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Une Histoire Alternative du Graal

1. La Magie du Graal ou le Mensonge Paternel


John Lash

La Compréhension de la Quête Spirituelle Occidentale


Nous vivons sur une planète tyrannisée et terrorisée par des hommes barbus qui déclament, à ses habi-
tants, ce que Dieu dit et ce que Dieu veut. D'autres hommes, qui ne sont pas barbus mais qui terrorisent
et tyrannisent également le monde, croient en un dieu paternel barbu au nom duquel ils parlent et dont
ils suivent les commandements. Toute la planète souffre sous le poids d'un MENSONGE suprême et sou-
verain: le mensonge selon lequel Dieu le Père ait jamais parlé à ceux qui la peuplent. En raison de leur
crédulité innée et incurable, les habitants (ou les “natifs” tels qu'on les nommait auparavant avec un brin
de sentimentalisme) sont enclins à croire que le Créateur à réellement parlé à quelqu'un sur la planète,
à une époque et dans un contexte précis. Il (ou, qui sait, peut-être même Elle - bien que les hommes qui
parlent de LUI ne pourraient jamais admettre cette possibilité) doit avoir ainsi parlé, croient-ils. Mais où?
Quand? A qui? Et dans quel but?

Mythbusting 101 est un cours bref, en quelques leçons, qui se consacre à l'exploration de ces ques-
tions.

La Blessure d'Amfortas
Il est incroyable de voir, lorsqu'on réfléchit à la vie sur cette planète, que ses habitants consentent à ac-
cepter le monde d'hommes barbus, ou d'hommes rasés qui suivent une divinité barbue, alors que ceux-ci
déclarent que Dieu commande de pratiquer la guerre, la domination et les châtiments. Ces hommes sont
des théocrates qui voudraient contrôler la terre en tant qu'agents, sinon en tant qu'incarnés, de “Notre
Père qui Etes aux Cieux”. De toutes les choses que Dieu pourrait dire, lorsqu'il s'adresse aux habitants
de cette planète, il semble que l'aspect le plus important et le plus irrésistible, de cette révélation divine,
soit l'assertion selon laquelle Dieu ordonne de tyranniser et de terroriser le monde. La suprématie de la
puissance génocidaire semble être le message qui porte le plus de poids. Mais pourquoi?

Ce n'est évidemment pas le message d'un dieu quelconque mais le message des imposteurs théocra-
tiques (avec ou sans barbe) qui prétendent parler au nom de Dieu et qui tirent leur autorité de LUI. Le
message familier de la guerre, de la domination et du châtiment en reflète bien la source: des hommes
qui ne peuvent pas ressentir de communion avec la vie, qui méprisent leur propre faiblesse mais qui
sont incapables de voir qu'elle est due à cette déconnexion même de la vie et qui haïssent tout ce qu'ils
ne peuvent pas contrôler, dont les femmes, les enfants et la nature. Le pouvoir de leur message toni-
truant tient presqu'entièrement à l'intimidation. Il intimide, tout d'abord, en assumant l'autorité d'un
super-parent extra-planétaire qui ne peut pas être remis en question ou défié. Il intimide, secondement,
par l'implication que ceux qui s'expriment, au nom du pouvoir de châtiment de Dieu, ont également la
capacité de le brandir, de l'infliger à la personne de leur choix. Il intimide, troisièmement, parce qu'il tire
un pouvoir collatéral de la douleur de la blessure patriarcale, une douleur qui est ressentie par tous ceux
qui peuplent la terre.

Quelle est la nature de la blessure du patriarcat? Il y a environ un millier d'années, elle était appelée la
blessure d'Amfortas. Amfortas était le Roi du Graal qui fut mortellement blessé par “une lance qui lui
perça les cuisses”, conte l'antique épopée médiévale. Les érudits soulignent, de manière affable, que les
“cuisses” représentent un euphémisme pour l'aine. La Blessure d'Amfortas est sexuelle. Tous les impos-
teurs théocratiques sont des handicapés sexuels qui cachent leur affliction en invoquant une pléthore
de rejetons. Ils commencèrent leur régime théocratique par une litanie de rejetons qui culmina dans la
naissance de l'unique progéniture humaine de Dieu, le divin messie. Ils arrivent maintenant à l'apogée
de leur régime de 6000 ans avec une litanie de rejetons (sous la forme de manipulations génétiques) qui
va nous conduire au parfait clonage humain - c'est du moins ce qu'ils croient. Leur finalité cachée est de
détruire l'humanité en chair et en os pour la remplacer par une Nouvelle Jérusalem peuplée de clones


contrôlés à distance sur lesquels ils régneront pour l'éternité parce qu'ils participent de la compagnie de
celui qui est “sans père, sans mère, sans descendance ou généalogie, n’ayant ni début ni fin” (Hébreux
7:1-3). C'est Melchisédech, le Messie Extra-Terrestre, le Prince des Vertus. Avec leur penchant révélateur
pour le symbolisme religieux, les maîtres de la pensée théocratique ont attribué à Melchisédech la fonc-
tion “d'ange gardien” de l'Etat Sioniste.

“Jérusalem est la demeure de nombreux Archontes” nous prévient la Seconde Apocalypse de Jacques
dans les Codex de Nag Hammadi.

Voyez l'aspiration démente des théocrates: le gouvernement US soutient Israël parce que les contrôleurs
cachés derrière ce gouvernement et derrière l'Etat d'Israël partagent un but commun dont ne sont pas
conscients les habitants de la planète. Ce but est le statut pseudo-divin de l'immortalité clonée pour eux-
mêmes et pour leur famille, qui les rendra pareils à Melchisédech. Ils sont convaincus de la faisabilité
de leur aspiration à vaincre la mortalité humaine parce qu'ils ont rencontré et vu la preuve ou qu'ils ont
été persuadés par ceux qui l'ont vue. Il suffit d'un clone pour démontrer que le clonage soit possible.
Contemplez le simulacre, dînez à sa table, buvez-en le vin en provenance de Sardaigne et vous en serez
convaincus.

La promesse de l'immortalité est l'arnaque suprême des Archontes (NDT: en anglais, jeu de mots non
traduisible: “the arch-con of the Archons”).

Dans la version Allemande de Parzival écrite par Wolfram von Eschenbach aux alentours de 1220, le Roi
du Graal est appelé Enfermetez, “souffrant, affligé”. Dans les versions Galloises, ce nom est adouci en
Amfortas. Ce personnage tiré de l'aristocratie médiévale, ne représente pas les pairs de Melchisédech ou
quiconque dans l'asile à ciel ouvert des imposteurs théocratiques. Amfortas n'est pas un théocrate mais
il incarne l'humanité blessée qui nous est infligée, à tous, par le système théocratique, le principal outil
politico-religieux du patriarcat.

Amfortas est appelé le Roi Pêcheur parce qu'il représente l'embarras des maîtres patriarcaux durant
l'Age des Poissons. Parzival, (la version en moyen haut Allemand de Wolfram von Eschenbach, 1195-
1225), est pleine de compassion pour cet embarras mais elle repose aussi sur des artifices artistiques
pour en déguiser l'histoire véritable. A cette époque et dans ce contexte, Amfortas n'aurait pas pu être
dépeint comme maléfique parce que l'histoire du Graal était écrite pour et au sujet de l'aristocratie féo-
dale, la classe à laquelle appartenait le Roi Pêcheur. Amfortas symbolisait, assurément, le meilleur de la
Noblesse, son aspect le plus humain. Dans Parzival, l'agent du mal n'est pas Amfortas mais Klingsor, le
magicien noir qui complote contre ceux qui sont en quête du Saint Graal.

Le Fils d'une Veuve


Les légendes médiévales de la Quête du Graal incorporent les thèmes d'une ancienne énigme, compa-
rable à l'énigme du Sphinx: Amfortas, qui incarne la douleur de la blessure du patriarcat, ne peut être
guéri que lorsque le secret du Graal est résolu par le fils d'une veuve. Les conditions sont claires et sim-
ples mais déconcertantes: le héros du Graal doit être un jeune homme dont le père est mort avant sa
naissance. Il doit arriver par hasard au Château du Graal, sans idée préconçue de ce pourquoi il est en
quête. Sans même savoir qu'il est en quête de quelque chose. Il doit ensuite contempler le Graal et être
rendu muet sans être capable de “poser la question”. Il doit s'enquérir de l'étrange destinée du Roi Pê-
cheur: souffrir d'une blessure dont il ne peut mourir mais dont il ne pourra jamais guérir - jusqu'au jour
où quelqu'un arrivera pour succéder au Roi en tant que Porteur du Graal. A la suite de cette expérience
déconcertante, Perceval doit errer pendant des années, sans but apparent, jusqu'à ce qu'il revienne vers
le Château du Graal. Cette fois, il sait ce qu'il doit demander afin de recevoir et de libérer la puissance
régénératrice du Graal et de guérir la blessure d'Amfortas, offrant ainsi à l'humanité les conditions de sa
guérison.

La faculté de la race humaine de se sauver elle-même de cette dégénérescence terminale dépend-elle de


cette antique intrigue énigmatique? Cela se peut bien parce que cette intrigue est le script directeur de
la vie spirituelle du monde Occidental. Joseph Campbell a déclaré que la Légende du Graal présente “la
définition la plus précoce de la mythologie séculaire qui est aujourd'hui la force spirituelle qui guide l'Oc-
cident Européen”. (Creative Mythology, page 564). Mais cette assertion s'applique aussi à l'Occident
Américain. Qui plus est, dans la mesure où l'Occident détermine le destin de la communauté globale, elle
s'applique à toute la planète.


Parzival (Perceval dans une prononciation plus douce) signifie “percé au coeur”. Sa mère est Herzeloyde,
(“au coeur brisé”). Elle souffre car son époux, un noble chevalier nommé Gamuret (“destin mûr”), s'est
fait tuer au combat quelques mois avant que leur fils ne naisse. Sa destinée brise le coeur mais elle ac-
complit, cependant, les conditions requises par l'énigme: celui qui le premier atteint le Graal et met fin
à la souffrance du roi blessé.

Lors de sa carrière chevaleresque et de sa quête du Graal, Perceval bénéficie de l'aide de nombreuses


femmes: son épouse Condwiramurs (“amour guidant”); sa tante paternelle Furdamurs (“amour proté-
geant”); Ginover (Guenevere, “fidèle à jamais”) l'épouse du Roi Arthur; Liaze (“la galante”), la fille du
guide et tuteur de Perceval, Gurnemanz (“concentré sur le destin”); Kundrie la Sorcière, messagère du
Graal, semblable à une dakini et adepte de la Kundalini, le Pouvoir du Serpent; Sigune (“frappée par le
destin”), sa cousine; et la dernière mais non la moindre, Repanse de Schoye (“joie rebondissante”), la
porteuse du Graal qui préside au rite sacré, la Contemplation du Graal, dans le hall principal du château
du Roi Pêcheur.

Parzival n'est pas une allégorie comme le Pilgrim's Progress. Ces noms magnifiques et évocateurs
fleurent bon le parfum de “romance médiévale”, le genre auquel la Quête du Graal appartient. L'histoire
n'est pas entièrement fictive. Elle se déroule en parallèle à certains événements qui se passent dans
l'Europe centrale aux 9 ème et 10 ème siècles. L'histoire fut, tout d'abord, préservée oralement et elle
fut ensuite rédigée, 200 ans après ces événements.

Bien que Parzival soit une histoire de chevaliers, une épopée chevaleresque dont les principaux person-
nages sont des hommes, ces derniers ne représentent pas le système patriarcal mais plutôt une oppo-
sition mâle à ce système et même une subversion mâle de ce système. Ce ne sont pas des champions
patriarcaux mais des héros authentiques qui adhèrent à un code non-patriarcal d'amour romantique,
l'amour courtois. Le héros véritable peut être distingué du champion par sa dépendance à la femme et
sa relation intime avec la Déesse. (J'ai explicité longuement cette distinction dans mon ouvrage The
Hero - Manhood and Power). Que cela soit vrai pour Perceval est démontré par de nombreux détails
de l'histoire mais plus particulièrement par le rôle prédominant des femmes dans sa destinée.

La première leçon de Mythbusting, que l'on puisse tirer de l'histoire de Perceval, est que la Quête du
Graal concerne la victoire sur le patriarcat et la défaite du Mensonge Paternel: le mensonge selon le-
quel Dieu le Père a parlé aux hommes (et aux hommes seulement) qui nous transmettent ses paroles,
imposent ses règles et exécutent ses commandements. La Quête n'est pas juste une autre histoire qui
remplacerait le script directeur du patriarcat. C'est une manière de désactiver ce script, de revendiquer
ce que le Mensonge Paternel a interdit et de s'engager sur un chemin d'expérience qui permette le plein
épanouissement de l'esprit humain à partir du sol fertile de la civilisation Occidentale.

Comme nous l'avons expliqué dans Myth in Prehistory, les Mystè-


res de la Déesse et le Cycle du Héros sont les deux histoires primor-
diales qui déterminent l'évolution historique, morale, culturelle et
spirituelle de l'humanité en Occident. Elles sont ce que Joseph Camp-
bell appelle “des paradigmes de l'expérience humaine séculaire dans
une dimension de profondeur”. Elles fondent également l'expérience
religieuse authentique en dehors de tout cadre institutionnel et doc-
trinal. Nous recouvrons les Mystères de la Déesse au travers des
écrits Gnostiques et du Mythe de Sophia - amplement développés
sur ce site. Nous recouvrons le Cycle du Héros en étudiant l'histoire Le Roi Pêcheur percé à l'aine. Le Roman
de la Quête du Graal, et en y participant, dont le personnage central du Saint-Graal, France, 14 ème siècle
est Perceval.

Les événements décisifs de l'histoire de Perceval prennent place dans la Terre Gaste, la Terre Dévastée.
C'est la contrée qui entoure le Château du Graal. C'est une terre dévastée parce que l'affliction sexuelle
d'Amfortas génère une sorte de contamination de la biosphère qui ruine la terre, fait dépérir les plantes
et fait obstacle à la régénération. Les prédictions concernant le Graal affirment que tant que le fils d'une
veuve n'arrive pas au château pour poser la “question du Graal”, la nature continuera de souffrir en rai-
son de la blessure sexuelle de l'humanité - la pathologie toxique du patriarcat, si l'on préfère.

La Question du Graal
La structure de l'intrigue employée par Wolfram, et par d'autres narrateurs de la légende, est relative-
ment précise quant à la “Question du Graal”. Perceval doit contempler le Graal une fois sans savoir ce


qu'il signifie et sans être capable de formuler la question et ensuite, une seconde fois, lorsqu'il voit et sai-
sit l'occasion de poser la question. Nous pouvons tous nous identifier avec Perceval, appelé le Fou Sacré,
qui incarne la méthode d'initiation “pour les nuls”. Il ne sait pas quoi demander et quand le demander
même lorsqu'il se trouve face à un miracle vivant. Nous lui ressemblons lorsque nous prenons conscience
que le secret de la vie vient d'abord à notre rencontre sans que nous en connaissions la nature ou sans
même savoir que c'est un secret, et ensuite, au cours de la vie, il nous met en présence d'une autre
rencontre, d'une autre opportunité d'entrer en relation avec la magie du cosmos. Nous participons au
secret simplement en demandant, en nous rendant réceptifs à la connaissance. Le fait de demander
témoigne également du désir de s'engager mais il nous faut demander au cosmos de nous conférer cet
engagement. Nous ne pouvons pas saisir l'engagement par force ou par pure volonté car nous devons
requérir qu'il nous soit donné. On pourrait élaborer bien d'autres notions à ce sujet...

Il suffit de dire que la situation de Perceval est exemplaire pour ceux d'entre nous qui aspirent profondé-
ment, et peut-être à leur insu, à unir leur destinée personnelle avec les desseins plus vastes du cosmos.
Mythbusting 101 montre comment réaliser cela en annihilant les mythes toxiques qui entravent notre
chemin vers cette connexion.

Quelle est la question du Graal et à qui le héros la pose-t-il? Selon Wolfram, à la suite de sa seconde vi-
site au Château du Graal, Perceval se trouve devant son oncle paternel, Amfortas, le Roi blessé du Graal.
Au moment critique, il demande: “Cher Oncle, de quoi souffrez-vous?” Comme son oncle est tout sim-
plement un représentant de l'humanité, Perceval demande en fait: “Humanité, de quoi souffrez-vous?”
C'est la Question du Graal que chacun d'entre nous doit poser afin de nous engager dans la Quête et
d'atteindre le Graal. En nous inspirant de l'exemple de Perceval, il nous faut nous enquérir au sujet de la
maladie de l'espèce, mais plus spécifiquement dans la mesure où elle procède du patriarcat et du Men-
songe Paternel. La réponse à la question du Graal nous parvient de façon individuelle, par des milliers
de voies qui soutiennent et accompagnent les intuitions précieuses que nous pouvons développer quant
à la condition humaine.

Immédiatement après que Perceval ait posé la question, un effet magique se répand sur toute la commu-
nauté du Graal, ainsi que sont appelés les membres de la cour du Roi Pêcheur. Ils sont tous frappés de
stupeur face à la manifestation du San Graal, une coupe numineuse de lumière qui déborde d'onguent de
guérison et d'une nourriture riche et parfumée. Alors Perceval se tourne vers le Graal même et pose une
autre question: “Comment puis-je vous servir?” Ce faisant, il renverse entièrement la magie du Graal
telle qu'elle avait été traditionnellement connue jusqu'alors. Isolée dans la Terre Gaste, dont l'environne-
ment est pollué et où rien ne croît, la communauté du Graal était néanmoins capable de survivre en se
nourrissant périodiquement à la coupe sacrée. Même Amfortas, qui ne pouvait ni mourir de sa blessure
ni en être guéri, prenait réconfort auprès d'un onguent émanant du Graal qu'il appliquait sur sa blessure
à l'aide de la pointe de la lance sacrée. Depuis des temps immémoriaux, la noble famille était servie par
le Graal, vivant par la grâce d'une source inépuisable de nourriture physique et spirituelle.

Quant à lui, Perceval, après s'être engagé à comprendre la souffrance de l'humanité, ne demande pas
à être servi par le Graal mais demande comment il peut le servir. Il s'en remet à une vocation plus éle-
vée et invoque une magie supérieure car la générosité est supérieure à la grâce. En s'engageant ainsi,
Perceval sait intuitivement qu'il y a plus de pouvoir à servir le Graal qu'à en être servi. Cette prise de
conscience de sa part peut engendrer en nous une série d'intuitions précieuses, si nous choisissons d'y
réfléchir.

A l'époque et dans le contexte de la romance du Graal, le choix de Perceval de servir le Graal donnait
une leçon provocante d'humilité à la Noblesse Européenne à laquelle l'histoire s'adressait. Au lieu de vi-
vre de leur privilèges dans la Terre Gaste, en tolérant les ruines et même en y contribuant, ils pouvaient
choisir de servir le pouvoir qui les entretenait mystérieusement. On peut difficilement s'imaginer, de nos
jours, quelle sorte d'influence ce message put avoir en s'infiltrant dans l'infrastructure psychique de la
Noblesse Européenne à la fin du Moyen Age. Au moins, il conduisit, dans une certaine mesure, à l'essor
de l'Humanisme qui engendra la Renaissance, le retour aux valeur indigènes et Païennes.

Aujourd'hui, la même leçon est valable pour ceux qui (en tant que consommateurs) profitent de la dévas-
tation de la terre, d'une façon ou d'une autre. Le problème, dans la société moderne, n'est pas simple-
ment le fait que le pouvoir se trouve dans les mains d'hommes blessés et déments qui parlent au nom de
Dieu. Le problème est la fait que les privilèges détruisent l'équilibre de n'importe quelle société, saine ou
démente. En fait, comment les hommes de pouvoir s'en sortiraient si les individus qu'ils contrôlent dans
le monde n'étaient pas sensibles à la soumission par privilèges? Dans la légende du Graal, les classes
nobles de l'Europe médiévale trouvèrent une leçon morale et profonde d'humilité, une leçon qui est tout
aussi pertinent de nos jours qu'elle l'était alors. Mais aujourd'hui, cette leçon nous concerne tous.


Comment guérir la blessure du patriarcat selon l'histoire de la Quête du Graal?

C'est la question qu'on se poserait normalement, bien sûr. Mais avec la mythologie dynamique, la puis-
sance narrative ne fonctionne pas toujours en ligne droite et de façon littérale. Il est vrai qu'il existe
une pléthore de vérités et d'intuitions que l'on puisse extraire de cette histoire merveilleuse mais elles
n'incluent pas son pouvoir de guérison extraordinaire. Ce n'est pas juste ce que l'histoire nous rapporte
qui guérit la blessure - qui plus est, c'est l'histoire elle-même qui est source de guérison. Pour vaincre le
patriarcat, il faut aimer et étudier cette histoire et vivre avec. L'histoire est telle une clé qui s'enclenche
dans une serrure. Les indentations de la clé sont taillées de façon à correspondre à la serrure. Mainte-
nant, lorsque vous arrivez à la porte, vous ne vous arrêtez pas pour examiner la clé et vous demander
comment les indentations de la clé ont été façonnées de telle sorte à ouvrir la serrure. Vous mettez sim-
plement la clé dans la porte et vous l'ouvrez. C'est la clé qui ouvre la porte et non pas vos spéculations
quant au profil de la clé. Il en est de même avec l'histoire de la Blessure d'Amfortas: elle est la force
même qui guérit la blessure.

Pénétrez dans l'histoire, participez-y et laissez vous guider par cette force.

Le Chaudron Magique
Mais qu'en est-il du Graal lui-même, le plus énigmatique des artefacts sacrés? Que pouvons-nous en
connaître aujourd'hui? Comment pourrions-nous imaginer nous impliquer dans l'histoire de la Quête du
Graal et découvrir ce qu'il en advint après que Perceval eût posé la question?

Il existe de nombreuses tentatives de décrire le Graal. Wolfram lui-même dit que c'est un morceau de
“lapis exilis”, la pierre d'exil, une émeraude qui tomba de la couronne de Lucifer lorsqu'il plongea des
cieux suite à sa prétention arrogante de pouvoir créer un monde aussi beau que celui que le Créateur
créa à notre intention. Cette légende est très embrouillée et elle mélange des fragments de légendes
médiévales Juives concernant des anges déchus avec la notion Gnostique d'une divinité déchue. Cepen-
dant, l'indice du lapis est utile parce qu'il identifie le Graal avec la Pierre Blanche des alchimistes, la Pierre
Philosophale. En nous inspirant du mythe Gnostique de l'Eon Sophia, la déesse qui chut sur la terre, nous
pourrions imaginer que la pierre rayonnante lui appartient plutôt qu'à Lucifer (une invention tardive de
l'Eglise dans sa tentative désespérée d'objectiver le mal).

Ce fil de la narration s'accorde bien avec la mythologie Celtique à l'arrière-plan de la Quête du Graal. Tous
les érudits s'entendent sur le fait que le Graal est une version médiévale tardive du chaudron magique
de Keridwen, un avatar Celtique de la Déesse Blanche. La chaudron de Keridwen fut la source d'inspira-
tion de bardes shamans tels que Taliesin qui devint divinement inspiré en en prenant trois gouttes sur
la langue. Ce fut la possession magique la plus convoitée par les anciens rois qui pouvaient se sustenter
indéfiniment à partir de sa nourriture. C'était ainsi une source de régénération physique et de créativité
poétique.

Dans From Ritual to Romance (1920), Jesse L.


Weston avança la thèse selon laquelle le chaudron
Celtique et le Graal médiéval constituaient la conti-
nuation des anciens dieux de fertilité Païens. Le lau-
réat Nobel T. S. Eliot s'inspira énormément de ses
idées en écrivant son poème “La Terre vaine”, le
jalon du Modernisme. La Légende du Graal par
Emma Jung et Marie-Louise von Franz va plus loin
que Weston sur le sujet des origines indigènes du
Graal. Malgré la proéminence de la Légende du Graal
et de ses motifs dans le Modernisme (qui furent mis
en exergue par Joseph Campbell) et du fort intérêt
émanant des études Jungiennes, le fil de l'histoire
fut perdu. De nos jours, en Occident, nous sommes
tout aussi éloignés de l'expérience de Perceval que
nous l'avons jamais été.

Le Graal Chrétien, cependant, suscite beaucoup


d'intérêt. Le long poème en trois parties appelé Le Galahad recevant le Graal de la Vierge du Graal. Détail d'une
Roman de Graal, écrit en 1200 par Robert de Bo- peinture de Dante Gabriel Rossetti. [dans The Hero-Manhood
ron, est le premier ouvrage Médiéval à identifier le and Power by John Lash, Thames & Hudson, 1995


Graal celtique avec le calice utilisé durant le Dernier Souper, la même coupe utilisée par Joseph d'Arima-
thie pour recueillir le sang de Jésus. (J'ai vu et touché le vélin originel de ce manuscrit médiéval, qui est
conservé dans la collection privée de la Bibliotheca Hermetica d'Amsterdam). Grâce à cet unique coup
littéraire, le Graal fut piraté au service de la théologie Chrétienne. Il devint un étayage dans un scéna-
rio de la rédemption dans lequel le sang du Christ remplace la Lumière mystérieuse, et source de toute
nourriture, qui emplit le Graal. Plus récemment, des déclarations fantasmagoriques concernant le Prieuré
de Sion, une société supposément secrète et possédant supposément des informations secrètes sur la
vie de Jésus, ont propulsé la cooptation à des niveaux jamais atteints. Le scénario de Sion repose sur
un jeu de mots: San Graal/Sang Real “Saint Graal/Sang Sacré”. Dans cette fiction fantastique et ésoté-
rique, le Graal est considéré être un nom de code pour la lignée de sang descendue de Jésus. A part le
fait que cela soit un non-sens total, ce jeu de mot pervertit la Légende du Graal et l'oriente dans le sens
du culte du sang Catholique et des illusions de pouvoir monarchistes-messianiques-maçoniques. Tout le
répertoire de la mythologie fallacieuse du Roman du Graal au Da Vinci Code témoigne d'une intrigue
délibérée et perverse pour occulter l'immense pouvoir de guérison de la Légende du Graal et en priver
le monde moderne.

Il n'existe pas de Graal Chrétien, car le Christianisme est une religion de la rédemption alors que la Quête
du Graal n'est pas un script rédempteur. C'est une romance héroïque empreinte de valeurs féminines,
écologiques et ouvertement anti-religieuses et anti-patriarcales. Wolfram ne donne en rien dans cette
colligeance entre le Graal et le calice. Un Païen et anti-Chrétien convaincu, il s'en tient étroitement aux
origines anciennes Celtiques de la Légende. (Wolfram n'était pas non plus un prude: il affirme carrément
qu'Amfortas fut blessé par “une lance empoisonnée - au travers du scrotum”). Il perçoit dans le Graal
une matrice tellurienne de puissance régénérative mais aussi une source d'écriture céleste, de langage
des étoiles. Il compare le Graal au croissant de lune et décrit comment une écriture magique apparaît de
façon spontanée sur le rebord de la coupe sacrée:

“Quant à ceux qui sont attitrés au Graal, écoutez comment ils sont reconnus. Dessous le rebord de la
Pierre, une Inscription annonce le nom et le lignage du celui qui est appelé à entreprendre l'heureux
voyage (la Quête du Graal)... Dès que le nom a été lu, il disparaît aux regards!”

L'écriture magique sur le Graal est réminiscente des parchemins mystérieux qui s'auto-rédigent et que
l'on appelle termas dans le Bouddhisme Tibétain. Les enseignements de maîtres accomplis peuvent être
retrouvés sur de précieux parchemins rédigés en encre d'or, ou dans les phénomènes de la nature ou
dans les pensées pures du mental humain. Ceux qui découvrent des termas sont appelés des tertons,
“des découvreurs de trésors”. Le Graal est à la fois un trésor ainsi découvert et la source de messages
occultes qui conduisent à sa découverte ou qui prédisent l'identité de ses découvreurs. Dans la tradition
Tibétaine des Nyingmapa, les maîtres qui laissent des termas sont aussi réputés prédire qui les décou-
vrira. Perceval est la personnification d'un terton Occidental.

La comparaison entre la Pierre et le croissant de lune clarifie l'étrange motif de l'écriture céleste. Le jeune
croissant de lune ressemble à un calice aplati, à un bol ou à une assiette incurvée. Wolfram insiste sur
le fait que le Graal est une assiette et non pas une coupe. Lorsqu'il se détache sur le ciel étoilé, le fin
croissant de lune, lorsqu'il n'est pas brillant au point d'effacer les constellations à l'arrière-plan, apparaît
telle une parenthèse indiquant un passage spécifique de l'écriture céleste - des lignes dans le langage
codé du Zodiaque. La position précise et l'angle du croissant, en relation avec les constellations à l'ar-
rière plan, révèlent le “texte” qui est mis entre parenthèses, l'écriture cosmique révélée au moment de
l'observation. La nuit suivante, le croissant s'est déplacé et l'écriture a été transformée ou étendue. Mais
au fil de l'augmentation du croissant, sa luminosité efface le passage spécifique du code qu'il a déselec-
tionné du script Zodiacal.

Un Mythe Historique
Wolfram accorde une grande importance aux structures célestes qui sont parallèles à la Quête. Au dé-
but de son ouvrage, il explique que l'histoire trouve son origine avec un astrologue nommé Flegetanis.
La source directe de la version de Wolfram, selon ses dires, vint d'un poète Provençal nommé Kyot qui
semble avoir été le protégé du Duc d'Anjou. (Cela explique pourquoi la famille du Graal serait identifiée
historiquement avec la Maison d'Anjou: le poète invente l'histoire pour honorer son patron). Apparem-
ment, d'anciennes connaissances astronomiques préservées en Arabie - Flegetanis est peut-être un nom
Arabe latinisé - furent transmises oralement par les poètes Provençaux du sud de la France et ensuite
confiées à Wolfram qui les coucha sur le papier.


Au travers de tout Parzival, Wolfram fait référence à des événements Zodiacaux et planétaires qui se dé-
roulent durant la Quête. Son information est si précise et détaillée que l'on peut localiser la contre-partie
historique de la Légende du Graal durant la période de trois années durant laquelle Saturne transite dans
la Constellation du Cancer. Le transit se manifeste trois fois durant chaque siècle mais les conditions
Zodiacales sont hautement spécifiques. Le transit mentionné par Wolfram pourrait correspondre à des
événements au milieu du 9 ème siècle, vers 848, mais aussi au milieu du 10 ème siècle, vers 966.

Wolfram relie explicitement la constellation du Cancer avec la Blessure d'Amfortas: “Nous savons à partir
de la blessure et de la neige d'été que la planète Saturne est retournée à sa maison”. Le terme Moyen
Haut Allemand utilisé ici est zil, qui signifie “maison, zénith” dans le langage astrologique. Le zénith du
Zodiaque est le Cancer. Selon la légende, Amfortas ressent des douleurs exceptionnelles lorsque Saturne
retourne à sa position mais c'est aussi le moment de culmination de la Quête du Graal, lorsque Perceval
pose la question.

Alors que j'écris ces lignes, Saturne est au zénith, en transit dans la constellation du Cancer, le Crabe.

Les indices astrologiques épars dans le Parzival de Wolfram permettent de déterminer la date de la
Quête ou, pour l'exprimer d'une autre manière, de retracer les reflets historiques des événements my-
thologiques qui se déroulent dans la narration de la Quête. Si cela en vaut la peine, on peut ainsi identi-
fier des personnages historiques connus impliqués dans la Quête, y compris un candidat potentiel pour le
rôle de Perceval. Par exemple, le poète Provençal Kyot pourrait être identifié avec Guillaume de Toulouse,
connu aussi comme Guillaume d'Orange.

D'autres références de l'ouvrage rendent possible la détermination de lieux géographiques importants


dans l'histoire. Il semble qu'il y ait eu un certain nombre de Châteaux du Graal dans l'Europe médiévale.
Selon Rudolf Steiner, qui accorda une importance considérable à l'histoire de Perceval, le Château Espa-
gnol du Graal était localisé dans les Pyrénées, près de la ville de Jaca. En raison de toute la désinforma-
tion et du brouillard qui sévissent autour du calembour sur le Sangraal, il est impossible de préciser la
localisation du principal Château Français du Graal; j'ai l'intuition que cela pourrait être dans les terres
ancestrales de la Maison d'Anjou, où qu'elles soient. Le Château du Graal associé avec Lohengrin, le fils
de Perceval, était probablement Konigsburg en Allemagne près de la cité Romaine de Trier.

La Légende du Graal est un mythe historique. Il se déroule dans un temps linéaire même si ses motifs
sont éternels et en dehors du temps. Parce qu'il concerne le problème de la blessure patriarcale et du
Mensonge Paternel, il doit posséder une dimension historique - sinon, il ne pourrait pas offrir une issue
de sortie du cauchemar de l'histoire et annuler le script auto-validant des imposteurs théocratiques.

La Transmission
La conclusion du Parzival dans la version de Wolfram contient des éléments extrêmement remarquables
mais personne ne semble leur avoir accordé beaucoup d'importance. Nous en examinerons certains,
ultérieurement, dans le détail. Pour un accompagnement à ces leçons, Creative Mythology de Joseph
Campbell contient la meilleure introduction moderne et le meilleur commentaire psychologique sur la
Légende. Campbell consacre l'entièreté des chapitres 7 et 8, un total de 175 pages, au Roi Pêcheur et à
Perceval. Il se fend de digressions étourdissantes et sa verbosité est gargantuesque: prenez ce que vous
aimez et laissez le reste. A son crédit, Campbell considère réellement ce qui se passe après que le Graal
ait été réalisé; c'est un sujet qui est presque totalement ignoré dans les nombreux autres ouvrages sur
cette histoire extraordinaire.

Il existe 16 chapitres dans la version qui a survécu


du poème épique de Wolfram en Moyen Haut Alle-
mand. Le dernier chapitre de Parzival déborde de
rebondissements surprenants. Nous apprenons que
la fin de la Quête du Graal est le commencement
d'une autre Quête, qui est actuellement en cours.
Tant sur le plan historique que sur le plan atempo-
rel, ceux qui acceptent de participer à la Légende du
Graal sont transportés dans un autre épisode, vers
un mythe futur. Ainsi que Hesse l'écrivit à la premiè-
re ligne du Voyage en Orient: “ce fut ma destinée
Perceval avec son demi-frère, l'infidèle Feirefiz. Manuscript
de participer à une grande expérience...”. De fait, la
Cgm 19, folio 49v, State Library, Munich.
continuation de la Quête du Graal oriente vraiment


dans cette direction, vers l'Orient. Selon Wolfram, juste après avoir atteint le Graal, guéri Amfortas et
assumé le trône du Roi du Graal, Perceval abdiqua immédiatement de son rôle et transmit le Graal à son
demi-frère Feirefiz qui l'emmena en Inde et le présenta au Prêtre Jean, le régent mystérieux d'un royau-
me au-delà des Himalayas. En bref, le Graal fut emmené au Tibet, le royaume légendaire de Shambala.
Cette transmission extraordinaire de l'Occident à l'Orient se passa au cours du 10 ème siècle.

Après avoir donné l'artefact sacré du Graal à Feirefiz, Perceval confia à son fils Lohengrin le secret de la
mission qui restait à accomplir après que le Graal eut été réalisé.

La transmission du Graal est la partie actuelle de la Légende du Graal. Cette séquence met en jeu le fils
que Perceval eut avec Condwiramurs, Lohengrin, le Chevalier au Cygne. La légende de Lohengrin - c'est
à dire la forme germinale de la future histoire de la Quête du Graal - se déroule dans la Lotharingie, la
province Latine nommée après lui. Cela devint en France la Lorraine mais la tradition associe le Chevalier
au Cygne avec la région qui se trouve plus ou moins au nord-est de la Lorraine actuelle - à savoir la Belgi-
que moderne. Lors d'un épisode célèbre, le Chevalier au Cygne vogue sur la rivière Schelde, la principale
rivière de Belgique, vers Antwerp où il rencontre la femme qui décidera de son destin.

Dans Parzival, Wolfram prépare le terrain pour l'histoire de Lohengrin en insérant des associations féo-
dales avec la Maison d'Anjou, le siège héréditaire du Château du Graal. Amfortas, qui est en fait l'oncle
paternel de Perceval, appartenait à cette Maison. Un petit royaume féodal, formé à partir d'une alliance
entre l'Anjou et le Roi de Gascogne, prépare le contexte pour l'histoire de Lohengrin, la suite de la Quête
du Graal. Ce royaume fut gouverné par Lambekin, Duc de Brabant et du Hénault. Ces deux noms survi-
vant de nos jours dans les provinces de Belgique de même nom. C'est la région de Belgique établie com-
me la Province de Flandres durant le règne de Baudouin 1er, qui vécut durant le 9 ème siècle, à l'époque
où des événements historiques reflétant la Légende du Graal pourraient s'être passé. Cette même région
fut ultérieurement gouvernée par le roi Croisé, Baudouin IX, un contemporain de Wolfram.

Géographiquement parlant, la Flandre est le lieu où le fil de la Quête peut être repris.

John Lash

Traduction de Dominique Guillet.


Une Histoire Alternative du Graal
2. L’Illumination du Chevalier au Cygne
John Lash

Lohengrin et la Transmission du Graal


Dans l'histoire de Perceval de Wolfram, le Château du Graal est situé
dans la Terre Dévastée, la Terre Gaste. C'est une métaphore puissante
pour la culture moderne Occidentale de par l'impasse de son narcis-
sisme qui va de pair avec la dévastation du monde naturel. Dans son
ouvrage Où finit le Désert, Theodore Roszak eut recours à la même
métaphore dans sa critique lucide “de la façon dont la révolution ur-
baine-industrielle a engendré un environnement artificiel et du style
de politiques et de conscience qui s'ensuivirent”. Le mot clé ici est
artificiel. La Terre Gaste du 12 ème siècle n'était pas, bien sûr, celle
que nous devons confronter aujourd'hui, tout autant à l'intérieur qu'à
l'extérieur. A cette époque, et dans ce contexte, l'environnement artifi-
ciel était le style de vie de la strate supérieure de la hiérarchie féodale,
la Noblesse.

Nobles Intentions
Le mot “noble” vient d'une racine Indo-Européenne, gno- que l'on re-
trouve dans gnose. On pourrait dire Gnoblesse. L'équivalent en Sans- Lohengrin par Ernst Fuchs
crit est jna- que l'on retrouve dans prajna (faculté de discrimination)
et dans jnana (faculté de sagesse ou de connaissance). Dans quel
sens la Noblesse Européenne du Moyen-Age incarna-t-elle ces précieuses facultés d'illumination? Est-il
même concevable d'attribuer de telles qualités spirituelles élevées à des individus de cette époque et de
cet environnement?

Et bien, la Légende du Graal semble nous dire qu'effectivement il existait un élément Bouddhiste dans la
classe privilégiée du monde féodal.

Rappelons-nous que le Prince Siddharta était originaire de la Noblesse féodale de l'Inde au 7 ème siècle
avant EC. Dans sa traduction extrêmement influente du Lankavatara Sutra, le maître Zen Japonais D. T.
Suzuki utilisa l'expression “noble sagesse” pour traduire prajna et aryajnana, deux termes Sanscrits se
référant aux qualités Bouddhiques.

La Gnose est une certaine faculté de connaissance, comprenant à la fois la connaissance de soi et la
compréhension du monde naturel et du cosmos dans son ensemble. La Légende du Graal suggère que
cette faculté était à l'oeuvre chez certains membres de la Noblesse féodale, mais pas dans toute cette
classe. Cependant, l'important est que cette faculté fût préservée dans cette classe et non pas ailleurs
dans la société féodale. D'une certaine manière, la Noblesse Européenne du Moyen Age assuma le rôle
de gardiens d'une impulsion d'illumination. Ils étaient le véhicule d'un certain sens de la spiritualité hu-
maine fondée sur l'expérience directe des pouvoirs magiques et surnaturels de la Nature Sacrée. Ceux
qui contemplaient le Graal étaient nourris physiquement et moralement, imprégnés de plaisirs sensuels
et libérés du vieillissement.

L'histoire démontre clairement que la Communauté du Graal est piégée dans son monde de privilèges.
Ce qui les nourrit, les isole aussi. Leur statut privilégié compromet leur humanité mais ils représentent
aussi le meilleur de l'humanité. Amfortas souffrait d'une blessure qui ne pouvait pas guérir mais il ne
pouvait pas en mourir non plus. La Famille du Graal était magnifiquement sustentée par le plat sacré
mais ils ne pouvaient pas se nourrir eux-mêmes ni apaiser la faim autour d'eux. La Montagne Sauvage,
en laquelle était conservée la source ultime de sustentation, se situait sur une terre où rien ne croissait.


Quelqu'un venant de l'intérieur de la Communauté devait la libérer de ces conditions paradoxales afin
que le potentiel Bouddhique puisse se répandre vers l'humanité dans son ensemble. Cela se manifesta
par la réalisation du Graal par Perceval et, presque simultanément, par la transmission du Graal, sa
transmission vers le futur, à savoir maintenant.

La transmission s'effectua dans deux directions, vers l'extérieur et vers l'intérieur. Au travers de Feire-
fiz, le demi-frère Syrien de Perceval, le Graal fut transmis vers l'Asie. Au travers de Lohengrin, le fils de
Perceval, la mission se poursuivit vers l'intérieur de l'Europe. Même si les développements de la Légende
du Graal transcendent des événements historiques, ils s'y reflètent, cependant, intimement. La trans-
mission du Graal vers l'Asie se passa au 10 ème siècle. Selon la Légende, la Vierge du Graal, Repanse de
Joie, qui se maria avec Feirefiz, eut un fils qui devint connu comme le Prêtre Jean. Feirefiz donna le Graal
à son fils qui devint le souverain d'un royaume éloigné en Asie, un endroit appelé Shambala.

Quelque chose d'historique se passa-t-il en Asie, au 10 ème siècle, qui soit un reflet de ces événements
légendaires?

Il est vrai qu'un développement important du Bouddhisme Tibétain se manifesta à cette époque. Ce fut
l'émergence des initiations du Kalachakra. Ce sont des pratiques Tantriques complexes qui ne furent
introduites dans le monde Occidental que dans les années 1980 par Kalu Rimpoché et le 14 ème Dalaï-
Lama. Ce sont deux outils ou méthodes initiatiques: la Roue du Temps, généralement représentée par un
mandala de sable et le Joyau qui exauce tous les voeux. Est-il possible de percevoir dans cette dernière
méthode une image du Graal, qui est souvent décrit comme un joyau ou une pierre précieuse? Il y a
donc, ainsi, un cycle d'un millier d'années de continuité historique - de 980 à 1980 - impliquant des évo-
lutions sur une grande échelle: le Graal Occidental transmis vers l'Est devient le Joyau qui exauce tous
les voeux et puis, un millier d'années plus tard, le Graal revient vers l'Ouest sous la forme des initiations
du Kalachakra.

Il apparaît que les nobles intentions de la Communauté du Graal dans le monde Occidental sont intime-
ment corrélées à la tradition au coeur du Bouddhisme de l'Extrême-Orient.

La Connexion Flamande
Comme nous l'avons souligné dans la leçon précédente, avec la transmission du Graal à Lohengrin, la
légende passe dans les Flandres - en situation moderne, cela correspond à la Belgique, au Luxembourg
et à la Hollande. Wolfram structure cette partie de l'histoire grâce à une orchestration soignée des liens
dynastiques. Le Prince Kaylet de Castille, un cousin de Gamuret, le père de Perceval, rejeta une jeune
fille du nom d'Elize. Au grand tournoi durant lequel Gamuret rencontra Herzeloyde, Elize fut revendiquée
par un chevalier des Flandres, le Duc Lambekin du Brabant et du Hénault. Elize était une princesse de
Gascogne, à la frontière de la France et de l'Espagne, de l'autre côté de la Castille. Son mariage avec le
Duc Lambekin forma un lien dynastique entre la région de Castille-Gascogne et les Flandres.

A partir du Moyen Age, il y eut des relations étroites entre l'Espagne et les Basses Terres. En fait, durant
une certaine période, les Flandres furent sous gouvernance Espagnole. Les soldats Flamands qui visi-
tèrent l'Espagne durant le règne de l'Empereur des Habsbourg, Charles Quint (Charles 1 er d'Espagne
qui régna de 1516 à 1556) devinrent réputés pour leur stature physique et leurs manières rudes. Les
soldats étaient considérés comme étant du style bagarreur et routard. Lorsque les gypsies Espagnols
émergèrent en tant que classe distincte durant le 18 ème siècle, ils furent perçus comme partageant ce
même style de vie, des manières voyouses. Le peuple appliqua, généralement, le terme racial (en fait,
une insulte) pour les soldats - Flamencos, Flemings, Flamands - aux gypsies, et par extension à leur
manière sauvage et extravagante de danser. C'est pour cela que l'art Andalousien du Flamenco, qui pour
beaucoup de gens est la signature même de l'Espagne, est appelée par un nom Flamand.

La connexion Flamande figure au coeur de l'histoire de Lohengrin, le Chevalier au Cygne. Après que
Perceval eut renoncé à la souveraineté du Graal, il donna des instructions spéciales à son fils qui partait
à destination du Brabant et du Hénault, en suivant le lien dynastique auquel Wolfram fait allusion: le
mariage de la Princesse Elize au Duc Lambekin.

A la fin du 12 ème siècle, Wolfram tira les éléments de l'histoire du Graal en partie de l'oeuvre inache-
vée de Chrétien de Troyes. La ville de Troyes se situe en Champagne, au sud-ouest des Terres Basses.
Chrétien était connu pour avoir composé l'histoire du Graal pour son patron, Philippe de Flandres, comme
cela se pratiquait à cette époque. Il est intéressant de noter que la provenance littéraire de l'histoire du
Graal la relie aux Terres Basses en cette fin de 12 ème siècle, entre 1185 et 1206, et les événements


historiques réels qui reflètent cette histoire pointent également vers cette région, mais environ deux siè-
cles plus tôt. La Lotharingie, ou Lorraine, s'étendait originellement vers les Terres Basses au nord (Basse
Lotharingie) et vers l'Alsace au sud (Haute Lotharingie). Je présume que le moment clé de la Quête de
Perceval fut en 968 et que l'époque de Lohengrin se situa à la fin du 10 ème siècle, aux alentours de 985.
Des positions célestes spécifiques signalent ces moments.

Pas de Questions, SVP


Mais ce ne sont que des détails - en fait, des bagatelles historiques. Quelle est la signification réelle de
la transmission du Graal? En quoi la destinée du Chevalier au Cygne est-elle corrélée à ce que nous vi-
vons aujourd'hui en termes personnels, sociétaux et globaux? Quel est le message du prolongement de
la Légende du Graal au sujet de la spiritualité moderne, de la situation précaire de la planète et de la
régénération de l'humanité?

Le prolongement que l'on trouve dans l'histoire de Wolfram ne nous donne pas réellement beaucoup de
matière. En termes littéraires, l'épisode Lohengrin constitue une fin peu convaincante et peu substan-
tielle de Parzival. Elle y est accolée sans beaucoup de finesse et d'à propos. Cet épisode contient, néan-
moins, certains détails cruciaux qu'il nous faut analyser avec soin:

Après avoir posé la seconde question - “Comment puis-je servir le Graal?” ou, dans une autre formula-
tion “Au service de qui le Graal est-il?” - Perceval doit avoir eu une révélation qui le poussa à abandonner
la souveraineté du Graal. Il abdiqua le trône d'Amfortas, brisant ainsi le lignage ancestral des Rois du
Graal. De plus, avec la transmission du Graal vers l'Est, il se passa un événement mystique décisif:

“Des écritures étaient perçues sur le Graal stipulant que tout Chevalier du Graal, que la Volonté divine
conférerait à des gens lointains pour leur protection, doit leur interdire de lui demander son nom ou son
lignage, car il doit les aider à reconquérir leurs droits. Lorsqu'une telle question lui est posée, ces gens
ne peuvent plus le garder avec eux. Comme l'aimable Amfortas a souffert une agonie amère pendant si
longtemps et que la question ne lui fut pas posée pendant si longtemps, les membres de la Famille du
Graal sont maintenant et à jamais réfractaires à tout questionnement. Ils ne souhaitent pas que quicon-
que s'enquière à leur sujet”. (Parzival, page 406)

Il faut souligner que ce passage dit que le simple fait de poser certaines questions pose un risque pour
l'accomplissement de la mission future des Chevaliers du Graal. La mission est claire: aider les gens ordi-
naires à revendiquer leurs droits. Bien que la condition présidant à la demande de questions puisse être
déconcertante, cela nous éclaire beaucoup quant au domaine dans lequel la puissance du Graal sera mise
en oeuvre lorsqu'elle sera libérée de l'emprise du cercle privilégié de la Famille (Noblesse féodale).

Wolfram dit que Lohengrin crût en un homme fort et vaillant qui maîtrisa les arts de la chevalerie. Il lui
arriva d'entendre parler de la situation d'une noble dame des Terres Basses, Else de Brabant. Elle refu-
sait tous les prétendants et provoquait la frustration de nombreux hommes, les barons de la région. Elle
engendrait une animosité masculine intense de par son attitude indépendante. Elle était tout simplement
inaccessible en tant qu'accessoire de la gouvernance mâle. Finalement, un des barons tenta de lui forcer
la main et de la faire contracter un mariage contre son gré.

Mais il devait en être autrement. Alors qu'il vivait dans un château en Lorraine, Lohengrin entendit un
appel magique, un son strident comme celui d'une cloche dans le lointain. Cela le conduisit vers les Ter-
res Basses. En pénétrant en Flandre, il trouva la source du Dendre, une petite rivière qui se jette dans la
Schelde. Voguant dans un vaisseau léger tiré par un cygne, il remonta la Schelde en direction d'Anvers,
le port Flamand sur la Mer du Nord. Il découvrit alors le malheur d'Else et intervint, vainquant le baron
agressif lors d'un duel. Après avoir repoussé tous les hommes, Else accepta Lohengrin parce qu'elle
l'aimait pour son caractère. Il était beau, aimable, perspicace, délicat, courageux et généreux. Un vrai
gentleman de la tradition chevaleresque comme elle n'en avait jamais vu auparavant.

En bref, Lohengrin était un vrai héros, un homme qui appréciait le Féminin et qui était en harmonie avec
la Déesse et non point un champion patriarcal acharné à renverser la Déesse et à anéantir le système
de valeurs et le code éthique qu'Elle inspire. (Cette distinction entre le héros et le champion constitue la
thèse centrale de mon ouvrage The Hero - Manwood and Power).

Else et Lohengrin, connu sous le nom de Prince de Brabant, vécurent alors une vie magnifique, prenant
soin de leur peuple. Mais Lohengrin dut lui préciser les conditions de son service: à savoir que personne,
et pas même elle, ne pouvait s'enquérir de son nom ou de son origine. “Si je suis sujet à un question-
nement, tu perdras mon amour”, la prévint-il. Elle lui donna sa promesse, mais de par l'affection même


qu'elle lui portait, elle la trahira ultérieurement. Plus le Prince faisait le bien, plus son peuple voulait lui
prodiguer ses reconnaissances mais pour ce faire, ils demandèrent son nom et l'origine de sa famille.
Cela leur était tout naturel parce que la coutume sociale exigeait que le prestige aille vers les familles
qui servent l'ordre existant et oeuvre pour l'amélioration de la société. Else elle-même était attachée à
cette coutume et voulait que son mari reçoive le mérite dû pour ses bonnes actions.

Mais les Ecritures sur le Graal stipulaient catégoriquement une condition qui excluait l'accumulation de
prestige social pour l'amélioration de la société. Curieusement, le respect de cette condition retombait
sur la société plutôt que sur celui qui était au service: la question des origines familiales ne doit pas être
posée. Lohengrin ne pouvait pas violer cette condition en dévoilant ses origines mais le simple fait de po-
ser la question le pouvait et le fit. C'est ce qui arriva éventuellement lorsqu'Else succomba à la pression
sociale et questionna le Prince sur ses origines. A ce moment, le mystérieux cygne revint et Lohengrin
monta à bord du vaisseau avec son épée, son bouclier et son casque. Il est dit être tombé en transe, ou
en sommeil, sur son bouclier tandis que le cygne tirait le vaisseau, au travers des eaux grises et sombres
de la Mer Morte.

Les Pères et les Fils


Une observation attentive du message codé dans l'histoire de Lohengrin permet de révéler la nouvelle
équation sociale qui émergea dans l'Europe féodale du 10 ème siècle, une équation dont l'importance,
pour la régénération spirituelle de notre époque, ne peut pas être négligée.

Un des aspects du message est clair: le monopole de la transmission ancestrale fondée sur le sang
s'acheva avec Perceval. De par la transmission du Graal, les nobles intentions d'améliorer la société
n'étaient plus une affaire de famille. Cela signifie non pas que le service d'illumination sociale n'est plus
juste une affaire de famille après le 10 ème siècle mais qu'il n'était plus du tout une affaire de famille.
Dans la nouvelle équation sociale personnifiée par Lohengrin, quelque chose remplaça le véhicule fami-
lial ou dynastique de la dynamique du Graal. La nature de ce quelque chose va devenir claire dans un
moment.

Dans le chapitre 15 de Parzival, Wolfram dit: “Aucun homme sage en quête de vérité ne s'inquiète de son
père ou de son fils”. C'est une affirmation rude (et qui certes sera considérée comme inacceptable par
certains) qui requiert un examen empreint de compassion. Dans mon ouvrage The Hero, j'ai expliqué
que les relations père-fils ne sont que peu évoquées dans les traditions Païennes et les mythes classi-
ques. Elles existent néanmoins - par exemple, Ulysse et Télémaque dans l'Odyssée ou Enée et Anchise
dans l'Iliade (cf. l'illustration dans laquelle le héros porte son père hors des ruines de Troie) mais elles
ne sont pas indispensables à la tradition héroïque. Aucun grand héros n'attend de son fils qu'il l'égale ou
qu'il lui succède et, de même, les fils ne deviennent pas des héros par imitation de leurs pères. Nul be-
soin de le dire, ce facteur se joue de façon flagrante de l'assertion selon laquelle Dieu le Père est satisfait
par son Fils, Jésus-Christ. La syntaxe paternaliste du fantasme religieux est contredite et invalidée par le
code héroïque qui met en exergue l'indépendance et l'autonomie du jeune mâle. (Nous aurons beaucoup
à dire sur le fait de satisfaire Dieu le Père dans les prochaines leçons).

Le renversement de l'autorité paternelle commence dans la matrice. Si le père meurt avant que le fils en
soit né, l'enfant mâle possède la faculté unique et rare de résister au patriarcat. La condition de réalisa-
tion du Graal reflète ce motif: le héros doit être le fils d'une veuve. Il n'a pas d'exemple paternel vivant,
pas de sang paternel qu'il puisse suivre. Et c'est en cela que repose son avantage, son allant contre le
Mensonge Paternel. “Honores ton père et ta mère”, dit le commandement paternel. Perceval n'honore ni
l'un ni l'autre. Il abandonne sa mère et n'a pas de père à honorer en premier lieu. Les mêmes conditions
(que d'aucuns qualifieraient de rudes) qui le qualifient pour réaliser le Graal lui donnent la force de ré-
sister au Mensonge Paternel et de le vaincre.

Néanmoins, avec Perceval et Lohengrin, il existe une certaine connexion père-fils. Cela vaut la peine de
souligner que Condwiramurs, l'épouse de Perceval, porte deux fils qui sont jumeaux. Leurs noms sont
Lohengrin et Kardeiz, selon ce qu'en nous informe Wolfram. Mais Kardeiz meure, comme il arrive sou-
vent avec les jumeaux. Dans mon ouvrage, Twins and the Double, je décris la connexion spéciale et
psychique entre le jumeau décédé et le jumeau vivant. On en trouve des exemples célèbres avec William
Blake et Philip K. Dick. Il est probable que le motif des jumeaux joue d'une certaine manière dans l'épi-
sode de Lohengrin bien qu'il n'en existe, à ma connaissance, aucune preuve littéraire. Il est signifiant
que Perceval, dont le père est mort avant qu'il ne fût né, expérience la mort de son fils: il est coupé
de la continuité paternelle dans les deux directions. Il a, cependant, un autre fils identique au premier.
En confiant à son fils survivant la mission du Graal, Perceval accomplit son destin. Symboliquement, la


mort de Kardeiz représente la fin de la transmission fondée sur le sang. Le choix de Lohengrin initie une
autre sorte de transmission, une nouvelle souche d'ethos héroïque qui va générer une nouvelle équation
sociale.

Il y a si peu de substance dans l'histoire de Lohengrin que l'on se demande comment cela aurait pu pren-
dre de telles proportions, mais les proportions sont réellement de taille. L'opéra de Lohengrin de Wagner
attirait, et attire encore, des foules gigantesques. Les mises en oeuvre de cet opéra relèvent de la gran-
diosité émotionnelle pour ne pas dire du kitsch. L'histoire est traitée comme une tragédie romantique
et une qui, de surcroît, est assez pathétique. Globalement, l'histoire de Lohengrin est plutôt ridicule. Je
suspecte qu'elle était considérée de même au 12 ème siècle. Parler du départ du héros vers les Terres
Basses revenait à dire qu'il s'était perdu dans la cambrousse - bien qu'il faille préciser que les Flandres
entrèrent dans une magnifique Renaissance après le 13 ème siècle. Il reste que la sensibilité locale, à
cette époque et dans ce contexte, aurait sans doute considéré que Lohengrin s'était égaré dans les ma-
rais et avait été vilainement trahi par la banalité d'une noble dame nommée Else.

Ceci étant dit, c'est cependant la dimension romantique de l'histoire de Lohengrin qui doit être élaborée,
si nous voulons comprendre la transmission du Graal vers le futur de notre temps. Il nous est demandé
d'imaginer que Lohengrin et Else sont des amants vrais et authentiques dont la passion les place au-delà
des normes et des moeurs sociales. Ils constituent ce que j'appelle un couple prédestiné. Romantique-
ment prédestiné. Le cygne est la clé de toute l'histoire. Il amène Lohengrin vers Else et il lui enlève. A
partir du 12 ème siècle, le cygne va continuer à être l'une des images les plus omniprésentes et pro-
fondément estimées dans la littérature et l'art Européens. Il réémerga durant la Décadence, la dernière
vague du mouvement Romantique vers la fin du 19 ème siècle, en tant qu'emblème de l'expérience
poétique visionnaire. Dans la tradition Européenne, le cygne représente le sceau de la mythopoésie. Il
est également l'image de l'amour passionné considéré comme une force mystique ou transcendante.
Dans les pratiques Asiatiques du Tantra et du yoga sexuel, le cygne divin, Hamsa, est l'image du corps
mystique formé par le couple en union rituelle. Des couples liés par le destin, tels que celui d'Else et de
Lohengrin, sont des exemples archétypiques du Culte de l'Amour, une célébration de l'amour divin dans
la dimension humaine. Le Culte est l'autre partie de la Légende du Graal qui est complémentaire de la
dynamique du Graal dans l'histoire Européenne.

La Nouvelle Equation Sociale


Avec Lohengrin, la Quête du Graal émerge dans un autre genre épique, l'histoire d'amour. Le futur héros
du Graal retrouve son frère jumeau perdu dans son âme-soeur, une femme. Une des morales de cette
histoire est que l'homme et la femme doivent se compléter l'une l'autre afin d'être humain. Seuls ceux
qui sont authentiquement humains, des puissances futures porteuses du Graal, peuvent servir et garan-
tir sa survie.

Cette nouvelle équation dépend de l'amour passionné entre deux personnes (le couple prédestiné) qui
incarnent de nobles intentions et non pas l'accomplissement dynastique de telles intentions. Il est clair
que le couple puisse appartenir à une famille de notables mais le service qu'ils rendent à l'humanité ne
peut pas venir au crédit de cette famille ni à eux-mêmes en tant que figures dynastiques ou acteurs
sociaux prééminents. L'Ecriture sur le Graal semble avoir posé un étrange défi à ceux qui mettent en
oeuvre de nobles intentions pour améliorer le monde: ne permettez pas à ceux que vous servez de vous
honorer d'un prestige social. Souvenons-nous que ce n'est pas le dévoilement des origines que le Graal
interdit, c'est le questionnement au sujet de ces origines. C'est extrêmement curieux car cela implique
la responsabilité de ceux qui sont au service de contrôler la réaction de ceux qu'ils servent. Le contrôle
des réactions d'autrui est, nul besoin de le dire, un sujet épineux.

Cependant, pour des personnes bien intentionnées et socialement illuminées, le contrôle de la façon
dont ils sont perçus influe sur la nouvelle équation sociale. Pourquoi? Je suggérerais que les conditions
stipulées par les Ecritures concernent la victoire sur le patriarcat par renonciation au pouvoir social qui
s'accumule pour ceux qui sont au service de l'amélioration sociale. Cela empêche la distribution inégale
de pouvoir de se nourrir d'elle-même. Cela brise le cycle de l'injustice sociale qui dépend de l'accepta-
tion d'un statut privilégié par ceux qui ont des ressources et une puissance d'ampleur peu commune.
Les privilégiés peuvent améliorer la société parce qu'eux-mêmes ont des moyens aisés mais alors que
l'acceptation d'une faculté privilégiée (avoir plus d'argent et d'influence) est indispensable au service,
l'acceptation d'un statut privilégié ne l'est pas.

En bref, les Ecritures requièrent de ceux qui servent le Graal de renoncer aux mérites. C'est la pratique
au coeur de l'idéal de Bodhisattva formulé dans le Bouddhisme Asiatique aux alentours de 150 EC. Il


est assez remarquable, n'est-ce pas, que cette formulation ait émergé dans la tradition Occidentale du
Graal comme une contrepartie exacte du Joyau qui exauce tous les voeux qui, comme je l'ai suggéré,
est le Graal transmis à l'Asie. Grâce à un déchiffrage précis des motifs littéraires présents dans l'épisode
fragmentaire de Lohengrin, nous apprenons que la Légende du Graal est globale, combinant la renon-
ciation au mérite enseignée dans le Bouddhisme avec la vocation d'illumination sociale en Occident. La
combinaison de pratique Boddhisattvique avec l'initiative sociale est puissante et détermine le mélange
d'effets éthiques et magiques dans le service humanitaire.

La renonciation au mérite (dana) est une pratique fascinante et peu comprise. Dans la perspective de la
Quête du Graal, elle constitue un facteur indispensable pour briser la gouvernance injuste du patriarcat.
Dana, étrangement, dénote à la fois la générosité et le mérite, ou récompense, qui s'accumule à partir
d'actes de générosité. Mais comment un attribut moral et les “récompenses” pour l'expression de cet
attribut moral peuvent-ils être identiques? Ce n'est pas, au prime abord, évident. Je suggère que cette
formulation morale véhicule un élément magique, tel que le pouvoir régénérateur du Graal. En fait, les
enseignements Bouddhistes attribuent un pouvoir similaire à l'acte Boddhisattvique de renoncement
aux mérites. Dans la pratique de ce que les Bouddhistes appellent “l'intention altruiste”, le Boddhisattva
gagne des “points” de karma positif qui sont ensuite transférés à d'autres qui ont moins de points. C'est
une façon un peu crue, ou un peu joueuse, de l'évoquer, j'en conviens, mais les enseignements le disent
ainsi, sans l'admettre vraiment.

En règle générale, de nombreuses personnes socialement illuminées aux USA ont tendance à percevoir
le Bouddhisme comme supérieur au Judéo-Christianisme parce que ce dernier est clairement un système
moral, étroitement corrélé à un dieu d'autorité paternelle, le parent qui punit et récompense, alors que
le Bouddhisme semble être exempt de ce syndrome. En réalité, il n'en est pas exempt mais il présente
réellement une approche de la moralité magique qui pourrait être une alternative au régime rédemption-
niste. La renonciation au mérite implique une dynamique magique de la moralité, quelque chose qui ne
peut pas être expliqué en termes de conception sociale de la récompense. D'une certaine manière qu'il
reste à élucider, elle est supérieure au système de mérite socio-spirituel des trois religions dominantes,
le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam.

On pourrait s'étendre encore plus sur cette notion fascinante, mais dans le cadre restreint de ces leçons,
je souhaite mettre en valeur un autre aspect. Quelle que soit sa valeur magique, la renonciation au mé-
rite possède une influence pragmatique qui est évidente par elle-même: elle brise le cycle auto-gratifiant
du privilège social par lequel ceux qui vivent de façon plus aisée et qui possèdent donc le privilège d'amé-
liorer la société en viennent à être récompensés par la société pour leurs services. Parce qu'ils mettent
en oeuvre des intentions altruistes, ils sont récompensés par le système, même s'ils ne le souhaitent pas.
Les récompenses et le prestige qu'ils accumulent les piègent d'autant plus profondément dans la struc-
ture de pouvoir patriarcal. Le principe de Lohengrin réfute le système de récompense en décourageant
ceux qui sont servis de conférer du prestige à ceux qui les servent. Ce faisant, l'éthos Lohengrin - à sa-
voir la renonciation au mérite provenant d'actes d'amélioration sociale - sape clairement les fondements
du système patriarcal par lequel les ressources (matérielles et autres) aux mains de puissantes familles
s'accumulent perpétuellement au bénéfice des membres de ces familles.

Ce qui se passa en Europe, lors de la transition initiale qui suivit la fin du système féodal aux alentours
de l'an 1000, fut que quelqu'un de la Noblesse prit conscience que la mission spirituelle de personnes
aux nobles intentions pouvait être mise en oeuvre sans collusion avec le patriarcat. Cela fut possible par
le renoncement au statut privilégié et au bénéfice social et non pas par le renoncement de ce qui rendait
la Noblesse privilégiée en premier lieu. En d'autres mots, quelqu'un prit conscience que la Noblesse pou-
vait survivre en tant que modèle d'initiative spirituelle si ses représentants utilisaient leurs privilèges au
service de la cause des droits de l'homme en renonçant à leur droit de vivre d'une manière privilégiée.
Cela doit avoir été une perspective enthousiasmante pour ceux qui furent capables de la discerner à cette
époque. Cela signifiait que la Noblesse pouvait désavouer la structure patriarcale dont elle procédait et
découvrir son chemin propre dans le monde.

Le héros qui ouvrit le chemin fut l'amant malheureux d'un couple prédestiné, Lohengrin, le Chevalier
au Cygne. Sa destinée préfigure le futur de l'illumination sociale en Occident et, au delà, de la planète
entière.

Traduction de Dominique Guillet


Une Histoire Alternative du Graal
3. Trois Courants du Graal:
L’Histoire Parallèle en Europe et en Orient

John Lash

La confrontation avec le Mensonge Paternel requiert un certain nombre de mouvements d'aïkido qui se
déploient dans ces leçons de Mythbusting 101. En premier lieu, il nous faut exposer les croyances-clés
imposées par le programme dominateur du patriarcat: par exemple, la croyance que Dieu le Père trans-
mit ses commandements à des émissaires mâles et barbus qui, à leur tour, les codifièrent en règles de
comportement social et personnel. Les hommes qui parlent au nom de Dieu le Père et gouvernent en
Son nom sont des théocrates. Il se peut qu'ils n'évoquent pas publiquement leur descendance d'origine
divine mais ne nous laissons pas berner par leur fausse modestie. Il est vrai que la prétention antique, de
l'Egypte pharaonique à l'époque de Louis XIV, d'être de descendance divine ne passe plus très bien en ces
siècles qui ont suivi l'avènement des Lumières. Mais les vieux mythes ont la peau dure. Vous pouvez être
sûrs que quelque part, et d'une quelconque façon, des théocrates d'aujourd'hui chérissent la croyance
qu'ils possèdent une connexion privilégiée avec le Créateur - idéalement, une connexion génétique. La
famille de George W. Bush fait référence à lui, en plaisantant, comme “l'Elu”.

Mais peut-être n'est ce pas une plaisanterie.

Le script de royauté divine trouva son origine dans le scénario Annunaki trouvé sur les tablettes Sumé-
riennes cunéiformes datant de 1600 avant EC mais qui témoignent d'une histoire beaucoup plus anti-
que. Le mythe de création Babylonienne, l'Enuma Elish, commence ainsi: “Et la royauté descendit des
cieux...”. A l'aube de l'ère Chrétienne, ce script fusionna avec le personnage de Jésus-Christ, imaginé
comme le sauveur immortel envoyé par Dieu. A partir de l'époque d'Alexandre, quelques empereurs Ro-
mains se proclamèrent eux-mêmes de descendance divine mais l'empereur Constantin fut le plus malin
d'entre eux: il proclama la divinité du Christ (par un vote forcé durant le Concile de Nicée en 325) et
puis il institua le Christianisme comme religion d'état de l'empire qu'il
gouvernait. Ce faisant, il cautionnait son autorité impériale par une
autorité divine. Et il ne lui fut même pas nécessaire de croire dans le
Sauveur pour le faire. (La plupart des historiens sont unanimes sur le
fait que la “conversion” de Constantin fut une mise en scène, si tant
est que l'on puisse parler de conversion. Même Eusebius, l'historien
personnel de Constantin, avoua le trucage de l'histoire concoctée pour
rehausser l'image de l'empereur).

D'aucuns peuvent penser que ce ne sont que de pitoyables problé-


matiques d'antiquaires mais loin s'en faut. Le modèle Annunaki de
théocratie, qui est maintenant intimement corrélé à la doctrine de la
rédemption, est encore bien vivant en 2008. En fait, il déborde même
de vitalité à la fois chez les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, mais
sous des versions différentes.

L'image imposante du Christ Pantocrator représente l'apothéose de la


royauté sacrée: le Fils de Dieu qui gouverne le monde. Tel est l'idéal
historique suprême du Christianisme. Mais regardons-y de plus près et
il n'est que trop aisé de percevoir ce même personnage sous la forme
d'un Imam Musulman ou d'un ayatollah barbu obsédé par le Coran. Le
pouvoir de la foi rédemptrice repose, avant tout, sur une logique schi-
zoïde. Avec le concept abasourdissant d'une puissance extra-terrestre
qui gouverne ce monde et qui, opérant au-delà du temps, contrôle Christ Pantocrator, Monastère de St.
le déroulement de l'histoire même, les théocrates possèdent un outil Katherine, icone sur bois, 6th siècle
puissant de programmation comportementale.


La théocratie est la finalité suprême des religions Abrahamiques. Les politiques Chrétiennes d'extrême-
droite aux USA ne diffèrent pas de l'idéologie des imams, des ayatollahs et des cléricaux Musulmans qui
insistent sur le fait que l'Islam ne fait aucune distinction entre la religion et la politique. Les néo-cons
qui entourent le président George Bush furent initiés aux stratégies idéologiques par l'historien Juif Leo
Strauss, le “parrain” du fascisme Etats-Unien. Strauss épousa le principe Illuminati du “mensonge no-
ble”, originellement promu par Platon. Il est plus que probable que Bush fut conseillé par les protégés de
Strauss (tels que Paul Wolfowitz) lorsqu'il déclara ouvertement que ses convictions religieuses guidaient
sa politique. Ce faisant, il pouvait faire un pied de nez au monde Musulman en envoyant le signal qu'il
est tout vertueux que n'importe quel ayatollah, pour ne pas dire plus. La déclaration de foi du Président
a extrêmement attisé les sensibilités Musulmanes. Son attitude vertueuse provoque le pire dans l'Islam
- exactement ce qu'elle est supposée faire.

Histoire Parallèle
“Alors que les gens religieux ne sont pas normalement déments, leurs croyances de base le sont abso-
lument”. Sam Harris dans The End of Faith.

Une haine véhémente d'Israël sévit dans tout le monde Arabe. Les journaux quotidiens et les télévisions
de tous les pays Musulmans foisonnent de diffamations envers les Juifs et d'appels enragés à l'annihi-
lation d'Israël. Tout comme Sam Harris l'observe, “l'antisémitisme est intrinsèque au Christianisme tout
comme à l'Islam; ces deux religions considèrent les Juifs comme des incapables de la révélation initiale
de Dieu”. Les trois idéologies théocratiques émergent de la même racine; toutes les trois sont infectées
par la même pathologie; toutes les trois reposent, pour leur continuation, sur la violence inspirée par
la foi. Un quart des six milliards d'êtres humains sont Musulmans, un autre quart sont Chrétiens et la
charnière précaire entre ces factions massives (et en croissance rapide) est le Judaïsme. La charnière
est en pâte à modeler afin que les Chrétiens puissent osciller dans les deux sens, pro et anti-Juifs. En
termes politiques, les USA Chrétiens sont unis avec Israël contre le monde Arabe. En termes spirituels,
les Chrétiens rejettent les Juifs pour avoir éconduit et assassiné le Fils de Dieu. Ces trois religions sont
“les Peuples du Livre” mais les Musulmans insistent sur le fait qu'ils sont les seuls à posséder le Livre qui
va sauver le monde de la décadence de l'Occident.

La violence générée par cette dynamique à trois voies garantit que la paix ne soit pas une option aussi
longtemps que la foi contrôle la planète.

En Europe, néanmoins, la foi ne gouverne pas parce que l'Ouest Européen est l'héritier d'une autre his-
toire, une histoire secrète cachée au coeur du scénario perclus de violence de la religion théocratique.
Cette histoire alternative est peu connue, mais il est aisé de la découvrir lorsque l'on sait où la chercher.
Dans les temps modernes, cette histoire cachée vient à la lumière grâce aux valeurs et aux comporte-
ments qu'elle a générés au cours d'une maturation longue et troublée - l'héritage de l'humanisme sé-
culaire, comme on l'appelle. Alors que l'Europe observe l'affrontement indécis entre les idéologies des
fondamentalistes, les politiciens en France, en Espagne, en Allemagne, en Belgique, et ailleurs, tentent
de garder leurs distances des rhétoriques religieuses et de la realpolitik fondée sur la foi. Au début du
premier terme de George W. Bush, le président de Belgique Guy Verhofstedt déclara, aux nouvelles té-
lévisées du soir, que s'il se prenait à mélanger les affaires religieuses et politiques à la manière du pré-
sident US, il serait de suite transféré dans un asile d'aliénés.

La fusion de la religion et de la politique est anathème en Europe parce que les Européen ont appris, à
leurs durs dépens, que la théocratie promet la réforme sociale et la délivrance spirituelle afin de pro-
mouvoir son programme apocalyptique. Ravagés par les guerres religieuses durant des siècles, les Euro-
péens ne sont pas enclins à emprunter une route qui mène toujours au chaos social et à la destruction
matérielle. La plupart de ceux qui adhèrent encore à un credo religieux dans leur vie privée sont ébahis
par le scénario actuel , le “conflit des idéologies”, qui met en danger la planète entière. La perspective de
l'humanisme séculaire appliquée à la sphère politique permet aux Européens de garder quelque distance
face au problème mais n'en fournit pas de solution pour autant. (En fait, depuis son origine durant la
Renaissance, l'humanisme a failli quant à la réalisation de ses promesses mais c'est une autre leçon de
Mythbusting 101).

Pour anéantir le Mensonge Paternel, il nous faut nous désengager du scénario historique dirigé par les
impératifs théocratiques et puiser aux ressources cachées d'une histoire parallèle. Le Mensonge pros-
père en imposant l'intrigue fondamentale du PLAN de Dieu le Père pour l'humanité. La réalisation de ce
plan signifie pour les Juifs la vengeance ultime, pour les Chrétiens la rédemption surhumaine et pour
les Musulmans le contrôle totalitaire de la société - mais il existe une histoire parallèle de l'Occident qui


nous libère de la complicité avec ces programmes pervertis et génocidaires. Le désaveu inconditionnel
des plans de Dieu le Père pour l'humanité n'est pas une option qui est généralement considérée relever
du système humaniste de valeurs mais l'humanisme a néanmoins préparé la voie pour une telle option.
Mais tant qu'une autre histoire ne la remplace pas, on ne peut pas rejeter la croyance selon laquelle le
plan pour l'humanité émane de la divinité mâle extra-terrestre qui nous a créés, selon l'histoire Biblique
bidon de la théocratie. La tradition humaniste en Europe contient les fils vitaux de cette autre histoire:
la Quête du Graal.

Contrairement à ce que des polissons d'intellectuels Français, en quête de fessées, voudraient nous faire
croire, l'espèce humaine ne peut pas vivre sans une quelconque histoire maîtresse. Le scénario qui guide
l'espèce doit combiner des éléments historiques et des éléments mythopoétiques. Quelle que ce soit la
manière dont l'espèce humaine a émergé dans le cosmos - c'est la partie de l'histoire à découvrir et à
développer au travers de la mythopoésie, en harmonie avec le paradigme Gaïen - ceux qui aspirent à
créer un monde humain, ici et maintenant, doivent compter sur ce qui a amené la race humaine à son
sens actuel d'humanité. Comme je l'ai souligné auparavant, en ayant recours à un écho métahistorique,
la préhistoire est ce qui nous a rendus humains tandis que l'histoire est ce que nous avons fait de no-
tre humanité. Au travers de l'histoire, nous développons un sens de l'humanité - sans vouloir insinuer
d'ailleurs que les peuples de la préhistoire en étaient dépourvus. Car ils (nous, en fait, dans des époques
très lointaines) possédaient une grande humanité mais elle était innée; l'influence principale du drame
de l'histoire nous confronte directement avec la problématique d'être humain.

Le mot d'introduction de Parzival est zwivel, le doute, et le motif récurrent de la légende est vragen, le
questionnement. Le héros oscille précairement dans son sens de l'humanité et remet en question toute
foi dans la main guidante de Dieu. Il déclare même qu'il hait Dieu. Perceval personnifie le soi historique
moderne piégé dans le dilemme existentiel d'être humain sans une essence, sans un critère spirituel pré-
déterminé qui définisse l'humanité. Il est cependant attiré par une vocation spirituelle qui lui permettrait
de soulager les souffrances de l'humanité. Bien que cela soit son destin d'avoir accès à une merveille
surnaturelle, il ne compte pas, et ne peut pas compter, sur une puissance supérieure pour en découvrir
le chemin. C'est la vie elle-même qui lui montre le chemin.

Dans son doute, Perceval a le sentiment qu'il a été trahi par Dieu. Ce sentiment de trahison est en réalité
la première indication de l'émergence de sa foi en l'humanité, son critère humaniste. Juste parce qu'il re-
met en question Dieu, Perceval est un exemple à suivre, dans l'histoire parallèle, qui puisse nous libérer
du Mensonge Paternel et nous mener au-delà des programmes de génocides et d'écocides par lesquels
les partisans du Mensonge prétendent accomplir la volonté de Dieu le Père.

L'histoire cachée des trois courants procédant du Graal n'est pas Son Histoire, l'histoire de Dieu le Père
(jeu de mots intraduisible en anglais avec “His Story/history”), la narration auto-légitimante du créateur
extra-terrestre. C'est la légende spécifique à notre propre espèce, l'histoire qui raconte comment nous
avons appris à connaître ce que cela signifie d'être humains. Cette narration commence avec la préhis-
toire de l'espèce humaine et de Gaïa, la planète vivante. Le scénario préhistorique nous révèle ce qui
nous a fait humains en premier lieu. Par contraste, le scénario historique raconte ce que nous avons fait
de notre humanité, comme nous venons juste de le souligner. Le lecteur peut trouver quelques indices du
premier scénario dans ma trilogie d'articles “Nymphes des Arbres et Shamans aux Arbres Pendus”
ainsi que dans d'autres textes mythopoétiques sur ce site. Les leçons de Mythbusting 101 concernent la
dimension historique de notre narration plutôt que les dimensions préhistoriques et mythiques. C'est la
narration qui nous guide vers un sentiment générique pour l'espèce humaine, un sens d'humanitas.

En cohérence avec l'essai de fondation “Children of the Damned”, j'utiliserai le terme humanité pour
la définition biologique de l'espèce humaine et le terme humanitas pour l'intuition de ce que cela signifie
d'être humain, dans un sens moral et spirituel, et d'agir de façon humaine.

Illumination Sociale
Comme nous l'avons vu, la transmission du Graal de Perceval à Lohengrin fut un tournant décisif pour le
développement de l'humanisme dans le monde Occidental. Même s'il a failli en tant que programme phi-
losophique, l'humanisme de la Renaissance a défini le besoin pour une intuition générique de l'humanitas
incluant des aspects essentiels tels que la dignité de l'individu et les droits universels. Elle ouvrit une
petite fenêtre permettant à l'illumination sociale reflétée dans les idéaux philanthropiques de se mani-
fester. Le zeitgeist humaniste s'épanouit lentement du 10 ème au 15 ème siècles. Lohengrin modela une
nouvelle équation sociale par laquelle un couple prédestiné, venant de la sphère des privilégiés, se dédia
aux réformes sociales et à la défense du droit du petit peuple à vivre d'une manière décente et humaine.


Ainsi, ceux qui vivaient d'une façon aisée pouvaient rendre la vie plus facile pour ceux qui ne l'avaient
pas. La condition unique de cette nouvelle équation était que le couple ne révèle pas ses origines aisées
afin que les bénéfices de ses actions ne viennent pas à l'actif de la classe fondée par le patriarcat dont
ils émanaient. De cette manière, le principe de Lohengrin contrecarrait, ou du moins neutralisait, l'ethos
auto-gratifiant de la classe dominante.

Il semble que cela soit une perspective noble et magnifique. Il faut cependant préciser que la nouvelle
équation sociale préfigurée dans Lohengrin n'était pas, et n'est pas, la seule voie humaine et généreuse
de contribuer à l'amélioration de la société. C'est un modèle d'illumination sociale mais ce n'est pas le
modèle exclusif et sans doute pas même le modèle suprême. A ce jour, de nombreux personnes privilé-
giées s'engagent dans des activités philanthropiques qui ne suivent pas le principe de Lohengrin. Beau-
coup de bien a été réalisé et des améliorations considérables de la société ont été accomplies par ceux
qui embrassent et pratiquent ce que les Bouddhistes appellent “l'intention altruiste”. Cette intention est
inhérente au vœu de Bodhisattva mais la pratique de renoncement du mérite - un des aspects également
du modèle Lohengrin et de l'éthique Bouddhiste, comme il a été souligné dans la leçon 2 - semble être
une option spéciale et non pas une condition essentielle de l'activisme socialement illuminé.

En bref, il semble exister deux voies de réalisation de l'amélioration sociale: en oeuvrant au sein du
patriarcat ou en oeuvrant au-delà du patriarcat. Dans le premier cas, le mérite pour des actes d'illumi-
nation sociale vient à l'actif des classes privilégiées qui le réalisent: ainsi, les philanthropes reçoivent de
nombreuses congratulations et des bénéfices matériels en cascades pour leurs actions. En améliorant le
monde, ils finissent par en tirer beaucoup de profits pour eux-mêmes. Ils ne s'impliquent dans aucun al-
truisme qui mettraient leurs privilèges à risque. Dans le second cas, le mérite est abandonné et un autre
type de dynamique sociale entre en jeu.

Le principe de Lohengrin implique cette autre dynamique qui a peu de chances d'être embrassée par
les classes privilégiées. Occasionnellement, cette dynamique surgit dans des périodes de grand remous
sociaux - par exemple, la révolte des Décembristes en Russie en 1825 lorsque les soldats au service
héréditaire du Tzar rompirent leur allégeance et se mirent du côté du peuple contre l'empire - qui sont
toujours voués à l'échec. Même lorsqu'elle est représentée dans un opéra kitch, il émane de l'histoire de
Lohengrin un pathos inéluctable parce qu'elle incarne un idéal mort-né.

Mais la transmission à Lohengrin de la mission sociale corrélée au Graal n'épuise pas la faculté magique
et transformative de vie de celui-ci.

La Première Question du Graal


Retournons au moment culminant de la Légende du
Graal, lorsque Perceval pose la question. Bien que
cela ne soit pas clair dans la version de Wolfram,
il existe deux questions au coeur de la Légende.
La première “Humanité, de quoi souffres-tu?” nous
oriente vers la souffrance infligée au monde par
ceux qui sont eux-mêmes profondément blessés.
En d'autres mots, ceux qui sont blessés dans leur
sens de l'humanité, blessent et affligent le reste de
l'humanité, physiquement, karmiquement et autre-
ment. Perceval pose cette question au roi blessé du
Graal, Amfortas, le personnage patriarcal central de
la Quête du Graal. Il est crucial d'appréhender que
Perceval dirige la question concernant la souffrance La légende du Graal est une affaire de famille mais pas exclu-
à celui qui souffre mais qui ne peut ni mourir de sivement. La connaissance de son histoire familiale et de la
l'affliction, ni en être guéri de façon permanente. source de l'affliction parentale libéra Perceval de son condi-
Ce faisant, il fait face au mal pathologique du Men- tionnement familial. Munich Parzival ms., Cgm 19, montrant
songe Paternel à sa racine. Perceval, Fierefiz, et Amfortas, identifiés par des bannières
lettrées.
L'action de Perceval est paradigmatique, ainsi que
le dirait Mircea Eliade. Il nous fournit un exemple, à
nous tous. La Quête nous enseigne qu'afin de faire face à la souffrance de toute l'humanité, chacun de
nous doit être concerné par les blessures dont souffrent les gens dans nos vies personnelles, et plus par-
ticulièrement les figures parentales. Cela n'est pas dire qu'il nous faille nous réconcilier avec le patriarcat
ou nous soumettre à l'autorité parentale et à ses codes et contingences. Pas du tout. La Quête ne nous


enseigne pas à honorer le conditionnement parental, mais elle nous enseigne comment le transcender.
Pour transcender le conditionnement familial, il nous faut comprendre en profondeur sa nature, son ori-
gine et la manière dont il véhicule une pathologie qui s'auto-perpétue (une co-dépendance dans le jargon
psycho-pop). Il nous faut parler directement de sa souffrance à l'ancêtre paternel blessé car ce dont il
souffre est paradigmatique de l'espèce humaine. En posant à son oncle la première question, Perceval fit
face à la souffrance inhérente à sa condition familiale. Au travers de cette confrontation, il prit en compte
toute la souffrance universelle.

La déclaration de Bouddha selon laquelle tout est souffrance - sarvam dukkham - est cohérente avec la
première question de Perceval. Les sagesses Occidentale et Orientale s'accordent totalement sur cette
question.

Nous sommes tous profondément impliqués dans la blessure du Roi Pêcheur, l'affliction fatale de la so-
ciété patriarcale. Tant que la famille du Graal était isolée dans la Terre Gaste et que le chevalier prédes-
tiné à poser la question ne l'avait pas encore posée, la famille pouvait continuer à vivre en profitant des
riches ressources du Graal, mais Amfortas ne pouvait pas être guéri par le Graal et ceux qui étaient servis
par le Graal ne pouvaient pas offrir son service à autrui. Tout cela changea avec la transmission du Graal
à Lohengrin. Que nous dit cette narration quant à l'histoire alternative de l'Occident? Elle indique qu'à
un certain moment du 10 ème siècle, une transformation de la vie sociale de l'Europe féodale permit à
la noble intention de l'altruisme d'émerger dans les classes privilégiées et cette transformation amena
éventuellement à la naissance de l'humanisme au 15 ème siècle. Durant ces cinq siècles de transition,
les événements historiques reflétant la Légende du Graal se déroulèrent dans les Basses Terres où l'his-
toire de Lohengrin prend place. En fait, plusieurs sources médiévales tardives rapportent que le Graal,
considéré comme une relique physique, fut transporté à Bruges en Belgique. Il fut ainsi précieusement
conservé durant la Renaissance Flamande.

L'humanisme prit son essor dans les Terres Basses, là où le Graal était gardé à Bruges, la Venise du
Nord.

De nos jours, Bruges n'est pas grand chose de plus qu'un Disneyland, un piège à touristes, mais il éma-
ne encore de cette cité médiévale, avec ses canaux charmants peuplés de cygnes sauvages, une aura
mystérieuse dont même les touristes endormis prennent conscience. Comme toutes les autres cités de
Belgique, d'Allemagne et d'Alsace, la ville de Bruges célèbre traditionnellement les corps de métiers, tels
que la cordonnerie, la tapisserie, la tannerie, la confection de bière et ainsi de suite. Les métiers étaient
réalisés par les gens de la classe travailleuse dont l'emploi et les droits dépendaient des classes privi-
légiées, en cohérence avec le principe de Lohengrin. Chaque corps de métiers possédait son emblème
héraldique en imitation des blasons de la Noblesse. On voulait démontrer ainsi que la noblesse du travail
décent était complémentaire à la noblesse de sang. Les guildes médiévales inspirèrent les premiers syn-
dicats d'Europe. Le socialisme Européen authentique émergea de l'héritage humaniste du Graal, reflété
dans le système des guildes. Le système dépendait d'un contrat sur l'honneur et la confiance entre la
classe privilégiée et le petit peuple qui oeuvrait à son service.

On pourrait maintenant se demander comment il fut possible que le Graal fût conservé à Bruges au
12 ème siècle alors qu'il avait été emmené en Inde par Fierefiz au 10 ème siècle. Et bien, comme de
nombreuses personnes l'ont remarqué, il n'existe pas un seul Graal mais une diversité de Graals ou de
facettes du Graal. A partir du 12 ème siècle, l'Eglise du Sang Sacré à Bruges se vanta de posséder un
calice contenant des gouttes de sang du Christ qui agissait de façon miraculeuse, comme de telles reli-
ques sont réputées le faire. Ce baratin Chrétien mensonger déguise la présence d'un Graal authentique
dans les Terres Basses durant les siècles qui ont suivi la publication du Parzival de Wolfram. Le Graal
authentique conservé à Bruges fut l'impulsion d'illumination sociale élaborée par le héros proto-huma-
niste, Lohengrin.

Le Graal qui partit pour l'Inde et le Tibet fut l'expression rituelle et liturgique d'une magie originelle. Il
comprenait une formule de calcul cosmique, l'écriture lunaire sur le Graal qui joue un rôle tellement cru-
cial dans la légende et la pratique psychodynamique du “Joyau qui exauce tous les vœux”.

La Voie du Graal Asiatique


“Il existe un certain nombre de parallèles intéressants entre le mythe de Shambala et la légende du Saint
Graal”. Edwin Bernbaum. The Way to Shambala.


Au Proche Orient, la magie du Graal fut formulée dans le système du
Kalachakra et, en même temps, elle fut internalisée dans le “Joyau
qui exauce tous les vœux”, un yidam, ou image magique, utilisé dans
“la phase de développement” du Ati Yoga (Dzogchen). Ce sont deux
exemples remarquables de fertilisation croisée entre l'Occident et
l'Orient.

Le personnage Asiatique clé dans la tradition du Kalachakra fut le moi-


ne Atisha (982-1054), un contemporain un peu antérieur à Perceval
et aux autres personnages du scénario historique caché du Graal. Le
guru d'Atisha était Pindo qui vint de Java. Le titre honorifique de Pindo
était Kalki Shripala, la figure mystique “qui introduisit le tantra du
Kalachakra durant la seconde moitié de la vie de Mahipala”, selon
l'ouvrage de Taranatha, History of Buddhism in India. Mahipala
était un roi Pata qui régna de 988 à 1038. Ce fait historique est étroi-
tement corrélé à la légende quasi-historique de Shambala, parce que
Kalki Shripala fut l'un des régents légendaires de Shambala, le royau-
me mythique auquel le Prêtre Jean est associé. (Voir, The Wheel of Sucandra, le premier roi de Shambala
Time: Kalachakra in Context. Geshe Lundrop Sopa, Roger Jackson Shambhala. The Way to Shambala,
et John Newman, page 72). illustration 5.

Les pratiques du Kalachakra impliquent des connaissances précieusement conservées de cycles tempo-
rels planétaires et cosmiques, des divinations et la “maîtrise de pouvoirs psychiques”. (The Wheel of
Time, page 75). Un des premiers maîtres reconnus du système fut Naropa qui mourut en 1030. Son guru
Tilopa naquit probablement en 988, à une époque très proche de la réalisation du Graal par Perceval, si
nous situons les reflets historiques de la Légende au 10 ème siècle. Dans son ouvrage The Life and Tea-
chings of Naropa, H. V. Guenther consacre un grand espace pour expliquer que “le Joyau qui exauce
tous les voeux” joua un rôle essentiel dans le système de yoga de Naropa.

L'équivalent Arthurien de Shambala est Avalon. Le revivaliste Païen Gareth Knight compare les aventures
et l'éveil des chevaliers médiévaux, tels Perceval et Gauvain, à des pratiques yogiques Asiatiques, plus
particulièrement des rites tantriques impliquant le pouvoir du serpent, la Kundalini. Il affirme que la tra-
dition chevaleresque Arthurienne, à certains égards du moins, s'avère être “un yoga de l'Occident” bien
que “cette connaissance n'ait pas été exprimée, de façon adéquate, en termes de Tradition des Mystères
Occidentaux”. (The Secret Tradition in Arthurian Legend, pages 128 et 187). Knight observe aussi
que “l'époque des anciens Mystères, qui a juste précédé l'essor du Christianisme, était une époque de
fraternité à plus d'égards que nous en prenons actuellement conscience” (page 56). Cette observation
est cohérente avec l'histoire de Wolfram dans laquelle nous rencontrons des chevaliers de tous les coins
de l'Europe, de l'Islande jusqu'à l'Afrique du nord, pour ne pas mentionner le développement de l'ordre
chevaleresque au proche Orient et au-delà.

La fertilisation croisée extraordinaire, effectuée au 10 ème siècle par le passage de la magie du Graal à
l'Inde, est au coeur du scénario de l'histoire parallèle.

Gandhara et Après
Il est bien sûr normal de s'enquérir au sujet d'échanges et de contacts directs entre l'Est et l'Ouest: ainsi,
un membre Français-Syrien de la famille du Graal voyagea-t-il en Inde vers l'an 1000 et rencontra-t-il
des mystiques Bouddhistes tels Atisha, Naropa et Tilopa? Bien qu'il existe des preuves écrites historiques
de tels contacts, elles ne constituent pas les preuves ultimes de la véracité de notre histoire. Ces éviden-
ces sont simplement anecdotiques mais la preuve réelle réside dans la manière dont, ici et maintenant,
nous nous connectons avec les cycles d'événements qui se révèlent lorsque nous reconnaissons et fai-
sons nôtre l'histoire parallèle.

De nombreux échanges et contacts eurent lieu entre l'Orient et l'Occident le long de la piste du Graal
Asiatique qui alla de l'Europe vers Gandhara avant de bifurquer vers le centre de l'Inde et vers le nord,
au Tibet. L'art et la philosophie Grecs et Bouddhistes fusionnèrent à Gandhara, dans l'Hindou Kush, à la
suite des expéditions d'Alexandre le Grand. Des preuves historiques de contacts ont survécu du règne
d'Asoka qui envoya des missionnaires Bouddhistes vers l'Egypte. Dans mon plan de lecture pour les Co-
dex de Nag Hammadi, j'ai avancé l'hypothèse selon laquelle le Livre de Thomas l’Athlète n'est pas du tout
une oeuvre Gnostique mais un sermon Bouddhiste sur le caractère éphémère et l'absence de désir, qui a
sans doute été amené en Egypte via Gandhara.


Nagajurna, l'instructeur Bouddhiste du Madhyamika, la Voie du Milieu, enseigna à l'Université de Nalanda
au 3 ème siècle lorsque les Mystères commencèrent à être sous le feu des idéologues Chrétiens. Son
contemporain Gnostique Basilide utilisa un langage de pensée qui est presque identique à celui de la Voie
du Milieu. Des passages d'Eugnostos le Béni (NHC III, 3 et V, 1) pourraient passer, ligne pour ligne, pour
un discours de déconstruction par Nagajurna. Il est plus que probable que des érudits Bouddhistes tels
que Nagarjuna enseignèrent à Alexandrie et que, vice versa, des Gnostiques Levantins allèrent prodiguer
leurs enseignements au Proche Orient.

Il est difficile de situer les Gnostiques géographiquement tout comme il serait difficile, de nos jours, de
localiser géographiquement des doyens. Les doyens sont des professeurs titulaires que l'on trouve dans
tout le système universitaire. De même, les Gnostokoi étaient des spécialistes titulaires es matières spi-
rituelles qui enseignaient dans de nombreuses écoles de Mystères au travers de l'Europe, de l'Afrique du
nord, du Levant et du Proche Orient. Une des places fortes de l'enseignement Gnostique était Antioche
en Syrie. Rappelons-nous que Gamuret, le père de Perceval, était un chevalier vivant en Syrie sur des
terres gouvernées par la Maison d'Anjou.

Tentant de retracer la piste du Graal Asiatique, Joseph Campbell affirme qu'une traduction Arabe du
Panchatantra Sanscrit apparut en Syrie au 10 ème siècle. Plus on étudie ce sujet et plus il devient évi-
dent que la “transmission de matière littéraire au Moyen Age de l'Inde vers l'Europe fut considérable”.
(Creative Mythology, page 419).

Evénements Simultanés
Il existe donc d'amples évidences que des échanges entre l'Asie et l'Europe prirent place à partir de l'épo-
que de la fusion Gréco-Boudhiste à Gandhara au 3 ème siècle avant EC et qu'ils perdurèrent jusqu'au 10
ème siècle, à l'époque de l'histoire de Perceval. Cette période s'étend donc sur plus d'un millier d'années.
Ce qu'il nous faut observer, c'est l'aspect de simultanéité. L'histoire alternative, qui nous mène au-delà
du Mensonge Paternel, est une histoire globale dont les événements entrelacés se manifestent durant la
même période historique dans différentes parties du monde. De tels événements ne sont normalement
pas consignés dans les archives historiques séquentielles utilisées par le patriarcat pour enregistrer et
légitimer son programme, conduit par la foi, de domination.

Dans l'histoire alternative, les événements qui arrivent de manière simultanée sont beaucoup plus signi-
fiants que les événements qui se déroulent de façon séquentielle. En tant que véhicule du plan de Dieu le
Père pour l'humanité, l'histoire séculaire est une narration chronologique d'événements qui se manifes-
tent par séquences et qui sont supposés procéder par cause et effet - “juste une sacrée chose après une
autre” ainsi qu'Henri Ford le faisait aigrement remarquer. Mais la dynamique cachée de l'histoire alter-
native n'est ni causale ni séquentielle. Les événements chronologiques peuvent être symptomatiques
de structures cachées et profondes mais elles ne les déterminent pas. Qu'est ce qui détermine alors le
flux du scénario “infrahistorique”, lorsqu'on le conçoit en
termes alternatifs? C'est le succès ou l'échec à définir
ou actualiser l'humanitas au fil de son émergence, un
moment après l'autre, une époque après l'autre, alors
qu'elle manifeste sans cesse un nouveau profil avec des
défis spécifiques et des leçons particulières à apprendre
et alors qu'elle présente une autre opportunité pour l'in-
novation et une adaptation supérieure.

Par contraste, le récit chronologique de l'histoire, du-


rant les 6000 dernières années, témoigne d'une trajec-
toire de mésadaptation croissante due aux cultures de
domination qui subjuguent et répriment des cultures
plus égalitaires et plus écologiques. Avec l'essor des ci-
vilisations urbaines, les systèmes de contrôle social et
comportemental prolifèrent, ainsi que des contingences
complexes de vie, laissant les individus avec de multi-
ples options mais moins de capacités de discernement
pour faire des choix qui soient fondés sur un souci du
respect de la vie. De façon concomitante, le potentiel
humain dégénère et la terre souffre d'une dégradation
croissante qui transforme certaines régions en un dé-
La terre cachée d'Omlolungring
sert créé par l'homme. (Le déclin continuel de l'huma-


nité, par opposition à une évolution et à un progrès est le motif prédominant dans tous les systèmes
indigènes d'évaluation du temps. Pour les lectures que nous suggérons sur ce thème, voir l'ouvrage de
Richard Heinberg, Memories and Visions of Paradise).

L'histoire parallèle implique, en sus de cycles temporels secrets, des lieux magiques qui sont associés
avec des endroits géographiques même s'ils ne sont jamais entièrement identifiés. Shambala représente
un tel lieu magique mais cela n'empêche pas qu'elle puisse être également un lieu physique. Selon Tulshi
Rimpoche, (cité par Bernbaum), les hauts sommets spectaculaires du Kangtega dans les Himalayas sont
réputés être la porte d'entrée de Shambala. Dans les traditions Occidentales aussi bien qu'Asiatiques, des
lieux géographiques constituent des point d'entrée vers l'Autre Monde. Le prototype de l'Avalon d'Arthur
était Tir-Na-Nog, la terre du Dreamtime dans le mythe Celtique. Le royaume Bouddhiste de Shambala
possède de même son prototype dans la religion Bon. Le pays caché de Omlolungring existe dans l'Autre
Monde et simultanément existe en interface avec le monde physique. Une tour magique aux nombreux
étages figure dans l'aventure de Gauvain sur le territoire du sorcier Klingsor. Les images Arthuriennes et
Bon ne représentent pas des places imaginaires mais des interfaces par lesquelles l'imagination permet
le passage du monde physique vers d'autres dimensions insérées.

La visite de régions associées avec des lieux magiques, tels que Kangtega en Asie et Tintagel en Angle-
terre met le mental en phase avec les fréquences constantes de la Légende. Il est plus aisé de se remé-
morer l'histoire parallèle dans ces endroits, qui est préservée dans la memoria naturae, la mémoire de
la terre même.

L'histoire alternative de l'humanité est une sorte de tradition planétaire, une narration qui possède un im-
mense attrait participatif, sans exclure un attrait touristique. Sa puissance ne réside pas dans la certitude
prédéterminée du déroulement du plan de Dieu, dans le temps historique, mais dans notre participation
intime et volontaire dans l'auto-réalisation de l'espèce humaine, définie et développée exclusivement en
termes humains. Il n'existe pas de plan divin pour l'humanité mais il existe un processus d'auto-direction
qui surpasse tout plan. Il faut cependant une histoire maîtresse pour que l'imagination humaine s'engage
dans le développement des facultés d'auto-direction qui sont innées à notre espèce.

La Seconde Question
Une fois que Perceval a posé la question qui concer-
nait sa relation familiale karmique avec la souffran-
ce universelle, une autre question vint à son es-
prit. Cette dernière question concernait sa propre
illumination spontanée et sa compréhension inté-
rieure profonde de la magie éthique et créative du
Graal. Pour capturer le sens de la seconde ques-
tion, imaginez que vous êtes assis au milieu de la
communauté du Graal avec Perceval juste à côté
de vous. Devant lui sur une table ornée, se tient la
merveille somptueuse du Graal - comme une im-
mense pièce montée de crème glacée de la couleur L'inimaginable doit être richement imaginé. Les traditions
d'une perle brillante. Perceval, tenant une cuillère à pré-Chrétiennes d'une pierre de Graal qui servait aussi de plat
crème glacée, est sur le point de la plonger dans la pour servir s'inspiraient des artefacts celtiques tels que la “table
crème glacée. Il se tient devant vous et le Graal est d'offrande de Bellénus”. Comme le Graal de Wolfram, elle est
tout rayonnant et à votre portée. Alors Perceval se complète avec des écritures le long du bord.
penche en avant avec la cuillère, il pose la seconde
question: “Comment puis-je vous servir?” Il pose la
question, non pas à vous, mais à la pièce montée de crème glacée. Il demande au Graal même comment
il veut être servi, pour être distribué.

Imaginez une substance ou une source surnaturelle de pouvoir qui communique avec ceux qui sont
éveillés intérieurement à sa présence. Une substance qui puisse dire à ceux qui la rencontrent comment
la transmettre, comment la servir à autrui. Quelle sorte de substance miraculeuse est-ce?

Wolfram disait que le Graal est une pierre. Pas un calice ou une coupe, tel que cela est mentionné dans les
cooptations Chrétiennes de la Légende. Pas même un plat large comme le décrivent certaines versions de
la Légende. Cependant, dans la version de Wolfram, la Pierre numineuse agit véritablement comme un
plat pour servir. C'est une cornucopia virtuelle qui déverse une panacée et une diversité de nourritures et
de boissons délicieuses. Wolfram n'a pas inventé cet artefact et il n'a pas ajouté non plus les effets spé-


ciaux. La Pierre-Graal est une épiphanie médiévale tardive du chaudron de Keridwen, la Déesse Blanche
des Celtes pan-Européens. C'est une image de la source suprabiologique de la vie sur terre.

D'une certaine manière, ce n'est pas le vaisseau magique de la Déesse, mais le corps de la Déesse
même.

De par la nature de la seconde question, nous pouvons inférer que Perceval eut un éveil mystique authen-
tique dans la présence de la Pierre-Graal, quelle qu'elle fut, mais la séquence de Lohengrin ne procède
pas de cet aspect de la Légende. Des trois courants qui émanent du Graal, un va vers l'extérieur dans
le monde, dans la direction de l'illumination sociale, selon le modèle de Lohengrin. Cette voie conduit à
l'humanisme de la Renaissance. C'est le courant philanthropique noble, le chemin du service au travers
du privilège, avec l'option Bouddhiste de renonciation du mérite. C'est l'expression séculaire, pragmati-
que et socialement orientée de la magie indigène - le courant de manifestation exotérique du Graal.

D'autres développements voient le jour de par la réalisation mystique de Perceval, qui lui permet de
poser une question à la Pierre-Graal elle-même. Deux autres courants procèdent de la rencontre directe
avec la numen suprême de la magie indigène. Ces deux courants sont profondément mystiques et ne
trouvent pas d'expression dans la vie sociale mais plutôt dans les inclinations anti-sociales, dans l'ésoté-
risme, dans la contre-culture et dans les mouvements underground qui tendent à assumer un caractère
cryptique et cultique. Ces deux courants informent profondément le scénario de l'histoire alternative.
Ils émergent, au travers d'événements historiques, à partir du 10 ème siècle mais leur origine est bien
antérieure. A la différence de la dynamique sociale activiste représentée par Lohengrin, qui n'existait pas
avant le 10 ème siècle, les deux autres courants possèdent une antique provenance. Mais leur expression
culmine, de façon unique, à la suite de la période-clé de la réalisation du Graal par Perceval en 968.

Dans l'histoire parallèle, les manifestations de ces deux courants sont le culte Européen de l'Amour et le
Grand oeuvre, le travail de l'alchimie.

John Lash. Flandres Mars 2006.

Traduction de Dominique Guillet


Une Histoire Alternative du Graal
4. La Pierre de Sagesse Rayonnante
John Lash

Sagesse des Mystères dans la Légende du Graal


Le psychologue Suisse C. G. Jung (1875-1961) fut quasiment l'unique acteur du renouveau moderne de
l'intérêt pour l'alchimie. (Jung fut initialement connecté à l'alchimie par sa patiente, protégée et maî-
tresse, Sabina Spielrein qui, jusqu'à récemment, n'apparaissait pas dans le tableau de sa vie). Jung, et
tous ceux qui le suivaient, faisaient remonter l'origine de l'alchimie à l'oeuvre de Zosimos, un mystique
Alexandrin de Panopolis, (une cité sur le delta de l'Egypte). Des témoignages littéraires se rapportant à
Zosimos sont datés au 3 ème siècle mais les érudits s'accordent sur le fait que les racines de l'Art sont
beaucoup plus anciennes, et remontent aux écoles secrètes des Mystères Egyptiens.

Le travail de Jung sur l'alchimie fut complété par l'ouvrage


La Légende du Graal rédigé par sa femme Emma Jung et
son amie et collègue Marie-Louise von Franz. Les auteurs
affirment que:

“les attributs nombreux et magnifiques du Graal, qui le qua-


lifient comme 'trésor dur à atteindre', et son analogie à la
Pierre alchimique, qui chez Wolfram va jusqu'à l'identifica-
tion, justifient qu'il soit considéré comme un symbole du
Soi” (pages 155-156).

Mais de telles justifications ne font du sens que dans le sys-


tème tautologique de la théorie Jungienne “selon laquelle
l'inconscient s'explique par lui-même” (page 142). Pour Wol-
fram von Eschenbach et ses contemporains, le Graal n'était
pas un symbole du Soi ou de quoi que ce soit d'autre. C'était
un certain objet magique et mystérieux, un numen tel qu'on
le décrit dans la mythologie pré-Chrétienne d'origine Irlan-
daise et Celtique. Un commentaire Français sur la Légende
du Graal, “l'Elucidation” dit:

“C'est del Graal dont nus ne doit


Le secré dire ne conter”.

Ces paroles rappellent quelques lignes de l'hymne Homé-


Paon alchémique, associé avec la “queue du paon”,
rique à Déméter qui se réfèrent au secret des Mystères
la phase finale du Grand Oeuvre.
d'Eleusis:

“Elle leur enseigna le ministère de ses rites


Et leur révéla ses magnifiques Mystères
Qu'on ne peut ni transgresser, ni pénétrer, ni divulger
Car la crainte des dieux est telle que les langues ne se délient point.

La même aura de secret, qui enveloppait les Mystères, enveloppait aussi le Graal. La question suivante
est ainsi soulevée: le Graal avait-il été révélé aux anciens initiés avant que la Légende médiévale ne prît
forme et avant que l'alchimie n'apparût en Occident?


Une Demi-Vérité qui Porte à Conséquence
Quiconque se plonge dans les études concernant le Graal va trouver sur son chemin un livre unique et ex-
trêmement influent: From Ritual to Romance de Jessie L. Weston. Comme nous l'avons déjà souligné,
cet ouvrage (publié en 1920) était évoqué dans le célèbre poème moderniste The Wasteland de T. S.
Eliot. Passionnément débattu par Eliott, et d'autres écrivains de son époque, et figurant ultérieurement
dans les livres de chevet du dérangé Colonel Kurtz, joué par Marlon Brando dans Apocalypse Now, le
livre From Ritual to Romance affirme que la Quête du Graal dérivait des Mystères Païens. Weston était
très explicite quant à sa thèse principale. Elle écrivit dans son Introduction : “Nous pouvons maintenant
démontrer, grâce à des preuves écrites, les parallèles existant entre chacun des traits de l'histoire du
Graal et le symbolisme consigné des cultes des Mystères”.

Cette affirmation est peut-être la demi-vérité qui porte le plus à la conséquence pour l'érudition mo-
derne concernant les Mystères. Weston avait raison de faire remonter l'origine de la Légende du Graal
aux “cultes des Mystères”, mais elle avait tort dans sa perception de ce qui se passait dans ces cultes.
Les érudits soulignent qu'il y avait deux niveaux de Mystères, un niveau populaire et un niveau élitiste.
Cela se traduit, par exemple, dans la tradition Eleusienne par la célébration des Mystères Mineurs au
Printemps et des Mystères Majeurs à l'Automne. Les premiers étaient destinés au peuple et ils célébraient
des rites de renouveau saisonnier et d'immersion extatique dans la nature. Les seconds impliquaient des
pratiques élitistes avec le kykeon, le breuvage enthéogénique qui induisait la perception “d'une lumière
merveilleuse”. Lorsque les Mystères tombèrent en déclin, les rites furent perturbés (ou pervertis) et le
kykeon en vint à être utilisé pour des libations récréatives (comme en témoigne le cas d'Alcibiades, le
jeune ami charismatique de Socrates, une des rares personnes connues pour avoir été accusées de pro-
faner les Mystères).

J'ai pu affirmer, quelque part sur ce site, que toute personne qui n'est pas passée par une expérience
mystique personnellement vécue, équivalente à l'expérience de l'initiation dans les Mystères, n'est pas
qualifiée pour commenter, avec pertinence, de tels sujets ésotériques. Il semblerait que Weston n'ait pas
bénéficié d'une telle expérience. En fait, à l'image d'un grand nombre d'autres érudits, elle ne réussit
pas à se faire une distinction claire entre les rites populaires et les rites élitistes. Elle présuma que les
Mystères Païens impliquaient des “rites de fertilité”. C'est vrai mais ce n'est qu'une demi-vérité qui ne
prend pas en compte les rites élitistes qui n'avaient rien à voir avec la fertilité. C'est un point tellement
essentiel que je souhaiterais prendre un moment pour le clarifier dans le détail.

Chrismation
Dans le modèle archaïque de consécration royale de l'antique Proche Orient, le candidat mâle subissait
une initiation sexuelle avec une femme représentant l'une ou l'autre Déesse identifiée avec la Terre.
Ainsi, Ishtar, la déesse Assyro-Babylonienne (la Sumérienne Inana) et son amant humain, Tammuz (le
Sumérien Dumuzi), le roi berger. Dans ce rite, la prêtresse représentait Ishtar et Tammuz ne représentait
aucun homme en particulier, aucune personne historique, juste le nom rituel du prétendant à la royauté.
La maîtrise d'un homme dans la chasse et sa force de guerrier étaient mesurées à l'aune de sa capacité
à s'abandonner et à devenir totalement vulnérables aux plaisirs offerts par le corps d'une femme. Il était
connu à cette époque que le plaisir affaiblit et qu'une union sexuelle intense peut affaiblir les genoux.
Cependant, que le candidat royal accepte d'être faible n'était pas considéré comme une faiblesse. C'était
plutôt considéré comme une preuve de sa capacité à donner et à recevoir de la tendresse - preuve de
sa compassion. Les prétendants à la royauté devaient passer l'épreuve de la tendresse afin de prouver
qu'ils possédaient des qualités “féminines” pour contrebalancer leur prouesses mâles et tempérer leur
inclination masculine à la condescendance.

Ces rites conjugaux sacrés, sous l'égide des cultes de la Déesse, étaient pratiqués, bien sûr, dans l'inti-
mité mais ils se reflétaient également dans des célébrations publiques par lesquelles le roi était repré-
senté en accouplement avec la terre pour garantir la fertilité du sol. Dans l'imagination populaire, “les
rites de fertilité” de la théocratie étaient perçus comme une pratique de magie propitiatoire qui puisse
garantir les cycles de la nature mais ils n'avaient rien à voir avec la fertilité humaine. Ce n'était jamais le
rôle de l'homme investi d'imprégner la prêtresse sacrée - cela eut été assurément une abomination, un
sacrilège à l'encontre de la Déesse. Les prêtresses consacrantes étaient toujours des vierges, ou virgos
- mots dérivés de la racine Indo-Européenne vir- “force héroïque, force” qui est aussi la base du terme
virilité. Originellement, la vierge (en Grec parthenos) signifiait non pas la femme qui n'avait jamais eu
de relations sexuelles mais la femme qui n'avait jamais procréé. Sa matrice était vierge non pas parce
qu'elle n'avait pas copulé mais parce qu'elle n'avait pas conçu. (L'importance accordée à l'intégrité de


l'hymen est symptomatique des sociétés patriarcales dans lesquelles les femmes étaient perçues comme
un bien de propriété et/ou une souche génitrice.)

Au niveau le plus profond de compréhension, dans le sanctuaire intérieur des Mystères, l'initiation conju-
gale était un rite tantrique de consécration par lequel une femme adepte du yoga de la Kundalini initiait
un homme qui développait ainsi des facultés paranormales. (Voir mon article She Who Anoints). Le
rite populaire occultait une autre signification plus profonde ainsi qu'une autre encore, au coeur de cette
dernière. Comme la plupart des érudits, Weston ne perçut que le premier niveau de signification. Elle
pensa que l'initiation dans les Mystères était une ritualisation de pratiques primitives de fertilité qui se
reflétèrent, par la suite, dans les deux motifs dominants de la Légende du Graal: la lance sanglante (le
symbole phallique) et le Graal (le symbole du vagin ou de la matrice). Ainsi que Loomis, l'éminent éru-
dit Arthurien, le souligne, “la théorie fascinante de Mademoiselle Weston d'un culte de mystère perdu,
véhiculé par les marchands Orientaux de la Méditerranée à la Bretagne, et de rites d'initiation secrets
pratiqué dans les anciens temps, est discrédité par l'absence d'un tel culte dans la masse de témoignages
médiévaux sur l'hérésie” (The Grail - From Celtic Myth to Christian Symbol, page 49) - et j'ajoute-
rais par un manque similaire d'évidence d'un tel charabia, sur la lance et le calice, au Proche Orient et
en Egypte d'antan.

La plupart des érudits rejettent la thèse de From Ritual to Romance, mais ils perpétuent cependant
une déduction spécieuse corrélée à la demi-vérité de Weston: le rite de consécration de la théocratie était
une représentation populaire et mondaine de ce dont les initiés faisaient l'expérience dans le sanctuaire
intérieur des Mystères. Cette interprétation fait référence à la théorie enthéogénique de la religion selon
laquelle les initiés Païens passaient par des états altérés induits par l'utilisation de potions sacrées telles
que le breuvage d'orge fermenté d'Eleusis (kykeon). Cette dernière assertion peut être aisément prou-
vée. Il a été avancé (Carl Ruck, The Apples of Apollo) que l'initiation enthéogénique aurait pourvu le
fondement de la consécration des rois lors d'un exercice rituel qui répétait, devant les yeux du monde, ce
dont les illuminés faisaient l'expérience au travers de l'ingestion de plantes et de potions psycho-actives.
Cette extension de la théorie enthéogénique de la religion n'est qu'une supposition et rien de plus qu'une
supposition. Il existe une pléthore de preuves, quant aux pratiques psycho-actives des initiés dans les
Mystères, mais il n'existe strictement aucune preuve que ces initiés présidaient à des rituels publics des-
tinés à exposer les rois nouvellement intronisés dans un état d'illumination ou d'extase divine.

Cette déduction est une autre demi-vérité, un poil plus près de la réalité que ce Weston découvrit. En
premier lieu, elle reconnaît la nature véritable des rites secrets enthéogéniques pratiqués à Eleusis et
ailleurs. Cette reconnaissance est plus profonde que la théorie communément acceptée de l'ancien ri-
tuel de fertilité corrélé à la royauté sacrée mais elle ne pénètre pas encore au coeur de l'expérience des
Mystères. Timothy Freke et Peter Ganbdy (The Jesus Mysteries) affirment que l'initiation pourvoyait
le modèle pour la royauté sacrée sans mentionner un seul mot sur les pratiques enthéogéniques. Carl
Ruck (The Apples of Apollo) affirme la même chose mais souligne le facteur enthéogénique. Dans les
deux cas, ces érudits savants confondent les rites de consécration de la royauté sacrée avec l'expérience
initiatique mystique ou alors ils interprètent ces rites comme une expression exotérique et une extension
d'une telle expérience. Ruck écrit, alors qu'il fusionne la tradition enthéogénique avec la religion Judéo-
Chrétienne:

“Iesous était le nom du héros mythique Iason (Jason) car Iason était ainsi nommé en raison de la chris-
mation cérémonielle ou consécration qui fit de lui un shaman. Dans la tradition Hébraïque, Messie est le
nom de celui qui est “oint”, qui en Grec est appelé Christos... Le rituel de chrismation est devenu une
validation pour l'autorité des rois et des prophètes: mais l'onguent de l'onction conférait originellement
son pouvoir au travers de l'enthéogène qui rendaient les récipients consubstantiels avec la plante sacrée
de leur shamanisme” (The Apples of Apollo, pages 146-147).

En d'autres mots, la royauté sacrée aurait impliqué “originellement” l'initiation enthéogénique du pré-
tendant à la royauté par des prêtres-shamans qui administraient un sacrement psychoactif. Il n'existe
aucune preuve que la théocratie vit le jour avec de tels rites et je maintiens que c'est une erreur sérieuse
d'inférer qu'il en fut ainsi. Un tel amalgame est particulièrement pernicieux parce qu'il donne l'impression
qu'il y a, ou qu'il y avait originellement, une sorte de rite enthéogénique shamanique valide derrière la
royauté sacrée et même derrière Jésus, le Christos. Il en est de même avec Freke et Gandy qui argu-
mentent en faveur d'un type d'apologie du Paganisme par laquelle ils confèrent de la valeur aux Mystères
Païens en les considérant comme le “fondement réel” des enseignements de Jésus et du Christianisme.
En d'autres mots, les Mystères étaient un moyen vers une fin. Et comme la finalité était bonne, on peut
assumer que les moyens étaient tout aussi bons. Selon cette approche, le Paganisme (quel qu'en fût la
nature) devient acceptable parce qu'il constitua le fondement du Christianisme.


Très bien, mais la réalité est tout autre. Le Christianisme a volé quelques draperies au Paganisme - le
bébé dans la mangeoire, par exemple, était une version enfantine de Tammuz, le berger Sumérien -
et il a co-opté des rites Mythraïques pour concocter ses sacrements mais son éthique et son idéologie
viennent d'ailleurs. La base historique du Christianisme réside dans le culte Zaddikim de la Mer Morte.
Depuis l'époque du Patriarche Samuel, toute la communauté Juive fut entraînée dans les politiques thé-
ocratiques par les machinations des Zaddikim dont l'obsession d'un Messie culmina dans le Christ de
Saint Paul. Le messie est “l'oint”, christos en Grec, formé du verbe echrisa “oindre”. Dans les anciennes
théocraties du Proche-Orient, tout aussi bien que dans la tradition Judéo-Chrétienne, l'onction était le
rituel-clé de l'investiture, au coeur de toute la construction idéologique du pouvoir d'ordre divin, mais il
n'existe pas une once de preuve que la religion Païenne en Europe, en Afrique du nord et au Levant suivit
cette coutume.

Le shamanisme enthéogénique dans les Mystères ne fut jamais utilisé pour instituer et légitimer l'auto-
rité patriarcale ou la religion patriarcale. Les rites des Telestai n'étaient pas un moyen vers une fin politi-
que séculaire. L'initiation n'avait rien à voir avec la consécration, si ce n'est la consécration au travers de
la connaissance, si l'on peut se permettre cette analogie. Elle n'avait rien à voir avec les jeux de pouvoir
politique et séculaire tels qu'ils existaient dans l'intronisation publique des théocrates en Palestine et
dans le Proche-Orient d'antan. Aucun adepte sincère et non corrompu des Mystères aurait accepté d'in-
troniser un personnage représentant l'autorité patriarcale ou politicienne. Et aucune cérémonie d'introni-
sation n'aurait pu refléter ce qui se passait au troisième niveau le plus profond de l'initiation.

Un Secret Dénaturé
Afin d'éviter plus de digressions, je vais clore ce sujet pour le moment, mais nous reviendrons ultérieu-
rement sur les interprétations spécieuses de l'intronisation théocratique. Il est essentiel de clarifier cette
question afin de confronter et de surmonter le Mensonge Paternel et sa résurgence actuelle dans la thé-
ocratie globale soutenue par le terrorisme. Pour l'instant, revenons sur “les trois courants” du Graal et
abordons le sujet de cette leçon, “la Pierre des Sages”.

Comme nous l'avons expliqué dans la leçon 3, un des courants définit la direction des “Lumières” socia-
les, selon le modèle de Lohengrin. L'origine de ce courant remonte à la période qui s'étend du 10 ème
siècle à l'humanisme de la Renaissance au 15 ème siècle. L'humanisme fut l'expression séculaire, et
socialement orientée, de la générosité de la Noblesse qui servait le Graal.

Deux autres courants émanèrent de l'accomplissement du Graal par Perceval en 968. La rencontre di-
recte avec le numen suprême de la magie indigène est profondément mystique et ne trouve pas son
expression dans la vie sociale mais dans des tendances cachées et anti-sociales, et dans l'ésotérisme, la
contre-culture et les mouvements underground de caractère cultique et cryptique. Comme nous l'avons
souligné, ces courant cachés informent tous deux profondément le déroulement de l'histoire alternative.
Ils opérèrent derrière la scène durant tout le Moyen Age mais ils émergèrent beaucoup plus tôt. A la
différence de l'initiative Occidentale de philanthropie et d'altruisme social représentée par Lohengrin, ces
deux autres courants trouvent leur origine ancienne dans les Mystères pré-Chrétiens.

La courant qui donne naissance à l'alchimie Occidentale est intimement corrélé au troisième niveau le
plus profond de l'initiation. Derrière les rites sexuels populaires et saisonniers et même derrière les rites
tantriques subtiles de l'accouplement sacré, se trouvait l'expérience rituelle suprême: l'instruction par
la Lumière. L'Alchimie conserva une mémoire résiduelle de cette expérience mais non pas la méthode
antique de transmission de cette expérience même. En d'autres mots, de par la fin du réseau des Mystè-
res de l'Europe et du Proche Orient Païens, la continuité de l'accès à la Lumière Organique fut interrom-
pue. L'expérience initiatrice suprême devint inconsistante et incohérente, et devint presque laissée à la
chance - ce qui peut expliquer l'étrange légende inscrite sur le château du Graal selon laquelle “aucun
chevalier qui ne le cherchait ne trouverait ce lieu sans que la chance ne l'y menât” (Tristan en Prose, cité
par Loomis, The Grail - From Celtic Myth to Christian Symbol, page 206). Même lorsque le Graal
fut révélé, les témoins ne pouvaient pas figurer ce qu'il était parce qu'ils ne possédaient pas la guidance
de la structure des Mystères pour les accompagner. A partir du 4 ème siècle, l'instruction par la Lumière
devint précaire et aléatoire.

Le problème avec l'alchimie, dont tous ceux qui l'explorent sont au fait, à leur grande exaspération,
réside dans sa nature impénétrable, obscure et intimidante. Les alchimistes font constamment allusion
à quelque chose qu'ils ont le privilège de connaître sans dire exactement ce que c'est. Ils ne le disent
pas parce qu'en fait, ils ne savent pas ce que c'est. Ce fut certainement le cas pour ces exemples - et ce
serait presque tous les exemples attestés par des écrits qui ont survécu - où les alchimistes paraissent


occulter ce qu'ils savent alors qu'en réalité ils ne comprennent pas fondamentalement ce qu'ils tentent
d'occulter.

C'est comme si je vous disais un secret sous une forme dénaturée et que je vous faisais confiance pour
le garder. Dans le but d'honorer votre voeu, vous feriez tout en votre possible pour cacher le secret, sans
savoir en fait ce qu'il était précisément.

Wolfram appelle le Graal une pierre et les alchimistes utilisaient universellement ce terme pour l'ultime
secret de “l'Art”. Le dictionnaire alchimique de Dom Pernety (France, 18 ème siècle) donne plus de 600
définitions de la Pierre. Tout simplement. Le plus étonnant est que toutes sont correctes dans un sens
ou dans un autre. Mais aucune n'est valide en ce qui concerne un accès sans médiation à l'expérience
de la Pierre.

“Quant ele fu laiens entree a tot le graal


qu'ele tint,
Un si grans clartez i vint...”

Extrait du Perceval (3224-3225) de Chrétien de Troies en Français médiéval et couplets de rimes oc-
tosyllabiques. En Français moderne : “Comme elle entrait dans le hall, le graal qu'elle tenait rayonnait
d'une lumière si belle ...”. Cela fut écrit avec un accès sans médiation à l'expérience de la Pierre. Dans
King Arthur and the Grail (la meilleure introduction), Richard Cavendish écrit:

“Le Graal n'est clairement pas un objet ordinaire. Il est entouré de mystère; il est sacré et il en émane
une lumière éblouissante (page 137)... Le Graal dans Parzival n'est pas explicité de manière adéquate,
et de loin, comme un symbole de l'humilité. (Théorie de de R. S. Loomis, l'éminence grise des études
Arthuriennes. note de John Lash.) Il est beaucoup plus proche de la Pierre Philosophale de l'alchimie
qui est à la fois un objet mystérieux de taille gigantesque et un état spirituel. La Pierre Philosophale
était considérée pouvoir transformer tout ce qu'elle touchait en or, de soulager toutes les maladies et
de conférer la jeunesse et la vie éternelle à celui qui la possédait. Elle représentait aussi l'état spirituel
“d'or”, le plus parfait et le plus élevé que l'on puisse concevoir, qui était l'état d'union avec Dieu ou la
quasi-identification avec Dieu.

Tout comme le héros du Graal, l'alchimiste avançait sur son propre chemin de salut, indépendamment
de l'Eglise, et donc suspect. L'alchimie attira l'attention de l'Europe Occidentale à partir du 12 ème siècle
et Parzival fut écrit au 13 ème siècle” (page 161).

Je dirai que Chrétien préserve le témoignage authentique et direct de l'expérience des Mystères mais
“éblouissante” est un qualificatif exagéré. La Lumière Organique est substantielle et douce, totalement
à l'image d'un morceau de guimauve lumineuse. Cavendish fait la relation entre le Graal et la Pierre
des Sages mais il lui attache une inférence théologique non appropriée. L'état de perfection associé à
la contemplation du Graal - car personne ne peut le posséder - pourrait être interprété comme “l'état
d'union avec Dieu ou la quasi-identification avec Dieu” mais cette interprétation rouvre le vieux piège de
la déification qui n'était pas la finalité des Mystères bien que l'inflation (pour employer une expression
de Jung) fût certainement un risque de l'initiation. (Carl Jung affirmait que l'identification du Soi avec
Dieu - en termes mystiques, l'union avec la Divinité suprême - était et est toujours la réalisation spiri-
tuelle suprême de la psyché humaine mais qu'elle entraîne le risque de l'inflation de l'ego. J'avancerais
que l'équation Dieu-Soi n'est rien d'autre que de l'inflation de l'ego, quelle que soit la manière dont on
l'envisage).

La Lumière de Sagesse
Les Telestai Païens ne cherchaient pas à devenir Dieu même si l'initiation les rendait, dans une certaine
mesure, à l'égal de Dieu car ils en venaient à connaître le monde comme Dieu le connaît. Ou plus pré-
cisément comme la Déesse le connaît. Comme nous l'avons expliqué dans A Sheaf of Cut Wheat, ils
atteignaient l'Esprit de la Déesse.

Cavendish a presqu'une intuition du Graal en tant que révélation corporelle de la Déesse: “il n'est pas
absolument clair de savoir si la lumière émane du Graal, ou de la jeune fille qui le porte” (page 137).
Cependant, ni lui ni les autres auteurs qui ont écrit sur le Graal, n'identifie directement sa luminosité
avec une présence féminine divine. Lorsque le Graal est associé avec une “Divine Présence”, il est as-
sumé que ce c'est Dieu ou le Christ, en raison de l'épais filtre de Christianisation dont est recouverte la


Légende. Néanmoins tout le matériau archaïque ou traditionnel qui soutient la Légende du Graal évoque
la Grande Déesse, non pas Dieu le Père, ou son Fils Unique. Dans les sources Irlandaises ou Galloises de
la Légende, le Graal était le chaudron magique de la Déesse du monde inférieur, Keridwen, ou Eruin-Erin,
identifiée bio-régionalement avec l'Irlande (source des niveaux archaïques du matériau du Graal). Pour
la participation imaginative et archaïque, le passage de la déesse qui garde le chaudron à la déesse qui
est le chaudron aurait été aisé et naturel.

Dans son essai “Sophia, Companion to the Quest”, Caitlin Matthews, l'érudite revivaliste du Graal et
des Mystères, fait l'observation importante selon laquelle la Quête du Graal est “plus concernée par la
terre que par les gloires de la royauté” (At the Table of the Grail, page 116. Cette remarque est consis-
tante avec la digression ci-dessus). Pour reformuler tout cela en termes Gaïens, la Quête est concernée
par la Terre et les pouvoirs de la planète vivante, plutôt que par les rites paternels de la consécration.
Matthews réussit assez bien à élucider le secret dénaturé. Dans un commentaire sur le blason aux co-
lombes de la famille du Graal, elle écrit:

“La colombe a toujours été le symbole de la compassion divine. C'était un oiseau sacré pour la Déesse
et elle passa dans la panoplie de la Shekinah dans laquelle elle symbolisait l'Esprit Saint de Dieu. Au sein
du Christianisme, le genre douteux de l'Esprit Saint a été obscurci par sa symbolisation sous forme de
colombe: la promesse d'une rédemption ultime, la demeure parfaite de Dieu... Néanmoins, l'Esprit Saint
est théologiquement appréhendé de nos jours, il émane de ses origines en tant que partie du Féminin
Divin: la sainte Maternité de Dieu. Dans cet écheveau de symbolisme, le Christ a assumé les attributs de
la Sagesse.” (ibidem, page 123)

En d'autres mots, les attributs de Sophia. Pour les adeptes des Mystères Païens, la source “d'une lumière
si belle” était ni le Dieu Mâle ni sa progéniture le Christ, mais la Divine Sophia. Au lieu de la divinité ma-
nifestée dans la chair de Jésus Christ - un dogme théologique rejeté par les Gnostiques Séthiens comme
étant une perversion - ils faisaient l'expérience de la “Présence Divine” dans la présence de la Terre elle-
même, dans la Déesse révélée comme une humble planète. Dans Parzival et dans d'autres légendes
Arthuriennes corrélées au Graal, Cundrie, la sorcière hideuse (la Demoiselle Horrible) annonce la mission
du héros et est identifiée, de façon énigmatique, avec la Jeune Fille du Graal. Dans la tradition Irlandaise
primitive, une fée semblable à Cundrie est la première à offrir le Graal et à poser la question test comme
nous l'avons expliqué dans Gaia et la Gnose lorsque nous avons étudié la légende Irlandaise appelée
The Prophetic Ecstasy of the Phantom. La “sorcière” représente la nature ou la forme naturelle de la
Déesse, Son corps planétaire.

La Pierre de Sagesse Rayonnante est le corps surnaturel de


Sophia.

De nombreuses illustrations alchimiques et Rosicruciennes


tardives dépeignent Sophia comme Dame Alkimia, Dame Na-
ture ou simplement la Vierge, qui est graphiquement iden-
tifiée avec la Terre. Elle nourrit l'enfant Humanité avec Lac
Virginis, le Lait de la Vierge - une métaphore pour la Lumière
Organique.

La comparaison entre le lait et la Lumière Organique est très


répandue non seulement dans l'ésotérisme Européen mais
aussi dans la mythologie du monde entier. Dans une oeuvre
classique de mythologie comparée, Myths of Pre-Columbian
America, Donald A. Mackenzie consacre un long chapitre à “la
Déesse du Lait et Son Pot”, en citant des douzaines d'exem-
ples des déesses blanches associées à un “élixir de lait” ve-
nant de plantes et d'arbres sacrés sécrétant du lait. Dans de
nombreuses cultures de par le monde, l'orientation religieuse Emblème II dans Atalanta Fugiens de Michael
primordiale du shamanisme enthéogénique octroyait un accès Maier, 1618. Nutrix ejus terra est: «La Terre est
à la Lumière Organique mais, dans les Mystères, l'accès était notre nourrice.»
systématiquement préservé pour la transmission au travers
des générations par des cellules organisées constituées de
seize initiés, huit hommes et huit femmes. Lorsque ce système fut détruit, la rencontre mystique su-
prême perdura de manière erratique.

La littérature du Graal s'inspira de la mythologie archaïque Irlandaise (ainsi que Loomis l'a démontré de
façon extensive) qui, à de nombreux égards, reflète l'expérience shamanique de la Lumière Organique
parmi les Bardes et les initiés de l'Ile d'Emeraude. La littérature alchimique reflète l'état d'esprit ambi-


valent de ceux qui n'avaient ni les Mystères pour les guider ni la tradition antique shamanique, avec des
plantes psychoactives, pour les orienter vers la présence de la Lumière. Ils étaient, néanmoins, inspirés
de façon erratique et profondément perplexes, avec une vague intuition que la Lumière mystérieuse
existait et que son accès pouvait être direct dans de bonnes conditions.

Un témoignage vécu de l'initiation dans les Mystères Païens a été préservé dans ce qu'on appelle le
fragment de Themistios: “L'âme au moment de la mort a la même expérience que ceux qui sont initiés
dans les Mystères. On est frappé par la présence d'une lumière merveilleuse”. Dans les Codex de Nag
Hammadi, des textes de révélation tels que le Discours sur le Huitième et le Neuvième (NHC VI, 6),
témoignent de cette expérience et donnent la preuve irréfutable que les initiés recevaient la connaissan-
ce directement de la Lumière Divine. Dans ce texte, le hiérophante déclare: “Réjouissez-vous de cette
révélation. Car déjà du Plérome vient le pouvoir qui est Lumière et qui nous recouvre. Car je la vois. J'en
vois la profondeur indescriptible” (57:25-30).

La Lumière mystérieuse perdue des Mystères Païens était la Pierre de Sagesse, le rayonnement du
Graal.

J'ai proposé le terme “Lumière Organique” pour le doux rayonnement blanc du corps de substance pri-
mordiale de la Déesse Sophia, en contraste avec son corps planétaire, consistant des éléments de l'at-
mosphère et du globe terrestre. Dans les Mystères Païens, il était interdit de décrire cette Lumière d'une
telle manière explicite ou de dévoiler que les initiés en recevaient directement l'instruction. Ce fut le
voeu secret qui ne fut pas rompu durant des milliers d'années - mais certains voeux sont destinés à être
rompus afin que le secret qui en est l'objet puisse survivre. Tous ceux qui faisaient le voeu savaient que,
dans une époque future, il serait rompu mais le pouvoir de ce dévoilement futur dépendait du fait que le
voeu soit respecté en premier lieu. Il n'était tout simplement pas destiné à être tenu pour toujours.

La Lumière Organique, la Lumière Divine, la Lumière des Mystères, la Lumière Céleste - voilà quelques
uns des termes attribués à la Pierre des Sages, la substance lumineuse qui confère la connaissance
intime de la Déesse. Nous pouvons ajouter à cette liste la Lumière de Sagesse, l'épiphanie de Sophia.
L'accès à cette Lumière était le secret que les Alchimistes protégeaient, sans savoir clairement et explici-
tement comment atteindre et maintenir cet accès. Mais certains alchimistes le savaient. Dans Parzival,
on trouve la preuve d'une connaissance, qui a survécu, de l'expérience vécue en direct de l'illumination
Sophianique. Wolfram offre même une version dénaturée de l'origine de la Pierre-Graal: c'est le lapsit
exillis qui chuta de la couronne de Lucifer lorsqu'il plongea des Cieux. Ce motif rappelle le plongeon de la
Déesse Sophia du Plérome. Elle est la figure Luciférienne suprême, la pourvoyeuse divine de Lumière.

Les Mystiques Atmosphériques


Dans leurs écrits volumineux, les alchimistes donnent souvent
l'impression de chercher quelque chose qui se trouve devant
leur nez mais sur lequel ils n'arrivent pas à poser le regard. La
Lumière des Mystères était, pourrait-on dire, aussi claire que
la gnose sur leur visage mais elle leur échappait cependant.
Wilhelm Reich aimait beaucoup citer ces quelques lignes de
Goethe:

“Quelle est la chose la plus dure de toutes?


C'est celle qui semble la plus facile:
Pour vos yeux de voir
Ce qui repose devant vos yeux”.

Sans pouvoir bénéficier de la guidance de la Lumière Orga-


nique, les alchimistes examinaient attentivement la lumière
du jour pour des signes d'activité surnaturelle. Cet examen
approfondi devait être extraordinaire car il leur permit de per-
cevoir les opérations intimes de la nature. Ils détectèrent à la fois l'oxygène et l'hydrogène dans l'atmos-
phère avant que ces éléments fussent observés à l'aide d'instruments et quantifiés en langage chimique.
Ils appelèrent l'oxygène Prima Materia, la Matière Primordiale, parce que tout ce qui vit dans le monde
matériel, même les minéraux, réagit à ce gaz avant toute autre chose. Nous savons aujourd'hui que
l'oxygène est un gaz hautement réactif et instable. Le niveau constant d'oxygène atmosphérique à 20


% est une anomalie de la Terre qui permet que la vie soit possible. Cette observation est essentielle à
la compréhension de l'homéostasie terrestre dans la théorie Gaïa et, en fait, a conduit à l'élaboration de
la théorie.

“La Pierre est projetée sur la Terre et exaltée sur les montagnes et demeure dans l'air et se nourrit dans
les rivières...” C'est ainsi que s'exprime le commentaire pour l'Emblème XXXVI dans le Atalanta Fu-
giens de Michael Maier, une des épreuves alchimiques les plus influentes du 17 ème siècle. Les cubes
sur la route, dans l'air et dans l'eau, suggèrent comment la Pierre mystérieuse, bien qu'elle soit présente
partout, se cache dans les éléments naturels: l'eau, la terre et l'air (sa relation avec le feu est plus com-
plexe et obscure). La preuve de la connaissance des physiques atmosphériques n'est pas très répandue
dans les écrits alchimiques, mais elle s'y trouve cependant.

La théorie Gaïa dépend de notre connaissance de l'ensemble des gaz atmosphériques, définis et me-
surés en termes modernes, selon les avancées réalisées par la chimie depuis le 17 ème siècle. Mais au
moment où la chimie moderne émergea - signalé par la création de l'Academia de Cimento à Florence
en 1667 - les alchimistes Européens étaient en train de transmettre ce qu'ils connaissaient à des scien-
tifiques en herbes qui ne comprenaient ni ne respectaient l'art secret dont leur science matérialiste était
l'héritière.

Johan Baptiste von Helmont (1577-1644) fut non seulement


un chimiste éminent du 17 ème siècle mais il fut aussi un al-
chimiste accompli, un des rares qui ait admis publiquement
avoir “réalisé la Pierre”. Von Helmont découvrit le gaz dioxyde
de carbone qui est expiré par les humains et absorbés par les
plantes pour être converti en oxygène. Il l'appela “gaz sylves-
tre” en référence à l'Arbre Alchimique, un symbole primordial
de l'Art. Von Helmont découvrit-il cette association pertinente
par hasard ou savait-il que les arbres absorbent le dioxyde de
carbone? Il prouva la présence et l'action du dioxyde de car-
bone dans l'atmosphère avant qu'il ne fût détecté et mesuré
par des instruments. Comment fit-il?

L'azote, qui est prépondérant dans l'atmosphère à près de 80


%, fut aussi découvert par des alchimistes. Ils l'appelèrent
Azoth. Nous respirons à chaque respiration de l'oxygène et de
l'azote mais comme ce dernier est un “gaz inerte”, nous ne
ressentons rien. Il est possible, cependant, d'être somatique-
ment conscient de respirer de l'azote atmosphérique. Le ré-
sultat est une sorte de délire léger, comparable aux effets de
l'oxyde de nitrate, “le gaz hilarant”. Les personnes qui ingè-
rent des champignons psycho-actifs peuvent devenir étourdis
et se mettre à rire de façon hilarante. On sait maintenant que
les propriétés de ces plantes ont pour source leur chimie rare azotée qui en fait des exceptions parmi les
millions d'espèces végétales de la planète.

En 1988, dans un article pour la revue Anthroposophique Golden Blade, j'ai proposé que certains des
alchimistes Européens étaient des “mystiques atmosphériques” qui possédaient une “rare clairvoyance
infrasensorielle des éléments naturels”. Par infrasensorielle, je voulais dire qu'ils étaient capables de
percevoir ce qui se passait au sein de leurs propres sens et, de par cette intensification de la perception
sensorielle, ils atteignaient à une connaissance objective authentique des processus naturels. Goethe,
qui s'inspira profondément de la tradition alchimique, appelait la faculté infrasensorielle auschauende
Urteilskraft, “la puissance perceptuelle de la pensée”. Il fit l'expérience, sans nul doute, de ce dont il
parlait, car il fut capable de faire des découvertes vérifiables dans la morphologie des plantes et des
animaux et en optique. Goethe prouva que dans un état intensifié, la pensée se rapportant à ce qu'on
observe fusionne avec les processus opérant dans ce qui est observé. Lorsque la pensée et la perception
coopèrent de cette manière, il n'est pas nécessaire de penser dans l'abstrait au sujet du phénomène.
Dans Goethe le Galilée de la science du vivant (Editions Novalis), Rudolf Steiner définit cette mé-
thode de façon pertinente: “Elle ne résume pas ce qui est observé; elle produit ce qu'il faut observer”.
Dans son étude lucide de la méthode de Goethe, The Wholeness of Nature, Henri Bortoft appelle cette
méthode perception intensive.

L'affirmation selon laquelle les alchimistes percevaient de façon intensive, et acquéraient ainsi une
connaissance sérieuse des processus naturels, peut aisément être rejetée par ceux qui protestent que
je considère tout ce non-sens comme de la matière ésotérique. Admettons. Mais il existe des traditions


parallèles qui fournissent des preuves corrobo-
rantes que la perception intensive n'est pas une
illusion. Considérez, par exemple, les pratiques
yogiques de l'Asie. Il serait peut-être exagéré
de définir l'alchimie comme un yoga sophistiqué
du mental et des sens mais plusieurs érudits
ont, néanmoins, fait la connexion entre l'alchi-
mie et le yoga. Dans The Alchemical Body,
David Gordon White développe de nombreux
parallèles entre le yoga Asiatique et l'alchimie
Occidentale et démontre que “la transmission
orale de la gnose alchimique” (page 149) était
extensive, de l'Orient à l'Occident. Dans son
ouvrage classique sur le yogi et mystique Tibé-
tain Milarepa, W. Y. Evans-Wrentz écrivit:

“Milarepa était capable de survivre, non pas sans


souffrances, auxquelles il était yogiquement in-
différent, au milieu du climat quasi-arctique des
hauteurs de l'Himalaya, avec une très nourri-
ture très simple, grâce au contrôle indompta-
ble de son corps physique, et fréquemment, en
Un lion vert qui mange le soleil. Rosarium Philosophicum. l'absence d'autres moyens de subsistance, par
un processus quasi-osmotique, à partir de l'air,
de l'eau et de la lumière solaire, similaire au
processus par lequel la plante produit sa chlorophylle” (page xii).

La référence à la photosynthèse est frappante. Dans la littérature connue de l'alchimie, nous trouvons
l'image d'un Lion Vert mangeant le soleil. Le Lion Vert est un symbole naïf indiquant comment la lumière
se convertit en chlorophylle et fournit ainsi de l'énergie vitale sous forme de plantes comestibles. Cette
image bizarre représente à la fois la puissance et le produit de la conversion photosynthétique. Il est
possible que les alchimistes qui créèrent cette image se nourrissaient par osmose de l'atmosphère, ainsi
que Milarepa était réputé le faire. (Ceux qui le font de nos jours et vivent sans l'apport de nourriture
animale ou végétale, sont appelés des Breatharians). Il est entièrement concevable que les adeptes, qui
avaient une perception intensifiée de la nature, aient appliqué cette faculté à leurs propres processus
mentaux, métaboliques et physiologiques. De nombreuses légendes associées aux alchimistes suggèrent
qu'ils arrivèrent à une condition similaire à celle de Milarepa et d'autres adeptes Asiatiques, des initiés de
la nature qui contrôlaient leurs propres forces vitales. La tradition Européenne rapporte que des alchimis-
tes vivaient avec des moyens très restreints et se nourrissaient de très peu, à l'instar des Rois du Graal
souffrants qui se nourrissaient d'une fine hostie blanche qui leur était servie dans le Graal.

La photosynthèse est un fait. Asseyez-vous dessous un arbre et voyez si vous pouvez observer comment
elle fonctionne. Essayez ensuite d'imaginer comment quiconque aurait pu faire une telle observation sans
l'aide d'instruments. La réalité est que nous participons à la photosynthèse de façon organique et méta-
bolique sans savoir ce que nous faisons ou comment nous le faisons. Cette participation peut être rendue
consciente via l'instrument que les alchimistes appellent l'artifex, et que j'appelle le corps imaginal. Vous
imaginez ce qui se passe dans votre corps, tel que la circulation sanguine, en utilisant une image, et
vous méditez ensuite sur cette image jusqu'à ce que vous fassiez l'expérience de ce qui se passe déjà en
vous. L'artifex, et non pas l'alchimiste, achève le Grand Oeuvre. Le corps imaginal nous permet de par-
ticiper dans ce que nous visualisons tout d'abord à condition que nous puissions le visualiser avec assez
d'intensité et de dévotion. Tout ce qui est fait pour nous naturellement et à notre insu, nous pouvons le
faire avec la nature en pleine conscience.

Le secret de l'Art est de se mettre en phase grâce à une technique imaginale (l'artifex), à savoir de pas-
ser de l'état d'insertion inconsciente dans la nature à l'engagement conscient avec la nature, c'est à dire
la co-évolution. C'était aussi une des finalités premières des Mystères dont les adeptes étaient dédiés à
la Déesse Sagesse incarnée dans la Terre: Sophia.

Lux Naturae, Lumen Naturae


Les écrits de l'alchimie Occidentale contiennent beaucoup de scories et très peu d'or. Cependant, lorsqu'il
s'avère authentique, l'Art reflète l'expérience des mystiques atmosphériques qui utilisaient la perception


intensive pour chercher dans le monde naturel la présence surnaturelle du Graal, la Pierre de Sagesse.
Dans quelques cas, les alchimistes travaillaient véritablement à partir de l'expérience directe de la Lu-
mière Organique. Dans la plupart des cas, néanmoins, ce n'étaient pas des adeptes illuminés mais des
dévots de la nature qui sentaient obscurément la sagesse vivante de la Terre et cherchaient à appren-
dre à son sujet, à défaut d'apprendre d'elle. De par la destruction du réseau millénaire des Mystères, la
méthode avérée de l'instruction par la Lumière ne fut pas perdue mais la continuité de la méthode fut
rompue. Les alchimistes qui poursuivaient le Grand Oeuvre devaient se reposer sur un processus, au
petit bonheur la chance, d'auto-initiation.

Paracelse distingua deux sortes de lumière: lux naturae et lumen naturae. La première est la lumière at-
mosphérique naturelle. Dans une observation que les scientifiques ignorent à leur risque et péril, Wilhelm
Reich souligna que la lumière naturelle ne vient pas du soleil mais est un effet local de l'atmosphère.
On pourrait même dire que la lumière qui enveloppe la partie vivable de l'atmosphère terrestre est un
effet photochimique dans l'air extérieur. Que la lumière atmosphérique opère de façon biochimique est
bien sûr un constat de la science moderne mais la capacité de participer consciemment à des processus
photobiochimiques est déniée par la science. La Lux naturae était le medium primordial du mysticisme
atmosphérique. Le Grand Oeuvre était réalisé dans le vas hermeticum, l'enveloppe planétaire.

La lumen naturae était la Pierre du Graal, l'Elixir. Non pas la lumière atmosphérique, mais la luminosité
douce et blanche du corps de substance primordiale de la Déesse. L'objet de la Quête du Graal était
d'accéder à la Lumière Organique comme des générations d'initiés l'avaient fait dans les Mystères;
comme beaucoup, cependant, de ceux qui entreprenaient la Quête ne savaient pas ce qu'ils cherchaient
et n'avaient personne pour les guider, l'élément de fantasme jouait dans la Quête. Les alchimistes em-
brassaient la même finalité que ceux qui étaient en quête du Saint Graal mais ils le faisaient dans un
environnement totalement différent: non pas dans la nature sauvage ou sur le lieu des tournois ou à la
table du roi mais dans leurs laboratoires et dans leurs caves. Cherchant à pénétrer les secrets de la na-
ture, ils étaient considérés par l'Eglise comme des hérétiques qui étaient de connivence avec les esprits
maléfiques supposés animer le monde naturel. Ils ne savaient qu'à moitié ce qu'ils faisaient et ils devai-
ent cacher une grande partie de cela pour éviter d'être persécutés pour hérésie.

L'alchimie Européenne était, dans une grande mesure, un exercice chaotique de fantasmes, d'expérimen-
tations chimériques et de spéculation métaphysique démentes. En raison du lien étroit entre la Quête du
Graal et le Grand Oeuvre, de nombreux motifs et symboles appartenant à un genre se manifestent aussi
dans l'autre. La cauda pavonis ou queue du paon représente “l'illumination psychédélique” achevée à
la fin de l'Oeuvre. Avec l'épiphanie de la Lumière Organique, toutes les couleurs de la nature sont per-
çues différemment. Les objets apparaissent comme n'étant rien de plus que des taches palpables dans
la Pierre Blanche, comme des aquarelles sur du plâtre ou des morceaux mous de verre coloré incrustés
dans de l'albâtre. La vision du cauda pavonis rappelle la ligne de Shelley dans Adonais “La vie, telle un
dôme de verre très coloré / Tache la lumière blanche de l'éternité”.

Le chapeau de feutre ondulé du Roi Pêcheur était agrémenté de la plume fleurie d'un paon.

John Lash. 22 avril 2006. Flandres.

Traduction de Dominique Guillet

10
Une Histoire Alternative du Graal
5. La Plus Enigmatique de Toutes les Enigmes

John Lash

Où l'auteur explique son étrange (et peut-être irritante) inclination à savourer


les histoires Arthuriennes du Moyen Age
Comme tous ceux dotés d'une forte imagination, je suis enclin, lorsque je suis laissé à moi-même, à
m'envoler vers des sphères lointaines et mystérieuses. Cette inclination à la schizophrénie et à la mytho-
manie est le propre des artistes modernes dans la vie desquels elle se manifeste de façon pléthorique,
d'Antonin Artaud (le représentant Européen par excellence; mais si l'on prend en compte l'équipe Russe,
Velimir Khlebnikov mène la danse) à Philip K. Dick; ou si vous préférez Woody Allen. Sur le sol Etats-
Unien, Melville et Poe constituent les sujets d'études de cas de premier choix. Un minimum de réflexion
nous amène à conclure que presque tous les Romantiques, qui héritèrent du karma non achevé de l'Eu-
rope, à savoir, les conséquences à long terme de la destruction des Mystères, souffrirent du syndrome
d'extrapolation imaginative schizoïde, sous une forme ou sous une autre.

“Mon coeur est ce qui n'est pas mon ego... Aimer l'ego, c'est aimer la mort mais la loi de la Vierge est
infinie”. Artaud, Révolte contre la Poésie.

Je me classe avec ces personnages en raison seule de la similarité de l'affliction, non pas par ce qui peut
en être fait. Il y a grand nombre de mythophrènes, dans leurs rangs, dont la plupart, triste à dire, sont
considérés comme une menace pour la société.

Arrivant à la leçon 5 de Mythbusting 101, le lecteur patient peut se demander vers quoi je m'oriente avec
cet exercice métahistorique exigeant. Et bien, il y a une finale, et cela vaut peut-être le déplacement
même si ce n'est que pour sa valeur de choc... Nous allons en arriver finalement à l'horreur sanglante
de tout cela.

En attendant, cela allégerait peut-être le fardeau de ces leçons difficiles si j'expliquais pourquoi je m'at-
tarde si lourdement sur des histoires du Moyen Age. Je date historiquement la Quête du Graal à un mo-
ment nodal, 968 , et à la suite de cela, je met l'accent sur la rédaction de l'histoire autour de 1210 par
Wolfram von Eschenbach, un chevalier Bavarois. Ce sont des dates éloignées dans le temps et corrélées
à des événements obscurs. Il est difficile de percevoir comment ce qui est arrivé alors pourrait avoir une
quelconque pertinence avec le monde de maintenant, en 2008.

Et si alors était maintenant?

Voyons si je peux élucider comment ces excursions dans la romance Arthurienne peuvent être d'une
quelconque valeur pour la vie du monde d'aujourd'hui.

Un Hareng Saur
“Les légendes du Graal sont sans doute les plus inspirantes de toute la romance Arthurienne. Cette
'coupe la plus sacrée' est de toutes les énigmes, la plus énigmatique”. R. S. Loomis, Celtic Myth and
Arthurian Romance.

La Romance est un genre de littérature médiévale comprenant des oeuvres de prose et de poésie écri-
tes dans des langages anciens tels que le Gaélique, le Breton, l'Occitan et le moyen-haut-Allemand. La
romance Arthurienne est le corpus d'histoires et de légendes concernant les chevaliers, les nobles et
les dames associés au roi quasi-historique Arthur. La pièce maîtresse de la romance Arthurienne est la


légende du Graal ou la Quête du
Saint Graal. Au cours de ces le-
çons de Mythbusting 101, je
tente de montrer comment cette
légende contient un pouvoir qui
se révèle à ceux qui participent
imaginativement à l'histoire, le
pouvoir de défier et de vaincre le
Mensonge Paternel - c'est à dire,
la fourberie qui légitime tout ce
qui est faux, et négateur de vie,
dans les affaires humaines. S'im-
pliquer dans la Quête est une ma-
nière très efficace de renverser la
culture dominatrice dans laquelle
nous vivons car le pouvoir qui est
gagné, de par la participation à
cette histoire unique, éveille en
tout individu une faculté innée et Galahad attiré par des fées aux robes blanches qui apparaissent souvent sous la forme
invincible. Nous nous préparons de vierges du Graal. Peinture d'Arthur Hughes, 1874.
à vaincre la tyrannie extérieure
en recouvrant et en maîtrisant ce qui vit à l'intérieur de nous tous: le don de l'imagination créative.

J'entends par là une imagination créative authentique, qui est aussi une imagination morale. Je ne veux
pas parler de ce qui passe, de nos jours, pour être de l'imagination - par exemple, la camelote Star Wars
ou les jeux vidéos à multiples niveaux et multiples joueurs ou les défilés de fringues à la mode ou encore
la rédaction de type marteau-piqueur des vidéos MTV. Pour ne citer que quelques exemples parmi des
centaines qui viennent à l'esprit.

En insistant sur l'importance de la Quête du Graal et en plongeant le lecteur dans le royaume nébuleux
de la romance Arthurienne, il semblerait que j'emprunte un long détour au travers du passé; ou peut-
être y suis je à jamais perdu et cherchai-je à m'adjoindre un peu de compagnie. Après tout, n'est-il pas
ridicule de tenter de faire revivre un tel sujet défunt? N'est-il pas futile d'espérer que quiconque puisse
se laisser inspirer aujourd'hui par ces intrigues fantastiques et obscures et ces personnages médiévaux?
Et après tout, qui, en ces temps modernes, témoignerait de l'intérêt pour un sujet aussi abscons que le
Saint Graal?

Et bien, si nous en jugeons par les débats au sujet du Da Vinci Code, je dirais que, de nos jours, un bon
quart de la population de la planète est potentiellement intéressé par un sujet aussi abscons. Un milliard
et demi de Chrétiens sur terre voient leur foi remise en question parce que le DVC (Da Vinci Code)
associe le Graal avec leur idole salvatrice, Jésus Christ. Et de nombreux non-Chrétiens sont également
impliqués dans le débat. Le livre est, de loin, le plus grand best-seller de tous les temps. Il a été traduit
en 40 langues. Un film en a été produit en 2006.

Je suis peut-être quand même sur la bonne piste. Mais ma démarche est-elle la bonne? Il ne semble pas.
Il semblerait que je danse le jitterbug lorsque tout le monde danse le lambada. Ma démarche inhabi-
tuelle est due au fait que j'aborde le sujet avec un angle assez particulier, ce qui situe mes contributions
à l'écart du débat.

“Etudier les légendes du Graal, c'est fouiller dans les ruines de cités ensevelies, dégager couche après
couche de civilisations éteintes et de religions oubliées”. Loomis, Celtic Myth and Arthurian Roman-
ce.

Et voilà. Si l'érudit Arthurien le plus éminent était avec nous aujourd'hui, nous danserions sans doute
ensemble le jitterbug. Pour ce qui est d'associer le Graal aux Mystères, il avait de bonnes longueurs
d'avance sur moi. (Ce travail de connexion mis en exergue par Loomis sera explicité dans les leçons
ultérieures). Dans ces leçons, j'explique que la Quête du Graal est un prolongement des Mystères. Vous
aurez beau chercher dans tout le débat qui entoure le DVC, je ne pense pas que vous trouverez mention
de cette connexion. Je parierai que vous ne trouverez pas même une mention des Mystères. Je propose,
pourtant, que ce que les chevaliers Arthuriens cherchaient dans le Graal avait déjà été connu et vécu par
les initiés des Mystères Hellénistes. Cette vision est cohérente avec les études Arthuriennes approfondies
sur le Graal, telles qu'elles ont été réalisées par l'honorable Roger Sherman Loomis. Cet aspect a, cepen-
dant, été totalement négligé au cours du débat courant tant sur l'ouvrage que sur le film. Pourquoi?


La raison en est simple: la fascination actuelle et généralisée en ce qui concerne le Saint Graal, et dé-
clenchée par le Da Vinci Code, n'est pas ce qu'elle paraît être. Le débat concernant cet ouvrage semble
attirer l'attention sur le Graal, mais en réalité il la détourne de l'expérience directe et vérifiable de la
présence mystérieuse du Graal. Le débat ne fait même que dissuader de toute discussion se rapportant
à cette expérience. L'attention est focalisée sur le Graal et, en même temps, détournée du processus de
questionnement qui pourrait mener à “l'accomplissement du Graal”. Le débat sur le DVC est un jeu sans
règles de fantasmes stériles. C'est une conspiration volontaire dont les participants créent l'intrigue, en
l'embellissant et en la développant continuellement, de sorte que la conspiration ne fasse rien d'autre
que de se nourrir d'elle-même. Ce truc rouge dans le calice, ce n'est pas le sang du Christ. Regardez
bien. Ce n'est que la chair visqueuse d'un hareng crevé. (l'auteur fait un jeu de mots intraduisible en
Français: “red herring” signifie “hareng saur” et “dissimulation”).

L'attention massive accordée aujourd'hui au Graal n'est qu'une diversion grossière de ce qu'il est quant
à sa nature mystique. Cela nous distrait de l'expérience que le Graal peut offrir à ceux qui le recherchent
sincèrement. Loomis avait raison: de toutes les énigmes, c'est la plus énigmatique. On pourrait argu-
menter que le Graal signifie de nombreuses choses pour de nombreuses personnes et ce n'est pas John
Lash, ou quelqu'un d'autre, qui aura le dernier mot sur la question. Cela est assez vrai. Mais il est tout
aussi vrai que le Graal puisse être une seule chose. Il peut être beaucoup de choses et, en même temps,
il doit être une chose et une chose seulement. Cette unique chose qu'est le Graal, c'est la partie la plus
énigmatique de l'énigme.

“La Pierre est Une; il n'y rien à y ajouter; les Sages réalisent notre remède à partir d'une seule subs-
tance. Ce Magistère croît d'une unique racine originelle qui se ramifie en plusieurs parties et à partir de
laquelle jaillit une seule chose”.

C'est le conseil que les anciens alchimistes donnent, de façon constante, dans de nombreuses versions
du même message. (Extrait du Golden Tract dans The Hermetic Museum, édité par A. E. Waite).
J'écris pour élucider et dévoiler cette chose unique, qui, de par le passé, a été considérée comme la ma-
tière la plus secrète et la plus sacrée au monde.

Une Conspiration Virtuelle


Le Prieuré de Sion est supposé être une société secrète fondée en 1099 qui conserve des informations
secrètes sur la vie de Jésus: à savoir, sur le fait qu'il était marié avec Marie Madeleine et qu'elle porta
son ou ses enfants. Les documents qui déclenchèrent cette histoire furent déposés dans les années 1950
à la Bibliothèque Nationale de France. Par un grand saut de l'imagination, ils sont intitulés “dossiers se-
crets”. Quiconque les a consultés est au fait de l'immense plaisanterie. C'est un travail d'amateur qui a
été probablement tapé sur un vieux clou de machine à écrire dans une mansarde délabrée au coeur de
Paris. Ces documents, et l'existence du Prieuré de Sion qu'ils évoquent, sont très largement considérés
comme un canular mais pas un canular ordinaire. Je le désignerais comme un canular sous la forme
d'une conspiration virtuelle. Je ne veux pas dire que le Prieuré de Sion, la supposée société secrète, soit
une conspiration réelle, mais que l'histoire concernant le Prieuré est une fiction conspirationnelle.

Une conspiration virtuelle est un acte de collusion, non pas dans le but de faire quelque chose (tel que
l'assassinat d'un leader politique, la destruction de tours, ou la préservation d'un secret) mais dans le
propos d'introduire une histoire fausse concernant quelque chose qui a prétendument été réalisée. Le
Prieuré de Sion est une invention fictionnelle destinée à servir une finalité bien précise, et elle la sert
extrêmement bien alors même que le Prieuré n'existe pas. L'astuce est que la conspiration virtuelle (une
société secrète appelée le Prieuré de Sion) est la courroie de transmission d'une information particulière
(la lignée de sang sacré descendue de Jésus). Les deux composantes, la courroie de transmission et la
fausse information, constituent un système illusoire d'auto-propagation. La société n'a pas besoin d'exis-
ter pour être la source de l'information qu'elle introduit. Une fois introduite, l'information se propage
d'elle-même.

Un bon exemple de conspiration virtuelle est la Fraternité Himalayenne de Madame Blavatsky. La “loge
secrète” des Mahatmas ( les “grands frères” de l'humanité) est une pure invention mais elle agit comme
une courroie de transmission pour une information concernant “l'ancienne religion de sagesse” émanant
de Blavatsky. L'objet de la conspiration est de faire circuler une information (des “enseignements”), dont
certains peuvent s'avérer vrais et bénéfiques, comme nous le voyons avec Blavatsky. Plus souvent, néan-
moins, la conspiration virtuelle est utilisée pour répandre des mensonges et de la désinformation. C'est
le véhicule idéal du Mensonge Paternel.


Voyons l'exemple de l'assassinat de JFK. Nombreux sont ceux qui croient qu'Oswald n'a pas agi seul. On
prétend qu'il y eut une conspiration impliquant un certain nombre de personnes qui collaborèrent pour
assassiner Kennedy et pour faire passer Oswald comme le bouc émissaire. Mais se pourrait-il qu'il n'y
ait pas eu de conspiration pour assassiner Kennedy, c'est à dire pour l'acte, mais bien plutôt une conspi-
ration pour faire en sorte que l'assassinat semble avoir été orchestré par une conspiration. Cet effet de
doublement signale la conspiration virtuelle comme une réalité virtuelle qui duplique un événement ou
une scène réelle. C'est une technique extrêmement efficace de tromperie parce que la conspiration vir-
tuelle ou inventée va former une carapace autour de ce qui s'est réellement passé et le cloisonner de tou-
te compréhension ou de toute investigation. Quiconque peut lancer une conspiration virtuelle autour de
quelque chose, que ce soit un assassinat ou une relique religieuse, sera capable d'en cacher la vérité.

La conspiration virtuelle est un outil puissant de contrôle mental. Qui plus est, un des plus puissants
jamais conçus par l'intelligence humaine. Elle génère un très grand retour pour un investissement mi-
nimal. Pour réussir avec une conspiration virtuelle, il n'est pas nécessaire de contrôler ce que les gens
font et il n'est pas même nécessaire de mettre en place un scénario élaboré pour que quelque chose se
passe dans le monde: il suffit simplement de suggérer comment percevoir les événements à arriver, ou
qui sont arrivés. L'induction d'une situation par laquelle l'assassinat de JFK est perçu comme un acte de
conspiration possède des effets de grande portée et ces effets sont extrêmement plus faciles à réaliser
qu'une conspiration réelle impliquant un plan complexe avec de multiples acteurs et des événements
chronologiquement orchestrés dans des lieux spécifiques. Il n'est nul besoin de dire qu'il est compliqué
et risqué de mettre en place une conspiration réelle. L'opération est toujours vulnérable à son maillon
le plus faible. De plus, une conspiration réelle peut être découverte, les instigateurs peuvent être iden-
tifiés et punis. Tandis qu'une conspiration virtuelle, qui peut être instiguée par une personne seule de la
manière la plus banale, ne requiert pas une organisation aussi complexe. Même lorsque la source de la
conspiration virtuelle a été identifiée, comme c'est le cas pour le Prieuré de Sion, elle continue de pros-
pérer sans être affectée par le dévoilement. Elle est le produit de tout un chacun qui daigne lui accorder
de l'intérêt, qu'il y croie ou non.

Comme elle mise sur le pouvoir de suggestion et d'affirmations non vérifiables, une conspiration virtuelle
est forte, même à son maillon le plus faible. Il a été argumenté, par exemple, que la qualité amateur des
dossiers secrets était intentionnelle pour que l'examen même de ces documents discrédite l'information
et écarte ceux qui seraient incapables de les comprendre en profondeur. En d'autres mots, les documents
furent présentés de cette façon comme une stratégie de filtrage, une tactique de diversion. Celui qui
inventa cette notion élabora la conspiration virtuelle en faisant paraître ses concepteurs intelligents. Les
concepteurs n'ont plus qu'à s'asseoir pour observer leur projet s'étendre mentalement chez ceux qui lui
prêtent attention et qui en débattent.

Le Prieuré de Sion est une conspiration virtuelle extrêmement intelligente qui agit comme le catalyseur
d'une expérimentation de contrôle mental à laquelle participent maintenant avidement des millions de
personnes. Les concepteurs déploient un effort minimal, en fabriquant de faux documents, et la conspi-
ration décolle d'elle-même. Le Prieuré fictionnel est la source d'une certaine information, la courroie de
transmission pour des fabulations qui se transmuent frénétiquement dans l'esprit de quiconque se laisse
captiver. La société secrète en elle-même n'existe pas, et n'a jamais existé, mais tel est le génie du sys-
tème: elle n'a pas besoin d'exister afin de délivrer l'information.

L'histoire fausse, au sujet du Prieuré, déposée à la Bibliothèque Nationale de Paris, et subséquemment


embellie par Henry Lincoln (qui s'inspirait d'un roman à sensation concernant des trésors cachés dans le
sud de la France) et élaborée ensuite par Lincoln, Baigent et Leigh (Le sang sacré et le Saint-Graal) et
finalement romancée par Dan Brown, est devenue le véhicule pour répandre un écran de fumée dense
autour du Saint Graal. Toute la discussion et les débats occultent le Graal des Mystères - et non pas pour
le protéger ou pour des raisons bienveillantes. Loin s'en faut. La stratégie de contrôle mental, qui est ici
à l'oeuvre, enterre le Graal sous une tonne de bla-bla afin de le rendre inaccessible à l'humanité.

Maintenant, on pourrait argumenter que je suis moi-même en train de concocter une conspiration. J'af-
firme que quelqu'un a fabriqué de faux documents, qui sont la source de la conspiration virtuelle au sujet
du Prieuré de Sion, afin d'empêcher l'humanité d'accéder au Graal. Qui est ce quelqu'un et quelles sont
ses motivations? Je vais aborder la seconde partie de cette question maintenant. La première partie sera
abordée au cours des leçons subséquentes.


Un Immense Déni
Pourquoi quelqu'un voudrait-il dénier à l'humanité l'accès au Graal - par lequel, j'entends l'expérience
authentique et vécue de la Lumière Sophianique? On pourrait également poser les questions suivantes:
pourquoi les Mystères furent-ils détruits? Pourquoi les cultes Gnostiques visionnaires dédiés à Sophia
furent-ils éradiqués? On peut prouver, grâce à des évidences historiques fiables, que les Mystères fu-
rent délibérément éradiqués et il n'est que naturel de s'enquérir du motif de cet acte sans précédent de
destruction. Etait-ce parce que quelque groupe d'intérêt spécial voulait interdire aux gens l'expérience
mystique unique de l'initiation Sophianique? S'il en est ainsi, est ce que le motif opérationnel alors pour-
rait-être le même maintenant, l'intention derrière l'arnaque du Da Vinci Code? Et si alors était aussi
maintenant?

Dans les Mystères Païens, de nombreuses générations d'individus vivaient une rencontre directe avec le
Graal, avec la Lumière Organique de la Sophia Gnostique, la Pierre de Sagesse rayonnante des alchimis-
tes. L'accès vécu à cette expérience était largement disponible sur une très longue période de temps en
Europe, au Levant et en Egypte. Lorsque le Christianisme vint au pouvoir comme religion d'état de l'Em-
pire Romain, l'accès à cette expérience mystique sublime fut strictement interdit, sous peine de mort.
Et de nouveau aujourd'hui, l'accès en est interdit bien que cela semble le contraire: tout un chacun, et
même son voisin, est sur le point de découvrir le secret du Saint Graal.

En réalité, le dévoilement présumé du secret occulte le secret. C'est pourquoi il est plus que temps de
s'exprimer publiquement, de décrire le secret, ouvertement et explicitement. C'est la meilleure façon de
réfuter le dévoilement spécieux du secret.

Il n'y pas de mystère concernant ce qui est arrivé aux Mystères. L'histoire nous raconte que le “triomphe
du Christianisme” fut achevé en renversant la religion Païenne et en anéantissant ses rites et ses insti-
tutions. Si les Mystères avaient survécu, le Christianisme n'aurait pas été capable de gagner l'influence
et le pouvoir qui sont les siens maintenant. L'histoire elle-même indique la raison pour éloigner les gens
du Graal, c'est à dire pour interdire l'initiation: cela fut fait de façon délibérée afin qu'un système de
croyances rigides pût être imposé à la place d'une connaissance qui s'écoulait spontanément à partir
d'une expérience initiatrice. Si l'opportunité de rencontrer la Lumière Organique s'était maintenue, de
nombreux individus du monde classique n'auraient pas adopté le système de croyance de la rédemption;
ils lui auraient même résisté et ils auraient argumenté de façon convaincante contre lui - exactement ce
que firent les Gnostiques jusqu'à ce qu'ils fussent réduits au silence par la criminalisation de l'initiation
(sous le Code Théodosien), la destruction des ouvrages par le feu, la profanation des sanctuaires, la
persécution et le meurtre.

Ce n'est pas une théorie de conspiration. C'est l'histoire - l'histoire d'un acte gigantesque de déni. Je n'in-
vente pas un scénario quant à la destruction des Mystères. Je suis en train de brosser un tableau précis
et objectif à partir d'évidences historiques connues. Et j'affirme que le renouveau d'intérêt dans le Saint
Graal, du à la conspiration du Prieuré de Sion, est une continuation de cet immense déni, le prolonge-
ment d'un plan insidieux pour dominer l'humanité par la tromperie.

Imaginez cela: le triomphe de la foi Chrétienne dans la rédemption par une divinité extra-terrestre (la
fausse promesse du Mensonge Paternel) est le résultat d'une immense dénégation. Le “plan” à long
terme (j'utilise ce terme à dessein - et ce sera clarifié un peu plus loin) pour leurrer et dominer le men-
tal humain ne peut être couronné de succès que s'il fonctionne comme une conspiration virtuelle qui
requiert un effort minimal de la part des concepteurs parce qu'elle s'en remet à un système volontaire.
Ceux qui n'ont pas la moindre idée du plan se portent volontaires, avec enthousiasme, pour le mettre en
application. Comment cela peut-il arriver? Cela arrive lorsque les individus s'interdisent en eux-mêmes
ce que le plan leur interdirait d'avoir. En d'autres mots, il existe une soumission intérieure au pouvoir
des dominateurs et des tricheurs. Ils comptent sur cette soumission pour achever leur plan. Si ce n'était
pas le cas, ceux qui mettent en oeuvre le programme de dénégation aurait tout le mal du monde pour
le maintenir à flot.

Le déni de soi dans l'humanité favorise et promeut le plan consistant à dénier l'accès au Graal des Mystè-
res, l'héritage le plus précieux de notre espèce. Le problème n'est, cependant, pas que subjectif. Le déni
de soi intérieur va de pair avec le programme extérieur de dénégation et ils se renforcent mutuellement.
La plan extérieur pour interdire l'accès à la Lumière Organique existe réellement. La finalité de Mythbus-
ting 101 est, tout d'abord, de comprendre ce plan et sa motivation; et ensuite d'examiner attentivement
qui le contrôle.


Une Etincelle Divine
Nous allons maintenant procéder avec soin et prendre un moment pour examiner cette problématique
d'abnégation. On pourrait dire - et en fait, cela a été dit dans les interprétations qui cautionnent le Gnos-
ticisme, ou un modèle donné du Gnosticisme, mais qui diffèrent radicalement du recouvrement des en-
seignements Gnostiques que l'on trouve sur ce site - que nous avons tous en nous la lumière intérieure
de la divinité. La lumière intérieure peut être comprise comme “Dieu à l'intérieur” ou “Christ en nous” ou
le potentiel de bouddhéité ou la capacité de réaliser “Vous Etes Cela”, “Atma est Brahma”, “Dieu demeure
à l'intérieur de votre soi” et ainsi de suite. Mais si nous refusons cette lumière, nous allons à l'encontre de
notre essence divine et nous devenons assujettis à la tromperie et à la domination de l'extérieur. Selon
ce modèle accepté par la plupart des érudits, les Gnostiques enseignaient que les humains possèdent
une étincelle divine qui a été piégée dans le monde matériel, perdue et oubliée dans la prison de la chair.
Le rôle de la gnose est de reconnaître “la semence divine” que nous possédons et de la libérer de l'em-
prisonnement. Ainsi va l'histoire, répétée ad nauseam, tant dans les interprétations populaires que dans
les interprétations érudites du Gnosticisme.

Les discussions courantes sur l'Evangile de Judas cite le modèle “étincelle divine” du Gnosticisme.
Dans ce document, Jésus demande à Judas de le trahir aux Romains afin que lui, le sauveur illuminé,
“puisse être libéré de l'homme qui l'habille”. Au premier contact avec ce passage, il est assez décevant
d'entendre que le maître sage et au bon coeur ressente une telle répulsion vis à vis de son tailleur mais
on finit par prendre conscience que Jésus parle de son propre corps. Il nous est maintenant demandé de
considérer que sa requête auprès de Judas, pour que ce dernier l'aide à être publiquement exécuté, n'est
qu'une tactique Gnostique qui permettra au maître de libérer son étincelle divine de la prison du corps
physique. Dans un documentaire TV sur l'Evangile de Judas, les écrivains soulignent que ce texte, qui
semble être cohérent avec les Codex de Nag Hammadi du 3 ème siècle, se termine par le baiser de
trahison de Judas et ne dit rien sur la résurrection de Jésus. Il en est ainsi, disent-ils, parce que les Gnos-
tiques souhaitaient la libération de la prison de la chair et non pas la résurrection physique. Certes, ce
serait une belle absurdité que ceux qui croyaient à l'étincelle divine emprisonnée dans la matière pussent
aspirer à une vie dans un corps de matière, même un corps parfait et ressuscité.

Lecteurs patients, gardez en mémoire que les premiers Chrétiens


considéraient la résurrection dans un sens littéral. Jésus fut capable
de se lever d'entre les morts avec un nouveau corps physique. Au
travers du pouvoir de Jésus, et en collaboration avec Dieu le Père, le
même exploit miraculeux est possible pour tout un chacun. Irénée
(140-220) fut l'idéologue de l'Eglise qui insista sur la validité exclu-
sive des quatre Evangiles attribués à Jean, Luc, Marc et Matthieu et
qui appela à la destruction de tous les autres écrits se rapportant à
Jésus et plus particulièrement les écrits des Gnostiques. A la fin du
Livre I de Contre les Hérésies, Irénée fait référence à l'Evangile de
Judas en disant de Judas “qu'il révéla le mystère de la trahison”. Il
est certain que les érudits furent extrêmement satisfaits d'avoir accès
à un texte dont l'existence était ainsi signalée, 1800 ans avant qu'une
copie n'en soit découverte.

Des écrits perdus attribués à Irénée et paraphrasés par des écrivains


ultérieurs contiennent un récit d'esclaves, récemment convertis au
Christianisme, qui furent arrêtés et torturés:

“... afin d'apprendre d'eux quelques secrètes choses pratiquées parmi


les Chrétiens. Ces esclaves n'avaient rien à dire qui puisse satisfaire
les désirs de leurs tourmenteurs si ce n'est qu'ils aient entendu de
leurs maîtres que la communion divine était le corps et le sang du
Christ et imaginant que c'était réellement de la chair et du sang, ré-
pondirent de la sorte à leurs inquisiteurs” (Ireneaus et Hippolytus:
Ante-Nicene Christian Library down to 325, Part Nine. T and T
Clark, Edinburgh, 1869; italiques ajoutées).

Les esclaves avaient entendu de leurs maîtres que la résurrection était littéralement possible et ils y
croyaient sans nul doute. Pourquoi? Parce que cette croyance les soulageait, non pas juste de la peur de
la mort, mais de la mort elle-même - ce qui explique l'attitude courageuse et rebelle de certains martyrs
Chrétiens. La croyance de ces esclaves est partagée aujourd'hui par de nombreux Chrétiens dont le prin-
cipal attachement à la foi (ce qu'ils m'en disent) est l'assurance qu'après la mort, ils pourront de nouveau


vivre physiquement et être unis dans une réalité physique avec les défunts qu'ils aimaient.

Les rédacteurs du documentaire concernant l'Evangile de Judas affirment que le refus Gnostique de la
résurrection du corps en faveur de la libération de l'étincelle divine en un vide immatériel (le Plérome)
ne pouvait être accepté par l'Eglise primitive et provoqua la persécution et l'éradication des Gnostiques
au fil de la montée de l'Eglise au pouvoir. Même s'il est correct que les Gnostiques des écoles Païennes
refusaient le miracle de la résurrection physique, que ce soit pour Jésus ou tout autre, il est incorrect,
cependant, de prétendre que cette position procédait d'une préférence pour la libération de “l'étincelle
divine”. Mes études mettent en valeur que le modèle de “l'étincelle divine” dérive de la désinformation ré-
pandue par les idéologues comme Irénée qui haïssait personnellement les Gnostiques. (Le documentaire
ne mentionne pas qu'Irénée perdit sa femme après qu'elle eût rejoint un groupe Gnostique alors qu'elle
aurait été motivée par l'attrait de leurs orgies sexuelles). Dans la version Sophianique orientée vers Gaïa
de la spiritualité Gnostique développée sur ce site, j'avance que les Gnostiques (alias les telestai, les
gardiens et les instructeurs des Mystères) ne prétendaient pas que nous possédons tous une étincelle
divine qui doit être libérée des ténèbres et de la prison de l'incarnation physique.

Comme je le comprend, les Gnostiques Païens enseignaient que nous possédons une faculté divine ap-
pelée “noos”, une faculté de connaissance qu'il nous faut développer afin que nous puissions réaliser à
la fois la nature véritable du monde sensoriel et matériel et notre connexion aux sphères surnaturelles.
Noos est l'étincelle divine, si l'on veut, mais ce n'est pas une essence spirituelle, c'est une faculté. Ce
n'est pas un lieu égoique d'identité immortelle, c'est une faculté divine d'apprendre, d'aimer, d'évoluer.
Noos est notre part de l'intelligence Sophianique, le circuit interactif qui nous connecte à l'esprit plané-
taire Gaïen.

Jeunesse Eternelle
Le passage ci-dessus peut sembler être une digression mais le problème de la croyance en la résurrection
physique nous ramène directement à la problématique au coeur de cette leçon: comment l'abnégation
fonctionne en nous programmant pour la tromperie et la domination, particulièrement en ce qui concerne
la sphère spirituelle. L'outil le plus commun de l'abnégation est la croyance. Par exemple: “j'aimerais
être un champion de nage, mais je ne suis pas assez discipliné”. Comme je l'ai souligné sur ce site, la
croyance n'a pas le pouvoir de créer quoi que ce soit mais elle agit comme un filtre sur tout ce que nous
pouvons authentiquement créer, imaginer et réaliser. Elle conditionne la manière dont nous en venons
à percevoir notre potentiel réel. Il est possible que vous n'ayez pas la discipline requise pour devenir un
champion de natation mais vous ne pouvez le savoir qu'en essayant et non pas en présumant de la chose
sur la base d'une affirmation de croyance négative. La croyance négative non seulement vous empêche
de devenir un champion de natation mais elle vous empêche même de découvrir si vous pouvez en de-
venir un. En bref, elle fait obstacle au processus spontané grâce auquel vous reconnaissez, possédez et
actualisez votre potentiel inné.

Les croyances négatives frustrent notre capacité même à vivre car vivre notre potentiel optimum impli-
que de découvrir les choses par les essais et les erreurs, l'expérimentation, l'audace d'essayer et non
pas de présumer de ce que nous puissions ou ne puissions pas faire. Mais les croyance positives peuvent
avoir la même influence. En fait, cela peut même être pire. Les esclaves, dans l'anecdote d'Irénée, ad-
héraient à la croyance positive de la résurrection de la chair; ils n'avaient donc pas peur de mourir. Les
Gnostiques prodiguaient un tout autre enseignement:

“Ceux qui disent qu'ils mourront d'abord et se lèveront ensuite sont dans l'erreur. S'ils ne bénéficient
pas de la résurrection durant leur vie, lorsqu'ils mourront, ils ne recevront rien”. (Evangile de Philippe.
73:1-5).

Ceux qui étaient initiés dans la présence de la Lumière des Mystères peuvent être considérés comme
ayant atteint la résurrection durant leur vie même. C'est exactement la façon dont les récits Arthuriens
décrivent l'effet de la contemplation du Graal:

“Nul être humain n'avait éprouvé une telle douleur mais à partir du jour où il contemple la Pierre, il ne
peut pas mourir dans la semaine qui suit. Son teint ne pourra jamais se ternir. Il sera destiné à conser-
ver la couleur qu'il possédait lorsqu'il vit la Pierre - qu'il soit un homme ou une jeune fille - tout comme
lorsque sa meilleure saison de vie commença. Si la personne contemplait la Pierre durant deux cents
ans, ses cheveux ne passeraient jamais au gris. Cette Pierre confère un tel pouvoir que la chair et les os
acquièrent de suite de la jeunesse”. (Wolfram von Eschenbach. Parzival, chapitre 9).


Il semble que la croyance en la résurrection de la chair fasse l'affaire jusqu'à ce que l'on découvre qu'il
existe quelque chose de bien mieux, l'option ou le choix magnifique connu des hérétiques (hérésie vient
d'un verbe Grec qui signifie “choisir”). Il est évident que les groupes, qui trouvent un intérêt spécial à
imposer le croyance en la résurrection au travers du Christ, veuillent s'assurer que personne ne décou-
vre cette option. Nous avons là la motivation pour la mise en oeuvre de cette immense dénégation qui a
informé l'histoire de notre espèce depuis deux mille ans.

L'Elixir de Vie
Il est d'une importance cruciale de comprendre que l'expérience de la Pierre de Sagesse rayonnante,
le corps de substance primordiale de Sophia, n'a rien à voir avec une étincelle divine. Il n'existe pas de
lumière intérieure que l'on puisse contempler: le Graal est à l'extérieur, consubstantiel avec le corps de
la planète elle-même. Il est objectif et tangible, aussi réellement physique que la couche d'ozone ou
que la proportion de 80 % d'azote dans l'air. Dans le documentaire sur l'Evangile de Thomas, lorsque le
narrateur explique que les Gnostiques possédaient une connaissance intérieure et intuitive des choses
divines, on nous montre des gens assis tranquillement et pieusement avec les yeux fermés comme s'ils
communiaient avec quelque chose à l'intérieur ou comme s'ils contemplaient une lumière intérieure.
Cette façon d'évoquer l'illumination Gnostique est totalement trompeuse. Personne ne peut contempler
le Graal en fermant les yeux ou en laissant l'imagination partir à la dérive; tout ce qui est perçu ne peut
être que des hallucinations, un jeu trompeur de lumières et de couleurs, et non pas la présence douce et
constante de la Lumière Organique.

Le Gnose implique une perception accrue avec un engagement direct avec le monde extérieur, et non pas
quelque sentiment intérieur vague de l'illumination, non pas une vision de lumière sacrée perçue derrière
des paupières tremblotantes. Il est clair que la Lumière Organique se trouve aussi dans la tête mais on
ne la voit pas car nous sommes faits de telle sorte à regarder vers l'extérieur. On la voit à l'extérieur qui
imprègne tout ce qui est matériel et sensoriellement perceptible. Elle est appelée une Pierre parce qu'elle
possède une densité palpable tout en ayant une masse nulle. Le paradoxe de la haute densité et de la
masse nulle défie ce que nous connaissons de la nature mais la nature est une femme avisée et elle a
ses voies pour contourner les lois de la physique. La porosité de la Lumière Organique lui permet à la fois
d'être extrêmement dense et libre de masse comme une écume épaisse et flottante. Les peuples indi-
gènes qui contemplaient la Lumière Organique dans la nature et en percevaient la porosité mystérieuse
étaient inspirés pour la décrire de cette manière même: comme de l'écume. Parmi les Indiens Zuni, la
Terre Mère (à savoir Sophia) possède un bol en terrasses (à savoir le Graal). Elle fait bouillonner tous les
ingrédients du monde naturel dans le bol et les bat en écume. “L'écume s'éleva autour du bord du bol”.
La Terre Mère dit à ses enfants:

“Voyez, le bol est le monde, le bord est son horizon distant et les terrasses bordées d'écume qui l'entou-
rent sont mes traits qu'ils appelleront montagnes, d'où des nua-
ges blancs s'élèveront, s'éparpilleront, éclateront et répandront
de la pluie afin que mes enfants puissent boire de l'eau de vie
et de mes substances, ajouter à la chair de leur être.” (Donald
MacKenzie, The Milk Goddess and Her Plot dans Myths of
Pre-Columbian America, page 175).

Ce passage célèbre la résurrection corporelle par la participa-


tion aux bio-physiques du corps planétaire, ici et maintenant. Les
initiés Gnostiques, qui savaient comment contempler la Lumière
Organique, se ressentaient et se voyaient eux-même métaboli-
sés dans l'atmosphère lorsqu'ils allaient dans la nature en pleine
journée.

Au cours de la leçon précédente, j'ai proposé que certains al-


chimistes étaient des “mystiques atmosphériques” capables du
même type de perception accrue du monde naturel. Cette af-
firmation peut sembler extravagante, comme si c'était une pro-
jection des idées de l'auteur relatives à l'expérience des peuples
natifs, mais elle est cohérente avec les témoignages du shama-
nisme indigène. Parmi les tribus Ok des montagnes de Nouvelle
Guinée, les shamans sont des “cosmologistes qui construisent un
modèle de systèmes complexes et cachés de substances en circu-
lation dans les formes de vie, une sorte de physiologie holistique


ou d'alchimie de formes de vie animant le monde autour d'elles.” (Richard Rudgley, The Alchemy of
Culture, page 82, citant Fredrik Barth, Cosmologies in the Making). Une telle construction n'est pas
un artifice intellectuel, c'est une réponse artistique spontanée à un contact intensif avec la nature.

Les cosmologies des “sociétés primitives” contiennent ces schémas permanents d'animation qui sont éga-
lement découverts dans les expériences mystiques dirigées vers le monde de la nature plutôt que vers le
monde intérieur de la psyché, le soi intérieur. “Vous devez aller de l'avant vers l'accomplissement selon
les enseignements véritables en harmonie avec les faits de la Nature” conseille Thomas Norton dans The
Ordinal of Alchemy. Les structurations alchimiques des éléments terrestres et célestes peuvent témoi-
gner d'un système de modélisation masculin mais il reste que, dans certains cas, elles révèlent un sens
de la métabolisation humaine dans la biosphère. Lorsque tout a été dit et réalisé, la foi qui informe l'art
souvent chimérique de l'alchimie se réduit à une notion: nous pouvons réaliser la régénération grâce à
une participation profonde aux processus de la biosphère. En bref, l'immortalité au sein de Gaïa-Sophia.
La “Pierre Délicieuse” est l'Elixir de Vie.

Ainsi donc, qui a besoin d'attendre la résurrection après la mort lorsque l'on peut bénéficier de l'expé-
rience d'une régénération perpétuelle, directement et extatiquement, au travers de l'union mystique
avec les processus de vie de la Terre?

Mais le problème est que vous ne pouvez pas vivre ce type d'expérience si on vous empêche de savoir
que cela existe, ou, qui plus est, si on vous interdit de faire ce qu'il faut pour l'induire. Le pouvoir de
contrôle du Mensonge Paternel dépend du tabou placé sur la participation mystique au Graal véritable
et unique, à l'Elixir Vitae, la lumière vivante de Sophia. Comme substitut contrefait de cette expérience,
les religionistes offrent le sacrement Chrétien, une ingestion symbolique du sang et du corps du Christ.
L'Hostie est un placebo: il vous faut croire en elle pour que cela fonctionne, pour que cela vous donne
quoi que ce soit, même un léger raffermissement de la morale. Le sacrement du Graal n'est pas un
placebo: il confère réellement une expérience qui ne nécessite pas la croyance en sa véracité ou en sa
possibilité: il suffit de la vivre. Et cela ne requiert que l'observation de quelques conditions, les règles du
rite, qui sont ce qu'elles ont toujours été...

J'appellerais la rencontre avec le Graal des Mystères “un acte mystique”. Le problème avec la controverse
autour du Da Vinci Code est qu'elle génère beaucoup de débats au sujet du Graal qui est soit considéré
comme une relique Chrétienne, soit comme la lignée de sang de Jésus et de Madeleine, soit comme un
archétype mystique de l'accomplissement spirituel, et ainsi de suite; mais toutes ces spéculations ne font
aucune référence à l'acte mystique de contemplation directe et vécue du Graal. La conspiration virtuelle
soutient le Mensonge Paternel et continue de renforcer le tabou sur la participation mystique en Sophia,
la présence divine de la Terre.

L'Urne d'Albâtre
Pour défier et vaincre le Mensonge Paternel, il vous faut pour
le moins être capable de savoir lorsque le Mensonge vous est
jeté au visage. Dans l'arnaque du DVC, le Mensonge fait de Ma-
rie-Madeleine une génitrice de souche royale, à peu à l'image
d'une jument de pure race. Les complices volontaires de la
conspiration virtuelle citent les écrits Gnostiques pour soutenir
l'affirmation du Prieuré de Sion selon laquelle Jésus et Made-
leine avait des relations charnelles. C'est ici que les stratégies
de demi-vérité entrent en jeu. Les écrits Gnostiques affirment
réellement que Jésus et Madeleine étaient intimes sur le plan
charnel et spirituel mais s'ils étaient des Gnostiques authen-
tiques et qu'ils rejetaient la procréation, comment peuvent-
ils être présentés comme un couple qui désirait avoir des en-
fants?

Le fait que les Gnostiques rejetaient la procréation est un fait


attesté par tous les érudits mais il est totalement ignoré dans
les débats autour du DVC. Un texte Gnostique fragmentaire,
Zostrianos, condamne “la folie et l'enchaînement de la fémi-
Détail d'une peinture de Dagli Orti montrant une
nité” ce qui signifie non pas les femmes en tant que telles, et
Madeleine blonde qui oint les pieds de Jésus.
non pas le genre féminin, mais la procréation biologique aveu-
gle (NHC VIII, 131:5). Comment un point aussi important de la


vision et de la pratique Gnostiques peut-il être ignoré? Si Marie-Madeleine avait été une Gnostique, elle
n'aurait sûrement pas été une mère, pas plus que le Gnostique Jésus aurait été un père. Citer des écrits
Gnostiques pour valider le scénario de la lignée de sang sacré relève de l'absurdité et de la perversité.

Loomis écrit que “l'aspect Chrétien de la légende du Graal n'est strictement qu'un aspect - le moins
étonnant, le moins mystérieux.” (Celtic Myth and Arthurian Romance, page 140). C'est cependant
cet aspect qui fait la une du débat actuel. Rappelons que la Madeleine était traditionnellement dépeinte
avec une urne pleine de baume de nardin (Nardostachys grandiflora) pour en oindre les pieds de Jésus.
Cette urne n'est clairement pas le calice dans lequel le sang de Jésus fut collecté.

L'urne est un artefact Païen, corrélé aux fonctions des cultes de la Déesse dans l'onction du candidat
pour la royauté sacrée - un sujet que j'ai abordé de façon extensive dans tout ce site. Il n'est en aucune
manière possible d'identifier le calice et l'urne:

Pour que l'arnaque du Prieuré de Sion soit fonctionnelle, l'urne doit disparaître mais sa fonction doit être
conservée afin qu'une autre valeur lui soit assignée. Voilà l'astuce: le Mensonge Paternel dédouane la
théocratie (la royauté sacrée) en nous jetant en pâture le calice de la lignée de sang sacré et en préten-
dant même que le calice est le corps d'une femme qui porte les semences de Jésus en sa matrice tandis
que Madeleine se tient sur le côté avec l'urne d'albâtre pleine de précieux onguent, l'artefact Païen de
la consécration théocratique. Un acte caché de substitution est ici opérationnel: calice - lignée de sang
sacré - Madeleine, femme de Jésus est substitué pour urne - onction sacrée - Madeleine, prêtresse de la
Déesse. Le débat autour du DVC est totalement absorbé dans la première séquence alors que la seconde
séquence est quasiment occultée. Même lorsque la seconde image est évoquée, comme dans l'ouvrage
de Margaret Starbird The Woman with the Alabaster Jar, elle est offerte sur l'autel de la structure
Paternelle de pouvoir: Jésus et Madeleine devraient être considérés comme le modèle de “mariage spi-
rituel”, avec une kyrielle de gamins pour faire bonne mesure (Starbird en a cinq); ledit modèle, s'il était
accepté par l'Eglise, ferait évoluer et avancer le Christianisme. Telle est l'argumentation de Starbird.

Loomis cite un passage de Le Morte d'Arthur de Malory dans lequel les nobles de la cour d'Arthur sont
témoins de l'apparition d'une fille du Graal sur un cheval blanc et se demandent s'il s'agit de Made-
leine. Dans la méthode de mythologie comparée (connue dans sa version moins respectable sous le nom
de mythophrénie), Madeleine est une fille du Graal comme Repanse de Schoie dans Parzival. Elle ne porte
pas la semence de Jésus en sa matrice. Elle n'est pas le saint calice incarné. Le Graal qu'elle porte est
l'urne sacrée de l'onction. Ou peut-être est-ce la coupe avec le breuvage enthéogénique... Quelque soit
le cas, ce n'est définitivement pas un réceptacle qui valide le fantasme de la théocratie de sang sacré.

Il est possible que le sujet du Saint Graal soit la matière la plus énigmatique au monde mais en tout cas,
il n'est pas incompréhensible. Comme nous l'étudions, nous devrions examiner toutes les options, toutes
les variations en jeu qui tentent de le décrire. Le débat du DVC se focalise sur l'angle Chrétien, “le moins
étonnant, le moins mystérieux” des aspects du Graal. Le scénario de la lignée de sang sacré semble
hérétique mais il ne l'est pas vraiment. L'Eglise Romaine et les autres dénominations de la Foi Unique
et Véritable peuvent bien dénoncer le blasphème d'un Christ sexuel, ou plus précisément, d'un Christ
procréant mais le fantasme du “Sangraal/Sangreal” sévit carrément encore en territoire Chrétien. Son
propos n'est pas de détruire le Christianisme, mais de lui conférer une légitimité temporelle et politique.
Il soutient le Mensonge Paternel selon lequel il y a quelque chose de spécial dans le sang du sauveur.
Inférant une proposition biologique à partir de la théologie, il ne s'oppose pas au message essentiel du

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Christianisme - à savoir que nous sommes sauvés par un pouvoir mystérieux qui réside dans le sang de
Jésus Christ - il lui donne un nouveau look.

Quant à moi, je ne serai pas surpris que la controverse entourant le DVC finisse par offrir un accroisse-
ment de pouvoir et une extension de l'adhésion au bercail Chrétien, plus particulièrement celui du Catho-
licisme Romain. Pour le moins, elle va renforcer et resserrer les rangs de l'Eglise Catholique Romaine - ce
qui est précisément ce que le pape actuel, Bénédicte XVII a affirmé publiquement qu'il souhaitait faire.

Afin de voir comment le Mensonge Paternel est opérationnel au sein du débat sur le DVC et de suivre les
futures permutations qu'il pourrait assumer, il n'existe pas de meilleure exercice qu'un trek au travers
de la matière de la romance Arthurienne. Par définition stricte, c'est un genre littéraire comprenant des
histoires et des légendes au sujet des chevaliers de la Table Ronde (ce sera développé dans la prochaine
leçon) mais c'est aussi beaucoup plus que cela. La romance Arthurienne est cet aspect de la culture
Occidentale qui présente l'histoire parallèle de la résistance au Mensonge Paternel. La tradition de la
chevalerie, qui, selon les affirmations de Loomis, est “une élaboration de romance à partir des anciens
récits de la Palestine et de la Grèce” et “moins une série d'aventures qu'une série d'initiations”, est l'en-
vironnement narratif dont nous apprenons la manière dont les Mystères survécurent alors dans les Ages
Sombres et la manière par laquelle ils pourraient revivre dans les Ages Sombres qui sont en train de
poindre maintenant.

John Lash. Avril-Mai 2006. Flandres.

11
Une Histoire Alternative du Graal
6. Les Guerriers Spirituels du Graal

John Lash

La Diaspora des Survivants des Mystères


Il y a environ 800 ans, un philosophe scolastique vivant à une centaine de kilomètres de l'endroit où
j'écris ces lignes s'émerveilla de l'étendue de la renommée du Roi Arthur, de sa compagnie de chevaliers
et de la quête du Graal:

“Existe-t-il une région au sein de l'Empire Chrétien en laquelle ne soient pas parvenus les éloges d'Arthur
le Breton? Qui, demandai-je, ne parle pas d'Arthur le Breton car il est à peine moins connu des peuples
de l'Asie que des Bretons si l'on en croit nos pèlerins qui reviennent des contrées de l'Orient? Les peuples
de l'Orient parlent de lui comme les peuples de l'Occident malgré qu'une grande distance les sépare.
L'Egypte parle de lui et le Bosphore ne reste pas silencieux. Rome, la cité des reines, chante ses exploits
et ses batailles ne sont pas inconnues de Carthage, son antique rivale. Antioche, l'Arménie et la Palestine
célèbre ses prouesses.”

Alanus ab Insulis ou Alain de Lille (1128?-1202) s'exprimait ainsi sur la place du marché de Lille. Il vivait
à l'époque de l'apogée de la littérature médiévale en Europe, à l'aube de ce que Joseph Campbell (Crea-
tive Mythology) appela “une période mythogénétique unique”: le 13 ème siècle. Le passage ci-dessus
est extrait du commentaire d'Alain sur les Prophéties de Merlin rédigées par Geoffroy de Monmouth,
un évêque Gallois, historien et passionné de mythes qui contribua considérablement à l'élaboration du
cadre quasi-historique de la matière Arthurienne.

Comment pouvons-nous expliquer la vaste renommée du roi Arthur? Et que peut nous enseigner,
aujourd'hui, cette antique matière Arthurienne?

La Rupture de la Transmission
Rappelons une des perceptions essentielles de l'histoire parallèle que nous souhaitons développer dans
ces leçons: les Mystères de l'antiquité Païenne survécurent dans la matière Arthurienne, particulièrement
dans la quête du Graal. Jessie L. Weston, dans From Ritual to Romance, explicita cette notion claire-
ment et Cavendis, Loomis, ainsi que d'autres érudits Arthuriens, l'affirment constamment. Je n'ai pas
inventé cette connexion. Je propose, néanmoins, de la modifier et de l'approfondir.

Pour être plus explicite, le Graal recherché n'est pas un objet, ou une relique, mais l'expérience directe
de la Lumière surnaturelle perçue par les initiés des Mystères. Il est vrai que le Graal peut signifier de
nombreuses choses pour de nombreuses personnes. Tous les érudits, de John Campbell à John Mat-
thews, insistent sur le fait qu'il n'existe pas seulement un Graal. Mais on peut également penser que le
Graal est uniquement et suprêmement une seule chose: la Lumière Organique, le corps de substance
primordiale de Sophia. Il est à la fois une chose unique et beaucoup de choses, comme les alchimistes
ne se fatiguèrent jamais de le dire.

Considérons également le fait historique, et attesté par les sources écrites, que les initiés firent voeu de
ne jamais dévoiler l'expérience suprême des Mystères: l'instruction par la Lumière Organique. Certains,
cependant, décrivirent une lumière. Il existe des témoignages qui sont rares mais clairs, et de première
main, d'une luminosité sublime. Malgré cela, aucun récit n'a survécu expliquant, en termes explicites,
comment la Lumière instruisait ceux qui la contemplaient. La demi-douzaine de cas où le voeu semble
ne pas avoir été respecté ne mentionnent pas la divine mathesis, l'enseignement par la Déesse Sagesse.
Il semble plutôt que quelques inepties concernant les rites externes aient été proférées par des individus
du type d'Alcibiades, le jeune ami téméraire de Socrates, et d'autres. (A ce sujet, voir Burkert, Ancient
Mystery Cults).


Ainsi, le coeur de l'expérience, dont dépendait la transmission des Mystères, ne fut jamais dévoilé, jus-
qu'à maintenant.

La transmission des Telestai fut, cependant, brisée et la tradition millénaire des Mystères fut interrom-
pue. Afin de comprendre comment cela est arrivé, ou plus précisément comment cela fut provoqué de
façon délibérée, il nous faut accepter de prendre en considération des hypothèses concernant ce qui s'est
passé à l'aube du Moyen Age, hypothèses qui sont fondamentales pour l'histoire parallèle et qui ne peu-
vent pas toujours être validées par les méthodes de l'histoire conventionnelle. Nous pouvons, par exem-
ple, assumer que certains groupes, au fait de la méthode de transmission, souhaitaient la voir détruite.
Je suggère que ce fut un acte délibéré de violence contre le secret le plus intime des Mystères. On peut
aisément inférer une telle situation à partir des événements connus de l'histoire.

Barbara Walker (A Woman's Encyclopedia of Myths and Secrets) attribue carrément les Ages Som-
bres à la suppression, par les Chrétiens, de la vie intellectuelle et de la culture spirituelle Païennes. (J'in-
siste sur le fait que cette suppression fut intentionnelle, forcée et généralisée et pas simplement due à
la préférence d'un système de croyances par rapport à un autre). Les campus des Mystères préservaient
et transmettaient des connaissances dans toutes les sphères de la vie et accompagnaient aussi les diffé-
rents corps de métiers. (Souvenons-nous de la leçon 2, pour ce qui concerne le “principe de Lohengrin”
et la tentative, par la noblesse Européenne, de soutenir les corps de métiers, comme cela avait été fait
par l'intelligentsia Païenne durant la période classique). Des temples étaient construits autour des an-
ciens sites mégalithiques et les institutions d'enseignement du monde classique se développaient autour
de ces temples. Les institutions attachées aux Mystères étaient chargées de puissance de vie et d'inspi-
ration. A l'époque où vivait Hypatia, l'orateur Romain Libanius écrivit à l'Empereur Théodosius:

“Les moines se répandent comme des torrents dans la campagne; et en détruisant les temples, ils détrui-
sent en même temps les campagnes. Car ôter d'une région le temple qui le protège est comme arracher
son oeil, la tuer, l'anéantir. Les temples sont la vie même de la campagne et autour d'eux sont bâtis les
maisons et les villages et sous leur protection, des générations ont été élevées jusqu'à ces jours”. (Pro
Templis 30:8, dans Gregory Shaw, Theurgy and the Soul, Pennsylvania State University, 1995).

En 386, Théodosius interdit le culte des dieux Païens dans les sanctuaires locaux et autorisa leur pillage
et leur occupation par les moines Chrétiens. Chaque temple et chaque campus était menacé. Les bi-
bliothèques furent les premières détruites, bien évidemment. Cela demanda à peine deux siècles pour
ruiner ce qui s'était construit pendant plus d'un millénaire - à savoir, l'héritage encyclopédique littéraire
des Mystères, qui fut principalement développé en langue Grecque dès le 7 ème siècle avant EC. Une des
façons de détruire la chaîne de transmission fut d'envahir les sites d'enseignement et d'apprentissage
et d'éradiquer les ouvrages, les manuels, les guides, etc. Ce fut un acte délibéré de génocide culturel et
spirituel sur une vaste échelle.

Mais qu'en est-il de l'expérience centrale qui produisit toute cette connaissance enseignée dans ces lieux
et consignée dans ces ouvrages? On pourrait dire que l'expérience d'initiation, en tant que telle, n'était
pas vulnérable à une attaque. La rencontre avec la Lumière était, et est encore, quelque chose qui ne
peut pas être violée ou détruite. Il est vrai, mais ceux qui connaissaient cela auraient pu être visés par
d'autres qui les connaissaient. Est-ce concevable? Se pourrait-il que des initiés, qui comprenaient la prin-
cipale méthode de transmission des Telestai, c'est à dire, l'instruction par la Lumière, aient voulu l'éradi-
quer ou éliminer ceux qui le préservaient et la transmettaient? On peut le concevoir dans la perspective
d'une lutte de pouvoir au cours de laquelle certains, qui avaient été initiés, se retournèrent contre le
travail fondamental des Mystères, à savoir la transmission de l'instruction et de la culture, des métiers de
base comme la maçonnerie et l'apiculture jusqu'aux phases les plus élevées de la coévolution Gaïenne.
En s'opposant au “Grand Oeuvre”, comme il en vint à être nommé dans la tradition alchimique, ils se
seraient aussi opposés à la source de l'Oeuvre. Détruire les temples et les campus, c'était s'attaquer de
l'extérieur aux Mystères.

Une éradication plus totale aurait exigé de pourchasser les gardiens de la tradition, ceux qui connais-
saient l'accès à la Lumière et guidaient les autres vers cette expérience.

Les institutions et la source de l'Oeuvre ayant été détruits, il aurait été possible d'imposer un système
totalitaire de contrôle social, culturel et spirituel fondé sur le Mensonge Paternel. Ce serait une entreprise
cruelle et démente mais avec l'opposition réduite au silence, racines et branches, les chances de succès
étaient plus que certaines. Et sans résistance ou critiques, les dominateurs pouvaient rédiger l'histoire de
leur succès, le “triomphe sur le Paganisme”, tout en perpétrant les crimes nécessaires à ce triomphe.

L'histoire conventionnelle et le script du Mensonge Paternel sont en totale collusion.


Un Fait Totalement Avéré
Ce qui se passa ensuite n'est pas difficile à imaginer. Les gardiens s'enfuirent. Durant le siècle qui suivit
l'enfouissement des Codex de Nag Hammadi aux alentours de 345, les derniers initiés survivants parti-
rent se cacher. On pourrait, à juste titre, les appeler les gardiens du Graal car ils préservèrent à la fois la
méthode d'instruction par la Lumière et la connaissance ainsi acquise. (Je veux dire qu'ils préservèrent
un certain corpus de connaissances des Mystères: cosmologie, parapsychologie, les canons de la musi-
que et des mathématiques, pratiques shamaniques, etc. Par la nature même de la divine mathesis, une
telle connaissance se développait, se transformait, se diversifiait, se raffinait: l'instruction sacrée était
un processus sans fin).

Comment et où s'enfuirent-ils et que firent-ils dans les siècles qui suivirent? C'est un récit non consigné
de l'histoire parallèle.

Il n'existe que peu d'indices quant au destin des gardiens du Graal à la suite de la destruction d'Eleusis et
des autres sanctuaires. En l'an 400, lorsqu'Hypatia assuma sa charge au Musée d'Alexandrie, l'historien
Eunapius de Sardis reportait que les moines Chrétiens “vivent comme des cochons dans les sanctuaires”.
(Lives of the Sophists. 472). De nombreux témoignages anciens décrivent ce qui se passa sur les si-
tes sacrés mais ne décrivent rien quant au sort de ceux qui les maintenaient. A moins qu'ils ne fussent
assassinés, comme Hypatia le fut, nous ne savons que peu de choses ou rien à leur sujet. L'historien
de l'Eglise du 5ème siècle, Socrates Scholasticus, qui laissa un récit du meurtre d'Hypatia, décrivit les
disciples Païens du temple de Sérapis à Alexandrie combattant pour défendre le site et peut-être même
tuant quelques Chrétiens en se défendant. A part cela, et quelques autres récits très rares, il n'existe
aucune évidence de ce qui arriva aux gardiens du Graal ou de la manière dont ils réagirent à ce qui les
frappait.

A savoir, aucune évidence historique. Il en existe, cependant, beaucoup de preuves littéraires et légen-
daires. Dans un commentaire sur le vaste corpus de matière Arthurienne, l'éminent érudit Geoffrey Ashe
écrivit (je paraphrase) qu'il n'existe pas de preuve qu'Arthur, ou toute autre personne, ait en fait existé
mais que l'existence de toute cette connaissance qui les entoure est un fait totalement avéré. En d'autres
mots, le corpus immense de matière Arthurienne survivante est une sorte de preuve factuelle de quelque
chose - et je dirais, une preuve de l'existence des gardiens du Graal, ceux qui survécurent à l'éradication
des Mystères.

Cette prémisse exploratoire étant acceptée, nous pouvons procéder à développer l'histoire parallèle en
partant de l'hypothèse que tout ce qui a contribué à générer la matière Arthurienne et à façonner l'épo-
que et l'environnement dans lesquels elle apparaît, nous révèle quelque chose sur ce qui est arrivé aux
gardiens survivants des Mystères. Il se peut que cela nous révèle aussi quelque chose quant à ce que
réalisèrent les gardiens du Graal, par exemple quelles furent leurs réactions face à la destruction de leur
tradition par la violence.

Diaspora Païenne
Il est, maintenant, absolument essentiel de souligner que les initiés qui maintinrent les Mystères dans le
monde classique n'avaient pas de ligne de défense. Les telestai enseignaient de nombreuses disciplines
et la gymnastique doit avoir été incluse dans les Ecoles des Mystères mais il semblerait que les arts mar-
tiaux ne faisaient pas partie du curriculum. Il y eut des cas rapportés d'auto-défense spontanée, comme
nous l'avons déjà souligné, mais dans l'ensemble, ni les gardiens des Mystères, ni les néophytes dans
les cellules, ni les étudiants dans les écoles, ni les artisans des ateliers, ne furent instruits dans les arts
de l'auto-défense d'une façon comparable, disons, aux moines Shao Lin en Chine, ou aux moines Zen au
Japon. Il semble que la fonction de guerrier spirituel faisait totalement défaut pour ce qui concerne les
Mystères Européens, Levantins et Egyptiens.

Que les Mystères ne fussent pas défendus physiquement, provenait peut-être du fait que ceux qui les
maintenaient n'avaient pas été formés dans les arts martiaux. Pour une raison quelconque, cela ne faisait
pas partie de la tradition millénaire. (L'exception qui confirme la règle: l'Empereur Marc-Aurèle, connu
pour avoir été un initié Eleusinien, écrivit ses splendides Méditations alors qu'il combattait les tribus de
Barbares le long du Danube. Il est ironique que l'unique personne à laisser un récit d'éthique inspirée
des Mystères ait été un guerrier). En raison d'un manque total de défense organisée et entraînée, les
Mystères furent aisément abattus sous le choc de l'agression brutale du Christianisme Romain. En 410,
cinq années avant le meurtre d'Hypatia, les Goths dévastèrent Rome. A cette époque, tous les temples
principaux et les campus du réseau des Mystères avaient été détruits ou envahis.


453, l'année de la mort d'Attila, fut aussi l'année qui marqua la fin de l'oracle des douze vautours vus
par Romulus, le fondateur légendaire de Rome. Les historiens attribuèrent un siècle à chaque vautour;
d'où 1200 années pour la durée de l'Empire. De la fondation de Rome en 754 avant EC (selon Varron et
d'autres), cela nous amène à 453 EC. Nous reviendrons sur cette date plus avant.

Maintenant voyons le coeur de notre drame, le noeud caché de l'histoire parallèle: la diaspora des gar-
diens du Graal, ceux qui préservèrent la méthode sacrée d'instruction par la Lumière. Ils fuirent. Mais
où? Comment? Quand?

Le Façonnage d'Arthur
J'ai proposé, ci-dessus, que dans le développement de la matière Arthurienne nous puissions suivre les
survivants des Mystères. La “matière” (le matériau littéraire) est le fait légendaire, supporté par une
évidence textuelle massive et le sort des survivants est un événement caché dans l'histoire parallèle
pour lequel il n'existe que peu ou pas de preuve historique. Nous dépendons donc sur “le fait totalement
avéré” de la tradition littéraire pour en arriver aux faits inconnus et non consignés. Dans ces leçons, il
nous faut scinder notre regard en gardant un oeil sur l'évidence des légendes médiévales et l'autre oeil
sur les événements non enregistrés qui sont reflétés dans ces légendes. C'est comme si nous regardions
quelqu'un se déplacer - observant chacun de ses pas - en suivant le reflet de son mouvement dans un
long miroir tortueux et embué.

Quelle est donc l'indication première et la plus ancienne concernant Arthur, dont la renommée était si
grande? Dans le façonnage de ce personnage, nous allons trouver les premières traces des Telestai après
la suppression des Mystères en Egypte, au Levant, en Espagne, en Grèce et en d'autres contrées de
l'Europe. Cela peut aider de rappeler que le Christianisme pénétra en Europe à partir de la Palestine et
qu'il se répandit ensuite de Rome à travers toute l'Europe en s'étendant comme une tache vers le nord
et vers l'ouest. Les dernières contrées à être atteintes par le Christianisme furent les régions occidentales
de l'Irlande, du Pays de Galles et de l'Ecosse. C'est là précisément où le personnage d'Arthur émergea et
où la matière Arthurienne possède ses racines.

Les gardiens des Mystères s'enfuirent, bien sûr, dans la direction qui les éloigna de leurs persécuteurs.
Ils cherchèrent refuge dans ces régions de l'Europe qui étaient vierges de l'influence Chrétienne et diffi-
ciles d'accès. Il n'est pas difficile d'imaginer comment ils auraient procédé. Je renvoie les lecteurs à mon
argumentation (développée longuement dans mon ouvrage Not in His Image) selon laquelle la société
Celtique fut la “culture gardienne” de l'Europe pré-Chrétienne. Elle unifia les peuples indigènes des côtes
de l'Irlande et des Orkneys jusqu'à Galacia dans l'Anatolie en Turquie. De plus, les Druides, la classe des
prêtres des Celtes, étaient d'authentiques Telestai, à la culture encyclopédique, qui parlaient plusieurs
langages et écrivaient en Grec. Ils étaient très connus en Grèce et en Egypte. A Alexandrie, à l'époque
d'Hypatia, il y avait même “un groupe d'étude” qui se consacrait à la préservation de la tradition Druidi-
que. Les prêtres des Mystères d'Hybernie, célébrés à Stonehenge dans le Sommerset et à Callanish sur
Lewis dans les Hébrides, étaient périodiquement en contact avec leurs collègues au sanctuaire Apollinien
de Delos dans les Iles Grecques. (Pour les relations Druidiques avec les cultes des Mystères Méditerra-
néens, voir l'ouvrage de Geoffrey Ashe, Avalonian Quest. Les connexions sont impressionnantes et il
en existe de nombreuses preuves).

Cela aurait été une solution des plus évidentes: les relations Druidiques avec les Mystères Hellénistiques
fournissaient un “passage souterrain”, tranquille et très parcouru, pour les gardiens du Graal qui fuyaient
les assauts des autorités Chrétiennes Romaines. Il s'ensuit, donc, que la première preuve de l'activité des
gardiens allait se manifester dans la tradition Arthurienne des “îles de l'ouest”, des Hébrides. Les sources
de cette tradition sont des faits littéraires pointant vers des événements historiques non consignés, des
développements clés dans l'histoire parallèle.

Quiconque étudie la matière Arthurienne connaît la même litanie de sources: Gildas, Aneirin, Nennius,
Geoffroy de Monmouth, Giraud de Cambrie, Wace, Layamon, Malory. Ces noms, qui couvrent des siècles,
indiquent le développement de la légende du Roi Arthur et de la Table Ronde. La première mention du
nom d'un chef guerrier local appelé Arthur provient du Goddodin, un poème Gallois attribué au barde
Aneirin aux alentours de 600 EC. (avant lui, le moine Britannique Gildas, écrivant autour de 540, décrivit
la résistance des populations locales d'Angleterre contre les Saxons mais ne nomma pas Arthur spéci-
fiquement). A la fin de la litanie vient le nom de Sir Thomas Malory qui écrivit Le Morte d'Arthur aux
alentours de 1471. Il fut publié en 1485 en Anglais par William Caxton.


Donc, de 540 à 1485, cela fait presqu'un millénaire de tradition Arthurienne en partant du premier vague
indice jusqu'à l'épique littéraire achevée en style Renaissance (à savoir style Hollywood). La littérature
Arthurienne évoque toujours des événements qui lui sont ultérieurs. Selon Geoffroy Ashe, la date la plus
sûre et la plus fondée pour le personnage historique d'Arthur est la fin du 5 ème siècle, c'est à dire après
450. Rappelons-nous de la date mentionnée ci-dessus de 453, la dernière année de l'oracle des douze
vautours. Avec la fin de l'Empire Romain, le destin des Mystères était scellé mais en même temps que
l'Empire expira, les Mystères furent transplantés.

Durant des siècles, tout le monde classique, y compris les Mystères, avait été protégé par la stabilité de
l'Empire. A la suite des campagnes de Jules César aux alentours de 55 avant EC, les Romains gouvernè-
rent et défendirent la Grande Bretagne durant cinq siècles. De par la chute de l'Empire, les peuples indi-
gènes Bretons (dont les Gallois) durent se défendre par eux-mêmes. Les Annales Galloises de Giraud
de Cambrie (compilées vers 950) situèrent la bataille décisive de Badon Hill, où les Gallois se défendirent
contre les envahisseurs Saxons, à 516 mais elle eut lieu probablement avant. (Cavendish, King Arthur
and the Grail, page 7). Arthur figura comme le chef guerrier qui défendit le Pays de Gales dans cette
bataille. Il émerge dans l'histoire au moment même où les survivants des Mystères étaient en train de
se réfugier dans les Iles Britanniques.

Chez Wolfram et d'autres, nous apprenons que Perceval était originaire du Pays de Galles. En Vieux
Français, il était appelé Perceval le Gallois. Le mot Français Galles est, bien sûr, corrélé aux mots Gaulle,
Gaulois, etc, une ancienne appellation pour les Celtes vivant dans ce qui est maintenant la France. Cela
implique que quelque chose d'essentiel à la protection Celtique du Graal était situé dans l'arrière-pays
Gallois et non pas en Gaulle, sur le continent. En d'autres mots, la connexion décisive entre les gardiens
en fuite et la culture indigène qui les accueillit se manifesta au Pays de Galles. Dans l'histoire parallèle,
Arthur fut le héros indigène qui se consacra à la mission de protéger les gardiens du Graal parce que cela
s'accordait avec son rôle prédestiné de défenseur de sa terre natale, le Pays de Galles.

Nous commençons, maintenant, à percevoir l'entrelacement profond de ces noms légendaires et de ces
allusions régionales archaïques...

Table d'Initiation
Que se passa-t-il donc au Pays de Galles et quand? Selon Ashe et d'autres, un Druide Gallois nommé
Myrdhin conseilla à un chef local nommé Arthur d'organiser sa troupe hétéroclite de guerriers en un
groupe qui en vint à se faire connaître sous le nom de Table Ronde. Les guerriers locaux avaient leurs
propres idées concernant leur organisation, bien sûr. Ils se battaient en bandes soudées par des loyautés
personnelles et des liens familiaux. Ils s'identifiaient avec passion avec les régions locales qu'ils défen-
daient. Le mot “Welsh” est en fait une insulte proférée par les envahisseurs Angles et Saxons à l'encontre
des peuples indigènes locaux. Il signifiait “étranger, quelqu'un que l'on ne connaît pas”. Les envahisseurs
Anglo-Saxons, qui considéraient la prise de la Grande-Bretagne comme leur plein droit, voyaient les
peuples indigènes comme des étrangers qui devaient être déplacés. A cette époque, les peuples natifs
du Pays de Galles se nommaient eux-mêmes les Cymri et les Gallois se donnent encore ce nom de nos
jours.

(Le mot Cambrien dérive de la forme Latine du nom Gallois. Incidemment, ou peut-être pas, Cambrien
est un terme géologique emprunté aux strates vieilles de 550 millions d'années au Pays de Galles. Il
fait référence à une époque de l'évolution Gaïenne durant laquelle la terre semble avoir ressuscité une
énorme diversité d'espèces disparues; d'où l'expression “explosion Cambrienne”. A la fois en géologie et
dans les légendes, le Pays de Galles semble être un lieu de résurgences profondes.)

Bien que les clans guerriers des Cymri fussent organisés le long de lignes défensives, le Druide Myrdhin,
alias Merlin, avait autre chose en tête. En tant que Telestes et gardien des Mystères, Merlin avait à l'es-
prit une intention spécifique concernant le cercle organisé de guerriers qu'il proposait au chef tribal. Des
milices locales éparpillées ne suffisaient pas pour que la protection des gardiens du Graal soit assurée.
Il fallait créer une unité défensive mobile qui pût être au service permanent des gardiens quelle que soit
le site de leur relocalisation dans les Hébrides. Depuis son origine, la “Table Ronde” avait une vocation
pan-régionale et fédérait des groupes de guerriers qui se déplaçaient en toute liberté de par les Iles. Un
lecteur de la matière Arthurienne est de suite frappé par le nombre de châteaux occupés par le Roi Arthur
dans diverses localités: Cornouailles, Pays de Galles, Logrois (terme Breton pour l'Angleterre, Camelot
(dans le Sommerset), Carlisle en Ecosse, Nantes en Bretagne. On est également frappé par les origines
diverses et lointaines des chevaliers Arthuriens. Gauvain, le neveu d'Arthur, était le fils du roi de Norvège
qui comprenait les Iles Orkney au nord de la Grande-Bretagne. On pourrait en donner beaucoup d'autres


exemples. Le Parzival de Wolfram contient plus de
150 noms de localités associées avec divers chevaliers
et dames dans cette épopée.

La Table Ronde était donc un réseau mobile et non pas


une organisation statique sise en un lieu spécifique.
C'était une Table Ronde Mobile. Cette interprétation
suggère que les gardiens du Graal étaient également
mobiles. Ils constituaient un réseau caché informel qui
couvrait le nord de l'Europe (principalement la France)
jusqu'aux Hébrides et à l'Irlande. A la différence du
réseau des Ecoles et des temples des Mystères, le sys-
tème de protection était caché et inconnu du grand
public.

L'organisation de la “Table” était duodécimale, fondée


sur le nombre douze, et s'inspirant d'une très longue
tradition des Mystères. En d'autres mots, la structure
symbolique de l'ordre chevaleresque fut empruntée
à la tradition même que les guerriers Arthuriens fai-
saient voeu de protéger. Nombreux sont ceux qui ont
présumé, bien sûr, que la Table Ronde était modelée
à l'image de la table de communion du “dernier sou-
per” lorsque Jésus s'assit avec ses douze disciples. A
l'époque, il se peut que certaines personnes aient eut
cela à l'esprit mais, de toutes façons, la scène du der-
nier souper était elle-même modelée selon un rite des
Mystères. Jeune fille portant le kiste, le panier sacré de plantes
psycho-actives et d'objets rituels utilisés pour l'initiation à
Bien que les cellules Eleusis. L'image du calice sacré, prototype du Graal sacré,
des Mystères compre- est clairement visible sur le panier.
naient seize person-
nes, huit hommes et huit femmes, ceux qui étaient initiés par les mem-
bres des cellules étaient guidés par groupes de douze. On peut trouver
la preuve de cette pratique dans la statue de la jeune fille du Graal
Helléniste d'Eleusis qui porte le kiste ou la corbeille sacrée sur la tête.
Un détail (sur la gauche) montre la rosette à douze pétales des néophy-
tes, qui est distincte des rosettes à huit ou seize pétales, emblèmes des
cellules d'initiation. Les nouveaux adeptes étaient initiés par groupe de
douze, avec l'initiateur comme treizième personne. Merlin conseilla à
Arthur que la structure de la Table Ronde reflète la tradition initiatrice et
implique elle-même une sorte d'initiation.

La Table constituait un cercle d'initiation ouvert à de nouveaux membres - le modèle pour un ordre fluide
de guerriers spirituels.

Mais Merlin mit en garde également Arthur contre le risque que la finalité secrète de la Table Ronde
puisse être trahie. C'est pour cela qu'il conseilla l'insertion d'une treizième place, le “Siège Périlleux”. Ce
faisant, Merlin s'inspira de la tradition Irlandaise et de la mythologie Celtique propre à l'Irlande. (C'est un
truisme que la matière Arthurienne, dans ses fondements les plus essentiels, a pour origine la tradition
Irlandaise qui évolua ensuite en termes de personnages quasi-historiques et d'événements régionaux du
Pays de Galles et dont l'expression littéraire accomplie se manifeste au travers de la poésie Bretonne.)
Le chaudron d'abondance était, parmi les Irlandais, un des trésors des anciens rois - cette relique, et non
pas le calice du derniers souper fut le prototype réel du Graal en tant que coupe cérémonielle. Le rocher
chantant, la Lia Fail, était un autre objet rituel du roi d'Irlande. Il laissait entendre un cri aigu lorsque
l'homme qui s'y asseyait n'était pas digne de devenir roi.

Dans les Mystères, le treizième siège était occupé par l'initié chargé d'investir les douze néophytes. A
la Table Ronde, ce siège était toujours laissé vacant pour rappeler aux chevaliers que quelqu'un puisse
venir et trahir leur mission en révélant l'identité et la localisation des gardiens du Graal. Dans l'histoire
parallèle, nous imaginons comment les chevaliers de la Table Ronde protégèrent le Graal plutôt que de
chercher à le posséder pour leur bénéfice personnel ou même pour leur évolution spirituelle.


Défense d'Arrière-Garde
Je pense que l'on pourrait dire que les Telestai comme Hypatia étaient des pacifistes. Ils ne pouvaient
pas défendre l'institution sacrée qu'ils maintenaient plus que les doyens et les professeurs d'une univer-
sité moderne pourraient le faire contre l'attaque fanatique d'une foule déchaînée et soutenue par la force
armée et les autorités légales. Mais après avoir perdu leurs institutions, leurs classes, leurs bibliothèques
et leurs ateliers, les initiés des Mystères n'allaient pas tolérer plus de menaces. Ils allaient résister à la
déprédation de toutes leurs forces. Ils n'allaient pas permettre que l'expérience essentielle de la mathe-
sis sacrée soit attaquée. Le conseil de Merlin à Arthur, de fonder un groupe de guerriers spirituels, visait
par une action d'arrière-garde à défendre les gardiens du Graal contre des agressions ultérieures et
encore plus dévastatrices. Les gardiens resserrèrent leurs rangs et trouvèrent refuge dans l'arrière-pays
des Hébrides, au sein des tribus des populations locales. Certains individus, appartenant à ces tribus,
prenaient conscience qu'ils avaient accueilli quelque chose de spécial qu'ils devaient protéger - et défen-
dre par la force violente, si nécessaire.

C'est ainsi que les chevaliers de la Table Ronde devinrent non pas tant des chercheurs du Graal que ses
protecteurs.

Code Arthurien
Le plus étrange est que, dans la plupart des cas, ils ne savaient pas ce qu'ils protégeaient. Selon la
légende, seuls trois chevaliers accomplirent le Graal: Perceval, Bors et Galahad. Les autres guerriers,
tels Gauvain et Lancelot, étaient considérés comme trop mondains ou trop vulgaires pour passer par
cette expérience mystique ultime. Gauvain préférait les joutes et ses aventures sexuelles à répétition
tandis que Lancelot était empêtré dans son histoire d'amour avec la femme du Roi Arthur. Mais il serait
erroné de prétendre que de tels hommes étaient indignes du Graal. Ils le servirent sans avoir besoin de
participer à l'expérience initiatrice mais, à leur manière propre, ils vécurent une diversité d'aventures et
d'épreuves mystiques, y compris des initiations sexuelles et Tantriques.

C'est comme si le Graal, la Lumière Organique, émettait une aura de magie surnaturelle par laquelle les
guerriers Arthuriens vécurent de nombreuses aventures fantastiques.

Gareth Knight, un revivaliste Arthurien moderne, a comparé les épreuves et les combats des héros Ar-
thuriens avec les épreuves magiques des Tantrikas Asiatiques, plus particulièrement les adeptes du yoga
de la Kundalini. Je pense qu'il y a beaucoup de vrai dans ce parallèle. Qu'un chevalier atteigne le Graal
ou non, ou même comprenne ce qu'il était, il était en tout cas très influencé par son pouvoir magique.
Comme nous le verrons plus tard, les aventures de Gauvain, qui occupent la moitié du Parzival de Wol-
fram, sont essentielles à la Quête même si Gauvain lui-même ni ne chercha ni n'atteint le Graal.

Joseph Campbell expliqua que la “mythologie créative” se caractérise par quatre fonctions - par mytho-
logie créative, il entendait la mythologie qui vit et évolue dans nos vies au travers du pouvoir imaginatif,
de la passion et de l'empathie en contraste avec le mythe reçu qui est mort et achevé. Ces fonctions
sont les suivantes: réconcilier la conscience de veille avec le mystère du cosmos; exprimer une image
interprétative complète de ce mystère; inspirer un sens d'ordre moral; et aider l'individu à se centrer et
à s'épanouir en harmonie avec le soi, la culture, l'univers et le mystère ultime de l'existence de tout cela
en premier lieu. Selon les mots de Campbell, cette fonction est la “quatrième, la plus vitale et la plus
critique des fonctions d'une mythologie”. (Creative Mythology, pages 4-6).

“La mythologie créative ne jaillit pas, comme la théologie, des dogmes de la théologie, mais des intui-
tions, des sentiments, des pensées et de la vision d'un individu équilibré, loyal à sa propre expérience
de de la valeur. Elle corrige ainsi l'autorité attachée aux carapaces des formes produites et laissées en
arrière par les vies autrefois vécues. En renouvelant l'acte d'expérience elle-même, elle restaure à
l'existence la qualité d'aventure” (page 7, mise en gras ajoutée).

Ce qui, dirais-je, se rapproche assez du propos des leçons de Mythbusting 101. Mais je mettrais en exer-
gue le processus de confrontation: défier et vaincre le Mensonge Paternel. Campbell était lui-même un
anti-autoritaire viscéral qui détestait le Catholicisme dans lequel il avait été élevé. Sa première passion,
avant de plonger dans la mythologie, fut la Romance Provençale et le culte de l'Amour, un prolongement
direct du mode de vie Arthurien. Creative Mythology est un manifeste qui résonne intimement avec
l'esprit et le propos de Mythbusting 101.


Que peut-on, finalement, dire du code des guerriers spirituels qui protégèrent les gardiens du Graal?
Et bien, tout d'abord, c'était un code Païen de l'honneur et de la générosité, pas une moralité de la
culpabilité et de l'obligation. Les chevaliers du Graal s'étaient dédiés à la protection d'un trésor sacré
qu'eux-mêmes n'avaient jamais vu, et dans la plupart des cas, ne verraient jamais. A tout le moins, ils
comprenaient que le Graal était quelque chose de fantastique qui imprégnaient leur vie de pouvoir magi-
que. Inspirés par une réalité sublime qui se situait hors de leur atteinte, ils transformèrent les arts de la
violence en une vocation noble. Ils furent influencés par le Graal d'une manière qui rappelle les paroles
du génie passionné de mythes Antonin Arthaud (dans Le rite du Peyotl chez les Tarahumaras):

“Le Fantastique possède une qualité noble, son désordre n'est qu'apparent, il obéit réellement à un or-
dre qui est élaboré mystérieusement et sur un plan que la conscience normale n'atteint pas mais que la
Magie nous permet d'atteindre et qui est le mystère même de toute poésie”.

Le Fantastique possède une qualité noble. Je reconnais qu'aucun chevalier Arthurien n'aurait pu dire
mieux. Ils étaient anoblis par les Mystères qu'ils se vouaient à protéger. Leur recours à la violence n'était,
en aucun cas, abusif ou irréfléchi. Ne nous méprenons pas, presque tous ces hommes étaient sensibles
et éduqués.

Dans mon ouvrage The Hero - Manhood and Power, j'explique le code Espagnol de chevalerie dans
lequel armas and lettras, les arts martiaux et l'éducation, allaient de pair. (Il y a beaucoup dans cet
ouvrage qui concerne le code du guerrier spirituel, y compris toute une section sur la chevalerie et le
culte de l'amour). Il serait insensé de supposer que le code des guerriers Arthuriens puisse être défini par
des formules, règles A, B et C; même si la chevalerie, il est vrai, était pétrifiée par un grand nombre de
ces règles. Je suggérerais trois mots définissant l'essence de l'éthique des guerriers de la Table Ronde:
aventure, dévotion et compassion.

Emerveillement Sans Fin


De nombreuses histoires Arthuriennes, telle Persevlaus, une romance tardive en prose Française, dé-
crivent comment les chevaliers de la cour d'Arthur se languissaient par manque “d'aventures”. Loomis
montre que ce motif a pour origine la tradition Irlandaise et galloise qui mettait en exergue l'echtra, un
exploit surnaturel, telle la prise d'une forteresse magique. (caer sidhi). Les collines, les monticules, les
tours ou les forteresses de verre, etc, étaient des lieux dans lesquels le pouvoir de la terre se concentrait.
Le combat chevaleresque était de deux sortes: entre les chevaliers d'habileté comparable et contre les
forces surnaturelles. Le dernier, illustré par l'echtra, représente un développement tardif, médiéval et
pan-Européen du shamanisme indigène. Le modèle standard de shamanisme (dérivé d'Eliade) met l'ac-
cent sur le voyage du shaman dans l'Autre Monde pour recouvrer une âme perdue ou acquérir des pou-
voirs de guérison et des connaissances secrètes mais la tradition Arthurienne révèle une modification de
ce modèle: elle montre le chevalier qui entreprend une quête dans l'Autre Monde juste pour le frisson.

Dans un poème ancien Gallois attribué à Taliesi, The Spoils of Annwm, le héros fait face à des épreu-
ves surnaturelles qui, comme Loomis le montre, sont revécues par Perceval et d'autres héros du Graal.
Souvent, le héros-guerrier doit faire face et vaincre un monstre draconien tel qu'Avallach, c'est à dire,
le pouvoir du serpent, la Kundalini, dans son aspect tellurique. De telles batailles prennent place dans
l'Autre Monde mais, dans la tradition Galloise et Irlandaise, le frontière entre le monde connu, et l'autre
monde inconnu qui coexiste avec lui, est fluide et perméable. Annwn, le Monde Souterrain, est le nagual
de Castaneda et du shamanisme Méso-Américain. De tels passages entre le connu et l'inconnu se prati-
quent dans des lieux spécifiques, identifiés par la topographie de la terre.

Au nord du Pays de Galles, dans la province appelée Gwnedd en Gallois, le Lac Bala était réputé être le
repaire d'Avallach - ce qui signifie que dans les anciens temps, les rencontres shamaniques avec les pou-
voirs du dragon de la terre avaient lieu là-bas, fréquemment. Gwnedd dérive de gwynedd, connaissance,
l'équivalent de gnose. C'est pour cela que le nord du Pays de Galles était un lieu de test et d'acquisition
de pouvoirs shamaniques spécifiques. Merlin, qui possédait gwynedd était “celui qui connaît toute chose”,
à savoir un initié Gnostique et un shaman de haut rang. (voir Loomis, Celtic Myth and Arthurian Ro-
mance).

Les chevaliers Arthuriens qui vivaient au Moyen Age étaient attirés par l'attrait des aventures surnatu-
relles qui avaient été des tâches requises des shamans dans l'Europe pré-Chrétienne. Mais ce qui avait
été une obligation professionnelle pour les anciens shamans devint un loisir pour les guerriers médiévaux
- un grossier équivalent des “sports de l'extrême” d'aujourd'hui. L'élément d'aventure, echtra, était es-
sentiel au code Arthurien parce qu'en testant leurs facultés psychiques, les chevaliers intensifiaient leur


vitalité à des niveaux surhumains. Tout aussi essentiel était le sens de la dévotion qu'ils ressentaient
pour le Fantastique, le monde magique, dans lequel le Graal était la source centrale et suprême de la
magie. Ils combattaient des batailles surnaturelles pour accroître leur vision intérieure et leur force et ils
combattaient contre d'autres chevaliers pour les mêmes raisons, plutôt que pour conquérir ou dominer.
On pourrait dire, à juste titre, je pense, qu'ils se vouaient au pouvoir pour le pouvoir, plutôt que comme
un moyen vers une fin.

Ils tuaient rarement l'adversaire lorsque l'adversaire était choisi pour un test de pouvoir, mais la ven-
geance du sang était aussi un thème dans de nombreuses légendes Arthuriennes. Ils tuaient de façon
honorable et pour l'honneur, non pas au nom d'une cause élevée ou un idéal extra-terrestre et spirituel.
Et ils se battaient pour protéger le Mystère du Graal.

En plus de l'aventure et de la dévotion, le code Arthurien impliquait de la compassion pour ceux qui
étaient maltraités ou subjugués par une force humaine supérieure. Comme je l'ai expliqué dans The
Hero, l'humanité authentique implique l'obligation d'utiliser la violence de façon défensive et préventive
contre ceux qui l'utilisent pour le contrôle, l'abus et la domination d'autrui. Il existe une chose telle que
l'usage humain et compassionné de la force violente. La notion dédaigneuse selon laquelle la violence ne
fait qu'engendrer plus de violence n'est qu'une demi-vérité dangereuse. La violence gratuite engendre
la violence, assurément. Mais la violence, par laquelle, j'entend l'application de la force brute, n'a en
elle-même et par elle-même aucune valeur morale intrinsèque. Il est stupide de condamner la violence
de façon catégorique. La force violente peut être utilisée avec compassion, en auto-défense, ou pour
assister et sauver ceux qui ne sont pas capables de se défendre eux-mêmes - des enfants pris en otage
dans une école ou une femme qui se fait violer.

Je dois ajouter, cependant, que l'usage de la violence pour la cause de la compassion n'a rien à voir avec
le fait d'être aimables avec les perpétrateurs ou de pardonner à ceux qui abusent d'autrui et s'en pren-
nent à des personnes sans défense. Le pardon Chrétien n'existe pas dans l'éthique Arthurienne

Aventure, dévotion, compassion. Ce sont les trois motifs dans le code des guerriers spirituels de la légen-
de Arthurienne. L'étendue considérable de la renommée Arthur n'avait rien à voir avec les exploits d'un
seul homme ou même d'un groupe d'hommes. Elle procédait, jadis comme maintenant, d'une éthique de
violence compatissante associée avec la mystique du Graal, le secret des Mystères. Lorsque les Mystères
furent détruits, ils ne disparurent pas de l'imagination des peuples de l'Europe et d'ailleurs. Pour l'esprit
indigène, les chevaliers Arthuriens étaient intimement associés avec la survie des Mystères et c'est ainsi
qu'Arthur acquit une importance universelle qui excédait de loin son rôle en tant que chef tribal Gallois.

Les histoires des chevaliers Arthuriens étaient empreintes de l'atmosphère du Graal, l'aura mystérieuse
de la Lumière Sophianique. Plus que toute autre chose, ce rayonnement, ou sa simple suggestion, res-
taure à l'existence humaine la qualité d'aventure, d'émerveillement sans fin.

John Lash. Andalousie. Mai 2006.

Traduction de Dominique Guillet


Une Histoire Alternative du Graal
7. Amour Sacré, Lumière Sacrée

John Lash

Rencontre de la Femme et du Graal


La Légende d'Arthur, quant à ses origines historiques et à ses aspects littéraires, est un reflet de la sur-
vivance non point des Mystères mais bien plutôt des connaissances et des pratiques émanant des Mystè-
res. Les Mystères étaient des institutions d'initiation et d'éducation émergeant d'une longue tradition de
pratiques shamaniques en Europe et au Proche-Orient. On peut les comparer, quant à leur structure et
à leur fonction, à un système universitaire moderne. Imaginez que toutes les classes, les bibliothèques,
les outils éducatifs, les laboratoires, les salles de conférences, les bureaux des enseignants, etc, d'un
tel système universitaire soient totalement détruits. Le réseau collégial d'éducation supérieure dans le
monde classique fut totalement éradiqué par l'expansion du christianisme. Le réseau antique des cellules
des Mystères disparut en même temps ainsi que les méthodes d'initiation shamanique pratiquées dans
ces cellules.

Certaines des personnes portant


la connaissance sacrée, qui fon-
dait et guidait les Mystères, sur-
vécurent cependant. Au moment
même où l'Empire Romain s'écrou-
lait, un Druide du Pays de Galles
conseilla au chef d'une région de
lever un corps de garde pour pro-
téger la diaspora des initiés de ces
institutions antiques. Les réfugiés
arrivaient déjà depuis un certain
temps. Ils commencèrent à fuir des
sanctuaires détruits au troisième
siècle et la diaspora se prolongea
pendant les deux siècles suivants.
Avec le meurtre d'Hypathia en l'an
415, la situation désespérée des
réfugiés s'intensifia. L'année 415
est un seuil, qui dénote un moment
précis de changement profond et
drastique, un tournant essentiel. Campus typique d'une Ecole de Mystères, avec le temple central, les classes, le
gymnase, l'auditorium, le réfectoire (reconstruction du temple Grec de Jupiter
Les moments nodaux de 281 et Olympe, environ 350 av. EC)
de 453 sont également importants
dans l'histoire parallèle concernant
la diaspora des initiés des Mystères. En contraste avec un moment de seuil comme 415, qui marque
un changement vaste et soudain, un point tournant, un moment nodal est un vortex autour duquel des
développements en contre point se manifestent. Dans les tourbillons tumultueux d'un moment nodal,
certains événements et certaines situations se dissolvent, aspirés dans les profondeurs du temps, tandis
que d'autres événements et d'autres situations se manifestent qui forment de nouvelles dynamiques
expérientielles. Au fil de ces exposés, nous aurons parfois recours à ces concepts de moment nodal et
de temps nodal.


La fin du féodalisme
La chevalerie illustre, de façon vivante, la dissolution et l'émergence des courants d'un moment nodal
dans l'histoire. La chevalerie était la manifestation d'un nouvel ordre culturel, le féodalisme, qui émergea
en Europe avec l'effondrement de l'Empire Romain et le retour à une organisation sociale décentralisée
et localisée. A la suite des invasions du cinquième siècle, la loi et l'ordre ne pouvaient plus être main-
tenus par des mesures totalitaires procédant du contrôle par une autorité centralisée. Les défenses de
l'Empire se désagrégeaient, Les Huns et les Goths envahirent toute l'Europe et les peuples de chaque
région durent se débrouiller par eux-mêmes. Les propriétaires terriens prirent les armes ou employèrent
des mercenaires pour protéger leur propriété. L'esclavage Romain prit fin et se transforma en servage.
La nouvelle organisation militaire donna naissance au concept de fidélité à un châtelain. Le chevalier qui
jurait fidélité faisait le voeu de protéger les intérêts familiaux et matériels de son suzerain et maître.

Au moment nodal de l'an 453, les vieilles structures impériales d'autorité et de contrôle étaient en train
de se désagréger et un nouvel ordre social se mettait en place - telle est la dynamique en contre point
d'un temps nodal. Dans tout l'ancien Empire, des structures sociales et culturelles s'effondraient et se
construisaient simultanément. C'est durant ce tourbillon tumultueux d'événements que l'Age Sombre
commença.

Le féodalisme n'est pas un thème particulièrement intéressant mais il se peut qu'il devienne bientôt
d'actualité si certaines zones de la “communauté globale” plongent dans un chaos comparable à celui
des dernières années de l'Empire Romain. (Il est fascinant de remarquer que le “Nouvel Ordre Mondial”,
dont il semble que la finalité soit de générer un système totalitaire global, est, en réalité, en train de faire
basculer le monde dans un état de fragmentation féodale. Plutôt que d'unifier la communauté globale, il
l'anéantit. Mais n'est-ce pas précisément là sa finalité réelle?). L'organisation de groupes de patriotes aux
USA constitue une tendance féodale. Les gangs dans les ghettos urbains sont des groupes féodaux. La
tendance - en fait, la nécessité - des riches de se barricader dans des enceintes murées protégées par
des caméras de surveillance, et des bataillons de gardes, est une tendance féodale. Il en est de même
de l'asservissement de certaines populations (en Inde, par exemple) aux industries de l'information. Et,
bien sûr, la plus grande partie du monde de l'Islam est encore intrinsèquement d'une rigidité féodale.

L'aspect du féodalisme qui nous intéresse le plus, dans l'histoire parallèle, est la moralité sexuelle qui
vit le jour avec lui. Comme l'Age Sombre en Europe fut l'aube de la civilisation Chrétienne en Occident,
la société féodale fut profondément imprégnée de concepts de culpabilité et de péché. La vision de
la sexualité et de la nature prônée par la tradition Chrétienne en Europe est entachée de haine et de
condamnation. C'est un truisme de préciser qu'au Moyen-Age, on demandait aux gens de croire que la
femme, représentée mythologiquement par Eve, était l'instrument du Diable et que la nature était le
mal. Cette assertion semble à ce point ridicule que nous sommes enclins à ne pas la prendre au sérieux
mais ce serait une erreur profonde de ne pas en tenir compte. Ce n'est pas exagérer que de dire que les
moeurs Chrétiennes empoisonnèrent les relations humaines au Moyen-Age et condamnèrent tout instinct
spontané connectant l'humanité au monde naturel.

La condamnation de la nature comme diabolique fut particulièrement infâme. (La lecture de l'introduc-
tion sur l'Age Sombre dans l'ouvrage de Barbara Walker “The Woman's Encyclopedia of Myths and
Secrets” peut donner une bon aperçu de cette mentalité). Dans le sens Païen de la vie, la nature était
sacrée et vivante. Dans le chapitre 3 de mon ouvrage “Not in His Image” j'ai écrit:

Dans son respect pour la nature, la vision religieuse Païenne honorait et encourageait une relation de
communion entre l'être humain et le terroir et non pas une appropriation de la terre décrétée par or-
dre divin. Les montagnes, les collines, les grottes, les sources, les rivières étaient toutes sacrées, non
pas sous l'injonction d'une quelconque doctrine mais bien parce que l'expérience des hommes et des
femmes, originaires d'un terroir, était enracinée dans une révélation directe et sensuelle de la divinité.
Leur expérience était une participation mystique avec l'Autre, libre de tout filtre intellectuel ou doctrinal.
L'antique biorégionalisme, en Europe tout aussi bien que dans les Amériques, n'était pas une folie su-
perstitieuse mais un animisme authentique et vécu. Leur monde était un monde dans lequel, selon les
mots de l'initié Plutarque dans son essai “Le Démon de Socrates”: “toute vie participe de l'esprit et il
n'en est aucune qui soit totalement irrationnelle ou dénuée d'esprit”.

Les Païens participaient à la “complémentarité du mental et de la nature” et à “la structure qui connecte”
pour emprunter un couple d'expressions à Gregory Bateson. Il est sûr que les connections empathiques
entre les Indigènes Européens et leur environnement ne furent pas anéanties de suite par les valeurs
Chrétiennes. En fait, les Païens résistèrent considérablement à l'imposition d'un paradigme prônant la
haine de la nature. Les politiques de répression introduites durant l'époque d'Hypatia (375-415) condui-


sirent à l'Inquisition et à la chasse aux sorcières un millier d'années plus tard. Les valeurs Chrétiennes
étaient tellement violemment opposées aux inclinations humaines qu'elles devaient être continuellement
et brutalement renforcées. La très longue guerre du Christianisme contre la Nature triompha finalement
lors de la période des Lumières lorsque la science désacralisa totalement le monde naturel. Roszak a
mis en valeur que le scientisme du 17 ème siècle est totalement cohérent avec les dogmes religieux qui
l'ont précédé. Tous les pionniers de l'ère des Lumières, tels que Descartes et Newton étaient de pieux
Chrétiens.

L'écoféminisme affirme que la vision de la na-


ture et le statut social des femmes sont tou-
jours entremêlés. Au Moyen Age, les femmes
étaient considérées d'une part comme une
propriété et d'autre part comme de dange-
reux animaux qu'il fallait craindre, enfermer
et contrôler. L'image des femmes à l'époque
féodale est un cliché mais qui n'est pas en-
tièrement faux. Les ceintures de chasteté
étaient plus que des images symboliques
de l'époque. Les femmes étaient enfermées
dans ces instruments lorsque leurs maris
partaient en Croisades. Cela se passa, bien
sûr, vers la fin du Moyen Age. Les Croisa-
des furent lancées à l'époque d'un moment
nodal, 1202. Durant les siècles précédents,
le confinement des femmes n'avait pas été
aussi extrême mais il devint de plus en plus
brutal et rigoureux au fur et à mesure que le L'opposition entre la sexualité et la spiritualité est une anomalie de
pouvoir du Christianisme se mit en place. la religion Judaïste-Chrétienne-Islamique que l'on ne trouve pas dans
beaucoup d'autres religions ou mouvements spirituels. (La Tentation de
En fait, l'Age Sombre n'est qu'un âge “de fer- Saint Hilarion, D. L. Papety, 1843. Wallace Collection, Londres)
meture”, “d'éteignement” . La fermeture féo-
dale était évidente dans tous les aspects de
la vie de ces temps mais plus particulièrement dans les moeurs sexuelles. Le style de vie amoureux et
hédoniste de l'Europe Païenne fut littéralement “saisi” comme il en arrive d'un bien qui est hypothéqué.
Le Christianisme saisit la gente féminine comme une propriété matérielle mais fit des femmes la pro-
priété avec le moins de valeur dans les affaires séculaires sous le contrôle de l'Eglise. Cet accaparement
de la féminité fit suite à la répression de la vision Sophianique des Mystères et à la destruction totale de
la civilisation Païenne.

La sexualité féminine fut la cible privilégiée de l'éteignement féodal. Mais ce fut également le front sur
lequel l'esprit Païen se mobilisa avec courage et fit appel à toutes ses ressources intérieures pour résister
à la répression de la religion de la rédemption.

L'Amour sans Retour


Comme nous l'avons souligné, la chevalerie émergea durant l'effondrement des systèmes de contrôle
et d'autorité de l'Empire Romain. Le moment nodal d'origine fut 453 (seconde moitié du 5 ème siècle,
Arthur le roi guerrier, formation de la “Table Ronde”) et le moment nodal de clôture fut 1456 (Malory,
Le Morte d'Arthur) - presqu'exactement un millénaire. Durant ces dix siècles, l'Europe fut le témoin
du développement du code de chevalerie et durant les siècles suivants, de l'essor de la technologie de
guerre. Le règne de la chevalerie se termina avec l'invention des armes à feu durant le 15 ème siècle. Le
premier fusil en fonte fut introduit en 1430 et Malory rédigea son classique aux environs de 1470. (Les
développements essentiels corrélés à un moment nodal peuvent se manifester précisément durant le
node mais ils se déroulent le plus souvent avant ou après, de la façon dont les vaguelettes s'étendent à
partir du point d'impact d'une pierre jetée dans l'eau).

Il est vraiment étonnant de voir comment la chevalerie a fourni un véhicule pour une révolution des
moeurs sexuelles tout en poursuivant des fins militaristes. Mais pas exclusivement des fins militaristes,
bien sûr. Nous avons vu dans la sixième leçon que la Table Ronde avait, en sus de sa fonction militaire,
une mission spirituelle: la protection des survivants des Mystères, les gardiens de la Lumière Sacrée. La
dynamique Arthurienne révèle la continuation des Mystères et en même temps, elle reflète la culture de
l'amour courtois.


Nous arrivons donc, avec cette septième leçon, à une triangulation remarquable et fascinante: le Graal
- le Guerrier - la Femme. Cette corrélation implique l'identification mystique du Graal et de la Femme (en
anglais, “Graal and Girl”). Dans le culte de l'amour, l'amant-guerrier oscillait entre l'attrait de la lumière
de Sagesse émanant du Graal et le rayonnement séduisant de la Femme. Dans l'histoire parallèle, la
préservation de la Lumière Sacrée fut intimement associée à l'expérience de l'Amour Sacré, la passion
consacrée qui réunit l'homme et la femme dans une union transcendant la mort.

L'amour courtois a été exalté comme un changement révolutionnaire et révélateur des moeurs sociales,
qui n'a pas de parallèle dans l'histoire, mais un tel éloge est, généralement, teinté de condamnation.
Le seul ouvrage vraiment conséquent sur le sujet, L'Amour en Occident de Denis de Rougemont, met
constamment l'accent sur l'aspect négatif de “l'amour sans retour”. De Rougemont déploie beaucoup
d'énergie pour prouver que la dévotion du chevalier pour sa dame, ou du troubadour pour sa châtelaine,
n'était pas consommée, et ne pouvait pas être consommée, dans ce monde parce qu'elle représentait
une relation transcendante qui ne pouvait se réaliser que dans la mort, c'est à dire dans la désincarna-
tion.

Mais de Rougemont était totalement dans l'erreur ainsi que je vais le démontrer.

Afin de clarifier cette question, je voudrais suggérer une correction préliminaire concernant “l'amour
sans retour”. Je propose que cela puisse être compris, non pas comme un amour qui n'est pas partagé et
qui reste donc tragiquement sans réciprocité (la fixation de de Rougemont), mais comme un amour qui
ne demande pas à être partagé. Un amour qui n'a pas besoin d'être retourné. Quelle sorte d'amour ne
demande pas ou n'a pas besoin de réciprocité? Ne pourrait-on pas l'appeler un amour qui s'auto-réalise?
C'est le type d'amour qui transforme la personne qui aime, indépendamment de son effet sur le bien
aimé. Si la transformation de l'amant constitua la véritable dynamique de “l'amour sans retour”, plutôt
que la non-réciprocité si souvent avancée, ce fut alors, sans nul doute, une force transcendante d'une
immense puissance dans la vie sociale et la vie spirituelle. Une puissance purement séculaire, à la fois
intime et transcendante, personnelle et transpersonnelle. Le déploiement de la révolution des moeurs
sexuelles durant le Moyen Age en est la preuve manifeste.

Dans l'histoire parallèle, c'est cette force transformatrice, l'Amour Sacré, qui humanisa le monde Euro-
péen durant le Moyen Age et non pas la moralité répressive de la rédemption que le Christianisme imposa
par la force dans ce monde. La répression ne peut pas élever; elle pervertit ce qu'elle cherche à amé-
liorer. La sublimation ne peut pas transformer; elle ne fait que substituer une expérience moins authen-
tique au détriment d'une expérience réellement authentique. Depuis l'époque de Saint Paul, la religion
Chrétienne a exigé la séparation de la sexualité et de la spiritualité pour le salut de l'âme, mais l'amour
courtois a défié et inversé ce tabou. Dans l'amour sans retour - qui n'exclut pas l'union sexuelle véritable,
comme nous allons le voir - l'humanité Occidentale acquit une âme. L'amour courtois fut l'alchimie de
la fabrication de l'âme. Le regard passionné (ou même le coup d'oeil), tout comme l'étreinte sexuelle,
engendraient de l'intimité et nourrissaient les sources authentiques de l'humanitas. Je soutiens que pres-
que tout ce qui a été attribué à la tradition religieuse Chrétienne, quant à l'élévation et à l'évolution de
l'esprit humain, fut en fait inspiré par la dynamique de l'Amour Sacré au Moyen Age. Le culte de l'amour
fut la racine pivotante cachée de l'humanisme de la Renaissance. Le modèle d'inspiration pour l'Amour
Sacré se développa dans le même genre social que la Légende du Graal: le monde Arthurien de cheva-
liers en armure brillante et de demoiselles en détresse et le monde intimement associé des troubadours,
des jongleurs et des conteurs.

L'Amour Sacré produisit éventuellement l'esprit humaniste en Europe mais le phénomène lui-même ne
procéda pas de l'environnement médiéval Européen. Le culte de l'amour qui fleurit dans le monde des
troubadours et de la Table Ronde prit sa source dans la lointaine Asie. Ses racines étaient Orientales et,
en fin de compte, Tantriques. L'immense et subtile transmigration culturelle et spirituelle requise, pour
que le sacrement de l'amour Asiatique passe de l'est à l'ouest, est un des chapitres les plus fascinants
de l'histoire parallèle.

La Connexion Soufi
Aucun érudit, à ce jour, n'est remonté aux sources de cet exploit de transmigration à la portée considé-
rable. Malgré sa coloration négative frustrante, l'ouvrage de de Rougemont offrit quand même quelques
pistes de réflexion. Il suggéra que le culte de l'amour en Europe fut inspiré ou instillé par le “mysticisme
Arabe”. C'est néanmoins une notion déconcertante. On peut l'expliquer par le fait qu'au début du Moyen-
Age, la culture Maure en Espagne produisit les premiers troubadours comme une sorte de prolongement
séculaire du mysticisme contemplatif centré sur la “bien aimée”, à savoir le Divin Féminin. Ce dévelop-


pement obscur émane, en quelque sorte, du mouvement Soufi, un aspect ésotérique ou hérétique de
l'Islam. Le terme Soufi est une version Arabe du Grec Sophia. Le Soufisme serait donc (ou aurait été
originellement) un chemin de dévotion, ou de bhakti, centré sur la figure de la Sophia Divine.

C'est fascinant, bien sûr, parce que la déesse Sophia est la figure centrale des Mystères Occidentaux. Y
eut-il alors, d'une quelconque manière, une rencontre fortuite entre d'une part le courant dévotionnel
Oriental et Arabe centré sur Sophia et d'autre part la tradition des telestai des Mystères Sophianiques qui
trouvèrent refuge dans les îles des Hébrides? Quelque soit le cas, cette rencontre prit place dans l'Espa-
gne des Maures et plus particulièrement en Andalousie. Et cela se passa au 7 ème siècle. Nous savons
au moins cela mais il reste à découvrir comment cette convergence magnifique prit forme.

Nul besoin de le dire, il est relativement ardu d'imaginer une résurgence du Divin Féminin émanant de
l'Islam. Si c'est réellement ce qui se passa, aucun érudit ne peut affirmer exactement comment cela se
passa. Il semble qu'une pratique Arabe de contemplation béatique de la “bien aimée” (lire Divin Féminin,
Divine Sagesse, Sophia) se métamorphosa en un mouvement de culte de la femme dans le sud de la
France. De Rougemont établit la notion selon laquelle la théophanie Soufi fonde le culte de l'amour par
lequel les troubadours prodiguaient des louanges extravagantes à une femme qu'ils ne pouvaient pas
toucher et de nombreux auteurs l'ont suivi dans cette voie.

Mais cette théorie est entachée de quelques aberrations.

Tout d'abord, le mysticisme sexuel Arabe était principalement, sinon totalement, homosexuel. Théori-
quement, il se peut que le mystique ait contemplé une jeune fille vierge qui représentait la Divine Sophia
mais dans la pratique, c'était de jeunes garçons impubères qui attiraient l'oeil des adeptes. Dans Sacred
Drift, Peter Lamborn Wilson explicite la pratique spirituelle mystérieuse appelée “le Jeu du Témoin” qui
utilisait “un Yoga Imaginal afin de transmuter le désir érotique en conscience spirituelle”. Le point étant
que le désir physique n'est pas dénié ou refoulé, mais transmuté comme le plomb en or. La pratique in-
cluait “l’improvisation poétique et musicale, la danse et l’observation chaste des jeunes garçons (d’où la
pratique connue comme « Contemplation du Glabre », du sans barbe).”

Tous ces éléments se retrouvent dans la romance des chevaliers et des troubadours qui est, cependant,
strictement exempte de connotations homosexuelles. Les troubadours étaient maîtres de l'improvisation
musicale et poétique et ils empruntèrent même des formes musicales Arabes (préservées beaucoup plus
tard dans le flamenco des Rifains). Le motif du regard (dont Loomis démontre l'origine à la tradition
Celte) se trouve principalement dans Perceval lorsque le héros voit trois gouttes de sang dans la neige et
tombe en transe, contemplant le teint de peau de sa bien aimée. Dans certains cas, le regard est simple-
ment un coup d'oeil, l'exemple le plus illustre étant celui de la rencontre entre Pétrarque et Laura. Pour
Dante, le regard de Béatrice devient comme un phare qui le guide vers les hauteurs spirituelles. Dans
la poésie de John Donne, le regard par lequel les amants sont “enfilés” acquiert toute la puissance de
l'union charnelle. Le poème de Donne “L'extase” est l'apogée d'une longue tradition de regards amou-
reux qui remonte, en passant par Perceval, à des origines Celtes anciennes.

Si nous nous fions à la connexion Soufi, il apparaît que le regard du trouba-


dour prend sa source dans le Jeu du Témoin. Mais Wilson souligne à juste
titre que “le 'Principe Féminin' est notoirement dur à localiser dans l'Islam”
(page 71) - et j'ajouterai, même dans l'Islam ésotérique du Soufisme. “Se-
lon la vision essentiellement masculine qui imprègne le Coran... les fem-
mes sont perçues comme ayant des âmes individuelles mais comme étant
une propriété virtuelle en relation aux hommes”. De plus, “bien que toutes
sortes d'indices et d'échos de l'Anima soient trouvées”, par exemple, “dans
le culte de Buraq, le culte de la bien aimée dans la poésie Perse”, Wilson
conclut que “les femmes sont tout simplement réprimées” en Islam, main-
tenant tout comme alors (page 71).

Dans l'amour courtois, non seulement les femmes n'étaient pas réprimées
mais elles étaient l'inspiration pour la libération spirituelle des hommes
en “armures” qui les adoraient. Il n'existe rien de comparable dans la tra-
dition Judéo-Chrétienne-Islamique, à l'exception peut-être du Chant de
Salomon. C'est un psaume d'amour sacré peut-être inspiré par la Reine
de Saba qui est une représentation du Divin Féminin dans le mysticisme
Arabe. (Bellifortis, by Conrad Kyeser, 1405). Il existe certainement de La Reine de Sheba de Bellifortis,
belles histoires d'amour dans la tradition Arabe, mais en règle générale, par Conrad Meyer, Bohemia,
l'Islam n'autorise pas le concept d'amour romantique avec une dimension environ 1405.
religieuse tel que cela puisse devenir une religion par elle-même.


Il y a donc, à l'évidence, quelque chose de trouble dans la connexion Soufi qui la rend profondément
incompatible avec le modèle de l'amour chevaleresque hétérosexuel.

Ambiguïtés Mystico-Erotiques
L'homosexualité est un crime capital dans l'Islam mais cela ne fait qu'ajouter à son attrait hérétique,
selon l'observation de Wilson. Comment expliquer l'élément homo-érotique dans la tradition mystique
Arabe? Il est bien connu que les Arabes préservèrent la science Grecque durant les Ages Sombres. Il se
pourrait aussi qu'ils héritèrent la tradition Grecque de l'homosexualité pédagogique, le culte des garçons
jeunes, beaux et intelligents. A ma connaissance, aucun érudit, à ce jour, n'a proposé cette corrélation
mais l'étude incomparable de R. K. Dover, Greek Homosexuality, soutient cette thèse. Dover démontra
que les erastes, le garçon magnifique bien aimé du vieil homme, représentait non seulement un attrait de
pureté sexuelle mais aussi un idéal intellectuel immaculé. (L'attrait était parfois accessible mais pas tou-
jours revendiqué, selon Dover. Même lorsqu'il était revendiqué, les moeurs demandaient que la relation
sexuelle soit entre les cuisses.) Je dirais que l'atmosphère, l'esthétique et l'éthique de l'homosexualité
Grecque classique correspond assez bien au Jeu du Témoin.

Gardons à l'esprit, de plus, l'enseignement illustré récemment par la vie de T. E. Lawrence, à savoir que
l'Islam est une société féodale mâle et guerrière. Et il l'a toujours été. La date du Hejira, l'événement
fondateur de l'Islam, est 622. C'est un moment nodal mais pas simplement pour l'essor d'une religion
militante. C'est également l'époque de la première romance chevaleresque, Antar, rédigée en Andalou-
sie durant la première moitié du 7 ème siècle, selon Reni Nelli, l'érudit éminent de la littérature Occitane.
L'idéalisme féminin de la chevalerie émergea en même temps que l'Islam mais je ne pense absolument
pas qu'il faille considérer ces phénomènes comme jumelés.

Selon Wilson, le Jeu du Témoin “fut perfectionné durant les siècles qui ont suivi la mort d'Ibn 'Arabi”
(page 61), au 13 ème siècle. Le moment nodal de 1136, cité par de de Rougemont et d'autres, marque
le florissement originel de la poésie des troubadours avec Guillaume IX de Poitiers, le grand-père d'Eléo-
nore d'Aquitaine. Ibn Arabi naquit une génération plus tard et développa son oeuvre littéraire à l'époque
durant laquelle Wolfram von Eschenbach écrivait Parzival et Gottfried de Strasbourg écrivait Tristan.
De tous les mystiques Soufis, Arabes, Perses et Iraniens, Ibn 'Arabi est le plus proche de la théologie de
l'amour romantique célébrée en Occident. Sa dévotion mystique à la femme commença à la Kaaba de
la Mecque où les valeurs patriarcales et masculines dominaient, nul besoin de le dire. Mais pour le Perse
affamé d'amour, tout ce qui importait était le regard qui lui fut accordé par une jeune fille qui déambulait
dans le sanctuaire. Lorsqu'il publia L'interprète des ardents désirs, un ouvrage de poèmes célébrant
son amour sans retour pour sa demoiselle inconnue, les mullahs crièrent au blasphème. Le poète s'en-
fuit immédiatement en Syrie (qui fut, d'ailleurs, de tout temps une citadelle des purs et durs Gnostiques
et Sophianiques) où “il défendit ses ambiguïtés mystico-érotiques avec une scolastique flamboyante”.
(Wilson). Tout cela se passa dans le Proche Orient tandis que la littérature chevaleresque fleurissait en
France. Ce fut l'apogée du culte hérétique de l'amour.

Les soucis d'Ibn 'Arabi avec l'hérésie se poursuivirent pendant des décennies. Les autorités Egyptiennes
bannirent ses écrits. Les érudits et les orthodoxes du Soufisme l'accusèrent de ruiner leur tradition. Il
était un hérétique même chez les hérétiques! Wilson résume le message blasphématoire de Ibn 'Arabi:

“L'amour est déclaré équivalent et peut-être même supérieur à la religion; le bien aimé humain devient
un Témoin (shahed), une théophanie du Réel. De nouveau, les poètes reçurent d'Ibn 'Arabi un langage
de discours avec lequel ils puissent accroître leur compréhension d'un complexe déjà au coeur de leur
être: éros, le désir, et l'interface entre la conscience mystique et érotique”.

Les mêmes éléments furent exprimés dans la poésie des troubadours et dans le code chevaleresque et ils
furent vécus dramatiquement dans les moeurs sexuelles et sociales des exemples vivants de la légende
Arthurienne. Gottfried de Strasbourg échappa de peu aux exécuteurs Catholiques pour avoir comparé
la passion de Tristan et Yseult au sacrement de la Saint Messe. (Il s'en fut se cacher et confia l'achève-
ment de son histoire à un autre poète , Thomas de Bretagne). L'idée selon laquelle l'amour personnel et
charnel est une force religieuse supérieure à toute autre religion constitue le summum de l'hérésie sur
cette planète, pour ne pas mentionner le défi ultime au Mensonge Paternel. Si nous pouvons avoir accès,
grâce à l'amour personnel, à toutes les assurances que seule la foi religieuse est censée nous offrir (selon
ce que proclament ses zélateurs), à quoi bon la religion et tout ce qu'elle traîne à sa suite? Si la religion
de l'amour confère une puissance transcendante supérieure à ce que l'on trouve dans les doctrines et
institutions religieuses, pourquoi s'ennuyer à faire perdurer ces doctrines et ces institutions? Si l'amour
humain est un sacrement, qui a besoin d'une hiérarchie gigantesque pour dire la Sainte Messe?


Pour que l'amour humain pût assumer une dimension religieuse, il fal-
lait renégotier totalement les transactions de pouvoir entre les sexes.
Dans le code des chevaliers Arthuriens, le guerrier partait en bataille
ou en tournois après avoir requis de sa bien aimée qu'elle fût le témoin
de son acte, et par ce faisant, légitime et même consacre son usage de
la force violente pour faire preuve de sa valeur morale. Ses actions ne
prenait de réalité que si elles étaient contemplées par le Témoin. C'est
pourquoi le chevalier regardait souvent vers la galerie de spectateurs
pour s'assurer du regard de sa dame lorsqu'il partait en joute.

En même temps que la femme agissait comme un vecteur conférant


le pouvoir au guerrier - ce motif se trouve pour la première fois dans
Antar, selon Reni Nelli dans L'Erotique des Troubadours - elle
était également l'objet de son aspiration mystico-érotique, et parfois
même, la source de sa satisfaction charnelle. Les chevaliers Arthu-
Dame tendant une lance à un chevalier. riens, tel Gawain, allaient traditionnellement en tournoi avec une pièce
Manasseh Codex, illustration colorée de l'habit de leur Dame attachée à leur armure. Selon les textes mé-
dans le parchemin, Zurich, 1310. Uni- diévaux, c'était une écharpe ou un “fourreau”. Je suppose que c'était
versity Library, Heidelberg. plus probablement une lingerie beaucoup plus intime de la garde-robe
de la Dame.

La moralité sexuelle au Moyen Age se déploya sur le champ de bataille entre le désert de la ceinture de
chasteté et le pays enchanté des petites culottes mouillées.

Le Chant de l'Aube
“'La moralité ordinaire' peut être simplement considérée comme un masque de l'hystérie sexuelle - un
fardeau qu'aucun humain ne mérite de porter. 'La liberté sexuelle', dans le cadre d'une éthique d'amour,
pourrait alors être perçue comme un cadeau offert à tous les amants sincères du bien aimé, ou de la
bien-aimée, véritable”. Peter Lamborn Wilson, Sacred Drift.

En introduisant le sujet de l'amour sans retour, j'ai proposé de s'écarter de la notion communément
répandue selon laquelle il représentait une obsession mystico-sexuelle mâle pour une femme inatteigna-
ble. Rien ne pourrait plus être éloigné de la vérité et la poésie des troubadours valide mon interprétation
beaucoup plus que la conception conventionnelle.

L'amour qui ne cherche pas de retour s'auto-réalise. Il transforme celui qui aime quoi qu'il fasse au Bien
Aimé, à la Bien Aimée. Tel est le pouvoir du Bien Aimé, de la Bien Aimée, qui est à la fois le bénéficiaire et
le miroir réfléchissant de la puissance transformatrice propre de l'amour. Cette transaction se doit d'être
intimement personnelle afin qu'elle puisse transporter ses participants au-delà de la personnalité. Il a été
affirmé que dans la théophanie Soufi de la bien aimée, la femme individuelle était tout simplement un
miroir pour la Divinité. Mais ce ne fut certainement pas le cas avec l'amour courtois. Dans sa conférence
de 1967, La Mythologie de l'Amour, Joseph Campbell a précisé cette différence:

“ Dans les divers contextes du mysticisme érotique Oriental, que ce soit en Inde ou en Proche-Orient,
la femme est mystiquement interprétée comme l'occasion pour l'amant de faire l'expérience des pro-
fondeurs les plus sublimes de l'illumination transcendantale - à l'image de l'admiration de Dante pour
Béatrice. Au contraire des troubadours. Pour eux, la personne bien aimée était une femme et non pas
la manifestation d'un quelconque principe divin: et plus spécifiquement cette femme. L'amour était pour
elle”.

Si, par exemple, la dévotion pour cette femme particulière n'était pas consommée sexuellement, la
dynamique transformatrice de l'amour sans retour était quand même à l'oeuvre. L'amant ne deman-
dait pas que son amour soit retourné par des faveurs intimes. Mais lorsque la passion de l'amant était
consommée, la dynamique était à l'oeuvre d'une autre façon. L'amour sans retour n'exigeait pas de rela-
tion sexuelle mais ce n'est pas pour autant qu'il la déniait ou l'excluait. C'est ce que la “liberté sexuelle”
signifiait pour certaines personnes au Moyen Age.

Maintenant, d'aucuns pourraient protester que je transforme l'amour courtois selon mes désirs, sans
tenir compte des évidences. Le fait est que de nombreux poèmes de troubadours expriment que le poète
ne possède pas la faveur intime de sa dame. Elle appartient à un autre. Il ne peut même pas la toucher
avec un bâton de trois mètres. Il semblerait que les troubadours se lamentent tout en célébrant l'inac-


cessibilité de l'objet suprême de leur désir. Bien souvent, le poète nous dit que la Dame qu'il célèbre et
qu'il adore est inatteignable. L'amour de lointain est un attribut classique de la poésie des troubadours.

Les érudits ont cru les poètes sur parole mais j'avancerai que les érudits ont été dupés tout comme
étaient dupés les gens de cour où les troubadours chantaient. Le propos de chanter des louanges à
la dame inatteignable était de faire croire à son mari et sa suite qu'elle n'avait pas donné au poète ce
précisément dont il se lamentait n'avoir pas reçu d'elle. C'était la manière la plus évidente de protéger
la passion extramaritale et illicite célébrée dans l'amour courtois. Il n'y avait rien d'éthéré et de non
consommé dans la romance des troubadours mais il fallait déguiser la rencontre sexuelle. En bref, les
bardes faisaient semblant.

Cependant, cette tactique n'était pas originellement de mise. Les premières lyriques de troubadours, qui
aient survécu, attribuées à Guillaume IX de Poitiers, vers 1136, conviaient l'éthique du vestiaire. L'im-
pulsion sexuelle est crue et non déguisée et le poète obtient exactement ce qu'il est venu trouver. Et il
s'en va ailleurs pour une autre quête. La description célèbre par Guillaume du circuit du con - cet essai
est probablement déjà trop risqué au goût de certains - reflète les appétit sexuels du machismo médiéval
épris de diversité et de conquêtes. Ce n'est qu'avec les poètes des époques ultérieures que le raffinement
prend place et que le sentiment sincère religieux pour le sexe entre en jeu.

L'amour courtois, cependant, n'a jamais perdu son aura érotique. L'alba, ou poème de l'aube, est l'une
des formes les plus belles de la lyrique des troubadours. Il célèbre le moment où le poète doit prendre
congé de sa Dame en secret afin que leur liaison nocturne ne soit pas suspectée. Il est évident que cette
précaution ne ferait aucun sens s'ils n'avaient pas partagé une intimité sexuelle. Certains poèmes célè-
brent ouvertement la beauté du corps de la femme nue dans la lumière de l'aube. La luminosité douce de
la forme adorée déborde de rayonnement mystique comme si elle était enchâssée dans un embrasement
surnaturel. Ezra Pound, qui traduisit de nombreux poèmes de troubadours, souligna que “la 'Dame' dans
la poésie Toscane a assumé toutes les propriétés de la Pierre Alchimique” (The Spirit of Romance, page
90). Dans le culte de l'amour, le corps de la dame était contemplé avec le même émerveillement que le
Graal. D'une certaine manière, et pas juste métaphoriquement, la forme charnelle de la femme était une
épiphanie de la Lumière Sacrée.

Durant certains moments, et dans certaines ambiances, la Femme et le Graal ne faisaient qu'un.

Pour les troubadours tout comme pour les chevaliers Arthuriens, une femme particulière était toujours le
catalyseur de l'expérience du Divin Féminin mais de ce fait, cette femme n'était pas simplement le miroir
pour une théophanie. Elle n'était pas simplement un moyen justifiant la fin. L'amour qui lui était prodi-
gué était une fin en soi. C'était, sinon l'équivalent, du moins sûrement le complément parfait de l'amour
spirituel pour Sophia, dont le nom est Sagesse, dont le corps est la Terre.

D'une manière subtile découverte au Moyen Age, que nous sommes encore en voie de découvrir, l'amour
pour la beauté physique de la Terre fusionne avec l'amour qui peut être ressenti durant l'intimité char-
nelle. Les adeptes du Tantra en Asie affirment que la Divinité suprême de la Nature, Shakti, se manifeste
spontanément dans l'union sexuelle. Le culte de l'amour semble avoir été un héritage et un approfondis-
sement de l'expérience Tantrique Asiatique plutôt qu'une modification de la théophanie Soufi. Il se peut,
cependant, qu'il soit passé, via la connexion Sufi, de l'est à l'ouest. Par une transposition étonnante, la
mystique Tantrique d'Asie imprégna la religion de l'amour romantique en Occident. Par un détour encore
plus étonnant de l'histoire, la religion hérétique prospéra dans le culte du guerrier, du chevalier Arthu-
rien.

Dans l'Amour Sacré, la Lumière Sacrée trouva son terrain de réflexion. D'une certaine manière, la Lumière
Organique des Mystères joua autour de la figure de la Dame et rayonna de son aura physique. Cette aura
de luminosité charnelle est réellement mystérieuse et peut être difficile à expliquer pleinement en forme
écrite parce qu'elle appartient à une dimension ineffable et inviolable de la révélation Sophianique.

John Lash. Flandres-Andalousie. Mai-Juin 2006.

Traduction de Dominique Guillet.


Une Histoire Alternative du Graal
8. Foi Incarnée

John Lash

La Voie Occidentale de la Passion Transcendante


Dans une très grande mesure, le pouvoir du Mensonge Paternel consiste à nous convaincre que l'amour
entre les êtres humains ne peut pas conférer la très grande assurance qui provient de la foi en Dieu, ou
la foi en l'amour de Dieu, si l'on préfère. L'assurance que nous sommes aimés par un parent divin qui
nous garantit la vie éternelle après notre mort et qui, dans cette vie éternelle, nous réunit avec ceux que
nous avons aimés durant notre brève vie mortelle est une proposition à laquelle il est dur de résister.
Telle est la “police d'assurance post-mortem” qui nous est offerte par la religion de la rédemption. Pour
avoir droit aux compensations prévues par cette police d'assurance, il vous faut croire dans la puissance
supérieure qui les offre, le dieu paternel. La croyance dans le dieu paternel requiert d'adhérer à une his-
toire déclinant la création du monde, la chute de l'humanité, la venue du messie, et le châtiment à payer
à la fin du monde. En bref, la police d'assurance se présente comme un contrat global. Pour le bénéfice
ultime, c'est à dire la réunion avec ceux que vous aimez durant la vie éternelle après la mort, il vous faut
payer l'offre totale.

Mais existerait-il une autre voie pour acquérir l'assurance de la vie éternelle offerte par la religion sans
adhérer à aucune religion? Ce serait assurément la voie de la passion transcendante sur le chemin Oc-
cidental de la Romance.

Amour Sacramental
“C'est du pain pour les coeurs nobles
Par cela, leur mort vit en nous
Nous lisons leur vie, nous lisons leur mort
Et cela a pour nous la douceur du pain
Leur vie, leur mort, c'est notre pain.
Leurs vies vivent ainsi, ils vivent même morts
Et leur mort est le pain des vivants”

Prologue de Tristan par Gottfried de Strasbourg.

Lorsque Gottfried écrivit ces lignes autour de 1220, il attira l'attention de l'Eglise Romaine. Le Pape
dépêcha une brigade d'intervention idéologique à Strasbourg afin de questionner le poète sur ses envo-
lées littéraires comparant la passion charnelle au Saint Sacrement. Il est à souligner un fait concernant
l'Eglise sous tous ses avatars, Catholique Romaine ou autre: c'est le peu de tolérance qu'elle témoigne
pour des visions alternatives concernant les questions de la vie les plus existentielles. Les agents de la
Foi ne peuvent concevoir une chose telle que la coexistence pacifique. Il n'était pas permis à Gottfried, et
à la culture des amoureux courtois qu'il représentait, de coexister avec les dévots. Vivre et laisser vivre
n'est pas, et n'a jamais été, une politique de la religion de la perpétration.

Aux 11 ème et 12 ème siècles, quelque chose se réveilla dans la vie de l'âme de l'Occident qui représen-
tait un immense danger pour l'autorité pontificale et ecclésiastique. Le danger se fit jour dans la sphère
la plus intime de l'expérience humaine, à savoir celle de l'amour et de la sexualité. Dans un commentaire
sur Tristan, Joseph Campbell écrivit que “le mode du sentiment, l'érotique, fut le premier à réveiller
l'homme Gothique de sa torpeur juvénile sous l'autorité” mais l'homme Gothique de l'Europe médiévale
ne dormait pas. L'esprit érotique Païen avait été brutalement réprimé par les sbires du Christianisme.
Mais les 12 ème et 13 ème siècles furent témoins d'une résurgence de l'ethos Païen, transmuté en une
nouvelle forme sociale: l'amour courtois.


Dans l'amour et la mort de Tristan et Yseult (liebestod), l'amour romantique atteint son paroxysme
transcendantal. Il présentait ainsi une grave menace pour les promesses et les prétentions religieuses,
particulièrement la police d'assurances pour l'après-vie. Le feu spirituel de l'éros émergea tel un phénix
glorieux des ruines fumantes de l'antiquité Païenne. Campbell écrivit dans Creative Mythology: “Le
langage de Gottfried affirme qu'il y avait ceux qu'ils appellent nobles dont les vies recevaient de ce feu
spirituel la même nourriture que l'amoureux de Dieu recevait du pain et du vin du sacrement”.

Ces gens nobles étaient les héritiers de l'esprit érotique des Mystères. Comme nous l'avons expliqué du-
rant les leçons 1 et 2, la Noblesse de l'Europe médiévale était imprégnée de l'idéalisme transpersonnel
de la Gnose qui devint, à son tour, le germe de l'humanisme de la Renaissance. Parmi les Telestai, le
service, l'éducation et l'illumination étaient les termes de la consécration mais il existait également un
élément érotique et orgiastique dans l'expérience des Mystères. La Romance jaillit de la fertilisation de la
vie de l'âme médiévale par une mystique érotique transpersonnelle, le charme rémanent de la spiritualité
Païenne dont l'amour charnel et la passion mystique étaient des éléments co-émergents. Dans l'expé-
rience des Mystères, l'illumination était toujours équilibrée et complémentée par la sensation érotique.
La contemplation de la Lumière Organique est l'apothéose de la sensualité, mais elle n'incite pas, cepen-
dant, à un quelconque désir pour une union sexuelle. Cela vient par la suite car les sentiments érotiques
et romantiques fleurissent dans les reflets lumineux sensuels de la révélation suprême.

Ce que les chevaliers Arthuriens protégeaient, ce n'était pas seulement les membres individuels ou
même les communautés cachées formées par ceux qui gardaient la révélation Sophianique et son su-
prême secret, le chemin d'instruction par la Lumière. Ils protégeaient également l'ambiance indéfinissa-
ble générée par ces hommes et ces femmes, à savoir le charme profondément érotique des Mystères.
Toutes les aventures chevaleresques étaient vécues dans une atmosphère surchargée d'érotisme et
d'intenses passions. Lorsque la mystique Arthurienne fut ravivée au 19 ème siècle par Tennyson, Dante
Gabriel Rosetti, Burne-Jones, Waterhouse et d'autres, elle véhiculait la même intensité érotique. En fait,
l'Ere Victorienne de répression, et d'hypocrisie, dans les moeurs sexuelles présente des parallèles très
proches avec le Moyen Age... mais n'anticipons pas sur ces sujets qui seront évoqués dans la leçon 12
“The Trouble With Love”.

L'ambiance mystico-érotique des Mystères s'exprima dans des joutes scolastiques développées par
Ibn'Arabi et d'autres et assuma une expression poétique et dramatique dans l'art des troubadours; les
chevaliers et les dames de la Quête du Graal, cependant, l'expérimentèrent de façon très vivante et ex-
travagante. De nombreux facteurs entrèrent en jeu pour promouvoir cette sublime convergence:

Sagesse - Femme - Guerrier

C'était - et cela l'est encore - la trinité sacrée de l'amour romantique.

Un Daemon Puissant
Mais le simple amour humain ne peut assurer sa continuité après la mort - c'est ainsi que protestent les
patriarches barbus qui parlent au nom du dieu paternel. Bien sûr, ils ne s'affichent et ils ne s'expriment
pas de façon aussi ouverte. Ils persuadent et, si possible “convertissent” par suggestion et insinuation
car l'intimidation et les menaces ouvertes leur donneraient, de nos jours, une mauvaise réputation (les
conversions apocalyptiques sont encore effectuées en Afrique à main armée). Les maîtres paternels af-
firment de nombreuses choses pour impliquer que l'amour humain est inadéquat pour affronter les défis
ultimes de la vie. Ils prétendent que la foi en une divinité extra-terrestre confère des assurances spé-
ciales que l'on ne peut obtenir de toute autre façon. Cette exclusion catégorique est préméditée de telle
sorte à vaincre toute velléité d'espoir que nous pourrions entretenir quant à la puissance de la passion
et de l'amour mortels dans le cadre bref de notre vie mortelle sur terre. En plus de cela, les patriarches
insistent sur le fait que même l'amour mortel doit être dirigé au-delà de la sphère humaine. L'impulsion
romantique que nous ressentons de façon naturelle - notre inclination primordiale vers l'amour, si l'on
préfère - doit être dirigée vers le dieu créateur et doublée d'une acceptation de l'amour du créateur pour
nous. Dieu vous aime. On nous fait croire que c'est le message le plus merveilleux sur terre et qu'il convie
cette assurance d'un amour qui perdure dans une vie au-delà de ce monde.

Nombreux sont ceux qui croient avec ferveur que Dieu les aime et quoi qu'il leur arrive dans la vie, en
bien ou en mal, ils l'attribuent à l'amour de Dieu comme s'il était dirigé vers eux personnellement. Je
dirais que ce n'est pas une croyance puissante et décisive même si elle apparaît ainsi à ceux qui y adhé-
rent. Mais ce qui est réellement puissant dans cette croyance, c'est la dénégation qu'elle dissimule. Une
dénégation confère toujours un simulacre de transcendance, un sentiment faux de maîtriser les choses


qui sont inacceptables ou intolérables, telles que l'injustice et la perte. Plus la dénégation est profonde et
plus grande la transcendance qu'elle semble conférer. Transcendance, dans ce contexte, signifie surpas-
ser quelque situation dans les dures réalités de la vie qui triomphent, ou paraissent triompher, de l'esprit
humain. Par exemple, surpasser la mort, la perte et l'injustice.

Pour la majorité d'entre nous, il est très angoissant que nous puissions aimer profondément les autres
et en être séparés par la mort. D'autres types de pertes sont également insupportables et nécessitent
un soutien ou une autre compensation de quelque sorte. L'injustice patente de ce monde est particuliè-
rement intolérable. Ces trois catégories englobent tout ce qui menace le plus profondément de vaincre
et d'anéantir l'esprit humain. Mais nous pouvons vivre avec ces expériences, et même avoir l'impression
de les transcender, grâce aux assurances données par la foi en la divinité paternelle. C'est du moins ce
que l'on nous prie de croire.

En bref, l'idéologie religieuse de la transcendance souligne les limites inhérentes à la vie mortelle hu-
maine afin de promouvoir un agent de gardiennage qui siège au-delà de ces limites et cette idéologie
insiste sur le fait que seul ce gardien peut nous conférer la force de faire face à notre destin terrestre.
Afin d'étayer leur position, les idéologues religieux doivent dévaloriser la profondeur et l'intensité de tout
ce que nous pouvons ressentir et connaître dans le cadre de nos limites mortelles. En d'autres mots,
ils doivent réduire l'humanité à l'impuissance afin de justifier l'appel aux puissances supérieures. Reich
dévoila cette stratégie:

“L'homme religieux est devenu, en réalité, totalement impuissant... Plus il devient impuissant et plus il
obligé de croire en des forces surnaturelles qui le soutiennent et le protègent. Ainsi, il est aisé de com-
prendre que, dans certaines situations, il est également capable de développer un pouvoir incroyable de
conviction et, qui plus est, une indifférence passive vis à vis de la mort. Il tire ce pouvoir de son amour
pour sa propre conviction religieuse... portée par des sensations physiques hautement agréables. Il croit,
naturellement, que ce pouvoir émane de “Dieu”. En réalité, cet intense désir pour Dieu est le désir qui
provient de son excitation sexuelle et de sa revendication de relâchement. La délivrance n'est, et ne peut
être, rien d'autre que la délivrance des tensions physiques insupportables qui ne peuvent être source de
plaisir que tant qu'elles sont perdues dans une union fantasmique avec Dieu, c'est à dire avec la gratifi-
cation et le relâchement”. (La psychologie de masse du fascisme).

C'est un bon résumé de l'argument récurrent de Reich selon lequel l'émotion religieuse et mystique dans
les principaux systèmes de foi est un déplacement de l'énergie sexuelle réprimée qui dévie aisément
sur le plan social vers le fascisme et sur le plan personnel vers le sado-masochisme. La foi, dit-il, est la
passion que les gens ressentent à aimer leurs propres convictions. Cela a peu à voir avec le fait d'aimer
Dieu ou d'être aimé de Dieu et cela à beaucoup à voir avec le narcissisme, la pathologie fondamentale de
l'Age des Poissons. Dans l'expérience religieuse des masses, la déconnection du corps et des sens emplit
les croyants de zèle parce que l'Eros réprimé se manifeste sous la forme d'un fantasme désincarné mais
ne perd cependant rien de sa force originelle de par cette conversion.

Diotine enseignait à Socrates qu'“Eros est un puissant Daemon”. Elle lui dit qu'il est l'intermédiaire entre
la sphère divine et la sphère humaine. Eros est tel un courant électrique qui peut charger nos corps mais
il peut également charger n'importe quoi que nous puissions imaginer d'une façon désincarnée et il agit
ainsi en toute indifférence. En d'autres mots, Eros reste le pouvoir intermédiaire qu'il nous connecte de
façon corporelle au Divin ou tout simplement à un fantasme au sujet du Divin. C'est pourquoi il est si
difficile de triompher d'expressions déplacées et désincarnées de l'Eros dans la religion et le fascisme (“le
complexe mystico-militaire”, comme l'appelle Reich).

L'Amour et l'Armure
L'expression “amour courtois” fut inventée par l'érudit Français Gaston Paris (1839-1903) et jamais
n'exista durant les temps médiévaux. Au 12 ème siècle, une femme était considérée comme “courtoise”
lorsqu'elle était enjouée, pleine de vie, joviale; ce terme avait peu à voir avec la politesse et le forma-
lisme. Le terme “courtois” appliqué à un homme signifiait décent, honorable. Dans son espace-temps
d'alors, le phénomène de l'amour courtois était appelé (en Occitan) fins amor, “amour sophistiqué” et
amor enansa “amour exalté”, c'est à dire, amour transcendant. Le verbe Occitan anantir signifie “avan-
cer, exceller, s'élever au-dessus”. Il est clair que l'amour courtois était appréhendé par ceux qui l'expé-
rimentaient réellement comme un chemin de transcendance. En tant que tel, il présentait une menace
sérieuse à la transcendance fondée sur la foi promise par l'Eglise Romaine.


Durant les temps médiévaux, la Romance était la re-
ligion de l'amour transcendant et ceux qui la prati-
quaient n'étaient absolument pas séduits par la trans-
cendance religieuse. Il n'est pas étonnant que l'Eglise
cherchait à exterminer les Cathares et les trouba-
dours. L'amour romantique était tout autant une me-
nace pour la promesse, par l'Eglise, d'une récompense
divine que l'hérésie Gnostique l'avait été des siècles
auparavant. La campagne de génocide contre l'hérésie
de l'amour culmina en 1244 avec la destruction totale
par le feu des derniers bastions de la forteresse Catha-
re de Montségur. Les mercenaires du pape Innocent
III exterminèrent, en même temps que les hérétiques,
la population locale par milliers: plus de 30 000 per-
sonnes à Béziers en une seule journée. Lorsque qu'un
chevalier à l'épée violente demanda à son supérieur
comment distinguer les hérétiques des fidèles, celui-
ci lui répondit : “Tuez les tous. Dieu reconnaîtra les
siens”.

Avec un recul de 800 années, il est difficile de per-


cevoir comment la classe guerrière brutale du Moyen
Age pourrait avoir accueilli l'hérésie de l'amour. En
quoi les chevaliers en armure de la Table Ronde peu-
vent-ils être comparés aux mercenaires en armure
de la Croisade des Albigeois? Par coïncidence, le mot
moderne Français amour s'épelle quasiment comme le
La Belle Dame Sans Merci par J. W. Waterhouse, 1893. mot anglais armor (armure en Français) qui désigne
la protection métallique portée par les chevaliers. L'at-
trait de l'amour sortit l'homme médiéval hors de son armure - ou, comme Reich l'aurait dit, hors de “son
armure caractérielle”. L'essence de l'attrait était la tendresse. La force de la tendresse était parfois si pro-
fonde et exquise qu'elle pouvait surmonter la force brutale de la virilité. La Belle Dame Sans Merci, celle
qui incarne la tentation de la tendresse, est une simple jeune fille délicate qui peut désarmer l'homme
en armure le plus puissant.

De façon surprenante, il existe beaucoup d'émotion à l'état pur dans la veine


Arthurienne. Les chevaliers machos font preuve de traits étonnants de vulné-
rabilité. Dans de nombreuses aventures, les chevaliers sanglotent de peine ou
de gratitude au vu et au su de tout un chacun. Ils se retrouvent totalement
vulnérables faces aux invitations à la tendresse provenant de jeunes demoi-
selles, telles que celle qui est dépeinte dans la peinture ci-dessus de J. W.
Waterhouse, la jeune nymphe dans l'herbe, mais provenant tout aussi bien
de dames zaftig et d'âge mûr, lourdement empreintes de charme hormonal,
telle que la Baronne Orguleuse, que nous rencontrerons dans les aventures de
Gawain, dans la leçon 9. Un troisième type de femmes, représenté par Arnive,
la mère du Roi Arthur, et diverses autres dames âgées de Camelot, jouèrent
aussi intensément sur le côté tendre des guerriers médiévaux.

La position du chevalier médiéval qui se lançait dans les aventures de la Ro-


mance était relativement précaire parce que ces hommes se devaient d'être Monsegur
des exemplaires de la prouesse masculine mais non point des agents du pou-
voir patriarcal. Dans mon ouvrage “The Hero” qui comprend une longue section sur l'amour Romantique,
j'ai proposé d'établir une distinction entre un héros et un champion. Le premier est un homme dont le
pouvoir est consacré à la Femme Divine (ou à la Déesse) tandis que le second est un homme qui tire son
pouvoir en opposant et éliminant la Femme Divine et tout ce qu'elle représente. Une telle distinction n'a
jamais été établie, pour autant que je le sache. Elle permet de mettre en valeur que la masculinité et le
pouvoir de l'homme ne sont pas intrinsèquement opposés à la féminité et au pouvoir de la femme.

La loi du patriarcat requiert que les hommes s'arment, non pas seulement pour imposer leur force dans
le monde mais pour résister au Féminin à l'extérieur et pour refuser ou dissimuler sa présence à l'inté-
rieur, en eux-mêmes. Sur le chemin du héros, l'homme explore sa relation à la Déesse, et à une femme
particulière, et atteint ainsi à son réel pouvoir en tant qu'être humain. Selon l'interprétation développée
dans mon ouvrage, le héros authentique est un homme qui développe son pouvoir contre le patriarcat,
plutôt que de le soutenir. Il triomphe de l'armure au service de l'amour.


A la suite de la destruction des Mystères, l'Europe fut dominée par une
religion patriarcale de rédemption extra-terrestre. Le Christianisme Ro-
main prona la haine des femmes, considérées comme des instruments
du Diable, et le dégoût pour le monde sensuel. En adhérant à cette
nouvelle foi, les croyants sombrèrent dans le délire et l'illusion, une
psychose de masse selon les mots de Reich. Le fanatisme religieux du
Moyen Age est la preuve évidente de ce système illusoire. Durant de
nombreux siècles, l'Eglise Romaine proclama qu'il fallait transcender
ce monde, tout en maintenant des armées entières d'idéologues et de
mercenaires pour contrôler le monde qu'elle rejetait. Une grande partie
des hommes armés de l'époque étaient au service de l'Eglise. Ces sol-
dats endurcis à cheval (chevaliers) étaient sous le commandement de
patriarches à la barbe blanche qui définissaient les doctrines de la Foi
Unique et Véritable. Le pouvoir exécutif de l'Eglise était dans les mains
de ceux qui commandaient sa puissance militaire, à savoir les papes et
L'Arche de l'Hérésie: les ruines de la les évêques. Ces tyrans paternels étaient les armes de destruction de
forteresse Cathare de Montsegur. l'époque: des démagogues blancs mâles. (Note du traducteur: le jeu
de mot est intraduisible en Français, White Male Demagogues, WMD,
Weapons of Mass Destruction). Les chevaliers en armures dans les rangs
des croisés et dans les milices féodales étaient aux premières lignes dans les campagnes lancées par les
démagogues.

Selon les récits conventionnels de l'histoire, l'Europe fut façonnée par les grands événements accomplis
par l'Eglise Romaine, à savoir par les guerres et les actes de domination, dont le massacre des Cathares
et des Albigeois dans le sud de la France qui mit soudainement fin à la riche tradition orale et littéraire
qui y fleurissait à l'époque de l'amour chevaleresque et des troubadours. Mais dans l'histoire parallèle,
un autre récit vient à la lumière. Certains des hommes en armures ne se mirent pas au service de la
culture de domination. Ils ne participèrent pas aux conquêtes et conversions mais plutôt partirent en
quête d'aventures à la coloration romantique, mystique et surnaturelle. Leur expérience dépendait de la
complicité de femmes qui les inspiraient et les guidaient, qui leur conféraient du pouvoir et leur permet-
taient ainsi d'accomplir une vocation spirituelle dans le cadre du chemin guerrier. L'éthique du partage
de pouvoir était fondamentale à l'amour courtois: le chevalier investi de pouvoir par une femme était
capable d'exercer sa virilité en toute noblesse et héroïsme et non point par des actes de brutalité et de
vantardise au service des dominateurs patriarcaux. Ces hommes qui agissaient ainsi connaissaient par-
faitement ce contre quoi ils s'opposaient. AMOR versus ROMA était un graffiti de l'époque. ROMA signifiait
non seulement l'Eglise avec son programme de rédemption extra-terrestre mais le “complexe mystico-
militaire” (selon les termes de Reich) du Christianisme Romain. En tant qu'amoureux de la Femme et en
quête du Graal, les chevaliers Arthuriens résistèrent à la fois aux doctrines religieuses et à la machine
militaire et armée utilisée pour les imposer.

Tantra Occidental
“Le point réel en question, au travers des siècles de persécution par le Christianisme, n'a jamais été la
foi en Dieu mais la foi en la Bible en tant que parole de Dieu et la foi en l'Eglise (telle ou telle Eglise) en
tant qu'interprète de cette parole”. Joseph Campbell dans Creative Mythology.

Ceux qui suivaient le code d'amour romantique (et ceux qui le suivent encore de nos jours) étaient li-
bres de croire en Dieu, mais non pas en la version de Dieu imposée par les mâles démagogues blancs.
Il est plus que probable que la passion romantique en Occident entretenait des convictions quant à une
Divinité surhumaine quand bien même elle offrait une alternative à la foi rédemptrice. ROMA interdisait
AMOR mais AMOR n'excluait pas les convictions religieuses concernant le Divin. Mais ce n'était pas ces
convictions que les autorités Romaines voulaient que les peuples embrassent.

La conviction selon laquelle la passion charnelle pouvait assurer l'union immortelle des amants était au
coeur de la religion médiévale de l'amour. Le liebestod, le thème de l'amour et de la mort de Tristan et
d'Yseult est une illustration de cette croyance. Ces amants ne croient pas en un Dieu qui les sauve de
la mort et ils n'enfantent pas non plus une progéniture afin de tenter d'acquérir une sorte d'immortalité
biologique. La passion charnelle est pour eux l'instrument par excellence de l'immortalité. L'attraction
sexuelle et, qui plus est, la chimie sexuelle en soi ( le “philtre d'amour” dans Tristan) sont simplement
les catalyseurs d'une telle passion. Mais ce sont de puissants catalyseurs!


Il y a des années, en présentant Tristan à l'Institut pour la Mythologie Créative de Santa Fé, j'ai proposé
que la Romance Arthurienne et l'éthique des troubadours soient considérées comme un chemin d'illumi-
nation sexuelle. Une sorte de Tantra Occidental, si vous le préférez. (Dans un des épisodes de Tristan, le
héros emprunte un faux nom de sorte qu'il ne soit même pas reconnu par Yseult. Il se nomme lui-même
Tantris). C'était, et c'est encore, un chemin spirituel authentique mais un chemin que les hommes et les
femmes empruntent spontanément, par le jeu libre de leurs passions et de leurs attractions plutôt qu'au
travers d'un cours formel de formation ou d'une initiation rituelle. L'illumination sexuelle requiert une
certaine ouverture pour l'expérimentation, ce qui ne veut pas dire une promiscuité aveugle, des relations
sexuelles avec des partenaires multiples, et la “baise sportive”. Tout au contraire, ce chemin exige une
très grande discrimination quant au choix des partenaires sexuels. La plupart des chevaliers Arthuriens,
dont Perceval, avaient plus d'une consorte.

La notion qu'une illumination par les moeurs sexuelles puisse avoir émerger d'une époque de répression
aussi intense que le Moyen Age Européen semble extrêmement bizarre à première vue, je l'admets, mais
dans l'histoire parallèle, cela revêt une importance capitale. L'élément essentiel à garder ici à l'esprit est
que l'amour sans retour était un phénomène psychospirituel spécifique d'une époque et d'un environne-
ment particuliers. Il fut inventé de façon expérimentale par des hommes et des femmes qui répondirent
à une vocation particulière. Les érudits affirment fréquemment que les “troubadours inventèrent l'amour
romantique” mais cette vérité étonnante n'est pas saisie en raison de la manière didactique et impas-
sible avec laquelle ils le disent. La Romance n'aura aucune signification pour nous aujourd'hui, et il n'y
aura rien que l'on puisse apprendre ou préserver d'elle, tant que nous ne prendrons pas conscience que
l'Amour Sacré n'est possible pour nous que parce que quelqu'un, avant nous, l'a réalisé. Il n'émergea
pas simplement de l'expérience humaine et ce n'est pas quelque chose d'inné dans le coeur humain. Le
grand amour existait dans l'antiquité Païenne mais non pas l'amour sans retour. Il fut élaboré de façon
intentionnelle lors d'une époque et dans un espace particuliers. Les conditions de son émergence furent
déterminées par l'ambiance des Mystères. Les exemples vivants de la Romance Arthurienne, aussi bien
les femmes que les hommes, étaient des initiés de la Lumière Sacrée tout autant que des initiateurs de
l'Amour Sacré.

La Romance n'est pas simplement un jeu sentimental que nous jouons de nos jours, c'est un héritage
culturel et spirituel profond qu'il nous faut choyer avec tact et intelligence. Un héritage extrêmement
problématique comme nous allons le voir...

Une Conviction Fondamentale


“Sans amour, personne n'est présent au monde”. Frederick Goldin dans Lyrics of the Troubadours
and Trouveres.

Il ne peut être, bien sûr, aucunement question de faire revivre la romance Arthurienne à notre époque.
Je ne cherche pas à suggérer, de par l'intérêt soutenu que j'ai prêté à ce genre littéraire, que l'on puisse
trouver dans le code et les conventions de l'amour courtois quoi que ce soit de vaguement pertinent
avec l'amour moderne. Les lecteurs qui souhaitent une bonne dose de chevalerie peuvent lire Eleanor
of Aquitaine and the Four Kings d'Amy Kelly. C'est sûrement l'un des livres d'histoires les plus riches,
les plus passionnants et les plus vécus de l'intérieur qui aient jamais été écrits. Ses descriptions sont
d'un vivant cinématographique et on se croirait presque plongé dans l'époque lorsque Kelly évoque des
scènes et des bruits de telle façon qu'elle semble écrire directement à partir d'une mémoire de réincar-
nation plutôt que de recherches livresques. Le chapitre 15, “la Cour de Poitiers”, est un mini-cours sur
la culture des troubadours et l'éthique sociale de la romance médiévale qui, à lui seul, vaut aisément le
prix de tout l'ouvrage.

Eléonore naquit en 1122, une année avant le moment nodal de 1123 qui marque la période du Haut
Moyen Age qui vit la moralité Chrétienne commencer à se déliter, remplacée qu'elle fut par les nouveaux
critères d'individualité qui fondèrent et inspirèrent l'Humanisme. Son grand-père était William IX d'Aqui-
taine sur lequel Kelly écrit:

“Le grand-père d'Eléonore, Guillaume IX, composa et introduisit la nouvelle poésie vernaculaire des
troubadours et son écriture même est la preuve de son vagabondage mental et de son extrême liberté
de penser. Sa poésie brille d'éclats du sophisme Ovidien et de riches couleurs romantiques de l'Espagne
Mauresque. C'est une poésie hautement structurée quant à la forme, intellectuellement subtile, vigou-
reuse, piquante, cynique, le passe-temps d'un bon vivant qui vivait chaque jour avec enthousiasme,
mangeait bien, dormait de bon coeur et ne se souciait que peu du jour fatidique du dernier jugement”.
(page 5).


D'Eléonore, Kelly dit: “Sa propre sagesse intérieure la prépara à rejeter les destinées imparfaites aux-
quelles elle avait été, pour ainsi dire, assignée... Elle n'était le pion ni d'un prince, ni d'un prélat, elle
n'était la victime d'aucun stratagème dynastique”. (page 158). Avec sa fille, Marie de Champagne, Eléo-
nore établit à Poitiers la célèbre “Cour de l'Amour” où les enfants des nobles familles étaient éduqués et
où de nombreux troubadours prospéraient, dont Bernard de Ventadorn, le poète personnel d'Eléonore.
Le credo personnel de Bernard était:

“Per bona fe e ses enjan


am la plus bel' e la melhor.
En tout bonne foi et sincèrement
J'aime la meilleure et la plus belle.”

C'est comme une paraphrase de l'engagement des Telestai dans les Mystères: d'aimer ce qui est le
meilleur et le plus beau dans la nature humaine, d'y croire et de le cultiver en toute bonne foi et sincé-
rité.

Agissant en “toute liberté de façonner leur propre milieu”, ces deux


femmes extraordinaires, Eléonore et Marie, se mirent à structurer
l'expérience de l'amour romantique en un système de conven-
tions. Ce n'était que des conventions, il est vrai. En fait, les règles
de la Cour de Poitiers furent élaborés par un clerc anodin employé
par Marie qui en vint à être connu sous le nom de “ Chapelain”
parce qu'il présidait, dans un rôle pseudo-religieux, sur l'idéologie
de la romance. C'était l'époque de l'apogée de l'expérience de
l'amour romantique, à la suite de cinq siècles de développement.
Les règles n'avaient que peu à voir avec l'expérience brute mais
elles n'auraient pas pu être inventées si cette expérience n'avait
pas été vécue en profondeur, au fil de nombreuses générations.

Il est évident que rien dans le code médiéval de chevalerie et rien


dans les conventions de la Cour d'Aquitaine n'a quelque chose à
Le Monde des Troubadours par Linda M.
voir avec l'amour d'aujourd'hui. Ce qui est pertinent, cependant,
Patterson
c'est la conviction fondamentale des amants qui vécurent l'expé-
rience intense de romance médiévale qui finit par être codifiée par Eléonore dans l'éthique sociale de la
chevalerie. Cette conviction, c'est leur héritage qui survit, le germe de l'expérience présente et future.
Cette conviction n'existait pas avant le Moyen Age. Plus tard, durant la Renaissance, elle eut tendance à
se perdre dans le culte de la personnalité qui était, ironiquement, le rejeton direct de l'éthique d'amour
courtois. En d'autres mots, la reconnaissance de la valeur intrinsèque de la personne dans l'humanisme
de la Renaissance fut le résultat direct de fins amor mais l'accentuation sur la personnalité, comme l'art
pour l'amour de l'art, éloigna la sensibilité humaine de l'amour sans retour. Avec la personnalité mise en
exergue, le besoin de gratification personnelle se fit intensément sentir. Cette inclination narcissique se
situait totalement à l'opposé de la dynamique sans réciprocité de l'amour romantique. Elle était en totale
contradiction avec l'abandon de soi dans le liebestod.

Quelle était donc précisément cette conviction? On peut répondre à cette question de deux façons, la
première par une paraphrase et la seconde par un poème.

La paraphrase: selon la conviction fondamentale de l'amour romantique, la foi en une divinité surhu-
maine et extra-terrestre n'est pas supérieure à la passion qui unit les amants car l'amour humain est
la foi incarnée. Quiconque le possède n'a pas besoin d'assurances supérieures au sujet de l'Au-Delà. La
garantie que les amants seront réunis après la mort provient de la force de leur amour mortel et non pas
d'un contrat avec une entremise trans-humaine. La qualité de l'amour authentique, qui se suffit et qui se
surpasse, est la preuve de sa propre endurance immortelle. Chaque amant ou amante enchâsse la vie
de son aimé dans sa propre vie afin que l'un ne puisse pas quitter ce monde sans l'autre (tel que cela
est dramatisé dans le liebestod) et afin qu'ils ne puissent pas être moins séparés qu'ils ne le sont dans
le moment le plus intime et le plus passionné d'abandon charnel.

“Sans amour, personne n'est présent au monde”. Cela constitue la moitié de la définition de la conviction.
“Avec l'amour, nous atteignons la présence de tout ce qui transcende ce monde”. Ce serait la seconde
moitié.

Telle est la conviction qui imprègne une grande partie de la poésie des troubadours. Je ne vais pas ten-
ter d'explorer ce genre merveilleux parce que cela demanderait trop de temps et d'espace juste pour
l'introduire correctement et je risquerais de nouveau d'exposer les lecteurs à l'amplitude fastidieuse de


ma perception du Moyen-Age. La plupart de ceux qui se sont plongés dans la poésie Provençale disent,
comme les buveurs qui se prélassent dans une publicité pour de la bière, qu'on ne fait rien de mieux.
Ce n'est pas dire que de meilleurs poèmes n'aient jamais été écrits avant ou après. C'est plutôt une ex-
pression de l'expérience totale que l'on atteint au travers de l'immersion dans l'éthique et la lyrique des
troubadours. C'est comme de savourer le nectar le plus exquis de langage, d'images et d'allusions et de
le transmuter en la liqueur rare que vous buvez.

Où aller afin de décanter cet antique breuvage, si vous en avez l'inclination: Lyriques des Troubadours
et des Trouvères. En fait, Guillaume IX composa ses poèmes pour être chantés en ayant recours aux
mêmes formes métriques que ses homologues Maures de l'Andalousie. Dans les Cantos (VIII), Ezra
Pound dit de la lyrique des troubadours: “Et Poitiers, vous savez Guillaume de Poitiers / a ramené les
chants d'Espagne / avec les chanteurs et les vielles”.

Il faut également consulter le rendu idiomatique moderne par le poète Beat Paul Balckburn dans Proen-
sa ainsi que l'ouvrage The Women Troubadours de Meg Bogen. Il y avait environ 23 femmes trouba-
dours et à peu près deux cent hommes. L'ouvrage d'Ezra Pound The Spirit of Romance est une lecture
essentielle pour s'orienter. The Pound Era de Hugh Kenner est une étude lucide et pleine de suspense
de la poésie médiévale et de sa dimension éthique, esthétique et spirituelle.

Quant au poème...

Empêtré Dans Le Blues


Un témoignage personnel: durant ma brève période à l'Université du Maine, avant que je ne fusse ex-
pulsé pour séchage de cours, j'eus la très grande chance d'être pris sous l'aile d'un professeur titulaire
de la chaire d'anglais, Carroll F. Terrell. Terry, comme il était appelé par ses amis, était un érudit de répu-
tation mondiale qui s'était spécialisé dans le modernisme et l'oeuvre d'Ezra Pound. Il lança la Fondation
Nationale pour la Poésie et géra, presque seul, deux journaux érudits “Paideuma” et “Sagetrieb” qui se
consacraient à la préservation des meilleurs éléments de la tradition moderniste initiée par Pound, Years,
Joyce, T. S. Eliot, H. D., Williams Carlos Williams et d'autres.

Je perdis Terry de vue après avoir quitté l'université et les USA en 1964 mais nous nous retrouvâmes
vingt années plus tard. Cette rencontre eut lieu lorsqu'il passait par Boulder, Colorado, pour donner une
conférence sur les Cantos de Pound à l'Institut Naropa. J'eus la chance de rencontrer Anne Waldman
et Ed Horn. Plus tard, Terry vint me rendre visite à Santa Fé. Il me lança dans la rédaction de poésie
en me dévoilant un secret du métier, “la forme de la ligne”. Il me donna également des modèles pour
m'entraîner, toute l'équipe Moderniste avec en plus les sources classiques et médiévales dont ils s'ins-
pirèrent. Mais plus que tout, il enflamma mon intérêt pour la poésie des troubadours, ce qui m'offrit la
première occasion d'être publié et ce plutôt en relation avec l'aspect Italien du genre plutôt que l'aspect
Français.

Ainsi que Hugh Kenner l'explique dans l'ouvrage The Pound Era, une haute valeur de la livre sterling
en 1919 permis au poète sans le sou Ezra Pound, et à son épouse Dorothy Shakespear, de faire le tour
des haut-lieux littéraires sacrés du sud de la France. Ils visitèrent Poitiers et se tinrent dans la salle où
la lumière ne projette pas d'ombres; ils montèrent au sanctuaire Cathare, Montségur. Pound traduisit
les troubadours Français mais il éprouvait aussi un profond intérêt pour les homologues Italiens, les fi-
deli d'amore, les Fidèles d’Amour. “Lorsque la Provence fut exterminée, la tradition de la lumière émigra
vers l'est, au nord de l'Italie” explique Kenner. Par “exterminée”, il entend le massacre des Cathares à
Montségur en 1244. Curieusement, “la tradition de la lumière “ est pour Kenner un vernis érudit pour
la poésie des troubadours - une expression qui évoque la Lumière Organique des Mystères, même si on
peut présumer que Kenner ne possède aucune notion de cette connection.

Le plus célèbre des troubadours Italiens était bien sûr Dante Alghieri (1265-1321), l'auteur de la Divine
Comédie. Mais derrière Dante se tenait un personnage moins connu, Guido Calvacanti (décédé aux en-
virons de 1300) qui était son instructeur et ami plus âgé. L'introduction de Pound par Terry me conduisit
directement à Cavalcanti et ce fut une révélation. Pour tout mon amour des troubadours, je ne pouvais
pas lire l'Occitan. J'avais déjà bien de la peine à me souvenir du Français enseigné au lycée. Mais Caval-
canti écrivit dans un dialecte Toscan très proche du Latin et je pouvais m'en sortir. Je dévorai The Spirit
of Romance et je plongeai profondément dans la mystique de Cavalcanti. Une oeuvre unique, au coeur
de cette mystique, est largement considérée comme le plus beau poème d'amour jamais écrit: Donna
Mi Priegha, Une Dame me Demande.


En vérité, Donna Mi Priegha, le DMP (ainsi que l'appelle les initiés selon Terry) n'est pas tant un poè-
me d'amour qu'un poème sur l'amour. En d'autres mots, il n'est pas composé en tant que déclaration
d'amour à une femme mais plutôt comme une réponse à une question posée par une femme sur l'amour.
En cohérence avec l'éthique de l'amour des troubadours, le poète acquiert de la femme qui pose la ques-
tion l'inspiration d'y répondre. Le DMP est ainsi quand même un grand poème d'amour tout aussi bien
qu'une explication de l'amour - en fait de l'amour à l'oeuvre.

Et quelle explication! Selon Pound, en l'espace d'une génération, la signification du poème constitua un
sujet brûlant de discussion dans de nombreux salons de toute l'Italie. Il était connu simplement sous le
nom “la canzone”. On pourrait dire, au top du hit-parade du 13 ème siècle. Et encore durant longtemps
après. Le poème devint d'autant plus énigmatique et insaisissable qu'il se répandit rapidement dans
d'autres pays. Le dialecte Toscan dans lequel Cavalcanti le composa était un sujet d'étonnement, même
à son époque. Et ce n'est pas étonnant. En voici un aperçu:

“Inmaginar nol puo hom che nol prova


E non si mova perch’ a llui si tirj
E non si aggirj per trovarvi giocho
E certamente gran savor ne pocho”

Cavalcanti composa le DMP en hendécasyllabes, en vers de 11 syllabes. C'est une chanson, composée
pour être chantée accompagnée d'un luth. Et quelle chanson! Amy Kelly souligna dans les lyriques du
premier troubadour Français, Guillaume IX, “une poésie hautement structurée quant à sa forme, intel-
lectuellement subtile”, et Cavalcanti, qui écrivit un siècle plus tard et dans une autre contrée, atteignit
l'apogée de ce genre intellectuel subtil. La complexité interne des concepts dans Donna Mi Priegha est
impressionnante. Il est impossible de transformer le poème en une chanson en capturant son essence
parce que la simplicité désarmante du dialecte Toscan recèle des sens et des implications de sens qui ne
peuvent se traduire aucunement en une récitation à chanter. On raconte qu'il y a eu une cinquantaine
d'essais de traductions du DMP en Anglais. J'en ai examiné cinq d'entre elles. Je pense que Terry en a vu
une douzaine. Pound travailla sur le poème durant des années et en publia deux traductions. Il en existe
une version dans The Spirit of Romance et une autre dans les Cantos (XXXVI) dans lesquels il rend
les vers ci-dessus de cette façon:

“Unskilled cannot form his image,


He himself moveth not, drawing all to his stillness,
Neither turneth about to seek his delight
Nor yet to seek out proving,
Be it so great or so small.”

Le lui en question est le sujet du poème, à savoir l'amour. Le DMP s'épanouit en une séquence de caracté-
risations flamboyantes, emboîtées les unes dans les autres, afin de décrire comment l'amour opère dans
des voies périphériques et extrinsèques, sans se révéler en tant que tel, mais cependant en conférant
son essence sur tout ce qui traverse son chemin. Pound ne tente pas de reproduire la canzone en chan-
son et je ne l'ai pas tenté non plus dans ma “traduction dans le sens” que Terry publia dans Paideuma,
durant le printemps 1986, avec un de mes commentaires. C'était la première pièce que j'écrivis pour être
publié. Terry affirma que ma traduction du DMP était la meilleure qu'il ait jamais vue.

Les hendécasyllabes utilisés dans le DMP sont extrêmement engageants. Cette technique des trouba-
dours révèle quelque chose d'ineffable et d'éternel dans l'art des poètes, une indication de la façon dont
l'émotion profonde adopte une cadence adaptée à sa force intrinsèque et communique ensuite cette
force au travers de la cadence... Et bien, Bob Dylan le pensait assurément. Dans la première chanson de
Blood on the Tracks, sorti en 1974, “Empêtrée dans le blues”, il décrit l'impact de sa découverte de
Cavalcanti (ou c'est du moins ce que je pense):

“Elle a allumé un brûleur au fourneau et m’a offert une pipe


J’croyais qu’tu dirais jamais bonjour dit-elle
T’as l’air d’un silencieux.
Puis elle ouvrit un livre de poèmes
Et me le tendit
C’était écrit par un poète italien
Du treizième siècle.
Et chacun de ces mots sonnait juste
Et luisait comme des charbons ardents
Ils se déversaient de chaque page


Comme si c’était gravé dans mon âme rien que pour toi,
Empêtrée dans le blues”

Dans Desire, qu'il sortit l'année suivante, Dylan utilisa les hendécasyllabes avec le plus bel effet, en
les alternant souvent avec des vers en décasyllabes: “J'ai épousé Isis le cinquième jour de Mai / Mais je
n'ai pas pu la retenir longtemps”. Parfois, la modulation vocale d'un phonème produit le hendécasyllabe.
C'est ce qu'Allen Ginsberg souligne dans les commentaires de l'album en citant le vers: “Hot chili peppers
in the noonday suh-un”. En bref, le troubadour Américain le plus célèbre de notre époque admira et appli-
qua les techniques poétiques de Cavalcanti. Dans Desire, Dylan paraphrasa la conviction fondamentale
de l'amour romantique:

“Oh, soeur, ne suis je pas un frère pour toi


Et quelqu’un méritant de l’affection ?
Et notre but n’est-il pas le même sur cette terre,
D’aimer et de suivre cette direction?”

Cette expression se fait intimement l'écho d'un vers dans le DMP qui l'a peut-être inspiré:

“Ch a tal volete per temere sperto


Hom seghue merto spirito che punto”.

“Il trace le chemin, même dans l'hésitation


Pour celui qui mérite de suivre sa direction”.

Ne me demandez pas comment mais, dans mon humble tentative de traduction du DMP, j'ai réussi à
rendre un certain nombre d'hendécasyllabes Toscans de Cavalcanti en vers de 11 syllabes en Anglais
ainsi que vous pouvez le voir ci-dessous. Plus de la moitié des vers de ma traduction sont en 11 syllabes.
Nonobstant leur façon de résonner lorsque chantés, certains vers sont d'une beauté étonnante quant à
leur cadence unique qui à la fois capture et libère leur sens le plus profond:

“Vien de veduta forma che s’intende


It comes from what is seen as it so intends,
Che ‘l prende nel possible intelletto
which is then taken unto the waking mind
Chome in subgetto locho e dimoranza
as a pure subject, fixed and yet abiding,
E in quelle parte mai non a possanza
and even in this, not to be possessed.”

Il faut garder à l'esprit que c'est quelqu'un qui chante au sujet de l'amour. Le DMP a été appelé une dé-
monstration scolastique de l'amour romantique. Dans mon essai, j'ai écrit: “Cependant, la description
scolastique de la façon dont l'Amour oeuvre réussit, tout au long, à conserver l'énigme intacte, de sorte
que le poème se présente comme une séquence de définitions exquises, qui s'empile les unes sur les
autres comme une ligne de dominos qui culbutent, de quelque chose qui n'est jamais rendu explicite.
Dans sa forme, le poème est une démonstration parfaite de non-direction.” Le pouvoir de l'amour, selon
au moins un troubadour, consiste à utiliser n'importe quoi pour faire son chemin. (Cela rappelle l'incom-
parable expression de Stephen Levine: “L'Amour est le vide de tout ce qui n'est pas amour”). Dans les
physiques lyriques de Cavalcanti sur l'amour, tout ce qui n'est pas amour est accidenti, les événements
et incidents au travers desquels l'amour nous éloigne de sa propre nature afin de nous capturer en son
pouvoir, un pouvoir souvent comparé à la lumière:

“E non si puo chonoschiere per lo viso


And not by knowing how its sheer appearance
Chompriso biancho in tale obbietto chade
Comprises light of such contrasting moods
E chi ben aude forma non si vede
And vivifies without becoming obvious—
Perche lo mena chi dallui procede
But by being led by what flows from it.”

Dans l'une de ses traductions, Pound a recours à la “lumière blanche” afin de traduire cette strophe: “But
taken in the white light (biancho) that is allness / toucheth his aim / Who heareth, seeth not form / But
is led by its emanation”. Je peux très bien comprendre comment Dylan alterna les vers en 10 et en 11
syllabes dans certaines de ses chansons. Je ne pouvais pas tomber toujours sur le bon nombre de pieds

10
pour une traduction sensée tel que dans les second et quatrième vers de la strophe ci-dessus. J'ai ce-
pendant réussi dans les premier et troisième vers. Le quatrième vers pourrait être rendu de cette façon:
“But in our being led by what flows from it” en amenant le vers à 11 pieds.

Donna Mi Prega est un poème perpétuellement pris dans un processus de traduction.

Il vous faut réciter et ressentir la forme hendécasyllabique pour expérimenter la qualité intérieure ex-
traordinaire de sa cadence: “Vien de veduta forma che s’intende - It comes from what is seen as it so
intends”. Ressentez cette cadence et ensuite considérez la signification, ce que le poète nous dit au sujet
de l'amour: il se révèle, non par lui-même, mais au travers de ce qu'il nous fait voir, dans la façon dont il
veut nous le faire voir. Ce vers tout simple, à mon avis, est une réfutation parfaite de la théorie Jungienne
de projection qui est souvent évoquée pour déconstruire et déprécier l'amour romantique (par exemple,
Robert Johnson, We - Understanding the Psychology of Romantic Love). Dans la romance authen-
tique, il n'existe pas de projection, c'est une non-direction qui se manifeste - si nous sommes fidèles à
l'amour, devenant la foi incarnée: “que de cette source unique naît la compassion” - vers l'essence de ce
que nous sommes, que seul l'amour révèle, et le fait précisément en ne se révélant pas lui-même.

Il y a plus à apprendre du DMP que de volumes innombrables de théologie et de psychologie.

Quoi que nous en fassions de nos jours, fins amor au Moyen Age atteignit une forme de passion transcen-
dante qui n'a peut-être jamais été recapturée depuis lors, à l'exception d'exemples isolés et sporadiques.
De façon paradoxale, l'exaltation de l'amour charnel à un niveau religieux se manifesta dans un monde
dominé par une religion qui condamnait le sexe comme un péché. AMOR versus ROMA. L'érotique n'était
pas craint par l'Eglise médiévale parce que c'était un péché mais parce qu'il est le catalyseur primordial
de l'amour immortel empreint de ces mêmes assurances que la religion prétend être la seule à offrir. Le
plaisir sexuel doit être condamné comme un péché fain qu'il ne soit pas perçu dans son rôle authentique
de vecteur de l'amour transcendant.

“Eros est un Daemon puissant”

John Lash. Juillet 2006.

11
Une Histoire Alternative du Graal
9. L’Histoire de la Guirlande Magique

John Lash

Fable Enthéogénique dans la Légende d'Arthur


“C'est le moment, maintenant, des histoires sauvages, qui peuvent chasser la joie et provoquer l'exu-
bérance - elles luttent avec ces deux”. Wolfram von Eschenbach. Parzival. Chapitre 10 (ouverture des
épisodes de Gauvain).

Après avoir étudié l'amour et la transcendance dans la Romance Arthurienne, au cours de plusieurs le-
çons, il est temps de reprendre un thème essentiel de la quête du Graal: la blessure du Roi Pêcheur. Il
pourrait sembler que nous ayons déjà abordé ce sujet sous plusieurs angles et que nous ayons déjà bien
cerné la problématique. Mais, en fait, nous n'avons pas encore élucidé la clé essentielle de cet élément
de l'histoire. Cette omission n'est sans doute pas surprenante car il existe un thème crucial de la Légende
du Graal qui a été négligé par presque tous les érudits qui ont écrit sur le sujet. Cette omission est dûe
à une astuce littéraire utilisée par Wolfram von Eschenbach pour tenir ses lecteurs à l'écart d'un secret
en en débattant de manière désinvolte et détournée.

C'est ainsi que le poète protégea le secret initiatique encodé dans la Légende.

Gauvain et Perceval
Les érudits qualifient la technique narrative de Wolfram d'entrelacement. Dans sa description de la quête
du Graal, le poète entrelaça le thème de la Quête avec un autre thème, apparemment secondaire, qui
s'exprime par les aventures magiques de Gauvain. Aux yeux des érudits, cela semble être un stratagème
de morale afin de contraster le caractère spirituel de Perceval avec le caractère mondain de Gauvain.
Les érudits nous prient ainsi de croire que deux types de chevaliers sont en scène, le type de Gauvain
ne méritant pas d'atteindre la réalisation suprême. Dans The Literature of the Middle Ages, W. T. H.
Jackson écrivit au sujet de Gamuret, le père de Perceval: “il se tient en dessous des grandes figures de
la communauté du Graal en raison de son manque d'inclination religieuse” (page 118). Il aurait pu en
dire autant de Gauvain.

Mais le héros secondaire Gauvain n'est pas ce qu'il paraît être. Afin de mieux percevoir comment les
aventures de ce fripon coureur de jupons encodent le sujet crucial de la Légende, revoyons l'histoire de
son jeune acolyte, Perceval.

La communauté noble du Graal vit sur le Mont Salvage dans la Terre Gaste, la terre dévastée: la nature
y est tombée dans un état de décadence, un reflet de la décadence de l'esprit humain. Bien qu'ils soient
sustentés par le Graal, les nobles de la famille du Graal sont incapables de partager cette nourriture avec
le reste du monde. Le roi du Graal, Amfortas, qui souffre d'une grave blessure aux cuisses ou à l'aine,
peut être soulagé de sa douleur, de façon temporaire, grâce à une application de la Lance en présence
du Graal; mais il ne peut ni être guéri complètement ni mourir de sa blessure. Il souffre d'un certain type
d'angoisse et, étrangement, la seule façon d'atténuer la douleur de sa blessure est d'y insérer l'arme qui
l'a infligée.

Cette situation étrange et tragique est complexifiée par une énigme concernant celui qui peut libérer la
famille du Graal de sa séquestration, guérir le roi et atteindre à la réalisation spirituelle suprême. Les
conditions présidant à cet événement ont été déterminées par les puissances supérieures et inscrites
dans le code étoilé du zodiaque. A certaines périodes, l'écriture céleste apparaît tout autour du bord du
Graal en expliquant comment elle doit se révéler par celui qui vient pour obtenir le Graal: il doit être le
fils d'une veuve qui arrive par chance au Mont Salvage, sans chercher délibérément l'endroit, et sans
connaissance préliminaire de sa mission. Le fait d'être un fou naïf et asocial le qualifie pour réaliser le


Graal mais, en même temps, l'empêche de poser les bonnes questions qui le guident vers cette réalisa-
tion. De plus, les écrits sur le Graal déclarent que nul membre de la noble compagnie ne peut, en aucune
façon, assister ou motiver le jeune chevalier. Il doit, de ses propres ressources, en venir à poser la ques-
tion au roi du Graal “Oncle, de quoi souffrez-vous?”.

Tel est le cadre curieux qui attend le jeune héros, Perceval. L'histoire de Wolfram nous conte, avec moult
détails, comment toutes ces intrigues se déploient sur un certain nombre d'années, incluant l'apprentis-
sage de Perceval avec Trevrizent entre deux de ses visites du château du Graal. Durant toutes ces an-
nées intermédiaires, l'entrelacement se développe. Pendant le temps que Perceval passe avec Trevrizent,
Gauvain s'en va par lui-même en quête d'aventures. Il rencontre Perceval pour la première fois dans le
chapitre 6 et ils s'en vont ensemble chevauchant, vers la fin du chapitre, avant de se séparer. Les cha-
pitres 7 et 8 décrivent les exploits espiègles de Gauvain, en amour et en chevalerie, tandis que dans le
chapitre 9, l'histoire revient à Perceval et à sa rencontre décisive avec Trevrizent. Les chapitres de 10 à
13 reviennent aux aventures de Gauvain en ne faisant quasiment aucune mention de Perceval. Dans le
chapitre 14, les deux héros sont réunis et l'entrelacement est achevé.

Telle est la structure narrative de Parzival. L'histoire est complexe et contient une énorme quantité de
détails. Wolfram mentionne 277 noms de personnages, dont ceux des chiens et des chevaux. Il y a plus
de 150 noms de localités, la plupart ayant été identifiés par les érudits avec des lieux-dits en France, au
Pays de Galles et en Angleterre. Il y a aisément matière à se perdre. De plus, les paramètres de l'intri-
gue, qui sous-tendent l'action et déterminent le destin du personnage central, sont à ce point particu-
liers, alors que le suspense s'intensifie jusqu'au moment décisif, que nous sommes enclins à négliger un
facteur crucial de l'histoire. L'insistance avec laquelle Perceval en vient à poser la question du Graal est
tellement forte que nous nous désintéressons de la réponse à la question. Il semble que la Quête soit
complétée lorsqu'il pose finalement la question à Amfortas. Mais qu'en est-il de la réponse à cette ques-
tion? En fait, y a-t-il vraiment une réponse ou non? Dans le chapitre 16, Amfortas ne répond pas lorsque
Perceval lui demande “Oncle, de quoi souffrez-vous?”. En d'autres mots, le vieux patriarche ne dit pas au
jeune chevalier (et non plus à l'audience) quelle fut la raison de sa souffrance.

Nous ne connaissons pas, à partir du déroulement de cette scène, (chapitre 16) ce qui fut la cause de la
blessure du roi du Graal même si nous sommes les témoins de l'acte qui le guérit.

Nul besoin de le dire, il existe quelque chose qu'il est crucial que nous sachions. Qu'avait Wolfram à
dire quant à ce qui provoqua la blessure d'Amfortas? En fait, beaucoup à dire. Mais ce qu'il sait, il ne le
dévoile pas dans le fil principal de l'histoire mais dans un fil secondaire d'entrelacement au travers des
épisodes de Gauvain. Ce qu'il ne déclare pas ouvertement, et qu'il ne peut pas déclarer, est décrit dans
une narration parallèle dont Gauvain constitue le personnage central.

Le Cri de l'Amour
Joseph Campbell consacre la plus grande partie de Créative Mythology, le quatrième volume de sa
tétralogie Les Masques de Dieu, à une nouvelle version et à l'interprétation de la Légende du Graal.
La nouvelle version commence au chapitre 8 et est étrangement appelée “Le Paraclet”. Il présente son
synopsis par chapitres ou Livres: “Livre I: la Reine Noire de Zazamanc” et ainsi de suite. Les livres
VII et VIII couvrent la première série d'aventures de Gauvain. Les livres X à XIV évoquent les aventures
subséquentes, au coeur de la fable enthéogénique. (Soyez conscients du fait qu'en traitant les livres
X à XIV, Campbell insère de longues digressions qu'il appelle intermezzos. L'un est de 15 pages et un
autre est de 30 pages. Vous pouvez sans problème passer ces digressions et en rester à son synopsis
de l'histoire).

On ne peut que mettre au crédit de Campbell l'attention soutenue qu'il accorde aux épisodes de Gauvain.
Il les développe de façon extensive, ce que nul autre érudit n'a réalisé avant lui. Et il dévoile même le
secret initiatique qui est encodé dans ces épisodes, mais sans le définir comme tel. Créative Mythology
fut publié en 1968. Il semble que Campbell était profondément impliqué dans les épisodes de Gauvain
à cette époque et ce, en fait, depuis très longtemps. Son essai The Mythology of Love (publié dans
Myths to Live By) fut développé à partir de conférences données entre 1958 et 1971 à Cooper Union à
New York. Cet essai attribue beaucoup d'importance à la façon dont le roi du Graal reçut sa blessure.

Dans les aventures de Gauvain, le principal protagoniste féminin, qui est aussi une formidable antago-
niste, est la baronne voluptueuse, Orgeluse. Campbell nota:


“Il est intéressant que Wolfram fasse de cette même personne la maîtresse d'Amfortas et la personne
dont l'amour a causé sa blessure et sa souffrance”.

La maîtresse d'Amfortas? Voici l'entrelacement à l'oeuvre. Dans le script de Parzival, Trevrizent décrit la
blessure d'Amfortas (chapitre 9) mais sans entrer dans des détails très explicites: Amfortas “se choisit
un amour de femme qui lui sembla de bonnes manières” (478, Edwards). C'est Orgeluse mais elle n'est
pas nommée. “'Amour' était son cri de bataille”, dit Trevrizent à Perceval dans sa révélation partielle de
l'événement à l'origine de la blessure. Au grand dam de son peuple, le roi s'en fut chercher des aventures
et des plaisirs féminins. Alors, “il fut blessé dans une joute par une lance empoisonnée... C'était un païen
qui combattait là et le provoqua dans cette joute - né en Ethnise, où le Tigre s'écoule du Paradis”. C'est
tout ce que nous obtenons, en termes de détails, dans la narration de Trevrizent du chapitre 9.

Le chapitre 9 contient, cependant, des indices particuliers quant à ce qui va se dérouler ensuite dans
l'entrelacement: Trevrizent - frère d'Amfortas, souvenons-nous - décrit comment la famille s'occupa du
patriarche blessé quand il revint à son domaine. Il explique qu'aucun ouvrage médical n'offrit de cure
contre la blessure empoisonnée. La famille souhaitait ardemment guérir le roi plutôt que de se satis-
faire du soulagement amené par la lance sanglante. Ils eurent recours à des mesures extrêmes: “Nous
obtînmes le rameau même que la Sybille montra à Enée...” (482). (Le rameau d'or d'Enée est identifié
communément au gui, la plante parasite sacrée des Druides). Et, pour faire bonne mesure, ils obtinrent
du sang du pélican, pour la potion médicinale. Ces remèdes ne suffirent pas. Ils extrayèrent ensuite le
coeur d'une licorne et enlevèrent son oeil de joyau, enchâssé dans l'os frontal. Et ils poursuivirent avec
les arts magiques: “nous obtînmes une plante appelée herbe du dragon” (trachonte dans l'original);
réputée croître à partir du sang d'un dragon occis et être efficace en suivant la rotation de “l'orbite du
dragon” (les absides de la lune dont la rotation est un cycle de 18,6 années). Ils continuèrent de traiter
la blessure avec la Narde jatamanshique et l'Aloe vera, mais sans résultats.

C'est un bon inventaire de cures magiques et pharmacologiques. Bien que Wolfram révèle le secret dans
ce passage - le rameau d'or - il ne dévoile, cependant, pas l'histoire de la manière dont la plante est
corrélée, non pas à la guérison de la blessure du roi, mais à l'acte de blessure même. C'est le secret de
ce qui fait souffrir le patriarcat, à savoir la cause primordiale de la pathologie de domination.

Dans les épisodes sur Gauvain, nous avons accès à toute l'histoire, racontée par la femme qui précipita
l'événement de la blessure d'Amfortas.

Orgeluse de Logrois (le nom Gallois de l'Angleterre à l'est de la rivière Severn) est son nom. Quel monu-
ment elle est. “A l'exception de Condwiramurs, nulle autre personne ne naquit plus belle. Cette femme
était douce et rayonnante, bien proportionnée et courtoise (vive, irrépressible)... Elle était un appât du
désir d'amour, douceur sans douleur, et une arbalète du coeur” (chapitre 10, 508 ). Voluptueuse et in-
solente, Orgeluse raille Gauvain dès leur première rencontre. Elle le provoque en le repoussant, en lui
faisant savoir qu'elle est source de problèmes. Il s'avère qu'elle agit de la sorte en raison de ce qui se
passa avec Amfortas. La duchesse Orgeluse est la femme fatale intimement impliquée dans la blessure
du roi du Graal.

La Plante qui Parle


“Un chagrin comparable - et même plus grand - que celui que Cidegast me donna, me fut donné par la
blessure d'Amfortas” Orgeluse s'adressant à Gauvain (chapitre 12: 616).

Les chapitres 10, 11 et 12 présentent longuement la contre-intrigue complexe de l'entrelacement, en


décrivant ce qui arriva à Orgeluse pour qu'elle se mette dans de telles difficultés. Nous apprenons que
lorsqu'Amfortas tomba amoureux d'elle, c'était déjà une femme souffrant d'une dure destinée. Elle devait
vivre avec un passé douloureux. Elle avait vécu un mariage très heureux avec le roi Cidegast, un homme
qui était en fait une licorne. Ce fut le noble homme-animal qui obtint l'amour d'Orgeluse. Elle l'appelle
beas amis “amant magnifique”, un terme de base de l'amour courtois. Beas est une forme archaïque du
latin beatus, “consacré, béat). C'est la racine latine du mot “béatitude”, le terme utilisé pour traduire le
Grec makarios qui est récurrent dans le Sermon sur la Montagne: “Bienheureux ...”. Dans Ancient Mys-
tery Cults, Walter Burkert explique que makarismos était le titre donné “pour célébrer le statut béni de
ceux qui ont 'perçu' les mystères”. En d'autres mots, ceux qui ont contemplé la Lumière Organique. Nous
avons de nouveau cette extraordinaire convergence: la connaissance des Mystères et le culte de l'amour.
Le meilleur amant est “un ami béni”, celui a contemplé la Lumière Divine.


Lorsque Cidegast fut tué, Orgeluse ne perdit
pas seulement son premier amour. Elle perdit
la connexion avec tout ce qu'il représentait.
Je soutiendrais que la licorne est une version
du Mesotes, l'animal totémique mystique de
la quête de vision Européenne. La corne uni-
que, blanche et spiralée est une image du
“puits” doux de Lumière Organique qui pé-
nètre l'adepte en transe et en contemplation
au travers du troisième oeil - l'escarboucle
de l'os frontal de la licorne. Wolfram entrela-
ce la connaissance alchimique et la connais-
sance des plantes médicinales dans les deux
narrations avec beaucoup de finesse.

La perte pour Orgeluse est aussi une perte


pour l'humanité: le corps sensuel de la fe-
melle déconnecté de son potentiel mystique
et privé de l'homme qui puisse le contempler
et l'adorer. C'est une partie de la blessure, «The Garden of Health,» Antwerp, 1533. In Witchcraft Medicine,
la perte de la capacité d'éprouver le plaisir Claudia Muller-Ebeling et al. La présence d'une “plante-humaine”
charnel - ou d'éprouver l'abandon orgasmi- dans le bas à droite est la preuve d'une communication avec les plantes
que, selon l'expression de Wilhelm Reich. chez les natifs: les plantes nous parlent comme si elles étaient des êtres
humains comme nous.
Mais qui a tué Cidegast? Et pourquoi? Orge-
luse dit à Gauvain: “Il fut occis par le roi Gramoflanz, auquel vous avez pris cette guirlande” (chapitre
12:613). Cette révélation essentielle fait partie d'une mise en scène car Orgeluse a demandé à Gauvain
de décrocher la guirlande plus avant dans le chapitre, avant qu'elle ne lui parle du roi Gramoflanz. Obser-
vons de près ce nom. Le suffixe -flanz rappelle l'Urphlanze, la “plante primordiale” de Goethe. Flanz est
du vieil Allemand pour “plante” et devient ce mot anglais par interversion des consonnes. Gramo- veut
dire littéralement “je parle” mais Gramo- fait aussi référence à l'écriture, aux lettres, au langage, à la
grammaire et est corrélé à “grimoire”, invocation magique.

En bref, le terme gramoflanz signifie “plante qui parle” ou “langage de plante”.

Le récit de la manière dont Gramoflanz tua Cidegast fait partie de la triste romance d'Orgeluse, la demoi-
selle en détresse qui va être sauvée par son nouvel amour, Gauvain. En même temps, c'est une partie de
la fable enthéogénique inscrite au coeur même de la Légende du Graal: l'histoire d'une “plante qui parle”
figure dans la blessure du roi du Graal, l'image paternelle.

Connaissance Interdite
A partir du chapitre 10, l'histoire se complexifie assez. En voici, en trois paragraphes, un synopsis.

Après avoir rencontré Orgeluse, Gauvain pénètre dans une terre enchantée “gouvernée par des lois
d'une étrange compulsion de crépuscule” (Creative Mythology, page 492). Attiré dans l'enchantement
de par son attrait pour Orgeluse, le chevalier ne prend pas tout de suite conscience qu'elle en est com-
plice mais elle maintient aussi la magie ouverte à son intervention. La source réelle de l'enchantement
est le sorcier maléfique Klingsor. Du balcon du château de Klingsor, Gauvain voit Orgeluse dans les bois
en-dessous. Lorsqu'il chevauche pour aller à sa rencontre, elle le défie par un test ultime: “Vous devez
m'obtenir une guirlande qui pend de la branche d'un certain arbre... C'est ainsi que vous pouvez chercher
à gagner mon amour” (chapitre 12:600).

Dès que Gauvain entre dans le bois pour décrocher la guirlande, “il vit un chevalier splendide qui che-
vauchait vers lui sans armes, portant un bonnet de plumes de paon et un manteau de soie de la couleur
de l'herbe verte bordé d'hermine, d'une telle longueur qu'il traînait au sol des deux côtés” JC, page 498).
C'est le roi Gramoflanz, gardien de la guirlande magique, tueur de Cidegast et serviteur de Klingsor.

Orgeluse s'attriste que Gramoflanz ait tué Cidegast mais elle s'attriste tout autant qu'elle ait engagé plu-
sieurs chevaliers contre Gramoflanz, dont Amfortas, qui fut empoisonné par une lance magique forgée
par Klingsor et portée par Gramoflanz. C'est la lance sanglante de la communauté du Graal (la noblesse
de l'Europe). Et il y a encore un coup de théâtre sinistre dans l'intrigue: tout comme Amfortas, Klingsor


fut castré par une blessure. Pour se venger de ce qui lui fut infligé par le mari de la femme qu'il a séduite
(ou violée), il place le monde naturel sous un enchantement maléfique afin qu'il puisse en interdire l'ac-
cès à ses pouvoirs de guérison. Maintenant que Gauvain a décroché la guirlande, l'enchantement peut
être levé mais Gramoflanz exige une joute avec Gauvain car la guirlande était sous sa protection.

Voilà tout le sous-script de Parzival, le coeur de la principale fable enthéogénique dans la légende Ar-
thurienne. Il décrit comment le pouvoir de haine envers la vie, de répression et de négation du sexe, du
patriarcat (Klingsor) dénie à l'humanité sa connexion avec la magie mystique des plantes. Mais ce “déni”
fait partie de l'enchantement placé par Klingsor et le pouvoir de l'envoûtement paternel est dépendant
d'un mensonge. En réalité, le refus de l'accès à la puissance magique de la “plante qui parle” dépend
de la plante et non des pouvoirs du patriarcat. Le sorcier place un enchantement sur le bois sacré (“le
bois de Klingsor”), mais en réalité, la patriarche blessé n'a pas le pouvoir de contrer la puissance de la
plante. Il peut en interdire la connaissance mais il ne peut pas interdire la connaissance qu'elle donne.
L'illumination mystique est un exploit héroïque réalisé en décrochant la guirlande, c'est à dire, en ingé-
rant la plante. C'est la plante elle-même, et non point une agence humaine, qui confère ou retire l'accès
à ses secrets médicinaux, mystiques et cognitifs. C'est ainsi que Gramoflanz, “la plante qui parle”, garde
le bois enchanté.

Considérons la beauté de l'entrelacement: le combat de Gauvain contre Gramoflanz représente une


épreuve shamanique par laquelle le héros gagne, de la guirlande magique, la connaissance de vaincre
l'envoûtement de Klingsor. La levée de l'enchantement sur la terre gaste dépend autant de l'aventure
de Gauvain que de la bonne question posée par Perceval. La Quête du Graal encode une fable enthéo-
génique qui est, avec le motif de la question, la seconde clé de la réalisation du Graal. Les conditions
auxquelles doivent faire face à la fois Perceval et Gauvain doivent être maîtrisées afin que la Magie du
Graal soit réalisée et libérée. La guérison de l'humanité dépend du désenvoûtement de la fausse magie
des perpétrateurs, les tyrans paternels qui interdisent la connaissance extatique parce qu'elle constitue
l'unique et principale menace pour leur domination.

Le pouvoir de cette fausse magie consiste


à nous convaincre qu'elle puisse interdire la
connaissance qui provient du monde végé-
tal, alors qu'en réalité, elle ne peut qu'inter-
dire la connaissance de ce monde végétal.

Toute histoire possède une morale et la lé-


gende du Graal peut assurément en offrir
quelques unes. Afin de profiter des leçons
contenues dans cette histoire fantastique et
complexe, il nous faut nous poser les ques-
tions que cette histoire suscite en nous, de
façon imaginative, une fois que nous avons
pénétré assez profondément au coeur de la
narration. Par exemple, nous pouvons de-
mander comment les patriarches blessés
rendent inaccessible la connaissance de la
magie des plantes. Réponse: ils utilisent les
outils de l'anathème et du tabou. Ils déclarent: “Vous ne devriez pas acquérir cette connaissance”. Mais
l'outil du tabou n'est pas efficace en soi. Les instincts humains sont trop forts et trop sains pour être dé-
tournés de quelque chose que les humains connaissent au plus profond d'eux-mêmes, et qui est en fait
une connaissance somatique. Le tabou ne va fonctionner que si la chose à interdire est diabolisée, que
si on la fait apparaître mauvaise, dangereuse et satanique.

Depuis l'époque de l'Ancien Testament, les théocrates (c'est à dire les tyrans patriarcaux et leurs agents
de contrôle, les prêtres urbains) tentèrent de diaboliser l'expérience intime des peuples indigènes qui
communiquaient directement avec le monde non-humain. Il est plus que probable que la répression de
telles expériences commença avec l'essor de l'agriculture parce que la relation humaine aux plantes en
tant que nourriture en production de masse est incompatible avec la relation à la nourriture totémique
qui est caractéristique de tous les peuples indigènes.

Non seulement le paradis Edénique du monde des plantes fut catalogué comme mauvais et étranger
mais ceux qui étaient les porteurs de la connaissance magique et de guérison, acquise de ce monde, fu-
rent aussi diabolisés. Les preuves historiques de ce phénomène sont claires comme le jour. Les récits par
l'Eglise de la persécution des Gnostiques célèbrent la bataille entre Saint Paul et le “sorcier” Simon Magus
qui fut jeté à bas d'un vol magique par l'art supérieur de l'apôtre. Hypatia fut diabolisée par les groupes


Chrétiens d'Alexandrie et alors qu'elle était massacrée, Pierre
le lecteur hurlait des accusations à son encontre en l'appelant
une vile sorcière et une servante de Satan.

Satan, et tout ce qui est satanique, est une création du pa-


triarcat blessé comme une ruse pour effrayer l'humanité et
la projeter dans l'impuissance en lui interdisant l'accès à la
magie naturelle qui a soigné et guidé notre espèce depuis des
temps immémoriaux.

Afin de vaincre le Mensonge Paternel, il faut exposer la faus-


seté de sa puissance - exactement ce qui se passe dans le
Sorcier d'Oz. Le pouvoir du “satanique” repose dans ce qu'il
est une invention qui fonctionne par le pouvoir (et la croyance)
qui lui est conféré par ceux vers lesquels il est dirigé. Tous les
sorciers qui ne sont pas consacrés aux puissances de la terre
sont faux et ils doivent faire en sorte de faire apparaître la
magie terrestre authentique comme maléfique, néfaste pour
le corps et l'esprit. Le satanisme existe mais il est la contre-
projection d'une poignée d'individus dont la blessure psycho- La défaite de Simon le Magicien. Cathédrale Saint
sexuelle projette une ombre morbide dans la vie psychique Lazare, Autun, France
de l'humanité. Les agents du satanisme cataloguent la magie
du Graal comme étant satanique. C'est leur stratagème prin-
cipal. Ils veulent, par exemple, que nous imaginions le Diable
en train de semer des champignons.

Le véhicule du pouvoir satanique est le Mensonge,


Drugh en ancien Persan. Dans une large mesure,
la propagation du mensonge consiste en une cam-
pagne contre les “drogues” qui perdure depuis que
Yahvé a interdit à Adam et à Eve de consommer
du fruit de l'Arbre Sacré. Dans une large mesure,
le Mensonge fonctionne parce que les “drogues”
interdites ne sont pas des drogues tandis que les
drogues qui sont réellement des drogues ne sont
pas interdites mais colportées sur une vaste échelle
par les autorités en place. C'est une tactique fon-
damentale de contrôle mental: interdire l'accès aux
pouvoirs sacrés de la nature et encourager tou-
tes sortes de toxicomanies non naturelles. Tout le
monde est au courant des drogues que le patriarcat
fournit au monde entier, à la fois légalement et il-
légalement, mais quasiment rien n'est connu des
Le Diable qui sème des champignons. Jacob de Gehyn II, élixirs naturels qui véhiculent la connaissance de la
1565-1629. (From Witchcraft Medicine) survie humaine et assurent l'indépendance vis à vis
du système dominant.

Les contrôleurs paternels ont raison au sujet d'une chose: les élixirs naturels sont “une menace pour
la société”. Ce n'est pas un mensonge, mais la vérité de cette assertion est également quelque chose
dont ils ne veulent pas que la connaissance se répande: à savoir, les élixirs de plantes confèrent une
connaissance qui transcende le cadre et les contingences de n'importe quel ordre social parce que les
instructeurs-plantes sont les gardiens des secrets de la survie à long terme de l'humanité. Les contrô-
leurs ont désespérément besoin de nous pour que nous nous attachions aveuglément à la société (c'est
à dire l'identité de famille, la culture, la religion, la nationalité, l'éducation, le conditionnement), parce
qu'ils peuvent manipuler la société alors que le programme phylogénétique de l'espèce humaine est tout
autant au-delà de leur contrôle qu'il est au-delà de leur compréhension.

La Guirlande Magique
Nous avons souligné une forte présence de connaissance alchimique et de connaissance de plantes mé-
dicinales dans le chapitre 9 lorsque Trevrizent explique la blessure d'Amfortas à Perceval. Mais il y a plus
à venir, beaucoup plus.


Dans sa nouvelle version des épisodes de Gauvain, Joseph
Campbell glane la connaissance des plantes médicinales qui
se déploie dans les chapitres 10, 11, 12 et 13. Avant de ren-
contrer Orgeluse, Gauvain rencontre un chevalier blessé qu'il
soigne avec un onguent herbal. Il ne le sait pas mais il est
déjà dans le jardin enchanté de Klingsor (lire: le royaume de
la magie des plantes, mais sous l'emprise du tabou paternel).
Il rencontre Orgeluse en un endroit où l'eau jaillit du roc près
d'un tilleul. Dans la tradition Européenne, le tilleul est com-
munément corrélé aux actes shamaniques de magie. Lorsqu'il
écrivit sur les Scythes, Hérodote dit que les “Enareer” (les
shamans mâles-femmes ou travestis parmi les Scythes) qui
recevaient des pouvoirs prophétiques d'Aphrodite “utilisaient
l'écorce de tilleul qu'ils fendaient de trois façons, l'entouraient
autour de leurs doigts et la relâchaient tout en proférant des
formules magiques”.

Orgeluse raille et insulte fréquemment son chevalier servant.


Quelque minutes après leur première rencontre, elle le tourne
en ridicule pour avoir soigné le chevalier blessé avec un on-
guent médicinal, attirant l'attention, bien que de façon néga-
tive, sur sa connaissance de la médecine par les plantes. Dès
qu'ils se rencontrent, un petit monstre apparaît sur la scène,
Malcréature, une sorte de nain déformé, la contrepartie mâle
de Kundrie la Sorcière. Le narrateur explique que ses dif-
Danse autour d'un tilleul. Hieronymous Bock,
formités sont dues à des femmes ingérant des plantes non
Kreutterbuch, 177. From Witchcraft Medicine
appropriées durant la grossesse. Cependant, Malcréature est
“parent des plantes et des étoiles” (JC, page 473). Dans le
script de Parzival, Kundrie apporte des plantes et des potions médicinales à la famille du Graal qui est
piégée dans l'enchantement de la Terre gaste et ici, dans le bois enchanté, sous l'envoûtement de Kling-
sor, Malcréature présente sa contrepartie exacte. Campbell dit judicieusement: “les deux enchantements
sont réciproques”.

En fait, Wolfram nous dit que Malcréature et Kundrie furent tous deux envoyés à la famille du Graal par
le Reine Secondille, la femme Arabe de Fierfiz, le demi-frère de Perceval avec lequel il est réuni dans
le chapitre 16. (Je pense, personnellement, qu'il en fait un peu trop au niveau de l'entrelacement, à ce
point). En élaborant cette partie de l'histoire, Wolfram transmet un message enthéogénique fondamental
concernant les peuples originels ou indigènes: “Notre père Adam, qui nomma toutes choses selon leur
nature, connaissait les mouvements des étoiles et des sept sphères et connaissait aussi les vertus des
plantes” (JC, page 472). Et voilà, tout est dit en une seule phra-
se, tout ce que les théocrates ne veulent pas que nous sachions
quant à nos origines et à nos ressources innées!

Campbell sous-titre le chapitre 12 de Parzival “Le Roi des


Bois”. Comme nous l'avons souligné ci-dessus, Trevrizent dévoi-
la le secret de la fable enthéogénique dans le chapitre 9 lorsqu'il
mentionna le Rameau Sacré d'Enée. Quiconque aura lu Frazer
va totalement frissonner de plaisir à cette révélation. Imaginez
donc: le motif du Rameau Sacré ne se trouve pas juste au coeur
de la légende du Graal, il est, de plus, ouvertement évoqué par
un personnage dans l'histoire! Et quel est le motif du Rameau
Sacré? Et bien, à part ce que j'appellerais le vernis de Frazer
(cette notion sera élaborée dans les leçons subséquentes), le
Rameau d'Or est le thème mythique qui symbolise le facteur
enthéogénique dans la royauté sacrée - mais il le symbolise de
travers, comme nous le verrons plus tard lorsque nous prendrons
en considération la théorie de Carl Ruck quant à la consécration
royale.

A ce point de l'exposé, il serait opportun de se poser la question


suivante: quelle sorte de plante était la guirlande magique que
Image typique de l'Arbre dans le Jardin des Gauvain décrocha à la requête d'Orgeluse?
Hespérides avec son serpent gardien


Le Professeur Carl Ruck, qui enseigne le Latin et le Grec ancien à l'Université de Boston, a été intime-
ment impliqué dans le renouveau enthéogénique. Il est le co-auteur de The Road to Eleusis et Perse-
phone's Quest avec Gordon Wasson. Dans les Apples of Apollo, Ruck considère que les pommes du
Jardin des Hespérides sont un code pour diverses plantes enthéogéniques utilisées dans les pratiques
shamaniques de l'ancienne Europe. “Les pommes et les pommes d'or ont été des noms de code pour
les champignons partout où les pommes et les champignons sont connus, même à ce jour” (page 50),
écrit-il, suggérant que Amanita muscaria est très vraisemblablement le champignon spécifique encodé
dans ce fruit inoffensif.

A mon avis, le débat sur l'amanite - à savoir, la question de savoir comment elle était utilisée, dans quels
rites shamaniques spécifiques, et quelles sortes d'effets psycho-actifs elle induit - a un grand avenir de-
vant lui et n'a pas même été clairement formulé. Quant à la guirlande magique dans Parzival, je pen-
cherai pour Datura stramonium, la Stramoine, qui est illustrée dans l'ouvrage de Bosch Le Jardin des
Délices. La stramoine est très proche de Datura inoxia, l'Herbe du Diable dans les récits de Castaneda,
et de Datura metel, la Stramoine bubescente. L'association du Datura avec Orgeluse est naturelle car
les fleurs allongées en forme de cloches de cette plante exsudent un parfum de sensualité séductrice et
dangereuse. On pourrait presque dire qu'Orgeluse est le Datura sous une forme de femme.

Datura stramonium est répandue dans le centre et le sud de l'Europe et très prolifique en Allemagne et
en Suisse. Dans le folklore Allemand, elle est appelée crûment tollkraut. Fidèle à son ton railleur, Orge-
luse fait un commentaire acerbe sur le fait que Gauvain paye un péage au gué qui marque la limite du
jardin enchanté. Traditionnellement, les chevaliers étaient exemptés du paiement de tels péages où qu'ils
aillent. Les railleries de la femme fatale attirent, de nouveau, l'attention vers les aspects enthéogéniques
de la narration. Le Datura est connu pour être utilisé par les shamans dans la finalité de tuer et d'envoû-
ter. C'est l'allié parfait pour Gauvain lorsqu'il arrive sous l'emprise de l'enchantement de Klingsor.

A ce point, la question suivante se pose: dans quelle mesure la connaissance enthéogénique a t-elle
été reconnue dans la matière Arthurienne? Marion Zimmer Bradley, l'auteur de l'ouvrage féministe plus
que best-seller, Les Brumes d’Avallon, (1982) représente, bien sûr, ses personnages sorcières comme
adeptes de la magie des plantes. Ce sont des femmes très sexy et très au fait des voies de la nature et
ce sont des versions d'Orgeluse et de Kundrie. Dans un roman ultérieur et moins connu, La Trahison
des dieux, (1987) Bradley dépeint l'initiation enthéogénique de son héroïne, Cassandra l'Amazone. La
scène se passe à Eleusis, et la décoction d'ergot utilisée s'appelle le kykéon.

Mais tout cela est de la fiction historique. Les érudits orthodoxes ne permettent pas de telles corréla-
tions. Les érudits du Graal, tels que R. S. Loomis, trébuchent sur tous les indices enthéogéniques mais
sans les identifier en tant que tels. Même R. Gordon Wasson déclara qu'il ne réussit pas à découvrir des
preuves pour sa théorie enthéogénique de la religion dans le trésor de légendes et de mythes Celtiques
qui engendrèrent la matière Arthurienne. C'est le comble de l'absurdité, bien sûr, lorsque l'on pense que
la première chose que l'on entende en Irlande concerne “le petit peuple”, les lutins qui s'assoient sur les
champignons vénéneux et les belles sorcières qui dansent dans les cercles de fées dans lesquels pous-
sent les champignons qui suivent les dessins en spirales du mycélium dans le sol. Dans Plowing the
Clouds - the Search for Irish Soma, Peter Lamborn Wilson souligne que le mot Gaélique “pookie”,
esprit de la nature, signifie champignon magique.

(Il est peut-être plus significatif que Wasson dit n'avoir trouvé aucune évidence d'utilisation enthéogéni-
que chez les peuples Italiques. Si cela est vrai, cela peut contribuer à expliquer le problème des impul-
sions fascistes incompréhensibles parmi les peuples du Latium dont le système culturel unique a produit
l'Empire Romain. Pouvons nous associer le manque d'expérience enthéogénique avec l'institution sociale
de la violence? Il est plus que probable que nous le puissions. Ce fut le cas avec la culture Hébraïque qui
en vint à fusionner, de façon désastreuse, avec les desseins de l'Empire.)

Grande Surprise
Aucune plante magique n'est une drogue malgré que le Mensonge Paternel voudrait nous le faire croire.
Nous pouvons dénommer élixirs toutes les plantes psychoactives, incluant les champignons et toutes les
potions et les substances à fumer qui en dérivent. Ce mot vient de l'Arabe, al, pour “le” et ixir pour “pier-
re”. Dans le Parzival de Wolfram, le Graal est une pierre, notoirement appelée dans du latin de cuisine
avec un zeste de calembour Arabe “lapsit exillis”. Comme nous l'avons déjà expliqué, “la pierre qui est
tombée du ciel” est le corps de substance primordiale de l'Eon Sophia, un courant massif de luminosité
vivante et consciente. Le Graal est la Lumière Organique et certains élixirs de plantes sont des guides


vers la Lumière. Dans Parzival, Wolfram encoda
le secret pratique des Mystères: comment les
initiés utilisent une décoction enthéogénique ou
une plante psycho-active pour dissoudre la fixa-
tion de l'ego et rencontrer la luminosité vivante,
ondulante et blanche laiteuse, la Lumière Blan-
che visible.

Les survivants des Mystères trouvèrent tout


d'abord protection parmi les tribus Celtes de
l'arrière-pays Gallois. Dans la quête du Graal, la
transmission des Mystères continua d'une ma-
nière telle que l'identité du Graal tout comme
les instruments de son accès - les élixirs natu-
rels - furent encodés dans la légende destinée à
devenir “le mythe séculaire qui est aujourd'hui
la force spirituelle qui guide l'Europe de l'ouest”
(Creative Mythology, page 564) - le vrai node
lumineux de la mythologie créatrice.

Est-il surprenant qu'une fable enthéogénique soit


au coeur du mythe prépondérant et directeur en
Occident?

Si nous y pensons bien, la Genèse , qui fonde


le mythe structurant du patriarcat, contient une
fable enthéogénique: Adam et Eve mangeant du
fruit défendu. Qui plus est, Gilgamesh, la narra-
tion héroïque la plus ancienne qui ait survécu,
contient une fable enthéogénique: la quête pour
la plante magique de l'immortalité. Le festival
folklorique de Noël, l'événement mythique le
plus largement célébré dans le monde, est en-
tièrement enthéogénique: le rouge et le blanc du
Fred Weidmann, Munich. In Witchcraft Medicine. Dépeints: ama-
Père Noël représentent l'Amanita muscaria; l'ar-
bre de Noël est le sapin dont le système racinaire nita muscaria, mandragore, datura stramonium, aconite, chanvre,
abrite symbiotiquement le mycélium du champi- belladonne, et cigüe.
gnon, les rennes sont des animaux shamaniques
qui consomment les amanites et comme les shamans, volent à travers les cieux.

On se demande combien d'autres mythes fondateurs et de festivals folkloriques sont encodés avec des
connaissances enthéogéniques. Cela pourrait fournir le thème d'une étude fascinante. Mais pour défier
et vaincre le Mensonge Paternel, deux exemples sont essentiels: la Genèse et la Légende du Graal. La
première est une tentative du patriarcat de placer un tabou, par l'écriture, sur la magie naturelle et le
second est une source d'inspiration pour recouvrer cette magie. Le chemin vers le Graal est le chemin de
retour vers la maison, le retour vers Gaïa-Sophia dans toute sa splendeur, le paradis naturel dans lequel
l'humanité est née et renaît perpétuellement.

John Lash. 22 juillet 2006. Flandres.

Traduction de Dominique Guillet


Une Histoire Alternative du Graal
10. La Lance Sanglante

John Lash

Les Vecteurs Crypto-Fascistes du Mensonge Paternel


“Le Crypto-fascisme est lorsqu’un group(uscule) adhère au fascisme de façon cachée en revendiquant
les idées d’un autre groupe politique. Le terme crypto est utilisé de façon similaire dans les expressions
Crypto-Judaisme ou Crypto-Christianisme qui se réfèrent à la pratique secrète d’une religion tout en ad-
hérant publiquement à une autre religion” (Wikipédia).

Le Parzival de von Eschenbach est tout à la fois le récit d'une quête spirituelle, une histoire d'amour
(ou plusieurs histoires d'amour), une fable enthéogénique et une histoire de magie noire. Cela constitue
assurément une belle prouesse. Nous avons déjà présenté les trois premiers aspects de cet impression-
nant répertoire. Le présent essai, ainsi que le suivant, seront consacrés au quatrième aspect: la magie
noire.

Pas si Innocent
Dans Parzival, Klingsor est le magicien malveillant qui forge l'arme qui blesse le roi du Graal, Amfortas.
Nous apprenons dans les épisodes de Gauvain que Klingsor est un patriarche castré qui castre d'autres
hommes afin de les rendre tout aussi impotents que lui. Il acquiert du pouvoir, de façon vicieuse, en
rendant les autres impuissants. C'est la première leçon que nous apprenons en ce qui concerne les pra-
ticiens de la magie noire: ils ne possèdent aucun pouvoir qui leur soit inhérent mais ils acquièrent un
genre perverti de pouvoir (c'est à dire le contrôle, l'extorsion et la domination) en ôtant tout pouvoir à
autrui. Le patriarcat conserve son pouvoir de contrôle socio-spirituel en réprimant les impulsions sexuel-
les et hédonistes qui sont innées à notre espèce et en tranchant le cordon extatique de l'humanité avec
la nature. C'est pour cela que la baronne Orgeluse, sexuellement séduisante, ainsi que la plante enthéo-
génique constituent des éléments fondamentaux de la blessure du roi du Graal.

L'Eglise Catholique a été très largement considérée comme une organisation crypto-fasciste depuis le
12 ème siècle mais il fallut attendre le début de la Renaissance pour que cette conception puisse s'ex-
primer ouvertement sur le plan social. (L'événement décisif qui dévoila, au monde Européen, la nature
“Satanique” du Catholicisme Romain fut la Papauté d'Avignon qui dura de 1309 à 1378.) A l'époque de
Wolfram, l'Eglise était perçue comme un instrument de forces immorales, anti-humaines et franchement
diaboliques. Joseph Campbell souligne qu'il se peut que le poète-chevalier ait pris le Pape Innocent III
comme son modèle pour Klingsor:

“Est-il besoin de demander ou de dire qui le poète Wolfram avait en tête lorsque, aux alentours de 1210,
il écrivit un tel récit au sujet d'une magie stérilisante apportée à l'Europe du Proche-Orient par un castré
qui méprisait la vie...? Le roi de Sicile, à cette époque, était l'enfant Frédérick II (1194-1250) qui fut
couronné à Palerme en 1198 et qui, à la mort de sa mère, six mois plus tard, devint le pupille d'Innocent
III (1198-1216), le pape le plus puissant de tous les temps. La lecture du thème de la Terre Dévastée par
le poète médiéval Wolfram fut en tout cas diamétralement opposée à celle de Richard Wagner: ce ne fut
pas la passion de l'amour mais la revanche d'un castré contre l'amour qui fut pour lui la source du linceul
de la mort planant sur le palais de la vie (le Château des Merveilles) et le palais de l'effroi (le Château
du Graal). Et ce ne pouvait pas être le signe magique de la Croix que le “fou ingénu” de Wagner bran-
dit au point culminant de l'Acte II qui aurait pu briser l'enchantement du nécromancien de Wolfram. Le
nécromancien lui-même, Innocent III, employait le-dit signe pour renforcer son envoûtement magique
de ses interdits par lesquels les rois étaient déchus, intimidés et mis à genoux”. (Creative Mythology,
pages 512-513).


La comparaison entre le Parzival de Wolfram et celui de Wagner est révélatrice et nous allons y revenir
ci-dessous. Pour le moment, rappelons un des enseignements fondamentaux de Mythbusting 101: les
actes de pouvoir et les “événements décisifs de l'histoire” enregistrés dans les livres et célébrés par les
vainqueurs sont toujours à mettre en parallèle avec des développements intimes et intenses dans l'expé-
rience humaine, des événements qui concernent l'épanouissement ou la frustration du potentiel humain.
Dans l'histoire parallèle, nous accordons une importance essentielle aux événements subjectifs et non
consignés - tel que le phénomène de l'amour romantique.

Il se peut fort bien que les actes non enregistrés déterminent l'évolution de l'humanité de façon beau-
coup plus décisive que les faits historiques consignés qui fournissent un script directeur pour le contrôle
de la société selon des voies qui souvent dénient et frustrent l'épanouissement du potentiel humain.
L'importance de l'expérience non consignée quant à l'orientation de la vie est un des enseignements ma-
jeurs de ces leçons. C'est également une des perceptions métahistoriques fondamentales.

Arme Fatale
Comme nous l'avons souligné dans la leçon précédente, Klingsor ne peut pas détruire le pacte éternel
entre l'espèce humaine et les plantes psycho-actives qui ont parlé avec l'humanité depuis des centaines
de milliers d'années. Ce que le nécromancien peut faire, cependant, c'est attacher un pouvoir blessant et
déviant à la magie des plantes: il munit Gramoflanz d'une arme fatale. La lance sanglante de la légende
du Graal est presqu'aussi mystérieuse que le Graal lui-même. Le Graal peut être retracé aux chaudrons
magiques de la mythologie Celtique; il en est de même pour la lance sanglante malgré que son origine
mythologique ne soit pas aussi évidente et clairement définie. La lance a été comparée à l'épieu du dieu
Celtique Lug et associée à l'éclair de Zeus mais de tels parallèles ne révèlent pas la signification complexe
qu'elle assume dans le récit de Wolfram.

Une allusion archaïque à la lance se trouve dans la légende de Celtchar, un personnage central dans le
Cycle Ulster de la mythologie Irlandaise. C'est un guerrier formidable mais au contraire des héros Celti-
ques qui sont d'une beauté éblouissante - Cuchulain, par exemple - il est grand, à la peau grise et laid.
Celtchar porte une arme fatale, une lance qui “possède une vie en propre: sa puissance doit être régulée
en la plongeant dans un fluide corporel toxique; sinon, elle blessera même celui qui la porte”. (Emma
Jung et von Franz, La légende du Graal, page 86). C'est un prototype évident de la lance sanglante en
possession de la communauté du Graal, mais il y a plus, quelque chose d'assez particulier que Wolfram
a ajouté...

De nos jours, on attend d'un érudit de mythologie comparée qu'il soit capable de citer le cycle d'Ulster
tout autant que d'autres informations parallèles, corrélées à la lance, émanant d'autres cultures mais il
convient de nous demander si un poète Allemand du 13 ème siècle bénéficiait d'une telle amplitude de
savoirs. Il se peut très bien que Wolfram connaissait la légende Irlandaise grâce au réseau étendu de
conteurs, narrateurs de la légende Arthurienne et bardes Bretons et Gallois. Je soutiendrais, cependant,
qu'il possédait une connaissance intime du motif Irlandais grâce à ses contacts avec les initiés survivants
des Mystères qui se mêlaient aux conteurs et qui leur fournissaient des informations et des intrigues. De
plus, Wolfram était assez sûr de lui pour s'inspirer du motif archaïque et le modifier. Dans sa version, la
lance sanglante n'a pas besoin d'être plongée dans un “fluide corporel toxique” car l'arme saigne elle-
même comme une plaie suppurante. Lorsqu'elle est appliquée à la blessure qu'elle a provoquée, la lance
ne la guérit pas mais elle soulage simplement la douleur - j'insisterais sur le fait qu'elle en donne seule-
ment l'impression, c'est l'illusion momentanée d'une guérison. La communauté du Graal est totalement
soulagée à ce spectacle: ce qui veut dire, en fait, qu'ils sont accrochés au soulagement temporaire ou
par procuration de la douleur du patriarche.

L'arme sanglante est l'unique artifice de Wolfram mais quel artifice. C'est assurément une des inventions
imaginatives suprêmes de la littérature Occidentale. Pensez-y juste: l'arme qui blesse est elle-même
blessée. Wolfram suivit la tradition Irlandaise lorsqu'il fit de la castration son motif pour le Roi des Pê-
cheurs et n'en fit qu'un avec la lance. Dans la matière Irlandaise, Celtchar est aussi un tyran castré. Nous
traduisons ce symbole comme suit: le tyran patriarcal (le théocrate) est un homme blessé au pouvoir
létal. Il est une arme blessée sous une forme humaine. Nous découvrons que le patriarcat est une arme
blessée, une force de domination et de destruction déchaînée sur l'humanité par des mâles émasculés.
C'est une des leçons essentielles de Mythbusting 101. Les dominateurs paternels sont des impuissants
orgasmiques dirait Reich et la légende médiévale ne fait que confirmer son diagnostic. La plupart (mais
pas tous) des tyrans fascistes de l'histoire étaient des mauviettes éclopées: Alexandre, Staline, Hitler,
George W. Bush. Une mauviette peut être le plus dangereux des hommes.


Cette identification du pouvoir paternel-patriarcal au pouvoir blessé informe le symbole de la lance san-
glante et il existe aussi ici un autre élément clé. Il nous faut poser la question suivante: quelle sorte
d'arme soulage la douleur de la blessure qu'elle a infligée en y étant insérée, de façon répétée? Lorsque
nous prenons en compte cette question, il nous faut garder à l'esprit que le soulagement de la peine
peut être, comme il a été suggéré, illusoire ou par procuration. La re-blessure peut offrir un faux sens
de soulagement, de confort, de consolation, d'apaisement; mais cela ne guérit pas la blessure originelle
et cela ne permet pas non plus à la figure paternelle souffrante d'arriver au terme de son affliction. La
réinsertion de l'arme blessée-blessante est un stratagème d'auto-illusion réconfortante de la part de la
communauté du Graal. C'est un acte psychologiquement ritualisé, une compulsion sociale qui se répète
de façon aveugle, mais point une guérison authentique. Le rite de consolation - à savoir d'excuse, de
légitimation et même de conférer des honneurs au perpétrateur (voir le quatrième commandement de
Moïse) laisse la communauté du Graal profondément empêtrée dans le problème originel et impliquée
encore plus profondément dans l'agonie paternelle.

Revivre les blessures de guerre, commémorer des batailles gagnées à grand prix, si ces batailles et ces
guerres sont menées pour la cause de la domination paternelle, est une manière de réinsérer la lance
sanglante dans la blessure qu'elle a infligée. Dans toute guerre, il existe un héroïsme authentique lorsque
des hommes et des femmes font face à des situations impossibles et triomphent par pur courage. Mais
les mensonges politiques et idéologiques qui déclenchent les guerres sont justifiés à mauvais escient
lorsqu'ils sont associés avec de tels actes d'héroïsme et revécus lors de rites sociaux de commémoration.
L'agression paternelle et patriarcale, légitimée par la religion de la perpétration, blesse l'humanité et
continue de la reblesser à chaque fois que ces actes d'agression sont commémorés. Le sentiment faux de
soulagement se nourrit d'un besoin profond humain d'avoir du chagrin et de donner un sens à la perte;
ces cérémonies sont réellement émouvantes mais la consolation auto-illusoire dessert le besoin de faire
le deuil. (Le chagrin authentique est-il une forme d'aboutissement or est-ce l'acceptation d'un non-abou-
tissement?). Aucune guérison réelle de la psyché collective n'est offerte par ces orgies de commémora-
tion lorsqu'elles déguisent l'auto-légitimation du Mensonge Paternel: “Dieu est à nos côtés”.

Il se peut que j'interprète trop la perception psychologique de Wolfram ou que j'en fasse une interpré-
tation trop profonde, mais peut-être que non. La lance sanglante est son invention littéraire fondée sur
un motif mythologique archaïque, alors que le Graal est un symbole numineux de la Lumière Organique
et il n'est rien qui soit inventé à son sujet ou quant à ses pouvoirs magiques. Je dirais, cependant, que
le génie de Wolfram était enraciné profondément dans son expérience de chevalier et son contact direct
avec l'agression et la violence et cela lui permit d'inventer un symbole martial presque aussi puissant
que le Graal même. La différence étant que la signification du Graal est mystique tandis que la lance
sanglante est un symbole de la pathologie dé génocide et d'écocide infligée au monde entier par les WMD
(White Male Demagogues, jeu de mots avec “Weapons of Mass Destruction”), les BDM, Blancs Démago-
gues Mâles (ou Bombes de Destruction Massive) qui mettent en oeuvre le programme théocratique - ou
programme des dominateurs comme il a été appelé.

Opérations de Magie Noire


La théocratie est l'expression politico-idéologique de la magie noire. C'est l'outil primordial de contrôle
comportemental des Illuminati, le cercle intérieur des dominateurs théocratiques. Les membres du cercle
intérieur se cachent mais ils ne cachent pas ce qu'ils font - pas exactement. La magie noire fonctionne au
mieux avec l'humanité non pas où elle se cache, mais totalement en terrain ouvert sous un déguisement
crypto-fasciste. Dans le jargon militaire et de la CIA, une opération secrète telle que le renversement
d'un gouvernement à l'insu du Sénat, du Congrès et de l'exécutif, sans même mentionner le grand pu-
blic, est une “black ops”, une opération noire. De telles missions se déroulent toujours dans le plus grand
secret, loin du regard du public, sans consignes écrites, etc. Il n'en est pas ainsi du programme crypto-
fasciste des théocrates.

L'opération secrète la plus efficace est celle qui se déroule sous votre nez et qui, peut-être, s'appuie sur
votre collusion volontaire: une opération de magie noire.

Nous allons nous concentrer, pour le moment, sur la tactique surprenante de non-dissimulation. Dans la
légende du Graal, les pouvoirs magiques du Graal sont révélés dans la même scène que la re-blessure
d'Amfortas. Les deux événements surnaturels sont en équilibre, peut-être pour mettre en valeur que le
pouvoir du Graal est éternel tandis que l'acte de blesser le patriarche est répétitif et permanent. L'exhi-
bition du Graal est un événement mystique réservé à la famille du Graal. L'exhibition de la lance est un
événement public qui est ouvert à tous.


L'arme blessée, dans l'histoire de Wolfram, appartient au cercle intime
de la communauté du Graal et elle blesse le chef de famille. Je pense
que cela veut dire que selon la compréhension que Wolfram a de la Terre
Gaste, l'envoûtement maléfique placé sur la terre est de la magie noire
qui émane de la communauté du Graal, des riches et des privilégiés qui
appartiennent à des lignées de sang sélectionnées. Ce sont des victi-
mes de la magie maléfique et ils la répandent sur autrui. Ils hébergent
des pouvoirs maléfiques alors même qu'ils sont servis par le pouvoir
de guérison du Graal. Ce n'est pas le dilemme de l'humanité dans son
ensemble mais uniquement celui de la classe possédante, privilégiée et
dominante socialement. Nous en tirons la leçon que la pathologie du
mal se niche chez les riches. La magie noire n'est pas l'apanage de tout
un chacun, mais bien celui des régents, des banquiers, des politiciens et
des vendeurs d'armes.

Les contrôleurs cachés - les Illuminati, si l'on préfère, mais dans un mo-
ment je vais proposer un autre terme - oeuvrent tout aussi bien en ne
dissimulant pas leurs opérations maléfiques qu'en les dissimulant. Une Matthew Hopkins, “Chasseur de Sor-
de leurs tactiques favorites est de compenser, de neutraliser: de repré- cières Général” durant la guerre civile
senter quelque chose qu'ils font d'une manière fausse afin de dissimuler en Angleterre. Il fut responsable de
ce qu'ils font réellement. Un exemple patent et aisément vérifiable de très nombreuses fausses accusations
compensation, ou de neutralisation, est la démonisation des Mystères et de sorcellerie.
de la sagesse naturelle. A l'aube du Moyen Age, Pan fut considéré com-
me le Diable, la nature fut diabolisée, et tout ce qui avait été accepté comme sagesse naturelle, guérison
naturelle, connaissance du monde des plantes et des “animaux de pouvoir”, les arts de la survie basés
sur la relation intime avec les forces de la nature, et ainsi de suite, fut incriminé comme magie noire afin
d'occulter la magie noire véritable qui était et qui est une menace pour la survie de l'humanité.

La Résistance
Wolfram fait quelques allusions dans son histoire à des agents contemporains de la magie noire. Joseph
Campbell (cité ci-dessus) identifia Klingsor avec le Pape Innocent III ou, peut-être, par implication avec
le conseiller Arabe de Frederick II (1272-1337), le Roi de Sicile, qui était sous la tutelle d'Innocent III.
Dans le Massacre à Montségur, Zoe Oldenburg écrit qu'Innocent III “établit comme son premier axio-
me la suprématie absolue de l'Eglise et se vit appelé à guider les rois et les empereurs et à les obliger
de servir les intérêts de Dieu” (page 87). Un théocrate absolu, il est communément considéré comme un
des papes les plus puissants de tous les temps. A sa suite vint Innocent IV (1243-1254) qui se proclama
“le vicaire du Créateur auquel toute créature est sujette”. Innocent IV fit de l'Inquisition, initiée par les
Dominicains en 1233, l'institution officielle de l'Eglise Romaine. ( Au cas où certains ne suivraient pas les
nouvelles du Vatican, l'Inquisition fut formellement dissoute par le Pape Paul VI en 1965 mais continua
de fonctionner sous le nom moins menaçant de Congrégation de la Doctrine de la Foi - le Saint Office,
en bref. Le pape actuel, Bénédicte XVI (Josef Ratzinger, né en 1927) était à la tête de cet office au mo-
ment de son élection et ce, depuis 1981. Il existe une ligne directe de pouvoir exécutif d'Innocent III à
Bénédicte XVI.

De par le lancement officiel de l'Inquisition, la neutralisation se mit en place sur une vaste échelle mais
presqu'immédiatement, le peuple Européen réagit instinctivement par un sursaut de santé mentale. De
nombreuses personnes vivant à cette époque réagirent aux influences pernicieuses et aux jeux de contrô-
le de l'Eglise, mais ces histoires ne sont généralement pas consignées parce qu'elles ne confirment pas la
suprématie de la puissance paternelle. Les mouvements idéologiques et politiques massifs et flagrants de
la part des théocrates, tels que les bulles papales et les conciles oecuméniques, sont toujours indicatifs
d'une intensification de la résistance chez le peuple, de rébellion contre le contrôle et la manipulation. La
résistance contre l'Eglise initiée par la chevalerie et le culte de l'amour surgit à la fin du 13 ème siècle et
provoqua une scission au sein de la Papauté en raison d'une divergence sur la façon de duper et d'assu-
jettir la plèbe. Comme les maléfices de l'élite religieuse dominante devenaient de plus en patents après
1300, les efforts de répression et de neutralisation dépassèrent les bornes pour éventuellement culminer
avec la chasse aux sorcières, le scandale des Manifestes Rose Croix en 1620 qui déclenchèrent la Guerre
de Trente Ans, et après cela une longue série de guerres religieuses sanguinaires.

Le crypto-fascisme est le déguisement favori, depuis fort longtemps, des dominateurs qui veulent ap-
paraître autres que ce qu'ils sont - des Chrétiens dévots, des bienfaiteurs sociaux et des patriotes, par
exemple - aux yeux du monde; cela ne veut pas dire que les patriotes et les bienfaiteurs authentiques


n'existent pas. Campbell suggère, en identifiant le Pape Innocent III avec Klingsor, que l'Eglise Romaine
a longtemps été l'instrument majeur du crypto-fascisme sur terre. Récemment, le mouvement néocon
dans la politique Etats-Unienne est devenu, dans les affaires du monde, un instrument fondamental des
objectifs crypto-fascistes. Le déguisement qu'il utilise est précaire et à peine crédible, ce qui témoigne
du mépris flagrant des néocons pour l'intelligence des citoyens des USA qui croient qu'ils vivent dans
une démocratie. C'est comme si Jack le Violeur paradait, dans un costume d'Halloween, sous les traits
Freddy dans le film Les Griffes de la nuit, en prétendant être un anti-terroriste: et tout le monde est
bien rassuré par ces singeries.

Parzival est un chef d'oeuvre d'art psychologique. De telles oeuvres ne peuvent pas être positionnées sur
une grille Cartésienne qui présenterait des flèches partant des motifs “lance”, “Terre Gaste” et “guirlan-
de” et pointant vers des paragraphes encadrés expliquant dans un langage rigoureux la signification de
chaque motif. Aucune corrélation systématique n'est possible car les significations ésotériques et sym-
boliques sont entremêlées avec complexité et interagissent à différents niveaux de référence. Amfortas
représente à la fois notre humanité blessée et la domination paternelle (c'est à dire le complexe théolo-
gique paternel) qui la blesse. On ne peut dissocier les victimes des perpétrateurs qui leur sont souvent
liées. Gyn/Ecology (1978) de Mary Daly contient un exposé cinglant des maléfices paternels en partant
de la chasse aux sorcières pour en arriver aux Nazis, et offre des perceptions brillantes et indispensables
pour nos leçons de Mythbusting:

“Les Maîtres du Mythe sont capables de pénétrer dans le mental et l'imagination de leurs victimes en
faisant en sorte, tout simplement, que leurs mythes trompeurs s'incarnent de façon répétée dans des
situations qui impliquent les participants dans une complicité émotionnelle. De telles répétitions obligent
à la fois les victimes et les perpétrateurs à jouer leur rôle prédéterminé sans discrimination. Les psychés
des acteurs sont ainsi conditionnées de telle sorte qu'ils soient le vecteur du mythe patriarcal. Les par-
ticipants donnent une réalité au mythe en le manifestant et deviennent les reproducteurs et la “preuve
vivante” des mythes fallacieux” (page 109).

Je n'ai pas cité Daly lors de mon explication de la collusion victime-perpétrateur dans mon ouvrage Not
in His Image mais le paragraphe ci-dessus résume magnifiquement mon argumentation et nous pou-
vons presque l'interpréter comme un commentaire sur l'insertion rituelle de la lance sanglante dont est
témoin la famille du Graal.

Amfortas représente cette portion de notre humanité qui agit de façon inhumaine en raison de sa bles-
sure. Au cours de l'histoire, la partie blessée de l'humanité s'est séparé de l'espèce humaine et a muté
en une sorte de race particulière - c'est pourquoi le crypto-fascisme opère selon des principes raciaux
très prononcés. Les programmes raciaux à peine déguisés des religions Abrahamiques témoignent de la
manière dont ces religions servent de couverture, pour les perpétrateurs paternels, à des actes violents
d'écocides et de génocides. La fin de partie des dominateurs conduit à la purge, le moment apocalyptique
durant lequel les Elus sont appelés par le dieu paternel. Les opérations de magie noire les plus massives
et les plus destructrices de l'histoire humaine sont réalisées sur le derrière de la scène de la religion de
la rédemption.

Le Reich Sacré
En 2003, Cambridge University Press publia un ouvrage intitulé The Holy Reich: Nazi Conceptions
of Christianity, 1919-1945. Son auteur est Richard Steigmann-Gall, professeur assistant d'histoire à
Kent State University. Le propos de l'auteur n'est pas de présenter son interprétation de la manière dont
le Nazisme pourrait être appréhendé comme une idéologie Chrétienne de la rédemption mais bien plutôt
de démontrer comment il fut réellement considéré comme tel par les leaders Nazis. L'auteur montre que
les hommes, considérés comme les plus monstrueux ayant jamais vécu, partageaient de l'esprit authen-
tique du Christianisme commun à tous les adhérents à cette foi. Il le prouve en citant des correspondan-
ces et des procès-verbaux, jusqu'alors inédits, qui présentent la vision Nazi du Christianisme dans les
mots mêmes de ceux qui l'embrassèrent. Il laisse le Reich Sacré parler par lui-même.

Le résultat est époustouflant et c'est le moins que l'on puisse dire. Steigmann-Gall montre que tous les
chefs Nazis, à l'exception de Ludendorff, virent dans le Christianisme l'expression suprême de l'idéologie
Aryenne. Il est difficile de paraphraser ou de résumer cette argumentation ici parce qu'elle est très riche-
ment documentée et je ne ferai pas l'effort de citer les mêmes sources. L'auteur, grâce à l'utilisation de
documents originels, démontre la sincérité totale des Nazis envers le Christianisme. Les Nazis croyaient
sincèrement qu'ils étaient de dévots Chrétiens, fidèles au message essentiel de cette religion qu'ils inter-
prétaient comme un programme pour établir une race maîtresse fondée sur le modèle du Christ Aryen.


L'ouvrage de Steigmann-Gall évacue la notion bien établie
selon laquelle l'idéologie religieuse du Nazisme était une
forme pernicieuse de revivalime Germanique “du sang et du
sol”, appelant à un retour des dieux nordiques tels que Wo-
den. Que c'était, en bref, une forme de paganisme Teuton.
En réalité, les faits et les documents historiques prouvent
que seul Ludendorff embrassa cette idéologie anti-Chrétien-
ne, en raison principalement de l'influence de sa seconde
femme, Mathilde von Kemnitz. La fille d'un théologien, elle
se retourna contre son père et “elle en vint à haïr tout ce qui
était associé au Christianisme, créant à sa place une philoso-
phie qu'elle appela Deutsche Gotterkenntnis” (une concep-
tion Allemande de Dieu) (The Holy Reich, pages 87-88).
Matilde Ludendorff écrivit un ouvrage intitulé Redemption
from Jesus-Christ dans lequel “elle chercha à remplacer
Jésus par une conception panthéiste de la nature... (selon
elle) Jésus n'était pas un leader Aryen héroïque mais un Juif
alcoolique qui ne mourut même pas sur la croix” (ibidem,
page 89).

Durant la montée de Hitler au pouvoir, Ludendorff suivit son


propre programme. En 1925, il fonda la Ligue Tannenberg
“comme un groupe strictement mystico-religieux” centré sur
le culte Teutonique de la nature. Mais dans Mein Kampf,
Hitler condamna l'idéal Teutonique guerrier archaïque en des
termes qui ne laissent planer aucun doute: “Les gens déli-
The Holy Reich: Nazi Conceptions of Christianity,
rent au sujet de l'antique héroïsme Germanique, au sujet de
1919-1945. Cet ouvrage est publié par l'Université
la préhistoire d'antan, des haches de pierre, des lances et
de Cambridge
des boucliers mais en réalité ce sont les pires couards que
l'on puisse imaginer”. Deux ans après que la Ligue Tannen-
berg fût fondée, Hitler expulsa Luddendorf du parti Nazi. En raison de l'interprétation biaisée présentée
par de nombreux historiens, l'idéologie militante et mystique des Nazis à été identifiée à tort avec le
programme anti-Chrétien de Ludendorff alors qu'en fait le Nazisme était un renouveau fondamentaliste
Chrétien au coeur de l'Europe.

La Lance de la Destinée
Si Steigmann-Gall a raison, son ouvrage confirme la thèse principale de mon livre Not in His Image: le
programme de rédemption Judéo-Chrétien est la couverture pour une idéologie de génocide et de domi-
nation mise en place par une “race choisie” - la religion de la perpétration. L'auteur du The Holy Reich
explique comment les idéologues Nazis firent leur possible pour purger le Christianisme du Judaïsme et
le garantir comme la religion authentique des peuples Européens. Ce faisant, ils s'inspirèrent de l'inter-
prétation de Richard Wagner du Parzival de Wolfram. Voici l'observation très pertinente de Campbell au
sujet de cette interpétation:

“Wagner croyait que Wotan, le dieu le plus élevé dans le paganisme, devint “complètement identifié”
avec “le Christ lui-même, le Fils de Dieu”. Il soutenait que, dans l'antiquité Germanique, 'la fidélité et
l'attachement étaient d'autant plus aisément transférés au Christus que l'on reconnaissait de nouveau
en lui la souche divine'. C'est particulièrement évident dans le Parzival de Wagner... Friedrich Nietzsche
dénonça cette oeuvre, affirmant que 'Wagner s'est agenouillé devant la croix'. Comme tous les Nazis, à
l'exception de Ludendorff, Wagner était convaincu que Jésus était un Aryen”.

Campbell observa également que le Parsifal de Wagner est “diamétralement opposé” à celui de Wolfram.
Lorsque Wagner transforma la légende du Graal en une histoire de la rédemption chrétienne, les Nazis
l'embrassèrent. La légende, en tant que récit mystique des Mystères et de l'héroïsme Païen, ne susci-
taient pour eux aucun intérêt.

L'ouvrage radical de Steigmann-Gall sur le Reich Sacré ne contient pas un mot sur le Saint Graal. Cela
ne sera pas une grande surprise pour les lecteurs qui suivent mon argumentation. En adoptant l'histoire
du Mystère du Graal, les Nazis sélectionnèrent ce qui importait pour leur programme théocratique de
domination du monde: non pas le Graal mais la lance sanglante. En fait, l'intérêt d'Hitler pour la lance
fut une obsession durant toute sa vie. Et pas seulement la lance de l'histoire de Wolfram, mais la lance


véritable, la lance de Longinus. C'est un artefact Chrétien qui devint un objet de culte au 11 ème siècle
lorsque les Croisades provoquèrent une épidémie de chasse aux reliques. Dès que le public devint friand
de reliques sacrées, les reliques apparurent pour satisfaire sa gourmandise.

Parmi les batailles des Croisades, le second siège d'Antioche en juin 1098 se classe comme un événe-
ment très marquant sur le plan de la violence aveugle et meurtrière. Publié en 1852, l'ouvrage de Mackay
Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds contient des descriptions détaillées
et saisissantes des horreurs sur la Terre Sainte. A Antioche, “les hommes, les femmes et les enfants
furent massacrés de façon aveugle”, une scène réminiscente du génocide de l'Ancien Testament, avec
la bénédiction de Jéhovah. Après la bataille, la peste et la famine réduisirent les 300 000 pèlerins et
croisés survivants qui occupaient la ville à 60 000. Beaucoup parmi eux souffraient d'hallucinations et
de crises de démence. Un prêtre de Provence, Pierre Barthelemy, se présenta devant le Comte Raymond
de Toulouse, un des chefs des Croisés Français, et déclara qu'il avait eu une vision: la sainte lance qui
perça le flanc du Christ était enfouie dans les ruines d'Antioche. Pierre prétendit que l'apôtre André était
apparu à lui et qu'il l'avait conduit à l'endroit exact. “L'apôtre descendit alors dans le sol et en ramena
une lance en lui disant que c'était cette lance même qui avait ouvert le flanc dont avait coulé le salut du
monde” (Makay, page 394).

La source Biblique de la sainte lance est Jean, 19:34: “Un des soldats perça son flanc, d'une lance, et
il s'en écoula immédiatement du sang et de l'eau”. Le nom de ce centurion, Longinus, ne se trouve que
dans les Actes de Pilate, un apocryphe. Cette légende était très répandue au Moyen Age, plus particu-
lièrement à la suite de la découverte de la relique à Antioche. Les monarques Chrétiens firent leur pos-
sible pour mettre la main dessus. De même pour Adolf Hitler. Dans Mein Kampf, il décrivit le moment
où il put la contempler pour la première fois, durant une visite guidée au Musée Hofburg de Vienne. A
l'époque, Hitler avait à peine vingt ans et c'était un misérable artiste de rue qui colportait des cartes
postales peintes à la main. Un jour, il se trouva au milieu d'un groupe de politiciens étrangers auxquels il
était offert une visite gracieuse du musée. Lorsqu'ils entrèrent dans une petite salle d'exposition appelée
Weltliche Schatzkammer, Hitler se trouva face à l'objet qui allait devenir son obsession dévorante:

“Ces étrangers s'arrêtèrent immédiatement en face de l'endroit où je me tenais tandis que leur guide
montrait une antique pointe de lance. Au début, je ne pris même la peine d'écouter ce que cet expert
avait à dire à ce sujet considérant la présence de ce groupe comme une intrusion dans mes pensées
désespérées. Et puis, j'entendis les paroles qui allaient bouleverser ma vie entière: 'Il existe une légende
associée à cette lance selon laquelle celui qui la revendique et découvre ses secrets tient la destinée du
monde dans ses mains, pour le meilleur ou pour le pire.'”

A partir de ce moment, Hitler fut convaincu qu'il était destiné à revendi-


quer cette relique, la lance de Longinus qui avait percé le flanc du Christ
(appelée la lance de Maurice dont seul le fer est conservé en deux mor-
ceaux). La première chose qu'Hitler fit après avoir annexé l'Autriche en
1938 fut d'aller au musée Hofburg pour tenir la lance dans ses mains alors
que près de trente années s'étaient écoulés depuis qu'il avait posé son
regard dessus pour la première fois. Ce ne serait sans doute pas une exa-
gération de dire que la “Lance de la Destinée”, comme elle a été appelée,
est la relique magico-religieuse la plus puissante sur cette planète. De nos
jours, la lance est présente dans des douzaines de jeu de fiction qui sont
joués avec ferveur sur l'internet. Confère Google.

Après la chute de Berlin en 1945, la Lande Maurice fut retournée à la sû-


reté de la salle du Musée dans laquelle Hitler l'avait vue la première fois.
Elle y est encore.

La lance sanglante de Wolfram a beaucoup à nous enseigner, quant à la


puissance paternelle, mais son identification avec la lance qui a percé le
flanc de Jésus est sans doute l'astuce parfaite. Il est plus que probable que Wolfram avait un oeil sur
cette relique des Croisades et l'autre sur le prototype Irlandais lorsqu'il inventa ce support. Il aurait été
extrêmement dangereux pour lui de réaliser une identification littérale avec la lance de Longinus car il
affirme clairement que la lance est une arme de magie noire, forgée par un nécromancien de l'Orient.
Cela aurait impliqué que le pouvoir de guérison du sang attribué uniquement au Christ n'était rien d'autre
qu'un stratagème de magie noire.

Et c'est sans doute la réalité.


Contre-Conspiration
Afin de comprendre les machinations occultes du Mensonge Paternel, il est essentiel de reconnaître les
déguisements crypto-fascistes en jeu. Je propose le terme vecteur pour décrire comment de tels dégui-
sements dirigent ou entraînent l'attention collective.

Entraînement: Techniquement, une synchronisation d'ondes cérébrales avec une fréquence détermi-
née par le biais d'une onde électronique, d'un signal acoustique, etc. Psychologiquement, le processus
consistant à suivre un message ou un ordre subliminal ou occulte. Dans une transe post-hypnotique, le
sujet “entraîné” par le commandement donné sous hypnose y obéit de façon automatique et aveugle.

Le vecteur et le déguisement sont la même chose - dans Gyn/Ecology, Daly les appelle des “incrusta-
tions subliminales” - mais le terme vecteur souligne la manière dont le déguisement fonctionne de façon
directive sur les sujets ciblés pour un conditionnement idéologique, religieux ou social. La morale Chré-
tienne est, par exemple, un vecteur crypto-fasciste pour la collusion victime-perpétrateur. L'image du
dieu-homme ou du surhomme, Jésus Christ, est un vecteur crypto-fasciste pour un culte extra-terrestre
de domination. Ceux qui embrassent l'image comme l'idéal de l'humanité deviennent des complices in-
volontaires dans un programme occulte... ce qui nous fait paraître basculer dans la thèse de la conspira-
tion, bien sûr. Pour nous défendre des accusations selon lesquelles ces leçons de Mythbusting 101 nous
rendent solidaires de la sphère familière de la théorie de la conspiration globale, je dois présenter des
distinctions rigoureuses (en cinq paragraphes):

1. La meilleure conspiration n'est pas imposée au peuple par des manipulations occultes: elle est volon-
tairement adoptée par ceux qu'elle est supposée tromper et léser. Il n'existe pas de conspiration capable
de contrôler le monde entier et de duper tous les peuples de la planète mais il existe un scénario basique
de conspiration qui oeuvre de telle sorte qu'un programme de conspiration globale, qui serait extrême-
ment compliqué à mettre en place, n'est pas nécessaire. Pourquoi? Parce que vous n'avez pas besoin de
fomenter une conspiration dans le monde lorsque les individus acceptent d'être de connivence avec vos
objectifs, totalement à leur insu, néanmoins.

2. Un bon exemple pour illustrer ce type de connivence est le film de 1974 A cause d'un assassinat
dans lequel Warren Beatty jour le rôle d'un reporter qui tente de dévoiler une conspiration et qui finit
par en devenir le bouc émissaire. La bande du film annonce ironiquement: “Il n'y a pas de conspiration,
juste douze personnes mortes”. L'assassinat planifié que suspecte le personnage joué par Beatty fut mis
en oeuvre par une intrigue mais c'est lui-même qui devient la cheville ouvrière de la conspiration. Il par-
ticipe donc à la conspiration sans avoir été obligé de le faire.

3. Il existe un programme de conspiration à l'oeuvre dans l'histoire mais pas une conspiration systé-
matique et globale en soi. Une des finalités de ces leçons est de décrire ce programme. Cela n'est pas
du tout de dévoiler une conspiration secrète ou présumée telle. En fait, l'approche que je développe ici
pourrait être appelée une théorie de contre-conspiration. Elle diffère de la théorie de la conspiration dans
la mesure où son propos n'est pas de dévoiler une conspiration spécifique en citant des noms ou des
événements; elle tente, plutôt, de montrer comment une collusion aveugle émerge automatiquement
autour d'un scénario prédéterminé.

4. D'emblée cette distinction n'est sans doute pas claire et il peut être bénéfique de se démarquer des
suppositions et des associations habituelles qui sont corrélées aux exposés de la théorie de la conspi-
ration et d'introduire deux nouveaux termes - pour rafraîchir la syntaxe, si l'on veut. Au lieu de conspi-
ration, je vais me référer à la suprême arnaque (dans le sens où Daly évoque le “Maître Mythe”). Les
arnaqueurs peuvent être appelés les Illuminatis mais ce terme est chargé d'associations et j'en propose
donc un autre: les DC. Dans ce nouveau jargon, nous pouvons parler “de la suprême arnaque menée par
les DC” afin de montrer que ce n'est pas une conspiration en soi mais un fantasme collectif qui permet à
un noyau d'activités réellement maléfiques d'être perpétrées dans le monde entier. Comme la suprême
arnaque est un fantasme de l'imagination collective, elle n'a pas besoin d'être mise en oeuvre par un
vaste effort conspirationnel. Elle s'invente et se nourrit d'elle-même tant que l'imagination collective
n'est pas rendue attentive au scénario et guidée vers d'autres directions.

5. Et il existe un complot, un scénario, un programme caché mené par des personnes réelles, un groupe
restreint d'individus que j'appelle les DC. Ces initiales signifient “divinement choisis”, la croyance direc-
trice des DC. Ces dominateurs, au nombre restreint, partagent tous la croyance selon laquelle ils sont
les plus beaux et les plus forts. Des conspirations telles que le Nouvel Ordre Mondial sont des fantasmes
collectifs qui voient le jour en raison de la tentative humaine d'imaginer ce que les DC sont en train de
concocter et comment ils fonctionnent. Les DC tirent alors profit du processus de fantasme collectif et


l'exploitent selon des voies extrêmement pernicieuses. Il est exclus, cependant, d'imaginer que les DC
orchestrent un vaste programme de manipulation globale. Ils n'en ont pas besoin. Ils font confiance à
l'humanité pour se leurrer elle-même, pour créer ses propres prisons et pour inventer les monstres qui
la subjuguent. L'oeuvre des DC est diaboliquement intelligente, une illusion qui s'auto-réalise comme un
cauchemar Kafkaïen qui s'incarne grâce au comportement aveugle et compulsif de millions de personnes.
Le génie des DC réside dans leur capacité de faire jouer l'imagination collective contre elle-même. Ils
comptent sur l'humanité pour se faire entraîner par ses propres illusions, ou par des croyances attachées
à ces illusions et “mythes trompeurs” comme Mary Daly les appelle - le mythe de la résurrection du corps
physique après la mort, par exemple.

Les DC croient qu'ils sont les quelques élus de la divinité paternelle qui oeuvre contre l'humanité. LUI,
Yahvé, les récompensera de l'immortalité physique ou d'un statut clonal d'éternité, un simulacre de vie,
préfiguré par le personnage sinistre de Melchizedek qui est “non engendré”. Ils peuvent faire abstraction
de l'humanité et mettre en place toutes sortes de mesures pour faire en sorte qu'elle empoisonne son ha-
bitat et s'auto-détruise par la violence sectaire, le racisme, l'addiction aux drogues, et autres pathologies
induites parce qu'ils se sont alliés avec la puissance plus qu'humaine d'un dieu paternel extra-terrestre.
Pour autant que je sache, seuls les Gnostiques des Mystères Païens s'exprimèrent sur la place publique
afin de défier ouvertement ce pacte anti-humain en dévoilant le Démiurge, le dieu dément qui oeuvre
contre l'humanité. Cela explique aisément pourquoi ils furent si brutalement exterminés.

Le Crucifix et la Lance
Essayons maintenant de conclure notre investigation de ce symbole puissant du mal, la lance sanglante.
Dans le Parzival de Wolfram, le magicien noir qui forge la lance est Klingsor. Il vient de la région du Tigre
et de l'Euphrate (Irak) mais son avant-poste en Europe se trouve dans les montagnes de la Sicile. Ces
précisions ne sont assurément pas de l'invention de Wolfram et ce ne sont pas non plus des embelliss-
sements fictionnels. Tout comme les autres lieux géographiques spécifiques qu'il cite, ils sont hautement
signifiants. Il avait certainement le pape Innocent III à l'esprit dans sa référence à la Sicile. Le bastion
de Klingsor, Calotte Enbolotte (qui s'épelle de diverses façons) est une retraite cachée de montagne en
Sicile où le pape se rendait à des rencontres secrètes. Cela fut découvert par Frederick II qui avait l'ha-
bitude d'y convoquer ses généraux, ses conseillers et des Mages, des assassins et des alchimistes du
Proche Orient.

L'Irak des anciens temps était la région dans laquelle la théocratie émergea comme un système de
contrôle social, aux alentours de 4400 av EC. Comme je l'ai longuement expliqué dans d'autres écrits de
ce site, la consécration des rois requérait des agents de consécration. Durant les époques préhistoriques
et historiques, les classes sacerdotales secrètes structuraient et dirigeaient les régimes théocratiques au
Moyen Orient, en Egypte, en Chine, en Amérique centrale, en Amérique du sud et ailleurs. En Egypte,
par exemple, les pharaons, les théocrates désignés ou demi-dieux, étaient mis sur le trône et contrôlés
par deux clergés d'élite connus sous les noms d'Oeil d'Horus et d'Oeil de Seth. Les prêtres conseillaient
les chefs théocrates; et bien sûr, ils en faisaient beaucoup plus que cela. En Egypte, ils élaboraient
génétiquement les lignes pharaoniques par consanguinité systématique - un fait reconnu même par des
historiens conventionnels tels que Wallis Budge. Ils firent de même dans beaucoup d'autres régimes thé-
ocratiques de par le monde. La sélection génétique est une marotte obsessionnelle des DC.

Considérons un événement actuel: le Projet Génome Humain. Ce n'est pas un projet des DC, ni l'expres-
sion d'une conspiration occulte, comme certains chasseurs de conspirations l'ont prétendu. C'est une
vaste collaboration de scientifiques qui tentent d'élaborer une définition de l'humanité sur le foi que le
code génétique détermine strictement qui nous sommes. Cette croyance est purement humaine et donne
lieu à de vastes projections de l'imagination collective. Les DC observent comment l'imagination humaine
tend à aller vers les extrêmes les plus insensés et ils vectorisent ou “incrustent”, de façon intelligente,
leurs plans dans des fantasmes déjà en développement afin que l'imagination collective avalise et facilite
leur programme. Sans des initiés accomplis qui puissent enseigner à l'humanité comment détecter la dé-
viance des processus mythologiques et imaginaires, et comment orienter ces processus selon des voies
en harmonie avec le potentiel humain, il n'existe pas de possibilité de corriger les fantasmes qui confè-
rent du pouvoir à la suprême arnaque. Le succès de l'arnaque est garanti par l'éradication du mysticisme
expérimental, c'est à dire, l'exploration guidée d'états de perception altérée dans le but de développer
des outils cognitifs pour accompagner l'évolution humaine.

Le vecteur crypto-fasciste utilisé par les DC pour phagocyter le Projet Génome Humain en fonction de
leurs propres objectifs est une idéologie relevant du “droit à la vie” (pro-life), du négoce de foetus. La
position du président US, par exemple, contre la recherche avec les cellules-souches, implique des mon-


tages photos à l'eau de rose et des effusions verbales quant à la nature précieuse des enfants non-nés.
Mais l'idéologie pro-life n'est peut-être que le contraire de ce qu'elle prétend être. Nous avons ici un
exemple de neutralisation; la politique pro-life n'est qu'une simple façade pour maquiller l'intention des
DC d'éliminer l'espèce humaine. Il est clair que de nombreux individus adoptent la plate-forme pro-life
et y croient sincèrement. Ils sont donc de connivence, à leur insu, avec des gens qui ne respectent pas
du tout la vie car les DC cherchent activement à mener l'humanité vers sa destruction totale afin qu'eux,
les élus divins, puissent être finalement écrémés du reste de la populace humaine.

Dans un film moyen avec Arnold Swartzenegger L'Aube du Sixième Jour, les fondamentalistes Chré-
tiens font le forcing pour s'opposer au clonage humain afin de s'approprier de la technologie en secret.
L'insistance pieuse de ne pas se mêler à l'oeuvre de Dieu cache d'intention de jouer à Dieu. C'est de la
neutralisation crypto-fasciste en action.

La théocratie Egyptienne est un bon exemple de la manière dont “les masses ignorantes” soutiennent et
glorifient même un scénario secret (le programme de consanguinité pharaonique) de la suprême arna-
que. Les DC (quels qu'ils fussent à cette époque et dans cette région) mettaient en place des lignes dy-
nastiques de consanguinité génétique comme partie intégrante d'une expérimentation de contrôle social
qui fonctionna de façon fantastique pendant de nombreux siècles. Ce faisant, ils exploitèrent le fantasme
collectif de “dieux vivants”, faisant confiance aux gens qui croyaient en de telles entités pour considérer
les pharaons comme la preuve vivante de leurs croyances. C'est ainsi que les DC orchestrèrent le pro-
gramme conspirationnel de la théocracie Egyptienne.

Avec ces exemples à l'esprit, posons-nous la question suivante: quelle sorte de vecteur la lance san-
glante est-elle? Et bien, en premier lieu, c'est un instrument de souffrance plutôt que de mort et il ap-
paraît même fonctionner comme un instrument qui soulage de la souffrance. Wolfram joue avec brio de
ce paradoxe, comme nous l'avons vu. Je suggérerais que la lance sanglante est un symbole du pouvoir
mystifié de la souffrance. La croix ou le crucifix est aussi un vecteur de nature et d'intention similaire à
lance. A chaque fois que les croyants voient l'homme crucifié sur la croix, ils ressentent que la blessure
de souffrance que nous portons tous est soulagée, de même que la blessure d'Amfortas était soulagée
par l'insertion de la lance sanglante.

De nombreux individus, de par le monde, sont perplexes quant à la nécessité et à la finalité de la souf-
france et sont enclins à croire que plus de souffrance, ou une forme particulière de souffrance - la souf-
france d'un dieu d'amour divin, par exemple - peut transformer la condition humaine et nous libérer du
besoin de souffrir. Cette croyance purement humaine inspire de vastes projections de l'imagination géné-
rique de notre espèce et le pouvoir de ces projections est mis à profit par des vecteurs crypto-fascistes
comme le crucifix. Pour de nombreuses personnes, n'importe quoi fera l'affaire pour donner un sens à
la souffrance.

Pour la plupart des gens, souffrir pour rien et sans aucune solution pour mettre fin aux causes de la
souffrance est intolérable, complètement insupportable. Je me demande, néanmoins, si ce ne serait pas
la meilleure façon de souffrir. Par cela, je veux dire la manière d'éprouver la souffrance qui mènerait à
la meilleure solution pour l'humanité. La foi en une puissance supérieure capable d'affranchir de la souf-
france est sans doute l'élément le plus puissant et le plus présent dans l'imagination collective qui oeuvre
contre notre humanité.

Guérison Surnaturelle
Je ne veux pas suggérer que Wolfram eut recours au symbolisme psychologique d'une manière crypto-
fasciste. Ne nous méprenons pas, l'image de la lance sanglante ne fonctionne assurément pas comme
le crucifix qui révèle la souffrance d'un personnage surhumain dont la détresse est salutaire pour l'hu-
manité. Campbell souligne, à juste titre, que Parzival n'est, à aucun égard, une histoire Chrétienne de
rédemption par le sang. Amfortas est totalement humain, et sa souffrance ne tarit pas avec le sacrifice
d'un martyr surhumain, mais bien plutôt par le pouvoir surnaturel de guérison du Graal, de la Terre
même. L'histoire de Wolfram offre une vision incomparable du Mensonge Paternel au sujet du Christ et
de la valeur rédemptrice de la souffrance illustrée par le complexe du sauveur/victime. Parzival indique
un chemin qui s'écarte de la croix comme totem de guérison. En même temps, et dans la même imagerie
mystique, il ouvre la voie vers le Graal Païen comme source de régénération, de guérison, d'extase et de
jeunesse éternelle (et non pas de vie éternelle).

La lance sanglante peut être considérée comme un symbole maléfique parce qu'il est mauvais (à savoir
opposé à la vie) de promouvoir et de glorifier la puissance de la souffrance et de faire en sorte qu'elle

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puisse être le remède divin qui met fin à toute souffrance. L'humanité s'est fait piéger dans ce pétrin
psychotique depuis des milliers d'années, depuis que les pouvoirs de guérison authentiques de la Terre
furent frappés de tabou. Sans l'accès à la médecine planétaire offerte par Gaïa, nous infectons toute
la planète avec de la souffrance. L'infection est largement imaginaire mais elle se propage, cependant,
de façon effroyable. Cette situation horrible est totalement humaine, une tragédie pour notre espèce et
ce n'est pas le fait des DC. Mais les DC construisent leur suprême arnaque à partir d'une intuition très
profonde de nos “mythes fallacieux” (Daly) quant à la souffrance et de notre mystification. Ces mythes
fondent et embellissent cette mystification en toute occasion.

Les DC provoquent et excitent la soif de rédemption par le sang de toutes les façons possibles, et par-
ticulièrement l'incitation à la guerre, au conflit territorial, à la violence sectaire et à la division raciste
entre les peuples. Le dogme de la Présence du Christ dans le vin bu à la messe (Quatrième Concile de
Latran en 1215) leur sied à merveille ainsi que toute chose qui va maintenir l'humanité ivre des frissons
que suscite le sang répandu. Le crucifix, souvent représenté avec la victime saignant, est le vecteur
crypto-fasciste qui fait sombrer l'humanité dans la détresse de la souffrance mystifiée. Il fait exactement
l'inverse de ce qu'il prétend faire. Le crucifix ne soulage pas la souffrance mais il l'intensifie, il la légitime
et il la glorifie. Ceux qui croient qu'ils sont délivrés par la magie rédemptrice du Sang de l'Agneau sont à
l'instar d'Amfortas qui est momentanément calmé par l'insertion de la lance sanglante dans la blessure
qu'elle a infligée.

Dans Not in His Image, j'ai écrit: “La victime divine représente pour l'humanité non pas la solution à
notre souffrance et une façon de la vaincre mais notre asservissement total et dévorant à la souffrance.
La victimisation fonctionne parce qu'elle fait paraître la force de la souffrance plus puissante que la force
de vie elle-même” (chapitre 19).
Le Cercle Gnostique
Les amateurs de conspiration tout comme les historiens conventionnels concèdent qu'Adolf Hitler admit à
plusieurs occasions qu'il était sous le contrôle de “chefs secrets”. Le Führer était tel le chef d'une dynastie
dirigée par une classe secrète de prêtres. Une des méthodes permanentes des DC est de conseiller les
leaders désignés du monde. Ce faisant, ils restent à l'arrière-plan et conservent l'avantage incalculable
de gouverner ceux qui sont en position d'autorité. Si vous pensez que le président des USA est dange-
reux, pensez-y à deux fois car ceux qui le conseillent sont de loin beaucoup plus dangereux - et plus
puissants - qu'il ne l'est. De nos jours, ce n'est pas un secret pour beaucoup de par le monde.

Quelques personnes bien intentionnées, qui appréhendent la structure de puissance occulte de la su-
prême arnaque, sont enclines à croire en une contre-partie bienveillante des DC, un antidote, pour ainsi
dire. L'exemple historique le plus célèbre de ce fantasme antidoté est le psychologue et guru spirituel C.
G. Jung (1875-1961).

En 1916, alors qu'il se remettait d'une dépression sérieuse, suite


à a séparation d'avec sa maîtresse Sabina Spielrein, Jung produisit
une oeuvre étrange de matériau transmis par la transe qu'il intitula
Les Sept Sermons aux Morts. Il est connu que Jung admirait
grandement le Gnostique du second siècle, Basilides, auquel il at-
tribue les Sermons, ce qui suggère que Jung était, ou qu'il pensait
être, la réincarnation de ce maître Gnostique. En d'autres mots, la
source de la transmission était une incarnation de Jung dans une
vie antérieure.

Les fantasmes Gnostiques de Jung n'étaient pas exclusivement les


siens. Il les partageait avec un cercle d'amis proches incluant Her-
man Hesse et Miguel Serrano. Dans l'ouvrage Jung et Hesse, Ser-
rano explique la signification de l'anneau à sceau Gnostique que
Jung portait en permanence (sur le troisième doigt de la main gau-
che sur la photographie). Il représentait la croyance de Jung selon
laquelle il appartenait, avec d'autres qu'il connaissait, à un cercle
Gnostique ou Hermétique d'âmes avancées qui se réincarnaient en-
semble à différentes époques. Jung ne s'expliqua jamais publiquement dans ses écrits à ce sujet mais il
se peut qu'il ait cru que la connaissance intuitive et que les motifs archétypiques et symboliques trans-
portés à travers le temps dans l'inconscient collectif puissent être transférés par la réincarnation.

Le fantasme du cercle Gnostique apparaît assez bénin. En fait, Jung et ses amis n'étaient pas les seuls
personnes qui entretenaient le scénario de la réincarnation récurrente d'un groupe de bons copains. Le

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thème du retour de groupe fut libérament développé par Rudolf Steiner qui révéla à ses amis proches
qu'il avait été Aristote, Schionatalunder (un chevalier occis dans Parzival) et Thomas d'Aquin dans des
incarnations antérieures. Dans Le Karma, un cycle de conférences données à partir de son lit de mort,
Steiner élabora des cas de réincarnation sérielle en citant des exemples historiques tels que Platon, Ra-
phael, Goethe, Marx et Ralph Waldo Emerson.

Durant la même période, d'autres groupes en Europe, en particulier le cercle Moderniste centré sur D.
H. Lawrence, A. R. Orage, Ezra Pound et H. D, se faisaient plaisir avec des scénarios de réincarnation.
Orage et ses amis avaient l'habitude de parler et de plaisanter ensemble sur leurs vies passées. H.D.
développa la mémoire de réincarnation dans ses poèmes tardifs comme Hermetic Definition. Béatrice
Hastings, la petite amie outrancière d'Orage, s'amusa beaucoup de la façon dont ils changeaient de sexe
durant leur incarnations successives (Lives and Letters of the Modernist Circle, John Carswell). Un
bon exercice pour la réconciliation des genres! (Dans l'ancienne société Celtique, le rappel des vies pas-
sées était considéré comme normal également. Les Celtes avaient une telle confiance en cette connexion
qu'il était considéré comme acceptable de promettre de repayer une dette courante dans la prochaine
vie. Ce fait permet d'expliquer partiellement comment la continuité était comprise dans le liebestod de
Tristan, avec l'amour comme puissance de réunification des amants dans la vie suivante, et non pas dans
“l'après-vie”).

Le mémoire de Serrano sur le cercle Gnostique de Jung et de Hesse est assez charmant et nous amène
à nous demander ce que cela donnerait de mijoter un scénario comparable. Les autres ouvrages de
Serrano “traitent de Yoga et de Tantra, d'amour mystique, et de ses voyages personnels en quête de
sagesse en Amérique Latine, en Inde et dans l'Antarctique” (Jocelyn Goddwin, Arktos, page 70). Tout
cela semble, encore, une aventure relativement gentille. De la spiritualité du Nouvel Age, au mieux, ou
au pire. Mais regardons-y d'un peu plus près et nous découvrons le chef d'oeuvre de Serrano, un ouvrage
de 600 pages intitulé Adolf Hitler, le dernier Avatar et publié en 1984. Dans ce livre, Serrano révèle
son allégeance fanatique à l'idéal du surhomme Aryen, incarné par Hitler. Il avance le “mythe de la survie
d'Hitler”, affirmant que le Führer quitta Berlin dans un OVNI et trouva refuge dans un bunker souterrain
dans l'Antartique.

Il s'avère que Serrano, qui idolâtrait tant Jung, le Gnostique contemporain, idolâtrait aussi le Surhomme
Aryen - tout comme Jung d'ailleurs, à sa propre manière. Dans Le culte de Jung et Le Christ Aryen,
Richard Noll, le biographe de Jung décrit comment le célèbre psychologue, doublé d'un mystique, fut
captivé par le même mythe Chrétien Aryen qui inspira les Nazis. Selon l'analyse de Noll, la théorie du Soi
de Jung est un déguisement crypto-fasciste du complexe du surhomme. Certains personnes vont être
choquées et vont trouver totalement inacceptable de penser que Jung était un sympathisant Nazi crypto-
fasciste plutôt qu'un humaniste profond et plein de compassion. La famille de Jung livra une dure bataille
juridique pour que l'ouvrage de Noll soit interdit. J'avancerais que Jung était un grand humaniste attiré
par l'éclat spirituel du complexe du surhomme. Dans La légende du Graal, les co-auteurs Emma Jung
et Marie-Louise von Franz exposent une proposition Jungienne classique: “Il est pratiquement impos-
sible de différencier entre une expérience de Dieu et une expérience du Soi” (page 99). Cette équation
Dieu-Soi (comme je la nomme) étant acceptée sans équivoque, il n'est pas étonnant que Jung et ses
collègues étaient enclins à adhérer au complexe du surhomme. Ce qui arriva à Jung arriva également à
bien d'autres personnes authentiquement spirituelles et empreintes de compassion, de par l'intensité de
l'attrait de l'équation.

Note Finale
Pour Jung et son cercle, le Graal est “l'image de Dieu unitaire”, et non pas le corps de la Déesse, et
son reflet humain est le Christ, considéré comme le Dieu incarné. Conçu de cette manière, l'imagerie
Surhomme-Graal-Dieu s'accorde magnifiquement avec l'élément crypto-fasciste. Cependant, dans le
Parzival de Wolfram, il n'y a aucun trace de cette “inflation” déifique (pour utiliser un terme Jungien).
Pourquoi non? Remémorons-nous la fable enthéogénique encodée dans les épisodes de Gauvain. Grâce
à un exploit génial d'imagination, Wolfram nous donne la lance sanglante mais il nous donne aussi la
guirlande magique.

La lance sanglante concerne les tentations du pouvoir, y compris le pouvoir spirituel, tandis que la guir-
lande magique concerne le chemin héroïque d'abandon du soi et d'abandon de sa soif de pouvoir.

Dans Not in His Image, je soutiens que la mort de l'ego conduisant à une perception, détachée du soi,
de la Nature Sacrée, plutôt qu'à un sentiment de devenir un avec Dieu, était la marque de l'initiation
dans les Mystères. L'affirmation selon laquelle “Il est pratiquement impossible de différencier entre une

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expérience de Dieu et une expérience du Soi” n'est qu'une affirmation. On est en droit de se demander
sur quels fondements Madame Jung et le Professeur von Franz ont pu établir cette affirmation. A partir
de leurs expériences mystiques vécues? A partir de leur interprétation de Sainte Thérèse d'Avila ou de
Jacob Boehme? A partir du témoignage personnel de Carl Jung quant à ses propres expériences mysti-
ques? Ou n'était-ce qu'une déduction théorique? Quelque soit le cas, c'est une affirmation gratuite et,
à mon avis, totalement erronée. L'expérience mystique offerte par l'ingestion de plantes psycho-actives
ne conduit pas à une identification Dieu-Soi mais à de tout autres royaumes d'expériences et d'identité.
Le dépassement de l'égotisme humain et de ses prétentions déifiques, y compris l'inflation Jungienne,
constitue l'un des bénéfices essentiels de la pratique enthéogénique - un bénéfice qui ne peut pas être
acquis sans l'aide des alliés non-humains.

Invitation de l'auteur.

On pourrait objecter que l'on peut embrasser l'équation Dieu-Soi dans l'esprit de la Bhagavad Gita (Tat
Tvam Asi “Tu es Cela”), ou selon tout autre formulation bénigne, sans devenir un Nazi. C'est d'accord,
mais j'aimerais bien voir comment on peut le vivre de façon imaginative. Vous pouvez écrire au site et
me le laisser savoir.

John Lash. Août 2006. Revu en Février 2007.

Traduction de Dominique Guillet

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