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Philosophie morale

Les émotions morales,


de l’Antiquité à
l’Éthique de la vertu

Olivier RENAUT
2018-2019

Transcription : Philippe Mallard – philippe.mallard@parisnanterre.fr
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3LPH708 – Philosophie morale – CM – 2h hebdomadaires


Olivier RENAUT– orenaut@parisnanterre.fr
Les émotions morales, de l’Antiquité à l’Éthique de la vertu
La dimension émotive comprise parfois dans les jugements moraux, souvent réfutée comme
une source hétéronome du jugement, a reparu dans certaines éthiques se réclamant certes
davantage de Hume que de Kant, mais aussi davantage des Anciens que des Modernes.
Pourtant, même si certaines émotions apparaissent dans le discours philosophique comme
des adjuvants ou des signes de moralité dans l’Antiquité, la variabilité de leur contenu et de
leur signification dans le temps (on pourrait dire leur « idéologie » sous-jacente) pose la
question de leur usage dans la société contemporaine. On étudiera ainsi plus spécifiquement
les cas de la colère et de la honte, qui demeurent des cas limites aussi bien pour Platon et
Aristote que pour Williams ou Nussbaum, et révèlent des lignes de fracture importantes en
éthique relativement à la conception du soi, de sa vulnérabilité, et de son attente de justice.

Bibliographie :
(Des compléments bibliographiques seront donnés à chaque séance.)
PLATON, Gorgias, trad. S. Marchand & P. Ponchon, Les Belles Lettres, 2017.
ARISTOTE, Éthique à Nicomaque (surtout les livres II et VII), trad. R. Bodéüs, Paris, Flammarion
2004, Rhétorique (le livre II), trad. P. Chiron, Paris, Flammarion, 2007.
TAPPOLET C., Emotions et valeurs, Paris, France, Presses universitaires de France, 2000.
WILLIAMS, B. La honte et la nécessité, [1993] trad. J. Lelaidier, Paris, Presses Universitaires de
France, 1997.
NUSSBAUM, M., Hiding from Humanity : Disgust, Shame and the Law, Princeton, Princeton
University Press, 2004. [L’ouvrage est disponible entièrement en ligne à partir du portail
documentaire. Il n’est malheureusement pas traduit en français ; de la même auteure, on lira
en français NUSSBAUM M., La fragilité du bien: fortune et éthique dans la tragédie et la
philosophie grecques [2001], Roland Frapet et Gérard Colonna d’Istria (trad.), Paris, Éditions
de l’éclat, 2016.]




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Cours n°1 – 12 septembre 2019



Présentation d’Olivier Renaut, spécialiste de philosophie ancienne (Platon). Intérêts de
recherche : la réappropriation des anciens dans la philosophie morale contemporaine anglo-
saxonne (Anscombe, Nussbaum). Plan flottant, car le but du cours : faire un séminaire
généraliste sur la philosophie morale, avec des rappels approfondis de certaines notions de
philosophie morale de l’Antiquité qui réapparaissent dans la philo moderne contemporaine.
Biais des émotions morales de l’Antiquité à l’éthique de la vertu (pour faire le plus large
possible). Platon, Aristote avec quelques détours sur Hume et Kant. But : introduction à
certaines théories morales contemporaines dont certains auteurs sont traduits, mais peu
connus.

Présentation du fonctionnement du cours.

Information sur le mémoire (cf. annexe du livret de Master). Nécessité de choisir rapidement
directeur/rice de mémoire pour commencer bibliographie, plan, plan de lecture. Risque de
découragement… Il faut soutenir en juin, on ne peut pas soutenir en septembre.

Le cours va évoluer par rapport au descriptif du livret du fait de la nécessité de faire des
rappels approfondis de notions centrales.

La bibliographie est indicative. Les textes seront mis en ligne pour constituer une anthologie.
Les dialogues de Platon les plus utilisés : La République et Gorgias. L’Ethique à Nicomaque
d’Aristote (plutôt la traduction de R. Bodéüs que celle de Tricot). Pour Platon, la traduction de
Luc Brisson (moins bonne pour le Gorgias). Concernant la philosophie « Ethique de la vertu »,
on va très peu l’étudier en tant que courant pour une raison subjective : O. Renaut pas
convaincu par la solidité de ce courant. En revanche, deux auteurs proches de l’éthique de la
vertu, mais qui ne s’y reconnaissent pas : Bernard Williams et Martha Nussbaum (élève de B.
Williams) qui peuvent avoir des perspectives absolument opposées, notamment sur la notion
de la honte et de la colère. Le livre de Williams, La honte et la nécessité, [1993] pas facile à
lire. Autre ouvrage, Problème du moi (anthologie parue aux PUF). Concernant Martha
Nussbaum, philosophe américaine qui a écrit des ouvrages très importants à la fin des années
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80, le plus important : La fragilité du bien: fortune et éthique dans la tragédie et la philosophie
grecques [rééd. 2001], Roland Frapet et Gérard Colonna d’Istria (trad.), Paris, Éditions de
l’éclat, [2016]. Autre ouvrage conseillé : Hiding from Humanity : Disgust, Shame and the Law,
2004. Porte spécifiquement sur la notion de honte dans la philosophie morale contemporaine
mais aussi ses applications directement en éthique appliquée et dans les institutions
juridiques étasuniennes. Son point de départ : scandale du traitement réservé aux prisonniers
d’Abou Ghraib. Qu’est-ce qu’on fait avec cet usage du fait de faire honte à la fois dans une
norme souple (celle des relations sociales ordinaires dans une société donnée) jusqu’à l’usage
de ce traitement de la honte et du dégoût dans les institutions juridiques et pénales. Elle
retrace dans une perspective de philo morale de l’Antiquité à nos jours, tous les usages de
cette « émotion morale », entre guillemets, puisque elle refuse à la honte le fait d’être une
émotion morale (alors que pour Williams, oui).

Modalités des épreuves (cf. livret). Epreuve EAD : 4 heures. Dissertation plus un oral.
Lire la revue Critique (https://www.cairn.info/revue-critique.htm) pour se donner une idée
des recensions critiques d’ouvrages. S’entraîner à l’exercice en 3 ou 4 pages.


Séance introductive

Introduction : Retour aux anciens pour comprendre la vie bonne.

A – Contre la philosophie morale moderne.

Point de départ : Elizabeth Anscombe, élève de Wittgenstein a publié un article en 1958 (à
lire, traduit en français en ligne) « Modern Moral Philosophy » reçu comme une forme de
manifeste : extrait (début de l’article).
Article en anglais : http://www.philosophy.uncc.edu/mleldrid/cmt/mmp.html
français : http://revue-klesis.org/pdf/Anscombe-Klesis-La-philosophie-morale-moderne.pdf


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Première thèse : il nous faut une psychologie avant de faire de la morale.
Deuxième thèse : « obligation morale et de devoir moral » (cf. Kant). On se débarrasse du
kantisme, car « nuisible » d’un point de vue éthique général.
Troisième thèse : la philosophie morale moderne occidentale est surdéterminée par un
héritage aristotélicien, or, les concepts artistotéliciens lorsqu’on lit Aristote dans le texte ne
sont plus applicables à nos propres catégories morales. Thèse contournée, car ce dont il est
question, c’est, qu’est-ce que ça veut dire : retourner aux anciens.

Le retour aux anciens s’est produit dans les 60’s. Sont apparus comme une espèce de
contre-modèle de la philosophie morale jugée dominante au XIXème et au XXème. C’est
Anscombe qui est en tête de file (après coup, ce n’est pas Anscombe qui a formalisé la
philosophie morale qu’elle appelait de ses vœux). D’autres noms : Alasdair MacIntyre, Julia
Annas, Iris Murdoch, Philippa Foot, Rosalind Hursthouse, et plus tard Martha Nussbaum et
Bernard Williams.
Ce retour aux anciens a porté beaucoup de noms : « éthique de la vertu », « néoaristotélisme »
(en philosophie politique), « néostoïcisme » (Martha Nussbaum), « éthique du care », certains
courants de l’éthique animale. Ce retour aux anciens se caractérise par une réactivation de la
philosophie ancienne contre deux grands courants : le kantisme (morale déontologique) et le
conséquentialisme (ou l’utilitarisme) avec John Stuart Mill et Jérémy Bentham.
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Dans ce tableau de retour aux anciens, certains philosophes font figure de trublions : Hume
et Nietzsche utilisés par Williams pour pulvériser le kantisme et le conséquentialisme.



Le courant de l’éthique de la vertu, retour aux anciens très spécifique. Gros problème, car la
majeure partie de ses représentantes se réclament d’Aristote (très peu de Platon, car
l’intellectualisme platonicien ne va pas avec le programme de l’éthique de la vertu, et très peu
des Stoïciens).
Photos : E. Anscombe (bas à droite), Philippa Foot (haut à droite), Julia Annas (haut milieu),
Rosalind Hursthouse (à gauche, au milieu), Iris Murdoch (à gauche, en bas).


Reprise de l’article.
Comme d’habitude chez Anscombe, elle annonce quelque chose et elle ne le fait pas dans la
suite de l’article, donc elle ne va pas démontre chacune de ses trois thèses. Elle va d’abord
pulvériser le conséquentialisme de manière un peu malhonnête en lui assénant une critique
virulente, puis s’attaque au kantisme de manière expéditive et ensuite on vient à la question
de la « vie bonne ».


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1. La critique du conséquentialisme.

La critique du conséquentialisme est expéditive, elle se « réduit » à un petit paragraphe :



Commentaire :
Pas très facile à décrypter. Anscombe reconnaît à JS Mill le fait d’avoir reconnu chez Aristote
l’importance de la recherche d’un bien commun qui puisse dans la communauté politique
articuler finement la recherche du bonheur et un calcul (maximiser des biens que l’on pouvait
attendre de l’issue de telle ou telle action). Mais dans cet article, elle minore la relation
possible que l’utilitarisme peut avoir avec la philosophie aristotélicienne. Elle dénonce chez
Mill un aveuglement de la signification réelle de bien et de mal, de vertu, de injuste, de
malhonnête, de toutes ces expressions ordinaires qui pour Anscombe sont réduite à un calcul
d’intérêt et de bénéfice. Son objection principale c’est de dire : Mill emploie des concepts
moraux qui ont une puissance psychologique, qui sont en définitive niés parce que réduits à
un calcul coût/bénéfice.
En reformulant : quand je dis que je commets une action juste ou honnête, en réalité, ce que
veut dire Anscombe, c’est que je ne procède pas à un calcul coût/bénéfice. Ce qui se joue,
c’est qu’en tant qu’agent, quand je produis une action honnête ou juste, je ne calcule pas.
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Donc, l’utilitarisme quand il utilise les notions de bien et mal ne correspond pas en réalité à la
psychologie qu’Anscombe a appelé de ses vœux dans la première citation.

Question : Est-ce que pour Anscombe, tout acte moral est nécessairement désintéressé ?
Réponse : pas nécessairement. Question formulée avec un présupposé kantien quand vous
dites que forcément une action morale obéit à quelque chose qu’à un principe hétéronome,
puisque je commets l’action pour elle-même, pour sa justesse et non pas pour l’intérêt dont
je pourrais bénéficier, quelque soupçon que j’ai de l’intérêt que je pourrais avoir pour cette
action. Je pourrais vous rétorquer de manière malhonnête, votre question est une mauvaise
question, votre question est une question kantienne. Ensuite, pour Anscombe, il s’agit de se
débarrasser du conséquentialisme pas tant sur le caractère pragmatique (qu’elle aime bien
dans l’utilitarisme), mais on va voir que Nussbaum ou Williams vont ne pas jeter le bébé avec
l’eau du bain. Mill a écrit une théories des sentiments moraux puissante). Ensuite, pour
Anscombe et pour l’éthique de la vertu en général, le retour aux anciens va nous permettre
de nous focaliser sur une autre forme d’intérêt. Quand Aristote dit dans son Ethique à
Nicomaque, quand il définit l’amitié (nécessairement un ami veut du bien à son ami), il y a une
relation utilitaire évidente et qui n’est surtout pas nié. Certains commentateurs modernes y
ont vu une théorie égoïste de l’amitié, voire de l’amour (je n’aime que parce que j’y trouve de
l’intérêt), on s’est débarrassé de ce genre de commentaire. On sait maintenant que la notion
d’intérêt dans l’Antiquité ne peut pas obéir une une grille interprétative qui réduit l’intérêt
soit à un principe hétéronome et ultimement soit à un principe égoïste.
En fait, Anscombe ne se prononce pas sur cette question là. Quand elle écrit Intentions, ce qui
va l’intéresser c’est l’ensemble du dispositif psychologique et linguistique qui va faire que
lorsque j’accomplis une action morale c’est tout l’ensemble qu’il va falloir prendre en
considération pour l’agent, pour donner ou non une valeur morale à l’action. Il y a des
exemples très fameux dans Intentions, l’exemple du nazi ou l’exemple de celui qui va
empoisonner un village, qui ne répondent pas immédiatement à votre question, mais qui la
font porter ailleurs.
Exemple du nazi : http://www.roseaupensant.fr/pages/textes/textes-sur-la-morale-et-le-
devoir/l-intention-e-anscombe.html
Exemple du poison : http://www.clicetclicetphilogram.fr/ANSCOMBE/INTENTION23-26.htm

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Ce que vous voyez dans cette courte critique du conséquentialisme, Anscombe


préconise une meilleure prise en charge de la dimension - qu’on pourrait appeler -
« subjective » de l’action en terme d’intention d’une part et d’intention éthique d’autre part.
Une notion est importante, c’est la notion « d’agentivité » (agency), très commode en anglais,
difficile à traduire. C’est le fait et la capacité d’être un agent. On se focalise sur l’action, sur
son déroulé, sur ses raisons, sur sa justification ; on ne se focalise pas sur la loi et la règle, sur
les conséquences. On se focalise sur les interactions entre moi, agent moral qui suis
complètement dans le cours de l’action et les différentes interactions avec d’autres sujets
moraux, éventuellement avec des objets (nature, animaux), des sujets en souffrance (cela va
donner l’éthique du care). Cette notion d’agency est très commode en anglais, très utilisée de
manière très fluide dans les auteurs qu’on va utiliser. Malheureusement en français, il n’existe
pas de bonne traduction. O. Renaut avait traduit par « intentionnalité » mais ça ne convient
pas. Philippe Descola propose de traduire par « agence ». Donc, ce qu’Anscombe préconise
c’est une meilleure prise en charge de la subjectivité ou si vous préférez de l’agency, en terme
d’intention d’une part et d’intention éthique d’autre part, ce que ne fait pas pour elle le
conséquentialisme.

Question : En quoi Anscombe se distinguerait de la morale kantienne si elle veut
promouvoir une morale qu’on pourrait appeler de l’intention ?
Réponse d’un étudiant : oui, mais chez Kant, l’intention est subordonnée à l’impératif moral.
O. Renaut : l’intention compte chez Kant, mais elle ne compte que parce qu’il y a conformité
de ma volonté avec la forme de l’impératif catégorique. On reviendra sur toutes ces choses.
La réponse est juste. L’intention est subordonnée à quelque chose qui est la conformité à la
loi morale. On pourrait dire que contre Kant, Anscombe place l’intention avant la loi. C’est
l’inverse chez Kant. Pour contredire la réponse malgré tout, quand Kant écrit La doctrine de la
vertu, bien après la Seconde critique, il écrit une doctrine de la vertu. Il ne nie pas du tout que
dans la moralité ordinaire, c’est justement d’intention spontanée dont il s’agit et
d’amélioration de l’ensemble de la moralité populaire. Dans La fondation de la Métaphysique
des mœurs, quand Kant parle des modèles de vertu comme Jésus, ce n’est pas pour
promouvoir le règne de la loi, c’est pour essaimer des modèles de vertu.
Intention, cela peut vouloir dire plein de choses :
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- Minimalement et pour Anscombe : c’est la manière dont un sujet, un agent, va se


rapporter dans un schéma qui est celui de l’action et la passion à ce sur quoi il opère.
L’intention chez Anscombe, c’est la direction. La manière dont mon esprit se focalise
sur un objet : se le représente, le formalise, en parle.
- Second niveau : intention éthique. Lorsque j’envisage une action, des processus
délibératifs, un calcul de moyens/fins comme chez Aristote, je sais répondre à la
question Pourquoi je le fais ? Donc, ce n’est pas du tout l’intention au sens d’intention
volontaire ou quand on dit « c’est l’intention qui compte ». C’est la manière dont
l’agent moral va se rapporter à son action, va pouvoir la justifier, va pouvoir en parler
et va pouvoir s’y rapporter dans un dispositif plus global.

En fait dans votre question , vous auriez un présupposé pas tant kantien, mais en fait, on parle
d’intention morale, un présupposé aquinate, qui est la volonté telle que Thomas d’Aquin l’a
compris d’Aristote et qui est une espèce de puissance qui, avant de procéder au choix, est
d’une certaine manière suspendue par rapport à l’action.

Question inaudible.
Réponse : alors, on va faire l’humiliation des passions, car le texte sur le respect dans la
seconde critique, c’est un superbe texte chez Kant. Quand on dit humiliation des passions chez
Kant, il faut prendre des pincettes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de passion. Donc, c’est
une dialectique d’une grande finesse.
Vous avez dit, fin de la subjectivité avec l’humiliation des passions. Je ne suis pas d’accord, on
ne peut pas dire qu’il y a une fin de la subjectivité chez Kant, il y a au contraire une toute
puissante de la subjectivité au sens où elle est la possibilité pour un sujet de se conformer
parfaitement à la loi, même si ce n’est pas possible. C’est ça la puissance du sujet dans la
Critique de la Raison Pure et du coup dans la Critique de la Raison Pratique, c’est la faculté
justement de s’imposer ses propres lois. Le sujet autonome quand bien même il serait un pur
idéal régulateur, la toute puissance de ce sujet là justement elle est la consécration du
royaume de la loi. Mais vous avez raison de dire en revanche que, via ce que Kant appelle
l’humiliation des passions, il y a bien un déni de ce que nous, contemporains, nous appelons
sujet, de ce que les Anglos-Saxons appellent « agent » et que nous Français, on appelle
« sujet ».
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Question inaudible.
Je reformule. Est-ce que en fait pour Anscombe, une manière de répondre aux deux questions
qui viennent d’être posées, ce ne serait pas de dire que la distinction entre intention et action
n’est pas… enfin si, il y a une distinction, mais pour Anscombe, l’intention n’est pas séparable
de l’action. C’est pour ça qu’elle interprète Aristote d’une manière qui est contestable, mais
qui vaut ce qu’elle vaut. Ce sur quoi elle va insister dans Intentions c’est de dire que la
spécificité de la délibération pratique c’est que ce n’est pas un raisonnement. La conclusion,
c’est l’action. Du coup quand on parle d’intentions, il faut comprendre que l’intention éthique
ou pratique, elle est dans l’action. Ceci dit, Anscombe distingue intention et action, car sans
distinction on serait face à une objection conséquentialiste selon laquelle on ne peut pas
justifier telle et telle action, exactement comme dans l’exemple de la bombe atomique que
vous avez pris, on ne peut pas justifier l’action autrement que comme un calcul coût/bénéfice,
or vous avez besoin que l’intention malgré tout soit elle aussi et d’une certaine manière
suspendue par rapport à l’action qui est en train de se faire, même si l’action est en train de
se dérouler. D’ailleurs, Anscombe a étudié Aristote avec les commentaires de Thomas
d’Aquin, ce n’est pas un hasard…
Anscombe était pour la peine de mort, contre l’avortement, c’était un personnage… spécial.

2. Critique du légalisme kantien.
Critique tout autant expéditive.

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« Comment cela est-il arrivé ? » Comment c’est arrivé qu’on soit pris dans un système moral
si déconnecté de la réalité morale.

Critique de la déontologie, critique encore plus spectaculaire, mais qui s’explique. Dans les
années 50, la plupart des commentateurs et exégètes de la philosophie ancienne sont
kantiens. Cela a une importance décisive sur notre lecture de Platon et Aristote. Exemple : un
célèbre commentateur de L’Iliade et l’Odyssée d’Homère dans Merit and Responsibilty disait
à propos de la philosophie ancienne en général « nous somme tous kantiens ». Conséquence
obligée, c’est que (et c’est une thèse que vous allez retrouver en philosophie ancienne) dès
qu’on lit de la philosophie ancienne, vous avez à faire à une moralité inachevée, voire amorale.
Quand vous lisez l’Iliade ou l’Odyssée, Achille n’est pas un parangon de la moralité, mais une
figure de la bestialité, de l’égoïsme et de la cupidité. Dans le chant XXIV de l’Iliade, Priam, le
fils d’Hector vient supplier Achille de lui rendre le cadavre d’Hector mutilé. Il y a une scène de
la rançon : Priam fait un catalogue des dons qu’il propose à Achille. Achille refuse. Adkins dit :
« moralité de la compétition, de la brutalité… nous sommes avant la moralité ».
Arthur Adkins, Merit and Responsibility. A Study in Greek Values, 1960
https://www.cambridge.org/core/journals/philosophy/article/merit-and-responsibility-a-
study-in-greek-values-adkins-arthur-w-h-oxford-at-the-clarendon-press-1960-pp-xvi-380-
price-42s/41B0FA702C55D7BA3982504F93C853B6
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Cette expression « avant la moralité » existe chez beaucoup de commentateurs européens.
L’idée c’est que nous ne disposons pas en grec ancienne de concept de moralité et toutes les
éthiques anciennes sont plus ou moins compétitives pour accéder à quelque chose qui est une
éthique normative satisfaisante.
Voilà l’élément de contexte.
Donc, les Grecs ne disposeraient pas de tous les concepts nécessaires à l’établissement d’une
éthique normative. On ne dispose pas du concept de sujet, de conscience, pas tout à fait du
concept d’intention (de bien faire), de loi morale…
Conclusion : la morale des Grecs est une morale qui est fondée sur des principes entièrement
hypothétiques et hétéronomes. Cette idée culmine dans l’opuscule Théorie et Pratique de
Kant : Platon s’oppose de manière nommément et frontale avec Aristote. L’éthique et la
morale n’a rien à voir avec la recherche du bonheur, nous recherchons la conformité à la loi.

Ce que Anscombe critique c’est que quand nous parlons d’éthique et de morale, en
réalité nous obéissons toujours à un législateur (pas seulement à une loi) et que finalement
nous sommes sous le coup d’une sorte de schizophrénie morale. Quand nous sommes
kantiens, nous croyons agir par devoir, alors qu’en réalité dans l’action nous agissons toujours
pour d’autres raisons. Pour elle, le kantisme aboutit à un légalisme schizophrénique.

Question inaudible.
Réponse : Elle ne cite pas Nietzsche. La personne qui va le citer, c’est Bernard Williams,
nietzschéen convaincu, qui va utiliser Nietzsche, de manière ambivalente, pour cette raison
là. Dans son livre, Sujet et vérité, il utilise Nietzsche à la fois comme exemple du cynisme moral
qui peut nous achever dans nos sociétés contemporaines et en même temps comme une
forme de levier pour lutter contre ce type de schizophrénie. Anscombe ne l’utilise pas du tout.

Question inaudible
Réponse : Je ne dis pas que la critique n’a pas été portée avant. Pourquoi elle ne cite pas ? Il y
a des traditions qui ne se parlent pas. On a une tradition occidentale, et on a une tradition
analytique. Quelle que soit la validité de cette frontière sur laquelle travaillent Elie During et
Jean-Michel Salanskis, on ne peut pas dire que cette frontière n’ait pas existé. Donc il y a des
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gens qui ne se lisent pas. Chez Richard Rorty, sur la notion de sujet quand il fait la critique de
Descartes on a l’impression de lire un manuel scolaire. Rorty, c’est génial aussi, mais c’est une
manière d’utiliser l’histoire de la philosophie qui est pour le moins désinvolte. Même si
Anscombe a été formée dans et à travers l’histoire de la philosophie, elle-même a une attitude
qui est très désinvolte. C’est une élève de Wittgenstein. C’est une manière wittgensteinienne
de répondre à l’histoire de la philosophie. Mais après, il y a un sens. Je vous prendrai d’autres
exemples de difficultés méthodologiques que j’ai avec ce retour aux anciens de l’éthique de
la vertu. Il s’est passé en France et en Italie exactement la même choses dans les années 60,
sauf que cela a pris un tour complètement différent. Vous avez tous entendu parler de Jean-
Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Marcel Détienne, Luc Brisson, l’école de Paris. Ils sont en
anthropologie ancienne, ils ont réactivé des choses à partir de la philosophie ancienne qui
sont extrêmement proches de ce qu’on va lire chez Nussbaum, mais ces gens-là ne se sont
jamais parlés. Il y a quand même quelque chose de l’ordre tradition occidentale vs tradition
analytique.

La critique de la déontologie est simple et expéditive : je me débarrasse de la loi morale,
encore fois comme pour le conséquentialisme, pour remettre au centre non pas le sujet
kantien, mais l’agent moral.


3. Retour à la vie bonne.

Texte de Julia Annas, figure du courant éthique de la vertu, qui promeut un retour à la question
de la vie bonne, entendue dans son sens grec. Le retour aux anciens est nécessairement lié à
la question de la vie bonne et à cette notion d’eudaimonia.
Lecture du texte : deux diapos.


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Dernière phrase de la première diapo : « In due course […] for ethics ». On a une question de
la vie bonne (eudaimonia) qui est – et là, elle le tire directement d’Anscombe et d’Aristote –
une question personnelle et vague. Dans les premières chapitres de l’Ethique à Nicomaque,
les premiers mots d’Aristote sont « tout le monde cherche le bonheur ». De la même manière
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qu’il ouvre la Métaphysique par tout le monde a une appétence par rapport au savoir. S’ensuit
la critique des formes platoniciennes. La phrase d’Annas est aristotélicienne « cela touche
chacun d’entre-nous, c’est personnel » et « vague » parce que la question du contenu est
toujours suspendue : quels sont les ingrédients de la vie bonne ?
Néanmoins, c’est « the only compelling starting point for ethics » : point de départ obligé pour
établir n’importe quel éthique normative.

Deuxième diapositive
Traduction sur le fil d’O. Renaut : Plus on développe la perspective éthique ancienne, plus il
est problématique de savoir comment rendre compte du bonheur. De interprètes modernes
ont constamment essayé de se débarrasser du problème. Une manière de le faire est de nier
que eudaimonia ressemble à notre bonheur.
Une autre manière de faire est de dire que les vertus ne sont pas des vertus morales, elles
sont plutôt des dispositions dont la possession rendent de manière plausible l’agent heureux.
Mais en fait, cette position n’est pas tenable. Les théories éthiques anciennes soutiennent
plutôt qu’on a une explication réflexive du bonheur. Cela requiert des vertus et de donner son
poids à l’intérêt des autres.

Que tirer de ces deux citations ?
D’abord, le première diapositive : la vie personnelle. La vie personnelle prise dans sa globalité,
dans son affectivité, dans sa subjectivité, dans son pouvoir de choix.
Ce point de départ est commun au mouvement de l’éthique de la vertu. C’est un point qui va
caractériser les éthiques normatives de Williams et Nussbaum. Il faut prendre l’agent moral
tel qu’il est, inscrit dans une communauté normative déterminée, particulière, avec ses
aspirations et ses buts. C’est un point de départ duquel on ne peut pas déroger. On n’est plus
dans le sujet moral abstrait kantien. Donc, n’importe quelle éthique normative doit rendre
compte du particularisme auquel se trouve confronté l’agent moral.
Parenthèse, il y a eu tout un grand courant, une mode, qui commence à arriver en France, qui
est « philosopher avec les romans », le perspectivisme moral. L’obligation de se mettre à la
place d’autrui, le fait de souligner les exercices de transformation de soi par l’empathie. Ce
sont des théories philosophiques qui ont des applications qui peuvent être importantes en
sciences de l’éducation par exemple (parfois étrange). Martha Nussbaum se situe dans cette
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perspective : on apprend à être moral en particulier en lisant des romans. Grande tradition de
L’Emile de Rousseau qui revient au galop contre le kantisme qui fait que l’agent moral est
quelque chose d’historiquement construit par ses expériences concrètes et surtout de
lectures, d’art, de pratiques culturelles, d’interculturalité, de dialogue, de rhétorique…
On n’est décidément plus dans le sujet kantien

Deuxième citation.
Le retour aux anciens comprend un difficulté. Une première difficulté, c’est de dire qu’en fait,
il y a une différence entre notre bonheur tel que nous le concevons dans nos sociétés
néolibérales – puisque l’éthique de la vertu prend place dans un contexte du libéralisme
politique (ie au sens minimal du terme, sans parler du capitalisme) où vous donnez à l’agent
une liberté suffisante de choix pour choisir ce qu’est pour lui le bonheur. A partir du moment
où ce libéralisme axiologique est posé, comment faire pour comparer les éthiques anciennes
et les éthiques contemporaines ? Vous ne pouvez pas. Quand on va étudier Aristote, non pas
que c’est incompatible avec le libéralisme contemporain, mais liberté, éleutheria en grec, ne
veut pas dire liberté pour nous. Il nous faut un effort méthodologique surhumain pour essayer
de faire ça bien. Or, en éthique de la vertu, ce n’est pas toujours bien fait. C’est un premier
problème.
Le deuxième problème, selon Julia Annas, c’est ce qu’on appelle vertu chez nous et vertu chez
les anciens, cela ne peut pas être les mêmes . Et je dirais même que l’affectivité chez les
anciens et les contemporains, cela ne peut pas être la même. La colère d’Achille ne peut pas
être la nôtre. Elle est indissociable d’une code de l’honneur extrêmement compliqué, d’une
manière que les Grecs avaient de corréler la colère avec la bravoure, la bravoure avec l’arété
(la vertu en général), une arété qui est un système compétitif et coopératif relativement
complexe qui n’a rien à voir avec ce que Mauss en a dit sur le don/contre-don, etc…
Quand on croit reconnaître chez les Anciens des émotions identiques, ce ne sont pas les
mêmes. C’est particulièrement criant au niveau de la colère et de la honte. Or, cela a un impact
sur la théorie normative que l’on est capable d’élaborer grâce à un retour aux anciens.




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4. Le tableau éthique de la vertu.



Les risques d’un article comme celui d’Anscombe sont les suivants (cf. diapo)
- Ecrasement de la philo ancienne à la philosophie morale : pour Anscombe, toute la
philo, métaphysique, c’est bon pour les Antiquaires, la seule chose à sauver à la
rigueur, c’est leur philosophie morale, puisque nous n’en avons pas de théorie et puis
de toute façon nous pouvons toujours attendre pour en avoir une théorie.
Réduire la philo ancienne à la philo morale est un risque car il y a des textes français
de vulgarisation qui font des anciens les philothérapeuthes contemporains. C’est très
pénible. La perspective hadotienne (Pierre Hadot) réduit tout le programme de la
philosophie antique a un programme de recherche de mode de vie. Connexion entre
Pierre Hadot et l’éthique de la vertu. Michel Foucault (le dernier Foucault) qui fait un
retour fracassant à l’Antiquité à partir de l’Herméneutique du Sujet, et avant dans
Subjectivité et Vérité. Mais Foucault suit des intuitions de Pierre Hadot et ce n’est pas
anodin. Il se focalise sur les maîtres à penser stoïciens, Xénophon.
Cet écrasement peut avoir des conséquences dévastatrices quand on essaye
d’élaborer une éthique de la vertu artistotélicienne.

- 19 -

- Ecrasement des différences entre les auteurs. Pire, Michel Onfray qui fait des cyniques
la grande école contestataire contre Platon, Aristote, Stoïciens. Attention à cet
écrasement car dans la philosophie contemporaine vous n’aurez pas la même éthique
qui va ressortir si vous êtes aristotélicien ou platonicien ou stoïcisant, même si vous
êtes dans la même éthique de la vertu. Par exemple, Iris Murdoch dans la Souveraineté
du Bien qui reprend la philosophie platonicienne. La connaissance du bien est la seule
possibilité pour l’agent moral de pratiquer la vertu et d’avoir une théorie éthique
stable. SI vous êtes platonicien, vous êtes nécessairement un réaliste moral : vous
croyez en la réalité objective de certaines valeurs que sont la Justice, la Loyauté, la
Modération… Si vous êtes artistotélicien, c’est juste pas possible. C’est un
pragmatique. Ce n’est parce que vous avez un pluralisme éthique, un pluralisme des
valeurs que vous n’allez pas pouvoir essayer d’élaborer un système de vertu à peu près
cohérent et à peu près commun. Pas la même éthique de la vertu si vous êtes
platonicien ou aristotélicien.
- Négation de l’historicité des dispositions morales : risque déjà évoqué. C’est l’idée
qu’on ne fait pas attention à la différence qui nous sépare des anciens. Williams et
Nussbaum vont adopter des positions radicalement opposées, justement parce que
Williams est très attentif à la spécificité des anciens, même s’ils les convoquent, alors
que Nussbaum n’hésite pas à faire des grands tableaux qui vont de Platon à nos jours
comme s’il n’y avait pas de différence. Son retour aux anciens est
méthodologiquement un peu moins sûr.

Un tableau complexe.
- Le problème de la définition de l’agent moral
Quand on parle d’éthique de la vertu, leurs représentants vont dire que l’éthique de la
vertu c’est la troisième voie à suivre. Dans l’article « Virtue Ethics » (dans la Stanford
Encyclopedia of Philosophy : https://plato.stanford.edu/entries/ethics-virtue/) c’est la
troisième voie contre le conséquentialisme et le déontologisme. Bon, c’est une
manière de réduire la théorie normative à quelque chose qui est peut-être beaucoup
plus subtil et moins simpliste que cette opposition utilitarisme et déontologisme, dont
l’unique voie de sortie serait l’éthqiue de la vertu. C’est plus compliqué. Si on est plsu
attentif, il y a des choses géniales chez Descartes, Kant, Hume, etc… pas obligé d’en
- 20 -

faire des tonnes sur cette pseudo opposition. A l’occasion, c’est ce que Williams et
Nussbaum essaye de faire en disant qu’ils aiment bien l’éthique de la vertu, tout en
disant : je ne suis pas sous l’étiquette éthique de la vertu. Ils essayent de sortir de la
dichotomie stérile.

- Articulation entre éthique et politique. Les représentants de l’éthique de la vertu
s’occupent essentiellement de morale, pas de politique. Il y a notamment une vertu
absente : la vertu de justice. Chez Platon et Aristote, il n’y a pas de distinction entre
éthique et politique, il ne peut pas y en avoir. Il y en a à la marge.

- Articulation avec d’autres théories normatives. Essayer d’articuler le retour aux
anciens et donc l’éthique de la vertu avec d’autres théories normatives. La théorie du
care : Nussbaum et surtout Carol Gilligan (In a Differrent Voice, 1982) ; l’éthique
animal, le réalisme moral… Plein de texte qui font des aller-retours aux anciens et qui
sont un peu plus subtils que cet aspect massue de l’éthique de la vertu.

Fin du premier cours

Second cours – 19 septembre 2018.

O. Renaut sera absent le 03 octobre.

Séance 2 – La vertu.

Ne revient pas sur la seconde partie de l’introduction.
Séance synthétique sur le notion de vertu.
Trois parties : éléments de l’intellectualisme platonicien, éléments de la théorie de la vertu
chez Aristote, avant de voir le courant de l’éthique de la vertu.




- 21 -

A – L’intellectualisme platonicien.

Quelques grandes « thèses » platoniciennes : reviennent de manière récurrente chez Platon.
Des premiers dialogues (ex. Protagoras jsuqu’aux Lois, on retrouve ce même genre de thèses,
même s’il y a des inflexions).

• Nul n’est méchant volontairement (Gorgias, Le Timée, La République)
• Tous désirent le bien
• La vertu est savoir
• Le vice est ignorance
• Il vaut mieux subir l’injustice plutôt que de la commettre.

Se présentent sous la forme de paradoxes, c’est ainsi que les interprètes comprennent ces
thèses. Pourquoi des paradoxes ?
- Parce que ce sont des thèses qui heurtent le sens commun ou l’expérience ordinaire.
Enjeu du Gorgias où Socrate s’évertue dans la discussion avec Polos puis Calliclès de
montrer que en réalité le tyran Archélaos qui possède richesse et pouvoir, lorsqu’il
spolie, exécute ou exile un concitoyen, en réalité ne veut pas exactement ce qu’il fait.
- Pour Polos, il existe des méchants volontaires, des personnes qui désirent le mal.
- La vertu n’est jamais perçu dans les interlocuteurs des dialogues comme un savoir, ce
sont plutôt des traits dispositionnels, des caractères, des formes spontanées d’agir.
- Il vaut mieux subir l’injustice… a priori, on préfère l’éviter…

Le premier texte, Platon, Gorgias 467c-468e.

A retenir : paradoxes, constructions intellectuelles de la part de Platon, qui consistent en deux
affirmations positives : la vertu est savoir et tout homme désire naturellement le bien.

1. La vertu est savoir :
C’est dire qu’il existe un primat de l’intellect, de la raison, sur d’autres formes d’appréhension
du monde dans le règlement de sa vie.
- 22 -

Deuxième point : bien voir que lorsqu’on est capable de définir ce que c’est qu’une vertu, de
la définir de manière universelle, non contrefactuelle et par là-même totale, on est
vertueux. C’est une discussion qui apparaît dans le Protagoras. A partir du moment où on sait
répondre à la question « Qu’est-ce que la modération, la justice, le courage… », alors on est
en possession de cette vertu elle-même. Il s’agit d’une définition de la vertu qui n’est pas
seulement primat de la raison sur mon caractère, il s’agit vraiment d’un exercice définitionnel
et dialectique.
Troisième niveau : du coup, si on conçoit que seul celui qui est capable de définir la vertu la
possède vraiment, il faut distinguer deux sens de vertu (début du Phédon) : distinction forte
entre vertu populaire (ou vertu démotique) et la vertu authentique. La première, c’est le fait
d’agir éventuellement bien, mais on agit pour une autre raison que le bien lui-même (ex.
Achille qui commet un acte de bravoure puisqu’il choisit de mourir à Troie pour venger son
ami Patrocle et dans le Phédon Socrate dit qu’il a choisi la mort pour éviter de mourir sans
gloire, être courageux par crainte c’est pour Socrate la définition de la vertu démotique. Un
vernis de vertu). La vertu authentique, c’est la phronèsis : la sagacité, la prudence, la sagesse)
qui conduit authentiquement l’ensemble de l’action que je suis sur le point de commettre.

Comment savoir qu’on agit en vertu d’une vertu authentique ? Précisément parce que cette
phronèsis qui est à l’œuvre dans l’action, c’est elle qui est capable de définir ce pour quoi je
fais l’action.

2. Tous désirent le bien :
Thèse compliquée, car c’est un paradoxe et apparemment des expériences contrefactuelles
pourraient laisser entendre que cette thèse est manifestement fausse. Et pourtant, Platon la
tient dans tous ses dialogues.
Premier niveau de compréhension : niveau qui n’est pas platonicien, niveau naturaliste. Tout
organisme vivant cherche nécessairement à accroître son potentiel de vie et de puissance
(ex. Spinoza, Nietzsche, Hobbes : théorisation d’un désir, cela ne peut pas être platonicien).
Ce sera l’interprétation de M. Nussbaum : chaque être naturel a une tendance à accroître et
satisfaire l’ensemble de ses capabilités.
Second niveau : niveau plus platonicien. Il faut comprendre qu’il existe dans chaque désir -
que ce soit un désir de nourriture, de connaissance - il y a une forme de représentation de ce
- 23 -

qui est bien pour soi. Tout homme désire ce qui est bien pour lui. Ex. Le tyran Archélaos, il a
une représentation du bien qui est l’honneur, la richesse, la toute puissance, le pouvoir et il
s’évertue dans ses désirs à poursuivre ce qui est bien pour lui. C’est une thèse
représentationaliste, sauf que…
Troisième niveau : Platon va plus loin, en disant que non seulement tout homme désire le bien
pour lui, mais il désire objectivement et naturellement le bien. Cela signifie que n’importe
lequel de vos désirs, objectivement, réellement, indépendamment de la représentation que
vous avez du bien, vous poussent vers le Bien, sans nécessairement qu’on en soit conscient
ou d’accord. Ce troisième niveau c’est la théorie de l’erreur morale : si vous n’avez pas cette
thèse, vous ne pouvez pas dire que tel agent à tel moment a commis une action, en croyant
qu’il faisait le bien, sauf qu’il a commis une erreur. Archélaos poursuit ses désirs, il désire le
bien, mais il a faux : il commet une erreur de jugement sur ce qui est objectivement le bien.
Cela n’entame pas l’objectivité de son désir du bien, sauf que dans son raisonnement
pratique il a commis une erreur de jugement.
Ex. on a l’habitude de raisonner avec l’idée d’une intention bonne et c’est la raison pour
laquelle on dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions. On pourrait se dire que le tyran
n’avait pas une mauvaise intention. Il y a des mauvaises actions pratiquées par des individus
plein de bonnes intentions, sauf qu’ils ont faux sur leur appréhension du bien et sur la manière
dont ils vont réaliser ce bien pour eux-mêmes et la communauté à laquelle ils appartiennnent.
Donc, la question n’est pas chez Platon celle de l’intention morale (il n’en a rien à faire), mais
de savoir si le raisonnement - qu’il précède l’action ou qu’il soit rétrospectif pour la justifier
- dialectiquement soit correcte pour la définition de ce qu’est un bien pour telle et telle chose
à un moment donné.
Si on a pas cette théorie de l’erreur morale, cela veut dire que les efforts que Socrate fait pour
essayer de réfuter ses interlocuteurs sur leur mauvaise appréhension du bien sont voués à
l’échec. Cela veut dire aussi que quand vous affirmez la thèse « tous désirent le bien », vous
allez nécessairement retomber sur la thèse « la vertu est un savoir » parce que vous pensez
que le raisonnement a une certain pouvoir de modifier l’ensemble de vos croyances, de vos
représentations, voire même de vos affects, de vos tendances, de vos constitutions naturelles.



- 24 -

Question : Comment on articule « tous désire le bien » et « la vertu est un savoir » ?


Si on accorde que tous, vertueux et vicieux, et non-vertueux et non-vicieux, ont une tendance
naturelle vers le bien, comment on explique que la vertu soit une exercice si difficile à obtenir ?

Au Livre V de La République, Platon réaffirme cette thèse : « le bien est ce pour quoi nous
faisons tout ce que nous faisons ». Tout le monde recherche le bien. Par exemple, Livre VIII de
La République, si je me reconnais comme démocrate (le démocrate chez Platon c’est celui qui
le matin est philosophe, l’après-midi va dans un banquet et boit, pour être dans la soirée un
amateur de spectacle : il change de mode de vie systématiquement), on peut dire que le
démocrate a bien une représentation du bien pour lui-même et sa communauté qui est
l’assouvissement mesuré de la totalité de ses plaisirs. Pour Platon, il a une fausse
représentation du bien. La vertu du démocrate n’est en réalité qu’une vertu d’apparence.
Donc, pour articuler le fait qu’un démocrate, qui n’est pas vertueux mais qui a une
représentation du bien et qui a même parfois des représentations correctes du bien, comment
se fait-il qu’il ne parvient pas à être vertueux toute la journée ? Précisément, la réponse de
Platon est de dire que le seul moyen d’obtenir la vertu c’est que pour que le savoir acquiert
sa toute puissance dans un individu ou dans une cité, il faut que ce savoir soit un vrai savoir,
pas seulement une opinion, pas seulement une opinion droite ou vraie (car elle l’est toujours
par coïncidence), il faut que je sois capable de définir et de tenir ce que c’est que le bien
objectivement pour moi et que je me le représente comme tel. Donc, le seul moyen pour
désirer le bien vraiment, pour le désirer et pour le vouloir, il faut que j’en ai un savoir
objectif.

Le bien n’est jamais tout à fait défini chez Platon, mais vous pouvez en avoir des
représentation très ordinaires. Au début de La République, Platon dit pour chaque nature
(physis), il existe une tâche (ergon) qui lui est intimement associée : c’est son bien, sa vertu.
Un exemple très concret repris par Aristote : la vertu de l’œil, c’est de voir. De la même
manière cette thèse fonctionnaliste va être étendue sur l’ensemble de la vie de l’individu. Pour
connaître ce qu’est l’ergon de l’homme, vous n’avez qu’un moyen de le savoir, c’est de faire
de la philosophie et de la dialectique. On peut désirer le bien, mais éventuellement ne pas en
avoir une image correcte.
- 25 -



Petit point sur deux interprétations possibles de l’intellectualisme platonicien.
a) Version stricte (possible que cette version puisse se vérifier dans les dialogues de
jeunesse) : Toute forme de motivation à l’action se laisse formuler en un discours
susceptible d’être vrai ou faux, rendant l’action moralement vertueuse ou vicieuse.
Présupposé peut-être trop contemporain, selon lequel la perception d’une morale
morale est nécessairement linguistique et rationnelle. Ce qui dit Platon dans le
Protagoras par ex. c’est lorsque je commets une action qu’elle soit vertueuse ou
vicieuse, il y a toujours un logos qui travaille en moi, de telle manière qu’il y a toujours
un jugement final qui me dit : faire ceci contribue à mon bien. En ce sens précis, l’action
morale est susceptible d’être vraie ou fausse, susceptible d’être modifiée si je change
mon jugement. Présupposé contemporain fort, probablement cognitiviste, qui fait que
la seule manière de me rapporter à l’action moral est un jugement de type linguistique
et rationnel. Très clair chez Anscombe.

b) Version douce : en réalité, l’intellectualisme platonicien ne serati pas tant une théorie
de la vertu ultra-rationnaliste et ultra-cognitiviste, ce serait un idéal de rationalisation
des mobiles de l’action, en tentant d’en rendre raison, sans nier les forces
irrationnelles susceptibles de motiver l’action. Thèse plus douce car l’intellectualisme
platonicien présenté alors comme une exhortation (injonction), et pas tant comme
une description. Ne nie pas le désir, l’attrait des honneurs, des traits de caractère qui
joue dans le fait de définir ce qu’est la vertu.
- 26 -

Lire le texte du Gorgias et du Protagoras. Tableau très intellectualiste fort pour la définition
de la vertu, puis l’extrait des Lois, avec une hiérarchie des vertus qui nous fait soupçonner qu’il
existe des « biens humains » qui vont peut-être modifier mon appréhension de la vertu, qui
vont faire qu’une vertu ce n’est pas seulement la vertu authentique du philosophe, c’est
aussi éventuellement une vertu démotique ou imparfaite qui n’en est pas moins une vertu.

Question « Est-ce qu’on pourrait dire que chez Platon il y a cette pulsion de vitalité qu’on va
trouver chez Nietzsche ? »
Réponse : indépendamment du contexte, c’est très difficile de répondre à votre question. Pour
répondre de manière directe : non, pas de pulsion de vitalité. Dans Les Lois, la vie humaine
c’est une tragédie, une tragi-comédie, il ne va pas porter aux nues la vie humaine telle que
Nietzsche va la concevoir. Le dualisme platonicien (séparation âme/corps et la
« condamnation platonicienne du corps » même s’il le réhabilite) on peut pas dire que Platon
soit amoureux de la vie incarnée… La vertu, exercice de séparation aussi. Les 4 vertus
cardinales platoniciennes de la République : sagesse, courage, modération, justice. Comme
si cela faisait un système, en réalité, une seule vraie vertu chez Platon : la vertu de sagesse.
En un certain sens, les 3 autres découlent de la sagesse. Au philosophe, il suffit d’être sage, et
en étant sage, il a déjà accompli la séparation de l’âme et du corps (cf. Phédon).
Deuxième réponse : on peut trouver chez Platon, ensemble de désirs qui entrent dans la vie
bonne, humaine. Pas de pulsion immodérée, mais pas de négation de cette spécificité
humaine là.



Pour conclure chez Platon, la notion de « désire rationnel » :
- 27 -

« Désir rationnel » concept qui tente de rendre compte de ce qu’est la vertu chez Platon :
La fin du désir est toujours le bien, qui s’accommode d’une thèse prudentialiste (étant donné
le désir, étant donné la fin qu’est le bien, la vertu consiste à réaliser cette fin en mettant en
œuvre tous les moyens dont je dispose) qui implique une rationalité. On pourrait penser qu’il
existe quelque chose d’égoïste au sens au finalement la vertu rationnel serait un calcul de
moyens par rapport à une fin donnée. Mais, il s’agit bien de définir la vertu comme une
habileté, néanmoins, la vertu n’est pas disociable de la manière dont je vais me comporter
avec autrui. Donc pas de soupçon égoïste de la vertu chez Platon. Enfin, différence entre
« faire e que je veux » et « faire ce qui me plaît » : dans le Gorgias, où Socrate tente de faire
comprendre à Polos que je veux toujours mon bien, mais en faisant ce qui me plaît, je ne fais
pas toujours ce que je veux. Donc le vouloir est l’équivalent de ce que les interprètes ont
appelé le désir rationnel du bien (tous désirent naturellement le bien), mais en faisant ce qui
me plaît, je ne fais pas toujours ce que je veux : place laissé à l’erreur de jugement permettant
de réfuter une fausse conception du bien capable de dévoyer mon propre désir.

B – La vertu aristotélicienne
Cf. Ethique à Nicomaque, dernier chapitre Livre I et premier du Livre II (cf. textes)



Définition de la vertu n’est pas très compliquée, sa mise en application est plus difficile (Livre
VII).
Livre I, chap. 12. Point de départ, distinction d’inspiration platonicienne entre des fonctions
du vivant (en l’occurrence de l’homme). Dans De Anima, il reprend une thèse fonctionnaliste :
- 28 -

le propre de l’œil, la vision, la vertu de l’œil, sa vision. Un œil énucléé, n’est jamais qu’on œil
par homonymie. EN tant qu’il n’est plus capable de remplir sa fonction, ce n’est pas vraiment
un œil. De la même manière, Aristote distingue plusieurs fonctions chez l’homme :
a) Partie végétative ou nutritive. Non détaillé (plus tard dans le séminaire). Celle grâce à
laquelle je suis capable de me nourrir de manière adéquat pour remplir l’ensemble de
mes fonctions de vie et motrices.
b) Partie rationnelle, en propre : raison, pensée, calcul (termes synonymes). Non détaillé
au début, donc 3 termes semblent synonymes. Il s’agit d’aborder la fonction propre de
l’homme au travers d’exemples ordinaires. Faire un calcul, c’est aller au-delà d’un
fonction végétative.
Etant donné cette distinction entre a) et b), il y a quelque chose qui va couvrir l’ensemble
de ce qui fait fonctionner un homme, c’est le désir (orexis)
c) Le désir (orexis). Non détaillé (plus tard dans le séminaire). Concept pas simple : le fait
de se tendre vers. Tendre vers quelque chose : le désir de manger et de boire aussi
bien qu’un désir de la partie intermédiaire de l’âme (désir des honneurs) que le désire
de connaissance ou de contemplation. Terme unique : orexis qui s’attache à toutes les
espèces de désir.
Etant données ces distinctions et la place de l’orexis, Aristote définit la vertu humaine
comme :
d) L’accomplissement de la fonction propre de l’homme en vue du bonheur.

Première phrase, du chap.12 du Livre I.
Puisqu’on a posé que tous désirent le bien, ie le bonheur (comme fin ultime), alors il faut que
je trouve la vertu correspondante qui est capable de me faire atteindre le bonheur et cette
vertu, il faut que je la définisse : c’est l’energeia : la mise en acte de l’ergon propre de
l’homme = sa fonction rationnelle.

A la fin du chap. 12 du Livre I, Aristote va établir une grande distinction d’avec Platon, la
distinction entre les vertus morales et les vertus intellectuelles.
- 29 -



a) Chez Aristote, toute la philosophie obéit à une distinction ontologique forte qui est la
distinction entre le théorétique, le pratique et le poétique.
Pour définir une science, il faut savoir ce qu’il en est de l’objet de cette science (au
sens de savoir), or, il y a trois type d’objets
Théorétique : objet qu’on ne produit soi-même et qu’on se contente de voir,
d’intelliger, de conceptualiser, de calculer. Sciences théorétiques (géométrie,
arithmétique, sciences naturelles et métaphysique)
Pratique (prakton) : ce qui est faisable. La science pratique est la science de qui est
faisable. Ce que cela ontologiquement en propre, c’est que cet objet est indissociable
de l’action elle-même. L’objet de l’action pratique, c’est CE qui est réalisé.
Poétique (poiétês) : toutes les sciences productrices (charpenterie, faire des
tragédies…). Tout ce qui crée un objet qui a son principe dans un agent qui l’a conçu,
fabriqué, réalisé.
Cette distinction tripartite qu’on retrouve partout chez Aristote établit la distinction
entre les vertus morales et intellectuelles. Les vertus morales sont les vertus de
l’action (modération, courage, loyauté…) avec quelques cas particuliers qui sans être
des vertus s’approchent de la vertu (ex. honte qui est plus uen affliction ; l’amitié, qui
est plutôt une disposition) alors que les vertus intellectuelles sont toutes les capacités
que l’individu va mettre en œuvre pour décrire, connaître, contempler l’objet qui
n’est pas une action et qui est indépendant de sa volonté et de sa délibération
(sagesse, mémoire, …).
b) Cette distinction claire va quand même poser un problème : comment la sagesse
intellectuelle (sophia) va s’articuler avec la sagesse morale qu’Aristote définit par
phronèsis (prudence ou sagacité). Juste un exemple : après tout la phronèsis, c’est bien
- 30 -

la capacité que le sage a, capacité à mettre en œuvre, avec les moyens adaptés, la fin
qu’il reconnaît commme ayant été bonne en fonction de certains cas particuliers
irréductibles à une règle universelle. Vertu capable de mettre en œuvre la vertu là
même où on la pensait impossible à metre en œuvre.
Aristote a repris des éléments de la vertu platonicienne, mais, en distinguant les
deux vertus, mine le modèle platonicien. Définition de la vertu plus « humaine » et
« réaliste ».
c) En vertu de cette distinction, Aristote rappelle deux modes d’apprentissage : la vertu
intellectuelle s’acquiert par enseignement et par expérience. La vertu morale parce
qu’elle concerne les « moeurs » s’acquiert par habitude (seconde nature), à accorder
sensation, valeur, capacité de raisonnement et articulation entre raison, désir, affect.
La vertu morale va concerner une zone d’éducation au carrefour entre une nature
(physis) donnée (sensations, plaisir, douleur) et d’habitudes morales acquises par le
biais d’un raisonnement. Fin du chap.1 Livre II.

Définition générale de la vertu chez Aristote (EN, II.6)



a) Une disposition à agir selon la droite règle, relativement à nous.
b) La vertu comme une médiété (moyen excellent entre un excès et un défaut) qui
donnera lieu à une sorte de tableau des vertus. (« juste milieu »).







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C) Vertus anciennes/vertus contemporaines.


Pour conclure, texte de Rosalyn Hursthouse (cf. doc)



Avec Aristote, et contre Platon, la vertu est devenue une disposition intégrale qui prend
l’ensemble de l’individu et pas seulement sa raison. C’est une médiété qui fait que la raison
a prise sur les les habitudes, le naturel, les affections, le caractère. La vertu est intégrale par
rapport à la personne humaine.
L’éthique de la vertu va développer une conception néo-aristotélicienne de la vertu, car elle
va reprendre quelques éléments de ce que R. Hursthouse considère comme propre à la
définition de la vertu chez Aristote.
a) Disposition spontanée de la vertu. 1§ du texte. Fait qu’on puisse avoir confiance dans
la personne vertueuse. L’honnêteté : avoir confiance dans l’homme honnête on sait
qu’il ne va pas mentir, qu’il est sincère… C’est la meilleure traduction de « l’homme
prudent » chez Aristote. La vertu est un trait de caractère (2§) (ce qu’Aristote appelait
hexis, disposition).
b) Ce que l’éthique de la vertu retient aussi de la vertu aristotélicienne (compatible avec
Platon) : c’est que toutes les vertus vont entretenir un certain rapport avec ce qu’on
peut appeler la véracité. Des choses simples (sincérité, être vérace…), mais surtout
avoir accès à une certaine connaissance de soi, à ses vulnérabilités, aux vulnérabilités
d’autrui, avoir en fait accès à ce que c’est d’être un soi dans l’ensemble des actions
que je commets tout au long de ma vie. (On retrouve ça chez Foucault,
L’herméneutique du sujet : description d’un itinéraire de vertu pour répondre à
l’injonction du Gnothi seauton - « connais-toi toi même » -, comme forme de vie
intégrale). Accès d’une subjectivité à une vérité sur soi à travers une activité vertueuse.
c) Vertu et modèles de vertu : la vertu ne se dit pas. Ce n’est pas une règle. Critique du
légalisme kantien. Une vertu ne s’édicte pas en règle : elle se vit et elle se voit. Elle va
- 32 -

s’acquérir parce que je commets des actes vertueux. C’est aussi en voyant, en
m’inspirant d’actes vertueux. Vertu définie comme une attente envers les autres et
soi-même.
d) L’affectivité en question. Cette attente des traits de caractère vertueux pose les
problèmes de l’affectivité (dernière page du texte). La vertu ne va pas sans émotion
(avec Aristote déjà – pitié et indignation face à l’injustice par exemple). Cela rejaillit
sur les émotions qu’on attend des autres. Attente d’une communauté d’affections.
Hursthouse accrédite une version aristotélicienne de la vertu (dernier paragraphe du
texte) le concept de vertu est le concept d’une chose qui rend celui qui la possède,
bon.
Reprise d’une notion de vertu potentiellement incompatible avec le platonisme au
sens où Platon, la vertu :
o Pas une disposition, mais un savoir
o Ne s’accompagne pas de véracité, mais EST exigence de vérité tout court
o Ne s’acquiert pas à travers l’existence de modèles de vertu, car ce ne sera
jamais suffisant, car il faut être en mesure de les définir.
o L’affectivité et la vertu ne font pas bon ménage du tout.

Lire le Livre VII de l’Ethique à Nicomaque pour la prochaine séance.

Fin du cours.

Troisième cours – 26 septembre 2018.
LE MOI EN CONFLIT – Le problème de l’akrasia.
L’Akrasia : affectivité et rationalité.
Bibliographie énorme sur l’akrasia. Séance Platon/Aristote, séance suivante : auteurs
contemporains de Davidson, « Comment la faiblesse de la volonté est-elle possible ? » (sur le
net en anglais) et un article de Nomy Arpaly (en anglais) (cf. biblio dans textes 3 et 4).

Introduction : Qu’est-ce que l’akrasia ?

- 33 -



Définition générale : Agir contrairement à ce qui tout bien considéré est conçu comme étant
la meilleure action, sous l’effet d’une « passion ». Le « tout bien considéré » : c’est la clause
de Davidson.
3 citations grecques et latines qui ont posé le problème de l’akrasia. :
- Iliade : « Mais pourquoi mon cœur dispute-t-il ainsi avec moi ? » : monologue, crise
chez les héros juste avant une action. Cas de dissociation entre deux principes : le cœur
et le sujet.
- Deuxième citation : à partir de ce cas, Descartes et Leibniz vont élaborer le paradoxe
de l’incontinence de la volonté. « Oui, je sais que ce que je vais oser commettre est
mal (καὶ μανθάνω μὲν οἷα τολμήσω κακὰ) // Mais mon cœur gouverne mes desseins
(θυμὸς δὲ κρείσσων τῶν ἐμῶν βουλευμάτων) // Lui, cause des pires maux pour les
mortels (ὅσπερ μεγίστων αἴτιος κακῶν βροτοῖς) » (Euripide, Médée, 1279-1281)
Médée arrive avec Jason en exilé, Jason va épouser la princesse. Médée jalouse, tue la
princesse avec une robe empoisonnée, et tue les enfants que Médée avait eu avec
Jason.
- Troisième citation : « Video meliora proboque, deteriora sequor ». Je vois le meilleur
et je l’approuve, je fais le pire. (Ovide, Métamorphoses VII 20).


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a. Conflit moral grave : paradigme de Médée.
Réf. Le dilemme du tramway :

Je connais ce qu’il faut faire : me taire et laisser Jason avec la princesse. Elle l’approuve, mais
poussée par la colère e tla jalousie, elle tue ses propres enfants.

b. La faiblesse de la volonté
En Grèce, parler de volonté ce n’est pas simple. La tradition (Descartes, Leibniz, Spinoza) a
transformé le paradigme de Médée en paradigme de faiblesse de la volonté.
Bartelby de Melville. Clerc dont la volonté est quasiment nulle, refuse les travaux que lui
demande son employeur, notaire. « i would prefer not to ». « Poussé » par son aboulie,
Bartelby devient une figure d’absence ou de faiblesse de la volonté.

c. « cool akrasia »
Akrasia qui n’implique aucune forme d’émotion au cours de l’action. Chez Davidson, exemple :
X se couche et se dit que tout bien considéré, il n’ira pas se laver les dents – et il se lève pour
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aller se brosser les dents. Cas d’akrasia ni grave, ni moral, ni sanglant, qui n’est pas un cas de
faiblesse de la volonté. Davidson appelle ça un paradoxe de la volonté au niveau logique.

d. L’akrasia de l’addiction.
En psycho comportementale, beaucoup de recherches. Je sais que c’est mal de fumer, mais je
fume quand même : ce n’est pas un cas d’akrasia tranquille, c’est le phénomène d’addiction
qui conduit à faire de genre d’actions un comportement habituel.
C’est un cas spécifique : dans les trois premiers cas, on se focalise surtout sur la contradiction
entre la règle que j’approuve et que je sais être meilleure et la prémisse que je suis alors que
jais que c’est la pire. Dans le cas de l’addiction, elle aurait cette spécificité supplémentaire que
l’action que commets n’est pas nécessairement liée à une simple proposition (j’approuve qu’il
est mauvais de fumer), mais c’est un comportement qui est compulsif, donc peut-être pas
quelque chose de l’ordre de la rationalité.

e. L’akrasia inversée.
Aristote cite deux fois le cas de Neoptolème, persuadé par Ulysse de livrer Philoctète. Il
accepte, mais par répugnance au mensonge, il ne la livre pas.
Chez les contemporains exemple d’Huckleberry Finn, résolu de dénoncer la fuite de Jim, ment
pour protéger son ami. Contre sa volonté, il protège son ami fuyard.

Le cas de l’akrasia : paradigmatique de la liberté humaine.

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Pourquoi parler de l’akrasia ?
Bon point de départ pour articuler anciens et contemporains :
a. Dans quelle mesure l’émotion ou l’affection sont-elles des « passions », ie ds quelle
mesure on prive l’agent de toute forme d’agentivité dans son action ? On le prive de
responsabilité, mais pire encore d’intentionnalité. L’agent sans ressource par rapport
à l’unité de son moi du fait qu’un principe extérieur agit. On est dépossédé de sa
propre action. Hétéronomie kantienne : on se laisse guider par quelque chose d’autre
de ce pour quoi on est un sujet moral.
b. Degré de « rationalité » de l’émotion ou de l’affection. Entre rationalité et irrationalité.
Depuis 50 ans, émotions nécessaires à la vie humaine pour la cohérence de son action.
Souvent même des adjuvants à la rationalité, voire elles sont des signes et des
incarnations de la rationalité.
c. En quoi émotion et affection, élément inhérent à la délibération pratique. On a
l’habitude, antiquisants, de parler de la délibération pratique à un niveau logique. Or,
ce n’est pas ce que nous disent les textes anciens (en particulier Aristote), de plus peut-
on parler de délibération pratique s’il n’y a pas une affection ou émotion qui rentre
délibérément en jeu.


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1. PLATON, DU PROTAGORAS A LA REPUBLIQUE.



1. A. L’IMPOSSIBILITE DE L’AKRASIA DANS LE PROTAGORAS



Texte distribué, Protagoras, 325a-355c
Thèse : thèse du désir rationnel. Mouvement, désir ou jugement réductible en un logos qu’on
peut justifier, toujours orienté vers le bien. Si vicieux, c’est qu’on se trompe. Il y a des erreurs
de jugement, et c’est ce jugement qui est en cause dans ce mouvement, désir.
L’autre point dans le Protagoras : Socrate se pose comme un savant contre le « discours
populaire » qui présente l’akrasia comme un confit de forces psychiques non maîtrisables.
Akrasia : être vaincu par soi-même ou ses propres désirs.
Troisième point : l’agent est-il unifié ? Si oui par quoi, étant donné qu’on postule homogénéité
des actions et des passions de l’âme ? Pour Socrate (dans les premiers dialogues), thèse : âme
se réduit à quelque chose qui est sa meilleure partie, à savoir le logos. Le moi se définit par
son âme (non par son corps), donc par sa raison. Platon dit que tout est homogène : quand
vous désirez, quand vous savez,… en réalité, chaque action et chaque affection doit être in
fine comparable. Donner une définition du courage n’est pas la même chose qu’être
courageux, néanmoins in fine on doit trouver un principe pour faire correspondre la définition
du courage et le fait d’être courageux, car il y a homogénéité des actions et des passions de
l’âme.

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La citation résume les trois points.

La thèse est très radicale :


Le pathos (ex. la colère) en cause dans l’akrasia, provient d’un choix défectueux qui est une
forme d’ignorance. Par ailleurs, l’agent agit suivant ce qu’il pense être la meilleure option à
tout moment. Bien que l’agent pense être vaincu par le plaisir, en fait il poursuit son bine :
c’est juste un erreur d’évaluation en matière de plaisir et de peine. L’akrasia aussi
spectaculaire (ce n’est jamais que du théâtre), n’est jamais qu’une espère de vice : la poursuite
du plaisir qui vous amène à l’ignorance la plus crasse.
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Commentaires :
Première phrase : formulation parfait du paradoxe de l’akrasia.
Deuxième phrase : « être plus faible que soi-même… être plus fort que soi-même » : au
moment où je me jette sur l’éclair au chocolat, il ne passe rien d’autre que : j’ai commis un
calcul selon lequel le bien sera maximisé au moment T qui prend la préséance sur le calcul
précédent (selon lequel il est mauvais pour moi de manger du sucre), qui s’avère être un
erreur de jugement : ignorance des conséquences à venir de mon action commise par akrasia.
Socrate vous sauve la prémisse selon laquelle je désire toujours le bien. Dans mon action, je
procède à des calculs ui ont pour vocation à « maximiser mon plaisir ». Donc, même si
j’accepte ça, lorsque que je commets un pseudo-acte d’akrasia, en réalité je fais un mauvais
calcul des plaisirs et des peines.
Dernière phrase : « n’est-il pas vrai que personne… » : autre thèse. Nul ne fait le mal de son
plein gré. Nouveau problème : je fais parfois un mauvais calcul et donc je suis, de ce point de
vue, ignorant. Cette ignorance, ce n’est pas que vous n’en êtes pas responsable, mais vous ne
le faites jamais de votre plein gré, ie au moment où on commet l’action, on ne peut pas dire
qu’on a volontairement choisi le mal. Vous avez choisi ce que vous vous êtes représenté
comme un bien. Dans le cas de Médée, quand elle tue ses enfants, elle dit qu’elle s’est laissée
vaincre par ses passions, en réalité, pour Platon, elle ne s’est pas laissé vaincre par sa colère,
elle a procédé à un calcul des plaisirs et des peines qui lui o dit que tuer ses enfants était
l’expérience qui maximisait son plaisir ou son bien. Or, en relisant Euripide, on voit bien que
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cela peut être moralement inacceptable, mais c’est parfaitement et tragiquement cohérent
avec le personnage de Médée. Il ne s’agit pas d’excuser Médée, mais de dire qu’elle a
poursuivi ce qui à ce moment lui a paru être le seul bien envisageable : refuser l’exil et tuer
ses enfants.

Question : Vrai difficulté concernant le bien. Le bien : pas seulement ce qui nous apparaissait
être bien, mais le bien tout court. Dans le cas de Médée, elle poursuit objectivement le bien
quand elle tue ses enfants. Platon, en un sens, soutien cela. Imaginons que vous n’êtes pas
philosophe, le bien c’est l’agréable, vous allez quand même faire la différence entre ce qui est
un plaisir apparent et un plaisir vrai. On poursuit ce qu’on considère un plaisir vrai, le fait
même de faire cette distinction permet de dire que l’agent ne se contente pas de poursuivre
sa représentation du bien, mais un VRAI bien, même s’il n’y arrive pas. Médée a poursuivi son
VRAI bien, pas un mal. Autre exemple : au livre II de la République, Socrate : la vraie justice
donne le bonheur et un certain nombre de bénéfices. Anecdote de Glaucon : un petit berger
qui trouve anneau qui permet de devenir invisible (tue le roi et vole sa femme). Glaucon fait
la différence entre l’apparence de vertu et la vraie vertu. Pour Platon, on ne peut avoir un
vernis de vertu (si vous n’êtes pas vertueux, ayez-en au moins l’apparence : pas possible).
Même si vous dites que vous poursuivez une apparence de vertu mais votre désir c’est de
devenir tyran, en réalité vous poursuivez un bien objectif qui n’en demeure pas moins un
vrai désir de vertu, mais si c’est erroné.
Au fondement de toutes mes actions, vous avez beau ne rien savoir, au moment de l’action
vous ferez toujours la différence entre ce que vous considérerez être une apparence de bien
et un bien réel. Cette différence est le point de départ de toute l’épistémologie platonicienne.

Autre exemple : je prends plaisir au mal. Platon démontre que quand on dit çà, on ne dit
jamais rien d’autre que je poursuis quelque chose qui est la maximisation de mon plaisir,
parce que je considère que c’est exactement ça qui doit être le bien.

C’est embêtant du point de vue ordinaire (akrasia pas possible), mais cela montre que le
principe de l’action morale il doit être réduit à une seul principe de l’agent qui est celui c’un
calcul du bien ou de la perception de mon bien. Si on admet ça, on est coincé avec l’akrasia.

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Même si on accepte ce principe très simple de bonheur comme calcul coût/bénéfice, dans le
cas de Médée, Socrate dit : bon, un plaisir et une douleur sont plus intenses sur le moment,
mais un logos face au calcul du plaisir et de la douleur, le fait que ce soit éloigné ou près cela
revient au même, c’est du plaisir ou de la douleur, donc vous êtes capable de calculer ou vous
ne l’êtes pas. La seule chose qui va pouvoir vous sauver, c’est une métrétique.
La réfutation de Socrate sera toujours la même : que ce soit proche ou lon, c’est pareil, celui
qui se fait influencer par le proche ou le loin, c’est juste à quel point vous faites attention à la
sensation ou pas. Quand l’éclair au chocolat est près on est tenté, mais Socrate dit que cela
n’a rien à voir avec la proche ou le lointain, c’est juste un rapport avec la sensation. Rapporte
toi à ton logos et tout ira bien.
On ne pourra pas parler d’akrasia chez Médée.
Autre forme de réponse : parfois Platon s’intéresse s’intéresse au processus du regret
(métaméléia). Chez Médée, pas de métaméléia : pas de regrets. Cela ne veut pas dire qu’elle
ne s’est pas trompée, ça veut juste dire qu’en un certain sens, Platon a raison, pas d’akrasia.


Article de Terrence Penner et Carone qui s’appuient sur Davidson. Pour ces deux auteurs,
Platon va distinguer 4 cas d’akrasia et va en réfuter 3.
a. 2 cas diachroniques (à des moments différents).
Relevant de l’opinion : à un moment donné, je pense que je ne dois pas manger
d’éclair au chocolat parce que c’est mal pour ma santé. Instant T1. A l’instant T2, il y a
une opinion qui dit que le sucré est agréable et bon pour maximiser mon plaisir. A
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l’instant T2, je mange l’éclair. En ce sens précis, il y a un acte qui ne se produit pas en
même temps. Je vois le meilleur en T1 et je fais le pire en T2 : akrasia diachronique.
Changer d’avis tous le temps, si je n’ai que des opinions. C’est ce que Platon appelle
non pas akrasia, mais inconstance. C’est le cas le plus fréquent.

Relevant de la raison : imaginons que j’ai un savoir bien ancré et non pas des opinions.
Le savoir peut-il être mis en échec dans la durée du fait de la densité des plaisirs,
lorsque je suis un sage. Platon : impossible, pas d’akrasia diachronique chez le sage,
incorruptibilité du savant. Si jamais je pensais que je suis savant et que je subis
l’intensité d’une affection, c’est que je ne suis pas un savant. Ni Platon, ni Aristote, ni
les Stoïciens : impossible.

b. 2 cas synchroniques :
Relevant de l’opinion : imaginons que c’est au même instant T que j’agis. J’ai une
opinion sur le bien qui est directement contradictoire avec une autre opinion que j’ai
sur le bien. Platon répond : ce n’est pas possible. Pas en même temps, c’est un
paradoxe logique. Si je fais le calcul jusqu’au bout, si j’homogénéise tout, je dois
arriver à UN jugement d’action.
Relevant de la raison : a fortiori, le savoir ne peut pas être mis en échec par une
formulation directement contraire pour guider l’action : paradoxe logique. Impossible.

Qu’est-ce qui va nous sauver ?


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Ce qu’il faut faire selon Socrate, c’est calculer, calculer, calculer. Dans le Protagoras.
« dans nos actions les grandes dimensions » : ie ce qui maximise mon bien.
Puissance de l’apparence vs art de la mesure. Il faut développer un art de la mesure : au
minimum, un calcul du plaisir et des peines. Au mieux, un savoir définitionnel de ce qui est
bon et de ce qui est mauvais. Cette métrétique nous permet d’homogénéiser toutes nos
actions et toutes nos passions dans l’âme : réduire tout à un seul critère.
Si on réussit, cela signifie alors que le savoir lui-même (le calcul) a une force sur nos
affections. Cela ne va pas de soi : que ce sache que l’infanticide est répréhensible n’empêche
pas Médée d’être emportée par son thumos. Comment on fait pour que ces délibérations
aient une force sur son affecation ? Réponse : homogénéiser raison et passion en vertu d’un
seul et même critère. Cela veut dire que dans le Protagoras, Platon nous livre ce que les
contemporains appellent une théorie cognitiviste de l’action : ie, à force d’homogénéiser et
de vous exercer, vous allez finir par faire que votre savoir, qu’il s’agisse d’une méthode Coué
ou d’un vrai calcul, va avoir une réelle influence sur l’ensemble de vos pratiques et habitudes.

Question Cognitivisme ? Une théorie selon laquelle derrière toute manifestation d’une
affection ou d’une passion, il y a une opération cognitive de la réalité. J’ai une saisie de la
réalité qui est un processus cognitif.

1. B. LA REPUBLIQUE : L’AKRASIA ET L’AME TRIPARTITE
Changement du Protagoras à la République (cf. texte distribué) : on passe d’une bipartition
(l’âme contre le corps ; raison vs désir) à une tripartition exclusivement psychique (Livre IV).
Socrate distingue trois parties ou fonctions ou espèces.


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- L’espèce désirante : le désir : boire, manger, avoir des rapport sexuels. Puis le désir
d’argent. 4 désirs épitumétiques.
- L’espèce rationnelle : le logos. Partie d l’âmee grace à laquelle, je raisonne, je calcule
et je connais.
- L’espèce « intermédiaire » : le thumos. Espèce intermédiaire : fonction ardente de
l’âme au milieu des deux.
Les enjeux de la tripartion :




1. Platon abandonne dans la République l’intellectualisme socratique. En fait, il dit que :
il y a des cas où la vertu n’est pas seulement un savoir, car trois fonctions s’opposent.
Donc, l’idée que plus on calcule, plus on va obtenir le bien, cela ne marche pas, car :
2. En introduisant dans l’âme une multiplicité fonctionnelle, Platon abandonnerait la
distinction entre vertu démotique et vertu du philosophe.
Lecture du début du texte : la tripartition de l’âme. (République IV, 436a)
- 45 -



Interprétations infinies. Pas une vraie alternative : « ou alors… ».
Si on croit qu’il y a une alternative :
- On a trois parties de l’âme avec trois genres d’action
- Ou alors on a un Moi qui agit à chaque fois avec une sorte de pulsion ou d’élan.
L’alternative, Moi éclaté en trois : l’objectif serait de le réunifier (fonction de la vertu) ou alors,
j’ai un Moi unique.
Le cas « Léontios »



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« désir de regarder » : epitumia. Désir morbide ou autre type de désir ?


Akrasia synchronique : entre subjugation et aversion. Il aurait résisté et se serait voilé le
visage, mais subjugué il ouvre les yeux.
Il y a un cas d’akrasia car Léontios a une opinion sur le bien : ne pas regarder les cadavres par
pudeur. Pourtant, il suit une autre opinion, le désir de regarder : akrasia, car au-delà du dégoût
il est en colère et s’adresse en lui-même une remontrance. Il s’adresse à ses yeux comme
métonymie (on désigne le tout par sa partie) de son désir.



On va avoir une vraie difficulté de l’interprétation de la tripartition.
1. On considère que chez Platon, chacune des fonctions (désir/colère) sont deux
fonctions de l’âme, donc deux agents. On a affaire à un Moi éclaté, dont chacune des
raisons est justifiable : l’akrasia est possible. Théorie des homoncules. Si forces
irrationnelles, on peut aller jusqu’à dire qu’on ne peut rien faire…
2. Deuxième théorie : en fait ce qu’on décrit, ce n’est pas du tout qu’il y a un Moi éclaté.
Platon n’arrête pas de dire que Moi, c’est une seule chose. A charge pour moi de me
réunifier. Donc, le cas Léontios : pas plusieurs agents : une structure globale
psychique. Chacune des fonctions n’a aucune autonomie de quelque forme que ce
soit dans cette structure intentionnelle. Du coup, Léontios a un désir morbide. A partir
de ce désir, opinion selon laquelle « satisfaire l’ensemble de mes désirs est une bonne
chose », et puis comme Léontios, c’est un pauvre gars (non philosophe), il en appelle
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à un code de l’honneur pour essayer de lutter contre ce désir. On a : un désir qui a une
certaine fonction dans l’âme. La fonction ardente qui a la fonction de réduire ou
modifier l’intensité de ce désir. Et une raison qui quelque peu absente dans ce cas.
Donc l’akrasia logique demeure impossible : le conflit psychique c’est juste le signe
d’une instabilité de caractère : on est tous plus ou moins des honnêtes gens, on a une
respectabilité, mais parfois des situations contrefactuelles où la connaissance que j’ai
de ces normes n’est pas suffisante pour faire barrage à des prémisses ou opinions
d’action qui me conduisent à maximiser mon plaisir et mon désir.

C’est la raison pour laquelle Platon nous dirait : l’akrasia, c’est impossible, par contre
l’inconstance il y en a tout le temps, et ce qui arrive dans le livre IV ce n’est pas l’akrasia,
mais des exemples de vertu imparfaite. Léontios, en colère, puis l’exemple des enfants, puis
l’exemple d’Ulysse (fin de l’Odyssée, les prétendants qui dilapident ses richesses : colère
intense. « Doucement mon cœur, on a connu pire tourment » : la raison calme sa colère. Pour
mieux faire son calcul, il reporte un moment son désir de vengeance pour les tuer tous d’un
seul coup à la fin. Ce n’est pas un cas d’akrasia ou de division du Moi, c’est quand dans le
cadre d’uns structure psychique intentionnelle et trifonctionnelle on est juste instable et
tant qu’on a pas le savoir (métrétique du Protagoras maintenant insuffisante) ie la
dialectique on aura ce type d’inconstance.

Fin du cours.

Pas de cours le 03 octobre.







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Quatrième cours – 10 Octobre 2018.



LE MOI EN CONFLIT – Le problème de l’akrasia. SUITE de la séance 3.

Après Platon, Aristote. A partir de l’Ethique à Nicomaque, VII

2 ARISTOTE, ETHIQUE A NICOMAQUE, VII.
2. A. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU LIVRE VII
Livre entièrement consacré au problème de l’akrasia. Quelques éléments sur la psycho de
l’action chez Aristote.



Une action est détaillée en trois composantes, sachant que dans une action ces éléments sont
solidaires les uns avec les autres :
- Désir : orexis. Traduit parfois en « tension vers », un « élan » vers le bien. Livre I et II
de l’Ethique à Nicomaque, on retrouve les caractéristiques.
o Epithumia : le désir de boisson, faim, sexe, argent. Le désir concupiscible.
o Désir des honneurs : la partie intermédiaire de l’âme
o Désir de la partie rationnelle de l’âme

Quant Aristote parle de l’action en général, quelque soit la fonction de l’âme impliuée, l’orexis
est toujours là. Tout désir est associé à une forme de pensée qui se décline en perception,
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représentation, opinion ou connaissance. Quelque chose d’une appréhension par le désir d’un
réel environnant qui vous fait aller vers le bien.

- Délibération : bouleusis. Forme générale très simple, syllogisme pratique. Une
majeure universelle, une mineure particulière et une conclusion qui est l’action.
Tout ce qui est protéiné est bon pour la santé
Voici un steak
Je mange le steak
Syllogisme : dans les Seconds Analytiques d’Aristote. Syllogisme scientifique. Dans
l’Ethique à Nicomaque, il le transfère au domaine du faisable : syllogisme pratique :
toute action est le résultat d’un raisonnement qui va associer une majeure universelle,
une mineure particulière et une conclusion. La différence c’est que la conclusion n’est
pas une proposition, mais l’action elle-même, suite à une décision (prohairesis).

- Un processus dans l’action, à la fois intellectuel et à la fois de mise en mouvement du
corps humain qui vise à articuler moyens et fins que je vise. Conjonction du syllogisme
pratique et de la mise en mouvement = action.

L’intellect ne meut rien, comment se fait-il qu’il y a mise en mouvement ? Processus
d’articulation.
Question : concept de volonté chez Aristote ?
Premier problème avec le concept de volonté : concept latin voluntas opérant chez
Thomas d’Aquin, qu’on va retrouver au carrefour chez Aristote de la prohairesis et de la
boulèsis (souhait). Tout dépend de ce qu’on appelle volonté.
Si volonté entendue comme processus par lequel je commets une action consciente par
rapport à un ensemble de propositions faites pour agir : prohairesis, ie la décision.
Si volonté entendue comme ce que je veux, ce que je désire, à tout prix : orexis.
Autre distinction chez Aristote : actions volontaires et actions involontaires : les actions
commises malgré soi, parce qu’on en est empêché par des conditions matérielles
extérieures (ex. j’entame un mouvement, je suis contraint) : action involontaire.
Lorsque je commets une action où rien ne m’empêche d’élaborer les moyens en vue de
ma fin : action volontaire.
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Le concept de volonté est ici plus simple : l’action volontaire est l’action qui trouve sa cause
motrice dans l’agent et pas à l’extérieur.
Compliqué : volonté => pas de traduction grecque. Ce que nous appelons action volontaire
va se retrouver dans plein de champs différents. Pas de volonté cartésienne chez Aristote,
de même la question du libre-arbitre (pas la même conception du possible).

La prudence (ou sagacité). Phronesis.


La situation articule bien les éléments de la psychologie de l’action. De manière
générale : triple distinction entre l’homme sagace, l’homme de bon conseil et l’ignorant. Elle
met en jeu différentes manières de se rapporter à chacun des éléments de l’action.
L’homme de bon conseil : celui capable d’atteindre ce qui a mieux pour l’homme. Capacité à
bien délibérer. Capable de faire un bon raisonnement. Tradition du conseiller du prince. Maisn
on en reste à la simple potentialité d’agir. Il délibère mais n’agit pas.
L’ignorant, par contraste, peut être supérieur à l’homme de bon conseil, car il a l’expérience
(empereia). Il agit, éventuellement sans être capable de raisonner. Exemple de la santé pas
pris au hasard (grand exemple platonicien qui distingue deux formes de médecines : le
médecin qui produit une médecine théorique et les assistants qui donnent des diètes par
routine et expérience).
L’homme prudent ou sagace va conjoindre la qualité des deux précédents. Il associe à chaque
fois une délibération sur une action exécutable possible. Désir qualitativement meilleur que
l’homme ignorant. Cela nous amène à articuler deux types de connaissance (dernière phrase) :
connaissance universelle et connaissance du particulier.
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Parenthèse sur l’homme prudent.
Toujours chez Aristote, grand écart par rapport à Platon et tradition continuée.
Tradition continuée : l’homme prudent possède une certaine forme de connaissance (tirée du
côté du faisable) : très platonicien. Mais grand écart quand Aristote dit que la connaissance
de l’universel ne suffit pas et que l’expérience est un élément absolument essentiel d’une
bonne délibération.

Question : Le problème de la suspension du jugement ne peut pas définir l’homme sagace
chez Aristote. La sagesse pratique de l’homme sagace, c’est un homme d’action au sens
éthique et politique. On n’est pas chez les sceptiques.
Aristote dit que les hommes d’âge mur sont trop prudents et n’agissent pas. Problème quand
on est trop dans la délibération et la suspension du jugement et qu’on n’agit pas.

Akrasia et délibération.



Citation de Morel : ne retenez pas d’Aristote que le syllogisme pratique est l’alpha et l’oméga
de sa psychologie de l’action, c’est un outil heuristique pour décrire les éléments qui
n’apparaissent pas de manière consciente et analytique dans l’action elle-même.
Chaque action ordinaire ne va pas impliquer une délibération de type syllogisme pratique.
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Donc, dans le livre VII, l’akrasia elle-même c’est pour Aristote un moyen de revenir et de
confirmer les différences potentielles qu’il peut y avoir dans l’action au sein des éléments
de la délibération. L’akrasia est un phénomène exceptionnel qui va révéler des différences
dans des manières de se rapporter à la connaissance universelle, à la connaissance du
sensible. De la même manière que le syllogisme pratique est un outil, de la même manière
l’akrasia qui fait intervenir le syllogisme pratique est le cas exceptionnel où le syllogisme
pratique ne fonctionne pas.

L’akrasia est un débat interne au sujet : une situation exceptionnelle, conflictuelle et qui est
grave. (pas la « cool akrasia » de Davidson).


En gras, les deux chapitres à lire, chapitre 5 et 7.
Chapitre 1 et 4 : position des problèmes et doxographie, puis déploie méthode
diaporématique, ie exposé des apories suivi d’une esquisse de solutions.

Les chap 1 et 2 : Aristote établit une espèce d’échelle entre la perfection divine et la bestialité
qui sont les deux grands pôles dans lesquels se distribuent vertus et vices, et la continence (la
maîtirse de soi) et l’incontinence (l’akrasia).
Echelle : Perfection divine, vertu, continence, incontinence, vice, bestialité.
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Echelle spécifiée par Aristote, l’akrasia ne concerne pas tous les domaines de la vie pratique,
mais les domaines de la tempérance et de l’intempérance, ie les plaisirs de la faim, soif, sexe
et argent.
Selon Aristote, l’akrasia, c’est la capacité de l’agent à maîtriser un certain type d’orexis :
l’epithumia (les appétits). Les autres ont une forme cognitive trop complexe pour rentrer dans
le domaine de l’akrasia.

Première aporie : comment se fait-il qu’une science, qu’un savoir peut être mis en échec dans
l’action ? Reprise de l’aporie socratique issue du Protagoras. Aristote nous dit deux choses :
- Que Socrate propose une thèse extravagante selon laquelle l’akrasia n’existe pas, cela
est contredit par l’expérience
- Pour autant, Aristote refuse en accord avec Platon que la science véritable, celle du
prudent, est mise en échec par faiblesse et par dévoiement de cette science à cause
d’une affection.



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Commentaires.
Premier paragraphe.
Dans ce texte, Aristote invoque une raison qui n’est pas épistémologique ou logique. Pour lui,
ce n’est pas parce que vous avez un savoir ou une simple opinion sur la règle universelle de
l’action que l’akrasia marche ou ne marche pas. Pour Aristote, c’est un argument
motivationnel. Opinion ou savoir, cela a exactement le même effet, la même force, la même
valeur dans l’action. La preuve : ceux qui savent et ceux qui ont une opinion tiennent à leur
opinion ou à leur savoir exactement de la même manière, d’un point de vue motivationnel :
c’est identique.
Donc, la solution qui consiste à dire : on a une akrasia parce qu’on a une simple opinion et
pas le savoir, cela ne tient pas pour Aristote.

Second paragraphe : prémisse d’une solution.
L’akrasia est le fait d’un manque d’intention et d’une forme d’éclipse de la raison, un oubli
de la raison.
Aristote va porter l’examen sur le savoir lui-même, en posant une différence que Socrate
n’aurait probablement pas accepté. La différence entre savoir universel et savoir particulier.
« Cependant … pas le cas de celui qui est inattentif ». Le critère de l’akrasia c’est
l’intentionnalité de l’agent. Si on veut qu’il y ait une akrasia, il faut au moins qu’on puisse dire
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qu’il y a intentionnalité de l’agent, que l’agent voulait faire cette action. Tendu vers cette
action. Ce n’est pas seulement le fait d’être conscient, cela a à voir avec l’objet de l’action.
« Celui qui possède la science, mais qui n’en fait pas l’usage » : celui qui a le savoir en
puissance, mais qui n’en fait pas usage. Cette différence de « en puissance » et « en acte »
est mise à contribution pour une distinction encore plus fine dans le domaine de l’action : Il
y aura akrasia si et seulement si on considère qu’un agent non seulement a un savoir ou une
opinion « en acte », mais qu’en plus il fait cette action intentionnellement.

Suite :



Première solution : l’akratique c’est celui qui a une règle générale (« tuer ses enfants est
mal » cf. Médée) mais c’est celui qui ne va pas reconnaître dans la prémisse particulière le
fait que cette situation doit se rapporter à la règle générale.
Manque d’attention par rapport au réel pratique. Médée quand elle voit ses enfants ne voit
pas ses enfants, ce sont des instruments pour se venger de Jason. Elle ne peut rapporter le
fait de tuer ses enfants à la règle universelle.
Echec de l’agent de rapporter la prémisse particulière à la règle générale. Il y a évidemment
des cas où cela s’explique assez facilement : l’exemple de l’aliment sec.

De toute évidence la première solution donnée par Aristote ne peut pas marcher (cf.
Médée). Il ne s’agit pas d’un manque d’attention, il est impossible que Médée ne voit pas ses
enfants quand elle les tue. Ce n’est pas une incapacité de sa raison pratique à rapporter la
mineure à la majeure.
Il y a une deuxième solution : l’éclipse de la raison.
- 56 -



Quand on dort : exemple du géomètre endormi de la Métaphysique et du De Anima
Quand on délire : tragédie. Ajax qui voulant massacrer, pour se venger d’Ulysse, ses
compatriotes, Athéna lui brouille la vue et commet une hécatombe, ce qui l’amènera oà son
suicide. Œdipe possédé par Apollon etc…
Quand on est ivre : action ordinaire.
La solution de l’akratique : il se trouve dans une solution analogue au dormeur, au fou, à
l’ivrogne. Il n’est pas fou, il est dans un état où sa raison est éclipsée dans son
fonctionnement quand bien même le savoir serait bien là, en puissance (et non en acte).
Analogue ? l’akratique est bien en possession de la règle universelle, sauf que cette règle
universelle n’est pas acquise, assimilée. « Cela demande du temps ».
L’akratique est celui qui a un savoir non acquis, et donc une raison occultée. Le caractère
spectaculaire de l’akrasia est donc analogiquement présenté avec celui de l’acteur qui débite
des vers (comme des règles universelles), sans incarnation.
John Mc Dowell, philosophe contemporain, et son concept « d’embodiement », incarnation
d’un savoir sinon cela n’a pas de valeur.

- 57 -



Donc, après la 1 et le 2, 3 : l’akrasia suppose une prémisse universelle implicite.



- 58 -

Ce qui est en jeu, c’est tout simple. C’est la sensation, et partant la représentation qui va
être responsable de la formulation d’une prémisse mineure dans la délibération pratique.
Ex. Je vois des bonbons.
Deux prémisses universelles : « Le sucre est mauvais pour la santé » vs « Tout ce qui est doux
est agréable »
Je suis poussé par mon epithumia (j’ai faim). J’ai donc une sensation qui met en branle la
mémoire, la perception. Je me représente quelque chose qui est doux, donc agréable. Donc,
je viens tout de suite à ma prémisse universelle. Je rapporte le paquet de bonbons à la
prémisse universelle selon laquelle le doux est agréable.
C’est la puissance de l’appétit - qui fait que je vais agir de manière akratique - et pas un
problème logique d’opposition entre deux prémisses universelles.
Akrasia : car normalement, je devrais me référer à la supériorité de la prémisse « le sucre est
mauvais pour la santé ». Donc il n’y pas erreur de délibération pratique, il y a juste
« accidentellement » opposition entre deux prémisses universelles : incapacité de l’agent à
peser l’intérêt de deux prémisses universelles dans l’action.

Donc l’akrasia suppose une prémisse universelle implicite et accidentellement contraire à la
prémisse universelle qui aurait dû guider l’action.



La science est sauve : jamais la science ne peut être mise en échec par une passion. En cela
Aristote est tout à fait socratique. En revanche, l’akrasia est possible parce que l’akratique
articule mal la connaissance sensible avec la connaissance universelle.


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Commentaire :
Premier problème : l’akratique a une connaissance simplement verbale de la prémisse
universelle. L’akratique croit à une opinion, qu’il a une prémisse universelle aussi forte voire
plus forte que l’autre prémisse universelle qui aurait dû guider l’action. D’où vient
l’universalité de cette prémisse ? Du désir (« tout ce qui est doux est agréable »). Le problème,
c’est cette prémisse universelle suit un ordre qui n’est pas aussi scientifique que « le sucre est
mauvais pour la santé ». Il y a une illusion de scientificité pour la prémisse « tout ce qui est
doux est agréable », sauf qu’il ne s’agit pas d’une science au sens scoratique du terme ;
Le problème est résolu pour Aristote : celui qui est akratique, c’est celui qui s’est donné
l’illusion d’une science universelle au moment d’agir avant de regretter son action.

Deuxième problème : quelle est cette connaissance sensitive ? Pour Aristote (La
Métaphysique), il n’y a de science que de l’universel, il n’y a pas de science du particulier, ça
n’existe pas. Ce n’est pas un gros problème. Quand Aristote parle de connaissance sensitive,
il s’agit vraiment de la reconnaissance par toutes ses facultés sensitives, mémorielles,
représentative et de ce fait rationnelle, pour rapporter un cas particulier (un ceci) à quelque
chose qui a une forme qui a le caractère de l’universelle. Subsumer un cas particulier sous un
cas général.
L’homme akratique pour Aristote a le problème suivant : il dissocie les deux sciences :
connaissance universelle et connaissance sensible. Il n’y a pas de réciprocité dans sa
délibération entre particulier et universel. Il s’agit bien d’un échec de la raison face à
l’affection, au sens où je ne me suis pas exercé à rapporter ma connaissance sensible à la
droite règle.
Pour Aristote, la différence entre le continent et l’incontinent, elle va pouvoir être très mince
selon les cas ; Le continent, ce n’est pas un vertueux, il va ressentir un conflit aussi fort que
l’akratique, mais l’action va être moins grave que pour l’akratique, parce
qu’accidentellement l’action du continent va suivre la droite règle. Le vertueux, lui, fait en
sorte que la connaissance de la règle universelle a une incidence directe sur sa connaissance
sensible. Le continent et l’incontinent vont avoir une connaissance sensible qui vont aboutir à
une règle universelle contradictoire avec la droite règle.
- 60 -

Se mentir à soi-même, inventer des raisons pour justifier des actions, c’est contemporain.
Aristote en parle peu, sauf de manière incidente pour l’amitié quand il pose la question de
savoir si on peut être ami avec soi-même, avoir une relation réflexive avec soi.

Pause



Le chapitre 7 de l’Éthique à Nicomaque.
Statut particulier de ce chapitre. Pour Aristote, l’akrasia liée au domaine de la tempérance et
de l’intempérance, ie au appétits concupiscibiels (aux epithumia). Et pourtant, il consacre un
chapitre à la colère pour traiter de ce problème de l’akrasia. Pourquoi est-ce qu’il traite de ce
cas d’akrasia dérivée ?
• Le paradigme de Médée, car de fait l’akrasia c’est les grands conflits tragiques. De
fait, on sait qu’Aristote va en parler (comparaison akratique et acteurs de théâtre)
• Aristote dans le chap II à V a le Protagoras de Platon en vue. Il s’agit une akrasia par
plaisir. Or, Aristote n’ignore pas du tout que Platon traite d’une autre forme d’akrasia
au livre IV de La République, le cas de Leontios qui par colère agit mal, certes, mais est
capable de s’opposer à ses propres désirs. Or, Arisote fait jouer deux Platon, le
Platon/Socrate du Protagoras (akrasia impossible) et le Platon de la République pour
qui l’akrasia est possible par la tripartition de l’âme.
- 61 -

• Aristote réserve un traitement spécial à certaines émotions ou affections (pathos :


couvre toutes les affections corporelles tout aussi bien la colère, la honte, etc…). Or, il
y a bien une spécificité à certaines pathè : les « émotions ou affections morales » car
elles ont une relation avec les règles universelles morales qui me font agir et qui ne
sont pas réductibles à de la simple sensation. Une sensation au goût n’a pas la même
importance qu’une sensation d’injustice.

Ça justifie qu’Aristote réserve un sort particulier à la colère.


Une akrasia « moins laide » ?
Présentation de la colère (ardeur) de manière platonicienne et peu flatteuse : métaphores des
serviteurs et des chiens. L’ardeur est bête, pas présentée de manière positive. Éléments
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directement hérités de Platon. Cette ardeur est capable de mettre à disposition le corps à
l’âme rationnelle lorsqu’une injustice est perçue (Timée, 71e).
- Spontanéité violente : percevoir un ordre, mais pas saisir un commandement. Ici, la
colère semble avoir la capacité de percevoir douloureusement une forme de
dépréciation liée à son honneur ou à l’honneur des proches.
- Spontanéité violente, certes, mais une certaine sensibilité à la justice. Phrase
contradictoire à première vue « comme si elle avait inféré… » : la spontanéité de
l’action, mais « néanmoins », raisonnement pratique qu’on va pouvoir attribuer à la
raison. Justification de cette violence : tout honneur doit être lavée etc… Ex. précis, les
premiers vers de L’Iliade quand Achille en colère souhaite combattre, mais Athéna
arrive.


L’ardeur est quelque chose de naturel, de plus naturel que les appétits. Aristote prend des
exemples dont il sait qu’ils sont étranges. Présentation absurde de la plus grande naturalité
des impulsions violentes.



- 63 -



L’accès de colère est moins grave que l’akrasia par appétit. Celui qui est poussé par les
appétits, il raisonne, il asservit son raisonnement à son appétit. Par haine, on exprime son
ressentiment. Dans le cas de la colère, on est dans une immédiateté plus saine, plus morale
aussi grave que l’action puisse être. Peut-être moins grave que celui qui l’aura fait par haine
(il aura préparé son action).
Ensuite, Aristote nous dit que celui qui a un caractère colérique, ce n’est pas tout à fait la
même chose que celui qui a un accès de colère. Le colérique c’est un caractère durable.
Distinction du colérique de celui qui a un accès de colère.
Autant on excuse la naturalité de l’accès de colère, autant ce n’est pas le cas chez le colérique.
La colère ne calcule pas son plaisir et sa peine et en ce sens l’accès de colère est plus
morale que la haine : akrasia moins laide.












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3 LA RÉCEPTION CONTEMPORAINE DU PROBLÈME DE L’AKRASIA



Littérature immense sur l’akrasia. 3 points pour justifier l’intérêt des contemporains pour
cette reprise pour l’akrasia.
- B. Williams : Les contemporains n’ont pas vu que l’akrasia était un problème éthique
et non un paradoxe de la rationalité. Les Anciens c’est utile pour voir ce qu’est un
agent moral et une manière de nous guérir de nos propres maladies analytiques et
wittgensteiniennes, c’est de plonger chez les Anciens et de voir leurs préoccupations
directement morales de problèmes.
- A rebours de Williams, article de Davidson de 1970. « How weakness of will is
possible », il sort l’akrasia d’une interprétation morale et considère trois points :
o Le lien logique entre des croyances contradictoires
o Le lien entre jugement et action (la motivation) : c’est très aristotélicien
o Se focalise sur le problème d’une bonne explication de l’action. Akrasia :
exemple type comment on peut dire que ces actions n’ont pas d’autre
explication que celle-ci : elles n’en ont pas. L’akrasia existe, mais si vous
cherchez une explication rationnelle, il n’y en a pas.
- 65 -

- C’est un problème sinon logique, au moins méta-éthique (ie on ne prend pas position
sur la réalité, la subjectivité, l’objectivité des valeurs, on donne simplement un cadre
théorique où on répond à la question de savoir comment une action morale est-elle
possible ? Comment une valeur existe-t-elle et est-elle efficace ?) dans le cadre d’une
théorie de l’action générale. Davidson fait de la méta-éthique de manière évidente
et surtout il va gommer une distinction qui a cours chez les Anciens entre une
proposition, une opinion, une croyance, une pro-attitude : croyances, désirs,
intentions, des émotions,… Pour Davidson cela ne fait pas de différence. L’émotion
perçue comme ayant une dimension cognitive ie dans l’émotion que vous avez, vous
avez une forme de raisonnement qui est à l’œuvre.

Fin de la séance

Pas de cours le 17 octobre.

Cinquième cours – 24 Octobre 2018.
Un commentaire de texte de Hume (extrait du Traité de la nature humaine) pour les
présentiels (à télécharger sur la plate-forme) est à faire avant le 5 décembre.

3 LA RÉCEPTION CONTEMPORAINE DU PROBLÈME DE L’AKRASIA

Davidson s’intéresse à l’akrasia dans sa dimension soit logique, soit méta-éthique, mais il
s’agit bien d’un problème de logique entre des croyances contradictoires. N. Arpaly, au
contraire, tout en restant dans le domaine méta-éthique interroge notre concept de
rationalité et la validité du concept de l’akrasia par Davidson.






- 66 -

3.1. DAVIDSON ET L’AKRASIA




La thèse de l’internalisme : une action est « intentionnelle » lorsque la « raison » de mon
action est aussi sa cause. Si on distingue conceptuellement raison (du côté de l’intelligible) et
cause (du côté matériel et phénoménal) : la cause est ce qui déclenche l’action (mouvement
corporel, principe interne à l’agent), alors que la raison dans l’action (explication, intention,
choix). Davidson veut dire que dès lors que je formule un jugement intelligible (qu’on l’appelle
volonté, intention ou choix), dès lors que la raison de mon action est formulée, l’action est
dite intentionnelle. On présuppose qu’il y a une causalité de l’action qui est interne à l’agent.
Conjonction entre cause de l’action et raison. On présuppose qu’il y a dans le vivant un
principe automoteur qui fait qu’il y a, à partir de la décision, une mise en mouvement
corporelle qui aboutit à l’action.
Davidson ajoute une clause : sans dire que les proattitudes (en psychologie, ensemble de
phénomènes – désirs, motivations, inclinations, tendances, certaines croyance - ) se
confondent avec l’action. Il y a une raison de mon action qui est distincte de mon action.
Il y a chez l’agent une agentivité entière, c’est l’agent qui agit, pas une force à travers l’agent.

Ensuite, pour aborder le concept de l’akrasia, Davidson établit un autre présupposé :
On doit distinguer un jugement « absolu » (« il est moralement condamnable de tuer ses
enfants » ou « le mensonge est mal »…) du jugement « tout bien considéré » (jugement
énoncé au terme d’un calcul en prenant en compte ce que vous voulez comme situation). On
- 67 -

retrouve toute une tradition chez les cyniques ou le premier stoïcisme, qui développent cette
idée de jugement « tout bien considéré » à partir de tous les tabous sociaux et moraux de
l’époque qui deviennent de purs indifférents moraux.

Question : est-ce que le jugement « tout bien considéré » demeure relatif au sens où on a
une norme qui s’énonce de manière générale, mais qui n’a aucune valeur morale ?
Oui, le jugement « tout bien considéré » reste un jugement partiel (au sens où on se dit qu’il
y a peut-être toujours un paramètre que j’aurais omis dans mon calcul des coûts et bénéfices),
qui pourtant doit prendre une forme absolue pour aboutir à l’action.

Enfin, dernier point : l’action est explicable grâce à une « raison suffisante » : c’est une
raison suffisante qui prend la forme d’un jugement « absolu » ou d’un jugement « tout bien
considéré », mais finalement cela prend la forme d’un jugement absolu.
Ex. Médée dans son monologue final dit « la colère l’emporte sur mes plans initiaux » : elle
émet un jugement « tout bien considéré » qui fiat que, en vertu d’un code de l’honneur, en
vertu de l’horreur morale que lui a fait subir Jason, elle doit trouver le meilleur moyen de punir
ses forfaits, donc elle tue ses enfants, « tout bien considéré ». Ce jugement, Davidson l’appelle
« une raison suffisante », ie le jugement explique en totalité l’action.

Exercice : en quoi ces présupposé davidsoniens pourraient à la fois s’articuler et s’opposer
à une théorie de type déontologique ? Même question pour les conséquentialistes.

Compatible avec un cadre déontologique au sens où on a une insistance sur le fait qu’il existe
une causalité intentionnelle libre qui fait que l’agent responsable de l’action se rapporte à une
Loi rationnelle (Kant). Cela se distingue au sens où Davidson n’a pas la prétention de formuler
une règle universelle qui aura nécessairement une connotation morale ou éthique au
contraire de Kant.
Le jugement partiel ou relatif : incompatible avec le kantisme. Il nous amène à quelque chose
de l’ordre de l’hétéronomie (cf. Métaphysique des mœurs de Kant).

Pour le conséquentialisme : Davidson s’intéresse à la rationalité en terme d’intentions
(comment un agent est capable de formuler une explication de son action en terme d’une
- 68 -

décision en vertu d’un jugement éthique) alors qu’une thèse conséquentialsite n’est pas
obligé de s’intéresser à l’intention elle-même et ne s’intéresse qu’aux conséquences des
désirs, motivation, etc…
En revanche, certaine compatibilité : dans les jugements partiels et relatifs qui évaluent
comparativement a et b, il y a quelque chose de l’odre calcul coût et bénéfice.


Au tout début de l’article, « comment l’action incontinente est-elle possible ? ».
Sortir du clivage : akrasia impossible logiquement et akrasia phénomène ordinaire de l’action.

Le texte présenté aboutit à la conclusion : il est faux de dire qu’il existe des actions
incontinentes (logiquement impossible). Davidson formalise le raisonnement qui aboutit à :
l’akrasia est impossible logiquement :
P1 : c’est la reprise d’une action intentionnelle libre et/ou nécessairement je suis conduit dans
chacune de mes proattiudes à faire le bien.
P2 : c’est la proposition selon laquelle la raison de mon action sera nécessairement la cause
de mon action, en terme de raison suffisante.
P1 et P2 : idée que vous êtes dans le cadre d’un conflit parfaitement logique et que si vous
adoptez la thèse internaliste, alors vous êtes obligés de dire qu’il est impossible qu’il existe de
actions incontinentes.

Second point : akrasia phénomène ordinaire de l’action.
- 69 -


Pour dépasser ce paradoxe logique, Davison va recourir à un ensemble d’images de l’akrasia.


Davidson oppose deux manières de se rapporter à l’akrasia :
Une première manière qu’il rapporte à Aristote et Thomas d’Aquin : il oppose un agent
intentionnel et un principe d’action externe à l’agent (la raison interne, la passion externe).
Ce qui nous indiquerait Aristote, c’est qu’il y aurait une décorrélation entre la raison de mon
action et sa cause : entre P1 et P2, il y a l’intervention d’une motivation pour faire y plus que
x, qui est externe à l’agent. L’agent ferait y plutôt que x de manière non intentionnelle.
Si on se rapporte à la deuxième image, Platon, Davidson trouve la deuxième image plus propre
à rendre compte de l’akrasia, car émergence d’un concept de Volonté (responsabilité de
l’agent) qui tantôt réussit et tantôt échoue à forcer sa raison à devenir la cause de l’action.

Problème : pas tout à fait exact. Chez Platon aurait été plutôt du côté d’une akrasia
impossible : opposition raison/passion.
Autre Problème : Aristote fait apparaître une occultation de la raison lorsqu’on est ivre, qu’on
dort, qu’on est en colère, un principe qui est une mise en échec de l’agent sans qu’il y ait une
concession faite à sa responsabilité. Plutôt l’image 2.


- 70 -


Deux figures de l’agent :
- Passion : agent externe
- Passion : agent interne composé de plusieurs homoncules, qui s’appuie sur la théorie
de la tripartition de l’âme. Conflit internalisé.
Les deux ne rendent pas plus possible l’akrasia.

Reformulation de ces deux images :
• « principe de Médée »
• « principe de Platon » : on suppose qu’il existe une formulation d’une raison qui est
aussi la cause de l’action, reste à savoir si maintenant elle est rationnelle.
• « principe de continence » : selon Davidson, on agit en vertu d’un jugement selon
lequel si tout bien considéré a est meilleur que b, je fais a.
Explicitation :
- 71 -



Exemple de John qui se lève pour se laver les dents, alors qu’il aurait pu rester au lit, tout
bien considéré : il se passe selon Davidson, rien de plus que John n’a pas de raison pour aller
se laver les dents.
Sauver le phénomène de l’akrasia en affirmant l’irrationalité de l’action ; c’est, non pas refuser
de répondre à la question du pourquoi de mon action, mais lui associer un principe
d’irrationalité alors même que j’affirme dans mon incontinence, l’ensemble des principes
formulés en P1 et P2 (qu’on maintient).


- 72 -

Pour reformuler de manière classique la théorie de Davidson :


Il nous sort du paradoxe logique dans lequel Platon nous a enferré. Il nous sort de l’ensemble
des théories psychologisantes (à la Platon tripartition de l’âme ou Freud, ie il y a toujours une
raison occultée, cachée, une raison suffisante qu’il faut déterrer dans la motivation dernière
de l’agent). Ce qu’il reproche à Freud, c’est de nous donner une image d’un agent moral éclaté
(homoncules) et où on tient à chaque fois à la recherche de l’action dernière qui sera toujours
rationnelle. Pour Davidson, un akratique à qui on nie le fait, dans son agentivité même,
d’imposer une cause de son action qui ne soit pas rationnelle, c’est s’interdire de faire de cet
agent un véritable agent.


3.2. QU’EST-CE QU’UNE ACTION « VRAIMENT » RATIONNELLE ? (NOMY ARPALY)

Nomy ARPALY (texte sur l’ENT). Article important mais compliquée. On ne sait pas
métaphysiquement où elle se situe.
Pour résumer :



Arpaly pense que l’approche davidsonienne du phénomène de l’akrasia nous donne une
image beaucoup trop étroite de ce qu’on appelle la rationalité. La conception davidsonienne
de la rationalité qui vous fait aboutir à des cas d’akrasia où vous n’avez pas de raison à votre
- 73 -

action akratique : pour elle, c’est une conclusion délétère aussi bien d’un point de vue d’une
théorie de l’agent, que d’un point de vue moral.
Parenthèse : elle oppose les théoriciens de la morale aux manuels de morale (les moralistes
qui donnent des prescriptions). La position qu’elle a (sans dire qu’elle est kantienne ou
conséquentialiste) : Davidson est insuffisant du point de vue de la théorie rationnelle de
l’action, justement parce qu’il ne prend pas en considération de la spécificité de l’action
morale elle-même.
Du coup, impression que N. Arpaly est relativement proche de certaines éthiques de la vertu
où vous avez des présupposés eudémonistes forts pour définir cette rationalité.

Commentaires de la citation globale en anglais :
1. Elle pense que la distinction davidsonienne entre jugement « tout bien considéré »
et jugement « absolue » est psychologiquement intenable.
Du coup, cela lui permet de dire que l’akrasia telle qu’on l’a comprise dans toute
l’histoire de la philosophie, se présente comme un défi à la rationalité avec comme
horizon éthique qui est : on doit assumer le fait que lorsqu’un akratique agit de
manière akratique, il y a forcément un jugement faux qui est en cause. Solution très
platonicienne.
2. Limite du cohérentisme : toute la première partie de l’article, objet d’une réfutation
du cohérentisme (je dois agir en fonction du jugement que je trouve le meilleur).
Arpaly s’interroge sur la définition du cohérentisme. Le fait pour un agent d’agir en
fonction du jugement « tout bien considéré » qu’il est meilleur de faire x plutôt que y :
de quel point de vue ce « tout bien considéré » ? D’un point de vue temporel à un
instant T, d’un point de vue externaliste du fait qu’il y a un ensemble de normes qui ne
dépend pas de moi, ou un cohérentisme de manière plus compréhensive, en
extension ?
3. Ce cohérentisme plus compréhensif, en extension : on parle de manière eudémoniste
(pour le bien de l’agent).
Exemple d’Arpaly : Sam, étudiant du campus, nerveux à l’approche de ses examens qui
décide, tout bien considéré, qu’il doit s’enferme et devenir ermite pendant un certain
temps pour réviser. Il n’y arrive pas. Il continue de sortir avec ses amis. En un certain
- 74 -

sens, dit Arpaly, cas d’akrasie, car la décision qu’a prise Sam de se déconnecter de
toutes ses relations sociales, échoue.
Deuxième exemple. Emily qui est très forte dans un cursus, mais que cela ennuie
profondément et elle s’invente tout un tas de raisons pour lesquelles il faut qu’elle
arrête.
Elle prend un contre-exemple d’une étudiante qui quitte ce cursus pour d’autres
raisons, parce qu’elle se sent mal acceptée par ses camarades, manque de confiance,
alors que tout bien considéré, elle a tout ce qu’il faut pour réussir son cursus.

Pour Arpaly, les échecs d’action en fonction du meilleur jugement de tous ces personnages
sont en réalité plus rationnels que le jugement tout bien considéré que ces différents
personnages ont émis. Plus rationnels, puisque dans le jugement tout bien considéré, on a
une occultation d’une appréciation « eudémoniste » ou « morale » de la rationalité de l’action.
Ex. Il est plus important que Sam continue à avoir des relations sociales, il est plus important
qu’Emily quitte ce cursus même si elle est brillante, car choix de vie plus en accord avec elle-
même. Le contre-exemple de l’autre étudiante qui quitte de manière akratique l’autre cursus :
Arpaly accepte de dire que c’est moins rationnel.

Idée générale d’Arpaly : en un certain sens, revenir à une interprétation très platonicienne du
phénomène de l’akrasia. Elle affirme que l’akrasia est possible (en accord avec Davidson),
sauf que contrairement à Davidson, pour elle il est intolérable de dire qu’il n’y a pas de
raison à l’action commise dans le phénomène de l’akrasia et non seulement il y a toujours
une raison, mais ces raisons sont parfois plus rationnelles (même plus tard) que le fait de
s’en tenir à un principe de continence.

Question : Retour à Nietzsche ?
Non, ce n’est pas la même tradition d’Arpaly. Chez Nietzsche, idée que l’individu va accomplir
une forme de nécessité interne qui lui colle à la peau (Ecce Homo) : que ce soit Jésus ou
l’Antéchrist, il faut que vous disiez oui à ce qui est nécessaire pour vous.
Arpaly, c’est un libéralisme axiologique absolue. Décisions libres, en fonction de la distribution
des talents et richesses, on va pouvoir faire tel ou tel choix de mode de vie, MAIS, il y a bien
des choix.
- 75 -

Même s’il y a, dans son approche de l’akrasia, un aspect eudémoniste et moral et du coup
très éthique de la vertu, Arpaly va quand même défendre l’action libre de manière tout à fait
nette. Alors que certains théoriciens de l’éthique de la vertu, ce n’est pas le cas.

Question : Arpalay : rationalité inconsciente ?
Arpaly ne dira pas rationalité inconsciente, elle dira : l’internalisme de Davidson n’explique
pas la cohérence d’une vie et la manière dont un agent rationnel et moral agit au jour le jour.
Il y a une limite pour elle à l’internalisme au sens où il y a quelque chose qui travaille dont je
ne peux pas rendre compte (avec P1 et P2 de Davidson), qui est plus rationnelle.
Finalement, l’externalisme, au sens du travail que je dois faire pour associer la raison et la
cause de mon action, c’est tout l’enjeu d’une théorie morale.
On ne doit pas prendre ça comme un donné.


Arpaly nous dit que l’akrasia est possible et révèle un défaut de rationalité procédurale. Elle
le prend comme un élément positif. « Réseau de croyances » (toutes les proattitudes de la
psychologie cognitive) très difficile à réduire à « un jugement tout bien considéré » surtout a
priori.
De plus, pas il n’existe pas de droit, de différence de rationalité entre le « jugement tout bien
considéré » de Davidson et certaines émotions. D’où retour à Aristote : une émotion est
quelque chose qui peut être tout à fait ancrée dans une rationalité larvée. Présupposé de
- 76 -

thèse cognitivisite. Dans chaque émotion, il y a quelque chose de l’ordre d’un jugement
rationnel (ex. la peur, mouvement de fuite).
Enfin, elle reprend l’exemple de Sam. Son aversion viscérale d’agir en fonction de sa décision
qu’il perçoit comme une faiblesse de la volonté est en réalité le résultat où l’incarnation de sa
conscience, inaccessible au moment de sa délibération, de toutes les choses qui, étant donné
ses croyances et ses désirs, fait qu’il était mauvais de devenir un ermite de manière
impérieuse. Embodiement : concept hérité de McDowell. Une incarnation d’une conscience
inaccessible. Ce qui intéresse Arpaly, ce n’est pas que c’est inconscient, c’est que ce n’est pas
disponible. Une certaine incarnation d’un jugement de valeur qui échappe à un jugement tout
bien considéré, qui entre en compétition avec ce dernier et qui est plus fort et rationnel.


Elle prend deux exemples qui montrent qu’il est plus rationnel d’agir de manière akratique
que de manière continente.
L’exemple des « fast actions » : des actions rapides. Le fait par exemple de se précipiter pour
sauver une personne en danger. On ne délibère pas, on est conduit de manière spontanée à
faire des actions plus morales et rationnelles, alors même qu’un jugement tut bien considéré
devrait nous interdire de faire cette action.
Deuxième exemple, les « dawnings-cases ». Dawning : l’éveil, l’aube. Aristote aussi prenait
l’exemple du dormeur pour dresser une analogie avec l’akratique. Un cas d’éveil à la
rationalité a posteriori pour expliquer l’action : l’exemple de Candide qui à force d’être mis
face à la misère humaine (en particulier l’esclavage) et faisant son éducation morale finit par
abandonner son optimisme idiot pour un optimisme plus rationnel où vous prenez en
considération un ensemble de situations pour affiner votre rationalité.
- 77 -

Elle montre avec l’exemple de Candide que l’enjeu de l’akratique, c’est un paradoxe de la
rationalité, ça existe, mais c’est une forme d’éducation progresive à écouter l’ensemble des
normes de l’agent qui, à un moment donné, ne sont pas disponibles à sa conscience.
Citation : « cela implique plutôt que nos devrions chercher des preuves d’une cohérence et
d’une incohérence globale, plutôt que de passer par un raccourci et de chercher des preuves
d’akrasia ou de son absence ».
L’akrasia n’est jamais qu’une occasion d’affiner l’implication de l’agent dans une vertu
globale. C’est un apprentissage.

Donc interprétation :


Arpaly est plus proche d’une appréciation eudémoniste et morale de la rationalité, et donc
proche de théoriciens de l’éthique de la vertu, car pour elle, il est inacceptable éthiquement
d’aboutir à la vision de Davidson selon laquelle une action se retrouve sans raison. Non, il
faut la chercher.
Cf. Arendt et Eichmann.

Sixième cours – 07 novembre 2018.

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