décide de déserter la place, « le royau- ney dont il avait dit quelques années auparavant, lors-
me des Welches », même sous sa forme éclairée de qu'il constituait une contre-enquête dans l'affaire
Ferney, la décrétant par cette décision, invivable, et, Calas : « Je me suis fait un petit tribunal assez libre ou
finalement, non susceptible de progrès, « d' enlighten- je fais comparaître la superstition, le fanatisme, l'into-
ment ». Il demande alors, par lettre, à Frédéric II de lérance, l 'extravagance et la tyrannie. »
l'accueillir dans ses États, à Clèves, pour se mettre à
distance du Parlement et de ses juges. Il supplie Dide-
rot, Damilaville, d'Alembert, d'abandonner Paris pour
I Voltaire part en guerre
le suivre et fonder là, sous la protection du prince
éclairé, un lieu libre de préjugés. Le 23 juillet, soit sept
jours après qu'il ait appris la mort du chevalier, il écrit Voltaire envoie alors, comme dans l'affaire Calas,
à Diderot : « Vous devriez bien venir dans un pays où une série de lettres dans lesquelles il demande des
vous auriez la liberté entière, non seulement d'impri- informations sur trois fronts.
mer ce que vous voudriez, mais de prêcher hautement Aux magistrats éclairés, ou faisant partie de ses
contre des superstitions aussi infâmes que sangui- amis, il demande, au lieu et place du récit colporté, de
naires. » A cette lettre, Diderot répond, le 8 ou 10 lui indiquer le chef d'accusation précis du procès et
octobre seulement : «je scais bien que quand une bête comment il fut fondé. Auprès de familiers résidant
féroce a trempé sa langue dans le sang humain, elle dans la région d' Abbeville, il demande des informa-
ne peut plus s 'en passer. Je scais bien que cette bête tions extra-judiciaires sur les juges locaux et sur les
manque d'aliment, et que n'ayant plus de jésuites à inculpés et des informations sur les faits délictueux, les
manger, elle va se jeter sur les philosophes. Je scais faits de procédures et des détails sur leur vie sociale
bien qu 'elle a les yeux tournés vers moi, et que je respective, leur position dans le monde, leur apparte-
serais peut-être le premier qu 'elle dévorera. Je scais nance de coteries. Il demande aussi une opinion sur
bien qu 'un honnête homme peut ici perdre en vingt- « les dessous de l'affaire », les ragots (dans lesquels,
quatre heures sa fortune, parce qu 'ils sont gueux, son sans doute - dit-il -, la vérité du jugement réside), etc.
honneur parce qu 'il n'y a pas de loix, sa liberté parce Auprès des philosophes parisiens, il demanda, dans ses
que les tyrans sont ombrageux, sa vie parce qu'ils lettres, des informations sur les agissements judiciaires

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282 Elisabeth Claverie

et extra-judiciaires des parlementaires du Parlement


roi (ou un «de
centre »), au-dessus des brigues, le pour-
rait, à condition d'être « éclairé ». A l'exemple de
Paris puis les pièces constituées par les avocats.
« Je ne dormirai point jusqu'à ce que y ai Swift et de toute une tradition anglaise, le « centralis-
la consul-
me » pour
tation des avocats » et le 23 juillet à d' Alembert : «Voltaire,
Je est la seule protection contre la
dispersionmais
sais que vous n 'êtes pas trop lié avec le barreau, infinie des préjugés-croyances : « La caba-
le, le préjugé,
voilà de ces occasions ou il faut savoir sortir de sa l'ignorance peuvent dicter des sentences
sphère, l'abbé Morellet, M. Turgot pourraient loin du vous
trône. Ces petites intrigues, ignorées à la cour,
procurer cette pièce (la consultation des ne peuvent
avocats). faire impression sur elle : les grands objets
l'environnent.
Vous pourriez me la faire tenir par Damilaville qui laLe conseil suprême est plus accoutumé
cherche de tous côtés » ou plus tard, « On aux m affaires,
'a envoyé et plus au-dessus du préjugé, l 'habitude
l 'interrogatoire de ces infortunés ». de voir tout en grand l'a rendu moins ignorant et plus
sage, il voit mieux qu 'une justice subalterne de pro-
On sait que Voltaire, à l'exception de certains cas,
vince si le corps de l'état a besoin ou non d'exemples
haïssait les parlementaires, leurs prétentions législa-
sévères » écrira-t-il pendant l'affaire Calas.
tives, la prétention qu'ils avaient d'être les intermé-
diaires entre le roi et le peuple. Il considéraitC'estplutôt
ainsi que le 16 juin 1766, Voltaire demande
qu'ils en concentraient les deux faiblesses par lettre,
(à sesà d'Hornoy, conseiller au parlement, qui
possédait
yeux) : la superstition doublée de tyrannie. Il le triple avantage d'être parlementaire à
fut le pre-
mier, et ce fut corrosif, à faire coïnciderParis, d'avoir une famille résidant près d' Abbeville et
les fonde-
de lui être apparenté, de l'informer sur cette affaire « et
ments argumentaires sur lesquels les parlements
appuyaient leurs prétentions législatives de ensatisfaire
matière son extrême curiosité ». Il lui demande de
d'imposition et de statut légal, réputés lui«faire
près envoyer
du par sa famille les résultats d'une
peuple », avec leurs iniquités judiciaires par enquête circonstanciée,
le biais de locale, sur les faits qui ont
la démonstration concrète de leurs raisonnements dans conduit au procès : « Priez votre mère d'engager son
certaines affaires, à montrer comment il leur arrivait de mari à m 'envoyer le détail le plus circonstancié. » A
« compenser » leur politique administrative par une M.E. de Florian de Dompierre, sœur du précédent, il
politique judiciaire archaïque, ou par une politique écrit : « Nous vous croyons instruits des nouvelles
judiciaire d'équilibrage politique vis-à-vis du roi, d' Abbeville, nous vous prions instamment de nous
conter dans le dernier détail l 'étonnante aventure de
cédant là, en gage, ce qu'ils lui refusaient dans d'autres
secteurs. Les parlements étaient pour lui le parti des ces jeunes gens à qui la tête a si horriblement tourné.
particularismes provinciaux (toujours appelés par lui Est-il vrai que l'un d'eux est neveu d'une abbesse que
« les préjugés ») ou celui, souvent, du jansénisme, l'on a exilée ? » Ainsi, dès que les premières rumeurs
qu'il qualifiait aussi bien que le molinisme, d'« infâ- lui parviennent, soit douze jours après que le Parle-
me ». Bref, comme jansénistes, molinistes ou féodaux, ment ait rendu son verdict et quinze avant que le Che-
ces factieux s'opposaient à la fabrication d'un espace valier ne soit exécuté, - la date de cette exécution avait
éclairé. Il avait montré qu'à Toulouse, dans l'affaire été gardée secrète -, Voltaire commence son investi-
Calas, les juges partageaient les « préjugés de la gation.
"populace" ». « Toute secte, écrit-il, en quelque genre Il écrit des lettres répétées à d' Alembert et Diderot
que ce puisse être est le ralliement du doute et de à Paris, pour en savoir plus sur le déroulement du pro-
l'erreur. » II espéra, un temps, que le roi gracierait, cès en Parlement et les arguments du réquisitoire de
instruit par l'affaire Calas. Pasquier. A d' Alembert : « Eté s -vous homme à vous
Le 1er juillet, il écrit à d' Argence, « la peine n 'aurait informer de ce jeune fou nommé M. de La Barre ? On
pas été proportionnée au délit ». Le 23 juin, il avait me mande qu'ils ont dit dans leur interrogatoire,
écrit à Damilaville : « On m 'a mandé que le parlement qu 'ils avaient été induits à l 'acte de folie qu 'ils ont
n'avait point signé l'arrêt qui condamne les jeunescommis par la lecture des encyclopédistes. J'ai bien de
fous d' Abbeville, et qu'il avait voulu laisser à leurs la peine à le croire, les fous ne lisent point. »
parents le temps d'obtenir du roi une commutation de Le 7 juillet, il apprend la mort et le supplice du Che-
peine, je souhaite que cette nouvelle soit vraie. valier. Il écrit aussitôt, bouleversé, indigné, à sa nièce,
L'excellent livre des délits et des peines si bien traduitla marquise de Florian, née d'Hornoy, qui sera sa prin-
par l'abbé Morellet aura produit son fruit. » Le roi cipale informatrice de « la partie Abbeville », et lui
avait en effet, dans le cas Calas, accepté la décision du demande des compléments d'informations (il a en tête,
conseil de faire réviser le procès Calas et accepta de ce qui se colporte à savoir que des choses terribles ont
réhabiliter sa mémoire. Représentants de brigues par- été commises, et elles doivent être terribles si mort s'en
ticulières, les parlements ne peuvent à ce titre « dire le est suivie, à moins que...) : « Dites nous leur nom, leur
vrai », ni rendre un jugement d'intérêt général. Seul le âge, leur emploi ? Avaient-ils eu auparavant quelques

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Sainte indignation contre indignation éclairée 283

accès de folie ? jusqu'où ont-ils poussé leurs extrava- la prudence qui s'apprend en même temps que la lec-
gances ? Étaient-ils ivres ? Est-il vrai que l'un d'eux ture de ces livres, ils savent où et comment les men-
est le neveu d'une abbesse qu'on a exilée, est-il vrai tionner, ou ils ne lisent pas. L'accusation n'est donc
qu'ils ont répondu dans leurs interrogatoires qu'ils pas vraisemblable, elle est fabriquée et a été menée
étaient devenus fous pour avoir lu des livres de philo- dans le cadre de la guerre menée aux encyclopédistes.
sophie ? En ce cas ce sont des gens qui se sont empoi- L'item « nouvelle fabriquée » est évidemment central
sonnés avec de l'antidote. » «Mon cher frère, mon pour l'histoire de la critique.
cœur est flétri, je suis attéré », écrit-il ce même jour 7 Le fait que Voltaire soit directement impliqué dans
juillet, à son ami et factotum parisien Damilaville. la condamnation du Chevalier de La Barre par le biais
Voltaire décide alors immédiatement d'une contre- de la condamnation du Dictionnaire Philosophique le
attaque prenant comme premier objectif, avant d'avoir mettait dans une situation de défense très différente de
des nouvelles sur l'affaire elle-même, l'accusation de celle de l'affaire Calas. Dans cette dernière en effet, il
corruption de la jeunesse par le biais de la lecture s'était appliqué à montrer que la preuve de la vérité de
faite par Pasquier envers les philosophes dans son sa cause venait de ce que des personnes la soutenaient
réquisitoire. Ce recentrement de l'affaire sur l'accu- quoique étant sans lien d'aucune sorte (ni de caste, ni
sation de corruption, et sur la position des philosophes de confession, ni de parenté, ni d'affection ni même de
comme coupables, l'aidera à donner un autre éclaira- sympathie) avec ce malheureux marchand de drap pro-
ge à l'affaire et à douter de son montage. Si, en effet, testant d'une petite ville du sud de la France.
cette « explication » avait fini par apparaître évidente Pour constituer une défense dans cette affaire de
aux philosophes étant donné la guerre qu'ils livraientblasphème, et casser le système d'énonciation dans
depuis quelques années à 1'« infâme », ils se conten-lequel elle se propose, Voltaire dut lui aussi constituer
tèrent d'en débattre entre eux, comme d'un moment de une position d'énonciation et une position modifiée
cette guerre, et se mobiliserait plutôt, très intensément, par rapport à celle qu'il avait prise dans « Calas ». Ici,
dans l'affaire qui opposerait Hume à Rousseau12,il était impliqué au nom de ses opinions, ou plus pré-
maintenant l'univers de leurs polémiques dans la sphè- cisément au nom de ses opinions comme ayant eu
re littéraire et dans les problèmes, modernes, de défi- effectivement des conséquences et il dut alors affirmer
nition de la personne et de la fonction de l'homme de ses intérêts, comme les vrais intérêts de toute l'huma-
lettres, du droit de calomnie, de la relation personne,nité.
œuvre, cause, etc. Voltaire s'attachera alors à inverser la proposition
Voltaire écrivit à Morellet, traducteur en France deet à démontrer la bienfaisance de ses idées, opposée à
traités d'inquisition espagnols, et du Uvre des délits laetdangerosité du parti adverse, « l'infâme », en pre-
des peines de Beccaria, partisan déclaré « de la tolé- nant le cas La Barre comme démonstration de facto.
rance civile des idées religieuses » qui venait de « Ce ne sont, dit-il (parlant des apologistes) que des
séjourner à Ferney : « Vous savez que le conseiller fanatiques de coin de rue, des misérables à qui on ne
Pasquier a dit en plein Parlement que les jeunes gens prend pas garde, mais un jour de Saint Barthélémy, ils
feraient de grandes choses » (cité par Pomeau dans la
d' Abbeville qu 'on avait fait mourir avaient puisé leur
impiété dans les ouvrages des philosophes modernes. Politique de Voltaire).
Ils ont été nommés par leur nom. C'est une dénoncia- Il s'attachera d'abord à souligner la vertu et la béni-
tion dans toutes les formes. On les rend complices des gnité des gens de lettres. A Damilaville, le 7 juillet,
profanations insensées de ces malheureux jeunes gens, « Je me doutai qu 'on attribuerait la plus sotte et la
on les fait passer pour les véritables auteurs du sup-plus effrénée démence à ceux qui ne prêchent que la
plice dans lequel on a fait expirer de jeunes indis- sagesse et la pureté des mœurs », à Thieriot, le 26
juin, « Nous avons eu l'abbé Morellet. C'est un
crets. Y a-t-il rien de plus méchant et de plus absurde
que d'accuser ceux qui enseignent la raison et les homme tres instruit, tres aimable, tres vertueux. Voilà
comme les vrais philosophes sont faits, et ce sont eux
mœurs d'être les corrupteurs de la jeunesse ? » Et, ce
qu 'on veut persécuter ».
même jour le premier juillet, jour de l'exécution, mais
Voltaire l'ignore, à Damilaville, « Cette nouvelle est
sans doute fabriquée par les ennemis de la raison, de
la vertu et de la religion. Ne pourriez-vous remonterI L'amour de la Vérité
à la source d'un bruit si odieux et si dangereux ? »
Pour qu'une mobilisation en faveur de Calas, La
Voltaire commence à donner un appui à ses doutes Barre, Sirven, ait été effective, pensable, il avait fallu
quant à la validité du « premier récit » qu'il exprime-constituer une anthropologie. Pour constituer un inté-
ra ainsi : soit ces gens lisent et ont acquis l'usage de
rêt argumenté en faveur d'un homme quelconque,

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"284 Elisabeth Claverie

pour faire reconnaître un rôle « d' enlightenment » à de Bolingbroke, le plus violent de ses pamphlets anti-
« quelconques » hommes de lettres, pour rendre une chrétiens, envoyé déjà à Damilaville en manuscrit,
adresse publique, pour obtenir la maîtrise du point sur mais publié en août 66 et commentant les mérites de
lequel doit porter, dans le cours d'une description, la son propre ouvrage : « II fait, ce me semble, passer son
vérité, et s'en servir de focale pour éclairer tout le enthousiasme dans l'âme du lecteur. Il examine
récit, il fallait que soit déjà partiellement constituée, d'abord de sangfroid, ensuite il argumente avec force
« une oreille » des destinataires, destinataires théo- et il conclue en foudroyant » et à madame d'Epinay,
riques d'abord « les hommes perfectibles mus par la 26 septembre 1766 : « peu de gens lisent mais tout le
raison » et d'une « indifférence raisonnable pour les monde converse et le vrai fait impression ».
choses transcendantes » (Renan, 1847) et non en proie
à l'opinion (savoir non fondé sur la raison mais sur la
peur ou l'habitude selon le Dictionnaire philoso- I La défense. Mobiliser
phique), des hommes, enfin, capables d'être frappés et
transformés par les démonstrations récentes d'un
savoir vrai, en science notamment, avec Newton mais Voltaire, 15 juin 1766 : «je ne suis pas du tout de
aussi en philosophie (anglaise et écossaise) avec Locke l 'avis de Fontenelle, qui disait que s 'il avait la main
et Hume. Il fallait aussi des hommes capables de pleine de vérité, il n 'en lâcherait aucune. Il faut les
démontrer la vérité par les moyens de la philosophie lâcher et retirer promptement la main. Si tous les phi-
empirique comme théorie de la connaissance. Mais il losophes avaient suivi la maxime lâche de Fontenelle
fallait aussi à cette anthropologie, une empirie comme ou en serions-nous ? Nous gémirions sous le joug du
monde, un monde d'ici-bas, ayant une valeur et dans fanatisme le plus horrible. Les temps sont bien chan-
lequel une vérificabilité peut s'exercer, un monde peu- gés ; la lumière luit de toutes parts. J'ai reçu des
plé d'êtres dont certains mentent et d'autres disent la lettres de plusieurs magistrats de province qui pensent
vérité, une vérité démontrable dans un monde connais- hautement. Il n'y a point d'années ou le monstre de la
sable. « II n'y a point de secte en géométrie, on ne dit superstition et du faux zèle ne reçoive quelque blessure
point un euclidien, un archimédien », « on ne dit point profonde ; mais en rendant ce service au genre
en Angleterre, je suis Newtonien, je suis Lockien, Hal- humain, il y aurait de la folie a être le martyr de la
leyen ; pourquoi ? Parce que quiconque a lu, ne peut vérité. Helvetius et Rousseau ont fait une grande faute
refuser son consentement aux vérités enseignées par de mettre leurs noms à leurs ouvrages ».
ces trois hommes » déclare Voltaire dans une lettre de Voltaire montrera l'Église comme une entreprise
cette même année 1766. de propagande et mobilisera ses amis pour qu'ils se
mobilisent à leur tour face à elle. Dans une lettre à M.
Dans ce long processus de la pensée du progrès, dude Chabanon, membre de l'académie des belles-
lettres, du 25 juin 1765, « Les gens de lettre doivent
modèle de positi vité qu'offrent les sciences, de la pen-
sée critique anglaise puis française, Voltaire par sle'aimer, monsieur, car en vérité les gens du monde ne
les aiment guère, le refus de la pension due à M.
biais des contre-jugements qu'il produisit au sein de la
sphère judiciaire, en les montrant en positionsd'Alembert et le libelle du gazetier font également
connexes, l'un vrai l'autre faux, inventa une techniquelever les épaules. Il fait que le petit troupeau des gens
et des schemes de mobilisation politique sur une scène qui pensent se tienne serré contre les loups. » A
spécialement bien choisie, la scène judiciaire, par sad'Alembert : « Non encore une fois je ne puis souffrir
position unique « d'échangeur » entre des chosesque vous finissiez votre lettre en disant je rirai. Ah mon
d'intérêt privé et des choses d'intérêt public. Dans ce cher ami est-ce le temps de rire ? »
dispositif composite, avec ses factums, véritables Et, le 26 juin, à d'Alembert encore : « Tous les phi-
< feuilletons à suspens », Voltaire put développer une losophes sont trop tièdes ; ils se contentent de rire des
rhétorique de pamphlétaire, mais il mettait en scène erreurs des hommes, au lieu de les écraser. Les mis-
non plus les êtres fictionnels habituels de la fable poli-
sionnaires courent la terre et les mers, il faut au moins
tique ou morale mais les vrais personnages désignésque les philosophes courent les rues, il faut qu 'ils
par leurs noms, connus pour leurs actions, avec aillent la semer le bon grain de maisons en maisons. On
même plume sarcastique, mordante et drolatique que réussit encore plus par la prédication qur par les
dans ses pamphlets. Ces factums, par ailleurs, étaient écrits des pères. Acquittez vous de ces deux grands
notoirement connus et identifiés par leur style commedevoirs, mon cher frère, prêchez et écrivez, rendez les
« sortant de la fabrique de Ferney » (Grimm, Corres- fanatiques si odieux et si méprisables que le gouver-
pondance Littéraire). Ainsi, le 26 juin, parlant à Dami-nement soit honteux de les soutenir. » Ou encore,
laville du livre de Fréret Examen critique des apolo- « que les fanatiques se défassent de l'idée de rendre
gistes, puis de son propre Examen important de milordleurs erreurs respectables. On pensera un jour en

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Sainte indignation contre indignation éclairée 285

France comme en Angleterre ou la politique n 'est le cas La Barre ne s'applique pas à cette loi, que lais-
regardée par le Parlement que comme une affaire de ser aux juges une telle latitude d'appréciation des qua-
politique, mais pour en venir là, mon cher frère, il lifications empêche une rationalisation de la loi et son
faut du travail et du temps. Les provinces s 'éclairent, homogénéisation, « les juges de la ville d' Abbeville
les jeunes magistrats pensent hautement, il y a des péchaient donc (il faut noter l'emploi du terme et le
avocats généraux qui font des anti-Omer. On est éton- renversement des qualifications de cruauté émises par
né des progrès que la raison humaine a fait en si peu l'accusation) visiblement contre la loi autant que
d'années. Il me semble que tous ceux qui ont écrit contre l'humanité, en condamnant à des supplices
contre les philosophes sont punis dans ce monde ». aussi épouvantables, que recherchés un gentilhomme
et un fils d'une très honnête famille. ... Il y avait même
si peu de corps de délit que les juges, dans leur sen-
tence, se servent de ces termes vagues et ridicules
I Un point de vue pour juger employés par le petit peuple : "pour avoir chanté des
chansons abominables, execrables contre la Vierge
Voltaire, mettra donc à l'œuvre très vite, au fur et à Marie, les saints et saintes ". Ces épithètes sont elles
mesure qu'il reçoit les éléments de l'enquête et les de la dignité de la magistrature ? »
pièces du dossier, une opération publique de mise en
Ce thème de la crédulité partagée entre juges et
doute du récit proposé et en proposera un autre. Il en
peuples abrutis de superstitions, est très puissant chez
publiera les avancées comme une série de révélations
Voltaire, central dans son plaid dans l'affaire Calas, et
dans des lettres et dans des Mémoires qui seront dif-
fusés dans le Paris des abords du Palais et dans l'Euro- restera un thème de discussion pendant tout le dix-neu-
vième siècle avec l'institution du jury. Enfin, il
pe des philosophes (le problème de la diffusion des
reprend le thème de la parole privée (les jeunes gens
factums est abordé dans les articles de S. Maza), révé-
ont parlé et plaisanté entre eux), et n'ont donc pas
lations qui sont comme autant de révélations des men-
causé de scandale public. L'État (la justice) n'est donc
songes de la partie adverse piquées de moments d'iro-
pas fondé à intervenir. De plus, ces jeunes gens n'ont
nie : « // me semble que les petites-maisons étaient le
pas heurté les croyances « de tous » mais d'une frac-
vrai partage de ces messieurs, et quant à l 'homme qui
tion de personnes : « Dites moi qui est le plus cou-
s 'est mis au cou un ruban, je lui aurai conseillé de le
pable, ou un enfant qui chante deux chansons réputées
serrer pour faire une amende honorable plus complè-
impies dans sa seule secte, et innocentes dans tout le
te (allusion à la procession réparatrice engagée par
reste de la terre, ou un juge qui ameute pour faire
l'évêque d'Amiens). »
périr cet enfant indiscret par une mort affreuse ? » Et
il ajoute : « le sage Vauvenargues a dit : ce qui
n 'offense pas la société n 'est pas du ressort de la jus-
I Conclusions et récit de Voltaire tice. Une chanson entre jeunes gens concernant les
croyances d'une secte ne sauraient être, par voie de
Dans sa Relation de la Mort du Chevalier de La conséquence une offense à « tous », à la société. C'est
Barre, factum publié le 15 juillet et adressé au marquis », dit-il reprenant à son compte le thème de
pourquoi
l'unanimité, « la France entière regarda ce jugement
de Beccaria auteur du Traité des délits et des peines,
avec horreur ». Au duc de Richelieu, 19 août (comme
Voltaire s'en prend violemment à la façon dont a été
disent les Velches) : « J'ai une nièce dont les terres
conduit le procès d' Abbeville. Il décrit l'absence de
sont aux portes d' Abbeville ; j'ai entre les mains
rationalité des procédures d'établissement des preuves,
l 'interrogatoire,
la confusion des catégories criminelles. En effet, s'il et je peux vous assurer que dans toute
cette
existait un code de procédure criminelle, il n'existait affaire, il y a tout au plus de quoi enfermer pour
trois mois à St Lazare des étourdis dont le plus âgé
pas de code pénal, et la qualification des faits crimi-
avait 21 ans et le plus jeune 15 1/2 ».
nels était établie par des ordonnances royales souvent
contradictoires dont personne ne possédait la collec-A la landgravine de Hesse-Darmstadt, 25 août 1 766,
tion complète, et par la jurisprudence propre à illa donne
cou- une interprétation politicienne, employant
envers
tume particulière des tribunaux, « la jurisprudence de ses destinataires comme dans l'affaire Calas,
France, écrit -il dans cette Relation, est dans un
des si stratégies rhéroriques diversifiées et combinées
grand chaos, et conséquemment l'ignorance des notamment
juges selon un axe hommes/femmes et un axe
est si grande, que ceux qui portèrent cette sentence se
politiques/gens de lettres : « On prétend que le Parle-
fondèrent sur une déclaration de Louis XIV, émanée
ment a fait périr ce gentilhomme par le plus horrible
en 1682, à l'occasion des prétendus sortilèges et pour se donner un relief de bon catholique
supplice
empoisonnements. » II s'applique alors à montrer auprèsquedu clergé qui l 'a souvent accusé de sacrifier la

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286 Elisabeth Claverie

de Paris, une
religion à son animosité contre quelques évêques par- rue qui porterait le nom du Chevalier (ce
tisans des jésuites. » Et enfin, à la marquise duaccordé),
qui fut Def- que « le nom sonore du Chevalier de
fand, il offre ce qui deviendra le thème deLa la
Barre et son titre fringant sont devenus une arme
Relation
de la mort du Chevalier de La Barre, récit que
fortles éloigné
partis se rejettent » (Chassaigne).
de celui de l'accusation : « Savez vous que V horrible
aventure du Chevalier de La Barre a été causée par le
La réhabilitation du Chevalier et d'Etallonde fut
tendre amour ? Savez vous qu'un vieux maraud
réclamée par les Cahiers de la noblesse de Paris en
d' Abbeville nommé Belleval, amoureux de1788 Vabbesse
et accordée par la Convention, grâce aux
de Vignancourt, et maltraité comme de raison, a été
demandes le
obstinées de Douville. Voici le texte : « Au
seul mobile de cette horrible catastrophe ?moment
» II repren-
ou le fanatisme est anéanti, ou la majorité des
dra le thème dans la Lettre qu'il fait circuler et quiest
citoyens fera
éclairée par le flambeau de la philosophie,
le fonds narratif de « La Relation de la mort du Che-
vous devez vous empresser de venger les victimes de
valier de La Barre », son factum, publié le 15 juillet la superstition. En 1 768 (sic), un évêque fanatique
1766 : « Un habitant dy Abbeville, lieutenant de V Élec-(celui d' Amiens) fit périr sur l 'échafaud l 'infortuné La
tion, riche, avare, et nommé Belleval, vivait avec la Barre pour avoir voulu devancer cette brillante
plus grande intimité avec Vabbesse de Vignancour, époque de la raison. » A quoi la Convention répondit :
fille de M. de Brou, lorsque deux jeunes gentils-« La Mémoire de La Barre et d'Etallonde, victimes de
hommes, parents de Vabbesse, dénués de ressources la superstition et de V ignorance, est réhabilitée. »
et assez mal élevés, arrivèrent à Abbeville. Uabbesse
les reçut chez elle, les logea dans V intérieur du cou-
Dans cette affaire de blasphème, comme dans les
vent, etc. ». La comédie leste, qui inaugure cette lettre
affaires Calas, Sirven, Lally et Morangiés, Voltaire
comme « La Relation » parvient, sous ses aspects de
inaugure le procédé de construction-déconstruction
comédie puis de drame, à inverser le dispositif de
modernes en montrant le lien qui s'engage entre une
l'accusation et les places de bourreau, de victime, et
d'offensé : « Le Chevalier de La Barre a soutenu les position éthico-politique et les types différenciés
d'êtres et de caractérisations de ces êtres qui peuplent
tourments et la mort sans aucune faiblesse et sans
aucune ostentation. Le seul moment ou il a paru ému
et contraignent ses descriptions relatives. C'est ainsi
est celui ou il a vu Belleval dans la foule de specta- qu'il lègue deux des racines de la position critique :
l'une qui lie éthique, vérité et politique et l'autre qui
teurs. Le peuple aurait mis Belleval en pièces, s 'il n 'y
fait dépendre la vérité de la reformulation constante de
avait pas eu main forte... »
ses attendus descriptifs empiriques. Il inaugure ainsi la
On voit qu'ici La Barre prend la place de victime etposture du choix éthique et de ses conséquences
d'engagement politique, le jugement politique comme
que le peuple, « tout » le peuple est de son côté, indi-
appréciation de la vérité, possibilité de distinguer le
gné de son sort. L'indignation, à l'inverse de ce qui se
passait dans la plainte de l'accusation, se porte sur vrai
la du faux par une procédure technique d'objectiva-
victime. Le délateur, Belleval comme les juges, appar-tion relative à l'objet à montrer. Il fonde ainsi virtuel-
tiennent, quant à eux à un ensemble commun, celui deslement, mais sans l'adopter, la racine de la posture
relativiste en décrivant et juxtaposant dans le même
bourreaux. Quant à la place de l'offensé, elle est occu-
pée maintenant par l'homme de raison, l'homme ver- texte, deux scènes différentes qui se prétendent vraies
et dépendantes de leurs modalités descriptives, de leur
tueux, le philosophe. Cette nouvelle configuration vic-
time, bourreau, coupable, offensé restera dans toutes agencement rhétorique, ou de leur mise en scène.
les mémoires, stylisée par la procédure de réhabilita- Cependant Voltaire pose un observateur rationnel qui
tion du Chevalier. Elle sera thématisée dans les textes peut démontrer avec des faits (le témoin dit le vrai
ou les discussions polémiques des dix-neuvième et dans telle circonstance démontrable et le faux dans
vingtième siècles comme un fond politique, un fond de telle autre, démontrable13) que l'une est fausse.
ressources argumentaires paradigmatiques, un soutien Mais l'attribut de la vérité, pour Voltaire, la positi-
éthique et politique qui sera mémorisé et enrichi de vité, démarque évidemment sa construction de la
nouvelles « affaires » jusqu'à constituer une routine construction relativiste (à chaque texte, sa vérité).
identifiable par tous (notamment dans l'affaire Drey- Dans le schéma de Voltaire, la raison, saisie par la
fus qui contient la structure Calas / La Barre). On peut vérité conçue comme empiriquement constatable,
lire par exemple à la fin du dix-neuvième siècle dans s'arrache à l'autre conception de la vérité, la vérité
un des multiples petits ouvrages qui relate la polé- révélée (et à son corollaire implicite de « politique
mique qui eut lieu entre le gouvernement et les laïcs révélée ») n'ayant pas à ce titre - comme actes de pure
républicains pour qu'on baptisât par décence et équi- autorité légitime, c'est-à-dire par définition -, à se jus-
té envers la classe ouvrière, sur le flanc du Sacré-Cœur tifier. Dans les factums et lettres de Voltaire, l'autori-

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Sainte indignation contre indignation éclairée 287

té, la tradition mentent et sont incapables de cerner leur Ainsi, en rendant publiquement perceptible l'organi-
objet, de le justifier parce qu'il est simplement deve- sation des descriptions soutenant les deux indigna-
nu injustifiable. La tradition apparaît donc comme tions, il démontra l'inexistence du monde décrit par les
incapable de produire le vrai. L'autorité, la tradition magistrats dans chacune des deux affaires. Il offre une
produisent le mensonge, encore appelé, dit Voltaire description non spéculative d'un monde où les magis-
« croyance » ou « préjugé ». L'Église veut « faire croi- trats se fondent sur de pures affabulations.
re » et n'est qu'un stratège avide de pouvoir. Sa stra-
C'est ainsi que dans l'affaire La Barre, la victime et
tégie se manifeste en actes de cruauté, faute de la capa-
le coupable permutent et que l'indignation de Voltai-
cité de trouver une possibilité d'énonciation vraie.
re se porte sur le Chevalier victime du fanatisme, tan-
Entrer dans le détail des déconstructions qu'il opère dis que la place de l'offensé n'est plus tenue par la ville
selon les objets des différents procès qu'il conteste, blessée dans ses croyances mais par les hommes éclai-
donne un éclairage sur la constitution de la critique et rés blessés dans leur amour du vrai.
plus spécialement sur la constitution de la forme
« affaire »l4 dont on sait qu'elle aura un destin dans
l'histoire politique moderne. Cette fondation d'une description de faits démontrés
Avec le procès Calas, en effet, Voltaire avait empiriquement vrais alliée à une position ouverte de
« inventé » la forme « affaire ». Il avait publiquement défense de la véracité de ces faits, ouvrait une possi-
mis en scène les raisons de son indignation contre bilité de réarrangement du statut de la vérité comme
celles du tribunal de Toulouse et les avait mises en embrayeur de la possibilité d'un changement des dis-
balance devant un jugement public, en principe non positions de ce qui se donnait pour immuable, mais
requis et non pertinent dans une monarchie absolue. aussi
Il une idéologie du dévoilement des intentions
exposa les deux motifs, le sien : - on a tué un innocentcachées et du double langage du politique. Que ce qui
plus ou moins sciemment pour complaire à des préju- avait été déclaré vrai et punissable par la plus haute
gés dont le Parlement est complice et partie prenante décision de justice soit à la fois faux et partial modi-
et le Parlement de Toulouse doit en rendre publique- fia considérablement la perception du public et parti-
ment compte -, et celui du Parlement de Toulouse cipe
- un à la question de R. Chartier : « Est-ce que les
livres font la Révolution ? » (Chartier, 1990). L'affai-
homme a tué son fils pour éviter une apostasie. Il méri-
te donc la mort et la torture et que le spectacle enre comme forme d'exemplification de la « cause »,
soit
donné au peuple de la ville -. deviendra le modèle général de la monstration critique
et sera utilisé au moins jusqu'à une date récente dans
Voltaire construit de façon reflexive et maîtrisée
toutes les opérations de la critique politique. Ici, enco-
l'indignation comme genre politique. Son indignation,
re, avec le procès du Chevalier de La Barre, quelques
« en défense », dans le cas Calas, comme dans le cas
années après l'affaire Calas, Voltaire fera d'un procès
La Barre, aura un objet jusque là inédit : la mort injus-
une affaire et d'une affaire une cause. Il saura, de façon
te d'un homme quelconque et la demande que cette
inédite, inverser de façon convainquante, les raisons
indignation soit partagée. Il constitua ainsi dans cette
publiques et justifiables en toute généralité de se scan-
affaire un espace social théoriquement homogène,
daliser et d'agir et il parviendra, dans une forme
dans lequel chacun possède un droit égal à la justice,
sans considérations annexes de circonstances. Il défi- publique, à dessiner un espace critique et à engager
d'autres que lui à le reconnaître valide dans l'espace
nit une éthique de la « vertu » civile, comme amour ded'une monarchie absolue.
la vérité, vérité nouvellement définie, indépendante et
séparée de la morale religieuse, sectaire donc relative. E.C., Paris

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^88 Elisabeth Claverie

I Notes Constitution, demandent les Sacre- 9. Un des aspects concrets de cette inter-
ments ». Ce texte corroborait les thèses pénétration se lit dans l'organisation
de ceux qui voulaient interdire les der-même du Barreau. Les six cents avocats
Ce texte est une partie d'un travail en niers sacrements aux jansénistes qui nedu Barreau, étaient rassemblés dans leur
cours sur l'histoire de la défense et la
pouvaient pas produire de billets depièce du palais, la Grand' Salle, en douze
notion d'affaire (Corpus des affaires
confession et produisit en 1747 d'impor- bancs portant chacun un nom (« le pilier
défendues par Voltaire) dont un autre
tants remous avec les Parlements. Voir des consultations », « la Prudence », etc.).
fragment, sur l'affaire Calas, a fait l'objet
les Lettres de Monsieur de Marville à la Chaque banc dépendait de la boutique
d'une publication lors du Colloque de date des 12 et 25 février 1747. d'un libraire. C'est le libraire qui signifiait
Sociologie Juridique en 1983. Je remercie à l'avocat l'expulsion de son Banc. Celui-
The Institute For Advanced Study de Prin- 5. Les pièces de ce procès sont déposées
aux Archives de Paris (ou plutôt l'étaient ci n'avait alors, si cela arrivait, plus de
ceton de m' avoir ouvert les portes de sa cause (in Cruppi dans sa biographie de
bibliothèque et de la bibliothèque Fires- car elles sont maintenant à Fontainebleau)
sous les cotes de la série X2 B 1 392- 1 939 Linguet).
tone de l'Université de Princeton. La
notion d'affaire a été discutée avec Luc et à la B.N. Fonds Joly de Fleury, vol.
10. Linguet d'emblée mit en doute
Boltanski. Ce travail, enfin, a été présen- 4 1 8, dossier 48 1 7, et Mss Français XXX- l'intention globale de l'accusation. On
té dans le cadre du séminaire de Jeanne VIII (22098) pour les arrêts de condam-
peut lire dans son Mémoire : « L 'insulte
Favret, consacré au Blasphème, lieu de nations. Je ne mentionnerais pas ici ces faite à la croix est bien le prétexte du pro-
débats stimulants pour la recherche d'un cotes à chaque occurence, elles viennent cès ; mais elle n'en est pas l'objet. C'est
toutes de la série X sus-mentionnée
cadre d'approche, et a bénéficié de ses l'occasion de l'affaire et non le motif de
remarques toujours pertinentes. Je vou- (dépositions de témoins, interrogatoires la condamnation. Elle n 'entre absolument
drais l'en remercier ici comme aussi des inculpés, pièces récapitulatives pour
pour rien dans la sentence ni dans
Jacques Revel, pour une conversation sur ce qui concerne le procès d' Abbeville et
l'arrêt. » (B.N. Mss Joly de Fleury 2498.)
du Fonds Joly de Fleury pour ce qui
le sujet, un matin, dans son bureau, à New
York. concerne le procès en Parlement et l'ins-
1 1 . Toutes les citations de Voltaire sont
truction à Abbeville.)
1. Jacques Revel et Ariette Farge ont issues de sa correspondance, éd. Bester-
consacré leur séminaire de l'année 1990- 6. On s'aperçut in extremis qu'on avait man de la Pléiade, pour les années 1765-
oublié à Paris le Dictionnaire Philoso- 66-67 ou des Mémoires qu'il a écrits en
1991 de l'EHESS, à la question de
faveur de La Barre « Relation de l'histoi-
phique. Aussi fut-il réexpédié à Abbevil-
« l'opinion publique ».
re du Chevalier de La Barre » et « Le cri
le de toute urgence, en convoi, pour subir
2. Le journal « The spectator » avait joué son supplice avec le Chevalier. du sang innocent ».
en Angleterre le rôle de formuler et
d'entretenir les thèmes d'une conversa- 7. Voir Claverie, E. « Pour une histoire de
12. Voir Correspondance de Jean-
la constitution de défense judiciaire : Vol-
tion critique « politique » généralisée à taire et la mise en œuvre de la notion de Jacques Rousseau, 1766-1767,
travers l'Europe. « Mémoires Secrets de Bachaumont ».
cause publique dans l'affaire Calas »,
3. Voir lettre de Naigeon à Diderot in Colloque des journées françaises de Voir la Correspondance du
Denis Diderot, Correspondance T. VI, éd. sociologie, 1987. Deffand- Horace Walpole.
de Minuit ; lettre 394, 6 avril 1766.
8. Sur la catégorie « livres de philoso- 13. Voir les œuvres de B. Latour sur le
4. M. de La Motte avait été un des plus phie » et ses liens avec la littérature por- rôle du témoin dans l'histoire des sciences
ardents adversaires des jansénistes. Il nographique, et sur la question de la litté- et sur la façon de faire parler un témoin
avait publié un mandement dans lequel il rature clandestine en général, au XVIIIe (une machine) en sciences, voir le livre de
établissait que la constitution unigenitus siècle voir Darnton, Underground and Schappin et Schaeffer, The Leviathan and
représentait un jugement irreformable de Literary et Édition et Sédition sur the Air Pump.
l'Eglise en matière de doctrine et prescri- l'imprimé au XVIIIe siècle et les ques-
vait aux curés la conduite à tenir vis-à-vis tions de diffusion et d'organisation intel- 14. Sur la construction théorique de la
des contrevenants. Il avait rédigé un lectuelle, voir les œuvres de R. Chartier et « forme affaire » voir Boltanski, 1984,
« Avis aux curés de son diocèse au sujet de D. Roche, sur les facturas, voir les 1991, Boltanski-Thévenot, 1991, Cha-
de ceux qui, n'étant pas soumis à la articles de S. Maza. teauraynaud, 1991.

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d'audience.

X2A 832. Registre où sont recopiés les arrêts.


A.N., X2 B 1 392- 1 393. Il s'agit des cartons de la copie grossoye
B.N. Fonds Joly de Fleury. Vol. 418, dossier 4817 (f° 190-210)
de la procédure d'Abbeville - (52 pièces et 2673 roles)Instruction
-, criminelle.
envoyée au Parlement suite de l'appel interjeté par La Barre et
Moisnel. L'original a disparu dans l'incendie du Presidiai B.N. Fonds Joly de Fleury 2544. Abbeville.
d'Abbeville. B.N. Mss français XXXVIII (22098) année 1766-67, Arrêts de
condamnations
X2B 1035. Minute de l'arrêt rendu par la Grand' Chambre du de Lally et de La Barre (p. 19).
Parlement. Mss français, XLI 22101, Mémoires de Linguet.

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