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Diplomatie islamique

Stratégie internationale du khomeynisme

Mohammad-Reza Djalili

Éditeur : Graduate Institute Publications


Année d'édition : 1989 Édition imprimée
Date de mise en ligne : 29 septembre 2014 ISBN : 9782130423935
Collection : International Nombre de pages : 244
ISBN électronique : 9782940549610

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Marseille Université

http://books.openedition.org

Référence électronique
DJALILI, Mohammad-Reza. Diplomatie islamique : Stratégie internationale du khomeynisme. Nouvelle
édition [en ligne]. Genève : Graduate Institute Publications, 1989 (généré le 05 février 2015). Disponible
sur Internet : <http://books.openedition.org/iheid/1862>. ISBN : 9782940549610.

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© Graduate Institute Publications, 1989


Creative Commons - Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported - CC BY-NC-ND 3.0
1

Ces dernières années, certains événements spectaculaires ont révélé au grand public l'existence
d'une dimension islamique des relations internationales. Mais cette « révélation » n'a pas été
suivie par un effort de réflexion systématique sur le sens, les origines, les aspirations de cette
diplomatie islamique qui semble défier l'ordre international. L'objet de cet ouvrage est
précisément de pallier, dans la mesure du possible, cette carence.
Il cherche à montrer que cette action diplomatique n'est pas uniquement un essai
d'investissement de la scène internationale par nécessité révolutionnaire, ou la recherche d'un
moyen de consolidation d'une légitimité, mais qu'elle procède aussi en se fondant sur une vision
originale, en recourant à un cadre de référence particulier et en utilisant des méthodes qui lui
sont propres.
Après avoir présenté, dans une première partie, les liens qui peuvent exister entre l'islam et les
relations internationales en général, l'ouvrage, tout en tenant compte du courant islamique
transnational, est centré essentiellement sur la politique extérieure de la République islamique
d'Iran, unique exemple, jusqu'à présent, d'État islamiste, clérical et révolutionnaire. Les aspects
doctrinaux de la diplomatie de l'Iran islamique sont analysés, les relations du régime
khomeyniste avec les grandes puissances et les pays de la région sont évoquées pour déboucher
sur une appréciation critique d'une décennie d'intenses activités sur la scène internationale.

MOHAMMAD-REZA DJALILI
Mohammad-Reza Djalili, universitaire iranien, politologue, spécialiste des relations
internationales, a enseigné à l'Université de Téhéran et à l'Université de Paris II. Il est
professeur retraité de l'Institut de hautes études internationales et du développement
(the Graduate Institute, Geneva).
2

SOMMAIRE

Introduction

Chapitre I. Islam et relations internationales


1. Théorie
2. Géopolitique
3. Pratique

Chapitre II. Fondements idéologiques de la politique étrangère


1. Nationalisme et unité islamique
2. Exportation de la révolution
3. Hiérarchie des Etats
4. Le recours à la violence
5. Mise en cause des normes internationales
6. Militantisme tiers-mondiste

Chapitre III. Guerre et politique étrangère


1. Représentation de la guerre
2. Utilisation de la guerre
3. Diplomatie de la guerre

Chapitre IV. Formulation et mise en œuvre de la politique étrangère


1. Les structures du pouvoir
2. La prise de décision
3. L’appareil diplomatique
4. L’appareil d’exportation de la révolution

Chapitre V. L’Iran et les grandes puissances


1. Les Etats-Unis
2. L’Union soviétique
3. La France
4. La Chine

Chapitre VI. La politique régionale


1. Les monarchies pétrolières
2. Autres pays arabes
3. Les pays non arabes

Conclusion

Repères chronologiques, 1979-1988


1979
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
3

Annexe 1. Message de l’ayatollah Khomeyni à l’occasion du Hadj, 3 septembre 1983 (extraits)

Annexe 2. Allocution d’Ali Khamenei, président de la République islamique devant


l’Assemblée générale des Nations Unies. 22 septembre 1987 (extraits)

Annexe 3. Le « Manifeste » du Hezbollah (extraits)

Annexe 4. Résolution 598 adoptée par le Conseil de sécurité (20 juillet 1987)

Bibliographie
4

NOTE DE L’ÉDITEUR
Cet ouvrage a été publié pour la première fois en 1989, dans la collection Publications de
l'Institut de hautes études internationales, Genève, aux Presses universitaires de France, Paris
(ISBN 2-13-042393-O).
5

Introduction

A Soussan, Azadeh et Daryoush

Ces océans de vertu et de science,


Ces flambeaux illuminant l'assemblée des parfaits,
N'ont pourtant point trouvé d'issue hors cette nuit
ténébreuse.
Ils ont raconté une histoire, et puis se sont
endormis.
Khayyâm, Roba' iyat
1 Lorsqu’en février 1979 la révolution islamique triompha à Téhéran, peu d’observateurs
furent capables d’imaginer les conséquences de cet événement pour l’avenir des relations
internationales. Certes, tout le monde était conscient du fait qu’il ne s’agissait pas d’un
banal changement de régime, comme il s’en produit de temps à autre dans les pays du
Tiers Monde, mais d’une véritable révolution qui allait bouleverser la société iranienne de
fond en comble et dont les ondes de chocs seraient sans doute ressenties dans tous les
pays de la région. Personne non plus ne perdait de vue l’importance géostratégique de
l’Iran, sa position centrale dans une zone particulièrement sensible et son voisinage avec
une superpuissance, éléments qui amplifiaient davantage l’impact de l’événement. Mais,
sur le plan international, seules deux possibilités paraissaient envisageables : soit la fin de
l’alignement de l’Iran sur l’Occident et le choix d’une politique d’indépendance nationale
aux ambitions relativement modestes, soit, et cela semblait plus improbable, un
glissement significatif vers l’Union soviétique, ce qui évidemment aurait eu de graves
conséquences sur l’équilibre Est-Ouest. Aucune de ces deux prévisions ne se réalisa en fin
de compte.
2 Pourtant, la politique suivie par le nouveau régime, durant les premiers mois de son
existence, semblait confirmer la première thèse. Le gouvernement provisoire de Mehdi
Bazargan se voulait modéré et son ministre des affaires étrangères, Karim Sandjabi,
déclarait que contrairement au Shah « qui avait des prétentions disproportionnées par
rapport aux possibilités de l’Iran et pratiquait une politique sans sagesse », le nouveau
régime ne voulait en définitive que défendre « l’indépendance, l’intégrité et l’unité de
l’Iran » tout en étant conscient « de la responsabilité qui lui incombe dans la sauvegarde
6

de ses intérêts mais aussi de la paix et de l’équilibre mondial »1. Or, les bonnes
dispositions du gouvernement Bazargan étaient en contradiction flagrante avec les
déclarations enflammées de quelques membres influents du clergé et les idées avancées
par l’ayatollah Khomeyni et les personnalités de son entourage, c’est-à-dire par ceux qui
en fait détenaient la réalité du pouvoir tout en n’exerçant pas de responsabilités
gouvernementales.
3 Cette période de transition prendra brutalement fin le 4 novembre 1979, avec
l’occupation de l’ambassade américaine et la prise en otage de son personnel par les
« étudiants de la ligne de l’imam ». Ayant rempli, probablement inconsciemment, la
fonction qui lui était assignée, à savoir donner un temps de répit au courant maximaliste
de la révolution pour qu’il se consolide, s’affirme et s’impose, Mehdi Bazargan et ses amis
furent contraints à la démission. A partir de ce moment, la République islamique
inaugure un nouveau type de comportement en matière de relations internationales. Dix
mois après la victoire de la révolution islamique, naît la diplomatie islamique.
4 Le tournant ainsi amorcé ne fut pas immédiatement perçu à l’extérieur du pays. Au début,
l’affaire des otages, acte fondateur de la nouvelle diplomatie, fut interprétée comme un
accident de parcours ou une opération montée par des éléments incontrôlés. Avec le
temps, ces explications s’avérant de moins en moins plausibles, on évoquera désormais
cet événement comme la manifestation de colère de tout un peuple contre vingt-cinq
années d’oppression et de domination américaine. Mais bientôt l’idée de dissocier à tout
prix les autorités politiques des preneurs d’otages parut complètement illusoire et il fallut
se résoudre à avancer une autre explication. Dès lors, l’interprétation généralement
admise fut celle de l’irruption de l’irrationalité, à la faveur d’une situation exceptionnelle,
dans le champ des relations internationales. Cette analyse, qui confondait jeu traditionnel
de la diplomatie et rationalité, avait l’avantage de présenter la question des otages, dans
laquelle le pouvoir avait une réelle responsabilité, comme un acte déraisonnable et
répréhensible, mais somme toute explicable si on le plaçait dans le contexte d’une
période où le régime patauge dans les tourments révolutionnaires.
5 Mais les « excès » de la politique étrangère de Téhéran continuant de plus belle bien après
le retour des otages américains aux Etats-Unis tout en s’étendant au-delà de l’espace
géopolitique iranien, on commença à s’interroger sérieusement sur la nature véritable de
cette politique qui, tout en rejetant la logique de la bipolarisation du système
international, ne s’engageait pas totalement en faveur du non-alignement, tel qu’il est
généralement exprimé, et ne faisait pas non plus l’option d’une superbe solitude à la
manière de la Birmanie ou de l’Albanie.
6 Les questions soulevées par l’attitude de la République islamique sur la scène
internationale furent l’objet d’une attention particulière de la part de nombreux
observateurs politiques et chercheurs et cela d’autant plus qu’il devint rapidement
évident qu’on ne se trouvait pas en présence d’un phénomène limité à un Etat, mais que
la diplomatie islamique était à la fois l’émanation d’un courant islamiste révolutionnaire
transnational et l’inspiratrice d’une multitude de « groupes » activistes à l’œuvre dans
toute la communauté musulmane. Mais, sauf rares exceptions, l’analyse a été surtout
centrée sur certaines caractéristiques de cette diplomatie ou quelques-unes de ses
péripéties les plus spectaculaires. Peu d’efforts ont été faits dans le sens d’une prise en
considération globale, en utilisant une approche systématique ayant pour objet le
dépassement des événements conjoncturels. Pourtant, cette diplomatie qui défie l’ordre
international, mérite plus que des explications sommaires. La révolution islamique n’est
7

pas une révolution comme les autres et sa politique extérieure n’est pas uniquement un
essai d’investissement de la scène internationale par nécessité révolutionnaire ou un
moyen de consolidation de la légitimité d’un nouveau régime. Elle véhicule aussi des idées
peu ordinaires sur la souveraineté des Etats, les statuts et immunités diplomatiques, la
hiérarchie internationale, les droits de l’homme, la guerre, la paix etc., idées qui mettent
en cause l’ensemble des rapports internationaux. A l’originalité de la vision, s’ajoutent
aussi l’existence d’un système de référence, le recours à des méthodes d’action
singulières, l’utilisation d’un langage inhabituel. Tout cela concourt à démontrer, si
besoin était, l’intérêt de ce sujet tant pour le praticien que l’observateur de la vie
politique internationale.
7 Notre souhait dans cet ouvrage est de pouvoir apporter quelques éléments de réponse
aux questions que soulève l’entrée brutale du radicalisme islamique dans le jeu politique
international. Pour ce faire, nous nous pencherons sur la politique étrangère de la
République islamique, seul exemple d’Etat intégriste, révolutionnaire et militant du
monde musulman. Dans cette perspective, on cherchera à la fois à analyser les aspects
doctrinaux de la diplomatie du régime islamique de Téhéran et à examiner sa traduction
dans les faits par l’évocation des relations que l’Iran entretient avec ses plus importants
partenaires. Une première partie sera consacrée à une étude générale des rapports entre
l’islam et les relations internationales. La diplomatie islamique s’inscrit dans une
tradition musulmane et s’adresse en premier lieu au monde musulman ; on ne peut ni la
dissocier de ses racines ni la soustraire aux réalités objectives de son environnement
immédiat. Dans tout régime de nature totalitaire, laïc ou théocratique, l’idéologie
gouverne la diplomatie. Dans ces conditions, il est essentiel de ne jamais perdre de vue les
principes idéologiques qui fondent la conduite politique d’un tel régime. C’est à cet aspect
des choses que la deuxième partie du travail sera consacrée. La troisième partie sera
réservée à la guerre Iran-Irak dans la mesure où cette guerre et l’idéologie représentent
ensemble les deux éléments qui ont profondément influencé toute l’évolution de la
diplomatie islamique. Les trois dernières parties auront un aspect moins théorique. On
examinera successivement les modalités de formulation et d’application de la politique
extérieure, les relations de la République islamique avec les grandes puissances et la
politique régionale de Téhéran. Plutôt qu’une description détaillée des rapports
bilatéraux, on a délibérément choisi ici de privilégier la perception qu’a Téhéran de ses
principaux partenaires.

NOTES
1. Le Monde, 11-12 mars 1979.
8

Chapitre I. Islam et relations


internationales

« Jusqu’à la crise iranienne, on constatait un ferme


refus, de la part des médias occidentaux,
d’admettre que la religion puisse encore constituer
une force au sein du monde musulman. La
tendance, depuis lors, est de passer à l’autre
extrême, et tel qui ne pouvait rien entrevoir de
l’islam paraît aujourd’hui avoir quelque difficulté à
en détacher les yeux. Deux positions également
fallacieuses. L’islam est un fait et son importance
en tant que facteur politique est immense. Mais
ayant reçu l’islam au nombre des réalités
politiques, il nous faut garder en mémoire
l’existence d’autres réalités. »
Bernard LEWIS,
Le retour de l’islam,
Paris, Gallimard, 1985, p. 374
1 Les rapports entre l’islam et les relations internationales sont à la fois ambigus et
complexes. Ambigus, car ils supposent la mise en parallèle de deux phénomènes de
nature profondément différents : une religion – qui tout naturellement est d’essence
extramondaine se fondant sur une relation transcendantale – et les relations
internationales, constituées de « flux de toute nature et de toutes origines qui traversent
les frontières »1 et qui mettent en présence des nations, des Etats, des institutions et des
hommes, préoccupés par la résolution des problèmes qui se situent dans un ordre de
réalités bien terrestres et profanes. Cependant, si l’on se rappelle que l’islam associe la
religion à toutes les manifestations de la vie et veut s’insérer dans le temporel et l’histoire
afin de régenter la société, alors l’ambiguïté s’estompe, tout en laissant persister dans
l’esprit de certains, musulmans ou non, un sentiment mitigé, une question restant
toujours posée : une lecture politique trop poussée de l’islam peut être une menace pour
l’essentiel, à savoir les valeurs spirituelles et morales qu’une religion est sensée véhiculer.
Quant à la complexité, elle s’explique par la nécessité de prendre en compte un nombre
9

élevé de variables, pour tenter de cerner l’objet de la réflexion. Parmi ces variables, on
notera l’existence de tendances idéologiques multiples au sein du monde musulman, la
diversité culturelle, géographique, linguistique et ethnique de ce monde, les intérêts
contradictoires des Etats musulmans, les graves problèmes socio-économiques auxquels
la plupart d’entre eux sont confrontés et aussi, plus généralement, la situation
internationale difficile que le monde a connue durant la dernière décennie et qui a
conditionné l’environnement global des pays musulmans comme d’ailleurs des autres
Etats.
2 Dans ces conditions, pour tenter de saisir les rapports islam-relations internationales de
manière générale en évitant, dans la mesure du possible, la dispersion qui consiste à
étudier les cas particuliers sans pour autant pouvoir offrir une vision d’ensemble, une
seule méthode semble envisageable : procéder par l’appréhension successive des divers
aspects du phénomène dans sa totalité. Cette approche nous conduira à aborder sous trois
angles différents les rapports entre l’islam et les relations internationales : la théorie, la
géopolitique et la pratique.
3 Dans une première étape, la manière dont la tradition musulmane appréhende la vie
internationale sera examinée. A cette occasion, on s’interrogera à la fois sur la façon dont
les gouvernements musulmans, au fil des siècles, ont concilié leur comportement réel
avec les principes doctrinaires et sur l’actualité et la pertinence de cette démarche
théorique pour la compréhension de certains agissements des pays islamiques à l’époque
contemporaine. Ensuite, on tâchera d’analyser le monde musulman dans sa réalité, sa
matérialité, ses éléments objectifs de puissance et ceci dans le but d’une évaluation
critique de son poids, de ses potentialités, de son importance géostratégique et, par là, de
son impact effectif sur la scène internationale. Dans cette optique, il sera aussi nécessaire
de voir dans quelle mesure les pays musulmans sont solidaires, capables de conjuguer
leurs forces et de bâtir des structures de coopération pour renforcer leur capacité
d’action et d’influence sur leur environnement externe. Enfin, l’islam sera examiné en
tant que déterminant de la politique étrangère des pays musulmans en général, mais
aussi en tant que facteur influant sur l’élaboration de la politique extérieure de quelques
pays à fortes minorités musulmanes. Si tous les pays musulmans ont, à un moment ou à
un autre, appelé l’islam à la rescousse de leur politique étrangère, la République islamique
est le seul à justifier toutes ces actions en politique internationale en se référant à l’islam.

1. Théorie
4 La théorie islamique des relations internationales ou ce qui en tient lieu dans la tradition
musulmane, tout en s’inspirant du Coran, des paroles, faits et gestes du Prophète,
première et deuxième sources du droit musulman, a été en fait élaborée par les juristes à
l’époque où l’Empire musulman était à son apogée (750-900). Ayant incorporé des ethnies,
des nations et des cultures différentes dans un vaste ensemble, cet empire inspire à ses
penseurs l’idéal d’une société œcuménique et la formulation d’une théorie à la mesure
d’un pouvoir qui est l’instrument d’une religion à vocation universelle, aspirant à
s’étendre au monde entier. En attendant la réalisation de cet objectif, l’islam est obligé de
constater la division du monde en deux, entre l’islam et le non-islam. Cette constatation
débouche naturellement sur une vision dualiste de l’univers.
5 Selon cette vision, les hommes, le temps et l’espace sont divisés en deux catégories
distinctes. Parmi les hommes, il y a le groupe des fidèles « touchés par la foi et des
10

infidèles enracinés dans le refus »2. Ces derniers sont aussi divisés en deux sous-groupes :
les monothéistes et les polythéistes. Les juifs, les chrétiens (parfois les adeptes d’autres
religions assimilés aux monothéistes comme les zoroastriens), désignés comme ahl al-
kitab, détenteurs de l’écriture, sont autorisés, en tant que monothéistes, à vivre, sous
certaines conditions, au sein de la société musulmane, tandis que les polythéistes n’ont
d’autre choix que la conversion ou la disparition. Le temps de l’histoire terrestre est
divisé en un Avant et un Après la Révélation divine ultime par l’intermédiaire du
Prophète de l’islam. Quant à l’espace, il se partage en deux territoires, un où s’applique la
loi de Dieu, le dar al-islam (demeure de l’islam) et un autre qui n’est pas soumis à la loi
divine et qu’il faudra soumettre, le dar al-harb (demeure de la guerre).
6 Le dar al-islam est l’espace musulman par excellence, là où règnent les préceptes de cette
religion. Théoriquement, le dar al-islam ne forme qu’une seule unité, cette unité trouvant
sa substance dans l’unicité de la communauté, de la foi et de la loi : un seul Dieu, un seul
Etat, dirigé par une seule autorité. Ainsi donc, les musulmans ne forment qu’une seule
communauté, l’umma, « ni jus sanguinis, ni jus soli ; la religion fait la citoyenneté » 3. La
notion d’umma en réalité transcende le territoire de l’islam puisqu’il peut y avoir des
minorités musulmanes, vivant en dehors du dar al-islam. Ceci étant, comme le remarque
Louis Gardet : « la communauté musulmane, sous sa forme idéale, n’est pas, elle, supra-
nationale, mais bien la seule “nation” qui ait un plein droit à exister sur terre » 4. Du point
de vue strictement religieux, le musulman dès qu’il se trouve en terre d’islam est citoyen
du pays où il se trouve, même si ce n’est pas son propre pays d’origine, et il peut, s’il en a
les capacités, y exercer toutes les charges religieuses, civiles et politiques.
7 La conception juridique du gouvernement islamique se place aussi dans le prolongement
direct de la perspective religieuse : « le gouvernement islamique est une organisation
politique à tendance universelle. Sa fin est de réunir tous les hommes sous son égide, en
les conviant à se placer sous l’autorité de la même loi définie et fixée, dans ses principes,
par le Koran »5. Donc, contrairement au droit international moderne, qui reconnaît
l’existence d’un groupe, d’une famille de nations composée d’Etats souverains, le droit
islamique traditionnel ne reconnaît d’autre nation que la nation islamique. A l’instar du
droit romain et du régime juridique de la chrétienté médiévale, la conception de l’islam
est fondée sur la théorie de l’Etat universel. Si l’on devait trouver une conception
analogue dans le temps présent, le seul exemple qui vient à l’esprit est le cas du monde
communiste, défini par l’adhésion commune à l’idéologie marxiste et la particularité du
pouvoir qui en est issu, international par sa nature de classe.
8 Dans l’attente de la réalisation de cet idéal d’Etat islamique, ce dar al-islam « unitaire,
messianique et universalisant »6, de ce jour où l’humanité dans sa totalité embrassera
l’islam ou se soumettra à son autorité, il reste une partie du monde qui ne bénéficie pas
de la loi divine, le dar al-harb.
9 Le Coran ne divise pas le monde en territoires où règnent la paix et la foi de l’islam et en
territoires sur qui pèse la menace de la guerre missionnaire, mais la tradition fait
remonter à l’époque du Prophète la conception du dar al-harb. Ayant étendu son emprise à
l’ensemble des tribus de l’Arabie, le Prophète va s’intéresser aux pays situés autour de la
péninsule Arabique et envoyer des messages à leurs dirigeants, les invitant à embrasser
l’islam, sous peine d’invasion de leurs territoires. Ces messages diplomatiques, attribués à
Mahomet, seront envoyés à Maqawqis, gouverneur d’Egypte, à Chosroés, empereur de
Perse, à Nagasy, empereur d’Abyssinie et Héraclius, empereur de Byzance7. Cette
invitation-menace signifie en fait que la communauté des croyants est en état de guerre
11

latente avec ses voisins au cas où ils persistent dans leur refus de quitter le camp des
infidèles. Cette idée, reprise par la plupart des juristes musulmans, est devenue un
principe classique du droit islamique.
10 Le dar al-harb englobe les pays où la loi musulmane n’exerce pas ses effets et dont les
habitants (les harbis ou ahl al-harb) ont refusé de se convertir à l’islam. Contre ces
territoires toute forme de guerre est en principe licite. Quant aux territoires du dar al-
islam repris par les non-musulmans et où la loi des non-croyants remplace celle de l’islam,
ils redeviennent donc territoires du dar al-harb avec toutes les conséquences que cela
implique.
11 Certains juristes reconnaissent l’existence d’une troisième catégorie de territoire, le
dar al-ahd ou dar al-sohl (terre de pacte ou terre de trêve), qui est un espace à statut
temporaire et intermédiaire. Cette notion s’applique essentiellement aux Etats non-
musulmans ayant conclu avec l’Etat musulman un pacte, en vertu duquel ils
reconnaissent la suzeraineté musulmane et payent tribut. « En choisissant de considérer
les présents qu’ils recevaient comme un tribut, les souverains musulmans et leurs
conseillers juridiques peuvent étendre le domaine du pacte (ahd), et y englober une
grande variété de transactions d’ordre politique, militaire et commercial avec les
puissances non musulmanes. Un non-musulman pouvait même se rendre en terre d’Islam
et y recevoir un sauf-conduit, appelé “amân” »8. Cependant, les juristes qui acceptaient le
concept du dar al-ahd insistaient toujours sur l’aspect éphémère de cette situation et
soulignaient le fait que, tôt ou tard, cet espace devait être incorporé au dar al-islam.
12 Le dar al-harb est issu des développements logiques de la notion de jihad, lorsqu’il cesse
d’être la lutte pour la survivance d’une petite communauté, pour devenir le fondement du
droit des gens dans l’Etat musulman9. Le jihad (effort) est l’obligation de la guerre sainte
que tout musulman est censé mener contre les infidèles afin d’obtenir leur soumission ou
leur conversion. Mais le jihad ne fait pas partie des cinq « piliers » de l’islam, ce n’est pas
un devoir catégorique individuel, mais un devoir communautaire, nécessaire pour la
défense et la propagation de l’islam. Le Coran fait à de nombreuses reprises référence à
l’obligation de combattre les infidèles, mais il fait aussi référence à la nécessité de la
légalité de la guerre et de sa conformité au droit. De plus, de nombreux versets
coraniques se prêtent à une interprétation « défensive » du jihad, bien que ceux qui
incitent à la guerre sainte, sans faire distinction entre guerre offensive ou défensive,
soient bien plus nombreux que ceux qui encouragent simplement la défensive. Le contenu
complexe du concept de jihad permet des interprétations diverses, ce qui a amené les
auteurs musulmans à proposer des explications multiples, généralement en rapport avec
leur degré de tolérance. Ainsi, souvent les auteurs modernes affirment-ils que le jihad a
des fondements plus éthiques (perfectionnement individuel) que guerriers10. Ajoutons
aussi que pour les shi’ites, en l’absence du douzième imam, lequel a seul qualité pour
ordonner la guerre sainte, le jihad se trouve suspendu jusqu’à sa réapparition ou
l’institution d’un mandataire délégué par lui à cet effet11. La possibilité d’existence d’un
« mandataire désigné » laisse évidemment la voie ouverte à toute sorte d’interprétations
entre autres celle qu’en donne aujourd’hui la République islamique.
13 De la doctrine islamique classique des relations internationales se dégage l’image d’une
société internationale inégalitaire, hiérarchisée et conflictuelle. Il n’y a pas d’égalité entre
nations musulmanes et non-musulmanes ; par la force de sa foi, la communauté
musulmane est supérieure aux autres ; la défense de la loi divine justifie le recours à la
violence si nécessaire ; en d’autres termes « la justice » a prééminence sur la paix. Ceci
12

étant, placée dans une perspective historique, la vision islamique des rapports
internationaux se distancie de la théorie, sans jamais la renier.
14 L’époque de l’expansionnisme triomphal de l’islam dure moins de deux siècles. Durant
cette période, la réalité historique correspond approximativement avec la doctrine que,
par ailleurs, elle engendre elle-même et cela en dépit des schismes et fractionnements qui
apparaissent à l’intérieur du monde musulman presque simultanément avec la mort du
Prophète. L’Etat islamique un et universel tarde à se réaliser. Progressivement le jihad
perpétuel fait place à une sorte de coexistence avec les pays du dar al-harb, tandis que les
rivalités et luttes intestines à l’intérieur du dar al-islam ne cessent de s’amplifier. Avec le
temps, le monde musulman se scinda en plusieurs Etats antagonistes, ces Etats signèrent
même des traités d’alliance avec des princes infidèles. Le plus spectaculaire de ces traités
fut signé, en 1535, par Soleiman le Magnifique avec François Ier. Dans les conflits
interislamiques, les pouvoirs musulmans n’hésitèrent même pas à pactiser avec des pays
non-musulmans pour combattre un pouvoir musulman. Il en fut ainsi, par exemple, dans
les luttes qui au XVIe et XVIIe siècles opposèrent Ottomans et Safavides. Le fractionnement
du territoire de l’islam devint la réalité du monde musulman, tandis que le dar al-islam
était relégué, de plus en plus, dans la catégorie des fictions légales 12.
15 Progressivement, surtout à partir du XIXe siècle, les pays musulmans sont contraints à
participer régulièrement et effectivement à la vie de la communauté des nations, qui s’est
forgée en dehors d’eux, en se pliant à certaines règles qui leur sont étrangères et en
souscrivant de plus en plus à des compromis. De plus, la colonisation va toucher
directement ou indirectement la plupart des pays musulmans, ce qui aura pour
conséquence l’introduction en milieu musulman de notions de droit européen à propos
des phénomènes comme l’Etat, l’espace territorial, les frontières, l’administration etc.
Plus tard, la décolonisation va avoir pour résultat la constitution d’Etats qui se veulent
pleinement indépendants, égaux, donc semblables aux autres Etats, et qui adhèrent à un
système de relations internationales issu historiquement de l’Occident et du droit
international européen. Cette intégration, sinon ce ralliement à une communauté
internationale différente du schéma traditionnel prévu par la religion, va faire subir à la
théorie islamique d’importantes modifications. Majid Khadduri relève trois modifications
fondamentales : d’abord l’adoption du principe des relations pacifiques qui remplace le
principe classique de l’état de guerre permanente, du jihad ; ensuite, l’acceptation de
l’idée de la séparation de la doctrine religieuse des affaires extérieures ; et finalement, la
reconnaissance explicite par l’islam du principe de la souveraineté territoriale13. En fait,
des changements amorcés dès le IXe siècle, amplifiés au XVIe siècle à l’intérieur du monde
musulman, vont complètement bouleverser au XIXe siècle, au contact de l’Europe, les
fondements mêmes de la vision islamique des relations internationales.
16 Dans ces conditions, à l’heure actuelle, une réflexion sur la théorie classique de l’islam en
matière de relations internationales n’aurait d’intérêt que du point de vue historique.
Tout au plus, l’idée d’une certaine solidarité entre musulmans, d’une unité spirituelle,
continuerait à persister comme un mythe dans l’esprit des croyants. En réalité, le schéma
classique n’a ni entièrement disparu de la pensée musulmane ni perdu totalement de sa
pertinence pour certaines tendances politiques. De ce fait, l’approche traditionnelle,
outre son intérêt historique, présente aussi quelque intérêt pour la compréhension de
certains aspects du monde musulman contemporain.
17 D’abord, dans le domaine du droit international, le particularisme islamique subsiste
malgré le ralliement des pouvoirs politiques au système international tel qu’il est. Les
13

populations ont parfois du mal à s’intégrer dans un système qui leur est peu familier,
procédant d’une toute autre philosophie ; il ne s’agit « plus de communauté de croyants,
mais d’un monde laïc, pluraliste, composé d’Etats souverains qui cohabitent sans
prosélytisme selon les règles adoptées à l’unanimité, reposant sur l’égalité de tous et le
respect de chacun »14. De plus, l’impossibilité d’application par un gouvernement
musulman d’une règle internationale qui se trouverait en opposition avec une norme de
la loi divine, la difficulté de reconnaître dans l’Etat moderne une institution naturelle, les
divergences entre les droits de l’homme et une conception islamique de ces droits etc.,
sont des réminiscences de la vision islamique des rapports internationaux. L’ombre du
dar al-islam continue de planer sur l’Etat musulman, malgré la volonté affichée de la
plupart des régimes politiques qui veulent faire de leur pays un Etat comme les autres
dans la communauté des Etats.
18 Ensuite, il faut prendre en considération un autre aspect qui a pris une importance
considérable ces dernières années : le discours intégriste sur la politique internationale,
discours qui s’inspire essentiellement de la théorie classique tout en utilisant un jargon
révolutionnaire moderne15. Les islamistes partent de l’idée selon laquelle l’islam a une
vocation militante à laquelle il ne faut à aucun prix renoncer. Les gouvernements
véritablement musulmans sont ceux qui à la fois œuvrent pour le renforcement de la foi à
l’intérieur de la communauté, et font reculer, à l’extérieur, les limites du dar al-islam.
L’islam a plus que jamais une mission morale à l’échelle de l’univers, ne pas accomplir
cette mission équivaut à renier les fondements même de la religion : le « devoir » de la
nation islamique est présent dans toutes les déclarations des porte-parole de l’islam
militant. « La Nation islamique qui a adopté la doctrine islamique comme une pensée
globale sur l’univers, l’homme et la vie, comme doctrine politique, intellectuelle et vitale,
doit assumer la responsabilité de libérer le monde du joug de l’injustice politique et
sociale qui l’opprime et de le sauver de la misère, de l’impérialisme et de l’exploitation. La
Nation musulmane est désignée pour tirer le monde de l’erreur et de le conduire vers la
lumière de la vérité et du bonheur. Bien que cette nation se trouve elle-même courbée
sous le joug de la force brutale elle ne peut plus borner sa réflexion à son propre salut car
l’égoïsme est contraire à ses principes et à ses valeurs morales »16. Ces idées à propos de la
mission de l’islam, de l’altruisme islamique sur le plan international ont été développées
de manière plus précise encore par un ayatollah shi’ite irakien, Mohamed Baker El Sadr :
« une des implications politiques de l’Etat islamique est son comportement sur la scène
internationale, celui-ci n’a pas pour principe l’exploitation et le pillage des peuples faibles
que pratique la civilisation occidentale, ni l’intérêt réciproque comme le prétend cette
même civilisation. Mais la base de ce comportement réside dans la vérité, la justice et
l’aide aux opprimés de la terre entière »17.
19 Au-delà du droit international et du discours islamiste contemporain, la connaissance de
la théorie islamique des relations internationales est une clé à la fois pour la
compréhension de certaines perceptions et agissements des dirigeants musulmans,
comme elle peut aussi expliquer le choix de certains arguments de légitimation avancés
par les uns et les autres. Ainsi, par exemple, le Roi Fayçal d’Arabie Saoudite, comme l’a
démontré David Long, avait une vision de la situation internationale imprégnée par la
conception islamique classique. Dans l’esprit du souverain saoudien, le dar al-islam
correspondait au monde arabo-musulman, le dar al-ahd aux Gens du Livre, c’est-à-dire
essentiellement aux pays occidentaux et amis et le dar al-harb au communisme athée et au
sionisme, idéologie que le Roi Fayçal considérait comme dérivée du marxisme-léninisme 18
14

. Un autre exemple, concerne le Sahara Occidental où le Maroc, dans le but de justifier ses
prétentions historiques sur ce territoire, a recouru, en outre, à la notion de terre d’islam,
dar al-islam19. Dans d’autres cas, la mise en parallèle des problèmes territoriaux et du
concept du dar al-islam peut s’avérer utile pour l’explication des origines de certains
contentieux qui continuent à subsister dans le monde musulman20.

2. Géopolitique
20 La vision islamique des relations internationales se fonde, on l’a vu, sur une
interprétation particulière de l’espace à partir de laquelle toute la doctrine est élaborée. A
son tour, l’espace sur lequel vit l’homme musulman, va conditionner son mode de vie
mais aussi façonner le comportement de l’Etat musulman dans les rapports
internationaux. En d’autres termes, l’islam ne peut évacuer la géopolitique ; il est
tributaire de ses contraintes comme de ses avantages.
21 La position géographique du monde musulman, ses ressources matérielles, sa dimension
démographique, son degré de solidarité, en un mot les éléments objectifs de la force des
pays musulmans et leur capacité de traduire ces éléments en facteurs de puissance sur la
scène internationale, intéressent à la fois les révolutionnaires islamistes et les
réformateurs laïcisants.
22 Pour les premiers, les potentialités matérielles et par conséquence politiques de l’islam,
considéré comme un grand système géopolitique cohérent, sont quasi infinies et doivent
être impérativement rentabilisées par leur mise au service de la cause : le triomphe total
de l’islam. La division du dar al-islam en une multitude d’Etats différents, consécutive à
l’apparition dans le monde musulman de l’idée d’Etats nationaux, dernier avatar du
colonialisme occidental, est l’obstacle premier à l’éclosion de ces potentialités. Afin de
retrouver l’unité idéale en même temps que la pureté et la puissance, il faut abattre ces
barrières qui entravent la cohésion du dar al-islam, ce qui évidemment rend nécessaire
une lutte sans merci contre tous les ennemis de l’islam. Dans l’ordre des priorités vient
d’abord l’ennemi le plus proche : les gouvernements impies qui dirigent la plupart des
pays musulmans ; ces derniers, ayant abandonné l’islam en devenant alliés objectifs de
« l’Occident croisé » et de « l’arrogance israélienne », sont considérés comme illégitimes.
C’est la trahison des élites de ces pays qui empêche l’émergence de la puissance islamique
et son corollaire immédiat : la transformation du système international.
23 Pour les seconds, qui détiennent à l’heure actuelle les rênes du pouvoir dans la majorité
des pays, les atouts matériels doivent en premier lieu servir au développement et au bien-
être de chaque nation, à la suite de quoi il faut songer au renforcement des liens avec les
autres Etats musulmans et à la coopération internationale en général. Quant à la situation
géostratégique, elle peut servir, par l’intermédiaire de la sensibilisation de l’opinion
publique internationale, à affermir et consolider la position de tel ou tel pays sur
l’échiquier international.
24 Il y a donc divergence d’interprétation. L’approche intégriste est essentiellement
politique et met en cause le sous-système intergouvernemental islamique sans, par
ailleurs, épargner le système international global. Quant aux autres, leur point de vue est
substantiellement économique et pragmatique, ne mettant en cause ni le statu quo
interislamique ni les méthodes et techniques généralement admises dans la conduite des
affaires internationales. En dépit de ces divergences d’appréciation, les deux tendances,
15

chacune à sa manière, accordent une importance particulière aux composantes


matérielles de la puissance et à l’utilisation qui pourrait en être faite pour atteindre
certains objectifs sur le plan international. En définitive, de quelque position que l’on
parte, l’islam, aujourd’hui comme hier, ne désavoue pas les données objectives, ne sous-
estime pas les atouts et contraintes géographiques.
25 Généralement, s’agissant d’évaluer le rôle de l’islam, de prendre en considération son
poids et son impact sur la scène internationale, on fait appel à quelques facteurs comme
l’étendue du monde musulman, le nombre de sa population, les ressources naturelles,
l’expansion religieuse en direction de l’Afrique, de l’Europe et même de l’Amérique, les
passages maritimes que les pays musulmans contrôlent, etc. Ces éléments pris pêle-mêle
en considération permettent rapidement de conclure à l’importance toujours plus grande
de l’islam dans la vie internationale. Essayons, pour notre part, en nous servant d’une
approche plus systématique, de clarifier quelque peu les choses et d’aller, si possible, un
peu plus loin que l’établissement d’un inventaire finalement sans grande signification et
ne pouvant déboucher que sur des conclusions superficielles.
26 Les analystes des relations internationales retiennent en général trois groupes de
variables comme éléments fondamentaux de la puissance : les variables physiques,
structurelles et culturelles21. Les variables qualifiées de physiques se rapportent à la
géographie, à la démographie et aux ressources. Les variables structurelles se réfèrent
aux structures sociales, politiques et institutionnelles. Les variables culturelles
regroupent la culture, les idéologies, les attitudes et les perceptions.

a) Les variables physiques

27 Le monde musulman recouvre un immense ensemble spatial qui va, d’ouest en est, des
rivages de l’Atlantique à ceux du Pacifique, s’étirant sur plus de onze mille kilomètres à
vol d’oiseau22. Du nord au sud, il s’étend des confins de l’Asie centrale au cœur de
l’Afrique. Au-delà de cette étendue quasi compacte, l’islam fait des percées vers l’Europe,
l’Extrême-Orient, l’Afrique australe et effleure même le continent américain. Face à cette
immensité, Habib Chatty, ancien Secrétaire général (1979-1984) de l’Organisation de la
conférence islamique (OCI) a eu des envolées lyriques : « rien n’est plus vaste que la
demeure de l’Islam. L’universalité conceptuelle et l’universalité géographique vont de pair ;
l’idée s’incarne et se prolonge dans le réel »23. Et il ajoute plus loin : « l’espace
géographique actuel de l’Islam va de l’Asie à l’Afrique, de l’Europe aux continents
américain et australien. Majoritaire ou minoritaire, sans distinction de race et d’ethnie,
sous tous les climats, en toute saison, l’Islam a illuminé la terre ; il a touché les cœurs,
pénétré toutes les cultures. Ouvert comme le ciel, rien ne saurait l’influencer. Tous les
cadres craquent »24.
28 Certes, les dimensions de l’espace qu’occupe l’islam sont impressionnantes à tous égards.
Peut-être cette étendue est-elle une condition indispensable à la puissance ; peut-être
offre-t-elle, du point de vue militaire, un avantage non négligeable : la profondeur
stratégique. Sans doute existe-t-il une certaine corrélation entre l’immensité de la
superficie et la diversité des ressources. Cependant, tous ces éléments ne suffisent pas
pour conclure à propos des pays musulmans que la dimension de leur territoire est un
facteur décisif pour faire d’eux en quelque sorte une superpuissance potentielle. Au-delà
du morcellement politique réel, dont la persistance ne peut sérieusement être mise en
cause dans un avenir prévisible, le territoire de l’islam est dispersé, quelquefois pauvre en
16

ressources, en grande partie désertique, souvent aride ou semi-aride, ce qui rend son
organisation, son contrôle, son utilisation très difficiles surtout si la majorité des sociétés
qui y vivent souffrent du sous-développement et ne possèdent pas les moyens de son
exploitation efficace. Dans ces conditions, l’espace en tant que facteur de puissance voit
son importance fortement réduite.
29 Par contre, toujours par rapport à la géographie, la position des pays musulmans dans le
monde, si l’on admet que « le rôle que peut jouer l’Etat dans les relations internationales
est largement affecté par la place qu’il occupe sur la carte du monde »25, a une valeur
politico-stratégique indéniable.
30 Situé à l’intersection de trois continents (Asie, Afrique, Europe), ayant accès à trois océans
(Atlantique, Indien, Pacifique), riverain de quatre mers semi-fermées (Méditerranée, mer
Noire, mer Rouge, et golfe Persique) et surplombant les voies de passage de première
importance pour la circulation maritime mondiale (Malacca, Hormuz, Bal el-Mandeb,
Suez, Dardanelles, Gibraltar), le monde musulman possède de ces faits une position sans
pareille sur le plan stratégique tant au niveau global qu’au niveau des régions. Malgré les
évolutions technologiques dans le domaine des transports et des communications,
l’importance stratégique de l’espace musulman reste considérable. Toutefois, sur le plan
politique, cette situation n’est favorable qu’en apparence, car les positions
exceptionnelles dont jouit, du point de vue stratégique, cette partie du monde sont une
arme à double tranchant. En effet, tant que les pays musulmans n’auront pas les moyens
de tirer le meilleur profit de leurs positions avantageuses – ce qui a été le cas durant toute
la période coloniale et continue à l’être à un degré moindre aujourd’hui – cette situation
se retournera contre eux car, à cause d’elle, ils deviennent des enjeux convoités dans les
rivalités internationales et les bénéfices éventuels se transforment en pertes certaines.
31 Sur le plan démographique, avec approximativement une population de l’ordre de
800 millions d’hommes, l’islam, majoritaire dans 36 Etats et approchant des 50 % de la
population totale dans une dizaine d’autres, rassemble la masse de population la plus
importante de la planète après la Chine26. Les pays musulmans connaissent, en général,
un rythme élevé de croissance (2,5 % rythme moyen annuel) et donc une population très
jeune. Quelquefois, dans certaines régions, à la croissance naturelle s’ajoutent les
nombreuses conversions à l’islam, ce qui amplifie davantage le rythme de croissance de la
population musulmane. Ceci étant, l’importance numérique des musulmans n’a jusqu’à
présent eu qu’un impact relatif sur le cours des relations internationales. Le sous-
développement du Tiers Monde islamique mais aussi l’extrême diversité ethnique,
culturelle, politique des communautés musulmanes expliquent les incidences
relativement négligeables du poids démographique de l’islam dans les affaires mondiales.
De plus, la situation démographique varie d’un pays à l’autre. Les cas extrêmes sont soit
ceux de l’Egypte ou du Bangladesh, où la surpopulation est un fléau qui handicape
dramatiquement l’évolution économique, soit ceux des monarchies pétrolières de la
région du golfe Persique, dont le nombre extrêmement réduit de la population
autochtone soulève de graves problèmes surtout du fait de l’absence d’une véritable
politique d’intégration des résidents non-nationaux.
32 Quant aux ressources économiques, il faut surtout prendre en considération le pétrole qui
constitue pratiquement le seul produit d’exportation des pays musulmans dont
l’importance est primordiale pour l’économie internationale tout en ayant une haute
valeur stratégique. Le fait que la grande majorité des pays membres de l’OPEP soient des
pays musulmans (11 sur 13 pays affiliés à l’OPEP sont membres de l’Organisation de la
17

conférence islamique, OCI) est en soi significatif. Durant la décennie soixante-dix, qui a
été très fertile en événements favorables aux pays exportateurs de pétrole, un
phénomène nouveau est apparu sur l’échiquier international avec l’émergence des
« pétropuissances », dont la plupart étaient des pays musulmans. Les attributs essentiels
de ces nouveaux centres de pouvoir étaient leur capacité d’action sur le prix d’un produit
énergétique, leur faculté d’accumulation d’excédents monétaires considérables, la
possibilité de placement sur les marchés financiers internationaux, leur participation aux
activités économiques des pays industrialisés, l’accroissement de leurs importations de
matériel civil et militaire etc.27. A cela, il faut aussi ajouter les politiques d’aide que ces
pays ont pratiquées pour mieux évaluer les capacités internationales de ces
« pétropuissances »28.
33 Mais la puissance nouvelle que le pétrole va conférer au monde musulman sera très
éphémère. En effet, la décennie quatre-vingt, tout au moins jusqu’à sa huitième année, a
été témoin du déclin progressif de cette puissance, déclin causé à la fois par la récession
mondiale, le succès des programmes d’économie d’énergie, l’intensification des conflits
entre pays musulmans producteurs de pétrole, dont la guerre Iran-Irak a été l’exemple le
plus significatif29. D’autre part, avec l’augmentation sensible de la production de pétrole
des pays non membres de l’OPEP un peu partout dans le monde, les pays musulmans
perdent, en partie, leurs positions avantageuses sur le plan énergétique. Certes, dans le
domaine pétrolier, plus encore qu’ailleurs, il est hasardeux de faire des pronostics ; tout
peut arriver, même un nouveau choc pétrolier. Cependant, les pays islamiques
producteurs de pétrole peuvent au moins tirer deux conclusions de leurs expériences
durant ces quinze dernières années : d’une part ils doivent constater que « la puissance »
conférée par les revenus pétroliers est extrêmement fragile et, d’autre part, que la
richesse financière à elle seule ne suffit pas pour sortir de l’état de sous-développement et
que parfois cette richesse, produit d’un miracle géologique et non du travail de l’homme,
peut être source de nouvelles contraintes et difficultés à la fois à l’intérieur des pays et
sur le plan international.
34 Toujours dans le domaine économique, on relèvera aussi l’écart qui sépare les pays
musulmans quant à leur niveau de vie. Aux deux extrêmes, il y a d’un côté les pays dont
les revenus par tête d’habitant sont les plus élevés du monde, comme les Emirats Arabes
Unis, le Koweit, l’Arabie Saoudite ou le sultanat de Brunei et, de l’autre côté, les pays les
plus pauvres de la planète, ceux classés par les Nations Unies dans la catégorie des pays
les moins avancés (PMA). Sur les 46 membres de l’Organisation de la conférence
islamique, 19 font partie des 36 pays identifiés par l’organisation mondiale comme PMA.
Ainsi, plus de la moitié des PMA sont membres de l’OCI qui elle-même a environ 40 % de
ses effectifs issus du groupe des PMA. Les disparités économiques de cet ordre ne
favorisent évidemment pas la cohésion interislamique.

b) Les variables structurelles

35 Les structures politiques et institutionnelles des pays musulmans, pris individuellement


ou dans leur ensemble, sont en général défectueuses, inadaptées aux réalités
contemporaines et fort probablement inopérantes quant à l’aménagement de l’avenir. Il
est difficile, en partant de ces constatations, d’imaginer que ces pays s’arrogent un rôle
international important et de longue durée, sans qu’ils remettent en question leurs
organisations internes, sans qu’ils éclaircissent certains concepts de base régissant leurs
18

institutions, sans qu’ils acquièrent une discipline communautaire destinée à consolider


les liens de solidarité sensés les unir.
36 Dans la perspective des relations internationales, une première question reste posée pour
la plupart des pays musulmans : il s’agit de la définition, une fois pour toutes, du contenu
de concepts aussi fondamentaux que l’Etat, la nation, l’Etat-nation et leurs rapports avec
la religion. Ces pays, comme d’autres pays du Tiers Monde, sont confrontés à une
situation complexe produite par la rencontre, d’une part, de la nécessité d’achever un
processus d’édification nationale et, d’autre part, de l’apparition en même temps d’un
sentiment de « désenchantement national »30, né des frustrations dues aux échecs
économiques et politiques des lendemains de l’indépendance et à la perpétuation, sous
des formes différentes, des modèles de régimes autoritaires et souvent corrompus. Pour
les pays musulmans, cette situation se complique davantage encore du fait de l’existence
en leur sein de courants d’idées et de groupes organisés et actifs, prônant le rejet de l’idée
même de nation. « Alors que dans de nombreux pays, on mène de nouveaux combats pour
la nation, pour qu’elle soit menée de façon plus juste et plus démocratique, dans la
plupart des pays musulmans, on cherche désormais hors des cadres de l’Etat, dont on
conteste la raison d’être, autre chose que la nation »31.
37 Dans le monde musulman on se trouve en présence d’Etats souvent jeunes, parfois
artificiels et dont les gouvernements, en invoquant l’impérieuse nécessité
d’homogénéisation et d’intégration nationale, se sont généralement transformés en Etats
forts et autoritaires et par là se sont déconsidérés aux yeux de leurs propres citoyens. Le
paradoxe est qu’aujourd’hui ces régimes sont la cible des mouvements islamistes qui
cherchent non pas à régénérer l’Etat, en proposant d’autres voies pour atteindre un
consensus national, mais plutôt à détruire cette construction inachevée en poussant les
citoyens à n’accorder leur loyauté qu’à la religion uniquement, qui bien évidemment est
d’essence transnationale.
38 Cette situation a de graves conséquences dans un monde où l’Etat reste l’acteur privilégié
des relations internationales. Quel rôle peuvent jouer dans un tel système des Etats en
processus de formation, généralement en situation de sous-développement et qui de
surcroit sont en proie à des tendances qui cherchent à mettre en place autre chose que
des Etats ? Cette délégitimation d’une institution, avant même que celle-ci atteigne sa
plénitude, et l’impossibilité d’avancer un concept de remplacement pour l’Etat, créent un
malaise notamment préjudiciable pour la conduite de la politique extérieure.
39 Au-delà de ces problèmes, d’autres entraves d’ordre socio-politique existent dans le
monde musulman qui empêchent un développement harmonieux des institutions
publiques. Parmi ces obstacles on citera pour mémoire la personnalisation excessive du
pouvoir, la permanence du népotisme, les allégeances locales trop poussées de certains
groupes de la population, les violations trop nombreuses des principes du droit etc. Ces
facteurs ont eu pour conséquence la formation de systèmes politiques qui sont à la fois
autoritaires et fragiles, immuables ou sujets à des changements brutaux. Cette situation a
certes des incidences internationales, faisant planer une incertitude permanente quant à
l’avenir des régimes en place, leur fiabilité, leur représentativité.
40 Si les structures de l’Etat-nation dans un certain nombre de pays musulmans ne sont pas
encore totalement cristallisées et si la notion même d’Etat-nation est quelquefois mise en
question, il existe néanmoins des signes qui prouvent que ce concept est en train de faire
son chemin en terre d’islam. L’exemple le plus récent et le plus édifiant de cette évolution
est fourni par la guerre Iran-Irak. Dans ce conflit, l’un des plus graves que le monde
19

musulman a connu au XXe siècle, il y avait d’un côté une vieille nation, l’Iran et de l’autre
une nation jeune, quelque peu artificielle, produit du démembrement de l’Empire
ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale. Au moment de l’entrée des troupes
irakiennes en territoire iranien, en septembre 1980, les minorités arabophones de la
province du Khouzistan, contrairement à l’attente des Irakiens, ne se sont pas soulevées
et sont restées solidaires de la nation iranienne à laquelle elles ont toujours appartenu. De
même, après la contre-offensive iranienne, en 1982, la majorité des shi’ites d’Irak est
restée dans l’ensemble fidèle aux autorités, essentiellement sunnites, de Bagdad. Donc,
malgré les difficultés réelles que rencontre l’affermissement de l’idée de nation dans le
monde musulman, malgré les revers qu’elle a parfois subis et en dépit du discours
islamiste qui le condamne très sévèrement, ce concept est en train d’entrer dans les faits
et mœurs des peuples musulmans. La modernisation et les processus de changements
sociaux qu’elle implique, ont favorisé une certaine fusion et un degré d’assimilation des
hommes, groupes ou tribus dans le cadre des Etats. Les liens avec la communauté locale,
les affiliations ethniques ou tribales, sans être éliminés, se sont atténués et ont ouvert la
voie à des allégeances nouvelles, au niveau national. Ce processus, qui suit encore son
cours, montre une véritable volonté d’intégration qui devrait déboucher à terme sur une
« nationalisation » des structures sociales traditionnelles, ce qui ne manquerait pas
d’avoir d’importantes implications pour l’unité interne des Etats comme pour les
courants transnationaux qui traversent le monde musulman.
41 Sur le plan interislamique, l’attachement à une communauté solidaire est un sentiment
qui reste toujours présent parmi de nombreux musulmans. Même durant les périodes
difficiles de l’histoire, l’œcuménisme islamique a gardé tout son attrait pour les croyants.
A l’époque moderne, les tentatives visant à exploiter l’esprit de fraternité islamique à des
fins de politique internationale datent des années 1870, lorsque les sultans ottomans
Abdulaziz puis Abdulhamid s’efforcèrent de mobiliser l’opinion mulsumane à travers le
monde, pour renforcer le gouvernement ottoman et améliorer sa position face aux
pressions des puissances européennes. Cette politique, connue sous le nom de
panislamisme, était une politique officielle lancée par un pouvoir musulman dans un
contexte particulier. Mais, parallèlement à ce courant étatique, il y eut aussi un autre
mouvement panislamiste, plus idéologique, « de tendance radicale, souvent associé à une
doctrine sociale révolutionnaire, et sous la conduite d’une personnalité religieuse plus ou
moins charismatique, avec ou sans l’appui d’un gouvernement »32. Cette tendance a été
dominée au XIXe siècle par un personnage central : Seyyed Djamal ed-Din Afghani,
originaire d’Assadabad près de Hamadan à l’ouest de l’Iran. Le panislamisme de
Djamal ed-Din se fonde sur l’idée selon laquelle le monde chrétien, malgré ses divisions et
ses divergences, reste uni vis-à-vis de l’islam pour détruire les Etats musulmans. En
d’autres termes, l’esprit des croisades continue à subsister. Dans ces conditions, une
alliance entre les musulmans du monde entier est vitale, car elle représente l’unique
moyen dont peuvent disposer les pays musulmans pour tenter de sauvegarder leur
indépendance, tout en leur procurant les instruments dont ils ont besoin pour résister à
la pression des puissances européennes33. Malgré le succès des écrits de Djamal ed-Din
auprès des intellectuels et de certains dirigeants musulmans, toutes les tentatives visant à
l’institutionnalisation, sous une forme ou une autre, de la solidarité islamique au XIXe et
au début du XXe siècle, restèrent au stade de vœux pieux.
42 L’abolition par l’Assemblée turque, le 3 mars 1924, du califat, symbole à la fois de l’unité
musulmane (sunnite) et de la fusion du religieux et du politique, deux principes que
20

rejetait l’élite républicaine turque qui, par ailleurs, ne voyait le salut de la nation que
dans la séparation de la religion et de l’Etat, ouvrit un vaste débat dans le monde
musulman parmi les intellectuels, les dignitaires religieux et les dirigeants politiques 34.
Malgré l’organisation de quelques réunions internationales (Le Caire 1924, La Mecque
1926, Jérusalem 1931), aucune solution de remplacement ne fut trouvée et l’idée même du
califat tomba rapidement en désuétude. Durant la période de l’entre-deux-guerres, de
nouvelles formes d’activisme panislamique, essentiellement inspirées par l’expérience
des Frères musulmans, groupement intégriste égyptien apparu au cours des années vingt,
ne parvinrent pas à déclencher une dynamique pouvant contribuer au rapprochement et
à l’unité des pays musulmans. Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats tentèrent de
prendre à leur compte le relais. Ainsi, en 1954, le roi Saoud, le président Nasser et le chef
du gouvernement pakistanais se rencontrèrent à La Mecque. Cette réunion aboutit à la
mise en place d’un « congrès islamique », institution dont la responsabilité fut confiée à
Anouar al-Sadat, futur président d’Egypte35. Mais la montée des tensions entre Ryad et
Le Caire, empêchera la réussite de cette nouvelle expérience.
43 Une quinzaine d’années plus tard, en 1969, les nécessités politiques conjoncturelles, plus
qu’une réelle aspiration à l’unité islamique, vont pousser les pays musulmans à tenter de
se rapprocher. Au préalable, la défaite arabe dans la guerre de 1967 enlève tout obstacle à
un dialogue entre « progressistes » et « modérés » au sein du monde arabe, en fait entre
Egyptiens et Saoudiens, ces derniers n’ayant jamais tout à fait abandonné leur projet
d’union islamique, à travers laquelle ils comptent jouer un rôle important sur la scène
internationale. L’incendie de la Mosquée Al-Aqsa à Jérusalem va être le prétexte à la
réunion d’un sommet islamique extraordinaire à Rabat, en septembre 1969, pour
examiner les conséquences de cet acte criminel. C’est ce sommet de Rabat qui va
consacrer le projet de la création d’un cadre institutionnalisé destiné à réunir l’ensemble
du monde musulman au sein d’une nouvelle organisation internationale. Trois ans plus
tard, le 4 mars 1972, les représentants de 26 pays musulmans, réunis à Djeddah, vont
adopter la charte qui établit l’Organisation de la conférence islamique, l’OCI 36. Le
deuxième sommet des chefs d’Etat et de gouvernements islamiques, tenu en 1974 à
Lahore au Pakistan, va lancer véritablement les activités de l’organisation. Depuis lors,
trois autres sommets, l’un en 1981 à Taëf (Arabie Saoudite), l’autre à Casablanca en 1984
et le dernier en 1987 au Koweit, se sont réunis. L’OCI a aujourd’hui 45 Etats membres plus
l’OLP, qui jouit du même statut que les autres participants.
44 Voici donc le monde musulman doté d’une institution communautaire, réunissant les
musulmans de tous les rites, ce que jamais aucun califat n’avait fait depuis des siècles, et
rassemblant des territoires qu’aucun empire musulman au cours de l’histoire n’était
parvenu à unir. Toutefois, cette structure nouvelle n’a rien de commun avec la
construction d’un grand Etat islamique selon la tradition musulmane. Elle ne peut même
pas prétendre préparer le terrain à l’avènement d’une quelconque entité islamique ; au
contraire son existence consacre le morcellement du monde musulman en Etats
souverains. Ne formulant ni un projet de confédération, ni une politique d’intégration,
l’OCI est tout simplement une organisation internationale de coopération interétatique.
En devenant membre de cette organisation, aucun Etat ne renonce à une parcelle de sa
souveraineté. Cette institution fonctionne de la même manière que les autres institutions
internationales similaires. Son rôle, sur la scène internationale, n’est ni plus ni moins
important que le rôle de ces dernières. Sur le plan institutionnel, les mécanismes mis en
place n’apportent aucune innovation. La seule originalité réside dans le fait que l’OCI est
21

l’unique organisation intergouvernementale moderne créée par référence à une religion.


Cependant, elle ne peut être d’une grande utilité pour la réalisation du rêve d’une
communauté musulmane formant un bloc compact autour d’un idéal. Plutôt que véritable
instrument de la solidarité islamique transnationale, l’OCI est le miroir où se reflètent,
plus que les aspirations à la consolidation de l’unité islamique, les contradictions, les
divergences et les conflits qui déchirent le monde musulman d’aujourd’hui37.
45 Malgré la persistance d’un certain sentiment de solidarité entre les peuples musulmans
conjugué aux efforts des Etats pour se rapprocher, comme l’écrit Maxime Rodinson :
« une unité qui permettrait à une direction politique de les mobiliser semble bien
improbable » et par conséquent « un bloc musulman ne paraît pas devoir être l’un des
acteurs potentiels de la politique internationale pour les décennies à venir ». Mais
Rodinson s’empresse d’ajouter que « cela ne signifie nullement que le facteur de l’unité
musulmane soit à éliminer radicalement. C’est cette situation complexe et nuancée que
les praticiens et les observateurs de la politique internationale doivent prendre en
compte »38. En fait, le monde musulman, en tant que groupe homogène, ne représente pas
une force authentique dans les relations internationales contemporaines ; néanmoins
l’aspiration à l’unité est probablement plus présente parmi les musulmans que parmi les
adeptes d’autres religions, et cela se reflète d’une certaine manière sur le comportement
des Etats musulmans.

c) Les variables culturelles

46 Soulever la question de l’identité culturelle du monde musulman, c’est bien évidemment


ouvrir un vaste débat sur des problèmes d’une extrême complexité, débat qui dépasse
très largement le cadre des préoccupations de cet ouvrage39. Cependant, par rapport aux
relations internationales, il semble qu’au moins deux aspects relevant du socio-culturel
doivent être pris en considération. Il s’agit tout d’abord du problème du retard, de l’écart
qui existe entre les pays musulmans et les pays industrialisés. Ce problème et tout ce qu’il
recouvre (les raisons de la décadence, les rapports entre islam et modernité, les processus
de développement etc.) se pose naturellement en fonction « des autres », de l’extérieur,
c’est-à-dire essentiellement par rapport à l’Occident au sens large du terme. Ensuite,
entrent en compte les questions relatives à la diversité culturelle du monde musulman,
diversité qui, malgré l’aspiration à l’unité, est une réalité incontournable, conditionnant
les rapports interislamiques et ayant de ce fait une dimension internationale. En
définitive, pris sous ces deux angles, les variables culturelles pèsent à la fois sur les
relations des nations musulmanes avec les autres et entre elles.
47 A partir de la fin de la dynastie Abbasside (750-1258), le monde musulman entre dans un
« long processus de dispersion, d’éclatement politique et de rétrécissement culturel » 40.
Malgré la relève tentée du XVe au XVIIIe siècles par trois grandes puissances musulmanes :
l’Empire ottoman, la Perse safavide, l’Inde des grands Mogols, une dynamique
rénovatrice, comparable à celle que l’Europe chrétienne connaîtra avec la Renaissance, ne
sera jamais déclenchée. Le processus de déclin s’accélérera et apparaîtra comme
irréversible au moment de la révolution industrielle et de l’expansion coloniale de
l’Occident, expansion dont par ailleurs le monde musulman sera, directement ou
indirectement, l’une des victimes. A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, le thème
du retard des peuples musulmans par rapport à l’Europe, les causes de ce phénomène et
les remèdes à y apporter, seront omniprésents chez les dirigeants politiques et ne
22

cesseront de hanter l’esprit des penseurs et intellectuels. La problématique du retard et


son corollaire la modernisation, qui mobiliseront la réflexion musulmane, seront aussi
alimentées par quelques polémiques entre intellectuels musulmans et européens, dont la
plus célèbre opposera Djamal ed-Din Afghani à Ernest Renan à propos du discours
prononcé par ce dernier, le 29 mars 1883, sur l’islamisme et la science41.
48 Avec la reconnaissance explicite par les élites musulmanes de la réalité du retard, un
nouveau schéma complexe des rapports entre l’islam et l’Occident se dessine, schéma qui
marquera profondément le débat politique au sein des sociétés musulmanes durant tout
le XXe siècle. Le retard est donc perçu par rapport à l’Europe, cette Europe qui par son
développement économique et scientifique a pris une avance considérable, mais qui aussi,
par son expansionnisme colonial, a empêché le développement harmonieux du monde
musulman. Cependant, malgré tous les griefs formulés à son égard, c’est sur l’Europe qu’il
faudra prendre modèle pour essayer d’atteindre un niveau de développement acceptable.
Cette situation paradoxale, fondée sur un sentiment confus où le rejet et l’admiration se
côtoient, sera en fin de compte dépassée par les chauds partisans des réformes
draconiennes, qui, dans leur quête du progrès, sont assez motivés et enthousiastes pour
passer outre toutes les oppositions et obstacles que dressent sur leur voie les
conservateurs traditionalistes. Les modernistes ont le vent en poupe, ils vont tenter de
s’inspirer de l’Europe pour bâtir une nouvelle société. Mais les événements
internationaux et les puissances européennes ne leur faciliteront pas la tâche.
49 La Première Guerre mondiale, qui fut fatale à l’Empire ottoman et qui offrira aux Arabes
une occasion de se révolter contre l’oppression turque (1916), ne comble pas les vœux des
réformateurs dans le monde arabe et plus généralement dans le monde musulman. A
l’issue du conflit, les Alliés ne respectèrent pas leurs promesses et au lieu d’aider à la
création d’un grand royaume arabe, imposèrent le système des mandats en Irak, en
Transjordanie, en Palestine, en Syrie et au Liban. Par ailleurs, les réformateurs,
confrontés aux forces d’inertie sociale, furent incapables d’accélérer le processus de
modernisation en y associant des couches importantes de la population. Seules les
expériences de modernisation autoritaire, comme celles pratiquées en Turquie par
Mustafa Kamal et en Iran par Reza Shah, contribuèrent à entretenir l’espoir de
changements profonds chez certains modernistes durant la période de l’entre-deux-
guerres.
50 Après 1945, dans la foulée de l’affirmation des nationalismes, de l’accélération du
processus de décolonisation, de la genèse des mouvements de solidarité du Tiers Monde
et de l’apparition de la guerre froide, le problème des rapports entre le monde musulman
et l’Occident, URSS y compris, va être posé une nouvelle fois. Le fond du débat reste le
même, mais quelques expériences l’ont enrichi et beaucoup d’amertume, de déception
ont rendu les uns et les autres plus sceptiques. Le monde s’est aussi transformé et de
nouvelles questions sont posées. Faut-il s’aligner sur l’Occident ? se rapprocher de l’Union
soviétique ? renvoyer dos à dos l’Est et l’Ouest ? Le développement, la modernisation
restent au centre des préoccupations, personne ne conteste ces objectifs ; ce qui divise, ce
sont les voies d’accès, les méthodes et les moyens. Dans les années soixante-dix, même les
intégristes qui connaissent un regain d’activité dans de nombreux pays, bien que
résolument opposés à tous les courants modernistes, ne peuvent évacuer ces questions. Il
ne suffit pas de condamner l’Occident et plaider pour un retour aux sources pour se sentir
immunisé contre ce « mal » venu d’ailleurs. L’idéologisation de la tradition, que les
islamistes s’acharnent à réaliser, est en quelque sorte l’irruption d’une modernité dans
23

une sphère qui se veut, par principe, pure de toute influence externe. En réalité, le temps
a tout marqué, même l’intégrisme. En ce sens, Daryush Shayegan relève avec pertinence
que « si la révolution iranienne avait eu lieu il y a cent cinquante ans, nous n’aurions pas
été confrontés à cette idéologisation du religieux. L’islam n’aurait pas eu à se mesurer aux
idéologies qui gouvernent le monde moderne, qu’elles soient de droite, de gauche ou
totalitaire, peu importe. Donc, entre la religion islamique en tant que telle et l’intégrisme
d’aujourd’hui, il s’est passé quelque chose. Nous ne pouvons plus, de nos jours, être
musulman ou boudhiste pur, car nous sommes dans une phase où la modernité
conditionne probablement toute notre perception de la réalité. Voilà pourquoi je parle
d’un islam post-moderne »42.
51 Le face à face avec l’autre se double, comme nous l’avons dit, de la complexité
interislamique. Si du point de vue théologique, il n’existe qu’un seul islam, pour
l’historien, le sociologue et encore plus pour l’analyste des relations internationales
ignorer les frontières ethniques, culturelles, historiques et géographiques qui traversent
le monde musulman, c’est faire preuve d’une totale myopie. Sans entrer trop
profondément dans les détails et risquer de nous éloigner de nos préoccupations, nous
pouvons prendre en considération la diversité de l’islam sur trois plans différents : les
divisions d’ordre religieux, les grandes zones culturelles, la multiplicité des nations.
52 L’islam, à l’instar de toutes les grandes religions, en dépit d’ailleurs des recommandations
du Coran43, a connu très tôt les divisions, les schismes, les fractionnements et les sectes.
Rapidement trois courants fondamentaux sont apparus : le sunnisme, le shi’isme, le
kharédjisme. Le sunnisme (sunna : tradition) regroupe la très grande majorité des
musulmans du monde soit 80 à 85 % de l’ensemble de toute la population musulmane.
Quant au kharédjisme (khavaredj : sortants), il n’est présent aujourd’hui que sous sa forme
ibadite surtout en Oman et à travers quelques petites communautés éparpillées en Afrique
du nord et en Afrique orientale. Les shi’ites sont divisés en de multiples groupes dont le
plus important est celui des duodécimains (ithna ashari), les autres étant les zeydites et les
ismaélites. Les druzes, alaouites et alévis ont aussi des affinités avec le shi’isme.
53 Les divergences doctrinales, les conceptions différentes du pouvoir, les particularités
propres à l’appareil religieux et les circonstances historiques ont eu des conséquences
telles que les rapports entre religion et politique varient du monde sunnite au monde
shi’ite. L’appartenance des détenteurs réels du pouvoir à telle ou telle secte a aussi
contribué à propager les différents rites. C’est le cas, par exemple en Iran, seul Etat du
monde où la religion officielle, depuis 1501, est le shi’isme, alors que très probablement à
cette époque une grande partie de la population de ce pays n’était pas shi’ite mais que le
pouvoir était passé aux mains d’une dynastie shi’ite qui, de gré ou de force, allait bâtir un
empire shi’ite44. Si le comportement politique des entités étatiques musulmanes a été
fortement influencé par la religion de l’élite au pouvoir – ici encore l’exemple de la
mobilisation des safavides shi’ites face aux ottomans sunnites durant plus d’un siècle est
édifiant – il faut aussi tenir compte des rencontres possibles entre pensées politiques
d’origines religieuses différentes, la communauté de la mission politique effaçant les
divergences religieuses. Ainsi, « c’est la corde la plus sunnite (Khomeiny) du chi’isme qui
a vibré, rencontrant immédiatement la corde la plus chi’ite du sunnisme contemporain
(Qutb et ses disciples) »45, dévoilant l’existence d’une sorte de communauté intégriste,
inspirée de l’expérience des Frères musulmans et se superposant aux clivages
traditionnels à l’intérieur de l’islam.
24

54 Les caractéristiques ethniques, linguistiques, historiques d’origine des diverses régions


islamisées du monde se sont maintenues à travers les siècles. Aujourd’hui le monde
musulman est un espace différencié où les particularismes sont très forts. De manière
schématique on peut distinguer dans ce monde cinq grandes aires culturelles : arabe,
iranienne, turque, malaise, africaine, ayant chacune sa personnalité propre et se
subdivisant en plusieurs zones46
55 L’aire culturelle arabe a une position exceptionnelle, centrale au cœur du dar al-islam.
C’est le berceau de l’islam et ses caractéristiques linguistiques la distinguent de toutes les
autres communautés. Ici, les peuples parlent l’arabe, langue sacrée, « langue de la
Révélation par laquelle chaque musulman peut articuler les sons mêmes émis par le
Prophète »47. Outre la sacralisation de leur langue, les Arabes doivent à l’islam leur
propulsion dans l’Histoire. Pour ces deux raisons, les rapports entre les Arabes et l’islam
sont sans pareil. « Qu’est-ce que l’Islam pour les Arabes ? C’est la culture. C’est un autre
nom de la culture, donc de la personnalité »48. Ceci étant, le monde arabe ne forme pas un
ensemble uniforme et connaît de nombreuses sous-régions, dont la division traditionnelle
en Maghreb et Machrek n’est pas apte à rendre compte de toute la complexité.
56 La zone iranienne est encore plus contrastée. Elle se caractérise, sur le plan ethnique, par
la prédominance indo-iranienne. Du point de vue linguistique, le persan, sans être la
langue unique, exerce une suprématie. Au centre de cette aire culturelle se trouve l’Iran,
dans ses frontières actuelles. Au-delà, son espace se prolonge vers l’Asie centrale,
l’Afghanistan, à travers le Pakistan vers l’Inde et englobe aussi les Kurdes vivant hors de
l’Iran. Sur le plan religieux, alors que l’Iran proprement dit est principalement shi’ite, les
régions périphériques sont majoritairement sunnites. Au sud, dans les zones littorales du
golfe Persique, existe une sphère unique, lieu de rencontre du monde iranien et du monde
arabe, lieu prédestiné à la coopération ou à la confrontation, selon les caprices de
l’histoire.
57 L’aire turque recouvre un espace vaste et varié, s’étendant sur de nombreux territoires,
comprenant un grand nombre de populations. Le cœur de la zone est la Turquie elle-
même, ses prolongements vont, à l’ouest, vers les Balkans, Chypre, l’Albanie et, à l’est,
s’étendent au Caucase et, à travers l’Asie centrale, jusqu’aux portes de la Chine. Le monde
turc est majoritairement sunnite, mais dans certaines régions, souvent adjacentes au
monde iranien, on trouve aussi de fortes communautés shi’ites. Les Turcs, par le
truchement de l’Empire ottoman, ont fortement marqué l’histoire de l’islam durant cinq
siècles.
58 La zone malaise s’étend de la Malaisie à l’Indonésie et se prolonge jusqu’au sud des
Philippines. L’islam s’est répandu dans cette partie du monde à partir du XIIIe siècle. Cette
aire culturelle possède des traits très spécifiques : survivance du passé hindouiste et
bouddhiste, peu de développement des institutions issues de la charia, attirance très
grande pour les aspects ésotériques de l’islam, originalité artistique etc.
59 Quant à l’Afrique noire, elle est en contact avec l’islam depuis l’époque du Prophète. Cette
région a la particularité de posséder à la fois les plus anciennes communautés et les plus
récentes49. Toutefois, l’avance numérique de l’islam en Afrique, souvent évoquée ces
dernières années, doit être relativisée car elle correspond à peu de chose près à la
croissance naturelle des populations de ce continent. Cependant, la richesse de l’islam
africain se mesure, d’une part, aux apports locaux et à l’extraordinaire diversité qui en
est la conséquence et, d’autre part, à l’existence, au-delà des variations locales, tribales et
25

ethniques, d’une communauté africaine musulmane, structure unitaire exceptionnelle


dans un continent marqué par d’innombrables clivages.
60 A ces cinq grandes aires culturelles, pour être complet, il faudrait ajouter l’islam indien,
chinois ; l’islam de l’océan Indien, de l’Europe, des Etats-Unis etc. Mais on entre là dans le
domaine de l’islam minoritaire et chaque cas possède ses particularités propres et mérite
une étude spécifique.
61 Au troisième niveau se trouvent les nations. Le partage, pour l’essentiel, de la même foi et
des mêmes pratiques, comme on vient de le voir, n’exclut ni les schismes religieux, ni la
subsistance des grandes aires cultures. A ces deux lignes de fracture, il convient d’en
ajouter une troisième prenant en compte l’existence côte à côte d’un grand nombre
d’Etats dans l’espace musulman. Anciens ou jeunes, homogènes ou disparates, petits ou
grands, artificiels ou non, le fait est qu’aujourd’hui il existe plusieurs dizaines d’Etats
musulmans dans le monde qui, malgré des traits communs, sont différents et ont été
marqués chacun par leur expérience propre. En partant des critères fondés sur la
diversité religieuse et culturelle et en prenant en considération le processus de leur
développement politico-historique, on pourrait tenter de classer chaque pays musulman
par son degré d’individualité. Notons simplement, pour prendre conscience du poids des
réalités nationales, que, par exemple, dans le monde arabe où, plus que partout ailleurs
dans l’islam, existent des éléments intégrateurs, l’autonomie des nations est telle
qu’aucune expérience fédéraliste n’a pu, jusqu’à présent, s’y réaliser avec succès.
62 Le temps, l’habitude de vivre ensemble, de partager certaines valeurs, de participer à une
expérience historique identique, de se mouvoir dans les mêmes cadres structurels ont fait
naître chez les peuples du monde musulman, comme chez les autres peuples, le sentiment
d’appartenance à une entité distincte qu’il serait illusoire de sous-estimer. Le sentiment
national et le sentiment religieux ne se confondent pas toujours, il arrive même qu’ils
s’opposent. De leur côté, les gouvernements des pays musulmans, en faisant appel à la
sensibilité nationale ont renforcé la fibre patriotique des peuples. Les choix politiques en
général et l’élaboration de la politique étrangère en particulier, ont aussi été influencés
par les aspirations nationales et le rôle que les pays s’assignent sur la scène
internationale. La référence à la nation et à tout ce que ce concept recouvre, est devenu
une obligation quasi fonctionnelle. Ainsi donc, le monde musulman connaît aussi le
phénomène national dans toutes ses dimensions, malgré l’attachement des populations à
une religion qui transcende les frontières. A la limite, on pourrait même trouver une
sorte d’appropriation de la religion par la nation et évoquer l’islam égyptien, l’islam
indonésien, l’islam iranien etc. Il ne faut donc pas céder à la tentation réductionniste,
prisée par les courants radicaux, en restreignant la nation, phénomène complexe, à la
seule identité religieuse ; ce serait une simplification abusive, stérilisante et déformatrice.

3. Pratique
63 Dans tous les pays musulmans, des plus « laïcs » comme la Turquie, la Tunisie ou
l’Indonésie, aux plus théocratiques comme l’Arabie Saoudite ou la République islamique
d’Iran, l’islam, d’une manière ou d’une autre, influe sur la conception de la politique
étrangère et fait même parfois figure d’élément constitutif du processus d’élaboration et
de décision en cette matière. Par ailleurs, dans les pays où résident d’importantes
minorités musulmanes, comme l’Inde ou l’URSS, l’islam peut avoir aussi un certain impact
sur le comportement extérieur des Etats. Les autorités de ces pays, soit pour ménager la
26

sensibilité de leurs minorités, soit pour « rentabiliser » la présence de l’islam sur leur
territoire et en faire un atout dans leur politique internationale, ne peuvent négliger le
fait islamique.
64 Du point de vue méthodologique, l’étude de l’impact de l’islam dans la prise de décision
en matière de politique étrangère soulève un problème fondamental : comment isoler la
variable islamique des autres variables intervenant dans ce processus ? En effet, quand,
par exemple, le Bangladesh prend la décision de soutenir la cause palestinienne est-ce par
solidarité islamique ? est-ce par affinité avec le monde arabe ? est-ce par souci tiers-
mondiste ? est-ce par principe ? est-ce tout simplement par intérêt économique, politique
ou stratégique ? En fait, l’ensemble de ces considérations entre en ligne de compte dans le
choix d’une politique, mais selon le cadre particulier où cette politique doit être justifiée
(à l’intérieur du pays, à l’ONU ou l’OCI, dans le cadre du Mouvement des non-alignés, etc.),
le gouvernement de Dacca mettra l’accent sur telle ou telle motivation. A propos de la
référence à la variable islamique, dans la plupart des pays musulmans, les dirigeants
expliquent souvent les raisons de leur choix (même quand il s’agit de renouer avec Israël)
en se référant directement à l’islam ou en prétextant certains principes éthiques,
juridiques, voire culturels que cette religion est, selon eux, sensée véhiculer. Par ailleurs,
rares sont les discours politiques de leaders musulmans qui ne sont pas truffés
d’invocations religieuses, choisies pour les besoins de la circonstance. Dans ces
conditions, il est quasiment impossible d’isoler la variable islamique des autres et de
l’étudier en tant qu’élément distinct. Une autre approche convient peut-être mieux pour
appréhender cette question : au lieu d’étudier l’islam en tant que variable particulière, ses
fonctions pourraient être analysées dans le cadre de l’élaboration et la conduite de la
politique extérieure des Etats. En procédant ainsi, on est amené à constater que l’islam
remplit dans ce domaine trois fonctions essentielles : légitimation des décisions en
matière de politique étrangère, instrument au service d’actions ponctuelles des Etats sur
la scène internationale, facteur de contrainte imposant certaines limites au
comportement extérieur des Etats. Mais, auparavant, il convient de noter que l’islam
influe, à des degrés divers, sur la gestion et l’attitude des dirigeants musulmans. Ces
derniers, selon les convictions qui leur sont propres, leur rapport intime avec la religion
ou selon le rôle qu’ils s’assignent en tant que responsables musulmans, seront influencés
par l’islam dans la formulation de leur politique étrangère. Ainsi, il arrive parfois que,
sans arrière pensée aucune, certaines prises de position sur les événements
internationaux soient conditionnées, tout naturellement, par des impératifs religieux
plus que toute autre considération50.
65 Le pouvoir dans les pays musulmans, comme partout ailleurs, afin de subsister et de se
développer, recourt à des moyens de légitimation51. Ce besoin de légitimation est
omniprésent dans les pays en proie à l’instabilité politique, aux menaces de toute nature,
et souvent dépourvus d’institutions démocratiques. Dans ces pays, la formulation et
l’exécution de la politique extérieure peuvent implicitement servir d’instrument de
légitimation des régimes en place. Dans le cas des pays musulmans, la référence à l’islam
en politique étrangère peut avoir une fonction légitimante sur deux plans. D’une part, elle
légitime, dans le cadre interislamique, une initiative internationale d’un gouvernement
et, d’autre part, à l’intérieur de chaque société, le lien établi entre un choix politique et
un précept religieux donne un surcroît de sens à une conduite et renforce l’autorité du
pouvoir qui a agi ainsi.
27

66 Les valeurs que l’islam véhicule, la contribution de l’islam à la civilisation et aux progrès
de l’homme, le devoir de défendre et de propager la vraie religion etc. sont, parmi
d’autres, les thèmes islamiques qui reviennent régulièrement dans les discours de
politique étrangère de la plupart des dirigeants des pays musulmans quelle que soit leur
sensibilité politique52. Le recours à ces références a généralement comme objectif
principal la justification de la politique d’un gouvernement musulman à l’égard de l’un ou
de l’autre parmi les gouvernements musulmans. Il s’agit de moraliser, d’idéaliser, de
sacraliser et en conséquence de rendre plus crédible aux yeux des musulmans une
attitude politique qui procède le plus souvent de préoccupations bien profanes. Ainsi, par
exemple, dans la guerre Iran-Irak, l’islam a été un leitmotiv de la propagande de Téhéran
comme de Bagdad, de la République islamique théocratique comme de la République
Ba’thiste laïque. Par ailleurs, en reliant la politique étrangère à des grands principes
transcendant d’office le champ étroit des intérêts nationaux nécessairement égoïstes, les
arguments avancés acquièrent un autre poids, une autre dimension. A partir de là, la
politique étrangère est portée par un élan qui lui donne une force et un éclat différents.
67 L’islam peut aussi servir comme un instrument efficace d’action sur la scène politique
internationale à tous les pays musulmans et même quelquefois aux pays ayant une forte
proportion de musulmans parmi leurs citoyens. A ce niveau, l’islam est encore plus
froidement utilisé par le pouvoir politique qui, ici, n’invoque plus l’islam comme source
d’inspiration ou facteur valorisant mais l’instrumentalise, en fait un moyen parmi
d’autres. Les exemples d’une telle utilisation sont nombreux.
68 Ainsi, l’Arabie Saoudite, sous l’étendard de l’islam, assoit son pouvoir à l’intérieur et
étend son influence à l’extérieur. La famille Saoud, régnant sur la terre de la Révélation,
gardienne des Lieux Saints et pratiquant un islam rigoureux, se situe au cœur du monde
musulman et s’assigne un rôle œcuménique. De ce fait, tout projet de système
interislamique est difficile à concevoir sans sa participation. Conscient de ces réalités et
fort de ses moyens financiers, le pouvoir saoudien est parvenu à s’arroger une position
exceptionnelle au sein du monde musulman et se veut le passage obligé de toute
solidarité qui se qualifie d’islamique. Il rayonne au service de l’islam, utilise avec art et
subtilité la religion à des fins diplomatiques. En définitive, l’Arabie Saoudite, avec des
méthodes que ne renierait aucun partisan de la Realpolitik, tire le meilleur bénéfice de son
caractère islamique. Du panislamisme, elle est parvenue à faire « l’un des principaux
instruments d’une politique visant à favoriser l’émergence d’un pôle arabe modéré ayant
pour but d’enrayer l’expansionnisme soviétique, pour moyen la manne pétrolière, pour
légitimité l’Islam, et pour protection les Etats-Unis »53.
69 Dans un pays comme le Pakistan, où l’islam est avant toute chose la raison d’être de l’Etat,
le rôle de la religion dans la formulation de la politique étrangère est important, mais
l’importance du facteur islamique a varié selon le temps et les circonstances. Durant les
premières années de la création du nouvel Etat, les Pakistanais ont voulu prendre des
initiatives pouvant conduire à un rassemblement des Etats musulmans. Déçu par les
énormes difficultés rencontrées sur cette voie, le Pakistan sera un moment tenté par le
laïcisme, option que d’ailleurs n’aurait sans doute pas écartée son fondateur Jinnah 54 et
qui semblait réussir à son voisin et rival, l’Inde. Durant le régime militaire du général
Zia al-Haq (1977-1988), cette option sembla abandonnée, le pouvoir évoluant vers la
formation d’un système qu’on pourrait qualifier de néo-intégriste, où l’Etat était légitimé
par une idéologie religieuse, mais où les religieux ne sont pas associés au pouvoir. Dans sa
stratégie diplomatique, sans rechercher comme par le passé à se présenter comme le chef
28

de file de l’unité islamique, le régime du général Zia al-Haq s’est servi de manière
intensive du facteur religieux. Ses objectifs étaient plus limités, mais l’exercice n’en
paraissait pas moins périlleux. Il s’agissait de jouer de la corde islamique pour obtenir un
soutien unanime des pays musulmans dans la politique envers l’Afghanistan, pour
accéder aux faveurs de l’Iran khomeyniste – méfiant à l’égard d’un voisin islamico-
militaire – d’obtenir la bienveillance et la générosité de l’Arabie Saoudite, de mener une
politique arabe tout en évitant d’être impliqué dans les rivalités interarabes, et aussi, sur
le plan intérieur, d’utiliser la diplomatie islamique comme moyen de légitimation.
70 Le colonel Kadhafi, pour sa part, se sert aussi du facteur islamique dans le cadre de sa
politique étrangère. Le discours libyen est une combinaison d’arguments religieux et
d’idées « socialistes ». Destiné essentiellement au monde arabo-musulman et à l’Afrique,
ce discours a l’avantage de permettre à la Libye de se servir d’un double langage :
révolutionnaire musulman, le colonel Kadhafi se présente comme un leader de la « lutte
anti-impérialiste ». Malgré des rapports difficiles avec le clergé, malgré l’existence d’une
concurrence islamique saoudienne en Afrique, la Libye continue de mettre l’accent sur le
caractère islamique de sa révolution pour conserver et étendre son influence55.
71 Ajoutons à ces exemples le cas particulier de l’URSS qui n’est certes pas un pays
musulman, mais qui, possédant une importante population musulmane, essaie d’en tirer
des avantages dans l’exercice de sa politique étrangère. Comme l’a relevé
Alexandre Bennigsen, la stratégie islamique du Kremlin consiste, par l’intermédiaire
d’une hiérarchie ecclésiastique officielle, à « suppléer aux défaillances, faiblesses ou
erreurs de la diplomatie, des services de propagande ou de l’appareil militaire » 56. Pour
atteindre certains objectifs dans sa politique à l’égard du monde musulman, l’Union
soviétique utilise essentiellement trois techniques : l’envoi de dignitaires religieux
soviétiques dans les pays musulmans conservateurs et hostiles afin de nouer quelques
liens, l’invitation des personnalités musulmanes en URSS pour créer un réseau d’amis et
leur montrer la prospérité des musulmans soviétiques, l’organisation de grandes réunions
islamiques internationales associées souvent à une campagne « anti-impérialiste ».
Malgré certains déboires, dans l’ensemble la stratégie islamique soviétique a été un
succès et cela d’autant plus que les pays occidentaux ne possèdent aucun moyen de
réplique comparable.
72 L’apport de l’islam à la politique étrangère des pays musulmans n’est pas toujours positif.
En effet, dans certaines circonstances, l’islam peut apparaître comme un facteur
contraignant, comme un obstacle pour le gouvernement d’un Etat musulman.
L’appartenance au monde musulman crée des obligations et des servitudes qui ne sont
pas toujours compatibles avec les intérêts ou les orientations idéologiques des pouvoirs
politiques en place.
73 Un exemple typique de ce genre de situation inconfortable concerne l’adhésion à
l’Organisation de la conférence islamique pour certains pays. Ainsi la Turquie, Etat
constitutionnellement laïc, ne pouvait refuser d’adhérer à l’OCI. Cette décision n’était
visiblement ni justifiable aux yeux de la population, restée très attachée à la religion, ni
rentable dans la perspective des avantages politiques et économiques qu’elle pouvait
réaliser en se rapprochant des autres pays musulmans, mais elle était en contradiction
totale avec l’esprit du kémalisme. De son côté, le Sud Yemen marxiste-léniniste pouvait-il
prendre le risque de ne pas rejoindre une organisation internationale musulmane en
dépit du fait que son adhésion à une structure fondée sur un critère uniquement religieux
allait à rencontre de la philosophie politique des élites au pouvoir ? Quant au régime
29

islamique de Téhéran, malgré sa volonté de mettre en place une internationale islamique


révolutionnaire pour contrecarrer précisément l’action de l’OCI, pouvait-il réellement
refuser de siéger à l’unique organisation interislamique du monde musulman, où
pourtant, selon son point de vue, la majorité des pays représentés sont dirigés par des
« hypocrites » qui desservent l’islam ?
74 Sous d’autres angles aussi, l’islam peut apparaître comme une entrave à la réalisation de
certains objectifs politiques. Ainsi, pour le régime communiste de Kaboul, l’islam est
l’obstacle principal, non seulement au renforcement de son assise à l’intérieur du pays
mais aussi à la normalisation de sa situation sur le plan régional et international. Quant à
la volonté de la Turquie de s’imbriquer complètement dans l’Europe et de poser sa
candidature auprès de la CEE, l’islam est un élément, parmi d’autres, qui rend difficile
l’aboutissement de ce projet. D’ailleurs, le groupe le plus opposé à cette intégration de la
Turquie dans l’ensemble européen est celui des islamistes turcs.
75 L’évolution de la situation au sein du monde musulman a contraint certains
gouvernements musulmans à prendre des décisions à contrecœur, décisions qui
visiblement ne s’inscrivaient pas dans les orientations générales de leurs politiques
étrangères. Ainsi, en 1969, le Shah d’Iran, qui entretenait des relations discrètes mais
efficaces avec l’Etat d’Israël, était tenu de se joindre aux autres pays musulmans pour
protester contre l’incendie de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem et entrer de cette manière
dans la logique d’une certaine solidarité islamique pour laquelle Téhéran n’avait pas une
attirance particulière57. De même, le gouvernement nigérien, face aux pressions des
régions du nord du pays peuplées de musulmans, a été amené, sans enthousiasme semble-
t-il, à rompre ses relations diplomatiques avec Israël, tout en maintenant quand même ses
échanges économiques avec ce pays58. Cependant, la qualité d’Etat musulman n’a pas
toujours prévalu sur d’autres considérations. Ainsi, à propos de l’intervention soviétique
en Afghanistan, les pays musulmans proches de l’URSS se sont dissociés de la majorité des
pays membres de l’OCI59.
76 L’existence d’éléments théoriques pouvant contribuer à une perception particulière de la
réalité internationale, la valeur géopolitique de l’espace musulman, l’influence de la
variable islamique sur la prise de décision en matière de politique étrangère sont-ils des
données suffisamment importantes pour pouvoir conclure à l’existence d’un facteur
islamique ayant un réel impact dans la politique internationale à l’époque
contemporaine ? La réponse à cette question n’est pas aisée car elle est conditionnée à la
fois par l’ambiguïté des rapports entre l’islam et les relations internationales et par la
perspective où l’on se place.
77 L’impact de l’islam sur le système international peut être mesuré sous l’angle des
rapports de force en prenant en considération le poids des pays musulmans dans le
monde, en faisant l’inventaire de leurs atouts (espace, démographie, positions
stratégiques, richesses naturelles…). A cet inventaire, on ajoutera la possibilité de
recourir à des références communes, l’existence d’un système d’idées plus ou moins
identique à travers le monde musulman, la persistance d’une certaine aspiration à l’unité,
etc. Cette analyse, comme on l’a constaté, ne résiste pas à la critique. L’islam ou plutôt le
monde musulman est profondément divisé, de graves conflits opposent les Etats les uns
aux autres, la grande majorité des pays sont économiquement sous-développés.
L’ensemble du monde musulman ne forme ni un bloc monolithique ni même un groupe
possédant un certain degré de cohésion tout en maintenant ses différences. Dans ces
30

conditions, il est illusoire de voir dans l’islam, à l’heure actuelle, une véritable force
historique à l’échelle internationale.
78 Les facteurs de désunion sont nombreux dans le monde musulman, mais parmi ces
facteurs deux ont une importance telle qu’ils rendent cette désunion quasi irréversible. Il
s’agit, d’une part, de la définition que chacun donne de l’islam et, d’autre part, des choix
idéologiques des pouvoirs en place, sous l’étiquette islamique ou toute autre appellation.
L’identification de l’islam varie d’un pays à l’autre, d’une tendance politique à une autre.
A la question : « qu’est-ce que l’islam ? », le président égyptien, le premier ministre turc,
le résistant afghan, l’ayatollah Khomeyni ou le roi du Maroc, répondent de manière
différente. Au sein même des courants réputés proches, comme par exemple les
maximalistes islamiques, plusieurs lectures divergentes peuvent coexister. Depuis
l’origine, la quête de la vraie religion hante le monde musulman. Quant aux options
politico-idéologiques, elles guident naturellement les conduites des Etats mais offrent
aussi un cadre à une interprétation spécifique de l’islam. Les régimes musulmans, selon
qu’ils sont révolutionnaires, conservateurs, réformistes, autoritaires, totalitaires, ou, cas
rarissime, démocratiques, auront des comportements et des objectifs différents. Leurs
positions sur l’échiquier international, leurs alliances avec un bloc ou leur engagement
sur la voie du non-alignement, détermineront leur attitude face aux problèmes
internationaux, quitte à la justifier par une référence religieuse. L’islam est rarement
l’élément stimulant, tout au plus est-il l’instrument de légitimation. Les considérations
idéologiques, géopolitiques, l’intérêt national en un mot prennent souvent le pas sur la
variable religieuse ; l’islam remplit alors une fonction cosmétique, devient la parure,
l’emballage d’une décision purement politique.
79 Dans le cas particulier de chaque politique étrangère, ces limites apparaissent. Si par
politique étrangère islamique on entend une série de valeurs qui déterminent la nature
profonde d’une politique, alors il faut admettre qu’une telle politique étrangère n’existe
pas. Mais, par contre, si dans la prise de décisions en matière de politique étrangère, à
côté des considérations habituelles, des préoccupations islamiques entrent aussi en
compte, alors on peut évoquer une diplomatie à connotation islamique. Même dans ces
conditions, il faut garder présente à l’esprit la distance qui peut séparer l’aspect
déclamatoire et symbolique de la réalité opérationnelle de toute politique étrangère.
80 Cependant, malgré toutes les restrictions qui l’empêchent de peser véritablement sur
l’évolution de la situation internationale comme un facteur déterminant, l’islam a, depuis
quelques années, acquis une nouvelle dimension dans le champ des relations
internationales. Cette évolution est principalement la conséquence de ce qu’on appelle le
réveil ou la résurgence de l’islam, qui en fait correspond pour l’essentiel au retour en
force de l’intégrisme musulman dans la vie politique sous la forme de mouvements
islamistes. Ces courants révolutionnaires apparaissent dans les années soixante-dix un
peu partout dans les pays musulmans et dès le début leurs dirigeants ne cachent pas leurs
ambitions internationales. Le mouvement islamiste se veut transnational, mettant en
cause les structures interétatiques à l’intérieur du monde musulman et s’assignant une
mission universelle ayant pour objectif la propagation du message divin, dont l’islam est
dépositaire, à l’humanité toute entière. Il a une vision de la réalité internationale où se
mêlent perception islamique, analyse révolutionnaire et discours anti-impérialiste. Cette
tendance va acquérir une réelle importance sur le plan international avec l’instauration,
en 1979, d’une République islamique en Iran.
31

81 Pour les islamistes, la mise en place d’un régime islamique à Téhéran aura d’importantes
conséquences. D’abord, cet événement concrétise l’aspiration, déjà ancienne, des Frères
musulmans à l’établissement d’un gouvernement intégriste et révolutionnaire pouvant
donner une impulsion, un élan efficace à la lutte contre tous les pouvoirs anti-islamiques
en place dans le dar al-islam. Ensuite, cette nouvelle république va fournir un modèle, être
une source d’inspiration pour tous les mouvements intégristes tout en ravivant leurs
espoirs et encourageant leurs actions. Enfin, et là réside l’apport essentiel, le courant
islamiste dans son ensemble se sent singulièrement renforcé par le fait même qu’il peut
désormais s’appuyer, pour la première fois, sur les moyens qu’un Etat comme l’Etat
iranien peut mettre à sa disposition. La puissance d’un pays aux dimensions et à
l’importance économico-stratégique de l’Iran, conjuguée à l’activisme de nombreux
mouvements radicaux islamiques donne évidemment un impact nouveau à l’islam comme
facteur actif dans la vie politique internationale.
82 Cependant, pour mesurer à ses justes dimensions les effets internationaux du
militantisme islamique, raffermi désormais par son association avec un pouvoir étatique,
il faut procéder avec prudence et s’abstenir de conclusions trop rapides, en considérant,
par exemple, l’islam comme la force la plus explosive de cette fin de siècle ou en
soulevant, une fois de plus, le spectre du péril islamique qui semble hanter le
subconscient européen depuis quelques siècles. Par ailleurs, il faut aussi se garder de la
séduction des modèles explicatifs simplificateurs comme, par exemple, celui qui consiste
à voir dans le « renouveau » islamique un élément de novation structurelle du système
international qui dorénavant s’articulerait autour de trois clivages : la division politique
Est-Ouest, le partage économique Nord-Sud et la rupture culturelle Occident-Islam60.
Malgré l’attrait de l’image, ce remodelage du système international déforme plus qu’il ne
reflète la réalité politique du monde actuel. Une fois ces précautions prises, on pourrait
s’interroger plus sereinement sur le rôle de l’islamisme dans les relations internationales
contemporaines.
83 En définitive, il apparaît que le radicalisme islamique, tout au moins dans sa phase
actuelle, lance un défi à l’ordre international dans la mesure où il amène un nouvel
élément de conflit qui accentue sa déstabilisation. La volonté de restructuration du
système interislamique, et par ricochet du système international dans son ensemble, par
des mouvements intégristes est une sorte de provocation à l’égard de la communauté
internationale.
84 Mais la déstabilisation ne peut avoir lieu à l’échelle globale que s’il y a transformation de
la nature politique des pays-clés, comme cela a été le cas de l’Iran. Les grands
bouleversements dans l’équilibre des forces sont le plus souvent le produit des évolutions
internes. En prônant la révolution islamique dans chaque pays musulman, les
mouvements islamistes, s’ils voient leurs vœux exaucés dans plusieurs pays importants
perturberont l’ordre régional, comme en leur temps les révolutions cubaines et chinoises
ont porté atteinte successivement à l’ordre interaméricain et à l’ordre asiatique, et
mettront en danger le précaire équilibre du système international tel qu’il est
aujourd’hui. Quant à la restructuration, elle se fonde pour l’essentiel sur l’idéal de la
communauté islamique et le rejet du système actuel d’Etat-nation à l’intérieur du monde
musulman. Cette volonté de bâtir un ensemble islamique supranational basé uniquement
sur le critère de la loyauté religieuse, bien que totalement utopique dans le contexte
actuel et même dans un avenir prévisible, si elle ne trouble pas directement l’ordre
international, a néanmoins des effets désintégrateurs à l’intérieur des pays musulmans
32

dans la mesure où elle vulnérabilise davantage ces pays en mettant face à face musulmans
et non-musulmans, laïcs et religieux, nationalistes et internationalistes islamiques, tout
en amenant, dans le cadre interislamique, un nouvel élément de discorde.
85 En évitant de sous-estimer le rôle de l’islam dans les relations internationales, en
relativisant l’impact du facteur religieux dans l’élaboration de la politique étrangère des
Etats musulmans, il ne faut pas tomber dans un autre excès qui consisterait à évacuer
complètement l’islam des préoccupations internationales des dirigeants musulmans où
réduire l’islam à un rôle de camouflage, généralement a posteriori, des nécessités
éminemment politiques. En réalité, comme on l’a vu, les choses sont beaucoup plus
complexes et une combinaison de facteurs très divers détermine le comportement de
chaque Etat musulman. Ceci étant, il reste un cas unique, celui de la République
islamique, fondée il y a quelques années par l’ayatollah Khomeyni et qui mérite une
attention particulière. Ici, on se trouve en présence d’une initiative délibérée de mise en
place d’une nouvelle diplomatie : la diplomatie islamique. L’observation de cette
expérience, des succès et des difficultés qu’elle rencontre, des contradictions
qu’inévitablement elle véhicule, peut être un exercice intéressant et même utile dans la
mesure où il permet de mieux appréhender l’ambiguïté des rapports entre les relations
internationales et l’islam combinés en plus à un phénomène révolutionnaire.

NOTES
1. Marcel MERLE, Forces et enjeux dans les relations internationales, Paris, Economica, 1981, p. 2.
2. Mohammed ARKOUN, « L’Islam dans l’Histoire », Maghreb-Machrek, n° 102, octobre-décembre
1983, p. 8.
3. Louis GARDET, La Cité musulmane, vie sociale et politique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin,
1976, p. 27.
4. Ibid, p. 28.
5. Ahmed RECHID, L’Islam et le droit des gens, Académie de Droit International, Recueil des cours,
1937 (II), p. 414.
6. Maurice FLORY, « Islam et droit international », L’Islam dans les relations internationales, Paris,
Edisud, 1986, p. 47.
7. M. HAMIDULLAH , Documents sur la diplomatie musulmane à l’époque du Prophète et des Khalifes
orthodoxes (2 vol.), Paris, Maisoneuve, 1935.
8. Bernard LEWIS, Comment l’Islam a découvert l’Europe, Paris, La Découverte, 1984, pp. 55-56.
9. A. ABEL, article “Dâr al-Harb”, Encyclopédie de l’Islam, vol. II, pp. 129-190.
10. Pour une approche modérée du concept voir : Mohamed Abdallah DRAZ, « Le droit
international public de l’Islam », Revue Egyptienne de droit international, vol. 5, 1949, pp. 17-27 et
Edmond RABBATH, « Pour une théorie du droit international musulman », Revue Egyptienne de droit
international, vol. 5, 1950, pp. 1-23.
11. E. TYAN, article “Djihâd”, Encyclopédie de l’Islam, vol. II, pp. 551-553. Voir aussi
Muhammad Mokbel ELBAKRY, “Different Conceptions of Jihad and its Relevance to Contemporary
Trends of Islamic Movements”, The Jerusalem Journal of International Relations, vol. 9, n° 4, 1987,
33

pp. 45-71 ; Zachaïr DHAOUADI, « L’islamisme contemporain et la problématique du Jihad »,


Stratégique, n° 28, 1985, pp. 111-137.
12. Voir à ce propos James P. PISCATORI, Islam in a World of Nation-States, Cambridge University
Press, 1986.
13. Majid KHADDURI, “The Islamic Theory of International Relations”, Islam and International
Relations, edited by J. Harris PROCTOR, Londres, Pall Mail Press, 1965, pp. 33-35. Voir aussi du même
auteur “Islam and the Modern Law of Nations”, The American Journal of International Law, vol. 50, n
° 2, avril 1956.
14. Maurice FLORY, op. cit., p. 48.
15. Le mot « intégrisme » est emprunté à l’histoire récente du catholicisme mais convient assez
bien pour désigner le mouvement islamique radical et militant si surtout on se réfère à la
définition qu’en donne Maxime RODINSON : « Aspiration à résoudre au moyen de la religion tous
les problèmes sociaux, politiques et, simultanément, de restaurer l’intégrité de la croyance aux
dogmes et aux rites » (Le Monde, 6.12.1978). Parfois, on emploie aussi le terme
« fondamentalisme » qui a une signification plus restrictive et contient l’idée d’effectuer un
retour sur les Textes, par-delà la tradition qui alourdi et déforme. Plus récemment, les termes
« islamiste » et « islamisme » ont été utilisés, termes qui peuvent avoir aussi une connotation
plus idéologico-politique que religieuse. Certains musulmans font d’ailleurs une nette distinction
entre “moslem” et “eslâmi”, entre musulman et islamiste. Voir à ce propos l’article d’Olivier ROY,
« Fondamentalisme, intégrisme, islamisme », Esprit, avril 1985, pp. 1-7.
16. Samih Atef EL-ZEIN , La politique et la politique internationale, Beyrouth, Dar al-kitab Allubnani,
1979, p. 149.
17. Mohamed Baker EL-SADR, Les sources du pouvoir dans l’Etat islamique, brochure publiée par la
Grande bibliothèque islamique, Téhéran, sans date de publication, 2 e édition, p. 14.
18. David LONG, “King Faisal’s World View”, King Faisal and the Modernization of Saudi Arabia, edited
by Millard BELING, Boulder Colorado, Westview Press, 1980.
19. Voir Maurice FLORY, « L’avis de la Cour internationale de Justice sur le Sahara Occidental »,
Annuaire français de droit international, 1975, pp. 269-277.
20. Manoucher PARVIN and Maurice SOMMER, “Dar Al-Islam: The Evolution of Muslim
Territoriality and its Implications for Conflict Resolution in the Middle East”, International Journal
of Middle East Studies, n° 11, 1980, pp. 1-21.
21. Philippe BRAILLARD, Théories des relations internationales, Paris, PUF, 1977, p. 122.
22. Yves LACOSTE, « Géopolitique des islams », Hérodote, n° 35, octobre-décembre 1984, p. 3-18.
23. Habib CHATTY, « Une mission universelle », Le Courrier de l’Unesco, août-septembre 1981, p. 15.
24. Ibid.
25. Pierre RENOUVIN et Jean-Baptiste DUROSELLE, Introduction à l’histoire des relations internationales,
Paris, Armand Colin, 1964, p. 15.
26. Pour plus amples informations chiffrées sur l’islam voir : Bassma KODMANI, « L’Islam dans le
monde », Politique étrangère, n° 4, 1983, pp. 953-964. En 1980, la population totale de 44 Etats
membres de l’OCI était estimée à un peu plus de 640 millions d’habitants, avec un taux de
croissance annuel moyen de 2,5 %. Le chiffre prévu pour l’an 2000 se situerait aux environs de
1,2 milliard lorsqu’il est calculé sur la base d’un taux de croissance annuel légèrement inférieur à
2,5 %. Voir : « Observations sur les questions démographiques des pays membres de l’OCI »,
Journal of Economic Cooperatin Among Islamic Countries, janvier 1985, n° 21, pp. 11-17.
27. Abdallah de SAHB, « Les pétropuissances », Géopolitique, n° 7, automne 1984, pp. 93-101.
28. Voir : Aid front OPEC Countries, publié par l’OCDE, Paris 1983.
29. A propos des limites et du déclin des puissances pétrolières arabes voir : Abbas ALNASRAWI,
“The Rise and Fall of Arab Oil Power”, Arab Studies Quarterly, vol. 6, n° 1-2, hiver-printemps 1984,
pp. 1-11.
34

30. Hélé BÉJI, Le désenchantement national, Paris, Maspero, 1982.


31. Yves LACOSTE, « Géopolitique des islams », op. cit., p. 15.
32. Bernard LEWIS, « Islam, le politique et le religieux », Le débat, n° 14, juillet-août 1981, p. 30.
33. Sur le panislamisme de Djamal ed-Din Afghani, voir : « Le panislamisme et le panturquisme »,
Revue du monde musulman, mars 1913, pp. 179-220.
34. Voir à ce propos Ali MERAD, L’Islam contemporain, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1984,
pp. 74-85.
35. Maurice FLORY, « Les conférences islamiques », Annuaire français de droit international, 1970,
pp. 233-243.
36. Pour le texte de la Charte voir : Nations Unies, Recueil des Traités, 1974, pp. 117-122.
37. Sur l’OCI voir : Hamid H. KIZILBASH, “The Islamic Conference: Retrospect and Prospect”, Arab
Studies Quarterly, printemps 1982, pp. 138-153 ; Taoufik BOUACHBA , « L’Organisation de la
Conférence islamique », Annuaire français de droit international, 1982, pp. 265-291 ; Nehemia
LEUTZION , International Islamic Solidarity and its Limitations, The Hebrew University of Jerusalem,
1979 ; Guy FEUER, « L’Organisation de la conférence islamique », L’Islam dans les relations
internationales, op. cit., pp. 161-169.
38. Maxime RODINSON , « Le Monde musulman, défi à la géopolitique », Géopolitique, n° 7, automne
1984, p. 52.
39. Pour une approche globale de ces questions voir : G.E. VON GRUNEBAUM , L’identité culturelle de
l’islam, Paris, Gallimard, 1973.
40. Mohammed ARKOUN, « L’Islam dans l’Histoire », op. cit., p. 5.
41. Pour le texte de cette conférence : Ernest RENAN, Œuvres complètes, Paris, Calmann-Levy, 1947,
t. 1er, pp. 944-960.
42. Daryush SHAYEGAN , « L’islam en mal d’origine », Cahiers du Forum pour l’Indépendance et la Paix,
n° 4, octobre 1984, p. 30. Voir aussi l’important ouvrage du même auteur : Qu’est-ce qu’une
révolution religieuse ?, Paris, Les Presses d’Aujourd’hui, 1982.
43. « Ne soyez pas de ceux qui scindèrent leur religion et formèrent les sectes, chaque fraction se
réjouissant de ce qu’elle détenait », Coran, 30 : 31, 32.
44. Mohammad-Reza DJALILI, Religion et révolution : l’islam shi’ite et l’Etat, Paris, Economica, 1981.
45. Olivier CARRÉ, « L’Islam et Histoire », Géopolitique, n° 7, automne 1984, p. 83.
46. Seyyed Hossein NASR, « L’islam dans le monde : diversité culturelle et unité spirituelle »,
Cultures, vol. IV, n° 1, 1977, pp. 15-34.
47. Jean-Paul CHARNAY, L’Islam et la guerre. De la guerre juste à la révolution sainte, Paris, Fayard,
1986, p. 91.
48. Jacques BERCQUE, « Dynamique de l’Islam d’aujourd’hui », Hérodote, n° 36, 1 er trimestre 1985,
p. 50.
49. Sur le processus d’islamisation de l’Afrique voir : « La présence de l’islam en Afrique », Pro
Mundi Vita, Bruxelles, n° 28, 1969, pp. 6-15.
50. On trouvera quelques exemples allant dans ce sens dans le livre publié sous la direction
d’Adeed DAWISHA, Islam in Foreign Policy, Cambridge University Press, 1983. Cet ouvrage regroupe
des articles sur l’impact de l’islam dans la formulation de la politique étrangère des pays
suivants : Iran, Arabie Saoudite, Libye, Pakistan, Egypte, Maroc, Irak, Nigeria, Indonésie et URSS.
51. A propos de la légitimation voir Richard M. MERELMAN , “Learning and Legitimacy”, American
Political Science Review, vol. 60, 1966, pp. 548-561.
52. Un exemple des plus édifiant de ce genre de discours est l’intervention à la Knesset du
Président Sadat. Voir à ce propos : Norma SALEM-BABIKIAN , “The Sacred and the Profane: Sâdât’s
Speech to the Knesset”, The Middle East Journal, vol. 34, hiver 1980, n° 1, pp. 13-24.
53. Bandine TOLOTTI, « L’Arabie Saoudite, nouveau centre du monde arabe », L’Afrique et l’Asie
modernes, n° 143, hiver 1984-85, pp. 70-82.
35

54. Voir : MARC GABORIEAU , « Rôles politiques de l’Islam au Pakistan », L’Islam et l’Etat dans le monde
d’aujourd’hui, sous la direction d’Olivier CARRÉ, Paris, PUF, 1982, pp. 189-203.
55. Pour le rôle de l’islam dans la politique africaine de Kadhafi voir : René OTAYEK, La politique
africaine de la Libye, Paris, Karthala, 1986, pp. 79-93.
56. Alexandre BENNIGSEN , « La stratégie islamique du Kremlin », Politique internationale, n° 34,
hiver 1986-87, pp. 53-64. Voir aussi : Yaacov RO’I (ed. by), The USSR and the Muslim World, Issues in
Domestic and Foreign Policy, Londres, George Allen and Unwin, 1984.
57. A propos des relations entre l’Iran et Israël voir : Robert B. REPPA, Israel and Iran: Bilateral
Relationship and Effect on the Indian Ocean Basin, New York, 1974. M.G. WEINBAUM : “Iran and Israel:
The Discreet, Entente”, Orbis, XVIII, n° 4, hiver 1975, pp. 1070-1087.
58. René OTAYEK, « L’islam dans la politique extérieure du Nigéria : essai de mise en perspective
historique », Année Africaine, 1982, pp. 352-366.
59. Sur ce sujet voir : Robert SANTUCCI, « La solidarité islamique à l’épreuve de l’Afghanistan »,
Revue française de science politique, n° 3, juin 1982, pp. 494-504. A propos des répercussions de la
guerre d’Afghanistan dans le monde musulman, consulter : Michael BARRY, « Le grand jeu afghan :
vers de nouveaux partenaires », Politique internationale, n° 27, printemps 1985, pp. 45-79.
60. Alfonso STERPELLONE, “Islam e mondo extra-islamico”, La comunita internazionale, vol. 39, n
° 1-2, 1984, pp. 16-33.
36

Chapitre II. Fondements idéologiques de


la politique étrangère

« Sans idéologie, une nation ne périt pas vraiment,


mais elle peut à peine savoir ce qui doit être
approuvé ou désapprouvé »
F.S. Northedge,
The Foreign Policies of the Powers,
Salem, Faber and Faber, 1974, p. 13
« ... l’idéologie n’est pas le parfum qu’on respire
mais l’ingrédient qui fait tourner la machine du
pouvoir. Peu importe qu’elle n’ait plus grand sens,
il suffit qu’elle permette aux dirigeants de justifier
n’importe quoi, d’éliminer n’importe qui. »
Jean Laloy, « 1945-1986 : ni guerre ni paix »
in Pour une nouvelle politique étrangère,
présenté par F. Joyaux et P. Wajsman, Paris,
Hachette, 1986, p. 21.
1 La politique étrangère de la République islamique d’Iran, à l’instar de toute autre
politique étrangère, est conditionnée à la fois par les contraintes géostratégiques,
l’évolution de la situation interne, la conjoncture internationale et aussi par l’idéologie
affichée par le pouvoir en place, c’est-à-dire par le rôle que ce pouvoir s’assigne, par la
perception qu’il a de lui-même, par sa vision du monde et par les moyens qu’il privilégie.
Ce qui distingue cependant ce pays de la plupart des autres, c’est qu’en République
islamique le rôle de l’idéologie, par rapport aux autres éléments, est proportionnellement
plus important. En effet, la politique extérieure du régime islamique n’est pas élaborée,
comme c’est généralement le cas, à partir d’une idéologie d’affirmation et de gestion,
mais elle est inspirée, stimulée, structurée et légitimée par une idéologie militante,
combative. Comparée à d’autres idéologies de même type qui existent ça et là dans
d’autres Etats révolutionnaires, l’idéologie islamique présente deux traits distinctifs :
d’une part, elle se veut d’inspiration divine et se situe d’emblée au-dessus de tout système
idéologique produit par l’esprit humain et, d’autre part, elle possède le souffle de la
jeunesse et exerce l’attrait de la nouveauté de par son apparition tardive sur la scène
37

internationale, cela malgré son strict rattachement à une tradition religieuse plus que
millénaire et en dépit de certains signes précoces d’épuisement qu’elle commence à
présenter.
2 Selon le discours officiel du gouvernement islamique, le régime puise dans
l’enseignement de l’islam toutes les règles fondamentales de sa conduite et cela dans la
perspective de se soumettre à la Loi divine tout en aidant au renforcement et au
rayonnement de la foi sur la terre : l’islam étant considéré comme le moyen et le but, le
point de départ et la finalité de toute politique, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
C’est en fonction de ce constat que toute la politique étrangère est élaborée et mise en
œuvre. Rien d’étonnant dans ces conditions au primat absolu de l’islam et de l’idéologie
islamique sur toute autre considération. En reléguant de cette manière les impératifs
géopolitiques, socio-économiques ainsi que les pressions circonstancielles au rang
subalterne que mérite tout phénomène d’ordre matériel, la République islamique
s’affirme, avant toute chose, comme une idéocratie, mais une idéocratie différente
puisque d’essence divine.
3 Cette affirmation est mise en doute à la fois par certains adversaires du régime et par
quelques observateurs « externes » pour qui la rhétorique islamico-révolutionnaire du
gouvernement de Téhéran n’est qu’un écran de fumée, destiné à masquer un réalisme
glacé ; un habillage pour travestir une politique de puissance et d’expansionnisme ; un
subterfuge pour occulter ses faiblesses et cacher les échecs subis ; un moyen pour projeter
vers l’extérieur la responsabilité des difficultés rencontrées sur la voie de l’édification
d’une société islamique.
4 La controverse ainsi engagée entre ces deux points de vue diamétralement opposés ne
présente en fait qu’un intérêt limité car elle ne peut, comme c’est souvent le cas dans ce
genre de polémique, que déboucher sur un débat stérile, probablement sans issue et sans
doute inutile. L’hypothèse selon laquelle la politique étrangère de la République islamique
procède de considérations idéologiques tout en tenant compte des réalités concrètes et de
l’évolution de la situation internationale semble plus pertinente. Il faut toutefois éviter le
risque de confiner les arguments idéologiques, présentés et développés par le
gouvernement de Téhéran, au rang d’une rationalisation a posteriori quelque peu
artificielle ou, à l’inverse, de croire, comme le prétendent les dirigeants islamiques, que
seule l’idéologie compte mais que pour atteindre l’idéal islamique quelques concessions
d’ordre mineur à la Realpolitik sont, dans certaines circonstances, inévitables. En fait, la
démarche analytique qui peut permettre de mieux saisir cette réalité complexe consiste à
tenter de dégager les deux aspects du phénomène tout en tenant compte des interactions
continuelles entre idéologie et pratique. Ainsi, on pourra évaluer comment, au gré des
circonstances, l’idéologie prévaut parfois sur le réalisme ou, au contraire, l’action
pratique se mène sans le moindre souci ni de l’idéologie ni, d’ailleurs, de la vérité révélée,
sur laquelle la théocratie iranienne est sensée être fondée.
5 Quelle que soit la perception qu’on adopte, une analyse systématique de la politique
étrangère de la République islamique nécessite au préalable une réflexion sur les
fondements idéologiques de cette politique ; la priorité accordée à l’idéologie n’excluant
ni le recours aux données concrètes, comme éléments de référence pour illustrer les
particularités d’ordre idéologique, ni l’utilité fondamentale de l’étude de la conduite
diplomatique selon ses divers théâtres d’action et par rapport aux questions spécifiques
qu’elle est amenée à aborder. Cependant, à travers l’approche idéologique, on pourra
parcourir une première étape destinée pour ainsi dire à la reconnaissance du terrain.
38

Mais avant de commencer cet exercice, une clarification du concept d’idéologie, dans ses
rapports avec l’objet de notre réflexion, s’impose.
6 L’idéologie est un concept de nature polysémique. Sa signification peut recouvrir des
champs à la fois très vastes et très réduits. On peut, par exemple, entendre par idéologie
un ensemble d’idées plus ou moins cohérentes ou une superstructure qui procède d’une
aliénation. On peut aussi l’assimiler à une doctrine sociale, à une école de pensée. Elle
peut avoir un sens péjoratif, le terme idéologie étant appliqué alors à toute proposition
considérée comme fausse, et les « idéologues » perçus comme des intellectuels rêveurs,
sans prise sur la réalité. La définition de l’idéologie en général, mais aussi dans le domaine
plus limité des relations internationales, soulève de très nombreux problèmes. En
définitive, toute définition de l’idéologie est nécessairement arbitraire1.
7 Dans le cas de l’islam, surtout tel qu’il est pratiqué et valorisé par le régime khomeyniste,
la religion, en tant qu’instrument de jugement de l’ordre social et moyen d’action
politique, devient idéologie. En d’autres termes, l’islam n’est pas en lui-même idéologie
mais peut le devenir dès qu’il sert à fonder l’action politique. Admettant avec
Jean Baechler que « n’importe quelle proposition peut devenir idéologie, pour peu qu’elle
soit utilisée dans le combat politique »2, nous définirons donc l’idéologie de la politique
étrangère de la République islamique comme l’ensemble du discours du régime à propos
de l’action politique à l’extérieur du pays, mais dont l’usage n’est pas exclusivement
externe.
8 Pour saisir la conception khomeyniste des relations internationales et pour comprendre
les mécanismes qui sous-tendent le comportement du pouvoir islamique sur la scène
internationale, il faut mettre en évidence les grands principes qui guident son action. Cela
permettra d’avoir une vision d’ensemble de la diplomatie islamique tout en mettant en
avant les techniques par lesquelles cette diplomatie se sert de l’idéologie ou tente
d’asservir tout à l’idéologie. C’est après avoir passé en revue les grands principes qui
fondent l’idéologie islamique en matière de politique étrangère, qu’il sera possible de
mener une réflexion quant à la nature et aux fonctions réelles de cette idéologie.

1. Nationalisme et unité islamique


9 Le refus de référence à la nation-Etat comme à l’idéologie ethnico-nationale et par
conséquent le rejet en bloc du concept de nationalisme est l’un des aspects les plus
fondamentaux de la philosophie politique du régime islamique ; c’est à partir de cette
idée centrale que toute la politique extérieure de la République islamique est sensée être
élaborée. L’idée de « nation » dans le cadre d’un Etat territorialement délimité est
considérée à Téhéran comme totalement étrangère à l’islam. Cette idée a été introduite
dans le monde musulman par les Occidentaux afin de diviser les musulmans et de les
pousser à s’entre-déchirer. Voilà les thèmes autour desquels tourne inlassablement le
discours des dirigeants islamiques, à commencer par Khomeyni lui-même. Ce dernier
n’hésitait pas à déclarer, en 1980, que « c’est du nationalisme que proviennent tous nos
malheurs »3. Quelques temps après cette déclaration, s’adressant aux officiers des forces
aériennes, il disait : « il faut que vous soyez très vigilants pour qu’au nom de l’Iran ou de
la nation iranienne, les satans ne vous détournent pas de notre cher Islam. Toutes les
corruptions existantes sont le produit de la nationalité et du nationalisme. Sachez
qu’invoquer ces problèmes ne sert qu’à semer la discorde »4. En janvier 1982, recevant des
dignitaires religieux shi’ites et sunnites, iraniens et étrangers, Khomeyni précisait sa
39

pensée : « ils veulent que nous ne soyons pas frères, que les musulmans, où qu’ils soient,
se heurtent à des difficultés, dont l’une se présente sous la forme du nationalisme. Un
peuple dit qu’il est persan, un autre prétend être arabe. Ceux-ci disent qu’ils sont turcs, et
ce nationalisme dont le sens est de dresser chaque peuple, chaque langue contre un autre
peuple et une autre langue, c’est justement ce qui détruit le fondement du message des
prophètes. Les prophètes, du premier au dernier, sont venus appeler les hommes à la
fraternité, à l’amitié et à l’union. En face d’eux, une couche d’intellectuels ayant fait leurs
études à l’Ouest ou à l’Est, sont venus, et consciemment ou inconsciemment, ont avancé le
nationalisme. Ils ont souligné comment le peuple arabe devait être. Ils ont dit comment
en face de ce que l’Islam et le peuple islamique devaient être, le peuple arabe et le peuple
persan, devaient se placer »5.
10 Le rejet catégorique du nationalisme iranien dans la pensée de Khomeyni semble être
relativement récent. Dans ses premiers écrits, comme son ouvrage Kashf al-asrar
(Découverte des secrets) publié en 1944, il ne considère pas la loyauté à la nation comme
totalement contraire à la loyauté envers la religion ; il semble même admettre
implicitement que ces deux loyautés peuvent être dans une certaine mesure
complémentaires. C’est dans les années soixante que l’ayatollah vient progressivement à
penser que le nationalisme au Moyen-Orient en général, et en Iran en particulier, est
synonyme de laïcisation, d’occidentalisation et de « corruption »6. Dès lors, le discours
khomeyniste ne se départira pas du thème de la contradiction fondamentale entre
nationalisme et islam. Durant la crise iranienne et depuis l’instauration de la République
islamique, c’est par nécessité tactique qu’il parle du peuple et de la nation iranienne (
mellat, keshvar Iran), préférant toujours l’expression « peuple musulman d’Iran » à ces
concepts qu’il rejette.
11 Ces idées du Guide de la révolution sont reprises à tour de rôle par les autres dirigeants de
la République islamique et aussi par les théoriciens du régime qui sont chargés de leur
donner une forme cohérente en les intégrant à la ligne générale de la politique officielle.
Habituellement, ceux-ci s’acquittent de leur tâche en assimilant purement et simplement
le nationalisme au racisme et en l’opposant à l’universalisme de l’islam, au « mondialisme
islamique ». La citation suivante, extraite d’une publication officielle du régime, donne un
exemple intéressant de la logique qui préside à ce type de raisonnement : « le verset de la
sourate du pèlerin de La Mecque dit : “Attachez-vous fermement à Dieu, il est votre
patron, et quel patron, et quel protecteur !” Par rapport aux idées nationalistes et
racistes, qui engendrent d’une manière ou de l’autre les divergences et des hostilités
parmi les différents peuples, l’Islam lance quant à lui le mot d’ordre du mondialisme
islamique ou la communauté unique dans le sens coranique »7. Pour éviter toute
confusion avec d’autres approches internationalistes, l’auteur s’empresse d’ajouter que
« le mondialisme islamique a une signification tout à fait différente de celle donnée par
certaines autres écoles, y compris le marxisme. La communauté unique islamique est
basée sur les croyances et les objectifs communs islamiques car, d’une manière générale,
l’Islam est une religion complète et parfaite pour le monde entier »8. Ainsi, le
nationalisme est considéré comme une entrave à l’épanouissement de la communauté
islamique ; en se débarrassant du nationalisme, l’islam retrouve son universalisme, sa
vocation première.
12 Cette conception des choses a des conséquences importantes pour les relations
interislamiques en général et pour l’Iran en particulier.
40

13 Dans le Tiers Monde, qui n’a pas achevé de parcourir l’étape de l’affirmation nationale, la
négation du nationalisme est un fait surprenant. Il semble que, jusqu’à présent, Khomeyni
soit « le seul dirigeant du Tiers Monde qui dise explicitement que le nationalisme est
mauvais, qui tienne un discours antinationaliste, qui dise que les Arabes ont tort de faire
du nationalisme arabe, que le Shah avait tort de faire du nationalisme iranien, que le vrai
groupe de références auquel on devait adhérer, c’est la communauté religieuse »9. A quoi
ce discours peut-il mener ? Malgré l’importance grandissante du facteur religieux dans le
monde et plus spécialement dans le monde musulman ces dernières années, et en dépit
des échecs subis par les courants nationalistes dans certains pays du Tiers Monde, il
paraît peu probable que les tendances actuelles débouchent, en terre d’islam, sur
l’apparition d’un macro-nationalisme plus religieux que linguistique, historique ou
ethnique. La religion – l’expérience historique comme l’actualité immédiate révélant les
divergences profondes qui existent au sein même du mouvement islamiste le prouvent –
divise au moins autant qu’elle unit et peut semer la confusion, attiser les passions tout
aussi bien que le nationalisme. En tout état de cause, substituer l’adhésion à la religion au
sentiment national, à la conscience nationale, et même aux intérêts nationaux, peut être
désavantageux à la fois pour la religion et pour la nation, amener un nouveau facteur
conflictuel au sein du monde musulman et handicaper davantage l’établissement futur
d’une hypothétique communauté musulmane universelle. De plus, considérer que le
« peuple musulman » a été divisé par le colonialisme, l’impérialisme et la pénétration du
monde musulman par des concepts étrangers, procède beaucoup plus du mythe que de la
réalité historique. Par le passé, l’islamisation de nombreux pays n’a pas réussi à effacer
les caractéristiques culturelles, ethniques et nationales de ces pays. Dans l’histoire
récente, le nationalisme – sans d’ailleurs se détacher de la religion dans la majorité des
cas – a été le principal vecteur de la lutte tantôt contre le colonialisme, tantôt contre
l’oppression des régimes autoritaires des pays musulmans. Par ailleurs, à travers le
monde musulman, comme le souligne Smilja Avramov « après avoir secoué le joug
colonial, de nombreux pays ont accompli les plus grands efforts pour démontrer leur
individualité nationale et combler le fossé qui séparait les fidèles de différentes religions
au sein de leur peuple »10. Tel est le cas de nombreux pays de l’Orient arabe ou d’ailleurs
dans le monde musulman.
14 Dans le cadre spécifiquement iranien, le pouvoir islamique préfère ignorer le
particularisme iranien, ne pas mettre en avant le fait national. Conscient de l’obstacle que
représente l’iranité sur la voie d’une islamisation totale, la stratégie du pouvoir consiste à
mettre l’accent uniquement sur la dimension religieuse de l’identité nationale, une
dimension religieuse d’ailleurs singulièrement réduite à ce qui peut convenir à une caste
cléricale à vision très étroite11. Le projet cher au régime, de dilution de l’Iran dans un
vaste espace islamique, de sa provincialisation en quelque sorte dans l’ensemble
musulman, soulève la réprobation de nombreux Iraniens qui ne perdent pas de vue que
leur pays est le seul pays musulman « conquis par les Arabes et converti à l’Islam, qui a
sauvegardé son identité nationale »12, qui possède sa langue nationale, une civilisation,
une tradition historique propre et qui de surcroît a su maintenir sa spécificité après
quatorze siècles d’islamisation. A la limite, cette négation du fait national peut avoir des
conséquences néfastes pour le pouvoir en place qui s’éloigne de plus en plus de la réalité
profonde du pays et sème ainsi les germes de futures réactions hostiles.
15 Dans la pratique, le gouvernement islamique a quelquefois flatté le sentiment national et
a fait appel à plusieurs reprises au patriotisme des Iraniens. Mais cela s’est toujours fait
41

dans des circonstances particulières, généralement en rapport avec l’évolution de la


situation sur le front de la guerre avec l’Irak. Cette utilisation tactique du nationalisme
iranien avait des buts utilitaires, jamais il n’a été question de mettre sur un pied d’égalité
la religion et le sentiment national. Dès lors, il est erroné, comme certains observateurs
l’ont fait, de voir dans l’islamisme et le nationalisme les deux piliers de la politique
étrangère de Téhéran.
16 Un dernier argument auquel ont recouru les théoriciens du régime pour condamner le
nationalisme ne manque pas d’intérêt. En effet, pour certains théoriciens, le rejet du
nationalisme ne s’explique pas uniquement par l’universalité de l’islam mais aussi par les
impératifs géopolitiques de l’époque contemporaine, où seul l’internationalisme et non
plus, comme par le passé, le nationalisme est capable d’apporter des réponses aux
problèmes soulevés. Dans cette optique, l’instauration d’une « communauté unique
islamique mondiale » ne se justifie pas seulement par le respect de la volonté divine, mais
aussi par une évaluation concrète de la réalité internationale, ce qui amène les penseurs
islamistes à conclure que tout comme « le monde contemporain, le monde à venir sera un
monde international »13. Ce n’est pas par souci de l’interdépendance que cette proposition
est avancée mais bien plutôt par calcul politique car « il est impensable que
l’impérialisme, le capitalisme et le sionisme international aient la possibilité de réaliser
une collaboration internationale [...] et exercer leurs activités dans le cadre de
l’impérialisme international, mais que le gouvernement et la communauté unique
islamique mondiale, n’aient pas le moyen de le faire »14.

2. Exportation de la révolution
17 Le refus du nationalisme et l’option pour l’internationalisme islamique expliquent en
partie la volonté, hautement proclamée, du gouvernement de Téhéran d’exporter la
révolution. De plus, le régime semble convaincu du fait que s’il limite la révolution aux
frontières de l’Iran, « cette révolution risque de ne pas durer »15. « Nous devons aller à la
rencontre du monde de manière offensive, sans attendre que le monde nous attaque pour
que nous nous défendions. Nous devons nous conduire de manière à porter le premier
coup pour laisser ensuite le monde se défendre et cela signifie exporter la révolution » 16.
La survie de la révolution, mais aussi sa dimension messianique et universaliste, le
message qu’elle adresse au-delà des musulmans à tous les opprimés de la planète,
dépendent de la diffusion de la révolution en dehors du territoire iranien.
18 La révolution khomeyniste ne se veut ni iranienne, ni shi’ite ; elle est islamique et par
conséquent portée à l’universalité. Il est consternant de constater que cette réalité sous-
jacente à tout le discours de Khomeyni avant, pendant et après le succès de la révolution,
ait été si souvent sous-estimée. Ainsi, même Mehdi Bazargan, personnage-clé du
processus révolutionnaire et premier chef de gouvernement du régime islamique, avait
cru sincèrement que l’objectif de la révolution était de « servir l’Iran par la voie de
l’islam » et qu’il avait été totalement surpris de se rendre compte qu’en fait Khomeyni
voulait « servir l’islam par l’intermédiaire de l’Iran »17. Myopie ou naïveté, en tout cas,
durant la période où il dirigeait le gouvernement, une assemblée d’experts avait été
prévue pour rédiger le texte de la Constitution de la République islamique, dont la lecture
est édifiante puisqu’il contient quelques dispositions dont la portée n’est pas strictement
nationale.
42

19 Déjà, dans le préambule de la Constitution les buts externes de la révolution sont


clairement définis : « ... le contenu islamique de la révolution de l’Iran qui est un
mouvement pour la victoire de tous les déshérités sur les puissants, prépare le terrain de
cette révolution en Iran et à l’étranger, surtout dans l’extension des rapports
internationaux, et avec les autres mouvements islamiques et populaires, elle déploie ses
efforts pour ouvrir la voie à la création d’une communauté mondiale unique et également
pour renforcer la lutte engagée pour la délivrance des peuples démunis et opprimés dans
le monde… ». C’est pourquoi, par exemple, les forces armées de la République islamique
« n’auront pas seulement pour mission de sauvegarder et de préserver les frontières, mais
également de suivre l’idéologie, ou en d’autres termes de participer à la guerre sainte
dans la voie de Dieu et de combattre pour l’expansion de la souveraineté divine dans le
monde… ». Dans les articles consacrés à la politique étrangère, la constitution assigne au
gouvernement le devoir d’« élaborer la politique étrangère sur la base des valeurs
islamiques, de l’engagement fraternel envers tous les musulmans et de la protection sans
réserve des déshérités dans le monde » (troisième principe). L’objectif fondamental d’une
telle politique étrangère étant à la fois « la réalisation de l’unité politique, économique et
culturelle du monde islamique » (onzième principe) et le « soutien au combat légitime des
déshérités contre les puissants dans toutes les régions du monde ».
20 L’exportation de la révolution est non seulement une obligation constitutionnelle, mais
elle est bien plus que cela : c’est un devoir religieux, car il s’agit d’étendre à travers le
monde le rayonnement du gouvernement de Dieu. De toute façon, ne pas poursuivre un
tel dessein, c’est mettre en cause le caractère islamique de l’Etat.
21 Un membre du clergé proche du gouvernement, l’hodjatoleslam Ebrahim Amini, a
expliqué ce problème de manière simple et claire : « un gouvernement ne peut prétendre
être islamique qu’à condition d’œuvrer pour l’indépendance et l’unité de l’Umma
musulman »18. De son point de vue, l’objectif essentiel de la politique étrangère de la
République islamique ne devrait être que la propagation de l’islam, la lutte contre
l’oppression pour l’unité et l’indépendance de la communauté. Pour atteindre cet objectif,
il n’existe que deux moyens : la propagande (tabligh) et la guerre sainte (Jihad). Dans cette
perspective, les responsables islamiques « ne sont pas libres de choisir comme ils
l’entendent la conduite de la politique interne et de la politique extérieure. Ils doivent
s’inspirer de la Révélation pour tracer leur ligne de conduite et agir dans les limites des
lois et ordres divins »19. Ainsi donc, la République islamique est investie d’une mission,
« l’appel à l’union de tous les peuples musulmans sur la base de l’Islam » 20. L’Iran, qui a le
privilège d’être la première « partie libérée du pays de l’islam »21, a l’obligation d’aider les
autres musulmans à se doter d’un gouvernement similaire au sien. Modèle politique, la
République islamique est aussi un Etat rédempteur qui a pour vocation de rendre possible
la libération de l’humanité du mal.
22 Outre les impératifs religieux et légaux qui l’imposent, l’exportation de la révolution
remplit aussi une fonction utilitaire dont l’importance ne peut être négligée par le
pouvoir.
23 D’abord, elle empêche l’enfermement de la révolution dans une sorte de ghetto shi’ite et
par conséquent sa limitation dans un espace relativement restreint au sein du monde
musulman. En mettant la révolution au service de l’universalisme islamique, Khomeyni
veut dépasser la division shi’ite-sunnite qu’il condamne d’ailleurs fermement22. Plus
encore, il tente de cacher ainsi le fait que les têtes de pont de la révolution islamique à
l’extérieur du pays sont généralement des personnalités shi’ites liées au clergé iranien. La
43

solidarité shi’ite est utilisée partout à l’extérieur de l’Iran, mais elle ne représente en
aucune manière la finalité de l’ambition internationale du pouvoir islamique. Ensuite,
l’exportation de la révolution a aussi pour fonction le maintien, à l’intérieur du pays, de
l’ardeur révolutionnaire des populations, l’élan des « combattants de l’islam » (
razmandeghan eslam) sur le front. Par ailleurs, en montrant la capacité du pouvoir d’agir
en dehors du territoire national et en mettant en avant le fait que la révolution islamique
fascine les autres peuples, le régime fait d’une pierre deux coups. D’une part, il conforte
ses partisans dans leurs certitudes tout en développant en eux un sentiment de fierté et,
d’autre part, il suscite chez les autres la crainte qu’inspire les démonstrations de la force
et de la puissance à l’échelle internationale. Enfin, l’accent mis sur l’exportation de la
révolution peut servir à renforcer la sécurité du régime. En effet, la lutte pour
l’exportation de la révolution islamique va obliger les « régimes ennemis » à accorder la
priorité à la résistance face aux poussées islamistes plus qu’au soutien à des menées
subversives à l’intérieur de l’Iran, ce qui pourrait plus directement mettre en cause la
sécurité du pouvoir islamique. De plus, face aux pays hostiles, l’exportation de la
révolution peut être instrumentalisée et devenir un élément de négociation, ce qui
fournira à Téhéran un atout de plus dans d’éventuels marchandages.
24 Cependant, l’expérience de ces dix dernières années l’a prouvé, la révolution islamique,
comme toute autre révolution, malgré l’existence de situations favorables dans plusieurs
pays musulmans, s’exporte mal. Par ailleurs, l’insistance sans répit sur ce sujet n’a pas eu
que des effets bénéfiques pour le pouvoir en place. La volonté d’exporter la révolution à
tout prix et l’apparition, en même temps, d’un courant terroriste se réclamant de
l’idéologie de la révolution islamique, ont eu pour conséquence de détériorer l’image de
marque du régime de Téhéran aux yeux d’une frange importante de l’opinion publique
internationale, ce qui évidemment a accentué l’isolement du régime sur la scène
internationale en portant préjudice aux intérêts économiques et surtout militaires du
pays. Ces raisons ont amené certains responsables politiques à réviser leur discours, à
parler de l’effet d’exemplarité ou de l’exportation des « valeurs » de la révolution plus
que de la révolution elle-même. Dans un entretien avec un journal de Téhéran,
Ali Khamenei, président de la République, a même été jusqu’à suggérer que l’idée
d’exporter la révolution faisait partie de la littérature révolutionnaire et que si cette idée
est reprise par certains c’est la preuve du respect de la liberté d’expression, mais qu’il
fallait s’abstenir de confondre littérature révolutionnaire et politique gouvernementale23.
A peine quelques jours plus tard, l’ayatollah Montazeri, successeur désigné de Khomeyni,
prenait le contre-pied des idées de Khamenei et déclarait : « malgré les conspirations
ourdies par les ennemis de l’islam, les peuples opprimés ont pris conscience des
dimensions de notre révolution islamique et, en vérité, notre révolution est déjà exportée
et les peuples sont en train de se réveiller. Aujourd’hui, la pensée des peuples musulmans
au Soudan, au Maroc, en Egypte et ailleurs, a évolué ; ils se sont levés et résistent face aux
pouvoirs oppresseurs »24. Montazeri ne faisait en fait que répéter à sa manière ce
qu’affirmait déjà Khomeyni en 1983 : « aujourd’hui, grâce à Dieu, la puissance iranienne et
la puissance de l’Islam en Iran sont telles qu’elles attirent l’attention de toutes les nations
faibles sur elles et l’Islam a été exporté dans le monde entier. Depuis l’Amérique où se
trouvent ces chers noirs jusqu’en Afrique et en Union soviétique, partout resplendit la
lumière de l’Islam et les peuples sont attirés par l’Islam. C’est ce que nous entendions par
l’exportation de l’Islam et c’est ce qui s’est réalisé et, si Dieu le veut, partout l’Islam
triomphera de l’iniquité… »25.
44

25 Malgré les divergences d’opinion entre les dirigeants, divergences d’ailleurs plus
formelles que de fond, et en dépit des difficultés rencontrées, la République islamique, si
elle veut rester fidèle à elle-même, ne peut se désintéresser du rayonnement de sa
révolution à travers le monde. Une puissance qui, selon la définition de l’ex-président de
la commission des affaires étrangères du parlement islamique, possède des « intentions
divines, des structures divines et un leadership divin »26, ne peut, par nature, se
cantonner dans les limites d’un territoire donné et ne se préoccuper que des intérêts
nationaux égoïstes.

3. Hiérarchie des Etats


26 Le rejet du nationalisme, la primauté de l’universalisme islamique et la volonté d’exporter
la révolution ne suffisent pas pour fonder une politique internationale dynamique à la
mesure des aspirations de la « Grande Révolution Islamique de l’Iran » (préambule de la
Constitution). Il faut aussi un cadre de référence permettant d’établir des points de
repère indispensables pour éviter toute indétermination, pour établir des ordres de
priorité à l’égard des problèmes internationaux auxquels la politique extérieure est
confrontée.
27 Dans un article publié par le Message de l’Islam, revue paraissant en plusieurs langues à
Téhéran par les bons soins du ministère de l’orientation islamique (propagande),
A. Chakouri tente de répondre à la question de savoir « quels sont les principes
théoriques découlant de l’Islam à même d’expliquer et de définir les relations
internationales de la République islamique » et « jusqu’à quel point cet unique régime
fondé sur l’Islam, a pu réussir islamiquement parlant dans sa politique étrangère »27.
L’auteur, dans la première partie de son article explique la subdivision du monde selon le
droit islamique (figh) pour ensuite s’interroger sur la conformité de la politique étrangère
de Téhéran avec les principes fondamentaux de l’islam. Cet article offre un double intérêt.
D’une part, il présente une opinion officielle sans engager directement la responsabilité
des autorités et, d’autre part, il fournit une grille d’analyse des relations internationales
alliant vision traditionnelle et réalité contemporaine.
28 Selon ce texte, le monde est divisé en deux camps politiques : le dar al-islam et le dar al-
cherk (le monde de l’impiété et du polythéisme), chacune des deux composantes de cet
univers bipolaire comportant ses propres subdivisions.
29 Le dar al-islam groupe en son sein cinq types de pays. Il y a d’abord les pays possédant un
régime exerçant « une souveraineté légitime islamique », comme l’a fait par le passé le
pouvoir établi par le Prophète lui-même ou par son gendre et cousin Ali. A l’heure
actuelle, il n’existe qu’un seul exemple de ce type de régime : la République islamique
d’Iran. Ensuite, viennent les pays possédant un « gouvernement apparemment juste »,
dont cependant « les dirigeants manquent des conditions nécessaires pour conduire et
diriger la communauté » mais par contre « l’inéquité n’entache pas le pouvoir »
(exemple : l’Algérie, la Libye). En troisième position on trouve les régimes « affichant
ouvertement [leur] corruption » ou leur « dépendance vis-à-vis des gouvernements
impies » (aucun exemple n’est fourni). En quatrième position il y a les pays dotés d’un
gouvernement mercenaire à la solde des puissances étrangères, comme la plupart des
gouvernements actuels du monde musulman (Egypte, Jordanie, Irak, Arabie Saoudite,
Soudan, Maroc, Afghanistan). En dernière position, on trouve les pays ayant un
gouvernement « impie et anti-islamique », tel le cas des pouvoirs non-musulmans qui ont
45

autorité sur des terres musulmanes comme en Palestine et au Liban. Dans le dar al-islam
ainsi hiérarchisé, le devoir du seul régime islamique légitime, en l’occurrence de la
République islamique « consiste à se comporter selon les normes de coexistence pacifique
vis-à-vis des gouvernements du second ordre » mais envers les « gouvernements des
troisième, quatrième et cinquième ordres, il n’aura d’autre voie à choisir que de les
boycotter politiquement et de les combattre militairement ».
30 Le dar al-cherk comporte quatre subdivisions. En premier lieu, il y a les pays du dar al-harb
(territoire de la guerre) qui n’entretiennent aucune relation avec le gouvernement
islamique et qui s’opposent « à la propagande islamique au milieu de leurs populations, et
manifestent leur inimitié envers l’Islam ou bien combattent militairement les
musulmans ». L’exemple type de ce genre de pays est fourni par les Etats-Unis. Le
deuxième groupe comprend les pays du dar al-ahd « dont les habitants sont les fidèles
d’une des religions abolies (le Christianisme, le Judaïsme, le Zoroastrisme) qui ont conclu
avec le gouvernement islamique des accords et des traités de collaboration et d’amitié ».
Les pays du dar al-mowâde’è (traité) ou dar al-hunda (trêve) forment le troisième groupe.
Les habitants de ces pays ne professent généralement pas l’une des religions révélées,
mais ils ont établi des relations pacifiques en signant des pactes et des traités de non-
agression avec le gouvernement islamique (exemple : Inde, Corée). Le quatrième et
dernier groupe est constitué par les pays du dar al-hay ad (neutre) « qui comprend les pays
non engagés vivant en dehors des deux camps (islamique et impie) et qui ont une
conduite “cent pour cent neutre” » ; dans cette catégorie sont placés les pays non-
musulmans du Tiers Monde véritablement non-alignés. Le devoir du gouvernement
islamique envers les pays du dar al-harb consiste à rompre les relations, à les combattre si
ces derniers l’attaquent. A l’heure actuelle, il n’existe aucun pays faisant partie du
deuxième groupe, quant aux deux autres groupes, le gouvernement islamique doit
maintenir avec eux « des relations conformes aux enseignements du Coran, du figh, en
attirant les cœurs des musulmans de foi faible [qui habitent ces contrées] et en les
protégeant économiquement ».
31 Portant une appréciation générale sur la politique étrangère de la République islamique,
notre auteur conclut en disant que cette politique s’inspire des principes de l’islam et si
l’on décèle quelques défauts « cela relève de la situation et de l’époque qui dominent et de
l’atmosphère politique mondiale », mais qu’en définitive si « la direction des activités de
la République islamique de l’Iran est juste, il est certain que ces défauts seront finalement
éliminés ».
32 Dans d’autres textes, moins théoriques il est vrai, d’autres approches sont proposées.
Ainsi, par exemple, un texte publié en 1982 propose de distinguer trois catégories de
pays : « ceux qui ont une attitude amicale envers la révolution islamique, ceux qui ont
une attitude neutre et impartiale, ceux qui se déclarent et agissent contre la République
islamique »28. Cette vision n’a rien de particulièrement islamique mais elle est commode
et permet de classer les superpuissances dans le dernier groupe, celui des pays hostiles.
D’ailleurs la République islamique réserve une place de choix aux deux superpuissances
dans son discours.
33 Le slogan leitmotiv de la politique étrangère du régime est « ni l’Est, ni l’Ouest ». Ce
slogan inlassablement répété, qui est devenu progressivement pour ainsi dire la devise de
la révolution, signifie, dans l’esprit des dirigeants, la poursuite d’une politique
d’indépendance à l’égard des grandes puissances, politique voulue par le peuple déjà
avant le triomphe de la révolution. Par ailleurs, il signifie aussi la négation des structures
46

du système international contemporain caractérisé par la division du monde en deux


camps antagonistes. Selon le ministre des affaires étrangères, Ali-Akbar Velayati : « la
signification claire du slogan “ni l’Est, ni l’Ouest” est ni la domination de l’Est, ni la
domination de l’Ouest [...] cela ne veut pas dire que nous ne devons pas avoir des relations
avec les pays partisans de l’Est ou de l’Ouest ; car, si nous poussons notre raisonnement
trop loin, nous arriverons au point où nous ne pourrons avoir des relations qu’avec trois
ou quatre pays dans le monde [...] Nous voulons avoir des relations avec à peu près tous
les pays du monde sauf quelques pays particuliers comme Israël, l’Afrique du Sud et les
Etats-Unis »29.
34 La République islamique formule deux reproches essentiels à rencontre des
superpuissances.
35 D’abord, elle les considère comme des puissances hégémoniques, dont l’objectif est
d’exploiter les peuples et les pays opprimés en les contrôlant directement ou
indirectement ; leur pouvoir est basé sur la force et leur idéal est la domination à tout
prix. Les Etats-Unis et l’Union soviétique ont non seulement divisé le monde en deux
camps rivaux, mais ont aussi établi, dans leur propre intérêt, un système de relations
interétatiques caractérisé par les rapports de suzeraineté et de clientèle entre eux et la
plupart des gouvernements. D’où la nécessité d’aller au-delà d’une simple mise en
question du système international actuel et de faire tout pour créer les conditions de son
remplacement par un autre ordre : « ni l’Est, ni l’Ouest » ne signifie donc pas
équidistance, non-alignement ou politique d’équilibre entre les deux superpuissances,
c’est l’établissement d’un nouveau système de valeur indépendamment de l’Est et de
l’Ouest.
36 Au reproche de l’avidité des deux superpuissances à vouloir dominer le monde s’en ajoute
un autre, encore plus important aux yeux du régime islamique, à savoir leur foncière
opposition à l’islam. S’adressant à des membres du clergé venus de plusieurs pays
musulmans à Téhéran, Khomeyni déclare : « Gare aux superpuissances qui veulent en
finir avec l’Islam, ne faites jamais preuve de faiblesse [...], aujourd’hui toutes les
puissances se sont soulevées contre l’Islam et non contre l’Iran. D’un côté, l’on voit
l’Amérique qui cherche à imposer son diktat au monde, de l’autre, l’Union soviétique » 30.
A l’occasion du pèlerinage à La Mecque en 1984, Khomeyni adresse un message aux
pèlerins où l’on peut lire : « Quelle que soit l’ethnie ou la secte à laquelle ils
appartiennent, les musulmans présents en ces lieux saints doivent pertinemment savoir
que les vrais ennemis de l’Islam, du Coran et du Prophète (que le Salut de Dieu soit sur lui)
ne sont autres que les superpuissances et plus particulièrement l’Amérique ainsi que sa
créature israélienne… »31. Dans ces conditions, on comprend encore mieux pourquoi pour
le régime islamique il ne s’agit pas tout simplement de prendre ses distances à l’égard de
l’une ou de l’autre superpuissance mais bien du « rejet de l’hégémonie et de la négation
par l’Iran et de l’Est et de l’Ouest »32. Les superpuissances et les pays qui font leur jeu sont
considérés comme le Mal absolu et sont assimilés aux démons, à Satan. Ce sont les Grands
Satans, et leurs acolytes et complices sont les Petits et Moyens Satans. La démonologie
entre ici de plain-pied dans l’imaginaire politique, dans les relations internationales.
37 Cette vision globale du système international, qui sous-tend tout le discours islamico-
révolutionnaire, s’atténue cependant assez nettement à l’épreuve de la conjoncture
régionale et nationale. A ces deux niveaux, il y a une distinction entre les deux
superpuissances. Malgré tous les blâmes adressés à l’Union soviétique, les Etats-Unis, qui
menacent le monde musulman en général et la République islamique en particulier, sont
47

et resteront l’ennemi principal. Cette différenciation dans la perception des


superpuissances s’explique par des raisons idéologiques et pragmatiques sur lesquelles
l’on reviendra plus loin.
38 L’hostilité systématique envers les superpuissances ne serait en fin de compte qu’une
manière quelque peu originale d’affirmer sa volonté d’indépendance nationale, d’attirer
l’attention des musulmans sur les menaces que les deux superpuissances font peser sur
l’islam et les risques qu’elles font courir à l’humanité entière par leur désir jamais assouvi
de conquête et de suprématie. Cette constatation devrait, selon toute logique, aboutir à
privilégier une politique fondée sur l’équidistance, l’équilibre, le non-alignement. En
réalité, les choses sont plus compliquées et le discours islamique à l’égard des
superpuissances relève aussi d’autres préoccupations.
39 Ainsi, du fait même que la République islamique ne se considère pas tout à fait comme un
Etat semblable aux autres et qu’elle s’affirme devant le monde comme l’incarnation de la
volonté divine, ses objectifs ne peuvent coincider totalement avec ceux des pays qui ont
choisi de prendre leurs distances vis-à-vis des deux blocs. Son but ultime consiste « à
créer les fondements d’une société modèle islamique qui puisse servir de modèle et de
témoignage à l’ensemble de l’humanité »33 et sa volonté d’indépendance n’est pas un acte
égoïste, mais elle est plutôt destinée à « ouvrir une fenêtre pour les pays du Tiers Monde
sur un espace de liberté politique dans le monde qui permettra aux pays opprimés de
respirer et aux peuples enchaînés, d’espérer »34.
40 A cette ambition grandiose, s’ajoutent aussi des considérations de politique intérieure. La
condamnation des superpuissances devrait permettre de convaincre l’opinion publique
iranienne, toujours sceptique et encline à voir partout la main de l’étranger, à la fois de la
détermination du régime à poursuivre une réelle politique d’indépendance et des
difficultés qu’il doit endurer à cause de la « conspiration mondiale » qui veut l’amener à
réviser ses positions. Par ailleurs, la lutte contre les superpuissances offre au clergé au
pouvoir l’occasion de rejeter une fois de plus toutes valeurs réelles ou imaginaires que les
cultures de l’Est et de l’Ouest sont sensées véhiculer, jugées néfastes pour l’islam et les
peuples musulmans.
41 Si les slogans et mots d’ordre, même répétés à longueur de jours, de mois et d’années, ne
suffisent pas à créer les conditions objectives de l’indépendance, ils sont néanmoins utiles
à un régime révolutionnaire qui veut à tout prix ancrer dans les esprits l’image d’une
société révoltée contre l’oppression des Grands.
42 Une classification des Etats à partir de la grille islamique (dar al-islam/dar al-cherk ou dar
al-harb) ajoutée à une stratification classique à trois paliers (amis, neutres, ennemis), avec
une place particulière réservée aux deux superpuissances, aboutit globalement à la
hiérarchie internationale qui se dégage de la vision khomeyniste des relations
internationales. On peut schématiser cette conception en la transposant sur une spirale
au centre de laquelle se trouvent des pays considérés comme « ennemis de l’islam » ; les
autres pays sont ordonnés sur la courbe qui tourne autour du pôle central dont elle
s’éloigne progressivement selon le degré de leur inimitié à l’égard de l’islam.
43 La première place, parmi les ennemis de l’islam, revient aux superpuissances avec une
préférence marquée pour le Grand Satan américain à qui, selon l’expression de Mir-
Hossein Moussavi, premier ministre, la République islamique voue « une haine sacrée » 35.
Israël, « régime usurpateur de Qods (Jérusalem) », se trouve tout à côté des Etats-Unis.
Juste après viennent les pays alliés à Washington et qui par conséquent sont solidaires de
« ses crimes ». Le régime ba’thiste de Bagdad occupe ici une place de choix puisqu’il est
48

anti-islamique et fait à la fois le jeu d’Israël et de l’Amérique. Au troisième rang des


ennemis de l’islam, on trouve les régimes dits modérés du monde arabo-musulman qui
sont prêts à négocier avec Israël et les Etats-Unis en vue de trouver une solution au
conflit arabo-israélien. Si l’on ne se situe pas dans le camp des ennemis de l’islam et si l’on
ne fait preuve d’aucune complaisance à l’égard des pays membres de ce camp, alors on est
en droit d’établir des rapports normaux avec la République islamique. A ce niveau
d’ailleurs, la rhétorique islamique devient floue, un flou savamment entretenu qui permet
à Téhéran d’avoir assez de mobilité pour pouvoir établir des rapports plus ou moins
normaux ou même de confiance avec des pays aussi différents que la Syrie, la Libye,
l’Albanie, Cuba, la Chine, le Nicaragua, l’Algérie, le Pakistan, la Turquie, le Japon, etc.
44 Après avoir clarifié ses propres objectifs, identifiés les autres par leur dispersion sur une
échelle de valeur structurant l’environnement international, la politique étrangère peut
s’exprimer ; c’est le passage de l’idéologie de représentation à l’idéologie d’action. Cette
action va prendre diverses formes, parmi lesquelles trois nous paraissent des plus
significatives : la légitimation du recours à la violence, la mise en cause des normes qui
régissent traditionnellement les rapports interétatiques, l’appel à un militantisme tiers-
mondiste à connotation sociale.

4. Le recours à la violence
45 Toute vision du système international, fut-elle d’origine divine, ne peut négliger la
violence en tant qu’élément présent au cœur de ce système. La révolution islamique n’a
jamais exclu le recours à la force ni à l’intérieur des Etats ni dans les rapports
internationaux. Un mouvement révolutionnaire porté par un groupe de religieux
extrémistes suppose la légitimité du recours à la violence. Dans l’ordre des priorités établi
par les stratèges de la diplomatie islamique, l’instauration de la justice l’emporte sur le
maintien de la paix, conception qui explique en partie la poursuite durant près de huit
ans de la guerre avec l’Irak36.
46 Définie officiellement à la tribune des Nations Unies par son ministre des affaires
étrangères comme le « centre révolutionnaire du monde islamique »37, la République
islamique a pour vocation la libération « de la patrie islamique du joug colonialiste et des
gouvernements qui lui sont subordonnés »38 ; elle ne se justifie que dans la mesure où elle
se consacre entièrement à la protection de l’islam, ce qui est « une nécessité absolue, plus
encore que la prière ou le jeûne »39. Pour accomplir ce devoir, elle peut recourir à tous les
moyens, y compris la violence.
47 Pour Khomeyni, dès l’apparition dans toute société musulmane des éléments négateurs
de l’islam au sein du pouvoir, le fidèle n’a qu’un seul choix : combattre et défaire ce
pouvoir. « Notre seul et unique remède est d’abattre ces appareils gouvernementaux
corrompus et corrupteurs et de renverser les équipes gouvernementales traîtres,
oppressives et tyranniques. Voilà le devoir de tous les musulmans dans tous les pays
islamiques en vue de la victoire des révolutions politiques islamiques »40. Le recours à la
violence n’est que justice quand il s’agit de « sortir son sabre et mettre en pièces les
corrompus »41. Ce qui compte, ce sont les intérêts communs et non les individus. « C’est
pourquoi l’islam a sacrifié beaucoup de gens pour sauvegarder les intérêts de la
communauté musulmane ; il a éliminé beaucoup de tribus, car elles étaient source de
corruption et nuisibles à la communauté »42.
49

48 Le passage d’un ordre hérétique à un régime islamique se fait en quatre étapes :


l’oppression, l’apparition des réformateurs, la destruction de l’ordre existant,
l’instauration d’un gouvernement divin. C’est dans la troisième étape, celle de la
destruction de l’ordre existant, qu’il y a nécessité de recours à la violence. Pour écraser et
exterminer le mouvement islamique, l’ennemi utilise trois moyens : la force brutale,
l’argent et l’hypocrisie. Dans ces circonstances, toutes les formes de luttes sont permises
pour faire triompher la cause de l’islam. « L’Islam oblige tous ses partisans à combattre
l’oppression et à faire disparaître les motifs et les facteurs de celle-ci afin d’instaurer un
juste gouvernement de Dieu »43.
49 Une propagande « offensive » menée systématiquement à travers le monde n’excluant
pas le recours à la violence44, l’octroi d’aide et d’encouragement aux organisations
islamiques activistes, la vénération officielle du pouvoir pour quelques personnages
comme l’assassin du président Sadat (une avenue a été baptisée de son nom à Téhéran et
un timbre a été émis à son effigie), la glorification de tous les actes terroristes commis au
Moyen-Orient ou ailleurs, sont des éléments, parmi d’autres, qui rendent crédibles les
accusations portées contre Téhéran de collusion avec les groupes terroristes. Bien
entendu, les responsables islamiques rejettent en bloc ces allégations. Mais quelquefois,
ces mêmes responsables font des déclarations qui peuvent prêter à confusion. Ainsi, par
exemple, en mai 1984, après l’attaque de deux pétroliers par l’aviation irakienne,
Rafsandjani, le président du parlement, menaça de recourir à l’aide de « tous ceux qui
croient à l’islam et à la République islamique » à travers le monde : « si les
superpuissances et les puissances de deuxième ordre pénètrent dans le Golfe, la nation
iranienne doit se préparer à une guerre partout dans le monde contre les intérêts de tout
pays qui interviendrait dans le golfe Persique » et il ajoute : « Ce jour-là, le champ de
bataille ne sera plus le Khouzistan ou le sud de notre pays ; ce jour-là, pour nous, le
champ de bataille sera le monde entier »45. A une autre occasion, à propos d’un
détournement d’avion, Rafsandjani n’exclut pas que le régime islamique pratiquerait lui-
même ouvertement des détournements « si un jour cela devient nécessaire » ; « ou bien la
sécurité existe pour toutes les lignes aériennes dans le monde et pour cela il faut se
mettre d’accord, ou bien si elle n’existe pas pour les lignes d’un pays que vous
[occidentaux] détestez, alors soyez sûrs que vous-même ne pouvez pas bénéficier de cette
sérénité »46.
50 La réalisation des projets révolutionnaires de la République islamique exige une
diplomatie particulière, fondée sur une stratégie de tension, destinée à déstabiliser et
provoquer des changements favorisant son extension idéologique. Aboi-Hassan Bani-Sadr
rapporte, dans son ouvrage paru après sa destitution du poste de président de la
République, ces paroles du Guide de la révolution : « Si les Iraniens obtiennent tout cela
[tout ce dont ils ont besoin], ils ne combattront plus pour la victoire de l’Islam dans le
monde. Nous devons susciter des crises répétées, revaloriser l’idée de la mort et du
martyre et supprimer le laxisme ; si, dans l’aventure, l’Iran devait disparaître, ce n’est pas
important. L’important est de noyer le monde entier dans la crise, c’est ce qui signifie
exporter la révolution. Si nous ne créons pas chaque jour une crise, les gens retourneront
à leurs anciennes habitudes ; c’est dans l’ardeur des crises que ceux qui sont appelés à
exporter la révolution perdront leur désir malsain de confort et acquerront la maturité
nécessaire à l’accomplissement de leur mission [...]. Nous devons, aujourd’hui, préparer
les conditions de la révolution du monde islamique ; pourquoi devrions-nous craindre
50

pour notre anéantissement et celui du pays ? »47. Bani-Sadr constate que « cette stratégie
n’est évidemment pas pratiquable sans le recours à une violence radicale »48.
51 A propos de la guerre, les points de vue théoriques du régime islamique ne diffèrent
guère des conceptions classiques de l’islam en la matière, mais l’accent est mis surtout sur
les versets du Coran qui font plus directement allusion à l’obligation de combattre
l’ennemi, l’infidèle. Quant à l’entrée en guerre, elle « doit être ordonnée par le velayaté
faghih et ses conditions doivent être déterminées par celui-ci »49. D’après la théorie du
velayaté faghih (la tutelle du juriste théologien, clé de voûte de tout le système
khomeyniste du pouvoir), le faghih (Khomeyni) est bien le mandataire du dernier imam
occulté, possédant ainsi le pouvoir de décider de la guerre, ce qui résout la difficulté
propre au shi’isme du jihad en l’absence de l’imam. La guerre occupant une place
prépondérante dans toute l’histoire de la jeune République islamique, elle mérite qu’on
s’y attarde plus longuement ; c’est ce que nous ferons plus loin.

5. Mise en cause des normes internationales


52 La République islamique, comme tout autre Etat, détermine sa politique à l’égard de
l’élément juridique dans les relations internationales en fonction de ses intérêts et
objectifs. En tant que pays du Tiers Monde, elle est critique envers la conception
traditionnelle du droit international et se prononce volontiers en faveur d’un droit
nouveau et moins européocentrique. Par ailleurs, comme tant d’autre Etats, la République
islamique prend parfois quelques libertés à l’égard des normes juridiques internationales
et se montre aussi à l’inverse, en cas de besoin, très tatillonne quant à l’application
minutieuse de telle ou telle règle. Bref, le régime khomeyniste, à l’instar des autres
régimes, a « une politique juridique extérieure »50. Cependant, son comportement dans ce
domaine n’est pas tout à fait le même que celui des autres Etats. Ici aussi, le régime
islamique se démarque des autres et innove.
53 Ce qui différencie cet Etat islamique de la plupart des autres, c’est son sens de la
démesure, sa propension à l’excès et à l’outrance. D’un côté, il foule aux pieds les règles
les plus élémentaires comme la non-ingérance dans les affaires intérieures, la liberté de
navigation dans les eaux internationales, les immunités diplomatiques etc. et s’en vante à
qui veut bien l’entendre ; d’un autre côté, il exige, quand cela lui convient, le respect
intégral d’autres règles de droit. D’un dédain hautain et irrévérencieux, il passe,
allègrement et sans transition, à une attitude respectueuse d’une hypocrisie rarement
égalée. Quelques exemples pourront mieux nous éclairer sur cette stratégie, fondée sur
un mouvement de balancier qui consiste à passer sans arrêt d’un extrême à l’autre.
54 L’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran et la prise en otage du personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis par un groupe d’étudiants, avec l’approbation
sans réserve de l’autorité suprême, en l’occurrence l’ayatollah Khomeyni lui-même et la
complicité des institutions étatiques (quatre diplomates furent « retenus » dans les locaux
mêmes du ministère des affaires étrangères) est un fait extraordinaire qui a peu de
précédents dans l’histoire des relations internationales51. Arrêter des diplomates
internationalement protégés, leur faire subir des mauvais traitements, menacer de les
juger pour espionnage, les garder en otages durant quatre cent quarante-quatre jours, est
une violation flagrante et peu banale du droit international. La Cour internationale de
justice, généralement peu encline aux excès de langage, n’a pas hésité à qualifier cet acte
« d’affaire unique » et « d’affaire d’une gravité sans précédent »52. Dans le jugement
51

qu’elle a rendu à ce propos, le 24 mai 1980, elle insiste à plusieurs reprises sur
l’importance des principes à caractère fondamental que cette prise d’otages met en cause
53
. Mais, pour des raisons politico-idéologiques et en fonction des rivalités de factions
entre les élites au pouvoir, le régime islamique, sans apparemment aucune mauvaise
conscience, n’hésite pas à passer outre les « principes à caractère fondamental » du droit
international en faisant occuper une ambassade désormais qualifiée de « nid d’espions »,
par un groupe de militants, dont les membres, après le dénouement de la crise, seront
généreusement récompensés notamment en accédant à de hautes fonctions
diplomatiques.
55 Une fois les objectifs politiques atteints, les choses vont évoluer autrement pour le
personnel de l’ambassade américaine. Les otages et leur sort cessent d’être au centre du
débat politique et l’éventualité de leur libération devient concevable. La voie du
règlement politique est débloquée ; il ne reste plus qu’à trouver un moyen de négocier
une solution avec les Etats-Unis, de préférence indirectement en passant par les services
d’une puissance tierce. A la « misère des diplomates » succède la « grandeur de la
diplomatie »54. Le 19 janvier, avec la signature des accords d’Alger, c’est le dénouement ;
l’Iran et les Etats-Unis acceptent, d’un commun accord, de porter leurs différends devant
une juridiction internationale55. Le 20 janvier, le jour de l’investiture du président
Reagan, les otages peuvent regagner leur pays. Le Tribunal des différends irano-
américains, institué par les Accords d’Alger, commence véritablement l’examen de
l’affaire au printemps 1982. La République islamique rallie ainsi la légalité internationale,
tandis que le chef de file des « étudiants de la ligne de l’imam », l’hodjatoleslam
Mohammad Moussavi Khoeinia, devient vice-président du parlement islamique, durant la
législature qui s’achèvera en 1984, tout en remplissant la fonction de représentant
personnel de Khomeyni aux pèlerinages de La Mecque. Ce dernier le nommera, en
juillet 1985, au poste de procureur général de la République islamique56.
56 Cette approche manichéenne des règles juridiques internationales sera poursuivie à
l’égard d’autres questions. Il en ira ainsi, par exemple dans le cadre de la guerre avec
l’Irak, de la situation des prisonniers de guerre irakiens en Iran et de l’emploi des armes
chimiques par les forces armées irakiennes. A propos de ces deux questions, le
gouvernement islamique aura deux attitudes diamétralement opposées.
57 Au sujet des prisonniers de guerre irakiens, des violations graves et répétées des
dispositions des Conventions de Genève (12 août 1949) ont été reprochées aux autorités
de la République islamique par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Les
violations dont le CICR a fait état concernent surtout les pressions idéologiques et
politiques, l’endoctrinement systématique, l’intimidation, les violences contre l’honneur
et la dignité des prisonniers. En mai 1983, puis en février 1984, le CICR a lancé des appels
solennels aux cent cinquante-cinq pays signataires des Conventions de Genève afin qu’ils
interviennent auprès des autorités de Téhéran et de Bagdad pour les inciter à respecter
ces textes57. Le 10 octobre 1984, lors d’une visite effectuée au camp de prisonniers de
Gorgan par les représentants du CICR, une émeute éclate et des prisonniers irakiens sont
tués58. Immédiatement après cet incident, l’Iran suspend toute activité du CICR sur son
territoire et entame une campagne pour porter atteinte à la réputation de la Croix-Rouge
59
. Dans une déclaration faite le 27 novembre 1985, le président du CICR, Alexandre Hay,
dira à propos des allégations de la République islamique : « cette campagne était d’une
telle violence que le Comité n’en a jamais connu de semblable durant toute son histoire et
l’histoire de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui s’étend sur cent-vingt ans » 60.
52

58 A propos de l’utilisation d’armes chimiques par l’Irak, la République islamique, invoquant


la Convention de Genève de 1925 à laquelle l’Irak avait adhéré dès 1931, entreprit une
série de démarches pour sensibiliser l’opinion publique internationale et pour amener les
instances internationales à condamner fermement le gouvernement irakien. Dans ce cas
précis, les autorités islamiques recourent à toutes les possibilités offertes par les
instruments internationaux pour exposer leurs thèses et pour demander justice. La
République islamique pousse son raisonnement dans cette direction à tel point, qu’elle se
transforme à l’occasion en défenseur intransigeant de la légalité internationale : « si ces
crimes demeurent impunis et ceux qui les perpétuent libres d’agir, alors toutes les lois
instaurées au niveau international afin d’empêcher le stockage, la production et la
prolifération des armes chimiques, ainsi que toutes les négociations entamées pour
arrêter cette prolifération perdraient leur raison d’être et seraient frappées de nullité »61.
59 A la demande du gouvernement islamique, l’ONU envoya, en mars 1984, un groupe
d’experts en Iran pour enquêter sur place à propos de l’emploi des armes chimiques
contre les soldats iraniens. Le rapport des experts confirma les allégations iraniennes. Les
bombes avaient été utilisées dans les zones inspectées. La substance utilisée était une
variété de gaz moutarde, parmi les agents chimiques les plus toxiques. Le Conseil de
sécurité, réuni le 30 mars 1984, condamna l’utilisation des armes chimiques sans toutefois
désigner nommément l’Irak62. Cette prudence du Conseil de sécurité provoqua le
mécontentement de Téhéran qui voyait dans ce geste un manquement du Conseil « à sa
mission internationale face à l’humanité »63. Cette « faiblesse » du Conseil de sécurité,
selon l’optique du gouvernement islamique, s’explique par la position de force
qu’occupaient les puissances impérialistes au sein du Conseil et par la stratégie globale de
ces mêmes puissances qui « pour camoufler leur impuissance à trancher en faveur de la
justice, de la vérité et du droit » ont recouru « à un stratagème pernicieux : faire
beaucoup de bruit sur leur condamnation de l’utilisation des armes chimiques, sans
mettre l’accent sur la responsabilité de l’Irak »64. La condamnation ferme de l’Irak par le
Conseil de sécurité, le 21 mars 1986, après la publication du rapport d’un nouveau groupe
d’experts, ne satisfera qu’à moitié Téhéran car, sans doute par souci d’équilibre, le Conseil
a aussi condamné la prolongation de la guerre, sans toutefois désigner nommément
l’Iran, considéré comme responsable de cette prolongation65. Sollicitation du soutien et de
l’aide des Nations Unies quand cela lui convient et rejet explicite ou implicite des
résolutions du Conseil de sécurité, accusé de partialité, au cas où une décision ne lui
convient pas, telle est dans l’ensemble la tactique de la République islamique à l’égard de
l’organisation mondiale. Ainsi, après avoir refusé durant près d’un an de souscrire à la
résolution 598 du Conseil de sécurité, le gouvernement islamique, ne pouvant contenir
l’avance des forces irakiennes, annonce, le 18 juillet 1988, sa décision d’accepter la
résolution et met soudain tous ses espoirs dans une organisation internationale qu’il n’a
cessé de critiquer pendant des années.
60 Mais la prise de position sans doute la plus originale de Téhéran à propos des instruments
internationaux concerne la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il ne s’agit pas
ici d’énumérer les nombreuses atteintes aux droits de l’homme perpétrées par le pouvoir
islamique, mais plutôt de voir comment le concept même des droits de l’homme est perçu
et interprété par ce pouvoir. Pour saisir les convictions profondes du régime islamique à
ce propos, il existe un texte particulièrement révélateur. Il s’agit de l’intervention, le
7 décembre 1984, à la Troisième commission des Nations Unies, de Rajaï Khorassani,
ambassadeur de la République islamique auprès de l’ONU à New York :
53

Le nouvel ordre politique mis en place [en Iran] n’est ni une démocratie, ni une
théocratie, ni un régime socialiste, ni une autocratie ou une anarchie, mais une
monocratie qui répond et correspond pleinement aux convictions religieuses et
morales les plus profondes de la population et qui est donc parfaitement
représentative des croyances traditionnelles, culturelles, morales et religieuses de
la société. Il ne reconnaît d’autre autorité ou pouvoir que ceux de Dieu Tout-
Puissant et aucune autre tradition juridique que celle de la loi islamique. Dans ces
conditions, la délégation iranienne réaffirme ce qu’elle a déjà précisé lors de la
trente-sixième session de l’Assemblée générale, à savoir que les conventions,
déclarations et résolutions ou décisions d’organisations internationales qui sont
contraires à l’Islam n’ont aucune validité en République islamique d’Iran. Si les
Etats laïcs décident par exemple d’élaborer une convention abolissant la peine de
mort, la République islamique d’Iran n’y voit aucune objection du fait que cette
convention ne la liera nullement. La Déclaration universelle des droits de l’homme,
qui illustre une conception laïque de la tradition judéo-chrétienne, ne peut être
appliquée par des Musulmans et ne correspond nullement au système de valeur
reconnu par la République islamique d’Iran ; cette dernière ne peut hésiter à en
violer les dispositions puisqu’il lui faut choisir entre violer la loi divine du pays ou
les conventions laïques. Cela ne signifie nullement que les allégations formulées à
l’encontre de l’Iran soient vraies ni qu’aucun élément de la Déclaration universelle
des droits de l’homme ne soit compatible avec l’Islam. La République islamique
d’Iran est convaincue que cette déclaration doit être respectée par tous les autres
Etats non musulmans et laïcs car on ne peut tolérer les traitements inhumains et les
pratiques dégradantes dont on fait souvent état au Salvador, au Chili et en Afrique
du Sud. Ceux qui ne peuvent appliquer les normes divines de l’Islam doivent au
moins satisfaire au minimum requis par les organismes internationaux sous peine
de devenir des centres de corruption, de torture, d’injustice, d’oppression et de
tyrannie. La République islamique d’Iran, qui s’élève énergiquement contre la
torture, considère que les châtiments corporels et la peine capitale ne tombent pas
dans cette catégorie lorsqu’ils sont appliqués dans le cadre de l’Islam, sur jugement
d’un tribunal islamique.66

6. Militantisme tiers-mondiste
61 « Guide de la révolution islamique et espoir des opprimés du monde », c’est ainsi que
l’ayatollah Ruhollah Khomeyni est qualifié par les médias de la République islamique.
L’expression « espoir des opprimés du monde » traduit bien les ambitions que nourrit le
régime à l’égard du Tiers Monde. L’obligation religieuse de porter intérêt à la condition
des faibles et des pauvres en leur accordant aide et soutien, est habilement transformée,
nous l’avons vu, par la Constitution, en une sorte de prolongation de la révolution au-delà
des frontières nationales. Cette vocation débouche sur une vision originale du système
international caractérisée par la domination des oppresseurs sur les opprimés.
62 La mission politico-religieuse que s’assigne le régime repose sur une structure
idéologique élaborée à partir du concept de mostaz’af, puisé dans le Coran et mis au goût
du jour. Le mostaz’af (pluriel : mostaz’afin), traduit généralement par faible, opprimé,
déshérité, est un concept coranique, recouvrant des sens ésotérique, métaphysique,
moral mais aussi économique et social. Ce sont ces deux dernières significations qui sont
habituellement mises en relief dans le discours doctrinaire de la révolution islamique. A
l’opposé du mostaz’af, il y a le mostakbar (pluriel : mostakberin), l’orgueilleux, le superbe,
l’oppresseur, le puissant. Ce sont ces puissants qui forment l’estekbar, qui dans la
phraséologie khomeyniste est plus ou moins synonyme de l’impérialisme ou de
l’hégémonisme67.
54

63 Dans le discours islamique sur les mostaz’afin, plusieurs thèmes reviennent constamment.
D’abord, l’idée selon laquelle tous les prophètes, y compris Jésus, Moïse, Abraham et en
particulier Mohammad, pour mener à bien leur mission se sont appuyés sur les
mostaz’afin. Ensuite, le fait que le moyen le plus efficace dont dispose les mostaz’afin pour
combattre les oppresseurs est leur unité. L’éveil politique et culturel est le premier pas
vers cette union qui doit être accompagnée d’un rapprochement avec Dieu. Alors, le
soulèvement salutaire, avec la bénédiction divine, deviendra possible. Ce sursaut est
possible à notre époque car « nous sommes en un siècle où, par la volonté de Dieu Tout-
Puissant, l’estez’af et la justice vaincront l’estekbar et l’injustice »68. C’est pourquoi très
souvent, à l’occasion des cérémonies religieuses, Khomeyni adresse des messages aux
déshérités où l’on trouve des appels identiques à celui-ci : « Ô peuples du monde entier,
qui êtes tous des mosta’zafs, soulevez-vous et réclamez la restitution de ce qui vous
appartient ! N’ayez pas peur du grondement des forts ! Dieu vous soutient et la terre est
votre héritage, la promesse de Dieu est inviolable »69.
64 La défense des mostaz’afin est le principe de base de l’idéologie tiers-mondiste de la
République islamique. C’est en quelque sorte le souci de la justice sociale au niveau de
l’humanité qui motive cette idéologie. Par ailleurs, le discours islamique reprend à son
compte toutes les idées force de la rhétorique des pays du Tiers Monde les plus
« engagés » comme l’anti-impérialisme (principalement contre les Etats-Unis),
l’antisionisme, la dénonciation de l’exploitation capitaliste etc. La note spécifique
apportée par la révolution islamique à ce discours se trouve dans la glorification de
l’islam, le rejet de la civilisation occidentale, la mise en évidence d’une certaine image de
l’Iran, pays martyr, victime de l’hostilité de l’impérialisme, et surtout le rôle joué par
Khomeyni en tant que leader incontesté des mostaz’afin du monde entier qui
« reconnaissent en lui un vrai miroir réflecteur de leurs maux et de leurs besoins » 70.
65 Dans l’ordre des priorités défini par le ministre des affaires étrangères de la République
islamique, les pays du Tiers Monde et en général les pays non alignés occupent la
deuxième place juste après les nations musulmanes et avant les pays voisins. Rejoindre le
groupe des pays non alignés, s’intégrer à eux et devenir un élément moteur de leur
mouvement, tel est l’objectif que s’assigne le régime islamique. Bien que n’ayant, sur le
plan idéologique, aucune affinité particulière avec la plupart des pays d’Asie, d’Afrique et
d’Amérique latine, le gouvernement de Téhéran les considère néanmoins comme des
« frères spirituels » parce qu’il s’estime être le « porte-drapeau des vertus humanitaires
[...] comme missionnaire et responsable devant leurs maux, leurs besoins, leurs
privations, leur bonheur et leur malheur »71.
66 A propos du nouvel ordre international, la République islamique accepte toutes les
revendications du Tiers Monde et en ajoute une autre : la suppression du statut de
membre permanent et du droit de veto des grandes puissances au Conseil de sécurité,
donc la révision de la Charte des Nations Unies. En outre, elle ne croit pas à la possibilité
de l’édification d’un nouvel ordre international à partir d’un dialogue entre le Sud et le
Nord. Ce qu’elle propose, c’est la « concertation active entre les forces de l’hémisphère
Sud » car le Nord ne cherche « en réalité qu’à ménager ses intérêts à travers des
concessions fallacieuses »72.
67 La division de l’humanité en deux groupes antagonistes des opprimés et des oppresseurs,
des pays dominants et des pays dominés, des peuples du Tiers Monde et des autres,
amène l’observateur à s’interroger sur l’existence, dans la conception khomeyniste des
relations internationales, d’une sorte de lutte de classe à l’échelle planétaire, ce qui
55

prouverait une certaine similitude avec la vision marxiste des rapports internationaux.
Les théoriciens officiels du régime s’élèvent généralement contre une telle interprétation.
A l’appui de leur thèse, ils avancent l’idée selon laquelle le concept de mostaz’af relève
plutôt d’un état d’être psychologique que d’une forme de « réalité » sociale ; si les
oppresseurs se recrutent surtout dans les classes riches et politiquement dominantes, il
n’en demeure pas moins que la tyrannie « sommeille dans le cœur de maints déshérités »
et, qu’en fin de compte tout l’édifice de l’islam repose sur le towhid, l’unicité ; par
conséquence l’islam s’adresse à l’homme en tant que tel sans tenir compte de son
appartenance à une classe sociale déterminée73. En d’autres termes, l’idéologie
khomeyniste favorise les intérêts des opprimés sans exclusivement reposer sur ces
derniers. En fait, l’amalgame des concepts coraniques avec l’action politique quotidienne
sur le plan international, mais aussi au niveau interne, conduit à un appauvrissement de
ces concepts qui ne gardent plus que leur signification matérielle et socio-politique. Les
pensées religieuses transformées en slogans politiques ne peuvent transmettre que des
images directes, des idées simples et claires. De plus, comment demander, d’une part, aux
mostaz’afin de se révolter contre les mostakbarin tout en niant, d’autre part, la nécessité
d’une lutte entre ces deux groupes opposés, surtout quand on se situe dans un courant
révolutionnaire qui par ailleurs admet explicitement la légitimité du recours à la violence
quand le besoin en est ressenti ? En réalité, ici réside l’une des contradictions
fondamentales : d’un côté, un discours aux accents révolutionnaires, militant,
mobilisateur et voulant tenir compte de la réalité sociale et, de l’autre côté, la crainte de
faire, sans le vouloir, du léninisme, de risquer de perdre son originalité et d’y laisser son
âme ; de se laisser submerger par la révolution alors que l’on veut simplement l’islamiser.
Dans ces circonstances, rien de moins étonnant que l’approfondissement du fossé entre le
discours et les faits, l’exacerbation des tensions entre les partisans de tel ou tel dosage du
mélange révolution-religion. En attendant, aux « illusions perdues » des mostaz’afin de
l’intérieur74, risquent de s’ajouter celles des mostaz’afin du monde entier, si tant est que
ces derniers en aient jamais eues.
68 L’idéologie khomeyniste en matière de relations internationales est de nature hybride.
C’est une mixture qui contient des références à des éléments aussi divers que la théorie
traditionnelle islamique, le discours tiers-mondiste, certains traits spécifiques du
shi’isme, le messianisme révolutionnaire habituel, le tout agrémenté d’un zeste de lutte
de classe et d’une pincée de non-alignement, entendu ici comme rejet du système
international actuel dominé par les deux superpuissances. A la complexité de
l’assemblage s’ajoute aussi le tiraillement entre la volonté de rester le plus proche
possible de la tradition coranique et celle de garder prise sur la totalité de la réalité la
plus contemporaine. La combinaison d’éléments aussi différents, tout en maintenant des
préoccupations contradictoires, n’a pas pourtant abouti à une sorte de pot-pourri
idéologique totalement hétérogène. Une analyse attentive du discours et du
comportement politique de la République islamique permet de dégager une certaine
cohérence idéologique et politique. Cette cohérence n’est pas simplement le fait d’un
savant dosage des éléments les plus divers ; elle réside aussi dans la personnalité même
du leader de la révolution islamique. C’est à travers lui, à travers sa pensée et son action
que les diverses composantes du puzzle idéologique retrouvent leur unité.
69 Deux préoccupations, pour lui indissociables, dominent la vie et l’œuvre de Khomeyni :
l’islam et la politique. La combinaison de ces deux préoccupations a toujours conditionné
le comportement de l’ayatollah, comme du clergé militant proche de ses idées, à la fois à
56

l’intérieur du pays et sur la scène internationale. Au service de l’islam et de son projet


politique qui s’étend à l’ensemble de l’humanité sans aucune contrainte de temps, le
recours à des éléments idéologiques les plus divers, ne peuvent porter atteinte aux
objectifs politiques fondamentaux. Mais la vision khomeyniste n’est pas une vision
statique, elle n’admet aucune barrière, même d’ordre rituel. Ainsi, une fois un pouvoir
véritablement islamique installé, comme c’est le cas en République islamique, « le
gouvernement fait partie de la vice-régence du prophète Mahomet et a la priorité sur
toutes les pratiques religieuses, telles que la prière, le jeûne et le pèlerinage à
La Mecque »75. L’édification d’une communauté universelle d’inspiration divine, but
ultime, ne souffre aucun obstacle fut-il même d’origine religieuse. Comme un rouleau
compresseur l’objectif final broie le matériel idéologique composite en une matière
compacte et relativement homogène.
70 Pour être complet, aux fonctions explicites de l’idéologie en matière de politique
étrangère, il faut aussi ajouter deux fonctions implicites, mais non moins importantes. Il
s’agit des fonctions de légitimation et de voilement.
71 La légitimation, par le biais de la politique extérieure, vise trois cibles distinctes :
l’appareil du régime, la population iranienne et le monde extérieur. L’appareil d’un
régime militant doit écarter comme la peste tout risque de propagation du doute en son
sein. Il faut qu’aux yeux de ses cadres, le pouvoir et son action soient entièrement
justifiés par le respect des principes idéologiques que lui-même a énoncés. Une attitude
cohérente en politique étrangère peut servir à renforcer la cohérence de l’appareil
étatique. Dans ces conditions, l’appareil cesse de s’interroger, de raisonner, de mettre en
doute les idées qu’on lui a inculqué. Il est mobilisé et pleinement utilisable. A l’intérieur
du pays, face à une population déjà largement « contaminée » par un processus
d’occidentalisation, de laïcisation, d’urbanisation, d’éducation, une fois les exaltations
révolutionnaires des premiers temps révolues, le pouvoir essaie à tout prix de garder une
certaine popularité. Mais vu l’extrême difficulté de camoufler les dures réalités de la vie
quotidienne, le détournement de l’attention sur le monde extérieur, un monde sur lequel
l’homme de la rue ne possède qu’une information très limitée, devient une nécessité
absolue. Les actions du régime en matière de politique internationale, les succès
spectaculaires remportés par sa diplomatie, le respect que les « autres » lui accordent,
vont servir à justifier le bien fondé de toute sa politique. A l’extérieur, l’accent mis sur les
principes idéologiques de la politique étrangère doit servir à séduire le plus largement
possible les courants révolutionnaires de toutes origines. Dans ce contexte, la politique
étrangère acquiert une fonction de ralliement, ralliement qui à son tour légitime les choix
politiques du pouvoir islamique.
72 La dissimulation est la fonction la plus courante attribuée à l’idéologie. Derrière le
discours, derrière les théories séduisantes sont cachées les véritables motivations, les
réalités incontournables mais aussi les difficultés, les erreurs, les échecs, les pratiques
inavouables. L’idéologie devient ainsi masque, paravent. Certes, la République islamique
ne détient pas le monopole de cet usage spécifique de l’idéologie. Mais peut-être dans ce
cas particulier, le rôle de rideau de fumée verbal de l’idéologie est plus important
qu’ailleurs. Est-ce à cause de l’exemplarité si intensément désirée ? Est-ce pour mieux
occulter les divergences fractionnelles à l’intérieur de l’establishment islamique ? Ou tout
simplement pour pallier un sentiment de fragilité qui semble toujours persister ?
57

NOTES
1. Pour une réflexion sur la définition de l’idéologie voir l’article « idéologie » de Joseph Gabel in
Encyclopédie Universalis, ed. 1984, pp. 759-763. A propos de l’idéologie, la politique étrangère et les
relations internationales : Walter CARLSNAES, Ideology and Foreign Policy, Oxford, Basil Blackwell,
1986 ; Philippe BRAILLARD et Pierre de SENARCLENS, « Idéologie et relations internationales, le cas
des relations soviéto-américaines », Relations internationales, n° 25, printemps 1981, pp. 113-133.
Sur l’idéologie et la politique étrangère de l’URSS : Georges LAVAU, « Le rapport entre l’idéologie
et la politique extérieure », Pouvoirs, n° 21, 1982, pp. 125-138.
2. Jean BAECHLER, Qu’est-ce que l’idéologie ?, Paris, Gallimard, 1976, p. 25. Sur l’islam et l’idéologie
politique : Bassam TIBI, “Islam and Modern European Ideologies”, International Journal of Middle
East Studies, n° 18, 1986, pp. 15-29.
3. Discours de Khomeyni à l’occasion du congrès pour la libération de Qods (Jérusalem) Téhéran,
Hosseinieh Djamaran, 18 mordad 1359 (9 août 1980), cité par Chodjaedin CHAFA, Toziol Massa’el,
Paris, 1983, p. 863.
4. Discours du 19 bahman 1359 (8 février 1981), cité par CHAFA, op. cit., p. 864.
5. Le Message de l’Islam (Revue publiée par le ministère de l’orientation islamique à Téhéran), n° 8,
janvier 1982, p. 91.
6. Voir à ce propos David MENASHRI, “The Shah and Khomeini: conflicting Nationalisms”,
Crossroads, hiver-printemps 1982, pp. 53-79.
7. « Le mondialisme islamique », Sorouche (Revue publiée par l’organisation de la Radio et
Télévision de la République islamique d’Iran), n° 10, mars 1983, p. 39.
8. Ibid.
9. Jean-Pierre DERRIENNIC, « L’unité et la diversité des nationalismes arabes » in Le Moyen-Orient,
évolution et enjeux, ouvrage collectif publié par le Centre Québécois de relations internationales,
Québec, 1983, p. 121. Pour le point de vue islamiste sur le nationalisme arabe : Muhammad YAHYÂ,
“A criticism of the Idea of Arab Nationalism”, Al Tawhid (Téhéran), vol. III, n° 2, Mars 1986,
pp. 149-172.
10. Smilja AVRAMOV , « Le monde islamique : unité et conflits », Revue de politique internationale (
Belgrade), 5 avril 1984, p. 14.
11. Amir TAHERI, “The Islamic Attack on Iranian culture”, Index on Censorship, n° 3, 1983, pp. 24-29.
Voir aussi Christian PAHLAVAN, « Islamisme contre iranité : l’Iran assassiné », Politique
internationale, n° 10, hiver 1980-81, pp. 191-201.
12. Bernard LEWIS, L’Islam d’hier à aujourd’hui, Paris, Elsevir et Bordas, 1981, p. 17.
13. A. EZZATI, « Le début de l'instauration d'une communauté unique islamique mondiale », Le
Message de l'Islam, n° 8, janvier 1982, p. 23.
14. Ibid.
15. Bahsi dur mabnayé siassalé kharédji (Discussion à propos des fondements de la politique
étrangère), publié par la section des affaires extérieures du Parti de la République islamique,
Téhéran (sans date de publication), p. 11.
16. Ibid.
17. Mehdi BAZARGAN , Enghélab-é Iran dar do harékat (La révolution iranienne en deux
mouvements), Téhéran, ed. compte auteur, mehr 1363 (septembre 1984), p. 111.
18. Ebrahim AMINI, “Siassaté kharédji houkoumaté eslami” (La politique étrangère du
gouvernement islamique), Ettessam, n° 36, farvardin 1364 (mars-avril 1985), p. 16.
58

19. Ibid., p. 14.


20. Le Message de l’Islam, n° 8, janvier 1982, p. 87.
21. Extrait du programme du Parti de la République islamique, cité par André MABON , « La
révolution islamique iranienne dans le jeu des affrontements régionaux », Le Monde diplomatique,
avril 1984.
22. « Union islamique : chiites et sunnites », Sorouche, n° 43-44, 22 novembre 1985 au 20 janvier
1986, pp. 4-5.
23. Ettelaat (Téhéran), 23 juillet 1985.
24. Keyhan (Téhéran), 27 juillet 1985.
25. Sorouche, n° 12, mars 1985, p. 6.
26. Ahmad AZIZI, “Diplomatie eslami : bahsi piramoun modiriat siassaté kharédjié Jomhouri
eslami” (La diplomatie islamique: discussion sur la gestion de la politique étrangère de la
République islamique), Pasdaran eslam, publié par l'office de la propagande islamique, centre
d'études religieuses de Qom, farvardin 1363 (mars-avril 1984), n° 28, pp. 40-43.
27. A. CHAKOURI, « Une étude sur les fondements de la politique étrangère en Islam », Le Message
de l’Islam, n° 15, mai-juin 1983, pp. 21-23.
28. « La politique étrangère de la République islamique de l’Iran », Le Message de l’Islam, janvier
1982, pp. 86-87.
29. Ettelaat, 20 juillet 1985, p. 16.
30. Sorouche, n° 35, 21 mars au 21 avril 1985, p. 15.
31. Ibid.
32. Ibid. p. 19.
33. Préambule de la Constitution de la République islamique.
34. Interview d'Ali-Akbar VELAYATI, Ettelaat, 20 juillet 1985, p. 18.
35. Le Monde, 23 décembre 1986.
36. Voir Siamak PARVINE, « Les bases doctrinales de la politique étrangère iranienne », Le trimestre
du monde, n° 1, 1988, p. 69.
37. Intervention d'Ali-Akbar VELAYATI, devant l'Assemblée générale de l'ONU, 31 décembre 1984,
Document ONU A/39/P. V.I5, p. 96.
38. Ruhollah KHOMEYNI, Pour un gouvernement islamique, Paris, Fayolle, 1979, p. 36.
39. Ibid, p. 63.
40. Ibid, p. 35.
41. Ibid, p. 77.
42. Ibid, p. 77.
43. Dr MOFATEH, « La philosophie de la Révolution et le gouvernement », Le Message de l'Islam, n° 8,
janvier 1982, p. 18.
44. Exemple de la propagande khomeyniste à l'étranger : J.M. DURAND-SOUFFLAUD
, « La propagande intégriste en France : les sergents recruteurs de l'imam Khomeyni », Le Monde,
29 et 30 janvier 1984. Sur le rôle du ministère de l'orientation islamique (propagande), voir :
Ahmad MAHRAD, „Zur Rolle des Iranischen Ministeriums für islamische Aufklärung“, Orient, 25 (1),
Mars 1984, pp. 65-82.
45. Le Monde, 20-21 mai 1984.
46. Le Monde, 16-17 décembre 1984.
47. Abol Hassan BANI-SADR, L’espérance trahie, Paris, Papyrus ed., 1982, p. 349-350.
48. Ibid, p. 350.
49. Sorouche, n° 39, 23 juillet-22 août 1985, p. 43.
50. Sur ce sujet voir le remarquable ouvrage de Guy de LACHARRIÈRE, La politique juridique
extérieure, Paris, Economica, 1983.
59

51. On trouvera quelques exemples comparables in Charles ROUSSEAU , Droit international public,
Tome IV, Paris, Sirey, 1980, pp. 178-199 et Philippe CAHIER, Le droit diplomatique contemporain,
Genève, Droz, 1964, p. 195 et 5.
52. CIJ Recueil, 1980, p. 42.
53. Ibid.
54. Ces expressions sont de Patrick JUILLARD, « Le rôle joué par la République Populaire et
Démocratique d’Algérie dans le règlement du contentieux entre les Etats-Unis d’Amérique et la
République islamique d’Iran », Annuaire français de droit international, 1981, p. 19.
55. Pour le texte des Accords d’Alger : Cahiers de CEDIN, Centre de droit international de Nanterre,
n° 1, avril 1984.
56. Le Monde, 9 juillet 1985.
57. Le Monde, 12 mai 1983, 12 février 1984.
58. Le Monde, 22 octobre 1984.
59. “Iran Accuses Red Cross of Spying”, International Herald Tribune, 26 novembre 1984.
60. Le Monde, 8 janvier 1985 (Le texte complet de cette déclaration a été publié aux frais du
gouvernement irakien sur une page publicitaire du quotidien parisien).
61. Sorouche, n° 24, 21 août-20 mai 1984, p. 34.
62. Sur les Nations Unies et la guerre : Paul TAVERNIER, « La guerre du Golfe : quelques aspects de
l’application du droit des conflits armés et du droit humanitaire », Annuaire français de droit
international, 1984, pp. 43-64 ; Eric DAVID « La guerre du Golfe et le droit international », Revue
belge de droit international, vol. XX, n° 1, 1987, pp. 153-183.
63. Sorouche, n° 24, 21 avril - 20 mai 1984, p. 37.
64. Le Message de l’Islam, avril-mai 1984, p. 14.
65. Le Monde, 23-24 mars 1986.
66. Document ONU A/C.2/39/SR. 65, 12 décembre 1984, p. 22.
67. L’emploi de ces mots dans le discours de politique étrangère produit des textes assez
savoureux que les services de propagande du régime traduisent avec soin et mot à mot. Un
exemple : « L’essence anti-estakbar de la révolution et de la République islamique d’Iran est à
l’origine de l’hostilité de l’impérialisme mondial (dirigé par les USA) à l’égard de notre pays, car
la continuation de cette révolution renforcera les déshérités du monde dans leur lutte contre l’
estakbar et ses agents et aura pour conséquence finale l’échec et l’anéantissement des mondivores
», Sorouche, n° 10, mars 1983, p. 9.
68. Sorouche, n° 35, 21 mars-20 avril 1985, p. 6.
69. Ibid, p. 7. Des extraits de messages de Khomeyni à propos de mostaz’afin ont été publiés dans
quatre numéros successifs de Sorouche : n°s 24, 35, 36 et 37/38.
70. Sorouche, n° 37/38, 22 mai-22 juillet 1985, p. 4.
71. Sorouche, n° 10, mars 1983, p. 11.
72. Le Message de l’Islam, n° 8, janvier 1982, p. 87.
73. Ces idées sont développées dans un bref article signé O.B. « La notion de mostaz’af », Le
Message de l’Islam, n° 8, janvier 1982, p. 3.
74. L’expression est de Jean GUEYRAS qui a intitulé « Les illusions perdues des mostazafins » la
première d’une série d’articles consacrés à « L’Iran dans le piège de la guerre », Le Monde, 15, 16,
17 mai 1985.
75. Ayant déclaré, en janvier 1988, que « le gouvernement islamique exerce son pouvoir dans les
limites des lois religieuses édictées par Dieu », le président de la République, l’hodjatoleslam Ali
Khamenei a reçu une lettre ouverte de Khomeyni lui expliquant le fond de sa pensée quant à
l’autonomie de la République islamique, telle que le Guide de la révolution l’a conçu, à l’égard
même des contraintes des règles religieuses. Cette citation est extraite de ce message, Le Monde,
11 février 1988.
60

Chapitre III. Guerre et politique


étrangère

« ... Etre prophète implique le sabre, la guerre et la


paix. La guerre n’est pas son principe : il fait la
guerre pour réformer le monde, pour sauver les
gens. C’est en vue de mettre les gens à l’abri de
leurs propres mauvais penchants qu’il a ordonné
les peines et les châtiments correctionnels. C’est
aussi pour éduquer l’homme et conforter l’Ummat.
Si nous faisons la guerre aujourd’hui et que nos
jeunes scandent “guerre, guerre, jusqu’à la
victoire”, ils ne disent rien qui soit en
contradiction avec le Coran. C’est une partie
infime de ce que dit le Coran. Le Coran en dit
davantage. Ce que nous disons c’est seulement la
partie qui nous revient. Puisque nous sommes en
guerre contre Saddam et ses partisans, nous disons
“guerre, guerre, jusqu’à la victoire”, mais Dieu,
qu’il soit exalté, puisqu’il voit tous les aspects des
choses, dit “guerre, guerre, jusqu’à ce que l’on
mette fin à la discorde”. »
Ruhollah Khomeyni
Discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire de
la naissance du Prophète.
Sorouche, décembre 84-janvier 85, p. 7
1 La République islamique avait à peine un peu plus d’un an et demi d’existence quand, le
22 septembre 1980, le gouvernement irakien donnait l’ordre à ses troupes d’envahir
l’Iran. Ainsi débutait un des plus graves conflits armés de la deuxième moitié du XXe
siècle.
2 Conflit majeur parmi les conflits régionaux, la guerre Iran-Irak sera des plus sanglantes et
des plus dévastatrices. Plusieurs centaines de milliers de victimes, des dégâts matériels
énormes et le développement des deux pays entravé pour de longues années. De plus,
61

avec le temps, les implications régionales et internationales se sont amplifiées. La sécurité


des pays voisins a été menacée, la liberté de navigation dans les eaux internationales
sérieusement mise en cause, les antagonismes entre les diverses forces dans l’ensemble de
la région du Moyen-Orient se sont exacerbés et les interventions, directes ou indirectes,
des puissances extérieures dans le conflit se sont multipliées. Cet affrontement meurtrier,
qui a duré près de huit ans, a ouvert des plaies dont la cicatrisation durera, à n’en pas
douter, très longtemps, même si le cessez-le-feu, intervenu le 20 août 1988, aboutit à une
paix durable.
3 En 1980, face au formidable défi que lui lançait l’Irak en l’attaquant de front à un moment
qu’il n’avait visiblement pas choisi, le gouvernement islamique, pris au dépourvu pour
expliquer la nature du conflit qui venait d’éclater, fut contraint de puiser dans l’arsenal
des clichés généralement utilisés dans des situations identiques : il fut question de
« guerre imposée », de « la révolution assiégée » et même, pour créer un consensus
national, de « la patrie en danger ». Mais, après l’affolement des premiers jours, à la suite
de la stabilisation du front en novembre 1980, peu à peu le pouvoir islamique essaya
d’expliquer, à sa manière et selon ses critères, la signification de l’événement auquel il
était confronté. Cet effort d’interprétation était entrepris pour répondre à plusieurs
objectifs. D’abord, il s’agissait d’élaborer un cadre idéologique adéquat, permettant de
traiter de toutes les questions relatives à la guerre sur le plan militaire comme sur les
autres plans. Ensuite, cette représentation avait pour objet une rentabilisation politique
optimale de la guerre au service de l’action gouvernementale à la fois à l’intérieur du pays
et sur la scène internationale. Enfin, en dégageant le sens profond qu’il décelait dans ce
conflit, le régime pouvait mieux justifier les sacrifices qu’il demandait à la population.

1. Représentation de la guerre
4 L’image que le discours islamique va donner de la guerre contient un certain nombre de
traits saillants.
5 Le premier trait qui attire l’attention de l’observateur est la mise en parallèle de la guerre
et de la révolution. La guerre fait suite à la révolution et ne s’explique que par elle, toute
autre explication est à écarter. A la limite, les deux phénomènes sont indissociables,
s’interpénètrent et se développent en symbiose. La guerre irrigue, alimente la révolution
qui, à son tour, lui fournit ses meilleures armes idéologiques, sa force morale pour
combattre et anéantir l’adversaire.
6 La révolution est islamique donc messianique et universelle ; dès lors la guerre ne peut
être réduite aux simples dimensions d’un conflit armé de type classique opposant un Etat
à un autre. De cette constatation découle la seconde particularité de la représentation de
la guerre. Un régime révolutionnaire d’essence divine ne peut, sous peine de renier sa
raison d’être, se cantonner dans des considérations uniquement d’ordre territorial ou
interétatique. Un pouvoir qui prétend représenter la volonté de Dieu, ne peut s’imposer
comme principal objectif la récupération des parcelles de territoire, il est astreint à
exploiter cet événement providentiel le mieux possible afin de réaliser les grandioses
desseins qui s’imposent à lui.
7 En troisième lieu, la guerre est représentée comme un conflit organisé par les grandes
puissances et leurs alliés dans la région dans le but d’éliminer le régime islamique ou du
moins d’endiguer l’expansion de son idéologie et des valeurs que celle-ci véhicule. Dans
62

cette optique, l’Irak n’a plus qu’un rôle secondaire, c’est un instrument subalterne au
service de « l’impérialisme mondial » et du « sionisme international » auxquels les
« gouvernements réactionnaires et servils » de la région se sont associés1. Cette analyse
est une constante du discours islamique. Ainsi par exemple, près de sept ans après le
déclenchement des hostilités, le président du parlement, Hashemi Rafsandjani affirme
toujours qu’en « vérité, la France, les Etats-Unis et l’URSS sont en guerre contre l’Iran.
Comme ces pays ne veulent pas perdre d’hommes, ils ont envoyé contre nous les
malheureux soldats irakiens »2.
8 Mais quels objectifs poursuivent ces puissances ennemies liguées contre la République
islamique ? Assurément leur but n’est pas simplement d’infliger une leçon à la révolution
ou même d’abattre le régime islamique en tant que tel, mais de porter atteinte à l’islam
« pour chambarder le monde et pour que l’Islam disparaisse », dira Khomeyni3. Dans ces
conditions, la position du régime islamique, même après avoir porté, en juillet 1982, la
guerre en territoire irakien, n’est pas offensive mais défensive : « Nous défendons l’Islam.
Saddam a foulé aux pieds l’Islam. Nous le défendons [...]. Nous ne sommes pas des
agresseurs, des assaillants. Nous sommes sur la défensive »4.
9 Le choix de la thèse selon laquelle la guerre s’explique par un complot international ourdi
par les grandes puissances contre l’islam, offre plusieurs avantages. D’abord, cette version
dévalorise le rôle des Irakiens, réduits au rang d’exécutants serviles, de mercenaires. Les
militaires irakiens sont déconsidérés, traités en hommes de main de Saddam, lui-même
agent de tous les impérialismes. Ce ne sont pas deux pays qui se livrent bataille, mais une
bande armée soutenue et manipulée qui s’est lancée à l’assaut des vrais défenseurs de la
foi.
10 En se présentant comme le défenseur de l’islam agressé par des forces impies, le régime
islamique se donne les moyens d’une mobilisation interne plus efficace et, en même
temps, essaie de stimuler la ferveur de nombreux musulmans à travers le monde en les
invitant à se rallier à sa cause, à lui apporter leur soutien. Du coup, d’un conflit
interétatique, on fait une guerre de religion, sans véritable territorialité. Mir-
Hossein Moussavi exprime clairement cette idée lorsqu’il déclare que cette guerre « se
place en dehors des questions géographiques ; c’est une guerre entre l’Islam et
l’athéisme »5. A l’encontre de ceux qui, à l’intérieur du pays, s’opposent à la poursuite des
hostilités, la même argumentation est avancée par Khomeyni : « le peuple opprimé
iranien, les Gardiens de la révolution et les volontaires sont pour la défense du pays et
pour la poursuite de la guerre. Ceux qui sont contre sont opposés à l’islam »6. Identifiée
ainsi à une cause sacrée, la guerre ne peut connaître qu’une seule issue : la victoire totale
des forces qui se sont levées à l’appel de Dieu. Une défaite, un demi succès, un compromis
porteraient préjudice non seulement à un gouvernement ou à un pays, mais à l’islam dans
son ensemble ; ce qui ne saurait être admis. Seule, au cas où les défenseurs de la foi
seraient dans l’impossibilité absolue d’infliger une défaite à l’ennemi, une trêve pourrait
être envisagée. Mais ce serait une reconnaissance de faiblesse, ce qui ouvrirait la voie à
d’autres menaces.
11 Partant de ces considérations, le discours islamique prend ensuite de l’envolée et élargit,
quasiment à l’infini, la portée de la guerre. Abattre les athées, éliminer Saddam Hussein,
ouvrir la voie de « Jérusalem en passant par Kerbela » (ville sainte shi’ite située en Irak),
c’est sonner le glas de tous les régimes impies et réunir en même temps les conditions
pour un bouleversement en profondeur de l’ordre international. On ne peut évaluer
l’enjeu de la guerre, selon l’équipe dirigeante de Téhéran, qu’en prenant conscience du
63

fait que « la victoire de l’Iran dans la guerre contre les forces d’invasion de Saddam hâtera
la mort scandaleuse de l’impérialisme mondial et la réalisation du gouvernement des
déshérités »7.
12 Ces objectifs ambitieux de la victoire ne peuvent être atteints que dans la mesure où la
révolution elle-même se renforce en même temps à l’intérieur du pays. Dans ce domaine
aussi la guerre s’avère être un élément positif. Elle clarifie la situation interne, dévoile le
jeu des diverses factions rivales, suscite l’unité, provoque la mobilisation. La révolution y
trouve un souffle nouveau, elle se consolide en profitant des « retombées positives » de la
guerre. La révolution vit au rythme de la guerre, elle partage les mêmes espoirs et les
mêmes risques.
13 Une fois l’image de la guerre construite, le pouvoir entreprend son exploitation afin
d’étendre son emprise, de renforcer sa position, de réaliser ses objectifs à l’intérieur du
pays, de raffermir son rayonnement à l’extérieur. La guerre, ainsi instrumentalisée,
devient un outil précieux au service du pouvoir.

2. Utilisation de la guerre
14 « Nous n’avons pas voulu la guerre, mais puisque guerre il y a, elle nous a apporté de
nombreux bienfaits, et ceci n’est dû qu’à la nature islamique de la révolution »8. Telle est
la constatation que fait Khomeyni après plusieurs années de conflit. Cette vision des
choses, il faut le reconnaître, procède d’une évaluation lucide de la situation. En effet,
pour la révolution, pour son chef, pour le pouvoir islamique, la guerre a eu, dans
l’ensemble, des conséquences positives durant plusieurs années.
15 La première conséquence de la guerre a été le renforcement, au sein de la population
iranienne, du sentiment de solidarité nationale face à l’agression étrangère et cela en
dépit des nombreux clivages. La guerre a été à l’origine d’une nouvelle cohésion interne
qui avait disparu dix-huit mois après l’instauration de la République islamique. Bien que
contraire à ses principes, le pouvoir n’hésitera pas à faire appel au patriotisme, à l’unité
nationale pour résister à l’agression irakienne. En même temps, l’entrée en guerre va
stimuler le développement des structures révolutionnaires. Les Gardiens de la révolution
(pasdaran), les organes d’encadrement (komiteh), les groupes de militants de choc (
hezbollah) qui s’étaient soit quelque peu assagis, soit enfoncés dans des querelles
intestines sans fin, vont, à la faveur de la guerre, retrouver leur effervescence
révolutionnaire des premiers jours. A nouveau, le principe de la permanence de la
révolution, que certains avaient voulu mettre en cause, est justifié.
16 Sur le plan des rivalités entre factions, la guerre va permettre le triomphe du « clergé
militant » qui, progressivement, va s’emparer complètement de tous les rouages de l’Etat,
monopoliser la réalité du pouvoir, neutraliser et écarter tous les éléments laïcs. Ceux qui
comme les « islamistes libéraux » (tendance Bazargan), les « islamo-marxistes »
(Moudjahedins), les « Toudehis » (communistes prosoviétiques) et les marxistes-léninistes
dits « indépendants », avaient pris part à la révolution khomeyniste, vont être
progressivement écartés du pouvoir, puis pourchassés et éliminés aux moments
opportuns. L’emprise du pouvoir clérical devient totale, seules les rivalités personnelles,
les sensibilités différentes, les divergences claniques, propres à un clergé où l’unanimisme
a rarement été de mise, persisteront au sein des structures étatiques. Ces divisions ne
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mettront cependant jamais en cause les grandes orientations politiques et les choix
idéologiques fondamentaux du régime.
17 Quant aux forces armées, la guerre va permettre au pouvoir de tester la loyauté de
l’armée régulière, tout en l’éloignant des centres de prise de décisions et en noyautant
l’état major des « représentants de l’imam ». Au niveau des unités, des mollahs seront
chargés, en quelque sorte comme des commissaires politiques, de contrôler les faits et
gestes des officiers. Mais, plus important que les changements intervenus à l’intérieur de
l’armée, la guerre favorise le développement des forces paramilitaires issues de la
révolution.
18 Le Corps des gardiens de la révolution islamique (Sepahé pasdaran enghélabé eslami), établi
par un décret de l’ayatollah Khomeyni, le 5 mai 1979, dont l’existence a été reconnue par
la Constitution (principe cent cinquante) et à qui le rôle de « la sauvegarde de la
révolution et ses conquêtes » a été attribué, va connaître durant la guerre un
développement fulgurant. Ce corps, dont les responsables semblent avoir reçu une
formation avant la révolution, sans doute au Liban, soit par les soins du mouvement
shi’ite Amal soit par les Palestiniens, était à l’origine destiné à assurer la sécurité des
dirigeants islamiques, à réprimer l’opposition, à prévenir toute tentative de rébellion au
sein des forces armées régulières. Après le déclenchement de la guerre, tout en restant la
garde prétorienne du pouvoir et l’un de ses instruments de répression, le corps des
pasdaran va progressivement être transformé en une véritable armée, placée sous le
commandement d’un état-major et l’autorité d’un ministère des pasdaran depuis
novembre 1982. Les effectifs du corps sont passés de 4 000 hommes en 1979 à
350 000 hommes en 19869. Avec le temps, les pasdaran se professionnalisent de plus en
plus. Aguerris, organisés en unités spécialisées, politiquement plus sûrs que l’armée,
idéologiquement plus motivés, alliant la foi à l’art militaire, ils deviennent un élément
essentiel sur les champs de bataille, mais aussi dans la vie politique du pays. Cependant,
les rivalités inévitables qui apparaissent entre l’armée et les pasdaran, vont créer quelques
difficultés pour le pouvoir surtout concernant l’harmonisation des stratégies des deux
corps dans le cadre de la conduite des opérations sur le terrain. Mais les bénéfices que le
régime réalise par rapport à sa sécurité propre, en possédant deux forces armées qui se
contrebalancent et se contrôlent mutuellement, annulent les effets négatifs de la
concurrence et des rivalités. Vu leur importance et leur rôle, les pasdaran pèseront sans
doute lourd sur l’avenir du régime après la fin de la guerre.
19 Le Bassidj (mobilisation) est une organisation paramilitaire formée après l’appel lancé par
Khomeyni, le 26 novembre 1979, pour la création d’une « armée populaire de
vingt millions d’hommes ». Le Sepahé bassidj est un corps de volontaires, regroupant des
jeunes (généralement moins de seize ans) et des personnes d’un certain âge (plus de
cinquante ans) que l’on refuse pour le service normal. Depuis fin 1982, ce corps, tout en
gardant une certaine autonomie, est rattaché au ministère des pasdaran. Les bassidji, qui
ne possèdent qu’une formation militaire très rudimentaire, ont été utilisés de mille
manières, entre autres sur les champs de mines pour ouvrir le passage des blindés.
20 Sur le plan social, grâce à la guerre, le régime va trouver aussi le moyen de raffermir ses
assises, d’amplifier son contrôle. Pour subvenir aux besoins des familles des victimes
(martyrs), morts ou blessés sur le front, un certain nombre de fondations (boniyade),
disposant d’importants moyens financiers, seront mises en place pour apporter aide
matérielle et privilèges sociaux aux familles, souvent d’origine modeste, des victimes. Ce
faisant, ces fondations s’occupent aussi d’encadrer et, à l’occasion, d’endoctriner les
65

personnes qui sont amenées à s’adresser à elles. Ainsi, le régime se crée une large
clientèle, matériellement dépendante et idéologiquement préparée. L’alliage entre le
clientélisme et le militantisme est, par ces moyens, réalisé. Le pouvoir peut compter sur le
soutien et la présence dans l’arène politique des masses, facteur de légitimation essentiel
pour un régime qui se veut révolutionnaire et populaire.
21 L’utilisation politique, militaire et sociale de la guerre, malgré des succès certains,
rencontre aussi des limites. Avec la prolongation du conflit, la victoire finale tant de fois
annoncée et qui ne viendra jamais, les revers militaires successifs subis à partir d’avril
1988, après la reprise de Fao, la détérioration générale de la situation économique, le
nombre de victimes qui continue à augmenter, la lassitude générale etc., la rentabilité
politique de la guerre commence à diminuer. Sans doute, si la guerre avait été poursuivie
au-delà de l’été 1988, à un rythme soutenu, sans résultat important sur le plan militaire,
son exploitation au deuxième degré serait devenue de plus en plus problématique.

3. Diplomatie de la guerre
22 La diplomatie islamique à l’égard de la guerre, sans être prompte à saisir les occasions, a
été néanmoins à la fois souple et rigide. Intransigeante sur les objectifs essentiels, du
moins jusqu’en juillet 1988, la République islamique se montre capable de flexibilité et
d’imagination dans certains domaines, sans rien céder sur ce qui, à ses yeux, ne pouvait
être négocié.
23 C’est durant l’été 1982 que les objectifs de Téhéran sont clairement définis et dès lors sont
maintenus tels quels pendant six ans. Juin et juillet 1982 marquent un tournant décisif
dans le déroulement du conflit. L’armée irakienne est contrainte de faire retraite après la
débâcle de Khorramshahr et de se replier sur la ligne frontière. La quasi-totalité du
territoire iranien est libéré. Bagdad décrète un cessez-le-feu unilatéral, que l’Iran décide
de ne pas respecter. A ce moment précis, le régime islamique a le choix entre deux
alternatives : mettre un terme au conflit en demandant réparation et attendre que la
défaite irakienne produise tous ses effets politiques et autres, ou continuer la guerre en la
menant cette fois en territoire ennemi. L’ayatollah Khomeyni tranche et décide de la
poursuite des hostilités afin « d’aider le peuple irakien à se libérer du régime de
Saddam ». Ainsi débute la deuxième phase de la guerre, celle où Téhéran tente de
transformer en combat islamique, ce qui jusque là avait surtout été une résistance
nationale pour la défense de l’intégrité territoriale. Désormais, la guerre de légitime
défense devient expédition punitive, l’intérêt national s’effaçant devant les ambitions
idéologiques. A partir de ce moment, quatre conditions sont émises par l’Iran pour
l’engagement des pourparlers pouvant conduire à l’établissement de la paix : retrait
inconditionnel de toutes les troupes irakiennes se trouvant sur le sol iranien, paiement de
dommages de guerre, retour en Irak des personnes expulsées vers l’Iran et surtout
constitution d’une commission internationale chargée de désigner l’agresseur et de le
châtier, autrement dit éviction de Saddam Hussein et du parti Ba’th du pouvoir10.
24 Pour réaliser ces objectifs, la République islamique va pratiquer une stratégie
diplomatique complexe, en harmonie avec la conduite de la guerre. Sans abandonner ses
convictions idéologiques ou ses ambitions générales, Téhéran met toutes ses ressources
diplomatiques au service de la guerre. La diplomatie de la guerre va être fondée autour de
trois préoccupations fondamentales : affaiblissement de l’Irak, renforcement des
66

capacités militaires de l’Iran et amélioration de la position internationale du régime


islamique.
25 L’affaiblissement de l’Irak passe d’abord par l’isolement de ce pays sur la scène
internationale et surtout au sein du monde arabe en faisant pression sur les
gouvernements qui fournissent à Bagdad crédits et armements.
26 Dans le monde arabe, la diplomatie islamique use plusieurs tactiques. Au niveau des Etats,
elle tente d’empêcher toute unanimité qui pourrait à la longue s’avérer dangereuse. Dans
cette optique, profitant des clivages interarabes et des différends qui existent entre l’Irak
et certains pays arabes, Téhéran parvient à nouer, comme on le verra plus loin, des liens
privilégiés avec la Syrie, à maintenir une alliance chaotique avec la Libye, à faire partager
ses points de vue par le Sud Yemen, à rester proche de l’Algérie. Cependant, la diplomatie
arabe de la République islamique ne rencontre qu’un succès mitigé car la majorité des
Etats arabes continuent à soutenir l’Irak et lui apporter leur aide sous diverses formes,
tandis que l’alliance avec Damas reste fragile, conditionnée à la fois par la politique de
Téhéran au Liban et par l’évolution de la situation sur le front. Ce dernier aspect est
important, car si l’avance iranienne en territoire irakien amène une occupation
prolongée d’une partie du territoire arabe, Damas sera dans l’obligation de réviser son
attitude. D’ailleurs, le président Assad dit avoir informé Téhéran de cette éventualité11.
Mais, à partir de l’été 1988, après la récupération par Bagdad des portions de ses
territoires occupés par l’Iran, ce problème ne se pose plus.
27 La fragilité de son alliance avec Damas va inciter le pouvoir islamique à se doter d’une
stratégie de rechange en s’immisçant dans le jeu interarabe, en devenant plus ou moins
directement partie prenante dans le conflit israélo-arabe. Cela explique, en partie du
moins, la politique libanaise de Téhéran. Devenu un acteur important sur la scène
libanaise, l’Iran acquiert les moyens d’interférer dans les affaires arabes tout en ayant une
influence sur la zone frontière entre le Liban et Israël. Cette politique s’avère d’autant
plus efficace, qu’outre l’utilisation du Liban pour intervenir dans le monde arabe,
Téhéran s’assure aussi, en territoire libanais, du soutien d’un réseau islamiste plus ou
moins proche du khomeynisme. Quant aux pays arabes qui ont résolument choisi, comme
les monarchies pétrolières, de soutenir l’Irak, ils ne sont pas pour autant abandonnés à
leur sort. Envers eux, Téhéran va utiliser une technique alternant la menace et la
séduction. Cette diplomatie a eu pour conséquence d’empêcher l’émergence d’un bloc
unanime et sans faille dans la péninsule Arabique. Malgré leur attitude dans l’ensemble
favorable à l’Irak, les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe ont chacun suivi
une politique différente à l’égard de Téhéran.
28 Il y allait aussi de l’intérêt de la République islamique de mettre tout en œuvre pour
entraver les livraisons d’armements à l’ennemi irakien. Les deux fournisseurs les plus
importants de l’Irak étant l’URSS et la France, c’est sur la politique de ces deux pays à
l’égard de Bagdad que les dirigeants islamiques vont essayer de peser, mais ils ne peuvent
agir de la même manière avec Moscou qu’avec Paris. Nous reviendrons plus loin en détail,
dans la partie consacrée aux grandes puissances, sur la politique de Téhéran à l’égard de
l’URSS et de la France, mais notons dès à présent quelques faits en rapport avec la
diplomatie de la guerre.
29 L’Union soviétique est une superpuissance ayant des frontières communes avec l’Iran et
possédant une panoplie de moyens pour faire pression sur ce pays. De plus, en dépit de
ses liens privilégiés avec l’Irak, Moscou, dès le début du conflit, a essayé de maintenir et
même de développer ses relations avec Téhéran. Tout cela explique le comportement
67

relativement prudent des autorités islamiques à l’égard de Moscou dans le contexte de la


guerre. Dans l’ensemble, la direction politique islamique critique et condamne le soutien
soviétique à l’Irak en arguant qu’il n’est ni logique ni raisonnable, puisqu’il consiste à
aider un régime qui a l’appui financier et logistique des pays arabes alliés aux Etats-Unis
et qui, de plus, a souvent montré son manque de loyauté envers ses amis. En réalité,
Téhéran ne s’insurge pas contre l’attitude soviétique, mais ne la comprend pas et se
demande : « Comment Moscou pouvait préférer un régime agressif et dictatorial à une
grande révolution anti-impérialiste telle celle qui a vu le jour en Iran ? »12.
30 Il en va tout autrement de la France. Paris, ayant décidé, pour un certain nombre de
raisons, de répondre favorablement aux demandes pressantes de Bagdad en matière
d’armements, la République islamique ne se limite pas à condamner la politique française,
mais elle se considère en quelque sorte en état de guerre non déclarée contre la France ;
ce qui justifie, à ses yeux, le recours à tous les moyens de pression, y compris la violence.
Evoquant l’attitude française, Hashemi Rafsandjani, président du parlement islamique,
déclare : « La politique de la France à l’égard de l’Iran est absolument inqualifiable. Si ce
n’était la reconnaissance que nous ressentons pour l’hospitalité que vous aviez accordée à
l’imam Khomeyni avant la révolution, nous aurions sans doute rompu toute relation avec
votre pays, car les torts que vous avez infligés à notre révolution sont pires que ceux que
l’Amérique nous avait fait subir. En ce moment, vos fusées [livrées à l’Irak] coulent nos
navires dans le Golfe, vos banques bloquent nos fonds, votre police protège nos ennemis
terroristes, qui ont massacré les meilleurs de nos dirigeants. Il est vrai que les Russes
fournissent, eux aussi, une aide militaire à l’Irak, mais ils ne se comportent pas comme
vous dans d’autres domaines »13. Cette déclaration présente assez clairement les points de
vue du gouvernement islamique et explique pourquoi la normalisation entre Paris et
Téhéran s’est avérée si difficile, du moins jusqu’en juin 1988 où, acculé dans une position
défensive sur le front et en proie à d’importantes difficultés économiques, l’Iran renoue
avec la France.
31 Outre l’isolement, pour affaiblir l’Irak, la République islamique va aussi user, comme il se
doit, de tous les moyens en sa possession, dont les pressions économiques, politiques et
psychologiques. Dans le domaine économique, il s’agira essentiellement de réduire les
capacités de production et d’exportation de pétrole par l’Irak. L’entente avec la Syrie, qui
a eu pour conséquence la fermeture des pipelines transportant le pétrole irakien à travers
le territoire syrien, les attaques contre les installations pétrolières et les tactiques
utilisées par l’Iran à l’OPEP ont eu pour objectif l’asphyxie économique de Bagdad14. Mais
l’arme pétrolière s’est révélée à la fois délicate à manier et moins efficace qu’espéré. Du
point de vue politique, l’essentiel des efforts de Téhéran a été consacré au renforcement
de l’opposition irakienne, du moins celle qui acceptait de collaborer avec l’Iran, toutes
tendances confondues avec cependant une préférence pour le courant islamiste et le
clergé irakien shi’ite pro-khomeyniste à qui aide financière, soutien logistique et moyen
de propagande ont été généreusement accordés. Une attention particulière a été portée à
la collaboration avec les mouvements kurdes irakiens, tout en continuant la répression
des organisations kurdes iraniennes. Quand à l’aspect psychologique, le clergé au pouvoir
à Téhéran a utilisé tous ses talents, et ils sont nombreux dans ce domaine, pour faire
pression sur l’Irak tout en utilisant les diverses offensives militaires en direction du
territoire irakien non seulement pour réaliser des percées stratégiques mais encore
comme autant de moyens destinés à saper le moral de l’adversaire15.
68

32 Le renforcement des capacités militaires est pour un pays en guerre une priorité de sa
diplomatie et la diplomatie de Téhéran n’a pas échappé à cette règle. Dans le cas de la
République islamique, comme d’ailleurs dans celui de l’Irak, la conduite de la politique
étrangère, comparée à celle des pays industrialisés, a été plus indissociablement liée à la
guerre dans la mesure où la quasi-totalité des équipements militaires utilisés devait être
acquise à l’étranger. Certes, il existait une capacité de production d’armements à
l’intérieur du pays, mais cette production était tout à fait insuffisante pour atténuer
réellement la dépendance à l’égard de l’extérieur16.
33 Une des particularités de la guerre Iran-Irak, qui a connu la plus grosse « casse » de
matériel de guerre depuis la Seconde Guerre mondiale, a été le fait que l’un des
belligérants, l’Irak, pouvait acheter des armes d’Etat à Etat, à l’Est comme à l’Ouest et
l’autre, l’Iran, qui, s’étant lui-même mis au banc de la communauté internationale, devait
agir généralement, pour s’approvisionner, dans la clandestinité. De ce fait, toutes les
ressources diplomatiques de Téhéran ont été mises à contribution pour remédier à cette
situation.
34 L’approvisionnement en matériel militaire a soulevé plusieurs problèmes spécifiques
pour les autorités islamiques. L’achat d’armements a été d’abord conditionné par les
moyens financiers dont disposait le pays, c’est-à-dire en fait par les revenus pétroliers.
Toute diminution de ces revenus, soit à cause de la baisse du prix, soit consécutive à une
réduction des exportations, a affecté directement les possibilités d’acquisition de matériel
militaire et a eu une incidence directe sur le déroulement des opérations. N’ayant pas,
comme l’Irak, d’alliés riches et ne possédant que peu de crédit auprès des institutions
financières internationales, Téhéran n’a pu compter que sur ses propres moyens. Par
ailleurs, l’isolement diplomatique de l’Iran empêcha ce pays de s’adresser directement et
librement aux pays occidentaux producteurs d’armements. Malgré les possibilités de
contourner les interdits, l’Irangate aux Etats-Unis et l’affaire Luchaire en France l’ont
amplement prouvé17, il n’en reste pas moins que la situation particulière dans laquelle se
trouvait l’Iran lui a créé d’importantes difficultés. Pour remédier à cela, la République
islamique va choisir une stratégie tous azimuts qui consistera à acquérir partout où
c’était possible, sans aucune discrimination idéologique, auprès des gouvernements
comme auprès des marchands d’armes des pays membres de l’OTAN, du Pacte de
Varsovie, des pays neutres ou non alignés, en Israël comme en Chine, tout le matériel
dont elle avait besoin18. Cependant, dans le domaine des armements, la position du
gouvernement islamique par rapport à celle de Bagdad restera désavantagée à cause du
fait qu’il devait payer comptant et au prix fort, des équipements d’origines diverses,
difficiles à harmoniser pour en maximaliser les rendements. A cela s’ajoutera un autre
problème spécifique aux armements lourds et très sophistiqués dont l’achat, par des
« voies détournées », n’était pas toujours aisé. Ceci étant, les discrètes mais néanmoins
très intenses activités menées à travers le monde par les émissaires de Téhéran vont
permettre à la République islamique de se procurer à peu près tout ce dont elle avait
besoin en matière d’armements. Le choix des fournisseurs a été fait selon un critère
unique : la capacité de ceux-ci à répondre, dans les meilleures conditions, aux demandes
de Téhéran. Aucune autre considération n’est entrée en ligne de compte. Dans ces
conditions, tous les moyens diplomatiques ont été utilisés pour l’achat d’armements sans
pour autant mettre en cause les orientations de politique étrangère du pouvoir islamique.
La liberté d’action ainsi acquise a toujours été présentée par les dirigeants de la
69

République islamique comme une politique délibérée procédant d’un refus systématique
de subordonner les relations extérieures aux besoins en armements19.
35 Quant à l’amélioration de la position et de l’image du régime sur la scène internationale,
troisième objectif de la diplomatie de la guerre, le pouvoir, sans atténuer le radicalisme
de son discours, va essayer de changer la vision qu’il donne de lui – même, en pratiquant
une diplomatie d’ouverture et en se présentant comme victime innocente de la calomnie
et des manœuvres de forces hostiles liguées contre lui.
36

La guerre impose à la diplomatie islamique un sens plus aigu du réalisme. Téhéran se rend
rapidement compte qu’une politique étrangère révolutionnaire et agressive peut avoir
des conséquences néfastes pour son effort militaire. Mais le pouvoir est prisonnier de ses
propres principes qu’il ne peut mettre en cause sans donner prétexte à une amplification
des affrontements entre les factions rivales qui le composent. N’ayant, pour ces raisons, à
sa disposition qu’une marge de manœuvre très étroite, le pouvoir doit se montrer fin
manœuvrier pour essayer d’améliorer sa position internationale.
37 Au niveau régional, le régime islamique montre sa flexibilité idéologique en se
rapprochant de la Turquie et du Pakistan et même de l’Arabie Saoudite durant les
années 1985-8620. Sur le plan international, à partir de 1984, Téhéran inaugure une
politique active, caractérisée par l’établissement des relations diplomatiques avec un
grand nombre de pays du Tiers Monde, la multiplication des contacts officiels avec
certains pays occidentaux comme la RFA, le Japon, la Grèce etc. Conscientes de
l’insuffisance de l’amélioration des rapports d’Etat à Etat pour changer un climat
politique, les autorités islamiques vont aussi tenter d’agir sur l’opinion publique
internationale en invitant les journalistes, en organisant colloques et rencontres, en
entreprenant un impressionnant effort de promotion et de propagande. Cependant, il
semble que les résultats atteints par ces moyens aient été très peu encourageants pour la
République islamique qui a eu du mal à vendre son image non seulement dans les
démocraties occidentales mais même dans un certain nombre de pays du Tiers Monde21.
Ceci étant, certaines actions inconsidérées de l’Irak ou les bavures d’autres puissances
vont venir au secours de Téhéran. Ainsi, l’emploi des armes chimiques par Bagdad va
fournir l’occasion d’agir plus positivement sur l’opinion publique internationale. Le
gouvernement islamique, après chaque bombardement chimique, envoie, avec force
propagande, des personnes souffrant de brûlures causées par les gaz toxiques dans les
centres hospitaliers spécialisés en Europe et aux Etats-Unis. La destruction d’un Airbus
d’Iranair, le 3 juillet 1988, par la marine américaine, offrira une nouvelle occasion à l’Iran
de tenter d’améliorer son image dans l’opinion publique internationale.
38 La guerre, événement capital s’il en est, a profondément marqué la politique intérieure
comme la politique étrangère de la République islamique durant huit ans. Les nécessités
de la guerre ont abouti à l’émergence d’une diplomatie de la guerre sur laquelle on peut
déjà formuler un jugement critique général. Mais, ceci étant, l’importance de la guerre
dans la vie du pouvoir islamique a été telle que le processus de paix engagé après le
cessez-le-feu, peut conditionner l’avenir du khomeynisme à l’intérieur de l’Iran comme
son évolution en tant que mouvement aux prétentions internationales. En ce sens,
l’éditorialiste d’une publication officielle de Téhéran avait raison d’écrire déjà en 1986
qu’« il est certain que, dans un monde dominé par les médias de masse, heurs et malheurs
des combattants de l’Islam sur le front affectent directement les révolutionnaires
musulmans partout dans le monde, en Asie et en Afrique particulièrement ; point n’est
70

besoin de rappeler à cet égard, que le principal front que l’impérialisme a ouvert contre la
révolution islamique est bien celui de la guerre imposée… »22.
39 Durant huit longues années, la guerre est venue s’ajouter à l’idéologie comme deuxième
élément déterminant dans l’élaboration de la politique internationale de Téhéran.
Pendant cette période, l’idéologie et la guerre ont fixé l’ensemble des priorités,
établissant les points de repère et définissant l’ordre des significations. Elles n’ont pas
exclu le réalisme ; elles ont plutôt canalisé l’utilisation de la réalité dans une direction
donnée.

NOTES
1. Mustafa CHAMRAN, La révolution islamique et la guerre imposée (brochure publiée par le Conseil
pour la célébration du troisième anniversaire du triomphe de la révolution islamique), Téhéran,
ministère de l’orientation islamique, 1982, p. 1.
2. Le Monde, 28 avril 1987.
3. Message de Khomeyni à l’occasion du nouvel an iranien, Le Message de l’Islam, n° 26, mars-avril
1985, p. 7.
4. Discours de Khomeyni, Sorouche, 21 avril-21 mars 1985, p. 5.
5. Sorouche, juin 1983, p. 7.
6. Le Monde, 26 mars 1986.
7. Sorouche, mars 1983, p. 10.
8. Cité par Sorouche, 21 janvier-20 mars 1986, p. 26.
9. Voir Nikola B. SCHAHGALDIAN , The Iranian Military under the Islamic Republic, Rand Publications
Series, Mars 1987, p. 59-71.
10. Par « personnes expulsées » il faut entendre les Irakiens d’origine iranienne expulsés vers
l’Iran et dont le nombre est estimé à environ 100 000 personnes. Quant aux dommages subis par
l’Iran diverses estimations ont été faites. En 1987, le chiffre de 300 milliards de dollars a été
avancé.
11. Joseph MAÏLA, « Syrie : les interviews de Hafez al Assad ou la Syrie expliquée au Monde », Les
Cahiers de l’Orient, n° 7, 3e trimestre 1987, p. 110.
12. Déclaration de Rafsandjani, Le Monde, 16 mai 1987.
13. Déclaration de Rafsandjani, Djomhouri eslami, cité par Le Monde diplomatique, mai 1987.
14. A propos du pétrole et la guerre voir Paul MCDONALD, “Oil and the Gulf War”, The World Today,
décembre 1986, pp. 202-205.
15. Xavier RAUFER, « Révolution islamique et terrorisme : le poids des traditions », Les Cahiers de
e
l’Orient, n° 3, 3 trimestre 1986, pp. 161-170.
16. A propos de la production d’armements en Iran voir : A.T. SCHULZ, “Iran: an Enclave Arms
Industry” in Arms Production in the Third World, ed. Michael BROZOSKA and Thomas OHLSON, SIPRI,
Stockholm, 1986, pp. 147-162.
17. The Tower Commission Report, A New York Times Special, New York, 1987.
18. Bruno DETHOMAS, « Le grand bazar des armes », Le Monde, 24 décembre 1987. Sur la vente
d’armes en provenance d’Europe : Walter DE BOCK et Jean-Charles DENIAU , Des armes pour l’Iran,
Paris, Gallimard, 1988.
19. Voir la déclaration de Rafsandjani à ce sujet, Le Monde, 26 novembre 1986.
71

20. Joseph KOSTINGER , “Countreproductive Mediation: Saudi Arabia and Iran Arms Deal”, Middle
East Review, été 1987, pp. 41-46.
21. Il est intéressant à noter que d’après des sondages effectués dans un pays comme l’Inde, le
pays qui, après le Pakistan, rencontre moins la sympathie de l’opinion publique en 1987 est
l’Iran : Opinions étrangères, publication du Centre d’analyse et de prévisions du ministère français
des affaires étrangères, novembre-décembre 1987, p. 6.
22. Sorouche, 21 janvier-20 mars 1986, p. 3.
72

Chapitre IV. Formulation et mise en


œuvre de la politique étrangère

« Chacun cherchera son profit au détriment


d’autrui, et la religion ne sera qu’un prétexte ».
Ferdowsi, Shahnameh
1 Contrairement à l’image qu’il veut donner de lui-même, l’Etat islamique, loin d’être une
communauté populaire enfin retrouvée, est le champ de forces où s’exercent
constamment des poussées rivales. Cet enchevêtrement de pouvoirs conflictuels trouve
néanmoins un semblant d’unité et d’homogénéité grâce à l’existence d’un guide suprême,
incontesté et incontestable, une ambition idéologique commune à l’élite au pouvoir et
aussi une certaine solidarité d’intérêt face aux menaces pouvant porter atteinte à la
suprématie politique de cette élite ; bref une conscience aiguë d’être « dans la même
barque » par rapport à l’éventuelle hostilité des autres groupes sociaux. Cette situation
influe directement sur les structures politiques et administratives de l’Etat tout en
conditionnant son mode de fonctionnement. La formulation, comme la mise en
application de la politique étrangère n’échappent pas à cette logique.

1. Les structures du pouvoir


2 La République islamique est une théocratie révolutionnaire dirigée par le clergé shi’ite,
mais ni l’élite dirigeante ne forme un groupe homogène, ni la totalité du clergé n’est
associée à cette entreprise.
3 Les recherches relatives à l’origine sociale du clergé révolutionnaire montrent que, dans
l’ensemble, la majorité de ses représentants sont issus de la petite bourgeoisie des villes
et des campagnes1. Ils ont généralement reçu une formation religieuse dans les écoles
coraniques, pour ensuite participer aux séminaires organisés dans certaines mosquées et
autour de quelques sanctuaires. Rarement ils sont sortis du cadre de l’enseignement
traditionnel pour fréquenter l’université, même les facultés de théologie. Leurs origines
sociales et leur formation intellectuelle expliquent sans doute leur conservatisme, leur
méfiance à l’égard de « l’extérieur », leur suspicion envers tout ce qui n’est pas
strictement islamique, leur crainte de toute valeur soupçonnée d’être d’origine
73

occidentale. Il existe certes des cas exceptionnels, des hommes plus ouverts, qui
possèdent une connaissance moins schématique du monde moderne, mais la grande
majorité du clergé au pouvoir, malgré son caractère révolutionnaire, a du mal a se
dégager des préjugés inhérents à l’environnement socio-culturel traditionnel dans lequel
elle a toujours vécu. Cela ne signifie en aucune façon un désintérêt du clergé pour
« l’étranger » ; bien au contraire en tant que musulmans et dignitaires d’une religion
universelle, les membres du corps clérical sont pour ainsi dire naturellement portés à
dépasser le cadre restreint de l’espace national et cela d’autant plus que l’avenir du
pouvoir que le clergé s’est arrogé à l’intérieur du pays dépend, entre autres, des succès
remportés à l’extérieur.
4 On peut schématiquement distinguer dans l’élite au pouvoir en République islamique
trois groupes différents : une petite équipe de dignitaires de haut niveau, un groupe
intermédiaire plus nombreux et, à la base, toutes les personnalités qui détiennent une
parcelle de l’autorité dans le pays2.
5 Le premier groupe qui possède la réalité du pouvoir, comprend une dizaine de membres :
ce sont les éléments-clés de tout le système. Bien qu’au fil des années ce cercle ait subi
quelques changements, causé par les décès ou la disgrâce, dans l’ensemble, sa
composition est restée assez stable et il en sera probablement ainsi tant que l’ayatollah
Khomeyni vivra. A la tête de ce groupe, on trouve Khomeyni lui-même qui en tant que
Guide de la révolution, fondateur de la République islamique et tuteur de la communauté
des croyants, exerce un pouvoir quasi sans limite et possède une autorité inégalée. Autour
de lui, on peut citer l’ayatollah Hossein-Ali Montazeri, dauphin désigné du Guide,
l’hodjatoleslam Ali Khamenei, président de la République depuis 1981 dont le deuxième et
dernier mandat doit prendre fin en 1989, l’hodjatoleslam Ali-Akbar Hashemi Rafsandjani,
président du parlement islamique et commandant en chef des forces armées par interim
depuis juin 1988 ; l’ayatollah Ali Meshkini, président de l’assemblée des experts chargés
de désigner le successeur de Khomeyni, l’ayatollah Abdel-Karim Ardebili, président du
conseil supérieur de la justice ; l’hodjatoleslam Moussavi Khoeinia, procureur général et
chef spirituel des étudiants de la « ligne de l’imam » qui avaient pris en otage le personnel
de l’ambassade américaine ; l’ayatollah Mohammad Reyshahri, ministre du
renseignement ; l’hodjatoleslam Mohtashami, ministre de l’intérieur, et quelques autres,
dont le propre fils de Khomeyni, Ahmad, « l’œil, l’oreille et la bouche » du Guide de la
révolution, qui semble jouir d’un pouvoir plus important que ses fonctions officielles le
lui permettent. Dans ce groupe totalement composé de religieux, il n’existe pas de
rapports hiérarchiques très rigides. En revanche, une concurrence feutrée mais bien
réelle oppose ses membres les uns aux autres, à l’exclusion, bien évidemment, de
Khomeyni qui, par définition, ne peut participer à ce jeu. Toutes les grandes orientations
de politique intérieure et étrangère sont formulées, d’une manière ou d’une autre, dans le
cadre de ce cercle sans qu’il y ait nécessairement réunion formelle en présence de tous les
membres.
6 A un niveau intermédiaire, se situe un groupe qui ne participe pas nécessairement à la
prise des décisions stratégiques mais peut néanmoins être consulté et dont la vocation
première est la mise en application des politiques formulées en haut lieu. Il comprend les
membres du gouvernement dont certains, comme le premier ministre, les ministres des
affaires étrangères, de l’intérieur, de l’orientation islamique, des gardiens de la révolution
et de la défense, ont des positions politiques plus importantes que les autres. A ce niveau
intermédiaire, on peut aussi placer les douze membres du « Conseil de surveillance »,
74

organe chargé d’entériner ou de rejeter les décisions du parlement, les responsables des
diverses fondations mises en place pour favoriser le clientélisme, les responsables de
l’appareil répressif, les tribunaux islamiques etc.
7 Au bas de l’échelle, se trouve une tranche importante de personnalités politico-
administratives comme les parlementaires, les responsables de l’encadrement et de la
mobilisation de la population, les hauts fonctionnaires. Dans cette catégorie, outre le
personnel chargé des affaires administratives habituelles, se trouve aussi le personnel
dirigeant des institutions révolutionnaires comme les responsables de komiteh, l’ensemble
des mollahs désignés pour diriger la prière du vendredi dans chaque ville et organiser la
mobilisation des masses, les « représentants de l’imam », répartis dans tous les secteurs
de l’activité politique, militaire, économique et sociale, les responsables des innombrables
« associations islamiques » que possèdent toutes les administrations, usines, facultés, etc.,
la Jihadé Sazandaghi et la Jihadé Daneshgahi (« guerre sainte » de la reconstruction et des
universités), la première chargée de l’amélioration des conditions de vie rurales et la
seconde de la « révolution culturelle » dans les universités. A ces institutions
« officielles », il faut aussi ajouter un certain nombre d’organisations militantes comme le
hezbollah, le mouvement « des étudiants de la ligne de l’imam », « l’association du clergé
combattant », etc.
8 Les deux derniers groupes sont mixtes, composés de religieux et de personnalités non
cléricales, mais très souvent les positions-clés sont occupées par des membres du clergé
ayant l’aval de l’ayatollah Khomeyni. Cette omniprésence des éléments cléricaux à tous
les échelons du pouvoir et leur investissement des rouages de l’Etat ne doit cependant pas
faire illusion en nous amenant à conclure à l’identification de la totalité du clergé shi’ite à
la République islamique. Comme on l’a déjà relevé, l’unanimisme n’est pas la
caractéristique dominante de l’élite religieuse shi’ite ; aujourd’hui les divisions sont peut-
être encore plus profondes qu’hier. Une partie non négligeable du clergé se veut
apolitique, modéré ou s’oppose carrément au régime actuel. Dans le groupe qui garde ses
distances à l’égard du pouvoir islamique se trouve un certain nombre de grands
ayatollahs (ayatollah ozma) comme Tabatabai-Qomi, Golpayegani, Sadeq Rouhani,
Abolhassan Shirazi. Par ailleurs, le clergé militant impliqué dans le pouvoir islamique,
bien que shi’ite, est plus globalement islamiste, ce qui signifie qu’il trouve plus facilement
un terrain d’entente avec les intégristes sunnites à l’intérieur (environ 10 % de la
population iranienne est sunnite) ou à l’extérieur du pays qu’avec le clergé shi’ite dit
modéré. Sur le plan international, il est à noter qu’outre les affinités idéologiques qui
rapprochent les uns et les autres, il existe quelquefois des liens de parenté entre le clergé
iranien et des personnalités religieuses libanaises, irakiennes, koweitiennes ou afghanes,
ce qui a permis l’établissement d’une sorte de structure informelle transnationale
susceptible, à l’occasion, d’être utilisée efficacement à des fins politiques 3.
9 Entre les trois groupes qui se partagent le pouvoir comme à l’intérieur de chaque groupe,
il existe des rivalités, des luttes d’influence, des antagonismes de toutes sortes. Des
facteurs comme le tempérament des personnes, les querelles ancestrales qui déchirent les
familles, les origines sociales et régionales, attisent les divergences et les oppositions sur
le plan des sensibilités politiques ; les conflits mettant face à face les idéalistes et les
pragmatiques, les modérés et les extrémistes, la gauche et la droite, sont monnaie
courante. Dans l’exercice pratique des responsabilités, cette dualité apparaît sous la
forme des oppositions entre les divers corps constitués. Ainsi, par exemple, l’armée
s’oppose aux pasdaran, ceux-ci à la police, le gouvernement au parlement, les gouverneurs
75

de provinces aux « représentants de l’imam » etc. Ces luttes intestines, lorsqu’elles


apparaissent au grand jour, donnent lieu à de vifs débats politiques à l’intérieur de la
classe dirigeante, ce qui a amené quelques observateurs peu avertis à conclure à
l’existence d’une véritable démocratie islamique. Cependant, les tiraillements et les
désaccords qui existent ça et là dans les coulisses du pouvoir islamique ne remettent en
aucune façon en cause l’essentiel du système et lui sont même, dans une certaine mesure,
bénéfiques car ce sont des forces qui s’annulent et de ce fait ne menacent pas directement
la survie du régime.
10 Pour apprécier avec plus de précision les conséquences des particularités du système
islamique sur l’élaboration et la conduite de la politique étrangère, il faut tenir compte de
quelques éléments importants.
11 D’abord, dans ce domaine, un consensus plus grand que pour la politique intérieure a
persisté, du moins tant que l’Iran n’était pas sur la défensive, après la perte de Fao, de
Chalamcheh sur le front de la guerre et les revers subis au Liban au printemps 1988.
Jusqu’au milieu de l’année 1988, en matière de politique étrangère, la dissension entre les
diverses factions a porté plutôt sur les moyens et rarement sur les fins. Les grandes
orientations telles que la poursuite de la guerre, l’exportation de la révolution, l’attitude
critique à l’égard de l’Occident en général et les prises de position agressives à l’encontre
des Etats-Unis, la nécessité du rapprochement avec le Tiers Monde etc. ont été dans
l’ensemble acceptées par tous4 alors que, sur le plan de la politique intérieure, il y a
toujours eu un véritable clivage entre « radicaux » et « modérés » sur les questions
essentielles concernant l’économie (étatisation ou maintient de la propriété privée) ou
l’avenir de l’Etat (priorité à l’Etat ou à la révolution). En fait, dans la lutte d’influence qui
oppose les uns aux autres au sein des sphères dirigeantes, les problèmes de politique
extérieure sont utilisés tactiquement pour mettre l’adversaire dans l’embarras ou pour
s’auréoler du prestige et de l’autorité que confère une prestation au niveau international.
12 Ensuite, les interlocuteurs étrangers de Téhéran devraient s’abstenir de trop miser sur les
rivalités qui existent entre les dignitaires de la République islamique soit pour atteindre
un objectif précis, soit renforcer tel ou tel courant en prévision de l’après khomeynisme,
en jouant les uns contre les autres. Pour pouvoir exploiter ces divisions, il faudrait
qu’elles soient réelles, constantes, clairement identifiées et que les factions possèdent une
véritable autonomie, ce qui n’est pas le cas dans les centres du pouvoir islamique. A ce
jeu, comme les expériences américaines et françaises l’ont à plusieurs reprises prouvé, les
risques de perte sont très élevés comparés aux possibilités de gain.
13 Enfin, contrairement à l’attente de la plupart des observateurs, les divisions internes ont
parfois produit des effets bénéfiques pour la réalisation des objectifs de la diplomatie
islamique. Les divergences, apparentes ou réelles, entre les personnalités haut placées à
Téhéran ont permis aux autorités islamiques de mettre au point une conduite
diplomatique subtile, à multiples facettes et à plusieurs voix. Cette technique offre le
moyen de négocier sans rien céder tout en jetant le trouble dans l’esprit de
l’interlocuteur. Dans le premier cas, il suffit que le responsable désigné pour mener une
négociation donne, par exemple, l’impression d’accepter une condition préalable posée
par la partie adverse, faisant ainsi avancer les choses, et qu’une autre autorité, peu de
temps après, refuse toute concession. C’est ainsi que la République islamique est parvenue
à marquer quelques points dans les négociations avec la France, à l’époque de la politique
de « normalisation » entre Paris et Téhéran en 1986. Dans le deuxième cas, la technique
du discours multiple et non totalement concordant a pour conséquence de semer la
76

confusion et d’ajouter à l’égarement d’un adversaire déjà partiellement décontenancé par


les méthodes peu conventionnelles utilisées par la diplomatie islamique, ce qui permet à
Téhéran soit de gagner du temps, soit d’éviter de prendre une position claire et d’en subir
les conséquences qui en découlent5. En définitive, le clergé au pouvoir en Iran a montré
plus d’aptitude à manipuler à son profit les divergences qui opposent ses adversaires les
uns aux autres qu’il ne s’est laissé manœuvrer sur ce même terrain par ceux-ci.
14 S’il faut à tout prix se garder de surestimer les divisions internes de l’équipe dirigeante
islamique, il ne faut pas non plus sous-estimer son savoir-faire et ses qualités
intellectuelles. Gardons-nous de croire, comme Caspar Weinberger, qu’une « bande de
cinglés » gouverne à Téhéran ! Il est possible que le clergé militant qui règne à Téhéran ne
possède pas la même forme d’intelligence que l’ancien Secrétaire américain à la défense.
Cependant, il se nourrit d’une longue tradition de réflexion politico-religieuse ; il est
habitué à l’usage de divers subterfuges qui lui ont permis de survivre durant des siècles
dans un environnement souvent hostile. Expert en fourberie et fin connaisseur de la
psychologie humaine, rusé et obstiné, le clergé compte aussi dans ses rangs, des
personnalités possédant un solide bagage philosophique. Par ailleurs, il a accès au
« savoir moderne » par l’intermédiaire de ceux qui, souvent à la faveur des bourses
d’études généreusement octroyées aux membres des familles du clergé à l’époque du
Shah, ont fait de bonnes études dans les universités américaines et européennes. A cela
s’ajoute l’apport d’anciens étudiants iraniens d’extrême gauche ralliés à l’islamisme.
Ainsi, un certain nombre de technocrates islamistes, affiliés souvent par des liens de
parenté à la caste cléricale, exercent d’importantes fonctions politiques dans l’Iran
d’aujourd’hui. En outre, le régime n’a jamais hésité, quand le besoin s’en est fait sentir, de
recourir aux services de technocrates non-islamistes, quitte à s’en débarrasser le jour où
des militants islamiques purs et durs pouvaient valablement leur être substitués.

2. La prise de décision
15 Dans la pratique, l’élaboration et la conduite de la politique étrangère de la République
passent par un processus complexe. Ni le modèle explicatif de la personnalisation de la
politique étrangère par un leader plus ou moins charismatique, appliqué généralement
aux pays du Tiers Monde, ni l’analyse de type hiérarchique ne permettent de rendre
parfaitement compte de la formulation et de la mise en œuvre de la diplomatie islamique.
En réalité, il semble que l’on soit ici en présence d’un schéma qui combine certains
aspects de chacun de ces deux modèles. Cependant, la personnalisation est singulière
puisqu’elle est le fait d’un homme qui en principe, est au-dessus des institutions et,
théoriquement, en dehors de la mêlée. La hiérarchie est également particulière
puisqu’elle n’est ni clairement définie, ni stable en ce qui concerne le domaine de la
politique étrangère.
16 Si l’on représente le modèle de prise de décision en matière de politique étrangère sous la
forme d’une pyramide en République islamique, il faut impérativement placer Khomeyni,
tant que ce dernier vivra, à son sommet. Dans cette sphère, il exerce trois prérogatives
essentielles : la formulation des grandes orientations (soit directement, soit par référence
au corps de doctrine que les disciples ont dégagé des écrits et paroles du Guide),
l’arbitrage des conflits qui peuvent surgir entre les personnages-clés de la diplomatie et la
distribution des blâmes, éloges ou encouragements. Cette dernière activité est
fondamentale, car toute appréciation de l’ayatollah peut s’avérer fatale pour l’avenir
77

politique des personnes concernées. Bani-Sadr, Bazargan, Ghotbzadeh et d’autres en ont


fait, à des titres divers, la cruelle expérience.
17 Après Khomeyni, vient l’hodjatoleslam Hashemi Rafsandjani, président du parlement,
représentant personnel du Guide au Conseil supérieur de la défense et commandant en
chef, par interim, des forces armées, depuis juin 1988. Bien qu’il n’exerce officiellement
aucune fonction de portée internationale il s’est ménagé, par son habileté et le réseau
d’influence qu’il a mis en place (des hommes à lui contrôlent les rouages les plus sensibles
du système comme le commandant des pasdaran ou la direction de la radio et de la
télévision) une position de première importance dans les structures de prise de décision
en matière de politique étrangère. Ses interventions publiques sur les questions relatives
à la politique internationale, ses déplacements à l’extérieur du pays, ses contacts
« discrets » avec certains pays sont autant d’éléments qui placent Rafsandjani en position
de dicter sa conduite sur la scène internationale au gouvernement sans être membre de
celui-ci. De plus, par l’intermédiaire du Conseil supérieur de la défense, il a joué un rôle
essentiel à la fois dans l’élaboration de la stratégie militaire, dans la diplomatie propre à
la guerre, et ensuite dans l’acceptation du cessez-le-feu.
18 A la suite de Rafsandjani, mais à une distance respectable, on peut placer Ali Khamenei,
président de la République et officiellement chef de l’Etat. Outre ses prérogatives
protocolaires concernant les affaires étrangères, (signature des traités et acceptation des
lettres de créances), il semble que Khamenei aspire à peser plus fortement sur la prise de
décision en matière diplomatique. Cependant, malgré quelques tournées à l’étranger
(Libye, Pakistan, Afrique noire), sa participation pour la première fois à l’Assemblée
générale des Nations-Unies en 1987 et de nombreuses déclarations concernant les
questions internationales, il n’est pas parvenu, jusqu’aux derniers mois de son mandat, à
se tailler une place de choix dans ce domaine.
19 Quant à la gestion quotidienne de la diplomatie, elle revient au ministre des affaires
étrangères, Ali-Akbar Velayati qui occupe ce poste depuis 1981. Ce dernier ambitionne de
participer davantage à la conception de la politique extérieure qu’il est chargé d’exécuter.
Mais sa position est délicate car, d’une part, le premier ministre, Mir-Hossein Moussavi, a
manifesté lui aussi de plus en plus d’intérêt pour les affaires internationales et, d’autre
part, plusieurs candidats espèrent d’ores et déjà prendre, à la faveur d’un remaniement
ou d’un changement de gouvernement, le contrôle du ministère des affaires étrangères.
Parmi eux, le nom d’Ahmad Azizi, président de la commission des affaires étrangères du
parlement islamique jusqu’en 1988, qui se veut plus radical et tient un discours critique
sur la manière dont la diplomatie islamique est conduite, a été, un moment, avancé6.
20 A la suite de Khomeyni, Rafsandjani, Khamenei, Velayti et Moussavi forment « la bande
des quatre », maîtres d’œuvre de la politique extérieure de la République islamique.
Quant à la mise en application de cette politique, elle se réalise pour l’essentiel à travers
deux canaux : l’appareil diplomatique traditionnel et les structures révolutionnaires
réservées plus spécifiquement à l’exportation de la révolution.

3. L’appareil diplomatique
21 La République islamique, durant les premières années de son existence, a eu beaucoup de
mal à faire fonctionner le ministère des affaires étrangères. Ainsi, entre février 1979 et
décembre 1981, cinq ministres se sont succédés à la tête de ce département ministériel 7.
Mais avec la nomination d’Ali-Akbar Velayati, en 1981, la direction des affaires étrangères
78

a connu une certaine stabilité. Médecin-pédiatre, Velayati est un militant islamiste


proche de Khomeyni. Ancien candidat au poste de premier ministre, il semble plus lié à
Khomeyni qu’au chef du gouvernement Mir-Hossein Moussavi. Au sein du ministère des
affaires étrangères, il a habilement placé aux postes-clés un certain nombre de
personnages ayant des liens avec les organisations et institutions révolutionnaires
comme des membres du groupe des « étudiants de la ligne de l’imam », du hezbollah, de
l’association des étudiants musulmans des Etats-Unis. A ces militants s’ajoutent quelques
représentants des ministères du renseignement et des pasdaran ainsi que des fils et
parents de mollahs influents. Un groupe largement représenté au ministère des affaires
étrangères est celui formé par les principaux responsables de la prise en otages de
diplomates américains en poste à Téhéran. Ainsi, un des plus proche collaborateur du
ministre, Hossein Sheikholeslam, vice-ministre des affaires étrangères chargé des
questions politiques, ou plusieurs ambassadeurs accrédités dans d’importantes capitales
occidentales sont d’anciens preneurs d’otages qui, après avoir malmené l’immunité
diplomatique, veulent aujourd’hui pleinement jouir des effets bénéfiques de cette même
immunité8.
22 Quant au personnel du ministère, les cadres politiques, par vagues successives, ont été
« épurés ». Sur environ six cents diplomates de carrière, plus de cinq cent cinquante ont
été écartés, les quelques diplomates qui restent sont affectés généralement à des tâches
d’importance secondaire. Le cadre administratif a aussi subi une sévère épuration et plus
de la moitié de ses effectifs a été limogé. Pour les remplacer, un certain nombre de
personnes, sur le seul critère de leur fidélité à la République islamique ont été recrutées.
Mais ce personnel ne possédant généralement aucune qualification technique en rapport
avec les activités du ministère, il a fallu s’occuper de la formation de nouveaux cadres.
Malgré l’islamisation de l’université, grâce à l’épuration, la révolution culturelle et les
contrôles idéologiques, il semble que le pouvoir n’ait pas encore réellement confiance
dans l’université ; c’est pourquoi le ministère des affaires étrangères a lui-même mis sur
pied une « faculté des relations internationales » dont les premiers diplômés sont sortis
en avril 19879. Le gouvernement espère ainsi doter le ministère d’un personnel cent pour
cent islamique et non contaminé par d’autres idéologies. Un autre signe de la méfiance du
régime à l’égard de l’université peut être perçu dans l’initiative qu’a pris le ministère des
affaires étrangères en fondant, en 1983, un institut d’étude politique et de relations
internationales rattaché au ministère et qui publie, entre autres, une revue de politique
étrangère, dont le directeur est Velayati lui-même10.
23 Malgré la transformation progressive du ministère des affaires étrangères en outil docile
et efficace aux mains du pouvoir islamique, ce ministère ne possède pas un monopole
total sur toutes les affaires politiques ayant une dimension internationale. Ainsi, par
exemple, le premier ministre essaie aussi de se doter de moyens pour intervenir en
matière de politique étrangère. Un de ses assistants, Ali-Reza Moayeri, ancien chargé
d’affaires à l’ambassade de la République islamique en France, a été désigné pour suivre
certains dossiers qui en principe font partie du domaine couvert par le ministère des
affaires étrangères. Par exemple, dans les tractations entre Paris et Téhéran, les services
de Moayeri ont joué pendant longtemps un rôle plus important que la direction de
l’Europe du ministère des affaires étrangères.
79

4. L’appareil d’exportation de la révolution


24 L’exportation de la révolution se fait par divers moyens comme l’organisation de
campagnes de propagande et d’information, la formation de cadres étrangers dans des
centres spécialisés en Iran, l’octroi d’aide matérielle et logistique aux organisations
islamiques activistes à travers le monde, l’envoi de personnel d’encadrement et de
formation (mollah, pasdar), la mise en place de réseaux de renseignement et d’actions
terroristes etc. Pour mener à bien ces tâches multiples, les services du ministre des
affaires étrangères étant totalement insuffisants, un grand nombre d’autres organes sont
sollicités. Tout d’abord les ministères directement concernés comme ceux du
renseignement, de l’orientation islamique, des gardiens de la révolution, de l’intérieur et
les services spécialisés de la présidence de la République et du premier ministre. Ensuite,
un certain nombre d’organismes spécifiques pour l’exportation de la révolution ont été
mis en place dont certains sont opérationnels et d’autres plus centrés sur la propagande.
25 Parmi le premier groupe, il faut citer le Bureau d’aide aux mouvements de libération créé
dès 1979 et dépendant à la fois du ministère des affaires étrangères et des gardiens de la
révolution. Ce bureau a été dirigé, entre 1980 et 1986, par Mehdi Hashemi, bras droit de
l’ayatollah Montazeri, successeur désigné de Khomeyni. Ayant été à l’origine de fuites qui
ont révélé les ventes d’armes américaines à l’Iran, Hashemi a été arrêté puis exécuté en
septembre 198711. Depuis, le Bureau a été rattaché formellement au seul ministre des
affaires étrangères, il est désormais dirigé par un religieux, proche du président du
parlement.
26 En matière de propagande, outre l’action des ambassades et autres organes constitués,
plusieurs structures à vocation internationale ont vu le jour dont le Secrétariat islamique
chargé d’établir des liens avec le clergé musulman à travers le monde, le Congrès mondial
des guides de la prière du vendredi, la Mobilisation du peuple déshérité, une section de la
Fondation des martyrs etc.
27 A cette nébuleuse aux contours imprécis, il faut aussi ajouter l’utilisation du pèlerinage de
La Mecque chaque année comme moyen essentiel de sensibilisation et de mobilisation au
profit de la cause khomeyniste. Cette exploitation du pèlerinage a été à l’origine tous les
ans de graves incidents et a abouti à un véritable bain de sang en juillet 198712. Mais cela
n’empêchera pas Téhéran de continuer sur cette voie, ni d’assembler et coordonner les
activités de plus de vingt-cinq mouvements islamistes en Iran, ni de soutenir de
nombreuses associations islamiques implantées en Europe, aux Etats-Unis et au Canada.
La volonté d’exportation de la révolution survivra tant que perdurera l’idéologie
panislamique sur laquelle se fonde toute l’action internationale de la République
islamique.
28 L’exportation de la révolution n’est pas uniquement le fait de l’expansionnisme
idéologique de Téhéran ou le résultat du travail des organes que la République islamique
a créés pour arriver à ses fins. Elle est aussi en quelque sorte la conséquence directe de la
victoire du khomeynisme en Iran qui a engendré une dynamique propre, favorable pour
tous les mouvements extrémistes disséminés un peu partout dans la communauté
musulmane. Que le gouvernement de Téhéran le veuille ou non, l’existence d’une
République islamique de type intégriste est en soi un facteur qui réactive tous ces
mouvements. Par ailleurs, la République islamique a été un élément fédérateur qui a
amené un grand nombre de groupes d’activistes à se lier avec elle. Ainsi, à peu de frais, le
80

pouvoir islamique est parvenu à se doter d’un vaste réseau de sympathisants actifs à
travers le monde, sympathisants capables d’utiliser les moyens les plus violents pour
servir leur cause. A l’occasion, Téhéran n’a pas hésité à employer ces facilités pour
atteindre certains objectifs sur le plan de la politique internationale13.

NOTES
1. Voir Eric HOOGLUND , “Social Origin of the Revolutionary Clergy”, in The Iranian Revolution and
the Islamic Republic, ed. Nikki R. Keddie and Eric Hogglund, Syracuse University Press, 1986,
pp. 74-83.
2. Shahraugh AKHAVI, “Elite Factionalism in the Islamic Republic of Iran”, The Middle East Journal,
printemps 1987, pp. 181-201 ; du même auteur voir aussi : “The Power Structure in the Islamic
Republic of Iran” in “Internal Developments in Iran”, Significant Issues Series, vol. VII, n° 3, 1985,
pp. 1-14, ed. by Shireen HUNTER.
3. Pour quelques éléments biographiques de certains dirigeants islamiques, voir : « La
nomenklatura iranienne », Les Cahiers de l’Orient, n° 5, premier trimestre 1987.
4. Seul le petit groupe de partisans de Mehdi Bazargan, ancien premier ministre de la République
islamique, qui forme une sorte d’opposition légale, a été ouvertement opposé à la poursuite de la
guerre.
5. Cette technique déconcertante de diplomatie à plusieurs voix a été poussée à l’extrême dans
l’affaire de la réponse de Téhéran à l’appel au cessez-le-feu lancé, en juillet 1987, par le Conseil de
sécurité (résolution 598). Après plusieurs semaines d’atermoiements, le Secrétaire général des
Nations Unies s’est rendu à Téhéran, le 11 septembre 1987, pour avoir une réponse claire et
précise du gouvernement islamique. Pour ce faire, il a demandé que la discussion ait lieu en
présence des quatre principaux responsables de la diplomatie ; ceux-ci ont refusé de voir
ensemble le Secrétaire général : Le Monde, 1er septembre 1987.
6. Voir son intervention devant le parlement islamique en juin 1987, Keyhan, 7 juin 1987.
7. Il s’agit de Karim SANDJABI (février-avril 1979), Ebrahim YAZDI (avril-novembre 1979), Abol-
Hassan BANI-SADR (novembre 1979), Sadegh GHOTBZADEH (novembre 1979-août 1980), Mir-Hossein
MOUSSAVI (août-octobre 1981).
8. A propos des personnages-clés du ministère des affaires étrangères, voir M.R. TORABI,
“Barressié siassaté kharédji djomhouri eslami” (évaluation de la politique étrangère de la
République islamique), Keyhan (Londres), 6 août 1987. Voir aussi le différend américano-
helvétique sur l’accréditation d’un ambassadeur à Berne, Le Monde, 28 avril 1987.
9. Voir le discours de Khamenei prononcé à cette occasion, Ettelaat, 28 avril 1987.
10. L’Institute for Political and International Studies (IPIS) publie, depuis 1986, la revue
trimestrielle : Madjalé Siassaté Kharéji (Journal de politique étrangère).
11. Scheherazade DANESHKHU , “The Execution of Mehdi Hashemi”, Middle East International,
24 octobre 1987, p. 15.
12. Amir TAHERI, “Iran Turns its Fires on a New Great Satan”, International Herald Tribune,
11 septembre 1987 et Martin KRAMER, “Tragedy in Mecca”, Orbis, printemps 1988, pp. 2321-247.
13. Sur les liens de Téhéran avec les organisations islamistes à travers le monde, voir : Amir
TAHERI, La Terreur Sacrée, Paris, ed. Sylvie Messinger, 1987, Xavier RAUFER, La nébuleuse : le
terrorisme du Moyen-Orient, Paris, Fayard, 1987, Pierre PÉAN, La menace, Paris, Fayard, 1987.
81

Chapitre V. L’Iran et les grandes


puissances

« ... notre politique extérieure ne prétendait servir


qu’un seul pays, l’Iran. »
Mohammad-Reza PAHLAVI,
Réponse à l’Histoire,
Paris, Albin Michel, 1979
« Le caractère habituel des religions est de
considérer l’homme en lui-même, sans s’arrêter à
ce que les lois, les coutumes et les traditions d’un
pays ont pu joindre de particulier à ce fonds
commun [...] De là vient que les révolutions
religieuses ont eu souvent de si vastes théâtres, et
ne sont rarement renfermées, comme les
révolutions politiques, dans le territoire d’un seul
pays, ni même d’une seule race. »
Alexis de Toqueville,
L’ancien régime et la révolution,
Paris, Gallimard, 1967, p. 69
1 La République islamique, comme on l’a vu (II, 3), ne tient pas en haute estime les grandes
puissances, qu’elle accuse d’être à l’origine de tous les maux dont souffre l’humanité.
L’hostilité à l’égard de ces « puissances vaniteuses », qui, non contentes de dominer et
d’exploiter le monde, se sont toujours, d’une manière ou d’une autre, opposées à l’islam,
est au cœur de toute l’argumentation islamique et bien entendu du discours général qui
exprime la politique étrangère du régime. Défenseur des pauvres et des faibles face aux
pays oppresseurs, Téhéran a une vision manichéenne du système international, le mal
étant toujours et nécessairement du côté des grandes puissances. Ceci dit, la République
islamique ne se considère pas pour autant comme une petite puissance. Consciente de la
situation géostratégique exceptionnelle du pays et de ses dimensions, qui en font un
géant régional, elle veut au contraire donner au monde l’image d’une puissance
importante, capable par ses moyens et surtout par la justesse et la force de ses
convictions, de déceler les faiblesses des Grands, d’infléchir leurs politiques, de mettre en
82

cause l’ordre international que ceux-ci ont façonné en fonction de leurs intérêts égoïstes.
Sa puissance, le pouvoir islamique dit la puiser dans l’islam qui, à ses yeux, est la seule
religion dans le monde contemporain à préserver la certitude de sa valeur universelle et
de sa supériorité. En face d’elle, la République islamique ne voit que des puissances
spirituellement en déclin, politiquement déconsidérées, capables, dans le meilleur des
cas, de ne répondre qu’aux besoins matériels d’une partie de leurs peuples.
2 La pratique diplomatique de Téhéran est beaucoup plus nuancée que son discours
doctrinal, encore que le pragmatisme reste toujours au service de l’idéologie. A l’égard
des grandes puissances, le gouvernement islamique utilise des méthodes sensiblement
différentes selon l’interlocuteur. Attentif aux circonstances conjoncturelles, conscient de
ses propres besoins du moment, apte à utiliser des arguments qui plaisent, le
gouvernement de Téhéran peut se montrer fin manœuvrier. Outre le choix de démarches
minutieusement adaptées à chaque cas, la diplomatie islamique présente une réelle
capacité de discernement et d’utilisation des différences et antagonismes existant entre
les grandes puissances. Jouant habilement une puissance contre une autre, elle n’hésite
pas, le cas échéant, à faire appel à une tierce puissance pour tirer son épingle du jeu.
Malgré ses capacités d’accoutumance à l’environnement, la politique internationale de
Téhéran ne souffre pas de dispersion, d’émiettement ; elle trouve sa cohésion autour de
quelques objectifs principaux qu’elle poursuit : empêcher l’unité « des forces du mal » qui
peut s’avérer dangereuse pour l’avenir du régime, exclure les puissances extérieures de
toute la région du Moyen-Orient « afin d’ouvrir la voie à la propagation de la révolution
islamique en dehors de l’Iran », et, durant la guerre, peser sur les alliances de l’Irak avec
les grandes puissances pour empêcher l’ennemi de renforcer ses positions.
3 Dans la stratégie de la République islamique vis-à-vis des grandes puissances « de l’Est et
de l’Ouest », on peut distinguer deux catégories de pays. Il y a d’abord les pays avec
lesquels les relations sont fondées principalement sur des considérations d’ordre
économique. Le Japon, la République fédérale d’Allemagne, en partie la Grande-Bretagne,
et un certain nombre de pays industrialisés qui sont d’importants partenaires
économiques de l’Iran, se placent dans cette catégorie. Certes, il est possible que des
problèmes politiques apparaissent dans les rapports de Téhéran avec ces pays mais
généralement ce sont les préoccupations économiques et commerciales qui prévalent sur
toute autre considération. Avec un certain nombre d’autres pays, le gouvernement
islamique entretient des relations dont les fondements sont plus politiques
qu’économiques, sans que la dimension économique soit totalement absente ; c’est avec
les pays de ce deuxième groupe, qui comprend les Etats-Unis, l’Union Soviétique, la
France et accessoirement la Chine, que les rapports sont plus passionnels et par définition
très complexes.

1. Les Etats-Unis
4 Bien qu’ayant de longue date pratiqué un discours d’un anti-américanisme virulent et en
dépit du fait que la majorité des manifestations organisées contre le Shah d’août 1978 à
février 1979 furent ponctuées de slogans contre les Etats-Unis1, l’ayatollah Khomeyni ne
se résoudra à entrer en conflit ouvert avec Washington que relativement tard. Durant la
période de crise précédant le renversement de la monarchie, les membres de l’entourage
de Khomeyni n’hésitèrent pas à prendre contact avec des représentants et des émissaires
américains2. Au lendemain de la révolution, les rapports diplomatiques furent maintenus
83

de manière quasi normale. Certes, il était évident que les choses avaient radicalement
changé et que les Etats-Unis avaient perdu les positions privilégiées qu’ils occupaient au
temps du Shah, mais malgré les difficultés qui ne manqueraient pas de surgir dans les
rapports du nouveau régime avec Washington, il semblait encore possible de nouer le
dialogue et de trouver un terrain d’entente.
5 Cette première période, marquée par un comportement relativement conciliant des
dirigeants islamiques, s’explique sans doute par la conscience que ces derniers avaient de
la fragilité du pouvoir naissant et des risques qu’ils encouraient s’ils se heurtaient aux
Américains. La consolidation de la révolution et l’édification d’une république islamique
passaient par le maintien de quelques liens avec les Etats-Unis. Cette politique était
d’autant plus aisée à mener que, de leur côté, les Américains se montraient très réceptifs
à tout signal provenant du nouveau régime, espérant ainsi établir des rapports plus ou
moins corrects avec Téhéran. Par ailleurs, ils étaient encouragés dans cette voie par le
comportement du gouvernement iranien qui semblait prêt à normaliser progressivement
ses relations avec Washington afin de mener une diplomatie équilibrée qui à ses yeux
convenait aux intérêts du pays. Mais Mehdi Bazargan et son équipe ne détenaient, comme
nous l’avons vu, que l’apparence du pouvoir.
6 Le 4 novembre 1979, avec la prise en otage du personnel de l’ambassade américaine par
les « étudiants de la ligne de l’imam », ce jeu de dupes prenait fin. Désormais, le thème
« Etats-Unis principal ennemi de l’islam » prenait le dessus sur toute autre considération
politique, économique et stratégique. En dix mois, le régime islamique s’était renforcé,
mais il avait encore besoin de se consolider, de prendre racine, d’où la nécessité de
l’union sacrée face à une menace imminente. Quelle autre puissance mieux que le « Grand
Satan », qui venait d’accueillir sur son territoire le Shah dont l’état de santé exigeait des
soins, pouvait représenter cette menace ? Du jour au lendemain, les dirigeants
américains, qui avaient à peu près dans leur ensemble « cru que Khomeyni était un social-
démocrate habillé en prêtre, et que le chah était un dur »3, découvraient avec
stupéfaction que la rhétorique anti-américaine de l’ayatollah n’était pas simplement un
pur exercice de style.
7 La crise des otages, qui allait durer 444 jours avant de connaître un dénouement,
déclencha le processus de dégradation des relations entre les deux pays. Rapidement le
ton monta à Washington et à Téhéran. Quelques jours après l’occupation de l’ambassade,
le président Carter annonça l’arrêt des importations américaines de pétrole et le gel des
avoirs iraniens aux Etats-Unis, mais il attendit plusieurs mois pour annoncer, le 7 avril
1980, des sanctions contre l’Iran et la rupture des relations diplomatiques. Ce
durcissement fut suivi par une tentative sans succès d’opération aéroportée qui devait
permettre la libération des otages. L’échec de cette intervention fut interprété par les
autorités islamiques comme un signe divin, approbation de la justesse de leur cause 4.
8 Sur le plan international, les Etats-Unis entreprirent une action devant la Cour
internationale de justice. Ceci donna lieu à une ordonnance faisant droit aux demandes
des Etats-Unis concernant respectivement des voies de fait et la reconnaissance de la
responsabilité du gouvernement islamique. De son côté, le Conseil de sécurité adopta, à
l’unanimité, une résolution demandant la libération des otages, mais Washington n’obtint
pas des Nations Unies l’adoption de sanctions économiques contre l’Iran en raison de
l’opposition de l’URSS. Les Etats-Unis prirent alors de nouvelles mesures unilatérales dans
ce domaine comme l’interdiction des exportations autres qu’alimentaires ou médicales,
ainsi que de la conclusion de nouveaux contrats ou de toute transaction financière.
84

9 Le dénouement très progressif de la situation intervint dans les derniers mois de l’année
1980. Une série de négociations indirectes, notamment par l’intermédiaire du
gouvernement algérien, furent engagées. L’investiture, le 20 janvier 1981, de
Ronald Reagan, qui se déclarait non tenu par ces négociations, eut un effet décisif sur la
signature des accords, le 19 janvier. Le même jour, Carter, qui s’apprêtait à quitter ses
fonctions, prit une série de décrets destinés à mettre en œuvre les engagements pris, en
particulier le déblocage de certains avoirs iraniens et leur transfert à différents comptes
ouverts par la Banque d’Algérie auprès de la Banque d’Angleterre. Lorsque ces transferts
furent effectués, le 20 janvier, les otages furent remis à des représentants du
gouvernement algérien à Téhéran. Une fois les otages ayant regagné leur pays,
commençait une nouvelle phase, cette fois juridique, celle des séquelles laissées par la
crise des otages devant la juridiction instituée par les accords d’Alger5.
10 En septembre 1980, à un moment où les tensions étaient très vives entre Téhéran et
Washington, le gouvernement irakien donnait l’ordre à ses troupes d’envahir le territoire
iranien. Dès le déclenchement des hostilités, des voix s’élevèrent en Iran pour dénoncer la
collusion entre les Américains et Saddam Hussein. En fait, à l’époque deux préoccupations
prioritaires conditionnent la politique de Washington : la crainte d’une intervention
soviétique dans la guerre et les nouveaux risques qui pouvaient peser sur les tractations
officielles engagées avec Téhéran pour libérer les otages. Certains stratèges du Pentagone
vont jusqu’à penser que le conflit pourrait pousser l’Iran à renouer rapidement avec les
Etats-Unis. Dans cette perspective, on fait, semble-t-il, discrètement savoir à Téhéran
qu’en cas de libération des otages, Washington serait disposé à fournir des pièces
détachées dont l’armée iranienne manque cruellement. En fait, la position américaine à
l’égard de la guerre est inconfortable. A la nécessité de ménager l’Iran à cause des otages
s’ajoute le souci d’empêcher une défaite iranienne aux conséquences imprévisibles,
comme, d’ailleurs, le risque d’extension du conflit aux Etats voisins et les menaces qui
pourront alors peser sur l’approvisionnement pétrolier de la plupart des pays
occidentaux.
11 La solution, en janvier 1981, de la crise des otages ne débouchera pas sur une décrispation
des rapports entre Washington et Téhéran et l’évolution de la situation sur le front
amènera de nouveaux éléments de trouble dans les relations entre les deux pays. La
contre-offensive iranienne, qui se développe durant l’année 1981 et qui aboutit au
refoulement des Irakiens hors du territoire iranien en juin 1982, inquiète sérieusement
l’administration américaine qui, maintenant, craint un bouleversement de l’équilibre
régional pouvant mettre en cause le statu quo dans toute la zone du golfe Persique. Le
Secrétaire à la défense, Caspar Weinberger déclare, le 4 juin 1982 : « une victoire
iranienne n’est pas dans l’intérêt national des USA… l’Iran est dirigé par une bande de
fous aveugles et fanatiques et constitue un danger pour tous les pays du Moyen-Orient » 6.
Les Etats-Unis amorcent dès lors une politique de rapprochement avec Bagdad qui se
traduit par le retrait de l’Irak de la liste des pays terroristes, l’échanges de visites, la mise
à disposition de l’Irak d’importants crédits etc. Le processus ainsi engagé aboutira au
rétablissement des relations diplomatiques en mars 1985, après dix-huit ans
d’interruption. La République islamique a dorénavant beau jeu de dénoncer la complicité
américano-irakienne qui désormais s’étale au grand jour. Pourtant, durant les
années 1983-84, plusieurs événements comme la détérioration des relations entre
Téhéran et Moscou (interdiction du parti pro-soviétique Toudeh et expulsion de
diplomates soviétiques) ou l’affaire de l’utilisation des armes chimiques par l’Irak, que les
85

Etats-Unis condamneront ultérieurement, semblaient offrir aux deux pays des occasions
d’améliorer leurs relations. Ces occasions ne furent pas saisies, Téhéran restant plus
intransigeant que jamais. De leur côté, les Etats-Unis placent sur la liste des pays
terroristes, le 24 janvier 1984, la République islamique qu’ils soupçonnent fortement
d’avoir téléguidé l’attentat commis par le Jihad islamique à Beyrouth contre les
contingents américains et français de la Force multinationale en octobre 1983, tout en
parrainant les preneurs d’otages qui détiennent des citoyens américains. Dans ces
conditions, Washington se pose comme règle le refus de toute négociation avec Téhéran
sous la menace et le chantage.
12 Alors qu’apparemment toutes les voies semblent bloquées, que Téhéran proclame haut et
fort son hostilité aux Etats-Unis, que l’administration américaine s’affiche comme le
champion de la fermeté à l’égard de l’Iran, tout en blâmant ceux de ses alliés qui sont
enclins à céder face aux pressions des khomeynistes, en coulisse des tractations secrètes
sont en cours entre les deux pays.
13 Dès 1984, mais surtout dans le courant de l’année 1985, des contacts indirects sont établis
et des entretiens confidentiels ont lieu entre les représentants des deux pays. L’objet
essentiel de ces négociations est la livraison d’armements. Les offensives iraniennes sur le
front n’ayant pas rencontré les succès escomptés, Téhéran a un urgent besoin d’armes
sophistiquées de fabrication américaine pour pouvoir porter un coup décisif à l’ennemi
irakien. La stratégie de la République islamique en matière d’acquisition d’armements est
simple : traiter avec tout le monde, le diable inclus. Quant aux Américains, pour libérer
leurs otages détenus au Liban et afin d’engager un dialogue avec Téhéran, ils sont prêts à
payer le prix et cela d’autant plus qu’ils sont encouragés dans cette direction par Israël et,
semble-t-il, l’Arabie Saoudite qui à l’époque avait cru percevoir un changement sensible
dans la diplomatie islamique. En effet, durant les années 1985 et 1986, la République
islamique, pour réduire son isolement international, tente de présenter d’elle-même à
l’extérieur une meilleure image tout en multipliant les initiatives diplomatiques, sans
toutefois renoncer à aucun de ses objectifs. Certains des observateurs, impressionnés par
les retouches cosmétiques que subit la politique étrangère de l’Iran, découvrent les signes
avant-coureurs de transformations profondes de la diplomatie islamique et vont
suggérer, un peu prématurément, à Washington d’enterrer la hache de guerre7.
14 Malgré l’embargo officiel, des armes américaines, avec l’aval des autorités de Washington,
vont arriver à Téhéran. En mai 1986, le conseiller de la Maison Blanche pour les affaires
de sécurité, Robert McFarlane, débarque à Téhéran à bord d’un avion transportant des
armes. Il passe quatre jours dans la capitale iranienne et entame des pourparlers avec
plusieurs personnalités du régime islamique. Après le voyage de McFarlane, plusieurs
livraisons d’armes ont lieu et deux otages sont libérés au Liban, ce qui porte le nombre
des otages libérés à trois depuis septembre 1985. Mais, en novembre 1986, une publication
libanaise, Al-Shiraa, révèle la mission secrète de McFarlane à Téhéran. Ainsi éclate ce
qu’on appellera par la suite le scandale de l’Irangate, qui ternira l’image de
l’administration Reagan aux yeux de l’opinion publique américaine et internationale pour
avoir entrepris une action en contradiction totale avec la politique officiellement affichée
à Washington8.
15 A Téhéran, il apparaît bientôt clairement que les tractations « indirectes » menées avec
Washington ont été coordonnées par Rafsandjani. Ce dernier, tout en se félicitant
« d’avoir jeté le trouble » dans le camp occidental, confirme que les Etats-Unis avaient
cherché à nouer de nouveaux contacts avec l’Iran : « Les Etats-Unis utilisent tous les
86

canaux à leur disposition pour mendier auprès de l’Iran l’acceptation de l’ouverture d’un
dialogue [...]. C’est une indication de notre victoire et de la défaite de l’Amérique »9.
L’ayatollah Khomeyni intervient quelques jours plus tard dans le même sens : « Ceux qui,
il y a quelques années rompaient leurs relations avec l’Iran, nous supplient aujourd’hui
d’établir des rapports, mais notre peuple refuse, et cela constitue notre plus grande
victoire »10. Il conseille par la même occasion, au président Reagan, de « prendre le deuil »
et de changer le nom de la Maison Blanche en Maison Noire, « ce qui reflète mieux la
réalité ». A l’instar de Rafsandjani, lui aussi constate « le fait que le président d’un pays
comme les Etats-Unis tienne des propos aussi angoissés et contradictoires témoigne de la
grandeur de la révolution »11. Mais, tout en justifiant la politique de Rafsandjani, il s’en
prend aussi aux responsables qui poussent au dialogue « alors qu’ils devraient hurler
contre l’Amérique ».
16 Si l’affaire est présentée à Téhéran comme une victoire, cela ne signifie pas pour autant
que la responsabilité de ceux qui ont fait filtrer l’information à l’étranger ne soit pas
engagée et considérée même comme un acte de haute trahison. Comme nous l’avons dit
plus haut, Mehdi Hashemi, accusé d’avoir fourni ces informations à Al-Shiraa, fut arrêté,
jugé et exécuté12.
17 La vente d’armes américaines à l’Iran n’aboutit pas à un rapprochement entre les deux
pays et eut de surcroît un effet négatif pour les Américains qui perdirent à cette occasion
un peu de leur crédibilité aux yeux des dirigeants des pays arabes modérés proches de
l’Irak, ce qui n’était pas pour déplaire à Téhéran13. Les responsables politiques de
Washington devaient coûte que coûte rassurer les monarchies pétrolières en montrant
leur réelle détermination à les protéger. L’occasion va se présenter en 1987 avec
l’aggravation de la situation dans les eaux du golfe Persique. Mais ici aussi, leur hésitation
initiale les empêchera de tirer, au début du moins, tout le bénéfice politique et
psychologique escompté.
18 Le Koweit ayant demandé, dès novembre 1986, aux cinq membres permanents du Conseil
de sécurité la mise en place dans la région d’un dispositif de protection pour ses
pétroliers, ce sont les Soviétiques qui répondront les premiers à l’appel de l’émirat, dès
avril 1987, en mettant trois de leurs propres pétroliers à la disposition de ce pays. L’URSS
acquiert ainsi paradoxalement le rôle de protecteur des monarchies de la région et de
défenseur de la sécurité d’une zone d’intérêt stratégique pour l’Occident. Malgré le fait
que cette perspective irrite Washington, il faudra néanmoins attendre l’attaque d’une
frégate américaine (Le Stark), le 19 mai, par la chasse irakienne et la mort de trente-
sept marins américains, pour que la Maison Blanche, toujours traumatisée par l’Irangate,
se déclare prête à octroyer la protection du pavillon et de la marine des Etats-Unis aux
pétroliers du Koweit. Mais, devant l’hostilité du Congrès, le déploiement américain n’aura
lieu qu’en juillet 1987. Les Etats-Unis acceptent de placer sous pavillon américain onze
pétroliers koweitiens, mais les menaces de Téhéran et l’apparition de mines de plus en
plus nombreuses dans les eaux du golfe Persique, vont obliger les Américains à envoyer
jusqu’à une trentaine d’unités de tous tonnages dans la région, soit l’un des déploiements
de forces aéro-navales les plus importants depuis la guerre du Vietnam.
19 L’engagement naval des Etats-Unis va être considéré par Téhéran comme une agression
américaine contre l’Iran, ce qui évidemment ne va pas contribuer à améliorer les
relations entre les deux pays. Cette situation va permettre à l’URSS de se rapprocher de
l’Iran et de s’associer à sa revendication, c’est-à-dire la demande du retrait total des
forces étrangères de la région. Pendant un temps, la défense de la liberté de navigation,
87

objectif assigné à la marine américaine et aux autres navires occidentaux présents dans la
région, va même s’avérer utile à Téhéran, dont les pétroliers pourront transporter le brut
avant que Bagdad reprenne ses attaques, le 29 août14. Par la suite, les incidents qui se
produiront entre les marines américaine et iranienne aboutiront à la destruction
d’importantes unités navales iraniennes en avril 1988. Ces incidents seront suivis de la
tragédie de l’Airbus d’Iranair, abattu par la marine américaine et qui causera la mort de
290 passagers.
20 Depuis une dizaine d’années que la révolution islamique dure, l’Iran s’est de plus en plus
éloigné des Etats-Unis. La République islamique, dont la méfiance à l’égard de l’Amérique
est en principe totale, se trouve à l’origine de cette distanciation progressive. Mais, les
Américains aussi portent des responsabilités dans la détérioration constante de ces
rapports. Ces responsabilités sont la conséquence d’une certaine méconnaissance des
réalités iraniennes, d’un manque de concordance entre les actes et les paroles, de calculs
erronés, de l’amateurisme de certains organes influents en matière de politique
étrangère, et aussi des occasions mal exploitées. Ainsi, par exemple, l’obligation de
Téhéran de se procurer certains types d’armements auprès des fournisseurs américains,
aurait pu servir comme moyen pour obtenir un dialogue. Il fallait pour cela éviter les
négociations scabreuses et passer par l’intermédiaire de pays amis, dont certains
entretiennent d’excellentes relations avec Téhéran, ce qui aurait permis un dialogue
d’Etat à Etat, où l’échange d’armes contre otages n’aurait pas uniquement constitué
l’objet des marchandages. De plus, la quête désespérée des Américains à la recherche
d’éléments modérés au sein de l’équipe dirigeante islamique a été un exercice tout à fait
aléatoire15. A supposer même que ces modérés quelque peu dissidents existent vraiment,
ce serait pour eux le comble de l’irresponsabilité de se présenter ainsi publiquement.
Aurait-on oublié à Washington que « le paysage de la révolution est jonché (parfois
littéralement) des corps de ceux qui étaient aussi peut-être les amis des Américains »16 ?
21 Au-delà de ces questions, le problème des relations entre les deux pays demeure entier. Si
les Etats-Unis ne peuvent se couper définitivement de l’Iran, pays qu’ils considèrent
comme le plus important d’une région hautement stratégique et si, de son côté, en tenant
compte de sa situation géographique, l’Iran aurait tout intérêt à se servir des Etats-Unis
pour contenir les pressions éventuelles que son puissant voisin du nord peut exercer sur
lui, il semble toutefois illusoire de parier sur une normalisation, même restreinte et par
palier entre les deux pays. Pour que la République islamique esquisse un rapprochement
avec Washington, il faut d’abord qu’à Téhéran les considérations stratégiques prévalent
sur les préoccupations idéologiques et qu’en même temps l’anti-américanisme
systématique, un des mythes fondateurs du régime, soit abandonné. Ces deux conditions
sont pour le moment loin d’être remplies. L’abandon de la rhétorique anti-américaine
mettrait en péril la crédibilité du pouvoir à l’intérieur du pays, où une partie des cadres
du régime sont foncièrement hostiles aux Etats-Unis, et menacerait, à l’extérieur,
l’influence que Téhéran a acquise dans certains pays musulmans et sur certains groupes
grâce à son attitude sans compromission à l’égard des Etats-Unis. Cependant, la fin de la
guerre avec l’Irak ouvre de nouvelles perspectives dans les relations irano-américaines
que les deux pays pourront positivement utiliser dans la mesure où il existerait, de part et
d’autre, une réelle dose de bonne volonté.
88

2. L’Union soviétique
22 Conscient du danger que représente une idéologie athée pour la religion, le clergé
musulman est généralement hostile au communisme. Cette constatation s’applique
également à la majorité des religieux qui exercent aujourd’hui le pouvoir à Téhéran et
cela malgré leurs convictions révolutionnaires et leurs discours anti-impérialistes. Dans
ces conditions, il n’est pas surprenant de constater que dans leur vision du monde, ils
placent la superpuissance soviétique sur le même pied que les Etats-Unis, c’est-à-dire
dans la catégorie des « Grands Satans ». Pourtant dans les faits, le traitement réservé à
l’URSS est sensiblement différent de celui accordé aux Etats-Unis par la République
islamique.
23 Un survol, même rapide, de l’évolution des relations entre Téhéran et Moscou depuis
1979, montre qu’en dépit des difficultés de toute sorte, des tensions conjoncturelles, de
l’opposition constante de Téhéran à la politique soviétique en Afghanistan, des reproches
sévères formulés contre Moscou concernant sa politique à l’égard de la guerre, le pouvoir
s’est rarement laissé emporter et a toujours gardé la voie ouverte à certains
accommodements et arrangements avec l’URSS. Malgré les slogans hostiles lancés de
temps à autre à Téhéran, les relations irano-soviétiques sont fondamentalement
différentes des relations irano-américaines dans la mesure où les rapports avec l’URSS
possèdent une dimension qui n’exclut ni le maintien des relations diplomatiques, ni
l’échange de bons procédés, ni la coopération dans de nombreux domaines, le tout
ponctué par des échanges de visites et prises de position identique sur certaines
questions.
24 D’où vient cette pondération, ce sens de la mesure, cette prudence qui caractérisent la
politique soviétique de la République islamique ? La crainte que suscite tout
naturellement la proximité du puissant voisin ? Une appréciation doctrinale différente
des menaces que font peser les deux superpuissances mondiales sur le monde
musulman ? Ou tout simplement les contraintes politiques et matérielles qui interdisent à
l’Iran de s’attaquer en même temps aux deux superpuissances ? En fait, la politique de la
République islamique à l’égard de l’URSS s’explique par un processus complexe où
s’enchevêtrent des considérations à la fois d’ordre idéologique, stratégique, tactique et
économique.
25 Du point de vue idéologique, il semble qu’il existe dans le discours islamico-
révolutionnaire un subtil distinguo entre le général et le particulier, entre la vision
globale et la perception de la réalité régionale du Moyen-Orient et des besoins spécifiques
de l’Iran. Si, sur le plan général, les deux superpuissances et les pays qui leur sont
associés, sont renvoyés dos à dos, dans le cadre régional et à l’échelle nationale, les
priorités et la gravité des menaces obligent le pouvoir à une appréciation plus nuancée de
la situation internationale.
26 Au niveau régional, bien que « l’Amérique soit pire que la Grande-Bretagne, la Grande-
Bretagne pire que l’Amérique et l’Union soviétique pire que les deux »17, dans les
circonstances actuelles l’ennemi principal est l’Amérique qui « a oppressé autant qu’elle
le pouvait et pendant presqu’un demi-siècle, les musulmans du monde, notamment ceux
de la région »18. L’Amérique, « vorace et hégémoniste », est décrite comme « l’archi-
Satan », la puissance « criminelle du Siècle » dont le but ultime est de porter atteinte à la
souveraineté des musulmans à travers l’exploitation de leurs ressources naturelles,
89

l’organisation de complots, le soutien aux dirigeants corrompus, l’espionnage, les


interventions de toutes sortes, la manipulation des masses… et surtout par leur lien étroit
avec Israël, ce qui amène Khomeyni à déclarer « qu’aujourd’hui, tous nos malheurs
viennent de l’Amérique, viennent d’Israël et Israël c’est l’Amérique »19.
27 Quant à sa propre situation, la République islamique voit sa sécurité menacée
essentiellement par l’Occident en général et les Etats-Unis en particulier. Ces derniers
sont perçus comme n’ayant de cesse que de détruire le régime islamique qui tente
d’instaurer le règne de Dieu sur la terre et qui par conséquence entre en conflit avec un
pays dont les milieux dirigeants n’ont de soucis que leurs intérêts égoïstes et bassement
matériels. Pour renverser le régime islamique, les Etats-Unis se sont livrés à de
nombreuses entreprises au nombre desquelles figurent la « guerre imposée par le
criminel Saddam », le blocus économique de l’Iran, le soutien aux mouvements contre-
révolutionnaires, la provocation de troubles dans certaines régions du pays, la tentative
d’infiltration des institutions comme l’armée, le déclenchement d’une campagne de
propagande à travers les médias au niveau international, le soutien à tous les régimes
hostiles à la révolution islamique etc.… Dans ces circonstances, il ne peut exister entre les
deux pays que d’irréconciliables antagonismes.
28 Tout cela aboutit à une haine de l’Occident et un anti-américanisme sans limite, que le
pouvoir canalise, institutionnalise et dont il fait, on l’a vu, un élément moteur de l’action
politique20. En politique étrangère, ce processus se traduit par l’inversion du postulat de
base de la politique extérieure traditionnelle de l’Iran qui, se fondant sur l’histoire et la
géographie, voyait le danger dans la contiguïté avec une superpuissance et non dans les
rapports avec les Etats-Unis qui, malgré les moyens militaires, techniques et économiques
dont ils disposent, ne se trouvent pas physiquement à proximité du territoire iranien,
territoire dont, contrairement aux Russes, ils ont toujours respecté l’intégrité21. A écouter
les dirigeants islamiques, on a l’impression qu’ils font abstraction de deux mille
kilomètres de frontières communes avec l’URSS auxquelles se sont ajoutés, ces dernières
années, les quelque huit cents kilomètres de frontière avec l’Afghanistan où ont été
stationnées pendant des années, d’importantes divisions de l’Armée rouge.
29 Si le discours islamique, systématiquement hostile aux Etats-Unis, n’a pas pour
conséquence automatique l’absolution de l’URSS, il a néanmoins un effet pratique dans le
sens où il montre que la voie de rapprochement avec Moscou, même si elle reste étroite,
est moins semée d’embûches que celle d’un rapprochement encore hypothétique avec les
Etats-Unis. La possibilité d’ouverture ainsi laissée a été exploitée par l’URSS qui, à son
tour, a su se montrer compréhensive, conciliante et patiente, mais aussi parce que la
République islamique, sous la pression des nécessités concrètes et des besoins immédiats,
n’avait pas d’autre choix.
30 Des considérations militaires et stratégiques, des besoins matériels et économiques, des
nécessités politico-idéologiques, ont poussé la République islamique à esquisser, peut-être
malgré elle et sans grand enthousiasme, un rapprochement avec l’URSS.
31 La guerre a été un élément important dans les relations entre Téhéran et Moscou et cela
en dépit de la neutralité officielle et déclarée de l’URSS à l’égard de ce conflit 22. La
nécessité d’acquérir des équipements militaires de toutes provenances et notamment de
l’Union soviétique, directement ou par le biais de pays amis (Syrie, Libye, Corée du Nord),
qui acceptaient de jouer le rôle d’intermédiaire, comme, par ailleurs, l’utilité évidente
d’une action suivie destinée à infléchir, dans la mesure du possible, la politique soviétique
de livraisons d’armements à l’ennemi irakien, ont amené les dirigeants islamiques à
90

renforcer les liens avec Moscou. Pour ce faire, ils ont recouru à une diplomatie classique
alternant la séduction et la pression ; la séduction s’exerçant, par exemple, à travers la
limitation du soutien iranien à la résistance afghane, la pression se manifestant par
l’arrestation des dirigeants du parti communiste pro-soviétique Toudeh ou l’expulsion de
quelques diplomates soviétiques en mai 1983.
32 De son côté, l’URSS désireuse de poursuivre sa politique de deux fers au feu pendant toute
la durée de la guerre, politique qui dans l’ensemble lui a été bénéfique, consciente aussi
du fait que le conflit ouvrait la voie d’un redéploiement diplomatique pour elle au Moyen-
Orient, par le truchement d’un rapprochement avec les pays arabes favorables à l’Irak
tout en lui donnant aussi la possibilité de jouer de la guerre Iran-Irak dans ses relations
complexes avec la Syrie, se prêtera complaisamment aux règles du jeu diplomatique que
lui propose Téhéran. Cette acceptation est d’autant plus volontaire, que l’URSS savait
qu’avec les nombreux moyens dont elle disposait, comme par exemple la possibilité de
fournir à sa guise de précieux renseignements militaires au gouvernement islamique, elle
pouvait parfaitement maîtriser le jeu. Ainsi donc, la guerre avait ouvert la voie à la mise
en place d’un système diplomatique fondé sur la conjonction d’intérêts mutuels
froidement calculés de part et d’autre. Cependant, ce processus pouvait, à long terme,
s’avérer plus néfaste pour le partenaire le plus faible, surtout si ce dernier ne pouvait, en
cas de nécessité, se prévaloir du soutien d’une autre grande puissance capable de
contrebalancer l’influence soviétique.
33 Par ailleurs, l’isolement diplomatique, la prolongation de la guerre avec ses conséquences
socio-économiques désastreuses, la gestion malencontreuse de l’économie et du
développement national, la diminution des recettes pétrolières ont contribué à accroître
la dépendance générale de l’Iran envers le monde extérieur. Cette situation, conjuguée
aux options de politique étrangère, a eu pour conséquence un renforcement des liens
économiques avec l’URSS. D’autres facteurs sont venus par la suite amplifier ce
phénomène. Parmi ces facteurs, l’indisponibilité des ports du sud du pays, situés dans les
zones de combats, est l’un des plus important car il oblige à compter davantage sur les
voies d’acheminement passant par le territoire soviétique. Cela a eu pour conséquence de
transformer la mer Caspienne, le chemin de fer de Jolfa et les routes venant du Caucase,
en une sorte de nouvelle veine jugulaire de l’économie iranienne. De plus, la diminution
des ressources financières de l’Iran a favorisé aussi le développement du commerce avec
l’URSS qui accepte les échanges basés sur un système de troc de marchandises permettant
d’économiser des devises étrangères. D’ailleurs, les demandes économiques de l’Iran sont
examinées généralement avec bienveillance par les Soviétiques car le pays est resté
globalement solvable et parce qu’un accroissement des échanges avec ce pays, surtout
dans le contexte actuel, procure à Moscou de précieux moyens de pression sur le
gouvernement islamique. Ce dernier de son côté n’était pas dupe et il était conscient
qu’en retour, le fait d’améliorer les rapports économiques avec l’URSS pouvait avoir
quelques conséquences avantageuses dans la guerre avec l’Irak, en incitant Moscou à plus
de circonspection dans ses rapports avec Bagdad.
34 Sur le plan politique et idéologique aussi, existe un terrain d’entente possible entre la
République islamique et l’URSS. L’anti-impérialisme actif de Téhéran, essentiellement
dirigé contre les Etats-Unis, l’Occident et leurs alliés dans la région n’est pas pour
déplaire à l’URSS. Le discours anti-sioniste de Khomeyni rencontre aussi un écho
favorable du côté soviétique. Cette concordance idéologique, malgré les divergences dans
d’autres domaines, contribue à améliorer l’image que les deux partenaires ont l’un de
91

l’autre. Outre l’estime réciproque, les affinités idéologiques ont comme toujours des
retombées pratiques non négligeables. Pour l’URSS, le radicalisme islamique que prône le
régime de Téhéran peut servir comme instrument de déstabilisation et de division dans
certaines parties du Moyen-Orient, ce qui à terme vulnérabilise davantage l’Occident et
ouvre de nouvelles perspectives pour la politique soviétique dans la région. En tout état
de cause, il a servi pendant un temps à faire oublier et marginaliser son intervention en
Afghanistan, ce qui en soit a été positif. De son côté, la République islamique, pour mener
à bien son combat idéologique, a besoin d’appuis tactiques. L’URSS, dans une certaine
mesure, mais surtout ses alliés régionaux peuvent lui fournir, en échange de certains
avantages, quelques soutiens temporaires. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre, en
partie du moins, les possibilités d’action que le gouvernement syrien a bien voulu mettre
à la disposition de Téhéran au Liban.
35 Les rapports officiels avec Moscou, la croissance des échanges commerciaux, le
renforcement des liens militaires, comme l’attirance vers les pays du camp soviétique,
n’excluent pas d’office l’anti-soviétisme de la rhétorique islamique. Mais cet anti-
soviétisme, contrairement à l’anti-américanisme systématique et véhément, reste passif,
sélectif, nuancé. Deux raisons expliquent la persistance même mesurée du discours anti-
soviétique : d’une part, le pouvoir islamique ne peut entrer en contradiction flagrante
avec les principes directeurs de sa politique étrangère et se voit obligé de se conformer,
même superficiellement, au slogan « ni Est, ni Ouest » et, d’autre part, d’importantes
controverses persisteront durant des années entre les deux pays. Parmi ces points de
discorde trois semblent avoir été primordiaux : la politique soviétique envers la guerre
Iran-Irak, la situation en Afghanistan et le sort des dirigeants du Toudeh.
36 Ce qu’il faut souligner à propos de ces trois questions de nature différente, c’est que, dans
le contentieux irano-soviétique, elles ont formé un tout, s’imbriquant les unes dans les
autres. Cet état de choses apparaît très clairement dans les périodes où les rapports
bilatéraux connaissent une certaine dégradation. Il en a été ainsi, par exemple, au début
1983, au moment où la politique soviétique à l’égard du conflit irano-irakien a subi
quelques modifications. Jusqu’à ce moment, la neutralité soviétique et l’interruption des
livraisons d’armes à l’Irak, malgré son traité d’amitié et de coopération avec ce pays,
avaient été appréciées par Téhéran. Mais à partir du moment où les forces armées
iraniennes commencèrent à pénétrer en territoire irakien, l’URSS décide de mettre un
terme à sa politique de bienveillance envers Téhéran et reprend ses fournitures de
matériel militaire à l’Irak. L’infléchissement pro-irakien de la politique soviétique fera
immédiatement réagir le pouvoir islamique. La question de l’Afghanistan, que l’on s’était
efforcé de mettre quelque peu en veilleuse, refait surface et les condamnations de la
présence soviétique dans le pays voisin et frère deviennent de plus en plus pressantes. Au
même moment, la répression frappe les militants du parti communiste Toudeh et dix-huit
diplomates soviétiques sont expulsés, le centre culturel ainsi que la banque irano-
soviétique sont fermés. Cependant, même dans l’expression de leur colère, les dirigeants
islamiques évitent tout excès et contrôlent leurs réactions. Ils se gardent bien de rompre
tous les ponts et si « le secrétaire général du Toudeh, Noureddine Kianouri, est derrière les
barreaux depuis le 6 février 1983 et a été contraint à une cérémonie d’aveux télévisés,
dans le plus pur style des procès staliniens, il est cependant toujours vivant, comme si les
dirigeants iraniens voulaient éviter de commettre l’irréparable pour se conserver un
atout, un otage face à Moscou »23.
92

37 La prééminence des facteurs favorables sur les éléments de discorde n’a cependant jamais
permis le développement harmonieux des relations bilatérales entre les deux pays ni
même le maintien d’une certaine continuité dans le dialogue instauré entre Téhéran et
Moscou depuis 1979. Du côté iranien, l’évolution de la situation sur le front de la guerre,
les problèmes posés par l’exportation de la révolution, les luttes entre factions à
l’intérieur du régime et surtout l’état des rapports avec l’Occident, ont conditionné la
diplomatie islamique dans ses rapports avec l’URSS. Du côté soviétique, malgré une réelle
volonté d’accommodement, les contraintes qu’imposent la qualité de superpuissance et
aussi les intérêts soviétiques par rapport aux autres pays du Moyen-Orient, ont empêché
l’URSS de conduire une politique sans faille à l’égard de la République islamique. Ainsi, les
relations entre les deux pays ont connu une évolution en dents de scie. Aux périodes de
froid ont succédé les jours marqués par un irrésistible besoin de rapprochement ;
appréciations favorables et remarques critiques ont été tour à tour échangées, mais les
deux partenaires ont toujours pris le plus grand soin à maintenir un minimum de
dialogue. Les développements récents illustrent très bien la nature ambiguë des rapports
entre les deux pays. Ainsi, en octobre 1986, à la suite de la visite d’une délégation
d’experts soviétiques à Téhéran, Ali Khamenei fait une déclaration surprenante : « L’Iran
n’a jamais donné le qualificatif de satan à l’URSS car il le réserve seulement au grand satan,
l’Amérique. Nous n’avons aucune raison d’avoir de mauvaises relations avec un voisin
avec lequel nous n’avons eu jusqu’à présent aucun conflit »24. Un mois plus tard, autre son
de cloche, l’ayatollah Montazeri estime pour sa part que « les Etats-Unis et l’Union
soviétique ne se soucient que de leurs propres intérêts colonialistes et ils n’ont jamais
rien fait au profit de l’Iran »25. En février 1987, les relations s’améliorent et Ali-
Akbar Velayati se rend à Moscou. C’est la première visite officielle d’un ministre des
affaires étrangères de la République islamique en URSS. A cette occasion, il invite son
homologue soviétique à se rendre à Téhéran. Trois mois plus tard, renversement de la
situation. Téhéran est mécontent du soutien soviétique à l’Irak et le président du
parlement s’interroge sur les mobiles de la politique soviétique26. Plus grave aux yeux de
Téhéran, est la décision soviétique d’affréter trois navires pour permettre au Koweit, dont
les pétroliers sont la cible des attaques iraniennes, de transporter son pétrole. L’Iran
réagit violemment et attaque un bâtiment soviétique. Les Soviétiques minimisent cette
affaire, mais après l’attaque d’un deuxième navire, un responsable soviétique fait une
sévère mise en garde et affirme que son pays « ripostera avec violence au cas où l’Iran
commettrait une nouvelle agression contre un navire soviétique » et il ajoute « qu’il faut
que l’Iran s’en rende bien compte et comprenne comme il faut ce que nous disons » 27. Le
message est bien reçu à Téhéran ; les attaques contre les navires soviétiques cessent du
jour au lendemain.
38 Quelques semaines plus tard, après l’arrivée dans les eaux du golfe Persique des bâtiments
américains, nouveau revirement dans les relations entre Téhéran et Moscou. Les deux
pays joignent leurs voix pour demander le retrait, dans le plus bref délai, de tous les
navires de guerre des Etats étrangers à la région. Début août 1987, Youli Vorontsov, vice-
ministre des affaires étrangères de l’URSS se rend à Téhéran et négocie la possibilité de la
transformation d’un gazoduc en oléoduc ce qui permettrait à l’Iran d’acheminer son brut
par l’URSS et d’éviter ainsi le passage obligé à travers le détroit d’Ormuz. Le
rapprochement entre les deux pays est tel que les observateurs vont jusqu’à évoquer la
possibilité de conclusion d’un traité d’amitié et de coopération entre l’URSS et l’Iran 28. Si
ces rumeurs paraissent totalement infondées, par contre, sur un autre plan, Moscou
continue toujours à ménager Téhéran. Ainsi, bien qu’ayant soutenu la résolution 598 du
93

Conseil de sécurité, qui exige un cessez-le-feu immédiat et prévoit des sanctions en cas de
refus, l’URSS refuse toute action pouvant hâter le passage au deuxième stade du
processus, plus contraignant pour Téhéran.
39 En définitive, la diplomatie islamique à l’égard de l’Union soviétique se caractérise par
l’alternance du chaud et du froid, le passage de la collaboration au rejet. Cette diplomatie
de douche écossaise reflète bien la position délicate de la République islamique,
consciente à la fois de la nécessité du maintien de certains liens avec la superpuissance
voisine et aussi apte à discerner les limites des perspectives de coopération qui s’offrent
aux deux pays. Cependant, le retrait des forces soviétiques d’Afghanistan, s’il s’avère total
et définitif, et surtout le cessez-le-feu entre l’Iran et l’Irak vont sans doute permettre une
amélioration sensible des relations irano-soviétiques.

3. La France
40 Parmi les pays d’Europe occidentale, la France est celui avec lequel la République
islamique a eu les rapports les plus difficiles et cela bien avant la crise de l’été 1987 qui
aboutira à la rupture des relations diplomatiques durant onze mois. Du point de vue de
Téhéran, du moins jusqu’à la libération des trois derniers otages français détenus au
Liban par le hezbollah en mai 1988, la France se plaçait juste après les Etats-Unis dans la
hiérarchie des puissances sataniques. Ce redoutable privilège, Paris le devait
essentiellement à sa politique de soutien à l’Irak à qui il avait livré armes et matériel
militaire. Mais, bien qu’au cœur du contentieux franco-iranien, la guerre Iran-Irak n’est
pas à l’origine de la détérioration des relations entre les deux pays, qui avait commencé
avant le déclenchement des hostilités. Durant les années 1979-1988, en rapport avec
certains événements et les changements survenus en Iran comme en France, ces relations
sont passées par diverses étapes poursuivant un processus de dégradation continuel
même si pendant quelques mois, en 1986, leur normalisation sembla possible.
41 Pourtant tout présageait au début 1979, un avenir heureux pour les rapports futurs entre
les deux pays. Expulsé d’Irak, l’ayatollah Khomeyni était arrivé en France en octobre 1978
où le gouvernement français l’avait autorisé à séjourner avec son entourage dans la
région parisienne à Neauphle-le-Château. Durant son séjour en France, Khomeyni
organisa, sans entrave réelle de la part des autorités, le renversement de la monarchie
iranienne, tout en se forgeant une image de marque auprès de l’opinion publique
française et internationale29. Les médias, comme d’ailleurs de nombreux intellectuels
occidentaux furent séduits par ce patriarche qui parlait d’indépendance, de liberté et de
démocratie, n’exigeant que la fin de la tyrannie et de la corruption. Comment résister à
l’attrait de ce vieillard qui, au soir de sa vie, était porté à la méditation plus qu’à l’action
politique et tenait un discours modéré et rassurant ? Comment ne pas soutenir un saint
qui se battait contre un roi despotique30 ?
42 Lorsque, le premier février 1979, l’ayatollah retourna triomphalement à Téhéran, tout le
monde en France et en Iran était convaincu que les relations entre Téhéran et Paris
allaient se développer de manière sans précédent. Karim Sandjabi, le ministre des affaires
étrangères du nouveau régime, ne déclarait-il pas à l’envoyé spécial du journal Le Monde
que « nous n’oublierons jamais ce que la France a fait pour l’ayatollah Khomeyni. Nous
tenons à ce que nos rapports se développent de plus en plus et nous pensons que
politiquement, économiquement et culturellement, la France aura en Iran une
94

importance beaucoup plus grande que dans le passé »31. Pourtant, le préjugé favorable qui
existait de part et d’autre ne durera que quelques semaines.
43 D’abord, le changement de ton des discours de Khomeyni étonna le public français. Il
n’était désormais plus question de démocratie, considérée maintenant comme un concept
étranger à l’islam, mais d’un régime théocratique dominé par le clergé. Ensuite, vinrent
les procès politiques, les exécutions sommaires, la mise en place des tribunaux
islamiques, les atteintes systématiques aux droits de l’homme, les pressions faites sur les
femmes obligées de porter des « vêtements islamiques », la répression exercée contre
certaines minorités religieuses etc. La mise à mort, le 9 avril 1979, de l’ancien premier
ministre, Amir-Abbas Hoveyda, très proche de certains milieux politiques français, porta
une nouvelle atteinte à ce qui restait encore de positif de l’image de la révolution
islamique dans l’opinion publique française. Le mot « ayatollah » prit un sens péjoratif
dans le jargon politique français. Ayant exprimé « son émotion et sa grave
préoccupation », à la suite de l’exécution de Hoveyda, le gouvernement français fut pris à
partie par diverses personnalités islamiques à Téhéran qui le critiquèrent très vivement.
Le charme était rompu, le climat avait changé, les deux pays commencèrent à s’éloigner
l’un de l’autre.
44 L’année 1979, verra d’autres événements qui à leur tour assombriront davantage
l’horizon des rapports bilatéraux. Parmi ces événements, deux affaires eurent des
retentissements importants. En premier lieu, il y eut, le 31 juillet, l’apparition publique à
Paris de Chapour Bakhtiar, dernier chef de gouvernement de la monarchie, « disparu »
depuis la prise du pouvoir par Khomeyni, à l’occasion d’une rencontre avec la presse où il
déclarait sa détermination à continuer la lutte. En deuxième lieu, ce fut la prise en otage,
le 4 novembre, du personnel diplomatique américain, que la France ne pouvait que
condamner. L’arrivée à Paris de Bakhtiar ouvre la voie à la venue progressive et à
l’installation en France de nombreuses personnalités de l’opposition. Cette vague sera
suivie, quelques temps après, par l’arrivée des collaborateurs démis ou déçus de
Khomeyni passés à leur tour dans l’opposition. Quant à l’affaire des otages, la France,
pour des raisons de principe et par esprit de solidarité à l’égard des Etats-Unis, décida
d’appliquer avec fermeté les mesures d’embargo pris à cette occasion par les pays
européens. Le processus de la détérioration des relations entre Paris et Téhéran
s’accéléra.
45 La situation s’aggrava plus encore l’année suivante. Le 18 juillet 1980, un commando tente
d’assassiner Chapour Bakhtiar à son domicile parisien. Les membres du commando, après
avoir tué deux innocents, sont arrêtés en flagrant délit par la police. Aussitôt la nouvelle
connue, à Téhéran des porte-parole des pasdaran et du Parti de la République islamique
menacent de s’attaquer aux intérêts français dans tout le Moyen-Orient si Paris « ne
libère pas leurs frères du commando arrêtés et n’expulse pas Bakhtiar »32. A partir de ce
moment, la presse de Téhéran va considérer la France comme un nouvel ennemi de la
révolution.
46 Lorsque la guerre Iran-Irak éclate, la France évite de prendre parti et formule le souhait
d’un règlement rapide du conflit33. Cependant, l’état de ses relations avec les deux pays
belligérants est sensiblement différent. Avec l’Irak, depuis 1976, existait une coopération
économique importante à laquelle est venue s’ajouter une commande d’avions Mirage Fl.
Le rapprochement franco-irakien a été favorisé par l’apparition de divergences dans les
relations soviéto-irakiennes à partir de 197834. En janvier 1980, neuf mois avant la guerre,
l’Irak avait passé commande de nouveaux avions de combat, de chars et des hélicoptères à
95

la France. Il en allait tout autrement des relations franco-iraniennes qui avaient connu,
comme on l’a indiqué, une nette dégradation depuis l’accession de Khomeyni au pouvoir.
47 Durant les premiers mois de la guerre, les Irakiens dépêchèrent plusieurs délégations à
Paris pour s’assurer de la livraison des armements déjà commandés. La France, malgré les
pressions iraniennes, décida d’honorer ses engagements et de livrer à l’Irak le matériel
militaire dont ce pays avait besoin. Tout en entretenant, dans ses déclarations officielles,
un semblant d’équilibre entre les deux adversaires, le gouvernement français choisit sa
politique : soutien, le plus discrètement possible, à l’Irak. Dès fin janvier 1981, Bagdad
pouvait prendre livraison des premiers Mirage et commander d’autres armements35.
48 L’arrivée des socialistes au pouvoir, en mai 1981, n’eut aucune conséquence positive sur
les relations franco-iraniennes, la gauche choisissant d’assurer la continuité de la
politique française au Moyen-Orient. De plus, le gouvernement socialiste, conscient du
fait que les sensibilités pro-israéliennes du président comme la présence des
communistes au gouvernement pouvaient inquiéter les pays arabes et surtout les
monarchies pétrolières, s’empressa d’intensifier le soutien français à l’Irak.
49 Dans les relations entre le gouvernement socialiste et Téhéran, on peut distinguer deux
grandes périodes. La première coïncide avec le passage de Claude Cheysson au Quai
d’Orsay (fin 1981-juillet 1984). Elle est marquée par une dégradation continue des
rapports entre les deux pays, cette détérioration s’accentuant sensiblement à partir de
juillet 1982, dès lors que l’Iran tente de faire des percées en territoire irakien. Avec
Roland Dumas, qui succède à Claude Cheysson, commence la deuxième période
caractérisée par une tentative de rééquilibrage de la politique française en faveur de
l’Iran, tentative qui n’aboutira à aucune réalisation concrète jusqu’à la fin du
gouvernement Fabius, en mars 1986.
50 Durant la première période, la France continua d’honorer ses contrats avec l’Irak en lui
remplaçant le matériel perdu dans les combats, en fournissant des nouveaux armements,
principalement des pièces d’artillerie, des missiles Roland et Exocet et en acceptant le
rééchelonnement du remboursement de ses dettes. Mais c’est la décision de livrer à l’Irak
cinq avions Super-Etendard qui, en 1983, allait amener la tension entre l’Iran et la France à
son paroxysme. En apprenant la livraison imminente des cinq avions équipés de missiles
air-surface Exocet, les autorités islamiques crièrent leur indignation et proférèrent des
menaces : « Les Français seront punis pour ce genre d’hostilité. La France recevra une
réponse à la suite de cette agression. La révolution islamique est capable d’infliger de
rudes coups à la France et à tous ceux qui appuient Saddam, comme elle a coupé les mains
des Etats-Unis en Iran »36, déclara le premier ministre, tandis que le représentant de la
République islamique auprès des Nations Unies renchérit : « Si les Super Etendard étaient
engagés dans la guerre, Téhéran en déduirait que la France participe directement au
conflit »37. A partir de ce moment, les médias de l’Iran vont traiter le gouvernement
français de « gouvernement socialo-sioniste allié au régime agresseur et sioniste-ba’thiste
d’Irak ».
51 La politique de soutien à l’Irak, qui ne fait pas l’unanimité à l’intérieur et qui inquiète
même certains pays occidentaux, s’avère peu à peu dangereuse vu les moyens dont
dispose la République islamique, en France et au Moyen-Orient, pour faire pression sur
Paris. Dans ces conditions, le choix de cette politique soulève de nombreuses questions en
France et ailleurs. Généralement, pour expliquer les raisons de cette politique plusieurs
arguments sont avancés. Un des premiers arguments se fonde sur l’idée de la continuité
de la politique étrangère : « je suis l’héritier des grands choix de la France » déclare le
96

président Mitterrand38. Mais cette continuité s’inscrit aussi dans la perspective gaullienne
de la politique extérieure (indépendance nationale, relations privilégiées avec les pays
arabes…) qui ne déplaît pas au gouvernement socialiste. Le ministre des relations
extérieures juge par ailleurs la politique à l’égard de l’Irak, inaugurée par Jacques Chirac,
toujours « raisonnable »39. Maintenir des liens étroits avec Bagdad s’expliquera aussi par
des impératifs mercantiles d’importance non négligeable. L’Irak, en tant que premier
partenaire de la France au Moyen-Orient pour les exportations civiles et militaires,
méritait quelques égards surtout si l’on tient compte du fait qu’en 1983, la dette de
Bagdad envers la France était déjà estimée à trente-cinq milliards de francs40. Outre la
continuité et le commerce, un autre souci préoccupe la France et cela surtout depuis 1982
où une défaite irakienne devient de l’ordre des possibilités : le maintien de l’équilibre
régional au Moyen-Orient. Lorsque l’Irak est acculé à la défensive, la France renouvelle
« son soutien à l’Irak comme nation arabe qui a droit à son identité » et considère « que
toute menace contre l’unité nationale de ce pays constitue incontestablement une
menace sur la stabilité de la région, dont les effets pourraient se faire sentir plus loin dans
les pays devenus soudain très riches et dont les structures sont moins anciennes » 41.
Claude Cheysson est d’avis que la France doit aider l’Irak pour « que les Iraniens ne
partent pas dans un de ces grands mouvements vers l’ouest comme il y en a eu déjà dans
l’histoire »42, en négligeant quelque peu le fait que depuis quatorze siècles, c’est l’inverse
qui s’est produit, la menace venant de l’ouest vers l’Iran soit par les Arabes soit par les
Ottomans.
52 A la continuité, les intérêts économiques et l’équilibre régional s’ajoutent aussi les
contraintes de la politique arabe de la France. Jouer la carte irakienne, signifie aussi pour
la France rassurer le monde arabe, dont la grande majorité des gouvernements, par
crainte de la contagion khomeyniste, a choisi le camp irakien. La politique arabe de la
France dont les origines remontent aux années soixante, a fait naître une communauté
d’intérêts politiques, économiques et militaires dont l’importance est telle qu’elle permet
certaines entorses aux relations théoriquement amicales qui devraient lier Paris et
Téhéran.
53 On peut probablement aussi déceler des considérations d’ordre idéologique qui ont
entravé l’évolution normale des relations entre les deux pays. Les dirigeants français ont
du mal à admettre une république théocratique, cléricale et qui gouverne au nom de Dieu.
Le peu de cas fait officiellement par Téhéran des principes de base régissant les droits de
l’homme n’est évidemment pas apprécié à Paris. Cependant, le facteur idéologique pèse
relativement peu quand il s’agit de préserver l’intérêt de la France dans une zone
stratégique aussi importante. Certes, le rejet idéologique est renforcé par la mauvaise
image des dirigeants islamiques, dans une partie importante de l’opinion publique
française, mais ce qui inquiète la France, ce n’est pas la situation en Iran même mais les
effets de la révolution khomeyniste à l’extérieur de l’Iran. « C’est le caractère de symbole
que représente de plus en plus la révolution khomeyniste, ce symbole se manifestant dans
le monde arabe et même au-delà »43 qui provoque interrogation et inquiétude à Paris
quant à l’avenir des régimes arabes proches de la France.
54 Enfin, la position de la France dans le conflit irano-irakien s’explique aussi en partie par
l’existence d’un « lobby » pro-irakien en France, sorte de complexe militaro-industriel
favorable à l’approfondissement des relations avec Bagdad. Malgré l’intervention de
certaines personnalités suggérant de ne pas négliger un pays comme l’Iran, il semble que
toujours « les partisans d’un engagement au côté de l’Irak finissent toutefois par
97

l’emporter »44, laissant dans l’ombre les voix qui, dès 1982, se sont élevées pour un
rééquilibrage de la politique française45.
55 Après les livraisons des Super-Etendard à l’Irak, une série d’actions de représailles
politiques et économiques sont ouvertement déclenchées par l’Iran contre la France.
Parallèlement, des organisations intégristes pro-iraniennes s’attaquent aux intérêts
français. En octobre 1983, le Jihad islamique revendique un attentat contre un poste de
commandement de soldats français de la Force multinationale de sécurité à Beyrouth qui
fait 58 morts. En 1985, cette même organisation revendique l’enlèvement des premiers
otages français. Désormais la question des otages devient un élément fondamental du
contentieux franco-iranien.
56 La nomination de Roland Dumas au ministère des relations extérieures, fin
décembre 1984, marque une certaine évolution dans les rapports entre Paris et Téhéran.
Roland Dumas va tenter d’infléchir la diplomatie française dans une direction un peu plus
favorable à Téhéran. Dans cette perspective, il réactive les négociations sur le contentieux
financier (prêt d’un milliard de dollars consenti en 1974 par l’Iran au Commissariat à
l’énergie atomique), insiste pour que les opposants iraniens résidant en France observent
les réserves d’usage, et nomme un haut fonctionnaire pour assurer les contacts avec les
autorités islamiques. Mais cette tentative de réajustement politique n’est pas appréciée de
la même manière par l’ensemble des responsables français. Ainsi, « le ministère des
finances demeure aussi intransigeant qu’auparavant sur le chapitre d’Eurodif. Le
ministère de l’intérieur, du moins au niveau des services qui coopèrent avec ceux de
Bagdad, ferme le plus souvent les yeux sur les agissements des opposants iraniens. Le
ministère de la défense négocie, dans le plus grand secret, la vente à l’Irak d’une nouvelle
fournée de 24 Mirage F1 »46. Parallèlement cependant, les négociations se poursuivent
avec Téhéran et, en octobre 1985, cent mille obus sont livrés à l’Iran par la Société
Luchaire, sans que l’on sache si cette société avait obtenu l’aval réglementaire des
autorités françaises47. C’est la deuxième livraison connue de matériel militaire français à
l’Iran depuis le déclenchement des hostilités avec l’Irak, puisqu’en août 1981, la France
avait livré à la marine iranienne trois vedettes qui avaient été achetées par Téhéran en
197448. Au début 1986, il semble que les négociations progressent et qu’on s’achemine vers
une solution acceptable pour les deux partenaires, mais à la veille des élections
législatives françaises du 16 mars, le climat entre Paris et Téhéran se dégrade. Quelques
jours avant les élections, le Jihad islamique annonce « l’exécution » d’un otage,
Michel Seurat. Le 8 mars une équipe de journalistes d’Antenne 2 est enlevée. Téhéran
refuse un visa au directeur du département Afrique du nord et Moyen-Orient du Quai
d’Orsay. Eric Rouleau, alors ambassadeur à Tunis, est envoyé à la hâte à Téhéran, mais
aucun résultat tangible ne sort de ses discussions avec les autorités islamiques. Tout se
passe comme si les dirigeants de Téhéran préféraient attendre l’accession au pouvoir de
Jacques Chirac pour reprendre les négociations avec Paris.
57 Au lendemain des élections, le 19 mars, Radio-Téhéran salue « la défaite des socialistes »
et l’attribue à « la pression des musulmans contre leur politique de soutien à Israël et
l’Irak »49. Le message est clair, la République islamique préfère comme interlocuteur
Jacques Chirac et cela en dépit des liens qui le lient à Saddam Hussein et aussi malgré le
fait qu’il soit à l’origine du rapprochement franco-irakien lors de son premier passage à
Matignon. Le signal est bien compris à Paris où le nouveau gouvernement fait rapidement
savoir qu’il est favorable à l’établissement d’un dialogue avec l’Iran. Dès le mois d’avril, le
gouvernement de Jacques Chirac engage une action en vue de normaliser les relations
98

avec Téhéran. Cette politique connaîtra des hauts et des bas et après quatorze mois de
laborieux pourparlers aboutira, en juin 1987, à une crise.
58 Les pourparlers s’engagent dès le 9 avril, après l’arrivée d’une délégation française à
Téhéran conduite par le secrétaire général du Quai d’Orsay. Le gouvernement islamique
pose trois conditions à une normalisation entre les deux pays : le remboursement du prêt
d’un milliard de dollars avec les intérêts, l’arrêt du soutien de la France à l’Irak et la
nécessité de mettre un terme à l’activité des opposants iraniens installés en France.
59 En mai, Ali-Reza Moayeri, adjoint au premier ministre de la République islamique, est
reçu en visite officielle à Paris. A cette occasion, ce dernier rencontre François Mitterrand
et Jacques Chirac et qualifie ses conversations avec les autorités françaises de
« positives » tout en laissant entrevoir que Téhéran userait de son influence auprès des
ravisseurs des otages français au Liban pour une éventuelle libération. Plus tard,
Jacques Chirac expliquera les principes sur lesquels il avait attiré l’attention de son
interlocuteur. « Je lui avais très clairement indiqué les règles du jeu. Je lui avais dit que
nous étions prêts à régler les problèmes irritants de l’opposition iranienne en France, que
nous étions prêts à engager une discussion pour régler les contentieux financiers entre
les deux pays, parce que le problème se posait effectivement, mais qu’il fallait bien
comprendre que nous n’étions en aucun cas disposés non seulement à discuter, mais
même à évoquer l’action de la France dans la région. Et que si les Iraniens entendaient lier
une telle discussion avec les autres sujets, il valait mieux ne pas commencer »50. En clair,
les relations franco-irakiennes ne sont en aucune manière négociables.
60 Ayant accepté, semble-t-il, à Paris, la condition émise par Jacques Chirac à la poursuite du
dialogue entre les deux pays, de retour à Téhéran, Ali-Reza Moayeri indiquait simplement
avoir exposé les points de vue iraniens tout en demandant la neutralité de la France dans
la guerre ainsi que l’arrêt d’envoi d’armes à l’Irak, omettant de signaler le refus
catégorique de Paris d’entamer une discussion au sujet de sa politique moyen-orientale 51.
A Téhéran, tout en affichant une volonté de progresser sur le plan économique et à
propos des opposants, une certaine confusion était entretenue sur les relations franco-
irakiennnes, ce qui laissait toutes les possibilités ouvertes tout en permettant l’évolution
des négociations. Cette attitude n’empêchait pas le chef du gouvernement islamique, Mir-
Hossein Moussavi, à appeler la France à « se montrer réaliste, dans l’intérêt de ses
relations avec le Moyen-Orient, avec la révolution islamique au niveau mondial et avec
l’Iran au niveau régional »52.
61 En juin 1986, les choses vont s’accélérer, Massoud Radjavi, chef des Moudjahedins islamo-
marxiste, est expulsé de France et part s’installer auprès de ses amis irakiens à Bagdad. Le
20, deux otages français détenus au Liban sont libérés. Le 26 juin, une délégation
iranienne se rend à Paris pour discuter du contentieux financier. Parallèlement à ces
évolutions, les médias de la République islamique ne cessent d’inviter la France à adopter
une attitude de neutralité dans le conflit irano-irakien soit en arrêtant les livraisons
d’armements à l’Irak, soit en livrant aussi à Téhéran. En septembre, une série d’attentats,
attribués à des mouvements islamistes, sont commis à Paris, faisant onze morts et plus de
cent cinquante blessés. Le 19 novembre, un accord intervient entre les deux pays, la
France verse à l’Iran 330 millions de dollars au titre d’un premier remboursement du prêt
Eurodif. Quelques jours auparavant, le 11 novembre, deux otages sont libérés à Beyrouth
auxquels viendra s’ajouter la libération d’un troisième otage, le 24 décembre. Le
gouvernement français, qui attendait la libération de tous les otages, est déçu. Le ministre
des affaires étrangères déclare à l’Assemblée nationale : « Lorsqu’il y a eu la libération de
99

M. Cornéa [24 décembre] nous attendions mieux. J’ai écrit à mon collègue iranien,
M. Ali Akbar Velayati pour lui dire que nous attendions mieux et que la politique de
confiance que nous menons avec l’Iran sur un plan général devait permettre d’aboutir
plus vite sur cette affaire des Français détenus au Liban »53.
62 L’année 1987 sera témoin de l’effritement progressif de cette « politique de confiance ».
Les négociations financières marquent le pas, aucun progrès n’est fait dans les affaires
des otages et l’Iran continue inlassablement de demander une réorientation de la
politique française dans la région. En mars, un nouvel élément intervient qui va peser
lourd dans les relations entre les deux pays. Il s’agit du démantèlement par la police
française, d’un réseau terroriste d’inspiration khomeyniste, accusé d’être à l’origine des
attentats de septembre 1986. Enfin, à la suite d’une série d’interpellations dans les milieux
intégristes à Paris, le juge Gilles Boulouque demande à entendre Vahid Gordji, militant
islamiste officiellement interprète à l’ambassade de la République islamique et qui, tout
en ne jouissant pas du statut diplomatique, est en quelque sorte le numéro deux de la
mission diplomatique. Gordji reste à l’intérieur des locaux de l’ambassade et refuse
d’obtempérer à la convocation du juge. La police met un dispositif en place à la porte de
l’ambassade dans l’espoir de faire sortir Gordji. A Téhéran, l’ambassade de France est à
son tour bloquée. La « guerre des ambassades » commence, elle aboutira à la rupture, par
Paris, des relations diplomatiques entre la France et l’Iran, le 17 juillet 1987.
63 Malgré le dénouement de l’affaire Gordji, fin novembre, après l’échange de celui-ci contre
le vice-consul de France à Téhéran et la libération de deux otages français, le
27 novembre, les rapports entre les deux pays restent tendus. Dès le début de l’année
1988, des tractations discrètes ont lieu entre Paris et Téhéran, des contacts sont pris avec
Damas et les organisations shi’ites libanais. Après maintes péripéties à trois jours du
second tour de l’élection présidentielle, le 4 mai, les trois derniers otages français sont
libérés. Jacques Chirac remercie nommément l’Iran et annonce que le rétablissement des
relations normales entre la France et l’Iran peut être désormais envisagé. S’il est difficile,
à l’heure actuelle, de savoir précisément les concessions qui ont été faites du côté français
pour la libération des otages, il est plus aisé de relever les facteurs qui ont agi sur cette
évolution. L’approche des élections françaises a sans doute joué un rôle fondamental dans
la décision des Iraniens, de leurs alliés du hezbollah libanais, qui se sont rendus compte
que c’était le moment où ils pouvaient obtenir le meilleur prix. De plus, l’Iran étant dans
une mauvaise posture, à la suite des déboires dans la guerre, des revers subis par le
hezbollah au Liban dans la lutte qui l’oppose à la milice Amal et d’une détérioration de la
situation économique, a accepté un règlement qui pourrait atténuer son isolement et lui
permettre d’au moins récupérer ses avoirs bloqués en France.
64 Malgré la réélection de François Mitterrand, que les autorités de la République islamique,
du moins par le passé, n’appréciaient guère, les relations diplomatiques entre les deux
pays sont rétablies le 16 juin 1988. Cependant, tant que la guerre Iran-Irak n’était pas
terminée, il paraissait aléatoire d’espérer un approfondissement de ces liens. Ce que
demandait la République islamique, c’est-à-dire l’abandon de l’Irak ou tout au moins le
rééquilibrage de la politique française à l’égard de la guerre, n’était pas dans les
possibilités de Paris. La France n’était pas l’Union soviétique qui pouvait se permettre de
jouer à la fois la carte irakienne et iranienne, et elle n’était pas non plus le Japon, ni la
République fédérale qui poursuivent au Moyen-Orient des objectifs essentiellement
économiques. Au Moyen-Orient, la France est un « pays politique » et c’est en tant que
puissance politique qu’elle a pu se tailler une position économique dans cette partie du
100

monde. Mais le processus de paix engagé entre l’Iran et l’Irak fait disparaître un obstacle
essentiel au développement des relations franco-iraniennes.

4. La Chine
65 En août 1971, l’Iran a reconnu le gouvernement de la République populaire, comme
l’unique représentant légitime de toute la Chine, y compris Taïwan. A partir de ce
moment commence une nouvelle phase dans les relations entre ces deux vieux pays
asiatiques qui, pendant un certain temps, s’étaient perdus de vue. Les rapports ainsi
engagés, vont se développer très rapidement surtout en fonction des donnés
géopolitiques et atteindront leur apogée dès 1973. Cette année-là, le ministre des affaires
étrangères chinois, en visite officielle à Téhéran, apporte l’aval de Pékin aux deux
objectifs fondamentaux de la politique étrangère iranienne de l’époque, à savoir le
renforcement de la sécurité dans la région du golfe Persique et le programme
d’augmentation du potentiel militaire54.
66 Lorsque commença la crise de 1978 qui devait aboutir à l’effondrement de la monarchie,
les autorités chinoises, semble-t-il, ne parvinrent pas à évaluer correctement
l’importance des troubles et les conséquences qu’ils pouvaient avoir. Quand bien même
elles auraient eu conscience des dimensions de l’événement, elles tentèrent d’en
minimiser l’importance, essayant même, dans la mesure du possible, de soutenir
moralement le Shah dans cette période difficile qu’il traversait. Ces faits semblent
expliquer, en tout cas en partie, les raisons de la visite que Hua Guofeng rendit au
souverain iranien du 29 août au 1er septembre 1978, sinon comment expliquer cette visite
sans objet bien précis, sans urgence et qui se fit dans de mauvaises conditions55. En tout
état de cause, ce fut la dernière visite qu’un chef de gouvernement rendit au Shah à
Téhéran56.
67 Quelques mois plus tard, quand la révolution islamique triompha et que Khomeyni prit le
pouvoir, les Chinois, tout en reconnaissant les causes internes du bouleversement,
l’attribuèrent aussi à la rivalité américano-soviétique et, plus particulièrement mirent
l’accent sur le rôle que les soviétiques jouèrent dans le développement du processus
révolutionnaire. A cet égard, il est intéressant de citer un texte paru en avril 1979 à Pékin
dans la revue Beijing Information :
A cause de sa position stratégique importante et de ses riches ressources
pétrolières, l’Iran fait l’objet de la rivalité entre Moscou et Washington pour
dominer le globe. C’est pourquoi, dès le début des troubles, chacun d’eux priait
l’autre de ne pas intervenir dans les affaires intérieures de l’Iran. En fait ils s’y sont
immiscés de diverses manières. Mais il est clair que les Etats-Unis se trouvaient sur
la défensive tandis que l’Union soviétique avait l’offensive.
Séparée de l’Iran par une frontière terrestre longue de 1 800 km, l’Union soviétique
rêve de contrôler son voisin et de s’étendre sur le golfe Persique. Le
bouleversement actuel lui offrait la chance de pouvoir intervenir. Au moment le
plus critique en Iran, elle a énergiquement soutenu les forces à sa solde, incitée les
ouvriers à la grève, provoquée des conflits armés et aggravé la situation générale.
Elle a fait retourner secrètement en Iran des réfugiés résidant en Union soviétique
ou en Europe orientale, afin de s’infiltrer dans les divers groupements et
organisations en lutte contre le Shah. Après la formation du gouvernement
provisoire, la presse soviétique a aussitôt exalté l’action positive des forces que
Moscou soutenait. Elle a demandé la liberté totale de toutes « organisations »
101

poussant ces forces à utiliser leur statut légal pour prendre le pouvoir au moment
propice57.
68 Cette analyse, comme d’ailleurs la visite de Hua Guofeng au Shah, ne pouvait que déplaire
aux mollahs qui n’expliquaient leurs succès que par la justesse de leur cause et leur foi
inébranlable dans l’islam ; elle rendait la Chine d’emblée suspecte aux yeux du jeune
régime islamique. Dans ces conditions, les relations entre la nouvelle République
islamique et Pékin étaient fortement compromises dès le départ.
69 Il fallut attendre plusieurs mois pour que les craintes s’apaisent et pour que, des deux
côtés, on se rende mieux compte de la nécessité de renouer des liens. Le 29 juillet 1979, la
radio iranienne annonçait une nouvelle surprenante et inhabituelle dans les usages
diplomatiques. D’après cette radio, Hua Guofeng avait exprimé ses regrets pour la visite
qu’il avait faite au Shah et déclarait que la Chine soutenait la révolution islamique. C’est
dans un message confié au ministre pakistanais des affaires étrangères, Agha Shahi, que
le dirigeant chinois aurait fait amende honorable. La radio ajoutait que l’ayatollah
Khomeyni avait accepté les excuses du dirigeant chinois en déclarant que « nous
musulmans, considérons que le pardon est une très grande chose »58. Cette version des
faits fut par la suite démentie par Agha Shahi, qui déclara avoir simplement retransmis
un message du président Hua Guofeng à l’ayatollah Khomeyni où il était question du désir
de la Chine d’avoir des relations amicales avec l’Iran59. En fait, cette présentation des
choses se place dans le style particulier qu’affectionne la révolution islamique pour qui le
comportement antérieur de la Chine était entaché d’une sorte de culpabilité originelle qui
ne disparaît que grâce au pardon qu’accorde l’islam à ceux qui se repentent.
70 En tout état de cause, le handicap dont souffraient les relations sino-iraniennes était ainsi
levé et les rapports pouvaient désormais se normaliser. Pourtant, quelques mois plus
tard, un nouvel événement allait rencontrer la réticence du gouvernement de Pékin : la
prise en otages de diplomates américains à Téhéran. Ce nouveau développement suscita
l’appréhension du gouvernement chinois, qui craignait que le durcissement de la
politique iranienne envers les Etats-Unis ne mène inévitablement à un rapprochement du
régime islamique avec l’URSS. Par ailleurs, la Chine, en tant que puissance respectueuse
des usages internationaux, ne pouvait en aucune façon approuver un acte qui était en
contradiction flagrante avec toutes les normes du droit international. Mais comment
ménager l’Iran, avec qui elle venait à peine de normaliser ses relations, et ne pas
admettre la mise en cause d’un principe fondamental du droit international ? La position
de la Chine était donc délicate et il lui fallait manœuvrer avec beaucoup de doigté.
71 Au moment du déclenchement de la crise, la presse chinoise se contenta de refléter les
positions respectives des deux pays sans formuler de commentaire. Le 26 novembre, un
porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères fit une déclaration condamnant
à la fois les ingérences étrangères dans les affaires internes d’un pays (une des
accusations portées par la République islamique contre les Etats-Unis à propos de leurs
relations avec le régime du Shah) et réaffirmant que l’immunité diplomatique était un
principe qui devait être universellement respecté60.
72 En janvier 1980, les Etats-Unis proposèrent un projet de résolution au Conseil de sécurité
demandant des sanctions économiques contre l’Iran. Le 13 janvier, le projet de résolution
fut mis au vote. L’Union soviétique y ayant opposé son veto, le projet fut rejeté. Quant à la
Chine, elle ne participa pas au vote. Expliquant les raisons de son abstention, le
représentant chinois au Conseil de sécurité déclara : « nous éprouvons de la sympathie
envers le peuple américain sérieusement préoccupé par le sort des otages. A ce sujet,
102

nous avons toujours été d’avis que les normes régissant les relations internationales et
l’immunité diplomatique acceptées en commun, doivent être respectées de façon
universelle », et il ajoutait plus loin que « les sanctions économiques contre l’Iran ne
conduiraient pas nécessairement au relâchement de la tension et à la libération des
otages »61. Selon le représentant chinois, il fallait trouver une solution par voie de
consultation et de négociation.
73 Cette prise de position de la Chine résume clairement la ligne politique que ce pays va
poursuivre tout au long de la crise. Mais entre novembre 1979 et janvier 1980, l’Armée
rouge a envahi l’Afghanistan et l’inquiétude de la Chine ne cesse de croître à propos de
l’évolution de la situation en Asie occidentale, ce qui explique sans doute la véhémence
des propos du représentant de la Chine à l’égard de l’Union soviétique pendant la même
séance du 13 janvier du Conseil de sécurité : « Le comportement de l’Union soviétique au
cours de l’examen de ce problème au Conseil de sécurité montre que Moscou cherche à
tirer parti de la crise afin de se poser en “protecteur” de l’Iran et “allié naturel” des pays
islamiques, et de se constituer ainsi un capital politique à bon marché. Nous sommes sûrs
que le peuple iranien et autres peuples du monde islamique sauront parfaitement percer
à jour les intrigues de l’URSS, et qu’ils feront échec à ses intentions : semer la discorde et
pêcher en eau trouble »62.
74 « La sympathie pour le peuple américain » n’empêche nullement la Chine d’éprouver le
même sentiment pour le peuple iranien. Ainsi, par exemple, lorsque le chargé d’affaires
soviétique à Mexico lâche un « ballon d’essai » et déclare que l’URSS est disposée à
accorder son aide, y compris une aide militaire, à l’Iran afin de lui permettre de résister à
la pression américaine et que Téhéran refuse cette proposition, la Chine se réjouit et
trouve là une occasion d’approuver le peuple iranien63. Après l’échec de l’opération
américaine aéroportée sur Tabbas, le porte-parole du ministère des affaires étrangères de
la République populaire déclara que « les sanctions prises par le gouvernement américain
contre l’Iran, de même que l’opération de sauvetage impliquant la violation de l’intégrité
territoriale et de la souveraineté de l’Iran, non seulement sont inutiles à la recherche
d’une solution au problème, mais encore sont de nature à aggraver la situation. Nous
exprimons notre regret devant ces actions américaines »64. C’est une autre manière de
montrer au régime islamique que Pékin se préoccupe aussi des intérêts de Téhéran.
75 L’opération de Tabbas fut l’occasion pour les Chinois de développer une fois de plus, mais
cette fois de manière plus systématique, leurs thèses sur les profits que les Soviétiques
pourraient tirer de l’aggravation de la crise irano-américaine. Du point de vue de la
Chine, l’URSS pourrait obtenir quatre avantages de cette situation : a) détourner
l’attention du monde de son intervention en Afghanistan ; b) se poser en défenseur de
l’Iran ; c) accroître son déploiement militaire, en prétextant le renforcement des forces
navales américaines dans l’océan Indien ; d) tirer profit sur le plan économique à cause
des sanctions américaines65.
76 Après la libération des otages, le 20 janvier 1981, le Quotidien du peuple publia un article où
il se félicitait de l’issue heureuse de la crise, rappelait le rôle positif de certaines
organisations internationales et du gouvernement algérien, mais ne manquait pas de
souligner combien l’URSS avait intrigué pour détériorer les relations entre l’Iran et les
Etats-Unis et que la résolution du problème des otages ne pouvait pas être accueillie
favorablement par l’« hégémonisme soviétique »66.
77 Beaucoup plus que la crise des otages, c’est la guerre Iran-Irak qui va mettre à l’épreuve
les relations entre Téhéran et Pékin. Déjà, bien avant le déclenchement du conflit, la
103

Chine, par la voie d’un commentaire du Beijing Information (5 mai 1980), se montre
préoccupée de la détérioration des relations irano-irakiennes qui ne pouvait que rendre
plus complexe la situation instable dans la région du golfe Persique, où les « forces
hégémonistes » ont l’intention d’utiliser ces disputes pour atteindre leur but. Quand la
« dispute » se transformera plus tard en une guerre véritable, les Chinois manifesteront
officiellement leur inquiétude. Cette inquiétude transparaît dans le discours du
24 septembre du ministre chinois des affaires étrangères, Huang Hua, devant l’Assemblée
générale de l’ONU : « Nous sommes profondément préoccupés par le récent conflit
militaire entre l’Irak et l’Iran. Nous espérons sincèrement que les deux parties cessent
promptement leurs hostilités et règlent leurs différends par voie de négociations
pacifiques, afin de ne pas se laisser exploiter par ceux qui poursuivent des buts
inavouables »67. Appel à la modération, mise en garde contre les ingérences des
superpuissances, tout en maintenant une position équidistante entre les deux pays
belligérants sans évoquer la responsabilité de l’agression, tels seront désormais les grands
principes sur lesquels sera fondée la politique officielle de la Chine vis-à-vis de la guerre.
78 La République islamique apprécie, du bout des lèvres il est vrai, la neutralité de la Chine,
tout en partageant ses craintes quant aux bénéfices que « l’hégémonisme » peut tirer de
la situation par le déclenchement de la guerre. Cependant, ce sont d’autres considérations
qui vont amener Téhéran à engager un processus de rapprochement avec Pékin. La
coopération qui existe entre la Chine et l’Irak, la possibilité d’utiliser le facteur chinois à
l’occasion dans les relations avec l’URSS, la nécessité de briser l’isolement diplomatique
sont, au début, les motivations essentielles de la politique chinoise du régime islamique.
79 La dégradation du climat politique entre Téhéran et Moscou, en 1983, va fournir
l’occasion d’améliorer les relations irano-chinoises. Tout au long de cette année, des
contacts vont être pris de part et d’autre et plusieurs visites officielles échangées. En
septembre, le ministre iranien des affaires étrangères fera un voyage à Pékin où il
rencontrera des dirigeants de haut rang comme Li Xiannian et Zao Ziyang ; ce dernier
exprimera « son appréciation de la position de l’Iran de s’opposer à l’hégémonie et de
mettre l’accent sur le développement des relations avec d’autres pays du Tiers Monde »68.
80 En 1985, c’est Rafsandjani qui se rend en voyage officiel en Chine à la tête d’une
impressionnante délégation. A cette occasion, les problèmes bilatéraux sont examinés et
l’accent est mis sur la responsabilité des grandes puissances dans la persistance des
tensions entre les pays du Tiers Monde, thème cher aux deux pays. A propos des rumeurs
concernant l’achat d’armes à la Chine, Rafsandjani répond aux questions des journalistes
de façon laconique : « en ce qui concerne la vente d’armes par la Chine, nous n’exigeons
pas une telle chose de la part des Chinois. Nous comptons sur nos propres forces pour
assurer une longue défense »69. En fait, en 1983, les « rumeurs » à ce sujet ont déjà une
longue histoire.
81 Fin 1982, début 1983, les premières informations à propos de livraisons d’armements et
de matériel militaire chinois à l’Iran et à l’Irak sont publiées par la presse internationale 70.
D’après ces informations, le volume des exportations de la Chine à destination des deux
pays belligérants avait tellement augmenté les derniers temps qu’il semblait fort probable
que, sous couvert de commerce civil, les Chinois fournissaient du matériel militaire aux
deux pays en guerre. Ces sources précisaient qu’au début, la Chine ne fournissait que
l’Irak, mais, par la suite, elle avait commencé des livraisons à l’Iran. Les armes livrées
étaient surtout des armes légères, des munitions, des pièces de rechange et des chasseurs
F6, qui sont en fait la version chinoise du Mig 19 soviétique. Evidemment, des porte-
104

paroles officiels du gouvernement de Pékin réfutèrent en bloc ces informations en


déclarant que la Chine n’avait jamais livré des armements à aucun des Etats belligérants 71.
En 1984, des informations plus détaillées furent publiées dans la presse, faisant état de la
vente d’armes d’une valeur de plus d’un milliard de dollars à l’Iran. D’après ces
informations, une partie des armes aurait été livrée à la République islamique par
l’intermédiaire de la Corée du Nord, qui, par ailleurs, aurait envoyé trois cents conseillers
à Téhéran pour former les Iraniens afin qu’ils puissent utiliser les armes en provenance
de Pyong Yang. De plus, l’Iran aurait autorisé des experts chinois à examiner des
armements d’origine soviétique capturés sur les troupes irakiennes72. Une fois de plus,
Pékin dément catégoriquement ces informations. Cependant, une publication de l’institut
suédois de recherches sur la paix (SIPRI), parue la même année, confirme la vente d’armes
de fabrication chinoise à l’Iran comme à l’Irak, et donne ainsi quelque crédibilité aux
informations parues dans la presse73.
82 En 1987, la question des livraisons d’armes chinoises à la République islamique prend des
dimensions internationales plus importantes. Malgré les réactions indignées des autorités
chinoises, plusieurs capitales occidentales font, au début de l’année, état de leurs
préoccupations à propos de l’installation par l’Iran de missiles de fabrication chinoise le
long des côtes longeant le détroit d’Ormuz74. Inquiets de l’évolution de la situation dans la
région du golfe Persique, les Etats-Unis vont à plusieurs reprises inviter la Chine à cesser
ses ventes d’armes à l’Iran. La Chine, pour sa part, continue à maintenir que sa décision
de ne pas vendre d’armes à l’Iran reste inchangée. En tout état de cause, la livraison,
supposée ou réelle, de fusées chinoises Silkworm à l’Iran finit par constituer un élément
dans le processus de dégradation des relations sino-américaines entamé en 1987. En 1988,
des sources américaines révèlent que, durant l’année 1987, quelque 65 % des armes reçues
par l’Iran provenait de la Chine. Selon ces mêmes sources, la Chine aurait vendu pour sept
milliards de dollars d’armes à l’Iran et à l’Irak depuis 197975. Certains observateurs iront
jusqu’à dire que si la Chine, comme d’ailleurs l’URSS, n’était pas disposée à accepter le
principe des sanctions contre l’Iran, prévu par la résolution 598, c’est que devenu premier
fournisseur militaire de la République islamique, Pékin voulait ménager Téhéran. La
révélation, début 1988, de la vente d’un nombre important de missiles chinois à l’Arabie
Saoudite, au moment où les relations de ce pays avec l’Iran devenaient de plus en
tendues, ajoute un nouvel élément au jeu compliqué que Pékin mène dans la région.

NOTES
1. Voir Nouchine YAVARI-D’HELLENCOURT, « Rejet de l’Occident et stratégie identitaire en Iran »,
Revue française de science politique, août 1986, pp. 528-544.
2. Michael LEDEEN et William LEWIS, Debacle. L’échec américain en Iran, Paris, Albin Michel, 1981.
3. Ibid, p. 265.
4. Ali-Ashraf PARGARI, Madjerayé Tabbas (l’incident de Tabbas), Téhéran, éd. des Pasdaran, 1362
(1983).
105

5. Voir à ce sujet les Cahiers de CEDIN, Centre de droit international de Nanterre, n° 1, avril 1984,
consacré entièrement au Tribunal des différends irano-américains (1981-1984), Journal de droit
international, n° 4, 1985, pp. 791-863.
6. Cité d’après Saad Robert SAAD, « Irak-Iran : les chronologies », Les Cahiers de l’Orient, n° 1, 1 er
trimestre 1986, p. 143.
7. R.K. RAMAZANI, “Iran: Burying the Hatchet”, Foreign Policy, n° 60, automne 1985, pp. 52-74.
8. Sur l’Irangate voir : The Tower Commission Report (A New York Times Special), New York,
Randam House, 1987.
9. Le Monde, 9 et 10 novembre, 1986.
10. Le Monde, 22 novembre 1986.
11. Ibid.
12. Scheherazad DANESHKU , “The Execution of Mehdi Hashemi”, Middle East International,
24 octobre 1987.
13. Voir à ce propos, pour le point de vue irakien : Nizar HAMDOON , “The US-Iran Arms Deal: An
Iraqi Critique”, Middle East Review, été 1987, pp. 35-40.
14. Voir l’article de Francis BEAUJEU , « Diplomatie et contraintes intérieures », Le Monde
diplomatique, octobre 1982.
15. Scheherazad DANESHKU, “The American Idea of an Iranian moderate”, Middle East International,
17 avril 1987.
16. Saul BAKHASH, « Les leçons de l’Irangate », Esprit, mai 1987, pp. 55-64.
17. Déclaration de Khomeyni, 4 novembre 1964, Islam and Revolution. Writing and Declarations of
Imam Khomeyni, Translated and Anotated by Hamid ALGAR, Mizan Press, Berkeley, 1981, p. 185.
18. Extrait du message de Khomeyni à l’occasion de la fête de ahadir 21 sept. 1982, Au sujet du
sionisme et du régime usurpateur de Ghods, Brochure publiée par le Département des langues
nationales et étrangères de la voix et vision de la République islamique, Téhéran (sans date de
publication), p. 19.
19. Ibid, p. 3.
20. Dans son livre « La révolution de l’Iran en deux mouvements » (Enghelab-é Iran dar do harekat),
publié à Téhéran en 1984, Mehdi BAZARGAN , évoque le cas d’un mollah qui poussa l’anti-
américanisme au point de déclarer que le mot d’ordre « Mort à l’Amérique » était plus important
que l’obligation de la prière, p. 115.
21. Voir à propos du changement dans la perception des menaces extérieures : Nader ENTESSAR,
“Changing Patterns of Iranian Arab Relations”, Journal of Social, Political and Economic Studies,
vol. 9, n° 3, automne 1984, pp. 341-358.
22. Sur la politique officielle de l’Union soviétique à l’égard de la guerre, voir, entre autres, V.
GOUREV, « En dépit des intérêts nationaux (conflit irano-irakien) », La vie internationale, n° 4, 1984,
pp. 119-123.
23. Olivier DA LAGE et Gérard GRZYBEK, « Le monde communiste et le conflit irako-iranien », L’URSS
et l’Europe de l’Est, Pub. Documentation française, édition 1985, p. 15.
24. Le Monde, 28 octobre 1986.
25. Le Monde, 23-24 novembre 1986.
26. Le Monde, 16 mai 1987.
27. Le Monde, 3 juin 1987.
28. Le Monde, 15 août 1987.
29. Pendant les quatre mois que dura son séjour à Neauphle-le-Château, Khomeyni accorda cent
trente-deux interviews à la radio, à la télévision et à la presse, il publia cinquante déclarations
aussitôt diffusées en Iran, et s’adressa directement à près de cent mille Iraniens qui, au rythme
d’un millier par jour environ, venaient prier avec lui, l’écouter ou simplement lui baiser la main,
voir Amir TAHERI, Khomeyni, Paris, Balland, 1985, pp. 239-240.
106

30. Voir l’article de Michel FOUCAUT, « A quoi rêvent les Iraniens », Le Nouvel Observateur,
16 octobre 1978 et sur ce sujet voir aussi Fereydoun HOVEYDA, « L’intelligentsia occidentale face à
Khomeyni », Revue des deux mondes, janvier 1988, pp. 57-69.
31. Le Monde, 11 et 12 mars 1979.
32. Le Monde, 22 juillet 1980.
33. Discours du ministre des affaires étrangères Jean-François Poncet, 5 décembre 1980 au sénat.
34. Pour une analyse de l’évolution des relations entre Paris et Bagdad voir Shahram CHUBIN, « La
France et le Golfe : opportunisme ou continuité », Politique étrangère, n° 4, 1983, pp. 879-887.
35. Pierre METGE, « La France dans le conflit irano-irakien, commerce d’armes ou guerre par
procuration ? », Paix et conflits, n° 7, automne 1984, p. 7.
36. Le Monde, 17 septembre 1983.
37. Le Figaro, 24 et 25 septembre 1983.
38. Entretien télévisé de François Mitterrand, Antenne 2, 16 novembre 1983, cité par Paul
TAVERNIER, « La guerre du Golfe : les grandes puissances et les autres... ou le triomphe de
l’ambiguité », ARES, Défense et Sécurité, 1984-1985, p. 546.
39. Le Monde, 9 février 1983.
40. Le Monde, 27 août 1983.
41. Déclaration de Claude Cheysson, Le Monde, 16 juillet 1982.
42. Le Monde, 9 février 1983.
43. Déclaration de Claude Cheysson, Le Monde, 12 février 1983.
44. Pierre METGE, op. cit., p. 14.
45. Georges GORSE, « Une guerre faite pour durer », Le Monde, 6 mai 1982, Bernard BELLOCQ,
« Contre le lobby irakien en France », Le Monde, 2 août 1983.
46. François BEAUJEU , « Impasses et faux calculs de la diplomatie française », Le Monde
diplomatique, mai 1987, p. 7.
47. Ibid.
48. Le Monde, 4 août 1981.
49. Cité dans Le Monde, 4 juillet 1987.
50. Le Monde, 8 juillet 1987.
51. Sorouche, 22 mai-21 juin 1986, p. 10.
52. Ibid.
53. Le Monde, 4 juillet 1987.
54. Pekin information, 25 juin 1973.
55. Keesing’s Contemporary Archives, 5 janvier 1979, p. 29391.
56. A propos de cette visite, le Shah écrit dans ses mémoires : « Enfin je dois rendre hommage à la
loyauté des dirigeants chinois. Lors de la visite que M. Hua Guofeng me fit au moment où la crise
iranienne atteignait son point culminant, j’eu le sentiment que les Chinois étaient alors les seuls
à vouloir un Iran fort », Mohammad-Reza PAHLAVI, Réponse à l’Histoire, Paris, Albain Michel, 1979,
p. 190.
57. Beijing Information, 16 avril 1979.
58. Le Monde, 31 juillet 1979.
59. The Statesman (New Delhi), 31 juillet et 2 août 1979.
60. Voir A.H.H. ABIDI, China, Iran, and the Persian Gulf, New Delhi, Reliant Publishers, 1982.
61. Beijing Information, 21 janvier 1980.
62. Ibid.
63. Beijing Information, 28 janvier 1980.
64. Beijing Information, 5 mai 1980.
65. Ibid.
66. ABIDI, A.H.H., op. cit., p. 189.
107

67. Beijing Information, 6 octobre 1980.


68. Beijing Information, 26 septembre 1983.
69. Sorouche, 22 mai-22 juillet 1985, p. 73.
70. Far Eastern Economic Review, décembre 1982, p. 7, International Herald Tribune, 13 janvier 1983.
71. Pour le démenti du ministère des affaires étrangères voir : Beijing Information, 24 mars 1984.
72. International Herald Tribune, 4 avril 1984.
73. SIPRI, The Iraq-Iran War and the Arms Trade, Press Release, 3 septembre 1984.
74. Le Monde, 28 mars 1987.
75. Le Monde, 23 février 1987.
108

Chapitre VI. La politique régionale

« Le Soleil de l’Islam a brillé sur l’Iran et a entraîné


une tourmente révolutionnaire. Il brillera un jour
sur bien d’autres régions du monde ; attendons, et
nous verrons ».
Ali KHAMENEI
Allocution devant l’Assemblée générale des
Nations Unies, 22 septembre 1987.
1 Malgré ses projets ambitieux et en dépit de quelques tentatives de percée en direction de
l’Afrique, de l’Asie et même de l’Amérique latine, la diplomatie de la République islamique
a concentré essentiellement ses efforts sur son environnement immédiat1. La priorité
accordée à la politique régionale est naturelle. Elle s’explique à la fois par la perception
des menaces, qui peuvent s’exercer à partir ou à travers les pays voisins sur le régime, et,
aussi, par la prise en compte d’une réalité incontournable : les régions limitrophes sont
les espaces privilégiés pour toute expansion idéologique et constituent en quelque sorte
des zones d’influence potentielles pour la République islamique. Cette dernière
préoccupation n’échappe évidemment pas à l’attention des pouvoirs en place dans les
pays voisins ou proches de l’Iran, ce qui a pour conséquence l’apparition et la persistance
d’un climat de méfiance et de suspicion qui va caractériser l’ensemble des rapports que
Téhéran entretient avec les pays de la région. Cette ambiance teintée d’hostilité
réciproque n’est pas simplement le fruit des visées expansionnistes, réelles ou attribuées,
à la politique extérieure du régime islamique, elle est aussi le résultat des difficultés que
rencontre l’intégration dans l’ensemble des pays de la région d’un Etat si différent des
autres.
2 Pourtant, sous la pression des circonstances, sans que le degré d’hostilité ne s’atténue
réellement, un tissu complexe de liens interrégionaux a été progressivement noué.
L’événement majeur qui a été à l’origine de ce processus et qui en a modulé les formes, est
bien entendu la guerre Iran-Irak. Ce conflit a ouvert la voie à l’apparition d’une gamme de
nuances dans les rapports entre les pays de la région. Pour sa part, la République
islamique a montré combien, à cause de la guerre, elle était capable, dans le contexte
régional, de souplesse et même de modération si nécessaire, pour atteindre certains
objectifs. En quelques mois, l’uniformité de la vision idéologique a fait place à une
politique subtile, contrastée, où l’on retrouve les situations les plus différenciées,
109

intégrées dans une stratégie apparemment bien structurée. Ainsi, avec quelques pays, des
relations d’alliance ont été mises en place ; avec ceux qui avaient adopté une position de
neutralité des liens de coopération ont été noués ; une politique alternant pression et
dialogue a été appliquée à ceux des pays voisins qui avaient choisi une attitude favorable
à l’Irak. Rien n’a été négligé : le Liban, transformé en base d’opérations, a été appelé à la
rescousse de la guerre, l’Afghanistan utilisé dans le cadre de la diplomatie de la guerre,
même les services que pouvait rendre en matière de fourniture d’armements un Etat
comme Israël, par ailleurs tellement décrié par les islamistes, n’ont pas été repoussés. Au
cœur de la diplomatie régionale de Téhéran se trouve donc pendant huit ans la guerre,
préoccupation fondamentale de toute la politique de la République islamique.
3 Elaborée à partir des besoins de la guerre, cette diplomatie a été étroitement liée à
l’évolution de la situation sur le front. Par conséquent, un changement important, comme
l’instauration du cessez-le-feu, ne manquera pas d’avoir de profondes répercussions sur
toute la politique régionale. Cependant, les divergences avec certains pays sont telles que
toute évolution rapide paraît exclue.

1. Les monarchies pétrolières


4 La chute du Shah, malgré l’irritation et les rancunes qu’avaient suscitées certains aspects
de sa politique dans la région du golfe Persique2, jeta le trouble dans l’esprit de la plupart
des dirigeants des monarchies de la péninsule Arabe. Ils s’interrogèrent davantage sur le
degré de vulnérabilité de leur propre régime, sur la fiabilité du soutien américain, sur
leur capacité, sans le contrepoids de la monarchie iranienne, de résister à l’ardeur du
nationalisme socialisant de l’Irak ba’thiste. Les petits émirats se demandèrent ainsi
comment ils pouvaient préserver la marge de manœuvre qu’ils avaient acquise à la faveur
du système tripolaire traditionnel (Iran-Arabie Saoudite-Irak) qui avait prévalu dans la
région depuis le début des années soixante-dix. Mais, ce qui par dessus tout les intriguait,
c’était l’impact qu’aurait la révolution islamique dans toute la région et quelle politique le
nouveau régime iranien allait poursuivre à leur égard.
5 La réponse à ces questions ne tarda pas à venir à la fois sous la forme de graves incidents
et aussi des déclarations nombreuses, parfois contradictoires, des membres de la nouvelle
équipe dirigeante à Téhéran et qui eurent, au moins le mérite de clarifier leurs positions.
Certes, il était difficile d’attribuer la responsabilité de l’attaque de la Grande mosquée de
La Mecque, de novembre 1979, ou de l’agitation des shi’ites dans les provinces pétrolières
du Hasa en Arabie Saoudite directement à Téhéran. Cependant, aux yeux des dirigeants
arabes, il était significatif que ces incidents se produisent au moment où la révolution
islamique se radicalisait davantage, juste après l’occupation de l’ambassade américaine.
Quant aux projets politiques de la République islamique pour la région, il ressortait au
moins une idée principale de toutes les déclarations faites à Téhéran : le gouvernement
révolutionnaire n’entendait pas respecter le statu quo et il ferait son possible pour aider
les « opprimés » à renverser les « régimes oppresseurs et corrompus », alliés naturels de
« l’impérialisme anti-islamique ».
6 Dès lors, la question qui se pose aux monarchies pétrolières, placées devant un tel défi,
est de savoir comment résister à l’activisme d’un régime hostile, qui possède des moyens
de pression variés et un pouvoir d’attraction certain sur les éléments islamistes de la
population shi’ite mais aussi sunnite. Face à cette situation, l’ensemble des dirigeants des
monarchies arabes de la région adoptèrent une politique fondée sur trois principes :
110

profil bas pour apaiser le régime révolutionnaire de Téhéran, « réislamisation » de la


société pour tenter de battre les islamistes sur leur propre terrain et coopération plus
active entre les six Etats, pour réprimer toute tentative de déstabilisation. A cela s’ajoute
une attention plus particulière portée aux communautés shi’ites, dont l’importance varie
d’un pays à l’autre (de 5 % de la population en Arabie Saoudite à 70 % de la population à
Bahreïn), et dont une partie est d’origine iranienne. Désormais, les shi’ites sont
étroitement surveillés mais aussi systématiquement favorisés pour empêcher les
prétextes à revendication qui pourraient être avantageusement exploités par la
République islamique3. Mais, ne voyant pas Téhéran adopter une position plus
conciliante, les monarchies pétrolières esquissent aussi un rapprochement avec Bagdad,
espérant ainsi renforcer leur capacité face à l’Iran islamique qui décidément leur paraît
plus menaçant que le pouvoir ba’thiste d’Irak.
7 Le processus ainsi enclenché va être considérablement accéléré avec le déclenchement de
la guerre en raison de l’intérêt plus prononcé de Bagdad, qui cherche à multiplier les
soutiens arabes à son entreprise guerrière, et aussi parce que certains dirigeants des pays
de la péninsule Arabe caressent le rêve de voir les forces des deux belligérants s’épuiser
mutuellement. Cependant, l’échec de l’attaque éclair de l’Irak, va amener ces mêmes
dirigeants à proclamer haut et fort leur neutralité entre Bagdad et Téhéran, tout en
prodiguant, plus ou moins directement, soutiens financiers et logistiques à l’Irak.
8 La guerre va aussi conduire ces pays à se regrouper, à serrer les rangs pour essayer de
mieux se protéger en cas d’extension du conflit. Trois mois après l’entrée en guerre de
l’Iran et de l’Irak, en janvier 1981, au sommet islamique de Taëf, l’idée de la création
d’une nouvelle structure de coopération régionale est avancée. Après quelques réunions
préliminaires, les chefs d’Etat de l’Arabie Saoudite, du Koweït, de Qatar, de Bahreïn, des
Emirats Arabes Unis et d’Oman se rencontrent, les 25 et 26 mai, à Abou-Dhabi où ils
approuvent les statuts du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). L’organisation régionale
ainsi mise en place a officiellement pour vocation la coordination des efforts des Etats
membres dans les domaines économiques et sociaux en vue de renforcer leur unité4. Mais
personne n’est dupe ; en dépit des apparences, la finalité du CCG est double : outre la
coopération économique, le Conseil a aussi pour objectif de renforcer la sécurité des Etats
membres, d’harmoniser leurs politiques de défense et de développer leur collaboration
dans le domaine de la sécurité interne5.
9 La création du CCG est un succès pour la diplomatie saoudienne, qui, profitant de
l’engagement de l’Iran et de l’Irak dans la guerre, met en place une organisation où Ryad
jouit d’une position avantageuse face à des partenaires qui, malgré leurs richesses, sont
souvent des micro-Etats militairement très vulnérables. Cette position dominante du
royaume wahhabite dans le nouveau sous-système régional permet aux dirigeants
saoudiens de réaliser un vieux rêve : la formation d’un bloc sous leur direction
permettant de renforcer leur hégémonie sur la Péninsule, considérée comme une zone
d’intérêt vital par Ryad. Exclu de facto d’une organisation arabe régionale, l’Irak, qui a
besoin de l’aide des pétromonarchies, se résigne à accepter le fait accompli tandis que
l’Iran ne cache pas son hostilité. Dans une émission diffusée, le 12 novembre 1981, le
commentateur de Radio-Téhéran présente le CCG comme « une alliance militaire dirigée
par les cercles impérialistes [...] similaires à l’OTAN, dont la principale raison d’être est
d’empêcher la victoire de la révolution islamique dans la région »6.
10 Le regroupement des monarchies arabes du golfe Persique dans un ensemble destiné,
entre autres, à coordonner leurs efforts en matière de sécurité, répond à deux types de
111

besoins : il s’agit, d’une part, de se prémunir contre toutes les formes d’influence que la
révolution islamique peut exercer dans chacun des pays membres et, d’autre part, en
rapport avec la guerre, d’harmoniser la politique des six Etats afin de réduire les risques
de leur implication directe dans les hostilités. En d’autres termes, c’est un réflexe de
protection, face aux menaces de type subversif et aux dangers que le conflit armé leur
faisait courir, qui est à l’origine de cette union entre les six monarchies.
11 Du point de vue idéologique, Téhéran reproche aux dirigeants des monarchies arabes de
s’être éloignés des préceptes de l’islam, d’exploiter les richesses des pays à leur propre
profit et, par dessus tout, de s’être alliés aux Etats-Unis et de faire ainsi le jeu d’Israël. Si
dans l’ensemble, la légitimité de tous les pouvoirs princiers est mise en question, la
dénonciation du pouvoir saoudien est encore plus sévère. Khomeyni répugne même à
employer l’expression « Arabie Saoudite » et préfère parler du « gouvernement de
Hedjaz ». De plus, ce qui aux yeux des autorités de Ryad est beaucoup plus grave, c’est la
mise en cause, par le chef de la révolution islamique, du rôle de gardien des lieux saints
de l’islam qu’assume l’Arabie Saoudite. Ces idées maintes fois exprimées, ont été reprises
de manière tout à fait explicite, à la suite des incidents sanglants survenus à La Mecque, le
31 juillet 1987, entre les manifestants iraniens et les forces de police saoudiennes. Après
une attaque en règle contre les « imbéciles qui se sont arrogé la garde des lieux saints »,
Khomeyni alla jusqu’à déclarer que désormais « la libération de La Mecque passe avant
celle de Kerbela et celle de Jérusalem »7. Les griefs de Téhéran à l’égard des monarchies
pétrolières ont aussi un aspect spécifiquement shi’ite. Régulièrement, les autorités
islamiques font des démarches auprès des gouvernements de ces pays en leur demandant
de ne pas maltraiter la communauté shi’ite d’origine iranienne ou en attirant leur
attention sur la situation des shi’ites arabes qui sont, selon Téhéran, considérés comme
des citoyens de second ordre.
12 Pour faire pression sur ces pays, la République islamique dispose de nombreux moyens.
Outre l’écho favorable que rencontre la révolution dans certaines couches de la
population de ces sociétés en pleine mutation économique et sociale, mais qui persistent
à vouloir maintenir une structure traditionnelle du pouvoir, Téhéran, par les activités
ininterrompues de sa machine de propagande, par l’intermédiaire des mouvements
d’opposition (dont certains ont pignon sur rue en Iran), par l’adhésion des groupes
activistes et clandestins à ses thèses, possède une panoplie impressionnante
d’instruments d’action. Dans le cas particulier de l’Arabie Saoudite, le pèlerinage annuel à
La Mecque va offrir aussi à la République islamique, comme on l’a signalé plus haut,
l’occasion d’organiser des manifestations politiques qui pourront porter préjudice au
prestige et à l’image de marque du royaume.
13 Durant la guerre, Téhéran reproche aux émirats et à l’Arabie Saoudite d’aider
financièrement Bagdad, de lui offrir un soutien logistique (transit de matériel militaire,
écoulement du pétrole irakien à travers leur territoire…), de lui accorder des facilités
militaires comme l’autorisation de survol de leur territoire et d’escale dans leurs
aéroports – donnée irrégulièrement à l’armée de l’air d’Irak – de faire des pressions
économiques sur l’Iran à travers l’OPEP, de soutenir les positions irakiennes dans les
instances internationales etc., bref d’avoir choisi le camp irakien au détriment de l’Iran.
Si, dans l’ensemble, ces accusations apparaissent fondées, il faut reconnaître aussi que les
pays du CCG, bien que virtuellement alliés de l’Irak, ne souhaitaient pas un durcissement
du conflit ni son extension et ont souvent prodigué, semble-t-il, des conseils de
modération à l’Irak comme, par exemple, à propos des attaques des pétroliers dans les
112

eaux du golfe Persique. Malgré l’existence d’une certaine unité de vue de ces pays, par
rapport à la guerre, les positions de l’Arabie Saoudite et du Koweït, plus directement
impliqués dans le conflit, n’ont pas été totalement concordantes.
14 L’Arabie Saoudite, en tant que chef de file des monarchies arabes et à cause de sa
proximité géographique, surtout dans les zones d’affrontement maritime, a été mêlée,
bien malgré elle, à certains épisodes de la guerre. Ainsi, en 1984, ce pays a frôlé le risque
d’être entraîné directement dans la confrontation armée. En avril de cette année,
l’aviation irakienne attaquait un gros pétrolier saoudien, le Safinia-el-Arab, qui venait de
remplir ses cuves au terminal iranien de l’île de Kharg. Par cette attaque, Bagdad faisait
savoir à Ryad qu’il était désormais décidé de passer outre aux conseils de modération et
qu’il s’en prendrait à tous les navires, y compris saoudiens, chargeant aux terminaux
iraniens quitte à entraîner l’ensemble de la région dans une escalade aux conséquences
imprévisibles. Quelque temps après ce premier pas vers l’internationalisation du conflit,
la chasse saoudienne abattait un avion des forces armées iraniennes au-dessus de la ligne
de délimitation du plateau continental entre les deux pays. Conscients d’avoir atteint un
seuil critique, les Saoudiens vont tout mettre en œuvre pour tenter de désamorcer la crise
qui s’annonce. Les initiatives qu’ils prendront en ce sens auront des résultats d’autant
plus positifs que de son côté la République islamique essaie à tout prix d’éviter de tomber
dans le piège tendu par Bagdad, consistant à entraîner Téhéran dans un affrontement
armé avec l’Arabie Saoudite, ce qui aurait eu évidemment comme effet de disperser les
forces iraniennes. Des contacts secrets sont établis entre Téhéran et les autorités
saoudiennes ; en même temps ces dernières exercent des pressions sur le gouvernement
irakien pour qu’il renonce à bombarder massivement Kharg8.
15 Après une année de tractations discrètes entre les deux pays, le 20 mai 1985, le prince
Saoud el Fayçal, ministre des affaires étrangères saoudien, se rend à Téhéran. C’est la
première visite d’un officiel saoudien de haut rang en Iran depuis le renversement de la
monarchie. En décembre, Ali-Akbar Velayati fait à son tour le voyage de Ryad. Ces
échanges de visites contribuent à améliorer le climat des rapports entre les deux pays et
une sorte d’entente s’établit entre les deux capitales pour éviter une aggravation de la
« guerre des pétroliers ». Aucun navire saoudien n’est plus attaqué par l’Iran, en
représailles aux attaques irakiennes. Par ailleurs, à l’OPEP un rapprochement entre
Saoudiens et Iraniens se dessine. Ce rapprochement coïncide avec la mise à l’écart du
sheikh Zaki Yamani, ministre du pétrole, a qui Téhéran reproche son attitude inamicale.
En août 1986, des pèlerins iraniens porteurs de tracts ainsi qu’un groupe d’activistes
détenant des explosifs sont arrêtés en Arabie Saoudite mais refoulés très discrètement,
afin de ne pas envenimer les relations avec Téhéran9. Dans le cadre des relations irano-
américaines, l’Arabie Saoudite encourage les orientations diplomatiques, qui sous-
tendent l’Irangate ; elle facilite l’approvisionnement de l’Iran en pétrole raffiné et
probablement même en armes10. Visiblement, l’heure est à la modération et à la
conciliation.
16 Mais les incidents qui se produisent le 31 juillet 1987 devant la Grande mosquée de
La Mecque mettent un terme à tous les efforts patients de la diplomatie des deux pays
durant plus de deux ans. La mort de plusieurs centaines de pèlerins iraniens va faire
monter la tension aux extrêmes. Téhéran appelle à la vengeance, tandis que Ryad
demande à tous les musulmans de condamner les agissements de la République islamique
qui ne respecte pas la sérénité du pèlerinage. Qui porte la responsabilité de ces graves
incidents ? Dérapage des forces de l’ordre saoudiennes, obsédées par les problèmes de
113

sécurité depuis l’occupation de la Grande mosquée par un groupe dissident en 1979 ?


Provocation montée de toute pièce par ceux qui redoutaient un approfondissement de
l’entente entre Téhéran et Ryad ? Ou durcissement du pouvoir islamique à cause soit des
rivalités internes soit de la situation sur le front de la guerre ? Questions auxquelles il est
impossible d’apporter des réponses précises à l’heure actuelle.
17 En tout état de cause, l’été 1987 marque un nouveau tournant dans les relations entre les
deux pays. Désormais, les Saoudiens prônent la fermeté et reconnaissent l’inanité d’une
politique d’apaisement avec la République islamique qui non seulement ne désarme pas
mais s’attaque aux fondements mêmes de la dynastie des Saoud. En août, le
gouvernement saoudien déclenche une violente offensive médiatique contre le régime
islamique et dénonce « les menées subversives et terroristes de l’Iran »11. En novembre,
au sommet arabe d’Amman, les Saoudiens font insérer dans la déclaration finale la
dénonciation des « actes criminels et sanglants perpétrés par les Iraniens dans l’enceinte
de la Mosquée sacrée de La Mecque »12. En décembre, à la réunion de l’OPEP à Vienne, la
rupture pétrolière entre les deux pays est consommée ; désormais, Ryad cherche à isoler
l’Iran et à l’empêcher d’écouler aisément son brut13. Cependant, durant les derniers jours
de 1987, un léger espoir apparaît. A la réunion du CCG (26-29 décembre), les partisans
d’une certaine entente avec Téhéran, essentiellement Oman et les Emirats Arabes Unis,
essaient de calmer le jeu. Le communiqué final publié à l’issue de cette rencontre ne
condamne à aucun moment l’Iran, une médiation syrienne est acceptée et il est envisagé
d’envoyer un émissaire à Téhéran, proposition que l’Iran s’empresse d’accepter. Les
observateurs prédisent déjà le retour de Ryad à une stratégie de conciliation et
d’« endiguement » comme par le passé. Mais les choses ne s’arrangent pas. Pour éviter la
répétition des événements de juillet 1987, l’Arabie Saoudite décide de réduire le quota des
pèlerins de chaque pays et d’interdire toute manifestation durant le hadj. Les Saoudiens
proposent à l’Iran le chiffre de 45 000 visas, alors que Téhéran entend envoyer
150 000 pèlerins avec le droit de manifester durant les cérémonies. Le 26 avril le
gouvernement saoudien annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec Téhéran
et justifie sa décision par les prises de position hostiles de la République islamique et ses
tentatives de porter atteinte aux intérêts fondamentaux du royaume wahabite. En juin,
l’Iran renonce à envoyer ses nationaux au pèlerinage annuel de 1988.
18 Depuis le début de la guerre, les menaces iraniennes contre l’émirat du Koweït n’ont pas
manqué, mais à partir de 1986, la pression de Téhéran s’est considérablement accentuée14.
Avec la prise, en février 1986, par les forces iraniennes, du terminal pétrolier de Fao, qui
se trouve à quelques kilomètres de la frontière du Koweït, les périls se sont précisés. A
partir de ce moment, et au moins jusqu’au refoulement des Iraniens de Fao, en avril 1988,
l’émirat va subir plus directement les effets de la guerre. Devenu, en quelque sorte,
l’arrière base stratégique de l’Irak, le Koweït est exposé de plus en plus à l’hostilité de la
République islamique qui le considère désormais comme cobelligérant.
19 L’aide du Koweït à l’Irak s’explique sans doute par la solidarité arabe, la crainte de la
contagion islamiste, la polarisation de la société koweïtienne entre sunnites et shi’ites
(30 % de la population), mais elle trouve aussi sa raison d’être dans les pressions que le
puissant voisin irakien n’hésite pas à exercer sur le petit émirat. Incapable de résister aux
« sollicitations amicales » de Bagdad, le Koweït est contraint à lui fournir une aide
multiforme. Outre le soutien diplomatique et financier, il autorise l’Irak à utiliser ses
installations portuaires pour l’acheminement du matériel militaire soviétique, il ferme les
114

yeux sur le survol de son territoire par les chasseurs irakiens et il accepte parfois, semble-
t-il, le ravitaillement en carburant de l’aviation de Bagdad dans ses aéroports.
20 Dans le courant de l’année 1986, il devient de plus en plus évident pour les autorités
koweïtiennes que l’Iran est en train de mettre au point un système de blocus de leurs
ports pour tenter d’asphyxier l’économie du pays déjà affectée par la poursuite de la
guerre. Menacé dans ses voies de communications vitales, le Koweït, dès novembre 1986,
s’adresse aux Etats-Unis pour leur demander la protection de ses pétroliers. Devant le peu
d’empressement de Washington à répondre à cette demande, les Koweïtiens se tournent
vers l’URSS qui accepte de leur louer trois pétroliers soviétiques. Aussitôt les Américains
se ravisent et font savoir qu’ils sont prêts à faire passer sous pavillon des Etats-Unis une
partie de la flotte koweïtienne de pétroliers et de lui fournir la protection de la marine de
guerre américaine. Coup de maître de la diplomatie de l’émirat ? Toujours est-il que pour
faire bonne mesure, le gouvernement du Koweït s’est aussi adressé, outre à l’URSS et aux
Etats-Unis, aux trois autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations
Unies.
21 En appelant l’aide des puissances extérieures à la région pour la protection de son
transport pétrolier, le Koweït caressait sans doute aussi l’espoir de voir une certaine
internationalisation de la guerre, ce qui aurait peut-être poussé les grandes puissances à
une intervention militaire, seule capable d’imposer une paix aux deux belligérants. Mais
c’était oublier que les puissances étrangères n’avaient pas nécessairement un intérêt
évident à une cessation complète des hostilités et que, par ailleurs, la seule présence de
leurs flottes dans les eaux du golfe Persique, ne pouvait pas totalement protéger le Koweït
des foudres de la République islamique. Mais l’émirat avait-il vraiment d’autres choix ?
N’était-il pas condamné, à son corps défendant, à subir d’une manière ou d’une autre, les
conséquences de la guerre ?15. C’est pourquoi, le Koweït sera sans doute un des premiers
pays de la région à profiter de l’apaisement survenu à la suite du cessez-le-feu.

2. Autres pays arabes


22 En dehors de la région du golfe Persique, la République islamique n’entretient de rapports
suivis qu’avec un certain nombre de pays arabes. Au fil des ans, les relations
diplomatiques ont été rompues avec le Maroc, la Tunisie, l’Egypte, la Jordanie et, pendant
quelque temps, avec le Liban. Parmi les pays arabes avec qui Téhéran a presque toujours
gardé des rapports étroits, il faut citer la Syrie, la Libye, le Sud Yemen et l’Algérie. Bien
qu’aujourd’hui chacun de ces pays occupe une place de choix dans la stratégie
diplomatique du régime islamique, la Syrie a joui pendant longtemps d’une position
exceptionnelle dans toute la politique arabe de Téhéran.
23 Pour le pouvoir islamique, la Syrie n’est pas simplement un partenaire qui lui permet
d’avoir accès au monde arabe et par là d’atténuer son isolement sur la scène politique du
Moyen-Orient tout en lui offrant la possibilité de s’immiscer dans le jeu interarabe, elle a
été aussi et surtout un élément-clé dans son affrontement avec l’Irak. Ceci explique
pourquoi pendant des années, malgré les rivalités qui opposaient les deux pays au Liban
et en dépit des pressions exercées par de nombreux Etats arabes sur Damas, l’entente
entre les deux pays a été maintenue.
24 C’est à partir du déclenchement de la guerre entre l’Iran et l’Irak que le pouvoir islamique
comme le régime syrien se rendent très clairement compte de leur convergence d’intérêts
115

et des avantages mutuels qu’ils peuvent tirer d’un raffermissement de leurs relations. Le
facteur fondamental sur lequel les points de vue sont identiques et autour duquel se
cristallisera plus tard l’axe Téhéran-Damas, est la nécessité de faire pression sur l’Irak et
d’affaiblir ce pays le plus possible. Si, pour l’Iran, l’utilité d’une telle alliance est évidente
et procède de la stratégie globale de guerre contre l’Irak, l’attitude syrienne, en revanche,
est dictée par des considérations plus complexes.
25 Elle se fonde, certes, sur la rivalité traditionnelle entre Bagdad et Damas, l’antagonisme
entre les deux ailes du parti Ba’th, la dispute sur le partage des eaux de l’Euphrate. Mais, à
ces causes historiques, s’ajoutent des mobiles beaucoup plus immédiats. A la veille de la
guerre, les tensions entre les deux pays sont vives. L’Irak critique sévèrement la présence
syrienne au Liban ; la Syrie reproche à Bagdad son rapprochement avec les pays arabes
modérés ; les deux pays s’accusent mutuellement de financer des mouvements
d’opposition, de télécommander des complots, etc. A cela s’ajoute la volonté farouche de
Damas de briser toute tentative de l’Irak visant à mettre en cause la place prépondérante
de la Syrie dans la vie politique arabe au Moyen-Orient. Par ailleurs, les clivages quasi
instantanés apparus sur le plan régional dès le début de la guerre inquiètent vivement les
dirigeants syriens. Le soutien actif de la Jordanie à l’Irak et la prise de position, plus
discrète mais non moins efficace, de l’Arabie Saoudite en faveur de Bagdad, sont perçus
par le gouvernement de Damas, comme autant de risques de marginalisation s’il décide de
prendre une position de neutralité à l’égard de la guerre.
26 C’est pour toutes ces raisons que trois jours à peine après le déclenchement des hostilités,
le 25 septembre 1980, alors que les forces armées irakiennes jouissent d’une position très
favorable encore, les autorités syriennes, par la voix de Radio-Damas, condamnent
« certains pays arabes qui se préoccupent de conflits marginaux, nous éloignent d’un ami
utile et empêchent le monde arabe de se consacrer à l’essentiel, la bataille contre
l’ennemi sioniste »16. Le ton est ainsi donné et l’argumentation syrienne va s’articuler,
dans un premier temps, autour des thèmes comme : « la République islamique amie utile
des Arabes », « l’Irak diviseur du monde arabe face à Israël », « la Syrie unique défenseur
de la cause arabe contre l’impérialisme et le sionisme », etc. Un aspect de l’argumentation
irakienne, expliquant les raisons de son entrée en guerre, est complètement occulté dans
le discours syrien. En effet, le président Hafez el Assad avait été, en 1975, l’un des
principaux détracteurs de l’accord de réconciliation irano-irakien signé à Alger ; il avait
alors vivement critiqué la cession par Bagdad à l’Iran d’une parcelle de sa souveraineté
sur une « terre arabe ». Or, cette fois, la Syrie dénonce la volonté de l’Irak de vouloir
reprendre, entre autres, ce qui avait été cédé en 197517.
27 Dès le début, l’orientation pro-iranienne de la Syrie dépasse le stade du soutien verbal et
se traduit en envois d’armes à Téhéran18, ce qui conduit l’Irak à rompre ses relations
diplomatiques avec Damas le 12 octobre 1980. En fait, dans le domaine des armements, la
Syrie va servir en quelque sorte d’intermédiaire à l’Iran pour ses achats aux pays de l’Est.
Sur le plan militaire, il semble aussi qu’un déploiement important de troupes syriennes
sur la frontière irakienne soit aussi intervenu, ce qui aurait obligé l’Irak à maintenir
d’importantes forces à l’ouest du pays alors que la guerre faisait rage à l’est avec l’Iran 19.
Dans l’ensemble, la Syrie fait preuve, dès le commencement des hostilités, d’une
remarquable constance dans son soutien à la République islamique. Certes, à la fin de
1981, lors de la tournée du président Assad dans les capitales des monarchies pétrolières,
une modération, du moins apparente, est perceptible dans l’enthousiasme de la Syrie
pour l’Iran. Sous la pression des Etats de la péninsule, la Syrie accepte même du bout des
116

lèvres de proposer sa médiation aux deux belligérants, mais Damas sera soulagé
d’apprendre que ni l’Iran ni l’Irak ne sont prêts à accepter cette médiation20.
28 L’année 1982 coïncide avec un renforcement spectaculaire des relations entre Téhéran et
Damas. Le 16 mars, au terme d’une visite à Téhéran du ministre syrien des affaires
étrangères, un accord économique et commercial est signé. Cet accord prévoit la livraison
annuelle de 9 millions de tonnes de pétrole iranien à la Syrie contre la fourniture d’un
million de tonnes de phosphate syrien à l’Iran21. Trois semaines plus tard, le 8 avril, la
Syrie décide de fermer sa frontière avec l’Irak. Cette décision est suivie, quarante-huit
heures plus tard, par la fermeture du pipeline transportant le pétrole irakien à travers le
territoire syrien vers la Méditerranée. C’est un coup très grave porté à l’Irak, d’autant
plus que ce pays, depuis les premiers mois de la guerre, ne peut plus utiliser, pour ses
exportations, ses terminaux sur le golfe Persique22. Il ne reste donc plus à l’Irak qu’une
seule possibilité : l’oléoduc qui passe par la Turquie, avant de trouver progressivement
d’autres voies d’acheminement23. C’est à partir de ce moment que l’alliance entre l’Iran et
Syrie devient véritablement opérationnelle ; non seulement Damas apporte son appui sur
le plan politique et militaire au régime islamique mais il exerce directement une pression
très forte sur l’Irak et offre ainsi à l’Iran un soutien inestimable.
29 Avec le temps, les deux pays découvrent peu à peu qu’au-delà de leur convergence
politique par rapport à l’Irak, leur alliance peut aussi leur procurer des avantages
appréciables dans d’autres domaines et ainsi se consolider encore plus.
30 Le régime syrien, qui en février 1982 doit faire face à une grave insurrection intégriste
dans la ville de Hama24, a l’occasion de mesurer le bénéfice qu’il peut tirer de ses rapports
privilégiés avec la République islamique ; celle-ci, contrairement à ce qu’elle fait partout
ailleurs, n’accorde aucun appui aux mouvements islamistes en Syrie. Par ailleurs, grâce à
ses liens avec l’Iran, Damas devient l’interlocuteur obligé des monarchies arabes ou même
des pays occidentaux qui, pour traiter certaines questions avec Téhéran, sont contraints
de passer par l’intermédiaire des Syriens. Sur le plan économique aussi, l’alliance avec
Téhéran n’est pas dépourvue d’intérêt. Très rapidement, après la signature de l’accord
économique et commercial en 1982, l’apport de l’Iran, sous forme de fourniture
pétrolière, devient appréciable pour Damas. Déjà en 1983, on estimait la Syrie bénéficiaire
d’un apport de la part de l’Iran s’élevant à environ un milliard de dollars, ce qui était
supérieur aux subsides saoudiens estimés à 800 millions de dollars25. En moyenne, l’Iran
va offrir annuellement un million de tonnes de brut gratuitement plus cinq à sept
millions de tonnes avec un rabais équivalent à un tiers du prix affiché, réglé pour moitié
par des produits syriens et pour autre moitié en devises. En 1985, la dette syrienne envers
l’Iran était estimée à environ 2 milliards de dollars. Cette année, l’Iran ayant besoin de
liquidités interrompt ses livraisons ; les Syriens font alors courir des rumeurs quant à un
éventuel rapprochement avec l’Irak par l’intermédiaire de la Jordanie. Peu après, un
arrangement est trouvé avec Téhéran qui reprend ses livraisons26. Un scénario identique
sera répété en 198727. En fait, malgré certaines difficultés, l’aide économique iranienne à
la Syrie offre la possibilité à ce pays à la fois d’augmenter ses ressources financières, tout
en lui procurant le moyen d’élargir sa marge de manœuvre par rapport aux pays arabes
exportateurs de pétrole.
31 Du côté iranien aussi, l’alliance avec la Syrie a des effets secondaires importants. D’abord,
elle permet à Téhéran de peser sur les clivages interarabes et d’éviter de se trouver, par
rapport à la guerre contre l’Irak, devant un bloc arabe solidaire et unifié. Ensuite, grâce à
Damas, l’Iran trouve des canaux de communication avec un certain nombre de pays ce qui
117

atténue son isolement diplomatique. Enfin, les bonnes relations avec la Syrie permettent
à l’Iran d’étendre son influence au Liban pour exporter sa révolution, faire pression sur
les alliés de Bagdad, combattre le « sionisme, l’impérialisme et l’arrogance mondiale ».
32 Malgré les gains mutuels considérables, l’axe Téhéran-Damas repose néanmoins sur des
bases relativement fragiles. C’est une alliance stratégique à laquelle manque une
dimension idéologique. Le discours laïc, nationaliste, panarabe du régime ba’thiste syrien
heurte de front les convictions de l’équipe dirigeante à Téhéran pour qui « le ba’thisme,
comme l’hitlérisme et toutes les autres idées nationalistes, est une idée creuse, vide de
sens mais dont l’exploitation par les politiciens conduit toujours à des résultats
monstrueux, par la manipulation psychologique des masses »28. Outre l’aspect
idéologique, les points de vue de Téhéran divergent de ceux de la Syrie sur un certain
nombre de questions internationales comme le règlement du conflit arabo-israélien,
l’intervention soviétique en Afghanistan, que Damas ne condamne pas fermement, et la
situation au Liban, où il existe une sourde mais profonde rivalité entre les deux pays.
33 Pour la Syrie aussi, l’alliance avec un régime théocratique en guerre pendant huit ans
contre un pays arabe soulève des questions d’ordre idéologique. Aux critiques qui lui
étaient faites à cet égard, le président syrien a répondu en avançant plusieurs arguments.
Pour lui, c’est l’Irak qui a pris l’initiative du déclenchement de la guerre et se ranger aux
côtés de l’Irak signifie approuver le principe de cette guerre. Il écarte aussi l’hypothèse
selon laquelle l’alliance avec Téhéran pourrait résulter de l’hostilité de Damas au régime
irakien en indiquant que les différends qui opposent les deux pays existaient bien avant la
guerre. Dans l’esprit du président Assad, la guerre irano-irakienne est un conflit aux
contours bien dessinés qui ne menace pas l’arabisme. Il en serait cependant autrement si
le théâtre des opérations venait à s’élargir ou si l’Iran décidait d’annexer une partie du
territoire d’un Etat arabe ; alors, la guerre « s’arabiserait » et la Syrie changerait
d’attitude pour se ranger du côté de l’Etat agressé29. De plus, la Syrie soutient l’idée selon
laquelle ses liens privilégiés avec l’Iran lui offrent le moyen de peser sur le gouvernement
de Téhéran afin de le dissuader d’étendre la guerre à d’autres pays arabes de la région.
34 En 1987, pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre, un changement dans
les relations entre les deux pays semble possible. Grâce aux efforts du roi Hussein de
Jordanie, une rencontre secrète entre Hafez el Assad et Saddam Hussein a lieu en avril,
suivie, quelques mois plus tard, le 9 novembre, par un entretien officiel entre les deux
chefs d’Etat dans le cadre du sommet arabe. La presse internationale salue, à cette
occasion, les retrouvailles irako-syriennes, la réconciliation entre Damas et Bagdad30. La
Syrie s’associe même aux autres dirigeants arabes en ratifiant le document final qui
condamne nommément l’Iran « pour son occupation de territoires irakiens et ses
atermoiements à accepter la résolution 598 du Conseil de sécurité ». Mais, dès le
lendemain du sommet, le chef de la diplomatie syrienne, Farouk Al Chareh, déclare que
son pays, tout en soutenant la résolution 598, repousse la condamnation de l’Iran par le
sommet d’Amman, en indiquant que le communiqué final avait été distribué avant d’être
discuté et en omettant de signaler qu’il avait lui-même participé à la rédaction de ce
document31. Trois mois après les retrouvailles d’Amman, la tension monte à nouveau
entre Damas et Bagdad, où l’on considère la nouvelle médiation entreprise par la Syrie
entre Téhéran et Ryad en contradiction totale avec l’esprit du sommet arabe32.
35 Ces derniers développements montrent qu’en dépit de sa fragilité, l’axe Téhéran-Damas
résiste assez bien aux pressions diverses qui sont exercées sur lui et se maintient malgré
les divergences qui séparent les deux pays sur certaines questions importantes, comme
118

celles relatives au rôle de l’Iran au Liban. Par ailleurs, les relations stratégiques irano-
syriennes sont d’une remarquable continuité pour une région du monde où ruptures et
retournements d’alliance sont monnaie courante. Sans vouloir préjuger de l’avenir, il
semble probable, tant que les deux partenaires décèlent un intérêt fondamental dans leur
collaboration, qu’ils trouveront le moyen de résoudre tous les problèmes qui se
présentent à eux et ceci même après l’instauration du cessez-le-feu entre l’Iran et l’Irak.
Seul un bouleversement profond dans la région ou au Liban pourra les amener à
reconsidérer leurs relations.
36 C’est par l’intermédiaire de la Syrie que la République islamique est parvenue à
développer sa politique libanaise. L’acceptation par la Syrie de la participation de l’Iran
au jeu libanais fait partie sans doute du marché conclu entre les deux pays au moment de
la mise en place de leur alliance stratégique. D’ailleurs, la Syrie ne voyait pas d’un
mauvais œil l’existence d’un mouvement intégriste au Liban, qu’elle pouvait utiliser
comme un nouveau facteur de désintégration ou, à l’occasion, comme un épouvantail
dans ses négociations avec les Occidentaux, tant que ce mouvement ne dépassait une
certaine limite, pouvant porter atteinte aux intérêts syriens. Mais, bien avant
l’implication officielle de Téhéran dans les affaires libanaises, une partie des dirigeants
actuels de la République islamique, alors qu’ils étaient dans l’opposition et que la
monarchie était encore en place, avaient déjà entrepris d’établir des contacts au Liban qui
s’avéreront à la fois utiles dans le processus révolutionnaire et par la suite profitables
pour le renforcement de leur position internationale.
37 Dès le début des années 1970, de son exil irakien, l’ayatollah Khomeyni avait senti
l’importance du Liban pour la réalisation de ses projets. Avec l’aide de Moussa Sadr 33,
religieux d’origine iranienne installé, avec la bénédiction des autorités iraniennes de
l’époque, au Liban depuis 1959, il parvint à transformer une partie du territoire libanais
en berceau souterrain de la révolution islamique. Après s’être brouillé avec le
gouvernement impérial, Moussa Sadr se rallie à l’ayatollah Khomeyni et profitant du
prestige acquis auprès de toutes les communautés libanaises, des liens d’amitié qui
l’unissent à Hafez el Assad, de l’aide logistique que lui offre Yasser Arafat, en lui ouvrant
les camps d’entraînement du Fatah, il organise l’entrée clandestine, l’apprentissage à la
guérilla et l’endoctrinement de certaines recrues, noyau des futurs komiteh
révolutionnaires, des pasdaran et même des Moudjahedin islamo-marxistes qui plus tard
se sépareront de Khomeyni. Sadr avait mis en place une structure politique active, le
« Mouvement des déshérités » fondé en 1973, qui s’était doté rapidement d’un bras armé,
Amal, né, lui, en 1975. Outre sa dimension strictement libanaise, cet organisme servira
aussi à la formation politico-militaire, au Liban, de jeunes intégristes iraniens qui
joueront un rôle de premier plan dans le renversement de la monarchie.
38 La disparition mystérieuse de Moussa Sadr en Libye, durant l’été 1978, à l’aube de la crise
iranienne n’affecta en rien l’élan des révolutionnaires formés au Liban ; ils avaient déjà
acquis assez d’expérience pour servir efficacement la cause de Khomeyni. Par la suite,
l’héritage de Sadr au Liban même se révélera très utile pour la politique de la République
islamique qui trouve, dès 1979, dans ce pays une structure appropriée, une population
mobilisée, et des instruments d’action fiables au service de ses ambitions.
39 La politique de Téhéran au Liban répondra à deux préoccupations essentielles : le
prosélytisme idéologique et la guerre.
40 Pour la politique d’exportation de la révolution, le Liban présente de multiples avantages.
Maillon faible du monde arabe, abritant la communauté shi’ite arabe la plus importante
119

après celle de l’Irak, le Liban, dans le passé à cause du système pluraliste et libéral et
aujourd’hui en raison de la désintégration de l’Etat, offre des facilités pour qui cherche à
mener une action politique, idéologique ou même subversive. Le terrain étant favorable,
il a suffi au pouvoir islamique de s’ériger en protecteur attitré de la communauté shi’ite
libanaise, d’investir un peu d’argent, d’encourager la formation de groupements acquis à
sa politique comme le hezbollah, pour s’arroger une place de choix dans ce pays.
Longtemps frustrée par l’arriération dans laquelle la tenaient les familles féodales et par
l’insouciance des gouvernements, désormais comblée par les faveurs du Guide de la
révolution, une partie de la jeunesse shi’ite libanaise répond positivement aux sirènes
khomeynistes et se montre apte au sacrifice pour l’accomplissement du grand dessein.
41 En 1982, quelque deux mille Gardiens de la révolution, avec l’aval de Damas, arrivent au
Liban pour aider les masses musulmanes victimes de l’oppression israélienne. Par cette
opération spectaculaire, la République islamique fait d’une pierre deux coups. D’une part,
au moment où la plupart des pays arabes se cantonnent dans une passivité complice,
l’Iran montre sa détermination de combattre Israël et, d’autre part, Téhéran saisit
l’occasion qui lui est donnée pour la première fois, d’avoir une présence militaire en
territoire libanais. Cette présence, même symbolique, marque une étape importante dans
la stratégie libanaise de Téhéran. Désormais, les khomeynistes sont en possession de tous
les éléments pouvant les aider à accroître leur emprise sur le Liban. En quelques années,
grâce aux moyens matériels, à leur obstination et aussi à leur habileté à exploiter
certaines circonstances favorables, les mollahs parviendront à se tailler une place
confortable au Liban sud, dans la plaine de la Békaa et dans la banlieue sud de Beyrouth.
Ces succès sur le terrain vont amener les organisations islamistes pro-iraniennes à
élaborer une constitution pour la future « République islamique du Liban » qu’ils
appellent de leurs vœux. Ainsi en ont décidé à Téhéran, en janvier 1986, après cinq
semaines de travail, soixante-trois personnalités libanaises, shi’ites et sunnites. Le
document élaboré à cette occasion instaure des liens de vassalité entre l’Iran et le Liban
puisqu’il reconnaît Khomeyni comme « Guide suprême du Liban qui déléguera ses
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à son représentant, le cheikh Mohamed-Mehdi
Chamseddine »34, successeur de Moussa Sadr à la tête du Conseil supérieur shi’ite.
42 Le renforcement de la présence iranienne au Liban a aussi, toujours dans le cadre de
l’exportation de la révolution, des conséquences importantes sur d’autres plans. Le Liban
stimule la révolution et démontre qu’en dehors de l’Iran, d’autres populations souscrivent
à ses principes. En prenant des positions anti-occidentales et anti-sionistes extrêmes au
Liban, l’Iran séduit une partie importante de l’opinion publique arabe qui reconnaît
désormais ce pays comme le fer de lance de la lutte pour la libération de la Palestine.
Enfin, en intervenant soit en médiateur soit en tant que partie prenante dans les
querelles et affrontements intercommunautaires libanais, interpalestiniens ou syro-
palestiniens, la République islamique montre son efficacité, sa force et acquiert un
prestige bénéfique à son rayonnement idéologique.
43 Dans le contexte de la guerre, par sa présence au Liban, Téhéran multiplie ses pressions
sur tous les pays alliés ou proches de l’Irak. Les actions violentes contre les intérêts de ces
pays, entreprises généralement par des organisations intégristes pro-iraniennes, ont
toujours eu pour but d’infléchir les positions de tel ou tel pays à l’égard de la guerre. En
fait, il s’agit pour la République islamique de combattre ceux qu’elle considérait comme
cobelligérants dans un combat à la mesure de ses moyens, c’est-à-dire une guerre de
faible intensité, par Libanais interposés35. L’aspect psychologique de la guerre n’a pas été
120

absent des préoccupations de la diplomatie islamique au Liban. En renforçant sa position


au Liban, Téhéran démontre sa puissance même au-delà du front tout en se présentant
comme impliqué à fond dans les problèmes arabes, ce qui vise à contrer la thèse irakienne
qui voulait accréditer l’idée selon laquelle la guerre Iran-Irak est une guerre entre Arabes
et Perses. Enfin, les succès remportés au Liban pourront aussi servir quelquefois à faire
oublier certaines difficultés ou les échecs subis sur le champ de bataille. Le « progrès de la
révolution islamique au Liban » comme « les grandes victoires sur l’Occident et le
sionisme » par les actions menées à travers le territoire du pays du Cèdre, seront autant
de réussites qui serviront à compenser quelques déboires subis sur d’autres fronts.
44 Parti de peu, le khomeynisme fait aujourd’hui partie intégrante du paysage politique
libanais. Cependant, le rêve que caresse Téhéran de voir une république islamique
instaurée dans ce pays ne semble pas prêt de se réaliser. Le principal obstacle à cette
réalisation est la Syrie, qui ne peut tolérer une évolution allant dans ce sens. La Syrie qui
entretient des rapports avec l’Iran dictés par des considérations stratégiques et qui a
offert à la République islamique la possibilité d’accéder au Liban, a toujours gardé le
contrôle d’un mouvement qui ne peut lui être que fondamentalement hostile. Avec
l’entrée des troupes syriennes, en février 1987, à Beyrouth-Ouest, avec l’intensification
des affrontements intershi’ites, opposant Amal pro-syrien et hezbollah pro-iranien, avec la
quasi élimination du Hezbollah, en avril 1988, du Liban sud, etc., la Syrie est restée maître
du jeu, en contenant les intégristes pro-iraniens sans mettre en cause ses rapports
privilégiés avec Téhéran. Dans les circonstances présentes, la République islamique n’a
d’autre choix au Liban que de mener une politique ne heurtant pas de front Damas
surtout après le cessez-le-feu avec l’Irak, qui a eu comme conséquence un affaiblissement
des intégristes à Beyrouth.
45 Un autre pays arabe avec lequel la République islamique a voulu établir des liens
particuliers est la Libye. Plusieurs facteurs expliquent l’attirance de Téhéran pour la
Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste. Ces facteurs sont à la fois d’ordre
idéologique, stratégique et pragmatique. Mais il existe aussi quelques raisons historiques
qui ont poussé les deux régimes au rapprochement et à l’entente.
46 Le renversement, en 1969, du roi Idriss par un jeune colonel au discours radical et
enflammé, ne fut pas accueilli favorablement par le gouvernement du Shah. Très
rapidement, et en dépit de leur coopération au sein de l’OPEP, des différends vont surgir
entre les deux pays. Les relations bilatérales deviendront franchement conflictuelles à
partir du 30 novembre 1971, date de la prise en possession par les forces armées
iraniennes de trois îlots situés dans le détroit d’Ormuz et administrés jusqu’alors par la
Grande-Bretagne36. Cette opération, réprouvée par de nombreux pays arabes, sera
condamnée plus énergiquement par quatre d’entre eux : l’Irak, l’Algérie, le Sud Yemen et
la Libye, qui demandèrent, le 3 décembre, la réunion d’urgence du Conseil de sécurité 37.
Le 2 décembre, en représailles à « l’occupation iranienne de terres arabes » avec l’appui
de Londres, la Libye nationalise les avoirs de la British Petroleum sur son territoire 38.
47 A partir de ce moment, le colonel Kadhafi va s’engager activement à combattre, par tous
les moyens dont il dispose, le régime du Shah. Campagne de propagande, contacts avec les
opposants iraniens de tous bords, formation d’agitateurs en Libye, offre d’aide matérielle
et financière à des groupuscules armés etc., seront les moyens dont Tripoli va se servir
pour déstabiliser le régime monarchique de l’Iran, accusé d’être un agent de
l’impérialisme et du sionisme qui de surcroît mène une politique expansionniste anti-
arabe. C’est durant cette période, semble-t-il, que les Libyens, par l’intermédiaire de
121

Sadegh Ghotbzadeh, futur ministre des affaires étrangères de la République islamique,


vont entrer en contact avec les partisans de l’ayatollah Khomeyni et leur fournir des
fonds39. Quelle sera l’importance de cette aide aux mouvements islamiques ? Quel rôle
jouera Moussa Sadr dans les rapports entre Khomeyni et Kadhafi ? Sa « disparition » en
août 1978, lors d’un voyage en Libye avait-elle quelques rapports avec le développement
du mouvement khomeyniste à l’intérieur de l’Iran ? Questions qui resteront sans doute
encore très longtemps sans réponse. En tout état de cause, ce qui est certain, c’est
l’existence de liens entre le régime libyen et les dirigeants de la future République
islamique bien avant la révolution, contacts que par ailleurs, Kadhafi ne manque jamais
de rappeler. Ainsi, par exemple, en novembre 1985, après un entretien avec le ministre
des affaires étrangères de la République islamique, il déclarait : « Notre solidarité avec
l’Iran est une question de principe, et cette solidarité avec le peuple iranien existait déjà
avant la révolution islamique »40.
48 L’avènement de la révolution et l’instauration d’une république islamique à Téhéran
furent accueillis avec enthousiasme par le pouvoir libyen. A l’instar de Yasser Arafat qui
se rendit à Téhéran dès le 17 février 1979 pour rencontrer l’ayatollah, le colonel Kadhafi
voulut rendre visite le plus rapidement possible aux dirigeants de la révolution islamique
qui venaient de prendre depuis quelques jours le pouvoir. Mais ces derniers se
montrèrent réticents et il semble que Khomeyni refusa de recevoir le colonel Kadhafi en
invoquant le problème de la disparition de Moussa Sadr41. Par contre, il accepta volontiers
de rencontrer le numéro deux libyen, Abd-al Salam Jallud, qui se rendit à Qom, le 26 avril.
49 Malgré l’ouverture d’ambassades et les échanges de quelques visites officielles, en raison
de la situation à l’intérieur de l’Iran et du « problème » Moussa Sadr qui hypothéquait
lourdement les retrouvailles irano-libyennes, et peut-être aussi à cause du chauvinisme et
du nationalisme arabe du colonel libyen, jugé par le clergé au pouvoir à Téhéran, comme
excessif, les relations entre les deux pays ne se développèrent pas aussi rapidement que
les observateurs l’escomptaient. En fait, il faudra attendre le déclenchement de la guerre
entre l’Iran et l’Irak, pour voir le processus de rapprochement entre Téhéran et Tripoli
s’accélérer.
50 Les premiers jours du conflit, la position libyenne semble hésitante. Le 25 septembre, le
colonel Kadhafi envoya même un message aux chefs d’Etat musulmans leur demandant de
faire tout ce qui était en leur pouvoir pour faire cesser les hostilités. Mais, le 10 octobre,
dans un télégramme adressé au roi Khaled d’Arabie Saoudite, il esquissa un revirement et
proposa aux dirigeants des pays arabes de la région du golfe Persique de soutenir le
peuple musulman d’Iran42. Le même jour, le gouvernement irakien rappelait son
personnel diplomatique de Libye et de Syrie, en accusant ces deux pays de livrer des
armes à l’Iran43. Quelques jours plus tard, le 28 octobre, l’Arabie Saoudite rompait à son
tour ses relations diplomatiques avec la Libye en invoquant la discorde que semait le
colonel libyen parmi les musulmans.
51 Désormais, la position de la Libye étant clarifiée, la République islamique va multiplier les
contacts avec ce pays afin de réduire son isolement diplomatique et surtout d’accéder,
par l’intermédiaire de la Libye, à des fournisseurs de matériel militaire. Le 20 octobre
1980, Ali Raja’i, alors premier ministre, se rend à Tripoli. Cette visite est suivie, un mois
plus tard, par celle de Hashemi Rafsandjani. Mais, début 1981, on constate un
refroidissement dans les rapports entre les deux pays ; cette situation est semble-t-il
consécutive à une nouvelle tentative libyenne de médiation entre les deux belligérants. A
cette occasion, la presse iranienne, tout en mettant l’accent sur les divergences
122

idéologiques qui existent entre les deux régimes, montre de nouveau de l’intérêt pour
l’affaire Moussa Sadr. Cependant, après l’échec d’une mission libyenne de réconciliation
envoyée à Bagdad en mai, les relations vont s’améliorer. En juillet 1981, la presse
internationale signale d’importantes livraisons d’armements par la Libye à l’Iran 44.
52 A part quelques incidents mineurs, comme, par exemple, le renvoi de l’observateur
iranien à la réunion du Front de fermeté à Benghazi (16-19 septembre 1981) qui avait
employé l’expression « golfe Persique », jugé par Kadhafi provocatrice et inacceptable à
ses yeux d’Arabe45, les rapports entre les deux pays vont continuellement se renforcer. En
1982, les liens entre Téhéran et Tripoli seront encore davantage resserrés. Au mois de
mai, l’Iran met à la disposition de l’industrie pétrolière libyenne un groupe d’experts et
de techniciens, pour remplacer un certain nombre d’Américains qui ont quitté le pays,
tandis que de leur côté, les Libyens continuent à fournir du matériel militaire à la
République islamique. En juin, Abd-al Salam Jallud se rend à Téhéran. A cette occasion un
certain nombre d’accords politiques, économiques et culturels sont signés. Le
communiqué conjoint, publié à l’issue de ce voyage, indique que « la révolution islamique
soutiendra la Jamahiriya populaire dans sa lutte contre l’agression de l’impérialisme
américain », c’est le signe évident d’un regain de prestige des Libyens chez les dirigeants
islamiques46. Les 20 et 21 juillet de la même année, Mir-Hossein Moussavi, qui venait
d’être nommé premier ministre, effectue à son tour un voyage officiel en Libye. Quelques
mois plus tard, à la suite d’un voyage du ministre des affaires étrangères de la Libye en
décembre à Téhéran, les sources iraniennes indiquent qu’une « alliance stratégique pour
libérer Jérusalem » avait été envisagée entre les deux pays47.
53 Parallèlement au développement de ses relations avec la Libye, la République islamique
nouait aussi, comme nous l’avons vu plus haut, des liens de coopération dans tous les
domaines avec la Syrie, devenue son alliée principale dans la guerre contre l’Irak.
L’existence de bons rapports entre Damas et Tripoli, rendait, par ailleurs, le terrain
propice à une coordination des activités des trois pays. Au fil des mois, les conditions
nécessaires à une coopération trilatérale étaient peu à peu réunies. Les choses prendront
une tournure officielle début 1983, à l’occasion de la réunion à Damas, du 20 au 22 janvier,
d’une conférence des ministres des affaires étrangères des trois pays.
54 A l’origine, il avait été prévu d’organiser une rencontre entre les pays arabes du Front de
la fermeté auxquels se joindrait, pour la première fois de manière officielle, l’Iran. Mais
l’Algérie, le Sud Yemen et l’OLP avaient décliné l’invitation : les Algériens en prétextant
leur rôle de médiateur dans le conflit Iran/Irak et leur projet d’une relance de la politique
maghrébine (l’Iran étant farouchement opposé aux régimes marocain et tunisien), le Sud
Yemen en raison de la politique de détente avec les autres pays de la Péninsule et l’OLP
pour ne pas détériorer ses relations avec Bagdad dont elle avait besoin de l’aide pour faire
face aux pressions syriennes. Ainsi donc, la réunion du Front de la fermeté s’était réduite
à une rencontre tripartite entre la République islamique et ses deux alliés arabes.
55 Outre une nouvelle restructuration des rapports de force au Moyen-Orient, la réunion de
Damas signifiait également l’entrée de plain-pied de la République islamique au sein du
groupe des pays dits du Front de la fermeté. Le communiqué conjoint, publié à l’issue de
la rencontre, relève clairement l’évolution de la situation en soulignant « l’importance de
la réactivation du Front de la fermeté et la participation de la République islamique à ses
activités pour contrer les agissements de l’impérialisme et du sionisme »48. Ainsi, pour la
première fois, l’Iran devient membre d’un groupement politique réunissant, à l’origine,
uniquement des pays arabes. Ce nouveau pas franchi par la République islamique fut très
123

mal accueilli par les pays arabes comme l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Koweït, le
Yemen, etc., qui accusèrent la Libye et la Syrie de porter atteinte à l’unité de la nation
arabe49. Quant à l’Algérie, le Sud Yemen et l’OLP, il ne semble pas qu’ils aient été
favorables à l’admission de l’Iran en tant que membre à part entière du Front. Tout au
plus, ils étaient prêts à associer le régime islamique à certaines de ses activités. Cette
réaction explique sans doute l’impossibilité de l’organisation d’une nouvelle réunion du
Front de la fermeté avec la participation de tous les pays membres, proposée par Téhéran
en février 198350. Mais malgré des difficultés rencontrées, les réunions tripartites entre
les responsables politiques des trois pays vont continuer. La régularité de ces réunions est
telle, durant trois ans, qu’on pourra un moment parler de la mise en place d’une sorte de
nouvelle coalition tripartite au Moyen-Orient.
56 Le développement de ces relations triangulaires ne va en aucune manière empêcher le
resserrement des liens bilatéraux entre les deux pays. Tout au contraire, il stimulera
davantage les rapports directs entre Tripoli et Téhéran et les années 1984-86 seront
témoin d’un renforcement sans précédent des liens amicaux entre l’ayatollah et le
colonel. Ainsi, les échanges de visite vont se poursuivre à tous les niveaux et
Ali Khamenei, le président de la République islamique, se rendra pour son premier voyage
officiel à l’étranger à Damas, Alger et Tripoli51. Sur le plan international, les deux pays
vont prendre des initiatives en commun. Ainsi, ils proposèrent ensemble, le 1er octobre
1984, à la tribune des Nations Unies, l’expulsion d’Israël de l’organisation internationale 52.
La visite de Rafsandjani à Tripoli, en juin 1985, aura pour conséquence la signature d’un
accord d’« alliance stratégique », entre les deux pays53. Cet accord, officiellement rendu
public le 25 juin 1985, prévoyait des réunions régulières entre les responsables politiques
et militaires des deux pays, la création conjointe d’une armée de libération de Jérusalem
et la mise en place d’une organisation islamique internationale révolutionnaire54.
57 La nouvelle de la conclusion de cet accord fut très mal accueillie par les pays arabes
modérés, mais les réactions les plus vigoureuses émanèrent du Maroc et de l’Irak. Le
Maroc ne pouvait évidemment pas apprécier le comportement de la Libye qui, d’une part,
s’était à l’époque alliée avec Rabat et, d’autre part, se rapprochait de la République
islamique, qui lui était totalement hostile. Quant à l’Irak qui, au lendemain de la
publication de l’information, rompait ses relations diplomatiques avec Tripoli et
demandait aussi l’expulsion de la Libye de la Ligue Arabe, son mécontentement était
encore plus grand et ceci, d’autant plus que, quelques jours auparavant, M. Triki, chef de
la diplomatie libyenne, de passage à Bagdad avait demandé le soutien de l’Irak pour un
projet d’union panarabe, ce que les Irakiens avaient interprété comme une amorce de
changement dans la politique libyenne à l’égard de la guerre55.
58 Malgré les convergences d’intérêts qui poussent les deux pouvoirs à se rapprocher, la
persistance de quelques différends, la personnalité inconstante du colonel Kadhafi, la
non-concordance des points de vue des deux régimes sur les rapports entre la religion et
la politique, les poussées d’arabisme excessif du leader libyen, n’ont pas permis de
consolider l’alliance de facto qui, durant quelques années, avait réellement existé entre les
deux pays. En 1987, on assiste même à un renversement d’alliance, puisque, le
10 septembre, les ministres libyen et irakien annoncent leur intention d’établir des
relations fraternelles entre les deux pays et « se dresser fermement contre toute tentative
étrangère visant à porter atteinte au territoire, à la sécurité et aux intérêts de n’importe
quel pays arabe »56. Mais quelle signification accorder à ce changement, puisque deux
124

mois plus tard, au sommet arabe d’Amman, la Libye refuse de s’associer à la


condamnation de l’Iran ?

3. Les pays non arabes


59 Avant la révolution, l’Iran entretenait généralement de bonnes relations avec ses voisins
non arabes. Cependant, les rapports avec la Turquie et le Pakistan étaient d’une autre
nature que ceux qui existaient entre Téhéran et Kaboul. La Turquie et le Pakistan avaient
avec l’Iran des affinités idéologiques, concrétisées par des options pro-occidentales en
matière de politique étrangère, la participation à une alliance militaire (Cento) et la
coopération économique trilatérale au sein d’une organisation régionale (RCD). Quant aux
relations avec l’Afghanistan, il s’agissait pour Téhéran de développer des rapports de bon
voisinage, d’accroître les échanges économiques et culturels, d’essayer de contrecarrer
l’influence soviétique, déjà importante avant l’arrivée des communistes au pouvoir, sans
pouvoir toutefois intégrer Kaboul dans l’ensemble régional formé avec Ankara et
Islamabad, puisque l’Afghanistan avait fermement opté pour le non-alignement.
60 L’instauration d’un régime islamique à Téhéran devait inévitablement avoir des
conséquences négatives sur les relations avec la Turquie et le Pakistan, deux pays qui
avaient des liens d’alliance avec le régime impérial et qui continuaient de s’aligner sur
l’Occident. Mais, malgré les critiques formulées par certaines personnalités dirigeantes du
nouveau régime à rencontre du gouvernement turc, considéré comme le « valet de
l’impérialisme américain », ou du général Zia Ul-Haq, appelé « Zia al-Hoghé » (« Zia le
filou »), le gouvernement islamique, en prenant en considération d’abord la nécessité de
consolider son pouvoir tout en empêchant que les opposants ne transforment le territoire
des deux pays voisins en base d’activité hostiles et, ensuite, pour maintenir ouvertes les
voies de transit à travers la Turquie et dans une moindre mesure, à travers le Pakistan,
décida de préserver au moins des relations correctes avec Ankara comme Islamabad.
Après le déclenchement de la guerre, Téhéran fait preuve de plus en plus de réalisme et
prend toutes les mesures nécessaires pour développer sa coopération économique avec
ses deux voisins, pour éviter que n’apparaissent de nouveaux antagonismes et surtout
afin d’empêcher la Turquie et le Pakistan de renoncer à la politique de neutralité qu’ils
avaient choisi de pratiquer par rapport à la guerre.
61 Dans le contexte de la guerre, pour l’Iran, les relations avec la Turquie, qui a des
frontières communes avec les deux pays belligérants, tout en offrant aux deux des artères
vitales pour leurs économies, auront une importance primordiale. Le moyen le plus
efficace dont disposait la République islamique pour resserrer ses liens avec Ankara ne
pouvait être que le développement des échanges économiques. A l’époque de la
monarchie, étant donné la non-complémentarité des deux économies, les relations
commerciales étaient pratiquement symboliques. Avec l’avènement du régime islamique
et surtout à la suite de l’éclatement du conflit armé, les choses vont évoluer de manière
assez spectaculaire. La Turquie, qui avait vendu à l’Iran pour une valeur de 11,8 millions
de dollars de marchandises en 1979, 96 millions de dollars en 1980 et 234 millions de
dollars en 1981, va tripler ses exportations en 1982, par rapport à l’année précédente, et
atteindre le chiffre de 792 millions de dollars57. En 1983, les deux partenaires signent un
nouvel accord commercial qui devait porter le montant de leurs échanges à 2,5 milliards
de dollars entre avril 1983 et avril 1984, soit une augmentation de 25 % par rapport à
l’exercice précédent58. Cet accord, qui consolide la place de premier client qu’occupe
125

désormais l’Iran parmi les partenaires d’Ankara, sera pratiquement réalisé (2,3 milliards
de dollars) et permettra à l’Iran d’obtenir de la Turquie notamment des denrées
alimentaires et des produits manufacturés. Outre les exportations, la Turquie bénéficie
des revenus (de l’ordre de 300 millions de dollars en 1982) provenant à la fois des frais de
transport des produits turcs vers l’Iran et du droit de transit à travers la Turquie perçu
sur les produits achetés par l’Iran à d’autres fournisseurs.
62 En 1985, le volume des échanges fut maintenu aux alentours de 2 milliards de dollars,
mais, en 1986, les échanges connaîtront une chute vertigineuse, consécutif surtout à la
diminution du prix du brut, pour s’abaisser à 786 millions de dollars59. A la suite de
nouveaux accords signés en juin 1987, les transactions commerciales entre les deux pays
atteindront environ 1,2 milliard sans pouvoir arriver à l’objectif fixé à 2 milliards de
dollars60. Malgré la diminution du volume du commerce bilatéral à partir de 1986, l’Iran
continue de rester un partenaire important de la Turquie, à la fois au niveau global et
dans le cadre régional61.
63 Le développement sans précédent des relations économiques entre les deux pays et
l’observation d’une stricte neutralité par Ankara à l’égard de la guerre, n’ont cependant
pas débouché sur l’établissement de relations proches et véritablement amicales entre
Téhéran et Ankara. En dépit de la convergence des intérêts économiques, il subsiste
d’importants obstacles quant à l’harmonisation réelle des points de vue politiques des
deux pays voisins.
64 Durant la guerre, la République islamique formule plusieurs réserves envers la politique
d’Ankara. De manière générale, Téhéran n’apprécie que très modérément la neutralité
turque, mettant l’Iran sur un niveau d’égalité avec l’Irak, qui, à ses yeux, est
manifestement l’Etat agresseur. En outre, le gouvernement islamique juge sévèrement
l’autorisation accordée par Ankara à Bagdad lui permettant d’acheminer son pétrole par
l’oléoduc traversant le territoire turc. En offrant à l’Irak la principale artère pour
l’exportation de son brut, la Turquie sera parfois perçue à Téhéran comme un pays
soutenant implicitement l’Irak. Par ailleurs, l’Iran est foncièrement hostile aux
interventions des forces armées turques contre des positions kurdes en territoire irakien.
Depuis 1983, l’armée turque est intervenue trois fois officiellement sur le sol irakien pour
« poursuivre à chaud » des séparatistes kurdes de Turquie. Ce qui gêne Téhéran ce n’est
pas l’opposition d’Ankara aux organisations indépendantistes kurdes, mais le coup de
main donné à Bagdad par la Turquie en le déchargeant des pressions exercées par les
opposants kurdes, dont la plupart des formations irakiennes bénéficient du soutien de la
République islamique. Le porte-parole du ministre des affaires étrangères iranien n’a pas
caché les motifs de mécontentement de son gouvernement après le raid du 4 mars 1987,
en déclarant : « les problèmes internes de la Turquie ne peuvent servir de prétexte pour
entrer dans un pays voisin et agresser des innocents [...] qui luttent contre le régime de
Bagdad »62. De leur côté, les Turcs n’ont pas perçu d’un bon œil l’avancée iranienne,
effectuée au printemps 1986, dans le Kurdistan irakien. Deux raisons, économique et
politique, expliquent l’inquiétude d’Ankara face à la percée iranienne. C’est de Kirkouk
que part l’oléoduc qui assure à la Turquie le tiers de son approvisionnement en pétrole.
Par ailleurs, l’établissement d’une entité kurde autonome dans le nord de l’Irak, avec le
soutien de l’Iran, ne manquerait pas de renforcer en Turquie même les mouvements
séparatistes kurdes.
65 Le développement des relations irano-turques est aussi handicapé par un autre facteur
que généralement les deux gouvernements passent sous silence mais qui néanmoins a son
126

importance : le problème des réfugiés iraniens vivant en Turquie. Après la révolution


islamique, des centaines de milliers d’Iraniens ont quitté leur pays en passant par la
Turquie. Un grand nombre d’entre eux sont restés sur place ; à ces derniers sont venus
s’ajouter un flot ininterrompu d’autres exilés qui n’ont pu obtenir des visas pour se
rendre, à partir de la Turquie, vers d’autres destinations. Combien sont-ils ces Iraniens
résidents en Turquie et qui ont perdu tout espoir de pouvoir vivre normalement dans leur
pays ? Les chiffres de 500 000 à 1 000 000 ont été avancés par diverses sources en Turquie
63. Quoi qu’il en soit, par l’importance de leur nombre les réfugiés iraniens en Turquie

soulèvent de nombreux problèmes socio-économiques pour les autorités d’Ankara. De


plus, les problèmes relatifs aux activités des opposants, à la présence des déserteurs, à
l’infiltration des militants khomeynistes parmi les réfugiés, au refoulement d’un certain
nombre de requérants d’asile, sont source de difficultés dans les relations entre les deux
pays voisins.
66 Outre la situation des réfugiés et d’autres problèmes de moindre importance, il reste une
question de fond qui conditionne les rapports entre Téhéran et Ankara : l’incompatibilité
idéologique des deux régimes en présence. La république laïque de Turquie est le contre-
modèle du régime islamique d’Iran ; c’est pourquoi les relations irano-turques ne
pourront jamais franchir un certain seuil de rapprochement. Si Téhéran, pour des raisons
politiques, à cause de la guerre ou par nécessité économique a eu besoin de la neutralité
ou de la bienveillance d’Ankara, cela ne signifie en aucune façon un accommodement
définitif avec la laïcité turque. Non seulement le clergé au pouvoir en Iran a une réaction
de rejet face à cette laïcité, mais il persiste à souhaiter coûte que coûte la réislamisation
du système politique turc. Lorsqu’en janvier 1987, le président Evren déclare que les
fondamentalistes religieux sont aussi dangereux pour la Turquie que les communistes, le
gouvernement islamique critique aussitôt ces propos qu’il juge véhéments64. En visite
officielle en Turquie, en juin 1987, le premier ministre Mir-Hossein Moussavi refuse
d’aller s’incliner sur la tombe d’Atatürk, fondateur de la Turquie moderne65. Ce refus fut
dénoncé par la presse et l’opposition turque, comme une insulte perpétrée avec la
complicité d’un gouvernement accusé de laxisme envers les adversaires de la laïcité. Peu
sensible à ces critiques, le premier ministre turc s’en tiendra à la nécessité de faire preuve
de souplesse pour permettre à la Turquie de maintenir ses liens économiques avec
Téhéran, tout en jouant le rôle d’intermédiaire entre la République islamique et les pays
occidentaux.
67 Contrairement à la Turquie, le Pakistan du général Zia avait un régime qui
théoriquement correspondait mieux à l’idée que se fait la République islamique du
pouvoir dans les pays musulmans. Seul Etat musulman créé à l’époque contemporaine
pour des raisons essentiellement religieuses, le Pakistan a poursuivi sous la direction du
président Zia Ul-Haq, entre 1977 et 1988, une politique d’islamisation progressive.
Cependant, l’islamisation du système politico-juridique au Pakistan ne signifiait ni
passation du pouvoir au clergé, ni imitation du modèle iranien – difficilement
transposable dans un pays majoritairement sunnite. D’où, d’ailleurs, les graves difficultés
que cette politique rencontre, en partie à cause de l’opposition de l’importante
communauté shi’ite (environ 15 % de la population totale) qui conteste une islamisation
ne prenant pas en considération les particularités propres au shi’isme. Cette situation a
engendré des manifestations et des actes de violence opposant à plusieurs reprises les
membres des deux communautés musulmanes. A ces occasions, le gouvernement de
Téhéran a protesté auprès des autorités d’Islamabad contre les mauvais traitements
127

infligés aux shi’ites. Outre le problème shi’ite, il existe aussi une autre pomme de discorde
dans les relations entre les deux pays ; il s’agit de la coopération militaire entre le
Pakistan et les Etats-Unis. Relativement discrète quant à l’appartenance de la Turquie à
l’OTAN, la République islamique n’a jamais caché, dans le cas du Pakistan, sa réprobation
de la coopération entre Islamabad et Washington en s’associant à toutes les
manifestations de l’opposition pakistanaise contre la politique pro-américaine du général
Zia Ul-Haq. Cette politique de soutien à tous les courants opposés au maintien des
rapports étroits avec les Etats-Unis, a donné des résultats qui se sont manifestés lors de la
visite officielle du président de la République islamique au Pakistan en janvier 1986. Au
moment ou Ali Khamenei faisait son entrée à Islamabad en compagnie du président
pakistanais, la foule, débordant les cordons de police, a entouré le cortège en criant des
slogans : « Mort aux Etats-Unis et à Israël ! », « Vive la Libye ! », « Les amis de l’Amérique
sont des traîtres à l’islam ! »66.
68 Malgré ces problèmes, l’intérêt commun des deux pays à maintenir de bonnes relations,
jusqu’à présent, prévaut sur toute autre considération. Téhéran en guerre et dans une
situation difficile d’isolement international, n’avait aucune raison de ne pas trouver un
terrain d’entente avec son voisin pakistanais. De son côté, Islamabad, pour des raisons de
politique interne et internationale mais aussi à cause d’importants intérêts économiques,
était pour ainsi dire condamné à s’entendre d’une manière ou d’une autre avec l’Iran. De
plus, vu la situation trouble sur ses frontières du nord avec l’Afghanistan et les difficultés
qui peuvent toujours surgir à la frontière avec l’Inde, le Pakistan a tout intérêt à ne pas
envenimer ses rapports avec son voisin de l’ouest. Ces facteurs expliquent amplement les
raisons qui ont poussé le Pakistan à choisir une politique de neutralité dans la guerre
Iran-Irak, politique qui, par ailleurs, s’inscrivait dans la tradition diplomatique du pays
basée sur la promotion de la coopération et de la solidarité entre les Etats musulmans 67.
La neutralité du Pakistan, malgré les craintes exprimées par certains observateurs, n’a
pas eu des effets négatifs sur ses relations avec les pays du CCG, avec lesquels Islamabad
entretient d’importantes relations économiques et où vivent de nombreux Pakistanais
dont le rapatriement des revenus est une source importante de devises pour le pays. Au
contraire, tout en maintenant des rapports privilégiés avec les pays arabes de la région, le
Pakistan a augmenté considérablement ses échanges avec l’Iran. D’une valeur d’environ
47 millions de dollars en 1979, le volume des échanges entre les deux pays atteindra
environ 400 millions de dollars vers le milieu des années quatre-vingt68.
69 Devenu un partenaire économique de première importance pour le Pakistan, la
République islamique doit être ménagée, ce qui n’est pas chose aisée pour Islamabad eu
égard à certaines prises de position intransigeantes de Téhéran en général sur la scène
internationale et aussi à cause des problèmes particuliers comme la présence, sur
territoire pakistanais, de nombreux réfugiés iraniens. L’existence parmi ces réfugiés d’un
certain nombre d’opposants actifs, partisans d’interventions armées à l’intérieur de l’Iran
à partir du Pakistan, a conduit Téhéran à agir à la fois sur le plan diplomatique et aussi,
quelquefois, de manière plus directe et violente. Ainsi, par exemple, en juillet 1987, des
assaillants équipés d’armes automatiques, de lance-grenades et de missiles ont donné
l’assaut à des maisons abritant des opposants iraniens simultanément à Karachi et à
Quetta. Ces attaques étaient-elles l’œuvre d’éléments khomeynistes infiltrés au Pakistan
ou de shi’ites pakistanais proches du régime islamique ? La question reste posée 69.
70 Les relations irano-pakistanaises sont aussi affectées par le problème afghan, à l’égard
duquel Téhéran ne partage pas entièrement le point de vue d’Islamabad. Certes, les deux
128

pays sont les pays les plus directement concernés par l’évolution de la situation en
Afghanistan, mais leurs analyses et leurs actions à ce sujet ne coïncident pas toujours.
71 Dans le cas de l’Iran, malgré les liens culturels, linguistiques et historiques qui lient les
deux pays, l’intervention soviétique n’a pas suscité chez les autorités islamiques des
réactions proportionnelles à l’ampleur de l’événement. Bien entendu, la République
islamique a condamné vivement l’entrée de l’Armée rouge en Afghanistan, mais elle n’a
pas pris toutes les dispositions pour réagir efficacement sur le plan international et elle
n’a pas utilisé tous les moyens en son pouvoir pour aider matériellement la résistance. De
plus, elle n’a jamais clairement défini sa position quant à la transformation profonde de la
situation géo-stratégique de l’Iran à la suite de la présence des forces armées soviétiques
sur les frontières orientales du pays. Cette attitude s’explique sans doute à la fois par la
crainte d’éparpillement de ses forces surtout en temps de guerre, par le souci d’éviter
toute confrontation grave avec l’Union soviétique, ou même, peut-être, par la peur de
faire le jeu des Etats-Unis dans la mesure où la résistance afghane lutte contre la
principale puissance rivale de Washington. D’autres considérations, comme, par exemple,
la faible rentabilité politique d’une aide massive à l’Afghanistan du point de vue de
l’opinion publique internationale, sont entrées probablement en ligne de compte dans
l’élaboration de la stratégie iranienne à l’égard du voisin afghan. Toujours est-il que le
pouvoir islamique, qui s’est toujours montré disponible pour investir dans un pays
lointain comme le Liban, a montré beaucoup de réticence s’agissant de l’Afghanistan.
72 Le profil relativement bas choisi à Téhéran par rapport à la situation en Afghanistan, ne
signifie toutefois pas absence de politique. En réalité, malgré sa démarche
inhabituellement prudente, la République islamique poursuit une politique précise,
articulée autour de quelques principes de base.
73 Premièrement, sur le plan diplomatique, à la différence du Pakistan, Téhéran ne s’est
jamais associé aux négociations de Genève qui, en 1988, ont abouti aux accords prévoyant
le retrait progressif des Soviétiques à partir du 15 mai de la même année. Le refus de
participation de Téhéran à ces négociations s’explique par deux raisons : l’absence de
représentants de la résistance afghane et le rejet de tout contact direct ou indirect avec le
régime de Kaboul. En 1981, la République islamique a pris une initiative en proposant un
plan de règlement basé sur deux principes, à savoir le retrait inconditionnel des
Soviétiques et le droit du peuple afghan à déterminer son propre destin. Ce plan
prévoyait aussi le remplacement des troupes soviétiques par une force islamique de
maintien de paix70. Par la suite, elle a proposé des négociations réunissant l’Iran, l’URSS,
le Pakistan et les représentants des résistants.
74 Deuxièmement, le gouvernement islamique, jusqu’à l’été 1988, a toujours lié
implicitement sa politique afghane à l’attitude soviétique à l’égard de la guerre. En
fonction de l’évolution de cette attitude, il durcissait ou relâchait le ton, accélérait ou
ralentissait l’aide à la résistance. Les effets de cette stratégie seront toutefois assez
limités, dans la mesure où, d’une part, son soutien à la résistance n’a jamais eu un poids
déterminant sur l’évolution de la situation à l’intérieur de l’Afghanistan et, d’autre part,
l’Union soviétique de son côté a toujours possédé les moyens de rétorsion adéquats
comme, par exemple, l’augmentation des pressions sur la frontière irano-afghane qui se
sont traduites parfois par de graves accrochages71.
75 Troisièmement, à l’égard des groupes de résistants afghans, Téhéran mène une politique
prudente et sélective. Bien que la plupart des organisations afghanes islamiques soient
autorisées à avoir des bureaux en Iran, elles ne sont pas en droit de faire transiter armes
129

et munitions à travers l’Iran ni d’installer des camps d’entraînement. Seuls les partis qui
reconnaissent le leadership de Khomeyni et soutiennent la politique de la République
islamique contre l’Irak et les Etats-Unis ont droit à une aide matérielle et reçoivent des
armes. Si la communauté shi’ite d’Afghanistan (20 % de la population totale du pays)
intéresse directement l’Iran, seules les organisations shi’ites radicales qui partagent les
points de vue du régime islamique jouissent des faveurs de Téhéran72. Parmi ces
organisations les plus importantes sont le Nasr, fondée en 1981 par Mir-Hossein Siddiqi et
Abol-Ali Mazari, et le Sepah-è-pasdaran, directement inspiré par les Gardiens de la
révolution73. Outre ces deux mouvements, il existe aussi deux autres organisations
shi’ites : le Harekatè Eslami et la Shura, moins proches de Téhéran.
76 Quatrièmement, la population afghane réfugiée en Iran, dont le nombre est estimé à
environ deux millions de personnes, bien que jouissant des conditions matérielles
relativement meilleures qu’au Pakistan, fait l’objet d’une surveillance beaucoup plus
systématique que dans ce dernier pays74. La politique de la République islamique à l’égard
des réfugiés mise d’abord, à l’inverse de celle du Pakistan, à les éloigner des régions
frontalières pour éviter toute évolution qui échapperait à son contrôle et amènerait
l’URSS à réagir violemment. Par ailleurs, l’éloignement des réfugiés des zones frontalières
et leur regroupement dans des camps facilitent le travail d’endoctrinement systématique
auquel ils sont soumis, dont certains parmi eux auront pour mission de préparer
l’avènement de la « République islamique d’Afghanistan »75.
77 Cinquièmement, dans le cadre de la guerre avec l’Irak, Téhéran a essayé de tirer quelques
bénéfices de la situation en Afghanistan. Ainsi, par exemple, les Afghans réfugiés en Iran
seront fortement « encouragés » à rejoindre les rangs des « combattants de l’Islam », ou
encore les contacts établis avec les résistants seront utilisés pour l’acquisition de certains
armements. A ce propos, il semble que des lance-missiles de type Stinger, de fabrication
américaine, soient parvenus par cette filière aux mains des forces armées iraniennes76.
78 L’avenir de la diplomatie islamique à l’égard de l’Afghanistan dépend avant tout de
l’évolution de la situation en Afghanistan après le départ des troupes soviétiques. Mais
d’autres facteurs comme le cessez-le-feu intervenu dans la guerre, les rapports bilatéraux
entre Téhéran et Moscou pèseront aussi sur la politique aghane de la République
islamique. Dans tous les cas, la résistance afghane se doit de garder d’étroits contacts avec
le régime islamique car l’Iran, de par sa position géographique et son importance
régionale, aura toujours un impact sur la situation en Afghanistan. Mais la collaboration
avec l’Iran de Khomeyni pose de nombreux problèmes aux résistants d’où l’amertume de
certains de leurs chefs qui accusent Téhéran de soutenir les groupes séparatistes au sein
de la communauté shi’ite, de raviver les divergences entre les diverses composantes de la
résistance et surtout de porter atteinte à l’image de cette résistance dans l’opinion
publique occidentale en faisant planer sur l’avenir de l’Afghanistan le spectre du
khomeynisme77.
79 Une évocation des relations de l’Iran avec les pays non arabes de la région ne serait pas
complète si n’étaient prises en considération les relations de ce pays avec Israël, qui, de
par le passé, a joué un rôle important dans la politique extérieure de l’Iran, et qui
aujourd’hui continue, quoique d’une autre manière, à préoccuper les responsables de la
diplomatie islamique.
80 En 1950, le gouvernement iranien avait reconnu de facto l’existence de l’Etat hébreux,
mais les relations entre Téhéran et Tel Aviv n’ont commencé à se développer
véritablement qu’au début des années soixante, après le déclenchement d’une crise dans
130

les relations irano-arabes, à la suite de la confirmation, en 1960, par le Shah, de la


reconnaissance de fait d’Israël. Pendant près de vingt ans, des liens solides vont être
noués entre les deux pays dans les domaines les plus variés, incluant les relations
politiques, économiques, militaires, culturelles, scientifiques et aussi la coopération et
échange d’information entre les services spéciaux. Malgré la présence officielle de
délégations israéliennes à des conférences internationales organisées en Iran, la
participation d’athlètes israéliens à des compétitions sportives ou les vols réguliers d’El Al
à destination de Téhéran, le gouvernement impérial a toujours voulu une certaine
discrétion dans ses rapports avec Tel Aviv. Pour ne pas provoquer les Etats arabes et
conscients de l’existence d’un courant antisioniste au sein de l’opinion publique
iranienne, Téhéran n’a jamais accepté l’établissement de relations diplomatiques en
bonne et due forme, en offrant la possibilité à Israël de transformer son bureau en Iran en
véritable ambassade. Par ailleurs, les autorités iraniennes ont toujours évité de donner
une publicité aux visites que la quasi totalité des dirigeants israéliens ont effectuées, au
moins une fois, en Iran. Malgré ces précautions et en dépit d’un rapprochement réel avec
le monde arabe après 1967, la « compromission israélienne » du Shah a pesé lourd dans
son destin. Toutes les factions de l’opposition ont reproché au Shah son amitié pour
Israël, même certaines personnalités proches du pouvoir aussi mettaient en doute, en
privé, le bien fondé de cette politique dont les avantages (atténuation de l’isolement
régional, appréciation favorable des Etats-Unis et quelques autres effets secondaires) ne
justifiaient pas les risques encourus sur le plan national et international78.
81 Le triomphe de la révolution islamique allait mettre un terme à la politique d’alliance
entre l’Iran et Israël. Même avant la prise du pouvoir par les forces révolutionnaires,
Shapour Bakhtiar, le dernier chef de gouvernement de la monarchie, avait condamné
devant le parlement la politique pro-israélienne du Shah79. Une semaine après la chute du
régime, le gouvernement de Mehdi Bazargan rompit toutes les relations avec Israël.
Aucun autre pays, même les Etats-Unis, ne connaîtra un tel traitement de la part du
nouveau pouvoir. L’identification du régime du Shah avec celui d’Israël, les liens de
longue date existant entre certaines factions révolutionnaires et les organisations
palestiniennes, la montée des sentiments anti-israéliens et pro-palestiniens durant la
période de la crise précédant la révolution, la situation relativement privilégiée des
minorités religieuses durant le règne de la dynastie Pahlavi par rapport aux dynasties
précédentes, jugée excessive par certains militants islamistes, expliquent sans doute cette
précipitation80. Mais, il y a aussi un autre élément qui a eu peut-être une influence
déterminante : le discours khomeyniste, condamnant irrémédiablement le sionisme et
l’Etat d’Israël.
82 Les idées de l’ayatollah Khomeyni sur ce sujet sont claires et sans équivoque. A son avis, la
seule solution acceptable pour les musulmans est l’éradication pure et simple de l’Etat
d’Israël. L’existence d’Israël en tant qu’Etat indépendant est une « injustice qui doit être
rayée du monde »81. Dans cette perspective, toute tentative de négociation, même si elle
aboutit à la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël est condamnée d’avance. C’est
ainsi que s’explique le geste symbolique des premiers jours de la révolution consistant à
remettre aux représentants de l’OLP les locaux de la mission israélienne à Téhéran. En
définitive, pour Khomeyni la question israélienne dépasse largement le cadre palestinien
et arabe, c’est un problème qui concerne la communauté des croyants : « Nous réclamons
depuis 20 ans, un rassemblement général de tous les musulmans pour faire disparaître
Israël, pour récupérer Jérusalem et pour sauver, par là, les pays islamiques de cette
131

tumeur cancéreuse. Vous avez l’intention de reconnaître Israël par ruse et de soutenir un
tel pays dont le monde entier connaît l’injustice, vous osez vous dresser devant le
Seigneur et vous voulez faire dominer l’ennemi de Dieu et l’ennemi farouche des
musulmans »82.
83 L’antisionisme virulent de Téhéran, sa croisade pour la libération de Jérusalem, sa
campagne en faveur de l’islamisation du conflit arabo-israélien, sa volonté proclamée de
combattre Israël à travers le Liban, ses divergences avec la direction de l’OLP, accusé de
complaisance à l’égard de l’Etat hébreux, sa détermination à lier coûte que coûte, même
symboliquement, la guerre avec l’Irak à son hostilité à l’égard d’Israël, sont des éléments
qui s’intègrent tout naturellement dans le cadre doctrinal de la politique étrangère de la
République islamique. Ce qui par contre a surpris les observateurs, c’est la révélation des
achats d’armes par l’Iran à Israël ou par l’intermédiaire d’Israël. Bien que ceci ait été
démenti de manière catégorique par les autorités islamiques, tout laisse à penser qu’Israël
a livré du matériel militaire à Téhéran dès 1982, avant même d’être sollicité par les Etats-
Unis. L’affaire de l’Irangate révélera plus tard le rôle joué par Israël dans le vaste
marchandage irano-américain concernant les armes et les otages83. Cependant, si l’on
accorde crédit au pragmatisme politique des mollahs, à leur détermination à atteindre
leurs objectifs par tous les moyens, on peut mieux expliquer leur attitude à ce sujet. Pour
eux, recevoir des armes via Israël ne signifie pas pactiser avec le diable ni renier ses
principes, mais simplement servir la cause de l’islam et celle de la révolution islamique.
Dans ces conditions leur démarche n’est pas dépourvue d’une certaine logique, en tout
cas n’est pas plus surprenante que celle des Israéliens, qui en livrant des armes à Téhéran,
parient sur l’après-khomeynisme et la possibilité de retrouver un jour les faveurs de
l’armée iranienne, ou l’alliance implicite qui, au-delà des péripéties actuelles, lie
objectivement l’Iran et Israël face aux pays arabes84.

NOTES
1. Sur la diplomatie extra-régionale de Téhéran voir, entre autres, Ignacio KLICH , « Démarches de
Téhéran en Amérique latine », Le Monde diplomatique, juillet 1985 ; du même auteur “Iran and
Latin America”, Middle East International, 19 avril 1985 ; Maiba MAGASSOUBA , l’Islam au Sénégal.
Demain les mollah ?, Paris, Karthala, 1985.
2. Sur la politique du Shah à l’égard du golfe Persique voir notre ouvrage Le golfe Persique,
problèmes et perspectives, Paris, Dalloz, 1978.
3. A propos des populations shi’ites dans les pays de la région du golfe Persique voir R.K.
RAMAZANI, “Shi’isme in the Persian Gulf” in Shi’ism and Social Protest, ed. par Juan R.I. COLE et Nikki
R. KEDDIE, New York, Yale University Press, 1986, pp. 30-54. Sur la situation des shi’ites en Arabie
Saoudite voir dans le même ouvrage la contribution de Jacob GOLDBERG , “The Shi’i Minority in
Saudi Arabia”, pp. 230-246.
4. Sur le CCG voir Nancy C. TROXLER, “The Gulf Co-operation Council: The Emergence of an
Institution”, Millenium: Journal of International Studies, vol. 16, n° 1, 1987, pp. 1-19 ; Taoufik
BOUACHBA , « Le Conseil de coopération des Etats Arabes du Golfe », Revue générale de droit
132

international public, tome 89, n° 1, 1985, pp. 29-82 et notre article : « Le Conseil de coopération du
Golfe : quelques problèmes d’ordre structurel », Studio Diplomalica, vol. 36, n° 6, 1983, pp. 625-636.
5. Sur le CCG et la sécurité : Joseph A. KECHICHIAN , “The Gulf Cooperation Council : Search for
Security”, Third World Quarterly, Octobre 1985, pp. 853-881 ; Laura GUAZZONE, “Gulf co-operation
Council: The Security policies”, Survival, mars-avril 1988, pp. 134-148.
6. Cité d’après Keesing’s Contemporary Archives, Mars 1983, p. 32050.
7. Le Monde, 25 août 1987.
8. Les pressions saoudiennes expliquent sans doute l’arrêt des bombardements de l’île de Kharg
durant 15 mois (mai 1984-août 1985).
9. Le Monde, 4 août 1987.
10. A ce propos voir Walter DE BOCK et Jean-Charles DENIAU , Des armes pour l’Iran, Paris, Gallimard
1988, p. 216.
11. Le Monde, 27 août 1987.
12. Le Monde, 13 novembre 1987.
13. Le Monde, 16 décembre 1987.
14. Déjà avant 1986, de nombreux attentats avaient été perpétrés en territoire koweïtien contre
des personnalités, des installations pétrolières, des ambassades.
15. Sur le Koweït et la guerre Iran-Irak voir Olivier DALAGE : « L’émirat du Koweït en première
ligne ». Le Monde diplomatique, septembre 1987 ; Jean GUEYRAS, « Le Koweït sous l’ombrelle
irakienne », Le Monde, 17 juillet 1987 et « Le Koweït piégé par la guerre », Le Monde, 15-16 mai
1988.
16. Cité d’après Etudes polémologiques, n° 28, 1983, p. 199.
17. Voir Laurent et Annie CHARBY, « Le conflit irako-iranien de l’anathème au compromis ? »,
Maghreb-Machrek, n° 95, janvier-mars 1982, p. 23 et notre article, « Le rapprochement irano-
irakien et ses conséquences », Politique étrangère, n° 3, 1975, pp. 273-291.
18. David B. OTTAWAY, “Syria Gives Arms, Political Muscle for Iranian Oil and Economic Aid”,
International Herald Tribune, 30 décembre 1983.
19. Shahram CHUBIN, “Iran and its Neighbours. The Impact of the Gulf War”, Conflict Studies, n
° 204, 1987, p. 17.
20. Keesing’s Contemporary Archives, 4 juin 1982, p. 31524.
21. Annuaire français de droit international, 1982, p. 1124.
22. Voir notre étude : « Problèmes du transport du pétrole et détroit d’Ormuz à l’époque
actuelle », Revue de l’énergie, n° 378, novembre 1985, pp. 445-452.
23. Les exportations irakiennes s’élevaient, en 1979, à environ 3 500 000 b/j, elles tombent en
1982, à 930 000 b/j., Le pétrole et le gaz arabe, n° 332, 16 janvier 1983.
24. Sur la révolte de Hama, voir : Fred LAWSON, “Social Bases for the Hamah Revolt”, Merip Reports,
n° 110, décembre 1982 et aussi, Maghreb-Machrek, n° 96, avril-juin 1982, pp. 116-122.
25. International Herald Tribune, 30 décembre 1983, et MEED, 6 janvier 1984.
26. The Economist, 3 mai 1986, Le Monde, 11 juillet 1986.
27. Le Monde, 7 avril 1987.
28. Le Message de l’Islam, n° 6, janvier 1982, p. 88.
29. Ces points de vue du président syrien sont très clairement expliqués dans l’article de Joseph
MAÏLA, « Les interviews d’Assad ou la Syrie expliquée au monde », Les Cahiers de l’Orient, n° 7, 1987,
pp. 109-112.
30. International Herald Tribune et Le Monde, 11 novembre 1987.
31. Le Monde, 14 novembre 1987.
32. Le Monde, 29 janvier 1988.
133

33. Sur Moussa Sadr voir Fouad AJAMI, The Vanished Imam, Mussa al Sadr and the Shia of Lebanon,
New York, Cornell University Press, 1986 ; Helena COBBAN, “The Growth of shi’i Power in Lebanon
and its Implications for the Future” in Shi’ism and Social Protest, op. cit., pp. 137-155.
34. Voir l’article du texte de la Constitution islamique du Liban dans Les Cahiers de l’Orient, n° 2,
1986, pp. 248-253.
35. Cette technique a été analysée par Alvin H. BERNSTEIN , “Iran’s Low-intensity War Against the
United States”, Orbis, printemps 1986, p. 149-167.
36. A propos du problème des îlots du détroit d’Ormuz : Jean A. SALMON, « Le conflit de
souveraineté sur Abou-Moussa et les Petite et Grande Tomb, 1968-1971 », Le Monde diplomatique,
novembre 1980.
37. Le Monde, 5-6 décembre 1971.
38. Le Monde, 9 décembre 1971.
39. Joseph ALPHER, “The Khomeini International”, The Washington Quarterly, Automne 1980,
pp. 54-71.
40. SWB Monitoring Report, ME/81 14/A 17, 21 novembre 1985.
41. Selon Jeune Afrique (n° 1008, 30 avril 1980), Khomeyni aurait déclaré à cette occasion :
« Kadhafi sera le bienvenu, s’il amène l’Imam Sadr dans son avion ».
42. Keesing’s Contemporary Archives, 7 août 1981, p. 31010.
43. Ibid, p. 31011.
44. The Daily Telegraph, 5 juillet 1981.
45. Laurent et Annie CHARBY, op. cit., p. 27.
46. Middle East Contemporary Survey, vol. I, 1981-82, p. 747.
47. Keyhan, 8-9 décembre 1982.
48. Middle East Contemporary Survey, vol. II, 1982-83, p. 194.
49. Ibid.
50. Keyhan, 21 février 1983.
51. Pour le compte rendu de ce voyage : Le Message de l’Islam, n° 23, novembre-décembre 1984,
pp. 8-10.
52. Le Monde, 3 octobre 1984.
53. MEED, 29 juin 1985.
54. Georges HENDERSON , “Libya: A Dangerous Embrace”, Middle East International, 26 juillet 1985,
pp. 9-10.
55. Ibid.
56. Le Monde, 12 septembre 1987.
57. Le Monde, 28 avril 1983.
58. Le Monde, 16 mars 1983.
59. MEED, 20 juin 1987.
60. MEED, 6 février 1988.
61. Voir à ce propos Halis AKDER, “Turkey’s Export Expansion in the Middle East, 1980-1985”, The
Middle East Journal, automne 1987, pp. 553-565. Pour un aperçu général de la politique turque au
Moyen-Orient, voir : Liesl GRAZ, “Die Türkei und ihre asiatischen Nachbarn”, Europa-Archiv, n° 23,
10 décembre 1987, pp. 691-698.
62. Le Monde, 6 mars 1987.
63. Sur le problème des réfugiés iraniens en Turquie, voir : Actuel, mars 1987, The Economist,
18 juillet 1987, Le Nouvel Observateur, 23-29 octobre 1987.
64. Ursula BRAUN , “The Iran-Iraq War: its Regional and International Dynamics”, Orient, n° 4,
1986, p. 619.
65. Le Monde, 11 juin 1987.
66. Le Monde, 15 janvier 1986.
134

67. Suroosh IRFANI, “Pakistan and the Iran-Irak War”, Journal of South Asian and Middle Eastern
Studies, vol IX, n° 2, hiver 1985, pp. 55-66.
68. Far Eastern Economic Review, 29 septembre 1983 et Pakistan Horizon, janvier 1988, p. 157.
69. Le Monde, 11 juillet 1987.
70. Voir A. de BURES et J.M. CHALIGNY, Le défi afghan, Paris, éd. Anthropos, 1986, p. 248.
71. Exemple : les graves incidents de l’été 1987, Le Monde, 18 août 1987.
72. Sur la communauté shi’ite d’Afghanistan voir David BUSBY EDWARDS, “The Evolution of Shi’i
Political Dissent in Afghanistan” in Shi’ism and Social Protest, op. cit., pp. 201-229.
73. Zalmay KHALILZAD , “The Iranian Revolution and the Afghan Resistance” in Shi’ism, Resistance,
and Revolution, ed. Martin KRAMER, Boulder Colorado, Westview Press, 1987, pp. 257-273.
74. Sur la situation des réfugiés afghans en Iran, voir : “Islamic Republic of Iran: Unnoticed
Country of Asylum”, Refugees, n° 23, novembre 1985, pp. 19-28 et Vahe PETROSSIAN , “Iran:
Sanctuary for millions”, MEED, 25 janvier 1986.
75. Heisser HUG, “Iran’s Indoctrination of Afghan Refugees”, Swiss Review of World Affairs, avril
1987, pp. 6, 7.
76. Ahmad RASHID, “Afghanistan and Iran. A Source for Arms”, Middle East International,
7 novembre 1987.
77. Voir les déclarations d’Amin Wardak, Le Monde, 14 avril 1984.
78. Sur les relations irano-israéliennes à l’époque du Shah on consultera : Uri BIALER, “The Iranian
Connection in Israel’s Foreign Policy, 1948-1951”, The Middle East Journal, printemps 1985,
pp. 292-315 ; R.K. RAMAZANI, “Iran and the Arab-Israel conflict”, Middle East Journal, automne 1978,
pp. 219-250 ; Robert B. REPPA, Israel and Iran: Bilateral Relationship and Effect on the Indian Ocean
Basin, New York, Praeger, 1974 ; M.G. WEIBAUM , “Iran and Israel: The Discrete Entente”, Orbis,
hiver 1973, pp. 1070-1087.
79. R.K. RAMAZANI, Revolutionary Iran, Challenge and Response in the Middle East, Baltimore, Johns
Hopkins University Press, 1986, p. 151.
80. Sur la situation des juifs en Iran durant le XIXe et le début du XXe siècle, voir : David LITTMAN,
« Les juifs en Perse avant les Pahlavi », Les temps modernes, juin 1979, pp. 1910-1935.
81. Déclaration du 4 août 1982, publiée dans une brochure éditée par le Département des langues
nationales et étrangères de Voix et Vision de la République islamique (Radio et TV) : Extraits des
paroles prononcées par l’Imam Khomeyni, Guide de la Révolution Islamique au sujet du sionisme et du
régime usurpateur de Ghods, Téhéran, sans date, p. 15.
82. Ibid., discours du 13 février 1982, p. 14.
83. A ce propos voir : Yosef GOELL, “Israel, the US, and Iranian Affairs”, Congress Monthly, février
1987, pp. 3-5 ; Peretz KIDRON , “Iran and the Contras: What Israel was Playing For”, Middle East
International, 20 février 1987, pp. 12-14.
84. Amatzia BARAM , “Israël and the Gulf War: A Dilemma”, New Outlook, Mars 1987, pp. 18-19 ;
David MENASHRI, “The American-Israeli-Iranian Triangle”, New Outlook, janvier-février 1987,
pp. 11-15 ; A.H. AL-AYOUBI, « Débat sur le Golfe parmi les stratèges israéliens », Arabies, Avril 1987,
pp. 34-37.
135

Conclusion

1 Dix années représentent aujourd’hui une période assez longue dans la vie d’une nation et
dans l’évolution de la situation internationale en général, pour permettre de porter un
premier jugement sur la politique étrangère d’un nouveau régime. En une décennie, une
diplomatie, aussi novatrice soit-elle, a eu le temps de dépasser les hésitations, les
balbutiements, les maladresses inhérents aux débuts de toute entreprise. Elle a même eu
le temps de franchir ce laps de temps où les inévitables erreurs de jeunesse sont encore
licites. Les idées ont eu tout loisir de mûrir ; les processus de prise de décisions ont acquis
les régulations nécessaires ; les structures spécifiques, pour répondre aux besoins
nouveaux, ont été mises en place ; l’appareil diplomatique, épuré, a été doté d’un
personnel dont la loyauté envers le régime semble désormais assurée ; bref, la diplomatie
islamique a eu largement le temps de clarifier ses positions, de préciser ses objectifs tout
en se dotant des moyens de les réaliser.
2 Ayant ainsi atteint, après avoir parcouru les étapes préliminaires, sa vitesse de croisière,
la diplomatie islamique, qui n’a plus l’excuse de l’inexpérience et de la jeunesse, peut, dès
à présent, être l’objet d’une appréciation critique. Pour ce faire, il nous a semblé
intéressant de procéder de la manière suivante : mettre d’abord en parallèle la politique
extérieure du régime islamique avec celle du précédent régime ; ensuite, procéder à une
évaluation des réalisations de la diplomatie islamique par rapport aux objectifs qu’elle
s’est fixés ; enfin, porter un jugement sur cette politique en prenant comme critère
d’appréciation l’intérêt national, avec toutes les réserves que l’utilisation d’un tel concept
requiert.
3 Le plus grand reproche que l’opposition iranienne faisait à la politique étrangère du Shah,
et que la République islamique reprend à son compte, était son alignement sur l’Occident,
perçu comme une option portant atteinte à l’indépendance nationale. Le rapprochement
esquissé en direction des pays occidentaux par l’Iran dans les années cinquante et
l’alliance conclue avec les Etats-Unis, procédaient à la fois de l’expérience historique (le
non-respect de la neutralité proclamée de l’Iran durant les deux conflits mondiaux), de
l’analyse géostratégique (le voisinage avec une superpuissance à vocation
expansionniste), et d’une affinité traditionnelle et élective de la classe dirigeante pour
l’Occident. Dans l’esprit du Shah, ce choix, non seulement ne mettait pas en cause
l’indépendance nationale, mais au contraire la renforçait en lui offrant une garantie
supplémentaire dans le cadre de l’affrontement Est-Ouest, affrontement auquel un pays
136

possédant les caractéristiques de l’Iran ne pouvait, en dernière analyse, échapper


longtemps. De plus, ce choix n’empêchait nullement l’Iran de pratiquer une politique
d’ouverture tous azimuts en direction de tous les pays, sans tenir compte de leurs
systèmes politico-économiques ou de leurs orientations idéologiques. Certes, avec le
temps, en observant combien les puissances occidentales et surtout les Etats-Unis avaient
montré peu d’empressement à soutenir certains de leurs alliés, comme, par exemple, le
Pakistan face à l’Inde, le souverain iranien avait perdu une part de ses illusions. Mais,
grâce à l’augmentation des revenus pétroliers, à partir de 1973, et le renforcement des
capacités militaires du pays, le Shah espérait faire de l’Iran une puissance qui deviendrait
un partenaire égal aux autres, au sein de l’alliance occidentale, et non un allié
subordonné, à qui l’on n’accorde qu’un soutien conditionnel.
4 L’avènement de la République islamique transformera complètement la diplomatie de
Téhéran. La politique pro-occidentale du Shah fut abandonnée. Le nouveau régime opta
pour le non-alignement, s’attaqua violemment aux Etats-Unis, prouvant ainsi sa
détermination à poursuivre une politique d’indépendance nationale véritable, répondant
aux aspirations profondes de nombreux Iraniens. Mais en est-il réellement ainsi ?
5 Certes, on peut créditer le pouvoir islamique d’avoir mis un terme à la politique d’alliance
qui pouvait porter préjudice aux intérêts de l’Iran ; ou encore inscrire à son actif une
autonomie de décision que l’ancien régime ne possédait pas. Ce sont là des conditions
nécessaires mais non suffisantes à la réalisation de l’indépendance nationale. Pour que
celle-ci ne soit pas un concept creux, il faut favoriser le développement économique, seul
moyen de réduire la dépendance envers l’extérieur. Par ailleurs, une politique
d’indépendance nationale requiert le renforcement de la sécurité, l’affermissement de la
respectabilité internationale et la protection de l’intégrité territoriale du pays. Or, le
régime islamique s’est, d’une part, montré incapable de faire redémarrer l’économie et,
d’autre part, par ses actions inconsidérées, a mis en danger la sécurité, la crédibilité et
l’intégrité territoriale du pays. En outre, l’idéologie de la diplomatie islamique, par ses
aspirations dépassant largement le cadre national, semble remettre en cause le concept
même d’indépendance nationale.
6 La diplomatie islamique s’est imposée comme but idéal l’exportation de la révolution, la
lutte contre l’hégémonisme des grandes puissances, le soutien actif aux revendications du
Tiers Monde, et depuis le déclenchement de la guerre, la victoire sur le pouvoir ba’thiste
irakien. Que constatons-nous aujourd’hui, après dix années d’intenses activités dans
chacune de ces directions ? En ce qui concerne l’exportation de la révolution, mis à part
une percée au Liban et malgré les efforts consentis, la République islamique n’a pu
inscrire à son palmarès de succès majeur. Même dans le contexte libanais, sa relative
réussite est contrebalancée par l’influence syrienne qui limite l’extension de l’emprise
idéologique de Téhéran. Dans la lutte contre l’hégémonisme des grandes puissances, la
République islamique a marqué quelques points en accélérant le retrait des forces
américaines du Liban ou en mettant, durant quelque temps, la France en difficulté par
l’intermédiaire de groupes terroristes qu’elle parraine. Mais ces actions ponctuelles n’ont
en aucune manière modifié les rapports de forces au niveau global. Au plan régional, la
diplomatie islamique a été largement contre-productive puisque aujourd’hui, plus que
jamais auparavant, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et même l’URSS sont
installés aux portes de l’Iran, dans les eaux du golfe Persique. Quant à la dimension tiers-
mondiste de sa politique extérieure, la République islamique, dont la situation
économique n’a cessé de se détériorer au fil des ans, a été parfaitement incapable, au-delà
137

de ses déclarations d’intention et de son soutien verbal, de fournir l’aide matérielle dont
les pays du Tiers Monde ont pour la plupart un urgent besoin. Seules, quelques
organisations d’opposition ont bénéficié des prodigalités de Téhéran. En outre, dans le
contexte de la guerre, la diplomatie islamique n’est parvenue ni à couper l’Irak de ses
alliés, ni à briser l’isolement ruineux du pays sur le plan international, ni à exploiter
avantageusement les occasions qui se sont présentées. Comble de son inefficacité, elle a
réussi le tour de force de faire passer un pays agressé pour un pays agressif à qui la
communauté internationale refuse son soutien et sa sympathie.
7 Après les défaites subies sur le front, au printemps 1988, Rafsandjani lui-même a été
obligé de constater, à propos de la guerre, l’insuccès de la politique extérieure du régime
et de proposer une révision déchirante de celle-ci : « Nous devons cesser de nous créer
constamment des ennemis. Jusqu’à présent, nous avons, par nos gesticulations
révolutionnaires, poussé ceux qui auraient pu rester neutres dans le camp de nos
ennemis, et nous n’avons rien fait pour gagner à notre cause ceux qui auraient pu être des
amis ! »1 Le président du parlement, dont le rôle dans l’élaboration de la politique
étrangère avait toujours été déterminant, conclut en ces termes : « Nous devons contrer
les efforts des ennemis de l’Iran qui essaient de nous faire passer pour les principaux
responsables de la poursuite des hostilités et de faire accréditer l’idée que l’Irak est seul à
chercher la paix »2. Mais cette nouvelle tactique n’eut pas le temps d’être expérimentée
puisque quelques jours après la déclaration de Rafsandjani, le 18 juillet, la République
islamique fut contrainte d’accepter de se plier à la résolution 598 du Conseil de sécurité,
dans les conditions les plus désavantageuses pour elle.
8 Sur le plan de l’intérêt national, notion qui est au cœur de toute politique étrangère, la
diplomatie islamique paraît avoir failli à sa mission. Certes, comme l’a relevé
Raymond Aron, l’intérêt national est un concept flou, de nature équivoque et dont le
contenu mouvant varie selon le lieu, l’époque, les circonstances. Mais, dans le cas d’un
pays comme l’Iran, pays du Tiers Monde confronté à des problèmes socio-économiques
colossaux, situé dans une zone conflictuelle et d’intenses rivalités, on peut penser
raisonnablement que l’intérêt national exige au minimum un environnement régional et
international relativement calme et propice à la poursuite de l’effort de développement
comme au renforcement de la sécurité du pays. Or, la diplomatie islamique a contribué à
augmenter les tensions régionales, attiser les conflits, encourager la violence. L’Iran, jadis
élément de stabilité, est désormais partie prenante à tous les conflits du Moyen-Orient
tout en devenant lui-même une nouvelle source de conflits. Mais pouvait-il en être
autrement pour un Etat dont la politique étrangère est au service d’une idéologie
transnationale plus que subordonnée à l’impératif de l’intérêt national ? N’est-il pas
illusoire de croire à la possibilité d’une politique axée sur les besoins de la nation quand le
pouvoir n’a de cesse de rappeler que « la révolution islamique n’a pas seulement renversé
la dynastie Pahlavi, elle a aussi aboli l’Etat-nation iranien » ?3
9 Pour mieux évaluer l’impact de la diplomatie islamique, il faut tenir compte également du
radicalisme islamique. En effet, la diplomatie islamique est le fait d’un acteur étatique
porté par un mouvement idéologique qui le dépasse. Si cet acteur reste pour le moment
solitaire, il peut néanmoins s’appuyer sur des groupes activistes, des milices armées ou
des groupements terroristes plus ou moins clandestins. C’est l’association de ces éléments
disparates qui font la puissance de la révolution islamique à l’échelle internationale. Ce
mouvement, sans être capable d’influer sur les rapports de forces au niveau global, a
acquis, durant les années quatre-vingt, un poids et une envergure dont l’impact peut
138

transcender le cadre local. Non seulement il menace la cohésion interne déjà précaire
d’un certain nombre d’Etats musulmans, mais encore il met en cause les rapports entre
ces Etats. Le système interislamique tel qu’il existe à l’heure actuelle reflète, selon les
intégristes, des modèles étrangers à l’islam et contraires à son universalité. Il faut dans
ces conditions, restructurer le système, dépasser le cadre des nations, mettre en place un
bloc supranational et instaurer à terme, comme le réclame Téhéran, une « communauté
unique islamique mondiale ».
10 Certes, de tout temps, à côté de l’islam traditionnel, un islam contestataire a existé. Ce qui
est nouveau, c’est la radicalisation de cet islam contestataire, sa transformation en
idéologie opératoire, capable de s’inscrire dans l’espace politique moderne et fort d’un
projet sur le plan international. Mais de là à conclure à l’apparition d’un islamisme
révolutionnaire conquérant apte à balayer tous les obstacles qui se dressent sur son
chemin, il y a un pas qu’il serait imprudent de franchir. Si ce courant, sous la direction de
Khomeyni, est parvenu à renverser la monarchie iranienne, c’est surtout grâce à une
dissimulation habile de ses objectifs, à l’utilisation d’un discours trompeur qui a eu pour
conséquence de coaliser, un bref instant, les tendances politiques les plus opposées, face à
un pouvoir désemparé, incapable de réagir promptement et dont les forces armées ont,
en fin de compte, choisi la neutralité. Il est peu probable qu’un tel scénario puisse se
répéter hors d’Iran dans un contexte analogue. De plus, avec le temps l’incapacité de la
révolution islamique à proposer un modèle économique et social pouvant améliorer
substantiellement les conditions économiques et sociales des masses populaires, tout
comme la confirmation de sa nature profondément autoritaire et répressive ont terni
l’image de cette « force de renouveau » dans une partie importante de l’opinion publique
musulmane. Par ailleurs, sur le plan international, une fois l’effet de surprise initial passé,
l’utilisation de l’intimidation, de l’intransigeance, de la violence comme moyens d’action
diplomatique a perdu de plus en plus de son efficacité. Néanmoins, tant que les mollahs
resteront au pouvoir à Téhéran et qu’avec leur soutien un certain nombre de groupes
activistes essayeront d’étendre leur influence sur la communauté musulmane à travers le
monde, tout en luttant sans répit contre « les ennemis de la vraie foi », l’islamisme
subsistera en tant qu’élément de perturbation, potentiellement à même de compromettre
l’équilibre d’une région et de porter atteinte aux intérêts des régimes en place et des
puissances extérieures qui sont leurs alliés.
11 Ceci étant, le cessez-le-feu intervenu entre l’Iran et l’Irak, le 20 août 1988, et le processus
de paix engagé à partir de ce moment auront, selon toute vraisemblance, des
conséquences très importantes pour l’avenir de la révolution islamique. La non-
réalisation des objectifs de guerre de Téhéran porte préjudice aux mouvements islamistes
en général et à la République islamique en particulier. Désormais les objectifs se
rétrécissent, le discours enflammé perd de sa consistance, l’esprit conquérant cède la
place à une vision plus réaliste. Une période nouvelle commence. Sera-t-elle marquée par
la poursuite de l’expansionnisme idéologique selon d’autres modalités, vers d’autres
directions ? Ou caractérisée par la consolidation de la révolution islamique dans un seul
pays et l’abandon, provisoire, des projets internationalistes ? A moins que les échecs subis
sur les champs de bataille, les séquelles d’une guerre aussi meurtrière qu’inutile,
commencent, comme un mal profond, à ronger progressivement les fondements mêmes
du pouvoir islamique.
139

NOTES
1. Le Monde, 6 juillet 1988.
2. Ibid.
3. Le Message de l’Islam, juillet 1985, p. 15.
140

Repères chronologiques, 1979-1988

1979
1 16 janvier : le Shah quitte l’Iran pour l’Egypte.
2 1er février : retour de l’ayatollah Khomeyni à Téhéran.
3 12 février : Téhéran tombe aux mains des partisans de Khomeyni. Installation officielle du
gouvernement provisoire dirigé par Mehdi Bazargan.
4 17 février : arrivée de Yasser Arafat à Téhéran.
5 18 février : rupture des relations diplomatiques avec Israël.
6 4 mars : rupture des relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud.
7 13 mars : annonce officielle du retrait de l’Iran du pacte de Cento.
8 16 avril : démission de Karim Sandjabi, ministre des affaires étrangères.
9 24 avril : Ebrahim Yazdi nommé ministre des affaires étrangères.
10 26 avril : le numéro 2 libyen, Abd-al Salam Jallud, rencontre Khomeyni à Qom.
11 30 avril : rupture des relations diplomatiques avec l’Egypte.
12 22 octobre : le Shah hospitalisé à New York.
13 4 novembre : prise en otage du personnel diplomatique américain par les « étudiants de la
ligne de l’imam ».
14 6 novembre : démission de Mehdi Bazargan.
15 9 novembre : Abolhassan Bani-Sadr nommé responsable de plusieurs ministères dont
celui des affaires étrangères.
16 12 novembre : le président Carter annonce l’arrêt des importations américaines de
pétrole iranien.
17 14 novembre : gel des avoirs iraniens aux Etats-Unis.
18 15 novembre : la Constitution islamique adoptée par l’Assemblée des experts.
19 28 novembre : Sadegh Ghotbzadeh nommé ministre des affaires étrangères.
20 15 décembre : la Cour internationale de justice exige la libération des otages.
21 27 décembre : invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques.
141

1980
22 25 janvier : Abdolhassan Bani-Sadr élu président de la République islamique.
23 5-8 avril : montée des tensions entre l’Iran et l’Irak.
24 9 avril : le président Carter annonce des mesures de représailles contre l’Iran et rompt les
relations diplomatiques avec Téhéran.
25 22 avril : les pays de la CEE annoncent des sanctions contre l’Iran.
26 24-25 avril : échec de l’opération américaine aéroportée à Tabbas qui devait permettre la
libération des otages.
27 27 juillet : mort du Shah au Caire.
28 17 septembre : le président irakien Saddam Hussein dénonce l’accord d’Alger signé en
1975 pour la délimitation des frontières entre l’Iran et l’Irak.
29 22 septembre : l’Irak déclenche la guerre et envahit des zones frontières.
30 28 septembre : le Conseil de sécurité demande la cessation des hostilités.
31 24 octobre : Khorramshahr, le plus grand port de l’Iran, tombe aux mains de l’armée
irakienne.
32 20 novembre : négociations engagées à Alger pour déterminer les modalités de libération
des otages.
33 20-22 novembre : Olof Palme à Téhéran dans le cadre de la mission d’enquête de l’ONU.

1981
34 19 janvier : signature des accords d’Alger pour la libération des otages.
35 20 janvier : libération des otages américains.
36 28 février-1er mars : une commission de bons offices de l’OCI, comprenant plusieurs chefs
d’Etat, se rend à Téhéran.
37 21 juin : le parlement islamique vote la destitution de Bani-Sadr.
38 24 juillet : Mohammad Ali Radjaï élu président de la République.
39 30 août : Radjaï et le premier ministre périssent dans un attentat.
40 27 septembre : offensive iranienne dans le Khouzistan, le siège d’Abadan est levé.
41 2 octobre : l’hodjatoleslam Ali Khamenei devient président de la République.
42 5-9 octobre : intensification des visites et des échanges entre Moscou et Téhéran.
43 13 décembre : Ali-Akbar Velayati nommé ministre des affaires étrangères.
44 31 décembre : les autorités de Bahrein annoncent avoir déjoué un coup d’Etat préparé par
un groupe soutenu par Téhéran.

1982
45 15 février : signature d’un accord de coopération économique et scientifique avec l’URSS.
46 27 février : retour de Velayati d’un voyage en Libye, Algérie et Mauritanie.
142

47 10 mars : signature d’un important accord commercial avec la Turquie.


48 17 mars : après une visite à Téhéran, le ministre syrien des affaires étrangères annonce la
conclusion d’un accord de coopération économique avec l’Iran.
49 20 avril : l’ayatollah Shariat-Madari accusé d’avoir comploté pour assassiner Khomeyni.
50 24 mai : Khorramshahr libéré.
51 26 mai : Ariel Sharon, ministre israélien de la défense, confirme la vente d’armes à l’Iran.
12 juin : nouvelle visite du major Jallud à Téhéran.
52 14 juillet : l’armée iranienne pénètre en territoire irakien.
53 16 juillet : importante délégation iranienne arrive à Pékin.
54 5 août : l’ambassadeur de France en Iran prié de quitter le pays.
55 6 août : arrivée du premier ministre turc à Téhéran.
56 10 août : l’Irak renonce à accueillir le sommet des pays non alignés.
57 16 septembre : exécution de Sadegh Ghotbzadeh.
58 4 octobre : résolution 522 du Conseil de sécurité sur la guerre.
59 26 octobre : l’Irak accepte le tracé des frontières défini par l’accord d’Alger de 1975.
60 20 novembre : ministre des affaires étrangères du Pakistan en visite officielle à Téhéran.

1983
61 1er janvier : deux diplomates australiens sont expulsés d’Iran pour avoir exigé, afin de
délivrer des visas, des passeports où, sur les photos, les femmes ne sont pas voilées.
62 5 février : arrestation du secrétaire général du parti communiste Toudeh.
63 4 mai : expulsion de 18 diplomates soviétiques accusés d’espionnage et d’intervention
dans les affaires intérieures de la République islamique.
64 15 juin : la République islamique et la Libye décident de créer une « armée de libération
islamique ».
65 22 juillet : l’Iran ouvre un quatrième front dans le nord de l’Irak.
66 23 octobre : attaque contre les contingents français (58 morts) et américain (300 morts) à
Beyrouth par le Jihad islamique.
67 29 novembre : le Liban rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran.
68 25 décembre : trois diplomates français, accusés d’activités incompatibles avec leur statut,
sont expulsés.

1984
69 15 janvier : l’armée iranienne lance une série d’offensives en territoire irakien.
70 24 janvier : les Etats-Unis placent la République islamique sur la liste des pays terroristes.
71 22 février : la Chine dément avoir livré des armes à l’Iran.
72 29 février : présentation à la presse internationale de soldats iraniens brûlés par les armes
chimiques.
73 1er mai : guerre des pétroliers et montée des tensions dans les eaux du golfe Persique.
143

74 18 juillet : rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et le Liban.


75 20 juillet : Hans-Dietrich Genscher, ministre des affaires étrangères de la République
fédérale, en visite officielle à Téhéran.
76 14 août : déclaration de Velayati à propos de la nouvelle ligne diplomatique de la
République islamique, présentée comme plus active et plus positive.

1985
77 24 janvier : Mir-Hossein Moussavi, premier ministre, en visite officielle au Nicaragua.
78 18 mai : le prince Saoud el Fayçal, ministre des affaires étrangères de l’Arabie Saoudite,
arrive à Téhéran pour une visite officielle.
79 20-25 juin : voyage de Rafsandjani en Libye et Syrie.
80 26 juin : à la tête d’une importante délégation, Rafsandjani entreprend un voyage officiel
en Chine et au Japon.
81 17 août : réélection de Khamenei à la présidence de la République.
82 23 août : réunion à trois des ministres des affaires étrangères de l’Iran, de Syrie et de
Libye à Damas.

1986
83 10 février : les forces armées iraniennes occupent la péninsule de Fao.
84 24 février : résolution 582 du Conseil de sécurité à propos de la guerre.
85 20 mai : les Irakiens attaquent Mehran et s’en emparent.
86 16 juillet : signature d’un projet d’accord avec la Turquie pour la construction d’un
pipeline reliant le Khouzestan au port d’Iskandaroun.
87 5 octobre : un diplomate syrien kidnappé à Téhéran.
88 8 octobre : manifestation devant l’ambassade de la RFA à Téhéran en réponse aux
manifestations d’opposants iraniens à la foire du livre à Francfort.
89 2 novembre : Al-Shiraa, publié à Beyrouth, révèle le voyage à Téhéran de Robert
McFarlane et ses contacts avec les autorités islamiques.
90 3 novembre : envoyé spécial de l’Emir du Koweït arrive à Téhéran pour remettre un
message à Khomeyni.
91 17 novembre : la France signe un accord sur le remboursement de 330 millions de dollars
du prêt consenti par l’Iran à l’époque du Shah.
92 19 novembre : Reagan confirme les livraisons d’armes à l’Iran.
93 25 novembre : le ministre de la justice américain révèle le rôle joué par Israël dans l’
Irangate.
94 10 décembre : Mehdi Hashemi « avoue ses crimes ».
95 12 décembre : nouveau protocole économique avec l’URSS.
144

1987
96 27 janvier : l’Iran rejette le communiqué final du sommet islamique qu’il a par ailleurs
boycotté.
97 4 février : voyage du ministre des affaires étrangères de Pologne à Téhéran.
98 12 février : reprise de la « guerre des villes ».
99 13 février : Velayati, en visite à Moscou, rencontre son homologue soviétique.
100 17 février : l’Iran expulse deux diplomates allemands en guise de protestation envers une
émission de télévision jugée comme offensante à l’égard de Khomeyni.
101 24 février : l’Iran propose des discussions à quatre (Iran, URSS, Pakistan, résistants
afghans) pour trouver une solution à la crise afghane.
102 28 mars : informations publiées à propos d’installation de missiles de fabrication chinoise
sur les côtes du détroit d’Ormuz.
103 17 mai : attaque irakienne contre la frégate américaine Stark (37 morts).
104 17 juillet : la France rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran.
105 20 juillet : résolution 598 du Conseil de sécurité sur la guerre Iran-Irak.
106 22 juillet : la marine américaine commence à escorter les pétroliers koweïtiens.
107 31 juillet : graves incidents opposant pèlerins iraniens et forces de l’ordre saoudiennes à
La Mecque (plusieurs centaines de morts).
108 12 septembre : la Libye se rapproche de Bagdad et critique Téhéran.
109 25 septembre : Londres ferme le centre iranien d’achats d’armements en Angleterre.
110 8 octobre : les hélicoptères d’assaut américains coulent trois vedettes iraniennes.
111 16 octobre : l’Iran tire un missile chinois sur un pétrolier koweïtien battant pavillon
américain.
112 19 octobre : des destroyers américains détruisent une plate-forme pétrolière iranienne.

1988
113 février-mars : « guerre des missiles » sur les villes.
114 5 avril : détournement d’un avion koweïtien vers l’Iran. Les pirates exigent
l’élargissement de 17 terroristes shi’ites détenus au Koweït.
115 18 avril : les Irakiens reprennent le contrôle de la presqu’île de Fao. Deux plates-formes et
deux frégates iraniennes attaquées par la marine américaine.
116 26 avril : l’Arabie Saoudite rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran.
117 13 mai : le second tour des élections législatives confirme la victoire des radicaux proches
du fils de Khomeyni.
118 15 mai : retrait des premières unités soviétiques d’Afghanistan.
119 25 mai : l’Irak annonce avoir récupéré la région frontière de Chalamcheh, à l’est de
Bassorah, occupée depuis janvier 1987 par les forces iraniennes.
120 27 mai : l’armée syrienne entre dans les quartiers shi’ites du sud de Beyrouth sous
contrôle du hezbollah.
145

121 2 juin : Rafsandjani nommé commandant en chef par intérim des forces armées.
122 15 juin : l’Iran annonce qu’il n’enverra aucun représentant au pèlerinage annuel de
La Mecque cette année, en raison des « entraves » mises par l’Arabie Saoudite.
123 23 juin : l’Irak reprend les îles Majnoun occupées par les Iraniens depuis février 1984.
124 3 juillet : un avion de ligne iranien abattu par la marine américaine dans la région du
détroit d’Ormuz (290 morts).
125 12 juillet : l’Irak reprend la région de Zoubeidate occupée par les forces iraniennes. Le
même jour, les Iraniens se retirent de la ville kurde de Halabja (Irak).
126 13 juillet : l’armée irakienne occupe la localité iranienne de Dehloran.
127 18 juillet : Téhéran annonce sa décision d’accepter la résolution 598. Annonce du
rétablissement des relations diplomatiques entre le Canada et l’Iran après une rupture de
huit ans.
128 20 juillet : Khomeyni confirme l’acceptation de la résolution 598, décision qui lui est
apparue « plus pénible que d’absorber du poison ».
129 8 août : le Secrétaire général des Nations Unies annonce l’accord intervenu sur le cessez-
le-feu entre l’Iran et l’Irak. L’arrêt des combats est fixé au 20 août. Des négociations
directes entre les belligérants s’ouvriront le 25 août à Genève.
130 20 août : entrée en vigueur du cessez-le-feu à 3 h. GMT.
131 25 août : début des négociations irano-irakiennes à Genève en présence du Secrétaire
général des Nations Unies.
132 13 septembre : les pourparlers entre l’Iran et l’Irak sont interrompus à Genève. Ils
devraient reprendre à New York début octobre.
133 25 septembre : le gouvernement américain informe le Koweit et d’autres pays amis de la
région que les navires de l’US Navy s’apprêtent à cesser la protection des convois de
pétroliers dans le golfe Persique.
134 1er octobre : rencontre des ministres des affaires étrangères iranien et irakien à New York
en compagnie du Secrétaire général de l’ONU.
135 31 octobre : ouverture d’une nouvelle série de pourparlers irano-irakiens à Genève.
136 10 novembre : la Grande-Bretagne et l’Iran décident de normaliser leurs relations
diplomatiques gelées depuis 1987, à la suite de l’expulsion d’un diplomate iranien accusé
de vol à l’étalage.
146

Annexe 1. Message de l’ayatollah


Khomeyni à l’occasion du Hadj,
3 septembre 1983 (extraits)1

1 [...] Venons-en maintenant à évoquer certaines questions propres aux pèlerins de la


Kaaba et à tous les musulmans du monde, bien que nous en ayons parlé, à maintes
reprises.
2 1) Parmi ces questions, l’une d’entre elles concerne l’engagement des pèlerins et des
oulémas accompagnant les groupes, à apprendre davantage et à enseigner aux autres, les
problèmes relatifs au Hadj ; car une démarche contraire aurait des conséquences néfastes
telles que la nullité du Hadj [...].
3 Les oulémas responsables des groupes doivent inviter leurs pèlerins à faire connaître les
cérémonies du Hadj, et il faut également que les pèlerins fassent preuve d’un grand
enthousiasme à apprendre et à accomplir leur devoir, en toute connaissance de cause.
4 2) Nous savons tous, et il faut que nous sachions que tous les malheurs qui se sont abattus
sur les musulmans, surtout durant ces deux derniers siècles, résultent de la sinistre
emprise des puissances étrangères sur les pays musulmans, les entraînant vers
l’obscurantisme et pillant leurs ressources naturelles ; et ils continuent de le faire. La
cause en est la négligence par les musulmans des dimensions politiques et sociales de
l’Islam ; ce qui a eu pour conséquence la frustration des masses musulmanes par les
colonialistes et les exploiteurs de l’Est et de l’Ouest. Cette négligence a été telle que la
plupart des oulémas de l’Islam ont fini par croire que l’Islam n’a rien à voir avec la
politique et que le croyant ne doit pas s’ingérer dans la politique. Les pillards fourbes ont
essayé, par l’intermédiaire de leurs agents pseudo-intellectuels, d’entraîner l’islam sur la
même voie que celle du Christianisme, cantonnant les oulémas dans le cadre des
questions religieuses, et les Imams des prières collectives étant contraints de limiter leurs
activités aux fêtes et aux cérémonies de mariages. Ces pillards fourbes ont incité les
hommes vertueux à se consacrer aux prières et aux invocations et poussé les jeunes à la
débauche et aux turpitudes, les détournant de tout intérêt pour les questions politiques et
sociales et les autres difficultés des pays musulmans. Ils ont atteint, dans une grande
mesure, leurs objectifs, et ils ont tiré le plus grand profit de notre négligence et de notre
147

ignorance, et les pays musulmans sont, soit tombés sous leur emprise coloniale directe,
soit exploitée indirectement. Et pour ce faire, beaucoup de dirigeants et de gouvernants
des musulmans leur ont servi d’agents, et par leurs intermédiaires, ont entraîné leurs
peuples vers l’oppression et l’exploitation, la dépendance, la pauvreté, le dénuement. Le
résultat fut l’asservissement de ces masses. Et aujourd’hui encore, les musulmans
demeurent indifférents, les agents du colonialisme poursuivent leur propagande, les
grandes puissances poursuivent leur pillage et leur hégémonie. Les religieux à la solde des
Cours royales s’emploient à maintenir et à aggraver l’ignorance et l’indifférence des
musulmans. « Nous sommes à Dieu, et certes à Lui nous retournerons. »
5 3) Parmi les questions qui empêchent les musulmans et les opprimés du monde
d’accomplir toute tâche susceptible de les libérer de la dépendance et de l’asservissement,
et qui les maintiennent dans l’inertie et le sous-développement ; il y a la vaste
propagande qui a été orchestrée et est toujours orchestrée dans les pays musulmans et les
autres pays opprimés par les partisans de l’Ouest et ceux de l’Est. Ceux-ci, sous les ordres
des superpuissances, ou en raison de leur étroitesse de vue, propagent l’idée que la
science, la civilisation et le progrès sont propres aux deux camps, impérialiste et
communiste, et qu’en particulier, les Occidentaux et depuis peu, les Américains, sont la
race supérieure, tandis que les autres hommes sont de race inférieure, et que le sous-
développement des seconds doit être imputé à l’infériorité de leur race. En d’autres
termes, ce sont des hommes qui ont atteint un haut degré d’évolution ; les autres hommes
sont en cours d’évolution qui, après des millions d’années, atteindront une perfection
relative. Par conséquent, tous les efforts pour progresser sont inutiles, et les hommes
libres n’ont pas d’autre alternative que d’être indépendants des capitalistes occidentaux
ou du communisme de l’Est. Ce qui revient à dire que nous n’avons rien en propre, et que
nous devons emprunter toute chose aux super-puissances de l’Est ou de l’Ouest, aussi bien
la science, la civilisation, que le droit et le progrès. Cependant, vous, vous voyez bien
quelle période sombre nous traversons ! Et comment en raison de ce genre de réflexion
qui nous a été imposée, toute chose, de qualité aussi grande qu’elle soit, sera, du fait
même qu’elle a été inventée chez nous, rejetée et trouvera peu d’acquéreurs, alors qu’elle
sera vite vendue, si elle porte un label occidental. Les textiles iraniens doivent porter
dans leur lisière des inscriptions en caractères étrangers et latins pour qu’ils puissent
trouver des acheteurs. Même pour les maladies qu’il est parfaitement possible de traiter
au pays, le malade ressent la nécessité d’aller se faire soigner à l’étranger. De pareils
développements se produisent à un moment où certains savants, intellectuels et écrivains
non musulmans, ont démontré, preuves à l’appui que la civilisation et la science ont été
transférées de la société islamique à l’Europe, et que les musulmans furent les
précurseurs et les pionniers dans ces domaines. [...] Quant à la majorité parmi les
occidentalisés, elle se consacrait à encourager les jeunes et à les pousser à développer
davantage leur inclination pour l’Occident. Par groupes successifs, les jeunes étaient
envoyés à l’étranger où les colonialistes les conditionnaient en vue de les maintenir au
niveau demandé par leur politique. Après quoi, ces jeunes étaient renvoyés dans leur
pays, porteurs d’idées occidentales, non islamiques, anti-patriotiques. Ceci doit être
considéré comme la tragédie du siècle pour les pays musulmans et les autres pays qui
sont dans le même cas, et nous devons saisir la vaste portée de ce plan dont vous pouvez
deviner les détails.
6 4) Parmi les obstacles qui se dressent devant les musulmans dans la défense de leur pays,
il y a les vastes propagandes qui visent à montrer, toujours plus grandes qu’elles ne sont,
148

les puissances étrangères. Autrefois les pseudo-intellectuels et diplômés, partisans de


l’Occident, avaient fait de l’Angleterre un « monstre » pour pouvoir ainsi faire croire aux
Etats ignorants et aux peuples asservis que l’Iran serait anéanti s’ils insultaient un simple
domestique de l’ambassade d’Angleterre. Le drapeau de l’ambassade hissé sur le toit de
n’importe quel coupable, l’exemptait du châtiment. Pour l’ambassadeur d’Angleterre, il
suffisait de faire signe au gouvernement ou au premier ministre, et ses ordres étaient
obéis sur l’heure. Aujourd’hui, dans les pays musulmans, ces deux puissances, notamment
l’Amérique, sont considérées comme un « monstre » beaucoup plus grand que le
précédent ; et ils pensent que, s’ils font la moindre remarque à l’un de ces deux pôles, le
pays sera détruit. Par de pures illusions, et en comparant notre époque avec les époques
passées, les traîtres partisans de l’Occident, en propageant de telles rumeurs, ont dissuadé
les musulmans de défendre leurs propres droits ; et le crime de ces traîtres soi-disant
patriotes n’est pas moins que celui du criminel principal.
7 5) Quelle est la solution, aujourd’hui ? Quel est le devoir légal des musulmans et des
opprimés dans la destruction de ces idoles ? Une seule solution radicale s’impose, qui peut
faire cesser à la base tous les problèmes et extirper le désordre : c’est l’unité des
musulmans, ou plutôt de tous les mostaz’afins et des peuples exploités du monde. C’est
sur cette unité que l’Islam et le Coran ont mis l’accent. En invitant et en propageant cette
idée, cette unité devra se réaliser. Le centre de cette propagation est La Mecque au
moment du rassemblement des musulmans pour l’accomplissement des obligations du
Hadj qui ont été accomplies, d’abord par Abraham, et Mohammad, puis, à la fin des temps,
le seront par le Mahdi promis, que nos âmes lui soient sacrifiées. Dieu a demandé à
Abraham d’appeler les hommes au Hadj pour témoigner des bienfaits qui leur ont été
accordés, et ils viendront de toutes les contrées pour voir ces bienfaits collectifs :
politique, social, économique, culturel. Toi qui est leur Prophète, tu as sacrifié, dans la
voie de Dieu, l’être qui t’est le plus cher dans la vie, et toute la progéniture d’Adam devra
te prendre pour modèle. Que les hommes voient donc que tu as détruit les idoles et que tu
as laissé de côté tout ce qui n’était pas Dieu : que ce soit le soleil ou la lune, les statues, les
animaux ou les êtres, et tu as dit, et tu as dit vrai : « Je tourne mon front comme un
croyant vers Celui qui a formé les cieux et la terre, et je ne suis point au nombre des
polythéistes. » Et tous doivent imiter le père du monothéisme et le Prophète vénéré, et
dans la sourate « Le Repentir », dont l’ordre a été donné pour qu’elle soit lue dans une
réunion publique : « Dieu et son Prophète désavouent les polythéistes… » Le cri de
désaveu à l’égard des polythéistes, dans les cérémonies du Hadj, et ce cri a une portée
politique et d’adoration dont la pratique a été ordonnée par le Prophète. A présent, il faut
dire à ce religieux vénal qui affirme que les cris : « Mort à l’Amérique », « Mort à Israël »
et « Mort à l’Union Soviétique » sont contraires à l’Islam, que suivre l’exemple du
Prophète et les prescriptions de Dieu sont aussi contraires aux rites du Hadj. Je m’adresse
à lui, en lui disant : « Est-ce que toi, et tes semblables, religieux américanisés, vous mettez
en cause les actes du Prophète et les commandements divins ? Et considérez-vous
qu’imiter l’Envoyé du Seigneur est contraire à l’Islam ? Cherchez-vous à mettre aux
oubliettes les commandements de Dieu et du Prophète pour des intérêts matériels ?
Considérez-vous le désaveu et la rupture avec les ennemis de l’Islam et des musulmans,
des oppresseurs des musulmans, comme Kufr ? Nous espérons que le gouvernement
saoudien ne prêtera pas l’oreille aux suggestions de ces religieux sans Dieu, et qu’il
laissera libres, conformément à sa promesse, les musulmans, au cours des cérémonies du
Hadj et du désaveu à l’égard des polythéistes ; et dans cette œuvre divine, qu’il se
comportera en frères avec eux, en particulier les pèlerins iraniens, palestiniens, libanais
149

et afghans, qui ont subi les agressions des Kuffars, pour que l’ennemi commun de tous les
opprimés soit dénoncé, d’une seule voix, au monde entier ; et j’insiste surtout auprès des
pèlerins iraniens et autres pour qu’ils respectent l’ordre et le calme, et suivent les
porteurs d’idées occidentales l’hojatol-Islam Khoïniha ; qu’ils considèrent tous les
musulmans comme leurs frères et se comportent avec eux en vrais musulmans,
responsables de leurs devoirs. Espérons que le gouvernement saoudien se montrera
coopératif avec les pèlerins iraniens qui condamnent les oppresseurs responsables
d’agressions et d’ingérences dans les pays musulmans, et que, grâce à la coopération et à
l’unité dans la voie de l’Islam, les agresseurs polythéistes du territoire sacré de l’Islam
seront dénoncés. Espérons, ainsi, que le Hadj de cette année se réalise de façon à recevoir
l’agrément de Dieu et de son Prophète. Dans la voie de l’insurrection des musulmans et
des opprimés du monde contre les pillards, les oppresseurs et les exploiteurs, il faut
rappeler que les puissances tyranniques exécutent leurs sinistres intentions, par le
recours aux menaces et à la terreur, par le moyen des trompettes de la propagande ou par
l’intermédiaire de leurs agents félons locaux, leurs hommes de main. Si les peuples
résistaient, avec intelligence et unité, ils ne pourraient mettre à exécution leurs plans.
Beaucoup de preuves justifient cette prétention, et l’exemple le plus vivant que nous
pouvons citer dans les pays de la région, est celui de l’Iran et de l’Afghanistan. L’Iran,
comme chacun le sait, était soumis entièrement à l’Amérique. Le Shâh félon détrôné
avait, à tout point de vue, mis ce pays sous la dépendance de l’Amérique ; ce pays était
devenu l’une des bases militaires de l’Amérique. L’armée était sous la direction des
conseillers militaires américains, la culture dans les mains de gens vénaux ; et le Shâh, le
gouvernement et le parlement comptaient parmi les serviteurs dévoués de l’Amérique.
L’économie était encore plus dépendante que le reste. Le Shâh détrôné était le gendarme
le plus puissant de la région. L’Amérique et les autres pays qui étaient ses alliés, le
protégeaient. Il était très bien équipé du point de vue militaire. Malgré tout cela, le grand
peuple de l’Iran, sans force militaire, sans équipement de guerre et sans organisation, à
mains nues, mais avec la foi ardente que lui a donné l’Islam, avec une ferme résolution, en
s’appuyant sur Dieu et ayant confiance en soi-même, a détruit, en un court laps de temps,
mais miraculeusement, les idoles illusoires qu’avaient construites les partisans de
l’Occident. L’Iran a mis un terme à la chaîne de cruautés, vieille de 2 500 ans, et a anéanti
les faiseurs de mythes et d’idoles. L’Afghanistan fait échec à la lâche agression soviétique,
à cette puissance légendaire, cette puissante armée, ce gouvernement usurpateur et ce
parti traître, avec sa foi et en s’appuyant sur Dieu, à tel point que l’on peut dire que la
Russie traverse un état de détresse et de remords, en raison de son agression, et cherche
désespérément un moyen d’évacuer l’Afghanistan sans déshonneur. De la même façon, ce
furent le peuple puissant et les oulémas engagés qui ont chassé la France et l’Angleterre,
agresseurs de l’Algérie et de l’Irak. Pour chasser les craintes artificielles semées par la
colonisation et l’exploitation, il suffit que les oulémas réveillent les musulmans et les
gouvernements des pays islamiques afin qu’ils anéantissent le pouvoir de ces talismans et
de ces sorcelleries diaboliques. Ainsi, ils pourront exorciser cette magie qui subjugue les
musulmans et leur gouvernement, représentant une population d’un milliard d’âmes, et
qui tiennent la veine jugulaire de l’Occident et de l’Orient, ainsi que de vastes et riches
territoires. Ils pourront prendre exemple sur l’Iran qui, avec une population de plus de
30 millions d’âmes, a coupé court à toutes les ingérences des puissances étrangères dans
le pays, s’est libérée du joug du colonialisme et a chassé de sa patrie les conseillers et
profiteurs étrangers.
150

8 Ils ne doivent pas prêter l’oreille aux hauts-parleurs du colonialisme qui, d’une même
voix et depuis le début de la révolution, diffusent des contre-vérités et suscitent des
rumeurs pour faire croire que l’Iran est ruiné.
9 Ils doivent être reconnaissants envers une puissance islamique qui se propose de
restaurer la gloire des musulmans, de couper les mains des oppresseurs qui convoitent les
richesses dont Dieu a pourvu leur pays, et qui cherche à établir pour toujours la paix et la
fraternité de foi entre les frères musulmans.
10 Ils doivent aussi savoir que les puissants pays opportunistes dont le seul idéal est de
s’emparer des pays islamiques et opprimés, les laisseront seuls dans l’adversité, car le mot
« fidélité » n’existe pas dans leur lexique.

NOTES
1. Sorouche, n° 28-29, août-octobre 1984, pp. 4-8.
151

Annexe 2. Allocution d’Ali Khamenei,


président de la République islamique
devant l’Assemblée générale des
Nations Unies. 22 septembre 1987
(extraits)1

1 [...] Telle est l’histoire de notre révolution. Cette révolution a suscité de grands espoirs
parmi les nations qui souffrent de l’oppression des puissances impérialistes, de même
qu’elle a suscité l’hostilité violente des grandes puissances qui cherchent à dominer le
monde. Cette vague d’opposition n’a cependant pas pu déraciner le jeune arbre de la
révolution dont les racines étaient profondes. L’arbre, qui a vite grandi, pourra résister à
toute tempête, si forte soit-elle. La révolution est toujours vivante, en dépit de
l’opposition des grandes puissances. Elle survivra certainement. Cette volonté des
traditions divines de l’histoire ne sera pas altérée. Tel est le message solennel que nous
voulons apporter.
2 Le système de domination avait constamment cherché à prouver le contraire, afin de faire
oublier aux nations du tiers monde que leur destin dépendait de la volonté des grandes
puissances. Nous avons rejeté un tel système. Il ne fait aucun doute que dans le système
de domination mondiale, il n’était pas souhaitable que la République islamique survive,
mais notre volonté a triomphé. Le message que nous adressons à toutes les nations et à
tous les gouvernements qui souhaitent rester indépendants et ignorer les vœux des
grandes puissances est de ne compter que sur leurs propres peuples, sans crainte aucune.
Le message de notre révolution reste le rejet de la doctrine de domination. Le monde
actuel est divisé entre les grandes puissances aux conceptions impériales. Ces puissances
considèrent que le monde leur appartient, qu’elles en sont les maîtres. En d’autres
termes, le monde est divisé en parties dominantes et en parties dominées. Les
dominateurs décident du sort des dominés. Le système de domination mondiale se
nourrit des relations iniques entre les deux parties. Le système de domination mondiale
rejette arbitrairement les révolutions et crée des problèmes aux régimes
152

révolutionnaires. Le Nicaragua et les pays de l’Afrique australe en sont des exemples


vivants.
3 Le système de domination mondiale décide contre la volonté des peuples. La nation
palestinienne innocente constitue une illustration parfaite en la matière. L’Afghanistan
en est une autre. Le système de domination mondiale se joue des idées et des concepts
humains, les modifie et les déforme à volonté jusqu’à en dénaturer la signification dans
l’esprit des gens. Le terrorisme et les droits de l’homme sont deux exemples de concepts
ainsi manipulés.
4 Le système de domination mondiale prend des décisions pour l’ensemble du monde et
pour toutes les nations. Hier, c’était Hiroshima et aujourd’hui le Président des Etats-Unis
est fier du comportement horrible de ses prédécesseurs et prétend même que s’ils
n’avaient pas tué ces milliers de personnes, il y aurait eu davantage de morts dans le
monde. Le Président des Etats-Unis n’éprouve-t-il pas de sentiments à l’égard de
l’humanité, n’est-il pas le parrain de l’humanité ?
5 Le système de domination appuie les régimes fascistes et racistes tels que ceux d’Israël et
d’Afrique du Sud, et il les utilise en tant qu’agents armés assoiffés de sang pour opprimer
les nations. Le Liban musulman qui résiste patiemment aux agressions criminelles des
sionistes et les Etats africains de première ligne en constituent de bons exemples.
6 Le système de domination mondiale considère qu’il a le droit d’exercer des pressions sur
les organisations internationales. Le Conseil de sécurité et l’Organisation des
Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en sont de vivants
exemples.
7 Le système de domination mondiale estime que ses propres intérêts sont absolus et que
les intérêts des autres n’existent pas. Un bon exemple en est fourni par la présence
dangereuse et menaçante pour la paix des unités navales américaines dans le golfe
Persique qui sont venues « défendre les intérêts de l’Amérique » au mépris total des
intérêts des pays de la région.
8 Le système de domination mondiale dispose surtout de la machine de propagande et des
médias du monde, déforme tous les faits et donne un caractère humain à son
comportement satanique échappant ainsi à la confrontation avec l’opinion publique
mondiale.
9 Nous estimons que les nations et les gouvernements du tiers monde et les peuples des
pays dominateurs ne devraient pas tolérer cet état de choses. Les grandes puissances
doivent rentrer chez elles et laisser les peuples être maîtres des affaires du monde. Nous
devons leur dire qu’elles ne sont les tuteurs de personne.
10 A l’Organisation des Nations Unies, il existe deux privilèges injustifiés : le droit de veto et
la qualité de membres permanents au Conseil de sécurité. Il faut les supprimer. Leur
suppression transformerait l’Organisation des Nations Unies en une organisation
véritablement populaire où tous les problèmes pourraient être réglés. Sinon, le Conseil de
sécurité continuera, comme à l’heure actuelle, à n’être qu’une usine à papier qui produit
des recommandations dénuées d’efficacité et de valeur, et les peuples du monde
continueront à penser qu’il n’existe aucun endroit pour régler les problèmes
internationaux et que la seule option qui leur reste est le recours à la violence.
11 Dans de telles circonstances, notre message à l’intention des gouvernements du tiers
monde est le suivant : aussi longtemps que le système de domination restera en vigueur,
nous devrons nous unir. C’est la seule façon de nous renforcer. Les puissances qui
153

dominent notre monde n’accordent de valeur qu’à la puissance et nous devons nous
adresser à eux dans le seul langage qu’ils comprennent, celui de la force.
12 La prise de conscience par les peuples de la nature et du fonctionnement du système de
domination constitue pour les gouvernements du tiers monde un très grand soutien et
une source de force véritable pour résister aux puissances dominatrices. Les chefs de ces
gouvernements n’auront personne pour les aider sinon la volonté, le pouvoir et les idées
de leurs propres peuples.
13 L’union que nous proposons aux pays du tiers monde n’est pas un pacte pour combattre
les grandes puissances mais une union pour nous défendre nous-mêmes et empêcher que
l’on usurpe nos droits légitimes.
14 Les puissances dominatrices sont également les principaux agents de diffusion et de
justification de la corruption morale, sexuelle et idéologique. Les mobiles politiques,
économiques ou d’espionnage des grandes puissances sont à l’origine de ces perversions
morales. Le fait est que dans notre monde actuel, qui comprend également les nations des
grandes puissances, les valeurs morales ont été négligées, les structures familiales se sont
affaiblies, l’alcoolisme et la toxicomanie se sont répandus partout et la spiritualité et la
moralité sont de moins en moins attrayantes.

NOTES DE FIN
1. Document ONU, Assemblée générale, A/42/PV.6, 25 septembre 1987.
154

Annexe 3. Le « Manifeste » du Hezbollah


(extraits)1

Notre identité
1 Qui sommes-nous et quelle est notre identité ?
2 Nous sommes les fils de l’Oumma du Hezbollah dont Dieu a rendu victorieuse l’avant-
garde en Iran où elle a réussi à rétablir les bases d’un Etat islamique central dans le
monde. Nous obéissons aux ordres d’une seule direction, sage et juste, celle du Fakih
tuteur, réunissant en lui toutes les conditions requises : l’imam, l’ayatollah grandissime,
Rouhallah Moussawi Khomeini, que Dieu le garde !
3 En vertu de ce qui précède, nous ne sommes pas, au Liban, un parti organisé et clos. Nous
ne formons pas, non plus, un cadre politique étriqué. Nous sommes une Oumma reliée
aux musulmans du monde entier par le lien doctrinal et religieux solide de l’islam dont
Allah a voulu que le message soit achevé par le sceau des prophètes, Mohammed. C’est
pourquoi, ce qui atteint les musulmans en Afghanistan, en Irak, aux Philippines et
n’importe où dans le monde, retentit sur l’ensemble de l’Oumma islamique dont nous
sommes une partie inséparable. Nos comportements nous sont dictés par une obligation
légale principale. Ils sont établis à la lumière d’une conception politique d’ensemble
arrêtée par le jurisconsulte tuteur en commandement (wilayat al fakih al kaed).
4 Quant à notre culture, sa source essentielle est le Saint Coran, la Sunna, les jugements et
les fatwas émis par le Fakih, notre source d’imitation (marja’al taklid). Notre culture est
claire. Elle n’est pas compliquée. Elle est à la portée de tous sans exception.
5 Nul ne peut imaginer l’importance de notre potentiel militaire car notre appareil
militaire n’est pas séparé de l’ensemble du corps [social]. Chacun de nous est un soldat de
combat. Lorsque se présente la nécessité du Jihad, chacun de nous assume sa mission dans
la lutte selon ce qui lui est assigné légalement (charii) dans le cadre de la mission menée
sous la tutelle du jurisconsulte en commandement.
155

Notre combat
6 A travers ses agents locaux, l’Amérique a tenté de faire croire au peuple que ceux qui sont
venus au bout de son arrogance au Liban, qui l’ont forcée à se retirer humiliée et déçue,
qui ont écrasé son complot à l’encontre des opprimés (mustad’afin) dans ce pays, n’étaient
qu’une poignée de terroristes fanatiques dont le seul objectif est de dynamiter les débits
de boissons et de détruire les machines à sous. Nous sommes convaincus que de telles
suggestions ne pouvaient tromper notre Oumma car le monde entier sait que quiconque
songe à s’opposer à l’Amérique et à l’arrogance mondiale (al istikbar al ’alami) ne peut se
livrer à de telles actions marginales qui le détournent de son objectif essentiel. Nous
luttons contre l’abomination et nous l’attaquons à ses racines mêmes, à ses racines
premières, qui sont l’Amérique. Toutes les tentatives faites pour nous entraîner vers des
pratiques marginales ne vaudront pas, surtout quand elles sont mesurées à notre
détermination à affronter l’Amérique.
7 Nous proclamons en toute franchise et clarté que nous sommes une Oumma qui ne craint
que Dieu et qui ne saurait tolérer, l’injustice, l’agression et l’humiliation. L’Amérique, ses
alliés du Pacte atlantique ainsi que l’entité sioniste usurpatrice de la terre sacrée de la
Palestine islamique nous ont agressé et nous agressent en permanence. Ils agissent en vue
de nous humilier continuellement.
8 C’est pourquoi nous sommes, de plus en plus, en état d’alerte permanente afin de faire
échec à l’agression et pour défendre notre religion, notre existence, notre dignité. Ils ont
attaqué notre pays, détruit nos villages, égorgé nos enfants, violé nos sanctuaires et ont
installé au-dessus de nos têtes des hommes qui ont commis des massacres horribles à
rencontre de notre Oumma. Ils ne cessent d’accorder leur appui à ces bouchers alliés
d’Israël et nous empêchent de décider de notre avenir selon notre choix.
9 En une seule nuit, les Israéliens et les Kataëb ont égorgé plusieurs milliers de nos fils, de
nos femmes, de nos enfants et de nos frères, à Sabra et Chatila. Aucune organisation
internationale n’a protesté ni dénoncé de manière pratique ce massacre affreux perpétré
en accord avec les Forces atlantiques qui s’étaient retirées quelques jours ou même
quelques heures auparavant des camps [palestiniens]. Les défaitistes avaient accepté de
mettre les camps sous la protection du loup à la demande manœuvrière du renard
américain Philip Habib.
10 Nous n’avons d’autre choix que celui d’affronter l’agression par le sacrifice. La
coordination entre les Kataëb et les sionistes se poursuit et se développe. Cent mille
victimes, tel est le bilan approximatif des crimes commis à notre encontre par
l’Amérique, Israël et les Kataëb. Près d’un demi million de musulmans ont été forcés de
quitter leurs lieux de résidence. Leurs quartiers ont été presque totalement détruits à
Nabaa, Bourj Hammoud, Dékouané, Tel Zaatar, Sibnay, Ghawarinah et Jbeil 1. L’occupation
sioniste a poursuivi son œuvre d’usurpation des terres des musulmans jusqu’à occuper le
tiers du territoire libanais en entente préalable avec les Kataëb et en accord total avec
eux. Les Kataëb ont condamné toutes les tentatives d’opposition aux forces d’invasion. Ils
ont participé à l’exécution de certains plans d’Israël en vue de parachever son projet [au
Liban]. Ils ont donné suite aux demandes d’Israël pour parvenir au faite du pouvoir.
11 C’est ainsi, en effet, que tout cela eut lieu. Béchir Gémayel, le boucher, parvint alors au
pouvoir en s’aidant d’Israël, des Etats arabes producteurs de pétrole ainsi que des
dirigeants musulmans parmi les députés inféodés aux Kataëb. Béchir Gémayel tenta
156

d’embellir son image très laide en faisant partie de ce qui fut appelé le « Comité de salut »
2
qui n’était en fait qu’un pont israélo-américain que les Kataëb empruntèrent pour
parvenir au pouvoir sur la tête même des opprimés. Notre peuple ne put cependant
tolérer longtemps l’humiliation. Il anéantit les sionistes et leurs alliés. Mais l’Amérique
persista dans sa folie et installa Amine Gemayel à la place de son frère. La première des
réalisations d’Amine Gémayel fut de détruire les maisons des déplacés, d’attaquer les
mosquées des musulmans et d’ordonner à l’armée de bombarder les quartiers de la
banlieue [sud] des opprimés et ses habitants3. Il fit appel aux forces de l’Alliance
atlantique pour qu’elles l’aident contre nous et signa l’accord du 17 mai, de triste
mémoire, qui faisait du Liban un protectorat israélien et une colonie américaine.
12 Notre peuple ne put souffrir tant de trahisons. Il décida de s’opposer aux imams de
l’infidélité : l’Amérique, la France et Israël. Il les punit une première fois le 18 avril 4 puis
le 23 octobre 19835. Notre peuple avait commencé une véritable guerre contre les forces
d’occupation israélienne au cours de laquelle il parvint à détruire deux de leurs quartiers
généraux. La résistance islamique populaire et militaire alla croissant jusqu’à obliger
l’ennemi à prendre la décision de fuir (farär) par étapes. Une telle décision était la
première de son genre que prenait Israël durant toute l’histoire de ce qu’il est convenu
d’appeler le conflit israélo-arabe.

Nos objectifs
13 Nous l’annonçons en toute vérité : Les fils de la Oumma du Hezbollah savent bien qui sont
leurs ennemis principaux dans cette région. Ce sont Israël, l’Amérique, la France et les
Kataëb. Les fils de notre Oumma sont à présent en état de confrontation croissante avec
eux et ce, jusqu’à la réalisation des objectifs suivants :
14 – L’expulsion d’Israël définitivement du Liban, comme première étape sur la voie de son
anéantissement final et de la libération de Jérusalem des griffes de l’occupation ;
15 – L’expulsion de l’Amérique, de la France et de leurs alliés définitivement du Liban et la
cessation de toute influence de n’importe quel Etat colonialiste dans ce pays ;
16 – La soumission des Kataëb à un pouvoir juste et leur mise en jugement, tous, pour les
crimes qu’ils ont commis envers les musulmans et les chrétiens avec l’encouragement de
l’Amérique et d’Israël ;
17 – Permettre à tous les fils de notre peuple de déterminer leur avenir et de choisir en toute
liberté la forme de gouvernement qu’ils désirent. Nous les invitons à opter pour le régime
islamique qui seul est apte à assurer la justice et la dignité à tous. Seul le régime islamique
pourra empêcher toute nouvelle tentative d’infiltration impérialiste dans notre pays.
18 Tels sont nos objectifs au Liban. Voilà qui sont nos ennemis. Quant à nos amis, ce sont
tous les peuples opprimés dans le monde. Nos amis sont aussi ceux qui combattent nos
ennemis et qui s’interdisent de nous faire du mal. Vers ceux-là, individus comme
organisations, nous nous tournons et nous leur disons :
19 « Ô membres des partis et des organisations où que vous soyez au Liban et quelles que soient vos
pensées ! Nous sommes en accord avec vous sur ces grands et importants objectifs que sont la
nécessité : d’abattre l’hégémonie américaine dans notre pays, mettre fin à l’occupation israélienne
qui se fait lourde sur la nuque des serviteurs de Dieu, frapper toutes tentatives kataëb d’accaparer
le pouvoir et l’administration [du pays]. Bien que nous puissions avoir des vues différentes quant
aux moyens de la lutte ou aux niveaux sur lesquels elle devrait se placer, il nous faut cependant
157

surmonter nos petites divergences et ouvrir grandes les portes de l’émulation en vue de la
réalisation des grands desseins ».
20 Nous sommes une Oumma qui a adhéré au message de l’islam. Nous voulons que les
opprimés et l’ensemble des hommes puisse étudier le message divin capable d’apporter la
justice, la paix et la tranquillité au monde… C’est pour cette raison que nous ne voulons
imposer l’islam à quiconque. Comme nous détestons que les autres nous imposent leurs
convictions et leurs systèmes politiques. Nous ne voulons pas que l’islam règne au Liban
par la force à l’instar du maronitisme politique aujourd’hui. Le minimum que nous
puissions accepter pour parvenir par les voies légales à concrétiser les ambitions dont
nous sommes porteurs est de sauver le Liban de sa dépendance à l’égard de l’Occident et
de l’Orient, de mettre un terme définitif à l’occupation sioniste de ses terres et d’adopter
un régime librement voulu par le peuple.
21 Telle est notre vision des choses. Tel est le Liban que nous envisageons. A la lumière de
ces conceptions, notre opposition au système actuel tient à deux raisons :
22 1. Le régime actuel est une création de l’arrogance (Istikbär) mondiale et une partie de la
carte géopolitique hostile à l’Islam ;
23 2. Le régime actuel est une composition (tirkiba) en elle-même injuste à laquelle ne
peuvent remédier aucune réforme ni aucune retouche : il faut la modifier radicalement.

NOTES
1. Ces localités sont situées dans les régions chrétiennes contrôlées par les « Forces libanaises ».
2. Présidé par Élias Sarkis, ce comité, constitué pour faire face aux problèmes posés par l’invasion
israélienne comprenait six personnalités politiques : MM. Wazan, Boutros, Maalouf, Berri,
Joumblatt et Béchir Gémayel.
3. Allusion aux affrontements entre l’armée libanaise et les milices d’Amal durant la période de
septembre 83-février 84.
4. Destruction par une voiture piégée de l’ambassade américaine à Beyrouth-Ouest.
5. Attentat contre les campements américain et français de la Force multinationale à Beyrouth.

NOTES DE FIN
1. Le 16 février 1985, à une réunion dans la banlieue sud de Beyrouth, le seyyed Ibrahim al Amin
lut, devant une foule nombreuse, une lettre ouverte, véritable manifeste du Hezbollah. Ces
extraits ont été traduits dans Cahiers de l’Orient, n° 2, 2e trimestre 1986. Les intertitres sont de la
rédaction de cette revue.
158

Annexe 4. Résolution 598 adoptée par le


Conseil de sécurité (20 juillet 1987)

1 Le Conseil de sécurité,
2 Réaffirmant sa résolution 582 (1986),
3 Profondément préoccupé de ce que, en dépit de ses appels à un cessez-le-feu, le conflit
entre l’Iran et l’Irak se poursuit sans diminuer d’intensité et continue d’entraîner de
lourdes pertes en vies humaines et des destructions matérielles,
4 Déplorant le déclenchement et la poursuite du conflit,
5 Déplorant également le bombardement de centres de peuplement exclusivement civils,
les attaques contre des navires neutres ou des avions civils, les violations du droit
humanitaire international et d’autres règles relatives aux conflits armés et notamment
l’utilisation d’armes chimiques en contravention des obligations découlant du protocole
de Genève de 1925,
6 Profondément préoccupé par la possibilité d’une nouvelle escalade et d’une extension du
conflit,
7 Résolu à mettre fin à toutes les actions militaires entre l’Iran et l’Irak,
8 Convaincu de la nécessité de parvenir à un règlement global, juste, honorable et durable
entre l’Iran et l’Irak,
9 Rappelant les dispositions de la Charte des Nations unies, en particulier l’obligation
qu’ont tous les Etats membres de régler leurs différends internationaux par des moyens
pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice
ne soient pas mises en danger,
10 Constatant qu’il existe une rupture de la paix en ce qui concerne le conflit entre l’Iran et
l’Irak,
11 Agissant en vertu des articles 39 et 40 de la Charte des Nations unies,
12 1. Exige, comme première mesure en vue d’un règlement négocié, que l’Iran et l’Irak
observent immédiatement un cessez-le-feu, suspendent toutes actions militaires sur
terre, en mer et dans les airs, et retirent sans délai toutes les forces jusqu’aux frontières
internationalement reconnues ;
159

13 2. Prie le secrétaire général d’envoyer une équipe d’observateurs des Nations unies pour
vérifier, confirmer et superviser le cessez-le-feu et le retrait des forces et le prie
également de prendre, en consultation avec les parties, les dispositions nécessaires à
cette fin et de présenter un rapport au Conseil de sécurité à ce sujet ;
14 3. Demande instamment que les prisonniers de guerre soient libérés et rapatriés sans
délai après la fin des hostilités actives, en conformité avec la troisième convention de
Genève du 12 août 1949 ;
15 4. Demande à l’Iran et à l’Irak de coopérer avec le secrétaire général à l’application de la
présente résolution et aux efforts de médiation en vue de parvenir à un règlement global,
juste et honorable, acceptable par les deux parties, de toutes les questions en suspens, en
conformité avec les principes contenus dans la Charte des Nations unies ;
16 5. Demande à tous les autres Etats de faire preuve de la plus grande retenue, de s’abstenir
de tout acte qui pourrait intensifier et élargir encore le conflit et de faciliter ainsi
l’application de la présente résolution ;
17 6. Prie le secrétaire général d’explorer, en consultation avec l’Iran et l’Irak, la possibilité
de charger un organe impartial d’enquêter sur la responsabilité du conflit et de faire
rapport au Conseil de sécurité dès que possible ;
18 7. Reconnaît l’ampleur des dommages infligés durant le conflit et la nécessité d’efforts de
reconstruction, avec une assistance internationale appropriée, une fois le conflit terminé
et, à cet égard, prie le secrétaire général de désigner une équipe d’experts pour étudier le
problème de la reconstruction et faire rapport au Conseil de sécurité ;
19 8. Prie en outre le secrétaire général d’examiner, en consultation avec l’Iran et l’Irak et
avec d’autres Etats de la région, les mesures susceptibles de renforcer la sécurité et la
stabilité de la région ;
20 9. Prie le secrétaire général de tenir le Conseil de sécurité informé de l’application de la
présente résolution ;
21 10. Décide de se réunir à nouveau en tant que de besoin pour envisager l’adoption de
nouvelles dispositions afin d’assurer le respect de la présente résolution.
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