Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
1
Cette édition exclusive en Français est mise à disposition du
public par les auteurs. Elle peut être partagée et utilisée librement,
à condition de ne pas en modifier le format et le contenu, et d’en
mentionner les auteurs.
Page 3 :
Pierangelo Summa, Maschera di Pulcinella.
Cuir, vers 1990
Collection privée. Photo : Charles Plumey-Faye.
2
3
Le masque n’est pas
4
AVANT-PROPOS
5
cette période aussi créateur de jouets (groupe Hachette) ; il anime
plusieurs interventions dans les écoles où par l’intermédiaire de la
marionnette et du masque il accompagne les enfants à la découverte de
leurs pays et de leurs histoires. A partir des années ’90 Pierangelo Summa
se dédie surtout au travail de mise en scène. Capitalisant d’une part son
expérience de théâtre avec les gens de la ville, d’autre part son travail de
plasticien et de facteur des masques, il crée des structures pour le
carnaval de Créteil, conçoit ex-novo le Carnaval de Villeneuve le Roi et le
suit pendant quatre ans, crée la légende urbaine du Géant Edgar dans le
XVIIème arrondissement de Paris et assure la mise en scène du Palio di
Isola Dovarese de 1999 à 2010 (Cremona – Italie). Parallèlement il réalise
plusieurs dizaines de mises en scène théâtrales, en grande partie sur des
textes d’écrivains contemporains.
« Pierangelo Summa a fermé les yeux mercredi 15 juillet 2015. Ceux qui
l’auront connu savent que, désormais aussi léger que l’air, il reste avec nous pour
toujours par tout ce qu’il nous a transmis, et que nous sommes chargés de cette force
créatrice qui l’animait à jamais. »1
_________________________________
1 Sara Summa, 2015.
6
d’éléments et d’archives possible, j’ai finalement décidé, avant tout pour des raisons
logistiques, de le composer en plusieurs livrets, dont voici le premier.
Robin Summa
7
LES ORIGINES DE LA COMMEDIA DELL’ARTE
Dans les tribus primitives, les masques, qui étaient des masques
entiers (en ce sens qu’ils couvraient l’entièreté du visage), naissaient du
travail d’un sacerdote : soit celui qui, au sein de la communauté, portait
en lui la spiritualité et son rapport à la communauté. C’est le sacerdote
qui construisait l’objet qui était ensuite porté par un danseur ou par un
sorcier, au sein des danses rituelles. Ces derniers, dans la transe, ne
dansaient pas en suivant leur instinct personnel : ils dansaient selon ce que le
masque leur indiquait. Lévi-Strauss par exemple raconte qu’il assista à la
danse d’un masque dans une population de l’Océanie : le sorcier, après
s’être exhibé avec certains rythmes en face de son peuple, céda le masque
à un étranger qui n’avait jamais vu la danse. Et malgré son étrangéité aux
rites traditionnels, ce nouvel arrivant se mit à danser exactement de la
même manière, perdu en transe. Tout cela est possible car le regard collectif
induit le masque (et la personne qui le porte) à agir d’une certaine façon. Le
comportement d’une personne, et donc ensuite d’un personnage (au
théâtre) est fortement conditionné par le regard de l’autre.
8
cours de laquelle l’homme, après le Moyen-Âge, commençait à
reconnaître sa propre capacité à intervenir, à agir par lui-même. Partant, ce
n’est pas par hasard si le masque entier2 est devenu à ce moment-là un
demi-masque3.
_________________________________
2 Qui « dicte » son comportement au sujet qui le porte
3 Qui laisse au sujet une part majeure de liberté et de jeu
9
Masque et caractère
loin.
10
caractères similaires à ceux de la Commedia dell’Arte : Maccus incarnait le
sot, Pappus l’avare, Buco le fanfaron, et Dossenus le malin.
_________________________________
7 Qui donnèrent très bientôt vie à la Commedia dell’Arte. Je voudrais citer ici, sur la question des farces,
comédies et carnavals populaires en général, ces pensées de Mikhaïl Bakhtine formulées dans son ouvrage
L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, cité par Aimie Maureen Shaw
dans sa thèse En dialogue avec Bakhtine : carnavalisation, carnavalesque et carnaval au cœur du roman, p.5 : « Selon
Bakhtine, la culture classique est première, la culture carnavalesque intervient en second, par réaction: ‘‘Dans la
culture classique, le sérieux est officiel, autoritaire, il s’associe à la violence, aux interdits, aux restrictions. Il y a
toujours dans ce sérieux un élément de peur et d’intimidation. Celui-ci dominait nettement au Moyen Age.’’
(Bakhtine, L’œuvre de…, 98) La culture officielle et dominante est toujours sérieuse, donc étouffante. Cette
culture oppressante est à l’opposé de la culture populaire, dans laquelle se situe le carnaval qui : ‘‘[...] était le
triomphe d’une sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant, d’abolition
provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous.’’ (Bakhtine, L’œuvre de…, 18) »
8 (Padoue, ca. 1496 - Padoue, 1542)
11
charlatans et marchants de foire pour attirer le public ; les acrobaties
vertigineuses, les bastonnades et les répliques grotesques étaient les
moyens par lesquels ces acteurs primitifs exprimaient leur art. Ce sont
eux les pères des « Zanni » qui générèrent les Arlequins, Brighella,
Pulcinella et semblables. Les Zani ou Zanni étaient originaires de la vallée
de Bergame et représentaient la caricature du type « paysan »,
extrêmement pauvre et ignorant. Ils parlaient leur dialecte natal, portaient
un demi-masque et généralement une barbe. Les Zanni, indispensables
dans chaque action scénique, étaient au nombre de deux et
représentaient les servants ; voilà comment naquirent Brighella, le
premier Zanni, et Arlequin, le second.
12
Masques et communauté
13
aussi sortent et naissent d’une communauté. C’est un groupe qui les a
construits. C’est une communauté qui se reconnaît en un personnage.
_________________________________
13 Il ne faut pas voir dans cette affirmation une volonté raciste de réduire chacune de ces cultures à une seule et
unique essence : la Commedia dell’Arte se contente de s’amuser avec des réalités localisées qui ont pu exister, de
manière plus au moins forte, en les amenant sur le terrain du jeu, sans jugement de valeur (si l’on doit d’ailleurs
parler en termes « moraux » - langage qui n’appartient pas à la Commedia dell’Arte -, tous ces personnages ont
autant de « vices » que de « vertus », sans distinction entre eux). Ce sont intrinsèquement des personnages de fiction :
bien que nés ou inspirés d’une réalité, ils sont par définition imaginaires. Ils s’assument et vivent en tant que
tels.
14 Maurice Sand, Masques et bouffons, Paris, Michel Levy frères, 1860, 2 volumes.
14
expérimentant des rapports à des publics différents. Et au fur et à
mesure de ces rencontres, le masque se formalise, et assume des
comportements précis qui sont ceux qu’on lui connaît, et qui sont
reconnaissables. De telle manière qu’on puisse dire : « voilà, le Pulcinella
bouge ainsi, l’Arlequin bouge comme ça, et le Pantalon de cette manière,
ou il a tel caractère, telle attitude, tel comportement. » On attend par
conséquent certaines choses d’eux, et tout cela est le patrimoine, la
résultante de rencontres répétées.
_________________________________
15 Cantastorie sicilien (1925-1989)
15
mais ils n’en faisaient pas leur métier à proprement parler.
_________________________________
16 Voir note 3
16
Masque et subversion
17
ultérieurement le répertoire de ces comédiens17.
18
en silence : ils développent le théâtre muet et la pantomime. Alors le Roi
commence à détruire tous les théâtres de rue mais, plus d’une fois,
durant la nuit, le peuple les reconstruit, tant il tient aux spectacles ruraux
des Commedianti. Puisqu’il n’y avait ni foot, ni télévision, il fallait bien que
quelque chose les divertît !
Ainsi, bien qu’il fût difficile pour les Commedianti d’être écoutés,
ils eurent avec Arlequin et compagnie un grand succès, en France plus
qu’en Italie.
19