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Vous comprendrez ma perplexité, sinon mon inquiétude, devant m’adresser à priori à un public de
jeunes musiciens de haut niveau engagés corps et âme dans l’approfondissement de leurs techniques
d’interprète en vue probablement d’une carrière d’interprète et peut-être peu enclins à consacrer du
temps à un sujet qui pourrait ne pas appartenir à leurs préoccupations immédiates.
Bien entendu, certains parmi vous possèdent la fibre pédagogique et enseignent déjà, mais je dois
m’adresser à tous.
Commençons par interroger les notions d’identité, de vocation et de profession. Tout d’abord
quelques définitions courantes :
-Identité : caractère fondamental de quelqu’un découlant de ses choix personnels ; ce qui constitue
son être profond
La séquence non contrariée identité-vocation-métier constitue pour beaucoup d’entre nous la clé
d’une réalisation de soi-même, d’une forme de satisfaction, de bonheur
N’en concluons pas cependant trop vite que la première séquence témoigne d’une réussite de vie
alors que la seconde traduirait un échec.
Directeur de conservatoire, j’ai pu observer chez les professeurs des parcours professionnels très
divers, côtoyer des pédagogues dont l’identité profonde est d’être enseignant, des pédagogues par
vocation ; des pédagogues par nécessité. Ces derniers n’étaient pas nécessairement les moins
engagés et les moins compétents.
En effet, sinon pour avoir fait de nécessité vertu, beaucoup de musiciens arrivés à l’enseignement par
obligation ou opportunité ont donné au mot profession sa deuxième acception : celle de « profession
de foi », celle d’un engagement manifeste, celle d’une identité plus large, c’est-à-dire celle de
l’homme et du citoyen, de celui ou celle qui se préoccupe de l’autre, de son semblable, à travers un
idéal républicain.
Profession de foi ? Arrêtons-nous un instant sur ce mot. Avoir foi en quoi, en qui ?
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Etre musicien/interprète, soliste, chambriste ou musicien d’orchestre parmi ceux les plus exposés
nécessite d’avoir foi en soi, confiance en son talent mais aussi d’avoir foi en son public. Il faut pouvoir
compter sur l’auditeur. De quel public s’agit-il ? De celui qui s’auto-reproduit et dont on dit qu’il
vieillit progressivement et qu’il s’amenuise ? Du public à venir, celui qui n’existe pas encore, celui que
l’on va devoir éduquer, sensibiliser, séduire ?
Foi en la musique ? Mais laquelle ? A une époque où l’on nous appelle sans cesse à un
multiculturalisme relativiste -celui d’un monde à la fois globalisé et éclaté en communautés qui
forment autant d’écosystèmes culturels différents- n’est-ce pas une priorité de transmettre et
partager les patrimoines immatériels de l’humanité ? (Tout cours de musique engage toute la
musique).
Foi en l’élève ? Comme vous le savez, c’est là le cœur de la pédagogie, celle qui probablement vous a
permis d’être ici aujourd’hui.
Comme vous le voyez, il est rare que le musicien(ne) ne soit pas amené d’une manière ou une autre à
faire acte de pédagogue. Par ailleurs c’est devenu un truisme de dire que celui qui maîtrise le mieux
sa discipline est toujours celui qui est capable de l’enseigner et qu’une des manières les plus efficace
de toujours progresser consiste de l’aveu général à enseigner (On est toujours « l’élève de son
élève »).
Au-delà d’un certain niveau de compétences, il n’y a en quelque sorte pas de différence entre
apprendre et enseigner. (Par ailleurs il faut être très savant dans son art pour être capable de
simplifier, dégager l’élémentaire, l’essentiel, faire accéder au plus simple, inventer)
Il est bon me semble-t-il de ne pas se laisser entraîner à la suite des choses, même si une carrière,
une vie professionnelle, demeure en partie soumise à certaines contingences. Ne pas se laisser
entraîner c’est avoir des convictions, un idéal mais aussi exercer son esprit critique, sa capacité de
jugement.
C’est là le fond de mon propos. Avant d’être musiciens, ne sommes-nous pas d’abord citoyens ?
Le cœur de l’idéal républicain, c’est de lutter contre les inégalités de conditions et de chance. En ce
sens, la culture pour tous est une condition essentielle de la démocratie
(…)
Rendre accessible au plus grand nombre les études musicales, aider ceux qui sont le plus éloignés de
la culture, qui en ont le plus besoin ? Autant d’enjeux et de responsabilités nouvelles pour les
conservatoires et qui appellent des réponses nouvelles tant pédagogiques, didactiques,
qu’organisationnelles
Pour mieux saisir les enjeux de l’enseignement artistique il faudrait s’intéresser à un certain nombre
de paramètres ou notions et chercher à les approfondir. Parmi ces paramètres et notions :
Des éléments de contexte : droits culturels, Loi LCAP, interpellation des collectivités territoriales,
classement des conservatoires (certification, habilitation, agrément) nécessité d’une pédagogie dite
inclusive et innovante, besoin de créer des parcours de formation diversifiés (parcours d’études,
école du spectateur (découverte, exploration, réalisation, approfondissement), parcours projets
(offre modulaire) ; offres d’approfondissement (Ateliers, stages)
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Des principes et des valeurs
Des missions : enseignement spécialisé, formation des amateurs, transmission d’un patrimoine,
ouverture à la diversité culturelle
Une conception du conservatoire comme lieu de transmission des savoirs et des héritages mais aussi
de préservation de la capacité d’innover :
Une vision axée sur la valeur artistique de création (Culture comme invention et non comme
coutume
Une vision axée sur les droits culturels (Accessibilité/égalité. Penser la diversité culturelle non comme
une diversité de cultures étrangères les unes aux autres mais comme une diversité à l’intérieur de la
culture)
Une vision axée sur les valeurs cognitives (Instruction, développement du sens critique, capacité de
jugement). Raisonner uniquement en termes de société pour fixer des priorités ce serait installer
une inégalité épistémologique : des pans entiers de la culture et du savoir seraient condamnés sous
prétexte d’inutilité ou de non priorité)
Une vision axée sur les valeurs de convivialité et de sociabilité (Médiation, approche systémique,
réseaux, action culturelle)
Une vision axée sur la réalité et les évolutions des métiers et des pratiques artistiques
(Pluridisciplinarité ; adaptation à des publics divers)
L’art nous oriente dans l’existence et nous permet d’accéder à notre propre humanité ; la pratique
artistique apprend à prendre plaisir à ce que l’on fait dans un désir de perfectionnement ; la culture
et la créativité apportent des éléments moteurs de développement personnel et de cohésion
sociale.
Une conception considère le citoyen dans sa capacité à s’insérer dans société, l’autre conception
considère le citoyen dans sa singularité.
Viser l’excellence : non en vue d’écraser ceux qui ne pourraient suivre les meilleurs et dont il faut
préserver toutes les chances, mais en vue de maintenir une référence.
La passion de l’éducation, l’envie de transmettre le goût fragile de la beauté, celui de l’élitisme pour
tous, de la découverte, le sentiment de participer à une grande aventure, tout cela existe au sein de
l’enseignement spécialisé de la musique. Enfin, si la qualité des professeurs dépend de chacun d’eux
en particulier, au-delà des formations suivies, elle dépend aussi du climat général, de la
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considération, de la confiance dans la volonté d’enseigner dont témoigne un directeur de
conservatoire non seulement envers les professeurs actuels mais aussi envers les professeurs de
demain dont certains parmi vous feront partie. C’est cette confiance, cette considération qui peut
justifier ma présence aujourd’hui.
En guise d’exorde :