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COUPS DE PILON DE DAVID DIOP OU LA

POESIE MILITANTE
Nous tenterons ici de montrer à quel point l’unique recueil poétique de David Diop, Coups de
pilon, est à la fois un cri de révolte contre le colonialisme et contre ses méfaits multiples
(violence, assimilation, abâtardissement, aliénation, etc.) et une revendication du droit à la
différence à la « reconnaissance » par l’Autre ; bref, dans quelle mesure c’est de la poésie
militante, du moins engagée.
Le deuxième point de notre étude portera sur l’écriture poétique chez David Diop et sur la
place qu’occupe la mise en texte de l’action politique dans sa poésie. Nous soulignerons la
présence en filigrane des idées d’Aimé Césaire [2], l’influence de Jacques Roumain et
probablement celle de Claude Mc Kay. Nous mettrons en relief la dissidence du poète par
l’art poétique par rapport au monde colonial et ses valeurs.

1. COMPOSITION DU RECUEIL

Il comporte trois parties qui s’intitulent, respectivement, Coups de pilons, édition originale
comprenant 17 poèmes ; Cinq poèmes [3] et enfin Poèmes retrouvés renfermant 21 pièces.
Ainsi, l’ensemble des poèmes du recueil de l’édition Présence Africaine, 1973 [4], s’élève à
43 et non pas à 30, comme le souligne Samuel Ade Ojo, qui semble avoir travaillé sur le texte
de la deuxième édition de Présence Africaine [5] et non pas sur la troisième comme nous le
faisons, car le volume de l’ouvrage a lui-même changé : on passe de 63 pages à 91 pages et on
a trois textes annexés au lieu d’un seul texte : une lettre très brève, exactement en huit lignes,
adressée à Alioune Diop et qui semble tronquée, un document en quatre pages intitulé «
Contribution au débat sur la poésie nationale : Autour des conditions d’une poésie nationale
chez les peuples noirs » et enfin un autre document en cinq pages qui porte le titre « Autour
de la réforme de l’enseignement en Guinée, texte paru dans Présence Africaine, n° XXIX
(décembre 1959 janvier 1960).

2. QU’EST-CE QUE LA POESIE MILITANTE ? ET DIOP, EST-IL UN POETE


ENGAGE ?

L’adjectif « militant(e) » puis le substantif, nous dit Le Robert, viennent du verbe intransitif «
militer » qui veut dire « faire la guerre » et dont l’apparition remonte au XIIIe siècle. Au
XVIIe siècle sont nées les expressions figées « militer pour » ou « contre », c’est-à-dire «
constituer une raison, un argument pour ou contre » ; et ce n’est que plus tard, au début du
XIXe siècle, que les deux expressions lexicalisées ont fini par signifier respectivement « lutter
sans violence pour ou contre (une cause) ». Quant à l’adjectif et au substantif « militant », ils
commencent dès le XIXe siècle à indiquer une personne qui adhère à un parti politique ou à
un syndicat et qui agit sans violence.
En bref, nous retenons qu’un militant est quelqu’un qui prône l’action directe, active, qui
combat, qui lutte. Dans quelle mesure la poésie de David Diop peut-elle être considérée
comme une poésie militante ?
Qui est d’abord David Diop, plutôt l’homme que l’auteur de Coups de pilons [6] ? Samuel
Ade Ojo affirme que le poète devint « officiellement membre du Parti communiste une
dizaine d’années avant sa mort » [7] et tous ses biographes notent qu’il participait de manière
effective à l’action politique.
Ce poète a d’ailleurs souvent été comparé à Jacques Roumain (1907-1944), diplomate et
militant communiste et grand écrivain de la Renaissance haïtienne, auteur du roman
Gouverneurs de la Rosée et d’un recueil de poèmes [8], « les plus agressifs qu’ait jamais
écrits un poète noir » [9], qui « marqua fortement Césaire, Damas, David Diop [lui-même],
sans compter ses compatriotes » [10]. Comme le souligne S.A.Ojo, les critiques sont
unanimes sur le fait que David Diop est désigné dès la publication des premiers poèmes dans
la revue Présence Africaine en 1948 comme étant « un poète extrêmement militant » [11].
Dans sa lettre à Alioune Diop, D. Diop confie :

« Mon cher Alioune,


« ...je pars pour la Guinée au début de la semaine prochaine en compagnie de Abdou
Moumouni, de Joseph Ki-Zerbo et quatre autres professeurs africains. Comme je l’ai écrit, il
est des cas où celui qui se prétend intellectuel ne doit plus se contenter de vœux pieux et de
déclaration d’intention mais donner à ses écrits un prolongement concret. Seule, une question
de famille m’a fait hésiter quelque temps ; mais après mûre réflexion, ce problème ne m’a pas
paru être un obstacle à mon départ » [12].

Il est donc clair que David Diop est un écrivain engagé au sens double du terme : sa poésie
met en scène ses convictions politiques et intellectuelles. Par ailleurs, comme il le laisse
entendre dans sa confidence à Alioune Diop, il est même prêt à sacrifier ses devoirs familiaux
au profit de ses convictions politiques. Dans sa communication intitulée « Autour de la
Réforme de l’Enseignement en Guinée » [13], il déclare que le régime colonial, « reposant sur
l’exploitation économique et la falsification historique », a toujours donné la priorité à ses
valeurs :

« Hypocrisie donc que de parler de symbiose de civilisations, de profits réciproques dans une
communauté dont les universités ignorent jusqu’aux noms de nos grands penseurs et passent
sous silence l’histoire de nos empires. Seuls peuvent s’en accommoder les tenants d’un
cosmopolitisme culturel habillé d’oripeaux exotiques » [14].

Senghor cite David Diop dans son Anthologie de poésie nègre et malgache et souligne, en
effet le caractère provocateur de la poésie de celui-ci en la qualifiant d’« expression violente
d’une conscience raciale aiguë » [15] dont « [/l’/] accent [est] âpre est rêche » et dont « [le]
ton [est] brutal et dur » [16].

3. LE LYRISME MILITANT ET L’INTERTEXTE AU SERVICE D’UNE CAUSE


COMMUNE

En soulignant le caractère révolutionnaire du recueil, S. A. Ojo note que « chaque pièce (du
recueil) est une plainte, un cri de douleur ou un réquisitoire » et que parfois elle illustre « les
trois thèmes en même temps » [17].
Par ses thèmes (révolte contre le racisme en général et contre le colonialisme en particulier et
révolte aussi contre les renégats), par l’authenticité de sa forme, la poésie de David Diop est à
rapprocher également de celle du Jamaïcain Claude Mc Kay (1889-1948) [18], où tout vient
du peuple noir, tout prend racine dans le sol. Les valeurs lyriques de sa poésie bien rythmée,
faite de chansons et « traversée par le souffle et l’âme du peuple », le réalisme de ses portraits
mettant en relief tantôt la misère tantôt la fierté et l’optimisme de l’homme du terroir nous
autorisent en effet à le mettre en parallèle avec ce poète américain d’origine jamaïcaine.
Le thème de la haine est un thème de prédilection dans la poésie de David Diop. C’est un
autre Jean Genêt avant la lettre. Les cris du Noir opprimé nous font penser à ceux des bonnes
lancés à la face de leur maîtresse dans la pièce de théâtre Les Bonnes. La haine devient
comme l’apprennent les psychologues, un facteur stabilisateur de la personnalité de
l’opprimé. En effet, le Noir développe ses propres mécanismes de défense contre le mépris du
Blanc et il attaque ce dernier en portant atteinte à sa fierté raciale. Néanmoins, ce n’est point
de l’orgueil qu’il affiche à son tour, mais de l’amour propre retrouvé et jalousement protégé,
et la haine a des limites. Comme Claude Mac Kay, une fois de plus, dans son poème célèbre,
If We Must Die (Si nous devons mourir), David Diop préfère qu’on meure « noblement » et
qu’on « affront[e]l’ennemi commun » [19]. L’objet de la haine est évidemment le mal et non
pas l’homme blanc. Comme Mc Kay, il ne refuse donc pas foncièrement la civilisation
occidentale et ne cultive pas « un primitivisme originel où l’instinct est exalté aux dépens de
la raison » [20]. Il est vrai que « Les Vautours » de Diop font penser aux Birds of Prey
(Oiseaux de proie) de Claude Mac Kay [21] : leur nombre « dont le vol obscurcit le ciel »,
leurs croassements terrorisent les oiseaux chanteurs de la terre qu’ils chassent. Ils sont sûrs de
leur puissance, hideux, menaçants, terrifiants avec leurs serres sanglantes. Comme Claude
Mac Kay toujours, David Diop n’échappe pas à l’exotisme, ayant longtemps vécu loin de
l’Afrique ; c’est pourquoi il commence par chanter la nature africaine, les mœurs africaines et
l’Art africain.

Mais ce qui distingue la poésie de Diop de celle de Claude Mac Kay, c’est que Diop n’hésite
pas à répondre à la violence par la violence, ne serait- ce que par le lyrisme et la violence
verbale qui l’emportent chez lui sur le rationalisme.
Ce qui est certain, c’est que David Diop doit également beaucoup à Aimé Césaire. Il lui doit
jusqu’à la manière de percevoir le concept de civilisation lié à l’idée de progrès économique
et scientifique et de développement. Etant pour l’auteur un instrument de combat, la poésie
sert donc non seulement à expliquer l’origine du déchaînement des haines et des violences
entre les races noire et blanche mais aussi à fustiger toutes les formes d’injustice perpétrées
dans le monde. Il nous fait songer aussi à Jacques Roumain qui célèbre le nègre révolté,
l’Afrique, et tous les prolétaires et hommes libres du monde dans son recueil poétique Bois
d’ébène :

« Nègre colporteur de révolte


Tu connais tous les chemins du monde ...
Mais quand donc ô mon peuple
Les névés en flamme dispersant un orage
D’oiseau de cendre
Reconnaîtrai-je la révolte de tes mains ?
...
Afrique j’ai gardé ta mémoire Afrique
Tu es en moi
Comme l’écharde dans la blessure
Comme un fétiche tutélaire au centre du village
Fais de moi la pierre de ta fronde
De ma bouche les lèvres de ta plaie
De mes genoux les colonnes brisées de ton abaissement...
...
Pourtant je ne veux être que de votre race
Ouvriers paysans de tous les pays... » (Bois d’ébène).

Douter, souffrir, haïr mais aussi être certain de l’avenir, espérer, aimer son prochain et
pousser son frère à retrouver son identité, à recouvrer son moi, à agir, à dire non quand il le
faut, à arracher sa liberté à l’Autre, voilà le rôle du poète tel que le montre sa poésie.
D. Diop est un écrivain engagé au double sens du terme : il écrit une poésie où il met en scène
ses convictions politiques et intellectuelles, participe mais aussi à l’action. Il est, comme il le
laisse entendre dans sa confidence à Alioune Diop, prêt à sacrifier sa famille pour ses valeurs,
et ses principes.
Dans le texte intitulé « Autour de la Réforme de l’Enseignement en Guinée », l’auteur déclare
que le régime colonial, « reposant sur l’exploitation économique et la falsification historique »
[22], a toujours donné la priorité à ses valeurs :

« Hypocrisie donc que de parler de symbiose de civilisations, de profits réciproques dans une
communauté dont les universités ignorent jusqu’aux noms de nos grands penseurs et passent
sous silence l’histoire de nos empires. Seuls peuvent s’en accommoder les tenants d’un
cosmopolitisme culturel habillé d’oripeaux exotiques » [23].

La révolte se traduit par le choix des thèmes, nostalgie, tentative de ressourcement, tout est
matière à réflexion, l’Afrique en tant que berceau de civilisation (Ghâna, Tombouctou,
Congo), les peuples africains (les bantous, les Soudanais, les Guinéens, les Togolais, etc. («
Appel », p. 42), la femme, qu’elle soit mère, sœur, épouse ou bien aimée, chanteuse ou
danseuse, et l’homme noir, qu’il soit compagnon de route dans la lutte pour la libération de
l’Afrique, martyre, ou renégat, qu’il soit enfant ou adulte, nègre des bars, clochard ou héros
d’épopée (Chaka, etc.). Coups de pilons est un hommage rendu à tous les Africains et d’abord
à la femme africaine : belle, forte et féconde, un hommage à ces femmes que le système
colonial a transformées en victimes ou corrompues (« A ma mère », p. 9, « Souffre pauvre
nègre » p. 36), à ces femmes dignes d’être aimées (« Déclaration d’amour », p. 66).
Célébration du continent noir ou évocation de mauvais souvenirs, « les jours en lambeaux à
goût narcotique » (cf. « A ma mère »p.9 et « Afrique » p.23) ou satire de l’ « Afrique
écartelée », ou refus d’une image de soi fêlée (« Souffre pauvre nègre » et « Un blanc m’a dit
», « Le Renégat ») ou exhortation à la reconstruction d’une nouvelle Afrique : « Pour toi nous
referons Ghâna et Tombouctou » (« Nègre clochard »), etc.
Le poète se révèle un iconoclaste qui commence par inciter au refus de la soumission :

« Toi mon frère au visage de peur et d’angoisse


Relève-toi et crie : Non ! » ("Défi à la force », p. 38).

Il a recours à l’usage de la première et de la deuxième personne pour créer une certaine


complicité avec le lecteur. Le cri du poète est le même quel que soit le temps de l’indicatif
employé : le présent (« Toi qui pleures (« Défi à la force » p.38), le passé composé « Le Blanc
a tué mon père » (« Le Temps du martyre » p. 33), le passé simple : « Les rayons du soleil
semblèrent s’éteindre » (« Celui qui a tout perdu II » p.35) ou l’imparfait « Le soleil riait dans
ma case » (« Celui qui a tout perdu I, » p.34).
L’auteur a constamment recours à l’impératif : « Souffre » (« Souffre pauvre nègre » p.36),
mais ce mode, par exemple, sert ici plutôt à traduire une indignation de l’auteur qui refuse de
voir le Noir continuer à accepter la soumission à l’homme blanc qu’à lui donner un ordre à
exécuter. L’emploi est alors anti-phrastique.
La première fonction de la poésie, semble dire David Diop, est d’être un moyen d’expression,
de libération de l’homme en général et, pour l’Afrique des années 50-60 du XXe siècle, un
moyen de défense et de lutte contre toutes les formes d’oppression imposé par l’empire
colonial. C’est grâce à elle que peut s’instaurer l’équilibre du monde et se restaurer l’identité
et l’authenticité africaines. Elle se veut une poésie militante.
Par la force des choses, elle se révèle une poésie de « témoignage », titre d’un poème du
recueil -, du refus ; une poésie violente - mais pacifiste aussi qui réagit contre toutes formes
d’exploitation de l’homme par l’homme, contre les formes de violence, contre toutes les
formes d’hypocrisie, contre les illusions berceuses, contre les massacres perpétrés partout
dans le monde :

« Je ne suis pas né pour les plantations à profit


[...]
Je ne suis pas né pour fabriquer la Mort
[...]
Je suis né pour briser à coups de pierres dures
La carapace tenace de nos faux paradis » (p.45)

Comme les maîtres du mouvement de la Négritude, Senghor, Léon Gontran Damas et


essentiellement Césaire et Jacques Roumain (1907-1944), David Diop veut forcer le respect
du Blanc, « il ramasse le mot de nègre qu’on lui a jeté comme une pierre, il se revendique
comme noir, en face du blanc, dans la fierté » [24]. Avant lui, Césaire a créé le terme de «
négritude » en 1933, qui désigne l’« ensemble des caractères, des manières de penser, de
sentir propres à la race noire » et « l’appartenance à la race noire » [25], mais d’abord la
volonté d’ « accepter », « la simple reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce
fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture » [26]. Senghor en fait aussi
toute une vision du monde, toute une philosophie [27]. David Diop, lui, va plus loin, il veut
arracher à l ‘homme blanc cette reconnaissance ; il ne se contente pas d’exiger la
reconnaissance de l’homme noir lui-même, c’est-à-dire l’acceptation de sa différence [28],
mais rejette la civilisation occidentale qui le révolte par ses valeurs. Le poème intitulé «
Reconnaissance », qui fait partie des 21 Poèmes retrouvés, est un véritable pastiche d’un
fragment de Cahier d’un retour au pays natal de Césaire [29].
Le ton est d’un sarcasme singulier. C’est un véritable pamphlet :

« Ö vous qui avez inventé


Fer à repasser
Bouton de col
Epingle à nourrice
Lunettes de soleil
...
Ma race vous crie : « Merci ! »
Au nom de la ci-vi-li-sa-tion » (p.57).

La révolte, le refus de la culture de l’Autre, la haine que voue l’opprimé à l’oppresseur sont
tellement violents qu’ils prennent une tournure raciste. La dimension intertextuelle révèle, en
effet, l’attachement du poète à sa race et le mépris de la race blanche qu’il vomit. Autant, il
chante l’Afrique et ses valeurs (« Je sais », p. 60) autant il veut se défaire de l’image que lui a
inculquée le colonisateur :

« Je sais que tout est à refaire » (« Je sais », p. 60).


Mais le poète rêve aussi de paix de l’âme :

« Un rêve sans fin ! Sublime repos des gens de la nuit :


La paix de l’âme » (« Canne blanche » p. 65).

La Négritude s’est d’abord imposée comme un mouvement littéraire et socio-politique qui


vise la réhabilitation de l’homme noir dans toute son authenticité raciale, comme une lutte
pour la libération de l’Afrique. En effet, cette lutte fut couronnée par la décolonisation de tout
le continent noir et le rêve d’une Afrique libre fut d’abord celui des intellectuels qui ont, par
la plume, défendu les valeurs ancestrales et les droits de leurs peuples. La poésie, comme la
légende [30] et le roman [31], s’est révélée un genre capable de défendre avec beaucoup
d’ardeur la cause africaine. Bernard Dadié dans Afrique debout, dans La ronde des jours et
dans Hommes de tous les continents, Senghor dans Ethiopiques, le plus engagé de ses écrits,
Césaire dans Et les chiens se taisaient et enfin David Diop dans Coups de pilon, chanter sa
race, célébrer son continent, refuser la soumission, éveiller la conscience du peuple,
condamner l’aliénation, militer pour l’indépendance de toute l’Afrique est devenue la
préoccupation de l’intellectuel noir.
David Diop consacre un beau poème au peuple noir. Comme Abu Alkacim Ach Chabbi, le
grand poète tunisien mort très jeune, il reproche à son peuple d’accepter la servitude, la
manipulation :

« Le peuple que l’on traîne


Traîne et promène et déchaîne à travers les théâtres
électoraux
Le peuple que l’on jette en pâture
Dans les champs avides de boucherie
Le peuple qui se tait
Quand il doit hurler
Qui hurle quand il doit se taire
Le peuple lourd de siècle de servitude
Sur ses épaules de bon géant
Le peuple que l’on caresse
Comme le serpent caresse sa proie » (« Peuple noir » p.41).
Il rêve d’un peuple fort, d’un peuple qui a le sens de la dignité et de l’honneur, d’un peuple
capable de relever le défi, de dire « Non ! » quand il le faut, d’un peuple fin stratège, d’un
peuple qui peut se venger :

« Mais le peuple qui se soulève


Se redresse/
Se cabre/
Le peuple qui saura se venger... » (« Peuple noir » p.41).

Le souffle épique traverse certains poèmes, même lorsque le poète déclare le contraire :

« Les mères hurlent de douleur


Les enfants pleurent
Les pères fuient
Ö lecteurs
Je ne fais point ici le récit d’une bataille
Ni ne chante l’épopée de deux armées
... » (« Non ! » (p. 54).

Dans ce même poème, « Non » (p.52-53), le poète commence par donner le ton :

« J’entonne maintenant un autre chant


Chant de gloire et de deuil
Il me faut célébrer ces jours mémorables
Qui réveillent l’Afrique de sa léthargie millénaire... » (p. 53).

Le poète dit non à une guerre que les peuples ne choisissent pas, à une guerre qui se
transforme en tragédie familiale :

« Ceux qui tuent sont des Africains


Ceux qui sont tués sont des Africains
Au nom de quel idéal
Des Africains tuent-ils d’autres Africains » (« Non ! » p. 54)

Le même souffle épique chante le tam-tam, symbole de l’inspiration poétique et du


militantisme. Le fils d’Afrique, qui semble « animé par un fantôme gigantesque » (« Tam-
Tam » p.62), enchaîne :

« Ton cœur a le son du tam-tam,


Code secret des peuples enchaînés...
Tu nous rends la force du combat Tam-Tam !
...
Conduis nos pas vers des jours meilleurs » (« Tam-Tam », p. 63).

Ce qui est certain, c’est que David Diop tient beaucoup plus de Césaire que de Senghor, et sa
poésie se révèle une lutte acharnée contre le colonialisme et contre toutes les formes du
racisme. Cela ne veut pas dire que la poésie de Senghor n’est pas engagée ; au contraire, elle
est foncièrement engagée, mais elle est moins violente, plus pacifique, plus encline à
l’ouverture sur l’Autre, et la deuxième génération des écrivains négro-africains lui a souvent
reproché d’avoir accepté le compromis, d’avoir été même complaisant et inactif : « Un tigre
ne chante pas sa tigritude, il saute sur sa proie », disait ironiquement Wole Soyinka. Lilyan
Kesteloot a bien compris, comme Senghor d’ailleurs [32], que la poésie de David Diop est «
hyper engagée », si nous pouvons nous permettre l’expression :

« Reprenant les thèmes et parfois les mots de Jacques Roumain, David Diop s’inscrivit donc
dans une tradition non seulement engagée, mais militante jusqu’à la limite de la poésie, qu’il
dépassait parfois » [33].

Coups de pilon est un hymne à la liberté, un cri de révolte contre toutes les formes
d’oppression que subissait l’Afrique à l’époque coloniale. C’est aussi une célébration de la
lutte du peuple noir pour son indépendance politique et pour l’affirmation de son identité. La
réhabilitation de la race noire, de l’homme opprimé se fait d’abord par la revalorisation de la
culture négro-africaine et la remise en question des valeurs de l’envahisseur.
Comme beaucoup d’écrivains de la deuxième génération, David Diop va au-delà de la
célébration du continent noir et de la culture africaine. Il revendique l’indépendance et la
liberté de son peuple et accuse le colonisateur d’avoir commis tous les crimes et d’être à
l’origine de toutes les souffrances de son peuple. Il dénonce tous ses abus : exploitation des
richesses des Africains, injustice sociale et raciale qui va jusqu’à la provocation de guerres
intestines entre Africains, qu’à l’écrasement et à l’humiliation de l’homme noir, voire jusqu’à
sa dépossession et son aliénation [34]. Il conteste la sauvagerie qui porte.
Le poète s’indigne aussi contre le comportement de ses congénères. Il dénonce leur traîtrise et
leur compromission :

« Mon frère aux dents qui brillent sous le compliment hypocrite


Mon pauvre frère aux lunettes d’or
Sur tes yeux rendus bleus par la parole du Maître
Mon pauvre frère au smoking à revers de soi
Piaillant et susurrant et plastronnant dans les salons de la
condescendance
Tu nous fais pitié [...] (« Le renégat », p. 19).

Loin d’être sadique, mais plein de rage contre les siens sans honneur il leur en veut d’être
inactifs et éternellement soumis, éternellement au service du colonisateur :

« Souffre pauvre nègre


le fouet siffle
Siffle sur ton dos de sueur et de sang
Le jour est long
Si long à porter l’ivoire blanc du Blanc, ton Maître
Souffre pauvre Nègre [...] » (« Souffre pauvre nègre », p. 36).

Ainsi, David Diop vomit une image qu’on a inculquée à l’Africain noir, une image que celui-
ci a lui-même fini par intérioriser, l’image du « sale nègre » :

« Tu n’es qu’un nègre !


Un nègre !
Un sale nègre !... »
(« Un Blanc m’a dit », p. 37).
4. LA RHETORIQUE DU REFUS ET DE LA SUGGESTION

Poésie du refus, le recueil de David Diop l’est sans conteste. Les titres des poèmes sont très
révélateurs à cet égard : « Témoignage » (p. 45), « Liberté » (p.46), « Où étiez-vous ? », «
Non ! » (p.53), etc. Les vers ou groupes de vers, pour ne pas dire la ou les strophes, qui
expriment ce refus émergent du flot torrentiel de l’expression poétique :

« Toi mon frère au visage de peur et d’angoisse


Relève-toi et crie : Non » « Défi à la force » (p.38).

Le refus prend aussi la forme d’une antiphrase (voir « Reconnaissance » p.57) et le poème se
pose alors, à la manière magistrale d’Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal,
comme un véritable pamphlet à l’adresse de l’homme blanc. Dire non en utilisant la
rhétorique du Blanc, dire non en utilisant sa propre langue mais en faisant un usage
particulier, dire non en exprimant sa joie et sa détresse, raconter la perte et la récupération de
sa propre fierté devient un leitmotiv dans le recueil du poète sénégalais.
Refus de la soumission, mais militantisme et lutte sans trêve :

« Où étiez-vous quand je souffrais


Quand je cherchais la vérité entendez-vous
La vérité
Vous dansiez sous la paille des rires
...
Ramenez-moi dans la feuille d’oubli
Mais rendez-moi la mortelle présence
Celle qui dit non aux rendez-vous de fer
Mais hisse son corps de ténèbres dures
Sur le haut sommet de l’espérance
Nègre » (« Où étiez-vous ... » p.50).

Refus de la soumission et foi en l’avenir vont de pair :

« A ceux qui s’engraissent de meurtres


Et mesurent en cadavres les étapes de leur règne
[...] Je dis que les tempêtes viriles
Ecraseront les marchands de patience
Et que les saisons sur les corps accordés
Verront se reformer les gestes du bonheur » (« Certitude », p. 26).

La nature elle-même plaidera en faveur de l’homme noir et se souviendra du chant « gloire et


de deuil » (« Non ! » p. 53) qu’entonne le poète :

« Dans cent ans


Dans mille ans
Les manguiers de Bouaflé
Les rôniers de Dimbokro
Ceux de Yamoussokro
Les cocotiers de Grand-Bassam
Témoigneront au barreau de l’Humanité
Des crimes commis au nom de la liberté.... » (« Non ! », p. 53).

La plupart des poèmes s’achèvent d’ailleurs sur une note heureuse, sur l’espoir de retrouver sa
nature humaine :

« Quant à moi, je me réveille seulement à la vie,


Et la lumière et le crépuscule me font croire
A la bonté encore possible dans ce monde » (« Le Monde », p.58),

de retrouver un jour sa joie, sa « dignité » et sa liberté :

« Il a gravi la route amère


le Nègre
[...]
Mais il voit sourire le jour
Le Nègre
Le jour aux longues dents dures
Où l’Afrique ne sera plus fœtus
Où l’Afrique dressera sa nuque ensanglantée
Et couvrira le ciel de flèches étincelantes
[...]

Les jours seront de soie sur ses rires retrouvés


Les peuples chanteront les heures d’avenir
Et sur le seuil des cases
Fraternellement coulera
Le vin de palme
De la Résurrection
Belle comme un regard d’airain
Lourde d’une étreinte cosmique
Au-delà des colères muettes
Voici que s’élève grave
La flamme multicolore de la Liberté Nègre » (« Liberté », p. 46-47).

C’est une poésie qui tire sa sève du passé lointain de l’Afrique, de ses souvenirs millénaires
[35], mais une poésie tournée vers l’Avenir. Le futur est là pour exprimer le désir ardent, la
volonté inébranlable de réaliser le rêve du peuple africain : la liberté et l’amour :

« Mais je bénirai à jamais le jour


Où dans mon cœur tu fis entrer l’amour » (« Déclaration d’amour », p. 66).

Le futur de l’indicatif ayant une valeur du présent cède la place au présent de ce mode pour
que l’événement futur soit vécu comme une réalité :
« Oyo ma négresse
...
Je chante et je te nomme
Par l’élan de ton corps délirant sur mes lèvres
Par Yandé par nos fils ciselant l’avenir
Par l’Afrique basculée à son de trompe panique
Et qui se rue vers l’aube tout espoir déployé
Oyo ma négresse
Je te nomme à musique délivrée
A musique enroulée aux lianes lumineuses de ta peau
Et tu verras comme
S’effacent les pas à portée d’abîmes
Tu verras ma négresse comme
S’émiettent dérisoires les marionnettes de l’ombre
Lorsque tout veut renaître à cœur à ventre d’homme » (Ton sourire » p.51).

Seuls cinq poèmes (« Démon », « Le Monde », « Pleure », « Tam-tam » « Canne blanche »)


de la dernière partie du recueil intitulée « Poèmes retrouvés » sont ponctués et un seul, le
dernier du recueil, intitulé « Déclaration d’amour » (p. 66), obéit aux normes de la poésie
classique même : composition en strophes, blancs, mètre, rimes et ponctuation. Mais ce qui
prévaut, c’est la transgression de la norme et, évidemment, le choix de la forme poétique dans
Coups de pilons est en soi un acte militant. L’auteur refuse toutes les normes poétiques
établies pendant des siècles dans la culture occidentale : métrique, rimes, strophes,
ponctuation, etc. Il utilise les mêmes procédés utilisés par le poète traditionnel (ellipse, la
comparaison, les répétitions, les rimes internes, l’anadiplose, etc.), mais il en fait un usage
particulier ou plutôt un dosage particulier ; pour nous limiter à ces deux derniers procédés, il
est à noter qu’ils sont très fréquents :

- Rimes internes :

« Le peuple que l’on traîne Traîne et promène et déchaîne [...] » (« Peuple noir », p.41),
- Anadiplose :

« Tes enfants ont faim


Faim et ta case branlante est vide
Vide de ta femme qui dort
Qui dort sur la couche seigneuriale » (« Souffre Pauvre Nègre », p. 36).

L’humour et la satire sous toutes ses formes sont également là pour neutraliser la cruauté du
colonisateur et lui prouver que le Noir est capable d’exorciser le sentiment d’infériorité qu’il
lui a inculqué durant des siècles.
Le refus s’exprime donc par le renouveau ou la réactivation de la forme poétique qui consiste
à contester ce qui est préétabli, précieusement conservé pendant des siècles et considéré
comme élément constitutif de la poéticité d’un texte même ; ainsi, allant dans le sillage des
grands poètes modernistes, dont Apollinaire, il n’utilise que très rarement la ponctuation (dans
« Cinq poèmes ») quant à la composition en strophes, elle n’est présente que dans quelques
poèmes : « Celui qui a tout perdu » p.34-35 ; « Non ! » p. 53 ; « Canne blanche » p.64-65 ; «
Déclaration d’Amour » p.66). Le poème se présente comme un seul bloc et seul le rythme
donne forme au sens en faisant ressortir les mouvements ascendants du poème, les pauses ou
les chutes. Le ton oratoire dans les poèmes à caractère épique et dans les chants (« Nègre
Clochard » pp.28-29, « Canne blanche » p.64-65 et « Non » p.53) est rendu par le style
périodique ou par l’utilisation du récit dialogué (« Tam-Tam » p.62-63). De même, on note
l’utilisation très fréquente de la conjonction « et » qui vient ponctuer le poème et lui donner
un caractère à la fois narratif et dramatique. Le poète commence par camper les personnages
dans un décor souvent changeant et les événements se succèdent suivant une atmosphère
tendue presque jusqu’à la fin du poème où le ton change brusquement et où l’on bascule du
dramatique dans l’euphorique. Le rythme africain que scandent les coups de tam-tam est là
dans la poésie de Diop. La répétition des mêmes événements mais avec des variantes, la
répétition anaphorique, si l’on se permet ce pléonasme, comme l’anadiplose et les refrains, la
répétition des sonorités (allitérations, assonances et rimes internes) qui assurent au poème sa
musicalité (« Les Vautours », « La Route véritable », « Les heures » « Ensemble »), la
variation du rythme, l’usage d’un lexique tantôt exotique tantôt familier au lecteur,
l’utilisation d’une onomastique et l’évocation d’une toponymie tantôt locale, tantôt
universellement connue, tout contribue à donner au poème un caractère original. C’est en fait
un métissage de deux cultures qui s’opère malgré l’intention subversive du poète : l’oralité
africaine et la modernité occidentale assimilée par le jeune poète des années 50-60 du XXe
siècle.
Les dédicaces (« A ma mère » p.9, « Aux mystificateurs », p.17, « A un enfant noir » p. 24) et
les adresses aux lecteurs désignés, très fréquentes, visent la complicité d’un large lectorat. En
fait, l’auteur oriente son public, le guide vers un port de salut.

CONCLUSION

Tel qu’il se présente, le recueil est l’expression d’une prise de conscience de l’Africain à une
époque historique bien déterminée. L’on s’achemine progressivement de la soumission de
l’Africain et de sa souffrance vers l’affirmation de son identité et vers l’appel à la révolte, à
l’action. Mais comme le soulignent Alain Rough et Gérard Clavreuil, on ne doit pas voir de
racisme dans la poésie de David Diop, car « le contexte politique explique la violence du ton
» [36], et Jean Paul Sartre avait bien raison d’écrire il y a un peu plus d’un demi siècle : «
Qu’est-ce que donc vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires
? » [37]. Opprimé, le Noir, comme tous les colonisés, puis parvenu à posséder la langue de
son oppresseur en fait une arme qu’il retourne efficacement contre lui. Au Maghreb,
Mohamed Khaïr-Eddine, et d’autres écrivains de sa génération livraient une guérilla contre le
système colonial. En Afrique et aux Antilles, l’écrivain use de la langue d’emprunt, mais
d’abord pour exprimer sa différence. Le réveil brutal de l’Africain coïncide avec une sorte de
renouveau soudain de la nature. David Diop, comme Aimé Césaire avant lui, révèle la
violence de son œuvre et sa volonté inébranlable.

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