Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
ÉPISTÉMOLOGIQUES
C. Ulises Moulines
Vrin | « Le Philosophoire »
2011/1 n° 35 | pages 39 à 64
ISSN 1283-7091
ISBN 9782353380381
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2011-1-page-39.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Introduction
L
a notion de progrès scientifique peut apparaître, aux yeux de la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:34 - © Vrin
1. Remarques conceptuelles
4. Incommensurabilités comparables
Il est remarquable qu’on ait prêté si peu d’attention à ces deux passages.
Hormis le fait qu’ils n’apparaissent pas dans les ouvrages les plus fameux
de Kuhn et de Feyerabend, une autre raison pour cette ignorance peut
résider dans le fait que Kuhn et Feyerabend eux-mêmes n’ont été pas
particulièrement explicites sur la façon dont on peut comparer des théories
incommensurables ou sur comment il faut définir la relation schématique
« la théorie T1 est incommensurable et comparable avec la théorie T2 ».
L’analogie tirée de la géométrie que Kuhn propose n’est vraiment pas
très éclairante : en effet, dans le cas du développement scientifique, nous
ne disposons de rien de semblable au système des nombres réels, qu’on
pourrait utiliser en tant que base de comparaison entre deux entités incom‑
mensurables pour décider laquelle des deux est la plus « longue », c’est-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:34 - © Vrin
les concepts les plus fondamentaux et les lois les plus fondamentales de
la théorie en question. À partir de celui‑ci, on obtient tous les autres élé‑
ments théoriques du réseau par le moyen d’une application successive de
la relation de spécialisation, qui peut être définie formellement, bien que
je ne le ferai pas ici. À leur tour, chacun des éléments théoriques du réseau
consiste pour l’essentiel de deux entités structurelles : un noyau théorique,
K, et un domaine d’applications intentionnelles, I. K est une entité assez
complexe, mais toutes ses composantes peuvent être définies formellement
avec des notions de la théorie des modèles, tandis que la définition formelle
du domaine I est seulement partielle : I est déterminé aussi par des para‑
mètres hautement pragmatiques. (D’ailleurs, c’est pour cette raison que le
structuralisme, à la différence des autres conceptions de la même famille,
ne peut pas être classifié comme une conception purement sémantique des
sciences, mais elle est aussi pragmatique.) Dans une mesure importante, la
détermination du domaine I ne dépend pas seulement de critères formels,
théoriques, mais aussi des intérêts de la collectivité qui utilise la théorie (ce
qu’on appelle la « communauté scientifique ») ; or, la notion d’intérêt est
clairement une notion pragmatique, qui échappe totalement à une forma‑
lisation sémantique. Les intérêts qui jouent un rôle dans la détermination
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:34 - © Vrin
6. Progrès lakatosien
alors, qu’est‑ce que c’est que X ? Au moins que nous présupposions une
sorte d’intuition mystique, qui nous permettrait d’identifier les objets de
notre connaissance sans avoir recours à des concepts qui soient la propriété
commune des théories qui s’occupent d’X, personne, ni le relativiste ni
quelqu’un d’autre, n’est en mesure d’identifier X. Et si notre relativiste,
acculé par cette argumentation, devient soudainement un mystique, alors
il est clair qu’il ne pourra être plus notre partenaire dans une discussion
rationnelle. Nous pouvons l’oublier.
Cette conclusion signifie‑t‑elle qu’il ne peut y avoir de théories totalement
incommensurables du point de vue du progrès scientifique ? Certainement
pas ! Il y a bien sûr un grand nombre de théories totalement incommensu‑
rables bien qu’elles se succèdent dans le temps. Seulement, ces cas n’inté‑
ressent ni le progressiste ni le relativiste. Prenons un exemple : l’émergence
de la théorie marxienne de la valeur succéda presqu’immédiatement à
l’effondrement de la théorie du calorique, dans les années 1840. Est‑ce que
cela représente un cas de deux théories totalement incommensurables par
rapport à la question du progrès scientifique ? Bien sûr que oui ! Est‑ce que
cela représente un cas de révolution scientifique du genre auquel pense le
relativiste ? Bien sûr que non ! Le relativiste radical est mis donc devant un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:34 - © Vrin
Bibliographie
Balzer W., Moulines C.U., Sneed J.D., An Architectonic for Science, Dordrecht,
Reidel, 1987.
Feyerabend P.K., « Explanation, Reduction and Empiricism », dans Minnesota
Studies in the Philosophy of Science, vol. III, Minneapolis, University of Minnesota
Press, 1962.
– Against Method, Londres, New Left Books, 1975.
– « Changing Patterns of Reconstruction », British Journal for the Philosophy of
Science, 28, 1977, p. 351-382.