Вы находитесь на странице: 1из 18

Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist.

23/03/2020 15(47

Comment avons-
nous pu nous
aveugler à ce point ?
Ces biais qui ont retardé la prise de
conscience face au virus

Olivier Sibony
enseigne la stratégie, la prise de
décision et la résolution de
problèmes à HEC-Paris. Son
dernier ouvrage est Vous allez
redécouvrir le management
(Flammarion, 2020).

Photo © Collection personnelle

À chaud
Perspectives sur l’actualité

Temps de lecture : 9 minutes

19/03/2020 (Mis à jour le 20/03/2020)

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 1 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 2 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Nous aurons mis un certain


temps à prendre conscience
de l'ampleur de la menace
que fait peser le coronavirus
sur nos sociétés. Et ce, malgré
la mise à disposition de
nombreuses données
scientifiques. Pour Olivier
Sibony, qui enseigne la
stratégie à HEC, ce retard
tient à notre difficulté à
appréhender des
phénomènes nouveaux et aux
nombreux biais cognitifs que
nous développons quand
ceux-ci se présentent – en
particulier quand la situation
charrie avec elle un certain
nombre de risques.
Décryptage.

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 3 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

La menace du Covid-19 nous semble


désormais si pressante qu’elle justifie
un confinement d’une rigueur sans
précédent. Mais alors, comment
comprendre l’insouciance qui prévalait
encore il y a quelques jours, alors que des
données scientifiques aisément
disponibles, notamment sur la
plateforme Medium ainsi que sur le site
du Washington Post, et largement
communiquées permettaient déjà de
mesurer la gravité de la crise ?

“Le retard dans


cette prise de
conscience nous
fournit une
illustration
frappante de notre
difficulté à
appréhender des
phénomènes
nouveaux”

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 4 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Le retard dans cette prise de conscience


nous fournit une illustration frappante de
notre difficulté à appréhender des
phénomènes nouveaux, et en particulier
des biais cognitifs qui déforment notre
perception des risques.

Paradoxalement, la psychologie cognitive


et sociale nous met plutôt en garde
contre la surestimation des menaces
nouvelles. Comme l’écrivait le
psychologue David DeSteno le 11 février
dans le New York Times, « la peur déforme
notre perception du coronavirus ». Deux
jours plus tard, le même journal résumait
des entretiens avec plusieurs éminents
psychologues sous le titre : « le
coronavirus appuie sur tous les boutons qui
nous font surévaluer le risque ». Et, le 28
février, Cass Sunstein, co-auteur de
Nudge. La méthode douce pour inspirer la
bonne décision (2010), résumait sur
bloomerg.com l’avis de beaucoup de
spécialistes des sciences cognitives quand
il écrivait : « beaucoup de gens sont plus
effrayés [par le coronavirus] qu’ils n’ont de
raisons de l’être ».

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 5 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

De fait, les sciences comportementales


ont mis en évidence la négligence des
probabilités, conséquence du biais de
disponibilité, qui nous fait surréagir à des
risques spectaculaires, mais dont la
probabilité est faible. Ainsi, les accidents
d’avion nous préoccupent, le terrorisme
nous terrorise, et les accidents nucléaires
nous horrifient, alors que la probabilité
effective que nous en soyons les victimes
est infinitésimale. Les experts de la
perception du risque ont été, sans doute,
trop prompts à nous mettre en garde
contre la panique… mais ils ont souvent
été là par le passé pour nous rappeler à la
raison.

Quatre biais contre un


Si nous avons, de manière inhabituelle,
sous-estimé un danger bien réel, c’est en
partie du fait de plusieurs autres biais
cognitifs.

1) Le biais de modèle mental

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 6 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Le premier, qui découle lui aussi du biais


de disponibilité, est le biais de modèle
mental, ou raisonnement par analogie
avec des événements connus. Il est
frappant de voir que la Chine a mis en
place un confinement total au Hubei
(dont la population est voisine de celle de
la France) alors qu’elle n’y enregistrait
encore « que » 400 nouveaux cas par jour.
De même, Singapour et Hong Kong ont
pris des mesures rapides pour contenir
l’épidémie. Point commun à ces pays : la
mémoire de l’épidémie de SRAS, dont la
gestion sert de modèle mental aux
dirigeants. En France, les analogies
présentes à l’esprit sont rares ; et s’il y en
a une, c’est la grippe A(H1N1), en 2010.
Or, qu’en a-t-on a surtout retenu ?
D’amères critiques envers un
gouvernement accusé d’avoir surréagi en
commandant des millions de doses de
vaccins finalement inutiles…

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 7 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

“Le directeur
général de la Santé
sait que croître de
27 % par jour, c’est
doubler en trois
jours. Mais ce
message était
inaudible tant que
le nombre
quotidien de
nouveaux cas se
comptait en
centaines, pas
encore en milliers”

2) L'incompréhension de la
croissance exponentielle

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 8 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Deuxième biais : l’incompréhension de la


croissance exponentielle. Lundi 16 mars,
Jérôme Salomon déclarait sur France
Inter : « le nombre de cas double
désormais tous les trois jours ». C’était en
réalité le cas depuis le 6 mars au moins :
sur dix jours, la croissance quotidienne
du nombre de cas confirmés a été à peu
près stable et de l’ordre de 27 % par jour.
Le directeur général de la Santé sait, bien
sûr, que croître de 27 % par jour, c’est
doubler en trois jours. Mais ce message
était inaudible tant que le nombre
quotidien de nouveaux cas se comptait en
centaines, pas encore en milliers. Notre
lecture intuitive des chiffres conduit à
prolonger les droites, pas les
exponentielles. C’est encore plus
pernicieux quand la croissance
exponentielle s’accompagne, comme ici,
d’un effet retard : les nouveaux cas qu’on
annonce chaque soir sont les
contaminations d’il y a cinq, huit ou
douze jours ; et rien de ce qu’on fait
aujourd’hui ne change le nombre de cas
des tout prochains jours...

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 9 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Anecdote dérisoire, mais révélatrice :


lundi 9 mars, j’écrivais dans Time To Sign
Off un billet sur la croissance
exponentielle, alertant contre le risque
qu’il nous fasse sous-évaluer l’explosion
de l’épidémie. Pour l’illustrer, j’y incluais
un simple calcul d’intérêts composés,
assorti du commentaire : « répondez
avant de lire la réponse, et vous allez voir
que vous vous trompez ». Le lendemain,
des dizaines de lecteurs – pour certains
médecins ou ingénieurs – m’écrivaient
pour me signaler mon erreur de calcul…
alors qu’il n’y en avait pas. Même quand
nous sommes prévenus que nous allons
être surpris, la croissance exponentielle
nous surprend.

3) Le biais d'endogroupe

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 10 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Troisième biais : le « biais d’endogroupe »


(ingroup bias), qui nous conduit, face à
une menace, à nous replier sur nous-
mêmes et à rejeter les « exogroupes »
(l’étranger). On le voit bien sûr dans la
demande populaire immédiate (et
scientifiquement injustifiée) de fermeture
des frontières. Ce biais explique aussi, de
manière plus frappante encore, que
l’exemple chinois nous ait paru trop
lointain pour être inquiétant, et que
même le terrible exemple italien ait mis
si longtemps à nous alerter. Ce n’est pas
de la condescendance vis-à-vis de la
Chine, ni de l’Italie : quand on cherche
des raisons de penser que « chez nous,
c’est différent », on en trouve facilement.
Le 16 mars, Richard Epstein, éminent
universitaire américain, trouvait encore
« improbable que le système de santé
américain puisse être affecté de la même
manière que celui de l’Italie », comme il
l'expliquait sur le site de la Hoover
Institution. On peut souhaiter qu’il ait
raison et pourtant craindre qu’il ne se
trompe.

4) La pensée moutonnière

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 11 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Quatrième biais, qui vient renforcer les


précédents : la pensée moutonnière. Nous
sommes des animaux sociaux, et nous
avons tendance à calquer notre
comportement sur ceux que nous
observons autour de nous. Pourquoi
changer mon comportement quand je
vois autour de moi que personne ne
change le sien ? Tous ces gens qui
s’agglutinent aux terrasses ne peuvent
pas être fous…

Entre la Chine et les États-


Unis

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 12 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Nos dirigeants pouvaient-ils


accélérer cette prise de conscience ? Le
gouvernement aurait-il pu, aurait-il dû
agir plus vite ? Sans doute, et notamment
en reportant le premier tour des élections
municipales. Mais nous ne sommes pas
en Chine. Des mesures contraignantes,
privatives de liberté, économiquement
dévastatrices ne peuvent être décidées
que quand elles sont devenues
socialement acceptables. Si la fermeture
des écoles, celle des restaurants, ou le
confinement de la population avaient été
ordonnés plus tôt, l’opposition les aurait-
elle approuvés ? La population les aurait-
elle respectés ? Et dans le cas contraire, le
résultat n’aurait-il pas été pire ? En
démocratie, il est hélas inévitable que des
mesures « top-down » de lutte contre une
épidémie soient en retard sur celle-ci.

“ Sans doute
faudra-t-il essayer
de se rappeler, à la
prochaine crise
grave, qu’on ne
peut pas tout
attendre de l’État”

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 13 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Qu’en est-il, alors, des mesures « bottom-


up », à l’initiative de la société civile ?
Aux États-Unis, dès le 9 mars, des
dizaines d’universités avaient déjà fermé
leurs portes. Aucune instruction
gouvernementale ne les y incitait ; et le
nombre de cas constatés était bien en-
deçà de celui de la France. Mais, comme
l’écrivait l’université de Princeton, « nos
conseillers médicaux nous disent qu’il faut
agir dès maintenant, sans attendre d’avoir
des cas sur notre campus ».

En France, au contraire, même si


quelques dirigeants ont eu la sagesse
d’annuler réunions, conférences, et
voyages, le réflexe dominant a été
d’attendre l’apparition télévisée du
président de la République et les
directives venues d’en haut. Pas de biais
cognitif ici, mais une solide culture
politique et sociale, qui nous a coûté un
temps précieux. Sans doute faudra-t-il
essayer de se rappeler, à la prochaine
crise grave, qu’on ne peut pas tout
attendre de l’État…

Comprendre n’est pas


prévoir

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 14 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Nous commençons seulement à faire face


à la crise du Covid-19, et il est trop tôt,
bien sûr, pour en tirer des leçons. Si cette
rapide description de quelques biais
cognitifs peut nous en inspirer une, c’est
une leçon de modestie, qui peut se
résumer ainsi : pour savoir si l’opinion
publique se trompe dans son évaluation
d’un risque, il faut une bonne évaluation
de ce risque. Avec des faits, des chiffres,
et des modèles épidémiologiques, plutôt
que des analyses psychologiques.

“La seule chose


qu’on peut
conclure de la
présence de biais
cognitifs, c’est…
qu’il faut se garder
de conclure trop
vite”

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 15 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Cette évidence n’en est pas une : elle


illustre une idée importante et souvent
mal comprise sur les biais cognitifs. Dans
des expériences simples comme celles
que les psychologues comportementaux
utilisent en laboratoire, l’effet des biais
cognitifs est une régularité statistique
forte : par exemple, nous surestimons
notre compétence sur des tâches
simples ; nous sommes influencés par
l’opinion de ceux qui nous entourent, etc.
Dans ces contextes, nous pouvons prévoir
sans grand risque l’effet de ces biais sur
les erreurs de jugement.

En revanche, dès lors que, dans une


situation réelle, plusieurs biais
importants sont présents et jouent dans
des directions contradictoires, leur
interaction devient vite imprévisible. A
posteriori, bien sûr, on pourra expliquer
l’erreur par tel ou tel biais (c’est ce que je
fais ici.) Ex ante, pourtant, la
connaissance de ces biais ne permet pas
de prévoir dans quel sens nous allons
nous tromper. La seule chose qu’on peut
conclure de la présence de biais cognitifs,
c’est… qu’il faut se garder de conclure
trop vite.

Triomphe du biais
rétrospectif
https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 16 sur 18
Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

Il y a pourtant un biais dont on peut être


certain qu’il perturbera notre lecture des
conséquences de cette crise, comme de
tous les événements imprévus : le biais
rétrospectif. Une fois un événement
advenu, nous oublions à quel point il
était imprévisible. Dans le rétroviseur, la
visibilité est parfaite. On voit, déjà, des
responsables politiques s’indigner que le
gouvernement ait maintenu le premier
tour des élections municipales (ce sont
parfois les mêmes qui criaient au « coup
d’État » quand on envisageait de le
reporter…). Baruch Fischhoff, découvreur
du biais rétrospectif, le résumait d’une
phrase : I knew it would happen, « je savais
que ça se passerait comme ça ».

“Nous dirons, nous


aussi, ‘je savais que
ça se passerait
comme ça’ ”

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 17 sur 18


Comment avons-nous pu nous aveugler à ce point ? | Philonomist. 23/03/2020 15(47

De la même manière, et sans que nous


ayons d’arrière-pensées politiciennes, le
bilan du Covid-19, que nous sommes
aujourd’hui incapables d’imaginer, nous
apparaîtra demain – quel qu’il soit –
comme logique, prévisible, inéluctable.
Nous dirons, nous aussi, « je savais que ça
se passerait comme ça ». Vous en doutez ?
Hélas… « je sais que ça se passera comme
ça ».

Photo © Brian Mcgowan / Unsplash

19/03/2020 (Mis à jour le 20/03/2020)

https://www.philonomist.com/fr/article/comment-avons-nous-pu-nous-aveugler-ce-point Page 18 sur 18

Вам также может понравиться