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LA POLITIQUE DE FORMATION IDÉOLOGIQUE DE LA SS


(1933-1945). UNE ÉTUDE SUR LA TRANSMISSION DE LA
NORMATIVITÉ NAZIE
David Gallo

Presses Universitaires de France | « Revue historique »

2015/4 n° 676 | pages 875 à 898


ISSN 0035-3264
ISBN 9782130651444
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-historique-2015-4-page-875.htm
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Pour citer cet article :


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David Gallo, « La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945). Une étude
sur la transmission de la normativité nazie », Revue historique 2015/4 (n° 676),
p. 875-898.
DOI 10.3917/rhis.154.0875
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La politique de formation idéologique


de la SS (1933-1945). Une étude sur la
transmission de la normativité nazie
David Gallo

Comprendre les mentalités et les motivations des


acteurs du système nazi

[…] le national-socialiste qui suit la doctrine du Führer se voit et voit le monde avec
d’autres yeux que jusqu’à présent […] armé des nouvelles échelles de valeur qu’il a
acquises à partir de l’expérience du sang et de l’expérience du peuple, (il) s’attaque à
présent à tous les domaines de la vie1.
La teneur de ces quelques phrases rédigées au début 1937 par
un idéologue nazi parmi tant d’autres ne surprend plus aujourd’hui
l’historien. Prenant à rebours une certaine historiographie ancienne
qui tendait à négliger l’analyse des discours idéologiques, un nombre
croissant de travaux se sont en effet, au cours des quinze dernières
années, attachés à montrer que les théoriciens du « Troisième Reich »
ont prétendu élaborer un nouveau système de valeurs fondé sur la
distinction et l’inégalité radicales entre les membres de la « commu-
nauté du peuple » et les étrangers au groupe ethnique2. Le contexte
dans lequel ces propos sont parus et le support même sur lequel ils

1.  Wilhelm Kinkelin, « Der Nationalsozialismus schafft aus dem neuen glauben eine neue
Welt », SS-Leitheft, n°10, II. Jg., (Janvier 1937).
2. On se reportera ici aux travaux de Claudia Koonz, The Nazi Conscience, Cambridge, Harvard
University Press, 2003, de Raphaël Gross, Anständig geblieben: Nationalsozialistische Moral, Francfort/
Main, Fischer, 2010, ainsi qu’aux ouvrages récents de Wolfgang Bialas, Moralische Ordnungen des
Nationalsozialismus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2014 et de Johann Chapoutot, La loi du
sang. Penser et agir en nazi, Paris, Gallimard, 2014.

Revue historique, 2015, t. CCCXVII/4, n° 676, pp. 875-897


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ont été publiés –  le SS-Leitheft (« cahier-guide de la SS »), mensuel


pour l’instruction idéologique des membres de la SS (Schutzstaffel,
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« escadron de protection  »), organisation qui prétendait être l’élite


du régime hitlérien – sont en revanche beaucoup moins bien connus.
Car, si nombre d’études ont adopté l’angle de l’histoire des idées pour
analyser la construction d’une normativité nazie, plus rares sont celles
qui ont étudié de manière empirique les modalités de la transmission
des nouvelles normes et leur impact sur la masse des membres des
organisations nazies3.
Le problème est pourtant d’importance, dans un contexte où la
question des motivations des acteurs du système hitlérien et de ses
politiques criminelles occupe depuis le début des années 1990 une
place centrale dans l’historiographie du nazisme4. En effet, se pen-
cher sur les efforts du régime nazi pour inculquer à ses hommes une
nouvelle éthique orientant leurs actions peut permettre d’apporter
un éclairage nouveau, là où les deux principales approches adoptées
jusqu’ici par la recherche présentent, malgré leurs apports considé-
rables, certains points aveugles. Ainsi, là où la démarche héritée d’un
Christopher Browning, qui s’inspire de la psychologie sociale et ex­
plique le comportement des acteurs par la combinaison de constantes
anthropologiques et de facteurs situationnels affectant tout « homme
ordinaire » confronté à la pratique d’une violence extrême5, risque de
tendre à négliger excessivement la spécificité de l’idéologie nazie, l’on
peut espérer réintroduire dans l’analyse le poids des normes sociales
construites et transmises entre 1933 et 1945. Et là où la « recherche
sur les acteurs » (Täterforschung), prépondérante dans le champ ger-
manophone et qui emprunte la voie biographique pour reconstituer

3.  Ce n’est ainsi que très récemment que les politiques de formation idéologique, qui consti-
tuent pourtant le meilleur exemple de cette transmission, ont attiré l’attention de l’historiographie.
Sur la formation des cadres du parti nazi, voir Phillip Wegehaupt, ‘Wir grüssen den Hass!’ Die ideolo-
gische Schulung und Ausrichtung der NSDAP-Funktionäre im Dritten Reich, Berlin, Metropol, 2012. Sur la
politique de formation idéologique de la SS, voir Jürgen Matthäus et al., Ausbildungsziel Judenmord?
“Weltanschauliche Erziehung” von SS, Polizei und Waffen-SS im Rahmen der “Endlösung”, Francfort/
Main, Fischer, 2003 ; Hans-Christian Harten, Himmlers Lehrer: Die Weltanschauliche Schulung in der
SS 1933- 1945, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2014 ; et David Gallo, « La politique de for-
mation idéologique de la SS 1933-1945. Institutions, discours, pratiques, acteurs et impact de
la Weltanschauliche Schulung », thèse de doctorat de l’Université Paris-Sorbonne, 29 novembre
2014.
4.  Nous renvoyons au bilan de ces développements que dresse Gerhard Paul, « Acteurs de la
barbarie nazie : images, profils et réalités. Résultats de la recherche récente sur les responsables de
l’holocauste », in Jean-Paul Cahn, Stefan Martens, Bernd Wegner (dir.), Le Troisième Reich dans l’his-
toriographie allemande. Lieux de pouvoir. Rivalités de pouvoirs, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du
Septentrion, 2013, pp. 375-395.
5.  Nous renvoyons ici à l’étude classique de Christopher Browning, Ordinary Men: Reserve Police
Bataillon 101 and the Final Solution in Poland, New York, Harper Collins, [1992] ; trad. fr. Des hommes
ordinaires: Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, Paris, Les Belles
Lettres, 1994.
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finement les parcours sociaux, intellectuels et politiques des différents


individus ou groupes d’individus afin d’analyser leurs motivations, ne
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peut, en raison des sources disponibles, s’intéresser qu’à des acteurs


situés aux échelons supérieurs ou moyens de la hiérarchie des insti-
tutions nazies, l’on peut tenter de déplacer la focale vers un facteur
structurel qui a pu influencer l’univers mental et les représentations
de centaines de milliers d’exécutants, et ainsi mieux les comprendre.
La politique de « formation » ou « éducation » idéologique (wel-
tanschauliche Schulung ou Erziehung) mise en œuvre entre 1933 et 1945
par la SS représente, pour analyser cette transmission de la normati-
vité nazie et évaluer le succès de l’entreprise, un cas paradigmatique.
Car si la SS fut loin d’être la seule composante du régime hitlérien à
mettre en œuvre une telle politique éducative –  le parti nazi et ses
organisations de jeunesse en firent autant – elle opéra dans ce domaine
de façon indépendante et avec des ambitions et une intensité sans
égales, mettant sur pied un « appareil d’instruction » (Schulungsapparat)
considérable et dont l’action affecta plusieurs centaines de milliers
de personnes, militants civils et membres de formations policières
et militaires. C’est l’histoire de cette institution que le présent article
entreprendra de retracer, avant de s’interroger sur l’empreinte que
son action a laissée sur les hommes qui y furent soumis.

La formation idéologique en temps de paix (1933-1939)

Forger l’élite d’une Allemagne renaissante :


les objectifs et ambitions éducatives initiales de la SS

On ne trouve pas trace d’une pratique régulière de la formation des


militants au sein de la SS avant 1933. À l’instar de l’ensemble du mou-
vement nazi, la SS – qui n’est entre sa création en 1925 et l’arrivée à
sa tête d’Heinrich Himmler en 1929 qu’une organisation secondaire
comptant quelques milliers d’hommes – privilégie alors en effet très lar-
gement la conquête de la rue par la violence et l’agitation politique
quotidiennes à une véritable formation systématique de ses hommes.
Les années 1931-1932, au cours desquelles la SS connaît une croissance
fulgurante qui porte ses effectifs à 50 000 en janvier 19336, constituent

6.  C’est la biographie d’Himmler, par Peter Longerich, Heinrich Himmler. Biographie, Berlin,
Siedler, [2008] ; trad. fr. Himmler, Paris, Héloïse d’Ormesson, 2010, qui fournit aujourd’hui la
meilleure histoire globale de la SS.
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cependant une période d’incubation décisive. La SS développe alors


un ensemble de représentations quant à la formation de ses militants,
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qui, comme toute la culture politique et organisationnelle du nazisme,


procède non pas d’un développement original et endogène, mais de
l’appropriation tardive des idées et expériences apportées de l´ex-
térieur par des hommes issus de toute la nébuleuse des mouvements
de l’extrême-droite allemande, et que le succès électoral de la NSDAP
pousse à partir de 1930 à confluer dans la synthèse hitlérienne.
Les formations nationalistes des années 1920, « ligues de combat
politique » (politische Kampfbünde) extraparlementaires et paramilitaires
d’une part, groupes de jeunesse universitaire d’autre part, par lesquel-
les sont passés bon nombre de futurs cadres de la SS, lèguent ainsi à
l’organisation d’Himmler un langage politique et une représentation
du militant idéal comme « soldat politique », alliant discipline mili-
taire et fanatisme idéologique. Elles lui apportent aussi l’habitus mili-
tant et les pratiques de formation – mélange de sport paramilitaire et
de cours, soirées et camps de formation politique – censées forger ce
nouveau type d’homme7.
À ce premier ensemble de représentations et de pratiques, véritable
vulgate de la droite radicale des années de Weimar, et qui participent
d’une militarisation de la politique qui affecte l’ensemble de l’Europe
au lendemain la guerre de 1914-1918, vient s’ajouter l’apport
des idées de Richard Walther Darré (1895-1953), plus spécifiques
quoiqu’elles s’inscrivent dans le droit fil de la pensée völkisch appa-
rue dans le dernier quart du xixe siècle et des tentatives d’éduca-
teurs nationalistes qui, dès avant 1914 puis durant les années 1920,
ont investi le champ de la formation parascolaire alors en pleine
expansion8. Darré, auteur en vue à la fin des années 1920 avant de
devenir à partir de 1931 le principal idéologue de la SS et le pre-
mier inspirateur de la politique de la formation idéologique, promeut
une conception radicale, totalisante et aristocratique de l’éducation.
Pour régénérer une Allemagne décadente et redonner sa vitalité à la
« race nordique » qui en constitue le cœur, il faut, explique-t-il, non
seulement réorganiser la société sur la base de l’eugénisme et de la

7.  Pour une étude sur les pratiques éducatives de l’une de ces organisations, le Stahlhelm,
Joachim Tautz, Militaristische Jugendpolitik in der Weimarer Republik: die Jugendorganisationen des Stahlhelm,
Bund der Frontsoldaten: Jungstahlhelm und Scharnhorst, Bund Deutscher Jungmannen, Regensburg, Roderer,
1998.
8.  Sur la place de l’éducation dans les idées et pratiques de l’extrême-droite allemande entre
la période wilhelminienne et celle de Weimar, voir Uwe Puschner, Die völkische Bewegung im wilhel-
minischen Kaiserreich. Sprache. Rasse. Religion, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2001,
pp.  131-145 et Paul Ciupke, Klaus Heuer, Franz-Joseph Jelich, Justus H. Ulbricht (dir.), « Die
Erziehung zum deutsche Menschen ». Völkisch und nationalkonservative Erwachsenenbildung in der Weimarer
Republik, Essen, Klartext, 2007.
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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 879

pensée raciale, mais encore rééduquer en profondeur la population,


afin de lui rendre une culture autochtone et authentique, expurgée
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de toute influence allogène –  une véritable entreprise de palingéné-


sie nationale qui doit commencer par la formation d’une « nouvelle
noblesse », avant-garde de la révolution culturelle à venir9.
C’est ce double héritage qui fonde les projets éducatifs de la SS,
et l’ambition que nourrit l’organisation de faire de ses hommes non
seulement des « soldats politiques » mais aussi l’élite du mouvement
nazi et de la renaissance nationale que celui-ci entend faire adve-
nir. Si Darré est nommé dès janvier 1932 par Himmler à la tête de
l’« Office de la race et de la colonisation » (Rasse und Siedlungshauptamt
ou RuSHA), en charge de la politique raciale et eugénique de l’orga-
nisation et de la formation des militants, ce n’est qu’après l’arrivée
d’Hitler au pouvoir que ses idées commencent à trouver leur concré-
tisation. Au zèle idéologique de dirigeants de la SS disposant désor-
mais des moyens de leurs ambitions viennent s’ajouter, pour expliquer
l’essor de la politique de formation idéologique, des nécessités poli-
tiques plus prosaïques –  celle de maintenir l’homogénéité d’une SS
dont la croissance continue (50 000 hommes en janvier 1933, 200 000
en 1934) menace la cohésion et, dans une moindre mesure, celle de
fournir une occupation et un objectif à des militants que la conquête
du pouvoir risque de laisser désœuvrés.

La construction de l’« appareil d’instruction »

La construction de l’« appareil d’instruction », lancée en 1933 et


qui participe d’un mouvement général de renforcement de l’admi-
nistration centrale et de l’ossature territoriale de la SS, s’étire sur
plusieurs années10. Car si Himmler parvient dès 1934 à asseoir le
principe d’une indépendance absolue de la SS dans la formation
de ses hommes, la mise en place ex nihilo de structures éducatives
à l’échelle de l’ensemble de l’organisation, et le recrutement et la
préparation des nombreux personnels nécessaires à son fonction-
nement –  d’innombrables camps ou journées de sélection et de for-
mation ont lieu à cet effet à l’échelon local, régional et national à
partir de 1933 – ne peuvent être réalisés qu’à moyen et long terme.
Ce n’est ainsi qu’au début de 1936 que l’organisation acquiert un

9.  Voir notamment le second ouvrage programmatique de Richard Walther Darré, Neuadel
aus Blut und Boden, Munich, J.F.Lehmann, 1930.
10.  L’aperçu qui suit s’appuie essentiellement sur les archives administratives de la SS :
BArch (Bundesarchiv), séries NS2, NS3, NS4, NS19, NS31, NS34, R18, R58.
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caractère véritablement fonctionnel et atteint la forme qu’elle conservera


jusqu’à la fin des années 1930.
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Au sommet de la pyramide institutionnelle, un « office de la for-


mation » SS (Schulungsamt) rattaché au RuSHA, qui compte une tren-
taine de collaborateurs en 1937/1938, a la charge de coordonner le
travail des responsables de la formation idéologique au sein de toutes
les unités de terrain de la SS, d’élaborer les programmes de forma-
tion, et d’assurer l’édition des matériels pédagogiques devant servir de
support aux cours. Cet organe central étend ses ramifications sur tout
le territoire de l’Allemagne, par le biais d’un réseau d’instructeurs qui
se calque sur la structure territoriale de la SS – un peu plus d’un mil-
lier de « responsables de la formation » (Schulungsleiter) sont ainsi en
poste à chacun des échelons de la SS,  de l’Oberabschnitt (circonscrip-
tion régionale), au Sturm (compagnie de 70 à 120 hommes).
Cet « appareil d’instruction » constitue, jusqu’en 1939, un orga-
nisme à dominante civile – une situation qui reflète celle de la SS dans
son ensemble, la « SS générale » (Allgemeine-SS), branche non caser-
née de l’organisation, représentant avant la guerre la plus large part
de ses effectifs totaux (95 % en 1935)11. L’essentiel du public auquel
est destinée la formation idéologique, mais aussi des cadres chargés
de l’assurer, se compose ainsi de militants qui ne se consacrent à leur
service qu’à temps partiel et de façon bénévole, à raison de quelques
soirées de formation idéologique ou d’instruction physique et parami-
litaire par semaine.
La politique de formation idéologique sert cependant également
d’instrument à Himmler dans le cadre d’une stratégie qui vise à acca-
parer le pouvoir sur l’ensemble des organes sécuritaires du régime
nazi et à les amalgamer progressivement à la SS, en un seul et même
« corps de protection de l’État ». Les unités casernées de la SS,
qu’elles soient militaires (SS-VT) ou affectées à la garde des camps
de concentration (SS-TV), reçoivent ainsi dès leur création en 1933-
1934 une formation idéologique qui, si elle n’est pas toujours contrô-
lée directement par le Schulungsamt en raison des luttes incessantes
qui caractérisent la polycratie nazie, adopte cependant une organi-
sation et une ligne directrice pratiquement identique à celle de la SS
civile. Et de même, lorsqu’Himmler accède en juin 1936 au poste de
chef de l’ensemble des polices allemandes, il entreprend d’y trans-
férer le modèle organisationnel, les méthodes éducatives et le discours
de l’« appareil d’instruction » de la SS, ainsi qu’une partie de son
personnel.

11.  L’Allgemeine-SS est étudiée en détail par Bastian Hein, Elite für Volk und Führer? Die
Allgemeine-SS und ihre Mitglieder 1925-1945, Munich, Oldenbourg, 2012.
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La sociologie de ce personnel est instructive à plusieurs titres12.


Par bien des points, le profil du personnel des Schulungsleiter en poste
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durant les années 1930 se rapproche de celui de la grande majorité


des cadres de la SS. L’on retrouve ainsi parmi les responsables de la
formation idéologique tout comme parmi l’ensemble des officiers SS
une surreprésentation (de 50 à 75 % des cadres selon les différents
niveaux hiérarchiques) de la génération née entre 1900 et 1910, qui
n’a pas connu directement l’expérience de la « Grande Guerre »
(moins d’un quart des Schulungsleiter ont combattu en 1914-1918),
mais a été marquée dès l’enfance par la « culture de guerre », puis la
défaite de 1918 et les bouleversements politiques et sociaux qui l’ont
suivie, ce qui explique son fort engagement dans le camp nationa-
liste et hostile à Weimar. De même, une majorité des Schulungsleiter
tout comme du corps des officiers SS appartient à la bourgeoisie édu-
quée attirée par les prétentions élitistes de l’organisation dirigée par
Himmler – ainsi, plus des trois quarts d’entre eux ont suivi des études
supérieures et un tiers a obtenu un doctorat, à une époque où la part
des étudiants du supérieur dans la population allemande ne dépasse
pas les 20 ‰. Enfin, si les Schulungsleiter sont en majorité des militants
chevronnés ayant rejoint le parti nazi avant 1933 (de 50 à 70 % selon
les différents grades), moins d’un tiers seulement sont entrés à la
NSDAP avant 1930 et moins de 10 % à la SS. Ces données reflètent
bien la nature de synthèse tardive du mouvement hitlérien et de la
SS, et la forte empreinte que la socialisation politique préalable des
cadres laisse sur la politique de formation idéologique, puisque 70 %
des personnels des services centraux de l’« appareil d’instruction » et
un quart environ de ses cadres régionaux ont appartenu durant les
années 1920 à un ou plusieurs groupes de la nébuleuse ultranatio-
naliste antirépublicaine, au sein desquels ils ont intériorisé le langage
et les pratiques militantes qu’ils reproduisent après 1933 au service
d’Himmler.
D’autres traits du groupe des Schulungsleiter sont cependant plus
singuliers, et témoignent du caractère spécifique de l’« appareil
d’instruction » au sein de la SS. Ainsi, près des trois quarts de ces
hommes, contre seulement un quart de l’ensemble des membres
de la SS, ont abjuré la foi chrétienne et déclarent avoir embrassé
la « croyance en Dieu » (Gottgläubigkeit), détachée des confessions et

12.  Étude prosopographique sur un corpus de 126 dossiers personnels d’officiers SS en poste
dans l’« appareil d’instruction » entre 1933 et 1938 : BArch, séries SSO et RS. Pour une compa-
raison avec l’ensemble des cadres de l’organisation, on peut s’appuyer sur les travaux de Gunnar
C. Boehnert, A Sociography of the SS Officer Corps 1925-1939, thèse de doctorat de l’University of
London, 1978 et Herbert F. Ziegler, Nazi Germany’s New Aristocracy. The SS Leadership 1925-1939,
Princeton NJ, Princeton University Press, 1989.
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des Églises traditionnelles et renouant avec une prétendue spiritua-


lité germanique, que promeuvent Himmler et Darré, ce qui traduit
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une adhésion d’une intensité exceptionnelle au credo de l’organisa-


tion. Si ce caractère d’avant-garde idéologique des Schulungsleiter est
cohérent avec leur fonction d’évangélisation de la base militante et
peut sembler bien augurer de leur capacité à s’en acquitter, il en va
différemment de leurs compétences professionnelles. De fait, la pro-
portion d’enseignants de métier au sein de l’« appareil d’instruction »
quoique plus forte que dans le reste de la SS, reste minoritaire durant
les années 1930 (15 à 25 %), et celle des cadres qui ont suivi des
études de pédagogie – discipline pourtant en développement au sein
des universités allemandes durant les années 1920 – demeure encore
plus faible. Les parcours estudiantins et les qualifications profession-
nelles des Schulungsleiter se caractérisent par une grande hétérogénéité,
le groupe des agriculteurs étant le plus important (30 %) – situation
originale au sein de la SS et qui s’explique par un recrutement qui
s’appuie en partie sur le réseau des organisations que dirige Darré,
chef du RuSHA et principal responsable de la politique de formation
idéologique, mais aussi ministre de l’agriculture et « chef des paysans
du Reich » (Reichsbauernführer), avocat de l’idée de liens étroits entre la
SS et la paysannerie, dans laquelle il voit le noyau par excellence de
la « race nordique ». Cette hétérogénéité du personnel et cette pré-
valence de logiques de réseaux militants et de raisons idéologiques
dans le recrutement des Schulungsleiter au détriment d’une plus grande
spécialisation professionnelle contrastent avec la situation qui prévaut
dans d’autres branches de la SS (ainsi par exemple dans la police et le
service de sécurité [Sipo-SD], où les juristes fournissent près de 60 %
des cadres). Elle conditionne la pratique de la formation idéologique,
et l’on peut sans doute y voir l’une des sources des difficultés récur-
rentes auxquelles celle-ci se heurte tout au long des années 1930.

La pratique de la formation idéologique : méthodes, supports et discours

Le bilan de l’action de l’« appareil d’instruction » au cours des


années 1933 à 1939 est cependant loin d’être négligeable. Après une
période de relatifs tâtonnements, le Schulungsamt parvient à partir de
1935-1936 à mettre à la disposition des Schulungsleiter des outils édu-
catifs qui permettent une uniformisation de la pratique de la forma-
tion idéologique à l’échelle de l’ensemble de la SS. Est ainsi introduit
un programme de « formation de base » (Grundschulung) à traiter en
un cycle de 28 semaines, qui couvre quatre grands thèmes – 1) « Sang
et sol », 2) « Juiverie, Franc-maçonnerie, Bolchevisme », 3) « Histoire
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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 883

du peuple Allemand », 4) « Calendriers et coutumes, rites funé-


raires  »  – qui font l’objet de sept séries de diapositives commentées
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et abondamment illustrées, destinées à la lecture et la présentation


en cours –  l’usage de moyens modernes, diapositives ou films, per-
mettant de donner à la formation un caractère visuel, est une préoc-
cupation constante chez les responsables du Schulungsamt.
L’office central de la formation idéologique publie également un
fascicule éducatif mensuel, le SS-Leitheft, d’abord destiné exclusive-
ment aux Schulungsleiter puis accessible sur abonnement à l’ensemble
des militants SS, et dont le tirage atteint 30 000 exemplaires environ
en 1939. Les 60 à 85 pages que comporte cette publication se divisent
en deux parties. La première, destinée à la lecture commune à haute
voix lors des heures de formation, se veut aisément accessible et se
compose essentiellement d’extraits de Mein Kampf, et de petit récits de
fiction à thématique idéologique, composés suivant le style et l’ico-
nographie des romans historiques populaires illustrés en vogue depuis
le xixe siècle. La seconde partie, qui vise à l’approfondissement des
connaissances et s’adresse prioritairement aux officiers et instructeurs,
reprend les mêmes thèmes en les traitant sous une forme plus déve-
loppée et approfondie, et en adoptant une tonalité plus théorique13.
Ces matériels éducatifs servent de support à un enseignement dont
la pratique devient régulière au milieu des années 1930. Chaque
Sturm –  la plus petite cellule militante de la SS  – reçoit ainsi un ou
deux cours par mois d’une durée de 1h30 à 2h chacun, assurés par
un Schulungsleiter et basés sur les séries de diapositives de la « for-
mation de base ». Deux cours hebdomadaires de 40 minutes à
1h30 basés sur la lecture du Leitheft sont quant à eux pris en main,
en principe, par les officiers commandant les unités eux-mêmes,
afin de prévenir l’apparition d’une dualité entre le magistère idéo-
logique et le commandement militant et paramilitaire qui risquerait,
aux yeux des chefs de la SS, de remettre en cause l’idéal du « soldat
politique », à la fois homme d’action et d’idées. La plupart des SS
étant des bénévoles civils militant dans leur temps libre, les séances
de formation ont lieu essentiellement en soirée, entre 20h et 22h30,
ainsi qu’en fin de semaine, dans un local loué par l’unité ou prêté
par l’un de ses membres, salle de classe, gymnase ou débit de bois-
son –  un mode d’organisation qui s’inscrit dans la continuité des
formes de sociabilité militantes d’avant 1933. Sous la supervision des
Schulungsleiter des activités culturelles et des rites communautaires

13.  Les publications éducatives de la SS sont conservées notamment au Bundesarchiv (BArch,


série NSD 41 principalement) ainsi que dans les collections de la Bibliothèque d’État de Berlin
(Staatsbibliothek zu Berlin, Preussischer Kulturbesitz).
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–  « soirées de camaraderie », visites de musées ou de sites archéo-


logiques, et célébrations de fêtes du calendrier nazi ou pseudo-
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germanique (l’anniversaire du Führer ou le solstice par exemple) sous


la forme de cérémonies ponctuées par la déclamation de textes idéolo­-
giques et de chants, viennent en outre renforcer la formation
des hommes en leur offrant l’expérience vécue de l’idéologie de
l’organisation14.
Le spectre thématique embrassé par les programmes et les activités
de formation est large – il faut ici écarter toute interprétation anachro-
nique et téléologique qui verrait dans la formation idéologique telle
qu’elle se développe dans les années 1930 une préparation à la guerre
et à la « Solution Finale ». S’il est évident que les « cours sur l’adver-
saire » que dispense la SS à ses hommes, et plus largement la vision
d’une entreprise de purgation de la nation des prétendues influences
étrangères qu’elle leur transmet, constituent autant d’encouragements
omniprésents au rejet de l’autre, c’est néanmoins la perspective d’une
renaissance de l’Allemagne à long terme et non celle de la guerre, et a
fortiori du génocide, qui domine. Il s’agit, dans la lignée des ambitions
éducatives de Darré et d’Himmler, d’« (aborder) tous les domaines
de la vie (…)15 », du droit à l’astronomie en passant par l’histoire,
qui occupe la plus grande place dans les matériels de cours, pour les
réviser à l’aune de l’idéologie nouvelle et y rétablir une prétendue
authenticité germanique – la doctrine de la SS représentant en cela
une incarnation exemplaire du « mythe palingénésique » qui consti-
tue le noyau dur des idéologies fascistes16.
Au cours des dernières années de l’avant-guerre, l’« appareil d’ins-
truction » se trouve en état de réorganisation quasi-permanente. Dans
le cadre d’une restructuration des institutions centrales de la SS, liée
aux difficultés budgétaires que traverse la branche civile de l’organisa-
tion, aux ressources limitées, le Schulungsamt est transféré du RuSHA à
l’« office principal de la SS » (SS-Hauptamt ou SS-HA) à la mi-1938. Au
même moment, des divergences de vue et un conflit pour le pouvoir de
la SS entre Himmler et Darré conduisent ce dernier à quitter la SS.

14.  L’importance des rites dans la transmission d’une vision du monde est mise en exergue
par Pierre Bourdieu, « Les rites comme actes d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales,
n° 43, 1982, pp. 58-63.
15.  Compte rendu d’un entretien entre Himmler et Joachim Caesar, chef du Schulungsamt
le 19.02.1938, « Abschrift. Rapport beim Reichsführer-SS am 19.2.1938 » : BArch, NS2/86,
pp. 108-114.
16.  Nous empruntons le terme, et l’analyse, aux travaux de Roger Griffin, The Nature of
Fascism, Londres, Routledge, 1991, et « The Palingenetic Core of Generic Fascist Ideology », in
Alessandro Campi (dir.), Che cos’è il fascismo? Interpretazioni e prospettive di ricerca, Roma, Ideazione
Editrice, 2003, pp. 97- 122.
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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 885

Cependant, ces turbulences n’ont que des répercussions limitées


sur la pratique de la formation idéologique sur le terrain. Ce n’est
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pas à elles qu’il faut attribuer la principale rupture dans l’histoire de


l’« appareil d’instruction », mais bien plutôt à la guerre qui éclate
en 1939. Facteur de transformations considérables au sein de la SS,
le second conflit mondial modifie les objectifs et l’organisation de la
formation qu’elle dispense à ses hommes.

La formation idéologique face aux nécessités


de la guerre (1939-1945)

Former des combattants pour le front : un contexte et des objectifs nouveaux

À la suite de l’entrée en guerre du « Troisième Reich », la SS


connaît un double processus de mutation, qui va en s’accentuant
jusqu’en 1945.
L’on observe d’une part un déplacement rapide du centre de gra-
vité de l’organisation, de sa branche civile vers sa branche militaire.
Dès les premiers mois de la guerre, l’Allgemeine-SS disparaît pratique-
ment du fait de la mobilisation de ses hommes et ne conserve qu’un
squelette organisationnel, composé de ses membres les plus âgés et les
moins actifs, qui remplissent des fonctions d’assistance sociale auprès
des familles des hommes partis au combat. Les unités militarisées de
la police (bataillons puis régiments de l’Ordnungspolizei), subordonnées
à Himmler et engagées dans les territoires occupés, et surtout les
troupes militaires de la Waffen-SS, connaissent, elles, une croissance
exponentielle –  les premières comptent 60 000 hommes dès 1940,
tandis que la seconde passe d’environ 100 000 hommes en 1940 à
près de 800 000 en 1945.
L’évolution de la SS au cours des années de la guerre est d’autre
part marquée par le passage d’un caractère strictement allemand à
une dimension européenne et plurinationale. Limitée dans son recru-
tement en Allemagne par une armée régulière (Wehrmacht) qui garde
jalousement ses prérogatives jusqu’en 1944, la Waffen-SS s’ouvre en
effet aux « allemands ethniques » (Volksdeutschen) d’Europe centrale
et des Balkans, puis aux membres des peuples dits « germaniques »
d’Europe du Nord-Ouest, et enfin en 1943 à toutes les popula-
tions des territoires occupés de l’Ouest comme de l’Est. À la fin de
la guerre, au moins 200 000 des 800 000 hommes de la Waffen-SS
sont ainsi des recrues étrangères, volontaires ou conscrits levés de
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886 David Gallo

force17. La création de la « SS germanique » (Germanische-SS), orga-


nisation civile militante mise sur pied dans les pays d’Europe du
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Nord-Ouest qu’Himmler ambitionne de voir fusionner en un « grand


empire germanique » ne fait qu’accentuer ce caractère plurinatio-
nal, même si les effectifs de cette organisation demeurent limités à
quelques milliers d’hommes, bridées qu’elle est par sa rivalité avec les
multiples forces collaboratrices locales.
Ce nouveau contexte a pour conséquence une évolution des mis-
sions mêmes de la formation idéologique. Quoiqu’elle ne soit jamais
totalement abandonnée et continue d’imprégner en partie les pro-
grammes de formation, l’idée d’une éducation en profondeur des
militants au service d’un projet de renaissance nationale de longue
haleine passe au second plan, au profit de trois objectifs principaux
à plus court terme. Plus encore qu’avant 1939, l’enseignement idéo-
logique remplit en premier lieu une fonction d’homogénéisation des
troupes. La rotation et le renouvellement des hommes tout au long de
la guerre – fin 1943, seuls 12 % des soldats de la Waffen-SS ont appar-
tenu à la SS avant 1939 – tout comme l’afflux de recrues étrangères
aux motivations diverses et fluctuantes, nécessaires pour compenser
les pertes et accroître les effectifs, rendent en effet plus que jamais
urgent d’œuvrer à réaliser l’amalgame en inculquant aux hommes un
même système de valeurs.
En second lieu, la formation idéologique des nouvelles recrues
doit permettre de concilier cette croissance et ce renouvellement des
effectifs avec la préservation du caractère originel et spécifique de la
SS –  car les chefs de l’organisation, s’ils ont besoin d’un « matériel
humain » sans cesse renouvelé, n’ont nullement l’intention de renon-
cer à la nature de troupe politique d’élite de la SS, qui constitue sa
raison d’être au sein de la polycratie nazie, et promet notamment de
lui assurer une supériorité sur l’armée régulière.
Enfin, la formation idéologique représente, aux yeux d’Himmler
et de ses hommes, un outil de gestion du moral des troupes et
d’entretien de leur volonté combattante, qu’il s’agisse d’apporter
un réconfort aux hommes ou surtout de les galvaniser en suscitant
la haine de l’adversaire. Cette dernière fonction se voit au fil des
années accorder une importance croissante par les responsables de
la SS, que le volontarisme qui caractérise l’idéologie nazie conduit
à considérer la formation idéologique des hommes comme une
arme susceptible de compenser l’infériorité matérielle croissante de

17.  Ces évolutions sont analysées en détail par Jean-Luc Leleu, La Waffen-SS. Soldats politiques
en guerre, Paris, Perrin, 2007. Voir également l’étude classique de Bernd Wegner, Hitlers politische
Soldaten: Die Waffen-SS, 1933-1945, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 1982.
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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 887

l’Allemagne face à ses ennemis et de conjurer ainsi la défaite. « Plus


la situation devient sérieuse et difficile, plus la formation politico-
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idéologique de l’officier, du sous-officier et de l’homme de troupe


devient importante18 » stipule ainsi une directive de février 1945.
Un raisonnement qui explique en grande partie la croissance des
ressources en personnel et en matériel allouées à l’« appareil d’ins-
truction », particulièrement forte après 1943, et continue jusqu’à la
chute du « Troisième Reich ».

Un appareil restructuré et en expansion animé par un personnel de cadres renouvelé

La guerre et les mutations de la nature même de la SS et des


objectifs de la formation idéologique qui l’accompagnent à partir de
1939 ont pour conséquence une transformation profonde des struc-
tures organisationnelles de l’« appareil d’instruction » et du person-
nel qui les anime. L’on assiste ainsi à une évolution et une croissance
considérables des institutions centrales chargées de piloter la politique
de formation idéologique19.
Au cours des années 1939-1943, cette croissance passe d’abord
par la multiplication des organes concurrents et un morcellement des
attributions – un phénomène qui reflète l’évolution générale de la SS
et du système nazi, « polycratie de domaines de compétences juxta-
posés, et subordonnés individuellement à l’autorité du chef20 ». À côté
du Schulungsamt des origines, l’office du commandement militaire de
la Waffen-SS (SS-Führungshauptamt) s’efforce ainsi de créer son propre
service de formation idéologique, tandis qu’un office de l’« éducation
germanique » (germanische Erziehung) cherche à s’arroger la mainmise
sur la formation des recrues étrangères, militaires et civiles.
La tendance s’inverse cependant à partir de 1943, le développe-
ment de la politique de formation passant alors par une recentralisa-
tion des pouvoirs au sein du Schulungsamt et une expansion de celui-ci.
Cette dynamique s’explique en grande partie par les efforts de Gottlob
Berger (1896-1975), chef du SS-HA et par là-même du Schulungsamt.
Instituteur de métier et nazi de la première heure, convaincu que
la formation idéologique peut, en insufflant aux combattants SS le

18. Ordre du SS-Obergruppenführer Alfred Wünneberg, chef de l’Ordnungspolizei, daté du 06.


02.1945 : BArch, R19/244, p. non numérotées.
19.  L’aperçu qui suit s’appuie essentiellement sur les archives administratives de la SS : BArch
(Bundesarchiv), séries NS19, NS31, NS33, NS34, NS47 ainsi que sur les archives des organes de
commandements et unités de la Waffen-SS : BArch, RS1, RS2, RS3, RS4, RS5, RS13.
20. Maurizio Bach, Stefan Breuer, Faschismus als Bewegung und Regime. Italien und Deutschland im
Vergleich, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2010, p. 212.
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fanatisme censé faire défaut à leurs adversaires, contribuer à renver-


ser le sort des armes, Berger utilise en outre la politique de formation
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idéologique comme un levier pour accroître son propre pouvoir. Il


y parvient si bien que le Schulungsamt, devenu « office de l’éducation
idéologique » (Amt Weltanschauliche Erziehung ou Amt-WE du SS-HA)
finit en 1945 par compter plus de cent trente collaborateurs et une
myriade de départements spécialisés, et par s’imposer comme unique
pôle de direction de la formation idéologique. La politique de la SS
en la matière sert même à partir de 1943 de modèle aux efforts de
l’armée régulière pour intensifier la politisation de ses troupes, même
si l’influence des services de Berger est ici essentiellement indirecte.
L’appareil d’instructeurs chargé de relayer jusqu’au terrain les
impulsions données par le centre change aussi profondément de
visage au cours de la guerre. Dès la fin 1939, le réseau de Schulungsleiter
civils, tissé depuis 1933 par l’Allgemeine-SS sur le territoire allemand,
disparaît presque entièrement. Vidée de sa substance par la mobili-
sation de ses hommes, la branche civile de la SS cesse pratiquement
toute activité de formation idéologique –  les territoires polonais et
tchèques annexés par le Reich et qui doivent être germanisés et les
pays occupés d’Europe du Nord-Ouest, où la « SS germanique »
tente de mettre en place un maillage militant, constituent les seules
exceptions, peu importantes d’un point de vue quantitatif.
Ce sont les unités de la Waffen-SS qui constituent tout au long de
la guerre la cible principale des efforts de l’« appareil d’instruction ».
Dès novembre 1939, chaque division, unité ou école militaire auto-
nome de la SS se voit ainsi dotée d’un « officier pour l’éducation
idéologique », fonction désignée à partir de mars 1941 sous le nom
de « chef de la section VI » (Führer Abteilung VI), du nom de la section
dévouée à la formation idéologique des hommes au sein des états-
majors des unités. Les stages de formation d’officiers et d’officiers de
réserve organisés dans les écoles d’officiers de la Waffen-SS, au pro-
gramme desquels la formation idéologique figure en bonne place
(trois à cinq heures sur une cinquantaine d’heures hebdomadaires
ainsi qu’un examen obligatoire), constituent le principal creuset
de formation de ces cadres, dont le nombre augmente tout au long
de la guerre et particulièrement à partir de 1943, tendance qui reflète
l’augmentation d’ensemble des effectifs de la Waffen-SS et du nombre
de ses unités. En 1945, ce sont au moins 400 de ces officiers qui tra-
vaillent à la formation idéologique des troupes de la SS.
Parallèlement à ces transformations organisationnelles, le profil
du personnel cadre connaît également des évolutions importantes,
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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 889

selon des dynamiques de renouvellement, de rajeunissement et de


professionnalisation21.
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La mobilisation des Schulungsleiter en poste avant guerre et le recru-


tement de nouveaux officiers pour faire face au besoin de cadres
entraînent ainsi un renouvellement de ces derniers, sensible dès 1939
puis massif à partir de 1943. Entre un tiers et la moitié du personnel
de l’Amt WE et des « chefs des sections VI » en poste en 1944 n’ont
rejoint la SS qu’après 1939, et seule une faible minorité d’entre eux
a occupé des responsabilités dans l’« appareil d’instruction » avant
la guerre. Ce renouvellement s’accompagne de la promotion de
cadres plus jeunes parmi les officiers de terrain – la même tendance
au changement générationnel peut être observée au même moment
dans l’ensemble de la SS22. Ainsi, tandis que la génération née entre
1900 et 1910 continue de fournir le gros du personnel des services
centraux de l’« appareil d’instruction », près de 60 % des « chefs des
sections VI » en poste en 1944 sont nés après 1910, et 20 % après
1915. L’on constate enfin une amélioration relative des compétences
professionnelles des cadres, du moins au sein des services centraux
de l’Amt-WE, qui compte en 1944 près de 40 % d’enseignants, tandis
qu’une part non négligeable de ses dirigeants dispose d’une forma-
tion universitaire en pédagogie. L’importance des besoins en cadres
de terrain freine une pareille tendance parmi les « chefs des sec-
tions VI ». Elle entraîne même une ouverture du recrutement à des
personnels moins qualifiés qu’avant 1939 –  alors que près des trois
quart des Schulungsleiter d’avant-guerre avaient suivi des études supé-
rieures, la proportion tombe à 40 % environ parmi les responsables
de la formation des unités en 1944. Le niveau d’instruction de ces
hommes demeure cependant nettement supérieur à celui des officiers
militaires de grade équivalent, et l’on compte tout de même à la fin
de la guerre 30 % d’enseignants parmi les « chefs des sections VI »,
ce qui témoigne des efforts de la SS pour concilier accroissement des
effectifs et spécialisation des personnels.
L’analyse de ces évolutions du personnel cadre éclaire certaines
des transformations parallèles de l’« appareil d’instruction » et de la
pratique même de la formation. Le renouvellement des cadres per-
met ainsi de bien mesurer l’ampleur de la rupture occasionnée par
la guerre et plus encore par la croissance de la Waffen-SS au cours

21.  Étude prosopographique sur un corpus de 149 dossiers personnels d’officiers SS en poste
dans l’« appareil d’instruction » entre 1939 et 1945 : BArch, séries SSO, RS.
22.  L’évolution du profil générationnel, social et politique des cadres et des troupes de la
Waffen-SS pendant la guerre a été étudié en détail par Bernd Wegner, Hitlers politische Soldaten,
op.cit. (n.  17), et René Rohrkamp, « Weltanschauliche gefestigte Kämpfer ». Die Soldaten der Waffen-SS.
Organisation – Personal – Sozialstrukturen, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2010.
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de la seconde moitié de celle-ci. Le rajeunissement des officiers de


terrain peut quant à lui expliquer en partie la radicalité de cadres qui
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ont poursuivi, jusqu’à la chute du régime nazi, leur mission de fana-


tiser les troupes. Car si la part des « vieux combattants » engagés à
l’extrême-droite et au parti nazi avant 1933 est très faible parmi les
« chefs des sections VI » à la fin de la guerre, la majorité d’entre eux
appartient à la jeune génération presqu’entièrement socialisée sous le
« Troisième Reich » et qui se distingue par son adhésion particuliè-
rement forte à l’idéologie nazie (presque 80 % des responsables de la
formation en poste en 1944 ont par exemple renoncé à toute atta-
che chrétienne). La relative professionnalisation des cadres est enfin
à relier directement à l’amélioration des matériels et des méthodes
éducatives durant les années de guerre, même si l’impact de cette
tendance sur le terrain ne doit pas être surestimé, la pratique de la
formation idéologique continuant de se heurter à des obstacles.

Des méthodes et un discours adaptés au contexte d’une formation militaire


et plurinationale

La vague de changements amenée par la guerre et la militarisation


de la SS n’affecte pas seulement la structure de l’« appareil d’instruc-
tion » et la composition de son personnel. Les méthodes éducatives et
le discours tenu évoluent également à partir de 1939 en s’adaptant au
contexte et aux nouveaux impératifs du moment.
La transformation de la SS, d’organisation civile militante en
formation militaire, accentue ainsi le déplacement d’une par-
tie importante des responsabilités de la formation vers les officiers
commandants des unités.
Dès avant 1939, les commandants ont été amenés à assurer une
partie des enseignements idéologiques. Il s’agissait alors d’éviter
qu’apparaisse au sein de la SS une fracture entre des Schulungsleiter
devenus « curetons » du nazisme –  l’expression est d’Himmler  – et
une masse de cadres et de militants renonçant à toute implication
dans le domaine idéologique. Aux yeux des chefs de la SS, le raison-
nement vaut a fortiori en temps de guerre. Les officiers de la Waffen-SS
doivent à tout prix éviter de se muer en simples militaires, et se
conduire au contraire toujours en « soldats politiques ». De surcroît,
éduquer la troupe constitue pour les officiers le meilleur moyen de
cimenter son esprit de corps ainsi que leur propre autorité – le modèle
de l’officier comme meneur d’hommes charismatique et proche de
ses troupes, cultivé dans les « Corps Francs » puis dans la SA et sur-
tout mythifié par la littérature de guerre nationaliste des années 1920,
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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 891

influe ici vraisemblablement sur les dirigeants SS autant que des rai-
sonnements pratiques23. Ces réflexions expliquent en tout cas que
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les commandants militaires des unités se voient chargées à partir de


1940 d’assurer l’intégralité des enseignements idéologiques dispensés
à leurs hommes, tandis que les « chefs des sections VI » sont confinés
à une fonction de planification des enseignements et de fourniture de
documentation.
Ce n’est pas seulement la répartition des tâches éducatives qui
évolue au cours de la guerre, mais aussi la nature même de celles-ci.
Le cours idéologique, tel qu’il était pratiqué avant 1939, continue
certes d’occuper une place non négligeable. Deux heures hebdoma-
daires organisées au niveau de la compagnie et assurées par l’offi-
cier commandant –  l’une consacrée à un thème idéologique, l’autre
à la discussion des événements politiques et militaires de l’actua-
lité  – sont ainsi généralement prévues lorsque les circonstances le
permettent, c’est-à-dire essentiellement lors des périodes d’entraîne-
ment et de stationnement en dehors des zones de combat. Il en va de
même de l’organisation régulière de manifestations et rites commu­-
nau­taires permettant de donner un caractère vivant à la transmission
de l’idéologie.
Cependant, la réduction progressive des temps d’entraînement
et de repos des unités, due à la dégradation de la situation militaire,
conduit au développement croissant de moyens de conditionnement
informels et indirects. Les officiers sont ainsi exhortés avec toujours
plus de véhémence à utiliser chaque instant disponible pour éduquer
leurs hommes et à amener la parole idéologique jusque sur la ligne de
front la plus avancée. Les « chefs des sections VI » se voient également
confier l’encadrement du temps libre des troupes (Truppenbetreeung), la
fourniture d’objets (journaux, livres, disques et instruments de mu­
sique) ou l’organisation d’activités de divertissement (projections ciné-
matographiques, représentations théâtrales et musicales organisées
parfois à l’arrière même du front) permettant à la fois de soutenir
le moral des troupes en leur offrant une détente et de faire passer
des messages idéologiques –  à travers la projections de films tels
que Jud Süss (Le Juif Süss) par exemple24. Enfin, l’assistance sociale
(Fürsorge) aux troupes et à leurs familles, généreusement distribuée par
la SS et également prise en main par les responsables de la formation

23.  Voir notamment Yves Cohen, Le siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et
de l’autorité (1890-1940), Paris, éditions Amsterdam, 2013, pp. 99-165 pour un aperçu en langue
française sur l’importance de l’idée de chef charismatique dans la culture allemande du premier
xxe siècle.
24.  Voir à ce propos la monographie de Frank Vossler, Propaganda in die eigene Truppe. Die
Truppenbetreuung in der Wehrmacht 1939-1945, Paderborn, Schöningh, 2005.
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892 David Gallo

idéologique, constitue un dernier outil utilisé pour influencer la


troupe, préserver les hommes des besoins matériels devant avoir pour
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effet de renforcer leur combativité et surtout d’accroître leur loyauté


envers le régime nazi.
La production du matériel éducatif destiné à alimenter cette palette
d’activités –  programmes de cours et fascicules divers destinés aux
officiers ou distribués directement aux hommes de troupe – s’accroît
tout au long de la guerre, parallèlement à la courbe de croissance et
à la diversification des effectifs. Le tirage du SS-Leitheft atteint ainsi
450 000 exemplaires en 1944, publiés dans plusieurs langues étran-
gères afin d’atteindre l’ensemble des recrues levées par la SS en
Europe. La qualité de ce matériel s’améliore d’ailleurs sensiblement,
les documents adressés aux cadres s’efforçant ainsi de dispenser des
consignes pédagogiques bien plus précises qu’avant guerre, qui visent
à donner aux instructeurs les moyens pour s’adapter à un public
de recrues toujours plus hétérogène et concevoir leur enseignement
de la façon la plus vivante et la moins magistrale possible – l’héritage
des idées du réformisme pédagogique (Reformpädagogik), florissantes en
Allemagne depuis le début du xxe siècle et qui ont survécu à la rup-
ture de 1933, se fait ici nettement sentir25.
La teneur même du discours idéologique connaît entre 1939 et
1945 une double évolution. D’une part, l’enseignement de « tous
les domaines de la vie », destiné à restaurer une prétendue culture
authentique, s’il ne disparaît jamais, cède en grande partie sa place
à un propos se rapprochant de la propagande centrée sur les évé-
nements du moment, indispensable pour motiver immédiatement les
troupes en vue du combat. D’autre part, un nouveau corps de doc-
trine émerge à partir de 1943, qui, afin de s’adresser à une Waffen-SS
désormais plurinationale, abandonne une focalisation exclusive sur
l’Allemagne. Au cœur du discours idéologique, l’on trouve désormais
l’idée d’une « famille des peuples européens », unie par des racines
biologiques et historiques communes, et par la nécessité de se dé­-
fendre face aux mêmes ennemis, les « ploutocraties occidentales »,
le « bolchevisme asiatique », et la « juiverie mondiale », animés tous
trois par la volonté d’anéantir le Reich et l’Europe. La représentation
que la formation idéologique transmet de ces ennemis peut assuré-
ment contribuer à légitimer non seulement une volonté de résistance
à outrance, mais aussi le meurtre et le génocide –  il s’agit, selon la
formule d’un officier de la Waffen-SS, de susciter « la haine effrénée

25. On trouve un bon aperçu de cette question dans la synthèse de Jacques Gandouly, Pédagogie
et enseignement en Allemagne, de 1800 à 1945, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1997.
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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 893

contre tout adversaire26 ». Il importe cependant de constater que ce


discours ne se différencie guère en cela de l’ensemble de la propa-
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gande allemande et que les programmes de formation de la SS n’ont


pas, pas plus pendant la guerre qu’au cours des années précédentes,
prodigué aux hommes de Himmler une préparation directe et spéci-
fique au meurtre de masse, qui peut transparaître en filigrane mais
n’est jamais explicitement évoqué.

Un impact difficile à mesurer, réél mais inégal

Le problème des rapports entre formation idéologique et génocide


amène à se poser plus largement la question de l’impact que le travail
de l’« appareil d’instruction » de la SS, qui s’est prolongé jusque dans
les derniers jours du « Troisième Reich », a pu avoir sur les centaines
de milliers de militants et soldats qui y ont été soumis.
Répondre à cette question n’est pas chose aisée. Il importe d’une
part de se garder de toute lecture monocausale et déterministe, qui
prétendrait établir un lien unique et direct entre la formation reçue
par les hommes et leur éventuelle pratique de la violence guerrière
et génocidaire, et de garder à l’esprit que les représentations intério-
risées ne sont au contraire que l’un des multiples facteurs qui influent
sur le comportement des acteurs, et ce sans que cette influence soit
mécanique.
Prudente, toute évaluation de l’impact de la formation idéologique
est d’autre part vouée à demeurer imparfaite, en raison du peu de
sources permettant d’accéder à l’univers mental de la grande majo-
rité des acteurs. Comme le résume l’historien Johannes Hürter : « les
archives militaires ont une autre focale, les mémoires d’après-guerre
sont mille fois filtrés, le courrier du front est soumis à la censure et
l’autocensure, les journaux intimes sont rarement à disposition27 »
– une situation que la découverte récente des protocoles des écoutes
réalisées sur les prisonniers allemands par les alliés anglo-américains
ne bouleverse que très partiellement, ces sources se révélant d’une
représentativité et d’une interprétation problématiques28. Devant ce

26. Ordre du commandant de la 10.SS-Panzer Division daté du 25.11.1943 : BArch, RS3-


10/1, p. 4.
27.  Johannes Hürter, « Vorwort », in Felix Römer, Kameraden. Die Wehrmacht von innen, Munich,
Piper, 2012, pp. 9-16, ici p.11.
28.  Il à noter cependant que les premières études exploitant ces sources s’accordent pour
constater que la pénétration de l’idéologie nazie a été plus profonde au sein de la Waffen-SS que
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constat décevant, ce sont encore les sources administratives produites


par l’« appareil d’instruction », et en particulier les rapports d’acti-
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vité de ses officiers de terrain qui, malgré leur caractère lacunaire et


la partialité de leurs auteurs, fournissent le plus d’éléments utiles à
l’analyse.
C’est à un bilan contrasté que cette analyse permet de parvenir.
S’il est une conclusion qui s’impose avec clarté, c’est celle de l’exis-
tence d’une distance considérable entre les programmes de formation
théoriques et la pratique du terrain. Variant fortement d’une unité à
l’autre et confrontée à de nombreux ratés, celle-ci s’avère donc fort
éloignée de l’ambition affichée par la SS de produire une « nouvelle
noblesse » et un corps de « soldats politiques » absolument homogène.
Un décalage dont on peut estimer qu’il est, dans une certaine mesure,
inscrit au sein même des projets d’Himmler, de Darré ou de Berger,
dont les objectifs ne peuvent que se révéler démesurés au regard des
nombreuses contraintes auxquelles se heurtent nécessairement la réa-
lité enseignante et le temps réduit de l’existence du régime nazi.
Si la pratique effective de la formation idéologique dans la SS
n’est donc pas à la hauteur des espérances utopiques de ses promo-
teurs, elle est néanmoins loin d’être négligeable. La formation dis-
pensée aux hommes d’Himmler se distingue même nettement des
efforts menés dans le même domaine par les autres branches du
régime hitlérien, par sa régularité, son intensité, et l’ampleur des
contenus enseignés à l’ensemble des militants. Ainsi par exemple,
l’instruction idéologique fournie par le parti nazi à ses membres
n’est que mensuelle et réservée aux cadres, à l’exclusion des militants
de la base ; et encore, seuls 10 % des cadres de la NSDAP de la
région de Thuringe et moins de 2,5 % de ceux de la région de Hesse-
Nassau participent à une session de formation en 193829. La compa-
raison avec la SS montre bien l’avance dont dispose cette dernière
sur les autres organisations nazies et permet ainsi d’affirmer qu’elle a
bien été, dans le domaine de la formation idéologique des hommes, à
l’avant-garde du « Troisième Reich ».
On peut cependant aller au-delà de ces considérations d’en­
semble sur les résultats de la politique de formation idéologique de
la SS –  inférieurs à l’utopie des chefs de l’organisation, supérieurs

de l’armée régulière. Voir Sönke Neitzel et Harald Welzer, Soldaten: Protokolle vom Kämpfen, Töten und
Sterben, Francfort sur le Main, Fischer, 2012, trad. fr. Soldats. Combattre, tuer, mourir : Procès-verbaux
de récits de soldats allemands, Paris, Gallimard, 2013, ainsi que Frederik Müllers, Elite des «Führers»?
Mentalitäten im subalternen Führungspersonal von Waffen-SS und Fallschirmjägertruppe 1944/45, Berlin,
Be.Bra Wissenschaftsverlag, 2012.
29.  Phillip Wegehaupt, « Wir grüssen den Hass! », op.cit. (n. 3), p. 78.

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La politique de formation idéologique de la SS (1933-1945) 895

à ceux de leurs rivaux au sein de la polycratie hitlérienne –, et mettre


en évidence trois principaux ensembles de facteurs qui conditionnent
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la pratique de la formation et, partant, la probabilité que celle-ci a


d’avoir un impact.
La qualité de l’encadrement est sans doute le paramètre dont
l’importance ressort le plus clairement de la lecture des sources.
Dès avant 1939, le caractère composite du personnel cadre déter-
mine en effet souvent le succès ou l’échec de la formation, l’absence
de compétences ou même de volonté de certains cadres pétris d’un
ethos paramilitaire et d’un fort anti-intellectualisme, surtout parmi
les commandants d’unité, s’avérant rédhibitoire. La guerre ne fait
qu’accroître l’importance de ce facteur, une part accrue de la respon-
sabilité de la formation des troupes se trouvant désormais placée sur
les épaules d’officiers militaires de la Waffen-SS souvent absorbés par
leurs responsabilités de commandement, inégalement qualifiés pour
faire office d’enseignants, et fréquemment pétris d’un nationalisme
allemand et d’un racisme les rendant inaptes à encadrer des troupes
étrangères.
C’est précisément la sociologie de la troupe qui détermine en
second lieu le succès de la formation. Dans les années 1930 déjà,
alors même que la SS se compose de militants allemands volontaires,
les résultats de l’enseignement idéologique sont fonction des apparte-
nances générationnelles, sociales, géographiques, des différences du
niveau scolaire et intellectuel des hommes, et même de la diversité de
leurs motivations –  qui sont loin de se résumer toujours à un enga-
gement idéologique fervent. Le constat vaut a fortiori pour les années
1939-1945, lorsque la Waffen-SS étend son recrutement à toute
l’Europe, incorporant une mosaïque de recrues, volontaires mais aussi
conscrits, difficilement assimilable du fait de sa diversité.
Enfin, la nature du discours idéologique enseigné et son adéqua-
tion au contexte politique dans lequel celui-ci prend place ne peuvent
manquer d’influer sur son impact. Ainsi par exemple, les discours
volontaristes que la SS adresse à ses hommes durant les années de
la guerre se trouvent progressivement démentis par la réalité indé-
niable de la défaite de l’Allemagne, tandis que la réalité des politiques
d’occupation allemande vient saper la crédibilité dont la doctrine
européenne de la SS peut jouir auprès des recrues étrangères. De
telles situations ne peuvent qu’hypothéquer très largement les chances
de succès de la formation.
Une pondération de ces différents facteurs conduit à proposer une
vision graduée de l’impact de la formation idéologique : réelle, quoi-
que non uniforme, dans des unités d’« allemands du Reich », compo-
sées de façon croissante entre 1933 et 1945 d’hommes appartenant
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aux jeunes générations entièrement socialisées sous le régime nazi et


modelées par lui avant même leur entrée dans la SS, la portée de la
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formation a été moindre sur les formations d’« allemands ethniques »,


et plus faible encore sur les unités étrangères, assemblages hétéroclites
d’hommes d’horizons très divers et auxquels la SS n’a su offrir ni un
discours suffisamment mobilisateur ni un encadrement adapté.
L’étude de la politique de formation idéologique de la SS, cas
paradigmatique des efforts déployés par le régime nazi pour trans-
mettre son système de valeurs à ses hommes, semble ainsi permettre
en définitive d’apporter un éclairage complémentaire aux travaux
d’histoire des idées qui s’efforcent de reconstituer l’univers norma-
tif du national-socialisme, et à ceux qui tentent de comprendre les
motivations des acteurs du régime hitlérien. Elle montre que, s’il y a
bien eu une normativité nazie, sa transmission a été une entreprise
complexe, mobilisant des ressources humaines et matérielles consi-
dérables, impliquant des processus institutionnels sophistiqués, et
soumise à des impératifs politiques changeants. Et en permettant
de bien mesurer les obstacles auxquels s’est heurtée la transmission
de la normativité nazie et les limites qu’elle a rencontrées, elle rend
possible de proposer une évaluation nuancée et différenciée de la place
que les valeurs morales et les représentations idéologiques propagées
entre 1933 et 1945 ont pu occuper dans le faisceau des facteurs qui ex­-
pliquent le comportement des acteurs du système nazi et de ses crimes.

Ancien élève de l’ENS-LSH (Lyon), agrégé d’histoire et docteur en histoire


contemporaine de l’Université Paris Sorbonne (Paris IV), David Gallo a soutenu
en novembre 2014 une thèse qui porte sur La politique de formation idéologique de
la SS 1933-1945. Institutions, discours, pratiques, acteurs et impact de la Weltanschauliche
Schulung, sous la direction des Pr. Edouard Husson et Dominique Barjot. Il a
publié dernièrement « Du poids de l’intérêt matériel dans l’adhésion au nazisme.
Réflexions autour des thèses de Götz Aly à travers le cas de la politique d’aide
sociale de la SS », in Mathieu Dubois et Renaud Meltz (dir.), De part et d’autre du
Danube. L’Allemagne, l’Autriche et les Balkans de 1815 à nos jours. Mélanges en l’honneur
du professeur Jean-Paul Bled (Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2015,
pp. 203-219).

Résumé

Le présent article retrace l’histoire de la politique de « formation » ou « éducation


idéologique » (weltanchauliche Schulung ou weltanschauliche Erziehung) mise en
œuvre entre 1933 et 1945 par la SS (Schutzstaffel), organisation qui se voulait l’élite
du nazisme. Il s’agit ce faisant d’apporter, à travers l’étude empirique d’un cas para-
digmatique des efforts déployés par le régime nazi pour transmettre son système de
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valeurs à ses hommes, un éclairage complémentaire aux travaux qui analysent l’uni-
vers normatif du national-socialisme sous l’angle de l’histoire des idées, et à ceux qui
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tentent de comprendre les motivations des acteurs du régime hitlérien. La présente


contribution croise l’histoire du réseau des institutions chargées de l’élaboration et
de l’application de cette politique, une enquête prosopographique sur le personnel de
cadres qui anima ces institutions et l’étude des pratiques éducatives et des discours
idéologiques élaborés au sein de celles-ci et l’analyse de l’impact de ces politiques.
Après avoir abordé successivement les deux principales phases du développement de
la politique de formation idéologique, qui a d’abord visé à la création d’une élite civile
militante du régime nazi (1933-1939), avant de se recentrer sur les unités militaires
et policières de la SS (1939-1945), l’on propose une évaluation de l’empreinte que le
système normatif ainsi transmis a pu laisser sur la masse des militants et soldats et
policiers de la SS, qui montre que celle-ci, quoique réelle, a été extrêmement inégale,
et est demeurée nettement inférieure aux ambitions initiales des idéologues de la SS.

Mots clés : 1933-1945, Allemagne, national-socialisme, Schutzstaffel, idéologie


nazie, éducation.

Abstract

The Policy of Ideological Training within the SS (1933-1945). An study of the trans-
mission of Nazi normativity

The following article traces the history of the policy of « ideological training »
(weltanschauliche Schulung or weltanschauliche Erziehung) developed between 1933
and 1945 by the SS (Schutzstaffel), the organization that considered itself the elite
of Nazism. Its radicalism and its scope make the SS’s efforts in the field of political
indoctrination a paradigmatic example of the Nazi regime’s attempts at transmitting
its new system of values to its rank and file. An empirical case study of such a policy
can thus allow the historian to shed new light on the problem of nazi normativity and
help bring a new perspective to the understanding of the mentalities of the men who
committed to the cause of the « Third Reich » and fought and murdered in its name
– two issues that are central to the recent historiography of National-Socialism. This
article combines four complementary methodological approaches: an institutional
history of the network of organizations tasked with elaborating and implementing the
SS’s training program, at the centre of which stood the SS-Schulungsamt (educational
office), that oversaw the work an « educational organization » (Schulungsapparat)
of more than a thousand instructors present at all levels; a prosopographical pro-
file of the specific group of Nazi perpetrators who operated at various levels of the
« educational organization »; an analysis of the ideological discourses and teaching
methods elaborated by these institutions; and an evaluation of the way the SS’s own
brand of education impacted the hundreds of thousands of men who served in its
civil, military or police branches. The first two parts of the article analyse the two
main chronological phases of the history of the « educational organization » and
its changing priorities, as the program of ideological training, that initially aimed at
forging the civil elite of the nazi regime through a process of long-term reeducation
(1933-1939), increasingly transformed into an instrument of morale-boosting for the
SS’s fighting troops (1939-1945). The third and last part of the article tries to assess
the results of ideological training and the extend to which Nazi norms penetrated the
SS’s various units. It reaches the conclusion that, although ideological penetration
should not be underestimated, it varied greatly and remained generally far below the
utopian expectations of SS ideologists.

Keywords: 1933-1945, Germany, national-socialism, Schutzstaffel, nazi ideology,


education.

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