A l’instar des structures de la communauté sociale, les pratiques
langagières des locuteurs membres de cette communauté sont diverses et parfois hétérogènes. S’il est évident que pour communiquer, ces derniers recourent à une espèce de consensus momentané, selon leur appartenance spatiale, selon leur genre, leur âge, leur profession, etc. les formes de langue et de discours qu’ils produisent sont à la fois singulières et communes. En effet, la langue n’est pas un tout homogène, mais elle change selon les paramètres : géographique, sexuel, socioculturel, situationnel et générationnel. La variation géographique ou spatiale. On parle de variation géographique lorsque des locuteurs, d’espace géographique différent partageant la même communauté de langue, présentent des réalisations phonétiques, syntaxiques et lexico-sémantiques différentes. Selon H. Boyer « l’origine géographique est un élément de différenciation sociolinguistique important et sûrement parmi les mieux repérés, souvent matière à cliché. Ainsi, pour l’aire francophone française, certains mots, certaines prononciations, certaines expressions … permettent d’associer tel locuteur à telle ou telle zone géographique. » Variation lexicale En France, en fonction d’aire géographique, il existe plusieurs unités lexicales pour désigner un seul et même acte culinaire : remuer, tourner, touiller, fatiguer la salade. Au sud de la France, le matin on prend son « déjeuner », à midi on « dîne » et le soir on « soupe ». Au nord, les mêmes séquences alimentaires sont désignées par : « petit-déjeuner », « déjeuner », « dîner » Variation phonologique/ phonétique La phonologie et la phonétique d’une langue donnée sont également soumises au phénomène de la variation selon le lieu. Grâce à ce phénomène, on peut identifier/ localiser un interlocuteur. Dans ce sens Henry Boyer cite H. Walter, selon ce dernier en France il y’a « l’opposition traditionnelle concernant la prononciation, entre ceux de nos compatriotes qui parlent pointu et ceux qui ont l’accent du midi » Un autre exemple de variation phonétique concerne deux réalisations du phonème [ r ] en français : [ R ] articulation standard et [ r ] « roulé », articulation en déclin, associée à une appartenance au milieu rural. En Kabylie, les réalisations phonétiques diffèrent d’une localité à une autre : un kabylophone arrive par exemple à situer géographiquement son interlocuteur par rapport à ses réalisations phonétiques. Ainsi certains locuteurs prononcent [arur] là où d’autres [a3rur] « le dos » ; [agur] là où d’autres [ajur] « le croissant » ; [xali] là où d’autres [xayi] « mon oncle ». Quant aux locuteurs arabophones provençaux prononcent [g] là où les algérois disent [q] : [gal], [qal]. La variation liée au genre Au sein d’une communauté, le sexe est une variable qui a attiré l’attention de plusieurs sociolinguistes. En effet, lors de l’enquête menée par Labov à New York, ce sociolinguiste a remarqué que les femmes sont plus sensibles que les hommes aux modèles de prestige. Elles utilisent moins de formes linguistiques stigmatisées, considérées comme fautives. En effet, il parait que les femmes seraient plus soucieuses quant au respect de la norme autorisée par les canaux officiels (l’école, l’académie, les grammairiens) et jugée prestigieuse. Elles auraient tendance à pratiquer l’hypercorrection : une prononciation au respect scrupuleux du phonétique admis. A L’inverse, les hommes exprimeraient leur virilité et matérialiseraient leur agressivité à un travers un choix phonétique et lexical particulier. A ce sujet, on donne l’exemple de locuteurs francophones maghrébins de sexe masculin qui choisissent de rouler [R] les locutrices maghrébines le grasseyent. En outre, selon Marie Louise Moreau, les hommes sélectionnent davantage la variante non-normée, et les femmes la variante normée, parce qu’il y’a « un lien causal direct entre ce phénomène et la position sociale économique inégalitaire des hommes et des femmes. Alors les hommes seraient moins sensibles aux normes sociolinguistiques dominantes que les femmes, parce qu’ils ont, contrairement aux femmes, la possibilité de signaler leur statut et leur position sociale au travers de leur profession et de leur revenus ; les femmes dépourvues de pouvoir économique, ne peuvent signaler leur statut et leur position sociale, qu’en recourant à ces marques symboliques de pouvoir que constituent les pratiques linguistiques des groupes sociaux dominants » La variation selon l’appartenance socioculturelle L’appartenance socioculturelle du locuteur transparaît à travers l’usage qu’il fait de la langue autrement dit, dans ses pratiques langagières. De façon classique, on considère que les locuteurs issus de milieux défavorisés présentent des réalisations phonétiques, syntaxiques et lexico- sémantiques qualifiées de populaires, de vulgaires, de familiers servant de marqueurs d’identité d’appartenance socioculturelle. En revanche les locuteurs issus de milieux aisés, leurs réalisations langagières jouissent d’un certain prestige dans la société et ne cultivent pas d’écarts par rapport à la norme. Variation selon l’âge et la génération
Dans toutes les communautés, coexistent plusieurs états de langues
inhérentes aux différentes tranches d’âge des locuteurs. Ainsi, en passant d’un locuteur d’une génération à un autre locuteur d’une autre génération, on change de forme de langue et peut-être même de langue comme c’est le cas des milieux issus de l’immigration. En effet, lorsque les enfants, parents et grands-parents parlent la même langue, dans leurs pratiques langagières ressortent des différences d’ordre aussi bien lexical que phonétique et syntaxique. Le parler des adolescents français ne distingue que rarement entre /brin/ et /brun/ ; Sur le plan lexical, les jeunes emploient : les petits coins, les moins jeunes : toilettes et les plus âgés : lieux. Sur le plan syntaxique, les jeunes se distinguent par la généralisation du pronom relatif « que ». C’est ainsi que, dans leurs performances syntaxiques, ils diront : « l’agent que je t’ai parlé » au lieu de « l’agent dont je t’ai parlé ». Selon la situation de communication Les retombées de la situation de communication sur la forme et l’usage de la langue sont multiples. On n’utilise pas la même forme avec tout le monde, partout, et pour dire tout. Dans ce sens Julie Auger dit : « Dans des conditions sociolinguistiques normales, il n’existe pas de locuteur qui possède d’un style unique, qui s’exprime toujours exactement de la même façon. Tout individu modifie sa façon de parler selon les paramètres extra-linguistiques qui définissent la situation : interlocuteur, public, sujet de conversation, lieu, etc. »