Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
ALLEMANDE
1918 – 1923
Pierre Broué
ReR
Raison en Révolte
Paris - Genève - Bruxelles
La Révolution Allemande
Pierre Broué
Distribution internationale:
Éditions ReR
Effingerstrasse 8
3008 Berne (Suisse)
www.editions-rer.ch
Contact:
ISBN: XY
TABLE DE MATIÈRES
LA RÉVOLUTION ALLEMANDE
1918 – 1923
DOCUMENTS
Pierre Broué
PREMIÈRE PARTIE
1918-1919
LA SOCIAL-DÉMOCRATIE MAJORITAIRE
Le parti social-démocrate allemand avait été, avant la guerre de 14-
18, le plus beau fleuron de l’Internationale, le modèle des socialistes
du monde entier. Les succès obtenus dans les luttes revendicatives,
dans la voie des réformes, lui avaient permis la construction d’une
magnifique organisation de masses, fière de ses réalisations et de
ses conquêtes, de son efficacité et de sa discipline. Certes, l’accent
mis sur le programme minimum, sur les « conquêtes » à arracher
par la voie parlementaire, donnait à son action un incontestable
caractère réformiste. Mais le parti entendait rester fidèle à la
réalisation de son but final, le socialisme, et avait nettement
condamné le « révisionniste » Bernstein, qui avait tenté de
théoriser cette évolution. Certes, la centralisation avait abouti à la
domination parfois étouffante d’une bureaucratie de fonctionnaires
— on a parfois comparé le secrétaire à l’organisation, l’ancien sellier
Friedrich Ebert, à une araignée au centre de sa toile — mais l’appareil
n’avait pas pour autant étouffé toute discussion : gauche, droite et
centre confrontaient librement leurs idées au sein de l’organisation,
où les révolutionnaires avaient toutes possibilités de développer
leurs thèses, comme l’avaient fait, depuis 1905, leurs portes-paroles,
Karl Liebknecht ou Rosa Luxembourg. Surtout, fidèles au dogme
de 1’ « unité politique de la classe ouvrière », cadres et militants
n’envisageaient pas, n’avaient jamais envisagé la scission, qui leur
paraissait le pire des crimes. Lénine lui-même se refusa à croire,
le 4 août 1914, la nouvelle de la trahison des députés socialistes
4 LA REVOLUTION ALLEMANDE
LE COMPROMIS DU 9 NOVEMBRE
Désigné comme chancelier du Reich par le dernier chancelier de
l’empire, le prince Max de Bade, le socialiste majoritaire Ebert se
tourne aussitôt vers les Indépendants dont l’aile gauche a été l’aile
marchante de la Révolution de novembre, et leur offre le partage
du pouvoir. De longues discussions dans la journée et la soirée du
12 LA REVOLUTION ALLEMANDE
LE RETOUR DE L’ARMÉE
Dès le 9 novembre, Ebert demande au maréchal Hindenburg
de conserver le commandement. Son ordre précise : «Là où des
conseils de soldats se sont constitués, ils devront seconder sans
réserve les officiers, afin de maintenir l’ordre et la discipline ».
Quand, le 10 novembre, les 7 membres du Conseil Exécutif des
Comités de Soldats se présentent à l’état- major, le lieutenant-
colonel Faupel, qui les accueille, les mène devant une carte, et leur
demande si, face à l’écrasante tâche de l’organisation du retour, ils
se croient en droit de troubler le travail technique des officiers et
de provoquer, par leur intervention intempestive, la catastrophe.
Les conseillers soldats, impressionnés par la tâche technique, par
l’accord qui semble régner entre les généraux et les socialistes du
gouvernement, s’inclinent : ils appelleront eux-mêmes les soldats à
effectuer la retraite, dans l’ordre et la discipline, sous l’autorité des
officiers. Et c’est ce qui se produira.
Enhardi par ce premier succès, Groener pense pouvoir aller
plus loin. Le conseil exécutif des soldats est si docile que l’état-
major conçoit le projet d’utiliser le Congrès des Conseils de Soldats
comme une arme contre les conseils d’ouvriers, et notamment
contre le comité exécutif de Berlin. C’est dans cet espoir qu’est réuni
à Ems, le 1er décembre, le congrès des conseils de soldats du front.
Mais la situation a profondément changé : de retour à l’arrière, les
troupes, en contact avec les éléments révolutionnaires, ne sont
plus composées de soldats disciplinés comme jusqu’à la retraite ;
ceux-ci discutent, regimbent contre le commandement, refusent la
discipline aveugle, Barth, envoyé du Comité Exécutif, lève leurs
préventions contre les Conseils d’Ouvriers. Le congrès se rebelle,
réclame l’élargissement du pouvoir des conseils d’ouvriers, refuse la
motion de défiance contre le Comité Exécutif que proposaient les
hommes de l’état-major. Revenue en bon ordre à l’arrière, l’armée
s’y décompose : la discipline et l’autorité des officiers sont, chaque
jour, plus ébranlées. Au moment même où l’état-major se demande
s’il pourra conserver entre ses mains une force armée susceptible
d’écraser la révolution, le Congrès des Conseils d’Ouvriers et
de Soldats de décembre prend des positions radicales. Après
PREMIÈRE PARTIE 1918-1919 19
NOSKE
Au moment même où les décisions du Congrès communiste
laissaient prévoir le maintien des divergences, tactiques, de
l’incohérence organisationnelle, de la confusion politique des
forces révolutionnaires, le départ des commissaires du peuple
indépendants amenait au gouvernement un homme résolu à frapper.
Permanent du parti depuis des années, l’ex-bûcheron Gustav
Noske était l’homme de l’appareil par excellence. Défenseur du
colonialisme avant-guerre, il était devenu le socialiste des généraux
pendant la guerre. C’est le général Groener en personne qui avait
recommandé à Ebert son entrée dans le gouvernement. Adversaire
des atermoiements, Noske, sans hésiter, accepta, selon ses propres
termes, de « faire office de bourreau » (Bluthund : littéralement
chien sanglant). Il avait pour cela l’instrument indispensable, les
Corps Francs organisés à l’instigation de l’état-major, corps de
volontaires entraînés aux tâches de la guerre civile, fanatisés par la
haine des « juifs » et des « bolcheviks ». Après les avoir passés en
revue, le 29 décembre, le général Groener pouvait s’écrier : « Le
combat va commencer », et Noske, le 4 janvier, rassurait Ebert :
« La roue va tourner ».
LES PRÉTEXTES
Les prétextes ne manqueront pas aux révolutionnaires berlinois
pour se laisser entraîner dans un combat prématuré, isoler de
la masse ouvrière. Le plus grave incident sera sans doute, à cet
égard, l’occupation par un groupe de militants spartakistes, du
journal social-démocrate Vorwärts, ancien organe oppositionnel,
PREMIÈRE PARTIE 1918-1919 25
LE COMBAT
Le 4 janvier, Noske décidait d’employer la force pour révoquer
Eichhorn. Délégués et Indépendants de Gauche, d’accord pour
résister, appelaient à une manifestation de masse et à la grève
générale. Pendant deux jours, les révolutionnaires furent maîtres
de Berlin, et le gouvernement impuissant. Deux attitudes étaient
possibles : rester sur la défensive, éviter un combat prématuré,
empêcher que se mène la bataille pour Eichhorn, en un mot
appliquer la tactique de Lénine en juillet 17 ; ou bien se battre
à fond, prendre le pouvoir à Berlin et s’efforcer de conquérir le
reste de l’Allemagne, ce qui n’était pas impossible, quoique peu
probable. Les dirigeants des ouvriers berlinois firent le pire : ils ne
donnèrent, deux jours durant, que le mot d’ordre de manifester,
26 LA REVOLUTION ALLEMANDE
LE MOUVEMENT GRÉVISTE
Rosa Luxembourg avait vu, dans les grèves qui commençaient,
le signe de la maturation de la classe ouvrière allemande, de
l’approfondissement de sa volonté révolutionnaire. Le vaste
mouvement qui devait, effectivement, marquer cette prise de
conscience, entraîner, contre le gouvernement social-démocrate,
des milliers d’ouvriers sociaux-démocrates sur des revendications
ouvrières révolutionnaires, commençait, en effet, au moment
même où les soudards berlinois abattaient les leaders de Spartakus.
Las d’attendre la socialisation promise des mines, les travailleurs
de la Ruhr passaient à l’action. Le 3 janvier, le Conseil des Ouvriers
et des Soldats de Rhénanie- Westphalie charge une commission
de 9 membres (3 sociaux-démocrates, 3 socialistes indépendants,
3 communistes), d’entreprendre immédiatement la socialisation
des mines. Les ouvriers, armés, protègent leurs Conseils. Le
gouvernement affirme alors son intention de socialiser les mines,
et désigne à cet effet trois délégués, dont un dirigeant syndicaliste,
un haut fonctionnaire et un magnat du charbon3. Puis l’assemblée
de Weimar décide la création de Chambres du Travail, organismes
paritaires, pour mettre sur pied la socialisation. Les syndicats
« jaunes » (3 % des ouvriers) y sont représentés au même titre que
les syndicats socialistes (81 %) : Thyssen, Krupp, Stinnes n’ont rien
à en redouter. Tandis que le gouvernement cherche à gagner du
temps par ces déclarations d’intentions, il s’efforce de créer les
conditions d’une contre-offensive : sur ordre de Noske, le général
Watter fait arrêter le Conseil des Soldats de Rhénanie-Westphalie,
dont la solidarité avec les mineurs est connue. Le 14 février, les
délégués de tous les Conseils de Rhénanie-Westphalie décident
la grève générale pour le 18 si le gouvernement ne promet pas de
laisser agir la Commission des Neuf et ne relâche pas les conseillers
3 Le magnat du charbon Vögler, fidèle soutien des nazis, deviendra un des grands
personnages du régime hitlérien.
DEUXIÈME PARTIE 1920-1923 35
8 Léo Jogiches, hostile, nous l’avons vu, à la rupture avec les Indépendants, avait
conseillé à Clara Zetkin, une des anciennes de Spartakus, de ne pas rejoindre le
P.C., et de rester au sein des Indépendants. Ce qu’elle fit.
9 Les leaders révolutionnaires de 1918 appartenaient à une génération qui avait
fait ses classes dans la social-démocratie d’avant-guerre et y étaient parvenus à
la notoriété : Liebknecht avait 47 ans, Rosa Luxembourg 48, Eisner 51. Leurs
successeurs étaient tous jeunes et inconnus sur le plan national : en 1918, Paul
Levi et Thalheimer avaient 35 ans, Brandler 37, Froelich 34, Thaelmann 32,
Maslow 27 et Ruth Fischer 23 ans.
DEUXIÈME PARTIE 1920-1923 41
10 D’origine bourgeoise, esprit fin et cultivé, du cercle des intimes de Rosa, Paul
Lévi n’avait rien d’un leader ouvrier et se le voyait fréquemment reprocher. Il
passait pourtant pour un théoricien de valeur.
42 LA REVOLUTION ALLEMANDE
PRESTIGE DE L’I. C.
Pourtant, si le faible Parti Communiste ne risque pas de
représenter un pôle d’attraction pour les centaines de milliers
d’ouvriers révolutionnaires allemands qui sont dans les rangs des
Indépendants, il n’en est pas de même de la IIIe Internationale
qui s’est fondée au cours du printemps tragique d’Allemagne.
La scission de Heidelberg a, en fait, levé un obstacle entre
Indépendants et Spartakistes11. Le gouffre qui reste sera comblé
par les efforts de l’Internationale Communiste et le prestige des
révolutionnaires russes. Au congrès de Leipzig du Parti Social-
Démocrate Indépendant, en décembre 1919, l’aile droite, déjà
affaiblie et qui vient de perdre son dirigeant le plus capable, Hugo
Haase, assassiné par un nationaliste, subit une défaite décisive :
le Parti Indépendant refuse d’adhérer à la IIe Internationale. S’il
n’adhère pas à la IIIe, il s’y prépare, en votant, à l’appel de Däumig
et de ses amis, une résolution demandant à son C.C. d’ouvrir les
négociations pour « réaliser l’union de la classe ouvrière par l’action
révolutionnaire dans la IIIe Internationale ». Le Comité Exécutif de
l’I.C. saisit la balle au bond et invite les Indépendants, ainsi que le
KAPD, à des négociations en vue de leur adhésion. La faiblesse du
LE PUTSCH DE KAPP
L’occasion de renverser la vapeur viendra. Elle se produira,
pourtant, trop tôt, avant la fusion, avant que ne se soit constituée
une nouvelle direction. Communistes et Indépendants la laisseront
également échapper.
Au début de 1920, en effet, se dessine, dans les milieux de
l’état-major, et, en particulier, chez les cadres des Corps Francs,
un mouvement qui va trouver un appui certain dans les couches
les plus réactionnaires de l’impérialisme allemand, les hobereaux
de l’Est et la bureaucratie de l’État prussien. Il s’agit, pour ses
animateurs, Wolfgang Kapp et le général von Lüttwitz, d’en finir
avec la république parlementaire et le mouvement ouvrier, de
se débarrasser de la tutelle encombrante des ministres sociaux-
démocrates dont ils n’ont plus que faire, la révolution des Conseils
ayant été écrasée. Les conspirateurs avaient espéré l’appui de
Noske, mais devront y renoncer. Le putsch, connu à l’avance des
autorités social-démocrates, éclate le 13 mars. Le gouvernement
13 Lié à Karl Radek qui était de sa génération et avait milité avec lui à Goettingen
avant-guerre, Thalheimer, journaliste et philosophe, était — selon Ruth Fischer,
leur adversaire de tendance — le « cerveau » de Brandlcr.
46 LA REVOLUTION ALLEMANDE
CONSÉQUENCES DU PUTSCH
L’alliance un instant menacée entre l’état-major et la social-
démocratie allait se ressouder contre le danger révolutionnaire.
Exploitant les agissements des révolutionnaires de la Ruhr, le
général von Seeckt exige le rétablissement de l’ordre dans cette
région par le désarmement des ouvriers. L’accord, péniblement
DEUXIÈME PARTIE 1920-1923 47
LA RÉACTION NATIONALISTE
L’occupation de la Ruhr a provoqué, dès le premier jour, une
violente poussée des nationalistes. Le général Ludendorff, l’ex-
chef d’état-major du Kaiser, lance un « appel aux armes ». Dans
toute l’Allemagne, c’est une explosion d’indignation contre
l’agression française qui vient renforcer les rancœurs nées de
1’armistice du 11 novembre 1918 et du «diktat» de Versailles : la
propagande extrémiste des nationalistes en profite pour la marquer
de son empreinte caractéristique, dénonçant la « honte noire »,
l’atteinte portée à l’honneur de la race3, en appelant aux réactions
émotionnelles les plus violentes. Les débris des Corps Francs, les
restes des organisations secrètes contre-révolutionnaires qui ont
fleuri au lendemain de la fin de la guerre, à nouveau soutenus par
des fonds importants, se réorganisent et se développent, pour
lutter à la fois contre les impérialistes de 1’« Entente » et le « péril
rouge » dénoncé comme la cause de la défaite et de la « honte ».
Tandis que d’anciens officiers et sous-officiers mettent sur pied des
groupes paramilitaires dans la jeunesse, la « Reichswehr noire »
L’INFLATION
Nous avons vu que le gouvernement Cuno avait, fin janvier,
stabilisé le mark à 250 000 la livre sterling. Il se maintiendra à ce
niveau jusqu’en avril, puis s’effondrera. La tentation était trop forte
pour le gouvernement de financer l’énorme surcroît de dépenses
provoquées par la crise de la Ruhr en multipliant les billets. Elle
était non moins forte pour tous les possédants par les perspectives
spéculatives de bénéfices quasi miraculeux que leur offrait une
inflation galopante. Gouvernement capitaliste, prisonnier des
capitalistes, le gouvernement Cuno ne pouvait résister. La livre
sterling passe à 500 000 marks en juin, pour atteindre un million et
demi en juillet et cinq millions au début d’août. Les prix montent
parallèlement dans une course vertigineuse. La petite bourgeoisie,
rentiers et épargnants, est touchée à mort, intégralement ruinée.
Les salariés voient s’effondrer brutalement leur pouvoir d’achat :
employés et fonctionnaires, payés au mois, sont encore plus
atteints que les ouvriers payés à la semaine, car les salaires suivent,
mais de très loin, la course des prix. Sur l’Allemagne de 1923 s’abat
une effroyable misère : allocations de chômage symboliques et
salaires de famine, tandis que les paysans, affolés par la dévaluation,
stockent les produits agricoles. Un peu partout se produisent de
véritables émeutes de la faim ; on pille entrepôts de vivres et
boulangeries. Travailleurs et chômeurs, avec leurs femmes et leurs
enfants, se rassemblent ou défilent quotidiennement, réclamant
du pain. Avec la sous-alimentation, la tuberculose fait de terribles
ravages. On enregistre à Berlin une véritable épidémie de suicides.
Il faut pour le travailleur privilégié — celui qui travaille — deux
jours entiers d’un salaire moyen d’ouvrier qualifié pour acheter
une livre de beurre, cinq mois entiers de salaire pour acheter un
costume ordinaire.
L’inflation ne signifie pourtant pas la misère pour tous. Les
détenteurs d’or ou de devises étrangères réalisent de fantastiques
bénéfices. Industriels et entrepreneurs, dont les frais en salaires et
charges sociales sont pratiquement réduits à rien, peuvent baisser
leurs prix en conséquence et exporter à l’étranger contre des
devises. C’est un véritable âge d’or pour les trusts et les banques
64 LA REVOLUTION ALLEMANDE
LA CRISE DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE
La direction de la social-démocratie n’a pas évolué depuis 1919.
Certes, elle s’est débarrassée de Noske, trop cynique, trop sanglant,
trop ouvertement compromis avec l’extrémisme militariste et les
généraux. Mais la révolution lui paraît toujours aussi haïssable,
calamité suprême dans un monde de calamités. Le parti social-
LA JOURNÉE ANTIFASCISTE
La meilleure preuve en est que la ligne « Schlageter » ne se traduisit
par aucune mesure pratique de conciliation vis-à-vis des nazis.
Le 11 juillet, la Centrale du Parti décide d’organiser pour le 29
une grandiose manifestation de masses sous le titre de « journée
anti-fasciste ». Craignant des incidents, le gouvernement prussien
interdit toute manifestation à Berlin ce jour-là. L’état-major du
parti se divise à nouveau. La Droite préférait s’incliner, car elle
redoute une bataille qu’elle juge prématurée. La Gauche veut
passer outre et dénonce une capitulation. On a, une fois de plus,
recours à l’arbitrage de l’Exécutif de l’Internationale. Lui aussi
apparaît profondément divisé. Zinoviev et Boukharine, qui sont
en vacances, télégraphient que les Allemands doivent passer outre
à l’interdiction et manifester. Radek les accuse aussitôt de pousser
le P.C. allemand à un « désastre de juillet » (allusion à juillet 1917).
Staline, nouveau secrétaire général du P.C. russe, prend, pour
la première et unique fois, une position nette dans la question
allemande. Dans une lettre à Zinoviev et Boukharine13, après avoir
souligné que les communistes allemands manquent de deux atouts
qui furent précieux aux bolchéviks, la volonté de paix et la faim
de terre des paysans, il prend position sur le fond du problème,
12 Il est à noter que c’est du côté nazi que l’on mit fin aux « confrontations
publiques ».
13 Rendue publique seulement en 1927, lors du passage de Zinoviev à l’Opposition,
cette lettre resta jusqu’à cette date ignorée de Trotsky.
70 LA REVOLUTION ALLEMANDE
LA RÉACTION DE LA BOURGEOISIE :
LE GOUVERNEMENT STRESEMANN
Pendant ce temps, le gouvernement Stresemann s’efforce à la hâte
de jeter les bases du redressement, de mettre fin à la crise qui menace
de tout emporter. Les négociations avec l’Angleterre donnent des
résultats encourageants, et, le 26 septembre, le gouvernement
reconnaît officiellement l’occupation de la Ruhr : c’est la fin de
la « résistance passive », le début de la détente internationale, la
possibilité assurée d’un redressement économique.
Le gouvernement étudie les moyens de mettre fin à l’inflation.
Il a dû, dans les premiers jours de son existence, concéder l’échelle
mobile des salaires qui, en fait, diminue considérablement les
bénéfices des spéculateurs. Surtout, l’ensemble de la classe capitaliste
allemande comprend qu’après les énormes bénéfices déjà réalisés,
il serait imprudent de poursuivre une politique qui mène tout droit
76 LA REVOLUTION ALLEMANDE
LA CONFÉRENCE DE CHEMNITZ ET
L’INSURRECTION DE HAMBOURG
Quand, le 21 octobre, se réunit à Chemnitz, en Saxe, une
conférence des comités d’usine saxons, tout le parti attend l’ordre
d’insurrection. Or, le directoire juge la situation défavorable.
Le général Müller vient d’envoyer un ultimatum, les armes sont
insuffisantes et le parti, dans tout le pays, n’a que 11 000 fusils à
opposer aux 100 000 Bavarois, à la Reichswehr noire. On décide de
trancher la question d’après la réaction de la conférence.
Brandler défend une motion pour la grève générale et la
résistance armée à l’intervention de la Reichswehr. La conférence
l’accueille par un silence total et le ministre social-démocrate
Graupe menace de quitter la salle avec ses camarades de Parti si elle
est déposée. La résolution Brandler est alors enterrée par le renvoi
en commission. Le directoire tire les conclusions qui s’imposent ;
il décommande l’insurrection. En fait, le groupe Zeigner, dont
Graupe a été le porte-parole, s’est senti isolé devant l’absence de
21 La crainte d’être défaits dans un combat isolé était, depuis 1919, un facteur
prépondérant dans les décisions de recul prises par bien des chefs ouvriers...
22 Les gens du groupe Zeigner étaient d’ailleurs parfaitement au courant des
sentiments personnels de Brandler, de ses hésitations et de ses doutes.
23 C’est là la thèse généralement admise : elle n’est pas prouvée et ne peut pas l’être.
Reichswehr... Et rien ne s’est passé que la sanglante bouffonnerie
de Dresde, un caporal suivi de quatre reîtres chassant de leurs
ministères les ministres ouvriers qui faisaient trembler l’Allemagne
bourgeoise, quelques flaques de sang — soixante morts au total —
sur le pavé des cités industrielle de Saxe »... Défaite sans combat
qui en annonçait d’autres. Battu en 1918-19 faute de direction, le
prolétariat venait, à nouveau, de s’avouer battu en 1923, cette fois
par la faute de sa direction.
POST-FACE 1923-1933
A peine dix ans après les événements que Pierre Broué décrivait
dans ce livre, Adolf Hitler prenait le pouvoir et liquidait dans le sang
le mouvement ouvrier allemand, jusque là le plus puissant d’Europe
occidentale. Ouvriers sociaux-démocrates et communistes se
retrouvaient ensemble dans les camps de concentration, après
que leurs dirigeants aient refusé de les lier dans la lutte contre le
fascisme. Cet intervalle de dix ans n’est pourtant pas que la seule
ascension « irrésistible » de l’hitlerisme vers le pouvoir. Plusieurs
occasions révolutionnaires se sont succédé, notamment à partir de
la crise mondiale de 1929. Alors que la classe ouvrière allemande
semblait prête au combat, elles n’ont été perdues que par la faute de
la politique sectaire, et au final suicidaire, de la direction stalinienne
de l’Internationale communiste.
AVENTURES GAUCHISTES
A partir de 1924, Zinoviev oriente en effet l’Internationale vers une
politique plus offensive, qui rompt avec la politique de Front unique
adoptée en 1921 après la « stabilisation » de l’Europe capitaliste.
C’est l’heure de l’aventure insurrectionnelle absurde de Reval en
Estonie1 et même, en négation complète des positions défendues
par le marxisme depuis sa création, des attentats terroristes du PC
bulgare contre le gouvernement dictatorial de Stankov2. Ce virage
1 En décembre 1924, alors que l’Estonie est plongé dans une profonde crise
politique et sociale, et que le PC voit croître ses effectifs, une tentative de putsch
est organisée depuis l’étranger par les services secrets soviétiques. Sans aucune
mobilisation de masse, ni campagne de propagande, les groupes de chocs
communistes, prévenus la veille de l’insurrection se ruent à l’assaut des casernes
et des bâtiments gouvernementaux. Face à la passivité des masses, tenues à
l’écart volontairement par les planificateurs de l’insurrection et qui ignorent
donc même si il s’agit d’une insurrection communiste ou d’un putsch fasciste,
l’opération est un échec sanglant qui décapite le mouvement ouvrier estonien.
2 En Bulgarie, le PC a d’abord lui aussi raté une occasion révolutionnaire inédite
en 1923, en refusant de défendre le gouvernement « paysan » de Stambolijski face
au putsch du Kornilov bulgare, Stankov. Quelques mois plus tard, et comme
86 LA REVOLUTION ALLEMANDE
LA TROISIÈME PÉRIODE
En août 1927, la politique de l’IC a à nouveau brutalement changé.
Après des échecs à répétition en Chine et ailleurs, l’URSS se retrouve
dans une situation très dangereuse. La Grande-Bretagne et la Chine
nationaliste ont rompu toutes relations diplomatiques avec elle,
et à l’intérieur du pays, les paysans riches et la petite bourgeoisie,
enrichis par les politiques économiques pro-capitalistes de
Boukharine et Staline, relèvent la tête. Face à toutes ces menaces,
la bureaucratie affolée saute d’un extrême à l’autre. C’en est fini des
alliances sans principes avec les nationalistes bourgeois de Chine
ou les bureaucrates syndicaux d’Angleterre. Pour l’IC, le monde
est maintenant entré dans une période de radicalisation qui voit
la politique bourgeoise se « fasciser » à grande vitesse et met à
nouveau à l’ordre du jour les offensives révolutionnaires.
POST-FACE 1923-1933 89
1914
1915
7 février Karl Liebknecht est mobilisé.
Février Rosa Luxembourg est emprisonnée, sera libérée en
janvier 1916.
1er mai Manifestation à la Potsdamer Platz (Berlin), à l’appel
de Karl Liebknecht, qui est arreté
Septembre Conférence internationale de Zimmerwald. Une frac-
tion du groupe parlementaire social- démocrate vote
102 LA REVOLUTION ALLEMANDE
1916
10 juillet Arrestation de Rosa Luxembourg, qui ne sera libérée
qu’après le 9 novembre 1918.
29 sept. Début de la parution des Spartakusbriefe.
1917
Février Révolution russe de Février.
3 avril Constitution de l’U.S.P.D. (parti social-démocrate in-
dépendant).
Avril Grèves de masse à Leipzig et Berlin ; Constitution
spontanée de l’organisation révolutionnaire des ma-
rins, qui se dote d’une direction en juillet.
7 novembre Révolution russe d’Octobre.
1918
Janvier Grèves d’Autriche-Hongrie, parties des usines de
munitions de Csepel (Budapest).
Grève générale à Berlin (usines de munitions).
1er octobre Appel de Spartakus à la formation de Conseils.
3 octobre Gouvernement Max de Bade avec des ministres so-
cialistes.
30 octobre Mutinerie des marins en rade de Chillig.
3 novembre Mutinerie des marins de Kiel.
6 au 8 nov. Révolution et formation de Conseils dans tout le
pays.
CHRONOLOGIE 103
1919
4 janvier Révocation d’Eichhorn.
5-6 janvier Manifestation de masse à Berlin.
8-14 janvier Intervention des Corps francs à Berlin.
9-11 janvier Manifestations réprimées à Stuttgart, Leipzig, Duis-
burg, Dresde. Affrontements à Hagen, Hamburg,
Halle, Willemshaven.
15 janvier Assassinat de Liebknecht et Rosa Luxembourg.
19 janvier Élections à l’Assemblée Nationale.
104 LA REVOLUTION ALLEMANDE
1920
13-17 mars Putsch contre-révolutionnaire de Kapp, qui est défait
par la grève générale lancée le 14 mars par les syndicats
réformistes.
28 mars- La Reichswehr intervient contre les ouvriers de la Ruhr.
début avril
Août Le IIe Congrès de l’I.C. pose les 21 conditions d’adhé-
sion à l’Internationale.
Octobre Congrès de Halle. Les Indépendants adhèrent à l’In-
ternationale Communiste.
Décembre Congrès de Berlin. Formation du Parti Communiste
Unifié.
CHRONOLOGIE 105
1921
8 janvier Propositions de Front Unique du P.C.
Février Paul Levi, Clara Zetkin, Däumig, etc., démissionnent
de la Centrale pour protester contre le désaveu de la
Centrale par le Comité central sous la pression de
l’envoyé de l’exécutif de l’I.C., Rakosi, sur la question
italienne.
16-17 mars Combats armés dans la région de Mansfield. Appel
du P.C.A. à l’insurrection armée.
24 mars Appel du P.C.A. à la grève générale.
31 mars Fin de l’action de mars.
12 avril Pamphlet public de Levi contre l’action de mars. Il est
exclu le 15 avril.
22 juin- Troisième congrès de l’I.C. : l’action de mars est con-
12 juillet damnée. Efforts de Lénine pour maintenir l’unité du
parti allemand. Le congrès invite également le P.C.A.
à se réunifier avec le K.A.P.D. (gauchiste).
1922
Septembre Réunification Sociaux-démocrates - Indépendants au
congrès de Nuremberg.
Novembre Élections au Landtag de Saxe : socialistes et commu-
nistes ont la majorité absolue. Congrès national des
Comités d’usine, animé par le P.C.A. Grève de six
semaines à la Badische Anilin (Palatinat), défaite.
Fin 1922 Début de la grande crise économique allemande,
chômage, inflation.
106 LA REVOLUTION ALLEMANDE
1923
Début jan. La livre sterling = 50.000 marks.
11 janvier Occupation de la Ruhr par les troupes françaises. Le
gouvernement allemand proclame la résistance pas-
sive.
Fin janvier La livre sterling = 250.000 marks.
Fin mars Gouvernement social-démocrate de gauche de
Zeigner en Saxe.
Juin Comité Exécutif de l’I.C. : discussion sur l’Allemagne.
Discours de Radek : la « ligne Schlageter ».
Fin juin La livre sterling — 500.000 marks.
29 juillet Le P.C. renonce à la journée antifasciste — interdite
par le gouvernement.
29 juillet La livre sterling = 5.000.000 de marks.
10 août Grève à Berlin contre le gouvernement Cuno.
11 août Démission du gouvernement Cuno.
12 août Gouvernement Stresemann, à participation social-
démocrate.
23 août Le B.P. du P.C. russe se prononce pour la préparation
de la prise du pouvoir en Allemagne.
Août-sept. Conférence secrète à Moscou ; préparation de
l’insurrection.
Fin août La livre sterling = 45.000.000 de marks.
Septembre La livre sterling à 125.000.000 de marks. Stresemann
met fin à la « résistance passive ».
Préparatifs militaires de la Bavière contre Saxe et
Thuringe.
10 octobre Entrée de communistes dans le gouvernement
Zeigner, en Saxe.
15 octobre Ultimatum du général Müller à la Saxe.
CHRONOLOGIE 107
Rosa Luxemburg
20 novembre 19181
Rosa Luxemburg
3 décembre 19182
parce que celui-ci aurait dit que « les masses ne sont pas encore
mûres », et lorsque l’on voit, encore un jour plus tard, le même
« Vorwärts » décerner à ce même conseil des soldats un brevet de
maturité, parce que celui-ci a adopté une décision qui lui convient.
L’impudence, celle du « Vorwärts », n’est pas améliorée par
l’hypocrisie.
Aucun prolétariat du monde, pas même le prolétariat
allemand, ne peut effacer du jour au lendemain, d’un soubresaut,
les traces d’un asservissement millénaire, les traces de ces chaînes
que Messieurs Scheidemann et consorts lui ont assujetties. Pas
plus que la constitution politique du prolétariat, sa constitution
spirituelle n’atteint son niveau le plus élevé au premier jour de la
révolution. C’est seulement au travers des combats de la révolution
que le prolétariat accédera à une pleine maturité, dans tous les sens
du terme.
Le commencement de la révolution fut le signe que ce
processus de maturation commençait. Il se poursuivra rapidement,
et le « Vorwärts » dispose d’un bon étalon auquel il pourra
mesurer l’accession du prolétariat à la pleine maturité. Le jour où
ses rédacteurs s’envoleront de leurs sièges, et avec eux Messieurs
Scheidemann, Ebert, David et consorts, pour rejoindre le
Hohenzollern ou Ludendorff là où ils sont, ce jour-là, la pleine
maturité sera acquise.
122 LA REVOLUTION ALLEMANDE
TEXTES CHOISIS 123
ASSEMBLÉE NATIONALE OU
GOUVERNEMENT DES CONSEILS
Rosa Luxemburg
17 décembre 19183
Rosa Luxemburg
14 janvier 19194
Léon Trotsky
17 avril 19196
Léon Trotsky
26 septembre 19327
ROSA LUXEMBOURG ET LA
QUATRIÈME INTERNATIONALE
REMARQUES RAPIDES SUR UNE
IMPORTANTE QUESTION
Léon Trotsky
4 juin 19358