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PRATIQUES CULTURELLES ET PROCESSUS DE COMMUNICATION.

QUELS SAVOIRS SCIENTIFIQUES ?

Jean Caune

C.N.R.S. Editions | « Hermès, La Revue »

2015/1 n° 71 | pages 272 à 280


ISSN 0767-9513
ISBN 9782271086051
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Jean Caune
Université Stendhal – Grenoble

Pratiques culturelles et processus de communication.


Quels savoirs scientifiques ?
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Pour qui veut réfléchir sur le rôle et les effets des dis- d’une recherche », qui présente la nouvelle édition de
positifs de communication (éléments matériels et idéolo- L’Invention du quotidien. Pour Certeau, « les données
giques) dans les processus de cohésion et de développement chiffrées n’ont d’autre validité et pertinence que celles
social, il importe d’identifier les éléments de description et de leur recueil. […] Historien, il était armé pour résister
d’analyse des phénomènes, aussi bien dans leurs modes aux illusions de la scientificité par le nombre, les tableaux,
de production, de diffusion et de réception que dans leur les pourcentages. Analyste de la culture, il n’avait aucune
dimension symbolique. Cette approche doit impérati- raison d’accepter ici ce qu’il avait refusé là. » (Ibid.)
vement situer, dans leurs contextes politique, social et La première question que je souhaite aborder, en la
culturel, les deux types de mutation profonde qui se sont situant dans une histoire courte, celle des quarante der-
manifestés au cours de la seconde partie du xxe siècle dans nières années, est relative au couple information/communi-
les pratiques, les usages et les savoirs. Le premier concerne cation dans son rapport aux phénomènes symboliques. Les
les transformations des techniques, des attentes sociopo- tendances qui étaient déjà largement perceptibles depuis les
litiques et des temps des phénomènes de communication. années 1980 – convergence entre informatique, audiovisuel
Le second est relatif à l’évolution des connaissances et des et télécommunication ; industrialisation et mondialisation
disciplines qui prennent comme objet les phénomènes de des industries des contenus ; utilisation des manifestations
communication. Ce champ implique aujourd’hui de poser culturelles dans des stratégies de communication insti-
la question des critères de scientificité pertinents pour les tutionnelle – ont amplifié les recoupements entre phéno-
phénomènes sociaux qui mobilisent désirs, attentes, ima- mènes de communication et phénomènes culturels.
ginaires et formes symboliques. La seconde question envisage un dépassement de la
Pour préciser mon point de vue, je souhaite m’ins- coupure culture/science. En effet, sciences de la nature et
pirer de l’approche de Michel de Certeau, telle que la res- sciences humaines et sociales sont de plus en plus sollici-
titue Luce Giard (1990) dans son très beau texte, « Histoire tées pour orienter la décision publique. La détermination

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Pratiques culturelles et processus de communication. Quels savoirs scientifiques ?

de leurs spécificités et de leurs relations est une exigence. réducteur de la transmission d’une information selon le
Leur articulation à propos des phénomènes de communi- modèle ternaire de l’émetteur, du message et du récepteur.
cation est un impératif tant ces phénomènes relèvent de la Ce paradigme issu de la théorie mathématique de l’infor-
technique, de l’économie, de la sociologie, de la pyschoso- mation et des conceptions comportementalistes fondées
ciologie, etc. sur le processus du stimulus-réponse est évidemment bien
trop schématique pour décrire et comprendre les phéno-
mènes de communication. En réalité, il faut considérer
la communication comme un phénomène premier qui
Culture et communication : fait accéder à l’existence la connaissance et la transmis-
les deux faces d’une même sion d’une expérience, qui sans elle retournerait à l’oubli
configuration (Caune, 2006a).
Les discours institutionnels conçoivent, trop sou-
Dans la dernière moitié du xxe  siècle, les faits de vent, la communication comme un outil dans un monde
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culture et les faits de communication, concrétisés à tra- de choses d’où semblent avoir disparu les liens d’appar-
vers des comportements, des relations interpersonnelles, tenance. L’individu est alors essentiellement convoqué
des produits et des institutions sont devenus des éléments comme agent ou récepteur d’une action rationnelle définie
spécifiques du développement économique. Aujourd’hui, par la réalisation d’un but. Certes, l’homme « sans qua-
dans une société livrée à des exigences d’immédiateté et lité », l’homme ordinaire, est pris en considération, mais
d’efficacité, les techniques de communication visent à il l’est surtout comme sujet de désir, cible de procédures
mobiliser des comportements de l’ordre du réflexe social et de dispositifs qui transmettent des messages destinés à
conditionné. Pourtant, de nombreuses pratiques cultu- être assimilés dans l’immédiateté et dans une prétendue
relles échappent à cette détermination, et de nouvelles transparence. Et c’est là que réside une profonde ambi-
médiations sont venues construire des liens entre le sujet guïté : alors que phénomènes de culture et de communi-
de parole et la société. cation se superposent de plus en plus, une bonne partie de
Contrairement à Régis Debray, je n’établis pas de la communication institutionnelle néglige le contexte de
distinction d’essence entre transmission et communica- réception et l’horizon d’attente de ceux à qui elle s’adresse.
tion : la première est, à ses yeux, transport dans le temps ; Autrement dit, la communication se présente comme un
la seconde, transport dans l’espace (Debray, 1997). Debray pur objet, un transfert d’information, indifférente au
(1994) dénie « aux catégories reçues de la communication » temps et à l’espace d’appropriation des usagers. Ainsi ces
la possibilité de penser les phénomènes de transmission processus de la communication sociale occultent généra-
dans leurs rapports au support matériel, le médium. Il lement ce qui construit le lien social : l’appartenance à une
ne voit, dans les travaux inscrits sous la rubrique sociale communauté de culture qui n’est pas seulement constituée
« information et communication », qu’une mise en œuvre de signes transmis et partagés mais aussi d’actes de paroles.
de la notion « d’acte de communication, entendue comme Aucune institution politique, administrative, édu-
relation duelle et ponctuelle entre un pôle émetteur et cative, aucune activité collective ne peut se soustraire
un pôle récepteur, avec seulement un code commun aux aux techniques de communication (mise en relation,
extrémités de la ligne… » (Ibid.). Il se contente d’envi- faire savoir, relations publiques) et aux processus de
sager le concept de communication à partir du paradigme construction de son identité culturelle. Ce phénomène, en

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e­ xpansion, qui se manifeste par des dispositifs diversifiés, sont propres à une société, les rapports de communication
n’est pas le simple résultat du développement des tech- impliquent les individus, par le biais des relations interper-
niques numériques de la communication, il est aussi le fait sonnelles et par les phénomènes de réception des moyens
d’une nécessité de légitimation de plus en plus forte des de communication.
institutions auprès de publics de plus en plus segmentés et D’autre part, faits de culture et modes de commu-
de plus en plus indifférents ou critiques. Les transforma- nication jouent un rôle dans la construction de la réalité
tions qui affectent l’ensemble des médiations entre, d’une sociale et du monde vécu. La convergence des technologies
part, les institutions politiques, sociales et culturelles et, d’information et de communication n’est pas sans effet sur
d’autre part les citoyens, ne sont pas étrangères à cette les processus de production et de diffusion du savoir, sur
prolifération des communications institutionnelles. Dans les modes de pensée, sur les loisirs et plus généralement sur
le même temps, ces mêmes institutions sont contraintes, les comportements et les identités culturelles.
pour les mêmes raisons, de rendre cohérentes leurs iden- La culture comme la communication ne peuvent
tités et les images qu’elles cherchent à diffuser. Et c’est à négliger le contexte de réception ni ignorer l’horizon d’at-
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travers le processus de construction d’une culture singu- tente de ceux à qui elles s’adressent1. L’horizon d’attente,
lière que cette cohérence peut se manifester. comme notion, implique la prise en compte de l’expérience
Culture et communication forment un étrange couple. temporelle du vécu de la personne. Il est « transsubjectif » :
L’une ne va ni ne s’explique sans l’autre. Aucune figure de commun à l’auteur et au récepteur. Dessiné par l’opposi-
la dualité, complémentarité, opposition ou différence, ne tion entre fiction et réalité, monde imaginaire et réalité
satisfait le rapport d’inclusion réciproque qui fait qu’un phé- quotidienne, l’horizon d’attente est le lieu où se rejoignent
nomène de culture fonctionne aussi comme processus de tradition et transmission. Deux conceptions alternatives
communication ; qu’un mode de communication soit aussi de la communication sont particulièrement vivantes dans
manifestation de la culture. la culture américaine au xixe siècle, toutes deux dérivant
d’une origine religieuse : un point de vue de la transmis-
sion et un point de vue « rituel » (Carey, 1989).
Le premier point de vue conçoit la communication
L’approche culturelle comme le processus de transmission et de distribution de
de la communication messages en vue du contrôle de l’espace et de son peuple-
ment. Cette vision a, certes, des motivations politiques
Le rapprochement entre les notions de culture et et marchandes, mais pour ce qui est de la culture amé-
de communication n’est pas de l’ordre des circonstances ricaine, le premier motif de cette conquête de l’espace est
historiques ou techniques, même si l’industrialisation de porté par les puritains de la Nouvelle-Angleterre, désireux
la culture et le développement des communications de d’échapper au Vieux Monde pour créer une nouvelle vie
masse ont contribué à déplacer les frontières, à échanger et fonder une Nouvelle Jérusalem. Avant de devenir, sous
les acteurs, à confondre les fonctions. Les faits de culture les effets de la technique et de la sécularisation, un phé-
comme les modes de communication posent la question nomène de transmission technique, cette idée de « trans-
des rapports entre individu et société. Si la culture est un port », en particulier, lorsqu’elle conduit les communautés
fait de société, il n’y a de culture que manifestée, transmise chrétiennes venues d’Europe au contact de communautés
et vécue par l’individu. Si les supports de communication païennes a de profondes implications religieuses.

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Le deuxième point de vue signalé par Carey comme priétés de la matière, dont la connaissance a été acquise
« rituel » – et que nous pourrions qualifier de « culturel » – au cours de la seconde moitié du xxe siècle, a donné lieu à
vise à organiser le processus de partage de la croyance dans un « effet d’interaction entre connaissance scientifique et
le temps, et non dans l’espace. Il envisage la communi- évolution technique qui est sans doute le plus important de
cation comme la construction et le maintien d’un ordre ceux qui sont intervenus dans l’époque contemporaine »
signifiant sur le plan culturel. Cette approche privilégie (Lebeau, 2005). Sur le plan de la culture, les techniques
les processus symboliques qui projettent les idéaux de la d’information et de communication (TIC) ont également
communauté et les incorpore sous des formes matérielles joué un rôle considérable et bien connu dans la transfor-
et artificielles : danse, théâtre, cérémonies, récits, etc. mation des pratiques, qu’elles soient de production ou de
Carey remarque que ce deuxième point de vue de la réception. Elles ont contribué à construire l’espace public,
communication est loin d’être dominant dans l’étude des à orienter les rapports sociaux, à participer à l’élaboration
médias. Ce point aveugle résulterait de la fragilité et de des contenus de pensée et à la production des formes sym-
l’évanescence de la notion de culture dans la pensée amé- boliques qui permettent l’identification de l’individu à des
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ricaine. Lorsqu’elle se tourne vers elle-même, la pensée valeurs collectives.
américaine dissout la notion de culture dans une catégorie Sur un autre plan, la culture scientifique et technique
résiduelle, utilisable uniquement lorsque les données psy- (CST), dans sa genèse dans les années 1960, a recouvert des
chologiques et sociologiques sont exploitées. L’explication discours d’accompagnement du changement socio-éco-
donnée par Carey n’est pas sans intérêt. Entre autre, le nomique. Elle doit aujourd’hui s’appréhender à travers les
désintérêt vis-à-vis de l’idée de culture, dans la concep- différentes thématiques qui se sont succédé, ces cinquante
tion dominante de la communication, serait le fait d’un dernières années, autour :
individualisme obsessionnel qui donne à la vie psycho- –– de l’adaptation au changement socio-économique, dans
logique une dimension primordiale  et d’une séparation les années 1960 ;
entre science et culture : la science produisant la vérité, –– de l’innovation et de la créativité, dans les années 1970 ;
alors que la culture relèverait de l’erreur ethnocentrique. –– de la performance et de l’efficacité, dans les années 1980 ;
–– de la globalisation et de la réponse à la crise, dans les
années 1990 ;
–– de la crise de confiance dans les applications de la
Quelle scientificité pour science, thématique 
synchrone, d’ailleurs, aux discours
les phénomènes culturels de la promesse sur les effets espérés, dans ce début du
et  communicationnels ? xxie siècle2.
Jean-Marc Lévy-Leblond (1996) relève trois para-
Les changements du mode de communication ont doxes des sciences de la nature dans ce qu’il appelle les
toujours joué un rôle essentiel dans le développement des « défisciences ». Le premier est le paradoxe social posé par
processus cognitifs, dans l’accroissement du savoir et des les savoirs technoscientifiques qui, après avoir acquis une
capacités qu’ont les hommes à le stocker, l’enrichir et le efficacité considérable, se montrent de moins en moins
diffuser. Dans son ouvrage L’Engrenage de la technique, opératoires pour aborder les problèmes socio-écono-
André Lebeau note que dans le domaine du stockage et miques de l’humanité. Le second, le paradoxe épistémo-
du traitement de l’information, l’exploitation des pro- logique, se manifeste par l’éclatement et la parcellisation

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des disciplines scientifiques, accompagnés d’une absence directement pour objets de connaissance les phénomènes
de synthèse et de refonte des frontières déterminées depuis culturels et communicationnels du point de vue des sup-
plusieurs décennies. Le troisième paradoxe est, lui, de ports, des acteurs, des effets sur les récepteurs, des mises
nature culturelle. Le constat est celui d’une science qui n’a en formes, etc.
jamais disposé d’autant de moyens de diffusion, alors que Je souhaite rappeler brièvement ce qu’ont pu apporter
la rationalité scientifique demeure sans prise sur les idéo- les sciences de l’information et de la communication (SIC)
logies qui la refusent ou la récupèrent. dans cette seconde perspective. J’utiliserai le terme géné-
Les processus de communication et les manifesta- rique de SIC au-delà de sa définition académique française.
tions culturelles ont acquis une dimension opératoire dans Pour le dire rapidement, il s’agit d’un ensemble de points
la vie politique et économique : ils ont été instrumentalisés de vue théoriques sur des objets multiples, saisis à travers
en modes d’intervention et de régulation sociales. Ainsi, des approches concrètes, sinon empiriques, à partir de
après la crise politique et sociale de 1968, la culture et la problématiques transversales et selon des méthodologies
communication apparaissent comme deux terrains privi- interdisciplinaires. Sans privilégier un paradigme, ce qui
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légiés pour promouvoir un changement social. Comment donne à ces points de vue une dimension communication-
établir les rapports structurels entre phénomènes cultu- nelle relève de l’accent porté : 1) sur la relation entre les élé-
rels et processus communicationnels ? La question est ments constitutifs de la totalité, au détriment de leur forme
d’ordre épistémologique : elle implique de rechercher une ou de leur substance ; 2) sur les conditions de l’énonciation
articulation qui croise concepts, objets de connaissance et dans la relation sujet-sujet, médiée par la technique ; 3) sur
disciplines. Les archipels dans lesquels se répartissent les les logiques d’acteurs, d’usages et de réception inscrites
objets de discours et les conditions d’énonciation, relatifs dans un champ social ; 4) sur la compréhension du mes-
aux pratiques culturelles et aux processus de communica- sage, de l’acte ou de l’événement, à partir d’un cadre de
tion, sont bien souvent cartographiés et étudiés à partir de référence, qu’il soit qualifié de milieu culturel, de forme
règles de formation voisines et imbriquées. symbolique ou encore de structure.
Les rapports entre les notions polysémiques de culture
et de communication se configurent dans le champ des SIC
Les lieux des discours savants autour de discours qui traitent des mêmes objets tels que :
les médias, les pratiques et les politiques culturelles, les
Il existe au moins deux grandes perspectives, deux objets artistiques, les politiques de communication, etc. Le
« formations discursives », au sens où Foucault l’entendait, domaine de la culture – extensif, ambigu et polémique –
où se croisent, se chevauchent, s’hybrident les discours doit être éclairé tant dans ses éléments constitutifs et leurs
savants sur la culture et la communication.3 Une pre- relations que dans ses formes et ses processus. Le bénéfice
mière perspective a été tracée par la pensée anthropolo- théorique attendu doit venir d’une compréhension du fait
gique et philosophique contemporaine qui s’interroge sur culturel comme « fait social total », au sens qu’en donnait
l’expérience vécue dans la relation du sujet de parole au Marcel Mauss à propos du don. En effet, le phénomène
monde social. Ces discours cherchent à identifier ce qui, culturel ne saurait être compris dans la juxtaposition,
dans le champ de la culture, prise au sens large, concerne d’une part, des conditions sociales qui le déterminent et,
les échanges symboliques. Une seconde perspective, plus d’autre part, des processus psychiques et symboliques qui
empirique, se dessine dans les discours qui prennent lui donnent une signification pour le groupe. La culture

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Pratiques culturelles et processus de communication. Quels savoirs scientifiques ?

n’existe comme fait total qu’en raison de sa manifestation Les thématiques


comme expression d’une expérience individuelle dans
laquelle se combinent psychisme et corporéité, signes et Les thématiques communes à la culture et à la com-
comportements, valeurs et normes. L’appréhension de la munication conjuguent aspirations et craintes, nostal-
culture comme un ordre social qui fait appel à l’attente plus gies et objectifs politiques. Elles se développent autour
qu’à la contrainte ; qui modèle l’univers de significations de la démocratisation et de la création, dans les années
que chacun peut se construire à la faveur de ses relations 1960 ; du développement culturel, dans les années 1970 ;
avec autrui et qui organise les pratiques interpersonnelles de la performance, l’image, l’individualisme, dans les
par la médiation de supports techniques doit éclairer « l’ins- années 1980 ; de l’intégration, du lien social et de la frac-
tant fugitif où la société prend » par les apports des SIC. ture sociale, dans les années 1990. Elles focalisent des
Pour suivre la proposition de Foucault concernant les attentes et confèrent une dimension opératoire aux TIC,
formations discursives, il peut être éclairant de passer en en actualisant les utopies de transparence et de globalisa-
revue les quatre éléments qui les caractérisent. tion énoncées par la cybernétique, dès la fin de la Seconde
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Guerre mondiale.

Les objets des discours


Les concepts
Les discours portent sur des objets qui peuvent se
décrire comme des comportements dans les territoires Les territoires de la culture et de la communication
urbains (culture « nomade », « techno » de banlieue, etc.), ont été éclairés par un grand nombre de concepts proposés
des signes qui fonctionnent comme des emblèmes de par les disciplines des sciences humaines et sociales. En
reconnaissance, des institutions qui produisent et trans- particulier, la linguistique structurale a fourni des couples
mettent des récits sur le monde ou encore des produits d’opposition conceptuelle qui peuvent s’appliquer à l’un
dont l’usage fait appel à l’imaginaire et au symbolique. ou l’autre de ces territoires (contenu/forme ; signifiant/
signifié ; code/performance). Aucun de ces couples n’est
réellement pertinent pour différencier culture et commu-
Les conditions d’énonciation nication (Caune, 2006a). La question qui se pose est de
savoir si la communication peut être examinée comme
Pour ce qui est des conditions d’énonciation des dis- un ensemble de savoirs multiples et spécialisés autour
cours, savants ou politiques, qui formulent les injonctions de concepts communs. En effet, il ne suffit pas de décla­
à construire une société de communication, elles s’ins- ­rer que la communication doit être envisagée comme
crivent dans un horizon d’attente qui marque autant les une pluri-, inter- ou trans-discipline : encore faut-il pro-
pratiques culturelles que communicationnelles. D’une poser un mode d’organisation et d’articulation entre ces
manière générale, les conditions d’existence sont liées à savoirs.
une société industrielle et urbaine qui découvrait à la fois
le pouvoir des médias de masse et les effets de la triple
crise sociale, économique et culturelle, apparue progressi-
vement avec le début des années 1970.

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Jean Caune

Noyau épistémique lation proposée par Claude Lévi-Strauss (1962), de struc-


et forme symbolique ture/événement. Pour ce qui est de la forme symbolique,
j’irais plutôt la rechercher dans les processus d’hybrida-
tion, de collage et de montage (Caune, 2006b). Pourtant,
Dans le colloque intitulé, Technologies et symboliques cette réserve est ici secondaire. Ce qui me paraît heuris-
de la communication (1990), Lucien Sfez, son organisateur, tique dans la proposition de Sfez, c’est la saisie de la pensée
posait la question : « Peut-on  tracer une configuration communicationnelle comme l’articulation d’une épistémè
d’une épistémè à partir du noyau-thème de la commu- et d’une forme symbolique. Cette perspective, qui reste à
nication et se demander s’il n’y a pas là une épistémè en construire, me semble féconde pour plusieurs raisons :
formation qui pourrait devenir le cadre de référence de La première est que cette association vaut également
générations de chercheurs ? » pour la culture, envisagée au sens anthropologique du
Sfez refusait toutefois d’envisager la communica- terme. La seconde est qu’elle permet de mettre en rap-
tion comme un simple ensemble de savoirs multiples et port, pour la communication comme pour la culture, une
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spécialisés autour de concepts communs formant une raison intelligible et une raison sensible (Caune, 1997).
configuration épistémologique. Il concevait la commu- Cette dernière étant d’ailleurs trop souvent ignorée dans
nication comme installée dans un continuum qui va du l’analyse de l’efficience des processus de communication.
noyau épistémique à la forme symbolique – cette dernière La troisième raison serait à chercher dans le fait que la
étant définie, au sens de Cassirer et de Panofsky, comme forme symbolique se réalise par le biais d’une médiation
un cadre de représentations qui organisent la vision et la technique de la relation sujet-objet ou sujet-sujet. Enfin,
pensée du monde. La notion de forme symbolique, ajoutée cette association permet de saisir les objets et les processus
à celle de configuration d’épistémè, s’applique également communicationnels à la fois dans leur détermination de
aux domaines d’activités humaines telles que « la percep- contenus et dans leurs structures formelles qui les ins-
tion (vue, ouïe, odorat, toucher), les positions du corps, les crivent dans leur milieu d’existence.
mœurs, les façons de table et de parole jusqu’au moindre La conception culturelle de la communication est
comportement social et politique » (Ibid.). Cette remarque d’autant mieux théorisée qu’elle peut s’appuyer sur une
est d’importance : elle implique la culture vécue dans le démarche herméneutique fondée par Wilhelm Dilthey et
même continuum. poursuivie par Hans G. Gadamer (1996) et Paul Ricœur
Je ne partage pas les propositions de Sfez concernant (1986). L’apport de Dilthey aux « sciences de l’esprit » est
le noyau épistémique de la communication, dont les clés fondamental, dans la mesure où, en réplique au positi-
seraient la prégnance de l’impératif technologique et celle visme, il cherche à les doter d’une méthodologie et d’une
des technologies de l’esprit ; pas plus que ne me paraît suf- épistémologie. Toute science de l’esprit – et Dilthey entend
fisante la détermination de sa forme symbolique dans la par là toutes les modalités de la connaissance de l’homme
notion de « tautisme », néologisme fondé sur la conden- impliquant un rapport historique et une insertion dans
sation de tautologie et d’autisme, qui conduit à identifier des relations sociales – suppose une compréhension de
la réalité représentée à la réalité exprimée. À mes yeux, l’esprit. Les sciences de l’esprit impliquent la capacité de se
le noyau épistémique de la communication serait plutôt transposer dans la vie psychique d’autrui. L’homme n’est
constitué par la pensée de la relation, de l’énonciation et de pas radicalement un étranger pour l’homme, parce qu’il
la dialectique code/message ou, pour reprendre la formu- donne des signes de sa propre existence. « Comprendre

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Pratiques culturelles et processus de communication. Quels savoirs scientifiques ?

ces signes, c’est comprendre l’homme. » (Ibid.) Cette pers- sans aucun doute, mettre en rapport cette idée de la com-
pective herméneutique est fondamentale pour l’analyse munication, comme expression première d’une relation qui
de la culture et de la communication. C’est en raison de fait exister le monde, avec la conception du langage déve-
la nature du psychisme caractérisé par l’intentionnalité, loppé par Walter Benjamin (2000), dans un de ses premiers
c’est-à-dire la propriété de viser un sens susceptible d’être textes sur le langage humain daté de 1916. Benjamin, dans
identifié, que les manifestations culturelles se transmettent une conception « théologique » du langage humain, consi-
et peuvent être analysées. dérait que toute manifestation de la vie de l’esprit humain
Ce détour par la dimension culturelle de la notion peut être conçue comme un langage. La vérité du langage
de communication, et par celle des manifestations expres- n’était pas à rechercher dans sa dimension instrumentale.
sives (orale, écrite, plastique, jouée, etc.) et intentionnelles « Tout langage se communique en lui-même, il est, au sens
de l’expérience vécue, nous conduit à mettre en évidence le plus pur du terme, le “médium” de la communication »
trois caractères du phénomène de communication dans (Ibid.). Benjamin distinguait l’aspect communicationnel
son rapport à la culture. du langage de son aspect symbolique ; par ce dernier, le
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En premier lieu, l’usage d’un moyen de communication langage est créateur de réalité. Le problème fondamental
n’a pas seulement pour effet de fournir des données infor- de la théorie du langage réside dans le fait que  l’homme
matives, il est le lieu de participation et d’action à un monde communique sa propre essence dans le langage. Et si, selon
vivant global, ordonné et mis en forme. Configuration de Benjamin, le pouvoir magique de nomination a été perdu
forces actives, la communication nous implique, souvent avec l’épisode de la Tour de Babel, il subsiste néanmoins
de manière indirecte, et conduit à assumer notre position- dans la fonction poétique du langage. Celle-ci, comme le
nement social. En second lieu, le processus de communi- rappelait Jakobson (1973), ne se manifeste pas seulement
cation est la base de toute construction de communauté. dans le genre littéraire qu’est la poésie, mais toutes les fois
John Dewey, un des fondateurs de la philosophie pragma- que la communication, quel que soit d’ailleurs le médium,
tique, faisait de l’expérience sensible le fondement de la « vise le message en tant que tel », c’est-à-dire que l’accent
construction de l’être et de sa participation à la culture. est mis sur le message pour lui-même.
Il voyait dans le processus de communication l’origine du
lien social, parce qu’elle est le biais par lequel les hommes L’hybridation de la culture par les technologies de la
mettent en commun leurs croyances, leurs aspirations communication, matérialisée dans des produits et leurs
leurs buts (Dewey, 1916). La considération de la dimension usages, intégrée dans les pratiques des institutions, a été
culturelle de la communication n’est rien d’autre que la considérée comme une des conditions du développe-
prise en compte du processus symbolique par lequel la réa- ment économique. Le recoupement entre les phénomènes
lité se construit, se maintient et se transforme. Ce processus culturels et les techniques de communication a contribué
permet la mise en commun de l’expérience sensible et intel- à donner ses caractéristiques au monde industriel occi-
ligible. Cette conception culturelle de la communication dental. L’industrialisation de la culture et le dévelop-
a été développée par les successeurs de Dewey de l’École pement des communications de masse ont contribué à
sociologique de Chicago : de Mead à Cooley en passant par déplacer les frontières, à échanger les acteurs, à confondre
Robert Park jusqu’à Erving Goffman. les fonctions. Ni le pragmatisme des choix techniques ni
La réalité du monde social n’est pas donnée indépen- l’instrumentalisation des savoirs et des œuvres de l’esprit
damment du langage et des formes symboliques. On peut, ne suffisent à expliquer l’émergence de l’industrialisation

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de la culture dans la perspective d’une diffusion mas- l’ordinateur, ne vaut guère mieux. La compréhension des
sive des produits, rejoignant ainsi le couple production et processus de communication et des phénomènes culturels
consommation de masse de notre société. L’explication par implique que soient pris en compte, dans une démarche
l’émergence d’une nouvelle culture, fondée sur l’image et convergente, raison intelligible et raison sensible.

N otes

1. L’horizon d’attente est une notion d’origine philosophique 3. Par « formation discursive », Michel Foucault envisageait le cas
proposée par Husserl et reprise par Jauss, 1990. d’énoncés dispersés dans lesquels il était possible de déceler une
certaine régularité entre des objets de discours, des conditions
2. J’ai tenté de traiter ces questions du rapport entre science, tech-
d’énonciation, des concepts et des choix thématiques (cf.
nique culture, en particulier en cherchant à inscrire la CST
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Foucault, 1969).
dans ces problématiques, dans Caune, 2013.

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