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Amin Djeballah

Amin Djeballah était un juge de paix fort sage et d’un imperturbable courage. Il était aussi
chasseur d’antilopes. Dès qu’il en avait le loisir, il s’en allait, le soir venu, vers les immenses
vagues immobiles du Sahara, tirant son âne par la bride et son chien gambadant autour de lui.
Il revenait à l’aube, son baudet chargé de gibier, saluant son voisinage avec une simplicité
contente. Nul n’osait lui demander de raconter ses courses nocturnes : il n’était guère bavard.
Mais il offrait si volontiers sa viande aux pauvres qu’on l’estimait dans son village comme le
meilleur des hommes.

Or, une nuit de pleine lune, comme il cheminait loin de chez lui parmi les dunes fauves et les
buissons rabougris, son chien vint tout à coup se frotter en gémissant à son vaste vêtement
noir. Amin Djeballah lui flatta l’encolure, fit halte pour humer prudemment l’air, surpris par
ce brusque accès de frayeur. Alentour régnait un silence parfait. Il voulait reprendre son
chemin. Ce fut l’âne alors qui renâcla, refusa d’avancer, se mit à braire et à trembler. Quel
danger flairait donc ces bêtes ? Le bonhomme regarda de droite et de gauche, tout à coup fort
méfiant, tandis que son chien, contre ses cuisses, poussait un hurlement sinistre. Il ne vit rien.
A nouveau, il s’avança sous les étoiles paisibles.

Alors apparut, devant lui, comme née des profondeurs de la nuit, une tête humaine, hirsute
grimaçante. Cette tête sans corps planta méchamment son regard dans le sien, puis se mit à se
balancer dans l’air calme, à monter, à descendre, à rebondir sur le sable, la bouche débordante
de cris lugubres. « Voilà bien le plus grotesque des démons de l’enfer, se dit Amin Djeballah,
roidement immobile devant l’apparition. Quelle sarabande ridicule ! »

C’était un homme, je l’ai dit, d’un courage limpide, et doué de quelques savoirs magiques. Il
enfonça donc un piquet en terre, attacha son âne, traça sur le sable un grand cercle autour de
lui et de ses bêtes, en prononçant à voix haute une solide formule conjuratoire, puis alluma au
centre de ce cercle un feu de branches mortes. Après quoi, sans se soucier aucunement de
l’importun, il découpa un cuissot de la gazelle qu’il avait tout à l’heure abattue, et se mit à
faire rôtir d’odorantes grillades. Au-dessus du brasier, la tête sans corps d’évapora dans le ciel
noir. Amin Djeballah la regarda disparaître puis, satisfait, trancha dans la viande un morceau
pour son chien. Alors, à la cime d’une dune proche, surgit un homme tout nu, long, maigre,
blafard sous la lune, le fantomatique flandrin, levant haut ses genoux cagneux, agitant en tous
sens ses bras démesurés, courut vers le chasseur, franchit le cercle magique et s’assit devant le
feu, les jambes croisées, le regard fixe. Amin frissonna : cette mystérieuse présence glaçait
l’air alentour. Il serra son vêtement contre sa poitrine, puis dignement attisa les braises sous la
grillade, du bout de son long couteau. Des flammes jaillirent du bois presque consumé. Alors
le fantôme ouvrit sa bouche édentée, et le regardant bien en face, il lui dit : « Donne-moi ma
part. – Ta part ? répondit Amin Djeballah, redressant sa noble tête. » Ses yeux s’allumèrent
soudain. : « La voici ! » Il brandit sa lame rougie aux braises et la plongea dans le coeur de
l’homme nu. A l’instant où il frappait, l’apparition se défit dans un long hurlement de loup, et
il ne rencontra que la nuit vide. A nouveau il était seul avec son âne et son chien dans le désert
silencieux, sous la lune familière. Il regarda autour de lui. Alors ce qu’il vit le fit se dresser
tout droit, les yeux écarquillés dans la lumière du feu ranimé.

Au sommet de la dune où était apparu l’épouvantable fantôme, un homme se tenait debout,


apparemment pétri de bonne et solide vie. Il était vêtu d’un long manteau de voyageur,
chaussé de bottes de cuir qui crissaient sur le sable. Son visage cependant était d’ombre,
malgré la clarté de la lune. Cet homme fit un grand signe. Il appela d’une voix claire et
vigoureuse dans la nuit : « Hé, Amin ! » Amin Djeballah ne bougea pas d’un pouce, méfiant
autant qu’intrigué. Un rire sonnant retentit. L’homme dit encore : « Je vois avec plaisir que tu
es toujours aussi brave qu’autrefois, Amin ! En vérité, il me plaît fort que tu n’aies pas eu peur
de mes simagrées de fantôme. Ne te souviens-tu pas d’El Maghrebi, ton compagnon ?
J’oubliais que, dans ce monde des vivants où tu es, une vingtaine d’années se sont écoulées
depuis notre dernier voyage. Où je suis, le temps n’existe pas : tu es présent dans ma mémoire
comme un ami quitté hier soir. Nous cheminions ensemble, nous revenions des montagnes
d’Algérie où nous avions fait de bonnes affaires. J’avais cent pièces d’or dans mon sac en
peau de chèvre. Souviens-toi ! Nous avons été attaqués par des bandits de grand chemin, des
gens de la tribu des Hamana, à cet endroit même où nous sommes. Nous avons vaillamment
combattu. Tu as été blessé. Tu as pu t’enfuir, grâce à Dieu. Moi, je suis mort, transpercé de
quelques couteaux. Avant de mourir, j’ai mis mes dernières forces à enfouir mon sac au pied
de ce rocher où tu me vois. Il y est toujours, Amin, il y est toujours ! Prends-le, je te le donne,
et vis heureux en souvenir de moi. Adieu ! »

A peine dit ce dernier mot, l’homme disparut dans un tourbillon de sable. Amin, bouleversé,
lui tendit les bras, tomba à genoux, posa les mains sur son visage et resta un long moment
ainsi, le coeur remué de chagrin, de souvenirs violents, de songes confus. Quand il releva la
tête, le jour naissait. Il se dressa, s’en fut creuser un trou, de la pointe du couteau, au pied du
roc où lui était apparu ce vieux fou d’El Maghrebi, et là trouva le sac en peau de chèvre où
étaient les cent pièces d’or. Alors il posa le front sur le sable et bénit le nom d’Allah. Puis il
siffla son chien, et tirant son âne par la bride il s’en revint, le coeur en paix, parmi les vivants
de son village. (Henri Gougaud, L’arbre aux trésors, Ed. du Seuil)

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