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Sur le thème de l’art, du divertissement et de la fin du monde nous vous proposons trois textes. Le premier est une traduction d’un article de Stepha-
nie McMillan intitulé “Artists raise your weapons” (Artistes, présentez arme). Le second est une traduction d’un texte de Derrick Jensen intitulé
“Calling all fanatics” (Appel à tous les fanatiques) et initialement publié ici : https://orionmagazine.org/article/calling-all-fanatics/. Enfin, le troisième
est un extrait tiré du livre Techniques et civilisation de Lewis Mumford, publié en 1934.
En ces temps d’exploitation croissante, de pauvreté, de guerres impérialistes, de tortures et d’écocides, nous n’avons vraiment pas besoin d’une pièce
d’art consistant en un matelas dégoulinant de peinture orange, habilement intitulée “rêve tangerine”. Actuellement, tandis que l’innombrable multi-
tude souffre et meurt pour les profits et le luxe du petit nombre, et que les espèces s’éteignent à une vitesse trop élevée pour que l’on puisse suivre,
nous n’avons que faire d’un orchestre composé d’iPhones. Le futur de la vie sur Terre est menacé, alors épargnez-nous cette incontinence de Tweets
narcissiques juxtaposant commérages de célébrités et choix de nourritures excentriques.
En temps de paix et d’harmonie, créer de jolies œuvres-échappatoires et stimulant la sérotonine, de doux amusements, ne serait pas un crime (sauf
peut-être envers la Muse d’untel). Si tout allait bien, un tel art pourrait agrémenter une existence heureuse, comme de la crème fouettée un chocolat
au lait. Il n’y a rien de mauvais dans le plaisir ou l’art décoratif. Mais en notre temps, pour un artiste, ne pas consacrer ses talents et ses énergies à la
création d’armes de résistances culturelles est une trahison de la plus haute magnitude, un signe de mépris envers la vie elle-même. C’est impardon-
nable.
La fondation de toute culture est son système économique sous-jacent. Aujourd’hui, l’art est contraint de se conformer aux demandes du capitalisme
industriel afin de refléter et de renforcer les intérêts de ceux au pouvoir. Cet art servile envers le système est inexorablement fade, vicieusement apai-
sant, dangereusement sûr. Il nous séduit afin que nous désirions, que nous achetions, que nous utilisions, que nous consommions. Il nous divertit et
nous fait glousser, nous berce d’une fausse joie tandis qu’il atrophie lentement nos cerveaux à travers nos globes oculaires.
Le système exerce une pression immense afin de créer de l’art qui soit non seulement apolitique mais aussi antipolitique. Lorsque la culture dominante
repère de l’art politique, elle s’enfonce les doigts dans les oreilles et chante “La la la!”, elle refuse d’en faire la critique dans le New York Times ou de
lui fournir une bourse NEA. L’art politique est vigoureusement snobé, ignoré, noyé dans l’obscurité, effacé. Et s’il est trop important pour être effacé, il
est alors bafoué, accusé d’être déprimant, trop triste, moralisateur, impoli, et “au fait, votre style de dessin est nul”. D’ailleurs, vous ne pouvez pas
gagner votre vie si votre travail n’est pas vide de sens, cynique et par conséquent commercialement viable, allez donc mourir de faim sous un pont
avec vos précieux principes.
On nous enseigne qu’il est impoli de juger, d’être moraliste, qu’affirmer un point de vue viole l’esprit pur, transcendantal et neutre de l’art. Des putains
de conneries de merde, conçues pour nous affaiblir et nous dépolitiser. Ces temps-ci, la neutralité n’existe pas — ne pas prendre position signifie
soutenir et assister les exploiteurs et les meurtriers.
Ne soyons ni les outils ni les bouffons du système. Les artistes ne sont ni des poltrons ni des mauviettes — nous sommes des résistants. Nous prenons
position. Nous ripostons.
Les artistes et les écrivains ont comme fière tradition d’être en première ligne de la résistance, de provoquer des émotions et d’inciter à l’action. Nous
devons aujourd’hui créer une déferlante d’œuvres moralistes, obstinées, effrontées et partisanes dans la tradition des artistes antinazis comme John
Heartfield et George Grosz, du muraliste radical Diego Rivera, du réalisateur Ousmane Sembène, des artistes féministes “Guerrilla Girls”, des roman-
ciers comme Maxim Gorky et Taslima Nasrin, des poètes comme Nazim Hikmet et Kazi Nazrul Islam, des musiciens comme The Coup et les Dead
Kennedys.
La planète a désespérément besoin d’un art politique, combatif et significatif. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de créer une culture de
résistance féroce, intransigeante, et agressive. Notre art devrait exposer et dénoncer les maux, soutenir et conforter les activistes et les révolution-
naires, célébrer et contribuer à l’avènement de la libération de cette planète du joug de la démence omnicidaire militaro-industrielle corporatiste [du
joug de l’État, du joug de la civilisation techno-industrielle, NdT].
Stepha ie McMillan
Stephannie
Un extrait du texte de Derrick Jensen intitulé “Calling All Fanatics” (Appel à tous
les fanatiques) :
[…] La vérité fondamentale de notre temps, c’est que cette culture tue la planète. Nous pouvons ergoter tant que nous le voulons — et bien trop le
font — sur le fait qu’elle soit en train de tuer la planète ou simplement de provoquer une des 6 ou 7 extinctions de masse de ces derniers milliards
d’années, mais aucune personne raisonnable ne peut prétendre que la civilisation industrielle n’endommage pas actuellement la planète de manière
irréversible et dramatique.
En conséquence, on aurait pu penser que la plupart des gens seraient en train de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger la vie sur cette
planète — la seule vie, à notre connaissance, de l’univers. Malheureusement, on aurait tort.
Je pense souvent à cette phrase du psychiatre R.D. Laing : “peu de livres, aujourd’hui, sont pardonnables”. Je pense qu’il a écrit cela parce que nous
sommes aliénés de notre propre expérience, de qui nous sommes, et parce que cette aliénation est destructrice des autres et de nous-mêmes, au point
que lorsqu’un livre ne prend pas cette aliénation comme point de départ et n’œuvre pas à la rectifier, nous ferions alors mieux de regarder des feuilles
blanches. Ou d’expérimenter quelque chose (ou quelqu’un). Ou encore, comme aurait pu l’écrire Martin Buber, nous ferions mieux d’entrer en relation
avec quelque chose ou avec quelqu’un.
Je suis d’accord avec Laing, aujourd’hui, peu de livres sont pardonnables (la même chose est vraie des films, des tableaux, des chansons, des relations,
des vies, et ainsi de suite); et je le suis pour les raisons précédemment citées. Mais il y a une autre raison pour laquelle je pense que peu de livres
(films, tableaux, chansons, relations, vies, et ainsi de suite) sont pardonnables : ce petit détail tenace qui nous rappelle que cette culture est en train de
détruire la planète. Tout livre (ou films, tableaux, chansons, relations, vies, etc.) n’ayant pas pour fondement cette observation élémentaire — le fait
que cette culture soit en train de détruire la planète (en partie à cause de cette aliénation, qui est, bien sûr, par la suite, continuellement alimentée par
la destruction) — et n’œuvrant pas à la rectifier, n’est pas pardonnable, pour une infinité de raisons, l’une d’elles étant que sans planète vivante aucun
livre n’existe. Aucun tableau, aucune chanson, aucune relation, aucune vie, et ainsi de suite. Rien n’existe.[…]
Comme mon amie artiste et auteure Stephanie McMillan l’a écrit dans son essai « Artistes : aux armes! »:
“Si nous vivions en temps de paix et d’harmonie, alors créer des œuvres-échappatoires et stimulant la sérotonine,
de doux amusements, ne serait pas un crime. Si tout allait bien, un tel art pourrait agrémenter notre existence
heureuse. Il n’y a rien de mauvais dans le plaisir ou l’art décoratif. Mais en des temps comme ceux-là, pour un
artiste, ne pas consacrer ses talents et ses énergies à la création d’armes de résistance culturelle est une trahison de
la plus haute magnitude, un signe de mépris envers la vie elle-même. C’est impardonnable”.
J’étendrais ses commentaires au-delà de l’art : en des temps comme ceux-là, pour n’importe qui, ne pas consacrer ses talents et ses énergies à la
défense de la planète est une trahison de la plus haute magnitude, un signe de mépris envers la vie elle-même. C’est impardonnable. […]
Derrick Jensen
Traduction : Nicolas CASAUX
par Lewis Mumford (extrait tiré de son livre Techniques et civilisation, publié en 1934)
[…] Lorsque les moyens physiques de fuite n’étaient pas réunis, l’imagination pure fleurissait en mots ou en images. Mais, au XIXe siècle, ces alterna-
tives mêmes furent nivelées sur une base collective mécanisée, résultat de la production bon marché que permettaient la presse rotative, la photogra-
phie, la photogravure et le cinéma. Avec le développement de la production littéraire, la littérature forma un monde à part dans lequel l’individu insa-
tisfait pouvait se retirer, pour vivre une vie d’aventure en suivant les voyageurs et les explorateurs dans leurs souvenirs, pour vivre une vie d’action
dangereuse et d’observations précises en participant aux crimes et investigations d’un Arsène Lupin ou d’un Sherlock Holmes, ou pour vivre une vie
romantique dans les romans d’amour ou les chansons érotiques qui, à partir du XVIIIe siècle, s’offrirent à tous. Évidemment, la plupart de ces possibili-
tés de rêverie et d’imagination existaient par le passé. Mais elles faisaient désormais partie d’un gigantesque appareil collectif d’évasion. La littérature
populaire comme moyen d’évasion devint si importante que beaucoup de psychologues modernes ont traité la littérature dans son ensemble comme
un simple moyen de fuir les dures réalités de l’existence, oubliant que la littérature de premier ordre, loin d’être un simple plaisir, est un effort
suprême pour affronter et étreindre la réalité, effort à côté duquel une vie de travail active implique une rétraction et représente un repli partiel.
Au XIXe siècle, la littérature ordinaire remplaça, dans une large mesure, les constructions mythologiques de la religion. La cosmologie austère et la
morale soigneusement codifiée des religions les plus sacrées étaient, hélas! un peu trop semblables à la machine, à laquelle les gens essayaient juste-
ment d’échapper. Ce repli dans l’imaginaire fut considérablement renforcé, à partir de 1910, par le cinéma, qui apparut juste au moment où le poids de
la machine commençait à devenir trop lourd et inexorable. Les rêves publics de richesse, munificence, aventure, surprise et action, l’identification avec
le criminel qui défie les forces de l’ordre, avec les courtisanes qui pratiquent ouvertement la séduction, ces imaginations à peine nées, créées et proje-
tées à l’aide de la machine, rendirent le rite de la machine tolérable aux vastes populations urbanisées du monde. Mais ces rêves n’étaient plus person-
nels et, qui plus est, n’étaient ni spontanés ni libres. Ils furent rapidement capitalisés à grande échelle comme un business du divertissement devant
rapporter un intérêt. Créer une vie plus libérale, qui aurait pu se passer de tels remèdes, aurait menacé la sûreté des investissements fondés sur la certi-
tude de la tristesse, de l’ennui et de la défaite continuels.
Quand on était trop triste pour penser, on pouvait lire; trop fatigué pour lire, on pouvait aller au cinéma; incapable d’aller au cinéma ou au théâtre, on
pouvait tourner le bouton de la radio. Dans tous les cas, on pouvait éviter l’appel de l’action. Des ersatz d’amants, de héros et d’héroïnes, de richesse,
emplissaient les vies stupides et appauvries et apportaient dans les demeures un parfum d’irréel. Au fur et à mesure que la machine devenait plus
active et plus humaine, reproduisant les propriétés biologiques de l’œil et de l’oreille, les êtres humains qui s’en servaient comme d’un moyen de fuite
tendaient à devenir plus passifs et plus mécaniques. Manquant de confiance en leur propre voix, incapables de donner le ton, ils transportent avec eux
un phonographe ou un poste de radio, même en pique-nique. Craignant d’être seuls avec leurs propres pensées, effrayés d’affronter le vide et l’inertie
de leurs esprits, ils allument la radio, mangent, parlent et dorment avec un stimulant extérieur continuel : là un orchestre, là un peu de propagande, là
un bavardage public considéré comme de l’information. Même la solitude dont jouissait jadis le plus pauvre travailleur — et qui laissait Cendrillon
rêver au Prince Charmant pendant que ses sœurs allaient au bal — a été supprimée par cet environnement mécanique. Quelles que soient les compen-
sations du quotidien, elles doivent venir de la machine. Se servant uniquement de la machine pour échapper à la machine, nos populations mécanisées
sont tombées de Charybde en Scylla. Les compensations sont du même ordre que l’environnement lui-même. Le cinéma glorifie délibérément la
froide brutalité et les instincts homicides des gangsters. Les actualités cinématographiques préparent la guerre en exhibant chaque semaine les
derniers progrès de l’armement, accompagnées de quelques mesures persuasives de l’hymne national. En soulageant la contrainte psychologique, ces
diverses inventions ne font finalement qu’augmenter la tension et encourager des formes de soulagement plus désastreuses. Quand on supporte à
l’écran un millier de morts, la violence est telle qu’on est prêt pour un viol, un lynchage, un meurtre ou la guerre dans la vie réelle. Quand l’excitation
des ersatz de la radio et du film commence à s’émousser, le goût du vrai sang devient une nécessité. Bref, les compensations préparent à un nouveau
choc. […]
Lewis Mumford
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