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Pour un enseignement de l’oral


dans la collection Didactique du français
La première édition de cet ouvrage a été publiée

dirigée par Yves Reuter.

Composition : Myriam Dutheil

© ESF éditeur
SAS Cognitia
20, rue d’Athènes
75009 Paris
6e édition 2016

www.esf-scienceshumaines.fr

ISBN 978-2-7101-3166-3

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l'article L.122-5, 2° et


3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé
du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses
et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation ou
reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou ses ayants
droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction,
par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les
articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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Joaquim Dolz et Bernard Schneuwly

Pour un enseignement
de l’oral
Initiation aux genres formels à l’école

avec la collaboration de Jean-François de Pietro, Janine Dufour,


Serge Erard, Sylvie Haller, Massia Kaneman,Christiane Moro,
Gabriella Zahnd
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Pédagogies
Collection dirigée par Philippe Meirieu

L a collection PÉDAGOGIES propose aux enseignants, formateurs, animateurs,


éducateurs et parents, des œuvres de référence associant étroitement la réfle-
xion théorique et le souci de l’instrumentation pratique.
Hommes et femmes de recherche et de terrain, les auteurs de ces livres ont, en
effet, la conviction que toute technique pédagogique ou didactique doit être
référée à un projet d’éducation. Pour eux, l’efficacité dans les apprentissages et
l’accession aux savoirs sont profondément liées à l’ensemble de la démarche éduca-
tive, et toute éducation passe par l’appropriation d’objets culturels pour laquelle
il convient d’inventer sans cesse de nouvelles médiations.
Les ouvrages de cette collection, outils d’intelligibilité de la « chose éducative »,
donnent aux acteurs de l’éducation les moyens de comprendre les situations
auxquelles ils se trouvent confrontés, et d’agir sur elles dans la claire conscience
des enjeux. Ils contribuent ainsi à introduire davantage de cohérence dans
un domaine où coexistent trop souvent la géné rosité dans les intentions et
l’improvisation dans les pratiques. Ils associent enfin la force de l’argumentation
et le plaisir de la lecture.
Car c’est sans doute par l’alliance, sans cesse à renouveler, de l’outil et du sens
que l’entreprise éducative devient vraiment créatrice d’humanité.

Pédagogies/Outils : des instruments de travail au quotidien pour les ensei-


gnants, formateurs, étudiants, chercheurs. L’état des connaissances facile-
ment accessible. Des grilles méthodologiques directement utilisables dans les
pratiques.

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* *
Voir la liste des titres disponibles dans la collection « Pédagogies »
en fin d’ouvrage et sur le site www.esf-scienceshumaines.fr

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Table des matières

Avertissement.............................................................................................. 10
Introduction : Une démarche d’enseignement de l’oral ........................... 11
Au début était le parler ........................................................................ 11
Le tournant communicatif des années soixante/soixante-dix................ 14
Une pratique peu consolidée, hésitante, tâtonnante .............................. 15
Une notion floue auprès des acteurs..................................................... 17
Ce qui rend l’enseignement de l’oral difficile ...................................... 19
Vers un modèle de l’enseignement de l’oral......................................... 20
Des approches multiples...................................................................... 22

Première partie
UN PARCOURS DIDACTIQUE
Chapitre 1 : Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public
(avec la collaboration de Jean-François de Pietro)........................................ 27
Quoi enseigner ?.................................................................................. 27
Quels aspects du débat d’opinion travailler en classe ? ........................ 29
Quelles sont les capacités argumentatives des élèves dans les débats ?.. 32
Construire un modèle didactique du débat régulé ................................ 34
Quel thème de débat choisir ?.............................................................. 36
Comment travailler les contenus ? ....................................................... 38
La gestion de l’enseignement .............................................................. 40
Des documents « authentiques » fabriqués........................................... 41
Des normes pour l’oral ........................................................................ 43
La place de l’enseignant et le sens des choses...................................... 45
Coda.................................................................................................... 46

Deuxième partie
BASES POUR UN ENSEIGNEMENT DE L’ORAL
Chapitre 2 : L’oral comme texte : construire un objet enseignable
(avec la collaboration de Sylvie Haller) ....................................................... 49
Oral : ce qui est dit de vive voix .......................................................... 51
Oral et écrit : deux formes de réalisation du langage en interaction...... 58
Les genres oraux – outils de communication.
Une voie pour structurer l’enseignement de l’oral................................ 63
Des modèles didactiques de genres...................................................... 69

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Chapitre 3 : Les capacités orales des apprenants...................................... 75


Les trois ordres de capacités langagières.............................................. 76
Observer les capacités et les difficultés des élèves ............................... 81
Éléments pour construire une progression
dans l’enseignement de l’oral .............................................................. 85

Chapitre 4 : La séquence didactique : une démarche


d’enseignement de l’oral .......................................................................... 91
Deux principes de base de la séquence didactique ............................... 91
Du complexe au simple... et au complexe ............................................ 93
La mise en situation, ou comment créer une situation de
communication et un objet d’apprentissage ......................................... 95
La production initiale : instrument de régulation et première
occasion d’apprentissage ..................................................................... 96
Les ateliers .......................................................................................... 99
La production finale : lieu d’intégration des savoirs construits et
des outils appropriés............................................................................112

Troisième partie
EXEMPLES DE SEQUENCES DIDACTIQUES

Chapitre 5 : L’interview radiophonique


(avec la collaboration de Christiane Moro) ..................................................117
Le modèle didactique de l’interview ...................................................118
Deux séquences didactiques sur l’interview.........................................123
Quelques exemples d’activités.............................................................127
Les productions des élèves ..................................................................133

Chapitre 6 : L’exposé oral


(avec la collaboration de Jean-François de Pietro et Gabrielle Zahnd)..........141
Le modèle didactique de l’exposé oral.................................................142
Deux séquences didactiques pour enseigner l’exposé oral ...................149
Les productions des élèves et leur évaluation.......................................157

Chapitre 7 : Le débat régulé


(avec la collaboration de Serge Erard)..........................................................163
Le modèle didactique du débat ............................................................166
Deux séquences didactiques sur le débat régulé...................................169
Exemples d’activités............................................................................173
Productions d’élèves et leur évaluation................................................179

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Chapitre 8 : La lecture à d’autres


(avec la collaboration de Janine Dufour et Sylvie Haller).............................187
Le modèle didactique de la lecture à d’autres ......................................188
Une séquence didactique sur la lecture à d’autres ................................190
Quelques exemples d’activités.............................................................192
Évaluation des performances des élèves ..............................................196
En guise de conclusion...............................................................................203
Bibliographie ..............................................................................................204

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AVERTISSEMENT

Nous rééditons ce livre parce qu’il donne des pistes pour l’enseignement de
l’oral, plus actuelles aujourd’hui que jamais. En effet, la démarche qui y est pro-

ments officiels qui se réfèrent dorénavant, comme le livre, aux genres de texte
posée et illustrée par des exemples est en très bonne adéquation avec les docu-

comme unité de travail. Le programme pour le cycle 3 en France concernant

« Les connaissances et compétences à acquérir concernent les genres


l’enseignement de l’oral dans la discipline « Français » prescrit, par exemple :

sociaux ou scolaires dont on peut décrire les caractéristiques (conte, débat,


interview, exposé, présentation orale, etc.) et qui doivent faire l'objet d'un
enseignement explicite et progressif. »1

Et le Plan d’étude romand de la Suisse francophone indique :


« Au cycle 2, l'apprentissage de la communication se poursuit par un travail
de production et de compréhension de l'écrit et de l'oral, portant sur des
textes de différents genres relevant des six regroupements retenus (texte qui
raconte, qui relate, qui argumente, qui transmet des savoirs, qui règle des
comportements, qui joue avec la langue). »2

Nous rééditons le livre tel quel, sans modifications, à part quelques corrections
mineures. L’ouvrage présente les principes d’une démarche d’enseignement et
des exemples de séquences qui ne dépendent pas directement de connaissances
scientifiques nouvelles. La littérature citée reste de ce point de vue valable.
Ce livre est une œuvre collective. Il est le résultat d’un travail d’équipe compre-
nant, outre les responsables de ce livre : Jean-François de Pietro, Janine Dufour,
Serge Erard, Sylvie Haller, Massia Kaneman, Christiane Moro, Gabriella
Zahnd. Les hypothèses de travail, le cadre théorique, les démarches d’interven-
tion, les analyses des productions des élèves ont été élaborés dans un processus
de collaboration très étroite. Certains des chapitres du livre ont été écrits avec la
participation de l’un ou l’autre des membres de l’équipe. Nous l’indiquons dans
la table des matières.
Nous remercions par ailleurs vivement Sylvie Haller et Carmen Perrenoud-Aebi
qui ont relu très attentivement le manuscrit.
Joaquim Dolz et Bernard Schneuwly, août 2016

1. eduscol.education.fr
2. plandetudes.ch

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Introduction

Une démarche d’enseignement de l’oral

E nseigner l’oral ? Personne ne doute aujourd’hui de cette nécessité et tous


les plans d’étude, les instructions officielles et les revues pédagogiques en
parlent. Et pourtant, « enseigner l’oral » n’a rien d’évident. D’un point de vue
historique, c’est un produit tardif de la culture scolaire ; en regard des pratiques
pédagogiques, le contenu de cet enseignement, très fluctuant, se situe entre des
démarches séculaires perpétuées sous des formes sans cesse réadaptées, et des
exigences plus récentes d’activités de libération rendues possibles notamment
par des moyens techniques nouveaux et faciles d’accès ; en ce qui concerne les
représentations sociales, l’oral est une notion floue, fortement dépendante des
traditions scripturales de l’école ; quant aux conceptions théoriques, c’est un
objet difficile à cerner et par conséquent ardu à scolariser. Il n’est donc pas sur-
prenant de constater que l’enseignement de l’oral peine à s’imposer comme
véritable discipline du français.

Au début était le parler…

Jusque dans les années soixante, on ne trouve guère le terme « oral » dans les
plans d’études et instructions officielles ou dans les manuels. On évoque plutôt
le parler des élèves, sur lequel il faut agir en fonction de deux finalités princi-
pales. La première consiste tout simplement à apprendre à parler français aux
élèves : l’apprendre à ceux qui parlent l’allemand ou d’autres langues, ainsi qu’à
ceux qui parlent le patois ; mais aussi l’apprendre aux francophones qu’il faut
amener à parler correctement, c’est-à-dire en respectant les normes du français
écrit. L’autre finalité consiste à amener les élèves à utiliser la parole pour
apprendre leurs leçons. Savoir une leçon signifie l’avoir apprise par cœur et le
« parler », c’est-à-dire la bonne récitation de la leçon, constitue le principal outil
d’évaluation des élèves. Les deux exercices phares du travail sur la parole sont,

11
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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

par conséquent, l’élocution et la récitation correspondant à l’elocutio et à la


memoria (et peut-être aussi à l’actio) de l’ancienne rhétorique. De quoi s’agit-il
au juste dans le système scolaire ?
L’élocution peut être définie comme l’art de parler correctement en construisant
des phrases correspondant à la norme française. Dans une analyse pénétrante de
cet exercice scolaire – l’une des rares d’ailleurs qui existe – Marchand (1971)
nous en montre précisément le contenu à partir d’une analyse des plans d’études
officiels, des manuels et des rapports d’inspecteurs.
« Apprendre à écrire, comme apprendre à parler, c’est apprendre à penser. »
Cette formule, issue des instructions officielles françaises de 1938, résume la
ligne générale adoptée concernant le parler des élèves, travail sans spécificité
qui est traité exactement comme celui sur l’écriture ; en fait, le parler est dominé
par les normes de l’écrit, il est considéré comme l’outil véritable pour apprendre
à penser puisque, à travers lui, la pensée devient un objet extérieur. Apprendre à
écrire et à parler ne signifie nullement apprendre à communiquer avec d’autres,
mais apprendre les formes correctes de la langue qui expriment une pensée
claire. C’est la pensée qui est visée à travers la langue, cette dernière, qu’elle
soit écrite ou parlée, n’étant que la transcription de la première. L’élocution est
par conséquent conçue comme un travail qui s’exerce, d’une part, sur le contenu
qu’il s’agit de systématiser et d’enrichir et, d’autre part, sur la forme de la
phrase qui doit être correcte, riche, avec une syntaxe complexe du point de vue
grammatical : autant de critères qui sont ceux-là même de l’écrit, indépendam-
ment de toute considération sur le contexte communicationnel. Autrement dit,
l’élocution, exercice secondaire par rapport à la rédaction ou la composition,
n’est qu’une démarche particulière pour travailler sur la langue envisagée uni-
quement comme moyen de représentation de la pensée. En même temps qu’est
fixé cet objectif général qui rend la langue parlée nécessairement secondaire,
tous les documents insistent pourtant sur le fait que les exercices d’élocution
doivent procurer de la joie aux enfants, leur donner la possibilité d’exprimer
leurs impressions, d’exercer leur imagination et de raconter leurs expériences.
Marchand n’hésite pas à parler de position contradictoire à vouloir « concilier
ce qui jusqu’alors n’a pu l’être : la liberté joyeuse et épanouissante et la
contrainte normative » (p. 59).
Dans la réalité de la classe, quelle forme concrète prennent ces préceptes institu-
tionnels ? Analysant les pratiques, Marchand distingue deux manières princi-
pales d’enseigner :
1. La leçon d’élocution part le plus souvent d’un texte donné, lu ou entendu, le
but de la leçon étant de comprendre le texte à travers une reformulation orale
aussi précise que possible ; le travail porte donc prioritairement sur les contenus
et leur formulation langagière et en second lieu sur la correction de la langue.
Prenons un exemple que Marchand a enregistré dans une classe d’élèves de 11-
12 ans lors d’une leçon d’élocution portant sur le compte rendu d’un spectacle
(en italique le discours des élèves) :

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

[…] Qu’est-ce qui encore donnait de la gaieté au spectacle ? Quand les


dames y rentraient. Ah, les dames. Bon, eh bien, ces dames, parlons-en.
C’étaient des grosses dames. Elles étaient simples, très grosses… habillées
en… Bon alors, leurs costumes justement, leurs costumes en général, com-
ment étaient-ils ? De toutes les couleurs. Très bien. De couleurs voyantes.
Voilà un élément de plus. Bon, ah, très bien, Catherine, un deuxième élé-
ment. Ça remuait, ça remuait, tu me dis. Qu’est-ce qui remuait ? Il y avait
beaucoup d’agitation.
2. Dans d’autres cas, plus rares, c’est le vécu des élèves qui est au centre.
L’enseignant peut par exemple les faire parler d’aventures qu’ils auraient
vécues. Un contenu de référence – un texte – n’étant pas disponible, le travail
d’enseignement porte essentiellement sur la forme qui sera reprise, corrigée,
améliorée, enrichie, comme dans l’exemple suivant :
J’allais dans une fusée dans le soleil. Qu’est-ce que vous pensez de cette
phrase-là « j’allais dans une fusée dans le soleil » ? Qui est-ce qui pourrait
me le dire d’une façon plus élégante ? J’allais dans le soleil en fusée. Dans le
soleil. J’aimerais mieux une autre proposition…
Dans les deux manières d’enseigner mises en évidence par Marchand, la pré-
pondérance du discours de l’enseignant est flagrante : il occupe à lui seul
60 % du temps de parole contre 40 % pour tous les élèves. À cela s’ajoute
l’absence de toute production longue de la part des élèves. Dans une très
large mesure, apprendre à parler consiste à apprendre à produire des phrases
correctes et bien faites, dans un format récurrent d’échange verbal : « inter-
rogation – réponse – évaluation », format qui est à la base de nombreux dia-
logues scolaires.
Quant à la récitation, si elle est d’abord, comme le dit le Dictionnaire de
pédagogie de 1883, « l’exercice spécial de la mémoire » (Buisson, 1883,
p. 2545), sa forme aussi est l’objet d’une attention particulière : « Tous les
enfants ne savent pas non plus réciter ; ils ânonnent, ils psalmodient, ils cou-
rent sur les mots pour avoir plus vite fini. Une récitation, c’est une lecture
sans livre. Si elle n’a pas toutes les qualités de débit que devrait avoir la lec-
ture, elle est insuffisante […] vous demanderez des leçons non seulement lit-
téralement sues, mais convenablement dites. » (p. 2547). L’orientation du
travail sur la parole de l’élève vers la norme de l’écrit ne pourrait être plus
clairement affirmée. À partir du début de ce siècle, la mémorisation des
leçons fera de plus en plus place à la récitation de poèmes, au point que
« récitation » et « poèmes » deviennent presque synonymes dans le langage
scolaire. L’importance croissante de la récitation de poèmes est sans doute
liée à l’insistance croissante du discours sur les besoins de l’enfant et la joie
qu’il doit éprouver. L’intervention didactique se déplace encore plus forte-
ment du contenu vers la forme ; l’observation du rythme et de la musique de
la poésie est au centre de la récitation et l’enseignant vise à obtenir une res-
piration adaptée, une accentuation correcte, une articulation nette et une dic-
tion soignée.

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

Le tournant communicatif
des années soixante/soixante-dix

Si le parler des élèves est constamment travaillé à l’école, l’enseignement de


l’oral comme domaine propre du français ne s’installe qu’avec la rénovation de
l’enseignement du français durant les années soixante dans tous les pays
francophones (et même, au-delà, dans la plupart des pays européens). Le
changement se manifeste par une redéfinition fondamentale de la finalité cen-
trale de l’enseignement de la langue maternelle : « L’objet de l’enseignement du
français […] est l’usage et le développement des moyens linguistiques de la
communication ; il s’agit de rendre l’enfant capable de s’exprimer oralement et
par écrit et capable de comprendre ce qui est dit et écrit » (Plan de rénovation
de l’enseignement du français, 1970). À cause notamment de l’influence tou-
jours plus grande de la linguistique structurale qui insiste fortement sur la
primauté de l’oral par rapport à l’écrit, la langue orale devient, en principe du
moins, un objet scolaire au même titre que la langue écrite, dans la mesure où la
discipline scolaire « français » est maintenant organisée explicitement autour de
la dichotomie « oral-écrit », le plan de rénovation français parlant même de
« priorité de l’oral ». Les nouveaux programmes et méthodologies abandonnent
les formules telles que « apprendre à exprimer correctement ses idées » qui
traduisent la conception traditionnelle de la langue comme outil de représenta-
tion de la pensée et mettent en avant l’importance d’apprendre à s’exprimer
dans de véritables situations de communication, marquant ainsi un véritable
tournant communicatif.
Dans les textes officiels apparaissent désormais des propositions d’enseigne-
ment qui mettent en avant la diversité des situations dans lesquelles l’expres-
sion orale peut être apprise. Entretien, correspondance scolaire, compte rendu
de lecture et d’enquête, commentaire d’un film, critique d’un travail collec-
tif, exposé d’élève, créations imaginaires, jeu dramatique, improvisations
poétiques, conversation à propos d’une œuvre d’art sont proposés parmi
d’autres situations.
Concernant la méthodologie d’enseignement, une dichotomie importante est
introduite entre, d’une part, des « situations de libération ou d’expression » que
crée l’enseignant pour permettre aux élèves de pratiquer librement la langue et
durant lesquelles il se garde de toute intervention qui risquerait de bloquer les
élèves et, d’autre part, des « situations de structuration ou d’apprentissage »
dans lesquelles la langue devient objet d’observation et d’analyse pour per-
mettre la découverte de son fonctionnement afin de mieux l’utiliser en fonction
des exigences communicatives. La contradiction relevée plus haut entre expres-
sion et correction est levée par une séparation radicale entre libération de la
parole et structuration de la langue. À côté des exercices rénovés de grammaire

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

et de vocabulaire, apparaît l’exercice phare de l’enseignement de l’oral renou-


velé, à savoir l’« exercice structural ». Il est destiné à automatiser certaines
structures langagières comme la négation par ne ou le subjonctif du verbe être
(Genouvrier et Peytard, 1970) à travers leur production et répétition fréquente.
Une impulsion puissante est donnée ainsi à l’enseignement de l’oral devenu,
dans les discours du moins, l’égal de l’écrit. Mais il fallait encore explorer plus
précisément les capacités réelles des élèves dans ce domaine et essayer de défi-
nir ce nouvel objet ; mais, surtout, il devenait nécessaire d’inventer des pratiques
nouvelles qui fonctionnassent dans le quotidien de la classe.

Une pratique peu consolidée, hésitante, tâtonnante

L’instauration de la dichotomie oral/écrit a eu pour résultat une réflexion didac-


tique intense, mais de courte durée, sur les modalités de réalisation de l’ensei-
gnement de l’oral. Comme le montre par exemple Ropé (1990), après une phase
de prolifération, les recherches sur l’oral se caractérisent, d’une part, par leur
relative rareté et, d’autre part, par le fait qu’elles sont essentiellement descrip-
tives, c’est-à-dire centrées sur le langage des élèves en fonction de paramètres
ontogénétiques et surtout sociaux, abstraction faite d’interventions didactiques.
Il est d’ailleurs tout à fait remarquable de signaler que, dans deux ouvrages de
référence proposant une présentation de la didactique du français (Halté, 1992 ;
Tisset et Léon, 1992), le problème de l’enseignement de l’oral n’est tout simple-
ment pas abordé.
En ce qui concerne les pratiques didactiques dites innovantes, on voit défiler
avec une assez grande rapidité des propositions de démarche très diverses dont
aucune ne réussit à s’imposer durablement. À la suite de Lazure (1991, 1992,
1994)1, qui analyse plus de 200 contributions à la didactique de l’oral, on peut
articuler ces pratiques autour de quatre paradigmes principaux qui ne fonction-
nent pas tels quels dans les faits, mais qui mettent bien en évidence non seule-
ment les principales tendances dans la recherche de nouvelles formes d’ensei-
gnement de l’oral, mais aussi les présupposés théoriques opposés qui
sous-tendent leur conception. Ces quatre prototypes d’approches didactiques,
qui se sont développés en réponse au tournant communicatif qui mettait l’oral
au même niveau que l’écrit, dominent à tour de rôle le débat didactique durant

1. Cette analyse très exhaustive et minutieuse nous permet de ne pas entrer trop dans le détail des nombreux
travaux sur l’oral ; le lecteur intéressé peut se référer à Lazure (1991), facilement accessible, ou à Lazure
(1992) pour une présentation très détaillée.

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

les trente années passées sans qu’aucun n’arrive à influencer durablement et


profondément les pratiques didactiques en classe.

1. Pour apprendre à parler, il faut automatiser


des savoir-faire de base
Fondées sur des principes essentiellement behavioristes et sur des analyses
(socio)linguistiques de la langue des élèves et de la langue orale dite « élaborée »
d’adultes, fortement influencées également par des techniques en vigueur dans
l’enseignement des langues secondes, les approches par imprégnation en français
langue maternelle ont pour objectif principal commun l’adaptation des modes
d’expression des élèves à un code élaboré, soutenu. Ce dernier est défini indépen-
damment des situations de communication par des caractéristiques qui se situent
essentiellement au niveau de la morphologie (comme la négation ne… pas, le sub-
jonctif) ou de la phrase (phrase interrogative standard, subordination). Les
méthodes didactiques ont ceci de commun qu’elles renoncent en général à l’inter-
vention consciente d’une analyse de la langue et qu’elles se contentent de mettre
l’élève en contact avec les formes visées. Ceci peut se faire par des exercices systé-
matiques de production des formes étudiées (par exemple les exercices structu-
raux), par l’écoute répétée de ces formes dans des enregistrements produits spécia-
lement à cet effet ou encore par le travail individuel avec un enseignant servant de
modèle dans des situations d’« exercisation » structurée.

2. Pour apprendre à parler, il faut connaître


le fonctionnement de la langue
Se situant aux antipodes de la démarche précédente en ce qui concerne la méthode
et ses présupposés psychologiques, les approches par analyse de la langue orale
visent cependant un objectif très semblable : la maîtrise d’un code oral standard
soutenu, défini sans tenir compte de contextes précis. L’idée méthodologique
fondamentale consiste à postuler que la maîtrise de formes complexes, qui ne sont
pas celles pratiquées quotidiennement, passe nécessairement par une prise de
conscience ; il est donc nécessaire de les analyser sur la base notamment de trans-
criptions qui sont, soit fournies aux élèves, soit confectionnées en classe.

3. Pour apprendre à parler, il faut communiquer


Perpétuant une tradition longtemps marginale dans le système scolaire officiel
et inspirées très fortement par des conceptions psychologiques comme celles
de Piaget qui voient le développement de l’enfant comme spontané, mues par
la seule activité propre de l’enfant, les approches communicationnelles strictes
travaillent l’oral en créant des situations diversifiées dans lesquelles les élèves
peuvent (et doivent) prendre la parole. Variant en fonction de paramètres
contextuels (buts visés, statuts des énonciateurs, contenus), elles sont, soit

16
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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

liées à la vie de la classe (débat, discussion, explication, production d’un


spectacle), soit fictives, proches des jeux de rôle (situations d’interaction quo-
tidiennes, sketches). Les capacités visées à travers la mise en place de ces
situations sont d’ordre essentiellement pragmatiques et discursives, à savoir
leur maîtrise par l’utilisation de formes textuelles adaptées. Conformément à
la théorie d’un apprentissage naturel, on suppose que l’activité des élèves dans
ces situations, soutenue ponctuellement par des demandes d’explicitation et de
clarification ou par des formulations plus complexes proposées par l’ensei-
gnant, suffit pour développer les capacités, et l’on s’abstient d’une intervention
systématique qui viserait la prise de conscience des structures langagières
utilisées.

4. Pour apprendre à parler, il faut communiquer


et analyser la communication
Enfin, les approches communicationnelles mixtes, tout en insistant également
sur la nécessité de travailler dans des contextes variés où les élèves prennent
la parole, mettent l’accent sur la nécessité d’une prise de conscience de
certaines formes langagières mises en œuvre, notamment au niveau des
dimensions discursives (structure de l’interaction, effet argumentatif de cer-
taines expressions, etc.). Les formes que peuvent prendre ces approches sont
extrêmement variées, la prise de conscience pouvant se faire à des moments
séparés de ceux de la communication (approche libération-structuration) ou
plus ou moins en même temps ; les situations de communication peuvent être
celles de la vie quotidienne de la classe (discussion, explication) ou (re)créées
pour les besoins de l’enseignement comme objets autonomes sur lesquels
travailler.
Sous des formes atténuées, ces quatre prototypes influencent toujours les pra-
tiques actuelles, qui, d’ailleurs, ne peuvent guère se référer à des démarches
consolidées et reconnues autres que celles léguées par la tradition dont les fon-
dements sont pourtant fortement ébranlés. Cette instabilité se reflète dans les
représentations que les enseignants ont de la notion d’oral.

Une notion floue auprès des acteurs

Peu d’analyses sont disponibles sur la conception que les enseignants, qui sont
parmi les principaux acteurs du système scolaire, ont de l’oral. Les quelques
recherches effectuées montrent qu’on peut analyser leurs représentations comme
une sédimentation très complexe de diverses pratiques qui se sont développées au

17
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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

cours de l’histoire de l’enseignement du français : les anciennes élocution et


récitation, aussi bien que le tournant opéré vers les dimensions de communication ;
les exigences de la « joie » d’expression si clairement énoncées dans les années
vingt, aussi bien que les demandes d’« exercisation » systématique et de correction
tendant vers une langue normée ; la subordination de l’oral aux normes de l’écrit
aussi bien que la vision de l’oral comme lieu privilégié de la spontanéité et de la
libération ont en effet laissé leurs traces. L’étude présentée par Pietro et Wirthner
(1996) est très éloquente à cet égard. Elle montre qu’il existe une très grande
unanimité des enseignants autour de l’idée que l’école a pour rôle d’enseigner
l’oral et qu’elle doit préparer les élèves à maîtriser la communication orale (plus de
90 %). Et pourtant, cette même étude montre que, là où les enseignants pointent des
spécificités de l’oral, il est difficile d’organiser un enseignement, et inversement,
que ce qui paraît enseignable dépend fortement des normes de l’écrit.
Pour résumer l’opinion majoritaire, on pourrait dire que l’oral « pur », totale-
ment indépendant de l’écrit est, d’une part, celui où l’élève parle spontanément,
celui où il exprime ses sentiments face au monde et, d’autre part, celui de
chaque jour, grâce auquel maître et élèves communiquent dans leur quotidien
scolaire. Nulle part, cet oral n’apparaît comme susceptible de devenir objet
d’enseignement, soit à cause de sa trop grande relation avec l’intimité de l’élève,
soit à cause de sa trop grande banalité : échappant à toute intervention didac-
tique, cet oral s’apprend « naturellement » à travers la situation même.
Le seul oral qui s’enseigne est dès lors celui qui est nécessairement lié à l’écrit :
celui qui, à travers les correspondances grapho-phonémiques, permet de passer
d’un code à l’autre ou celui qui n’est que l’oralisation d’un écrit. C’est en effet
avant tout ainsi que l’oral se travaille en classe. L’activité d’enseignement la plus
fréquente est la lecture à haute voix où l’on exerce la prononciation, l’articula-
tion, les liaisons, l’accentuation et la respiration, et qui représente à elle seule 70
% des activités autour de l’oral. Plus rarement, l’oral se travaille à travers la réci-
tation de poèmes, qui est l’objet d’un travail semblable à celui de la lecture à
haute voix avec la mémorisation en plus. On rencontre encore, mais de manière
assez marginale, la leçon d’élocution, laquelle, partant d’un texte à commenter,
introduit l’élève dans des situations de productions orales aux normes de l’écrit.
« Fais une phrase entière » est une évaluation fréquente dans ces situations, les
caractéristiques les plus typiques de l’oral étant bien souvent rejetées comme
fautives.
Les élèves semblent, eux, exclure toute possibilité d’apprentissage de l’oral à
l’école. D’accord sur ce plan avec les enseignants, parler leur paraît être une
activité intime adressée à des proches, des amis, des copains ; c’est une expres-
sion de l’identité profonde et toute intrusion dans ce domaine est vue comme
menaçante, mettant en cause l’identité et comportant un risque de mise à nu
(Rispail, 1995). L’oral n’est pas du tout conçu comme un objet scolaire, la
preuve, s’il en faut une, que ce type d’enseignement n’est pas courant dans le
quotidien des classes. Cette conception des apprenants n’est sans doute pas sans

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

lien avec la difficulté de construire un objet d’enseignement stable qui ne soit


pas calqué sur la norme écrite et qui n’empiète pas non plus sur le domaine
jalousement gardé de l’expression de soi.
Le hiatus est donc profond entre ces différentes tendances : l’une qui affiche la
nécessité de travailler l’oral pour mieux savoir communiquer dans la vie cou-
rante, l’autre qui véhicule l’idée d’un oral « véritable » non enseignable et,
enfin, celle qui ne propose que de rares activités régulières d’enseignement de
l’oral avec comme point de départ et comme visée essentielle l’écrit. L’ensei-
gnement de l’oral semble poser d’insurmontables difficultés. Pourquoi ?

Ce qui rend l’enseignement de l’oral difficile

Étant donné l’idéalisation de l’écriture comme forme parfaite de la langue et


donc de l’expression de la réalité et de la pensée, la parole ne peut être conçue
que sous deux formes, d’ailleurs mutuellement non exclusives :
1) soit elle doit tendre vers la forme idéale que représente précisément l’écrit,
confondant ainsi oral et écrit dans une unité mythique d’une langue idéale –
c’est la position dominante avant le tournant communicatif ;
2) soit elle est vue comme fondamentalement différente dans sa forme et sa
fonction puisqu’elle est le lieu de l’expression spontanée quotidienne de la per-
sonne de l’élève ; de ce point de vue, tout enseignement/apprentissage de l’oral
implique une intervention directe sur cette personne, à savoir une éducation –
c’est la position dominante après le tournant communicatif. Dans les deux cas,
l’oral est conçu comme un tout homogène qui se confond avec ou s’oppose à
l’écrit, lui aussi vu comme unité homogène. Les appellations « écrit » et « oral »
consolident d’ailleurs une telle conception, tout en étant aussi en partie le résul-
tat de l’introduction de la dichotomie oral/écrit dans les plans d’études.
Cette difficulté de concevoir l’oral comme objet autonome d’enseignement est
sans doute liée au fait que la langue orale – ou plutôt les multiples manières de
parler – n’est l’objet d’analyses scientifiques systématiques que depuis peu. Ce
sont en effet des travaux relativement récents (Gadet, 1989, 1992 ; Blanche-
Benveniste, 1997 ; Berrendonner, 1993) qui ont permis de penser la langue
comme un tout relativement hétérogène et d’inclure les « parler » dans les
réflexions et analyses linguistiques sans faire référence aux modèles de l’écrit
normé 2.

2. Nous y reviendrons dans les chapitres 2 et 3.

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

Insaisissable de par sa nature et son statut social, peu analysé scientifiquement,


l’oral, sous ses formes variées, est en plus difficilement « scolarisable » de par
sa matérialité. Contrairement à l’écrit qui se pratique en général seul, dans le
silence et qui donc, sans créer de difficultés particulières de gestion, peut s’exer-
cer collectivement, même dans de grands groupes, l’exercice de l’oral présup-
pose toujours un ou des auditeurs et aboutit à une production sonore. Cette réa-
lité exclut, du moins dans une vision traditionnelle du fonctionnement de
l’école, une activité individuelle soutenue de chacun et empêche l’installation du
travail sur l’oral comme activité centrale de l’enseignement. De plus, comme la
parole ne laisse pas de traces durables, l’évaluation des compétences des élèves
devient aléatoire, d’autant que des critères fiables n’existent guère, vu l’absence
de tradition scolaire et de conceptualisation scientifique. Les facilités actuelles
d’enregistrement permettent de dépasser partiellement ces difficultés et, à ce
titre-là, constituent sans doute un facteur expliquant en partie l’intérêt nouveau
de l’école pour la parole, d’abord dans l’enseignement des langues étrangères,
puis dans celui de la langue maternelle.

Vers un modèle de l’enseignement de l’oral

Tout ceci considéré, le développement d’un enseignement de l’oral plus soutenu


et durable nécessite un travail de longue haleine, auquel le présent livre veut
contribuer. Cet enseignement, le système scolaire l’appelle de ses vœux depuis
longtemps et, comme nous l’avons vu, très explicitement depuis une trentaine
d’années. Nous pensons pouvoir formuler comme suit les finalités d’un travail
sur l’oral :
– maîtriser (dans les situations les plus diverses, y compris scolaires) les outils
langagiers constitutifs des principaux genres de textes publics ;
– construire un rapport conscient et volontaire à son propre comportement lan-
gagier ;
– développer une représentation de l’activité langagière dans des situations com-
plexes comme étant le produit d’un travail, d’une réelle élaboration souvent
interactive.
Le présent ouvrage tente de traduire en une démarche systématique d’enseigne-
ment ces finalités à travers un travail sur l’oral dans ses multiples formes. Il est
le point d’aboutissement d’une recherche impliquant des chercheurs de disci-
plines différentes – psychologues, linguistes, chercheurs en sciences de l’éduca-
tion – et des enseignants du primaire et du secondaire. Cette recherche a été
menée à divers niveaux de front : analyse et description de formes variées
d’oral ; observation des capacités des élèves à s’exprimer dans certaines situa-
tions ; élaboration de moyens d’enseignement pour l’oral ; évaluation de ces

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

moyens dans un grand nombre de classes d’élèves âgés de 10 à 15 ans grâce à


l’analyse d’un grand nombre de productions d’élèves ; précision des outils et
des descriptions théoriques, ainsi que développement des moyens d’enseigne-
ment 3. Le but du présent ouvrage est de présenter le résultat de ce travail à des
personnes qui se posent quotidiennement la question de savoir comment ensei-
gner l’oral. Nous avons essayé de faciliter la lecture de nos propositions par une
présentation en trois parties qui, en principe, peuvent être lues dans n’importe
quel ordre, même si celui que nous proposons est conseillé.
Une voie qui s’est souvent révélée efficace pour se familiariser avec notre
approche est d’entendre simplement le récit qui en est fait, de lire comment cela
s’est passé. Le chapitre 1, constituant la première partie, raconte donc comment
le groupe a élaboré une séquence d’enseignement, les difficultés qui se sont
posées à lui, les solutions qu’il a essayé de trouver, comment la séquence a été
réalisée en classe et les enseignements que le groupe en a tirés.
Le lecteur sait ainsi comment cela se passe. Il connaît les raisons qui ont conduit
à certains choix. Encore faut-il qu’il connaisse également les choix théoriques
sous-jacents aux options prises et les modèles d’enseignement qui se sont éla-
borés à travers le travail théorique et les nombreuses expérimentations en classe.
La deuxième partie a ainsi pour but de systématiser les informations éparses que
les auteur ont tirées du récit d’expérience pour que le lecteur devienne lui-même
à terme un constructeur autonome de moyens d’enseignement. Pour ce faire,
nous procédons en trois temps, centrés respectivement sur l’objet de l’enseigne-
ment, sur l’élève et ses capacités, et sur l’action de l’enseignant :
– Dans un premier temps, nous essayons de répondre à la question : qu’est-ce
que l’oral à l’école ? Autrement dit, nous tentons de définir précisément l’objet
d’enseignement désigné de manière allusive par le vocable « oral » dans les
plans d’études.
– Dans un deuxième temps, nous proposons un aperçu global des capacités
orales des élèves dans différentes situations de communication, quelques élé-
ments concernant le rapport entre enseignement et développement des capacités
des élèves, et nous esquissons à partir de là quelques lignes pour un curriculum
de l’enseignement de l’oral.
– Dans un troisième temps, nous décrivons l’outil central de notre dispositif
d’enseignement : la séquence didactique. Nous essayons de montrer les prin-
cipes de construction des séquences pour les rendre utilisables par chacun.

3. La recherche a été rendue possible grâce à une subvention du Fonds national de recherche scientifique 11-
40505.94 et de la Commission romande des moyens d’enseignement. Nous remercions les très nombreux
enseignants et leurs élèves avec lesquels nous avons pu collaborer aux différentes phases de l’expérimenta-
tion de la démarche. Ont participé à l’expérimentation des premières versions du matériel d’enseignement :
Eugène Antille, Joëlle Brunetti, Stéphanie Colin, Évelyne Crausaz, Patricia Dafflon, Pascal Davet, Olivier
Deforel, Catherine Frichot, Blouette Forestier, Monique Gerdil, Madeleine Goumaz, Christian Hofstetter,
Fabienne Jacquet, Nicole Jannin, Marie-Gabrielle Montessuit, Élie Prigent, Annick Rosselet, Sylvain Rudaz,
Émilie Sjollema-Schneider, Maurice Thierrin, Catherine Tuil, Christine Vizcaino, Marie Von Gunten, Muriel
Wacker.

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

La troisième partie illustre les notions introduites par de nombreux exemples.


Sept séquences sont présentées portant sur quatre activités orales bien
distinctes : le débat en classe, l’interview pour une radio scolaire, l’exposé
devant la classe, la lecture à d’autres. Pour chacune de ces activités, des infor-
mations sont fournies pour permettre au lecteur d’enrichir les concepts déjà
rencontrés :
– les objectifs poursuivis par l’enseignement de l’activité langagière choisie ;
– son modèle didactique ;
– une ou deux séquences didactiques élaborées pour des élèves d’âge différent ;
– une panoplie d’exercices et de jeux ;
– les capacités et difficultés d’élèves d’âge différent observées lors la réalisation
des activités dans des situations de communication.
Grâce aux éléments ainsi fournis, nous espérons transformer notre approche en
une démarche « générative » permettant aux didacticiens, aux formateurs et aux
enseignants de construire, de « générer » leurs propres moyens d’enseignement
adaptés aux situations particulières d’un degré ou d’une classe, en vue de déve-
lopper les capacités langagières des élèves. Pour filer la métaphore du système
génératif, rappelons qu’il contient deux composantes :
– une base de données, à savoir pour nous les modèles didactiques des activités
orales ;
– des règles de production, à savoir les principes de construction des séquences
didactiques.
De ce point de vue, ce livre peut être également lu avec en tête cet autre fil
conducteur : la première partie montre comment s’élabore un modèle didactique
et une séquence pour une activité langagière donnée ; la deuxième partie discute
plus en détail de ce que sont un modèle et une séquence didactiques et de leurs
ingrédients théoriques ; finalement la troisième partie donne des exemples de
modèles et de séquences.

Des approches multiples

Tout en prolongeant certaines traditions scolaires déjà existantes, en adaptant


à l’oral des approches pratiquées pour l’écrit, en mettant l’accent aussi sur la
partie réflexive centrale de tout enseignement, nous proposons ainsi une
approche de la didactique de l’oral qui tente de créer un objet scolaire avec
des contours précis. Ce faisant, nous n’excluons nullement d’autres
approches et pensons au contraire que la diversification des voies d’entrée à

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Introduction. Une démarche d’enseignement de l’oral

l’oral proposées aux élèves ne peut être que profitable. Nous pensons notam-
ment au travail sur le conte (Dezutter, 1996/7), au travail concernant divers
discours scolaires dans et à travers l’usage (Nonnon, 1996/7), ainsi qu’aux
nombreuses propositions de jeu existant dans la littérature (Tochon, 1997).
On peut cependant se demander si l’existence de l’oral comme objet scolaire
clairement délimité ne constitue pas la meilleure garantie de sa présence
comme véritable activité d’enseignement/apprentissage, existence dont pro-
fiteraient d’ailleurs toutes les approches de l’oral à l’école. Notre espoir
secret est bien sûr que notre démarche devienne vraiment générative, c’est-
à-dire qu’elle aboutisse à la génération de séquences nombreuses, sous-
ensemble de l’ensemble infini de séquences potientelles.

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Première partie
Un parcours didactique
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Récit d’élaboration d’une séquence :


le débat public

L’oral s’enseigne. Pour trouver une voie pour l’enseigner, nous avons élaboré
quatre séquences didactiques et les avons testées dans de nombreuses classes.
Ce chapitre contient le récit de l’élaboration d’une séquence didactique, celle
portant sur le débat. En retraçant les étapes de conception puis de réalisation de
la séquence, en racontant également la manière dont se construit une séquence
de ce type à travers un constant va-et-vient entre les hypothèses et la pratique
sur le terrain, nous désirons familiariser le lecteur avec une démarche. Ce fai-
sant nous nous efforçons également de penser, et donc de rationaliser après
coup, une pratique au départ largement intuitive particulièrement en ce qui
concerne ses enjeux et ses implications, afin de faire apparaître les questions à
se poser pour construire une séquence d’enseignement sur l’oral.
Entrons maintenant directement dans le récit : l’équipe décide de tester la possibi-
lité d’enseigner l’oral. Bien, mais quel oral ? Comment l’enseigner ? Et pourquoi ?
Voici les étapes qui ont abouti à la séquence didactique pour le débat public.

Quoi enseigner?

Parmi les formes ou activités multiples d’oral (interview, description d’itinéraire,


compte rendu, conte lu en public en sont quelques exemples), l’idée de travailler
autour du débat public et des capacités d’argumentation des élèves a germé à
partir des considérations suivantes :
– le débat, qui joue un rôle important dans notre société, tend également à deve-
nir nécessaire dans l’école actuelle, où les capacités des élèves à défendre orale-
ment ou par écrit un point de vue, un choix ou une démarche de découverte font
partie des objectifs prioritaires 1 ;
– ce genre appartient clairement aux formes orales de la communication (ce qui
ne signifie pas que l’écrit en soit totalement absent) et inclut un ensemble de

1. Une enquête réalisée auprès des enseignants de 6e année de Suisse romande (élèves de 11-12 ans) montre
par exemple que le débat est certes peu pratiqué mais qu’il est pourtant considéré comme l’une des formes les
plus utiles pour développer une meilleure maîtrise de l’oral (Cf. Pietro et Wirthner, 1996).

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

capacités privilégiées dans ce mode de communication : gestion de la parole


entre participants, écoute de l’autre, reprise de son discours dans ses propres
interventions, etc. ;
– le débat met ainsi en jeu des capacités fondamentales, tant d’un point de vue
linguistique (techniques de reprise du discours de l’autre, marques de réfutation,
etc.), cognitif (capacité critique) et social (écoute et respect de l’autre) qu’in-
dividuel (capacité de se situer, de prendre position, construction de l’identité) ;
– en outre, il s’agit d’un genre relativement bien défini, dont les élèves possè-
dent le plus souvent une certaine connaissance sur laquelle il devient possible
de s’appuyer.
Mais nous savions que, de la table ronde entre scientifiques jusqu’au groupe
d’enfants qui « discutent » pour décider s’ils vont aller à la piscine ou au terrain
de skate, il existe plusieurs sortes de débats ou de formes d’argumentation 2.
Pour nombre d’entre nous, et pour nombre d’élèves, le « prototype » est certai-
nement le « débat télévisé » : celui-ci nous fournit une sorte de modèle, qui per-
met à chacun d’avoir une représentation de ce qu’est un débat et, d’une manière
ou d’une autre, l’enseignement devra tenir compte de cela et en tirer parti.
Pourtant l’enseignement n’a pas à prendre comme modèle principal cette forme
de débat, qui relève plus souvent de la foire d’empoigne que de ce qu’on aime-
rait transmettre aux élèves. Il s’agissait surtout de mieux cerner ce que nous
voulions enseigner sous cette dénomination de « débat ».
Pour prendre une décision, nous avons consulté la littérature sur le domaine, qui
foisonne de typologies 3, et avons défini, sur cette base, trois formes qu’il nous
semblait utile de travailler en classe :
– Le débat d’opinion sur fond de controverse, qui porte sur des croyances et des opi-
nions, et vise non pas une décision mais une mise en commun des diverses posi-
tions, dans le but à la fois d’influencer la position de l’autre et de préciser, voire de
modifier, la sienne propre ; « Les avantages et les inconvénients de l’usage des VTT
sur les chemins pédestres », ou encore « Pour ou contre la mixité à l’école » consti-
tuent des exemples de thèmes possibles. À travers les confrontations et déplace-
ments de sens qu’il permet et suscite, le débat représente ici un puissant moyen,
non seulement de comprendre un sujet de controverse sous ses différentes facettes,
mais aussi de se forger une opinion ou de la transformer.
– La délibération, dans laquelle l’argumentation vise une prise de décision, est
nécessaire à chaque fois qu’il y a choix ou intérêts opposés ; là encore, face à la

2. Diversité évidente qui porte à la fois sur le formalisme des échanges et leur gestion, la complexité du
contenu, etc. Mais les mêmes mécanismes sont, dans une large mesure, susceptibles d’apparaître dans les deux
cas, de la recherche de l’argument décisif à la contre-argumentation, voire au recours à la mauvaise foi, à
l’argument d’autorité – qui chez les enfants peut se manifester de manière parfois violente…
3. La réthorique classique (cf. Perelman et Olbercht-Tyteca, 1958/88) distinguait déjà des genres argumenta-
tifs tels que le délibératif (pour régler des choix politiques), l’épidictique (pour renforcer les normes morales)
et le judiciaire (pour sanctionner les conduites repréhensibles). Garcia-Debanc (1996/7) s’inspire notamment
de Jacques (1991) pour établir une typologie des situations d’argumentation scolaires.

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

nécessité de l’action, le débat – conçu entre autres comme explicitation et négo-


ciation des motifs de chacun – peut permettre d’échafauder des solutions origi-
nales qui intègrent les positions préalablement opposées. Les exemples sont
nombreux : « Où aller en voyage de fin de scolarité? », « Quel livre lire collec-
tivement ? », « Faut-il organiser une fête pour récolter des fonds afin d’aider à
la construction d’une école à Haïti ? », etc.
– Le débat à fin de résolution de problème. L’opposition initiale est ici de
l’ordre des savoirs, des connaissances, ou plutôt des non-savoirs ou des savoirs
partiels : une solution existe, mais elle n’est pas connue et il faut l’élaborer col-
lectivement en exploitant les apports de chaque participant. L’enjeu scolaire est
d’accroître les capacités des élèves à gérer la recherche de solutions en formu-
lant les leurs et en écoutant celles des autres, afin de tirer parti de l’ensemble des
savoirs répartis dans le groupe de débatteurs 4.Voici quelques questions discutées
en classe : « Comment fonctionne la digestion ? », « Pourquoi y a-t-il éclipse de
la lune ? », « Une pomme est lâchée du haut d’un mât. Tombe-t-elle près du mât
ou loin de lui ? »
Ces trois formes de débat nous semblaient aussi importantes les unes que les
autres, et c’est essentiellement pour des raisons pratiques que nous avons choisi
la première. C’est en effet celle qui nous semblait la moins « incrustée » dans
les activités spécifiques de la classe, la moins dépendante des programmes
propres à chaque école, et, par conséquent, la plus facile à travailler pour elle-
même en tant qu’objet d’un travail spécifique.
Quelle que soit sa forme, le débat nous semblait constituer un lieu de construc-
tion interactive – d’opinions, de connaissances, d’actions, de soi –, un moteur
du développement collectif et démocratique. C’était là une justification supplé-
mentaire de l’importance que nous avions attribuée, en partie intuitivement, au
débat lorsque nous avons dû choisir un premier genre à travailler !

Quels aspects du débat d’opinion travailler en classe ?

Pour répondre à cette question cruciale, nous avancions à tâtons en travaillant sur
trois domaines à la fois 5 : premières esquisses de séquences didactiques, étude de la
littérature concernant l’argumentation et analyse de productions d’élèves.

4. C’est la psychologie sociale et cognitive qui a montré l’intérêt d’un travail entre pairs, même lorsque aucun
d’entre eux ne possède la solution dans sa totalité, pour l’apprentissage. Cf. Perret-Clermont (1979), Doise et
Mugny (1981), Schubauer-Leoni et Perret-Clermont (1980).
5. Le manque de travaux psychologiques et didactiques sur les capacités des élèves (cf. Brassart, 1987 et
Golder, 1996, à titre d’exception) ne nous a jamais autant frappés que lorsque nous devions essayer d’impro-
viser ces séquences sur l’oral. Bien plus que pour l’écrit, il n’y a ni point de référence dans les pratiques sco-
laires traditionnelles ni travaux de recherche.

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

1. Du point de vue des séquences didactiques, nous ne partions pas totalement


désarmés : nous avions déjà élaboré pour l’écrit une démarche d’enseignement
par séquences 6 et cette démarche nous semblait également opérationnelle pour
l’enseignement de l’oral, moyennant certaines modifications. Le principe en est
simple : la séquence, qui porte sur un genre textuel (par exemple récit d’énigme,
conte, exposé), débute par la production d’un texte lié au genre choisi, à partir
duquel l’enseignant évalue les capacités des élèves ; ensuite, quatre ou cinq
points essentiels pour une maîtrise du genre (ou tout au moins une sensibilisa-
tion à ce genre) sont travaillés dans des ateliers ; pour terminer la séquence, les
élèves sont invités à (ré)investir leurs acquis dans une production finale. Une
fois cette démarche adoptée, quels problèmes aborder dans le cadre de l’initia-
tion au débat d’opinion ?
En nous appuyant en bonne partie sur ce que nous avions réalisé pour l’argu-
mentation écrite 7, nous avons pu dégager un certain nombre d’objets intéres-
sants à travailler : tout ce qui concerne la structure des arguments, tout particu-
lièrement l’orientation et la force argumentatives, la concession, les types
d’arguments (exemples, recours aux faits, arguments d’autorité, etc.), ainsi que
ce qui a trait à la gestion du débat du point de vue de la distribution de la parole,
de l’ouverture et de la clôture de l’échange ont été retenus. Il fallait aussi tra-
vailler l’interaction elle-même, à savoir l’écoute de l’autre, la reprise de son dis-
cours, par exemple à travers la reformulation. Et également porter nos efforts sur
la prise en charge énonciative du discours et les modalisations. De même, il était
nécessaire de se centrer sur des activités autour de la langue et de ses marques,
tels les nominalisations et les connecteurs, qui permettent d’orienter, de refor-
muler, d’exemplifier, de citer, de prendre en charge le discours. Pour terminer,
il était important de s’occuper du tri de textes, afin de repérer et de caractériser
le débat d’opinion.
2. Ces différents éléments concernent assurément le débat. Toutefois, sans entrer
encore dans le « comment enseigner », nous avons été amenés à nous interroger
sur ce qui pouvait fonder de manière plus générale et plus rigoureuse notre
démarche. Notre analyse des capacités mises en œuvre dans le débat s’est donc
aussi appuyée sur les nombreuses théories de l’argumentation, qui permettent,
par exemple de décrire des structures argumentatives de base 8, de distinguer
divers types d’arguments 9, de définir diverses formes de la réfutation 10, de
mettre en évidence le rôle des connecteurs et des marqueurs d’orientation argu-
mentative 11. Bref, il s’agissait pour nous d’aller voir de plus près comment fonc-

6. Dolz, Rosat et Schneuwly, (1991) ; Schneuwly, (1994) ; Dolz et Schneuwly, 1996.


7. Dolz (1994a, 1995, 1996), Dolz et Pasquier (1995).
8. Adam (1990, 1992), Brassart (1987, 1990), Chartrand (1995), Plantin (1990, 1996).
9. Perelman et Olbrechts-Tyteca (1988).
10. Apothéloz, Brandt et Quiroz (1992).
11. Anscombre et Ducrot (1983).

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

tionnent des débats d’opinion, quelles en sont les dimensions primordiales,


qu’est-ce qui fait que ce sont des débats « réussis » ou, au contraire, « ratés ».
Étant donné notre approche fondamentalement textuelle, il nous paraissait
cependant important de ne pas nous limiter à des travaux plutôt centrés sur la
production de discours (argumentatif) mais de prendre également en considéra-
tion les études qui s’intéressent au débat proprement dit, aux rôles qu’y jouent
les différents débatteurs 12, et qui mettent l’accent sur la construction collective,
interactive, du sens. C’est ainsi qu’apparaissaient d’autres éléments caractéris-
tiques du débat. Dans les modes d’enchaînement d’un intervenant à l’autre, par
exemple, nous avons observé que les débatteurs procèdent souvent en exprimant
d’abord un certain accord pour mieux s’opposer ensuite en proposant leur
propre position 13 :
ouais moi je peux comprendre d’une part le point de vue de M. mais…14
ou bien s’opposent directement dans les formules de prise de parole comme :
alors moi je suis donc contre le fait… ;
alors moi personnellement je suis radicalement opposée à… ;
alors personnellement je suis farouchement opposé à…, etc.
qui montrent une utilisation particulièrement fréquente à l’oral de « alors ».
3. Ces données nous ont permis de constituer la trame d’un modèle effectif des
savoir-faire mis en œuvre dans des débats d’« experts ». Mais elles étaient insuf-
fisantes encore pour déterminer ce qui doit être enseigné car elles ne nous
apprenaient rien sur ce que les apprenants savent faire ou non, ni sur ce qui
constitue leurs principales difficultés. Elles laissaient ouvertes des questions
essentielles telles que :
– Quel âge doivent avoir les élèves pour travailler tel ou tel élément ? Ou, alors
peut-on travailler n’importe quoi à n’importe quel âge ?
– Au-delà d’une simple maîtrise formelle, quels sont les objectifs visés à travers
eux ?
– Dans quelle mesure ces éléments sont-ils particulièrement pertinents pour le
débat, plutôt que pour l’exposé ou le récit oral, étant donné l’impossibilité de
tout reprendre chaque fois ?
On le voit, nous avons bien dû admettre que nous manquions encore singulière-
ment de données objectives concernant les capacités et les lacunes des élèves.
Par conséquent, il nous a fallu travailler sur ce troisième domaine, celui des

12. C’est ce que Garcia-Debanc (1996, p. 3) nomme les « productions discursives polygérées ».
13. Roulet, citant Pomerantz, rappelle que « la manière la plus habile d’introduire un rejet [est] de commencer
par manifester un accord avec le point de vue de l’interlocuteur », autrement dit de procéder par une « reprise
diaphonique concessive du discours effectif ou potentiel de l’interlocuteur » (1989, p. 11-12).
14. L’ensemble des exemples présentés dans le texte est emprunté aux données recueillies dans le cadre de
nos recherches, Fonds national suisse de recherche scientifique 11-40505.94.

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

capacités effectives, à la fois en nous fondant sur la littérature existante (et nous
pourrions dire pionnière, étant donné la rareté des recherches dans ce domaine)
et aussi, et surtout, sur le recueil et l’analyse de débats effectifs réalisés par des
élèves.

Quelles sont les capacités argumentatives des élèves


dans les débats ?

Les quelques travaux de linguistes et de psychologues sur le sujet nous ont per-
mis de préciser certains des éléments qui nous étaient intuitivement apparus
comme pertinents. François (1980), par exemple, décrit quelques-uns des méca-
nismes mis en œuvre par de jeunes enfants au début de la scolarité, en particu-
lier ce qu’il a dénommé la « structure en étoile », qui constitue une « caractéris-
tique fondamentale, sous-jacente à toute conduite plus complexe : sur un
élément thématique, apporter des aspects, des points de vue opposés, condition
minimale en deçà de laquelle aucune argumentation n’est possible » (p. 86).
Analysant ce qui est déjà là chez le jeune enfant, François souligne ainsi qu’on
« voit, si les conditions en sont réunies, apparaître très tôt cette efficacité du dia-
logue qui ne se réduit ni à une compétence cognitive ni à une compétence lin-
guistique et que la majorité des psychologues oublie » (p. 94) 15.
Nos propres matériaux ont confirmé que les élèves sont très tôt capables de pro-
duire des interventions qui comportent une prise de position étayée par un argu-
ment 16 :
Mais c’est quand même bien qu’on soit ensemble parce que quand on sera
plus grand et pis que par exemple on se marie avec euh – avec un garçon ou
bien avec une fille et ben : – on peut quand même pas tout le temps se – se
chamailler [élève de 10 ans].
Cela – même s’ils se contentent parfois d’une simple prise de position et si les
structures d’énoncés restent souvent très stéréotypées, du type moi je suis
pour/contre X, parce que si Y, (alors) Z :
Maître Vous n’avez plus d’idées?
Gaëlle … (chuchotements)
Vanessa Je suis aussi un… un peu de l’avis à : Gaëlle aussi – parce que –
c’est vrai – quoi ? – (chuchotements)

15. Ce n’est que récemment que l’argumentation est devenue objet d’enseignement à l’école primaire. On
considérait, auparavant, qu’il valait mieux aborder cet objet plus tard. Cf. Dolz (1993).
16. Cf. également François (1980, p. 89), qui fait la même constatation à propos d’enfants en début de scola-
rité : « Alors que précédemment, le lien des énoncés était pour l’essentiel marqué par leurs seules implica-
tions lexicales, ici la fréquence des “parce que” est corrélative d’une relation explicite de justification des
énoncés précédents. »

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

Maître Et vous Vanessa?


Vanessa Moi je suis totalement – POUR la mixité – parce que s… si on sépare
les filles et les garçons i peuvent pas : – pas euh… apprendre à vivre
ensemble – euh – et se connaître – [élèves de10-11 ans].
Nos analyses ont aussi montré qu’il y a déjà une certaine régulation interactive,
dans la mesure où les débatteurs s’écoutent, discutent les prises de position de
leurs camarades en reprenant parfois certains éléments. En revanche, les refor-
mulations (qui permettent d’assurer la compréhension mutuelle, de synthéti-
ser/résumer, de préciser) ainsi que les modalisations (qui nuancent les prises de
position) semblent plus rares 17 ; en outre, si les prises de position sont ainsi
mises en discussion, avec référence fréquente aux autres débatteurs, cela n’est
guère le cas des arguments invoqués à leur appui, ce qui a pour effet d’aboutir à
différentes prises de position, justifiées chacune par des arguments différents
(cf. structure en étoile), mais sans véritable débat, sans véritable négociation.
L’exemple suivant montre qu’il n’y a pas débat des arguments quand un élève
se réfère à un autre, ce qui est d’ailleurs rare.
Gaëlle Moi je – moi je veux dire que – je suis pour la mixité parce que – les
enfants quand i sont petits ils apprennent déjà à vivre ensemble et
quand i seront grands eh ben i… i pourront vivre ensemble – parce
que si par exemple : comme Fabio lui il est contre eh ben – quand i
dit par exemple que ça… qu’il est contre moi je trouve que il a pas
tout tort mais il – mais… je suis quand même pour la mixité parce
que… les… les enfants dès qu’i sont petits ils apprennent déjà à
vivre en… ensemble tandis que quand i sont séparés filles garçons
eh ben… après quand i sont grands pis qu’i sont ensemble ça va pas
y a des disputes y a des problèmes – [élève de 10 ans, Genève].
C’est ainsi que ces débats nous ont permis de préciser les éléments qui, à cet
âge, devaient faire l’objet du travail en classe. Comme le montrent les exemples
de Vanessa et de Gaëlle ci-dessus, des activités portant sur l’étayage ont paru
nécessaires, mais il nous a semblé également très important de fournir aux
enfants des outils à la fois linguistiques et discursifs qui leur permettent non plus
de se limiter à la juxtaposition d’arguments différents, mais bien de les « tra-
vailler », de les approfondir, de les enrichir, afin que les positions respectives
soient réellement objets de débat, examinées sous différentes facettes, négociées
et évaluées par l’ensemble des débatteurs.
De nombreux autres éléments sont également sortis de nos analyses : ainsi
l’importance et la difficulté, pour les élèves, d’identifier une controverse 18. Ce
problème est apparu avec évidence en analysant des débats d’élèves sur les pre-
miers thèmes que nous leur avions proposés. Un de ces débats portait sur l’orga-

17. Voir toutefois Garcia-Debanc (1996/7, p. 62), qui montre, pour des élèves de CM1, l’importance du travail
de reformulation dans l’émergence de la controverse et la formulation des raisonnements : « L’interaction, par
les reformulations successives qu’elle permet, contribue à aider l’élève à formuler un raisonnement. »
18. Cf. Garcia-Debanc 1996/7, p. 66 et s. ; Pietro et al. (1996/7), p. 105.

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

nisation d’une récolte de fonds en vue de la construction d’une école dans le


tiers-monde ; en définitive, ce thème n’était pas assez polémique et les élèves,
faute de le percevoir comme objet d’une controverse, n’ont pas réussi à déve-
lopper une véritable argumentation.
De même, tout ce qui concerne les prises en charge énonciatives et les modali-
sations. Nous sentions intuitivement qu’il s’agissait là de quelque chose
d’important à développer pour le débat, ce que nos analyses ont largement
confirmé : ces éléments expriment en fait la mise en place d’un véritable espace
de discussion – condition nécessaire du débat – par l’adoption d’attitudes
ouvertes, marquées discursivement par les modalisations. De simples affirma-
tions sans nuances, sans marques de prises en charge rendent en effet difficile
leur mise en débat 19.
Enfin, nous avons remarqué que de nombreux débats d’enfants tendaient à
« tourner en rond » et parvenaient rapidement à une impasse où l’on revenait
sans cesse aux mêmes arguments, faute d’un déclic qui permette de passer à
autre chose, par exemple à un niveau de généralité plus grand ou à un autre
aspect de la problématique. Ne fallait-il pas dès lors travailler également les
moyens qui permettent ces dépassements, ces changements de niveaux ? Encore
fallait-il pour cela déterminer quels sont ces moyens : les débats d’experts nous
montrent par exemple que c’est essentiellement le modérateur qui assure ce rôle
de synthèse, de relance et de recentrage 20.

Construire un modèle didactique du débat régulé

Finalement, que doit-on retirer de ces observations pour définir les éléments à
travailler dans la classe ? Nous connaissions – partiellement – les manières
d’argumenter de locuteurs adultes ; nous entrevoyions quelles étaient les capaci-
tés et les difficultés des apprenants et nous avions une certaine expérience du
travail sur l’argumentation à l’écrit. En croisant ces trois sources d’informations
et en extrapolant quelque peu, nous pouvions tenter, d’une part, d’établir des
pistes plus cohérentes, d’autre part, de définir des principes à même d’orienter
l’intervention didactique et, enfin, de rendre possible une progression aux diffé-
rents degrés de l’apprentissage.

19. Cf. Nonnon (1996/7, p. 33) qui remarque à ce propos que « le passage d’assertions à des énoncés problé-
matiques, l’apparition des questions et leur transformation peuvent être un indice de ce bougé des attitudes
[...] ». Cf. aussi Habermas (1987) : « Ceux qui prennent part à l’argumentation adoptent vis-à-vis des exi-
gences de validité controversées une attitude hypothétique ».
20. E. Nonnon, qui esquisse une liste d’indicateurs « pour repérer le travail discursif des élèves », nous rend atten-
tifs à d’autres dimensions encore : elle considère en effet que « [la limite] est plutôt dans la difficulté à expliciter les
principes et les orientations argumentatives, et donc les seuils franchis successivement, et à en formaliser les acquis
conceptuels : c’est toujours l’enseignant qui institutionnalise, et de manière partielle, ces acquis de l’argumenta-
tion, et la discussion n’échappe pas toujours à une sorte de “fuite du sens”. » (1996/7, p. 29).

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

La mise en relation de ces trois ensembles de données (comportements


d’experts, comportements d’apprenants, expériences d’enseignement) nous a
finalement permis d’élaborer ce que nous avons défini comme un modèle didac-
tique du débat 21. Celui-ci nous a aidés à mieux cerner les objectifs visés à tra-
vers l’enseignement, à mieux les organiser en « catégories » qui assurent une
vision plus globale du genre. Le modèle définit en effet les principes (par
exemple qu’est-ce qu’un débat?), les mécanismes (reformulation, reprise, réfu-
tation) et les formulations (modalisations, connecteurs) qui doivent constituer
les objectifs d’apprentissage pour les élèves.
L’explicitation proposée permettait de définir notre objet, de préciser le savoir-
faire visé, en l’occurrence, le débat public régulé. La variante scolaire de ce
genre textuel décrit par le modèle met l’accent moins sur les dimensions polé-
miques que sur sa finalité de construction collective de savoir sur un sujet
donné. Autrement dit, il s’agit d’un débat à travers lequel les élèves développent
leurs connaissances en élargissant leur point de vue, en le mettant en question
et en intégrant – à des degrés divers – le point de vue des autres débatteurs 22.
Dès lors, un tel modèle permet aussi de mieux le distinguer d’autres types de
débat – tel le débat délibératif où une décision doit finalement être prise – voire
de genres plus ou moins proches – tels l’entretien ou la discussion 23. Les
dimensions qui figurent dans le modèle didactique du genre permettent de défi-
nir des objectifs spécifiques pour des séquences d’enseignement adaptées à des
élèves de différents âges.
De manière plus générale, notre parcours nous a amenés à considérer que
l’enseignement du débat public régulé ne devait pas seulement viser des objec-
tifs instrumentaux de compétence discursive (savoir reformuler, réfuter, modali-
ser, etc.), mais également porter sur des objectifs plus généraux, comme la rela-
tion que les élèves entretiennent avec le monde du discours, en l’occurrence
avec le débat public régulé. En effet, nos analyses montrent que, d’une certaine
manière, les difficultés des élèves sont moins liées à leurs capacités linguistiques
qu’à leur mauvaise maîtrise des conditions et des contraintes de mise en œuvre
des moyens linguistiques (leur connaissance ou leur expérience des situations
sociales de cette mise en œuvre est souvent relative). L’élève est généralement
capable de formuler une prise de position appuyée par des arguments, mais il se
montre en revanche incapable de percevoir une situation comme agonale ; il
n’arrive pas à construire de thème de controverse, objet de différentes prises de
position à propos duquel il peut se sentir autorisé à intervenir dans un débat
public en tant que personne sociale : élève, usager des transports publics ou

21. Pietro et al. (1996/7). Notre présentation ne suit ici que partiellement le processus réel de notre élabora-
tion. Le modèle didactique dont nous parlons ici n’est en fait apparu sous une forme explicite qu’au cours
même de l’élaboration de la séquence, au moment où il s’agissait de synthétiser les éléments travaillés.
22. Miller (1987), Nonnon (1996/7).
23. Cf. Kerbrat-Orecchioni (1990, p. 117 et s.).

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

amateur de skate board, etc. Par conséquent, nous avons trouvé fondamental de
travailler aussi à d’autres niveaux que celui du comportement et de prendre en
considération le développement de la capacité des élèves à construire une repré-
sentation consciente de leur propre production grâce à la prise de distance.

Quel thème de débat choisir?

Un thème qui intéresse les élèves, bien sûr, mais ce n’est pas suffisant ! Cette
question nous a passablement occupés et mérite qu’on s’y arrête. Comme nous
l’avons vu, nous avions organisé plusieurs débats d’élèves sur des thèmes
divers : « Où aller lors du voyage de fin de scolarité? », « Quel livre lire collec-
tivement ? », « Faut-il interdire les vélos dans les parcs publics? » en sont
quelques exemples. Tous ces thèmes ne sont pas équivalents mais ils nous ont
aidés à préciser quelques-unes des conditions qu’il faut réunir pour qu’un thème
de débat puisse servir à l’enseignement.
D’abord, nous avons vu qu’il existe différentes formes de débat ; or, certains des
thèmes ci-dessus relèvent du type délibératif et non du débat d’opinion. Plus
important, nous avons vu que le thème choisi devait réellement permettre une
controverse à propos de laquelle coexistent des opinions différentes, voire
opposées.
Un thème peut s’avérer trop complexe pour les élèves, car faisant appel à des
connaissances auxquelles ils n’ont pas accès (comme, par exemple, « Faut-il
intégrer les enfants migrants nouvellement arrivés dans les classes normales ou
organiser des classes spéciales pour leur permettre d’acquérir la langue ? »).
Mais le thème peut aussi être trop simple et manquer d’épaisseur sociale et
cognitive. On pense moins à cette situation qui, pourtant, rend aussi difficile
l’apprentissage des élèves, ceux-ci ne parvenant pas à construire des arguments
non triviaux et à faire autre chose que ce qu’ils savent déjà faire. Autrement dit,
le thème choisi doit permettre une véritable progression des élèves.
Une autre question se posait : fallait-il que le thème ait des implications réelles
dans la vie des élèves ou suffisait-il qu’il les intéresse ? Même si l’authenticité,
la réalité ne sont pas en soi des vertus didactiques, il est probable qu’il sera plus
difficile de motiver des élèves à débattre d’un thème dont ils savent qu’il est fac-
tice (cf. « Où aller lors du voyage de fin de scolarité ? », alors qu’aucun voyage
n’est prévu). Cette question se pose évidemment avec plus d’acuité pour le
débat délibératif qui, lui, doit déboucher sur une décision. Toutefois, bien que le
débat d’opinion ne vise pas une action immédiate, il semble bon que le thème
choisi corresponde à un enjeu réel et s’inscrive dans un champ où l’élève sent
qu’il peut être amené à intervenir. Mais, comme d’autres l’ont souligné avant

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

nous 24, le thème ne doit pas non plus être si passionnel qu’il bloque toute possi-
bilité d’évolution des positions ou même de discussion (type : la peine de mort,
l’avortement). Ce type de thème présente aussi l’inconvénient, peut-être plus
grave encore, d’empêcher que les élèves puissent à certains moments se distan-
cer du débat et endosser une posture d’apprentissage.
Ainsi, nous avons défini quatre dimensions à prendre en compte lorsqu’il s’agit
de choisir un thème :
– une dimension psychologique incluant les motivations, les affects et les inté-
rêts des élèves ;
– une dimension cognitive, qui renvoie à la complexité du thème et à l’état des
connaissances des élèves ;
– une dimension sociale, qui concerne l’épaisseur sociale du thème, ses poten-
tialités polémiques, ses enjeux, ses aspects éthiques, sa présence réelle à l’inté-
rieur ou à l’extérieur de l’école et le fait qu’il puisse donner lieu à un projet de
classe qui fasse sens pour les élèves ;
– une dimension didactique, qui demande que le thème ne soit pas trop quoti-
dien et qu’il comporte de l’« apprenable ».
Si plusieurs thèmes étaient possibles, c’est le thème de la mixité à l’école que
nous avons, quant à nous, choisi de travailler : en effet, ce thème est tout à fait
susceptible de devenir objet de controverse sociale – il l’est d’ailleurs déjà aux
États-Unis, en Suisse alémanique où plusieurs syndicats d’enseignants l’ont
débattu en congrès, il l’est un peu en Suisse romande où des hebdomadaires en
ont fait le titre d’un dossier – il concerne les élèves et il n’est tout de même pas
trop « dramatique » ; en même temps, c’est un sujet qui possède une indéniable
épaisseur cognitive et sociale et qui permet donc une progression des débats en
relation avec un approfondissement des connaissances que les débatteurs intè-
grent à propos du thème.
Dernier problème et pas le moindre : parce que le thème choisi était d’une
certaine complexité pour permettre un réel approfondissement des prises de
position et un enrichissement des arguments invoqués, il devenait nécessaire
de prévoir, dans la planification de la séquence, des moyens pour que les
élèves puissent consulter des documents et découvrir de nouvelles informa-
tions. Autrement dit, l’enseignement doit permettre d’articuler la préparation
du contenu – ce qu’il y a à dire, l’inventio de la rhétorique – et l’apprentis-
sage des moyens linguistiques qui permettent de le dire – l’elocutio. Cela ne
semblait pas difficile : en effet, ne suffisait-il pas de fournir aux élèves des
documents à analyser en classe ou à la maison ? Mais cela ne fut pas si
simple !

24. Garcia-Debanc ( 1996/7, p. 60).

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

Comment travailler les contenus ?

Le premier risque était d’allonger démesurément la séquence d’enseignement.


Ensuite, il n’était pas toujours aisé de trouver des documents qui traitent le
thème choisi et qui soient accessibles aux élèves ; en outre, bon nombre de ces
documents étaient écrits. Nous nous sommes alors demandé s’il n’était pas pro-
blématique de recourir trop souvent à des documents écrits lorsqu’on souhaite
spécifiquement travailler l’oral : la manière d’aborder les choses n’est-elle pas
différente d’un mode à l’autre ? La manière de dire les choses n’est-elle pas dif-
férente? Ne risque-t-on pas alors de travailler une forme d’oral qui ne serait plus
que de l’écrit oralisé ?
Pour résoudre, dans la mesure du possible, ces difficultés qui sont bien réelles,
nous avons essayé de définir quelques axes.
1. Travailler les contenus dans d’autres disciplines, voire choisir des thèmes de
débat en fonction justement de ce qui est traité dans les autres disciplines. Pour
le thème de la mixité à l’école, les idées ne manquaient pas : travailler ce thème
en éducation civique ou en histoire, mais pourquoi pas l’aborder aussi en cours
d’allemand ou d’anglais, dans la mesure où le débat à ce propos est plus ancien
et plus vif dans les pays où ces langues sont parlées ?
2. Intégrer dans une certaine mesure le travail sur le contenu au travail sur la
forme langagière. Nos analyses de débats d’élèves nous ont en effet montré
que ces deux aspects ne pouvaient être totalement dissociés (même si, pour
des questions pratiques, de temps en particulier, tout ne peut être fait de
manière articulée) : débattre, ce n’est pas déployer des habiletés langagières
à propos de n’importe quelle thématique, c’est construire une question
controversée à l’intérieur de cette problématique, c’est construire par le lan-
gage des interventions qui prennent le statut d’argument (de tel ou tel type),
de réfutation, etc. Un travail sur la forme, sans contenu, tournerait à vide ;
mais un travail sur le contenu, sans travailler sur les formes langagières, ris-
querait de rester enfermé dans une expression inadéquate. Autrement dit,
apprendre à débattre, c’est aussi apprendre à se documenter et à comprendre
ces documents dans une perspective de controverse, de recherche d’argu-
ments, etc. C’est pourquoi nous avons cherché à intégrer, dans nos proposi-
tions, des moments d’écoute (ou parfois de lecture, cf. infra) et d’analyse de
documents qui permettent, du point de vue de la réception cette fois, de tra-
vailler sur le contenu inscrit dans une forme.
3. Les documents utilisés doivent faire une large part à l’oral (débats radio ou
TV, micros-trottoirs, etc.), afin que les élèves découvrent les moyens linguis-
tiques oraux qui sont effectivement utilisés dans les pratiques sociales de réfé-
rence et qu’ils n’abordent pas l’oral sur la base d’une norme écrite qui tend déjà

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

à fonctionner comme norme unique et décontextualisée 25… Nous avons, par


exemple, proposé d’écouter des prises de positions dans une situation de type
micro-trottoir :
Alors pour comprendre ma position je dirais que pour moi il y a deux types
de gymnastique – il y a celle qui est plutôt axée sur la compétition et puis y a
celle qui est plutôt considérée comme un loisir – d’autre part selon certaines
études – les filles dans la compétition ont en général de moins bons résultats
que les garçons parce qu’elles sont sûres – elles sont persuadées dans leur
tête qu’elles sont moins bonnes qu’eux – euh moi je pratique un sport –
l’escalade où c’est très net – les filles en compétition sont moins bonnes que
les garçons et puis dès que c’est en loisir – dès qu’elle font ça pour s’amuser
– elles sont aussi bonnes que les garçons – et mêmes des fois elles sont bien
meilleures que les garçons – enfin que les hommes – donc je pense que je
suis pas du tout pour la séparation des garçons et des filles aux cours de
gym – mais je pense que il faut à ce moment – à complètement changer
l’esprit des cours de gymnastique qu’il faut favoriser les activités qui font
plaisir aux filles et qu’il faut arrêter de considérer la gymnastique comme
une compétition – sinon il vaut mieux renoncer à la mixité. (Femme, 40 ans,
Genève).

4. Cependant, ceci ne nous a pas empêchés de recourir aussi à des documents


écrits ! En effet, en observant quelques débats, en réfléchissant à nos propres
manières de fonctionner par rapport au débat, mais aussi plus généralement
par rapport à de nombreuses autres formes de l’oral public, nous nous
sommes rendu compte que « de l’écrit » y apparaissait bien souvent sous des
formes diverses : pour le débat, par exemple, il y a les données statistiques
qui sont exhibées au moment opportun, les documents qui permettent de se
préparer, les mots clés inscrits sur quelques fiches qui servent à ne pas oublier
tel ou tel aspect de la controverse ou encore des notes qui, pendant que les
autres parlent, sont griffonnées afin de préparer les réponses… Dès lors, il
n’y avait pas de raison de faire différemment lorsque les élèves apprennent à
débattre !

Dans la séquence que nous avons élaborée, nous nous sommes par conséquent
efforcés de proposer de nombreux documents oraux travaillés dans le cadre de
l’enseignement, à la fois pour y découvrir les moyens langagiers du débat et les
contenus qui permettent de débattre, mais sans exclure les documents écrits et
sans interdire aux élèves de venir argumenter devant la classe en disposant de
quelques notes.

25. Nous avons aussi dû traiter la question de la norme, voir plus bas. Sur la norme à l’école voir Schoeni
et al. (1988).

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

La gestion de l’enseignement

Au cours de l’élaboration de la séquence, nous nous sommes rapidement rendu


compte que la mise en place d’un enseignement de l’oral ne pouvait se faire
sans créer des difficultés nouvelles dans la gestion de l’enseignement. Parmi ces
difficultés, quatre d’entre elles ont retenu notre attention.
1. La longueur. En élaborant notre première séquence d’activités autour du
débat, nous avons eu tendance à vouloir inclure tout ce qui est important pour
une bonne maîtrise du genre : des techniques d’ouverture à celles de la réfuta-
tion, de la reformulation de la position des autres débatteurs à la modalisation
de sa propre position, etc. La séquence risquait de devenir ingérable. Il fallait
donc se limiter. Mais comment faire ? Sur quels principes devions-nous fonder
cette limitation ? Il n’y a pas de réponse isolée à ces questions : c’est dans le
cadre d’une conception générale de l’enseignement du français et de l’oral que
des solutions peuvent être envisagées. Le débat, par exemple, ne peut pas être
abordé isolément avec des élèves de 10 ans ou de 14 ans ; son apprentissage doit
s’inscrire dans une planification globale de l’enseignement de l’expression,
orale et écrite, planification qui conduit à aborder de manière progressive et
diversifiée les capacités à acquérir, c’est-à-dire en répartissant, en quelque sorte,
les dimensions à travailler en fonction des moments successifs de l’apprentis-
sage.

2. Le projet de classe et la séquence. L’école est avant tout un lieu d’apprentis-


sages (langagiers, mathématiques, etc.). Dans ce cadre, il est important que les
élèves donnent du sens à ce qu’ils font et que les activités s’inscrivent, dans la
mesure du possible, dans un projet de classe. Il fallait donc trouver un moyen
d’articuler la mise en situation découlant du projet de classe avec le travail
d’apprentissage que nous voulions proposer. L’idée que nous avons progressive-
ment développée est celle d’une mise en place en deux temps : à partir d’un élé-
ment déclencheur (par exemple une lettre demandant aux élèves de prendre
position concernant une question controversée), la classe réagit, discute et
décide de répondre, par exemple, sous forme d’un débat enregistré ; on organise
par conséquent un débat que les élèves préparent en groupe, mais sans que les
techniques du débat aient fait l’objet d’une attention particulière. À la suite de
ce premier débat, l’enseignant provoque une discussion (un « débat sur le
débat ») qui permet de préciser le projet de classe en faisant ressortir les repré-
sentations que les élèves se font du texte à réaliser, mais surtout de faire appa-
raître les (éventuelles mais probables) difficultés rencontrées lors du premier
débat. C’est là qu’il devient possible de mettre en place un second projet –
d’apprentissage cette fois-ci – qui, à travers les activités réalisées, permettra aux
élèves de réaliser un débat plus substantiel et, espérons-le, d’une qualité suffi-
sante pour être présenté à d’autres.

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

3. Le matériel. Travailler l’oral nécessite d’autres supports que ceux auxquels


les enseignants sont généralement habitués. L’enregistreur, voire la vidéo,
constitue un auxiliaire indispensable si l’on veut pouvoir revenir sur l’une ou
l’autre production afin de l’analyser. Or, manier un enregistreur n’est pas tou-
jours simple : la qualité peut laisser à désirer, les compte-tours nous jouent par-
fois des tours et rechercher un document le dos tourné à la classe n’en facilite
pas la gestion… La difficulté consiste donc à assurer simultanément la gestion
du matériel et à conserver une dynamique dans le déroulement de l’activité. Ces
contraintes sont incontournables et problématiques. Heureusement, nous avons
pu constater que l’évolution du matériel à disposition devrait permettre d’atté-
nuer l’importance de ces problèmes.
4. La fatigue de l’enseignant. L’enseignante qui a expérimenté la première ver-
sion de la séquence nous a fait remarquer que l’enseignement de l’oral, sous la
forme que nous lui donnions, s’avérait très fatigant pour l’enseignant qui ne dis-
pose pas, comme pour l’enseignement de l’écrit, de moments où il peut laisser
ses élèves travailler seuls et en silence pendant qu’il fait quelques corrections ou
parcourt les travées. Pour prendre cette critique en considération, nous avons
envisagé la possibilité de travailler, même à l’oral, sur la base de documents
écrits – pour autant toutefois que ceux-ci ne dénaturent pas l’objet d’apprentis-
sage lui-même.

Des documents « authentiques » fabriqués…

Dès le début, il était évident qu’un travail sur le débat impliquait de confronter
les élèves à des exemples authentiques de débats, à la fois pour leur donner
l’occasion d’observer comment ceux-ci fonctionnent, comment des « experts »
s’y comportent et pour éviter qu’on leur en présente une conception « idéali-
sée ». Cependant, l’exploitation de tels débats, surtout avec des jeunes élèves,
nous a posé de réels problèmes :
1. Il y avait d’abord la difficulté à trouver des débats qui portent justement sur le
thème qui est travaillé par les élèves : il n’y a pas tous les jours des débats TV
ou radio sur la mixité à l’école… ;
2. À supposer que cet obstacle puisse être surmonté, les débats dont nous
pouvions disposer présentaient encore un double inconvénient : ils étaient
souvent très difficiles à comprendre pour les élèves, parce qu’ils avaient lieu
dans un contexte spécifique (une votation à venir par exemple) et qu’ils met-
taient en jeu de nombreux savoirs auxquels les débatteurs se référaient impli-
citement ; ensuite, comme nous le disions précédemment, ces débats, s’ils
étaient effectivement authentiques, ne correspondaient pas nécessairement à

41
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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

ce que nous désirions transmettre aux élèves : faut-il vraiment leur enseigner
la mauvaise foi ou la langue de bois ? Est-il opportun de les confronter à des
débatteurs qui souvent ne s’écoutent pas vraiment et cherchent surtout à faire
valoir leur propre position, sans aucune intention de remettre celle-ci en ques-
tion 26 ?

À ce point, il devenait urgent de se demander ce que signifie cette idée


d’« authenticité », qui apparaît comme une valeur suprême en pédagogie et
comme un critère déterminant de la qualité d’un document. Nous avons abouti à
la conclusion que l’authenticité du document n’est qu’un critère parmi d’autres
pour décider de sa valeur didactique. Dès lors, il s’agissait en fait non plus de
trouver quelque chose d’authentique mais quelque chose d’« exemplaire », au
double sens d’un exemple parmi d’autres et d’un modèle de la forme orale tra-
vaillée. Or, c’est là que la situation se complique 27 : où trouver de pareils docu-
ments, exemplaires, accessibles et de longueur adéquate ?

Pour remédier à cette difficulté, nous avons décidé de « fabriquer » des docu-
ments authentiques. Mais que signifiait ici « fabriquer » ? En ce qui concerne
l’élaboration de documents qui jouent un rôle central dans la démarche, il ne
pouvait être question d’inventer des interventions, des arguments, etc., qu’on se
serait ensuite efforcé de mettre ensemble de la façon la plus naturelle possible,
afin qu’ils constituent un document d’apparence authentique. Non, cela n’aurait
eu aucun sens – puisque l’on veut justement confronter les élèves à des pra-
tiques langagières réelles de référence – et aurait été à coup sûr maladroit, tant il
est difficile à l’oral de se détacher des normes, largement inspirées de l’écrit,
que nous avons intériorisées.

C’est donc à un autre niveau que nous avons « fabriqué » ces documents. En
effet, nous avons organisé des situations de communication censées conduire à
la production des documents dont nous avions besoin : trois enseignants, choisis
en raison de l’intérêt qu’ils avaient manifesté à l’égard du thème traité dans
notre séquence, ont été invités à venir en débattre devant une classe d’élèves en
défendant honnêtement leur position et en s’efforçant d’être convaincants, donc
accessibles, pour leur public. Ce débat, régulé par un modérateur membre du
groupe de recherche, s’est très bien déroulé : adapté, compréhensible, intéres-
sant, il illustrait effectivement toutes les dimensions que nous avions définies
comme pertinentes à partir de nos lectures préalables et, surtout, des analyses
réalisées sur des documents « authentiquement authentiques »!

26. Il ne s’agit pas bien sûr d’exclure de tels comportements de tous les documents présentés aux élèves. Ils
peuvent être utiles en effet dans une perspective critique. Mais il y a problème dès lors que les élèves sont
confrontés uniquement à ce genre de comportements car ils développent alors une représentation du débat qui
ne correspond pas, nous semble-t-il, à ce qu’il pourrait être dans une conception démocratique de la société
(cf. Habermas, 1987 ; Miller,1987).
27. Selon nous, mais aussi selon Lebre-Peytard (1990), et selon nombre d’enseignants qui expriment des réti-
cences à l’usage de tels documents.

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

Cette approche s’est révélée à la fois stimulante et intéressante d’un point de


vue didactique. En effet, cela revenait à faire entrer le monde extérieur dans la
classe et, par ce moyen, à susciter la production de discours qui, tout en expri-
mant les formes sociales de référence, sont adressés expressément aux élèves et
adaptés à leurs capacités. Autrement dit, il nous semblait avoir produit une
forme de document qui intègre à la fois les avantages du document authentique
et évite ses inconvénients.

Des normes pour l’oral

Comme tous les enseignants et didacticiens qui travaillent sur l’oral, nous avons
été confrontés à la question des normes de l’oral ! Nous pensions échapper à ce
problème en travaillant sur des formes publiques et relativement formelles
d’oral, tel le débat, mais il n’en était rien. Là comme ailleurs lorsque nous avons
analysé les transcriptions effectuées à partir d’enregistrements de débats divers,
nous avons dû constater que le décalage entre les attentes qu’on pouvait avoir,
liées à notre rapport à l’écrit, et la réalité des productions était énorme.
L’exemple ci-dessous est extrait d’un débat d’adultes qui a eu lieu devant un
public d’élèves :
Alors moi je suis donc contre le fait de séparer les garçons et les filles parce
qu’on va pas revenir en arrière hein on reviendrait à l’école de nos grands-
parents et même à mon école puisque moi j’ai vécu le cycle donc dans une
école que de filles euh mais c’est vrai que quelquefois en ayant vu un petit
peu ce qui se passait entre les garçons et les filles surtout à la gym ou dans
certaines classes où il y a plus de garçons que de filles et ça pose un peu des
problèmes où les filles sont vraiment mises de côté euh des fois je me pose
un petit peu la question c’est vrai que c’est pas un système parfait mais enfin
je suis quand même pour le fait que les garçons et les filles soient ensemble
à l’école. (Femme adulte, Genève).
Ce décalage devient même tellement important lorsqu’on observe les produc-
tions d’élèves qu’on a parfois de la peine à lire ce qui est dit…
Les gens parlent-ils donc si « mal » ? Ou avons-nous besoin d’une thérapie de
choc pour soigner notre accoutumance à l’écrit ? Sans renoncer à toute exigence
normative, c’est bien sûr pour cette seconde solution que nous avons opté, en
nous efforçant de reprendre nos réflexions sur les normes à partir des pratiques
orales réelles de locuteurs qu’on peut considérer, toutes proportions gardées,
comme des « experts » : discours d’enseignants, de participants à des débats
radiophoniques, etc.
Étonnamment, la thérapie n’était pas si difficile qu’on l’avait cru ! Nous avons
été frappés, en effet, de constater que le décalage observé disparaissait dans une

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

très large mesure dès que, au lieu de lire des transcriptions, nous écoutions les
enregistrements originaux : les mêmes extraits passaient très bien, étaient tout à
fait compréhensibles et les « fautes » ne se remarquaient même plus… Les enre-
gistrements d’élèves devenaient eux aussi beaucoup plus clairs, même si tous les
problèmes ne disparaissaient pas. Pour une large part, ce sont donc bien les
conditions mêmes de production du discours oral qui étaient en cause 28 : alors
que l’écrit, en principe, ne laisse apparaître que le produit final, le discours oral
retranscrit comporte toutes les traces de son processus de production (hésita-
tions, reprises, faux départs comme traces de processus de planification par
exemple). Il suffisait donc, pour (commencer à) modifier sa manière d’appré-
hender les productions orales, de les écouter plutôt que de les lire 29.
L’école n’en est pas moins une institution normative, qui, comme le dit
Klinkenberg (1982, p. 60) « ne se contente pas de dire ce qui est mais établit ce
qui devrait être ». Comment pouvions-nous établir des normes pour nos activi-
tés ? Pour y voir plus clair, nous avons distingué, d’une part, les niveaux sur les-
quels porte le discours normatif et, d’autre part, la manière d’intervenir normati-
vement au cours de l’enseignement :
a) Les normes peuvent porter au moins sur trois dimensions des productions
orales : leur fonctionnement communicatif (une intervention est-elle compré-
hensible, pertinente en contexte ? etc.), leur cohérence interne (marqueurs de
structuration, reprises anaphoriques, etc.), leur correction linguistique (syntaxe,
morphologie, lexique).
b) L’intervention normative peut être le fait de l’enseignant ou des élèves. Elle
peut être immédiate et interrompre, même momentanément, le déroulement de
la communication, mais elle peut aussi être différée à la fin de l’échange ou
même plus tard, sur la base d’un retour à l’enregistrement (commentaire rétro-
actif). De plus, l’intervention peut se faire sur un mode intégré, implicite, par
exemple en utilisant la forme correcte dans un énoncé qui enchaîne ou répond à
l’énoncé fautif ou sur un mode explicite, lorsque l’erreur est thématisée en tant
que telle.
Tous ces éléments peuvent dans une large mesure se combiner. Il n’est pas possible
que l’enseignant intervienne de manière totalement contrôlée. Il nous est toutefois
apparu que certaines priorités doivent être établies. Ainsi, les problèmes communi-
catifs devraient autant que possible être traités immédiatement et explicitement par
les interactants eux-mêmes, afin que le débat puisse se poursuivre (dans le cas
contraire, l’enseignant interviendra également en thématisant le problème en fin
d’activité ou à partir de l’écoute de l’enregistrement) ; les problèmes discursifs
devraient être traités immédiatement de manière intégrée ou différée, mais de
manière explicite et dans la mesure où ils concernent un mécanisme travaillé dans la

28. Comme cela a été maintes fois souligné ; voir notamment Blanche-Benveniste (1997).
29. Et, pourquoi pas, si un traitement de choc s’avère nécessaire, commencer par s’enregistrer, s’écouter et se
transcrire soi-même !

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

séquence ; enfin, les erreurs de langue courante devraient faire l’objet d’un traite-
ment différé, afin de ne pas perturber la communication, ceci essentiellement lors-
qu’elles s’avèrent massives ou systématiques. Cependant, il est toujours important
d’appliquer des normes qui correspondent au mode oral de production et ne mesu-
rent pas l’oral à l’aune de l’écrit !

La place de l’enseignant et le sens des choses

Dans la séquence didactique, le rôle de l’enseignant est primordial à tout


moment. D’autant plus que c’est lui qui peut, en partie du moins, définir le sens
que prend la séquence dans une classe donnée. Ce rôle était d’autant plus diffi-
cile à définir qu’il comprend, pour l’enseignement de l’oral, deux dimensions
qu’il s’agit de gérer simultanément : celle de créer une situation de communica-
tion intéressante pour l’élève (par exemple débattre sur la mixité en classe
devant une caméra vidéo, l’enregistrement réalisé pouvant être visionné par
d’autres classes) et celle d’enseigner, c’est-à-dire de développer aussi efficace-
ment que possible les capacités des élèves à argumenter en leur donnant des
outils pour le faire et en évaluant ces capacités.
Pour permettre aux enseignants d’assumer le mieux possible ce rôle très com-
plexe qui est le leur, nous avons mis l’accent, lors de séances de formation, sur
deux aspects essentiels.
1. Les différentes activités et travaux effectués au cours de la séquence prennent
sens par rapport au projet global que réalise la classe. Quand on travaille sur ce
qu’est un argument ou une opinion ou, encore, ce qu’est une réfutation et quels
sont les moyens pour la réaliser, on le fait pour être ensuite plus performant
devant la caméra. Il y a donc de multiples fils à tisser entre les moments d’un
travail spécifique et l’ensemble de la démarche. Pour y parvenir, chaque étape
de travail aboutit à une synthèse, élaborée en interaction avec les élèves, au
cours de laquelle ce qui a été fait est résumé sous forme de règles ou de
constats. Ceci permet de comprendre localement le sens de ce qui a été réalisé ;
en même temps, cette synthèse crée le lien avec le projet global dans lequel la
classe est toujours impliquée : se donner les moyens pour mieux argumenter.
2. Comment élaborer ces synthèses ? Comment capitaliser le travail sur l’oral
qui est si fuyant ? Quel est le statut de l’écrit dans l’enseignement de l’oral ?
Ces questions difficiles ont été maintes fois posées dans les séances de prépara-
tion. Le travail au cours de ces séances a permis d’esquisser quelques réponses.
a) Enseigner l’oral implique de développer le réflexe d’enregistrer, pour avoir une
trace des productions des élèves, tout comme l’écrit qui, naturellement, laisse des
traces durables. L’enregistrement permet de s’écouter, de réécouter les autres,

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Récit d’élaboration d’une séquence : le débat public

d’observer, d’analyser, de se critiquer, de faire des propositions d’amélioration aux


autres. Ce type de travail implique nécessairement un travail en groupe, l’abandon
d’un discours magistral de l’enseignant, une démarche qui ne permet pas le silence
absolu ni le travail solitaire de chacun dans son coin. La position de l’enseignant
dans sa classe change : cette réalité a été acceptée avec réticence par certains qui
ressentaient en effet une certaine appréhension devant les difficultés nouvelles de
gestion de la classe. Souvent, les enseignants nous ont dit – après avoir réalisé la
séquence – que le travail sur l’oral était plus fatigant, du fait précisément que la
gestion de la classe devenait plus différenciée, plus souple, plus interactive.
b) Le travail d’observation et d’analyse n’est pas possible sans l’aide de l’écrit : il est
nécessaire de noter les observations pour se les rappeler ou les transmettre aux
autres ; il faut transcrire certaines expressions pour les commenter ; des feuilles avec
des consignes dirigent souvent l’écoute d’un extrait de texte d’un camarade ou d’un
expert. S’il n’est pas le médiateur des processus d’apprentissage/enseignement de
l’oral, l’écrit en constitue tout de même un outil souvent indispensable.
c) L’écrit est particulièrement important quand il s’agit de capitaliser les acquis au
fur et à mesure de l’avancement de la séquence et qu’il fonctionne comme mémoire
externe, contrôlable. Ceci n’est bien sûr pas suffisant, car c’est bien plus l’intégra-
tion de ce qui a été appris dans le comportement langagier qui est visé. Passer par
l’écrit permet cependant de mettre à plat ce qui a été appris, facilite une construction
collective et progressive des acquis et explicite les exigences auxquelles finalement
les élèves doivent répondre à la fin de la séquence.
Au moins trois rôles essentiels de l’enseignant se sont ainsi cristallisés au cours
de notre travail :
– celui d’expliciter les règles et constats à travers l’observation et l’analyse des
enregistrements effectués en utilisant parcimonieusement l’écrit comme outil ;
– celui d’intervenir ponctuellement, à des moments choisis, pour rappeler les
normes auxquelles il faut se plier et celui d’évaluer les productions des élèves ;
– celui de donner un sens aux activités menées dans la séquence en les situant
par rapport au projet global de la classe.

Coda

Les enseignants ont réalisé le projet et la séquence. Nous avons enregistré, ate-
lier par atelier, le travail effectué par les élèves, analysé leurs performances,
constaté de nombreux manques, faiblesses, difficultés inhérentes aux premières
versions des séquences, élaboré d’autres séquences sur d’autres genres. Ce tra-
vail nous a permis d’affiner notre regard, de préciser les concepts sous-jacents à
notre travail et de mieux connaître les difficultés des élèves. C’est le résultat de
ce travail que nous allons maintenant présenter.

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Deuxième partie
Bases pour un enseignement
de l’oral
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L’oral comme texte :


construire un objet enseignable 1

Si l’oral est bien présent dans les classes (routines quotidiennes, lecture de
consignes, correction d’exercices, etc.), il s’avère souvent qu’il n’est « ensei-
gné » qu’incidemment à l’occasion d’activités diverses et peu contrôlées. Ainsi
que le dénoncent didacticiens, sociologues, linguistes et formateurs (Wirthner,
Martin et Perrenoud, 1991 ; Pietro et Wirthner, 1996), l’enseignement scolaire
de la langue orale et son usage occupent actuellement une place limitée. Les
moyens didactiques et les indications méthodologiques sont relativement rares ;
la formation des enseignants présente des lacunes importantes. Pourtant – nous
l’avons vu dans l’introduction – les textes officiels affirment clairement que
l’oral constitue l’un des domaines prioritaires de l’enseignement du français.
Certes, d’un point de vue ontogénétique, la maîtrise de l’oral se développe
d’abord dans et par les interactions auxquelles les enfants prennent part. Sauf
dans des cas bien particuliers, on apprend à parler avant d’apprendre à lire et à
écrire. La plupart des enfants possèdent une très bonne maîtrise de l’oral
lorsqu’ils entrent à l’école. Ils conversent avec leurs pairs à propos de leur
famille, racontent de manière sophistiquée des événements vécus, discutent des
problèmes de leur époque, demandent des renseignements en y mettant (plus ou
moins) les formes ou persuadent leurs parents avec de subtiles stratagèmes.
C’est donc largement par un apprentissage incident que l’acquisition de l’oral
commence. L’école doit-elle intervenir sur les conduites de communication
orale spontanée ? N’est-il pas préférable de les laisser se dérouler en dehors de
toute intervention ? Que faut-il faire pour perfectionner l’expression orale ?
Comment développer les capacités de l’oral liées à la circulation des savoirs, à
la vie professionnelle et à celle de la cité ? Quel oral travailler ?
Une analyse même superficielle montre que, paradoxalement, l’oral prend une
place importante aux deux extrémités du système scolaire. À l’école maternelle et
pendant les premières années de l’école primaire, les enseignants consolident les

1. Ce chapitre s’inspire en partie de l’article publié avec le même titre par J.-F. de Pietro et J. Dolz, 1997.

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

usages informels du français oral et installent de nouveaux usages en rapport avec


ce lieu de communication particulier qu’est la classe. Dans les écoles supérieures,
le recours aux différentes ressources impliquées dans la prise de parole en public est
indispensable pour garantir l’efficacité de professions telles que celles de journa-
liste, d’avocat, d’homme d’affaires, d’enseignant. N’y a-t-il pas lieu d’installer
l’oral en tant qu’objet d’apprentissage spécifique également entre ces deux
extrêmes? À l’école obligatoire, l’apprenant pourrait ainsi faire de nouvelles décou-
vertes concernant cet objet qu’il manipule sans cesse et l’utiliser dans des contextes
qui ne lui sont pas encore familiers. Pour ce faire, et dans la perspective didactique
d’une démarche systématique d’interventions au cours de l’école obligatoire, il est
nécessaire de définir clairement les caractéristiques de l’oral à enseigner. Ce n’est
qu’à cette condition qu’il peut être promu de simple objet d’apprentissage au rang
d’objet d’enseignement reconnu par l’institution scolaire comme le sont la produc-
tion écrite, la grammaire ou la littérature.
Le présent chapitre est précisément consacré à cet objectif. Il vise à
construire un objet d’enseignement et d’apprentissage clairement délimité et
défini, qui confère à l’oral légitimité et pertinence eu égard aux savoirs de
référence, aux attentes sociales et aux potentialités des élèves, construction
indispensable pour fonder un enseignement formel de l’oral à l’école dans
une optique à la fois pédagogique et didactique. Cet « objet » – que l’on peut
définir en première approximation comme « l’oral » au singulier – loin d’être
évident doit d’abord être défini dans ce qu’il a de propre avant d’être situé
par rapport à l’écrit, en particulier en contexte scolaire. Puis, on pourra poser
des questions telles que : comment rendre enseignable l’oral ? Quel oral
prendre en compte comme référence pour l’enseignement ? Comment rendre
celui-ci accessible aux élèves ? Quelles dimensions choisir pour faciliter les
apprentissages des élèves ?
L’ensemble du processus d’élaboration de l’objet d’enseignement peut appa-
raître complexe. C’est pourtant, d’une certaine manière, ce que les ensei-
gnants font à chaque fois qu’ils enseignent quelque chose et qu’ils ont par
conséquent défini un objet d’enseignement, de manière largement implicite et
sans trop de problèmes tant qu’il s’agit d’objets ancrés dans la tradition (la
grammaire, par exemple). Le processus s’avère plus délicat pour la produc-
tion de textes écrits et devient très difficile pour les pratiques orales, dont la
légitimité n’est absolument pas assurée. Pour l’oral donc, cette élaboration
consciente, réflexive nous paraît un enjeu d’importance dans la perspective
d’instaurer dans les classes une démarche d’enseignement du texte oral com-
parable à celle de l’écrit avec sa tradition séculaire et ses renouveaux impor-
tants depuis quelques années (Schneuwly et Bain, 1987 ; Reuter, 1996).
Essayons donc !

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

Oral : ce qui est dit de vive voix

Nous allons, dans ce premier chapitre, présenter et discuter ce qui est irréductible-
ment lié à l’oral à travers sa matérialité phonique avant de le situer dans la totalité
des manifestations langagières, notamment orales et écrites. L’oral apparaîtra donc
ici dans sa particularité pour être traité ensuite comme phénomène langagier hété-
rogène dépendant de contextes variables et en interaction constante avec l’écrit.

La voix : une production de l’appareil phonatoire

Le terme « oral », du latin os, oris (bouche), se réfère à tout ce qui concerne la
bouche ou à tout se qui se transmet par la bouche. Par opposition avec l’écrit,
l’oral se rapporte au langage parlé, réalisé grâce à l’appareil phonatoire humain :
le larynx où se créent les sons, en amont l’appareil respiratoire qui fournit le
souffle nécessaire à la production et à la propagation de ces sons et, en aval, les
résonateurs (les pharynx, la bouche et le nez) qui sont les cavités de l’appareil
phonatoire qui entrent en vibration sous l’effet conjugué du souffle et des sons.
La production sonore vocale, comme tout phénomène sonore, se concrétise sous
forme d’ondes créées par des vibrations, produites par l’ensemble de l’appareil
vocal, qui varient physiquement du point de vue de leur fréquence (Hz), de leur
intensité (dB) et de leur durée (ms). Il faut également mentionner le timbre de la
voix, dont la richesse dépend du registre et de l’intensité du son émis, mais éga-
lement de la configuration générale et des caractéristiques individuelles de
l’appareil vocal émetteur. Le fait que la voix soit simultanément produite et
entendue par l’émetteur lui-même est une caractéristique essentielle de la voca-
lisation et le contrôle audio-phonatoire est capital pour la production orale.
Plusieurs disciplines étudient la production orale et la perception de ses proprié-
tés par l’auditeur. La phonétique descriptive s’intéresse à la production des sons
du langage humain et aux caractéristiques physiques de ceux-ci. Les travaux de
phonétique perceptive, qui analysent la réception des sons par l’auditeur, font
plutôt appel à la psycholinguistique. La phonostylistique, quant à elle, étudie la
variabilité phonique du point de vue de la production comme celui de la récep-
tion, en tant qu’information supplémentaire au sens linguistique et sociolinguis-
tique d’une expression.

La voix : support acoustique de la parole

Malgré les différences individuelles d’émission de sons dans la prononciation et


l’articulation des voyelles et des consonnes (réalisations tangibles qu’on appelle
les phones), seules certaines caractéristiques phoniques sont retenues comme
pertinentes dans une langue donnée : ce sont les phonèmes. Cette classe de sons

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

qui est définie comme étant les unités linguistiques minimales distinctives, en
nombre limité dans une langue, fait l’objet de la phonologie (ou phonétique
fonctionnelle). On compte pour le français 16 voyelles et 21 consonnes et demi-
consonnes. Nous verrons plus loin que la voix ne produit pas seulement des
consonnes et des voyelles mais également des éléments prosodiques comme
l’accentuation et l’intonation.

Les voyelles et les consonnes


Si, d’un point de vue physiologique, le nombre de timbres vocaliques dépend
du nombre de combinaisons possibles de taille et de forme que peuvent prendre
les résonateurs (pharynx, cavité buccale, cavités nasales), du point de vue de
notre langue, on ne retient qu’une douzaine de timbres vocaliques fondamen-
taux produits sans le résonateur nasal, auxquels on ajoute par nasalisation quatre
timbres vocaliques supplémentaires. On définit acoustiquement la voyelle
comme un son « musical », c’est-à-dire dont la vibration est périodique du fait
du libre passage de l’air dans les cavités supraglottiques.
Du point de vue articulatoire, les consonnes sont des sons produits lorsque le
passage de l’air est bloqué partiellement ou totalement en un ou plusieurs points
du conduit vocal. Ces sons étant a-périodiques, on parlera même de « bruits ».
Étant donné les particularités articulatoires d’une consonne (Derivery, 1997),
celle-ci peut subir des modifications importantes du fait, soit de la voyelle qui
suit (la consonne modifie son lieu d’articulation), soit de la consonne qui suit
(les consonnes s’assimilent pro ou rétroactivement). Par exemple, une consonne
sourde comme [p], [t], [k], [s], etc. peut assourdir une consonne normalement
sonore comme [v], [d], [l], [j], etc.

Des syllabes
Selon les règles de combinaison particulières au français, voyelles et
consonnes se succédant sont regroupées en syllabes, leur nombre pour un
mot correspondant perceptivement au nombre de voyelles prononcées, que
celles-ci soient seules ou précédées et/ou suivies par une ou plusieurs
consonnes. On dit qu’en français, la syllabe est vocalique : elle est dite
ouverte (ou libre) lorsqu’elle se termine par une voyelle et fermée (ou cou-
verte) lorsqu’elle se termine par une consonne. Dans notre langue, plus de
80 % des syllabes sont ouvertes, si on ne tient pas compte des cas de syllabes
avec chute du /e/ caduc.
Aussi bien la simple écoute/émission vocale quotidienne que l’analyse scien-
tifique montre des variations phonétiques autour d’un même phonème et
donc d’une syllabe, des modifications historiques en œuvre pour certains élé-
ments de la langue, bref, une réalité phonétique tout à fait complexe et chan-
geante, dont devrait savoir tenir compte toute didactique de l’oral.

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

Passer du son à la parole : les faits prosodiques


Nous sommes passés de l’émission vocale indistincte à l’émission articulée de
voyelles ou de consonnes, c’est-à-dire de phones, puis à la production de leur
combinaison, la syllabe. Mais les syllabes se regroupent elles-mêmes en unités
vocales plus grandes de niveau suprasegmental, unités qu’on nommera, en lin-
guistique européenne, des prosodèmes. Le déroulement de la parole est une
construction linéaire d’un flux verbal qui, en tant que tel, doit être décrit dans
son déroulement et avec ses dimensions rythmiques et musicales.

Paroles et musique

On ne peut envisager l’oral en tant que fonctionnement de la parole sans la pro-


sodie, c’est-à-dire l’intonation, l’accentuation et le rythme ; les faits prosodiques
étant des faits sonores, on peut donc les analyser en termes quantifiables de hau-
teur, d’intensité et de durée. Dimensions essentielles de toute production orale,
leur maîtrise consciente prend une importance toute particulière quand la voix
est mise au service de textes écrits. 2

L’intonation
La hauteur tonale usuelle de la voix parlée a une fréquence moyenne variable et
particulière pour chacun. Ceci dit, tandis qu’une partie des variations tonales
peut avoir une fonction linguistique dans le système de la langue (par exemple,
une fonction modale dans le cas du schéma intonatif interrogatif en français per-
mettant de distinguer /tu es content/ de /tu es content ?/, ou encore une fonction
démarcative dans le cas de l’intonation plate indiquant des incises), les diffé-
rentes mélodies vocales traduisent les variations d’émotion ou d’attitude parti-
culières à l’énonciateur au moment où celui-ci s’exprime. On peut ainsi établir
une véritable typologie des patterns prosodiques liés aux émotions et aux atti-
tudes et constater que, par exemple, la tristesse sera reconnue à une voix de
faible intensité, à la tonalité basse, au tempo lent, etc. (Léon, 1993).
Selon Fontaney (1987), la principale fonction de l’intonation consiste à marquer
la clôture ou la continuité du flux verbal. L’intonation ouvrante, généralement
montante, attire l’attention de l’interlocuteur et suscite son attente. Elle indique
que le locuteur n’a pas fini de parler et souhaite ne pas être interrompu. L’into-
nation conclusive, souvent réalisée par une baisse d’un ton, marque la fin de
l’intonation. Dans une conversation, l’intonation permet le réglage des tours de
parole entre les interlocuteurs et facilite la co-construction du discours.

2. Nous verrons dans le chapitre 8, consacré à la lecture à d’autres, quelques techniques pour rendre ces
dimensions conscientes.

53
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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

L’accentuation
La question de l’accent en français est très controversée. Toutefois, on peut dire
que l’accent est une mise en relief d’une ou plusieurs syllabes, d’un ou plusieurs
mots, correspondant à une variation d’un ou plusieurs des paramètres déjà vus,
d’intensité (dB), de durée (ms) et éventuellement de hauteur (Hz). Le découpage
syntaxique ou le décompte syllabique d’un énoncé oblige à un certain nombre
d’accents qui séquentialisent le flux de la parole et lui confèrent un rythme.
Mais parallèlement à ces accents rythmiques, plus ou moins contraints par la
langue, on trouve également une catégorie d’accents d’intensité qui relèvent du
libre choix du locuteur, en quelque sorte de son style vocal et/ou de son
intention.

Le rythme
La production et la perception des accents et des pauses déterminent la produc-
tion et la perception de groupes qui seront aussi bien des groupes rythmiques
(on parle alors d’un contour intonatif qui compte en moyenne trois à dix syl-
labes, le groupe de deux ou trois syllabes inaccentuées suivies par une syllabe
accentuée étant le groupe le plus fréquent dans la conversation ordinaire) que
des groupes de souffle (réunissant un ou plusieurs groupes rythmiques). Le
groupe rythmique est un syntagme délimité par un accent final qui a de ce fait
une fonction démarcative ; le groupe de souffle est un groupe délimité par des
pauses de respiration, d’hésitation ou des pauses qu’on peut qualifier de gram-
maticales, dans la mesure où elles sont liées à l’accent final. La régularité ryth-
mique du discours peut être modifiée par des accents relevant du libre choix du
locuteur.
La vocalisation, support de la verbalisation, est l’outil linguistique pour l’into-
nation et l’accentuation, c’est également le lieu d’expression du rythme et de la
musicalité de la parole qu’on associe souvent aux émotions. On se rappellera
toutefois que les émotions sont codées culturellement, et qu’en Inde, par
exemple, le timbre alto (considéré comme le plus aigu) exprime la tristesse,
alors que le timbre grave (le plus bas) exprime la gaieté (Cornut, 1983, p. 56).

Paroles spontanées

Une continuité entre l’oral dit spontané et l’écrit oralisé


Il existe une gamme presque infinie de variétés d’oral plus ou moins spontané,
plus ou moins improvisé, plus ou moins préparé, avec un degré d’intervention
plus ou moins fort de l’écrit qui reste souvent une référence directe ou indirecte
pour les locuteurs alphabétisés (nous y reviendrons dans un prochain chapitre).
Il convient de distinguer cependant deux sortes d’oral dont certaines caractéris-
tiques sont très différentes. L’oral « spontané », pensé en général comme parole

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

improvisée en situation d’interlocution conversationnelle, constitue à une extré-


mité un « modèle » relativement idéalisé dont on souligne parfois, dans un pre-
mier regard, l’aspect apparemment éclaté et discontinu qui souvent cache des
régularités au service de la communication. Situé à l’autre extrémité de ce style
oral spontané, les productions orales contraintes par une origine écrite qu’on
identifie ou qu’on décrit comme de l’« écrit oralisé ». Celui-ci est considéré
comme une vocalisation par un lecteur d’un texte écrit. Il s’agit donc de toute
parole lue ou récitée.
Entre ces deux pratiques orales extrêmes, dont on grossit les traits pertinents de
manière heuristique pour les besoins de l’analyse, on trouve tous les oraux, des
plus contraints et prévisibles, par leur origine écrite ou leur ritualisation sociale,
aux plus imprévisibles dans leur structure aussi bien que du point de vue de leur
contenu.

Texture de l’oral spontané


Dans les transcriptions de conversations dites spontanées ou du parler ordinaire
telles qu’analysées par Blanche-Benveniste (1990, 1997) et Gadet (1989), ce qui
frappe le plus c’est le côté apparemment chaotique du discours oral comparé à
un discours écrit formel, en général révisé et relu. S’attarder à penser en soi le
chaos de l’oral à partir du discours ordonné par l’écriture, c’est se condamner à
n’y voir qu’hésitations, bafouillements, reformulations, reprises en écho, balbu-
tiements, faux départs et fausses cadences, phatiques omniprésents, bouts
d’énoncés avortés, claquements, jappements, soupirs de toutes sortes où la phrase
canonique Sujet – Verbe – Objet y est un phénomène singulier et donc remar-
quable et remarqué ; en somme, on y voit tout ce qui, à de multiples reprises et
par de nombreux auteurs, a été appelé les « scories » de l’oral spontané. Il est vrai
que, sur le papier, l’aspect de cette confection en direct du tissu de la parole pour-
rait faire croire que ces scories entravent gravement la communication et que la
simple possibilité de se communiquer est un phénomène tout à fait marginal.
Il faut nuancer cette notion de « scories ». D’une part, on trouve effectivement
des sortes de manifestations très tangibles du travail d’élaboration d’une pensée
en train de s’énoncer qui pourrait se comparer au brouillon de l’écrit. Mais la
nature auditive et linéaire de l’oral fait qu’on assiste en toute transparence à
cette énonciation, celle-ci étant d’autant plus « visible » qu’elle est transcrite sur
papier. En réalité, ces scories, peu perçues par les auditeurs et rarement sanc-
tionnées dans le cadre d’un échange conversationnel, sont produites sans inten-
tion ni conscience par le locuteur. D’autre part, on trouve des éléments linguis-
tiques structurés qu’une grammaire, qui ne serait pas élaborée à partir et en
direction des seules normes de l’écrit, pourrait le plus souvent décrire comme le
fonctionnement, à la fois particulier et nécessaire, de différentes formes d’oral
(Berrendonner, 1988). Les sujets parlants ne perçoivent pas comme « fautives »
ces structures et on pourrait faire l’hypothèse qu’il serait possible de fonder, à
partir des données de l’oral conversationnel, une grammaire qui inclue vraiment

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

les régularités structurelles et fonctionnelles des diverses productions orales des


sujets parlants.

« Parle comme il faut » versus [parlkOmifo]


Pour des raisons socioculturelles historiquement retraçables, les productions
orales ont le plus souvent été jugées à l’aune des normes (d’excellence) de
l’écrit standardisé ; ce point de vue est un véritable frein à la compréhension de
ce qu’est parler dans toute sa complexité et, donc, de ce qu’on est en droit
d’atteindre en la matière. Il découle de ce qui précède que légiférer et évaluer
les productions orales au niveau segmental aussi bien que prosodique en fonc-
tion de ce qu’on attend de l’écrit, derrière le prétexte d’une bonne diction et
d’une élocution aisée et fluide ressemblant à une version définitive d’un écrit, a
une visée que l’on pourrait à juste titre soupçonner d’être profondément idéolo-
gique. Elle accrédite la réalité d’une fiction : celle du locuteur-auditeur idéal
parlant d’une manière totalement prévisible et normée dans des situations de
communication parfaitement balisées. On a vu plus haut que la parole sponta-
née échappe à la prévisibilité justement parce qu’elle s’élabore en action. Quant
aux scories, elle n’en est pleine que lorsqu’on la compare à cette autre parole
« déjà élaborée », dont le lieu d’existence, l’oral, n’est pas le lieu de création
(l’écrit comme base de données de la performance orale). Les normes de dic-
tion, d’énonciation, d’organisation de l’expression orale spontanée ont le plus
souvent été pensées et phantasmées unilatéralement sur ce qu’on aurait dû se
limiter à attendre d’un oral issu de l’écrit : c’est ici que bien parler signifie parler
comme un livre lu à haute voix écrit par un grammairien, avec l’accent et la pro-
nonciation supposés de Paris !
Le phantasme, c’est de penser qu’on dit : « parle comme il faut », alors qu’en
réalité on prononce, donc on dit : parlkOmifo.

Communication orale, multicodique et incorporée

La prise de parole est en relation intime avec le corps. L’organisme peut trahir le
mal-être et la peur du locuteur lorsque celui-ci laisse échapper des indices invo-
lontaires d’une émotion (accélération du rythme cardiaque, crispation des
muscles, sang qui afflue au visage, étranglement de la voix), que celle-ci soit ou
non perceptible linguistiquement ou prosodiquement. L’organisme peut aussi
mettre en jeu ses possibilités (position du corps, respiration, attitude corporelle)
au service de la pose de la voix et de la communication orale 3.

3. Nous présenterons des exemples de travail sur ces dimensions dans le chapitre 6 consacré à l’exposé.
Notons que la question de la peur, sans nécessairement pouvoir faire l’objet d’un traitement direct à travers
l’enseignement, se travaille indirectement en mettant à disposition des élèves des outils pour mieux maîtriser
des situations anxiogènes.

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

La communication orale ne s’épuise donc pas dans la seule utilisation des


moyens linguistiques ou prosodiques ; elle va utiliser également des signes de
systèmes sémiotiques non langagiers, pour autant qu’ils soient codés, c’est-à-
dire conventionnellement reconnus en tant que signifiants ou signaux d’une atti-
tude. C’est ainsi que des mimiques faciales, des postures, des regards, la ges-
tuelle du corps au cours de l’interaction communicative vont venir confirmer ou
infirmer le codage linguistique et/ou prosodique, parfois même s’y substituer.
Cette communication non verbale peut également trahir le sujet parlant lorsque
celui-ci laisse échapper des indices involontaires d’une émotion, que celle-ci soit
ou non perceptible linguistiquement ou prosodiquement. On sait bien à quel
point peut être gênant un acteur qui joue « faux », lorsque sont dissociés les
paramètres en principe congruents de la mélodie, l’accentuation et la gestuelle
(Léon, 1993, p.121).

Moyens non linguistiques de la communication orale

Moyens Moyens Position Aspect Aménagement


paralinguistiques kinésiques des locuteurs extérieur des lieux
qualité attitudes occupation habits, lieux,
de la voix, corporelles, des lieux, déguisements, aménagement,
mélodie, mouvements, espace coiffure, illumination,
débit et pauses, gestes, personnel, lunettes, disposition
respiration, échanges distances, propreté… chaises,
rires, de regards, contact ordre,
soupirs… mimiques physique… ventilation,
faciales… décoration…

Il est essentiel de rappeler ici que, si les ressources utilisées pour la communica-
tion humaine sont, semble-t-il, universelles (à savoir la capacité à coder un mes-
sage sur le plan aussi bien linguistique, prosodique, paralinguistique qu’extralin-
guistique), les différentes modalités d’expression de ces codes sont d’une infinie
diversité, à la fois dans le temps et dans l’espace. En effet, sur ce plan, tout est
soumis à variations. En vrac et de manière non exhaustive, citons le débit, rapide
chez les Italiens, lent en Suisse, l’intensité bien plus forte en Corée qu’en France,
la hauteur très différenciée selon le sexe au Japon, mais beaucoup moins en alle-
mand, certains contours intonatifs normaux pour un Indien et jugés un peu
« rudes » par un Anglais, des productions vocales comme des raclements de
gorge, des bâillements, des soupirs, des reniflements, manifestations publiques
banales pour un Japonais et choquantes pour un Français. Mêmes différences
pour des données non verbales, le Japonais se désigne en se touchant le nez,
l’Espagnol en se touchant la poitrine, les Américains se tiennent trop loin pour
les Latins mais trop près pour les Thaïs. Ainsi, un étudiant en français d’origine
asiatique, n’ayant jamais eu un contact culturel avec des Français, a besoin de

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

découvrir et d’apprendre un certain nombre de particularités de l’interaction non


verbale pour pouvoir communiquer correctement en français.

De la voix à la communication orale : un parcours complexe

Nous avons commencé ce chapitre par une caractérisation de l’oral comme produc-
tion corporelle à travers la voix : la voix du corps, c’est à la fois celle qu’on produit
et qu’on perçoit de soi-même et celle des autres, vibrations devenant sons, sons
devenant des cris, des chants, des paroles, manifestations de soi et des autres,
actions et verbes. C’est justement ce passage de la voix à la parole que nous avons
abordé ensuite : l’élaboration du son et sa codification aboutissent à l’émergence du
matériau dont est faite la communication. La mélodie orale, concaténant ce maté-
riau verbal, est présentée au chapitre suivant dans ses composants que sont l’into-
nation, l’accentuation et le rythme. Une caractéristique massive de la production
orale est que l’oral spontané semble, à la lecture, tout à fait désordonné, alors que
toutes ces manifestations de désordre peuvent être analysées dans l’optique d’un
fonctionnement optimal de l’interaction orale. Nous avons vu ensuite que l’oral est
l’objet d’évaluations et de normes sociales qui sont toujours en référence à l’écrit,
ce qui occulte bon nombre de caractéristiques de la communication orale. Pour
finir, nous avons relevé que la communication orale se déroule non seulement sur le
plan verbal et sur le plan vocal, mais également sur le plan gestuel.
Comme on le pressent, l’oral, dès lors qu’on le conçoit en tant qu’objet d’ensei-
gnement, est particulièrement difficile à saisir. Tous les éléments que nous venons
de rappeler ici sont essentiels pour un travail sur l’oral et la prise de conscience,
ainsi que le contrôle des ressources extralinguistiques (prosodie, silences, posture,
gestes, mimique faciale, distance et position des locuteurs) et constituent, comme
nous verrons plus bas, une visée centrale de l’enseignement de l’oral. Toutefois,
ces éléments, s’ils semblent importants pour penser et organiser un enseignement
des genres oraux, nous semblent insuffisants dans la mesure où nous n’avons
jusqu’à présent pas tenu compte des paramètres des situations d’interactions ver-
bales. Or celles-ci, en tant qu’environnement déterminant cette interaction, vien-
nent contraindre entièrement les opérations de production verbale tout autant que
leur interprétation.

Oral et écrit : deux formes de réalisation


du langage en interaction

Le développement de l’expression orale constitue l’un des grands objectifs de


l’école obligatoire. Cependant, comme nous l’avons signalé précédemment, la
lecture, l’écriture, la grammaire et l’orthographe restent les sous-disciplines pri-
vilégiées de la classe de français. Si l’oral rencontre des difficultés pour trouver

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

une place dans l’enseignement, c’est aussi parce que la distinction entre oral et
écrit est porteuse de nombreuses confusions et, au-delà des différences superfi-
cielles directement liées au mode de production, elle apparaît difficile à cerner
(Gadet, 1996 ; Matthey, 1996).

Le rapport entre oral et écrit en linguistique

En opposition à la linguistique historique qui avait, pour l’essentiel, une vision


rétrospective et fondait ses études sur les textes écrits, la linguistique structura-
liste attribuait une priorité à l’oral. Il fallait d’abord étudier la chaîne parlée et
entendue et, ensuite seulement, la chaîne écrite et lue comme le montre par
exemple cette citation de Saussure (1974, p. 45 et 47) : « Langue et écriture sont
deux systèmes de signes distincts : l’unique raison d’être du second est de repré-
senter le premier, l’objet linguistique n’est pas défini par la combinaison du mot
écrit et du mot parlé ; ce dernier constitue à lui seul cet objet. Mais le mot écrit
se mêle si intimement au mot parlé dont il est l’image, qu’il finit par usurper le
rôle principal ; on en vient à donner autant et plus d’importance à la représen-
tation du signe vocal qu’à ce signe lui-même. C’est comme si l’on croyait que,
pour connaître quelqu’un, il vaut mieux regarder sa photographie que son
visage […] On finit par oublier qu’on apprend à parler avant d’apprendre à
écrire et le rapport naturel est inversé. »
La confusion persiste aujourd’hui en présentant la langue écrite comme un
simple système substitutif de la langue orale (« naturelle ») ou bien l’expression
écrite comme une simple transposition de l’expression orale. Mais comme nous
l’avons signalé précédemment et comme l’analyse pertinemment Walter (1988,
p. 225), l’écrit est loin de représenter une « réplique exacte » de l’oral. L’écriture
vue comme système de notation du langage oral présente un caractère incom-
plet et inexact. Le flux de l’oral étant noté à l’aide d’unités discontinues, la
transcription de l’oral pose de nombreux problèmes à ceux qui doivent rendre
compte d’aspects liés aux dimensions prosodiques ; les conventions graphiques
imposent un ordre dans un domaine dont les mécanismes sont complexes et
encore mal connus (Blanche-Benveniste et Jeanjean, 1987).
L’écrit ne pouvant être considéré comme le simple substitut de l’oral, faut-il
alors les considérer comme deux systèmes différents, irréductibles? Pour
répondre à cette question, essayons de clarifier deux malentendus.
Le premier concerne les registres ou les niveaux de langue. Souvent la langue
parlée est considérée comme synonyme de pauvre, ordinaire, relâchée, popu-
laire et mal structurée, alors que la langue écrite constitue le fondement de toute
norme de correction en français standard. Cette simplification ignore les mul-
tiples possibilités d’écrire dans une variante « populaire » ou « familière » et
celles de parler dans un registre cultivé ou académique (Blanche-Benveniste et

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

al., 1990, p. 211). Les formes standard et non standard se manifestent aussi bien
à l’oral qu’à l’écrit. Pour étudier les principes organisateurs du système du fran-
çais, il convient de prendre en considération l’ensemble des formes existantes
comme le soutient Gadet (1989, p. 32) : « Si système il y a encore à trouver,
cela ne peut se faire que compte tenu de l’ensemble de formes existantes. L’idée
à retenir est celle d’un super-système, qui couvre à la fois standard et non-stan-
dard, qui puisse rendre compte de ce que les usages même les plus éloignés du
standard ont en commun avec lui un ensemble de régularités, et qu’ils ne diffè-
rent parfois que par l’extension du domaine d’application de certaines règles. »

Le deuxième malentendu concerne les aspects pris en considération pour décrire


le français oral et pour préciser une éventuelle distinction qui marquerait la dis-
tance entre le système de l’oral et de l’écrit. Comme le signale Matthey (1996,
p. 100), la polysémie du terme de grammaire est certainement responsable de la
radicalisation abusive de la distinction entre oral et écrit ; il recouvre, en effet,
trois réalités distinctes. Au sens large, la grammaire d’une langue fait référence
à l’ensemble des formes et des procédures plus ou moins contraignantes qui per-
mettent d’exprimer la signification. La description du français parlé, sans tenir
compte un seul instant de l’écrit, exige l’étude des sons, des traits prosodiques,
de la morphologie, de la syntaxe, du lexique et des formes du discours. En
revanche, au sens restreint et technique, le terme de grammaire s’applique à
l’étude des liens syntaxiques entre les segments du discours. Dans une troisième
acception qui ne retiendra pas ici notre attention, on parle de grammaire en fai-
sant référence aux normes prescriptives du bon usage, c’est-à-dire pour évoquer
un code de règles « idéales » établi pour parler correctement et qui exclut les
pratiques verbales considérées comme fautives ou inélégantes.

Comme évoqué précédemment, si l’on prend en considération les aspects asso-


ciés au mode matériel de production orale (code phonologique, réalisation pho-
nétique de la chaîne parlée, flux sonore, accent, intonation et débit), il est évi-
dent que les différences avec l’écrit sont importantes, notamment en ce qui
concerne le rapport entre le segmental et le suprasegmental. Quant aux diffé-
rences du point de vue de la grammaire au sens restreint, en revanche, c’est-à-
dire la morphologie et la syntaxe, il est bien difficile d’opposer un code morpho-
logique ou syntaxique à l’oral et à l’écrit. Il est vrai que les régularités
morphologiques ne sont pas toujours extériorisées de manière identique. Selon
Gadet (1989), les marques de la 3e personne du singulier et du pluriel de la
conjugaison française, par exemple, montrent le même type de régularités à
l’oral (/dwa/ et /dwav/ ; /bwa/ et /bwav/ etc.) qu’à l’écrit (doit et doivent ; boit et
boivent ; etc.), bien que le nombre d’exceptions aux règles soit différent.
L’habillage graphique est plus régulier mais les mécanismes restent pour
l’essentiel les mêmes : « la grande majorité de phénomènes grammaticaux est
commune aux deux plans [oral et écrit] et ce n’est qu’en hypertrophiant
quelques phénomènes que l’on peut asseoir la thèse de deux langues diffé-
rentes » (p. 53). Syntaxiquement, les liens entre segments du discours ne sem-

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

blent pas non plus fondamentalement distincts à l’oral et à l’écrit (Blanche-


Benveniste et al., 1990 ; Gadet, 1989).
Par conséquent, en fonction des études réalisées jusqu’ici, les formes linguis-
tiques du français parlé ne peuvent pas être considérées comme suffisamment
différentes de celles de l’écrit pour pouvoir parler de deux systèmes distincts.
Bien au contraire, au fur et à mesure que l’on connaît mieux le fonctionnement
du français parlé, l’unicité des structures linguistiques tend à se renforcer. On
parle plutôt d’un système global qui intègre l’oral et l’écrit, reconnaissant leurs
spécificités respectives et leur caractère non monolithique (Willems, 1990,
p. 48). Les différences décisives ne sont pas toujours là où on veut les voir. Il
n’y a pas un oral unique qui s’opposerait à un écrit unique ; certains écrits
(cf. messagerie Internet) sont plus proches de formes considérées habituellement
comme orales, et réciproquement. D’autres distinctions (monologal/dialogal ;
formel/informel ; genres textuels, etc.) contribuent tout autant à donner aux pra-
tiques langagières leur configuration particulière et à engager les locuteurs dans
des activités langagières spécifiques. La position élaborée à la suite de Derrida
(1967) par Peytard (1971, p. 163) refusant la priorité trop aisément accordée par
Saussure à la phonie nous semble bien résumer la situation : « Que l’on prenne
le point de vue de l’émetteur ou du récepteur, à chaque fois, le signe linguistique
a la chance de se proposer sous une double apparence de signifiant phonique
ou/et graphique. Il est d’expérience que pour le locuteur de culture moyenne,
appartenant à la communauté française, la représentation qu’il se donne du
signe et de la langue relève autant d’une image visuelle que d’une image pho-
nique ; c’est-à-dire que le même signe apparaît susceptible de la double réalisa-
tion, graphique dans une circonstance, phonique dans telle autre, sans que l’on
attribue à l’une primauté sur l’autre. La communication dépend d’une situation
où l’on exploite l’une ou l’autre face du signe, et le locuteur éprouve son activité
dans l’espace ouvert devant lui par cette dualité du signifiant. »

Les relations entre l’oral et l’écrit


dans l’enseignement

Dans l’enseignement, l’oral n’est guère mieux circonscrit en tant qu’objet auto-
nome de travail scolaire et, poursuivant la conception de la linguistique histo-
rique, reste largement dépendant de l’écrit. Comme le montre l’enquête sur les
pratiques des enseignants réalisée par Pietro et Wirthner (1996), il reste insaisis-
sable, sauf lorsqu’il est inscrit dans le monde de l’écrit. À ce propos, l’enquête
met en évidence les aspects suivants :
• l’oral est surtout travaillé comme une passerelle pour l’apprentissage de
l’écrit ;
• les enseignants analysent l’oral à partir de l’écrit ;

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

• l’oral est bien présent en classe, mais dans ses variantes et ses « normes » sco-
laires au service de la structure formelle écrite de la langue ;
• la lecture à haute voix, c’est-à-dire l’écrit oralisé, représente l’activité orale la
plus fréquemment pratiquée (70 % des enseignants interrogés).

Face à cette conception de l’oral dépendant de l’écrit, certains défendent une


vision de l’oral « pur », indépendant de toute intervention de l’écrit. Elle
semble très difficilement soutenable dans le cadre de l’enseignement où les
formes d’interaction entre l’oral et l’écrit sont multiples. Avant l’apprentis-
sage de la lecture, les élèves de l’école maternelle apprennent à réciter et à
interpréter oralement des textes écrits ; ils pratiquent également la dictée à
l’adulte. La lecture à haute voix de contes et d’albums est considérée par
Grossmann (1996) comme une des formes d’initiation des jeunes élèves à
l’ordre scriptural du texte. Daunay, Delcambre, Marquet et Sauvage (1996)
analysent les rapports oral/écrit dans les échanges oraux sur les processus de
compréhension des textes écrits et considèrent que l’oral prend alors une
forme de préécrit. Si pour Bain (1991), par exemple, la pratique de la dis-
cussion orale peut difficilement être considérée comme une aide à l’appren-
tissage de certaines marques linguistiques de connexion, de cohésion et de
modalisation propres à certains textes argumentatifs écrits, en revanche, le
passage de la discussion aux textes argumentatifs et leur comparaison peu-
vent permettre la clarification des paramètres définissant les situations
d’argumentations orales et écrites. Parfois le travail réalisé sur l’argumenta-
tion écrite exerce un effet de retour sur l’argumentation orale (Dolz, 1994).
Une activité comme la lecture à d’autres (cf. chapitre 8) se trouve à la croi-
sée de l’oral et de l’écrit dans la mesure où elle suppose une interprétation
orale, pour un auditoire, d’un texte d’auteur écrit. L’analyse des formes
d’interaction entre l’oral et l’écrit semble donc bien différente en fonction des
situations de communication et des objectifs poursuivis et, plus générale-
ment, l’observation du travail en classe montre que l’alternance des activités
orales et écrites est très fréquente dès qu’on se donne comme objectif la pro-
duction d’un texte oral ou écrit relativement complexe.
L’essentiel, pour une didactique qui se pose la question du développement de
l’expression orale, n’est donc pas tant de caractériser l’oral en général et le
travail exclusif sur les aspects de surface de la parole, mais plutôt de
connaître diverses pratiques langagières orales et les rapports très variables
qu’elles entretiennent avec l’écrit. La constitution de l’oral comme objet légi-
time d’enseignement exige donc, avant tout, une clarification des pratiques
langagières orales à prendre comme référence pour une exploitation scolaire
et une caractérisation des spécificités linguistiques et des savoir-faire impli-
qués dans ces pratiques.

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

Les genres oraux – outils de communication.


Une voie pour structurer l’enseignement de l’oral

Dans une perspective socioculturelle, la construction du sujet et des fonctions


psychiques (mémoire, attention, langage, etc.) se fait à travers les actions réci-
proques des membre d’un groupe et par l’appropriation d’objets sociaux créés
par la culture (Vygotski, 1934/1985 et 1935/1985). Prenons un exemple quoti-
dien de notre environnement culturel : l’objet « fourchette » cristallise des signi-
fications associées à des pratiques sociales en rapport avec l’acte de manger.
Lorsque l’enfant, en interaction avec d’autres, apprend à utiliser la fourchette, il
intègre progressivement les usages et les valeurs que son groupe social attribue à
cet outil qui n’est qu’un produit créé par la culture : le repas sous des formes
ritualisées. Si l’on considère l’apprentissage comme un processus d’appropria-
tion et d’intériorisation d’expériences accumulées par la société au cours de
l’histoire, la prise en considération des outils et des pratiques est fondamentale.
En filant la métaphore du repas, la question est maintenant de savoir, en ce qui
concerne la construction des capacités langagières, ce qui est l’équivalent du
repas et ce qui correspond à la fourchette et, plus généralement, à l’ensemble
des outils culturellement nécessaires pour réaliser la pratique « repas » dans une
culture donnée, pratique qui, dans une seule et même culture, peut prendre des
formes très diverses.

Une matière de base pour l’enseignement :


le texte empirique oral

On pourrait dire que, tout comme l’activité humaine « manger » produit un


repas, celle de « parler » (ou écrire) produit un texte. Avec Bronckart (1997,
p. 378), nous postulons en effet que « la notion de texte désigne […] toute unité
de production verbale véhiculant un message linguistiquement organisé et ten-
dant à produire sur son destinataire un effet de cohérence ». Un texte adéquat
sur le plan de la communication diffère d’un ensemble de phrases non reliées et
il est perçu comme un tout indépendamment des éléments qui le composent.
Dans cette perspective, le choix de textes comme objets de travail pour l’ensei-
gnement de l’oral s’impose nécessairement. Il permet de travailler les phéno-
mènes de textualité orale en rapport étroit aux situations de communication,
d’étudier différents niveaux de l’activité langagière et de rendre l’enseignement
plus significatif.
Prenons un exemple et imaginons un travail didactique d’écoute et d’analyse
d’un exposé oral, réalisé par un professeur à propos de la vie d’un animal : la
taupe. Les caractéristiques de cette production orale, les éléments verbaux et

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

paraverbaux (posture de l’orateur, gestes, voix, intonation, utilisation d’images


et de notes à l’appui) peuvent être mis en rapport avec les caractéristiques parti-
culières de la situation de communication : la volonté de transmettre à un
groupe d’élèves des connaissances à propos de la taupe. Les contenus, l’organi-
sation du plan de l’exposé, la progression des thèmes, le marquage linguistique
du texte, les stratégies de l’orateur pourront être situés et justifiés dans
l’ensemble du texte. L’enseignant pourra mettre en perspective les observations
du texte entendu et préparer la prise de parole dans une situation semblable.

Les genres de textes

Chaque texte, comme chaque repas, est un événement singulier. Mais comme
on distingue différentes formes de repas avec des déroulements, des mises en
scènes, des instruments et des participants différents, on peut observer aussi des
sortes de textes qui diffèrent selon les contextes. Imaginons des situations de
communication aussi différentes que raconter un événement vécu à un copain,
débattre d’une question controversée devant une assemblée ou expliquer la
migration des oiseaux à une classe. S’il fallait à chaque fois créer ou inventer
entièrement les moyens pour agir dans ces situations langagières, la communi-
cation ne serait guère possible : l’énonciateur du texte ne saurait pas quelles sont
les attentes des auditeurs quant à son texte, sa forme, son contenu ; l’horizon
d’attente des auditeurs serait illimité, de telle sorte qu’ils approcheraient le texte
sans orientation possible, avec un maximum d’inconnues. Pour rendre possible
la communication, toute société élabore des formes relativement stables de
textes qui fonctionnent comme des intermédiaires entre l’énonciateur et le desti-
nataire, à savoir des genres.
À la suite de nombreux auteurs (pour une synthèse, voir Canvat, 1996) et en
nous fondant plus particulièrement sur les propositions de Bakhtine (1984),
nous postulons donc que, dans une culture donnée, les représentations liées au
texte sont fondamentalement génériques : chacun raconte un jour ou l’autre une
fable à un enfant, suit l’exposé d’un enseignant, assiste à une conférence
publique, présente les règles d’un jeu à un groupe d’amis, entame un dialogue
pour demander des renseignements à un guichet, se présente pour un entretien
professionnel en vue de l’obtention d’un poste de travail, écoute des interviews
ou des débats à la radio ou à la télévision. Chacun reconnaît immédiatement ces
genres comme tels et s’y conforme dans ses propres productions. Les textes
empiriques sont donc reconnus par les membres d’une communauté culturelle
comme appartenant à un genre, même s’il est parfois difficile de distinguer des
genres voisins comme la conversation, l’entretien et l’interview ou comme la
discussion et le débat, etc. (Kerbrat-Orecchioni, 1990).
Les genres peuvent être considérés de ce point de vue comme des outils qui fon-
dent la possiblité de communication (et d’apprentissage). Développons cette

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

métaphore du genre comme outil. Un agent doit agir langagièrement (parler ou


écrire) dans une situation définie par un but, un lieu social et des destinataires.
Comme dans toute action humaine, il va utiliser un outil – ou un ensemble
d’outils – pour agir : une fourchette pour manger, une scie pour abattre un
arbre ; l’action de parler, elle, se réalise à l’aide d’un genre qui est un outil pour
agir langagièrement. C’est un outil sémiotique constitué de signes organisés de
manière régulière ; cet outil est complexe et comprend des niveaux différents
(nous le verrons dans le chapitre suivant) ; c’est pourquoi nous l’appelons par-
fois « méga-outil » pour dire qu’il s’agit d’un ensemble articulé d’outils, un peu
comme une usine ; mais fondamentalement il s’agit d’un outil qui permet de
réaliser une action dans une situation particulière. Et apprendre à parler, c’est
s’approprier des outils pour parler dans des situations langagières diverses,
c’est-à-dire s’approprier des genres.

Comment définir le genre comme outil ? Nous situant dans une perspective
bakhtinienne, nous considérons que tout genre se définit par trois dimensions
essentielles :
1) les contenus qui deviennent dicibles à travers lui (le fait de réaliser un exposé
théorique sur la vie des animaux détermine par exemple la pertinence et le
caractère des contenus à développer) ;
2) la structure communicative particulière des textes appartenant au genre (dans
le cas de l’exposé, cette structure se présente comme un instrument au service
de l’apprentissage et de la transmission de connaissances, elle implique l’orga-
nisation interne d’un exposé oral et prend la forme d’un monologue comportant
un plan avec différentes phases ou rubriques généralement explicites) ;
3) des configurations spécifiques d’unités linguistiques : traces de la position
énonciative de l’énonciateur, des ensembles particuliers de séquences textuelles
et de types discursifs qui forment sa structure (le locuteur qui expose dit JE à
certains endroits ou parle de manière neutre à d’autres ; les marques langa-
gières du plan du texte ; les chaînes d’expression désignant un même objet dis-
cursif à travers le texte, l’intonation structurant le texte à différents niveaux,
etc.).

Dans l’optique de l’enseignement, les genres constituent un point de référence


concret pour les élèves. Par rapport à l’extrême variabilité des pratiques langa-
gières, les genres peuvent être considérés comme des entités intermédiaires per-
mettant de stabiliser les éléments formels et rituels des pratiques. Ainsi le travail
sur les genres dote les élèves de moyens d’analyse des conditions sociales effec-
tives de production et de réception des textes. Il fournit un cadre d’analyse des
contenus, de l’organisation de l’ensemble du texte et des séquences qui le com-
posent, ainsi que des unités linguistiques et des caractéristiques spécifiques à la
textualité orale (cf. supra). Étant donné ces caractéristiques (reconnaissables
empiriquement, finalisées, etc.), le genre s’intègre facilement à des projets de

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

classe et permet, de ce fait, de proposer aux apprenants des activités à la fois


spécifiques et qui font sens.
Si les textes constituent donc les objets concrets, empiriques, sur lesquels les
élèves travaillent en classe dans notre démarche, le genre de texte 4 définit l’unité
de travail qui articule ces objets en un tout cohérent.

Genres oraux et activités langagières orales

Aussi large et puissante qu’elle soit, l’unité de travail « genre de textes » ne


recouvre pas certaines activités langagières orales dont nous avons parlé plus
haut et qui jouent un rôle important dans la réalité scolaire et extrascolaire :
l’oralisation de l’écrit. Trois formes sont particulièrement importantes : la récita-
tion de poèmes, la performance théâtrale sous ses formes multiples et la lecture
à d’autres 5. Au sens strict du terme, la réalisation de ces trois activités, tout en
résultant pour l’auditeur en l’écoute d’un texte oral, ne constitue pas une pro-
duction d’un texte d’un certain genre, comme par exemple l’exposé à partir de
notes présenté par une personne en une situation donnée ou la tenue d’un débat
élaboré collectivement par quatre personnes. La différence réside essentielle-
ment dans le fait que, pour l’exposé ou le débat, il y a unicité de lieu et de temps
du processus de fabrication du texte entendu par les auditeurs, le ou les locu-
teurs le réalisant en une fois dans toutes ses dimensions. Dans la récitation, le
théâtre et la lecture à d’autres en revanche, la production se fait en deux temps.
Le producteur peut être le même quand il lit son propre texte : production du
texte écrit d’une part, et oralisation de l’autre ou différent quand il déclame La
Fontaine : la voix est prêtée à un texte produit ailleurs à un autre moment, sou-

4. Pourquoi privilégier la notion de genre par rapport à celle de type de textes ou de discours ? La probléma-
tique des typologies textuelles et discursives trouve sa source dans la linguistique textuelle anglo-saxonne des
années soixante. Elle résulte de la volonté des chercheurs de dépasser le cadre de la phrase pour fournir un
modèle théorique concernant des unités plus larges : les textes. Comme toute classification, une typologie se
donne comme fonction l’établissement d’une série de critères explicites permettant de situer tout texte empi-
rique dans un ensemble possédant une ou plusieurs propriétés communes. Elle cherche la mise en ordre systé-
matique de la diversité et de l’hétérogénéité textuelle par des critères homogènes. Une partie importante de
typologisations de textes oraux et écrits en français adopte des critères tels que les situations de communica-
tion, la structure des textes et la présence d’un certain nombre d’unités linguistiques. Dans la mesure où l’on
prend en considération les paramètres des situations de communication, on considère ces typologies comme
typologies discursives. Trois raisons nous amènent à choisir l’unité genre de textes par rapport à type : a) les
textes empiriques produits de l’action langagière sont hétérogènes du point de vue des types (Bronckart,
1997 ; Adam, 1992) ; b) il s’agit de constructions théoriques, d’outils de recherche pour comprendre certains
phénomènes linguistiques ; c) leur transposition sur le terrain didactique contient un grand risque de dérives
applicationnistes et normatives dénoncées par de nombreux auteurs, notamment dans le domaine du texte nar-
ratif (voir par exemple François, 1988, 1993) : application schématique de la structure conventionnelle, emploi
aveugle de l’imparfait et du passé simple, etc.
5. Nous préférons ce terme, non seulement au traditionnel « lecture à haute voix » qui souligne le seul aspect
de transcodage de l’écrit à l’oral, mais aussi au plus moderne « lecture expressive » qui fait abstraction de la
fonction de l’activité en mettant en avant la seule dimension d’interprétation subjective (voir chapitre 8).

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

vent par quelqu’un d’autre ; l’événement communicationnel au sens strict n’a


lieu qu’au moment où se réunissent le texte et la voix et où le texte est entendu.
Mais comme dans toute situation langagière, la communication – la production
de l’événement communicationnel « lecture à d’autres d’un conte », par
exemple – suit des règles plus ou moins précises, plus ou moins codifiées. Lire
un sermon, un discours politique ou un conte, réciter un sonnet ou une fable,
jouer un drame ou un sketch utilisent des ressources différentes de la voix au
point où, même sans comprendre le sens des mots, on peut en général recon-
naître l’événement communicationnel qu’on entend, le « genre » de l’événe-
ment. Même si le travail scolaire sur l’oralisation porte seulement sur certains
aspects de la troisième dimension qui caractérise un genre (voir plus haut la
définition du genre), il nous paraît donc légitime – aussi par souci de simplifica-
tion – de dire que travailler sur la lecture à d’autres d’un conte ou sur la mise en
scène d’un sketch, c’est travailler sur un genre, tant l’intrication entre le texte
déjà là et la voix mise à son service est étroite, produisant un événement langa-
gier que chacun reconnaîtra comme un genre. Le travail résidera précisément
dans l’adaptation optimale de la voix au genre visé.

Quels genres oraux enseigner ?

Nous venons de voir que les genres constituent et le point de repère essentiel
pour aborder la variation infinie des pratiques langagières et le moyen de traiter
l’hétérogénéité constitutive des unités textuelles. Ils constituent des outils – ou
encore des méga-outils dans la mesure où l’on peut les considérer comme l’inté-
gration d’un grand ensemble d’outils dans un seul tout – qui médiatisent l’acti-
vité de communication langagière. Encore faut-il, dans la très grande diversité
des genres, choisir ceux qui peuvent, et peut-être même doivent, devenir l’objet
d’enseignement. Parce que le rôle de l’école est surtout celui d’instruire plutôt
que d’éduquer, il est nécessaire, au lieu d’aborder les genres de la vie privée
quotidienne, de concentrer l’enseignement sur des genres de la communication
publique formelle, à savoir d’une part, sur ceux qui servent l’apprentissage sco-
laire en français et dans d’autres disciplines (exposé, compte rendu d’expé-
rience, interview, discussion en groupe, etc.) et, d’autre part, sur ceux de la vie
publique au sens large du terme (débat, négociation, témoignage devant une ins-
tance officielle, théâtre, etc.).
La notion d’oral formel mérite une clarification. Nous ne nous référons pas ici à
des prescriptions normatives (phonétiques, morphologiques et grammaticales)
qui porteraient sur un oral standard, largement fantasmatique, indépendant des
situations de communication effectives. Pour nous, les caractéristiques de l’oral
formel découlent des situations et des conventions attachées aux genres. Il fau-
drait donc plutôt parler de caractéristiques conventionnelles du fonctionnement
des genres oraux réalisés en public – caractéristiques qui divergent d’un genre à

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

un autre (conte oral, conférence, homélie, débat, interview, entretien profession-


nel, etc.) et dont le degré de formalité est fortement dépendant du lieu social de
la communication, c’est-à-dire des exigences des institutions dans lesquelles les
genres se réalisent (radio, télévision, église, administration, université, école,
etc.).
La priorité donnée aux genres publics formels n’a pas seulement des raisons
pédagogiques, mais aussi psychologiques et didactiques (cf. voir aussi
Schneuwly et al., 1996). Les élèves maîtrisent généralement bien les formes
quotidiennes de production orale. Elles fonctionnent sous forme de réaction
immédiate à la parole d’autres interlocuteurs présents et peuvent être considé-
rées comme autorégulées, dans la mesure où le fonctionnement langagier se
constitue en grande partie grâce à son propre déroulement. Les cadres d’appré-
hension de la situation sont implicites et peuvent se transformer au cours de
l’activité langagière même ; la gestion de cette dernière est avant tout locale. Le
rôle de l’école est d’amener les élèves à dépasser des formes de production orale
quotidienne pour les confronter à d’autres formes plus institutionnelles
médiates, régulées partiellement par des contraintes extérieures.
Les genres formels publics constituent des formes langagières qui présentent
des contraintes imposées de l’extérieur et impliquent paradoxalement un
contrôle plus conscient et volontaire du comportement propre pour les maîtriser.
Elles sont en grande mesure prédéfinies, « précodées », par des conventions qui
les régulent et qui définissent leur sens institutionnel. Même si elles s’inscrivent
dans une situation d’immédiateté par le fait que très souvent la production orale
se fait en présence d’autres, les formes institutionnelles de l’oral impliquent des
modes de gestion médiatisés qui sont essentiellement individuels. Elles exigent
une anticipation et nécessitent donc une préparation. Par exemple, un exposé
oral ne s’improvise pas, même si au cours du processus de production ce qui a
été préparé préalablement exige une adaptation à la situation. La parole des
autres n’est pas seulement la parole des interlocuteurs présents ; en effet le dis-
cours peut intégrer, sous forme énonciativement explicite, des « voix » institu-
tionnelles proférées ailleurs ou autrefois. La gestion du discours ne dépend pas
uniquement de régulations locales mais aussi de stratégies plus globales.
Les paramètres énonciatifs et sociaux des genres formels doivent être construits
indépendamment de la situation immédiate de production, ce qui exige un cer-
tain niveau de fictionnalisation (Schneuwly, 1988 ; Bernié, 1994). Prenons
l’exemple de l’interview : l’énonciateur a pour fonction de transmettre le savoir
à d’autres, l’interviewer n’est pas seulement un journaliste qui aimerait en savoir
plus sur un sujet, mais aussi un médiateur entre l’interviewé et les auditeurs ; le
lieu social n’est pas l’espace où se réalise l’interview, mais un type d’émission
dans un mass media avec des contraintes bien définies.
De telles formes d’oral fortement définies et régulées de l’extérieur s’appren-
nent difficilement sans une intervention didactique. Nous faisons l’hypothèse

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

qu’elles aident indirectement à améliorer l’expression dans les formes quoti-


diennes de production orale. Nous postulons donc, dans notre travail actuel, que
c’est sur elles que doit porter prioritairement l’enseignement de l’oral en classe
de français.

Un objet autonome d’enseignement

Les genres de textes tels que nous les avons définis, et plus particulièrement les
genres formels publics, constituent bien des objets autonomes pour l’enseigne-
ment de l’oral. Ce sont des objets construits et délimités par le point de vue qui
les crée : extraits de la matière dont ils sont parties prenantes (la variabilité infi-
nie des pratiques langagières), ancrés dans un cadre théorique (l’interaction-
nisme social), fondés sur des analyses empiriques rigoureuses de textes oraux
et, enfin, finalisés en fonction des choix et des priorités associées à l’enseigne-
ment/apprentissage. Ils sont autonomes dans le sens où l’oral (les genres oraux)
est abordé comme objet en soi d’enseignement et d’apprentissage. Ils ne consti-
tuent pas une passerelle pour l’apprentissage d’autres conduites langagières
(l’écrit ou la production écrite) ou non langagières (en rapport uniquement avec
d’autres savoirs disciplinaires). Ils ne sont pas non plus subordonnés à d’autres
objets d’enseignement/apprentissage. Ils sont autonomes parce qu’ils sont pris
comme un domaine à part entière du français et permettent de pointer les
aspects de la langue qui nécessitent un travail isolé.

Des modèles didactiques de genres

Connaître les caractéristiques des genres

La notion de genre permet d’articuler la finalité générale d’apprendre à commu-


niquer avec les moyens langagiers propres aux situations qui rendent la commu-
nication possible. Pour illustrer cette thèse, prenons deux genres publics diffé-
rents : l’assemblée de classe et la présentation d’une recette de cuisine dans une
émission radio. Les caractéristiques de ces deux genres peuvent être contrastées
à différents niveaux :
– les lieux sociaux de production (la radio et la classe) déterminent des
contextes bien différents : des énonciateurs jouant des rôles institutionnels bien
distincts, un destinataire connu qui peut s’impliquer dans l’assemblée de classe,
un public inconnu absent dans le cas de l’émission radio ;

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

– le but des deux situations de communication est également à distinguer : dans


un cas, il s’agit de prendre la parole pour essayer de résoudre collectivement un
problème d’organisation de la classe, dans l’autre, d’informer efficacement pour
permettre au destinataire de réaliser une recette de cuisine ;
– l’assemblée de classe est une situation de dialogue entre un groupe de partici-
pants ; la recette de cuisine dans une émission radio s’effectue généralement
sous forme de monologue ;
– l’organisation textuelle, dans le premier cas, est cogérée, c’est-à-dire produite
au moins partiellement par le déroulement même de l’assemblée ; elle prend,
dans le deuxième cas, la forme d’une suite chronologique de description
d’actions ;
– le vocabulaire et les formes langagières sont de toute évidence différents dans
les deux situations ;
– la diction apparaît être une exigence plus importante dans l’émission radio que
dans l’assemblée où la présence du groupe, les connaissances partagées de la
situation, les implicites, la possibilité d’utiliser des gestes et la mimique consti-
tuent d’autres sources d’information.
Cette rapide comparaison met en évidence ce que la caractérisation de chaque
genre peut présenter d’intérêt pour l’enseignement. Une analyse approfondie
des unités linguistiques permettrait en outre de montrer que, probablement, les
formules interrogatives, les unités de prise en charge énonciative (à mon avis),
les connecteurs argumentatifs (mais), les modalisations (probablement, il se peut
que, etc.) seront présents dans les interventions de l’assemblée et qu’en
revanche, dans la présentation d’une recette de cuisine, on observera des verbes
d’action (couper, mélanger, etc.), des formes verbales à l’infinitif ou à l’impéra-
tif, des organisateurs énumératifs (tout d’abord, ensuite, puis…).
Pour caractériser les genres oraux, il est indispensable de procéder à un recueil
de documents authentiques, par exemple à la constitution d’un corpus d’émis-
sions radiophoniques présentant des recettes de cuisine 6. Plus le corpus sera
riche et varié, plus l’observation portera sur des réalisations textuelles diverses
correspondant aux genres de textes travaillés (la variabilité des réalisations
concrètes dans les présentations orales de recettes de cuisine, par exemple), per-
mettant d’établir des normes langagières d’usage « objectives » sur lesquelles
baser les attentes concernant le comportement des élèves. Même si elles consti-
tuent une base importante pour définir l’objet à enseigner et ses dimensions
enseignables, ce ne sont cependant pas ces normes qui peuvent directement être
transposées dans la classe : d’une part, parce que l’entrée d’un genre à l’école
transforme nécessairement ce genre ; et, d’autre part, parce qu’il est nécessaire

6. Notons que ce recueil peut aussi constituer un fonds dans lequel puiser des exemples ou des extraits pour le
travail avec les élèves (voir cependant le chapitre 1 pour les limites rencontrées fréquemment dans cette
démarche et le chapitre suivant pour la mise en pratique de la démarche).

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

de tenir compte des capacités langagières qu’on vise à construire avec les élèves
à un moment donné de leur progression.

Transformer l’objet pour l’apprenant : la variante scolaire du genre

Dès qu’un genre textuel entre à l’école, il se produit un dédoublement : il est en


même temps un outil de communication et un objet d’apprentissage (Schneuwly
et Dolz, 1997). La scolarisation des genres oraux suscite donc inévitablement
des transformations, certaines sous contrôle plus ou moins conscient des parte-
naires de l’enseignement, d’autres automatiquement liées aux contraintes des
situations didactiques. De ce point de vue, les genres scolaires peuvent être
considérés comme des variantes des genres de référence, qui visent l’accessibi-
lité pour l’élève. L’initiation à des genres textuels complexes, comme les genres
oraux publics, ne peut en effet se faire sans prise en compte des possibilités des
apprenants (Bain et Schneuwly, 1994). Ces variantes doivent aussi tenir compte
des objectifs de nature éthique que l’école assigne à l’enseignement. Par
exemple, il ne saurait être question d’aborder certains thèmes controversés pour
manipuler les élèves ou de faire du débat en classe cette foire d’empoigne que
trop souvent on observe dans les débats télévisés… À cela s’ajoute le fait que la
transposition à l’école d’un genre comme l’interview ou le débat, qui se déroule
habituellement dans une institution comme la radio ou le domaine politique, a
pour effet de changer sa fonction, du moins partiellement ; il n’est donc plus le
même puisqu’il correspond à un autre contexte communicatif, il n’est pour ainsi
dire que fictivement le même, l’école étant d’un certain point de vue le lieu où
l’on fait comme si ; c’est d’ailleurs une manière efficace d’apprendre.

Pour contrôler le mieux possible cette transformation nécessaire du genre


lorsqu’il devient objet à enseigner, nous en construisons un modèle didactique
qui met en évidence ses dimensions enseignables et ainsi rendons aussi expli-
cites que possible les rapports entre les genres de référence et l’adaptation de
ceux-ci pour l’enseignement (Pietro et al., 1996).

Des modèles didactiques pour générer des séquences didactiques

La construction d’un modèle didactique peut être considérée comme l’explici-


tation d’un ensemble d’hypothèses fondées, lorsque de telles données sont dis-
ponibles, à la fois sur :
– certains résultats de l’apprentissage attendus et exprimés (le plus souvent de
manière extrêmement floue et générale) dans divers documents officiels ;

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L’oral comme texte : construire un objet enseignable

– les connaissances linguistiques (fonctionnement des genres chez les experts)


et psychologiques (opérations et procédés impliqués dans la mise en œuvre et
l’appropriation des genres) existantes ;
– la détermination des capacités révélées des apprenants (qui ne permettent
certes pas de véritablement définir une zone de proche développement mais au
moins d’en esquisser quelques contours).

La mise en relation de ces ensembles de données nous permettent d’élaborer ce


que nous avons défini comme un « modèle didactique du genre » (Pietro et al.,
1996/1997). Celui-ci définit les principes (par exemple, qu’est-ce qu’un
débat ?), les mécanismes (réfutation) et les formulations (modalisations, connec-
teurs) qui doivent constituer les objectifs d’apprentissage pour les élèves.
L’explicitation que nous proposons permet aussi de clairement définir de quoi
nous parlons, de préciser le savoir-faire visé : par exemple, le débat public
régulé, genre textuel dont la variante scolaire met l’accent moins sur les dimen-
sions polémiques que sur sa finalité de construction collective de savoir sur un
sujet donné (Miller 1987, Nonnon 1996/7). Un tel modèle permet dès lors de
distinguer ce type de débat d’autres – tel le débat délibératif où une décision
doit finalement être prise – voire de genres plus ou moins proches – tels l’entre-
tien ou la discussion.
Une telle modélisation explicative représente une articulation nodale d’une théo-
rie didactique de l’enseignement de l’oral : à l’interface des théories multiples
et hétérogènes du genre, des capacités observées des apprenants et des objectifs
de l’enseignement, le modèle didactique représente en effet le produit d’une
construction reposant sur trois aspects en interaction et en évolution constante :
– principe de légitimité, c’est-à-dire le fait de se référer à des savoirs légitimés,
soit par leur statut académique, soit parce qu’ils sont élaborés par des experts du
domaine concerné ;
– principe de pertinence : le choix, parmi les savoirs disponibles, de ceux qui,
en fonction des finalités et objectifs scolaires et en fonction des capacités des
élèves, sont pertinents ;
– effet de solidarisation : la création, par le contexte dans lequel ils se situent,
d’un tout cohérent nouveau dans lequel les savoirs intégrés prennent un sens
partiellement nouveau, qui peut être éloigné de celui qu’ils ont dans le contexte
des théories d’origine.

Cet objet devrait correspondre – du moins l’espérons-nous – à cette « forme


idéale » déjà présente, qui contraint le développement de l’extérieur tout en pre-
nant en compte « l’auto-mouvement » (Vygotski, 1934/1976) de l’apprenant.
Mais il ne représente pas, et ne peut le faire, l’objet en tant que tel des activités
d’enseignement/apprentissage. En effet, d’un point de vue pratique, il donne à
l’enseignement une ligne générale, globale, mais :

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– il permet plusieurs réalisations, selon les degrés, les types d’apprenants, qui
correspondent, partiellement ou totalement, aux caractéristiques du modèle ;
– en tant que données, il s’agit à présent de se demander si les éléments du
modèle sont susceptibles, et par quels modes de transmission, de faire l’objet
d’une saisie de la part de l’apprenant : peut-on enseigner à repérer un objet de
controverse ? À employer des connecteurs ? Et, si oui, comment ? Sous quelles
conditions ?
Nous avons dit en introduction que nous proposions une démarche « généra-
tive ». Les modèles didactiques des genres, dont nous venons de décrire les
contours essentiels, sont la base de données de cette démarche. Le modèle
didactique du genre nous fournit, en effet, en quelque sorte des objets potentiels
pour l’enseignement. Potentiels, d’une part, parce qu’une sélection doit être faite
en fonction des capacités des apprenants, d’autre part, parce qu’il ne saurait
s’agir d’enseigner le modèle en tant que tel : c’est à travers des activités, par des
manipulations, en communiquant ou en métacommuniquant à leur propos que
les apprenants vont, éventuellement, avoir accès aux genres modélisés. Nous
verrons comment ceci s’organise dans les séquences didactiques, autre compo-
sante de notre démarche que nous décrivons dans le chapitre 4.

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Les capacités orales des apprenants

« Sylvie sait très bien s’exprimer dans un français étonnamment correct.


Pour son âge, elle est très à l’aise devant un public. »
« Bernard devrait écouter plus attentivement ses camarades pour pouvoir
intervenir à bon escient. »
« Christiane participe bien aux activités de la classe mais devrait savoir
quand elle doit se taire. Parfois elle parle pour ne rien dire. »
« Serge ne s’exprime pas. On ne l’entend jamais. Quand on lui pose une
question, il devient tout rouge et il évite le regard. »
« L’intervention de François dans le conseil de classe était parfaite : il a
réussi à changer la position de ses camarades. Il était si persuasif qu’on
aurait dit un habile politicien. »
« Janine a présenté son exposé avec un débit si laborieux et tellement d’hési-
tations que ses camarades n’ont pas tout compris ce qu’elle disait. »
« Chaque année, nos élèves utilisent une langue plus relâchée et un vocabu-
laire moins précis. »

Les appréciations ci-dessus, que des enseignants pourraient donner à propos de


l’expression orale de leurs élèves, illustrent à quel point il est difficile de dépas-
ser un niveau très général, peu systématique dans l’observation des conduites
orales des apprenants. Dans ces appréciations se trouvent imbriquées plusieurs
dimensions : la fréquence de prise de parole, la qualité de la participation et de
l’écoute, les situations d’interaction, la collaboration entre les locuteurs, les
normes et les habiletés linguistiques en français, les silences, la fluidité, les hési-
tations, l’intonation, le débit, le regard, le geste, etc. Les conduites langagières
orales sont d’une extrême complexité et il est normal que, dans un premier
regard, la conduite d’un élève soit perçue dans sa globalité et que seuls les
aspects qui la distinguent des autres élèves soient soulignés. Comment peut-on
faire pour dégager avec un minimum d’objectivité les capacités impliquées dans
ces conduites complexes ? Que peut-on observer dans les interactions en classe
pour cerner les capacités des apprenants ? Comment décrire les productions
orales des élèves ? Comment décrire les processus en jeu dans l’apprentissage
de genres textuels oraux ?

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Les capacités orales des apprenants

Nous avons vu dans le chapitre précédent que l’oral s’adapte aux situations de
communication et fonctionne donc de manière très diversifiée. Les sujets par-
lants produisent par leurs activités langagières des textes qui sont reconnus
comme appartenant à des formes relativement stables et conventionnelles, à
savoir à des genres de textes correspondant à des situations typiques de commu-
nication. Apprendre à agir dans ces situations signifie dès lors, dans une large
mesure, s’approprier les genres socialement élaborés et reconnus qui sont les
outils de communication. Les aptitudes à produire un exposé ou un rapport
d’expérimentation n’émergent pas au gré de la maturation du système nerveux
mais exigent des apprentissages relatifs aux situations d’interaction à se repré-
senter, aux contenus à développer dans ces situations, aux structures textuelles à
mettre en œuvre, aux moyens linguistiques et aux formes particulières d’oralité
à utiliser.
Le présent chapitre vise d’abord à décrire et à étudier de manière générale les
diverses capacités impliquées dans la réalisation de genres de textes oraux. Le
terme capacité langagière réfère à ce qui est requis pour la production (ou pour la
compréhension) d’un genre textuel dans une situation de communication détermi-
née : s’adapter aux caractéristiques du contexte et du référent (capacités d’action),
mobiliser des modèles discursifs (capacités discursives) et maîtriser les opérations
psycholinguistiques et les unités linguistiques (capacités linguistico-discursives).
Ceci constitue les trois ordres de capacités langagières impliquées dans l’appro-
priation des genres textuels que nous nous proposons de présenter dans ce cha-
pitre. Il s’agit ensuite de dégager ce qui peut être observé dans les verbalisations
orales des élèves pour connaître leurs capacités. La réflexion sur ces dernières per-
met d’esquisser quelques lignes de force pour élaborer un curriculum scolaire
cherchant à transformer les capacités des élèves à produire des textes oraux.

Les trois ordres de capacités langagières

Nous distinguons trois ordres de capacités langagières requises pour la réalisation


d’un texte dans une situation de communication. Bien qu’en réalité inextricablement
confondues dans le processus de production textuelle, elles peuvent être distinguées
pour mieux observer, analyser et décrire le comportement langagier des élèves.

Les capacités d’action

Comme l’ont démontré des auteurs qui étudient le développement prélangagier,


comme Bruner (1983), François (1990, 1993) ou Moro et Rodriguez (1992,
1997), l’enfant, en interaction constante avec son entourage, construit depuis les
premiers mois de son existence un ensemble de capacités communicatives qui

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Les capacités orales des apprenants

se manifestent notamment à travers l’utilisation de systèmes sémiotiques non


langagiers de plus en plus sophistiqués, comprenant à un certain moment aussi
des productions sonores. Sans accéder encore à la possibilité de désignation, ces
systèmes ont une valeur illocutoire, servent à agir sur une autre personne (par
exemple, demander au père un objet hors d’atteinte) et aident en même temps
l’enfant à construire des premières significations liées à la valeur d’usage des
objets de son entourage (la boîte qui sert à mettre des plots d’une certaine
forme). Quand apparaît le langage proprement dit, les formes locutoires – la
possibilité de désigner des objets et des événements du monde – s’intègrent
dans des situations d’interaction déjà partiellement connues et l’enfant déve-
loppe rapidement des capacités d’action verbale ou langagière. Les jeux parta-
gés et ritualisés dans les interactions sociales permettent à l’enfant de découvrir
les scénarios (modèles d’interaction standarisés) qui servent de support à
l’acquisition et à l’utilisation du langage, la réussite de la communication sup-
posant un contexte conventionnel partagé (par exemple, un scénario de la dési-
gnation ou du jeu de rôle). Grâce à la persévérance des adultes dans la structura-
tion des scénarios et à leur prouesse interprétative, l’enfant passe non seulement
de la communication non verbale au langage mais commence à l’utiliser en tant
qu’instrument de régulation des échanges, ce qui suppose qu’à travers le lan-
gage l’enfant ne désigne pas seulement les choses et événements du monde,
mais apprenne en même temps à représenter dans son texte la situation de com-
munication dans laquelle il se trouve. Si nous nous intéressons aux capacités
relatives à ces représentations, c’est parce qu’elles fournissent au producteur
d’un texte les bases à partir desquelles il oriente son action langagière, bases qui
sont en partie représentées dans le texte.
Les capacités d’action permettent donc d’adapter la production langagière aux
contraintes des cadres d’interaction et aux caractéristiques des contenus référen-
tiels mobilisés dans la production langagière. Indépendamment de la complexité
de l’action (demande d’un jouet à sa mère chez le jeune enfant ou plaidoirie
d’un avocat au tribunal), ces capacités impliquent trois types de représenta-
tions 1 :
a) des représentations relatives à l’environnement physique où se réalise l’action
(le lieu et le moment où le texte est produit, la présence ou l’absence des récep-
teurs) ;
b) des représentations relatives à l’interaction communicative : le statut social
des partenaires (les rôles joués par l’énonciateur et le destinataire), le lieu social
dans lequel se réalise l’interaction, le but de l’interaction;
c) des connaissances du monde stockées dans la mémoire et qui peuvent être
mobilisées dans la production d’un texte.

1. Dans presque toutes les séquences didactiques, ces représentations font l’objet d’un travail explicite ; voir
par exemple le travail sur les émissions radiophoniques et sur le rôle de l’interviewer dans le cadre de la
séquence didactique à propos de l’interview radiophonique (chapitre 5).

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Les capacités orales des apprenants

On peut se poser la question de savoir si le choix d’un genre de texte dans une
situation donnée de communication ne fait pas aussi partie intégrante des capa-
cités d’action. Pour y répondre, il faut analyser quel est le rapport entre forme
d’interaction communicative ou situation de communication et genre de textes.
Dans une première approximation, on pourrait penser qu’à une forme donnée
correspond un genre de textes qui est l’outil pour y agir. En réalité, le rapport est
bien plus complexe et peut être décrit comme suit : une situation ne peut être
conçue, connue comme situation langagière qui supporte une action langagière
d’un certain type que dans la mesure où un genre est disponible. Les genres pré-
figurent les actions langagières possibles ; l’existence du débat, sa connaissance
sinon sa maîtrise au moins partielle est la condition nécessaire de l’action lan-
gagière « participer à un débat », tout comme la connaissance et la maîtrise de la
hache représentent la condition nécessaire de l’action langagière « faire tomber
l’arbre ». D’un autre côté, il y a possibilité de choisir un genre (au moins dans
une certaine mesure) : pour persuader des personnes d’arrêter de fumer, on peut
parfois choisir entre le pamphlet, le traité théorique, le récit d’expérience ou le
dialogue maïeutique.
Le choix d’un genre se situe ainsi très précisément à l’intersection des capacités
d’action, puisqu’il participe à la définition de la situation, et des capacités discur-
sives, puisque leur choix en fonction de la situation est partiellement libre et que le
genre comme outil doit pouvoir être adapté à un destinataire précis, à un contenu
précis, à un but donné dans une situation donnée – choix et adaptation constituant
des capacités discursives, comme nous le verrons maintenant.

Les capacités discursives

Le choix du genre mobilise une série très complexe de capacités en interaction


forte que nous regroupons en deux sous-ensembles principaux :
– Le premier sous-ensemble comprend ce que Bronckart (1997) appelle la ges-
tion de l’infrastructure générale du texte. Il s’agit de choisir l’une des grandes
variantes discursives (ou des variantes mixtes) : discours interactifs ancrés
immédiatement dans la situation production ; discours théoriques autonomes du
monde ordinaire du producteur ; récits interactifs dans lesquels les événements
racontés sont en relation avec les agents de l’action langagière en cours ; dis-
cours narratifs autonomes et disjoints de l’action langagière en cours. En même
temps, les genres sont composés de séquences textuelles qui, selon Adam
(1992), peuvent être distingués ainsi : narrative, descriptive, argumentative,
explicative et dialogique. Du point de vue de son infrastructure, le genre se
présentera ainsi, entre autres, comme un tout comprenant dans une composition
unique des variantes discursives et des séquences textuelles emboîtées ou juxta-
posées.
– En même temps, la production d’un texte implique continuellement des choix
et l’élaboration de contenus. Partiellement présents en mémoire, selon des

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Les capacités orales des apprenants

modes d’organisation d’ailleurs largement inconnus, ces contenus sont mobili-


sés pour un texte en fonction de ce qui est déjà dit avant, par soi-même et par
d’autres. Ils se transforment et s’organisent donc par le fait même qu’ils sont
énoncés à un moment particulier ; de nouveaux contenus surgissent par cet effet
de rencontre entre texte déjà là et texte à produire.

Le rapport entre ces deux dimensions de production de discours n’est détermi-


niste ni dans un sens ni dans l’autre. Les contenus d’un texte ne préexistent pas
tels quels à leur mise en forme ; l’infrastructure textuelle, par le fait qu’elle
impose partiellement par sa forme ce qui est à dire à un certain moment du
texte, crée par combinaison de connaissances, souvenirs, sentiments de nou-
veaux contenus ou articule de manière nouvelle, imprévisible des contenus déjà
là. Inversement, les contenus déjà partiellement là cherchent leur forme
d’expression optimale, transformant de ce fait l’agencement canonique du genre
avec ses variantes discursives et ses séquences prototypiques.
Un même contenu, par exemple l’événement stocké en mémoire – la chute à
vélo et la fracture d’un bras avec les événements qui en découlent –, peut ainsi
faire l’objet d’une infinie variété de récits par le fait même que chaque récit
d’expérience se situe par rapport à d’autres qui le précèdent, qu’il s’insère dans
une situation englobante à chaque fois différente, faisant découvrir, y compris
pour le narrateur, des perspectives nouvelles, inédites sur l’événement qu’il a
lui-même vécu. Le même événement peut par ailleurs faire l’objet d’une ana-
lyse plus explicative, cherchant à élucider des causes et apparaître ainsi, encore
une fois, sous un autre jour, que le genre explicatif aura permis de découvrir.
Loin de préexister tels quels aux textes, les contenus sont le produit même de
l’élaboration du texte à travers un genre. Le travail sur les deux sous-ensembles
de capacités discursives se fait séparement par une démarche de double prépara-
tion du contenu et de la forme 2.

Les capacités linguistico-discursives

L’architecture interne d’un texte est indissociable des matériaux qui entrent dans sa
composition. On reconnaît un récit d’expérience vécue aussi par le « je » qui nous
indique la responsabilité de celui qui prend en charge le récit, par les déictiques
temporels comme « il y a quelques années, quand j’étais petit et je vivais encore au
Maroc », par les temps du verbe, par des organisateurs temporels qui marquent les
parties du texte comme « un jour », « le lendemain », etc. Lorsqu’on parle des ca-
pacités linguistico-discursives, on se réfère précisément aux opérations impliquées
dans la production textuelle. À ce propos, nous distinguons des capacités néces-
saires pour maîtriser quatre sous-ensembles d’opérations.

2. Ce principe de travail est explicité dans le prochain chapitre sur la séquence didactique.

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Les capacités orales des apprenants

1. Pour la textualisation, on peut distinguer deux types d’opérations :


• les opérations de connexion et de segmentation : elles explicitent les différents
niveaux d’organisation du texte : l’articulation entre les parties, les segments de
discours et les interventions ; la séparation, les liens ou l’intégration entre les
énoncés, les périodes et les clauses (Schneuwly, 1997)3 ;
• les opérations de cohésion nominale et verbale : il s’agit d’une part, de l’utili-
sation de reprises d’une unité-source du texte par des syntagmes nominaux ou
des pronoms (par exemple dans la chaîne « mes sœurs… aînée… elle… la
cadette… mes sœurs », la première expression marque l’insertion dans le texte
d’une unité de signification nouvelle à partir de laquelle s’établit une chaîne
anaphorique qui explicite les relations de solidarité entre cette unité et celles qui
la reprennent) (de Weck, 1991) ; il s’agit, d’autre part, de la gestion des temps
du verbe (voir Bronckart 1997, chapitre 8).
2. La prise en charge énonciative se réalise également à travers deux types
d’opérations (Bronckart, 1997). La régie des voix énonciatives règle le rapport
entre les différentes voix qui peuvent apparaître dans un texte : la voix de
l’auteur, la voix des personnages d’un récit, les voix d’autres personnes 4. Les
expressions de modalisation ont trait aux commentaires ou évaluations portés
sur le contenu thématique par l’auteur, par les personnages ou par les autres per-
sonnes citées dans le texte. Ces modalisations peuvent concerner la valeur de
vérité (« c’est évident », « probablement »), exprimer l’obligation, le droit, la
norme (« il faut », « on peut ») ou donner une appréciation (« c’est malheu-
reux », « hélas »).
3. Les opérations de construction des énoncés nous paraissent pouvoir être
décrites par les concepts de clause et de période introduits par Berrendonner et
Reichler-Béguelin (1989) et par Berrendonner (1990 et 1993). La clause est une
unité de comportement qui introduit un changement dans l’état courant de la
mémoire discursive des interlocuteurs. Une clause peut contenir un seul élé-
ment. Par exemple, « le stylo ! », dit dans un contexte où l’on doit signer un
document alors qu’on ne dispose pas de l’instrument qui permet d’écrire. Une
clause peut également combiner plusieurs éléments linguistiques et non linguis-
tiques. Par exemple : « Donne-moi le stylo », dit en signalant avec l’index la
place où se trouve le stylo. L’énonciateur enchaîne les clauses entre elles en
périodes marquées par la courbe intonative. L’intonation conclusive délimite
une période alors que les clauses à l’intérieur d’une période sont délimitées par
des intonèmes progrédientes (qui suscitent l’attente de l’interlocuteur). Dans un
énoncé comme « c’est Serge / chouette / on va se régaler », un certain nombre
d’éléments non assertés doivent être traités comme admis pour saisir les articu-
lations (c’est Serge qui va cuisiner aujourd’hui ; Serge est un bon cuisinier,

3. Les séquences sur l’exposé (chapitre 6) et le débat (chapitre 7) travaillent sur les opérations de connexion.
4. Voir le chapitre 7 pour des exemples sur la voix des autres personnes dans le propre discours.

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Les capacités orales des apprenants

etc.) 5. Les liens qui s’établissent au sein d’une période comme celle que l’on
vient de présenter se fondent sur les possibilités d’inférer les informations grâce
à la mémoire discursive.
4. Le choix des items lexicaux (des mots sémantiquement pleins, dotés de pro-
priétés syntaxiques, sémantiques et phonologiques précises) constitue un
ensemble d’opérations en interaction forte avec les autres niveaux. Faisant appel
à la manière dont sont organisés les éléments lexicaux dans la mémoire des
locuteurs, les opérations se font en fonction également de la cohésion nominale
qu’elles aident à mettre en évidence 6, de certaines dimensions de prise en
charge et de modalisation 7, de la situation de communication et du genre.
Où situer les caractéristiques phoniques de la chaîne parlée que nous avons
décrites en détail dans la première partie du chapitre 2, à savoir les variations de
hauteur, d’intensité ou de durée qui déterminent la mélodie, les tons et les
pauses, les accents, le rythme, etc. ? En analysant le découpage que nous venons
de proposer, on s’aperçoit immédiatement que ces caractéristiques ne se situent
pas quelque part en dehors, mais font partie intégrante des opérations de textua-
lisation (mise en évidence de l’infrastructure textuelle par l’intonation, les
pauses, etc.), de prise en charge (variation de la voix en fonction des rapports au
contenu) et de structuration syntaxique (les courbes intonatoires mettent en évi-
dence la structure des clauses et périodes).

Observer les capacités et les difficultés des élèves

En situation scolaire, l’observation et l’appréciation des capacités orales des


élèves est une nécessité. Cette tâche est difficile. On a en effet tendance à faire
l’amalgame entre ce qui est de l’ordre des appréciations normatives sur la qua-
lité des productions des élèves et ce qui constitue une observation, aussi objec-
tive que possible, des capacités impliquées dans la maîtrise d’un genre : les pro-
cessus dynamiques dans lesquels l’élève est capable de s’engager et les
obstacles qu’il rencontre dans la réalisation. Les nouvelles connaissances sur le
français parlé et les observations effectives sur le fonctionnement des genres tex-
tuels montrent que ce qu’on considère parfois comme une faute recouvre des
phénomènes très variés, parfois d’usage courant dans certaines situations et chez
toutes sortes de locuteurs. Étant donné que rarement les fautes conduisent à

5. La séquence sur la lecture à d’autres, décrite dans le chapitre 8, permet de travailler ces dimensions.
6. Voir les exemples de reprise anaphorique dans le chapitre 6.
7. Dans le travail sur le débat, les choix lexicaux sont abordés de ce point de vue.

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Les capacités orales des apprenants

l’échec dans la communication, il paraît judicieux de travailler d’abord sur la


construction des discours et pas exclusivement à la recherche d’éventuelles
incorrections selon les normes du bon français.
La tâche d’évaluation est difficile aussi parce que les conduites orales sont très
complexes et difficiles à objectiver. La possibilité d’analyser plus finement ces
conduites verbales grâce à des enregistrements permet de surmonter partielle-
ment cette difficulté. Encore faut-il trouver des indicateurs pour situer les élèves
à un « stade du développement de l’oral » et ainsi tenir compte de l’«état langa-
gier oral » d’un groupe d’élèves. Mais « apprécier les capacités d’un élève, c’est
identifier non un “état” de développement, mais les processus dynamiques dans
lequels il est capable de s’engager (cf. la notion vygotskienne de “zone de déve-
loppement proximal”) ; en l’occurrence, c’est identifier les actions langagières
qu’il est apte de réaliser en réponse à une consigne donnée, et dans une situa-
tion didactique spécifique » (Dolz, Pasquier et Bronckart, 1993, p. 33).

Vers une (auto-)évaluation des élèves

Pour observer les capacités des élèves, il nous semble donc nécessaire de pro-
poser et de discuter avec les élèves les projets d’apprentissage relatifs aux
actions langagières orales. La mise en situation explicite de ces actions et des
rituels de prise de parole qui les caractérisent contribue à clarifier la situation
d’interaction dans laquelle il va devoir parler. Une fois le texte oral produit,
on peut alors essayer d’identifier les capacités d’action (contenus et rituels
interactifs du genre intégrés), discursives (organisation du texte) et linguis-
tico-discursives (caractéristiques de surface de la textualité orale). Pour
chaque genre (interview, débat, présentation orale d’une recette, exposé, etc.),
les dimensions à observer sont différentes et c’est grâce aux modèles didac-
tiques des genres (cf. chapitres 3 et 6) que nous disposons d’indicateurs pour
dégager les capacités des apprenants.

Établir des critères d’observation est donc fondamental pour pouvoir cerner, au-
delà du langage idiosyncrasique de la personne et des éventuelles fautes par rap-
port aux normes, quelles sont les principales caractéristiques des genres produits
par les élèves. Ces critères doivent s’adapter au niveau d’âge des élèves, ceci
d’autant plus, si l’on veut que les élèves écoutent leurs propres productions et
les discutent collectivement. Dans ce cas, la formulation même des critères
d’observation doit être extrêmement simple de manière à la rendre compréhen-
sible et de les aider ainsi à objectiver et à prendre conscience de certaines des
dimensions des genres produits. À titre d’exemple, nous allons transcrire deux
productions d’élèves de 8 ans dans une situation de production d’un récit d’évé-
nement, dans le cadre d’une émission de radio scolaire, et suggérer une grille
d’observation pour cette production.

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Les capacités orales des apprenants

Enseignante : [...] tu as encore une histoire toi – alors on t écoute


Élève 1 : moi j étais encore au bord de la mer – et puis [auto-interruption, expi-
ration très audible] i avait [aspiration très audible] puis j’avais fait
un… sateau d’sable [aspiration très audible] et après quand j partais –
j’avais glisé [auto-interruption] [s] [auto-interruption] i avais [auto-
interruption, aspiration très audible] j’avais glisé… sur l’sa… ble [aspi-
ration très audible] et après moi j’suis tombé sur le château de sable
Enseignante : [rires ]
Autre élève : [rires]
Enseignante : et qu’est-ce que tu as pensé?
Élève 1 : et après il était tout détruit
Enseignante : et alors
Élève 1 : [rire, aspiration très audible] et pis en plus c’était moi qui l’avais fait
alors moi j’étais un peu triste

Élève 2 : c’était en vacances [aspiration très audible] en Thaïlande – c’était à la


mer – j’ai pris un masque – je suis allée m [auto-interruption] me bai-
gner [auto-interruption] et pis… [aspiration très audible] y avait un
poisson qui m – [aspiration très audible] qui me chatouillait tout le
temps alors après [aspiration très audible] euh… j’ai réussi à l’attra-
per – avec euh… – [aspiration très audible] mon frère et pis… ma
maman – et pis… m après – m [petit rire, aspiration très audible, long
silence de 6 secondes]
Enseignante : est-ce que [aspiration très audible] qu’est-ce que tu as fait de ce
poison – tu l’as relâché
Élève 2 : non j’ai… m – quand – m je suis za [auto interruption] je l’ai pris et
pis [aspiration très audible] j’ai creusé m… dans le sable et pis j’ai fait
un grand trou avec mon frère et pis on a mis… [aspiration très audible]
de l’eau n avec de la niège et pis on l’a mis là dedans et pis y a ma
maman qui l’a dit de… le… relâcher

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Les capacités orales des apprenants

Dans la grille destinée à l’observation par un groupe d’élèves de 7-8 ans de leurs
premières présentations d’un récit d’événement vécu, les annotations constituent
une aide pour une nouvelle présentation du récit de vie dans une émission radio-
phonique scolaire :

Nom de l’élève Évaluation Visa du


Si je suis déjà capable de le faire, je note OK. de l’élève maître
Si je dois faire attention pour l’émission radio,
je colore en rouge.
a) J’ouvre l’émission :
– je m’adresse à l’auditoire ;
– je me présente à l’auditoire ;
– j’annonce ce que je vais raconter.
b) Je commence mon récit (ancrage énonciatif) :
– je situe dans le temps ce que je veux raconter.
c) Je choisis les contenus et j’organise mon récit :
– je présente la situation, les lieux et les personnages ;
– je choisis ce qui me semble intéressant à raconter ;
– j’ordonne les événements dans le temps ;
– je crée le suspense ;
– je donne des indications pour rendre attractifs
les événements importants.
d) Intelligibilité de la manière de parler :
– je parle assez fort et clairement pour être entendu ;
– j’essaie de contrôler la respiration et les interruptions
pour être compris.
e) Textualité orale :
– j’utilise des silences pour augmenter le suspens ;
– j’utilise des mots comme « un jour », « tout à coup »...
pour ordonner mon récit ;
– je varie l’intonation et le rythme pour marquer
les moments importants et donner envie d’écouter.

Nous verrons d’autres exemples de grille dans la partie 3. L’examen des


textes produits enregistrés, libérés de la parole immédiate, permet à l’ensei-
gnant et à l’élève de se questionner sur les prestations réalisées, de prendre
conscience de certaines difficultés relatives aux capacités langagières et de
choisir enfin les dimensions à travailler en classe et les nouveaux objectifs à
atteindre.

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Les capacités orales des apprenants

Éléments pour construire une progression


dans l’enseignement de l’oral

Sans encore être capables de proposer un curriculum pour l’enseignement de


l’oral, nous pensons toutefois pouvoir définir d’ores et déjà trois conditions aux-
quelles un tel curriculum devrait répondre pour agir efficacement sur les capaci-
tés langagières des élèves.
1. Une première condition consiste à proposer à l’apprenant une unité de travail
qui lui donne une vision d’ensemble de ce qu’il est en train d’apprendre. Cette
unité, nous l’avons déjà dit, sont les genres. Ils sont abordés dans toute leur
complexité, c’est-à-dire du point de vue des normes et des significations parta-
gées qu’ils véhiculent. Par exemple, une des façons de penser l’enseignement,
c’est de trouver des manières d’argumenter plus ou moins complexes en fonc-
tion de l’âge des apprenants. On va d’abord travailler des jeux de rôle et des dia-
logues argumentatifs et, progressivement, on va introduire des genres tels que le
débat régulé. Dans les deux cas, l’apprenant se trouve dans une situation qui fait
sens, mais qui exige de mobiliser des capacités à des niveaux très différents.
L’unité de travail ici n’est plus un ensemble d’éléments mais une unité significa-
tive. C’est elle qui constitue le principal organisateur d’un curriculum.
Les genres permettent de travailler sur des objectifs de complexité variable ou,
autrement dit, des problèmes langagiers de différents degrés de difficulté. Ces
objectifs ont trait aux quatre niveaux fondamentaux d’opérations du fonctionne-
ment langagier qui peuvent être résumés de la manière suivante :
– représentation du contexte social ou contextualisation (capacités d’action) ;
– structuration discursive du texte ou planification (capacités discursives 1) ;
– représentations sur les contenus thématiques à développer (capacités discur-
sives 2) ;
– choix d’unités linguistiques ou textualisation (capacités linguistico-discur-
sives).
Les modèles didactiques des genres oraux fournissent une première orientation
dans le choix des dimensions qui méritent d’être intégrées dans un curriculum
scolaire, mais l’organisation des objectifs d’apprentissage entre les différents
cycles de l’enseignement reste encore largement ouverte.
2. Il est nécessaire de travailler à chaque cycle une grande diversité de genres
oraux. Pour mieux maîtriser ce problème de diversification, nous avons défini
des regroupements de genres (Dolz et Schneuwly, 1996), l’idée générale étant
qu’à chaque cycle un genre au moins de chaque regroupement est abordé. Ces
regroupements, dont nous reconnaissons le caractère partiellement ad hoc, ont
été définis en fonction des critères suivants :

85
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Les capacités orales des apprenants

– ils sont relativement homogènes quant aux trois ordres de capacités langa-
gières impliquées dans la maîtrise des genres regroupés ;
– ils correspondent à des domaines culturels essentiels de la communication
dans notre société ;
– ils reprennent de manière souple certaines distinctions typologiques comme
celle de séquences d’organisation (Adam, 1992) et d’autres formes communes
de planification.
Voici une brève description de ces regroupements :
– Narrer regroupe les genres appartenant à la culture fictionnelle tels que les
contes, les récits d’aventures, les fables, etc. La production de ces genres
implique des capacités associées à la création d’un univers de fiction vraisem-
blable (une image du monde créée par le texte et n’existant que dans et à travers
le texte) et à la mise en intrigue des actions des personnages. Pour produire
l’effet de l’intrigue, le producteur du texte doit être capable d’organiser les évé-
nements selon une certaine hiérarchie (temporalité et tension) et de faire jouer
aux personnages un rôle essentiel dans cette organisation.
– Relater comprend les genres destinés à documenter et mémoriser les actions
humaines : les expériences personnelles (récit conversationnel, récit d’expé-
rience vécue, récit de voyage, témoignage), les événements d’actualité (nou-
velles de la radio ou de la télévision, reportages, chronique sportive, etc.) ou les
événements historiques (récit historique, esquisse biographique, biographie,
etc.). Les capacités associées à la représentation par le discours des expériences
humaines situées dans le temps sont fondamentales : mobiliser des sources de
« référence » et établir un rapport avec celles-ci, sélectionner les événements qui
méritent d’être rapportés, décider les fonctions testimoniales à prendre en charge
en tant qu’auteur du récit (attestation, évaluation avec des critères de certitude
et d’authenticité), établir une chronologie, etc.
– Argumenter a trait au domaine de la discussion de problèmes sociaux. La déli-
bération informelle, le débat, la plaidoirie, le réquisitoire, l’assemblée, le conseil
de classe sont des exemples de genres oraux qui mobilisent des capacités asso-
ciées à l’étayage des opinions, à la formulation d’objections ou à la réfutation et
à la négociation de points de vue différents.
– Exposer concerne la transmission et la construction de savoirs. Cela inclut les
textes pour apprendre (textes expositifs et explicatifs) et, de ce point de vue, ce
genre joue un rôle bien particulier dans l’enseignement. Les genres oraux appar-
tenant à cette rubrique sont l’exposé oral, la conférence, l’interview d’expert, le
dialogue explicatif, etc. Ces genres impliquent des capacités de présentation et
de problématisation de différentes formes des savoirs. Ils supposent une mobili-
sation de connaissances à propos des savoirs traités, des stratégies de recherche
d’informations, des mises en relation entre les notions abordées. Ils supposent
aussi des capacités de prise de distance et d’anticipation pour « faire com-
prendre » ces savoirs à un auditoire.

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Les capacités orales des apprenants

– Régler les comportements se situe dans le domaine des prescriptions et des


instructions pour orienter les actions humaines (dire ce qu’il faut faire ou dire
pour aider à faire) et ajuster mutuellement les comportements individuels et col-
lectifs (dire pour préciser les règles à respecter dans les échanges avec les
autres). Cette rubrique regroupe des genres tels que la présentation d’une recette
de cuisine, les consignes, les règles de jeu, les descriptions d’itinéraires, les dia-
logues pour obtenir des renseignements, etc.

Les regroupements ainsi définis ne sont pas étanches les uns par rapport aux
autres. Il n’est pas possible non plus de placer chaque genre de manière absolue
dans l’un des regroupements proposés. Cependant les regroupements aident à
aborder provisoirement des problèmes pratiques pour comprendre l’organisation
des apprentissages en respectant surtout le principe d’une diversification du tra-
vail à tous les niveaux. À chaque cycle de la scolarité, l’un ou l’autre genre de
chacun des regroupements serait abordé. Cette démarche présente les avantages
suivants :
– elle offre aux apprenants des voies d’accès différentes à l’expression et réalise
ainsi le principe pédagogique de différenciation (Schneuwly, Rosat, Pasquier et
Dolz, 1993). On peut en effet supposer que les capacités d’expression de chaque
élève ne se distribuent pas uniformément sur les différents regroupements ; tel
apprenant aura plus de facilité pour argumenter, tel autre pour narrer et ainsi de
suite. L’oral n’apparaît plus comme un unique obstacle, difficile à franchir, mais
comme un domaine qu’on peut aborder par différents chemins, plus ou moins
aisés ;
– d’un point de vue didactique, la diversification des genres travaillés, régulée
par les regroupements, offre la possibilité de définir des spécificités de fonction-
nement des genres en les comparant, implicitement ou explicitement, les uns
aux autres. Il s’agit d’un principe élémentaire de construction par la confronta-
tion à du même et à du différent ;
– psychologiquement, de nombreuses opérations langagières, nécessaires pour
maîtriser les genres appartenant à un regroupement, sont intimement liées. Ceci
n’exclut pas des transferts ni la transformation plus globale du rapport de l’élève
à son propre langage ;
– les finalités sociales assignées à l’enseignement de l’expression, enfin, néces-
sitent un travail spécifique pour développer les capacités des élèves dans des
domaines aussi divers que, par exemple, le langage comme outil d’apprentissage
ou comme mimésis de l’action, au service de la réflexion sur le rapport de
l’homme au monde et à lui-même. Il paraît très peu probable que travailler dans
l’un permette de développer efficacement les capacités nécessaires pour maîtri-
ser l’autre. Tous doivent donc être abordés à tous les niveaux de la scolarité pour
répondre aux finalités de l’enseignement scolaire.

3. Pour transformer les capacités des apprenants au cours de la scolarisation


obligatoire, une approche « en spirale » semble profitable :

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Les capacités orales des apprenants

– un même genre peut être abordé plusieurs fois au cours de la scolarité, avec
des degrés d’approfondissements croissants ;
– des objectifs semblables sont abordés à des niveaux de complexité de plus en
plus grande dans le cursus scolaire.
La logique sous-jacente à la conception n’est donc pas celle d’une construction
pas à pas, élément par élément, mais celle d’une réorganisation fondamentale
des capacités langagières dominantes en fonction de l’intervention de nouveaux
niveaux. Tout l’art de concevoir une progression est de définir un certain
nombre de dimensions clés, propices à initier des transformations importantes
du mode de fonctionnement langagier.
Prenons par exemple « donner son avis et le justifier en classe », le « débat
régulé en public » et la « plaidoirie ». Les élèves des premiers degrés de l’école
primaire peuvent, d’une manière relativement simple, apprendre à exprimer leur
point de vue et le justifier systématiquement avec une ou deux raisons, dans les
situations proches de la vie de la classe. Dans ces situations, les élèves arrivent à
développer toute une série de capacités argumentatives relatives à l’opération
d’étayage argumentatif. Le débat régulé va réorganiser ce que les élèves savent
déjà dans une situation complètement différente où ils doivent se représenter
globalement une controverse, les positions des autres débatteurs, le but à
atteindre pour le public qui écoute. D’une certaine manière, on peut dire que,
pour participer au débat, il faut au minimum avoir stabilisé la capacité de choisir
une opinion et la justifier. Ceci peut constituer une base pour des conduites plus
complexes. La manière d’intervenir de l’élève va devoir se réorganiser dans le
débat. Il devra entrer en dialogue avec les autres, développer ses propres argu-
ments en fonction des arguments de l’autre, formuler des objections aux argu-
ments de l’adversaire, etc. Au secondaire, une nouvelle rupture peut être intro-
duite qui va de l’apprentissage du dialogue argumentatif à la découverte des
dimensions dialogiques de l’argumentation. Dans un monologue argumentatif,
comme dans une plaidoirie, l’élève pourra s’exercer à intégrer ce qu’il a appris
dans le dialogue du débat pour rendre son argumentation dialogique : intégrer la
parole de l’autre dans son intervention, anticiper et réfuter les positions adverses,
élaborer des contre-arguments, suggérer les voies d’un compromis, etc.
Ce n’est pas une progression en termes d’éléments, mais en termes de maîtrise
de certaines situations considérées globalement qui facilitent la réorganisation
du tout. On ne peut pas réorganiser quelque chose dont on ne connaît pas l’orga-
nisation stabilisée à un certain niveau. L’absence d’un élément n’est pas la chose
la plus importante, ce qui est important c’est de prendre en considération les
capacités initiales de l’apprenant comme base pour stabiliser de nouveaux
apprentissages.
Par ailleurs, la définition des étapes à franchir doit prendre en considération les
grandes ruptures qui se produisent à l’école lors du passage entre les différents
cycles scolaires :

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Les capacités orales des apprenants

– l’entrée à l’école maternelle ou enfantine, où se produit le passage des oraux


de la famille aux oraux de l’école (et parfois un changement même de langue,
car le nombre d’allophones est très important dans certaines écoles) ;
– le passage à l’école primaire, où l’entrée dans le monde de l’écrit permet un
rapport différent à l’oral ;
– le passage au cycle moyen, où la lecture et l’écriture de textes suscitent de
nouvelles formes d’interaction entre l’oral et l’écrit ;
– le passage au secondaire inférieur, où la division disciplinaire des matières
invite à une approche plus distanciée du français en général et de l’oral en parti-
culier.

De réels changements de perspective doivent ainsi être introduits entre les dif-
férents degrés de la scolarité, en particulier lors du passage de l’école primaire
au secondaire obligatoire.
Si, en tenant compte de ces conditions, il est possible d’aller dans le sens de la
définition de contenus à aborder aux différents degrés de la scolarité, il est
encore nécessaire, pour transformer réellement les capacités initiales attestées
des élèves (résultat de l’apprentissage spontané mais surtout de l’enseignement
intentionnel préalable), d’élaborer des outils et des démarches d’intervention.
Ces outils constituent des moyens susceptibles de permettre aux élèves de pas-
ser à une nouvelle étape dans le processus complexe de sa socialisation. C’est à
cela que servent les séquences didactiques que nous allons décrire maintenant.

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La séquence didactique :
une démarche d’enseignement de l’oral

Nous avons exposé l’objet du travail scolaire dans le domaine de l’oral; il s’agit de
genres publics formels, dont font partie également certaines activités d’oralisation
de l’écrit. Puis nous avons présenté notre conception des capacités langagières en
jeu dans la production de l’oral, ainsi que quelques hypothèses concernant la pro-
gression grâce à laquelle les élèves développent, à travers l’enseignement, leur maî-
trise des situations de communication orale. Nous allons maintenant aborder le
cœur de notre démarche, c’est-à-dire le type d’enseignement que nous proposons :
la séquence didactique. Basée sur deux principes fondamentaux que nous présen-
terons en introduction, cette démarche essaie de combiner les avantages de la sys-
tématicité, puisqu’elle se présente comme un tout cohérent d’ateliers et d’activités,
avec ceux de l’adaptabilité, puisqu’elle est conçue comme un système modulaire
qui permet des ajouts et des suppressions en fonction de la diversité des situations
de communication et des classes.

Deux principes de base de la séquence didactique

Pour mettre en évidence les particularités de notre démarche, nous allons d’abord la
situer par rapport à d’autres dont elle se distingue tout en étant proche du point de
vue des intentions, des références théoriques et des techniques de travail. Deux as-
pects nous paraissent particulièrement importants : elle continue, tout en la trans-
formant, l’entreprise commencée voici plus de trente ans sous l’emblème « rénova-
tion de l’enseignement du français » et dont l’un des principes fondateurs était
d’aborder la langue à la fois du point de vue de la communication et de celui de la
connaissance ; elle est profondément en accord avec les approches qui tentent d’uti-
liser les situations réelles de communication en classe, mais propose d’en faire, au
moins momentanément, des objets d’enseignement. D’où deux principes centraux
qui fondent notre démarche et qui rappellent, en les résumant, certains développe-
ments théoriques présentés plus haut 1.

1. Voir l’introduction et le chapitre 3.

91
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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

Le premier principe consiste à affirmer que le travail sur les genres oraux se fait tou-
jours à deux niveaux : celui de la communication, c’est-à-dire de la réalisation de
l’activité langagière durant laquelle les élèves produisent des textes oraux dans des
situations de communication diverses, et celui de la structuration de cette activité à
travers laquelle les élèves prennent conscience de certaines de ses dimensions, les
observent, les analysent et les exercent. Nous reprenons à notre compte la dichoto-
mie introduite par les tenants de la rénovation de l’enseignement du français entre
« libération » et « structuration » dont il faut rappeler qu’elle visait deux buts essen-
tiels : d’une part, créer pour les élèves des espaces dans lesquels il y ait véritable pos-
sibilité d’exercer la parole sans intervention de l’enseignant (nous avons vu dans
l’introduction la forme que prenait cette intervention dans l’exercice central de tra-
vail sur l’activité orale : l’élocution, p. 12) ; d’autre part, maintenir, préciser, voire
amplifier la réflexion sur le fonctionnement de la langue comme moyen essentiel
pour développer les capacités langagières des élèves. Cependant, la mise en pra-
tique de ces activités n’a pas su éviter deux écueils importants. Le premier est de
séparer trop radicalement les moments de communication des moments de structu-
ration : comme le terme « libération » le laisse entendre, les premiers sont conçus
comme des moments libres de toute contrainte, au cours desquels on apprend à faire
en faisant, la communication et les formes qu’elle prend étant à pratiquer en elles-
mêmes, sans jamais être l’objet d’une analyse réflexive ; à l’inverse, les moments de
structuration – il s’agit essentiellement des leçons de grammaire, vocabulaire et pro-
nonciation – sont censés développer indirectement les capacités des élèves acquises
dans la communication, sans que ces moments soient liés organiquement à celle-là.
Ceux-ci ne débouchent d’ailleurs pas nécessairement sur des activités de structura-
tion, tout comme ces dernières ne sont très souvent pas liées à celles de communi-
cation. De sorte que les ponts possibles entre les deux ne sont pas établis systémati-
quement, ce qui a pour effet que les deux moments sont travaillés séparément avec
l’espoir non formulé que l’élève établira lui-même les liens entre eux. Le deuxième
écueil – lié à celui que nous venons de décrire – tient au fait que la structuration
porte sur des aspects limités de la langue : on analysera la syntaxe de la phrase ; on
observera la morphologie du verbe ; on travaillera certains aspects du vocabulaire.
D’autres aspects centraux du fonctionnement langagier, en revanche, comme la
structure des textes, qu’ils soient monologiques ou dialogiques, ou l’adaptation des
discours aux situations de communication avec les changements syntaxiques, mor-
phologiques et lexicaux qui peuvent en découler sont largement ignorés.
Le premier principe que nous essayons de réaliser à travers notre démarche est d’arti-
culer systématiquement communication et structuration et de faire de l’activité lan-
gagière, dans toutes ses dimensions, le point de départ et l’objet de la structuration 2.
Parler est une activité scolaire continuelle qui se réalise toujours, partout, dans
toutes les branches, sous des formes très diverses : pour raconter, pour discuter

2. Nous aimerions ici insister sur le fait qu’il est par ailleurs nécessaire de prévoir des moments de structuration qui
sont tout à fait indépendants de toute communication : des moments où l’on réfléchit sur la langue comme on ré-
fléchit sur d’autres objets du réel, comme l’espace en géographie ou la vie en biologie (voir Schneuwly, 1998).

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

et élaborer des connaissances, pour rendre compte de savoirs acquis, pour ques-
tionner, pour travailler ensemble en groupe. Dans son utilisation quotidienne à
l’école, la parole est essentiellement un vecteur d’enseignement/apprentissage ;
elle est utilisée comme moyen pour apprendre et ni les élèves ni l’enseignant ne
la pensent comme objet à travailler en soi. Tous les échanges sont autant d’occa-
sions pour les élèves de mettre en œuvre certaines capacités langagières, de les
développer en parlant bien sûr, mais en observant aussi et en imitant les autres,
camarades ou enseignants ; incidemment, ces moments peuvent devenir des
objets de réflexion, soit grâce à l’intervention de l’enseignant qui corrige, refor-
mule, évalue ou commente, soit lors de discussions en classe sur les manières
de discuter, de rendre compte ou de travailler. De fait, certaines approches pro-
posent de faire de cet objet intégré dans les pratiques scolaires habituelles le lieu
principal d’apprentissage et de transformation de l’oral.
Sans nier cette possibilité, nous pensons cependant qu’il est utile et nécessaire –
ceci constituant notre deuxième principe – de faire de la parole sous de multiples
formes un objet d’enseignement/apprentissage autonome. En effet, une particulari-
té de la situation en classe tient au fait qu’on peut y opérer un dédoublement, grâce
auquel le genre ou l’activité langagière n’est plus seulement outil de la communi-
cation, mais également objet de travail scolaire. L’élève se retrouve ainsi forcément
dans l’espace du comme si, dans lequel l’activité langagière orale est réalisée en
partie fictivement, puisqu’elle est instaurée à des fins d’enseignement/apprentissa-
ge. Par le fait qu’elle se réalise dans un autre lieu social que celui de son origine, elle
change de signification et, notamment, elle se transforme toujours en activité lan-
gagière à apprendre, même si elle reste simultanément activité langagière pour
communiquer. Il s’agit donc de mettre les élèves à la fois dans des situations de
communication qui soient plausibles et significatives pour eux, tout en leur donnant
des outils pour mieux les maîtriser.
Pour réaliser ces deux principes de base, nous articulons explicitement le plan
de la structuration avec celui de la communication ou, en d’autres termes, nous
mettons en rapport le travail sur des situations de production et sur la produc-
tion elle-même de textes oraux. C’est cette dialectique qui fonde la démarche
que nous appelons « séquence didactique » et que nous allons décrire d’abord
dans ses principes généraux.

Du complexe au simple… et au complexe

Dans une première approximation, on peut définir une séquence didactique comme
un ensemble de périodes scolaires organisées de manière systématique autour
d’une activité langagière (exposé, débat public, lecture à d’autres, performance
théâtrale) dans le cadre d’un projet de classe. La structure de base d’une séquence
peut être représentée par le schéma suivant :

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

Mise en Production Production


Atelier Atelier Atelier Atelier
situation initiale finale

Séquence didactique
Projet de classe

Schéma 1 : La séquence didactique

Le point de départ de toute séquence est toujours la parole des élèves. Ces derniers
sont d’emblée mis dans une situation de communication qui correspond à un projet
de classe et réalisent, avec les moyens dont ils disposent déjà, le genre oral qui est
l’objet de la séquence. La production initiale peut se faire dans une situation réelle
ou fictive ; l’activité peut être réalisée entièrement ou en partie seulement, par
exemple par la production d’une interview fictive ou par la présentation d’un petit
exposé sur un thème déjà connu. L’essentiel étant que les élèves soient immédiate-
ment confrontés aux problèmes que pose le genre ou l’activité qu’ils vont travailler.
De sorte que leur parole en tant que régulateur de toute la séquence constitue véri-
tablement le centre du travail scolaire, travail qui vise à orienter au mieux cette pa-
role vers des modèles de référence. La mise en situation qui introduit les élèves
dans la séquence joue à cet égard un rôle très important. Elle motive la séquence
dans son ensemble et donne une orientation à la production initiale.
Ce point de départ détermine en partie la suite, dans la mesure où les difficultés que
fait apparaître cette première tentative sont travaillées une à une, de manière appro-
fondie, dans des ateliers « de structuration ». Dans ces ateliers, on va traiter diffé-
rentes dimensions essentielles du genre et aborder plus spécifiquement certains
problèmes apparus dans la production initiale, afin de donner aux élèves les outils
nécessaires pour les surmonter. L’activité langagière globale est en quelque sorte
décomposée pour qu’on puisse aborder séparément certaines de ses composantes,
tout comme dans l’enseignement de la danse, on décompose à certains moments le
mouvement d’ensemble pour travailler isolément tel ou tel geste élémentaire.
La séquence débouche sur une production finale qui est le véritable lieu d’intégra-
tion des savoirs construits et exercés. Elle donne aux élèves la possibilité, à travers la
réalisation de l’activité langagière dans sa totalité, de mettre en pratique et d’intégrer
les savoirs élaborés et les divers outils sémiotiques appropriés abordés dans les ate-
liers. Elle est également le lieu d’une éventuelle évaluation certificative critériée.
La séquence suit donc un mouvement qu’on pourrait décrire comme allant du com-
plexe au simple, c’est-à-dire de la production initiale, lors de laquelle les élèves
sont impliqués dans une activité langagière avec ses multiples facettes, au simple
travail pas à pas des dimensions essentielles du genre en fonction des problèmes
rencontrés par les élèves dans la réalisation de l’activité. Pour finir à nouveau du

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

simple au complexe : la réalisation entière d’une activité langagière en situation de


communication. Commentons plus en détail les trois phases de ce schéma de base.

La mise en situation, ou comment créer une situation


de communication et un objet d’apprentissage

La mise en situation vise à présenter aux élèves un projet de communication qui sera
réalisé « pour de vrai » dans la production finale. En même temps, elle les prépare à
la production initiale, qu’on peut considérer comme une première tentative de réali-
sation de l’activité qui sera ensuite travaillée dans les ateliers. La mise en situation est
donc le moment durant lequel la classe construit une représentation de la situation de
communication et de l’activité langagière à accomplir, sachant que cette activité sera
précisément l’objet d’un enseignement/apprentissage. Il s’agit d’un moment crucial
et difficile dans lequel on peut distinguer deux dimensions principales.
La première dimension est celle du projet collectif de production d’un genre
oral qu’il s’agit de proposer aux élèves aussi explicitement que possible, un pro-
jet à réaliser collectivement nécessitant la production d’un genre oral. Des indi-
cations sont notamment données pour répondre aux questions suivantes :
– Quelle est l’activité langagière qui va être abordée ? Il est question par
exemple d’une lecture d’un texte à des élèves d’une autre classe, de la présenta-
tion d’une recette de cuisine à réaliser pour la radio scolaire, d’un exposé à pro-
poser à la classe. Pour clarifier les représentations des élèves, on peut d’emblée
faire écouter un exemple de l’activité visée.
– À qui s’adresse la production ? Les destinataires possibles sont multiples : les
parents, d’autres classes de l’école, d’autres classes d’autres écoles par l’inter-
médiaire d’enregistrements sonores ou audiovisuels, les élèves de la classe,
l’autre demi-classe, un groupe d’élèves de la classe, les gens du quartier…
– Dans quel contexte la production va-t-elle être écoutée ? Enregistrement audio
ou visuel, performance sur scène ou en classe.
– Qui va participer à la production ? Tous les élèves ; certains élèves de la classe,
tous ensemble, les uns après les autres, individuellement ou par groupes, etc.
En d’autres termes, il s’agit de définir un projet de communication aussi précis
que possible à réaliser en fin de séquence.
Voici un exemple de mise en situation
Pour introduire le travail portant sur la lecture expressive des contes, l’ensei-
gnant propose à la classe d’écouter un conte lu par un lecteur expert. Le
conte choisi pour cette introduction – un conte australien – s’intitule
« Le Vounioupi »
a. Pour faire découvrir par les élèves la provenance du conte, l’enseignant les
prévient, avant de leur faire écouter le texte, qu’un détail précis donne une indi-

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

cation à ce sujet. L’écoute est stoppée à la fin du deuxième paragraphe. Le mot


« boomerang » est mis en évidence : il indique que le conte est australien.
b. La suite du conte est écoutée dans sa totalité.
c. Les élèves qui le souhaitent s’expriment à propos du conte qu’ils viennent
de découvrir.
Après avoir écouté ce conte australien, les élèves sont mis au courant du
projet suivant : pendant trois semaines environ, la classe se perfectionnera
dans la technique de la lecture expressive de contes. Le travail se fera à par-
tir de contes provenant de différentes régions du monde. Certains des contes
étudiés seront lus par des groupes d’élèves à des camarades d’autres classes.
D’autres seront enregistrés sur cassette afin d’être prêtés.
La deuxième dimension est celle des contenus. En effet, toute production orale im-
plique la maîtrise de contenus qu’il faut donc travailler au cours de la séquence di-
dactique. Dans la mise en situation, il faut que les élèves saisissent d’emblée l’im-
portance de ces contenus et sachent sur lesquels ils vont travailler. L’enjeu d’un débat
peut, par exemple, être présenté par l’écoute de brèves prises de position; à l’inté-
rieur d’un thème général – par exemple les animaux ou des hommes et femmes cé-
lèbres – des sous-thèmes pour des exposés peuvent être dégagés ; s’agissant d’acti-
vités d’oralisation de textes écrits (lecture à d’autres ou performance théâtrale par
exemple), le contenu est constitué par les textes à lire qu’il s’agit de travailler.
La phase préalable de mise en situation permet donc de présenter aux élèves toutes
les informations nécessaires pour connaître le projet communicatif visé et l’ap-
prentissage langagier qui y est lié. Notons que ce projet peut aussi être partiellement
fictif. L’enregistrement d’une lecture à d’autres peut être adressé fictivement à une
autre classe d’élèves du même âge. Autrement dit, on peut aller plus ou moins loin
dans la réalisation d’un projet qui dépasse le cadre de la classe. Dans tous les cas ce-
pendant, la situation de production, même fictive, est précisée dans ses moindres
détails à travers la mise en situation des élèves. En même temps que le projet com-
municatif fixant les paramètres de la situation de communication, se définit l’objet
d’enseignement/apprentissage. Les élèves savent – de fait ils le savent toujours –
que l’activité langagière qu’ils vont effectuer – produire un texte oral ou oraliser un
texte écrit – n’est pas seulement réalisée pour elle-même, mais pour apprendre à
mieux la maîtriser, la performance de l’élève étant d’ailleurs en général évaluée. Ils
le savent, puisqu’ils sont là comme élèves avant tout.

La production initiale : instrument de régulation


et première occasion d’apprentissage

Lors de la production initiale, les élèves tentent une première réalisation de l’acti-
vité langagière, objet de la séquence, et révèlent ainsi pour eux-mêmes et pour
l’enseignant les représentations qu’ils se font de cette activité. Contrairement à ce
que l’on pourrait supposer, l’expérience nous a montré que cette démarche ne met

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

pas les élèves en situation d’échec ; si la situation de communication est suffisam-


ment bien précisée à travers le projet mis sur pied, tous les élèves, y compris les
plus faibles, sont capables de prendre la parole et de produire un texte répondant
correctement à la situation donnée, même s’ils ne respectent pas toutes les carac-
téristiques du genre attendu. Il n’y a pas, dans ce domaine, de situation du tout ou
rien ; chaque élève réussit au moins partiellement à répondre à la consigne. Cette
réussite partielle est même la condition sine qua non de l’enseignement, dans la
mesure justement où elle permet de circonscrire les capacités déjà existantes chez
les élèves et, par là même, leurs potentialités. Ainsi se définit le lieu précis de la
meilleure intervention du point de vue de l’enseignant et le chemin encore à par-
courir du point de vue de l’élève, c’est à nos yeux l’essence même de l’évaluation
formative. Ainsi la production initiale peut « motiver » aussi bien la séquence que
l’élève. Encore faut-il que la situation de production initiale soit bien définie pour
que les élèves puissent réaliser l’activité avec les moyens dont ils disposent et ne se
sentent pas démunis.
Notons que la mise en situation ne débouche pas nécessairement sur une pro-
duction initiale entière. Seule la production finale constitue bien souvent la
situation réelle dans toute sa richesse et toute sa complexité ; la production ini-
tiale peut être simplifiée ou dirigée seulement vers la classe ou impliquer un
destinataire fictif. Une première interview, par exemple, peut être réalisée avec
un camarade de la classe ; un premier exposé peut être tenté, par quelques
élèves, avec une préparation minimale sur un thème qu’ils maîtrisent déjà ou sur
un même thème élaboré par tous en classe.
Nous l’avons déjà dit, la production initiale joue un rôle central de régulateur de
la séquence didactique et ce aussi bien pour les élèves que pour l’enseignant.
Pour les élèves, réaliser une performance orale concrétise les éléments donnés
dans la mise en situation et clarifie donc le genre ou l’activité visés par la
séquence. En même temps, cela leur permet de découvrir ce qu’ils savent déjà
faire et de prendre conscience de leurs problèmes aussi bien que de ceux des
autres élèves. À travers la production, l’objet de la séquence didactique se pré-
cise dans ses dimensions communicatives et se manifeste également comme lieu
d’un apprentissage nécessaire sur des dimensions problématiques. La séquence
commence ainsi par la définition de ce qu’il faut travailler en vue de développer
les capacités langagières des élèves qui, en s’appropriant des outils langagiers
propres au genre, seront mieux à même de réaliser la production finale. Pour
l’enseignant, ces premières productions constituent des moments privilégiés
d’observation, permettant d’affiner la séquence, de la moduler et de l’adapter
plus précisément aux capacités réelles des élèves d’une classe donnée. Il obtient
ainsi des informations précieuses pour différencier, voire individualiser son
enseignement à travers une utilisation modulaire des ateliers.
Mais la production initiale est également le premier lieu d’apprentissage de la
séquence. En effet, le simple fait de « faire », de réaliser une activité précisément
délimitée constitue un moment de prise de conscience des enjeux et des difficultés

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

relatifs à l’objet d’apprentissage, surtout si le problème communicatif à résoudre


dépasse partiellement les capacités langagières des élèves et les confronte ainsi à
leurs propres limites. Cet effet peut être augmenté si les performances des élèves
font l’objet d’une analyse qui peut se dérouler de différentes manières : discussion
en classe, critique par l’enseignant, réécoute de l’enregistrement par le ou les élèves
qui ont produit le texte oral, etc. Les points forts et faibles sont mis en évidence ; des
techniques de paroles sont discutées et évaluées ; des solutions aux problèmes
posés sont cherchées. Ceci permet d’introduire un premier langage commun entre
apprenants et enseignants, d’élargir et de préciser l’espace de problème qui fera
l’objet du travail dans les ateliers.
Prenons l’exemple suivant d’une analyse collective de trois interviews fictives
entre élèves sur des problèmes de jardinage. (P = enseignant; E = élèves)
P ah bien tiens on pourrait stopper un petit instant avant que Stéphanie et
Laura ne passent – j’aimerais que nous fassions un peu le bilan – j’aime-
rais que vous me donniez votre avis – Sophie ?
E1 ben qui y a des questions qui – comment dire – qu’on pose souvent mais
qui sont – plus en quelque sorte rares – qu’on pose déjà moins souvent
P oui et alors ?
E1 ben essayer de pas poser les mêmes questions
P alors toi tu serais pour qu’on rectifie en cours de route
E1 qu’on fasse des questions déjà – que plusieurs personnes ne posent pas
P qu’on supprime les questions qui ont été proposées – ça veut dire que vous
devez être particulièrement attentifs à ce qui se dit – pour éviter de dire de
reproduire les mêmes questions – très bien – Caroline ?
E2 à mon avis c’est moi j’ – aurais peut-être pas fait ça parce que – si une per-
sonne fait des questions que d’autres personnes font – et qu’ils en ont pas
fait tellement et – que toutes les questions qu’ils ont faites ont été posées
par des autres camarades – et ben – si ils ont plus de questions ben
P ah toi tu crains que le dernier groupe se retrouve sans questions parce que
tout aura été posé – mais on pourrait aussi se demander au niveau des
réponses – peut-être que ça peut provoquer des réponses différentes et ça
crée l’interview
(brouhaha)
P oui on lève la main pour intervenir c’est comme d’habitude – Cedric?
E3 moi je trouve qu’il y a des réponses qui sont un peu bêtes comme – qu’est-
ce qui vous a stimulé pour être jardinier planter des salades et des carottes
P on peut juger les réponses de ses camarades Cedric – je ne sais pas en
situation ce que tu aurais répondu – j’observais Timothée lorsqu’il était à
sa place il avait réponse à tout – lorsqu’il s’est trouvé proche du micro il
avait nettement moins réponse à tout – donc je crois que le fait de se trou-
ver proche d’un micro inhibe certains d’entre vous empêche de vous expri-
mer comme vous le souhaiteriez – donc on ne va pas juger de la qualité des
questions – mais j’aimerais plutôt que vous me donniez votre avis sur le
déroulement de l’interview en voyant vos camarades procéder – et s’il y a
une chose que vous appreniez d’ici le 8, c’est à vous contrôler, à respecter

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

ce qui se passe et à ne pas réagir quelle que soit la situation qui est en face
de vous c’est très important – alors déjà un contrôle de soi – nous écoutons
Laura et Stéphanie – nous essayons d’être très attentifs
En disant « ah bien tiens on pourrait stopper un instant », l’enseignante marque
le changement d’activité : les élèves ne sont plus dans une situation de produc-
tion/réception d’interviews fictives, mais de mise à distance des trois interviews
réalisées précédemment qui deviennent objets à analyser pour en comprendre
les caractéristiques et le fonctionnement. Un premier échange a lieu entre
l’enseignante et un élève qui pointe une dimension problématique (répétition de
certaines questions et absence d’autres). Un autre élève introduit une nouvelle
thématique en constatant que les réponses des élèves interviewés ne sont pas
toujours pertinentes. L’enseignante donne une autre consigne pour orienter
l’écoute d’une quatrième interview, anticipant la discussion qui aura lieu après :
« Donc on ne va pas juger de la qualité des questions mais j’aimerais plutôt que
vous me donniez votre avis sur le déroulement de l’interview. » Par ailleurs, elle
situe le travail à réaliser en fonction de l’interview qui aura lieu à la fin de la
séquence didactique, c’est-à-dire qu’elle fait le lien entre l’activité locale d’ana-
lyse et la production finale, objet de l’apprentissage. En invitant deux autres
élèves à réaliser l’interview, elle entame une nouvelle boucle en faisant réaliser
la même production initiale une nouvelle fois par d’autres élèves qui profitent à
la fois des remarques faites sur les productions précédentes et sur les observa-
tions des camarades.
La production initiale, tout en initiant et régulant la séquence didactique dans son
ensemble, constitue donc aussi son premier lieu d’enseignement/apprentissage.

Les ateliers

La métaphore des ateliers dit bien de quoi il s’agit : d’un travail en commun sur
des problèmes soulevés par la production de textes oraux dans une situation de
communication bien définie. Deux questions au moins se posent quant à la
conception des ateliers dans une séquence didactique :
– quels problèmes traiter dans les ateliers de la séquence ?
– comment concevoir chacun des ateliers pour atteindre les objectifs fixés ?

Choix des ateliers

Le choix de construire un atelier pour aborder un problème dans la réalisation


d’une activité langagière se fait en fonction de plusieurs considérations dont il
faut tenir compte simultanément.

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

– Les problèmes et difficultés à traiter sont d’abord évidemment ceux liés à


l’objet de la séquence et décrits par le modèle didactique, lequel définit en
quelque sorte ce qui est enseignable (voir aussi à ce propos le chapitre 2).
– Le choix parmi l’ensemble des possibles dépend ensuite des capacités langa-
gières des élèves, celles-ci dépendant notamment de leur avancement scolaire,
des plans d’études et, plus généralement, de leur développement intellectuel
(voir aussi à ce propos le chapitre 3).
– Le choix définitif se fait finalement en fonction des données concrètes d’une
classe à un moment donné de son histoire, en tenant compte aussi de la compo-
sition particulière de cette classe dans une perspective de différenciation des
interventions didactiques.

Ce qui est enseignable


Nous avons dit plus haut que toute activité langagière, pour devenir ensei-
gnable, doit faire l’objet d’une modélisation même minimale. Le modèle se
construit aussi bien en référence à des disciplines scientifiques ayant analysé
l’un ou l’autre de ses aspects qu’à des finalités générales visées dans l’ensei-
gnement du français. Il constitue un outil indispensable qui indique, pour la
construction des séquences, les aspects centraux à travailler, sur la base d’une
analyse qu’on pourrait qualifier a priori, c’est-à-dire sans tenir compte du
niveau des élèves, ni des particularités d’une classe. Dans ces modèles, nous
distinguons en général quatre niveaux du fonctionnement langagier qui peu-
vent être travaillés dans des séquences et qui correspondent aux ordres de
capacités proposés plus haut (voir chapitre 3).
1. Se représenter la situation de communication. L’élève doit apprendre à envi-
sager le but visé (convaincre, au cours d’un débat, de l’utilité d’un animal
domestique, expliquer par un exposé le fonctionnement d’une écluse, donner
des instructions par radio scolaire pour élaborer un plat cuisiné) ; il doit égale-
ment se représenter le destinataire du texte (parents, camarades, tout un chacun)
et son propre statut en tant qu’auteur (parlait-il en tant qu’élève, représentant des
jeunes, personne individuelle ?). Ces paramètres sont évidemment étroitement
liés au genre de texte à produire ou au type de performance orale à réaliser qui
codéfinissent la situation de communication.
2. Élaborer et connaître des contenus. Le problème des contenus se pose de ma-
nière très différente selon les activités langagières envisagées. Dans certaines activi-
tés, l’élève doit connaître les techniques et les méthodes pour trouver ou élaborer
des contenus : techniques de créativité, recherche systématique d’information en
rapport avec l’enseignement dans d’autres branches, discussions, débats et prises de
notes, pour ne citer que les plus importantes. Dans d’autres activités, il s’agit d’utili-
ser des contenus déjà maîtrisés, notamment pour expliquer des actions à effectuer
(recettes, bricolages, etc.). Enfin, dans des activités d’oralisation de l’écrit, contenu

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

et structure des textes à dire doivent être parfaitement connus et compris, ce qui im-
plique encore un autre travail sur les contenus.
3. Organiser et planifier l’activité. Toute activité orale publique nécessite une pré-
paration qui diffère fortement selon les cas. La production de certains genres suit un
plan établi qu’il faut connaître ; dans d’autres situations, le plan dépend de l’inter-
action, et la préparation doit donc envisager diverses possibilités qui se réaliseront
selon les contextes ; pour l’oralisation de textes écrits, les techniques de préparation
ont comme référence, d’une part, les textes dont la structure doit être mise en évi-
dence et, d’autre part, la situation, le public, etc.
4. Mettre en texte. L’élève doit choisir les moyens langagiers les plus efficaces pour
être compris par ses auditeurs : utiliser un vocabulaire approprié dans une situation
donnée, se servir des organisateurs textuels pour connecter ses phrases, enchaîner
des parties de texte et découper le texte, relativiser son propos à l’aide d’adverbes, de
reformulations ou d’expressions de distanciation. La mise en texte à l’oral présente
des dimensions particulières très liées à l’implication corporelle que suscite le mode
oral : la prosodie impliquant toute la gamme des moyens sonores à disposition du
locuteur (force, hauteur, rythme, respiration et pauses, prononciation, timbre) et,
dans le cas d’une performance devant un public, l’usage du geste et du corps.
Dans une séquence didactique, on prévoit en général des ateliers consacrés à des
problèmes se situant à plusieurs niveaux du fonctionnement langagier. En effet, il
semble indispensable que, dans l’enseignement de l’oral, la structuration ne se limite
pas aux aspects le plus fréquemment abordés comme la prononciation, l’intonation
ou la correction des phrases, mais porte également sur plusieurs dimensions langa-
gières impliquées. Le choix des ateliers se fait donc en diversifiant les niveaux des
problèmes à traiter, la séquence dans son ensemble permettant ainsi aux élèves d’ob-
server, d’analyser et de pratiquer l’activité langagière à partir de points de vue com-
plémentaires. Ce principe de solidarité externe entre les ateliers signifie notamment
que la structure d’une séquence, tout en étant modulaire, comporte des aspects in-
contournables pour atteindre une vision pertinente de l’activité travaillée.

Les capacités des élèves


La prise en compte de données générales, regardant les capacités des élèves à
un moment donné de leur parcours, constitue une autre dimension à prendre en
compte pour le choix de problèmes à travailler en ateliers. Ce choix se fait en
tenant compte, d’une part, des connaissances concernant les capacités des élèves
(le chapitre 1 montre comment nous procédons concrètement, le chapitre 3
décrit les dimensions à prendre en compte) et, d’autre part, des programmes
d’études et des autres travaux effectués dans le domaine de l’entraînement à
l’expression orale (et écrite) à ce niveau du parcours.
Compte tenu de ces facteurs, nous avons par exemple élaboré, sur la base d’un
même modèle didactique du débat public, deux séquences didactiques assez dif-
férentes.

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

École primaire (élèves de 10 ans) École secondaire (élèves de 14 ans)


notions – sensibilisation à la notion d’argument – hiérarchisation d’arguments
de base – distinction argument/opinion – production des arguments les plus
– reconnaître l’orientation percutants dans le contexte
argumentative – influence de certaines marques
– classement d’opinions langagières sur l’orientation
(à peine, même, presque, au moins…)
approfondir – présentation d’une opinion : – types d’arguments pour étoffer et
développer variété, développement et nuances développer des interventions
– étayage d’arguments à l’appui (exemple, témoignage, fait, autorité
d’une opinion et conséquence d’un fait)
régler – rôle du modérateur : – sensibilisation à la pratique de
les échanges • ouverture débatteurs experts :
• recentrage et relance • rôle du modérateur
• clôture • reprise des arguments des autres
comprendre – compréhension : – repérage des positions défendues
la dynamique • de la controverse – repérage des arguments utilisés
d’un débat • de l’orientation argumentative – reconstitution de raisonnements
• des positions globales – dynamique et articulation de
– observation de l’évolution l’argumentation
des positions – production de réponses cohérentes
écouter – écoute de l’autre : – écoute de l’autre :
pour réfuter • pour l’appuyer • répondre à une prise de position
• pour s’y opposer • reformuler pour s’opposer
• résumer pour réfuter
– techniques pour réfuter

Les données d’une classe


La réalisation concrète d’une séquence dépend finalement aussi des choix que
chaque enseignant opère à l’intérieur du canevas de la séquence, ceci en fonc-
tion des données de sa classe. Plusieurs possibilités de différenciation s’offrent à
lui, soit déjà prévues lors de la conception de la séquence, soit à développer au
moment de la réalisation de la séquence :
– À l’intérieur de chaque atelier, certaines activités ou exercices sont considérés
comme obligatoires, d’autres comme facultatifs ; parmi ces derniers, certains
peuvent être travaillés pour aller plus loin avec des élèves intéressés ou pour
aborder la même notion différemment, lorsque cela paraît nécessaire (voir
cependant le principe de cohérence interne que nous introduisons dans le pro-
chain paragraphe).
– Parfois, des ateliers peuvent s’avérer superflus au vu des résultats des élèves
dans la production initiale ; inversement, d’autres ateliers qui sont prévus
comme facultatifs peuvent être travaillés par toute la classe pour aller plus loin
dans le travail ; ou seulement certains élèves peuvent les aborder.
– Il est également possible, soit de construire des exercices supplémentaires
pour travailler de manière plus approfondie un problème, soit de construire des

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

ateliers non prévus pour aborder des difficultés inattendues, révélées en produc-
tion initiale ou en cours de route.
Il y a donc de multiples possibilités d’adaptation de la séquence aux besoins d’une
classe ou de groupes d’élèves dans une classe pour différencier l’enseignement.
Les séquences didactiques sont en fait un dispositif modulaire qui permet de mul-
tiples adaptations aux exigences concrètes d’une situation particulière. La limite
de la modularité est donnée par la conception d’ensemble des ateliers et leur cohé-
rence externe et interne : une séquence doit donner une vision d’ensemble du genre
à partir de points de vue complémentaires et, à l’intérieur d’un atelier, un problème
doit pouvoir être abordé selon plusieurs angles.

Comment construire des ateliers

L’enseignement de l’écrit ne peut pas se faire selon les mêmes modalités que celui
de l’oral. À l’écrit, exercer un contrôle conscient et volontaire sur sa propre acti-
vité langagière signifie entre autres revenir sur son propre texte, qui est matériel-
lement devenu, à travers l’écriture, un objet extérieur à retravailler et à transformer
en fonction de critères acquis. Lors de la production orale, le texte, une fois dit, ne
peut être ni repris ni corrigé. Un texte oral est à chaque fois une création nouvelle,
originale, même si l’on peut garder en mémoire certaines formulations, voire cer-
taines parties de texte et même si, à travers l’enregistrement, on peut réécouter une
première version, la discuter et la critiquer avant de la recréer. Sauf cas exception-
nels de montage d’émissions radiophoniques, par exemple, le texte oral est un pro-
duit qui explicite son propre processus de production en ce que chaque hésitation,
chaque correction est audible (voir début du chapitre 2). Cela n’empêche pas un
enseignement de l’oral, mais déplace les centres d’intervention didactique : on peut
apprendre à anticiper et préparer ses productions langagières grâce à une bonne
connaissance explicite des situations de communication et, ainsi, disposer de
points de repères qui soutiennent l’activité langagière lors de sa réalisation ; il est
possible d’avoir un contrôle conscient de certains aspects de la production pendant
qu’elle se déroule et, ceci, particulièrement en ce qui concerne certaines capacités
discursives ; il est finalement possible d’exercer et d’automatiser certains méca-
nismes de base faisant partie des capacités linguistico-discursives (tournures
typiques d’un genre, enchaînements dans une interaction, vocabulaire, etc.).
La difficulté de l’enseignement de l’oral, due notamment au caractère éphémère
des textes produits, impose un travail qui combine plusieurs approches didactiques.
En général, tout atelier comprend trois types d’approches, qu’on peut distinguer
théoriquement, mais qui s’interpénètrent en pratique sous des formes très diverses :
– les élèves sont confrontés à des textes de référence qu’ils écoutent, observent
et analysent ;
– les élèves sont mis dans des situations diverses qui leur permettent d’exercer
pratiquement une à une certaines dimensions de l’activité langagière ;

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

– les élèves construisent un langage pour parler de l’activité langagière qu’ils


sont en train de travailler.

Les ateliers : lieux d’analyse et d’observation de textes oraux


Toute séquence didactique a un référentiel incontournable : des textes produits
par des experts ou, parfois, par des élèves ou d’autres personnes non expertes.
Lorsqu’on envisage la création d’une séquence didactique, la première
démarche consiste toujours en l’enregistrement, l’observation et l’analyse de
textes de référence, permettant l’élaboration aussi peu normative que possible
de modèles didactiques.
Pour le travail d’écoute de ces textes en vue de leur observation et de leur analyse,
trois types de documents peuvent être envisagés, outre bien sûr les productions des
élèves qui constituent aussi des objets à travailler.
1. Des « oraux sociaux de référence », à savoir des occurrences de textes du genre
qui fait l’objet de la séquence. Il s’agit de trouver des textes authentiques, produits
dans des situations réelles de communication, qui répondent à tous les critères
d’utilisation en classe, à savoir des textes dont la qualité d’enregistrement est suffi-
sante ; dont le contenu est non seulement accessible aux élèves, mais aussi intéres-
sant et lié au thème traité ; dont la forme est suffisamment simple pour être compri-
se par les élèves et correspond aussi aux critères minimaux du genre travaillé ;
enfin, des textes qui ne soient pas trop longs et qui répondent bien aux objectifs
visés dans la séquence.
2. Des « documents authentiques » fabriqués. Il est très difficile de trouver des
documents authentiques répondant aux critères énoncés. C’est pourquoi il est
souvent nécessaire de procéder à des démarches de fabrication de documents. Il
ne s’agit pas de textes préparés au préalable et qui seraient mis en scène, par
exemple par des acteurs professionnels, mais de textes produits dans des pra-
tiques langagières réelles. Des situations de communication réelles sont créées,
dans lesquelles interviennent de vrais locuteurs qui produisent de vrais textes
oraux, mais des textes qui sont adaptés aux besoins didactiques : le thème
choisi, le niveau des élèves, le genre visé, etc. Pour le débat, par exemple, on
peut inviter des personnes intéressées ou expertes à venir, devant une classe
d’élèves, débattre du thème travaillé en défendant leur position réelle et en
s’efforçant d’être convaincantes pour le public. Pour l’exposé ou la lecture à
d’autres, on peut demander à un expert de venir parler de son domaine ou lire
un texte devant une classe d’élèves. L’enregistrement de ces textes constitue une
source très riche pour construire des ateliers dans les séquences didactiques.
3. Des documents construits pour exercer une dimension particulière. Il est pos-
sible finalement d’élaborer des documents sonores qui ont une visée prioritaire-
ment didactique : une prise de position argumentée pour montrer l’enchaîne-
ment d’arguments ; différentes formes de questions que l’on peut poser dans
une interview ; ou même des lectures de textes, fautives du point de vue de la
prosodie et dont il faudra déceler les erreurs.

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

Quelle que soit leur forme – texte authentique « réel » ou « fabriqué », docu-
ments construits avec une intention didactique précise – les enregistrements
constituent l’une des pierres angulaires de l’enseignement de l’oral. Points de
référence essentiels pour l’enseignant et surtout pour les élèves, les textes peu-
vent être écoutés, analysés ou observés en entier ou en partie.
1. L’écoute entière de textes de référence vise au moins deux objectifs :
– elle clarifie comme nul autre moyen l’objet langagier sur lequel porte la
séquence et peut donc être utilisée déjà dans la mise en situation, puis dans les
premiers ateliers pour clarifier et préciser les représentations des élèves concer-
nant l’activité langagière en chantier ;
– elle met en œuvre des mécanismes extrêmement puissants d’apprentissage
par imprégnation ou imitation, notamment quand l’observation de productions
d’experts vient enrichir les propres essais de production de textes oraux.
L’exemple suivant montre une telle démarche d’écoute, qui est toujours guidée
par un questionnement sur des aspects centraux du genre travaillé.
Dans une séquence sur l’interview radiophonique, les élèves écoutent une
interview avec un paysan intitulée « La ferme » transmise à la radio suisse
romande. Après une première écoute partielle, centrée sur des questions de
contenus, les élèves écoutent l’interview en entier pour repérer, à travers une
discussion commune en classe, les éléments essentiels du genre « interview
radiophonique ». La classe aborde notamment les thèmes suivants :
– connaissance préalable du genre,
– but du genre,
– participants à l’interview,
– destinataires de l’interview,
– rôle de l’interviewer,
– thème de l’interview.
À travers l’écoute entière de textes oraux, on peut également enrichir et déve-
lopper les contenus que les élèves ont à traiter.
Dans un travail sur la conférence, par exemple, les élèves écoutent l’enregis-
trement d’un expert et remplissent ensuite une feuille qui a la forme suivante
(extrait)

Feuille d’écoute
Après avoir écouté la conférence, « Le castor », écris sous forme de notes
les informations les plus importantes que tu as apprises sur le castor.
1) Description ...............................................................................................
– taille ...........................................................................................................
– poids ..........................................................................................................
– tête • museau............................................................................................
• yeux ................................................................................................
[…]

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

Cette feuille d’écoute, outre orienter l’attention des élèves sur le contenu,
donne un modèle de prise de notes utilisable pour faire un exposé oral. Un
ou deux élèves qui le désirent peuvent venir « jouer » leurs camarades.
2. L’écoute partielle de textes peut également viser à développer les connais-
sances concernant les contenus ou le thème.
Pour le travail sur le débat public régulé, les élèves de 11-12 ans écoutent
4 prises de position de personnes défendant des points de vue très différents
à propos du thème traité dans la classe (par exemple l’usage des vélos tout
terrain (VTT) sur les chemins pédestres). Les élèves remplissent une feuille à
double entrée pour analyser chacune de ces prises de position. Après une
première écoute, ils situent individuellement chaque prise de position dans
une colonne : approbation, condamnation, ni pour ni contre. Après une
deuxième écoute, les arguments avancés pour justifier la position sont notés
dans les lignes de la colonne sous forme de mots clés discutés et proposés
dans des groupes de travail ou en classe.
Mais on peut également viser à observer et analyser les détails de la facture des
textes oraux de points de vue très divers et par des démarches très variées.
Prenons quelques exemples :
Les élèves écoutent l’ouverture d’une interview radiophonique qu’ils n’ont
encore jamais entendue. Ils réécoutent ensuite l’ouverture de l’interview
qu’ils connaissent déjà. En groupes, ils comparent les deux ouvertures,
constatent ce qui est commun et ce qui est différent. Ils formulent quelques
éléments nécessaires pour ouvrir une interview (notamment introduction et
justification du sujet et présentation de l’interviewé).
Les élèves écoutent des tirades isolées très émotionnelles de l’enregistrement
d’un conte. Après l’écoute de chaque tirade, les élèves indiquent le sentiment
éprouvé par la personne.
Les élèves visionnent une première fois un extrait d’un exposé. Ils observent et
notent les gestes du locuteur. Ils visionnent l’extrait une deuxième fois. Les
observations sont complétées et discutées. On discute des questions telles que :
est-il possible de contrôler ses gestes ? Qu’est-ce qu’il faut éviter à tout prix ? Y
a-t-il des gestes qu’on peut utiliser consciemment pour améliorer un exposé ?
Ces quelques exemples d’écoute, d’observation et d’analyse de textes oraux
montrent qu’écouter et parler sont inextricablement mêlés, l’un aidant l’autre,
l’un développant l’autre vers une meilleure maîtrise des situations.

Les ateliers : lieux d’exercice et de prise de parole simplifiée


Les possibilités d’exercer la parole sont multiples et c’est dans la troisième par-
tie que nous en proposons une large gamme. Dans la grande variété de pos-
sibles, on peut néanmoins distinguer deux démarches générales.
1. Construire des notions et s’approprier des outils linguistiques. Toute une
série d’exercices et d’activités visent à approfondir et à développer des observa-
tions déjà faites à travers l’écoute d’enregistrements. Les formes que peuvent

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

prendre les activités sont très variées, leur point commun étant le travail sur un
matériau stabilisé par l’écrit. Quelques exemples permettront de mieux com-
prendre cette démarche.
Pour ouvrir, structurer et clore un exposé, il existe une multitude de formules
que les élèves pourraient utiliser afin de mieux maîtriser la situation de com-
munication. Deux exercices leur sont notamment proposés pour acquérir ces
formules.
a) Les formules utilisées par l’exposant qu’ils ont entendu leur sont données,
transcrites, en désordre. Ils doivent les mettre en ordre et justifier l’ordre
et/ou pour certaines, l’impossibilité de définir l’ordre.
b) Les élèves disposent de 5 formules avec des fonctions très précises. Pour
chacune, il doivent en trouver ou en inventer d’autres qui pourraient les rem-
placer.
Travaillant sur le questionnement dans l’interview, les élèves disposent d’une
série de réponses transcrites, données par un interviewé. Ils doivent inventer
les questions qui ont abouti à ces réponses.
Les élèves ont appris à distinguer une série de sentiments que ressentent des
personnages dans un conte. Ils repèrent les discours directs des personnages
et notent en marge les sentiments à exprimer.
Les élèves disposent d’une série d’arguments transcrits, utilisés dans un
débat. Ils repèrent les expressions qui indiquent la force et la direction que
le locuteur attribue à ces arguments.
2. La parole simplifiée. L’idée de base est de donner aux élèves la possibilité
d’appliquer les notions apprises et d’utiliser les outils appropriés dans des situa-
tions de production qui ne soient pas trop complexes et qui permettent ainsi de
centrer l’attention de l’élève sur le problème travaillé dans l’atelier, tout en se
trouvant dans un environnement langagier riche et relativement proche d’une
véritable production. Il semble en effet que, pour automatiser certaines opéra-
tions langagières et pour développer le contrôle du comportement propre en
situation de production, des exercices pratiques en dehors de situations de com-
munication réelles et portant sur des capacités isolées de l’activité langagière
globale soient indispensables. Ils s’accompagnent nécessairement de l’enregis-
trement, de l’écoute et de l’analyse des productions propres ou de celles d’autres
élèves qui constituent un moyen efficace pour développer un contrôle conscient
de son propre comportement. La production devenant un objet extérieur que
l’on peut réécouter, elle devient analysable, y compris par le producteur lui-
même.
Concrétisons cette idée par quelques exemples parmi d’autres.
Les élèves entendent un extrait d’interview : une question et la réponse de
l’interviewé. Ils doivent enchaîner par une question sur la réponse donnée.
Leur question est enregistrée et analysée.
Les élèves lisent des extraits d’un conte étudié auparavant, dans lesquels il
est nécessaire d’exprimer par la voix les sentiments des personnages. Les
lectures des extraits sont enregistrées et discutées en classe.

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

Les élèves entendent l’extrait d’un débat sur un thème qu’ils connaissent et
maîtrisent. Il s’agit d’une prise de position étayée par deux arguments. En
groupe, les élèves préparent une prise de position qui enchaîne avec celle
entendue, en la soutenant et en fournissant des arguments supplémentaires.
Les élèves disposent pour ce faire d’une petite typologie d’arguments.

Les ateliers : lieux de parole sur la parole


Nous l’avons dit plus haut, les genres formels publics sont ceux que nous entendons
travailler parce que leur maîtrise permet et nécessite une plus grande conscience à
l’égard de sa propre parole. La construction de ce rapport passe nécessairement par
la parole sur la parole, c’est-à-dire par l’explicitation de différentes dimensions de
l’activité langagière. Il y a élaboration d’un langage pour en parler. Ce langage peut
être idiosyncrasique, propre à la classe, métaphorique ou plus ou moins inspiré de
théories de référence, là où elles existent. Autant une certaine formalisation s’im-
pose pour reconnaître la matière « oral » et pour transférer les acquis d’une classe à
une autre, l’« oral » sous ses formes diverses devenant ainsi un véritable objet sco-
laire. Autant il est possible, également, à certains moments d’inventer un langage
en fonction des propositions des élèves, l’essentiel étant moins l’unification termi-
nologique – même si, elle s’impose à certains moments et pour certains objets – que
le mouvement de prise de conscience et de modification du rapport à la parole.
Les moments de parole sur la parole dans les ateliers sont nombreux ; on pourrait
même dire que l’un des principes de base du travail dans les ateliers est précisé-
ment de faire de la parole un objet « à discuter » un objet dont on parle ensemble
pour voir comment il est fait, pour comparer comment chacun le construit. Cette
élaboration d’un langage commun est toutefois articulée à un langage plus institu-
tionnel proposé a priori dans les séquences didactiques et vers lequel peuvent (et
doivent) évoluer les élèves. Ceci se traduit de deux manières interdépendantes :
– un langage technique est proposé pour nommer un certain nombre d’aspects
du genre ou de l’activité langagière traités ;
– des fiches, résumant sous forme de constats les principales observations faites,
servent à fixer les savoirs et à les rendre explicitement disponibles aux élèves
pour réaliser les activités orales, notamment dans la production finale.
Le langage technique proposé est minimal, mais comprend néanmoins pour
chaque séquence une série de termes non négligeables que les élèves doivent
s’approprier. Observons quelques termes introduits dans deux séquences :
Interview radiophonique (11-12 ans) : interview, interviewer, interviewé,
auditoire, question ouverte et fermée, question de relance, ouverture de
l’interview, thème/sujet de l’interview, enchaînement des questions, interven-
tion de relance, présentation de l’interviewer, formules interrogatives, etc.
Lecture à d’autres : public, lecteur, ton, rythme, transition (entre parties),
découpage du texte, parties du texte, moyens pour séparer le texte (mise en
page, paragraphes, organisateurs textuels), émotions et tons, signes de ponc-
tuation, passages parlés du texte ou dialogues.

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

Comment ce langage est-il introduit ? Comment est-il utilisé ? Il n’y a pas de procé-
dure fixe à ce propos. Très souvent, des observations faites sur des textes entendus ou
lus sont fixées à un certain moment par un terme technique. Celui-ci est ensuite utili-
sé dans toute une série d’exercices et d’activités qui lui confèrent de plus en plus de
profondeur. Autrement dit, le langage technique est en même temps le langage de
travail de l’atelier, qui permet aux élèves et à l’enseignant de parler de ce qu’on est en
train de faire. Dire comment le langage technique est introduit et utilisé revient donc
à décrire comment un atelier est construit et comment le langage à travers cette
construction acquiert de plus en plus de profondeur pour les élèves. Dans l’exemple
suivant, le terme « reformuler » et « reformulation » est introduit à partir d’une
observation et est ensuite utilisé pour présenter les différents exercices et activités.

Apprendre à reformuler
Étape 1 : Choix de mots qui méritent une reformulation. Les élèves lisent un ex-
trait d’une conférence sur l’écrevisse. Ils soulignent les mots qui leur semblent
difficiles à comprendre. À l’aide du dictionnaire, ils essaient de trouver une
façon simple de dire autrement un des mots soulignés et discutent oralement les
différentes reformulations. Introduction du terme « reformulation ».
Étape 2 : Les élèves lisent un extrait d’une conférence volontairement surchar-
gée de reformulations. Ils soulignent les mots reformulés et les reformulations.
Ils mettent entre parenthèses les reformulations qui leur semblent inutiles.
Étape 3 : Les élèves repèrent des introducteurs de reformulations dans les
textes travaillés et dans une liste de mots qui comprend d’autres organisa-
teurs textuels. Ils résument les constats sur une fiche ad hoc.
Étape 4 : Dans une situation de production simplifiée, des groupes d’élèves
reçoivent 3 cartes de consigne contenant chacune une forme de reformula-
tion et 12 cartes contenant une phrase avec un mot mis en évidence dont la
définition est donnée dessous entre parenthèses. Un élève choisit une des
cartes et la montre à un camarade. Celui-ci reformule la phrase au moyen
d’une des formes proposées.
Étape 5 : Les élèves reprennent les notes de leur exposé et prévoient des
endroits où introduire des reformulations.

Très souvent, nous venons de le dire, l’introduction d’un terme nouveau se fait à
partir de l’observation d’un extrait de texte entendu ou lu. L’extrait suivant de l’en-
registrement d’un atelier montre que les différents pas accomplis pour opérer l’in-
troduction d’une nouvelle notion sont très délicats et que les capacités des ensei-
gnants pour mener à bien de telles activités sont ici particulièrement sollicitées.

Observer comment on reprend et approfondit un argument


Extrait écouté deux fois par les élèves de 13-14 ans :
P (enseignant) moi je voudrais juste reprendre un argument par rapport aux
maths excuse-moi là je t’interromps par rapport aux maths qui va un peu
dans le même sens où ça été bon ça a été une étude des essais qui ont été
faits en Amérique il faut les prendre pour ce que c’est où effectivement ça a

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

été prouvé que si en mathématiques on sépare garçons et filles les filles non
seulement arrivent à avoir des résultats supérieurs à ceux qu’elles auraient
si elles avaient appris les maths en cours mixtes mais elles arrivent carré-
ment à avoir des fois des résultats supérieurs aux garçons
P1 cassette en résumé qu’est-ce qui se dit – Steve – peux-tu peux essayer de
me résumer ce qu’est dit
G les filles ont des meilleurs résultats en maths que les garçons quand elles
sont séparées des garçons
F c’est idiot mais je ne vois pas pourquoi
P2 oui – psst – alors résumé – résumé très simplement comme ça d’accord –
mais – chch – j’aimerais que tu examines – comment dire la forme de ce
qui a été dit – qu’est-ce qui se passe en fait – qu’est-ce qu’elle : qu’est-ce
qu’elle commence à dire là – euh la femme qui intervient – Nicole
N ben – qu’elle reprend l’argument de quelqu’un – qu’elle est d’accord avec
lui – et qu’elle veut le compléter
L1 que les filles et les garçons sont séparés – elle est d’accord
P3 voilà – elle reprend et tu te rappelles comment – à peu près comment elle
utilise – qu’est-ce qu’elle dit au début
L2 pour en revenir – pour en revenir ouais – euh : à ton argument je
M excuse-moi – je t’interromps
L3 j’aimerais quand-même compléter en disant que une étude en Amérique qui
a été faite – tatata
P4 ouais donc – il y a manifestement un débat – quelqu’un dit quelque chose –
on imagine d’après quoi ? – ce qui est dit avant – juste avant l’enregistre-
ment – il y a une personne qui intervient – qu’est qu’elle pourrait dire ?
D que les filles et les garçons soient séparés pendant les maths
P5 ouais – et puis la personne dont on a enregistré euh les propos – qu’est-ce
qu’elle commence par dire – ce que disait Nicole c’est-à-dire
T ben : elle reprend – elle approfondit
P6 ouais – un truc elle reprend ça c’est – un truc – quand vous débattez –
quand vous débattrez c’est un truc très important – reprendre ce que l’autre
dit – est-ce que vous comprenez à part ceux qui écrivent ou qui dessinent
ou qui font autre chose – est-ce que c’est clair pour tout le monde ?
O ouais
P7 phénomène de reprise soit par les propres mots – qui ont été dits – soit en
reformulant différemment et puis après – voyez cette reprise – et après –
qu’est-ce qu’elle fait une fois qu… et ou – je reprends ce que tu as dit
R ben : elle en profite… elle approfondit
C oui – elle approfondit
P8 ouais elle approfondit elle en… elle enfonce le clou elle insiste elle argu-
mente par de nouvelles voies

Le but de cette étape est d’introduire, à travers un extrait écouté, les notions
de « reprendre un argument » et « approfondir » ou « développer un argu-
ment ». On distingue trois phases dans cet extrait : tout d’abord, l’enseignant

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

attire l’attention sur la forme de l’extrait écouté (P2 : « La forme de ce qui


est dit – qu’est-ce qu’elle commence à dire là »). L’élève N répond en ana-
lysant l’acte langagier effectué : « elle reprend l’argument de quelqu’un. »
L’enseignant centre ensuite l’attention sur la formulation précise (« tu te rap-
pelles comment – à peu près comment elle utilise ») que les élèves essayent
de reconstruire en L2, M et L3. En P6 et P7, il institutionalise ce savoir en le
formulant comme une règle (« elle reprend ça c’est un truc – quand vous
débattez […] phénomène de reprise soit par les propres mots – qui ont été
dits – soit en reformulant différemment » et continue l’analyse formelle par
la question « et après qu’est-ce qu’elle fait ? » (P7), ce à quoi l’élève R
répond en disant « ben elle approfondit »). Un langage technique est ainsi
introduit comprenant deux termes « reprendre » et « approfondir » qui seront
retravaillés dans la suite de l’atelier à travers des exercices divers d’analyse
et de production simplifiée.

Le langage dont nous venons de parler est essentiellement un ensemble de


notions permettant de « parler de la parole ». Au cours de la séquence didac-
tique se construit un autre type de savoir qui a trait au fonctionnement des
textes et des discours et qui se formule plutôt en termes de constats opérés au
fur et à mesure du travail. Ces constats prennent en général la forme de fiches
qui sont autant d’outils à disposition de l’élève et qui peuvent l’aider à mieux
maîtriser l’activité langagière qu’il devra réaliser. Ces fiches comprennent des
informations de niveaux très différents, correspondant aux problèmes tra-
vaillés dans les ateliers.

Bien entendu, à la différence du travail sur l’écrit, où ces fiches peuvent être
utilisées pour réviser un texte après en avoir élaboré une première ébauche,
parfois en plusieurs étapes de réécriture, à l’oral les fiches fonctionnent plus,
pour ainsi dire, à l’extérieur de l’activité proprement dite : elles permettent
de préparer l’activité et de s’y préparer en se remémorant certains aspects
essentiels ; elles permettent également, a posteriori, d’analyser les points
forts et les points faibles de la performance ; dans ce sens, elles aident
l’élève à adopter un rapport d’extériorité à son activité et, ce faisant, à la
transformer. Mais il est en général impossible de faire usage des fiches
durant l’activité même, au risque de la perturber, voire de la rendre impos-
sible. Par ailleurs, ces fiches, ou du moins les règles et critères qu’elles
contiennent, sont celles qui seront à la base de l’évaluation par le maître –
et éventuellement par l’élève lui-même et ses camarades – de la production
finale de la séquence.

L’élaboration de ces fiches peut prendre des formes diverses. Elles peuvent
être, soit élaborées en classe par les élèves et le maître, soit proposées toutes
faites aux élèves ; elles se construisent, soit au fur et à mesure de l’avance-
ment de la séquence, soit lors du passage à la production finale dans un ate-
lier de synthèse des autres ateliers.

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

Voici à titre illustratif une fiche élaborée dans une séquence sur l’exposé oral :
Les 10 règles pour faire une bonne conférence
1. J’annonce mon chapitre et je l’organise.
2. Je respecte mon plan.
3. Je fournis des informations suffisantes et pertinentes.
4. Je produis des énoncés corrects à partir de mes notes.
5. J’utilise un vocabulaire savant et je reformule des mots difficiles.
6. J’utilise des illustrations et je les commente (ou je donne des exemples).
7. Je parle suffisamment fort.
8. Je m’exprime de manière vivante.
9. Je contrôle le débit de mes paroles.
10. Je regarde le public.
Ces différentes règles, qui résument des constats faits lors de différents ateliers,
ont été pour la plupart appliquées. L’explicitation des règles est un outil pour
contrôler son propre comportement, soit en anticipant la situation et la prépa-
rant, notamment à travers les notes, soit en essayant de corriger son propre com-
portement durant la performance même de la conférence. Ces règles sont bien
entendu aussi un outil d’évaluation qui se fait aussi bien par l’élève, à partir de
l’enregistrement de son texte, que par l’enseignant qui, lui aussi, se fonde sur cet
enregistrement de la production finale.

La production finale : lieu d’intégration


des savoirs construits et des outils appropriés

Moment de réalisation définitive du projet communicatif introduit lors de la


mise en situation, la production finale constitue l’aboutissement véritable de la
séquence didactique ; par le fait même qu’elle la dépasse, elle lui donne rétros-
pectivement tout son sens comme entreprise collective et progressive d’ensei-
gnement/apprentissage en vue d’une meilleure maîtrise d’une situation de com-
munication (voir le schéma en début de ce chapitre). La production finale
apparaît ainsi comme le lieu où les savoirs et les outils appropriés peuvent être
investis dans une activité réelle de communication langagière orale. En même
temps, cette situation est aussi le plus souvent celle d’une évaluation certifica-
tive des élèves qui surdétermine nécessairement la situation communicative et
lui confère aussi une signification dont les élèves ne peuvent en aucun cas faire
abstraction. Dans la mesure où les critères d’évaluation portent précisément sur
les dimensions qui sont celles d’une communication optimale, on pourrait sup-
poser une harmonie préétablie entre communication et évaluation ; c’est en
investissant les apprentissages optimalement dans la réalisation du projet que

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

l’évaluation est également optimale. Il est évident cependant que le fait d’être
évalué transforme nécessairement le projet communicatif. Le rapport entre les
deux est d’ailleurs très variable selon les activités et les projets, mais il est tou-
jours et nécessairement difficile à réfléchir.
La forme que prend la production finale est variable et dépend beaucoup de la
situation de communication définie lors de la mise en situation. Quelle qu’elle
soit, la réalisation de l’activité langagière envisagée est précédée par le rappel
de la fiche des constats. Cette activité est enregistrée pour procéder à une éva-
luation aussi objective que possible. L’enregistrement fait d’ailleurs souvent tout
simplement partie de la situation de communication, par exemple quand il s’agit
d’une émission pour une radio scolaire ou lors d’un échange de cassettes avec
d’autres classes.
La production finale fait toujours l’objet d’une dernière évaluation commune
par les élèves de la classe : le débat a-t-il été enrichissant ? L’interview permet-
elle de comprendre mieux les problèmes abordés ? La lecture a-t-elle été pas-
sionnante ? Tout comme l’évaluation de l’enseignant, les remarques des élèves
sont critériées, puisqu’elles peuvent s’appuyer sur tout le travail effectué pour
construire une représentation précise de l’activité langagière, notamment grâce à
l’écoute de textes oraux, par le langage commun élaboré pour parler de la parole
et à travers des constats concernant des dimensions centrales de l’activité.
Idéalement, les élèves sont devenus un peu des experts de l’activité langagière
qu’ils évaluent. La production finale et sa discussion est donc le lieu d’intégra-
tion dans deux sens au moins : lieu à la fois de pratique et d’utilisation critique
des savoirs construits. Dans ce sens, travailler l’oral à l’école est toujours une
entreprise de double prise de conscience : celle de sa propre activité et celle de
l’activité des autres.
La production finale est un révélateur important des apprentissages effec-
tués : aussi bien les élèves que l’enseignant peuvent observer s’il y a eu pro-
gression par rapport au point de départ ; les élèves peuvent se voir « comme
ayant progressé ». Notons tout de même que l’image qui se dégage de la pro-
duction finale est loin de pouvoir toujours nous donner des informations
fidèles sur les apprentissage réels effectués. Le fait que ces apprentissages
soient très récents a deux effets apparemment contradictoires. D’une part, ils
sont encore très présents en mémoire et peuvent donner à l’activité une forme
caricaturale d’application stricte de règles. Inversement, l’assimilation des
savoirs peut n’être pas encore suffisante pour transformer profondément une
activité hautement complexe comme celle de la parole ; des changements
fondamentaux du fonctionnement langagier peuvent avoir été amorcés par les
apprentissages effectués, mais leurs effets ne se manifesteront que plus tard.
L’évaluation lors de la production finale peut donc autant sur- que sous-esti-
mer les effets d’une séquence sur le comportement langagier des élèves. Pour
remédier à cela, il est possible de prévoir un prolongement ou un approfon-
dissement d’une séquence à un moment ultérieur : les principaux constats

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La séquence didactique : une démarche d’enseignement de l’oral

sont alors repris avant de réaliser l’activité langagière travaillée dans un autre
contexte, sur un autre thème, éventuellement avec un autre public. De telles
évaluations donnent des informations complémentaires très importantes sur
les apprentissages effectifs des élèves dans le temps.
Mieux produire la parole et mieux l’écouter sont indissociablement confondus
dans une séquence didactique consacrée à une activité langagière orale. C’est à
travers la parole que se transforme la capacité d’écoute, tout comme inverse-
ment l’écoute transforme profondément la parole. On pourrait aussi décrire la
séquence didactique pour l’oral comme la tentative d’instaurer en classe une
véritable culture de la parole publique : à travers le dialogue entre enseignants et
élèves et entre élèves, les textes oraux des élèves, nombreux et diversifiés, sont
mis en rapport avec des textes oraux publics provenant de l’extérieur de la
classe. Le texte oral devient un objet de discours multiples produits en classe.

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Troisième partie
Exemples
de séquences didactiques
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L’interview radiophonique

Utilisée assez fréquemment dans le cadre de l’enseignement de diverses


branches scolaires pour récolter et transmettre des informations dans le cadre
d’une classe, voire d’une école ou d’un quartier, l’interview ne va généralement
pas au-delà d’un enseignement rudimentaire comme poser des questions ou
s’adresser à une personne adulte experte en la matière. Il nous semble pourtant
que ce genre offre des possibilités d’apprentissage à la fois particulièrement
claires, précises et compréhensibles, tout en travaillant sur des dimensions lan-
gagières relativement complexes et exigeantes et qu’il constitue ainsi un lieu où
les capacités langagières des élèves peuvent être développées puissamment.
En effet, l’initiation précoce à la pratique de l’interview, comme genre oral
public, permet de développer les capacités langagières des élèves par le contrôle
de leur prise de parole en public, dans le cadre de situations sociales présentant
un certain degré de complexité. Les capacités acquises dans le contexte scolaire
peuvent être transférées à des situations sociales externes concernant le recueil
et la transmission de l’information. À terme, la maîtrise de cet outil langagier
qu’est l’interview a une incidence sur la création d’attitudes critiques par rap-
port à la prise d’information en général et, en particulier, quant à la qualité de
l’information recueillie et transmise. Cette capacité est particulièrement bienve-
nue pour des élèves qui vivent dans une société où les médias jouent un rôle
prédominant et dans lesquels l’interview est un genre relativement fréquent.
L’interview peut contribuer à faire de l’école un lieu de communication et de
production/réception de textes : dans la classe entre élèves, entre classes d’une
même école, entre écoles. La création d’une radio scolaire, la correspondance
entre deux classes ou deux écoles sont des situations qui se prêtent à différents
projets pédagogiques relatifs à l’interview. Dans ces projets, les contenus à
transmettre peuvent relever d’autres domaines que ceux traditionnellement tra-
vaillés dans la classe de français. À ce titre, l’interview favorise la réflexion et le
travail interdisciplinaires et peut servir d’outil puissant pour la construction col-
lective de connaissances. Les élèves développent donc ainsi, dans le cadre de
l’école, des capacités langagières particulièrement importantes dans les proces-
sus d’apprentissage scolaire.

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L’interview radiophonique

L’interview radiophonique présente une relative simplicité tant du point de vue


contextuel que du marquage des rôles. Dans le contexte d’une émission radio-
phonique, qui accentue le jeu fictionnel de l’interview, l’élève apprend à traiter
et à intérioriser un rôle social pour lui et ses partenaires. Ainsi, tout en consti-
tuant un lieu qui permet la distanciation de l’élève, l’interview facilite l’accès à
d’autres genres interactifs comme le débat. Par ailleurs, les informations
recueillies dans le cadre d’une interview peuvent être réinvesties dans le cadre
d’un exposé.
Transformer l’interview, utilisée à l’école comme outil de communication, de
récolte d’information en un objet autonome d’apprentissage nous semble donc
une entreprise permettant de décupler la puissance de l’outil. Encore faut-il le
définir précisément et en délimiter les dimensions enseignables.

Le modèle didactique de l’interview

L’interview radiophonique

L’interview est un genre journalistique de longue tradition qui rend compte d’un
entretien entre un journaliste (interviewer) et un spécialiste ou une personne qui
présente un intérêt particulier dans un domaine (interviewé). Une interview
consiste donc à faire parler cette personne « experte » à des titres divers sur un
problème ou sur une question, dans le but de communiquer les informations
fournies à des tiers qui représentent, théoriquement au moins, la demande
d’informations. Contrairement à une conversation ordinaire, l’interview présente
un caractère structuré et formel dont le but est de satisfaire les attentes du desti-
nataire (André-Larochebouvy, 1984 ; Kerbrat-Orecchioni, 1990).
De nombreux auteurs (pour une revue de la question, voir Pekarek, 1994) consi-
dèrent l’interview comme un type de communication largement standardisé,
impliquant des attentes normatives spécifiques pour les interactants, comme
dans un jeu de rôle. L’interviewer ouvre et clôt l’interview, pose des questions,
suscite la parole de l’autre, incite à la transmission d’informations, introduit de
nouveaux sujets et oriente et réoriente l’interaction. L’interviewé, lui, une fois
qu’il accepte la situation, est obligé de répondre et de fournir les informations
demandées.
Généralement, les deux interactants occupent des rôles publics institutionnali-
sés ; la nature du rapport social et interpersonnel conditionne fortement la rela-
tion qui s’instaure entre les deux, même si, dans et par l’interaction, les cartes
peuvent dans une certaine mesure être redistribuées, la relation entre les pra-
tiques et les contraintes socioculturelles étant dialectique (Kerbrat-Orecchioni,

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L’interview radiophonique

1984). Ainsi l’interviewé, détenteur des informations, objets de la quête, peut


dévier du cadre thématique, contredire, déclencher des négociations, prendre
des initiatives, etc. On assiste également parfois à des interviews où l’intervie-
wer est mis ou se met plus en avant que l’interviewé, notamment lorsque le
questionneur cherche à montrer qu’il en sait davantage que l’expert.
Il est important de distinguer l’interview d’autres genres voisins comme la
conversation, la discussion, le débat et l’entretien (Kerbrat-Orecchioni 1990,
p. 117-123) 1. Par rapport à ces autres genres, l’interview garde un lien fonda-
mental avec l’univers médiatique. Son lieu social de production privilégié sont
les médias (presse, radio, télévision). L’exigence de médiatisation préside à
toutes les activités qui y sont déployées. Dans l’interview, le rôle des partici-
pants et les échanges impliqués subsument toujours la présence d’un tiers, le
public du média.

Les dimensions enseignables

Pour aborder à l’école un genre comme l’interview, il est fondamental de définir


les dimensions enseignables à partir des caractéristiques constitutives du genre
et des finalités de l’institution. Les points qui semblent fondamentaux pour
l’enseignement de l’interview peuvent être répertoriés sous les trois rubriques
définissant les trois niveaux d’opérations de notre modèle théorique : la situa-
tion de communication, l’organisation interne de l’interview, les caractéristiques
linguistiques.

La situation de communication
De la situation de communication qui détermine l’interview nous retenons pour
l’enseignement trois dimensions : le rôle d’interviewer, les contraintes des situa-
tions sociales dans lesquelles le genre est réalisé, et le choix et la préparation des
contenus.
Le rôle de l’interviewer est conçu comme médiateur dans une situation de com-
munication entre un interviewé, spécialiste dans un domaine particulier, et un
public destinataire, généralement novice. L’interviewer devient ainsi l’actant
capable de réaliser les rôles et les objectifs suivants :
– représenter le média (radio scolaire) ;

1. L’analyse structurale (en traits distinctifs) de l’interview par rapport à l’enquête, l’interrogatoire, la causerie,
etc., devrait être approfondie de manière à clarifier le lieu social, le but, le destinataire visé, les instances de
forces qui se trouvent derrière les intervenants, la nature des échanges. Par exemple, l’enquête est une tech-
nique de recherche pour recueillir des informations, des avis, des témoignages, etc., les lieux sociaux pouvant
être très divers (enquêtes administrative, parlementaire, sociologique, scientifique…). L’entretien, quant à lui,
a en commun avec l’interview de porter sur un thème précis mais ne présenterait pas le même caractère public
et médiatique (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 119).

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L’interview radiophonique

– préparer l’interview en définissant un cadre thématique ;


– élaborer et formuler des questions adaptées à l’interviewé et au public ;
– écouter et comprendre les réponses de l’interviewé ;
– réguler des échanges mettant en valeur l’interviewé face au destinataire ;
– rebondir sur les réponses de l’interviewé ;
– cogérer le texte avec l’interviewé de façon à obtenir un produit final organisé.
L’interviewé, lui, est le spécialiste dans un domaine particulier en rapport avec
les disciplines scolaires. Ceci permet d’accentuer une représentation pertinente
des compétences de l’interviewé comme détenteur de savoirs et de l’interviewer
comme médiateur de ceux-ci pour un public novice.
De façon à engendrer chez les élèves une bonne représentation du destinataire,
troisième actant souvent absent de la situation de production, les éléments sui-
vants peuvent être mis en jeu :
– présence ou absence physique lors de la situation de production ;
– public avec un rôle social unique ou des rôles multiples ;
– variations du destinataire (émissions pour des élèves, des parents, etc.) ;
– analyse des intérêts et des connaissances du public.
La présence d’un public élèves lors de la réalisation effective de l’interview
radiophonique constitue souvent une aide externe supplémentaire pour amélio-
rer chez l’interviewer la représentation du destinataire réel qui, lui, est absent au
moment de la production.
La représentation des contraintes sociales de la situation de communication par-
ticulière de l’interview radiophonique peut être affinée au cours d’une visite
d’un studio de radio, de l’écoute et de l’observation de différentes interviews
mais surtout grâce à la réalisation pratique de celles-ci. L’utilisation de matériels
audio (magnétophone), voire vidéo (magnétoscope), nous semble être de nature
à activer une telle représentation. Mis à part la réflexion sur le rôle des partici-
pants, certains éléments méritent un travail avec les élèves :
– le but visé par l’interview ;
– les règles de ce type d’interaction face à face pour un public non présent ;
– la différence entre une émission en direct et en différé.
Afin de permettre à l’interviewer de jouer pleinement son rôle qui est de poser
des questions intéressantes pour le public et pertinentes par rapport à un thème
disciplinaire qui fait l’objet de la quête d’information, la préparation de conte-
nus relatifs au domaine de spécialisation de l’interviewé semble indispensable.
Cette préparation peut se faire préalablement à l’élaboration des questions ou de
manière simultanée. L’interview d’un expert exige de trouver un équilibre entre
le travail préalable sur des contenus et la capacité d’improviser en temps réel en
posant des questions non préparées, articulées aux réponses de l’interviewé.

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L’interview radiophonique

L’organisation interne de l’interview


Du point de vue de l’enseignement, il convient de distinguer les différentes par-
ties qui composent la structure canonique globale d’une interview (ouverture,
phase de questionnement ou noyau et clôture) la planification de la phase de
questionnement et la régulation locale, en cours d’interview, des tours de parole.
En ce qui concerne la structure globale, deux éléments méritent d’être retenus
dans l’ouverture : la présentation de l’interviewé et du sujet de l’interview. Le
thème de l’interview peut être simplement annoncé en termes généraux, délimité
par rapport à d’autres thèmes proches, problématisé sous forme de questions
générales pour éveiller l’intérêt du public ou décomposé en divers domaines thé-
matiques qui correspondent au canevas de l’interview.
La phase de questionnement est composée d’échanges qui débutent générale-
ment par une question et se poursuivent par un ou plusieurs tours de parole.
Cette phase comporte une série d’aspects qui peuvent faire l’objet d’un ensei-
gnement :
– l’écoute d’échanges simples et complexes ;
– les règles de base de l’alternance des tours de parole ;
– le type et la nature des questions ;
– l’anticipation des réponses à partir des questions ;
– les mécanismes des enchaînements (cohésion et connexion) ;
– l’organisation de la progression des thèmes et des sous-thèmes ;
– les mécanismes de cogestion de l’interview ;
– les énoncés métalangagiers et les synthèses provisoires contribuant à rendre
explicite l’organisation de la phase de questionnement ;
– l’élaboration d’échanges subordonnés à partir d’un échange simple ;
– les diverses modalités et fonctions des échanges subordonnés.
Nous accordons une importance capitale aux relances qui permettent de déclen-
cher des échanges subordonnés (Roulet et al., 1985). Ceci signifie, à partir d’un
échange principal, apprendre aux élèves à étoffer, à poursuivre, à reprendre le
thème, avec de nouvelles questions ou commentaires. L’interviewer planifie
préalablement les questions et l’ordre dans lequel elles seront posées. Ceci per-
met la construction d’outils de guidage (fiches, notes contenant des questions
complètes ou des mots clés, énoncés métalangagiers pour guider l’auditoire, et
des formules pour l’interpeller).
La planification d’une interview exige une adaptation en temps réel en cours
de production, c’est pourquoi l’écoute très attentive interviewer-interviewé
constitue un élément fondamental de cette régulation. L’interviewer doit ainsi
être capable d’enchainer selon plusieurs procédures : reprendre un mot, refor-
muler, résumer, demander une explication, demander un complément,

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L’interview radiophonique

reprendre pour s’assurer qu’on a bien compris. Lorsque l’interviewé ne


répond pas à la question posée ou s’écarte du sujet, les procédés suivants peu-
vent être employés : répéter la question avec insistance, reformuler la ques-
tion différemment ou faire remarquer qu’il n’a pas été répondu à la question,
sachant que ce mode d’intervention peut faire perdre la face à l’interviewé
(Goffman, 1974).

Les caractéristiques linguistiques

En ce qui concerne les caractéristiques linguistiques à proprement parler, cinq


aspects nous paraissent intéressants à travailler dans l’interview.
Les types, la nature des questions et les différentes façons de les formuler
constituent le premier aspect linguistique à souligner. Par exemple, les
questions en « comment » et en « pourquoi » par rapport au savoir sont
importantes dans une interview portant sur une discipline scolaire car elles
conduisent à l’explication, contrairement à des questions fermées qui servent
à préciser des informations fragmentaires préalables. D’autres types de ques-
tions semblent fondamentaux :
– des questions pour changer de thème ;
– des questions pour engager l’autre à aller plus loin grâce à la reprise d’un mot
fort, par une anaphore résumante ou une reprise diaphonique, en introduisant
l’accent d’insistance ou un énoncé à valeur d’argument ;
– des questions résumantes ;
– des questions d’insistance ;
– des questions reformulantes.

Un deuxième aspect linguistique à retenir concerne l’emploi des déictiques per-


sonnels et d’autres formules linguistiques pour évoquer le destinataire (Nos
auditeurs se demandent sûrement…), pour reprendre l’interviewé (Vous avez
soutenu par le passé que…) ou pour les impliquer dans les propos tenus par
l’interviewer.

La troisième dimension linguistique se réfère aux énoncés métadiscursifs,


instruments de guidage pour l’auditeur : reprise de la parole de l’autre (Vous
dites que c’est…), anticipation et organisation de la suite de l’interview (Si
maintenant on faisait un peu le tour de…). Ce type d’énoncés peut interve-
nir en début d’interview pour annoncer les différentes thématiques abor-
dées.

Les chaînes anaphoriques (Reichler-Béguelin, 1988) jouent un rôle important


dans la cohésion de l’interview et présentent la particularité d’être cogérées au
sein de la structure conversationnelle.

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L’interview radiophonique

interviewer tout d’abord quel patois parlez-vous?


interviewé eh bien je parle le patois jurassien c’est-à-dire le franc-montagnard
– c’est le pays de mon origine
interviewer quand l’avez-vous appris?
interviewé en fait je l’ai appris avec mes parents quand j’étais enfant
interviewer le comprenez-vous uniquement ou savez-vous aussi l’écrire?
interviewé euh c’est très difficile à écrire le patois par contre j’ai un frère qui
l’écrit et qui est même pour sa conservation […]
interviewer connaissez-vous beaucoup de monde qui l’utilise encore?
interviewé non ça s’est beaucoup perdu quoique on y revient maintenant
interviewer comment voyez-vous son avenir?
interviewé je crois que c’est pas une langue morte puisque il y a bien des
endroits où on reprend le patois où on le cultive pour le maintenir

Le pointage linguistique des thèmes (à propos de, concernant…) contribue


au marquage de l’enchaînement et à une bonne connexion des différents
plans du texte. Il constitue un arrière-plan justificatif qui facilite l’introduc-
tion de nouvelles questions, la transition des blocs thématiques ainsi que les
ruptures thématiques.

Enfin notons que pour faciliter la présence des variations qui contribuent à
faire comprendre au public ce qui a été dit, l’interviewer recourt à des refor-
mulations (en l’occurrence, en fait, c’est-à-dire…). Ce cinquième aspect lin-
guistique permet à la fois de résumer et de préciser l’interprétation de ce qui
précède.

Deux séquences didactiques


sur l’interview

Sur la base du modèle didactique du genre, brièvement esquissé ci-dessus,


nous avons élaboré deux séquences didactiques traitant de l’interview, l’une
dans le primaire, l’autre dans le secondaire. Il nous paraissait intéressant
d’observer les capacités des élèves à des âges différents et de leur faire
acquérir progressivement une meilleure maîtrise de ce genre, grâce à des ate-
liers travaillant l’une ou l’autre des dimensions présentées page suivante.

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L’interview radiophonique

Séquence didactique :
«Interview d’un jardinier » (école primaire)

Objectifs Activités Matériel Temps


Mise en – faire émerger 1. discussion pour – L’homme 1h
situation les représentations élaborer un projet qui plantait
de l’interview de classe des arbres
– clarifier l’objet 2. lecture d’un texte de J. Giono
de l’interview « amorce » sur le thème
– préparer 3. écoute d’un extrait
les contenus d’interview
– donner sens 4. préparation en groupe – extrait
au travail à venir des interviews à faire d’une interview
en production initiale radio
Production – réaliser 1. préparation en groupe 2 périodes
initiale une interview des questions de 45 mn
sous forme 2. enregistrement – documents
de jeu de rôle d’interviews d’un élève sur le jardinage
face à la classe par un autre
3. écoute de 3 à 4 – enregistreur
enregistrements
4. discussion collective
pour repérer les aspects
positifs et pour évaluer
les difficultés rencontrées
Atelier 1 – découvrir 1. écoute d’une – extrait 45 mn
l’organisation interview orientée par d’une interview
Première générale des questions préalables radiophonique
approche d’une interview et vérification de la sur la ferme
de l’interview – repérer la compréhension
les questions 2. analyse des questions
du journaliste posées par le journaliste
3. formulation de – une feuille
nouvelles questions pour d’écoute
enchaîner à un extrait
entendu d’interview
4. première discussion
sur l’organisation
de l’interview
Atelier 2 – distinguer 1. observation – extraits 45 mn
les parties et comparaison d’une interview
Ouverture et d’une interview de différentes manières sur la ferme
clôture de d’ouvrir une interview
l’interview 2. observation – extraits d’une
et comparaison d’une interview
de différentes manières sur la mode
de clore une interview
3. jeux d’improvisation – une feuille
pour trouver d’autres d’écoute
variantes pour ouvrir
ou clore l’interview
sur la ferme

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L’interview radiophonique

Objectifs Activités Matériel Temps


Atelier 3 – étudier 1. écoute d’une interview – extraits 1h
les principales 2. analyse de la situation d’une interview
L’interviewer caractéristiques de communication sur la ferme
et la situation de l’interview 3. jeux de rôle
– saisir le rôle journaliste-fermier
de médiateur pour imaginer différentes
de l’interviewer manières d’organiser
les échanges
4. discussion sur les
tâches de l’interviewer
Atelier 4 – enchaîner 1. écoute fragmentée par – extraits 2 périodes
avec une nouvelle blocs d’une interview d’interviews de 45 mn
Formuler question et production sur la mode
des questions – travailler, d’enchaînements et la ferme
et relancer au niveau 2. formulation et
à partir de la formulation, comparaison de questions
des réponses divers types 3. production de divers
de question types de questions
(ouvertes, fermées, etc.)
4. jeux de rôle pour
s’entraîner à gérer
les échanges
Atelier 5 – enregistrer 1. préparer le générique – 4 documents 2 périodes
un générique et l’ouverture sur le jardinage : de 45 mn
Préparation pour l’émission 2. préparation des grandes le travail du
de l’interview – préparer questions par sous-groupes jardinier,
l’ouverture 3. transformer la culture

et la clôture les questions des plantes,


en mots clés le rôle
– préparer 4. formuler oralement du jardin public,
l’ensemble de des questions à partir les plantes et
l’interview des mots clés l’usage
à réaliser 5. exercices des plantes
d’entraînement pour
vérifier la compréhension
de la question formulée
6. distribution des
des responsabilités
desdifférentes parties
de l’interview
7. préparation du matériel
et des enregistrements
Production – réaliser une 1. réalisation collective – feuilles 2 périodes
finale interview avec d’une interview à l’aide d’aide-mémoire : 45 mn
un jardinier des mots clés comment
– mettre en 2. discussion avec le préparer
pratique les capa- spécialiste interviewé une interview
cités entraînées après la réalisation – enregistreur
– préparer un de l’interview
un enregistrement 3. bilan du travail effectué
pour un échange
avec une autre
classe

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L’interview radiophonique

Séquence didactique :
«Interview sur les variations régionales du français» (école secondaire)

Objectifs Activités Matériel Temps


Mise – faire émerger 1. réponse à un questionnaire – questionnaire 2h
en situation les représen- sur les caractéristiques sur l’interview
tations d’une interview – divers
de l’interview 2. discussion pour élaborer documents
– clarifier un projet de classe oraux et écrits
l’objet de 3. lecture de divers sur les variations
l’interview documents sur le thème régionales
– préparer 4. écoute d’un extrait – extrait d’une
les contenus d’interview d’expert interview avec
– donner sens 5. préparation en groupe un spécialiste
au travail des interviews – extrait d’une
à venir interview ratée
réalisée par
un humoriste
Production – réaliser une 1. préparation en groupe – documents 2h
initiale interview des questions écrits sur les
sous forme 2. enregistrement de brèves variations
de jeu de rôle interviews réalisées régionales
face à la devant la classe
classe 3. écoute des enregistrements – enregistreur
4. discussion collective
pour repérer les aspects
positifs et pour évaluer
les difficultés rencontrées
Atelier 1 – découvrir 1. écoute d’une interview – interview 1h
la structure orientée par des questions avec un linguiste
Ouverture d’une préalables et vérification sur les
et clôture de interview de la compréhension régionalismes
l’interview – repérer les 2. observation et comparai-
questions son de différentes manières – interview avec
du journaliste d’ouvrir et de clore une des personnes
interview connaissant
3. analyse des procédés le patois
linguistiques utilisés
Atelier 2 – anticiper 1. reconstruction de questions – extraits 1h
les questions à partir de réponses d’interviews
Enchaînements à partir 2. écoute fragmentée
anticipation des réponses par blocs d’une interview
et – enchaîner pour repérer des
diversification avec de dysfonctionnements d’une
des questions nouvelles interview mal organisée
questions 3. comparaison de questions:
– repérer des avantages et inconvénients
dysfonction- des différents types de
nements de formulation
– diversifier 4. production collective
les formes d’enchaînements alternatifs
de relance là où on observe des
dysfonctionnements

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L’interview radiophonique

Objectifs Activités Matériel Temps


Atelier 3 – formuler 1. repérage des questions – extraits 1h
des questions de relance dans d’interviews
Les procédés de relance des extraits d’interviews – feuilles
de relance – diversifier 2. analyse et comparaison d’exercices
les procédés des procédés de relance pour inventorier
de relance dans utilisés par les procédés
le guidage les journalistes de relance
de l’interview 3. exercices
d’entraînement
à la pratique des procédés
de relance

Atelier 4 – anticiper 1. préparer le matériel – documents


les parties pour l’enregistrement écrits sur 2h
Préparation thématiques 2. prise de contact les variations
de l’interview de l’interview avec l’interviewé régionales
– préparer 3. discussion sur
l’ensemble la pertinence
de l’interview des questions
à réaliser 4. organisation de
l’interview en parties
thématiques et répartition
des tâches
5. élaboration de feuilles
d’aide-mémoire sur
la gestion d’une interview

Production – réaliser 1. en groupes de 2 ou – feuilles à réaliser


finale une interview avec 3 élèves, réalisation d’aide-mémoire par
un spécialiste d’une interview avec les élèves
– mettre la personne choisie – enregistreur hors de
en pratique 2. discussion avec l’horaire
les capacités le spécialiste interviewé scolaire
entraînées après la réalisation
– préparer de l’enregistrement
un enregistrement 3. bilan du travail
pour la classe effectué avec les autres
camarades de la classe

Quelques exemples d’activités


Les deux premiers extraits d’activités que nous allons présenter sont issus d’une
séquence didactique réalisée au primaire. Le premier provient des productions ini-
tiales qui sont réalisées avant que l’enseignement n’ait effectivement démarré ; le
second est issu de l’atelier 5 qui précède les productions finales et concerne la pro-
duction d’enchaînements. Les deux extraits suivants présentent deux activités qui
permettent d’exercer au secondaire le guidage de l’interview : l’anticipation de la
question de l’interviewer à partir de la réponse de l’interviewé et l’emploi de diffé-
rents procédés de relance pour enchaîner avec une nouvelle question (atelier 2). Ce
guidage apparaît en effet comme la dimension centrale de l’interview adulte.

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L’interview radiophonique

Une interview sous forme de jeu de rôle

Préalablement à tout enseignement sur l’interview et après une courte prépara-


tion en groupes, les élèves procèdent à une première production d’interviews, en
dyades, sur un thème précis qui occupera toute la séquence, en l’occurrence le
jardinage. Un élève joue le rôle d’interviewer, l’autre celui d’interviewé. Dans
ces interviews fictives, l’enseignant observe les capacités initiales des élèves, eu
égard à la formulation et l’enchaînement des questions ainsi qu’à la progression
du thème. Quant aux élèves, il peuvent en quelque sorte établir un « état des
lieux » de leurs propres connaissances quant au genre travaillé tout en prenant
conscience des difficultés rencontrées.
Par groupes de deux, les élèves se succèdent devant le reste de la classe pour réaliser
une mini-interview. Ces interviews présentent un caractère fictif du fait qu’un élève
joue le rôle d’interviewer et un camarade celui d’interviewé alors qu’il n’est pas
expert. L’exemple qui suit montre comment le traitement que réalise l’enseignant
de cette situation fictionnelle de communication permet aux élèves de commencer
à construire l’objet d’apprentissage « interview » au travers de l’outil que représen-
te l’interview fictive, réalisée en dyades élève/élève. Entre les différentes presta-
tions des élèves, l’enseignante ouvre un espace de discussion et leur propose une
démarche d’observation rétroactive de leurs propres productions. Le guidage par
l’enseignant est fondamental. Les élèves sont invités à repérer ce qui les a frappés, à
faire un bilan, à donner leur avis. L’enseignant, en s’appuyant sur les évaluations
des élèves eux-mêmes quant à leurs propres performances (actuelles), pose les pre-
miers jalons des transformations possibles de la représentation du genre interview
et des performances mêmes. Parfois, ce sont les élèves eux-mêmes qui voient les
possibilités de transformation, l’enseignant confirmant et renforçant leurs proposi-
tions. À d’autres moments l’enseignant pose de nouvelles questions pour les
conduire plus loin dans la réflexion sur le genre.
(P1, P2, etc. : enseignant ; St, So, C, : initiales du prénom des élèves)
P1 bien les enfants – j’aimerais tout de suite vous dire quelque chose d’essen-
tiel d’abord je constate entre – le premier couple qui a passé et le dernier
jusqu’à maintenant – une évolution extraordinaire dans la qualité non seu-
lement dans la qualité du travail des enfants qui étaient en situation – mais
également dans la qualité de l’écoute du reste de la classe et j’aimerais
maintenant que vous me disiez pourquoi – qu’est-ce qui s’est passé qui fait
que vous avez été si attentifs – que vous n’avez pas ri quand y aurait peut-
être eu des raisons de le faire plus vite – vous l’avez fait préalablement si
silencieux – si concentrés dans cette interview-là – j’aimerais bien que vous
mettiez en évidence qu’est-ce qui s’est passé qui a fait que ça s’est si bien
déroulé – qui peut répondre ? […] voilà – Stéphanie
St c’était plus intéressant ils parlaient mieux ils étaient ils savaient mieux
s’exprimer
P2 c’est une question de qualité d’expression tu dirais quoi d’autre ? qualité
d’expression – Cédric?

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L’interview radiophonique

C ben moi c’est depuis déjà le début quand Waé est arrivé en disant voilà moi
j’arrive je rencontre le jardinier et puis après il a parlé de la bouture la
bouture et Mathias savait ce que c’était […] et toutes les questions Mathias
a a les a répondues des fois il savait pas mais plutôt convenablement c’est
ce qui intéressait tout le monde
P3 très bien Cédric tu m’enchantes là vraiment – de fait c’est le premier élève qui
a introduit le sujet et vous constatez que cette introduction c’est comme une
manière de se mettre sur les rails on se met tout d’un coup dans le sujet on
rentre dans le sujet et c’est comme un temps qui vous permet de vous – ressai-
sir et de vous dire voilà je vais écouter ça tu l’as très bien relevé et la deuxième
chose que tu as relevée ça je suis contente que ça ressorte si vite c’est le sérieux
avec lequel ils ont procédé – les tout premiers qui sont venus mais c’était les
premiers c’est pas facile non plus d’être les premiers – riaient se sentaient mal
à l’aise alors forcément que toute la classe épaulait ce malaise alors que eux –
ils ont joué leur rôle avec beaucoup de sérieux et ce sérieux a rejailli sur le
reste de la classe et a fait que – vous avez eu une attitude d’écoute de très
bonne qualité – alors j’aimerais que nous continuions dans ce sens-là – est-ce
qu’il y a encore des remarques à faire sur le passage de ce couple Sophie?
So ben c’était bien parce que ils étaient très à l’aise ils ont pas mis des mots
un peu bizarres puis ils ont parlé d’un sujet qu’on connaît pas – nous la
bouture au début tu te dis mais qu’est-ce que c’est donc t’écoutes pis tu sais
euh et puis tu sais de plus en plus
P4 tout à fait très bien

Apprendre à enchaîner avec de nouvelles questions

Les élèves procèdent à une écoute fragmentée d’une interview (par blocs question-
réponse) réalisée par des élèves d’une autre classe de primaire sur un thème simi-
laire afin de trouver des questions qui enchaînent avec les fragments écoutés. Dans
cet exercice, réalisé collectivement, il s’agit donc de produire les questions que l’on
poserait si on était à la place de l’interviewer. Plusieurs propositions d’enchaîne-
ment peuvent se succéder jusqu’à ce qu’une formulation satisfaisante pour tous soit
énoncée. Cet exercice, réalisé dans un atelier d’activités précédant la réalisation de
l’interview finale, permet aux élèves d’adopter la posture de l’interviewer en posant
des questions susceptibles de faire progresser l’interview. Relancer, avec une nou-
velle question, l’attention portée au fragment écouté est capitale.
Dans l’extrait proposé ci-après se succèdent un certain nombre d’interventions, pro-
duites par les élèves à la suite de l’écoute d’un fragment (question-réponse) d’inter-
view d’un ingénieur forestier, sur un thème voisin de celui dont ils ont à traiter durant
la séquence didactique qui porte sur le jardinage. L’enseignant formule la consigne
en l’explicitant, tout en la mettant en lien avec un exercice qui a été précédemment
réalisé en classe sur les tâches que doit accomplir un journaliste interviewer.
L’enseignant demande tout d’abord aux élèves de reformuler la question de
l’interviewer et la réponse de l’interviewé. Ce qui permet de tester la qualité de

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L’interview radiophonique

l’écoute des élèves, qui est essentielle dans un tel exercice tout en conférant,
grâce au rappel, un statut plus permanent à ces fragments d’oraux à partir des-
quels les élèves doivent produire des enchaînements. Les élèves sont invités
ensuite à enchaîner avec de nouvelles questions.
Au fur et à mesure du déroulement de l’activité, l’enseignant procède à des
régulations pour amener les élèves à être plus précis dans leurs formulations, à
évaluer la pertinence de leurs interventions par rapport au contenu du fragment
de dialogue proposé. Les constats effectués par l’enseignant permettent de faire
prendre conscience de la manière dont chaque nouvelle question permet ou non
à l’interviewé d’aller plus loin, d’approfondir le sujet, et de la façon dont il faut
s’y prendre pour atteindre cet objectif. Cet exercice oral qui permet l’implica-
tion des élèves dans des situations de mini-interviews est conduit à un rythme
soutenu qui favorise l’attention des élèves.
Consigne
[…] vous devez donc être très attentifs aux enchaînements c’est-à-dire qu’il va y
avoir une question de l’interviewer et l’interviewé va répondre et ensuite on
stoppera et on vous demandera de trouver la question suivante la question qui
pourrait aller à la suite de celle que vous aurez entendue en tenant compte de la
réponse pour approfondir le sujet. Vous vous souvenez de cette histoire de ques-
tions en chaîne, on les avait nommées autrement ces questions, les questions
d’approfondissement, questions qui permettaient de tenir compte de la réponse
pour faire un relais avec la question suivante c’était ça l’idée
[…]
Fragment d’interview écouté par les élèves
Interviewer : […] qu’est-ce que c’est le métier d’ingénieur forestier expli-
quez-nous
Interviewé : alors en deux mots l’ingénieur forestier c’est l’homme ou la la
femme qui s’occupe des forêts donc qui s’occupe des arbres qui s’occupe de les
faire pousser de savoir ce qui faut planter à quel endroit et également comment
on obtient du bois en grande quantité moi maintenant je m’occupe plus de la
forêt mais des parcs et là il s’agit de fleurir les parcs et également de planter de
jeunes arbres pour que dans un siècle peut-être dans cent ans on puisse avoir de
beaux arbres pour qu’on puisse les admirer aujourd’hui
Rappel du contenu du fragment d’interview par les élèves sous le guidage
de l’enseignant
Enseignant : […] quelle est la question que l’enfant vient de poser ? Cédric
Enfant : à quoi sert le métier de garde forestier
Enseignant : oui un peu plus précis
Enfant : qu’est-ce que c’est
Enseignant : pouvez-vous nous dire en quoi consiste le métier de garde
forestier ? qu’a répondu M. Behr en question ?
[…]
Enfant : en fait il ne travaille plus dans la forêt mais en fait dans les parcs pour
que dans 100 ans il y ait de beaux arbres comme on peut le constater ici.
[…]

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L’interview radiophonique

Les questions de relance proposées par les enfants et les observations régu-
latrices de l’enseignant
Enseignant : quelle est la question que vous pourriez proposer suite à cette
réponse ? qui tiendrait compte de la question donnée par l’enfant, de la
réponse de M. Behr et qui nous permettrait d’approfondir ce qui a été dit, de
l’obliger à aller plus loin dans sa réponse ? Marc
Enfant : est-ce qu’il faut vraiment autant de temps pour faire pousser un
arbre ?
Enseignant : oui qui a une autre idée d’enchaînement par rapport à la
réponse écoutée Mathias ?
Enfant : euh où dans quel pays travailliez-vous avant ? ou dans quelle
région?
Enseignant : on est un petit peu éloigné il nous dit que qu’il ne s’occupe plus
vraiment. Il n’est plus vraiment ingénieur forestier mais que maintenant il a
la responsabilité des parcs voilà en gros ce qu’il nous dit
[…]
Julien?
Enfant : quelle est la différence de travailler dans une forêt et dans un parc ?
Enseignant : hum très bien là effectivement tu fais un lien entre les deux élé-
ments proposés l’élément de la question garde forestier et l’élément de la
réponse de M. Behr qui est de dire maintenant j’ai la responsabilité des
parcs, excellent
[…]

Anticiper les questions de l’interviewer

Les élèves écoutent collectivement des extraits d’une interview radiophonique.


Après écoute de chaque extrait, les élèves travaillent sur la transcription de
l’extrait écouté et imaginent des questions possibles. Une discussion s’engage
pour qu’émergent des propositions d’enchaînement sur ce qui vient d’être dit. Il
s’agit donc de produire les questions que l’on poserait si on était à la place de
l’interviewer. La recherche s’arrête dès qu’une formulation acceptable est énon-
cée ; on ne demande pas de retrouver exactement la même formulation que
l’interviewer du modèle mais de prendre conscience des diverses formes dont
on dispose pour conduire l’interviewé à aller plus loin. Cette activité intervient
au milieu d’un atelier consacré au guidage de l’interview, après avoir observé
des dysfonctionnements dans ce domaine chez des interviewers novices.

Feuille d’exercice
Consigne : tu vas travailler sur la transcription d’une portion d’une interview
radiophonique. Dans cet extrait, les interventions et questions de l’interviewer ont
parfois été supprimées. À toi d’imaginer les enchaînements que tu inscriras sur les
pointillés.

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L’interview radiophonique

Interviewer comment s’est passée votre enfance?


Interviewé ouh – péniblement
Interviewer ...........................................................................................................
Interviewé oui nous étions une grande famille je suis l’aîné de sept et alors il a
fallu tout de suite en sortant de l’école mettre la main à la pâte pour
aider à élever les plus jeunes
Interviewer n’est-ce pas ?
Interviewé en général – en principe oui oui oui c’est sur le le lui qu’on qu’on frappe
le plus c’est le premier alors il faut qu’il – il y en a six derrière hein
Interviewer ..........................................................................................................
Interviewé écoutez j’étais donc – mon père était à l’époque agriculteur alors il
fallait aider aux champs l’hiver on allait à la forêt et puis à peine
dehors de l’école j’ai dû partir en Suisse allemande où j’ai je gagnais
péniblement 15 francs par mois et que j’envoyais à la maison parce
qu’ils en avaient besoin
Interviewer ...........................................................................................................
Interviewé oui très
Interviewer mais plus pauvre que toutes les autres?
Interviewé disons qu’on était pauvre mais on était heureux je vous dirai que
Interviewer ...........................................................................................................
Interviewé écoutez heu chaque soir à part pendant la fenaison nous chantions en
famille on était là toute l’équipe on chantait les filles aidaient à la
mère à préparer heu pour le lendemain matin les rotis pour le déjeu-
ner moi j’aidais à mon père à couper couper les betteraves les choux-
raves pour le bétail et puis on chantait
Interviewer ...........................................................................................................
Interviewé des chants d’école des chants des vieux chants que mon père connaissait
très bien des très vieilles mélodies qu’on n’entend plus aujourd’hui
Interviewer ...........................................................................................................
Interviewé oh tonnerre oui

Inventorier les procédés de relance

Après l’exercice entraînant les élèves à anticiper les relances d’un expert en pro-
duisant des enchaînements sur les réponses de l’interviewé, il s’agit d’invento-
rier les procédés utilisés par l’expert.
Cette activité fait immédiatement suite à la production d’enchaînements ci-
dessus et à la comparaison avec ceux que l’expert a réalisés.

Feuille d’exercice
Consigne : tu vas maintenant dresser l’inventaire des procédés qui permet-
tent la relance, en donnant chaque fois un exemple tiré de la correction de
l’exercice précédent.

132
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L’interview radiophonique

Pour relancer, on peut reprendre, piquer un seul mot dans la réponse.


Pour relancer, on peut reformuler ce qui vient d’être répondu.
Pour relancer, on peut résumer ce qui vient d’être répondu.
Pour relancer, on peut demander une explication à propos de ce qui vient
d’être répondu.
Pour relancer, on peut demander de compléter ce qui vient d’être répondu.
Pour relancer, on peut reprendre ce qui vient d’être répondu pour s’assurer
qu’on a bien compris.

Les productions des élèves

La construction du rôle d’interviewer, conçu comme médiateur dans une situa-


tion de communication entre un interviewé, spécialiste dans un domaine particu-
lier, et un public destinataire, généralement novice, constitue un moyen de déve-
lopper le comportement interactif verbal des élèves. En l’occurrence,
l’enseignement organisé de l’interview contribue à la construction d’une repré-
sentation d’un rôle public différent de l’identité privée, quotidienne des interlo-
cuteurs. Au primaire, les élèves commencent à prendre conscience de la place et
des fonctions de l’interviewer, de l’interviewé et du public dans une interview
radiophonique. L’étude de l’organisation interne de l’interview, soit des diffé-
rentes parties qui composent la structure canonique globale d’une interview
(ouverture, phase de questionnement ou noyau et clôture) et la planification de la
phase de questionnement permettent un apprentissage de quelques caractéris-
tiques essentielles du genre interview, en lien avec le rôle d’interviewer. Le
travail sur la régulation locale, en cours d’interview, des tours de parole, la for-
mulation de questions et l’utilisation de la part de l’interviewer d’interventions de
relance permettent d’étoffer, de poursuivre et de reprendre le thème abordé par
l’interviewé, avec de nouvelles questions ou commentaires.
Au secondaire, on attend un approfondissement et un développement des
apprentissages effectués au primaire, principalement dans le domaine du gui-
dage de l’interview et des capacités de relance. Si les productions finales
sont de longueurs et de qualités variables, on observe néanmoins un éventail
très large de types de relance. Par ailleurs, plutôt que de traiter d’un sujet
interdisciplinaire, les concepteurs de la séquence secondaire ont opté pour
faire réfléchir les élèves sur les normes de l’oral, faisant ainsi d’une pierre
deux coups. La question des normes langagières à l’oral, objet de l’ensei-
gnement du français, a permis d’aborder des sujets aussi divers que les patois
et dialectes, les accents, les régionalismes, les métiers de la parole publique,
les registres de langue.

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L’interview radiophonique

Les interviews fictives comme productions initiales au primaire

La première remarque importante par rapport aux productions avant l’ensei-


gnement est la quasi-absence d’ouverture et de clôture de l’interview ou des
ouvertures simples se limitant à des formules de salutations et à une attribu-
tion des rôles (Bonjour, Madame la jardinière. Est-ce que je peux vous poser
quelques questions ?). Cette mini-ouverture a pour fonction de mettre
d’accord les deux partenaires sur la situation d’interaction et de préciser les
rôles du jeu de simulation. Le jeu de rôle étant bien assumé, le vouvoiement
est d’usage dans toutes les interviews. Ceci montre que tous les élèves accep-
tent leurs rôles respectifs même si certains ajustements se produisent par la
suite au cours de la phase de questionnnement et montrent la difficulté de
tenir le rôle de jardinier et de se faire reconnaître dans ce rôle alors que les
connaissances sur le jardinage sont très faibles.
Non. Je ne sais pas. Ca je ne pourrais pas vous le dire. Je ne… je n’ai pas ça
encore appris. J’l’ai pas encore appris ; connaissez-vous certains détails sur
les boutures ? – Non je ne je ne je n’étudie pas ça au jardin botanique j’étu-
die autre chose d’autres choses – Ah mais vous savez faire des boutures chez
quand même – Malheureusement pas je ne n’sais pas en faire parce que on
ne m’a pas encore montré.

Parmi les interviews réalisées avant l’enseignement, on observe très peu


d’échanges complexes comportant des relances. Dans deux classes, tous les
échanges sont des échanges simples, passant d’une thématique à une autre à
chaque question. Dans une troisième classe, on observe un seul et unique cas
d’intervention de relance entraînant un échange subordonné. Celle-ci se produit à
la suite d’une réponse de l’interviewé considérée par l’élève-interviewer comme
incomplète : Et vous faites vos fleurs avec du terreau, de la terre naturelle ou du
fumier ? – Du terreau. – Le fumier pas tellement ? L’alternance des thématiques
et l’absence d’échanges complexes signifient qu’il n’y a pas d’anticipation de
l’organisation, ni explicite ni implicite, de l’interview et, comme conséquence,
aucune synthèse intermédiaire n’est observée.

Les productions finales au primaire

Lors de la production finale, dans une situation authentique, les élèves intervie-
went un jardinier du conservatoire et jardin botaniques en présence des autres
élèves de la classe tout en sachant que l’enregistrement qui est réalisé de l’inter-
view sera diffusé ultérieurement à des élèves d’autres classes. Un élève est
chargé de l’ouverture et de la clôture de l’interview et de la passation de la
parole aux différents intervenants puisque l’interview est collective. Quatre
interviewers se répartissent les quatre sous-thèmes selon l’ordre suivant : le
métier de jardinier, la culture des plantes, l’utilisation des plantes dans l’alimen-

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L’interview radiophonique

tation et la médecine, et les fonctions d’un jardin botanique. Les thèmes ont été
préparés collectivement par sous-groupes.
L’ouverture de l’interview, préparée en classe, se caractérise dans toutes les classes
par sa complexité et son degré d’élaboration. La présence de dix éléments différents
est à souligner : salutations ; quelques paroles adressées aux auditeurs ; datation avec
déictique pour préciser le moment de la parole ; évocation du lieu de réalisation de
l’interview ; présentation des interviewers puisque l’interview est collective ; pré-
sentation de l’interviewé ; annonce du scénario de l’interview ; présentation généra-
le du thème ; annonce de l’ordre dans lequel seront traités les sous-thèmes ; attribu-
tion de la parole aux différents intervenants en précisant leurs responsabilités. Ces
éléments sont pour la plupart présents dans les ouvertures des classes ayant suivi la
séquence. Tous les élèves chargés de présenter l’interview s’adressent directement et
explicitement au public.

Ouverture
(musique : chanson de C. François dont les interviewers reprennent quelques
mots ensuite)
– Vous qui habitez Genève vous voulez voir les fleurs des champs les peu-
pliers les ruisseaux et tout ce qui reste encore changez de ciel changez
d’espace prenez le bus ou le train peut-être et allez au jardin botanique vous
y verrez des plantes des fleurs des arbres et peut-être même si vous allez
dans la grande serre des plantes carnivores
– Chers auditeurs j’espère que vous en saurez plus grâce au jardinier qui
travaille au jardin botanique (musique : introduction musicale de la même
chanson)
– Chers auditeurs nous sommes en direct dans une salle du jardin botanique
à côté des animaux et monsieur Fawer est à nos côtés
– Bonjour voilà le groupe de Sandra qui aimerait tout savoir sur le rôle du
jardin public
La clôture générale de l’interview est composée de trois éléments : l’élève pré-
cise au nom de qui il parle, c’est-à-dire comme représentant des camarades de la
classe ; il remercie les participants et en particulier le jardinier interviewé et il
évoque le destinataire absent en rappelant le but de l’interview (enrichir les
connaissances) et en souhaitant que ce but ait été atteint.

Les interventions de relance

Un des objectifs fondamentaux de la séquence didactique était de travailler


l’écoute de ce qui est dit par l’interviewé, afin de pouvoir improviser une inter-
vention de relance à partir de la réponse précédente en reprenant une partie de la
question à laquelle celui-ci n’a pas répondu. Tous les élèves, sauf un jouant le
rôle d’interviewer, ont au moins une fois enchaîné avec la réponse de l’inter-
viewé ; certaines des interventions de relance étaient prévues par les élèves dans

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L’interview radiophonique

l’organisation préalable, ce qui montre une prise de conscience du mécanisme


et une bonne anticipation de la réponse lors de la préparation ; de très nom-
breuses autres étaient improvisées hic et nunc.
Différents types de relance peuvent être observés : les auto-relances ou relances
à partir de la question précédemment posée, les hétéro-relances ou relances à
partir de la réponse produite par l’interviewé et les hétéro-relances multidéclen-
chées qui prennent leur source tant dans la réponse de l’interviewé que dans une
intervention précédente du relanceur.

Les auto-relances
Tout d’abord, on distingue des interventions comportant une simple relance de
la question précédemment posée par l’interviewer indépendamment de la
réponse fournie par l’interviewé (extrait 4). Ces relances sont parfois anticipées
par les élèves lors de la préparation de l’interview. Les traces écrites de la prépa-
ration montrent que ce type de relance n’est généralement pas réalisé on line.

Relance à partir de la question préparée préalablement


– Comment entretenir des plantes carnivores ?
– Alors les plantes carnivores donc sont des plantes qui demandent un sol
très particulier et une humidité très euh importante à part ça au niveau de
la du soin particulier à apporter c’est des plantes qui poussent lentement
donc y a pas beaucoup de soins à leur apporter mais une surveillance euh
quotidienne de du taux d’humidité et principalement de l’endroit où elles
sont plantées c’est-à-dire que les précautions doivent être prises avant
– Est-ce qu’on peut avoir des plantes carnivores chez nous ?

Les hétéro-relances
Si, en écoutant la réponse, il y a un élément inconnu ou qui mérite un prolonge-
ment de quelque type que ce soit, on observe des relances qui s’ancrent dans la
seule réponse de l’interviewé (des hétéro-relances). En font partie la demande
d’explicitation (extrait 5), de définition d’un terme employé ou encore de refor-
mulation-désignation d’une notion vague (ce type d’intervention de relance est
particulièrement fréquent chez des élèves ayant appris la technique consistant à
retenir des mots clés inconnus dans la réponse de l’interviewé). La demande
d’information ou la problématisation d’un ou plusieurs éléments de la réponse
de l’interviewé constituent également des hétéro-relances.

Relance à partir de la réponse : demande d’explicitation d’un terme employé


– Est-ce que les plantes aquatiques servent à quelque chose ?
– Oui oui certaines plantes aquatiques sont servent à quelque chose euh
pour l’anecdote je peux vous citer par exemple les racines de nénuphar ont
l’effet contraire des aphrodisiaques
– Qu’est-ce qu’un aphrodisiaque ?

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L’interview radiophonique

Les hétéro-relances multidéclenchées


La coordination question-réponse est plus complexe. Elle est considérée comme
multi-déclenchée car la cause de la relance se trouve simultanément dans l’inter-
vention de l’autre interactant et dans une intervention précédente du relanceur.
Deux catégories différentes sont observées :
a) réponse incomplète par rapport à la question (extrait 8) : il s’agit du cas où l’in-
terviewer écoute la réponse et se rend compte que l’interviewé n’a pas complète-
ment répondu à la question. Ici, les connaissances préalables sur le sujet semblent
jouer un rôle fondamental :
Coordination question-réponse en cas de réponse incomplète
– Peut-on obtenir toutes les plantes à partir de d’un bouturage de feuille ?
– Non on peut pas obtenir toutes les plantes certaines plantes doivent être
multipliées par une autre forme de bouturage bouturage de de tige mais cer-
taines plantes effectivement peuvent être bouturées par les feuilles par
exemple le saintpaulia ou les bégonias rex
– Euh est-ce qu’il y a aussi certaines plantes qui peuvent se reproduire à
partir du bouturage de racine?

L’élève interviewer sait tirer de ses préparations préalables sur les trois possibili-
tés de bouturage, dont l’une n’a pas été évoquée par l’interviewé, une possibilité
de relance qui lui permet d’enchaîner avec une nouvelle question. Dans un
échange complexe tel que celui-ci, nous voyons qu’il est possible d’endosser
véritablement le rôle d’interviewer médiateur et que le fait d’avoir des connais-
sances dans le domaine pousse à la relance de l’interviewé pour compléter les
informations données par l’interviewé.

b) revenir sur la question à partir de la réponse pour étoffer la problématique ou


en déclencher une nouvelle :
Coordination question-réponse : problématisation d’un élément de la
réponse de l’interviewé
– Quels sont les principaux ennemis des plantes ?
– L’homme je crois que c’est le c’est la cause principale de la disparition des
plantes maintenant
– N’y a-t-il que l’homme qui les détruit ?
Ces quelques extraits montrent à l’évidence qu’une partie des interventions
de relance est destinée à augmenter les connaissances du public sans sortir
de l’enjeu de l’interview, en gardant une cohérence par rapport au contenu
traité.
Dans l’organisation des questions, la première chose à souligner, c’est que,
grâce à la préparation des questions, il y a une stratégie globale dans l’ordre
de présentation des blocs thématiques. À la différence des productions ini-

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L’interview radiophonique

tiales où les questions et les thèmes se succèdent sans lien thématique, les
interviews de la production finale manifestent une vision d’ensemble qui se
traduit, sauf pour une ou deux questions, par une cohérence du thème traité
et par la recherche d’une stratégie pour faire progresser les questions de
l’interview en fonction des blocs thématiques.

Les caractéristiques linguistiques

Concernant le type et la nature des questions, lors de la production finale,


tous les élèves jouant le rôle d’interviewers alternent des questions ouvertes
et des questions fermées et utilisent des questions de l’ordre du « pourquoi »
ou du « comment » déclenchant une conduite explicative de la part de l’inter-
viewé. Par ailleurs, on observe l’émergence de questions reformulées et
d’insistance ainsi que des questions pour changer de thème avec un arrière-
plan justificatif. Il faut souligner la grande variété des formules interrogatives
utilisées, la formule inversée étant plus courante dans les questions préparées
et lues que dans celles improvisées sur le moment.

Au plan de la cohésion, nous avons observé plus particulièrement les reprises


anaphoriques et les chaînes anaphoriques construites conjointement par les
participants à l’interview. Un point qui nous semble très important à souli-
gner, à propos des interviews de la production finale, concerne la corrélation
entre la présence d’interventions de relance et le nombre et la nature des
reprises anaphoriques. Les échanges complexes comportant des interventions
de relance entraînent, dans presque toutes les interviews, l’utilisation de
reprises anaphoriques mettant parfois en jeu des procédés de reprise com-
plexes. Puisque les contenus ont été préalablement travaillés et sont, dans une
certaine mesure, maîtrisés, les anaphores se diversifient et on observe de
nombreuses anaphores infidèles (par exemple : des substances/des produits
chimiques), résomptives (par exemple : j’ai donc fait l’école normale obli-
gatoire, ensuite j’ai fait l’école d’horticulture à Lullier et après…/autant
d’études), conceptuelles (par exemple : bouturage, marcottage, greffage/ces
techniques) et associatives.

Nous avons présenté jusqu’ici des analyses relativement complexes et appro-


fondies pour illustrer quelques effets de la séquence didactique pour obser-
ver et évaluer les progrès des élèves de l’école primaire. Il n’est pas
nécessaire de procéder à chaque fois à des analyses si détaillées pour obser-
ver et évaluer les progrès des élèves. La grille d’évaluation ci-dessous
montre comment on peut élaborer des items relativement simples pour
mettre en évidence les dimensions principales travaillées dans la séquence
didactique.

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L’interview radiophonique

Liste de contrôle – grille d’évaluation pour des élèves de 8-12 ans


Interview radiophonique

1. Ouvrir l’interview
– présenter le sujet,
– présenter l’interviewé
– saluer l’interviewé

2. Utiliser des notes comme aide-mémoire

3. Se détacher de l’écrit

4. Poser des questions clairement formulées

5. Rester dans le sujet

6. Choisir des questions pertinentes par rapport au sujet

7. Utiliser la réponse de l’interviewé pour enchaîner sur une nouvelle question

8. Ne pas poser une question alors que la réponse a déjà été donnée

9. Clore l’interview
– remercier l’interviewé
– prendre congé

Les productions finales au secondaire

Sans nous livrer à un long développement, nous pouvons affirmer que l’orga-
nisation générale de l’interview, le marquage des différentes parties, la
variété et la pertinence des questions et la richesse des procédés de relance
et des formules de reprise au secondaire constituent les progrès les plus
saillants. Par rapport au primaire, on constate surtout une diversification dans
la formulation des questions et des procédés utilisés pour relancer l’interview.
Pratiquement tous les procédés de relance travaillés dans la séquence didac-
tique sont utilisés par les groupes d’élèves dans leurs productions finales.
L’analyse des productions des élèves du secondaire montre qu’un travail
autour de la dimension de guidage de l’interview est essentiel et qu’il gagne-
rait à être poursuivi après la scolarité obligatoire.
Pour l’évaluation au secondaire nous proposons une comparaison des pro-
ductions finales avec les productions initiales pour vérifier les modifications
constatées par rapport aux objectifs visés. À ce propos, voici la grille d’éva-
luation proposée.

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L’interview radiophonique

Liste de contrôle – grille d’évaluation pour des élèves du secondaire


Interview radiophonique

1. Ouverture
– présentation,
– salutation d’accueil
– remerciements anticipés
– adresse au public

2. Organisation générale de l’interview


– préparation des contenus (feuille d’aide-mémoire)
– pertinence des questions choisies (feuille d’aide-mémoire)
– organisation thématique de l’interview
– marquage explicite des parties
– gestion générale des échanges

3. Guidage de l’interview dans l’action


– écoute et compréhension de la parole de l’autre
– questions et procédures de relance
– capacité à rebondir sur l’imprévisible
– capacité à ne pas lire les questions de l’aide-mémoire
– capacité à rester dans le cadre du sujet

4. Clôture
– conclusion
– remerciements
– salutation de séparation

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L’exposé oral

Le choix de traiter l’exposé parmi les objets d’enseignement de l’expression


orale nous paraît évident : « faire un exposé » – ou, selon la terminologie sou-
vent utilisée à l’école, une conférence – représente l’une des rares activités
orales qui soient pratiquées avec une réelle fréquence dans les classes, dans les
leçons de français mais aussi en sciences naturelles, en histoire, etc. Une
enquête conduite auprès des enseignants de 6e de l’ensemble de la Suisse
romande (Nidegger 1994 ; Pietro et Wirthner, 1998), nous apprend par exemple
que 51 % d’entre eux y recourent souvent ou très souvent et qu’elle figure ainsi
au 5e rang des 21 activités proposées dans le questionnaire, précédée seulement
par « exercer la lecture à haute voix » (70 %), « exercer et enrichir le vocabu-
laire » (70 %), « écouter et comprendre un récit » (68 %) et « exercer la compré-
hension des consignes et modes d’emploi » (65 %). Qui plus est, l’exposé
constitue l’activité la plus souvent mentionnée par ces mêmes enseignants
lorsqu’on leur demande, parmi les activités proposées, les trois qui leur parais-
sent les plus utiles pour développer la maîtrise de l’oral.
Toutefois, si l’exposé relève d’une longue tradition et est fréquemment pra-
tiqué, il l’est le plus souvent sans qu’un véritable travail didactique soit effec-
tué, sans que la construction langagière de l’exposé fasse l’objet d’activités
en classe, sans que des stratégies concrètes d’intervention et des procédures
explicites d’évaluation soient mises en œuvre. L’exposé reste de ce point de
vue une activité largement traditionnelle dans laquelle, pour toute pédagogie,
les acquis antérieurs des élèves, voire leurs dons, quand ce n’est pas tout sim-
plement l’aide des parents au moment de la préparation, viennent s’exposer
devant la classe…
L’exposé représente pourtant un outil privilégié de transmission de contenus
divers. Pour les auditeurs mais aussi, et surtout, pour celui ou celle qui pré-
pare et présente l’exposé, il fournit un outil pour apprendre des contenus
diversifiés, mais structurés grâce au cadre fourni par le genre textuel.
L’exploitation de sources diversifiées d’information, la sélection des infor-
mations en fonction du thème et du but visé et l’élaboration d’un canevas
destiné à soutenir la présentation orale constituent un premier niveau, lié au
contenu, d’intervention didactique.

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L’exposé oral

D’un point de vue communicatif, l’exposé permet de construire et d’exercer le rôle


d’« expert », condition indispensable pour que l’idée même de transmettre un savoir
à un auditoire prenne sens. Ce genre se caractérise également par son caractère lar-
gement monologal (Roulet et al., 1985) et nécessite de ce fait un travail important et
complexe de planification, d’anticipation, de prise en compte de l’auditoire de la
part de l’exposant. L’intervention didactique dans le travail sur l’exposé doit donc
tenir compte des dimensions communicatives qui lui sont propres et qui visent la
transmission d’un savoir à un auditoire rassemblé pour l’écouter, des questions liées
au contenu mais aussi, bien sûr, des aspects plus techniques, soit des procédés lin-
guistiques et discursifs, caractéristiques de ce genre oral.

Le modèle didactique de l’exposé oral

Caractéristiques générales du genre

L’exposé est un discours qui se réalise dans une situation de communication


spécifique qu’on pourrait appeler bipolaire, réunissant l’orateur ou l’exposant et
son auditoire. L’exposé pourrait ainsi être qualifié, en suivant Bronckart et al.
(1985), comme un espace-temps de production où l’énonciateur s’adresse au
destinataire par l’intermédiaire d’une action langagière véhiculant un contenu
référentiel. Mais si ces deux actants se trouvent réunis dans cet échange particu-
lier qu’est la situation d’exposé, la dissymétrie de leurs savoirs respectifs sur le
thème de l’exposé les sépare : l’un, par définition, représente un « expert »,
l’autre est plus difficile à caractériser mais se présente pour le moins comme
disposé à apprendre quelque chose. Ainsi, l’énonciateur par son discours tend à
réduire la dissymétrie initiale des savoirs. Tout au long de son action langagière,
il tient compte du destinataire, de ce qu’il imagine que ce dernier sait déjà, de
ses attentes et de son intérêt.
Les définitions des dictionnaires permettent de mieux distinguer, à des fins
didactiques, l’exposé d’autres genres qui lui sont apparentés : de la communica-
tion, dont il est spécifié qu’elle se tient devant une société savante, du compte
rendu, pour lequel l’idée de relation, de rapport, de récit devient primordiale et,
surtout, de la conférence et du discours pour lesquels, si la thématique peut être
la même, la dimension publique – représentationnelle ou rituelle, dirait Goffman
(1987) 1 – devient prégnante. Quant à l’explication, elle représente clairement,
selon Le Robert, une dimension plus locale d’un « développement destiné à

1. « Le texte offre au conférencier une couverture sous laquelle peuvent s’accomplir les rites de la représenta-
tion » (Goffman, 1987, p. 202 ; voir aussi pages 172, 194 et 199-200).

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L’exposé oral

faire comprendre quelque chose » qui en fait en quelque sorte une composante
de l’exposé.
On peut donc finalement définir l’exposé oral comme un genre textuel public,
relativement formel et spécifique, dans lequel un exposant expert s’adresse à un
auditoire, d’une manière (explicitement) structurée, pour lui transmettre des
informations, lui décrire ou lui expliquer quelque chose. Dans une perspective
d’enseignement, où il s’agit de construire un objet enseignable, c’est sur ces
caractéristiques que nous nous appuierons pour définir des objectifs et élaborer
des modalités d’intervention.

Les dimensions enseignables

La situation de communication
L’exposé oral en classe réunit l’élève qui produit un exposé et un public – élèves
auxquels il s’adresse – rassemblé pour l’écouter, apprendre quelque chose sur un
thème, acquérir ou enrichir son savoir. Le balisage des éléments de cette situation
de communication sera perceptible à travers différentes marques déictiques, telles
que les pronoms personnels je / nous et vous (je vais vous parler aujourd’hui de…,
etc.) par exemple. L’exposé constitue en fait une structure, largement convention-
nalisée, d’apprentissage – tant pour l’exposant que pour l’auditoire – dans laquelle
un élève prend en quelque sorte la place du maître et expérimente ce mécanisme
particulier, et bien connu, qui fait que c’est en enseignant qu’on apprend ! De ce
fait, l’exposé est aussi un lieu de conscientisation, par rapport à son propre compor-
tement, qui force à s’interroger sur l’organisation et la transmissibilité du savoir.
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de construire avec les élèves la notion
d’« expert » 2, qui fonde la situation d’exposé, car les élèves ne se représentent
généralement pas clairement les différences de savoirs qui les séparent de leur
auditoire.
Le rôle de l’exposant-expert est de transmettre un contenu ou autrement dit d’in-
former, de clarifier, de modifier des connaissances des auditeurs dans les meilleures
conditions possibles et de tendre à aplanir ainsi la dissymétrie initiale des savoirs
qui distingue les deux actants de ce contexte de communication. Pour ce faire, l’ex-
posant doit d’abord construire une problématique en tenant compte de ce que les
auditeurs savent déjà sur le thème, de même que de leurs attentes en relation au
thème abordé. Il doit également, tout au long de l’exposé, évaluer la nouveauté, la

2. D’une certaine manière, surtout lorsque le thème d’un exposé est décidé par l’enseignant, l’élève n’est pas réel-
lement un expert, il le devient. Par ailleurs, il est amusant de constater que dans les documents oraux de référence
sur lesquels nous nous sommes appuyés pour cerner le comportement des experts, nous avons remarqué que ceux-
ci se sentaient fréquemment tenus, en ouverture de leur exposé, soit à justifier leur statut d’expert, soit à relativiser
ce statut. Nous n’avons toutefois pas retenu cette dimension comme objet d’enseignement car il nous semblait
d’abord nécessaire de construire le rôle d’expert avant de le remettre en cause…

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L’exposé oral

difficulté de ce qu’il expose en étant attentif aux signaux qui lui sont envoyés par
l’auditoire et, au besoin, dire autrement, reformuler, définir. Enfin, il doit avoir une
idée claire des conclusions auxquelles il veut amener son auditoire. Plus concrète-
ment, pour assurer une bonne maîtrise de la situation, l’orateur-élève doit
apprendre à poser des questions afin de stimuler l’attention des auditeurs et afin de
vérifier si le but de son intervention est atteint, si tout le monde comprend. Pour
assurer une bonne transmission de son discours, il doit également prendre
conscience des conditions qui la garantissent : de l’élocution claire et distincte à
l’explicitation des aspects métadiscursifs de l’exposé (plan, changements de thème,
de partie, etc.) en passant par la lisibilité et la pertinence des documents auxiliaires
utilisés.

L’organisation interne de l’exposé


Bien que l’exposé s’inscrive, comme nous l’avons vu, dans un cadre inter-
actionnel, sa planification est en principe monogérée, c’est-à-dire gérée par
l’exposant seul. Autrement dit, ce genre nous fournit une occasion privilégiée
pour travailler les capacités de planification d’un texte (relativement) long.
La planification d’un exposé exige d’abord de procéder à un tri des informations
disponibles, à des regroupements des éléments retenus et, enfin, à leur hiérarchisa-
tion en distinguant les idées principales des idées secondaires dans le but de garan-
tir une progression thématique claire et cohérente en fonction de la conclusion
visée. Ces premières opérations, qui précèdent la planification textuelle proprement
dite, doivent faire l’objet d’un travail en classe afin que les exposés des élèves ne se
réduisent pas à une suite de fragments thématiques non liés entre eux. Des opéra-
tions telles que la recherche d’éléments pertinents dans un texte source, leur hiérar-
chisation et leur ordonnancement peuvent faire l’objet d’activités individuelles ou
en groupe avec mise en commun au niveau du groupe classe.
L’exposé doit ensuite être ordonné en parties et sous-parties permettant de dis-
tinguer les phases successives de sa construction interne. Dans la perspective
d’un enseignement, on peut distinguer les parties suivantes.
a) Une phase d’ouverture, dans laquelle l’exposant prend contact avec l’audi-
toire, le salue, légitime sa prise de parole… C’est en fait le moment où l’expo-
sant est institué en tant qu’exposant, où il est défini comme expert s’adressant à
l’auditoire qui lui aussi est institué comme tel. Cette activité est largement
rituelle. Selon les circonstances, elle demande un travail de figuration plus ou
moins important (Goffman, 1974 et 1987). Souvent elle est d’ailleurs assurée en
partie par une tierce personne qui sert de médiatrice entre les actants principaux.
En contexte scolaire, en raison probablement du caractère évident ou imposé
des tâches et des rôles, cette phase se réduit fréquemment à une interpellation
de la part de l’enseignant (Antoine, viens devant la classe…). Le peu d’attention
porté à cette phase est regrettable, car elle remplit une fonction importante dans
la définition de la situation, des rôles et des buts de l’exposé qui suit.

144
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L’exposé oral

b) Une phase d’introduction du thème, un moment d’entrée dans le discours. Il


s’agit d’une étape de présentation, de délimitation du sujet, qui fournit en outre à
l’orateur l’occasion de légitimer les raisons de ses choix, du point de vue
adopté, de ses motivations, etc. Ce premier contact de l’exposant avec le public
doit aussi être mobilisateur d’attention, d’intérêt ou de curiosité des auditeurs.
c) La présentation du plan de l’exposé. Au-delà d’une simple énumération
d’idées ou de sous-thèmes, celle-ci remplit ici une fonction métadiscursive ren-
dant transparentes, explicites, tant pour l’auditoire que pour l’exposant, les opé-
rations de planification en jeu. Son efficacité est double, éclairant sur le produit
(un texte planifié) et sur le procédé (la planification) en même temps.
d) Le développement et l’enchaînement des différents thèmes (dont le nombre
doit correspondre à ce qui a été annoncé dans le plan).
e) Une phase de récapitulation / synthèse, importante non seulement parce
qu’elle permet de reprendre les principaux points de l’exposé, mais aussi parce
qu’elle constitue une phase de transition entre l’exposé proprement dit et les
deux étapes de conclusion.
f) La conclusion qui porte un « message » final, mais qui peut aussi soumettre
aux auditeurs un problème nouveau sur lequel l’exposé débouche, ou encore
amorcer un débat, etc.
g) La clôture. L’exposé se clôt par une dernière étape qui constitue en quelque
sorte la symétrie de l’ouverture, comportant souvent des remerciements à
l’auditoire. Cette dernière phase, elle aussi largement rituelle, se caractérise en
outre par sa configuration interactionnelle, différente de celle qu’on a dans le
corps de l’exposé puisque y interviennent fréquemment la personne médiatrice,
le public, etc.
On peut remarquer qu’un exposé est également structuré à travers l’alternance
entre discours et présentation de documents divers. Une telle alternance,
lorsqu’elle est fréquente, systématique, peut elle aussi servir de trame à l’exposé
et, être alors annoncée dans le plan.

Les caractéristiques linguistiques


Le travail didactique sur le genre exposé doit fournir à l’élève un répertoire de
formes qui permettent (et nécessitent) de construire des opérations linguistiques
(plus ou moins) spécifiques à ce genre de texte. Dans le cas de l’exposé, il s’agit des
opérations suivantes qui concernent les principaux éléments du système textuel de
l’exposé :
– Cohésion thématique assurant l’articulation des différentes parties thématiques
(alors parlons maintenant de la nourriture du castor […] – alors à cette dyna-
mique de la diversification – il faut maintenant opposer une dynamique
contraire c’est la dynamique – unificatrice […], – alors nous en arrivons au
chapitre historique important de la codification du français central […].

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L’exposé oral

– Balisage du texte en distinguant, au sein des séries thématiques, les idées princi-
pales des idées secondaires (… surtout…), les explications des descriptions (–
alors ces éléments isolés – les sons les formes les significations on appelle ça des
traits – alors quand une langue change – il est évident que tous les traits ne peuvent
pas changer en même temps – pourquoi parce que il faut que la communication
puisse être préservée on peut changer un petit élément – ça ne change rien à la
compréhension mais si on change tout en même temps il y a une rupture – qu’il
s’agit d’éviter donc le changement linguistique est extrêmement lent – et imper-
ceptible 3), les développements des conclusions résumés et des synthèses (… alors
le castor donc toute la journée construit répare colmate les les digues surveille le
niveau de l’eau va chercher la nourriture bref il a ses journées qui sont bien occu-
pées […],– voilà j’aimerais maintenant résumer – en deux mots – donc nous avons
vu que – ). La maîtrise de ces opérations repose largement sur l’usage des mar-
queurs de structuration de discours (donc, surtout, etc.), des organisateurs tempo-
rels (alors, à présent, etc.) et des temps du verbe (par exemple futur dans l’énoncé
du plan de l’exposé : alors tout au long de cette conférence je vous parlerai d’abord
du descriptif de cet animal je vous ferai un descriptif un ensuite nous verrons, futur
périphrastique et impératif, souvent employés pour marquer les étapes de l’exposé :
alors parlons maintenant de…, alors passons maintenant à…, voilà alors pour ter-
miner on va parler de…, alors prenons la diversité des langues […].
– Introduction d’exemples (explicatifs ou illustratifs) pour illustrer, clarifier ou
légitimer le discours, pour « assurer la bonne réception du discours par le desti-
nataire » (Coltier, 1988) : alors je prends l’exemple justement – de…
– Reformulations (sous la forme de paraphrases ou de définitions) afin de clari-
fier des termes perçus comme difficiles, nouveaux : – un archaïsme qu’est-ce
que c’est – c’est – un mot qui est encore vivant chez nous alors que – en fran-
çais il est démodé.
De manière générale, l’exposé demande une bonne maîtrise de la structuration d’un
texte long et de l’explicitation des changements de niveaux de texte. Le plan, ou
canevas, d’exposé mérite ainsi une attention particulière : loin de n’être qu’un sou-
tien auxiliaire largement laissé au bricolage de l’exposant, il fait partie du modèle
didactique du genre et doit faire l’objet d’une construction réfléchie, fondée sur
l’observation des pratiques sociales de référence et des savoir-faire des élèves. Sur
ce dernier point du canevas, la difficulté provient toutefois du fait que plusieurs
types de supports sont possibles et que nous ne savons à peu près rien de ce qui
conditionne/influence le passage de celui-ci à la réalisation orale de l’exposé. En

3. Les étapes de l’explication se présentent ainsi :


(a) question : il est évident que tous les traits ne peuvent pas changer en même temps - pourquoi
(b) réponse générale : parce que il faut que la communication puisse être préservée
(c) réponse développée (sous forme de reformulation) : on peut changer un petit élément - ça ne change rien à
la compréhension mais si on change tout en même temps il y a une rupture - qu’il s’agit d’éviter
(d) conclusion qui est une reprise de (a) mais sous une forme plus générale : donc le changement linguistique
est extrêmement lent - et imperceptible.

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L’exposé oral

effet, le support peut comporter le texte même de l’exposé, complété éventuelle-


ment par des consignes prosodiques (intonation, pauses, etc.), et donner lieu alors à
une lecture, plus ou moins experte, parfois entrecoupée d’un commentaire, d’une
anecdote 4 ; à l’autre extrême, mais toutes les solutions intermédiaires sont pos-
sibles, le canevas peut se résumer à quelques mots clés sur lesquels l’orateur va dé-
velopper un texte largement improvisé.
Goffman (1987), traitant de la conférence, distingue trois « façons principales
d’animer les paroles prononcées : la mémorisation, la lecture à voix haute
[…] et la parole spontanée » (p. 178). Estimant certes que la parole sponta-
née constitue sans doute « l’idéal général », parfois réalisé (mais le plus sou-
vent avec l’aide de notes), il conclut toutefois que « le point décisif sous ce
rapport d’animer la parole prononcée est qu’un grand nombre de conférences
[…] reposent sur une illusion de parole spontanée » (p. 179), précisant
quelques pages plus loin que : « écrire un texte en prose parlée puis le lire
de façon experte, c’est donc engendrer l’impression de quelque chose comme
de la parole spontanée » (p. 199).
Alors, faut-il « lire de façon experte », en créant l’illusion de la parole sponta-
née ? Ou parler « spontanément » avec une feuille de notes comme seul appui ?
Aucun argument ne permet de décider… si ce n’est les objectifs didactiques
qu’on se propose d’atteindre. En fait, les trois modes de production distingués
par Goffman doivent tous être travaillés dans le cadre d’un enseignement cohé-
rent de l’oral, mais bien évidemment à des occasions différentes ; la représenta-
tion théâtrale et la poésie apparaissent naturellement comme les lieux privilégiés
d’un travail de mémorisation ; de même, les genres fondés davantage sur une
construction collective, interactive, suscitent la parole spontanée. À des fins
didactiques, nous réinterprétons et forçons l’opposition entre lecture à haute
voix et parole « spontanée » par rapport à ce qu’on observe tendanciellement
dans les « oraux de référence ». L’opposition recouvre celle qui existe entre la
conférence, où la formulation même, les effets de style acquièrent une impor-
tance accrue du fait des circonstances énonciatives qui la caractérisent et
l’exposé qui constituerait dès lors une occasion privilégiée d’exercice du dis-
cours monologal non rédigé d’une certaine longueur.
Nous estimons par conséquent qu’il serait didactiquement judicieux de faire
construire aux élèves des exposés qui ne seront pas lus, mais qui s’appuieront
largement sur divers supports écrits : feuilles de notes, graphiques, citations,
etc., ainsi que sur un canevas comportant des mots clés, quelques marqueurs de
structuration permettant de rappeler explicitement, pour l’orateur, le statut qu’il
attribue à ces mots clés dans sa planification ; quelques passages particulière-
ment importants en termes de contenu (énoncé d’une thèse, etc.) ou de structure

4. Toutefois, ce type de support nous paraît plutôt caractéristique des genres voisins de l’exposé que sont le
discours et la conférence publics.

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L’exposé oral

(énoncé charnière tel que l’ouverture, l’introduction de la conclusion, etc.) pour-


raient toutefois être rédigés et lus.
L’oralisation de l’exposé comporte également diverses caractéristiques qui
font partie intégrante du modèle didactique et doivent faire l’objet d’un tra-
vail en classe. Globalement, l’oralisation doit d’abord favoriser une bonne
compréhension du texte : parler fort et dis-tinc-te-ment, ni trop vite ni trop
lentement, ménager des pauses pour permettre l’assimilation du texte, etc.
Mais l’oralisation participe aussi de la rhétorique textuelle : capter l’attention
de l’auditoire en variant la voix, ménager des suspens, charmer, etc. Et l’ora-
lisation contribue aussi à la structuration de l’exposé, en particulier lorsque
la voix marque un changement de niveau textuel : passage du texte au para-
texte, introduction d’un exemple, etc. Il va de soi, comme nous l’avons vu au
chapitre 3, que l’oralisation inclut la gestualité, la kinésique, la proxémique :
tel geste qui illustre le propos, telle posture qui crée la connivence, la main
qui scande les parties, etc.

Des objectifs généraux pour un travail didactique sur l’exposé

Sur la base du modèle didactique ainsi défini, nous pouvons à présent préci-
ser, à un niveau plus global, les principaux objectifs permettant d’accéder à
une maîtrise de l’exposé oral de la manière suivante :
– prise de conscience de la situation de communication d’un exposé, de sa
dimension communicative qui tient compte du but, du destinataire, etc. ;
– exploitation des sources d’information, utilisation des documents (tels que
graphiques, transparents, enregistrements) ;
– structuration d’un exposé, hiérarchisation des idées et élaboration d’un plan
suivant des stratégies discursives ;
– développement des capacités d’exemplification, d’illustration et d’expli-
cation ;
– anticipation des difficultés de compréhension et usage de la reformulation
(sous forme de paraphrase ou de définition) ;
– développement de la compétence métadiscursive et, en particulier, des
capacités d’expliciter la structuration de l’exposé (sollicitée, par exemple, au
moment de la présentation du plan, de la conclusion), de marquer les chan-
gements de niveau (texte/paratexte par exemple) et d’étapes dans le discours ;
– prise de conscience de l’importance de la voix, du regard, de l’attitude
corporelle ;
– préparation et oralisation de notes.

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L’exposé oral

Deux séquences didactiques pour enseigner l’exposé oral

Comme le montre le modèle didactique qui présente les capacités en jeu dans
un exposé, celui-ci constitue un objet d’enseignement conséquent et complexe,
qui fait intervenir un nombre impressionnant de savoir-faire. Lorsqu’on se situe
dans la perspective d’un enseignement global, non compartimenté, voire inter-
disciplinaire, de la langue, cela fait de l’exposé un objet privilégié. Mais cela
soulève aussi la question des choix didactiques : que faut-il enseigner ? Peut-on
laisser certaines choses de côté ? Cette complexité ne risque-t-elle pas sinon
d’aboutir à une séquence excessivement riche, interminable 5 ? Ce qu’il faut évi-
demment éviter à tout prix !
En fait, l’importance de l’exposé, tant dans le contexte de l’école que de la
vie sociale, de même que l’importance des capacités concernées – qui
concourent toutes à définir la maîtrise du genre et doivent donc, d’une
manière ou d’une autre, être abordées – justifient que le genre « exposé » soit
travaillé à diverses reprises au cours de la scolarité, sous diverses variantes
(telles que l’exposé biographique, l’exposé explicatif, etc.), afin que tout ne
soit pas abordé en même temps mais distribué dans les diverses variantes du
genre et aux différents degrés de l’enseignement. Même si l’idée de globalité
demeure, il devient ainsi possible de répartir les objectifs didactiques en fonc-
tion de ce qui apparaît le plus important et le plus approprié à un âge donné
et pour une variante donnée, de sorte qu’une séquence n’excède en aucun cas
une quinzaine de leçons. Les deux séquences présentées ci-dessous exempli-
fient une telle répartition (p. 150 et s.).

Des objectifs aux activités : quelques exemples

Le lecteur trouvera deux exemples concernant l’exposé oral dans le chapitre


4. L’un concerne la reformulation, l’autre concerne l’apprentissage de la prise
de note pour produire un exposé sans texte écrit. Nous présentons ci-dessous
deux autres exemples. Le premier exemple porte sur la structuration de
l’exposé ; l’importance de cette dimension justifie qu’elle soit abordée à
chaque fois qu’on travaille l’exposé. C’est pourquoi nous montrerons des
activités destinées, soit au primaire, soit au secondaire, en essayant de faire
apparaître les différences dans la manière de travailler entre ces deux ordres
d’enseignement. Le deuxième a trait à la question du contenu de l’exposé :
comment le travailler ? Individuellement ou en groupe ? À l’école ou à la
maison ? Avant ou durant la séquence ?

5. Ce d’autant plus qu’à ces capacités langagières s’ajoute encore tout le travail sur le contenu traité dans
l’exposé…

149
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Séquence didactique : l’exposé oral à l’école primaire

Ateliers Buts Activités Matériel Durée

Mise en – Comprendre le contexte 1. Écoute d’une conférence – Enregistrement 1h


situation de production d’un 2. Discussion à propos d’une conférence
exposé oral de la présentation sur le scorpion
Sensibilisation – Donner un sens
à un genre à l’ensemble des activités
textuel – Se poser des questions
à propos d’un exposé
Atelier 1 – Se familiariser avec 1.Consignation des – Enregistrement de 1h
un exposé oral d’adulte connaissances sur l’exposé « le castor »
– Avoir un aperçu le castor (thème de la – 2 fiches pour prise
Écouter une global d’un exposé conférence) de notes
conférence – Écouter attentivement 2. Écoute de l’exposé
d’un adulte afin de compléter une « Le castor »
feuille d’écoute et prise de notes
Atelier 2 – Sélectionner 1. Lecture d’un texte – un texte sur le loup 1h
des informations à partir sur le loup – 1 fiche pour prise
Prendre d’un texte écrit 2. Choix de mots clés de notes
des notes pour – Élaborer des notes 3. Prise de notes – 1 enregistreur portable
préparer afin de faciliter l’exposé 4. Entraînement à
l’exposé – S’exercer à utiliser l’exposé à partir de
des notes pour notes
exposer à l’oral
Atelier 3 – Choisir un thème 1. Choix d’un thème – 1 fiche pour recherche 4h
pour l’exposé 2. Consignation par écrit de documents
Construire – Repérer des documents des connaissances – des ouvrages divers
un exposé de référence sur le thème
– Se documenter 3. Visite d’un centre
– Prendre des notes de documentation
pour l’exposé 4. Recherche de documents
5. Lecture des documents
6. Prise de notes
7. Bilan des connaissances
Atelier 4 – Reformuler des 1. Choix de mots à – 2 fiches d’activités 2h
mots difficiles reformuler 1 jeu de reformulation
Apprendre – Utiliser différentes 2. Repérage par groupe
à reformuler manières d’introduire de reformulations
une reformulation 3. Repérage
d’introducteurs
de reformulation
4. Jeu de reformulation
5. Recherche
de reformulations
Atelier 5 – Planifier la conférence 1. Écoute d’une – enregistrements 2h
ou l’exposé introduction d’introduction et
Organiser la – Articuler les différentes 2. Préparation du contenu de sommaire
conférence parties de l’exposé d’une introduction – extraits d’une autre
3. Écoute d’un sommaire conférence
4. Comparaison – 4 fiches d’activités
de sommaires
5. Observation
de l’articulation
de différentes parties
6. Comparaison
des introducteurs
d’un autre exposé
7. Observation de clôtures
8) Préparation
d’une conclusion
Production finale – Prendre la parole 1. Coordination de la prise – un enregistreur portable 1h
devant la classe de parole des élèves + les
2. Entraînement à l’exposé – 2 feuilles comprenant présen-
3. Présentation les huit règles pour tations
successive des groupes une conférence

150
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Séquence didactique : l’exposé oral à l’école primaire

Ateliers Buts Activités Matériel Durée


Mise – Éveiller la curiosité 1. Présentation d’un – Document vidéo, audio 1/2 h
en situation pour le thème choisi/ document déclencheur (éventuellement écrit)
motiver les élèves 2. Discussion conduisant
– Élaborer des interro- à la formulation de
gations par rapport questions
à ce thème 3. Choix de (sous-)
thèmes à travailler
Préparation – Préparer un premier Travail en groupe : – Documentation (écrite, 3h
d’exposés exposé préparation de l’exposé audio et audiovisuelle)
– Effectuer une première (chaque groupe reçoit sur le(s) thème(s)
part du travail sur une documentation sélectionné(s)
les contenus appropriée sur le thème
choisi)
Production – Observer les capacités 1. Présentation d’exposé – Canevas d’exposé
initiale des élèves et leurs lacunes par un (des) délégué(s) (élaboré durant 90 mn
afin de définir les aspects de chaque groupe le module, cf. 4)
res
1 présentations du genre qui devront faire 2. Évaluation par la classe
d’exposé l’objet de l’enseignement 3. Synthèse des observa-
/apprenttissage tions (acquis et difficultés
– Faire émerger, à travers des élèves
l’évaluation collective, dans l’élaboration et
les représentations des la présentation
élèves relatives à l’exposé 4. Établissement d’un
canevas d’exposé
(définissant les conditions
cadres de l’exposé
à préparer : thème,
objectifs, situation de
communication, etc.)
5. Définition de la suite
du travail
Atelier 1 – Savoir chercher de la 1. Discussion (guidée) – Document à analyser 90 mn
documentation à propos des sources à – Grille d’analyse
Utiliser – Savoir sélectionner des disposition, des lieux où (élaborée en cours
les sources informations dans des chercher des informations d’activité, cf. 2)
d’information documents de divers 2. Établissement d’une
types grille pour la sélection
des informations dans
un document
3. Prise de notes sélective
à partir d’un document
4. Mise en commun
Atelier 2 – Savoir écouter un 1. Préparation de l’écoute – Feuille d’écoute 90 mn
exposé et en retirer d’un exposé par l’élabora- (élaborée en cours
Écouter et des informations tion d’une feuille d’écoute d’activité, cf. 1)
analyser sur le thème 2. Écoute guidée par – Document audio ou
un exposé – Saisir les caractéris- la feuille d’écoute audiovisuel présentant
tiques globales du genre 3. Discussion/évaluation un exposé d’expert
(situation de communica- 4. Analyse de quelques – Questionnnaire basé
tion, buts, structure) caractéristiques de sur des extraits
– Repérer et analyser les l’exposé et de quelques retranscrits
mécanismes langagiers mécanismes langagiers
de l’exposant (en groupe)
Atelier 3 – Maîtriser des mécanismes 1. Écoute et analyse – Document audiovisuel 90 mn
verbaux d’un document audio comportant une séquence
« Expliquer » – Savoir utiliser des 2. Observation du schéma explicative illustrée
supports auxiliaires verbal de l’explication et – Feuille de constat
établissement de constats – Supports diversifiés
3. Écoute et analyse du d’explication en
même document sous liaison avec un
forme audiovisuelle : aspect de la thématique
observation du recours
à des supports
4. Production d’explica-
tion avec support.

151
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Séquence didactique : l’exposé oral à l’école primaire


Ateliers Buts Activités Matériel Durée
Atelier 4 – Reconnaître et utiliser 1. Reconstitution de la – Fiches contenant 90 mn
des formules structure d’un exposé des expressions de
Structurer appropriées pour à partir des marques de structuration
un exposé structurer un exposé structuration utilisées – Feuille de travail avec
– Distinguer les 2. Recherche, par para- expressions à paraphraser
principales parties phrasage, d’autres – Enregistrements
d’un exposé formules utilisables d’ouvertures faites
– Produire une ouverture pour structurer par des experts
un exposé – Feuille d’écoute
3. Production d’une
ouverture d’exposé,
analyse et discussion
de ces productions
4. Confrontation à des
productions d’experts
Atelier 5 – Prendre conscience 1. Visionnement d’un – Document audiovisuel 90 mn
des caractéristiques exposé lu présentant un exposé lu
L’exposé : d’une présentation orale 2. Discussion – Documents présentant
une parole – Analyser et discuter 3. Analyse comparée des notes rédigées
différentes formes de de différentes formes par des experts en vue
notes utilisées comme de notes utilisées d’un exposé
support d’exposé par des experts
– Savoir préparer des 4. Mise en commun
notes pour une 5. Préparation de notes
présentation et autres supports
(en groupe)
6. Exercice de
présentation devant
le groupe.
Atelier 6 – Récapituler les 1. Récapitulation de ce – Document audiovisuel 45 mn
principaux aspects qui a été fait au cours de contenant des extraits
Récapitulation de l’exposé qui ont la séquence de l’exposé d’expert
et élaboration été travaillés 2. Reprise des principaux
d’une liste – Savoir reconnaître dans mécanismes et principes
de contrôle des extraits les à travers l’écoute
mécanismes et principes d’extraits
travaillés sélectionnés de
– Se préparer à mettre en l’exposé d’expert
œuvre ces mécanismes 3. Établissement d’une
et principes liste de contrôle
Production – Produire un exposé 1. Préparation (en groupe) – Magnétoscope ou 2h
finale sur le thème traité des présentations enregistreur pour
– Discuter/évaluer 2. Présentations (un/des enregistrement des
2e présentation les exposés présentés délégués de chaque exposés d’élèves
d’exposés – Évaluer les groupe
Clôture de apprentissages effectués 3. Discussion/évaluation
l’activité au cours de la séquence des productions
4. Bilan et évaluation
des progrès réalisés
Prolongements – Reprendre ultérieure- – Préparation individuelle
ment les aspects travaillés de nouveaux exposés
lors de la séquence – Présentation des
– Approfondir le thème exposés à d’autres
traité et/ou l’exploiter publics que la classe
sous d’autres formes
– Évaluer de nouvelles
productions.
– Etc.

152
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L’exposé oral

Structurer un exposé

L’articulation cohérente du discours permet de distinguer les différentes parties


du genre (ouverture, introduction, énoncé du plan, développement du thème,
résumé/synthèse, conclusion, clôture) et les différents sous-thèmes dans le déve-
loppement et d’organiser son contenu en procédant par des regroupements et
des hiérarchisations des informations. Elle constitue une des conditions fonda-
mentales pour une réalisation réussie : maîtriser la technique de l’exposé, c’est
en grande partie apprendre à bien le structurer.
L’objectif didactique précis est d’abord d’apprendre aux élèves à planifier leur
exposé de manière à la fois cohérente et explicite. Il s’agit aussi, d’une part, de
les sensibiliser à la diversité des marqueurs d’articulation qui assurent l’intelligi-
bilité du message, soutiennent la connexité des structures du texte et la cohésion
thématique et, d’autre part, d’enrichir leur répertoire linguistique en expressions
de structuration utiles pour l’exposé.

L’introduction
Pour travailler l’introduction au niveau primaire (voir atelier 5 dans le tableau),
on commence par faire écouter aux élèves le début d’un exposé en leur fournis-
sant une feuille d’écoute contenant certaines choses que dit l’exposant, d’autres
qu’il ne dit pas et on leur demande de cocher ce qu’il dit vraiment. Après cor-
rection et quelques commentaires sur le pourquoi et le comment de ce qui appa-
raît, l’enseignant demande aux élèves de sélectionner, dans une liste, les élé-
ments qui leur semblent les plus importants pour introduire un exposé :
Module 5, activité 2
Parmi les éléments ci-dessous, coche ceux qui te semblent importants pour
introduire une conférence.
• J’annonce de quoi je vais parler.
• Je dis pourquoi le sujet m’intéresse.
• Je montre une photographie sans rien dire.
• Je fais un lien avec mon vécu ou celui des auditeurs.
• Je pose une question accrocheuse qui éveille la curiosité de mes cama-
rades.
• J’exprime ce que je ressens par rapport à mon sujet.
• J’entre directement en matière et je fournis toutes les informations que je
possède.
• Je limite le sujet qui va être traité.
Cette étape devrait permettre aux élèves de saisir qu’une introduction vise en
même temps à accrocher l’attention de l’auditoire (expression d’un point de vue
personnel, humour, anecdote, interpellation de l’auditoire par des questions,
etc.) et à définir (situer, délimiter) clairement le thème qui va être traité (titre,

153
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L’exposé oral

éventuellement sous forme de reformulation, informations permettant de situer


le thème, les enjeux, délimitation du thème traité, etc.6).
Une dernière étape, durant laquelle les élèves produisent eux-mêmes une intro-
duction, clôt cet atelier. Les productions des élèves, préparées en groupes, peu-
vent simplement refléter l’état d’avancement de leur préparation en vue de la
production finale. Toutefois, il est souvent plus intéressant de donner quelques
consignes supplémentaires pour ces phases de production simplifiée. Ainsi, on
peut ici définir l’auditoire auquel les élèves doivent s’adresser : passionnés du
thème, béotiens, etc. On peut aussi leur demander de sélectionner dans la liste
des éléments de l’introduction trois éléments qu’ils devront inclure dans leur
production.

L’articulation des différentes parties


La tâche langagière consiste ici, après les avoir annoncées dans la présentation
du plan, à marquer clairement les différentes parties que comporte le dévelop-
pement de l’exposé. Les activités suivantes sont proposées au secondaire (ate-
lier 4 dans le tableau) :
1) Les élèves ordonnent chronologiquement des formules de structuration pré-
sentées dans le désordre aux élèves. Ils reçoivent une enveloppe (par groupe)
contenant des expressions fonctionnant comme marqueurs des différentes étapes
du discours (chacune est notée sur un carton, tous les cartons ont été mélangés).
Il s’agit des expressions reprises de l’exposé de référence auquel l’ensemble de
la classe a auparavant assisté.
– je vais tâcher de vous expliquer aujourd’hui…
– alors pour ce faire, je vais vous parler d’abord de… – cela nous conduira
à… – et pour terminer j’aborderai…
– alors prenons la première question, c’est -à-dire… – alors je prends
l’exemple de… – alors j’ai parlé de… je vais maintenant passer à…
– nous en arrivons alors au chapitre…
– j’aimerais maintenant résumer en deux mots…
– alors je pose une question en conclusion…
– voilà alors je vous remercie de votre attention…
Les élèves tentent de reconstruire un enchaînement possible. Chaque groupe
présente sa solution. La classe repère les incohérences, évalue les différentes
possibilités, etc. L’activité permet une prise de conscience du rôle joué par ces
marqueurs, tant pour la structuration de l’exposé qu’on prépare, que pour facili-

6. On peut considérer que le sommaire fait partie de l’introduction ou qu’il constitue une phase en soi ; cela est
sans importance pourvu que cette dimension soit, d’une manière ou d’une autre, prise en compte. Lorsqu’on
travaille le sommaire, on pourra par exemple faire observer une première présentation, lister les formules qui
introduisent les différents éléments du sommaire, puis demander aux élèves de les transformer en recourant à
des formules contenant un verbe au futur, etc.

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L’exposé oral

ter la compréhension de l’auditoire ; elle permet également de mettre en évi-


dence la construction globale d’un exposé.
2) Le répertoire des formules disponibles est enrichi. Les élèves paraphrasent
celles qui sont fournies dans l’activité 1. Ils disposent d’une feuille de travail
comportant les expressions (soulignées) à paraphraser :
Présentation du sujet
je vais tâcher de vous expliquer…
quelques formules possibles :
– le sujet de mon exposé sera
– j’aimerais vous parler de
– je voudrais vous expliquer
– mon exposé portera sur…
Entrée en matière, amorce du développement
alors prenons la première question, c’est à dire…
– alors commençons par
– regardons d’abord
– nous allons d’abord examiner
– alors, premier point :
Suite du développement / changement de thème
alors j’ai parlé de… je vais maintenant passer à…
– après avoir…, nous allons à présent aborder…
– voilà pour…, passons maintenant à
nous en arrivons alors au chapitre…
– l’étape suivante est maintenant…
– la question que nous aborderons maintenant est
– cela nous conduit / amène à
Annonce (début) de la conclusion
j’aimerais maintenant résumer en deux mots
– en résumé,
– nous pouvons à présent récapituler
alors je pose une question en conclusion
– alors en conclusion j’aimerais poser la question suivante…
– pour conclure
3) Guidés par une feuille de travail, les élèves écoutent des modèles de réfé-
rence. L’enseignant fait écouter des extraits significatifs et les élèves notent
comment l’exposant passe d’un thème à l’autre (annonce de chaque partie) et
quels temps verbaux il utilise. On procède ensuite à une récapitulation des prin-
cipales observations (à quoi sert une introduction ? est-elle nécessaire ? etc.).

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L’exposé oral

Préparation et compréhension du contenu

Les problèmes liés à la préparation et à la compréhension du contenu d’un


exposé représentent une difficulté majeure dans la réalisation d’une séquence
didactique sur l’exposé : comment faire produire des exposés initiaux consis-
tants sans travailler préalablement le contenu ? Comment faire pour ensuite
maintenir l’intérêt des élèves si on les fait travailler sur un contenu qu’ils ont
déjà présenté? Travailler un contenu nouveau… mais cela signifie un surcroît
important de travail ! De même, nous devons aussi nous demander comment
travailler ce contenu : en groupe ? Individuellement ? À l’école ? À la mai-
son ?…
La question est donc de réfléchir à la manière dont le contenu pourrait être
abordé de manière efficace et stimulante. Globalement, il nous semble
d’abord que le travail sur le contenu doit être lié de manière étroite au travail
linguistique : nous avons en effet souligné dans le modèle didactique que
l’exposé consistait à s’approprier du savoir dans le cadre fourni par le genre.
Comme il ressort des tableaux ci-dessus présentant la structure d’ensemble
des séquences, nous avons exploré deux manières différentes de traiter la
question des contenus.
Au primaire, les élèves travaillent d’abord tous sur un même contenu à partir du
même matériel (atelier 2) pour apprendre à prendre des notes et produire un
petit exposé. Sur la base de cet apprentissage, les élèves choisissent un thème,
repèrent des documents, les lisent en prenant des notes pour l’exposé. Sur la
base de ces notes, complétées si nécessaire, ils présentent leurs exposés.
Au secondaire, la procédure se présente de la manière suivante :
1. mise en situation ;
2. travail en groupes, visant une première appropriation partielle du contenu,
mené sans activité didactique sur le genre et débouchant sur des présentations
initiales qui, même si elles sont censées exprimer les besoins langagiers des
élèves, devraient tout de même posséder une certaine substance ;
3. sur cette base, il serait alors possible de travailler plus spécifiquement le genre
« exposé », sur un thème unique, en considérant qu’une part du travail sur le
contenu est déjà effectuée ;
4. reprise du contenu par le groupe pour préparer un exposé en fonction des
apprentissages effectués.
Dans les deux cas, il y a interaction entre moments dédiés au travail sur la
forme langagière et moments consacrés à la recherche de documentation pour
devenir expert d’un domaine par rapport aux autres élèves qui formeront
l’auditoire.

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L’exposé oral

Les productions des élèves et leur évaluation

Les productions des élèves

L’observation d’exposés produits par des élèves qui n’ont pas suivi un enseigne-
ment spécifique fait apparaître de nombreuses difficultés bien connues des
enseignants : absence de mise en situation, de justification du thème choisi et de
« captation » de l’auditoire ; absence d’annonce du plan de l’exposé débouchant
fréquemment sur un développement de type « coq à l’âne », dans lequel les
changements de partie sont indiqués de façon minimale ; non-prise en compte
de l’auditoire, qui se manifeste entre autres par l’emploi de termes qui lui sont
inconnus ; absence de récapitulation, de clôture (ou clôture « minimale » :
voilà…), etc.
Les productions que nous avons recueillies en fin de séquence montrent que ces
différents aspects peuvent faire l’objet d’un enseignement qui transforment sen-
siblement les performances des élèves. Voici quelques exemples 7 :
Exemple d’exposé sur la taupe (élève de 9 ans)
la taupe mesure 14 centimètres – comme vous le voyez ici (l’élève montre
l’image d’une taupe à ses camarades) – la femelle est plus petite que le mâle
– son poids est de 70 à 80 grammes – c’est-à-dire comme moins qu’une
plaque de chocolat – son pelage est court droit et serré – velouté – velouté
veut dire doux – ces poils sont – euh les poils d’un chien sont plantés d’un
sens – et quand vous les caressez dans ce sens – ils aiment bien – mais si –
ils aiment bien – mais si vous les caressez dans l’autre sens à rebrousse-poils
– ils n’aiment pas – eh bien la taupe elle a les poils tout droits – alors si vous
la caressez dans un sens ou dans l’autre – ça ne la gêne pas –…
Exemple d’exposé sur la buse (élève de 9 ans)
« je vais vous faire la description de la buse – la buse est un oiseau rapace
diurne – rapace signifie chasseur – diurne signifie qui attrape ses proies le
jour – les buses n’ont pas le même plumage – c’est pour cela qu’on l’appelle
buse variable – ça change selon les pays et chaque individu est différent –
c’est-à-dire chaque buse est différente – la taille du mâle est de 50 centi-
mètres – comme vous le voyez ici (l’élève montre l’image d’une buse) – …
Au niveau secondaire, le travail réalisé à propos de la diversité des procédés lin-
guistiques de structuration est nettement perceptible au moment de la réalisation
des exposés finaux. On y observe en effet une abondance d’expressions de
structuration. En voici deux exemples :

7. Les exemples d’activités pour le primaire font partie de la séquence didactique « Exposer à l’oral (la confé-
rence) » non publiée, élaborée par Muriel Wacker. Les extraits de conférence d’élèves de 9 ans proviennent
des productions qui font suite à la réalisation de la séquence.

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L’exposé oral

L’annonce du plan d’un exposé :


alors nous allons vous présenter un exposé sur le français en Suisse romande
– l’avis de quelques spécialistes – premièrement – nous allons parler de
l’avis – d’un d’une journaliste – ensuite nous allons aborder l’influence
patoise – – pour terminer nous allons parler de l’influence des régi… des
régionalismes
Schéma d’une structure d’exposé suivant une progression cohérente :
– alors prenons la première question – c’est-à-dire où et quand la francisa-
tion a-t-elle commencé ?…
– alors je vais maintenant passer aux régionalismes dans le français…
– premièrement…
– deuxièmement…
– troisièmement…
– nous en arrivons alors au chapitre de l’accent des habitants de la Suisse
romande…
– j’aimerais maintenant résumer en deux mots…

Il est à signaler que certains élèves recourent à d’autres procédés de mar-


quage de structure, qu’on pourrait appeler minimaux, qui consistent à « sim-
plement » indiquer les changements de thèmes par un changement
d’énonciateur (s’ils sont plusieurs à présenter un exposé) ou par une variation
des traits prosodiques coïncidant avec l’introduction du nouveau thème. De
même, on observe parfois une surcharge de tels marqueurs rendant le texte un
peu artificiel ! On pourrait être tenté de voir là un effet négatif d’un ensei-
gnement systématique, structuré, d’un genre comme l’exposé (Nidegger et
al., 1997). Nous considérons plutôt qu’il s’agit là d’une étape nécessaire dans
le développement langagier, de la même manière qu’un nourrisson nommant
du même terme qu’il vient d’apprendre tous les objets qu’il désigne. La
structuration de l’exposé est d’abord maîtrisée grâce à un contrôle intense, et
parfois excessif, avant que d’être réellement intériorisée et de prendre l’appa-
rence d’une opération naturelle.
Dans une séquence expérimentée au secondaire, portant sur « le français de
Suisse romande », deux problèmes sont apparus que nous avons essayé de
corriger par la suite. La complexité peut-être excessive du thème traité, de
l’exposé de référence analysé par les élèves et des documents qui leur étaient
proposés, ainsi que l’absence – dans cette phase expérimentale – d’un
module consacré spécifiquement à la question des notes et de leur oralisation
ont amené la plupart des élèves à lire des exposés (presque) entièrement rédi-
gés, voire copiés à partir des documents de référence. Pourtant, ces pro-
blèmes nous montrent, en quelque sorte en négatif, l’importance même du
travail qui doit être effectué à propos des notes et l’attention qui doit être por-
tée à la question du contenu (cf. chapitre 2).

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L’exposé oral

Pistes pour évaluer les exposés oraux

Les critères – explicites et transparents – de l’évaluation seront les différents


objectifs sélectionnés à partir des caractéristiques spécifiques de l’exposé qui
sont exprimées dans le modèle didactique. Ces objectifs sont clairement énoncés
dans la suite d’ateliers ponctuant la séquence.
Une première évaluation, qu’on pourrait considérer comme diagnostique, a lieu,
au secondaire, au début de la séquence après les productions initiales des élèves
ou, au primaire, lors des présentations dans l’atelier 2. Ces productions sont, en
effet, censées faire apparaître les capacités initiales ou préexistantes ainsi que les
représentations que les élèves ont du genre textuel objet de l’enseignement.
Cette évaluation doit ainsi servir, comme son nom l’indique, à la mise en place
d’un projet d’apprentissage permettant de résoudre les difficultés rencontrées
par les élèves. Elle servira aussi de justification ou de motivation à la suite du
travail qui reste à accomplir tout au long de la séquence.
Dans le cas de l’exposé, l’évaluation en question fera, par exemple, apparaître
des problèmes liés aux opérations langagières telles que : la gestion du contenu
informatif (problématisation…), sa structuration adéquate/cohérente (hiérarchi-
sation des thèmes, leur coarticulation par le biais de marqueurs de structura-
tion…) ou des problèmes relatifs à la prise en compte des caractéristiques de
l’interaction sociale ou du contexte situationnel propre à l’exposé (énonciateur,
destinataire, but, lieu de production de l’action langagière, etc.).
Au cours même des différents ateliers, enseignants et élèves peuvent donc prati-
quer des évaluations régulatrices interactives permettant de mettre en valeur les
acquis des élèves ou de remodeler, en fonction des constats effectués, la suite du
projet didactique. Dans la mesure où les élèves se voient souvent amenés à tra-
vailler en groupes, ils ont également la possibilité d’interagir, de se corriger
mutuellement ou de s’autocritiquer en s’appuyant sur l’observation critique d’un
camarade.
Concrètement, une telle régulation-évaluation est possible, dans la séquence
secondaire, lors du module consacré à l’utilisation de supports matériels
(pour appuyer, illustrer ou enrichir le discours). Des camarades du groupe
d’abord (durant la préparation), les élèves-auditeurs de l’ensemble de la
classe ensuite, peuvent être invités à faire une critique des présentations de
fragments d’exposés oraux dans lesquels les exposants s’exercent/s’appli-
quent à exploiter des cartes, des transparents avec tableaux, graphiques, etc.
ou des cassettes audio et vidéo. Dans l’exemple ci-après, un élève E1 essaie
d’exploiter et de justifier, devant la classe, l’utilisation qu’il a faite, lors d’un
bref exposé sur le parler des Vaudois, d’un transparent fournissant quelques
données statistiques et exemples de régionalismes qui provenaient d’une
enquête réalisée par des chercheurs :

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L’exposé oral

E1 alors – je vais vous parler de la façon de parler des Vaudois – je vais


m’appuyer sur une enquête qu’ont fait – qu’ont fait les gens – qui – atten-
dez – L’enquête qui a été faite dans le canton de Vaud – qui comporte – qui
comporte y a-t-il des accents dans le cantons de Vaud – y a-t-il des mots
propres dans le canton de Vaud ? —
E1 indique sur un transparent
alors il y a sur 52 personnes – 52 personnes – interrogées – qui ont
répondu oui à la question si les Vaudois ont un accent spécial – et sur
52 personnes interrogées – il y en a aussi 52 qui ont répondu oui – qu’y
s’ont des mots spéciaux – alors les mots spéciaux qui sont ressortis – alors
il y a – panosse (montre) – qui sait ce que ça veut dire – classe (…)
E1 et – il y en a 24 sur 52 qui ont mentionné le mot panosse – une gouille
cl. une flaque
E1 oui – il y en a 13 qui ont mentionné ce mot -– un trabedzet –
cl. (…)
(….)
E1 la roille –
cl. (…)
E1 s’encoubler – bon – ça – tout le monde connaît – et – red-zi-pé-ter –
cl. (…)
E1 coter – c’est quelqu’un qui ouvre une porte – et qui la ferme – (…) et pis i y
a un bocon et – ça – personne n’a su ce que c’était —
cl. : (…)
E1 après – en conclusion – on voit que globalement la moitié – des – Vaudois
– emploient des termes français – et que – les Français les connaissent –
E1 indique
là – il y a des mots français et là ceux qui les connaissent pas – il y a moitié
moitié – quoi
Dans la discussion qui suit cette production, les élèves/auditeurs commentent la
performance de leur camarade. Ils disent par exemple : c’était bien ; il a fait des
gestes ; il a bien montré sur le transparent, etc.

La production finale peut éventuellement se prêter à une évaluation globale, cer-


tificative tenant compte de l’ensemble des critères élaborés et travaillés au cours
de l’enseignement. Celle-ci ne posera pas trop de problèmes lorsque les expo-
sés ont été préparés et présentés de manière individuelle. Pour contourner le pro-
blème d’évaluation d’un travail réalisé en commun, on envisagera, par exemple,
d’évaluer la contribution personnelle de chaque élève se référant à un sous-
thème développé dans un fragment d’exposé. Pour une évaluation sommative,
il est important que les critères d’évaluation correspondent à ce qui a constitué
l’objet de l’enseignement dans la séquence et plus précisément aux objectifs
didactiques relatifs à la maîtrise des savoirs et des savoir-faire langagiers spéci-
fiques au genre travaillé. En ce qui concerne la séquence proposée pour le pri-

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L’exposé oral

maire, on trouvera une grille d’(auto-) évaluation élaborée avec les élèves au
chapitre 4.
L’exposé, travaillé de divers points de vue, constitue un genre particulièrement
propice, car il permet aux élèves de s’introduire dans un discours monologal
d’une certaine complexité. Il peut être ainsi produit « spontanément » en situa-
tion, mais sur la base d’un travail préalable sur le contenu et d’une préparation
de la forme langagière. Il complète ainsi le travail portant sur les situations plus
interactives comme l’interview (voir chapitre précédent) ou le débat (chapitre
suivant) ou le travail plus axé sur des questions de prosodie (voir le chapitre sur
la lecture à d’autres).

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Le débat régulé

Dans le premier chapitre de cet ouvrage, nous avons illustré les difficultés de la
construction d’un enseignement sur l’expression orale par le récit de la construc-
tion de nos premières séquences didactiques sur le débat. Dans ce chapitre, nous
reviendrons sur ce genre pour établir le bilan des lignes de force retenues pour
l’enseignement durant la période de l’école obligatoire.
Le débat est un genre immédiatement reconnaissable par tout un chacun.
Constituant en effet, dans les sociétés démocratiques, l’une des formes cou-
rantes de délibération des affaires publiques, il se caractérise par une discussion
sur une question controversée entre plusieurs partenaires qui essaient de modi-
fier les opinions ou les attitudes d’un auditoire. Il peut être envisagé comme un
moyen d’atteindre un consensus ou comme la manifestation d’un désaccord
irréductible entre des adversaires. Généralement, il précède et prépare une prise
de décision. La présence relativement fréquente de débats dans les émissions de
radio et de télévision ainsi que dans les tribunes et assemblées publiques fait que
les élèves ont des représentations relativement élaborées des situations argumen-
tatives « en public » et de certains de ses enjeux.
Les raisons en faveur d’un travail sur le débat en public, à différents moments
de la scolarité obligatoire, sont nombreuses. Les élèves vivent dans une société
de persuasion dans laquelle les médias essaient systématiquement d’influencer
l’opinion des citoyens. De ce point de vue, l’initiation à la pratique du débat à
des âges différents constitue l’un des moyens de développer non seulement
l’esprit civique des élèves mais aussi leur esprit critique. Lorsqu’ils intervien-
nent dans un débat en classe, ils se préparent à participer à la vie sociale. En
écoutant des débats en classe et analysant les interventions des participants, ils
découvrent certains ressorts de l’argumentation et s’arment ainsi contre certains
effets manipulatoires.
Nous avons développé dans le chapitre 2 pourquoi nous pensions que l’ensei-
gnement de l’expression orale devait se concentrer sur l’oral public. Le débat,
par le fait même qu’il est public, qu’il suit des règles de fonctionnement relati-
vement strictes, qu’il demande une certaine préparation, nécessite, de la part des
élèves qui y participent, de prendre conscience de leur propre comportement

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Le débat régulé

langagier et de celui des autres et de passer ainsi d’une parole essentiellement


réactive à une parole réflexive. Le débat est un genre qui, plus que d’autres peut-
être, fournit aux élèves des moyens qui leur permettent :
– d’analyser les conditions sociales de production et de réception de l’oral,
– de s’approprier toute une série de stratégies argumentatives.
En outre, un enseignement de l’argumentation orale peut être réalisé de façon
relativement précoce, contrairement aux textes d’opinions écrits qui nécessitent
la maîtrise de la lecture.
L’école favorise aujourd’hui la création de lieux d’argumentation à partir de
vrais enjeux pour les élèves. Par exemple, nombreux sont les enseignants qui
constituent des conseils de classe dans lesquels les élèves se regroupent pour
débattre de manière démocratique de la vie de la classe ou de l’école. Il s’agit
de moments de parole particuliers pour régler des conflits, pour analyser et amé-
liorer le fonctionnement de la classe et pour prendre collectivement des déci-
sions. Beaucoup d’enseignants se plaignent pourtant de la difficulté à participer,
à prendre la parole en public, à partager la parole avec les autres, à étayer ou à
réfuter un point de vue que rencontre une partie importante des élèves. Dès que
les enjeux sont importants, il semble difficile de prendre de la distance, de cou-
per la dynamique des échanges et d’organiser un enseignement sur les méca-
nismes du débat. À côté des situations d’argumentation qui régulent la vie sco-
laire, et qui sont sans doute des lieux essentiels d’apprentissage, le débat peut
être envisagé aussi comme un genre à enseigner et à travailler systématiquement
en classe pour exercer et améliorer les capacités nécessaires à l’argumentation.
En supposant que les capacités orales des élèves puissent être améliorées par
l’enseignement, on peut s’attendre à ce que cela produise aussi des effets dans
les situations scolaires plus quotidiennes (par exemple, lors des conseils de
classe et d’école) pour lesquelles un enseignement explicite semble plus
difficile.
Dans ses formes les plus caricaturales du modèle télévisé, le débat prend la
forme d’une guerre verbale et fonctionne souvent comme un affrontement
sans merci entre plusieurs adversaires devant un public. Nous avons insisté
dans le chapitre 1 sur la difficulté de prendre comme référence scolaire un
modèle de débat dans lequel les contradicteurs tentent par tous les moyens,
notamment par la persuasion, la théâtralisation, les coups d’éclat, les effets de
manche, voire les demi- et contre-vérités, de dominer, de ridiculiser l’adver-
saire. L’écoute de ce dernier ne sert qu’à trouver la faille qui permet de mieux
le désarçonner. Le but, dans cette sorte de débats, n’est pas tant de trouver
une réponse à une question que de faire à tout prix triompher une position au
détriment de l’autre. Le figement, l’incapacité d’apprendre, le non-respect de
l’autre sont tendanciellement le lot de ces événements médiatiques qui,
d’ailleurs, tirent une partie de leur intérêt précisément de leur dimension
belliqueuse. S’il est bon que les élèves connaissent les mécanismes de ces

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Le débat régulé

variantes du débat pour en être le moins possible victimes, il paraît néan-


moins peu judicieux d’en faire un objet d’enseignement/apprentissage pour
développer leurs capacités de représentation de l’argumentation ou de les uti-
liser comme outil pour réfléchir collectivement sur des problèmes sociaux qui
peuvent se poser à eux.

Notre modélisation didactique du genre s’oriente vers une variante moins belli-
queuse : le débat conçu comme un outil de construction collective d’une solu-
tion, régulé par un modérateur qui facilite la dynamique des échanges. Dans
cette variante du débat, les participants défendent des positions et présentent des
propositions non nécessairement contradictoires. Par rapport à la question
posée, chacun présuppose chez les autres la volonté de trouver, à travers la rai-
son et le raisonnement, une solution collectivement acceptable à la question
(Klein, 1980). Cela signifie que chacun est prêt à mettre en jeu sa position. Cette
position évolue forcément dans la discussion et le dialogue qui peuvent aussi
avoir pour intérêt de réduire un éventuel désaccord entre les antagonistes. Le
débat, constitué de l’ensemble des interventions dont chacune apporte son éclai-
rage à la question controversée, apparaît ainsi, non seulement comme la
construction conjointe d’une réponse complexe à la question, mais aussi comme
un outil de réflexion qui permet à chaque débatteur (et à chaque auditeur) de
préciser et de modifier sa position initiale. Cette modification se fait essentielle-
ment par l’écoute, la prise en compte et l’intégration du discours de l’autre.
Chaque argument, chaque exemple, le sens de chaque mot se transforment
continuellement par le fait même qu’ils sont confrontés à ceux des autres parti-
cipants et par le fait que chacun est continuellement en train de se situer par rap-
port aux autres interventions (François, 1993).

Cette dynamique fait du débat régulé un formidable outil d’approfondissement


des connaissances ; d’exploration de champs d’opinions controversées ; de
développement de nouvelles idées et de nouveaux arguments ; de construction
de significations nouvelles ; d’appréhension des autres et de transformation
d’attitudes, de valeurs et de normes. Le travail scolaire portera par conséquent
essentiellement : sur les modes de mise en jeu de sa propre position sous la
forme d’un développement d’arguments et de modalisation d’énoncés ; sur la
possibilité pour chacun, à travers le fonctionnement du débat, d’intervenir libre-
ment quand il le souhaite ; sur la capacité de centrage sur les thèmes en jeu et de
rebondissement sur des nouveaux ; sur le respect de la parole des autres et sur
son intégration dans son propre discours. C’est cette variante du débat qui cor-
respond également aux finalités de l’école et qui permet le développement de
capacités argumentatives aussi différentes que la perception des rôles sociaux
des débatteurs, la régulation des échanges, le respect des tours de parole,
l’écoute d’autrui, la compréhension des positions des débatteurs en présence,
l’intégration de la parole de l’autre dans son propre discours, l’expression de sa
propre opinion en prenant appui sur ou en s’opposant à celle d’un autre inter-
venant.

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Le débat régulé

Le modèle didactique du débat

Le débat public régulé : définition générale

Un débat public porte toujours sur une question controversée et fait intervenir
plusieurs partenaires qui expriment leurs opinions ou attitudes, essaient de
modifier celles des autres tout en ajustant les leurs, en vue, idéalement, de
construire une réponse commune à la question initiale. On l’appelle régulé
quand un modérateur gère et structure le déroulement en mettant en évidence la
position des différents débatteurs, en facilitant les échanges entre eux, en
essayant éventuellement d’arbitrer les conflits et de concilier les positions oppo-
sées. De ce point de vue, le modérateur contribue à rendre possible la construc-
tion conjointe d’une réponse commune. Dans un débat public, le modérateur ne
joue toutefois pas seulement un rôle de médiateur entre les participants mais
aussi (et parfois surtout) entre les participants et l’auditoire.
Nous venons de le dire : pour qu’il puisse y avoir débat, il faut tout d’abord qu’il
y ait une question (la quaestio des rhétoriciens) susceptible de faire l’objet de
réponses, d’opinions différentes. Un véritable débat public suppose que cette
question soit publique, qu’elle fasse l’objet de prises de position et de discus-
sions en divers endroits d’une société. Mais pour qu’il y ait débat, il faut aussi
un certain désaccord entre les débatteurs. Ils entrent dans le débat en défendant
des positions qui ne doivent être ni totalement identiques (car le débat est alors
inutile), ni trop différentes (car le débat est alors difficile, voire impossible) ;
autrement dit, les débatteurs entament le débat en présentant des positions qu’ils
sont prêts (dans une certaine mesure en tout cas) à mettre en jeu, à modifier
selon l’évolution de la discussion.

Le déroulement global du débat

Le débat proprement dit est constitué de l’ensemble des interventions qui, cha-
cune, apportent leur éclairage à la discussion de la question. Le débat apparaît
ainsi comme la construction conjointe d’une réponse complexe à la question,
comme un outil de réflexion qui permet à chaque débatteur (et à chaque audi-
teur) de préciser/modifier sa position initiale. Autrement dit, les positions des
débatteurs au début et à la fin du débat ne sont jamais tout à fait les mêmes : ces
positions ont été, dans l’interaction, enrichies des apports des autres.
Pour que les positions puissent évoluer, s’enrichir, être remises en question, il
faut que la question soit bien délimitée, bien analysée et examinée sous diffé-
rents angles, sous différentes facettes (dont certaines auraient certainement
échappé à une personne seule !). Ainsi, un débat évolue par étapes, il est struc-

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Le débat régulé

turé. Les passages d’une étape à l’autre, d’une facette à l’autre sont fréquem-
ment marqués par des synthèses (provisoires), des résumés de ce qui précède.

L’écoute des autres

Dans un débat, il est indispensable de bien écouter ce que disent les autres et de
s’y référer. L’écoute et la prise en compte du discours de l’autre constituent le
véritable moteur du débat. Cela n’a aucun sens, en effet, de développer ses
propres arguments sans jamais les confronter à ceux des autres débatteurs :
encore s’agit-il de réfuter les arguments des débatteurs qui défendent une posi-
tion opposée, voire de renforcer sa position en appuyant et en développant les
arguments des débatteurs qui défendent une position comparable. Autrement
dit, il s’agit sans cesse de se situer par rapport aux autres interventions : le débat
représente – rappelons-le – la construction conjointe d’une réponse complexe à
la question, un outil commun de réflexion qui permet à chaque débatteur de pré-
ciser/modifier sa position initiale grâce à l’apport des autres.
Une bonne écoute permet la compréhension entre les interlocuteurs, elle permet
aussi d’intervenir à bon escient dans le débat en se situant par rapport aux autres
interventions. Une écoute attentive doit cependant permettre d’aller plus loin
encore : reconstituer des raisonnements implicites, saisir la visée d’une interven-
tion, anticiper afin de mieux préparer sa propre intervention, comme dans
l’exemple ci-dessous.

Le débat : une discussion qui porte sur des arguments

Argumenter pour défendre une position signifie fournir des raisons, des argu-
ments de nature verbale qui soutiennent, justifient, expliquent cette position. Les
arguments constituent en quelque sorte des réponses à des questions portant sur
les positions (pourquoi...? Y a-t-il des faits qui illustrent, exemplifient...?). Une
intervention prend donc souvent la forme qu’on peut représenter par le schéma
suivant :

argument —————> position

intervention
Pour qu’il y ait débat, il faut donc non seulement une question de base, non seu-
lement que les débatteurs expriment une position initiale, mais encore qu’ils
étayent leurs prises de position par des arguments : c’est en effet sur les argu-
ments (qui appuient chaque position) que porte la discussion. Ainsi, chaque

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Le débat régulé

intervention (= argument(s) + position – explicite ou implicite –) peut finale-


ment être caractérisée par :
– la présence d’un argument qui soutient une position positive ou négative par
rapport à la question initiale du débat : (position pour ou contre la mixité à
l’école) ;
– son statut relativement à ce qui a été dit précédemment : accord, appui avec
ou sans approfondissement ou, à l’opposé, désaccord, réfutation, etc. ;
– la manière dont elle relie argument et position : illustration, exemple, recours
aux faits, recours à des « lois » (naturelles, sociales, logiques, juridiques, etc.),
expérience, causalité, signification, etc.
Le plus souvent, une position, quelle qu’elle soit, peut être soutenue par plu-
sieurs arguments. Chaque débatteur doit par conséquent choisir, en fonction de
la situation, ceux dont il pense qu’ils seront les plus pertinents, les plus effi-
caces, les plus forts. Un argument n’a pas de force en soi, mais seulement en
fonction du contexte dans lequel il est produit (qui dit quoi, à qui, comment, à
quel moment?) et dans lequel une force lui est attribuée par les interlocuteurs,
selon de nombreux facteurs, tels que le contexte, les connaissances partagées
des interlocuteurs, sa forme linguistique (originalité, émotivité, etc.).

Des outils langagiers pour argumenter

La construction des interventions suppose la maîtrise de nombreux outils langa-


giers dont certains entretiennent des liens privilégiés avec le débat : la réfutation,
la modalisation, la reformulation, etc. Il s’agit d’opérations langagières qui se
manifestent dans le discours par des marques langagières spécifiques qui contri-
buent à rendre visible le travail des interlocuteurs.

La réfutation : mécanisme clé du débat.


Au-delà de la présentation de ses propres prises de position argumentées, la
réfutation apparaît en fait comme le mécanisme clé du débat, car c’est à travers
elle que les arguments sont réellement mis en discussion, débattus. La réfutation
peut prendre diverses formes. Souvent, il est efficace de procéder en deux
temps : exprimer d’abord un certain accord avec l’interlocuteur pour mieux
marquer ensuite son désaccord.

Modaliser ses interventions.


Toute réfutation représente, quoique à des degrés divers, une attaque (verbale,
bien sûr) envers l’interlocuteur, une atteinte à sa face. Pour atténuer cette atteinte
sans renoncer à dire ce que l’on a décidé de dire, on peut modaliser son inter-
vention.

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Le débat régulé

Reformuler pour marquer et assurer l’intercompréhension.


Souvent, pour se référer à ce qu’un autre a dit, pour en marquer la prise en
compte et exprimer sa compréhension, un débatteur reformule les paroles de
l’autre – parfois en y ajoutant un peu de sa propre pensée !
Divers marqueurs qui structurent le débat.
La langue comporte un grand nombre d’éléments qui jouent un rôle important
dans le jeu argumentatif : il s’agit de marqueurs qui permettent aux débatteurs
d’indiquer clairement l’orientation de leurs arguments, la force qu’ils leur attri-
buent, la modalisation d’une intervention, etc. Il s’agit aussi, bien sûr, de mar-
queurs qui structurent les interventions et la distribution de la parole entre les
débatteurs (cf. également l’usage de même).

Le modérateur : un principe de régulation

Le modérateur assume différentes fonctions dans un débat. Outre ses fonctions


sociales dans le débat public (saluer, présenter les participants, etc.), il ouvre le
débat en exposant et délimitant la question, le cadre de la discussion. De même, il
clôt le débat, souvent en redonnant une fois la parole à chaque débatteur. Il s’effor-
ce de structurer le débat et de rendre cette structure « visible » ; il synthétise, résume
les acquis. Il recentre, recadre le débat si nécessaire. Il le relance.
Le modérateur remplit également une fonction de médiateur entre les débatteurs et
l’auditoire. Le modérateur représente ainsi un principe actif de structuration, d’au-
torégulation, de contrôle du débat. En fait, chaque débatteur devrait intérioriser ce
rôle de modérateur et le mettre implicitement en œuvre comme principe de régula-
tion du débat.

Deux séquences didactiques sur le débat régulé

Comme le fait apparaître le modèle didactique que nous venons d’exposer, le débat
régulé constitue sans doute un objet didactique particulièrement difficile à aborder,
aussi bien du point de vue de l’enseignement que des élèves. Étant donné son im-
portance sociale, il mérite cependant qu’on y consacre du temps à divers niveaux de
la scolarité pour permettre aux élèves, d’une part, d’en avoir une connaissance de
l’intérieur et de détecter les mécanismes et stratégies qui y président et, d’autre part,
d’être préparés, le cas échéant, à prendre la parole dans des situations argumenta-
tives formelles diverses. Les tableaux qui suivent résument deux séquences didac-
tiques réalisées dans de nombreuses classes de l’école primaire (élèves de 10-
11 ans) et secondaire (élèves de 14-15 ans). Ils concrétisent l’esquisse présentée à la
page 101 en montrant comment il est possible de travailler le débat régulé avec des
élèves jeunes et de construire une progression des apprentissages pour ce genre.

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Le débat régulé

Séquence didactique « débat public » pour le primaire

Objectifs Activités Matériel Temps


Mise en – clarifier l’objet 1) insérer le débat – enregistreur l
situation du travail dans un projet de classe – enregistrement 1 : période
– préparer les contenus 2) lecture d’une coupure de journal « ski hors piste »
– donner sens au travail 3) écoute d’un extrait de débat – coupure de journal
à venir 4) préparation du débat en groupe (fiche 1)
Productions – réaliser un débat 1) réalisation de 2 débats – enregistreur 1
initiales : – observer et discuter les 2) discussion sur les débats – vidéo, si possible période
débats réalisations
en classe
Module 1 : – identifier la « question 1) observation des caractéristiques – enregistrement 2 : 1
je reconnais pour un débat » du débat extrait « débat VTT » période
un débat – distinguer entre opinion 2) production d’arguments – enregistrement 3 : et 1/2
et argument 3) écoute, tri et analyse 2 blocs de
– identifier les arguments d’interventions à un débat 4 interventions
pour et contre sur « le VTT »
Module 2 : – « habiller » une opinion 1) observation de prises de position – enregistrement 4 : 2
j’apprends à – étayer les opinions 2) « habiller » son opinion et 2 interventions périodes
donner mon avec 2 arguments l’étayer « débat VTT »
opinion et 3) enregistrement des prises de – enregistreurs
à la justifier position des élèves –
cassettes vierges

écriteaux en couleur
Module 3 : – écouter différents 1) écoute pour enchaîner avec – enregistrement 5 : 1
j’apprends intervenants une nouvelle question 3 blocs de période
à prendre – poser de nouvelles 2) enchaînement pour appuyer 4 interventions
la parole questions l’autre sur « le VTT »
– soutenir l’opinion de 3) enchaînement pour s’opposer
l’autre
– s’opposer à l’autre
Module 4 : – ouvrir un débat 1) écoute et analyse d’une – enregistrements 6 1
j’anime – clore un débat ouverture et 7 : ouverture et période
un débat – relancer le débat 2) écoute et analyse d’une clôture clôture sur « le ski
3) distribution et relance hors
piste »
de la parole
Module 5 : – comprendre la écoute et analyse d’un débat – enregistrement 8 : 1
j’écoute « question du débat » débat complet période
un débat – saisir l’orientation sur « le VTT »
public argumentative
– observer l’évolution
des positions
Module 6 : – élaborer les règles à construction successive de – enregistrement 9 : 1
ce que je suivre pour un débat 4 règlesgrâce à l’écoute 4 extraits du période
dois savoir – se préparer à utiliser d’extraits de débat débat sur
pour réaliser ces règles pour réaliser « le VTT »
un bon débat un débat public
Productions – réaliser un débat public débats publics et évaluation – enregistreur 1
finales – observer la mise en des performances – vidéo, si possible période
pratique des 4 règles – aménagement de

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Séquence didactique « débat public » pour le secondaire


Objectifs Activités Matériel Temps
Mise en – définir la question 1) lecture d’un texte d’élève – lettre d’un élève l
situation controversée concernant la mixité en – enregistrement 1 : période
– préparer des contenus gymnastique – enregistrement de de 45 mn
– élaborer une position 2) écoute de 4 prises de position 4 prises de position
concernant la question concernant la mixité en
gymnastique
3) discussion collective des prises
de position
4) discussion en groupes de la
position de chaque élève
Production – réaliser des débats publics 1) présentation de la question – caméra vidéo 1
initiale – discuter les débats et débat entre 4 élèves choisis période
du point de vue de leur au hasard, face à la classe de 45 mn
déroulement 2) débat sur le débat concernant
compréhension des prises de
position, écoute de l’autre,
changement d’avis et début
et fin du débat
3) deuxième débat
4) deuxième débat sur le débat
5) présentation séquence et
production finale
Atelier 1 – faire prendre conscience 1) lecture de questions concernant – enregistreur 1
de certains compor- un extrait d’un débat (selon les – enregistrement de période
Sensibiliser tements d’experts extraits, les questions concernent : 7 extraits d’un débat de 45 mn
les élèves (reformuler, résumer, les positions adoptées, le résumé le port de fourrure
par l’écoute prendre en compte de la position d’un autre, les – feuille d’écoute
orientée les arguments de l’autre) arguments utilisés dans une prise
– sensibiliser au rôle de de position, les caractéristiques
modérateur d’une réplique, le modérateur)
2) écoute de l’extrait
3) réponse aux questions
Atelier 2 – évaluer pertinence et 1) choix, parmi ceux dont – cartes contenant 2
force d’un argument disposent les élèves sur des cartes, des arguments périodes
Évaluer et dans une situation d’arguments pertinents en – enregistreur de 45 mn
utiliser les – hiérarchiser les fonction d’une opinion pour et
arguments arguments d’une opinion contre les transports
selon publics
leur force 2) établissement de la hiérarchie
des arguments retenus dans les
deux ensembles d’arguments ;
discussion des critères (réfutable,
original, adapté, etc.) et constat
de relativité de la force
3) concours de recherche de
l’argument le plus fort ; travail
en groupe avec un jury qui évalue
et justifie ses décisions
Atelier 3 – utiliser des expressions 1) écoute et analyse d’un extrait – enregistreur 2
pour introduire le de débat avec reprise et – enregistrement périodes
Reprendre, discours de l’autre dans développement d’un argument d’un extrait de débat
soutenir son propre discours 2) écoute d’une prise de position avec reprise et
et appro- – sensibiliser aux types argumentée contre les transports développement
fondir les d’arguments publics d’un argument
arguments – soutenir et développer 3) préparation en groupe d’une – enregistrement
d’un autre les arguments d’un autre prise de position qui reprend et d’une prise de posi-
développe
celle entendue à l’aide tion concernant les
d’une fiche contenant des expres- transports en
sions pour reprendre l’argument commun
d’un autre et des expressions
introduisant plusieurs types
d’arguments (exemple, récit,
comparaison, référence à autorité,
conséquences d’un fait)
4) présentation des prises de
position élaborées sur la base de
notes ; discussion
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Le débat régulé

Objectifs Activités Matériel Temps


Atelier 4 – repérer des réfutations 1) écoute et lecture de deux textes – enregistreur 2
– recenser des formules argumentatifs et inventaire – enregistrement d’une périodes
Réfuter de réfutation de formules de réfutations réfutation de 45mn
– comprendre mécan- 2) analyse de la réfutation en – enregistrement d’une
nisme en deux temps deux temps : reprendre ce que brève intervention
de la réfutation dit l’autre et réfuter politique contre les
– construire des réfu- 3) constitution d’une chaîne de zones piétonnes
tations réfutation, chacun reprenant le – 1 cassette par élève
dernier argument énoncé et s’y – dossier sur la mixité
opposant à l’aide d’une des en classe
formules inventoriées
4) écoute d’une intervention
politique, prise de note et
préparation individuelle
de réfutation
5) enregistrement individuel
de prise de position avec
réfutation ; parallèlement,
travail sur dossier concernant
la mixité en classe
6) commentaire oral de
l’enseignant sur chaque cassette
Atelier 5 – reconnaître dans le 1) lecture rapide d’une feuille – enregistreur 2
flux du débat les d’écoute sous forme de question- – enregistrement périodes
Écoute et positions défendues naire à choix double ; pour d’undébat sur de
analyse – reconnaître les chaque intervention question(s) la mixité (20 mn) 45 mn
d’un arguments utilisés concernant la position défendue – feuilles d’écoute
débat – anticiper des (pour/contre mixité) et/ou un – 1 jeu de fiches élève
interventions argument utilisé (oui/non) par groupe
possibles dans un débat 2) écoute du débat et réponse aux
– reconnaître l’enchaî- questions à la fin de chaque
nement d’arguments intervention au fur et à mesure
dans une prise de l’écoute
de position lors 3) travail en groupe sur extraits
d’un débat transcrits d’un débat : prévoir un
enchaînement à partir d’un extrait
puis comparer avec extrait produit ;
constituer raisonnement à partir
d’un canevas donné
Atelier 6 – récapituler les constats 1) écoute d’extraits illustrant les – enregistreur 1
– reconnaître dans un mécanismes travaillés : position – enregistrement de période
Actualiser débat les principes et des débatteurs ; évolution des 12 extraits de débat
les constats mécanismes étudiés positions grâce au débat ; sur la mixité
et élaborer – se préparer à utiliser écoute des autres ; soutien des
une liste de les moyens dans autres ; réfutation ; type
contrôle un débat d’argument ; force de l’argument
2) élaboration d’une liste de
constats
Production – vérifier la capacité de 1) préparation en groupe du débat – caméra-vidéo 1
finale mettre en pratique les sur la mixité dans les classes sur période
constats faits et exercés la base des éléments recueillis
– réaliser des débats durant la séquence (débat de la
publics face à la classe, première production, prises de
enregistrés pour position et débat entendus,
un échange avec dossier lu)
d’autres classes 2) débat entre 4 élèves choisis au
hasard
3) débat sur le débat
4) deuxième débat
5) discussion bilan

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Le débat régulé

Exemples d’activités

Parmi les activités présentées ci-dessous, certaines ont été conduites avec des
élèves de l’école primaire, d’autres avec des élèves de l’école secondaire, d’autres
encore sont des activités communes au primaire et au secondaire mais avec des ob-
jectifs différents. Avec les jeunes élèves, on insiste sur l’écoute, l’élaboration et
l’étayage argumentatif des interventions, le dialogue entre les participants et la for-
mulation éventuelle d’une objection. Au secondaire, comme il apparaît dans les sé-
quences didactiques présentées dans les tableaux, il se produit un changement de
perspective : l’enseignement est plutôt axé sur la réfutation et l’intégration de la pa-
role de l’autre dans les interventions des débatteurs.

Apprendre à écouter

L’oral se définit souvent autant par les capacités de compréhension mises en œuvre
que par celles que nécessite l’expression. En effet, l’analyse de débats menés par des
locuteurs novices révèle une capacité d’écoute insuffisante pour leur permettre d’en-
chaîner sur ce qui vient d’être dit. L’entraînement de la capacité d’écoute apparaît très
vite comme incontournable dans une optique où l’on veut, d’une part, faire découvrir
certains mécanismes du débat et, d’autre part, faire évoluer les interventions des
élèves vers la prise en compte de la position des autres (élèves du primaire) et l’inté-
gration de la parole de l’autre dans son propre discours (élèves du secondaire).
Pour développer l’écoute, nous avons élaboré un module qui consiste en un
moment de sensibilisation à la manière dont les adultes mènent un débat. Il s’agit
d’un moment d’écoute de débatteurs experts et de réflexion sur les modes particu-
liers d’interaction qui caractérisent la variante de débat étudiée. Par une feuille
d’écoute, on guide les élèves dans le repérage de certains aspects du débat écouté
(ouverture, rituels de présentation, organisation du débat, etc.) et on les amène à
observer comment les adultes reprennent ce qu’a dit l’autre, comment ils reformu-
lent sa position (pour ce faire ils recourent par exemple à des nominalisations),
comment ils réfutent et concèdent. Le module d’écoute orientée a également pour
objectif de sensibiliser les élèves au rôle du modérateur dans la conduite d’un débat.
L’enseignant distribue une feuille d’écoute avec des consignes précises. Les élèves
lisent les consignes qui se réfèrent à l’extrait de débat qu’ils vont entendre, mais
seulement celles-là. Ils répondent immédiatement aux questions (page 174).

Reconnaître la question du débat, une opinion et un argument

Il s’agit de sensibiliser l’élève, à travers une série d’exercices variés fondés


sur l’écoute et l’observation, à ce qu’est une question de controverse, une

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Le débat régulé

prise de position et la fonction de l’argument qui est d’appuyer la prise de


position. Les élèves écoutent d’abord un extrait d’un débat, lors duquel le
modérateur introduit la controverse et deux personnes prennent position en
appuyant leur opinion sur quelques arguments. Ce premier travail d’écoute
permet d’introduire des mots techniques comme « question, débat, opinion,
argument ». Après une brève situation de production d’arguments par les
élèves, ces derniers écoutent différentes interventions sur le problème de
l’usage du VTT dans la nature et effectuent, à l’aide d’une fiche, un tri de
celles qui sont pour, contre, ni pour ni contre. Dans un premier temps, ils
cochent simplement, pour chaque intervention, la position de l’intervenant.
Ensuite, ils réécoutent une à une les interventions et l’enseignant leur
demande quels sont les arguments donnés par la personne. Celui-ci note au
tableau les idées principales sous forme d’ « étiquettes » de contenus (voir
exemple ci-dessous) que les élèves copient sur leur feuille d’écoute. Lors de
l’écoute d’un deuxième bloc d’interventions, les élèves procèdent eux-mêmes
à la prise de notes. À la fin, une discussion est proposée pour savoir quels
sont, aux yeux des élèves, les arguments les mieux adaptés pour convaincre
une personne.

Feuille d’écoute
* Lis attentivement la consigne suivante avant d’écouter le premier extrait !
Numérote les éléments suivants selon l’ordre dans lequel ils apparaissent :
• appel d’une auditrice • présentation des débatteurs
• introduction de la journaliste • indicatif de l’émission

* Lis attentivement la consigne suivante avant d’écouter le second extrait !

Avant d’ouvrir à proprement parler le débat, la présentatrice demande à chacun des


débatteurs de présenter la position qu’il défend face au port de la fourrure. Relie à
l’aide d’une flèche la position défendue à la personne qui la défend.

M. J.-B. Reby Problème moral : si les animaux souffrent, alors


il faut interdire la fourrure

M. G. Chapoutier Problème de société : la fourrure est un luxe et un


symbole : les fourreurs en tant qu’artisans dispa-
raissent

Mme J. Millet Problème écologique : la fourrure est naturelle


contrairement aux produits de remplacement.

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Le débat régulé

* Lis attentivement la consigne suivante avant d’écouter le troisième extrait !


Une auditrice va s’exprimer au téléphone. Écoute-la bien et essaie de résumer sa posi-
tion le plus brièvement possible :
………………………………………………………………………………
Compare ta solution avec celle de tes camarades, puis écoute comment l’animatrice de
radio s’y prend pour résumer la position de l’auditrice. Recopie la formule qu’elle
emploie dans ce quatrième extrait :
………………………………………………………………………………

* Lis attentivement la consigne suivante avant d’écouter le cinquième extrait!


Relève les expressions qu’utilise M. J.-B. Reby pour introduire les 4 buts de la déclara-
tion d’origine des fourrures :

dénomination commerciale
1. ......................................................................
2. ...................................................................... dénomination zoologique
3........................................................................ origine (pays)
4........................................................................ provenance (chasse, élevage, …)

* Lis attentivement les affirmations suivantes avant d’écouter le sixième extrait !


M. G. Chapoutier va enchaîner sur le même sujet et répondre à M. Reby.

Il reprend en le reformulant ce qu’a dit M. Reby VRAI FAUX


avant de s’y opposer
Il est entièrement d’accord avec ce qu’a dit VRAI FAUX
M. Ruby
Il marque les deux fois son désaccord par « mais » VRAI FAUX

* Lis attentivement les recommandations suivantes avant d’écouter le septième et der-


nier extrait !
Tu vas entendre la fin du débat.
Essaie de prêter attention à la façon dont l’animatrice :
– dirige les intervenants,
– leur redonne une dernière fois la parole,
– puis clôt le débat en prenant congé de ses invités.

Voici la feuille d’écoute pour analyser la position et les arguments des interven-
tions écoutées.

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Le débat régulé

Pour Contre Ni pour ni contre


1
x
destruction de la
nature ; perturbation
des animaux
2
x
respiration d’air
pur

3
x
pas de pollution

4
x
(contre) : descente
(pour) : montée

Formuler son désaccord

La présence d’un désaccord, puisqu’elle est la condition pour que le débat ait lieu,
peut être à bon droit considérée comme le moteur du débat. Mais, pour que ce
désaccord fonctionne de façon dynamique et non comme un obstacle, il faut qu’il
puisse s’exprimer et être compris comme tel. L’expression du désaccord apparaît
sans doute comme la dimension la plus fondamentale du débat. Sans entrer vrai-
ment dans la réfutation, on peut au primaire sensibiliser les élèves à la formulation
d’objections après leur avoir fait observer comment s’y prennent des adultes.
Dans une première étape, on demande aux élèves de repérer, par l’intermédiaire
de l’écoute collective d’un extrait de débat, comment un adulte formule des
objections.
Débatteur 3 : pour en revenir à ce que disait madame Wacker – c’est vrai quand
on regarde la classe enfin les classes à Genève souvent les garçons se mettent
par affinités – mais par contre moi j’ai aussi remarqué en tant que GNT comme
madame Dafflon que par moment avec les titulaires de classe – quand on sépa-
re la classe pour faire une activité d’environnement par exemple , et puis on veut
mettre plutôt les enfants faibles ensemble pour qu’ils avancent à la même vites-

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Le débat régulé

se, ou plutôt les enfants forts ensemble donc pour qu’ils avancent aussi à la
même vitesse et bien les groupes finalement deviennent mixtes
Après une deuxième écoute du début jusqu’à « mais par contre j’ai aussi remar-
qué… », il s’agit de repérer et de mettre au tableau noir l’expression utilisée pour
formuler son désaccord avec ce que l’autre a dit (« c’est vrai… mais par contre
moi… »). Le terme « Formuler son désaccord » est également mis au tableau noir.
Pour permettre aux élèves d’apprendre à formuler leur désaccord, ils écoutent,
dans une deuxième étape, une prise de position provocatrice :
je pense que l’on devrait introduire à l’école des cours de travaux ménagers
réservés aux garçons – cela me semblerait un bon moyen pour aller contre
ce qui existe dans la plupart des familles – la femme considère comme son
devoir d’être attentive à la bonne marche du ménage – nettoyage, commis-
sion, soins aux enfants – et puis l’homme s’occupe de la voiture et des éven-
tuelles prises électriques à réparer ou des tableaux à suspendre – on pourrait
aussi introduire un cours réservé aux filles de bricolage menuiserie – elles
seraient ainsi capables de se débrouiller seules dans tous les domaines
Puis ils élaborent une réfutation en groupes à l’aide de l’expression mise au
tableau noir (ou d’autres proposées par les élèves). Ils présentent leur solution à
la classe et en discutent.

Réfuter
Voici la manière métaphorique par laquelle la réfutation est présentée aux élèves :
La réfutation, c’est l’aïkido de l’argumentation
Lorsqu’un adversaire vous lance un coup de poing, par exemple, il existe
trois façons d’agir :
1° bloquer, arrêter le coup en s’y opposant
– cela requiert autant de véhémence que le coup en contient
Équivalents dans l’argumentation : grossièrement « T’es con ! », « Ça va
pas la tête ? »
ou ironiquement « Vous plaisantez ! »
2° esquiver le coup
– cela requiert une très grande habileté et ne met pas à l’abri des coups sui-
vants
Équivalents dans l’argumentation : « Ce n’est pas sous cet angle que je vois
les choses. »
ou « Ce n’est pas le problème ! », ou « Le problème n’est pas là »
3° faire dévier le coup de son objectif, le détourner à son profit
– cela requiert un entraînement qui permettra de diriger le bras de son
adversaire, d’utiliser sa force à lui pour le faire choir ou l’immobiliser
Équivalents dans l’argumentation : « J’entends bien ce que tu dis, mais pour
ma part je pense que… » ou « Selon vous… ; justement… »

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Le débat régulé

La réfutation consiste en effet à écouter l’autre, à reprendre ce qu’il a dit


avant d’exprimer ses propres réticences.
Dire à l’autre j’admets, je comprends, j’entends ce que tu dis, c’est accepter
que l’autre s’exprime, existe, ce qui le prédispose à mieux prendre en compte
ce que l’on a à lui opposer.
Pour entraîner les élèves à la réfutation, on procède par différentes étapes.
D’abord, les élèves écoutent un avis avec réfutation enregistré sur cassette qui
sera ensuite l’objet d’une discussion en classe. On trace deux colonnes au
tableau et on inscrit les formules que les élèves ont relevées : dans la première,
celles qui introduisent les arguments à réfuter ou permettent de reprendre les
paroles ou la position de l’autre (« vous affirmez, nous comprenons, vous pré-
tendez ») ; dans la seconde, celles qui introduisent les réfutations (« vous
oubliez, ne croyez-vous pas, cependant »). Ensuite, l’enseignant présente le
fonctionnement de la réfutation qui se fait souvent en deux temps, d’abord prise
en compte ou reformulation de l’avis de l’autre, ensuite affirmation de sa propre
position. Dans un troisième temps, l’enseignant propose de constituer une
chaîne de réfutations en observant la règle suivante : chacun à son tour reprend
le dernier argument énoncé (reformulation, résumé, nominalisation) et s’y
oppose à l’aide d’une des formules inventoriées lors de la première étape. Dans
les classes qu’on imagine peu à l’aise avec cet exercice, on peut inscrire au
tableau des sous-thèmes possibles : pollution, confort, commodité, horaire, sou-
plesse, coût… L’enseignant commence à partir d’une assertion qui est ressortie
d’une discussion préalable ou de l’assertion a). En cas de difficulté des élèves à
enchaîner, l’enseignant peut prendre le relais.
Exemple :
a) Prendre le bus avec toute une famille, ça revient cher.
b) Vous affirmez qu’il coûte cher de se déplacer avec les transports en com-
mun en famille ; je vous signale qu’il existe des rabais intéressants pour les
familles.
c) J’admets volontiers votre remarque sur les réductions, cependant vous
ignorez à quel point il est inconfortable de voyager dans un tram à plusieurs
aux heures de pointe.
d) Effectivement, les bus peuvent être bondés à certains moments. Ne croyez-
vous pas qu’il est encore pire de devoir traverser la ville à ces heures-là en
voiture ?
e) Il est vrai que les embouteillages sont désagréables, toutefois la voiture
vous mène au moins où vous le désirez.
f) Je reconnais la souplesse que permet la voiture, mais vous oubliez un
aspect indéniable, je veux parler de la pollution.
g)…
Finalement, les élèves écoutent une prise de position relativement formelle (ici
un discours devant une assemblée qui pourrait être un parti des automobilistes)
où un seul point de vue est présenté et défendu. L’enseignant annonce aux
élèves qu’ils ont à écouter attentivement car ils auront ensuite à préparer une

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Le débat régulé

réfutation orale individuelle et que cette intervention sera enregistrée au début


de la leçon suivante, puis évaluée. Les élèves prennent en notes les arguments
qu’ils entendent en vue de leur intervention réfutative ultérieure. Les enregistre-
ments se préparent en classe à travers la discussion de deux ou trois présenta-
tions d’élèves volontaires.

Productions d’élèves et leur évaluation

Sans entrer dans les détails, la première chose qui saute aux yeux, lorsque l’on
compare les productions avant et après apprentissage, c’est l’allongement de la
durée des débats et des interventions. Incontestablement les débats sont plus
riches et les prises de paroles plus étoffées.

Les productions finales au primaire

Globalement, nous avons pu observer, au primaire, dans les productions


d’élèves à la fin d’une séquence d’apprentissage, cinq points forts qui consti-
tuent des domaines dans lesquels des progrès sensibles sont visibles.
La cohérence dans les prises de position. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’un
élève change de position, sinon les élèves se montrent cohérents dans l’orientation
de leurs arguments. Cependant on voit des élèves nuancer peu à peu leur position.
L’interaction. Les élèves font preuve d’une bonne capacité d’écoute et de prise
en compte des paroles de l’autre sans pour autant intervenir dans le discours des
autres, ni pour les soutenir, ni pour réfuter leurs arguments.
Les énoncés métadiscursifs. L’abondance de ces énoncés montre que les élèves
sont capables de se situer dans un débat et en même temps de prendre une cer-
taine distance par rapport au débat perçu comme objet qui peut être commenté.
La modalisation des prises de position. Les opinions formulées au début des
débats sont fortement modalisées et parfois affirmées avec véhémence, ce qui
n’était pas le cas avant l’apprentissage.
Le rôle du modérateur. C’est un rôle que les élèves jouent avec succès : même si cer-
taines formulations restent maladroites, le rôle a été bien compris et ses diverses
tâches bien assimilées. On observe des élèves capables d’annoncer le débat, de pré-
senter les débatteurs, d’introduire le thème de la controverse, de clore le débat et de
prendre congé. De plus, au sein du débat proprement dit, on constate en général la ca-
pacité à diriger le débat, à relancer un intervenant (êtes-vous de l’avis de X ; avez-
vous quelque chose à rajouter par rapport à vos camarades) et à procéder à un tour de
table. En outre, certains réussissent à reformuler (donc ce que vous voulez nous dire
c’est que…), à demander de préciser une position (que voulez-vous dire par…), à rap-

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Le débat régulé

peler qu’on s’éloigne du sujet, à s’adresser au groupe (que pensez-vous de ce qu’a dit
X ; quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter avant que notre débat soit terminé).
L’extrait suivant illustre bien ces points :
...
G : Je voulais dire que quand Deborah dit elle dit qu’il faut séparer les garçons et
les filles parce qu’ils se bagarrent – je trouve que – les filles aussi elles se ba… des
fois elles se disputent pis les garçons des fois ils e… ils se bagarrent aussi hein – ça
n’empêche pas que en les séparant i : ils se bagarreront plus hein
A : Y a un point que je ne suis pas d’accord avec vous – euh d’une part euh si on
met de côté ça c’est vrai mais c’est les garçons qui vont commencer à se battre
avec les garçons et les filles aussi – des fois –
Mod. : Voilà bien alors : Fabio
F : Moi j’a pas compris ce qu’i voulait dire Armando quand i dit ça je vois pas le
rapport avec la mixité dans la classe – dans les classes – et pis ces choses-là je
vois pas le rapport
Mod. : Alors Armando – réponse
A : Mh simple… seulement c’est que si on met par exemple on vous met direct
vers un garçon vous commencez – par exemple : Olivier tiens – disons comme
ça – mh si on vous met avec des garçons et des filles là vous serez tout le temps
ensemble si on vous enlève la mixité euh vous serez plus euh ensemble et vous
pourrez jamais rien faire
Mod. : Donc ce que tu veux nous dire c’est que – si les garçons sont séparés –
entre… sont séparés des filles ils pourront jamais se connaître
L’analyse de ces productions révèle des points faibles qui indiquent les pistes à
suivre dans l’optique d’un apprentissage continué du débat à l’école obligatoire.
Le contenu. Du point de vue de la variété des opinions défendues et des argu-
ments apportés, les débats peuvent être jugés un peu pauvres. La nécessité d’un
travail sur le thème est à relever une nouvelle fois comme une dimension fon-
damentale de l’argumentation.
La structure des interventions. Au plan relationnel, on observe l’omniprésence
des structures en cascade, avec une justification en parce que ouvrant sur un
exemple concret introduit par si. Au plan polyphonique, on ne note aucune réfé-
rence à des discours extérieurs à la classe. Au plan informationnel, la progres-
sion à type constant se fait à l’aide de chaînes anaphoriques de nature pronomi-
nale. Enfin, au plan énonciatif, on relève très peu de traces de l’énonciateur. Ces
dimensions en voie d’assimilation devraient faire, selon nous, l’objet d’un tra-
vail plus approfondi au secondaire.

Les productions finales au secondaire


Le travail important mené par les enseignants, visant aussi bien un enrichisse-
ment des contenus thématiques autour du débat sur la mixité que les différentes
dimensions de ce genre argumentatif, a eu des conséquences sur la richesse des

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Le débat régulé

productions en fin d’apprentissage : arguments plus nombreux, étayages plus


importants, recours à des exemples, à des arguments d’autorité, prise en consi-
dération des conséquences qu’une opinion peut entraîner. Si tous les débatteurs
ne présentent pas des progrès attestables dans chacun de ces domaines, les pro-
ductions sont, en moyenne, plus intéressantes et les performances globales du
groupe sont indéniablement meilleures.
Au plan relationnel, on peut compter davantage d’échanges directs – qui ne transi-
tent pas par le modérateur. Si les justifications en « parce que » sont encore très fré-
quentes, on trouve des formes plus variées. Il faut relever également des capacités
avérées chez quelques débatteurs de tirer les conclusions d’un exemple :
donc en fait c’est la preuve que les filles ont aussi des difficultés
ou de pointer une contradiction :
d’un côté notre société elle se dit elle progressive puis il faut qu’on évolue et
de l’autre côté on retourne en arrière – il y a quand même une contradiction.
Dans les débats produits après l’enseignement, on observe une progression au
niveau du dialogisme sous-jacent aux interventions. Les élèves utilisent divers
types de citations pour appuyer leurs positions :
« ça a été prouvé que quand les filles travaillaient toutes seules – sans gar-
çon en classe – elles n’étaient pas plus intelligentes mais peut-être qu’elles
arrivent mieux à se concentrer ou euh justement il y a moins de bruit ouais
qu’elles arrivaient à de meilleurs résultats ; mais que pensez-vous du fait
qu’on dise que les filles soient plus intelligentes que les garçons ?
et de nombreuses reprises diaphoniques des interventions des autres débatteurs
(rappelons qu’un module entier était consacré à la réfutation) :
quand vous dites que à certains cours les filles et les garçons sont séparés – je
crois quand même que une chose qui doit être claire c’est – on on fait un grand
retour en arrière ; moi j’aimerais reprendre votre argument quand vous dites les
mentalités évoluent alors moi je crois que les idées évoluent mais les mentalités
elles n’évoluent pas trop ; vous voulez dire que quand ils seront au supermarché
ils vont être traumatisés en rencontrant des garçons ; donc d’après vous…
Au plan informationnel, la progression se fait parfois par le biais d’anaphores
conceptuelles :
– … c’est une solution qui me semble heu assez convenable
– oui c’est une possibilité
Au plan énonciatif, on relève également davantage de traces de l’énonciateur
moi je pense que ; et bien moi donc je trouve que… ; il me semble pas que… ;
d’après moi ainsi que des marques de modalisation fréquentes :
je ne suis pas si sûr que ce soit si vrai que ça que les filles soient plus fortes
intellectuellement que les garçons ; pas forcément seulement en classe mais
je ne sais euh certains cours ; quelquefois oui pas tout le temps…
Ces moments qui permettent d’objectiver l’oral, de le mettre à distance, de
l’évaluer, nous paraissent constituer des outils privilégiés et pour l’enseignement

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Le débat régulé

et pour l’apprentissage. Pour l’enseignant, ce sont autant d’occasions de régu-


ler, de rectifier, de mesurer ce que les élèves retiennent des apprentissages. Pour
les élèves, grâce à la mise à distance que permettent ces activités, ce sont des
aubaines pour se rendre compte de leurs progrès et de leurs difficultés. Et, visi-
blement, ils ont eu l’impression d’avoir appris…

Éléments pour l’évaluation

Il paraît très difficile de faire une évaluation individuelle et certificative dans le


cadre d’une séquence sur le débat régulé. Outre le fait qu’il est très difficile de
faire participer tous les élèves à des débats, les rôles tenus par les élèves ne sont
pas d’égale valeur ; se faire l’avocat du diable est plus risqué et plus difficile que
de réguler un peu formellement les échanges. De plus, comment ne pas tenir
compte des divers degrés de maîtrise des contenus si importante dans l’argu-
mentation ? Par ailleurs, le débat présente une situation d’interaction telle qu’un
débatteur est toujours très dépendant de la prestation des autres. L’évaluation de
l’enseignant porte donc surtout sur les progrès qu’il peut constater à travers la
comparaison entre productions initiale et finale. Les différentes dimensions tra-
vaillées dans les modules (voir tableaux ci-dessus) lui servent de grille qu’il peut
utiliser pour analyser les enregistrements des débats des élèves. Pour la
séquence du primaire, la grille suivante peut par exemple être utilisée :

Nom des élèves


oui non oui non oui non oui non

1. L’élève prend la parole

2. L’élève donne son opinion


3. L’élève donne plusieurs
arguments
4. L’élève respecte les tours
de parole
5. L’élève écoute ses
camarades
6. L’élève entre en dialogue
avec les autres
7. La voix est audible par le
public

On peut aussi centrer l’évaluation sur des aspects plus limités. Nous avons vu
que dans les différents ateliers visant l’amélioration des capacités langagières

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Le débat régulé

des élèves, on travaille des objectifs limités et fortement ciblés. L’atelier 3 du


secondaire, par exemple, a pour but d’exercer l’approfondissement et le déve-
loppement d’arguments à l’aide de cinq procédures (fournir un exemple, recou-
rir à l’évidence, invoquer une autorité, rapporter un témoignage, montrer les
conséquences d’un fait). Cet atelier étant plus technique, il peut faire l’objet
d’une évaluation critérielle mettant en évidence le degré de maîtrise atteint par
les élèves. On peut par exemple leur demander de produire une prise de position
argumentée individuelle, enregistrée sur une cassette, l’enseignant commentant
par oral la prestation sur cette même cassette.

Le bilan fait par les élèves du secondaire


Au moment des productions initiales et finales, après avoir produit un débat
devant la classe, les élèves sont amenés à discuter de leurs productions et de les
évaluer : qu’est-ce qui a bien / mal marché ? Qu’est-ce qui peut être amélioré ?
1 Ens. Alexia
Élève quand on fait pour la première fois quelque chose on sait pas vraiment
très bien quand est-ce qu’on peut avancer un argument : comme est-ce
qu’il faut le reprendre com… si est-ce que ben si on peut faire telle ou
telle chose – eh puis ben
5 près on on sait déjà un peu comment contre-argumenter comment
reprendre des arguments et tout ça – ben je pense qu’on apprend même –
si on apprend pas beaucoup – ben ça peut nous servir plus tard
Ens. Fabrice
Élève moi jai appris euh – pas beaucoup – mais disons j’ai quand même appris
à à bien
10 réfuter parce maintenant je suis assez content – parce que comme ça je
peux en fait trouver des contre-arguments pour mes parents quand ils
disent quelque chose
(rires)
comment dire en bon français – quoi juste – j’ai plus besoin de trouver
des phrases à moi euh mal formées – voilà maintenant j’ai un petit peu
de français – pour euh
15 remballer mes parents
Ens. Méyanne tu veux intervenir ?
(…)
chut d’autres personnes veulent intervenir – que pensez-vous qu’on pour-
rait faire encore pour améliorer éventuellement cette séquence ou pour
améliorer – votre
20 travail pour vous améliorer – Ève
Élève pour faire des débats – il faudrait faire passer des gens qui ne parlent pas
Ens. il faudrait
Élève faire passer devant des gens qui ne parlent pas ben voilà

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Le débat régulé

Ens. je suis entièrement d’accord – si tu me donnes le truc le bon truc pour


faire parler
25 les gens qui n’interviennent jamais dans la classe c’est clair
Élève il faut les désigner
(…)
40 Ens. d’autres remarques – euh est-ce que votre opinion a changé sur le pro-
blème de la mixité – soit en gym – soit à l’école – ou de manière générale
– entre le début de la séquence et maintenant – Fabrice
Élève non pour moi ça n’a – vraiment pas changé – je suis toujours euh pour la
mixité – puis ben voilà – mais j’aimerais j’aimerais encore quelque chose
à dire sur l’histoire
45 du débat – c’est que je trouve euh c’était bien de faire ce débat – je
trouve pour euh certaines fois c’était assez compliqué de parler – avec
euh l’esprit contraire de ce que l’on pensait
Élève ouais
Élève ça c’était quelque chose d’assez dur à faire
(…)
Élève moi non plus je n’ai pas du tout changé d’opinion quoi – ben d’avis sur
ce sujet mais ça m’a fait encore plus réaliser que j’étais pas que mon
opinion pour moi il était
65 valable parce que en écoutant les arguments des autres ça m’a fait
encore plus réagir enfin j’étais encore plus sûre de moi
Ens. donc tu n’as pas changé d’opinion mais tu t’es raffermie dans ta position
– Alexia
Élève ce qui est intéressant aussi ben moi par exemple je ne suis ni pour ni
contre la mixité – je trouve ça bien que l’on soit ensemble en classe que
l’on soit mélangés –
70 mais ce qui est intéressant c’est que moi bon je suis plutôt pour et puis
dans le débat j’étais contre donc c’est intéressant de chercher des argu-
ments alors que l’on est pour une autre cause ça permet un peu de voir
tous les côtés de la facette.
On peut observer dans ce passage l’habileté de l’enseignant à faire dire les
choses. Il joue un rôle central dans la distribution de la parole et suscite des
réflexions « méta ». Grâce à ce travail, les élèves réalisent des évaluations de
divers types. Au plan métacognitif par exemple, on trouve des auto-évaluations
assez contrastées qui sont, en même temps, des manières d’évaluer la séquence,
non seulement pour l’enseignant, mais aussi pour les élèves et pour les cher-
cheurs : des évaluations positives bien que le travail n’ait pas modifié l’opinion
(enseignant : 63-66), (élève : 68-72) ou des sortes de résumés de ce qui a été fait
ou appris, présentés comme énonciativement neutres, mais en même temps très
distanciés. Ces résumés donnent une impression de réelle intégration des savoirs
et de prise de conscience du temps de latence nécessaire entre l’apprentissage et
l’exploitation du savoir-faire (élève : 2-7). Une autre évaluation positive, qui
concerne, elle, des objectifs dérivés non scolaires, constitue une récompense

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Le débat régulé

pour l’enseignant, même si elle pointe les limites de l’oral public (élève : 9-15).
L’échange latéral (18-26) montre, quant à lui, l’intérêt des élèves pour la ques-
tion pédagogique : ils vont jusqu’à proposer des solutions pour améliorer la qua-
lité des débats et pour faire progresser les élèves.
Nous avons voulu montrer, à l’aide de ce parcours réalisé dans les sinuosités de
l’enseignement d’un genre « débat », comment les questions théoriques soule-
vées par l’oral peuvent trouver des réponses concrètes sur le terrain et fournir
aux enseignants intéressés par une telle démarche des pistes de travail. Les capa-
cités en jeu dans l’argumentation adulte sont nombreuses et complexes, c’est
pourquoi elles sont longues à acquérir. L’apprentissage doit donc pour cela com-
mencer de façon précoce. Travailler le débat public régulé nous est apparu
comme un bon moyen d’entraîner quelques-unes de ces capacités à l’école obli-
gatoire. Les premiers résultats observés nous semblent de ce point de vue très
encourageants.

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La lecture à d’autres

La lecture à voix haute telle qu’elle est pratiquée traditionnellement à l’école et


qui consiste à lire un texte en présence d’auditeurs est une activité largement
pratiquée dans le quotidien des classes. Une enquête déjà citée précédemment
(Pietro et Withner, 1996) fait apparaître pourtant un problème auquel la
recherche didactique s’efforce de trouver une solution : si 70 % des enseignants
déclarent avoir recours souvent ou très souvent à la lecture à voix haute, celle-ci
n’est pourtant jamais citée comme activité utile au développement et à la maî-
trise de l’expression orale.
Au contraire, l’activité qui consiste à oraliser un texte écrit est bien souvent non
pas liée avec la pratique de l’oral, mais plutôt avec celle de l’écrit : de fait, la
lecture à haute voix reste le plus souvent un outil d’évaluation des compétences
de déchiffrage de l’écrit, de connaissance des relations grapho-phoniques entre
les deux codes de l’oral et de l’écrit, mais ne devient presque jamais « lecture à
d’autres », celle qui est censée procurer à ces « autres » un plaisir, à les infor-
mer, à les convaincre, à les instruire.
Rares sont les jeunes lecteurs qui ne sortent pas découragés des premières expé-
riences de la lecture à haute voix en classe, aussi bien comme auditeur qui ne
comprend pas ce que son camarade lit que comme lecteur qui, sans aide, risque
l’échec en public. On ne dira jamais assez combien ce rituel scolaire qui veut
que chaque enfant lise à son tour une portion de texte décontextualisée, non pré-
parée et la plupart du temps sans pouvoir accéder au sens, est un rituel auquel
devrait renoncer tout enseignant désireux, entre autres, d’initier ses élèves au
plaisir de découvrir un texte, au plaisir de lire pour celui qui le « performe » et
plus précisément au plaisir de l’entendre pour ceux qui assistent à la « perfor-
mance », enseignants compris. Il pourrait s’agir d’une activité clé pour faire
découvrir une autre manière de lire pour laquelle cependant les moyens et les
modèles d’enseignement manquent cruellement.
La lecture que nous visons donc dans la séquence didactique, c’est-à-dire la lec-
ture à d’autres, n’est donc pas entendue comme activité pour l’activité, à savoir
une pure mise en relation des graphèmes de l’écrit et des phonèmes de l’oral,
produite hors situation de communication et dont le seul but est l’évaluation du

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La lecture à d’autres

déchiffrage, mais une activité dont l’enjeu pour le lecteur est de communiquer
une forme ou un contenu textuels à des auditeurs ne disposant pas de ce texte.
Pour pouvoir rendre compréhensible ce qu’il lit, le lecteur doit par conséquent,
avant toute chose, faire un travail de préparation, une analyse aussi bien du
cadre dans lequel il va performer son texte, de la forme et du contenu du texte à
performer que des choix de mise en voix qu’il devra faire, son interprétation en
quelque sorte : le lecteur est le médiateur du texte vers l’auditeur, et sa tâche est
d’en assurer la transmission au mieux. Cela suppose prise en compte de la situa-
tion de communication, intelligence du texte et expressivité vocale.
La séquence didactique va s’efforcer d’aider les élèves à construire les diffé-
rentes compétences en jeu dans cette activité.

Le modèle didactique de la lecture à d’autres

Lire à d’autres

Il s’agit d’une activité langagière correspondant à des pratiques sociales et cultu-


relles présentes depuis l’Antiquité, et pour certaines relativement ritualisées.
Citons pour mémoire les lectures d’œuvres dans les salons littéraires, les lec-
tures de textes bibliques, certains discours politiques, les rapports présentés en
commission, les conférences, mais également les nouvelles dites à la radio ou la
télévision (dans ce dernier cas avec l’aide du prompteur), les contes lus aux
enfants, les lectures de journaux aux personnes dans l’incapacité de lire elles-
mêmes, etc.
Dans la classe, enseignants et élèves sont en fait fréquemment confrontés à la
lecture à d’autres. Car si d’une part, on trouve, surreprésentée, la lecture à voix
haute pratiquée à seule fin d’évaluer le déchiffrage de l’élève, la lecture à
d’autres est pourtant souvent présente dans de nombreuses situations de com-
munication naturelles en situation scolaire (on pensera volontiers aux lectures
de problèmes, de consignes, de récits, de rédactions, de poèmes, etc.), sans que
ces situations soient exploitées comme occasions de développer les compé-
tences orales.
Pour que le lecteur joue à plein son rôle de médiateur entre un auditoire et un
texte, sa lecture à d’autres, comme le suggère Falcoz-Vigne (1991), doit être
efficace sur trois plans :
– elle doit être intelligible, pour l’auditoire qui n’a pas le texte sous les yeux ;
– elle doit être vocalement expressive de manière à en permettre la compréhen-
sion, une lecture très monotone pouvant empêcher la bonne réception du texte ;

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La lecture à d’autres

– et, pour devenir expressive et compréhensible, elle doit être intelligente, au


sens où le texte doit être compris par le lecteur, dans la mesure où l’intelligence
du texte en conditionne la transmission.

Les dimensions enseignables de la lecture à d’autres

La situation de communication
La première dimension à prendre en considération dans une activité comme la
lecture à d’autres, en particulier la lecture de contes 1, c’est la représentation de
la situation de communication, et en conséquence la nécessité de prendre en
compte l’auditoire. Le lecteur devra adapter sa performance à la situation, et la
mise en scène est essentielle: présence ou absence (en cas d’enregistrement) de
l’auditoire, adaptation du volume et du timbre de la voix en fonction du cadre
de production, éventuellement adaptation du texte en fonction de l’auditoire,
anticipation des effets produits. La mise en valeur du texte, le fait de retenir
l’attention de l’auditoire, de le charmer ou de l’intéresser, tout cela est à la
charge du lecteur.

Sens et structure du texte


À un autre niveau, on cherchera à développer les capacités qui concernent le
repérage et l’analyse de l’organisation du texte. Le lecteur, en effet, doit aider
l’auditeur à identifier la trame de l’histoire grâce à la mise en relief des diffé-
rents types de discours entrecroisés (la narration, les dialogues, les commen-
taires et les évaluations), mais également des différents plans des séquences nar-
ratives (en faisant ressortir les implications de premier plan par rapport aux
épisodes narratifs d’arrière-plan). Il lui faut donc repérer la structure du conte
qu’il va lire et prévoir conséquemment une mise en voix qui soit en cohérence
avec la structure dégagée : ainsi, il devra utiliser des habiletés relatives à l’utili-
sation de l’intonation expressive et à l’aménagement des pauses.

La mise en voix proprement dite


Pour finir, le lecteur doit en tout cas maîtriser les capacités associées à la mise
en relation grapho-phonétique, ce qui suppose que les opérations de bas niveau
concernant le déchiffrage de l’écrit soient largement automatisées 2. Mais il doit
aussi veiller à tout ce qui concerne la bonne réception phonique du discours : on

1. Le genre textuel choisi pour la lecture à d’autres, le conte, nous a semblé particulièrement bien adapté aux
enfants : la plupart du temps, il s’agit en effet d’un genre qui leur est familier, extrêmement riche du point de
vue discursif, mais aussi permettant un certain accès à l’interculturel, et autorisant de nombreuses possibilités
de performance.
2. Le but de la lecture à d’autres n’est donc pas d’évaluer les capacités de déchiffrage d’un enfant.

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La lecture à d’autres

pense en particulier à l’articulation des consonnes doubles en fin de mot, au


volume suffisant de la voix, au maintien du souffle jusqu’à la fin de l’énoncé, et
au respect de la ponctuation par des accents et des pauses appropriés.

Le lecteur expert et le lecteur débutant


La lecture à d’autres comprend dès lors des dimensions distinctes analytique-
ment mais maîtrisées simultanément par un lecteur expert : la dimension de la
compréhension générale du texte, celle de l’organisation du texte en tant que
structure discursive (dialogue ou narration, arrière-plan ou premier plan, com-
mentaire ou évaluation, etc.) mais également syntaxique (construction des
phrases), et la dimension de la performance elle-même, à savoir l’oralisation du
texte, grâce au jeu interprétatif sur la clarté de l’articulation, sur les variations
volontaires d’intonation expressive, mais également sur le débit, sur les pauses
et les silences qui, tout en mettant en valeur la structure du texte, permettent à
l’auditoire d’assimiler ce qu’il écoute.
D’un point de vue didactique, pour rendre la lecture à d’autres accessible aux
jeunes enfants, et étant donné la complexité des opérations en jeu, il est souhai-
table d’aborder ces dimensions successivement. Cette sériation des activités au
cours de la séquence didactique est importante : elle permet une prise de
conscience progressive des différentes dimensions à travailler lors de la prépara-
tion d’une lecture, fournit des outils pour analyser et préparer le texte, soutient la
performance du lecteur lors de la réalisation finale, et aide l’enseignant dans son
travail d’articulation et d’évaluation des activités proposées ainsi analy-
tiquement.
Nous avons donc utilisé la progression en modules de la séquence didactique
pour aborder successivement toutes les opérations mises en jeu dans la lecture à
d’autres.

Une séquence didactique


sur la lecture à d’autres

La séquence vise avant tout l’apprentissage d’une gestion consciente de la


lecture de contes à d’autres. La technique que les élèves acquerront leur
sera utile dans de nombreuses activités scolaires nécessitant la lecture d’un
texte à la classe – même si ce texte appartient à un genre autre que celui de
la narration : présentation d’une production personnelle ou d’un groupe,
lecture d’un document lors d’un exposé ou d’une conférence, lecture d’un
poème...

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Séquence didactique :
La « lecture à d’autres de contes » à l’école primaire

Objectifs Activités Matériel Temps


Mise – anticiper la situation 1) écoute d’un conte lu par un – enregistrement : 1h
en et les aspects à expert lecture par un
situation surveiller dans la 2) discussion sur les contes et expert d’un conte
lecture en public sur la manière de les lire australien
3) présentation du projet :
lecture en groupe pour d’autres
classes
4) discussion sur la lecture à
d’autres
Production – comprendre le conte 1) préparation collective du – enregistreur 2
initiale à lire conte à lire (annotations libres) – recueil de contes périodes
– lire un fragment de 2) lecture en groupes enregistrée africains de 45 mn
conte face à la classe 3) écoute des enregistrements
4) discussion collective pour
repérer les aspects positifs et
les problèmes rencontrés
Atelier 1 – repérer les parties de 1) écoute et vérification de la – enregistrement 1h
la trame d’un conte compréhension du conte d’un conte indien
Trame – marquer la diffé- 2) dégagement du début de la
générale rence entre les parties trame (formulation de titres)
du conte narratives et les 3) lecture silencieuse orientée
parties dialoguées pour trouver les parties
4) séparation du texte en diffé-
rentes parties grâce à une liste
Atelier 2 – identifier le caractère 1) mise en évidence du caractère – enregistrement : 2
et les sentiments des des personnages du conte lecture par un périodes
Intonation personnages 2) écoute orientée de triades expert d’un conte de
expressive – interpréter selon le isolées pour repérer les sentiments australien 45 mn
des caractère des person- 3) en groupes, lecture expressive
dialogues nages de triades isolées
4) en groupes, devant la classe,
lecture expressive d’un dialogue
complet
Atelier 3 – gérer le rythme, la 1) exercices d’écoute orientée : – enregistrements 2
respiration, les pauses, débit trop rapide, trop lent, voix de fragments de périodes
Techniques le débit, l’articulation qui tombe à la fin des énoncés, contes dont la de
vocales et la tenue de la voix rythme mal placé, respiration lecture pose des 45 mn
à la fin des énoncés mal gérée, articulation problèmes
incomplète de certains mots
2) exercices d’articulation et de
répétition
3) exercices de découpage
rythmique et de respiration
4) rythme, respiration et tenue
de la voix à la fin des énoncés
5) première lecture à une autre
classe
Atelier 4 – marquer des pauses 1) lecture orientée – conte japonais 2
en fonction des 2) écoute et repérage de l’ordre périodes
Marquage parties du conte chronologique – enregistrement : de
des – marquer l’intro- 3) partage du texte selon des lecture par un 45 mn
parties et duction des dialogues intitulés expert du conte
introduction – repérer et annoter 4) relation entre les parties du japonais
des les parties dialoguées texte et le marquage despauses
dialogues – trouver des stratégies 5) distinction entre les parties
pour interpréter les narratives et les parties
parties dialoguées dialoguées
6) distinction entre les différentes
manières d’introduire
les dialogues

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La lecture à d’autres

Atelier 5 – marquer les 1) comparaison d’extraits – trois extraits de 2


changements de plans : présentant les mêmes plans contes périodes
Mise en dynamique des 2) identification des marques – cinq extraits de de
évidence événements, linguistiques contes 45 mn
des arrière-plan et 3) préparation de la lecture des
différents évaluations différents extraits en
plans – repérer des stratégies contrastant les plans
du texte pour faciliter l’écoute (notation des extraits)
et la compréhension 4) présentation à la classe
5) repérage collectif des
procédés utilisés
6) exercices d’entraînement

Production – lire en public un conte 1) à l’aide d’une liste de – contes de pays 2


finale et l’enregistrer pour constats, préparation autonome différents périodes
une autre classe des enregistrements en groupe – enregistreur de
de trois élèves 45 mn
2) lecture des contes par groupes.

Tout au long des modules, les élèves se rendront compte de la nécessité de bien
comprendre le texte avant de le lire à d’autres. Ils apprendront à l’annoter. Outre
des aspects techniques comme le rythme, la respiration, l’articulation, l’aména-
gement de pauses, ils auront l’occasion d’exercer l’intonation expressive dans
les dialogues et la mise en évidence des différents plans de texte dans les parties
narratives. Le travail sur ces différents aspects de la lecture à d’autres se fait
dans le cadre d’un projet de classe : à la fin de la séquence, les élèves liront des
contes devant une classe d’élèves plus jeunes.
Le tableau ci-dessus présente une vision synthétique des différents ateliers de la
séquence didactique.

Quelques exemples d’activités

Découverte d’un conte et mise en évidence


des différentes parties de sa trame

Pour faciliter le travail de lecture des élèves, le texte écrit est présenté sous la
forme d’un scénario, avec récitant et personnages. Le travail de dégagement des
différentes parties de la trame se fait selon trois modalités différentes :
Les élèves écoutent le début de la légende (les cinq premières parties). Quelques
questions sont posées pour vérifier la compréhension du texte entendu. Puis
l’enseignant annonce aux élèves que le début de la légende qu’ils viennent
d’entendre comporte cinq parties. L’enregistrement est réécouté. Les élèves énu-
mèrent ces parties en leur attribuant un titre. Les titres, numérotés, sont écrits au

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La lecture à d’autres

tableau par l’enseignant. Il est souhaitable de garder une unité dans la formula-
tion des titres : phrases ou nominalisations. On pourrait obtenir la liste suivante :
1. Présentation générale de la situation des animaux
2. Présentation du coyote
3. Rencontre entre l’aigle et le coyote
4. Départ pour la chasse et dispute
5. Décision d’aller chercher la lumière
Une question est posée pour rendre les élèves attentifs à l’utilité des pauses dans
la lecture : « Dans la manière de lire le texte, qu’est-ce qui vous a aidés à repérer
ces cinq premières parties ? »
Ensuite, les élèves reçoivent le texte. Ils le lisent silencieusement avec l’objectif
de trouver les quatre parties suivantes de la trame. Après discussion, l’ensei-
gnant note au tableau les quatre titres suivants. On pourrait obtenir :
6. Passage du fleuve et dispute
7. Arrivée chez les Katchinas ; effroi du coyote
8. Découverte des coffres contenant la Lune et le Soleil
9. Vol des coffres par l’aigle
En se servant de la liste établie, les élèves séparent par des traits les différentes
parties de la légende, qu’ils numérotent. Ils notent en marge les intitulés des par-
ties. Ce découpage permet d’avoir une vue d’ensemble du conte. Il permet aussi,
dans le cadre de la lecture expressive, de repérer les endroits du texte où le lec-
teur fera des pauses pour donner aux auditeurs le temps d’assimiler ce qui a été
lu et leur donner la possibilité d’imaginer la suite de l’histoire. Ces temps de
pause ont en plus l’avantage de permettre aux lecteurs de regarder le public et
de se préparer à lire la suite du texte.

Travail de l’intonation expressive des dialogues en relation


avec les sentiments et les intentions des personnages

Le travail sur l’intonation expressive n’est pas facile pour des élèves de 9-
10 ans, car il ne suffit pas de comprendre quels sont les sentiments et les inten-
tions des personnages ; encore faut-il apprendre à se décentrer et à imaginer
comment exprimer par la voix le désespoir, la colère, l’enthousiasme ou d’autres
émotions animant les personnages.
Dans un premier temps, par groupes, les élèves font un portrait psychologique
des deux héros. Ils appuient leurs affirmations par des citations tirées du texte
ou les justifient en fonction de l’ensemble de la légende. Ce travail, qui peut
s’assortir d’une prise de notes, est présenté à la classe par des rapporteurs tirés
au sort.

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La lecture à d’autres

Ensuite, le travail consiste en une écoute orientée. Après l’écoute de chaque


tirade, sans avoir le texte sous les yeux, les élèves indiquent le sentiment
éprouvé par l’aigle ou le coyote. Les élèves sont rendus attentifs au fait que les
tirades isolées qu’ils entendront ne figurent pas dans le texte de la légende. Ce
sont des paroles qui auraient pu être prononcées par les héros au cours de l’his-
toire.
Coyote
Il fait si sombre...Pas moyen d’apercevoir la moindre proie... Si ça continue,
je vais mourir de faim !
Aigle
Nous avions décidé de chasser ensemble et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu
attends tranquillement que j’attrape quelque chose. Ça ne peut plus durer !

Puis, par demi-classe, les élèves s’exercent à lire à haute voix des tirades isolées
des héros. Cet exercice est possible parce que les élèves connaissent l’ensemble
du conte. Les élèves reçoivent une feuille de travail où ils notent les sentiments
des personnages du conte et préparent une lecture expressive à l’autre demi-
classe. Les élèves de la demi-classe n’ayant pas fait ce travail essayent de devi-
ner quel est le sentiment exprimé.

Cherche quels sont les sentiments éprouvés par le coyote.


Écris les noms de ces sentiments dans les cadres et prépare une lecture
expressive des tirades.
1. Ah ! que j’ai faim ! Que je suis fatigué ! Je n’ai même plus la force de par-
tir chasser... Que va-t-il m’arriver ? Qu’est-ce que je vais devenir ?
2. Quelle boue ! Brrrr ! Quelle eau froide ! Jamais ne n’oserai plonger !
3. E... e... est-ce qu’... qu’ils ne vont pas nous... nous fai... nous faire d... du
m... mal ?

Des élèves interrogés lisent une tirade tandis que leurs camarades de l’autre
demi-classe disent quel est le sentiment exprimé, et si l’interprétation qui en est
donnée convient. C’est l’occasion de rendre la classe attentive au fait qu’il n’y a
pas qu’une seule façon de bien interpréter une tirade.

Finalement, les élèves préparent, en groupes de deux, un extrait de dialogue


impliquant des sentiments différents. On prépare d’abord collectivement, en
classe un extrait de dialogue en montrant comment analyser le texte (trouver
les sentiments), comment l’annoter (couleurs différentes pour les sentiments),
accents d’insistance si nécessaire. Quelques élèves proposent leur interpréta-
tion et la classe commente les performances. Deux par deux, les élèves pré-
parent ensuite d’autres extraits, en annotant les textes, préparant la lecture et
lisant le texte, soit devant la classe, soit devant un microphone.

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La lecture à d’autres

Exercices sur quelques aspects techniques de la lecture à haute voix

Le but de ces exercices est de travailler sur le rythme et la respiration, mais aussi
le débit, l’intensité, l’articulation, la tenue de la voix en fin de phrase. Le travail
commence par un exercice d’écoute. Les élèves sont avertis que les passages
qu’ils vont entendre présentent des défauts majeurs. Il s’agit de découvrir quels
défauts de lecture apparaissent successivement dans des passages enregistrés par
une lectrice experte.
Les élèves disposent d’une feuille d’écoute sur laquelle ils notent ces défauts :
– lecture trop lente/ lecture trop rapide,
– voix inaudible à la fin des phrases,
– accents et coupures rythmiques mal placés,
– respiration mal gérée/ absence d’intonation expressive,
– articulation incomplète de certains mots (finales en tre, cle, fre, ble... ).
L’enregistrement est réécouté, un fragment après l’autre, après que les élèves
aient indiqué le défaut du passage à entendre. La correction de l’exercice aboutit
à la réalisation d’un panneau auquel on fera référence pendant tout le module et
au-delà.
Ensuite, les élèves réalisent un exercice de découpage rythmique et de respira-
tion. Le passage de l’enregistrement rythmiquement mal interprété figure au
tableau. Les élèves repèrent « les groupes de mots qui vont bien ensemble ».
L’enseignant place des marques (℘) à la fin des groupes rythmiques trouvés par
la classe.
℘ ℘ ℘ ℘
Il vit alors, dans une clairière, des êtres étranges qui sautaient et dansaient en

s’accompagnant d’un chant bizarre...
℘ ℘
Leurs corps et leurs visages étaient si affreusement peinturlurés que les poils
℘ ℘
du coyote se hérissèrent d’horreur.

Une réflexion est conduite quant à la composition et aux limites de ces groupes :
– groupe nominal sujet,
– groupe verbal,
– complément de phrase long,
– limites marquées par la ponctuation.

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La lecture à d’autres

La classe repère les endroits du texte où il convient de respirer. L’enseignant


marque ces endroits par des barres transversales. La règle veut qu’en principe,
on ne respire pas à l’intérieur d’un groupe rythmique mais entre certains
groupes en fonction du sens et de l’effet que l’on désire obtenir.
Après s’être exercés à lire quelques passages, préparés en mettant les marques
de rythme et de respiration, les élèves écoutent une nouvelle fois le début du
conte lu par des lecteurs experts, en étant attentifs au rythme et à la respiration.
La classe discutera de la question de savoir ce qu’apporte une bonne manière de
rythmer un texte et de respirer à des endroits bien choisis, du point de vue de la
compréhension par d’autres et de la mise en valeur de l’écriture et du style du
texte.

Évaluation des performances des élèves

Les enregistrements de la production initiale et de la production finale peuvent


être écoutés et évalués en fonction de deux démarches complémentaires qui
peuvent être adaptées en fonction du travail effectivement réalisé par les ensei-
gnants :
a) une première évaluation globale, aisée à mettre en place, en fonction de 9 cri-
tères identiques pour tous les élèves ;
b) une deuxième évaluation qualitative des faits saillants des productions de
chaque élève avant et après l’enseignement, à partir des enregistrements effec-
tués lors des productions initiales et finales.

Neuf critères pour une évaluation globale

Les 2 enregistrements de chaque enfant sont globalement évalués selon 9 caté-


gories correspondant aux principaux objectifs visés dans la séquence didactique.
Pour chaque critère, chaque élève est situé sur une échelle à trois niveaux : (-)
problèmes systématiques – (0) problèmes locaux – (+) réalisation satisfaisante
pour l’auditeur. Les critères utilisés sont les suivants :

Critères liés au déchiffrage

1. Fluidité de la lecture : les indicateurs de difficulté concernant ce critère sont


notamment les accrochages lors de la lecture d’un mot, les reprises, les hésita-

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La lecture à d’autres

tions lors de la lecture, mais plus encore une tendance à « marteler » des syl-
labes des mots, à avancer dans la lecture en reconnaissant et prononçant syllabe
par syllabe, donnant l’impression que les mots ne sont pas réellement compris.
Notons que ce dernier phénomène peut arriver aussi bien avec les mots d’usage
peu fréquent qu’avec des mots connus.
2. Articulation des mots : il s’agit ici surtout de l’articulation des finales des
mots (erreurs fréquentes : [semblab] pour /semblable/, [mont] pour /montre/).

Critères liés à la mise en évidence des constituants syntaxiques


de la phrase
3. Groupes rythmiques : toute lecture à haute voix découpe le texte en groupes
rythmiques séparés par des micro-pauses et/ou des accents toniques en délimi-
tant, en général, les constituants syntaxiques de la phrase. Lors de l’écoute sera
observé le respect du découpage en fonction de la structure syntaxique de la
phrase.
4. Respiration : du fait qu’elle introduit nécessairement une pause d’une certaine
durée, la respiration découpe également le texte ; idéalement, ceci se fait à des
endroits délimitant des constituants syntaxiques hiérarchiquement relativement
élevés. La respiration forme ainsi potentiellement (ou tendanciellement) des
groupes rythmiques d’un ordre supérieur, sans qu’une telle règle puisse cepen-
dant être respectée systématiquement.
5. Fin de phrase : le marquage des fins de phrase par une intonation particulière
(en général descendante mais aussi montante pour créer des effets particuliers)
constitue un autre moyen pour rendre audible la structure phrastique du texte.

Critères liés au plan du texte


6. Pauses : les observables sont les silences servant à marquer le passage d’une
partie à l’autre du texte.
7. Variation du débit : entre parties du texte ou à l’intérieur des parties, la varia-
tion du débit peut être utilisée pour mettre en évidence l’organisation séman-
tique du texte.
8. Intonation expressive : seront observés les changements d’intonation expres-
sive dans les dialogues en fonction des personnages qui parlent et selon leur état
psychologique (colère, peur, etc.).
9. Autres formes de marquage du plan : il sera observé si les élèves marquent
par d’autres moyens, comme la hauteur, l’intensité, la « couleur » de la voix,
l’organisation sémantique du texte comme, par exemple, l’alternance des parties
dialoguées et narratives, la narration vs. les commentaires, l’arrière-plan vs. les
événements principaux.

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La lecture à d’autres

À titre d’exemple, le tableau ci-dessous présente les résultats de l’écoute crité-


riée de 25 enregistrements d’élèves de 8 à 10 ans, effectués en situation de pro-
duction initiale et lors de la production après l’enseignement.
Production initiale Production finale

– 0 + – 0 +
1. Fluidité de la lecture 13 8 4 2 14 9
2. Articulation des mots 3 4 18 2 2 21
3. Groupes rythmiques 12 5 8 1 5 19
4. Respiration 9 5 11 0 6 19
5. Marquage fin de phrase 5 10 10 0 9 16
6. Pauses 24 0 1 15 6 4
7. Variation du débit 5 10 10 0 2 23
8. Intonation expressive 8 7 10 0 2 23
9. Autres marquages du plan 18 4 3 2 7 16

Résultats de l’écoute critériée de 25 enfants lisant un extrait de texte en production ini-


tiale et finale – : problèmes systématiques ; 0 : problèmes locaux ; + : réalisation satis-
faisante.

Trois portraits d’élève

Cette image globalement positive qui met en évidence des potentialités assez
importantes de développement des capacités de lecture pour d’autres peut et doit
être nuancée par des données plus qualitatives que nous présentons sous forme
de trois portraits significatifs de l’ensemble des enfants observés en détail.

Louis : un bon lecteur devient excellent


Dès la première lecture, Louis lit l’extrait du conte avec une aisance certaine,
crée des groupes rythmiques correspondant aux constituants principaux de la
phrase, distingue à plusieurs occasions les voix du dialogue, sépare parfois les
parties par une pause. Tout se passe pourtant chez lui comme si ce potentiel pré-
sent n’était pas contrôlé et n’était pas utilisé systématiquement jusqu’au bout.
Les transitions entre parties narratives et dialoguées ne sont pas toujours mar-
quées par un changement de voix ou une pause ; des groupes rythmiques sont
formés qui coupent les constituants de base ; deux phrases très complexes sont
mal découpées par les moyens du groupement rythmique, la respiration et

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La lecture à d’autres

l’intonation ; deux fois, deux phrases se suivant sont mal délimitées ; à cela
s’ajoutent des accrochages, hésitations, oublis de mots, absences de liaisons.
La deuxième lecture apparaît comme une utilisation presque optimale du poten-
tiel présent lors de la première lecture. Les registres de voix sont à la fois plus
variés et plus systématiquement mis en œuvre pour distinguer les personnages et
leurs sentiments : voix mystérieuse, plaintive, interrogative, explicative, alter-
nent, montrant ainsi acoustiquement des états psychologiques divers. Les struc-
tures syntaxiques complexes sont mises en évidence par les divers moyens à dis-
position du lecteur. Non seulement les liaisons obligatoires sont réalisées, mais
Louis cède parfois à la tentation de la surnorme en réalisant toutes celles qui
sont facultatives. À cela s’ajoute une subtile mise en évidence de la structure
sémantique du texte, aussi bien au niveau de mots soulignés par un accent
d’insistance qu’au niveau de listes descriptives de mots, énumérées et closes par
de fines variations d’intensité de voix.
Exemple 1
Production initiale : [Voix normale] Un soir, comme il chantait tout seul,
[martelé] a-ssis-contre-un-arbre [se corrige] contre un vieux mur : [conti-
nue sans changement de voix] « Ti-Tête, où est Ti-Tête, où s’est perdue Ti-
Tête ? », [continue sans changement de voix et pause] quelqu’un lui dit.
Production finale :[Voix douce et mystérieuse] Un soir, [sans interruption
jusqu’aux deux points] comme il chantait tout seul, assis contre un vieux
mur : [voix plaintive]« Ti-Tête, où est Ti-Tête, où s’est perdue Ti-Tête ? »,
[voix douce et mystérieuse du début] quelqu’un lui dit.
Exemple 2
Production initiale : Tous l’écoutèrent, les femmes, les enfants, [continue sur
le même ton énumératif] et les oiseaux aussi, [accrochage] de [correction]
dans les [ton montant] feuillages [enchaînement immédiat sans pause ; lec-
ture sens emphase]. Même les chiens se turent.
Production finale : Tous l’écoutèrent, [ajout de l’enfant qui continue norma-
lement] les hommes, les femmes, les enfants [petite pause] et les oiseaux [ton
clairement montant] aussi, [sans changement de hauteur du ton] dans les
feuillages. [pause] Même les chiens [fortement accentué] se turent.

Eddy : d’une lecture hachée à une lecture fluide correcte


Lors de sa première lecture, Eddy a de grosses difficultés. De très nombreuses
pauses et parfois même des respirations découpent des constituants syntaxiques
très fortement liés : déterminant et nom, nom et adjectif, locution adverbiale,
auxiliaire et verbe, sujet pronominal et verbe. À de nombreux endroits, chaque
syllabe est accentuée comme s’il procédait à un syllabique et que le sens même
du mot était inaccessible. Les mots inhabituels comme rassasiés, hammam, éta-
blissement ou miséricordieux sont lus péniblement et même des syntagmes
comme vieille mendiante ou il attendit posent problème à certains moments. À
de nombreux endroits, Eddy termine sa phrase par une montée qui ne peut guère

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La lecture à d’autres

être interprétée autrement que comme une expression de doute. On ne s’éton-


nera pas, dans ces conditions, de l’absence presque totale de marquage du plan
du texte et d’intonation expressive liée aux personnages.
Les changements qu’on peut observer dans la production finale sont considé-
rables. À divers moments, Eddy marque par une pause le passage d’une partie à
une autre. Mais surtout, le martèlement syllabique a presque complètement dis-
paru ; les accrochages sur des mots, sauf les plus difficiles, sont devenus rares ;
les groupes rythmiques scandant le texte correspondent à quelques exceptions
près à la structure syntaxique de la phrase qui devient ainsi beaucoup plus com-
préhensible. Des erreurs subsistent, la lecture est très monotone, le texte est lu
sans relief, mais le débit est devenu régulier et fluide.
Exemple 3
Production initiale :[Lu d’une seule traite, accentuation de chaque syllabe
dans presque toute la phrase] Aussitôt le plat [pause] se remplit [pause] de
couscous et de [intonation fin de phrase] et il [e final prononcé] mangèrent
jusqu’à [respiration] ce qu’ils soient [intonation montante de doute]
[rasasje]
Production finale :[Lecture assez monotone] Aussitôt [petite pause] le plat
se remplit de couscous et de viande [petite pause] et ils mangèrent jusqu’à
ce qu’ils [pause] soient rassasiés.
Exemple 4
Production initiale : Le lendemain [pause, puis d’une seule traite] matin il
prit [pause] sa hache et se rendit [pause] dans la [pause] forêt pour [pause]
coupe l’arbre.
Production finale : Le lendemain matin [pause] il prit sa chace et se rendit
[pause] dans la forêt pour [pause] coupe l’arbre.

Marie : des progrès payés par des erreurs


La première lecture de Marie est correcte, mais caractérisée par un certain
nombre d’hésitations devant des mots et des expressions. Les parties sont peu
marquées et les dialogues, à quelques exceptions près, peu distingués des par-
ties narratives. Marie utilise en certaines occasions des intonations descendantes
qui paraissent déplacées, et néglige le marquage de la structure de phrases com-
plexes là où il serait nécessaire.
On note peu de différences dans la production finale. La lecture reste globalement
monotone et le marquage des parties et des voix reste très discret. Trois change-
ments intéressants sont néanmoins à signaler : diminution des hésitations ; dispari-
tion presque complète des chutes intonatives inutiles ; interprétation adéquate des
formules magiques qui sont prononcées avec la voix mystérieuse qui leur sied.
Curieusement de nouveaux problèmes de lecture surviennent et qui n’apparais-
saient pas lors de la première lecture : un accrochage sur un ou deux mots, une
courbe mélodique ascendante inopportune au milieu d’une phrase, quelques hési-

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La lecture à d’autres

tations nouvelles en des endroits inattendus. Une analyse plus approfondie révèle
que ces problèmes de performance locale apparaissent précisément à des moments
où Marie essaye de mettre en relief certains mots ou de marquer une formule ma-
gique par une voix particulière. Visiblement, l’attention soutenue que lui deman-
dent ces nouvelles réalisations en lecture se paie par une inattention à d’autres
niveaux de la lecture qui ne sont, chez elle, pas encore suffisamment automatisés.
Exemple 5
Production initiale : La bourse se [répète, accrochage] se gonfla de pièces
d’or.
Production finale : La bourse [avec emphase] se gonfla de pièces [intona-
tion montante, comme un doute] d’or.

Un travail à poursuivre

Le travail sur la lecture à d’autres, le retour sur le texte pour préparer l’ora-
lisation semblent possibles et relativement efficaces à partir de 9 ans.
Certaines capacités peuvent être aisément transformées, tandis que le travail
sur d’autres semble encore prématuré. À partir de ces observations de nou-
velles pistes de travail en classe sont à explorer, l’enjeu étant de trouver des
outils didactiques opératoires.
Tout d’abord, les productions initiales des jeunes élèves montrent que, s’il y a
une préparation du texte, les problèmes associés à la fluidité et à l’articulation
des mots sont peu fréquents. On a ainsi la possibilité d’aller de l’avant pour des
problèmes plus complexes.
Parmi ces problèmes, relevons celui de la constitution des groupes rythmiques et
des groupes de souffle (segmentation orale) en contradiction avec les structures
syntaxiques. Il s’agit là d’une dimension de l’oralisation du texte écrit qui se
trouve de toute évidence dans la zone de proche développement des élèves
ayant participé à l’expérience. La majorité de ceux-ci profitent donc pleinement
des outils fournis par la séquence didactique. On constate en effet des progrès
généralisés ainsi que des changements qualitatifs importants chez des élèves
comme Eddy et Marie pour lesquels cette dimension constituait un obstacle
dans la communication du conte.
Le travail sur le niveau textuel est visiblement plus complexe, les effets de la
séquence moins probants, mais néanmoins présents : les élèves commencent à
différencier les dialogues des parties narratives ; on constate même un début
d’interprétation des dialogues des personnages et une certaine emphase pour
mettre en évidence les parties de la structure sémantique du texte. Les progrès
quantitatifs à ce niveau ne doivent pas cacher que pour certains élèves, ces
dimensions sont encore difficilement accessibles ou, si elles le sont, c’est au prix
de certaines régressions comme dans le cas de Marie.

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La lecture à d’autres

De manière générale, après l’enseignement, la majorité des élèves continue à ne


pas indiquer le découpage entre les grandes parties du conte par des pauses.
Dans la mesure où on maintient le travail sur cet aspect lié au plan du texte, on
doit trouver des moyens meilleurs que ceux proposés dans la séquence didac-
tique pour le guidage des temps de silence et ceci grâce à des annotations dans
le texte. On pourrait imaginer une vérification plus rigoureuse de ces annota-
tions par le maître et des échanges permettant d’en comprendre les fonctions
dans l’interaction avec l’auditoire.

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En guise de conclusion

On peut résumer en trois thèses principales les fondements théoriques sur les-
quels nous travaillons et que nous venons de présenter.
1. Pour aider les élèves à structurer l’oral, il est nécessaire de travailler sur des
aspects conventionnels et codifiés de l’expression. Ce sont ces formes de com-
munication relativement formelles qui permettent et exigent un certain contrôle
et qui contribuent à améliorer la planification du discours. Par contre, il ne nous
paraît pas pertinent d’enseigner « tout l’oral » puisque les élèves maîtrisent déjà
les genres oraux informels qu’ils utilisent tous les jours, dans leurs pratiques
spontanées quotidiennes.
2. Cette prise de position implique qu’« enseigner l’oral » ne se limite pas à la
préparation de situations de communication dans lesquelles un « apprentissage
incident » pourrait avoir lieu (apprendre à communiquer en communiquant),
mais demande d’élaborer des dispositifs, des démarches explicites et transmis-
sibles. Notons que ces démarches, tout comme à l’écrit, ne couvrent pas toutes
les pratiques de production orale à l’école où restent d’autres espaces destinés à
des activités d’expression moins contraignantes, sans objectifs précis, sans
nécessité d’enseignement systématique et sans évaluation.
3. L’élaboration de séquences didactiques, adaptées aux spécificités matérielles
de l’oral, constitue une voie prometteuse pour l’enseignement de l’oral. Fondées
sur des modèles didactiques des genres oraux travaillés, les séquences proposent
de manière intégrée un travail sur divers niveaux de la production de textes
oraux.
Les contenus proposés dans notre approche de l’oral sont fortement restreints,
les objectifs poursuivis limités, la démarche très structurée. C’est l’ambition
même de l’enseignement de l’oral à l’école, à savoir transformer le rapport de
l’élève à sa propre parole, qui nous semble imposer une voie précise et rigou-
reuse. Cette démarche ne nous semble cependant pas la seule voie à exploiter
pour développer l’expression orale des élèves. Les dispositifs que nous élabo-
rons pour enseigner les genres formels sont compatibles et complémentaires
avec d’autres démarches plus libres, où l’enseignement a une place moindre et
où prime l’expression libre et spontanée des enfants. Si nous soutenons la néces-
sité d’un enseignement structuré des formes conventionnelles de l’oral, il n’y a
pas de doute qu’on apprend évidemment aussi à communiquer simplement en
communiquant.

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