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Pour PAM, l’auteur revient sur ses rencontres avec Marley, et sur son
attachement « au dernier Prophète » de notre temps. Interview.
Ouverture du reportage de Francis Dordor à Kingston, paru dans Best en
1980
Elle date de juillet 1975 dans le salon d’un grand hôtel londonien au
lendemain du concert que les Wailers avaient donné au Lyceum (dont sera
tiré l’album Live). Marley donnait une conférence de presse à laquelle
assistait une importante délégation de journalistes venus des quatre coins
du monde, certains de Nouvelle-Zélande. J’étais alors jeune reporter pour
le mensuel Best. C’est le moment où tout a basculé pour lui, où de
marotte pour spécialistes il s’est subitement transformé en phénomène
planétaire. Je conserve deux souvenirs précis. Le fait qu’il se soit présenté
devant les journalistes dans la même tenue — un ensemble en jean délavé
— que celle portée la veille sur scène. À l’évidence, il n’avait pas dormi et
fait la bringue toute la nuit dans les clubs branchés de Londres. Le second
se rapporte au malaise dont je fus malencontreusement à l’origine en
posant une question un peu bête, quoiqu’innocente, à propos de
l’empereur Haïlé Sélassié qui venait d’être destitué et embastillé. Je lui ai
demandé s’il comptait « libérer le Negus ? » (« free the Negus »). Sauf que
tout le monde a compris « libérer les nègres ? » (« free the niggers »), ce
qui n’est pas exactement la même chose. Bob a essayé de répondre en
restant diplomate. Mais il y avait des membres de la branche londonienne
des Black Panthers dans la salle et là c’était moins cool. En fait je me suis
rendu compte du quiproquo en lisant le compte rendu du Melody Maker.
J’ai pris la peine d’écrire au journal pour dissiper le malentendu et ma
réponse fut publiée la semaine suivante.
L’idée du match de foot, et je dis ça sans forfanterie, c’est moi qui l’ai eue.
Je savais l’amour de Bob pour le foot. À chacun de ses déplacements, il
s’efforçait de trouver un terrain juste pour le plaisir de taper dans la balle.
Un peu avant le premier concert des Wailers à Paris, au printemps 1977,
j’en ai parlé à Jacky Jakubowicz (celui du « Jacky show » qui à l’époque
était attaché de presse chez Phonogram). De fil en aiguille le truc a été
monté en opération promotionnelle. Des équipes télé ont été invitées pour
couvrir l’événement, à savoir un match sur un terrain situé près de la tour
Eiffel opposant les Wailers à l’équipe des « Polymusclés », constituée de
gens du showbiz parisien. Mais comme les Wailers n’étaient pas assez
nombreux, quelques journalistes, dont ma pomme, sont venus compléter
leur effectif. De toute façon les Wailers, même à 6, jouaient
essentiellement entre eux. C’était un plaisir de les voir évoluer tout en
grâce et finesse technique (surtout Bob) avec leurs dreadlocks
rassemblées dans un bonnet de laine, mi-gazelles, mi-aliens. Au cours de
la première mi-temps, Bob a essuyé le tacle appuyé d’un gros balourd de
l’équipe adverse. Il s’est mis à boiter bas et a fini par quitter le terrain.
Tout en continuant, sur la touche, à être à la manœuvre. C’est à partir de
là que ses ennuis de santé ont commencé.
Bob Marley m’accompagne depuis plus de 40 ans. En fait c’est un sujet qui
n’a jamais cessé de me travailler, qui sans cesse sollicite ma réflexion.
Cette biographie résume un peu toutes ces années de recherches et de
réflexions. Je me permets dans ce livre certains concepts. L’idée que le
reggae, dont la caractéristique rythmique est le contre temps, soit en fait
une réappropriation d’un temps africain dont les Jamaïquains ont été
dépossédés, un temps qui vient en opposition à celui imposé par les
anciens maîtres. Autre idée, celle du « membre fantôme », envisagée à la
lumière de cette véritable obsession pour l’Afrique que cultivent les rastas,
ainsi que d’autres communautés caribéennes. Le rastafarisme en est un
des symptômes. Ça ressemble étrangement à ce que disent ressentir les
victimes d’amputations dont le bras ou la jambe manquants continuent de
les démanger.
« Dready got a job to do/And he’s got to fulfill that mission / « Le
rastaman a un boulot à faire, et il doit remplir sa mission » prophétise
aussi Bob Marley dans « Ride Natty Ride », autre titre de Survival, comme
pour souligner qu’il se sait désormais investit d’un rôle qui dépasse les
frontières du showbiz. «Mais on va survivre dans ce monde de
compétition » poursuit-il dans cette chanson qui comme tout l’album
entremêle ses expériences personnelles récentes (la tentative
d’assassinat), la cosmogonie Rastafari (« Babylone System ») et les grands
combats de cette fin des 70’s et notamment ceux d’une Afrique et de sa
diaspora qui luttent pour plus de liberté à travers le monde
(« Zimbabwe », « Africa Unite », « One Drop »).Bob Marley s’appuie
toujours sur des références bibliques, il évoque la pierre angulaire, sans
cesse délaissée par le bâtisseur, ainsi que le feu divin vengeur du
prophète Ézéchiel comme l’expression d’une vision apocalyptique par
laquelle le Tout Puissant reprend ses droits et punit par la destruction.
Marley parle de l’Afrique mais il veut aussi toucher le public noir
américain : alors la sortie de l’album est fêtée à Harlem, au fameux club
Apollo sur la 125e rue, un symbole de la culture noire américaine qui a
consacré la carrière de Billie Holiday, James Brown, de Michael Jackson ou
Lauryn Hill. Et même si le New York Times de l’époque juge que le
chanteur se ramollit, ce public qui le fait rêver lui fait enfin un triomphe. Et
Marley de lui chanter : « We’re the survivors, yes, the black survivors ».
Le 17 avril 1980, le Zimbabwe
accédait à l’indépendance, Bob
Marley était de la partie
By Vladimir Cagnolari on 19 avril 2017 / Commentaires fermés sur Le 17 avril
1980, le Zimbabwe accédait à l’indépendance, Bob Marley était de la partie
Marley avait certes déjà joué sur le continent, mais jamais son message
n’avait à ce point rejoint l’histoire de manière aussi percutante.
Jamais sans doute le retour d’un fils d’Afrique sur la terre mère n’avait eu
autant de sens, et de portée. Marley s’éteignit un an plus tard. Il n’aurait
sans doute pas aimé la manière dont le pays allait, avec les années,
s’enfoncer dans une terrible crise. Ni l’autoritarisme de Robert Mugabe,
l’indétrônable président du pays.
C’est aussi ce que disait Tiken Jah Fakoly, qui se produisait en 2005 à
Harare, et qui tint absolument à se rendre au Rufaro Stadium où le roi du
reggae avait autrefois fait résonner « Zimbabwe ».