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Philosophie morale

Les émotions morales,
de l’Antiquité à
l’Éthique de la vertu

Olivier RENAUT

2018-2019







Transcription : Philippe Mallard – philippe.mallard@parisnanterre.fr
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3LPH708 – Philosophie morale – CM – 2h hebdomadaires
Olivier RENAUT– orenaut@parisnanterre.fr
Les émotions morales, de l’Antiquité à l’Éthique de la vertu
La dimension émotive comprise parfois dans les jugements moraux, souvent réfutée comme
une source hétéronome du jugement, a reparu dans certaines éthiques se réclamant certes
davantage de Hume que de Kant, mais aussi davantage des Anciens que des Modernes.
Pourtant, même si certaines émotions apparaissent dans le discours philosophique comme
des adjuvants ou des signes de moralité dans l’Antiquité, la variabilité de leur contenu et de
leur signification dans le temps (on pourrait dire leur « idéologie » sous-jacente) pose la
question de leur usage dans la société contemporaine. On étudiera ainsi plus spécifiquement
les cas de la colère et de la honte, qui demeurent des cas limites aussi bien pour Platon et
Aristote que pour Williams ou Nussbaum, et révèlent des lignes de fracture importantes en
éthique relativement à la conception du soi, de sa vulnérabilité, et de son attente de justice.

Bibliographie :
(Des compléments bibliographiques seront donnés à chaque séance.)
PLATON, Gorgias, trad. S. Marchand & P. Ponchon, Les Belles Lettres, 2017.
ARISTOTE, Éthique à Nicomaque (surtout les livres II et VII), trad. R. Bodéüs, Paris, Flammarion
2004, Rhétorique (le livre II), trad. P. Chiron, Paris, Flammarion, 2007.
TAPPOLET C., Emotions et valeurs, Paris, France, Presses universitaires de France, 2000.
WILLIAMS, B. La honte et la nécessité, [1993] trad. J. Lelaidier, Paris, Presses Universitaires de
France, 1997.
NUSSBAUM, M., Hiding from Humanity : Disgust, Shame and the Law, Princeton, Princeton
University Press, 2004. [L’ouvrage est disponible entièrement en ligne à partir du portail
documentaire. Il n’est malheureusement pas traduit en français ; de la même auteure, on lira
en français NUSSBAUM M., La fragilité du bien: fortune et éthique dans la tragédie et la
philosophie grecques [2001], Roland Frapet et Gérard Colonna d’Istria (trad.), Paris, Éditions
de l’éclat, 2016.]

















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Cours n°1 – 12 septembre 2019

Présentation d’Olivier Renaut, spécialiste de philosophie ancienne (Platon). Intérêts de
recherche : la réappropriation des anciens dans la philosophie morale contemporaine anglo-
saxonne (Anscombe, Nussbaum). Plan flottant, car le but du cours : faire un séminaire
généraliste sur la philosophie morale, avec des rappels approfondis de certaines notions de
philosophie morale de l’Antiquité qui réapparaissent dans la philo moderne contemporaine.
Biais des émotions morales de l’Antiquité à l’éthique de la vertu (pour faire le plus large
possible). Platon, Aristote avec quelques détours sur Hume et Kant. But : introduction à
certaines théories morales contemporaines dont certains auteurs sont traduits, mais peu
connus.

Présentation du fonctionnement du cours.

Information sur le mémoire (cf. annexe du livret de Master). Nécessité de choisir rapidement
directeur/rice de mémoire pour commencer bibliographie, plan, plan de lecture. Risque de
découragement… Il faut soutenir en juin, on ne peut pas soutenir en septembre.

Le cours va évoluer par rapport au descriptif du livret du fait de la nécessité de faire des
rappels approfondis de notions centrales.

La bibliographie est indicative. Les textes seront mis en ligne pour constituer une anthologie.
Les dialogues de Platon les plus utilisés : La République et Gorgias. L’Ethique à Nicomaque
d’Aristote (plutôt la traduction de R. Bodéüs que celle de Tricot). Pour Platon, la traduction de
Luc Brisson (moins bonne pour le Gorgias). Concernant la philosophie « Ethique de la vertu »,
on va très peu l’étudier en tant que courant pour une raison subjective : O. Renaut pas
convaincu par la solidité de ce courant. En revanche, deux auteurs proches de l’éthique de la
vertu, mais qui ne s’y reconnaissent pas : Bernard Williams et Martha Nussbaum (élève de B.
Williams) qui peuvent avoir des perspectives absolument opposées, notamment sur la notion
de la honte et de la colère. Le livre de Williams, La honte et la nécessité, [1993] pas facile à
lire. Autre ouvrage, Problème du moi (anthologie parue aux PUF). Concernant Martha
Nussbaum, philosophe américaine qui a écrit des ouvrages très importants à la fin des années
80, le plus important : La fragilité du bien: fortune et éthique dans la tragédie et la philosophie
grecques [rééd. 2001], Roland Frapet et Gérard Colonna d’Istria (trad.), Paris, Éditions de
l’éclat, [2016]. Autre ouvrage conseillé : Hiding from Humanity : Disgust, Shame and the Law,
2004. Porte spécifiquement sur la notion de honte dans la philosophie morale contemporaine
mais aussi ses applications directement en éthique appliquée et dans les institutions
juridiques étasuniennes. Son point de départ : scandale du traitement réservé aux prisonniers
d’Abou Ghraib. Qu’est-ce qu’on fait avec cet usage du fait de faire honte à la fois dans une
norme souple (celle des relations sociales ordinaires dans une société donnée) jusqu’à l’usage
de ce traitement de la honte et du dégoût dans les institutions juridiques et pénales. Elle
retrace dans une perspective de philo morale de l’Antiquité à nos jours, tous les usages de
cette « émotion morale », entre guillemets, puisque elle refuse à la honte le fait d’être une
émotion morale (alors que pour Williams, oui).

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Modalités des épreuves (cf. livret). Epreuve EAD : 4 heures. Dissertation plus un oral.
Lire la revue Critique (https://www.cairn.info/revue-critique.htm) pour se donner une idée
des recensions critiques d’ouvrages. S’entraîner à l’exercice en 3 ou 4 pages.


Séance introductive

Introduction : Retour aux anciens pour comprendre la vie bonne.

A – Contre la philosophie morale moderne.

Point de départ : Elizabeth Anscombe, élève de Wittgenstein a publié un article en 1958 (à
lire, traduit en français en ligne) « Modern Moral Philosophy » reçu comme une forme de
manifeste : extrait (début de l’article).
Article en anglais : http://www.philosophy.uncc.edu/mleldrid/cmt/mmp.html
français : http://revue-klesis.org/pdf/Anscombe-Klesis-La-philosophie-morale-moderne.pdf



Première thèse : il nous faut une psychologie avant de faire de la morale.
Deuxième thèse : « obligation morale et de devoir moral » (cf. Kant). On se débarrasse du
kantisme, car « nuisible » d’un point de vue éthique général.
Troisième thèse : la philosophie morale moderne occidentale est surdéterminée par un
héritage aristotélicien, or, les concepts artistotéliciens lorsqu’on lit Aristote dans le texte ne
sont plus applicables à nos propres catégories morales. Thèse contournée, car ce dont il est
question, c’est, qu’est-ce que ça veut dire : retourner aux anciens.

Le retour aux anciens s’est produit dans les 60’s. Sont apparus comme une espèce de
contre-modèle de la philosophie morale jugée dominante au XIXème et au XXème. C’est
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Anscombe qui est en tête de file (après coup, ce n’est pas Anscombe qui a formalisé la
philosophie morale qu’elle appelait de ses vœux). D’autres noms : Alasdair MacIntyre, Julia
Annas, Iris Murdoch, Philippa Foot, Rosalind Hursthouse, et plus tard Martha Nussbaum et
Bernard Williams.
Ce retour aux anciens a porté beaucoup de noms : « éthique de la vertu », « néoaristotélisme »
(en philosophie politique), « néostoïcisme » (Martha Nussbaum), « éthique du care », certains
courants de l’éthique animale. Ce retour aux anciens se caractérise par une réactivation de la
philosophie ancienne contre deux grands courants : le kantisme (morale déontologique) et le
conséquentialisme (ou l’utilitarisme) avec John Stuart Mill et Jérémy Bentham.
Dans ce tableau de retour aux anciens, certains philosophes font figure de trublions : Hume
et Nietzsche utilisés par Williams pour pulvériser le kantisme et le conséquentialisme.



Le courant de l’éthique de la vertu, retour aux anciens très spécifique. Gros problème, car la
majeure partie de ses représentantes se réclament d’Aristote (très peu de Platon, car
l’intellectualisme platonicien ne va pas avec le programme de l’éthique de la vertu, et très peu
des Stoïciens).
Photos : E. Anscombe (bas à droite), Philippa Foot (haut à droite), Julia Annas (haut milieu),
Rosalind Hursthouse (à gauche, au milieu), Iris Murdoch (à gauche, en bas).


Reprise de l’article.
Comme d’habitude chez Anscombe, elle annonce quelque chose et elle ne le fait pas dans la
suite de l’article, donc elle ne va pas démontre chacune de ses trois thèses. Elle va d’abord
pulvériser le conséquentialisme de manière un peu malhonnête en lui assénant une critique
virulente, puis s’attaque au kantisme de manière expéditive et ensuite on vient à la question
de la « vie bonne ».



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1. La critique du conséquentialisme.

La critique du conséquentialisme est expéditive, elle se « réduit » à un petit paragraphe :



Commentaire :
Pas très facile à décrypter. Anscombe reconnaît à JS Mill le fait d’avoir reconnu chez Aristote
l’importance de la recherche d’un bien commun qui puisse dans la communauté politique
articuler finement la recherche du bonheur et un calcul (maximiser des biens que l’on pouvait
attendre de l’issue de telle ou telle action). Mais dans cet article, elle minore la relation
possible que l’utilitarisme peut avoir avec la philosophie aristotélicienne. Elle dénonce chez
Mill un aveuglement de la signification réelle de bien et de mal, de vertu, de injuste, de
malhonnête, de toutes ces expressions ordinaires qui pour Anscombe sont réduite à un calcul
d’intérêt et de bénéfice. Son objection principale c’est de dire : Mill emploie des concepts
moraux qui ont une puissance psychologique, qui sont en définitive niés parce que réduits à
un calcul coût/bénéfice.
En reformulant : quand je dis que je commets une action juste ou honnête, en réalité, ce que
veut dire Anscombe, c’est que je ne procède pas à un calcul coût/bénéfice. Ce qui se joue,
c’est qu’en tant qu’agent, quand je produis une action honnête ou juste, je ne calcule pas.
Donc, l’utilitarisme quand il utilise les notions de bien et mal ne correspond pas en réalité à la
psychologie qu’Anscombe a appelé de ses vœux dans la première citation.

Question : Est-ce que pour Anscombe, tout acte moral est nécessairement désintéressé ?
Réponse : pas nécessairement. Question formulée avec un présupposé kantien quand vous
dites que forcément une action morale obéit à quelque chose qu’à un principe hétéronome,
puisque je commets l’action pour elle-même, pour sa justesse et non pas pour l’intérêt dont
je pourrais bénéficier, quelque soupçon que j’ai de l’intérêt que je pourrais avoir pour cette
action. Je pourrais vous rétorquer de manière malhonnête, votre question est une mauvaise
question, votre question est une question kantienne. Ensuite, pour Anscombe, il s’agit de se
débarrasser du conséquentialisme pas tant sur le caractère pragmatique (qu’elle aime bien
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dans l’utilitarisme), mais on va voir que Nussbaum ou Williams vont ne pas jeter le bébé avec
l’eau du bain. Mill a écrit une théories des sentiments moraux puissante). Ensuite, pour
Anscombe et pour l’éthique de la vertu en général, le retour aux anciens va nous permettre
de nous focaliser sur une autre forme d’intérêt. Quand Aristote dit dans son Ethique à
Nicomaque, quand il définit l’amitié (nécessairement un ami veut du bien à son ami), il y a une
relation utilitaire évidente et qui n’est surtout pas nié. Certains commentateurs modernes y
ont vu une théorie égoïste de l’amitié, voire de l’amour (je n’aime que parce que j’y trouve de
l’intérêt), on s’est débarrassé de ce genre de commentaire. On sait maintenant que la notion
d’intérêt dans l’Antiquité ne peut pas obéir une une grille interprétative qui réduit l’intérêt
soit à un principe hétéronome et ultimement soit à un principe égoïste.
En fait, Anscombe ne se prononce pas sur cette question là. Quand elle écrit Intentions, ce qui
va l’intéresser c’est l’ensemble du dispositif psychologique et linguistique qui va faire que
lorsque j’accomplis une action morale c’est tout l’ensemble qu’il va falloir prendre en
considération pour l’agent, pour donner ou non une valeur morale à l’action. Il y a des
exemples très fameux dans Intentions, l’exemple du nazi ou l’exemple de celui qui va
empoisonner un village, qui ne répondent pas immédiatement à votre question, mais qui la
font porter ailleurs.
Exemple du nazi : http://www.roseaupensant.fr/pages/textes/textes-sur-la-morale-et-le-
devoir/l-intention-e-anscombe.html
Exemple du poison : http://www.clicetclicetphilogram.fr/ANSCOMBE/INTENTION23-26.htm


Ce que vous voyez dans cette courte critique du conséquentialisme, Anscombe
préconise une meilleure prise en charge de la dimension - qu’on pourrait appeler -
« subjective » de l’action en terme d’intention d’une part et d’intention éthique d’autre part.
Une notion est importante, c’est la notion « d’agentivité » (agency), très commode en anglais,
difficile à traduire. C’est le fait et la capacité d’être un agent. On se focalise sur l’action, sur
son déroulé, sur ses raisons, sur sa justification ; on ne se focalise pas sur la loi et la règle, sur
les conséquences. On se focalise sur les interactions entre moi, agent moral qui suis
complètement dans le cours de l’action et les différentes interactions avec d’autres sujets
moraux, éventuellement avec des objets (nature, animaux), des sujets en souffrance (cela va
donner l’éthique du care). Cette notion d’agency est très commode en anglais, très utilisée de
manière très fluide dans les auteurs qu’on va utiliser. Malheureusement en français, il n’existe
pas de bonne traduction. O. Renaut avait traduit par « intentionnalité » mais ça ne convient
pas. Philippe Descola propose de traduire par « agence ». Donc, ce qu’Anscombe préconise
c’est une meilleure prise en charge de la subjectivité ou si vous préférez de l’agency, en terme
d’intention d’une part et d’intention éthique d’autre part, ce que ne fait pas pour elle le
conséquentialisme.

Question : En quoi Anscombe se distinguerait de la morale kantienne si elle veut
promouvoir une morale qu’on pourrait appeler de l’intention ?
Réponse d’un étudiant : oui, mais chez Kant, l’intention est subordonnée à l’impératif moral.
O. Renaut : l’intention compte chez Kant, mais elle ne compte que parce qu’il y a conformité
de ma volonté avec la forme de l’impératif catégorique. On reviendra sur toutes ces choses.
La réponse est juste. L’intention est subordonnée à quelque chose qui est la conformité à la
loi morale. On pourrait dire que contre Kant, Anscombe place l’intention avant la loi. C’est
l’inverse chez Kant. Pour contredire la réponse malgré tout, quand Kant écrit La doctrine de la
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vertu, bien après la Seconde critique, il écrit une doctrine de la vertu. Il ne nie pas du tout que
dans la moralité ordinaire, c’est justement d’intention spontanée dont il s’agit et
d’amélioration de l’ensemble de la moralité populaire. Dans La fondation de la Métaphysique
des mœurs, quand Kant parle des modèles de vertu comme Jésus, ce n’est pas pour
promouvoir le règne de la loi, c’est pour essaimer des modèles de vertu.
Intention, cela peut vouloir dire plein de choses :
- Minimalement et pour Anscombe : c’est la manière dont un sujet, un agent, va se
rapporter dans un schéma qui est celui de l’action et la passion à ce sur quoi il opère.
L’intention chez Anscombe, c’est la direction. La manière dont mon esprit se focalise
sur un objet : se le représente, le formalise, en parle.
- Second niveau : intention éthique. Lorsque j’envisage une action, des processus
délibératifs, un calcul de moyens/fins comme chez Aristote, je sais répondre à la
question Pourquoi je le fais ? Donc, ce n’est pas du tout l’intention au sens d’intention
volontaire ou quand on dit « c’est l’intention qui compte ». C’est la manière dont
l’agent moral va se rapporter à son action, va pouvoir la justifier, va pouvoir en parler
et va pouvoir s’y rapporter dans un dispositif plus global.

En fait dans votre question , vous auriez un présupposé pas tant kantien, mais en fait, on parle
d’intention morale, un présupposé aquinate, qui est la volonté telle que Thomas d’Aquin l’a
compris d’Aristote et qui est une espèce de puissance qui, avant de procéder au choix, est
d’une certaine manière suspendue par rapport à l’action.

Question inaudible.

Réponse : alors, on va faire l’humiliation des passions, car le texte sur le respect dans la
seconde critique, c’est un superbe texte chez Kant. Quand on dit humiliation des passions chez
Kant, il faut prendre des pincettes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de passion. Donc, c’est
une dialectique d’une grande finesse.
Vous avez dit, fin de la subjectivité avec l’humiliation des passions. Je ne suis pas d’accord, on
ne peut pas dire qu’il y a une fin de la subjectivité chez Kant, il y a au contraire une toute
puissante de la subjectivité au sens où elle est la possibilité pour un sujet de se conformer
parfaitement à la loi, même si ce n’est pas possible. C’est ça la puissance du sujet dans la
Critique de la Raison Pure et du coup dans la Critique de la Raison Pratique, c’est la faculté
justement de s’imposer ses propres lois. Le sujet autonome quand bien même il serait un pur
idéal régulateur, la toute puissance de ce sujet là justement elle est la consécration du
royaume de la loi. Mais vous avez raison de dire en revanche que, via ce que Kant appelle
l’humiliation des passions, il y a bien un déni de ce que nous, contemporains, nous appelons
sujet, de ce que les Anglos-Saxons appellent « agent » et que nous Français, on appelle
« sujet ».


Question inaudible.

Je reformule. Est-ce que en fait pour Anscombe, une manière de répondre aux deux questions
qui viennent d’être posées, ce ne serait pas de dire que la distinction entre intention et action
n’est pas… enfin si, il y a une distinction, mais pour Anscombe, l’intention n’est pas séparable
de l’action. C’est pour ça qu’elle interprète Aristote d’une manière qui est contestable, mais
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qui vaut ce qu’elle vaut. Ce sur quoi elle va insister dans Intentions c’est de dire que la
spécificité de la délibération pratique c’est que ce n’est pas un raisonnement. La conclusion,
c’est l’action. Du coup quand on parle d’intentions, il faut comprendre que l’intention éthique
ou pratique, elle est dans l’action. Ceci dit, Anscombe distingue intention et action, car sans
distinction on serait face à une objection conséquentialiste selon laquelle on ne peut pas
justifier telle et telle action, exactement comme dans l’exemple de la bombe atomique que
vous avez pris, on ne peut pas justifier l’action autrement que comme un calcul coût/bénéfice,
or vous avez besoin que l’intention malgré tout soit elle aussi et d’une certaine manière
suspendue par rapport à l’action qui est en train de se faire, même si l’action est en train de
se dérouler. D’ailleurs, Anscombe a étudié Aristote avec les commentaires de Thomas
d’Aquin, ce n’est pas un hasard…
Anscombe était pour la peine de mort, contre l’avortement, c’était un personnage… spécial.

2. Critique du légalisme kantien.

Critique tout autant expéditive.



« Comment cela est-il arrivé ? » Comment c’est arrivé qu’on soit pris dans un système moral
si déconnecté de la réalité morale.

Critique de la déontologie, critique encore plus spectaculaire, mais qui s’explique. Dans les
années 50, la plupart des commentateurs et exégètes de la philosophie ancienne sont
kantiens. Cela a une importance décisive sur notre lecture de Platon et Aristote. Exemple : un
célèbre commentateur de L’Iliade et l’Odyssée d’Homère dans Merit and Responsibilty disait
à propos de la philosophie ancienne en général « nous somme tous kantiens ». Conséquence
obligée, c’est que (et c’est une thèse que vous allez retrouver en philosophie ancienne) dès
qu’on lit de la philosophie ancienne, vous avez à faire à une moralité inachevée, voire amorale.
Quand vous lisez l’Iliade ou l’Odyssée, Achille n’est pas un parangon de la moralité, mais une
figure de la bestialité, de l’égoïsme et de la cupidité. Dans le chant XXIV de l’Iliade, Priam, le
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fils d’Hector vient supplier Achille de lui rendre le cadavre d’Hector mutilé. Il y a une scène de
la rançon : Priam fait un catalogue des dons qu’il propose à Achille. Achille refuse. Adkins dit :
« moralité de la compétition, de la brutalité… nous sommes avant la moralité ».
Arthur Adkins, Merit and Responsibility. A Study in Greek Values, 1960
https://www.cambridge.org/core/journals/philosophy/article/merit-and-responsibility-a-
study-in-greek-values-adkins-arthur-w-h-oxford-at-the-clarendon-press-1960-pp-xvi-380-
price-42s/41B0FA702C55D7BA3982504F93C853B6

Cette expression « avant la moralité » existe chez beaucoup de commentateurs européens.
L’idée c’est que nous ne disposons pas en grec ancienne de concept de moralité et toutes les
éthiques anciennes sont plus ou moins compétitives pour accéder à quelque chose qui est une
éthique normative satisfaisante.
Voilà l’élément de contexte.
Donc, les Grecs ne disposeraient pas de tous les concepts nécessaires à l’établissement d’une
éthique normative. On ne dispose pas du concept de sujet, de conscience, pas tout à fait du
concept d’intention (de bien faire), de loi morale…
Conclusion : la morale des Grecs est une morale qui est fondée sur des principes entièrement
hypothétiques et hétéronomes. Cette idée culmine dans l’opuscule Théorie et Pratique de
Kant : Platon s’oppose de manière nommément et frontale avec Aristote. L’éthique et la
morale n’a rien à voir avec la recherche du bonheur, nous recherchons la conformité à la loi.

Ce que Anscombe critique c’est que quand nous parlons d’éthique et de morale, en
réalité nous obéissons toujours à un législateur (pas seulement à une loi) et que finalement
nous sommes sous le coup d’une sorte de schizophrénie morale. Quand nous sommes
kantiens, nous croyons agir par devoir, alors qu’en réalité dans l’action nous agissons toujours
pour d’autres raisons. Pour elle, le kantisme aboutit à un légalisme schizophrénique.

Question inaudible.

Réponse : Elle ne cite pas Nietzsche. La personne qui va le citer, c’est Bernard Williams,
nietzschéen convaincu, qui va utiliser Nietzsche, de manière ambivalente, pour cette raison
là. Dans son livre, Sujet et vérité, il utilise Nietzsche à la fois comme exemple du cynisme moral
qui peut nous achever dans nos sociétés contemporaines et en même temps comme une
forme de levier pour lutter contre ce type de schizophrénie. Anscombe ne l’utilise pas du tout.

Question inaudible

Réponse : Je ne dis pas que la critique n’a pas été portée avant. Pourquoi elle ne cite pas ? Il y
a des traditions qui ne se parlent pas. On a une tradition occidentale, et on a une tradition
analytique. Quelle que soit la validité de cette frontière sur laquelle travaillent Elie During et
Jean-Michel Salanskis, on ne peut pas dire que cette frontière n’ait pas existé. Donc il y a des
gens qui ne se lisent pas. Chez Richard Rorty, sur la notion de sujet quand il fait la critique de
Descartes on a l’impression de lire un manuel scolaire. Rorty, c’est génial aussi, mais c’est une
manière d’utiliser l’histoire de la philosophie qui est pour le moins désinvolte. Même si
Anscombe a été formée dans et à travers l’histoire de la philosophie, elle-même a une attitude
qui est très désinvolte. C’est une élève de Wittgenstein. C’est une manière wittgensteinienne
de répondre à l’histoire de la philosophie. Mais après, il y a un sens. Je vous prendrai d’autres
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exemples de difficultés méthodologiques que j’ai avec ce retour aux anciens de l’éthique de
la vertu. Il s’est passé en France et en Italie exactement la même choses dans les années 60,
sauf que cela a pris un tour complètement différent. Vous avez tous entendu parler de Jean-
Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Marcel Détienne, Luc Brisson, l’école de Paris. Ils sont en
anthropologie ancienne, ils ont réactivé des choses à partir de la philosophie ancienne qui
sont extrêmement proches de ce qu’on va lire chez Nussbaum, mais ces gens-là ne se sont
jamais parlés. Il y a quand même quelque chose de l’ordre tradition occidentale vs tradition
analytique.

La critique de la déontologie est simple et expéditive : je me débarrasse de la loi morale,
encore fois comme pour le conséquentialisme, pour remettre au centre non pas le sujet
kantien, mais l’agent moral.


3. Retour à la vie bonne.

Texte de Julia Annas, figure du courant éthique de la vertu, qui promeut un retour à la question
de la vie bonne, entendue dans son sens grec. Le retour aux anciens est nécessairement lié à
la question de la vie bonne et à cette notion d’eudaimonia.
Lecture du texte : deux diapos.




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Dernière phrase de la première diapo : « In due course […] for ethics ». On a une question de
la vie bonne (eudaimonia) qui est – et là, elle le tire directement d’Anscombe et d’Aristote –
une question personnelle et vague. Dans les premières chapitres de l’Ethique à Nicomaque,
les premiers mots d’Aristote sont « tout le monde cherche le bonheur ». De la même manière
qu’il ouvre la Métaphysique par tout le monde a une appétence par rapport au savoir. S’ensuit
la critique des formes platoniciennes. La phrase d’Annas est aristotélicienne « cela touche
chacun d’entre-nous, c’est personnel » et « vague » parce que la question du contenu est
toujours suspendue : quels sont les ingrédients de la vie bonne ?
Néanmoins, c’est « the only compelling starting point for ethics » : point de départ obligé pour
établir n’importe quel éthique normative.

Deuxième diapositive
Traduction sur le fil d’O. Renaut : Plus on développe la perspective éthique ancienne, plus il
est problématique de savoir comment rendre compte du bonheur. De interprètes modernes
ont constamment essayé de se débarrasser du problème. Une manière de le faire est de nier
que eudaimonia ressemble à notre bonheur.
Une autre manière de faire est de dire que les vertus ne sont pas des vertus morales, elles
sont plutôt des dispositions dont la possession rendent de manière plausible l’agent heureux.
Mais en fait, cette position n’est pas tenable. Les théories éthiques anciennes soutiennent
plutôt qu’on a une explication réflexive du bonheur. Cela requiert des vertus et de donner son
poids à l’intérêt des autres.

Que tirer de ces deux citations ?
D’abord, le première diapositive : la vie personnelle. La vie personnelle prise dans sa globalité,
dans son affectivité, dans sa subjectivité, dans son pouvoir de choix.
Ce point de départ est commun au mouvement de l’éthique de la vertu. C’est un point qui va
caractériser les éthiques normatives de Williams et Nussbaum. Il faut prendre l’agent moral
tel qu’il est, inscrit dans une communauté normative déterminée, particulière, avec ses
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aspirations et ses buts. C’est un point de départ duquel on ne peut pas déroger. On n’est plus
dans le sujet moral abstrait kantien. Donc, n’importe quelle éthique normative doit rendre
compte du particularisme auquel se trouve confronté l’agent moral.
Parenthèse, il y a eu tout un grand courant, une mode, qui commence à arriver en France, qui
est « philosopher avec les romans », le perspectivisme moral. L’obligation de se mettre à la
place d’autrui, le fait de souligner les exercices de transformation de soi par l’empathie. Ce
sont des théories philosophiques qui ont des applications qui peuvent être importantes en
sciences de l’éducation par exemple (parfois étrange). Martha Nussbaum se situe dans cette
perspective : on apprend à être moral en particulier en lisant des romans. Grande tradition de
L’Emile de Rousseau qui revient au galop contre le kantisme qui fait que l’agent moral est
quelque chose d’historiquement construit par ses expériences concrètes et surtout de
lectures, d’art, de pratiques culturelles, d’interculturalité, de dialogue, de rhétorique…
On n’est décidément plus dans le sujet kantien

Deuxième citation.
Le retour aux anciens comprend un difficulté. Une première difficulté, c’est de dire qu’en fait,
il y a une différence entre notre bonheur tel que nous le concevons dans nos sociétés
néolibérales – puisque l’éthique de la vertu prend place dans un contexte du libéralisme
politique (ie au sens minimal du terme, sans parler du capitalisme) où vous donnez à l’agent
une liberté suffisante de choix pour choisir ce qu’est pour lui le bonheur. A partir du moment
où ce libéralisme axiologique est posé, comment faire pour comparer les éthiques anciennes
et les éthiques contemporaines ? Vous ne pouvez pas. Quand on va étudier Aristote, non pas
que c’est incompatible avec le libéralisme contemporain, mais liberté, éleutheria en grec, ne
veut pas dire liberté pour nous. Il nous faut un effort méthodologique surhumain pour essayer
de faire ça bien. Or, en éthique de la vertu, ce n’est pas toujours bien fait. C’est un premier
problème.
Le deuxième problème, selon Julia Annas, c’est ce qu’on appelle vertu chez nous et vertu chez
les anciens, cela ne peut pas être les mêmes . Et je dirais même que l’affectivité chez les
anciens et les contemporains, cela ne peut pas être la même. La colère d’Achille ne peut pas
être la nôtre. Elle est indissociable d’une code de l’honneur extrêmement compliqué, d’une
manière que les Grecs avaient de corréler la colère avec la bravoure, la bravoure avec l’arété
(la vertu en général), une arété qui est un système compétitif et coopératif relativement
complexe qui n’a rien à voir avec ce que Mauss en a dit sur le don/contre-don, etc…
Quand on croit reconnaître chez les Anciens des émotions identiques, ce ne sont pas les
mêmes. C’est particulièrement criant au niveau de la colère et de la honte. Or, cela a un impact
sur la théorie normative que l’on est capable d’élaborer grâce à un retour aux anciens.











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4. Le tableau éthique de la vertu.



Les risques d’un article comme celui d’Anscombe sont les suivants (cf. diapo)
- Ecrasement de la philo ancienne à la philosophie morale : pour Anscombe, toute la
philo, métaphysique, c’est bon pour les Antiquaires, la seule chose à sauver à la
rigueur, c’est leur philosophie morale, puisque nous n’en avons pas de théorie et puis
de toute façon nous pouvons toujours attendre pour en avoir une théorie.
Réduire la philo ancienne à la philo morale est un risque car il y a des textes français
de vulgarisation qui font des anciens les philothérapeuthes contemporains. C’est très
pénible. La perspective hadotienne (Pierre Hadot) réduit tout le programme de la
philosophie antique a un programme de recherche de mode de vie. Connexion entre
Pierre Hadot et l’éthique de la vertu. Michel Foucault (le dernier Foucault) qui fait un
retour fracassant à l’Antiquité à partir de l’Herméneutique du Sujet, et avant dans
Subjectivité et Vérité. Mais Foucault suit des intuitions de Pierre Hadot et ce n’est pas
anodin. Il se focalise sur les maîtres à penser stoïciens, Xénophon.
Cet écrasement peut avoir des conséquences dévastatrices quand on essaye
d’élaborer une éthique de la vertu artistotélicienne.

- Ecrasement des différences entre les auteurs. Pire, Michel Onfray qui fait des cyniques
la grande école contestataire contre Platon, Aristote, Stoïciens. Attention à cet
écrasement car dans la philosophie contemporaine vous n’aurez pas la même éthique
qui va ressortir si vous êtes aristotélicien ou platonicien ou stoïcisant, même si vous
êtes dans la même éthique de la vertu. Par exemple, Iris Murdoch dans la Souveraineté
du Bien qui reprend la philosophie platonicienne. La connaissance du bien est la seule
possibilité pour l’agent moral de pratiquer la vertu et d’avoir une théorie éthique
stable. SI vous êtes platonicien, vous êtes nécessairement un réaliste moral : vous
croyez en la réalité objective de certaines valeurs que sont la Justice, la Loyauté, la
Modération… Si vous êtes artistotélicien, c’est juste pas possible. C’est un
pragmatique. Ce n’est parce que vous avez un pluralisme éthique, un pluralisme des
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valeurs que vous n’allez pas pouvoir essayer d’élaborer un système de vertu à peu près
cohérent et à peu près commun. Pas la même éthique de la vertu si vous êtes
platonicien ou aristotélicien.
- Négation de l’historicité des dispositions morales : risque déjà évoqué. C’est l’idée
qu’on ne fait pas attention à la différence qui nous sépare des anciens. Williams et
Nussbaum vont adopter des positions radicalement opposées, justement parce que
Williams est très attentif à la spécificité des anciens, même s’ils les convoquent, alors
que Nussbaum n’hésite pas à faire des grands tableaux qui vont de Platon à nos jours
comme s’il n’y avait pas de différence. Son retour aux anciens est
méthodologiquement un peu moins sûr.

Un tableau complexe.
- Le problème de la définition de l’agent moral
Quand on parle d’éthique de la vertu, leurs représentants vont dire que l’éthique de la
vertu c’est la troisième voie à suivre. Dans l’article « Virtue Ethics » (dans la Stanford
Encyclopedia of Philosophy : https://plato.stanford.edu/entries/ethics-virtue/) c’est la
troisième voie contre le conséquentialisme et le déontologisme. Bon, c’est une
manière de réduire la théorie normative à quelque chose qui est peut-être beaucoup
plus subtil et moins simpliste que cette opposition utilitarisme et déontologisme, dont
l’unique voie de sortie serait l’éthqiue de la vertu. C’est plus compliqué. Si on est plsu
attentif, il y a des choses géniales chez Descartes, Kant, Hume, etc… pas obligé d’en
faire des tonnes sur cette pseudo opposition. A l’occasion, c’est ce que Williams et
Nussbaum essaye de faire en disant qu’ils aiment bien l’éthique de la vertu, tout en
disant : je ne suis pas sous l’étiquette éthique de la vertu. Ils essayent de sortir de la
dichotomie stérile.

- Articulation entre éthique et politique. Les représentants de l’éthique de la vertu
s’occupent essentiellement de morale, pas de politique. Il y a notamment une vertu
absente : la vertu de justice. Chez Platon et Aristote, il n’y a pas de distinction entre
éthique et politique, il ne peut pas y en avoir. Il y en a à la marge.

- Articulation avec d’autres théories normatives. Essayer d’articuler le retour aux
anciens et donc l’éthique de la vertu avec d’autres théories normatives. La théorie du
care : Nussbaum et surtout Carol Gilligan (In a Differrent Voice, 1982) ; l’éthique
animal, le réalisme moral… Plein de texte qui font des aller-retours aux anciens et qui
sont un peu plus subtils que cet aspect massue de l’éthique de la vertu.

Fin du premier cours

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