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Adénopathie superficielle
T. Papo

Résumé : Les adénopathies superficielles peuvent être asymptomatiques, uniques ou multiples, et survenir
à tout âge. Le plus souvent, les adénopathies sont transitoires chez un sujet jeune ou localisées dans le
territoire de drainage d’une lésion évidente. À l’inverse, elles peuvent constituer un mode d’entrée dans
le diagnostic complexe d’entités rares aux confins de syndromes lymphoprolifératifs et auto-immuns. La
hantise du praticien est l’adénopathie révélatrice d’un cancer ou d’un lymphome. Une approche clinique
structurée et un panel simple d’examens complémentaires – dont la cytoponction ou la microbiopsie
ganglionnaire – permettent de décider (ou non) du moment de la biopsie-exérèse chirurgicale à visée
histologique.
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Mots-clés : Adénopathies ; Cytoponction ; Cancer ; Lymphome

Plan chez l’enfant [3] . Une localisation carcinomateuse est surtout


objectivée après 50 ans [4] ;
■ Introduction 1 • la nature des activités professionnelles ou de loisirs (travaux
manuels, de jardinage, chasse, contacts avec des animaux
■ Analyse clinique élémentaire 1
domestiques, etc.) ;
Examen des aires ganglionnaires 1
• la notion de séjour en zone d’endémie parasitaire ; de piqûre
Caractéristiques des adénopathies 2
d’insecte récente ;
Recherche d’une lésion dans le territoire de drainage
• la notion d’une intoxication tabagique ou alcoolique ;
des ganglions concernés 2
• la recherche de facteurs de risque d’infection par le virus de
Recherche d’une atteinte lymphoïde extraganglionnaire 2
l’immunodéficience humaine (VIH) ;
■ Démarche diagnostique 2 • les antécédents médicaux et chirurgicaux proches et lointains
Questions posées 2 (cancer, lymphome, maladie vénérienne, exérèse d’un nævus,
Tableaux cliniques 2 infection oto-rhino-laryngologique [ORL], etc.) en recherchant
Diagnostic paraclinique 4 particulièrement l’existence d’une dermatose prurigineuse dans
■ Conclusion 5 l’anamnèse ;
• la nature des traitements médicamenteux et soins dentaires en
cours, les vaccinations récentes ;
• l’existence de signes généraux : asthénie, amaigrissement,
 Introduction fièvre, sueurs nocturnes, prurit généralisé (en précisant sa chro-
nologie par rapport à la survenue de l’adénopathie).
L’examen physique comporte quatre volets.
Le diagnostic positif d’adénopathie superficielle est fait par la
palpation de ganglions lymphatiques hypertrophiés. Un diamètre
supérieur à 1 cm est retenu comme pathologique, mais il s’agit Examen des aires ganglionnaires
d’un chiffre moyen défini arbitrairement. Ainsi, dans certains
territoires (inguinal), un ganglion physiologique mesure jusqu’à L’examen concerne les aires ganglionnaires :
2 cm alors que la présence d’un ganglion infracentimétrique en • cervicales (sous-mentale, sous-mandibulaire, mastoïdienne,
localisation sus-claviculaire gauche peut être alarmante [1, 2] . prétragienne, parotidienne, rétromandibulaire, jugulocaroti-
dienne en avant et en arrière du muscle sternocléidomastoï-
dien, spinale, occipitale, sus-claviculaire) ;
• axillaires sur un sujet assis ou debout, la main posée sur l’épaule
 Analyse clinique élémentaire de l’examinateur qui racle la paroi thoracique de haut en bas ;
• sus-épitrochléennes sur un sujet au coude fléchi, l’examinateur
À l’interrogatoire, les éléments dont le recueil doit être systé- palpant la gouttière située entre biceps et triceps, 3 cm environ
matique comprennent : au-dessus de l’épitrochlée ;
• l’âge, en sachant qu’une polyadénopathie cervicale haute per- • inguinales ;
sistante, en règle faite d’éléments de petite taille, est banale • rétrocrurales.

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Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(20)42061-7
1-0180  Adénopathie superficielle

Caractéristiques des adénopathies Tableau 1.


Diagnostic différentiel d’une adénopathie superficielle.
Elles sont les suivantes : Dans tous les Neurinome
• date de début, mode d’installation et évolution (lente ou rapide, territoires Lipome
variable, etc.) ; Fibrome
• taille, caractère isolé ou groupé voire confluent ;
Territoire cervical Glande salivaire (parotide, sous-maxillaire,
• consistance ;
sublinguale), en sachant qu’une atteinte mixte,
• sensibilité : la douleur ganglionnaire déclenchée par salivaire et lymphatique, est possible
l’absorption d’alcool éventuellement accompagnée de signes (Gougerot-Sjögren, sarcoïdose, VIH)
transitoires locaux inflammatoires, voire généraux à type de Kyste du tractus thyréoglosse
« flush », était considérée comme spécifique du lymphome de Lymphangiome kystique sus-claviculaire
Hodgkin. En réalité, ce symptôme mystérieux (effet antabuse ?) Kystes branchiaux
a été rapporté dans la tuberculose, les lymphangites septiques, Kystes dermoïdes
la sarcoïdose, les cancers, les lymphomes non hodgkiniens, Grenouillette sus-hyoïdienne
etc. ; Anévrisme ou glomus carotidien (à ne pas
• mobilité par rapport aux plans adjacents ; biopsier)
• caractère compressif, principalement des veines et des nerfs Laryngocèle externe
adjacents. Tumeur thyroïdienne (parfois associée)
Il est souhaitable de colliger localisation et taille des ganglions Tumeur musculaire
sur un schéma daté. Abcès des parties molles
Côte cervicale
Territoire axillaire Hidrosadénite (suppuration des glandes
Recherche d’une lésion dans le territoire sudorales apocrines)
Territoire inguinal Hidrosadénite
de drainage des ganglions concernés Abcès froid
• Les aires cervicales drainent le territoire cutané de la face et Hernie
du cuir chevelu, la sphère ORL, la thyroïde. Les adénopathies Kyste du cordon
sus-claviculaires drainent le médiastin. Le réseau lymphatique Anévrisme artériel ou ectasie veineuse (à ne pas
des viscères sous-diaphragmatiques aboutit au canal thoracique biopsier !)
avec la localisation élective des adénopathies superficielles cor- VIH : virus de l’immunodéficience humaine.
respondantes dans le creux sus-claviculaire gauche (ganglion de
Troisier).
• Les aires axillaires drainent les membres supérieurs, la paroi Tableaux cliniques
thoracique et les glandes mammaires.
• Les aires inguinales et rétrocrurales drainent les membres infé- On distingue les adénopathies uniques ou groupées dans une
rieurs, les organes génitaux externes et la marge anale. Ainsi, seule aire et les polyadénopathies.
une lésion du rectum, de la prostate, de l’ovaire ou du testicule
ne donne habituellement pas lieu à une adénopathie superfi- Adénopathies uniques ou groupées
cielle.
Schématiquement, une adénopathie sensible, rouge, chaude,
mobile et molle, ou un paquet douloureux de ganglions noyés
Recherche d’une atteinte lymphoïde dans une périadénite, évoque une localisation infectieuse, dont le
point de départ est à rechercher dans le territoire de drainage. La
extraganglionnaire porte d’entrée est parfois évidente (morsure, plaie) mais peut être
On recherche en particulier une anomalie des autres organes ancienne et passée inaperçue (germe banal, maladie vénérienne,
lymphoïdes : hépato- ou splénomégalie, hypertrophie amygda- maladie d’inoculation, leishmaniose, etc.) (Tableau 2) [6, 7] .
lienne, voire une masse thymique palpable dans la fourchette Une adénopathie cervicale chronique peu inflammatoire doit
sternale. faire rechercher systématiquement une atteinte amygdalienne ou
Un examen physique complet comporte notamment touchers dentaire et une tuberculose. Une adénopathie « froide » avec fis-
pelviens, examen des organes génitaux externes, examen endo- tulisation évoque une maladie infectieuse traînante, comme les
buccal et de la gorge pour la recherche d’une lésion initiale, une « historiques » (Saint-Louis) écrouelles de la tuberculose qui n’ont
recherche du signe de la houppe mentonnière, etc. d’ailleurs pas disparu.
Une adénopathie volumineuse, dure, indolore, fixée, adhé-
rente, voire infiltrante, est hautement évocatrice de malignité,
qu’il s’agisse de syndrome lymphoprolifératif (Tableau 3), de can-
 Démarche diagnostique cer, voire d’un syndrome myéloprolifératif en acutisation. Une
adénopathie cervicale est d’autant plus suspecte qu’elle est bas
Questions posées située (sus-claviculaire) [8] .

Plusieurs questions sont sous-jacentes au diagnostic


d’adénopathie : Polyadénopathie
• s’agit-t-il ou non d’un ganglion lymphatique (en s’aidant éven- Dans un contexte aigu fébrile, elle fait évoquer d’abord chez
tuellement d’une imagerie comme l’échographie) (Tableau 1) ? un sujet jeune une mononucléose infectieuse (MNI), une primo-
• l’atteinte du système lymphatique est-elle localisée ou généra- infection par le VIH, une toxoplasmose ou plus rarement une
lisée ? infection à cytomégalovirus (Tableau 2). Les adénopathies de la
• question essentielle, la pathologie en cause est-elle bénigne ou rubéole débordent rarement le territoire occipital. Une polyadéno-
maligne ? pathie est plus souvent accompagnée d’une fièvre subaiguë dans
• s’agit-il d’une atteinte primitive (syndrome lymphoproliféra- la brucellose, la syphilis secondaire ou la trypanosomiase (séjour
tif) ou secondaire (infection, maladie inflammatoire, cancer) en zone d’endémie pour la maladie de Chagas). Rappelons que
du système lymphatique ? la tuberculose est le plus souvent responsable d’adénopathies à
Ainsi, par exemple, dans une série de 543 patients adressés par distribution locorégionale.
leur généraliste pour adénopathie, 17,5 % avaient une patholo- Le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse (anticonvul-
gie maligne (lymphome : 11,4 % ; métastase d’un cancer solide : sivants, sulfamides, etc.) peut aussi être responsable d’une
6,1 %) [5] . polyadénopathie fébrile.

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Adénopathie superficielle  1-0180

Tableau 2.
Adénopathies infectieuses (d’après [7] ).
Adénopathies Agent infectieux responsable Adénopathies localisées Suppuration Adénopathies généralisées
Bactériennes
Adénite bactérienne Streptocoque A + +
Staphylocoque doré
Pharyngite Streptocoque A + ±
Anaérobies
Adénite tuberculeuse ou apparentée Mycobacterium tuberculosis + + +
M. scrofulaceum
M. kansasii
Brucellose Brucelles +
Leptospirose Leptospires +
Syphilis Treponema pallidum + +
Chancre mou Hemophilus ducreyi + +
Peste Yersinia pestis + +
Tularémie Francisella tularensis + +
Pasteurellose Pasteurella multocida +
Sodoku Spirillum minus +
Charbon Bacillus anthracis +
Morve Pseudomonas mallei + + +
Mélioïdose Pseudomonas pseudomallei + + +
Maladie de Lyme Borrelia burgdorferi +
Mycobactériose atypique Mycobacterium marinum +
Granulome vénérien Chlamydia trachomatis + + +
Fièvre boutonneuse méditerranéenne Rickettsia conorii +
Fièvre fluviale japonaise Rickettsia tsutsugamushi +
Rickettiose vésiculeuse Rickettsia akari +
Maladie des griffes du chat Bartonella henselae + +
Maladie de Whipple Tropheryma whipplei +
Granulomatose septique familiale Multiples + +
Mycotiques
Histoplasmose américaine Histoplasma capsulatum +
Histoplasmose africaine Histoplasma duboisii +
Coccidioïdomycose sud-américaine Paracoccidioides brasiliensis +
Sporotrichose Sporotrichum schenkii +
Virales
Rougeole Paramyxovirus +
Rubéole Paramyxovirus + +
Mononucléose infectieuse Virus d’Epstein-Barr + +
Infection à cytomégalovirus Cytomégalovirus +
Dengue Arbovirus +
Fièvres hémorragiques virales africaines Arénavirus +
Fièvre hémorragique avec syndrome rénal Virus de Hantaan + +
Herpès génital Herpès simplex 2 + +
Pharyngites Rhinovirus +
Adénovirus + +
Herpès simplex 1
Influenza Coxsackie
Sida VIH + +
Parasitaires
Kala-azar Leishmania donovani + +
Trypanosomiase africaine Trypanosoma brucei + +
Maladie de Chagas Trypanosoma cruzi +
Toxoplasmose Toxoplasma gondii + +
Filarioses lymphatiques Wucheria bancrofti +
Brugia malayi

Sida : syndrome de l’immunodéficience acquise ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine.

En l’absence de fièvre, une infection par le VIH doit être systé- polyadénopathie superficielle. Une maladie systémique (lupus,
matiquement suspectée (syndrome lymphadénopathique). Toute polyarthrite rhumatoïde, sarcoïdose) est plus rarement en cause.
dermatose prurigineuse généralisée peut être responsable d’une Le syndrome de Gougerot-Sjögren doit être distingué pour son

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-0180  Adénopathie superficielle

Tableau 3. • avant d’engager une enquête paraclinique, il faut savoir pro-


Principaux syndromes lymphoprolifératifs [2] . poser une simple surveillance de trois semaines à un sujet
Lymphome de Hodgkin jeune qui présente une adénopathie récente d’allure bénigne
Lymphomes non hodgkiniens dont LLC et macroglobulinémie de d’origine infectieuse, susceptible de régresser spontanément
Waldenström ou sous l’influence d’un traitement antibiotique. Ce prin-
Syndromes lymphoprolifératifs dits atypiques cipe doit être assoupli par la connaissance de véritables
- Lymphome T angio-immunoblastique lymphomes malins (Hodgkin en particulier) dont l’évolution
- Maladie de Castleman (hyperplasie angiofolliculaire, infiltrat initiale peut être durable et variable, entrecoupée de poussées
plasmocytaire polyclonal) et d’involutions spontanées des adénopathies ;
Leucémie aiguë lymphoblastique • une cytoponction préalable se justifie théoriquement d’emblée,
À part soit pour affirmer rapidement la nature lymphatique de la
Maladie de Rosai-Dorfman (histiocytose sinusale massive) masse et éventuellement fournir un dépistage immédiat d’un
Maladie de Kikuchi-Fujimoto (lymphadénite nécrosante subaiguë) processus tumoral, soit pour ponctionner une collection puru-
Maladie de Kimura (hyperplasie folliculaire et veinulaire, lente (mise en culture). La ponction est supérieure à l’empreinte
hyperéosinophilie) (cf. infra) pour la préservation et donc l’analyse de cellules gan-
Transformation progressive des centres germinatifs (hyperplasie avec glionnaires intactes. Sa rentabilité est haute en cas de métastase
follicules réactionnels géants, destruction des centres germinatifs) de cancer épithélial car le constat de cellules d’origine non
Maladie liée aux IgG4 (plasmocytose IgG4) lymphoïde est facile. Elle ne permet aucunement l’étude du
Pseudotumeur inflammatoire (tumeur myofibroblastique) tissu ganglionnaire (histologique). Deux limites de la ponction
méritent d’être soulignées : d’une part, la difficulté de l’analyse
LLC : leucémie lymphoïde chronique ; IgG4 : immunoglobuline G4.
cytologique en microscopie optique qui explique que sa valeur
soit « hautement dépendante de l’observateur » ; d’autre part,
Tableau 4. sa possible négativité même en cas de pathologie maligne qui
Bilan complémentaire initial minimal d’adénopathie(s) sans cause locale s’explique par la possibilité de nécrose du matériel ou le carac-
évidente. tère très inflammatoire voire focal des lésions. La difficulté
Numération formule sanguine avec plaquettes (voire l’impossibilité) inhérente à certains diagnostics cytolo-
Électrophorèse des protides sanguins giques différentiels, entre hyperplasie bénigne et lymphome
C-reactive protein folliculaire par exemple, est un autre problème, en partie
Transaminases contourné par l’utilisation de l’immunophénotypage en cyto-
LDH métrie de flux, de l’immunocytochimie, de l’hybridation in situ
Sérologies toxoplasmose, primo-infection EBV, VIH, syphilis ou de la PCR (polymerase chain reaction). La ponction a donc
Tubertest l’intérêt de sa faisabilité et de sa rapidité d’interprétation [10] .
Scanner cervico-thoraco-abdomino-pelvien (faible dose) chez l’adulte En pratique, même positive et a fortiori négative, elle est le
Ponction ganglionnaire (à discuter) plus souvent complétée par la microbiopsie voire une biopsie
LDH : lactate déshydrogénase ; EBV : Epstein-Barr virus ; VIH : virus de chirurgicale ;
l’immunodéficience humaine. • toute adénopathie inexpliquée et durable plus d’un mois doit
faire l’objet d’une biopsie à visée diagnostique. Cette « règle
d’or », même si elle peut être assouplie par la possibilité d’un
risque particulier d’évolution vers la malignité (lymphome B de
diagnostic cytologique de bonne qualité après ponction, reste
type MALT [mucosa-associated lymphoid tissue]). Les maladies par
opérante en pratique clinique.
dépôt, comme l’amylose, ou de surcharge lipidique (Gaucher,
La microbiopsie (core biopsy) percutanée, guidée par
Nieman-Pick) peuvent aussi comporter une hypertrophie gan-
l’échographie, est faisable en radiologie [11] . Moins invasive
glionnaire lymphatique.
que la biopsie chirurgicale et de bonne rentabilité, en particulier
Les syndromes lymphoprolifératifs, le plus souvent malins
pour le diagnostic et la classification des lymphomes, elle peut
(Tableau 3), sont responsables de polyadénopathies, en contexte
être couplée à la cytoponction en un seul temps [12] .
fébrile ou non [8] . Les polyadénopathies malignes secondaires sont
Ce n’est qu’en cas d’échec qu’une biopsie chirurgicale peut être
surtout représentées par les métastases de carcinome, les loca-
envisagée. Le chirurgien et le médecin doivent décider de l’exérèse
lisations ganglionnaires des leucémies myéloïdes (chronique ou
complète du ganglion le plus volumineux dans une polyadénopa-
aiguë) et de l’hématopoïèse extramédullaire de la splénomégalie
thie, en général effectuée sous anesthésie locale. On évitera dans
myéloïde.
la mesure du possible la biopsie d’un ganglion inguinal en rai-
Il faut noter la possibilité d’atteinte mixte ; ainsi, dans la patho-
son de la rentabilité inférieure de la biopsie dans cette zone et du
logie liée au VIH, l’adénopathie peut être le siège de l’infection
risque de lymphœdème définitif du membre. Rarement, la biopsie
virale mais aussi d’une infection opportuniste, d’un sarcome de
peut s’accompagner de lésion nerveuse : adénopathies périparo-
Kaposi, d’une maladie de Castleman, voire d’un lymphome.
tidiennes et nerf facial, ganglions cervicaux postérieurs et nerf
L’existence d’une splénomégalie associée indique la générali-
spinal accessoire. En cas de ganglions de taille égale, la biop-
sation de l’atteinte lymphoïde, surtout en cas d’infection virale,
sie s’effectue par ordre de préférence décroissante en situation
dans les mycobactérioses disséminées, le lupus, la sarcoïdose et les
sus-claviculaire, cervicale, axillaire, épitrochléenne et inguinale.
syndromes lymphoprolifératifs. En réalité, la présence d’une splé-
La TEP-FDG (tomographie par émission de positons au fluoro-
nomégalie est relativement rare, objectivée dans moins de 10 %
déoxy-glucose), dont la place n’est pas codifiée, peut également
des cas de polyadénopathie.
permettre de sélectionner le ganglion le plus hypermétabolique
Enfin, certaines localisations seraient particulièrement évoca-
au sein d’une polyadénopathie. Le ganglion doit être coupé dans
trices [9] . Les adénopathies épitrochléennes sont classiquement
son plus grand axe pour donner lieu à une apposition sur lame
évocatrices de la sarcoïdose et de la syphilis, mais se rencontrent
de la tranche de section (empreinte), lisible en quelques minutes
aussi dans la MNI et dans les mélanomes et les syndromes lympho-
ou heures selon le colorant utilisé. Le ganglion est alors des-
prolifératifs. L’atteinte occipitale préférentielle de la MNI, de la
tiné, selon une demande explicite du médecin, aux laboratoires
syphilis, de la toxoplasmose et de la rubéole accompagnerait aussi
d’anatomopathologie, accompagné des empreintes, et de bacté-
la très rare maladie de Kikuchi-Fujimoto (lymphadénite nécro-
riologie, principalement pour mise en culture. En ce qui concerne
sante subaiguë).
l’étude en anatomopathologie, il est indispensable de mention-
ner au chirurgien qu’une partie doit être acheminée rapidement
Diagnostic paraclinique dans une compresse stérile imbibée de sérum physiologique pour
congélation et l’autre partie dans un fixateur classique (formol
Sans détailler les investigations utiles (Tableau 4) à la recherche tamponné). La rentabilité de la biopsie ganglionnaire, classi-
d’une cause ou à la visualisation d’adénopathies profondes, quement de l’ordre de 50–60 %, n’a pas été étudiée depuis
quelques principes méritent d’être soulignés : l’avènement des nouvelles techniques d’immunohistochimie, de

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Adénopathie superficielle  1-0180

cytogénétique et de biologie moléculaire ; à cet égard et en parti- [2] Sacré K, Papo T. Adénopathies superficielles. In: Rousset H, Vital-
culier pour les germes intracellulaires de culture difficile, la place Durand D, Dupond JL, Pavic M, editors. Diagnostics difficiles en
de la biologie moléculaire dans le diagnostic d’une infection bac- médecine interne. Paris: Maloine; 2008. p. 33–43.
térienne (PCR universelle 16s ADN ribosomal, rt PCR spécifique, [3] Deosthali A, Donches K, DelVecchio M, Aronoff S. Etiologies of
etc.) devient incontournable [6] . pediatric cervical lymphadenopathy: a systematic review of 2687 sub-
jects. Glob Pediatr Health 2019;6:1–7.
[4] Pynnonen M, Gillespie M, Roman B. Clinical practice: evaluation of
 Conclusion the neck mass in adults. Otolaryngol Head Neck Surg 2017;157:S1–30.
[5] Chau I, Kelleher MT, Cunningham D, Norman AR, Wotherspoon A,
Trott P. Rapid access multidisciplinary lymph node diagnostic clinic:
Les adénopathies superficielles peuvent être asymptomatiques, analysis of 550 patients. Br J Cancer 2003;88:354–61.
uniques ou multiples, et survenir à tout âge. Le plus souvent, elles [6] Prudent E, La Scola B, Drancourt M, Angelakis E, Raoult D. Molecu-
sont transitoires chez un sujet jeune ou localisées dans le terri- lar strategy for the diagnosis of infectious lymphadenitis. Eur J Clin
toire de drainage d’une lésion évidente. Les adénopathies peuvent Microbiol Infect Dis 2018;37:1179–86.
aussi constituer un mode d’entrée dans le diagnostic complexe [7] Swartz NM. Lymphadenitis and lymphangitis. In: Mandell GL, Bennet
d’entités rares, aux confins des syndromes lymphoprolifératifs et JE, Dolin R, editors. Principles and practice of infectious diseases.
auto-immuns. En réalité, la hantise du praticien est l’adénopathie Philadelphia: Churchill Livingstone; 2000. p. 1066–75.
révélatrice d’un cancer ou d’un lymphome. Une approche cli- [8] Bazemore AW, Smucker DS. Lymphadenopathy and malignancy. Am
nique structurée et un panel simple d’examens complémentaires Fam Physician 2002;66:2103–10.
sont complétés par la ponction ganglionnaire (à visée cytolo- [9] Gaddey H, Riegel A. Unexplained lymphadenopathy: evaluation and
differential diagnosis. Am Fam Physician 2016;94:896–903.
gique) couplée à la microbiopsie (à visée histologique) – qui
[10] Schafernak KT, Kluskens LF, Ariga R, Reddy VB, Gattuso P. Fine-
permettent souvent d’éviter le recours à la biopsie chirurgicale.
needle aspiration of superficial and deeply seated lymph nodes on
patients with and without a history of malignancy: review of 439 cases.
Diagn Cytopathol 2003;29:315–9.
Déclaration de liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts [11] Amador-Ortiz C, Chen L, Hassan A, Frater JL, Burack R, Nguyen TT.
en relation avec cet article. Combined core needle biopsy and fine-needle aspiration with ancillary
studies correlate highly with traditional techniques in the diagnosis of
nodal-based lymphoma. Am J Pathol 2011;135:516–24.
 Références [12] Allin D, David S, Jacob A, Mir N, Giles A, Gibbins N. Use of core
biopsy in diagnosing cervical lymphadenopathy: a viable alternative
[1] Habermann TM, Syeensma DP. Lymphadenopathy. Mayo Clin Proc of surgical excisional biopsy of lymph nodes? Ann R Coll Surg Engl
2000;75:523–32. 2017;99:242–4.

T. Papo (thomas.papo@bch.aphp.fr).
Service de médecine interne, Hopital Bichat-Claude-Bernard, AP–HP, Faculté Paris-Diderot, Université de Paris, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Papo T. Adénopathie superficielle. EMC - Traité de Médecine Akos 2020;23(2):1-5 [Article 1-0180].

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décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 5


 2-0496

Principaux médicaments antiagrégants :


maniement, surveillance et gestion
des complications
M. Laine, C. Frère, L. Bonello

Résumé : Les syndromes coronaires aigus sont liés dans l’immense majorité des cas à la rupture d’une
plaque d’athérome initiant l’activation puis l’agrégation plaquettaire conduisant au développement d’un
thrombus coronaire plus ou moins occlusif. La prévention des récidives ischémiques chez les sujets à
risque repose en grande partie sur l’utilisation d’antiagrégants plaquettaires, agents pharmacologiques
inhibant l’activation des plaquettes ou plus rarement, directement leur agrégation. La présence d’une
maladie coronaire nécessite l’utilisation d’un voire de deux antiagrégants. Ainsi, le patient bénéficiant
d’une angioplastie coronaire et/ou ayant présenté un syndrome coronaire aigu se verra prescrire une
bithérapie comprenant de l’aspirine (inhibant l’activation plaquettaire par la voie des cyclo-oxygénases)
et un inhibiteur du récepteur P2Y12 à l’ADP. Ce dernier agent pourra être du clopidogrel, du prasugrel
ou du ticagrélor. Ces deux dernières molécules ont démontré leur supériorité par rapport au clopidogrel
chez les patients présentant un syndrome coronaire aigu mais au prix d’un risque accru d’évènements
hémorragiques. Les hémorragies (digestives, intracrâniennes, etc.) constituent les principaux évènements
indésirables associés aux antiplaquettaires. Ils devront être recherchés chez le patient sous traitement
mais surtout anticipés. Un des enjeux majeurs de la cardiologie moderne consiste à déterminer les risques
ischémique/thrombotique et hémorragique de chaque patient coronarien afin d’ajuster l’intensité du trai-
tement antiplaquettaire (nombre et puissance des agents antiagrégants) ainsi que la durée du traitement
aux profils rencontrés, l’heure étant plus que jamais à la personnalisation du traitement.
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Mots-clés : Antiagrégants plaquettaires ; Clopidogrel ; Prasugrel ; Ticagrélor ; Syndrome coronaire aigu ;


Thrombose

Plan  Plaquettes
■ Plaquettes 1 Les plaquettes sont des cellules anucléées présentes dans le
compartiment vasculaire et issues de la fragmentation des méga-
■ Principaux médicaments antiagrégants plaquettaires (AAP) 2 caryocytes. Leur rôle principal est d’initier et de participer à
Aspirine 2 la formation du clou plaquettaire afin de prévenir et de trai-
Bloqueurs du récepteur plaquettaire P2Y12 à l’adénosine ter les phénomènes hémorragiques. Sur le plan pathologique,
diphosphate (ADP) 2 elles participent également à la formation du thrombus impli-
Inhibiteur du récepteur plaquettaire GpIIb/IIIa 3 qué notamment dans la maladie athérothrombotique (syndromes
■ Maniement des principaux agents antiplaquettaires 3 coronaires aigus [SCA], etc.). En effet, à la suite de la rupture ou
Dose de charge 3 de l’érosion de la chape fibreuse d’une plaque d’athérome, les pla-
Traitement d’entretien 3 quettes sont activées au contact du corps lipidique. Il existe de
Durée du traitement 3 très nombreux agonistes plaquettaires au rang desquels figurent
Précautions à prendre avant chirurgie 3 notamment le thromboxane A2, l’adénosine diphosphate (ADP),
■ Gestion des complications des antiagrégants plaquettaires 3 la sérotonine, la thrombine ou encore l’adrénaline. Ces ago-
Complications hémorragiques des antiagrégants 3 nistes ont pour propriété d’activer les plaquettes, les faisant passer
Complications non hémorragiques des antiagrégants 5 d’une phase quiescente à un état prompt à l’agrégation et donc
à la constitution d’un thrombus. À l’issue de leur activation, les

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(20)61129-2
2-0496  Principaux médicaments antiagrégants : maniement, surveillance et gestion des complications

plaquettes développent la capacité de s’agréger les unes aux autres • une importante variabilité interindividuelle dans le niveau
via la fibrine et son récepteur plaquettaire : la glycoprotéine d’inhibition plaquettaire qu’il engendre, se traduisant par un
IIb/IIIa (Gp IIb/IIIa) également appelée intégrine ␣IIb␤3. Ces phé- sur-risque d’évènements thrombotiques en cas de « résistance »
nomènes d’activation et d’agrégation conduisent à la formation au clopidogrel. Le taux d’hyporépondeurs variant de 30 à 40 %
d’un thrombus pouvant obstruer de manière complète ou partielle selon les séries ;
la lumière de l’artère dont la traduction clinique peut être un SCA • le clopidogrel induit une inhibition plaquettaire relativement
si ce phénomène se déroule au sein d’une artère coronaire. modérée ;
Les antiagrégants plaquettaires sont des agents pharmacolo- • son délai d’action peut être prolongé de plusieurs heures notam-
giques ayant la capacité d’agir sur les plaquettes en bloquant ment en cas de SCA avec sur-décalage du segment ST, exposant
les récepteurs membranaires impliqués dans leur activation ou au risque de complications ischémiques telles que la redoutable
leur agrégation. Ces agents thérapeutiques jouent un rôle majeur thrombose aiguë de stent [2] .
en prévention secondaire des événements athérothrombotiques Par ailleurs, il est important de noter qu’à ce jour aucune recom-
comme par exemple au décours d’un SCA ou d’une angioplastie mandation ne préconise l’emploi de tests biologiques d’agrégation
coronaire. (VASP-index, Multiplate, Verify Now, etc.) ou de génotypage dans
le but d’adapter le traitement antiplaquettaire, faute de données
cliniques suffisamment robustes étayant ces stratégies.
 Principaux médicaments
Prasugrel
antiagrégants plaquettaires
Le prasugrel est une thiénopyridine de troisième génération.
(AAP) Cette molécule nécessite également une bio-activation hépatique
mais, à la différence du clopidogrel, cette transformation ne
Aspirine requiert qu’une seule étape autorisant ainsi une meilleure bio-
Initialement isolée depuis l’écorce de saule il y a plus d’un siècle, disponibilité. De la sorte, le prasugrel permet de s’affranchir
c’est seulement au début des années 1970 que le mode d’action des limites biologiques du clopidogrel induisant une inhibition
antiagrégant de l’aspirine a été décrit. L’aspirine agit en inhibant plaquettaire plus rapide, plus intense et plus reproductible. En
de manière irréversible l’activité de la cyclo-oxygénase (COX) 1 association avec l’aspirine, ce médicament a démontré sa supé-
et 2 via l’acétylation d’un résidu serine bloquant ainsi l’accès du riorité en termes de réduction du taux de récidives ischémiques
substrat – l’acide arachidonique – au site actif de cette enzyme. De en comparaison avec l’association aspirine–clopidogrel dans le
cette manière, l’aspirine inhibe la biosynthèse du thromboxane cadre du SCA traité par angioplastie [3] . Il est important de noter
A2 qui est impliquée dans l’activation plaquettaire. Sur le plan que le prasugrel n’a pas démontré sa supériorité par rapport au
de la pharmacocinétique, une fois l’aspirine administrée par voie clopidogrel chez les patients présentant un SCA traité de façon
orale, son pic plasmatique est atteint en 30 à 40 minutes contre médicale (i.e. non revascularisés) dans l’étude TRILOGY-ACS [4] .
15 minutes en cas d’administration intraveineuse. Inhibiteur irré- Notons que le prasugrel 10 mg est déconseillé au-delà de 75 ans, et
versible de l’activation plaquettaire, son effet s’estompe à l’arrêt est contre-indiqué en cas d’antécédent d’accident vasculaire céré-
du traitement à la faveur du renouvellement de la population pla- bral ou d’accident ischémique transitoire ou si le poids corporel
quettaire, avec récupération d’une hémostase primaire efficace en est inférieur à 60 kg en raison d’un risque accru de saignement.
environ une semaine. Cependant, la dose de 5 mg/j a été utilisée pour les patients inclus
dans l’étude TRILOGY-ACS s’ils étaient âgés de plus de 75 ans ou
pesaient moins de 60 kg. À cette posologie il n’existait pas de sur-
Bloqueurs du récepteur plaquettaire P2Y12 risque hémorragique en comparaison avec le clopidogrel 75 mg/j
à l’adénosine diphosphate (ADP) au sein de ces deux populations [4] . À cette dose le prasugrel
présente une efficacité biologique supérieure à celle du clopido-
Parmi les récepteurs plaquettaires à l’ADP, le récepteur P2Y12
grel 75 mg/j chez les sujets âgés ou de faible poids corporel [5] .
joue un rôle clé dans l’activation plaquettaire. L’ADP est relarguée
Ainsi, le prasugrel à la dose de 5 mg/j peut être utilisé après avoir
par les granules denses des plaquettes et va ainsi les activer de
pesé le rapport bénéfice/risque de cette stratégie chez les patients
manière autocrine et paracrine via notamment le récepteur P2Y12.
âgés de 75 ans ou plus ou dont le poids corporel est inférieur à
Ce dernier joue donc un rôle clé dans l’auto-amplification par le
60 kg [6] .
couplage à une protéine G agissant sur l’activation des récepteurs
aux Gp IIb/IIIa par l’intermédiaire d’une modulation de l’activité
adényl-cyclase. Ticagrélor
Le ticagrélor appartient à la famille des cyclopentyltriazolopy-
Ticlodipine rimidines et a également démontré sa supériorité au clopidogrel
Appartenant à la première génération de thiénopyridines et dans un essai clinique ayant inclus des patients présentant un
développée à la fin des années 1970, cette substance a démon- SCA, qu’ils aient bénéficié ou non d’une revascularisation [7] .
tré un intérêt dans le SCA et l’angioplastie coronaire. Cependant, À la différence du clopidogrel et du prasugrel, le ticagrélor ne
en raison d’une toxicité hématologique importante (neutropé- nécessite aucune biotransformation pour être actif. Il est à ce
nie sévère, agranulocytose, pancytopénie), cette molécule n’est jour le seul inhibiteur réversible du récepteur P2Y12. Le niveau
quasiment plus utilisée à ce jour. d’inhibition plaquettaire induit par le ticagrélor est relativement
proche de celui obtenu par le prasugrel. De même, la rapidité
Clopidogrel d’action des deux molécules est comparable (e.g. 90–120 minutes
en cas de SCA sans sur-décalage du segment ST– et 4 à 6 heures
Le clopidogrel est une thiénopyridine de deuxième génération
en cas de SCA avec sur-décalage du segment ST) [8, 9] . Il est à noter
qui grâce à sa meilleure tolérance hématologique a remplacé la
que le ticagrélor doit être administré en deux prises quotidien-
ticlopidine. Il s’agit d’une prodrogue nécessitant une biotransfor-
nes.
mation hépatique en deux étapes via le cytochrome P450 afin de
générer des métabolites actifs à courte durée de vie. Ces métabo-
lites se fixent de façon covalente au récepteur P2Y12, l’inhibant Cangrelor
de manière irréversible. Le cangrelor est un inhibiteur réversible du récepteur plaquet-
Son intérêt a été démontré dans de nombreuses situations cli- taire P2Y12 administrable par voie intraveineuse. Ce puissant
niques liées à l’athérothrombose. Le clopidogrel a démontré son antiplaquettaire permet d’obtenir une inhibition plaquettaire
bénéfice en association à l’aspirine dans la prévention des réci- quasi totale en trois minutes avec une excellente réversibilité
dives ischémiques chez les patients bénéficiant d’une angioplastie autorisant une normalisation de la fonction plaquettaire dès la
coronaire et/ou présentant un SCA [1] . Il dispose cependant de trois 60e minute suivant l’interruption de son administration. Le can-
limites majeures : grelor a démontré sa supériorité au placebo chez le patient traité

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Principaux médicaments antiagrégants : maniement, surveillance et gestion des complications  2-0496

par aspirine–clopidogrel et devant bénéficier d’une angioplastie Durée du traitement


dans l’essai CHAMPION PHOENIX [10] . Il est toutefois important
de noter la neutralité de deux précédents essais randomisés étu- La bithérapie antiplaquettaire est recommandée durant six mois
diant cette molécule au cours de l’angioplastie ou du SCA [11, 12] . À en cas d’angioplastie par stent actif dans le cadre de la maladie
ce jour, aucun essai clinique n’a étudié la place de cet agent chez coronaire stable. Le patient présentant un SCA devra être traité
les patients traités par ticagrélor ou prasugrel. Cet antiplaquettaire par 12 mois de bithérapie antiplaquettaire quel que soit le mode
pourrait cependant trouver sa place chez le patient bénéficiant de revascularisation sélectionné mais également chez le patient
d’une angioplastie mais étant incapable de prendre les doses non revascularisé. La durée de la bithérapie peut être raccourcie à
de charge per os (intubation orotrachéale, vomissements incon- trois voire un mois chez les patients à haut risque hémorragique
trôlés, etc.) ou présentant une altération sévère de l’absorption y compris les patients traités par endoprothèses actives dites « de
digestive (choc cardiogénique). dernières générations » [1] . À l’inverse, les patients à haut risque
thrombotique et faible risque hémorragique pourront bénéficier
d’une DAPT prolongée (e.g. 36 mois). Des scores tels que le score
Inhibiteur du récepteur plaquettaire DAPT ou le score PRECISE-DAPT pourront être utilisés pour guider
GpIIb/IIIa le clinicien dans le choix de la durée de la bithérapie, qui tend de
plus en plus à être personnalisée (Fig. 1) [6] . Notons qu’en cas de
Le récepteur plaquettaire GpIIb/IIIa constitue l’étape ultime de risque thrombotique élevé, le clopidogrel ou le prasugrel pourront
l’agrégation plaquettaire. La plaquette activée voit son récepteur être poursuivis à la posologie usuelle, cependant les recommanda-
GpIIb/IIIa devenir fonctionnel. Ce dernier permettra d’agréger tions préconisent l’emploi du ticagrélor 60 mg × 2 jours au-delà
les plaquettes les unes aux autres au moyen de la fibrine qui des 12 mois de bithérapie [6] . À l’heure où nous écrivons ces lignes,
lui sert de ligand. Les antagonistes du récepteur plaquettaire Gp ce dosage n’est toujours pas commercialisé en France.
IIb/IIIa, à la différence des autres agents précédemment cités, ne
bloquent pas l’activation plaquettaire mais inhibent donc direc-
tement l’agrégation plaquettaire. Précautions à prendre avant chirurgie
Ces puissants antiagrégants injectables par voie intraveineuse
En cas de chirurgie à haut risque hémorragique, le ticagrélor
(abciximab, tirofiban, eptifibatide) offrent une inhibition pla-
devra être interrompu trois jours avant le geste, le clopidogrel
quettaire quasi immédiate et extrêmement puissante mais sont
devra être suspendu cinq jours avant l’intervention. Le prasu-
associés à un taux de complications hémorragiques non négli-
grel quant à lui devra être stoppé sept jours avant l’intervention.
geable. À l’heure du ticagrélor et du prasugrel dont les profils L’aspirine devra être maintenu en périopératoire chez le patient
pharmacologiques sont excellents (rapidité d’action, faible varia- ayant bénéficié d’une angioplastie et l’inhibiteur du P2Y12 repris
bilité interindividuelle et puissante inhibition plaquettaire), leur dès que possible en postopératoire s’il est toujours indiqué [6] .
usage en routine semble d’autant moins justifié. Par conséquent, Une alternative devant être évaluée de manière plus appro-
à l’heure actuelle ces agents sont indiqués lors des procédures fondie consisterait à utiliser le cangrelor en « bridge » avant la
d’angioplastie en « bail out », principalement au cours des SCA chirurgie afin de réduire la durée de la période sans bithérapie anti-
en cas d’importante masse thrombotique et n’ont plus leur place plaquettaire car il s’agit d’une situation potentiellement à risque
en pré-hospitalier ou plus généralement en amont du geste sur le plan ischémique. En effet, la pharmacodynamie du can-
d’angioplastie [13] . grelor permet son interruption une heure avant l’incision avec
récupération rapide de l’agrégation plaquettaire [14] .

 Maniement des principaux


agents antiplaquettaires  Gestion des complications
Dose de charge
des antiagrégants plaquettaires
Dans le but d’obtenir une inhibition plaquettaire efficace Les complications des traitements antiagrégants peuvent être
dans les plus brefs délais (particulièrement dans les situations séparées en deux entités : les complications hémorragiques, les
d’angioplastie et/ou de SCA afin notamment de prévenir la throm- plus fréquentes et les plus redoutées, d’une part, et les effets indé-
bose aiguë de stent), il est recommandé d’administrer une dose de sirables dits « non hémorragiques », d’autre part.
charge avec la plupart des agents antiplaquettaires :
• aspirine : 150–300 mg per os ou 75–250 mg par voie intravei- Complications hémorragiques
neuse ;
• clopidogrel : 600 mg en cas d’angioplastie, 300 mg en l’absence des antiagrégants
d’angioplastie (e.g. thrombolyse) ; La survenue d’un évènement hémorragique chez un patient
• ticagrélor : 180 mg ; souffrant d’une maladie coronaire et plus particulièrement d’un
• prasugrel : 60 mg ; SCA est un évènement dramatique en raison de la morbi-mortalité
• cangrelor : 30 ␮g/kg ; associée à l’affection hémorragique per se mais également en rai-
• eptifibatide : 180 ␮g/kg ; son d’un surcroît d’évènements ischémiques au décours [15, 16] .
• tirofiban : 25 ␮g/kg ; La survenue d’une hémorragie peut en effet conduire à
• abciximab : 0,25 ␮g/kg [13] . l’interruption du traitement antiplaquettaire avec pour consé-
quence une majoration du risque de thrombose de stent et
Traitement d’entretien d’infarctus du myocarde [17–19] . Par ailleurs, un état de choc
hémorragique, de par l’altération de la perfusion globale qu’elle
Le traitement d’entretien a pour but de maintenir l’inhibition engendre, peut générer une ischémie voire une nécrose myocar-
plaquettaire pendant la durée du traitement : dique chez le patient porteur de lésions coronaires (infarctus de
• aspirine : 75 mg/j ; type 2). Enfin, l’anémie et le recours à une transfusion de culots
• clopidogrel : 75 mg/j ; globulaires notamment via l’inflammation et l’accroissement
• ticagrélor : 90 mg × 2/j ; de la réactivité plaquettaire sous traitement sont des situations
• prasugrel : 10 mg/j (5 mg/j chez le sujet > 75 ans ou < 60 kg associées à une augmentation de la mortalité et à un surcroît
après évaluation du rapport bénéfice/risque) ; d’évènements ischémiques chez le patient coronarien [16] .
• cangrelor : 4 ␮g/kg/min ; Ainsi, il est de la plus haute importance d’identifier les patients
• eptifibatide : 2 ␮g/kg/min ; à haut risque hémorragique et de mettre en place des stratégies
• tirofiban : 0.15 ␮g/kg/min ; permettant de réduire ce risque. Des facteurs cliniques tels que le
• abciximab : 0,125 ␮g/kg/min [13] . sexe féminin, l’âge, la présence d’une insuffisance rénale, l’usage

EMC - Traité de Médecine Akos 3


2-0496  Principaux médicaments antiagrégants : maniement, surveillance et gestion des complications

Figure 1. Durée de la bithérapie antiplaquettaire (d’après


Aspirine-
Valgimigli et al. [6] ). Astérisque : la durée de la bithérapie
Oui Clopidogrel:
1–3 mois antiagrégante peut être prolongée en cas de haut risque
Risque thrombotique et de faible risque ischémique.
Patient stable hémorragique
élevé ?
Aspirine-
Non Clopidogrel:
6 mois ou plus*

Aspirine-Ticagrélor
Oui ou Clopidogrel:
6 mois
Syndrome Risque
coronaire hémorragique
aigu élevé ?
Aspirine-Ticagrélor ou
Non Prasugrel ou Clopidogrel:
12 mois ou plus*

Tableau 1. Tableau 2.
Classification BARC des hémorragies. Risque thrombotique (d’après Halvorsen et al. [21] ).
Saignements BARC Niveau de risque Situation du patient

Type 0 Absence de saignement Très haut SCA ou ACT < 8 jours


Type 1 Saignement ne nécessitant de consultation/prise en charge Haut SCA ou ACT datant de 8–30 jours
médicale Modéré SCA ou ACT datant d’un mois à un an
Type 2 Saignement nécessitant une évaluation urgente et/ou une Faible à modéré Patient stable (SCA ou ACT > 12 mois) mais
prise en charge médicale non chirurgicale et/ou situation complexe (tronc commun, bifurcation,
conduisant à une hospitalisation SCA récidivant, etc.)
Type 3a Saignement associé à une chute de 3–5 g/dl du taux Faible Patient stable (SCA ou ACT > 12 mois) sans FDR
d’hémoglobine ou à une transfusion surajouté
Type 3b Saignement conduisant à une chute de > 5 g/dl du taux
d’hémoglobine ACT : angioplastie coronaire ; FDR : facteur de risque ; SCA : syndrome coronaire
aigu.
Tamponnade
Saignement nécessitant une intervention chirurgicale
(sauf épistaxis, stomatologie ou hémorroïdes)
Type 3c Hémorragie intracrânienne que le risque thrombotique présenté par le patient, celui-ci étant
Hémorragie intraoculaire compromettant la vision élevé par exemple en cas d’angioplastie datant de moins de 12
Type 4 Hémorragie en rapport avec un pontage aortocoronaire mois dans un contexte de SCA (Tableaux 2 et 3) [21] .
Type 5a Hémorragie fatale probable (absence de confirmation De façon générale, les hémorragies mineures ne doivent pas
autopsique ou par imagerie) conduire à l’interruption du traitement antiplaquettaire. Dans le
Type 5b Hémorragie fatale confirmée (extériorisée ou validée par cas particulier de ce que les auteurs anglo-saxons nomment les
autopsie/imagerie) « nuisance bleedings » (i.e. ecchymoses, hémorragies conjoncti-
vales, gingivorragies ou épistaxis de faible abondance), il convient
de rassurer le patient quant à la bénignité de tels évènements tout
d’anticoagulants oraux ou un faible poids ont été corrélés à la sur- en reconnaissant l’inconfort qu’ils peuvent procurer et d’insister
venue de saignements. Des stratégies visant à réduire le risque sur l’importance de l’observance, notamment si un stent a été
hémorragique chez le patient sous antiplaquettaire bénéficiant posé dans les mois précédents. En effet, l’interruption intem-
d’une coronarographie/angioplastie se doivent d’être appliquées pestive prématurée du traitement peut exposer le patient à une
telles que l’utilisation de la voie radiale, la réduction de la posolo- thrombose aiguë de stent catastrophique. La survenue de nuisance
gie de l’héparine non fractionnée ou l’utilisation des inhibiteurs bleedings étant corrélée à un taux accru d’inobservance et donc de
de la pompe à proton (IPP) de manière systématique en associa- récurrences ischémiques [22] . De même, la transfusion de culots
tion à la DAPT [1, 6] . De même, il conviendra de reconnaître le globulaires n’est pas recommandée chez le patient ayant présenté
sur-risque hémorragique associé à l’utilisation du ticagrélor, du un SCA, hémodynamiquement stable et ayant une hémoglobine
prasugrel en comparaison au clopidogrel et donc de les éviter chez supérieure à 8 g/dl ou un taux d’hématocrite supérieur à 25 % [16] .
les sujets à haut risque hémorragique, notamment les patients Ainsi, lorsque le risque thrombotique prend le pas sur le risque
traités par anticoagulants oraux [3, 7] . de récidive hémorragique, le traitement antiplaquettaire doit
La gravité et la gestion des hémorragies sous antiplaquet- être maintenu. À l’inverse, lorsque le risque hémorragique pré-
taires sont corrélées à l’abondance de celles-ci (i.e. retentissement vaut, la suspension de l’un voire des deux antiplaquettaires doit
hémodynamique, nécessité de transfusion de culots globulaires) être envisagée [16, 21] . Notons que de récentes données montrent
ainsi qu’à leur localisation (e.g. hémorragies intracrâniennes). Il que la suspension de la bithérapie antiplaquettaire un mois
existe différentes classifications des hémorragies permettant de après la mise en place d’une endoprothèse active de dernière
stratifier leur gravité : TIMI, ACUITY, GRACE, GUSTO. La classi- génération peut être réalisée en cas de risque hémorragique
fication BARC tend à se généraliser et à devenir la plus répandue élevé [23, 24] .
(Tableau 1) [20] . La survenue d’une hémorragie majeure chez un patient coro-
narien doit motiver son admission dans un service spécialisé de
type réanimation ou soins intensifs coronaires. La transfusion
Gestion des hémorragies de culots globulaires devra être discutée au cas par cas selon la
Lors d’une hémorragie chez un patient traité par angioplastie, nature de l’hémorragie, l’abondance des pertes sanguines et le
il convient d’apprécier à la fois la gravité de l’hémorragie ainsi retentissement hémodynamique de l’hémorragie. La stabilisation

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Principaux médicaments antiagrégants : maniement, surveillance et gestion des complications  2-0496

hémodynamique en cas de choc hypovolémique se fera, au moins pendant la durée de la bithérapie antiplaquettaire, ce
outre l’administration d’un remplissage vasculaire adéquat, par qui permet de réduire le risque de saignement [26] . Il n’est pas rare
l’administration d’amines vasopressives de type noradrénaline. en cas d’hémorragie de vouloir remplacer un puissant inhibiteur
Du fait du délai d’action prolongé des différentes molécules, la du récepteur P2Y12 (prasugrel, ticagrélor) par un antagoniste plus
transfusion de culots plaquettaires devra également être envisagée faible (clopidogrel) ou à l’inverse d’intensifier le traitement anti-
pour les hémorragies les plus graves (e.g. intracrâniennes) au prix plaquettaire en cas de survenue d’évènement thrombotique : la
d’un sur-risque de thromboses de stents. Il a été cependant récem- Figure 2illustre les modalités de substitution de ces antiagrégants
ment démontré que la transfusion de culots plaquettaires (même entre eux.
en haute quantité) ne permettait pas de réduire l’inhibition pla-
quettaire induite par le ticagrélor en raison de la persistance de
ses métabolites actifs dans le plasma qui continuent d’inhiber Complications non hémorragiques
les plaquettes transfusées. Un antidote a récemment démontré des antiagrégants
son efficacité dans la normalisation de la fonction plaquettaire
du sujet traité par ticagrélor [25] mais n’est pas encore disponible En dehors de réactions allergiques rares essentiellement cuta-
en pratique clinique. nées, le clopidogrel ainsi que le prasugrel sont dénués de
Concernant les hémorragies digestives hautes, un traitement complications non hémorragiques. Concernant le ticagrélor,
par inhibiteur de la pompe à proton par voie intraveineuse asso- l’étude PLATO a démontré que l’utilisation du ticagrélor pou-
cié à une endoscopie digestive haute avec geste hémostatique vait être associée à la survenue d’une dyspnée [7] . Il est important
local pourrait autoriser le maintien des antiplaquettaires dans cer- d’informer le patient du caractère bénin et transitoire de la dys-
tains cas [16, 21] . En cas de suspension du traitement antiagrégant, pnée, qui survient en début de traitement et régresse souvent
celui-ci devra être réintroduit dans les plus brefs délais si le risque spontanément malgré la poursuite du traitement et d’insister
hémorragique le permet. Compte tenu du fait que les hémorragies sur l’importance de l’observance médicamenteuse sachant que
digestives sont la première source d’hémorragies graves sous anti- l’examen clinique, la radiographie de thorax et les EFR seront
plaquettaire, il est logique et recommandé d’associer en routine un normales [7, 27] . Ces réactions seraient liées à un accroissement du
traitement prophylactique par inhibiteur de la pompe à protons taux plasmatique d’adénosine en raison d’une inhibition de sa

Tableau 3.
Stratification du risque de récidive hémorragique (d’après Halvorsen et al. [21] ).
Catégorie de risque Origine de l’hémorragie et sévérité Situation clinique
Très haut Hémorragie intracrânienne sans traitement envisageable Absence de facteur déclenchant (e.g. traumatisme,
Hémorragie menaçant le pronostic vital sans traitement poussée tensionnelle, geste invasif, etc.)
envisageable Arrêt des antithrombotiques impossible en raison
d’un risque thrombotique très élevé
Haut Hémorragie extracrânienne majeure sans traitement Absence de facteur déclenchant
efficace Arrêt des antithrombotiques impossible en raison
d’un risque thrombotique très élevé
Modéré Hémorragie intracrânienne dont la cause a été traitée
Hémorragie extracrânienne dont la cause a été traitée
Bas à modéré Hémorragie extracrânienne mineure Hémorragie survenue en raison d’un traitement
antithrombotique pouvant être suspendu
Bas Hémorragie extracrânienne minime Hémorragie survenue en raison d’un traitement
antithrombotique pouvant être suspendu

CLOPIDOGREL Figure 2. Modalités de substitution des diffé-


rents inhibiteurs du récepteur P2Y12 entre eux
(d’après Valgimigli et al. [6] ). DDC : dose de
charge.
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A. Phase aiguë (< 30 jours après l’évènement


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DDC prasugrel (60 mg)


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24h après dernière prise de prasugrel
A

EMC - Traité de Médecine Akos 5


2-0496  Principaux médicaments antiagrégants : maniement, surveillance et gestion des complications

CLOPIDOGREL Figure 2. (suite) Modalités de substitution des


différents inhibiteurs du récepteur P2Y12 entre
eux (d’après Valgimigli et al. [6] ). DDC : dose de

24
charge.

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B. Phase chronique (> 30 jours après l’évènement

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DDC prasugrel (60 mg)
24h après dernière prise de ticagrélor

PRASUGREL TICAGRELOR

Ticagrélor (90mgx2/j)
24h après dernière prise de prasugrel
B

recapture par les globules rouges [28] . Le cangrelor dont le mode


d’action est proche de celui du ticagrélor peut lui aussi entraîner Déclaration de liens d’intérêts : L. Bonello : activité de conseils pour AstraZe-
une sensation de dyspnée dans de rares cas [10–12] . Si la dyspnée est neca et fonds de recherche de la part d’AstraZeneca.
considérée comme intolérable par le patient, il peut être nécessaire C. Frère : aucun lien d’intérêt relevant.
d’envisager une substitution par un autre antiplaquettaire. M. Laine : activité de conseils pour AstraZeneca.
Les inhibiteurs du récepteur GpIIb/IIIa quant à eux peuvent
induire une thrombopénie dans moins de 5 % des cas. Celle-ci
est associée à un risque accru de mortalité et devra être suspec-
tée si le taux de plaquettes chute à moins de 100,000 mm3 sous
 Références
traitement [29] . En cas de survenue, elle doit conduire à l’arrêt du
[1] Authors/Task Force members, Windecker S, Kolh P, Alfonso F, Collet
traitement. J-P, Cremer J. 2014 ESC/EACTS Guidelines on myocardial revas-
cularization: the Task Force on myocardial revascularization of the
European Society of Cardiology (ESC) and the European Association
for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Developed with the special
“ Points essentiels contribution of the European Association of Percutaneous Cardiovas-
cular Interventions (EAPCI). Eur Heart J 2014;35:2541–619.
[2] Bonello L, Tantry US, Marcucci R, Blindt R, Angiolillo DJ, Becker
Une bithérapie antiplaquettaire est nécessaire au décours R, et al. Consensus and future directions on the definition of high
d’une angioplastie coronaire et/ou d’un syndrome coro- on-treatment platelet reactivity to adenosine diphosphate. J Am Coll
naire aigu afin de réduire le risque de récidive ischémique. Cardiol 2010;56:919–33.
Cette bithérapie associe l’aspirine à un inhibiteur du récep- [3] Wiviott SD, Braunwald E, McCabe CH, Montalescot G, Ruzyllo W,
Gottlieb S, et al. Prasugrel versus clopidogrel in patients with acute
teur P2Y12 afin d’inhiber l’activation plaquettaire. coronary syndromes. N Engl J Med 2007;357:2001–15.
Le ticagrélor et le prasugrel offrent une inhibition pla- [4] Roe MT, Armstrong PW, Fox KAA, White HD, Prabhakaran
quettaire plus intense, plus rapide et plus reproductible D, Goodman SG, et al. Prasugrel versus clopidogrel for acute
que celle obtenue avec le clopidogrel. Le ticagrélor et le coronary syndromes without revascularization. N Engl J Med
prasugrel sont à privilégier chez le patient présentant un 2012;367:1297–309.
syndrome coronaire aigu. Toutefois, leur usage est associé [5] Jakubowski JA, Erlinge D, Alexopoulos D, Small DS, Winters KJ, Gur-
à une majoration du risque hémorragique. Ils ne doivent bel PA, et al. The rationale for and clinical pharmacology of prasugrel
5 mg. Am J Cardiovasc Drugs 2017;17:109–21.
surtout pas être utilisés avec un anticoagulant oral : seul le
[6] Valgimigli M, Bueno H, Byrne RA, Collet J-P, Costa F, Jeppsson A,
clopidogrel peut être associé aux anticoagulants (antivita- et al. 2017 ESC focused update on dual antiplatelet therapy in coronary
mines K ou anticoagulants oraux directs) si indiqués. artery disease developed in collaboration with EACTS: the Task Force
La durée de la bithérapie est individualisée selon la situa- for dual antiplatelet therapy in coronary artery disease of the Euro-
tion clinique et le profil de risque de chaque patient. pean Society of Cardiology (ESC) and of the European Association
Il est de la plus haute importance de jauger le risque for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2018;39:213–60.
ischémique (élevé en cas de syndrome coronaire aigu [7] Wallentin L, Becker RC, Budaj A, Cannon CP, Emanuelsson H, Held
ou d’angioplastie complexe par exemple) et le risque C, et al. Ticagrelor versus clopidogrel in patients with acute coronary
syndromes. N Engl J Med 2009;361:1045–57.
hémorragique notamment à l’aide de scores (DAPT,
[8] Alexopoulos D, Xanthopoulou I, Gkizas V, Kassimis G, Theodoropou-
PRECISE-DAPT) afin de personnaliser le traitement antipla- los KC, Makris G, et al. Randomized assessment of ticagrelor versus
quettaire et sa durée à chaque patient. prasugrel antiplatelet effects in patients with ST elevation myocardial
infarction. Circ Cardiovasc Interv 2012;5:797–804.

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Principaux médicaments antiagrégants : maniement, surveillance et gestion des complications  2-0496

[9] Parodi G, Valenti R, Bellandi B, Migliorini A, Marcucci R, Comito [19] Park D-W, Park S-W, Park K-H, Lee B-K, Kim Y-H, Lee CW,
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Stent Thrombosis Registry. J Am Coll Cardiol 2009;53:1399–409. vasc Pharmacother 2015;1:97–106.

M. Laine, MD (marc.laine@ap-hm.fr).
Service de cardiologie, Unités de cardiologie interventionnelle et soins intensifs cardiologiques, Hôpital Nord, Assistance publique des Hôpitaux de Marseille,
chemin des Bourrely, 13015 Marseille, France.
Centre de recherche en cardiovasculaire et nutrition (C2VN), Inserm, INRA, Faculté de médecine de Marseille, Aix-Marseille-Université, Marseille, France.
C. Frère, MD, PhD.
Département d’hématologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Assistance publique des Hôpitaux de Paris, Paris, France.
L. Bonello, MD, PhD.
Service de cardiologie, Unités de cardiologie interventionnelle et soins intensifs cardiologiques, Hôpital Nord, Assistance publique des Hôpitaux de Marseille,
chemin des Bourrely, 13015 Marseille, France.
Centre de recherche en cardiovasculaire et nutrition (C2VN), Inserm, INRA, Faculté de médecine de Marseille, Aix-Marseille-Université, Marseille, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Laine M, Frère C, Bonello L. Principaux médicaments antiagrégants : maniement, surveillance et gestion
des complications. EMC - Traité de Médecine Akos 2020;23(2):1-7 [Article 2-0496].

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EMC - Traité de Médecine Akos 7


 2-0740

Dermatomycoses
M. Gits-Muselli, S. Hamane, M. Benderdouche

Résumé : Les champignons peuvent être responsables de diverses infections cutanées. Les dermato-
mycoses sont des infections fongiques fréquentes regroupant des champignons pathogènes tels que
les dermatophytes, certaines moisissures et pseudodermatophytes ou des champignons commensaux se
comportant comme des opportunistes à l’occasion de conditions qui leur sont favorables (levures du genre
Candida et Malassezia). Un bref chapitre présentera également les infections cutanées à Trichosporon.
D’autres champignons peuvent être responsables de lésions cutanées mais ne seront pas traités dans ce
chapitre : ceux responsables de manifestations cutanées dans des infections fongiques systémiques, les
mycoses tropicales et les infections fongiques par inoculation. Selon la zone atteinte et la présentation
clinique des lésions, un traitement antifongique adapté à l’agent pathogène responsable est souvent
nécessaire, et justifie la réalisation préalable d’un examen mycologique spécifique pour une identification
précise de l’espèce.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Dermatomycoses ; Dermatophytose ; Onychomycoses à moisissures ; Candidose ;


Pityriasis versicolor ; Trichosporonose

Plan  Dermatophytie
■ Introduction 1 Les dermatophyties sont des infections fongiques cutanées cau-
■ Dermatophytie 1 sées par des champignons filamenteux, les dermatophytes qui ont
Agents pathogènes 1 une affinité pour la kératine contenue dans la couche cornée de la
Formes cliniques 2 peau et les phanères (épiderme, ongles, poils, cheveux). Les der-
Prise en charge thérapeutique des infections à dermatophytes 6 matophytes peuvent infecter l’homme et les animaux selon les

espèces et être responsables de lésions superficielles. Ces mycoses
Onychomycoses à moisissures 7
représentent un motif très fréquent de consultation en médecine
Traitement des onychomycoses à moisissures 8
de ville.
■ Candidoses 8
Facteurs de risques – Facteurs favorisants 8
Physiopathologie 8 Agents pathogènes
Présentation clinique des lésions 8
Diagnostic biologique des infections à Candida 9 Les dermatophytes sont des pathogènes stricts, non présents sur
Prise en charge thérapeutique des candidoses 10 la peau en l’absence d’infection. Ces champignons appartiennent
■ Infections à Malassezia 10 à trois genres majoritaires en pathologie humaine : Trichophyton,
Épidémiologie 10 Microsporum et Epidermophyton [1] .
Physiopathologie 10
Présentation clinique 11 Modes de contamination
Diagnostic biologique 11
L’origine de la contamination peut être humaine (espèces
Prise en charge thérapeutique 11
anthropophiles), animale (espèces zoophiles) ou tellurique
■ Trichosporonoses 12 (espèces géophiles).
La contamination interhumaine est la plus fréquente,
par contact interhumain direct (sport de contact) ou par
l’intermédiaire des sols contaminés par des squames infectés (salle
de bains, salles de sport, douches collectives, piscines, etc.), mais
 Introduction aussi par des objets divers (peignes, brosses, bonnets, tondeuses,
vêtements, chaussettes, etc.) pouvant être contaminés et donc
Les mycoses cutanéomuqueuses chez le sujet immunocompé- contaminant via des squames contenant des spores ou des fila-
tent sont de deux ordres : les dermatophytoses, pseudodermato- ments fongiques.
phytoses (et plus rarement onychomycoses à moisissures) causées La contamination animale peut se faire par contact direct
par des champignons filamenteux et les levuroses causées par des (caresses) ou indirect par les poils de l’animal infecté. Les ani-
levures, éléments unicellulaires : malassezioses et candidoses. maux de compagnie, les petits rongeurs ou les animaux d’élevage
Ces affections cutanées sont un motif fréquent de consultation peuvent être porteurs de lésions plus ou moins visibles. Certains
en médecine de ville et en dermatologie. animaux sont porteurs sans lésions.

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(19)41532-9
2-0740  Dermatomycoses

Tableau 1.
Écologie des principales espèces de dermatophytes rencontrées en France (d’après [2] ).
Transmission Espèces Zones d’infections préférentielles
Espèces anthropophiles Trichophyton rubrum Ongles, pieds, plis
Trichophyton interdigitale Ongles, pieds, plis
Trichophyton tonsurans Cuir chevelu, peau glabre
Microsporum audouinii var. langeronii Cuir chevelu, peau glabre
Trichophyton soudanense Cuir chevelu, peau glabre
Epidermophyton floccosum Grands plis
Trichophyton violaceum Cuir chevelu, peau glabre
Trichophyton schoenleinii Cuir chevelu
Espèces zoophiles Microsporum canis (chat, chien) Cuir chevelu, peau glabre
Trichophyton mentagrophytes (chat, lapin, cheval) Cuir chevelu, peau glabre
Trichophyton benhamiae (cochon d’inde) Cuir chevelu, peau glabre
Microsporum persicolor (petits rongeurs) Peau glabre
Microsporum praceox (cheval) Peau glabre
Microsporum equinum (cheval) Peau glabre
Microsporum nanum (porc) Peau glabre
Trichophyton erinacei (hérisson) Peau glabre
Trichophyton verrucosum (bovins) Peau glabre
Trichophyton gallinae (volaille) Peau glabre
Espèces géophiles (telluriques) Microsporum gypseum Cuir chevelu, peau glabre
Microsporum fulvum Cuir chevelu, peau glabre
Trichophyton ajelloi Cuir chevelu, peau glabre
Trichophyton terrestre Cuir chevelu, peau glabre

La contamination peut plus rarement se faire par une origine


tellurique, suite à un traumatisme ou à la souillure d’une plaie
contaminée par un dermatophyte présent au niveau du sol.
Les principales espèces rencontrées en France sont listées dans
le Tableau 1.

Formes cliniques
Les manifestations cliniques d’une infection à dermatophytes
sont variées, elles sont étroitement corrélées au tropisme du
champignon impliqué ainsi qu’au mode de contamination. Géné-
ralement, ces infections se limitent aux tissus superficiels mais,
dans de rares cas, elles peuvent être plus profondes [3–6] .

Onychomycose : Tinea unguinum


Cette infection fongique communautaire représente
aujourd’hui 50 % des pathologies touchant les ongles et sa
prévalence est estimée à 5,5 % sur l’ensemble du globe.
Les onychomycoses sont principalement dues aux dermato-
phytes (85 %), néanmoins, des levures du genre Candida, des
pseudodermatophytes du genre Scytalidium ainsi que des moisis- Figure 1. Onychomycose à départ distal (cliché du Dr M. Bender-
sures des genres Acremonium, Scopulariopsis, Aspergillus ou encore douche).
Fusarium peuvent en être la cause mais de façon moins fréquente.
Les champignons les plus fréquemment retrouvés parmi les der-
matophytes sont T. rubrum (71–88 %) et T. interdigitale (9–22 %). Forme proximale
Les onychomycoses concernent principalement les ongles de Cette forme est observée principalement chez le patient immu-
pied, du fait de la contamination favorisée au niveau des pieds. nodéprimé. Elle se présente initialement comme une tache
Elles sont régulièrement associées à une atteinte de la plante et blanchâtre à la base de l’ongle, évoluant vers une atteinte de toute
des espaces inter-orteils. la surface de l’ongle (Fig. 2).
L’atteinte des ongles des mains est moins fréquente et elle est
souvent due à Candida sp. Leuconychies
Impactant initialement la surface de l’ongle, les leuconychies
Forme latérodistale se présentent sous la forme de ponctuations blanches de tailles
Forme d’onychomycose la plus fréquente, elle débute par variables, progressivement confluentes. Elles sont majoritaire-
une atteinte de l’hyponychium, extrémité distale de l’ongle. Le ment dues à T. interdigitale mais également en cas d’infection par
champignon entraîne une hyperkératose sous-unguéale, un décol- les moisissures du genre Fusarium (Fig. 2).
lement de l’extrémité distale puis la lyse de l’ongle. En évoluant Diagnostic différentiel de l’atteinte dermatophytique des
sur plusieurs années, cette forme conduit à une onychodystrophie ongles : onychomycose à moisissure, onyxis à Candida, psoriasis,
totale (Fig. 1). lichen, traumatismes.

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Dermatomycoses  2-0740

Figure 4. Syndrome « one hand, two feet » (cliché du Dr M. Bender-


douche).
Figure 2. Leuconychie (cliché du Dr M. Benderdouche).

Figure 5. Dyshidrose plantaire (cliché du Dr M. Benderdouche).

classique nécessite une recherche systématique des lésions au


niveau des pieds (Fig. 4).

Dyshidrose plantaire
Des formes inflammatoires, bulleuses ou vésiculeuses peuvent
être observées chez les patients diabétiques, immunodéprimés
ou après application de corticoïdes sur des lésions préexistantes
Figure 3. Intertrigo inter-orteil (cliché du Dr M. Benderdouche).
(Fig. 5).

Dermatophytoses des pieds et inter-orteils Dermatophytose de la peau glabre : Tinea corporis


Les dermatophytes trouvent au niveau des pieds les conditions Intertrigo des grands plis
optimales à leur développement. La prévalence de ces atteintes, En raison de la macération qui s’y produit, les plis inguinaux,
estimée à 4,4 % dans la population générale, augmente avec interfessiers et plus rarement les autres grands plis (axillaires,
l’âge et toucherait plus fréquemment l’homme que la femme. sous-mammaires et abdominaux) peuvent être le siège de derma-
Les métiers et activités favorisant la macération au niveau des tophytoses.
pieds sont plus exposés : soldats, professions nécessitant le port Les lésions sont érythématosquameuses souvent prurigineuses,
de chaussures de sécurité, sportifs, etc. avec bordures inflammatoires squameuses. Deux espèces sont
principalement responsables : T. rubrum et Epidermophyton floc-
Intertrigo interdigitale cosum.
L’intertrigo se présente sous plusieurs formes : fissure desqua- Diagnostics différentiels des atteintes des grands plis : inter-
mante, macération ou sous forme couenneuse, préférentiellement trigos à Candida, psoriasis, érythrasma, qui est un intertrigo à
au niveau du dernier espace inter-orteil et gagne ensuite les autres corynébactéries ayant la particularité de donner une fluorescence
espaces inter-orteil, la plante du pied ainsi que les ongles (Fig. 3). corail à l’examen en lumière de Wood.

Tinea pedis plantaire Dermatophytie circinée


Les atteintes plantaires sont généralement asymétriques, sous Aspect de lésions érythémateuses concentriques, à extension
forme érythématosquameuses, d’hyperkératose, et souvent pruri- centrifuge. La bordure forme un anneau inflammatoire. En fonc-
gineuses. L’extension sur toute la surface est progressive aux bords tion des circonstances de contamination, toutes les parties de la
du pied et parfois sur le dos du pied. peau glabre peuvent être concernées.
En cas d’infection unilatérale d’une main, il convient d’exclure Diagnostic différentiel des atteintes de la peau glabre : eczéma
la présentation clinique « une main, deux pieds ». Cette forme nummulaire, eczématide, pytiriasis rosé de Gibert.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


2-0740  Dermatomycoses

Figure 6.
A, B. Tinea incognito, lésions transformées par
l’application de corticoïdes (cliché du Dr M. Ben-
derdouche).

A B

Figure 8. Teigne microsporique à grande plaque (cliché du Dr M. Ben-


derdouche).

Figure 7. Tinea gladiatorum, chez un jeune homme pratiquant le judo


(cliché du Dr M. Benderdouche).
Les dernières décennies ont été marquées par le déclin des
teignes d’origine zoophile à Microsporum canis au profit de celles
causées par des espèces anthropophiles surtout dans les zones
Tinea incognita
urbaines. En France, trois espèces sont responsables de 95 % des
L’application de corticoïdes topiques (favorisant l’extension du cas : T. tonsurans, Trichophyton soudanense et Microsporum audouinii
champignon) sur les lésions de la peau glabre peut conduire à une var langeronii. Le mode de contamination est plus souvent fami-
modification de la présentation clinique avec un aspect extensif lial notamment par le partage des objets de coiffage (tondeuses), et
et profus des lésions. également communautaire (coiffeur) même si des épidémies sont
Cet usage inadapté peut être involontaire en cas de prescription possibles en collectivité. En zones rurales, les espèces zoophiles
liée à une confusion sur des lésions prises à tort pour de l’atopie sont plus fréquemment rencontrées.
(Fig. 6A, B), ou volontaire à but cosmétique pour l’éclaircissement Les manifestations cliniques de la teigne du cuir chevelu
de la peau notamment. peuvent aller de la simple plaque squameuse d’alopécie avec un
cheveu cassé court mais conservé, à de grandes plaques inflamma-
Tinea gladiatorum toires induisant une alopécie irréversible. La forme clinique de la
Dermatophytie circinée retrouvée chez les sportifs pratiquant teigne est conditionnée par le type de parasitisme pilaire, propre
des sports de contact (arts martiaux). Cette infection, essentielle- à chaque dermatophyte.
ment à Trichophyton tonsurans, est transmise par contact entre les Quatre grands types de teignes se distinguent classiquement :
sportifs et peut être à l’origine d’épidémie au cours des compéti- • teignes tondantes microsporiques (fluorescence verdâtre à
tions (Fig. 7). l’examen en lumière de Wood le plus souvent positif),
M. audouinii var langeronii, Microsporum ferrugineum et M. canis
principalement responsables (Fig. 8) ;
Teignes et sycosis : Tinea capitis et Tinea barbae • teignes tondantes trichophytiques (examen en lumière de
Ces dermatophytoses touchent principalement l’enfant, pré- Wood négatif). Forme de teigne la plus fréquente, avec de
pubère [7] . nombreuses plaques d’alopécie de petite taille, croûteuses,

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Dermatomycoses  2-0740

Figure 11. Plaques d’alopécie persistantes consécutives à l’application


inadaptée de corticoïdes sur des lésions de teigne (cliché du Dr M. Ben-
derdouche).
Figure 9. Teigne trichophytique à petites plaques squamocroûteuses
(cliché du Dr M. Benderdouche).
(notamment par traction), fausse-pelade, lichen plan, abcès du
cuir chevelu et impétigo.
Sycosis
Atteinte inflammatoire de la barbe et/ou de la moustache, le
sycosis est cliniquement très proche du kérion et les mêmes
espèces en sont responsables.
Folliculite
Exception faite des poils pubiens et axillaires, tous les follicules
pileux peuvent être atteints par les dermatophytes. La folliculite
est caractérisée par des nodules érythémateux, centrés sur le poil.

Formes cliniques rares


Granulome de Majocchi
Formation nodulaire sous-cutanée, adhérente à la peau et
mobile sur les plans profonds, consécutive à une infection à
T. rubrum. Classiquement localisé au niveau des jambes, il s’agit
d’une évolution nodulaire granulomateuse d’une dermatophytie
folliculaire en l’absence de traitement ou après application d’une
corticothérapie. Le rasage et l’épilation semblent être un facteur
de risque d’apparition du granulome, majoritairement rencontré
chez les femmes. On note une nette prédominance des formes
liées à l’application de corticoïdes sur dermatophytie méconnue
(Tinea incognita).
Maladie dermatophytique
Elle résulte d’un envahissement des tissus profonds, c’est une
Figure 10. Teigne inflammatoire avec lésions suppurées (cliché du
dermatophytie généralisée et chronique avec des localisations
Dr M. Benderdouche).
secondaires dermo-hypodermiques, ganglionnaires et viscé-
rales. Cette forme, retrouvée principalement chez des patients
nord-africains, résulte du déficit en CARD9 (caspase-associated
T. soudanense, Trichophyton violaceum et T. tonsurans, trois recruitment domain 9), suite à une mutation à transmission auto-
espèces anthropophiles principalement (Fig. 9) ; somique récessive, du gène codant pour cette protéine [6] .
• teignes inflammatoires, appelées kérions, plaque inflamma-
toire, sous forme de « macaron » inflammatoire, suppurée Mycétomes
et douloureuse. Les espèces zoophiles, Trichophyton mentagro- Tumeurs inflammatoires chroniques et polyfistulisées dont les
phytes et Trichophyton verrucosum sont plus fréquemment en dermatophytes sont une des rares étiologies possibles.
cause, mais d’autres espèces anthropophiles peuvent être res- Dermatophytides
ponsables. Lésions érythématovésiculeuses, localisées ou généralisées, à
Les teignes inflammatoires sont favorisées par une prescription distance d’une dermatophytose. Il s’agit de réactions allergiques
inadaptée de corticoïdes topiques sur les lésions fongiques mécon- dues à la libération dans le sang de substances allergisantes issues
nues (Fig. 10). du métabolisme du champignon.
En cas de présentation de lésions squameuses, croûteuse, ou
d’une alopécie compatible avec le diagnostic de teigne chez un Diagnostic biologique des dermatophytoses
enfant, la prescription de corticoïdes doit être différée afin de réali-
ser un prélèvement mycologique permettant d’exclure l’infection.
et onychomycoses à moisissures
L’application de corticoïdes sur une infection à dermatophyte En sus d’un interrogatoire minutieux afin de déterminer
du cuir chevelu peut être responsable d’une alopécie définitive l’origine de la contamination, un prélèvement mycologique est
(Fig. 11). souhaitable (sauf pour un intertrigo inter-orteils isolé) afin de
• teigne favique, exceptionnelle de nos jours, une seule espèce s’assurer qu’il s’agit bien d’une infection à dermatophyte, car les
anthropophile en est responsable : Trichophyton shoenleinii. lésions cliniques ne sont pas toujours typiques.
L’infection à T. shoenleinii est retrouvée dans certains pays du Ce prélèvement est à considérer comme indispensable avant
Maghreb et peut être responsable d’une alopécie définitive. la prescription d’un traitement systémique aux effets indésirables
Diagnostics différentiels des lésions du cuir chevelu : pelade, potentiels. Le prescripteur doit s’assurer que le recours à un anti-
fausse teigne amiantacée, alopécie traumatique et cicatricielle fongique systémique est justifié par l’infection. Le prélèvement

EMC - Traité de Médecine Akos 5


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permettra donc de confirmer l’infection et d’identifier le champi- Le milieu recommandé par la Société française de mycolo-
gnon responsable [2, 3, 8] . gie médicale pour la culture des dermatophytes est la gélose de
La confirmation de l’infection permettra d’évaluer la durée de Sabouraud, additionné d’antibiotique (gentamycine et chloram-
traitement nécessaire et la molécule antifongique à utiliser. Les phénicol), ainsi que de cycloheximide à 0,5 g/l pour limiter la
pseudodermatophytes, tel que Scytalidium dimidiatum, ne sont pousse de moisissures.
pas sensibles aux antifongiques usuels pour le traitement des Les dermatophytes ont une croissance lente, les cultures sont
dermatophytoses ainsi que les moisissures parfois responsables incubées quatre semaines entre 25 ± 2 ◦ C.
d’onychomycoses [2, 5, 8, 9] . Identification de l’espèce de dermatophyte obtenu en culture
Le prélèvement doit être effectué par un clinicien ou un biolo- peut être réalisée de différentes façons :
giste entraîné à ce type de prélèvement. La qualité du prélèvement • identification phénotypique par observation des caractéris-
conditionne les résultats de laboratoire. Le prélèvement doit idéa- tiques macroscopique et microscopique des colonies :
lement être réalisé avant la prise de tout traitement antifongique ◦ examen macroscopique des cultures : l’aspect des colonies,
ou, à défaut, après trois semaines d’abstention thérapeutique le relief, la couleur de l’endroit comme de l’envers et la pré-
pour la peau et les cheveux ou après trois mois pour les ongles. sence d’un pigment diffusible sont autant d’éléments qui
Tous les prélèvements doivent être acheminés rapidement au orienteront le diagnostic d’espèce,
laboratoire en contenants stériles. La feuille de demande accompa- ◦ examen microscopique des cultures : l’appréciation des carac-
gnant les prélèvements doit fournir des renseignements cliniques téristiques microscopiques des champignons nécessite le
pertinents, en particulier la notion de préexpositions aux antifon- montage d’un fragment de culture coloré au bleu lactique
giques, susceptibles de modifier la qualité de l’analyse. entre lame et lamelle. La technique en drapeau de Roth
consiste à déposer un morceau de ruban adhésif à la surface
Lésions de la peau glabre
de la colonie. Les espèces sont différenciées selon plusieurs
Le prélèvement devra être réalisé en périphérie de la lésion par critères ;
grattage et les squames seront recueillies. Un écouvillonnage des • l’identification peut être réalisée à l’aide de la spectrométrie de
lésions peut être réalisé après grattage si les squames obtenues masse MALDI-TOF (Matrix Assisted Laser Desorption Ionisation
après grattage s’avèrent insuffisantes. - Time of Flight) sur colonie. Les bases MALDI-TOF dispo-
Lésions du cuir chevelu nibles ont maintenant intégré les espèces usuelles responsables
Les lésions du cuir chevelu sont à examiner à la lampe de d’infections [10] ;
Wood dans l’obscurité. L’émission d’une lumière ultraviolette per- • l’identification du dermatophyte par biologie moléculaire PCR
met de visualiser une fluorescence des cheveux en cas de teignes (Polymerase Chain Reaction) et séquençage sur colonie. Le
microsporiques (vert clair) ou faviques (vert foncé), qui n’est pas séquençage peut être utilisé pour le diagnostic et pour les études
observable pour les teignes trichophytiques et inflammatoires. phylogénétiques et épidémiologiques [11, 12] .
Une dizaine de poils ou cheveux seront récoltés à la pince à épiler Plusieurs kits de PCR quantitative sont disponibles dans le
stérile, au niveau de la zone suspecte, qui sera ensuite grattée et commerce pour un usage directement sur prélèvement. Le nombre
écouvillonnée pour en récupérer les squames et les cheveux cas- d’études sur leurs performances et le coût à supporter par le patient
sés et parasités. En cas de teigne dans une famille, il est conseillé est à ce jour réduit, ces actes diagnostics n’étant pas encore inscrits
de dépister toute la fratrie, ainsi que les parents. En cas d’absence à la nomenclature de biologie médicale.
de lésions chez les sujets contacts, un prélèvement à l’écouvillon
peut être réalisé afin de mettre en évidence un éventuel portage
« sain ». Prise en charge thérapeutique des infections
Lésions des ongles à dermatophytes
Dans les atteintes distales, le prélèvement doit être effectué au Le choix thérapeutique sera conditionné par le type d’atteinte,
niveau de la délimitation entre la partie saine et la partie malade. l’étendue des lésions, l’espèce de dermatophyte impliquée et les
Pour se faire, la périphérie doit être préalablement éliminée. Le antécédents médicaux du patient afin de s’assurer de l’absence
lit de l’ongle sera alors raclé pour en recueillir le matériel. Les de contre-indication [13, 14] . Les dermatophyties atteignant les fol-
leuconychies seront prélevées par grattage de la surface atteinte. licules pileux (teigne, sycosis et folliculite) ainsi que les formes
Examen direct étendues ou récidivantes nécessitent un traitement par voie géné-
L’examen direct permet d’apporter rapidement une première rale (griséofulvine, terbinafine ou itraconazole).
réponse au clinicien. Celui-ci décidera d’entreprendre un traite- La durée de traitement est déterminée par le type d’atteinte,
ment en tenant compte de ce premier résultat, sachant qu’un elle peut varier de deux semaines à plusieurs mois. La motiva-
examen direct négatif ne peut exclure une dermatophytose. Le tion du patient est indispensable pour le succès thérapeutique.
prélèvement est déposé sur une lame et mis au contact d’un Il est nécessaire de bien préciser au patient les durées de traite-
agent éclaircissant contenant de la potasse. Ce dernier dégrade ment, ces modalités, les effets indésirables éventuels et le long
la kératine et facilite la visualisation des éléments fongiques au délai nécessaire à la guérison.
microscope. Il peut être associé à un fluorochrome (calcofluor) L’identification de l’espèce impliquée permettra de déterminer
ou à un colorant (noir chlorazole) afin d’augmenter la sensibilité l’origine de la contamination afin de prévenir, si possible, un nou-
de l’examen direct. En fonction du colorant utilisé, l’observation vel épisode.
des squames ou de fragments d’ongles au microscope optique,
au microscope en contraste de phase ou au microscope à fluores- Traitements locaux
cence, révèlera ou non la présence de filaments mycéliens hyalins,
irréguliers et septés. L’examen direct des cheveux parasité permet Les traitements locaux topiques peuvent être suffisants pour
de déterminer le type de parasitisme pilaire : parasitisme endo- le traitement d’un intertrigo débutant et/ou d’une atteinte de la
thrix quand les spores du champignon sont observées à l’intérieur plante. Ils ne sont pas recommandés pour les onychomycoses
de la gaine pilaire, versus parasitisme ectothrix, quand les spores sauf en cas de contre-indication à un traitement systémique, ou
sont observées à l’extérieur de la gaine du cheveu. lorsque l’atteinte est très distale et limitée. Dans le cas d’un traite-
ment local, l’avulsion chimique par l’urée couplée au bifonazole
Mise en culture (Amycor onychoset® ) améliore les résultats du traitement. Les
L’identification du dermatophyte conditionne les mesures principaux agents utilisés sont l’amorolfine, le ciclopirox et les
d’hygiène nécessaires pour éviter sa transmission ou pour élimi- azolés en topique.
ner les sources de réinfection. La culture est indispensable mais Pour les traitements systémiques, les molécules de choix sont
présente un manque de sensibilité, le taux de cultures faussement la terbinafine, la griseofulvine (pour les espèces de dermatophyte
négatives est estimé à environ 30 % en rapport avec la qualité du d’origine animale et les espèces microsporiques ainsi que les
prélèvement et la présence d’un éventuel traitement antifongique teignes chez l’enfant), l’itraconazole et le fluconazole. La prise
préalable pouvant inhiber la pousse du champignon. en charge des infections à dermatophytes est résumée dans le

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Dermatomycoses  2-0740

Tableau 2.
Prise en charge thérapeutique des dermatophytoses.
Zone atteinte Traitements possibles Posologie–durée Effets indésirables Mesures additionnelles
(adulte si non précisé)
Peau glabre Topique : crèmes 1 application/j pendant Lutte contre les facteurs
4 semaines favorisant la macération
Ciclopiroxolamine, Décontamination des
imidazolés, terbinafine vêtements par lavage à 60 ◦ C
Décontamination des
Systémique :
vêtements non lavables à
Terbinafine 250 mg/j pendant 2 à Troubles digestifs 60 ◦ C (poudre imidazolé,
4 semaines (agueusie rare) ciclopirox)
Itraconazole 2 × 100 mg/j pendant 2 Interactions +++
à 4 semaines (ciclosporine,
rifampicine,
tamoxifène, etc.)
Griseofulvine 1 g/j pendant Photosensibilisation
4 semaines
Ongle Topique : si atteinte distale 1 application/j pendant Voir ci-dessus Décontamination des
ou superficielle limitée à 3 mois (ongles mains) chaussures, du matériel de
un ou deux ongles sans et 6 mois (ongles des pédicurie
autres atteintes associées pieds) Décontamination des sols,
Solution filmogène tapis et sanitaires au
amorolfine, ciclopirox contact
Parfois, utilisation 1 fois/j pendant
préalable d’Amycor 3 semaines, avant
onychoset® : solution solution filmogène
avulsive bifonazole-urée
Systémique : si atteinte 3 mois pour les ongles
matricielle ou multifocale des mains, 6 mois pour
les ongles des pieds
Terbinafine 250 mg/j
Itraconazole 2 × 100 mg/j
Fluconazole 200 mg/semaine
Plante des pieds Topique : crèmes 1 application/j Voir ci-dessus Lutte contre les facteurs
Si dyshidrose Ciclopirox olamine, pendant 4 semaines favorisant la macération
imidazolés, terbinafine Décontamination des sols,
tapis et sanitaires au
Systémique : 250 mg/j pendant 2
contact
Terbinafine à 4 semaines
Cuir chevelu Systémique : Dépistage et traitement
Griseofulvine : seule AMM Enfants : 20–25 mg/kg Photosensibilisation éventuel de la famille, cas
en pédiatrie (action pendant 6 à 8 semaines Rares neutropénies (si groupés, etc.
également 1 g/j chez l’adulte > 3 mois) Désinfections des outils de
anti-inflammatoire) pendant 6 à 8 semaines coiffures (tondeuses, etc.)
et linges au contact
Terbinafine 250 mg chez l’adulte
(bonnet, écharpe)
pendant 4 semaines
Ajout de flammazine si
Associé à un traitement lésions croûteuses ou
Topique : crèmes, suppuratives (kérion)
émulsions, lotions Pas d’éviction une fois sous
Ciclopiroxolamine, 1 application/j pendant traitement
imidazolés 4 à 6 semaines

AMM : autorisation de mise sur le marché.

Tableau 2 avec mentions des principaux effets secondaires et inter- Le dépistage de la fratrie et du portage éventuel du dermato-
actions. phyte chez les parents est également nécessaire afin de s’assurer
La dyshidrose trichophytique plantaire justifie un traite- de l’absence de diffusion dans la famille. Un traitement simul-
ment systémique en raison de son caractère inflammatoire et tané des frères et sœur infectés, ou porteurs sains, est nécessaire si
d’évolution chronique pour une durée d’au moins un mois. plusieurs cas sont diagnostiqués.
La terbinafine à 250 mg/j pendant six mois chez l’adulte est Pour les lésions très inflammatoires (kérions), un contrôle de
l’antifongique le plus efficace dans le traitement des onychomy- l’évolution des lésions après un mois de traitement est souhai-
coses. Concernant le fluconazole, le dosage recommandé est de table.
150 à 300 mg par semaine. La durée du traitement doit être prolon- En France, la griseofulvine au dosage de 20 à 25 mg/kg par
gée pour les ongles des orteils de 6 à 8 mois ou jusqu’à la repousse jour est le traitement de choix pour une durée de 6 à 8 semaines
totale de l’ongle. associée à un traitement antifongique local.
L’enfant présentant une atteinte du cuir chevelu doit bénéficier
rapidement d’un traitement antifongique adapté afin de pouvoir
retourner en collectivité (école, crèche, etc.).  Onychomycoses à moisissures
Un certificat médical justifiant de la mise sous traitement peut
être réalisé afin de favoriser le retour en collectivité. Une fois sous Ces onychomycoses sont caractérisées par l’atteinte d’un seul
traitement, l’éviction scolaire n’est pas justifiée ni recommandée. ongle, isolément, parfois à la faveur d’un traumatisme (ou

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Figure 13. Intertrigo candidosique inguinal (cliché du Dr M. Bender-


douche).
Figure 12. Onychomycoses multiples à Scytalidium dimidiatum (cliché
du Dr M. Benderdouche).

participer au microbiote des muqueuses digestives et génitales


de microtraumatismes répétés liés aux chaussures, chaussures mais sont classiquement non retrouvées sur peau saine et donc
trop serrées ou chaussures spécifiques comme les crampons considérées comme pathogènes, de même que Candida tropica-
pour le football) souvent retrouvé à l’anamnèse. Il n’y a pas lis et Candida krusei (ces deux espèces étant beaucoup moins
de lésions associées des espaces inter-orteils ou des plantes, fréquemment rencontrées). Candida parapsilosis est pour sa part
sauf pour les pseudodermatophytes du genre Scytalidium. une levure commensale du revêtement cutané, considérée comme
L’immunosuppression peut favoriser le développement des ony- non pathogène sur la peau [3] .
chomycoses à moisissures.
La pousse des pseudodermatophytes et moisissures est inhibée
par la présence de cycloheximide. L’ensemencement systéma- Facteurs de risques – Facteurs favorisants
tique d’une gélose Sabouraud sans cycloheximide permettra de Les candidoses cutanéomuqueuses sont très fréquentes et favo-
les identifier de même que les moisissures parfois responsables risées par des facteurs locaux et généraux.
d’onychomycoses.
Les moisissures responsables d’onychomycoses isolées sont Facteurs locaux
Fusarium sp., Aspergillus sp., Acremonium sp. et Scopulariopsis brevi-
caulis principalement. Il est conseillé d’isoler la même moisissure Ces derniers exposent le revêtement cutané à des agressions
sur deux prélèvements successifs avant d’envisager que cette moi- répétées : les cuisiniers, plongeurs et personnels effectuant des tra-
sissure puisse être responsable de la lésion unguéale. L’observation vaux ménagers avec une exposition prolongée de la peau à l’eau
de filaments mycéliens évocateurs d’une moisissure est également sont à risque de développer des candidoses des mains. La macé-
un argument à l’examen direct en plus de la culture. ration (surpoids, vêtements synthétiques, etc.) favorise les lésions
Pour les scytalydioses, une atteinte des espaces inter-orteils, une des grands plis à type d’intertrigo et le port de chaussures dites
hyperkératose plantaire et/ou quelque fois palmaire peuvent être de « sécurité » favorisent également la macération au niveau des
associées et l’atteinte des ongles est souvent multiple (Fig. 12). pieds. Certains facteurs iatrogènes sont également favorisants :
Les champignons du genre Scytalidium (S. hyalinum et S. dimidia- application de corticoïdes en topiques, et corticoïdes inhalés pour
tum) sont des saprophytes du sol des régions tropicales, et très les patients asthmatiques.
fréquemment retrouvés chez les patients résidant dans les dépar-
tements d’outre-mer. Dans le cadre du diagnostic des scytalidioses, Facteurs généraux
un seul prélèvement positif est suffisant pour établir le diagnostic Diabète, grossesse, surcharge pondérale, âges extrêmes, cer-
biologique [8] . taines atteintes de l’immunité cellulaire en particulier au cours du
sida, corticothérapie et antibiothérapie à large spectre. Le traite-
ment ou la correction des facteurs favorisant est essentiel au cours
Traitement des onychomycoses à moisissures de la prise en charge.
À l’opposé des onychomycoses à dermatophytes, le traitement
local est indiqué pour les onychomycoses à moisissure, à base
d’amphotéricine B en préparation magistrale. Avant de proposer Physiopathologie
ce traitement, il est indispensable de confirmer le rôle pathogène Le développement des lésions de candidoses superficielles
de la moisissure au niveau unguéal. La présence de la moisis- résulte d’une interaction entre les levures et un site de l’hôte
sure est dit être confirmée par un examen direct positif et une devenu susceptible à l’infection selon une évolution en trois
culture positive retrouvant la même moisissure sur deux prélève- phases :
ments successifs. Après confirmation du diagnostic, le traitement • commensalisme : levure présente en équilibre au sein de la flore
à proposer est long et nécessite de bien expliquer ces modalités locale ;
au patient ainsi que la possibilité d’une coloration transitoire de • colonisation : multiplication de la levure en cas de conditions
l’ongle du fait de l’application du traitement. La durée du trai- locales favorables ;
tement peut varier de 9 à 18 mois jusqu’à repousse de l’ongle • infection : multiplication de la levure et possible filamentation
afin de s’assurer de la guérison. Cette préparation magistrale (pseudomycélium) selon l’espèce, adhésion et envahissement
d’amphotéricine B est appliquée quotidiennement sur l’ongle local à l’origine des lésions cutanéomuqueuses inflammatoires.
atteint après avulsion mécanique ou chimique de l’ongle.
Concernant les scytalidioses, un traitement de l’hyperkératose
est indiqué : kératolytique (comme la vaseline salicylée à 10 %), Présentation clinique des lésions
éventuellement associé à de la Fungizone® en application locale.
Candidoses cutanées
L’intertrigo à Candida peut siéger au niveau des plis inguinaux,
 Candidoses interfessiers, sous-mammaires et axillaires. Il est très souvent
symétrique. Il se présente comme un érythème suintant, lisse, avec
Le genre Candida compte de nombreuses espèces de levures sensation de cuisson, parfois douloureux, débutant au fond du pli
(autour de 200 espèces). puis avec extension progressive (Fig. 13). Les bords sont classique-
Candida albicans est la principale levure rencontrée en patholo- ment irréguliers et peuvent présenter des papules ou pustules. Le
gie humaine, suivie de Candida glabrata. Ces deux levures peuvent fond du pli est parfois recouvert d’un enduit blanchâtre.

8 EMC - Traité de Médecine Akos


Dermatomycoses  2-0740

• une forme érythémateuse sans dépôts blanchâtres est possible


et peut associer atrophie de la muqueuse et langue dépapillée
chez l’immunodéprimé ;
• une forme hyperplasique (« pseudotumorales ») : caractéri-
sée par la présence de lésions en plaques bourgeonnantes qui
peuvent être hyperkératosiques ou prendre un aspect papil-
lomateux, adhérentes. Forme observée chez les fumeurs, il
existerait un risque de transformation maligne.

Candidoses génitales
Motif de consultation extrêmement fréquent de la patiente
en période d’activité génitale, la candidose vulvovaginale est le
plus souvent due à une infection par C. albicans (75–80 %),
suivi de C. glabrata (20–25 %). Les facteurs favorisants sont la
Figure 14. Périonyxis à Candida albicans (cliché du Dr M. Bender- prise d’antibiotique récente, le diabète, le port de sous-vêtements
douche). serrés et peu respirants (macération). Les candidoses génitales
sont favorisées par l’imprégnation hormonale de la grossesse qui
entraîne des modifications de la flore microbienne locale. La
La candidose de la zone anale est souvent caractérisée par présentation clinique est un prurit intense, ainsi que des brû-
un prurit intense, sensation de cuisson et érythème suintant. lures vulvaires. La présence de leucorrhées est fréquente, le plus
Elle est fréquente chez les nourrissons, favorisés par la dermatite souvent blanche et d’aspect caillebotté. La patiente peut égale-
fessière, elle-même favorisée par la macération liée au port des ment se plaindre d’une dyspareunie et d’une dysurie consécutive
couches. à la candidose. L’examen des lésions retrouve un aspect œdé-
mateux et érythémateux de la vulve, les fissures sont possibles.
Onychomycoses à Candida L’évolution sous traitement antifongique est le plus souvent
favorable, cependant certaines patientes présentent des récidives
Les levures Candida peuvent être responsables (définies par au moins 4 épisodes annuels). Les candidoses vul-
d’onychomycoses, infections des ongles. L’onychomycose à vovaginales se développent à l’occasion de facteurs favorisants,
Candida est plus fréquente au niveau des ongles des mains que à partir des levures présentes dans la flore vaginale et ne sont
l’infection des ongles des pieds, du fait de l’exposition aux pas considérées comme des infections sexuellement transmis-
facteurs favorisants (contacts répétés avec l’eau, contact avec sibles.
les produits d’entretien, ports de gants favorisant la macéra- La candidose génitale de l’homme se manifeste par une bala-
tion, etc.). Les femmes présentent plus souvent ce genre de nite, associant érythème du gland et du prépuce. Des vésicules de
lésions en rapport avec les activités ménagères. Classiquement, petites tailles peuvent accompagner l’érythème. Une recherche de
l’onychomycose à Candida débute par une atteinte des tissus foyer candidosique de la partenaire peut s’avérer utile en cas de
péri-unguéaux (périonyxis). Elle se traduit par une tuméfaction portage chronique. La balanite candidosique est plus fréquente
tendue, érythémateuse, parfois douloureuse. La pression de chez le sujet diabétique et peut être l’occasion de la découverte
l’œdème fait sourdre une sérosité, voire du pus. L’atteinte de d’un diabète.
l’ongle est secondaire par invasion du bord proximal, puis du
bord libre avec un décollement de la tablette unguéale pouvant
intéresser toute l’épaisseur de l’ongle (Fig. 14). L’évolution peut Candidoses cutanéomuqueuses chroniques
aboutir à une onycholyse totale en l’absence de traitement. De candidoses cutanéomuqueuses d’évolution chronique
peuvent être observées chez des patients présentant des déficits
Candidoses muqueuses immunitaires spécifiques. L’étiologie la plus fréquente est liée à des
mutations de STAT1. En cas d’évolution atypique et chronique,
Candidoses oropharyngées parfois associée à d’autres types d’infections d’évolution chro-
Il est possible d’isoler des levures du genre Candida après pré- nique ou récidivantes, des investigations génétiques en centre
lèvement de la muqueuse de sujets sains. Ces levures peuvent spécialisé peuvent être envisagées afin de ne pas méconnaître ce
être présentes à l’état commensal. À l’occasion de facteurs favo- déficit.
risants, ces dernières vont se multiplier et être responsables de
lésions. Les candidoses muqueuses sont plus fréquentes aux âges
extrêmes de la vie, chez les nourrissons et personnes âgées. Les Diagnostic biologique des infections
facteurs favorisants sont nombreux, locaux : immaturité du sys- à Candida
tème immunitaire pour les nourrissons, altération de la muqueuse
(port de prothèses, atteinte ORL diverses, etc.), hyposialie, usage Les prélèvements doivent être réalisés par un médecin ou bio-
de corticoïdes locaux inhalés, mais aussi généraux : infection par le logiste formé, et acheminés en contenants stériles, rapidement
virus de l’immunodéficience humaine (VIH) non traitée, antibio- au laboratoire. La feuille de demande d’examen doit être complé-
thérapie, diabète, immunosuppresseurs, cancers et hémopathie, tée avec les renseignements cliniques pertinents, en particulier la
corticoïdes, malnutrition. notion de préexposition aux antifongiques.
La présentation clinique de candidoses oro-pharyngées peut Pour la peau, comme pour le prélèvement des dermatophytes,
prendre plusieurs formes : les lésions sont à gratter avec une curette si ces dernières sont
• la perlèche est une atteinte des commissures labiales avec squameuses. Les lésions des grands plis, volontiers douloureuses
inflammations locales et fissuration, le plus souvent bilatérale. et parfois peu squameuses, peuvent être prélevées à l’écouvillon
La perlèche peut être associée à une candidose oro-pharyngée ; stérile, idéalement avec milieu de transport. Les lésions unguéales
• la forme pseudomembraneuse « muguet » est la plus fréquente seront prélevées à l’interface entre zone saine et zone atteinte
et associe érythème de la muqueuse sur lequel apparaissent après découpage de la zone altérée. Si la lésion unguéale
des lésions blanchâtres qui peuvent devenir très extensives. s’accompagne d’un périonyxis, le prélèvement à l’écouvillon des
L’extension vers le pharynx et l’œsophage est favorisée par sérosités obtenues par pression du bourrelet érythémateux peut
l’immunodépression. Une sécheresse, la sensation d’un goût être suffisant.
métallique et la sensation de cuisson sont fréquemment rap- Pour les prélèvements muqueux, l’écouvillonnage est suffi-
portées par le patient atteint. L’extension de l’atteinte vers sant, avec en principe deux écouvillons (un pour réalisation
l’œsophage peut être responsable d’une dysphagie qui peut de l’examen direct, l’autre pour la mise en culture). L’usage
majorer une dénutrition préalable chez le patient immunodé- d’un écouvillon avec milieu de transport est préférable si
primé ; l’acheminement au laboratoire ne peut se faire rapidement.

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2-0740  Dermatomycoses

Tableau 3.
Prise en charge thérapeutique des candidoses.
Type d’atteinte Traitement antifongique Correction des facteurs favorisants
Périonyxis et onyxis candidosiques Antifongiques topiques ou solutions filmogènes Séchage minutieux des mains, limiter les soins
(imidazolé, cyclopiroxolamine, amorolfine) jusqu’à la de manucure
repousse saine de l’ongle après exérèse maximale des Conseiller le port de gant si activité
zones infectées professionnelle à risque (ménage, vaisselle, etc.)
Antiseptiques à ajouter en cas de périonyxis
Antifongiques systémiques parfois nécessaires
(fluconazole)
Candidoses cutanées, intertrigo Antifongiques locaux (imidazolés, polyènes, Traitement éventuel des foyers digestifs ou
candidosique cyclopiroxolamine) pendant 2 à 4 semaines génitaux
Formulation choisie en fonction des localisations et du Éliminer les facteurs favorisant la macération
type de lésions
Antifongiques systémiques parfois nécessaires
Candidose vaginale Traitement local par des azolés (ovule, capsule ou gel Pensez à conseiller à vos patientes le port de
vaginal). Un ovule le soir au fond du vagin pendant 3 sous-vêtements en coton (les matières
jours ou ovule monodose à libération prolongée synthétiques favorisent la macération) et de
En cas de vulvite, traitement sous forme de crème, vêtements amples pour la respiration cutanée
émulsion fluide ou lait
En cas de candidose vaginale récidivante, 1 ovule par
jour pendant 3 jours à partir du 19e ou 20e jour du
cycle pendant 4 à 6 mois
Traitement per os possible par fluconazole 150 à
300 mg (contre-indiqué chez la femme enceinte) en
une prise hebdomadaire pendant 6 mois
Candidose oropharyngée Antifongiques locaux (nystatine (Mycostatine® ), Bains de bouche avec une solution de
amphotéricine B, miconazole, fluconazole). La durée bicarbonate de sodium ou Bétadine® ORL, ou
du traitement est de 10 à 15 jours dans les formes Eludril®
aiguës et de 3 semaines dans les formes chroniques Désinfection soigneuse des prothèses dentaires

Examen direct Prise en charge thérapeutique des candidoses


L’examen direct du prélèvement entre lame et lamelle en micro-
En parallèle à la prise d’un traitement antifongique adapté,
scopie optique permet un diagnostic rapide si ce dernier s’avère
une correction des facteurs favorisant est nécessaire si cela est
positif. Un examen négatif n’élimine pas le diagnostic. Plu-
possible. Le traitement des candidoses cutanées fait le plus sou-
sieurs colorations permettent une mise en évidence des éléments
vent appel aux antifongiques locaux, l’utilisation d’antifongiques
fongiques : le noir chlorazol très utilisé antérieurement est pro-
systémiques peut toutefois s’avérer nécessaire dans certains cas
gressivement abandonné au profit de la potasse (KOH 10 %) ou
(Tableau 3).
de l’utilisation d’un mélange KOH 10 %–calcofluor ou fungifluor
permettant une observation au microscope à fluorescence. Les
levures apparaissent sous forme arrondie ou ovalaire, de 4 à 8 ␮m,
éventuellement bourgeonnantes. La présence de filaments oriente  Infections à Malassezia
vers les espèces capables de filamenter (C. albicans, C. parapsilosis,
C. krusei, C. tropicalis) et élimine ainsi C. glabrata, incapable de fila- Les levuroses à Malassezia sont des infections bénignes très fré-
menter. Les levures sont également visibles à la coloration MGG quentes. Les levures du genre Malasezzia sont commensales de la
et sont Gram positives. peau ce qui explique la fréquence des récidives, problématique
qu’il convient de bien expliquer au patient.
Les levures du genre Malassezia sont lipophiles et kératino-
Cultures et identification
philes bien adaptées de ce fait à un commensalisme du revêtement
Les levures du genre Candia peuvent croître sur de nombreux cutané.
milieux, cependant les milieux spécifiques à la mycologie addi-
tionnés d’antibiotiques, afin d’inhiber la pousse des bactéries,
sont préférables afin d’individualiser correctement les levures. Épidémiologie
Le milieu de Sabouraud additionné de chloramphénicol et de
La levure du genre Malassezia la plus fréquente en pathologie
gentamicine est le plus usuel. Les levures poussent assez vite
humaine est Malassezia furfur, qui semble être majoritairement
et les colonies sont classiquement visibles en 48 à 72 h après
responsable des lésions du pityriasis versicolor. D’autres espèces
incubation à 37 ◦ C. Les colonies apparaissent blanc crème sur ce
sont également rencontrées.
milieu et les espèces sont non discernables phénotypiquement.
Les milieux chromogènes permettent une orientation de l’espèce,
ou des espèces de levures en présence, en fonction de la couleur Physiopathologie
de la/des colonie(s). L’identification des espèces de levures peut
être réalisée à l’aide de différentes méthodes : l’utilisation des Les levures du genre Malassezia sont commensales de la peau,
critères phénotypiques de filamentation, et formation de chlamy- non contagieuses et peuvent proliférer sur l’épiderme à l’occasion
dospores, sur les milieux pauvres est progressivement abandonnée de facteurs favorisants :
ainsi que l’utilisation de galeries biochimiques analysant la fer- • teneur en acides gras et triglycérides élevée (peau « grasse »).
mentation de sucres. L’utilisation d’anticorps monoclonaux est Ceci peut être favorisé par un apport exogène lié à un usage
également délaissée au profit de la spectrométrie de masse de cosmétique de crème ou huile grasses ;
type MALDI-TOF qui est devenue la méthode de choix pour une • la sudation, favorisée par la chaleur et le taux d’humidité. Le
identification rapide et fiable des espèces de levures. pytiriasis versicolor est très fréquent en zones tropicales et sub-
Dans le cadre des infections superficielles, la réalisation d’un tropicales ;
antifongigramme pour évaluer la sensibilité aux antifongiques est • probable prédisposition génétique ;
limitée au cas d’échecs thérapeutiques ou de candidoses récidi- • modifications hormonales : grossesse, hypercorticisme ;
vantes. • certains cas d’immunodépression.

10 EMC - Traité de Médecine Akos


Dermatomycoses  2-0740

Figure 15. Pityriasis versicolor sur peau noire (cliché du Dr M. Bender-


douche).

Figure 17. Pityriasis versicolor trichophytoide (cliché du Dr M. Bender-


douche).

bien transparent appliqué sur les lésions est le plus souvent réa-
lisé. L’examen préalable des lésions en lumière de Wood permet
d’observer une fluorescence jaune qui peut aider à identifier les
zones à prélever.

Examen direct
Pour les lésions de pityriasis versicolor, l’examen direct du
scotch entre lame et lamelle permet d’observer des levures rondes,
ovoïdes ou en bouteilles de petites tailles (2–6 ␮m), regroupées
sous forme de grappe et associées à des filaments courts. Les fila-
ments ne sont pas retrouvés pour les lésions de pityriasis capitis
et de dermite séborrhéique. Pour les lésions de folliculites, on
observe les levures formant un manchon autour du poil infecté.

Figure 16. Pityriasis versicolor sur peau blanche (cliché du Dr M. Ben- Culture
derdouche).
La culture n’est pas nécessaire pour le diagnostic et est très rare-
ment effectuée en routine car elle nécessite des acides gras non
présents dans les milieux de cultures usuels. En cas de réalisa-
Présentation clinique tion d’une culture, le milieu de Sabouraud doit être additionné
Pityriasis versicolor d’huile d’olive pour permettre la croissance de cette levure. Le
milieu Dixon permet la pousse des levures du genre Malasse-
Le pityriasis versicolor est une dermatose étendue classique- zia. L’identification précise des espèces fait maintenant appel aux
ment au niveau du thorax et du cou caractérisée par des macules outils de biologie moléculaire.
colorées « chamois », finement squameuses à extension centri-
fuge. Certains patients présentent des formes achromiantes avec
lésions décolorées (Fig. 15, 16). Ces formes achromiantes peuvent Prise en charge thérapeutique
faire évoquer un vitiligo. Certains patients peuvent présenter des
lésions mimant une dermatophytie : pityriasis versicolor tricho- Le traitement du pytiriasis versicolor est simple, par application
phytoide (Fig. 17). Lorsque les macules sont colorées, elles ne se de kétoconazole en topique en gel moussant à 2 % à appliquer sur
pigmentent pas après exposition au soleil et peuvent donc appa- tout le corps ainsi que le cuir chevelu. Après application, le patient
raître en négatif suite au bronzage. doit laisser agir la solution moussante une dizaine de minutes
avant rinçage soigneux. Une seconde application est conseillée
après un délai d’une semaine. La récidive est très fréquente et
Folliculite à Malassezia l’application séquentielle trois ou quatre fois dans l’année per-
Infection des follicules pileux localisés le plus souvent au niveau met de limiter l’apparition des lésions favorisées par la chaleur
du tronc, fréquente chez les jeunes hommes. Les folliculites sont et la sudation en début d’été. L’alternative au kétoconazole est
également fréquemment rencontrées chez les sujets immunodé- l’usage de sulfure de sélénium en topique à raison de deux appli-
primés. cations par semaine pendant deux semaines. Pour les formes
extensives et squameuses, l’utilisation d’une solution détergente
comme le Mercryl Laurylé® ou un savonnage par Septivon® peut
Diagnostic biologique être conseillée avant usage de l’antifongique.
Pour le traitement de la dermite séborrhéique, de la folliculite
Prélèvement du dos ou du pytiriasis capitis, l’usage d’imidazolés topique, en
Le prélèvement peut être réalisé par grattage à la curette des crème pour la peau, sous forme de lotion pour le cuir chevelu
lésions mais quand la suspicion est forte, un test à la cello- peut être conseillé. La formulation shampoing de la ciclopirox
phane adhésive (scotch-test cutané) en sélectionnant un scotch olamine à 1,5 % est une alternative pour le pytiriasis capitis.

EMC - Traité de Médecine Akos 11


2-0740  Dermatomycoses

L’examen direct permet d’observer des levures autour des poils

“ Points essentiels prélevés et la culture permet l’identification de l’espèce respon-


sable. Le traitement consiste à l’application d’imidazoles topiques
associée à un rasage des poils.
• Les dermatomycoses sont très fréquentes et repré-
sentent un motif de consultation fréquent. Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs n’ont pas transmis de déclaration
• Les dermatophytes sont des champignons filamenteux de liens d’intérêts en relation avec cet article.
contagieux et sont les agents responsables les plus fré-
quents, cependant les onychomycoses à moisissures sont
possibles.  Références
• Devant toute atteinte du cuir chevelu chez l’enfant, le
diagnostic de teigne doit être évoqué et un prélèvement [1] Monod M. Récente révision des espèces de dermatophytes et de leur
réalisé afin de confirmer ou infirmer le diagnostic. nomenclature. Rev Med Suisse 2017;13:703–8.
• Ces infections sont bénignes mais nécessitent un trai- [2] Chabasse D, Pihet M. Les dermatophytes : les difficultés du diagnostic
mycologique. Rev Francoph Lab 2008;(n◦ 406):29–38.
tement spécifique et adapté qui sera prolongé pour les [3] ANOFEL. Parasitoses et mycoses des régions tempérées et tropicales.
atteintes unguéales. Paris: Elsevier Masson; 2014.
• Pour les candidoses, une correction des facteurs favo- [4] Badillet G. Dermatophyties et dermatophytes : atlas clinique et biolo-
risants est indispensable en parallèle du traitement. Pour gique. Paris: Éditions Varia; 1991.
le pityriasis versicolor, le patient doit être informé de la [5] Baran R, Hay RJ. Nouvelle classification clinique des onychomycoses.
J Mycol Med 2014;24:247–60.
fréquence des récidives.
[6] Lanternier F, Pathan S, Vincent QB, Liu L, Cypowyj S, Prando C, et al.
Deep dermatophytosis and inherited CARD9 deficiency. N Engl J Med
2013;369:1704–14.
En cas de récidives très fréquentes ou de lésions très extensives, [7] Vujovic A, André J, Salmon D, Harag S, Dangoisse C, Kolivras A.
l’usage du fluconazole en prise per os peut également être proposé Épidémiologie et prise en charge des teignes du cuir chevelu. Ann
au patient en traitement séquentiel à 200 mg par semaine pendant Dermatol Venereol 2014;141(Suppl. 12):S355.
2 à 3 semaines, ou itraconazole 200 mg/j pendant 2 à 3 semaines. [8] Chabasse D, Pihet M. Les onychomycoses à moisissures. J Mycol Med
2014;24:261–8.
[9] Moriarty BR, Hay R, Morris-Jones R. The diagnosis and management
 Trichosporonoses [10]
of tinea. Br Med J 2012;345:e4380.
L’Ollivier C, Ranque S. MALDI-TOF-based dermatophyte identifica-
tion. Mycopathologia 2017;182:183–92.
Infection cutanée causée par des levures cutanées saprophytes,
[11] Petinataud D, Berger S, Contet-Audonneau N, Machouart M.
du genre Trichosporon spp. dénommée « piedra blanche », for-
Molecular diagnosis of onychomycosis. J Mycol Med 2014;24:
mant des petites lésions blanches molles fixées aux poils ou aux 287–95.
cheveux. [12] de Hoog GS, Dukik K, Monod M, Packeu A, Stubbe D, Hendrickx
Trichosporon ovoides peut être responsable de lésions de la barbe M, et al. Toward a novel multilocus phylogenetic taxonomy for the
ou des cheveux, tandis que Trichosporon inkin est classiquement dermatophytes. Mycopathologia 2017;182:5–31.
retrouvé au niveau des poils du pubis. [13] Feuilhade de Chauvin M. Traitement des onychomycoses. J Mycol
Des formes invasives, bien que rares, sont possibles chez les Med 2014;24:296–302.
patients immunodéprimés. [14] Caumes E, Lanternier F. Mycoses superficielles. Paris: E. Pilly; 2018.

M. Gits-Muselli (Maud.gits-muselli@aphp.fr).
Laboratoire de mycologie, Hôpital Saint-Louis, AP–HP, Paris, France.
Université de Paris, Paris, France.
CNRS URA3012, Unité de mycologie moléculaire, Institut Pasteur, Paris, France.
S. Hamane.
M. Benderdouche.
Laboratoire de mycologie, Hôpital Saint-Louis, AP–HP, Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Gits-Muselli M, Hamane S, Benderdouche M. Dermatomycoses. EMC - Traité de Médecine Akos
2020;23(2):1-12 [Article 2-0740].

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12 EMC - Traité de Médecine Akos


 2-0795

Aspect psychologique des dermatoses


R. Malet, S.-M. Consoli, S.-G. Consoli

Résumé : Les dermatoses concernent un organe, la peau, tout à fait particulier en raison de ses liens
anciens, nombreux et complexes avec le psychisme. Ces liens contribuent en particulier à faire de la peau
un organe privilégié de la vie de relation. Les échanges tactiles précoces entre la mère et l’enfant sont
indispensables au développement somatique et psychique harmonieux de ce dernier. La peau participe
à la constitution d’une image de soi cohérente, accompagnée par les sentiments d’estime de soi et de
solidité des limites corporelle et psychique, ce qui définit le narcissisme de tout individu. Les études de
qualité de vie ont confirmé et commencent à quantifier l’importance du retentissement des dermatoses
sur la vie psychique des patients et parfois sur leur entourage.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Dermatoses ; Approche psychologique ; Relation médecin–malade ; Démarche psychosomatique ;


Troubles psychiques et peau

Plan • le diagnostic des manifestations cutanées associées à des


troubles psychologiques et psychiatriques sous-jacents ;
■ Introduction 1 • l’évaluation de l’importance du fardeau que constituent les
maladies dermatologiques, souvent chroniques et affichantes,
■ Dermatoses : un lourd fardeau 2 ce qui permet d’améliorer la démarche pouvant soulager le
■ Dermatoses associées à des troubles psychologiques 2 patient ;
Troubles psychiques à symptomatologie somatique et apparentés 3 • l’inscription de toute dermatose dans l’histoire du patient ;
Troubles obsessionnels–compulsifs et apparentés 3 • les implications d’une dermatose pour la relation médecin–
Dermatoses : expressions cutanées d’un trouble délirant 4 patient.
■ Comment prendre en compte l’aspect psychologique L’importance de la relation et de la communication médecin–
des dermatoses en consultation ? 5 patient va de soi dans de nombreuses situations cliniques, notam-
Écoute active et empathique : source de confiance 5 ment au cours des maladies chroniques (psoriasis, dermatite

atopique, eczéma, hidradénite suppurée, pelade, etc.) ou lors de
Implications thérapeutiques 6
l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Le questionnement éthique
■ Conclusion 6 (au sens de ce qui est la bonne action pour le patient singulier ren-
contré) s’articule avec cette démarche. La réflexion sur la relation
médecin–patient a pour but de mieux repérer les émotions, affects,
pensées qui apparaissent, plus ou moins consciemment, lors de la
 Introduction consultation, tant du côté du patient, que du côté du médecin.
Que ce dernier puisse repérer ses propres sentiments négatifs ou
L’approche psychologique des dermatoses implique autant à l’inverse positifs (notion de « contre-transfert »), est un point
médecins que patients. Toujours pertinente et utile, elle est indis- essentiel. Un médecin plus clairvoyant sera mieux à même de
pensable dans de très nombreuses situations cliniques. Si elle a comprendre les enjeux de la relation et infléchir le cours de cette
été historiquement influencée par la psychanalyse, elle bénéficie relation dans un sens qui soit favorable à la mise en place d’une
actuellement des apports d’autres disciplines telles que la neuro- relation médecin–patient harmonieuse et efficace. Cet élément est
immunologie, l’épidémiologie, les approches comportementales, également essentiel pour la confiance que le patient peut avoir en
la sociologie. Dans tous les cas, au cœur de l’approche psycho- son médecin, et pour tendre vers une observance de meilleure
logique des dermatoses se situe le psychisme de l’individu et en qualité.
particulier sa dimension inconsciente. Cette approche psycholo- L’hypothèse simpliste d’un facteur psychique qui serait la cause
gique est donc centrée sur l’écoute des malades considérés comme d’une pathologie somatique, notamment dermatologique, en
des individus dont les différences se comprennent à travers leur termes de profils de personnalité à risque ou d’événements de
histoire singulière. Les médecins sont en première ligne pour repé- vie déclencheurs, est peu ou pas étayée par l’épidémiologie. Elle
rer les liens complexes entre une maladie cutanée et la souffrance est beaucoup moins d’actualité de nos jours. En revanche, il
psychique d’un sujet porteur de cette maladie. semble acquis que des poussées évolutives de diverses dermatoses
Concernant l’approche psychologique des dermatoses, cinq puissent être favorisées, parmi d’autres facteurs, par des facteurs
aspects complémentaires se distinguent [1] : psychiques, et que ces derniers puissent infléchir, dans un sens
• le diagnostic des manifestations cutanées provoquées par les favorable ou défavorable, les comportements de santé, une fois
patient(e)s eux-mêmes, du fait de troubles psychologiques et une dermatose installée, et par conséquent intervenir dans son
psychiatriques sous-jacents ; c’est un problème peu fréquent, pronostic même.
mais dont le diagnostic et le traitement sont souvent difficiles Dans le grand public, les dermatoses sont souvent considérées
(Tableau 1) ; comme « psychologiques ». Cet aspect pourra être abordé avec les

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(19)41608-6
2-0795  Aspect psychologique des dermatoses

Tableau 1. Les taux de prévalence de l’idéation suicidaire, des dépressions


Manifestations cutanées associées et/ou provoquées par des troubles et des symptômes anxieux sont équivalents et même supérieurs
psychologiques. à ceux rencontrés lors de maladies somatiques pouvant mettre
1 - Troubles à symptomatologie somatique et apparentés le pronostic vital en jeu [2] . Ces résultats soulignent l’importance
de réaliser un dépistage de la dépression et d’apprécier la qualité
1.1. Trouble à symptomatologie somatique
de vie. Contrairement à certaines idées reçues, les maladies cuta-
- Prurit nées peuvent donc être plus invalidantes que d’autres maladies
- Glossodynie, stomatodynie, vulvodynie, etc. réputées graves.
1.2. Trouble apparenté au trouble à symptomatologie somatique De plus, l’altération de la vie sexuelle est très fréquente dans
- Dermatose factice, ancienne pathomimie le psoriasis [4] . Elle ne s’améliore que lorsque le traitement amé-
liore les scores de gravité de 90 % [5] . Cependant, à gravité égale,
2 - Troubles obsessionnels - compulsifs et apparentés
l’importance de l’altération de la qualité de la vie en général est
2.1. Troubles obsessionnels compulsifs : lavage des mains (effets très variable d’un sujet à l’autre. Les travaux montrent qu’outre
cutanés indirects) la sévérité, le siège et la durée du psoriasis lui-même, ce sont
2.2. Obsession d’une dysmorphie corporelle (ou les facteurs psychologiques et les sentiments de stigmatisation
« dysmorphophobie ») qui prédisent l’importance du handicap résultant de cette affec-
- préciser si avec ou sans conscience du caractère obsessionnel tion. L’évocation avec le patient de sa vie amicale, affective et
- voire avec une croyance délirante sexuelle, et la prise en compte de ces éléments (en particulier
lors du choix d’un traitement) sont déterminantes pour améliorer
2.3. Trichotillomanie
la qualité de vie du patient et la qualité de la relation médecin–
- arrachage répété aboutissant à une perte de cheveux, avec patient [4] .
tentatives d’arrêter
Enfin, insistons sur le fait que le caractère particulièrement
- l’arrachage entraîne une détresse significative ou une altération du chronique et affichant d’une dermatose ne doit pas faire mini-
fonctionnement socio-affectif miser, dans l’intensité du retentissement socioprofessionnel et
2.4. Dermatillomanie, anciennement « excoriations psychogènes » psychoaffectif de cette dermatose, le rôle de facteurs psycholo-
dont l’exemple le plus fréquent est l’acné excoriée (mêmes giques préexistants à la survenue de la maladie (par exemple
caractéristiques que la trichotillomanie) une fragilité narcissique). Certains patients auront ainsi tendance
2.5. Troubles obsessionnels compulsifs apparentés à rendre leur pathologie systématiquement responsable de leur
- Trouble évoquant l’obsession d’une dysmorphie corporelle, mais il souffrance psychique ou de leurs difficultés relationnelles, plu-
existe des défauts réels, avec tout de même une préoccupation tôt que de s’interroger sur le poids de leurs relations affectives
excessive précoces ou de leurs contraintes éducatives.
- Trouble évoquant la peur d’une dysmorphie corporelle mais sans La dermatite atopique modérée à sévère altère nettement la qua-
comportement répétitif en réponse aux préoccupations concernant lité de la vie. Les symptômes anxieux et dépressifs sont environ
l’apparence 1,5 à 3 fois plus fréquents que dans les groupes contrôles. La der-
matite atopique sévère entraîne une altération de la qualité de
- Comportements répétitifs centrés sur le corps (se ronger les ongles,
se mordre les lèvres ou la muqueuse des joues), avec tentatives
vie non seulement du patient, mais encore de la famille quand il
répétées d’arrêter et détresse significative ou altération du s’agit d’un enfant, de façon proportionnelle à l’index SCORAD-
fonctionnement social D. Le prurit et les troubles du sommeil, qui existent chez 60 %
des patients, aggravent les difficultés scolaires et les troubles de
3 - Dermatoses : expressions cutanées d’un trouble délirant
l’humeur [2, 3, 6] .
L’acné s’accompagne d’une augmentation de l’anxiété, mais
patients. Il est important de les aider à comprendre que le psy- aussi de symptômes dépressifs, d’idées suicidaires et une dimi-
chisme n’est pas la cause de la maladie. Cette démarche diminue nution de la fréquence des relations sexuelles [2] . L’altération de
le sentiment de culpabilité qui est une entrave à une bonne prise la qualité de vie serait d’autant plus importante que l’acné évolue
en charge. depuis longtemps, que l’âge avance et qu’il s’agit d’une femme [7] .
L’impact très fort de deux autres affections doit également être
 Dermatoses : un lourd fardeau connu des médecins : l’ulcère de jambe et l’hidradénite suppurée
(maladie de Verneuil).
De nombreuses études montrent l’importance du retentisse- Au cours du lupus cutané sans atteinte systémique ont été notés
ment psychoaffectif des maladies cutanées. Des affects anxieux des troubles de la personnalité de type évitante, dépressive et
et dépressifs avec des idées suicidaires, ainsi qu’un sentiment obsessionnelle-compulsive, deux fois plus fréquents [8] .
de stigmatisation et une atteinte marquée de l’estime de soi Il est intéressant de noter que les molécules mises en jeu
(avec sentiments de honte et attitudes d’évitement de situations dans les processus inflammatoires, comme l’interféron alpha,
anxiogènes : piscine, relations affectives et sexuelles, etc.) sont fré- les interleukines (IL)-2 et IL-6, le tumor necrosis factor (TNF)-␣,
quemment rapportés chez les sujets souffrant d’une dermatose, favorisent la dépression. De plus, les antidépresseurs tricycliques
quelle qu’elle soit. et les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine
Au cours du psoriasis, mais aussi au cours de l’eczéma, la der- ont des effets anti-inflammatoires et neuroprotecteurs. Enfin, les
matite atopique, l’acné, l’ulcère de jambe, le lupus cutané [2, 3] , substances ayant un effet anti-inflammatoire améliorent les symp-
de nombreuses études montrent que dépression, idéation suici- tômes dépressifs, de même que dans les dépressions bipolaires
daire, anxiété sont de fréquence nettement plus élevée que dans l’adjonction d’anti-inflammatoires aux antidépresseurs améliore
les populations témoins. l’effet de ces derniers. Enfin, les anti-TNF-␣ semblent améliorer la
Le psoriasis est une des affections qui, au sein des études réa- dépression. Dépression et réaction inflammatoire entretiennent
lisées à ce jour, représente le fardeau le plus lourd. Celui-ci est ainsi des réactions complexes et bidirectionnelles [9] .
d’autant plus important que [3] :
• certaines localisations sont concernées, par exemple visage et
organes génitaux, mais aussi mains, ongles et cuir chevelu ;
• le prurit est important ;  Dermatoses associées
• le sentiment de stigmatisation est fort ; à des troubles psychologiques
• le psoriasis est associé à une atteinte articulaire (20 à 30 %) ou
une comorbidité (obésité, hypertension artérielle [HTA], insuf- La classification nord-américaine des pathologies psychia-
fisance coronarienne, syndrome métabolique) ; triques nommée Diagnostic and Statistical Manual of Mental
• la dermatose est plus sévère, même si plusieurs études ont mon- Disorders classe, dans sa cinquième version (DSM V), ces troubles
tré une grande variabilité dans le retentissement d’atteintes de dermatologiques soit dans les troubles à symptomatologie soma-
même importance. tique, soit dans les troubles obsessionnels compulsifs. Le Tableau 1

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Aspect psychologique des dermatoses  2-0795

Sur le plan clinique, il s’agit le plus souvent, chez une femme,


d’ulcérations avec des formes linéaires ou géométriques à contours
nets. Parfois ce seront des bulles, hypodermites, œdèmes segmen-
taires. Les manifestations siègent à portée de la main dominante.
Le trouble factice renvoie à des dysfonctionnements psychiques
nettement plus graves que dans les autres troubles à symptoma-
tologie somatique (prurit, douleurs).
De diagnostic difficile à évoquer et à poser, il nécessite la pré-
sence de deux critères diagnostiques : le secret (le trouble est
dissimulé) et l’absence de motif rationnel précis. Cette dermatose
factice est provoquée le plus souvent dans un état de conscience
claire. La patiente dissimule sa responsabilité dans l’apparition
de ses lésions cutanées, car elle désire avant tout être considérée
comme une malade objet d’attention du corps médical. Lorsque
le diagnostic est posé, il est important de maintenir un lien théra-
peutique et de comprendre que la patiente n’a pas pour seul but
de nous manipuler.
En pratique, il faut se garder de vouloir obtenir l’aveu qui serait
Figure 1. Pathomimie. catastrophique sur le plan psychique. Il s’agit de « montrer »
que l’on sait, sans dire explicitement que l’on sait et de lui faire
comprendre qu’en aucun cas elle sera jugée sur la manière dont
résume cette classification. Détaillons les aspects les plus impor- elle exprime ses souffrances. Forcer l’aveu risque de provoquer
tants en dermatologie. une surenchère de lésions ou une décompensation psychologique,
parfois grave (le risque suicidaire est souvent présent).
Il n’y a pas une organisation spécifique de la personnalité mais
Troubles psychiques à symptomatologie le plus souvent une patiente borderline caractérisé par l’instabilité
somatique et apparentés et l’impulsivité. Cependant, le type de personnalité est un élé-
ment essentiel du pronostic, de même que les événements de vie
Troubles à symptomatologie somatique (une rencontre amoureuse pouvant influer, par exemple, sur le
Ils étaient anciennement nommés par les somaticiens : cours évolutif). Il est essentiel de collaborer avec un psychiatre.
« troubles fonctionnels » ou « symptômes médicalement inex- Pour obtenir que la patiente le consulte, il est souvent possible
pliqués ». de s’appuyer sur l’intérêt d’une telle consultation pour amélio-
Ils sont définis comme des plaintes concernant le fonction- rer la qualité de vie de la patiente en agissant sur les symptômes
nement de l’organe peau ou comme des sensations cutanées psychiques qu’elle ressent : dépression, anxiété, etc.
anormales soit sans substratum anatomique connu, soit avec un Le trouble factice doit être distingué [11] :
substratum n’expliquant pas l’intensité de la plainte. Il s’agit de • de la simulation qui est le second trouble secret produit
certains cas de prurit, sensations de douleurs, brûlures, paresthé- intentionnellement, mais cette production est motivée par un
sies, le plus souvent de la langue (glossodynie) ou de la muqueuse bénéfice : financier, juridique (échapper à des poursuites), etc. ;
vulvaire (vulvodynie). Ces symptômes entraînent une altération • des conduites pathologiques prenant pour cible la peau, mais
significative de la qualité de vie. non tenues secrètes : trichotillomanie et trichoteiromanie,
Ils s’accompagnent d’un des éléments suivants : onychophagie, morsure compulsive des lèvres ou des doigts,
• pensées persistantes et excessives concernant la gravité des dermatillomanie (traumatisme d’une peau normale ou quasi
symptômes ; normale avec les ongles ou des instruments tranchants).
• persistance d’un niveau élevé d’anxiété concernant la santé ou
les symptômes ;
• temps et énergie excessifs dévolus à ces symptômes ou aux pré- Troubles obsessionnels–compulsifs
occupations concernant la santé.
Ils sont souvent considérés comme un équivalent dépressif
et apparentés
révélateur d’une dépression au cours de laquelle, très souvent, Trichotillomanie
les troubles somatiques de la dépression (fatigue et insomnie
matinale, douleurs, anorexie, par exemple) ainsi que l’inhibition Elle consiste en l’arrachage par le sujet lui-même de ses propres
psychomotrice (aboulie, troubles de la mémoire, de l’attention, cheveux ou poils du corps. L’acte d’arrachage est assez facilement
de la concentration) sont au premier plan alors que les troubles reconnu par le sujet ou par ses parents quand il s’agit d’un petit
psychiques de la dépression, c’est-à-dire les troubles des conte- enfant. La reconnaissance du caractère autoprovoqué repose sur
nus de la pensée et de l’humeur (dépréciation des autres et de l’instauration d’une relation confiante et dénuée d’a priori et juge-
soi-même, anhédonie, irritabilité, tristesse, idées pessimistes, voire ment.
suicidaires), sont au deuxième plan et demandent à être recher- Chez l’enfant, le geste d’arrachage des cheveux peut être
chés [10] . transitoire et banal. Il peut les manger avec la possibilité de tri-
Le diagnostic est clinique, l’examen permettant d’éliminer les chobézoard.
autres causes de douleurs. Le retard diagnostique et la pratique Chez l’adulte, la trichotillomanie va du simple symptôme com-
d’examens complémentaires inutiles sont habituellement source portemental avec discrète perte de cheveux, jusqu’à des arrachages
d’inquiétude et risquent de renforcer l’anxiété du patient. majeurs. Il n’est pas toujours simple de distinguer une conduite
pathologique ou non.
Quand il est pathologique, ce symptôme s’accompagne d’un
Trouble factice (DSM V), anciennement désigné sentiment croissant de tension juste avant l’arrachage des che-
par le terme de pathomimie (Fig. 1) veux, et d’un plaisir, d’une gratification et soulagement lors de
Il s’agit d’un trouble « apparenté » aux troubles à symptomato- l’arrachage. Le fait de s’arracher des cheveux provoque cependant
logie somatique, qui sont des plaintes somatiques fonctionnelles. une détresse significative ou limite la personne atteinte dans au
Ce rapprochement se justifie par le fait que la demande de soins moins une de ses activités.
de la part des patients s’appuie aussi sur l’existence de symptômes Il n’y a donc pas de personnalité type. En revanche, des troubles
somatiques plus ou moins handicapants. Toutefois, le mécanisme de l’humeur sont fréquemment associés. Un terrain génétique est
de survenue des troubles est totalement différent dans ces deux évoqué sur l’existence de familles comportant plusieurs cas. La
cas de figure, ce qui a d’ailleurs conduit certains auteurs à critiquer conduite thérapeutique est, dans son principe, la même que pour
la décision de les rapprocher dans un même chapitre du DSM V. l’acné excoriée (cf. ci-dessous).

EMC - Traité de Médecine Akos 3


2-0795  Aspect psychologique des dermatoses

qui assure les soins dermatologiques et le soutien psychologique,


souvent longtemps seul, est essentiel. À travers une relation
centrée sur la plainte et les symptômes somatiques, il tentera
d’accompagner son patient vers une prise en charge spécialisée.
Une classification complète des lésions cutanées auto-infligées a
été proposée par un groupe d’experts à l’usage des dermatologues,
pour clarifier une terminologie souvent contradictoire et souligner
les principales caractéristiques distinctives des troubles en termes
de mécanismes sous-jacents [11] . Cette classification est rapportée
dans le Tableau 2.

Dermatoses : expressions cutanées


d’un trouble délirant [11]
Délires cutanés
Il s’agit avant tout du délire d’infestation par un parasite. Carac-
térisé par la conviction délirante d’être infesté par des parasites, il
survient typiquement chez une femme âgée, solitaire et déprimée,
souvent à la suite d’un deuil (syndrome d’Ekböm). Le traitement
Figure 2. Acné excoriée.
est articulé autour de la prescription d’un neuroleptique, parfois
associé à un traitement antidépresseur. Le pimozide était classi-
quement un neuroleptique souvent proposé, en débutant à faible
Dermatillomanie dose (1 mg/j) puis en augmentant jusqu’à 3–4 mg/j. On préfère
actuellement des antipsychotiques dits de deuxième génération,
L’acné excoriée en est la forme la plus fréquente (Fig. 2). Elle mieux tolérés, tels que la rispéridone (0,5 à 2 mg/j) ou l’olanzapine
concerne essentiellement les femmes. L’atteinte associe diverse- (2,5 à 10 mg/j), en prenant notamment soin de vérifier, avant
ment : visage, décolleté et dos. Le diagnostic repose sur l’examen administration, l’intervalle QT à l’électrocardiogramme (ECG), en
clinique : lésions croûteuses créées par les ongles, dont l’aspect augmentant progressivement les doses et en maintenant le traite-
linéaire, ou en virgule est très évocateur. Il faut distinguer les ment au moins six mois.
« acnés excoriées sans acné », des excoriations d’une acné patente, L’efficacité d’une prescription associée d’antidépresseurs est
dont l’évolution est habituellement favorable lorsque l’acné est moins documentée. Le choix doit se porter sur une molécule qui
traitée. Il est nécessaire cependant d’établir une relation de n’augmente pas le QT, comme la fluoxétine à la posologie initiale
confiance avec les patientes en expliquant les enjeux du suivi de 20 mg, avec doublement éventuel de la posologie au bout d’un
thérapeutique. Le médecin doit aider à faire comprendre qu’une mois.
partie non négligeable des lésions est liée à l’action sur leur peau. Pour la Classification internationale des maladies (CIM 10), il
Cela se fait sans porter de jugement négatif sur leur conduite s’agit d’une forme particulière de paranoïa hypocondriaque. Pour
pathologique et en tentant d’en comprendre, bien au contraire, la classification du DSM V, il s’agit le plus souvent d’un trouble
les ressorts. délirant somatique faisant partie des délires chroniques non schi-
La prise en charge des « acnés excoriées sans acné » est zophréniques, mais ce trouble peut également être « secondaire »
différente. C’est dire l’importance d’un examen soigneux sous à une schizophrénie, un trouble de l’humeur, un trouble cérébral
une bonne lumière, en étirant la peau afin de ne pas négliger organique.
d’éventuels microkystes peu visibles, mais qui représentent un Tous les intermédiaires sont possibles entre un délire chronique
véritable attrait pour les doigts. Dans cette forme, les patientes qui relève en premier lieu d’un neuroleptique et une dépression
tentent de minimiser leur responsabilité, mais sans la dissimuler, à délirante dont les symptômes seront améliorés par un traitement
la différence des pathomimies. Elles sont habituellement convain- antidépresseur. La difficulté principale de la prise en charge de ces
cues « qu’elles touchent » du fait de l’existence de lésions d’acné patientes réside cependant dans leur déni de l’origine psycholo-
sous-jacentes et ce geste est souvent installé depuis l’adolescence. gique de leurs symptômes et leur grande réticence à rencontrer
La présentation de ces patient(e)s est stéréotypée, mais la psycho- un spécialiste en santé mentale, d’où les trésors de diplomatie à
pathologie ne l’est pas, de même que leur évolution. Elles ont pris déployer par le médecin pour maintenir le lien avec le malade et
l’habitude d’enlever les plus petites aspérités de leur peau, de façon l’accompagner dans une prise en charge « globale » de sa souf-
compulsive. Cette conduite peut survenir sur une personnalité france.
obsessionnelle ; elle peut aussi être un équivalent dépressif.
La conduite devant la dermatillomanie concernant les jambes
est la même. Celle-ci survient habituellement sur un fond de fol-
Délire dysmorphophobique
liculite ou de poils incarnés, quand ils existent. Les préoccupations esthétiques sont normales et plutôt de bon
Les recommandations pour la prise en charge de la dermatillo- aloi chez tout individu et à tout âge. Mais il arrive, tout parti-
manie et de la trichotillomanie sont superposables. Même dans culièrement à l’adolescence, que ces préoccupations esthétiques
les formes très chroniques et lorsque les patientes ont conscience deviennent pathologiques. Les inquiétudes de l’adolescent rela-
qu’elles sont à l’origine des symptômes, elles sont peu disposées à tives à l’ensemble de sa morphologie corporelle ou à une partie
engager une thérapie. Les thérapies cognitives et comportemen- définie de son corps sont alors sans rapport avec la réalité et ne
tales (TCC) dites de la troisième vague ont fait la preuve de leur sont pas ou peu calmées par un dialogue réassurant et/ou un
efficacité. Il en existe plusieurs variantes : technique de renverse- traitement. L’adolescent scrute indéfiniment dans le miroir, par
ment d’une habitude, théorie comportementale dialectique, etc. exemple, les follicules pilosébacés de son nez, avec un grand sen-
La psychothérapie est plus difficile à mettre en place, en par- timent d’étrangeté ou même de perte d’identité. On a alors à faire
ticulier chez les patient(e)s qui minimisent leur pathologie. Elle à une dysmorphophobie délirante pouvant marquer l’entrée dans
semble cependant être une option intéressante sur le long terme. une schizophrénie : l’adolescent a la conviction inébranlable que
Les psychotropes, tels que les inhibiteurs de recapture de la séro- telle ou telle partie de son corps est disgracieuse.
tonine, peuvent être indiqués, et cela même en l’absence d’une Les dysmorphophobies comportent deux versants :
dimension caractérisée de par leurs effets sur la composante com- • les dysmorphophobies corporelles, non délirantes. Le DSM
pulsive du symptôme [12] . V classe désormais la dysmorphophobie parmi les « troubles
Il est parfois difficile de comprendre notre rôle chez un patient obsessionnels compulsifs et troubles connexes », en encoura-
qui respecte peu nos propositions, mais la demande de soins der- geant l’adjonction d’une précision permettant de distinguer les
matologiques est un signe positif. Et le rôle du médecin somaticien troubles « avec prise de conscience » donc critiqués par le sujet

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Aspect psychologique des dermatoses  2-0795

Tableau 2.
Classification des lésions dermatologiques auto-infligées.
Conduite cachée ou niée Conduite ni cachée, ni niée
Bénéfices externes Pas de bénéfices externes Traumatisme de la peau et Comportements de modification du corps
troubles apparentés (habituellement non pathologiques)
Simulation en Troubles factice Spectre compulsif Spectre impulsif
dermatologie dermatologique
Syndrome de Acné excoriée Coupures Tatouages
Münchhausen Trichotillomanie Brûlures Piercing
Onychophagie Traumatismes Complications des traitements esthétiques
Scarifications

et les troubles avec « peu ou pas de prise de conscience » voire Cependant du côté du patient, la perception du manque
délire ; d’écoute s’apparente à un manque d’empathie quant à
• les dysmorphophobies délirantes non accessibles à l’inefficacité fréquente des traitements locaux. De même les
l’argumentation, à la réassurance, qui relèvent impérativement risques des traitements systémiques leur semblent souvent peu
du psychiatre. pris en compte par les praticiens, induisant un conflit entre le
Pour tous ces malades dermatologiques, le trouble primitif est souhait des bénéfices immédiats (efficacité et simplicité du traite-
psychologique et non dermatologique. Cependant, c’est le soma- ment) et les risques à long terme. Cette limitation de décision
ticien qui a la tâche la plus ardue : celle de faire prendre conscience thérapeutique partagée tend à exacerber la détresse émotion-
à son malade l’origine psychologique de ses troubles cutanés. Dans nelle. C’est le temps d’écoute qui aide à éviter ces écueils.
cette démarche, le médecin peut se faire aider par un psychiatre C’est dire l’importance de repérer les spécificités de chacun :
ou un psychothérapeute, que ce dernier ait rencontré ou non peurs et angoisses à propos du diagnostic, compréhension ou
le malade en question. La mise en évidence chez le patient de incompréhension des risques liés à cette maladie et son traite-
troubles psychiques dépressifs ou anxieux est un bon argument ment. C’est aussi un moment important pour le tissage de liens
pour conseiller un suivi psychologique parallèlement au suivi der- médecin–patient confiants permettant au patient de percevoir
matologique. l’empathie et l’investissement de son thérapeute. L’observance
Par ailleurs, il est essentiel de repérer une dysmorphopho- thérapeutique en est améliorée [14] et même si le temps imparti
bie sous-jacente devant la demande d’un acte esthétique. Si ce à la consultation est court, le médecin peut souligner un point
diagnostic est méconnu, le risque est le déclenchement d’une particulier qui sera rediscuté la fois suivante.
décompensation psychologique dont l’intensité est sans rapport Ce temps d’écoute aide à repérer les dermatoses provoquées par
avec le geste. les troubles comme nous l’avons vu ci-dessus. Là encore, le chemi-
nement pour parvenir à un suivi conjoint médecin–organiciste,
médecin–psychiatre est long et délicat et nécessite une grande
attention au patient.
 Comment prendre en compte D’une manière générale, l’écoute permet de préciser
l’importance du retentissement de la dermatose sur la qua-
l’aspect psychologique lité de vie du patient. Si ce retentissement paraît disproportionné
des dermatoses en consultation ? alors la dermatose peut révéler une difficulté psychique sous-
jacente, par exemple une dépression, nécessitant une prise en
Écoute active et empathique : source charge spécifique. Celle-ci peut être assurée par le médecin,
un psychothérapeute ou un psychiatre selon les cas. Lorsqu’il
de confiance adresse, le médecin doit être attentif à ce que cela ne soit pas vécu
La rengaine portant sur la nécessité d’une bonne qualité comme un abandon, en expliquant bien au patient qu’il reste un
d’écoute finit par ressembler à une incantation magique diffici- interlocuteur.
lement audible. Et pourtant cette écoute attentive et empathique L’alexithymie, trait que l’on retrouve fréquemment chez les
est essentielle. Il faut décoder le verbal et le non verbal (position, patients atteints de dermatoses, en particulier chroniques, n’est
mimique, débit, etc.) afin de ressentir l’état dans lequel se trouve le pas une étiologie. Elle est une difficulté, pour le patient à perce-
patient. Et en tenir compte. La reformulation est souvent utile. Elle voir et exprimer ses difficultés, et parfois sa honte. Il faut donc
permet au médecin de s’assurer qu’il a bien compris et au patient être particulièrement attentif avec ces patients qui expriment peu
de comprendre que nous le considérons et que ses symptômes leur gêne voire leur souffrance [15] .
ont été compris. La reformulation permet aussi une verbalisation Notons que les symptômes psychiques sont des facteurs pou-
émotionnelle : « Vous me dites que cela vous inquiète. », « d’après vant favoriser les poussées et altérer l’observance thérapeutique.
vous cela vient de vos difficultés, etc. ». Comme nous l’avons vu, anxiété, éléments dépressifs ou dépres-
En pratique, plusieurs études réalisées aux États-Unis constatent sion, alexithymie sont fréquemment associés aux dermatoses.
que, dans 50 % des consultations, les médecins ne demandent pas Insistons sur le fait que ces manifestations psychiques sont, bien
aux patients leur motif de consultation, etc. et de toute façon, les entendu, le résultat d’une interaction entre les modifications liées
interrompent très rapidement : 11 secondes dans une dernière à la dermatose, la réalité extérieure, la structure de la personna-
étude. Et cela en posant des questions fermées [13] . N’imitons pas lité et les capacités défensives du sujet confronté aux contraintes
ce modèle ! psychosensorielles externes et aux péripéties de sa vie affective.
Insistons sur le fait que du côté du médecin, la pratique est Les données cliniques et le matériel recueilli lors des psychothé-
souvent difficile. Les consultations sont surchargées, avec un rapies nuancent aussi le rôle des facteurs psychiques. Des études
temps accordé aux patients qu’il est difficile d’augmenter. Certains détaillées de cas suivis en psychothérapie analytique insistent
patients prennent beaucoup de temps pour exposer leurs motifs aussi sur la fragilité narcissique des sujets souffrant d’une mala-
de consultation, et font de nombreuses et longues digressions. De die somatique. Cette fragilité peut préexister et être majorée par
plus, l’expression des affects qu’ils soient anxieux, dépressifs ou l’atteinte cutanée. Ces sujets, qui ont une mauvaise image d’eux-
autres, peut inquiéter le médecin car il n’est pas toujours aisé de les mêmes et qui ne s’estiment pas, vont être, en toutes circonstances,
canaliser. Et les émotions qu’entraînent ces expressions peuvent plus sensibles au regard d’autrui, vite blessés par un regard, un
être vécues comme une entrave à la bonne concentration sur le geste, une parole, cherchant sans cesse chez autrui approbation,
travail organique. Il peut être difficile, au sein d’une même consul- intérêt et amour, et ayant tendance à réprimer fortement leur
tation, de poser certains diagnostics difficiles, graves et qui nous hostilité par crainte de perdre l’amour d’autrui. D’ailleurs, cer-
absorbent, et d’écouter correctement notre patient. tains traits de personnalité très liés au narcissisme du sujet (la

EMC - Traité de Médecine Akos 5


2-0795  Aspect psychologique des dermatoses

Tableau 3. tions cutanées, soit seules, soit associées entre elles ou bien
Thérapeutiques psychiatriques/psychologiques. sûr, si nécessaire, à un traitement psychotrope (le plus sou-
Traitements médicamenteux psychotropes vent, un antidépresseur à dose efficace tout en tenant compte
des effets secondaires). On peut citer, par exemple, l’hypnose,
Techniques de gestion du stress
les massages, la relaxation, et surtout les approches cognitivo-
Psychothérapies : comportementales qui diffèrent selon la pathologie [12] . Quant à
- Approches corporelles : massages, relaxation la psychothérapie analytique et à la psychanalyse, elles sont indi-
- Hypnothérapie quées quand les malades désirent modifier certains traits de leur
- Thérapie cognitiviste et comportementaliste (TCC)
personnalité et comprendre plus en profondeur les liens entre leur
- Psychothérapie psychanalytique
histoire et leur plainte dermatologiques (Tableau 3).
- Psychanalyse
Éducation thérapeutique : programmes d’éducation pour la santé

 Conclusion
désirabilité sociale et la répression de l’hostilité) ainsi que le carac-
L’approche psychologique des dermatoses ne doit bien sûr
tère affichant de la maladie rendent les sujets plus vulnérables aux
jamais négliger le traitement dermatologique ainsi que le rôle psy-
stress. Ces traits peuvent sembler liés au psoriasis lui-même ou
chothérapique du dermatologue lui-même. C’est seulement dans
bien être indépendants du psoriasis.
ces conditions que la peau peut retrouver ses fonctions esthétiques
et hédoniques et que le sujet qu’elle cachait peut enfin prendre la

“ Point fort parole, exprimer sentiments et désirs, s’inscrire dans son histoire
personnelle et familiale.

L’alexithymie (littéralement « pas de mots pour exprimer Déclaration de liens d’intérêts : Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration
les émotions ») comporte quatre composantes : de liens d’intérêts en relation avec cet article.
• l’incapacité à reconnaître, à identifier et à exprimer ver-
balement ses propres émotions ;
• la limitation de la vie imaginaire, notamment de
 Références
l’aptitude à la « rêverie diurne » ;
• la description détaillée des faits, des événements ou des [1] Consoli SM. Relation médecin-malade. EMC (Éditions Scientifiques et
symptômes physiques ; Médicales Elsevier SAS, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-
• la tendance à recourir à l’action pour éviter ou résoudre 0010, 1998. 1-8.
les conflits. [2] Gupta MA, Pur DR, Vujcic B, Gupta AK. Suicidal behaviors in the
dermatology patient. Clin Dermatol 2017;35(3):302–11.
[3] Dalgard FJ, Gieler U, Tomas-Aragones L, Lien L, Poot F, Jemec GBE,
et al. The psychological burden of skin diseases: a cross-sectional multi-
center study among dermatological out-patients in 13 European countries.
 Implications thérapeutiques [4]
J Invest Dermatol 2015;135(4):984–91.
Sampogna F, Abeni D, Gieler U, Tomas-Aragones L, Lien L, Titeca
G, et al. Impairment of sexual life in 3,485 dermatological outpatients
Cette relation empathique implique une écoute attentive et from a multicentre study in 13 European countries. Acta Derm Venereol
respectueuse de ce que le malade exprime ou attend, mais éga- 2017;97(4):478–82.
lement une capacité de clairvoyance de la part du médecin face [5] Rasmussen MK, Enger M, Dahlborn AK, Juvik S, Fagerhed L, Dodge R,
aux sentiments que son malade déclenche en lui-même. et al. The importance of achieving clear or almost clear skin for patients:
Une telle position est d’autant plus indispensable que les affec- results from the Nordic Countries of the Global Clear about Psoriasis
tions cutanées sont souvent des affections chroniques conduisant Patient Survey. Acta Derm Venereol 2018.
à une relation suivie et qu’elle s’étale dans le temps. Tout parti- [6] Ben-Gashir MA, Seed PT, Hay RJ. Are quality of family life and disease
culièrement, dans ce contexte, les représentations, convictions, severity related in childhood atopic dermatitis? J Eur Acad Dermatol
croyances, mais aussi sentiments et émotions du patient touchent Venereol 2002;16(5):455–62.
le médecin. Cette situation peut réactiver chez celui-ci ses propres [7] Tan JK, Li Y, Fung K, Gupta AK, Thomas DR, Sapra S, et al. Divergence
of demographic factors associated with clinical severity compared with
affects, émotions et parfois souffrances. À l’inverse, certains
quality of life impact in acne. J Cutan Med Surg 2008;12(5):235–42.
patients génèrent des sentiments négatifs dont il faut prendre
[8] Jalenques I, Rondepierre F, Massoubre C, Bonnefond S, Schwan R,
conscience afin qu’ils n’altèrent pas la qualité de la prise en charge. Labeille B, et al. High prevalence of personality disorders in skin-
Ainsi, il faut bien souvent des capacités d’introspection, de restricted lupus patients. Acta Derm Venereol 2017;97(8):941–6.
négociateur habile et empathique à l’égard de son malade. Et [9] Consoli SM. La recherche psychosomatique en 2018 : illusions perdues,
ce d’autant que les affections chroniques et les difficultés qui en espoirs renouvelés. Rev Med Interne 2018;39(12):955–62.
découlent posent trois problèmes principaux : [10] Consoli SG, Chastaing M, Misery L. Psychiatrie et dermatologie. Derma-
• la qualité de vie ; tologie. EMC (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris),
• l’observance thérapeutique [16] ; Psychiatrie [98-874-A-10].
• l’accès au médecin et du reste à charge. [11] Gieler U, Consoli SG, Tomas-Aragones L, Linder DM, Jemec GBE,
L’approche psychologique des dermatoses ouvre un large éven- Poot F, et al. Self-inflicted lesions in dermatology: terminology and
tail de techniques thérapeutiques pour lesquelles la dimension classification–A position paper from the European Society for Derma-
psychologique est centrale : tology and Psychiatry (ESDaP). Acta Derm Venereol 2013;93:4–12.
• les programmes d’éducation pour la santé, qui visent non seule- [12] Tomas-Aragones L, Consoli SM, Consoli SG, Poot F, Taube KM, Lin-
ment le malade, mais aussi sa famille (par exemple les parents der MD, et al. Self-inflicted lesions in dermatology: a management and
d’un enfant souffrant d’une dermatite atopique ou ceux d’un therapeutic approach–A position paper from the European Society for
Dermatology and Psychiatry. Acta Derm Venereol 2017;97(2):159–72.
enfant souffrant d’une génodermatose) ou son environnement
[13] Singh Ospina N, Phillips KA, Rodriguez-Gutierrez R, Castaneda-
social (le personnel des écoles par exemple) ; Guarderas A, Gionfriddo MR, Branda ME, et al. Eliciting the patient’s
• les apprentissages de stratégies de gestion du stress (en général agenda - Secondary analysis of recorded clinical encounters. J Gen Intern
et lié à la maladie) ; à ce propos, il faut souligner le rôle des Med 2019.
groupes de rencontre de malades ou de parents de malades ainsi [14] Thorneloe RJ, Bundy C, Griffiths CE, Ashcroft DM, Cordingley L.
que l’importance du rôle des associations de malades. Nonadherence to psoriasis medication as an outcome of limited coping
Quant aux différentes approches psychothérapiques au sens resources and conflicting goals: findings from a qualitative interview
strict du terme, elles sont indiquées dans de nombreuses affec- study with people with psoriasis. Br J Dermatol 2017;176(3):667–76.

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Aspect psychologique des dermatoses  2-0795

[15] Sampogna F, Gisondi P, Tabolli S, Abeni D, et al. IDI multipurpose pso- [16] Renzi C, Picardi A, Abeni D, Agostini E, Baliva G, Pasquini P, et al.
riasis research on vital experiences. Impairment of sexual life in patients Association of dissatisfaction with care and psychiatric morbidity with
with psoriasis. Dermatology 2007;214(2):144–50. poor treatment compliance. Arch Dermatol 2002;138(3):337–42.

R. Malet, Dermatologue, ancien interne des Hôpitaux de Paris, ancien chef de clinique assistant des Hôpitaux de Paris.
65, boulevard de Courcelles, 75008 Paris, France.
S.-M. Consoli, Professeur émérite de psychiatrie.
S.-G. Consoli, Dermatologue, psychanalyste (sylvie.consoli@wanadoo.fr).
10, avenue Victor-Hugo, 92340 Bourg-la-Reine, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Malet R, Consoli SM, Consoli SG. Aspect psychologique des dermatoses. EMC - Traité de Médecine Akos
2020;23(2):1-7 [Article 2-0795].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 7


 4-0310

Hyperbilirubinémies et cholestases
génétiques
A. Pariente

Résumé : Les hyperbilirubinémies génétiques (ou « constitutionnelles ») ne s’accompagnent pas de


cholestase. Elles sont dues à des anomalies du gène UGTA1, codant pour la glycuronyl-transférase (la
conjugaison de la bilirubine est nécessaire à son élimination dans la bile), et du gène MRP2, codant
pour la protéine membranaire transportant la bilirubine conjuguée sur la membrane canaliculaire et/ou
de gènes codant des transporteurs membranaires de la bilirubine. Ces anomalies sont principalement
responsables du syndrome (ex « maladie ») de Gilbert, fréquent et bénin, des syndromes de Crigler-
Najjar (pédiatriques), rares et graves, et des syndromes de Dubin-Johnson et de Rotor, très rares et
sans gravité. Les cholestases génétiques sont dues à des anomalies des gènes codant pour les protéines
impliquées dans le transport canaliculaire des acides biliaires (ATP8B1 [ex FIC 1] et ABCB11 [ex BSEP])
et des phospholipides (ABCB4 [ex MDR3]) dans la bile. Ces anomalies sont responsables de cholestases
familiales progressives sévères touchant le nourrisson et le jeune enfant (et nécessitant souvent une
transplantation hépatique), mais aussi chez les adultes jeunes de la cholestase récurrente bénigne (très
rare) et du syndrome LPAC (low phospholipid associated cholelithiasis) principalement responsable de
lithiase cholestérolique récidivante. La cholestase gravidique est liée à l’ajout de l’effet cholestatique de la
grossesse à des anomalies génétiques préexistantes asymptomatiques. Les déficits de synthèse des acides
biliaires primaires (à la frontière des cholestases génétiques) sont exceptionnels, spontanément mortels,
mais curables par l’apport oral d’acide cholique.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Cholestase ; Hyperbilirubinémie ; Maladie de Gilbert ; Maladie de Crigler-Najjar ;


Ictère néonatal ; Cholestases intrahépatiques familiales progressives ; Syndrome LPAC ;
Cholestase récurrente bénigne ; Cholestase gravidique

Plan  Hyperbilirubinémies
■ Introduction 1 génétiques [1]

■ Hyperbilirubinémies génétiques 1 La bilirubinémie totale normale est inférieure à 17 ␮mol/l


Métabolisme de la bilirubine 1 (15 mg/dl), plus faible chez la femme (10 ␮mol/l) que chez
Gène UGT1A1 2 l’homme (13 ␮mol/l).
Principales hyperbilirubinémies constitutionnelles 2
■ Cholestases génétiques 3
Physiologie de la sécrétion biliaire 3 Métabolisme de la bilirubine (Fig. 1) [2]
Différentes formes de cholestase génétique 3
La bilirubine est le produit du catabolisme de l’hème princi-
Principes thérapeutiques des PFIC 5
palement contenu dans l’hémoglobine des globules rouges (et
accessoirement des cytochromes et de la myoglobine) ; il s’en
forme environ 250 mg/j. La bilirubine est très lipophile, liée à
l’albumine dans le sang, et ne passe pas dans les urines. Elle est cap-
 Introduction tée au pôle sinusoïdal des hépatocytes par diffusion passive puis
fixée sur la ligandine (glutathion S-transférase). Après transport
Nous envisagerons successivement les hyperbilirubinémies dans le réticulum endoplasmique, elle est conjuguée à l’acide gly-
génétiques (dues à des erreurs innées du métabolisme hépatique curonique pour former des mono- et di-glycuronides grâce à une
de la bilirubine, elles ne sont pas responsables de cholestase enzyme, l’UDP-glycuronyl-transférase (UGT1A1). La bilirubine
parce que le débit de la sécrétion biliaire dépend de la sécrétion ainsi conjuguée est hydrosoluble. Une petite partie de la bilirubine
des acides biliaires) puis les cholestases génétiques proprement conjuguée est captée sur la membrane sinusoïdale par la protéine
dites qui elles sont liées à des déficits de la sécrétion des acides ABCC3 (ex multidrug resistance protein 3) et rejetée dans le sang.
biliaires. Ce transport reverse explique la présence d’une faible quantité

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(19)78362-8
4-0310  Hyperbilirubinémies et cholestases génétiques

Figure 1. Schéma du métabolisme intrahépa-


S S tique de la bilirubine (d’après [2] ). S : sinusoïde ;
CB : canalicule biliaire ; Alb : albumine ; Bili
Alb CB NC : bilirubine non conjuguée ; OATP1 : orga-
nic anions transporter polypeptide 1 ; UGT1A1 :
Uridine diphosphoglycuronate-glycuronyl-transferase ;
ABCB3 : ATP binding cassette B3 ; MRP2 (codé par
Bili NC Ligandine ABCB2) : multiple drug resistance polypeptide 2.

Bili NC
UGT1G1
OATP1
B1/3

Bili
ABCC3 Conjuguée
?

ABCG2 MRP2
Bili
Conjuguée
HÉPATOCYTE

de bilirubine conjuguée dans le sang (< 7 ␮mol/l) ; la bilirubine conjuguée, en l’absence d’hémolyse et d’autre signe de mala-
conjuguée peut être captée à nouveau par l’hépatocyte grâce à die du foie. L’anomalie génétique est située dans la TATAA box,
des transporteurs polyvalents pour les anions organiques (OATP les « malades » étant homozygotes pour la mutation, appelée
B1/B3). La majeure partie de la bilirubine conjuguée est excrétée UGTA*28, très fréquente dans la population générale. En dehors
dans le canalicule biliaire (l’étape limitante du métabolisme de la de l’ictère, généralement seulement conjonctival, survenant prin-
bilirubine) par une protéine membranaire, ABCC2 ou MRP2, un cipalement en cas de jeûne (par exemple lors de n’importe quelle
transporteur qui assure l’excrétion biliaire des anions organiques maladie infectieuse banale), le syndrome de Gilbert ne cause
conjugués. La conjugaison et le transport canaliculaire sont régu- aucun symptôme ; les urines sont normales. Les tests hépatiques
lés positivement par deux facteurs de transcription, le pregnane X sont strictement normaux, il n’y a pas d’hémolyse, et le diag-
receptor (PXR) et le constitutive androstane receptor (CAR), ce der- nostic génétique n’est habituellement pas nécessaire (sauf ictère
nier étant activé par la bilirubine elle-même. La rifampicine est intense ou traitement par irinotécan). L’hyperbilirubinémie non
un puissant activateur de PXR, et le phénobarbital de CAR. conjuguée pourrait réduire (activité antioxydante) la mortalité
cardiovasculaire [2, 3] . L’ictère au lait maternel (hyperbilirubiné-
mie néonatale familiale [OMIM*237900]) est probablement lié à
Gène UGT1A1 la fois à un déficit partiel d’UGTA1 et à la présence d’inhibiteurs
d’UGTA1 présents dans le lait maternel. L’ictère « physiologique »
Le locus UGTA1 est situé dans la région q37 du chromosome 2. du nouveau-né est attribué à une immaturité des transporteurs
Il contient 13 gènes codant les UDP-GT, chacun comprenant un hépatiques et/ou de l’hématopoïèse.
exon 1 unique et quatre exons communs. Chaque exon a son
propre promoteur où se trouve une boîte TATAA qui régule la
transcription de l’enzyme. En cas de mutation affectant l’exon, Syndromes de Crigler-Najjar
UDP-GT est structurellement altérée et inefficace. En cas de muta-
tion affectant la TATAA box du promoteur, l’activité de l’enzyme Ce sont des maladies très rares (prévalence : 0,6/million) à
est seulement réduite. En plus de la bilirubine, UGT1A1 est impli- transmission autosomique récessive (les mutations touchent les
quée dans l’excrétion de xénobiotiques comme la rifampicine, exons d’UGTA1), dont il existe deux types : dans le type I, le
le tolbutamine, le paracétamol, l’irinotécan et les inhibiteurs des déficit de l’activité d’UGTA1 est total, entraînant une hyperbili-
protéases anti-VIH, et la diminution de sa fonction peut entraî- rubinémie non conjuguée majeure (350–750 ␮M), sans réponse
ner une accumulation et une toxicité accrue de ces médicaments, au phénobarbital ; dans le type II, l’activité enzymatique est
pouvant justifier la recherche de la mutation du gène avant la détectable, inférieure à 10 % mais augmente sous phénobarbi-
mise en route du traitement (irinotécan). tal ; l’hyperbilirubinémie non conjuguée est moins importante
(100–400 ␮M) et diminue autour de 150 ␮M sous phénobarbital.
Dans le type I (OMIM*218800), l’ictère est néonatal avec un
Principales hyperbilirubinémies risque majeur d’ictère nucléaire (encéphalopathie bilirubinique)
compliqué de séquelles neurologiques qui peut être prévenu par
constitutionnelles (Tableau 1) une prise en charge aussi précoce que possible. Dans le type I, le
Syndrome (ex « maladie ») de Gilbert (SG) traitement repose sur les exsanguinotransfusions et la photothé-
rapie (qui transforme la bilirubine non conjuguée présente sous
(ONIM*143500) la peau en photo-isomères incolores hydrosolubles éliminables
Le syndrome de Gilbert, qui atteint plus de 5 % de la population sans conjugaison), éventuellement associées à des perfusions
générale, est caractérisé par l’augmentation modérée (< 70 ␮mol/l) d’albumine, et à une prise en charge complexe. La transplanta-
et fluctuante de la bilirubinémie sous forme de bilirubine non tion hépatique, aussi précoce que possible, guérit la maladie au

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Hyperbilirubinémies et cholestases génétiques  4-0310

Tableau 1.
Principales causes d’hyperbilirubinémies et de cholestases génétiques.
Hyperbilirubinémie non conjuguée Gène Protéine déficitaire GGT Acides biliaires sériques
Syndrome de Gilbert UGT1A1 UGT1A1 Normale Normaux
Syndrome de UGT1A1 UGT1A1 Normale Normaux
Crigler-Najjar
Hyperbilirubinémie conjuguée (mixte)
Cholestase familiale progressive
intrahépatique
PFIC1 ATP8B1 FIC1 Normale Élevés
PFIC2 ABCB11 BSEP Normale Élevés
PFIC3 ABCB4 MDR3 Élevée Élevés
PFIC4 TJP2 ZO2 Normale Élevés
PFIC5 NR1H4 FXR Normale Élevés
Myosin 5B MYOS B Normale Élevés
Déficits du transport de la bilirubine
Syndrome de ABCC2 MRP2 Normale Normaux
Dubin-Johnson
Syndrome de Rotor SLCO1B1/B3 OATP1B1/B3 Normale Normaux
Déficit de synthèse des acides biliaires HSD 3B7 HSD3B7 Normaux
primaires AKR1D1 SRD5B1
CYP7B1 CYP7B1

prix d’une immunosuppression à vie. Un essai de thérapie génique crée le « parapluie bicarbonaté » empêchant la protonation des
est en cours. acides biliaires, leur rétrodiffusion dans les cholangiocytes où ils
Dans le type II (OMIM*606785), la présentation est similaire sont cytotoxiques. Les acides biliaires conjugués, après leur action
mais l’hyperbilirubinémie diminue sous phénobarbital permet- dans la lumière intestinale et leur déconjugaison bactérienne,
tant généralement à lui seul de prévenir l’ictère nucléaire. sont activement réabsorbés au niveau de l’iléon terminal grâce
à deux transporteurs entérocytaires : luminal, ASBT (pour Apical
Ictères constitutionnels à bilirubine conjuguée [2] Sodium-Dependent Bile Acid Transporter) ou SLC10A2 (pour Solute
Transporter A2) pour l’entrée dans l’entérocyte, et portal, OST ␣/ß
Il s’agit de deux maladies très rares, parfaitement bénignes, pour le retour vers le foie par le sang portal.
révélées par un ictère avec urines foncées sans prurit, trans- La sécrétion de phospholipides biliaires (phosphatidylcho-
mises sur le mode autosomique récessif. L’hyperbilirubinémie (20 line essentiellement) est nécessaire pour composer des micelles
à 100 ␮mol/l) est faite de bilirubine conjuguée et non conju- (solubles dans l’eau) avec les acides biliaires et solubiliser en leur
guée ; l’examen clinique et l’ensemble des tests hépatiques sont centre le cholestérol. Cette sécrétion est assurée par un transpor-
normaux. Dans le syndrome de Dubin-Johnson, la maladie est teur canaliculaire, ABCB4 (ex MDR3 pour Multi Drug Resistance
due à des mutations du gène du transporteur canaliculaire de protein3), qui déplace la phosphatidylcholine du feuillet interne
la bilirubine ABCC2, entraînant une accumulation de biliru- (dont elle est un composant) vers le feuillet externe de la mem-
bine conjuguée dans l’hépatocyte, qui reflue ensuite dans le brane hépatocytaire.
sang par le transporteur ABCC3 normal (il existe également une Sécrétion de bilirubine : cf. supra.
accumulation de pigment noir dans les hépatocytes). Dans le syn-
drome de Rotor, les mutations inactivatrices concernent OATP1
B1/B3 et conduisent donc à l’impossibilité de réabsorber la bili- Différentes formes de cholestase
rubine conjuguée (il existe également des anomalies typiques de génétique [5–7]
l’élimination de la BSP et de la scintigraphie biliaire, et une aug-
mentation des coproporphyrines urinaires). Les formes sévères de cholestase génétique se révélant tôt dans
la vie sont habituellement dues à des mutations inactivatrices
des gènes codant pour les transporteurs des acides biliaires et des
 Cholestases génétiques phospholipides présentes à l’état homozygote (ou de double hété-
rozygotie déficitaire). À l’état hétérozygote, ces mêmes mutations
Le terme de cholestase désigne la diminution ou l’arrêt de la sont responsables de maladies moins sévères pouvant cependant
sécrétion biliaire. entraîner une morbidité importante. Pour les formes sévères, un
dépistage anténatal est souvent possible à partir du proband.
Physiologie de la sécrétion biliaire (Fig. 2) [4]
Cholestase intrahépatique familiale progressive
La bile, composée à 97 % d’eau (0,7 l/j), écoule vers le duo- de type 1 (PFIC-1, maladie de Byler*a ,
dénum des substances produites par le foie et les voies biliaires.
OMIM#211600)
Le moteur de la sécrétion biliaire est la sécrétion des acides
biliaires (des détergents puissants) au pôle biliaire, canaliculaire La protéine FIC-1, codée par le gène ATP8B1, est une « flip-
(le canalicule est formé par les membranes de 2 hépatocytes pase » transportant les phospholipides du feuillet externe vers le
adjacents). Cette sécrétion active est assurée par un transporteur feuillet interne de la membrane cellulaire, exprimée dans de nom-
spécifique (ABCB11 ou BSEP pour Bile Salt Export Pump) dont breux tissus dont le foie et l’intestin. Sa carence rend la membrane
l’expression est modulée par FXR ; l’eau suit les acides biliaires canaliculaire vulnérable aux acides biliaires, gêne l’adressage et le
soit en traversant les jonctions serrées qui bordent le canali- fonctionnement de la BSEP (entraînant une accumulation hépa-
cule, soit grâce à des aquaporines membranaires. Plus loin dans tocytaire d’acides biliaires), et le trafic membranaire et vésiculaire.
l’arbre biliaire s’ajoute (stimulée par la sécrétine) une sécrétion
de chlore et de bicarbonates naissant au pôle luminal du cho-
langiocyte grâce au transporteur CFTR (ou ABCB7)–qui est muté a
Du nom de l’ancêtre de la famille Amish fortement consanguine (Jacob Byler) où fut
dans la mucoviscidose–et à l’échangeur chlore-bicarbonates, qui décrite la maladie.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


4-0310  Hyperbilirubinémies et cholestases génétiques

Sinusoïde HÉPATOCYTE

FGFR4/β
- Canalicule
AB primaires Glycine AB primaires conjugués biliaire
Cholestérol AC taurine ACc
ACDC ACDCc Jonction serrée

NTCP MDR3 Phosphatidyl-Choline

ACc
OATP1 B1/B3 AB BSEP
ACDCc

BSEP FIC1
MRP3
FXR Noyau
Bactéries
intestinales
MRP4 BSEP, MRP3, MRP4
NTCP, OATP B1/B3
Enzymes synthèse AB
Récepteur nucléaire SHP

AB secondaires
ACc
ADC
ACDCc
ALC
AB OST α/β AB ASBT

FXR Noyau
FGF 19/15 FGF 19/15
ASBT FGF 19/15
OST α/β
ENTÉROCYTE ILÉAL
Veine porte

Figure 2. Schéma du métabolisme des acides biliaires (AB) (d’après [4] ). Les AB sont synthétisés à partir du cholestérol pour donner les acides biliaires
primaires (ABP) (acide cholique [AC] et acide chénodésoxycholique [ACDC]). Après conjugaison à la glycine ou à la taurine, les AB conjugués (Abc) sont
transportés dans la lumière du canalicule biliaire par la BSEP (Bile Salt Export Pump). La protéine FIC1 est nécessaire à l’adressage et au fonctionnement de
la BSEP. Des bactéries intestinales transforment les ABP en AB secondaires (acide lithocholique LC et acide désoxycholique AD). La presque totalité des AB
est absorbée par les entérocytes iléaux grâce au transporteur ASBT (Apical Sodium-dependent Bile salt Transporter, ou SLC10A2) de la bordure en brosse puis
excrétés dans le sang portal par le transporteur OST␣/␤ de la membrane basolatérale. Les AB sont réabsorbés dans les hépatocytes via les transporteurs NTCP
et OATP1 B1/B3, puis sont sécrétés au pôle canaliculaire avec ceux nouvellement synthétisés.

Le déficit en FIC-1, transmis sur le mode autosomique récessif, Cholestase intrahépatique familiale progressive
est révélé par un ictère survenant dans les premières semaines de la de type 2 (PFIC2, syndrome de Byler*b ,
vie, associé à un prurit et rapidement à une diarrhée. Il existe une
OMIM#601847).
hyperbilirubinémie, une augmentation des acides biliaires plas-
matiques, mais la ␥GT est normale. Le foie est initialement le siège C’est la moins rare des PFIC. Elle est due à un déficit sévère
de lésions de cholestase hépatocytaire pure, puis apparaissent en BSEP (codée par ABCB11). La présentation est identique à la
inflammation, fibrose, réaction ductulaire et cirrhose. Des mani- PFIC de type 1, sans manifestation extrahépatique, et les principes
festations extrahépatiques (traduisant le caractère ubiquitaire du traitement sont identiques. Un début clinique plus tardif est
de FIC-1) sont fréquentes (diarrhée, pneumonie, surdité, mala- possible. Il y a un risque accru de carcinome hépatocellulaire.
die pancréatique, retard de croissance). Le traitement comporte
(outre la prévention des carences liées à la cholestase) sur Cholestase intrahépatique familiale progressive
l’administration d’acide ursodésoxycholique (AUDC), la réalisa- de type 3 (PFIC-3, OMIM#602347)
tion d’une dérivation biliaire externe (qui réduit la concentration
hépatocytaire des acides biliaires et le prurit), mais n’empêchent Elle est due à un déficit sévère en protéine canaliculaire MDR3
habituellement pas la nécessité de la réalisation d’une transplan- (codée par ABCB4), une « floppase » transportant les phospholi-
tation hépatique (qui peut se compliquer d’une stéatohépatite) ; pides du feuillet interne vers le feuillet externe de la membrane
le pronostic est aggravé par les atteintes extrahépatiques. canaliculaire. La cholestase se révèle dans les premiers mois de
la vie ou dans l’adolescence. Biologiquement, il existe cette fois
une augmentation de la ␥GT, due à une intense réaction néo-
ductulaire. Histologiquement on voit une image de cholestase
b
Du nom de l’ancêtre de la famille Amish fortement consanguine (Jacob Byler) où fut obstructive ; les phospholipides biliaires sont très bas. L’évolution
décrite la maladie. se fait vers une cirrhose de type biliaire, associée à une lithiase

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Hyperbilirubinémies et cholestases génétiques  4-0310

cholestérolique intra- et extrahépatique ; le risque de carcinome à quelques mois, d’intensité variable, parfois déclenchés par des
hépatocellulaire et cholangiocellulaire est augmenté. infections. La ␥GT est habituellement normale, et entre les épi-
Des déficits moindres (voire une mutation seulement hété- sodes, l’ensemble des tests hépatiques est normal. La biopsie
rozygote) ne se révèlent qu’à l’âge adulte ; ils sont loin d’être pendant les épisodes cholestatiques ne montre qu’une cholestase
exceptionnels et causent le LPAC syndrome (pour Low Phospho- canaliculaire. La BRIC de type 1 est dû à un déficit partiel en FIC-
lipid Associated Cholelithiasis). La manifestation la plus fréquente 1 (mutation d’ATP8B1), la BRIC de type 2 à un déficit partiel en
est la récidive d’une lithiase cholestérolique intrahépatique après BSEP (mutation d’ABCB11). La maladie est généralement bénigne
cholécystectomie, associée à une cholestase anictérique. Il peut mais des formes de passage avec les PFIC 1 et 2 ont été décrites. La
exister une fibrose voire une cirrhose hépatique, des images de rifampicine traite efficacement le prurit (qui cède également au
cholangite sclérosante intrahépatique. La survenue d’un cholan- drainage biliaire externe).
giocarcinome est possible. L’AUDC améliore considérablement
symptômes et évolution. Cholestase gravidique (ICP pour « Intrahepatic
Cholestasis of Pregancy ») [6, 7]
Cholestase intrahépatique familiale progressive
La cholestase gravidique est caractérisée par la survenue d’un
de type 4 (PFIC-4, OMIM#615878) prurit cholestatique survenant habituellement au cours du der-
Décrite en 2014, elle est due à un déficit en claudine, la pro- nier trimestre. Sa prévalence (environ 1 % en Europe) varie avec
téine des jonctions serrées « fermant » le canalicule biliaire, les ethnies, et augmente en cas de grossesse multiple ou après
secondaire à des mutations du gène TJP2 (pour Tight Junction Pro- fécondation in vitro. Diverses mutations des gènes codant pour
tein 2), permettant le reflux de bile dans l’espace paracellulaire les transporteurs des acides biliaires et FXR ont été décrites, mais
puis le parenchyme hépatique. La cholestase sévère commence d’autres anomalies génétiques sont possibles (le diagnostic géné-
précocement, évolue vers la cirrhose avec un risque de car- tique n’est pas habituellement nécessaire). Le signe biologique le
cinome hépatocellulaire ; la ␥GT est normale ou peu élevée. plus fréquent est l’augmentation des transaminases, la ␥GT est
Des atteintes extrahépatiques (respiratoires, neurologiques) sont variable (les phosphatases alcalines sériques sont physiologique-
possibles. ment augmentées au cours de la grossesse du fait de l’activité
des phosphatases alcalines placentaires). La cholestase disparaît
Cholestase intrahépatique familiale progressive complètement après l’accouchement (mais la préexistence d’une
de type 5 (PFIC-5, OMIM#617049) maladie cholestatique chronique préexistante–cholangite biliaire
primitive en premier lieu–doit toujours être éliminée). Le risque
Décrite en 2016, elle est causée par des mutations de NR1H4 maternel est faible ou nul, mais le risque de retard de croissance
qui code pour la protéine FXR, récepteur nucléaire et facteur de fœtal et de mort fœtale in utero est augmenté. Le traitement par
transcription dont les ligands naturels sont les acides biliaires ; l’AUDC améliore le prurit et sans doute le pronostic fœtal. Une
il est le principal régulateur de la synthèse des acides biliaires. La surveillance codifiée permet de porter l’éventuelle indication d’un
cholestase, sévère, est néonatale, associée à une coagulopathie par accouchement provoqué avant terme.
déficit en vitamine K (mais résistant à son administration), une
␥GT normale, une augmentation de l’␣-fœtoprotéine, évoluant Déficit de synthèse des acides biliaires
rapidement vers l’insuffisance hépatique terminale. L’expression
tissulaire de la BSEP est diminuée en l’absence de mutation primaires [10]
d’ABCB11. La présentation clinique est celle d’un ictère néonatal sans
prurit avec ␥GT normale (et acides biliaires plasmatiques nor-
Autres cholestases intrahépatiques familiales maux ou bas), diarrhée, déficit en vitamines liposolubles, évoluant
vers la cirrhose et la mort en l’absence de traitement adéquat.
Le syndrome ARC (arthrogrypose, atteinte rénale, cholestase à
Le diagnostic est fait par la spectrométrie de masse des acides
␥GT normale) est lié à des mutations des gènes VPS33B et VIPAS39
biliaires urinaires puis le diagnostic génétique (mutation des gènes
codant pour des protéines impliquées dans le trafic vésiculaire
codant pour des enzymes de la synthèse des acides biliaires).
cytoplasmique, responsables de défaut d’adressage canaliculaire
L’administration orale d’acide cholique (à vie) fait régresser les
des protéines BSEP et MDR3 [8] .
symptômes et transforme le pronostic.
Le déficit en myosine 5B, d’abord trouvé responsable d’atrophie
microvillositaire entérocytaire, peut entraîner dans l’hépatocyte
un défaut de recyclage de BSEP gênant son ciblage vers le canali- Autres maladies génétiques s’accompagnant
cule biliaire causant une cholestase à ␥GT normale [9] . de cholestase
D’autres maladies génétiques peuvent s’accompagner de choles-
Principes thérapeutiques des PFIC tase, notamment la mucoviscidose, le déficit en ␣1-antitrypsine,

Le traitement est mené dans un centre de référence. Il


comporte (outre la prévention des carences liées à la cholestase)
l’administration d’acide ursodésoxycholique (AUDC), la réalisa- ▲ Attention
tion de dérivations biliaires externes ou internes (qui réduisent
la concentration hépatocytaire des acides biliaires et le prurit),
Erreur fréquente (et grave) de terminologie
l’utilisation de molécules chaperonnes qui améliorent la fonction
de la protéine mutée (4 phénylbutyrate pour PFIC-1 et PFIC- Le terme de « bilirubine libre » est fréquemment (et
2, ciclosporine pour PFIC-3), la transplantation hépatique enfin, abusivement) employé à la place de « bilirubine non conju-
aussi précoce que possible dans les formes sévères, malgré la possi- guée ». Comme expliqué plus haut, la bilirubine libre,
bilité de survenue de lésions spécifiques du greffon (stéatohépatite très lipophile et soluble dans les noyaux gris centraux, est
dans la PFIC-1, allo-immunisation anti-BSEP [puisque cette pro- normalement absente du sang (la faible quantité de bili-
téine n’a pas été identifiée par le système immunitaire fœtal] dans rubine non conjuguée étant liée à l’albumine). Ce n’est
la PFIC-2). qu’en cas de concentration importante et donc anormale
de bilirubine non conjuguée (hémolyse sévère, défaut
Cholestase récurrente bénigne (BRIC pour de glycuro-conjugaison) que les capacités de liaison de
[6, 7]
« Benign Recurrent Intrahepatic Cholestasis ») l’albumine sont dépassées et que la bilirubine libre peut
La cholestase récurrente bénigne est un syndrome géné- passer dans le cerveau et causer des lésions irréversibles
tiquement hétérogène caractérisé par la survenue d’épisodes des noyaux gris centraux (« ictère nucléaire ») chez le
cholestatiques aigus (ictère, prurit, fatigue, anorexie, stéatorrhée), nouveau-né.
débutant typiquement avant 20 ans, durant de quelques jours

- Traité de Médecine Akos 5


4-0310  Hyperbilirubinémies et cholestases génétiques

le syndrome d’Alagille, la maladie de Wilson, le déficit en citrine, [3] Maruhashi T, Higashi Y. Bilirubin and endothelial function. J Atheroscl
la maladie de Niemann-Pick, la maladie de Wolman, les mito- Thromb 2019;26(000–000), http://doi.org/10.551/jatRV17035.
chondriopathies hépatiques, la cholangite sclérosante néonatale, [4] Chen H-L, Wu S-H, Hsu S-H, Liou B-Y, Chen H-L, Chang M-H.
les maladies polykystiques du foie, mais ne sont par convention Jaundice revisited: recent advances in the diagnosis and treatment
pas traitées au chapitre des cholestases génétiques. of inherited cholestatic liver diseases. J Biomed Sci 2018;25(75),
https://doi.org/10.1186/s12929-018.
[5] Jacquemin E. Cholestases intrahépatiques progressives familiales.
Conférence donnée au Collège de France en mai 2016. https://
Remerciements : Au Pr Serge Erlinger, pour sa relecture amicale. youtube/RnNH4PmKPXE.
[6] Sticova E, Jirsa M, Pawlowska J. New insights in genetic cholestasis:
from molecular mechanisms to clinical implications. Can J Gastroen-
Déclaration de liens d’intérêts : L’auteur est conseiller et orateur occasionnel terol Hepatol 2018, https://doi.org/10.1155/2018/2313675.
pour les laboratoires Intercept France et Mayoly-Spindler. [7] Bull LN, Thompson RJ. Progressive familial intrahepatic cholestasis.
Clin Liver Dis 2018;22:657–69, doi:10.1016/j.cld.2018.06.003.
[8] Zhou Y, Zhang J. Arthrogryposis-renal dysfunction-cholestasis syn-
 Références drome: from molecular genetics to clinical features. Ital J Pediatr
2014;40:77.
[1] Perry A, Labrune P. Troubles constitutionnels du métabolisme de [9] Girard M, Lacaille F, Verkarre V, et al. MYO5B and bile salt export
la bilirubine. EMC Hépatologie [7–014–20]. doi:10.10 16/S1155- pump contribute to cholestatic liver disorder in microvillous inclusion
1976(16)71592-0. disease. Hepatology 2014;60:301–10.
[2] Erlinger S, Arias I, Dhumeaux D. Inherited disorders of [10] Gonzales E, Matazzaro L, Franchi-Abella S, Dabadie A, Cohen J,
bilirubin transport and conjugation. New insights into molecu- Habes D, et al. Cholic acid for primary bile acid synthesis defects: a life-
lar mechanisms and consequences. Gastroenterology 2014;146: saving therapy allowing a favorable outcome in adulthood. Orphanet
1625–38. J Rare Dis 2018;13:190.

A. Pariente, Médecin des Hôpitaux retraité.


548, route de la Coustète, 40240 Mauvezin d’Armagnac, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Pariente A. Hyperbilirubinémies et cholestases génétiques. EMC - Traité de Médecine Akos 2020;23(2):1-6
[Article 4-0310].

Disponibles sur www.em-consulte.com


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6 EMC - Traité de Médecine Akos


 5-0270

Syndrome des anticorps


antiphospholipides
A. Mathian, M. Hié, M. Pha, Z. Amoura

Résumé : Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) est une maladie auto-immune chro-
nique individualisée comme l’association de thromboses et/ou d’une morbidité obstétricale et la présence
durable d’anticorps (Ac) dirigés contre les phospholipides (aPL) et/ou leurs cofacteurs protéiques. Le SAPL
est une maladie rare. Les progrès réalisés ont permis une meilleure stratification du risque thrombotique
individuel. Le traitement du SAPL repose sur les médicaments antithrombotiques.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Syndrome des anticorps antiphospholipides ; Anticardiolipides ;


Antiphospholipides ; Anticoagulant circulant ; Anticoagulant lupique

Plan manifestations obstétricales et la présence durable d’un anticoagu-


lant circulant (ACC, parfois appelé anticoagulant lupique) et/ou
■ Introduction 1 d’anticorps anticardiolipide (aCL) et/ou d’anticorps anti-␤2GP1
(a␤2GP1). En dehors des manifestations thrombotiques et obsté-
■ Quand évoquer un syndrome des anticorps tricales classiques, d’autres manifestations dites « non classantes »
antiphospholipides ? 1 méritent d’être signalées [3] . Le Tableau 2 présente les circonstances
Thromboses 1 cliniques devant lesquelles il convient de rechercher un SAPL.
Manifestations obstétricales 1 La présence isolée des anomalies biologiques sans manifestation
Manifestations neurologiques 2 thrombotique ni obstétricale ne permet pas de poser le diagnostic
Manifestations cardiaques 2 de SAPL même en présence de manifestions « non classantes ».
Manifestations dermatologiques 2
Manifestations hématologiques 3
Autres manifestations rares 3 Thromboses
■ Confirmation diagnostique 3
Il s’agit de la manifestation clinique la plus fréquente. Le SAPL
■ Association clinique 3 est la première cause de thrombophilie acquise, trouvé dans 10 %
■ Stratification du risque thrombotique 3 des thromboses artérielles et veineuses [3] . Tous les sièges sont pos-
■ Traitement 4 sibles : artères, capillaires et/ou veines, quelles que soient leur taille
Prophylaxie primaire des thromboses 4 et leur situation anatomique. Le clinicien devra songer au SAPL
Prophylaxie secondaire des thromboses 4 devant des localisations inhabituelles. Ces thromboses peuvent
Syndrome catastrophique des antiphospholipides 5 être emboligènes. Des études ont permis d’identifier des sous-
Manifestations non directement thrombotiques 5 groupes cliniques distincts par la nature des vaisseaux atteints et
Prophylaxie des complications obstétricales 5 du site de récidive. Certains malades développeraient des throm-

boses veineuses ou des embolies pulmonaires (SAPL veineux), et
Conclusion 5
d’autres des manifestations essentiellement artérielles (SAPL arté-
riel) avec notamment des accidents ischémiques cérébraux (AIC).
Le SAPL artériel est statistiquement associé à d’autres atteintes
 Introduction dont le mécanisme princeps pourrait reposer sur des phénomènes
non thrombotiques. Il s’agit de la comitialité, du livedo (Fig. 1),
des valvulopathies cardiaques et de la néphropathie des antiphos-
Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) survient
pholipides. La distinction nosologique entre SAPL thrombotique
essentiellement chez l’adulte jeune, avec une prépondérance
veineux ou artériel n’est toutefois pas absolue car 30 % des
féminine moins marquée que celle du lupus systémique (LS) [1] .
malades combinent épisodes artériels et veineux.

 Quand évoquer un syndrome Manifestations obstétricales


des anticorps Elles sont dominées par les fausses couches spontanées à répéti-
antiphospholipides ? tion et les morts fœtales in utero. Ces manifestations sont en partie
liées à des thromboses de la circulation placentaire, mais elles ne
Des critères internationaux de classification (Tableau 1) défi- doivent pas être classées en tant qu’évènement thrombotique.
nissent le SAPL comme l’existence de thrombose et/ou de Les risques d’accouchement prématuré, de retard de croissance

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(19)86423-2
5-0270  Syndrome des anticorps antiphospholipides

Tableau 1.
Critères révisés de classification du syndrome des anticorps antiphospho-
lipides (SAPL) : consensus international (adapté de [2] ).
Critères cliniques
Thrombose
Au moins 1 épisode thrombotique artériel, veineux ou des petits
vaisseaux, touchant tout tissu ou organe. La thrombose doit être
confirmée par un critère validé et objectif (aspect typique à l’imagerie ou
pour l’examen anatomopathologique, la thrombose doit être présente
sans inflammation vasculaire sous-jacente)
Morbidité obstétricale
Survenue d’au moins 3 fausses couches consécutives et inexpliquées
avant la 10e semaine d’aménorrhée, après exclusion d’une anomalie
anatomique ou hormonale maternelle, et d’une anomalie
chromosomique maternelle ou paternelle
Survenue d’au moins une mort fœtale inexpliquée, après la 10e semaine
d’aménorrhée, avec morphologie fœtale normale documentée par une
échographie ou un examen macroscopique
Survenue d’au moins une naissance prématurée avant la 34e semaine
d’aménorrhée, d’un fœtus morphologiquement normal, en rapport avec
la survenue d’une éclampsie ou d’une prééclampsie sévère, ou avec
démonstration d’une insuffisance placentaire
Critères biologiques
Anticoagulant circulant lupique présent à au moins 2 reprises, à Figure 1. Livedo.
12 semaines d’intervalle, détection selon les recommandations de
l’International Society on Thrombosis and Hemostasis
Anticorps anticardiolipides (IgG et/ou IgM) présents à au moins 2
reprises, à un titre moyen ou élevé (> 40 UGPL ou MPL, ou
> 99e percentile), mesuré par une technique Elisa standardisée “ Point important
Anticorps anti-bêta2GP1 (IgG et/ou IgM) présents à un titre > au
99e percentile, à au moins 2 reprises, à 12 semaines d’intervalle selon Les thromboses artérielles et veineuses sont les manifesta-
une technique Elisa standardisée
tions cliniques les plus fréquentes du SAPL. Tous les sièges
Les critères de SAPL sont remplis si au moins un critère clinique et un critère sont possibles mais le clinicien devra particulièrement son-
biologique sont présents. ger au SAPL devant des localisations inhabituelles.
IgG : immunoglobuline G ; IgM : immunoglobuline M ; UGPL ; isotype IgG ;
MPL : isotype IgM ; Elisa : enzyme linked immunosorbent assay.

Tableau 2. fœtale, de prééclampsie, de syndrome HELLP (hemolysis, elevated


Quand rechercher un syndrome des anticorps antiphospholipides ? liver-enzyme levels, and low platelet count) et d’hématome rétro-
placentaire sont accrus. Le risque de thrombose chez la mère est
Antécédents de thromboses artérielles et veineuses
augmenté lors de la grossesse et le post-partum.
Thromboses veineuses ou embolies pulmonaires récidivantes
Premier épisode de thrombose veineuse de siège inhabituel : cave
inférieure, sus-hépatique, rénale, etc.
Manifestations neurologiques
Première manifestation artérielle systémique, si âge inférieur à 45 ans : La topographie des thromboses artérielles est variable. La
accident ischémique cérébral transitoire ou constitué, infarctus plus fréquente est l’ischémie artérielle cérébrale. Les accidents
myocardique, autre thrombose artérielle ou infarctus viscéral ischémiques peuvent être transitoires ou constitués. Ils sont clas-
Manifestations artérielles systémiques répétées, entre 45 ans et 65 ans, siquement de petite taille et ont tendance à récidiver, parfois de
hors athérome façon asymptomatique et conduire à une démence vasculaire. Il
Mort fœtale (au moins une mort fœtale après dix semaines de gestation) existe de nombreuses manifestations neurologiques dont le méca-
Fausses couches spontanées précoces récidivantes nisme lésionnel reste inconnu : convulsion, chorée, troubles des
fonctions cognitives, myélopathie transverse, hypersignaux de la
Thrombopénie durable inexpliquée
substance blanche, céphalées, etc.
Sérologie syphilitique dissociée (réaction de VDRL positive, TPHA
négatif)
Lupus systémique Manifestations cardiaques
Éclampsie ou prééclampsie surtout si atypique, retard de croissance in Les manifestations thrombotiques cardiaques sont rares :
utero, décollement placentaire infarctus du myocarde du sujet jeune, hypertension artérielle
Livedo racemosa, manifestations dermatologiques liées à un processus pulmonaire (HTAP) secondaire aux embolies pulmonaires, etc.
thrombotique non inflammatoire Les manifestations non thrombotiques sont dominées par des
Végétation ou épaississement valvulaire de cause inconnue, thrombose valvulopathies avec épaississement et rétraction valvulaire dif-
intracardiaque fuse ou, plus rarement, présence de végétations (endocardite de
Chorée non familiale Libman-Sacks). Il s’agit le plus souvent d’insuffisance mitrale ou
aortique. Elles exposent à des complications comme l’endocardite
Infarctus hémorragique surrénalien bilatéral
infectieuse et la dégradation hémodynamique. Une HTAP non
Microangiopathie thrombotique post-embolique complique parfois le SAPL.
Il est fondamental de noter que si les anticorps antiphospholipides peuvent
se rencontrer dans des circonstances très diverses comme la prise de certains
médicaments ou des infections bactériennes et virales, seule l’existence de
Manifestations dermatologiques
manifestations cliniques thrombotiques ou obstétricales permet de définir le
syndrome. Plusieurs manifestations ne permettent pas de remplir les
VDRL : veneral disease research laboratory ; TPHA : treponema pallidum hemagglu- critères de classification même si leur mécanisme est très proba-
tination test. blement de nature ischémique : livedo racemosa (à mailles larges,

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Syndrome des anticorps antiphospholipides  5-0270

irrégulières, non fermées), purpura nécrotique, vascularite live- Tableau 3.


doïde, ulcérations et hémorragies sous-unguéales en flammèches. Prophylaxie des thromboses chez les patients porteurs d’anticorps anti-
Les phlébites superficielles ne sont pas reconnues comme des évè- phospholipides (aPL) ou d’un syndrome des anticorps antiphospholipides
nements classants dans la classification internationale. (SAPL) défini (adapté de [3–5, 9, 10] ).
Prophylaxie primaire
Manifestations hématologiques LS avec ACC et/ou aCL persistant HCQ et aspirine faible dose
(profil aPL à haut risque)
Une thrombopénie périphérique est présente dans environ
10 % des SAPL et 90 % des formes catastrophiques du SAPL. Elle LS avec profil aPL à faible risque HCQ et envisager l’aspirine faible
dose
ne contre-indique pas le traitement anticoagulant.
SAPL obstétrical, en dehors des Aspirine faible dose ou pas de
grossesses et du post-partum traitement
Autres manifestations rares Porteur aPL asymptomatique Pas de traitement ou aspirine
Microangiopathie intrarénale aiguë ou chronique (dite faible dose (notamment si profils
« néphropathie des antiphospholipides »), ostéonécrose asep- aPL à haut risque)
tique, infarctus hémorragique des surrénales, perforation de la Tous patients porteurs d’aPL Contrôle strict des facteurs de
cloison nasale, hémorragie alvéolaire. risque vasculaire
Parfois, le tableau est celui d’une défaillance multiviscérale Situation à risque (chirurgie, Prévention antithrombotique
aiguë par thromboses multiples des petits vaisseaux, réalisant une hospitalisation, grossesse, (dont HBPM)
microangiopathie potentiellement mortelle ou « syndrome catas- post-partum, immobilisation
trophique des antiphospholipides ». prolongée)
Prophylaxie secondaire
Première thrombose veineuse a AVK (INR cible : 2 à 3) ; traitement

“ Point fort Première thrombose artérielle


prolongé
Cardiopathie emboligène :
AVK (INR cible : 2 à 3) ; traitement
Les manifestations cliniques du SAPL sont polymorphes. prolongé
Le diagnostic doit être particulièrement évoqué devant Pas de cardiopathie emboligène b :
des manifestations thrombotiques, neurologiques, car- AVK (INR cible : 3 à 3,5/4)
Ou AVK (INR cible : 2 à
diaques, dermatologiques, obstétricales et hématolo-
3) ± aspirine faible dose
giques. Traitement prolongé
Récidive thrombotique en dépit AVK (INR cible : 3 à 3,5/4)
d’un traitement correctement Ou AVK (INR cible : 2 à
conduit 3) + aspirine faible dose
 Confirmation diagnostique Ou héparinothérapie
hypocoagulante
La recherche d’un ACC consiste à : Traitement prolongé
• dépister un allongement d’un test de coagulation dépendant
des phospholipides : temps de céphaline activée (TCA) ou temps LS : lupus systémique ; ACC : anticoagulant circulant ; aCL : anti-cardiolipide ;
INR : rapport normalisé international ; AVK : antivitamine K ; HNF : héparine
de venin de vipère Russell dilué (dRVVT) ; non fractionnée ; HBPM : héparine de bas poids moléculaire ; HCQ : hydroxy-
• montrer que l’allongement persiste en mélangeant le plasma chloroquine.
a
malade avec un plasma normal (présence d’un inhibiteur) ; Pour les patients avec thrombose veineuse provoquée et avec profil aPL à
• montrer que l’allongement est corrigé par l’adjonction de phos- faible risque de thrombose et sans autre facteur de risque de thrombose, une
durée de traitement selon les recommandations internationales des malades
pholipide (l’effet inhibiteur est dépendant des phospholipides). sans SAPL peut être proposée. L’utilité prédictive de la persistance d’une throm-
La recherche d’ACC : bose résiduelle et le dosage des D-Dimères après arrêt de l’anticoagulation n’est
• peut être effectuée chez les patients sous antivitamine K (AVK), pas validée.
b
cependant les résultats sont moins fiables ; Les experts ne sont pas parvenus à un consensus, la décision sera prise en
fonction des risques de récurrence thrombotique et des risques hémorragiques.
• ne peut pas être effectuée en cas de traitement par héparine
ou anticoagulant oraux directs, sauf si le kit du test utilisé le
permet.  Stratification du risque
La recherche d’anticorps anti-cardiolipide (aCL) et/ou anticorps
anti-␤2 glycoprotéine 1 (a␤2GP1) se fait par méthode Elisa (enzyme thrombotique
linked immunosorbent assay) en IgG (immunoglobuline G) et en
La présence d’un aPL chez un individu constitue un facteur de
IgM (immunoglobuline M).
risque indiscutable de thrombose. Ce risque est très variable :
Les IgA et les anticorps aPL non aCL et non a␤2GP1 (par
• l’ACC corrèle mieux avec la survenu d’évènement clinique que
exemple les anticorps anti-phosphatidylserine/prothrombin,
les aCL et les a␤2GP1 ;
anti-phosphatidylethanolamine...) ne sont pas pris en compte
• les titres moyen/modéré à fort sont définis comme des aCL
dans les critères de classification du SAPL.
supérieurs à 40 UGPL ou UMPL ou supérieurs au 99e percentile
La persistance des aPL (fixé arbitrairement à au moins
et des a␤2GP1 supérieurs au 99e percentile. Ces taux corrèlent
12 semaines) est indispensable pour poser le diagnostic de SAPL.
mieux avec la survenue d’évènement clinique que des titres
En effet, il existe de nombreuses situations où des aPL peuvent
faibles ;
exister transitoirement, notamment lors d’une infection. Ces
• la détection des IgM aCL et a␤2GP1 n’a qu’un très faible intérêt
situations ne doivent pas faire poser à tort le diagnostic de SAPL.
clinique.
Les profils sérologiques aPL à haut risque thrombotique ont fait
 Association clinique l’objet d’un consensus international [3–5] :
• triple positivité ACC, aCL et a␤2GP1 et dans une moindre
Le SAPL peut être rencontré en dehors de tout cadre mesure double positivité (quelle que soit la combinaison) [6] ;
pathologique défini (syndrome « primaire » des anticorps anti- • ACC : c’est le meilleur indicateur de risque thrombotique (et
phospholipides) ou associé à une autre maladie auto-immune obstétrical) ;
(SAPL « secondaire »), essentiellement le LS. Au cours du LS, la • aCL ou a␤2GP1 isolés mais persistant et à titre fort. Le risque
prévalence du SAPL est de 20 à 30 %, la présence des aCL est de de thrombose est d’autant plus important que le titre d’IgG est
25 à 45 % et celle d’un ACC d’environ 15 à 30 %. élevé.

- Traité de Médecine Akos 3


5-0270  Syndrome des anticorps antiphospholipides

Tableau 4.
Prise en charge obstétricale du syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) [5, 10] .
Situation clinique Traitement proposé
aPL asymptomatique Pas de traitement
Ou aspirine faible dose (notamment si profils aPL à haut risque)
Patiente lupique avec aPL Aspirine faible dose
SAPL obstétrical avec ≥ 3 fausses couches précoces récidivantes Aspirine faible dose
(< 10 SA) + HBPM (dose prophylactique, par exemple enoxaparine 40 mg ou dalteparine
5000 unités par jour en injection sous-cutanée) ou + HNF (5000–7500 UI
sous-cutanée/12 h)
SAPL obstétrical avec ≥ 1 mort fœtale in utero (≥ 10 SA) ou Aspirine faible dose
accouchement prématuré (< 34 SA) dans un contexte de + HBPM (dose prophylactique ou intermédiaire, par exemple enoxaparine
prééclampsie sévère ou d’éclampsie ou d’insuffisance placentaire 60 mg/j)
Ou + HNF (7500–10 000 UI sous-cutanée/12 h le premier trimestre puis
10 000 UI/12 h ensuite ou injectée toutes les 8–12 heures et ajustée pour
obtenir un ratio TCA a témoins/patient à 1,5)
Grossesse au cours du SAPL avec antécédent thrombotique Aspirine faible dose
+ HBPM (dose thérapeutique, par exemple enoxaparine 1 mg/kg/12 h ou
dalteparine 100 unités/kg/12 h en sous-cutané)
Ou + HNF (dose thérapeutique injectée/8–12 h et ajustée pour obtenir un ratio
TCA a témoins/patient ou une activité anti-Xa dans les zones thérapeutiques)
Critères non complets : Aspirine faible dose
- 2 fausses couches précoces récidivantes (< 10 SA) ± HNF ou HBPM selon les mêmes modalités que quand les critères de
- accouchement ≥ 34 SA dans un contexte de prééclampsie sévère ou classifications sont complets
d’éclampsie ou d’insuffisance placentaire
Prescription d’héparine à dose prophylactique pendant la grossesse Poursuivre HBPM pendant le post-partum 6 semaines
ou présence d’un facteur de risque additionnel de thrombose
Pas de prescription d’héparine à dose prophylactique pendant la HBPM pendant le post-partum 7–10 jours
grossesse et pas de facteur de risque additionnel de thrombose

ACC : anticoagulant circulant ; aPL : anticorps antiphospholipides ; HNF : héparine non fractionnée ; HBPM : héparine de bas poids moléculaire ; TCA : temps de céphaline
activée ; SA : semaines d’aménorrhée.
a
En absence d’ACC.

La présence isolée d’aCL ou d’a␤2GP1 à titre faible/moyen n’est Prophylaxie secondaire des thromboses
considérée que comme un profil aPL à faible risque de thrombose,
notamment si cette présence est transitoire. Une héparine non fractionnée (HNF) ou une HBPM est instau-
D’autres facteurs de risque thrombotique sont à prendre en rée lors du diagnostic de thrombose puis relayée rapidement par
considération dans la stratification du risque thrombotique : anté- un AVK au long cours, sauf situations particulières [4, 9–11] . Parmi
cédents de thrombose, de complications obstétricales, coexistence les AVK, la warfarine doit être privilégiée. L’anticoagulation ne
d’un LS, tabagisme, obésité, contraception avec estrogène, hyper- doit être arrêtée qu’en cas d’absolue nécessité et les gestes invasifs
tension artérielle et hypercholestérolémie. Des scores de risque doivent être évités.
thrombotiques sont proposés [7, 8] . Le niveau d’anticoagulation visé dépendra du type d’accident
thrombotique : les accidents artériels et/ou récidivants pourrait
nécessiter un niveau d’anticoagulation plus important, mais ceci
n’est pas formellement prouvé pour le moment [4] .
 Traitement
Aucune méthode actuelle ne permet de faire disparaître les Accidents thromboemboliques veineux
aPL. La corticothérapie systémique, les traitements immunosup-
AVK (rapport normalisé international [INR] cible entre 2 et 3).
presseurs et les biothérapies ne sont pas indiqués. Le traitement
repose donc sur les antithrombotiques. Il a fait récemment
l’objet de recommandations internationales résumées dans le Accidents thromboemboliques artériels
Tableau 3 [3–5, 9, 10] , même si les niveaux de preuves sont insuffi-
sants. • AIC secondaires à une cardiopathie emboligène, notamment
La prise en charge des autres facteurs de risque de thrombose une valvulopathie : AVK (INR cible entre 2 et 3).
est impérative. • AIC sans cardiopathie emboligène et ischémie extracérébrale :
AVK. Il n’y a pas de consensus sur l’INR cible. Un INR cible
supérieur à 3 est proposé par beaucoup d’équipes. Cependant,
Prophylaxie primaire des thromboses en raison du risque hémorragique d’un tel traitement, notam-
ment chez les personnes âgées, certaines équipes proposent un
La présence d’anticorps aPL est un facteur de risque de throm- AVK avec un INR cible entre 2 et 3 avec ou sans aspirine faible
bose, même en absence d’antécédent thrombotique. Pendant dose. Un premier accident vasculaire cérébral de cause non
les périodes à haut risque thrombotique (chirurgie, immobilisa- cardio-embolique pourrait être traité par aspirine faible dose
tion prolongée, post-partum), les patients porteurs d’aPL doivent au long cours à condition que le profil sérologique aPL soit de
recevoir une prophylaxie antithrombotique par héparine de type faible risque sans lupus et particulièrement en cas d’un
bas poids moléculaire (HBPM), contention élastique et mobi- facteur de risque réversible [4] . En raison du risque de trans-
lisation précoce. Le praticien peut proposer au long cours de formation hémorragique, l’imagerie cérébrale sera contrôlée
l’aspirine à faible dose, notamment en cas de LS associé et/ou quelques jours après l’instauration d’un traitement anticoagu-
de profil sérologique à risque. Il faut prendre en compte le lant. Pour la même raison, une anticoagulation à dose efficace
risque d’hémorragies graves (≈1 %/an) sous aspirine au long sera contre-indiquée, au moins temporairement, dans les
cours. AIC étendus.

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Syndrome des anticorps antiphospholipides  5-0270

Alternatives thérapeutiques botiques sont débutés lors du diagnostic de la grossesse, vers


Une HNF ou HBPM au long cours sont parfois utilisées quand les 8 SA (semaines d’aménorrhée) et après la première échogra-
AVK sont mis en échec ou qu’il y a un risque hémorragique impor- phie obstétricale qui montre la grossesse intra-utérine évolutive.
tant (INR instable, personne âgée, pathologie psychiatrique...). En cas de prescription d’un AVK au long cours avant la gros-
Les anticoagulants oraux directs sont pour l’instant fortement sesse, celui-ci doit être remplacé, en raison de sa tératogénicité,
déconseillés. L’hydroxychloroquine (HCQ) a une action anti- par une héparine à dose hypocoagulante dès le diagnostic de
thrombotique faible. Les statines peuvent être utilisées pour leurs grossesse (< 6 SA). Le choix entre HNF et les HBPM est laissé
propriétés bénéfiques sur l’endothélium vasculaire, notamment à l’appréciation du clinicien. L’utilisation moins contraignante
s’il y a d’autres facteurs de risque cardiovasculaire. et le risque moins élevé de thrombopénie et d’ostéoporose des
HBPM les font souvent préférer à l’HNF. Sauf indication parti-
culière, l’aspirine est arrêtée à 35/36 SA. L’héparine est arrêtée
Syndrome catastrophique transitoirement pour l’accouchement. En absence d’antécédent
des antiphospholipides thrombotique, le traitement par héparine sera arrêté après six
semaines de post-partum. En cas d’antécédent de thrombose, les
Le traitement repose principalement sur une anticoagulation à AVK seront repris après l’accouchement en sachant que la war-
dose efficace. On y associe une corticothérapie à forte dose et sou- farine est compatible avec l’allaitement. Dans les cas réfractaires,
vent un traitement par immunoglobulines intraveineuses (IgIV) d’autres traitements peuvent être ajoutés : héparine à dose théra-
ou échanges plasmatiques. peutique, HCQ, prednisone et IgIV.

Manifestations non directement


thrombotiques  Conclusion
Dans la majorité des cas, un traitement anticoagulant n’est pas Les progrès réalisés dans la compréhension de la pathogénie du
indiqué. Une corticothérapie est proposée en cas de thrombopé- SAPL ont permis une meilleure stratification du risque thrombo-
nie sévère ou de myélopathie transverse. Une valvulopathie sera tique individuel, en fonction du profil aPL. Le traitement du SAPL
surveillée et opérée en cas de dégradation hémodynamique. Une repose sur les antithrombotiques.
migraine et une épilepsie seront traitées de façon non spécifique.
L’inhibition de la voie mTOR par le sirolimus a été proposée.
Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens
d’intérêts en relation avec cet article.
Prophylaxie des complications obstétricales
(Tableau 4)

La consultation préconceptionnelle dépiste les rares contre-


 Références
indications, précise les traitements, établit la surveillance pendant [1] Duarte-Garcia A, Pham MM, Crowson CS, Amin S, Moder KG,
et après la grossesse, et informe le couple sur le déroulement de Pruthi RK, et al. The epidemiology of antiphospholipid syn-
la grossesse et les risques gravidiques. Les contre-indications aux drome: a population-based study. Arthritis Rheumatol 2019;71:
grossesses sont une HTAP, une insuffisance cardiaque et/ou une 1545–52.
valvulopathie mal tolérée, un accident vasculaire cérébral récent [2] Miyakis S, Lockshin MD, Atsumi T, Branch DW, Brey RL, Cervera R,
et une insuffisance rénale sévère (créatinine > 140 ␮mol/l). et al. International consensus statement on an update of the classifica-
tion criteria for definite antiphospholipid syndrome (APS). J Thromb
Haemost 2006;4:295–306.

“ Point fort [3] Garcia D, Erkan D. Diagnosis and management of the antiphospholipid
syndrome. N Engl J Med 2018;378:2010–21.
[4] Ruiz-Irastorza G, Cuadrado MJ, Ruiz-Arruza I, Brey R, Crowther M,
Derksen R, et al. Evidence-based recommendations for the preven-
Nous recommandons un suivi mensuel, multidisciplinaire tion and long-term management of thrombosis in antiphospholipid
associant médecin interniste, néphrologue ou rhumato- antibody-positive patients: report of a task force at the 13th Inter-
logue et obstétricien. Lorsque la prise en charge thérapeu- national Congress on antiphospholipid antibodies. Lupus 2011;20:
tique est adéquate, plus de 80 % des patientes avec SAPL 206–18.
donneront naissance à un enfant vivant. [5] Tektonidou MG, Andreoli L, Limper M, Amoura Z, Cervera R,
Costedoat-Chalumeau N, et al. EULAR recommendations for the
management of antiphospholipid syndrome in adults. Ann Rheum Dis
2019;78:1296–304.
[6] Pengo V, Ruffatti A, Legnani C, Gresele P, Barcellona D, Erba N, et al.
“ Point important Clinical course of high-risk patients diagnosed with antiphospholipid
syndrome. J Thromb Haemost 2010;8:237–42.
[7] Otomo K, Atsumi T, Amengual O, Fujieda Y, Kato M, Oku K, et al.
Efficacy of the antiphospholipid score for the diagnosis of antiphospho-
Aucune méthode ne permet de faire disparaître durable-
lipid syndrome and its predictive value for thrombotic events. Arthritis
ment les aPL. Le traitement se résume pour l’essentiel au Rheum 2012;64:504–12.
choix des modalités du traitement antithrombotique. La [8] Sciascia S, Sanna G, Murru V, Roccatello D, Khamashta MA, Berto-
prise en charge obstétricale est très spécifique et le suivi laccini ML. GAPSS: the Global Anti-Phospholipid Syndrome Score.
doit être assuré par des médecins ayant une connaissance Rheumatology 2013;52:1397–403.
du SAPL. [9] Giannakopoulos B, Krilis SA. How I treat the antiphospholipid syn-
drome. Blood 2009;114:2020–30.
[10] Ruiz-Irastorza G, Crowther M, Branch W, Khamashta MA. Antiphos-
pholipid syndrome. Lancet 2010;376:1498–509.
La prévention des complications obstétricales du SAPL est résu- [11] Ruiz-Irastorza G, Hunt BJ, Khamashta MA. A systematic review of
mée dans le Tableau 4. L’aspirine à faible dose peut être débutée secondary thromboprophylaxis in patients with antiphospholipid anti-
en préconceptionnel, mais en général, les traitements antithrom- bodies. Arthritis Rheum 2007;57:1487–95.

EMC - Traité de Médecine Akos 5


5-0270  Syndrome des anticorps antiphospholipides

A. Mathian (alexis.mathian@aphp.fr).
M. Hié.
M. Pha.
Z. Amoura.
Service de médecine interne 2, Institut E3M, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47–83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.
Inserm UMRS, Centre de référence national du lupus et syndrome des antiphospholipides et autres maladies auto-immunes, Centre d’immunologie et des
maladies infectieuses (CIMI-Paris), Groupement hospitalier Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Mathian A, Hié M, Pha M, Amoura Z. Syndrome des anticorps antiphospholipides. EMC - Traité de
Médecine Akos 2020;23(2):1-6 [Article 5-0270].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

6 EMC - Traité de Médecine Akos


 6-0933

Pollution atmosphérique
et environnementale et pathologie
respiratoire
C. Raherison Semjen

Résumé : La pollution atmosphérique est le résultat d’un mélange complexe de polluants provenant de
sources anthropiques (trafic routier, transports aériens ou maritimes, la production d’énergie, les indus-
tries, les usines d’incinération, le chauffage domestique, l’agriculture) et de sources naturelles. Selon
l’Organisation mondiale de la santé, 23 % des décès dans le monde serait dû à l’environnement. Les
polluants sont classés en polluants particulaires et en polluants gazeux. L’exposition à la biomasse dans
les pays émergents et à faible niveau de revenu représente un vrai problème de santé publique, avec
un risque accru d’infections respiratoires, d’asthme chez les femmes et les enfants. Dans les pays à
haut niveau de revenu, l’impact de la pollution est connu même pour des niveaux de pollution existant
en dessous des seuils d’alerte. L’exposition à la pollution commence in utero et il existe une fenêtre de
vulnérabilité des polluants sur la croissance pulmonaire entre la naissance et l’âge adulte. Le concept
d’exposome correspond à la prise en compte de toutes les expositions cumulées depuis la préconcep-
tion, qui peuvent impacter la santé humaine. L’exposition aux différents polluants augmente le risque
d’infections respiratoires, d’asthme, de rhinite et de sensibilisation. L’exposition à la pollution particulaire
augmente le risque de développer une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).
© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Pollution ; Biomasse ; Pesticides ; Santé respiratoire ; Exposition ; Environnement

Plan  Introduction
■ Introduction 1 La pollution atmosphérique est le résultat d’un mélange
■ Pollution atmosphérique et environnementale (définitions complexe de polluants provenant de sources anthropiques (trafic
et normes) 2 routier, transports aériens ou maritimes, la production d’énergie,
Polluants particulaires et gazeux 2 les industries, les usines d’incinération, le chauffage domestique,
Combustion de la biomasse 2 l’agriculture) et de sources naturelles (érosion, algues, volcans,
Pesticides 3 marécages). Selon l’Organisation mondiale de la santé, 23 % des

décès dans le monde serait dû à l’environnement, en sachant que
Expologie : évaluation de l’exposition 3
l’environnement (domestique, professionnel) est ici appréhendé
■ Concept d’exposome, épigénétique et pollution 3 de façon large (pollution des eaux et des sols) ; ceci représente
■ Interaction gène-environnement 4 environ 12,6 millions de décès par an, dans les pays émergents
■ Impact de l’exposition in utero 5 ou à faible niveau de revenus. Les maladies respiratoires sont
par essence des maladies environnementales et sont la résultante
■ Effets sanitaires à court terme 5 d’une interaction entre la prédisposition génétique et le cumul des
Infections respiratoires basses 5 expositions débutant in utero et tout au long de la vie. La loi sur
Asthme 5 l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (Laure, 1996) a défini
Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) 5 la pollution comme « l’Introduction par l’homme, directement
Autres affections pulmonaires 6 ou indirectement, dans l’atmosphère et les espaces clos, de sub-
■ Effets sanitaires à long terme 6 stances ayant des conséquences préjudiciables de nature à mettre
Asthme 6 en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques
BPCO 6 et aux écosystèmes, à influer sur les changements climatiques, à
■ Impact respiratoire et allergique et exposition aux pesticides 7 détériorer les biens matériels, à provoquer des nuisances olfactives

excessives ». Elle reconnaît également « le droit à chacun de respi-
Conclusions 7
rer un air qui ne nuise pas à sa santé ». Le changement climatique

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(20)71996-4
6-0933  Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire

Tableau 1.
Normes et seuils d’alerte.
SO2 O3 NOx PM10 PM2,5
Objectif de qualité ou valeur guide a 50 ␮g/m3 /an 120 ␮g/m3 40 ␮g/m3 /an 30 ␮g/m3 /an, voire 10 ␮g/m3 /an
maximum 20 ␮g/m3 /an
Seuil d’information et de recommandation b 300 ␮g/m3 /h 180 ␮g/m3 /h 200 ␮g/m3 /24 h 50 ␮g/m3 /24 h
Seuil d’alerte c
500 ␮g/m sur
3
240 ␮g/m /h 3
400 ␮g/m /24 h
3
80 ␮g/m3 /24 h
3 heures 150 ␮g/m3 en cas (200 ␮g/m3 en cas
consécutives de persistance de persistance)
a
Niveaux fixés dans le but d’éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs sur la santé humaine ou l’environnement, à atteindre dans la mesure du possible.
b
Niveau au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé des populations sensibles.
c
Niveau au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé de l’ensemble de la population. Des mesures d’urgence doivent être prises par le
Préfet.

Pourcentage
<5 > 95
5-50 Données non disponibles
51-80 Non applicable
81-95
Figure 1. Prévalence de la population utilisant la combustion de la biomasse [2] .

par l’augmentation des températures et les émissions de gaz à effet lution a considérablement diminué en France au cours des 40
de serre est susceptible d’impacter également la santé respiratoire dernières années. Les polluants primaires (oxydes d’azotes et par-
et allergique [1] . ticules en suspension) sont émis par une source directement dans
l’atmosphère. L’ozone (O3 ) est un polluant secondaire majeur et
résulte de la transformation des oxydes d’azotes sous l’action des
 Pollution atmosphérique ultraviolets. Il existe des normes OMS et des normes européennes
(Tableau 1).
et environnementale (définitions Ils font l’objet d’une surveillance par un réseau des associations
de la qualité de l’air (AASQA), avec des alertes émises pour infor-
et normes) mer le citoyen du niveau d’exposition auquel il est soumis. Il
existe trois niveaux de réglementation : locale, nationale et euro-
Les polluants sont classés en polluants particulaires et en pol-
péenne. Les particules peuvent être de composition hétérogène.
luants gazeux.
Elles peuvent également avoir des propriétés mutagènes et can-
cérigènes. Il existe d’autres polluants chimiques tels que les COV
Polluants particulaires et gazeux (composés organiques volatiles), les HAP (hydrocarbures aroma-
tiques polycycliques), etc.
Parmi les polluants particulaires, on distingue les poussières,
les fumées noires et les particules de diamètre variable PM10 (dia-
mètre inférieur ou égal à 10 microns), PM2,5 (diamètre inférieur ou Combustion de la biomasse (Fig. 1)
égal à 2,5 microns) et les particules ultrafines, les nanoparticules.
Les polluants gazeux sont représentés par les oxydes de carbone L’exposition à la combustion de la biomasse correspond à la
(CO, CO2 ), les oxydes d’azotes (NOx ) et la combustion des énergies combustion de bois ou de substances végétales ou animales, afin
fossiles. Le trafic automobile représente une source importante de se chauffer ou de se nourrir. La prévalence de l’utilisation de
de particules et d’oxydes d’azotes. Le dioxyde de soufre (SO2 ) la biomasse peut atteindre 60 à 95 % des foyers dans les pays à
est un polluant « historique » qui était dû principalement à la faible niveau de revenus [2] . L’analyse par la présence de capteurs
combustion de matières fossiles contenant du soufre (charbon, dans des foyers utilisant la combustion de la biomasse montre
fuel, gazole, etc.) et de procédés industriels. Cette source de pol- des niveaux d’expositions de particules (et de nanoparticules)

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire  6-0933

Direction et vitesse du vent au niveau des toits Figure 2. Exemple de dispersion des polluants
et des facteurs nécessaires à la modélisation
(Indice Extra).

Échanges hors zone de


recirculation

Immeuble Immeuble
sous le vent au vent
Zone de dispersion
directe des polluants
Zone de
recirculation
des polluants

Vent Vent
Émissions Émissions
Trottoir Trottoir
Chaussée roulante

Largeur de la zone de recirculation

pouvant varier de 300 à 3000 ␮g/m3 , avec des pics de concen- leur diffusion dans l’atmosphère (Fig. 2). La quantité de polluants
trations pouvant aller jusqu’à 30 000 ␮g/m3 . Ces foyers sont émis par le trafic routier résulte de l’intensité du trafic, du type de
caractérisés par leur petite taille et l’absence de ventilation adaptée routes et de véhicules, de la vitesse autorisée, du nombre d’arrêts
et d’évacuation par une cheminée par exemple. Cette exposition (panneaux stops, feux tricolores), et est calculée à partir des fac-
concerne principalement les femmes et les jeunes enfants. teurs d’émissions propres à chaque type de véhicules. Le transport
de ces polluants dans l’atmosphère dépend des conditions météo-
rologiques (vitesse et direction du vent, stabilité thermique et
Pesticides mécanique de l’atmosphère, humidité, rayonnements solaires,
La définition des pesticides est variée. Selon le Petit Larousse, couverture nuageuse, précipitations, etc.) et de la topographie
les pesticides sont des produits chimiques destinés à lutter contre de la surface terrestre (rugosités, obstacles, reliefs). Ces modèles
les parasites animaux et végétaux nuisibles aux cultures. Il existe permettent d’estimer les concentrations de polluants attribuables
également une définition réglementaire (directive CE 91/414 au trafic routier en tout point de la zone d’étude et à n’importe
art. 2) définissant les pesticides comme des produits phytophar- quelle période pour laquelle les données météorologiques sont
maceutiques, enfin il existe une terminologie variée : produit disponibles.
phytosanitaire, produit de santé des plantes. Les pesticides sont L’évaluation de l’exposition à la pollution atmosphérique reste
classés en fongicides, herbicides, insecticides. Il existe plus de un enjeu majeur en épidémiologie environnementale, l’autre
90 familles, 900 substances actives et plus de 9000 spécialités enjeu est la prise en compte simultanée et cumulée de l’impact
commerciales. La toxicologie est complexe. Les pesticides rentrent des différents polluants.
tout à fait dans la définition de la pollution (cf. plus haut). Cer- Plus récemment, un des axes de recherche concerne la biomé-
tains pesticides peuvent être mesurés dans l’air mais en dehors trologie, c’est-à-dire la mise en évidence de biomarqueurs témoins
de mesures très ponctuelles dans le cadre d’étude de recherche, de l’imprégnation, afin d’avoir des mesures biologiques plus
les pesticides ne font pour l’instant pas l’objet d’une surveillance objectives de l’exposition environnementale. L’interprétation des
continue de la qualité de l’air à la différence des polluants parti- études épidémiologiques portant sur la pollution doit tenir
culaires et gazeux, avec existence de seuils d’alerte. Ceci pourrait compte de la méthode d’évaluation de l’exposition environne-
être envisagé pour les zones d’habitation riveraine ou les écoles se mentale.
situant à proximité de champs traités.

 Concept d’exposome,
 Expologie : évaluation épigénétique et pollution (Fig. 3)
de l’exposition
L’exposome est défini par la prise en compte de toutes les
L’évaluation de l’exposition à la pollution atmosphérique a expositions cumulées depuis la préconception, qui peuvent
connu de grands développements au cours des dernières années. impacter la santé humaine : c’est l’étude de l’interaction gène-
On est passé de méthodes d’expositions basées sur les résultats environnement [5] . L’exposome comprend l’exposome externe et
donnés par les stations fixes, à la distance existant entre une habi- l’exposome interne qui se situe au niveau intracellulaire (méta-
tation et un axe routier. La mise en place de capteurs individuels bolique et inflammatoire). Parmi les facteurs environnementaux
est difficile à mettre en œuvre dans les études épidémiologiques les mieux connus faisant partie de l’exposome externe spécifique,
en raison du coût et du nombre de sujets concernés en popu- la pollution intérieure et la pollution extérieure (en intégrant les
lation générale. D’autres outils ont été développés pour évaluer allergènes) ont un rôle important dans la genèse des maladies res-
cette exposition : l’estimation de la distance du lieu de vie à un piratoires et allergiques. L’exposition chimique, professionnelle
axe routier, de l’intensité du trafic routier à proximité de ce lieu, ainsi que l’alimentation ou la prise de médicaments en font inté-
la mesure des polluants traceurs du trafic routier par des stations gralement partie. Le changement climatique, l’urbanisation et la
fixes des réseaux de surveillance de qualité de l’air ou encore la réduction de la biodiversité font partie de l’exposome externe non
modélisation des concentrations de ces polluants devant le lieu spécifique. L’exposome interne dépend de chaque individu, de
de vie [3, 4] . Ces modèles reposent sur des équations complexes qui son âge, de sa morphologie, de son état de santé et de sa prédis-
combinent des données relatives à l’émission des polluants puis à position génétique.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


6-0933  Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire

Implication de l'exposome dans l'allergie

Épigénome Génome

Environnement
ext
xtern
xt e e spécifique
« Omiq
i ues »
Exposition au tabac in utero
Polluants atmosphériques
Interactions gène– Transcriptomiques
Biocontaminants (virus…) Drogue environnement
Régime Allergènes
(pollens, moisissures, animaux
domestiques, hyménoptères…) Adductomiques
Produits de consommation Métabolomiques

Protéomiques…
Environnement externe
non spécifique

Climat
Biodiversité externe (espace vert…)
Exposome
Environnement urbain interne
Dimension sociale
Mobilité

Exposome Eczéma atopique, urticaire (peau)


externe Rhinite allergique (nez, voies aériennes
supérieures)
Asthme (poumon, voies respiratoires
inférieures)
Allergie alimentaire (système digestif,
gorge, langue, cœur)
Allergie aux médicaments
(peau, nez, poumon)
Choc anaphylactique (langue, poumon,
système nerveux central)

Principales maladies allergiques et


organes impliqués

Figure 3. Le concept d’exposome et le développement des maladies allergiques [5] .

Une notion toute nouvelle dans la compréhension de la phy- lulaire. À un niveau de stress ou d’exposition plus élevé (partie 2),
siopathologie est également de considérer que l’ensemble de ces il y aura la synthèse de protéines s’exprimant avec une activité
facteurs environnementaux peuvent affecter l’épigénome, c’est- anti-inflammatoire. À un niveau de stress oxydant plus important,
à-dire agir sur la régulation et l’expression des gènes. Ainsi, il a il y aura une perturbation de la perméabilité mitochondriale, des
été suggéré que l’exposition à la fumée de tabac pouvait induire échanges électrolytiques transmembranaires et donc une apop-
une méthylation de certains segments d’ADN (épigénétique), et tose ou une nécrose cellulaire. En lien avec ce modèle du stress
que ces changements étaient transmis aux générations suivantes, oxydant, de nombreux gènes candidats ont fait l’objet d’études
on parle d’effet transgénérationnel [6] . L’exposition à la pollution en lien avec l’interaction gène-environnement [9] en comparant
pourrait induire la méthylation de FOxP3 (Forkhead box trans- les effets de pollutions chez des sujets ayant des polymorphismes
cription factor 3), ainsi agir sur la dysfonction des lymphocytes T génétiques en rapport avec des gènes candidats impliqués dans le
régulateurs, et donc une aggravation de la réponse inflammatoire stress oxydant. Chez les sujets ayant un polymorphisme génétique
bronchique [7] . rendant la glutathion S transférase (GSTM1, GSTP1) absente ou
non fonctionnelle, l’exposition à l’ozone augmente la fréquence
des symptômes respiratoires, diminue la fonction respiratoire et
 Interaction augmente le risque d’asthme. Il a été suggéré que les patients
présentant ce type de polymorphismes génétiques seraient éga-
gène-environnement lement ceux susceptibles de bénéficier d’une supplémentation
anti-oxydante (vitamine C). Une interaction a été retrouvée avec
Les données expérimentales suggèrent que les polluants comme l’existence d’une sensibilisation aux pollens. Les effets de ce stress
les particules diesel pourraient agir comme des allergènes, en sti- antioxydant sur le système cardiovasculaire sont également bien
mulant la voie du stress oxydatif au niveau cellulaire [8] (Fig. 4). documentés et expliquent les conséquences cardiovasculaires de
À un premier niveau de stress (partie 1), les enzymes l’exposition aux particules fines (inflammation, thrombose, sys-
anti-oxydantes sont sollicitées afin de restaurer l’homéostasie cel- tème nerveux autonome, dysfonction endothéliale) [10] .

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire  6-0933

Figure 4. Modèle cellulaire hiérarchique aux polluants [8] .

Fumarate hydratase
mitochondriale
GM-CSF VDAC-1
Récepteur des Protéine FADD
Stress oxydatif glucocorticoïdes etc.
Récepteur du TNF 2
Catalase p38MAPKα1
SOD iNOS
Hème oxygénase-1 etc.
GAPDH
Métallothionéine
etc.

Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3


Normal Défense Inflammation Toxicité
antioxydante
Réponse cellulaire

 Impact de l’exposition in utero Le projet ESCAPE a réalisé une méta-analyse de dix cohortes
de naissance européennes (n = 16 059) afin de déterminer si
La compréhension des effets de l’exposition à la pollution passe l’exposition à la pollution atmosphérique était associée à une aug-
également par le fait d’intégrer que l’exposition est précoce avec mentation du risque de pneumonie [15] . L’exposition aux NO2 et
une fenêtre de vulnérabilité au cours de la grossesse et des pre- aux PM10 était significativement associée à une augmentation de
mières années de vie. Une cohorte espagnole (INMA cohorte) a l’incidence des pneumonies dès la première année (odds ratio
suivi 620 enfants en incluant les mamans lors de leur suivi de [OR] = 1,30 ; IC95 % : 1,02–1,65 pour une augmentation de
grossesse [11] . L’évaluation de la fonction respiratoire des enfants a 10 ␮g/m3 en NO2 et OR = 1,76 ; IC95 % : 1,00–3,09 pour une aug-
été réalisée à l’âge de 4,5 ans. L’exposition à la pollution atmosphé- mentation de 10 ␮g/m3 en PM10 ) avec un effet homogène retrouvé
rique a été modélisée par rapport au lieu de résidence à l’aide d’un dans toutes les cohortes, en revanche aucun effet des PM2,5 n’était
système d’information géographique et un modèle de régression retrouvé.
linéaire. Différents polluants ont été mesurés : le benzène et les
NO2 . Les enfants dont les mères aient été exposées à des niveaux Asthme
élevés de benzène et de NO2 au cours du second trimestre de la
Chez les patients asthmatiques léger à modéré, le fait de mar-
grossesse, avaient une réduction significative de la fonction respi-
cher à son rythme durant deux heures en étant exposé aux
ratoire : –18,4 ml (intervalle de confiance à 95 % [IC95 %] : –34,8
particules issues de la combustion du diesel en milieu urbain est
à –2,1) pour le benzène et –28,0 ml (IC95 % : –52,9 à –3,2) pour les
associé à une diminution précoce du VEMS (–6 %) dès la deuxième
NO2 ; il existait un effet plus marqué chez les enfants allergiques
heure, effet qui peut persister jusqu’à sept heures après le début
et ceux de niveau socio-économique défavorisé.
de l’exposition, et ce en dehors de tout symptôme [16] .
L’exposition aux polluants durant la grossesse est associée à une
En Guadeloupe, nous avons pu montrer dans une étude en
augmentation du risque de petit poids de naissance, une dimi-
population générale ayant inclus 1463 enfants, que l’exposition à
nution de la fonction respiratoire, une augmentation du risque
l’ozone, avec des niveaux ambiants en dessous des seuils d’alerte,
d’infections respiratoires basses et de l’incidence de l’asthme chez
était associée à une diminution significative du débit expira-
l’enfant [12] . Il n’existe actuellement pas de données permettant
toire de pointe avec un effet plus marqué chez les asthmatiques
de quantifier l’impact sanitaire lié à l’exposition cumulée aux dif-
comparativement aux enfants n’ayant pas d’asthme [17] . L’effet de
férents polluants, mais il existe de nombreux développements
l’exposition aux NO2 et des autres polluants n’était pas retrouvé.
concernant les modélisations statistiques spécifiques.
De façon générale, on estime que l’exposition à des variations
de pollutions (PM2,5 ) même en dehors des pics de pollution,
qu’elle soit particulaire ou gazeuse, est associée à une augmenta-
 Effets sanitaires à court terme tion des crises d’asthme, une augmentation des exacerbations [18]
du recours aux soins avec visites médicales et hospitalisations
Les effets sanitaires à court terme sont définis par l’existence (séries cas-croisés, séries temporelles) avec un effet plus marqué
de manifestations cliniques, fonctionnelles ou biologiques sur- chez les enfants, les personnes âgées durant les périodes de cha-
venant dans des délais brefs (quelques jours) suite aux variations leur excédant deux jours ; mais également avec une augmentation
journalières des niveaux ambiants de la pollution atmosphérique. de la mortalité toutes causes, et des admissions hospitalières res-
Chez les sujets indemnes de toutes affections respiratoires, piratoires et cardiovasculaires en particulier chez les personnes
l’exposition aux PM2,5 est associée à une diminution du volume âgées [19] . Cette augmentation du risque d’exacerbation est plus
expiratoire maximal par seconde (VEMS) de 7 ml environ [13] à importante chez les asthmatiques allergiques aux pollens lorsque
partir du premier jour d’exposition et au-delà. l’exposition à la pollution est concomitante de la période des
pollens, les particules de diesel pouvant jouer le rôle de trans-
porteur des pollens et pouvant également modifier l’allergénicité
Infections respiratoires basses de ceux-ci [20] .

Dans une cohorte de 360 nouveau-nés, l’exposition aux NO2


et aux PM10 est associée à une augmentation de la fréquence des Bronchopneumopathie chronique
infections respiratoires basses, entre 1 et 7 jours après le pic de obstructive (BPCO)
pollution pour les NO2 et après sept jours pour les PM10 . De plus,
il existe un allongement de la durée des épisodes de bronchites Dans une étude en cross-over, des patients ayant une BPCO de
d’environ trois jours [14] . stade 2 stables depuis six mois ont marché durant deux heures à

EMC - Traité de Médecine Akos 5


6-0933  Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire

leur rythme dans Hyde Park et dans Oxford Street (exposition plus des concentrations en NO2 au-dessus des seuils fixés par l’OMS
marquée aux particules fines PM2,5 , particules ultrafines, PM10 et concernant les normes de la qualité de l’air (40 ␮g/m3 ), et que
NO2 ). Il y avait également deux autres groupes de sujets, des sujets 76 % des écoles avaient également des concentrations en PM10
témoins indemnes de toute affection et des patients ayant une car- au-dessus des normes (20 ␮g/m3 ). La concentration en particules
diopathie ischémique. Chez tous les participants, marcher dans à l’intérieur des locaux et à l’extérieur des locaux était identique
Hyde Park était associé à une augmentation de la fonction respi- pour toutes les écoles.
ratoire, ce bénéfice s’amenuisait lors de la marche dans Oxford La modélisation de l’exposition aux polluants par le modèle
Street. Les patients ayant une BPCO rapportaient significative- STREET a permis de montrer également un lien entre exposition
ment par rapport aux autres sujets une augmentation de la toux, au benzène, aux composés organiques volatiles (COV). L’asthme,
des expectorations, de la dyspnée et des sifflements, et ce dès la que ce soit l’asthme induit par l’exercice, l’asthme vie ou l’asthme
fin de leur marche. De même, une diminution du VEMS, de la au cours des 12 derniers mois, était significativement associé
capacité vitale forcée (CVF) et une augmentation des résistances à l’exposition au benzène, au SO2 , aux PM10 , aux NOx et aux
étaient plus marquées chez les patients BPCO lors de la marche monoxydes de carbones. De même, l’eczéma était significative-
dans Oxford Street [21] . En revanche, on ne connaît pas l’effet pré- ment associé au benzène, PM10 , NO2 , NOx et CO ; la rhinite
ventif des médicaments inhalés sur les symptômes et la fonction allergique au cours de la vie était significativement associée aux
respiratoire. PM10 et la sensibilisation aux pollens était significativement asso-
Pour une augmentation de 10 ␮m/m3 de PM10 , il existe une ciée à l’exposition au benzène (possible effet irritant) et aux PM10 .
augmentation du risque d’exacerbations de BPCO avec hospita- Concernant la qualité de l’air intérieur, nous avions pu également
lisations d’environ 1 à 2 % en Europe ou aux États-Unis ; ainsi montrer que 30 % des enfants étaient exposés à des niveaux de
qu’une augmentation de la mortalité à court terme [22] . polluants élevés [27] (Fig. 5). Le risque de rhinite allergique au cours
des 12 derniers mois était significativement associé à des concen-
trations élevées en formaldéhyde dans les classes (OR = 1,19 ;
Autres affections pulmonaires IC95 % : 1,04–1,36). Une augmentation du risque d’asthme au
cours des 12 derniers mois était également associée avec un niveau
Chez les patients ayant une fibrose pulmonaire idiopathique,
élevé de particules fines PM2,5 (OR = 1,21 ; IC95 % : 1,05–1,39),
l’exposition à des variations des niveaux de pollution pour
d’acroléine (OR = 1,22 ; IC95 % : 1,09–1,38) et de NO2 (OR = 1,16 ;
l’ozone et le NO2 était associée à une augmentation du risque
IC95 % : 0,95–1,41).
d’exacerbation survenant six semaines après [23] . De même, 192
Dans la cohorte américaine [28] , les auteurs ont suivi 1759
patients ont été suivis dans le cadre de la cohorte COFI ; le risque
enfants âgés de 10 ans durant huit ans avec une mesure de la
d’exacerbation était également associé à l’exposition à l’ozone
fonction respiratoire par an. Ils ont pu montrer qu’il existait une
six semaines auparavant [24] . La mortalité était significativement
corrélation significative entre la proportion d’enfants ayant une
associée à des niveaux élevés de particules fines PM2,5 et moins
fonction respiratoire altérée (VEMS < 80 %) et le fait de vivre dans
fines PM10 . Chez les patients ayant une mucoviscidose, une série
certaines villes polluées avec un taux élevé de PM10 , PM2,5 et NO2 .
comportant 103 patients a montré que le risque d’exacerbation
Aucune relation significative n’a été retrouvée avec l’exposition à
était significativement associé à un niveau d’exposition élevé
l’ozone. L’hypothèse d’un impact de la pollution sur un ralentisse-
d’ozone, et ce deux jours après l’exposition [25] . En revanche,
ment de la croissance pulmonaire entre 10 et 18 ans a également
aucune autre association significative n’était retrouvée avec les
été évoquée. La même équipe a montré que vivre à proximité
autres polluants particulaires ou oxydes d’azote.
d’une autoroute (moins de 500 m) était également associé à une
diminution du VEMS et du DEM 25–75 [29] . Les mêmes auteurs ont
 Effets sanitaires à long terme publié plus tard l’impact positif des études d’interventions sur la
fonction respiratoire des enfants [30] .
Plus récemment, la cohorte PARIS a inclus 2015 nouveau-nés
Les effets sanitaires à long terme sont définis par la survenue et les a suivis jusqu’à l’âge de 4 ans [31] . L’exposition à la pollu-
d’affections ou de pathologies survenant après une exposition tion liée au trafic automobile a été estimée par la modélisation
chronique (plusieurs mois ou années) à la pollution atmosphé- de l’exposition aux NOx au cours de la première année. Une aug-
rique ambiante ; les analyses peuvent également utiliser la notion mentation de la concentration en NOx (26 ␮g/m3 ) était associée
de diminution de l’espérance de vie (mortalité prématurée). significativement à une augmentation du risque de sifflements
persistants (OR = 1,27 ; IC95 % : 1,09–1,47) à l’âge de 4 ans, de toux
Asthme sèche, de symptômes de rhinite, surtout chez les enfants ayant un
terrain atopique parental.
En France, l’étude des six-villes (Bordeaux, Clermont-Ferrand, Dans le cadre du suivi à 8–9 ans, l’exposition post-natale aux
Créteil, Marseille, Strasbourg, Reims) dans le cadre du protocole NOx était significativement associée à une réduction de la fonc-
international ISAAC-II (International Study of Asthma and tion respiratoire chez les enfants ayant présenté des infections
Allergies in Childhood) a contribué largement à une meilleure respiratoires basses à répétition ou chez les enfants sensibilisés [32] .
connaissance de l’exposition à la pollution extérieure et intérieure Une méta-analyse récente des cohortes de naissance [33] por-
des enfants âgés de 9 à 11 ans (n = 6672) en milieu scolaire dans tant sur l’impact de l’exposition au trafic automobile en mesurant
plus de 108 écoles. L’exposition à la pollution a été modélisée à l’exposition aux particules fines PM2,5 confirme le lien entre expo-
partir des données de pollution de fond autour des écoles sur les sition aux PM2,5 et apparition des cas incidents d’asthme, de
trois années précédant la réalisation de l’étude [26] . Après ajuste- rhinite et de sensibilisation allergique.
ment sur les facteurs de confusion, l’asthme induit par l’exercice,
l’asthme vie et la rhinite allergique étaient significativement
associés à l’exposition aux SO2 , PM10 et O3 . L’OR ajusté pour BPCO
une augmentation de 5 ␮g/m3 de SO2 était de 1,39 [1,15–1,66]
pour l’asthme induit par l’exercice ; l’OR ajusté était de 1,19 Une méta-analyse récente regroupant 35 études et 73 122
[10–1,410–1,41][10–1,41,1,00,1,41][10–1,41,10–1,41][10–1,41,1, participants [34] a montré que l’exposition à la biomasse était signi-
00–1,41] pour l’asthme vie. L’augmentation du risque d’avoir ficativement associée à une augmentation du risque de bronchite
une rhinite allergique en étant exposé aux PM10 était de 1,32 chronique (OR = 2,89, IC95 % : 2,18–3,82), de BPCO (OR = 2,65,
[1,04–1,68]. Il existait également une augmentation du risque IC95 % : 2,13–2,61) ; le risque de BPCO variait en fonction des
de sensibilisation allergique en rapport avec l’exposition à l’O3 pays, avec le risque le plus élevé en Afrique (OR = 3,19), en Asie
(OR = 1,34 [1,24–1,46]). L’analyse de sensibilité concernant les (OR = 2,88), en Amérique du Sud (OR = 2,0), puis plus faible en
enfants n’ayant pas déménagé depuis huit ans montrait une Europe et en Amérique du Nord.
stabilité des résultats. Aucune association n’a été retrouvée entre En Chine, le risque de développer une BPCO (cas incidents) était
les différents indicateurs sanitaires et l’exposition aux NO2 . lié au nombre d’années exposées à la combustion de la biomasse,
Nous avons également montré que [4] 64 % des écoles avaient chez les non-fumeurs et chez les femmes [35] . Plus récemment à

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire  6-0933

7000

6000

36,6 % 35,2 % 34,3 % 33,7 %


5000 14,1 %

Nombre d'enfants
14,2 %
4000

30,9 % 31,8 % 33,3 % 33,9 %


3000

2000

32,4 % 71,7 %
1000 32,5 % 33,0 %
32,4 %

0
NO2 PM2.5 Formaldéhyde Acétaldéhyde Acroléine
Faible Moyen Élevé
Figure 5. Exposition à l’intérieur des écoles des enfants (étude des six-villes, n = 6590) ; les tertiles sont définis selon la distribution des polluants dans les
classes (␮g/m3 ) : dioxyde d’azote (NO2 ) : faible ≤ 23,7, moyen > 23,7 à ≤ 31,6, élevé > 31,6 ; (PM2,5 ) : faible ≤ 12,2, moyen > 12,2 à ≤ 17,5, élevé > 17,5 ;
formaldéhyde : faible ≤ 19,1, moyen > 19,1 à ≤ 28,4, élevé > 28,4 ; acétaldéhyde : faible ≤ 6,5, moyen > 6,5 à ≤ 9,9, élevé > 9,9 ; acroléine : faible = limite
de détection (LD), moyen > LD à ≤ 1,55, élevé > 1,55.

Taiwan, parmi une population non fumeuse de 90 000 sujets, le (toux, sifflements, gênes respiratoires) chez des enfants habitant à
fait de vivre en milieu urbain et d’être exposé aux particules fines proximité de champs traités [44] . Nous avons récemment montré
PM2,5 (> 40 ␮g/m3 ) était associé au risque de développer une BPCO dans le cadre d’une étude pilote que l’exposition aux fongicides
avec un hazard ratio (HR) = 2,5 [36] . (biomarqueurs urinaires) en milieu viticole était associée à une
augmentation du risque d’asthme et de rhinite chez les enfants
scolarisés dans des écoles à proximité de champs traités [45] .
 Impact respiratoire
et allergique et exposition  Conclusions
aux pesticides L’impact de la pollution sur la survie globale a fait l’objet d’une
étude intéressante portant sur les facteurs associés à la préva-
L’impact respiratoire de l’exposition aux pesticides a longtemps lence de centenaires aux États-Unis ; parmi les facteurs retrouvés,
été méconnu ; si on fait référence au dernier rapport Inserm sur l’exposition à des faibles niveaux de pollution au cours de la vie,
l’impact des pesticides, la santé respiratoire est la grande absente un faible tabagisme actif, l’absence de précarité et d’obésité étaient
de ce rapport [37] . Pourtant, les données expérimentales existent significativement associés à une longévité plus grande [46] . L’état
et suggèrent un effet bronchoconstricteur voire cytotoxique sur la
muqueuse bronchique pour les fongicides [38] .
L’exposition professionnelle aux pesticides (notamment les her-
bicides et les fongicides) en milieu agricole est associée à une
augmentation du risque d’asthme [39] , de symptômes respiratoires,
de bronchite chronique [40] . Nous avons pu montrer dans le cadre
“ Points essentiels
de la cohorte française AGRICAN (n = 18 429) que l’exposition • La pollution atmosphérique est le résultat d’un mélange
aux pesticides en milieu viticole et en milieu maraîcher augmen-
complexe de polluants provenant de sources anthropiques
tait le risque de développer un asthme [41] , y compris chez les sujets
ayant vécu en milieu rural depuis l’enfance.
et de sources naturelles.
Un travail récent [42] issu de la cohorte tasmanienne suggère
• Les polluants sont classés en polluants particulaires et en
que l’exposition aux pesticides évaluée par une matrice emploi- polluants gazeux.
exposition était associée au risque de développer une bronchite • L’exposome est défini par la prise en compte de toutes
chronique, ainsi qu’une BPCO évaluée de deux façons, selon les expositions cumulées depuis la préconception, qui
GOLD et avec la limite inférieure de la normale (OR = 1,74 peuvent impacter la santé humaine.
[10–37,00–3,07][10–3,07,1,00–3,07][10–37,1,00–3,07][10–3,07,1, • Il existe une prédisposition génétique impliquant le
00–3,07]). polymorphisme des gènes impliqués dans le stress oxy-
Il existe en revanche peu de données concernant le risque dant.
d’exposition résidentielle ou environnementale aux pesticides sur • L’impact sanitaire de l’exposition aux polluants
la santé respiratoire [43] , cependant certaines études de cohorte
suggèrent que l’exposition maternelle au cours de la grossesse avec
commence in utero.
mesures de biomarqueurs témoignant de l’imprégnation serait
• L’exposition à la pollution augmente le risque de déve-
associée au risque de développer un asthme chez l’enfant au cours lopper un asthme, une BPCO, une altération de la fonction
des premières années de vie. Des études transversales suggèrent respiratoire.
une augmentation de la prévalence des symptômes respiratoires

EMC - Traité de Médecine Akos 7


6-0933  Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire

actuel des connaissances montre que l’impact de l’exposition aux [18] Zheng XY, Ding H, Jiang LN, Chen SW, Zheng JP, Qiu M, et al. Asso-
polluants sur la santé respiratoire est majeur tant sur les effets à ciation between air pollutants and asthma emergency room visits and
court terme que sur les effets à long terme. Les effets de pollu- hospital admissions in time series studies: a systematic review and meta-
tion commencent dès la vie in utero et ont un impact tout au analysis. PLoS One 2015;10:e0138146.
long de la vie. La pollution (intérieure et extérieure) fait appel à [19] Atkinson RW, Kang S, Anderson HR, Mills IC, Walton HA. Epi-
des composés complexes et hétérogènes. Il faut garder à l’esprit demiological time series studies of PM2.5 and daily mortality and
que les effets respiratoires ne constituent qu’une partie des consé- hospital admissions: a systematic review and meta-analysis. Thorax
2014;69:660–5.
quences sanitaires, et qu’il existe des inégalités socio-économiques
[20] Bartra J, Mullol J, del Cuvillo A, Davila I, Ferrer M, Jauregui I,
profondes vis-à-vis du risque lié à la pollution. L’impact sanitaire
et al. Air pollution and allergens. J Investig Allergol Clin Immunol
et respiratoire des pesticides constitue très vraisemblablement le
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prochain enjeu émergent d’un point de vue environnemental et
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a traffic-polluted road compared with walking in a traffic-free area in
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8 EMC - Traité de Médecine Akos


Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire  6-0933

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C. Raherison Semjen (chantal.raherison-semjen@u-bordeaux.fr).


Inserm U1219 EpiCene Team, Service des maladies respiratoires, Université de Bordeaux, CHU de Bordeaux, avenue Magellan, 33604 Pessac, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Raherison Semjen C. Pollution atmosphérique et environnementale et pathologie respiratoire. EMC - Traité
de Médecine Akos 2020;23(2):1-9 [Article 6-0933].

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EMC - Traité de Médecine Akos 9


 7-0352

Conduites suicidaires à l’adolescence


X. Benarous, M.-J. Guedj, S. Garny de la Rivière, J.-M. Guilé, D. Périsse

Résumé : Les conduites suicidaires à l’adolescence représentent un problème majeur de santé publique
non seulement du fait de leur fréquence mais aussi de leur gravité potentielle. Un peu plus d’un adolescent
sur dix rapporte avoir eu des idées suicidaires dans l’année qui précède et environ 4 % d’entre eux auraient
déjà tenté de se suicider. Il s’agit de la seconde cause de mortalité à cet âge. Parmi les nombreux facteurs
de risque impliqués, les plus importants sont l’existence d’un geste suicidaire antérieur et d’un trouble
psychiatrique caractérisé, en particulier dépressif. Chez les adolescents les plus jeunes, l’identification
d’une crise suicidaire peut être rendue compliquée par les troubles du comportement à type de réactions
agressives et impulsives qui peuvent être au premier plan. Chez les adolescents plus âgés, l’accroissement
progressif d’un sentiment de désespoir et des idées de mort peuvent rester longtemps masqués derrières
des plaintes banales anxieuses ou psychosomatiques associées à un retrait relationnel ou au contraire à
des prises de risque inconsidérées. Si les conduites suicidaires de l’adolescent sont parfois la manifestation
d’un trouble psychiatrique caractérisé, le geste suicidaire est quasiment toujours adressé à l’entourage.
Il représente alors pour l’adolescent l’ultime moyen de faire entendre une souffrance et un désir de
changement indicible. La prise en charge des adolescents après une tentative de suicide fait l’objet de
recommandations à la pratique professionnelle : tout adolescent suicidant doit être admis dans un service
d’urgence hospitalier où il est évalué sur les plans somatique, psychologique et social. Dans un certain
nombre de cas, une hospitalisation spécialisée est indiquée. Une fois la crise suicidaire passée, le relai du
jeune et de sa famille vers des professionnels de santé (psychiatre, psychologue) est un enjeu essentiel. Au-
delà du repérage diagnostique et du traitement d’un trouble psychiatrique caractérisé, des interventions
centrées sur la famille aident à mobiliser au mieux les ressources du système familial pour rendre audible
différemment la détresse de l’adolescent et aider chacun à s’y ajuster au mieux.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Idées suicidaires ; Tentative de suicide ; Conduites à risque ; Dépression ; Adolescence

Plan soit-elle dans sa dangerosité immédiate. Outre la possibilité de


survenue de complications somatiques potentiellement mortelles
■ Introduction 1 à court terme, le risque principal est la prolongation soit d’une
souffrance psychique, soit d’un sentiment de défi qui s’exprime
■ Définitions et terminologie 1 par une récidive suicidaire. Une TS n’est pas nécessairement
■ Données épidémiologiques 2 sous-tendue par un désir de mort explicite, elle peut traduire
■ Spécificités de la crise suicidaire chez l’adolescent 2 plus globalement un dépassement des capacités d’ajustement de

l’adolescent face à une situation sur laquelle il n’a plus prise. Le
Psychopathologie des conduites suicidaires à l’adolescence 3
geste suicidaire peut venir alors témoigner d’un désir de chan-
Des conduites à risque à la crise suicidaire 3
gement ou servir l’illusion pour l’adolescent d’un sentiment de
Aménagement du lien de dépendance 3
contrôle et de suspension des enjeux conflictuels psychologiques
■ Évaluation du risque suicidaire 3 inhérents à cette période de la vie.
Contextes de l’évaluation 3
Évaluation de l’état somatique 4
Évaluation du risque suicidaire 4  Définitions et terminologie
Évaluation psychiatrique 5

Les conduites suicidaires sont un terme qui regroupe les idées
Prise en charge des conduites suicidaires 5
suicidaires et les TS. Les TS se définissent comme des actes auto-
Aux urgences 5
infligés motivés par une intention de mort implicite ou explicite
Hospitalisation 5
sans que l’issue n’ait été fatale. Les idées suicidaires correspondent
Ambulatoire 6
aux pensées concernant le désir et la méthode de se donner la
■ Conclusion 6 mort. Quand ces idées sont exprimées en suggérant que le pas-
sage à l’acte est imminent, on parle alors de menaces suicidaires.
La crise suicidaire se définit comme une crise réversible et tem-
poraire au cours de laquelle les idées et les intentions suicidaires
 Introduction se majorent rapidement ; le risque majeur est la TS. Il faut dif-
férencier le terme de « suicidaire » qui s’applique aux personnes
Une tentative de suicide (TS) chez un adolescent n’est jamais ayant des idées de mort, à celui de « suicidant » qui caractérise les
une conduite anodine. Elle ne doit pas être banalisée, si minime personnes ayant fait une TS.

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(19)41418-X
7-0352  Conduites suicidaires à l’adolescence

Conduites suicidaires

Idées Tentative
Suicide
suicidaires de suicide

Crise suicidaire

• Sévérité (score de 1 à 5) • Sévérité (score de 1 à 5)


• Intensité : fréquence, durée, maîtrise, éléments dissuasifs • Létalité potentielle et constatée

Figure 1. Terminologie des idées et conduites suicidaires. La sévérité des idées suicidaires peut être classée de 1 à 5 [2] : 1. désir d’être mort ou idées de
mort passives ; 2. pensées suicidaires actives non spécifiques ; 3. pensées suicidaires actives avec une méthode pour mourir mais sans intentionnalité ; 4.
pensées suicidaires actives avec une intentionnalité bien établie mais sans scénario ; 5. pensées suicidaires actives avec scénario. La sévérité de tentative de
suicide peut aussi être classée de 1 à 5 : 1. préparatifs du geste suicidaire ; 2. geste suicidaire avorté (arrêté avant d’avoir commencé) ; 3. geste suicidaire
interrompu (arrêté pendant le déroulement) ; 4. tentative de suicide avérée ; 5. abouti, c’est-à-dire geste suicidaire à l’issue létale.

D’autres situations cliniques, qui peuvent être associées à des la TS il est de deux filles pour un garçon. Les décès par suicide
idées de mort chez l’adolescent, ne sont pas considérées comme font souvent suite à l’utilisation de moyens à fort potentiel létal
des conduites suicidaires [1] : (pendaison, défenestration). Les études d’autopsie psychologique
• les conduites auto-infligées sans intention consciente de mort, montrent que près de 90 % des suicidés présentaient au moins un
comme les automutilations ; trouble psychiatrique au moment du passage à l’acte suicidaire [9] .
• les phobies d’impulsion qui correspondent à une peur incon-
trôlable de perdre le contrôle de soi et de se blesser ;
• les conduites à risque dans lesquelles l’exposition à des situa-  Spécificités de la crise suicidaire
tions pouvant mettre en jeu l’intégrité physique est recherchée
mais sans désir de mort ;
chez l’adolescent (Tableau 1)
• une mauvaise observance à un traitement pour une maladie Au cours d’une crise suicidaire, le suicide va progressivement
chronique ou un refus de soins en cas de maladie grave enga- apparaître à l’adolescent comme l’unique solution permettant de
geant le pronostic vital ; sortir de l’impasse et de l’état de tension interne dans lesquels il
• des conduites d’alcoolisation ou d’addiction qui par leur répé- se trouve. Dans certains cas d’adolescents impulsifs, la tempora-
tition et leur intensité peuvent engager le pronostic vital. lité des idées et des passages à l’acte est très courte et ne laisse
Bien que ces conduites ne soient pas à proprement parler des aucune place à un temps de crise [10, 11] . Les manifestations de la
comportements suicidaires, elles peuvent constituer des symp- crise suicidaire à l’adolescence sont polymorphes [8] , incluant :
tômes d’une crise suicidaire, surtout si leur sévérité ou leur • des symptômes du registre anxiodépressif : perte d’intérêt et
fréquence augmentent rapidement. Certains auteurs s’y référent de plaisir pour les activités habituelles, trouble de l’estime
sous le terme d’équivalents suicidaires (Fig. 1). de soi, sentiment d’impuissance, perte d’espoir, troubles de
l’attention, de la concentration et de la mémoire, troubles du
sommeil, modification des conduites alimentaires, ou encore
 Données épidémiologiques douleurs et plaintes somatiques répétées (maux de tête ou maux
de ventres itératifs) ;
Dans l’Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel • des comportements de retrait : isolement relationnel et repli,
de préparation à la défense (ESCAPAD) 2017 conduite auprès de désinvestissement scolaire ou universitaire, des autres activi-
39 115 adolescents français âgés de 17 ans, plus d’un jeune sur tés sportives ou culturelles, fléchissement récent et massif des
dix déclarait avoir déjà pensé au suicide dans les 12 derniers mois résultats scolaires ou au contraire un surinvestissement excessif,
(soit 8,2 % des garçons et 14,8 % des filles) [3] . Près de 3 % des absentéisme, inhibition massive, un comportement trop calme,
adolescents de 17 ans rapportaient avoir déjà fait une TS ayant trop isolé, ou trop studieux ;
nécessité une hospitalisation, avec une fréquence trois fois plus • des prises de risque inconsidérées : conduites à risque,
importante chez les filles que chez les garçons (respectivement comportements ordaliques, actes délictueux, provocations ves-
4,3 % et 1,5 %) [3] . L’étude Baromètre santé retrouve des chiffres timentaires, attitudes outrancières et provocatrices, insultes,
comparables avec une prévalence vie entière des TS de près de 4 % comportements d’opposition, comportements agressifs, fugues,
chez ces jeunes âgés de 15 à 19 ans [4] . errances avec comportement plus ou moins déviant ;
Dans 99 % des cas la TS est précédée d’idées suicidaires. Dans • des consommations répétées de substances : le plus souvent
90 % des cas la TS est faite à l’aide de médicaments, des tranquilli- alcool, tabac, et cannabis, parfois autres substances illicites,
sants dans la moitié des cas. Les autres moyens de TS sont plus mais aussi un abus d’écran en particulier chez les plus jeunes.
rares chez l’adolescent : phlébotomie, défenestration, ingestion Ces signaux, en soi peu spécifiques, sont d’autant plus préoc-
de toxiques, noyade, précipitation sous un véhicule, pendaison cupants qu’ils sont sévères, fréquents, associés entre eux, qu’ils
ou arme à feu [5, 6] . Après un premier geste suicidaire, une nou- évoluent durablement avec une tendance à s’amplifier et plus glo-
velle TS survient dans près de 40 % des cas, pour la moitié d’entre balement en cas de rupture du fonctionnement antérieur [1, 10] . Des
eux dans l’année suivant le premier geste suicidaire [6] . symptômes plus spécifiques de la crise suicidaire peuvent appa-
Le suicide est en France la deuxième cause de mortalité chez raître et venir témoigner d’un risque de passage à l’acte imminent :
les 15 à 30 ans [7] soit 14 % des décès à cet âge, contre 2 % de • un sentiment de désespoir, une souffrance psychique intense,
mortalité par suicide tous âges confondus. La mortalité par suicide une réduction du sens des valeurs, un cynisme, un goût pour le
dans l’année qui suit une TS est de 1 %, soit 50 fois plus que le morbide ;
reste de la population. Le taux de décès par suicide au cours de la • des idées de suicide ou idéations suicidaires : allant des idées
vie chez les sujets ayant tenté de se suicider est de plus de 10 %. morbides vagues et floues jusqu’à une planification avec un
Chaque année, 650 personnes de moins de 24 ans se suicident en scénario établi. On distingue habituellement les idées de mort
France comparées à environ 40 000 TS [8] . Le sex-ratio des suicides passives (« que se passerait-il si je n’existais plus ») et actives
aboutis est d’environ trois garçons pour une fille alors que pour (« que se passera-t-il si je me donne la mort ») ;

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Conduites suicidaires à l’adolescence  7-0352

Tableau 1.
Spécificités des conduites suicidaires selon l’âge.
Chez le jeune adolescent (10–13 ans) Chez le grand adolescent (14–18 ans)
Expression d’idées suicidaires Rare et théoriquement possible dès l’âge de 9 ans Fréquente, elles ne doivent toutefois pas être banalisées
Tout jeune qui exprime des idées suicidaires ne présente pas Tout propos suicidaire nécessite une évaluation
nécessairement une crise suicidaire (par exemple : menace
suicidaire sous l’emprise de la colère dans un contexte
d’intolérance à la frustration)
Tout propos suicidaire nécessite une évaluation
Facteurs de vulnérabilité Rechercher en priorité : Rechercher en priorité :
- facteurs familiaux (+++) : bouleversements familiaux - conflits familiaux, isolement affectif
(placement), abus ou négligence grave, isolement affectif - échecs (notamment scolaires), déscolarisation
- environnement scolaire : entrée au collège, contexte de - ruptures sentimentales
harcèlement - maladie chronique ou handicap physique
- facteurs tempéramentaux : impulsivité, syndrome de
dysrégulation émotionnelle
Crise suicidaire Au premier plan : Au premier plan :
- symptômes anxiodépressifs, plaintes somatiques - conduites à risques : attirance pour la marginalité,
fonctionnelles, encoprésie ou énurésie secondaire fugues, conduites excessives ou déviantes, prises de
- isolement relationnel inhabituel avec parfois utilisation risque sexuelles, conduites ordaliques
abusive des écrans - désinvestissement scolaire avec baisse des résultats
- prises de risques pouvant passer inaperçues : blessures à - fréquence des symptômes alimentaires : conduites
répétition, tendance à être le souffre-douleur des autres restrictives et de boulimie
Tentative de suicide - Dimension impulsive plus marquée - Généralement précédée d’idées suicidaires de plus en
- Défenestration et précipitation non exceptionnelles plus envahissantes
- Grand majorité par intoxication médicamenteuse
Association avec un trouble - Rare mais dimension impulsive et dysrégulation - Modéré pour les TS (mais élevé dans les cas de suicide
psychiatrique caractérisé émotionnelle très fréquente abouti)
- Contexte difficultés sociales ou perturbations du - Fonctionnement limite fréquemment associé à TS à
fonctionnement familial constamment retrouvé répétition
- Dimension d’impulsivité et d’anxiété

TS : tentative de suicide.

• des préoccupations liées à la préparation du geste suicidaire : gement de la manière dont l’entourage va pouvoir y répondre
plan, moyens létaux, et les comportements d’anticipation et adresser les angoisses du jeune qui les sous-tendent [17, 18] .
(rédaction de lettres). Les relations avec d’autres jeunes jouent aussi un rôle important
dans la pérennisation de telles conduites, avec la résonance toute
particulière des réseaux sociaux qui peuvent accroître les effets
 Psychopathologie des conduites d’imitation et d’escalade. D’une façon générale, les conduites de
mises en danger et de recherche de limites doivent nous alerter
suicidaires à l’adolescence quand elles perdent leur valeur symbolique, à savoir quand elles
deviennent répétées, systématiques, de gravité particulière et a
La TS à l’adolescence vient toujours témoigner du dépassement fortiori chez un adolescent qui s’isole.
des ressources adaptatives du jeune, qu’il s’agisse de ressources
internes (par exemple les stratégies de coping ou de mécanisme
de défense) ou bien externes (par exemple la capacité de soutien Aménagement du lien de dépendance
et d’ajustement de l’entourage) [11, 12] . L’adolescence, marquée par D’autres auteurs soulignent la valeur de communication des
de multiples ruptures et remaniements dans les investissements conduites suicidaires de l’adolescent dans son système fami-
relationnels, constitue une période de particulière vulnérabilité lial [14, 19] . Il peut alors s’agir pour le jeune suicidant d’alerter
pour les conduites suicidaires [13] . sur une situation de détresse, voire d’accéder aux soins lorsque
d’autres tentatives d’implication et d’alerte auprès de l’entourage
Des conduites à risque à la crise suicidaire ont été vaines [20] . La TS peut réaliser une attaque au cadre fami-
lial qui donne chez l’adolescent un sentiment de maîtrise de la
Les préoccupations sur la mort et l’existence sont inhérentes distance relationnelle entre l’adolescent et ses parents [18] . C’est
à la période de l’adolescence sans bien sûr qu’elles ne revêtent souvent le cas pour les adolescents multisuicidants dont les gestes
nécessairement un caractère pathologique. Les mécanismes psy- suicidaires semblent venir servir une forme d’homéostasie en
chopathologiques qui concourent à une TS à l’adolescence sont entravant tout mouvement de séparation-individuation [21] . Ainsi,
variés [13, 14] , mais témoignent généralement moins d’un désir de les réponses proposées à l’adolescent et sa famille au décours
mort que de celui d’échapper à un vécu intolérable. Ce désir de du passage à l’acte ne peuvent se limiter à un niveau médi-
changement s’ancre habituellement dans le contexte psycholo- cal/psychiatrique dans un contexte de crise, mais doivent pouvoir
gique de l’adolescence, marqué par le sentiment de désillusion du intégrer des réponses modulées à différents niveaux (familial,
monde des adultes et de désidéalisation des figures parentales [15] . communautaire, éducatif et social) selon le degré d’urgence et en
Face à l’incertitude d’un monde à venir, la possibilité de mettre tenant compte de la disponibilité et de la réactivité de chacun des
fin à sa vie peut représenter une manière paradoxale d’en contrô- intervenants [22] .
ler son destin [16] . L’illusion de toute-puissance et le désir de prise
de distance avec le monde des adultes peuvent prendre la forme
de mises en danger, qui revêtent généralement une dimension  Évaluation du risque suicidaire
ordalique dans laquelle il s’agit de s’en remettre au hasard, c’est-
à-dire à ce qui échappe au contrôle de l’adolescent et à celui de Contextes de l’évaluation
son entourage, son destin.
La disparition de ces comportements en grandissant ou leur Deux situations se rencontrent en situation d’urgence, selon
persistance sous forme de plus en plus sévère vont dépendre lar- que :

EMC - Traité de Médecine Akos 3


7-0352  Conduites suicidaires à l’adolescence

Tableau 2.
Principaux facteurs de risque de comportements suicidaires chez l’adolescent.
Risque prédictif Antécédent personnels - Antécédents familiaux de TS et de suicide a
et familiaux - Antécédents personnels de TS (risque relatif = 20)
- Diagnostic de trouble psychiatrique : dépression (risque relatif = 4–5), autres troubles
de l’humeur, troubles des conduites alimentaires, état limite
- Tempérament : propension au désespoir ; impulsivité–agressivité ; psychorigidité et
perfectionnisme
Événements de vie dans - Maltraitance dans l’enfance (abus physique, émotionnel, sexuel et négligence sévère)
l’enfance - Perte d’un parent pendant l’enfance
- Placement durant l’enfance/adolescence en foyer d’accueil
- Psychopathologie parentale
Rupture - Isolement relationnel : réseau social inexistant ou pauvre, problèmes d’intégration
- État de santé physique précaire
- Séparation, perte récente, deuil
- Difficultés avec la loi : infractions, délits, marginalisation
- Échecs : difficultés scolaires
- Sentiment de rejet ou d’humiliation
- TS ou suicide récent d’un proche b
Optimisme et autres - Du point de vue individuel : qualités des stratégies de coping
facteurs de protection - Du point de vue psychosocial : qualité du soutien sociofamilial perçu, présence et
soutien de l’entourage, acceptation d’un recours aux soins
- Croyance religieuse
Risque clinique (urgence Moyens létaux - Accessibilité et connaissance supposée de la dangerosité de certains moyens létaux
– dangerosité) Impulsivité - Soit développementale, parfois associée à un trouble attentionnel
- Soit majorée par un trouble psychiatrique comme un trouble anxieux ou un épisode
dépressif
- Existence de conduites d’automutilations, fugue, crise clastique impulsive
Niveau de souffrance - Perte d’espoir, découragement
psychique - Perte de l’estime de soi, sentiment d’inutilité
Degré d’intentionnalité - Préméditation du geste : planification du geste, précaution prise pour ne pas être
suicidaire découvert, dissimulation aux personnes présentes, actes réalisés en prévision de la
mort
- Intention communiquée par écrit ou verbalement
- But de la tentative (désir de mort, d’alerte, de fuite, de pression sur l’entourage),
attentes par rapport à la létalité du geste

En pratique courante, le risque théorique est souvent sous-estimé par rapport au risque clinique. Le sentiment d’imminence et de d’urgence dont témoigne le caractère
explosif d’une situation peut masquer les critères sociodémographiques et d’anamnèse.
a
Des menaces suicidaires ou des conduites de mise en danger ne doivent pas être considérées comme des antécédents personnels de tentative de suicide (TS).
b
Effet particulièrement important chez les adolescents avec la possibilité de « contrat-suicidaire », ou d’effet de contagion.

• l’adolescent se trouve en crise suicidaire : qu’il soit adressé


par son entourage pour des idées suicidaires verbalisées, pour
Évaluation du risque suicidaire
des conduites à risque avec menaces suicidaires plus ou moins Les conduites suicidaires chez l’adolescent ne sont jamais la
explicitement déclarées, pour des consultations répétées ces conséquence d’un seul facteur causal [10] . Les critères présentés per-
dernières semaines chez un jeune ayant un trouble psychia- mettent l’évaluation du risque suicidaire [24] qui doit tenir compte
trique connu à forte potentialité suicidaire ; de deux composantes [1, 8] : d’une part, les facteurs de risque pré-
• une TS s’est réalisée : qu’il s’agisse d’un passage à l’acte avec une dictifs ou théoriques liés aux données sociodémographiques et
intentionnalité suicidaire clairement établie, d’accidents ou d’anamnèse indépendamment de l’état actuel du jeune ; d’autre
blessures suspectes révélant une TS masquée, ou de conduites part, les facteurs de risque liés à la sévérité des manifestations
d’intoxication dont l’intentionnalité reste floue. cliniques aiguës (Tableau 2).
Tout examen d’un adolescent en situation de malaise psy-
chologique mais aussi avec troubles sévères du comportement
Évaluation de l’état somatique apparemment non suicidaire devrait comporter l’exploration et
le dépistage d’éventuelles idées suicidaires. Il est maintenant
Dans le cas d’une TS avérée ou suspectée, c’est la première bien établi que le fait d’aborder ce problème ne favorise pas le
urgence [6, 8, 23] . Elle a pour objectif l’évaluation de la gravité soma- passage à l’acte ou ne suscite pas l’apparition d’idées suicidai-
tique immédiate et différée. Elle a la fonction de confronter le res [25] .
sujet avec le caractère non anodin de son geste et de permettre La discussion avec l’adolescent peut s’engager de manière assez
d’approcher indirectement les difficultés psychologiques du sujet. ouverte sur l’organisation et le rythme de sa vie quotidienne, son
Outre l’évaluation des conséquences du geste suicidaire, l’examen sentiment d’estime de soi, s’il pense être apprécié par son entou-
somatique permet le recueil d’indicateurs de santé impor- rage. Dans le cas où il apparaît insatisfait, inquiet ou en détresse,
tants : on utilise des questions assez directes pour aborder le sujet du
• impact du moyen suicidaire sur l’équilibre ou l’intégrité phy- suicide :
sique ; • tu as l’air de trouver cela difficile... penses-tu parfois que ce serait
• état général, nutritionnel, staturopondéral ; mieux de ne pas être là ?
• hygiène de vie : sommeil, alimentation, prise de médicaments, • est-ce que tu as des idées noires ou de mort ?
investissement physique ; • tu m’as dit en avoir ras-le-bol, être triste, à quel point cela peut-il
• consommation de toxiques : tabac, alcool, cannabis, et autres être difficile ? Est-ce que cela peut aller jusqu’à des idées noires,
toxiques illicites ; de mort ou même de suicide ?
• développement pubertaire et vie sexuelle, contraception, pré- • est-ce que dans des moments de cafard ou de découragement
vention des maladies sexuellement transmissibles ; tu as déjà pensé à te faire du mal, te suicider... Est-ce que tu l’as
• tout élément de préoccupation somatique pour le patient. déjà fait ?

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Conduites suicidaires à l’adolescence  7-0352

Demande d’évaluation
• famille
Repérage d’idées suicidaires ou autres symptômes
• jeune
(mises en danger sévères et répétées, etc.)
• établissement scolaire
• autres

Évaluation initiale de Recherche troubles


État somatique
l'enfant ou de l'adolescent psychiatriques

Risque suicidaire
(AERO-MINI) Sévérité de la crise Contexte familial
suicidaire

Hospitalisation ?
- Stabilisation de l’état somatique
- Risque suicidaire imminent : pathologie psychiatrique sévère, urgence ou
dangerosité élevée, crise psychosociale
- Situation d’insécurité majeure devant les perspectives de sortie
- Perplexité anxieuse sans distanciation vis-à-vis de la souffrance psychique

Hospitalisation en unité Hospitalisation en pédopsychiatrie/ Suivi ambulatoire–


somatique pédiatrie/unité pour adolescents Consultation à 48 h
Figure 2. Arbre décisionnel. Prise en charge des crises suicidaires. AERO-MINI : moyen mnémotechnique pour l’évaluation du risque suicidaire – Antécédents
personnels et familiaux, Enfance et contexte de vie précoce, Ruptures et événements de vie précipitants, Optimisme et autres facteurs protecteurs-Moyens
létaux, Impulsivité, Niveau de souffrance, Intentionnalité.

Si une ou des réponses à ces questions sont positives, il ne faut l’évaluation du fonctionnement familial et la fonction du geste
pas hésiter à aller plus loin afin de préciser l’ampleur de ces idées, suicidaire dans ce contexte, de compléter l’anamnèse du jeune et
leur place dans la vie actuelle du jeune. Ce sujet peut paraître dif- d’évaluer la réponse plus ou moins ajustée de l’entourage face à la
ficile à aborder. Il est cependant souvent étonnant de voir quel TS.
soulagement éprouve un adolescent à s’ouvrir enfin sur un sujet
obsédant qu’il tentait jusqu’alors de contenir seul tant il en avait
honte, ou car il avait peur que l’adulte auquel il se confierait ne  Prise en charge des conduites
s’effondre ou réagisse de manière incrédule ou réprobatrice. Il
existe certaines échelles spécifiques comme la Beck Hopelessness
suicidaires
Inventory qui peuvent guider le clinicien. Aux urgences
Devant un adolescent ayant fait une TS, il est recommandé que
Évaluation psychiatrique le premier temps de la prise en charge soit hospitalier : tout adoles-
Un avis psychiatrique doit être sollicité pour tout patient sui- cent ayant fait une TS doit être adressé dans un service d’urgence
cidaire ou suicidant après stabilisation de son état clinique. Il a hospitalier [8] . Ce temps doit permettre une triple évaluation :
lieu dans un deuxième temps (généralement dans les 12 h après somatique, psychologique et sociale et guider l’orientation de la
l’admission), quand l’état du patient lui permet d’avoir un entre- prise en charge. Un traitement médicamenteux est parfois à pres-
tien dans de bonnes conditions de vigilance, notamment en cas crire en urgence comme des sédatifs ou des anxiolytiques en cas
de TS par intoxication médicamenteuse. d’agitation ou d’anxiété importante. Leur prescription sympto-
Le but de l’entretien psychiatrique est de participer à matique doit être bornée dans le temps.
l’évaluation de la sévérité de la crise suicidaire (dont niveau de
souffrance psychique, degré d’intentionnalité, impulsivité, etc.) Hospitalisation
et du risque de récidive, mais aussi de rechercher un trouble psy-
chiatrique avéré et d’évaluer le contexte familial. Des troubles Une poursuite des soins en milieu spécialisé psychiatrique
psychiatriques sévères comme le trouble bipolaire ou l’entrée dans (ou à défaut dans un service de pédiatrie habitué à recevoir
une schizophrénie peuvent parfois se manifester initialement par des jeunes suicidants) est fortement recommandée [6, 8, 28] . C’est
des symptômes thymiques peu spécifiques associés à des idées de le cas lorsque le risque de récidive immédiate paraît élevé. Il
mort [26, 27] . Ces éléments permettent de conditionner en partie le s’agit là d’une indication formelle dont le premier objectif est
pronostic et d’orienter les modalités de prise en charge. La qualité la protection du jeune patient. L’hospitalisation est également
du premier contact doit se faire dans un climat d’empathie et dans indiquée lorsqu’il existe un trouble psychiatrique non stabilisé,
le respect de la confidentialité propice à la création d’une relation notamment un épisode dépressif, ou un état délirant aigu ou chro-
de confiance. nique. On doit proposer, voire imposer, l’hospitalisation lorsque
À noter qu’un apaisement de l’état de tension psychique peut l’environnement extérieur est jugé particulièrement défavorable,
parfois s’observer au décours immédiat d’un geste suicidaire voire dangereux (maltraitance physique ou sexuelle). Il est éga-
(syndrome dit de « pseudoguérison ») venant témoigner de la sus- lement fortement recommandé d’hospitaliser tout adolescent
pension des enjeux conflictuels interne et externe du jeune [20] . Ce suicidant qui en exprime la demande.
phénomène qui peut compliquer la prise en charge rend d’autant L’hospitalisation a plusieurs objectifs : reconnaître l’acte sui-
plus importante l’observation prolongée du patient. Ce temps est cidaire et éviter sa banalisation, protéger le jeune en limitant le
aussi le moment de la rencontre avec l’entourage permettant ainsi risque de passage à l’acte suicidaire ; se donner un temps d’analyse

EMC - Traité de Médecine Akos 5


7-0352  Conduites suicidaires à l’adolescence

de la place et de la fonction du geste suicidaire ; débuter une prise [3] Janssen E, Spilka S, Du Roscoät E. Tentatives de suicide, pensées suici-
en charge psychiatrique et mettre en place les modalités de prise daires et usages de substances psychoactives chez les adolescents français
en charge ultérieures du jeune et de sa famille ; permettre une mise de 17 ans. Premiers résultats de l’enquête Escapad 2017 et évolutions
à distance souvent nécessaire avec le milieu familial et faciliter la depuis 2011. Bull Epidemiol Hebd 2019;(n◦ 3–4):74–82.
résolution de la crise (Fig. 2). [4] Beck F, Richard J-B, Husky M, Du Roscoät E, Saïas T, Michel G, et al.
Tentatives de suicide et pensées suicidaires parmi les 15–30 ans. In: Les
comportements de santé des jeunes. Analyses du Baromètre Santé 2010.
Paris, 2010. p. 235–49.
Ambulatoire [5] Choquet M. Suicide et adolescence : acquis épidémiologiques http://
Après l’évaluation hospitalière, que ce soit à la sortie des www.psydoc-france.fr/conf&rm/conf/confsuicide/choquet.html.
urgences ou après une hospitalisation plus prolongée, un suivi [6] Shain B. Suicide and suicide attempts in adolescents. Pediatrics
2016;138(1).
ambulatoire doit être organisé. Quand l’adolescent est déjà suivi
[7] INSERM. Données du centre d’épidémiologie sur les causes médicales
sur le plan psychiatrique ou psychologique, il s’agit de se mettre en de décès (CépiDC) de l’Inserm. Paris: Inserm; 2011.
rapport avec les intervenants déjà impliqués. Quand ce n’est pas le [8] ANAES. Prise en charge hospitalière des adolescents après une
cas, il faut alors organiser un suivi avec un psychiatre, idéalement tentative de suicide. Service des recommandations profession-
ayant l’habitude de recevoir des jeunes patients, en sachant que, nelles. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c 266642/fr/suicide-chez-l-
à la sortie de l’hôpital, l’orientation non anticipée du patient vers adolescent-rapport-completpdf1998.
des intervenants qu’il ne connaît pas est quasi systématiquement [9] Apter A, Bleich A, King RA, Kron S, Fluch A, Kotler M, et al. Death
vouée à l’échec. C’est à l’équipe hospitalière d’établir, pendant le without warning? A clinical postmortem study of suicide in 43 Israeli
séjour de l’adolescent à l’hôpital, des liens étroits avec les futurs adolescent males. Arch Gen Psychiatry 1993;50:138–42.
intervenants extérieurs. [10] Benarous X, Consoli A, Cohen D, Renaud J, Lahaye H, Guile JM. Sui-
Pour améliorer l’adhésion au suivi, quelques recommandations cidal behaviors and irritability in children and adolescents: a systematic
pratiques sont à appliquer ; notamment, il a été montré que le review of the nature and mechanisms of the association. Eur Child Adolesc
Psychiatry 2018;28:667–83.
simple fait que le rendez-vous de consultation de suivi soit pris
[11] Mirkovic B, Labelle R, Guile JM, Belloncle V, Bodeau N, Knafo A, et al.
avant la sortie avec un médecin dont le nom est précisé aug- Coping skills among adolescent suicide attempters: results of a multisite
mente de 20 % les chances que le rendez-vous soit honoré. De study. Can J Psychiatry 2015;60(2 Suppl. 1):S37–45.
même, un rappel téléphonique ou postal d’un rendez-vous non [12] Breton JJ, Labelle R, Berthiaume C, Royer C, St-Georges M, Ricard
honoré augmente les chances pour que le suivi devienne effec- D, et al. Protective factors against depression and suicidal behaviour in
tif [29] . Le médecin généraliste, qui souvent est le seul intervenant adolescence. Can J Psychiatry 2015;60(2 Suppl. 1):S5–15.
médical préexistant à la TS, doit être informé du suivi organisé. [13] Olliac B, Benarous X, Revet A, Cohen D, Falissard B, Raynaud
En effet, celui-ci pourra ensuite s’enquérir auprès de l’adolescent J-P. Life events: worries and suicide attempts implications in ado-
et de sa famille de l’effectivité du suivi et avoir un effet de rappel lescents. Neuropsychiatry 2018, http://www.jneuropsychiatry.org/
de l’importance de celui-ci. abstract/life-events-worries-and-suicide-attempts-implications-in-
Des dispositifs de prévention secondaire de la récidive sui- adolescents-12292.html.
cidaire sont actuellement développés. On peut par exemple [14] Guile JM, Huynh C, Breton JJ, De La Riviere SG, Berthiaume C, St-
Georges M, et al. Familial and clinical correlates in depressed adolescents
évoquer le dispositif SECURIPLAN qui permet de rendre faci-
with Borderline Personality Disorder traits. Front Pediatr 2016;4:87.
lement accessible auprès de différents intervenants médicaux [15] Gutton P. Psychothérapie et adolescence. Paris: PUF; 2000.
un plan de crise développé avec l’adolescent. Des interventions [16] Burzstein C. De l’espace au temps à l’adolescence. In: Traiter à
de groupes d’adolescents suicidants ont été proposées, sur le l’adolescence Un patient pas comme les autres. Paris: Masson; 2002.
modèle de la thérapie comportementale dialectique [30] visant p. 23–32.
à renforcer les stratégies de coping et à travailler sur les symp- [17] Pommereau X. Adolescent et conduites suicidaires. Paris: Urgences: LC;
tômes de dysrégulation émotionnelle. Ces deux dispositifs qui ont 2004.
montré leur efficacité chez l’adolescent [31, 32] sont actuellement [18] Consoli A, Cohen D, Bodeau N, Guile JM, Mirkovic B, Knafo A, et al.
déployés pour la première fois chez l’adolescent en France par Risk and protective factors for suicidality at 6-month follow-up in ado-
l’équipe du CHU Amiens-Picardie, avec des études d’évaluation en lescent inpatients who attempted suicide: an exploratory model. Can J
cours. Psychiatry 2015;60(2 Suppl. 1):S27–36.
[19] Consoli A, Peyre H, Speranza M, Hassler C, Falissard B, Touchette E,
et al. Suicidal behaviors in depressed adolescents: role of perceived rela-
tionships in the family. Child Adolesc Psychiatry Ment Health 2013;7:
 Conclusion 8.
[20] Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. Paris: Else-
Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les ado- vier Masson; 2018.
lescents. Les TS sont un indicateur de détresse psychique et un [21] Jeammet P, Corcos M. Évolution des problématiques à l’adolescence.
puissant élément prédictif de morbidité médicale, psychiatrique Paris: Doin; 2001.
[22] Guedj MJ. L’urgence à l’adolescence. Adolescence 2011;29:615–26.
et sociale ultérieure, spécialement lorsqu’elles ne sont pas prises
[23] Shaffer D. Practice parameter for the assessment and treatment of chil-
en charge. L’enjeu de la prise en charge du geste suicidaire chez
dren and adolescents with suicidal behavior. American Academy of
l’adolescent suicidant est non seulement l’identification d’un Child and Adolescent Psychiatry. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
trouble psychiatrique mais aussi l’établissement d’un contact avec 2001;40(Suppl. 7), 24s–51s.
des professionnels de santé mentale et la construction d’un lien [24] Turecki G, Brent DA. Suicide and suicidal behaviour. Lancet
de confiance avec le jeune et sa famille qui permettra de garantir 2016;387:1227–39.
au mieux la poursuite des soins. [25] O’Reilly M, Kiyimba N, Karim K. “This is a question we have to ask
everyone”: asking young people about self-harm and suicide. J Psychiatr
Ment Health Nurs 2016;23:479–88.
Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs n’ont pas transmis de déclaration [26] Benarous X, Consoli A, Milhiet V, Cohen D. Early interventions for
de liens d’intérêts en relation avec cet article. youths at high risk for bipolar disorder: a developmental approach. Eur
Child Adolesc Psychiatry 2016;25:217–33.
[27] Benarous X, Gauthier C, Lôo H. Symptômes thymiques lors de
l’émergence d’un trouble psychotique à l’adolescence : à propos d’un
 Références cas. Encephale 2016;43:399–401.
[28] Korczak DJ. Suicidal ideation and behaviour. Paediatr Child Health
[1] Duverger P, Guedj MJ. Adolescence : crise et urgence. Paris: Elsevier 2015;20:257–64.
Masson; 2013. [29] Piacentini J, Rotheram-Borus MJ, Gillis JR, Graae F, Trautman P, Cant-
[2] Posner K, Brown GK, Stanley B, Brent DA, Yershova KV, Oquendo MA, well C, et al. Demographic predictors of treatment attendance among
et al. The Columbia-Suicide Severity Rating Scale: initial validity and adolescent suicide attempters. J Consult Clin Psychol 1995;63:469–73.
internal consistency findings from three multisite studies with adolescents [30] Linehan MM. An illustration of dialectical behavior therapy. In Session.
and adults. Am J Psychiatry 2011;168:1266–77. Psychother Pract 1998;4:21–44.

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Conduites suicidaires à l’adolescence  7-0352

[31] McCauley E, Berk MS, Asarnow JR, Adrian M, Cohen J, Korslund [32] Ougrin D, Tranah T, Stahl D, Moran P, Asarnow JR. Therapeutic inter-
K, et al. Efficacy of dialectical behavior therapy for adolescents at ventions for suicide attempts and self-harm in adolescents: systematic
high risk for suicide: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry review and meta-analysis. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2015;54,
2018;75:777–85. 97-107.e2.

X. Benarous (Benarous.xavier@chu-amiens.fr).
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Amiens-Picardie, Site Sud, 1, rue du Professeur-Christian-Cabrol, 80054 Amiens, France.
Inserm U1105, Groupe de recherche sur l’analyse multimodale de la fonction cérébrale, Université Picardie-Jules-Verne-Amiens, chemin du Thil, 80025 Amiens,
France.
M.-J. Guedj.
Centre psychiatrique d’orientation et d’accueil, Hôpital Sainte-Anne, AP–HP, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
S. Garny de la Rivière.
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Amiens-Picardie, Site Sud, 1, rue du Professeur-Christian-Cabrol, 80054 Amiens, France.
J.-M. Guilé.
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, CHU d’Amiens-Picardie, Site Sud, 1, rue du Professeur-Christian-Cabrol, 80054 Amiens, France.
Inserm U1105, Groupe de recherche sur l’analyse multimodale de la fonction cérébrale, Université Picardie-Jules-Verne-Amiens, chemin du Thil, 80025 Amiens,
France.
D. Périsse.
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP–HP, Sorbonne Universités, 47–83, boulevard de l’Hôpital, 75013
Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Benarous X, Guedj MJ, Garny de la Rivière S, Guilé JM, Périsse D. Conduites suicidaires à l’adolescence.
EMC - Traité de Médecine Akos 2020;23(2):1-7 [Article 7-0352].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 7


 8-0370

Fœtopathies infectieuses
F. Kieffer, A. Renault

Résumé : Parmi les infections congénitales, le cytomégalovirus a l’incidence la plus élevée en France
mais ne fait pas l’objet d’un dépistage systématique. Sa prise en charge postnatale a beaucoup changé
ces dernières années avec l’introduction du valganciclovir qui permet un traitement oral. L’incidence de
la toxoplasmose congénitale décroît depuis plusieurs décennies. Sa prise en charge pré- et postnatale
a permis d’en atténuer fortement la gravité avec un bon pronostic neurosensoriel à long terme. La
rougeole, la rubéole et la varicelle chez la femme enceinte peuvent avoir des conséquences dramatiques
sur le fœtus et le nouveau-né. Le principal traitement est préventif par couverture vaccinale optimale
de la population. Les femmes enceintes au contact de jeunes enfants sont particulièrement exposées
au parvovirus B19 avec risque d’anasarque et de mort fœtale in utero en cas d’infection congénitale.
Le virus de la chorioméningite lymphocytaire et le virus Zika sont responsables d’atteintes cérébrales
sévères avec calcifications diffuses, hydrocéphalie et atrophie cérébrale et n’ont pas de traitement antiviral
connu. La syphilis est une infection sexuellement transmissible dont l’incidence est en augmentation. Elle
est responsable de syphilis congénitale pouvant se compliquer de mort fœtale, de décès néonatal, de
prématurité et de séquelles graves chez les survivants. La prévention repose sur le dépistage systématique
en début de grossesse.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Infections congénitales ; Cytomégalovirus ; Rougeole ; Rubéole ; Varicelle ; Parvovirus ;


Toxoplasma gondii ; Syphilis

Plan ■ Virus Zika 9


Diagnostic maternel 10
■ Introduction 1 Chez le nouveau-né 10
Prévention primaire 10
■ Cytomégalovirus 2
■ Toxoplasmose 10
Clinique 2
Diagnostic 2 Épidémiologie 11
Pronostic 3 Prévention de l’infection 11
Traitement 3 Diagnostic prénatal 11
Traitement prénatal 11
■ Rougeole 3 Diagnostic postnatal 13
Épidémiologie et mode de transmission 3 Traitement 13
Manifestations cliniques 4
■ Syphilis 14
Diagnostic 4
Prise en charge 4 Mode de transmission maternofœtal 14
Prévention 4 Manifestations cliniques 14
Diagnostic 15
■ Rubéole 4 Traitement 15
Épidémiologie et mode de transmission 5 Prévention 15
Manifestations cliniques 5
■ Conclusion 15
Diagnostic et prise en charge 6
Prévention 6
■ Varicelle-Zona 6
Épidémiologie et mode de transmission
Manifestations cliniques
6
6
 Introduction
Diagnostic et prise en charge 7
Les embryofœtopathies infectieuses sont des infections
Prévention 8
acquises durant la vie prénatale. Leur symptomatologie est très
■ Parvovirus B19 (PV B19) 8 différente de celle des infections acquises dans l’enfance ou
Manifestations cliniques 8 à l’âge adulte avec les mêmes micro-organismes en raison de
Diagnostic 8 l’interférence de la multiplication de l’agent infectieux avec
Traitement 9 l’organogenèse au stade embryonnaire ou de la différencia-
Prévention 9 tion/maturation d’organes cibles pendant la phase fœtale. Il
« Lymphocytic choriomeningitis virus » ou virus s’y ajoute une immaturité du système immunitaire, d’autant
de la chorioméningite lymphocytaire 9 plus importante que l’infection est précoce, qui permet une

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(19)62196-4
8-0370  Fœtopathies infectieuses

réplication de l’agent infectieux durant plusieurs mois à plu-


sieurs années, voire décennies, à l’origine de symptômes tardifs
pendant l’enfance ou l’âge adulte. Bien que les embryofœtopa-
thies aient été décrites depuis de nombreuses années, ce sujet
reste d’actualité en raison de modifications de l’épidémiologie,
du recours en routine à la biologie moléculaire dans le diagnostic
ou de nouveautés dans leur traitement. Nous envisagerons donc
six infections virales (cytomégalovirus [CMV], rougeole, rubéole,
varicelle, parvovirus, virus de la chorioméningite lymphocytaire
[lymphocytic choriomeningitis virus : LCMV]), une infection parasi-
taire (toxoplasmose) et une bactérienne (syphilis).

 Cytomégalovirus
Le CMV est un virus Herpes. Son tropisme cellulaire large,
puisqu’il peut infecter des cellules épithéliales, endothéliales,
musculaires lisses, des fibroblastes et des cellules de la lignée Figure 1. Coupe sagittale d’une échographie transfontanellaire chez
macrophagique/monocytaire, est responsable d’une infection un enfant atteint d’une infection congénitale à cytomégalovirus. Aspect
ubiquitaire des tissus. hyperéchogène des vaisseaux thalamostriés.
Chez les femmes en âge de procréer, la séroprévalence est
comprise entre 40 et 50 % en France, en Allemagne ou en Grande-
Bretagne, mais dépasse 80 % dans de nombreux pays comme la tologie de fœtopathie évolutive (hépato-splénomégalie, ictère à
Pologne ou la Colombie. La séroprévalence augmente avec l’âge, bilirubine conjuguée, purpura thrombopénique, pneumopathie,
est plus élevée dans les pays émergents que dans les pays indus- choriorétinite, convulsions) ou séquellaire (cataracte, microph-
trialisés et parmi les niveaux socioéconomiques défavorisés. Les talmie, surdité, retard de croissance intra-utérin [RCIU] sévère,
primo-infections chez les enfants ou les adultes immunocompé- microcéphalie). L’atteinte cérébrale peut associer à la micro-
tents sont le plus souvent inapparentes ou aspécifiques (fièvre, céphalie, des calcifications diffuses, une hyperéchogénicité des
syndrome grippal) mais l’excrétion virale persiste plusieurs mois vaisseaux lenticulaires (Fig. 1), des anomalies de la gyration
dans les muqueuses. Le CMV est communément excrété dans (Fig. 2A, B), une dilatation ventriculaire, des kystes sous-
le lait maternel avec un pic entre 2 semaines et 2 mois après épendymaires. Les formes dissociées avec RCIU isolé, prématurité
l’accouchement. Lors d’une infection congénitale, l’excrétion se ou thrombopénie inexpliquées, pneumopathie interstitielle, etc.
poursuit 2 à 6 ans selon les tissus, à l’origine d’une transmission sont beaucoup plus fréquentes.
horizontale entre enfants en garde collective.
La prévalence de l’excrétion du CMV d’enfants gardés en crèche
a pu être mesurée entre 24 et 72 %. Les parents de jeunes Diagnostic
enfants peuvent à leur tour s’infecter : le facteur de risque majeur
d’infection à CMV pendant la grossesse est le contact avec les Infection maternelle
enfants en âge préscolaire et gardés en collectivité. Des mesures Aucun pays n’a organisé de dépistage sérologique de masse,
simples d’hygiène (lavage des mains après contact avec les larmes, les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’étant
les sécrétions nasales ou les urines de son enfant, ne pas parta- pas remplis pour le faire. Néanmoins, la réalisation de sérologies
ger les ustensiles de cuisine) divisent par 4 le risque d’infection chez les femmes en contact avec des enfants d’âge préscolaire est
à CMV pendant la grossesse. Enfin, la particularité des infections souhaitable, en association avec une information sur les conseils
à CMV est qu’une primo-infection ancienne ne protège pas d’une de prévention (cf. supra). Le diagnostic de l’infection maternelle
réinfection par une autre souche, ou d’une réactivation du virus repose sur les sérologies dont l’interprétation est aisée devant une
(« récurrence »). séroconversion mais peut être complexe en raison de la persis-
Après une primo-infection maternelle en cours de grossesse, la tance de la synthèse d’immunoglobulines M (IgM) jusqu’à un an
transmission au fœtus est de 30 % au premier trimestre, 34 % au après une primo-infection, de la possibilité de récurrences. En pré-
deuxième et 40 % au troisième mais aussi de 20 % en période sence d’IgM, un index d’avidité des IgG élevé exclut une infection
périconceptionnelle et de 10 % lorsque la primo-infection mater- de moins de trois mois, alors qu’une avidité faible est en faveur
nelle a eu lieu entre 3 semaines et 2 mois avant la conception [1] . d’une infection de moins de trois mois. La reprise de sérums anté-
En cas d’infection congénitale, 10 % des enfants ont une forme rieurs de la grossesse peut être d’une grande aide.
symptomatique (survenant essentiellement après une infection
du premier trimestre), 80 % sont asymptomatiques à la naissance Infection fœtale
et le resteront à long terme et 10 % sont asymptomatiques à la
naissance mais auront des séquelles principalement auditives. Le diagnostic peut être consécutif à celui d’une primo-infection
Lors des récurrences, la transmission est estimée entre 1 et 3 % maternelle ou bien devant des signes d’appel échographiques cor-
avec semble-t-il la même fréquence d’enfants symptomatiques et respondant aux formes symptomatiques (RCIU sévère, précoce,
le même degré de sévérité qu’en cas de primo-infection. Au total, avec microcéphalie, calcifications des vaisseaux lenticulaires, dila-
la prévalence des infections congénitales à CMV est estimée entre tation ventriculaire, hyperéchogénicité intestinale, ascite, etc.). Il
0,5 % et 1 % des grossesses en Europe et aux États-Unis, soit est effectué par amniocentèse avec polymerase chain reaction (PCR)
4000 naissances vivantes en France, dont 50 % à 75 % seraient en temps réel réalisée après 21 semaines d’aménorrhée (SA), au
consécutives à des primo-infections maternelles et 25 % à 50 % moins six semaines après l’infection maternelle et après vérifi-
à des récurrences. La prévalence à la naissance dans les pays cation de l’absence de virémie maternelle persistante. Dans ces
émergents a été observée entre 1 et 6 % avec des infections congé- conditions, la sensibilité et la spécificité de la PCR sont proches
nitales consécutives à des récurrences d’autant plus fréquentes que de 100 %. La réalisation d’une imagerie par résonance magnétique
la séroprévalence est élevée dans la population. Ainsi, selon la (IRM) fœtale permet de préciser l’atteinte cérébrale (substance
prévalence dans la population, les infections congénitales sont blanche, gyration).
consécutives à des récurrences dans 50 à 75 % des cas.
Diagnostic postnatal
Clinique La technique de référence est la détection d’acide désoxyribo-
nucléique (ADN) viral par PCR sur des urines prélevées dans les
Parmi les infections congénitales symptomatiques, les formes deux premières semaines de vie. Sensibilité et spécificité sont de
généralisées sont peu nombreuses et réalisent une symptoma- 100 % et un seul prélèvement d’urine suffit à affirmer ou à infirmer

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Fœtopathies infectieuses  8-0370

A B
Figure 2. Coupes T2 d’une imagerie par résonance magnétique cérébrale d’un enfant atteint d’une infection congénitale à cytomégalovirus : diminution
relative de l’hémisphère gauche par rapport au droit. Polymicrogyrie étendue temporale et pariétale gauche avec dilatation modérée du ventricule latéral
gauche.

le diagnostic. Un prélèvement positif effectué plus de deux immunoglobulines n’a pas montré d’efficacité et les antiviraux
semaines après la naissance peut aussi correspondre à une infec- en sont encore aux études de phase II.
tion postnatale. Dans ce cas, il est possible de demander une PCR Chez le nouveau-né, le ganciclovir (Cymevan® ) et sa forme
sur la carte de Guthrie de l’enfant : un résultat positif affirme une orale, le valganciclovir (Rovalcyte® ) permettent de diminuer for-
infection congénitale. Le dépistage par PCR sur la salive pour rem- tement ou d’annuler la virurie et la virémie pendant le traitement.
placer le prélèvement d’urines parfois difficile a une sensibilité de Ces molécules n’éliminent pas le virus de l’organisme et la charge
100 % mais il existe environ 10 % de faux positifs qui imposent un virale réapparaît/réaugmente à l’arrêt du traitement. Les essais
prélèvement d’urines devant un résultat positif avant d’affirmer randomisés ont montré que les enfants symptomatiques avaient
que l’enfant a une infection congénitale. néanmoins un meilleur pronostic neurologique et une incidence
Les nouveau-nés infectés doivent avoir une échographie trans- de surdité moindre que dans le groupe placebo avec six semaines
fontanellaire (ETF), éventuellement complétée par une IRM de traitement. La prolongation du traitement à six mois amé-
cérébrale, des potentiels évoqués auditifs (PEA), un fond d’œil liore un peu le pronostic neurologique et auditif à 12–24 mois des
et un bilan biologique (numération-formule sanguine [NFS], pla- formes symptomatiques sévères. Les indications retenues actuel-
quettes, transaminases, bilirubine, charge virale dans le sang). lement sont les atteintes organiques menaçant le pronostic vital
ou sensoriel (pneumopathie, hépatite, rétinite, surdité). Les indi-
cations dans les formes asymptomatiques sont beaucoup plus
Pronostic discutables puisque 80 à 90 % des enfants resteront asympto-
La gravité des lésions des formes symptomatiques peut entraî- matiques à long terme et que ces molécules ont une toxicité
ner une mort fœtale in utero et 5 % de décès en période néonatale. potentielle non négligeable. Le traitement des formes asymptoma-
Sinon, ces enfants ont des anomalies du tonus, des convulsions tiques avec une charge virale élevée est à discuter avec les parents
évoluant vers une épilepsie (40 %) avec une infirmité motrice en raison du risque accru de surdité même si les attitudes sont loin
cérébrale, des difficultés d’apprentissage, des troubles du compor- d’être uniformes sur ce point [3] . Des essais de phase I de vaccins
tement et une surdité dans plus de la moitié des cas. Les infections sont en cours.
congénitales asymptomatiques ont un devenir neurologique à
long terme normal pour la presque totalité (95–98 %) des enfants.
Cinq à 15 % vont développer une surdité de perception. Elle peut  Rougeole
être unilatérale légère, à bilatérale plus ou moins profonde, être
présente dès la naissance ou survenir jusqu’à l’âge de 5–6 ans, La vaccination contre la rougeole a considérablement diminué
imposant un suivi audiologique jusqu’à cet âge. La mesure de la l’incidence de la maladie depuis la fin des années 1960. Cepen-
virémie à la naissance par PCR quantitative a été rapportée comme dant, depuis une dizaine d’années on observe une recrudescence
facteur pronostique des infections asymptomatiques, une charge de la rougeole en France, par défaut de vaccination, touchant les
élevée (> 10 000–15 000 UI/ml) serait un critère péjoratif avec un jeunes enfants et les jeunes adultes parmi lesquels des femmes
risque de surdité qui pourrait dépasser 50 % [2] . enceintes.

Traitement Épidémiologie et mode de transmission


Le traitement préventif a déjà été exposé dans la partie Le virus de la rougeole, Morbillivirus de la famille des Para-
diagnostic. Chez la femme enceinte le traitement curatif par myxoviridae, est extrêmement contagieux. Sa transmission se fait

EMC - Traité de Médecine Akos 3


8-0370  Fœtopathies infectieuses

Diagnostic
“ Point fort Le diagnostic virologique est indiqué chez la femme enceinte en
cas de symptomatologie clinique évocatrice par recherche d’acide
ribonucléique (ARN) viral par PCR sur salive ou prélèvement de
• 90 % des infections congénitales à CMV sont asympto-
gorge (sur aspiration bronchique et/ou liquide de lavage bron-
matiques à la naissance. choalvéolaire en cas de pneumopathie) ou par recherche d’IgM et
• 10 % des infections asymptomatiques entraînent une d’IgG spécifiques par enzyme-linked immunosorbent assay (Elisa) sur
surdité avant l’âge de 5 ans. prélèvement sanguin. Cette dernière doit être renouvelée en cas
• Le diagnostic postnatal de référence est la recherche de négativité, les IgM spécifiques peuvent ne pas être détectées en
de CMV urinaire par PCR dans les deux premières semaines cas de prélèvement trop précoce.
de vie. Chez le nouveau-né, seule la recherche de l’ARN viral par PCR
• Le traitement antiviral n’élimine pas le virus mais réduit sur salive ou prélèvement de gorge est réalisée du fait de la syn-
le risque de séquelles neurosensorielles. thèse retardée des IgM spécifiques.

Prise en charge
par voie aérienne à partir des sécrétions nasopharyngées lors d’un En cas de contage confirmé chez la femme
contact rapproché entre deux individus, voire via des objets conta- enceinte non vaccinée et non immunisée
minés.
Les immunoglobulines, à la dose de 400 mg/kg en une injection
intraveineuse administrée dans les 6 jours après le contage dimi-
Manifestations cliniques nuent le risque de transmission. La vaccination se fait en suites
de couche, après l’accouchement, le vaccin étant contre-indiqué
Chez la mère pendant la grossesse.
La rougeole se caractérise par une phase prodromique de Si la patiente est à terme ou proche du terme, il est discuté
2 à 4 jours, suivie d’une éruption typique maculopapuleuse. un déclenchement rapide pour éviter la survenue d’une rougeole
L’évolution est favorable dans plus de 90 % des cas. Les congénitale.
complications touchent principalement les jeunes enfants et les
adultes de plus de 20 ans : pneumopathie virale, hépatite, sur- En cas de rougeole confirmée chez une femme
infection bactérienne oto-rhino-laryngologique ou pulmonaire, enceinte
encéphalite, panencéphalite subaiguë sclérosante, méningite lym-
phocytaire et plus rarement des myocardites, des kératites ou des La patiente doit être hospitalisée en fonction de sa sympto-
cellulites [4] . matologie avec traitement symptomatique. L’hospitalisation se
La rougeole est plus grave chez la femme enceinte car elle fait hors service de maternité pour éviter toute contamination
l’expose à un surrisque de pneumopathie pouvant menacer le d’autres femmes enceintes. Une tocolyse est mise en place en cas
pronostic vital [5] . La plus grande série de cas de rougeole chez de risque d’accouchement prématuré. Il n’existe pas d’indication
la femme enceinte mettait en évidence un risque multiplié par 2 aux immunoglobulines dans ce contexte. Une surveillance fœtale
d’hospitalisation, par 2,6 de pneumopathie et par 6 de décès en est proposée et adaptée à l’âge gestationnel et pendant toute la
comparaison aux cas de rougeole chez des femmes d’âge compa- durée de la période à risque, soit les 14 jours suivant l’éruption. La
rable non enceintes [6] . vérification de la vaccination contre la rubéole des sujets contacts
est réalisée.
Chez le fœtus et le nouveau-né
Le virus de la rougeole peut infecter le placenta au décours de
Prise en charge néonatale
la virémie maternelle qui survient 7 à 10 jours après le contage. Il C’est la suivante :
n’est pas responsable de malformations fœtales mais peut entraî- • administration d’immunoglobulines dès la naissance, sauf
ner un dysfonctionnement placentaire responsable d’une mort si la mère a débuté son éruption plus de 10 jours avant
fœtale in utero. l’accouchement, afin de prévenir le développement d’une rou-
La rougeole chez la femme enceinte augmente le risque de geole congénitale ou de diminuer les symptômes ;
fausse couche précoce et tardive, de mort fœtale in utero et • absence de contre-indication à l’allaitement et pas de séparation
d’accouchement prématuré. Ces complications surviennent le mère-enfant ;
plus souvent dans les 14 jours suivant le début de l’éruption mater- • isolement du couple mère-enfant pendant la phase de conta-
nelle. Lorsque l’infection survient en fin de grossesse, il existe un giosité (soit jusqu’à 5 j après le début de l’éruption maternelle).
risque de rougeole congénitale en rapport avec le passage trans- La durée de l’isolement du nouveau-né est similaire en cas
placentaire du virus. Ce risque augmente si la naissance survient d’éruption néonatale.
dans les trois semaines qui suivent l’infection maternelle [7] . La déclaration de la rougeole auprès de l’Institut de veille sani-
La rougeole néonatale, périnatale ou congénitale correspond taire est obligatoire.
à la survenue d’une éruption dans les dix premiers jours de vie
du nouveau-né dont la mère a eu la rougeole en fin de gros-
sesse. L’éruption peut être présente dès la naissance. Il faut préciser Prévention
qu’une absence d’éruption ne signifie pas une absence de conta-
mination néonatale. La vaccination reste le seul moyen efficace de prévention de la
La clinique est variable : asymptomatique, fièvre, érup- rougeole congénitale. Le schéma actuel comporte deux doses du
tion maculopapuleuse, pneumopathie, etc. La survenue de vaccin trivalent rougeole-oreillons-rubéole espacées d’au moins
complications est plus importante qu’en cas de rougeole postna- un mois.
tale avec décès dans environ 30 % des cas.
Les nouveau-nés sont à haut risque de développer une
panencéphalite sclérosante aiguë potentiellement mortelle. Les  Rubéole
symptômes surviennent généralement avant 2 ans et associent
troubles de la personnalité, convulsions cloniques et troubles Depuis la mise en place de la protection vaccinale, la rubéole
moteurs. Sa prévalence est estimée entre 1/100 000 et 1/8 500 000. est devenue rare chez l’adulte et le problème d’une infection
La rougeole postnatale, éruption survenant à plus de 10 jours rubéolique chez une femme enceinte est devenu quasi exception-
de vie, est moins grave avec peu de complications. nel.

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Fœtopathies infectieuses  8-0370

entre 13 et 14 semaines de gestation et de 11 % entre 15 et 16

“ Point fort semaines de gestation. Au-delà, le risque malformatif est nul [8, 9] .
Le virus de la rubéole peut toucher tous les organes et plusieurs
types de lésions sont identifiés :
• la nécrose non inflammatoire est la lésion la plus commune au
Les pneumopathies rougeoleuses chez la femme enceinte
niveau des yeux, du cœur, du cervelet, du cerveau et de l’oreille.
sont plus fréquentes et plus graves que chez les femmes En touchant les cellules endothéliales, elle peut être la cause de
non enceintes. thromboses et contribuer à la formation de lésions ischémiques
En fonction de la date d’infection maternelle, les risques cérébrales ;
fœtaux sont une mort fœtale in utero, la prématurité ou • un ralentissement des mitoses par inhibition de l’assemblage
une panencéphalite sclérosante subaiguë. de l’actine, interférant avec l’organogenèse ;
Le seul traitement efficace est la vaccination préventive. • des processus apoptotiques responsables d’anomalies de
l’organogenèse ;
• des phénomènes auto-immuns tardifs pouvant s’expliquer par
des communautés antigéniques entre le virus et certains tissus
humains.
Épidémiologie et mode de transmission Les conséquences fœtales et néonatales sont détaillées dans le
Tableau 1 : fausse couche, RCIU, anomalies auditives, cardiaques,
La rubéole, causée par le virus rubella, est une maladie essen-
ophtalmologiques, neurologiques, hématologiques. Des manifes-
tiellement infantile. Le virus se propage par l’intermédiaire de
tations endocriniennes et neurologiques peuvent aussi survenir
contacts interhumains directs par voie respiratoire. En France, la
tardivement [10] . La triade de Gregg, du nom du médecin ayant
rubéole chez la femme enceinte et chez le nouveau-né est sur-
décrit les lésions ophtalmologiques, associe atteintes cardiaque,
veillée depuis 1976 par le réseau Renarub avec une incidence en
oculaire et auditive.
forte baisse depuis les années 1980 tant en ce qui concerne les
rubéoles congénitales (neuf cas en 2005, un en 2015) que les
infections rubéoleuses maternelles (16 cas en 2005, deux en 2015).
Tableau 1.
Anomalies congénitales et manifestations tardives de l’infection au virus
Manifestations cliniques de la rubéole [8] .

Chez la mère Anomalies congénitales Manifestations tardives

La rubéole peut être asymptomatique ou se manifester par Anomalies audiologiques Anomalies endocriniennes :
un syndrome pseudogrippal, une éruption typique, une fièvre, (60–75 %) : surdité de perception diabète insulinodépendant,
des adénopathies. Les arthralgies sont la complication la plus Anomalies cardiaques (10–20 %) : thyroïdite, déficit en hormone
commune. Les autres complications (encéphalite, thrombopénie sténose pulmonaire, persistance de croissance
avec purpura, hémorragies muqueuses) sont rares et de bon pro- du canal artériel, communication Anomalies neurologiques :
inter-ventriculaire trouble du comportement,
nostic.
Anomalies ophtalmologiques déficit intellectuel
(10–25 %) : rétinopathie,
Chez le fœtus et le nouveau-né cataracte, microphtalmie,
L’infection fœtale est acquise par voie hématogène. Le risque glaucome
Atteinte du système nerveux
de transmission de la mère au fœtus et d’embryofœtopathie
central (10–25 %) : microcéphalie,
rubéolique varie en fonction de l’âge gestationnel au moment de
méningoencéphalite, déficience
l’infection maternelle.
mentale
Le risque d’infection fœtale est maximal avant la 11e semaine Atteinte hématologique :
de gestation, diminue au deuxième trimestre puis réaugmente à thrombopénie, anémie
proximité du terme. Le risque d’anomalies congénitales est essen- hémolytique, purpura
tiellement limité aux 16 premières semaines de gestation : il est de Autres : hépato-splénomégalie,
90 % lorsque l’infection maternelle survient avant 11 semaines de retard de croissance, ostéopénie
gestation, de 33 % entre 11 et 12 semaines de gestation, de 24 %

Sérologie

IgG (-) IgG (+) (= immunisation ancienne)

= second prélèvement 2 semaines après


l’éruption ou 3–4 semaines après le contage

IgG (-) IgG (-) IgG (+) IgG (+)


IgM (-) IgM (+) IgM (-) IgM (+)

Absence de contamination Primo-infection Réinfection Primo-infection ou réinfection


Absence d’immunité rubéolique rubéolique rubéolique
Vaccination après l’accouchement Test d’avidité à réaliser

Figure 3. Arbre décisionnel. Stratégie diagnostique en cas de suspicion de contage ou d’éruption rubéolique en cours de grossesse. Ig : immunoglobulines.

EMC - Traité de Médecine Akos 5


8-0370  Fœtopathies infectieuses

“ Point fort
• Il n’y a pas de risque maternel particulier lié à la gros-
sesse.
• Le risque de transmission est maximal au premier tri-
mestre.
• Le risque malformatif existe jusqu’à 16 SA.
• Le seul traitement efficace est la vaccination préventive.

ganglions sensitifs cutanés. Le zona représente la forme clinique


de la réactivation du VZV, qui se produit chez environ 30 % des
individus au cours de leur vie.

Épidémiologie et mode de transmission


Figure 4. Varicelle congénitale : lésions cutanées cicatricielles pigmen-
Une étude effectuée dans le Rhône a montré que la séropréva-
tées en « zigzag ».
lence chez les femmes enceintes était de 98,8 %. La probabilité de
survenue d’une varicelle au cours de la grossesse est estimée à 50 à
Diagnostic et prise en charge (Fig. 3) 70/100 000. En France, ceci correspondrait à 350 à 550 varicelles
pergravidiques par an.
Le diagnostic de l’infection maternelle se fait par test séro- La transmission du VZV à partir d’un sujet atteint se fait princi-
logique par méthode Elisa en dosant les IgG et IgM. C’est palement par voie aérienne lors de la phase prééruptive, moindre
l’augmentation des anticorps antirubéoliques entre deux prélè- par voie cutanée directe via les lésions cutanéomuqueuses restant
vements qui affirme la séroconversion : un premier réalisé le plus contagieuses jusqu’à la chute des croûtes. La transmission fœto-
tôt possible et le second réalisé deux semaines après le début de maternelle est liée au passage transplacentaire du VZV lors de la
l’éruption ou 3 à 4 semaines après un contage. Il est aussi pos- virémie maternelle, beaucoup plus rarement par voie ascendante
sible de réaliser des cultures virales par PCR à partir des sécrétions par la filière génitale.
nasales ou autres (urines, sang, etc.).
Le diagnostic prénatal d’une infection fœtale doit être proposé
devant toute séroconversion maternelle confirmée avant 18 SA. Il Manifestations cliniques
se fait par détection du génome viral par prélèvement des villosités
choriales (entre 10 et 12 SA), du liquide amniotique (entre 14 et Chez la mère
16 SA) ou du sang fœtal (entre 18 et 20 SA). Un délai d’au moins L’incidence de la varicelle chez la femme enceinte est
six semaines entre infection et prélèvement est nécessaire. faible, inférieure à une grossesse sur 1000. Les adultes déve-
Une interruption de grossesse peut être acceptée en cas de loppent des infections varicelleuses plus sévères que chez
signes échographiques d’embryofœtopathie, d’infection fœtale l’enfant avec notamment des complications cutanées (surinfec-
confirmée ou potentiellement acceptable sur la seule base d’une tion bactérienne), respiratoires (pneumopathie varicelleuse) ou
infection maternelle avant 12 SA sans prélèvement ovulaire. Dans neurologiques (méningoencéphalite, ataxie cérébelleuse).
le cas contraire, une surveillance échographique rapprochée est L’infection varicelleuse chez la femme enceinte n’est pas asso-
nécessaire tout au long de la grossesse. ciée à une augmentation de fausse couche au premier trimestre
En postnatal, le diagnostic de rubéole chez le nouveau-né se mais expose la future mère à un risque de complications, notam-
fait de la même manière que chez l’adulte. Il doit être réalisé chez ment de pneumopathie varicelleuse dont l’incidence n’est pas
tout nouveau-né de mère ayant contracté la rubéole et ce même si augmentée par rapport à celle des autres adultes mais de sévérité
celui-ci est asymptomatique, afin d’instaurer un suivi à long terme plus importante, potentiellement létale. L’incidence des pneumo-
(neurologique, auditif, etc.). L’examen clinique est complété par pathies varicelleuses chez la femme enceinte est estimée entre 5
des radiographies de squelette, une échographie cardiaque, une et 14 %. Il est donc nécessaire d’informer toute femme enceinte
ETF, un fond d’œil, des PEA, à la recherche de signes de rubéole ayant la varicelle de consulter aux urgences en cas de sympto-
congénitale. matologie respiratoire ; avec éviction des services d’obstétrique
Le nouveau-né atteint est très contagieux pendant plusieurs et de maternité pour éviter toute contamination d’autres femmes
semaines à mois, motivant son isolement des femmes enceintes enceintes ou nouveau-nés.
non immunisées. Aucun traitement n’existe visant à diminuer le
risque d’embryofœtopathie rubéolique. Chez le fœtus et le nouveau-né (Fig. 4)
Les conséquences fœtales dépendent du terme auquel la femme
Prévention enceinte contracte la varicelle.
La prévention par vaccination des femmes en âge de procréer • En cas de varicelle maternelle entre 0 et 20 SA, il existe un
reste la seule stratégie pour éviter toute embryofœtopathie rubéo- risque de transmission fœtale estimé à 6 % et de varicelle
lique, le vaccin étant contre-indiqué pendant la grossesse. Le congénitale estimé à moins de 2 %. La varicelle congénitale
schéma actuel comporte deux doses du vaccin trivalent rougeole- associe : RCIU, lésions cutanées cicatricielles pigmentées en
oreillons-rubéole espacées d’au moins un mois. Les femmes « zigzag » suivant les dermatomes (70–100 %) (Fig. 4), hypopla-
séronégatives pendant leur grossesse doivent se faire vacciner, sie de membre (70 %), anomalies oculaires (40–50 %) telles que
après l’accouchement, en suites de couches. microphtalmie, cataracte congénitale, atrophie du nerf optique,
choriorétinite, anomalies neurologiques (50–60 %) telles que
microcéphalie, vessie neurologique, atrophie corticale, retard
 Varicelle-Zona mental, paralysie bulbaire ou phrénique, pneumopathie (30 %),
anomalies génito-urinaires (12 %), anomalies digestives (calci-
La varicelle est l’expression clinique de la primo-infection au fications digestives). La mortalité est estimée à 30 % des cas [11] .
virus varicelle-zona (VZV) de la famille des Herpesviridae. Après • En cas de varicelle maternelle entre 21 et 36 SA, à plus de 3
la primo-infection, le virus établit une infection latente dans les semaines de l’accouchement, le risque pour le nouveau-né est

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Fœtopathies infectieuses  8-0370

Figure 5. Arbre décisionnel. Conséquences et


Varicelle maternelle prise en charge en cas de varicelle chez la femme
enceinte en fonction du terme de grossesse. SA :
semaine d’aménorrhée.

21–36 SA et À moins de 3
0–20 SA
> 3 semaines du terme semaines du terme

Risque de varicelle Risque de zona de Risque de varicelle


congénitale l’enfant < 1 an congénitale

Traitement antiviral maternel

Surveillance Traitement du
échographique nouveau-né si
obstétricale éruption j-5/j+2 de
l’accouchement :
immunoglobulines et
aciclovir

celui d’un zona, sans gravité particulière, survenant dans la pre- dans les 3 semaines avant terme, une hospitalisation est nécessaire
mière année de vie (risque estimé à environ 1 %), dû à la perte et impose un traitement par aciclovir intraveineux (10 mg/kg/8 h
de l’immunité maternelle anti-VZV. Il n’existe, à ce terme, pas pendant 7 à 10 j). L’objectif de ce traitement est de diminuer le
de risque d’embryofœtopathie. risque de varicelle grave chez la femme enceinte et de diminuer
• En cas de varicelle maternelle à moins de 3 semaines du terme : la transmission maternofœtale de VZV. L’accouchement doit, si
• Cette situation expose l’enfant au risque de varicelle néonatale, possible, être différé d’une semaine pour permettre le passage des
d’autant plus sévère en cas d’éruption maternelle survenant anticorps anti-VZV au fœtus.
entre 5 jours avant et 2 jours après l’accouchement. Une surveillance échographique rapprochée est réalisée à la
• À proximité du terme, le risque de transmission de la mère à recherche de signe de varicelle congénitale. Une IRM cérébrale
l’enfant est de 50 %. La traduction clinique de cette infection fœtale peut être proposée pour caractériser une atteinte neuro-
est directement liée au passage transplacentaire des anticorps logique éventuelle. Un suivi en centre de diagnostic anténatal
maternels, qui débute en moyenne 3 jours après le début est nécessaire pour guider une stratégie en cas d’anomalies écho-
de l’éruption, pour être total 1 semaine après le début de graphiques. Le diagnostic de l’infection fœtale est confirmé par
l’éruption. recherche de l’ADN viral sur le liquide amniotique réalisée après
• Si l’éruption maternelle survient plus de 1 semaine avant 22 SA et au moins cinq semaines après le début de l’éruption
l’accouchement, le virus et les anticorps maternels traversent maternelle. L’amniocentèse n’est pas systématique du fait de
le placenta. Dans ce cas, seuls 23 % des enfants nés de mère l’absence de corrélation entre la présence de l’ADN viral dans le
avec varicelle seront symptomatiques. liquide amniotique et l’atteinte fœtale. En cas de varicelle en fin
• Si l’éruption maternelle débute entre 5 jours avant et 2 jours de grossesse, un traitement par aciclovir intraveineux est mis en
après l’accouchement, le virus sera transmis au nouveau-né en place si l’accouchement est prévu dans les 10 jours et la naissance
l’absence des anticorps maternels. Le risque de varicelle néona- doit être, si possible, retardée.
tale est maximal (entre 20 et 50 %), avec un risque de varicelle
sévère dont la mortalité est estimée à 30 % sans traitement, En cas de zona chez la femme enceinte
diminué à 7 % grâce aux thérapeutiques. Le traitement maternel est le même que chez l’adulte : valaciclo-
L’incubation de ces varicelles néonatales est réduite à vir pendant sept jours en cas d’atteinte ophtalmique ou aciclovir
10–12 jours entre éruption maternelle et éruption néonatale. La intraveineux en cas de comorbidité surajoutée.
symptomatologie est marquée par les lésions cutanées habituelles, En cas de contage varicelleux chez la femme enceinte a priori
prédominant à la face, au cuir chevelu et au tronc. Une seconde non immunisée, sont considérés à risque : un contact familial,
poussée peut survenir 2 à 5 jours après la première. Le pronostic est un contact face à face durant plus de cinq minutes ou un contact
lié aux complications possibles : lésions ulcéronécrotiques et/ou dans la même pièce durant plus d’une heure. Après vérification
hémorragiques, surinfection, pneumopathie, atteinte viscérale. de l’immunité par sérodiagnostic, les recommandations améri-
La survenue de zona maternel pendant la grossesse n’est pas à caines préconisent un traitement par immunoglobulines dans les
risque pour le fœtus ni pour le nouveau-né. 10 jours suivant le contage (idéalement les 4 premiers jours). Pas-
sée cette période de 10 jours, certaines équipes recommandent un
traitement par valaciclovir (1 g × 3/j) pendant 14 jours [12] . En
Diagnostic et prise en charge (Fig. 5) cas de contage à terme, un déclenchement est réalisé pour éviter
Chez la mère toute contamination au fœtus.

Le diagnostic de varicelle chez la femme enceinte est clinique


et n’est confirmé par recherche de l’ADN viral par PCR des lésions Chez le nouveau-né
cutanées qu’en cas de doute clinique.
Cas d’un nouveau-né dont la mère a contracté la varicelle
En cas de varicelle confirmée chez une femme enceinte en début de grossesse
Il est nécessaire de débuter un traitement par antiviral quel que L’examen clinique est complété systématiquement d’un exa-
soit le terme (valaciclovir 1 g × 3/j per os pendant 7 j). En cas de men ophtalmologique et d’une imagerie cérébrale. Devant un
complications (respiratoire, neurologique) ou de comorbidités ou tableau clinique évocateur de varicelle congénitale à la naissance,

EMC - Traité de Médecine Akos 7


8-0370  Fœtopathies infectieuses

le diagnostic est confirmé par détection de l’ADN viral par PCR au Manifestations cliniques
niveau de l’œil ou du liquide cérébrospinal (LCS) du nouveau-né.
Chez la mère
Prise en charge du nouveau-né en cas d’éruption maternelle
entre j-5 et j + 2 de la naissance (entre j-10 et j + 10 pour L’expression clinique du PV B19 est le mégalérythème épidé-
un prématuré < 28 SA et/ou < 1 kg et/ou immunodéprimé) mique ou cinquième maladie, infection bénigne hormis chez les
C’est la suivante : patients atteints d’anémie constitutionnelle ou acquise (risque de
• hospitalisation en néonatologie avec isolement « gouttelette » ; crise érythroblastopénique). L’infection chez la femme enceinte
• administration d’immunoglobulines spécifiques type Varitect® est asymptomatique dans un tiers des cas et n’est pas différente
(disponibles en autorisation temporaire d’utilisation [ATU]) par rapport à la forme habituelle de l’adulte. Peuvent s’associer :
dans les 48 premières heures. Cela n’empêche pas la survenue polyarthrite bilatérale, atteintes hématologiques (anémie, throm-
de la varicelle mais en diminue la gravité ; bopénie, neutropénie, pancytopénie), neurologiques (méningite,
• administration d’aciclovir intraveineux (10 mg/kg/8 h 10 à encéphalite) et une myocardite.
15 j), si le nouveau-né est symptomatique ;
• en cas de varicelle néonatale : le diagnostic est clinique et Chez le fœtus et le nouveau-né
confirmé par la recherche d’ADN viral par PCR sur les lésions Durant la grossesse, le virus peut atteindre le fœtus par voie
cutanées ; hématogène transplacentaire. Le risque de transmission aug-
• l’allaitement maternel peut être poursuivi sauf en cas de lésions mente avec le terme : 0 % en périconceptionnel, 14 % en fin
sur le mamelon. de premier trimestre, 50 % en fin de deuxième trimestre et plus
En cas de contage varicelleux du nouveau-né de mère de 60 % au troisième trimestre. La plupart des infections fœtales
non immunisée au PV B19 se résolvent spontanément et sans conséquence indé-
sirable pour le fœtus. La probabilité de complication fœtale est
Les recommandations australiennes et britanniques préco-
évaluée à un cas pour 75 primo-infections maternelles.
nisent un traitement par immunoglobulines chez le nouveau-né
In utero, le virus va infecter les érythroblastes circulants, entraî-
exposé en postnatal, si sa mère n’est pas immunisée, avant le
nant une anémie fœtale parfois sévère pouvant être responsable
premier mois de vie et avant la première semaine de vie respecti-
d’insuffisance cardiaque, d’anasarque et de mort fœtale. Les autres
vement [13] .
lignées peuvent être atteintes, à l’origine d’une pancytopénie.
Les conséquences chez le fœtus sont différentes selon le terme
Prévention de grossesse.
En l’absence d’immunité acquise, la vaccination reste la • Le risque de mort fœtale est d’autant plus important que
meilleure des préventions de la varicelle congénitale et néonatale. l’infection est précoce au cours de la grossesse. Le risque de
La Haute Autorité de santé (HAS) recommande une vaccination fausse couche des fœtus affectés par le PV B19 avant la 20e
contre la varicelle, avec un schéma à deux doses espacées d’au semaine de gestation est d’environ 13 %, et moins de 1 % après
moins un mois chez les femmes en âge de procréer, notamment 20 semaines.
celles qui ont un projet de grossesse, ou dans les suites d’une • L’anasarque fœtale est le signe échographique d’une anémie
grossesse et n’ayant pas d’antécédent clinique de varicelle. Toute fœtale déjà sévère et représente 3,5 % des complications de
vaccination contre la varicelle chez une femme en âge de pro- l’infection au PV B19. Son diagnostic est échographique et
créer doit être précédée d’un test négatif de grossesse associé à une se définit soit par un œdème sous-cutané diffus supérieur à
contraception efficace de trois mois après chaque dose de vaccin. 5 mm associé à au moins un épanchement de séreuse (péricarde
La vaccination pendant la grossesse est contre-indiquée en raison plèvre, péritoine), soit par la présence d’un épanchement dans
du risque de transmission verticale du virus vaccinal au fœtus. deux séreuses différentes (Fig. 6). L’anémie peut se manifester
par une anasarque et/ou des signes d’insuffisance cardiaque
et/ou des signes échographiques indirects (accélération du
flux systolique dans les artères cérébrales moyennes fœtales).
“ Point fort L’insuffisance cardiaque peut aussi être le reflet d’une atteinte
directe du virus (myocardite) [14] . La cordocentèse confirme le
diagnostic d’anémie fœtale. Quelques rares cas de malforma-
• La varicelle expose la future mère à un risque de tions liées au PV B19 (anomalie du système nerveux central,
pneumopathie varicelleuse dont l’incidence n’est pas aug- craniofaciale, oculaire) ont été rapportés [15] .
mentée par rapport aux autres adultes mais de sévérité Concernant le pronostic à long terme, les données de la litté-
plus importante, potentiellement létale. rature sont divergentes mais les enfants ayant eu une infection
• Un traitement antiviral systématique doit être pro- congénitale à PV B19 sont à risque de troubles du développement
psychomoteur liés aux lésions neurologiques clastiques causées
posé par voie orale et par voie intraveineuse en cas de
par l’anémie sévère in utero. De Jong, en 2012, rapportait 11 %
complications. de retard de développement neurologique chez les enfants ayant
• Le risque de varicelle congénitale est de 2 % après une eu une infection congénitale avec anémie fœtale ayant nécessité
varicelle maternelle avant 20 SA. des transfusions in utero. Ces constatations nécessitent un suivi
• Une varicelle maternelle au-delà de 20 SA expose le pédiatrique à long terme et la réalisation d’une IRM cérébrale en
nouveau-né à un risque de zona. cas d’anémie sévère [16] .

Diagnostic
 Parvovirus B19 (PV B19) Le dépistage d’une séroconversion maternelle à PV B19 se fait
sur signes d’appels cliniques et/ou échographiques ou en cas de
Le PV B19 appartient à la famille des Parvoviridae, genre Erythro- surveillance de contage.
virus. La transmission virale se fait par voie aérienne. Des cas de En cas de manifestations cliniques chez la femme enceinte
transmission ont été décrits après transfusion sanguine ou trans- ou de contage, le diagnostic biologique de l’infection maternelle
plantation d’organe. L’infection à PV B19 touche tous les âges de nécessite de doser les IgM et IgG spécifiques et d’effectuer une
la population avec une séroprévalence qui augmente avec l’âge. recherche de virémie B19. Les IgM apparaissent 3 à 4 jours après
Il s’agit principalement d’une maladie de l’enfant scolarisé. Les le début de la symptomatologie et persistent 3 à 4 mois. Les IgG
femmes en contact avec des enfants scolarisés sont donc parti- apparaissent dans les sept jours après le début de la symptomato-
culièrement à risque de primo-infection durant la grossesse. Le logie et persistent des années. La sérologie doit être refaite après
risque de primo-infection pendant la grossesse est de 1 à 5 %, trois semaines en cas de premier prélèvement négatif du fait de
augmentant jusqu’à 10 % en période d’épidémie. l’ascension secondaire des IgM marquant l’infection récente.

8 EMC - Traité de Médecine Akos


Fœtopathies infectieuses  8-0370

A B
Figures 6. Ascite et œdème préfrontal fœtaux secondaires à une infection à parvovirus B19 (A, B) (clichés du docteur Emeline Maisonneuve, service de
médecine fœtale, hôpital Trousseau).

En cas de séroconversion confirmée, il faut proposer un suivi


obstétrical et échographique rapproché à la femme enceinte à
la recherche de signes directs ou indirects d’anémie fœtale ou
d’insuffisance cardiaque. Le suivi échographique est rapproché et
“ Point fort
prolongé du fait d’un décalage d’environ 8 à 10 semaines entre • Le PV B19 peut être responsable d’une anémie fœtale
séroconversion maternelle et signes échographiques chez le fœtus.
L’examen de référence pour le diagnostic prénatal est la majeure.
recherche d’ADN ou ARN viral par PCR sur liquide amniotique ou • L’insuffisance cardiaque fœtale peut également être
sang fœtal. Elle est faite en cas de signes d’appels échographiques. secondaire à une myocardite.
En pratique en cas d’anasarque fœtale par anémie, il est réalisé • Il n’y a pas de risque malformatif mais il existe un risque
dans un même temps une recherche étiologique (PCR PV B19, de séquelles neurologiques secondaire à l’anémie.
PCR CMV, caryotype, etc.) et une prise en charge thérapeutique
(transfusion in utero).
Le diagnostic postnatal de l’infection congénitale à PV B19 se
fait en recherchant le génome viral par PCR dans les urines ou le avec moins de 100 cas décrits dans la littérature mais est proba-
sang. Le pronostic néonatal immédiat peut être, dans de rares cas, blement sous-évaluée [17] .
marqué par des complications néonatales telles que myocardite La symptomatologie évoque fortement une fœtopathie sévère
transitoire, anémie par érythroblastopénie persistante, anomalies à CMV. À la naissance sont retrouvées une microcéphalie dans
du système nerveux central en cas d’anémie sévère non prise en un tiers des cas et une macrocrânie secondaire à une hydrocépha-
charge ou trop tardivement. lie dans un autre tiers. Il s’y associe des calcifications cérébrales
diffuses et des choriorétinites dans plus de 90 % des cas publiés
Traitement (Fig. 7), plus rarement des atrophies optiques bilatérales. Il y a très
peu de manifestations extra-neuro-sensorielles. À long terme, la
Le traitement de l’infection congénitale est un traitement symp- mortalité est élevée (> 30 %) et les séquelles neurologiques des
tomatique de l’anémie par transfusion in utero qui peut être répété cas publiés sont sévères (épilepsie, retard intellectuel, anomalies
au cours de la grossesse. La transfusion diminue le risque de mort motrices, etc.) mais la possibilité de formes pauci- ou asymptoma-
fœtale mais ne l’élimine pas. tiques n’est pas évaluée. Le diagnostic biologique est fait dans des
laboratoires de référence par des sérologies, même si un nombre
croissant de diagnostics a été effectué par PCR. Il n’y a pas de
Prévention traitement étiologique.
La prévention reste la meilleure alternative pour éviter une
infection congénitale au PV B19 du fait de l’absence de vaccin et
de l’absence de thérapeutique spécifique en cas d’affection avérée.  Virus Zika
Il faut préconiser des règles d’hygiène simples (lavage de mains,
éviter le baiser buccal) chez les femmes enceintes travaillant ou Le virus Zika est un Flavivirus dont la première description
vivant au contact de jeunes enfants. remonte à 1947 dans la forêt de Zika en Ouganda. Une expan-
Il n’y a pas d’indication à réaliser une sérologie systématique sion progressive vers l’est a été responsable depuis 2007 de
aux femmes enceintes. Elle ne sera réalisée qu’en cas de contage plusieurs épidémies, d’abord dans des îles du Pacifique et depuis
ou de signe clinique ou échographique faisant évoquer le PV B19. mars 2015 en Amérique du Sud et aux Caraïbes. Fin 2017, plus
de 750 000 personnes ont été infectées par le virus Zika, la
zone d’endémie/épidémie couvrant maintenant l’Afrique tropi-
cale, l’Indonésie, des îles du Pacifique, le nord-est de l’Amérique
« Lymphocytic choriomeningitis virus » du Sud, l’Amérique centrale.
ou virus de la chorioméningite lymphocytaire Le virus Zika est principalement transmis par les moustiques
femelles Aedes en raison de leur caractère hématophage. Les
Le LCMV est un arénavirus dont le réservoir est composé par conditions climatiques et environnementales favorisant la mul-
les rongeurs. Les infections humaines ont lieu par inhalation tiplication des Aedes sont fondamentales pour générer une
d’aérosols de virus ou par contact avec les déjections de rongeurs épidémie brutale dans une population naïve pour ce virus, alors
infectés. Les infections congénitales humaines sont acquises après que les transmissions interhumaines isolées (sexuelles, mater-
une primo-infection maternelle durant la grossesse avec un taux nofœtales et post-transfusionnelles) sont insuffisantes. Après une
de transmission qui n’est pas connu. Son incidence est très faible primo-infection, la virémie est en moyenne de 14 jours bien que

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8-0370  Fœtopathies infectieuses

Tableau 2.
Malformations associées aux infections congénitales au virus Zika [19] .
Neurologiques
Microcéphalie
Ventriculomégalie, hydrocéphalie
Polymicrogyrie, lisencéphalie
Agyrie
Porencéphalie
Anomalies du corps calleux
Anomalies cérébelleuses
Calcifications cérébrales
Holoprosencéphalie, anencéphalie
Hypertonie, convulsions, anomalies de la succion - déglutition
Sensorielles
Microphtalmie
Colobome
Cataracte congénitale
Anomalies du nerf optique
Surdité de perception
Musculosquelettiques consécutives aux anomalies neurologiques
Arthrogrypose
Pied bot
Autres
RCIU
Anasarque
Hypoplasie pulmonaire

Chez le nouveau-né
Figure 7. Scanner cérébral d’un enfant atteint d’une infection congéni-
tale au virus de la chorioméningite lymphocytaire : calcifications diffuses Idéalement dans les deux premiers jours de vie, il faut prélever
associées à une dilatation ventriculaire asymétrique et une atrophie céré- une sérologie Zika et de dengue sur sang périphérique, PCR Zika
brale droite. dans les urines, NFS, bilan hépatique ; la ponction lombaire est à
discuter. Avant la sortie de maternité, on réalise un fond d’œil, des
PEA et une ETF, et on programme une IRM cérébrale. Une fiche
des virémies prolongées pouvant atteindre dix semaines aient été de signalement doit être adressée à l’Agence régionale de santé
décrites chez des femmes enceintes, l’excrétion urinaire moyenne (ARS). Le suivi neurosensoriel à long terme doit être organisé. Il
est de huit jours et est de 1 à 6 mois dans le sperme. n’y a pas de traitement antiviral efficace disponible. Le virus Zika
Chez les adultes ou les enfants, la primo-infection doit être évo- a été mis en évidence dans le lait maternel mais jusqu’à présent
quée devant l’association d’au moins deux des signes suivants : sans conséquence clinique.
fièvre, éruption maculopapuleuse prurigineuse, conjonctivite non
purulente, arthralgies, Guillain-Barré. Le neurotropisme du virus
Zika est à l’origine de lésions cérébrales diffuses chez les fœtus Prévention primaire
atteints incluant des calcifications corticales et sous-corticales
Elle est fondamentale chez les femmes enceintes. Elle associe les
dystrophiques, des foyers de gliose et de nécrose ainsi que des
reports des voyages non essentiels en zone d’endémie et à défaut
anomalies de la giration pouvant aller jusqu’à une lisencéphalie,
le port de vêtements longs, l’utilisation de moustiquaires impré-
des anomalies du corps calleux.
gnées d’un insecticide à la perméthrine, de répulsifs contre les
Le risque d’infection congénitale sévère est maximal après une
insectes et impose de rester dans des logements avec de l’air condi-
primo-infection maternelle du premier trimestre (un risque de
tionné. Dans les régions d’endémie, en parallèle des mesures de
microcéphalie évalué entre 10 et 15 %). Les primo-infections
protection individuelles, la prévention passe par la lutte contre
du troisième trimestre comportent un risque de 4 à 5 % de
la prolifération des moustiques. Tous les gîtes potentiels pour
microcéphalie modérée (-2DS à -3DS) sans microcéphalie sévère
le développement des larves de moustiques (eaux stagnantes)
(< -3DS) [18] . En plus des atteintes cérébrales, des lésions oculaires,
doivent être éliminés : pots de fleurs, gouttières, pneus usagés.
auditives, musculosquelettiques et génito-urinaires ont également
Après chaque pluie, il est recommandé de vider les rétentions
été décrites (Tableau 2) [19] .
d’eau autour des lieux d’habitation.

Diagnostic maternel  Toxoplasmose


Chez une femme ayant séjourné dans un pays d’endémie
pendant la grossesse et dont le fœtus/nouveau-né a des lésions La toxoplasmose congénitale est une maladie parasitaire qui
compatibles, il faut prélever une sérologie Zika et de dengue sur résulte d’une transmission verticale de Toxoplasma gondii de la
sang périphérique, sur le sang du cordon et faire une reverse trans- mère au fœtus par voie hématogène transplacentaire. Elle inter-
criptase (RT)-PCR Zika sur le placenta. Les prélèvements Zika sont vient le plus souvent après une primo-infection maternelle en
à adresser au Centre national de référence (CNR) des arboviroses à cours de grossesse. Plus rarement, la transmission est secondaire
Marseille. Il est nécessaire de savoir que les IgM peuvent persister à des réactivations chez des femmes enceintes sévèrement immu-
plusieurs mois après la primo-infection et que les techniques Elisa nodéprimées même si le risque est faible et exceptionnellement
ont des réactions croisées avec les autres Flavivirus. Une sérologie par réinfection pendant la grossesse par ingestion d’une nouvelle
positive doit être confirmée par une technique complémentaire souche très virulente.
(Plaque Reduction Neutralization Test [PRNT]). Pour plus de Toxoplasma gondii est un parasite unicellulaire qui infecte envi-
détails, cf. le site du Center for Disease Control (CDC) à l’adresse ron un tiers de la population mondiale et une large variété
suivante : www.cdc.gov/zika/hc-providers/testing-guidance.html d’animaux. Il a trois formes évolutives :

10 EMC - Traité de Médecine Akos


Fœtopathies infectieuses  8-0370

Tableau 3.
Risque de transmission maternofœtale de la toxoplasmose et d’infection symptomatique en fonction du terme lors de l’infection maternelle.
Terme lors de l’infection maternelle Taux de transmission maternofœtale Risque d’infection symptomatique avant l’âge
(% [intervalle de confiance à 95 %]) de 3 ans (% [intervalle de confiance à 95 %])
13 SA 6 (3–9) 61 (34–85)
26 SA 40 (33–47) 25 (18–33)
36 SA 72 (60–81) 9 (4–17)

• les tachyzoïtes sont à l’origine de la propagation du parasite ascite, etc. pouvant évoluer vers une mort fœtale in utero. Les
par réplication intracellulaire aboutissant à la mort de la cel- infections du 3e trimestre sont le plus souvent asymptomatiques
lule hôte avec une invasion rapide des cellules voisines. Les à la naissance. L’incidence des choriorétinites est peu, voire pas,
tachyzoïtes sont responsables des signes cliniques de la toxo- influencée par le terme de la primo-infection maternelle.
plasmose ;
• les bradyzoïtes sont contenus dans des kystes, chacun pouvant
en contenir jusqu’à 1 millier. Les kystes persistent principale-
Diagnostic prénatal
ment dans les neurones, les astrocytes, les cellules rétiniennes Diagnostic de l’infection maternelle
et musculaires. Les bradyzoïtes restent vivants pendant des
années et peuvent se retransformer en tachyzoïtes, expliquant Le diagnostic de primo-infection maternelle est facile devant
les manifestations tardives des toxoplasmoses congénitales ou une séroconversion (synthèse d’IgG et d’IgM avec une sérolo-
les réactivations chez les immunodéprimés. Les kystes sont gie antérieure négative). Une détection isolée d’IgM nécessite un
résistants à l’acide chlorhydrique gastrique rendant possible la contrôle 2 à 3 semaines plus tard, puisqu’elle peut correspondre
contamination à partir de viande peu cuite contaminée ; à une primo-infection débutante comme à un faux positif (réac-
• les oocystes sont issus d’une multiplication sexuée qui tion croisée avec d’autres agents infectieux). C’est la synthèse des
n’intervient que dans l’épithélium intestinal de félidés comme IgG qui définit une séroconversion chez une femme antérieure-
les chats (hôtes définitifs). L’excrétion des oocystes dans les ment non immunisée. Le diagnostic est plus difficile lorsque la
fèces d’un chat a lieu 3 à 10 jours après sa primo-infection et première sérologie montre à la fois des IgG et des IgM, ce qui
dure 2 à 3 semaines. Les oocystes peuvent rester infectants peut correspondre à une infection récente, comme à la persistance
pendant plusieurs années dans le sol et sont à l’origine de conta- tardive d’IgM jusqu’à plus d’un an après une primo-infection.
mination humaine par ingestion de légumes souillés. Ce sont la cinétique des IgG sur deux prélèvements successifs
Trois souches principales de Toxoplasma gondii ont été identi- et les techniques d’avidité des IgG qui permettent d’estimer la
fiées. En Europe, le type 2 est très prédominant. En Amérique date de l’infection maternelle : des titres d’IgG stables permettent
du Nord, les trois souches sont impliquées et en Amérique du d’affirmer que la séroconversion date de plus de deux mois avant
Sud, ce sont les souches 1 et 3 ainsi que des souches atypiques le premier sérum et une avidité élevée qu’elle date de plus de
caractérisées par leur virulence qui ont été identifiées. quatre mois. Il est nécessaire d’adresser les sérums à un labo-
ratoire de référence pour que des techniques complémentaires
plus sensibles (western blot) ou plus spécifiques (immuno-sorbent
Épidémiologie agglutination assay [ISAgA]) soient effectuées. La reprise de sérums
antérieurs de la grossesse est souvent d’une aide précieuse pour
La séroprévalence vis-à-vis de la toxoplasmose chez les femmes dater la séroconversion.
en âge de procréer est très variable dans le monde, allant de moins
de 10 % dans les pays nordiques à 80 % au Brésil. Elle diminue Diagnostic de l’infection fœtale
régulièrement en France de plus de 80 % dans les années 1960 à
31,3 % en 2016 (derniers chiffres publiés ces dernières semaines). Diagnostic biologique
Elle est due à une exposition moindre des chats (alimentation Il est effectué par une amniocentèse, à partir de 18 SA et au
par croquettes ou par conserves), et humaine avec une part crois- moins quatre semaines après la date présumée de l’infection
sante de viande issue d’animaux d’élevage industriel et de viande maternelle. La recherche d’ADN du parasite est effectuée par PCR
congelée. Enfin, les cultures maraîchères sous serre ou sur film en temps réel. Cette technique a actuellement une spécificité de
plastique limitent les contacts avec les oocystes. Les nouveaux cas 100 % permettant d’affirmer l’infection de l’enfant et une sensi-
de toxoplasmose congénitale sont d’environ 250 par an en France bilité de 93 %.
(données 2015 du CNR toxoplasmose, CHU de Reims), soit une Diagnostic échographique
incidence de 0,3 à 0,35 pour 1000 naissances vivantes. Dans deux tiers des cas, la surveillance échographique
mensuelle est normale (formes asymptomatiques). Les formes
symptomatiques s’observent surtout dans les infections de la pre-
Prévention de l’infection mière moitié de la grossesse. Les signes échographiques les plus
La prévention primaire consiste chez les femmes enceintes non caractéristiques sont cérébraux : lésions nodulaires hyperécho-
immunisées à ne manger de la viande que cuite à cœur ou ayant gènes intraparenchymateuses ou périventriculaires de quelques
été congelée (au-dessous de −20 ◦ C et plus de 48 h), à éviter les millimètres de diamètre. Lorsqu’elles sont isolées, ces lésions,
contacts avec la terre et les chats, à laver soigneusement et à éplu- même multiples, peuvent s’associer à un développement neu-
cher les légumes et à ne pas utiliser les ustensiles de cuisine ayant rologique normal [20] . Les ventriculomégalies, habituellement
servi à la préparation des repas pour manger. La symptomatolo- symétriques et de progression rapide, s’associent à un mau-
gie clinique d’une infection maternelle est peu fréquente et peu vais pronostic neurologique à long terme [21] . Les autres signes
spécifique en dehors des adénopathies cervicales postérieures. Un échographiques sont moins spécifiques : hépatomégalie, ascite,
dépistage des femmes séronégatives en début de grossesse et leur augmentation de l’épaisseur du placenta.
suivi sérologique mensuel jusqu’à l’accouchement ont été mis en
place en France depuis 1978. Traitement prénatal (Fig. 8)
Après une primo-infection maternelle, le risque de contami-
nation fœtale est d’autant plus élevé que le terme est avancé. Devant une séroconversion maternelle, un traitement par spi-
À l’inverse, le risque que l’infection fœtale soit symptomatique ramycine 9 millions d’unités/j en trois prises est débuté pour
décroît avec le terme (Tableau 3). Les infections du premier réduire le risque de transmission maternofœtale. Il est justifié
trimestre peuvent être à l’origine d’une fœtopathie sévère dissémi- par le délai variable entre la parasitémie maternelle et l’infection
née avec hydrocéphalie, calcifications cérébrales, abcès cérébraux, fœtale mais ne peut donc prévenir toutes les infections fœtales.

EMC - Traité de Médecine Akos 11


8-0370  Fœtopathies infectieuses

Séroconversion (SC) maternelle *

Entre 1 mois avant la


Entre 15 et 32 SA > 32 SA
conception et ≤ 14 SA

Spiramycine si SC
Spiramycine PS si SC
incertaine
certaine
(IgM isolées)

SC entre 1 mois SC entre 6


avant conception et 15 SA
et 6 SA

Amniocentèse à 18 SA (SC ≤ 14 SA) ou Amniocentèse


Amniocentèse à discuter 1 mois après SC maternelle (SC 15–32 SA) non faite

avec échographie
préalable

Amniocentèse non Amniocentèse positive Amniocentèse positive Amniocentèse négative


faite ou négative Échographies normales Anomalies échographiques Échographies normales

Poursuite de la Spiramycine +
PS + échographies Discussion IMG si PS + échos
spiramycine + surveillance échographies
bimensuelles anomalies sévères mensuelles
échographique habituelle mensuelles

Naissance
Examen clinique, échographie transfontanellaire, fond d’œil sérologie mère et enfant

Absence d’argument TC certaine


pour une TC (diagnostic pré-, néo- ou postnatal)

Pas de traitement, Pyriméthamine + sulfamide + acide


surveillance sérologique folinique 12 mois

Annulation des IgG et/ou IgM + Surveillance ophtalmologique


IgG avant 12 mois et/ou IgA + => âge adulte

Infection exclue
Arrêt de la surveillance

Figure 8. Arbre décisionnel. Démarche diagnostique et thérapeutique pré- et postnatale en cas de séroconversion maternelle de toxoplasmose en cours de
grossesse [22] . Astérisque : date de séroconversion maternelle généralement estimée à mi-distance entre la dernière sérologie négative et la première positive.
PS : pyriméthamine (Malocide® ) + sulfadiazine (Adiazine® ) ; TC : toxoplasmose congénitale ; IMG : interruption médicale de grossesse ; SA : semaines
d’aménorrhée ; Ig : immunoglobulines.

De plus, la spiramycine n’est que parasitostatique sur les tachy- Lorsque la PCR sur le liquide amniotique est négative, le traite-
zoïtes. La diminution du risque de transmission du parasite par ment par spiramycine jusqu’à l’accouchement est maintenu par
la spiramycine n’a pas été étayée par des études randomisées et la possibilité d’un passage transplacentaire retardé.
son intérêt est discuté, même si des données sont en faveur d’une Devant une PCR sur le liquide amniotique positive, la
efficacité conditionnée par un délai bref entre la séroconversion spiramycine est remplacée par une association d’un sul-
et le début du traitement. famide (sulfadiazine ou sulfadoxine) et de pyriméthamine

12 EMC - Traité de Médecine Akos


Fœtopathies infectieuses  8-0370

non au cordon. Des techniques analytiques comparatives très sen-


sibles (> 80 %) (western blot ou enzyme-linked immunofiltration
assay [Elifa]) des IgG et des IgM sont utilisées pour différencier les
anticorps maternels transmis de ceux synthétisés par le nouveau-
né.
La ponction lombaire qui était un examen classique en cas de
suspicion de toxoplasmose congénitale n’a pas de valeur diagnos-
tique ni pronostique.

Au terme des examens pré- et néonatals


Deux résultats sont possibles.

Infection congénitale non prouvée à la naissance


L’abstention thérapeutique est la règle avec une nouvelle séro-
logie à un mois puis tous les deux mois jusqu’à l’annulation des
IgG spécifiques qui doit survenir avant l’âge de 1 an. Le diagnostic
de toxoplasmose congénitale peut alors être récusé.

Infection congénitale prouvée


Figure 9. Lésion de choriorétinite toxoplasmique juxtapapillaire. Chez les enfants symptomatiques traités, les signes systémiques
d’infection régressent en quelques semaines de traitement [24] .
• Les enfants ont un développement neurologique normal
jusqu’à l’accouchement. Ces molécules sont parasiticides sur les lorsque l’imagerie cérébrale néonatale était normale ou peu
tachyzoïtes et réduisent le risque d’infection sévère ou symp- pathologique (par exemple une à quelques lésions nodulaires
tomatique [23] . Elles nécessitent une surveillance hématologique intracrâniennes). Les enfants qui ont des séquelles (épilepsie,
régulière et un apport en acide folinique. Les infections fœtales retard de langage, anomalie du tonus) avaient une neuro-
consécutives à une primo-infection maternelle du premier tri- imagerie très pathologique, en règle générale une dilatation
mestre nécessitent une surveillance mensuelle ou bimensuelle, ventriculaire. Le suivi à l’âge adulte avec un recul moyen de
près de la moitié d’entre elles évoluant vers des lésions échogra- 22 ans objective un score global de qualité de vie identique à
phiques cérébrales sévères, qui peuvent justifier une interruption celui de la population générale.
médicale de la grossesse. L’IRM cérébrale fœtale permet parfois • Concernant l’évolution des formes sévères de toxoplasmose
de préciser certaines lésions mais n’est pas systématique. Les congénitale traitées avec un traitement postnatal de 1 an et
choriorétinites sont actuellement inaccessibles aux techniques avec un recul moyen de plus de 10 ans, 72,7 % ont un quotient
d’exploration prénatales du fœtus. intellectuel supérieur ou égal à 70 et 80 % n’ont pas d’anomalie
motrice [24] .
Ces résultats sont concordants avec la régression ou la dispari-
Diagnostic postnatal tion des lésions intracrâniennes observées chez les enfants traités
pour une toxoplasmose congénitale. La prise en compte future de
Examen clinique la virulence des souches ou de facteurs génétiques/épigénétiques
Il est le plus souvent normal, 80 à 90 % des enfants atteints devrait permettre d’affiner la prise en charge.
d’une toxoplasmose congénitale sont asymptomatiques à la nais- Le risque évolutif essentiel des enfants infectés est la surve-
sance. Les signes cliniques peuvent être des signes non spécifiques nue d’une choriorétinite. Elle peut apparaître à n’importe quel
de fœtopathie généralisée évolutive (hépatomégalie, splénoméga- moment de l’enfance avec une fréquence atteignant, en l’absence
lie, ictère, rash cutané, myocardite, détresse respiratoire, purpura de traitement anté- et postnatal, 80 % à l’adolescence avec près de
thrombopénique, anémie, etc.) ou séquellaire (hydrocéphalie, 50 % de cécité uni- ou bilatérale. Des études récentes trouvent une
convulsions, etc.) [24] . incidence de choriorétinite atteignant près de 30 % des enfants
L’examen ophtalmologique recherche une/des lésions de cho- atteints d’une toxoplasmose congénitale à l’adolescence. Chez un
riorétinite focale, qui sont responsables d’une amputation du tiers des enfants qui ont une choriorétinite, de nouvelles lésions
champ visuel, dont le retentissement fonctionnel est faible ou ont été observées jusqu’à plus de 12 ans après la lésion initiale [22] .
nul lorsqu’elles sont périphériques (Fig. 9). Celles qui atteignent En Amérique du Sud et aux États-Unis, l’incidence et la sévérité des
la macula vont provoquer une diminution de l’acuité visuelle pou- lésions oculaires sont beaucoup plus élevées (souches différentes,
vant aller jusqu’à la cécité par développement d’une amblyopie. absence de diagnostic et de traitements prénatals). Le principal
Enfin, les lésions situées entre la macula et la papille entraînent facteur de risque identifié associé au développement d’une chorio-
des amputations larges du champ visuel par destruction des fibres rétinite est la présence de lésions cérébrales. La découverte d’une
nerveuses allant de la macula au nerf optique. À la naissance, 3 à nouvelle lésion de choriorétinite justifie la reprise d’un traitement
5 % des enfants qui ont une toxoplasmose congénitale ont une si elle est maculaire ou proche de la macula ou d’aspect inflam-
ou plusieurs choriorétinites. matoire.
L’ETF recherche des calcifications cérébrales nodulaires de
quelques millimètres de diamètre siégeant en plein parenchyme
cérébral et une hydrocéphalie. L’IRM apporte peu de renseigne- Traitement [25]
ments supplémentaires.
Étant donné l’absence de diffusion de la spiramycine dans le
parenchyme cérébral et son activité seulement parasitostatique,
Diagnostic biologique elle n’est plus utilisée après la naissance au profit d’une association
L’examen parasitologique du placenta apporte peu en routine continue de pyriméthamine et de sulfamides.
et n’est plus systématique. Trois schémas thérapeutiques sont employés en France et
Seules les IgG maternelles traversant le placenta, la mise en sont résumés dans le Tableau 4. La durée optimale du traite-
évidence d’IgM chez le nouveau-né signe une synthèse par le ment postnatal reste inconnue, une durée supérieure à un mois
nouveau-né, preuve d’une infection congénitale. La sensibilité est nécessaire, la parasitémie des enfants non traités persistant
de la sérologie à la naissance dépend de la technique utilisée jusqu’à quatre semaines. Un essai clinique français multicentrique
et augmente avec le terme de l’infection (40–50 % au premier contrôlé randomisé est en cours, comparant le devenir des enfants
trimestre, 70–80 % au troisième trimestre). Sa spécificité est de infectés avec un traitement postnatal de 12 mois, versus un trai-
100 % si le prélèvement a été effectué sur sang périphérique et tement de trois mois.

EMC - Traité de Médecine Akos 13


8-0370  Fœtopathies infectieuses

Tableau 4. Tableau 5.
Traitement de la toxoplasmose congénitale. Signes cliniques de la syphilis congénitale par ordre de fréquence décrois-
sante [27] .
Pyriméthamine - Formes sévères
(hydrocéphalie, > 3 calcifications Syphilis congénitale précoce (premier signe avant 2 ans)
cérébrales, choriorétinite - Ostéochondrite, arthrite
maculaire) : 1 mg/kg par jour - Hépatomégalie, splénomégalie
pendant 6 mois puis 0,5 mg/kg - Pétéchies, lésions cutanées contagieuses : planes ou nodulaires du
par jour les 6 mois suivants tronc ; bulleuses palmoplantaires
- Formes non sévères : 1 mg/kg - Méningite
par jour pendant 2 mois puis - Adénopathie, ictère, anémie et autres cytopénies
0,5 mg/kg par jour pendant 10 - Rhinorrhée
mois - Syndrome néphrotique
Sulfadiazine 100 mg/kg par jour en 2 prises Syphilis congénitale tardive (premier signe après 2 ans)
quotidiennes, pendant 1 an - Déformation frontale (bosse) et faciale
Acide folinique 25 mg 2 fois par semaine, pendant - Déformation palatine et lésions périorificielles
1 an - Lésions dentaires
- Kératite interstitielle
Ou
- Lésions osseuses cicatricielles
Pyriméthamine 1,25 mg/kg tous les 10 j - Déformation nasale
Sulfadoxine (Fansidar® ) a 25 mg/kg tous les 10 j
Acide folinique 2 gélules à 25 mg tous les 7 jours
Ou Tableau 6.
Utilisation de
Interprétation du Treponema pallidum haemagglutination assay
pyriméthamine-sulfadiazine les 3 (TPHA)/venereal disease research laboratory (VDRL) [28] .
premiers mois, puis de TPHA + TPHA -
pyriméthamine-sulfadoxine les 9
e
mois suivants VDRL + Syphilis active après le 15 jour Faux positif (absence de
du chancre trépanomatose) :
a
La commercialisation du Fansidar® a été arrêtée en 2017. Il est néanmoins pos- Trépanomatose (syphilitique infection bactérienne
sible de se procurer de la poudre à usage pharmaceutique de ces deux molécules ou endémique) récemment virale ou parasitaire,
et de faire préparer des gélules adaptées au poids de l’enfant.
guérie maladie
Trépanomatose endémique immunologique,
active néoplasie, grossesse

“ Point fort VDRL - Syphilis précoce (chancre à


j10–j15) active
Trépanomatose (syphilitique
Absence de
trépanomatose
Syphilis récente, avant
ou endémique) guérie le 10e jour du chancre
• L’incidence de la toxoplasmose congénitale diminue Syphilis tertiaire non traitée Syphilis traitée
régulièrement. après plusieurs années précocement et guérie
• Une primo-infection maternelle précoce s’associe à un d’évolution
risque de transmission faible mais à des atteintes neurolo-
giques sévères.
• Le risque de choriorétinite est peu associé à l’âge ges- Manifestations cliniques
tationnel à l’infection maternelle, mais à la présence de
lésions neurologiques.
Chez la mère
• Le devenir des enfants infectés traités et sans hydrocé- La syphilis de l’adulte évolue en trois phases en l’absence de
phalie est bon. traitement, de symptomatologie et chronologie précises : phase
primaire, secondaire, de latence et tertiaire. La grossesse n’affecte
pas cette évolution.

 Syphilis Chez le fœtus et nouveau-né


La syphilis est une maladie bactérienne causée par Treponema Le risque de transmission maternofœtale est d’environ 70 %
pallidum subspecies pallidum. Il s’agit d’une maladie sexuellement en cas de syphilis précoce (phase primaire, secondaire, latente de
transmissible dont le délai d’incubation est de trois semaines moins de 1 an) et de 10 % en cas de syphilis tardive (phase latente
en moyenne. Le nombre de sujets atteints est en augmentation de plus de 1 an et tertiaire).
depuis une dizaine d’années. Le dépistage est systématique en On définit une syphilis congénitale lorsqu’un enfant, né de
début de grossesse. mère non ou mal traitée, a des signes cliniques ou biologiques de
syphilis congénitale. En l’absence de traitement, les complications
Mode de transmission maternofœtal pour le fœtus et l’enfant à naître sont fréquentes et sévères avec
une mortalité in utero d’environ 40 %, périnatale de 20 % et de
La transmission entre une mère infectée et son enfant survient séquelles graves de 20 %. L’infection fœtale est d’emblée dissémi-
en prénatal, par voie hématogène transplacentaire, plus rarement née comme une syphilis secondaire. Le tréponème se multiplie
lors de l’accouchement au contact de sécrétions ou lésions mater- surtout au niveau des cellules métaboliquement actives, en parti-
nelles et exceptionnellement en postnatal. culier les cellules endothéliales. En anténatal, les signes évocateurs
Le taux de transmission entre la mère et le fœtus dépend : de syphilis congénitale sont les suivants : mort fœtale, retard de
• du terme de grossesse : plus le terme est avancé plus la trans- croissance, stries osseuses, épaississement placentaire, anasarque
mission est élevée ; fœtoplacentaire, hépato-splénomégalie, hyperéchogénicité intes-
• du stade d’infection : la syphilis primaire est le stade où le risque tinale, atteinte cérébrale (hydrocéphalie, calcifications) [26] .
de transmission est le plus élevé. L’atteinte néonatale est le plus souvent infraclinique mais sus-
L’incidence de la syphilis congénitale reste rare. En France, entre ceptible de devenir symptomatique plusieurs années plus tard en
2012 et 2015, le CNR syphilis a expertisé 32 suspicions de syphilis l’absence de traitement. Les signes postnatals de syphilis précoce
congénitale, neuf cas se sont avérés être des infections congéni- (avant 2 ans) et tardive (après 2 ans) chez l’enfant sont classés
tales certaines. dans le Tableau 5 [27] .

14 EMC - Traité de Médecine Akos


Fœtopathies infectieuses  8-0370

Tableau 7.
Prise en charge néonatale en cas de syphilis congénitale suspectée ou confirmée [27] .
Situation clinique Conduite à tenir
Infection confirmée Examens complémentaires
- PCR positive sur un prélèvement du nouveau-né : sang du cordon, placenta, NFS, bilan hépatique, analyse du LCS avec VDRL sur le LCS
sécrétions nasales ou buccales, lésions cutanées Radiographie des os longs
Infection très probable Selon Contexte : bilan ophtalmologique, ETF, PEA
- VDRL sérum nouveau-né > 4 fois celui du sérum maternel Traitement
Ou Pénicilline G i.v. 150 000 UI/kg/j pendant 10 j (14 j si neurosyphilis)
- VDRL sérum nouveau-né positif et signes cliniques évocateurs Surveillance sérologique
Ou
- IgM Elisa nouveau-né positives
Infection probable
- Absence de signe clinique
Mais
- VDRL sérum nouveau-né < 4 fois celui du sérum maternel et
- Traitement maternel non fait, mal fait, non documenté ou < 4 semaines avant
l’accouchement, sans décroissance sérologique maternelle
Infection possible Pas de bilan complémentaire
- Absence de signe clinique Traitement :
Et Benzathine pénicilline 50 000 UI/kg i.m. en dose unique
- VDRL sérum nouveau-né < 4 fois celui du sérum maternel Surveillance sérologique
Et
- Traitement maternel bien fait > 4 semaines avant l’accouchement avec bonne
décroissance sérologique ou taux bas et stable de VDRL pendant toute la grossesse
Infection peu probable Pas de bilan complémentaire
- Absence de signe clinique Pas de traitement
Et Pas de surveillance sérologique
- VDRL sérum nouveau-né < 4 x sérum maternel
Et
- Traitement maternel bien fait avant 16 SA avec persistance d’un titre bas et stable
de VDRL pendant toute la grossesse

Diagnostic mesuré tous les mois jusqu’à l’accouchement et à 3, 6, 9 et 12


mois. Il doit diminuer d’un facteur 4 tous les trois mois.
La confirmation diagnostique maternelle repose sur la Le traitement néonatal repose sur la pénicilline G. Les doses et
recherche sérologique qui est de deux types : durée de traitement dépendent de l’examen clinique néonatal et
• un test tréponémique : par technique d’agglutination (Tre- de la sérologie syphilitique de l’enfant comparé à celle de la mère
ponema pallidum haemagglutination assay [TPHA], Treponema (Tableau 6).
pallidum particle agglutination test [TPPA]) ; de fluorescence Les enfants traités doivent être suivis mensuellement pen-
(fluorescent treponemal antibody [FTA]) ou immunoenzymatique dant trois mois puis trimestriellement jusqu’à l’âge de 1 an pour
(enzyme immunoassays [EIA] ou apparentés Elisa) ; s’assurer de la disparition des signes cliniques avec une sur-
• un test non tréponémique (venereal disease research laboratory veillance biologique des TPHA-VDRL à 1, 3, 6 et 12 mois.
[VDRL] ou rapid plasma reagin [RPR]).
L’interprétation des tests TPHA/VDRL est résumée au
Tableau 6 [28] .
Prévention
Chez le nouveau-né, le clinicien recherche les signes cliniques La prévention de la syphilis congénitale repose sur le dépis-
de syphilis congénitale sus-cités et une preuve bactériologique par tage et le traitement précoce des mères atteintes. Le dépistage en
PCR syphilis sur cotylédon placentaire et sur sang de cordon et par France consiste en une sérologie (TPHA et VDRL) au premier tri-
un test VDRL sur sérum du nouveau-né et sérum maternel prélevés mestre de grossesse, obligatoire pour toute femme enceinte, avec
à la naissance. En seconde intention, il peut être réalisé une PCR un contrôle au troisième trimestre pour les femmes à risque.
sur sécrétions nasales ou lésions cutanées, un dosage du FTA et
des IgM sur sang du nouveau-né.
L’interprétation des sérologies de l’enfant doit tenir compte du
passage des IgG maternelles via la barrière placentaire. On retient
néanmoins un VDRL positif s’il est quantitativement supérieur
“ Point fort
à quatre fois celui de sa mère. L’interprétation de ces résultats
• Le dépistage sérologique pendant la grossesse est fon-
permettant de conclure sur le statut syphilitique de l’enfant est
détaillée au Tableau 6 [28] . damental.
Un bilan biologique (NFS, bilan hépatique), une radiographie • Une syphilis néonatale expose à des complications pou-
du squelette ainsi qu’une ponction lombaire (PCR, IgM ou VDRL vant survenir plusieurs années après la naissance.
dans le LCS) à la recherche d’une atteinte systémique sont réalisés • Le traitement néonatal repose sur la pénicilline G.
en cas de syphilis congénitale probable ou prouvée (Tableau 7) [27] .

Traitement
 Conclusion
Le traitement maternel repose sur la benzathine-
benzylpénicilline pour les phases primaire, secondaire, latente Les fœtopathies infectieuses ont un spectre de gravité très
et tertiaire et sur la pénicilline G en cas de neurosyphilis. La variable, allant de l’infection asymptomatique à la naissance et à
prévention de la réaction d’Herxheimer est systématique chez long terme au décès ou à des séquelles neurosensorielles majeures.
la femme enceinte par l’administration de paracétamol et/ou de Si certaines fœtopathies comme la rubéole sont devenues excep-
prednisone. Le suivi maternel nécessite une vérification de la tionnelles dans les pays industrialisés grâce à une couverture
décroissance sérologique du test tréponémique (VDRL ou RPR) vaccinale adéquate, d’autres sont très fréquentes comme le CMV

EMC - Traité de Médecine Akos 15


8-0370  Fœtopathies infectieuses

et surtout on observe la (ré-) émergence d’autres fœtopathies par [17] Anderson JL, Levy PT, Leonard KB, Smyser CD, Tychsen L, Cole FS.
défaut de vaccination de la population (rougeole) ou bien par Congenital lymphocytic choriomeningitis virus: when to consider the
diffusion des virus ou de vecteurs, favorisée par le nombre et diagnosis. J Child Neurol 2014;29:837–42.
la rapidité actuelle des voyages transcontinentaux. L’exemple du [18] Pacheco O, Beltrán M, Nelson CA, Valencia D, Tolosa N, Farr SL, et al.
virus Zika n’est probablement pas le dernier. Zika virus disease in Colombia - Preliminary report. N Engl J Med 2016
Jun 15 [Epub ahead of print].
[19] Alvarado MG, Schwartz DA. Zika virus infection in pregnancy, microce-
phaly, and maternal and fetal health: what we think, what we know, and
Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens
what we think we know. Arch Pathol Lab Med 2017;141:26–32.
d’intérêts en relation avec cet article.
[20] Dhombres F, Friszer S, Maurice P, Gonzales M, Kieffer F, Garel C, et al.
Prognosis of fetal parenchymal cerebral lesions without ventriculomegaly
in congenital toxoplasmosis infection. Fetal Diagn Ther 2017;41:8–14.
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[15] Ornoy A, Ergaz Z. Parvovirus B19 infection during pregnancy and risks Montoya JG. Systematic screening and treatment of toxoplasmosis during
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204.e1-5. ders; 2014.

F. Kieffer, Pédiatre, praticien hospitalier (francois.kieffer@aphp.fr).


A. Renault, Pédiatre, praticien hospitalier.
Service de néonatologie, Hôpital Trousseau, AP–HP, 26, avenue du Docteur-Arnold-Netter, 75012 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Kieffer F, Renault A. Fœtopathies infectieuses. EMC - Traité de Médecine Akos 2020;23(2):1-16 [Article
8-0370].

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16 EMC - Traité de Médecine Akos


 8-3290

État de choc
Q. Delannoy

Résumé : L’état de choc est une urgence diagnostique et thérapeutique du fait d’une mortalité impor-
tante. Cliniquement, il est défini par une hypotension avec une pression artérielle systolique inférieure
à 90 mmHg chez l’adulte, pouvant être normale chez l’enfant, et des signes de répercussion d’organe
(cutanée, cérébrale, rénale et pulmonaire). Une fois les signes de choc identifiés, il est nécessaire d’appeler
une équipe de réanimation (15). En attendant les soins spécialisés, il est nécessaire de surveiller le patient
et de procéder aux gestes de premier secours. Seul le choc anaphylactique, le purpura fulminans et
le pneumothorax complet compressif obligent à traiter immédiatement le patient respectivement par
adrénaline par voie intramusculaire, ceftriaxone par voie intramusculaire et exsufflation à l’aiguille.
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Mots-clés : Choc ; Choc anaphylactique ; Purpura fulminans ; Pneumothorax

Plan Choc hypovolémique (16 % des chocs)


On peut identifier deux groupes d’étiologies de choc hypovolé-
■ Introduction 1 mique.
Principales étiologies 1 Concernant le premier, il s’agit d’une perte externe en liquide.
Physiopathologie générale 2 Il peut s’agir de pertes sanguines par une hémorragie externe,
■ Diagnostic d’un choc 2 en plasma secondaire à des brûlures étendues, digestives sur des
Diagnostic clinique 2 vomissements ou des diarrhées profuses, cutanées via la transpi-
Diagnostic paraclinique 3 ration suite à de fortes chaleurs ou de la fièvre, ou rénale sur un
■ Prise en charge précoce 3 diabète de type 1 ou insipide ou la prise de diurétiques, etc.
Généralités 3 Le deuxième correspond à une séquestration interne de liquide
Prise en charge spécifique 4 par hémorragie interne ou par la constitution d’un troisième sec-
teur (ascite, occlusion intestinale, etc.).

Choc cardiogénique (16 % des chocs)


 Introduction La principale étiologie des chocs cardiogéniques est l’infarctus
du myocarde, principalement lors du premier épisode du fait
L’état de choc représente un déséquilibre entre la consomma- de l’absence de réseau de suppléance en cas d’occlusion corona-
tion en oxygène du métabolisme et l’apport en oxygène assuré rienne.
par la circulation sanguine. Ce dérèglement prolongé entraînera Les autres causes sont les myocardites aiguës, les valvulopathies
une déviation anaérobie du métabolisme ayant pour résultante aiguës (insuffisance mitrale sur rupture de cordage, insuffisance
une production de lactate et la mise en place d’une réponse aortique sur endocardite), les contusions myocardiques, le syn-
inflammatoire systémique. En cas de reconnaissance et de prise drome de Tako Tsubo, les intoxications aiguës responsables d’effet
en charge précoce, l’état de choc peut être rapidement réver- stabilisateur de membrane ou d’autres troubles du rythme ou de
sible. Le prolongement de cet état entraîne une cascade de conduction, etc.
dérèglement aboutissant à la pérennisation de cet état jusqu’au
décès. Choc anaphylactique (4 % des chocs)
Il survient peu de temps après la mise en contact avec un aller-
Principales étiologies gène connu ou non connu.

On distingue classiquement cinq grandes familles d’étiologie au Choc obstructif (2 % des chocs)
choc : choc septique, choc hypovolémique, choc cardiogénique,
choc anaphylactique et choc obstructif. Rares mais souvent mortels, les chocs obstructifs sont aussi les
plus difficiles à diagnostiquer. Deux groupes étiologiques sont res-
ponsables de choc obstructif.
Choc septique (62 % des chocs) Le premier est par obstruction des artères pulmonaire (embolie
Toutes les infections sont susceptibles d’évoluer vers un choc. pulmonaire massive) ou aortique (dissection aortique principale-
Une étiologie est à connaître particulièrement à savoir le pur- ment).
pura fulminans de fait de sa mortalité importante mais aussi du Le second correspond à la compression externe du cœur (tam-
risque de séquelles. Il s’agit d’une bactériémie à méningocoque ponnade). La tamponnade peut être « gazeuse » lorsqu’il s’agit
principalement, responsable d’une coagulopathie intravasculaire d’un pneumothorax complet compressif, ou cardiaque par la
disséminée à l’origine de tâches purpuriques ecchymotiques. présence de liquides en grande quantité au sein du péricarde

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(20)75092-1
8-3290  État de choc

A
Figure 1. Schéma des différents mécanismes de choc [1] .
A. Schéma des différents mécanismes de choc. À gauche : choc distributif par dilatation des réseaux
vasculaires diminuant la pression de perfusion des organes. Au centre gauche : choc hypovolémique
par perte de liquide intravasculaire responsable d’une vasoconstriction des réseaux vasculaires afin
de maintenir le débit de perfusion. Au centre droit : choc cardiogénique par atteinte du myocarde
responsable d’une diminution du débit cardiaque et par la suite du débit de perfusion des organes. À
droite : choc obstructif par un obstacle soit à l’éjection du volume sanguin (embolie pulmonaire), soit
au remplissage des ventricules cardiaques (pneumothorax, tamponnade).
B. Schéma de la zone de ponction pour l’exsufflation d’un pneumothorax droit. La ligne en pointillé
vertical correspond à la ligne médio-claviculaire. La 2e côte est la première côte palpée sous la clavicule
au niveau de cette ligne. Le point de ponction pour l’exsufflation se situant entre la 2e et la 3e côte,
soit le 2e espace intercostal. En cas de pneumothorax gauche, la ligne médio-claviculaire gauche sert
de la même façon à repérer le point de ponction.

(péricardite post-infectieuse, néoplasique ou inflammatoire, dis- • une défaillance cardiaque entraînant un effondrement de la
section aortique de type A, rupture de la paroi cardiaque, etc.). fonction contractile du ventriculaire gauche aboutissant à une
diminution du VES ;
• une obstruction du lit vasculaire entraînant une augmentation
Physiopathologie générale de la postcharge et donc du VES ;
Le métabolisme du corps humain a besoin d’oxygène afin • une anomalie distributive entraînant une vasodilatation péri-
de produire l’énergie nécessaire à son bon fonctionnement. phérique importante réduisant drastiquement la perfusion des
L’oxygène soustrait de l’air via les poumons est transporté via la organes et le retour veineux.
circulation sanguine. On définit le transport artériel en oxygène En réalité, lors d’un choc quelle qu’en soit l’étiologie, ces diffé-
(TaO2 ) comme le produit du contenu artériel en oxygène (CaO2 ) rents mécanismes s’intriquent entre eux. Par exemple, un choc
et du débit cardiaque (DC). hypovolémique peut entraîner une baisse de la perfusion du
Le CaO2 dépend principalement de la concentration en hémo- myocarde aboutissant à une diminution de sa contractilité aggra-
globine (Hb) et de la saturation artérielle en O2 (SaO2 ). vant ainsi l’insuffisance circulatoire. De plus, l’hypoperfusion
Le DC dépend lui du volume d’éjection systolique (VES) et de des organes engendre une réponse inflammatoire responsable
la fréquence cardiaque (FC). Le VES varie proportionnellement à d’anomalie distributive.
la précharge correspondant au retour veineux vers le cœur, inver-
sement proportionnellement à la postcharge correspondant à la
pression s’opposant à l’éjection sanguine (résistances vasculaires,  Diagnostic d’un choc
viscosité du sang, autres conditions pathologiques) et proportion-
nellement à la contractilité du myocarde. Diagnostic clinique
À partir de ces notions, on identifie classiquement quatre méca-
nismes principaux (Fig. 1) responsables de l’état de choc [1] : Signes du choc
• une hypovolémie entraînant une diminution du volume intra- L’insuffisance circulatoire aiguë est définie par une hypotension
vasculaire efficace, une diminution du retour veineux et donc artérielle. Les seuils reconnus internationalement sont une pres-
une diminution de la précharge et du VES ; sion artérielle systolique (PAS) inférieure à 90 mmHg ou une baisse

2 EMC - Traité de Médecine Akos


État de choc  8-3290

Tableau 1.
Signes de choc chez l’enfant.
Signes de chocs
Cyanose
Polypnée
Troubles de la conscience (agitation ou somnolence, voire coma)
Oligo-anurie
Choc « chaud » Choc « froid »
Extrémités chaudes, TRC < 3 s Marbrures, extrémités froides,
TRC > 3 s
Pression artérielle normale Pression artérielle abaissée
Pouls ample Pouls rapide et filant

TRC : temps de recoloration capillaire.

Figure 2. Patient allongé, jambes en l’air.


de plus de 30 % par rapport à la PAS habituelle du patient, ou une
pression artérielle moyenne (PAM) inférieure à 65 mmHg. La PAM
reflète mieux le débit de perfusion des organes, principalement
assuré lors de la diastole (PAM = 2/3 PAD + 1/3 PAS).
En l’absence de manomètre afin de mesurer la pression arté-
rielle, la palpation des pouls radiaux, fémoraux et carotidiens
permet d’estimer la PAS. Cette mesure est approximative et sous-
estime la PAS [2] . L’absence de pouls radial correspondrait à une
PAS inférieure à 80 mmHg.
Outre l’hypotension, ce sont surtout les signes de souffrance
d’organes qui caractérisent l’état de choc. Les premiers organes
affectés sont :
• le cerveau avec l’altération de l’état de conscience puis de la
vigilance (confusion, obnubilation, agitation, puis somnolence
et coma) ;
• le rein aboutissant à une diminution de la filtration gloméru-
laire (oligurie puis anurie) ;
• la peau entraînant une froideur des extrémités, un allongement Figure 3. Patient demi-assis.
du temps de recoloration cutanée ou des marbrures plus ou
moins importantes suivant la surface cutanée atteinte ;
• le cœur entraînant initialement une tachycardie, douleurs tho- bilatéraux des membres inférieurs, turgescence jugulaire, reflux
raciques d’angor. hépatojugulaire), antécédent ou apparition d’un souffle car-
Un signe indirect du choc est la polypnée avec une diaque, etc. ;
augmentation de la fréquence respiratoire et de l’amplitude res- • hypovolémie : fortes chaleurs et patient vulnérable, signes de
piratoire. Ce mécanisme cherche à compenser la baisse du TaO2 . déshydratation (perte de poids récente, plis cutanés, sécheresse
L’augmentation de la ventilation alvéolaire permet d’éliminer le des muqueuses, etc.), vomissements profus, diarrhées pro-
CO2 au sein des alvéoles augmentant la fraction partielle en O2 fuses, brûlures étendues, syndrome occlusif, ascite, hémorragie
alvéolaire et donc le passage d’O2 des alvéoles vers la circulation (contexte de traumatisme violent, patient cirrhotique, contexte
sanguine. L’augmentation du passage trans-alvéolaire permet une d’épigastralgie, antécédent d’ulcère, présence de melaena, rec-
augmentation du CaO2 . torragie, hématémèse), etc. ;
Chez l’enfant jusqu’à l’adolescence, la vasoconstriction arté- • allergie : terrain allergique, présence d’urticaire œdème rapi-
rielle est plus importante que chez l’adulte, c’est pourquoi la dement expansif, installation des signes peu de temps après :
pression artérielle ne fait pas partie du diagnostic clinique de une introduction d’un traitement, une ingestion d’un aliment,
choc. Les principaux signes cliniques du choc de l’enfant sont les une piqûre d’insectes ou d’animaux venimeux, inhalation d’un
répercussions respiratoire, neurologique, cutanée et rénale avant produit, etc. ;
l’atteinte circulatoire. On parle de choc « chaud » et de choc • obstruction : contexte d’embolie pulmonaire, contexte de néo-
« froid » en fonction de l’état de vasoconstriction et de la pression plasie (épanchement péricardique), traumatisme thoracique
artérielle (Tableau 1), traduisant l’état des mécanismes hémody- (pneumothorax compressif), etc.
namiques compensatoires de l’état de choc.
Diagnostic paraclinique
Signes étiologiques
Devant un tableau clinique de choc, aucun examen paracli-
Le contexte dans lequel apparaît le choc est essentiel à nique n’est nécessaire.
l’identification de l’étiologie et à la mise en œuvre de thérapeu- L’échographie clinique et notamment l’échocardiographie
tiques spécifiques à celle-ci. peuvent permettre d’orienter le diagnostic étiologique. Visuel-
Chaque information vise à identifier le ou les mécanismes du lement la fraction d’éjection systolique est accessible avec peu
choc et les éventuelles comorbidités afin d’anticiper toutes nou- d’entraînement, tout comme l’existence ou non d’un épanche-
velles défaillances futures. ment péricardique de très grande abondance ou la dilatation des
C’est pourquoi il est important de connaître les cinq groupes cavités cardiaques droites en cas d’embolie pulmonaire [3, 4] .
d’étiologies susceptibles d’être à l’origine du choc :
• infection : terrain immunodéprimé, fièvre, purpura fulminans,
signes d’infection locale (pulmonaire, urinaire, cutanée, ménin-  Prise en charge précoce
gée), etc. ;
• cardiopathie : antécédents cardiaques, facteurs de risque Généralités
cardiovasculaire, douleur thoracique, signes d’insuffisance car-
diaque gauche (dyspnée ou orthopnée progressive, crépitants Un état de choc nécessite une prise en charge spécialisée la plus
bilatéraux), signes d’insuffisance cardiaque droite (œdèmes rapide possible.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


8-3290  État de choc

A B C
Figure 4. Garrot.
A. Matériel.
B. Mise en place au-dessus de la plaie.
C. Serrage du garrot pour stopper le saignement.

L’appel d’une équipe mobile de réanimation (SMUR) via le 15 5–10 min de la première injection, une deuxième injection par
ne doit pas être retardé. voie intramusculaire à la même posologie est recommandée [6] .
En attendant les secours, il est important de procéder aux gestes L’injection par voie intramusculaire peut se faire à travers les
de premier secours qui débutent par la surveillance du patient vêtements et sans désinfection préalable du fait de l’urgence de la
(conscience, respiration, FC, pression artérielle ou pouls radial). situation.
La position d’attente des secours dépend de l’état de conscience
du patient, de sa respiration : Choc obstructif
• en cas de patient respirant normalement sans traumatisme, la
La seule indication à la réalisation d’un geste en urgence est
position couchée avec les jambes surélevées à 45◦ par rapport
le pneumothorax complet compressif correspondant à une tam-
au bassin est la position à privilégier (Fig. 2) ;
ponnade gazeuse. Devant un patient en choc, présentant une
• en cas de dyspnée, la position demi-assise est recommandée
détresse respiratoire au premier plan et dans un contexte pouvant
avec si possible les jambes surélevées, sans que cela ne gêne la
l’évoquer (profil de patient marfanoîde, traumatisme thoracique
respiration du patient (Fig. 3).
par exemple), l’urgence est à l’exsufflation du pneumothorax afin
Un abord vasculaire par la pose d’une perfusion de soluté cris-
de diminuer la pression intrathoracique qui comprime les cavités
talloïde (par exemple du NaCl 0,9 %) peut être utile mais ne doit
cardiaques. Pour cela, une aiguille creuse est nécessaire. Il suffit de
pas retarder l’appel des secours ni les gestes spécifiques répertoriés
planter l’aiguille face antérieure du thorax au niveau du deuxième
ci-après.
espace intercostal sur la ligne médioclaviculaire. Le résultat est
immédiat et les risques minimes.
Prise en charge spécifique
Choc septique
Seul le purpura fulminans impose l’administration d’une anti-
“ Points essentiels
biothérapie immédiate sans réalisation d’examen bactériologique
préalable. Le traitement consiste en une injection de ceftriaxone Choc : insuffisance circulatoire responsable d’une hypoxie
par voie intramusculaire à la dose de 1 à 2 g chez l’adulte ou 50 à des organes.
100 mg/kg chez l’enfant [5] . Insuffisance circulatoire : tension artérielle systolique (TAS)
Les autres étiologies nécessitent généralement l’administration inférieure à 90 mmHg ou abolition des pouls radiaux.
de catécholamine par voie intraveineuse et la gestion des Hypoperfusion des organes : marbrures, froideurs, altéra-
défaillances d’organes liées à la vasodilatation qu’engendre un tel
tion de la conscience, polypnée, oligo-anurie.
choc.
CAT : appel du 15.
Choc hémorragique Particularités :
• pneumothorax complet compressif en choc : exsuffla-
Après l’appel des secours, il convient d’essayer de maîtriser tion à l’aiguille ;
l’hémorragie. • purpura fulminans : ceftriaxone intramusculaire 1 g (ou
En cas de saignement externe, il convient de comprimer fer-
mement la plaie avec tout linge à portée. En cas d’échec ou de
0,1 g/kg chez l’enfant) ;
localisation multiple, la réalisation d’un garrot large (ceinture,
• choc anaphylactique : adrénaline intramusculaire
foulard, bande de tissu solide) en amont de la plaie est possible. 0,5 mg (ou 0,01 mg/kg chez l’enfant).
Il convient alors de noter l’heure de pose du garrot afin de la
communiquer aux secours (Fig. 4).

Choc cardiogénique Déclaration de liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts
en relation avec cet article.
La prise en charge des chocs cardiogéniques repose sur
l’étiologie de la dysfonction cardiaque. Les principales causes de
choc cardiogénique brutal nécessitent généralement soit un geste
de revascularisation coronarienne, soit une chirurgie cardiaque.  Références
Choc anaphylactique [1] Vincent J-L, De Backer D. Circulatory shock. N Engl J Med
2013;369:1726–34.
En cas de choc anaphylactique, une injection d’adrénaline en [2] Deakin CD, Low JL. Accuracy of the advanced trauma life support
intramusculaire à la dose de 0,5 mg (ou 0,01 mg/kg chez l’enfant) guidelines for predicting systolic blood pressure using carotid, femoral,
est le premier geste à réaliser. En cas d’efficacité insuffisante à and radial pulses: observational study. Br Med J 2000;321:673–4.

4 EMC - Traité de Médecine Akos


État de choc  8-3290

[3] Kimura BJ, Shaw DJ, Amundson SA, Phan JN, Blanchard DG, [5] Avis sur la conduite immédiate à tenir en cas de purpura fulminans
DeMaria AN. Cardiac limited ultrasound examination techniques to et sur la définition des cas de méningites. https://solidarites-sante.
augment the bedside cardiac physical examination. J Ultrasound Med gouv.fr/IMG/html/Avis du CSHPF du 10 mars 2000 sur la conduite
immediate a tenir en cas de suspicion clinique de purpura
2015;34:1683–90.
fulminans et sur la definition des cas de meningite a meningocoque
[4] Andersen CA, Holden S, Vela J, Rathleff MS, Jensen MB. Point-of- et de meningoc.html. Consulté le 9 août 2019.
care ultrasound in general practice: a systematic review. Ann Fam Med [6] Simons FE, Ardusso LR, Bilò MB. International consensus on (ICON)
2019;17:61–9. anaphylaxis. World Allergy Organ J 2014;7:9.

Q. Delannoy (quentin.delannoy@aphp.fr).
Service d’accueil des urgences, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Delannoy Q. État de choc. EMC - Traité de Médecine Akos 2020;23(2):1-5 [Article 8-3290].

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 8-3304

Asthme aigu grave


J. Truchot

Résumé : L’asthme est une des maladies chroniques les plus fréquentes. L’exacerbation d’asthme est
définie par un déséquilibre de la maladie asthmatique. Elle survient de manière aiguë ou subaiguë en
réponse à un facteur environnemental ou à une mauvaise observance thérapeutique. L’exacerbation
sévère dite asthme aigu grave résulte d’un bronchospasme particulièrement intense, à l’origine d’un
syndrome obstructif sévère. Le diagnostic clinique se caractérise par la présence d’une dyspnée sifflante.
L’évaluation de la gravité se fait par le biais du débit expiratoire de pointe. La présence de critères de
gravité clinique oriente vers une prise en charge dans un service d’urgences. Le traitement de la crise
repose sur la mise en place de nébulisations de bronchodilatateur. La stabilisation des symptômes et la
diminution du nombre de récidives imposent un suivi et une éducation thérapeutique optimale mettant
en jeu le médecin urgentiste, le médecin généraliste, le pneumologue mais surtout le patient.
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Mots-clés : Asthme ; Bronchoconstriction ; Dyspnée ; Débit expiratoire de pointe ; Corticoïdes ;


Éducation thérapeutique ; Récidive

Plan L’asthme est responsable d’une mortalité non négligeable : près


de 250 000 décès par an dans le monde. En 1999, alors que
■ Épidémiologie 1 la mortalité pour asthme stagnait depuis plus d’une décennie,
l’étude AIRE (Asthma Insights and Reality in Europe) [3] décri-
■ Définitions et physiopathologie 1 vant les différentes attitudes thérapeutiques utilisées en Europe
■ Clinique de l’asthme aigu grave 2 et les différentes stratégies de contrôle de la maladie asthmatique
Interrogatoire : facteurs de risque d’AAG 2 en Europe, montrait que moins d’un tiers des patients asthma-
Signes cliniques fonctionnels 2 tiques bénéficiait d’un traitement, seulement 5 % étaient traités
Critères de gravité clinique 2 selon les recommandations en usage à l’époque et plus de 30 %
■ Examens paracliniques 3 avaient consulté dans un service d’urgence l’année précédente.

Grâce aux premières recommandations du groupe GINA, le taux
Diagnostic étiologique 3
de mortalité imputable à la pathologie asthmatique semble avoir
■ Traitement de première intention 3 diminué. Néanmoins, l’asthme reste responsable à l’échelle mon-
Traitement de la décompensation aiguë 3 diale de 250 000 décès par an dont environ 2000 décès par an en
Recommandations de sortie et lutte contre récidives précoces 4 France [1, 2] .
Traitement de fond et suivi du patient asthmatique 4
Éducation thérapeutique 5
Plan d’action post-urgences : lien avec le médecin de ville 5  Définitions et physiopathologie
■ Récidive 5
■ Conclusion 6 La maladie asthmatique est une maladie inflammatoire chro-
nique. Il existe de nombreux facteurs impliqués dans le
développement et l’expression de la maladie asthmatique. On les
répartit en deux catégories : les facteurs favorisants (facteurs géné-
 Épidémiologie tiques) et les facteurs « précipitants » (environnementaux). On
reconnaît des gènes prédisposant à l’atopie et à l’hyperréactivité
L’asthme est toujours un problème majeur de santé publique bronchique. L’obésité constituerait également un facteur de risque
avec des conséquences tant médicales en termes de morbi- à l’origine d’exacerbations. Cependant, une crise survient lors de
mortalité que sur le plan économique [1] . Il s’agit d’une maladie l’exposition à des stimuli environnementaux (soit les allergènes,
fréquente, ubiquitaire, dont la prévalence varie selon les pays, le tabac et les polluants ou en cas d’infection).
mais dépasse souvent les 10 % [1] . L’Organisation mondiale de la L’obstruction bronchique est l’élément clé de la maladie asth-
santé (OMS) estime à 300 millions le nombre d’asthmatiques dans matique. Trois phénomènes sont à l’origine de cette obstruction
le monde dont 30 millions en Europe [1] . En France, la prévalence bronchique à des degrés divers :
de cette maladie est proche des 3,5 millions, ce qui représente 5 • la bronchoconstriction ;
à 7 % de la population adulte et 10 à 15 % des adultes de 20 à • l’œdème inflammatoire de la muqueuse bronchique ;
24 ans [2] . Deux cents mille consultations sont réalisées annuel- • l’hypersécrétion bronchique.
lement aux urgences et le coût global annuel est de 1,7 milliards Cette obstruction est secondaire à la fois à l’inflammation
euros. bronchique ainsi qu’à l’hyperréactivité de la paroi. Le

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 23 > n◦ 2 > avril 2020
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8-3304  Asthme aigu grave

bronchospasme est provoqué par la libération de médiateurs Tableau 1.


bronchoconstricteurs, sécrétés par les cellules inflammatoires Facteurs de risque d’asthme aigu grave (AAG).
recrutées (polynucléaires éosinophiles et neutrophiles, etc.). Lors Antécédent d’AAG avec hospitalisation et/ou intubation pour AAG
de l’exposition à un ou des facteurs environnementaux, il se Consultation ou hospitalisation pour asthme dans l’année précédente
forme un œdème interstitiel qui lui-même associé aux sécrétions Corticothérapie orale en cours ou récemment arrêtée
bronchiques forme des bouchons muqueux qui accentuent Absence de corticothérapie orale ou inhalée actuellement
l’obstruction bronchique. Cet infiltrat polymorphe formé par Dépendance aux bêta-2-mimétiques d’action rapide (> 1 flacon de
les cellules inflammatoires est responsable secondairement d’un Ventoline® par mois)
tableau de bronchite chronique desquamative. Antécédents psychiatriques/toxicomanie en cours/prise de sédatifs
On évalue ainsi la gravité d’une crise d’asthme grâce à un outil Mauvaise observance thérapeutique
simple qui reflète le degré d’obstruction bronchique : le débit expi-
ratoire de pointe (DEP). En pratique clinique, le DEP est accessible
en urgence pour évaluer la gravité d’une crise d’asthme et son évo- Facteurs de risque d’asthme aigu grave
lution sous traitement. Le DEP fait office de gold standard. Il est
La recherche des facteurs de risque d’AAG est indispensable à
exprimé par un volume en minute et représente le volume généré
l’évaluation de la gravité potentielle (Tableau 1). Leur présence
lors d’un effort – considéré comme maximal – d’expiration forcée,
impose une surveillance particulièrement rapprochée et prolon-
après une inspiration profonde. La meilleure des trois mesures suc-
gée. La présence de ces facteurs est donc associée à un risque de
cessives est généralement retenue. Le DEP dépend du volume du
récidive précoce et de gravité accrue. Il existe des facteurs prédictifs
poumon, de son élasticité et des dimensions des voies aériennes.
d’exacerbation sévère chez les patients asthmatiques. Une méta-
Il existe donc des valeurs standard, dites théoriques selon la taille,
analyse publiée en 2005 objectivait une association significative
le sexe et l’âge du patient.
entre le risque de mortalité (fatal asthma) ou de recours à la venti-
Il est important de rappeler les potentielles conséquences sur
lation mécanique (near-fatal asthma) et les variables suivantes [10] .
le débit cardiaque d’un tableau d’asthme aigu grave (AAG).
Ce risque de récidive semblerait être néanmoins indépendant
L’obstruction bronchique génère une distension thoracique, à
des facteurs démographiques, cliniques ainsi que de la gravité ou
l’origine de l’augmentation de la post-charge du ventricule droit
de l’état de contrôle de la maladie.
(VD) ainsi qu’une augmentation des variations de pression intra-
Parallèlement, la tendance est de retenir comme principaux
thoracique.
facteurs de risque d’AAG : la non-compliance au traitement, le
Les conséquences hémodynamiques sont les suivantes :
mauvais contrôle de la maladie asthmatique, l’inaptitude ou le
• au niveau du VD :
refus de surveillance par l’autoévaluation du DEP et la sous-
◦ augmentation de la post-charge,
utilisation des corticoïdes. L’AAG paraît également plus fréquent
◦ augmentation de la précharge (le retour veineux étant en
chez les malades évoluant dans un environnement social défavo-
effet facilité par la négativité de la pression pleurale). Au total,
risé et vivant seuls.
on retrouve l’apparition d’un septum paradoxal ;
L’interrogatoire du patient asthmatique doit ainsi obligatoire-
• au niveau du ventricule gauche (VG) :
ment comprendre une recherche exhaustive de ces facteurs de
◦ diminution de la précharge,
gravité et d’instabilité.
◦ augmentation de la post-charge.
Ces phénomènes sont majorés au cours du cycle inspiratoire,
entraînant ainsi des variations de pressions artérielles entre le Signes cliniques fonctionnels
temps inspiratoire et expiratoire à l’origine du pouls paradoxal.
Ces éléments de la relation complexe cœur–poumon se tra- Généraux : fièvre (possiblement facteur décompensant).
duisent par des critères cliniques de gravité absolue. Spécifiques : dyspnée, sueurs, agitation, plus ou moins ortho-
Ainsi, les points essentiels de la physiopathologie de l’asthme à pnée.
retenir sont : Suivant la durée de l’exacerbation d’asthme, on distinguera :
• le caractère chronique, impliquant la notion de récidive ; • une exacerbation suraiguë pour une durée de moins de 6 h, qui
• le caractère inflammatoire impliquant la notion de traitement représente 10 à 20 % des cas ;
anti-inflammatoire ; • une exacerbation progressive pour une durée de plus de 6 h
• le caractère aigu des facteurs de décompensation environ- voire plusieurs jours.
nementaux impliquant une identification et une prévention L’exacerbation d’asthme résulte d’un syndrome obstructif bron-
adaptée (éducation) ; chique d’intensité variable. La décompensation aiguë se manifeste
• et finalement le caractère fatal persistant en France impliquant par des symptômes récurrents associant une dyspnée sifflante avec
une juste reconnaissance et traitement des critères de gravité wheezing ou un bronchospasme complet avec silence ausculta-
(spécifiquement le DEP). toire. La dyspnée est de type expiratoire avec une mise en jeu
des muscles respiratoires accessoires (tirage intercostal, sus-clavier
et sus-sternal) et des sibilants bilatéraux auscultatoires ou parfois
un silence auscultatoire, auxquels peut s’ajouter une toux [11] .
 Clinique de l’asthme aigu grave La gravité d’une crise s’évalue par un faisceau d’éléments cli-
niques incluant et centrés autour du DEP. Des recommandations
Interrogatoire : facteurs de risque d’AAG ont permis de définir des critères précis pour le diagnostic d’AAG
en France [12] . Ces critères présentent un intérêt majeur car dictant
La fréquence des exacerbations aiguës est variable suivant les les modalités de prise en charge et l’orientation du malade sui-
individus : certains sont cependant plus prédisposés que d’autres vant les stades de gravité. On catégorise ainsi la gravité d’une crise
à présenter des épisodes successifs de crise de gravité plus impor- d’asthme à partir de la mesure du DEP suivant sa valeur théorique
tante. de la valeur individuelle de référence du patient à l’état stable.
Ainsi, on parle d’AAG pour une valeur de DEP mesurée inférieure
à 30 % de sa valeur théorique ou référence, d’une crise sévère
Caractéristiques générales des patients : pour des valeurs de DEP compris entre 30 et 50 % de leurs valeurs
tabagisme théoriques et enfin, une crise modérée pour une valeur de DEP
Le tabagisme (actif ou passif) n’est pas associé à un risque supérieure à 50 %.
accru de développer une maladie asthmatique [4, 5] . En revanche,
il augmente la sévérité de la maladie [6] , diminue la réponse thé-
rapeutique aux bêta-2-mimétiques et aux corticoïdes inhalés [7] ,
Critères de gravité clinique
diminue le niveau de contrôle de la maladie [8] et augmente le La présence d’un seul critère de gravité impose l’adressage du
risque de décès [9] par asthme aigu. Le tabagisme augmente la patient vers un service d’urgences pour instauration du traitement
fréquence et la sévérité des exacerbations. de l’exacerbation.

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Asthme aigu grave  8-3304

Durée de la crise : crise suraiguë (spastique, de gravité brutale). ◦ immunodépression.


Syndrome de menace : Biologie :
• une aggravation progressive depuis plus de 24 h ; • recherche facteur déclenchant par la numération formule san-
• une augmentation de la fréquence des crises ; guine (hyperleucocytose ou hyperéosinophilie) et le bilan
• une augmentation de la gravité des crises ; inflammatoire (élévation marqueurs inflammation tels que pro-
• une résistance au traitement usuel ; téine C-réactive [CRP], fibrinogène, procalcitonine) ;
• une augmentation de la consommation de médicaments ; • gaz du Sang : la mesure de la gazométrie artérielle ne devrait être
• une diminution progressive du DEP. envisagée que pour les AAG ne répondant pas au traitement
Asthme instable : initial [14] . Une normo- ou une hypercapnie sont des critères
• une augmentation de la fréquence des crises ; de gravité. L’hypoxémie est en rapport avec des anomalies des
• un gêne respiratoire retentissant sur les activités quotidiennes ; rapports de ventilation/perfusion. L’hypercapnie est considérée
• des variations diurnes DEP supérieures à 30 % ; comme le signe caractéristique d’un AAG, bien qu’une normo-
• une résistance au traitement habituel de la crise ; capnie constitue déjà un signe d’alarme. L’hypercapnie indique
• une augmentation de la consommation de bêta-2-mimétiques ; le plus souvent un épuisement musculaire associé à une obs-
• une aggravation au petit matin. truction majeure persistante. À noter qu’une mesure de PCO2
de sang veineux, plus facile et moins douloureuse à obtenir,
Signes d’AAG inférieure à 45 mmHg exclut l’hypercapnie [15] ;
• lactates : l’hyperlactatémie est en rapport avec l’hypoxémie
La présence de signes cliniques d’AAG justifie l’appel d’un ainsi que le retentissement cardiocirculatoire et l’augmentation
centre de régulation numéro 15 pour intervention rapide d’une du travail des muscles respiratoires ;
équipe de secouristes pour mesurer les paramètres vitaux et envoi • ionogramme sanguin uniquement indiqué afin d’évaluer la
d’une équipe de Smur afin de débuter le traitement rapidement : kaliémie. L’hypokaliémie de transfert, conséquence de la théra-
• crise inhabituelle ou rapidement progressive ; peutique instaurée (bêta-2-mimétiques), est fréquente en cas de
• difficulté à parler ou à tousser ; doses répétées de bêta-2-mimétiques et de corticoïdes. Cepen-
• orthopnée, dyspnée importante ; dant, l’ECG peut également être pertinent dans l’identification
• agitation, sueurs, cyanose ; rapide de signes électriques de dyskaliémie.
• signes de lutte, tirage ; Ainsi, pour poser le diagnostic et mettre en place une thérapeu-
• fréquence respiratoire supérieure ou égale à 30/min ; tique adaptée, aucun examen complémentaire n’est nécessaire,
• fréquence cardiaque supérieure ou égale à 120/min ; que ce soit en médecine de ville ou dans un service d’urgences.
• DEP inférieur à 30 % théorique ; Les explorations complémentaires ne sont à discuter qu’en cas
• normo- ou hypercapnie. de doute sur un diagnostic associé ou différentiel et/ou en cas de
critères de gravité clinique.
Signes de gravité absolue
La présence de signes de gravité et urgence absolue justifie
l’intervention d’un Smur après appel de la régulation Samu centre  Diagnostic étiologique
15 :
• impossibilité à parler ; Il faut systématiquement rechercher un facteur déclenchant
• troubles de la conscience, coma ; lors de l’interrogatoire et de l’examen clinique du patient afin d’y
• silence auscultatoire ; associer le traitement spécifique. Les principaux facteurs sont :
• pauses respiratoires, gasp ; • une infection respiratoire (cause la plus fréquente, particulière-
• collapsus ; ment les viroses) ;
• arrêt cardiaque. • un contact avec des allergènes ;
• une prise médicamenteuse : aspirine, anti-inflammatoire non
stéroïdien (AINS), ␤-bloquants ;
 Examens paracliniques • un stress ou exercice ;
• une modification climatique : augmentation de l’humidité, pol-
lution ;
Le diagnostic d’asthme aigu est clinique. Aucun examen
• un contact avec des particules organiques : coton, graines ;
complémentaire n’est recommandé pour faire le diagnostic
• une non-observance thérapeutique.
d’exacerbation. Cependant, le clinicien peut avoir recours à cer-
tains d’entre eux afin d’évaluer la gravité, le retentissement de
l’AAG ou identifier un facteur décompensant.
DEP :  Traitement de première
• indispensable et obligatoire pour évaluer la gravité initiale ; intention
• à mesurer avant le traitement, puis pendant la prise en charge
pour l’évolution sous traitement [13] . Traitement de la décompensation aiguë
Électrocardiogramme (ECG) :
• on observe souvent une tachycardie sinusale ; Les facteurs potentiels ayant contribué à la baisse de mortalité
• associée en cas de gravité à des signes électriques de cœur pul- de l’AAG sont principalement un meilleur traitement de la crise
monaire aigu. aiguë par nébulisation avec l’avènement des anticholinergiques
Radiographie thorax : (bromure d’ipratropium) et l’homogénéisation du traitement des
• à discuter en cas d’exacerbation grave, à la recherche de exacerbations par les recommandations internationales. Le trai-
complications pleuropulmonaires telles qu’un pneumothorax, tement de la crise a peu évolué depuis 30 ans. L’actualisation
un emphysème sous-cutané ou un pneumomédiastin ; du référentiel des sociétés savantes de pneumologie et de méde-
• en cas crise d’asthme simple, on retrouve une distension tho- cin d’urgence préconise toujours un traitement par nébulisations
racique avec horizontalisation des côtes ; continues de bêta-2-mimétiques couplés aux anticholinergique en
• plusieurs recommandations argumentent l’intérêt de cet exa- cas d’AAG. Les corticoïdes systémiques sont indiqués pour toute
men pour éliminer les diagnostics différentiels en cas de doute exacerbation, quelle que soit la gravité initiale et cela le plus pré-
diagnostique. Ainsi la radiographie est recommandée pour les cocement possible [16] .
patients présentant une dyspnée sifflante et au moins un des En 2001, le groupe ASUR (4000 patients dans 40 services
critères suivants : d’urgence en France) a permis de décrire l’épidémiologie des
◦ antécédent de bronchopneumopathie chronique obstructive patients asthmatiques venant aux urgences pour une exacerba-
(BPCO), de maladie cardiaque ou de chirurgie thoracique, tion d’asthme [17] . Cette étude a montré un pourcentage non
◦ suspicion de pneumopathie, négligeable de patients graves (26 % de patients en AAG). Elle

EMC - Traité de Médecine Akos 3


8-3304  Asthme aigu grave

Tableau 2.
Principales molécules utilisées dans le traitement de l’asthme.
Classe thérapeutique Dénomination commune internationale (DCI) Marques et conditionnement
Bêta-2-mimétiques de courte Salbutamol Ventolin®
durée d’action Nébuliseur-doseur 100 ␮g (200 doses)
Diskus 200 ␮g (60 doses)
Ventolin 1250 ␮g (60 doses)
Terbutaline Bricanyl® turbuhaler 500 ␮g (200 doses)
Glucocorticoïdes inhalés Budénoside Pulmicort®
Nébuliseur-doseur 200 ␮g (120 doses)
Turbuhaler 100 ␮g et 200 ␮g (200 doses) et 400 ␮g (50 doses)
Respules : aérosols 125 ␮g, 250 ␮g, 500 ␮g (20 doses)
Fluticasone Flixotide®
Nébuliseur-doseur 50, 125, 250 ␮g (120 doses)
Diskus 100, 250, 500 ␮g (60 doses)
Bêta-2-mimétiques de longue Salmétéro Serevent®
durée d’action Nébuliseur-doseur 25 ␮g (120 doses)
Diskus 50 ␮g (60 doses)
Formotérol Foradil®
Caps. de poudre à inhaler avec Foradil
Aerolizer 12 ␮g (60 doses)
Aéro-doseur 12 ␮g (100 doses)
Association bêta-2-mimétiques Salmétérol Sérétide®
de longue durée d’action Fluticasone Nébuliseur-doseur : 50/25, 125/25, 250/25 (120 doses)
Corticoïdes inhalés Diskus : 100/25, 250/25, 500/25 (60 doses)
Budésonide/formotérol Symbicort® Turbuhaler 100/6 (60 et 120 doses), 200/6 (60
doses et 120 doses), 400/12 (60 doses)
Antileucotriène Montélukast Singulair® comprimés pelliculés 10 mg (28/98 cpr)
Zafirlukast Accolate® comprimés 20 mg (60/180 cpr)

a surtout mis en évidence les carences dans la prise en charge aux sant sur cinq paliers successifs [1] . Une classification des molécules
urgences de l’asthme et en particulier le défaut d’homogénéisation est proposée en Tableau 2.
des pratiques. Si 93 % des patients avaient bénéficié de bêta-2- • Palier 1 : réservé à l’asthme contrôlé ne nécessitant pas de trai-
mimétiques d’action rapide aux urgences, seulement 60 % d’entre tement de fond (ancienne définition de l’asthme intermittent).
eux avaient reçu des corticoïdes, dont seulement 68 % en cas La seule thérapeutique à envisager est un bêta-2-mimétique
d’AAG. Il est pourtant reconnu que ce type de traitement dimi- d’action rapide à réserver aux exacerbations. Dans le cadre
nue le taux de récidive dans la première semaine post-urgence, de l’asthme d’effort, les bêta-2-mimétiques d’action rapide
diminue les taux d’hospitalisation ainsi que la quantité de bêta- peuvent être administrés de façon préventive avant l’exercice.
2-agonistes de courte durée d’action. Cet avantage est maintenu • Palier 2 : en cas de perte de contrôle, la première mesure à mettre
jusqu’à la troisième semaine après sortie des urgences [18] . en œuvre est l’introduction d’un corticoïde inhalé à faible dose
(200 ␮g de budésonide par 24 h).
• Palier 3 : l’étape suivante repose sur la majoration du traite-
Recommandations de sortie et lutte contre ment corticoïde ou l’introduction d’une deuxième molécule.
récidives précoces Bien que recommandé dès le palier 2, à ce stade, le corticoïde
inhalé semble indispensable à un bon contrôle de la maladie.
Il faut profiter de l’exacerbation aiguë pour rappeler au patient L’association recommandée est celle d’un corticoïde inhalé avec
les principales règles hygiénodiététiques en lien avec la maladie un bêta-2-mimétique d’action prolongée.
asthmatique [19] . Ceci repose sur l’identification et la prévention • Palier 4 : en cas de mauvais contrôle, l’action recommandée
des facteurs environnementaux mais surtout un suivi médical est la majoration du corticoïde inhalé ou l’introduction d’un
régulier couplé à une bonne observance thérapeutique [20] . traitement bêta-2-mimétique (selon l’option choisie au palier
Dans les suites d’un AAG, le traitement de sortie du patient doit 3) pour obtenir une association corticoïde inhalé à forte dose
comprendre sur une durée de cinq jours une corticothérapie avec et bêta-2-mimétique de longue durée d’action. Une trithérapie
des posologies de 1 mg/kg par jour ainsi qu’un traitement par peut être proposée ainsi que l’augmentation de la fréquence des
bêta-2-mimétiques à raison de 4 à 6 bouffées par jour. prises dans la journée.
Le traitement de fond associant corticoïdes inhalés et bron- • Palier 5 : le dernier palier s’adresse aux patients atteints
chodilatateurs de longue durée d’action doit être repris et d’un asthme sévère et non contrôlé malgré les mesures vues
ne doit jamais être interrompu. Si ce n’est pas déjà le cas, ci-dessus. Le recours à la corticothérapie orale semble alors
l’autosurveillance par mesure du DEP doit être apprise au patient, indispensable.
l’ordonnance de sortie doit comprendre un appareil de type Cle-
ment Clarke© Mini Wright® de surveillance du DEP. Le patient doit
mesurer son DEP et consulter son médecin traitant si la différence Surveillance
par rapport à la valeur habituelle est de plus de 20 %. Maintenir le contrôle de la maladie asthmatique nécessite une
surveillance régulière avec réévaluation du traitement et de son
efficacité, reprise de l’éducation thérapeutique et surveillance des
Traitement de fond et suivi du patient objectifs. La surveillance doit se faire avec l’aide régulière des per-
asthmatique sonnels de santé. La fréquence conseillée est d’une consultation
trimestrielle avec une consultation une à deux semaines après
Actuellement, la maladie asthmatique est à stratifier en trois une crise. Par ailleurs, il est fortement recommandé au patient
niveaux de sévérité basés sur le contrôle des symptômes. La classi- de surveiller lui-même le contrôle de sa maladie par la mesure
fication basée sur le contrôle de la maladie asthmatique a permis quotidienne du DEP ainsi que de sa variabilité au cours de la
la préparation d’une stratégie thérapeutique standardisée repo- journée [20, 21] .

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Asthme aigu grave  8-3304

Tableau 3. Plans d’autogestion


Relation médecin–malade et autogestion dirigée.
Plusieurs études ont montré l’intérêt des plans d’autogestion de
Éléments clés de la relation médecin–malade et de « l’autogestion la maladie asthmatique [21, 22] . Ces plans d’autogestion permettent
dirigée » au malade de modifier son traitement de façon indépendante, en
Éducation fonction du niveau de contrôle de sa maladie, authentifié par les
Fixer les objectifs conjointement symptômes et la mesure du DEP [22] . Ces mesures sont d’autant
Autosurveillance (technique et interprétation du débit expiratoire de plus efficaces qu’elles font partie d’un plan écrit. Le plan écrit
pointe [DEP]) d’autogestion permet de diminuer d’un à deux tiers les hospi-
Surveillance médicale régulière du niveau de contrôle et du traitement talisations, les consultations dans un département d’urgence et
Plan d’autogestion écrit et éducation thérapeutique. Le patient doit toute consultation médicale pour crise d’asthme. Une revue du
savoir comment modifier et adapter son traitement aux exacerbations groupe Cochrane [21] sur l’intérêt potentiel de ces programmes
L’autosurveillance s’intègre dans des recommandations écrites d’autoéducation et des consultations régulières des patients asth-
concernant aussi bien la gestion au long terme que la gestion de la crise matiques chez leur médecin généraliste prenant en compte
36 études montre une réduction du taux d’hospitalisation, des
consultations aux urgences, de l’absentéisme à l’école ou au
Majorer le traitement travail, d’asthme nocturne avec une amélioration de la qualité
de vie. Malheureusement, les auteurs retrouvent peu d’éléments
La perte du contrôle de la maladie, comme en témoigne une précisant les paramètres de ces programmes, le dénominateur
aggravation des symptômes ou de leur fréquence, une augmenta- commun étant néanmoins le monitorage régulier du DEP et un
tion de la consommation des bêta-2-mimétiques d’action rapide, plan d’action détaillé.
une diminution du DEP ou une augmentation de sa variabilité
diurne (anciennement « asthme instable ») nécessitent une majo-
ration rapide du traitement de fond. Plan d’action post-urgences : lien
avec le médecin de ville
Éducation thérapeutique Un élément favorisant une meilleure prise en charge globale est
la mise en place de programmes d’éducation qui ont bien mon-
La prise en charge d’un patient asthmatique s’inscrit dans une tré leur efficacité sur plusieurs paramètres. L’éducation du patient
action aux multiples facettes dont le traitement médicamenteux asthmatique est plus facile à faire pendant les périodes de stabi-
n’est qu’un seul aspect. Dans les recommandations récentes, en lité de sa maladie. Cependant, celle-ci peut avoir également un
particulier le rapport GINA, l’accent est porté sur les notions intérêt à la sortie des urgences. Le groupe Cochrane a travaillé
d’éducation et d’autogestion de la maladie [1, 20] . Les points essen- récemment sur ce thème en sélectionnant 13 articles randomisés
tiels de cette prise en charge sont la mesure régulière du DEP ainsi prospectifs incluant un total de 2157 patients adultes (de 1993 à
que l’autogestion de la maladie. 2009) venu aux urgences pour exacerbation d’asthme [23] . Dans
toutes ces études, un plan d’éducation était remis par le méde-
cin urgentiste. Les résultats montrent une diminution des futures
Relation médecin–malade (Tableau 3)
réadmissions à l’hôpital. Sans pour autant démontrer une diffé-
Le rapport 2008 du groupe GINA met l’accent sur la nécessité de rence significative intergroupes concernant la mesure du DEP et
développer le partenariat entre les acteurs de santé et le patient, la qualité de vie. La remise d’un plan d’éducation aux patients
en plaçant ce dernier au centre des décisions thérapeutiques [1] . était également associée à une diminution des coûts en lien avec
Cette « autogestion dirigée » se base sur plusieurs aspects théra- l’asthme.
peutiques et éducationnels du patient asthmatique. Elle nécessite L’idée de proposer des plans d’action au patient est donc à gar-
une bonne compréhension de la maladie et de ses traitements, der en mémoire. En effet, on peut penser que le fait d’éduquer le
une élaboration commune des objectifs thérapeutiques, un « plan patient sur sa pathologie au sortir de l’hôpital le sensibilise et per-
d’autogestion écrit », l’ensemble surveillé régulièrement par la met de reconnaître plus tôt de nouveaux symptômes aigus donc
mesure du DEP. de venir aux urgences dans un état moins grave (non-réduction
du taux de récidives) et d’éviter l’hospitalisation [24] .
Information Au total, il est reconnu que l’admission des patients pour
une exacerbation aiguë d’asthme aux urgences est un marqueur
Le patient asthmatique doit bénéficier précocement d’une important de sévérité de la maladie, d’un risque élevé de réad-
information claire et adaptée lui permettant de comprendre les mission et de mortalité [25] . Le taux d’hospitalisation pourrait être
grands principes de sa maladie. Ces informations doivent par- significativement réduit si les patients avaient un plan d’action,
ticulièrement s’attarder sur les notions physiopathologiques de une meilleure connaissance de leur maladie ainsi que des signes
l’asthme, en particulier sa composante environnementale, sur les d’alerte, une meilleure adhésion à leur traitement de fond et à
cibles thérapeutiques qui en découlent ainsi que les différents trai- l’autogestion de début de décompensation [26] . Le lien hôpital-
tements disponibles et leur stratégie d’utilisation. Plusieurs guides ville est très ténu et l’éducation du patient dans cette zone grise
ont été écrits et sont à la disponibilité des malades : le résumé du qui est située entre la sortie des urgences post-exacerbation et le
rapport GINA, le guide patient ALD 14 de la Haute Autorité de retour à la stabilité du traitement de fond est fondamentale pour
santé (HAS) entre autres. garantir une stabilité des symptômes.

Éducation thérapeutique
 Récidive
L’éducation thérapeutique est l’élément déterminant de la qua-
lité des mesures d’autogestion de la maladie. Cette éducation doit Une deuxième étude ASUR sur 3000 patients a montré que 30
porter sur quatre axes distincts et indispensables : à 40 % des patients ont une nouvelle exacerbation dans le mois
• évaluation du contrôle et de la sévérité de l’asthme ; qui suit. Ainsi, malgré un travail de standardisation des pratiques,
• compréhension et maîtrise du plan d’autogestion ; l’étude ASUR 2 a montré que près d’un tiers des patients ayant
• modifications thérapeutiques à apporter en réponse au plan consulté pour asthme étaient victimes d’une nouvelle crise dans
d’autogestion ; le mois suivant [25] . Dans ASUR 2, une analyse multivariée des
• maîtrise de l’environnement et des facteurs de risque. facteurs prédictifs de rechutes a été faite illustrant deux types de
L’éducation thérapeutique est indispensable au succès de facteurs associés :
l’autogestion dirigée. Son efficacité nécessite une participation • des facteurs incontrôlables (âge supérieur ou égal à 55 ans, sexe
multidisciplinaire active des différents acteurs de santé et surtout féminin, admission aux urgences pour crises d’asthme dans les
du patient. 12 mois précédents, antécédents d’intubation) ;

EMC - Traité de Médecine Akos 5


8-3304  Asthme aigu grave

• des facteurs contrôlables (taux de prescription de corticoïdes [2] Tual S, Godard P, Bousquet J, Annesi-Maesano I. Diminution
oraux de seulement 50 % à la sortie des urgences, recomman- de la mortalité par asthme en France. Rev Mal Respir 2008;25:
dations de sortie, liens et suivis par le médecin généraliste ou le 814–20.
pneumologue). [3] Liard R, et al. AIRE: Asthma Insights and Reality in Europe. Rev Fr
D’autres études ont également confirmé que le rendez-vous pré- Allergol 2001;41. S1, 5-16.
coce chez le médecin généraliste (dans la première semaine) était [4] Strachan DP, Cook DG. Health effects of passive smoking. 6. Parental
un élément qui pouvait améliorer le pronostic de ces patients. smoking and childhood asthma: longitudinal and case-control studies.
D’autres études plus anciennes ont également retrouvé un taux Thorax 1998;53(3):204–12.
de récidive précoce non négligeable de patients asthmatiques [5] Strachan DP, Cook DG. Health effects of passive smoking. 6.
après passage aux urgences pour crise aiguë. Le travail prospectif Parental smoking and allergic sensitisation in children. Thorax
d’Emerman et al. [27] identifiait les facteurs de récidives en analyse 1998;53(2):117–23.
multivariée suivant l’âge, l’utilisation plus importante de médi- [6] Chalmers GW, Macleod KJ, Little SA, Thomson NC. Influence of
cigarette smoking on inhaled corticosteroid treatment in mild asthma.
caments de seconde intention dans les quatre dernières semaines
Thorax 2002;57(3):226–30.
(notamment les bêta-2-agonistes inhalés et les corticoïdes inha-
[7] Lazarus SC, Chinchill VM, Rollings NJ, Boushey HA, Cherniack R,
lés), l’exposition au tabac et une consultation aux urgences dans Craig TJ, et al. Smoking affects response to inhaled corticosteroids or
les derniers mois. À noter que les « non-récidivistes » étaient plus leukotriene receptor antagonists in asthma. Am J Respir Crit Care Med
nombreux à avoir un plan d’action que les « récidivistes ». Ces 200;175(8):783–90.
éléments amènent à penser qu’un plan d’action n’est intéres- [8] Bateman ED, Boushey HA, Bousquet J, Busse WW, Clark TJ, Pau-
sant que s’il amène un traitement plus efficace. Cependant, il wels RA, et al. Can guideline-defined asthma control be achieved?
n’est pas le garant d’une réduction des crises mais sûrement de The Gaining Optimal Asthma Control study. Am J Respir Crit Care
la limitation de la gravité de celles-ci. Lors d’une autre étude, Med 2004;170(8):836–44.
les facteurs prédictifs étaient le nombre de consultations dans [9] Thomson NC, Chaudhuri R, Livingston E. Asthma and cigarette smo-
un service d’urgences au cours des 12 derniers mois, l’utilisation king. Eur Respir J 2004;24(5):822–33.
plus fréquente d’inhalateurs, une plus longue durée des symp- [10] Alvarez GG, et al. A systematic review of risk factors associated with
tômes. Cependant, il est intéressant de souligner que la valeur near fatal asthma and fatal asthma. Can Respir J 2005;12(5):265–70.
initiale du DEP ainsi que l’évolution de sa valeur pendant son [11] Paganin F, Gaüzere BA, Henrion G, Gomard P, Djardem Y, Bieda P,
traitement aigu n’étaient pas des facteurs associés à la réci- et al. Asthme aigu grave : appréciation et prise en charge. Service de
dive [28] . Ceci confirme l’importance de l’éducation thérapeutique réanimation, 2 SAMU 974, CHD - 97405 Saint-Denis Réunion.
et de la relation médecin–malade dans la diminution du nombre [12] L’Her E. Révision de la troisième conférence de consensus en réani-
d’exacerbations de la maladie asthmatique. mation et médecine d’urgence de 1988 : prise en charge des crises
d’asthme aiguës graves de l’adulte et de l’enfant (à l’exclusion du
nourrisson). Réanimation et urgences médicales. Rev Mal Respir
 Conclusion [13]
2002;19:658–65. SPLF, Paris, 2002.
Kelly CA, Gibsong GJ. Relation between FEV, and peak expiratory
flow in patients with chronic airflow obstruction. Thorax 1988;43.
L’asthme reste une problématique majeure de santé publique [14] Carruthers DM, Harrison BD. Arterial blood gas analysis or oxy-
dont la prise en charge peut être optimisée aux urgences et en gen saturation in the assessment of acute asthma? Thorax 1995;50:
médecine de ville. 186–8.
Le diagnostic et la prise en charge de l’exacerbation aiguë sont [15] Kelly A-M, Kerr D, Middleton P. Validation of venous pCO2 to screen
bien standardisés. La sortie de l’hôpital et le lien avec la médecine for arterial hypercarbia in patients with chronic obstructive airways
de ville restent déterminants dans la stabilité des symptômes, et disease. J Emerg Med 2005;28:377–9.
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6 EMC - Traité de Médecine Akos


Asthme aigu grave  8-3304

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Asthma Research Collaboration. Chest 1999;115(4):919–27. lung/asthma/asthma actplan.pdf.

J. Truchot (jennifer.truchot@aphp.fr).
SAU-SMUR, CHU de Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Truchot J. Asthme aigu grave. EMC - Traité de Médecine Akos 2020;23(2):1-7 [Article 8-3304].

Disponibles sur www.em-consulte.com


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