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Pierangelo SUMMA

le masque est liberté


histoire d’une insurrection théâtrale

Transcription, traduction et édition par Robin Summa

Livret 1 : les origines de la Commedia dell’Arte

1
Cette édition exclusive en Français est mise à disposition du
public par les auteurs. Elle peut être partagée et utilisée librement,
à condition de ne pas en modifier le format et le contenu, et d’en
mentionner les auteurs.

Page 3 :
Pierangelo Summa, Maschera di Pulcinella.
Cuir, vers 1990
Collection privée. Photo : Charles Plumey-Faye.

Copyright 2020 pour l’ensemble de l’oeuvre, tous droits réservés.

2
3
Le masque n’est pas

un déguisement de fête (mais il est la fête)

un élément de décoration (mais il est vivant)

un aspect du visage (mais il est un personnage entier)

une caricature (mais il est l’essence du personnage)

ce qui cache (mais ce qui révèle)

nouveau (mais il est depuis toujours)

Le masque est le regard de l’autre ; il est er satiro che ride a nascosto


frammezzo alla mortella : le satyre qui rit, caché au milieu des buissons.

Pierangelo Summa – 2014

4
AVANT-PROPOS

Pierangelo Summa naît à Como, en Italie, en 1947. Il entre dans


le monde du théâtre en 1966. Jusqu’en 1980 son activité théâtrale
s’exerce surtout en Italie ou il crée deux compagnies de Théâtre de
‘figura’, avec lesquelles, en explorant les sources de la tradition populaire,
il développe des formes originales de théâtre d’ombres et de
marionnettes. Il s’engage, avec le mouvement théâtral des années
soixante-dix, dans la recherche de techniques d’intervention territoriales
pour placer le théâtre dans les lieux de la vie. C’est dans ce contexte qu’il
rencontre Italo Gomez, Giuliano Scabia, Dario Fo, l’Odin Teater,
Roberto Leydi, Mario Lodi, Carlo et Alberto Colombaioni, ou encore
Augusto Boal. À cette époque Pierangelo Summa crée une vingtaine de
pièces de théâtre de marionnettes, il donne vie pendant trois ans, avec
son épouse, ses frères et sœurs et leurs époux respectifs, à une émission
hebdomadaire à la Télévision de la Suisse Italienne et il intervient dans
plusieurs écoles, lycées et quartiers suburbains avec des projets de longue
durée.
En France, Pierangelo Summa dédie les années ’80–90’ à la
création de masques pour le théâtre, en passant par la tradition de la
Commedia dell’Arte jusqu’à la conception de formes nouvelles, et en
utilisant tous types de matériaux. Durant cette période, son atelier de
Montreuil est un lieu de rencontres et de débats pour de nombreuses
jeunes compagnies. Pierangelo Summa anime dans ce lieu de nombreux
stages de formation sur le jeu masqué (Espace Acteur, Maison des Arts
de Créteil, Stages AFDASS), il fait plusieurs expositions de ses masques à
Avignon et il aura une présence suivie et remarquée au festival de Nyon
en Suisse. Proche du monde de l’enfance, Pierangelo Summa est dans

5
cette période aussi créateur de jouets (groupe Hachette) ; il anime
plusieurs interventions dans les écoles où par l’intermédiaire de la
marionnette et du masque il accompagne les enfants à la découverte de
leurs pays et de leurs histoires. A partir des années ’90 Pierangelo Summa
se dédie surtout au travail de mise en scène. Capitalisant d’une part son
expérience de théâtre avec les gens de la ville, d’autre part son travail de
plasticien et de facteur des masques, il crée des structures pour le
carnaval de Créteil, conçoit ex-novo le Carnaval de Villeneuve le Roi et le
suit pendant quatre ans, crée la légende urbaine du Géant Edgar dans le
XVIIème arrondissement de Paris et assure la mise en scène du Palio di
Isola Dovarese de 1999 à 2010 (Cremona – Italie). Parallèlement il réalise
plusieurs dizaines de mises en scène théâtrales, en grande partie sur des
textes d’écrivains contemporains.

« Pierangelo Summa a fermé les yeux mercredi 15 juillet 2015. Ceux qui
l’auront connu savent que, désormais aussi léger que l’air, il reste avec nous pour
toujours par tout ce qu’il nous a transmis, et que nous sommes chargés de cette force
créatrice qui l’animait à jamais. »1

Ce livre a été composé à partir de ses écrits, de la transcription de ses


conférences, ateliers et cours sur le masque. J’ai redisposé et restructuré ces différents
documents, dans l’espoir de pouvoir faire connaître un peu mieux sa pensée et son
travail autour du masque de théâtre. Il s’agit, pour moi, d’un travail constitué par
l’émotion de faire vivre et continuer à faire vivre son esprit, son âme, sa force, dans la
même idée de partage et de générosité qui a structuré sa vie. Nous espérons, partant,
qu’il puisse être utile à toutes et tous.

Initialement prévu comme un seul volume qui aurait recueilli le plus

_________________________________
1 Sara Summa, 2015.

6
d’éléments et d’archives possible, j’ai finalement décidé, avant tout pour des raisons
logistiques, de le composer en plusieurs livrets, dont voici le premier.

Ce premier livret (privé, dans cette version française, du lexique descriptif


rapportant quelques-uns des « principaux » personnages de la Commedia
dell’Arte) a d’abord été publié, en Italien, chez Il Quaderno Edizioni, en
novembre 2019.

Robin Summa

7
LES ORIGINES DE LA COMMEDIA DELL’ARTE

Masque entier et demi-masque

Dans les tribus primitives, les masques, qui étaient des masques
entiers (en ce sens qu’ils couvraient l’entièreté du visage), naissaient du
travail d’un sacerdote : soit celui qui, au sein de la communauté, portait
en lui la spiritualité et son rapport à la communauté. C’est le sacerdote
qui construisait l’objet qui était ensuite porté par un danseur ou par un
sorcier, au sein des danses rituelles. Ces derniers, dans la transe, ne
dansaient pas en suivant leur instinct personnel : ils dansaient selon ce que le
masque leur indiquait. Lévi-Strauss par exemple raconte qu’il assista à la
danse d’un masque dans une population de l’Océanie : le sorcier, après
s’être exhibé avec certains rythmes en face de son peuple, céda le masque
à un étranger qui n’avait jamais vu la danse. Et malgré son étrangéité aux
rites traditionnels, ce nouvel arrivant se mit à danser exactement de la
même manière, perdu en transe. Tout cela est possible car le regard collectif
induit le masque (et la personne qui le porte) à agir d’une certaine façon. Le
comportement d’une personne, et donc ensuite d’un personnage (au
théâtre) est fortement conditionné par le regard de l’autre.

Les masques de la Commedia dell’Arte sont des demi-masques, en


ceci qu’ils ne couvrent que la moitié supérieure du visage. Ce ne sont pas
des masques entiers : ce sont des masques dont une partie, celle de
l’individu qui porte le masque, joue avec le démon qui est au-dessus, et
dont l’autre partie, celle du démon, joue avec l’individu qu’il y a au-
dessous, c’est-à-dire le demi-visage qui reste découvert. Ces demi-
masques sont nés à la Renaissance, période de l’histoire de l’humanité au

8
cours de laquelle l’homme, après le Moyen-Âge, commençait à
reconnaître sa propre capacité à intervenir, à agir par lui-même. Partant, ce
n’est pas par hasard si le masque entier2 est devenu à ce moment-là un
demi-masque3.

Les (demi) masques de Commedia dell’Arte sont aussi des


masques comiques, comme nous l’avons dit, car ils sont basés sur l’auto-
ironie. La transe n’y est pas totale, a contrario du masque traditionnel. Si
cette dimension de jeu ne s’était pas introduite, ce seraient des masques
tragiques et ils conduiraient à des émotions tragiques.

_________________________________
2 Qui « dicte » son comportement au sujet qui le porte
3 Qui laisse au sujet une part majeure de liberté et de jeu

9
Masque et caractère

Ce sont les fables atellanes, apparues chez les Étrusques, qui


sont à l’origine du masque comme objet proprement théâtral. Il s’agissait là
d’un genre de théâtre farcesque originaire de Atella, ville de la
Campagnie, qui à partir de 391 avant Jésus Christ commença à divertir la
plèbe de la ville avec des récitations, des plaisanteries et des lazzi4. Les
acteurs se couvraient le visage avec des maques grotesques. Les masques
des Atellane étaient au nombre de quatre5 : Bucco, Maccus, Pappus et
Dossenus. Ils peuvent être considérés comme les ancêtres (plus récents)
des masques de Commedia dell’Arte.

Ces masques avaient en fait essentiellement une fonction


rituelle. Quand arrivait en effet une maladie, une menace, une pestilence,
on appelait des acteurs professionnels qui portaient des masques en bois
et en tissu, dont la fonction était de faire peur aux démons, de les mettre
en fuite. Le masque était donc vécu d’une manière très sacrée : il était
réparateur, certes, mais démoniaque aussi, puisque là encore il échappait
au contrôle de l’homme.

Les masques des Atellane insultaient le démon, le langage était


très extrême : fielleux, vulgaire, obscène. On retrouve cette obscénité et
ce langage extrême dans le Satyricon de Pétrone.6

On voit alors se développer en même temps que le masque


comme objet, le masque comme action, comme façon de faire jouer le
personnage. Les personnages des Attelane avaient en effet déjà des
_________________________________
4 Figures scéniques schématiques et improvisées
5 Certaines sources en dénombrent davantage.
6 Apercevons ici déjà la dimension insurrectionnelle et anticonformiste du masque, dont nous parlerons plus

loin.

10
caractères similaires à ceux de la Commedia dell’Arte : Maccus incarnait le
sot, Pappus l’avare, Buco le fanfaron, et Dossenus le malin.

Mais, plutôt que de les considérer comme une simple


continuation ou une pure répétition de ces types de masques, qui se sont
conservés au Moyen-Âge, il faut comprendre que les masques de
Commedia dell’Arte se sont développés spontanément, à la Renaissance,
puisque ces figures et ces formes sont l’expression vivante et sincère de
l’éternelle aventure humaine. En effet, en Italie, à la fin du XVème siècle,
avec l’imitation des chefs d’œuvres grecs et latins, apparut bientôt par
réaction le nouveau théâtre populaire. C’est par ce besoin de spontanéité
que naquirent au début du XVIème siècle les farces et comédies
populaires7.

Au milieu de ces comédies dialectales émergea le vénitien


Angelo Beolco8, dit « il Ruzante », acteur mais aussi écrivain. Beolco fut le
premier à porter sur scène ces acteurs en les faisant parler dans le dialecte
de leur propre pays, en créant en même temps un « type » (de
personnage) à caractère fixe, autrement dit : un masque.

La première graine du masque on la trouve à cette époque dans


les bouffons, étranges et incroyables figures qui amusaient les nobles avec
leurs grimaces et insolences. Souvent ceux-ci étaient engagés par les

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7 Qui donnèrent très bientôt vie à la Commedia dell’Arte. Je voudrais citer ici, sur la question des farces,
comédies et carnavals populaires en général, ces pensées de Mikhaïl Bakhtine formulées dans son ouvrage
L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, cité par Aimie Maureen Shaw
dans sa thèse En dialogue avec Bakhtine : carnavalisation, carnavalesque et carnaval au cœur du roman, p.5 : « Selon
Bakhtine, la culture classique est première, la culture carnavalesque intervient en second, par réaction: ‘‘Dans la
culture classique, le sérieux est officiel, autoritaire, il s’associe à la violence, aux interdits, aux restrictions. Il y a
toujours dans ce sérieux un élément de peur et d’intimidation. Celui-ci dominait nettement au Moyen Age.’’
(Bakhtine, L’œuvre de…, 98) La culture officielle et dominante est toujours sérieuse, donc étouffante. Cette
culture oppressante est à l’opposé de la culture populaire, dans laquelle se situe le carnaval qui : ‘‘[...] était le
triomphe d’une sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant, d’abolition
provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous.’’ (Bakhtine, L’œuvre de…, 18) »
8 (Padoue, ca. 1496 - Padoue, 1542)

11
charlatans et marchants de foire pour attirer le public ; les acrobaties
vertigineuses, les bastonnades et les répliques grotesques étaient les
moyens par lesquels ces acteurs primitifs exprimaient leur art. Ce sont
eux les pères des « Zanni » qui générèrent les Arlequins, Brighella,
Pulcinella et semblables. Les Zani ou Zanni étaient originaires de la vallée
de Bergame et représentaient la caricature du type « paysan »,
extrêmement pauvre et ignorant. Ils parlaient leur dialecte natal, portaient
un demi-masque et généralement une barbe. Les Zanni, indispensables
dans chaque action scénique, étaient au nombre de deux et
représentaient les servants ; voilà comment naquirent Brighella, le
premier Zanni, et Arlequin, le second.

Apparurent ensuite deux autres figures, les « Vieux de la


Commedia », c’est-à-dire Pantalone, gentilhomme vénitien, et le pédant
Docteur Balanzone. Voici donc formé le noyau de base de ce qui
deviendra la Commedia dell’Arte : les patrons, qui seront Pantalone et le
Docteur, et les serviteurs ou Zanni qui seront Brighella et Arlequin.
Naples, plus tard, donnera son propre Zanni avec Pulcinella et les figures
des Zanni se multiplieront avec Mezzettino, Truffaldino, etc. On vit
bientôt naître également le Capitano, imitation du Miles Gloriosus de la
comédie latine.

12
Masques et communauté

C’est ainsi que quelques temps avant le XVIème siècle


commencent à se former et à se créer dans certaines villes des
personnages qui représentent chacun leur ville par leur caractère. Ces
masques, donc, représentent une communauté. Ils ne naissent pas d’une
manière pensée, élaborée dans la tête d’un ingénieur, qui penserait
arbitrairement : « comment faire pour créer ce masque qui exprime et
représente telle ou telle communauté ? ». Au contraire, ils naissent d’une
manière spontanée, de la main non-pas d’un artiste, mais d’un artisan.
Ceux qui fabriquaient les masques étaient ceux-là mêmes qui faisaient les
selles de chevaux ou qui réparaient les chaussures. Que fait l’artisan ? Il
répète un signe 9 qu’il a incorporé inconsciemment 10 , à travers sa
communauté, qui le lui transmet 11 . Si on prend des communautés
fermées – puisqu’il s’agissait alors de petites communautés12 -, l’on peut
comprendre comment celles-ci, qui vivent sur elles-mêmes, ont la
capacité de construire leur propre personnage. Ce personnage est
construit instinctivement par la communauté, sans mode d’emploi. En effet,
à partir du moment où le « sculpteur du peuple » répète un geste et
sculpte un visage sur un morceau de bois, il lui donnera une forme qui
sera la synthèse des visages qu’il voit tous les jours, c’est-à-dire la
synthèse des visages des personnes qu’il rencontre dans sa vie
quotidienne. Ça ne sera pas la synthèse d’un visage imaginaire ; le masque
sera plutôt, en quelque sorte, comme le résumé de tous ces visages qu’il a
connu. Les masques de Commedia dell’Arte sont nés ainsi, comme des
signes qui représentent un groupe, qui représentent une société. Ils
conservent et sauvegardent donc quelque chose du masque primitif : eux
_________________________________
9 En l’occurrence, un signe « visuel » : des visages synthétisés, incarnés par le masque
10 Puisqu’il en fait lui-même partie
11 Tout aussi indirectement
12 Une ville, un village, une classe sociale

13
aussi sortent et naissent d’une communauté. C’est un groupe qui les a
construits. C’est une communauté qui se reconnaît en un personnage.

Ainsi quand, aux alentours de la moitié du XVIème siècle, le


théâtre de rue commence à se développer en Italie, les masques n’ont pas
seulement un caractère-propre qui rappelle tel ou tel ville ou village, mais
ils vont même jusqu’à incarner l’esprit d’une ville. L’Italie est divisée en
une grande quantité de communes et de petites cités, qui ont chacune
leurs propres langue et culture locales (on comprend ainsi pourquoi, dans
une période de forte identité locale, le masque assumait les attitudes de
tout le peuple d’un village). Au-delà du caractère-propre du personnage,
le personnage incarne une réalité entièrement liée à sa ville d’origine.
Pantalone, par exemple, masque de la ville de Venise, représente la réalité
d’un Vénitien moyen, commerçant riche, avare, vicieux. Le visage aussi
assume des caractères somatiques qui sont typique de cette région. Le
personnage napolitain également est un type particulier : son masque est
Pulcinella, avec un nez crochu typique, une marche molle, une faim
perpétuelle, des amours qui se confondent avec le crime.13

Chacun de ces personnages donc – et il y en a beaucoup,


comme le démontre la liste citée par Maurice Sand14 – représente l’esprit
d’une ville. Ils apparaissent surtout dans les jours de carnaval, en se
rencontrant dans les rues, où ils racontent des facéties et proposent des
jeux circassiens. Ainsi, avec le temps, le masque se travaille « en vivant » -
la vie de ces masques étant une vie liée au théâtre -, c’est-à-dire en

_________________________________
13 Il ne faut pas voir dans cette affirmation une volonté raciste de réduire chacune de ces cultures à une seule et
unique essence : la Commedia dell’Arte se contente de s’amuser avec des réalités localisées qui ont pu exister, de
manière plus au moins forte, en les amenant sur le terrain du jeu, sans jugement de valeur (si l’on doit d’ailleurs
parler en termes « moraux » - langage qui n’appartient pas à la Commedia dell’Arte -, tous ces personnages ont
autant de « vices » que de « vertus », sans distinction entre eux). Ce sont intrinsèquement des personnages de fiction :
bien que nés ou inspirés d’une réalité, ils sont par définition imaginaires. Ils s’assument et vivent en tant que
tels.
14 Maurice Sand, Masques et bouffons, Paris, Michel Levy frères, 1860, 2 volumes.

14
expérimentant des rapports à des publics différents. Et au fur et à
mesure de ces rencontres, le masque se formalise, et assume des
comportements précis qui sont ceux qu’on lui connaît, et qui sont
reconnaissables. De telle manière qu’on puisse dire : « voilà, le Pulcinella
bouge ainsi, l’Arlequin bouge comme ça, et le Pantalon de cette manière,
ou il a tel caractère, telle attitude, tel comportement. » On attend par
conséquent certaines choses d’eux, et tout cela est le patrimoine, la
résultante de rencontres répétées.

Ces personnages sont à la fois contorsionnistes, équilibristes,


danseurs, parleurs : avec la parole, ils réussissent à devenir, comme disait
Ciccio Busacca 15 , « comme une épée, pour transpercer le ventre des patrons et le
faire exploser ».

Le théâtre qui autrefois était lié au sacré, s’exprime désormais


dans le profane et dans le jeu comique des parties. Les rues d’Italie donc
se remplissent d’acteur itinérants qui portent le témoignage de leur ville
d’origine. Chaque chef-lieu alimente et enrichit la présence de ces
compagnies qui défendent leur identité locale. Certains de ces acteurs
deviennent particulièrement experts et connus dans toute l’Italie et même
en dehors d’Italie. Quand Pulcinella venait, on disait : « Pulcinella est
arrivé ! tu es revenu ! ». À tel point qu’en 1600 il y avait des Arlequins
réputés, des Pulcinella réputés, qui se rencontraient par hasard ; ils
improvisaient ensemble des comédies, face auxquelles les gens étaient
hilares. Ce sont des Commedianti dell’Arte, des comédiens « de l’art », ce qui
signifie des comédiens de métier – les arts étant les métiers, ils pratiquaient
donc la comédie comme métier. La plupart des autres comédiens étaient
des comédiens amateurs : ils faisaient partie de la cour des princes du roi

_________________________________
15 Cantastorie sicilien (1925-1989)

15
mais ils n’en faisaient pas leur métier à proprement parler.

En tournant dans les différentes villes d’Italie et en rencontrant


leurs confrères, ils enrichissent leur propre répertoire farcesque qui se
diffuse ainsi de pays en pays. À des canevas s’ajoutent d’autres canevas,
et les lazzi16 qui sont propres à chaque comédien permettent à l’acteur
d’improviser facilement, en suivant des parcours toujours nouveaux.

Ces compagnies donc se rependirent dans toute la péninsule,


sur des tréteaux improvisés avec quatre poutres et quatre tissus, entourés
de spectateurs de toutes les classes sociales. Les comédiens étaient
maîtres en acrobatie, contorsion, grimace, coups de bâton et chutes
spectaculaires ; l’intrigue n’étaient pas dépourvue de logique ; elle était
fertile en situations amusantes, en courses et en poursuites. Par la suite,
le perfectionnement de la mécanique théâtrale permis des merveilles
scénographiques autrefois impensables ; la Commedia dell’Arte, à son
apogée – entre la fin du XVIème siècle et la fin du XVIIème siècle –, était
un ensemble spectaculaire varié et complet ; un théâtre qui nécessitait en
somme une grande vivacité, ingéniosité, disposition. Le texte des
canevas, ou scenari, c’est-à-dire la trame des actions de la Commedia, était
très pauvre mais tout était rendu particulièrement vivant et riche par
l’interprétation. Tel était le secret de cette manifestation originale du
théâtre italien.

_________________________________
16 Voir note 3

16
Masque et subversion

Avant son utilisation théâtrale, le masque existait aussi en tant


qu’élément essentiel des mystères bouffes du carnaval. Les mystères sacrés
étaient ceux de l’église, où l’on recréait la mort du Christ. Les mystères
bouffes, en revanche, étaient ceux du peuple où, pour un ou trois jours
par an, selon le lieu, des gens du peuple prenaient le rôle de personnages du
pouvoir – par exemple le rôle de l’évêque, du grand prélat, du doge – et
se permettaient de faire tout et n’importe quoi. Certains habitants,
apeurés, fermaient les fenêtres et se réfugiaient chez eux ! Ces jeux
carnavalesques se transformèrent petit à petit en jeux théâtraux.

Dans ces jeux de jongleurs s’introduit bientôt le jeu du masque,


parce que le masque, et surtout le demi-masque, permet de parler « sous
couvert », c’est-à-dire parler sans risquer d’être accusé : puisque tout est
fiction avec le masque. En effet, la police s’en allait à la recherche de
ceux qui avait fomenté toute cette agitation ; mais le masque permet de
ne pas être reconnu, et d’explorer donc des formes « désacralisantes » et
blasphématoires en toute liberté. La Commedia dell’Arte est un genre
théâtral qui conserve aujourd’hui encore ce caractère : elle se permet de faire
ce que le reste ne nous permet pas de faire.

Le théâtre de la Commedia dell’Arte se développe donc comme


forme d’expression du peuple contre les abus de pouvoir. La Commedia
est un art populaire d’une force subversive et révolutionnaire rare. C’est
la raison pour laquelle les persécutions menées par l’Église, et en
particulier par l’Inquisition italienne, furent très fortes à l’encontre des
Comédiens de l’Art et les contraindront à abandonner l’Italie et à se réfugier
en l’hospitalière France. Ce voyage, bien que forcé, enrichira

17
ultérieurement le répertoire de ces comédiens17.

Avec l’Inquisition donc, les Commedianti se déplacèrent en


France, espérant y trouver une plus grande liberté. Ils se réunissaient
notamment Place Saint-Germain-des-Prés, à Paris, où il y avait un
marché. Ils y montaient leur théâtre en bois. La Commedia dell’Arte, en
tant que théâtre de rue, a toujours été très liée aux places, au public. Il
faut bien comprendre que ces comédiens avaient affaire à un public
difficile, puisque les places étaient extrêmement bruyantes : à Paris, au
XIXème siècle encore, on comptait plus de vingt-mille vendeurs
ambulants. Il y avait les vendeurs d’eau, les vendeurs de chapeaux… et
les vendeurs de spectacles. Partant il fallait être démesuré pour pouvoir
attirer l’attention du public : le Commediante devait en faire beaucoup pour
pouvoir être vu. Le travail avec le masque permettait d’atteindre ces
extrêmes : extrêmes vocaux, extrêmes corporels… et une vulgarité
extrême.

Louis XIV cependant, le Roi Soleil, s’en agace un jour et décide


que les Commedianti ne doivent plus pouvoir s’exhiber. Le monarque
impose une forme unique de théâtre : la Comédie française. Cette
dernière acquiert alors le monopole de tous les spectacles, et il ne peut
désormais plus y avoir aucune autre forme théâtrale que celle de la
Comédie française. Il en fut ainsi jusqu’à la Révolution française : c’était
l’unique théâtre autorisé à Paris.

Alors, puisque le Roi interdit tous les théâtres spontanés, toutes


les paroles propres à la Commedia et tous les théâtres populaires parlés, les
Commedianti dell’Arte continuent à faire ce qu’ils ont toujours fait… mais
_________________________________
17Dès la seconde moitié du XVIème siècle, la Reine de France Catherine de Médicis invita les Comédiens de l’Art,
dont elle raffolait des spectacles, à Paris. Plus tard, Henri III et Marie de Médicis en firent de même.

18
en silence : ils développent le théâtre muet et la pantomime. Alors le Roi
commence à détruire tous les théâtres de rue mais, plus d’une fois,
durant la nuit, le peuple les reconstruit, tant il tient aux spectacles ruraux
des Commedianti. Puisqu’il n’y avait ni foot, ni télévision, il fallait bien que
quelque chose les divertît !

Ainsi, bien qu’il fût difficile pour les Commedianti d’être écoutés,
ils eurent avec Arlequin et compagnie un grand succès, en France plus
qu’en Italie.

19

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