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Recueil Dalloz

Recueil Dalloz 2019 p.568

L'abus du droit d'agrément dans une société en nom collectif

Antoine Tadros, Professeur à l'Université de Picardie - Jules Verne

Les arrêts relatifs à l'agrément dans la société en nom collectif (SNC) sont rares, mais, en l'espace de moins d'un an, la Cour de cassation a
comblé deux vides laissés par les textes. Il y a quelques mois, elle est venue préciser qu'à défaut d'agrément, la cession est inopposable à la
société ainsi qu'aux associés et non pas nulle comme on aurait pu le penser (1). Mais que se passe-t-il lorsque l'associé souhaitant se
retirer est respectueux de la procédure d'agrément, présente des cessionnaires potentiels et se heurte à un mur de silence de la part des
autres associés ? C'est à cette question que la chambre commerciale a répondu dans un arrêt du 6 février 2019 en indiquant que les
associés silencieux commettent un abus du droit d'agrément qui ouvre droit à réparation.

En l'espèce, l'associé d'une SNC souhaite céder ses parts sociales en vue de partir à la retraite. Il propose, à partir de 2009, plusieurs
candidats à l'acquisition de ses titres à son coassocié qui reste silencieux. Dans l'impasse, l'associé souhaitant céder ses droits sociaux finit
par agir en responsabilité contre son coassocié sur le fondement de l'abus de droit.

La cour d'appel condamne l'associé taisant à indemniser le candidat à la cession du préjudice subi tant en ce qui concerne la perte de
revenus liés à l'impossibilité pour le candidat cédant de se retirer de la SNC qu'en ce qui concerne le préjudice moral subi par ce dernier.
Selon les juges du fond, ces préjudices sont imputables à la faute de l'associé taisant, laquelle a consisté à « faire la sourde oreille à toutes
propositions et [à] opposer à tous ses correspondants le silence sans qu'il justifie d'un motif valable ».

Un pourvoi est formé contre cette décision, lequel repose essentiellement sur le fait que l'agrément est un droit discrétionnaire et ne peut
pour cette raison dégénérer en abus ; par ailleurs, l'auteur du pourvoi critique le lien de causalité entre la faute caractérisée par la cour
d'appel, à la supposer fondée, et les préjudices retenus.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle reprend à son compte tous les éléments relevés par les juges du fond pour établir le caractère
fautif du silence gardé sans motif quant à l'agrément des candidats cessionnaires présentés. Elle décide, ensuite, que la cour d'appel a
légalement justifié sa décision à propos du lien de causalité en indiquant les éléments - le refus de rencontrer les candidats cessionnaires,
les certificats médicaux révélant l'état dépressif de l'associé cédant concomitants à ces refus - qui lui ont permis de conclure que le
comportement de l'associé taisant avait entraîné les préjudices d'ordres patrimonial et extrapatrimonial dont se plaignait le candidat à la
cession de ses parts sociales.

L'arrêt suscite l'intérêt tant à propos de l'abus du droit d'agrément qu'il aborde explicitement qu'à propos de ce qu'il n'évoque pas, mais qui
s'avère décisif pour éviter la situation extrême qui a donné lieu au litige : la marge de manoeuvre qu'offrent les statuts pour éviter les
situations de blocage en cas de difficulté liée à la procédure d'agrément. L'abus du droit d'agrément apparaît ainsi comme le dernier recours
ouvert à l'associé qui n'arrive pas à céder ses titres (I), mais il est loin d'être le seul, pourvu que les statuts aient, en amont, envisagé les
difficultés relatives à l'agrément dans la SNC (II).

I - L'abus de droit : le dernier recours


La procédure d'agrément dans la SNC est pour le moins dépouillée. Mieux, en réalité, la loi ne l'envisage pas ; le législateur s'est contenté
de tirer toutes les conséquences du caractère intuitu personae de la SNC en posant un principe et seulement un principe : les parts
sociales « ne peuvent être cédées qu'avec le consentement de tous les associés ». Telle est la règle prévue à l'article L. 221-13 du code de
commerce qui prohibe dans la foulée toute clause contraire. Contrairement au droit applicable aux sociétés à responsabilité limitée (SARL)
(2) ou aux sociétés civiles (3), le législateur n'a pas jugé utile, en matière de SNC, de développer un cadre relatif à la demande
d'agrément, ni aux hypothèses de refus d'agrément ou de silence gardé par les associés suite à une telle demande. Cette absence de
réglementation place le juge dans une situation délicate lorsqu'on lui demande, comme c'était le cas en l'espèce, de sanctionner l'inaction
totale des associés chargés de se prononcer sur l'agrément. Le magistrat est alors confronté à une double question : doit-il sanctionner ? Et
si oui, comment ? Faute de pouvoir compter sur le droit spécial, la cour d'appel, suivie en cela par la Cour de cassation, s'est naturellement
tournée vers le droit commun. Si le législateur a prévu le droit, pour les associés d'une SNC, de contrôler l'entrée de tout nouvel acteur dans
le groupement à l'occasion d'une cession de parts sociales, ce droit, comme tous les autres, est, faute de dispositions spéciales applicables,
susceptible d'abus (4). Une fois le passage du droit spécial vers le droit commun réalisé, le reste de la décision de la Cour de cassation
reprend les critères classiques de la théorie de l'abus de droit. Depuis l'arrêt Clément Bayard qui conçut et fonda d'une façon définitive
l'abus de droit, on sait que si une personne utilise un droit dans l'unique dessein de nuire à autrui, elle engage sa responsabilité à l'égard de
la personne à laquelle elle cause un préjudice (5). Certes, rien ne permet d'attester en l'espèce que l'associé chargé d'agréer le candidat
cessionnaire des parts sociales a eu la volonté de nuire à l'associé cédant. Toutefois, une telle circonstance n'est pas suffisante pour
écarter la caractérisation de l'abus de droit. La recherche de la volonté réelle du prétendu auteur d'un abus de droit est pour le moins
délicate ; elle consiste à sonder l'âme de la personne à laquelle l'abus de droit est reproché, à rechercher les mobiles qui l'ont animée. C'est
la raison pour laquelle la Cour de cassation considère que les juges du fond peuvent s'en remettre à des éléments objectifs permettant de
considérer qu'il n'y a aucune autre raison plausible qui permettrait d'expliquer l'utilisation du droit qui est faite par celui auquel l'abus est
reproché (6). Concrètement, le juge doit rechercher l'utilité des agissements du titulaire du droit ; s'il n'en trouve aucune, il en déduit
l'intention de nuire. L'arrêt du 6 février signale ce mode de raisonnement puisque la cour d'appel comme la Cour de cassation font référence
à l'absence de motifs invoqués par l'associé taisant pour justifier son comportement.

Au-delà de l'application classique de la théorie de l'abus de droit, on notera que la Cour de cassation fait peu de cas de l'argument invoqué
par le pourvoi quant au caractère discrétionnaire de l'agrément, caractère en vertu duquel l'agrément ne pourrait jamais dégénérer en abus.
On peut regretter que la haute juridiction ne s'exprime pas davantage sur le sujet. Il est vrai que le droit d'agrément devrait permettre aux
associés de porter un jugement qui demeure à leur discrétion, c'est-à-dire qu'ils ne devraient pas avoir à justifier spécialement le refus
d'agrément puisqu'il est censé tenir à des considérations propres à la personne du cessionnaire. En d'autres termes, ils n'ont pas, en
principe, à argumenter quant aux qualités personnelles, professionnelles ou encore financières qui, chez le candidat cessionnaire, n'ont pas
emporté l'adhésion. Mais le caractère discrétionnaire de l'agrément s'arrête là. Une chose est de ne rien dire sur les raisons qui ont conduit
au refus de la candidature, une autre est de ne rien dire du tout. Autrement dit, les associés saisis d'une demande d'agrément doivent au
moins recevoir les candidatures et donner une réponse dans un délai raisonnable à ces dernières. Le droit d'agrément ne peut être
instrumentalisé pour maintenir le statu quo et empêcher l'associé cédant de sortir du groupement. Tel est, nous semble-t-il, le sens de la
solution retenue par la Cour de cassation.

Quoi qu'il en soit, l'abus du droit d'agrément ne résout pas toutes les difficultés de l'associé souhaitant céder ses titres car le juge ne peut
ordonner que la réparation du préjudice subi, mais il ne peut pas prendre la décision à la place du titulaire du droit. En d'autres termes, il ne
peut ni considérer l'agrément acquis ni forcé l'associé qui a fait un usage abusif de son droit d'agrément à acquérir les titres de l'associé
souhaitant se retirer du groupement. Dans ces conditions, l'arrêt appelle de nouvelles questions relatives à l'anticipation des difficultés
susceptibles de naître à l'occasion d'une demande d'agrément en cours de vie sociale.

II - L'abus de droit : le seul recours ?


Compte tenu du caractère lapidaire de l'article L. 221-13 du code de commerce qui ne fait finalement qu'exiger un agrément à l'unanimité des
associés sans autre détail, il convient de s'interroger quant à la marge de manoeuvre statutaire pour régler les questions que le législateur
n'a pas traitées. Les statuts n'étant rien d'autre que le contrat de société, la liberté contractuelle doit pouvoir être mobilisée pour éviter les
situations de blocage comme c'était le cas en l'espèce. Toutefois, tous les aménagements du processus décisionnel relatif à l'agrément ne
sont pas valables.

La décision relève de la compétence des associés, pire d'une décision unanime des associés. Dans la mesure où le texte est d'ordre public
(7), la clause qui conférerait le droit d'agrément à un autre organe que la collectivité des associés, comme cela est possible dans d'autres
formes sociales (8), devrait ici être réputée non écrite. Pour les mêmes raisons, la clause qui prévoit un abaissement du seuil de la majorité
requise ou qui prive un associé de son droit d'agréer la cession - notamment en raison de sa mauvaise foi dans l'exercice de ce droit - doit
être considérée comme nulle.

Faute de pouvoir aménager la prise de décision relative à l'agrément, on se reporte naturellement sur les conséquences d'un défaut
d'agrément, notamment lorsque le(s) associé(s) reste(nt) silencieux, comme c'était le cas en l'espèce. La question qui se pose alors est
simple : peut-on statutairement prévoir qu'à défaut d'agrément dans un délai donné, celui-ci est réputé acquis ou, à l'inverse, que ce défaut
d'agrément déclenche l'obligation pour la société ou les associés de racheter les titres. Il ne s'agirait finalement que de contractualiser entre
les associés les mécanismes prévus légalement pour d'autres formes sociales comme la SARL. Seraient ainsi à la disposition des associés
de la SNC les remèdes légaux prévus en cas de refus ou de défaut d'agrément.

En ce qui concerne l'agrément tacite résultant du défaut de réponse dans un délai retenu par les statuts, il nous semble que rien ne s'y
oppose. En effet, il ne s'agit pas à proprement parler d'une clause contraire à l'article L. 221-13 du code de commerce dès lors que la clause
en question a été adoptée à l'unanimité. Dans ce cas chacun des associés a consenti à ce que le silence gardé équivaille à une acceptation
de la cession projetée des parts sociales de l'un d'eux. En revanche, on peut douter de la validité d'une telle clause si elle est insérée dans
les statuts à la faveur d'une décision prise à la majorité même si celle-ci est qualifiée (9). Dans une telle hypothèse, le consentement tacite
n'a été donné que par les associés qui ont voté en faveur de l'insertion de la clause, pas les autres puisque seuls les premiers ont consenti
au fait que le silence vaudrait acceptation (CQFD).

En ce qui concerne le rachat des parts sociales par la société ou par les associés à défaut de réponse dans un certain délai prévu par les
statuts, la doctrine est partagée. Contre ce type de clause en cas de refus d'agrément, on a fait valoir qu'« en soumettant malgré toute
clause contraire les cessions de parts sociales au consentement de tous les associés, l'article L. 221-13 subordonne à l'accord de chacun les
modifications dans la répartition du capital d'origine des droits sociaux. Cela paraît exclure la validité d'une clause de rachat puisque celle-ci
permettrait une nouvelle répartition des parts sociales contre la volonté du ou des associés qui se seraient opposés à la cession » (10).
L'argument ne nous semble guère décisif dans la mesure où, en matière de SNC, la loi prévoit le rachat des parts sociales par la société en
cas de décès de l'un des associés et que les associés survivants décident la continuation de la société sans les héritiers du de cujus (11).
Dans la mesure où la règle relative à la continuation de la société en cas de décès de l'un des associés et celle relative à l'agrément en cas
de cession reposent sur le même fondement, l'intuitu personae qui marque la SNC (12), il nous semble possible de raisonner mutatis
mutandis. Si, à l'occasion d'une cession entre vifs ou d'une transmission à cause de mort, ce qui compte est de pouvoir contrôler la ou les
personne(s) susceptible(s) d'entrer dans le groupement, alors les mécanismes prévus légalement pour la transmission à cause de mort
devraient pouvoir être utilisés contractuellement pour la cession entre vifs. Rien ne semble ainsi s'opposer à l'insertion d'une clause
statutaire prévoyant le rachat par la société des parts sociales et leur annulation si les associés restent silencieux pendant un certain délai
quant à la demande d'agrément formulée à l'occasion d'une cession entre vifs de parts sociales d'une SNC (13). Pour ce qui est de la
valeur des parts, le droit positif est connu : à défaut d'accord sur celle-ci, un expert désigné dans les conditions de l'article 1843-4 du code
civil devra la déterminer en tenant compte, le cas échéant, des stipulations statutaires relatives à la question.

Mots clés :
SOCIETE * Société en nom collectif * Part sociale * Cession * Agrément * Abus

(1) Com. 16 mai 2018, n° 16-16.498, D. 2018. 1071, obs. A. Lienhard , 1421, note D. Schmidt , et 2056, obs. A. Rabreau ; RTD civ. 2018.
886, obs. H. Barbier ; RTD com. 2018. 707, obs. A. Lecourt ; JCP E 2018. 1374, note B. Dondero, et 1631, n° 8, obs. M. Caffin-Moi ; BJS
2018. 422, note J.-F. Barbièri ; Dr. sociétés 2018, n° 142, note C. Coupet ; Gaz. Pal. 25 sept. 2018, p. 79, obs. A. Dalion ; RJDA 2018, n° 735 ;
LPA 14 nov. 2018, p. 7, obs. D. Gibirila ; RJ com. 2018. 469, obs. A. Le Ruyet.

(2) Art. L. 223-14 c. com.

(3) Art. 1861 s. c. civ.

(4) V. not. L. Cadiet et P. le Tourneau, Rep. civ., v° Abus de droit, 2017, n° 13 s.

(5) Req. 3 août 1915, DP 1917. 1. 79.

(6) De telles circonstances permettent au juge de révéler la faute car « user d'un droit contrairement à sa finalité, détourner une fonction ou
un pouvoir, et agir sans mobile légitime, est commettre une faute : une personne raisonnable (l'ancien bon père de famille) n'agirait pas de la
sorte » (L. Cadiet et P. le Tourneau, op. cit., n° 29).

(7) Il prohibe toute stipulation contraire.

(8) V. not. art. 1861 c. civ. qui permet aux gérants d'accorder l'agrément si les statuts le prévoient.

(9) L'art. L. 221-6 c. com. qui autorise les statuts à prévoir que certaines décisions seront prises à la majorité qu'ils envisagent ne peut
s'appliquer à l'agrément puisque l'article L. 221-13 prévoit que toute clause contraire à l'unanimité est réputée non écrite.

(10) A. Charveriat, A. Couret, M. E. Sébire et N. Zabala, Sociétés commerciales, Mémento Francis Lefebvre, 2019, n° 24440 ; P. Merle,
Sociétés commerciales, Précis Dalloz, 22e éd., 2018, spéc. n° 190 ; T. de Ravel d'Esclapon, La validité des clauses de rachat dans les sociétés
en nom collectif, LPA 2008, n° 224, p. 4, pour lesquels la règle de l'unanimité doit interdire une nouvelle répartition des parts sociales,
nonobstant la volonté d'un associé.

(11) Art. L. 221-15 c. com.

(12) V. not. en ce sens A. Bougnoux, Sociétés en nom collectif - parts sociales - mutations forcées, J.-Cl. Sociétés Traité, fasc. 59-30, 2018,
n° 1 : « Les cessions de parts entre vifs, objet du J.-Cl. Sociétés Traité, fasc. 59-20, ne sont pas les seules hypothèses où les parts passent
d'une main à une autre. Il convient donc à présent d'envisager les autres cas de changements de titulaires que constituent les mutations
forcées de parts et la situation particulière que représente la convention de croupier. Ici encore, bien entendu, le transfert de parts d'un
individu à un (ou plusieurs) autre(s) se heurte à l'intuitus personae qui est, il convient de le rappeler, le grand principe en matière de
sociétés de personnes ».

(13) Rappr. Aix-en-Provence, 25 mai 2007, n° 05/03172, Yvette G., épse N. c/ Pierre B., Dr. sociétés 2007. Comm. 221, note J. Monnet ; RJDA
2008, n° 3, n° 28. L'arrêt valide la clause de rachat dans une hypothèse de refus d'agrément.

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