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Évaluation et rééducation
M. Massiot, H. Aboiron, B. Selleron, J. Vaillant, J. Wils, P. Stévenin
En quelques années, le monde de la santé et celui de la rééducation ont complètement changé de par la
technologie et les rapports sociaux. L’évaluation est devenue un point central de la politique de santé et
une préoccupation quotidienne des professionnels concernés pour développer la qualité des soins. Le
concept d’évaluation a, lui aussi, évolué pour couvrir un champ bien distinct de la recherche qui nécessite
d’être développé en tant que tel. Les résultats de recherche participent à l’établissement de référentiels
partagés. Dans le champ de la rééducation où la relation humaine est présente tout au long du
traitement, l’évaluation prend en compte, à travers des critères, la subjectivité et l’objectivité au sein des
projets du patient, des thérapeutes et des institutions. La volonté politique de développement de
l’évaluation en santé qui se décline du côté qualitatif avec l’Agence nationale d’accréditation et
d’évaluation en santé (ANAES) et du côté quantitatif avec le Programme de médicalisation du système
d’information (PMSI) ainsi que par l’intermédiaire de la Sécurité sociale, est relayée dans les pratiques
d’évaluation par les acteurs que sont les patients et les praticiens. L’amélioration de la qualité des soins
passe par cette exigence d’une évaluation « multivoies » sans cesse renouvelée qui repose pour une
grande part sur les compétences des praticiens dans une situation clinique singulière.
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Plan ■ Évaluation
¶ Évaluation 1 Du subjectif et de l’objectif,
Du subjectif et de l’objectif, de l’appréciation et de la norme 1 de l’appréciation et de la norme
Objets, objectifs et enjeux de l’évaluation 2
Acteurs de l’évaluation 3 Évaluation et contrôle
Évaluation en actes 3 Depuis quelques années le mot « évaluation » apparaît un peu
¶ Volonté institutionnelle d’évaluer 5 partout dans les différents champs de la vie sociale, que ce soit
L’ANAES pour guider les praticiens, évaluer et établir dans le milieu de la santé, celui de l’éducation, celui de
des références 5 l’entreprise et bien d’autres encore. Pour le Dictionnaire de la
Le PMSI-SSR comme suivi d’activités et de performances langue française E. Littré, le mot « évaluation », (ex valuare,
des établissements de santé 6 extraire la valeur) signifie l’action d’estimer la valeur, le prix
Sécurité sociale 7 d’une chose et en second sens l’action de fixer approximative-
Le politique comme régulateur du marché de la santé 7
ment une quantité. L’estimation de la valeur réfère tant à des
éléments subjectifs qu’objectifs et permet de porter un jugement
Et le public ? 8
en s’appuyant sur des critères et des normes pour aider à la prise
¶ Pratiques de l’évaluation en rééducation 8 de décision. [1] En rééducation, le terme est d’apparition récente
Le patient comme premier évaluateur : motif de consultation et porte un sens différent du mot bilan. Ce dernier, issu du
et satisfaction 8 champ économique (les Anglo-Saxons lui préfèrent le terme
Le praticien comme responsable du traitement 8 d’examen), a été longtemps utilisé en cohérence avec le choix
La recherche comme production de connaissance 9 d’une démarche de rééducation qui était fondée sur une
¶ Conclusion 9 conception mécaniste. La logique du bilan s’inscrit dans la
recherche de certitude, d’exhaustivité, dans le contrôle. Il est
alors un instantané qui permet de lire l’écart entre le pro-
gramme attendu et un état à un moment donné. [2] L’évaluation
s’inscrit dans un mouvement, il s’agit surtout d’identifier des
Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 1
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points forts et des points faibles pour améliorer les prestations. par un projet de vie. Le rôle du soignant est primordial pour
Évaluer et contrôler sont deux démarches complémentaires mais accompagner cette construction d’une nouvelle norme, au
qui n’ont pas le même statut et aucun des deux versants centre du travail du rééducateur. Le préfixe « re » de rééducation
n’exclut l’autre, simplement ils n’ont pas le même objectif. étant compris dans le sens d’une « nouvelle » éducation (au sens
Un expert évalue, un inspecteur contrôle. Évaluer un tableau où l’utilise E. Morin) [9] et pas au sens de la répétition.
consiste à chercher tous les éléments objectifs possibles (nom de
l’auteur, date, contexte historique, géographique, taille...), mais Dimension de projet
c’est aussi tenir compte du marché, des phénomènes de mode...,
Que serait une évaluation sans l’intention et le projet qui la
il se construit un référentiel. Une dimension d’appréciation,
porte et qui lui donne son sens. Peut-on dire d’un archer qu’il
d’intuition est présente, un endroit où la mesure ne suffit plus, a tiré une bonne flèche si on ne connaît pas la cible qu’il vise ?
il y a du subjectif. C’est toute la valeur ajoutée de l’expert. Ce Ainsi on ne peut parler d’évaluation en santé sans identifier les
serait pourtant si simple de mesurer ! projets qui la portent. Projet de société, [10] projet politique
L’inspecteur, lui, vient constater. Il recherche la plus grande donc et projet du patient au sein desquels s’entrechoquent la
objectivité possible et s’appuie sur une norme pour prendre logique légitime de droit à la protection de la santé pour chaque
position et sanction éventuelle. individu, qui n’a pas de prix, et la logique économique puisque
Le rééducateur est dans une situation d’expert. Il cherche des la santé a un coût (presque 30 % de la richesse nationale ou
critères objectifs, il s’appuie sur des signes connus, sur des produit intérieur brut d’après Bonnici). [11]
normes physiques, biologiques et autres pour porter son
diagnostic mais dans le même temps il est face au patient dans Qualitatif et quantitatif
sa singularité. Il est amené à prendre en compte dans sa
démarche d’évaluation, la personnalité, le projet de vie de la Ces deux notions sont souvent opposées entre elles au point
personne qu’il a en face de lui. [3] Là aussi la subjectivité est que le quantitatif aurait tendance à devenir, pour certains, une
présente de la part des deux acteurs de la relation de soin. Là fin en soi. Il n’y aurait de vrai que le quantitatif. Mais le passage
aussi, si la mesure est nécessaire, elle ne peut être suffisante au quantitatif passe nécessairement par le qualitatif, en particu-
dans la détermination des objectifs du traitement et dans la lier au sein d’une relation clinique avec un patient. De nom-
prise en charge du patient. breuses logiques s’entrechoquent, du biologique au
Le passage à l’évaluation en santé s’est traduit en France par psychologique en passant par le social et l’économique. [12]
la création d’une structure officielle, l’Agence nationale pour le Ainsi le quantitatif, pour indispensable qu’il soit, ne peut être
développement de l’évaluation médicale (ANDEM), en 1992, que réducteur d’une réalité intriquée dans le qualitatif, ne
puis en 1996 par la création de l’Agence nationale d’accrédita- serait-ce que par le choix de la quantité à mesurer. « En fait, le
tion et d’évaluation en santé (ANAES). Avec l’introduction de la quantitatif n’est pas de nature à faire avancer la compréhen-
conception de la qualité dans le domaine de la santé, les sion : une liaison entre des grandeurs, même lorsqu’on sait
modèles du contrôle puis de l’assurance qualité ont cédé le pas l’exprimer par une relation « analytique », n’est pas pour autant
à l’amélioration continue qui passe par la relation singulière à explicative ; elle demanderait à être expliquée. » [13] Le quanti-
tatif ne se suffit pas à lui-même. Il paraît certes plus simple et
la personne malade. L’évaluation est au cœur même de cette
rassurant, mais il ne peut faire l’économie du qualitatif, de la
conception. La qualité n’est pas à maîtriser mais à promou-
recherche de signification, en particulier dans la singularité de
voir, [4] l’évaluation va donc s’attacher à recueillir des informa-
la clinique.
tions afin de donner du sens à l’action. Les modèles de
l’évaluation médicale vont dans le même temps évoluer d’une
évaluation-contrôle à une évaluation-communication. [1] Problématique particulière de l’évaluation
en rééducation
Référentiel L’évaluation est affaire délicate dans le domaine de la santé
du fait de la diversité des situations, de la diversité des individus
Donner de la valeur à quelque chose, évaluer d’accord mais et de la diversité des pathologies rencontrées et de leurs
par rapport à quoi ? L’évaluateur a besoin, pour mener à bien évolutions. La rééducation ajoute une dimension supplémen-
sa mission, de faire appel à un ensemble d’éléments formant un taire, la diversité des manières de réaliser un traitement. Au lieu
système de référence reconnu par la communauté constituant de médicaments, ce sont des traitements sous forme d’exercices,
un référentiel. Ainsi, l’ANAES, au travers des recommandations de mobilisations, de postures...qui sont proposés par des
pour la pratique clinique et des conférences de consensus, rééducateurs qui ont chacun leur savoir-faire et leur savoir-être.
participe fortement à l’élaboration d’un référentiel de savoirs On connaissait l’effet placebo et le double placebo, ici s’y ajoute
par pathologie par exemple. Elle participe en ce sens à l’évalua- encore une dimension : la relation praticien-dépendante. [14]
tion des pratiques qui devra être enrichie par un référentiel des
situations professionnelles, [5] nous rapprochant par là même
d’une évaluation des compétences professionnelles. [6] Objets, objectifs et enjeux de l’évaluation
L’objet de l’évaluation est souvent considéré comme un allant
Norme
de soi, il n’est pourtant pas si évident à définir. S’agit-il de
La norme, d’où vient-elle, qui la pose, à partir de quels l’évaluation de la santé des personnes et des populations ou
critères, dans quel champ, dans quel but ? En rééducation ces bien s’agit-il de l’évaluation dans le champ de la santé ?
questions sont fondamentales face à une personne et pour une L’ANAES a choisi une définition large qui englobe les activités
personne qui est atteinte d’une incapacité. La définition du qui concourent à la santé, c’est aussi celle qui nous intéresse ici.
normal et du pathologique se pose. Elle est à la clé du passage L’objectif poursuivi par l’évaluation en santé est de garantir à
de l’incapacité au handicap, c’est-à-dire de la compétence avec chacun des soins de qualité.
laquelle une personne gère son incapacité dans la vie quoti- L’enjeu est majeur pour la société puisqu’il s’agit de la santé
dienne. La norme est-elle absolue, et qui la fixe ? Le danseur de chaque être humain, il peut même être considéré comme
anglais David Toole en est une vivante démonstration (né sans universel. Le droit à la protection de la santé, inscrit dans la
jambe, il danse sur ses mains sur les plus prestigieuses scènes du constitution française, est en même temps un enjeu politique et
monde) et propose une réponse magistrale : « très tôt, je me suis économique. Il faut donc rapporter à la qualité des soins une
déplacé sur les mains. Quand le problème des jambes artificiel- relation économique. La protection de la santé des citoyens doit
les s’est posé, je n’en voulais pas. C’était bien pour les autres : être efficace au moindre coût, c’est la notion d’efficience.
j’avais l’air normal, ils étaient soulagés ». [7] Par ce refus, il fixe L’enjeu est également fort pour les professionnels de santé
ses propres règles, c’est la définition même de l’autonomie. La qui sont mis en demeure de justifier leurs pratiques et leur
norme ne peut être uniquement extérieure au sujet. [8] Elle est utilité, de montrer la valeur ajoutée qu’ils apportent aux
une négociation entre le sujet et son environnement, orientée personnes qu’ils traitent et aux financeurs.
2 Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation
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Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 3
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L’apprentissage du geste constitue l’un des domaines fruc- • le contrat de communication, qui est un préalable indispen-
tueux de l’évaluation qualitative en rééducation car elle s’appuie sable et renouvelable, où le rééducateur explique clairement
sur une coévaluation, une véritable médiatisation du geste du et simplement le projet d’évaluation qui va sous-tendre le
rééducateur et de celui du patient. [18] Les gestes du rééducateur déroulement de l’entretien et son interprétation ;
pourraient alors être un interprète du « chaos moteur produit • les stratégies d’écoute qui permettent au rééducateur d’iden-
par l’infirmité », offrant d’y trouver un sens. tifier ce que décrit le patient, ce qu’il en pense et ce qu’il
Cependant, ce sens s’inscrit dans une représentation moderne pense de l’entretien ;
du corps anatomisé, mécanisé et aujourd’hui éclaté dans la • les stratégies d’intervention qui jouent sur l’intonation et
disparité des modèles de référence. [19] surtout sur les relances comme recherche de précision.
Mucchieli [20] identifie cinq critères de validation d’une L’entretien dans le domaine de la rééducation dépasse
démarche qualitative qui sont transposables dans une démarche cependant l’évaluation initiale. Il est permanent au processus de
d’évaluation qualitative en rééducation : rééducation et s’inscrit nécessairement dans une durée. Il peut
• l’acceptation interne caractérise la reconnaissance par le alors devenir strictement directif ou complètement ouvert
patient de la pertinence du projet d’évaluation et l’exactitude pendant l’acte rééducatif. L’entretien et l’évaluation à laquelle il
de son résultat ;
contribue participent alors pleinement au processus
• la complétude n’est pas l’exhaustivité d’une évaluation mais
thérapeutique.
son caractère complet et organisé dans un ensemble cohé-
rent ; Instruments de mesure en rééducation :
[24, 25]
• la saturation apparaît lorsque l’évaluation n’apporte pas
critères de qualité
d’informations pertinentes nouvelles ;
• la cohérence interne des résultats caractérise la cohérence Validité
entre les résultats de l’évaluation et le projet initial ; La validité d’un instrument de mesure est la capacité à
• la confirmation « externe » expose la confiance que font les mesurer ce pourquoi il a été conçu (i.e. ce qu’il est censé
« autres » (experts, prescripteurs, confrères...) dans les résultats mesurer). L’étude de la validité comprend plusieurs étapes
de cette évaluation. destinées à apprécier le degré de validité de l’instrument :
De l’observation à la description, de la description aux traces l’étude de la validité d’apparence et de contenu, la validité par
de l’évaluation rapport à un critère et la validité de construit.
L’observation dans la pratique de rééducation, comme dans La validité d’apparence (face validity) est le fait que l’instru-
d’autres techniques ou dans les sciences, renvoie à la corrélation ment est en adéquation avec l’entité à évaluer. La validité de
entre le visible et l’énonçable. [21] Cette problématique ouvre contenu (content validity) pose la question de la pertinence du
deux dimensions : celle de la recherche du détail significatif ; choix des items (dans un questionnaire, un score ou une grille
celle de la rigueur de la description. Le signe de Hoover d’évaluation, plus particulièrement). La validité sur critères
(resserrement paradoxal des basses côtes en inspiration) est un (criterion validity) étudie si les mesures obtenues sont corrélées
parfait exemple de détail significatif. Tombé en désuétude, sans avec celles obtenues en utilisant un outil de référence (gold
possibilité de quantification, il est néanmoins pathognomoni- standard). Il existe deux formes de validité sur critères : conco-
que d’un diaphragme abaissé en course interne au décours mitante et prédictive. Dans le cas où les deux outils sont
d’une maladie respiratoire obstructive sévère. Son observation administrés en même temps, il s’agit de validité concomitante.
peut donc permettre au rééducateur d’identifier un patient Si, au contraire, le nouvel outil est utilisé avant l’outil de
atteint d’obstruction bronchique sévère accompagnée d’un référence, il s’agit alors de validité prédictive. Dans le cas des
probable dysfonctionnement diaphragmatique retentissant sur questionnaires, scores et grilles d’évaluation, cette validité peut
les inspirateurs accessoires. être cherchée item par item ou pour l’instrument dans son
De même, la palpation constitue une technique de recueil ensemble.
d’informations fondamentales en rééducation, symbolique Quand il n’existe pas d’instrument de référence unanime-
d’une méthode empirique. L’évaluation en rééducation repose ment reconnu, il convient de vérifier la validité de construit.
ainsi sur la « foi perceptive », l’évidente présence de ce que l’on C’est généralement le cas dans le domaine de la rééducation. La
voit ou touche. La description est alors une construction qui validité de construit (construct validity) est recherchée, quand il
permet l’agencement de l’observé et prépare à son interpréta- n’existe pas d’instrument étalon. La validité de construit est
tion. La description est déclenchée par le regard et par la réalisée à partir de la base conceptuelle de l’élaboration de
palpation mais l’évaluation, l’extraction du sens, s’appuie sur l’instrument. Elle s’effectue au fur et à mesure de l’utilisation de
l’exactitude de l’énoncé et la régularité des dénominations. C’est l’instrument. Trois méthodes permettent d’évaluer la validité de
sur ces fonctions dénominatives du langage professionnel que le construit : les groupes extrêmes, par convergence et par
rééducateur peut ensuite comparer, généraliser ses interpréta- discrimination.
tions. [21] Le texte est alors une trace nécessaire de cette
L’hypothèse que l’instrument doit être corrélé avec certaines
évaluation qui se renforce par l’imagerie médicale, le schéma, la
mesures (validité de convergence) et qu’il ne doit pas être
photographie et tout autre moyen qui documente l’observation
corrélé avec d’autres mesures (validité de divergence) peut être
et qui passe par l’élucidation de critères et d’indicateurs
qualitatifs et quantitatifs. [22] posée. L’hypothèse que des groupes extrêmes (par rapport au
critère mesuré par l’instrument) doivent a priori avoir des
Entretien : faire parler du corps résultats différents est également posée. L’instrument peut aussi
La technique d’entretien (terme à préférer à celui d’interroga- avoir la capacité à distinguer, par rapport à la référence théori-
toire) relève d’une construction entre l’interviewer et l’inter- que, des groupes de patients établis selon certains critères (de
viewé. Caractéristique des professions « d’intervention sur sévérité, de gravité, de classe ou de dépendance par exemple).
autrui », l’entretien semi-directif mené par un rééducateur doit C’est la validité discriminative.
relever d’une démarche construite orientée par ce qui est à
Sensibilité et spécificité d’un test
évaluer comme le retentissement d’une maladie sur la qualité de
vie d’un patient, mais ouverte aux propositions de ce patient : La recherche de la sensibilité et de la spécificité d’un test est
par exemple, le retentissement des traitements sur sa qualité de une situation particulière de l’évaluation de la validité discrimi-
vie. Construire un entretien avec un patient nécessite d’appré- native. Il s’agit de détecter, à l’aide d’un test, la présence ou
cier quatre paramètres fondamentaux [23]: l’absence d’une maladie, d’une déficience, d’une limitation
• l’environnement spatial et temporel de l’entretien (domicile d’activité, etc. La sensibilité se définit comme la capacité à
du patient, chambre d’hôpital, ...) impose des allant-de-soi mettre en évidence un phénomène. Elle se traduit par le
qui modifient le sens de ce qui est dit ou non dit ; pourcentage des sujets présentant la pathologie (la déficience, la
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de l’homme et du citoyen ainsi que dans le préambule de la dessine en France pour tenter de comparer les hôpitaux et de
constitution. Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont publier certains résultats afin que le grand public soit mieux
impulsé et mis en place des établissements de santé et la informé. Quand on sait les limites et les difficultés méthodolo-
Sécurité sociale pour rendre les soins accessibles au plus grand giques des indicateurs de résultats et leurs difficultés d’interpré-
nombre, suivant l’adage selon lequel la santé n’a pas de prix. tation, le risque est double : désinformer le public sans amé-
Mais les contraintes économiques (chômage, ralentissement liorer la qualité des soins. [56]
économique) associées à la demande croissante du public en
matière de santé, au vieillissement de la population et à
l’évolution des technologies ont eu raison de cette politique de ■ Pratiques de l’évaluation
dépenses. La santé, qui représente un tiers du produit intérieur
brut, a un coût [48] qu’il faut contrôler et endiguer sans pour en rééducation
autant mettre à mal la qualité des soins et leur libre accès. Se
met alors en place dans les deux dernières décennies un système
de régulation du « marché de la santé » sous les directives du Le patient comme premier évaluateur :
Parlement qui retient les priorités sanitaires et vote la loi de motif de consultation et satisfaction
financement de la Sécurité sociale (Objectif national des
dépenses de l’Assurance maladie : ONDAM). Ce n’est que récemment, et dépassant un paternalisme
ancien, que la question de la satisfaction des patients se pose
Ce système de régulation comporte un volet quantitatif de
pour les professionnels de santé comme une composante
maîtrise et de contrôle budgétaire et un volet qualitatif d’éva-
essentielle de la qualité des soins. [57] De nombreux travaux
luation. Le volet quantitatif est le premier à être instauré en
scientifiques ont d’ailleurs démontré qu’il existait une relation
1983 [49] par la mise en place de la dotation globale de finan-
entre la satisfaction des patients, la continuité [58-62] et l’adhé-
cement (DGF) des hôpitaux chargés d’une mission de service sion aux soins, [63] leurs qualités techniques [54] et la satisfaction
public et en 1984 du PMSI dans l’hôpital pour permettre un des soignants. [64] De plus, depuis l’ordonnance du 24 avril
suivi médicalisé (et pas uniquement comptable) des activités de 1996, [65] l’évaluation de la satisfaction des patients est aussi
soin en fonction des pathologies traitées (cf. supra). Il devien- une obligation réglementaire pour les établissements
dra, en 1995, [48] un outil d’allocation budgétaire mettant en hospitaliers.
rapport la masse budgétaire et l’activité médicale d’un établis- Pourtant sur le terrain, cette évaluation reste encore rare et se
sement à la disposition des ARH et des Directions régionales des résume, la plupart du temps, en une mesure de la satisfaction
affaires sanitaires et sociales (DRASS). des usagers à travers des enquêtes ou des questionnaires. Cette
Le volet qualitatif est représenté par l’ANDEM en 1992, difficulté met en exergue deux problématiques nées de la
remplacée en 1996 par l’ANAES (cf. supra) avec ces deux grands confusion fréquente entre évaluation et mesure [66] et de la
axes que sont l’accréditation et l’évaluation de la qualité de définition par nature instable de la satisfaction des patients. [53,
soins. 67, 68]
Le dispositif de régulation est complété par la Conférence En effet, la satisfaction est difficile à envisager de façon
nationale de santé, le Haut conseil de santé et les Conseils collective car elle dépend de la singularité des personnes et de
régionaux de santé [50] qui ont pour mission de participer à la leur histoire, elle-même influencée par la connaissance et
maîtrise des dépenses sanitaires [51] par des analyses et études l’expérience éventuelle de la maladie, de l’hospitalisation et plus
préparant la loi de financement. simplement par son mode de vie et ses propres valeurs, son
Ainsi, l’État s’est doté en 10 ans de structures chargées environnement social et affectif. Ainsi chaque patient a des
d’évaluation en santé devant permettre d’offrir une qualité de motifs et des attentes différentes vis-à-vis du soin ou d’une
soins optimale au meilleur coût en y faisant entrer les grands consultation : [69] attentes médicales, psychiques et sociales.
absents du système en termes de représentation qu’étaient les Enfin, et c’est probablement la question la plus difficile,
usagers. lorsqu’on demande à un patient s’il est satisfait, cela revient à
imaginer que ce dernier possède les critères de qualité, les
standards et qu’il peut comparer.
En acceptant que les patients et les professionnels aient des
Et le public ? critères et des indicateurs de qualité des soins qui leur soient
propres, leur négociation permettrait d’inscrire la consultation
En rendant publics les résultats de l’accréditation des établis-
et le soin dans une dynamique de projet en privilégiant le
sements de santé sur le site de l’ANAES, on accède à une
dialogue et la concertation avec les soignants. Ce type d’évalua-
demande de transparence accrue des usagers et des associations
tion permettrait que les patients participent à l’élaboration de
de santé sur la qualité des établissements. La publication par la la qualité des soins, à partir de leurs critères propres, et non
grande presse d’un classement des meilleurs hôpitaux depuis seulement à sa mesure définie à partir de critères préétablis par
plusieurs années est également une réponse à cette attente. [52] les professionnels de santé. Cette conception plus constructive
Les patients peuvent-ils pour autant se fier à ce type de classe- de l’évaluation inscrite en filigrane dans la loi du 4 mars
ment et sont-ils influencés par les indicateurs de qualité 2002 permettrait aussi d’impulser un autre mode de relations
choisis ? La mesure de la qualité des soins est complexe et entre patients et soignants.
lorsque l’on examine les critères utilisés par les périodiques, on
constate que la majorité des critères n’ont aucun lien avec la
qualité des soins. Enfin, il n’y a pas de prise en compte de la Le praticien comme responsable
satisfaction de l’usager alors que son lien avec la qualité des
soins est démontré. [53] du traitement
Le public est-il influencé par les publications des résultats ? Les nouveaux moyens dont disposent les praticiens comme
Les seules études qui existent ont été réalisées aux États-Unis. les patients pour accéder aux informations concernant les
Les résultats montrent que les publications n’ont pas d’impact traitements grâce aux « recommandations » de l’ANAES renfor-
sur la fréquentation des hôpitaux par les malades. Ainsi sur cent l’obligation de moyens [70] et l’obligation de réaliser des
673 malades ayant eu un pontage dans l’année précédente, soins « fondés sur les données acquises de la science », comme
moins de 12 % des patients connaissaient la publication faisant le précise le Code de déontologie médicale, dans la mesure où
état du taux de mortalité comparé entre les hôpitaux et moins le patient peut s’y référer pour faire valoir une insuffisance ou
de 1 % en connaissaient le résultat. [54] Dans l’État de New York, un traitement inadapté. Elles sont assorties des références
le pourcentage des pontages coronariens réalisés dans les opposables (Code de la Sécurité sociale, art. L 162-12-15) dont
hôpitaux classés à haut risque n’a pas été modifié par les l’observance est suivie par le contrôle médical de la Sécurité
résultats. [55] Pour autant, il semble qu’une volonté politique se sociale. Un relevé trimestriel d’activité est adressé au praticien
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et peut être assorti de sanctions financières en cas de non- rééducation ou des aides techniques peuvent se permettre
respect de ces règles. L’évaluation vient donc s’immiscer d’investir dans des recherches cliniques. Les enjeux sont forts
intimement dans la pratique clinique, et les moyens informati- (revendications thérapeutiques, inscription du produit au
ques de suivi (SIAM) permettent un contrôle efficace. Ces tableau des remboursements TIPS) et engendrent de ce fait des
différents outils facilitent, dans le même temps, l’autoévaluation efforts de leur part. Dans certains cas, les travaux novateurs
par le praticien de sa propre pratique, [71] l’évaluation par le présentés dans le cadre de manifestations scientifiques comme
patient ainsi que le contrôle de la Sécurité sociale. les congrès permettent aux auteurs de récolter des fonds sous la
D’autres dispositions renforcent les démarches d’évaluation forme d’un prix de concours ou d’attribution de bourses a
auprès des malades en rééducation ; le décret d’actes des posteriori pour un travail réalisé et finalisé. Cela reste minime
masseurs-kinésithérapeutes précise que ceux-ci établissent « un à côté de la quantité d’idées et de matière grise présentes dans
bilan qui comprend le diagnostic kinésithérapique et les le paysage de la rééducation-réadaptation.
objectifs de soins, ainsi que le choix des actes et techniques qui En termes de compétence, l’absence, en France, de méthodo-
leur paraissent le plus appropriés », et prévoit une communica- logie de recherche dans les programmes officiels en formation
tion au médecin prescripteur d’une fiche de synthèse de initiale des professions de rééducation (en dehors de la forma-
l’évolution du traitement. tion des médecins) limite de facto le développement de la
recherche dans ces professions contrairement à ce qui se passe
La recherche comme production dans d’autres pays. Les professionnels intéressés développent des
de connaissance compétences de recherche dans d’autres voies telles que les
sciences de l’éducation, les sciences humaines, la biomécanique,
Si les mots de recherche et d’évaluation sont souvent les sciences et techniques des activités physiques et sportives
employés dans des contextes proches, ils ne peuvent en aucun (STAPS)...
cas se confondre ou se remplacer. On évalue une situation, un
objet, une pratique en s’appuyant sur un référentiel. La recher-
che consiste au contraire, à partir de connaissances actuelles, à
aller explorer des terrains inconnus pour mettre au jour de
■ Conclusion
nouvelles connaissances. Les objectifs sont bien différents même En 15 à 20 ans, les contraintes économiques, les exigences
si l’évaluation se nourrit de la recherche et la recherche de des patients, le vieillissement de la population, l’absence de
l’évaluation. En effet, le constat préalable à la recherche elle- régulation entre les dépenses engagées par les patients auprès
même se construit par l’observation d’un phénomène au travers des professionnels de santé et les recettes collectées ont mis en
de modèles théoriques qui permettent de décrypter une situa- péril le système de protection sociale dans son ensemble. La
tion, de l’évaluer. Mais celle-ci met au jour des failles, des question de l’évaluation de la qualité des soins et de leur
discordances entre le perçu et la lecture théorique, abstraite efficience est devenue un élément décisif dans la réorganisation
(Bachelard) qu’on peut en faire, faisant germer une question, du système de santé. [72] Mais dans le champ de la santé, cette
point de départ de la problématique de recherche. Car dans la qualité et cette efficience sont extrêmement délicates à évaluer
recherche, ce qui est central, c’est la question, le doute et non du fait de l’essence même de l’activité de soin basée sur la
pas la certitude. Et cette question conduira vers de nouvelles relation humaine, la singularité de la personne soignée et
connaissances, de nouveaux savoirs déjà requestionnés à peine l’évolution de la pathologie. Elle est infiniment plus complexe
mis au jour (Popper). que dans le champ industriel qui a déjà développé des démar-
ches qualité depuis longtemps. L’efficacité pure et simple est
Recherche en rééducation
souvent difficile, voire impossible à mesurer ; c’est pourquoi les
La recherche en rééducation s’appuie sur les mêmes principes professions de santé ont une obligation de moyens et non pas
que toute recherche scientifique mais avec une particularité : le de résultats. La qualité des soins est appréciée très différemment
traitement n’est pas un médicament mais consiste en une par les patients, par les thérapeutes et par les institutions. Il a
pratique basée sur la relation entre le patient et le rééducateur, donc fallu déployer un véritable système d’évaluation « multi-
ce qui ouvre le débat sur les méthodes de recherche. Cette voies » visant à garantir, d’une part aux patients la mise à
richesse de l’interaction humaine complique l’approche expéri- disposition des moyens adaptés à leur état de santé, et d’autre
mentale qui se fait autant que possible avec groupe contrôle et part à l’Institution la pertinence des moyens mis en œuvre, le
randomisation. Elle pose le problème de la reproductibilité tout reposant sur la compétence des professionnels de santé. La
interopérateur. Elle rend le plus souvent inapplicable une étude démarche d’évaluation en rééducation est passée d’une forme
en double aveugle, le rééducateur ne pouvant pas ignorer le confidentielle à une forme partagée. Elle était de l’ordre du
type de traitement qu’il pratique. Le simple aveugle pose aussi personnel, elle est devenue interpersonnelle en ce sens que
problème, ce sera l’évaluateur qui devra être aveugle. [14] Mais, chaque personne présente son point de vue à la collectivité. Elle
d’un autre côté, cette interaction ouvre en même temps le était avant tout le contrôle d’un état à un instant « t », elle tend
champ vers les méthodes de recherche en sciences sociales et en à devenir une forme de communication et l’accompagnement
psychologie. La rééducation est donc un champ de recherche d’une amélioration de la qualité du soin. Cette évolution place
extrêmement riche et ouvert mais d’un abord délicat eu égard l’évaluation au cœur de la relation thérapeutique. C’est par ce
à la complexité des situations. jeu de confrontation à des référentiels mais aussi à des subjec-
tivités que chaque acteur de l’évaluation peut donner du sens à
Moyens de la recherche en rééducation ce qu’il réalise. La rééducation est autant fondée par l’utilisation
Un financement public existe depuis la mise en place du de techniques thérapeutiques que par l’interaction du patient et
Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) en 1993. du praticien. Aussi l’acte d’évaluer est d’autant plus complexe
Le ministère en charge de la Santé (Direction de l’hospitalisa- que chaque prise en charge thérapeutique est singulière. Les
tion et de l’organisation des soins) lance chaque année un appel méthodes d’évaluation s’attacheront à introduire le plus possible
à projet comportant des thématiques correspondant aux axes d’objectivité dans la subjectivité du jugement. La mise au point
prioritaires de santé publique pour favoriser le développement de tests reproductibles et fiables permettra de réduire la marge
de recherches cliniques animées par les centres hospitaliers d’appréciation au profit de l’évaluation. La culture individualiste
universitaires et auquel peuvent participer les établissements de nombreux rééducateurs se heurte encore à cette forme de
participant au service public hospitalier. Dans ce cadre, des communication par excellence qu’est l’évaluation. Il y a
projets de recherche en rééducation sont finançables s’ils pourtant tout à gagner dans la reconnaissance d’un service
respectent les critères de rigueur méthodologique. rendu aux patients et à la société tout entière. La place de la
Les financements privés sont rares, en marge de la puissance formation, et tout particulièrement de la formation initiale dans
financière des laboratoires pharmaceutiques puisque les traite- l’apprentissage d’une culture de l’évaluation et de sa pratique
ments ne sont pas générateurs de consommation de médica- quotidienne, est prépondérante et permettra un changement
ments. Seules quelques sociétés fabriquant du matériel de profond de comportement des praticiens de demain.
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■ Références
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Massiot M., Aboiron H., Selleron B., Vaillant J., Wils J., Stévenin P. Évaluation et rééducation. EMC (Elsevier
SAS, Paris), Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation, 26-005-B-10, 2005.
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