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© (2008) Swiss Political Science Review 14(4) : 663–90

Les femmes au Parlement européen :


Effets du mode de scrutin, des stratégies
et des ressources politiques. L’exemple de la
délégation française

Willy Beauvallet et Sébastien Michon


GSPE/PRISME et Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg

Cet article vise à apporter des éléments d’explication quant à la féminisation des
élus français au Parlement européen. S’il semble nécessaire de prendre en compte
le mode de scrutin, ses effets ne peuvent véritablement se comprendre qu’en relation,
d’une part avec la position du Parlement européen dans le champ politique français et
d’autre part avec la configuration propre des luttes sociales et politiques qui traversent
l’espace public français au cours des années 1990. C’est dans ce cadre que le genre
constitue une ressource politique plus rentable au Parlement européen qu’au parle-
ment français, avec pour conséquence la promotion de femmes moins familiarisées
avec l’exercice du métier politique ; des femmes qui de ce fait s’orientent davantage
vers des formes de « bonne volonté » parlementaire et des stratégies de surinvestisse-
ment des rôles politiques européens. La spécificité relative des postures qu’elles adop-
tent au sein de l’institution renvoie donc moins à une hypothétique « nature féminine »,
qu’à un ensemble de processus sociopolitiques.

Keywords : Gender and Politics • Members of European Parliament • European Elec-


tions • Political Paths • Parliamentary Work

Introduction

Le Parlement européen (PE) figure parmi les assemblées les plus fémini-
sées d’Europe ; même s’il convient d’éviter tout triomphalisme puisque la
parité est loin d’être effective : fin 2006 – soit avant l’entrée de la Bulgarie
et la Roumanie dans l’Union européenne –, les femmes représentaient un
peu moins d’un tiers de l’assemblée (30.4%). Toujours est-il que, dans l’ex-
plication de la plus importante présence des femmes dans cette assemblée,
le mode de scrutin est une première variable à considérer. Le scrutin de
664 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

liste à la proportionnelle à un tour, en vigueur dans 22 pays de l’Union sur


25 en 2004 (Stöver et Wüst 2005), est effectivement plus favorable à leur
élection (Matland 1998 ; Matland et Montgomery 2003 ; Norris 2004).
Cette variable n’explique cependant pas tout. De fait, les variations
entre pays ne sont pas négligeables, y compris entre pays avec un mode
de scrutin proche. Les femmes sont moins nombreuses parmi les élus de
Chypre, de Pologne, d’Italie, de République Tchèque, et de Lettonie. A
l’inverse, en Suède – seul pays où les femmes sont aussi nombreuses que
les hommes –, aux Pays-Bas, au Danemark, en Estonie, Slovénie et France,
ce sont plus de 40% de femmes qui siègent à l’assemblée de Strasbourg. En
ce sens, de récents travaux (Tremblay et al. 2007 ; Tremblay 2008) ont mis
en perspective le rôle d’autres variables, notamment des partis politiques,
des conjonctures politiques, ainsi que des interactions entre ordre politique
et ordre social. De manière complémentaire à ceux-ci, nous voudrions ici
montrer que la causalité mode de scrutin/proportion de femmes doit moins
aux conséquences quasi-automatiques des règles de droit, qu’aux logiques
des jeux qui caractérisent les configurations politiques et sans lesquelles
on ne peut comprendre les effets concrets des modes de scrutin. Une ana-
lyse multidimensionnelle du recrutement politique (Nay 2001), reposant
à la fois sur les « stratégies des acteurs politiques » et les « contraintes
institutionnelles exercées par l’ensemble des règles (formelles ou infor-
melles) autour desquelles s’organise la vie politique » (Nay 1998 : 168)
semble de ce point de vue heuristique. Selon cette perspective, les élections
régionales en France sont par exemple marquées par la prise en compte,
dans la constitution des listes, d’équilibres fondés sur des « exigences de
représentativité sociale », notamment par rapport au sexe (Nay 1998), et
par la promotion d’élus a priori moins prédisposés à l’accès à des char-
ges électives. En prolongement de cette première étape de l’analyse, les
implications dans l’exercice du mandat sont également à questionner. A
l’image de ce qui a été constaté dans d’autres assemblées (Achin 2005), les
femmes sont-elles cantonnées à certains secteurs de l’activité législative ?
Les positions de pouvoir sont-elles monopolisées par les hommes ? Les
femmes investissent-elles différemment leur rôle d’eurodéputé ? Faut-il
y voir, comme le prétendent certains discours, la marque d’une certaine
« spécificité féminine » ?

« Women don’t like confrontation as much as men – that’s only real difference between
them. Women prefer to find agreement, to discuss and find practical solutions » (citée par
Vallance et Davies 1986 : 8). Sur la rhétorique d’un art féminin de la politique : Guionnet,
(2002).
Les femmes au Parlement européen 665

Graphique 1 : Répartition hommes/femmes des eurodéputés élus en France entre 1979 et
2004 (N = 369) selon les législatures entre 1979 et 2004.

90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1979–84 1984–89 1989–94 1994–99 1999–2004

Hommes Femmes

Afin d’éclairer la connaissance des effets combinés du mode de scrutin et


d’autres variables sur l’élection des femmes et l’exercice du mandat euro-
péen, on se propose de concentrer l’analyse sur la délégation française au
PE. Plusieurs raisons guident ce choix. La forte proportion de femmes au
sein de celle-ci – avec 42.3% de femmes présentes à Strasbourg en 2007,
elle se classe au 5ème rang des 27 délégations nationales –, constitue une
surprise, un fait a priori inattendu. En effet, si la forte présence des fem-
mes élues en Suède, aux Pays-Bas ou au Danemark n’est pas, au PE, très
différente de ce qu’elle représente à la chambre nationale, tel n’est pas le
cas en France. Dans l’ensemble, ce pays présente des taux de féminisa-
tion des positions électives particulièrement faibles à différents niveaux
de décisions : les femmes ne représentent que 10.9% des maires lors des
élections municipales de 2001, 3% des présidents de Conseils généraux
(instances départementales) en 2003, et 18.5% des élus de l’Assemblée


La loi sur la parité, qui tend à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux man-
dats électoraux et fonctions électives, a remédié à la sous-représentation des femmes dans
les conseils municipaux. Elle n’a cependant pas permis une parité complète. Les têtes de
liste étaient plus fréquemment masculines (seules 17 femmes sur les 54 listes présentées).
De plus, l’une ou l’autre démission a eu pour conséquence de faire entrer des hommes et
de modifier les proportions initiales, comme celle de Chantal Simonot sur la liste du Front
national dès 2004 au profit de Fernand Le Rachinel.
666 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

nationale en 2007, plaçant ainsi le Parlement français au 18ème rang des


27 pays membres de l’Union. Dans ce contexte, le PE fait exception. La
proportion de femmes élues au PE est, dans le cas français, un fait à la fois
exceptionnel – au regard de la faiblesse de ces mêmes proportions dans
les autres assemblées politiques françaises – et relativement ancien, que
n’explique pas la loi du 6 juin 2000 qui impose, en France, la parité aux
élections politiques. Rassemblant un quart de l’ensemble des eurodéputés
entre 1979 et 2004, la part des femmes s’est accrue législature après légis-
lature, surtout à partir de la quatrième législature (1994–99) : de 22% des
élus français en 1979, elles représentent 27% entre 1994 et 1999, et 41%
entre 1999 et 2004 (Graphique 1) – élections qui se sont toutes déroulées
avant le vote de la loi sur la parité.
La féminisation du personnel français au PE est donc un phénomène
particulièrement remarquable. Cette exception pose une énigme que la lit-
térature, en l’état, ne permet pas véritablement de résoudre. Certes, la forte
féminisation du PE dans son ensemble, notamment au sein des partis de
gauche, a souvent été soulignée par divers travaux portant sur la représen-
tativité sociopolitique des élus européens (Vallance et Davies 1986 ; Norris
et Franklin, 1997 ; Hix et Lord 1997 ; Bryder 1998 ; Norris 1999 ; Mather
2001 ; Freedman 2002). Pour autant et malgré les spécificités rappelées
plus haut, la problématique « femmes en politique » a été peu mobilisée
dans l’étude plus spécifique des Françaises au PE – à de rares exceptions
(Kauppi 1999). Dans quelle mesure les règles institutionnelles de l’élection
européenne en France entre 1979 et 2004 ont-elles favorisé la promotion
de femmes ? Par extension, quelles sont les conséquences sur l’exercice du
métier politique européen ? Telles sont les questions centrales sur lesquel-
les cette contribution se propose de revenir.
S’il semble nécessaire de prendre en compte le mode de scrutin, ses
effets ne peuvent véritablement se comprendre qu’en relation, d’une part
avec la position du PE dans le champ politique français et d’autre part
avec la configuration propre des luttes sociales et politiques qui traversent
l’espace public français au cours des années 1990. C’est dans ce cadre


http ://www.observatoire-parite.gouv.fr/ [consulté le 14 janvier 2007].
Loi n°2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hom-


mes aux mandats électoraux et fonctions électives, J.O n°131 du 7 juin 2000, p. 8560.

Chiffres proposés en 2006 par l’observatoire de la parité, http ://www.observatoire-pa-
rite.gouv.fr/. Sur la place des femmes en politique en France, voir notamment le travail de
Mariette Sineau (2001).
Les femmes au Parlement européen 667

que le genre constitue une ressource politique plus rentable au PE qu’au


parlement français, avec pour conséquence la promotion de femmes moins
familiarisées avec l’exercice du métier politique ; des femmes qui de ce
fait s’orientent davantage vers des formes de « bonne volonté » parlemen-
taire et des stratégies de surinvestissement des rôles politiques européens.
La spécificité relative des postures qu’elles adoptent au sein de l’institution
renvoie donc moins à une hypothétique « nature féminine », qu’à un en-
semble de processus sociopolitiques que l’on se propose ici de restituer.
Pour valider ces hypothèses, nous avons tout d’abord mené une enquê-
te quantitative sur l’ensemble des eurodéputés élus en France entre 1979
et 2004 : 369 individus ayant été recensés (92 femmes et 277 hommes).
Nous avons systématiquement codé leurs propriétés sociodémographiques
(âge, sexe, position sociale, niveau et type d’études, profession du père),
politiques (précédents mandats, nombre de mandats locaux et nationaux,
durée de la carrière, âge au premier mandat, positions de cumul) et divers
indicateurs d’investissement au sein de l’assemblée (type de commission
parlementaire, occupation d’une position de leadership). Ce matériau est
complété par des données là encore récoltées et traitées par nos soins sur
les députés en exercice – élus en 2004 – et par plusieurs dizaines d’entre-
tiens que nous avons réalisés entre 1998 et 2007 avec des eurodéputés et
des assistants parlementaires de ceux-ci.
Après avoir abordé les caractéristiques de la compétition politique pour
le mandat européen en France (1), il s’agira de mettre en perspective le
genre comme ressource politique spécifique (2) et les investissements dans
l’assemblée des femmes au regard de leurs dispositions (3).

Ouverture et hétérodoxie de la compétition politique européenne en


France

Plusieurs éléments complémentaires permettent d’expliquer l’émergence


du genre sur le marché politique européen (Beauvallet et Michon 2008). Le
premier a trait aux règles du mode de scrutin. Cependant, en définissant des
règles juridiques précises, il contribue moins à prescrire les pratiques poli-
tiques, qu’à déterminer des structures particulières de contraintes et d’op-
portunités qui pèsent en retour sur les stratégies déployées par les acteurs.
Si le mode de scrutin balise l’univers des possibles, il ne suffit pas à rendre
compte des modalités du recrutement à l’Europe et de son ouverture. A
celui-ci s’ajoutent les effets de la position du PE dans le champ politique
668 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

français, ainsi que des jeux et des enjeux qui caractérisent le champ poli-
tique français un moment donné. Si le scrutin européen peut favoriser une
redistribution des cartes, il ne favorise pas forcément la féminisation des
listes. Il n’aboutit à ce résultat que parce qu’un contexte plus général fait
de cette question un enjeu politique et social et que des acteurs ont intérêt
à se saisir des marges de jeu que ce scrutin autorise pour en faire un enjeu
électoral.

Mode de scrutin et position du PE dans le champ politique français


Les caractéristiques du mode de scrutin européen en France, ainsi que les
spécificités liées à la position de l’espace parlementaire dans les champs
politiques ou médiatiques se nourrissent tout d’abord l’une et l’autre pour
conférer au recrutement politique à l’Europe un caractère plus ouvert que
sur les marchés nationaux centraux. Les critères de la sélection politique
peuvent y être partiellement modifiés.
En ce qui concerne le mode de scrutin en vigueur en France jusqu’en
2004, plusieurs facteurs concourent en effet à cette ouverture. Au sein des
partis, le scrutin proportionnel de liste favorise en premier lieu l’expression
de modes de légitimité et la mobilisation de ressources plus diversifiées. Il
accentue parallèlement le rôle et le poids des états-majors partisans qui ont
en charge la composition des listes et surtout la répartition des places éli-
gibles. A la différence des élections régionales dont le scrutin proportion-
nel de liste dans le cadre de la circonscription départementale favorise les
états-majors politiques départementaux (Nay 1998), l’unicité de la circons-
cription électorale pour les élections européennes renforce le poids des
états-majors partisans nationaux. Ces derniers apparaissent comme l’ins-
tance de régulation des transactions et conflits internes caractéristiques de
la période préélectorale en vue de l’attribution de positions éligibles. L’ab-
sence d’un second tour, le principe de proportionnelle intégrale et le seuil
relativement bas d’attribution des sièges, qui commande aussi le processus
d’aide publique au financement de la campagne électorale (5%), forment
en troisième lieu autant d’éléments qui encouragent des compétiteurs po-
litiques plus marginaux à s’engager dans la bataille électorale, favorisant
la multiplication des listes. Conséquence du nombre plus important de
candidats, les concurrences entre organisations sont plus vives, les petites
listes concourant à maintenir une pression plus forte sur les organisations
politiques dominantes.
Les femmes au Parlement européen 669

Outre les règles électorales en vigueur, l’explicitation des logiques du


recrutement politique européen suppose aussi de prendre en compte les ef-
fets liés à la position du PE dans la configuration politique française. Cette
institution relativement récente a longtemps été appréhendée à travers des
prismes qui participent de son caractère périphérique dans le champ po-
litique français. Tout en bénéficiant d’un certain prestige lié à son carac-
tère international, elle demeurait associée à un espace peu politique, perçu
comme « technicien », « coupé » des citoyens, voire « sans pouvoir » poli-
tique réel, et dont le principe même n’était pas sans heurter les conceptions
politiques les plus ancrées : celles qui associent toute idée de représenta-
tion à un cadre national vis-à-vis duquel le Parlement de Strasbourg est
forcément en décalage. A la fois politique et géographique, cette double
distance au centre a longtemps suscité des rapports ambigus chez de nom-
breux politiques et journalistes.
Ces rapports sont typiques d’une institution assez peu légitime sur le
plan politique. Institution prestigieuse (puisque internationale et donc pré-
cisément excentrée) pour des élus « en fin de carrière », les acteurs po-
litiques les plus « installés » la considèrent en revanche avec un certain
mépris. Quand ils ne refusent pas de s’y faire élire, c’est pour quitter le
mandat avant le terme de la législature, cumuler la position parlementaire
avec un autre mandat électif et/ou pallier par ce biais un échec dans le
champ politique central (parmi les eurodéputés élus en France entre 1979
et 2004, 30% démissionnent avant la fin de leur mandat, et 70% environ
ont un autre mandat). Longtemps, la fonction parlementaire européenne a
donc été associée à une position instable et temporaire, une position d’at-
tente ou un mandat de fin de carrière. C’est dans le cadre de cette désaf-
fection relative de l’élite politique nationale que la position européenne a
pu se présenter comme un point alternatif d’accès à la professionnalisation
politique : elle apparaissait en effet comme un espace alternatif à tout un
ensemble d’acteurs pour lesquels les chances d’accéder à des positions
plus centrales, au niveau local ou national, s’avéraient compromises, du
fait des normes implicites et des forts effets de fermeture qui caractéri-
sent la sélection politique à ces différents niveaux. De facto, dès les an-
nées 1990, les élus européens apparaissent comme des élus plus jeunes,

En dehors du principe du « tourniquet » (les élus démissionnaient à mi-mandat pour faire
entrer les suivants sur la liste) qui caractérisait les élus du RPR pendant la première législa-
ture et des Verts pendant la troisième, les départs du Parlement sont surtout le fait d’élus qui
accèdent à un mandat de député (Lienemann, Novelli) ou de sénateur (Karoutchi, Raffarin),
ou à un portefeuille ministériel (Fontaine, Saïfi).
670 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

moins dotés en ressources politiques, plus souvent des femmes, mais aussi
plus présents, plus actifs et plus « professionnels » (Beauvallet, 2007). Ils
contribuent de la sorte à institutionnaliser le mandat, à différencier les tra-
jectoires européennes des trajectoires nationales et à redéfinir les modalités
de son investissement. Il n’est donc pas étonnant que les grands noms du
PE soient, en France, comme dans d’autres pays européens, des élu(e)s peu
connu(e)s sur le plan politique national (P. Bérès, J.-L. Bourlanges, J. Daul,
N. Fontaine et N. Péry).
Par effet circulaire avec une position politique décentrée et des appré-
ciations subjectives défavorables, tant des principaux acteurs politiques
que des acteurs médiatiques ou des observateurs académiques, les prati-
ques de vote aux élections européennes apparaissent relativement spéci-
fiques (Reif et Schmitt 1980). Les votes aux élections européennes sont
notamment plus éclatés que lors d’élections « primaires », qui ont pour
enjeux les positions les plus au centre du champ, celles qui ont pour effet
de désigner un « véritable gouvernement ». Si l’abstention y est plus forte,
les élections européennes consacrent régulièrement des listes et des orga-
nisations politiques nouvelles qui n’auraient pas été en mesure, et qui ne le
sont généralement pas par la suite, d’obtenir des résultats similaires dans le
cadre d’élections législatives ou présidentielles, comme les partis souve-
rainistes comme ceux de Philippe de Villiers et Charles Pasqua, ou encore
Chasse, pêche nature et tradition (CPNT). Dans certains cas cependant,
les élections européennes constituent l’une des premières étapes vers un
processus d’institutionnalisation de nouveaux courants ou partis, comme le
Front national (FN) ou les Verts. Pour partie constituées de nouveaux en-
trants dans le champ politique français, souvent présentés, par opposition
à un champ politique cloisonné, comme issus de la « société civile » – la
frontière entre organisation politique et groupes d’intérêt restant parfois
difficile à délimiter comme avec le cas du parti CPNT –, ces « petites » lis-
tes ont contribué à faire émerger sur l’arène politique de nouveaux enjeux,
parmi lesquels celui de la féminisation.
En comparaison des logiques qui régissent les marchés centraux, le
caractère politiquement excentré de l’institution se traduit donc dans le
caractère plus hétérodoxe de la compétition politique – cette dernière ap-
paraissant plus ouverte, plus poreuse aux divers enjeux qui traversent l’es-
pace public français – et par un recrutement politique plus ouvert ou moins
fermé. Notamment parce que la thématique de l’égalité des sexes connaît
un regain d’intérêt dans l’espace public au cours des années 1990, les fem-
Les femmes au Parlement européen 671

mes sont, entre autres, parmi les premières bénéficiaires de cette ouverture
du recrutement politique à l’Europe.

Règles et pratiques concrètes du recrutement


Ces différentes caractéristiques du marché politique européen incitent dans
un second temps les partis à respecter un certain nombre d’équilibres cen-
sés régir les modalités d’attribution des positions éligibles sur les listes
électorales mais qui dépendent eux-mêmes de la configuration générale
des luttes caractéristiques des espaces partisans ou du champ politique plus
généralement (Nay 1998).
Renvoyant à des normes d’accès aux positions électives partiellement
réécrites, la définition de ces équilibres a tout d’abord pour objet de régu-
ler les tensions internes aux partis eux-mêmes. Ils permettent également
aux dirigeants politiques de coller plus directement aux problématiques
qui traversent l’espace public et politique (« une meilleure représentati-
vité sociale », « un équilibre entre les identités culturelles »), soit parce
qu’ils identifient ces problématiques comme des contraintes auxquelles il
convient d’autant plus de répondre qu’ils n’estiment pas être en mesure de
le faire dans le cadre d’élections plus classiques, soit parce qu’ils associent
ces problématiques à des opportunités électorales, à des occasions de pré-
senter une offre politique plus diversifiée, mieux ajustée à des comporte-
ments électoraux plus éclatées. Enfin, en définissant de nouvelles normes,
ces équilibres définissent de nouvelles opportunités et orientent vers la
définition de nouvelles ressources politiques, de façon parfois paradoxale
avec la situation qui prévaut sur d’autres marchés politiques.
Dans le cas des élections européennes, on peut relever trois grands ty-
pes d’équilibres. Un premier type est à usage interne. Dans le cadre d’une
circonscription nationale unique (en vigueur jusqu’en 2004), il vise à ré-
guler les tensions nées de légitimités politiques ou territoriales diverses. Il
faut accorder sur la liste une représentativité équilibrée des régions et des
courants politiques qui structurent le parti lui-même (ou la coalition de par-
ti). Le second type d’équilibre pondère les listes entre « entrants » et « sor-
tants ». Si la légitimité propre des députés européens en titre a rarement
constitué un droit au renouvellement tacite du mandat (contrairement à la
situation qui prévaut lors des élections législatives), ces derniers tendent
à s’imposer progressivement. Les principales organisations partisanes


Au sein de la délégation française, 36% des eurodéputés de la quatrième législature
672 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

se soucient toujours un peu plus d’équilibrer « entrants » et « sortants »,


témoignant de la sorte d’une forme « d’européanisation » des règles im-
plicites ou des normes d’accès au mandat. Le troisième type d’équilibre
renvoie à des dimensions plus sociologiques. Il colle plus directement aux
problématiques sociopolitiques qui dépassent les jeux internes aux partis
eux-mêmes. C’est le cas d’abord, d’une pratique régulière visant à réserver
des places éligibles à des personnes présentées comme des « socioprofes-
sionnels ». Ce qui se revendique comme une pratique volontariste d’ouver-
ture à la « société civile » se retrouve sur l’ensemble des listes, mais plus
spécialement encore sur les petites listes, listes entrantes ou protestataires.
Elles furent évidentes par exemple sur la liste présentée par Philippe de
Villiers en 1994 ou sur celle du Parti communiste en 1999. C’est le cas
ensuite de l’attention portée à une représentation de groupes appréhendés
comme des minorités ethniques. Si ce souci a été souligné dans le cas bri-
tannique (Norris et Lovenduski 1995), il n’est pas étranger aux pratiques
des acteurs politiques lors des élections européennes en France, comme du
reste lors des élections municipales, et ceci, bien que ces pratiques fassent
l’objet d’un déni de la part des acteurs. C’est enfin le cas des pratiques
associées au souci d’un équilibre des genres. Avant tout le fait des partis
de gauche, elles tendent cependant à se généraliser après 1994, sous l’effet
d’un contexte bien particulier.
Comme en ce qui concerne l’ouverture devenue nécessaire aux « mino-
rités visibles », l’affirmation de cet équilibre des sexes dans la constitution
des listes européennes ne se comprend cependant qu’en référence à l’émer-
gence (ou à la résurgence) d’un « problème » au cours des années 1990, un
nouvel enjeu auquel la structure particulière du marché politique européen
va permettre de répondre et à l’affirmation duquel elle va aussi contribuer,
jusqu’au vote final de la loi de juin 2000 imposant la parité aux élections
politiques. Le débat sur la parité qui traverse la société française au cours
des années 1990 doit lui-même se comprendre à la lumière du retour de
la question féministe, après son éclipse au cours des années 1980 (Achin
(1994–99) ont déjà été élus au Parlement européen, 40% de ceux de la cinquième législa-
ture (1999–2004). Et lors des élections européennes en 2004, 48% des élus sont en fait des
sortants.

Par exemple, l’entrepreneur J. Goldsmith, ou le juge Jean-Pierre sur la liste de Villiers en
1994 ; la philosophe G. Fraisse ou l’ancien président de SOS Racisme, F. Sylla, sur la liste
Hue en 1999.

L’invocation du modèle français d’intégration républicaine cache en effet souvent des
pratiques d’ethnicisation du corps politique (Geisser 1997).
Les femmes au Parlement européen 673

et Lévêque 2006), en particulier à travers des questionnements quant à la


représentativité des élites sociales et politiques.10 En lien avec la position
du PE dans le champ politique français et le mode de scrutin en vigueur,
les usages hétérodoxes de l’élection construits par les organisations en si-
tuation de prétendantes sur le marché politique ont participé à l’inscription
de ce nouvel enjeu sur l’agenda politique. En ce sens, la parité constitue
dès 1989 une dimension de l’offre électorale des Verts. Ce parti adopte la
règle lors d’élections durant lesquelles il bénéficie d’une forte visibilité,
et au terme desquelles il gagne ses premières positions électives d’enver-
gure. Marginalisé, concurrencé par la liste charismatique de Bernard Tapie
et poussé à des pratiques susceptibles d’avoir un effet remobilisateur de
son électorat potentiel, le parti socialiste, alors dirigé par Michel Rocard,
adopte à son tour la règle de la parité en 1994. A partir de cette date, la fé-
minisation des candidats des partis de gauche aux européennes est présen-
tée comme une norme non écrite du recrutement politique au PE. Dès cette
élection, et plus encore en 1999, la féminisation des listes européennes
devient un enjeu politique, les organisations étant plus ou moins tenues de
développer une offre spécifique sur ce terrain et de faire la preuve de leur
capacité à féminiser les listes. De fait, dès 1999, la parité s’impose comme
une contrainte quasi-généralisée, et la plupart des partis anticipent la loi
de juin 2000 qui rendra ces pratiques obligatoires. Sous peine d’apparaître
comme des organisations fermées à une forme de modernité et aux nou-
veaux standards de l’égalité hommes/femmes en politique, toutes les orga-
nisations s’astreignent à assurer une meilleure représentation des femmes
sur leurs listes. Cette nouvelle règle participe à l’émergence d’une nouvelle
structure de contraintes et d’opportunités qui modifie partiellement les pra-
tiques antérieures des recrutements (Latté 2002). Pour quelques organisa-
tions (FN, CPNT, listes souverainistes de Charles Pasqua ou de Philippe
de Villiers), cette contrainte peut même s’avérer particulièrement difficile
à gérer.11 La capacité à assurer la féminisation du personnel politique n’en
devient pas moins un impératif pour le maintien dans le jeu, et pas seule-
ment pour des questions financières. Elle s’apparente à une nouvelle norme
de la compétition politique. C’est ce qu’exprime parfaitement Michel Ray-
mond, élu CPNT dans la citation suivante :

Comme en témoigne le nombre croissant de travaux au cours de ces années sur la pla-
10

ce des femmes en politique, aussi bien dans la littérature française que dans la littérature
anglo-saxonne.
11
Ces listes étaient les moins féminisées en 1999.
674 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

Tableau 1 : Répartition de l’âge des eurodéputés élus en France entre 1979 et 2004 selon le
sexe et la législature

Législature Sexe <40 ans 40-49 ans 50-59 ans >60 ans Ensemble
Première Hommes 4.4% 16.7% 32.2% 46.7% 100% (90)
(1979-1984)
Femmes 21.7% 21.7% 30.4% 26.1% 100% (23)
Deuxième Hommes 6.0% 28.6% 28.6% 36.9% 100% (84)
(1984-1989)
Femmes 5.3% 47.4% 10.5% 36.8% 100% (19)
Troisième Hommes 3.6% 41.0% 32.5% 22.9% 100% (83)
(1989-1994) 
Femmes 14.3% 57.1% 23.8% 4.8% 100% (21)
Quatrième Hommes 2.6% 27.3% 48.1% 22.1% 100% (77)
(1994-1999) 
Femmes 3.4% 37.9% 48.3% 10.3% 100% (29)
Cinquième Hommes 3.4% 19.0% 56.9% 20.7% 100% (58)
(1999-2004) 
Femmes 4.9% 29.3% 51.2% 14.6% 100% (41)

«Vraisemblablement, on va essayer de couvrir le maximum de circonscriptions,


entre 400 et 500 probablement, et on le fera avec la parité également. On a une im-
age de machos et… Voilà, on fera avec la parité, on sera les seuls à faire la parité,
avec les Verts d’ailleurs. Les autres partis politiques ont déjà annoncé qu’ils ne
respecteraient pas la parité, François Hollande a fait une conférence de presse…
Parce que le non-respect de la parité aux élections législatives, c’est une sanction
financière et comme les enveloppes qu’ils touchent sont déjà… Ils préfèrent faire
une économie d’argent plutôt que de mettre la parité qu’ils ont votée et demandée.
Donc, cela va faire un merveilleux terrain de bataille là-dessus […] et puis c’est le
moyen de faire voir aux gens… Moi, je suis contre la parité, ma collègue est contre,
on est contre, je suis contre, je comprends pas qu’on puisse imposer la parité mais
à partir du moment où on a une règle, on va aller au bout du raisonnement, on va
pousser le… Bon, on va montrer qu’on peut le faire […] Enfin là, on va le faire
pour indiquer que… donner un signe fort à l’extérieur » (Entretien avec Michel
Raymond, septembre 2001).

Dans cet extrait, il tient à insister sur la capacité de son parti à se conformer
à ces nouvelles contraintes lors des élections législatives de 2002.
Le mode de scrutin constitue bien un élément à prendre en compte dans
l’étude de la féminisation des élus français au PE, mais il ne prend de signi-
fication que ramené à plusieurs autres facteurs : la position plutôt périphé-
rique du PE dans le champ politique français, et l’émergence plus globale
de la problématique « parité » dans l’espace public. Partant, il convient à
Les femmes au Parlement européen 675

Tableau 2 : répartition de l’âge des eurodéputées élues en France entre 1979 et 2004 selon
leur positionnement politique

<40 ans 40-50 ans 50-60 ans >60 ans Ensemble


Gauche 8% (4) 40% (20) 44% (22) 8% (4) 100% (50)
Droite 5% (2) 26% (11) 31% (13) 38% (16) 100% (42)
Ensemble 6.5% (6) 33.5% (31) 38% (35) 21% (20) 100% (92)

présent de préciser les conséquences de ce processus sur les propriétés des


élus et l’exercice du mandat.

Le genre comme ressource politique ?

La féminisation du personnel politique européen en France – mais aussi


dans les autres pays – est, dès l’origine, avant tout le fait des partis de gau-
che (Norris et Franklin 1997 : 193). Dans la délégation française en 1979,
les femmes représentent plus de 22% des élus socialistes et communistes.
Le taux de féminisation du personnel issu des Verts, du PS et du PCF n’a
dès lors cessé d’augmenter : 26.5% en 1984, 32% en 1989, 42% en 1994
et 49% en 1999. Parmi les cinq élus de la liste LO-LCR on comptait même
quatre femmes pour un homme. La féminisation du personnel de droite
apparaît en revanche beaucoup plus tardive et aléatoire. De 18% lors de la
première législature, elle tombe à 14.5% au cours de la seconde, passant
même à moins de 12% au cours de la troisième. Elle progresse à nouveau
à partir de 1994 (16%) pour atteindre plus de 31% entre 1999 et 2004, re-
joignant progressivement les niveaux caractéristiques des partis de gauche.
Contrastant avec la faiblesse traditionnelle de la représentation féminine
dans les institutions politiques françaises, la forte proportion de femmes
élues au PE interroge en soi les mécanismes de sélection et de recrutement
des eurodéputés français. A la différence d’autres assemblées, le genre
constitue au PE une propriété sociale positive et distinctive. Plus jeunes
que les hommes et moins dotées en ressources sociales, les femmes élues
au PE détiennent également moins de mandats politiques, notamment les
plus légitimes d’entre eux.
676 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

Des femmes plus jeunes et moins dotées en propriétés socioculturelles


Les femmes sont tout d’abord plus jeunes que leurs homologues masculins
(Tableau 1). Un phénomène observable notamment à partir de la troisième
législature. L’entrée de femmes plus jeunes a de fait beaucoup participé au
rajeunissement des élus français. Plus nombreuses à gauche, les femmes
y sont aussi plus jeunes qu’à droite (Tableau 2). Si moins d’une élue de
gauche sur dix a plus de soixante ans, c’est le cas de près de quatre élues
sur dix à droite.
Au regard de leurs propriétés socioculturelles – deuxième ensemble
d’indicateurs –, les élues européennes appartiennent très largement aux
catégories supérieures de l’espace social, ce qui ne les différencient pas en
cela des hommes, pas plus que les élus européens pris dans leur ensemble
ne se distinguent, de ce point de vue, de l’élite politique nationale. Cepen-
dant, par leurs propriétés sociales, les femmes se positionnent beaucoup
plus fortement que leurs homologues masculins dans les fractions cultu-
relles et récentes des catégories supérieures. Moins souvent universitai-
res (6.5% contre 12.5% pour les hommes), chefs d’entreprise (1% contre
10%) et hauts fonctionnaires (5.5% contre 18.5%), elles sont en revanche
plus fréquemment cadres supérieurs de la fonction publique (6.5% contre
3%), enseignantes dans le secondaire (11% contre 6.5%), institutrices ou
éducatrices (6.5% contre 1.5%). De plus, même en faible proportion, les
femmes se situent davantage parmi les catégories sociales intermédiaires
(13% contre 6%) et populaires (7.5% contre 4.5%), notamment cadres in-
termédiaires, employées et ouvrières (Tableau 3).
Les différences partisanes, non négligeables, confirment au niveau des
femmes les logiques classiques du recrutement politique (Gaxie 1980) :
la féminité ne masque évidemment pas les clivages en termes de position
sociale au sein du champ politique. Les élues recrutées sur les listes de
gauche sont plus fréquemment issues du secteur public et du pôle culturel
des catégories supérieures, avec des professions d’origine telles qu’uni-
versitaires (10% des députées de gauche contre 2.5% à droite), enseignan-
tes dans le secondaire (16% contre 5%), institutrices ou éducatrices (10%
contre 2.5%). C’est aussi à gauche que se perçoit la plus forte proportion
de députées issues des catégories populaires de l’espace social (12% contre
2.5%). Des constats que l’on retrouve en grande partie auprès des hommes
(Tableaux 3 et 4).
Un examen des parcours et propriétés scolaires conduit à des conclu-
sions proches : les eurodéputées françaises attestent de ressources scolaires

Tableau 3 : Distribution de la profession d’origine des eurodéputés élus en France entre 1979 et 2004 selon le sexe et le positionnement poli-
tique

Profession Femmes Hommes


Gauche Droite Ensemble Gauche Droite Ensemble
Effectifs % Effectifs % Effectifs % Effectifs % Effectifs % Effectifs %
Agriculteur 0 0% 2 5% 2 2% 5 5% 12 7% 17 6%
Chef d’entreprise 0 0% 1 2.5% 1 1% 5 5% 23 14% 28 10%
Profession libérale 4 8% 3 7% 7 7.5% 15 14% 21 12% 36 13%
Cadre supérieur du privé 3 6% 6 14% 9 10% 8 7% 21 12% 29 10.5%
Haut fonctionnaire 2 4% 3 7% 5 5.5% 9 8% 42 25% 51 18.5%
Universitaire 5 10% 1 2.5% 6 6.5% 24 22% 10 6% 34 12.5%
Cadre supérieur du public 5 10% 1 2.5% 6 6.5% 3 3% 5 3% 8 3%
Enseignant du secondaire 8 16% 2 5% 10 11% 11 10% 7 4% 18 6.5%
Journaliste 4 8% 4 9.5% 8 8.5% 9 8% 7 4% 16 6%
Artisan/commerçant 0 0% 0 0% 0 0% 0 0% 5 3% 5 2%
Cadre intermédiaire du privé 1 2% 3 7% 4 4.5% 0 0% 4 2% 4 1.5%
Les femmes au Parlement européen

Cadre intermédiaire du public 1 2% 0 0% 1 1% 1 1% 1 1% 2 0.5%


Instituteur 5 10% 1 2.5% 6 6.5% 3 3% 1 1% 4 1.5%
Paramédical 0 0% 1 2.5% 1 1% 1 1% 0 0% 1 0.5%
Employé/ouvrier 6 12% 1 2.5% 7 7.5% 9 8% 3 2% 12 4.5%
Sans profession 1 2% 1 2.5% 2 2.1% 1 1% 1 1% 2 0.5%
Non renseignée 5 10% 12 28% 17 18.5% 5 4% 5 3% 10 3%
Ensemble 50 100% 42 100% 92 100% 109 100% 168 100% 277 100%
677
678 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

Tableau 4 : Répartition d’indicateur de position sociale des eurodéputés élus en France
entre 1979 et 2004 (N = 369) selon le sexe et la position politique

Femmes Hommes
Gauche Droite Ensemble Gauche Droite Ensemble
(50) (42) (92) (109) (168) (277)
Activité pro- 38% (19) 48% (20) 42% (39) 42% (46) 56% (95) 51%
fessionnelle (141)
d’origine dans
le secteur privé
Catégorie so- 12% (6) 2,5% (1) 8% (7) 8% (9) 1% (2) 4% (11)
ciale d’origine
populaire
Niveau de 44% (22) 33% (14) 39% (36) 61% (66) 51% (85) 55%
diplôme à bac (151)
+5
Titulaire d’un 22% (11) 12% (5) 17% (16) 33% (36) 15% (25) 22% (61)
doctorat

moins élevées que leurs collègues masculins. Elles sont par exemple moins
fréquemment diplômées d’un Institut d’études politiques (IEP) (12% contre
22.5%), d’une grande école (15% contre 31% des hommes), notamment de
la prestigieuse École nationale d’administration (ENA) (3% contre 10%)
(Graphique 2). Faisant certes état d’une forte proportion de parcours uni-
versitaires, elles s’avèrent cependant moins dotées en capital scolaire que
les hommes. Moins souvent titulaires d’un doctorat (17% contre 22% pour
les hommes) ou d’un diplôme à bac +5 (38,5% avec un niveau bac +5
contre 55%), elles présentent davantage un niveau d’étude à bac +3/4 (31%
contre 21.5%) – on doit voir ici la forte présence d’enseignantes du secon-
daires au PS et chez les Verts.
La distribution des propriétés sociales et scolaires entre les élues de
droite et de gauche apparaît à nouveau assez contrastée. En effet, les euro-
députées de droite – à l’instar de leurs homologues masculins – sont moins
dotées en capital scolaire (33% diplômées à un niveau bac +5 contre 44%
à gauche ; respectivement 12% et 22% avec un doctorat) (Tableau 4). Plus
proches du pôle économique, elles fondent davantage leurs carrières po-
litiques sur une reconversion de notabilités locales. En revanche, si les
élues de gauche semblent moins bien situées dans la hiérarchie sociale
d’un point de vue économique, il apparaît clairement que leurs parcours
sociaux et politiques reposent plus fortement sur une rentabilisation de leur
capital scolaire (36% d’entre elles ont exercé une profession enseignante
Les femmes au Parlement européen 679

Graphique 2 : Variations des propriétés scolaires des eurodéputés élus en France entre 1979
et 2004 (N = 369) selon le sexe

60
55
50

40 38.5
31 31
30
22.5 22 21.5
20 17
15
12
10

0
IEP Grande école Doctorat Bac +5 Bac +3/4

Hommes Femmes

contre 10% pour celles de droite, respectivement 35% et 11% pour les
hommes) (Tableau 3).

Des femmes moins dotées en capital politique


Également clivées par le sexe : les trajectoires politiques. Les élues fran-
çaises du PE s’avèrent moins dotées en propriétés symboliques, comme
le suggèrent le nombre d’ouvrages publiés (seules 30% des femmes ont
au moins une publication contre 43% des hommes) et les décorations de
niveau international (4% contre 12%), national (17% contre 32%) ou celles
propres à des secteurs spécifiques – palmes académiques, mérite agricole,
etc. – (11,5% contre 31%).
Elles apparaissent également moins dotées en capital politique, comme
l’indiquent les indicateurs de mandats électifs (Graphique 3). A leur entrée
au Parlement, les carrières politiques des femmes, aussi bien nationales
que locales, sont plus courtes que celles des hommes (4% des élues euro-
péennes présentent une carrière nationale de plus de 15 ans contre 19% des
députés masculins et 15% d’entre elles une carrière locale de plus de 15
ans contre 28%). Elles ont moins fréquemment exercé une fonction gou-
vernementale (14% contre 20% pour leurs collègues masculins), des man-
680 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

Tableau 5 : Indicateurs de trajectoire politique des eurodéputés élus en France entre 1979 et
2004 (N = 369) selon le sexe et la position politique

Femmes Hommes
Gauche Droite Ensemble Gauche Droite Ensemble
(50) (42) (92) (109) (168) (277)
Ministre 10% (5) 19% (8) 14% (13) 15% (17) 23% (39) 20% (56)
Député 12% (6) 19% (8) 15% (14) 36% (39) 46% (77) 42% (116)
Conseiller ré- 24% (12) 33% (14) 28% (26) 38% (41) 45% (76) 42% (117)
gional
Conseiller gé- 14% (7) 21,5% (9) 17% (16) 31% (34) 38% (63) 35% (97)
néral
Maire 16% (8) 7% (3) 12% (11) 30% (33) 35% (59) 33% (92)
Première fonc- 49% (24) 17% (7) 23% (21) 41% (44) 19% (32) 27% (76)
tion politique
dans un appareil
Première fonc- 6% (3) 19% (8) 12% (11) 2% (2) 8% (13) 5% (15)
tion politi-
que en tant
qu’eurodéputé
Première fonc- 10% (5) 19% (8) 14% (13) 11% (12) 20% (34) 17% (46)
tion politique
dans un cabinet
politico-admini-
stratif

dats nationaux (81% avec aucun mandat contre 55% pour les hommes) et
locaux (37% n’ont jamais eu de mandats locaux contre 30% des hommes),
que ce soit conseillère générale (17% contre 35%), présidente d’un Conseil
régional ou général (2% contre 10%), ou maire (11.5% contre 33%). Les
différences hommes/femmes s’atténuent ou s’inversent cependant à me-
sure que l’on se rapproche des mandats situés au plus bas de la hiérarchie :
29.5% ont été conseillère régionale contre 42.5% des hommes, 44.5% ont
été conseillère municipale ou adjointe au maire contre 33.5%, tandis que
10.5% ont été suppléante d’un député contre 7.5%. Le type d’entrée dans
la carrière confirme le plus faible niveau de capital politique. L’entrée en
politique des femmes, plus tardive (4% d’entre elles posent leur première
candidature avant 30 ans contre 15% des hommes, 40% accèdent à un
premier mandat électif avant 40 ans contre 54%), fait davantage suite à un
investissement dans un appareil politique (34% contre 27.5% des hommes)
qu’à un passage dans un cabinet politico-administratif (ministériel notam-
Les femmes au Parlement européen 681

Graphique 3 : Variations des mandats occupés par les eurodéputés élus en France entre
1979 et 2004 avant leur élection au Parlement selon le sexe

50
45 44.5
42 42.5
40 39.5
35 33.5
35 33
30 29.5
25
20
20 17
15 16
15 14
11.5
10
5
0
Ministre Député Maire Conseiller Conseiller Conseiller Cumul
général régional municipal/ national/
adjoint local

Hommes Femmes

ment) (14% contre 17%).12 Pour 12% d’entre elles, le mandat européen
correspond même à une entrée dans le champ politique (contre 5% pour
les hommes).
Le découpage droite/gauche se retrouve là-aussi. Les députées de droite
ont été plus fréquemment ministre (19% contre 10% à gauche), députée
(19% contre 12%), conseillère régionale (33% contre 24%) et conseillère
générale (21.5% contre 14%), mais moins souvent maire (7% contre 16%).
Celles de gauche ont plus souvent exercé leur première fonction politique
au sein d’un appareil (50% contre 17% à droite), alors qu’à droite, c’est
plutôt en tant que député européen (19% contre 6% à gauche) ou dans un
cabinet politico-administratif (19% contre 10%). Des écarts une fois en-
core proches pour les hommes (Tableau 5). Enfin, les députées de gauche
publient davantage d’ouvrages que celles de droite, ces dernières étant en
revanche plus souvent décorées (32% ont une décoration nationale à droite
contre 6% à gauche).
La répartition des précédents mandats, des modalités d’entrée dans la
carrière politique et des propriétés symboliques, signalent donc une diffé-

12
A noter que certaines données personnelles, telles que la maternité et les responsabilités
familiales qui en découlent, expliquent aussi en partie l’entrée tardive des femmes en poli-
tique (cf. Sineau 2001).
682 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

renciation suivant le sexe des élus : les femmes étant moins dotées en capi-
taux politiques. Le mandat européen représente plus souvent pour les fem-
mes une opportunité de professionnalisation politique. Plus précisément,
le fait d’être une femme se combine plus souvent, à gauche avec des res-
sources scolaires et un parcours au sein de l’appareil politique, et à droite
avec des ressources acquises lors de compétitions politiques, souvent tout
de même dans l’ombre de leaders locaux et nationaux. Ce sont des écarts
que l’on retrouve toutefois, plus ou moins, du côté des hommes.

Des femmes disposées à investir l’activité parlementaire européenne

L’observation in situ des députées au sein de l’assemblée permet de pour-


suivre la réflexion précédente sur les modalités de leur élection, et de
mettre l’accent sur les logiques sociales d’investissement du mandat et de
construction des rôles parlementaires européens.
L’étude des pratiques d’assemblée montrent en premier lieu que le genre
perd en intérêt dès qu’il s’agit d’accéder aux trophées internes à l’institu-
tion. La promotion du genre sur le marché politique européen répond donc
bien, en partie, à son instrumentalisation par les organisations partisanes, à
des fins électorales. Fonction de l’ancienneté, l’accès aux positions de lea-
dership (présidence, vice-présidence de commission, de groupe, membre
du bureau du PE) et la prise de rapports parlementaires varient de manière
significative selon le sexe : d’après nos calculs auprès des 78 élus de 2004
en France, 33% des hommes ont occupé ou occupent une position de lea-
dership contre 18% pour les femmes et, entre juin 2004 et juillet 2007, les
hommes ont en moyenne présenté 2.3 rapports parlementaires contre 1.9
pour les femmes, et ce même si hommes et femmes font état d’une ancien-
neté équivalente (2.0 mandats). Ces variations internes illustrent en cela
les limites de l’action législative en vue de la promotion de l’égalité entre
hommes et femmes à tous les niveaux de l’action politique.
S’ils découlent de la persistance des inégalités de genre, il n’en demeure
pas moins que ces écarts sont aussi explicables par la distribution différen-
tielle de capitaux politiques entre hommes et femmes (cf. supra). De fait,
les modes d’investissement et modalités d’appropriation du mandat par les
élues sont loin d’être uniformes : ils varient fortement selon les caractéris-
tiques sociales et politiques des élues. Ainsi, les élues dont les trajectoi-
res politiques sont directement dirigées vers le centre du champ politique
(anciennes ministres ou députées nationales, considérées et se considérant
Les femmes au Parlement européen 683

avant tout comme des élues « nationales ») et généralement dans l’attente


d’une position durable à l’Assemblée nationale ou au gouvernement in-
vestissent peu le PE. Celui-ci demeure pour elles une scène précisément
secondaire (Michèle Alliot-Marie, Roselyne Bachelot, Elisabeth Guigou).
Dans leur cas, la durée du mandat européen est généralement de courte
durée allant de quelques mois à quelques années, une démission survenant
fréquemment en cours de mandat à la faveur d’une alternance politique ou
d’une élection législative. Leur présence effective au PE s’avère également
plus épisodique, l’activité parlementaire se réduisant souvent à voter lors
des sessions plénières. Les pratiques concrètes de ces élues tendent ainsi à
s’orienter vers des formes de dilettantisme souvent dénoncées par les dé-
putées les plus investies – des observations somme toute assez semblables
auprès des hommes.
Une attitude différente se retrouve chez les élues également bien dotées
en capital politique, mais en situation de « fin de carrière » ou de mar-
ginalisation durable des institutions nationales centrales, telles Catherine
Lalumière ou Simone Veil. Elles occupent dans l’assemblée des positions
indexées à un capital symbolique propre à celles et ceux qui dominent et
qui n’ont rien à prouver pour exister et être reconnus. C’est d’autant plus
vrai lorsque, comme Catherine Lalumière, une expérience européenne – le
fait d’avoir été commissaire européen ou secrétaire général du Conseil de
l’Europe – complète le capital politique acquis sur la scène nationale. Les
postures adoptées ne sont dès lors pas très éloignées de positions sym-
boliques destinées à mettre en scène et rappeler l’histoire dont elles sont
porteuses.
Mais il ne s’agit pas là des postures les plus caractéristiques des élues
européennes. En effet, l’étude des modes de recrutement des femmes po-
litiques françaises au PE atteste d’une relative faiblesse de leurs ressour-
ces, aussi bien sociales et culturelles (notamment scolaires) que politiques,
ce qui les différencie de façon relative de leurs homologues masculins.
Le surinvestissement des rôles peut dès lors représenter une stratégie de
compensation d’une structure de ressources et d’une légitimité politique,
parlementaire et européenne moins favorable. Les dispositions de ces élues
(Aline Pailler, Françoise Grossetête, Marie-Claude Vayssade) se caracté-
risent ainsi par une forme de « bonne volonté » à l’égard de l’institution
et des rôles qui y sont prescrits. Plus faiblement dotées en propriétés poli-
tiques, peu familiarisées par leurs parcours politiques et sociaux au fonc-
tionnement des espaces politiques et aux savoir-faire du professionnel de
la représentation, de nombreuses élues revendiquent une posture de « tra-
684 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

vailleuses assidues » voire « appliquées » sinon « scolaires ». Elles met-


tent ainsi fréquemment en avant le caractère très « prenant » de leur travail,
comme par exemple celle-ci :
« Quand vous arrivez ici, vous avez plein de choses à découvrir. Il ne faut pas
arriver en pensant que vous allez tout connaître du jour au lendemain. Et il faut
s’imposer, les français n’ont pas toujours la réputation de travailler, en plus donc il
faut s’imposer par le travail. Ici, si vous travaillez, il n’y a aucun problème […]. J’ai
travaillé énormément, ça c’est sûr, j’ai travaillé beaucoup, beaucoup. Mais j’aime
bien ce que je fais. Je ne souffle pas pendant l’année, je n’arrête pas, je travaille
tout le temps ».13

De tels investissements peuvent s’inscrire dans des domaines très variés


en fonction de leurs intérêts personnels ou politiques, au sein de diverses
commissions. Car ces formes de dévouements à l’institution et de surin-
vestissements des rôles par des entrants dans le champ politique offrent la
possibilité de renforcer une légitimité parfois fragile, avec la perspective
d’une reconnaissance qui peut alors donner lieu à l’accès à des positions de
leadership (vice-présidente d’un groupe comme F. Grossetête avant 2004,
présidence de l’institution comme N. Fontaine au cours de la cinquième
législature) et à l’acquisition d’un véritable crédit politique, capital spé-
cifique de l’institution européenne, éventuellement reconvertible dans le
champ politique national, ne serait-ce que dans la mesure où il contribue
à assurer le renouvellement du mandat. Dès lors, l’espace parlementaire
européen peut donner lieu à de véritables chemins alternatifs de profes-
sionnalisation politique dans la mesure où les ressources acquises dans
l’institution parviennent à être réinvesties dans l’organisation partisane. En
ce sens, si on dépasse les opinions idéologiquement négatives – caractéris-
tiques par exemple des élues d’extrême gauche dont le refus de jouer le jeu
parlementaire constitue un mode de gestion du mandat et des contraintes
de la représentation – les rapports subjectifs à l’institution sont toujours
très positifs puisqu’ils s’insèrent d’une part dans le cadre de trajectoires
politiques et sociales ascensionnelles et d’autre part dans le fait que le PE,
bien qu’à la périphérie du champ politique, constitue une position inespé-
rée, synonyme d’importantes rétributions symboliques et financières.
La démarche politique de nombreuses femmes apparaît dès lors très
entrepreunariale tant à l’égard des espaces sociaux extérieurs au champ po-
litique, qu’à l’égard du Parlement où les investissements sont soutenus et
principalement dirigés vers des commissions secondaires ou moins légiti-

13
Entretien avec une femme parlementaire, cité par Akrivou et Lysoe (1998).
Les femmes au Parlement européen 685

mes, mais parfois susceptibles de procurer de fortes plus-values politiques.


De facto, entre 1979 et 2004, les députées françaises sont plus fréquemment
inscrites dans des commissions moins prestigieuses : Environnement, santé
publique et politique des consommateurs, Juridique et marché intérieur, et
surtout Emploi et affaires sociales (14% contre 3,5% pour les hommes) ou
Culture, jeunesse, éducation, médias et sports (11% contre 4%).14 Or, cor-
rélativement à l’émergence d’un espace européen de politiques publiques,
à la succession des traités et l’apparition de nouvelles procédures législati-
ves, la place du Parlement dans le policy making européen s’est renforcée
(Costa 2001). En conséquence, une partie de ces commissions (Environne-
ment, santé publique et politique des consommateurs, Industrie, commerce
extérieur, recherche et énergie, Contrôle budgétaire et Juridique et marché
intérieur) permettent de réinvestir des ressources intellectuelles et des dis-
positions au travail car, tout en étant situées au cœur même des stratégies
de l’institution dans la configuration propre du système politique européen,
elles offrent la possibilité de suivre des questions et de rédiger des rapports
à haute teneur « technique », précisément valorisés à partir de la fin des
années 1980. Du fait de la procédure de co-décision ou de la centralité des
questions budgétaires, ces commissions et les questions qu’elles traitent
se situent en effet au centre des enjeux institutionnels.15 La production par
le Parlement d’une expertise technique susceptible de concurrencer celle
de la commission dans des domaines a priori peu politiques et fortement
techniques est de fait au cœur des stratégies institutionnelles. De la sorte,
avec l’approfondissement de la construction européenne à partir de 1986
et surtout 1992, de véritables opportunités d’acquisition d’un nouveau type
de capital politique ont émergé pour des acteurs qui étaient socialement
et politiquement disposés à « jouer le jeu » et à s’investir massivement,
parmi lesquels, en particulier, de nombreuses femmes. Dès lors, l’histoire
de l’institution ne peut être complètement détachée de cette rencontre en-
tre, d’une part des trajectoires politiques relativement inattendues dans une
institution de niveau parlementaire mais longtemps peu légitime, et d’autre
part des procédures juridiques très spécifiques (Beauvallet 2007).
Les pratiques parlementaires des élues européennes ne peuvent donc
pas se comprendre en dehors de la prise en compte des propriétés sociales

On retrouve ainsi des pratiques et des types de cantonnement caractéristiques d’autres


14

assemblées politiques : Achin (2005).


15
Sur la place du Parlement et de la commission du contrôle budgétaire dans la crise de la
commission en 1998–99 : Georgakakis (2000).
686 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

et politiques qui sont les leurs. Plus qu’une caractéristique de la féminité


en politique comme le suggèrent certains discours, les formes d’investis-
sement à l’Europe sont surtout à mettre en relation avec les spécificités du
recrutement politique des élues. Ces dernières exercent avec un effet gros-
sissant des processus que l’on retrouve aussi bien chez les hommes, mais
dont le recrutement est plus éclaté.

Conclusion

Le mode de scrutin en vigueur pour les élections européennes en France


jusqu’en 2004 – scrutin proportionnel de liste dans le cadre d’une circons-
cription unique – a sans aucun doute favorisé l’ouverture du recrutement
politique aux femmes. Il s’agit là d’une variable essentielle dans le pro-
cessus. L’enquête montre cependant qu’elle ne fait sens que de manière
combinée avec la position du PE dans le champ politique français, les
luttes inter et intra partisanes visant à modifier les règles du recrutement
politique ou encore les enjeux qui traversent l’espace public à un moment
donné. En France, la féminisation du personnel politique européen est la
conséquence d’usages particuliers de l’élection européenne par les acteurs
politiques (notamment au sein des partis de gauche), usages qui ne font
sens que dans la restitution des jeux plus larges au sein desquels ils sont en-
gagés. En utilisant la féminisation comme un élément de singularisation de
l’offre électorale – une stratégie elle-même rendue possible par la structure
particulière de ces élections – mais aussi, au sein même des partis, comme
un élément de distinction entre postulants concurrents, l’ensemble des ac-
teurs ont favorisé une transformation des normes de la sélection politique
et contribuer à l’émergence d’une nouvelle ressource, particulièrement ef-
ficiente sur les scrutins de liste.
Cependant, si l’ouverture d’un nouvel espace (européen) de compéti-
tion politique a contribué à modifier les règles dans l’ensemble du champ
politique, cette redéfinition demeure finalement très inaboutie, comme en
témoigne la persistance d’une faible représentation des femmes aux éche-
lons les plus élevés de la hiérarchie politique, et ce y compris après le vote
des lois sur la parité. Autrement dit, la modification des règles du jeu poli-
tique a plus de chances de toucher la périphérie du champ que son centre,
les effets d’inertie y étant particulièrement forts.
Au niveau européen, l’ouverture du recrutement politique en direction
des femmes a eu pour conséquence l’entrée d’élues moins familiarisées
Les femmes au Parlement européen 687

avec le métier politique. Cette dimension n’est alors pas sans conséquence
sur la transformation des rapports politiques au mandat européen, les fa-
çons de se le représenter, les façons de l’incarner à l’intérieur comme à
l’extérieur de l’assemblée. D’un mandat « secondaire », le mandat euro-
péen s’impose progressivement comme un mandat primaire avec tout ce
que cela implique en termes de « bonne volonté » politique.

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Die Frauen im Europäischen Parlament : Effekte von Wahlverfahren, Strate-


gien und politischen Ressourcen am Beispiel der französischen Delegation

Ziel des vorliegenden Artikels ist es, zur Erklärung der Feminisierung der franzö-
sischen Abgeordneten im Europäischen Parlament in den 1990er Jahren beizutragen.
Das Wahlverfahren spielte dabei eine wichtige Rolle, sein Einfluss wirkte aber nur im
Zusammenhang mit der Stellung des Europäischen Parlaments in der französischen
Politik und mit der damaligen Konfiguration der politischen und gesellschaftlichen
Konflikte in Frankreich. In diesem Rahmen erweist sich, im Europäischen Parlament
eher als im nationalen, das Geschlecht als politische Ressource. Es werden Frauen
gewählt, die mit der politischen Tätigkeit weniger vertraut sind, sich daher mehr an der
“guten Absicht” des Parlaments orientieren und versuchen, ihren Mangel an politischer
Erfahrung und Legitimität durch überdurchschnittlichen Einsatz auszugleichen. Die
Sonderstellung, die sie mit ihren Beiträgen im Parlament mitunter einnahmen, ergab
sich also weniger aus einer mutmasslichen “weiblichen Natur”, sondern resultierten
aus verschiedenen soziopolitischen Prozessen.

Women in the European Parliament : Effects of Electoral Systems, Strategies


and Political Resources. The Case of the French Delegation

This article aims to contribute to the explanation of the feminisation of the French
Delegation to the European Parliament (EP) in the 1990s. The electoral system played
an important role, but it could only exert its influence in the presence of other factors,
namely the EP’s position in French politics and the specific configuration of socio-
political cleavages in France during the 1990s. In the context of these, and at the EP
level rather than at the national level, gender became an important political resource.
Women were elected who were not so familiar with professional politics, concentrated
690 Willy Beauvallet et Sébastien Michon

on the deputy’s “benevolent” character, and showed particularly high levels of per-
sonal commitment in order to make good for their lack of experience and legitimacy.
The somewhat special stances they sometimes took in parliament thus resulted from
certain socio-political processes rather than from a putative “feminine nature”.

Sébastien Michon est post-doctorant associé au Groupe de sociologie politique européenne


(PRISME-GSPE CNRS UMR 7012). Actuellement, il poursuit ses recherches sur les euro-
députés et leurs collaborateurs, ainsi que sur les mobilisations collectives étudiantes. Il a
récemment publié : « Assistant parlementaire au Parlement européen : un tremplin pour
une carrière européenne » Sociologie du travail 50(2) : 169–83 et Passer par un groupe
d’intérêt. (Dans Michel, H. (2006) (dir.), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne.
Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg (89–111)).

Adresse pour correspondance : Maison interuniversitaire des sciences de l’homme d’Al-


sace, Allée du Général Rouvillois 5, FR-67083 Strasbourg, France. E-mail : sebastien.mi-
chon@misha.fr.

Willy Beauvallet est chercheur associé au Groupe de sociologie politique européenne (PRIS-
ME-GSPE CNRS UMR 7012). Auteur et coauteur de plusieurs articles sur les parlemen-
taires européens, il a récemment soutenu une thèse sur : Profession : eurodéputé. Les élus
français au Parlement européen et l’institutionnalisation d’une nouvelle figure politique et
élective (1979–2004) (2007, Université Robert Schuman de Strasbourg). Il poursuit actuel-
lement des recherches sur la sociologie des élites et de l’espace politiques européens.

Adresse pour correspondance : Maison interuniversitaire des sciences de l’homme d’Al-


sace, Allée du Général Rouvillois 5, FR-67083 Strasbourg, France. E-mail : w.beauvallet@
yahoo.fr.

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