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Jean Caune
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de leurs spécificités et de leurs relations est une exigence. réducteur de la transmission d’une information selon le
Leur articulation à propos des phénomènes de communi- modèle ternaire de l’émetteur, du message et du récepteur.
cation est un impératif tant ces phénomènes relèvent de la Ce paradigme issu de la théorie mathématique de l’infor-
technique, de l’économie, de la sociologie, de la pyschoso- mation et des conceptions comportementalistes fondées
ciologie, etc. sur le processus du stimulus-réponse est évidemment bien
trop schématique pour décrire et comprendre les phéno-
mènes de communication. En réalité, il faut considérer
la communication comme un phénomène premier qui
Culture et communication : fait accéder à l’existence la connaissance et la transmis-
les deux faces d’une même sion d’une expérience, qui sans elle retournerait à l’oubli
configuration (Caune, 2006a).
Les discours institutionnels conçoivent, trop sou-
Dans la dernière moitié du xxe siècle, les faits de vent, la communication comme un outil dans un monde
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e xpansion, qui se manifeste par des dispositifs diversifiés, sont propres à une société, les rapports de communication
n’est pas le simple résultat du développement des tech- impliquent les individus, par le biais des relations interper-
niques numériques de la communication, il est aussi le fait sonnelles et par les phénomènes de réception des moyens
d’une nécessité de légitimation de plus en plus forte des de communication.
institutions auprès de publics de plus en plus segmentés et D’autre part, faits de culture et modes de commu-
de plus en plus indifférents ou critiques. Les transforma- nication jouent un rôle dans la construction de la réalité
tions qui affectent l’ensemble des médiations entre, d’une sociale et du monde vécu. La convergence des technologies
part, les institutions politiques, sociales et culturelles et, d’information et de communication n’est pas sans effet sur
d’autre part les citoyens, ne sont pas étrangères à cette les processus de production et de diffusion du savoir, sur
prolifération des communications institutionnelles. Dans les modes de pensée, sur les loisirs et plus généralement sur
le même temps, ces mêmes institutions sont contraintes, les comportements et les identités culturelles.
pour les mêmes raisons, de rendre cohérentes leurs iden- La culture comme la communication ne peuvent
tités et les images qu’elles cherchent à diffuser. Et c’est à négliger le contexte de réception ni ignorer l’horizon d’at-
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Le deuxième point de vue signalé par Carey comme priétés de la matière, dont la connaissance a été acquise
« rituel » – et que nous pourrions qualifier de « culturel » – au cours de la seconde moitié du xxe siècle, a donné lieu à
vise à organiser le processus de partage de la croyance dans un « effet d’interaction entre connaissance scientifique et
le temps, et non dans l’espace. Il envisage la communi- évolution technique qui est sans doute le plus important de
cation comme la construction et le maintien d’un ordre ceux qui sont intervenus dans l’époque contemporaine »
signifiant sur le plan culturel. Cette approche privilégie (Lebeau, 2005). Sur le plan de la culture, les techniques
les processus symboliques qui projettent les idéaux de la d’information et de communication (TIC) ont également
communauté et les incorpore sous des formes matérielles joué un rôle considérable et bien connu dans la transfor-
et artificielles : danse, théâtre, cérémonies, récits, etc. mation des pratiques, qu’elles soient de production ou de
Carey remarque que ce deuxième point de vue de la réception. Elles ont contribué à construire l’espace public,
communication est loin d’être dominant dans l’étude des à orienter les rapports sociaux, à participer à l’élaboration
médias. Ce point aveugle résulterait de la fragilité et de des contenus de pensée et à la production des formes sym-
l’évanescence de la notion de culture dans la pensée amé- boliques qui permettent l’identification de l’individu à des
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des disciplines scientifiques, accompagnés d’une absence directement pour objets de connaissance les phénomènes
de synthèse et de refonte des frontières déterminées depuis culturels et communicationnels du point de vue des sup-
plusieurs décennies. Le troisième paradoxe est, lui, de ports, des acteurs, des effets sur les récepteurs, des mises
nature culturelle. Le constat est celui d’une science qui n’a en formes, etc.
jamais disposé d’autant de moyens de diffusion, alors que Je souhaite rappeler brièvement ce qu’ont pu apporter
la rationalité scientifique demeure sans prise sur les idéo- les sciences de l’information et de la communication (SIC)
logies qui la refusent ou la récupèrent. dans cette seconde perspective. J’utiliserai le terme géné-
Les processus de communication et les manifesta- rique de SIC au-delà de sa définition académique française.
tions culturelles ont acquis une dimension opératoire dans Pour le dire rapidement, il s’agit d’un ensemble de points
la vie politique et économique : ils ont été instrumentalisés de vue théoriques sur des objets multiples, saisis à travers
en modes d’intervention et de régulation sociales. Ainsi, des approches concrètes, sinon empiriques, à partir de
après la crise politique et sociale de 1968, la culture et la problématiques transversales et selon des méthodologies
communication apparaissent comme deux terrains privi- interdisciplinaires. Sans privilégier un paradigme, ce qui
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ces signes, c’est comprendre l’homme. » (Ibid.) Cette pers- sans aucun doute, mettre en rapport cette idée de la com-
pective herméneutique est fondamentale pour l’analyse munication, comme expression première d’une relation qui
de la culture et de la communication. C’est en raison de fait exister le monde, avec la conception du langage déve-
la nature du psychisme caractérisé par l’intentionnalité, loppé par Walter Benjamin (2000), dans un de ses premiers
c’est-à-dire la propriété de viser un sens susceptible d’être textes sur le langage humain daté de 1916. Benjamin, dans
identifié, que les manifestations culturelles se transmettent une conception « théologique » du langage humain, consi-
et peuvent être analysées. dérait que toute manifestation de la vie de l’esprit humain
Ce détour par la dimension culturelle de la notion peut être conçue comme un langage. La vérité du langage
de communication, et par celle des manifestations expres- n’était pas à rechercher dans sa dimension instrumentale.
sives (orale, écrite, plastique, jouée, etc.) et intentionnelles « Tout langage se communique en lui-même, il est, au sens
de l’expérience vécue, nous conduit à mettre en évidence le plus pur du terme, le “médium” de la communication »
trois caractères du phénomène de communication dans (Ibid.). Benjamin distinguait l’aspect communicationnel
son rapport à la culture. du langage de son aspect symbolique ; par ce dernier, le
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de la culture dans la perspective d’une diffusion mas- l’ordinateur, ne vaut guère mieux. La compréhension des
sive des produits, rejoignant ainsi le couple production et processus de communication et des phénomènes culturels
consommation de masse de notre société. L’explication par implique que soient pris en compte, dans une démarche
l’émergence d’une nouvelle culture, fondée sur l’image et convergente, raison intelligible et raison sensible.
N otes
1. L’horizon d’attente est une notion d’origine philosophique 3. Par « formation discursive », Michel Foucault envisageait le cas
proposée par Husserl et reprise par Jauss, 1990. d’énoncés dispersés dans lesquels il était possible de déceler une
certaine régularité entre des objets de discours, des conditions
2. J’ai tenté de traiter ces questions du rapport entre science, tech-
d’énonciation, des concepts et des choix thématiques (cf.
nique culture, en particulier en cherchant à inscrire la CST
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