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Siège central pour toute correspondance:
Ch. carrington,
Libraire-Editeur,
10.Rue de la Tribune, 10
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BRUXELT.es (Belgique).
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University of Illinois Urbana-Champaign

http://archive.org/details/algrieOroze
L'UNIVERS
e » »»B«»a»« »« •«

HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES.

ALGERIE.
ETATS TRIPOLITAINS
TUNIS.
PARIS.
TYPOGRAPHIE DE FIRM1N DIDOT FRÈRES,
RUE JAGOB, 56.
ALGÉRIE,
PAR MM. LES CAPITAINES DU GÉNIE,

ROZET ET CARETTE.

ETATS TRÏPOLITAINS,
PAR M. LE D r FERD. HOEFER.

TUNIS,
PAR LE D r LOUIS FRANK,
ANCIEN MÉDECIN DU BEY DE TUBIS ET DE L'ARMEE D'EGYPTE ;

REVUE ET ACCOMPAGNÉE D'UN PRÉCIS HISTORIQUE,


PAR M. J. MARCEL,
ANCIEN MEMBRE DE I.'lNSTITUT D'EGYPTE, PBOFESSEUR SUITLÉANT
AU COLLEGE DE FRANCE.

PARIS,
FIRMIN DIDOT FRERES, EDITEURS,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 50.

1850.
Al35
L'UNIVERS
OU

HISTOIRE ET DESCRIPTION
l
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, etc.

ÂLGEB,
PAR M. P. ROZET (*),

CAPITAINE DU GENIE AU CORPS ROYAL d'ÉTAT-MAJOR»

CONSTITUTION PHYSIQUE. des rivières et des ruisseaux auxquels


est due toute leur fertilité.
ALGER, plus puissante des ré-
la
Les plaines les plus remarquables sont
gences barbaresques élevées sur les
celles de Constantine, à vingt lieues
:
débris de l'empire des Maures , possé-
dans l'intérieur des terres celle de la;
dait toute la portion septentrionale du
Métidja, comprise entre le littoral
continent africain comprise entre la
d'Alger et le petit Atlas; une troi-
chaîne du grand Atlas , le 6 e degré de
sième qui commence un peu à l'ouest
longitude orientale et le 4e degré de
de la Métidja et qui s'étend jusqu'à
longitude occidentale , comptée du mé-
Mostaganem; enfin la grande plaine
ridien de Paris, ou une étendue de pays
d'Oran à Telmecen, renfermée entre
de 200 lieues de long sur 70 à 80 de large.
le petit Atlas et la côte.
Ce pays est traversé dans le sens de Les fleuves principaux sont
le Ché- :
sa longueur, c'est-à-dire de l'est à
tif, auquel géographes donnent
les
l'ouest , par deux chaînes de monta-
cent lieues de cours, qui prend sa
gnes très-élevées le grand et le petit
,
source sur le versant nord du grand
Atlas , dont l'une borde le vaste désert
Atlas et va se jeter à la mer, près
du Sahara , et l'autre longe la côte de Mostaganem le Oued-Jer, qui tra-
;
dont elle ne s'éloigne jamais à plus de
verse la Métidja dans sa partie oc-
huit lieues. Celle-ci pousse même plu-
cidentale ; lisser, qui limite cette plaine
sieurs rameaux qui viennent tomber
à i'est ; fa rivière de Bougie , compo-
dans la mer, en formant des caps que
sée de la réunion de deux autres
le navigateur découvre d'une grande ,
l'Adouse et PAdjebby; la rivière de
distance et qui guident sa course.
Constantine , dans le lit de laquelle on
Entre les diverses ramifications de
prétend avoir trouvé tout récemment
ces deux chaînes se trouvent compri-
des diamants; enfin, la Seibouse, qui
ses de grandes vallées et des plaines
a son embouchure tout près de Bone.
étendues , arrosées par des fleuves ,
Ces fleuves ne sauraient se comparer,
Extrait par lui de ses deux ouvrages sur
(*) f)Our le volume des eaux, à ceux de
larégence d'Alger Relation de la guerre
: 'Europe : j'ai passé, en hiver, pen-
d'Afrique, 2 vol.; i83i. Voyage dans la dant la fonte des neiges et après plu-
régence d'Alger, 3 vol. et atlas; i833. sieurs jours de pluie, le Oued-Jer sur
re
l Livraison. (Alger.)

716681
L'UNIVERS.
les cailloux de son lit. Ces fleuves et les plusgrandes chaleurs de Y été, il
beaucoup de rivières moins considé- ne dépasse pas 34°, excepté quand le
rables conservent de l'eau pendant vent du sud règne où il monte jus-
,

toute l'année; mais les ruisseaux et qu'à 38°; alors la chaleur est insup-
les petites rivières sont souvent à sec portable et on a de la peine à respi-
dans l'été, surtout ceux situés à une rer. En hiver le froid n'est jamais
,

certaine distance des montagnes. rigoureux dans les plaines et sur les
Les plaines renferment des lacs collines situées au sud du petit Atlas.
des étangs et des marais dont les ex-
, Je n'ai vu qu'une seule fois le thermo-
halaisons malfaisantes nuisent pendant mètre descendre à 1° au-dessous de 0°,
l'été à la salubrité du pays. Les ma- un jour que la plaine de la Métidja
rais de la Métidja rendent certaines était couverte de gelée blanche. Pen-
portions de cette plaine tout-à-fait dant tout le temps que je suis resté en
inhabitables. Dans sa partie occiden- Afrique, il n'y a jamais eu de glace
tale, il existe un lac peu considérable dans les environs d'Alger, ni d'Oran;
qui ne tarit jamais. Près d'Oran , on mais nous avons vu l'Atlas couvert
voit deux lacs dont le plus éloigné de plusieurs fois de neige , et nos soldats,
cette ville est beaucoup plus considé- pendant qu'ils occupaient Medéya, ont
rable que l'autre ; mais tous les deux pu marcher sur la glace qui s'était for-
se dessèchent entièrement en été. mée dans plusieurs mares, aux envi-
Toute la portion du petit Atlas que rons de cette ville.
nous avons parcourue est formée L'hiver, ou la saison des pluies,
d'un calcaire argileux , alternant avec commence vers le milieu de novem-
des marnes , et la forme des monta- bre et dure jusqu'aux premiers jours
gnes annonce que ces roches s'éten- de janvier non sans qu'il y ait encore
,

dent fort loin à l'est et à l'ouest. de temps en temps quelques beaux


Au pied sud de cette chaîne, nous jours. Avant le 15 de ce mois, la ver-
avons trouvé une masse de collines, dure , qui n'a disparu que vers le mi-
composée d'argile et de grès, qui pa- lieu de décembre , renaît , les arbres
raît remplir tout l'espace compris en- et les buissons se couvrent de feuilles
tre les deux Atlas. Des collines de et de fleurs qui embaument l'air. La
même nature régnent le long de la chaleur du soleil, qui commence à se
côte, jusqu'à une grande distance à faire sentir, est assez douce pour que
l'est et à l'ouest d'Alger; elles se re- l'on puisse se promener en plein midi ;

trouvent aux environs d'Oran et sur en un mot la fin de janvier est aussi
,

le littoral, jusqu'à plus de six lieues belle que le mois de mai aux environs de
à l'ouest de cette ville- Paris. Cependant de fortes pluies ac- ,

Le sol des plaines et le fond de la compagnées d'orages viennent encore,

plupart des vallées sont formés par quelquefois inonder la terre et forcer
un terrain d'alluvions , composé de l'Arabe et le Berbère à rentrer dans
couches d' argile, souvent très-épais- leur cabane mais au mois de juin le
; ,

ses, et de cailloux roulés. Çà et là on soleil a repris toute sa force , les pluies


rencontre quelques parties sableuses, ont cessé , les herbes commencent à
principalement sur le bord de la mer, se faner les moissons mûrissent et la
,

le long des plages , où les sables s'élè- vigne se charge de raisins.


vent souvent en dunes. Dans les premiers jours de juillet, les
abricots jaunissent et les raisins com-
mencent à mûrir; les orangers sau-
Quoique la température soit plus vages , qui ont conservé pendant tout
élevée dans la régence d'Alger que sur l'hiver des fleurs et des fruits, sont
aucun point de la côte méridionale de alors chargés d'une grande quantité de
l'Europe, le climat est encore assez petites oranges vertes qui seront mûres
tempéré ; la hauteur moyenne du ther- avant la fin d'octobre.
momètre est de 18° centigrades; dans Au mois d'août, la chaleur atteint
ALGER,
son maximum. Les herbes brûlées ont donnent leurs tentes pour se réfugier
disparu presque partout; les endroits dans les buissons et sous les arbres
marécageux exhalent alors des odeurs où règne plus de fraîcheur que sous
méphitiques très-pernicieuses pour les ces tissus de poil de chameau chaque ;

habitants des contrées voisines. C'est coup de vent est une bouffée de cha-
dans ce mois que les lièvres endémi- leur assez semblable à celles qui sor-
ques sont le plus dangereuses et que , tent d'un four allumé. La respiration
les soldats français en sont le plus at- devient extrêmement difficile , on
taqués. Dès les premiers jours de sep- éprouve des maux de tête et des lassi-
tembre, la chaleur devient supportable. tudes dans tous les membres; enfin,
Les journées d'octobre sont extrême- au bout de quelques heures, on est
ment agréables, quoique assez souvent comme anéanti. Dans le désert le ,

le thermomètre monte jusqu'à 24°. semoum tue souvent un grand nom-


Le beau temps dure ordinairement bre d'hommes et d'animaux.
jusqu'à la mi-novembre; mais alors les Les orages sont plus rares sur la
vents du nord et du nord-ouest se font côte septentrionale de l'Afrique que
sentir, et l'hiver commence. Ces deux dans nos contrées; mais ils éclatent
vents sont les plus fréquents de tous avec une violence extraordinaire des :

ceux qui régnent sur la côte de Barba- éclairs éblouissants sillonnent l'atmo-
rie ils amènent avec eux les orages ,
; sphère dans tous les sens, la foudre
les pluies et rafraîchissent l'air. C'est gronde avec un fracas épouvantable
pendant l'hiver qu'ils plus com-
sont le des torrents de pluie inondent la terre
muns et le plus redoutablesils occa-
; ravagent les champs noient les ani-
,

sionnent souvent des tempêtes violen- maux; quelques heures après, l'ardeur
tes qui brisent les navires dans le port du soleil a entièrement enlevé l'humi-
d'Alger, et jettent à la côte ceux qui dité et il ne reste d'autres traces de la
,

n'ont pas eu le temps de gagner la catastrophe que les couches de sables et


pleine mer. Dans ces moments de de graviers transportées sur îe sol des
tourmente, les Berbères et les Arabes plaines, et dans le fond des vallées des ,

vont en grand nombre sur le bord de arbres renversés, des cadavres d'ani-
la mer attendre que quelque bâtiment maux, etc.
vienne se briser contre les écueils Dans la presqu'île de Sydi-Efroudj
pour le piller et massacrer impitoya- le 16 juin 1830, deux jours après le
blement tous ceux qui le montent. débarquement de l'armée française,
Le vent du sud, que les Arabes nom- vers les 9 heures du matin il s'éleva
,

ment semoum, et les Algériens helsh } un vent du nord-ouest d'une violence


est extrêmement redoutable ses terri- ;
extrême, le ciel s'obscurcit subitement,
bles effets dans le désert ont été décrits plusieurs coups de tonnerre se firent
par plusieurs voyageurs qui les ont entendre , et l'eau tomba par torrents
éprouvés les Arabes s'enveloppent la
: jusqu'à midi. Nos soldats, qui n'avaient
tète dans leurs bernons disent-ils , et
, point d'abri, furent inondés; la pluie
se couchent le visage contre terre , en était si forte , qu'on ne poiîvait distin-
respirant le plus rarement qu'il leur guer un homme à cinquante pas de
est possible ; les chameaux , imitant distance. La démoralisation commen-
leurs maîtres , se mettent à genoux çait à s'emparer des troupes les cris
,

comme pour se faire charger, "et éten- de Voici V or âge de Charles-Quint (*)
:

dent le cou en cherchant à enfoncer s'étaient déjà fait entendre plusieurs


leur nez dans le sable. Sur le littoral fois, lorsque, sur le midi, le soleil
d'Alger , le semoum est annoncé par parut, dissipa les nuages en quelques
une chaleur étouffante et des brumes instants et sécha la terre ainsi que nos
,

rousses qui couvrent toute la chaîne habits en moins de deux heures.


de l'Atlas ; le thermomètre monte su- (*) Un orage terrible détruisit en partie
bitement de 8° à 10°. Les Maures s'en- l'armée et la flotte de cet empereur, qui
ferment chez eux les Arabes aban-
, assiégeait Alger; nous en parlerons plus bas,

1
L'UNIVERS.
, L'air est extrêmement sain sur Provence, Espagne, etc.) avec le cactus
:

toute côte de Barbarie: les villes,


la opuntia, Y agave americana. le dat-
fort mal bâties, sont entourées de tier, etc., se trouvent mélanges nos ar-
cimetières et de tas d'immondices qui bres et nos plantes , les pommiers
répandent une odeur suffocante pen- les poiriers, les mûriers, les noyers,
dant l'été ; dans aucune il ne règne de les pins, les bouleaux*, les peupliers, etc.
maladies endémiques. L'atmosphère Nous avons trouvé aux environs d'Al-
est pare, les brouillards sont rares, ger le fumaria officinalis , le senecio
et la légère brume qui se montre pres- vulgaris , le barago officinalis , le
que toujours avec le lever du soleil, solanum nigrum, le satix alba, etc.
disparaît peu de temps après. La végétation du petit Atlas, ainsi
Malgré sa température élevée pendant que celle des collines et des plaines
la plus grande partie de l'année, l'air comprises entre cette chaîne et le
est toujours extrêmement humide ;
grand Atlas , est à peu près la même
pour avoir une paire de bottes sèches, que celle de notre Provence ; les bois
nous étions obligés de l'exposer au so- sont peuplés de chênes verts , de liè-
leil pendant près d'une heure; tous ges et de quelques pins; les brous-
les instruments en fer se rouillent ra- sailles se composent de lentisques,
pidement, nos soldats avaient beau- d'arbousiers , de genêts épineux , etc.
coup de peine à tenir leurs armes pro- La vigne croît partout jusqu'à 1000 mè-
pres; les couteaux se rouillaient jus- tres d'élévation au-dessus de la mer ;
que dans la poche du pantalon. nous en avons même trouvé jusque
près de la crête sur le versant sud du
VÉGÉTATION.
petit Atlas, à 1500 mètres d'élévation.
Lavégétation a une très-grande vi- Cette plante est partout d'une très-
gueur dans toutes les parties de la ré- belle venue, et donne une grande quan-
gence d'Alger que nous avons visitées, tité de raisins excellents. Dans la plu-
surtout dans les plaines immédiate- part des jardins d'Alger, il existait des
ment au pied des montagnes, et dans treilles magnifiques qui ont été détrui-
le fond des vallées, où de petits ruis- tes par nos soldats. Mais c'est à Oran,
seaux et des sources abondantes dans la cour de la nouvelle Kasba
viennent ajouter leur influence bien- qu'il en existe une des plus belles que
faisante à celle d'une température l'on puisse voir. C'est un seul pied de
chaude, sans être trop élevée: dans vigne, planté à côté d'une fontaine;
les pays cultivés, on voit des vignes, son diamètre est de 8 pouces 6 lignes ;
des vergers et des jardins remplis de les branches forment une treille qui
Îliantes et d'arbres magnifiques; là où couvre un espace de 45 pieds de long
e terrain est inculte, il est couvert de sur 25 de large ; j'y ai compté mille ;

fortes broussailles au milieu desquelles grappes de raisins , dont chacune pe-


on distingue des myrtes, des grenadiers, sait plus de deux livres.
des orangers , bien plus beaux que ceux Les Algériens ne s'adonnent point ;

que nous cultivons avec tant de soins à la culture de la vigne pour faire du
dans nos jardins d'Europe. vin , car leur religion leur défend d'en
A la fin de l'hiver, la surface des boire; mais ils aiment beaucoup les
plaines et les flancs des montagnes, raisins , et s'en servent pour faire des
dépourvus de broussailles, et qui n'ont confitures et une espèce de vin cuit
point été ensemencés, se couvrent fort épais, très-estimé parmi eux.
d'herbe qui s'élève souvent jusqu'à L'olivier croît très-bien dans toutes
cinq nieds de hauteur, et qui, étant les contrées du territoire algérien, on
fauchée, donne un excellent min. en trouve de belles forêts dans l'inté-
Les plantes et les arbres qui crois- rieur des plaines et sur les flancs des
sent entre le petit Atlas et la mer, montagnes. Les arbres sont aussi gros
sont les mêmes que sur tout le litto- que nos chênes ordinaires; mais comme
ral de la Méditerranée ( Syrie , Italie ils ne sont pas greffés , ils ne donnent
ALGER*
que de très-petites olives que les habi- souvent des dyssenteries violentes.
tants ne récoltent point, et qui de- Le jujubier et Y arbousier, qui exis-
viennent la pâture des oiseaux. Dans tent à l'état sauvage et que l'on cultive
les pays où l'olivier est cultivé, comme aussi dans les vergers, produisent
par exemple dans l'intérieur du petit abondamment d'excellents fruits. Mais
Atlas , il produit de très-beaux fruits soit qu'on les cultive mal ou que ia
,

dont les naturels ne tirent qu'une chaleur soit trop considérable, les
mauvaise huile parce qu'ils ne savent
,
poiriers , les pommiers , les pêchers et
pas la fabriquer. les pruniers donnent peu, et leurs
Les Algériens n'élevant point de fruits sont toujours mauvais. L'abri-
vers à soie, ne cultivent pas le mûrier ; cotier est celui de nos arbres d'Eu-
mais on en rencontre quelques pieds rope qui prospère le mieux, mais ses
dans les jardins , dont la belle venue fruits sont très -dangereux; ils occa-
prouve que le sol lui convient autant sionnent presque toujours la fièvre.
que celui de la Provence , où on en tire Le blé et Yorge sont les céréales que
un si grand parti. l'on trouve le plus communément dans
Le plus bel arbre de la Barbarie, les champs cultivés par les Maures , les
celui qui donne les meilleurs fruits et Arabes et les Berbères. Ils viennent
en plus grande quantité, est l'oranger; fort bien ; mais comme la terre dans
il croît naturellement sur les collines du laquelle on les sème est toujours mal
littoral , dans les plaines et le fond des préparée , les chaumes sont clairs , et
vallées du petit Atlas ; sa taille est aussi le champ ne rend pas la moitié de ce
élevée que celle de l'olivier, mais son qu'il pourrait rendre. On m'a cepen-
branchage, enformede boule, est un peu dant assuré que dans les années mé-
,

moins étendu. On le cultive dans les diocres , on recueillait huit pour un et


jardins et aussi dans de superbes ver- jusqu'à douze dans les bonnes. Les
gers qui entourent souvent les villes et Arabes cultivateurs et les Berbères
les villages. Cet arbre est toujours vert, sèment , pour engraisser la volaille
et toujours il porte des fleurs qui ré- une espèce de millet blanc appelé par
pandent le plus agréable parfum , des eux drak, cju'ils mangent aussi eux-
fruits verts et des fruits mûrs , dont la mêmes, après l'avoir émondé sous une
couleur d'or, se détachant sur un fond pierre et fait cuire comme du riz.
vert, produit un effet magique; en Le riz est cultivé dans plusieurs
contemplant ces vergers d'orangers, on plaines traversées par de petits ruis-
croirait voir le jardin des Hespérides. seaux , dont on se sert avec beaucoup
Le dattier est commun dans toute d'art pour arroser les rizières.
la contrée située au nord du petit Tous les peuples qui habitent la ré-
Atlas, et il y prospère même assez gence d'Alger aiment beaucoup les
bien , mais les dattes qu'il prodv.it sont pommes de terre, et en sèment une
tilleuses. Les bonnes dattes que l'on grande quantité ; mais elles ne viennent
mange à Alger et dans les autres vil- pas très-bien et ne sont jamais aussi
les maritimes , viennent des contins du bonnes que dans nos contrées : les plus
désert, d'où les Berbères les apportent fortes sont grosses comme un œuf or
à dos de chameaux. dinaire et les autres comme une noix
Depuis le mois de juin jusque dans on en fait ordinairement deux récoltes
les premiers jours de novembre , le fi- par an, l'une au mois de juin et l'autre
guier de Barbarie {cactus opuntia), au mois de décembre.
qui compose de fortes haies élevées de
ANIMAUX.
12 à 15 pieds autour des maisons et
des champs est couvert d'une grande
, Les grands animaux féroces, si com-
quantité de fruits, qui forment la ma- muns dans l'intérieur de l'Afrique, se
jeure partie de la nourriture des habi- trouvent déjà sur son littoral au nord;
tants pendant tout l'été. Ces fruits des lions et des tigres habitent la ré-
sont fort agréables, mais occasionnent gence d'Alger ; mais ils ne sont ni plus
8 L'UNIVERS.
nombreux ni plus redoutables que les couvert des lionceaux observe les pro-
,

loups dans nos contrées. Ceux-ci parais- menades du père et de la mère , jusqu'à
sent manquer en Barbarie ; ils sont rem- ce qu'il se soit bien assuré des heures
placés par les chacals espèce qui tient
, de garde de chacun. Alors profitant de
,

îe milieu entre le loup et le renard. Cet l'absence de la lionne , il monte à cheval


animal est le plus vorace de tous , mais et va aussi près du nid qu'il est possible ;
en même temps si timide qu'il n'ose pas il descend pieds nus , court aux lion-

même attaquer un mouton vivant. ceaux, ensaisitdeux sans éveiller lepère,


Les chacals rôdent rarement le jour; retourne à son cheval encore plus vite
mais dès îe coucher du soleil ils se met- qu'il n'était venu, monte dessus et se
tent en campagne partroupes très-nom- sauve au galop , emportant sa capture.
breuses , et vont dévorer les cadavres; Il arrive quelquefois cependant que le
iis entrent souvent dans les cimetières, lion , éveillé par les cris de ses petits
et déterrent les corps qui y sont inhu- dévore le cavalier et son cheval.
més. C'est pour préserver les restes de Tous les animaux domestiques que
leurs pères de la dent du chacal , que les nous avons en Europe, se retrouvent
Algériens garnissent les fosses en ma- en Barbarie, le cheval, l'âne, le mu-
çonnerie, et les recouvrent avec de let, le bœuf, la vache, la chèvre , le
grosses pierres, sur lesquelles ils jettent mouton etc. Mais il en existe un que
,

encore plusieurs pieds de terre. Quand le ciel semble avoir donné aux habi-
nous faisions la guerre, les chacals ve- tants des pays chauds pour les trans-
,

naient pendant la nuit dévorer les morts porter, eux, leurs bagages et des provi-
au milieu de nos camps ; nous étions sions pour plusieurs jours , à travers des
souvent entourés de leurs troupes qui déserts de sables brûlants ; c'est le cha-
poussaient des hurlements continuels. meau, le compagnon fidèle de l'Arabe,
Les naturels ne font pas, ou peu, la dont il porte sur le dos la famille et la
chasse aux chacals , parce qu'ils ne maison de contrées en contrées.
leur causent aucun tort , et que leur Cet animal supporte la fatigue avec
peau n'est pas très-estimée mais ils
; une constance à toute épreuve , il peut
chassent beaucoup le lion et le tigre rester plusieurs jours sans boire ; un
dont ils vendent la peau à des prix peu d'herbe qu'il broute dans la cam-
très-élevés : ce sont les habitants des pagne une poignée d'orge ou de fèves
,

montagnes de l'Atlas, où vivent au suffisent à sa nourriture. Il marche


milieu des forêts ces terribles ani- très-vite et peut faire quinze à dix-huit
maux , qui s'adonnent le plus à cette lieues par jour sans boire ni manger ,
chasse. Ils ont une méthode pour avec sept ou huit quintaux de charge.
prendre les lionceaux qui suppose au- Les Arabes qui habitent les environs
tant d'habileté que de sang-froid. d'Alger possèdent beaucoup de cha-
Dans la saison où les lionnes met- meaux dont ils se servent pour toutes
,

tent bas , ceux qui cherchent les lion- sortes de transports. A la moindre
ceaux découvrent facilement, par les alerte , on voit les tribus ployer leurs
empreintes laissées sur le sable ou l'ar- tentes, les mettre sur les chameaux
gile , les endroits où les lions ont leurs ainsi que les bagages, les provisions,
petits. Ils savent , par expérience que
,
les femmes et les enfants, et fuir rapi-
l'un reste toujours auprès d'eux, pen- dement vers les montagnes.
dant que l'autre va chercher la nourri- Quand les Arabes veulent se servir
ture. Quand la mère est de garde, elle des chameaux, ils vont les prendre
ne ferme jamais les yeux et se tient dans les pâturages et les amènent de-
prête à dévorer les animaux et les hom- vant la tente. Ils les frappent avec une
mes qui oseraient s'approcher de ses petite baguette sur les jambes de de-
chers nourrissons; mais le père n'est vant, et aussitôt l'animal se met sur
pas si vigilant , à peine s'est-il couché le ventre en ployant les quatre jambes.
près de ses enfants, qu'il s'endort d'un Il se laisse ensuite charger sans bouger
profond sommeil. Le Berbère qui a dé- et attend pour se lever que le maître,

!
ALGER.
monté sur l'un d'eux, ait donné le sont deux broches de fer , légèrement
signaldu départ alors tous se met-
: recourbées aux extrémités , avec les-
tent en marche à la suite les uns des quelles il pique doucement le ventre
autres, en obéissant très-exactement du cheval mais s'il n'obéit pas , il lui
;

à la voix du conducteur, toujours déchire les flancs, et l'animal part aus-


placé à la queue de la caravane. Lors- sitôt. La manière dont le mors est
que celle-ci est arrivée au terme de sa construit permet au cavalier d'arrêter
course , le maître fait arrêter tous les court son cheval, même au grand ga-
chameaux, et frappant encore leurs lop. Ce qui nous a le plus étonnés en
jambes avec sa baguette , ils se cou- arrivant en Afrique , c'était de voir
chent de nouveau et attendent patiem- les Arabes arriver sur nous au grand
ment qu'on veuille bien les décharger. galop , s'arrêter tout court à portée de
Dans toutes les villes de la Barbarie fusil, tirer, faire demi-tour, et fuir
on voit venir une grande quantité de avec la rapidité de l'éclair en se cou-
chameaux les jours de marché ; leurs chant sur leurs chevaux.
bandes présentent un coup d'œil im- Chaque chef de famille arabe pos-
posant , et l'Arabe qui dirige chacune sède au moins un cheval ; s'il en a p'u-
d'elles drapé élégamment de son baïk
, sieurs , en choisit un pour monter
il

blanc ,
que fixe autour de sa tête un quand va à la guerre. Il l'affec-
il

triple cordon de laine brune , avec une tionne, le caresse, et passe avec lui
longue baguette à la main, semble être plus de temps à le soigner et le con-
un de ces magiciens auxquels les Orien- templer, qu'avec ses femmes; il en
taux accordent tant de pouvoir. parle souvent, raconte sa généalogie
Nous venons de décrire l'animal le et ses exploits avec une ardeur tout
plus précieux de la Barbarie; mais le plus orientale. Un Arabe tient à grand
beau, celui que les naturels préfèrent honneur de posséder un cheval qui
et dont ils prennent plus de soin que de descend en ligne directe de tel cour-
leurs femmes et de leurs enfants, c'est sier fameux et c'est pour le prouver
,

le theval, l'ami, le compagnon de l'A- qu'il conserve sa généalogie écrite sur


rabe , celui qui partage ses fatigues et une feuille de parchemin. Les Algé-
sa gloire dans les combats. riens n'ont point de voitures et ne sa-
Les chevaux que nous avons vus vent point atteler les chevaux; ils em-
dans la régence d'Alger ne sont pas ploient les plus mauvais pour porter
de race arabe pure, et, sans ressembler des fardeaux ; mais ceux qui sont un
tout-à-fait à ces beaux coursiers qui peu estimés ne servent jamais que
nous viennent de l'Egypte et de la pour monture.
Syrie , ils s'en rapprochent néan- Les mulets et les ânes de Barbarie
moins. Ils ont les jambes parfaite- sont aussi beaux que ceux de nos pro-
ment faites , la croupe un peu longue vinces méridionales. Les vaches et les
les flancs ronds sans beaucoup de Ven- bœufs sont extrêmement nombreux
tre, les épaules légères et plates , la dans toutes les parties du territoire
tête petite et bien placée , le cou long algérien mais ils sont beaucoup plus
;

et peu chargé de crin. Us sont de petits que les nôtres et la chair en est
taille moyenne; les plus grands ont moins succulente. Les vaches n'ont pas
quatre pieds huit à neuf pouces. Quoi- autant de lait que dans nos contrées.
que très-légers à la course , ils sont ce- On voit partout de nombreux trou-
pendant paresseux et ont besoin d'être peaux de moutons d'une espèce peu
stimulés. Les selles arabes et berbères différente de la nôtre. Ces troupeaux
sont comme celles des Turcs. Le mors forment la principale richesse des tri-
de la bride est un anneau de fer, dont bus arabes qui s'habillent avec leur
,

la partie qui entre dans la bouche porte laine et se nourrissent avec leur lait et
un bras de levier qui s'appuie contre leur chair. La viande de mouton est la
le palais quand le cavalier marque un meilleure que l'on pusse manger en
temps d'arrêt. Les éperons de celui-ci Barbarie. Les naturels la font cuire et
L'UNIVERS.
la conservent, dans des pots bien bou- douces que les Numides, et étant aussi
chés, pendant des années. plus disposés à vivre en société, s'é-
Les autres animaux domestiques tablirent sur le bord de la mer, où ils
sont les mêmes que les nôtres. Les bâtirent des villes , tandis que ceux-ci
Algériens élèvent une grande quantité se retirèrent dans les montagnes , où
de poules et quelques pintades. On ils vécurent sous des tentes," ou dans

trouve dans toutes les villes un grand de mauvaises cabanes faites de bran-
nombre de pigeons , auxquels les habi- ches d'arbres, ou de roseaux enduits
tants rendent une espèce de culte. Us de terre. Les Maures ont subi le joug
n'en mangent jamais et ont pour eux de tous les conquérants qui se sont
une attention toute religieuse. Ils ont succédé sur la côte septentrionale de
aussi une grande vénération pour les l'Afrique ; ils se sont même alliés avec
cigognes. eux , ce qui a altéré très-sensiblement
Le gibier est très-commun , surtout la pureté de leur race. Depuis la domi-
les lièvres et les perdrix. Les plaines nation des Turcs , beaucoup d'esclaves
humides sont habitées par une grande chrétiens , qui , après avoir embrassé
quantité d'oiseaux d'eau (courlis, plu- l'islamisme, ont épousé des Maures-
viers, vanneaux, bécassines, canards, ques , se sont confondus avec le peuple
cigognes , hérons , etc. ). On trouve maure , en sorte qu'aujourd'hui la
dans la Métidja une jolie petite espèce classe d'hommes à laquelle on donne le
de héron blanc, dont les bandes sui- nom de Maure est composée d'éléments
vent les troupeaux pendant l'hiver. Us très-hétérogènes; il existe cependant
sont ordinairement accompagnés d'une encore quelques familles qui ne se sont
quantité d'étourneaux , telle que leurs point mésalliées et chez lesquelles on
troupes semblent former dans l'air des retrouve les caractères de la race pri-
nuages orageux qui se meuvent rapi- mitive.
dement. La taille des hommes est au-dessus
L'HOMME. de la moyenne. Leur démarche est
noble et grave; ils ont les cheveux
Dans les états algériens il n'en est
, noirs, la peau un peu basanée, mais
pas comme dans presque tous ceux de cependant plutôt blanche que brune ,

l'Europe , où la même race de l'espèce le nez aquilin, la bouche moyenne,


humaine peuple chaque sol. Nous les yeux grands mais peu vifs. Us
,

avons pu reconnaître, dans la portion ont généralement un certain embon-


de la Barbarie traversée par l'armée point, ce qui peut servir à les distin-
française, sept races d'hommes bien guer au premier coup d'ceil des Arabes
distinctes et qui diffèrent les unes des et des Berbères qui sont presque
,

autres par leurs caractères physiques toujours très-maigres. La constitution


leurs mœurs et leurs habitudes : ce des femmes est assez en rapport avec
sont les Maures, les Berbères, les celle des hommes. Quelques-unes sont
Arabes, les Nègres, les Juifs, les fort jolies; elles ont presque toutes des
Turcs et les Koulouglis , qui se trou- cheveux noirs et de beaux yeux.
vent rassemblés sur une très-petite La population maure est plus nom-
étendue de pays, par exemple, aux breuse qu'aucune des autres , ses
environs d'Alger, dans un demi-cercle mœurs sont beaucoup plus douces ;
dont le rayon n'a pas dix lieues. elle est presque toute renfermée dans
Les Maures et les Berbères sont les les villes etdans les villages construits
plus anciens habitants du pays; ils en maçonnerie elle se trouve souvent
;

proviennent, suivant Salluste, du mé- obligée de se défendre contre les Ara-


lange des soldats de l'armée d'Her- bes et les Berbères qui cherchent con-
,

cule , passée d'Espagne en Afrique tinuellement à la piller.


avec les Libyens et les Gétules, abo- Les Maures ont pris avec la religion
rigènes de la contrée. presque toutes les coutumes des Turcs,
Les Maures avant des moeurs plus sous le despotisme desquels ils vivaient
ALGER. 9

depuis plus de trois cents ans , quand hommes, comme tant d'autres choses.
nous vînmes leur imposer le nôtre. Le mariage chez eux n'est point une
Leur costume se rapproche beaucoup cérémonie religieuse c'est une espèce
;

de celui des orientaux ils portent une


: de marché qui se fait d'une manière
culotte fort large qui leur laisse les extrêmement bizarre.
jambes nues une veste et deux gilets
; Les hommes et les femmes ne peu-
brodés en or ou en soie suivant leur , vent point communiquer librement
rang; leur coiffure est le turban. Ils entre eux les demoiselles qui ont at-
;

ont pour chaussure des pantoufles teint l'âge de puberté ne sortent ja-
de maroquin très-couvertes, qu'ils mais , ou très-rarement , non plus que
nomment babouches. les jeunes femmes ; il n'y a que celles
Si les Maures sont les hommes les déjà d'un certain âge qui soient libres de
plus doux de la Barbarie, ils sont sortir le visage couvert de manière à
,

aussi les plus paresseux ils passent la


: ce qu'on ne puisse voir que les yeux
plus grande partie de leur temps les , et enveloppées de tant de draperies,
jambes croisées sur un banc ou sur qu'elles ressemblent à des paquets de
une natte de joncs, à fumer leur pipe linge ambulants. Les Maures ne laissent
et à prendre du café. lis sont très-re- pas pénétrer leurs amis chez eux ; ils
ligieux et s'acquittent fort exactement les reçoivent à l'entrée de la maison
de toutes les pratiques que leur impose sous un vestibule où ils sont assis sur
,

le koran. Quand l'heure de la prière des tapis, les jambes croisées, et fumant
sonne, ils se prosternent partout où leur pipe en prenant du café. Cette
ils se trouvent et prient avec la plus manière de vivre s'oppose à ce que les
grande ferveur, en faisant tous les bai- jeunes gens puissent voir les demoi-
sements de terre et les salutations vou- selles et leur faire la cour. Les ma-
lues , sans s'inquiéter en aucune façon riages se font donc par arrangement
de ceux qui les environnent. entre les parents, ou par commérage,
Les mahométans d'Alger prient sans que les enfants se soient jamais vus.
cinq fois par jour: à la pointe du jour, Il arrive quelquefois qu'un jeune
après midi à quatre heures du soir,
, homme , ayant beaucoup entendu par-
immédiatement après le coucher du ler de la beauté et des vertus d'une
soleil, enfin une heure après. A ces demoiselle se monte l'imagination et
,

différentes époques, le cném(muézzin) se prend de belle passion pour elle.


monté sur le minaret de la mosquée Alors il emploie tous les moyens pour
après avoir hissé à une espèce de po- acquérir des renseignements sur l'ob-
tence un petit drapeau blanc, crie de jet de son amour s'il ne peut décider
:

toutes ses forces: « Il n'y a qu'un sa mère à aller s'assurer par elle-même
Dieu , Dieu est grand et Mahomet est de toutes les qualités qu'il a entendu
son prophète » Ce qu'il répète trois
! prôner, il s'adresse à une vieille femme
fois de suite; il continue « Je vous : connue pour se charger de négocier
« salue; venez à la mosquée adorer les mariages , et il y en a beaucoup en
« Dieu, et que ceux qui sont dans les Barbarie ; il lui promet des cadeaux et
« champs ou sur les chemins, prient là de l'argent si elle veut aller dans la
« où ils se trouvent : les prières sont maison de la jeune fille s'assurer de
« bonnes partout. » A la voix du muez- tout ce qu'il a ouï dire , et venir lui en
zin , ceux qui ont le temps d'aller dans rendre compte.
les mosquées s'y rendent. Les autres La messagère s'introduit dans la
prient partout où ils sont. maison en prétextant une autre raison
Les femmes n'entrent presque ja- que celle qui l'amène , et, tout en cau-
mais dans les mosquées, et elles ne sant avec les parents , elle ne manque
sont pas même obligées de prier chez pas de leur faire comprendre adroite-
elles. Les musulmans croient qu'elles ment sa mission , surtout si le jeune
n'ont point d'aine , et qu'elles ont été homme est riche. Quand ceux-ci trou-
créées uniquement pour le plaisir des vent le parti avantageux , ils font à
10 L'UNIVERS.
cette femme des cadeaux et de belles sa toilette, viennent la prendre pour
promesses, pour l'engager à vanter la conduire chez son mari. Deux vieil-
les qualités et la beauté de leur fille, lards prennent alors la jeune épouse
et la négociatrice se trouve ainsi payée par la main , et se mettent en marche
par les deux parties. De retour auprès vers sa nouvelle habitation , suivis de
de celui qui envoyée , la vieille fait
l'a toutes les personnes réunies autour
un rapport souvent moins dicté par
, d'elle dont plusieurs portent des lan-
,

les charmes de celle qu'elle est allée ternes allumées, et font entendre de
voir , que par la manière dont elle a temps en temps le cri de joie des Al-
été traitée par ses parents c'est là ce
: gériens : You! y oui y oui Dans la
qui fait que beaucoup de maris trom- maison du futur, une chambre super-
pés répudient leurs femmes peu de bement décorée et illuminée avec des
temps après les avoir épousées. Quand bougies et des verres de couleur , a été
un jeune homme est satisfait des in- préparées l'avance; la jeune épouse
y
formations qu'il a fait prendre sur est conduite avec toutes les femmes qui
une demoiselle, il engage son père, l'ont accompagnée. Là , on leur sert un

ou son plus proche parent s'il n'a plus souper, et elles restent jusqu'à minuit à
de père, à la demander en mariage. boire, manger et se divertir entre elles.
De quelque manière que les préli- Les hommes ,
qui sont demeurés sous
minaires aient eu lieu , les pères qui la galerie soupent ensemble dans une
,

sont tombés d'accord pour unir leurs autre pièce. Le mari n'est point avec
enfants se rendent chez le cadi (juge ) eux ; il mange tout seul dans une cham-
et, devant ce magistrat, ils déclarent bre à part , probablement pour que les
leurs intentions et stipulent la somme convives ne l'excitent point à la dé-
que le futur est convenu de donner à bauche , et qu'à l'heure fixée il puisse
son épouse. Après cette déclaration, se présenter d'une manière décente
qui est inscrite sur un registre , le cadi auprès de celle dont il s'est chargé de
fait apporter de l'eau sucrée qu'il boit faire le bonheur. Cette heure, c'est
avec les contractants; ensuite ils se minuit , époque à laquelle les mos-
prosternent tous les trois, et adres- quées sont rouvertes. Chacun se re-;
sent à Dieu une prière (feata) pour tire, et les deux époux restent libres. >

lui demander de bénir l'union qu'ils Les musulmans ne peuvent épouser


viennent de conclure. Avant de se sé- que quatre femmes ; mais il leur est
parer, les parents fixent, devant le permis d'avoir chez eux autant de
cadi , le jour où la jeune fille sera con- concubines qu'il leur plaît. Les Algé-!
duite chez son époux. En attendant riens usent rarement de la permission
ce moment , elle travaille à faire une que leur accorde le koran ; ils n'ont'
chemise et une culotte pour son mari, presque tous qu'une femme légitime,;
qui doit s'en parer le jour des noces. et la plupart n'ont point de concubines. •

Ce jour arrivé , la jeune épouse prend Les Berbères. D'après ce qu'ont écrite
un bain , après lequel on la pare de ses les auteurs anciens sur les Numides
plus beaux habits ; le dedans de ses il est évident que les Berbères , nom-,

mains et le dehors de ses pieds sont mes par les Algériens Kbaiil, sont les
teints en rouge avec du henné; on descendants de ce peuple si courageux,
lui dessine une fleur au milieu du et dont la cavalerie a toujours été si
front; ses sourcils sont peints en redoutable aux légions romaines. Ce
noir; on dessine avec un bouchon que Salluste dit des Numides peut en-
brûlé des lignes en forme de zig-zag core s'appliquer aux Berbères. Par-
sur ses mains; et, assise très-grave- tout ils se tiennent enfermés dans l'in-
ment sur un divan , elle attend le cou- térieur des montagnes, d'où ils sor-
cher du soleil, époque à laquelle ses tent de temps en temps , tous à che-
parents , ainsi que ceux de son futur, val, et viennent fondre à Pimproviste
hommes et femmes, avec ses meilleures sur les villes et les villages maures et
amies qui ont ordinairement assisté à les tribus arabes, qu'ils pillent en
ALGER. ii

quelques instants , et se retirent en- prême. Dans la guerre, marabouts


les
suite dans leurs montagnes avec le sont des médiateurs qui empêchent
butin qu'ils ont fait. bien souvent le sang de couler. Pour
Les hommes sont de taille moyenne ; tous les services qu'ils leur rendent,
ils ont le teint très-brun, sans être les Berbères font aux marabouts des
noir ; la couleur de leurs cheveux est cadeaux de toute nature , et ils ont
toujours très-foncée ; ils sont tous fort pour eux la plus grande vénération.
maigres , mais en même temps extrê- Lorsqu'ils meurent, ils leur élèvent un
mement robustes , et supportant les tombeau magnifique , qu'ils ornent le
fatigues et les privations avec une mieux qu'ils peuvent et dans lequel
,

constance et un courage remarquables. ils vont à chaque instant consulter les

Leur figure est plus courte que celle mânes de celui qu'ils ont chéri et ré-
des Arabes , et son expression a quel- véré pendant sa vie. Le tombeau d'un
que chose de cruel, expression que marabout porte le nom de marabout.
leur conduite ne dément pas. Ils par- Les Musulmans Maures Arabes et
, ,

lent un langage particulier (le chovia), Nègres ont aussi des marabouts comme
qui n'a de rapport avec aucune des les Berbères ; mais ces marabouts n'ont
langues connues et qui doit être l'an-
, pas autant d'influence, quoiqu'ils soient
cien numide. Ils se vêtissent à peu près encore très-vénérés et qu'ils jouissent
comme les Arabes, avec une grande de privilèges fort étendus.
pièce de laine blanche, de leur fabrique, Les femmes berbères vont le visage
qui leur enveloppe tout le corps , et découvert , et ne sont pas aussi rete-
sur laquelle ils mettent , quand il fait nues que celles des Maures et des
froid ou qu'ils vont en voyage un , Arabes. Les jeunes gens font la cour
manteau ( bernons ) de la même étoffe, aux demoiselies avant de les épouser.
portant un capuchon. Ils n'habitent Cependant le mariage parmi eux n'est
point sous des tentes mais dans de
, encore qu'un véritable marché. Le
petites cabanes construites avec des jeune homme qui veut épouser une
branches d'arbres ou des roseaux en- demoiselle va trouver le père de celle-
duits de terre grasse. ci et lui offre une somme d'argent
,

Les Berbères entendent fort bien ou un certain n'ombre de têtes de bé-


l'agriculture ; ils sont très-industrieux, tail en échange de sa fille. Les deux
et fabriquent eux-mêmes tout ce qui parties ne s'accordent guère qu'après
leur est nécessaire, jusqu'à des armes, avoir marchandé fort long-temps ; et
de la poudre, et même de l'argent quand le marché est conclu , ils se
monnoyé. Ils exploitent aussi des mi- rendent ensemble auprès du marabout,
nes de cuivre , de plomb et de fer. qui donne ou refuse son assenti-
Ceux qui vivent sur les bords des ment. Comme rien ne peut se faire
plaines, étant continuellement en con- sans sa permission , le jeune homme
tact avec les Arabes , ont embrassé est souvent obligé d'acheter encore
l'islamisme, jusqu'à un certain point; son consentement. Lorsque toutes les
mais le reste de la nation n'a pour difficultés sont aplanies, l'époux se
ainsi dire point de religion. Les Ber- rend chez son beau -père avec la
bères mettent toute leur confiance dans somme d'argent, ou le nombre de
les marabouts, auxquels ils rendent têtes de bétail promises ; sa fiancée lui
une espèce de culte. Ce sont des hom- est alors remise , il l'emmène dans sa
mes plus instruits que les autres et fort cabane, et en fait son épouse sans
adroits, qui ressemblent assez aux autre cérémonie.
devins de village. Les habitants de la Les Arabes qui vivent dans les
tribu dans laquelle vit un marabout plaines de la régence d'Alger sont ab-
ne font jamais une grande entreprise solument les mêmes que ceux de l'E-
sans le consulter ; il arrange les dif- gypte et de toutes les autres parties
férends entre les particuliers , et même de l'x4irique. Ce sont les descendants
entre les tribus : c'est le juge su- de ces conquérants qui sous le règne
,
12 L'UJNIVERS.
des califes , s'emparèrent d'une grande mœurs , ses coutumes et ses pratiques
partie de l'Afrique, et pénétrèrent religieuses.
même jusqu'en Espagne. Les Juifs paraissent s'être réfugiés
Les Arabes sont divisés par tribus, en Afrique après la ruine de la Judée
qui ont chacune un chef que l'on ap- par l'empereur Vespasien; mais ceux
pelle check. Ils habitent sous des d'Alger font sur leur venue dans ce
tentes, qu'ils transportent avec eux- pays un conte des plus ridicules et ,

quand ils changent de place , suivant dont cependant toutes les parties sont
les différentes saisons de l'année; ils pour eux des articles de foi.
cultivent la terre, et possèdent une « Quand les musulmans possédaient
grande quantité de troupeaux , qui for- l'Espagne , ils nous avaient
disent-ils ,

ment leur principale richesse; ils sont permis d'habiter parmi eux , de nous
bien moins actifs et moins indus- livrer au commerce, et d'exercer libre-
trieux que les Berbères , et peut-être ment notre sainte religion. Lorsque les
aussi un peu moins cruels. Cependant chrétiens les eurent chassés, et eurent
ils aiment beaucoup la guerre, et ils reconquis ce beau pays , ils nous lais-
parcourent la campagne pour piller les sèrent tranquilles pendant quelque
voyageurs et les habitations des Maures. temps; mais, envieux des richesses
Ce sont les Arabes qui ont apporté que nous avions amassées par notre
l'islamisme dans la régence d'Alger ;
travail, ils ne tardèrent pas à nous
et leurs pratiques religieuses ne dif- tyranniser. En 1390, le grand rabbin
fèrent en rien de celles des Maures de Séville , Simon - Ben- Smia, fut
et des Turcs, avec lesquels on les chargé de fers et jeté en prison , avec
trouve souvent réunis dans la même 60 des principaux chefs des familles
mosquée. Leur manière de s'habiller juives. Cet acte arbitraire fut le signal
diffère peu de celle des Berbères. de cruautés encore plus grandes que cel-
Les femmes arabes sont vêtues les que nous avions éprouvées jusque-
comme celles des Maures mais sont ce-
, là. La mort du rabbin et de ses com-
pendant moins retenues et moins scru- pagnons d'infortune fut ordonnée et ,

puleuses qu'elles. Dans l'intérieur de ils lorsque le ciel


allaient être exécutés ,

la tribu, elles sont souvent découvertes les délivra par un de ces miracles dont
et causent librement avec les hommes. nos annales offrent tant d'exemples.
Les Nègres. Il existe dans les états « Tous ceux qui étaient avec Simon
algériens Beaucoup de familles nègres voyant approcher leur dernière heure,
qui vivent au milieu des Maures et accablés de douleur, s'abandonnaient
des Arabes, en jouissant des mêmes au désespoir; mais ce grand homme
droits qu'eux, parce qu'elles ont em- restait calme et semblait se résigner
,

brassé l'islamisme. Ces familles pro- avec courage à son malheureux sort.
viennent d'esclaves amenés de l'inté- Tout-à-coup ses yeux se remplirent de
rieur de l'Afrique, auxquels leurs feu, sa figure s'anima, et un rayon
maîtres ont donné la liberté. Les de lumière brilla autour de sa tête ;

Arabes et les Maures ont, en outre, dans ce moment il prit un morceau


beaucoup d'esclaves nègres des deux de charbon dessina un navire sur la
,

sexes qui leur servent de domestiques, muraille , et se tournant ensuite vers


et dont ils prennent un grand soin. ceux qui pleuraient, il leur dit d'une
Les Juifs. On rencontre beaucoup voix forte « Que tous ceux qui croient
:

de Juifs dans presque toutes les villes « en la puissance de Dieu, et qui


de la régence. Alger en renferme, à « veulent sortir d'ici à l'instant même,
elle seule plus de cinq mille. Le peu-
,
« mettent avec moi le doigt sur ce
d'Israël est ici comme dans toutes « vaisseau. » Tous le firent, et aussi-
f)le
es autres parties du monde, adonné un navire
tôt le navire dessiné devint
au commerce au brocanta ge et d'une
, , véritable qui se mit de lui-même en
,

avarice sordide. Il est reconnaissable mouvement , traversa les rues de Sé-


par ses caractères physiques, ses ville, au grand étonnement de tous
ALGER, 13
leshabitants , sans en écraser un seul beaucoup se mariaient avec les filles
et se rendit droit à la mer avec tous des Maures, ou avec des femmes chré-
ceux qui le montaient. Le vaisseau tiennes prises par les corsaires et ven-
miraculeux fut conduit par le vent dues comme esclaves. Les vieux janis-
dans la rade d'Alger , ville qui n'était saires, qui se retiraient tous du ser-
alors habitée que par des mahométans. vice avec solde entière , se mariaient
Sur la demande que leur firent les Juifs aussi ; et de là un grand nombre de
de s'établir parmi eux , les Algériens familles turques dans toute les villes
après avoir écouté le récit de la ma- où le dey entretenait des garnisons.
nière miraculeuse dont les Juifs avaient Quoique les Turcs mariés perdissent
échappé à la cruauté des chrétiens, une grande partie de leurs privilèges
consultèrent un marabout fameux qui il leur en restait cependant encore
vivait à Méliana. Sur sa réponse qu'il beaucoup; et, conservant toute leur
fallait accueillir les enfants d'Israël fierté de janissaires, ils tenaient
tou-
ils eurent la permission de débarquer, jours les Maures à une certaine dis-
et les habitants , ayant à leur tête les tance d'eux, même ceux avec lesquels
chefs de la religion et de la loi sor-
, ils s'étaient alliés.
tirent en foule pour les recevoir. » Les enfants nés du mariage des
On accorda aux Juifs tous les privi- Turcs avec les esclaves chrétiennes
lèges dont ils avaient joui en Espagne étaient considérés comme Turcs, et
sous l'empire des Maures ils obtinrent
; jouissaient des mêmes droits que leurs
même droit de faire des liqueurs et
le
pères : ils pouvaient entrer dans la
du vin. Toutes les conditions du traité milice et aspirer à toutes les dignités
furent écrites sur un parchemin que de l'état; mais ceux issus de l'alliance
,
les rabbins d'Alger conservent encore
des Turcs avec les filles des Maures
dans leurs archives. rentraient dans la classe des parents
Mais quand les Turcs se furent em- de leurs mères ; ils ne pouvaient point
parés de cette ville , leur despotisme, être enrôlés dans la milice, et quelques
qui s'étendit bientôt sur tous les ha- emplois seulement leur étaient réser-
bitants , de quelque religion qu'ils vés. Ceux-ci portaient et portent en-
fussent, s'appesantit particulièrement core le nom de Koulouglis.
;
sur les Juifs; le peuple d'Israël devint Les Koulouglis sont' généralement
encore esclave , et ses fers ne furent de beaux hommes ils ont la peau
;
bnsés que par l'armée française qui blanche et les muscles très-prononcés
détruisit la puissance algérienne. ils sont
;
d'un tempérament lympha-
Les Turcs, qui ont possédé pendant tique ; la tranquillité et la douceur sont
trois siècles toute la régence d'Alger
,
peintes sur leur figure. Leur costume
ne s'y sont pas introduits en conqué- est le même que celui des Maures
et
rants :les Algériens les avaient ap- des Turcs ; mais ils mettent dans leur
pelés à leur secours contre les Espa- habillement une espèce de coquetterie
gnols, qui s'étaient emparés de plu- qui sied bien à leur caractère, et rap-
sieurs villes maritimes, qu'ils traitaient, pelle les mœurs asiatiques. Dans l'état
comme celles de l'Amérique, avec une social, les Koulouglis étaient
tout-à-
rigueur inouïe. fait confondus avec les Maures
mais
La milice turque, qui formait la comme étant les parents ;

des Turcs, ils


principale force militaire de la régence, n'avaient point à en redouter toutes
se recrutait à Smyrne, à Constanti- les vexations qu'ils faisaient souffrir
nople et dans plusieurs autres villes de aux autres classes. Ces hommes pro-
la Turquie par des agents du dey
, fessent la religion musulmane , dans
d après un traité conclu entre ce prince laquelle ils sont nés, mais avec la
et le sultan. Les soldats turcs
jouis- même indifférence qu'ils apportent
saient à Alger de privilèges fort éten-
dans tous leurs autres actes, ce qui est
dus, dont ils perdaient la plus grande
un de leurs caractères distinctifs.
partie en se mariant. Néanmoins,
Telles sont les sept races de l'espèce
14
i:ijnivkrs.
robe de soie (cafetan), était porté sur
humaine qui habitent l'état d'Alger. on entendait la
aussitôt
trône et
Les hommes vivaient sous un gou-
le ,

vernement des plus despotiques. Le


milice s'écrier bonne heure, a
: « A la

droit « la bonne heure que Dieu accorde


souverain d'Alger (dey ) avait le
,

et « gloire et prospérité à un tel qu'il


de vie et de mort sur ses sujets ,
,

« lui a plu de placer à la tête de la


pouvait s'emparer de leurs propriétés
de leurs « vaillante milice d'Alger. » Dans le
et même de leurs femmes et
enfants , quand bon lui semblait
le :
même moment , des hérauts se répan-
conspi- daient dans la ville en criant : « Le dey
plus léger prétexte, une fausse sa
lois du « est mort , et un tel a été élu a
ration, une petite infraction aux proclamé, l'ar-
place. » Le dey ainsi
Koran suffisait pour faire condamner
«

mée rentrait dans l'ordre.


un homme et confisquer sa fortune.
Le dey avait des ministres places a ALGER ET SES ENVIRONS.
la têtedes différentes branches de l'ad-
capitale de la régence d'Alger
La
ministration et chargés de rendre la
,
nord, et
partie. Les dif- située à 36° 47' de latitude
justice chacun dans sa
étaient à 0° 42' de longitude est , s'élève en
férends entre les particuliers
amphithéâtre sur le penchant d'une
accordés par des juges (cadis). On
pou-
la mer.
tous les colline dont le pied tombe dans
vait appeler au souverain de som-
Sa forme est triangulaire et au ,

iueements rendus par ses agents. qui est le point le


provinces étaient gouvernées par
Les
met du triangle ,

plus élevé de la ville , se trouve bâtie


des beys, lieutenants du dey, obliges
Kasba. Les maisons cou-
devant la citadelle ,

de se rendre tous les trois ans


vertes en terrasses, comme dans
toutes
lui pour rendre compte de leurs ac- blanchies a
les villes de l'Orient, sont
,

tes n'en était pas satisfait, il leur


s'il
:
chaux que les forts et tous les
ainsi
trancher la tête à leur arrivée la ,
faisait
édifices publics en sorte que, vue d une
;
dans son palais. res-
certaine distance en mer Alger ,

Ce despote sanguinaire était ce-


semble à une vaste carrière de
craie
pendant l'élu de l'armée, d'une solda-
et qui ouverte sur le flanc d'une montagne.
tesque indisciplinée il est vrai, fosse
qu'elle était mécon- Cette ville est entourée d'un
le massacrait dès qui suf-
avide du sec et d'une chemise crénelée ,
tente, ou qu'un ambitieux contre les
des fisent pour la défendre
trône avait su l'émouvoir par Du cote de la
dans Arabes et les Berbères.
promesses. Un seul dey est mort
y a un grand nombre
de torts
son lit encore était-ce de la peste ;
on mer , il
,
rendaient lap-
et de batteries qui en
en a vu jusqu'à cinq élus et massacres
proche presque impossible. La
cote
le même jour. a l'est et
fusqu'à 4 lieues de distance,
. ,

Quand dey avait été assassine ce


le ,
par des
d'une à l'ouest, était aussi défendue
qui arrivait toujours à la suite qui obli-
milice batteries et quelques forts ,
révolte les membres de la
,
de se tenir
au geaient les vaisseaux ennemis
soldats et officiers se réunissaient canon.
toujours hors de la portée du
,

palais sous la présidence de


laga,
- mal
parti L'intérieur d'Alger est très
ministre de la guerre. Là, chaque qu un
bâti ; les rues sont si étroites ,
proposait son homme, et F aga
criait
passer
On proposait des candidats chameau chargé a de la peine a
son nom. beaucoup
pres- dans les plus larges ; il y en a
jusqu'à ce qu'un d'eux eût réuni marcher
dans lesquelles on ne peut
que tous les suffrages; ce que l'assem- pente du
que deux de front. Comme la
blée faisait connaître par ses acclama- rapide, plu-
terrain est souvent fort
tions.Les partis, pour faire triompher sont de véritables
sieurs de ces rues
chacun leur candidat, en venaient planches 1 et 2.)
( Voy.
escaliers.
souvent aux mains et le sang coulait
,
construites
milieu Les maisons sont toutes
à grands flots. Enfin quand, au , n'ont ordi-
de la même manière; elles
du plus grand désastre , on était par- la rue \
nairement point de fenêtres sur
venu à s'entendre, l'élu revêtu d'une ,
ALGER. 15
les appartements, formant deux et de grands bâtiments avec une cour au
même trois étages , sont disposés au- milieu autour de laquelle se trouvent
,

tour d'une grande cour carrée; une plusieurs chambres donnant sur une
,

galerie fort élégante, ornée de co- galerie. Dans ces casernes, il


y avait
lonnes mauresques , se trouve à cha- plusieurs fontaines d'eau excellente et
que étage, et fait communiquer les ap- des latrines tenues avec une propreté
partements dont les fenêtres et les remarquable.
portes donnent dans cette galerie. Les La Kasba, citadelle d'Alger et ré-
principaux édifices d'Alger sont le fort sidence du dey est un grand édifice
,
,
de la marine , les mosquées , la Kasba entouré de murs très-élevés, qu'on
et quelques casernes de janissaires. ne reconnaît pour un fort qu'à la vue
Le fort de la marine forme un fer des énormes canons qui sortent par
à cheval , réuni à la ville par un su- les croisées et de quelques créneaux
perbe môle en pierre , dont l'intérieur pratiqués sur le haut et dans l'intérieur
contient de vastes magasins. Au milieu de la muraille. Ces murs renfermaient
du fer à cheval s'élève un phare et sa
, , le palais du dey, une mosquée, des
branche droite forme, en se recourbant, magasins remplis de marchandises
leport d'Alger, qui n'est pas très-sûr une poudrière et plusieurs batteries
et dans lequel les gros bâtiments de armées de canons et de mortiers qui ,
guerre ne peuvent point entrer. battaient la ville et la campagne ; deux
Le nombre des mosquées est très- jolis jardins et une ménagerie peuplée
considérable ; on en compte dix grandes de toutes sortes d'animaux ; en un mot,
et cinquante petites. Les petites ne la Kasba rassemblait trois choses qui
sont que des chapelles ou des tombeaux semblent s'exclure réciproquement ;
de marabouts. Les grandes sontde très- tout l'appareil de la guerre réuni à ce-
beaux édifices rectangulaires, divisés lui des spéculations commerciales, avec
en trois nefs par deux rangs de co- le luxe et tous les plaisirs orientaux.
lonnes. A l'extrémité de la grande nef, La population d'Alger, qui s'élevait
et du côté de l'orient, il y a une pe-
à 30,000 âmes avant l'entrée des Fran-
tite niche creusée dans le mur à la
, çais , se compose de Maures , de Turcs,
voûte de laquelle sont suspendus plu- de Juifs et de Nègres.
sieurs œufs d'autruche : c'est dans De la terrasse de la Kasba , on voit
cette niche que se met Yiman (prêtre) le fort de l'Empereur qui
la domine et
pour réciter les prières. A côté est s'élève surun mamelon à portée de
une chaire en bois peint, et quelque- canon, au S.-O. Ce fort est un massif
fois en marbre blanc d'un travail re-
,
rectangulaire, élevé en briques, sans
marquable, dans laquelle il monte aux bastions , et qui ne pouvait soutenir
époques solennelles. A l'entrée du une attaque bien conduite. Mais comme
temple , se trouve une fontaine pour il était armé de cinquante canons et de
les ablutions et dans toutes les nefs,
,
plusieurs mortiers , nous fûmes obli-
des chaînes attachées à la voûte sup- gés d'ouvrir la tranchée devant lui;
portent des lampes, que l'on allume cinq heures d'un feu nourri suffirent
aux grandes fêtes et pour toutes les pour le réduire.
cérémonies qui se font dans la soirée. Alger est bâti sur un massif de col-
Les musulmans n'ont ni statues, ni lines, qui s'étend fort loin à l'est, à
portraits dans les temples; on
y re- l'ouest et à trois lieues au sud jusqu'à
marque seulement quelques tableaux ,

la Métidja. Dans un rayon de deux


placés de chaque côté de la niche, et lieues autour de la ville s'élevaient - ,
sur lesquels sont écrits, en caractères au milieu de jardins et de vergers ma,
arabes, des versets du koran. Ils n'y gnifiques, plus de mille maisons de
entrent jamais que pieds nus, et pen- campagne construites dans le style
,
dant les cérémonies, ils observent le oriental, et dont nos soldats ont dé-
plus grand recueillement.
truit la plus grande partie. Les collines
Les casernes des janissaires sont sont séparées les unes des autres par
16 L'UNIVERS.
des vallons très-pittoresques, dans plu* d'une forêt d'orangers , formée par les
sieurs desquels coulent des ruisseaux. vergers qui l'entourent et dont l'as-
Les eaux de ces ruisseaux et celles d'un pect présente le coup d'oeil le plus ra-
grand nombre de sources que l'on dé- vissant. (Voy. planche 5. )
couvre en creusant à une très-petite Les rues de cette ville sont plus lar-
profondeur , conduites par des tuyaux ges et mieux percées que celles d'Al-
en terre cuite , allaient arroser les jar- ger ; mais la moitié sont encombrées
dins de toutes ces belles campagnes de ruines; résultat d'un tremblement
alimenter leurs superbes jets-d'eau et de terre qui la détruisit en partie dans
toutes les fontaines de la ville. Les l'année 1825. A en juger par le nom-
collines des environs d'Alger sont très- bre des maisons Bélida pouvait ren-
,

fertiles ; les parties incultes sont cou- fermer à cette époque 6000 à 7000
, ,

vertes de fortes broussailles, dont la âmes. En 1830, il y en avait à peine


vigueur dénote la bonne qualité du sol. 4000 Maures Turcs très-peu d'Ara-
, , ,

bes et 60 familles juives. Les habi-


LA MÉTIDJA, BÉLIDA ET COLÉA. tants de Bélida cultivent leurs vergers
La Métidja est une vaste plaine et les premiers contre-forts de l'Atlas
comprise entre la masse de collines garnis de vignes et de champs super-
dont nous venons de parler et la bes, au milieu desquels on remarque
chaîne du petit Atlas, qui s'étend pa- une grande quantité d'arbres.
rallèlement à la mer, sur une longueur Coléa. Au nord et en face de Bé-
de vingt lieues et dont la largeur varie lida, de l'autre côté de la plaine, on
entre quatre et cinq. Elle est traversée aperçoit Coléa, bâtie dans un petit
par plusieurs rivières (le Oued- Jer, l' Ar- vallon des collines du littoral , exposé
rach, l'Amise, etc.) et un grand nom- au sud et abrité des vents du nord et
bre de ruisseaux. Quelques portions de l'ouest. Le tremblement de terre
de cette plaine sont marécageuses et de 1825 a aussi détruit une partie de
inhabitables ; mais la plus grande par- cette ville, et ses ravages n'étaient
tie de la surface du sol est très-saine point encore réparés en 1831. Il n'y
et susceptible d'une grande fertilité. a que deux mosquées dans Coléa ;
Les meilleures contrées sont habitées les maisons sont assez semblables à
par des tribus arabes qui vivent sous celles de Bélida, seulement quelques-
des tentes, ou dans des cabanes faites unes sont couvertes en tuiles creuses.
avec des branches d'arbres et des ro- La population de cette ville n'ex-
seaux. Ces tribus possèdent de nom- cède pas trois mille âmes , y com-
breux troupeaux qui forment leur plus pris un assez grand nombre d'Arabes
grande richesse. qui habitent sous des tentes et des :

On aperçoit çà et là quelques fer- cabanes élevées au milieu des vergers I

mes construites' en maçonnerie , qui et des jardins qui entourent la ville. ,

appartenaient au dey et* aux grands Ces vergers sont loin d'être aussi beaux \

dignitaires de l'état. Autour de plu- que ceux de Bélida. Dans un rayon i

sieurs il y avait de fort beaux vergers


, d'un quart de lieue autour des murs,
d'orangers, de plantations d'oliviers , sont des champs mal cultivés, et le
et toujours une certaine étendue de sol est ensuite couvert de broussailles
terrain plus ou moins bien cultivée. jusqu'à une grande distance.
Bélida, située sur le bord de la
LE PETIT ATLAS ET MÉDÉYA.
Métidja , au pied du petit Atlas à onze
,

lieues" S.-O. d'Alger, est construite La grande partie du versant


plus
dans le même genre que cette dernière nord du qui borde la Mé-
petit Atlas ,

ville , seulement les maisons sont tidja, est couverte de broussailles et


beaucoup moins hautes; elles n'ont de mauvais bois composés de chênes
,

généralement qu'un rez-de-chaussée. verts et de lièges.


Les minarets des quatre mosquées de Dans le voisinage de Bélida, les
Bélida apparaissent de loin au milieu vallées et les vallons de ces montagnes

l
ALGER. 17

sont cultivés jusqu'à près de 1000 mè- des pommiers , des poiriers , des pru-
tres d'élévation au-dessus de la mer ; niers, etc. On croirait être en France,
on y rencontre tous nos arbres frui- dans les montagnes de la Bourgogne.
tiers de l'Europe, et même des oran- Les rues de Médéya sont assez bien
gers et des agaves. percées, et de chaque côté régnent
Les cultures disparaissent à peu près de petits trottoirs. Cette ville renferme
aux deux tiers de la hauteur des mon- quatre mosquées, une caserne de ja-
tagnes; et jusqu'à la crête, on ne nissaires et un palais assez mesquin
,

trouve plus" que des bois de chênes habité par les fils du bey de Titéry;
verts et de lièges d'une assez vilaine le père résidait dans une fort jolie mai-
venue. Mais, sur le versant sud, les son de campagne située sur un plateau
cultures et les habitations arrivent tout à une demi-lieue à l'est de la ville. La
près de cette crête. population ,composée d'Arabes de ,

La route de Bélida à Médéya qui ,


Turcs et de quelques familles juives
traverse la chaîne du petit Atlas à , s'élève à six ou sept mille âmes. Les
trois lieues à l'ouest de la première habitants s'adonnent à l'agriculture.
ville dans la tribu de Mouzaya ser-
, , Tous les environs de Médéya sont
pente au milieu d'un terrain aride ou habités par des tribus berbères, extrê-
couvert de mauvaises forêts. On aper- mement cruelles , contre lesquelles
çoit cà et là, dans le tond des vallées, cette ville est souvent obligée de se dé-
quelques cabanes autour desquelles se fendre. On voit encore sur le territoire
trouve un petit espace cultivé. On tra- de ces tribus les restes des forts que
verse la crête à ce fameux col de Té- les Romains avaient construits pour
nia où le bey de Titéry fut complète-
, maintenir les Numides, lorsque ces
ment défait malgré tous les avantages
, maîtres du monde tentèrent de s'éta-
de cette position. Après avoir fran- blir entre les deux Atlas.
chi des défilés presque impraticables
compris entre de hautes montagnes OR AN.
couvertes de bois on arrive au pied
,

de la chaîne sur des collines arides et On peut aller d'Alger à Oran par
nues, qui continuent jusqu'à Médéya. terre, en traversant la plaine de la
Médéya , située entre les deux Atlas Métidja, quelques petites chaînes de
à 22 lieues S. S.-O. d'Alger , est bâ- montagnes et ensuite de vastes plaines
tie sur une petite colline escarpée à qui s'étendent jusqu'à l'empire de Ma-
l'O. et penchant légèrement vers l'o- roc ; le trajet est de 80 à 90 lieues. On
rient. Elle est entourée d'un mur en rencontre sur la route beaucoup de
pierres très-solide, dans lequel sont
, tribus nomades, qui cultivent le riz
gercées cinq portes, dont deux sont dé- et les céréales ; peu de maisons , habi-
fendues par de mauvaises batteries tées par les chefs de tribus ; point de
armées de quatre pièces chacune. Un villages ni de villes, mais les ruines de
bel aqueduc à deux rangs d'arcades, plusieurs cités romaines, dont l'étendue
et sous lequel on passe en venant d'Al- annonce qu'elles étaient très-considé-
ger, conduit dans la ville une eau ex- rables. On traverse plusieurs fleuves, et
cellente qui alimente ses nombreuses entre autres, le superbe Chélif, dont ies
fontaines. (Voy. planche 7.) eaux vivifient les vallées et les plaines
L'aspect de Médéya diffère complè- qu'il arrose.
tement de celui des villes de la côte : Les Français ne peuvent point aller
les maisons sont couvertes en tuiles d'Alger à Oran par terre , et la com-
creuses et ne sont point blanchies à
, munication entre les garnisons de ces
la chaux. Les agaves les cactus et les
, deux villes se fait par la mer. Jusqu'à
orangers ont entièrement disparu; la Mostoganem, ville située près de l'em-
campagne est couverte de vignes et de bouchure du Chélif, la côte est bordée
champs cultivés, entourés de haies d'é- par des collines, et ensuite par des
pines, et dans lesquels sont plantés montagnes assez élevées, sur lesquelles
e
2 Livraison. (Alger.)
18 L'UNIVERS.
on remarque des villages et quelques ges, aidés par ceux de la campagne, at-
petites villes. Au
pied de la haute taquaient continuellement.
montagne de Chénouah, à 20 lieues La p aine qui se trouve au sud d'O-
d'Alger, est la petite ville de Cherche!, ran , légèrement accidentée , est inha-
très-bien construite, entourée de ver- bitée, couverte de broussailles et peu
gers et d'une campagne fertile. De propre à la culture. Les tribus qui ve-
Mostoganem au cap Ferrât , le terrain naient s'y établir dans le printemps,
est plat; ensuite recommencent les sont maintenant retirées au pied de
montagnes, qui s'étendent fort loin à l'Atlas, à huit lieues de la ville.
l'ouest d'Oran. Il n'y a point de porta Oran; la baie
Cette ville , située dans le fond d'une au fond de laquelle cette ville est si-
baie, à 35° 44' de latitude nord, et tuée est trop peu profonde pour que
3° 2' de longitude ouest , occupe deux même les bâtiments de commerce
petits plateaux allongés, séparés par un puissent y mouiller de plus elle est
; ,

ravin très-profond, ou coule une rivière ouverte à presque tous les vents.
qui fait tourner plusieurs moulins, Mers-el-Kébir. Mais il existe une
donne de l'eau à la ville et arrose ses superbe rade à une demi -lieue au N.
jardins. Oran a été long-temps occupée d'O. de cette ville, assez profonde
par les Espagnols, quï l'ont entourée pour recevoir des bâtiments de guerre
d'une enceinte, et y ont bâti des forts et où une flotte de cent vaisseaux
magniiiques , encore en très-bon état. peut braver les plus fortes tem-
La partie occidentale renferme un pêtes. Cette rade appelée Mers-el-Ké-
,

grand nombre de ruines de maisons bir (le grand port), est défendue par
et d'édifices espagnols , couvents, égli- plusieurs forts construits en pierres de
ses, palais, etc., qui furent détruits en taille , dont le plus considérable situé ,

1790 par un violent tremblement de sur un cap à l'extrémité nord ren- ,

terre. Au milieu de ces ruines, les ferme des logements et des magasins
Maures et les Arabes avaient élevé pour une garnison de 1600 hommes.
quelques maisons ; mais la ville mau- Après le fort de Mers-el-Kébir jusqu'à
resque est située sur la rive droite de une grande distance à PO., la côte est
la rivière. La portion qui regarde la bordée de falaises très-escarpées, au-
mer est occupée par la Nouvelle-Kasba} dessus desquelles le terrain est inculte.
fort magnifique, de construction espa-
gnole j et dans lequel le bey avait éta- CONSTANTINE ET SES ENVIRONS.
bli sa résidence. Les maisons d'Oran Constantîne est située à PE. d'Al-
sont à peu près les mêmes que celles ger sous le 4° de longitude et à 20 ,

de Bé.ida ; la cour intérieure est ordi- lieues dans l'intérieur des terres. La
nairement couverte d'une beile treille, route, entre ces deux villes, n'est prati-
qui donne de l'ombrage et des raisins cable que pour des bêtes de somme.
délicieux. ( Voy. planche 8. ) Elle traverse de hautes montagnes,
Oran par des Maures
était habitée où se trouvent des défilés très-difiiciles
des Arabes, des Turcs, des Juifs et à franchir, et dont les environs sont
quelques Nègres. D'après l'étendue de habités par des Berbères fér ces et
la ville, on peut évaluer la population, belliqueux, qui ne laissent jamais pas-
avant l'entrée des Français , a cinq ou ser les voyageurs sans les rançonner
six mille âmes; mais à notre arrivée, quand ils ne^ les pillent pas.
tous les habitants prirent la fuite, à Constantine est bâtie au milieu
l'exception des Juifs et de quelques fa- d'une grande plaine , sur le bord du
milles maures. Il existait deux grands Suffimar, rivière qui contourne ses
villages au sud et à l'est d'Oran , con- murs en formant un demi-cercle. Cette
struits en maçonnerie et habités par ville est construite dans le même genre
des Arabes ; mais on a été obligé de que Médéya; elle est la rés dence d'un
les détruire pour la défense de la ville, bey , que nous n'avons pu soumettre
que les habitants de ces mêmes villa- et qui nous fait une guerre continuelle,
ALGER. m
en attaquant à chaque instant quelques- dans la ville. Les maisons sont con-
uns des points que nous occupons sur struites comme celles d'Alger; les mos-
la côte. Cette ville n'est point fortifiée, quées ne présentent rien de remar-
il y a seulement une petite batterie du quable; l'édifice le plus beau est la
côté d'Alger, armée de sept à huit mau- Kasba, forteresse vaste et bien con-
vais canons. Sa population est de struite , armée de plusieurs pièces de
15,000 âmes au plus; elle se compose canon , avec lesquelles quelques cen-
d'Arabes, de Nègres, de Turcs ma- taines d'hommes peuvent se défendre
riés avec les filles des Arabes et de , contre les hordes barbares du voisinage.
deux mille Juifs. Les habitants s'adon- Bone est située dans une baie ter-
nent à l'agriculture et s'occupent aussi minée par le cap de la Garde et le cap
de commerce. Il existe à Constantine Rosa. Près de ces deux caps il y a des ,

un marché considérable, où l'on amène montagnes très-élevées qui tombent


une grande quantité de marchandises brusquement dans la mer. Trois riviè-
de l'intérieur du pays, laine, cire, res se jettent dans cette baie la Séï- :

blé , bestiaux pelleteries , etc. Ces


,
bouze la Séïbose et la Saba. Près des
,

marchandises étaient achetées pour le bords de la Séïbouze au S.-O. de la


,

compte des négociants de Bone qui ,


ville , s'élève un monticule sur lequel
les expédiaient en Europe. on voit encore les ruines du couvent
Dans le vosinage de la ville, les deSt.-Augustin, apôtre de ces contrées,
deux bords de la rivière, qui commu- qui convertit les Maures au christia-
niquent entre eux par un pont magni- nisme, lorsqu'ils étaient encore sujets
fique construit par les Romains, sont
, des Romains. Tout le fond de la baie
bordés de jardins et de vergers super- est bordé de dunes qui s'avancent fort
nes , au milieu desquels on remarque loin dans l'intérieur des terres.
plusieurs jolies maisons de campagne. Entre Bone et Bougie , le pays est
très-montueux et habite par des tribus
BONE ET BOUGIE.
berbères fort belliqueuses, qui empê-
II existe une assez belle route de cheront encore long-temps la commu-
Constantine à Bone, qu'on pourrait nication parterre entre ces deux villes,
facilement rendre praticable aux voi- et s'opposeront de toute leur force aux
tures. Ces deux villes sont éloignées de établissements que les Français tente-
30 lieues Tune de l'autre; le terrain raient de former le long de la côte.
compris entre elles est peu accidenté Bougie est bâtie au fond d'une baie
et la plus grande partie de la surface abritée par le cap Carbon des vents
est cultivée. A moitié chemin , on tra- du N. et du N.-O.; les vaisseaux de
verse à pied la Séïbouze, qui a 60 ou guerre y trouvent un bon mouillage ;

80 mètres de large. Tout le long de la cinq batteries en défendent l'entrée.


route , on rencontre beaucoup de rui- Cette ville est à 30 lieues de Constan-
nes de villes et d'édifices romains. En tine à 55 de Bone et à 45 d'Alger. Nous
,

approchant de Bone , le sol montueux ne possédons point de renseignements


est couvert de bois composés d'oliviers, sur sa population. Les montagnes qui
de sapins et de lentisques. l'environnent sont habitées par des
Quand les Français s'emparèrent de Berbères cruels et belliqueux, qui n'ont
Bone une partie de cette viLe était en
, cessé d'attaquer nos troupes depuis
ruines, et sa population, assez nom- leur débarquement et avec lesquels il
,

breuse quelques années auparavant, sera impossible d'établir jamais de re-


se trouvait réduite à 1600 aines. Elle lations amicales un peu solides.
est construite sur le bord de la mer, au
HISTORIQUE.
pied d'un mamelon , sur lequel s'élève
la citadelle (Kasba). Un mur de dix Avant que les Romains eussent dé-
pieds de haut règne tout autour de truit Carthage et formé des colonies
Bone , et quatre portes, dans le genre sur la côte africaine, depuis les fron-
de celles de Médéya , donnent entrée tières de l'Egypte jusqu'aux colonnes
2.
20 L'UNIVERS.
d'Hercule, tout le pays était habité par suivirent plusieurs fois jusque dans
deux grands peuples , les Maures et leurs repaires ; mais voyant qu'il était
les Numides , qui , suivant Salluste impossible de les atteindre, ils con-
provenaient du mélange des Libyens struisirent des forts dans l'intérieur
et des Gétules, aborigènes de ces con- des montagnes , où ils mirent des gar-
trées, avec des soldats de l'armée nisons, chargées de les surveiller et de
d'Hercule, dont une partie vint en Afri- s'opposer à leurs courses.
que après avoir conquis l'Espagne. Cette disposition ne put jamais avoir
Ces Africains étaient alors dans un le résultat qu'on en attendait ; les Nu-
état peu différent de la brutalité : ils mides parvenaient toujours à tromper
mangeaient la chair des animaux toute la vigilance des Romains, et ils se
crue et broutaient l'herbe dans la cam-
, réunissaient souvent en assez grand
pagne comme les vaches et les brebis ; nombre pour attaquer les forts, les
ils ne savaient pas se construire d'ha- prendre et massacrer ceux qui les oc-
bitations , et dormaient où ils se trou- cupaient.
vaient, comme les bêtes sauvages. Des armées romaines parcoururent
Leurs mœurs s'adoucirent un peu plusieurs fois l'Atlas en poursuivant
par les alliances qu'ils contractèrent l'ennemi jusque dans ses retraites les
avec les Mèdes , Perses et les Ar-
les plus inaccessibles; jamais il ne put
méniens ; ils bâtirent des villes , et on être anéanti; et à peine les légions
vit bientôt s' élever plusieurs puissances étaient-elles rentrées dans leurs can-
maritimes formidables. Cependant la tonnements que les Numides recom-
,

civilisation ne fit pas chez eux des pro- mençaient leurs courses.
grès remarquables ; car Procope, l'his- La république qui comprenait les
,

torien de l'expédition de Bélisaire, dit grands avantages qu'elle pouvait reti-


en parlant des Maures, qui vivaient rer de ses possessions d'Afrique, fit
depuis des siècles au milieu des Ro- d'immenses sacrifices pour les conser-
mains : « Ils habitent dans de mau- ver; et la fermeté romaine surmon-
« vaises cabanes et dorment sur la tant tous les obstacles , parvint à s'em-
« terre; les plus riches ont à peine parer , malgré tous les efforts des Nu-
« quelques peaux de moutons pour se mides, des plaines et des plus belles
« coucher ; ils portent le même habit vallées , dans lesquelles on vit bientôt
« dans toutes les saisons , ils ne con- s'élever des villes et des villages, habi-
« naissent ni le pain ni le vin et man-
, tés par une population nombreuse.
« gent le blé et l'orge comme des La Numidie les deux Mauritanies
,

« bêtes , sans les réduire en farine. » (Césarienne etTingitane) comprenaent i

Les colonies romaines, établies d'a- tout le terrain qui forma plus tard la j

bord dans le voisinage de Carthage et régence d'Alger. Hippo-Régius Cirta, ,


j

d'Utique, s'étendirent en peu de temps Soldée et Cœsarœ , étaient les princi- ;

sur tout le littoral , jusqu'au détroit de paies villes de ces contrées. \

Gibraltar. A mesure qu'elles gagnaient La prospérité des colonies africaines ;

du terrain les Numides se retiraient


, suivit les mêmes
phases que celle de
dans les montagnes; mais les Maures, l'empire. Les troubles de l'Italie et
qui s'étaient adonnés au commerce et l'invasion des Barbares firent naître aux
vivaient dans les villes de la côte Romains d'Afrique l'idée de se séparer
restèrent chez eux, vécurent en bonne de métropole; plusieurs révoltes
la
intelligence avec les Romains, dont partielles avaient déjà étéréprimées
ils embrassèrent la religion et prirent lorsque sous le règne de l'empereur
les coutumes. Valentinien, Boniface, gouverneur des
Les Numides, réfugiés dans les mon- provinces d'Afrique se révolta ouver-
,

tagnes ^ étaient continuellement occu- tement et appela à son secours les


pés à saisir les instants favorables pour Vandales alors maîtres de l'Espagne.
,

attaquer les Romains et piller la cam- Ces peuples, avides de conquêtes,


pagne et les villes. Ceux-ci les pour- passèrent en grand nombre les colonnes
ALGER. 21

d'Hercule , sous la conduite de Gon- parer de toutes leurs possessions et


tharic, un de leurs chefs, et marchèrent vinrent assiéger Carthage avecune puis-
jusqu'à Carthage , en s'emparant de sante armée. Jean , général de l'empe-
toutes les villes qui se trouvaient sur reur Léonce, ayant réuni toutes ses
leur passage. Boniface, qui avait trop forces, livra bataille aux mahométans,
espéré de l'appui des Vandales, com- les vainquit, et les chassa du territoire
prit bientôt qu'au lieu d'alliés il s'é- de l'empire.
tait donné des maîtres. Après avoir Le mauvais succès de l'entreprise ne
vainement fait des démarches au- rebuta point ces fanatiques conqué-
près de Gontharic pour l'engager à se rants rentrés en Egypte , ils levèrent
:

retirer, il réunit tout ce qu'il lui res- de nouvelles troupes, équipèrent une
tait de soldats, et combattit en déses- puissante flotte dans le port d'Alexan-
péré. Mais il fut complètement défait drie, et revinrent attaquer les Ro-
et obligé de fuir, en laissant les Van- mains par terre et par mer. Jean
dales maîtres des états qu'il avait voulu trop faible pour résister, fut vaincu;
usurper. Ceux-ci se voyant possesseurs il s'embarqua avec le peu de troupes

d'un des plus beaux pays du monde , qui lui restait, et revint à Constanti-
résolurent de s'y fixer; ils envoyèrent nople , porter à l'empereur la nouvelle
des députés faire soumission à l'empe- de la perte de toutes les provinces
reur , et promettre de lui payer tribut. d'Afrique.
Les propositions des Vandales furent Les Romains une fois expulsés , rien
acceptées ; Rome était alors hors d'état ne s'opposa plus aux progrès des Arabes,
d'entreprendre une guerre pour recou- qui s'emparèrent, sans coup férir, de
vrer ses provinces d'Afrique. tous les pays jusqu'au détroit de Gi-
Les Vandales jouirent en paix du braltar. Les Maures se soumirent sans
fruit de leur usurpation pendant plus résistance au nouveau joug qu'on ve-
de cent ans ; mais, en 534 , Gélimère nait leur imposer; ils abandonnèrent
ayant fait crever les yeux à son neveu le christianisme pour la religion de
pour régner à sa place , et ses prédé- Mahomet, et donnèrent leurs filles
cesseurs n'ayant pas rempli exacte- aux Asiatiques , comme ils l'avaient
ment leurs engagements envers l'em- fait auparavant avec les Romains et
pire, l'empereur Justinien envoya Bé- les Vandales. Les Numides se tenant
lisaire , qui prit Carthage , fit balayer toujours enfermés dans les montagnes,
le pays jusqu'aux colonnes d'Hercule ne voulurent point faire alliance avec
pour en expulser les Vandales, et le les Arabes, et se maintinrent en état
réduisit de nouveau sous la domina- permanent d'hostilité.
tion romaine. Les enfants de Mahomet, maîtres
Depuis l'établissement du siège de des deux Mauritanies se trouvaient
,

l'empire à Constantinople, sa faiblesse trop près de l'Espagne, un des plus


allait toujours en augmentant. Les gar- beaux pays du monde, qui devenait
nisons d'Afrique en profitèrent pour se successivement la proie de tous les
révolter. Les Maures, qui avaient em- conquérants européens pour ne rien
,

brassé le christianisme, vivaient plus que entreprendre contre lui. Ils avaient
jamais en bonne intelligence avec les déjà tenté infructueusement plusieurs
Romains, dont un grand nombre avait débarquements, lorsqu'en 712 le comte
épousé leurs filles. On vit alors s'élever Julien , qui s'était révolté contre Ro-
plusieurs petits états indépendants, où drigue, son souverain légitime, les
les Romains se trouvèrent mélangés appela à son secours. Les Arabes, traî-
avec les naturels. nant avec eux les Maures et les restes
Les Arabes ,
qui s'étaient emparés des Vandales , traversèrent le détroit
de l'Egypte, avaient déjà plusieurs vainquirent les princes chrétiens dans
fois attaqué les Romains, et les avaient plusieurs batailles, les forcèrent de
forcés d'acheter la paix par un tribut, s'enfermer dans les montagnes des
lorsqu'en 697 ils résolurent de s'em- Asturies , et s'établirent dans les plus
22 L'UNIVERS.
belles contrées de la Péninsule ibé- tillerie, mouillèrent à l'ouest, hors
rique. de la portée du canon. Le débarque-
Jusqu'au XI e
siècle , les Musulmans ment offrit les plus grandes difficultés.
restèrent paisibles possesseurs du pays Les Maures et les Arabes qui défen-
dont ils s'étaient emparés, et ils
y daient la côte, ne le croyant pas exé-
construisirent des villes , des palais et cutable, se retirèrent ne laissant que
des mosquées magnifiques , dont plu- 3000 hommes et 200 chevaux. Les Espa-
sieurs sont encore très-bien conservés. gnols débarqués n'éprouvèrent qu'une
En 1492, Ferdinand d'Aragon et faible résistance , le fort se rendit, et
Isabelle de Castille, qui régnaient en- reçut une garnison.
semble sur les Espagnes, tirent une Quatre ans après la prise de Mers-
guerre vigoureuse aux Musulmans , et el-Kébir, le gouverneur de cette place
finirent par les expulser entièrement. noua des intelligences avec un juif d'O-
Ceux qui purent échapper au fer ran qui promettait de 1 vrer aux Espa-
des vainqueurs repassèrent le détroit gnols la p rtede cette ville située sur la
et allèrent demander asile à leurs co- route de ïelmecen. Le cardinal Ximé-
religionnaires africains. Leur haine nès, informé de ce qui se passait, ras-
contre les chrétiens était trop invété- sembla à Carthagène une flotte et une
rée , et ils étaient trop belliqueux pour armée qui devaient aller attaquer Oran.
vivre tranquillement si proche de la Les troupes, sous le commandement
belle contrée qu'ils venaientde perdre; de Pierre de Navarre, se composaient
ils ne tardèrent pas à armer en cor- de 15,000 hommes de différentes ar-
saires de petits bâtiments qui pillaient mes tous vieux soldats. Le cardinal
,

les navires marchands sur la Médi- s'embarqua le 16 mars 1509. On mit


terranée ils organisèrent la piraterie
; immédiatement à la voile, et le 17 la
et débarquaient à l'improviste sur les flotte était devant la côte d'Afrique. Le
côtes d'Espagne, qu'ils ravageaient, et débarquement s'effectua dans le port de
dont ils emmenaient la population en Mers-el-Kébir ,la nuit même du 1 7.
esclavage. Les habitants d'Oran n'en eurent
Les principaux ports oùles pirates connaissance que le lendemain matin
se réfugiaient devinrent en peu de quand leurs ennemis marchaient déjà
temps les capitales de petits états qui contre eux. Ils se précipitèrent à la
formèrent ensuite les régences barba- rencontre des Espagnols, mais ils fu-
resques , dont la puissance s'accrut rent culbutés, la porte de Telmecen
jusqu'à oser imposer des lois aux rois fut livrée et Oran pris sans coup férir.
de l'Europe. Après la prise d'Oran, le cardinal
Isabelle était morte. Son époux, qui retourna en Espagne et rentra dans
regardait comme un grand honneur le port de Carthagène , cinq jours seu-
de poursuivre ses ennemis jusque lement après en être sorti.
chez eux, fortement excité par le Expédition de Bougie. Pierre de
cardinal Ximénès , ordonna qu'une Navarre avait dans le port de Mers-
expédition , commandée par Raimond el-Kébir 13 vaisseaux armés pour-
,
de Cardonne et Diègue de Cordoue vus de vivres et de munitions. Il fit
serait dirigée contre le fort de Mers- embarquer sur cette escadre une par-
1

el-Kébir ,
principal repaire des pira- tie des troupes qui venaient de s'em-
tes. La flotte sous les ordres de Rai- parer d'Oran , mit à la voile et rallia à
mond, portant 5000 hommes de débar- Yvica une autre division navale , com-
quement, partit du port de Malaga à mandée par Jérôme Vianelli. Les deux,
la fin d'août 1504. Arrêtée par des escadres réunies ayant 5,000 hommes
vents contraires, elle fut obligée de de débarquement, mirent à la voile le
er
relâcher dans le port d'Almeria , et 1 janvier, et arrivèrent devant Bou-
ne parut devant le fort que le 1 1 sep- gie le 5 janvier; mais lèvent étant con-
tembre. Les chrétiens voyant Mers- traire, èllesdurent se tenir aular.re. Les
el-Kébir armé d'une nombreuse ar- Berbères et les Arabes, commandés par
ALGER. 23

m roi , au nombre de dix mille envi- lejoug qui leur était imposé. La mort
de Ferdinand, qui arriva en 1516,
ron, dont une grande partie à cheval,
occupaient les montagnes qui envi- ranima leur courage, et ils pensèrent
ronnent la ville. à reconquérir la liberté.
Le vent s'étant calmé, les vaisseaux Les Algériens appelèrent à leur se-
jetèrent l'ancre et le débarquement cours Sélïm-Utémi , prince arabe, qui
commença aussitôt. Les ennemis s'a- jouissait alors d'une grande réputation
vancèrent alors ; mais , foudroyés par militaire. Ce guerrier, ne se croyant
l'artilleriedes navires, ils se retirèrent point assez fort pour attaquer lui seul
avec précipitation, et les troupes purent les Espagnols, envoya un agent au fa-

continuer à débarquer sans être in- meux corsaire Barbërousse, qui régnait
quiétées. Le général en chef qui avait alors sur la Méditerranée, pour l'enga-
mis pied à terre avec les premières gera attaquer par mer le fort d'Alger,
troupes, les rangeait en bataille au fur pendant que de son côté il s'emparerait
et à mesure de leur arrivée. ÏI en forma de la ville. Les deux attaques, bien
quatre grosses masses avec lesquelles combinées, eurent un succès complet;
il marcha droit à l'ennemi, pour le la garnison espagnole fut faite prison-
chasser de ses positions. Les Africains nière ; Alger et tout son territoire ren-
terrifiés n'osèrent pas attendre les chré- trèrent sous la domination musulmane.
tiens , ils abandonnèrent les postes Les deux vainqueurs , qui s'étaient
avantageux qu'ils occupaient , et se pré- si bien entendus pour attaquer, ne

cipitèrent vers la ville , comptant sur purent jamais s'entendre pour gou-
la force de ses remparts. Mais les Es- verner le pays dont ils venaient de
pagnols les suivirent de si près , qu'ils s'emparer; Sélim-Utémi fut assassiné,
entrèrent pêle-mêle avec eux. Bou- et son fils forcé de chercher un refuge
gie fut pris dans un instant et livré au parmi les Espagnols.
pillage. Dans son expédition sur Alger, Bar-
La chute si prompte de Bougie, que bërousse avait amené avec luises com-
les Barbares regardaient comme im- pagnons de brigandage , presque tous
prenable, jeta la consternation sur Turcs, qui formèrent le premier noyau
toute la côte et même fort loin dans de cette milice algérienne, devenue
les terres. Les villes du voisinage, depuis si redoutable.
craignant un sort semblable, envoyè- Peu d e temps après la prise d' A lger par
rent des députés au vainqueur pour Barbërousse, une flotte espagnole, por-
faire leur soumission au roi d'Espagne tant 10,000 hommes de débarquement,
et offrir de payer un tribut. Alger, se présenta pour attaquer cette ville.
qui n'était point alors aussi forte Quoique plusieurs bâtiments se fussent
qu'elle l'est devenue depu s , fut une brisés contre les rochers en abordant
des premières à se soumettre. la côte , le débarquement n'en eut pas

Les rois de Tunis, de Tedeîez et moins lieu ; mais les Espagnols , qui
jusqu'aux habitants de Mostaganem s'étaient livrés au pillage, vigoureu-
se reconnurent tributaires de "la cou- sement attaqués par les Maures et
ronne de Castiile, dont en peu de mois les Arabes, sous les ordres de Barbë-

la domination s'étend.t depuis Tunis rousse lui-même , furent presque tous


jusqu'au détroit de Gibraltar (en 15 10). massacrés.
Les Espagnols, maîtres d'Alger, bâ- Après cette victoire , qui lui assura
tirent un fort sur un rocher qui forme une grande prépondérance dans le
une île devant cette ville. C'est ce fort, pays Barbërousse entreprit d'en chas-
,

augmenté par les Turcs, qui forma ser entièrement les Espagnols; et il
depuis le port d'Alger , et lit toute la aurait réussi s'il n'eût été tué deux ,

force de ce repaire de pirates. ans après , dans une bataille qu'il leur
Les Africains, traités par les Es- livra aux environs de Telmecen.
pagnols comme des vaincus et des in- Barbërousse fut remplacé dans le
fidèles , ne supportaient qu'avec peine gouvernement d'Alger par son frère
24 L'UNIVERS.
Chéridin, nommé aussi Barberousse, l'Italie, les Calonne, les Doria et les
qui était non moins habile et non moins Spinosa rassemblèrent les meilleures
courageux que lui. Les Espagnols ten- troupes du pays.
tèrent une autre expédition, sous les Les troupes, réunies sur les côtes
ordres de Moncade ; mais une affreuse d'Espagne et sur celles de l'Italie,
tempête lit périr la moitié de la flotte, furent embarquées sur les flottes d'Es-
composée de 26 vaisseaux. pagne et de Gênes , réunies toutes les
Chéridin, se voyant continuellement deux sous les ordres d'André Doria,
menacé , faisait de grands travaux pour l'amiral le plus célèbre de cette époque.
défendre de son empire il
la capitale ; Doria et le pape Paul III firent tous
augmenta beaucoup le fort que les Es- leurs efforts auprès de Charles-Quint
pagnols avaient construit sur le rocher pour le faire renoncer à une expé-
d'Alger, et il le joignit à cette ville dition dont ils semblaient prévoir la
par un superbe môle en pierres dont
, mauvaise réussite. Rien ne put l'ar-
l'intérieur renferme de beaux maga- rêter; il s'embarqua le 1 er octobre à
sins et des logements pour les troupes, Porto-Venere, et se rendit, non sans
à l'abri de la bombe. Malgré toutes ces beaucoup de difficultés, à Majorque ,
précautions, il ne se crut pas encore lieu du rendez-vous des flottes combi-
assez fort pour résister aux attaques nées. La flotte espagnole arriva la der-
des chrétiens et il mit ses états sous
, nière; quelques-uns de ses vaisseaux
la protection du grand-seigneur, en lui que le mauvais temps empêcha de ral-
demandant du secours. Le sultan lui lier , s'étaient dirigés directement sur
envoya quelques janissaires. Alger.
Peu de temps après , Chéridin laissa Le 18 octobre , 70 galères et plus de
le gouvernement d'Alger à un renégat, 100 bâtiments de moindre dimension
Hassan-Aga, d'origine sarde, d'une firent voile pour la côte d'Afrique.
cruauté et d'une bravoure à toute Le 26, le débarquement s'effectua aVec
épreuve, et partit pour Constanti- ordre et promptitude.
nopie, afin de traiter directement avec L'armée se composait de 22,000
le sultan la question algérienne. hommes d'infanterie, Espagnols, Alle-
mands , Bourguignons , Italiens et
EXPÉDITION DE CHARLES-QUINT EN 1541.
Maltais, et de 1 100 chevaux.
Charles-Quint , qui voyait la puis- Les attaques des Algériens furent re-
sance d'Alger s'augmenter tous les poussées avec vigueur par l'infanterie
jours , et qui comprenait tous les mal- espagnole soutenue par l'artillerie des
,,

heurs qui pouvaient en résulter pour la vaisseaux. L'armée, formée en trois


chrétienté , pensait depuis long-temps corps, commandés par Ferdinand de
à l'anéantir. En 1535 il avait déjà fait Gonzague , l'empereur et Camille Ca-
une expédition contre Tunis pour ré- lonne se porta en avant et alla pren-
,

tablir sur le trône Miucley-Hassan dre position entre deux torrents. Une
vassal de l'Espagne, dépossédé par Bar- attaque de nuit fut encore repoussée
berousse, et cette expédition avait eu avec avantage, et le 27 on commença
un succès complet. l'investissement de la place. Gonzague
L'absence de Chéridin parut à l'em- attaqua vigoureusement les Arabes
pereur une occasion favorable pour qui s'étaient emparés des hauteurs sur
exécuter son projet. Depuis long-temps la gauche de l'armée , ce qui leur don-
il s'y préparait. Les vice-rois de Na- nait un grand avantage. Le centre,
ples et de Sicile avaient fait des levées commandé par l'empereur en personne,
de vieux soldats. En Espagne, beau- s'empara d'une hauteur (Sidi-Jacoub ),
coup déjeunes gens de la noblesse s'é- où est maintenant le fort de l'Empe-
taient enrôlés pour cette périlleuse ex- reur. La gauche des Espagnols s'éten-
pédition. Fernand-Cortès , le conqué- dait sur les collines qui bordent la mer
rant du Mexique , se présenta comme à l'ouest d'Alger : de cette manière , la
volontaire avec ses trois fils. Dans ville se trouvait investie assez complé-
ALGER. 25

tement pour commencer les opérations on l'avait espéré; un pont fut con-
du siège. struit pendant nuit, et le lende-
la
Mais les précautions les mieux prises main l'armée passa. L'Hamise, que
ne suffisent pas toujours quand les l'on rencontra avant d'arriver au point
éléments peuvent influer sur le succès : de l'embarquement, nécessita encore
le même sot un vent violent du nord- la construction d'un pont ; l'armée
ouest amena des nuages qui crevèrent campa sur la rive droite, et le 31
et vomirent , durant toute la nuit, des elle commença à se rembarquer , sans
torrents d'une pluie froide, accompa- que l'ennemi "l'inquiétât. Mais comme
gnée de grêle ; les soldats n'avaient la tempête avait beaucoup diminué le
que leur simple vêtement, et absolu- nombre des vaisseaux , on fut obligé
ment rien pour se mettre à l'abri les , pour pouvoir ramener les hommes,
tentes n'étant pas encore débarquées. d'abandonner les chevaux débarqués,
Le flotte, horriblement battue par la et de jeter à la mer tous ceux qui n'a-
tempête, fut dispersée: plusieurs vais- vaient pas pu l'être.
seaux sombrèrent, d'autres vinrent se Dès que l'embarquement fut ter-
briser contre la côte , et un grand miné on annonça par un ordre du
,

nombre fût emporté ou coulé. La jour- jour à l'armée, que le siège d'Alger
née du 28 fut aussi mauvaise que la était remis à l'année prochaine , et
nuit qui l'avait précédée ; on manquait la flotte fit voile pour Bougie, où elle
déjà de vivres, et on n avait pas l'espoir arriva le 2 novembre après avoir
,

de pouvoir s'en procurer. Hassan-Aga, encore éprouvé plusieurs avaries et ,

profitant de la mauvaise position des entre autres, la perte d'un vaisseau


assiégeants, fit une sortie et tailla en avec 400 hommes.
pièces trois compagnies qui occupaient Le 16, Charles-Quint remercia tous
le pont de Bab-Azoun. Il se retira les généraux qui l'avaient accompa-
,

mais il revint ensuite , et culbuta les gné, les laissa chacun libres de pren-
chevaliers de Malte. L'empereur étant dre telle route qu'il leur plairait pour
venu lui-même à leur secours avec une retourner chez eux il partit lui-même,
;

division allemande, força l'ennemi à et rentra en Espagne par Carthagène.


la retraite. Ainsi fut terminée une expédition qui
Pendant la tempête, 150 navires et semblait devoir anéantir tous les pi-
8,000 hommes avaient été engloutis rates barbaresques , et qui ne fit que
par la mer ; les cadavres de ces mal- leur donner une plus grande audace.
heureux et les débris des vaisseaux Charles-Quint ne dut sa défaite qu'à
couvraient la plage. l'ignorance des localités et du caractère
Dans ce désastre, Doria ne perdit des ennemis qu'il avait à combattre.
point la tête, il raiha les débris de Après le départ de l'armée impé-
la flotte au cap Matifou , et écrivit riale , les corsaires algériens devinrent
à l'empereur pour le conjurer d'aban- plus nombreux et plus redoutables
donner son projet, et de se rembar- qu'auparavant. En 1663, le duc de
quer avec le reste de son armée. Dans Beaufort, chargé de réprimer leur
cette malheureuse circonstance, Char- audace avec une petite escadre espa-
les-Quint se conduisit en homme de gnole, les poursuivit vigoureusement
cœur; il resta constamment au milieu en détruisit quelques-uns, et força les
de ses troupes, se priva de tout pour autres à se tenir enfermés dans les
subvenir aux besoins du soldat, et ports. Quelque temps après , il débar-
fit tuer les chevaux pour alimenter qua avec 6,000 hommes à Gigery,
l'armée. petite ville à 50 lieues d'Alger; mais
Le 29, les Espagnols quittèrent les mauvais temps le forcèrent, après
leurs positions devant Alger, et allèrent quelques combats , à quitter les posi-
camper sur les bords de l'Arrach ,
qui tions dont il s'était emparé.
était tellement gonflée, qu'il leur fut Louis XIV ayant aussi résolu de
impossible de la passer à gué, comme mettre un terme à toutes les dépréda-
26 L'UNIVERS.
tions des corsaires barbaresques , les 1775, O'Reilly, qui jouissait de toute
avait déjà fait poursuivre plusieurs fois sa confiance, fut nommé généralissime
par ses vaisseaux, lorsqu'en 1682 Du- d'une armée composée de 30,000 hom-
quesne reçut le commandement d'une mes , en cavalerie et infanterie des
escadre, composée de 11 vaisseaux de meilleures troupes d'Espagne, avec
guerre, 15 galères, 5 galiotes, armées une artillerie de 100 bouches à feu.
chacune de 2 mortiers et 3 brûlots
, Cette expédition échoua complètement.
avec l'ordre de bombarder Alger. La Près de 100,000 Arabes, Maures et
flotte française , arrivée devant cette Berbères repoussèrent l'armée espa-
ville à la fin d'août , la bombardait de- gnole, qui était parvenue à débarquer,
puis plusieurs jours, lorsque le mauvais et qui perdit beaucoup de monde dans
temps l'obligea de rentrer dans les ports une bataille meurtrière.
de France. En 1783 et 1784, les Espagnols
L'année suivante, au mois de juin firent encore plusieurs attaques con-
l'attaque fut recommencée avec beau- tre Alger, moins malheureuses que
coup de succès. Une grande partie de la les précédentes, mais qui n'eurent
ville ayant été renversée, le dey de- néanmoins aucun résultat durable.
mandait à capituler lorsqu'il fut mas-
EXPÉDITION DE LORD EXMOUTH EN 1816.
sacré par ses troupes. Un nouveau dey
allait avoir le même sort, parce que les La guerre qui désola l'Europe pen-
dégâts causés par les bombes augmen- dant 25 ans ne permit point de s'oc-
taient à chaque instant, lorsque l'é- cuper des puissances barbaresques
quinoxe força Duquesne à se retirer ; et Alger en profita pour se mettre
il laissa quelques vaisseaux pour con- dans un état de défense formidable. Les
tinuer le blocus, et, en 1684, les Al- nombreuses captures de ses corsaires
gériens firent leur soumission. Mais fournissaient au dey tout l'argent né-
peu de temps après, ils recommencèrent cessaire pour subvenir aux grandes
a dévaster les côtes de la Méditerranée dépenses qu'~ccasionaient les travaux
et à emmener les habitants en escla- qu'il faisait exécuter.
vage. En 1687 et 1688, Tourville et le Des atrocités ayant été commises !

maréchal d'Estrées bombardèrent de sur quelques Anglais qui , suï- la foi '

nouveau Alger et coulèrent à fond cinq des traités se trouvaient à Bone, lord
,

corsaires ; dès leur départ, la piraterie Exmouth partit de Gibraltar le 14 août,


recommença. avec 12 vaisseaux, 4 bombardes et 2
Pendant la guerre de la succession, petits bâtiments. Il était accompagné
les Espagnols avaient été chassés d'O- par une escadre hollandaise, forte de ,

ran par les Maures et les Arabes, 6 frégates et d'un brick.


qui s'en étaient emparés. En 1732, L'amiral anglais se présenta d'abord
Philippe V envoya le duc de Mor- devant Alger avec 6 va sseaux , 4 fré-
temart pour reprendre cette ville. gates et 2 bricks pour demander, au
,

Ce général conduisit bien l'opéra-


si nom des grandes puissances européen-
tion, que trois jours après le débar- nes, l'abolition de l'esclavage des chré-
quement, une armée de 24,000 hom- tiens. Le dey ne répondit qu'en faisant
mes avait été défaite , et la ville avec , mettre aux fers le consul anglais et
tous les forts qui l'environnent, était re- ord nnant d'arrêter sur-le-champ tous
tombée entre les mains des Espagnols, les sujets de cette nation qui se trou-
qui la gardèrent jusqu'en 1790, où elle vaient dans la régence. Lord Exmouth,
fut détruite par un horrible tremble- au lieu d'employer les voies de vigueur,
ment de terre , ce qui décida le roi parvint à faire consentir le dey à s'en
d'Espagne à l'abandonner après avoir
, rapporter à la décision de là Porte
fait un traité avec le dey d'Alger. Ottomane. Mais le cabinet de St. Ja-
Charles III voulut aussi, à l'exem- mes n'ayant point ratifié cette propo-
ple de ses prédécesseurs , attaquer les sition , l'escadre d'Alger fut renforcée
pirates dans ieur propre pays, et ea et l'amiral reçut l'ordre d'attaquer
ALGER. 27

cette ville, si le dey n'accédait pas se vit obligée de couper ses câbles et
aux premières propositions. de gagner fe large.
Lord Exmouth reparut devant ce Pendant l'attaque, une révolte avait
repaire de pirates le 27 août avec 37 éclaté dans la ville et les jours du
,

voiles, dont 6 hollandaises; il signifia dey étaient menacés. Ce prince en-


aussitôt au dey que le roi d'Angleterre voya donc demander la paix. L'a-
exigeait l'abolition immédiate de l'es- miral ,
qui avait presque épuisé tou-
clavage des Européens et réparation
, tes ses munitions et dont la plupart
de toutes les pertes que les sujets an- des vaisseaux étaient délabrés , ce qui
glais avaient récemment éprouvées sur le mettait hors d'état de recommencer
différents points de la régence. l'attaque, accepta avec joie les pro-
Le dey repoussa avec énergie tou- positions qu'on venait lui faire. Les
tes les demandes de l'amiral anglais. conditions du traité furent î ° L'abo-
:

Pendant lespourparlers , celui-ci s'é- lition de l'esclavage des chrétiens.


tait approché des forts du môle et 2° La délivrance sans rançon de tous
avait disposé ses vaisseaux pour l'at- les malheureux retenus dans les fers.
taque sans courir le moindre danger. 3° La restitution d'une somme très-
Le vaisseau la Reine-Charlotte, que forte qui avait été payée au dey quel-
montait lord Exmouth, s'était telle- que temps auparavant , pour le rachat
ment approché de la ville pour pren- de 370 esclaves napolitains, etc. En-
dre à revers les forts du môle que son
,
fin 1000 esclaves chrétiens, de toutes
mât de beaupré touchait les malsons. nations , furent mis en liberté et em-
Le dey, s'étant rendu dans les batte- barqués sur la flotte anglaise.
ries dû môle et voyant la disposition Aussitôt que les Algériens eurent
des vaisseaux, ordonna de tirer des- perdu de vue la flotte qui venait de
sus. L'amiral anglais, avant de com- les châtier si rudement, ils se mirent
mencer le feu, fit signe à la multi- à réparer leurs fortification? et à en
tude qui couvrait le rivage de se re- construire de nouvelles, tellement dis-
tirer; mais il ne fut pas compris, et posées qu'une autre escadre ne pût
la première bordée emporta un grand jamais se placer comme lord Exmouth,
nombre de ces malheureux, dont le et prendre le môle à revers. En 1819,
reste se sauva en jetant des cris af- les corsaires avaient déjà recommencé
freux. Le feu des Anglais était si leurs courses, lorsqu'une flotte an-
nourri, que les batteries algériennes glo-française , envoyée par le congrès
furent bientôt réduites au silence, ainsi d'Aix-la-Chapelle, vint signifier au dey
que les bâtiments de guerre mouil- la résolution des grandes puissances
lés dans le port. Une chemise de sou- de faire cesser la piraterie. Il répondit
fre ayant été attachée à une grosse avec insolence qu'il ferait la guerre
frégate ennemie embossée près de l'a- aux vaisseaux de toutes les nations qui
miral anglais , elle prit feu en un n'auraient pas consenti à lui payer un
instant, et le vent portant la flamme sur tribut.
les autres , 5 frégates , 4 corvettes et En 1824, les Anglais furent obligés
plusieurs chaloupes canonnières fu- de renvoyer devant Alger une nou-
rent embrasées; les batteries basses velle flotte pour demander satisfaction
du môle étant casematées, ne purent de plusieurs actes de piraterie ; cette
être démontées et elles firent beau- fois tout fut terminé par une négo-
coup de mal aux assaillants. Plusieurs ciation. A la même époque, des diffé-
bâtiments furent démâtés ; 900 morts rends s'élevèrent entre la France et la
et 1,500 blessés avaient sensiblement régence d'Alger.
diminué la force des équipages anglais. Hussein-Pacha , arrivé au pouvoir
Vers minuit la canonnade s'était déjà en 1818, s'était toujours montré
ralentie, lorsque deux frégates algé- hostile à la France. Dans l'année
riennes tout en feu furent poussées 1824, il fit exercer, sous prétexte de
par le vent vers la flotte anglaise, qui contrebande, des perquisitions dans
28 L'UNIVERS.
la maison du consul français à Bone; tions de la France, et lui offrir des
et il établit une taxe arbitraire de 10 conditions de paix. Le despote algé-
pour 100 sur toutes nos marchan- rien traita notre envoyé avec hauteur,
dises. Des bâtiments de commerce dicta des conditions onéreuses, et dé-
français furent visités injustement et clara qu'il ne traiterait pas sur d'autres
fort maltraités. Tous ces griefs amenè- bases. M. de La Bretonnière voyant
rent des démêlés entre la France et Al- que tout arrangement était impossible,
ger, par l'entremise de M. Deval, notre se rembarqua sur le vaisseau la Pro-
consul dans cette ville. Il avait déjà vence, qui l'avait amené; mais au mo-
plusieurs fois reproché au dey l'odieux ment où ce vaisseau mettait à la voile,
de sa conduite et l'avait menacé d'une toutes les batteries du port firent feu
rupture ouverte, s'il ne réparait promp- sur lui jusqu'à ce qu'il fût hors de la
tement ses torts , lorsqu'étant venu portée du canon.
au palais avec tous les autres rési- Au retour en France de M. de La
dants européens, le jour de la fête Bretonnière , des cris de guerre s'éle-
du Baïram pour complimenter
, le dey vèrent de toutes parts, et les prépa-
suivant l'usage, ce prince, étant entré ratifs d'une expédition formidable,
en discussion avec lui , s'anima telle- pour punir les Algériens , furent com-
ment, qu'il le frappa à la figure avec mencés peu de temps après.
le chasse-mouches qu'il tenait à la
PRISE D'ALGER PAR L'ARMÉE FRANÇAISE.
main.
Aussitôt que le roi de France ap- Le gouvernement de Charles X,
prit cette insulte il envoya au consul
, dont l'impopularité allait tous les jours
l'ordre de quitter Alger. Dès que le en augmentant, intimidé par le ré-
consul fut embarqué, le dey ordonna sultat malheureux des expéditions pré-
au gouverneur de Bone de détruire tous cédentes , ne s'engagea qu'avec beau-
les établissements français qui exis- coup de répugnance dans la guerre
taient depuis le XV e
siècle dans le contre Alger.
voisinage de cette ville , et notam- Cependant, dès le commencement
ment le fort de La Calle, construit de 1830, de grands préparatifs furent
pour protéger pêcheurs de corail.
les faits dans les arsenaux de terre et de
Les Arabes et les Berbères auxquels , mer. Une flotte considérable eut or-
l'ordre fut transmis, mirent tout à dre de se réunir dans le port de
feu et à sang vers la fin du mois de
, Toulon pour transporter l'armée en
juin, et les Européens qui s'y trou- Afrique , avec ses chevaux et son
vaient eurent à peine le temps de se matériel. Le général Bourmont, alors
sauver. (Voy. planche 4.) ministre de la guerre, fut nommé au
Cette violation du droit des gens commandement de l'armée, et l'ami-
fut punie par un blocus des ports de ral Duperré à celui de la flotte.
la régence, qui coûta, pendant trois La marine et l'armée déployèrent
ans 7 millions par an , sans amener
,
tant d'activité , que dans moins de
aucun résultat. trois mois tous les préparatifs furent
En
1829 le gouvernement de Char-
, terminés une armée de 37,000 hom-
:

les X pensa à prendre des mesures mes fut rassemblée autour de Toulon ;
plus énergiques pour terminer cette et une flotte de 60 navires de guerre,
guerre inutile et ruineuse, et punir 6 bateaux à vapeur et 200 bâtiments
les Algériens. Il crut cependant de- de transport, réunis dans le port de
voir encore tenter la voie des négo- cette ville, se trouva prête à embar-
ciations avant d'entreprendre une ex- quer les troupes.
pédition dont le succès était douteux Les équipages de cette flotte se mon-
d'après l'issue de celles des Espagnols taient à 27,000 hommes; et quand
et des Anglais. l'armée fut à bord, elle portait 64,000
M. de La Bretonnière reçut la mis- hommes , 4,000 chevaux , l'artillerie
sion d'aller porter au dey les réclama- de siège et l'artillerie de campagne,
ALGER. 29

et les vivres nécessaires à toute cette du matin la première division de l'ar-


multitude pour trois mois. mée, commandée par le général Ber-
L'embarquement commença le 11 thezène, avec une batterie" d'artillerie,
mai, et fut terminé le 17;"i.l se fit sous l'escorte de 3 bateaux à vapeur,
avec autant d'ordre que de célérité; abordait la côte sans que l'ennemi s'en
et le 25, le vent du sud-est s'étant aperçût. Les troupes débarquées pri-
élevé vers midi , l'amiral fit le signal rent position sur les collines sablon-
d'appareiller, à la grande satisfaction neuses de la presqu'île de Sydi-Éfroudj,
des soldats et des matelots , qui s'en- de manière à couvrir le débarquement,
nuyaient de leur longue inaction. qui s'opéra dans le plus grand ordre
Le 30 , à 11 heures du matin , les et avec toute la célérité possible.
navires les plus avancés signalèrent la Dès les premiers rayons de l'aurore
terre. Le vent était frais, et la flotte on découvrit les ennemis, réunis en as-
marchait fort bien, lorsque tout-à-coup sez grand nombre autour de leurs
l'amiral donna l'ordre de virer de bord batteries. Une corvette et deux bricks
et de faire route au nord. Les bâtiments avaient reçu ordre de s'embosser de-
du blocus étaient venus lui annoncer vant celle o!e gauche , à l'est du cap
que la côte était inabordable, et que deux pour lui riposter. Aussitôt que le soleil
des leurs avaient malheureusement parut, l'ennemi commença une canon-
péri au cap Bingut. L'amiral ramena nade , à laquelle notre artillerie de
Tannée dans la baie de Palma ( île terre et celle des trois navires répon-
Mayorque ) , où il resta 8 jours dans dirent sans beaucoup de succès.
l'inaction la plus complète. Enfin, le Les boulets des Algériens commen-
10 juin , il se décida à reprendre le çant à faire du dégât dans nos rangs,
chemin d'Alger. le général en cher fit attaquer leurs
Le 12, à 5 heures du matin, on batteries par les brigades Achard et
découvrit Alger; et le 13 juin, jour Poret de Morvan, qui les enlevèrent
de la Fête-Dieu , à 9 heures du ma- avec une grande intrépidité.
tin, toute la flotte, en ordre de ba- Le camp ennemi qui était devant
taiile, défilait devant cette ville, hors nous s'augmentait chaque jour par de
de la portée du canon, pour aller mouil- nouvelles bandes que nous voyions
ler dans la baie de Sydi-Éfroudj , où arriver à tout instant, et qui successi-
devait s'effectuer le débarquement. vement venaient tirailler avec nos
Les batteries qui défendaient cette avant-postes. Les Maures et les Turcs
baie avaient été désarmées, et leurs réunis avaient élevé une forte batterie
canons portés sur deux monticules en avant de leur camp. Les Français,
situés à une certaine distance dans de leur côté, se retranchaient aussi.
les terres, où l'ennemi était occupé Pendant la nuit du 18 au 19, les
à se retrancher. ennemis, Turcs, Maures, Arabes et
La flotte mouilla sans qu'une amorce Berbères, s'approchèrent très-près de
fût brûlée; mais peu après, l'amiral l'armée française formée en ordre de
,

ayant donné ordre à un bateau à va- bataille en avant de la presqu'île, dans


peur de tirer sur les batteries algé- laquelle on avait déjà débarqué une
riennes, celles-ci répondirent coup pour grande partie de l'artillerie des mu- ,

coup, et continuèrent à tirer jusqu'au nitions, des bagages et des vivres.


soir, sans nous faire de mal. Aussitôt que le jour parut les enne- ,

Aussitôt que l'obscurité commença mis se jetèrent sur les postes avancés
à paraître,on fit les préparatifs du en poussant des hurlements affreux
débarquement. Des vivres, des muni- en culbutèrent plusieurs, et parvinrent
tions et des objets de campement fu- jusqu'à la ligne de bataille, où une
rent distribués aux troupes. Les cha- action très - vive s'engagea : notre
loupes et tous les bateaux plats que gauche plia un moment; mais s'é-
l'on avait apportés sur les vaisseaux tant reformée elle revint à la charge
,

furent mis à la mer, et à 3 heures et reprit ses premières positions. On


30 L'UNIVERS.
se battit alors avec acharnement sur le feu à la poudrière , dont l'explosion
toute la ligne; les trois bâtiments qui les anéantit.
avaient conservé leur position à la Cette explosion ne fit aucun mal à
gauche, et des bateaux à vapeur sur l'armée française, qui se porta en avant
la droite, contribuaient puissamment, peu de temps'après , et se fortifia sur les
par un feu bien dirigé, à arrêter l'en- ruines du château , dont quelques-unes
nemi. Enfin le général Bourmont des pièces, restées debout, furent tour-
donna l'ordre de marcher en avant au nées contre Alger, qu'on se mit aussi-
pas de charge. L'ennemi fut culbuté tôt en devoir d'attaquer. Mais des dé-
et nos soldats entrèrent pêle-mêle avec putés , envoyés par le dey et par la
lui dans son camp, qu'il abandonna municipalité*, étaient venus offrir de
en toute hâte , laissant entre nos mains rendre la place à certaines conditions.
les vivres, les munitions qu'il avait Le général, qui craignait que le dey ne
accumulées, et un grand nombre de se fît sauter avec tous ses trésors
chameaux. consentit à donner une capitulation;
La perte de la bataille de Staouéii ter- et le lendemain, à midi , l'armée fran-
rifia les Algériens. Une grande partie çaise prit tranquillement possession
des Berbères et des Arabes se débanda, des forts et de la ville d'Alger, de ce
et l'armée algérienne se trouva réduite repaire de pirates qui avait causé
à 10 ou 12,000 hommes. Ceux-ci, re- tant de maux à l'Europe depuis trois
venus de leur terreur prirent position
,
cents ans.
sur le versant d'une grande vallée, que La prise d'Alger mit en notre pou-
nous étions obligés cle traverser pour voir 1500 pièces de canon, et des
arriver devant Alger et le château de munitions pour toute cette formida-
l'Empereur. ble artillerie, capables de la faire jouer
L'incertitude du général Bourmont pendant trois ans , un trésor de 50
nous lit rester quatre jours devant millions , une grande quantité de
cette position , exposés au feu de l'ar- marchandises de toute espèce , et une
tillerie ennemie, qui nous tuait beau- escadre dont les plus forts bâtiments
coup de monde enfin , dans la nuit
;
étaient quatre frégates , depuis trois
du cinquième il se décida à ordonner
, ans condamnées à l'inaction par le
une attaque générale. L'ennemi, sur- blocus de notre marine.
pris, n'eut pas le temps de songer à La victoire de l'armée française, en
se défendre; il abandonna toute son détruisant la piraterie de fond en com-
artillerie , et se retira en désordre ice, ferma une des plaies les plus hon-
sous le canon du fort de l'Empereur. teuses qui aient jamais affligé l'huma-
La tranchée fut ouverte devant ce fort nité, et vengea l'Europe de tous les
dont la chute devait évidemment en- maux qu'Alger lui faisait éprouver
traîner celle de la ville. Les troupes de depuis si long-temps (*).
toutes armes travaillèrent pendant cinq Dès que Tannée française se fut
jours à creuser les tranchées et à élever emparée d'Alger, elle se concentra au-
les batteries, avec un courage héroïque, tour de cette ville; le camp de Sydi
sous le feu de 50 pièces de canon et Éfroudj tut levé et tout ce qu'on y
,

de plusieurs mortiers qui leur faisaient avait débarqué, vivres et munitions, fut
beaucoup de mal. Pendant ce temps, transporté par mer dans les arsenaux
les Français ne tirèrent pas un seul et les magasins d'Alger. Les troupes
coup de canon ; mais le cinquième jour, qui occupaient les environs de cette
nos batteries , qui formaient un demi- (*) Parmi les personnages les plus remar-
cercle devant le fort, furent démas- quables qui furent les esclaves des Algériens,
quées , et à 10 heures du matin elles nous citerons seulement notre célèbre co-
l'avaient tellement réduit en ruine mique Régnard, qui nous a laissé l'histoire
que l'ennemi, ne pouvant plus s'y de sa captivité, et dans les temps modernes
maintenir, l'évacua en y laissant trois le secréiaire perpétuel de l'Académie des
nègres qui, pour le faire sauter, mirent Sciences, notre illustre astronome Arago.
ALGER. 31

ville, élevèrent des redoutes sur les les haies et démolissaient les maisons.
positions les plus importantes, et ces Le bey de Titéry continuait tou-
redoutes turent armées avec des ca- jours ses courses, et ses éclaireurs
nons pris à l'ennemi; le fort de l'Em- rôdaient continuellement autour de
pereur fut réparé , on y mit une gar- nos camps pour massacrer les hommes
nison, et on arma de nouveau le iront qui s'écartaient. Des reconnaissances
qui donne sur la campagne. assez fortes avaient déjà été poussées
On avait d'autant mieux fait de dans différentes directions pour es-
prendre toutes ces dispositions que le sayer de le surprendre; mais on n'a-
bey de Titéry, qui avait été noinmé vait jamais pu y parvenir. Il s'écartait
Aga après la perte de la bataille de rarement des montagnes , et y ren-
Staouéli , en remplacement de celui trait aussitôt qu'il se savait menacé.
qui commandait à cette bataille, et Le général Clauzel comprit qu'il ne
que le dey avait destitué pour l'avoir serait jamais tranquille tant que ce
perdue, restait encore à la tête d'un prince aurait les armes à la main; il
assez grand nombre de troupes, avec pensa dès lors à aller l'attaquer jusque
lesquelles il inquiétait continuelle- dans l'intérieur de ses montagnes.
ment nos avant-postes , et menaçait Le 17 novembre 1830, un corps
de venir reprendre Alger. d'armée de 8,000 hommes, avec deux
Nous étions maîtres de cette ville de- batteries d'artillerie, commandé par
puis plus d'un mois, quelques-uns des le général Clauzel, partit d'Alger pour
généraux étaient déjà retournés en se porter sur Médéya. On traversa
France , on s'occupait d'embarquer le toute la plaine de la Mitidja, et on
trésor et beaucoup de marchandises arriva jusque devant Bélida sans ren-
et d'objets précieux trouvés dans la contrer d'obstacle. Là, quelques cen-
Kasba , lorsque tout-à-coup le bruit taines d'Arabes et de Berbères ,
qui
des événements de juillet se répandit avaient pris posi t on de l'autre côté d'un
dans l'armée. On douta un instant de ravin profond, voulurent couvrir la
faits si extraordina res, qui n'étaient ville et s'opposer à la marche de l'ar-
annoncés que par des lettres particu- mée; mais à peine furent-ils attaqués
lières; mais des nouvelles officielles par nos voltigeurs, qu'ils prirent la
étant arrivées , l'armée prit les cou- fuite et se ret rèrent dans les vergers
,

leurs et le drapeau national , sans té- où ils se défendirent en tiraillant jus-


moigner de répugnance ni d'empres- qu'à la nuit. Bélida fut emporté sans
sement le plus grand ordre continua
; coup férir; les habitants se sauvèrent
à régner, et aucune sédition n'éclata dans la montagne, et nos soldats pil-
parmi les troupes. Peu de temps après lèrent la ville pendant la nuit.
avoir arboré le drapeau tricolore 1 ar- , Le lendemain matin on envoya quel-
mée apprit le départ de son général ques compagnies sur les premiers con-
en chef, qui devait être remplacé par tre-forts de l'Atlas , pour en chasser
le général Clauzel, dont on vantait l'ennemi, qui nous inquiétait et em-
beaucoup les talents militaires. pêchait nos soldats d'aller puiser de
Legénéral arriva en Afrique le 2 l'eau à une fontaine qui se trouve au
septembre, esprit imméd atement le pied de ces montagnes. Le 20, à six
commandement des troupes. M. de heures du matin, le corps d'armée
Bourmont adressa ses adieux à l'armée continua sa route, après avoir laissé
et s'embarqua pour l'Espagne le len- deux bataillons à la garde de Bélida.
demain sur un brick autrichien. Le 21 , dès la pointe du jour, toute
Les premiers soins du général Clau- l'armée se mit en marche pour fran-
zel furent de trava.ller à rétablir la dis- chir la première chaîne de l'Atlas,
cipline, qui s'était un peu relâchée, et par un chemin étroit, très-difficile. A
à faire cesser les dégâts que les sol- moitié chemin d'un col fort escarpé,
dats commettaient dans la campagne, elle fut attaquée par un assez grand
où ils coupaient les arbres , brûlaient nombre d'Arabes, de Berbères et de
32 L'UNIVERS.— ALGER.
Turcs réunis, qui se retirèrent, en Le lendemain le bey de Titéry,
tiraillant , de position en position jus- n'ayant plus assez de forces pour se
qu'au col de Ténia, vers lequel se di- défendre contre les Berbères, et crai-
rigeait la route. Ce col était défendu gnant de tomber entre leurs mains ,
par plus de 2,000 hommes; il présen- vint se rendre avec toute sa famille
tait un passage étroit dans un escar- et environ 200 janissaires qui lui res-
pement très-rapide (voy. pi. 6): l'en- taient. Les soldats se reposèrent quatre
nemi avait placé deux petites pièces jours à Médéya; et le 26, après avoir
de canon de chaque côté de ce pas- laissé une garnison dans cette ville ,
sage , et ses troupes répandues à
, l'armée reprit la route d'Alger.
droite et à gauche, paraissaient vou- On revint jusqu'à Bélida sans tirer
loir se défendre courageusement. un seul coup de fusil; mais en arri-
Le général en chef donna l'ordre à vant devant cette ville , où nous avions
deux régiments de gravir les monta- laissé deux bataillons à notre passage,
gnes qui dominaient notre gauche, nous la trouvâmes attaquée par Ben-
et de suivre la crête pour tourner la zamum, chef berbère, qui était re-
position de l'ennemi, pendant cpe le venu sur nos derrières avec 6,000
reste de l'armée continuerait a s'a- hommes. Les Berbères se débandèrent
vancer par le chemin étroit dans le- aussitôt qu'ils virent l'armée française
quel elle marchait. Le général Achard, se former en bataille. La veille', ils
qui se trouvait à l'avant-garde avec avaient pénétré dans la ville, où l'on
un bataillon du 37 e étant arrivé au
, s'était battu dans les rues avec achar-
pied du col , ne put se voir si près nement mais enfin les Français avaient
;

de l'ennemi sans l'attaquer; il fit po- eu le dessus. Le lendemain l'armée


ser les sacs à ses soldats , et marcha abandonna Bélida , qui avait été entiè-
à la baïonnette pour enlever la posi- rement saccagée, et, traînant à sa suite
tion, sans attendre que les troupes les malheureux restes de sa population
qui la tournaient eussent exécuté leur revint à Alger le 29 novembre treize ,

mouvement. Cette attaque eut un suc- jours après en être partie.


cès complet; mais on laissa échapper La France conservera-t-elle Alger et
l'ennemi , qui se retira sur Médéya. son fertile territoire? pourra-t-eile le
Le lendemain matin on marcha con- coloniser? Cette question est encore
tre cette ville, dont on espérait se rendre indécise. Les Romains, à force de temps
maître dans la journée. Les défilés qui et de persévérance , ont su former de
restaient à traverser pour arriver au grandes et florissantes colonies sur la
pied de l'Atlas étaient mal gardés ; côte septentrionale de l'Afrique ; il est à j

mais lorsqu'en les quittant nous dé- désirer que les Français puissent en i

bouchâmes sur un plateau, l'ennemi faire autant; l'intérêt de l'humanité !

voulut nous disputer le passage; quel- et celui de la civilisation le demandent ; j

ques coups de canon suffirent pour mais ilsauront de grands obstacles :

disperser ces hordes barbares qui


,
à vaincre, dont les principaux' sont les j

s'enfuirent en jetant de grand cris. mœurs sauvages et barbares des ha-


L'armée arriva à Médéya au so- bitants, leur fanatisme religieux que
leil couchant. Les habitants, ayant le caractère français n'a pas' su res-
forcé le dey vaincu à se retirer avec pecter, enfin la retraite assurée que
le peu de troupes qui lui restait, leur offrent les montagnes, d'où ils
vinrent en foule au devant des Fran- pourront toujours partir pour fondre
çais, en demandant qu'on respectât sur les établissements européens et
leurs personnes et leurs propriétés. les ravager.

FIN.
L'UNIVERS,
OU

HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, etc.

»»»*«««• •••••«••«•«•««•«»« es.»©

ALGERIE 5

PAR M. E. CARETTE.

DELIMITATION. certain puits appelé El-Asli ; c'est donc


entre ces deux points, séparés entre eux
Frontières politiques : i l'est ; à l'ouest. - Li-
par une distance d'environ vingt-cinq ki-
miles naturelles au nord ; au sud.
lomètres, que la ligne frontière doit
L'Àlgérie a une frontière politique à tomber.
l'est et à l'ouest et une limite naturelle Au nord de ces deux positions règne
au nord et au sud. l'immense plaine du lac Melr'ir', rendue
Frontière de l'est. —
La frontière presque impraticable autant par le man-
de l'est la sépare de la régence de Tunis. que absolu d'eau que par des dangers
e
Elle commence dans le sud vers le 32 d'une nature toute particulière et sur les-
degré de latitude, et passe entre les terres quels nous donnerons plus tard quelques
de parcours de deux oasis, dont Tune ap- détails. Parmi le petit nombre de passa-
partient à la régence de Tunis et l'autre à ges qui traversent cette solitude, il en est
l'Algérie. La première est leBelad-el-Djé- deux, dont l'un, appelé Mouia-et-Tadjer
rid, la seconde est l'Ouad-Souf. Com- (l'eaudu négociant), appartient notoire-
ment délimitation peut-elle s'établir
la ment à la régence d'A lger, et dont l'autre,
dans de vastesplages sablonneuses vouées appelé Foum-echchot (la bouche du lac),
éternellement au parcours ? Le voici ; la appartient à la régence de Tunis. Le
région, généralement déserte, qui s'étend large espace qui les sépare est. demeuré
entre les deux oasis est parcourue, cha- jusqu'à ce jour vierge de pas humains.
que année, au printemps, par les trou- On peut donc, sans craindre de voir
peaux de deux tribus nomades, les Ha- jamais naître aucune contestation à cet
mâma et les Rbêia. Les Hamâma dépen- égard, regarder cette large bande neutre
dent du Belad-el-Djérid, et conséquem- comme la frontière des deux États.
ment de Tunis. Les Rbêia dépendent de Au nord de cette région aride et dé-
l'Ouad-Souf , et conséquemment d'Alger. serte la végétation reparaît, d'abord ra-
Les uns et les autres conduisent leurs bougrie et chétive, assez régulière cepen-
troupeaux dans la région voisine de leurs dant pour rappeler avec elle le régime
oasis respectives. Au rapport des voya- du parcours. Les tribus qui au printemps
geurs, les Rbêia ne dépassent pas une livrent à leurs troupeaux ces vastes pâ-
certaine montagne de sable appelée Bou~ turages sont les Frâchich à Tunis , et
Nâb, et les Hamâma ne dépassent pas un les Nememcha à Alger.
re
l Livraison. (Algérie.)
L'UNIVERS.
Une rivière sépare sur presque toute Limites naturelles.
l'étendue de leur territoirede parcours les
deux grandes peuplades: c'est l'Ouad- Limite naturelle du nord. La limite
Helal, qui prend sa source un peu au sud naturelle de l'Algérie au nord, c'est la
de Tebessa. Ce cours d'eau trace donc Méditerranée. Elle baigne la côte sui-
également la séparation des deux États. vant une ligne inclinée généralement à
La frontière de l'Algérie passe à quel- l'est-nord-est, de sorte que les deux
ques kilomètres de Tebessa. points extrêmes du littoral algérien pré-
Frontière de l'ouest. — La' délimi- sentent une différence assez considérable
tation de l'Algérie et de l'empire de en latitude; tout le rivage est compris
Maroc a été fixée par le traité conclu entre le 37 e et le 35 e degré. Deux poin-
le 18 mars 1845, entre M. le général tes seulement dépassent dans le nord
comte de la Rue, plénipotentiaire de le37 e parallèle ; ce sont le cap de Fer et
["empereur des Finançais, et Sidi-Ahmi- les Sept Caps. Aucune anfractuosité ne
da-ben-Ali, plénipotentiaire de l'empe- dépasse dons le sud le 35 e La différence
.

reur de Maroc. entre les latitudes des points extrêmes


lia été arrêté en principe que la li- est donc environ de deux degrés ou deux
mite resterait telle qu'elle existait entre cents kilomètres. C'est cette disposition
les deux pays avant la conquête de combinée avec l'obliquité résultant des
l'empire d'Algérie par les Français différences de longitude qui produit l'in-
er
(art. 1 ). égalité des distances entre la côte de
Les plénipotentiaires ont déterminé la France et les principaux ports de l'Al-
limite au moyen des lieux par lesquels gérie.
elle passe, sans laisser aucun signe vi- La distance moyenne de Marseille à
sible sur le sol (art. 2). l'Algérie est de huit cent quatre kilo-
Sans entrer dans le détail de cette dé- mètres.
limitation, nous dirons que la frontière ,
La plus grande distance, celle d'Oran,
de l'Algérie telle qu'elle a été fixée d'un est de neuf cent quatre-vingt-dix kilo-
commun accord entre les deux plénipo- mètres. ,

tentiaires, passe dans le sud à vingt-cinq La plus courte, celle de Bougie, est de
kilomètres à l'est de l'oasis marocaine sept cent six kilomètres. j

de Figuig, dans le nord à dix kilomètres Le mouillage de Bougie, qui est le plus
de la ville marocaine d'Oudjda, et qu'elle rapproché de la côte de France, est en
vient aboutir sur la côte à vingt quatre même temps le meilleur de la côte d'A-
ou vingt-six kilomètres à l'ouest de frique. C'est une double propriété qui
Djema-Ghazaouat ou Nemours, qui est ne peut manquer d'exercer une grande
notre dernier établissement maritime de influence sur l'avenir de cette ville, dès
ce côté. que l'Algérie sera entrée dans la voie
Ainsi délimitée, l'Algérie embrasse de d'un développement normal.
l'est à l'ouest à peu près la même lar- Au reste, la distance absolue n'est pas
geur que la France. La distance en ligne le seul élément qui mesure la facilité
droite de La Cal le à Nemours est de des communications entre notre fron-
quatre-vingt-quinze myriamètres, et celle tière maritime de France et notre fron-
de Strasbourg à Brest de quatre-vingt- tière maritime d'Algérie. Elle dépend
dix. Elle se trouve en outre, si l'on y encore de la fréquence et de la direction
comprend la Corse, renfermée à peu près des vents.
entre les mêmes méridiens. En effet La Dans le bras de mer qui sépare la
Calle tombe sous le méridien d'Ajaccio Provence de notre colonie d'Afrique,
et Nemours sous le méridien qui con- les vents régnants sont ceux de la partie
tient Cherbourg, Rennes, Nantes, la est et de la partie ouest; on les désigne
Rochelle et Bayonne. Ajoutons cette par le nom de traversiers; ils poussent
dernière particularité, que le méridien également d'Europe en Afrique et d'A-
de Paris passe à quelques lieues seule- frique en Europe.
ment à l'ouest d'Alger. Mais les vents de la partie ouest l'em-
portent de beaucoup sur les autres, et
parmi les différentes directions dans les-
ALGERIE.
quelles ils soufflent , c'est celle du nord- gnée de deux cent quatre-vingt-dix kilo-
ouest qui domine , autant par la fré- mètres en ligne droite. »
quence que par l'intensité : or cette di- Les communications entre l'Ouad-
rection est beaucoup plus favorable Souf et R'dâmes sont assez rares, et elles
pour naviguer du nord au sud que du exigent des caravanes nombreuses; car
sud au nord. Il en résulte un fait assez la région qu'il faut traverser n'est plus
remarquable; c'est qu'il est plus facile le Sahara, où Ton ne voyage jamais plus
d'alier en Algérie que d'en revenir. de deux jours sans rencontrer une oasis ;
Limite naturelle du sud. La déli- — c'est un désert hérissé de montagnes de
mitation méridionale des États barbares- sable qui se succèdent sans interruption
ques est restée pendant fort longtemps depuis le moment où l'on perd de vue
dans une obscurité profonde. Allaient- les palmiers de R'dâmes jusqu'à ce que
ils se perdre par degrés insensibles dans l'on touche ceux de l'Ouad-Souf. Dans
les profondeurs de l'Afrique centrale, ou une traversée aussi longue et aussi rude
bien s'arrêtaient-ils à des bornes pré- il n'existe qu'un seul puits. Encore
cises, infranchissables? C'étaient des court-on le risque d'y remontrer les
questions que la géographie n'avait ni Touareg r qui, dans l'espoir de piller les
résolues ni même posées. En 1844 d'ho- caravanes, peuvent les attendre à coup
norables députés demandaient encore sûr au voisinage de ce point de passage
au gouvernement du haut de la tribune si obligé. Des difficultés et des dangers de
l'Algérie ne devait pas s'allonger jusqu'à cette nature établissent une ligne de dé-
Timbektou. marcation aussi impérieuse que la tra-
C'est, alors que je fis connaître la li- versée d'un bras de mer.
mite naturelle qui borne l'Algérie au sud ; Entre l'Ouad-Mzab et El-Golea les
je vais reproduire les résultats princi- communications ont lieu par Metlili.
paux de ce travail (l). C'est une ville située à quarante-cinq
La limite méridionale de l'Algérie est kilomètres environ ouest-sud-ouest de
une ligne d'oasis unies entre elles par des R'ardeia chef-lieu de l'Ouad-Mzab. La
,

relations journalières, rattachées aux proximité et le commerce mettent les


populations du nord par les premières deux villes en relations journalières.
nécessités de la vie, séparées brusque- Entre Metlili et El-Golea les communica-
ment des populations du sud par les ha- tions sont beaucoup plus rares. L'espace
bitudes, par les besoins et par un abîme qui les sépare est une contrée hérissée
de sables arides et inhabités, qui com- de roches nues et sillonnée de ravins ari-
mence au pied même de leurs palmiers. des. Pour trouver un peu d'eau il faut
Ces oasis sont au nombre de six, sa- se résigner à un allongement considé-
voir l'Ouad-Souf (méridien de Philip-
: rable. Ces difficultés établissent entre
peville ), l'Ouad-R'ir', etTemacin ( mé- les deux points une véritable solution de
ridien de Djidjeli), Ouaregla ( méridien continuité.
deBougie),l'Ouad-Mzab (méridien d'Al- C'est cependant par Metlili que les
ger ), et enfin les Oulâd-sidi-Cheik communications de l'Algérie avec le sud
(méridien de Mostaganem et d'Oran). présentent le moins d'obstacles. Cette
Au midi de cette ligne les premières ville est la véritable porte de sortie mé-
villes que Ion rencontre sont celles de ridionale de nos possessions. Elle donne
R'dâmes et d'El-Golea R'dâmes sur la , passage au peu de marchandises que
route du Fezzan, El-Golea sur la route l'Algérie verse encore dans le Soudan ou
du ïouât. que le Soudan lui expédie. Mais cela ne
L'oasis algérienne la plus voisine de suffit pas pour lui enleser le caractère de
R'dâmes est l'Ouad-Souf; elle en est frontière naturelle que lui assignent les
éloignée de quatre cents kilomètres. deux cents kilomètres de roches arides
L'oasis algérienne la plus voisine d'El- et inhabitables situées entre elle et El-
Golea est l'Ouad-Mzab; elle en est éloi- Golea.
Quant aux oasis de l'Ouad-R'ir', deTe-
(i) Recherches sur la géographie et le macin et d'Ouaregla, elles ne communi-
commerce de l'Algérie méridionale^ liv. I er , quent avec R'dâmes et El-Golea que par
chap. iv. l'Ouad-Souf ou par l'Ouad-Mzab. Elles
1.
L'UNIVERS.
n'ont pas- de relations immédiates'avec quatre-vingt-dix mille hectares. La su-
le sud. La«limite de leurs- territoires perficie de la France étant de cinq cent
marque donc la limite de la contrée à vingt-sept mille six cent quatre-vingt-six
laquelle elles appartiennent. kilomètres carrés ou cinquante-deux mil-
La dernière oasis algérienne à l'ouest lions sept cent soixante-huit mille six
est celle des Oulad-Sidi-Cheik , qui cents hectares, il en résulte que l'étendue
dans le sud communique plus particuliè- de l'Algérie est les trois quarts de celle
rementavec l'oasis de Touât. Mais les dis- de la France.
tances sont très-considérables et les puits
très-rares; ainsi pour se rendre de la DIVISION.
principale ville des Oulad-Sidi-Cbeik
Division naturelle en deux régions. Di- —
à Timimoun, qui est la principale ville vision politique en trois provinces. —
du Touât, il faut traverser un espace de Subdivisions des trois provinces.
cminze grandes journées de marche dans
les sables , sans rencontrer autre chose L'Algérie présente dans sa distribu-
qu'un ou deux puits misérables au fond
, tion intérieure une loi entièrement con-
desquels le voyageur cherche quelque- forme à celle qui fixe la délimitation de
fois en vain une goutte d'eau. De pareils son territoire elle a des divisions natu-
:

obstacles limitent aussi bien le territoire relles du sud au nord et des divisions
des nations que la cime des montagnes, politiques de l'est à l'ouest.
que les vagues de la mer. Entre le rivage de la Méditerranée et
Nous ajouterons un dernier fait qui la ligne d'oasis qui la limitent, l'une au
nous paraît fixer d'une manière décisive nord et l'autre au sud, règne une ligne
la limite naturelle de l'Algérie. La po- intermédiaire, tracée de l'est à l'ouest, et
pulation nomade des six oasis vient cha- qui, comme elles, traverse l'Algérie d'une
que année s'établir dans -la zone sep- frontière à l'autre.
tentrionale et y acheter la provision de Cette ligne la partage en deux zones
blé nécessaire à la consommation de tout connues sous les deux noms de Tell et
le Sahara. de Sahara.
Au delà des six oasis aucune peuplade Le Tell est la zone qui borde la Mé-
ne participe à ce mouvement, aucune ne diterranée ;

dépasse la ligne qu'elles déterminent. Le Sahara est celle qui borde le dé-
Cette ligne forme donc comme une sert; mais les deux zones se distinguent
crête naturelle de partage entre les inté- et se définissent surtout par la différence
rêts qui se tournent vers le nord et les in- de leurs produits le Tell est la région
:

térêts qui se tournent vers le sud. C'est des céréales; le Sahara est la région des
à partir de cette ligne, où finit le Sahara, palmiers.
que commence à proprement parler
, , le Laligne qui délimite le Sahara et le
désert , vaste solitude parcourue plutôt Tell n'a rien d'apparent, rien qui la
qu'habitée par la redoutable tribu des signale aux regards du voyageur, lor-
Touareg, qu'elle sépare à la fois de la race qu'il ignore la série des points que la
blanche et de la race noire. tradition locale reconnaît pour lui ap-
Le bord du désert établit donc pour partenir.
l'Algérie au sud une délimitation aussi Quelques-uns de ces points portent
rigoureuse que le rivage de la Méditer- le nom de Foum-es-Sahara (la bouche
ranée au nord. du Sahara ). Telle est la gorge étroite et

L'Algérie telle'que nous venons de la profonde à l'issue de laquelle est situé le


définir est comprise entre le 32 e et le 37 e village d'El-Gantra, sur la route de
degré de latitude, entre le 6e degré de Constantine à Biskra.
longitude orientale et le 4e degré de lon- En général la ligne de séparation du
gitude occidentale. Elle embrasse donc Tell et du Sahara suit le pied des ver-
cinq degrés du nord au sud et dix degrés sants méridionaux d'une double chaîne
de l'est à l'ouest. dirigée au sud-est dans la partie orien-
Elle occupe une superficie de trois tale et à l'est-nord-est dans la partie oc-
cent quatre-vingt-dix mille neuf cents ki- cidentale de nos possessions.
lomètres carrés ou trente-neuf millions La distance du Sahara à la mer est
ALGÉRIE.
variable; c'est sous le méridien de Bône riables; chaque année la même époque
qu'elle est la plus grande. A la hauteur retrouve les mêmes tribus campées aux
de cette ville le Sahara ne commence mêmes lieux.
qu'à deux cent quatre-vingt-dix kilo- Les transactions nombreuses qui s'ac-
mètres du littoral. Constantine, quoique complissent durant cette période de l'an-
située dans l'intérieur des terres se , née, ètquiintéressenttoute la population
trouve encore éloignée de cent quatre- de l'Algérie, se concentrent sur certains
vingts kilomètres de la limite du Tell. points, qui réunissent alors dans un.
Alger n'en est qu'à cent dix kilomètres, mouvement de fusion commerciale les
et Oran à quatre-vingt-dix. Ainsi le Sa- deux zones extrêmes de nos possessions.
hara est trois fois plus rapproché de la Dans ce mouvement d'échange , cha-
côte sous le méridien d'Oran que sous cun des marchés consacrés à ces trans-
celui de Bône. actions appelle à lui un certain nombre
La délimitation reconnue et consacrée de tribus du Tell et du Sahara.
par la population indigène assigne au Il se forme ainsi divers faisceaux d'in-
Tell cent trente-sept mille neuf cents térêts, dont les fils partant les uns du
kilomètres carrés et au Sahara deux cent nord , les autres du sud viennent con-
,

cinquante-trois mille kilomètres carrés verger et se réunir en certains points


de superficie. fixes.
La définition seule des deux zones L'ordre administratif aussi bien que
suffit pour faire pressentir l'influence l'intérêt politique font un devoir de res-
capitale que cette division naturelle doit pecter dans la formation des provinces
exercer sur l'existence et la destinée de l'existence et l'intégrité de ces faisceaux.
l'Algérie. Les populations sahariennes On voit comment une division politique
n'ayant pas de blé, ou n'en obtenant que tracée dans le Tell détermine une di-
des quantités insignifiantes , se trouvent vision correspondante dans le Sahara.
dans la nécessité d'en acheter aux tribus L'étendue relative du Tell et du Sa-
du Tell. Cette obligation les amène cha- hara varie sensiblement dans les trois
que année dans la zone du littoral, et les provinces. Dans la province d'Alger la
rend inévitablement tributaires du pou- surface du Tell n'est que le tiers de celle
voir qui l'occupe. du Sahara; elle en est la moitié dans la
province d'Oran; elle est presque les deux
Division politique.
tiers dans la province de Constantine.
L'ensemble des deux zones naturelles Ainsi, au point de vue de l'agriculture
qui composent l'Algérie est coupé trans- et de la colonisation la province d'Alger
versalement par des lignes qui en déter- est la moins bien partagée des trois; la
minent la division politique. province d'Oran occupe la seconde place,
Elles partagent l'étendue de nos pos- et la province de Constantine la pre-
sessions en trois provinces que l'usage a mière. C'est là que l'étendue relative du
fait désigner par les noms de leurs chefs- Tell ou des terres de labour, est la plus
,

lieux. Chaque province comprend à la considérable.


fois une portion du Tell et une portion Si l'on compare l'étendue absolue du
du Sahara. Tell dans les trois provinces, c'est en-
Bien que la division en provinces ait core celle de Constantine qui l'emporte
surtout un caractère politique elle se , sur les deux autres. En effet dans les
rattache cependant à la division natu- provinces réunies d'Alger et d'Oran,
relle par un lien de dépendance que le Tell, ou région des terres de labour,
nous devons faire connaître. occupe un espace de soixante-quatre
Chaque année au printemps les tribus mille cinq cents kilomètres carrés. Dans
de Sahara viennent s'établir, avec tout celle de Constantine seule' il couvre une
le mobilier de la vie nomade, vers les étendue de soixante-treize mille quatre
limites méridionales du Tell. cents kilomètres carrés.
Elles y demeurent pendant tout l'été, La province de Constantine ouvre
vendant leur récolte de dattes et ache- donc à elle seule un champ plus large à
tant leur provision de blé. la colonisation agricole que les deux
i Les lieux de séjour sont presque inva- autres ensemble.
L'UNIVERS.
La
division de l'Algérie en provinces CONFIGURATION GENERALE
ne correspond en aucune façon à la divi-
sion administrative et politique deia Massif méditerranéen. — Massif intérieur. —
France. Il n'y a aucune comparaison à Zone des landes; — Zone des oasis.

établir pourl'étendue entre une province Lorsque l'on rivage de l'Al-


côtoyé le
algérienne et un département français. gérie, depuis la frontière de Tunisjusqu'à
La plus petite province, qui est celle celle de Maroc, on voit se dérouler une
d'Oran , contient cent deux mille kilo- série de montagnes qui bornent l'ho-
mètres carrés de superficie; le plus grand rizon à une distance variable, mais tou-
département, qui est celui de la Gironde, jours assez rapprochée. Le plus souvent
en contient dix mille huit cent vingt- elles bordent le littoral, et viennent se
cinq. La plus petite province d'Algérie termineraux falaises abruptesdont la Mé-
est donc dix fois plus vaste que ie plus diterranée baigne la base ; quelquefois
vaste des départements français. le rideau s'éloigne et dessine le fond des
Au taux superficiel de nos divisions golfes, à une distance de trente à qua-
métropolitaines, l'Algérie, qui occupe en rante kilomètres.
surface les quatre cinquièmes de la Cette zone montagneuse occupe dans
France, devrait contenir soixante-huit la direction du sud au nord une pro-
départements. fondeur moyenne d'environ vingt lieues.
Au-dessous du partage en provinces Elle est traversée par les différents cours
il n'existe aucune division régulière et d'eau, qui, sur des pentes en général fort
normale; population indigène a ses
la roides, descendent à la Méditerranée. La
circonscriptions aussi inégales d'éten- physionomie fortement houleuse de ce
due que dissemblables de forme; l'ad- massif donne aux vallées qui le sillonnent
ministration française a aussi ses cir- une forme généralement tortueuse; elle
conscriptions, non moins inégales non produit certaines coupures étroites et
moins dissemblables , et en outre beau- profondes qui se remarquent dans le cours
coup plus incertaines dans leur délimi- des principales rivières du Chélif près
,

tation. de Médéa , du Bou-Sellam près de Setif


Nous ne nous arrêterons point à cette du Roumel à Constantine, et de la Sey-
division, œuvre encore informe, sans bouse près de Guelma.
homogénéité, sans fixité, et surtout Quoique généralement montueuse et
sans unité, organisation éphémère, pro- ravinée, la zone du littoral renferme quel-
visoire, variable, que chaque jour mo- ques plaines assez étendues, qui forment
difie sans la compléter. exception à sa constitution générale, et
Nous dirons seulement que les pro- contribuent, comme toutes les exceptions,
vinces comprennent trois sortes de ter- à la mettre en relief. Telles sont la plaine
ritoires des territoires civils , mixtes et
:
de Bône , celle de la Métidja , la vallée
arabes; qu'elles se subdivisent soit en plate et longue du Chélif inférieur, et en-
arrondissements, cercles et communes, fin la plaine d'Oran.
soit en califats, agaliks, caïdats et Au delà de cette première zone for- ,

chéikats; qu'elles reconnaissent en ou- mée d'une longue agglomération de mon*


tre des directions et des sous-directions tagnes, la configuration du sol change
des affaires civiles correspondant aux d'aspeet et de caractère.
préfectures et aux sous-prefectures fran- De l'est à l'ouest depuis la frontière
,

çaises, des commissariats civils, des di- de Tunis jusqu'à celle de Maroc, règne
rections et des bureaux arabes, des divi- uneautre zone, presque aussi large que la
sions et des subdivisions militaires. première, formée d'une suite d'immenses
Il faut espérer que la division territo- plaines.
riale de l'Algérie sortira quelque jour de Ici les eaux , arrêtées par le bourrelet
ce chaos, pour rentrer dans un cadre, montagneux du littoral, ne trouvent pas
régulier, normal, analogue à celui dont d'issue à la Méditerranée; elles s'achemi-
la métropole lui offre le modèle. nent par des déclivités assez douces vers
de grands lacs salés appelés Chott ou
Sebkha, qui occupent le tond des plaines.
Il n'existe qu'une seule exception à cette
ALGÉRIE,
règle ; c'est le Chélif, qui traverse à la fois On peut donc appeler îa première
et la zone plane de l'intérieur et le bour- massif méditerranéen et la seconde
relet montueux du littoral. MASSIF INTÉRIEUR.
Cette suite de bassins fermés larges , Quant aux deux zones plates, elles
et plats, détermine, en y joignant la contiennent l'une et l'autre d'immenses
vallée supérieure du Chélif, cinq régions, espaces dépourvus d'eau; c'est là leur
que les indigènes désignent par les noms caractère commun. Mais la première reste
suivants : livrée à son aridité, ne comporte en
1° Les Sbakh 2° le Hodna, 3° le Za-
,
général que peu de culture , et n'admet
réz, 4° le Sersou, 5° les Chott. guère que le régime du parcours.
A travers l'immensité des plaines La seconde possède des eaux souter-
dont se compose cette seconde zone sur- raines assez abondantes, qui s'obtien-
gissent quelques montagnes, qui de loin nent par le forage de puits et donnent
en loin font exception à la conformation naissance aux oasis.
générale de la contrée et en rompent l'u- On exprime donc le caractère distinc-
niformité. Elles établissent une sépara- tif de chacune de ces deux zones en ap-
tion naturelle entre les cinq régions dont pelant la première zone des landes et
elle se compose. la seconde zone des oasis.
L'horizon de cette contrée piane est En résumé, l'observateur qui pourrait
borné au sud par un second rideau de embrasser d'un seul coup d'oeil l'ensemble
montagnes, tendu encore de la frontière des mouvements orogra, niques qui cou-
orientale à la frontière occidentale de vrent le sol de l'Algérie verrait deux
l'Algérie. larges sillons se dessiner de l'est à l'ouest
L'Aurès dans la province de Cons- en travers de sa surface. Dans les parties
tantine et le Djebel-Amour dans la pro- saillantes il reconnaîtrait le massif mé-
vince d'Alger en sont les deux masses diterranéen et le massif intérieur; dans
les plus remarquables. les parties creuses la zone des landes et
Enfin au sud de ce second bourrelet celle des oasis.
de montagnes règne une seconde zone Comment cette division déterminée
,

de plaines, plus vaste encore que la pre- par lesondulations matérielles du sol
mière; elle se compose comme elle de bas- rentre-t-elle dans la division en Tell et
sins fermés , au fond desquels s'étendent Sahara, fondée sur la différence des pro-
delargeslacsdesel;commeelleaussi, elle duits? Le voici.
renferme, exceptionnellement encore, Le massif méditerranéen appartient
quelques massifs de montagnes, mais exclusivement au Tell.
plus rares et moins élevés. La zone des oasis appartient exclusi-
C'est l'arrière-scène du Sahara, et pour vement au Sahara.
ainsi dire le vestibule du désert. Cette Les deux bandes intermédiaires, la
seconde nappe va se terminer dans le zone des landes et le massif intérieur
sud, à ligne d'oasis qui
la forme la limite offrant, à raison même de leur situation,
naturelle de l'Algérie. un caractère moins prononcé, appartien-
Ainsi , dans sa configuration orogra- nent dans l'est, à la région du Tell , et
,

phique, cette contrée se partage du nord dans l'ouest à la région du Sahara.


au sud en quatre zones sensiblement Ainsi dans le massif méditerranéen il
parallèles à la côte; deux zones géné- n'y a point un seul point où la datte
ralement montueuses et deux zones gé- mûrisse.
néralement plates. Dans la zone des oasis, au contraire,
Presque toutes les eaux qui traversent partout où l'industrie de l'homme peut
le premier massif vont aboutir à la Mé- obtenir de l'eau, le palmier donne des
diterranée; au contraire presque toutes fruits.
les eaux qui traversent le second massif Dans la zone des landes la région
restent captives dans l'intérieur des orientale plaine des Sbakh) ne produit
(
terres, et vont aboutir à des bas-fonds pas de dattes , mais elle donne assez de
sans issue. céréales pour la consommation de ses
Tels sont les caractères physiques émi- habitants. C'est pour cela qu'ils lui ont
nents des deux zones montueuses. assigné une place dans le Tell.
8 L'UNIVERS.
La région centrale (plaine du Hodna) parée de l'embouchure du Roumel par
produit des dattes. Trois localités s'y une distance en ligne droite de dix-sept
adonnent à la culture du palmier ce : lieues; Paris est séparé de l'embouchure
sont les bourgs de Msîla et de Mdoukal de la Seine par une distance en ligne
et la petite ville de Bou-Sada. C'est pour droite de trente-cinq lieues. Si les pentes
cela que les indigènes ont compris cette étaient égales, la hauteur du Roumel
région dans le Sahara. à Constantine serait la moitié de la hau-
Msîla est le point le plus rapproché teur de la Seine à Paris; et comme le
de la côte où la datte mûrisse elle est
: niveau de la Seine au pied du pont de
située à cent vingt-trois kilomètres au la Tournelle est supérieur de vingt-qua-
sud de Bougie. tre mètres cinquante centimètres à celui
La région occidentale de la zone des de l'Océan, la différence entre le niveau
landes , formée des plaines de Zarez , de du Roumel à Constantine et celui de
Sersou et des Chott, ne produit ni dattes la Méditerranée devrait être d'environ
ni blé aussi ces landes ingrates seraient-
; douze mètres : elle est de quatre cent
elles ajuste titre repoussées par les deux quatre-vingt-quinze mètres! La place
régions, si les pâturages dont elles se cou- du Palais-Royal à Paris domine de
vrent durant la saison des pluies ne leur trente-deux mètres cinquante centimè-
assignaient une place naturelle dans le tres le niveau de l'Océan ; la place de la
domaine des peuples pasteurs et dans la Kasba à Constantine domine le niveau
circonscription générale du Sahara. de la Méditerranée de six cent quarante-
quatre mètres.
ASPECT DE LA COTE. Et cependant Constantine n'est pas
Etablissements du
français — La
littoral.
une exception. Le plateau de Sétif si- ,

Calle. — Bône. — Ruines d'Hippône. — ]


tué dans les mêmes conditions de dis-

Philippeville. — Kollo, point non
Stôra. tance à la mer , la domine de onze cents
occupe. — — Golfe de Bougie
Djidjeli. mètres. Il en est de même du plateau
Bougie. — La Kabilie proprement — dite.
;

de Médéa. Miliana, Mascara, Tlemcen,


Dellis.— Alger environs. — Bou-
et ses - occupent des régions hautes de huit
farik.— — Sidi-Feruch. — Le tom-
Blida. cents à neuf cents mètres.
beau de chrétienne. — Cherchell. —
la Ainsi , relativement à nos côtes de
Tenez. — Mostaganem. — Arzeu. — France, et surtout aux côtes de l'Amé-
Oran. — Mers-el-Kébir. — De Mers-el- rique, où les grands fleuves ont des
Kébir à la du Maroc. — Ne-
frontière pentes insensibles, la côte de l'Algérie
mours. — Résumé. se présente à celui qui l'aborde par le
Description de la côte. — Établisse- nord comme une muraille rugueuse sur
ments français formés sur le lit- laquelle les eaux roulent et se précipi-
toral. tent avec impétuosité.
C'est pour cela qu'elle n'a pas de
Caractère général de la côte d'Algé- fleuves navigables. Mais en revanche
rie. —Ce qui forme le caractère général la vitesse des courants et la fréquence
de la côte d'Algérie, c'est l'encaissement des chutes la dotent d'une spécialité
des vallées, et la roideur d'inclinaison qui peut-être n'appartient au même
des lignes d'écoulement qui aboutissent degré à aucune contrée du monde,
à la Méditerranée. A Alger la plaine Les rivières de l'Algérie, dépourvues
de la Métidja, qui de part et d'autre va de toute valeur comme moyen de trans-
se perdre dans la mer par des pentes en port en ont une considérable comme
,

apparence douces, se trouve déjà relevée puissance motrice et comme puissance-


de trente à cinquante mètres. Blida, fécondante. Là où elles se précipitent en-
située au fond de cette grande plaine, tre les rochers il est facile et peu dis-
à cinq lieues et demie seulement de la pendieux d'employer les eaux à la créa-
côte en ligne droite domine cependant
, tion d'usines. Là où elles coulent dans
de deux cent soixante mètres la surface les vallées il est facile de les détourner
des eaux. Voici un parallèle qui nous pa- pour les employer aux irrigations. La
raît mettre en relief ce caractère éminent conformation des berges les rend éga-
des côtes d'Algérie. Constantjne est sé- lement propres à ce double usage, et ce
ALGÉRIE.
qui semble au premier abord un vice eaux, l'abondance du gibier et du pois-
radical devient à ce nouveau point de son en rendent le séjour supportable.
Il règne à l'est de la Galite des cou-
vue une qualité éminente.
rants dangereux , qui portent sur l'île.
Aspect des côtes d'Algérie de l'est à
C'est ce qui a fait dire aux vieux ma-
l'ouest.
rins de la Méditerranée que File de la
Ile de la Galite. — A treize lieues en- Galite attire les bâtiments. Aussi re-
viron au nord de l'île de Tabarka, où commandent-ils, lorsqu'on se trouve à
vient aboutir la frontière orientale de l'est , de ne pas trop s'en approcher.

l'Algérie, s'élève une île déserte, longue Quoique l'île soit déserte, presque
de près d'une lieue de Test à l'ouest tous les habitants des côtes de l'est la
surmontée de deux pics, dont le plus regardent comme une dépendance de
élevé a quatre cent soixante-seize mè- l'Algérie et les visites de nos navires de
;

tres. Ces deux pointes se voient de fort guerre équivalent d'ailleurs à une prise
loin. Lorsque le temps est clair on les de possession.
découvre de Bône, malgré la distance de A six lieues ouest-sud-ouest de la
vingt-huit lieues qui les en sépare. Galite, à onze lieues nord de la terre
Cette île, que les géographes de l'an- ferme , il existe deux écueils , dont l'un
tiquité appellent Galata, porte aujour- est recouvert de quatre brasses d'eau et
le nom de Galite. Elle
d'hui se présente l'autre d'une brasse. On les appelle So-
comme une masse grise et aride; elle les deux sœurs. Le 20 décembre
relli f
est peuplée exclusivement de lapins et 1847, à dix heures du soir, par une
de chèvres, qui dévorent toutes les plan- nuit sombre, la frégate anglaise l'A*
tes naissantes; ce qui contribue à lui venger vint donner sur ces roches; en
donner un air triste et désolé. Mais quelques instants l'équipage, composé
en débarquant on y trouve une petite de deux cent soixante et dix person-
couche de terre végétale qui permettrait nes, avait péri, à l'exception de cinq
de la mettre en culture. matelots et de trois officiers, qui purent
Il y existe un assez bon mouillage du gagner la côte sur une des chaloupes
côté de la terre ferme une source, située
; de la frégate. Le 26 recueil était encore
au fond d'une grotte basse, à côté du couvert de débris.
point de débarquement fournit en toute
, La Calle. — En revenant de la Galite
saison l'eau nécessaire à l'approvisionne- vers la terre ferme, et longeant la côte la
,

ment d'un navire. première saillie qui se remarque sur un


Les restes de construction que ren- rivage en généralbas et uniforme est celle
ferme l'île de la Galite prouvent qu'elle du cap Roux. Il se compose de roches
a été autrefois habitée. Au sommet du roussâtres, escarpées de tous côtés. On
pic il existe encore un pan de mur, reste y remarqueune grande tranchée, partant
d'une ancienne vigie.- Les pierres en du sommet et descendant jusqu'à la mer.
sont reliées par un ciment extrêmement C'est par là que la compagnie française
dur, formé de chaux et de fragments de d'Afrique faisait descendre directement
briques. les blés achetés aux Arabes, dans les
La Galite, depuis que ses habitants bâtiments destinés à les recevoir. Elle y
l'ont abandonnée, a servi de refuge aux avait construit un magasin, dont on
pirates. Pendant les guerres de l'empire aperçoit encore les débris sur un roc
les croiseurs anglais y avaient établi qui, Vu de la mer, paraît inaccessible.
des vigies. Durant les premières années On retrouve dans le choix de cette posi-
de l'occupation française c'était le ren- tion un nouveau témoignage des tribu-
dez-vous et l'entrepôt des contreban- lations que le commerce français en
diersitaliens, qui apportaient aux Arabes Afrique eut à subir pendant les deux
des munitions et des armes. Les ba- derniers siècles.
teaux corailleurs, qui joignent souvent Lorsque le navire a dépassé de quel-
quelque industrie clandestine à leur in- ques lieues les falaises du cap-Roux et
dustrie apparente, y relâchaient fréquem- le cône isolé deMonte-Rotundo, qui do-
ment avant que nos bâtiments de guerre mine le cordon bas, rocailleux et uni-
vinssent la visiter. La suffisance des forme de la côte, on découvre en avant,
ÏO L'UNIVERS.
projetée sur des terres plus hautes, une bes , prouvaient que les indigènes, après
petite tour ronde élevée sur un mame- y avoir mis le feu, ne s'en étaient plus
lon. C'est le moulin de la Calle, espèce inquiétés : ils avaient abandonné aux
de vigie construite par l'ancienne com- bêtes fauves les restes de ces demeures
pagnie d'Afrique, et restaurée par les de pierres qu'ils dédaignaient pour
Français depuis que la position a été eux-mêmes.
réoccupée. L'établissement de la Calle se fait re-
La un rocher isolé,
Calle est bâtie sur marquer par un luxe d'eau et de ver-
rattachéau continent par un petit isthme dure assez rare en Afrique. Trois lacs,
de sable bas et étroit que la mer fran- éloignés moyennement de la ville de deux
chit dans les gros temps. mille quatre cents mètres et tres-rappro-
Le rocher de la Calle est miné par les chés les uns des autres, tracent autour
eaux; quelques blocs détachés du massif d'elle comme un large canal; l'espace
et tombés à la mer portent encore des intérieur pourrait être facilement séparé
traces de construction, et annoncent du continent si la sécurité dont cette
qu'il s'y produit de temps en temps des ville n'a cessé de jouir ne rendait cette
éboulements. Il existe en outre dans le mesure inutile. Au-dessus de ces trois
roc des trous verticaux naturels, par- bassins se déploie un large éventail de
faitement cylindriques, qui descendent forêts où domine le chêne-liége, et dont
du sol de la ville jusqu'à la mer, et au on peut évaluer la contenance à qua-
fond desquels les vagues s'engouffrent rante mille hectares; une partie de ces
avec des bruits sourds et sinistres. forêts a été livrée à l'exploitation. Ces
La presqu'île rocheuse détermine une entreprises doivent augmenter la popu-
petite darse^ où les corailleurs et les pe- lation de la Calle, qui jusqu'ici est de-
tits caboteurs trouvent un abri ils:
y meurée très-faible; elle se composait au
er
sont assez bien couverts des vents du 1 janvier 1847 de deux cent trente-
nord et du nord-est; mais quand les trois Européens , dont cent dix fran-
bourrasques du nord-ouest s'élèvent ils çais.
doivent au plus tôt se hâler à terre; car De la Calle à Bone. A quelques lieues
les vents de cette partie y donnent en à l'ouest de la Calle, sur un escarpement :

plein , et y soulèvent une mer affreuse. rougeâtre, saluons les ruines d'une
Le poste du moulin occupe une colline vieille forteresse qui rappelle encore un
qui domine l'entrée de la darse. On voit souvenir national. Ce sont les débris de
que la position de la Calle ne brille pas l'établissement connu sous le nom de
sous le rapport nautique; mais elle Bastion de France, qui devança celui de
est voisine d'un riche banc de corail, la Galle. Les Arabes l'appellent encore
que la compagnie française d'Afrique Bestioun. Quoique ces ruines datent à
a exploité pendant plus d'un siècle. peine de deux siècles, elles ont déjà
Abandonnée en 1827 par les Français, revêtu la teinte fauve que le temps en
lors de la dernière rupture avec la' ré- Afrique applique sur les édifices ro-
gence, la Calle fut livrée aux flammes; mains.
elle rentra en notre pouvoir neuf ans A quelque distance de cette ruine
après.Au mois de juillet 1836 un petit française nous atteignons le cap Rosa,
détachement fut envoyé pour reprendre terre* basse, sans culture, couverte de
possession de cet ancien comptoir, au- broussailles; lieu sauvage, presque inha-
quel se rattachait le souvenir de tant bité, peuplé de bêtes tauves et de gi-
d'avanies. Il ne rencontra pas de résis- bier, où se trouvent les débris d'un tem-
tance; un groupe d'Arabes sans armes, ple deDianementionné sur les itinéraires
assis paisiblement sur les ruines de cette romains.
ville française, attendait avec impatience Les parages du cap Rosa offrent pen-
l'arrivée cie ses anciens maîtres dont
, dant la belle saison l'aspect le plus
ils reconnaissaient les droits. La petite animé; la mer y est couverte d'une mul-
garnison trouva la Calle dans l'état où titude de barques, dont les unes glis-
l'incendie de 1827 l'avait laissée. Les sent sous leur voile triangulaire et dont
poutres carbonisées , les murs debout les autres demeurent immobiles. La
mais calcinés, les rues couvertes d'her- cause de cette animation est enfouie au
ALGÉRIE» li

fond des eaux y a là un trésor sous-


: il réduite alors à l'eau malsaine de ses ci-
marin exploité depuis plusieurs siècles; ternes, a vu arriver dans l'enceinte de ses
c'est le banc de corail le plus beau et murs, par les soins des ingénieurs fran-
le plus riche de la côte d'Afrique. çais, l'eau pure et limpide de la monta-
Legolfe de Bône , dans lequel nous gne. Aussi l'inauguration delà première
entrons, est compris entre les hautes fa- fontainepublique y fut-elle accueillie avec
laises du cap de Garde , qui se rattache enthousiasme. Les indigènes de la ville
aux cimes de FEdough, et les terres bas- et des environs se réunirent autour du
ses du cap Rosa. Au moment où l'on réservoir d'eau vive, et témoignèrent par
arrive en face de ce large bassin les des danses et des feux de joie le prix
plages et les plaines disparaissent der- qu'ils attachaient à ce bienfait. Les
rière l'horizon delà mer; il ne paraît travaux d'assainissement exécutés dans
au-dessus des eaux que quelques som- la plaine , les plantations faites autour
mets lointains de montagnes dont on de la ville, l'introduction des eaux cou-
croit qu'elles baignent le pied. Cette il- rantes dans l'enceinte de ses riiurs, ont
lusion prête tout d'abord au golfe une complètement changé la physionomie
profondeur démesurée; mais à mesure de Bône, qu'elles ont replacée dans des
que l'on se rapproche le contour de la conditions normales de salubrité.
plage se dessine plus nettement, et en Ajoutons encore, pour rendre justice
limite l'étendue. à tous, que les hordes barbares du voi-
Enfin on distingue les édifices blancs sinage, mentionnées dans un précis qui
de la ville de Bône, bâtie au fond du date des premiers jours de la conquête,
golfe , au point où le sombre rideau des se sont apprivoisées depuis seize ans
falaises vient se perdre dans la ligne au contact de notre civilisation. Au-
blanche de la grève. jourd'hui ces hordes barbares con-
Au moment où le navire arrive au naissent nos usages , acceptent notre
mouillage une apparition assez remar- domination, et entrent sincèrement dans
quable attire l'attention du voyageur. nos vues.
Il voit surgir de la mer la forme colos- Ainsi les premières pages de cette pu-
sale d'un lion, accroupi au pied des ro- blication esquisse de l'état du pays en
,

chers la tête haute, et tournée vers l'en-


, 1830 donnent au lecteur la mesure des
,

trée du golfe, dont il semble être le progrès accomplis depuis cette époque
gardien. C'est un îlot d'un seul bloc. par la domination française et la civilisa-
Bône. —
Cette ville est mentionnée tion européenne.
dans les itinéraires anciens sous le nom C'est à mille mètres à peine de la viîle 9
d'Aphrodisium. Mais elle est appelée au fond du golfe, que la Seybouse débou-
Annaba (la ville aux jujubes) par les che dans la mer. Cette rivière, qui dans
indigènes, qui fidèles à l'histoire ont
, , la saison des pluies roule avec l'im-
conservé le nom de Bôna aux restes de pétuosité d'un torrent ses eaux chargées
l'ancienne Hippône. de vase et de débris , conserve pendant
Il a déjà paru dans cet ouvrage , à l'été, jusqu'à deux kilomètres environ
la naissance de cette publication, une de son embouchure, une largeur et une
notice qui retraçait l'image de Bône profondeur qui la rendent navigable.
telle que la conquête nous l'avait li- C'est une des rares exceptions de ce
vrée. Depuis lors cette petite ville, genre que présente la côte de l'Algérie.
alors pauvre, sale, misérable, dévastée, La ville de Bône, outre la sécurité
et dépeuplée par des violences récentes, dont elle jouit, la fertilité de son terri-
a complètement changé d'aspect à la : toire , l'aspect pittoresque de ses envi-
place de ses masures se sont élevés des rons, trouve encore dans ses minesde fer
édifices d'un style simple, mais d'une et dans ses forêts de nouveaux éléments
apparence décente; les marais qui de prospérité. Le mont Edough renfer-
croupissaient devant ses portes et infec- me à lui seul vingt-cinq mille hectares
taient l'air de miasmes mortels ont de bois ; quant au fer, on peut dire qu'il
entièrement disparu , d'abord sous des est partout. Plusieurs concessions ont
remblais informes, plus tard sous des déjà été faites. Le gisement le plus re-
maisons et des jardins. La population marquable est celui de Mokta-el-Hadid \
12 L'UNIVERS.
c'est une haute colline formée exclusi- Le débris le plus curieux et le mieux
vement de minerai de fer magnétique ;
conservé de l'ancienne Hippône est ce-
les Arabes l'ont appelée Mokta-el-Hadid lui que l'on rencontre en gravissant la
( la carrière de fer ) à cause d'une haute colline la plus rapprochée de Bône par
et large caverne taillée dans la masse le versant qui regarde la mer. Là, au-
métallifère, reste d'anciennes exploita- dessus des arbres séculaires qui cou-
tions. vrent la déclivité inférieure de la mon-
La population de Bône
se composait tagne, s'élève un grand mur adossé aux
er
au 1 1847 de six mille six
janvier pentes du mamelon. Au pied de cette
cents Européens, dont mille neuf cent muraille régnent de vastes souterrains,
soixante et un Français, et de trois mille dont les voûtes ont éprouvé par l'ef-
sept cent quatre-vingt-treize indigènes, fet du temps , et peut-être aussi des trem-
dontdeux mille quatre cent soixante-trois blements de terre , de larges ruptures.
musulmans, six cent treize nègres et Ces ouvertures béantes laissent voir
sept cent dix-sept israélites. plusieurs salles carrées, séparées par
d'énormes arceaux.Plusieursdes piédroits
Ruines d'Hippône.
sont endommagés ou abattus, et les ar-
•Ne quittons pas Bône sans saluer ces ceaux, privés de leurs supports, ne se
ruines célèbres sur lesquelles plane le soutiennent plus que par la force d'ad-
souvenir d'une des plus grandes illus- hérence du mortier. Dans les voûtes
trations du monde chrétien. demeurées intactes on remarque vers
Elles occupent deux mamelons ver- la clef desouvertures carrées de soixante
doyants situés à douze cents mètres de la à soixante et dix centimètres de côté,
ville actuelle, à quelques centaines de ménagées par l'architecte romain. Elles
mètres au-dessus de la Seybouse, tout font connaître la destination primitive
près de son embouchure. de ces souterrains, qui ne pouvaient être
On y parvient en remontant dans la que de grands réservoirs ; on voit encore
plaine le cours d'un ruisseau, la Boud- au-dessus des principaux piédroits de
jima, que l'on traverse sur un pont d'ori- petites galeries voûtées, dont le sol, dis-
gine antique, restaure il y a une dizaine posé en forme de cunette et cimenté , di-
d'années par les Français. Au débouché rigeait les eaux dans les citernes. Rien
de ce pont deux chemins se présentent: ne révèle destination de la haute mu-
la
l'un en face c'est la route de Constan-
, raille adossée à la montagne; mais il est
tine l'autre à droite conduit à Hippône.
; à présumer qu'elle appartenait, comme
Dès les premiers pas apparaît une trace les substructions imposantes qu'elle do-
de muraille qu'à son épaisseur on re- mine , à un édifice considérable.
connaît pour avoir fait partie des an- Il n'existe pas de source auprès d'Hip-
ciens remparts. A quelque distance de pône, et levoisinage de la mer altère trop
ïà, dans la plaine qui sépare les deux ma- celles de la Seybouse et de la Boudjima
melons, un pan de murrougeâtre, haut pour qu'il soit possible d'en faire usage.
d'environ dix mètres, épais de trois, se Les ingénieurs romains y avaient pourvu
montre parmi les touffes d'oliviers et par la création d'unaqueduc, qui prenait
de jujubiers qui ombragent le tombeau naissance dans les pentes du mont
de la ville ancienne. On y remarque la Edough traversait sur des arches deux
,

naissance d'un arceau fort élevé. D'é- vallées profondes et la rivière de l'Armua
normes fragments d'une maçonnerie ( aujourd'hui Boudjima ), et conduisait
épaisse et solide gisent à l'entour; quel- ainsi dans la cité royale les eaux de la
ques antiquaires voient dans ces débris montagne. On retrouve
les traces impo-
un reste des remparts ; d'autres y cher- santes de cet aqueduc sur toute l'éten-
chent les vestiges de cette basilique de due de son ancien parcours, depuis la
la Paix, dans laquelle saint Augustin prise d'eau dans les gorges sauvages de
prononça son fameux discours De tem- la montagne jusqu'aux citernes monu-
pore bârbarico, où, à l'approche des mentales dont on vient de lire la descri-
Vandales, qui s'avançaient de l'ouest, il ption.
exhorte le peuple d'Hippône à la rési- Il existe encore en face du coteau
gnation et au courage. d'Hippône, sur le bord de la Seybouse,
ALGERIE. 1S

des restes de maçonnerie, dés éperons Lepied du Pappua et la partie haute


déchaussés, restes probables d'un quai de laplaine étaient semés de mamelons,
de débarquement. C'est là sans doute que où parmi les oliviers, les jujubiers et les
les galères romaines, moins volumi- myrthes devaient apparaître de blanches
neuses que nos bâtiments actuels , ve- villas, signes de bien-être et de prospé-
naient aborder. rité.
Avant que le bélierdes Vandales Mais îe fond de la plaine , submergé
n'eût renversé les remparts d'Hippône pendant l'hiver, desséché au retour de
et commencé sur ses basiliques, sur ses l'été avait dû être longtemps un foyer
,

palais , sur ses habitations , sur ses aque- d'exhalaisons marécageuses, qui ren-
ducs même, l'œuvre de destruction daient insalubre le séjour des deux villes.
que le temps et les Arabes ont achevée, Pour combattre cette influence pesti-
la campagne d'Hippône, vue de la plus lentielle, dont l'histoire de Pinien et de
haute de ses deux collines , où Ton pense Mélanie, racontée par saint Augustin,
que s'élevait la résidence des rois de prouve que l'antiquité n'avait pas entiè-
Numidie, devait offrir un magnifique rement détruit l'effet, un système de
spectacle. De quelque côté qu'on se canaux avait été combiné de manière à
tournât, on voyait descendre en espa- jeter toutes les eaux dans l'Ubus. L'Ar-
liers, s'allonger dans la plaine ou re- rhua, sujet comme aujourd'hui à des
monter sur le mamelon voisin, les ter- crues rapides, franchissait ses berges en
rasses d'une ville riche et animée, hiver; on lui avait creusé un débouché;
comme devaient l'être les grandes cités un large canal le recevait au-dessus
de l'Afrique romaine. Une ceinture de d'Hippône, passait derrière les deux
tours et de courtines en dessinait les collines , et venait traverser
sous des ar-
contours. ches le quai de l'Ubus. C'est par cette
Au pied du coteau, l'Ubus, qui est la combinaison d'ouvrages, dont nousavons
Seybouse actuelle, déployait son cours ; nous-même retrouvé les vestiges, qu'on
on le voyait monter dunord au midi, était parvenu à assurer l'écoulement des
puis se replier vers le couchant , pois eaux.
disparaître comme un filet noir au mi- Sept chaussées pavées de larges dalles
lieu de la nappe d'or dont la culture partaient d'Hippo-Regius. Deux con-
couvrait les plaines. Au delà s'étendait le duisaient à Carthage, l'une par le litto-
golfe , vaste croissant dont l'œil domi-
, ral, l'autrepar l'intérieur; une troisième
nait toute l'étendue. C'était d'abord une se dirigeait sur Tagaste patrie de saint
,

grève aux contours réguliers; mais bien- Augustin, et pénétrait de là dans l'Afri-
tôt le rivage changeait d'aspect. A droite que proconsulaire ; une autre, remontant
il s'escarpait en dunes de sable, sur les- le cours de l'Ubus, allait aboutir à la
quelles se dessinait comme une large ville importante de Tipasa, construite à
déchirure l'embouchure de la Mafrag, l'une des sources duBagrada.Une autre
qui était alors le Rubricatus. Au delà le unissait Hippo-Regius à Cirta, capitale
regard allait se perdre dans la direction de la Numidie. Enfin les deux voies les
du promontoire où s'élevait le temple plus occidentales menaient à la colonie
de Diane et que nous appelons aujour-
, de Rusicada , où est aujourd'hui Phi-
d'hui le cap Rosa. A gauche et à un mille lippeville, l'une par le littoral , Tautre
environ la côte commençait à se hérisser par l'intérieur.
de falaises. C'est là qu'était assise la C'est par cette dernière que devait
d'Aphrodisium, devenue l'An-
petite ville arriver le flot vandale en l'année 430 de
naba des Arabes et la Bône française. notre ère, année funeste, qui unit dans
Entre le nord et le couchant l'horizon une destinée commune Hippône royale
était borné par la haute chaîne du Pap- et saint Augustin.
pua, appelé depuis Djébel-Edough. Des Il existe encore dans le voisinage des
bois séculaires , qui ont survécu à tous ruines d'Hippône de nombreux vestiges
les orages quelques champs cultivés
, des villas et des bourgades qui, au temps
des prairies, des rochers arides nuan- de sa splendeur, devaient animer ces
çaient ce vaste rideau et dentelaient la plaines et ces coteaux, devenus silen-
crête de la montagne. cieux et mornes.
14 L'UNIVERS
Parmi ces ruines une des plus re- masses déroches qui l'entourent, tout
marquables porte le nom de Guennara. porte l'empreinte delà désolation. Si l'on
C'est là que doit avoir existé la bourgade s'en rapproche par mer, on y découvre
de Mutugenne, nommée plusieurs fois de larges et profondes cavernes.
dans la correspondance de saint Augus- Un petit édifice carré se détache en
tin. Quatre hautes murailles encore blanc sur le versant oriental du morne,
debout, construites moitiéen briques (t), dont il occupe un des contre-forts. C'est
moitié en pierres jaunies par le temps, le fort génois : il est situé à deux lieues
tristes et inhabitées, voilà ce qui reste de Bôneet habité par une petite garnison
aujourd'hui de cette petite ville morte; française. Il protège une baie assez
et afin que toujours et partout la mort commode et l'un des meilleurs mouillages
ne se montre point à nous comme le de l'Algérie
néant , mais comme une transformation Tout près de là, dans un des ravins qui
de la vie, des myriades d'oiseaux et un sillonnent la masse rocheuse du cap, il
figuier au feuillage large et vert sont les existe une carrière de marbre blanc, qui
hôtes vivants et vivaces de cette demeure dut être exploitée pendant des siècles
depuis longtemps abandonnée par les par les Romains, à en juger par la haute
hommes. et profonde excavation taillée à pic dans
Le voyageur qui parcourt ces plaines le banc calcaire. On y retrouve la trace
rencontre aussi çà et la quelques débris encore fraîche du ciseau des carriers.
d'apparence plus modeste et de date Quelques colonnes ébauchées gisent
plus récente; ce sont des puits, dus à la abandonnées sur la rampe qui servait
charité de quelques bons musulmans à l'extraction des blocs. Les Arabes, pro-
qui, pour l'amour de Dieu (fiSab-Illah), fitant des débris de pierres accumulés,
ont voulu de leurs propres deniers en ce lieu par les travaux de l'antiquité,
fournir de l'eau au voyageur altéré. C'est en ont construit un petit marabout que
dans cette vue qu'ont été bâtis ces petits ia piété des fidèles a couvert d'oripeaux.
monuments d'utilité publique. Aussi Entre cet édifice de forme basse et de
,

portent-ils en général le nom deSebbala, couleur terne, et cette haute et large mu-
expression du sentiment religieux qui a raille taillée dans le roc vif, il y a toute
présidé à leur fondation. Il en existe un la distance des deux civilisations que ces
assez grand nombre au voisinage de monuments représentent on dirait une
:

toutes les grandes villes, et l'on ne s'é- petite touffe de mousse venue sur un
tonnera pas, nous le pensons, de trouver vieux chêne mort.
ces pieuses inspirations de la bienfai- Deuuis le cap de Garde jusqu'au cap
sance musulmane associées au souvenir de Fer la côte déroule une longue série
de saint Augustin. de falaises couronnées par les pentes
La chaîne du mont Edough s'avance rapides du mont Edough. Quelques
comme un trumeau de séparation entre accidents se détachent sur ce cordon
le golfe de Bône et celui de Philippeville; abrupte, et fixent l'attention du voya-
elle s'étend depuis le cap de Garde, qui geur. Tantôt ce sont de petites plages
ferme le premier, jusqu'au cap de Fer, qui défendues par des roches détachées; une
ouvre le second. de ces baies, plus profonde que les au-
Le cap de Garde, appelé par les Arabes tres, forme le petit port de Takkouch. Là
Ras-el-Hamra ( le cap de !a rouge ), est se trouvent, à demi cachées dans un mas-
formé déterres élevées, d'un aspect sau- sif d'oliviers sauvages, les ruines d'une
vage et d'une aridité repoussante. Les ville romaine appeléejadis Tacatua. Tan-
profondes crevasses qui le sillonnent, tôt ce sont des rochers de formes bizar-
les déchirements produits par le choc res et fantastiques, analogues au lion de
des vagues, les débris et les grandes Bône. L'un d'eux par exemple lors-
,
,

qu'on se trouve dans ces parages après


(i)Les dimensions des briques méritent midi, apparaît de loin comme une énorme
d'être mentionnées ; car elles n'ont pas voile latine complètement noire; aussi
moins de cinquante centimètres de largeur les marins indigènes l'appellent-ils la
dans les deux sens , sur douze centimètres voile noire.
d'épaisseur. Quelquefois un marabout blanc se
ALGÉRIE. 15

montre de loin sur la crête des falaises. Le mont Edough ne se perd point,
Les marabouts en Algérie occupent comme tant d'autres, dans la foule de
presque toujours des sites pittoresques, noms barbares que les bulletins mili-
Ilssont couverts généralement d'une taires ont cherché vainement à tirer de
couche de chaux, qui contraste avec la leur obscurité. Il renferme la fameuse
teinte noire des tentes ou le vert foncé mine d'Aïn-Barbar, et à ce titre il a reçu,
de la végétation ; ce qui les fait aperce- dans ces derniers temps, le baptême
voir de très-loin. Souvent l'œil cherche d'une célébrité toute spéciale, la célé-
en vain dans les profondeurs de l'ho- britéque donne la police correctionnelle.
rizon d'autres témoins de la présence li est limité à l'est , à l'ouest et au

des hommes; seuls ils animent les soli- nord par la Méditerranée, au sud par
tudes où ie hasard les a placés L'un de la vaste plaine du lac Fzara, et forme
ces marabouts solitaires élevés au pied ainsi une longue presqu'île de quatre-
de l'Edough porte le nom de Sidi-Akkê- vingt-dix mille hectares de superficie
cha. Il est situé au fond d'une petite baie, entièrement circonscrite par des régions
où les caboteurs viennent quelquefois basses qui l'isolent de toutes parts. Il
chercher un abri il occupe le sommet
; contient une population d'environ neuf
d'une colline, dont le pied est garni de mille habitants, tous indigènes.
beaux vergers ; ce qui fait ressortir la Les deux points culminants de cette
sauvage aridité des abords du cap de chaîne sont, à l'est, celui d'Aïn-bou-Sîs,
Fer. Ce marabout fut, il y a quelques et à l'ouest celui du Chahiba. Entre ces
années le théâtre d'une exécution san-
, deux sommets règne une dépression
glante, dont nous raconterons bientôt considérable,occupée par l'antique mara-
les détails. bout de Sidi-bou-Medîn, sanctuaire vé-
Unautre marabout situé un peu à
, néré, visité en pèlerinage par tous les
l'estde Sidî-Akkêcha, offre un intérêt bons musulmans de la contrée circon-
d'un genre différent. On l'aperçoit au voisine. L'espace qui sépare Sidi-bou-
pied du cap Arxin, que les indigènes ap- Medîn du Chahiba est traversé par une
pellent Bas-Jouâm, le cap Nageur. Au- vallée étroite, ombragée de beaux ar-
dessus dans la montagne règne une bres : c'est là que repose le trésor tant
sombre forêt, entrecoupée- de hauts ro- disputé d'Aïn-Barbar.
chers et enveloppée fréquemment par De la longue corde tendue entre Aïn-
des brumes qui l'assombrissent encore. bou-Sîs et le Chahiba partent les rugo-
Il nous est arrivé plusieurs fois de tra- sités qui, dans les quatre directions
verser cette partie de l'Edough au mi- cardinales, déterminent les pentes gé-
lieu des nuages, et nous nous reportions nérales de la montagne.
involontairement à ces bois sacrés de L'ensemble de la chaîne représente
l'antiquité, à ces sanctuaires redouta- donc assez fidèlement une grande tente
bles au fond desquels le paganisme ac- dont le Chahiba et l'Aïn-bou-Sîs seraient
complissait d'horribles sacrifices et cé- les montants, et dont les piquets seraient
lébrait des mystères lugubres. Par une plantés sur les bords de la Méditerra-
coïncidence remarquable, il existait au- née et du lac Fzara.
trefois, précisément au-dessous de ces L'histoire place au pied de cette mon
forêts, à côté du marabout blanc, une tagne deux des épisodes les plus impo-
villeromaine,dont les ruinesy subsistent sants de l'histoire d'Afrique. Lorsque le
encore, et cette ville est mentionnée roi vandale Genseric vint mettre le siège
par les itinéraires anciens sous le nom devant Hippône, l'année même qui vit
de Sulluco, forme un peu altérée de sub mourir saint Augustin, les habitants de
luco, sous le bois sacré. l'Edough, spectateurs naturels de ce
Mont Edough. —
Arrêtons-nous un grand événement, virent s'éteindre à la
moment dans ce massif tapissé de bois, fois du haut de leurs montagnes la domi-
veiné de métaux, destiné, par sa proxi- nation du grand peuple et l'existence
mité de la mer et les éléments de ri- du grand homme.
chesse industrielle qu'il possède, à de- Un siècle après Bélisaire ramenait en
venir l'un des points les plus intéressants Afrique l'étendard de l'empire. Le der-
de notre colonie. nier des successeurs de Genseric, Géli-
1G L'UNIVERS.
mer, fuyait devant lui, et dans sa fuite et chercha ainsi à y ranimer le fanatisme
il demandait un asile aux gorges de l'E- de ses co-religionnaires.
dough, appelé alors Pappua. C'est de là Quoique les populations de ces mon-
qu'il envoyait demander à Bélisaire une tagnes ne soient pas plus belliqueuses
cithare, un pain et une éponge, mes- que ne le sont en général les tribus de
sage emblématique que l'archéologie n'a la province de Constantine, cependant
pas encore expliqué. Si-Zerdoud parvint à trouver des audi-
Des souvenirs plus modernes, des teurs qui crurent en lui et prirent les
souvenirs qui se rattachent directement armes.
à l'occupation française , ajoutent à ces Deux actes d'hostilité préludèrent à
traditions antiques l'intérêt d'un drame cette petite croisade: un officier envoyé
récent. avec une faible escorte sur le marché
Pendant les premières années de notre des Beni-Mohammed près du cap de Fer
conquête les montagnards de l'Edough y fut assassiné de la main même de Zer-
restèrent à peu près étrangers à ce qui doud. Peu de temps après le camp d'El-
se passait daus la plaine de Bône, située Harrouch fut attaqué par les tribus du
au pied de leurs rochers. Quelques Fran- Zerdêza, à la tête desquelles figurait
çais habitant cette ville s'aventuraient encore Zerdoud.
de loin en loin dans la montagne, bien En même temps des actes de brigan-
armés, bien escortés, et ils atteignaient dage isolés, provoqués par les prédica-
ainsi le pic le plus voisin de Bône mais ; tions du marabout, furent commis dans
arrivés sur la crête dont le prolongement la plaine de Bône, ordinairement si sûre
forme le cap de Garde ils s'arrêtaient et si tranquille. Dans l'espace de quel-
prudemment , et redescendaient vers la ques jours Si-Zerdoud devint la terreur
ville. de toute la contrée.
Cet état de choses dura dix ans , les Informé de ces événements, le général
montagnards ne paraissant à Bône que Baraguay d'Hilliers, que les Arabes ap-
pour vendre du charbon des fagots ou, pellent Bou-Dera ( l'homme au bras ),
des fruits , téméraires de
les touristes à cause d'une glorieuse infirmité, le
Bône dans l'Edough qu'afin de
n'allant général Baraguay d'Hilliers prit ses
pouvoir dire qu'ils y étaient allés. mesures pour mettre à la raison ce fa-
Quant à l'état politique des tribus on natique et ses adhérents.
ne savait trop qu'en penser. Les monta- Trois colonnes partirent à la fois de
gnards ne commettaient aucun acte Constantine, de Philippeville et de
d'hostilité collective, mais ils s'abste- Bône, et se dirigèrent vers le massif isolé
naient aussi de toute manifestation bien- de l'Edough. La vigueur et l'ensemble
veillante. de ces opérations combinées ne tardè-
Cet état d'équilibre incertain durait rent pas à amener la soumission du
depuis l'origine, lorsqu'une circonstance Zerdêza.
inattendue vint tout à coup porter le Cependant Si-Zerdoud, retiré dans le
trouble dans la montagne et dessiner Djebel-Edough, y continuait ses prédi-
nettement les positions. cations et y entretenait la résistance.
Vers la fin de 1841 un marabout de la
, Mais elle ne fut pas de longue durée.
tribu des Beni-Mohammed, qui occupe Les trois colonnes pénétrèrent dans la
le cap de Fer à l'extrémité de la chaîne , montagne par la plaine du lac, c'est-à-
s'imagina que la Providence l'avaitchoisi dire par le sud, et après avoir traversé
pour être le libérateur de sa patrie. Ce la chaîne à la hauteur du port de Tak-
nouveau Pierre-l'Ermite se mit donc à kouch , finirent par acculer les insur-
parcourir toutes les tribus de l'Edough gés dans la petite pointe de terre occu-
et à y prêcher la guerre sainte. De là il pée par le marabout de Sidi-Akkêcha.
pénétra dans les montagnes du Zerdêza, Les montagnards demandèrent l'a-
qui s'élèvent de l'autre côté du lac (1), man, qui leur fut aussitôt accordé;

(i) Le massif du Zerdêza occupe le centre de d'El-Harrouch, situé sur la route de Philippe-
l'espace compris enlre Constautine, Guelma, Constantine, en est le poste le plus rap-
ville à

Bône, Philippeville et El-Harrouch. Le camp proché.


ALGÉRIE, 17

mais pendant les pourparlers de soumis- A l'instant les soldats se mirent en


sion un coup de fusil parti de la brous- devoir de cerner le point indiqué mais
;

saille vint blesser à côté du général avant que ce mouvement ait pu s'exé-
un de ses mkahli ou hommes d'armes cuter d'une manière ^complète le bruit
indigènes. Aussitôt la trêve fut rompue ; de la marche des troupes dans le fourré
le général français, indigné d'une aussi s'était fait entendre jusqu'au fond de
odieuse infraction aux lois delà guerre, ces retraites silencieuses. Tout à coup
donna l'ordre de tout massacrer, et cet le massif de broussailles qui cachait le

ordre fut exécuté sur-le-champ. Quel- fond du ravin s'agita d'une manière
ques Arabes, placés dans l'impossibilité étrange. Un homme en sortit. C'est —
de fuir autrement, tentèrent un moyen lui, dit tout bas le guide.

désespéré de salut en se jetant à la mer : Aussitôt le bruit d'une décharge de


ils se noyèrent; les autres, au nombre mousqueterie fit retentir les échos de
d'une centaine, furent impitoyablement lamontagne.
égorgés. Zerdoud tomba pour ne plus se rele-
Cet acte de rigueur, ordonné et ac- ver.
compli immédiatement après l'attentat Sa tête et son bras furent séparés de
qui l'avait provoqué, cette punition son corps pour être exposés aux yeux
,

terrible mais subite d'un crime flagrant de tous les Arabes, comme le seul acte
produisit une impression profonde sur de décès auquel ils pussent ajouter foi.
toutes les tribus. Dans une vengeance C'était le moyen d'ôter tout prétexte à
aussi prompte, aussi éclatante que la des contes absurdes et de prévenir de
foudre, elles crurent voir la tracedu doigt nouveaux malheurs.
de Dieu. Au moment de l'exécution c'é- Depuis cette époque l'Edough est de-
tait une rigueur salutaire; une heure meuré fidèle aux promesses de soumis-
après ce n'eût été qu'une barbarie in- sion qu'il avait faites et au besoin de
utile. tranquillité qu'il éprouve. Non-seule-
Cependant l'auteur de l'insurrection, ment montagnards viennent comme
les
le marabout Zerdoud, n'était point au par le passé apportera Bône les produits
nombre des victimes; on sut bientôt de leur modeste industrie; mais ils ac-
qu'au moment où les Arabes s'étaient cueillent avec une hospitalité cordiale
décidés à demander l'aman il s'était les Français qui leur rendent visite.
jeté dans les bois avec quelques partisans Les habitants de Takkouch ont de-
exaltés , et avait ainsi échappé au mas- mandé la création d'un établissement
sacre. français à côté de leur port, qui offrirait
Mais l'effroi répandu dans toute la ainsi* un débouché à leurs produits. Ils
contrée par l'hécatombe de Sidi-Akkê- ont offert de former une garde natio-
cha devait produire ses fruits. nale pour contribuer à la défense de
Quelques jours après un indigène se ce port.
présentait à la porte du commandant Devant le picd'Aîn-bou-Sîs, sur le col
supérieur de Philippeville, et deman- appelé Fedj-el-Mâdel, s'est élevé un peti*
dait à lui parler en secret. C'était le se- village français, composé de trois ou
crétaire de Zerdoud il venait offrir de ; quatre maisons. Là sans fossé, sans
livrer son maître. mur d'enceinte, sans haie même, vivent
Une petite colonne partit aussitôt en cénobites quelques gardes forestiers.
sous conduite de ce guide, et força la
la Une route tracée par les ordres du gé-
marche en suivant ses traces. Elle pé- néral Randon conduit à cet établisse-
nétra dans les montagnes par les forêts ment, qui, placé à cinq lieues de Bône,
qui en couvrent les versants méridio- parmi les bois et les montagnes, jouit
naux au sud de Sidi-Akkêcha. On ar- d'une sécurité que rien jusqu'à ce jour
riva ainsi au-dessus d'un ravin profond n'est venu troubler.
couvert d'épaisses broussailles. Alors le Dans le cours de l'été 1845 nous
guide, élevant la main dans la direction parcourions le théâtre des événements
où la gorge paraissait se rétrécir et qui viennent d'être racontés. En pas-
s'approfondir le plus, dit à voix basse au sant auprès d'un ravindésert, silencieux,
chef de la colonne C'est là. : sauvage, les Arabes qui nous accompa-
e
2 Livraison. ( Algérie. )
2
ÎS L'UNIVERS.
gnaient quittèrent un moment la route, occupe l'emplacement d'une
peville. Elle
et s'approchèrent avec respect d'un pe- villeromaine , appelée Rusiccada, dont
tit dé en maçonnerie blanche, à demi le nom s'est conservé sous la forme Ras-
caché dans les broussailles ; c'était la Skikda, appliquée à l'un des deux mame-
tombe de Zerdoud. lons entre lesquels s'étendait l'ancienne
Quelques jours après, en descendant, ville.
à la tombée de la nuit, le défilé d'Aoun, L'histoire ne nous a pas fait con-
pour aller camper dans la plaine située naître l'importance de la colonie de Ru-
en arrière du cap de Fer nous aperçû-
, siccada, mais les débris accumulés sur
mes sur la gauche, dans une anfractuo- le sol ont permis de l'apprécier; on y a
sité déserte de la montagne une tente
, trouvé un théâtre bâti sur le penchant
isolée au fond de laquelle brillait une de la colline de l'ouest, et du côté opposé
lumière. Tous les regards de nos guides un amphithéâtre destiné peut-être aux re-
indigènes se portèrent à la fois vers ce présentations navales appelées par les
point; nous traversions la tribu des Beni- anciens naumachies. Enfin des citernes
Mohammed, où l'insurrection avait pris monumentales existaient dans la région
naissance: cette tente solitaire avait élevée du mamelon de l'ouest. Çà et là
été celle de l'agitateur, elle abritait encore surgissaient des cintres de voûtes, des
sa veuve et son fils. restes de temples, et enfin des construc-

Golfe de Philippeville. —
Philippeville.
tions de formes bizarres, dont la destina-

— Stôra. -~ Kollo.
tion primitive n'a pu encore être assignée
avec certitude.
Après avoir doublé le cap de Fer on Tous ces vestiges, qui témoignent de
entre dans le golfe de Philippeville , le l'importance de l'ancienne Rusiccada,
rentrant le plus profond de la côte de la solidité et de la grandeur de ses
d'Algérie ; il n'a pas moins de trente-neuf monuments, se voyaient à la surface du
lieues d'ouverture de l'est à l'ouest, sol au moment où les Français prirent
sur six lieues d'enfoncement du nord possession de la plage et de la vallée de
au sud. Il est compris entre le cap de Skikda. Mais quand la pioche eut com-
Fer à l'est et le cap Bougaroni à l'ouest. mencé à remuer la terre pour y asseoir
La saillie du cap Srigina le divise en lesfondationsdela nouvelle ville, elle mit
deux baies, celle de Kollo et celle de au jour des inscriptions, des statues,
Stôra. des colonnes , des sculptures , et surtout
Cet immense bassin se fait remarquer un énorme amas de pierres de taille, hé-
par l'aspect verdoyant des terres qui le ritage da générations depuis longtemps
circonscrivent; quelques sites délicieux éteintes qui a déjà fourni les matériaux
apparaissent au fond de petites plages d'une cité neuve, et qui est loin encore
entrecoupées de pointes de roches. L'un d'être épuisé.
des plus agréables est formé par la pe- A deux mille mètres à l'est de Philippe-
tite vallée de l'Ouad-el-Rîra qui des-
,
ville une petite débouche à la
rivière
cend des versants occidentaux du Fulfula, mer : dont la belle vallée
c'est le Safsaf,
et vient déboucher à la mer, au pied du estdevenuedepuisquelques années l'objet
cap de ce nom. Lorsque la mode aura de concessions aussi importantes par la
accrédité en France l'usage des villas position des concessionnaires que par
algériennes , ces vallons frais et ombra- l'étendue des lots.
gés se couvriront d'habitations blanches, La fondation de Philippeville date du
et ces belles campagnes, aujourd'hui dé- mois d'octobre 1838. Dès le mois de jan-
laissées, emprunteront à la culture le vier une première reconnaissance avait
seul charme qui leur manque aujour- été dirigée de Constantine jusqu'au point
d'hui , celui de l'animation. où est aujourd'hui le camp du Smen-
Philippeville. —La partie la plus recu- dou, c'est-à-dire à six lieues et demie.
lée du ^olfe est bordée par une plage de Au mois d'avril une seconde explora-
sable où jusqu'en 1838 les embarcations tion atteignit les ruines de l'ancienne
des navires français envoyés pour recon- Rusiccada. Au mois de septembre la
naître la côte étaient accueillies à coups route était ouverte et viable jusqu'au col
de fusil. C'est là que s'est élevé Philip- deKentours, à neuf lieues de Constantine;
ALGÉRIE. 19

quelques jours après les deux camps in- de quinze siècles n'avait vu que des
termédiaires de Smendou et d'El-Har- ruines mornes et silencieuses à côté de
rouch furent établis. Ce dernier n'était huttes éparses et chétives.
éloigné de la mer que d'une journée de Au mois d'avril 1839, c'est-à-dire six
marche. Enfin le 5 octobre une colonne mois après sa fondation, Philippeville
expéditionnaire, commandée par M. le comptait déjà 716 habitants. Au 1 er jan-
maréchal Vallée , partit de Constantine. vier 1847 elle renfermait une population
Le même jour elle allait bivouaquer au de 5,003 Européens dont 2,520 Fran- ,

camp du Smendou. Le 6 elle passa la çais, et de 849 indigènes, dont 652 mu-
nuit au camp d'El-Harrouch, et le 7, à sulmans 58 nègres et 139 israélites,
,

quatre heures du soir , le drapeau trico- auxquels il faut ajouter une population
lore fut arboré définitivement sur les rui- indigène flottante de 246 personnes. Il
nes de la colonie romaine. est à remarquer que c'est de toutes les
C'était le premier exemple d'une prise villes d'origine française celle où les in-

de possession accomplie sur le littoral digènes se sont établis en plus grand


par une colonne française arrivant du nombre.
sud; quoiqu'on fût en "pays kabile, l'oc- Stora. ~ La plage découverte de Phi-
cupation eut lieu sans résistance. Seule- lippeville battue en plein par le vent et
ment dans la nuit quelques coups de la houle appelait, comme complément
fusil tirés sur les avant-postes protestè- indispensable, un point de débarque-
rent contre une conquête à laquelle les ment. Il n'en existait à proximité qu'un
Kabiles devaient bientôt souscrire. seul, à une lieue de la ville, au fond
L'emplacementdePhilippeville, acquis d'une anse, abrité des vents d'ouest par
au prix d'une expédition coûteuse , pou- des hauteurs abruptes, incultes, cou-
vait à bon droit être regardé comme la vertes de broussailles qui se dressent
propriété du vainqueur. Toutefois le gou- alentour comme un rideau. Ce point
vernement, quoique maître du terrain, portait dans la géographie indigène le
craignit de laisser à son premier pas sur nom de Stôra, nom qui signifie lui-même
le territoire kabile le caractère d'une rideau (1). La position de Stôra fut
usurpation. Appréciant la nature du donc occupée, et se transforma bientôt
droit de propriété chez les peuples d'o- en village.
rigine berbère, leurs habitudes de stabi- On y a trouvé, comme à Philippeville,
lité, l'intérêt qu'il avait lui-même à res- des restes imposants de constructions ro-
pecter, à encourager ces habitudes, il maines, de vastes magasins voûtés et de
voulut obtenir, moyennant indemnité, magnifiques citernes, dont le génie mi-
la cession des terrains nécessaires à la litaire a tiré parti , en les rétablissant
fondation de la ville qu'il projetait. avec autant de soin que d'intelligence
C'est ainsi que la France inaugura sa dans l'état où elles se trouvaient il y a
domination sur le territoire kabile , et il deux mille ans. Aujourd'hui la citerne
est certain que cet acte d'équité scrupu- monumentale de Stôra est à la fois un
leuse contribua puissamment à lui con- édifice d'une présente incontes-
utilité
cilier l'esprit de ces peuples. table et un modèle curieux de restaura-
Le génie militaire arrêta immédiate- tion archéologique.
ment le tracé de 'a ville nouvelle; une Il faut le dire la position de Stôra est
,

grande rue fut ménagée au fond de la malheureusement aussi ingrate pour les
vallée étroite qui sépare les deux mame- architectes que celle de Philippeville est
lons; ce fut la ligne de séparation entre désespérante pour les marins. Quoi que
les constructions militaires et les con- l'on fasse, le village se trouve impérieu-
structions civiles. sement borné dans son développement
Philippeville devenait le port de Con- par la roideur des pentes qui le domi-
stantine, le vestibule de toute la pro- nent.
vince; aussi prit-elle un accroissement On se flattait du moins de trouver une
rapide : lesconstructions s'élevèrent ample compensation à ce vice radical
comme par enchantement ; une agitation
électrique , une activité fébrile animèrent (i) C'est de là sans doute qu'est venu notre
tout à coup ce rivage, qui depuis près mot de store.

2.
20 L'UNIVERS.
dans la sûreté du mouillage, lorsque la naissant l'impuissance de ses ancres
mer vint tout à coup restreindre une avait fait couper les câbles, qui ne fai-
confiance un peu trop hâtive et réduire saient plus que gêner sa manœuvre, et
à sa juste valeur le mérite nautique de il gouvernait pour s'échouer sur une
Stôra. Nous pensons faire acte de jus- plage de sable, qui aurait favorisé le
tice en rappelant les principales circon- sauvetage des hommes; mais par mal-
stances de cette affreuse catastrophe, heur il traînait encore une dernière an-
circonstances aussi honorables pour la cre, dont il avait été impossible de rom-
population de Philippeville que pour la pre la chaîne.
marine française. Le navire, horriblement tourmenté
Le 16 février 1841 nous débarquions par la mer, montrait alternativement
à Philippeville, après une traversée déli- aux spectateurs du rivage sa quille et
cieuse par une mer calme et un beau
,
son pont on voyait alors sur ce plan-
:

temps c'était peu de jours après l'hor-


; cher, qui allait se rompre tout ce que
,

rible tempête qui bouleversa la rade de peuvent la discipline et la confiance:


Stôra. Tout le rivage était jonché de parmi les cent vingt matelots qui com-
débris. Nous trouvâmes la population posaient l'équipage , et dont plus de la
de Philippeville consternée des malheurs moitié allaient rendre à Dieu leur âme
dont ellevenait d'être témoin; presque résolue, pas un cri, pas un signe d'hésita-
tous les navires à l'ancre avaient été tion oude découragement. Tous, atten-
brisés contre les rochers.L'île de Sridjina, tifs à la voix du commandant, qui seule
qui forme la pointe de Stôra, avait, se faisait entendre,exécutaient ses ordres
disait-on, plusieurs fois disparu sous les avec calme et précision. Les nombreux
eaux quoiqu'elle ait plus de vingt mè- témoins de cette scène imposante en
tres de hauteur. conserveront toute leur vie le souvenir
Mais parmi tant d'épisodes lugubres religieux.
il y en avait un qui dominait tous les Cependant la gabarre chassait tou-
autres : c'était le naufrage de la gabarre jours, traînant cette malheureuse ancre,
de l'État la Marne. qui l'empêchait de diriger sa marche.
Dès les premiers coups de la tempête Un rocher à fleur d'eau la séparait de
les équipages de presque tous les navi- la plage, et elle aurait pu facilement l'é-
res marchands étaient descendus à terre. viter si elle eût été libre; mais cela fut
Il n'en fut pas il ne pouvait
, pas en impossible, et elle vint le heurter de toute
être de même de la marine militaire : sa masse et de toute sa vitesse.
là tout le monde resta à son poste; Ce fut un horrible moment; le pont
plusieurs passagers des bâtiments de se rompit en trois, et il n'y eut plus pour
commerce y avaient même cherché un chacun qu'une bien faible chance de
refuge, comme dans une arche inviola- salut.
ble; ils eurent à se repentir cruellement Toute la population assistait à ce
du parti qu'ils avaient pris. spectacle, immobile , consternée, ten-
Ce fut vers midi que ce malheureux dant les bras à ces malheureux, plus
navire commença à traîner ses ancres ,
calmes qu'elle, qui allaient mourir à
et vers deux heures le commandant fit vingt mètres du rivage, sans qu'il fut
tirer le canon d'alarme. Aussitôt la po- humainement possible de leur porter
pulation et une partie de la garnison secours.
de Philippeville coururent au village de. Le commandant fit jeter un câble
Stôra et se réunirent sur l'étroite plage vers la plage pour essayer un va et
qui faisait face au bâtiment en détresse. vient; mais le câble, emporté par le vent
Les différents services s'entendirent pour et la mer, ne pouvait être saisi par ceux
faire préparer et apporter tout ce qui, du rivage. Vainement des hommes in-
dans le matériel confié à leur garde, trépides essayaient-ils de s'élancer pour
pouvait devenir instrument de sauve- saisir ce frêle moyen de communica-
tage. En même temps une ambulance tion, quelques-uns furent emportés par
fut organisée pour donner aux naufragés la mer et disparurent.
les premiers secours. Enfin pourtant on parvint à le saisir;
Le commandant de la Marne, recon- cent bras s'y cramponnèrent aussitôt, et
ALGERIE, 2!

les matelots commencèrent à se hisser à un lien intime de parenté. D'ailleurs


la force des mains; mais plusieurs, l'admiration que le courage de.ces braves
engourdis par le froid, vaincus par la fa- gens et la fermeté de leur chef avaient
tigue, assaillis par les lames qui se dres- inspirée à la population de Philippeville
saient contre eux avec fureur, aban- suffisait bien pour appeler sur eux toute
donnèrent le fil de salut et furent en- la sollicitude des habitants.
gloutis. Le commandant de la gabarre la
Bientôt un coup de mer plus violent Marne était M. Gattier, qui, deux ans
que les autres secoua si rudement le après, devait à son tour tendre la main
câble, qu'il l'arracha du rivage en bles- aux naufragés politiques de Barcelone.
sant plusieurs de ceux qui le tenaient. Kollo. — L'île de Sridjina et le cap
Toute communication fut de nouveau du même nom marquent la séparation
rompue ;*>n avait ainsi sauvé une dizaine entre le golfe deStôra et celui de Kollo.
d'hommes, pour vingt et plus qui avaient Depuis le village de Stôra jusqu'à la ville
péri. de Kollo la côte se présente au naviga-
Le
capitaine , qu'on voyait toujours teur ardue mais verdoyante; une petite île
calme et impassible, plus glorieux, à située à peu près à moitié chemin présente
notre sens, sur ce misérable tronçon de un phénomène zoologique assez remar-
navire que dans le commandementd'une quable elle est habitée par des oiseaux
:

escadre le capitaine donna l'ordre d'a-


, d'espèces différentes, et qui plus est
battre le grand mât. d'espèces ennemies , étrange république
Heureusement, en accostant le ro- où le goéland, l'hirondelle de mer, le
cher, le pont du bâtiment était resté pétrel et même le pigeon font leur nid à
tourné vers la terre, de manière que la côté de l'épervier et du milan, et parais-
chute du grand mât pouvaft former une sent vivre dans la plus complète sécurité
sorte de pont entre les débris du navire avec ces destructeurs naturels de leurs
et le rivage. Les choses se passèrent espèces. M. le commandant Bérard, à
ainsi, et le sauvetage s'exécuta plus heu- qui nous empruntons ce fait (1) , ajoute
reusement que la première fois; mais que cette confraternité entre des ani-
plusieurs, trop confiants dans leurs maux voués par leurs instincts à une
forces, avaient essayé de se jeter à la inimitié réciproque se remarque fré-
nier ; tous avaient péri. quemment sur les rochers et les îlots qui
Enfin sur ce débris de carcasse théâ-
, bordent la côte d'Afrique.
tre d'un si horrible drame, et que la La ville de Kollo est la seule position
tempête menaçait encore d'enlever, il ne maritime de quelque importance, sur la
restait plus que deux hommes , le char- côte d'Algérie , qui ne soit pas occupée
pentier du bord et le commandant. Le par les Français. Cependant elle a été
matelot s'effaçait respectueusement pour visitée plusieurs fois par nos colonnes;
laisser passer son chef, lorsque celui-ci, mais l'occupation définitive en a tou-
par un geste brusque et impératif, lui jours été ajournée. Elle est bâtie au
fit signe de passer le premier. Le soldat pied du cap Bougaroni, derrière une
obéit ; mais à peine descendu sur le pont petite presqu'île appelée El-Djerda, d'un
fragile qu'il avait tant d'intérêt à traver- aspect triste , bordée de roches droites
ser vite, il se retourna et tendit la main et parallèles, disposées comme des
à son commandant pour l'aider à y des- tuyaux d'orgue. Les maisons sont bâ-
cendre lui-même. Ceux qui du rivage ties en pierres et couvertes en tuiles. Elle
ont assisté à cette scène si simple, si est habitée par des marins kabiles, qui
courte et si touchante, se la rappellent vivent de cabotage. Les environs offrent
encore avec attendrissement. l'aspect le plus varié et le plus pittores-
Le commandant et tous ceux qu'on que. Au sud de la ville s'étend la plaine
avait pu sauver étaient plus ou moins de Telezza, couverte d'une riche végéta-
grièvement blessés ; les soins ne leur fu- tion. Au delà le fond du tableau est formé
rent pas épargnés. Entre des hommes
que l'on est parvenu à conserver à si (i) Description nautique des côtes de
grand'peine et ceux qui ont exposé leur l'Algérie, par M. A. Bérard, capitaine de
vie pour les arracher à la mort il existe corvette.
L'UNIVERS.
22
graduel- de tous les autres caps par sa forme.
de grandes masses qui s'élèvent
se mon- une grosse masse ronde plongeant
C'est
lement. La plupart des collines
de bois; plusieurs sont dans la mer, comme une tour gigantes-
trent couronnées
sommet Une que, à des profondeurs que la sonde ne
cultivées jusque vers leur
traverse la plaine peut atteindre, à moins qu'elle ne soit
rivière, l'Ouad-Morkan,
dans la mer a jetée tout près du rivage. Il existe au
de Telezza et vient se jeter
pied de ce môle un banc de corail qui
côté de la ville.
de Kollo occupe 1 em- avait motivé au dix-septième siècle l'é-
La petite ville
romaine, désignée tablissement de la Compagnie française
placement d'une cité
à Kollo.
sur les itinéraires sousle nom de
Collops
Lorsque l'on contourne le cap Bou-
magnus. On y retrouve plusieurs de-
de cette garoni on voit se détacher de la masse
bris de constructions qui datent
bord une première saillie, que l'on p*end pour
époque. Au pied d'El-Djerda sur le en
appelée Banar- le cap lui-même. En continuant, on
de la mer, dans une baie
voit surgir une seconde puis une troi-
en-Nca (la mer des femmes), on
voit ,

souter- sième, et le regard du voyageur est ainsi


des pans de murs et au-dessus des
trompé sept fois de suite avant d'avoir
rains.
définitivement doublé le cap pour entrer
11 paraîtraitque Kollo aurait éprouve
des attérissements ce qui est
dans le golfe de Djidjeli, ou dans celui de
par l'effet
et no- Philippeville. C'est pour cette raison
arrivé à plusieurs anciens ports,
que les navigateurs européens l'ont ap-
tamment à celui d'Aigues-Mortes : il
milles, un pelé Bougaroni (trompeur) et les na-
existe au sud, à environ deux
langue vigateurs indigènes le Cap des sept caps
étang séparé de la baie par une
Les (Ras-Seba-Rous ).
de sable d'environ cent mètres. — Enfin, après avoir dépasse
Djidjeli.
traditions locales rapportent que ce
lac
septième pointe du cap Bougaroni, on
communiquait autrefois avec la mer, et la
voit apparaître la ville et le golfe de Djid-
formait un beau port capable de contenir derrière le cap
jeli. Au fond du golfe,
un grand nombre de bâtiments. Les ha- mer sous le nom
une rivière se jette à la
bitants lui donnent le nom
d'El-Djabia.
d'Ouad-Nedja. Elle n'est autre que le
Un pilote indigène a assuré à M. le com- Roumel , qui baigne le pied des rochers
mandant Bérard y avoir trouvé jusqu a
On aper- de Constantine.
treize brasses d'eau (21 m. 10).
du bas- Djidjeli a été occupée de vive force
çoit encore, dit-on, auxenvirons
même dans l'intérieur, sous les par les Français le 13 mai 1839. La ville
lin et ro-
paraîtraient est assise sur une petite presqu'île
eaux, des constructions qui par un
cailleuse, réunie à la terre ferme
confirmer la tradition locale (1). hauteurs circon-
isthme déprimé que
#
les
La baie actuelle de Kollo est signalée dominent à petite distance.
port de voisines
par les marins comme un bon
commerce. Les petits bâtiments y trou-
De la pointe orientale de la presqu île

part une longue ligne de rochers;


il
vents,
vent un abri contre presque tous les
semble au premier abord qu'il suffirait
un fond d'une bonne tenue et un dé-
de remplir en blocs de maçonnerie
les
barquement facile. 11 est probable que
intervalles qui les séparent pour
créer
l'administration française ne tardera pas continue
une des en arrière de cette muraille
à l'occuper. 11 deviendra alors
portes de communication avec Constan-
un large et sûr abri; ce fut l'erreur de
a pos- Louis XIV lorsqu'en 1664 il envoya Du-
tine. La Compagnie d'Afrique y
quesne prendre possession de Djidjeli.
sédé un établissement, de 1604 a 1685, créer un port
songeait alors à y
pour le commerce intérieur et la pèche
11
militaire mais on reconnut que la darse
;
du corail.
manquait de fond, et l'on renonça a une
Cap Bougaroni.— Le cap Bougaroni ou-
avancé au nord de conquête éphémère, que les relations
est le point le plus ren-
vertes avec lesKabilesdu voisinage
toute la côte d'Algérie. Il est le seul avec
le
daient difficile à étendre, et dont
la situa-
Cap de Fer qui dépasse le trente-septième d'ailleurs
encore tion nautique ne justifiait pas
degré, de latitude. Il se distingue conçues.
les espérances qu'on avait

nautique, page 119. Aujourd'hui Djidjeli est privée de


(i) Description
,

ALGÉRIE. 23

communications avec nos établissements enfin la culture des potagers et des cé-
de l'intérieur. Elle n'est accessible aux réales occupe les déclivités inférieures.
Français que par mer tout le massif de
: Quelques accidents remarquables se
tribus compris entre elle et Koilo est de- détachent sur ce fond majestueux dans
:

meuré jusqu'à ce jour dans l'insoumis- l'est c'est le Babour, aplati, en forme
sion. Djemila serait le point de la route de table, au sommet, sillonné de rides
de Constantine à Sétif, avec lequel elle profondes sur les flancs ; au centre c'est
correspondrait naturellement. Mais l'a- le Kendirou, habité par une tribu de mi-
bandon de cet établissement a retardé neurs qui exploitent de riches gisements
l'ouverture de la route entre ces deux de fer ; dans l'ouest c'est le ïoudja,
points. au pied duquel s'élèvent de beaux villa-
Djidjeli, sous la domination romaine, ges, construits dans une forêt d'oran-
avait été élevée au rang de colonie; elle gers.
a conservé sous une forme un peu alté- 11 se produit en entrant dans le golfe

rée le nom d'igilgilis, qu'elle portait de Bougie une illusion analogue à celle
alors. On y retrouve quelques débris de que nous avons déjà signalée pour le golfe
ses édifices antiques. Vers 361 de notre de Bône. Quelques arbres élevés situés
ère une insurrection violente ayant à fleur d'eau s'éloignent par l'effet du
éclaté dans massif qui forme aujour-
le mirage, et prêtent à la baie une profon-
d'hui la Kabilie, un des premiers géné- deur immense. Mais à mesure que l'on
raux de l'empire fut envoyé pour la ré- se rapproche de Bougie l'illusion se dis-
primer. C'était Théodose, père de l'em- sipe, et le golfe montre dans leur réalité
pereur qui s'agenouilla devantsaint Am- sa forme et son étendue. Enfin on ar-
broise. Parti d'Aries en Provence, il rive au mouillage; on se trouve alors
vint débarquer dans le port d'igilgilis. au pied des roches grises du Gouraïa, en
C'est dans l'antiquité le seul fait histo- face d'un groupe de maisons blanches
rique relatif à Djidjeli. séparées eutre elles par des massifs de
Djidjeli est habitée par une garnison vergers; c'est un des plus illustres débris
de sept à huit cents hommes et une po- de la grandeur musulmane en Afrique,
pulation européenne de 265 individus, et la capitale actuelle de la Kabilie.
dont 99 Français. Les habitants indi- Bougie. — La ville et le port de Bou-
gènes sont au nombre de 794, dont 792 gie occupent le segment occidental du
musulmans et 2 israélites. large hémicycle que dessine le golfe , si-
Golfe de Bougie. —
Djidjeli n'est tuation analogue à celle des principaux
éloigné que de vingt kilomètres du cap établissements maritimes de l'Algérie
Cavallo, où commence le golfe de Bou- Bône, Stôra, Kollo, Djidjeli, Alger, Ar-
gie. Quelques groupes d'îlots se mon- zeu et Mers-el-Kébir.
trent dans l'intervalle; en arrière, de Elle est bâtie en amphithéâtre sur
petites plages entrecoupées de falaises deux croupes exposées au sud, et sé-
basses et noires; à mi-côte, des champs parées par un ravin profond appelé Ouad-
cultivés; enfin à l'horizon les hauteurs Abzaz. Le ravin et les deux mamelons
couronnées de bois dessinent le bord viennent se perdre dans la mer en for-
supérieur d'une petite vallée verte et mant une petite baie qui est le port ac-
riante. tuel de Bougie. En arrière de la ville
Rien déplus imposant que le spectacle règne un plateau de cent quarante-cinq
de la cote lorsqu'on a dépassé le cap mètres d'élévation, d'où s'élance à pic à
Cavallo et qu'on pénètre dans le golfe une hauteur de six cent soixante et onze
de Bougie. Un vaste amphithéâtre v de mètres le Gouraïa , remarquable par ses
hautes montagnes apparaît dans l'en- pentes abruptes, sa teinte grisâtre et ses
foncement; presque toutes ont leurs formes décharnées,
sommets hérissés de roches nues quel- ;
La crête du Gouraïa s'abaisse par
ques-unes conservent de la neige jus- ressauts successifs jusqu'au cap Carbon,
qu'au mois de juin au-dessous de la
: qui ferme à l'ouest le golfe de Bougie.
zone des roches et des neiges règne Le premier porte le nom de Mlaad-ed-Dib
un large bandeau de forêts; au-dessous (le théâtre du Chacal). Puis viennent sept
encore commence la zone des vergers ;
dentelures juxtaposées, que les Bougio-
34 L'UNIVERS.
tes comprennent sous la dénomination écoles renommées , de belles mosquées,
commune de Seba-Djebilât (les sept pe- des palais ornés de mosaïques etd'arabes-
tites montagnes ). ques. Chaque année de nombreux pèle-
Le cap Carbon présente à la mer une mu- rins venaient la visiter; aussi l'appelait-
railleperpendiculaire d'énormes rochers on la petite Mecque. Un monument
d'un rouge fauve, qui se prolonge sans qui existe dans la haute ville rappelle
interruption jusque dans la baie de cette tradition ; c'est un puits situé parmi
Bougie, et prête aux abords de cette ville des débris sans nombre et sans nom ;
un caractère imposant. A la base de ce les habitants l'appellent encore , par al-
morne règne une caverne haute et pro- lusion à la métropole de l'islamisme,
fonde creusée par le choc incessant des
, le puits de Zemzem.
vagues qui viennent s'y engouffrer avec Par un caprice assez bizarre, le temps
des bruits sourds ; elle traverse le rocher et la guerre , ces destructeurs impitoya-
de part en part, ce qui lui a fait donner bles , ont respecté sur une grande partie
le nom d'El-Metkoub (la roche percée ). de son étendue la muraille qui fermait
S'il faut en croire une tradition accré- Bougie alors qu'elle était la capitale
ditée parmi les prêtres espagnols éta- des Hammadites et qu'elle tenait sous ses
blis jadis à Alger, la crypte naturelle d'El- lois Bône , Constantine et Alger. On re-
Metkoub fut au quatorzième siècle le trouve encore un échantillon de l'archi-
théâtre des pieuses méditations de tecture de cette époque dans l'ogive
Raymond Lulle. C'est dans cet oratoire gracieuse et pittoresque appelée porte
sauvage et grandiose que l'infatigable des Pïsans, qui s'élève au bord de la
apôtre de la foi prouvée venait chercher mer, à côté du débarcadère actuel. C'est
des inspirations durant le cours de sa par cette étroite ouverture que le 29
mission en Afrique. septembre 1833 les Français ont fait leur
Bougie occupe l'emplacement de la co- entrée dans Bougie sous" le feu des Ka-
lonie romaine de Saldae. On y a retrouvé biles.
des soubassements de murs en pierres de Bougie passa des mains sarrazines dans
taille, quelques tronçons de colonnes les fnains espagnoles, qui lui ont laissé
et plusieurs inscriptions latines dont
, des restes imposants d'architecture mi-
une porte l'ancien nom
de la colonie. litaire. Les trois forteresses delà Kasba,
Mais la véritable grandeur de Bougie d'Abd-el-Kader etdeMouça, occupéesen-
date de la période sarrazine. Vers le mi- core aujourd'hui parles Français, datent
lieu du onzième siècle elle contenait de cette époque.
plus de vingt mille maisons ce qui sup-
, C'était en 1509, au moment où l'Es-
pose une population d'au moins cent mille pagne jetait les fondements de la gran-
habitants. Au commencement du sei- deur maritime qui devait illustrer deux
zième siècle elle ne comptait plus que règnes. Ferdinand le Catholique, sous
huit mille feux , et par conséquent qua- prétexte de réprimer les incursions au-
rante mille habitants. dacieuses des pirates bougiotes, mais
En 1509, au moment où elle fut prise en réalité pour s'assurer d'une des meil-
par les Espagnols , elle renfermait plus leures positions maritimes de la côte
de huit mille défenseurs. Avant l'occupa- d'Afrique , envoya contre Bougie Pierre
tion française elle pouvait avoir, d'après Navarre avec quatorze grands vaisseaux
l'estimation des habitants , environ deux chargés de 15,000 hommes. Au lieu d'in-
cents maisons ; ce qui correspondrait trépides forbans, acharnés à la défense de
au taux des évaluations précédentes à , leur repaire, Pierre Navarre se trouva
une population de mille âmes. Enfin la avoir affaire, suivant le langage d'un
population indigène se trouve réduite auteur contemporain, à « de joyeux
aujourd'hui à cent quarante-six indivi- « citoyens, qui ne tâchaient à autre chose
dus, dont un tiers se compose de Kou- « qu'à se donner du bon temps et à vivre
loughis et le reste de Kabiles. « joyeusement tellement qu'il n'y avait
,

Telle a été la loi de décadence d'une « celui qui ne sût sonner d'instruments
des premières cités de l'islamisme, d'une « musicaux et baller, principalement
ville comptée parmi les villes saintes. « les seigneurs. » A
la vue de l'escadre
Au temps de sa grandeur Bougie avait des espagnole, ces joyeux citoyens s'en-
,,

ALGÉRIE. 2S

fuirent dans la montagne, et la ville Kasba furent en notre pouvoir. Mais la


demeura déserte. résistance, qui avait été faible au moment
Trois ans après en 151 2, le fondateur
, de l'attaque, devint très-vive le lende-
de la régence d'Alger, Haroudj Barbe- main, et se prolongea pendant plusieurs
rousse se présentait à son tour devant
,
jours de maison en maison. Enfin le 12
Bougie avec des forces considérables. octobre, le général français ayant reçu
Déjà même il s'était emparé d'une des des renforts d'Alger, et reconnaissant
forteresses; mais au premier assaut li- toute l'importance de la position du Gou-
vré à l'autre il eut le bras emporté raïa, qui domine la ville au nord, à une
d'un coup de canon, et se retira avec, hauteur de six cent soixante et onze mè-
des pertes énormes. tres, résolut de l'enlever aux Rabiles.
En 1515 il fit une seconde tentative, L'attaque fut bien conduite, et réussit.
aussi infructueuse que la première. Dès ce moment les irruptions parla mon-
C'est alors qu'il se rabattit sur Alger ; tagne cessèrent, et le cadavre de Bougie
il en fit sa capitale, à défaut d'autre, et resta définitivement aux Français.
cette circonstance fortuite éleva tout à De tout temps Bougie parut une posi-
coup la fortune d'une ville que^ la na- tion maritime de premier ordre. En 1541
ture avait réservée pour un rôle plus Charles- Quint, surnommé dans les ins-
modeste. criptions espagnoles l'Africain, y relâ-
Enfin, en 1555, le cinquième souverain cha après sa malheureuse tentative con-
d'Alger, Salah'-er-Réis, vint assiéger tre Alger, et l'impression qui lui resta de
Bougie par terre et par mer. Il enleva ce voyage le détermina à y créer des
d'abord sans beaucoup de résistance le moyens de défense considérables. Les
fort Mouça; il attaqua ensuite le fort Turcs voulurent y placer le siège de
Abd-el-Ratler, et l'emporta d'assaut, leur empire, et c'est dans ce but que Bar-
après l'avoir canonné pendantcinq jours. berousse essaya par deux fois de s'en
Enfin le feu fut ouvert contre la Rasba, emparer. Après l'expédition du duc de
et dura vingt-deux jours, après quoi les Beaufort contre Djidjeli, en 1664,
Espagnols capitulèrent. On voit encore Louis XIV, mieux informé, regretta de
sur les murs de cette citadelle les trous ne l'avoir pas dirigée sur Bougie. Enfin
creusés par les boulets turcs lancés du il existe aux affaires étrangères des do-

fort Mouça. Ce sont à peu près les seuls cuments qui constatent que les Anglais
vestiges cle la période de trois siècles regardent la situation de Bougie comme
qui a précédé la nôtre. comparable à celle de Gibraltar.
La prise de Bougie par les Français fut Ce concours de témoignages s'expli-
provoquée par des brigandages' mari- que par la configuration de la rade de
times. En 1831 un brick de l'État ayant Bougie. La jetée que l'art est obligé d'é-
fait naufrage sur ses côtes, l'équipage lever à si grands frais dans la baie d'Al-
fut massacré. Plus tard un brick anglais, ger existe naturellement dans celle de
le Procris, s'étant présenté devant la Bougie. Cette jetée, c'est le cap Bouac,
ville, en reçut, sans aucune provocation, un des bras du cap Carbon. Il com-
deux coups' de canon. Aussitôt le consul bine son action avec toutes les monta-
d'Angleterre à Alger demanda satisfac- gnes du voisinage pour préserver des
tion de cette insulte, et exprima l'espoir coups de mer et des coups de vent une
que la France, maîtresse de la côte d'A- anse connue sous le nom de Sidi-Iahia
frique, saurait y faire respecter les pa- qui devient, par un concours de dispo-
villons amis. L'expédition ne fut cepen- sitions naturelles, l'un des meilleurs
dant décidée que le 14 septembre 1833, mouillages de la côte d'Afrique. Aussi
et le 23 une colonne de deux mille les Turcs ne l'avaîent-ils pas méconnue.
hommes partait de Toulon sous le com- Chaque année vers l'équinoxe d'automne
mandement du général Trézel. Le 29 au leur flotte abandonnait les parages dan-
point du jour elle parut devant Bougie. gereux d'Alger, et venait prendre sa sta-
Le débarquement s'opéra de vive force, tion d'hiver dans la rade de Sidi-Iahia.
à côté du grand arceau du moyen âge ap- Par une faveur nouvelle de la nature
pelé Porte des Pisans. En deux heures la disposition de la rade de Bougie per-
le fort Abd-el-Rader, le fortMouca et la met encore de l'améliorer à peu de frais,
26 L'UNIVERS.
En effet, c'est surtout par la hauteur des travail, l'exercice des arts profession-
fondations sous-marines que les jetées nels , le soin et l'art des cultures , ne se
artificielles deviennent ruineuses. Eh retrouvent nulle part au même degré
bien une jetée à Bougie, eût-elle deux
! que dans les habitants des montagnes
mille mètres de longueur, ne rencontre- qui entourent la ville de Bougie. Une
rait à cette distance que dix-huit à vingt des différences les plus frappantes est
mètres d'eau tandis que le môle d'Alger
, celle qui se remarque dans la nature des
à sept cents mètres seulement en trouve habitations. En général le Kabile fait peu
déjà trente-deux. de cas de la tente; mais dans les monta-
Pour faire apprécier la valeur arithmé- gnes de Stôra et de Djidjeli il se con-
tique de ces hasards heureux qui se ren- tente de huttes chétives appelées gourbis.
contrent dans la configuration des côtes, Quelques perches garnies de roseaux
ajoutons : forment les murailles ; quelques brassées
Qu'un môle de six cents mètres de de pailles composent la toiture. C'est là
longueur doterait notre marine militaire que l'homme, ramené par une servitude
d'un abri de cent quatre hectares à Bou- séculaire à l'état rudimentaire de l'hu-
gie et seulement de trente-huit à Alger; manité, passe sa vie en compagnie de
Qu'il coûterait a Bougie trois millions tous les objets de son affection de son
,

et demi, tandis que le môle d'Alger pour âne, de sa vache, de son chien, de sa
cinq cents mètres seulement a déjà coûté femme, de ses enfans et de son fusil.
dix millions. Quand on se rapproche des montagnes
Voilà pourquoi Ferdinand le Catho- de Bougie , où se trouvent les parties du
lique, Charles-Quint, Barberousse, territoire demeurées vierges d'invasions,
Louis XIV et les Anglais ont arrêté l'état des habitations humaines s'amé-
leurs regards sur Bougie, les uns avec liore par degrés. D'abord c'est le misé-
complaisance, les autres avec regret. rable enduit de bouse de vache qui seul
Cette ville sera un jour le Gibraltar préserve le foyer domestique de l'indis-
de la côte d'Afrique. crétion des regards et de l'intempérie
des saisons; plus loin c'est la terre blan-
La Kabilie proprement dite.
che appelée torba qui consolide le frêle
En arrivant à l'entrée du golfe de treillage en roseaux; puis viennent les
Bougie, nous avons appelé l'attention murs en pierres sans enduit extérieur,
du lecteur ou plutôt du voyageur sur le et puis enfin il arrive un moment où
caractère et l'aspect particuliers des vous voyez apparaître dans les massifs
montagnes qui auprès comme au loin,
, d'oliviers, de grenadiers, ou d'orangers,
en hordent ou en dominent le contour! la petite maison en pierres blanchie à la
On sent que la nature a dû former là chaux, couverte somptueusement en
un de ces nœuds qui se remarquent tuiles, décorée d'un magnifique pied de
au point de rencontre des grandes vigne qui s'arrondit en voûte" au-dessus
chaînes dans la configuration des conti- de la porte d'entrée. Il arrive un mo-
nents c'est que là aussi existe un nœud
: ment où la propriété , d'abord vague et
d'une autre espèce, et que les populations mal définie , livrée aux caprices et aux
de ce massif diffèrent autant de celles injures du parcours, se montre à vous
qui les entourent que le massif lui-même divisée, délimitée, entourée de murs ou
de ceux qui le circonscrivent. de haies; où, à l'aspect d'une de ces
La contrée qui vous fait face lors- bourgades comme la Kabilie propre-
,

que venant de l'est vous pénétrez dans


1 ment dite en renferme des milliers , vous
le golfe de Bougie est la Kabilie propre- vous croiriez presque transporté dans
ment dite. un de nos villages de France , si la pré-
A côte de Stôra et celle
la vérité, la sence de l'olivier ne vous rappelait aux
de Djidjeli sont habitées 'par des tribus si la forme de la
latitudes africaines,
habiles dans lesquelles le génie et les mosquée surmontée de son petit mina-
instincts particuliers àcette race ont ret blanc ne vous rappelait aux terres de
laissé des empreintes plus ou moins l'Islam.
profondes. Mais le goût de la stabilité, C'est vers le fond du golfe de Bougie
l'amour du ravin natal , l'habitude du que ces différences , décisives à notre
, ,

ALGÉRIE. 27

avis , dans la condition et les habitudes porte. Qu'il s'éloigne au large à dix ou
des peuples , commencent à se dessiner douze milles seulement ; et au-dessus du
nettement. Une petite rivière , appelée rideau de cultures qui bordent le rivage
Aguerioun marque , la limite entre le ré- il verra se dresser, derrière le pic nu de

gime décent de la chaux, de la pierre et l'Afroun, qui domine les sources de la


de régime grossier des ro-
la tuile, et le Nessa il verra se dresser les sommets
,

seaux, de la bouse de vache etde la pailJe. neigeux du Jurjura, élevés de deux mille
C'est là que commence la Rabilie. cent mètres au-dessus du niveau de la
A partir de l'embouchure de ce ruis- mer. Au sud de ces montagnes, au
seau la côte, malgré le caractère assez
,
pied de leur versant, coule une rivière,
abrupte de ses pentes, étale sans inter- l'Akbou, qui vient jeter ses eaux à la mer
ruption de belles et riches cultures, au pied des murs de Bougie. C'est cette
jusqu'à l'embouchure d'une autre rivière partie supérieure de son cours qui forme
qui forme comme l'artère intérieure de la limite méridionale de la Kabilie. C'est
la Kabilie, et dont l'embouchure en là aussi que passe la grande communi-
marque la limite occidentale. Cette ri- cation de Constantine à Alger. La dis-
vière est l'Ouad-Nessa; elle prend sa tance du cours supérieur de l'Akbou à la
source dans les hautes gorges'de Jurjura, côte est de soixante kilomètres : c'est la
et vient déboucher à la mer, derrière le profondeur de la Kabilie.
cap qui abrite Dellis. La chaîne du Jurjura, dont les som-
L'Aguérioun et la Nessa comprennent mets s'aperçoivent en mer par-dessus la
une étendue de côtes d'environ cent bordure abrupte de la côte, règne sur une
quarante kilomètres c'est la base de la
; longueur d'environ vingt-cinq lieues.
Kabilie. Elle est inhabitée sur tout son dévelop-
Entre ces deux termes le rivage con- pement, à cause des températures gla-
serve un caractère homogène, sans ciales que les vents et l'élévation y en-
avoir pour cela un aspect uniforme. La tretiennent. Les crêtes sont même impra-
continuité des cultures que l'on voit ticables depuis octobre jusqu'en juin, à
s'élever jusqu'au sommet des collines cause des neiges qui les couvrent.
réjouit la vue sans la fatiguer. Çà et là Entre les limites que nous venons de
sur le bord de la mer, ou dans le fond tracer habite une petite république fédé-
d'un ravin boisé se montrent les toits
, rative, fière, hargneuse, entêtée, ja-
de tuiles d'un village ou le dôme blanc louse à l'excès de son indépendance,
d'un marabout. D'autres accidents con- préférant sa liberté orageuse et anar-
tribuent encore à rompre l'uniformité du chique à un vasselage quf lui donnerait
tableau c'est par exemple la masse rous-
; l'ordre et la richesse, industrieuse et
sâtre du cap Corbelin avec ses couches commerçante; néanmoins ce qui distin-
de roche disposées par stries obliques. gue tout d'abord le Kabile de l'Arabe,
C'est le cap Sigli, avec ses blocs accu- c'est un patriotisme naïf et touchant
mulés d'une manière si bizarre qu'on les qui lui inspire une sorte de piété filiale
prendrait de loin surtout en venant de
, pour les roches même les plus ingrates
l'est, pour les ruines d'une ville cyclo- de son pays natal. Il ne s'en éloigne que
péenne ; tantôt enfin c'est l'anfractuosité pour demander à l'émigration le pain
profonde dessinée par la belle et riche du travail ou pour marcher à la dé-
,

vallée de l'Ouad-Sidi-Ahmed-ben-Iousef fense du territoire fédéral.


habitée presque exclusivement par des tri-
bus de marabouts, bons moines qui, dans
Mœurs de la Kabilie. — Constitution
intérieure.
la Kabilie comme ailleurs, s'adjugent
toujours les meilleures terres. La KabiIie,comme le reste de l'Algérie,
Nous venons de mesurer la largeur est divisée en tribus ; la tribu se subdi-
de la Kabilie; disons un mot de sa pro- vise en fractions chaque fraction com-
;

fondeur. Nous l'avons côtoyée de l'est prend un certain nombre de villages


à l'ouest; mais dans le sud jusqu'où ( Dahra ). Bien que le caractère fédératif

s'étend-elle? Grâce à l'âpre conforma- appartienne à l'ensemble du pays, en ce


tion du pays, il est facile au voyageur sens que toutes les parties doivent leur
d'en juger sans quitter le navire qui le contingent d'hommes et leur tribut d'ef-
28 1 /UNIVERS.
forts à la cause commune, cependant Le nouveau cheik fait aussitôt ses
le lien d'association politique se montre dispositions pour offrir à ses administrés
plus étroit dans certains groupes, qui et à ses électeurs la dîfa d'installation,
réunis sous un nom commun, parais- difa dont le nouveau fonctionnaire n'ou-
sent être les débris des principautés blie pas de prélever
la dépense sur le
berbères du moyen âge. Telle est la produit des recettes municipales.
confédération des Zouaoua, dont le Ces recettes proviennent en grande
nom se retrouve dans le mot francisé partie des amendes qu'il prononcent elles
de zouaves , parce que cette contrée est ne laissent pas que d'être considérables,
la première dont les habitants soient attendu que la coutume kabile admet pour
venus à Alger en 1830 offrir à la France tous les crimes et délits la compensation
leurs services militaires. pécuniaire.
La constitution intérieure de la Kabi- C'est là l'origine des amendes et la
lie est un mélange des trois formes aris- source des revenus publics. Voici quel-
tocratique , théocratique et démocrati- ques échantillons du tarif des peines
que. Mais les deux premières paraissent pécuniaires prononcées par le code pénal
avoir été introduites par les révolutions kabile , qui du reste n'admet pas les
qui ont agité la grande famille berbère peines corporelles.
au moyen âge. La forme démocratique Injures, î bacita (2 fr. 50).
est celle qui répond le mieux au génie Coups portés avec la main sans effu-
ombrageux du montagnard, celle à la- sion de sang, 2 bacitas (5 fr. ).
quelle il revienttoujours.Dans presque Coups portés avec effusion de sang,
toutes les tribus le pouvoir est électif. 5 bacitas (12 fr.50).
Les élections ont lieu après le dépicage, Celui qui couche en joue sans tirer
c'est-à-dire vers la fin de l'été. On attend est passible d'une amende de 20 baci-
que la dernière charge de blé soitrentrée. tas (50 fr.).
Alors les cheiks fixent un jour et un S'il a tiré et qu'il ait produit une bles-
lieu de réunion. L'assemblée est convo- sure , l'amende s'élève à 100 bacitas
quée, soit dans la mosquée, soit au mar- (250 fr.).
ché , s'il y en a un dans la tribu. Quel- Le meurtrier est abandonné à la loi de
quefois même le rendez-vous est donné la vendetta, loi inexorable, qui impose
au cimetière. Tous y sontappelés, grands à tout homme l'obligation de venger le
et petits, riches et pauvres. Mais avant le meurtre d'un parent ou d'un ami.
jour de l'élection générale les marabouts Si la victime laisse un père, un frère
et les notables s'assemblent un jour un fils, c'est lui qui a charge de la ven-
de marché, et se concertent dans cette ger. Il attend, s'il le faut, durant des
réunion préparatoire sur le candidat années entières, une occasion favorable
qu'il convient de présenter. Puis quand pour tuer le meurtrier et acquitter la
vient le jour de l'assemblée générale dette du sang. Quelquefois, pour lui in-
chacun use de son influence personnelle spirer une confiance fatale, il quitte le
pour appeler les suffrages sur le candi- village, et disparaît pendant plusieurs
dat désigné à l'avance. De cette manière mois. Puis, au moment où il suppose
les élections s'accomplissent avec ordre, que son ennemi l'a oublié, il revient
la convocation de la tribu n'ayant pour mystérieusement, se glisse pendant la
objet que de sanctionner par acclama- nuit jusqu'au pied de l'habitation, pra-
tion le choix des cheiks et des oulémas. tique sans bruit un trou dans le mur, y
Dès que le nouveau cheik a été pro- engage le long canon de son fusil dans
clamé, la fatha commence; c'est la cé- la direction où il est sûr d'atteindre sa
rémonie d'inauguration. Les cavaliers proie, fait feu, et disparaît de nouveau
et fantassins se répandent dans la cam- satisfait d'un crime qu'il regarde comme
pagne, et déchargent leurs armes en une expiation.
signe de réjouissance. Ces bruits répétés Mais la victime peut ne laisser en mou-
de sommet en sommet annoncent dans rant qu'une mère, une fille, une sœur :.
tous les hameaux la clôture de l'élec- qu'importe ; c'est elle encore qui se
tion; les femmes et les enfants s'associent chargera de la venger. Elle va dans une
à la joie générale. tribu éloignée chercher un homme qui
.

ALGÉRIE. 29
Aii prête son bras; elle fait prix avec lui, et à la configuration non moins âpre
puis elle part et va mendier de tribu en
, du sol qu'il habite, le peuple kabile a
tribu jusqu'à ce qu'elle ait amassé la échappé en partie du moins à toutes
, ,

somme convenue. les dominations; il montre avec orgueil


Laguerre. Les inimitiés d'homme à les crêtes rocheuses au pied desquelles
homme sont moins fréquentes encore la razia turque est venue se briser. II
que les guerres de tribu à tribu ; chacune se donne aujourd'hui le nom tfamzigh,
a ses ennemies et ses alliées. Les alliances qui signifie homme libre, sans se douter
se concluent par l'échange d'un gage' que ses ancêtres portaient à l'origine des
entre les deux cheiks. Le gage est un traditions humaines le nom de mazig
,
yatagan, un fusil, ou un bernou. Il qui vraisemblablement avait une signi-
porte le nom de mezrag, qui signifie fication pareille. Le même nom s'est
lance, parce que cet usage chevaleres- donc conservé à travers les âges pour
que remonte sans doute au temps des consacrer le même fait.
carrousels et des tournois. L'échange du Il est de principe que tous les travaux

mezrag établit entre les contractants une cessent lorsque la voix de la poudre se
union étroite , une solidarité complète. fait entendre dans la montagne tous :

Le mezrag est un gage sacré : honte à les hommes doivent courir aux armes
qui le perd; honte plus grande à qui et se réunir autour du cheik ; les fem-
le laisse arracher de ses mains. mes demeurées au village abandonnent
Ce culte de l'objet échangé, qui lie les leurs occupations habituelles, et pensent à
tribus, lie aussi les personnes. Le Kabile ceux qui combattent: à plus forte raison
qui a échangé le mezrag avec un autre cette obligation est-elle rigoureuse lors-
devient ce qu'on appelle son naïa, c'est- qu'il s'agit de la guerre sainte.
à-dire son répondant corps pour corps ; Pendant les premiers temps qui sui-
son alter ego. Il épouse toutes ses que- virent la prise de Bougie , les Kabiles
relles, il doit le défendre au péril de ses paraissaient tous les jours devant la
jours, et s'il succombe il doit le venger. place, et tous les jours ils interrompaient
Cet étrange fanatisme a ensanglanté plus leurs travaux. Bientôt, fatigués de ce
d'une tribu. Il a été la cause ou au moins régime , ils laissèrent une semaine d'in-
le prétexte de l'assassinat commis sur la tervalle entre leurs attaques , plus tard
personne de M. Salomon de Musis, un mois, puis enfin deux et même trois
commandant supérieur de Bougie par mois. suffisait alors
Il pour rompre la
,

Mohammed-Amzéian cheik des Oulad-


, trêve de la provocation fanatique d'un
,

Tamzalt,le 4 août 1836, marabout. Aussitôt la coalition se for-


Au milieu de ces guerres intestines où mait le plan de campagne était discuté
;

l'absence d'une protection supérieure dans l'assemblée des cheiks on fixait le ;

livre tous les démêlés à l'arbitrage de lieu et le jour du rendez-vous c'était :

la force, le Kabile finit par regarder ordinairement au marché des Beni-


l'instrument de sa défense personnelle bou-Msaoud qui se tient tous les mer-
,

comme une partie de lui-même. A peine credis. Les tribus qui avaient voté pour
a-t-il atteint l'âge de seize ans, qui mar- la guerre fournissaient leurs contingents.
que le passage de l'adolescence à la viri- Il arrivait souvent que les cheiks enne-
lité, qu'il reçoit un fusil des mains de mis se faisaient un devoir chevaleres-
son père et dès lors cette arme devient
, que , aussitôt après la décision prise, de
son inséparable compagne; elle le suit la signifier auxlFrançais (1). Le comman-
dans toutes ses courses, dans toutes les dant supérieur fut prévenu plusieurs fois
vicissitudes de sa vie; elle est à la fois par écrit du jour où il serait attaqué ;
sa protectrice et son amie. jamais les Kabiles ne l'ont trompé et
Le paysan kabile a pour fortune deux n'ont manqué au rendez-vous.
bœufs, un âne et un fusil. Éprouve-t-il La campagne durait deux ou trois
un malheur, il vend un bœuf ; un second, jours ; chacun apportait ses munitions
il vend l'autre bœuf; un troisième , il et ses provisions : ces dernières étaient
vend son âne jamais, quoi qu'il arrive,
:

il ne se sépare de son fusil


(i) C'est d'ailleurs une des prescriptions
Grâce à cette nature âpre et farouche, de la loi du Djehad.
30 L'UNIVERS.
d'une simplicité homérique, car elles se cette opération de grands cris, qui du-
réduisaient à une galette cuite sous la rent pendant tout le combat.
cendre, assaisonnée de quelques figues Le moindre avantage leur inspire une
sèches. grande audace; mais l'amour irrésis-
Presque toujours les femmes suivaient tible du pillage les empêche de poursui-
leurs frères et leurs maris ; on les voyait vre un succès.
courir dans la mêlée, excitant les com- Dans la retraite ils se retournent et
battants parleurs cris, portant secours font feu , se dispersant pour diviser
aux blessés, aidant à emporter les morts, l'attention et les coups de l'ennemi,
partageant les périls de la lutte, la profitant avec habileté d'une pierre
douleur du revers, la joie du succès. d'un arbre, du moindre accident de ter-
De sanglants exemples ont prouvé la rain pour recharger en sûreté leur long
part que les femmes prenaient à la fusil.
guerre sainte. Le 5 décembre 1834 une Dans
la déroute ils fuient sans ordre,
d'elles, confondue dans un groupe de et gagnent de toute la vitesse de leurs
fantassins , essuya comme eux la charge jambes les rochers et les broussailles.
de notre cavalerie, et fut retrouvée parmi Ils s'ingénient alors, comme ils peuvent,
les morts. Le 11 novembre 1835 qua- pour échapper aux coups du vainqueur :

torze furent tuées ou blessées. Enfin le ainsi on les voit agiter leur bernou
8 juin 1836 on vit la veuve d'un cheik, avec les bras, pour donner le change
tué la veille devant le fort Doriac , con- sur la place que leur corps grêle occupe
duire en personne une colonne sur le sous ce vêtement. Sont-ils serrés de
théâtre de sa mort en poussant des hur- près, ils se retournent, saisissent la
lements affreux et braver la mitraille baïonnette du fantassin, prennent le
pendant plus d'une heure (1). sabre du cavalier par la lame , et le ti-
Les Kabiles, quand ils marchent à la rent à eux en se coupant les mains, dans
guerre , avancent par groupes gagnant l'espoi r de désarçonner leur ennemi Par- .

les hauteurs pour se rapprocher du viennent-ils à trouver une cachette, ils


point d'attaque. Chaque tribu a un dra- s'y blottissent, tenant près d'eux leur
peau*; il est porté par le plus brave. Ils fusil chargé, prêts à faire feu à bout
ne s'engagent qu'avec beaucoup de cir- portant s'ils sont»découverts, et déter-
conspection, et jettent en avant des ti- minés à se servir ensuite de la crosse
railleurs pour sonder le terrain. Aux comme d'une massue l'idée de se rendre
:

approches du point d'attaque, ils s'é- ne leur vient jamais.


parpillent; chacun cherche son rocher Industrie. La guerre, malgré l'ar-
ou son arbre pour s'y embusquer et deur que les Kabiles y mettent n'est ,

faire feu à couvert. cependant pour eux qu'une nécessité,


Si les cavaliers, saisissant un moment une nécessité désastreuse car elle en-
;

favorable, s'élancent au galop, les fan- traîne la destruction des maisons et des
tassins courent avec eux , se tenant à la arbres, ces deux liens par lesquels l'en-
selle ou à la queue des chevaux. On a vu fant de la Kabilie tient si fortement au
jusqu'à trois hommes cramponnés au sol natal.
même cheval. Le drapeau s'arrête à est facile de reconnaître que dans
Il
distance, et indiqué le point de rallie- les goûts kabiles c'est le travail qui tient
ment le premier rang; quel que soit le point
Les Kabiles attachent une certaine qu'il occupe, il trouvée utiliser les res-
importance à commencer l'attaque par sources naturelles du sol. Dans les plai-
un feu bien nourri; c'est ce qu'ils ap- nes étroites qui bordent le talweg de
pellent la taraka. Us accompagnent ses cours d'eau, il est laboureur et pas-
teur; sur les pentes des montagnes, il
est jardinier là il passe sa vie au milieu
:
(i) Nous empruntons ces faits et plusieurs
des détails qui précèdent et qui les suivent
les
des vergers ; il sait les soins que chaque
à un ouvrage intitulé : Vingt-six mois à Bou- sujet, que chaque espèce réclame; l'oli-
gie, par M. Edouard Lapène, lieutenant- vier forme sa principale ressource, et
colonel d'artillerie , ancien commandant su- lui donne des flots d'huile, dont les derniè-
périeur de cette ville. res gouttes vont aboutir, sous la forme
ALGÉRIE. 31

de savon, aux boudoirs de Paris, et, sous chaque jour voit un bon nombre de
la forme de pommade, aux huttes de jeunes Kabiles, n'ayant pour tout bien
Timbektou. Le jardinier kabile connaît qu'un bâton un derbal en guenilles et
,

très bien, quoi qu'on en ait dit, l'utilité la foi dans le travail, descendre de ces
de la greffe. montagnes et s'acheminer vers Alger,
Vers le sommet des montagnes, où vers Sétif , vers Constantine, vers tous
régnent d'immenses espaces couverts les points enfin où la présence des Eu-
de forêts vierges, le Kabile est bû- ropéens promet un aliment à leur acti-
cheron et tourneur. C'est de ces hautes vité. Amasser en quelques années un
régions que descend toute la vaisselle petit capital, retourner ensuite dans leur
indigène de l'Algérie : c'est là particu- pays , y acheter une chaumière , un coin
lièrement que se fabriquent ces plats de terre cultivable, et y passer le reste
majestueux en bois de hêtre appelés de leurs jours parmi les roches ingrates
gaça, où s'apprête et se sert chaque qui les ont vus naître : voilà le rêve de
jour le mets national, le couscoussou leur ambition.
destiné à tous les habitants d'une tente, On n'apprécie peut-être pas assez l'im-
d'une gourbi, d'une maison. Là où do- portance pour la soumission pacifique
mine ia roche ingrate, là où le sol ne de cette contrée , de ce courant qui
produit ni blés, ni fruits, ni arbres, le amène sans cesse au contact de nos be-
Kabile est orfèvre , forgeron, armurier. soins et de nos ressources un peuple
Ainsi la tribu de Fliça-sur-mer est une industrieux et imitateur.
grande manufacture" d'armes blanches. N'omettons pas une branche intéres-
Elle fabrique de longs sabres droits et sante de l'industrie kabile, celle que
pointus que les Kabiles appellent khe- les mœurs musulmanes réservent ex-
dama, et que nous appelons Flîça, du clusivement aux femmes , la fabrication
nom de ia fabrique. Ailleurs ce sont des des tissus de laine. Dans toutes les tri-
manufactures d'armes à feu la tribu des
: bus les femmes tissent la laine et la
Beni-Abbês, par exemple, livre au com- façonnent en bernous. Mais il en est
merce indigène de longs fusils , produit deux qui excellent surtout dans ce genre
de ses usines, et en particulier des pla- d'industrie, et dont les produits uni- ,

tines qui jouissent d'une certaine vogue. versellement estimés, commencent à


La fabrication de la poudre de guerre être recherchés même des Européens ;
constitue la spécialité des Rboula. Là ce sont les Beni-Abbês et les Beni-Our-
pas une maison qui n'ait son atelier Des p.iys où la femme donne l'a-
tilan.
d'artifice. Les procédés ressemblent beau- bondance au foyer domestique doivent
coup aux nôtres. Ils tirent le salpêtre à ce fait seul un germe de réhabilitation
des antres naturels où il se forme et se morale ,
que l'avenir et le contact d une
dépose par efflorescence. Le charbon est civilisation supérieure doivent déve-
celui du laurier-rose, qui croît au bord de lopper.
tous les ruisseaux. Le soufre est fourni Femmes. Dans les villes musulmanes
par le commerce européen. La poudre la femme disparaît et s'annule sous le
se vend de 1 fr. 50 à 2 fr. le demi-kilog. voile dont la loi , complice de la jalousie
Dans les montagnes des Beni-Sliman des hommes, l'oblige à couvrir ses traits,
le Kabile est surtout mineur. Le con- espèce de suaire qui l'ensevelit vivante.
tre-fort du Kendirou contient des mines Les femmes kabiles ne sont point
de fer en pleine exploitation. Le minerai soumises à cet usage elles recherchent:

extrait au pic à roc est traité par le char- au contraire les occasions de se montrer ;
bon de bois dans de petits fourneaux à elles paraissent à toutes les fêtes, et y
la catalane. Les soufflets, faits en peaux prennent part avec les hommes, dont
de bouc, rappellent ceux de nos éta- elles suivent les exercices. Elles
y jouent
meurs forains. même un rôle actif par les chants et les
Dans les régions pauvres, ravinées, danses auxquelles elles se livrent. Leur
impropres à la culture, incapables de danse favorite s'appelle sgara ; elles
nourrir tous leurs habitants l'émigra-
, l'exécutent au son de ia zerna (i), en
tion devient une nécessité. Chaque an-
née, chaque mois, on pourrait dire (i) Espèce de haut-bois à six trous.
32 L'UNIVERS.
brandissant un yatagan ou un fusil. nourrir. Le divorce est aussi commode
Le vêtement ordinaire des femmes et aussi fréquent chez eux que chez les
consiste dans un haïk ou longue pièce autres peuples de l'islam. C'est surtout
de laine descendant jusqu'à mi-jambe, dans la classe des femmes divorcées que
maintenu à la ceinture par une cbrde de le dérèglement est le plus commun.
laine. La femme divorcée porte le nom
Elles portent comme ornements d'im- tfadjoula. Elle retourne chez son père,
menses boucles d'oreilles quelquefois
,
et s'y livre à la prostitution, de l'aveu et
en argent , le plus souvent en cuivre sous les yeux de ses parents. Quelquefois
ou en fer, et d'autres anneaux de même même le père et le frère de l'adjoula
métal aux pieds et aux bras. spéculent sur le désordre de leur fille
Elles affectionnent singulièrement le et de leur sœur, et en partagent le prix
collier de verroterie ou de corail, qu'elles avec elle. Il en est qui poussent le cy-
achètent aux colporteurs forains. Maïs nisme jusqu'à se faire les courtiers de
c'est un luxe réservé aux bourgeoises et cet infâme commerce. Ce sont eux-
aux coquettes. Le henné, cette teinture mêmes qui appellent les étrangers, les
populaire en Algérie, fournit son tribut introduisent dans leur demeure , et di-
à leur parure ; il colore les ongles , la sent à l'adjoula : Fille, préparez la cou-
plante du pied et la paume de la main. che de l'étranger. D'autres poussent la
Enfin divers dessins tatoués sur le front complaisance jusqu'à se tenir devant la
et les bras complètent cette toilette assez porte du logis et à faire le guet armés,

bizarre ; et ce qu'il y a de remarquable de leur fusil, pour éloigner les indiscrets


dans ce dernier ornement, c'est qu'il et les importuns. Dans quelques tribus,
dessine presque toujours l'image d'une par exemple dans celle d'Amzéian, l'as-
croix. sassin du commandant Salomon, les
Dans beaucoup de localités les femmes Kabiles font un honteux trafic de leurs
sont blanches et d'une grande beauté. femmes ils s'éloignent à dessein pour
:

Quelques tribus sont renommées pour laisser à l'adultère toute sécurité , et en-
le nombre de leurs jolies femmes. On core ont-ils soin d'annoncer leur retour
cite surtout les Saïdiennes et les Guisfa- par des cris ou des coups de fusil, afin de
riennes. Un Kabile nous disait avec en- sauver du moins les apparences.
thousiasme que les premières, les Saï- C'est surtout aux voyageurs qui s'ar-
diennes, étaient les plus jolies créatures rêtent un jour et repartent le lendemain
du monde; il avait peut-être quelque que ce genre d'hospitalité est offert ; car
raison personnelle pour tenir un pareil les Kabiles, très-jaloux les uns des autres,
langage. Dans les villages situés vers ne le sont nullement des étrangers.
les cimes de la montagne, régions gla- Chaque village possède sa petite mos-
ciales, où il faut quelquefois, par 36° de quée; c'est en général la plus belle mai-
latitude, se faire un passage à la pioche son. Elle est consacrée à la prière; mais
au travers des neiges , les femmes sont comme chez les musulmans la vie civile
généralement rouges rouges comme du
, se confond dans la vie religieuse la mos-
,

corail, nous disait un habitant du pays, quée a une autre destination toute ter-
qui attribuait la coloration de leur teint restre: c'est l'hôtellerie des voyageurs.
au froid habituel de ces contrées. Elle est entretenue aux frais des habi-
Nous devons dire que les femmes ka- tants; le cheik y pourvoit sur le pro-
biles se montrent souvent peu soucieu- duit des amendes et si ce fonds ne suffît
;

ses de leur réputation. Tous les voya- pas il a recours aux cotisations. 11 com-
geurs indigènes qui ont parcouru ce met un oukil à la garde et à l'entretien
pays et ceux même qui l'habitent s'ac- de la mosquée : c'est ce dernier qui a
cordent à leur reprocher une facilité de charge d'héberger les voyageurs, et le
mœurs que dans certains cas la dépra-
,
cheik les laisse rarement partir sans
vation des hommes autorise et pro- leur demander s'ils sont satisfaits de
voque. l'hospitalité qu'ils ont reçue.
Le Kabile peut prendre plusieurs Lorsqu'un étranger aVrive dans une
femmes, comme les musulmans : toute- bourgade kabile, un habitant officieux
fois il est limité par l'obligation de les se présente à lui , et lui demande s'il est
,

ALGÉRIE. m
de passage pour la mosquée ou pour la l'esquisse sommaire que nous venons de
femme. Dans le premier cas il est logé tracer un dernier reflet du caractère na-
et nourri aux frais de la commune, qui tional.
pourvoit à ses besoins , sans s'inquiéter Le sommet du Tamgout forme un
du but de son voyage. S'il est de passage large plateau inhabité, couvert d'une fo-
pour une femme , l'officieux cicérone le rêt de chênes. A l'ombre de ces bois sé-
conduit chez l'adjoula, qui le reçoit culaires s'élève une petite mosquée blan-
moyennant salaire. che, propre, bien entretenue, seul mo-
Les femmes, malgré les dérèglements nument qui dans la forêt déserte rap-
auxquels se livrent un grand nombre pelle le voisinage des hommes. C'est
d'entre elles, n'en sont pas moins, chez cette petite coupole qui s'appelle Tam-
les Kabiles , entourées d'une vénération gout; elle donne son nom à la monta-
toute particulière. A l'exemple des an- gne, et porte elle-même celui d'un mara-
ciens Germains, ils supposent à leur sexe bout dont elle renferme la dépouille. La
une mission religieuse, une puissance forêt est la propriété commune de tous ;
d'inspiration; aussi se gardent-ils bien ainsi l'a voulu Tamgout lui-même.
de rejeter leurs avis ou de douter de leurs Mais le bois de Tamgout est un objet
oracles. Ce respect pour les femmes, sacré : malheur à celui qui concevrait, en
malgré leur état habituel d'infériorité, lecoupant, la pensée de le brûler ou de
est un très-remarquable. Lorsque
fait levendre Dieu couvrirait ses yeux d'un
!

l'on est menacé, il fait bon se mettre bandeau ou lui susciterait un lion pour
sous leur protection; c'est la meilleure le dévorer.
sauvegarde. Dans les premières années La dévotion pour ces dieux pénates
de la prise de Bougie, deux Arabes des va, dit-on, quelquefois jusqu'à balancer
nôtres firent naufrage dans la partie la l'influence des prescriptions fondamen-
plus inhospitalière du golfe. Ils allaient tales de l'islamisme. Ainsi, dans les
être massacrés lorsqu'une femme inter- montagnes des Beni-Amran, en arrière
vint, les couvritde sa protection, et les du cap Sigli, remarquable par ses ro-
arracha à mort.
la ches fantastiques il existe une gorge
,

Le respect des Kabiles pour les fem- qui a la propriété de rendre l'écho. Or,
mes se manifeste encore par les hon- suivant une croyance qui remonte sans
neurs rendus à la mémoire de plusieurs doute à bien des siècles, cet écho est un
d'entre elles, que la voix populaire a oracle qui manifeste les volontés du ciel.
proclamées saintes. Une sainte fille Un jour, aux approches du ramadan
kabile, Lélla-Gouraïa, fut longtemps la les Kabiles s'avisèrent d'aller consulter
patrone révérée de Bougie La chapelle
. la montagne pour savoir s'ils devaient
qui renfermait ses restes occupait en- jeûner. « Jeûnerons-nous ou non? » s'é-
core au moment de l'arrivée des Fran- crièrent-ils. —
La montagne répondit :

çais la cime brumeuse du pic où s'é- Non. Ils s'en allèrent bien résolus à
lève aujourd'hui une forteresse qui a enfreindre l'un des premiers préceptes
conservé son nom. Cette chapelle était du Coran et il ne fallut rien moins que
,

jadis le rendez-vous d'un grand nombre l'intervention de tous les marabouts du


de pèlerins cjui venaient de fort loin y voisinage pour balancer dans leur es-
faire leurs dévotions, attirés par la répu- prit ie créait de l'oracle.
tation de Lella-Gouraïa et les miracles Tel est l'aspect général, tel est le ca-
posthumes qu'on lui prêtait. ractère de la Rabilie , contrée intéres-
L'instinct superstitieux qui inspire sante, hérissée d'aspérités de toutes sor-
auKabile une vénération pieuse pour les !

tes, contre lesquelles le génie de la guerre


femmes se retrouve dans l'amour sau- est toujours venu échouer, parce qu'il
vage voué au pays natal. Chaque pic est n'était pas donné aux civilisations pré-
le sièged'une légende religieuse, qui fait cédentes de comprendre que ces aspé-
de ces rochers déserts et glacés des es- rités pouvaient s'abaisser d'elles-mê-
pèces de divinités domestiques objets , mes devant le génie plus intelligent de
d'un culte traditionnel. l'échange et du travail.
Nous citerons quelques exemples de Délits. — La petite ville de Dellis, que
ce fétichisme patriotique, pour jeter sur nous avons laissée de côté, appartient à ta
3e Livraison. (Algérie.) S
34 L'UNIVERS
Kabilie,ou du moins elle en faisait partie
avant que l'occupation française ne l'en
ALGER.
eût détachée. Elle est bâtie au pied d'une Lorsque après avoir dépassé les terres
haute colline appelée Bou-Mdas , et au déprimées du cap Matifou et les ruines
fond d'une petite baie d'un aspect triste. de l'antique Rusgoriium qui les cou- ,

Au moment où les Français en prirent ronnent, on arrive à la hauteur de


possession, en 1843, il y existait déjà l'embouchure de l'Harrach qui occupe ,

un village kabile, que les nouveaux le fond de la baie, il ne reste plus que
maîtres ont respecté. Il s'est élevé à côté quatre kilomètres environ à franchir
un camp et un village français. Dellis pour atteindre le port d'Alger.
occupe l'emplacement d'une ville ro- Il est difficile alors
si l'on se trouve
,

maine, appelée Rusuccurum, dont on pour première fois en face de cette


la
retrouve çà et là quelques débris. Les ville célèbre , de résister à une sorte
marins kabiles, quand ils parlent de d enivrement. Que ce soit pendant le
?

Dellis , manquent rarement de le signa- jour ou pendant la nuit les impressions


,

ler comme un des atterrages les plus sont différentes, l'effet est le même.
poissonneux des côtes d'Algérie. Il y a La nuit c'est la brise de terre chargée
trois siècles que Marmol disait « On : du parfum des fleurs, qui vous révèle
prend tant de poisson sur cette côte, que tout d'abord le voisinage des cultures
les pêcheurs le rejettent souvent en mer de luxe. En approchant du rivage, vous
parce qu'il ne se présente personne pour distinguez peu à peu dans l'obscurité
l'acheter. » Ce qu'il y a de remarquable, une forme triangulaire blanchâtre qui
c'est que le nom de Rusuccurum lui- se dresse devant le navire; et quand
même paraît se former des deux mots même la nuit serait assez sombre pour
phéniciens rus (cap) et caura (poisson). qu'elle échappât à la vue, elle s'annon-
La population de Dellis est un mélange cerait à l'odorat , car il s'en élève aussi
de toutes les tribus voisines ; mais les une senteur particulière, commune à
plus anciennes familles passent pour toutes les grandes cités de l'Orient, mé-
appartenir à cette classe de proscrits ap- lange indéfinissable de tous les parfums
pelés Jndalous, que l'Espagne rejeta qu'elles affectionnent.
de son sein à la fin du quinzième siècle. Pendant le jour la forme triangulaire
Le nombre des habitants indigènes d'Alger commence à se dessiner dès que
s'élève à 1033, dont 1016 musulmans, l'on a doublé le cap Matifou. A la hau-
4 nègres et 13 Israélites. Quant à la teur de l'Harrach quelques détails pa-
population européenne , elle se réduit à raissent déjà : à droite, au bord de la mer,
308 personnes, sur lesquelles on compte la tour du Phare ; à gauche , sur le som-
215 Français. met des hauteurs le fort l'Empereur.
,

Entre le cap Bengut , dont la pointe Au pied de cette forteresse, qui fut le
orientale protège imparfaitement le tombeau de la domination turque, les
mouillage de Dellis, et le cap Matifou coteaux de Moustapha déploient leur
qui ferme la baie d'Alger, des terres bas- magnifique amphithéâtre de villas et de
ses et uniformes déterminent le cordon vergers.
de côte, interrompu seulement par une
la Rien de plus gracieux , rien de plus
vallée plate et boisée à travers laquelle animé que l'aspect de cette ville blanche
l'Isser termine son cours. Durant tout à côté de ces vertes campagnes.
ce trajet , l'horizon est borné par les Mais combien d'autres causes con-
hautes montagnes du Jurjura. tribuent à faire naître le sentiment que
A côté du cap Matifou , un groupe de Ton éprouve en voyant Alger pour la
petits rochers d'un brun presque noir première fois !

borde la côte : l'un d'eux, grandi par le Au-dessus de cette ville blanche et
mirage, ressemble à un bâtiment à de ces vertes campagnes flotte une
la voile. Les marins lui ont donné le nom des plus sombres pages de l'histoire des
deSandjak, qui signifie drapeau. C'est hommes. Devant le fantôme galvanisé
en effet une sorte de pavillon de signal du vieil Alger, comment ne pas songer
qui annonce la prochaine apparition de à tous les gémissements chrétiens que
l'ancienne capitale barbaresque. ses murailles ont entendus ? Gomment
ALGÉRIE. 35

oublier tant de malheureux que le ba- truites et occupées par la tribu des
gne a vus périr au fond de ses cachots Beni-Mezranna. Il existait à cette épo-
impies? Comment ne pas se reporter à que en face de la ville un groupe d'îlots
ces débauches inouïes de la révolte , à que les compagnons d'Hercule et la
ces sept souverains égorgés dans le puissance romaine elle-même, cette
même jour , dont le dernier devait le grande fille d'Hercule avaient dédaigné
,

lendemain, pour inaugurer son règne, d'unir au continent; cela fut cause que
faire attacher aux créneaux cent têtes -la ville berbère reçut le nom de Djé-
sanglantes? Devant cette ancienne bas- zaïr- Beni-Mezranna , les îles des Beni-
tille delà piraterie, c'est à peine si l'on Mezranna. Elle' devint vassale du
ose se fier à l'hospitalité qu'elle vous royaume de Bougie, rôle modeste, dont
offre. Et alors à quelque nation que elle se contenta pendant près de six
vous apparteniez vous adressez invo-
, cents ans.
lontairement des actions de grâces au Vers la fin du quinzième siècle un ,

peuple qui a ramené sur une terre événement mémorable, qui frappait l'is-
souillée de tant de crimes des jours lamisme au cœur, sè*rvit accidentelle-
d'ordre et de justice. ment la fortune de Djézaïr. Ce fut l'ex-
On sait qu'Alger occupe l'emplace- pulsion des Maures d'Espagne. La pe-
ment d'une cité romaine. Les géographes tite cité kabile tendit la main à ses
de l'antiquité rapportent qu'elle fut coreligionnaires proscrits, qui lui ap-
fondée par vingt compagnons d'Hercule, portèrent en échange de l'hospitalité
qui l'appelèrent, en souvenir de son ori- qu'ils en recevaient, leur nombre , les
gine, Icosium, la ville des Vingt. Mais débris de leur fortune et de leur civili-
assurément ces vingt compagnons du sation, et une profonde haine du nom
dieu de la force tirent moins pour la chrétien. Suivant l'Espagnol Haedo,
grandeur et la célébrité de leur ville mille familles maures cherchèrent un
que Barberousse tout seul avec son refuge à Djézaïr. Elles furent désignées
génie de forban. sous le nom d'Andaious. C'est à cette
Une circonstance qui survint vers la époque que remonte la construction de
fin du quatrième siècle de notre ère ap- la grande mosquée, le plus bel édifice
pela un moment sur lavilledes /^^l'at- religieux que possède aujourd'hui Alger.
tention de l'histoire. Un de ces agitateurs Djézaïr dut aussi aux émigrés de
qu'une expérience de dix-huit années l'Andalousie quelques ouvrages de for-
nous a appris à connaître était sorti du tification. Craignant avec raison de voir
mont Ferra tus, qui est le Jurjura actuel, la rancune de l'Espagne les poursuivre
et menaçait la domination romaine. Il jusque dans leur dernier asile, ils du-
s'appelait Firmus; c'était l'Abd-el-Ka- rent songer au soin de leur défense.
der de son époque. On envoya contre Deux batteries furent construites, l'une
lui le meilleur général de l'empire, à côté de la mosquée ,l'autre à la porte
père et homonyme de l'empereur Théo- de la Marine , toutes deux dirigées vers
dose. Après plusieurs engagements, un la mer. La première a entièrement dis-
traité fut conclu un traité de la Tafna,
, paru sous les constructions modernes;
qui devait être violé quelques mois de la seconde il n'a survécu aux ravages
après; néanmoins les prisonniers, les du temps, et surtout des boulets euro-
drapeaux, le butin, furent restitués de péens, que quelques vestiges mais le nom
;

part et d'autre l'histoire nous apprend


; de Fort des Jndalous, que les vieux Al-
que cet échange eut lieu à Icosium. De- gériens leur conservent, témoigne de
puis ce moment la colonie romaine ren- leur origine.
tra dans l'obscurité où elle avait vécu, où Ces précautions n'empêchèrent pas
elle devait mourir. Ferdinand le Catholique d'élever, quel-
Plus tard, longtemps après que les ques années après, sur l'îlot qui faisait
monuments romains eussent croulé sous face à la ville, la fameuse tour ronde
l'effort des barbares ou sous l'action connue sous le nom de Penon d'Alger.
de quelque autre puissance inconnue, Cette construction, après avoir éprou-
la place où s'élevait l'ancienne Icosium vé depuis cette époque bien des vicis-
se couvrit d'habitations berbères cons-
, situdes et des changements, sert au-
36 L'UNIVERS.
jourd'hui de base à la tour du Phare. mer. A la porte de la Marine on en
Il était réservé à Baba-Haroudj , que remarquait une qui avait sept bouches;
nous appelons Barberousse , d'élever elle était de fabrique et d'invention tur-

i
Alger à la hauteur de son génie et de ques. Cette eurieuse machine de guerre 1
sa fortune. Cette révolution s'accomplit a disparu; mais le souvenir s'en est
en 1515. conservé à Alger; les habitants mon-
Si après un règne de trois années traient encore il y a quelques années
seulement l'illustre renégat succomba l'embrasure qu'elle occupait dans le
sous le fer espagnol , si sa tête et sa fort des Andalous.
veste d'or furent portées en triomphe à Sous le règne de Khaïr-ed-Din la
Saint- Jérôme de Cordoue, l'édifice qu'il population d'Alger prit un accroisse-
éleva n'en est que plus digne d'étonne- ment rapide. Vers la même année 1573
ment , nous n'osons dire d'admiration. elle contenait 12,200 maisons, ce qui
Ces trois années lui avaient suffi pour suppose environ 60,000 habitants ; elle
fonder la capitale d'un empire. Du jour possédait en outre 100 mosquées et 34
où Barberousse eut touché Djézaïr , une hôpitaux (1).
révolution magique s'opéra la petite
; Le plus grand ouvrage de Khaïr-ed-
ville, qui quelque temps avant n'eût pas Din , celui qui suffirait à la gloire d'un
résisté aux sandales de Bougie et de règne , fut la construction de la jetée qui
Tunis , allait voir échouer devant elle porte son nom. Il commença par s'empa-
en quelques années François de Véra, rer du Penon ; ce qui le débarrassa des
Hugues de Moncade et Charles-Quint Espagnols. C'est alors seulement qu'il
le grand souverain du seizième siècle, posa la première pierre de ce fameux
avec les meilleures troupes de ses trois port d'Alger , dont nous allons retracer
royaumes. l'histoire.
Il y eut du bonheur sans doute mais : Il existait alors dans la courbe du
quel est le succès qui peut se passer de rivage où est assis Alger une saillie na-
la fortune? Il y eut du bonheur, car turelle, encore appréciable aujourd'hui,
un auxiliaire terrible , la mer , se sou- malgré ouvrages dont elle est cou-
les
leva elle-même contre les flottes enne- verte. En avant , et à deux cent trente
mies ; il y eut du bonheur encore dans mètres environ dans la mer, surgissaient
la rencontre de ces deux frères, dont les quatre îlots rocheux qui avaient valu
l'un hérita du génie de l'autre et sut si à la ville son nom de Djézaïr. C'est à
bien achever et consolider son œuvre. l'abri de ces quatre îlots que les navires
Khaïr-ed-Din fit ce que Barberousse venaient jeter l'ancre.
eût fait s'il avait vécu ; autour de cette Du milieu du groupe s'avançait vers
ville, qui désormais valait la peine d'être la sailliedu rivage une série de pointes
prise , il étendit une ceinture de rem- de rochers , barre naturelle qui dessi-
parts; au sommet de la colline dont nait l'enceinte du mouillage, mais ne
elle occupe les pentes , il éleva une ci- lui donnait aucune protection ni contre
tadelle; en un mot il l'équipa en guer- les vents , ni même contre la houle du
rière : il en fit Alger la bien gardée. nord. D'autres dangers y menaçaient
C'est en 1532 que Khaïr-ed-Din fit d'ailleurs les navires ; ainsi il existait au
élever les murailles d'Alger. En 1571 milieu même de la darse plusieurs
une terreur panique détermina la cons- pointes de roches, sur l'une desquelles
truction de nouveaux ouvrages. Les est venu se perdre en 1835 le bateau à
Algériens tremblèrent de voir apparaître vapeur VÉclaireur.
devant leurs côtes le vainqueur de Lé-
pante. Dans leur trouble ils se décidè-
(i) Fondation de la régence d'Alger,
rent, pour dégager les abords de la ville, par MM.Sander-Rang et Ferdinand Denis.
à démolir un faubourg entier. Deux ans La population d'Alger paraît avoir déchu dans
après , sans doute sous l'impression de la suite. A la fin du dix-huitième siècle, Ven-
la même terreur , de nouvelles fortifica- lure de Paradis ne comptait dans toute l'é-
tions furent élevées. A cette époque tendue de la ville que 5,ooo maisons, environ
Alger comptait neuf portes ; vingt-trois a 5, ooo habitants. C'est le nombre, auquel
pièces de canon garnissaient le front de l'Espagnol Haedo évalue les esclaves chrétiens.
,

ALGÉRIE, 87

Telle était la situation du mouillage Français, et qui s'avance lentement dans


d'Alger lorsque le second des Barberousse le vide de la mer sans savoir où il s'ar-
entreprit de réunir le groupe d'îlots à rêtera.
la terre ferme, en suivant le banc de Chaque année un grand nombre de mal-
roches qui régnait de l'un à l'autre. heureux esclaves chrétiens y mouraient
Une chaussée continue, élevée au-dessus à la peine , et chaque année la tempête
des pointes les plus hautes, fit disparaî- emportait une partie des fruits de cet im-
tre les lacunes qui auparavant existaient pitoyable holocauste. Des sommes im-
entre elles. Le port se trouva fermé du menses furent englouties dans ce môle,
côté du nord. On tira les matériaux en qui n'atteignit cependant sous les Turcs
partie du penon espagnol , en partie de qu'une longueur de cent quarante mè-
la ville romaine du cap Matifou. Des tres. Rappelons que tous les ans, quand
milliers de chrétiens perdirent la vie venait l'équinoxe d'automne, la flotte
dans ces rudes travaux. turque s'empressait d'appareiller; elle
Khaîr-ed-Din compléta son oeuvre quittait ce dangereux mouillage et allait
par la réunion des quatre îlots; il en prendre sa station d'hiver dans la rade
forma un seul et même massif, dont la de Bougie. Là du moins elle trouvait
plate-forme sert aujourd'hui de base aux une sûreté qui n'avait pas coûté au tré-
établissements de l'artillerie et de la sor de la Régence un seul para.
marine. Aussitôt après la capitulation d'Alger,
Une l'ensemble de ces
fois exécuté, l'administration française prit des me-
deux ouvrages offrit l'image d'une an- sures pour la conservation et l'entretien
cre colossale jetée à l'avant de la capitale des ouvrages exécutés par les Turcs.
des corsaires, comme pour la retenir for- Plus tard elle entreprit de les continuer.
tement au rivage et lui rappeler à jamais Des poches naturelles furent d'abord
son origine et sa destinée. employées à ce travail; c'étaient d'im-
i Khaïr-ed-Din n'avait eu en vue que menses matériaux ; le transport, qui le
les injures de la mer ; Hacen, son suc- plus souvent devait avoir lieu à travers
cesseur, songea à des attaques d'un au- beaucoup de difficultés et
la ville, offrait
tre genre. Il fit établir les premières de dangers ; et cependant ils ne suffi-
batteries de l'île. saient pas encore pour résister à l'ac-
Sous règne de Salah-er-Réis la
le tion des vagues. L'idée vint de leur
création de Rhaïr-ed-Din reçut encore substituer des roches artificielles. D'é-
des améliorations importantes. Une normes blocs de béton furent coulés
nouvelle chaussée, beaucoup plus haute dans des caisses en bois disposées sur le
que la première, s'éleva sur toute la lon- rivage même; en quelques jours ils ac-
gueur de la jetée ; un enrochement de quéraient une dureté égale à celle du
gros blocs la protégea contre les en- roc vif. Alors ils étaient enlevés à
vahissements de la mer. C'est cette l'aide de machines puissantes et pré-
même chaussée qui, aujourd'hui encore, cipités dans la mer. C'est avec ces pier-
conduit de la porte de la ville aux voû- res de taille cyclopéennes que le môle
tes de la marine. d'Alger a été continué.
A force de travaux et de dépenses Les ingénieurs français suivirent d'a-
Alger se trouvait enfin pourvu d'un bord, à défaut d'autre, la direction
port ; mais cet abri était déjà loin de amorcée par les Turcs. Mais elle rédui-
valoir les sacrifices qu'il avait dû coû' sait le port à des dimensions qui paru-
ter : d'une part il manquait d'étendue rent bientôt beaucoup trop modestes.
et de profondeur, de l'autre il recevait Dès lors le môle commença à gagner
en plein les vents du nord-est et la vers le large et annonça des vues plus
houle furieuse qu'ils soulèvent. ambitieuses. Divers projets se présen-
C'est alors que fut- entrepris , dans tèrent et chacun d'eux après une os
, ,

l'espoir sans doute de le terminer, ce deux années de règne, s'effaçait devant


fameux môle enraciné à la pointe mé- une conception plus grandiose. Au
ridionale de l'île, travail gigantesque milieu de ces débats , le môle marchait
commencé par les Turcs il y a deux et reproduisait dans sa forme le mouve-
siècles , continué depuis 1830 par les ment des idées, A chaque hausse il
38, L'UNIVERS.
s'enhardissait et s'épanouissait vers le ture musulmane, s'élève l'hôtel de la
large. Ces inflexions successives ont fini Tour du Pin, le plus remarquable
par imprimer à la jetée française une échantillon de l'architecture chrétienne.
courbure bizarre, injustifiable, contraire Enfin du côté de Bab-Azoun un massif
aux données de l'expérience et aux prin- de constructions européennes, occupées
cipes de l'art hydraulique, monument par des cafés riants et chantants , laisse
impérissable des hésitations administra- voir, entre elles et la mer, la face sévère
tives des scrupules diplomatiques , des
, du Jurjura et ses cimes autochthones.
tiraillements de toute nature qui ont Cette grande décoration, dont la na-
marqué cette conquête. ture a fourni les principales pièces, ré-
Aujourd'hui le môle d'Alger, parvenu à sume aux yeux du promeneur l'histoire
cinq cent cinquante mètres seulement de cette ville étrange, dont la destinée
de son point de départ, a déjà coûté près se trouve désormais irrévocablement
de onze millions. liée à la nôtre. Dans le Jurjura, dans
Comment peindre cependant le mou- ses sommets bleuâtres et ses rides nei-
vement de ce port si incomplet, si in- geuses il voit le génie du peuple ber-
,

correct? A tout moment de nouvelles bère rebelle à toutes les dominations ;


,

voiles surgissent à l'horizon; des bâti- dans la grande mosquée, ouvrage des
ments de tous les tonnages, de tous les proscrits de Grenade, il retrouve ces
pavillons, de toutes les formes se pres- temps d'intolérance et de fanatisme qui
sent dans Tétroite enceinte conquise sur préparèrent l'avènement de la pira-
la région des tempêtes. Des légions terie.
d'ouvriers construisent sans relâche Enfin au pied des gradins de l'amphi-
leurs blocs gigantesques, et les lancent à théâtre que domine la Kasba en avant
,

la mer, qui les engloutit; sur les onze de la ville mauresque, s'élève au bord de
millions jetés dans ce grand ouvrage il la place une haute et sombre demeure, à
y en a dix qui dorment sous les flots. petites lucarnes garnies de barreaux de
INon loin de là, sur les quais, la ruche des fer : c'est le palais de la Djenina.
Kiskris bourdonne et s'agite. Il faut Elle a servi de résidence à tous les
voir ces Auvergnats de l'Algérie, race deys jusqu'en 1817. A cette époque, Ali
active et laborieuse, répartir sur dix ou surnommé le Fou venait de succéder à
douze épaules les plus lourds fardeaux, Omar-Pacha, que la milice avait mis à
et courir , ainsi chargés , du port à la mort pour avoir été trahi par la fortune
ville en se dandinant pour amortir les dans sa glorieuse défense contre l'esca-
chocs de la marche. Cependant toute la dre delordExmouth. Ali fut porté malgré
ruche suffit à peine au mouvement des lui dans le fauteuil de la Djénina , et re-
arrivages et des départs. vêtu de ce fameux caftan, blouse de
Au-dessus de la mer, au pied de la coton dont la valeur ne dépassait pas
ville moresque , il est un large espace quinze piastres, mais qui avait la pro-
qu'on appelle la place du Gouvernement. priété de vous faire roi. Dès qu'il sentit
C'est là que se forme le remous de ces sur ses épaules cette robe de Déjanire,
agitations diverses , carrefour bruyant le nouveau dey prit des dispositions pour
ouvert à toutes les croyances, à toutes en conjurer les effets. Sans confier son
les passions, espace mitoyen entre TO- projet à personne, il fit compléter les
rient et l'Occident. défenses de la Kasba, et quand il l'eut
Par une disposition fortuite l'horizon mise à l'abri d'un coup de main, il s'y
de la place du Gouvernement réunit, transporta de sa personne dans la nuit
échelonnés à différens plans, quelques du 8 septembre 1817, emportant avec
traits expressifs de cette physionomie lui le trésor de la Régence. Ali ne sur-
double. D'un côté c'est la mer, devenue vécut pas longtemps à ce coup d'État;
enfin le domaine de l'Europe; en face mais du moins il échappa à l'iatagan de
c'est la ville mauresque, qui s'élève en la milice. Il mourut de la peste suivant
gradins , étalant encore ses grands murs les uns, de ses excès suivant les autres.
percés de lucarnes jalouses et ses terras- Son successeur fut Husséin-Dey ; il con-
ses aériennes. A côté de la grande mos- serva sa résidence à la Kasba , et n'en
quée , le plus beau reste de l'architec- sortit que le 5 juillet 1830, au moment
, .

ALGÉRIE.
où les premiers officiers français ve- tous deux d'origine française, placés sur
naient d'y pénétrer. laroute d'Alger à Blida
C'est dans le palais de la Djénina que Depuis cette époque, les chambres
se sont accomplies les sanglantes orgies ayant accordé des crédits spéciaux pour
de la domination turque. C'est sur la ter- la colonisation de l'Algérie, c'est dans
1

rasse de cet édifice que l'étendard de ce massif que s'est concentré presque ex-
l'oudjak, rouge, jaune et vert, aux clusivement l'emploi des sommes votées.
croissants d'argent, déroulait ses plis à Il s'est formé autour d'Alger une large

tous les changements de règne. Ce signal ceinture de villages; des- communica-


annonçait au peuple d'Alger un meurtre tions ont été ouvertes pour les relier
et une révolution. entre eux et les rattachera la capitale.
palais de la Djénina couvrait un
Le Le camp de Douera, transformé en
espace considérable; mais il se trou- ville , est devenu chef-lieu de district.
vait engagé dans un massif de maisons Trente établissements, créés en grande
qui empêchaient d'en apprécier l'éten- partie des libéralités de l'État, se sont
due. Plusieurs cours et un petit jardin élevés sur la surface du massif; aucun
encaissé en occupaient le centre. Au effort, aucune dépense n'ont été épar-
sommet régnait une galerie d'où la vue gnés pour hâter le peuplement de cet
plongeait sur la basse ville et sur la mer. échiquier artificiel théâtre de la colo-
,

C'est là que
dey se tenait habituel-
le nisation subventionnée.
lement. Du haut de cet observatoire L'administration a conservé le plus
il suivait les travaux du port ou in- souvent aux villages qu'elle fondait les
terrogeait l'horizon de la mer. Les noms arabes des localités ou des tribus
premières constructions ou plutôt les dont ils occupaient l'emplacement. Ce-
premières démolitions exécutées par pendant plusieurs dénominations fran-
les Français atteignirent ce monument çaises se sont introduites et forment
,

historique. Il en restait cependant plu- quelquefois un singulier contraste avec


sieurs parties demeurées intactes, et par- les formes de la nomenclature locale.
ticulièrement l'édifice qui porte l'hor- Ainsi Saint-Ferdinand se trouve placé
loge sur la place du Gouvernement, entre Zéralda etBaba-Hacen. Maelma et
lorsque le 26 juin 1844 un violent in- Crécia semblent tout étonnées de voir
cendie éclata dans des baraques en entre elles Sainte-Amélie. A côté de Ko-
bois construites au pied de l'édifice et îéa, la ville sainte des musulmans al-
ajouta de nouvelles mutilations à celles gériens, la petite Mecque de la Mé-
qu'il avait déjà éprouvées. tidja et du Sahel, le hasard a placé
.Notre-Dame de Fouka , et le même
Environs d'Alger. hasard a donné pour voisine au Mara-
bout de Sidi-Féruch la Trappe de
Alger occupe le pied d'un massif Staouéli. Au reste, l'esprit de tolérance
de collines dont le Bouzaréa élevé de, qui préside aux conquêtes de notre
quatre cent sept mètres au-dessus du temps maintient la bonne intelligence
niveau delà mer, forme le point culmi- entre les souvenirs de la domination
nant. Le massif est circonscrit au nord musulmane et les inspirations de la co-
parla mer, à l'est par l'Harrach, à lonisation chrétienne.
l'ouest par le Mazafran et au sud par la Les villages administratifs, jetés tous
plaine de la Métidja. à peu près dans le même moule, voués
Il y a sept ans , toutes ces collines tous à la même industrie , ont modifié,
jadis très-peuplées , s'étaient changées suivant les circonstances, les conditions
en une vaste solitude. L'insurrection uniformes de leur établissement. Quel-
de 1839 avait fait le vide tout autour ques-uns représentent surtout la petite
d'Alger. Il n'y restait que quatre points propriété; tels sont Draria , Chéraga,
habités c'était l'ancien village arabe
: Saoula, le hameau de Sidi-Sliman et
de Couba, situé à l'extrémité orientale El -Achour; ailleurs c'est la grande pro-
du massif, la petite ville sainte de Roléa, priété qui a fait prévaloir son régime :
à l'extrémité opposée, le village de il en est ainsi à Oulad-Fayet et à Baba-

Déli-Ibrahim et le camp de Douera, Hacen. Les cultivateurs envoyés à Cré-


40 L'UNIVERS.
cia y ont trouvé de à briques
la terre sous la surveillance françaises et le
et de la pierre à chaux ; ils ont laissé camp, transformé en ville, ne compte pas
dormir leurs charrues , et se sont faits moins de 1,996 habitants européens.
briquetiers et chaufourniers. Les co- C'était le chiffre de la population de
lons de Zéralda ont trouvé le sol cou- Boufarik au 1 er janvier 1847.
vert de hautes broussailles; ils ont
formé un village de bûcherons. Un Blida.
essai de colonisation militaire tenté à
Fouka y a créé une population de sol- Bhda au fond de la plaine
est bâtie
dats libérés. Sur quelques points de la sud de Boufarik. Elle oc-
à trois lieues
côte des villages de pêcheurs essayent cupe les dernières pentes des monta-
de se former; ce sont Aïn-Benian près gnes qui circonscrivent au sud la Mé-
du cap Caxines, Sidi-Féruch et Notre- tidja. Au moment de la conquête elle
Dame de Fouka. Enfin, jetant aussi un commençait à peine à se relever du
peu de variété sur un fond de créations tremblement de terre qui l'avait détruite
uniformes, les trappistes de Staouéli cinq ans auparavant. Les Français la visi-
ont consacré le premier et l'un des plus tèrent pour la première fois dès 1830. Us
célèbres champs de bataille de l'Algérie la trouvèrent à demi cachée dans un bois
en y bâtissant de leurs mains pieuses d'orangers et de citronniers, et cette pre-
un monastère, une belle ferme et une mière reconnaissance laissa à tous ceux
hôtellerie; ainsi s'est réalisée, mais qui y prirent part une impression déli-
dans une pensée toute chrétienne, l'i- cieuse. Ce ne fut que huit ans après, le 3
mage fidèle de la Zaouia musulmane mai 1838, que Blida fut définitivement
avec les trois institutions qui la, carac- occupée. Depuis cette époque la ville s'est
térisent. embellie de constructions européennes
elle est devenue presquefrançaise; mais la
La Métidja. — Boufarik. couronne d'orangerss'est bien éclaircie :
il a fallu en sacrifier une partie aux exi-

Les efforts de l'administration se gences de la guerre, et cet arbre aristo-


sont étendus aussi à la Métidja, et cratique, réservé en France à l'ornement
ils y ont rencontré souvent comme des habitations princières, s'est vu réduit
auxiliaires les spéculations de l'indus- à la condition de bois de chauffage.
trie privée. Blida, placée sur la grande communi-
Au centre de la plaine, avant 1830, cation qui relie Alger aux établissements
il se tenaitun grand marché appelé intérieurs de la province, doit en grande
Boufarik. Là chaque lundi se réunis- partie à l'avantage de cette position la
saient tous les producteurs de la région prospérité dont elle jouit. Au 1 er jan-
circonvoisine , de la montagne, de la vier 1847 elle, comptait 3,985 Euro-
plaine et duSahel. Après 1830 la réu- péens et 3,502 indigènes en tout 7,487
,

nion hebdomadaire continua d'avoir habitants. Elle est Je chef-lieu tl'un dis-
lieu ; elle devint même plus nombreuse trict où l'industrie privée a fondé quel-
et surtout plus animée que précédem- ques établissements importants, et par-
ment. Mais elle n'avait eu jusque alors ticulièrement le village de mineurs créé
qu'un caractère purement commercial ; près du beau gisement de cuivre de
elle prit une physionomie politique. Le Mouzaïa, non loin du col célèbre si sou-
marché de Boufarik devint un club tu- vent et si âprement disputé dans le cours
multueux où quelques marabouts éner-
, de la guerre. L'administration a fondé
gumènes convoquaient périodiquement aussi dans le voisinage de Blida quelques
à la guerre sainte les tribus trop cré- que Beni-Méred Montpen-
villages, tels ,

dules et trop dociles. sier, Dalmatie, Joinville, Souma et la


Ce point devait être occupé et il le , Chifa. Us occupent, comme leur chef-
fut ; mais le camp fit disparaître le mar- lieu, le fond de la Métidja.
ché. Les choses restèrent ainsi pendant Les centres de population créés par
toute l'orageuse période que l'Algérie ordonnance royale ont absorbé, nous
a traversée. Aujourd'hui le marché a lerépétons, la plus forte part des crédits
reparu ; il se tient sous la protection et colonisateurs. Chaque famille installée
ALGÉRIE. Ai

population européenne.
par l'État représente , sans tenir compte
de la valeur des terres une dépense de
, Français 3i,966 <

2,502 fr. 65 centimes. '

L'avenir reprochera sans doute a ces


Êtt":."::::::^:
Anglo-Maltais
m
4,eio-

fondations officielles une prédilection


trop exclusive pour un seul point de
l'Algérie, pour un point surtout dont
dans l'ab-
Anglo-Espagnols
Espagnols

italiens.
Allemands
-•;•;;;;;;;;; ^ 514

4,088
3,326
\

le caractère éminent consiste


sence de toutes les conditions naturelles
Polonais
••-;;;;;;; ^
qui marquent l'emplacement des capi- Grecs 38
Suisses 2,827
taies
rapide, qui con- Beiges et Hollandais. ...... 275
Jeié sur un versant
trarie son développement, qui gène la
circulation intérieure et la défense, Al- population indigène.
ger se voit encore limité dans son action Population fixe.
extérieure et dans ses communications
avec le reste de l'Algérie par le haut ri-
deau de montagnes tendu tout autour
Musulmans.

i sr aéiites
.
.
• . . .
.
i7,jg

5,758 )
^ 34,876
de la Métidja. Au sud c'est le Mouzaia, Popuiation flottante 9,sso
\ ;

tant de fois ensanglanté ; à l'est le Jur- Total I036IO


jura, sanctuaire de l'insoumission; a . ;
,

l'ouest les montagnes des Beni-Mnacer, Ce chiffre de population assigne a Al-


dont la résistance longue et fanatique a ger la cinquième place parmi les villes
fait naître un moment l'idée d'une dé- de France, et il est assez remarquable
portation en masse. que quatre d'entre elles se suivent sur la
Dans la baie la nature n'avait rien carte dans l'ordre de leur prépondérance
disposé pour la création d'un port mili- numérique, et se trouvent réunies sur la

taire. Après trois siècles de travaux in- raênieroute,quiestcelledeParisàAlger.


telligents et d'énormes sacrifices, des bâ- Ces cinq villes sont :

timents venaient encore se briser sur les p ar s> ..... 945,721 habitants,
écueils de son mouillage. Lyon.
j

.... . 159,783 . —
Alger devait être assurément la reine Marseille. . . . 133,216 —
de la Métidja et du Sahel; mais la nature Bordeaux. 120,203 —
avait marqué la limite de son empire au A!crer
. . .

103,610 —
pied des montagnes dont Médéa occupe
le plateau. j> rt «w» m
Ce§
population
la *^F U
^ vJUes gont les seu , es dont
dépasse
v cent mille âmes.
Cependant trois cents années d efforts
consacrées par le gouvernement turc Sidi-Féruch.
à pallier des vices organiques, dix-huit . ,

années de sacrifices plus grands encore A l'ouest de la pointe Pescade et du


faits par la France au maintien d'une cap Caxines, contreforts qui descendent
grandeur artificielle , ont fini par con- du Bouzaréa et plongent dans la mer,
centrer dans les murs d'Alger une popu- s'ouvre une petite baie terminée par une
lation vraiment imposante. Au noyau plage continue, à l'extrémité de laquelle
indigène formé par le gouvernement des s'élève une presqu'île étroite. Le fond
pirates s'est venu joindre un peuple de de cette anse, qui demeurera longtemps
fonctionnaires, de débitants, de spécula- célèbre, est bordé de dunes ou croissent
teurs de toutes sortes, cortège inévitable quelques arbustes. Un marabout et une
des gros budgets. petite mosquée surmontée d'une tour
Voici par nation comment se com- carrée occupent le sommet de la pro-
posait au 1
er
janvier 1847 la popula- qu'île et se voient de très-loin, parce qu ils
tion d'Alger, en y comprenant les fau- se détachent en blanc sur les terres de
bourgs :
l'intérieur. Cette presqu'île est celle de
Sidi Féruch.
C'est là que vint débarquer l'armée
française, le 14 juin 1830. Disposée aus-
32 L'UNIVERS.
sitôt en camp retranché, cette petite des archéologues et même des touristes,
langue de terre, habituellement morne puisqu'il est du nombre de ceux
petit
et silencieuse, s'anima tout à coup et dont la construction a dû précéder de
présenta pendant un mois l'aspect d'une longtemps" l'invasion romaine, et date
Tille d'Europe. Aujourd'hui la plage so- peut-être de trois mille ans.
litaire, où s'élève un petit village de
Cherchel.
pêcheurs , conserve à peine quelques
traces de ce mémorable événement; Après cap Caxines, formé par les
le

mais l'histoire l'a marquée d'un sceau contre-forts du massif d'Alger , la pre-
ineffaçable, et le voyi.geur ne passera mière saillie considérable qui s'avance
jamais' sans la saluer devant cette pe- dans la côte est celle du cap Ras-Am-
tite baie qui fut le théâtre d'un des épi- mouch, formé par les contre-forts du
sodes les plus glorieux de l'histoire mo- mont Chénoua. Dès que l'on a dépassé la
derne. cime triste et brumeuse de ce cap, on dé-
couvre les minarets blancs de Cherchel.
Le Tombeau de la Chrétienne. Ses maisons, couvertes en tuiles, se déta-
Par un contraste assez singulier, un chent bientôt au milieu des bouquets
peu à l'ouest de ce monument d'une d'arbres qui les entourent, etse déploient
gloire récente, la côte en présente un en amphithéâtre sur un large plateau
autre dont l'origine va se perdre dans la que les montagnes situées en arrière sem-
nuit des temps. Il est situé à peu près à blent isoler du reste du continent.
'

la moitié de la distance qui sépare Alger Cherchel est bâti sur les ruines d'une
ville qui portait le nom du grand César,
de Cherche!. La côte, jusque-làd'une hau-
teur uniforme, se relève un peu et dessine Julia Caesarea ; c'était la capitale de la
un petit mamelon à pentes douces, dont Mauritanie Césarienne et l'une des cités
le sommet est occupé par une construc- les plus importantes de l'Afrique ro-

tion en forme de pyramide. Ce monu- maine, Les anciens avaient fait pour
ment est un des plus anciens et des plus elle ce que les Turcs firent plus tard

curieux de l'Algérie. Les géographes de pour Alger. Ils y avaient créé un port :
l'antiquité le désignent tous , sans qu'il les restes des constructions hydrauli-

soit possible de s'y méprendre, comme ques que l'on y trouve en retracent toutes
la sépulture commune des rois de Sa les dispositions. Un gros îlot situé au

Mauritanie. C'est donc le Saint-Denis de nord, et que nous appelons aujourd'hui


cestempsantiques. Lesindigènes, grands l'îlot Joinville, avait été réuni à la terre

chercheurs de trésors , et très-crédules ferme par une double jetée, qui compre-
dans leurs recherches, prétendent que nait un bassin intérieur formant un ar-
cette pyramide tuniulaire, dont ils igno- rière-port; la superficie de ce bassin était
rent destination, renferme des riches-
la de huit mille mètres carrés. Une autre
ses immenses. Mais les tentatives qu'ils jetée, partant de la pointe dite des Mara-

ont faites pour les découvrir, et dont on bouts, créait un second bassin de cinq à
retrouve la trace, ont toujours été vaines. six hectares de surface : celui-ci servait

Ils ont donné à cet édifice le nom de


d'avant-port ; c'était une sorte de pe-
Kbeur-Roumia, qui signifie le Tombeau tite rade.
Il y a deux mille ans le pourtour de
de la Chrétienne. Les savants de l'Europe
sedemandaient l'origine decettedénomi- l'arriere-port était bordé de quais et de
nation, et formaient bien des conjectures magasins supportés sur des colonnes
sans fondement, lorsque M. le docteur dont les bases se retrouvent encore.
Judas , auteur de belles recherches sur L'administration française se contenta
les langues primitives de l'Afrique, re- de restaurer l'établissement romain;
connut dans le mot Roumia la corrup- elle commença par faire déblayer l'ar-

tion arabe du mot roum, qui dans la rière-port. Cette opération amena une
langue punique signifie royale. Il a ainsi découverte intéressante. On trouva
restitué au nom de Kbeur-Roumia le enfouis dans la vase des blocs de maçon-
sens de Sépulture royale, qu'il devait nerie , des fûts de colonnes et une par-
avoir au temps des Syphax et des Juba. tie des matériaux qui garnissaient les

Ce monument mérite donc tout l'intérêt quais de l'ancienne ville. On retira enfin
,

ALGÉRIE. 4â

de dessous ces débris un bateau romain ropéens, dont 650 Français, et de i 045 in«
remarquable en ce que toute ia mem- digènes, dont 1019 musulmans, 23 nè-
brure était chevillée en bois, sans qu'il y gres et 3 Israélites.
entrât un seul clou. Comment expliquer Ténès.
la présence des colonnes et des blocs de
maçonnerie dans la vase du port autre- Depuis Cherchel jusqu'au cap Ténès,
la côte présente un rideau presque con-
ment que par une violente secousse de
tremblement de terre ? Des ingénieurs tinu de montagnes, espèce de muraille
ont même remarqué certains indices qui sans abri qui sépare la mer du cours
sembleraient annoncer un déplacement du Chéiif. Elle se termine à une grosse
du niveau de la mer ou au moins un dé- masse de roches escarpées , dont l'en-
rangement dans l'assiette des terres du semble constitue le cap Ténès, et der-
rivage. Cet effet se serait produit -à la rière laquelle sont deux villes de ce nom,
suite de la catastrophe qui a bouleversé l'une indigène, l'autre française. La
Cherchel et précipitédans la mer une par- vilie indigène, qui est l'aînée, est appelée

tiede ses monuments. par les Français le vieux Ténès. Elle se


Les fouilles exécutées sur l'emplace- reconnaît de'loin à son minaret pointu
ment de l'ancienne ville depuis l'établis- blanchi à la .chaux , dans l'anfractuosité
sement des Français y ont fait découvrir d'une vallée dont la ville occupe le bord.
de magnifiques colonnes de granit, di- Elle est éloignée de l'embouchure du
gnes des grandes capitales , des statues ruisseau d'environ quinze cents mètres.
et des débris de sculpture, que les ingé- Le vieux Tenès est habité par des indi-
nieurs militaires ont conservés et fait gènes, que l'établissement français n'a
réunir avec un soin intelligent. En pas déplacés.
dehors de l'enceinte actuelle on a re- La ville nouvelle s'est formée au bord
trouvé les restes d'un amphithéâtre dans de la mer, sur un petit plateau isolé de
lequel l'administration militaire parque toutes parts, à l'embouchure de FOuad-
ses troupeaux. Allala, qui passe au vieux Ténès et vient
Outre les monuments dont nous ve- se rendre à la mer à travers de jolis jar-
inons de signaler les ruines, il existait dins. Ténès, le Ténès français, occupe
autrefois une muraille d'environ deux l'emplacement d'une cité romaine, ap-
mille mètres de développement tracée pelée Cartennae. Les ruines de cette vilie
sur les crêtes qui dominent la ville; si, étaient presque complètement enfouies
comme quelques personnes l'ont pensé, au moment où les Français s'y sont éta-
elle avait pour objet de couvrir Césarée blis; mais les premières fouilles les ont
contre les incursions des tribus voisines, exhumées. Les habitants ont ainsi trouvé
l'existence de cet obstacle continu ne dans le soi même, pour leurs construc-
j
donnerait pas une haute idée de la sécu- tions, des matériaux taillés depuis deux
I
rite dont jouissait la capitale de la Mau- mille ans.
ritanie Césarienne : mais la muraille Sur la pente occidentale du plateau
de Cherchel est sans doute au nombre que couronne la ville il existe une
des créations anciennes dont le temps multitude d'excavations régulières pra-
a emporté le secret. tiquées dans le roc vif. La forme et les
Les ruines du port de Cherchel té- dimensions ne laissent pas de doutes
moignent des progrès immenses que la sur leur destination primitive; on y a
civilisation moderne a introduits dans d'ailleurstrouvé de nombreux ossements :

l'art de la navigation. Ce port, qui au c'est là qu'était la nécropole de Car-


temps des Césars était le premier de l'Al- tennae. Le nombre immense de ces cer-
gérie, et qui devait être, à en juger par cueils de pierre permet de juger de l'im-
\

(
la grandeur des travaux, l'un des plus portance de l'ancienne ville et du long
! importants de la Méditerranée, n'est plus espace de temps pendant lequel ce lieu a
» aujourd'hui pour nous qu'une crique servi au,même usage.
|
de cabotage, inaccessible même aux plus La ville actuelle de Ténès est éloignée
|
petits bateaux à vapeur. de douze cents mètres environ à l'ouest
La population de Cherchel se com- du seul point de la côte qui comporte
posait au 1 er janvier 1847 de<967 Eu- la création d'un port. L'emplacement
'44 L'UNIVERS.
en est dessiné par un massif d'îlots d'eau en ce que son embouchure n'est
éloignés de la plage d'environ six cents point obstruée par les sables; on la voit
mètres , mais reliés à la terre-ferme par en toute saison couler librement à la
une série de bas-fonds rocheux. Cette mer, dans une large vallée que domi-
disposition naturelle détermine une nent à droite et à gauche de hautes mon-
petite crique circulaire, analogue mais tagnes.
préférable à celle que dut présenter Le cap Ivi marque la limite orientale
Alger avant les immenses travaux que du .golfe d'Arzeu, qui se termine dans
les Turcs et les Français y ont exécutés. l'ouest au cap Carbon. Au fond de la
Il existait autrefois, tout près de baie une grève blanche, large et profonde
Cartennœ une autre ville, que le géogra- donne issue à l'embouchure de la Makta,
phe Ptolémée appelle Carcôma, et Bo- de douloureuse mémoire. Le fond du
chart fait remarquer que carcôma dans golfe dans le voisinage de l'embouchure
la langue phénicienne signifie cuivre. est formé de terres basses, d'un aspect
Il en conclut que dans le voisinage de cette triste, commun d'ailleurs à toute la côte
ville doivent se trouver des mines de occidentale de l'Algérie.
cuivre. Cette induction du savant ar- \ Deux villes occupent les faces du golfe :

chéologue s'est vérifiée il y a seulement


'

Mostaganem dans l'est, et Arzeu dans


quelques années. On a découvert dans l'ouest.
les environs de Ténès des mines fort Mostaganem.
riches de cuivre pvriteux qui portent des
traces d'exploitation ancienne. Il y existe Mostaganem est située à un demi-
aussi plusieurs gisements de fer car- mille de la mer et à six milies au sud'
bonate manganésifère. Ténès possède du Chélif, sur le bord d'un ravin, au fond
donc dans son sol des éléments de pros- duquel coule le ruisseau d'Aïn-Sofra,;
périté qui lui promettent un accroisse- qui ne tarit pas. On la reconnaît de loin<
er
ment rapide. Déjà au 1 janvier 1847 le en mer à la blancheur de ses murailles»
chiffre de sa population s'élevait à 2,555 et à deux marabouts, construits sur
Européens, dont 1239 Français, auxquels une éminence un peu à gauche de la
il faut ajouter 66 indigènes. ville.Sur le bord de la mer il n'existe
que la direction du port, deux ou trois;
De Ténès à Mostaganem. magasins et un débarcadère établi à
Au delà de Ténès
se dérouie une côte l'embouchure de l'Aïn-Sofra.
monotone, alternativement hérissée de La ville est assise sur une roche de,
falaises ou bordée de plages. De hautes calcaire sablonneux de formation sei
terres régnent au-dessus du rivage, en- condaire,à quatre-vingt-cinq mètres au-
mer et le cours du Chélif. Elles for-
tre la dessus du niveau de la mer. Quelques!
ment le massif du Dahra, devenu célèbre personnes, frappées de l'aspect découpé
par la fréquence et la violence de ses de cette côte et des traces de boulever^
insurrections, et surtout par le drame sèment qu'elle présente , ont fait rémonj
sauvage qui s'accomplit au fond de ses ter la formation du rivage de Mostaga-
grottes en 1845, et dont toute la presse nem à cette période d'effroyables tremi
de l'Europe a retenti. blements de terre qui désolèrent l'Afrique
offre un aspect triste
Toute cette côte septentrionale vers le milieu du troi-

comme souvenirs qu'elle rappelle.


les sième siècle de notre ère. Elles rappor-

Elle se prolonge avec l'alternative mo- tent à la même série de catastrophes


notone de plages , de dunes et de fa- l'origine des lacs salés d'Arzeu et d'O-
laises, jusqu'au cap Ivi, derrière lequel ran , et croient y voir le produit de ces
viennent se terminer les montagnes du jaillissements d*eau salée qui , au dirt
Dahra et le cours du Chélif. des historiens, accompagnaient alors
C'est à un mille environ de la dernière les convulsions du globe.

saillie du cap que vient déboucher à la Quoi qu'il en soit de cette formidable I

mer cette rivière, la plus considérable de hypothèse ( car ce n'est qu'une hypo
l'Algérie, autant par l'étendue de son thèse bien hasardée, à notre sens), Mosj
cours que par le volume de ses eaux. Elle taganem occupe aujourd'hui une de!
diffère de la plupart des autres cours positions les plus riantes , un des ter 1
, ,

ALGÉRIE. 45

rîtoîres les plus de l'Algérie.


fertiles Jusqu'en ces derniers temps Mostaga-
Suivant les chroniques musulma- nem avait conservé des habitudes indus-
nes , c'est vers le douzième siècle que trieuses; elle fabriquait des tapis, des
des architectes berbères en jetèrent les couvertures, deshaïks ou longs voiles de
fondements. Plus tard elle s'accrut d'un laine, de la bijouterie, et divers objets
grand nombre de familles maures chas- à l'usage des Arabes. Située au débouché
I sées d'Espagne, qui l'enrichirent de leur de la longue et riche vallée du Chélif
,
industrie. De grands établissements elle en reçoit naturellement les produits ;

;
agricoles s'élevèrent alors la culture du
;
malheureusement ils arrivent sur une
s
coton y prit surtout un développement côte ouverte à toutes les tempêtes, ce
! considérable. qui forme un grand obstacle à leur écou-
On peut juger de l'élégance de la ville lement.
,
trois siècles après sa fondation par un La population de Mostaganem a été
: détail que les chroniques espagnoles autrefois considérable. En 1830, à en
nous ont conservé. En 1558 le comte juger par l'étendue de la ville, elle pou-
;
d'Alcaudète, conformément aux ordres vait encore s'élever à 15,000 âmes. Au
er
du conseil de guerre de Madrid, partit 1 janvier 1847 elle se composait de
d'Oran, marcha sur Mostaganem, et 3,614 Européens, dont 1 ,717 Français et
s'en rendit maître. La porte de la ville 1,366 Espagnols, et de 3,035 indigènes,
possédait alors un beau portail de mar- dont 2,662 musulmans, 87 nègres et 586
bre, qui lui donnait une apparence mo- israélites. Il faut y ajouter une popu-
! numentale. Le général espagnol le fit lation indigène flottante de 470 person-
abattre, et en fabriqua des boulets pour nes ; ce qui élève la population totale à
amenés. Mais le
les pierriers qu'il avait 7,119 âmes.
triomphe des Espagnols ne fut pas de Jrzeu.
longue durée peu de temps après ils
:

perdirent contre les troupes du dey une Chaque ville de l'Algérie a un mérite
bataille dans laquelle le comte d'Alcau- et un défaut dominants; il en est de
dète lui-même perdit la vie. même dira-t-on de toutes les villes du
, ,

C'est de cette époque fatale d'ailleurs


, monde. Cela est vrai mais les villes
;

là toute l'Algérie, que paraît dater la dé- du monde qui nous intéressent sont fai-
cadence de Mostaganem. Depuis lors tes; celles-ci,qui nous intéressent si
i
les incursions des Arabes et les exactions onéreusement , sont à faire. Dans un
des gouverneurs turcs amenèrent l'ap- pays en voie de création il faut avoir
Ipauvrissement rapide de sa population. sans cesse présentes à la pensée ces qua-
j
La conquête française fut elle-même lités et ces imperfections dominantes,
le signal de nouveaux désastres. Les afin de placer chaque ville naissante
tribus d'alentour pillèrent les récoltes dans la voie de prospérité que la nature
détruisirent les maisons de plaisance, lui trace.
saccagèrent les riches plantations de Le mérite dominant d'Arzeu est dans
vignes , de figuiers et d'oliviers , créées la sûreté de son mouillage : à tous les
en des temps de sécurité et de pros- bâtiments au-dessous de la force des
périté. frégates il offre un excellent abri , parce
j
Cependant en juillet 1833 , époque où qu'ils peuvent se placer derrière une
ces désordres nécessitèrent l'occupation pointe de roches qui les protège con-
de Mostaganem par une garnison fran- tre le vent et la mer du large; mais
çaise il restait assez de vestiges de la
, les grands navires n'y trouvent point
[ville et de sa ceinture de maisons de cam- assez de fond, et doivent mouiller en
pagne et de jardins pour y reconnaître dehors de cet abri, dans une position
une des situations les plus délicieuses qui n'est pas sûre. AArzeu ce sont les
de l'ancienne Régence. eaux qui manquent : les habitants en
A sept kilomètres à l'ouest de Mosta- sont réduits à l'eau de puits ; encore -est-
ganem il existe une autre ville déchue., elle un peu saumâtre. Néanmoins la po-
c'est Mazagran. La plaine qui les sépare sition est saine; le choléra ne s'y est pas
était autrefois couverte d'habitations arrêté. Vers le sud de la ville, à six mille
de plaisance et de riches cultures. mètres, sur la crête d'un plateau, existent
M L'UNIVERS.
des assises en pierres de taille, restes d'automne ils doivent se retirer, soit à
d'une longue muraille qui faisait face Mers-el-Kébir, soit à Arzeu. Même pen-
à In mer, d'autres fragments de murs, des dant la belle saison le débarcadère cesse
citernes, des tronçons de colonnes épars d'être praticable dès que la brise de
et quelques inscriptions : ce sont les res- nord-est commence à fraîchir.
tes de la ville romaine d'Arsenaria. Il est difficile de savoir ce que fut
A l'époque où les Français parurent en Oran sous la domination romaine ; car
ce lieu il s'y trouvait une petite tribu tous les édifices antérieurs à la conquête
kabile venue des côtes du Maroc, d'où espagnole ont disparu sous les construc-
elle avait fui pour échapper aux vexa- tions gigantesques dont elle a couvert le
tions et aux avanies si communes dans sol.
toutes ces contrées. Elle s'étaitconstruit La prise d'Oran par les troupes espa-
des gourbis entourés de nopals, et avait gnoles suivit- de quatre ans celle de
formé un petit hameau appelé Bétioua, Mers-el-Kébir ; elle fut provoquée par le
nommé aujourd'hui le Fieil-Arzeu, pour double ressentiment d'une injure et d'un
le distinguer d'Arzeu-le-Port. A l'appro- échec. Cela eut lieu en 1507, tandis que
che des Français les exilés se retirèrent de la garnison espagnole occupait Mers-el-
nouveau, et portèrent ailleurs leurs Kébir. Les Maures firent une descente
foyers errants. sur les côtes de la péninsule, surpri-
A une lieue au sud-ouest d'Arzeu rè- rent une petite ville et en massacrèrent
gne un grand lac salé, dont les eaux s'é- tous les habitants. Le gouverneur de
vaporent naturellement chaque année Mers-el Kébir, Fernand de Cordoue, ré-
au retour des chaleurs. Le sel s'extrait solut aussitôt de venger cette insulte :
|

alors à coups de pioche. Ce produit, mais il y mit peut-être trop d'empres-


'

formait autrefois avec les grains, la spar- sement. Il sortit le 15 juillet, à la tête
terie et le kermès, les principales res- d'une colonnede trois mille hommes. Les
sources du pays. L'exploitation de ces Arabes ne paraissant pas, il crut qu'ils
salines a été concédée depuis quelques voulaient éviter le combat, et conti-
années à une compagnie française. nua à s'avancer. Bientôt il fut enveloppé
Arzeu est appelé à devenir l'un des pre- de toutes parts et son corps d'armée
miers ports de commerce de l'Algérie taillé en pièces.
quoique sa population ne se compose La nouvelle de ce désastre répandit la
encore que de 300 Européens et 50 in- consternation dans toute l'Espagne;
digènes. mais personne n'en ressentit plus de
douleurquelecardinal Ximénès.II pressa
Oran.
avec instance le roi Ferdinand de con-
Un massif de montagnes, que les ma- sentir à l'expédition d'Oran. Il sollicita
rins désignent sous le nom de cap Ferrât, même l'honneur de diriger en personne \

sépare la baie d'Arzeu de la baie d'Oran. les opérations, oubliant, dans un entrai
C'est un amas de roches escarpées , dé- nement que l'histoire doit admirer , sa \

boulements naturels de falaises déchi-


, condition de prêtre, sa dignité de minis- <

quetées , dont les nuances blafardes ré- tre et son grand âge. Il offrit, comme il
pandent une teinte générale de tristesse avait déjà fait pour Mers-el-Kébir , de
sur tout ce qui avoisine la mer. Mais le payer de ses propres deniers les frais de
massif du cap Ferrât ne pénètre pas fort la guerre. Aussitôt d'envieuses menées,
avant dans l'intérieur : car la route par d'injustes sarcasmes vinrent se mettre
terre d'Arzeu à Oran se fait en plaine. en travers de cette résolution généreuse
Arzeu, avons-nous dit, a un bon et en retarder les effets. Il ne fallut pas
mouillage et manque d'eau; Oran a la moins de deux ans à l'illustre vieillard
qualitéetledéfautopposés:eil&iest située pour déjouer toutes ces intrigues. En-
dans la partie la* plus reculée de la baie fin la flotte réunie à Carthagène mit à la
qui porte son nom sur les deux rives
, voile le 16 mai 1509. Elle se composait
d'un ruisseau qui lui donne en tout temps de quatre-vingts vaisseaux, dix galères
une eau limpide et abondante. Mais les à trois rangs de rames et un grand nom-
navires ne peuvent mouiller devant la bre de petits bâtiments; elle portait
ville que pendant l'été; après l'équinoxe quinze mille hommes. Ximénès s'était
,

ALGÉRIE. 4?
réservé la haute direction de l'entre- stupeur, il s'élance sur l'ennemi, pour-
le
prise ; le comte Pierre de Navarre de- suit, le culbute, et reste maître du
vait commander les troupes. champ de bataille.
Le lendemain du départ, jour de l'As- En ce moment un boulet parti de la
cension, à la nuit tombante , l'escadre flotte venait de mettre hors de service
mouillait dans la rade de Mers-el-Kébir. la meilleure pièce des assiégés. Ce fut
Aussitôt l'alarme se répandit dans toutes comme le coup décisif. Les marins sau-
les tribus. En quelques heures des feux tent à terre, et font leur jonction avec
télégraphiques allumés sur la cime des les troupes. Les Arabes de la campagne
montagnes, portaient jusqu'au Sahara prennent l'épouvante, et se sauvent dans
la terrible nouvelle. Ximénès débarqua le plus grand désordre. Les Maures ren-
le soir même. Il convoqua les chefs de trent tumultueusement dans la ville et
l'armée, et tint conseil. Il fut décidé ferment les portes.
qu'une partie des troupes irait attaquer Les Espagnols se jettent sur leurs
Oran par terre, tandis que la flotte me- traces, et arrivent au pied des murailles;
nacerait la ville de l'autre côté. Le dé- ils y appuient leurs longues piques à dé-
barquement commença avant le jour. faut d'échelles, et s'élancent à l'esca-
Vers sixheures l'infanterie était réunie lade. Déjà six étendards flottent sur la
sous les murs de Mers-el-Kébir. citadelle. Eientôt la ville entière appar-
Ximénès parut alors devant les trou- tenait aux chrétiens.
pes entouré d'une multitude de religieux Ce fut Sosa, commandant des gardes
en armes précédés de la croix. Il vou-
, du cardinal qui le premier atteignit le
,
lait marcher à la tête de l'armée et la sommet du mur; il courut à la cita-
conduire au combat; il n'y renonça delle en brandissant l'étendard de
et
,

qu'à regret, vaincu par les supplications Cisneros, il cria de toute sa force Saint- :

des soldats et des chefs. Il se retira dans Jacques et Ximénès! Toute l'armée ré-
l'église de Saint-Michel à Mers-el-Kébir, péta ce cri de victoire.
et là , à genoux, les yeux baignés de lar- La ville fut livrée au pillage et la po-
mes, il adressa au ciel de ferventes pulation impitoyablement massacrée.
'prières pour le succès des armes chré- On porte à quatre mille îe nombre des
tiennes. Maures qui périrent dans cette fatale
ï Cependant un rassemblement nom- journée. Huit mille furent faits prison-
breux de Maures et d'Arabes se formait niers. Les Espagnols ramassèrent un
sur les pentes de la montagne. Pierre butin immense. Un officier eut pour sa
;de Navarre hésitait à les attaquer : il part dix mille ducats (1).
vint soumettre ses scrupules au cardinal, « A cette époque, » dit M. de Rotalier
qui, après s'être recueilli quelques ins- d'après Alvare Gomez, « Oran comptait
tants, s'écria comme éclairé d'une inspi- près de quinze cents boutiques et six
ration soudaine : « Ne balancez pas mille maisons. On trouva sur les mu-
'combattez ; j'ai l'assurance que vous railles plus de soixante gros canons et
remporterez aujourd'hui une grande dans les arsenaux une grande quantité
victoire. »
de catapultes, de batistes et d'instru-
Le comte de Navarre fit aussitôt son- ments propres à lancer des traits. »
ner les clairons; les soldats s'élancèrent
Le cardinal passa îa nuit en prières,
m
criant Saint- Jacques, et gravirent au et se rendit lendemain à Oran. Il fit
le
aas de course les flancs abruptes de la
son entrée dans îa ville précédé de la
nontagne. Un combat furieux s'engage. croix épiscopale, au milieu des acclama-
Les Arabes font pleuvoir sur leurs en- tions et des rjieux cantiques de la multi-
îemis une grêle de flèches et roulent des tude. Lui-même répétait à haute voix le
martiers de rocher. verset de^ David qui renvoie au ciel tou-
Enfin les chrétiens parviennent à tes les gloires humaines.
/emparer d'une source d'où l'on aper- monta d'abord à
Il la Kasba dont ,
cevait la ville; Navarre y fait amener îe gouverneur avait déclaré ne vouloir
jjuatre coulevrines, qui répandent dans
es masses arabes la mort et la
conster- (ï) Histoire d'Alger, par Ch. de Rotalier-
nation. Profitant du premier instant de tome er
I .
48 L'UNIVERS.
remettre les clefs qu'entre ses mains ; il juin, lecomte de Montemar vint débar-
les reçut , et le< premier usage qu'il en fit quer dans la petite baie du cap Falcon,
fut d'ouvrir les portes des cachots à trois avec une armée de vingt-huit mille
cents esclaves chrétiens. hommes. Dix à douze mille Maures ten-
Le lendemain il
visita l'enceinte de la tèrent de s'opposer au débarquement ils ;
'

ville tour à tour général en chef et


; furent culbutés, et quatre jours après, le
prince de l'Église» il donne des ordres 30 juin, l'étendard de Castille avait re-
pour la réparation des remparts il con- ; paru sur les remparts d'Oran. La ville
sacre deux mosquées, l'une à la Vierge, était déserte; les habitants avaient pris
l'autre à saint Jacques ; il arrête la fon- la fuite dans toutes les directions le bey
;

dation d'un hôpital, et le place sous la Moustafa-bou-Chelaram s'était retiré à


protection de saint Bernard, le patron des Mostaganem.
pauvres. Il crée une mission pour la con- Cette nouvelle occupation, fort oné-
version des infidèles , dont il venait de reuse pour l'Espagne, durait depuis
massacrer quatre mille. II institue deux cinquante-huit ans, lorsque, dans la nuit
couvents, foyers de haine contre la reli- du 8 au 9 octobre 1790, un effroyable
gion des vaincus. Enfin, dans la crainte tremblement de terre vint secouer la
que les juifs traqués en Espagne ne vins- ville et y occasionner d'affreux ravages.
sent se réfugier à Oran , il y établit un Aussitôt la population et les troupes
inquisiteur. abandonnèrent leurs demeures renver-
Tout cela se passait au milieu des sées et chancelantes, et allèrent s'établir
ruines, du sang et des cadavres. Quelle au dehors sous des tentes et des bara-
distance de nos mœurs actuelles à ce ques.
mélange intime des intérêts du monde A la nouvelle de cette catastrophe
et des préoccupations du cloître! Ce le bêy Mohammed, qui gouvernait la pro-
n'est pas que ce mélange intime des vince pour les Turcs, partit de Mascara
pompes du culte aux grandes scènes de et vint mettre le siège devant Oran;
la guerre ne présente toujours un spec- mais deux années de suite le retour de
tacle imposant; mais par malheur l'ap- l'hiver l'obligea de se retirer sans avoir
pel aux haines religieuses dominait au rien fait; enfin au mois de mars 1792
fond de tous les actes , au fond de tous les Espagnols, découragés, se décidèrent
les cœurs, et il marquait d'un sceau né- à abandonner la ville. Ils voulaient
faste la domination naissante de l'Es- faire sauter les fortifications ; mais
pagne. Mohammed négocia, et il fut convenu
Ximénès se disposait à poursuivre qu'on évacuerait la place sans rien dé-
ses conquêtes, lorsque de nouvelles in- truire. Les Espagnols eurent la faculté,
trigues le rappelèrent en Espagne; il d'emporter les canons de bronze et les
quitta Oran le 23 mai, sept jours après approvisionnements. Les troupes et les'
son départ de Carthagène. habitants furent transportés à Cartha-
L'expédition malheureuse de Charles- gène le corps indigène a Ceuta.
,

Quint contre Alger, qui eut lieu vers la Ainsi finit l'occupation espagnole,
fin de 1541 trente-six ans après la
, laissant après elle d'immenses travaux'
prise de Mers-el-Kébir , trente-deux ans sans utilité et sans résultat.
après celle d'Oran , porta un coup décisif Des Maures venus de tous les points
à la domination espagnole sur la côte delà province, de Mascara, de Mazouna,
d'Afrique. L'Espagne perdit successive- de Tlemcen, de Mostaganem et de Maza-
ment dans le cours du seizième siècle gran repeuplèrent la ville déserte. On
les diverses positions qu'elle y occupait, leur distribua les maisons chrétiennes :
à l'exception d'Oran , qu'elle conserva elles étaient presque toutes en bois; il
jusqu'en 1708. Alors les embarras d'une les reconstruisirent en pierres ; mais la
collision européenne , guerre de la
la ville basse ne se releva point de ses rui-
succession, déterminèrent la cour de nes, et les Français la trouvèrent encore
Madrid à faire le sacrifice de cette der- couchée dans la poussière, perdue dans
nière place. les ronces (i).
Mais en 1732 les embarras avaient
cessé; les Espagnols reparurent. Le 26 (i) Histoire cf Alger, par Ch. de Rotalier.
ALGÉRIE. 40
Le premier sentiment qu'éveilla dans trer; là sont réunies dé belles plantations
l'esprit du dey la nouvelle de la reddi- d'amandiers, de grenadiers et d'orangers;
tion d'Oran ne fut pas la joie , comme et ce massif de verdure, animé et rafraî-
ilserait naturel de le penser, mais la chi sans cesse par des eaux abondantes,
méfiance. Il craignit que la possession paraît plus délicieux encore par le con-
d'une place aussi forte n'encourageât le traste qu'il forme avec la nudité du
bey à braver son autorité , et contraire- pic de Santa-Cruz.
ment à un article formel de la capitula- Quelques essais de colonisation ont été
tion, il envoya à Oran un commissaire tentés depuis quelques années dans les
(onkil) chargé de démanteler la ville. environs d'Oran. En 1844 les villages
Celui-ci fit sauter trois forts , la tête de de la Senia et de Misserguin, en 1845
ravin, Saint-Philippe et Santa-Cruz. De celui de Sidi-Chami, ont été fondés dans
ceux qu'il laissa debout Lamouni et Saint- la plaine et les territoires communaux
Grégoire sont les plus anciens : le pre- concédés en partie à des habitants aisés de
mier remonte à 1563 le second à 1589.
, la ville, et en partie à des familles pau-
Les autres datent du milieu du dix- vres. Un grand établissement agricole a
huitième siècle époque où furent exé-
, été fondé par une compagnie française,
cutés les grands travaux de fortification entre Oran et Mascara au-dessous du
,

d'Oran (1). barrage qui déverse les eaux du Sig dans


Après le départ des Espagnols, les la plaine du Sirat. Une ordonnance du
beys adoptèrent Oran pour leur rési- 19 février 1 847 a créé entre Oran et Arzeu
dence ; ils se succédèrent, perdant le pou- trois nouvelles communes , celles de
voir comme ils l'avaient acquis, par des Christine, San-Fernanda et Isabelle, qui
intrigues et des crimes , jusqu'au 10 dé- doivent être peuplées de familles espa-
cembre 1830 , où
France cédant aux
la , gnoles.
sollicitations instantesdu dernier de ces Enfin une circonstance fortuite est ve-
satrapes, se décida à prendre possession nue, il y adeux ans, ajouter l'élément ger-
de la ville. manique au mélange d'Espagnols et de
Elle y retrouva des traces matérielles Français qui domine dans la population
;

profondes du séjour des Espagnols, prin- d'Oran et de sa banlieue. Au mois de


;
cipalementdans l'enceinte qu'ils s'étaient juillet 1846, huit cents Prussiens, hom-
;
réservée sur la berge gauche du ravin, mes, femmes et enfants arrivèrent à Dun-
au pied du pic de Santa-Cruz. kerque, après avoir quitté leur pays pour
De vastes communications souterrai- aller s'établir au Brésil. Mais bientôt,
nes , des galeries de mines , un immense abandonnés par les promoteurs de leur
magasin voûté , avec un premier étage émigration , privés de ressources pour
jsur le quai Sainte-Marie, d'autres ma- retourner sur leurs pas, réduits à vivre
[gasins taillés dans le roc, une darse, de la charité publique, ils se tournèrent
ides casernes, trois églises, un théâtre, vers l'administration française, et de-
j
tel est l'ensemble des ouvrages élevés mandèrent à être transportés en Algérie.
par les Espagnols dans le cours d'une Le gouvernement accueillit leur de-
possession de près de trois siècles , dans mande, et les dirigea aussitôt sur Oran. A
un petit coin de terre barbare qui avait leur arrivée, ces étrangers furent répartis
fini par obtenir, en raison de ses agré- dans deux localités l'une située sur la
,

fments, le surnom populaire de Corte- route de Mostaganem à Arzeu , l'autre


\chica ( la petite cour). sur celle d' Arzeu à Oran. Ils y trouvèrent
Les environs d'Oran sont en général immédiatement un abri commode, sous
[nus et tristes. Si l'on plonge les re- des baraques que l'administration mili-
gards dans la plaine, on n'y découvre, taire avait fait construire à la hâte pour
aussi loin que la vue peut s'étendre, les recevoir. Le premier de ces deux
qu'un seul arbre, le figuier à l'extrémité village prussiens conserva le nom de
orientale de la Sebkha. StI qui était celui de la localité;
\ .,
C'estdans la gorge qui traverse la ville l'autre fut appelé Sainte-Léonîe. Tel est
que toute la végétation semble se concen- le caractère de la colonisation algé-
rienne , ouvrage de marqueterie , où le
( i)
Histoire d'Alger, par M. Cli . de Rotaîier. hasard apporte souvent les pièces les
4e Livraison. ( Algérie. )
50 L'UNIVERS.
plus lointaines et les plus disparates. Dans l'impuissance où ils étaient de
Dans population d'Oran la couleur
la former contre eux une grande entreprise,
ejuidomineest celle de l'Espagne, ce qu'il ils s'efforcèrent de Tes harceler du rôle :

faut attribuer beaucoup au voisinage et de conquérants ils descendirent à celui


un peu aux souvenirs. Sur 18,259 habi- de corsaires, et vinrent porter la dévas-
tants européens, cette ville compte 8,688 tation et le pillage sur des côtes qu'ils
Espagnols et seulement 6,200 Français. n'avaient su ni conserver ni défendre.
Quant à la population indigène, elle se Un homme d'un génie vaste gouver-
compose de 7,133 personnes, dont2,328 nait alors l'Espagne ; c'était le cardinal
musulmans et 4,805 Israélites. Francesco Ximenès de Cisneros, arche-
Oran offre donc un caractère tout par- vêque de Tolède, premier ministre du
ticulier, dû à la prédominancede l'élément roi Ferdinand. Ximenès ne vit d'autre
espagnol dans la population européenne, moyen de mettre un terme aux brigan-
et de l'élément israélite dans la popula- dages des pirates que de faire main
tion indigène. basse sur leurs repaires.
Une pensée de croisade, de conversion
Mers-el-Kébir. des infidèles vint se joindre à ces vues
L'extrémité occidentale de la baie politiques. Ximenès se souvint que le
d'Oran se termine par une pointe de premier rêve de sa jeunesse avait été de
rochers qui s'avance comme un môle parcourir l'Afrique en missionnaire.
vers l'est, et protège contre la mer et C'était sans doute une révélation des
les vents un espace appelé par les indigè- vues de la Providence, qui réservait à ses
nes Mers-el-Kébir , le grand port. C'est vieux jours de la parcourir en conqué-
le meilleur mouillage de l'Algérie. La rant. Dès lors cette grande entreprise
pointe de rocher est couronnée par un devint le terme de toutes ses pensées.
fort, éloigné d'Oran de six kilomètres, Ximenès manquait des renseigne-
et rattaché à cette ville par une magni- ments nécessaires pour fixer avec certi-
fique route, ouvrage des premières an- tude le point où devaient se porter ses
nées de la conquête française. premiers efforts. Le hasard se chargea
La baie de Mers-el-Kébir est creusée de les lui fournir. Il amena en Espagne
en forme d'entonnoir dans les hautes un marchand vénitien , nommé Jérôme
terres qui la dominent. La paroi méri- Vianelle, qui avait parcouru toute la côte
dionale va rejoindre la pointe rocheuse de pour les affaires de son négoce, et qui la
Santa-Cruz; la paroi occidentale se ter- connaissait parfaitement. Il eut de fré-
mine à la mer par des escarpements à pic. quentes conférences avec le ministre ;

Il règne entre les deux une vallée pro- il l'éclaira sur la situation du pays, et
fonde, étroite, tortueuse dans laquelle appela surtout son attention sur le
les vents d'ouest s'engouffrent par ra- port de Mers-el-Kébir et la ville d'Oran,
fales et produisent dans la baie des qu'il représenta comme les deux princi-
alternatives remarquables d'effroyable paux foyers de la piraterie. Pour rendre
bourrasque et de calme plat. Ce carac- ses indications plus saisissantes , il exé-
tère fantasque des vents, dû à la confi- cuta en cire un relief de la partie de la
guration du sol, rend souvent l'appareil- côte où se trouvent ces deux points.
lage difficile et enlève à la position une Ximenès demeura convaincu que
partie de son mérite. Mers-el-Kébir était pour l'Espagne la
Quoi qu'il en soit, l'Espagne fut bien véritable porte de l'Afrique ; il s'arrêta
inspirée lorsque dans les premières an- donc à l'occupation de ce port, et se hâta
nées du seizième siècle, cherchant à de présenter son projet au roi.
entamer la côte d'Afrique, elle arrêta Ferdinand n'avait qu'une seule objec-
ses vues sur Mers-el-Kébir. tion à élever; mais elle était grave.
Les Maures venaient d'être expulsés Deux guerres, dont l'une venait de se
de la péninsule ; la plupart avaient de- terminer par l'expulsion des Maures, |

mandé un asile à ces rivages habités avaient épuisé ses ressources. Ximenès
par leurs coreligionnaires, et y avaient le savait sans cloute mieux que personne,
porté la haine profonde qui les animait et il était prêt à lever cette difficulté ;
contre leurs vainqueurs. mais il voulait avant tout s'assurer de
,

ALGÉRIE.
Padhésion du roi; li offrit de payer lui- Fernand fit sur-le-champ saisir le cou-
même les frais de la guerre , et dès lors pable, et prononça son arrêt de mort.
l'expédition fut résolue. Enfin le 23 octobre les Espagnols pri-
Quelques mois suffirent au grand mi- rent possession de Mers-el-Kébir, cin-
nistre pour organiser une armée et une quante jours après leur départ de Ma-
flotte. Fernand de Cordoue devait com- laga. Fernand expédia aussitôt une ga-
mander la première Raymond de Cor-
, lère pour porter au cardinal Ximenès
doue la seconde l'artillerie fut confiée
; l'heureuse nouvelle. L'Espagne entière
àCiego de Vera; enfin l'expédition eut en tressaillit de joie ; elle crut voir du
pour guide Jérôme Vianelle. même coup ses côtes fermées à la pira-
Le 3 septembre 1505 la flotte appa- terie et le continent Africain ouvert à
reilla à TVJalaga; le 9 elle était en vue ses armes; magnifiques espérances que
de Mers-el-Kébir. Aussitôt des feux al- l'avenir ne devait pas réaliser.
lumés sur les hauteurs signalèrent l'ap- La pointe de Mers-el-Kébir marque
proche des Espagnols toutes les cimes ; la limite de la baie d'Oran ; mais le
voisines du. rivage se couvrirent de fan- golfe se prolonge jusqu'à la pointe du
tassins et de cavaliers. Les troupes dé- cap Falcon. Derrière celui-ci est une
barquèrent sous une grêle de flèches et petite baie où débarqua en 1732 le
sous les boulets du fort. Leur premier comte de Montemar elle se termine
:

soin fut de se retrancher; le lendemain au cap des Andalous, où existent les rui-
elles poussèrent une reconnaissance vers nes d'une petite ville construite par les
la place, et enlevèrent une position qui Maures exilés d'Espagne.
ladominait une batterie y fut établie.
: A partir de ce cap la côte s'enfonce
Pendant ce temps la flotte attaquait dans le sud-ouest, bordée par des terres
par m< r. de moyenne hauteur , d'un aspect uni-
Cependantle fort ne se rendait pas, et forme, qui se terminent à la mer par une
la position des Espagnols commençait muraille de roches abruptes.
à devenir critique; placés sous le feu de Une teinte générale de tristesse règne
la garnison , assaillis par des nuées d'A- sur ce long rideau de distance, en dis-
:

rabes ils avaient encore à combattre les


, tance, dans la bordure de la côte, ap-
troupes que le roi de Tlemcen avait en- paraissent des éboulements et des rup-
voyées; mais la fortune vint à leur aide. tures de couleurs diverses qui toutes
Le gouverneur du fort, qui jusque-là portent le cachet de la stérilité. Une
avait été l'âme de la défense, fut atteint végétation pauvre et inculte se mon-
par uïi boulet qui le tua. Aussitôt le dé- tre au sommet des falaises.
couragement s'empara des assiégés, et Deux points sur cette côte méritent
les amena à conclure un armistice de seuls de fixer l'attention. L'un est l'île
quelques jours, qui devait être suivi volcanique de Harchgoun , qui fut occu-
d'une capitulation définitive, si de nou- pée au commencement de 1836 par les
veaux secours attendus de Tlemcen n'ar- Français à l'embouchure de la Tafna;
rivaient pas. A
l'expiration du délai rien l'autre est l'établissement de Djema-
n'avait paru. Alors un trompette espa- Ghazaouat, situé au nord de Lella-Mar-
gnol s'avança au pied des remparts, et nia, sur une longue plage ouverte à tous
somma la garnison de se rendre aux les vents. Érigé en ville sous le nom de
termes de la convention. Les Maures Nemours, par une ordonnance royale du
demandèrent trois jours pour emporter 24 décembre 1846, Djema-Ghazaouat
leurs effets. Ce nouveau délai leur fut comptait au 1 er janvier 1847 une po-
accordé, lis traversèrent donc le camp pulation européenne de 412 individus,
espagnol chargés de leurs richesses. Leur dont 209 Français.
retraite à travers une armée chrétienne Tel est l'aspect général , telle est
victorieuse s'opéra sans donner lieu de l'histoire sommaire de côte d'Algé-
la
leur part à aucune plainte il est vrai : rie, aussi riante et accidentée dans l'est
que le générai se tint constamment de- quelle est triste et monotone dans la
vant les portes, et veilla lui-même à leur région opposée.
sûreté ; une seule fois des cris s'élevè- Sur celte côte trois grandes cités
rent : une femme venait d'être insultée. trois capitales maritimes ont été fondées :

4.
52 L'UNIVERS.
Cherchel , capitale de la Mauritanie nous allons suivre les différents plateaux
Césarienne , par les Romains. de l'intérieur dans le même ordre c'est-
,

Bougie , capitale du royaume de ce à-dire de l'est à l'ouest. C'est aux lignes


nom, par les Berbères. d'écoulement des eaux aux artères na-
,

Alger, capitale de l'ancienne Régence, turelles du sol que nous rattacherons


par les Turcs. la description et l'histoire des princi-
A Cherchel les Romains ont épuisé paux centres de population , protégés
dans la création d'un port artificiel agrandis ou fondés par la puissance et la
les ressources de leur architecture hy- persévérance françaises sur une terre où
draulique; à Alger les Turcs ont jeté se sont succédé depuis vingt siècles tant
dans une entreprise semblable trois de grandeurs et tant de misères.
cents années d'efforts et des milliers
d'esclaves chrétiens ; à Bougie les Ber-
Le Medjerda. — Theveste, Tagaste,
bères, pendant les six siècles de leur
Madaure , Utique, Carthage.
domination, ont profité des dispositions A. l'extrémité orientale de l'Algérie
naturelles de leur rade sans chercher coule, dans la direction du nord-est, un
à les améliorer. Aujourd'hui que voyons- fleuve historique, c'est le Medjerda :
nous ? le port des Césars, devenu crique il prend sa source aux pieds des rem-
de cabotage; le port des Pachas, héri- parts de Tébessa ( l'ancienne Theveste)
tage onéreux, dont leurs successeurs franchit la frontière de l'Algérie , tra-
n'ont pas calculé les charges; le port des verse diagonalement la partie septen-
Émirs berbères demeure, dans l'état de trionale de la régence de Tunis, et va
nature le meilleur des trois.
, verser ses eaux dans une petite baie
située un peu à Test des ruines de Car-
PLATEAUX DU TELL. thage, appelée aujourd'hui Rar-el-Melh
Établissements français de l'intérieur. Pla- — (la caverne de sel); c'est là que sont
les ruines de l'ancienne Utique, illustrée
teau du Medjerda : Theveste, Tagaste, Ma-
dame, Utique, Carthage. Plateau de — par Caton. Avant de sortir de l'Algérie,
la Seybouse : Guelma, ville française. — le Medjerda , sous 1p. nom d'Ouad-Khe-

Plateau du Roumel Constantine, Mila. :


— mica, arrose les campagnes, aujourd'hui
Plateau du Bou-Sellam Setif, Bordj-Bou- : barbares et presque incultes, de Tagaste
Ariridj, Aumale. —
Plateau du Chélif ; et de Madaure , de Tagaste où naquit
Orléansville Medea, Miliana.
, Plateau — saint Augustin , et de Madaure où l'il-
de la Makta Mascara. : Plateau de la — - lustre enfant fit ses premières études.
Tafna : Tlemcen. Les ruines de ces deux villes, comprises
Plateaux du Tell. — Principales ri-
aujourd'hui dans le territoire de la tribu

vières qui en descendent. — Éta-


algérienne des Hanencha, portent les
deux noms de Tedjelt et Mdourouch.
blissements français formés dans
Les habitants actuels de la contrée,
l'intérieur du Tell.
ignorants de la gloire qui s'attache à
Le massif méditerranéen, sillonné de ces deux points , leur ont voué, par une
cours d'eau qui ne tarissent pas, pourvu sorte d'instinct historique, une vénéra-
de sources nombreuses , couronné de tion religieuse, que les générations se
forêts qui manquent rarement à la cime transmettent sans en connaître l'ori-
des montagnes et marquent de leur vé- gine.
gétation séculaire la séparation des C'est encore dans la vallée du Med-
principaux bassins, couvert dans les jerda qu'est la plaine de Zama, où se livra
parties planes et basses d'un lit de terre l'une des batailles qui ont décidé du
végétale qui, en quelques zones, atteint sort du monde. C'est sur ses rives que
l'épaisseur de deux mètres; le massif fut vaincu et fait prisonnier le général
méditerranéen est la partie de l'Algérie romain Régulus, l'un des plus illustres
qui offre le plus de ressemblance avec martyrs de la foi jurée.
nos contrées d'Europe, celle où la con- Tébessa , bâtie sur les ruines de l'an-
quête française a formé ses principaux cienne Theveste, à la source la plus mé-
et ses plus 'nombreux établissements. ridionale du Medjerda , jouit d'une cé-
iSous venons d'en parcourir le bord ;
lébrité moins classique que Tagaste,
ALGÉRIE. 53

Madaure, Utique et Carthage; cepen- que tout près de


la frontière de Tunis.
dant il* y existe de magnifiques débris, Dansce large bassin il n'existe pas
et particulièrement un arc de triomphe d'autre établissement français perma-
d'ordre corinthien dont les détails et nent que Guelma. Mais la route'qui par-
les ornements sont d'une pureté et d'une tant de Bône conduit à cette ville ne suit
délicatesse remarquables. Une inscrip- pas le cours de la rivière ; elle la laisse
tion gravée sur l'une des faces, en carac- se dérouler à gauche en replis tortueux,
tères nets et lisibles , fait connaître que et va passer au sommet du Fedjoudj, col
la construction de ce monument date de élevé situé dans le massif del'Aouara, qui
e
l'an 214 de notre ère et de la 17 année sépare la branche inférieure de la bran-
du règne d'AntoninCaracalla.Une autre che supérieure de la Seybouse. Parvenu
inscription, beaucoup moins lisible quoi- au col du Fedjoudj, si l'on se tourne vers
que plus récente, se lit sur une autre face le nord , on voit se dérouler à cinquante
de ^'édifice. Elle rappelle que la ville kilomètres de distance la nappe bleue de
de Théveste a été relevée de ses ruines la Méditerranée ; si l'on se tourne vers
par le général Salombn , après l'expul- le sud on voit se dresser les cimes de
,

sion des Vandales, sous le règne de la Maouna , dont la Seybouse borde le


Justinien et de Théodora. Cette inscrip- pied.
tion est la seule à notre connaissance Vers les derniers gradins de la mon-
qui fasse mention d'une manière aussi tagne, au delà du lit de la rivière, le
explicite de l'expulsion des Vandales. voyageur distingue un point blanc,
On a retrouvé en outre à Théveste couronné dans les temps calmes d'un
les débris d'un grand cirque de forme léger nuage de fumée c'est la petite
:

elliptique qui pouvait contenir 6,000 ville de Guelma, dont il n'est plus alors
spectateurs, et d'immenses vestiges d'un éloigné que d'environ douze kilomètres.
autre monument, qui paraît avoir été un 1
Après avoir donné quelques instants
temple de la Justice. d'attention au panorama qu'il a sous
Les ruines de Théveste et la petite les yeux, il redescend par une route en
ville deTébessa, qui semble le gui de lacets le versant méridional de l'Aouara,
cet arbre mort, ont été visitées deux traverse la rivière sur un beau pont
fois par les troupes françaises, la pre- construit, il y a quelques années, par
mière fois au commencement de juin les Français avec le concours des indi-
1842, sous le commandement du général gènes, et après avoir parcouru une dis-
Négrier , et en juillet 1846, sous les or- tance de deux kilomètres sur le glacis
dres du général Randon. Ainsi au mo- en pente douce de la Maouna, il arrive à
ment où l'arc de triomphe a été visité Guelma.
il y avait seize cent vingt-huit ans que On sait que cette position fut occupée
les" pierres qui le composent avaient par les Français en 1836 au retour de,

été élevées les unes sur les autres , que la première expédition de Constantine,
les lettres de la première inscription pour affaiblir dans l'esprit des indigènes
avaient été tracées, et c'est plus de trois les effets de l'insuccès de nos armes.
cents ans après qu'une autre main y a Il n'y existait à cette époque qu'un
tracé la seconde épigraphe, qui date ainsi amas de ruines restes de l'ancienne Ca-
,

d'environ treize cents ans. lama, mentionnée plusieurs fois par


La Seybouse. — Guelma.
l'historien Orose et par saint Augustin,
et célèbre d'ailleurs dans les fastes de
Quoiqu'il y ait entre l'embouchure l'Église pour avoir été le siège épisco-
,

du Medjerda et celle de la Seybouse une pal de l'évêque Possidius, biographe de


distance de deux cents kilomètres, les l'illustre écolier de Madaure.
affluents supérieurs des deux rivières se Nos troupes y trouvèrent de somp-
touchent presqu'en un grand nombre tueux vestiges de l'antique cité et sur- ,

de points. Mais le cours de la Seybouse tout un prodigieux amas de sculptures


appartient exclusivement à l'Algérie. et d'inscriptions, dont plusieurs portaient
Du golfe de Bône, où elle verse ses eaux, le nom de l'ancienne ville. Au milieu du
elle s'étend jusqu'à quelques lieues de chaos de pierres de taille, de fragments
Constantine d'une part et de l'autre jus- de colonnes, entassés pêle-mêle sur le
54 L'UNIVERS,
er
sol, s'élevait un de citadelle,
reste Au 1 janvier 1847 la population de
postérieure à la destruction de la ville Guelma se composait, outre la garnison,
romaine, ouvrage grossier de cette de 691 Européens, dont 322 Français,et
époque où Justinien, redevenu maître de 187 indigènes en résidence fixe, dont
de l'Afrique , la couvrit de petites for- 140 musulmans, 7 nègres et 40 israéli-
teresses appelées burgos, construites à tes , auxquels il faut ajouter une popu-
la hâte des débris de la première occupa- lation flottante de 140 indigènes en ré-
tion romaine. sidence temporaire.
C'est dans les ruines de cette seconde Le Roumel. — Constantine. — Mila.
Calama, bâtie sur la nécropole de la pre-
mière, parmi d'innombrables fragments Si le voyageur, en quittant la ville de
de tombeaux, que la garnison française Guelma , au lieu de retourner sur ses
installa, en 1836, ses premières tentes. pas, continue de s'avancer dans la direc-
Le rempart, sur tout son pourtour, of- tion du sud-ouest, il se trouve sur la
frait de nombreuses, de profondes dé- route qui conduit de Bône à Constan-
gradations. Sur certains points il n'en tine; il laisse à droite dans les gorges
restait que les fondations; ailleurs ii de la Seybouse l'établissement thermal
conservait encore six mètres de hau- d'Hammam-Meskhoutin (les bainsen^,
teur; au dedans et au dehors un amas chantés ), apparition féerique de cônes
de pierres colossales encombrait le pied naturels d'un aspect bizarre et fantasti-
de la muraille. Évidemment la main que, d'où s'élève incessamment un épais
brutale de l'homme et l'action lente du nuage de vapeur. Là s'échappe impé-
temps avaient contribué à cette oeuvre tueux, par de nombreuses ouvertures,
de dévastation; mais en même temps un fleuve d'eau bouillante chargé de
de larges et profondes déchirures dans substances minérales dont les dépôts
la masse des maçonneries ne pouvaient donnent naissance aux cônes pointus et
être attribuées qu'au choc puissant des aux stratifications caverneuses qui font
tremblements de terre. de ce lieu une des curiosités de l'Algérie.
Il y existe des ruines romaines qui por-
Les pierres de taille accumulées sur
l'emplacement de la ville romaine four- taient autrefois le nom d'Aquœ Tibili-
tanœ eaux de Tibilis ). Depuis quel-
les
nirent des matériaux tout préparés (

aux constructions françaises, qui s'éle- ques années le gouvernement, appré-


vèrent rapidement, au milieu des mi- ciant l'utilité de ces eaux pour la santé de
sères d'une première installation, sur nos soldats, y a fondé un hôpital , dont
nu et par un hiver rigoureux. les effets ont déjà justifié ses espérances
un sol
Quelques ingénieurs apportèrent dans et ses prévisions. Avant d'arriver à

l'emploi de ces débris historiques un la hauteur d'Hammam-Meskhoutin, on


respect et une sollicitude qui méritent trouve, au confluent des deux bras prin-
monde cipaux de la Seybouse, le camp de Med-
toute la reconnaissance du sa-
vant. C'est ainsi qu'un ofiicier d'artil-
jez-Ammar, qui de loin avec ses meur-
trières et ses tourelles ressemble assez
lerie, chargé de la construction d'une
caserne qui devait donner à ses troupes à une petite forteresse féodale. Ce lieu,
situé à moitié chemin de Bône à Constan-
leur premier abri , fit rechercher avec
tine, fut, comme on sait, le point de dé-
soin les pierres portant inscription et
part de la seconde expédition qui nous
disposer les faces écrites dans le pa-
rendit maîtres de cette ville.
rement extérieur du mur, de manière du Ras-el-
Après avoir franchi col
à en assurer la conservation et en même
le

Akba on redescend dans la vallée de la


temps à en faciliter l'étude. De cette
,

Seybouse, que l'on suit jusqu'à sa source,


façon il tit d'une simple caserne un beau
musée. à travers un pays largement ondulé, riche
et curieux
Aujourd'hui un assez grand nombre de terre végétale et de labours, assez bien
arrosé, mais d'une nudité désespérante.
d'édifices européens se sont élevés à
Guelma, et sans ôter à ces magnifiques A peine a-t-on dépassé de quelques
kilomètres le dernier filet d'eau qui verse
débris Jeur aspect pittoresque, leur ont
ses eaux dans le golfe de Bône,
que l'on
ajoute, par la vie nouvelle qui les anime, qui
charme du contraste. se trouve au bord de l'Ouad-Mehris , ,

le
,

ALGÉRIE. 55

va porter les siennes dans le golfe de dont l'œil suitle cours jusqu'à six lieues
Djidjeli; on entre alors dans la vallée du environ.
Roumel. Le partage entre les deux fleu- Les deux autres faces sont couvertes
ves s'opère sur un plateau large et nu, par un effroyable fossé , encaissé entre
dominé au nord par la ehaîne grise et deux murailles de roches à pic, dont la
aride de l'Oum-Settas, couverte de monu- hauteur moyenne est de cent dix mè-
ments druidiques, dont nous donnerons tres.
plus loin la description. Au sud l'horizon Cette configuration étrange, résultat
est borné à une assez grande distance de quelque grande convulsion du sol
par un majestueux rideau de monta- donne à la masse rocheuse qui sup-
gnes dont l'accident le plus remarqua- porte la ville de Constantine l'aspect
ble est la large découpure du Nif-en-Nser, d'un de ces promontoires à roches vi-
ou Bec de l'aigle. ves, battu par le choc incessant des va-
En descendant le cours du Mehris, gues. Elle justifie la dénomination de
on ne tarde pas à apercevoir dans une ville aérienne, que lui appliquent les
échancrure de la vallée les minarets de écrivains arabes du moyen âge; elle
Constantine. explique le mot de cirta, qui signifie en
Laissons de côté le monument curieux phénicien taillé à pic.
du Sôma, qui se présente sur la route, C'est au fond de ce précipice que le
au sommet d'une colline; monument Roumel, réuni au Bou-Merzoug, roule,
fastueux autel ou tombeau, dont aucun
, de cascade en cascade, ses eaux torren-
archéologue n'a pu encore avec certitude tueuses. Il entre au pied de la pointe
reconnaître la destination. Laissons sud, et sort au pied de la pointe nord. La
donc de côté le Sôma, et entrons à Cons- porte naturelle par laquelle la rivière
tantine, cette ville qui à toutes les épo- s'engouffre dans le ravin n'a pas plus de
ques, sous les rois numides, sous la do- cinq à six mètres de largeur sur une
mination romaine comme sous la domi- hauteur de quarante mètres. La porte de
nation française, a occupé une place si sortie présente une ouverture de qua-
éminente dans les destinées de cette con- rante mètres sur une élévation presque
trée. verticale de cent soixante-dix mètres.
Parvenu à l'extrémité de son ravin,
Constantine,
le Roumel se précipite avec un horrible
Il est difficile en effet d'échapper à fracas d'une hauteur de soixante mètres,
un sentiment mêlé d'étonnement, de res- et disparaît dans un nuage de poussière
pect et presque d'effroi
, lorsque pour, humide. Cette cataracte imposante forme
la première fois on se trouve en face de un des accidents les plus remarquables
cette ville étrange, de ce nid d'aigle, du sol de l'Algérie.
comme on l'a dit souvent, qui fut la Après avoir franchi la dernière cas-
capitale de la Numidie-royaume et de la cade, le Roumel, redevenu calme, entre
.Numidie-province, et dont la conquête dans une belle vallée bordée de magni-
a été pour la domination française elle- fiques jardins d'orangers, de grenadiers,
même un si puissant auxiliaire , un si de cerisiers, qu'il arrose et vivifie.
utile enseignement. Malgré l'abîme qui l'enveloppe et le
La ville de Constantine dessine une surnom ^aérienne, que le moyen âge
espèce de parallélogramme, dont les lui a décerné, Constantine, ce nid d'ai-
quatre angles regardent les quatre points gle, est encore dominée par trois hau-
cardinaux. Les indigènes la comparent à teurs, d'où la vue plonge à quelques
un bernous déployé, et assignent à la centaines de mètres de distance sur les
pointe sud, occupée par IaKasba, la place toits de tuiles de ses édifices. Ce sont
du capuchon. les hauteurs du Mecid, de Setha-Man-
La face dirigée au sud-ouest est la soura et de Koudiat-Ati. Les deux pre-
seule partie de la ville que la nature ait mières sont séparées de la ville par le
rendue abordable. La face nord-ouest ravin; la dernière commande la seule
est bordée de rochers escarpés, termi- langue de terre par où Constantine soit
nés par un talus haut et raide. De ce abordable.
côté la ville domine la vallée du Roumel, Les monuments romains que l'on re-
56 L'UNIVERS.
trouve à Constantine sont dignes de son où Ben-Aïça accomplit le 1 3 octobre i 837
antique renom. sa périlleuse évasion. Cette voûte protège
Lé premier qui se présenta aux re- contre les éboulements une source et un
gards de l'armée française arrivant par bassin d'eau thermale, dont l'usage et
la route de Bône fut l'aqueduc monu- la réputation se sont conservés jusqu'à
mental situé au sud de la ville, à 1,200 nos jours. Les Arabes viennent encore
mètres environ, un peu au-dessus du fréquemment se baigner dans ces eaux
confluent du Roumel et du Bou-Mer- qu'ils regardent comme très-salutaires.
zoug. Les restes de cet édifice se compo- Cette construction n'est pas la seule
sent de six arceaux en pierres de taille, dont la jouissance se soit perpétuée du-
dont le plus élevé n'a pas moins de vingt rant vingt siècles. On en retrouve fine au-
mètres de hauteur. Il devait recueillir les tre au-dessous de Sidi-Mimoun. C'est un
eaux des sources du Bou-Merzoug à neuf canal de dérivation, qui prendles eaux du
ou dix lieues de la ville et les conduire Roumel dans le fond de son précipice
dans de vastes citernes dont on retrouve contourne la muraille de roches qui
les ruines sur le sommet du Koudiat- forme la pointe sud de la ville, et vient,
Ati. en aval de la grande cataracte , mettre
!
Sur les pentes de cette colline, et au- en mouvement des meules de moulin qui,
dessous de ces citernes, existe encore à cette heure, alimentent encore les
un fragment de la voie romaine qui s'é- boulangeries de Constantine.
tendait de Cirta à Carthage; elle est Nous venons de parcourir les princi-
formée de grandes dalles parfaitement paux monuments romains qui se voient
jointes. extérieurement à l'ouest de la ville. Cette
Si l'on suit en se rapprochant de la excursion nous a conduits au pied de la
ville la direction tracée
par cette voie, pointe sud, près de l'issue du Roumel. Il
on passe devant les débris d'un de ces semble que pour gagner la face opposée
édifices qui caractérisent la civilisation le plus court serait de suivre les bords de
romaine. Il existait encore en 1840 à la rivière; mais il faudrait s'engager dans
côté de la porte Valée, hors des rem- le fond du ravin, et suivre son lit de ro-
parts, un bourrelet déterre arrondi en ches semé de gouffres et de cascades et
hémicycle d'où surgissaient de distance assombri de distance en distance par
en distance des restes informes de ma- d'immenses voûtes naturelles sous les-
çonnerie noircie par le temps. L'année quelles le fleuve disparaît. C'est un
suivante remplacement fut déblayé par voyage imprudent de tenter.
qu'il serait
l'intendance militaire, pour y faire un Le plus sûr est de remonter jusqu'à la
dépôt de bois de chauffage. Ce travail porte Valée et de traverser la ville dans
mit à découvert les restes d'un théâtre sa longueur pour aller sortir par la pointe
antique. La place et l'orientation de ce d'El-Kantara. !

monument ne pouvaient être mieux Après avoir franchi le seuil de la porte


choisies. Assis sur les gradins de pierres Valée, ouvrage des Français, nous pou-
qui garnissaient l'intérieur de l'édifice vons passer soit sous l'arc de triomphe
les spectateurs voyaient se dérouler de- dont l'arcade complète subsiste encore
vant leurs yeux, à côté de la scène, le avec ses pilastres corinthiens et ses
cours capricieux du Roumel, et au-dessus piédestaux de colonnes , soit le Tétra-
les cimes bleuâtres des montagnes -de pylon , édifices quadrangulaires qui for-
Mila; décoration imposante, dont les ment la jonction de la rue Combes et de
bords, au coucher du soleil, s'animaient la vue Vieux.
de reflets rougeâtres et présentaient l'i- Enfin, après avoir descendu les pentes
mage de volcans lointains. >.
roides de la ville , nous voici sur le pont
Un peu au-dessus du théâtre, sur les d'El-Kantara ; là un escarpement de qua-
pentes dont il occupe la crête, existe un rante mètres nous sépare encore du lit
marabout connu aujourd'hui sous le de la rivière. Au premier abord le pont
nom de Sidi-Mimoun ; c'est une voûte de hardi d'El-kantara semble dû entière-
construction romaine engagée sous le ment à l'architecture moderne. La partie
talus même gui borde le pied des rem- supérieure ne date en effet que du règne
parts de la ville , à peu près à l'endroit deSalah-Bey, qui vers 1790 rendit à
,

ALGÉRIE. 5?

Constantine cette communication im- dant de la Mare, membre de la Commis-


portante; mais il suffit d'abaisser les re- sion scientifique d'Algérie, avec tous
gards vers le fond du ravin pour recon- les soins qu'exigeait cette opération
naître dans les piédroits inférieurs qui délicate.
soutiennent cet imposant édifice l'élé- La population indigène de Constant! ne
ment caractéristique de l'architecture diffère par sa composition de celle des
romaine, la pierre de taille. autres villes de l'Algérie; elle ne ren-
Un autre débris de pont se voit encore ferme qu'un très-petit nombre de Turcs
dans le fond du ravin , à quelques cen- et deKoulouglis, et pas de Maures; elle
taines de mètres d'El-Kantara ; mais se compose presque exclusivement de fa-
il n'en reste que les deux culées adossées milles arabes ou berbères, venues de
au rocher et quelques claveaux de la presque toutes les tribus de la province
première voûte. Au-dessus, sur la plate- et d'israélites. Au 1 er janvier 1847 elle
forme étroite et longue qui règne entre était de 18,969 individus, dont 15,054 mu-
le pied du Mansoura et le bord du ravin, sulmans, 552 nègres et 3,363 israélites.
apparaissent encore les restesd'un cirque ; Après Alger, Constantine est de beau-
on retrouve une partie des murs laté- coup la ville la plus peuplée de l'Algérie.
raux et du demi-cercle qui le termi- Quant à la population européenne son ,

nait au sud. chiffre est de 1,919 individus, dont 1 ,274


La Kasba actuelle, décorée jadis du Français.
nom de Capitole, devait être le quartier
le plus monumental de l'ancienne Cirta Mila:
;

c'est là que s'élevaient les temples con- Les montagnes qui se dressaient
sacrés aux divinités protectrices de la autrefois dans l'ouest devant les yeux
ville. 11 y a quelques années les soubas- des spectateurs romains ou numides as-
sements existaient encore; mais les ma- sis sur les gradins du théâtre ont con-
tériaux en ont été depuis lors employés servé l'aspect imposant qu'elles avaient
dans la construction d'une caserne et alors; mais le nom qu'elles portaient
d'un hôpital. à cette époque n'est pas parvenu jus-
Parmi les ruines nombreuses enseve- qu'à nous. Elles s'appellent aujourd'hui
lies sous le sol de la Kasba, les seules Zouara, du nom des tribus kabiles qui
que les ingénieurs français aient conser- les habitent. L'histoire et la géographie
vées sont les citernes si justement célè-
, n'ont conservé que le nom d'une petite
bres, dont les puissantes murailles por- ville construite au pied des versants
tent aujourd'hui un édifice considérable. méridionaux de la chaîne. Elle s'appelait
Elles se composaient d'au moins trente- Milevum; elle s'appelle aujourd'hui Mila.
trois bassins en béton , dont vingt-deux Dans les dernières années du quatrième
sont parfaitement conservés. D'autres siècle, elle eut pour évêque saint Optât,
restes de maçonnerie doivent, à en juger qui fut l'un des hommes distingués de
par les alignements des murs et la qua- l'Eglise d'Afrique. Il a laissé un ouvrage
lité des matériaux, avoir fait partie de ce
sur le schisme des donatistes que le
,
-éservoir colossal. S'il en était ainsi, temps nous a conservé et dont saint
es citernes romaines de Constantine au- Augustin faisait beaucoup de cas.
aient couvert jadis un hectare de terrain. Pendant quelques années Mila fut
Le cadre de cette notice nous force occupé parles Français; mais en 1840,
iomettre plusieurs débris intéressants à l'époque où prévalut le système aban- ,
rouvés à Constantine, et en particulier donné bientôt après de la concentra-
,
a grande mosaïque découverte en amont tion des forces sur un petit nombre de
le la ville, sur la rive gauche du Roumel points, Mila fut évacuée malgré les
;
:eux de nos lecteurs qui désireraient prières instantes de ses habitants indigè-
onnaître ce bel échantillon de l'art nes*, que la retraite des troupes françaises
intique peuvent aisément satisfaire livrait aux incursions et aux brigandages
eur curiosité ils n'ont qu'à se rendre
:
des Kabiles. Il n'y resta qu'un seul Fran-
u musée algérien du Louvre, où la mo- çais, non militaire, qui se livra à di-
aïque de Constantine a été transportée, verses spéculations , et qui à cette heure
ous la surveillance de M. le comman- compose encore à lui seul, avec sa fa-
58 L'UNIVERS.
postes intermédiaires. Et cependant
mille, toute la population européenne.
cette route importante est loin de sa-
Mila est située sur un petit affluent'
tisfaire aux conditions stratégiques qui,
du Roumel , au milieu de magnifiques
jardins, qui donnent à cette petite ville j
dans un pays conquis, garantissent la
d'ailleurs propre et décente, un aspect
sûreté des communications de Cons-
tantine jusqu'à Djemila et de Djemila à
des plus pittoresques. Il y reste plu-
Sétif. Elle traverse une suite de ravins
sieurs débris intéressants de l'antiquité.
Mais ce qui nous a paru surtout digne profonds, dominés de part et d'autre
d'attention, c'est l'expression de bien- par de hautes montagnes. L'un des
passages que
les plus difficiles est celui
veillance et de douceur peinte sur toutes
physionomies. Les habitants de Mila les indigènes appellent Kasbaït, et les
les
ne connaissent ni les contestations ni Français Col de Mons , du nom d'une
ville romaine dont on y retrouve les
les procès. Ils ont cependant un kadi ;
mais ce respectable magistrat nous a ruines. C'est vers ce point que l'on
plusieurs fois assuré que le caractère abandonne le bassin du Roumel pour
pacifique de ses justiciables lui consti- entrer dans celui du Bou-Sellam, auquel
tuait une sinécure. Nous signalons ce appartient le camp de Sétif, aujourd'hui

fait comme une exception digne d'intérêt


transformé en ville.
Sétif, l'ancienne colonie de Sitifis, do-
chez un peuple en général très-processif.
mine la vallée large et fertile de cette ri-
Djemila. vière, qui, à travers la Kabilie orien-
tale, va verser ses eaux dans le golfe de
Mila est éloignée de Constantme d'en-
Bougie. La plaine de Sétif est bornée à
viron 36 kilomètres ; elle se trouve sur
une distance de quelques lieues seule-
l'une des routes qui mènent du chef-
ment par le prolongement de la chaînedu
lieu de la province à Sétif.
Magris, l'une des montagnes qui sépa-
Cette route présente beaucoup d'ondu-
rent le bassin du Roumel de celui du
lations; elle coupe en travers un grand
Bou-Sellam. Au sud elle est limitée par
nombre d'affluents du Roumel. Un de
les crêtes du Bou-Taleb, qui appartient au
ces plis recèle les ruines célèbres de
massif de séparation entre le Sahara et
Djemila. Là, dans une charmante vallée,
le Tell. Dans l'est elle se prolonge au
arrosée et ombragée , vous retrouvez
delà du méridien de Constantine, et jus-
encore debout, après vingt siècles, les
qu'à la régence de Tunis; dans l'ouest
restes dune petite cité fastueuse, son
elle s'arrête au massif montagneux que
forum, sa basilique , ses temples et son
traversent les portes de Fer.
arc de triomphe, qui faillit obtenir les
Cette situation géographique jointe
honneurs d'un, voyage à Paris (1).
à l'admirable salubrité du climat explij
Nequittons pas Djemila sans rap-
que le rang que Sétif a occupé sous la
peler l'héroïque défense dont elle fut le
domination romaineetqu'elleestappelée
théâtre en 839, glorieux épisode auquel
1

inscrit en lettres à ressaisir sous la domination française:


il ne manqua , pour être
Placée à cheval sur les deux principaux
1

d'or dans nos annales militaires, qu'un


bassins de la province, à l'entrée d'un
historien. Djemila avait été occupée pen- domine l'un et
immense plateau qui les
dant quelques années, et partagea en
l'autre, en face d'une des portes prin-
1840 le sort de Mila.
cipales qui donnent accès dans le Sahara,
Sétif. Sétif compte parmi les positions maîtres-
ses auxquelles se rattachent, à toutes
sécurité dont n'a cessé de jouir
La
les époques, suivant les circonstances,
depuis cette époque la route de Cons- guerre.
les destinées de la paix ou de la
tantine à Sétif a éloigné les regrets
Dévastée dans les luttes incessantes
qu'aurait pu faire naître l'abandon des
du moyen âge elle demeura cependanl
,

centre de population et de production :

Ceux qui voudraient étudier dans leurs d'un


à cette époque elle jouissait encore
(i)
détails ces restes de l'architecture romaine
partie des travaux de grand renom pour ses plantations d(
devront consulter la
scientifique d'Algérie due à cotonniers et de noyers.
ia Commission
Ravoisié, l'un de ses membres. Plus tard, quand la conquête turque
M. A.
ALGÉRIE. 50

fut appesantie sur l'Afrique , Sétif parti- Un tremble colossal couvrait de son
cipa au mouvement général de décadence ombre la porte de l'ancienne citadelle
qui s'étendit à toute l'Algérie. La guerre et la source limpide qui baigne le pied

et l'anarchie avaient renversé ses mo-


de ses murs. Il abritait des myriades
numents et ses murailles ; la razia et d'oiseaux réfugiés sous son large feuil-
l'exaction achevèrent de ruiner son lage ; c'étaient là les seuls hôtes de cette
agriculture. Cependant, comme pour antique cité au moment où les Fran-
,

perpétuer le témoignage de son ancienne çais vinrent la doter d'une vie nouvelle.
splendeur, au milieu des ruines accu- Il existe dans les ruines de Sétif un

mulées dans son enceinte déserte, s'é- grand nombre d'inscriptions latines.
tablit un marché périodique, où les L'une d'elles m'a paru intéressante, parce
habitants de toutes les régions comprises qu'elle sembleannoncer l'existence d'une
dans l'ancien royaume de Bougie ve- colonie juive à Sétif antérieurement à
naient chaque dimanche apporter les la dispersion du peuple d'Israël. Je l'ai

produits de leur travail et se pourvoir trouvée sur une pierre renversée au


des denrées nécessaires à leur subsis- pied de la seconde enceinte, parmi d'au-
tance et à leur industrie. Sétif demeura tres débris épars et informes en voici la
;

ainsi ce qu'elle avait toujours été, ce traduction littérale Avilia Ester {aster)
:

qu'elle sera toujours, l'anneau d'alliance Judea. M. Avilius Janarius , père de la


entre la montagne et la plaine, entre la synagogue , à sa fille chérie.
population kabile et la population arabe. La population actuelle de Sétif se
C'est en 1838 que les Français pri- compose de 606 Européens, dont 440
rent possession des ruines de Sétif, ap- Français, et de 413 indigènes, dont 307
pelés par les indigènes eux-mêmes, qui musulmans, 8 nègres et 98 Israélites,
leur avaient révélé l'importance de cette sans compter la population indigène
position. Us y trouvèrent les restes de flottante, qui est de 93 personnes.
deux enceintes fortifiées, d'âges diffé- La ville de Sétif n'attend pour pren-
rents , de grandeur inégale. dre un accroissement rapide que l'ouver-
La première, élevée, suivant toute ap- ture de la communication avec Bougie,
parence, dans les beaux jours de la co- qui est son port naturel. Cet événement
lonie romaine, embrassait un espace doit être la conséquence inévitable et
d'environ 1000 mètres de longueur sur prochaine du développement pacifique de
900 de largeur. La seconde, contempo- notre influence et de notre domination.
raine de l'empire grec, se réduisait à un
Bordj-bou-Ariridj.
rectangïelongde 450 mètres, largede 300.
Dans l'angle occidental de cette enceinte Sétif forme la tête de l'occupation
s'élevait encore, presque intacte, l'an- française dans la province de Constan-
cienne acropole, carré long de 150 mè- tine." Au delà, dans l'ouest, il a existé
tres sur 120. jusqu'à l'année 1846 une trouée de
Les murs de celte seconde enceinte 270 kilomètres de largeur (68 lieues),
n'ont pas moins de trois mètres d'épais- dans laquelle l'action de l'autorité fran-
seur. Parmi les pierres employées dans la çaise ne s'exerçait que par le ministère
construction plusieurs portent des ins-
,
des agents indigènes.
criptions et des moulures ; ce qui prouve Le seul point de ce vaste espace où
qu'elles proviennent d'autres monu- flottait ledrapeau français était un petit
ments sur lesquels une première destruc- poste isolé, nommé Bordj-bou-Jriridj ,
tion avait passé. éloigné de Sétif de 70 kilomètres à
Il ne restait au moment de l'entrée l'ouest. Il est situé au milieu de la vaste
des Français à Sétif que le soubassement plaine de la Medjana large plateau qui
,

de la première enceinte, envahi sur plu- sépare la vallée méditerranéenne de


sieurs points par la terre et lesdécombres, l'Ouad-Akbou , de la vallée Saharienne
des restes beaucoup mieux conservés de du Hodna. Là un officier frauçais re-
laseconde , et un immense amas de pier- présentait et représente encore à lui
res de taille jetées pêle-mêle sur les cent seul , sur une immense surface, l'autorité
hectares de terrain qu'occupait la co- de la conquête. Il n'a pour garde qu'une
lonie romaine. compagnie de soldats indigènes recrutés
<}0 L'UNIVERS.
en grande partie dans la contrée qu'il cette contrée. C'est par cette porte de-
commande; il trouve en outre un appui meurée ouverte que le Jugurtha de
moral dans l'autorité deMokrani, le chef notre époque communiquait des ferti-
héréditaire de ces contrées, nommé les vallées du Tell dans les lacs salés du
khalifa de la Medjana par le gouverne- Sahara. Enfin l'occupation de ce poste
ment français , et dont la fidélité à notre fut résolue, et l'antique Auzia, appelée
cause ne s'est jamais démentie depuis par les Arabes Sour-el-Rezlan, est sortie
dix ans qu'il a juré de la servir. La juri- en ce moment de ses ruines, et devient
diction féodale de ce haut fonctionnaire sous le nom d'Aumale un des points
indigène s'étend sur les montagnes qui d'appui les plus efficaces de notre do-
dans les quatre directions cardinales mination dans le centre de l'Algérie.
bornent l'horizon de la Medjana; c'est Aumale est situé à 40 kilomètres
à la fois le plus grand seigneur et en à l'ouest de Bordj-bou-Ariridj et à 90 ki-
même temps plus riche propriétaire
le lomètres à l'est de Médéa. Il appartient
de l'Algérie , grand seigneur , dont
et ce à la province d'Alger.
la famille remonte à ces dynasties puis-
L'Isser.
santes maîtresses de l'Afrique et de
l'Espagne, ce riche propriétaire, dont Si en sortant d'Aumale lé voyageur
la fortune s'élève à un million au moins continue sa route vers l'ouest, sur les
et peut-être à deux millions de francs de plateaux du Tell , il entre dans le bassin
revenus, a obéi pendant longtemps à étroit de lTsser, sur lequel il n'existe pas
un simple capitaine d'infanterie, qui d'établissements français. Il atteint bien-'
n'avait pour appuyer son autorité qu'une tôt le remarquable plateau situé au sud-
centaine de sujets enrégimentés du est de Médéa, d'où s'échappent à la fois
prince indigène, sa fermeté personnelle lTsser , l'Arrach et le Chélif. En attei-
et la grandeur des intérêts qu'il repré- gnant les murs de Médéa il entre dans 1

sentait. la vallée du Chélif.

Aumale. Le Chélif. — Médéa.


L'immense lacune qui séparait Sétif Le Chélif est la plus étendue des riviè-
de Médéa n'a été comblée, imparfaite- res qui traversent le Tell. Il en est aussi,
ment encore, que vers le milieu de 1846. la plus remarquable. Il prend sa source

11 n'avait existé jusqu'à cette époque au- dans les flancs septentrionaux du Djebel-
cun établissement français dans le sud- Amour, montagne saharienne dont la!
est d'Alger. Aussi, pendant l'insurrec- base domine celles de toutes les monta-,
tion de 1S45 Abd-el-Kader y avait-il gnes de l'Algérie; en descendant de;
installé la base de ses opérations ; et on ce réservoir élevé le Chélif traverse une!
le vit pendant longtemps établi dans ce partie du Sahara du sud au nord
large espace, que la conquête française franchitdans une gorge profonde les mon^
laissait dégarni, promener sa victoire no- tagnes qui limitent le Tell , puis , durant
made du nord au sud, de la Kabilie aux l'espace de cinquante lieues environ, il
Oulâd-Naïl, toucher et ébranler à la fois coule parallèlement au littoral, et trouve
la province de Constantine et celle d'Al- enfin son issue à la mer , à quelques
ger. Le centre de ces oscillations , qui kilomètres à l'est de Mostaganem.
embrassait dans sa largeur méridienne Une des circonstances qui caractérisent
la moitié de l'Algérie, était un]col compris le cours du Chélif, la grande rivière du

entre deux hautes masses de montagnes, Tell , c'est qu'il sort du même berceau
le Dira et l'Ouennoura. Il occupe l'ex- que l'Ouad-el-Djedi , la grande ligne
trémité occidentale du large éventail de fond du Sahara , le fleuve Triton de
dessiné par les rameaux supérieurs de l'antiquité. A quelques kilomètres à peine
l'Ouad-Akbou. Là , sur un de ces af- des gorges qui recèlent les sources de
fluents , existaient les ruines d'une ville l'une s'ouvrent les gorges qui recèlent
romaine appelée Auzia , qui déjà à l'é- les sources de l'autre.
poque où les agitateurs numides inquié- Cependant il s'en faut encore de beau-
taient la domination romaine avait joué coup que le Chélif puisse se comparer
un rôle important dans les annales de à nos cours d'eau d'Europe. Dans la par-
ALGÉRIE. 61
tieinférieure de son cours il n'est point des et de feuillages, on lit une inscription
navigable , et dans la partie supérieure tumulaire consacrée à la mémoire de
il demeure presque toujours à sec. C'est l'évéque Reparatus. La date se rapporte
sur cette branche supérieure, au milieu à une ère spéciale qui la fait remonter
de la grande plaine saharienne du Sersou, aux premièresannées du cinquième siècle.
qu'est la station de Tagguîn , où s'ac- Orléansville offre cela de particulier
complit en 1843 l'enlèvement de la que parmi les monuments antiques dé-
zmala d'Abd-e! Kader par M. le duc couverts jusqu'ici la plupart appartien-
d'Aumale. nent au christianisme.
Le cours inférieur du Chélif se dé- La ville est située au bord du Chélif,
roule entre les deux massifs de l'Ouer- dans la plaine longue et monotone com-
senis etjdu Dahra , qui furent dans ces prise entre l'Ouersenis et le Dahra elle
;
dernières [années les deux principaux a suivi la progression hiérarchique de
foyers d'insurrection. Aussi est-ce dans tous nos établissements qui de camps
le bassin de ce fleuve que la domination ou même de simples postes se sont éle-
française a formé le plus grand nombre vés au rang de! cités. Elle compte une
relatif d'établissements. 11 en existe trois population européenne d'environ 700
sur les confins méridionaux du Tell : habitants, dont la moitié sont Français.
Boghar, à l'entrée de la rivière, dans Mais il paraît que cette fondation n'entre
la région des terres de labour et sur la pas encore dans les besoins et les ha-
route des caravanes qui d'Alger s'ache- bitudes indigènes; car la; population
minent vers le sud; indigène en résidence fixe se réduit à
ïeniet-el-Had, à l'extrémité orientale quatre personnes, et la population flot-
de l'Ouersenis ; tante est presque nulle.
Tiaret, à la source de la Mina, le Quant aux deux autres postes, Ammi-
principal affluent du Chélif. Mouça et Sidi-bel-Hacel, ils en sont en-
Sur la ligne médiane, celle qui partage core au premier degré de l'échelle hié-
en deux la largeur du Tell , le Chélif ne rarchique, celui de simples postes.
compte pas moinsdecinq établissements
français, qui sont Médéa , Miliana, Or- iWk Médéa.
léânsville, Ammi-Mouça et Sidi-bel-
Au premier rang des établissements
Hacel. Les deux premiers existaient fondés ou conservés par les Français
avant la conquête; autres sont
les trois dans le vaste bassin du Chélif figurent
d'origine française. les deux villes originairement indigènes
La place où s'élève aujourd'hui Or- de Médéa et de Miliana. Elles forment
léansville portait, avant que les Français
deux des principaux anneaux de la grande
s'y fussent installés, le nomd'El-Asnam
chaîne médiane tendue par l'occupation
(les idoles). Il y existait des ruines française de l'est à l'ouest de l'Algérie
considérables. On y a retrouvé depuis entre le littoral et le Sahara, chaîne
un grand nombre d'antiquités curieuses, dont l'importance;, mal comprise après
et particulièrement le pavé en mosaïque
une première apparition de nos troupes
d'une des plus anciennes basiliques de
à Médéa, après une autre apparition à
la chrétienté. Une inscription écrite en
Mascara, qui eut lieu quelques années
grands caractères la fait remonter aux
plus tard , après le séjour temporaire
premières années du troisième siècle.
d'une garnison française à ïlemcen, ne
La mosaïque n'a pas moins de quarante
fut mise dans tout son jour que par la
pas de longueur sur vingt-deux de lar-
prise et l'occupation définitive de Cons-
geur, sans y comprendre les bas-côtés,
tantine et de Sélif.
qui étaient séparés de la nef par deux
rangs de colonnes. A l'une des extré- vi.r . Médéa.
mités de ce pavé se trouvait l'autel et Aux détails donnés sur cette ville
îu-devant un agneau percé d'une flèche dans la première partie de cette publi*
3t des poissons. Le poisson était
autre- cation nous n'ajouterons que le com-
foisune image symbolique du christia- plément nécessité par les faits accom-
nisme. A l'extrémité opposée, au milieu plis depuis cette époque.
rime belle rosace entourée de guirlan- L'armée française prit définitivement
l'univers.
possession de Médéa le 17 mai 1840, long d'environ 25 mètres et large de 8,
dix ans après la première expédition construit en moellons et couvert en tui-
rapportée dans la notice que nous com- les; c'était une usine fondée par Abd-el-
plétons. Les Français trouvèrent la ville Kader. La façade, d'un style moderne,
déserte; elle avait été entièrement éva- reposait sur trois arceaux réguliers en
cuée par les habitants , qui depuis sont plein cintre. Cet établissement contenait
revenus en grand nombre se ranger sous cinq fourneaux à la catalane alimentés
la loi française. par une trompe ; une retenue d'eau prati-
Au commencement de 1847 la popu- quée dans le ravin faisait mouvoir un
lation indigène de Médéa
se composait martinet , auprès duquel on trouva quel-
de 3, 578 indigènes, dont 2,887 musul- ques ébauches grossières de bayonnettes.
mans, 65 nègres et 626 Israélites. Le territoire de Miliana paraît réunir
Quant à la population Européenne, plusieurs éléments de prospérité indus--
elle comptait 1,390 personnes, dont 776 trielle; on assure que le Zakkar ren-
français. ferme une mine de cuivre et un magnifî-:
que banc de marbre. On a trouvé dans le
Miliana,
voisinage de la ville des gisements de sul-
Le 8 juin 1840 les Français entrèrent fure de plomb , d'oxyde et de carbonate
à Miliana; ils la trouvèrent abandonnée de fer. Près de la forge d'Abd-el-Kader
par les habitants et livrée aux flammes. il existe de riches affleurements, qui, se-

Cette ville est située à 900 mètres lon toute apparence, ont fourni leur mi-
environ au-dessus du niveau de la mer, nerai à l'usine créée par l'émir; car on
et dominée au nord par le mont Zak- a retrouvé autour de l'établissement dei
kar, qui a lui-même 1,534 mètres d'élé- débris de même nature.
vation. Les magnifiques vergers qui La domination romaine a laissé à
l'entourent, les eaux vives qui l'arrosent Miliana des traces non équivoques d^
et l'animent, le voisinage imposant du son passage ; un reste de voie romaine
Zakkar , font de Miliana l'un des sites existe encore aux environs de la ville;
les plus pittoresques de l'Algérie. le temps a même conservé la façade d'ur
Elle présentée formed'une ellipse res- édifice qui date de cette époque. Beauj
serrée entre deux ravins, dont les escar- coup de blocs de marbre dont plusieurs
pements naturels lui serventde remparts. portent des bas-reliefs et des inscrip-
La kasba occupe l'une des extrémités tions gisent épars dans l'intérieur d<
du grand axe. Comme la plupart des cités Penceinte. L'un de ces bas-reliefs repré
musulmanes, la ville est sillonnée de rues sente un homme à cheval, tenant un»
étroites et tortueuses. Les maisons sont épée dans une main et un rameau dam
construites en pisé blanchi à la chaux; l'autre.
elles secomposent d'un rez-de-chaussée Au commencement de 1847 la populaj
et d'un étage avec une galerie quadran- tion indigène de Miliana se composai
gulaire intérieure, forme habituelle des de 1,247 habitants, et la populatioi
maisons moresques. Un oranger ou un européenne de 1,210, dont 793 Français
citronnier planté dans la plupart des
cours y répand son ombre et ses par- La Makta.
fums ; une multitude de canaux souter- À la vallée du Chélif succède, dans 1

rains alimentent les fontaines publiques direction de l'est à l'ouest, celle de 1


et les habitations particulières. Makta. Elle est formée de deux bra
La ville ne renferme pas moins de principaux , l'Habra et le Sig. C'est ver
vingt-cinq mosquées. L'une d'elles sert leur confluent , dans la plaine étroite e
de sépulture à un maraboutcélèbre, Sidi- marécageuse qui le sépare de la mer
Ahmed-ben-Ioucef, dont la famille a qu'eut lieu en juin 1835 le malheureu
fourni la souche de plusieurs tribus con- combat de la Makta , une de ces gloriei ;

sidérables. ses épreuves où la grandeur d'âme d'u


A quelque distance à l'est de la ville, général en chef l'élève souvent plus haï
dans un des ravins qui la bordent les , dans l'opinion des hommes que nei
Français trouvèrent, au moment de pu le faire une victoire.
la prise de possession, un bâtiment Sur le cours de l'Habra se présenter
ALGÉRIE. 63

Ife camp Perregaux , qui porte le nom général de Ternir , le point de départ de
d'un des martyrs de la conquête; puis sa fortune.
un simple poste-étape jeté sur la route Selon les traditions locales recueillies
d'Oran à Mascara, et enfin Mascara elle- par les Taleb, ces archivistes de l'Algérie,
même. Deux autres établissements fran- Mascara aurait été bâtie par les Ber-
çais situés aux sources méridionales de bères sur les ruines d'une cité romaine.
la rivière,Saïda et Daïa, appartiennent L'étymologie d'ailleurs lui assignerait
à cette ligne de vigies permanentes éle- une origine guerrière car Mascara si-
;

vées en 1844 sur les confins du Tell , là gnifie la ville aux armées.
où les tribus sahariennes viennent an- Cette ville, telle que les indigènes nous
nuellement chercher leur pain. l'ont laissée, se divise en plusieurs par-
Le second bras de la Makta , le Sig, ties séparées entre elles . La villed'abord,
possède deux établissements de nature puis faubourg de Baba-Ali au nord
le ,

différente , la commune agricole fondée celui d'Aïn-el-Baïda au sud un autre ,

par la compagnie de l'Union du Sig et le petit faubourg à l'est, et enfin celui d'Ar-
poste de Sidi-bel-Abbès, où eut lieu dans koub-Ismaïl, construit, il y a moins d'un
les premiers jours de 1845 l'audacieux siècle ,
par les Turcs.
coup de main de soixante-huit visionnai- La deux portes , et une po-
ville avait
res indigènes enrôlés sous la bannière terne ou porte de secours, donnant sur
mystique de Mouléï-Taïeb (1). un ravin qui la traverse. De belles eaux
De ces différents nœuds
qui forment provenant d'une source abondante y ar-
leréseau actuel de l'occupation française rivaient par des canaux d'une distance de
dans le bassin de la Makta le plus" im-
, 3,000 mètres.
portant est Mascara, ville de création Les Français, devenus maîtres de
indigène qui fut sous les Turcs le siège
,
Mascara, l'approprièrent à leur usage.
du beylik de l'ouest jusqu'au moment Le petit faubourg de l'est disparut, et
de l'évacuation d'Oran par les Espagnols, les trois autres, réunis par une enceinte
et dont l'occupation définitive par les continue, forment aujourd'hui une seule
Français eut lieu le 30 mai 1841. et même place , traversée par un cours
d'eau qui ne tarit pas , l'Ouad-Sidi-Tou-
Mascara. dman.
Mascara a unekasba ou citadelle, si-
A quarante-cinq
kilomètres au sud de tuée au nord et isolée de la ville par une
Mostdgnem s'élève une montagne qui muraille en pisé; elle possède en outre
domine au nord lecoursdel'Habra. Elle a plusieurs mosquées remarquables par l'é-
été baptisée par les indigènes du nom pit-
légance de leur architecture, un îondouk
toresque de Chareb°er-Rih, la lèvre du
ou caravansérail , un marché un pa- ,
vent, parce que les bourrasques qui fré-
lais, qui fut la résidence des beys, et la
quemment s'engouffrent dans ses gorges caserne des réguliers de l'émir dans la
y font entendre des bruits sourds sem- kasba.
blables à de grandes et mystérieuses pa-
Les environs de Mascara, dans un
roles. Le sommet de Chafeb-er-Rih voit
rayon de plusieurs kilomètres, étalent
se dérouler autour de lui un magnifique
une végétation riche et active la vigne, :
panorama au nord la mer depuis Oran
:
Je figuier de Barbarie, le figuier d'Eu-
jusqu'au Chelif à Test les montagnes
;
rope, y mêlent leur verdure à celle de l'o-
qui bordent les deux rives du fleuve;
livier, de l'amandier , du coignassier et
au sud les dernières cimes de la chaîne
de plusieurs arbres fruitiers de nos cli-
au delà de laquelle commence le Sahara.
mats.
C'est sur le versant méridional du
La guerre a ruiné l'industrie de Mas-
Chareb er-Rih, et au-dessus de la plaine
cara ; mais au temps de sa prospérité elle
d'Eglires, qui fut le berceau d'Abd-el-
exploitait une
spécialité importante :
Kader, qu'est assise l'ancienne capitale
c'était fabrication de ces bernous
la
du beylik de l'ouest , l'ancien quartier
noirs qui jouissaient dans toute la Bar-
barie d'une juste réputation d'élégance
'
(i) Nous ferons connaître plus tard l'ori- et de solidité.
gine et la nature de ces associations. Dans les premiers temps de sa for-
oi L'TJMVERS.
tune, l'émir avait formé le projet d'é- hautes roches" d'un rouge ardent encais-
tablir àMascara le siège de son gou- sent les deux rives et servent de base à
,

vernement; il y avait réuni un grand des végétations de natures diverses. Dans


nombre d'ouvriers européens. Mais la lapartiesupérieure,des noyers séculaires,
prise de cette ville par les troupes fran- des cerisiers, des ormes, des frênes,
çaises en 1836 dérangea ses plans ; les des sureaux à larges feuilles déploient
ouvriers furent dirigés sur Tagdemt, leur luxe septentrional ; tandis qu'à leur
Médéa et;Miliana, qui devaient éprouver pied le jujubier, le figuier, l'olivier, le
le même sort quelques années après. laurier-rose , le lentisque , le nopal
Au commencement de 1847 la popu- le caroubier , reliés entre eux par les
lation de Mascara se composait de 1,202 nœuds de la vigne sauvage , abritent en-
Européens , dont 698 ^Français , et de core sous leur feuillage épais l'acanthe,
2,695 indigènes, dont 2^292 musulmans. l'angélique , l'asphodèle , le narcisse et
la violette, accrochés aux! vieux troncs
La Tafna. morts qui pendent sur l'abîme. La ronce
La Tafna acquis depuis l'occu-
s'est et le lierre en tapissent les escarpements,
pation française un grand renom diplo- et forment comme la tenture de ce sanc-
matique c'est vers l'embouchure de cette
; tuaire sauvage, appelé par les indigènes
rivière que fut conclu le 30 mai 1837, , el-Redir ou le lac.
le fameux traité qui porte son nom. La ville est dominée au sud par des
C'est encore sur un de ses affluents montagnes qui tempèrent l'action des
vers la frontière du Maroc, que fut signé vents du midi. L'hiver s'y fait même
le 18 mars]1845 un autre traité, celui sentir parfois assez rudement. Cepen-
de Leïla-Marnia qui fixait la délimita-
,
dant la chaleur moyenne suffit pour con-
tion de l'Algérie. duire à maturité la plupart des fruits
Resserrée dans la partie inférieure de du midi de la France.
son cours, la Tafna, à quelque distance Comme presque toutes les villes du
de la mer, s'épanouit en deux belles val- nord de l'Afrique exposées au moyen
lées, à l'ouest la Tafna supérieure et à âge à des incursions fréquentes , Tlem-
l'est Tisser. Toutes deux prennent nais- cen reposait par trois de ses faces sur
sance dans; le voisinage du poste fran- des escarpements abruptes; elle n'était
çais deSebdou, et circonscrivent, en accessible que par le sud-ouest , où la
descendant de là , un large plateau dont plaine venait se rattacher aux dernières
la ville de Tlemcen occupe le centre. pentes des montagnes.
Dans cette ville, aujourd'hui si ré-
TLEMCEN. duite, si mutilée, saluons un des plus
Elle est assise dans une riche plaine, grands débris historiques de l'Algérie, de )

détachée de la masse du plateau par deux ce reliquaire si riche en gloires éteintes,


rivières , le qui vont
Safsaf et l'Hanaia ,
en grandeurs déchues. Bâtie sur les
se rendre dans la Tafna
dans Tisser. et ruines d'une cité romaine Tlemcen pa-
,

L'aspect de la campagne autour de raît avoir porté sous la domination des


Tlemcen explique en partie l'importance Césars le titre de colonie. Mais sa véri-
qu'elle a prise entre les mains des mu- table splendeur né date point de cette
sulmans, si amoureuxdes beaux paysages époque; elle est toute sarrasine. Toute-
et des sites pittoresques. Que d'attraits fois sous les constructions élevées par
par exemple devaient avoir pour eux les les émirs Almohades , maîtres de l'Afri-
bords du Safsaf! De la haute vallée de que et de l'Espagne il existe encore un
,

Mafrouch , où il prend naissance , il se amas de ruines qui remontent à la pre-


précipite dans un gouffre de trois cents mière époque. Une fouie d'inscriptions
mètres de profondeur pa>r six cataractes tumulaires, quelques inscriptions histo-
successives , qui toutes ont creusé leur riques , prouvent que cet établissement
bassin. Dans ces chutes successives tan- avant même que les révolutions musul-
tôt la rivière s'allonge en nappe bril- manes l'eussent élevé au rang de capi-
lante tantôt elle se divise en filets écu-
, tale, ne fut pas sans quelque importance.
meux , dont l'obscurité du gouffre fait Parmi les inscriptions latines décou-
ressortir la blancheur éclatante. De vertes il s'en trouve une qui semblerait
ALGÉRIE. £5

placer cette ville parmi les colonies mi- isolés les uns des autres et munis de
litaires. M. Azema de Montgravier,
qui remparts. Ils portaient les noms des dif-
s'est livré à des études spéciales sur férents corps d'état qui les habitaient.
ïlemcen a observé une analogie géné-
, Les ouvrages qui sortaient de leurs
rale dans le caractère des ruines qui ateliers étaient en général fort recher-
bordent la frontière occidentale de l'Al- chés ; c'étaient, des casaques de laine ap-
gérie. Il a signalé en outre une ressem- pelées kabbout, d'ouest venu sans doute
blance curieuse entre ces ruines et les notre mot capote , de riches tapis, des
constructions militaires retrouvées sur sayes et des mantes si fines, qu'il s'en
les bords du Rhin et dans d'autres pays trouve, dit Marmol , qui ne pèsent pas
limitrophes entre les Romains et les dix onces. Us fabriquaient en outre des
barbares. harnais de prix avec de beaux étriers,
Mais laissons la colonie des Gordiens des mors, des éperons et des têtières, les
dormir dans la tombe que le temps et meilleures qui se fissent alors en Afri-
le génie des peuples africains lui ont que, dont les ouvriers, ajoute encore
creusée, et revenons à la ville musulmane, Marmol , gagnent bien de quoi vivre et
quitintlerang de capitaledepuis le milieu de quoi passer leur temps.
du treizième siècle jusqu'au milieu du Au midi de la ville s'élevait le palais
seizième. du roi. C'était une forteresse fermée
Toutefois, dès avant le treizième siècle de murailles ; deux portes y donnaient
Tlemcen occupait déjà une place émi- accès.L'une d'elles, celle d'Agadir, a lé-
nente parmi les villes d'Afrique; car gué son nom à un faubourg en ruines que
sous le règne d'Abou-Tachfîn, le premier l'enceinte actuelle laisse en dehors , et
des Almoravides , elle ne contenait pas qui fut construit originairement sur la
moins de 16,000 feux, ce qui suppose nécropole romaine; ce qui apparaît par
une population de 90,000 habitants. le grand nombre de pierres tumuiaires
Environ deux siècles après, sous la et d'inscriptions votives que l'on y dé-
dynastie des Beni-Zeïan , Tlemcen ren- couvre. Les historiens qui ont assisté
fermait tout ce qui caractérise les gran- au déclin de Tlemcen parlent avec ad-
des villes, de belles et riches mosquées, et miration de la fraîcheur et de l'abon-
cinq grandes écoles ornées de mosaï- dance des eaux que la muniOcence des
ques, élevées par les princes Zenata. princes berbères avait fait venir par des
Des revenus affectés à l'entretien de conduits souterrains; des maisons de
ces établissements permettaient d'offrir plaisance que les habitants s'étaient fait
l'instruction gratuite à un certain nom- bâtir autour de la ville pour y passer
bre de jeunes musulmans qui venaient ,
l'été, et enfin des forêts d'oliviers, de
y étudier, sous les maîtres les plus re- noyers, de vignes et d'arbres à fruits de
nommés, le dogme
religieux et les scien- toutes sortes qui ombrageaient au loin la
ces naturelles. Ajoutez à cela des bains campagne. Léon l'Africain, qui aécrit ses
et des fondouks ou caravansérails, où voyages en Europe et qui avait parcouru
les négociants, qui à cette époque d'immenses contrées, dit n'avoir vu en
faisaient un grand commerce avec la aucun autre lieu autant de cerises qu'il
Guinée, entreposaient la poudre d'or, en vit à Tlemcen.
l'ambre gris le musc de civette et les
, Au commmencement du seizième
autres productions de ces contrées loin- siècle capitale des Beni-Zeian était,
la
taines. Les relations commerciales entre encore une ville puissante. Mais alors
Tlemcen et le pays des noirs étaient une série d'événements , provoqués par
si actives et si lucratives , qu'il suffisait, l'imprudence des habitants eux-mêmes,
suivant Marmol, de deux ou trois voya- vint la précipiter dans un abîme de
ges pour faire la fortune d'un trafi- maux, et nous donne le secret de la plu-
quant. Parmi les fondouks il y en avait part des grandes destructions dont le
deux réservés aux marchands génois et sol de l'Afrique porte l'empreinte.
vénitiens . qui venaient y acheter, pour C'était en 1517; il y avait deux ans
les verser en Europe , les marchandises que Barberousse s'était emparé d'Alger ;
apportées par les caravanes. il y en avait huit que les Espagnols
La ville était divisée en quartiers occupaient Oran. Deux factions rivales
5e Livraison. ( Algébie.)
m L'UNIVERS.
se disputaient le gouvernement de Tlem- et ses sept fils et pendre avec la toile
cen. L'une avait à sa tête Bou-Zeïan, de leurs turbans aux piliers de la galerie.
frère du dernier roi, et l'autre Bou- En même temps il se faisait amener
Hammou, qui était son fils. tous les membres de cette famille, et les
Bou-Zeïan s'appuyait sur le suffrage précipitait lui-même dans un étang
des Arabes, et à ce titre sa cause parais- prenant plaisir, dit Marmol , à leurs
sait la plus juste; mais Bou-Hammou postures et à leurs grimaces.
avait invoqué l'assistance des Espagnols, Enfin, pour couronner toutes ces
et il était demeuré le plus fort. A l'aide atrocités par une dernière il attira chez
,

de ce secours étranger, de cette dange- lui soixante et dix des principaux habi-
reuse intervention des chrétiens, il avait tants, de ceux qui l'avaient appelé à
détrôné son oncle, et le tenait en prison. leur secours, et les fit massacrer sous
Sur ces entrefaites Haroudj-Barbe- ses yeux , dans la crainte , disait-il, qu'ils
rousse s'empara de Tènès. Cette expédi- ne conspirassent contre lui. Après quoi
tion lerapprochait de Tlemcen. Les par- il se fit proclamer roi de Tlemcen sous
tisans de Bou-Zeïan voyant en lui le
, l'autorité du grand seigneur.
champion de la guerre sainte, lui dé- C'est de cette manière que, suivant
putèrent deux des principaux habitants les écrivains espagnols , Tlemcen tomba
pour l'informer de la situation de leur une première fois au pouvoir des Turcs.
ville et implorer son secours en faveur Mais leur triomphe devait être aussi
du roi légitime contre l'usurpateur que court qu'il avait été cruel et félon.
les armes infidèles leur avaient imposé. Bou-Hammou avait pris la fuite avec
Barberousse ne laissa point échapper ses femmes, ses enfants et ses richesses,
une si belle occasion; et, confiant Alger plus heureux dans sa défaite que son
à la garde de son frère Khaïr ed-Din, compétiteur dans sa victoire. 11 s'était

ii prit incontinent la route de Tlemcen. réfugié à où commandait alors


Oran ,

Chemin faisant il recruta bon nombre don Diego de Cordova, marquis de


d'Arabes et de Berbères, jaloux de com- Comarès. De là il passa en Espagne
battre pour une cause que l'intervention pour aller implorer l'appui du roi don
des Espagnols leur faisait regarder Carlos, devenu plus tard Charles-Quint.
comme nationale. Bou-Hammou sortit Presque en même temps arrivait à
de Tlemcen, et se porta à la rencontre Oran un cheik puissant des environs
des Turcs il les atteignit à
: quelques de Tlemcen, nommé Bou-Rekkaba qui ,

lieues d'Oran ( septembre 1517). Mais venait, lui aussi, invoquer l'assistance
à peine l'action était-elle engagée, que des Espagnols contre les Turcs. Le mar-
ses troupes prirent la fuite, écrasées par quis de Comarès lui accorda immédia- j

l'artillerie et la mousqueterie, deux tement un secours de trois cents hom- j

instruments nouveaux dont les Arabes, mes. Bou-Rekkaba sut si bien en tirer ;

connaissaient à peine l'usage. Barberousselui-même


parti, qu'il obligea
^

Barberousse ne tarda pas à paraître de demander du renfort à son frère/


devant Tlemcen. Un instant les partisans Khaïr-ed-Din. Celui-ci lui envoya aus- ;

de Bou-Hammou voulurent fermer les sitôt six cents Turcs.


portes et prendre les armes; mais leurs Mais marquis de Comarès, averti
le
adversaires soulevèrent le peuple contre à temps de la marche de cette colonne
eux, et introduisirent Barberousse. Tou- fit partir d'Oran à sa rencontre six
tefois , comme poussés par un pressen- cents Espagnols. Les Turcs, peu curieux
timent des malheurs qui les menaçaient, d'engager un combat à forces égales, se
avant qu'il eût franchi le seuil , ils lui jettent dans la forteresse de Kala. Les
firent jurer sur le Koran qu'il ne porte- Espagnols arrivent et campent au pied
rait aucun dommage aux habitants et des murailles; mais, par une nuit obs-
qu'il rendrait le trône à Bou-Zeïan. cure, ils se laissent surprendre quatre :

Maître de la ville, Barberousse sembla cents hommes sont massacrés; les deux
disposé à tenir sa promesse; du moins cents qui survivent se sauvent à Oran
il fit mettre le prince en liberté. Mais où ils vont porter cette triste nouvelle.
quelques jours après, feignant d'aller Comarès ne perd pas un instant , et
prendre congé de lui , il le fit saisir lui fait partir le colonel Martin Argote avec
,,

ALGÉRIE. 67

deux mïîle hommes


quelques cava-
et Ainsi périt le fondateur de la ré-
liers. Cet officier fait tant de diligence gence d'Alger. Toute l'Europe accueillit
qu'il retrouve encore les Turcs à Kala la nouvelle de sa mort avec des trans-
où ils s'étaient oubliés dans l'ivresse de ports de joie par une erreur assez com-
:

leur victoire. Il assiège la place, y ouvre mune, qui porte les hommes à concen-
une brèche à l'aide de la mine, et la trer dans un seul toutes leurs espérances
force à capituler. Mais à peine la con- et toutes leurs craintes, elle se flatta qu'a-
vention était-elle signée qu'une querelle vec Barberousse la piraterie avait dis-
s'engage entre un Turc et un chrétien; paru; mais elle reconnut bientôt quel
celui-ci tue son adversaire on court aux : mécompte l'avenir lui réservait.
armes les Espagnols oublient la parole
: Bou-Hammou , rétabli sur le trône,
qu'ils viennent de donner et massacrent s'engagea à payer à l'Espagne un tribut
la garnison. annuel de 12,000 ducats d'or, douze
Martin Argote marche alors sur Tîem- chevaux et six gerfauts femelles; rede-
cen,où il joint ses forces àcelles du cheik vance qu'il acquitta fidèlement pendant
Bou-Rekkaba. Barberousse s'y était en- toute sa vie.
fermé, attendant avec impatience le Mais Abdallah, son frère et son suc-
détachement que Martin Argost venait cesseur, rompit letraité, à l'instigation de
de détruire. Bientôt menacé au dedans quelques marabouts et surtout de Khaïr-
pressé au dehors, le corsaire sentit qu'il ed-Din, et refusa de rien payer. En mou-
n'y avait plus pour lui de chances de sa- rant il laissa deux fils, Mouleï-Abd-Aîlah
lut que dans la fuite. Il ramasse donc et Mouleï- Ahmed. Ce dernier, qui était le
ses richesses, et sort secrètement par une plus jeune , obtint l'appui de Khaïr-ed-
poterne, emmenant avec lui tous ses Din, et s'empara du pouvoir. Abd-Allah
Turcs et quelques Arabes; mais le colonel se jeta alors dans les bras des Espagnols,
Argote, informé de son départ, s'atta- Le gouverneur d'Oran lui donna un dé-
che à ses traces, et le poursuit durant tachement composé de six cents hommes
l'espace de trente lieues. Barberousse a et de quatre bouches à feu, et commandé
recours à une dernière ruse. Il répand par Aifonse Martinez. Cette troupe par-
sur son chemin de l'or, de l'argent mon- tie d'Oran s'avança péniblement jusqu'à
nayé, de la vaisselle et tous les objets cinq lieues de Tle'mcen ; là elle fut enve-
précieux qu'il emportait avec lui peut- : loppée par une multitude d'Arabes et
être les Espagnols s'arrêteront-ils a les taillée en pièces. Des six cent hommes il
ramasser. Mais il n'en fut rien. Aban- n'y en eut que vingt qui parvinrent à re-
donné par quelques-uns de ses compa- gagner Oran; treize furent faits prison-
gnons accablé de fatigue et de soif, le
, niers ; le reste périt.
corsaire se jette en desespéré dans les Charles-Quint sentit qu'il ne pouvait
ruinesd'uneancienneforteresse.Là,avec laisser la domination espagnole sous le
le petit nombredhommesqui lui restent coup d'un pareil échec, et chargea le
fidèles, oppose encore une résistance
il comte d'Alcaudète de le venger. Ce gé-
héroïque. Mais l'alferez Garcia de Tineo néral quitta Oran le 27 janvier 1543, à
lui porte un coup de lance qui le ren- la tête de neuf mille hommes d'infan-
verse, et se précipitesur lui; Barberousse terie et de quatre cents chevaux.
jeté à terre combat encore , et dans un A peine fut-il éloigné de la ville de
effort suprême le blesse à la main. Enfin quelques lieues que des nuées d'Arabes
il succombe. Sa tête est aussitôt séparée commencèrent à l'assaillir et le harcelè-
de son corps; elle fut portée à Oran au rent sans relâche jusqu'auprès deTlem-
bout d'une pique, et promenée, dit-on ,
cen. Là il trouva l'armée de Mouleï-
dans toute l'Espagne comme un glorieux Ahmed , et engagea contre elle un corn*
trophée. Ses vêtements, qui étaient de bat plus sérieux et plus décisif.
brocard cramoisi, furent envoyés à A cette époque l'arquebuse était en-
Cordoue et déposés dans le monastère de core pour les Africains une arme nou-
Saint-Jérôme, où les religieux en firent velle, qu'ils maniaient avec peu d'a-
une châsse que l'on montrait encore long- dresse. Aussi l'armée espagnole eut-elle
temps après sous le nom de Capa de plus à souffrir de leurs flèches que de
JSabaroxa. leurs balles. .Néanmoins la victoire resta
68 L'UNIVERS.
aux chrétiens et le comte d'Àlcaudète
, nom de l'Espagne, l'alliance qui s'offrait
put bivouaquer sur le champ de bataille. à et passa aussitôt en Andalousie
lui ,

Le lendemain l'armée entra dans Tlem- pour y lever des troupes. Il revint bien-
cen qu'elle saccagea d'un bout à l'au-
,
tôt à Oran, et entra en campagne avec
tre, dit Marmol tuant ou faisant pri-
, un corpsde dix-huit cents hommes. Cette
sonnier tout ce qu'elle rencontra. fois il fut accueilli à bras ouverts par
Le comte d'Alcaudète resta quarante toutes les tribus qu'il traversa. Chacune
jours àTlemcen. Il avait réinstallé Abd- lui envoyait son contingent; il voyait
Allah dans sa capitale ; mais pendant ce à chaque pas grossir ses troupes. Com-
temps Ahmed recrutait des partisans bien cette expédition différait de la pre-
parmi les tribus, et à peine les Espagnols mière, où les mêmes tribus Pavaient
avaient-ils quitté la ville, qu'il reparut harcelé jusqu'aux portes de Tlemcen !

à la tête d'une armée. Abd-Allah mar- Bientôt il trouva l'armée de Mouleï-


cha à sa rencontre , et remporta une vic- Ahmed forte de cinq mille hommes,
toire complète : mais quand il se pré- commandée par le mezouar de Tlemcen,
senta pour rentrer dans Tlemcen, les oncle et beau-père du roi. Celui-ci
habitants refusèrent de le recevoir. Priè- voulut fêter l'arrivée du gouverneur , et
res, menaces, promesses, tout fut inutile. lui donna le spectacle d'une grande
Enfin il se retira, et prit avec cinquante fantasia. Les deux armées avaient opéré
chevaux seulement la rouie du désert leur jonction sur les ruines d'Arbal.
champ d'asile des ambitions déçues. Le comte y passa trois jours, et se remit
Bientôt ses derniers partisans l'eurent en marche vers Tlemcen.
abandonné; sa tête fut apportée aux Il ne devait pas tarder à rencontrer

pieds de son frère, qui venait de remon- l'armée turque, et les circonstances fa-
ter sur le trône. vorables qui avaient marqué le début
Cependant les Turcs n'avaient point de l'expédition lui faisaient attendre im-
encore réussi à se maintenir dans Tlem- patiemment la lutte qui allait s'engager.
cen. Maîtres de presque toutes les vil- Mais il était écrit que cette fois encore
les de l'Algérie, ils regardaient avec et sans combat , Tlemcen échapperait
raison la conquête de cette capitale aux Turcs.
d'un royaume comme le complément Tandis que l'armée arabe-espagnole
nécessaire de leur domination. Ils sai- s'approchait de la ville, un envoyé du
sirent pour l'entreprendre le premier roi de France le chevalier de Lanis
,

prétexte qui se présenta. Ce fut encore arrivaitau camp d'Hacen-Pacha, etvenait


la discorde qui le leur fournit. luiapprendre la mort de son père. Dès
Un second frère de Mouleï-Ahmed ve- lors il renonça à ses projets de con-
nait d'apparaître sur la scène ; il s'était quête; il sentit combien, dans cette
rendu à Alger, et là il implorait l'assis- circonstance, sa présence était néces-\
tance de Hacen- Pacha pour l'aider à saire à Alger, et il eut hâte de conclure
s'emparer de Tlemcen. Le fils de Khaïr- la paix. Il consentit à retirer la garni-:
ed-Din ne se fit pas beaucoup prier. Il son qu'il avait jetée dans Tlemcen
partit au commencement de juin 1547 s'engagea à ne jamais inquiéter Mouleï-
sous la conduite du nouveau préten- Ahmed, et le reconnut pour vassal de
dant et marcha sur Tlemcen à la tête
, l'Espagne.
d'une armée composée de cinq mille ar- Après deux jours pendant lesquels
quebusiers turcs ou renégats , de mille toute l'armée turque paya à la mémoire
spahis et de dix bouches à feu. A la nou- de Khaïr-ed-l)in un tribut unanime de
velle de l'approche des Turcs , Mouleï- regrets Hacen-Pacha , vêtu de deuil et
,

Ahmed se hâta de quitter Tlemcen , et monté sur un cheval noir, donna le si-
se réfugia à Oran ; et l'on vit, par un sin- gnal du départ (l).
gulier retour de fortune, ce prince, qui Mouleï-Ahmed ne demeura pas long-
avait combattu les Espagnols, qui avait temps sur le trône où l'intervention
anéanti une de leurs colonnes, venir espagnole venait de le replacer. Mais
implorer leur protection contre les
Turcs, ses anciens alliés. (i) Histoire d'Alger, par M. Ch. de Piota-

Le comte d'Alcaudète accepta, au lier


, ,

ALGÉRIE.
cette fois l'initiative des intrigues qui Haroudj Barberousse fuyant de Tlem-
,

amenèrent sa chute ne partit ni d'Oran cen , avait trouvé la mort.


ni d'Aiger. Abd-el-Kader fit face à l'ennemi , et
Dans le temps où les Espagnols s'em- se montra prêt à combattre. Alors ce
paraient d'Oran où Barberousse éta-
, fut le renégat Hacen qui à son tour,
,

blissait l'autorité turque à Alger , il s'é- craignit de risquer une bataille si loin
levait Maroc une dynastie nou-
dans le d'Aiger. Il fallut que le Berbère Abd-el-
velle , des chérifs , dynastie non
celle Aziz, indigné de la faiblesse du chef
moins ambitieuse que l'occupation es- s'élançât lui-même à la tête de ses ban-
pagnole et le gouvernement turc. Elle des kabiles et entraînât Ses Turcs par
avait établi à Fès le siège de son auto- son exemple. Bientôt il atteignit le ché-
rité. C'est là que, délaissé par Hacen-Pa- rif, le tua, et décida le gain de la bataille.

cha , le prétendant, frère de Mouleï- Ah- Les Turcs entrèrent en triomphe dans
med avait cherché un refuge. A l'aide
, Tlemcen qui fut livrée au pillage pen-
,

des intelligences qu'il s'était ménagées, dant plusieurs jours. Enfin Hacen le
il parvint à se créer un parti à Tlemcen Corse convoqua en conseil les chefs
et quand il le crut assez fort il éleva de l'armée pour statuer sur le sort de
,

de nouveau ses prétentions , et sollicita leur nouvelle conquête. Il fut décidé que
l'intervention marocaine. l'autorité des princesmaures serait abo-
Le chérif, qui convoitait pour son nou- lie, que Tlemcen recevrait une garnison
vel empire le beau royaume de Tlemcen, turque et serait gouvernée par un lieu-
trouva l'occasion favorable et l'accueillit. tenant du pacha. Le kaïd Saffa, Turc
En 1550 une armée marocaine, forte de naissance, et l'un des premiers offi-
de dix mille hommes entra en campa- , ciers de l'armée, fut désigné pour en
gne elle était commandée par les deux
: être le premier gouverneur. Il resta donc
fils du sultan , Mouleï- Abd-el-Kader et dans Tlemcen avec quinze cents janis=
Mouleï-Abd-Allah. saires, dix pièces d'artillerie et un ap=
Mouleï-Ahmed ne les attendit pas , et provisionnement considérable de mu=
se réfugia à Oran. Les deux frères en- nitions de guerre (1).
trèrent sans résistance dans Tlemcen. L'armée victorieuse reprit le chemin
Abd-Allah se chargea d'occuper la ville, d'Alger, portant devant elle au bout
tandis que son frère irait entreprendre d'une pique la tête d'Abd-el-Kader , le
de nouvelles conquêtes. Use dirigea d'a- ehérif vaincu. Pour conserver la mé-
bord sur Mostaganem. moire d'une expédition aussi glorieuse,
A la nouvelle de cette marche auda- Hacen-Pacha voulut que cette tête res-
cieuse, Hacen-Pacha réunit à la hâte tât suspendue dans une cage de fer,
toutes les troupes disponibles. Il de- sous la voûte de la porte Bab-Azoun*
manda aussi des secours à Abd-el-Aziz, Elle y demeura jusqu'en l'année 1573
cheik des Beni-Abbès (1), qui accourut C'est ainsi que l'ancien royaume de
lui-même à la tête de ses Berbères. L'ar- Tlemcen devint une province turque.
mée fut placée sous les ordres d'un Retardée une première fois par la mort
renégat corse , nommé Hacen : elle se d'Haroudj-Barberousse, ajournée une se-
composait de cinq cents arquebusiers re- conde fois par ia mort de Khaïr-ed-Din,
négats ou turcs , de mille spahis et de cette conquête ne s'accomplitque trente
dix bouches à feu. Le chérif n'osa point deux ans après la première tentative,
attendre des forces aussi considérables ; alors que toutes les villes de l'Algérie
il se retira en ravageant le pays et chas- reconnaissaient déjà l'autorité turque.
sant devantlui des milliers de chameaux, Pendant ces trente-deux années Tlem-
de moutons et de bœufs, produits de cen fut tour à tour ravagée par les rois
ses razia. Mais tout ce butin retardait maures qui se la disputaient, par les
sa marche , et les Turcs l'atteignirent au Espagnols, par les chérifs et par les
passage d'une rivière, la même, dit Turcs , qui, sous le nom des rois maures,
Haëdo , où trente-deux ans auparavant se la disputaient aussi.

j) L'une des princij les tribus de la Ka- (i) Histoire d'Alger, par M, Ch. de Roi;<
bilie. lier.
70 L'UNIVERS.
Enfin elle échut aux Turcs, dont elle que sollicitude pour la conservation
complétait l'empire naissant, et pendant de ces monuments, un peu délabrés, de
trois siècles elle fit partie de la régence. l'art moresque au moyen âge. L'étude
Après tant de vicissitudes désastreuses et la restauration de ces édifices peut
Tlemcen aurait pu encore se relever, si le exercer une salutaire influence sur l'art
règne qui commençait eût été celui de moderne redevenu un peu trop païen.
,

la'confiance et de la justice; mais entre La population de Tlemcen est, bien


les mains des renégats et des corsaires déchue de ce qu'elle était en ses jours de
elledevait rester couchée sous ses ruines. prospérité. Elle se compose de 7,602
Les Français n'y ont trouvé qu'un amas indigènes, dont 5,660 musulmans, 172
de décombres, quelques groupes de ma- nègres et 1,770 Israélites. La popula-
sures et une population pauvre et dégé- tion européenne se réduit encore à
nérée. 759 Européens dont 444 Français.
,

Cependant des détails gracieux , des


vestiges historiques échappés à la dévas- ESQUISSE DU SAHARA ALGÉRIEN.
tation rappellent ie peuple industrieux
Le Sahara (1).
qui , avant l'arrivée des corsaires , avait
fourni des architectes à l'Aihambra. Ici Nous venons de parcourir les deux
c'est un caté ombragé d'une treille colos- lignes principales du Tell, la ligne de la
sale, là un minaret debout au milieu côte et celle des plateaux. Il nous reste à
des ruines , ou une mosquée dont un introduire le lecteur dans cette autre
pan de mur écroulé laisse voir à l'inté- moitié de l'Algérie, dont la nature était
rieur des dentelures et des arabesques ri- aussi inconnue il y a quelques années
chement sculptées. que sa destinée est encore mystérieuse
La porte d'Agadir, qui donnait accès aujourd'hui. Nous craignons' d'autant
dans le palais des rois maures, est restée moins d'aborder cette arrière-scène de
debout. C'est une belle ogi ve renflée vers notre conquête qu'elle en est une partie
son milieu , rétrécie vers sa naissance. intégrante, que le drapeau français y a
A deux kilomètres à l'ouest de Tlem- été salué par les actions de grâce des po- !

cen il existe un autre monument histo- pulations, et enfin qu'il y flotte encore.
rique ; c'est le camp de Mansoura Le Sahara fut longtemps défiguré par
rectangle long de treize cents mètres, les exagérations des géographes et par
large de sept cent cinquante, entouré de les rêveries des poètes. Compris sous
murs et flanqué de tours. La destination deux dénominations qui, à raison de leur
guerrière de cet établissement se recon- généralité, s'excluaient mutuellement,
naît à la régularité de son trace. On voit appelé par les uns grand désert, ce qui
que l'enceinte précéda la ville. Ce camp entraînait l'idée de la stérilité et de la
'

fut en effet construit pour l'installation désolation; appelé parles autres pays
d'une armée, dans le cours du qua- des dattes, ce qui impliquait l'idée de la <

torzième siècle, par Abou-ei-Haçen, production et du travail, le Sahara était'


quatrième roi de la dynastie des Beni- devenu unecontrée fantastique, dont no-
IVierîn, qui régnait à Fès, durantun siège tre ignoranceagrandissaitles proportions
de trente mois, qui se termina par la et uniformisait l'aspect. Depuis les mon-
prise et le sac de la ville, la captivité tagnes qui bornent l'horizon du Tell jus-
et la mort du roi. qu'aux premières côtes du pays des noirs,
L'intérieur de l'enceinte conserve en- il semblait que la nature, dérogeant à
core quelques traces de constructions. renonçant à la va-
ses lois ordinaires,
Mais il n'en est resté debout qu'un mi- œuvres,
riété, caractère essentiel de' ses
naret , morceau curieux d'architecture eût étendu une nappe immense et uni-
sarrazine; il a trois étages de fenêtres
doubles divisées par une colonnette. (i) Les détails qui suivent sont empruntés
L'intervalle des étages est garni par une en grande partie à mes Recherches sur la
guirlande d'arabesques qui serpente de géographie et le commerce de ï Algérie méri-
la base au sommet de l'édifice et enca- dionale. — Exploration scientifique de l'Al-
dre toutes les ouvertures. La domina- gérie. — Sciences historiques et géographi-
tion française montrera sans doute quel- ques; tome II.
ALGÉRIE. 71

forme de landes ardentes, région mau- longitude orientale, et en largeur à trente


dite parcourue çà et là par quelques kilomètres au sud du 34 e degré de lati-
bandes de sauvages, étrangers aux pre- tude. 11 occupe une surface de neuf
miers besoins de la vie individuelle, qui mille quatre cents kilomètres carrés.
attachent les hommes au sol, et aux pre- C'est à peu près la superficie de l'île de
miers besoins de la vie sociale, qui atta- Corse, qui, après la Gironde, est le plus
chent les hommes à leurs semblables. grand des départements français.
On le sait aujourd'hui, tel n'est point Le sei répandu à la surface de l'im-
le Sahara, vaste archipel d'oasis dont cha- mense savane n'y forme pas une cou-
cune otfre un groupe animé de petites che continue; il présente au contraire
villes etde villages. Une large ceinture un grand nombre d'interruptions pro-
d'arbres fruitiers entoure chaque centre duites par des plis de terrain le plus
d'habitation. Dans ces plantations un souvent insensibles à l'œil, et se trouve
arbre domine, c'est le palmier; il en ainsi divisé en une multitude d'étangs
est leroi autant par la hauteur de la taille partiels, dont l'ensemble constitue la
que par la valeur des produits ; le gre- Sebkha de Melrir.
nadier, le figuier, l'abricotier, le pêcher, Quelques-unes de ces stratifications
la vigne croissent à côté de lui et mê- reposent sur un sol ferme , et peuvent
lent leur ombre à la sienne. C'est à tra- être abordées sans danger. Mais la plu-
vers ces massifs de verdure que l'ho- part sont inaccessibles; sous un dia-
rizon des montagnes lointaines se des- phragme solide, de quelques centimètres
sine avec ses tons chauds, ses découpures d'épaisseur, elles recèlent des abîmes de
variées, ses formes imposantes. En vase qui jamais n'ont été sondes. Mal-
présence d'un pareil spectacle, il est fa- heur à qui oserait s'aventurer sur la
cile de comprendre l'amour que les ha- couche de cristal mince et fragile. Bien-
bitants du Sahara professent pour leur tôt il sentirait la glace se rompre sous
pays natal. ses piedset disparaîtrait à jamaisdansles
L'espace qui sépare entre elles ces gouffres qu'elle recouvre. Dans l'Ouad-
îles de verdure se présente lui-même Souf, qui est l'oasis la plus voisine, on
sous des aspects divers. Tantôt c'est regarde généralement les fondrières du
une plagesablonneusecouvertede plantes Melrir comme assez larges et assez pro-
et d'arbustes qui servent de pâture aux fondes pour engloutir des maisons en-
bestiaux. Tantôt c'est un de ces bas- tières.
fonds appelés Sebkha où règne une cou- Il n'existe qu'un très-petit nombre de
che de sel. Pendant l'hiver elle se couvre passages reconnus praticables a travers la
d'une nappe d'eau de quelques centimè- sebkha. On les désigne par le nom gé-
tres de hauteur; pendant l'été elle rede- nérique de Chott, qui signifie bord ou
vient une plaine aride ou une saline rivage. Ce sont en effet les seuls rivages
facile à exploiter. Quelquefois c'est une de ce dangereux archipel. Mais le mot de
zone montagneuse hérissée de pointes Chotl s'applique aussi par extension aux
de roches ou de montagnes de sable. 11 étangs eux-mêmes.
existe des oasis au bord des sebkha, dans Dans la partie du lac qui appartient à
les gorges des rochers, dans les an- l'Algérie les deux seuls passages sont
fractuosités des dunes, rarement dans ceux de Mouia-el-Tadjer {L'eau du né-
les plages sablonneuses. Les oasis de gociant) et du Chott-es-Selam {l'étang
Tuggurt, de Temâcin etd'Ouaregla sont du sa tut).
situées au bord des sebkha. Une double légende conserve dans
Le plus intéressant de ces lacs de sel les traditions du pays l'origine des deux
est celui que l'on désigne sous le nom noms, et rappelle aux voyageurs les
de Melrir. 11 occupe l'extrémité orien- périls qui les attendent dans cette con-
tale de l'Algérie; mais la plus grande trée inhospitalière.
partie de sa surface est comprise dans la On raconte qu'une caravane arrivant
régence de Tunis, où elle borde les deux au bord de l'étang de Mouia-el-Tadjer,
oasistunisiennesduBélad-el-Djéridetdu y éprouva une de ces violentes crises de
Nifzaoua. ïl s'étend en longueur de l'est soi! qui ont anéanti des armées entières.
à l'ouest entre le 4e et le 7 e degré de Elle allait succomber , lorsqu'un riche
T2 L'UNIVERS.
négociant , «impie passager dans la ca- vane qui partait pour Tebessa. 11 at-
ravane, crut reconnaître divers indices teignitbientôtla plaine du Melrir. Quand
qui annoncent la proximité de l'eau. Aus- il vit sur sa tête un ciel rougeâtre, une

sitôt il fit part de sa découverte à ses terre rougeâtre sous ses pieds, autour
compagnons de voyage, et les engagea de lui le silence, la nudité, la solitude ,
vivement à creuser le sol. Mais il s'adres- il fut saisi d'un tel accès de peur, qu'il

sait à des hommes que le décourage- rebroussa chemin, regagna au plus vite
ment rendait incrédules, et ne put rien en son village et ses palmiers, et renonça
obtenir. 11 eut alors recours à un moyen pour toujours aux voyages.
extrême : il promit un réal par coup de Le sentier blanchâtre quitraverse l'É-
pioche. Stimulés parl'appâtd'un salaire tang du Salut s'appelle le chemin des
aussi énorme, quelques voyageurs se marabouts. Voici, suivant la légende,
mirent au travail. On compta les coups l'origine de ce nom Quelques bons der-
:

de pioche, il y en eut un grand nombre; viches, revenant du pèlerinage de la


mais enfin l'eau parut. Le négociant paya Mecque, s'engagèrent dans la plaine du
sur-le-champ tout ce qu'il devait; mais Melrir, et ne tardèrent pas à s'y égarer.
il réclama l'eau comme sa propriété, et Cependant la prudence ne les abandonna
exigea à son tour un réal de tous ceux pas; ils marchèrent avec de grandes pré-
qui voulurent boire ; c'était le droit du cautions, frappant le sol de leur bâton de
talion, que les musulmans ne contes- voyage avant d'y poser le pied : ils pu-
tent jamais. Aussi tous les voyageurs rent ainsi, à force de précautions, attein-
payèrent-ils leur réal sans murmurer. A dre le bord opposé ; ils se prosternèrent
dater de. ce jour le puits nouveau fut alors en s'écriant : Selamna! nous
appelé Veau du négociant, et pendant sommes sauvés! C'est ainsi, dit-on, que
longtemps il n'y eut pas de caravane fut découvert le passage sinueux, appelé
passant en ce lieu qui n'acquittât la même Chott- es -Selam en commémoration de
redevance au profit de l'inventeur. cette aventure.
Mais la soif est encore le danger le Dans la régence de Tunis les pas-
moins redoutable qui menace les carava- sages praticables du lac Melrir sont indi-
nes dans la traversée du Chott-es-Selam. qués aux voyageurs soit par une ligne de
En abordant le terrible étang du salut, pierres, soit par des troncs de palmier.
elles voient se dérouler devant elles sur 11 existe un étang appelé Chott-el-Euou-
le fond rougeâtre de la plaine, une dia (l'Étang des marques de bois).
bande blanche sinueuse longue d'envi- Jusqu'en 1844 le lac Melrir n'occupa
ron cinq lieues, large seulement de quel- sur les cartes qu'un espace trente fois
ques mètres. C'est le chemin qu'il faut inférieure celui qu'il occupe sur le sol.
suivre, ou plutôt c'est un pont qu'il faut C'est alors seulement que je lui resti-
traverser. Les hommes et les chameaux tuai sa véritable étendue (l). Toutefois
s'y engagent à la file et suivent exacte- dès 1 840 j'avais reconnu l'erreur des géo-
ment lesentier frayé ; car s'ils s'écar- graphes, et la constatation que j'en avais
taient à droite ou à gauche, ils disparaî- faite d'après le témoignage d'un grand
traient dans les fondrières qui bordent nombre de voyageurs indigènes avait
la route. Durant tout le trajet le voya- même obtenu une sanction à laquelle
geur ne découvre dans le champ de la j'étais loin de m'attendre. Un de mes
vue ni arbre ni plante. C'est seulement collègues, M. Levaillantjvenaitd'achever
à l'issue du Chott qu'il voit apparaître à l'exploration zoologique de la Calle. Le
l'horizon les palmiers du village d'El- hasard me l'ayant fait rencontrer, je
Fidh, mais tellement agrandis par le m'informai du résultat de ses travaux.
mirage qu'ils ressemblent de loin à des « Savez-vous, me dit-il, ce que m'ont ap-

forteresses. pris mes oiseaux voyageurs ? C'est qu'au


Le voyageur indigène lorsqu'il
pénètre
pour première fois dans ces steppes
la (i) Carie de l'Algérie distribuée aux cham«
désolés, ne peut se défendre d'un certain bres pour la discussion des crédits supplé-
effroi. On raconte qu'un habitant de mentaires; par E. Caretle, capitaine dugéuie,
l'Ouad-Souf, appelé par ses affaires dans membre et secrétaire de la Commission scien-

la région du Tell, se joignit à une cara- tifique d'Algérie.


ALGÉRIE. 7g

sud de la Galle, dans le Sahara, a la place de sable qui les sépare a été produite,
du petit lac figuré sur les cartes, il doit par des atterrissements successifs. Ainsi
exister un lac immense. » Je lui fis con- en des temps beaucoup plus rapprochés
naître alors l'accord qui existait entre de nous s'est fermée la communication
des indications puisées à deux sources si de la mer avec l'étang d'Aigues-Mortes
différentes. où saint Louis s'embarquait au dou-
Il serait bien étonnant qu'un accident zième siècle pour la contrée qui possède
physique aussi remarquable que le lac le lac Triton.
Melrir n'eût pas frappé vivement l'ima-
gination des anciens. C'est dans le voi-
Oasis du Ziban. — Biskra. — Sidi-
Okba.
sinage du Melrir que devait se trouver le
lac triton. Mais le rétrécissement consi- Le Ziban au nord , TOuad-Souf au
dérable des dimensions et l'ignorance sud sont les deux oasis les plus rappro-
des phénomènes particuliers à cette, chées des bords de l'ancien lac Triton.
grande plaine embarrassaient beaucoup Le Ziban se compose de trente-huit
les géographes. Comment, en présence villes ou villages et de dix-huit tribus,
d'un étang vulgaire, s'expliquer l'antique formant ensemble une population d'en-
renommée du lac Triton et surtout l'hon- viron 1<J0 ? 000 âmes.
neur insigne d'avoir produit Pallas, la Biskra est le chef-lieu politique de
déesse de la guerre et de la prudence? l'oasis; Sidi-Okba en est la métropole
Aujourd'hui il ne peut plus rester de religieuse.
doutes. Non-seulement le lac Melrir, La ville de Biskra est située au pied
avec ses gouffres vaseux et son immense des versants méridionaux de l'Aurès, et
étendue, occupe la place du lac Triton; de la longue chaîne de montagnes qui,
mais il est digne en tout point de le re- dans l'est de l'Algérie, sépare le Tell du
présenter. Sahara. Elle est formée de cinq petits
Jl n'est pas jusqu'à la fable de Pallas quartiers , entièrement séparés les uns
qui ne s'explique. L'idée de prudence des autres, et d'une petite citadelle, qui
est comme associée à toutes les descrip- les domine tous, citadelle occupée jadis
tions que les indigènes font du Melrir. par les Turcs et maintenant par les
Us disent proverbialement pour caracté- Français. L'architecture, comme celle
riser un homme d'une prudence con- de toutes les villes du Sahara, en est
sommée : Il pourrait aller seul dans le plus que simple; les maisons sont en
Melrir. Imprudent est celui qui s'aven- général construites en briques de terre
ture sans guide dans ces steppes redou- séchées au soleil, que les Arabes appel-
tables. Enfin combien n'a-t-il pas fallu lent Tôb; elles sont couvertes de ter-
de prudence à ces marabouts qui les rasses grossières reposant sur bois de
premiers ont traversé l'Étang du salut ! palmier. La population est d'environ
Doit-on s'étonner que dans l'enfance 3,000 âmes.
des religions les hommes aient fait naître C'est le 4 mars 1844 qu'une colonne
la déesse de la prudence dans des lieux française, commandée par M. le duc
où il faut tant^ de prudence pour se di- d'Aumale, a pris possession, sans aucune
riger ? résistance , de cette ville saharienne.
Plus de doute non plus sur le fleuve Malheureusement la petite garnison
Triton de l'antiquité : c'est l'Ouad-el- qu'on y avait laissée fut surpriseet mas-
Djedi actuel, qui traverse le Sahara al- sacrée quelque temps après par Moham-
gérien dans les deux tiers de sa largeur, med-Sghir, khalifad'Abd-el-Kader; mais
vient passer un peu au-dessous de Bis- la ville rentra immédiatement en notre
kra , et va porter le tribut de ses eaux pouvoir; et depuis cette époque aucun
dans les abîmes vaseux d'où est sortie acte d'hostilité n'est venu troubler la
Pallas. Il est vrai que la géographie an- tranquillité dont elle jouit.
cienne fait déboucher ce fleuve dans le On a trouvé dans la citadelle de Bis-
fond de la petite Syrte ; mais on sait kra une pièce de canon du temps de
aujourd'hui que les étangs du Melrir Henri IL Elle portait le millésime de
s'avancent très-près du golfe de Gabès, et 1 549, avec le chiffre de Diane de Poi tiers.
il est très-probable que la petite langue Par quelles vicissitudes ce monument de
74 L'UNIVERS.
notre histoire nationale s'est-il trouvé cales, c'est sur les bords de cette rivière
transporté dans les landes du Sahara? qu'eut lieu le combat à la suite duquel
C'est ce qu'il serait sans doute difficile le général musulman Okba-ben-Amer
de dire. Cette pièce a dû être rapportée fut fait prisonnier par les chrétiens.
en France, où elle avait été fondue il y La grande mosquée consacrée à la mé-
trois siècles. moire de ce général est surmontée d'un
Le 7 mars, trois jours après la prise haut minaret, qui, s'il faut admettre une
de Biskra, M. le duc d'Aumale se rendit croyance bien vieille, tremble de lui-
à la tête de sa colonne dans la ville sainte même toutes les fois que l'on prononce
de Sidi-Okba, située à quatre lieues au le nom de Sidi-Okba.
sud est de Biskra. Comme toutes les Nous n'avons encore parlé que des
cités, villes ou villages du Sahara, oasis planes, telles que l'opinion vul-
elle est entourée de magnifiques jar- gaire accréditée jusqu'en ces dernières
dins, où le palmier domine et où tous années se les figurait toutes. Mais le
lesarbres à fruits lui font cortège. Vue Sahara, et en particulier le Sahara algé-
de Biskra, toute cette végétation se rien, a aussi ses oasis montagneuses.
dessine comme une ligne noire sur le Telles sont l'Ouad-Souf et l'Ouad-Mzab,
fond blanchâtre du Sahara. situées l'une et l'autre à la limite mé-
Au moment où M. le duc d'Aumale ridionale naturelle de nos possessions,
entra dans la ville, le khalifa d'Abd-el- dans la région où le drapeau de la con-
Kader Mohammed-Sghir venait de la quête n'a pas encore pénétré, l'Ouad-
quitter. Le prince occupa la maison même Souf dans l'est du côté de Tunis, l'Ouad-
que lieutenant de l'émir avait habi-
le Mzab dans l'ouest du côté du Maroc.
tée. 11 la visite de tous les nota-
y reçut Quoique montagneuses l'une et l'au-
bles de la ville, et de là se rendit avec eux tre, elles ont cependant chacune leur
dans la mosquée de Sidi-Okba. A l'ins- cachet particulier.
tant où il franchissait le seuil du temple, L'Ouad-Souf est située dans un laby-
tous les Tolba, qui sont les marguilliers rinthe de montagnes de sable, qui absor-
de la paroisse musulmane, entonnèrent bent immédiatement comme autant d'é-
à l'unisson la Khotba, prière spéciale ponges les pluies les plus abondantes. On
pour le souverain correspondant à notre dirait de hautes et largesdunes, et il est en
Domine saloum. C'était la première fois effet hors de doute que la mer en a jadis
qu'une pareille manifestation retentissait baigné le pied : comment expliquer par
dans une mosquée en présence d'un une autre cause la présence des nom-
prince chrétien, et cette manifestation se breuses coquilles marines que l'on y
produisait au milieu des plages saha- rencontre ?
riennes, sur lesquelles la France venait Les replis de ce labyrinthe recèlent
d'imprimer sans coup férir le sceau de sa huit petites villes ou villages, dont les
domination. habitations couvertes de dômes pointus
Après la prière, le prince pénétra dans présentent exactement l'image de ru-
la Kobba, sanctuaire inviolable , où re- ches. Ils produisent les plus belles
posent depuis près de dix siècles les dattes du Sahara, celles que l'on appelle
restesdu général quia soumis aux armes très-improprement en France dattes de
musulmanes les terres du Magreb. Le Tunis. Il est bien vrai qu'elles passent
tombeau est recouvert d'un drap de soie par Tunis pour nous arriver. C'est là
verte, où des inscriptions sont brodées une anomalie que le développement de

en soie blanche. Une pierre porte une notre domination doit faire cesser. Mais
inscription en caractères koufiques, qui elles n'en appartiennent pas moins au
remonte aux premiers temps de l'isla- terroir de nos possessions; et l'Algérie
misme. méridionale les revendique comme une
La ville de Sidi-Okba est arrosée par de ses belles spécialités.
un ruisseauappeléOuad-Braz (la Rivière Lorsque le voyageur commence à dé-
du combat); il descend du Djebel- Au- couvrir les montagnes de l'Ouad-Souf,
rès, et va porter l'excédant torrentiel' de cette multitude de cimes coniques dénu-
ses eaux dans POuad-el-Djedi , l'ancien
v
dées par le vent, colorées d'une teinte
fleuve Triton. Suivant les traditions lo- uniforme et blanchâtre, produit l'effet
ALGÉRIE. 75

fantastique d'un camp lointain dont on des précautions que les habitants sont
n'apercevrait que les sommets des ten- obligés de prendre contre l'impétuosité
tes. C'est sans doute pour ce motif que des torrents. Lorsque vers le nord le
les anciens géographes arabes l'avaient ciel s'assombrit, des cavaliers partent en
désignée sous le nom de Kitoun-el-Raï= toute hâte dans cette direction, qui est
dha( la tente blanche). celle du cours supérieur des eaux, et
La situation de cette oasis impose vont s'échelonner de distance en distance
aux habitants une servitude pénible; le sur les points culminants de la berge. Si
vent qui dénude la cime des collines, en la pluie est tombée sur le plateau du
chasse les sables dans les villages cons- Feïad, le torrent ne tarde pas à se mon-
truits à leurs pieds ; aussi voit-on les trer. Alors le plus avancé des éclai-
Souafa occupés du matin au soir à dé- reurs tire un coup de fusil; répété de
blayer leurs cours et leurs jardins pour sommet en sommet par tous les autres,
éloigner l'invasion qui les menace sans ce signal télégraphique parvient à la
cesse. ville en quelques minutes. A l'instant on
court aux jardins qui occupent le lit
Oasis de l'Ouad-Mzab.
même du torrent; on éveille tous les
L'oasis de l'Ouad-Mzab se présente hommes qui s'y seraientendormis; on en-
hérissée de montagnes presque nues et lève tous les objets qui pourraient de-,
complètement arides. Les aspérités ro- venir la proie des eaux. Bientôt un bruit
cailleuses du massif sont séparées par horrible annonce l'irruption; le sol des
des vallées couvertes d'une épaisse cou- jardins disparaît sous les flots, elia cité
che de sable ; là s'élèvent au milieu des saharienne se voit transportée comme
palmiers huit petites villes habitées par par magie au bord d'un fleuve large et
la population la plus active et la plus rapide, d'où sortent, pareilles à de pe-
commerçante de toute l'Algérie. Il n'y tites îles de verdure, les innombrables
a pas un'seul de nos établissements soit têtes des palmiers ; décoration éphé-
du littoral, soit de l'intérieur, où les né- mère qui en quelques jours se sera éva-
,

i
gociantsde l'Ouad-Mzab n'aientde nom- nouie.
breux comptoirs. Les huit villes de l'oa- Ces circonstances, communes à toutes
comptent ensemble 36,000 âmes, et
sis les villes de l'Ouad-Mzab, donnent une
Cellesn'ont pas moins de 3,036 négociants idée de la roideur des lignes d'écoule-
établis sur les différents points du Teli ment et de la dépression considérable du
Ique nous occupons. Tous les témoi- lac saléd'Ouaregla où elles vont abou-
,

gnages indigènes sont unanimes sur tir. Il est probable que le sol de cette
l'importance commerciale de Rardeïa, dernière oasis et de celle de Tuggurt,
chef-lieu de l'oasis. Qu'une caravane qui en forme presque la continuation,
aussi nombreuse, aussi chargée, aussi ne se trouvent qu'à une faible hauteur
|
inattendue qu'elle puisse être, arrive à au-dessus du niveau de la Méditerranée*
Rardeïa : en quelques heures eile a ef-
Régime des eaux sahariennes.
j

fectué le placement de ses marchandises


et fait son chargement pour le retour : Ladifférence dans le régime et la
Rardeïa est une ville de 12,000 âmes. distribution des eaux est un des prin-
Les vallées dans lesquelles les Beni- cipaux caractères qui établissent une sé-
Mzab ont bâti leurs villes sont traversées paration naturelle entre le Tell, le Sa-
par des lignes de fond dont aucune ne hara et le désert.
conserve de l'eau courante; toutes se Dans le Tell les sources sont multi-
dessèchent presque aussitôt après les pliées, etcoulent à la surfacedu sol ; dans
pluies, et laissent des lits de sable aride le Sahara faut les chercher et les dé-
il
oh l'on ne peut obtenir de l'eau qu'en couvrir sous le sable. Dans le désert il
j
creusant des puits. faut traverser de longs espaces sur un
I L'aridité de cette contrée, du moins sable profondément aride.
jala surface (car l'eau des puits Ces différences dans le régime des
y est
:
bonne et abondante) paraît tenir sur- eaux sont accusées par la différence des
tout à la rapidité des pentes. C'est du dénominations. Ain est une source qui
:
moins ce qu'il est permis de conclure coule à la surface du sol . — Ogla est ua
76 L'UNIVERS.
espace où en quelque point qu'on dé- t-il brisé d'un coup de pioche l'obstacle
blaye le sable on est assuré d'y trouver qui s'oppose à l'ascension de la colonne
de l'eau. — Haci est un de "ces trous d'eau, qu'il faut s'empresser de le reti-
creusés dans le sable au fond desquels rer ; car l'eau monte avec une effrayante
elle se réunit par suintement. —
Ouad vitesse, franchit les bords du puits et se
désigne à la fois un ruisseau d'eau vive répand à l'entour. On la dirige alors dans
dans le Tell, et une de ces lignes de fond des canaux disposés à l'avance pour la
arides qui servent de canaux d'écoule- recevoir.
ment aux eaux pluviales dans le Sahara. A partir de ce moment, elle ne cesse
Le même mot désigne aussi une oasis, de couler; on voit, dit-on, encore des
parce que l'eau y est fournie, suivant puits dont la construction en pierres de
l'opinion des indigènes, par des fleuves taille annonce l'origine romaine, et qui
souterrains. depuis deux mille ans ont sans diseon-
Il est peu de villes dans le Sahara tinuation fourni de l'eau courante. Mais
algérien qui obtiennentreau sans travail. il en est d'autres aussi qui après quel-

Biskra et Sidi-Okba, dont nous avons ques années de service s'arrêtent tout
déjà parié, la reçoivent de deux cours à coup et dont le niveau se maintient
,

d'eau affluents de l'Ouad-el-Djedi; une alors au-dessous du sol. Cette interrup-


autre ville non moins importante, celle tion subite entraîne généralement la
dEl-Arouat, chef-lieu de l'oasis des ruine du village et des plantations des-
Ksour, dont fait partie Aïn-Mâdhi, la servies par le puits.
reçoit d'un ruisseau qui va, lui aussi, se Cette remarquable propriété de l'Ouad-
perdre dans les sables de l'Ouad el-Djedi. rir, qui suffirait à elle seule pour expliquer
Presque partout dans le Sahara, il la croyance aux fleuves souterrains , a
faut aller chercher l'eau sous la terre déterminé l'administration française à
ou sous ie sable. Les habitants de l'Ouad- tenter dans la partie du Sahara que nous
Mzab percent leurs puits dans le sable occupons un essai de forage artésien.
2ui couvre le lit de leurs torrents; ceux C'est à Biskra que l'expérience a eu
e FOuad-Souf dans les vallées qui sil- lieu (1).
lonnent leur territoire spongieux; les Déjà des tentatives semblables avaient
villes et villages situés sur les bords de été faites sur divers points du Tell, no-
l'Ouad-el-Djedi creusent également des tamment au camp du figuier dans la
puits dans le lit, presque toujours dessé- plaine d'Oran, auprès du village d'Ar-
ché, de la rivière. zeu,sur le littoral. Ce dernier a été aban-
Enfin dans tout le bassin de l'Ouadrir, donné en 1 846, à la profondeur de quatre-
qui comprend trois oasis, celles deïug- vingt-dix-huit mètres.
gurt, de Temacîn et d'Ouaregla, l'eau est Au commencement de 1847 le pur
fournie par de véritables puits artésiens, artésien de Biskra n'était encore arrivé
avec cette différence toutefois que les qu'à la profondeur de vingt-trois mè-
habitants, ne connaissant pas la méthode tres, et il avait déjà présenté un résultat
du sondage, emploient les procédés or- très-intéressant. Sur ces vingt-trois mè-
dinaires d'excavation. tres la sonde avait dû traverser une cou-
Les puits sont larges et carrés; le cof- che de terre végétale de sept mètres;
frage assez grossier, consiste en troncs
, sept mètres de terre végétale dans le
de palmiers jointifs posés et assemblés Sahara, tandis que les deux sondages
à mesure que les progrès de l'excava- pratiqués dans le Tell, près de la côte,
tion le permettent. On arrive ainsi n'avaient donné que soixante centimè-
jusqu'à une couche semblable à l'ardoise tres au Figuier et cinquante centimètres
qui couvre et comprime la nappe d'eau. à Arzeu !

Le percement de cette dernière couche


est une opération difficile: elle exige (i) Le forage du puits artésien de Biskra
de grandes précautions. Avant de des- a été abandonné dans les premiers mois de
cendre dans le puits pour rompre le dia-
phragme, l'ouvrier est attaché à la cein-
ture par une corde; plusieurs hommes
tiennent l'extrémité opposée. A peine à-
ALGÉRIE, 7t
sentiers augmente , et l'on en compte
MOYENS DE COMMUNICATION. quelquefois jusqu'à dix qui tantôt se
Nous n'entendons pas nous étendre croisent et tantôt suivent des directions
longuement sur les services de diligences parallèles.
établis entre Philippeville et Consîantine, C'est l'habitude de marcher à la file
Alger et Medea, Oran et Mascara, bien qui a créé le sentier, et l'existence du
que ces importations européennes mé- sentier contribue aussi à enraciner
ritent uiie mention très-honorable et cette habitude; nous avons vu des Ka-
annoncent un commencement de trans- biles voyageant ensemble sur une route
formation. Nous ne nous arrêterons pas française large de seize mètres marcher
non plus dans les auberges isolées, fon- à la file comme dans
leurs montagnes, et
dées sur ces routes par de hardis can- imprimer sur voie ouverte par la ci*
la
tiniers, bien que ces entreprises, jugées vilisation la trace du sentier national.
d'abord téméraires, justifiées ensuite La grande route arabe consiste donc
par le succès, témoignent des progrès dans un faisceau de petits sentiers, fais-
de la sécurité publique dans une partie ceau dont l'importance peut se mesurer
de nos possessions. à la première vue , par le nombre de
Toutefois , il est juste de citer parmi brins dont il est formé.
ces intrépides éclaireurs de la civilisa- La présence des Français et la nature
tion européenne, un habitant de Phi- de leurs opérations n'ont pas été sans
lippeville qui est allé, il y a quelques
,
influence sur le mouvement de la cir-
années, s'établir seul dans les montagnes culation indigène. Par suite de nos évo-
du Fulfula, à cinq lieues de la ville, qui lutions des routes ont été ouvertes par
en a pris possession aune époque où les Arabes et à leur manière; d'autres
personne encore ne croyait qu'il fût ont été abandonnées et envahies par les
possible de les visiter sans danger, qui ronces; d'autres enfin, de simples che-
y a établi une carrière et un four à mins vicinaux qu'elles étaient, se sont
chaux, y a bâti sa maison, a intéressé élevées au rang de routes départemen-
à son industrie les populations kabiles tales. Ainsi , avant 1838 peu d'indigènes
,du voisinage, qui enfin en devenant Je avaient occasion de se rendre de Cons-
Maître-Jacques de ces montagnes a tantine à Philippeville; mais depuis l'é-
prouvé que la pioche et le marteau de- tablissement des Français sur cette
vaient être les instruments complémen- partie de la cote une circulation in-
taires de la conquête ébauchée par le cessante a réuni ces deux points, et le
sabre et le fusil. chemin de Philippeville à Constantine
Ce que nous voulons faire connaître s'est trouvé érigé en route royale. Les
surtout, ce sont les moyens de circula- Français avaient besoin d'une commu-
tion en usage parmi les indigènes, parce nication carrossable : ils ont suivi le
que ce sont encore les seuls jusqu'à tracé romain , dont on retrouve d'im-
présent qui affectent un caractère géné- posants vestiges à chaque pas. Quant
qui s'appliquent à toute l'étendue de
ral, aux muletiers et aux chameliers indi-
nos possessions,
qui entretiennent le gènes, fidèles à leurs habitudes d'indé-
mouvement et le commerce entre le lit- pendance, tantôt ils creusent leur sillon
toral, les piateaux et le Sahara. traditionnel sur les bas-côtés de la route ;
Les routes arabes sont en général de tantôt ils s'en écartent, soit pour se
(simples sentiers tracés sur le gazon par rapprocher d'une source, soit pour
le pied nu de l'homme et le sabot du suivre un raccourci; quelquefois même
icheval ou du mulet. Ces sentiers sont leurs sentiers serpentent à côté de la
tellement étroits que deux personnes route sans qu'on puisse se rendre compte
ne peuvent y marcher de front; il en du motif qui la leur a fait abandonner.
résulte que lorsque des voyageurs ou Ainsi il peut arriver au voyageur de
des caravanes se rencontrent, l'un prend trouver la voie française cheminant
à droite, l'autre à gauche cela déter-
: gravement entre les blocs bouleversés
mine deux sentiers ; plus les routes sont de la voie romaine et les sinuosités ca-
parcourues, plus ces rencontres sont
j pricieuses de la voie arabe.
fréquentes, plus aussi le nombre des La simple inspection d'une route
U L'UNIVERS.
^trabe ne fournit qu'une appréciation de l'eau à la halte et au gîte. Dans le
superficielle de son importance absolue, Sahara on en trouve rarement à la halte,
mais surtout de son importance rela- presque toujours au gîte. Dans le dé-
impossible d'acquérir ainsi
tive. Il serait sert il faut de toute nécessité avoir re-
,

une idée exacte du rôle qu'elle joue, de la cours aux Mzada (1), car on marche
place qu'elle occupe dans le réseau de quelquefois dix jours de suite sans ren-
la circulation générale. contrer un seul puits.
D'ailleurs lorsqu'on pénètre dans les A la difficulté résultant du manque
parties sablonneuses soit du Sahara soit d'eau vient s'ajouter la crainte des Got-
du désert, l'aspect du sol ne révèle plus taxa ou Coupeurs de route, misérables
rien ; la trace du voyageur qui passe est bandits qui appartiennent généralement
bientôt emportée par le vent; vaine- à de petites tribus logées dans des po-
ment y chercherait-il le long sillon blanc sitions presque inaccessibles, et qui vont
battu et frayé qui lui sert de guide dans s'embusquer sur le passage des caravanes.
le Tell; c'est à d'autres signes qu'il Nous ne dironsqu'un motdes dangers
doit se reconnaître. La tige d'un pista- d'une autre espèce dont on menace
chier un buisson de lotus , la tête blan-
, bien à tort les voyageurs dans le Sahara.
che d'une colline de sable ou même la Le lion du désert est un mythe : popu-
cime lointaine d'une montagne sont les larisé par les artistes et les poètes, il
jalons naturels qui lui tracent sa route à n'existe que dans leur imagination. Cet
travers les solitudes. animal ne sort pas de la montagne où
Quelques repères artificiels l'aident il trouve de quoi se loger , s'abreuver
encore à se diriger : tels sont par exemple et se nourrir. Quand on parle aux ha-
les Nza , monuments malheureusement bitants de ces contrées des lions que la
trop nombreux de l'anarchie et du dé- savante Europe leur donne pour com-
sordre où nous avons trouvé l'Algérie. pagnons, ils répondent avec un imper-
Voyageant un jour en compagnie de turbable sang-froid : « Il y a peut-être
plusieurs Arabes, je fus étonné de les chez vous des lions qui boivent de l'air,
voir successivement s'arrêter pour ra- et broutent des feuilles, mais chez nous,
masser une pierre et plus étonné de il leur faut de l'eau courante et de la

voir l'un d'eux m'en présenter une. chair vive. » Aussi ne paraissent-ils pas
Avant d'accepter cette offre étrange, dans le Sahara.
j'en demandai l'explication. « Nous al- Assurément le lion n'est pas rare en ,

lons passer, me répondit-on près du , Afrique; presque toutes les montagnes ]

Nza de Bel-Gacem » quelques instants


: boisées en sont infestées. Les monta-
1

après nous arrivâmes à côté d'un amas gnes du Sahara en recèlent quelques-
informe de cailloux, qui pouvait avoir uns ; mais ils ne descendent jamais dans
un mètre et demi de hauteur. Chacun la plaine.
de mes compagnons y jeta la pierre qu'il Les deux seules bêtes redoutées du)
tenait à la main en disant : Au Nza de voyageur sont la vipère et le moustique.
1

Bel-Gaceml J'en fis autant quand mon Toutefois, le nombre des lieux habités!
tour fut venu. Le Nza est un amas de par les vipères est assez restreint. Quant
pierres amoncelées une à une par la aux moustiques, ils abondent dans le
piété persévérante, des voyageurs sur le voisinage des eaux fléau des animaux
:

lieu témoin d'un meurtre qui n'a pas été et des hommes ils s'attaquent aux yeux
,

vengé. Ces monuments désignés par le des gazelles et font souffrir à ces pau-
nom de la victime atteignent quelque- vres petites bêtes d'horribles tortures.
fois plusieurs mètres de hauteur. Mais c'est seulement aux approches
Deux choses font le mérite d'une des oasis septentrionales que le mous-
route aux yeux des Arabes, l'eau et la tique est redoutable; il ne s'aventure
sécurité. Les voyageurs africains che- pas dans la région des sables. Celle-ci
minent parétape; ils partentavantle lever ne compte parmi ses hôtes indépen-
du soleil , et marchent jusques vers le dants que des animaux inoffensifs. Les
milieu du jour; ils s'arrêtent alors en-
(i) Outres faites de la peau d'un jeune
viron deux heures.
'
Dans le Tell on trouve généralement chameau.
ALGÉRIE, 79

principaux sont îa gazelle, l'autruche, normale de l'étape est de huit à neuf


l'antilope et l'âne sauvage. lieues mais elle s'étend jusqu'à quinze
;

En résumé le Sahara avec ses sahles, et dans les pays dépourvus d'eau ou ex-
peut-être à cause de ses sables, est la ploités par les coupeurs de route.
terre promise du voyageur indigène; Les voyageurs qui s'adjoignent à' la
car il y trouve des nuits presque tou- caravane ne sont soumis à aucune disci-
jours sereines , un lit presque toujours pline; il n'existe d'autre solidarité en-
doux et un sol presque toujours sec. tre eux que celle des périls à éviter et
L'homme est le seul ennemi dont il ait à du but à atteindre. S'il survient une
redouter les attaques; encore ce danger attaque, chacun d'eux ne prend conseil
;
y est-il moindre que partout ailleurs. que de sa présence d'esprit et de son
courage, et fait isolément ce qu'il peut
Diverses manières de voyager. — La pour repousser l'ennemi ou pour l'éviter,
gafla ou caravane marchande. car il est bien rare que des dispositions
Lorsqu'on veut entreprendre un voyage aient été prises pour la défense du con-
i dans le Tell dans le Sahara ou dans le
, voi aussi les accidents de cette nature
;

i
désert ce qu'on a de mieux à faire est
, ne manquent-ils jamais d'y occasionner
: de s'adjoindre à une caravane; il y en a un grand désordre.
de deux sortes , la gafla ou caravane Les caravanes du genre de celles
marchande, et la nedja ou tribu en que l'on appelle gafla sont presque en-
mouvement. La gafla accepte tous ceux tièrement composées d'hommes dont
qui se présentent, et les protège tant la principale affaire est le négoce. Ce-
qu'ils veulent la suivre; elle ne leur de- pendant les femmes n'en sont pas ex-
mande ni d'où ils viennent ni où ils clues, et il ne paraît pas extraordinaire
vont; c'est un omnibus. La nedja se devoir des veuves privées de tout autre
montre plus exigeante; il faut y être moyen d'existence continuer person-
connu de quelqu'un, ce qui équivaut à nellement le commerce de leur mari.
la présentation d'un passe-port. Il faut
presque y retenir sa place; c'est une di- La nedja ou tribu en marche.
ligence. La gafla est une aggrégation d'hom-
La usage plus général
gafla est d'un mes dont la plupart ne se connaissent
;
que bornée par sa nature à un
la nedja , pas ; elle a une marche grave, silencieuse
;
petit nombre de tribus et de directions. et monotone. La nedja, au contraire,
Il existe dans toutes les villes de c'est la tribu avec ses femmes , ses chiens,
[quelque importance desfondouk ou ca- sestroupeaux ses tentes et tout le ba-
,

ravansérails correspondant aux princi- gage de la vie nomade. Ce ne sont plus


paux points qui entretiennent avec elles des individus isolés, ce sont des familles
des relations. Ces établissements servent ou plutôt c'est une grande famille en
à la fois d'hôtelleries et d'entrepôts ; ce marche; aussi n'est-il rien de plus in-
I sont aussi les rendez-vous des caravanes, téressant et de plus pittoresque que
les lieux de départ et d'arrivée. Si les de suivre une nedja. Les aboiements des
;
desservies sont assez considéra-
villes chiens, les vagissements des enfants,
bles, les départs ont lieu périodique- les cris des hommes qui s'appellent, le
!ment; dans tous les cas le jour où une bêlement des moutons , le chant des
]
caravane doit se mettre en route est coqs , toute cette variété des bruits du
arrêté à l'avance par le chef des mule- village forme une harmonie agreste
tiers ou des chameliers; pour le con- pleine de charme, et le voyageur trouve
naître il suffit de se présenter au fon- une nouvelle source de distractions dans
douk : c'est là qu'on obtient tous les le spectacle de toutes les scènes inté-
renseignements. rieures du ménage ; scènes bien sim-
Les muletiers ou chameliers forment ples, mais qui prennent un caractère
le noyau de la caravane et en règlent étrange quand on remarque qu'elles se
la marche. Cette marche est très-va- passent à dos de chameau.
riable; elle dépend de la nature et de Mais voici que tout à coup cette
la sécurité de la route; elle dépend aussi marche bruyante et animée devient si-
de la force du chargement. La longueur lencieuse et grave ; les cavaliers d'avant»
HO L'UNIVERS.
garde ont aperçu devant eux , à l'ho- épargnée, mais son nom reste flétri.
rizon du Sahara, une autre tribu ; ils en Il que
est bien rare les voyageurs qui
donnent avis aux cheiksj, et à l'instant se joignent à la nedja soient réduits à
les rangs se resserrent. La gafla n'a emporter la tente et les vivres. En gé-
pas de drapeau ; elle ne redoute que le néral ils reçoivent l'hospitalité d'un ami
brigandage; mais chaque nedja, atta- dont ils partagent la tente et le couscous-
chée à l'un des partis qui divisent la sou pendant toute la durée du voyage.
population saharienne , compte pour La qualité de deïaf ou hôte leur donne
adversaires toutes les tribus du parti droit aux mêmes égards et à la même
opposé. A mesure que l'on se rappro- protection que la famille qui les ac-
che, les conjectures se forment. Sont-ce cueille.
des amis? sont-ce des ennemis? Enfin Parmi les voyageurs qui se joignent
on arrive à la portée de la voix. Alors à la gafla ou caravane' marchande, quel-
les deux troupes s'arrêtent pour se de- quefois même à la nedja ou tribu en
mander Qui êtes-vous? Si ce sont des
: marche, il se trouve toujours des malheu-
alliés , on continue sa marche de part reux, sans aucune ressource, qui ne sa-
et d'autre en échangeant un Es-salam- vent pas le jour du départ comment ils
alikoum contre un Alikoum-es-salam ; vivront le lendemain ; mais cela ne les
mais si le. nom prononcé est celui d'une inquiète pas. Ils comptent beaucoup
tribu hostile , on y répond par des in- sur la Providence, et ils ont raison, car
jures, et la fusillade ne tarde pas à à peine le convoi s'est-il mis en mou-
s'engager. vement qu'ils trouvent moyen de s'uti-
Les combats ne se prolongent jamais liser en aidant soit à charger soit à
,

au delà du coucher du soleil ; c'est un conduire les chameaux. Pour prixdeces


signal qui détermine ou la retraite ou petits services , ils obtiennent la nour-
une suspension d'hostilités. Si l'un des riture; c'est tout ce qu'ils désirent.
deux partis se reconnaît vaincu, il pro- Chaque jour leur apporte donc son pain,
fite de la nuit pour disparaître ; si l'issue et ils parviennent ainsi au terme d'un
est douteuse les deux partis campent
, très-long voyage sans dépense et sans )

sur le champ de bataille, et le lende- privation. C'est de cette manière que les ^

main au lever du soleil le combat re-


, , pauvres journaliers du Sahara arrivent
commence. dans nos établissements de la côte, où
Les Arabes apportent plus d'animo- ils forment la classe la plus intelligente
sité dans ces luttes intestines que dans et la plus laborieuse de la population.
leurs démêlés avec les Français; cela Nous exposerons plus tard, en par-
devait être : il n'y a rien de plus acharné lant du commerce de l'Algérie, lajî
que deux frères quand ils sont enne- grande loi d'échange qui préside au mou-;!
mis. La guerre contre les infidèles fait vement général des nedjas, et amène,'
des prisonniers. La guerre des tribus chaque année dans la sphère de l'occu-
n'en connaît pas. L'Arabe s'est-il rendu pation française presque toute la popu-v
maître d'un ennemi vivant, il le tue lation nomade du Sahara. Ce qui vient;
sans pitié, et va porter sa tête sanglante d'être dit sur les habitants pauvres des
aux pieds de ses femmes , qui l'injurient villes prouve qu'une nécessité analogue
et la maudissent. pousse également vers nous une partie
Il n'y a d'exception à cette barbare de la population sédentaire. Qu'on
coutume qu'en faveur de trois classes nous permette de donner quelques dé-
les marabouts, les forgerons et les juifs; tails sur un fait aussi important pour
la première par respect , les deux autres notre domination en Algérie.
par mépris. Quel est l'origine de ce mé- Avant 1830 les habitants des oasis
pris pour la profession de forgeron? algériennes venaient déjà en assez grand
Nous n'avons pu le savoir ; mais il est nombre dans les villes du littoral. La
certain que lorsqu'un homme se voit journée de l'ouvrier y était de 50 cen-
menacé par plusieurs ennemis et privé times, et pouvait s'élever jusqu'à 75,
de tout moyen de salut, il n'a qu'à tandis que dans les oasis elle ne dépas-
s'envelopper' la tête du capuchon de sait pas 25; c'est cette différence qui les
son bernous; à l'instant sa vie est attirait. A Tunis on les appelait Ouâre.
ALGÉRIE. Si

gli, parce que les gens d'Ouaregla y chanté spontanément devant le fils du
formaient la majorité des travailleurs ; à roi des Français, dans la mosquée sa-
Alger, c'était les gens de Biskra; on harienne de "Sidi-Okba , la plus sainte
les appelait Biskri. Ils exerçaient par- et la plus lointaine du pays conquis.
ticulièrement les professions de cano-
Voyageurs isolés.
tiers et de porte-faix et trouvaient dans
le mouvement de ces deux ports un Les caravanes et les tribus ne circu-
travail lucratif et assuré. lent ni en tout temps ni dans toutes les
L'apparition des Français à Alger éleva directions; aussiles Arabes sont-ils sou-
subitement le prix de la journée à 1 fr. vent obligés de voyager isolément/S'ils
50 c. et 2 francs. L'attraction qui déter- connaissent bien la route, ils partent
minait le mouvement d'émigration vers seuls, marchant le jour quand elle est
le nord n'en fut que plus énergique. sûre, marchant la nuit et se cachant le
Alger devint le point de mire et en , jour lorsqu'ils arrivent dans le voisinage
quelque sorte l'Eldorado des travailleurs de quelque tribu mal famée.
sahariens. En général, lorsque l'on traverse des
Quel que soit l'espoir de fortune qui tribus, il est toujours imprudent d'aller
porte les hommes à s'expatrier, c'est seul. Le plus sûr est de se placer sous la
toujours un sacrifice pénible que de quit- protection d'un mekri (loué). C'est un
ter sa famille et son pays, et le Saharien homme qu'on loue pour servir à la fois
ne s'y détermine pas sans réflexion. de guide et de sauvegarde. Il appartient
Mais aussi quand chaque soir, après à la tribu elle-même dans laquelle on
Une journée laborieuse, il se trouve pos- doit passer, et sous ce rapport il pré-
sesseur d'un pauvre terrien (1), qui ne lui sente toute garantie. Le prix du mekri
assure que sa nourriture du lendemain, est peu de chose; un mouchoir, un fi-
'quand il voit son travail invariablement chu; un simple ruban dont on lui fait
fixé au taux modique de 25 centimes, présent pour sa femme. On le lui remet
sans aucune chance d'amélioration, alors avant le départ; c'est un gage plutôt
Ile courage l'abandonne ou plutôt le cou- qu'un salaire. A partir du moment où il
rage lui revient ; il prend vaillamment l'a reçu, le mekri devient la providence
son parti, et se décide à faire son tour du voyageur, qui ne s'appartient plus et
d'Afrique, comme nos ouvriers font leur se repose entièrement sur son guide du
tour de France, Une caravane part : il la soin de sa sûreté. Dès l'instant du départ
suit, et atteint d'abord une autre ville du il s'établit entre eux une solidarité com-

Sahara là une nouvelle caravane se pré-


: plète le mekri se conduit comme un pi-
;

sente, il la suit encore, et arrive ainsi, lote : il partage la fortune bonne ou


de caravane en caravane, soit à Tunis, mauvaise de son passager.
isoit a Alger. En deux ou trois ans il a S'il sait devoir traverser une région

|
réalisé quelques centaines de francs d'é- dangereuse, à l'avance il prend parmi
conomies. Pour faire valoir ce petit ca- ses amis une escorte suffisante pour
ipital , il le transforme en marchandises, effectuer le passage en sûreté; il ne lui
jqu'il emporte dans son pays. Sur le pro- en coûte rien que de rendre en pareille
duit delà vente il dote une femme, il occasion le même service à d'autres. En-
[achète une maison et un jardin, Au fin jusqu'à ce qu'ils aient atteint le terme
|
bien-être dont il jouit alors se rattache, convenu, le mekri répond de son pro-
[même involontairement, le souvenir de tégé; devant qui? Devant Dieu, sans
;
la source où il l'a puisé. Voilà pourquoi doute, qui lit au fond de la pensée des
la France compte plus d'amis dans le hommes car la fidélité du guide est une
;

i
Sahara que dans la banlieue d'Alger. vertu innée chez les Arabes on ne cite :

Voilà pourquoi le drapeau français fut pas un seul exemple de forfaiture.


accueilli par le peuple de Biskra comme

Il existe un autre moyen de protection
une vieille connaissance; voilà pourquoi pour voyager isolément; c'est le rekkâs.
!
enfin le Te Deum de l'islamisme fut Le rekkâs est une espèce de facteur, qui
ne fait pas d'autre métier que de con-
(i) La huitième partie du rial boudjou, duire des voyageurs et de porter des
environ a 5 centimes. lettres. A la vérité il n'a pas auprès des
e
6 Livraison, ( Algérie. ) 6
82 L'UNIVERS.
hommes îe même caractère d'inviolabi- Ce meuble prend les noms de mezoued,
lité que le mekri; mais il a le mérite de de dabia ou de neffad, suivant qu'il est
connaître parfaitement les lieux. Il sait de grande, de petite ou de moyenne di-
les retraites sûres, les chemins de tra- mension. La rouîna qu^il renferme com-
verse et les bonnes sources ; il sait les pose quelquefois toute la nourriture du
moments où il faut se cacher et ceux où voyageur.
l'on peut marcher au grand jour. II a Veut-il faire un repas , la table est
des amis sur toute la route, et il obtient bientôt mise; il s'assied au bord d'une
pour son compagnon la même hospita- source, il étend sur le sol une des ailes
lité que pour lui-même. Moyennant une de son bernous, qui sert à la fois de
rétribution proportionnée à la longueur nappe et de vaisselle ; il y jette une poi-
et à la sécurité du voyage, il vous prend gnée de rouîna qu'il arrose d'eau, et en
sous sa protection et vous conduit à fait une pâte qui n'a pas besoin d'autre
bon port. Il y a entre le mekri et le rek- préparation. Puis il rapproche ses deux
kâs cette différence que l'un exerce en mains en forme de vase, boit et se re-
amateur et l'autre en artiste. met en route. Un mezoued plein de
L'Arabe ne voyage jamais sans obser- rouîna suffit à la nourriture de quatre
ver la mémoire de la vue est sa pre-
;
voyageurs pour six jours de marche.
mière sauvegarde. En profitant de l'expé- Quand le voyage ne doit durer que
rience du rekkàs, il en acquiert lui-même; deux ou trois jours on substitue à la
,

il apprend a connaître les difficultés et les farine de blé grillé des petits pains ronds
ressources du pays qu'il traverse; et s'il et plats; mais s'il doit être long, on se
se retrouve dans la nécessité de parcou- contente de la rouîna, qui gêne moins et'
rir lamême route, cette fois il part seul à se conserve mieux.
ses risques et périls, ou bien il cherche Un autre instrument indispensable
quelques compagnons de voyage, et or- au voyageur, c'est le bâton (okkaz); il'
ganise une petite caravane, dont il de- sert à tuer les serpents, les vipères et
vient, moyennant une légère rétribution, autres bêtes nuisibles; il sert aussi à
le chef et le guide. tenir à distance les chiens des tribus,
animaux éminemment insociables.
Équipement du voyageur arabe. JMuni de son mezoued et de son bâton
Le voyageur n'est pas toujours sûr de l'Arabe est équipé pour les plus longues
trouver l'hospitalité dans les tribus. S'il traversées; mais à la condition de trou-
n'y connaît personne, il court le risque de ver de l'eau en route.
coucher à la belle étoile et de vivre d'air et Il est vrai que les pays qu'il traverse

d'eau. D'ailleurs, quand on n'est pas en n'en sont pas toujours fort abondamment,
nombre, et qu'on ne veut pas faire la dé- pourvus; c'est pourquoi l'équipage de!
pense d'un mekri, il est prudent, avons- route exige souvent un nouveau meuble,;
nous dit, d'éviterles tribus. Ajoutonsque la chenna; il est du reste aussi simple
lorsqu'on s'engage dans le Sahara, on et aussi peu embarrassant que les autres,^

doit s'attendre à traverser des landes in- C'est encore une peau de chevreau; mais
habitées. Il est donc sage de prendre ses elle dif ère du mezoued parle mode dé
mesures pour se passer du secours des préparation. Celle-ci conserve son poil
hommes et d'emporter ses provisions et reçoit à l'intérieur une couche de gou-
pour toute la route. Elles consistent dron' Les trous sont cousus et goudron-
quand on y met du luxe, dans une pâte nés avec soin, à l'exception d'une des
formée de rouîna, de dattes et de beurre, pattes qui reste ouverte pour emplir le
le beurre étant destiné, dit-on, à pré- vase ou le vider. Grâce à l'imperméabilité
server d j la soif; mais le plus souvent, des coutures et à l'enduit prést rvatif, l'eau
elles se réduisent à la rouîna. Or, la rouîna peut s'y conserver l'espace de dix jours
n'est autre chose que du ble grillé dans sans éprouver la moindre altération.
une poêle et broyé à la meule de mé- Ainsi la chenna sur une épaule , le me-
nage. La farine obtenue ainsi est intro- zoued sur l'autre, un bâton à la main,
duite et pressée dans une peau de mouton l'Arabe peut traverser des steppes im-
ou de chèvre tannée, et teinte en rouge, menses , arides et inhabités, et cela à
que l'on porte en sautoir derrière le dos. raison de auinze lieues par jour,; car il
ALGERIE. 8S

marche depuis le lever jusqu'au coucher CLIMAT.


du soleil.
Dans l'état normal il conserve les pieds Température. —
État électrique et hygromé-

nus mais pour traverser les montagnes


trique de l'air. —Indicaiions du baromè-
;

couvertes de neige ou les sables brûlants


tre. —État du ciel. —Pluie. —
Morta-

de la plaine, il souffrirait trop à ne pas


lité. —Tremblements de terre.

les garnir. La chaussure d'été s'appelle Température, —


Les habitants du
torbaga; elle consiste en une semelle nord de la France qui se rendent en Algé-
de peau de bœuf ou de chameau fixée rie s'attendent généralement à y trouver
par quatre ou cinq bouts de ficelle noués des températures exorbitantes. Ils ont à
sur le pied. La chaussure d'hiver, nom- franchir plus de trois cents lieues sur le
mée affân, ne diffère de la précédente méridien de la capitale. Ils doivent sau-
qu'en ce que toute la jambe jusqu'au ter du 49 e degré delatitude au 36 e ,
genou est garnie de lambeaux de bernous et s'avancer par conséquent de douze de-
maintenus par des ficelles qui se croi- grés vers le sud du monde. Il leur semble
sent dans tous les sens. que l'effet d'un déplacement aussi consi-
Cela complète l'équipement de voyage, dérable doit s'exercer au moins autant
et cet équipement approprié à tous les sur les températures de l'été que sur celles
besoins, à tous les climats, à toutes les de l'hiver, et y occasionner des chaleurs
saisons, se compose de deux besaces, plus accablantes encore que celles que
d'un bâton et d'une chaussure simple et nous ressentons quelquefois en France.
grossière. Il est bien vrai que la température
Les mœurs austères des voyageurs moyenne de Paris est inférieure de 7°
arabes sont aussi celles des chameliers, à celle de la côte d'Algérie, la première
qui font tous les transports de marchan- étant de 10° 8' et la seconde de 17° 8'.
dises de l'est à l'ouest et du nord au sud Mais avant de s'effrayer des consé-
de l'Afrique. quences de ce fait, il faudrait savoir si
Quel contraste entre les besoins et les la différence entre les deux moyennes
habitudes du chamelier arabe et ceux du n'est pas due à une diminution des
roulier européen! Le voiturier a besoin rigueurs de l'hiver beaucoup plus qu'à
chaque soir d'un toit et d'un lit, ne fût- un accroissement des rigueurs de l'été.
ce qu'un toit de chaume et un htde paille ; Il est facile d'apprécier quelle est
il a besoin d'une nourriture substantielle, celle de ces deux saisons qui fait pencher
et cette nécessité devient plus impérieuse la balance thermométrique on n'a qu'à
:

encore par suite de l'excitation alcoo- comparer les températures extrêmes de


lique qu'il cherche dans les cabarets. l'hiver et de l'été dans les deux villes. Si
Le chamelier arabe ne demande pas la différence entre les températures ex-
d'autre lit que la terre, d'autre toit que trêmes de l'été est de beaucoup inférieure
le ciel. Sa nourriture se compose d'eau à la différence des températures extrêmes
et de froment, et encore il remercie le de l'hiver, il faut en conclure que c'est
ciel qui les lui envoie. Dans une source par l'hiver surtout que la température
limpide il trouve le plus délicieux des d'Alger est supérieure à celle de Paris»
cabarets. J'ai cherché les éléments de cette
C'est pourtant à cette frugalité, si éloi- comparaison pour sept années, A Alger,
gnée des habitudes européennes, que durant cet intervalle, la plus haute tem-
nous devons la datte qui paraît sur nos pérature de l'été n'est pas descendue au-
tables une partie de l'ivoire qui décore dessous de 31 °, mais aussi elle ne s'est pas
nos meubles et de l'or qui alimente notre élevée au-dessus de 33°. A Paris la plus
luxe. haute température s'est trouvée une an-
née descendre à 29° 50'; mais aussi
dans une autre année elle s'est élevée
à 35°. En prenant la moyenne de ces
sommités annuelles j'ai trouvé pour Pa-
ris 32° 17' et pour Alger 31° 9' c'est- ;

à-dire que les grandes chaleurs a Pa-


ris sont , année moyenne, supérieures
6.
84' L'UNIVERS.
aux grandes chaleurs d'Alger d'envi- étés. Dans les mois extrêmes comme
ron un quart de degré. dans jours extrêmes le climat d'Alger,
les
Passons maintenant à l'extrémité op- se distingue de celui de Paris beaucoup
posée de l'échelle. Pendant les sept plus par une diminution du froid que
années auxquelles s'appliquent ces ob- par une augmentation de la chaleur. !

servations, le thermomètre, dans ses La régularité habituelle de l'état ther-


plus grands écarts, est descendu à Paris mométrique en Algérie annonce le voi-
jusqu'à 17° au-dessous de zéro. A sinage de ce que les Arabes appellent la
Alger il n'a pas passé 8° au-dessus de balance du monde, de Péquateur; et ce
zéro. La moyenne de ces accès annuels qui ne l'annonce pas moins c'est le ca-
de refroidissement a été : ractère à la fois brusque et violent des
Pour Paris, 1 0° 28' au-dessous de ; exceptions. Je me rappelle avoir cons-
Pour Alger, 10 7' au-dessus de 0. taté en 1840 dans l'espace d'une heure
La différence entre les grands froids une variation de température de 23°.
d'Alger et les grands froids de Paris at- C'étaitau campd'Aïn-Turc, à sept lieues
teint donc le chiffre énorme de 20° 98' à l'ouest de Sétif. Le bivac d' Ain-Turc
ou environ 21°. est entouré de montagnes d'un aspect
Ainsi il est bien établi que la diffé- noirâtre. J'y arrivai à deux heures de
rence entre les températures moyennes l'après-midi. Il faisait une chaleur étouf-
des deux climats de Paris et d'Alger fante; le thermomètre marquait 36°.
provient d'un adoucissement considé- Les tentes venaient d'être installées,
rable de l'hiver et nullement d'un appe- lorsque le ciel se couvrit de gros nua- \

santissement de l'été. ges; ce qui assombrissait encore la


Celte différence ne tient pas à l'inten- teinte noire des montagnes. Bientôt
sité des chaleurs, mais à leur continuité. l'orage éclata. Il tomba une grêle épou-
A partir du milieu de mai il s'établit vantable ; les grêlons étaient de la gros-
dans tous les phénomènes atmosphé- seur d'un œuf de pigeon. Quand il fut
riques une régularité qui maintient la possible de s'aventurer hors des tentes, \

température à peu près au même degré l'horizon avait entièrement changé d'as- \

jusqu'au milieu d'octobre; cependant on pect. Toutes les montagnes étaient blan-
observe de légères différences entre les ches depuis le pied jusqu'au sommet.
mois d'été. A Alger le mois le plus chaud Nous consultâmes alors notre thermo- :

de Tannée paraît être le mois d'août ; mètre; il ne marquait plus que 13°. La
du moins dans l'intervalle des sept an- température avait donc baissé de 23°.
jj

nées que ces observations embrassent, Cette provision de glace si inattendue


la plus forte moyenne, mensuelle est que le ciel nous envoyait fut mise à \

fournie six fois par le mois d'août et profit par quelques personnes, qui eurent
une fois par le mois de septembre. A
j

la satisfaction de boire du Champagne


]

Paris , c'est le mois de juillet dans les


: frappé.
sept années, les plus fortes moyennes Le sirocco ou vent du désert est un '

mensuelles s'appliquent cinq fois à juil- de ces accidents particuliers à l'Afrique,


'<

let, une fois au mois de juin et une fois qui apportentdans la température des mo-
au mois d'août. difications presque instantanées: tantôt il
La température moyenne du mois le s'annonce par une bourrasque violente,
plus chaud, calculée pour les sept années, qui enlève les tentes et renverse les che-
est à Alger de 29° et à Paris de 23° minées; quelquefois il prélude par un
21'. La différence, qui est de 5° 79', re- calme plat, auquel succède un souffle d'a-
présente à peu près la différence entre bord faible mais toujours brûlant. Lors-
l'été d'Alger et celui de Paris. A Alger la que le sirocco a soufflé pendant quel-
température moyenne du mois le plus ques heures, le soleil se couvred'un voile
froid est de 15° 39' ; à Paris elle est de 0° rougeâtre ; une poussière imperceptible
72'. La différence, emi est de 14° 67', re- se répand dans l'air et le trouble. Le vent
présente à peu près la rigueur relative du désert produit sur la peau une im-
des deux hivers, et l'on voit encore pression de chaleur qui la dessèche la ;

combien l'influence de la latitude s'exerce respiration devient difficile et haletante ;


davantage sur les hivers que sur les le corps tombe dans l'accablement : il
,

ALGÉRIE. m.

n'est pas jusqu'aux animaux qui ne res- vanche l'été doitcommencer plus tôt,finir
sentent lès mêmes effets ; toute la nature plus tard, et conserver pendant tout
vivante éprouve un trouble indéfinis- le temps de sa durée des températures
sable. plus élevées et plus uniformes.
Heureusement cette crise atmosphé-
État électrique et hygrométrique
rique ne dure pas longtemps sur le lit-
:

de l'air.
toral elle se prolonge rarement au-delà
de quarante-huit heures ; alors la brise Il s'en faut de beaucoup que l'impres-

de mer reprend le dessus, et replace tous sion de la chaleur sur les organes dé-
les organes dans des conditions norma- pende uniquement de l'effet mécanique
les. Dans l'intérieur la brise de mer ar- de dilatation accusé parle thermomètre,
rive plus faible, le sirocco se montre plus $iie se combine encore de l'influence de
tenace; lorsqu'il a soufflé plusieurs l'électricité et des variations qui sur-
jours de suite , on voit la température viennent dans la pesanteur et l'humi-
s'élever à 45°. dité de l'atmosphère.
Ce phénomène, vraiment redoutable Je ne sais s'il a été fait en Algérie des
par l'influence qu'il exerce sur tous les observations électrométriques continues;
êtres vivants, ne se produit en général mais tout le monde peut y constater
que trois ou quatre fois dans l'année. l'extrême rareté des orages ; l'état élec-
L'année 1839 est une de celles où il a trique de l'atmosphère s'y écarte donc
été le plus fréquent. Alger l'a ressenti peu des conditions normales, ce qui
huit fois, savoir le 7 mai, le 14 et contribue encore à adoucir l'effet des
er
le 21 juin, le 1 et le 14 juillet, le 16, hautes températures, que les orages,
le 18 et le 26 août. si fréquents en France rendent presque
,

Dans l'intérieur, la température toujours accablantes.


moyenne éprouve des variations qui
Observations barométriques.
dépendent delà hauteur. Nous avons dit
que sur le littoral elle est de 17° 8'. Elle Ici encore nous retrouvons dans le
descend à 16° sur les plateaux du Tell, à climat d'Alger le caractère de régularité
Constantine, Sétif, Médéa, Miliana; qui , dans les divers ordres de phénomè-
mais elle remonte à 20° dans le Sahara. nes, tempère les effets de la latitude.
Lorsqu'on s'éloigne de la côte, les On sait que dans son état normal la
oscillations annuelles de température pression atmosphérique équivaut au
deviennent plus larges; le thermomètre poids d'une colonne de mercure de
descend davantage pendant l'hiver et soixante-seize centimètresd'élévation et ,

remonte aussi davantage pendant l'été. que c'est par les ascensions et les dépres-
Il neige presque tous les ans à Cons- sions d'une colonne de mercure introduit
tantine, à Sétif, à Médéa, à Miliana et à dans un siphon de verre renversé que
Tlemcen : en revanche , il n'est pas rare l'on mesure les fluctuations de la co-
d'y voir le thermomètre s'y élever pen- lonne d'air répandue sur nos têtes.
dant l'été à 36°. La colonne de mercure étant très-
Dans le Sahara lui-même l'hiver est courte à raison du poids de ce métal
plus rigoureux que sur la côte; il ne les variations sont très-faibles; mais
se passe pas une année où l'on n'y voie elles correspondent à des variations
de la glace le givre y est assez fréquent ;
: énormes dans la hauteur correspondante
on ne parvient à préserver les jeunes de l'athmosphère. On peut s'en faire
palmiers de l'action meurtrière du froid une idée par un calcul bien simple. La
qu'en les garnissant depuis le pied jus- hauteur de noire atmosphère a été
qu'à la tête de débris végétaux Les Saha- . évaluée à environ vingt lieues, ce qui
riens, interrogés sur les températures ferait quatre-vingts kilomètres. Suppo-
de leur région natale, disent que l'hi- sons qu'il y en ait soixante-seize, cela
ver d'Alger serait le printemps pour eux; simplifiera le calcul. Chaque centimètre
que dans leur pays ce n'est pas trop de de mercure fait donc équilibre à un
deux ou trois bernous pour se couvrir kilomètre d'air et chaque centimètre de
pendant l'hiver, tandis que sur la côte un variation dans la hauteur de mercure
seul suffit toujours. Il est vrai qu'en re- produit une variation d'un kilomètre
86 L'UNIVERS,
dans la hauteur de la colonne. Ainsi huit ans a été de 0,774
quand dans le baromètre le niveau du A Paris elle a été de 0,772
mercure s'abaisse ou s'élève seulement Le baromètre d'Alger a donc dépassé
d'un millimètre, on est averti que le ni- dans ses plus grandes ascensions moyen-
veau supérieur de l'atmosphère s'a- nes le baromètre de Paris de deux mil-
baisse ou s'élève de cent mètres. limètres. Ce sont les dépressions baro-
On comprend dès lors comment il se métriques qui amènent les tempêtes,
fait qu'ilsurvienne des tempêtes lors- qui agitent les nerfs, qui fatiguent la
que le baromètre descend seulement de tête, qui rendent enfin ce qu'on appelle
trois centimètres au-dessous de son ni- très-improprement le temps lourd. Eh
veau normal puisque cet abaissement,
, bien, c'estjustementdans lesdépressions
si faible en apparence, correspond en que le baromètre d'Alger est au-dessus
realité à un soubresaut de trois mille de celui de Paris. Dans les ascensions
mètres dans la hauteur de la colonne il atteint à peu près le même niveau.

atmosphérique. La moyenne des plus grandes dépres-


On conçoit aussi qu'un pays où sions étant à Alger de 0,746 et à Paris
de semblables écarts de régime se re- de 0,734 , il en résulte que le baromètre
produisent fréquemment doit imposer à Paris descend au-dessous de son ni-
à ses habitants un tribut de malaises veau normal de 26 millimètres et de
et d'infirmités, compagnons inséparables 14 millimètres seulement à Alger , c'est-
de ces crises atmosphériques. à-dire à peu près deux fois moins. On
L'extrême mobilité de l'air rend iné- peut en conclure que la tendance du,
vitables les variations barométriques; climat d'Alger aux désordres at?nos-
mais le climat le plus régulier et en phériqueS} aux tempêtes, aux temps
niêmeteinps le plus doux serait celui où deuxfois moindre
lourds, est à peu près
ces variations s'écarteraient le moins que du climat de Paris.
celle j

de la position d'équilibre et s'en écar- La moyenne des plus hautes ascensions


teraient également dans les deux sens. du baromètre étant à Alger de 0,774,
Appliquons ces observations aux deux il en résulte qu'il s'élève dans l'année;
climats d'Alger et de Paris. moyenne au-dessus de son niveau nor-<
J'ai recherché quelles avaient été dans mal de 14 millimètres, c'est-à-dire
une période de huit années les plus gran- précisément de la même quantité dont;
des variations annuelles du baromètre à il descend au-dessous. Ainsi le climat.
,

Alger et à Paris. A Paris il est des- d'Alger est dans les conditions assignées;
cendu une fois à 0,729, c'est-à dire à aux climats les plus doux et les plus
31 millimètres au-dessous de son point réguliers, puisque les plus grandes os-'
normal. A Alger il n'a pas dépassé 0,731. dilations atmosphériques s'éloignent;
La moyenne de ces huit observations également dans les deux sens de la po-,i
extrêmes donne la valeur du plus grand sition d'équilibre.
écart moyen ; voici les nombres : C'est à l'ensemble de ces conditions;
AAlger la moyenne des moindres climatériques qu'il faut attribuer un effet
hauteurs annuelles du baromètre pendant remarquable souvent observé par beau-
huit ans a été de 0,746 coup de personnes. En se rappelant à
A Paris elle a été de 0,734 Paris, sous l'influence de certains jours
Le baromètre d'Alger s'est donc tenu d'été, l'impression produite sur leurs or-
même dans ses plus fortes dépressions ganes par les mêmes températures sous
au-dessus de celui de Paris de douze le climat d'Algérie, ces personnes cons-
millimètres, ou en d'autres termes les tataient quà température égale on
affaissements de la masse atmosphéri- souffre plus de la chaleur à Paris qu'à
ques ont eu moyennement 1200 mètres Alger.
de profondeur de moins à Alger qu'à
État du ciel.
Paris.
Les mouvements d'ascension donnent Les rhumes, les catharres, et toutes
une différence beaucoup plus faible. les affections de poitrine qui apportent
,

A Alger la moyenne des plus grandes une si triste compensation aux douceurs
hauteurs annuelles du baromètre pendant de la capitale, sont des infirmités très-
,

ALGÉRIE. 87

rares sous climat de l'Algérie. Une


le deux pays. A l'aspect des ruines innom-
différence aussi considérable dans les brables accumulées sur le sol de l'Algérie
?ffets des deux climats est due en par- par la domination romaine ce qui attire
,

tie aux causes que nous venons d'ana- d'abord l'attention du voyageur , c'est
lyser. Il est impossible que les consti- la teinte rougeâtre qui colore leurs
tutions faibles ne ressentent pas doulou- vieilles murailles. Beaucoup de ces restes
reusement le contre-coup de ces gran- d'antiquité ont reçu des indigènes le
ies aberrations du thermomètre et du nom de Kasr-el-Ahmer (le Château-
saromètre. Mais l'effet doit être aussi Rouge), nom qui constate la réalité et
ittribué à l'état du ciel. Sous l'action la généralité de cette impression. Il en
)ienfaisante d'un rayon de soleil quelle est de même des roches naturelles , lors-
souffrance ne se sent pas soulagée? qu'elles sont restées durant plusieurs
Quelle organisation délicate n éprouve siècles exposées au contact de l'air. De là
3as d'indicibles malaises en présence encore le nom de Rêf el-Ahmer (la
l'un cielsombre et brumeux? Roche-Rouge) très-prodigué dans la
Les poètes et les touristes ont célébré géographie indigène. Il suffit de déta-
a splendeur du soleil d'Afrique; mais cher un fragment de la pierre ou de la
eurs descriptions, quelque charme roche pour se convaincre que le vernis
aient d'ailleurs, laissent tou-
ju'elles général répandu à la surface est une cou-
ours du vague dans l'esprit. Essayons leur d'emprunt. Au-dessous de leur sur-
ionc d'exprimer par des nombres l'effet face rougeâtre on retrouve la couleur
datif qu'ils ont cherché à rendre par naturelle de la pierre, qui quelquefois est
les images. d'un gris presque noir, comme par
J'ai compté , pour une période de neuf exemple à Constautine.
;ns les jours de beau temps
, de temps, Rien de semblable n'a lieu en France.
'ouvert et de brouillard à Paris et à Les édifices passent en vieillissant du
Llger. Le résultat de cette supputation, jaune-pâle, qui est la couleur de la pierre,
iivisé par 9, donne le nombre annuel d'abord au gris sale, puis au gris de
inoyen de jours sereins, nuageux ou deuil , et enfin , après plusieurs siècles
fumeux dans les deux capitales. d'existence, ilsdeviennentpresque noirs,
I
Le nombre des beaux jours, calculé comme nos cathédrales gothiques. Le
insi,se trouve être, à Paris de 174 temps n'a donc pas pour la France le
1

A Alger de 241 même vernis que pour l'Afrique, puis-


[^ nombre des jours nuageux ou cou- qu'il habille les monuments de l'une en
ertsest, à Paris de 171 noir et ceux de l'autre en rouge.
A Alger de 76 Comment en serait-il autrement? Qu'on
!«fin le nombre des jours de brouil- se figure deux édifices construits en
ird est à Paris de
, 204 même temps et des mêmes matériaux
A Alger de 6 l'un à Paris, l'autre en Afrique. Qu'on les
Llger compte donc annuellement 67 suppose destinés l'un et l'autre à tra-
l;eaux jours de plus que Paris , 95 jours verser un espace de deux mille ans,
(ombres et 198 jours brumeux de moins. c'est l'âge moyen des ruines romaines.
Ainsi, le séjour d'Alger promet chaque Pendant ces deux mille ans l'édifice
innée un tiers de beaux jours de plus africain aura joui chaque année du soleil
ue le séjour de Paris, deux fois et un soixante sept jours de plus que son
\uart moins de jours couverts et trente- frère jumeau d'Europe. Chaque année
Quatre fois moins de jours brumeux. il aura échappé à l'influence de quatre-

Ces différences sont immuabiescomme


! vingt-quinze jours de nuages et de cent
i;3S positions relatives sur le globe des quatre-vingt-dix-huit jours de brouillard.
eux localités qu'elles caractérisent. En Répétées pendant une période de deux
emontunt le cours des âges , on trouve- mille ans , ces différences équivalent à
fait à toutes les époques, sauf quelques une insolation continue de trois cents
ingères variations, la même moyenne soixante-six années, à une demi -obscu-
innuelle de jours sereins et de jours rité continue de cinq cents vingt an-
nébuleux. Aussi, a-t-elle laissé son em- nées, à une humidité continue de cent
preinte séculaire sur les monuments des huit années. v
88 L'UNIVERS.

Quel monument ne se couvrirait pas ce qui fait la dixième partie de la quantité


d'un voile noir et terne sous l'action de d'eau pluviale que Paris reçoit dans toute ;

eus onze siècles de brume? quel monu- l'année. Comme si le ciel eût été épuisé j

ment ne se colorerait pas d'une teinte par cette saignée, le reste du mois se
splendide et chaude sous l'action de ces passa sans pluie.
quatre siècles de soleil? La saison des grandes sécheresses
Cependant, il s'élève quelquefois à commence vers le milieu de mai. Dès
Alger, même pendant la belle saison, des lors plus de pluie, plus même de nuage :

brumes extraordinaires qui envahissent le soleil se lève et secouche chaque jour


tout l'horizon. C'est un phénomène de dans toute sa splendeur. Le mois de
ce genre qui, dans le courant de juillet juillet est le plus remarquable par la
1845, fut au bateau à vapeur le
fatal constance de sa sérénité sur une pé-
;

Sphynx dévié de sa route par le cou-


;
riode de neuf années dont nous avons
rant et placé par l'effet du brouillard les observations udométriques sous les
dans l'impossibilité de voir la côte il , yeux, huit fois le mois de juillet s'est
alla se perdre sur les roches basses du achevé sans avoir donné une seule goutte
cap Matifou. de pluie une fois seulement il est tombé
;

* par hasard un millimètre et demi d'eau.


Pluie.
La moyenne du trimestre sec à Alger
A Paris il pleut à peu près également est de treize millimètres et demi, la
en toute saison. A Alger on constate moyenne du trimestre pluvieux est de
invariablement l'existence d'un trimestre 428 millim. 630. On peut en conclure,
très-pluvieux (décembre, janvier, fé- qu'à Alger il pleuUr ente-deuxfois moins
vrier) et d'un trimestre très-sec (juin, pendant les trois mois d'été que pendant
juillet, août) séparés par deux trimes- les trois mois d'hiver.
tres également et moyennement plu- A Paris le mois qui, durant une pé-,
vieux. riode de vingt et une années a fourni la'
,

Quand vient la saison des grandes moindre d'eau pluviale es


quantité
pluies, il descend du ciel des torrents février, et le mois qui a fourni la plu
d'eau. Il tombe alors dons l'espace de grande est mai. La quantité moyennei
trois mois la moitié environ de l'eau d'eau tombée en février, et mesurée sur
pluviale que produit l'année entière. la terrasse de l'Observatoire de Paris,,;
Souvent pendant plusieurs jours de suite a été de 31 millim. 99; la quantité
les averses se succèdent, ne laissant entre moyenne d'eau tombée en mai a été d
elles que quelques heures d'intervalle, et 48 millimètres, 89 ; une fois et demi
elles conservent quelquefois plus d'une davantage.
heure leur impétuosité torrentielle. A Alger la quantité moyenne d'ea
C'est en novembre 1841 qu'on a ob- tombée en juillet, qui est le mois leplu
servé à Alger pour un temps très-court,
,
sec, est de cent soixante sept millièmes
er
les plus fortes quantités de pluie. Du 1 de millimètre; la quantité moyenne-
au 2, en moins de quarante-huit heures, d'eau tombée en décembre, qui est lei
il tombé cent trente-neuf millimètres
est mois le plus humide, est décent soixante-
d'eau c'est ce qui tombe a Paris pendant
;
quinze millimètres quatre c< nt qunrante-
troismois et demi. Quelques édifices fu- cinq millièmes mille fois davantage.
:

rent gravement endommagés par ce dé- Enfin, en comparant le mois le plus


luge; deux maisons mauresques de la humide et le mois le plus sec de Paris
haute ville ne purent résister au choc et aux deux mois correspondants d'Alger,
s'écroulèrent. La pluie ne discontinua on constate que dans le mois le plus
pas pendant ces deux jours quelquefois : numide il tombe près de quatre fois

la cataracte paraissait se calmer; mais plus d'eau à Alger qu'à Paris, et que
elle se ruait bientôt avec une nouvelle dans le mois le plus sec il en tombe
violence. La plus forte averse eut lieu le 2 cent quatre-vingt-huit fois moins.
dans la matinée ; elledura de onze heures Il tombe moyennement à Paris dans

et demie du matin jusqu'à une heure, une année quatre cent quatre- vingt deux
c'est-à-dire une heure et demie. Elle pro- millimètres quarante et un centièmes
duisit quarante-neuf millimètres d'eau ; d'eau, mesurés sur la terrasse de l'Obser-
,,

ALGÉRIE. S9

vatoire royal ; à Alger il en tombe huit mort a diminué tous les ans; et, enfin ,

cent quatre-vingt-dix-huit millimètres en 1845 elle n'était plus que de 2,82,


soixante-deux centièmes, mesurés sur la chiffre qui rentre dans les limites ordi-
terrasse de l'observatoire des ponts et naires, puisque la mortalité moyenne de
chaussées. Il pleut donc à Alger à peu la France est de 2,56 , et que celle de
près deux fois plus qu'à Paris. Paris s'est élevée en 1842 à 3,28. Bône
Comptons maintenant le nombre an- est aujourd'hui de toutes les villes du
nuel des jours de pluie dans les deux littoral celle où
mortalité atteint le
la

villes. A Paris cent quarante-deux jours moindre chiffre. Voilà doneune ville qui
de pluie; à Alger cinquante-six; deux d'un état désespéré est revenue progres-
fois et demi moins. sivement à des conditions normales de
Alger reçoit deux fois plus de pluie salubrité, et cette transformation s'est
et compte deux demie moins de
fois et accomplie dans l'espace de treize ans.
jours pluvieux; il tombe donc dans cha- Boufarik, au milieu de la Métidja,
que jour de pluie cinq fois plus d'eau est encore un de ces établissements mal
à Alger qu'à Paris. famés qui se réhabilitent peu à peu. Ce-
pendant elle perdait encore en 1845
Mortalité.
4,04 habitants sur 100. Blida, au con-
Lamortalité telle que les registres de traire, avec son horizon pittoresque et
l'état civil la constatent ne représente sa ceinture d'orangers, passait pour un
pas encore en Algérie l'effet normal des paradis terrestre. Eh bien, la morta-
propriétés climatériques que nous ve- lité y était encore en 1845 de 6,62 !

nons d'analyser. Elle se combine de • Alger, qui possède toutes les ressour-
causes étrangères et accidentelles inhé- ces des grandes villes, qui compte
rentes à la naissance des sociétés. Elle dix-huit années d'une existence cons-
'

s'accroît de périls temporaires sembla- tamment privilégiée et largement sub-


ventionnée, Alger , dont nous avons fait
1

blés à ceux qui entourent l'enfance des


hommes. Au premier rang de ces cau- ressortir les qualités climatériques
ses funestes il faut placer l'insuffisance communes d'ailleurs à presque toute la
;
ou l'insalubrité des habitations, les côte , Alger présente en 1845 le chiffre,
mouvements de terre considérables né- assez élevé, de 3,64 décès sur 100 habi-
cessités par la fondation des édifices et tants. Toutefois, ce chiffre réalise encore
par les travaux de défrichement dans une amélioration sur les cinq premières
;
des localités que la main de l'homme années, dont la moyenne était de 4,69.
I n'avait pas fouillées aussi profondément Le point de l'Algérie le plus maltraité,
1

depuis bien des siècles il faut compter


; même aujourd'hui, est la commune
les privations, les fatigues, les misères d'El-Harrouch , située sur la route de
\ de toute nature inséparables d'une pre- Philippeville à Constantine. Cependant
|
mière installation. point de marais, le pays est magnifique.
Quelques villes ont déjà franchi cette Le village occupe un mamelon qui
l
période d'épreuves; d'autres la subis- domine une jolie plaine, entourée de
\
sent encore : il en est qui, par un montagnes boisées. Toutes ces circons-
i
hasard heureux dont il serait difficile de tances favorables n'ont pas empêché
; déterminer les causes, ont traversé El-Harrouchde voir périr en 1845 14,14
ces premiers jours de leur existence pour 100 de sa population.
j
sans payer à la mort le tribut qu'elle En revanche, Sétif , situé sur un pla-
impose a tout ce qui naît. teau nu, réduit pendant plusieurs an-
Bône est une des villes de l'Algérie nées à l'état de camp, n'ayant d'autres
où les* maladies ont exercé le plus de habitations que des tentes ou de misé'
ravages. Dans les premières années la râbles baraques , Sétif s'est signalé par
i population s'est vue réellement décimée. sa salubrité des les premiers jours de
; En 1833 la mortalité y était de 9,05 l'occupation; elle acquit même sous ce
! pour 100 habitants; en 1834, de 8,72; rapport un tel renom, qu'un officier
; en 1835, année du choléra, de 8,75, supérieur de l'armée d'Afrique, atteint
!
en 1836, de 7,12; en 1837, de 7,25. depuis longtemps d'une maladie grave
Depuis cette époque la part de la demanda un congé, non pas pour la
m L'UNIVERS.
France , mais pour Sétif. Il alla y vivre en Algérie par le contact et l'exemple
sous la tente et, malgré l'incommodité d'une société plus avancée atteindront
de cette situation,, ne tarda pas à se par degrés la barbarie dans un de ses
rétablir. La mortalité de Sétif est effets les plus affligeants, la mortalité.
de 1,66 pour 100, à peine les deux tiers
Tremblements de terre.
de la mortalité moyenne de la France.
Il n'y a en Algérie que la ville de Mé- Voici assurémentle phénomène le plus
déa qui puisse lui être comparée. Le redoutable et celui que l'on redoute le
chiffre des décès n'y était en 1845 que moins. A voir la hauteur et la hardiesse
de 1,60 pour 100. des édifices que la conquête française a
La mortalité moyenne de toute l'Al- élevés, on croirait qu'ils reposent sur un
gérie, calculée sur les trois années sol inébranlable, et qu'aucun souvenir,
de 1843, 1844 et 1845 est de 4,47 pour aucune tradition n'autorise la méfiance.
100. Il y meurt donc par année 2 ha- Il n'en est rien pourtant. Le sol lui-
bitants pour 100 de plus qu'en France. même porte l'empreinte d'épouvantables
Mais ce chiffre se répartit très-inégale- catastrophes qui, à différentes époqueset
ment entre les différentes localités. Il sur différents points , l'ont bouleversé.
pèse beaucoup moins sur les plateaux Au milieu de désordres de toute na-
du Tell que sur le littoral. Le tableau ture qui se remarquent dans les ruines
suivant fournit la valeur de la part qui des villes anciennes, apparaissent desac-
revient aux deux régions. cidentsqu'il est impossible d'attribuer ni
au caprice du temps ni à la violence des
Mortalité Mortalité
dans
hommes. Tantôt ce sont des déchirures
les villes de la côte. les villes de l'intérieur. larges et profondes qui séparent des <;

Bône, 2,82 0/0 Guelma, 2,23 0/0 massescolossales de béton; tantôt ce sont ;

Philippeville, 5,53 Sétif, 1,66 des ruptures de voûtes dont la forme ;

Bougie 3,07 Médéa, 1,60 bizarre etfantastiquenepeut être l'effet


'

Miliana,
Alger, 3,64 2,56 que d'une commotion souterraine. A
Tenès, 4,96 Mascara, 2,81
Guelma on a trouvé des murs en pierres
Mostaganem, 3,70 Tlemcen, 1,76 ]

de taille rabattus autour de leur base


Oran, 4,15 12,62
Moyenne, 2,10
comme autour d'un axe de rotation; on j
27,87
voit que la masse entière, avant de
Moyenne, 3,98
tomber, dut osciller sur elle-même, et
On voit que la mortalité moyenne quedans une de ces oscillations elle s'est
des plateaux du Tell est à peu près abattue tout d'une pièce. Ni le temps ni
moitié moindre que celle du littoral , et les hommes n'ont pu procéder ainsi.
qu'elle est en outre inférieure à la mor- Au reste, parmi les villes sans nombre
talité moyenne de la France. dont l'Algérie nous a livré les débris
Ce qui précède ne s'applique qu'à la informes, il en est sans doute beau-
population civile européenne. La mor- coup plus que nous ne pensons qui,
talité est un peu moindre parmi les in- déjà épuisées par la discorde ou par la
digènes, du moins parmi les indigènes guerre , ont reçu le coup de grâce du
des villes , les seuls qu'il ait été possible sol qui les supportait; mais en présence
d'assujettir aux formalités de l'état de ces squelettes inanimés sur les-
civil. La mortalité constatée dans la quels tant de mutilations ont passé, l'his-
population indigène des territoires ci- torien éprouve souvent le même embar-
vils étaiten 1845 de 4,08 pour 100 ras qu'un juge d'instruction en présence
pour les musulmans, et de 3,81 pour d'un cadavre défiguré sur lequel les ra-
100 pour les Israélites. vages du temps ont fait disparaître les
La différence entre ces chiffres et ce- causes de la mort.
lui que fournit l'état civil de la France Il arrive bien rarement que le hasard

doit représenter à peu près la distance ait conservé à l'histoire des témoins sem-
qui sépare la condition sociale des deux blables à ceux que l'ancienne capitale
pays, les deux états de civilisation. de la Mauritanie Césarienne recelait au
Mais il est hors de doute que les amé- fond des eaux. Les colonnes, les statues,
liorations de toute nature introduites les pans de mur que l'on a retrouvés
,

ALGÉRIE, 9*

mfouis pêle-mêle avec un débris de la gné. inutile de dire que la ville


Il est

narine romaine sous la vase du port de était demeurée entièrement déserte et


cherche! , n'ont pu y être précipités ni que la population campait en plein air. On
bar le temps ni par les hommes. Ce saitquecette catastrophe eut pour résul-
ont là des pièces de conviction devant
*
tat l'abandon d'Oranparles Espagnols.
lesquelles le doute n'est pas permis. Vers 1810 la ville de Bône éprouva
Mais laissons les témoignages inscrits un tremblement de terre qui endom-
jlans les débris de ces âges antiques, magea gravement plusieurs édifices. De
bour arriver à des indications plus pré- ce nombre fut la maison dite de France,
cises, à des traditions plus récentes. habitée alors par l'agent de cette nation
Le plus ancien tremblement de terre et depuis la prise de la ville par les of-
;

<jue je trouve mentionné dans l'histoire ficiers du génie. Il existe encore dans

noderne ne remonte pas au delà du dix- cette maison, qui à cette époque ve-
niitièmesiècle.IleutlieuàAIger,enl716. nait d'être construite ou au moins ré-
La première secousse arriva le 3 février; parée, quelques traces des effets du
îlle fut assez violente pour renverser tremblement de terre.
me partie de la ville. Un grand nom- En1825 ce fut le tour de Blida. Dans
>re d'habitants restèrent ensevelissous l'espace de quelques secondes la ville
es décombres. Les autres, épouvantés, fut renversée. On dit que les habitants
^enfuirent hors des portes, et allèrent entreprirent, quelques jours après la
ïamper dans les champs ; ils commen- catastrophe, de construire une nouvelle
cependant à se remettre de leur
taient ville, dont on voit encore les murs en
Première frayeur et à rentrer dans leurs avant de Blida. Mais de nouvelles se-
foyers, lorsque, le 26, une nouvelle se- cousses les obligèrent à y renoncer, et
cousse presque aussi forte que la pre- ils se résignèrent alors à attendre sous

mière, endommagea la plupart des la tente que le sol se fût raffermi.


naisons demeurées intactes, et en chassa Le tremblement de terre de Blida fut
le nouveau les habitants. A partir de ressenti beaucoup moins violemment à
pe moment jusqu'à la fin de juin les Alger. Cependant on assure que quelques
secousses se succédèrent sans interrup- murailles s'écroulèrent à la Kasba. Un
tion , la terre ne cessa pas de trembler Français, qui habitait alors Alger, m'a
b presque toutes les maisons de cam- raconté qu'au moment de la catastro-
pagne s'écroulèrent. phe il se trouvait hors de la ville, sur
:
De 1716 nous sautons à 1790, époque les hauteurs du Sahel , dans le sud-
:lu fameux tremblement de terre d'O- ouest d'Alger ; qu'il ne ressentit pas la
man. Depuis un an environ quelques se- commotion, mais qu'il entendit un
cousses plus ou moins profondes avaient grand bruit souterrain dans la direc-
îgité la ville et sa banlieue. Mais au- tion de Blida, et que, s'étant tourné de
cune n'approcha de celle qui eut lieu ce côté, il vit la ville disparaître dans
dans la nuit du 8 au 9 octobre. Celle-ci un nuage de poussière. Il en était
renversa la plupart des édifices, et en- d'ailleurs séparé par toute la largeur
gloutit environ mille personnes. Les de la Métidja. Il semblerait d'après ce
remparts,crevassés en plusieurs endroits, récit, ici de mémoire,
que je reproduis
résistèrent cependant; ce fut, dans les que d'ébranlement aurait coïncidé
l'axe
premiers instants de trouble, l'ancre avec la ligne de Blida à Alger, tandis
de salut des malheureux Espagnols, qui, qu'à droite et à gauche de cette ligne
sans ce moyen de défense, tombaient au elle ne se serait manifestée que par des
pouvoir des indigènes, accourus dès le bruits souterrains.
lendemain de la catastrophe, de tous les Nous voici arrivés à la période de l'oc-
points de la province, pour saisir une cupation française. Elle n'a encore fort
proie qu'ils jugeaient facile. heureusement à déplorer aucun sinistre,
A partir de la fatale nuit du 8 octobre mais elle a reçu plusieurs avertisse-
les secousses ne discontinuèrent pas; ments. Voici ceux que j'ai trouvés men-
chaque jour une quelquefois plusieurs
, tionnés dans les publications officielles.
commotions violentes achevaient de Dans la nuit du 27 au 28 avril 1838
détruire ce que la première avait épar- on a ressenti trois légères secousses de
02 L'UNIVERS.
tremblement de terre à Constantine; soir, secousse assez sensible; le même
Le 14 avril 1839 une forte secousse
, jour à onze heures cinquante-cinq mi-
de tremblement de terre à Alger : nutes du soir, secousse faible.
Dans la nuit du 31 décembre 1841, Le 28, à quatre heures trente minutes
une faible secousse à Alger; du matin,on ressentit une forte secousse,
Le 24 octobre 1842, à huit heures suivie encore d'une secousse faible, qui
trente minutes du matin une secousse , eut lieu quatre heures après, à huit heu-
très-sensible à Alger; durée, sept se- res trente minutes.
condes. Le 29, à onze heures du soir, une se-
er
Le 1 novembre de la même année, cousse assez forte.
à sept heures vingt minutes du soir, un Le 30, à cinq heures du matin, deux
tremblement de terre à Alger; durée, secousses assez fortes.
cinq secondes. Le 8 décembre, à neuf heures cin-
C'est encore Cherche!, ce témoin quante-cinq minutes du soir, quelques
éloquent des convulsions du sol antique, secousses assez fortes.
qui nous fournit l'exemple le plus inté- A partir de ce moment le phéno-
ressant et le mieux observé des secous- mène cessa de se produire. Ainsi pen-
ses contemporaines. dant un mois et quatre jours le sol de
Depuis le 3 jusqu'au 8 novembre 1846 Cherchel fut en proie à un tressaille-
le sol de cette ville ressentit un ébran- ment qui nejui laissa que quelques in-
lement presque continuel. Cette longue tervalles de repos.
convulsion commença par une forte se- Le dernier tremblement de terre ar-
cousse , qui eut lieu le 3 novembre , à rivé, à ma connaissance, est celui qui eut
quatre heures trente minutes du matin. lieu à Alger, vers cinq heures du matin,;
A huit heures trente minutes il y en eut le 18 juin 1847. Il fut assez fort pour;
une seconde , mais faible. éveiller la partie de la population qui!
Le lendemain 4, à quatre heures qua- dormait encore. Dans la chambre que;
rante-cinq minutes du matin, vingt-qua- j'habitais quelques petits fragments se,
tre heures après la première commotion, détachèrent du plafond. Une lézarde!
la population de Cherchel fut éveillée en qui existait dans le mur s'élargit sen-
sursaut par une très-forte secousse, et, siblement.
comme la veille, elle fut suivie d'une Tel est le catalogue historique des ;

seconde faible, qui eut lieu précisément tremblements de terre survenus en Al-
à la même heure, c'est-à-dire à huit gérie de ceux du moins dont le sou-
,

heures trente minutes. venir s'est conservé. De longues inter-


Le soir, à quatre heures, deux nouvelles ruptions se remarquent dans la série,
secousses assez fortes. puisque les premières indications pré-
Du 5 au 8, on ressentit plusieurs cises ne datent que du commencement;
mouvements de trépidation. du dix-huitième siècle. Il ne faut pas en;
Le 21, à neuf heures trente-cinq minu- conclure que pendant ce temps la terres
tes du soir, légère secousse, suivie d'une s'est raffermie. C'est tout simplement;
violente, qui eut lieu deux minutes après. que les observations manquent et que
A dix heures trente minutes , plusieurs les traditions se taisent.
secousses. Ajouterons-nous à ces faits histori-
Le 22, à neuf heures trente-cinq mi- ques des révélations d'une autre nature,
nutes du matin , forte secousse , suivie de qui, sous leur forme étrange et supersti-
plusieurs autres faibles dans la journée. tieuse , n'en annoncent pas moins sur
Le 23 , à trois heures trente minutes les points où elles se produisent, une
du matin, nouvelle commotion assez habitude de tressaillement, un défaut
forte , suivie , comme les premiers jours, de stabilité du sol ?
d'une secousse faible, quieutlieu quatre Il en serait ainsi de la côte âpre et

heures après , à sept heures trente mi- rugueuse qui borde le fond du golfe de
nutes. Le même jour, à huit heures Bougie. De temps en temps des bruits
vingt-minutes du soir, on entendit un sourds et souterrains s'élèvent des flancs
roulement souterrain. de ces montagnes , et appellent l'atten-
Le 27 , à une heure trois minutes du tion de toutes les tribus voisines. A
ALGERIE.
îhacun des massifs d'où sortent ces dé- bouleverse le sol , celle qui a détruit
crétions mystérieuses, la crédulité Alger en 1716, Oran en 1790, Bïida
lopulaire attache invariablement le en 1825. Ils ont remarqué que la petite
10m et le patronage d'un grand mara- zenzela est très-fréquente; et ils la re-
out. Le plus célèbre est Djoua. à Il' gardent comme fort irrégulière. Quant
onné son nom à la haute montagne au à la grande zenzela, ils assurent qu'elle
ommet de laquelle ses restes reposent, revient tous les trente ans. L'intervalle
lorsque le roulement accoutumé s'é- de trente-cinq ans qui sépare les deux
eve des profondeurs de la terre, les dernières catastrophes justifierait assez
Labiles croient fermement que c'est leur bien cette croyance, qui si elle était
rat qui tire le canon. Quelques-uns fondée nous menacerait d'un violent
oême prétendent en avoir vu la fumée. tremblement de terre vers l'année 1855.
'ai demandé à l'un d'eux si dans ces C'est justement à la même époque,
moments le sol tremblait; mais je n'ai en 1854, qu'une autre croyance, appuyée
iu en obtenir d'autre réponse que sur l'autorité d'une préâiction écrite,
elle-ci « Le sol tremble toujours quand
: place la venue du Moul-es-Saa, de ce
î canon parle. » messie conquérant qui doit étendre son
Quoi qu'il en soit le canon de Djoua
, empire sur les trois États de l'ancien
st pour toutes les tribus qui l'en'ten- . Magreb. Sans accorder à ces deux
ent un signal de réjouissance. Dès les croyances plus d'importance qu'elles
remiers coups les Kabiles seréunissent, n'en méritent il sera prudent de mettre
,

t font des collectes dont le produit est à profit le temps qui nous sépare de cette
oiployé en divertissements. La fête se formidable échéance pour consolider en
3rmine, comme il convient, par une Algérie nos édifices et notre domination.
îcture solennelle de la Fatha, qui est la
rière d'actions de grâces. ANTIQUITÉS.
Les indigènes paraissent s'être mis \

Différentes phases de l'Afrique 'et de l'Algé-


n garde dans leurs constructions con-
rie.— Empreintes qu'elles ont laissées dans
ta le fléauredoutable dont la côte bar-
le sol. —Antiquités libyennes et phéni-
aresque a si souvent ressenti les effets.
ciennes. — Anliquités romaines. —
Anti-
,a plupart des maisons n'ont qu'un
quités chrétiennes. —
Antiquités berbères.
tage ; un grand nombre même se ré-
uisent au rez-de-chaussée. J'ai remar-
— Antiquités turques.

ié dans les anciennes maisons mau- Il est peu de contrées dont les vicissi-
îsques en démolition une précaution tudes puissent se comparer à celles de
'xcellente prise par les constructeurs l'Afrique septentrionale. A l'origine des
aur consolider les angles. Elle consis- traditions, nous la trouvons libyenne
tât à placer horizontalement, de cin- et numide dans l'est, gétule et gara-
quante en cinquante centimètres de hau- mante dans le sud, maure dans l'ouest.
;!ur, des pièces de bois d'environ deux
Les différents peuples qui l'habitent en
,tètres de longueur. Ces pièces, noyées ces âges primitifs sont autant de rameaux
ms la maçonnerie, se prolongeaient d'un même tronc, du tronc aborigène.
ternativement suivant chacun des deux Dans la suite des temps elle devient
mrs, et venaient se croiser dans l'an- tour à tour carthaginoise, romaine,
je. J'ai vu des maisons sapées à la base,
vandale, grecque et arabe.
p
à moitié démolies, se soutenir en- Alors une révolution immense s'ac-
,)re grâce à cet artifice de
construction. complit; le joug étranger se brise de
Tous les indigènes ne partagent pas lui-même; l'Afrique autochtone rentre
i confiance superstitieuse des Kabiles dans ses droits; et non-seulement elle
u mont Djoua. Éclairés par de sinis-
conserve l'indépendance durant six
es exemples , ils connaissent les effets
siècles , mais elle étend son empire de-
•rribles de ce phénomène, qu'ils
appel- puis l'oasis de Sioua, qui sépare les dé-'
ant zenzela. Quelques-uns
reconnais- serts de la Libye de ceux de l'Egypte ,
;nt une grande et une petite zenzela.
jusqu'aux Pyrénées. C'estàl'issuede cette
>a grande zenzela est celle qui préci- période qu'elle passe sous la domination
se les édifices dans la mer, celle qui turque.
94 Ï/CJNIVERS.
L'Algérie, et en particulier le territoire
Ses annales religieuses nous la pré-
chré- de Guelma, ont ouvert aux savants oc-
sentent successivement idolâtre ,

cupés de la restauration de ces deux"


tienne orthodoxe, donatiste et arienne,
langues un vaste champ d'études. Nulle
musulmane orthodoxe et chiite.
Enfin, sa destinée sociale, tantôt Pé-
^
r"** ne -«-
part «« —-—
s'est offerte aux explorateurs
une aussi riche collection d'inscriptions
|
!

lève au sommet de la civilisation , tan-


libyques et puniques. Dej a, depuis plu-
tôt la replonge dans les profondeurs de
sieurs années, Guelma était reconnu
la barbarie.
La plupart de ces révolutions ont comme un musée bilingue, lorsqu'un
laissé dans les traditions comme sur le
membre de la commission scientifique
d'Algérie, M. le commandant de Lamare,
sol de l'Afrique, et de l'Algérie en
par-
fouillant les environs de cette ville avec
ticulier, des traces profondes. Nous en
le zèle et l'intelligence qu'il apporte dans
avons déjà fait remarquer un grand nom-
toutes ses recherches , découvrit , à une
bre dans les villes du littoral et de l'in-
lieue de Guelma, un nouveau banc, plus
térieur. Nous compléterons ce premier
description de quelques riche encore que tous les autres, d'ins-
aperçu par la
campagne. criptions libyques et puniques (1). Les
monuments épars dans la
ruines qui recelaient ce trésor archéolo-
Antiquités libyennes et phéniciennes. gique portent le nom d'Aïn-Nechma
(la fontaine de l'orme), et c'est dans le
Depuis quelques années deux langues
cimetière de l'ancienne ville qu'existe
qui semblaient vouées à l'oubli sortent
le principal gisement.
pour ainsi dire de leur tombeau, et c'est
Curieux pour l'antiquaire, ces ves-
en grande partie aux inscriptions, soit ne le sont pas
libyques, soit surtout tiges des anciens âges
puniques, soit
pour le philo-
moins pour l'historien,
bilingues, trouvées en Algérie que le
sophe. Là jadis recevaient une sépul-
monde savant sera redevable de cette
y a de ture commune , là reposaient ensemble
précieuse exhumation. Ce qu'il
Libyen
le Phénicien conquérant et le
remarquable, c'est que la plupart de ces
conquis. Les hommes qui consentent
trouvailles archéologiques ont eu lieu
à partager le même lit funéraire ne sont
dans la partie de l'Algérie qui avoisine
pas en général des ennemis. La vallée
larégence de Tunis.
de Guelma formait donc autrefois
Déjà en 1631 un Français, Thomas v
comme un anneau d'alliance entre deux-
Darcos , découvrait dans les ruines de
nationalités rivales. Le temps, après
Dugga ( l'ancienne Thugga), situées en-
loin de la vingt siècles, lui a conservé le même,
tre Constantine et Tunis, non
rôle, le même caractère de conciliation
dernière de ces deux villes , une épigra-
Aujourd'hui encore deux peuples -qui?
phe bilingue , contenant d'une part sept
partout ailleurs se détestent, l'Arabe,
lignes d'écriture phénicienne et de
l'au-
inconnue. conquérant et le Berbère conquis, vien-H
tre sept lignes d'une écriture
nent se tendre la main dans la même
Depuis lors des inscriptions phéni-
vallée, demeurée bilingue comme au-'
ciennes ont été trouvées dans les îles de
I

trefois , et déposer aux pieds de l'auto-


Malte et de Chvpre , à Athènes en Si- ,

régence rité française une antipathie instinctive


cile et en Sardaigne , à Djerba (
et de vieilles rancunes.
de Tunis). Récemment on en a trouve
La découverte des inscriptions ju-
deux à Tripoli , une quinzaine aux en-
melles, dont l'une appartenait incontes-
virons de Carthage; enfin, dans le cou-
tablement à la langue phénicienne et l'au-
rant de 1845, un maçon déterrait à Mar-
loin de tre à un idiome inconnu , intrigua long-
seille, dans la vieille ville, non
temps le monde savant. Il semblait na-
l'église de la Mayor une longue
inscrip-
turel de chercher dans l'idiome inconnu
tion phénicienne, qu'il vendit pour
dix
francs au musée de cette ville ; c'est as-
surément le monument le plus consi- (i) Quelques-unes de ces inscriptions ont
à Paris, non point en copie
dérable du peuple et de l'idiome phé- été rapportées
mais en nature par M. le commandant
de
niciens. Les savants y ont reconnu un
rituel des prêtres de Diane, dont la
Lamare, et sont déposées au musée algérien
été le temple. du Louvre.
Mayor avait
,

ALGÉRIE. 95

la langue africaine des premiers âges ; prise au fond des solitudes, sur les ro-
par malheur les preuves manquaient. chers de la Libye déserte.
La meilleure de toutes eût été celle qui Walter Oudney se fit tracer quelques
serait résultée de la confrontation de lettres berbères, et les reproduisit dans
ces caractères avec la langue africaine le journal de son voyage; il en donna
de nos jours. Mais partout l'idiome ber- dix-neuf, dont quatre se réduisent à
bère paraissait en possession exclusive des assemblages de points.
des caractères arabes. Nulle part il ne Quelque incomplète que fût la com-
produisait des signes qui lui fussent munication de Walter Oudney , elle
propres. fournissait un premier spécimen d'al-
Cependant phénicien des ins-
le texte phabet berbère, dont la confrontation
criptions jumelles noms propres
et les avec cet autre alphabet, mystérieux four-
qu'il contenait permirent de déterminer ni par l'inscription bilingue de Dugga
la forme et la valeur de la plupart des produisit des signes de parenté in-
caractères inconnus, et fournirent l'é- contestables.
bauche d'un alphabet. A quelle langue Longtemps après la découverte d'Oud-
appartenait-il? A l'ancien libyen ? 11 n'en ney, une circonstance fortuite fit con-
existait pas un seul débris authentique. naître que les caractères berbères re-
Au berbère moderne? Il se dérobait à gardés comme insaisissables, surtout
tous les regards. au voisinage de la côte, n'y étaient pas
Les choses en étaient là, lorsqu'une cependant aussi inusités qu'ils parais-
double lueur, partie des profondeurs du saient l'être. Dans les premiers temps de
désert, vint dissiper les ténèbres de la l'occupation française un habitant d'Al-
science, et révéler un des phénomènes ger, nommé Othman-Khodja, entrete-
historiques les plus intéressants. nait une correspondance assez active
Le 17 juin 1822, un voyageur an- avec Hadji-Ahmed, bey deConstantine.
glais, WalterOudney, étant à Djerma, Pour plus de sûreté ils y employaient
l'ancienne capitale des Garamantes à , des signes particuliers, qu'ils croyaient,
l'ouest de Morzouk et du Fezzan, dans à l'abri des trahisons et des indiscré-
le pays des Touareg (1), vit sur les tions. Quelques années plus tard Ali
pierres d'un bâtiment romain des figu- fils d'Othman-Khodja, se trouvant à
res et des lettres grossièrement tracées, Paris, communiqua à M. de Saulcy les
auxquelles il trouva quelque analogie lettres de Hadji-Ahmed. Après avoir
avec les caractères européens. Le 20 il tourné une de ces dépêches jusqu'à ce
remarqua sur des rochers, au bord d'un qu'elle lui semblât placée dans le sens
torrent, de nombreuses inscriptions dont le plus commode pour tracer les ca-
les caractères ressemblaient aux pre- ractères , le savant orientaliste aperçut
miers. Quelques-unes devaient dater de en vedette, tout au haut du papier, deux
plusieurs siècles; d'autres paraissaient groupes désignes isolés : il pensa que
récentes. Le 24 il trouva un Targui ce devait être la formule sacramentelle
qui connaissait quelques lettres, mais El-Hamdoullah (gloire à Dieu), par
personne qui les connût toutes. Le 27 laquelle tous les musulmans commen-
il arrivait à Rat, l'une des principales cent leurs lettres. La connaissance de
villesde commerce des Touareg. Là il ces premiers caractères devait faciliter
acquit la certitude que les inscriptions la découverte des autres.
trouvées en route étaient écrites dans Ali consentit à se dessaisir des deux
la langue de ces peuples, qui est la lan- pièces en faveur de M. de Saulcy, qui
gue berbère. le lendemain matin lui en remettait la
Enfin il l'avait trouvée , cette langue transcription complète. Quel ne fut pas
insaisissable qu'on entendait partout, l'étonnement du diplomate africain en
qu'on ne pouvait pas voir ; il l'avait sur- voyant reproduit par une espèce de
sortilège le texte arabe d'une correspon-
Voir sur ce peuple étrange le chapitre
(i) dance qu'il avait crue indéchiffrable!
au commerce de l'Algérie avec le sud,
relatif Les choses en restèrent là jusqu'à ce
dans mes Recherches sur la géographie et le que M. de Sauley eût entrepris l'étude
commerce de l'Algérie méridionale. du texte libyque de l'inscription ju-
96 L'UNIVERS.
melle de Thugga. C'est alors seulement litiques et commerciales que lescircons
qu'il remarqua une analogie frappante tances comportaient et en recomman
entre les caractères de l'alphabet liby- dant par-dessus tout de rapporter l'al-
que et ceux de la lettre du bey. C'étaient phabet complet. Malheureusement à
tout simplement des lettres berbères cette époque les Châmba et les Toua-
que les deux correspondants avaient reg se livraient des combats à outrance
employées. Mais, par excès de prudence dans les grandes solitudes qu'ils par-
sans doute, ils avaient eu la précaution courent. Cet état d'hostilité empêcha le
d'en intervertir les valeurs, et avaient taleb d'exécuter son voyage; mais il
poussé la prudence jusqu'à introduire écrivit à l'un de ses parents fixé au
dans l'alphabet convenu entre eux les Touât, pour lui demander le précieux
signes de la numération arabe (1). alphabet. Il choisit pour messager un
L'alphabet de Waiter Oudney de- marabout qui en cette qualité, pou-
, ,

meura pendant vingt-trois ans le seul vait circuler sans danger entre les tri-
échantillon connu de l'écriture berbère. bus ennemies. Il ne tarda pas à recevoir
De tous côtés , en Algérie , les sons la réponse et la transmit à Constantine.
berbères arrivaient à nos oreilles. Les Une fois en possession de ce renseigne-
deux tiers de la population qui nous ment tant désiré, M. le capitaine Bois-
entourait ne parlaient pas d'autre lan- sonnet s'empressa de le faire lithogra-
gue , et personne ne paraissait l'écrire ! phies C'est ainsi que le troisième spéci-
En 1844 gouvernement publiait un
le men del'alphabet berbère contemporain
dictionnaire berbère, composé en colla- parvint du fond du désert à la connais-
boration par un Français (2) et un sance des savants d'Europe.
Kabile; mais iesmots étaient écrits en L'examen de ces documents ne laisse
lettres arabes. aucun doute sur l'étroite parenté qui
un taleb de l'oasis
Enfin, en 1845 , existe entre l'idiome des inscriptions!
du ïouât, du cheik de
établi auprès antiques, etcet autre idiome qui se parle
Tuggurt, fut envoyé par lui en mission aujourd'hui depuis l'oasis égyptienne
àConstantine. Le directeur des affaires de Sioua jusqu'à la côte de l'Océan, et
arabes de la province M. le capitaine , depuis le Soudan jusqu'à la Méditer-'
Boissonnet, se lia, en raison de ses fonc- ranée. Ainsi s'est révélée dans toute
tions, avec ce savant du désert. Il ap- son évidence la filiation séculaire de la
prit qu'il avait fait dix-huit fois le langue libyenne, qui a survécu à tant
voyage de Timbektou, et par conséquent de langues riches et savantes, et s'est!
traversé dix-huit fois le pays des Toua- perpétuée dans la langue actuelle des
reg, qui paraissaient les seuls déposi- Kabiles , à travers tant de révolutions, \
taires du secret de l'écriture africaine. sans livres, sans monuments, sans au-j
M. Boissonnet questionna son hôte sur cun effort de la science et de l'intelli-i
les signes du langage targui, et le pria gence humaines (1).
de lui tracer ceux qu'il connaissait. Il C'est peut-être à l'époque libyenne;
obtint ainsi un premier spécimen de qu'il faut attribuer certains monuments'
cet alphabet targui, en usage à trois bizarres, dont il existe un assez grand
cents lieues de la contrée, où, vingt-trois nombre en Algérie, et qui, à cause de leur
ans auparavant , Waiter Oudney avait nature particulière, ont résisté aux trem-
recueilli le sien. blements déterre et aux révolutions.
Frappé de ressemblance de ces
la Les savants les désignent par le nom
caractères ceux de l'inscription
avec de Troglodij tiques, désignation qui sem-
antique de Thugga, M. Boissonnet vou- ble les rattacher aux premiers âges de
lut en savoir davantage. Il pria son l'histoire.
informateur d'entreprendre une dix-
neuvième fois le voyage de Timbektou, M. Judas, dans ses belles études sur
(1)
le chargeant de toutes les missions po- les langues phéniciennes et libyques , a fait
une heureuse application de cette découverte
(i) Revue Archéologique, 2 e par- importante en interprétant à l'aide du ber-
tie, p. 491. bère le texte libyque de l'inscription de
(2) M . JBrosselard, Thugga,
ALGÉRIE. 97
Ce sont des cryptes taillées dans le vives et lympides du Bou-Aça ,' véri-
roc diverseb de forme et de grandeur,
, table oasis blottie dans un pli inaperçu
mais qui portent des traces évidentes du sol, et qu'embellissaient singulière-
du travail des hommes. ment à nos yeux la nudité et l'unifor-
J'ai trouvé une de ces demeures tro- mité de tout l'horizon.
glodytiques dans un pli de terrain dif- Après avoir examiné quelques ins-
ficile à soupçonner, non loin de la tants l'ensemble de la scène , nous des-
route qui conduit de Constantine à cendîmes dans la vallée pour en ob-
Sétif par la plaine des Oulâd-Abd-en- server les détails. C'est alors que s'of-
JVour. Ce qui frappe le plus dans tout le frirent à nos regards une série d'exca-
cours de ce voyage c'est la nudité de
, vations nombreuses de formes et de
,

la contrée que l'on traverse. Aucun ac- grandeurs diverses, pratiquées dans le
cident ne vient rompre l'uniformité de roc vif. Elles garnissent les deux rives
la scène, si ce n'est quelques ruines du Bou-Aca. C'est d'abord une longue
d'établissements romains jetés çà et là suite de cellules faisant face à la rivière;
sur le penchant des coteaux et quelques dans l'une d'elles nous vîmes un trian-
arbres solitaires rabougris plantés de
,
, gle incrusté profondément sur l'une
|
loin en loin sur la cime d'une colline de ses faces. Pour les indigènes ces cel-
pour marquer la tombe d'un marabout. lules sont autant de boutiques, c'est le
Une de ces ruines porte le nom de nom qu'ils leur donnent, par opposi-
Kasr-bou-Malek le château de Bou-
, tion à un autre quartier où sont les
Malek. C'est un amas de pierres de maisons.
taille, dont quelques-unes seulement sont L'une d'elles s'appelle la Maison des
demeurées sur leur lit de pose. Les au- bains. Elle se compose de plusieurs
tres gisent pêle-mêle, dispersées soit bassins régulièrement creusés dont le,

!
par temps, soit par des causes vio-
le fond communique encore avec le sol par
;
lentes, qui resteront sans doute à jamais des gradins bien conservés. A côté de cet
inconnues. établissement s'ouvre une galerie sou-
!
Si en ce point on abandonne le sen- terraine, haute et large de deux mètres,
tier qui forme la route royale de Sétif, longue de quinze. C'est une autre mai-
et qu'on remonte de quelques centaines son. A quelques pas de l'entrée de la
de mètres seulement vers le nord , on galerie, nous vîmes deux grandes salles
arrive tout à coup sur le bord d'un es- voûtées séparées par un pied-droit com-
carpement demi-circulaire d'environ mun ménagé dans le roc comme tout
mille mètres de diamètre, qui étonne le reste. C'est la maison de l'homme
d'autant plus, qu'on est loin de s'atten- assis. L'une des deux salles est garnie
dre à trouver un site aussi accidenté sur tout son pourtour de bancs en
:
dans une contrée aussi nue et mono- pierres, réservés dans la masse ro-
tone. L'amphithéâtre est ouvert au cheuse; c'est sans doute à cette cir-
sud-est ; les pentes sont bordées de ro- constance que la maison de l'homme
chers bouleversés, dont plusieurs pré- assis doit son nom. Parmi toutes ces
sentent des formes régulières, dont quel- cavernes creusées à diverses hauteurs
ques-uns portent l'empreinte du pic et dans les berges rocheuses du Bou-Aça,
du ciseau. Cette ligne de blocs entassés nous en remarquâmes une que l'on ap-
;
tout le long de la déchirure circulaire pelle la maison du capitaine chrétien
dessinée par l'affaissement du sol offre
( Darkaptan nçara).
de loin l'image d'une grande ville en
Le débris le" plus somptueux et le
ruines.
plus curieux en même temps de cette
j

"Quelques tentes sont établies dans petite ville souterraine nous parut être
intérieur de l'amphithéâtre; mais
1
ce la maison de Bel-Okhtabi. C'est la seule
qui attira surtout notre attention, lors-
qui possède un rez-de-chaussée et un
que le hasard nous eut conduits en ce étage. Mais l'entrée n'est pas facile à
lieu ce fat la végétation qui
en tapis- découvrir. Il fallut d'abord descendre
sait le fond et les pentes.
Nous avions le long des rochers qui encaissent le
sous les yeux un magnifique verger,
Bou-Aça sur la rive droite pour gagner
-traversé dans sa longueur par les eaux
v un étroit sentier taillé en corniche dans
e
7 Livraison. (Algérie.)
7
98 L'UNIVERS.
les berges abruptes. Nos guides nous fondations des temples et des palais,
indiquèrent alors une étroite plate- dans le sol des chaussées prétoriennes,
forme , élevée de trois mètres , sur la- dont elle formait et encaissait les dalles,
quelle nous parvînmes à nous hisser; dans la poussière des nécropoles, dans
là une excavation étroite s'offrit à nous, les théâtres, les amphithéâtres, les
c'était le rez-de-chaussée deBel-Okhtabi. cirques, les arcs de triomphe, restes
Il d'atteindre l'étage : or il
s'agissait d'une civilisation qui contraste étrange-
n'existe d'autre communication pour y ment avec la barbarie actuelle mais à ,

arriver qu'un puits vertical de six mètres laquelle notre civilisation chrétienne
de hauteur creusé dans le rocher comme n'a heureusement rien à envier.
les autres dépendances de l'habitation. Dans le réseau itinéraire de l'empire
A défaut d'escalier plus commode, nous romain le mille marquait la largeur de
nous résignâmes à grimper en nous la maille; il s'est conservé dans le lan-
appuyant contre les parois du puits. gage actuel. Mais combien la notion de
Cette ascension nous conduisit sur cette mesure s'est altérée! Pour la plu-
une seconde plate-forme à ciel ouvert part des indigènes le mil est la distance
où régnait une forte odeur de bête à laquelle on cesse de distinguer un
fauve. Elle sortait d'une caverne haute homme d'une femme ; définition bizarre,
de quatre-vingts centimètres , et aussi qui montre à quel point le besoin de la
large que haute, qui débouchait sur la précision , si impérieux chez les nations
plate-forme. Nous nous décidâmes à la chrétiennes, est devenu étranger aux
visiter : mais à peine étions-nous en- peuples d'Afrique. Cependant quelques
gagés dans cette galerie étroite et som- musulmans éclairés, surtout dans les
bre , que l'odeur devint suffocante , et régences de Tunis et de Tripoli savent ,

obligea plusieurs d'entre nous à retour- encore quele mil se compose de mille pas \

ner sur leurs pas. Nous parcourions le doubles. Dans quelques contrées sur- ,

premier étage du palais de Bel-Okhtabi, tout dans la partie orientale du Sahara,


parmi les myriades de chauves-souris l'expression des distances en milles s'est
qui en tapissaient les parois. A mesure perpétuée de génération en génération. f

que nous avancions, la galerie deve- Elle reproduit exactement Tes chiffres,
nait plus étroite; l'air respirable s'a- déterminés originairement par les ingé-
pauvrisî^ait. Enfin, après avoir rampé nieurs romains, sans que la tradition;
l'espace de cinquante mètres , nous ar- locale qui les conserve rende compte
rivâmes à un élargissement qui termi- en aucune façon de la valeur de l'unité!
nait la caverne , et nous parut être le à laquelle ils se rapportent. Ainsi il'
salon de Bel-Okhtabi. Mais nous nous est arrivé quelquefois d'entendre!
n'y fîmes pas long séjour ; il nous tar- un simple chamelier énoncer correcte-;
dait de revoir le ciel. Nous eûmes bien- ment en milles toutes les distances par-<
tôt regagné la plate-forme supérieure : tielles d'une route que nous suivions,
nous reprîmes pour en descendre l'es- sur de postes de l'empire ro-
le livre
calier d'honneur qui nous y avait con- main; et si, étonnés de cette concor-i
duits, et nous dîmes adieu au palais tro- dance frappante entre des témoignages
glodytique de Bel-Okhtabi, à la maison de nature si différente, produits à
des bains, à 1 habitation de l'homme vingt siècles d'intervalle , nous deman-
assis, à celle du capitaine chrétien, et dions à ce voyageur : Qu'est-ce que
enfin à la ville souterraine cachée dans le mil, il nous répondait naïvement/
la jolie vallée du Bou-Aça. comme tous les autres : C'est la dis-
tance à laquelle on cesse de distinguer
Antiquités romaines. un homme d'une femme.
Les débris romains ont pour signe Presque toutes les villes importantes
caractéristique la pierre de taille ; elle comprises dans les limites de l'Algérie
se montre à chaque pas avec l'empreinte actuelle portent encore, sauf de lé-
fraîche encore du ciseau antique. Elle gères altérations, le nom que l'anti-
apparaît dans les ruines des villes , des quité leur avait donné. Telles sont Bône
villages, des fermes, des maisons de (Hippone ) , Constantine ( Constantina ),
plaisance , dans les soubassements et les Mila (Milevum), Sétif ( Sitifi ) , Djidjeli
,

ALGÉRIE. 99
(Igilgilis),Kolïo (Coîlops), Ras-Skikda, pitaphes bordent la route, et se succè-
nom arabe dePhilippeville(Russicada) dent presque sans interruption.
Tebessa(Theveste), Tifêch (Tipasa), A l'entrée de la ville s'élève un grand
Guelma (Calama), Madaure (Mdou- édifice rectangulaire orné de colonnes
rouch ) Tenès ( Cartennœ ). Mais à côté
,
et de pilastres corinthiens ; chaque face
de ces établissements dont le nom sur-
, est percée de trois portes; celle du
vit à toutes les catastrophes combien , milieu a des dimensions colossales.
d'autres dont vous retrouvez la pierre Deux voyageurs, un Français et un An-
de taille muette et dont le nom s'est à glais, avaient déjà visité au dix-huitième
jamais perdu ! siècle la ville de Lambcesa; mais ils ne
Les ruines romaines qui se rencon-
,
s'accordent guère sur la destination de
trent à chaque pas dans les champs de ce monument ; car l'un a cru y voir
l'Afrique , occupent en général le pen- tout simplement un arc de triomphe, et
chant des collines. C'est une position l'autreune écurie d'éléphants.
que les architectes de l'antiquité pa- Il reste encore à Lambœsa quatre
raissent avoir choisie, autant pour portes de ville monumentales, plusieurs
éviter l'insalubrité des fonds que l'ari- arceaux bien conservés d'un ancien
dité des sommets. Elles se reconnais- aqueduc , la façade d'un temple élevé à
sent de loin aux grandes pierres droites, Esculape et à la Santé , un cirque bien
demeurées debout dans le soubassement conservé, de cent quatre mètres de dia-
des constructions ; elles tracent encore mètre , de riches mausolées et un grand
la direction des murs, marquent l'aligne- nombre d'autres constructions, assez
ment des rues dessinent la forme des
, épargnées par le temps pour donner
places. Lorsque le voyageur , cheminant aux ruines de Lambœsa le caractère
dans la campagne silencieuse et déserte, d'un magnifique musée. M. de Lamare a
aperçoit de loin, réunis sur le penchant évalué approximativement le nombre
d' u n "coteau , ces piliers de hauteur iné- d'inscriptions qu'elles renferment, et il
gale , il est tenté de les prendre pour estime qu'un homme seul ne pourrait
une assemblée , assistant , dans une im- les copier toutes en moins d'une année.
mobilité religieuse , à la prière du soir ;
car c'est principalement vers le coucher Antiquités chrétiennes.
du soleil que cette illusion m'a paru Quelle que soit l'apparence fastueuse
frappante. de l'architecture païenne et l'admira-
On peut évaluer à plusieurs milliers tion de quelques savants pour ces restes
le nombre d'établissements romains de inanimés d'une civilisation oppressive,
toute grandeur répandus sur la surface nous avouons notre prédilection pour
|
de l'Algérie. Mais le débris le plus im- les monuments du christianisme, pour
posant de la grandeur et du faste an- ces témoins vivants d'une révolution
tiques est assurément cette belle et fa- sociale qui a fondé la civilisation mo-
meuse- ville de Lambcesa dont les rui-
, derne, et qui compte au rang de ses
nes, connues aujourd'hui sous le nom de phases glorieuses la conquête de l'Al-
Tezzout, furent visitées pour la pre- gérie par la France.
mière fois, en février 1844, par quelques L'Église d'Afrique a eu ses jours de
Français , et particulièrement par M. le triomphe et ses jours
de deuil, et elle a
commandant de Lamare , mon collègue laissé sur le sol l'empreintede ses joies
et ami. C'est à lui que je dois les quel- et de ses souffrances. L'Église triom-
ques détails qui suivent. phante relevait les basiliques détruites,
Les ruines de Lambœsa occupent et renversait à son tour les temples
I une belle vallée, sur les dernières pentes païens. Il reste des traces nombreuses
[
du mont Aurès, à huit kilomètres à l'est de ces réactions. Dans les murailles
;!
de Bêtna. Elles couvrent un espace de d'un temple élevé au Dieu des chré-
quatre cent-soixante-dix hectares. tiens, on retrouve fréquemment des
Un peu avant d'y arriver, une voie restesd'inscriptionsconsacréesaux dieux
1
romaine se présente; c'était la route de de l'ancienne Rome. A chaque pas encore
Cirta Lambœsa. A droite et à gauche vous rencontrez cet emblème qui carac-
des monuments funéraires couverts d'é- térise la restauration de Justinien , les
100 L'UNIVERS.
deux lettres grecques a et © réunies dans lactitesaux formes variées et fantas-
un même chiffre aux deux lettres ini- tiques garnissent les parois du souter-
tiales du nom de xpiaroç. rain. D'énormes blocs , détachés de la
Mais combien nous devons préférer voûte, en encombrent le sol; on dit
encore ces débris de l'Église souffrante, qu'il marcher pendant trente-
faut
la croix modeste incrustée grossière- cinq minutes pour en atteindre le fond.
ment dans le roc au fond de quelque Une autre caverne, plus rapprochée de
caverne obscure, signe simple et mys- Contanstine, porte aussi sur les roches
tique que les chrétiens des premiers de ses parois un grand nombre d'ins-
âges traçaient sur la pierre vive pour criptions chrétiennes. Elle est creusée
perpétuer le souvenir des jours de per- dans le versant méridional du Chettaba.
sécution. C'est surtout dans les lieux sau- Dans plusieurs des inscriptions, les let-
vages, inhabités, presque inaccessibles, tres sont colorées en rouge. La plupart
que se rencontre ce monument symbo- commencent par les quatre lettres CDAS,
lique de la foi et de la douleur; car au-dessous desquelles viennent des noms
c'est au fond de ces antres que les propres.
chrétiens cherchaient un refuge contre Un des monuments les plus intéres-
l'éditde mort des empereurs romains. sants des souffrances de l'Eglise d'Afri-
Nonloin du col de Mouzaïa , sur le que est celui quej'ai découvert dans la
revers opposé de l'Atlas avant le fa-
, vallée du Roumel au pied du rocher de
meux bois des oliviers , l'un des princi- Constantine (1). Il se rapporte à la per-
paux ossuaires de la conquête française, sécution qui ensanglanta les dernières
il est un lieu non moinscélèbre qui" s'ap-
,
années du règne de Valérien. Parmi
pelle le plateau de la croix. « Figurez-
'
les chrétiens qui reçurent la mort dans
« vous, dit le premier évêque d'Alger, des ce jours d'épreuve l'Eglise recommande
« grottes creusées dans le roc vif , et au pieux souvenir des fidèles deux ha-
« au-dessus une croix une véritable
, bitants de Cirta, nommés Marien et
« croix chrétienne, incrustée parmi Jacques, dont la mémoire fut pendant
« des touffes de laurier-rose , chargées longtemps en grande vénération dans
« de fleurs embaumées; du pied de la la Numidie.
« croix un figuier immense se détache La relation de leur martyre, écrite
« et forme une gracieuse coupole. » par un de leurs amis, qui en fut témoin,
« On raconte, dit encore le prélat place le théâtre de cet événement sur
« dont nous invoquons le témoignage, le bord de la rivière, entre deux hautes
« que lorsque pour la première fois, et collines qui la dominaient de part et
« encore tout couverts du sang des d'autre et découvraient aux spectateurs
« ennemis, nos bataillons descendant
, le lieu de l'exécution.
« la pente raide du Teuia arrivèrent à
, Cette indication , rendue précise par
« ce plateau, un long et solennel cri de l'assiette bizarre de Constantine , laisse
« joie s'éleva du milieu de leurs rangs peu de place aux conjectures. Le lieu
« pour saluer cette croix. » où Marien et Jacques reçurent le mar-
L'Église d'Afrique ne réduisit pas tyre devait être sur le bord du Roumel,
toujours l'expression de ses douleurs à entre les deux hauteurs du Mansoura
ce symbole d'un laconisme si tou- et du Koudiat-Ati , un peu avant l'en-
chant. A huit lieues à l'ouest de Guel- trée du fleuve dans le gouffre où il dis-
ma il existe une caverne dont l'entrée paraît.
est couverte d'inscriptions , qui remon- Ce lieu fut souvent le but de mes
tent aux premierstemps du christianisme. promenades durant le séjour que je fis
Les Arabes n'osent en franchir le seuil, à Constantine, en 1840. J'allais mepla-
tant est grande la terreur que leur ins-
pire le Djin , gardien du sanctuaire. La (i) J'ai envoyé sur cette inscription à l'A-
caverne est creusée dans la masse cal- cadémie des Inscriptions et Belles-lettres un
caire du mont Mtaïa. Elle n'a pas moins mémoire qui a été inséré dans le tome I er de
de mille à douze cents mètres. Elle des- la 2° partie des Mémoires présentés par divers
cend constamment, et s'enfonce de qua- savants. J'en extrais une partie des détails
tre cents mètres. Des milliers de sta- qui suivent.
,

ALGÉRIE. 101

cer sur les gradins duKoudiat-Ati,et de de cap, un plateau qui domine la vailée
là j'assistaispar la pensée à cet épisode de la Seybouse, et fait face à un magni-
sanglant de nos premiers siècles. fique amphithéâtre de montagnes et de
Un matin j'avais gravi plus tôt que de collines, qui s'élève dans le lointain au
coutume les pentes roides de la colline ; delà du fleuve et couronne l'horizon de
assis sur un reste de construction an-
la vallée.

tique, j'admirais aux premiers rayons du En 1837ce plateau était encore cou-
soleil les riches découpures de, l'hori-
vert de broussailles, reste déshonoré
d'une forêt antique. « Nous remarquâ-
En abaissant mes regards dans la mes à cette époque, dit M. Judas, sur
remarquai sur la rive oppo- le bord du versant incliné vers la Sey-
valiée ,
je
sée un rocher taillé à pic qui jusque
bouse, près d'une fontaine qui conserve
alors avait échappé à mon attention,
quelques traces de construction, une
parce qu'aux heures de mes visites il était pierre brute circulaire, ayant environ
éclairé de face et recevait une clarté uni- neuf mètres de circonférence et soixante
forme. Mais en ce moment les rayons etquinze centimètres d'épaisseur, placée
qui tombaient obliquement dessinaient horizontalement, à quatre-vingts centi-
avec une fidélité minutieuse toutes les mètres à peu près au-dessus du sol, sur
aspérités de la surface. Parmi ces jeux trois autres pierres brutes. »
de lumière et d'ombre, je crus distin- Malgré l'apparence grossière de ce
guer des lignes régulières ; et, descendant trépied, il est impossible d'en attribuer
aussitôt pour observer de plus près , ce la formation au hasard; les hommes
ne fut pas sans surprise que je trouvai seuls peuvent avoir élevé au-dessus du
gravée sur le roc une inscription en sol et posé sur ses trois supports cette
partie fruste, mais dans laquelle les mots masse de cent cinquante tjuintaux.
passione mariani et iagobi, par- Les monuments du même genre que
faitement nets et lisibles, se rapportaient j'ai observés sont assez nombreux pour

sans le moindre doute à l'exécution ra- éloigner l'idée d'un fait accidentel; ils
contée dans les actes. Je me trouvais prouvent que l'érection de ces tables
donc sur le lieu même que le sang des grossières se rattache à une croyance
deux martyrs a rougi et consacré, il y a ou tout au moins à une coutume qui, à
seize siècles. une époque demeurée inconnue, unis-
sait une partie de la population de ces
Antiquités vandales. contrées. Sous ces trépieds muets se cache
Nous plaçons sous ce titre des monu- peut-être un fait historique important.
ments d'un "caractère tout particulier, Qui sait même s'ils ne recèlent pas quel-
d'une origine incertaine, qui n'ont que feuillet perdu de nos archives na-
rien de commun avec les restes du pa- tionales ?

ganisme , qui ne portent aucun signe Les monuments que j'ai rencontrés

chrétien, et qui présentent la plus singu- se trouvent à l'est et au sud-est de


lière analogie avec les dolmen ou tables Constantine, dans cette partie de l'Al-
de marbre consacrés au culte drui- gérie qu'habitent aujourd'hui des popu-
dique. lations berbères désignées par le nom
L'un d'eux a été observé par M. Judas particulier de Chaouia.
aux environs de Guelma nous en avons
: Derrière le mamelon qui fait face aux
trouvé nous-même un grand nombre ruines de l'ancienne Sigus, j'ai trouvé
à l'est et au sud-est de Constantine. Ce une série de piliers grossiers , hauts de
qu'il y a de remarquable, c'est qu'à l'ouest deux mètres, surmontés de chapiteaux
de cette ville on n en trouve plus, et que bruts et couronnés d^ larges dalles;
ce genre de ruines semble concentré l'une d'elles de dimensions énormes
,

dans la triangle compris entre Constan- reposait sur trois piliers. A quelque dis-
tine, Guelma et la haute montagne de tance de là je vis une ligne de pierres
Sidi-Rghéis. verticales qui allait se terminer à trois
Le monument trouvé par M. Judas murs en pierres brutes surmontées d'une
existe à côté et à l'ouest de Guelma; là énorme dalle nontaillée. Les trois murs,
vient se terminer brusquement, en forme disposés suivant les trois côtés d'un
, ,

102 L'UNIVERS.
carré , déterminaient une petite cha mbre Aujourd'hui même où trouve-t-on en
dont la large pierre formait le toit. Le Algérie des demeures et des habitudes
quatrième c*ôté , dirigé au nord , restait stables? où trouve-t-on le goût de la
ouvert. pierre et du mortier , avec l'art de les
Un cordon circulaire de pierres in- réunir? Chez les Berbères qui ont su
formes entourait le monument, laissant tenir à distance la domination turque
entre elles et lui un espace annulaire de dans les montagnes de l'Aurès et du
deux mètres de largeur. La même dispo- Jurjura. Qui a construit les villes soi-
sition se retrouve dans la plupart des disant arabes que nous occupons ? Des
dolmen druidiques elle porte le nom de
; architectes et des maçons berbères que
cromlech, qui signifie cercle de pierres. les Turcs avaient fait venir de leurs mon-
Plusieurs monuments semblables tagnes. Alger lui-même avec ses palais
existent dans des ruines considérables et ses villas est sorti de leurs mains.
appelées Agourén, situées à trois lieues L'archéologie berbère se rapporte à
environ du mont Sidi-Rghéis, et un plus cette époque mémorable de l'histoire
grand nombre encore sur le versant de d'Afrique où le peuple aborigène se dé-
l'Oumsettas, qui commande la vallée de barrassa des dominations étrangères et
Mehris, à sept lieues à l'est de Cons- rentra dans ses droits, à cette époque
tantine. où on le vit reprendre possession de son
A quel peuple attribuer la formation patrimoine à la façon d'un propriétaire,
de ces trépieds bizarres ? A quelle date c'est-à-dire en bâtissant. Envisagée à ce
les faire remonter? L'histoire ne fournit point de vue , cette période de six siècles
à cet égard que des inductions. Il résulte se résume dans les deux capitales qu'elle
toutefois d'un rapprochement intéres- a fondées , Bougie et Tiemcen. Nous
sant établi par M. Judas que toutes les renverrons le lecteur à la description
circonstances, toutes les dispositions que nous en avons donnée précédem-
qui caractérisent les dolmen de la Bre- ment.
tagne, les menhir, les cromlech se
Antiquités turques.
reproduisent dans les tables de pierre
trouvées en Algérie. Nous terminerons cette esquisse ar-
chéologique de l'Algérie par quelques
Antiquités berbères. mots sur un petit monument dans le
C'est une grave erreur que d'appeler style turc. 11 existait encore il y a quel-
monuments arabes les restes d'architec- ques années à Constantine , où nous l'a-
ture sarrasine qui existent en Afrique ; vons visité plus d'une fois.
car ce ne sont pas des mains arabes qui les II porte un nom bien simple, les trois

ont élevés, mais des mains africaines, pierres; et en effetil se compose de trois
des mains berbères. pierres ; encore y reconnaît-on la trace
Quand la domination arabe, au du ciseau romain. Il ne reste donc aux
onzième siècle , eut laissé passer le gou- Turcs que le mérite du transport et de
vernement de l'Afrique à des princes de la disposition.
sang national, de sang africain, le premier Les trois pierres avaient été placées
effet de cette révolution fut la recons- dans Kasba, au bord du rocher qui
la
truction des villes que les pasteurs domine la vallée du Roumel, en un
armés venus de l'Asie avaient ou sac- point où le terre-plein de l'ancien capi-
cagées ou négligées. Ainsi s'éievèrent tole se termine à une arête vive et à un
toutes ces cités dont quatre géographes escarpement à pic de deux cents mètres
deux africains et deux espagnols , nous d'élévation, ce qui fait à peu près cinq
ont conservé en partie la nomenclature; fois la hauteur de la colonne de la place
ainsi l'Afrique, livrée àson génie abori- Vendôme. Disposées bout à bout, les
gène, se couvrit, au sortir de la domina- trois pierres formaient un banc d'environ
tion arabe, de demeures stables, que deux mètres de longueur et elles affleu-
,

d'autres ravageurs venus du nord de raient exactement le bord de l'abîme.


l'Asie les Turcs devaient faire encore
, , Malgré ce garde-fou, qui éloignait toute
disparaître sous le double fléau de la espèce de danger, il était impossible
razia et de l'exaction. d'avancer la tête et de plonger le regard
ALGÉRIE. 10â

dans cet effroyable vide sans éprouver les efforts, se pressent, dans l'espace, en-

un vertige douloureux. core assez étroit , qu'elle couvre de la


Avant la prise de Constantine par les protection de ses lois', autant de co-
Français , il arrivait de temps en temps lonies' différentes que la Méditerranée

que deux hommes s'acheminaient silen- compte de nationalités sur le vaste


cieusement vers ce lieu à la pointe du pourtour de ses rives. A ces émigrations
jour. L'un portait un sac blanc , d'où venues de l'Europe et de l'Asie se
s'échappaient des sons plaintifs ; l'autre joignent des émigrations africaines ac-
une caisse longue, formée de trois plan- courues des contrées qui entourent
ches et ouverte aux deux bouts. Arri- l'Algérie, pour chercher fortune, comme
vés devant les trois pierres , l'homme à les autres à l'ombre de la bannière fran-
,

la caisse assurait l'extrémité de son çaise. Enfin tous ces intérêts disparates
coffre sur celle du milieu, tandis que s'agitent dans un milieu formé lui-même
l'autre y déposait son sac; puis tous deux de plusieurs éléments distincts, la popu-
soulevaient lentement l'autre extrémité. lation indigène.
Bientôt l'inclinaison de la planche faisait Armée.
glisser le sac, qui tournoyait dans le
vide et allait s'arrêter à deux cents Au-dessus des différentes classes d'ha-
bitantsil convient de placer celle qui
mètres au-dessous sur les roches blan-
châtres du Roumel. Cela fait , les deux les protège toutes, l'armée. C'est la
hommes emportaient leur caisse, et partie la plus homogène de
la population,

tranquillement s'en retournaient chez et cependant elle présente elle-même


eux. Quelques heures après on voyait ,
dans sa composition des nuances ana-
deux ou trois personnes descendre par logues à celles qui caractérisent la po-
la rampe de la porte neuve, s'acheminer pulation civile. La plus grande partie
vers le lit de la rivière, se diriger vers de son effectif se compose de troupes
le sac devenu muet, l'ouvrir , et en ex- empruntées temporairement à nos divi-
traire le corps défiguré d'une femme, sions territoriales de l'intérieur. Mais
qu'ils emportaient pour lui donner la sé- elle compte en outre dans ses rangs des

pulture. corps français affectés spécialement au


L'impression de terreur produite par service de l'Algérie , tels que les chas-
ces exécutions a survécu au pouvoir qui seurs d'Afrique, une légion étrangère
les ordonnait. Il y a quelques années formée de réfugiés européens des corps
;

encore les femmes de Constantine qui réguliers mi-partis indigènes et français,


descendaient dans les jardins du Rou- les zouaves ; des corps réguliers indigè-

mel ne pouvaient s'empêcher d'élever nes, commandés par des Français, les
avec effroi leurs regards vers la Kasba spahis et les tirailleurs indigènes; enfin
pour y chercher la place des Trois des corps auxiliaires indigènes de cava-
Piebres. lerie irrégulière, groupés par goum ou
peloton, dont l'ensemble compose ce
population. qu'on appelle le makhzen. Ces dernières
troupes, placées sous le commandement
Diverses classes de la population de l'Algé-
de chefs investis par l'autorité française,
rie. — Population européenne : militaire,
se lèvent à sa voix, ainsi que le mbt de
civile. — Population indigène Urbaine : :
goum l'exprime, et apportent au service
Maures, Turcs, Kouloughli, Juifs, Nè-
Foraine. — Constitution de notre cause avec la confiance que
,
gres ; et variétés
de la tribu. — Chiffre delà population des leur donne l'appui des troupes françaises,
tribus. la connaissance du pays et l'intelligence
de la guerre locale.
Ce qui attire d'abord l'attention du Corps indigènes. —La présence des
voyageur en Algérie , c'est la diversité indigènes dans les rangs de l'armée fran-
des mœurs des costumes et des lan-
, çaise d'Afrique lui donne une physiono-
gages. Il est peu de pays dont la popu- mie toute particulière , pleine d'étran-
lation présente plus de variétés et de getéset de contrastes. Ainsi rien de plus
bigarrures. Sur ce théâtre ouvert par la bizarre pour le voyageur récemment
France à toutes les ambitions , à tous arrivé de France que le spectacle de la
, ,

104 L'UNIVERS.
cavalerie du makhzen
essaim mobile
, etd indigènes, arriva, après une suite
tumultueux, irrégulier, à côté de nos d essais et de transformations à l'orga-
,
bataillons français, calmes, précis, uni- nisation actuelle, qui consacre en prin-
formes, qui ne se pressent jamais, et qui cipe la séparation complète des corps
cependant vont au bout du monde. En- français et des corps indigènes réguliers
tre ces deux points extrêmes, des nuan- et irréguhers.
ces intermédiaires marquent la transi- L'idée d'employer les indigènes comme
tion ce sont d'abord les zouaves , in-
:
soldats ne fut pas la première qui se
fanterie régulière, dont la composition
présenta. Dès les premiers jours de
est devenue presque entièrement fran- l'occupation il avait été formé à Alger
çaise, quoique le costume soit resté mu- une garde extérieure composée de vingt
sulman, avec \a.chachia rouge et le tur- cheiks et chaouchs, auxquels on dé-
ban pour coiffure, la veste bleue de roi cerna le titre modeste de gardes cham-
taillée à l'ottomane, le seroual ou culotte
pêtres. Leurs fonctions consistaient à
large de couleur garance et les guêtres de faire la police et à servir de guides aux
cuir; viennent ensuite les tirailleurs environs de la ville. En 1835 le nom de
indigènes , recrutés entièrement d'Afri- garde champêtre fut changé en celui
cains , dont le costume diffère de celui de gendarme. Il est probable que ledé-
des zouaves par la couleur de la veste et veloppement des intérêts français ramè-
du seroual, qui est bleu clair. Enfin les nera l'emploi des indigènes à ces formes
spahis, qui forment la cavalerie régu- primitives, et que la France demandera
lière indigène , ajoutent à cette variété
aux tribus, comme dans les premiers
de formes et de couleurs , l'effet de leur jours de la conquête , des gardes cham-
double bernous, blanc et garance, dont pêtres , des gendarmes , et surtout des
ils se drapent avec la grâce et la
dignité cantonniers car ce sont trois fonctions
:

particulières aux cavaliers arabes. auxquelles les rendent éminemment pro-


Lorsque pour la première; fois l'on pres leur caractère et surtout leur con-
voit se déployer dans la plaine une co- naissance du pays.
lonne formée de ces éléments si divers, Il a été, question il y a quelques an-
lorsque cette variété d'allures , de cos- nées de faire venir à Paris des détache-
tumes de couleurs vient s'encadrer dans
, ments de cavalerie et d'infanterie indi-
un des horizons splendides dont la na- gènes d'Afrique. Ces troupes, renouvelées
ture a si richement doté l'Algérie , il est tous les deux ans , auraient pris part
difficile de réprimer un mouvement de pendant la durée de leur séjour en France,
surprise; mais ce premier sentiment au service militaire de la capitale. Cet
s'élève et s'agrandit à l'aspect de la ban- échange périodique entre l'Algérie et la
nière commune qui flotte au-dessus de métropole aurait promptement popula-
tous ces groupes. risé en France le costume national de
La formation des corps indigènes l'Algérie ; mais il aurait eu pour effet
remonte au 1 er octobre 1830, époque où principal de répandre parmi les indigè-
des bataillons d'infanterie furent créés nes la connaissance de nos mœurs et^de
sous le nom de zouaves. L'ordonnance nos ressources, de les accoutumer à nos
du 7 mars 1833 fondit les deux batail- sympathies et à nos répugnances, de
lons en un seul, composé de deux com- former enfin des moniteurs de civilisa-
pagnies françaises et de huit compagnies tion qui eussent reporté dans leur pays
indigènes. Au moment de l'expédition des impressions et des enseignements de
de Mascara (1835) un second batail- confraternité entre les peuples et entre
lon fut créé, et enfin lors de l'expédition les cultes. Il aurait contribué de cette
de Tlemcen (1837) la garnison de manière au progrès de la domination
cette ville fut constituée en troisième ba- française en Afrique.
taillon. Nous ne devons pas quitter les trou-
La
cavalerie indigène prit naissance pes indigènes sans faire remarquer une
en vertu d'un arrêté du 10 décembre singulière anomalie. Presque tous les
1830, qui créa plusieurs escadrons de princes musulmans ont donné à leurs
chasseurs algériens. Ce corps, formé armées régulières le costume européen;
primitivement d'un mélange de Français tandis que l'Algérie, contrée chrétienne,
,

ALGÉRIE. 105

a conservé le costume musulman et l'a , duite au 31 décembre 1846 à 48,000


donné même à des troupes françaises, sur 61,000.
les zouaves. Dans la population civile de l'Algérie
il est un élément dont on doit suivre la
Effectif de l'armée $ Afrique. marche avec intérêt; car il mesure en
L'effectif des troupes françaises em- partie le degré de consistance sociale
ployées en Algérie s'est constamment de la colonie c'est le rapport entre
:

accru, comme l'on sait, depuis la con- le nombre des femmes et celui des hom-
quête. En 1831 il était de 17,939 hom- mes. A mesure que notre établissement
mes; au 1 er janvier 1847 il s'élevait à se développera et se stabilisera ce rap-
97,760 à ce nombre il faut ajouter
: port convergera vers l'unité qui est son
7,048 hommes de troupes indigènes, terme normal. Envisagée à ce point de
ce qui porte la force totale de l'armée vue, la population de l'Algérie n'a pas
d'Afrique à 104,808. Cet effectif a un suivi depuis 1843 la voie de progrès où
peu diminué depuis quelques mois par elle était entrée avant cette époque. En
la rentrée en France de deux régiments. 1841 le nombre des femmes était de
C'est surtout depuis 1840 que les 7,000, celui des hommes de 29,000 et le ,

accroissements avaient été considéra- rapport, de 0, 24. Le recensement de 1 843


bles de 1839 à 1841 le chiffre de l'ar-
: présente, à la date du 31 décembre,
mée a passé de 50,000 hommes à 72,000 ; I5,000femmes et 25,000 hommes ; ce qui
il s'est donc accru en deux ans de 22,000 élevait la proportion à 0,60. Eh bien
hommes. cette proportion ne s'est pas beaucoup
accrue pendant les trois années qui ont
Population civile européenne.
suivi; car à la fin de 1846 nous voyons
Au
31 décembre 1830 la population les femmes figurer pour 25,000 et les
civile européenne de l'Algérie se rédui- hommes pour 41
ce qui réduit le rap-
:

sait à 602 personnes; seize années port entre l'effectif numérique des deux
après, au 31 décembre 1846, elle était de sexes à 0,61, à peu près comme il était
109,400 habitants. Dans ce nombre les en 1843.
Français figurent pour 47,274, les Espa. Il faut ajouter à la population mâle
gnols pour 31,528, les Maltais pour de l'Algérie les 100 mille célibataires
3,788, les Italiens pour 8,175, les Al- qui composent l'armée; ce qui porte
emands pour 5,386, les Suisses pour le nombre des Européens à 160,000, et
'i,238. Il comprend encore, mais dans réduit la proportion réelle des femmes
les proportions beaucoup moindres, des à 0,15 , c'est-à-dire que la population
ingio-Espagnols, des Anglais, des Po- européenne civile et militaire de l'Al-
onais, des Portugais, des Irlandais, gérie ne contient qu'une femme pour
les Belges , des Hollandais , des Rus- six hommes.
ses et des Grecs.
i
est, comme on le voit, le
L'Espagne Rapport entre la population civile et
)ays quiaprès la France , fournit le
,
la population militaire.
!)lus cfhabitants à l'Algérie. Dans ces
nous reste à mettre en parallèle
Il
ilerniers temps surtout elle lui en a les accroissements successifs de la po-
mvoyé un grand nombre. Ainsi, en pulation civile et de l'armée. Cette com-
1.846 sur 14,079 émigrés de toute na-
, paraison fournira au lecteur une don-
tion dont
la population algérienne s'est née de plus pour apprécier la situation
nrichie l'Espagne compte à elle seule
,
et l'avenir de l'Algérie.
;)our 6,356. c'est-à-dire près de la moi-
En France l'armée est d'environ
îé, tandis que la France n'a participé à 300,000 soldats et la population d'en-
:e mouvement que pour 2,969. viron 30,000,000 d'habitants. Chaque
En général, l'émigration étrangère soldat suffit donc à la sécurité de 100
lest montrée depuis quelques années habitants.
>eaucoup plus active que l'émigration L'Algérie à la fin de 1830 avait une
rançaise. La proportion des Français armée de 37,000 hommes et une po-
iux étrangers, qui au 31 décembre 1843 pulation européenne de 602 habitants ;
(tait de 28,000 sur 31,000, s'était ré- chaque habitant occupait donc au soin
, i

106 L'UNIVERS.
l'Arabe, ni le Berbère, ni le Kouloughli
de sa sûreté 62 soldats. Dès l'année sui-
ni le Turc, ni le Juif , ni le Nègre. Ces
vante ce nombre était réduit à 6;
le résidu de la population des ville
en 1834 il était de 3, c'est-à-dire qu'il
quand on en a extrait ces cinq classe
ne fallait plus pour garder un habitant
d'habitants. La plupart d'entre eu
que 3 soldats. En 1839 chaque habi-
ignorent leur origine ; quelques-uns 1
tant ne représentait plus que deux sol-
font remonter aux Andalous ou mu
dats. Enfin en 1845 l'armée et la po-
pulation atteignirent ^'une et l'autre le sulmans chassés de l'Espagne ; d'autre
se prétendent issus de quelque tribu d
chiffre de 95,000. La population était
l'intérieur, et rentreraient à ce titre dan
arrivée au pair, chaque colon avait son
l'une des deux catégories arabe ou bei
soldat. Enfin en 1846 10 soldats garan-
tissaient la sûreté de 11 colons.
bère.Le plus grand nombre descen
L'accroissement progressif de la po- de ces renégats qui , sous la domina
tion des corsaires, venaient cherche
pulation civile a permis d'ajouter à
l'armée, par la création des milices
dans les ports ou sur les navires barba
algériennes , une force réelle dont l'ef- resques un refuge contre les lois d
s'élève aujourd'hui à plus de leur pays. Au reste, la classe des Mai
fectif
res est peu nombreuse ; c'est à" peine
12,000 hommes.
dans toute l'Algérie on parviendrait
Population indigène. en réunir dix mille; elle est d'ailleui
On vient de voir que l'armée d'Afri- peu recommandante; dans le contai
des Européens elle a pris presque tôt
que ou la population militaire renferme
des les vices de la civilisation , sans perdi
trois éléments fort différents,
corps français , des corps étrangers , des aucun de ceux qu'elle devait à la bai
que la population ci- barie. C'est celle qui depuis la coi
corps indigènes :

elle-même est un mélange à fortes quête d'Alger a payé le plus large tribf
vile
doses de Français, d'Espagnols, de Mal- au mezouar (1).
tais , d'Italiens , d'Allemands et de Suis-
(i) Le mezouar était l'agent spécial de
ses , et à doses plus faibles d'Anglais posé à la surveillance des femmes qui faisait*
de Polonais, de Portugais, d'Irlandais, métier de la prostitution. On lui donnait
de Belges et de Hollandais, de Russes droit de percevoir sur chacune d'elles u;
p\ de ("ifecs. taxe mensuelle de deux douros d'Alger ( 7_
Une diversité analogue se remarque 44 c. ) et de faire un certain nombre de fi
dans la population indigène, qui se par année une sorte d'exhibition de ses adn
compose d'Arabes-, de Berbères, de nistrées dans des bals publics, dont tout le
||
Maures, de Kouloughlis, de Turcs, de fit était pour lui.

Juifs et de Nègres. Le mezouar achetait ces avantages au p|


L'Arabe et le Berbère sont les deux d'une redevance annuelle ; il versait dans
de l'ancien gouvernement une som(
éléments fondamentaux. Les autres caisses
dont la quotité variait , puisqu'elle dépend;
n'occupent qu'une place secondaire.
à chaque renouvellement de la ferme pasi
Le Maure est l'habitant des villes, et
Le Kou- au plus offrant du nombre des malheureus
surtout des villes du littoral.
soumises à la taxe.
Joughli, dont le nom est turc et signifie
Dans les idées musulmanes , cette bizai
littéralement fils d'esclave, est le pro- institution n'avait rien de choquant. La le
duit des unions contractées parles Turcs outre quatre femmes légitimes , permette
avec les femmes de l'Algérie. Quant au un nombre indéterminé de concubines c ,

Turc , au Juif et au Nègre il est inu-


,
tait leplus souvent parmi les femmes inscri
tile de les définir. au livre du mezouar que les Algériens allak
Disons en peu de mots quelle est la chercher les dernières.
position de ces différentes classes dans Cette magistrature étrange avait encore
la population algérienne. privilège singulier. Le prix de ferme à paj
demeurant fixé et la redevance exigible ai
Les Maures. mentant avec le nombre des assujetties, \en
Le Maureconstitue une de ces es- zouar avait intérêt à voir ce nombre s'accroît]
pèces indéterminées et bâtardes qui se En conséquence il recherchait et faisait j

définissent négativement. Ce n'est ni chercher par ses agents celles des femmes rép
,

ALGÉRIE. 107
ils se sont toujours conduits en braves
Les Kouloughlis.
et fidèles soldats. Le nombre des Kou-
Les Kouloughlis forment plusieurs loughlis en Algérie peut s'élever à envi<

coupes intéressants. En 1830 ils occu- ron 20,000.


paient la ville de Tlemcen ils occupent
;

:ncore plusieurs quartiers de Biskra et


Les Turcs.
le quelques autres villes ils composent
;
Unedes premières mesures que prit
a population de deux tribus considé-
l'autorité française en 1830 fut de se
ables ,de Zammôra, située sur la
celle
débarrasser de la plus grande partie des
imite méridionale de la Kabilie, et celle
Turcs établis à Alger. Elle craignit que
jles Zouatna, établie sur les rives de
ces maîtres déchus ne cherchassent à res-
Isser et de l'Ouad-Zitoun, un de ses
saisir une influence qui n'avait pas assez
;

iiffluents , à dix lieues sud-est d'Alger.


de racine dans le pays pour lui faire
Au moment de la déchéance des Turcs,
ombrage; elle crut s'affranchir d'adver-
es Kouloughlis se virent en butte aux
saires redoutables, et en réalité elle se
jittaques des tribus arabes et berbè-
priva d'auxiliaires utiles. Plusieurs mil-
res qui les entouraient. Ils n'eurent
liers de Turcs, qui eussent accepté avec
jl'autreressource que de se jeter dans
joie du service sous notre drapeau, fu-
p bras de la France. C'est ainsi que la
rent transportés dans leur pays à bord
[jarnison de Tlemcen et la colonie de
des bâtiments de l'État.
'Ouad-Zitoun se sont les premières dé-
achées du massif indigène et sont venues
Le gouvernement reconnut bientôt
je ranger sous nos lois alors que l'au-
son erreur; aussi ne suivit-il pas dans les
autres villes tombées en notre pouvoir
orité française en Algérie ignorait
tresque leur existence. Depuis cette
la politique qu'il avait suivie dans la ca-

poque les Kouloughlis ont constam- pitale. En décembre 1831 existait à


il

ment fait cause commune avec nous, Oran 90 Turcs de l'ancienne milice, dont
t beaucoup d'entre eux ont pris du sér-
27 entrèrent dans les chasseurs algériens,
et 63 restés dans un profond dénûment,
iée dans notre infanterie indigène , où
reçurent des vivres, des vêtements et une
légère solde.
ées honnêtes dont la conduite était suspecte ;
t pouvait prouver devant le cadi qu'elles
s'il
A Mostaganem la garnison turque,
taient tombées en faute, libres ou mariées,
composée de 157 hommes, reçut des allo-
lies étaient, comme femmes perdues, ins-
cations en argent qui l'aidèrent à se sou-
rites au livre du mezouar, et soumises au tenir contre les Arabes.
ayement de la taxe. De ce jour aussi le dés- En 1832, au moment du hardi coup
lonneur avait rompu les liens du mariage ou de main qui nous livra la ville de Bône,
etranché la fille de la famille. 105 Turcs, qui composaient la garnison
L'administration éprouva une répugnance de la Kasba, passèrent à notre solde, et
lien naturelle à conserver l'institution du formèrent le noyau d'un escadron de
tezouar. Plusieurs fois elle essaya d'organi- Spahis.
er sur une autre base la police de la prosti- Enfin après la prise de Constantine
ution; mais au mois de juillet i83i elle se
les Turcs qui se trouvaient dans celte
rut obligée de revenir à l'ancien moyen de
ville, entrèrent aussi à notre service ; on
urveillance modifié par l'adjonction d'un dis-
en forma une compagnie d'infanterie et
pensaire. La ferme fut consentie à un Maure
'Alger au prix de 1,860 francs par mois,
une section d'artillerie.
Si l'on ajoute à ces différents chiffres
/lais lemezouar ayant commis des abus , le
tiarché fut résilié et passé à un nouvel adjudi- quelques centaines de Turcs, la plupart
ataire moyennant une redevance mensuelle vieux et infirmes, épars dans nos villes
!e 2,046 francs. du littoral, on aura réuni tout ce qui
Cet état de choses s'est prolongé avec quel- reste après dix-sept ans de ces domina-
les variations dans le fermage jusqu'au 28 teurs, qui ont régné sur l'Algérie pen-
eptembre i835, époque à laquelle la ferme dant trois siècles. Nous ne croyons pas
ut supprimée et la surveillance être au-dessous de la vérité en évaluant
du commis-
aire central de police substituée
à celle du à 1,000 le nombre des Turcs qui à
tezouar.
cette heure habitent encore l'Algérie,
, }

108 L'UNIVERS.

Les Juifs.
manes qui montrent le plus d'intolfi
rance sont celles qui affectionnent speji
Les Juifs , qui furent nos premiers cialement ces deux industries tel esjï ;

médiateurs et nos premiers interprètes par exemple le massif des tribus kabityi
qui habitent vers le sommet des versaj||
en Algérie, y avaient obtenu dès long-
temps droit de cité malgré la répugnance nord du Jurjura : elles se montrei>
prononcée que les musulmans et sur- inexorables pour les Juifs, tandis que j
toutles Barbaresques leur ont toujours
reste de la Kabilie leur ouvre ses porte.
témoignée. Fidèles à la loi de leur grande Mais aussi ces tribus n'ont pas d'autw|
et mystérieuse destinée, ils sont là, moyens d'existence que les industries g
comme partout, comme
toujours, les colporteur et d'orfèvre ; l'exclusion pr<
agents et souvent les martyrs d'un rap- noncée par elles contre les Israélite
prochement providentiel entre dés peu- tient donc moins à une antipathie rel

ples et des cultes rivaux. gieuse qu'à une rivalité professionnell


Les Juifs établis dans les tribus po
II n'est pas une seule ville de l'inté-
rieur qui ne compte des Israélites parmi tent le même costume et parlent

ses habitants. Il y en a dans toutes les même langue que les peuples dont i

cités éparscs du Sahara, ïuggurt, à


à sont les hôtes. On remarque cependa^
Bou-Sada, dans l'Ouad-Mzab, etc. de légères différences. J^es hommes ren.
Beaucoup de familles juives se sont placent dans leur coiffure le khéit i
même établies dans les tribus où elles
,
corde en poil de chameau qui entoure
vivent à l'état nomade. calotte rouge par un mouchoir ou t.
On m'a assuré qu'en 1837 la tribu des turban noir, et les femmes évitent
|
Hanencha, l'une des grandes peuplades se tatouer le visage comme les femm;|
musulmanes, pour obéir à un précep
limitrophes de la régence de Tunis, ne
comptait pas moins de deux cents ten- de la Bible qui leur interdit ce genij
tes juives, dont les chefs combattaient à
d'ornement. ^
i

la manière des Arabes, avec de longs et


Jusque dans les profondeurs del';!
riches fusils, garnis d'ornements en ar- frique centrale le peuple Israélite a
|j
nétré. Il y a des Juifs parmi les trjj
gent. Mais à la suite de dissensions in-
testines survenues depuis cette époque quants nègres qui font le commerce |
la poudre d'or. Us correspondent po
:

cent cinquante tentes durent émigrer, et j

les intérêts, de leur négoce avec leui


se retirèrent, assure-t-on, dans l'oasis
tunisienne du Belad-el-Djerid au sud- coreligionnaires établis à Timimou-j
est de leur territoire. Il n'est donc resté
dans l'oasis de Touât, et à Metlili, sur
sous notre domination qu'environ cin- confins de l'Algérie.
quante tentes. Nous manquons de données pour ||
Les Israélites établis dans les tribus luer avec quelque exactitude la popu ;;

tion juive de l'Algérie. Û


s'y conforment aux usages de la loca-
lité ils habitent la tente ou la gourbi
;
Le recensement qui fut fait en 18
comme les peuples parmi lesquels ils delà population des territoires civils m
vivent. Tantôt ils cultivent avec eux de cusa l'existence de 14,694 Juifs. Il faulj
compte à demi; tantôt ils labourent pour ajouter les Israélites établis dans les y
les administrées militairement, dans
leur propre compte, se pliant, avec la |
merveilleuse souplesse qui les caracté- villes non occupées, tant du Tell que
|
Sahara, et enfin dans les tribus. Le ch
rise, à toutes les exigences de la vie ci-
vile et matérielle, dans l'intérêt de leur fre total doit s'élever à peu près à 80, OC
génie et de leur foi.
Mais l'agriculture n'est pas, on le Les Nègres.
sait, leur industrie de prédilection en :

général les Juifs des tribus y exercent les L'esclavage chez les musulmans
professions de colporteurs et d'orfèvres. ressemble en rien à ce qu'il est dans i

La plupart des tribus ne font pas dif- colonies chrétiennes; l'esclave y I


ficultéde les admettre; cependant traité avec une grande douceur; il fij
quelques-unes les excluent, et il est à partie de la famille, et s'y incorpore se
remarquer que les populations musul- vent par les liens du sang.
ALGÉRIE. 109

Aussi Je gouvernement français avait- donné parles Arabes aux ruines d'Hip-
Isagement agi en s'abstenant de toute pone, où ils prétendent qu'une sainte de
fiesùre violente pour supprimer un ce nom est enterrée.
sage que la force des choses devait faire La scène
se passe dans les vastes ci-
isparaître; partout où le drapeau fran- ternes de l'ancienne ville. Le jour est
ais a été arboré le fait seul de sa consacré aux sacrifices; on immole à la
résence a suffi pour faire cesser la sainte des coqs et toujours des coqs rou-
ente des esclaves aux enchères. Ce fut ges, parce que Lella-Bôna était fille de
omme un hommage spontané rendu la rouge ( Bent-el-Hamra ).
ar la population conquise aux mœurs, Dès que vient le soir les bougies s'al-
ux principes et aux répugnances du lument, et projettent une lumière vacil-
euple conquérant. lante sur les murailles du souterrain.
Le gouvernement républicain s'est Des Négresses préparent le couscoussou.
proclamer l'abolition de l'escla-
âté de Pendant ce temps le tambourin et le fifre
age mais il a ainsi jeté la perturbation
: font entendre sans interruption leur
ans un grand nombre de familles mu- bruit assourdissant. Bientôt Nègres et
ulmanes; et nous avons vu plus d'un Négresses commencent à danser chacun
sclave regretter, en face de la misère, de son côté, chacun à sa manière; d'a-
\ chaîne légère et douce qui lui assurait bord les mouvements ont de la len-
liaque jour son pain du lendemain. teur et une sorte de nonchalance , mais
Depuis 1830 les importations de Ne- peu à peu la mesure se précipite, les
ttes en Algérie étaient devenues chaque cadences deviennent plus vives; danseurs
>ur plus rares; la population esclave et danseuses , haletant de fatigue ruis- ,

bit encore diminué par le départ des selant de sueur, finissent par tomber
randes familles et par l'appauvrisse- dans un état d'ivresse magnétique, au
tent des autres. Le temps n'était pas milieu de laquelle ils poussent de grands
oigne où elle ne devait plus se renou- cris incohérents.
?ler que par les naissances. Tout cela se voit à la lueur incertaine
Le recensement de 1844 a constaté de quelques bougies, par une nuit som-
ïil existait au 31 décembre 1843, dans bre dans de vastes souterrains, aux-
,

ressort de l'administration civile, 1,595 quels tous ces visages noirs donnent une
ègres libres et 1,277 esclaves. On peut certaine ressemblance avec l'enfer des ;

>aluer approximativement à 10,000 le feux allumés brillent çà et là; des


ombre des esclaves répandus sur toute femmes, des enfants gisent accroupis le
surface de l'Algérie au moment où long des murs d'autres courent écheve-
;

abolition de l'esclavage a été décrétée, lés à travers les danses. Au-dessus de


e nombre des Nègres libres est au toutes ces têtes en mouvement règne une
ioinségal. voûte énorme, en partie détruite, à travers
Il est inutile de dire qu'il n'y a jamais laquelle on aperçoit les étoiles du firma-
î un
seul esclave dans les maisons ment hautes cimes des arbres qui
et les
irétiennes. ont poussé dans les crevasses. Toute
\
Dans toutes les villes de l'Algérie cette fantasmagorie dure jusqu'aux pre-
Nègres ont l'habitude de se réunir un
s mières lueurs du jour. Alors la caravane
l)ur chaque année et de célébrer en com- de Nègres, de Négresses et de Négrillons
iun une fête, qui leur fait retrouver s'en revient à la ville, fatiguée, mais
tendant quelques heures les joies naïves de la nuit.
satisfaite des plaisirs
k leur berceau. J'ai assisté quelquefois
f
ces réjouissances annuelles, faible Costume des différentes classes
ompensation de l'esclavage et de l'exil : indigènes.
p n'en ai point vu qui eu if un caractère
lus étrange, qui fût entouré de circons- L'Européen qui débarque pour la
tances plus fantastiques que celles de première fois dans une ville d'Algérie
ïône. n'est frappé au premier abord que de
La solennité a lieu le jour de la fête de Pétrangeté des costumes indigènes. A la
'.ella-Bôna-bent-el-Hamra ( madame vue de cette population dont les usages
tôna fille de la rouge); c'est le nom diffèrent tant des nôtres, il éprouve
110 L'UNIVERS.
une sorte d'ébîouissement qui l'empêche Deux formules locales expriment l
de reconnaître les signes caractéristiques caractère et les rapports de l'une et d
propres aux diverses classes de cette l'autre.
société devenue française par la con- Le Maure définit ses anciens maître
quête, demeurée étrangère par ses habi- par quatre mots turcs : Fantasia tchok
tudes. Il prend le Juif pour le Maure, le para iok\ beaucoup d'orgueil, et pa|
Maure pour le Turc; quelquefois même d'argent.
il confond le Maure et le Turc avec l'A- Le Turc désigne le produit de soi
rabe et le Berbère. Cette première ré- alliance avec les Maures par ces deu
vélation du monde musulman ne laisse mots , non moins expressifs Kom :

dans l'esprit que des impressions con- oughli, enfant d'esclave.


fuses. Veut-on rapporter le Maure et le Tur
Et cependant toutes les classes de la de l'Algérie à deux des types les plu;
population algérienne observent dans populaires de l'Europe? Qu'on se re
la forme et la couleur de leurs vête- présente, affublés de même costume
ments certains usages particuliers, qui Sancho Pansa et Don Quichotte.
permettent de les reconnaître. Le costume des Juifs ne diffère pal
Le Maure et le Turc sont deux types par sa forme de celui des Turcs et de
similaires; aussi diffèrent-ils entre eux Maures, il en diffère seulement par 1

beaucoup moins par la taille de l'habit couleur. La


chachia violette , le tuj|
que par la manière de le porter. Leur ban noir, la veste et le pantalon de cou
coiffure consiste dans la calotte rouge de leur terne ou sombre distinguent la fa,
Tunis dite chachia, autour de laquelle mille israélite de toutes les autres racé
s'enroule un turban de couleur claire. indigènes.
Une double veste- couvre le haut du Les Juifs m'ont paru encore se fair
corps; l'une se ferme sur la poitrine; remarquer par la blancheur générale d
l'autre reste ouverte; le séroual, culotte leur teint : malgré l'influence du clima
bouffante, descend jusqu'aux genoux; on rencontre parmi eux très-peu de peau
ilest maintenu sur les hanches par une brunes ; aussi forment-ilsavec les Nègre
ceinture de laine rouge, et laisse ordinai- un double contraste. Tandis que l'iâ
rement découverte la partie inférieure raélite porte sur sa peau blanche un ve
des jambes. tement de couleur sombre , monumeri
Sous ce costume commun aux deux de son ancien ilotisme, le Nègre, <xj'
classes citadines de la population mu- autre Ilote, montre une prédilectio
sulmane le Turc se reconnaît à la fierté marquée pour les couleurs claires. I
de la démarche, à l'arrogance du main- porte presque invariablement le turba-
tien. Jusque dans fond d'une bou-
le et le séroual blancs, et presque toujour
tique il conserve sa prestance militaire; aussi une veste blanche. Jusque dar;
tandis que le Maure reste bourgeois, les industries qui le font vivre, il senj
même sous les armes. ble rechercher des oppositions à la coi;
Ils diffèrent aussi dans la manière de leur de jai luisant dont la nature 1
placer le turban sur la tête du Maure
: couvert. Il se fait marchand de chaux H] ,

il couvre également les deux côtés de la sa compagne marchande de farine. Dan


tête ; sur la tête du Turc il incline un presque toutes les villes il exerce la pro
peu à droite laissant à découvert le
, fession spéciale de badigeonneur. On 1

dessus de la tempe gauche, qui, par voit promener son pinceau à long man
suite de cet usage, est recommandé tout che sur lacoupole des mosquées, su
particulièrement aux soins du haffaf, les flèches des minarets, sur les façade;
ou barbier. et les terrasses de tous les édifrces
Il existe encore entre les deux types C'est à ses mains noires qu'Alger doi
quelques différences de détail. Ainsi l'u- le voile blanc qui l'enveloppe et qui des
sage des bas est plus répandu parmi sine de loin sa forme triangulaire enca
les Turcs que parmi les Maures. drée dans la verdure de ses coteaux e
Mais c'est surtout dans le jeu de la de ses campagnes.
physionomie, dans l'ensemble du main- Tel est l'extérieur des classes cita
tien que les deux natures se dessinent. dines; il nous reste à parler du peupl
ALAiJbiKiE. lî|

des campagnes , du peuple des tribus d'étoffe de laine légère, fixée par une
réparti en deux classes, bien autrement corde en poil de chèvre et de chameau,
importantes, bien autrement nombreu- qui s'enroule plusieurs fois autour de
ses, qui, soit sous le tissu de laine de la la tête, où elle s'étend en spirale. La

tente, soit sous la toiture de chaume pièce d'étoffe s'appelle haïh, et se fa-
ou de tuiles, représentent la plus grande brique surtout dans le Djérid, oasis tu-
partie de population algérienne.
la nisienne. La corde de chameau s'appelle
On comprend qu'il s'agit des Arabes khéit ou brima, suivant qu'elle est
et des Berbères. ronde ou plate. Une gandoura, couvre
Quelques échantillons de ces deux le corps et les épaules ; c'est une autre

races se rencontrent même dans le sein chemise de laine , plus longue que le
Ides villes. Ils y paraissent à divers ti- derbaldu Kabile, et sur laquelle des-
itres les uns viennent y vendre les pro-
:
cendent les plis du haïk. Enfin l'habil-
duits de la campagne et y acheter des lement se complète par l'inévitable ber-
cotonnades et des merceries ; les autres nous, qui est pour l'Arabe une seconde
viennent y chercher du travail , et con- peau.
sentent à subir pendant plusieurs an- Les deux derniers types qui viennent
nées la dure loi de l'expatriation, dans d'être définis par leur costume appar-
l'espoir d'amasser un petit pécule et tiennent au peuple des tribus; elles for-
d'acheter du produit de leurs écono- ment la grande masse de la population
mies une maisonnette et un jardin, soit indigène.
dans l'oasis , soit dans la montagne na- La principale différence qui existe en-
tale; c'est cet espoir qui fait accepter au tre eux est celle du langage. Quant à leur
Berbère de la Kabilie, à l'arabe du Sahara, origine, il doit s'être introduit beaucoup
présidence temporaire de nos villes. de sang berbère, même chez les peuples
1

LeKabile, dans la plus grande sim- qui font exclusivement usage de la


plicité de son costume national, porte langue arabe ; on ne doit donc voir
pour coiffure la calotte rouge commune dans les tribus, soit arabes, soit même
à toutes les classes indigènes, pour vê- berbères, que des mélanges à dose va-
tement un derbal, ou chemise de laine riable du peuple conquérant et du
serrée au corps par une ceinture de peuple conquis. Les tribus arabes sont
même substance, et un tablier de cuir ;
celles où dominent le sang et la langue
pour chaussure la torbaga, sandale des vainqueurs , et les tribus berbères
grossière, que la neige et les rochers ren- celles où le sang et la langue des vain-
dent nécessaire dans la montagne, mais cus l'ont emporté.
qui laisse à découvert les formes mus- A ce point de vue l'examen des mœurs
culeuses de la jambe. A cet accoutre- indigènes fournit des rapprochements et
ment il ajoute le manteau à capuchon des contrastes dignes d'intérêt.
appelé bernons, pièce principale du La race berbère en Algérie habite
costume africain , que la conquête de surtout les montagnes; la race arabe
l'Algérie a déjà popularisée en France. habite surtout les plaines.
Le bernous du Kabile sort des Beni- La première porte deux noms diffé-
Abbes ou des Beni-Ourtilan, deux tri- rents ; elle s'appelle Kabile dans le mas-
bus industrieuses situées dans les mon- sif méditerranéen , et Chaouia dans le
tagnes. massif intérieur.
La coiffure de l'Arabe se compose de La seconde porte par tout le même
deux ou trois chachia superposées qui,
nom , qui est celui des fondateurs de
en voyage lui servent de portefeuille. l'islamisme; mais les habitudes et les
Lui donne-t-on des dépêches à porter instincts la partagent aussi en deux
au loin , il les place entre deux de ces catégories l'Arabe du Tell et l'Arabe du
:

calottes de laine, et ne s'en inquiète plus Sahara.


jusqu'au terme de la mission, il est Les groupes les plus remarquables
sûr de ne pas les perdre, car sa coif- formés par l'élément berbère sont dans
fure ne le quitte jamais, ni "\e jour ni le massif intérieur, les montagnes de
la nuit. Sur la chachia extérieure, qui l'Aurès, et dans le massif méditerranéen,
est rouge, s'applique une longue pièce la Kabilie proprement dite.
,,

Hô L'UNIVERS.

La race arabe et la race berbère ont Le Kabile a les défauts qui corres-
aes habitudes et des inclinations telle- Eondent à ses qualités. Comme tous les
ment différentes qu'en quelque point
,
ommes dont l'intelligence se concentre !

qu'on les observe, on les trouve sépa- dans des ouvrages matériels , il est
rées partout : l'une a fini par absorber ou âpre, entêté, hargneux; après la pio-
repousser l'autre. che la scie et le marteau, il ne con-
,'

Iln'est peut-être dans toute l'Algérie naît plus rien que le fusil.
quune seule localité où elles habitent Il a le don de l'imitation ; c'est encore

le même sol , sans perdre ni le carac- une qualité qui accompagne presque
tère ni la langue qui leur est propre ; toujours des instincts industriels. D'ar-
c'est Guelma. Nous avons déjà signalé tisan laborieux il n'attend pour de-
le phénomène remarquable de juxta- venir mécanicien habile que des maîtres
position particulier à cette petite ville, et des modèles.
située dans un des sites les plus riants L'Arabe a le caractère plus sociable
de la Seybouse. Là se trouvent réunis l'esprit plus élevé, l'imagination plus vive.

des Chaouias descendus de l'Aurès, des Il anime son langage d'expressions pit-

Kabiles venus des montagnes de Djid- toresques; il aime à revêtir la pensée


jeli , des Arabes venus des plaines de de formes allégoriques; il montre enfin
Constantine, et cette société hétérogène vers la poésie une tendance naturelle
accrue encore de cultivateurs euro- qui ne demande qu'un peu d'éducation
péens, prospère et se développe dans pour se développer.
la paix et le travail, grâce au lien pro- A travers l'ignorance commune à

tecteur que l'autorité française a su tous ces peuples , on remarque dans l'A-
établir entre des éléments étrangers au rabe quelques aspirations vers la lumière,
territoire qu'ils habitent et partout ail- quelques vagues désirs de culture intel-
leurs hostiles entre eux. lectuelle; une propension instinctive le
L'éloignement que le Berbère et l'A- porte surtout vers deux sciences, l'as-'
rabe éprouvent l'un pour l'autre tient tronomie et la géographie. Rien n'a le
en grande partie à des différences orga- don de le captiver comme les récits de)

niques que le temps et la civilisation voyages et les mouvements des corps


affaibliront par degrés, mais ne dé- célestes.
truiront jamais. Mais ce portrait s'applique exclusive-,
Il existe entre eux une incompatibi-
ment à l'Arabe du Sahara; car pour le
lité analogue à celle qui sépare l'esprit
paysan du Tell, il ne connaît que la
de la matière, quand la vie ne les asso- route de sa tribu au marché voisin là ;
\

cie pas. s'arrête son instruction géographique.


Il tond ses moutons, et en porte la laine
Comme aptitude le Berbère est sur-
tout artisan , l'Arabe voyageur et pas- à l'habitant du Sahara, qui la transforme
teur; comme caractère, le Berbère est en tissus ; là s'arrêtent ses facultés in-j
positif, pratique, ami exclusif du fait;
dustrielles.

l'Arabe est rêveur, contemplatif, amou- Les tentes elles-mêmes, ces demeures
reux des formes poétiques, qu'il trans- flottantes où il abrite sa famille, c'est
porte instinctivemeut dans son langage aux nomades du Sahara qu'il les achète.
Enfin l'Arabe du Sahara malgré ses
le plus vulgaire , dans la nomenclature
,

instincts poétiques, aime le travail


de ses vallons , de ses coteaux et de ses
montagnes. comme le Kabile, et vient le chercher à
Le Berbère est maçon , forgeron ar- , plus de cent lieues de distance dans nos
murier , nous l'avons déjà dit ; le petit villes du littoral. C'est lui qui dans le

nombre de villes que l'Algérie possède port d'Alger nous tendait la main pour
en dehors de la Kabilie c'est lui qui
,
débarquer durant les premières années
les a élevées Alger , lui-même, ce gra-
:
de la conquête ; c'est lui qui transporte
cieux spécimen de l'art moresque, est nos marchandises et nos bagages. Le
sorti de ses mains. Ce sont les usines Biskri ( ce nom comprend tous les tra-
berbères qui fabriquent les plus belles vailleurs sahariens ) est aussi intelligent,
aussi actif et adroit que le Kabile.
Le
armes indigènes,et particulièrement les
sabres longs et pointus appelés fliça. paysan arabe du Tell, au contraire,
ALGÉRIE. Ï13

ne rêve que le repos ; il est paresseux le chaume et la tuile, la tribu se pré-


et gauche. sente comme une agglomérationde cer-
Reconnaissons toutefois l'importance cles formés de taches noires, qu'on pren-
du rôle assigné par la nature à ces trois drait de loin pour des amas de fumier.
catégories d'habitants dans le mouve- Chacune de ces taches est une tente;
ment d'échange et de production qui chaque cercle de tentes forme un douar;
anime et nourrit l'Algérie indigène. c'est la forme caractéristique de la race
Le Berbère estsurtout artisan, l'Arabe arabe.
du Sahara pasteur et voyageur, l'Arabe Le village pour les uns, le douar pour
du Tell laboureur. les autres, tels sont les éléments prin-
Mais à la spécialité qui lui est propre cipaux de la tribu.

chaque classe en ajoute une autre qui Entre cette unité constitutive de la
lui crée de nouvelles ressources. Au fond commune tribu, qui est l'unité
et la
de ses montagnes , l'artisan berbère cul- constitutive de la société , il existe une
tive l'olivier sur une large échelle; à division intermédiaire, qui réunit un
côté de ses landes vouées au parcours , le certain nombre soit de villages, soit
pasteur saharien possède des forêts de de douars, et que l'on appelle \aferka ,
dattiers; dans les plaines monotones mot qui signifie fraction. La somme de
qu'il cultive le laboureur arabe du Tell ces fractions produit l'unité, c'est-à-dire
élève encore d'immenses troupeaux. la tribu.
Ainsi chacun de ces trois types , en- En France l'homogénéité est un des
visagé au point de vue de sa participation principaux caractères de nos communes;
à l'entretien des autres , représente une il n'y a pour ainsi dire entre elles que
double aptitude, une double industrie. des différences numériques; ainsi pas de
Le Berbère cumule les professions commune nomade, religieuse, féodale;
d'artisan et de jardinier; le moule révolutionnaire les a toutes
L'Arabe du Tell celles de laboureur uniformisées.
et de pasteur; A cet égard l'Algérie attend encore
L'Arabe du Sahara celles de pasteur sa révolution. Parmi ses milliers de
'et de jardinier. communes (pourquoi ce mot consacré
dans notre langage administratif ne se-
Forme constitutive de la 'population rait-il pas appliqué à une terre désormais
indigène. française?) les unes sont sédentaires,
,

Transportons-nous maintenant sur le les autres nomades ; quelques-unes of-


théâtre de ces quatre industries fonda- frent l'exemple d'émigrations partielles
mentales, observons de plus près les et jonchent le sol de leurs colonies.
Î>eupies qui les exercent , cherchons la L'Algérie nous montre encore des com-
oi sociale qui les régit. munes religieuses et des communes laï-
Cette loi gouverne également les ques des communes nobles et des com-
,

i
Arabes et les Berbères. Dans les clans munes serves.
(abruptes de la montagne, dans les Les communes ou les tribus séden-
[horizons découverts de la plaine, dans taires sont celles qui habitant sous le
les steppes et dans les oasis du Sahara, chaume , sous la tuile ou sous la terrasse,
'partout nous retrouvons la constitution ne se déplacent jamais , comme les villa-
s
isomorphe des peuples berbères , nous ges de la Rabilie et du Sahara ; celles qui
retrouvons le même élément d'agréga- habitant sous la tente se meuvent entre
tion, la tribu; la tribu c'est l'unité , c'est des limites fixes, comme les Arabes du
la commune. Tell ; ou bien enfin celles qui habitant
Chezles peuples stables, qui ne font sous la tente se meuvent autour de
5
point usage de la tente la tribu se pré-
, points fixes, comme cela a lieu pout
sente comme une agglomération de villa- quelques tribus du Sahara.
ges ; c'est alors surtout qu'elle offre la Il ne faut pas prendre les peuples no-
plus grande analogie avec nos commu- mades pour des peuples errants car il ;

nes de France; c'est la forme caractéris- n'existe pas detribus errantes en Algérie.
tique de la race berbère. Les plus mobiles obéissent dans leurs
Chez les peuples qui ont rompu avec mouvements à certaines lois qui limitent
8 e Livraison, ( Algérie.) S
,

114 L'UNIVERS.
d'une manière presque invariable le champ une partie de cette tribu à s'éloigner du
de l'habitation, de la culture et du par- sol natal. Elle s'avança alors vers le
cours; ces lois résultent de la nature du nord-est, et vint s'établir sur les confins
climat et du sol , de l'extrême régularité du Sahara algérien. Là de nouvelles
qui préside au retour des saisons cle , contestations avec les tribus voisines
l'extrême inégalité qui préside au par- déterminèrent un nouveau mouvement
tage des eaux. vers le nord, et la colonie nomade des
Pendant une moitié de l'année l'Algé- Arib arriva ainsi dans le Hodna, au sud
rie ressemble à une vaste pelouse verte de Sét.if ; puis elle passa dans le massif
et arrosée. méditerranéen, et vint s'établir, par suite
Pendant l'autre moitié elle se partage d'un arrangement avec les tribus qu'elle
en deux larges bandes verdoyantes et déplaçait,sur l'un des affluentssupérieurs
en deux larges bandes jaunes et arides. de l'Ouad-Akbou (rivière de Bougie).
Les deux premières sont le massif L'occupation française occasionna en-
méditerranéen et le massif intérieur; core un déplacement dans la tribu des
les deux autres sont la zone des landes Arib, dont une partie vint asseoir ses
et celle des oasis. tentes au pied de la maison carrée, à
Pendant les six mois de verdure les deux lieues d'Alger. C'est ainsi que, par
tribus des oasis se répandent avec leurs une suite de vicissitudes et de déplace-
troupeaux dans les landes limitrophes; ments, la tribu la plus reculéedu Sahara
les tribus qui habitent les pentes des marocain se trouve avoir une colonie
montagnes méridionales descendent pa- sur la côte algérienne.
reillement dans les landes voisines. Alger lui-même, le chef-lieu actuel
Pendant les six mois de sécheresse cle nos possessions, est une colonie d'o-

ces dernières remontent dans leurs mon- rigine berbère. Mais les Beni-Mesghanna,
tagnes. Les tribus des oasis exécutent ses fondateurs, ont disparu dans les
leurs mouvementsde migration lointaine; guerres nombreuses quiont agité le pays
elles abandonnent la région natale , et depuis trois siècles. Cependant ils ont
vont chercher sur les plateaux du Tell laissé leur nom à la montagne qu'ils
de l'eau, des blés et des pâturages. habitaient dans la partie supérieure du
Pendant la première saison la popu- cours de Tisser. Ce lieu est encore fré-
lation de l'Algérie se disperse sur toute quemment visité par les Algériens , qui
sa surface; pendant la seconde elle se vont saluer leur ancienne métropole.
concentre dans les massifs montueux La ville avec les îlots qui lui font face,
et dans les terres cultivables des oasis. îlots dont le principal forme la tête de
Elles obéissent ainsi à un mouvement ja jetée Khaïr-ed-Din, s'appelait au
régulier d'oscillation, qui aux mêmes moyen âge Djezaïr-Beni-Mezghanna
époques les ramène sur les mêmes (les îlots de Beni-Mezghanna). Plus
points. tard ce nom fut altéré. Les indigènes
'n'en conservèrent que la dernière partie
Tribus-colonies.
et nommèrent par abréviation la ville
Il se rencontre fréquemment des tribus barbaresque Dzair. Les Européens, au
de même nom séparées par de grandes contraire, n'en conservèrent que les pre-
distances ; elles reconnaissent presque mières syllabes, et l'appelèrent Alger;
toujours une origine commune : l'une de sorte que l'ensemble des deux noms
est la métropole, les autres sont des Alger , Dzair donnés aujourd'hui à la
colonies. cité mauresque par les deux populations
C'est en général la discorde ou la mi- qui l'habitent , reconstitue le nom pri-
sère qui provoque ces émigrations. Un mitif Eldje-Zaïr.
des exemples les plus remarquables de Parmi les tribus-colonies, nous ne
ces déplacements se présente aux portes devons point passer sous silence la
même d'Alger, dans la tribu des Arib classe intéressante de celles que les
dont la métropole occupe la partie la Turcs avaient formées pour la sûreté
plus méridionale du Sahara marocain. A de leur conquête. Us les établissaient
une époque qu'il serait difficile de pré- sur des terres acquises au domaine de
ciser, des dissensions intestines forcèrent l'État, soit par voie de confiscation, soit
,

ALGÉRIE. i i

par voie de vacance. Le noyau de ces est prête à recevoir la charrue, si la


colonies reconnaît diverses origines. moisson est prête à recevoir la faucille;
Tantôt c'était une réunion de familles l'œil fixé sur le champ de ses maîtres, il

empruntées aux tribus circonvoisines ; attend que la charrue et la faucille suze-


on les appelait alors Zmala ou Daïra. raines se mettent en mouvement; alors
Tantôt c'était une troupe de nègres af- seulement il se met
à l'œuvre , car s'il
franchis; on les appelait Jbid. les devançait bénédiction du ciel
la

Ces tribus réunissaient le double ca- manquerait à ses travaux.


ractère militaire et agricole; elles rece- Ce sont encore les tribus de mara-
vaient des terres et des instruments de bouts qui donnent le signal de la guerre
travail; mais elles recevaient aussi des sainte, et une expérience de dix-sept an-
armes. Le siège de leur établissement nées nous a édifiés sur le caractère de
étaitsouvent un marché, ou bien elles leur intervention.
s'échelonnaient sur une route, ou bien Cependant quelques exceptions inté-
enfin elles étaient groupées autour d'une ressantes ont prouvé que tous les chefs
ville dont elles protégeaient les abords. de ces familles ecclésiastiques ne se
Toute l'organisation, toute la sûreté sont pas jetés avec la même ardeur dans
de la province d'Alger sous les Turcs la voie de la violence et du fanatisme.
reposaient sur les colonies militaires Ainsi dans les premières années de
indigènes. Moyennant la concession de notre occupation un des marabouts les
la terre, qui ne lui coûtait rien, le gou- plus influents de la province d'Alger,
vernement disposait d'une gendarme- consulté par les indigènes de sa juridic-
rie nombreuse, mobile, aguerrie. C'est tion sur la conduite qu'ils devaient te-
à l'aide de ces auxiliaires empruntés au nir à l'égard des Français, leur fit cette
sol lui-même qu'il était parvenu à oc-
,
réponse remarquable : « Restez tran-
cuper avec 14,994 hommes de troupes quilles, et ne luttez pas contre eux ; car
régulières, autant d'espace que nous en ou la volonté de Dieu est qu'ils restent,
occupons nous-mêmes avec 100,000. et vos efforts pour les chasser seraient
impies; ou la volonté de Dieu est qu'ils
Tribus religieuses. s'en aillent, et vos efforts seraient inu-
11 existe des tribus dont tous les ha- tiles. »
bitants sont marabouts et naissent ma- Tel fut encore le chef de la principale
rabouts. Il en existe un grand nombre. famille ecclésiastique du Ziban, Ben-
On les désigne par la qualification géné- Azzouz. 11 avait embrassé en 1838 le
rique de Oulàd-Sidi (les enfants de parti d'Abd-el-Kader; en 1840 il fut battu
Monseigneur), suivie d'un nom propre; par notre cheik-el-arab Ben-Ganna
c'est le nom d'un personnage qui de son qui envoya à Constantine, comme tro-
vivant s'est acquis, soit par des excen- phées de sa victoire, un drapeau, une
tricités pieuses , soit par des actes de pièce de canon et quelques centaines
bienfaisance mystique, une réputation d'oreilles.
de sainteté consacrée par de prétendus Cependant après plusieurs vicissitudes
miracles. Élevé ainsi au pavois de la et une assez longue captivité à l'île
vénération populaire, il a transmis à Sainte-Marguerite, Ben-Azzouz, le ma-
toute sa postérité, avec son titre de rabout vénéré de l'est sentit le besoin
,

marabout, le prestige qui l'accompagne. de se réconcilier avec les Français. Il ob-


Parmi ces tribus il en est quelques-unes tint de retourner en Afrique et d'aller
qui ont laissé peu à peu décroître leur habiter les environs de Bône avec sa
influence, et n'ont conservé, si l'on peut famille. Il y mourut après quelques an-
s'exprimer ainsi qu'un titre nu ; mais
, nées de séjour.
en revanche il en est beaucoup d'autres Les habitants de Bône, Français et in-
qui exercent sur toutes les communes digènes, se rappellent avec émotion la
circonvoisines une véritable suzeraineté. scène touchante et imposante a la fois
Ce sont elles qui donnent le signal du qui signala les derniers moments de
labourage et de la moisson. A j'appro- ce vieillard , chef d'une des plus saintes
che de ces deux époques capitales, le et des plus illustres familles de l'Al-
paysan arabe ne regarde pas si la terre gérie.

8.
,,

m L'UMVERS,
C'était en 1844 ; le vieux marabout gion les enfants du voisinage viennent
habitait avec sa famille de modestes apprendre à lire; ils ont pour maîtres
gourbis sur le bord de l'Ouad-el-Fer- des talebs ou hommes lettrés, entrete-
cha, au pied du Djebel-Edough. Quand nus sur les produits de la zekkat ou
il sentit' sa fin prochaine , il convoqua redevance pieuse imposée à tous les
autour de lui tous les membres de sa musulmans. C'est là aussi que siège
famille sans exception , et leur déclara le cadi, dont la juridiction s'étend à
au milieu d'un religieux- silence , ses toutes les tribus du ressort ecclésiastique
dernières volontés : « Mes enfants , leur de la zaouia. Souvent la zaouia est habi-
dit-il j'ai voulu, avant de mourir , vous
, tée par des ulémas ou docteurs que les
faire connaître ce que Dieu m'a révélé cadis eux-mêmes ne dédaignent pas de
;
en ce moment suprême l'avenir se dé- consulter.
couvre à mes yeux. Ne cherchez pas Le voyageur qui se présente à la zaouia
à lutter contre les Français , ce serait y trouve la nourriture et le gîte, le
lutter contre la volonté divine. Voyez ; pauvre y reçoit des vêtements du pain et
,

de tous côtés ils élèvent des maisons et surtout du travail, qui ne manque pas;
des villes; plus ils rencontrent de ré- car la zaouia possède de vastes dépen-
sistance , plus ils marchent et grandis- dances foncières.
sent ; croyez-moi, mes enfants, ils n'au- La tribu religieuse renferme donc
raient pas grandi si Dieu ne l'avait en elle la paroisse et le clocher, l'école
voulu. Au nom de ce Dieu devant lequel et le tribunal le bureau de bienfaisance
,

je vais comparaître, je vous recom- et l'hôtellerie, hôtellerie qui s'ouvre'


mande de ne plus lutter contre les Fran- gratuitement au voyageur et au pauvre.
çais ; car s'ils sont grands , s'ils sont Le point central autour duquel cesi
forts, c'estque Dieu le veut ainsi, sans divers établissements se groupent est la-
doute pour la régénération de vos frères tombe d'un homme de bien.
et pour la gloire de l'islam. » La zaouia correspond assez bien à
Cette allocution, prononcée avec la ce qu'étaient en Europe les couvents:
double autorité d'un vieillard et d'un du moyen âge ; elle exerce autour d'elle
mourant , avec toute la solennité que une influence énorme; elle la doit à
les musulmans savent donner à leurs son origine religieuse et aux richesses!
actes et à leurs parolesproduisit une
, concentrées dans les familles qui l'ad-
impression profonde sur la famille du ministrent par une accumulation sou-
marabout. Devant le lit de mort de tenue d'offrandes, d'impôts et de re~'
leur père et de leur chef, ils firent tous venus.
serment de ne jamais porter les armes C'est du fond des zaouias que sont;
contre les Français. sortis les principaux agitateurs de l'Ai-;
Le territoire des tribus religieuses gérie. Il existe au sud d'Alger, sur le haut
un peu considérables est signalé à la vé- Isser, une zaouia renommée, consacrée
nération des musulmans par un petit au marabout Sidi-Salem. Elle a produit
édifice surmonté d'une coupole, blan- Ben-Salem, l'un des principaux lieu-
chi à la chaux, entretenu avec soin. tenants de l'émir, dont le fils, par un
C'est là que reposent les restes du saint singulier enchaînement de vicissitudes,
personnage fondateur de la tribu. Cet se trouvait à Paris dans une maison d'é-
édifice porte le nom de koubba, qui si- ducation pendant que son père com-
gnifie coupole, et l'on y ajoute le nom battait contre nous.
du maraboutdont il contient les restes. Une autre zaouia plus célèbre encore,
Dans les plaines nues et découvertes plus étroitement liée à la destinée de notre
la koubba se voit de très-loin, et guide domination , est celle de Sidi-Mahiddin,
les pas du voyageur. C'est le clocher des dans la plaine d'Eghres, au sud d'Oran.
musulmans. Souvent à côté de la koubba Elle se composait naguère d'une cen-
s'élève un autre établissement qui oc- taine de maisons, de cabanes et de ten-
,

cupe une place éminente dans la vie et tes groupées à l'entour de la koubba.
les besoins de la population indigène. La zaouia de Sidi-Mahiddin jouissait
Nous voulons parler de Ja Zaouia. C'est déjà il y a trois cents ans, à l'époque
là que sous les auspices de la reli- où Léon l'Africain écrivait sa Descrip-
, ,,

ALGÉRIE. 117

Mon de l'Afrique, d'une réputation de et l'on aura une idée de l'influence

savoir et de sainteté qui a servi de base relative des familles cléricales dans
à la fortune des Hachem. Déjà à cette l'ouest et dans l'est.
époque les marabouts d'Eghres faisaient Tribus nobles.
trembler sur trône de Tlemcen la
le
puissante dynastie des Beni-Zeian, et Là ou l'aristocratie ecclésiastique
trois siècles après, dans cette même n'exerce pas l'autorité, c'est la noblesse
zaouia de Sidi-Mahiddin, naissait un en- militaire qui la remplace. La popula-
fant qui devait faire retentir le monde tion indigène compte des tribus nobles
entier du bruit de son nom : il s'appe- tout aussi bien que des tribus reli-
lait Abd-el-Kader. gieuses. Dans l'ouest elle les désigne par
Nous ne devons point omettre une des le nom de Djouad et de Mehal, dans

plus importantes variétés de la tribu l'est par celui de Douaouda. Elle fait

religieuse, celle que l'on désigne sous remonter l'origine des Douaouda et des
le nom de cherfa ou chérifs. Les tribus Djouad à la première invasion arabe et ,

de chérifs se rencontrent partout; il en les Mehal aux émigrations postérieures.

existe dans les trois provinces de l' Al- Quoi qu'il en soit , la noblesse mili-
gérie c'est un chérif qui occupe le
:
taire a jeté peu de racines dans l'ouest,
trône du Maroc. où l'aristocratie religieuse envahit le
Ils passent pour descendre du prophète sol. En général, les tribus de djouad,

en ligne collatérale ; mais, quelle que soit comme celles de douaouda, tiennent
leur origine première, le berceau com- à leur service et traînent à leur suite
mun que la tradition populaire leur d'autres tribus qui dépendent entière-
,

assigne en Afrique est une oasis du ment d'elles, et subissent sans se plain-
grand désert appelée Saguit-el-Hamra dre un véritable servage , qui se trans-
située au sud de l'Ouad-Noun, au sud- met de génération en génération ; c'est
Ipuest de l'empire de Maroc. C'est ce que nous appelons les tribus serves.
de là que, suivant l'opinion générale- Formation,
ment admise, ils se sont répandus
dans toute l'Afrique septentrionale. Il nous reste à dire quelques mots
L'influence des cherfa et en général sur la division de la tribu, ou, ce qui
des tribus religieuses est très-variable ; revient au même, sur sa formation. La
ielle va s'af faiblissant de l'ouest à l'est. constitution normale de la tribu est
jDans la province d'Oran ce sont les com- aussi simple qu'homogène. C'est une
Iniunes ecclésiastiques qui donnent au famille qui porte le nom de son chef.
peuple ses magistrats, ses généraux et Chacun des enfants lègue son nom aux
{ses princes ; dans la province de Cons- lignées issues de lui ; et ce sont elles
itantine elles ne lui donnent que des cu- qui forment les ferka ou fractions de
irés de campagne, des tabellions et des la tribu.
[maîtres d'école ; quelquefois même elles Toutefois, la formation de la tribu
descendent plus bas encore. s'écarte souvent de cette régularité pa-
! Ainsi à l'extrémité orientale de l'Al- triarcale. Au lieu de puiser en elle-même
gérie, tout près de la frontière de ses éléments constitutifs et de se déve-
Tunis , il se trouve une tribu de cherfa lopper par intussusception, elle se forme
[qui habitent les forêts du Djebel-Zouak, par l'agrégation d'éléments étrangers,
l'un des contreforts méridionaux de ou même hétérogènes, et se développe pa r
l'Aurès. Ce sont des moines mar miteux, juxtaposition.
sans crédit, sans influence, sans consi- Quelles que soient l'origine et la compo-
dération, qui passent leur temps et ga- sition de la tribu , les indigènes la con-
gnent leur vie dans l'exercice de trois sidèrent comme leur unité sociale ; ainsi
industries misérables faire de la résine
: dans l'indication du lieu de naissance
et des paillassons, mendier de tribu en indication qui fait partie intégrante du
tribu , et détrousser les voyageurs. nom propre , c'est toujours à la tribu
Que l'on mesure par la pensée l'espace jamais à la fraction qu'ils se rattachent.
qui sépare le chérif sultan du Maroc de Elle est pour eux ce que la ville est pour
ces autres chérifs mendiants et voleurs, nous.
, ,

118 L'UNIVERS.
Nous citerons un exemple où se trou- faisants. Ils manquent d'ensemble, et
vent réunis les deux modes de formation présentent des lacunes considérables. Le
qui viennent d'être signalés. Il nous est gouvernement les a fait connaître en
fourni par la plus ancienne et la plus 1846. Quelque imparfaits qu'ils soient,
considérable tribu de la province d'Oran, ils donnent encore l'aperçu le plus au-
celle des Beni-Amer. thentique et le plus probable.
Amer, le fondateur de la tribu, avait Ces documents statistiques se com-
cinq fils; ils donnèrent naissance aux posent de trois parties distinctes, savoir :

cinq premières fractions. 1° Les chiffres constatés par voie


Autour d'eux vinrent successivement d'enquête;
se grouper neuf familles de marabouts. 2° Les chiffres évalués approximati-
Par l'adjonction de ces éléments étran- vement sans enquête spéciale ;

gers la postérité d'Amer perdit son unité 3° Enfin les omissions reconnues mais
familiale; mais elle conserva son unité non spécifiées.
sociale, et transmit aux nouveaux venus Voici en nombres ronds les valeurs sta-
son nom et sa nationalité. Elle y gagna tistiques qui correspondent à ces trois
même une consistance nouvelle, puisque catégories :

le groupe , d'abord isolé de la famille


Province de Constantine.
eut un point d'appui sur la religion.
Population constatée par
L'élément religieux en amena d'autres. voie d'enquête
\
1,030,000
Ce furent d'abord les serviteurs des ma- Population évaluée ap- 1,200,000
rabouts, pauvres gens, qui de tous les proximativement 170,000
noints de l'horizon accoururent se gref- Province d'Alger.
fer sur le tronc commun et augmenter
Population constatée par
la tribu d'une fraction nouvelle. voie d'enquête 500,000
Sur le tronc familial, chargé déjà d'une Population évaluée ap- 1,000,000!

double greffe, s'entent encore d'autres proximativement 500,000


rameaux isolés ; enfants perdus de l'émi- Province d'Oran.
gration, dont les noms n'expriment ni Population constatée par
origine religieuse ni lien familial. voie d'enquête. . . 500,000 500,000'i
Tout cela cependant se naturalise par 2,700,000 il

le contact et l'adoption , et chacun des Omissions reconnues mais non spé*


ciliées, évaluées approximative-
nouveaux venus prend la qualité d'Amri
ment à 300,000 ;i

(habitant des Beni-Amer) tout aussi


Total 3,000,000'
bien que les descendants d'Amer lui-
même. La population indigène de l'Algérie
On voit que en Algérie
l'unité sociale s'élève donc , en l'état actuel de nos-
se rattache à d'autres intérêts que ceux connaissances, à environ trois millions
de la religion et de la famille , qu'elle d'habitants.
peut s'associer des éléments étrangers, Admettons ce chiffre, qui de tous
sans perdre pour cela sa cohésion ; que ceux que l'on a présentés réunit le plus'
la population indigène enfin s'élève, de justifications, le plus de probabilités.
dans ses habitudes de sociabilité, au- Nous avons vu précédemment que la
dessus des instincts sauvages du pa- superficie de l'Algérie est de 39,090,000
triarcat. kilomètres carrés. Il en résulte qu'elle
renferme 7,67 habitants par kilomètre
Force numérique de la population.
carré ou cent hectares. Si on cherche le
Le chiffre de la population indigène nombre d'habitants que renferment par
de l'Algérie n'est pas encore bien con- kilomètre carré les principaux États de
nu. C'est seulement depuis quelques l'Europe, on aura une échelle de com-
années que l'administration a fait faire paraison qui permettra de classer l'Al-
quelques recherches par les officiers des gérie dans l'échelle des populations
bureaux arabes, chargés du gouverne- relatives. On trouve ainsi que cette con-
ment et de la surveillance des tribus. trée est :

Mais, il faut l'avouer, les résultats obte- Quatre fois moins peuplée que l'Es-
nus jusqu'à ce jour sont loin, d'être satis- pagne ;
ALGÉRIE. 119

Cinq fois moins que la Turquie d'Eu- tion des Kouloughlis et des Turcs , qui
rope; appartiennent au ritehanafi; c'est celui
Sept moins que la Prusse
fois ;
de l'empire ottoman.
Huit demi moins que la France ;
fois et En dehors de ces quatre rites , il existe
Onze fois moins que la Hollande ;
une secte que beaucoup d'indigènes
Seize fois moins que l'Angleterre et appellent hhâmes (cinquième) pour la
ta Belgique ;
distinguer des quatre formes ortho-
Pour que l'Algérie fât peuplée pro- doxes. Mais on la désigne plus généra-
portionnellement comme France, il
la lement par l'épithète de ouhabi, qui
faudrait ajouter à la population qu'elle paraît être son véritable nom. L'ouha-
Possède plus de 22 millions d'habitants. bisme constitue dans la religion musul-
On voit quelle large place la popu- mane un véritable schisme, qui diffère
lation actuelle laisse à la colonisation, de la communion orthodoxe, sinon par
puisque deux tiers de la population
si les le dogme au moins par le culte et la
,

le la France émigraient en Algérie, morale.


îette contrée ne serait encore peuplée Les Arabes emploient une image sim-
|ue comme
France. la ple pour exprimer la situation respective
Pour qu'elle fût peuplée comme la de ces cinq ramifications d'une même
Belgique, il faudrait y introduire plus tige. Les conformes à la sunna sont
rites
le 45 millions d'habitants c'est-à-dire , quatre voyageurs qui boivent à la même
jue si toute la France passait en Algé- source, mais dans des vases différents.
ie, la population, en y comprenant les Il en survient un cinquième, qui a l'im-

ndigènes, serait encore moins serrée prudence d'agiter l'eau et qui la boit
,

ju'elle ne l'est en Belgique. trouble; c'est le schisme ouhabite.


Ce qu'il y a de remarquable dans ce
USAGES RELIGIEUX. schisme, c'est qu'il règne exclusivement
1/Ouhabisme ou protestantisme musulman. — sur des populations berbères. En Algé-
Prophéties et traditions. —
Le Djehad ou rie il occupe l'oasis berbère de l'Ouad-
code de la guerre sainte. —
Le jeûne du Mzab, à l'exception de la ville de Met-
— —
;

Ramadan. La fête de l'Àïd-el-Srir. lili, qui suit le rite malki et parle la


Le pèlerinage de la Mecque. Les con- — langue arabe. Dans la régence de Tunis
fréries. il occupe file berbère de Djerba. Toute

la côte située en face de Djerba est en-


ÎSous pensons n'avoir rien à apprendre tièrement arabe de langage et orthodoxe
i nos lecteurs sur les cultes que la con-
de culte. Le schisme ouhabite paraît
quête française a introduits et nationa- donc spécialement dévolu à la race
isés en Algérie; nous nous bornerons
berbère.
lonc à les entretenir de celui qu'elle y Les indigènes de l'Algérie font remon-
a trouvé établi , ne ^envisageant d'ail- ter l'origine des Beni-Mzab et des Dje-
leurs que dans ses rapports avec les raba au commerce incestueux de Loth
Croyances ou avec les intérêts de la con- avec ses deux filles , et voient en eux la
juête chrétienne. postérité d'Ammon et de Moab.

Vouhabisme ou protestantisme musul- Les malkis professent un grand mé-


pris pour les ouhabites. A Djeraba les
man.
deux sectes se partagent l'île; la moi-
I L'islamisme reconnaît quatre rites tié des habitants est orthodoxe et l'autre
orthodoxes , qui se partagent le monde schismatique. Quoique sœurs par la na-
musulman. Ils se conforment tous à la tionalité et le langage, les deux parties
sunna, qui est la tradition du dogme. de la population gardent entre elles une
C'est pourquoi on les comprend sous la réserve glaciale. Il y a très-peu de vil-
désignation collective de Sunnites. Ils lages où elles soient mêlées les alliances
;

s'appellent Chajaï , Hambli , Hanafi, de l'une à l'autre sont extrêmement


et Malki, du nom des quatre juriscon- rares; chacune a ses mosquées; elles
sultes qui en furent
fondateurs. La
les évitent de prier ensemble. Cependant
population de l'Algérie et des États Bar- quand des ouhabites se trouvent parmi
baresques suit le rite malki , à l'excep- des malkis à l'heure de la prière, ils se
, , ,

120 L'UNIVERS.
résignent à la faire avec eux; mais ils ne que ces sectaires ne commettent ni vol
la croient pas efficace, et s'empressent de ni mensonge, ni lâcheté.
la recommencer dès qu'ils sont seuls. Ils Tous les traits particuliers de l'ouha-
ne boivent ni ne mangent dans des va- bisme le présentent comme une secte
ses qui ont servi à l'usage des malkis. puritaine.
Quanta ces derniers, ils ne peuvent prescrit de quitter, avant de s'a-
S'il
parler des ouhabites sans les tourner en dresser à Dieu, le vêtement le plus ex-
dérision ; ils leur reprochent quelques posé aux souillures du corps , c'est afin
pratiques bizarres , comme d'ôter leur que la prière monte plus pure vers le
pantalon pour faire la prière, et des ciel.
goûts plus bizarres encore , comme de S'il prescrit, pour accomplir ce devoir,
manger de la chair d'âne , de chien , de de choisir les lieux élevés et découverts,
chat, et de gerboise. On prétend que le sol d'une terrasse la cime d'une col-
,

lorsqu'ils aperçoivent un âne gras et line ou d'une montagne , c'est afin que
bien nourri , ils éprouvent un violent dé- la prière de l'homme, en s'élevant vers
sir de s'en régaler. Pendant le ramadan Dieu ne puisse rencontrer aucune im-
,

ils salent, dit-on, des quartiers d'âne; pureté terrestre.


c'est leur provision de viande pour le Le puritanisme se reconnaît encore à
reste de l'année. d'autres signes. On sait qu'avant de pé-
Dans l'opinion des malkis une aussi nétrer dans les mosquées, les musul-
grande dépravation du goût ne saurait mans quittent leur chaussure ; les ortho- ,

demeurer impunie. Ils croient ferme- doxes la conservent jusque dans le par-
ment que dès qu'un ouhabi a rendu le vis ; les ouhabites la laissent à la porte
dernier soupir, ses oreilles s'allongent extérieure.
aussitôt démesurément, et que sa tête En entrant dans le temple , les malkis ,

'

offre alors une ressemblance frappante ne touchent pas à leur coiffure, les
avec celle de l'animal dont il s'est ouhabites détachent, en signe d'humi-
nourri. lité le kheït, qui est la corde en poil de
,
\

Oter son pantalon pour prier et man- chameau enroulée autour de la tête pour i

ger de la chair d'âne , tels sont les deux y maintenir le haïk.


dans l'opinion popu-
traits saillants qui, Enfin le rigorisme particulier à cette
laire caractérisent et couvrent de ridi-
, secte se retrouve encore dans les forma-
cule le schisme ouhabite. lités de l'abjuration. Le néophyte qui \

Toutefois ces traits ne sont pas les embrasse l'ouhabisme subit une puri-
seuls qui le distinguent des quatre rites fication complète : on commence par lui
'

orthodoxes ; il s'en écarte encore par la couper les ongles , les sourcils et les cils ; j

différence des pratiques qui accompa- puis on le conduit au bain; après quoi I

gnent la prière : au lieu de porter les ilchange de nom et de vêtements. C'est \

mains à la tête comme les malkis, les ainsi du moins que la cérémonie de
ouhabites les abaissent le long des l'abjuration se pratique dans l'Ouad- i

cuisses. Mzab.
Dans la vie religieuse comme dans la Il est probable que de son côté le, ,

vie civile, les ouhabites se font remar- sunnisme a dû faire aussi des conver-
quer par l'austérité de leur caractère et sions et imposer à ses prosélytes l'obli-
de leurs mœurs. gation de renoncer aux habitudes qui
Ainsi le précepte qui interdit aux mu- frappent le plus vivement l'imagination
sulmans l'usage du vin s'observe plus du peuple. Il a dû exiger, par exemple,
rigoureusement chez les ouhabites que une rupture complète avec l'animal so-
chez les malkis. Us se montrent aussi bre et modeste dont, à tort ou à raison,
plus exacts à accomplir le pèlerinage on suppose que les ouhabites se nour-
de la Mecque; ils comptent un plus rissent.
grand nombre de Hadji que les ortho- C'est à une conversion de cette nature
doxes. que nous paraît se rapporter la répu-
Les malkis eux-mêmes, malgré leur gnance singulière témoignée à l'âne par
antipathie pour des sectaires qui man- quelques tribus berbères de l'Algérie, et
gent de la chair d'âne, reconnaissent en particulier par celles qui bordent le
,

ALGÉRIE» 12Ï

fond du golfe de Bougie. Elles ne peuvent Constantine, et Ton sait que cet acte de
ni en élever ni en souffrir à aucun titre possession sur le continent eut lieu le
sur leur territoire. Si d'aventure elles vendredi 13 octobre 1837, h dix heu-
aperçoivent l'âne d'un voyageur ou d'une res du matin.
tribu' voisine broutant les chardons de Toutes les traditions qui se ratta-
'

leur territoire , elles courent aussitôt chent à ïa possession du sol soit dans le
vers le propriétaire de l'animal , et le passé, soit dans l'avenir, font inévita-
prient instamment de l'éloigner ; cette blement intervenir les chrétiens. Les
antipathie paraîtra d'autant plus éton- pierres de taille jetées à profusion dans
nante que partout ailleurs, dans les les ruines des établissements antiques
montagnes , l'âne est recherché par le sont autant de coffres remplis de trésors
paysan kabile, comme le compagnon dont les chrétiens d'autrefois chassés
infatigable et l'auxiliaire docile de ses par les armes musulmanes ont eu la pré-
travaux. caution d'emporter les clefs. Ils les ont
conservées dans l'exil , et les ont trans-
Prophéties et traditions.
mises à leurs descendants , qui les pos-
LeÈ Arabes ont un grand nombre de sèdent encore. Mais il est écrit que les
prophéties écrites, et ils y croient fer- chrétiens doivent revenir alors tous ces
;

mement ,
parce que tout ce qui doit ar- trésors s'ouvriront et répandront sur la
river est écrit et que les auteurs de ces verte ( c'est le nom que les premiers Ara-
prophéties étaient, aux yeux du peuple bes donnaient à l'Afrique) l'abondance
les élus de Dieu. et la richesse.
Ils ont aussi des traditions ,
que cha- Chaque peuple rapporte le pressenti-
que génération répète d'après la géné- ment et les effets du retour des chré-
ration qui la précède et lègue à la géné- tiens à ses besoins et à ses usages par-
ration qui la suit ; échos mystérieux de ticuliers. Pour les habitants du Tell , les
l'instinct populaire, où au souvenir chrétiens sont partis emportant la clef
confus du passé se mêle un vague pres- des trésors enfouis sous le sol ou amon-
sentiment de l'avenir. celés à sa surface; pour les habitants
Il règne entre les prophéties et les du Sahara, ils sont descendus dans des
traditions un accord remarquable , re- cités souterraines , emmenant avec eux
lativement au retour des chrétiens dans les eaux qui autrefois arrosaient et fer-
les contrées qu'ils ont possédées. tilisaient la terre. i

Un siècle avant la prise d'Alger par Il règne en effet dans le Sahara une
les Français , une croyance de ce genre croyance générale à l'existence de fleu-
avait déjà attiré l'attention d'un voya- ves souterrains. Le fait est qu'à part
geur anglais , le docteur Shaw. « Je ne quelques rares exceptions on ne voit
,

« puis, dit-il, omettre une prophétie point d'eau à la surface du sol, mais
j« dont le temps et l'avenir découvriront presque partout le sable qui couvre le
« la vérité, et qui est fort remarquable lit des ruisseaux en recèle à une petite
« en ce qu'elle promet aux chrétiens le profondeur. Nous avons déjà fait con-
« rétablissement de leur religion dans naître comment les habitants de quel-
k tous ces royaumes... Pour cette raison, ques oasis la font jaillir du sein de la
L ils (les indigènes) ferment soigneu- terre.
« sèment les portes de leurs villes tous Les voyageurs de cette contrée dési-
|r les vendredis depuis dix heures du ma- gnent sous le nom de Bou-Chougga un
|k tin jusqu'à midi, qui est, disent-ils, amas de ruines situées dans le sud-est
« le temps marqué pour cette catas- de Biskra. On y voit encore un bassin
k trophe. » en pierres de taille profond de quatre à
Il est très-bizarre que cette prophé- cinq mètres, entouré de gradins qui
tie ait reçu son accomplissement dans devaient atteindre autrefois le niveau de
l'épisode le plus important de nos l'eau. Mais aujourd'hui le bassin est à
guerres d'Afrique, dans l'événement sec. En ce lieu, disent les voyageurs,
jjui de dominateurs maritimes que nous si l'on approche l'oreille de la terre, on
îtions jusqu'alors nous a faits conqué- entend un bouillonnement souterrain.
rants. Cet événement est la prise de Toutes ces circonstances, dues à des
,

122 L'UNIVERS.
causes naturelles, servent de texte à des « dixième. Les troupes des chrétiens
légendes merveilleuses, où les chrétiens « viendront de toutes parts. Les monta-
figurent toujours armés d'une puissance « gnes et les villes se rétréciront pour
surnaturelle. Depuis l'enfant jusqu'au « nous ; ils viendront avec des armées
vieillard, depuis le fellah jusqu'au der- « de tous les côtés ; certes ce sera un
viche tout le monde est convaincu que
, « royaume puissant qui les enverra...
le chrétien est là , sous terre ; qu'il y a En vérité, tout le pays de France vien-
habite de somptueuses demeures , qu'il « dra... Les églises des chrétiens s'élè-
y trouve une eau courante et limpide, « veront, etc. (1). »
et qu'un jour il sortira de sa retraite, Ainsi notre arrivée était annoncée en
ramenant aveclui les palais et les fleuves. termes précis ; il n'y a que les dates qui
Les Arabes du Sahara m'ont plusieurs ne peuvent s'accorder, de quelque ma-
fois entretenu, avec un air fort mysté- nière qu'on s'y prenne, soit que l'on
rieux , d'une certaine colline solitaire compte par siècles ou par années; mais
qui s'élève près du lit desséché de les savants rejettent l'erreur sur les co-
l'Ouâdi-Iel. Les pentes en sont jon- pistes; car il ne leur vient pas un seul
chées de pierres détaille, que ies habi- moment à la pensée que Sidi-el-Akhdar
tants appellent la maison du remue- le prophète ait pu se tromper.
ménage ( Bordj-el-Guerba ). Là souvent, La prédiction de Sidi-el-Akhdar est
pendant la nuit, l'oreille est frappée de surtout répandue parmi les populations
sons étranges ; et quoique le lieu de- du Tell; mais le Sahara aussi a son pro-
meure habituellement désert, le matin phète : c'est un marabout d'El-Arouat,
des traces récentes d'hommes et d'ani- nommé Hadji-Aïça , qui écrivait il y a
maux domestiques se voient sur le sol. cent trente ans. Celui-là a fixé la durée
Les voyageurs qui rapportaient ces dé- de la domination turque ; il a prédit que
tails déclaraient pour leur compte les Français prendraient Alger, vien-
n'avoir jamais rien vu d'extraordinaire ; draient dans sa ville natale et s'avance-
mais tous avaient entendu des bruits raient jusqu'à l'Ouad-el-Hemar, qui est
confus et sourds dont ils ne pouvaient un des affluents de l'Ouad-el-Djeeli.
deyiner la cause. Ce qu'il y a de certain, Cette prédiction fort curieuse se trouve
ajoutaient-ils , c'est qu'un pâtre de la consignée dans un livre en vers laissé
contrée acquit jadis une grande fortune par Hadji-Aïça, et dont le manuscrit a
sans qu'on ait jamais su par quel moyen. été trouvé à El-Arouat par M. le géné-
On pense généralement qu'il aura fait le ral Marey pendant son intéressante ex-
commerce de moutons avec les chrétiens pédition dans cette contrée en mai et
de l'ancienne ville , qui habitent encore juin 1844 (1).
les rivages souterrains du fleuve. Cet officier général a publié le récit de
Gardons -nous de dédaigner ces l'expédition; il y a joint un extrait de la
croyances traditionnelles , expression prophétie de Hadji-Aïça. En voici quel-
superstitieuse d'un pressentiment géné- ques passages :
ral qui ressemble tant à une révélation. « Préparez pour les chrétiens leur
Croyons à ces trésors que la pierre de « repas du matin et leur repas du soir.
taille renferme dans son sein et qui en « Car je le jure par le péché, ils vien*
sortiront lorsque nous l'aurons mise en « nent à l'Ouad-el-Hemar.
œuvre; croyons au retour des eaux vi- « Lajoie brille dans les yeux de leurs
ves dans les landes du Sahara par l'effet « femmes.
du sondage magique dont nous possé- « Leurs soldats allument leurs feux
dons le secret. « sur nos rochers.
Les prophéties sont plus explicites « Ilsretournent ensuite dans leur
encore que les traditions; la venue des « magnifique cité , dans leurs demeures I

chrétiens y est annoncée en termes for- « brillantes.


mels. Voici comment s'exprime Sidi-el-
Akhdar, l'un des élus de Dieu qui ont (i) Étude sur l'insurrection duDahra, par
révélé au peuple arabe les mystères de Charles Richard , capitaine du génie , chef du
sa destinée future :« Leur arrivée est bureau arabe d'Orléansville , ancien élève de
« certaine dans le 1 er du quatre-vingt- l'École polytechnique.
ALGÉRIE. m
« La verte Tunis verra de son côté les transition nécessaire pour arriver à des
c enfants de l'Espagne. temps meilleurs. ^>>.^,
« Levez-vous, et voyez dans un nuage Quelle doit être la durée de 1 épreuve ?
(
de poussière briller mille étendards. Sur ce point les savants ne sont pas
« Ce sont les chrétiens sortis d'Al- d'accord et se livrent à de profondes re-
; ger qui se dirigent sur l'Ouad-el-He- cherches pour asseoir leurs convictions.
maï .
t
Ce qui est certain, c'est qu'il surgira
t
un homme, unchérif, chargé d'extermi-
« Le sommeil" du Turc a été troublé : ner les chrétiens et de régénérer la
foi. Cet homme porte différents titres
« Il a été vaincu; son règne est passé,
dans les prophéties. Sidi-el-Akhdar l'ap-
« La puissance des Turcs semblait pelle le pasteur delà montagne d'or;
t augmenter avec leurs crimes ! Hadji-Aïça d'Êi-Arouat l'appelle sim-
« Ils abusaient des hommes, des plement/esw/to;maisladésignationque
i femmes et du vin. la tradition populaire a consacrée est
celle de Moulel-Saa{ le maître de l'heure,
« Une "armée de chrétiens protégés ledominateur du moment).
>
de Dieu s'avance vers nous. Suivant Ben-el-Benna le prophète
,

« Alger, la superbe Alger, a été pen- de Tlemcen , cet envoyé du ciel doit
:
dant près de trois cents ans soumise venir dans la soixante-dixième année du
:
à la tyrannie des Turcs. treizième siècle de l'hégire, c'est-à-dire
t i en 1854. Ilserajeuneetbeau,ilaurades
« Une armée innombrable arrive. lèvres fines, un nez retroussé et un signe
« Le Français et l'Espagnol traversent au front. Suivant Sidi-el-Akhdar, il por-
la mer. ° terà e nom et ^ e Prénom du prophète ;
^

.
il s'appellera donc Mohammed-ben-
« Alger tombe au pouvoir des ebré- Abd-Allah.
;
tiens. Ben-el-Benna donne des détails précis
/ sur l'origine et la marche du Moul-es-
« La France vient faire la récoite dans Saâ. Il sortira de Sous-el-Aksa, province
nos champs » (1). du Maroc ; il s'emparera du Maroc de ,

L'expédition du "général Marey ou- Fès,de Tlemcen et d'Oran, qu'il détruira,


rit pacifiquement à nos drapeaux les Delàil marchera sur Alger, campera dans
sortes d'un pays où les Turcs ne s'étaient la Metidja, et y séjournera quatre mois ;

amais montrés sans avoir de rudes corn- ensuite il détruira Alger ira à Tunis, y
,

>ats à soutenir. Mais ce qu'il y eut de restera quarante ans, et mourra,


urieux dans cette campagne, ce qui dut Le Moul-es-Saa , après avoir chassé
inspirer aux peuples crédules de ces les Français, 1 eur succède dans le gouver-
ontrées une confiance aveugle dans les nement du pays. Son règne doit durer
laroles de leur prophète, et en même cinq, sept ou neuf ans. Après quelques
iemps un respect religieux pour cette années d'une paix générale, de nouvelles
ïlomination lointaine désignée à Ta- calamités viendront affliger le peuple
ance parles élus de Dieu, ce fut de voir arabe : on verra paraître Jadjoudjaou-
e général français, qui certes n'avait madjoudja, peuple innombrable de sau-
ras pour mission d'accomplir les pro- vages, que Sidna-Kornin a enfermés
'ihéties de Hadji-Aïca, arriver à El- entre deux montagnes de pierres et qu'il
Vrouat, descendre le cours de TOuad-el- a scellés sous un grand couvercle de
')jedi, et s'avancer, ainsi que cela était fer. Ce couvercle, rouillé de plus en plus
jusqu au confluent de l'Ouad-el
icrit,
? par le temps, finira par se rompre sous
iemar. l'effort des captifs, qui feront irruption
La domination française n'est pas, dans le pays. Alors commencera une
omme on le pense bien, la dernière dévastation sans exemple. Les légions de
>hase des destinées arabes; c'est une sauvages tariront d'un trait les lacs et
les fleuves ; ils dévoreront l'herbe des
(i) Expédition de Laghouat, dirigée en champs et le fruit des vergers; ils trans-
it» et juin xS^par le général Marey. formeront l'Afrique en un vaste désert.
, ,

124 L'UNIVERS.
En ce moment Jésus-Christ descen- faitement motivé aux yeux de nos com-
dra du ciel , et exterminera à son tour patriotes, a pris un caractère mystérieux
tous les Jadjoudjaoumadjoudja. Puis aux yeux des Arabes , qui l'attribuent à
le Christ régnera dans toute sa gloire. des causes surnaturelles. Suivant eux,
Mais bientôt lui-même ira mourir à la ces deux maisons servent de rendez-vous
Mecque; la race humaine cessera de aux esprits; ce sont les djins qui ont
se reproduire , et la fin du monde arri- forcé à la retraite non-seulement les
vera. chrétiens, mais des Arabes même qui
Telle est l'idée générale que les Arabes ont tenté de s'y établir depuis. Pendant
se forment de leur destinée , mélange le jour il est vrai , rien ne se voit, rien
,

hétérogène de quelques traditions loca- ne s'entend ; c'est au moment où la nuit


les associées aux prophéties bibliques de tombe que les esprits infernaux s'éveil-
Gog et Magog et de l'Antéchrist. Au lent ; alors des bruits lugubres se font
reste , il est toujours fort difficile de entendre , de sinistres clartés luisent à
remonter à la source de ces traditions. travers les ouvertures béantes des deux
L'action la plus simple , l'événement le édifices : malheur au voyageur qui
plus insignifiant peuvent, dans quelques chercherait un refuge dans ces repaires
circonstances, impressionner profondé- maudits il disparaîtrait comme ont
:

ment des esprits crédules , des imagina- disparu quelques imprudents qui avaient
tions superstitieuses, etdonner naissance bravé le danger.
à la légende la plus fantastique. Un fait Tous ces contes, auxquels les Arabes
qui s'est produit sous nos yeux depuis dans leur ignorance , ajoutent d'autant
la conquête française montrera com- plus de foi qu'ils en sont moins dignes,
bien sur cette terre d'Afrique la fabri- ont fait donner à ces deux maisons uo
cation des miracles est chose facile. nom funèbre, que rien désormais n'effa-,
Sur la route de Bône au lac Fzara cera. On les appelle Diar-el-Djenoun
;

à deux lieues environ delà ville, il existe (les demeures des esprits).
un étranglement compris entre le pied Une circonstance très-simple en réa-,
de la montagne et le ruisseau de la Mé- lité et assez étrange en apparence a servi
boudja. Ce lieu détermine la séparation de fondement aux récits merveilleux
entre la plaine de Bône et celle des que l'ignorance et la superstition onl
Khareza. Là sur un rocher qui domine grossis et accrédités.
la route s'élève un grand bâtiment cré- Jusqu'en 1836 il existait, à côté d
nelé, bien construit, mais désert, ce que la maison crénelée bâtie en pierres, une
l'on reconnaît de loin à l'absence des de ces baraques en bois construites dai
portes et des fenêtres. Cet édifice fut les ateliers de France, et dont toutes 1(
pendant les six premières années de la pièces numérotées avec soin s'assem-
conquête française une des sentinelles blaient et se démontaient rapidement.
avancées de no'tre domination. Mais de- Dans l'espace de quelques heures une déi
puis la prise de Constantine grâce aux
,
ces baraques était sur pied; dans l'es-
dispositions vraiment pacifiques des tri- pace de quelques heures aussi elle avait:
bus et aussi, il faut le dire, à la bonne disparu.
administration de nos généraux, ce poste En 1836 la construction du camp de
est devenu inutile, comme tous ceux Dréan à cinq lieues de Bône, en reculant
qui avaient contribué dans l'origine à la la frontière de cette ville, permit de
sûreté de Bône ; et comme les gardiens de réduire la garnison des postes les plus
la petite forteresse avaient été décimés voisins. De
ce nombre fut la maison
par les maladies , l'insalubrité de la po- crénelée construite au défilé des Kha-
sition jointe à son inutilité militaire en reza; on résolut donc de démonter la
a déterminé l'abandon définitif. baraque en bois attenant à la petite
Il en fut de même d'une petite habi-" forteresse en pierre , pour la transpor-,
tation de colon située près de là, et dont ter au camp.
la porte sans vantail reçoit encore l'om- Par suite de circonstances qu'il est
brage de deux magnifiques mûriers inutile de rapporter, cette résolution fut
plantés par des mains françaises. prise d'urgence et dut être exécutée du
L'abandon de ces deux édifices ,
par- jour au lendemain.
ALGÉRIE. 125

Un soir donc
, après le coucher du so- la religion musulmane. Il a pris nais»
eil,à Pheure où la fraction des Kharezas sance avec elle ; c'est au nom du djehad
ampée au pied de la hauteur que la que Mahomet, chef de tribus à demi sau-
naison crénelée domine, se livrait déjà vages , sommait Héraclius et Chosroès
iu sommeil, des voitures et des ouvriers de devenir musulmans ou tributaires.
>artirent de Bône , et s'acheminèrent C'est au nom du djehad que le premier
ers ce point. En quelques heures toutes de ses successeurs Abou-Bekr envahissait
es pièces de la baraque furent démon- l'empire de Byzance par trois côtés à la
ées et chargées sur les voitures, qui fois, par l'Irak, la Syrie et l'Egypte.
•rirent aussitôt la route du camp. Dès
lors se constitua, sous l'influence
Le lendemain les Arabes , s'éveillant des traditions recueillies par les premiers
vec le jour, ne furent pas médiocrement disciples du prophète, l'ensemble des
urpris de ne plus voir la maison de prescriptions législatives qui régissent
ois à la place qu'elle occupait la veille. le djehad et forment le code de la guerre
Cependant au coucher du soleil elle était sainte (1).
ncore sur pied, tout le monde l'avait Proclamée par l'iman, la guerre
ue. Comment avait-elle pu disparaître? sainte devient obligatoire pour tous les
'endant toute la journée il ne fut ques- musulmans tous doivent y contribuer
;

ion dans la tribu que de cet événement. ou de leur personne ou de leurs biens.
,es anciens furent consultés; ils rap- La levée en masse n'admet d'exception
rochèrent toutes les particularités u'en faveur des femmes des , enfants,
tranges qui se rattachaient à ces deux a es esclaves et des infirmes. Mais si
îaisons on se rappela les maladies et
: quelqueirruption soudaine meten danger
lême les morts subites qui avaient en- les terres de l'islam tout doit répondre
,

;vé une grande partie de leurs habitants, à l'appel de l'iman l'esclave n'attend
;

t par-dessus tout la présence des chré- pas l'autorisation du maître, l'enfant


ens, qui sont de grands sorciers. Tous celle du père, la femme celle du mari.
es accidents ne pouvant s'expliquer par Enrôlé volontaire au service de Dieu,
es causes naturelles, les djins ou esprits le musulman n'a droit en principe à
jfernaux demeurèrent , dans la croyance aucune rémunération. En prenant les
énérale, les seuls artisans possibles de armes pour la cause sainte,il acquitte une
)ut ce désordre. dette imprescriptible. Au besoin même,
Depuis cette époque le défilé des l'iman use de contrainte. Mahomet
harezas n'est plus abordé qu'avec effroi confisquait les armes et les chevaux de
ar les voyageurs, qui évitent surtout ceux qui restaient dans leurs foyers, et
y passer après le coucher du soleil. les distribuait à ses soldats. Dans la
neuvième surate il frappe d'anathème
e Djehad ou code de la guerre sainte. désertion et le
la refus de contribuer aux
A
côté des prophéties écbites , qui frais de la guerre.
inoncent en termes formels aux peu- Le djehad a pour but principal la con-
ples fatalistes de l'Afrique, et spéciale- version des infidèles. Il ne devient légi-
ment aux Algériens, l'inévitable retour et time qu'autant qu'ils refusent d'embras-
,.retour triomphant des chrétiens , le ser l'islamisme. L'appel religieux doit
;écepte permanent qui prescrit la guerre toujours précéder l'appel aux armes.
[outrance contre les vainqueurs pré- Si les populations se convertissent, il
latines ne doit inspirer aux musul- est inutile de les combattre. Si elles
mans que le courage du désespoir résistent, l'iman leur adresse l'injonc-
!
Telle est pourtant la loi du djehad ou tion politique ; il les somme de payer la
effort commandé par Dieu à tous les djazia, c'est-à-dire le tribut. Si cette
oyants pour conquérir le monde à l'is- seconde sommation reste encore sans
misme, loi qui a dû perdre de sa puis- effet, il en appelle à l'aide de Dieu.
se et de son prestige lorsqu'elle n'a
us eu pour objet que de conserver la
(i) Ce qui suit est le résumé d'une notice
rre conquise.
insérée dans le tome II (1839) de la Situation
Le djehad ou prosélytisme armé est des établissements français en Algérie, impri-
ie des institutions
fondamentales de mée par les soins du ministère de la guerre.
126 L'UNIVERS.
Les musulmans ne doivent tuer ni En règle générale, tout le butin doit,
les femmes , ni les enfants , ni les vieil- être mis d'abord en commun pour être
lards , ni les infirmes, ni les insensés, réparti ensuite parles soins de l'iman.
à moins qu'ils ne prennent part à la Un cinquième est prélevé pour les be?
guerre, ou que la femme ne soitunc reine. soins généraux de la religion ; le reste
Les musulmans acquièrent de plein est partagé entre les vainqueurs, leurs]
droit la propriété de tout ce qu'ils peu- ayant-droit ou leurs héritiers. La loi at-
vent prendre aux vaincus : ce qui ne tribue une part au fantassin, deux au]
peut être emporté doit être détruit. cavalier.
Le prophète a déclaré que la guerre Ces règles relatives à la partie mobi-
durerait jusqu'au jour du jugement ; il lière du butin, sont également applica
peut y avoir des trêves, jamais de paix. blés aux terres. Lorsque l'iman s'est;
Dans les trêves temporaires conclues emparé d'un pays par la force des armes
avec les infidèles , la foi donnée doit être il peut, à son gré, ou le partager entre

religieusement gardée. Si la trêve expi- les conquérants , ou le laisser à ses ha


rée l'iman croit devoir reprendre les bitants en leur imposant la d/jazia. Ceux
hostilités, il doit le faire ; mais cène ci passent alors à l'état de demmi, e
peut être sans une déclaration faite aux deviennent clients de l'islam.
infidèles. Dans le cas où ceux-ci commet- C'est sous l'influence de ces précepte:
tent pendant l'armistice un acte de per- que se sont étendues les conquêtes d
fidie, l'attaque peut être commencée par l'islamisme. L'Asie, l'Afrique et l'Es-
surprise, sans déclaration. pagne en ressentirent successivemen
Le musulman peut infliger à son pri- les effets jusqu'en l'année 711, où I
sonnier la mort ou l'esclavage; mais la général Mouça-ben-Nacer pénétrait e»

loi proscrit toute cruauté, toute mutila- France.


tion. Là s'arrête le mouvement invasion
Une disposition formelle interdit, naire que la loi du djehad avait pro
sous les peines les plus sévères, la vente page, et la bataille de Poitiers gagné
ou le infidèles de munitions de
don aux par Charles Martel, marque le terme de
guerre d'armes, et de chevaux , même
, accroissements de l'islamisme, terqi
en temps de paix. L'interdiction s'étend fatal reconnu et accepté par les conque
même aux armes prises sur l'ennemi; rants eux-mêmes. Si l'on en croit une m?
ces armes ne peuvent être ni vendues dition populaire accréditée chez les Are!
ni données comme prix de rançon. C'est bes et recueillie par leurs historiens,
en vertu de cette disposition qu'après le existait longtemps avant cette époque
, i

traité de la Tafna, et malgré l'article for- à Narbonne une statue portant cet*
mel qui stipulait la liberté du commerce, inscription prophétique « Enfants d'm
:

Abd-el-Rader défendit sous peine de mael, vous n'irez pas plus loin. »
mort la vente des chevaux. A dater de ce moment, le djeh?
Comme toutes les institutions musul- perdit insensiblement sa rigueur et II
manes, djehad se présentait sous une
le ferveur primitives. Dès le premier sièç; j

double face; il offrait un double attrait. de l'hégire, le calife Moavia payait I


Aux âmes ferventes il promettait les l'empereur Constantin V un tribut (J

joies de la vie future; aux appétits sen- cinquante esclaves et de cinquante ch«
suels les jouissances du pillage, l'appât vaux.
du butin et les consolations du fatalisme; C'est surtout après la conquête |
au moudjahed (combattant pour la foi) l'Espagne que le relâchement se fit sei
le paradis ; au déserteur l'enfer. Celui qui tir. Il arriva que les lois fondamentale

tombe chahed{ martyr) ne meurt pas; de la guerre sacrée furent enfreint!


il entre dans une vie nouvelle, qui lui par des alliances, des conventions, de
rend bien au delà de ce qu'il laisse ici- traités contraires à l'esprit de cette ini
bas. La loi qui règle ainsi les intérêts de titution.
l'avenir garantit ceux du présent; elle Il est vrai que dans ces infractions I

assure à tous ceux qui participent au tolérance et l'humanité firent souvei


djehad une participation matérielle aux prévaloir leurs principes; mais, quel
fruits de la victoire. qu'en fût la cause, elles n'en portaient pe
,

ALGÉRIE. m
moins de profondes atteintes à la dis- deux coups de canon tirés l'un au lever
cipline des premiers jours. et l'autre au coucherdu soleil annoncent
Désormais djehad avait perdu son
Je chaque jour le commencement et la ces-
caractère originel. Le prosélytisme ar- sation du jeûne.
mé avait fait son temps. De son côté, La population indigène vit au milieu
l'Europe s'élevait peu à peu au-dessus de nous; le coup de canon qui retentit
des préjugés réactionnaires qui l'avaient pour elle frappe également nos oreilles
animée contre l'islamisme. Elle entra par et appelle malgré nous notre attention,
degrés dans les voies de la modération sur les particularités qui accompagnent
et de la justice ; elle acquit le sentiment cette grande solennité.
éminemment religieux des droits du Les huit premiers jours du jeûne sont
faible et des devoirs du fort; elle apprit les plus rudes à supporter; mais on s'y
à respecter toutes les croyances , toutes habitue vite, surtout lorsqu'on peut se
les convictions. Lorsqu'en 1830 la France livrer au sommeil pendant une partie de
porta ses armes en Afrique , les rôles la journée. Les ouvriers qui attendent
avaient changé; devenue l'iman des de leur travail le repas du soir ont
temps modernes, c'était elle qui , à son beaucoup à souffrir lorsque le ramadan
tour, proclamait la guerre sainte de no- a lieu en été. Ces longues journées de
tre âge, le djehad de la civilisation. quinze heures pendant lesquelles il leur
est défendu de boire et de manger, les
Le jeûne du Ramadan.
accablent et altèrent souvent leur santé.
Le mois de ramadan est Je neuvième Vers quatre heures les maisons riches
le l'année musulmane, et la religion ouvrent leurs portes ; et le personnage
:'aconsacré au jeûne , parce que c'est qui l'habite vient s'asseoir sur le seuil :
aendant ce mois que le Koran est des- il égrène son chapelet pour tromper les

cendu du ciel. Cet événement eut lieu instances de la faim. Chacun, dans le
;uivant l'opinion la plus générale, dans même but, recourt à un stratagème par-
a vingt-septième nuit. ticulier; celui-ci resserre les plis de sa
Le jeûne tient une place importante ceinture, devenue trop large; celui-là
lans le dogme musulman ; il y figure en- s'enveloppe le visage dans un haïk. Quel-
re la prière et l'aumône ; la prière nous ques-uns essayent de dormir. Le mar-
ionduit à moitié chemin vers Dieu; le chand , accroupi dans son étroite bouti-
eûne nous mène à la porte de sa demeure, que, récite le Koran.
'aumône nous y fait admettre. A mesure que le soleil s'abaisse vers
Le jeûne chez les musulmans est l'horizon , le mouvementaug- et la vie
•eaucoup plus rigoureux que chez nous. mentent; on dirait que
population la
I consiste à ne prendre aucune nourri-
se réveille. L'attente et l'impatience se
ure, à ne pas boire, à ne pas fumer, peignent sur toutes les physionomies.
\ ne respirer aucun parfum depuis le Enfin le coup de canon retentit ; la ville
>oint du jour jusqu'au coucher du so- entière répond par un murmure de joie
;
èil. Dans l'origine la parole elle-même tous les minarets s'illuminent ; sur les
tait interdite. galeries les plus élevées apparaît le mod-
1 Vers la fin du mois de chaban, qui pré- den, qui de sa voix sonore et lente, ap-
,

ède le ramadan, plusieurs musulmans pelle les croyants à la prière du soir.


e tiennent en observation sur des points Chacun s'arrête, récite quelques versets
levés, et dès que deux d'entre eux affir- du Koran, et rompt le jeûne. Les plus
ment par serment avoir aperçu la nouvelle pauvres surpris par cette heure solen-
,

june, le jeûne devient obligatoire. nelle, demandent au premier passant


I
Dans les pays où l'islamisme est la re- qu'ils rencontrent une datte, une tranche
igiondominante, une salve d'artillerie d'orange, un morceau de pain; jamais
nnonce au fidèle l'ouverture du rama- cette charité ne se refuse ; c'est un ins-
En Algérie les Français ont respecté
tan.
tant de communion religieuse pour tous
et usage, et c'est notre artillerie
qui sur les musulmans.
ious les points occupés donne à la
po- A Alger et dans nos villes de la côte,
pulation indigène le signal de la péni-
lapopulation ouvrière se composedeBis-
tence. Pendant toute la durée du mois, kris, de Mozabis, de Kabiles, qui se
128 L'UNIVERS.

livrent la plupart à des travaux pénibles, sacre de Sidi-Brahim et la grande in


et qui pendant ce mois de pénitence ne
surrection dont il fut le prélude.
dérogent en rien à leurs habitudes labo- En dépit de ces nouvelles désastreuses,
rieuses. Aux approches de l'heure bien- et comme pour protester contre la nou-
faisante- qui doit les affranchir des ri- velle lutte que le fanatisme venait d'en-

gueurs de l'abstinence, on les voit assis gager, la fête de l'Aïd-es-Srir fut célébrée
par les rues et sur les places, dévorant, avec plus de pompe encore que de cou
mais des yeux seulement, un pain qu'ils tu me.
tiennent à deux mains, et attendant avec La veille et l'avant-veille les kaïds
impatience le signal libérateur. Ils comp- des différentes tribus soumises étaient
tent les minutes qui restent encore , le arrivés suivis chacun de quarante ou
cinquante cavaliers composant leurs
regard fixé sur l'horloge , et l'oreille at-
tentive. Lorsque enfin le coup de canon goums.
se fait entendre , c'est un spectacle cu-
Quelques difficultés s'étaient élevées
rieux que de voir au même instant une pour la fixation du jour de la fête; l'a
vant-veille un témoin était venu annon
centaine de coups de dents vigoureux ap-
pliqués sur autantde pains qu'ils tenaient cer au cadi l'apparition de la nouvelh
élevés à la hauteur de la bouche, afin d'a- lune; mais le kadi ayant récusé son té
voir moins d'espace à parcourir. moignage, le jeûne" fut prolongé d'ui
Le soir les boutiques restent ouvertes et jour.
illuminées jusqu'à une heure jivancée. Le lieu où les fêtes se célèbrent ordi
Par compensation aux privations du nairement à Constantine est le plateai
jour, presque toute la nuit s'écoule dans de Msalla, situé derrière la colline d
les fêtes et les festins. On passe alterna- Roudiat-Ati. L'autorité française, dan
tivement du café à la collation et de la un sage esprit de conciliation, avaj
collation au café; cela dure jusqu'aux voulu que la population européenne pn
approches du jour, mais seulement pour part, comme cela d'ailleurs estd'usagt

les riches; car le pauvre ne fait qu'un


dans cette ville, aux réjouissances de \
seul repas dans l'espace de vingt-quatre
population musulmane.
heures. Sur le théâtre de la fête une tent
Le jeûne dure trente jours ; il est suivi pavoisée de flammes tricolores avait et
de trois jours de fête, qu'on nomme dressée pour le commandant supériet
Jïd-es-Srir (la petite fête), pour la distin- de la province, qui devait présider,
la solennité/Des invitations avaient I
guer de la grande fête (Jïd-el-Kebir), qui
se célèbre soixante-dix jours plus tard,
adressées aux dames de la ville, poi
les autorités française et musii
et qui est le baïram turc et la pâque mu- qui
mane, rivalisant de courtoisie, avaieî
sulmane. Mais la fête de l'Aïd-es-Srir est
fait préparer des rafraîchissements.'
celle que les peuples de l'Algérie célè-
Dès le point du jour un brouhaha
brent avec le plus d'éclat.
sons distincts se faisait entendre au vc
Fête de V Jïd-es-Srir. sinage de la porte de la brèche. Le brt
Nulle part la solennité de l'Aïd-es-Srir du tambour annonçait que les troi
pes françaises étaient en marche ve
ne présente un caractère aussi imposant
qu'à Constantine, dans cette cité vraiment
Koudiat- Ati le bruit de la musique ara
;
:

annonçait que le cheick-el-arab,


arabe , que son caractère éloign^ à la
préfet "du Sahara , s'acheminait avec s
fois des forbans sang-mêlés de la côte et
des hordes fanatiques de l'ouest. Nous
hommes d'armes vers le même poir
nous sommes trouvé plusieurs fois à Onze coups de canon tirés du haut de
Constantine pendant les fêtes de l'Aïd- brèche annonçaient à toute la populati
es-Srir; mais celles de 1845 ont laissé que le jeûne °du ramadan avait cess
dans notre esprit une impression plus A sept heures les courses commenc
profonde, parce que le spectacle dont rent courses à pied, courses à cheva
,

nous fûmes témoin contrastait d'une courses françaises , courses indigène


les prix étaient là ; c'était au plus ag
façon étrange avec l'horrible drame
qui assombrissait alors la province de coureur, au meilleur cavalier à
l'ouest. On venait d'apprendre le mas-
gagner,
, , ,

ALGÉRIE. 129

Toute la garnison, en grande tenue, les Européens le rempart de la ville.


sous les armes, formait un vaste rectan- A un coup de canon la multitude armée
gle , dans l'intérieur duquel les divers agglomérée sur le plateau de Msalla se
épisodes de la fête devaient se passer. mit en mouvement vers la place de la
Ilsétaient annoncés par des coups de brèche les troupes françaises d'un côté
,

canon tirés à peu de distance de la tente les goums arabes de l'autre.


prétorienne, et répétés par les échos du Puis commença la fantasia des dames,
magnifique amphithéâtre que dessine la cette fois individuelle et non par goum,
du Roumel. Une foule immense,
vallée mais toujours avec force coups de fusil,
composée d'Européens, de musulmans auxquels le canon répondait du haut de
d'israélites, se pressait derrière la haie la brèche.
de soldats pour prendre sa part du spec- Au centre de cette place, qui porte dé-
tacle. sormais un nom historique, s'élèvent
Vers neuf heures commença la grande deux petits monuments , les seuls que la
fantasia. guerre ait respectés l'un est un minaret
;

Les différents kaïds suivis de leurs , isolé, l'autre est une sebbala ou réser-
goums, défilèrent successivement, à la voir d'eau pour les voyageurs. Le mina-
manière des Arabes, c'est-à-dire au galop ret, de forme octogonale, porte sur une
en brandissant leurs armes et faisant re- de ses huit faces ces mots qui n'ont pas
tentir l'air de coups de fusil. besoin de commentaire : Aux braves
Une circonstance prêtait à la fête un morts devant Constantine pendant les
caractère nouveau plusieurs chefs sou-
: années 1836 et 1837. Au pied de l'autre
mis depuis peu à la France y paraissaient monument est un petit enclos fermé par
pour la première fois. C'étaient le kaïd une simple barrière en bois; modeste
de I'Aurès , jeune homme de dix-huit cimetière, qui contient les restes de quel-
ans , les deux kaïds des Oulad-Soltan, et ques-uns des martyrs de notre conquête.
le marabout récemment investi kaïd des C'est autour de ces deux petits monu-
Sahari et des Oulad-Derradj. ments qu'avait lieu le tournoi en l'hon-
A côté de ces personnages, qui au temps neur desdames. A la vue de ce simulacre
même de la puissance des beys ne parais- de combat, du lieu de la scène, des souve-
saient pas à Constantine, en figuraient nirs tristes et glorieux qu'il réveille, des
d'autres , qui depuis longtemps étaient physionomies sereines de tous les specta-
nos amis. A
la tête de ces derniers on teurs,Pâme émue rapprochait involontai-
remarquait le brave et infortuné Ben- rement toutes ces circonstances, et y re-
Ouani , cet intrépide enfant de tribu , si connaissait une sorte d'hommage funèbre
promptement et si noblement francisé, rendu en commun à la mémoire de
victime depuis de son dévouement à ceux que la guerre a moissonnés et de
notre cause. Il était alors kaïd des Amer la paix que tous leur doivent.
et des Elma, près de Sétif. Quelques personnes comparaient ce
C'était un curieux spectacle que celui spectacle, mélange bizarre de sons et
3e tous ces chefs escortés des cavaliers
, de costumes si divers, aux carrousels du
le leurs goums , représentant le Tell et moyen âge. Quelle différence pourtant!
!e Sahara de la province , réunis sous la Au moyen âge on disait Crois ou meurs.
:

nême bannière. Aujourd'hui on laisse chacun libre de


|
La dernière de ces hordes nomades croire ce qu'il veut, et l'on se réjouit en-
avait défilé, et cependant la fête n'était semble.
pas complète. Une nouvelle fantasia de- Après la fantasia pour les dames ,

vait avoir lieu sur la place brèche, de Ja chacun retourna chez soi les goums re-
;

m
l'honneur des dames. On appelle place gagnèrent leurs tentes, les soldats leurs
me la Brèche l'espace qui s'étend entre le casernes et les habitants leurs maisons.
rempart de Constantine et le pied du
toudiat-Ati. C'est là en effet que se Pèlerinage de la Mecque.
lonna l'assaut en 1837. Toute la popu- Le pèlerinage de la Mecque est une
ation bourgeoise se trouvait réunie sur des six obligations fondamentales de la
îette double estrade; les musulmans religion musulmane. Mahomet en a fait
occupaient les pentes du Roudiat-Ati un devoir rigoureux à tous ceux qui se-
e
9 Livraison. (Algérte.) S
130 L'UNIVERS.
raient en état de l'exécuter ; un novateur sous le nom
particulier de râheb (1).
s'étant avisé un jour d'enseigner une pra- C'est le 2du mois musulman de redjeb
tique qu'il disait pouvoir suppléer la vi- que lefiâkeb africain se met en marche;
site au berceau du prophète, fut mis à il part alternativement de Fès et de Ta-

mort comme hérésiarque par arrêt des


,
filelt, dans l'empire de Maroc, sous le

ulémas ou docteurs constitués en cour commandement d'un chef qui prend le


de justice. titre de cheik du râheb. Cette dignité
Les musulmans acquièrent par le pè- appartient de droit à la famille des ché-
lerinage de la Mecque le titre de Hadji, rifs; elle est toujours dévolue par l'em-

dont ils se montrent très-jaloux. pereur à l'un de ses plus proches pa-
Les premiers khalifes donnèrent rents. Ce prince marche escorté d'une
l'exemple de l'exactitude à remplir ce garde nombreuse, au son de la musique,
devoir. Ils voyageaient avec une grande les étendards déployés.

pompe, distribuant sur leur route beau- L'itinéraire est réglé d'une manière
coup d'aumônes et de bienfaits. L'un immuable ; les lieux de passage, les lieux
d'eux traînait à sa suite plusieurs mil- de séjour, la durée des séjours, sont des
liers de chameaux chargés de provisions données constantes, qui ne paraissent
pour ses compagnons de voyage. La neige pas avoir varié depuis plusieurs siècles.
et la glace destinées aux rafraîchisse- La caravane obtient sur son passage
ments occupaient à elles seules cinq le respect des populations; mais ce res-

cents chameaux. A la Mecque on vint pect tient autant de la crainte que de la


dire au khalife que les maisons où sa piété. De l'aveu même des croyants , elle
garde-robe avait été déposée menaçaient seraitmoins honorée si elle était moins
de crouler sous le faix; à l'instant il nombreuse. On cite plusieurs exemples
donna l'ordre de distribuer toutes ses de violences exercées sur les pèlerins.
hardes aux pauvres, et il échut à chacun Ainsi au dixième siècle de notre ère la
deux vestes de brocard. caravane fut attaquée par les Carmathes,
Le plus illustre de ces pèlerins cou- qui massacrèrent vingt mille pèlerins.
ronnés est Haroun-al-Rachid. Il ne se La Mecque cessa pendant plusieurs an-
mettait pas en route pour la Mecque sans nées d'être le but du voyage, et fut rem-
emmener avec lui cent idemas ; et lors- placée par Jérusalem.
qu'il lui était impossible de s'y rendre Le pèlerinage de la Mecque, bien qu'en-
en personne, il habillait trois cents pau- trepris dans une pensée pieuse, ne reste
vres, qu'il envoyait à sa place et à ses pas pour cela étranger aux intérêts ma-
frais. Ce prince attribuait ses victoires tériels de la grande famille, dont elle rap-
aux effets du pèlerinage : il avait fait proche les rameaux les plus lointains
huit fois le voyage de la ville sainte et dans une communion annuelle.
gagné huit batailles. Le râkeb est sur toute la route un j
Il lui arriva même une fois de faire centre d'échange et de consommation, <

son pèlerinage à pied. En route il ren- et la consommation n'est pas sans im- ;

contra un bon musulman , qui accom- portance pour des populations clairse- ;

plissait le même voyage, mais à bien pe- mées comme celles qu'il traverse. A El-
tites journées, car il avait fait vœu d'y Arouat, où il n'a encore recruté que les
employer douze années entières. pèlerins du Maroc et une petite partie des
Le pèlerinage de la Mecque , comme Algériens, le nombre des voyageurs s'é-
toutes les institutions musulmanes, a lève déjà à huit mille. Le jour où la ca-
beaucoup perdu de son prestige et de sa ravane doit passer étant connu à l'avance,
ferveur. Cependant il détermine encore les trafiqueurs peuvent venir de fort loin ;
annuellement un grand remou dans l'em- à peine les piquets des tentes sont-ils
pire de l'Islam. plantés, que des chameaux chargés de
De toutes les caravanes qui traversent
l'Algérie celle que sa force numérique, (i) La plupart des détails qui suivent sont
son caractère à la fois religieux, poli- extraits des Recherches sur la géographie et le

tique et commercial, placent au premier commerce de Algérie méridionale, parE. Ca-


l'

rang est sans contredit la caravane de rette , membre et secrétaire de la commission


la Mecque. Les indigènes la désignent scientifique d'Algérie.
,

ALGÉRIE. 131

marchandises se montrent en foule sur solennité est toujours de quatre-vingt


tous les points de l'horizon ; ils appor- mille. C'est le nombre marqué fatale-
tent des provisions de bouche, et pren- ment dans les décrets de la Providence.
nent en échange des objets de toilette Si un moment il était supérieur, Dieu
détachés de la pacotille des pèlerins. enverrait aussitôt un fléau pour le ré-
Lorsque la caravane campe dans le duire ; s'il était moindre, il enverrait ses
désert, troploin detoute habitation pour anges pour le compléter.
que ces échanges soient possibles, ce La station à la Mecque est de quinze
sont les pèlerins eux-mêmes qui trafi- jours ;ce temps est employé à faire des
quent entre eux comme cela se pratique
, visites à la Kahaba, des ablutions au
dans une ville aussi les indigènes appel-
;
puits de Zemzem, et aussi à composer
lent-ils le râkeb une ville en marche. une pacotille pour le retour.
Le cheik du râkeb est accompagné A l'expiration de ce délai , les trois
d'un kadi qui siège chaque jour. Sa ju- caravanes s'acheminent ensemble vers
ridiction ne se borne pas aux pèlerins ; Médine. Cette dernière cérémonie est la
les villes et tribus du voisinage apportent clôture du pèlerinage. Dès lors l'assem-
aussi leurs différends à son tribunal. blée des fidèles est dissoute, et tous les
La caravane traverse le Sahara algérien pèlerins font leurs dispositions pour le
dans toute sa longueur elle passe à quel-
; départ.
ques lieues au sud de Biskra; elle entre La caravane de la Mecque introduit
ensuite dans le Sahara tunisien, et atteint dans l'Afrique septentrionale des par-
la régence de Tripoli, dont elle suit la fums , des toiles de l'Inde et des chape-
côte. lets ; elle en exporte surtout des cuirs du
Enfin elle arrive au Caire, où elle gros- Maroc et des soieries de Tunis.
sit encore de tous les pèlerins de l'E- Est-il besoin de faire remarquerquelle
gypte ; et, après une station de six jours, influence peut exercer sur les intérêts
elle se remet en marche. Pendant qu'elle de la France en Orient cette longue pro-
côtoie les bords de la mer Rouge pour cession de pèlerins qui s'en vont re-
se rendre à la ville sainte, deux autres tremper leur ferveur religieuse au foyer
caravanes, celle de la Syrie et celle de du fanatisme musulman. Les quatre-
Baghdad, sont aussi en mouvement et vingt mille voyageurs réunis chaque an-
is'acheminenï vers le même point. L'épo- née à la Mecque n'échangent pas seule-
que des départs et la durée des séjours ment , on le pense bien , des chapelets
sont calculés de manière que ces trois et des marchandises, mais aussi des
'processions religieuses arrivent en même nouvelles et des idées. Notre présence
[temps. en Algérie est le fait qui les intéresse le
!
C'est le jour de l'Aïd-el-Kébir ( la plus. Ce sont les Algériens qui forment
grande fête), le 1 er de Tannée musul- à cet égard l'opinion de leurs coreligion-
mane, et presque à la même heure, que naires. La caravane donne donc lieu à
Iles représentants de tous les peuples de une véritable enquête périodique sur les
lî'islamisme paraissent, dans trois direc- actes de notre administration. En quel-
tions différentes, à l'horizon de la métro- ques mois les résultats de cette enquête
;'pole. Ce jour est l'anniversaire de celui sont connus dans tout l'Orient, où ils
'où Mahomet, chassé une dernière fois déterminent, en partie du moins, la
|de la Mecque, se retira à Iâtreb, appelée hausse ou la baisse de notre crédit.
;aujourd'hui Mêdine, et depuis cette Le gouvernement comprit l'utilité de
'époque ses sectateurs sont venus pro- ne pas rester complètement étranger à
tester solennellement chaque année con- une des pratiques les plus solennelles
tre la persécution du prophète. les plus importantes d'un culte devenu
Le jour même de leur arrivée à la français par la conquête de l'Algérie.
Mecque, les trois caravanes se rendent Le 13 septembre 1842 le bateau à va-
iensemble au mont Arfât. Là , du haut peur le Caméléon fut expédié en Algérie
ide la montagne, l'iman prononce une pour être mis à la disposition des pèle-
Iprière que les pèlerins écoutent pieds et rins de la Mecque; l'année suivante, ce
tête nus. Suivant une tradition populaire, fut le Cerbère ; et depuis lors les pèlerins
le nombre des fidèles présents à cette qui préfèrent gagner l'Egypte par mer
9.
32 L'UNIVERS.
ont chaque année trouvé place à bord porel. Il est désigné d'avance par son

d'un bâtiment de l'État. Ce sont là d'ex- prédécesseur, qui le recommande au


cellentes mesures dignes d'une époque choix des frères, soit verbalement dans
de tolérance, dignes d'un pays qui a écrit une réunion générale, soit par écrit dans
dans ses lois le dogme de ia protection un testament. Le khalifa choisit dans
égale due à tous les cultes. chaque ville des chefs nommés mkaddem
ou cheikj qui le représentent et prési-
Confréries religieuses. dentensonnom l'assemblée des khouan.
On ignorait encore il y a quelques Il correspond avec eux leur transmet
,

années l'existence en Algérie d'associa- des ordres ou des nouvelles, et reçoit


tions secrètes formées originairement en échange des rapports sur la situation
dans des vues exclusivement religieuses, de l'ordre et sur les événements poli-
devenues plus tard des instruments po- tiques qui s'accomplissent sous les yeux
litiques unissant dans la même pensée
, de ces agents.
des hommes animés de la même ardeur Les confréries religieuses de l'isla-
fanatique, mêlés à toutes les agitations, misme, comme les ordres chrétiens du
à toutes les intrigues , associations d'au- moyen âge ,
possèdent un grand nom-
tant plus dangereuses qu'elles agissaient bre de mosquées et de zaouias. 11 n'est
dans l'ombre et à notre insu. pas de ville un peu importante en Algé-
La révélation de ce fait important est rie qui n'ait une mosquée affectée à
due à M. le capitaine d'état-major de chacun des ordres. Au dehors des villes,
Neveu, membre delà commission scien- beaucoup de koubbas se sont élevées par
tifique d'Algérie, qui a fait connaître l'o- les soins de ces congrégations; monu-
rigine, le caractère et l'histoire des prin- ments votifs consacrés au fondateur de
cipales confréries religieuses établies l'ordre.
dans l'enceinte de nos possessions. Ces mosquées ne sont pas cependant
Les membres de ces diverses associa- exclusivement réservées aux membres
tions se donnent entre eux le nom de de la confrérie à laquelle elles appartien-
khouan, qui signifie frères. Bien que nent. Tout musulman peut y entrer,
nul de ces ordres ne s'écarte en rien des même sans être affilié à aucune congré-
préceptes rigoureux du mahométisme, gation ; mais comme il ne dit pas sa
chacun a cependant une règle et une prière suivant la forme révélée au fon-
constitution particulières. Chacun, par dateur de l'ordre, il perd les avantages
exemple, a sa devise appelée deker\ elle attachés aux pratiques recommandées
se compose de certaines paroles qui doi- par lui.
vent être dites sur le chapelet. La règle L'affiliation à un ordre religieux s'ex- :

des confréries varie encore dans le nom- prime par une image consacrée parmi ;

bre et la teneur des prières et dans cer- les khouan. Cela s'appelle prendre la'\
taines pratiques de piété. Le deker a la rose. On prend la rose du marabout
valeur et l'importance d'un mot d'ordre. Mouléi-Taieb lorsqu'on se fait recevoir !

'

Il est donné auxkhouans hiérarchique- frère de l'ordre qu'il a fondé. Pour se re-
ment par leurs chefs immédiats, sous la connaître, deux musulmans s'adressent
défense formelle de le faire connaître à cette question : Quelle rose portes-tu?
qui que ce soit. C'est qui-vive de l'affiliation. Si celui
le
Chaque confrérie attribue son origine que l'on interroge n'appartient à aucune
à une vision du marabout qui l'a insti- congrégation, il répond : Je ne porte au-
tuée. Il a vu en songe Mahomet lui- cune rose; je suis simplement serviteur
même , et le prophète lui a révélé la de Dieu.
voie la plus sainte et les pratiques les Lorsqu'un musulman veut être ad-
plus efficaces. En même temps il l'a mis dans une confrérie il se fait pré-
,

chargé de former des disciples et d'ap- senter par un frère au cheik ou mkad'
peler des khouan à le suivre dans la dern de l'ordre qu'il a choisi; celui-ci
voie tracée. lui prend la main, comme le font les
Chaque confrérie est dirigée par un maîtres dans les ordres maçonniques ;

khalifa, qu'elle reconnaît pour chef il iui fait alors connaître ses devoirs,
spirituel et souvent aussi pour chef tem- les prières qu'il doit réciter, les for-
,

ALGÉRIE. 133

mules qu'il doit employer, la manière de Ce saint entre tous les saints, cette vic-
dire son chapelet ; c'est après ces forma- time immolée au salut de l'humanité,
lités qu'il est reçu frère. porte dans les croyances populaires le
Les congrégations musulmanes ne nom de Rout. La moitié de ce qui reste
paraissent avoir rien d'analogue aux de maux est répartie entre vingt hom-
signes mystiques et aux mots de passe mes pieux nommés Aktab disséminés
de la franc-maçonnerie; elles n'ont de dans l'empire de l'islam. L'autre moitié
commun avec elles que le nom de frè- ou le dernier huitième se répand sur le
res que les affiliés se donnent entre eux. genre humain.
Elles sont de leur nature exclusives, et Dès que le choix de Dieu s'est arrêté
n'admettent que des mahométans la : sur lui, le Rc-ut tombe malade; il en-
franc-maçonnerie admet tous les hom- dure toutes sortes de souffrances, et
mes, sans distinction de culte ni de meurt en moins de quarante jours, sous
drapeau. le poids de deux cent quatre-vingt-cinq

Sept ordres religieux comptent des mille maux différents dont il est affligé.
affiliés en Algérie. Sidi-Abd-el-Kader dut à sa sainteté l'é-
Ce sont : clatante faveur d'être choisi pour Rout,
1° L'ordre de Sidi-Abd-el-Kader-el- et il conserve dans le ciel le privilège
Djelali; d'intercéder efficacement pour ceux qui
T De
Mouléi-Taïeb ; souffrent. De la sphère brillante qu'il
3° et de Sidi-Mohammed-
Des Aïçaoua habite entre re troisième et le quatrième
ben-Aïça; ciel ,ce saint patron des affligés entend
De Sidi-Mohammed-ben-Abd-er-
4° les plaintes qui s'élèvent vers lui, et il

Rahman Bouguebrin; protège indistinctement tous ceux qui


5° De Sidi-Ioucef-el-Hansali; l'invoquent dans la sincérité de leur
6° De Sidi-Alimed-Tidjani; cœur, chrétiens, juifs et musulmans.
7° Des Derkaoua. Mais il va sans dire que, parmi tous ses
1° Ordre de Sidi-Jbd-el-Kader-el- protégés, les khouan de Sidi-Abd-el-
Djelali. —
Cet ordre est le plus ancien de Kader tiennent de droit le premier rang.
ceux qui existent en Algérie. Il doit sa Nous avons montré le côté religieux
fondation à un marabout de Bagdad de cet ordre voici maintenant le côté
:

dont le nom est en grande vénération politique.


dans tout l'islamisme. En 1828, à Bagdad, dans une des
Sidi-Abd-el-Kader, désigné dans l'ouest chapelles consacrées à Mouléi-Abd-el-
[sous le nom de Mouléi-Abd-el-Kader, Kader, un jeune homme priait avec son
est considéré dans presque tout l'Orient père, lorsque le saint lui apparut sous
comme le patron des pauvres et des la figure d'un nègre. Il tenait dans la
malheureux, et en général comme la main trois oranges. « Où est le sultan
(providence des êtres souffrants. C'est de l'ouest? dit-il ; ces oranges sont pour
jen son nom que presque tous les men- lui. —Nous n'avons pas de sultan parmi
diants implorent la charité du passant : nous, répondit le vieillard. — Vous en
Donne-moi pour l'amour de Dieu, pour aurez un bientôt, reprit le nègre. » Ce
l'amour de monseigneur Abd-el-Kader. disant il mit les trois oranges dans la
|
Sidi-Abd-el-Kader passe pour le prince main du jeune homme, et se retira. Ce
ides marabouts. Ses vertus lui valurent, jeune homme n'était autre que le futur
îdit-on, un honneur insigne : c'est une émir Hadji-Abd-el-Kader, fils de Mahi-
tradition populaire que dans le mois de Eddin.
safar il descend du ciel sur la terre trois Quatre ans plus tard, en 1832, la veille
cent quatre-vingt mille maux de toute du jour où les chefs et les marabouts
espèce. Ce déluge de maux écraserait de la plaine d'Eghrès devaient se réunir
le genre humain si la miséricorde divine à Ersébia pour élire un chef suprême,
ne lui venait en aide. A ce moment Mouléi-Abd-el-Kader apparut encore à
lamentable Dieu choisit parmi les hom- un marabout centenaire, nommé Sidi-
mes d'une piété austère celui qu'il juge el-Arach, et lui fit voir un trône dressé.
le plus pur et le plus fervent, et le « Pour qui ce trône? demanda le mara-
charge seul des trois quarts du fardeau. bout. —
Pour Hadji-Abd-el-Kader, fils
! 34 L'UNIVERS.
de Mahi-Eddin , répondit le fantôme. Sidi-Hadji-el-Arbi, et le chargea de quel- I

Le lendemain Hadji-Abd-el-Kader, ques présents pour ce haut personnage, !

fils de Mahi-Eddin , l'élu du ciel, était sur lequel tout l'empire a les yeux fixés.
proclamé sultan. Mais par un malentendu qu'il est dif-
Depuis cette époque, disent les Ara- ficile de s'expliquer, les envoyés du con-
bes, il ne s'est pas écoulé un jour où le sul général ne purent trouver le desti-
nouveau prince des croyants n'ait reçu nataire, et rapportèrent les présents à I

la visite mystérieuse du prince des mara- Tanger.


bouts; il ne s'est pas accompli une seule Deux ansplus tard une vaste insurrec- I

résolution qui n'ait été inspirée à Hadji- tion éclatait en Algérie ; elle avait pour
Abd-el-Kader par son homonyme de point de départ une petite nation kabile
Bagdad. située sur le bord delà mer, à l'extrémité
Mouléi-Abd-el-Kader a donc pris une occidentale de nos possessions. On a
grande part aux affaires de l'Algérie. su depuis que le massif montagneux des
On compte très-peu de khouan de Traras était un des principaux centres
cet ordre dans la province de Constan- de réunion des frères de Mouléi-Taïeb;
tine; ils sont au contraire très-nom- que l'ordre y entretenait des zaouïas, y
breux dans la province d'Oran, où tenait des écoles y possédait de vastes
,

presque toutes les routes, presque tou- domaines , et que ces divers établisse-
tes les cimes de montagnes sont cou- ments reconnaissaient les lois de- Sidi-
vertes de koubba consacrées à la mémoire Hadji-el-Arbi. C'étaient des khouan de
de Sidi-Abd-el-Kader-el-Djelali. Mouléi-Taïeb qui à la même époque,'
2° Ordre de Mouléi-Taïeb Cet . — conduits par Abd-el-Kader, anéantis-
ordre a été fondé par les chérifs de Ma- saient à Sidi-Brahina le petit corps du;
roc, où il compte un nombre immense colonel Montagnac.
dekhouan : à leur tête figure l'empereur C'étaient encore des khouan de!
lui-même, Mouléi-Abd-er-Rahman. Le Mouléi-Taïeb qui soutinrent deux jours
khalifa ou grand-maître de l'ordre est après contre le général Cavaignac les
toujours choisi parmi les membres de combats des 22, 23 et 24 septembre ; el-
la famille impériale celui qui occupe
: le théâtre de ces actions sanglantes,,
aujourd'hui ce poste éminent est Sidi- quoique situé en Algérie, était un des
Hadji-el-Arbi ; il réside avec les cherfa nombreux domaines que possède le'
de la dynastie régnante , dans une petite marocain Sidi-Hadji-el-Arbi, khalifa de
ville appelée Ouazzan, située à mi-chemin l'ordre.
d'El-Arach à Fès. C'était dans les mêmes lieux, et
La prépondérance numérique et l'in- contre les mêmes hommes, que le géné-
fluence morale de l'ordre de Mouléi- ral Lamoricière avait à combattre trois?
Taïeb diminuent à mesure que l'on s'é- semaines plus tard dans les journées,;
loigne de son berceau dans la direction des 12, 13, 14 et 15 octobre.
de l'ouestà l'est. Cependant Constantine, On n'a vu d'abord dans ces divers;
quoique située à la limite de son action, événements qu'une explosion banale et
compte encore à elle seule environ douze confuse de fanatisme ; mais M. le capi-
cents khouan. taine de Neveu a fait connaître plus tard
Au Maroc l'ordre de Mouléi-Taïeb le lien mystérieux qui unissait les épi-
exerce une sorte d'omnipotence ; aussi sodes et les personnages de ce drame
l'empereur Abd-er-Rahman, jaloux de funèbre.
conserver l'appui de Sidi-Hadji-el-Arbi, Antérieurement à cette époque fu-
a-t-ii soin de lui envoyer au moins une neste, l'existence des khouan de Mouléi-
fois par mois des présents à son quar- Taïeb se révélait d'une tout autre ma-
tier général d'Ouazzan. nière. Mais le fil de cette organisation
En juin 1843 le gouvernement, in- maçonnique manquait encore, et l'au-
formé par M. le maréchal Bugeaud de torité française n'avait pas saisi toute
l'influence qu'exerçait en Algérie le la portée de cette indication. C'était du
grand maître de l'ordre de Mouléi-Taïeb, temps que M. le général Baraguay d'Hil-
donna l'ordre à son consul général à liers commandait à Constantine. Un des
Tanger de se mettre en relation avec mokaddems de Mouléi-Taïeb étant mort
ALGÉRIE, «&

dans cette ville, leskhouan lui désignè- fiance en Dieu. Tous les jours il se ren-
rent un successeur provisoire, et ils dait à la mosquée, où i passait des heures
I

écrivirent aussitôt à Sidi-Hadji-el-Arbi entières en prières ferventes, et chaque


pour obtenir sa sanction. Mais ils furent soir en rentrant au logis il y retrouvait
prévenus par un compétiteur, qui se ren- la misère et la faim.

en toute hâte à Ouazzan, au fond de


dit Un jour, tandis qu'il priait dans la
l'empire du Maroc, afin de solliciter la mosquée , un homme alla frapper à la
place vacante : il l'obtint. A leur arri- porte de sa demeure, appela sa femme, et
vée dans cette ville les envoyés du club lui remit des aliments p'our elle et ses

de Constantine ne furent pas médiocre- trois enfants en lui disant C'est Sidi
, :

;ment surpris d'apprendre que l'emploi Aïça qui vous les envoie.
était déjà donné. Us essayèrent alors de Le lendemain et les jours suivants le
faire revenir le khalifa sur sa décision; protecteur mystérieux apporta régu-
mais les partisans du compétiteur nom- lièrement de nouvelles provisions , de
mé agirent de leur côté la nomination
: sorte que la maison de Sidi- Aïça connut
jfut maintenue. enfin l'abondance.
C'est alors qu'en désespoir de cause Bientôt les faveurs et les dons du ciel
[les khouan de Mouléi-Taïeb prirent l'é- se multiplièrent tellement que la fortune
itrange résolution d'en appeler à l'auto- du marabout porta ombrage au sultan
rité française. M, le général Baraguay de Meknès , Mouléi-Mohammed , qui le
jd'Hilliers" fit des efforts pour concilier chassa de la ville. Sidi-Aïça partit en effet,
[toutes les prétentions; mais la décision et alla s'établir à quelques lieues, sur un
[qu'il ne termina pas le différend
prit ,
terrain jusque-là inhabité , emmenant
et il que plus tard un chérif vînt
fallut avec lui sa femme , ses enfants et qua-
(exprès du bout du Maroc à Constan- rante disciples.
tine pour clore par un jugement dé- Peu de temps après Mouléi-Ismael lui
ifinitif ce long et singulier débat. On fit défense de rester sur son domaine.

jignorait encore à cette époque l'étroite Sidi-Aïça lui proposa alors de lui acheter
solidarité queles ordres religieux établis- à deniers comptants toutes les terres de
sent entre des individualités et des popu- son empire. Mouléi-Ismael ne vit dans
lations séparées par d'immenses espaces. cette proposition que l'acte d'un arrogant
Cette affaire révéla cependant deux faits et d'un insensé ; et l'accepta néanmoins,
graves, savoir : comme un moyen de se débarrasser du
D'une part, l'influence occulte qu'un marabout. On convint d'un prix et d'un
[personnage étranger exerçait à notre jour pour l'exécution du traité.
[insu sur les terres et sur les peuples de Au jour fixé le sultan sortit en grande
/notre domination ;
pompe de Meknès , accompagné des ou-
D'une autre part, l'esprit de modéra- lémas et de tous les grands personnages
tion particulier à la province de Cons- de la ville qu'il voulait rendre témoins de
tantine, dont les habitants ne crai- la déconvenue du marabout. Arrivé à
gnaient pas de recourir à l'intervention Hamria tout le cortège s'assit en cercle
[française même dans des questions reli- autour d'un large olivier. « Aïça, dit Mou-
gieuses. Mais ce dernier fait, rassurant léi-Ismael ,
je suis venu pour te livrer la
pour une partie de nos possessions, de- ville de Meknès et ses dépendances ; voici
ivait inspirer de sérieuses inquiétudes l'acte de vente, livre-moi le prix con-
|sur le sort des autres. venu.— Tu vas le recevoir, dit Sidi-Aïça. »
3° Ordre de Sidi-Mohammed-ben- Alors il frappa de la main l'olivier, à

!

\Aïça. Sidi-Mohammed-ben-Aïça, fon- l'ombre duquel le prince était assis , et


dateur de cet ordre, vivait à Meknès, aussitôt il en tomba une pluie de pièces
dans l'empire de Maroc, il y a environ d'or, qui, réunies et comptées, produisi-
trois cents ans. Ce n'était pas un prince, rent le triple de la somme convenue.
:
comme le fondateur et les khalifa de Au milieu de la stupeur générale,
l'ordre de Mouléi-Taïeb c'était au con- ; Sidi-Aïça se redressa, et dit d'une voix
traire un très-pauvre homme, n'ayant tonnante « Je suis le maître de ce lieu,
:

absolument rien pour faire vivre une le propriétaire de Meknès et de ses dé-
nombreuse famille, mais plein de con- pendances à votre tour, sortez démon
:
, ,

136 L'UNIVERS.
territoire. Cependant il se radoucit
» à coup quelques-uns des frères se lèvent,
bientôt, et, cédant aux prières de ceux se placent en dansant sur une même
qui l'entouraient, il rendit au sultan son ligne, et tirentdu fond de leur poitrine,
empire, à condition que chaque année, à en sons rauques et gutturaux le nom
,

partir du douzième jour du mois de sacré d'Allah. Mais en sortant de la


mouloud, tous les habitants de Meknès, bouche des aïcaoua
b
ce mot ressemblait
à l'exception des khouan de Sidi-Aïça, beaucoup plus à un rugissement féroce
seraient consignés pendant sept jours qu'à une pieuse invocation. Bientôt le
dans leurs demeures. vacarme augmente, l'extravagance des
Depuis lors cette convention a été fidè- gestes dépasse toute mesure, les turbans
lement observée; chaque année, avant tombent laissant voir ces têtes rasées,
le 12 de mouloud, le gouverneur de semblables à celles des vautours. Les
Meknès fait publier dans la ville que longues ceintures rouges se déta
tous ceux qui ne font pas partie de l'ordre chent, se déroulent, embarrassent les
de Sidi-Aïça doivent rester enfermés dans mouvements et accroissent le désordre.
leurs maisons pendant sept jours. Il est L'homme alors se traîne sur les ge-
vrai que cette mesure n'est gênante pour noux et sur les mains; il imite tous les
personne; car tous les habitants de Mek- mouvements des bêtes, et abdique touti
nès, sans exception, appartiennent à l'or- dignité.
dre de Sidi-Aïça. Satisfait de son triom- Enfin l'exaltation arrive à son comble ;
phe, Sidi-Aïça dédaigna de rentrer en c'est alors que, haletants, ruisselants
ville; il continua d'habiter Hamria, où de sueur, les aïcaoua commencent leurs
il acheva son existence entouré delà vé- jongleries. Ils appellent le mokaddem leur
nération de ses frères. père, et lui demandent à manger; celui-
L'ordre de Sidi-Mohammed-Ben-Aïça ci leur distribue des morceaux de verre,
est celui qui de tout temps a le plus fixé qu'ils broient entre leurs dents; à d'au- ,

l'attention à cause de la singularité de


, très il introduit des clous dans la bou-
ses pratiques. che, mais ils ont soin de se cacher la ,

On en jugera par la description sui- tête sous le bernous du mokaddem, afin .

vante d'une fête des Aïcaoua , que nous de pouvoir les rejeter sans être vus des
empruntons presque textuellement à assistants. Ceux-ci mangent des épines
l'intéressant ouvrage de M. le capitaine et des chardons; ceux-là portent la
de Neveu. langue sur un fer rouge, ou le prennent
Dans la cour intérieure du bâtiment entre les mains sans se brûler. L'un se
on avait à l'avance préparé des lumières frappe le bras gauche avec la main
et des tapis ; un coussin marquait la place droite, et la chair s'ouvre, le sang coule;
du mokaddem, président ordinaire de la mais aussitôt après il repose la main
fête. Des femmes en assez grand nombre sur son bras , la blessure se ferme, et le
garnissaient la galerie du premier étage, sang disparaît ; d'autres sautent sans se ;

commune toutes les maisons mau-


à blesser sur le tranchant d'un sabre que
resques. Les Aïcaoua entrèrent proces- des frères tiennent par ses extrémités ; ;

sionnellement, se rangèrent en cercle quelques-uns plongent la main dans de


dans la cour, et presque aussitôt com- petits sacs en peau , d'où ils tirent des
mencèrent leurs chants. C'étaient d'a- scorpions , des serpents , des vipères
bord des prières lentes et graves, qui du- qu'ils mettent intrépidement dans leur
rèrent assez longtemps; vinrent ensuite bouche. Tous ces mouvements s'exécu-
les louanges de Sidi-Mohammed-ben- tent avec assez de rapidité pour qu'il
Aïça, le fondateur de l'ordre; puis le soit très-difficile de reconnaître les
mokaddem et les frères prenant des
,
moyens employés par ces jongleurs pour
cymbales et des tambours de basque se garantir de la piqûre des animaux.
animèrent progressivement la cadence, Les aïcaoua ont en Algérie la répu-
en s'exaltant eux-mêmes davantage à tation de* guérir les piqûres des bêtes
proportion de l'accélération du rhythme. venimeuses; aussi sont-ils fréquemment
Après deux heures environ les chants appelés comme médecins. Dans ce cas ils
avaient dégénéré en cris sauvages, et se bornent à sucer fortement la plaie ;
les gestes en hideuses contorsions. Tout ils déterminent ainsi une saignée qui
,,

ALGERIE. 137

>révient en général les accidents consé- rémonies en un lieu nommé El-Hamma


:utifs. C'est à cette simple opération près de Kouba, et le marabout Ben-Abd-
\ue se réduit à peu près tout leur art. er-Rahman se trouva avoir un double
Les aïçaoua sont très-nombreux dans tombeau. A dater de cette époque, et
e Maroc. La province d'Oran compte en commémoration de ce miracle, la
ussi un assez bon nombre de khouan croyance populaire ajouta à son nom le
le cet ordre; mais il y en a peu à Alger surnom de Bou-Guebrin (l'homme aux
t à Constantine. Tunis possède beau- deux tombeaux).
oup de frères d'Aïça, qui donnent cha- Instruit de cet événement, Moustafa-
ue année, aux approches du mouloud, Pacha, aussi crédule que ses Sujets, fit
la population de cette ville le spec- élever à El-Hamma une jolie mosquée et
acle des fêtes les plus bizarres. une coupole, sous lesquelles reposent les
L'ordre de Sidi-Aïça ne paraît pas restes algériens de Ben-Abd-er-Rahman.
voir joué jusqu'ici un rôle politique. Le Quant à ses restes kabiles, ils sont con-
not d'aïçaoua est devenu synonyme de servés dans une autre mosquée, située
angleur et faiseur de tours. dans la tribu des Beni-Ismael, apparte-
4° Ordre de Sidi~Mohammed-ben- nant à la confédération de Guechtoula
ibd-er-Rahman-bou-Guebrin. — Sidi- sur le revers septentrional du Jurjura.
lohamed-ben-Abd-er-Rahman, fonda- C'est là aussi que réside le khalifa ac-
3ur de cet ordre, naquit à Alger, où il vi- tuel des khouan de Ben-Abd-er-Rahman,
aitsous le règne de Moustafa-Pacha. Un Sidi-Hadji-el-Béchir. Ce personnage est
>ur il quittasa ville natale,et alla s'établir marocain d'origine aussi sa nomination
;

vec sa famille dans la Kabilie, au centre souleva-t-elle des dissensions violentes


u Jurjura. Il y mourut après six mois de parmi les Kabiles; beaucoup d'entre eux
your, laissant parmi les Kabiles un regardaient sa qualité d'étranger comme
ssez grand nombre de disciples. Ce fu- un motif d'exclusion.
3nt eux qui lui donnèrent la sépulture. Abd-el-Kader profita de ces discordes
Trois jours après les khouan d'Alger pour s'immiscer dans les affaires de la
pprenaient la mort de leur chef. Quelle Kabilie affilié lui-même à Tordre de Ben-
;

e fut pas leur désolation en pensant que Abd-er-Rahman , lié d'une étroite amitié à
3n corps reposerait loin d'eux , sur la Hadji-el-Béchir, trouvait dans ce dou-
il

îrre étrangère Us tinrent conseil, etré-


! ble titre un motif légitime ou plutôt un
jlurent d'enlever la précieuse dépouille. prétexte plausible à son intervention.
Is se partagèrent en deux bandes, se Mais ses efforts échouèrent devant l'opi-
bndirent mystérieusement dans les niâtreté d'un peuple ombrageux, chez qui
lontagnes du Jurj ura, et s'embusquèrent l'attachement au sol domine tous les au-
on loin du lieu où reposaient les restes tres sentiments. Désespérant de vaincre
u marabout. Ils en sortirent pendant la résistance opposée à la nomination de
inuit, ouvrirent le cercueil, charge- son ami Hadji-el-Béchir, Abd-el-Kader
ant le corps sur un mulet, et repartirent l'emmena avec lui , et il y serait encore si
u toute hâte. une femme, Lella-Khadidja, veuve du
Dès le point du jour ce fut une grande dernier khalife de l'ordre , ne s'était dé-
umeur parmi les Kabiles; on venait cidée à user de son influence pour le
'apprendre que la dernière demeure du faire admettre. Grâce à ce secours ines-
îarabout avait été violée. Les monta- péré, Hadji-el-Béchir put reparaître dans
nards ne doutèrent point que ses restes lamontagne, et il fut réinstallé dans son
'eussent été enlevés; cependant, pour poste de khalifa.
n acquérir la certitude, ils s'empressè- La confrérie de Ben-Abd-er-Rahman
ent de découvrir le cercueil, et ce ne est l'ordre national de l'Algérie : c'est à
ut pas sans une joie mêlée d'étonné- Alger même qu'il a pris naissance, c'est
îent qu'ils trouvèrent à la place où un Algérien qui l'a fondé. Il réunit sous
s l'avaient déposé le corps de Ben-Abd- une bannière commune les Kabiles et
r-Rahman. les Arabes, presque toujours opposés de
Cependant les Algériens arrivaient à caractère et souvent d'intérêts. Aussi
,

lger possesseurs de la précieuse reli- Abd-el-Kader l'avait-il préféré à tout


ue. Ils l'inhumèrent avec de grandes cé- autre, comme le meilleur instrument de
138 L'UNIVERS.
ses projets. Dans les dernières années de mande à Aïn-Mâdi, où plusieurs officiers
la lutte les frèresde Ben-Abd-er-Rah- français ont reçu de lui l'accueil le plus
man lui ont fourni des secours en hom- bienveillant. C'est contre lui que fut
mes et en argent. dirigée en 1838, par l'émir Abd-el-Kader,
Les khouan de cet ordre sont très- la célèbre expédition d' Aïn-Mâdi. Cette
nombreux en Algérie; la ville de Cons- guerre, qui fut désastreuse pour l'émir,
tantine en possède à elle seule plus de rapprocha de nous le marabout Tedjini.
douze cents : on les représente comme L'agression d' Abd-el-Kader parut sacri-
très-fanatiques cependant plusieurs
: lège au yeux de tous les khouan, qui
d'entre eux ont donné à la France des depuis cette époque respectèrent la cause
gages sincères de dévouement. française comme celle de la justice
La règle de l'ordre deBen-Abd-er-Rah- divine. Aussi font-ils remarquer que
man consiste à répéter la formule Laela : depuis lors la fortune de l'émir a tou-
lllallah- Mohammed reçoul-Allah au jours décru.
moins trois mille fois par jour. Déjà antérieurement le prédécesseur
5° Ordre de Sidi-Ioucef el-Hansali. — du khalifa actuel avait témoigné pour
Cet ordre fut fondé à Constantine même, notre cause des dispositions conformes
et il est demeuré circonscrit à la ban- à celles que nous trouvons dans le chef
lieue de cette ville; il y compte environ d' Aïn-Mâdi. En 1 844, au moment où M. le
deux mille frères. Le fondateur Sidi- duc d'Aumale dirigea sa colonne sur
Ioucef-el-Hansali était originaire des Biskra et ,lé Ziban , les habitants cita-
environs de Zammôra, d'où il vint s'éta- dins et nomades des oasis circonvoi-
blir dans le Djebel-Zouaoui , contre-fort sines, de l'Ouad-Souf, de Tuggurt, allè-
occidental duChettaba, montagne haute, rent trouver à Temacin Sidi-Hadji-Ali
grise et nue, qui s'élève au sud-ouest et pour lui annoncer l'arrivée des Français
tout près de Constantine. Ce lieu a été et le consulter sur la conduite qu'il fal-
depuis la résidence de tous ses succes- lait tenir à leur égard. Hadji-Ali leur ré-
seurs. pondit : « C'est Dieu qui a donné l'Algé-
La maison du khalifa de l'ordre était rie aux Français ; c'est lui qui veut les y
autrefois un lieu de refuge respecté des voir dominer. Restez donc en paix, et
beys; elle renferme aujourd'hui une ne faites pas parler la poudre contre
école renommée. eux. »
6° Ordre de Sidi-Ahmed-Tedjini. — Cette parole de Sidi-Hadji-Ali, con-
C'est leplus récent de tous les ordres forme d'ailleurs à l'intérêt et au carac-
de l'Algérie. Il fut fondé à Aïn-Mâdi, par tère des peuples du Sahara, a suffi pour
le marabout dont il porte le nom , nom contenir plusieurs milliers d'hommes, et
devenu célèbre par la guerre qui éclata la prise de possession de Biskra s'accom-
il y a quelques années entre un membre plit sans coup férir. Ce fait fournit un
de cette famille et Abd-el-Kader. nouvel exemple de l'action que les chefs
L'ordre, à peine fondé, eut à lutter des khouan exercent sur leurs frères.
contre les Turcs, qui , jaloux de l'influence L'ordre de Sidi-Ahmed-Tedjini compte
du marabout, vinrent l'assiéger dans Aïn- environ cinq cents membres à Constan-
Mâdi. Mais Sidi-Ahmed parvint à re- tine. Un grand nombre de nomades du
pousser leurs attaques, et finit même par Sahara et tous les habitants de Temacin
obtenir l'amitié et l'appui du pacha; plus en font partie. On rencontre en outre des
tard il se retira à Fès, où il mourut il y frères de Sidi-Ahmed-Tedjini à la Mec-
a quarante-neuf ans ; unekoubba magni- que, à Fès, à Maroc, à Tunis et dans
fique fut élevée sur sa tombe. toute l'Afrique musulmane.
Sidi-Ahmed avait institué avant sa Cet ordre possède quatre mosquées
mort pour khalifa de ses khouan Sidi- à Tunis, deux à Constantine, deux à
Hadji-Ali de Temacin , ville voisine de Alger, une à Bône , etc.
Tuggurt dans le Sahara algérien. Hadji- 7° Ordre des Derkaoua. — Au com-
Ali mourut dans le cours de 1844. mencement de 1845 un événement ter-
Il eut pour successeur le fils de Sidi- rible, d'un caractère tout à fait insolite,
Ahmed fondateur de l'ordre, Sidi-Mo-
, vint révéler inopinément l'existenced'une
hammed-Srir-Tedjini. C'est lui qui com- nouvelle association clandestine, consti-
,

ALGERIE. 139

tuée en état permanent de révolte et de n'a pas pour but exclusif la propagation
conspiration. de l'islam.
Le 30 janvier, vers dix heures du ma- Il ne peut se manifester en eux des

tin, une soixantaine d'Arabes, précédésde germes de mécontentement, sans qu'aus-


deux cavaliers et de quelques enfants, sitôt un Derkaoui surgisse pour exploi-
passèrent près d'un poste avancé , se di- ter et développer l'irritation naissante.
rigeant vers laredoute de Sidi-bel-Abbès. Aussi ont-ils été en révolte continuelle,
Au
qui-vive de la sentinelle ils répondi- en Algérie contre les Turcs, au Maroc
rent par la formule d'usage Semi-semi
: contre les chérifs. Dans la province de
(amis, amis), et poursuivirent leur che- Constantine le mot de Derkaoui s'em-
min. Ils arrivaient en chantant près de ploie comme synonyme de révolté.
la redoute, dont ils allaient franchir le En 1784, sous lerègnedeHadji-Khelil-
seuil , lorsque le factionnaire s'opposa Bey, un Derkaoui nommé Mohammed-
,

à leur passage, et voulut les visiter. Aus- Ben-Ali prêcha la révolte dans la pro-
,

sitôt deux coups d'yatagan assénés sur vince de Tlemcen.


sa tête le renversèrent dans le fossé. En 1808 un Derkaoui nommé Bou-
,

A ce signal les conjurés tirent les ar- Daïli, détruisit dans la province de
mes cachées sous leurs bernous , pénè- Constantine le camp du bey Othman
trent dans la redoute , et se dirigent vers sur l'Ouad-Zhour.
les chambres occupées par les officiers, En 1809unmaraboutderkaoui, nommé
en déchargeant sur tous ceux qu'ils ren- Ben-Chérif,soulevala province del'ouest,
contrent leurs fusils et leurs pistolets. et tint bloqué pendant deux mois le
Au bruit des premières détonations, les bey Moustafa-el-Mansali dans les murs
défenseurs de la redoute courent aux d'Oran.
armes, le combat s'engage, mais ne dure Abd-el-Kader lui-même a ressenti
pas longtemps. Les conjurés étaient en- plus d'une fois les effets de la lierté
trés dans la redoute au nombre de cin- farouche des Derkaoua.
quante-huit au bout de dix minutes on
: En 1835 un marabout derkaoui,
comptait sur le sol cinquante-huit ca- nommé Mouça, lui livra bataille sous les
davres. murs de Milîana.
Une enquête commence aussitôt, et ne En 18381e même marabout lui disputa,
tarde pas à faire connaître que les con- à la tête des Oulad-Mokhtar, le passage
jurés appartenaient à une tribu voisine, du mont Dira.
étaient affiliés depuis peu aux Derkaoua Les Derkaoua se reconnaissent faci-
société secrète qui compte de nombreux lement à leur extérieur; ordinairement
adeptes dans l'Algérie et le Maroc. ils portent à la main Un bâton armé à

Un marabout arrivé récemment de Fès son extrémité d'une pointe en fer, et au


avait persuadé à ces malheureux qu'il cou un chapelet formé de gros grains.
en leur pouvoir d'anéantir les chré-
était Leur vêtement de dessus est presque
de confiance dans ses pro-
tiens. Pleins toujours remarquable par un luxe de
messes , ils s'enivrèrent d'opium et de haillons mais ces guenilles recouvrent
;

ihachich, et entrèrent dans la redoute en souvent des vêtements propres et même


chantant les louanges de Dieu, qu'ils riches. Us affectent une prononciation
'remerciaient à l'avance de leur triom- cadencée et un certain grasseyement des
jphe. lettres gutturales*
'

C'est ainsi que s'est révélée l'associa- Les Derkaoua ont, comme les francs-
tion religieuse des Derkaoua. Ils tirent maçons, leur loge (fondouk) et leur
leur nom de Derka, petite ville du grand orient, qui est la djema, ou assem-
royaume de Fès , où leur ordre paraît blée des cheiks. La djema nomme an-
avoir pris naissance. nuellement son président par voie dïélec*
Les Derkaoua professent en matière tion. Ce président est le grand maître de
religieuse un ascétisme rigoureux, et en l'ordre. Chaque fondouk e/tf pareillement
matière politique le radicalisme absolu. les cheiks en assemblée générale.
Ils ne reconnaissent comme légitime Les Derkaoua possèdent, soit dans
d'autre pouvoir que celui de Dieu ils re-
; leurs fondouks, soit dans des lieux se-
jettent toute autorité temporelle , si elle crets,des dépôts d'armes et de munitions.
, ,

140 L'UNIVERS.

Leur principal dépôt, leur quartier gé- léi-Abd-el-Kader, qui grandit en s'avan-
néral en Algérie, est la montagne, de cent vers l'est, vivent dans un état de j

l'Ouersenis. lutte presque continuel.


Les assemblées générales ont lieu an- Cette circonstance n'est pas étrangère
nuellement. sans doute à l'inimitié qui existe entre
Depuis dix ans l&grand maître des Der- l'émir, dont le père était un des digni-
kaoua est Sidi-Abd-el-Kader-Boutaleb taires de l'une, et Hadji-el-Arbi, qui est
consin germain de l'émir. Mais il s'est le grand maître de l'autre. Peut-être

tenu longtemps éloigné de lui et ne se


,
même la haine de l'empereur pour le
décida à l'aider de son influence qu'il filsde Mahiddin cache-t-elle une rivalité
il y à environ trois ans.
de couvent.
Les Derkaoua dominent surtout dans Des sept confréries qui viennent d'être
la province d'Oran, Déjà moins nom- passées en revue, la plus importante, par
breux dans celle d'Alger, ils sont à peu le nombre et le rang des affiliés, est celle

près inconnus dans celle de Constantine. de Mouléi-Taïeb. Du fond de sa petite


Telles sont les principales confréries ville d'Ouazzan le khalifa Hadji-el-Arbi
musulmanes; telles sont ces associa- correspond avec le Maroc et l'Algérie,
tions, qui depuis dix-huit ans étendent et, comme le pape du moyen âge, il étend

sur l'Algérie une sorte de réseau invi- son action à toute l'échelle sociale, depuis
sible, qui nous enserre nous-mêmes à le fellah jusqu'à l'empereur. Il dispose

notre insu. à son gré de toutes les consciences c'est


;

Comme toutes les institutions religieu- lui qui désigne le successeur à l'empire, r

ses , elles prétendent


n'avoir aucun souci et lenouveau sultan vient recevoir l'in-l
des affaires politiques : à les entendre, vestiture de ses mains.
les choses de ce monde ne les regardent
Quelquefois dans le cours de nos luttes»
pas ; mais , tout en feignant de ne pas sanglantes , détournée par des circons-;
s'en mêler, elles y prennent la part la plus tances accidentelles de sa direction'!
active qu'elles peuvent; c'étaient elles qui normale l'influence des confréries s'est
,
j

recueillaient et faisaient parvenir pen- exercée à notre profit. Ainsi au fort de!
dant la guerre, soit à l'émir, soit aux au- l'insurrection du Dahra, le jour où 8

tres ennemis de notre cause, les offran- toutes les tribus se ruèrent sur Orléans-
ville à la suite de Bou-Maza, notre cadi,.!
des des fidèles ; elles qui assuraient les
mouvements de fonds , qui transpor- qui était en même temps mokaddem dei
taient les correspondances , qui entre- la confrérie de Mouléi-Abd-el-Rader, de-

tenaient la haine du nom chrétien, qui bout sur le seuil de son gourbi , arrêta'
préparaient et organisaient les conspi- d'un geste les hommes armés de sa tribu
rations. En temps de calme elles agis- que leur kaïd conduisait au rendez-vous,
sent dans l'ombre; mais dès que la général.
lutte s'engage contre nous «lies ap- Des sept confréries, trois ont leur
paraissent au-dessus des groupes enne- siège principal dans le Maroc, trois ont'
mis, comme des étendards cachés qui pris naissance en Algérie ; une seule sort
se déploient au vent de la tempête. Alors du berceau de l'islamisme.
surgissent de l'obscurité des hommes Des trois confréries d'origine algé-
qui nous étaient inconnus, qui sor- rienne deux remplissent, à leur insu
tent nous ne savons d'où, qui s'élè- peut-être, une mission sociale digne d'in-
vent en un instant aux plus hautes di- térêt. Ce sont celles de Sidi-Ben-Abd

gnités, sans que nous sachions pourquoi ; er-Rahman-bou-Guebrin et de Sidi


qui exercent sur les masses dociles une Ahmed-Tedjini. La première, fille d'Al
autorité dont nous n'apercevons pas la ger, adoptée par la Kabilie , établit u
base, qui propagent l'insurrection par des lien de famille entre les deux races d
courants invisibles, dont la rapidité nous Tell, entre la plaine et la montagne,
effraye et dont le secret nous échappe. entre l'Arabe et le Rabile.
Heureusement pour nous ces confré- La seconde, fille du Sahara, rapproche
ries sont hostiles les unes aux autres : par une sorte d'attraction religieuse
ainsi la confrérie de Mouléi-Taïeb , qui les populations éparses de cette con-

domine, dans le Maroc, et celle de Mou- trée.


ALGERIE. 141

COMMENCE. éloignées de l'Ile sacrée habitée par les

Historique. —
État du commerce maritime
Hiberniens. Combien les rôles sont
sous les dominations- antiques; Sous les — changés! L'Afrique, civilisée alors, al-
dynasties berbères; — Sous
domination la
lait faire dans la barbare Albion ce que

turque — Sous
domination française.
la — l'Albion civilisée de nos jours fait sur

;

les côtes barbares d'Afrique établir des


Commerce avec la régence de Tunis; :

Avec l'empire de Maroc ; —


Avec le Sou- comptoirs, ouvrir des marchés.
dan. —Commerce intérieur de l'Algérie. La seconde expédition, beaucoup plus
connue que la première , était comman-
Du commerce de V Afrique dans l'anti-
dée par Hannon, qui écrivit lui-même en
quité.
phénicien la relation de son voyage , ap-
!
Carthage,fille d'un peuple de trafiquants, pelé aujourd'hui Périple d' Hannon, et le
avait hérité du génie de ses fondateurs ; déposa, à Carthage % dans le temple de
de nombreux témoignages attestent sa Kronos.
magnificence et sa richesse, et il n'est La qualité du chef et la composition de
pas douteux qu'elle les dut à son com- la flotte placée sous ses ordres donnent
merce. Vainement la république romaine, une idée de l'importance que les Cartha-
dans la guerre d'anéantissement qu'elle ginois attachaient à ce voyage. Hannon
iiui avait déclarée , essaya-t-elle de faire occupait le poste de suffête, qui était la
idisparaître l'origine laborieuse d'une première dignité de la république; et sa
grandeur rivale ; quelques monuments flotte ne comptait pas moins de soixante
échappés à cette haine impie donnent vaisseaux et trente mille hommes. Qu'al-
une idée de la nature et de l'étendue de lait-il faire ? Fonder des colonies ou plu-

ses relations. tôt des comptoirs sur la côte occidentale


\ On
sait que les négociants carthagi- d'Afrique depuis les colonnes d'Hercule
étendaient leurs expéditions jus-
nois jusqu'au rivage de Thymiamata, que
qu'au centre de l'Afrique et de l'Asie. l'on croit être la Sénégambie.
Du fond de l'Arabie des caravanes arri- Carthage succombe, et demeure ense-
vaient à Carthage à travers l'oasis velie quelque temps au fond du large
i'Ammon et la grande Leptis. D'autres golfe dont son commerce avait animé
caravanes, parties de l'Egypte , s'arrê- les bords. Mais bientôt de ses débris sort
taient aussi dans cette oasis d'Ammon, une autre Carthage , une Carthage ro-
jui, devenue l'oasis de Sioua, est encore maine, colonie riche et active, qui fournit
aujourd'hui l'un des grands carrefours à la fois aux besoins et aux plaisirs de la
le la circulation africaine. De là elles métropole. Avec ses blés elle envoie en
cassaient à l'oasis d'Audjile (Audjela), Italie des bêtes sauvages destinées aux
,

descendaient chez les Atarantes et les représentations du cirque. Elle y porte


Atlantes , qui leur achetaient du sel et aussi l'i*oire , l'or, les bois précieux ve-
Iles battes , et passaient ensuite dans les nus du centre de l'Afrique.
iteppes des Lotophages tribus nomades , Les expéditions lointaines entreprises
loumises aux Carthaginois, rapportant par des généraux romains ouvrent des
le ces pérégrinations lointaines des débouchés et donnent un aliment nou-
chargements d'esclaves , de pierre fine, veau à l'activité croissante de cette ru-
j'ivoire et de poudre d'or. che. Cornélius Balbus s'avance jusqu'à
! Le commerce maritime rivalisait Garama , aujourd'hui Djerma, dans la
l'importance avec le commerce conti- Phazanie, qui est le Fezzan actuel. Sue-
îental , comme le prouvent les sacrifices tonius Paulinus pénètre jusqu'au fleuve
jue la république marchande s'imposait Ger, l'Ouad-Guir du Tafilelt; Julius Ma-
)our l'agrandir. ternus part de Leptis, arrive à Garama,
Cinq cents ans avant l'ère chrétienne, et de là s'avance vers le midi jusqu'à la
leux expéditions partent de Carthage : contrée d'Agysimba et au pays des Rhi-
a première, commandée par Himilcon, nocéros. Enfin Septimius Flaccus s'en-
mentionnée parlepoëte Festus Avie-
ist fonce dans l'Ethiopie à trois mois de
en a conservé le témoignage. Elle
îus, qui marche de Garama. Ces expéditions har-
'en allait acheter de l'étain dans les îles dies rapportent sur le littoral un grand
>strymnides , voisines d'Albion et peu nombre de pierres précieuses.
142 L'UNIVERS.
Nous voici au commencement du cin- oharger sans doute de le nourrir et de
quième siècle de l'ère chrétienne , de ce l'amuser.
siècle qui s'ouvrit par le sac de Rome. Bélisaire a reconquis l'Afrique ; l'Em-
Miné au dedans par l'exaction et l'anar- pire d'Orient est rentré en possession
chie , sapé au dehors par les barbares ,
1

d'une partie des dépouilles de l'Empire


l'empire Romain s'écroule de tous côtés. d'Occident. Que devient le commerce def
En 429 les Vandales paraissent en Afri- l'Afrique dans cette nouvelle phase? les
que; ils arrivent des régions hyperbo- traditions manquent pour le dire , et 1

réennes, vêtus de la casaque de buffle, l'on en est réduit aux conjectures pour
armés de la longue épée et de la forte rétablir le fruste de l'histoire.
lance, traînant avec eux, sur de grossiers Aux Grecs du Bas-Empire succèdent
et massifs chariots, richesse et famille. les Arabes ; avec eux une civilisation

Un siècle se passe; l'histoire se taît nouvelle reparaît. Ce sont les géogra-


sur les événements qui le remplissent; phes mahométans qui font connaître à
un seul livre nous en est parvenu. Mais l'Europe les profondeurs mystérieuses
l'auteur, qui appartenait à l'Église d'A- de l'Afrique. Ce sont eux qui lui révè-
frique , ne nous montre les rois van- lent l'existence de ce Nil du Désert ap-
dales que comme des persécuteurs fa- pelé depuis le Niger et de l'or enfoui
rouches. dans le sable de ses rives. Mais là s'ar-
bien cependant qu'ils fussent
Il fallait rêtent leurs connaissances , qui vont se
autre chose que cela. En effet , quelle perdre dans le vague des Iles Éternelles,
étrange révolution s'est opérée dans les et de la Mer Ténébreuse.
mœurs de ces peuples durant l'espace Quant au commerce de l'Afrique du-:

d'un siècle! Les caractères de la civili- rant les premiers siècles de l'islamisme,'
sation, le luxe, la richesse, l'amour du aucun document explicite ne permet'
bien-être ont remplacé chez ces colons d'en apprécier nature et l'étendue. Il
la

conquérants l'austère simplicité des en- dut s'établir un grand mouvement de


fants du Nord. Quelle fut donc la cause circulation et d'échange d'une extré T
de cette transformation remarquable ? mité à l'autre de l'Empire arabe, depuis
Malheureusement, aucun témoignage l'Espagne jusqu'aux Indes. Mais il n§
explicite ne le fait connaître. Mais en paraît pas que l'Europe qui traversait
,

rapprochant des indications éparses , on alors une des phases les plus orageuses
est conduit à la chercher encore dans de sa croissance , y ait prit une part di-

les relations d'échange établies par les recte et active. Toutefois , elle se forme
Vandales avec les rivages de la Méditer- à l'école des géographes arabes ; elle ap-
ranée et les contrées intérieures de l'A- prend d'eux les richesses que l'Afrique
frique. Si le paysan vandale était devenu renferme dans son sein; elle recueille
en un siècle sybarite raffiné c'est qu'il
, enfin les enseignements d'une civilisa-;;
ne craignait pas d'aller chercher l'ambre tion qui la devance, mais qu'elle doit dés
jusqu'aux confins desa patrie originelle, passer un jour.
la Germanie; c'est qu'il faisait venir à Jusque vers le milieu du onzième
travers l'Egypte les parfums de l'Inde, siècle elle avait opposé aux envahisse-

et à travers les déserts de la Libye les ments- de l'islamisme une attitude inerte
esclaves, la poudre d'or, et les pierres et défensive ; elle entre alors dans la

fines du Soudan. voie des agressions.


Le luxe , en créant à ces peuples des Roger, de Tancrède de Hau-
petit-fils

besoins nouveaux , leur avait aussi créé teville,est le premier souverain chrétien I

de nouvelles ressources. Ils étaient de- qui aborde en conquérant l'Afrique


venus habiles dans le travail des armes, septentrionale, désignée alors, par rap-
dans la fabrication des tapis, dans l'art port aux autres possessions musulmanes, j

de teindre les étoffes. sous le de Maghreb (couchant).


nom
II a pour hôte et ami un savant géogra-
Quant aux bêtes sauvages envoyées ja-
dis d'Afrique en Italie pour les jeux de phe arabe, qui était en outre un des plus !

l'amphithéâtre, il n'en est pas question. grands seigneurs de l'Afrique, le chérif


Le peuple romain avait bien d'autres sou- Édrici. A ia voix de ce prince des expé-
cis ; et les Vandales n'entendaient pas se ditions partent des ports de la Sicile, et
,,

ALGÉRIE. 143'

ont fonder, les armes à la main, quel- et l'Occident. Deux incidents amenèrent
ues établissements sur la côte orientale la suspension des hostilités. En 1167,
e la régence actuelle de Tunis. Bien- quelques navires pisans furent jetés par
3t des rapports de commerce s'établis- la tempête sur les côtes barbaresques
3nt entre le continent musulman et l'île et les naufragés retenus captifs. A la
iirétienne, qui lui achète ses cuirs, son nouvelle de ce sinistre, le consul de la
roire, ses laines, ses plumes d'autru- république de Pise, Cocco Griffi, se
lie son corail et sa poudre d'or.
, rendit lui-même en Afrique, sous pré-
Le successeur de Roger ne conserve texte d'obtenir la liberté de ses compa-
as, il est vrai, lesconquêtes de ce prince ; triotes, mais en réalité pour y nouer
lais il fait la paix avec les souverains des relations. Il visita d'abord Bougie
msulmans; et les relations entre i'A- qui était à cette époque la véritable ca-
•ique et l'Europe survivent à la guerre pitale de l'Algérie; de là il passa dans
ni les a créées. Bientôt elles s'étendent le Maroc. Non-seulement obtint sans il

t se régularisent. peine la restitution des


prisonniers,
Une grande révolution venait de s'ac- mais il conclut un traité avec l'émir
)mplir en Afrique. Après avoir subi la Almohade loucef, et à son retour en
Dtnination étrangère sous toutes ses Europe il appela le commerce de Pise
irmes, cette contrée avait recouvré sur la côte d'Afrique.
>n indépendance. Des princes ralliés à Cependant la guerre continuait entre
foi musulmane, mais africains d'ori- la Sicile princes du Maghreb.
et les
ne, avaient remplacé les suffètes car- Quelques années après le voyage de
oginois les proconsuls romains les
, , Griffi, en 1180, une princesse musul-
»is vandales les comtes de l'Empire
, mane, la fille de l'émir loucef, fut
•ec, les khalifes du Caire et de Bag- prise en mer par les Siciliens et
conduite
id. En un mot, le peuple berbère à Palerme; là traitée avec tous les égards
était substitué au peuple arabe dans dus à son sexe et à son rang, elle devint
gouvernement de tout le Maghreb. le gage de la réconciliation des deux
C'est durant cette période longue de , peuples. La paix fut signée; et les Sici-
k siècles, que l'Afrique septentrionale, liens commencèrent à établir des comp-
j
particulièrement la contrée qui forme toirs dans les villes maritimes de la dé-
Ugérie actuelle, rendue à elle-même, pendance de Tunis.
ï connaître , dans ses rapports avec Le mouvement d'immigration qui sui-
Europe le caractère et le génie de ces
, vit cette double alliance paraît avoir été
iuples. très-rapide. Avant la fin du douzième
siècle un grand nombre de Pisans s'étaient
\>mmerce de V Algérie sous les dynas- déjà établis à Bougie; ils n'y reconnais-
ties berbères.
saient d'autre juridiction que celle de
[Cette partie de l'histoire commerciale leur consul. Ils y avaient construit des
!nos possessions contient , pour leur maisons des magasins des bains, une
, ,

jenir, pour le progrès de la civilisa- église et une bourse. Ces deux derniers
|>n, un grave et utile enseignement, établissements témoignent de la sécurité
le montre ce que fut la race berbère dont ils jouissaient. Une lettre, adressée
^ant que le despotisme des trois der- le 18 mai 1182 à l'émir de Bougie par la
jèrs siècles l'eût aigrie et falsifiée ; elle république de Pise, et conservée dans les
représente dans la liberté de ses allu- archives de Florence, ne laisse aucun
s, dans la naïveté de ses instincts. Or, doute sur la confiance et la bonne har-
race berbère, c'est encore aujourd'hui monie qui régnaient habituellement
lément numérique le plus important dans les relations des deux États.
I la population de l'Algérie; c'est le Pendant longtemps ces relations ne
élément organique et vivace.
ul reposèrent que sur de simples traités
La
perte des conquêtes de Roger en d'alliance, et ne cherchèrent point de ga-
/rique et l'avènement des Berbères à ranties ailleurs que dans la loyauté des
! souveraineté du Maghreb furent sui- transactions et la réciprocité des inté-
d'un armistice général conclu vers rêts. Ce ne fut qu'au bout d'un demi-
|
Ifîn du douzième siècle entre
l'Orient siècle que la multiplicité toujours crois-
144 L'UNIVERS.
santé des rapports d'échange fit sentir manufactures les laines d'Afrique, regar
l'utilité de par des actes les-droits
fixer dées comme supérieures à celles d'Eu
et les devoirs de chacun. rope. Aussi, s'était-elle ménagé des ap
Un premier traité de commerce, con- provisionnements réguliers dans lei
clu en 1230, entre la république de Pise villes de Bône, de Bougie et de Tunis
et le royaume de Tunis (1), devint la base Elle achetait en outre dans les. port:
du drojt public entre l'Afrique septen- d'Afrique de l'alun, de l'huile à savon
trionale et les États maritimes de l'Italie. des plumes d'autruche, des pelleteries
Il assurait aux marchands italiens des maroquins, des cuirs communs, di
une entière protection pour leurs biens la cire et des fruits secs. Elle livrait ei

personnes, la faculté de circuler


et leurs échange des navires, des bateaux, de;
librement dans l'intérieur des terres et , agrès de l'or ou de l'argent monnoyéi
,

d'établir des fondouks ou caravansérails, ou en lingots , des vins des liqueurs,

des bains , des cimetières et des églises des draps des étoffes de soie, destoilei
,

dans toutes les villes des royaumes de de Rouen et de Reims, des objets di
Tunis et de Bougie. quincaillerie et de mercerie enfin dei ,

Les Pisans avaient en outre réservé à drogues .du Levant.


leur consul le droit d'être admis en pré- Gênes conclut son traité en 1236
sence des souverains au moins une fois En 1251 Venise obtenait le sien. Dan;
par mois. cet acte une disposition spéciale, digm
Une clause qui témoigne du respect d'intérêt , accordait aux Vénitiens la li
des princes africains pour la liberté des bre exportation du plomb de toutes le)
échanges est celle qui autorise les né- villes du royaume. Il est d'ailleurs cons
gociants chrétiens à vendre des vais- tant que les Italiens en tiraient un*
seaux et des agrès même aux ennemis grande quantité d'Oran et des ports m
de ces princes, moyennant un droit de Maroc : ainsi, l'Afrique devait posséder i

10 pour 100 sur le prix de vente. cette époque beaucoup d'établissement*


Les négociants ne pouvaient être ren- affectés au traitement du minerai di
dus ni solidairement ni individuelle- plomb. Il est impossible qu'elle n'ei;
ment responsables des torts de leurs recèle pas des gisements considérables
nationaux. Les chartes africaines du et, cependant, bien que fabriqué encore

treizième siècle consacraient donc déj à le dans quelques tribus , le plomb n'entrai
principe de l'inviolabilité des neutres, plus pour rien dans les exportations d*
l'une des plus belles conquêtes de notre l'Algérie., La découverte de ces riches<
droit public moderne. Nous rappelle- ses métallurgiques est un bienfait quf
rons plus tard combien de fois les sti- l'avenir réserve à l'industrie française.
pulations de ce genre furent violées par Vers 1252 quelques florins d'or ré
la mauvaise foi des pachas turcs dans , cemment frappés au coin de la républi-
la personne même des consuls. L'his- que de Florence tombèrent sous le/
toire ne reproche aux émirs berbères yeux du roi de Tunis ce prince en té-
;

aucune infraction semblable. moigna son admiration, et voulut con-


Gènes ne tarda pas à réclamer les naître un peuple qui produisait d'aussi
privilèges commerciaux stipulés en fa- belles espèces.Il appela un marchand

veur des négociants pisans. Cette ré- florentin nommé Péra Balducci, l'in-
publique faisait alors un immense com- terrogea sur les ressources de ses com-
merce de tissus, et recherchait pour ses patriotes; et c'est à la suite de cet en-
tretien qu'il leur accorda des privilèges
(i)Le royaume de Tunis comprenait alors,
commerciaux, notamment le droit d'a-
outre la régence de ce nom, les pays de la Calle,
voir une église et un fondouk à Tunis.
Bône, Kollo, Djidjeli, Bougie, et se prolon-
Dès lors les Florentins purent commer-
geait jusqu'au delà d'Alger et de Cherchell.
cer librement dans tous ses États, mal-!
Elle embrassait donc la plus grande partie de
gré la jalousie des Pisans, qui jusque-là
r Algérie actuelle. L'enclave la plus importante
de ce vaste empire était désignée spécialement les avaient fait passer pour un peuple
par le nom de royaume de Bougie. Elle com- de montagnards et de portefaix.
prenait environ les trois quarts de nos pos- C'est ainsi que dans l'espace de vingt-
6essions actuelles. deux ans, de 1230 à 1252, les républi-
ALGÉRIE. 145
ques italiennes
conclurent successive- africains sous l'empire des traités du
ment des traités de commerce avec les moyen âge.
princes berbères du Maghreb. - L'histoire ne mentionne aucune in-
Arrive l'année 1270; saint Louis s'em- • fraction au traité de 1270.
Au contraire,
barque une seconde fois pour la Pales- une pièce conservée dans les
archives
tine quittant son royaume qu'il ne doit
, , de Marseille constate à là date du mois
,

plus revoir : il va mettre le siège de- de juin 1293, les bons offices rendus aux
vant Tunis; mais il tombe malade sous négociants de cette ville par le chef de
les murs de cette ville, et succombe le la marine musulmane à Bougie.
25 août. 11 semblait que cette guerre dût Voici un fait arrivé peu de temps
rompre les liens commerciaux formés après la conclusion du traité avec la
entre les deux rivages de la Méditer- France, et qui peut donner une idée de
ranée au contraire, elle les resserra.
:
l'importance des valeurs engagées à cette
Presque aussitôt après la mort du saint époque dans le [commerce de l'Europe
roi Philippe le Hardi entra en négo-
, avec l'Afrique, en même temps qu'il ca-
ciation avec l'émir de Tunis. Un traité ractérise la nature de leurs relations.
fut conclu, traité empreint encore de Vers 1286 quelques navires génois ayant
l'esprit de tolérance dont la convention été maltraités dans le port de Tunis,
[de 1230 avait inauguré le régime. Que- l'émir fit immédiatement estimer le
lques dispositions de cet acte diploma- dommage et indemniser les négociants
tique feront juger la nature des rapports qui avaient souffert. Le montant des
qui durent s'établir entre la France et réclamations s'éleva à la somme de
l'Algérie de ces temps-là. 63,616 besants, environ 600,000 francs
Par le traité de 1270 le roi très- de notre monnaie, qui
furent répartis
Arétien et l'émir des croyants s'impo- entre neuf maisons.
sèrent l'obligation réciproque de faire La bienveillance qui rapprochait alors
Recueillir les objets provenant de nau- les deux rives de la Méditerranée s'é-
frages et de les restituer à leurs
pro- tendait à d'autres intérêts que ceux du
priétaires. A l'époque où fut pris cet en- négoce. Vers la fin du treizième siècle
gagement, le droit d'épave s'exerçait de quelques seigneurs
européens occu-
chrétiens à chrétiens dans toute "sa ri- paient de hauts emplois dans le gouver-
gueur. nement de l'Afrique. Ils négociaient des
Une autre clause interdit la course traités percevaient des impôts au
(

Iles chrétiens sur les navires musulmans,


, nom
des princes barbaresques. Les armées
[ans stipuler l'obligation réciproque ce
; des rois de Tunis, de Bougie, de Tlem-
pii semblerait annoncer que l'initiative
cen, de Maroc, comptaient dans leurs
lu brigandage maritime n'appartient pas rangs des hommes d'armes et des che-
ux pirates barbaresques. valiers chrétiens. Le roi de Tunis en-
Enfin le traité de 1 270 contient encore tretenait à sa solde
un corps de
me disposition qui mérite d'être rap- cents hommes d'armes toscans huit , , espa-
portée textuellement « Les moines et
: gnols ou allemands. Un bref de Nico-
:
les prêtres chrétiens seront libres de las IV, qui existe dans les archives du Va-
demeurer dans les États de l'émir des tican, mentionne comme
un fait habituel
;
croyants, qui leur donnera un lieu où la présence des hommes d'armes et des
ils pourront bâtir des monastères
et seigneurs au service des souverains
des églises et enterrer leurs morts d'Afrique. Par une lettre datée du 5 des
;
lesdits moines et prêtres prêcheront ides de février 1290 le pape les engage
!
publiquement dans leurs églises et à conserver la fidélité
qu'ils doivent à
serviront Dieu suivant les rites de leur leurs maîtres, sans oublier cependant
religion ainsi qu'ils ont coutume de qu'ils sont chrétiens.
faire dans leur pays. »
De leur côté, les émirs d'Afrique, frap-
Il existe en Algérie plusieurs
localités pés de l'immense autorité du saint-siége,
ue les indigènes appellent Djebbanet-
avaient voulu s'assurer son amitié pen-
>Nçara (cimetière des chrétiens); ce dant les croisades et voilà ces
; princes
)nt peut-être d'anciennes concessions
niahométans qui permettent dans leurs
e terre faites par les
gouvernements Etats la construction des églises et
10 e Livraison. (Algérie.)
10
146 L'UNIVERS.
l'exercice public du culte , qui autori- dans les stipulations qui assuraient
sent l'établissement de couvents et d'or- liberté et protection aux Africains en
dres monastiques qui consacrent enfin,
,
voyage ou en résidence dans les États
au treizième siècle, le principe de la li- d'Europe, les émirs avaient compris
berté religieuse, lune des conquêtes les non-seulement leurs propres sujets,
plus laborieuses du droit moderne. Ces mais encore des chrétiens , leurs amis j

faits sont constatés par des bulles pon- ou leurs protégés. Ainsi au moyen âgé j

tificales, qui accordent divers privilèges le pavillon barbaresque couvrait des

aux religieux fixés dans les royaumes de chrétiens de sa protection jusque sur la
Tunis , Bougie , Tlemcen et Maroc. terre chrétienne.
Rien ne prouve mieux là sécurité dont Il n'était pas rare de voir la confiance

les étrangers jouissaient en Afrique, réciproque se traduire par des actes d'as-
sous le gouvernement berbère, que le sociation. Tantôt les négociants afri-
nombre des chrétiens qui s'y étaient éta- cains s'intéressaient dans les cargaisons
blis. Voici un document qui peut en européennes, tantôt ils venaient eux-
donner une idée. Au commencement du mêmes en Europe se livrer à des opéra-
quatorzième siècle les droits sur le vin tions de négoce, en participation avec
seul produisaient à Tunis un revenu as- des marchands chrétiens. Beaucoup de
sez considérable pour que le roi en navigateurs italiens faisaient le com-
affermât la perception au prix annuel merce de cabotage depuis Alexandrie
de 34,000 besants, environ 340,000 fr. jusqu'à Ceuta, sous la commandite mu-
de notre monnaie. Les droits néces- , sulmane.
sairement supérieurs à cette somme, En même temps les marchands chré«
étaient au maximum de 10 pour 100. Il tiens établis en Afrique prenaient part
entrait donc annuellement àTunis pour au commerce intérieur. Ils parcouraient
3,400,000 francs de vins, destinés ex- le pays dans tous les sens ou le faisaient
clusivement à la consommation euro- parcourir par leurs courriers. Ils avaient
péenne. En tenant compte de l'énorme obtenu la faculté de se joindre aux gran^
dépréciation que le numéraire a subie de- des caravanes qui traversent l'Afrique, et
puis cette époque, on peut regarder cette jouissaient même sur les terres qu'"
valeur comme équivalente au moins aux traversaient d'un droit de pâturage pour)
7,400,000 francs de vins que l'Algérie leurs animaux de transport. Investis de!
reçoit en ce moment pour la consomma- ce privilège, ils purent s'avancer jus^'
tion des deux cent mille Européens, mi- que dans les profondeurs de l'Afrique
litaires ou civils, qui l'habitent. Ainsi la centrale, et obtenir à la source delà pro:
contrée que desservait le seul port de duction nigritienne les denrées que 1 Euf|
Tunis pouvait renfermer une population rope leur demandait.
chrétienne de deux cent mille âmes. Il Vers la fin du quatorzième siècle des;
en était de même sans doute à Bougie, pirates de tous pays commencèrent f
à Oran, à Ceuta et dans les autres infester la Méditerranée. Afin de protégei
ports du Maghreb, aussi accessibles que contre ce fléau des intérêts devenus
celui de Tunis. On peut donc évaluer à communs, on vit alors les républiques
un million le nombre des chrétiens éta- italiennes, de concert avec les princes
blis au moyen âge dans l'empire berbère. d'Afrique, organiser des croisières mixtes
Les Sarrasins jouissaient en Europe où le pavillon musulman s'unissait au
de tous les privilèges garantis en Afri- pavillon chrétien pour la sécurité des
que aux négociants chrétiens. Chaque mers.
année des navigateurs musulmans par- La protection accordée aux négo-
taient de Tunis, de Bougie et d'Oran, ciants chrétiens dans toute l'étendue de
versaient les productions de l'Afrique l'empire berbère, avait déterminé un
dans les ports de France, d'Espagne et grand nombre d'entre eux, pour se rap-
d'Italie, etemportaient en échange des procher des points de départ et d'arri-
toiles de Reims, des futaines, des vée des caravanes nigritiennes , à trans-
draps, de la quincaillerie et une foule porter dans l'intérieur leurs pénates,
d'autres articles de fabrique européenne. leurs fondouks, leurs comptoirs et leurs
Ce qui est digne de remarque, c'est que églises. Sous la dynastie des Beni-Zeian
ALGÉR1E. 147
une colonie chrétienne, composée prin- vent de pays très-éloignés pour les ache-
cipalement de Catalans et d'Aragonais, ter. Ce ne fut qu'au seizième siècle que
avaitobtenulafacuîtédes'établiraTlem- le privilège de la pêche du corail échut
cen.Elle comptaitaussi dans son sein plu- à la France; mais la Compagnie fran-
sieurs familles françaises et italiennes; çaise, sans cesse inquiétée, ne donna pas
possédait des maisons , des maga-
elle à cette industrie tout le développe-
des bains, des églises, et contribuait
sins, ment qu'elle avait pris au treizième
au riche commerce que Tlemcen entre- siècle entre les mains de la Toscane.
tenait alors par Oran et Mers-el-Kébir Encore un mot sur cette époque in-
avec tous les ports de la Méditerranée. téressante, où la France trouve pour
Dans le mouvement d'échange qui rap- l'œuvre de civilisation qu'elle accomplit
prochait au moyen âge l'Europe et l'A- en Algérie de si précieux encourage-
jfrique, chaque peuple s'était attribué ments.
?une part spéciale. Pise demandait sur- Dans toutes les villes du Maghreb les
tout aux États berbères des cuirs bruts marchandises étaient passibles , à l'en-
pour ses tanneries et teintureries des trée et à la sortie, d'un droit de douane
rives de l'Arno , Gênes des laines pour cjui variait depuis la franchise entière
ses filatures , Venise des métaux. jusqu'à 10 pour 100.
:
Bougie, placée au milieu des côtes de Les métaux précieux furent toujours
l'Algérie et à l'entrée du massif berbère admis avec des droits faibles , quelque-
e plus compact, demeure dans tout le fois en franchise, surtout à Bougie et à
;ours de cette période l'une des cités les Tunis, où ils étaient transformés en nu-
)lus florissantes de l'Afrique. Elle éten- méraire car Bougie si déchue de nos
; ,

lait ses relations à tous les ports de la jours, avait alors son hôtel des monnaies.
Méditerranée; elle correspondait non- Habituellement les blés devaient une
leulement avec l'Italie, la France et taxe d'exportation cependant, s'il était
:

'Espagne, mais aussi avec PAsieïMi- constant que la disette régnait en Ita-
ieure, la Morée, la Turquie, l'île de lie, ils sortaient en franchise. Mais en
Chypre , la Syrie et l'Egypte. Elle ex- revanche, si la disette se faisait sentir en
portait des cotons bruts du lin, de la
, Afrique, l'exportation était suspendue.
ioie , des laines , des cuirs de la cire
, Enfin, le commerce européen avait ob-
tdu miel, des métaux, des caroubes, tenu des souverains berbères ce que la
|es noix, du blé, des épices et des civilisation moderne place ajuste titre
forces à tan. Ce dernier article s'ex- au rang de ses bienfaits. En vertu d'un
>ortait en si grande quantité, qu'il était privilège réservé aux Pisans , les mar-
|:onnu dans toute la Méditerranée sous chandises n'étaient tenues d'acquitter
le nom fîiscorza di buggiea.
les droits de douane qu'au moment de
1
Ajoutons encore un produit dont le leur entrée en consommation. C'est le
10m dispense de tout commentaire, la principe de l'institution des entrepôts,
ïpugie, et un autre qui devait jouer un dont Colbert devait doter la France qua-
|iigrand rôle dans la politique des siè- tre siècles après.
ges suivants, le corail. Nous sommes parvenus à la fin du
\
C'est encore aux Pisans que revient quinzième siècle. Deux événements im-
,our le dernier article l'honneur de Pi- menses s'accomplissent Colomb décou-
:

litiative. Profitant de la sécurité dont vre un monde nouveau; Vasco de Gama


es entreprises européennes jouissaient trouve une route nouvelle pour aller aux
in Afrique , ils avaient formé dans Indes.
de Tabarka un établissement par
île
Vers la même époque un Maure de
i pêche du corail, qu'ils
exploitaient Grenade, nommé Hacen,qui devint plus
ioncurremment avec les indigènes et tard Léon l'Africain, parcourait les pro-
n rivalité des Catalans. Cinquante bar- fondeurs de l'Afrique et faisait connaître
ues, montées par mille hommes d'é-
à l'Europe les richesses que le commerce
;uipage, couvraient annuellement le de vingt siècles y avait créées.
anc renommé voisin de notre fron- Mais cette prospérité touchait à son
tière de l'est. Les produits
de la pêche terme. Désormais le commerce du monde
p vendaient à des négociants venus sou- avait changé de route ; l'abandon de In

10.
148 L'UNIVERS.
Méditerranée entraînait l'abandon du obtinrent une réduction considérable sur !

continent africain. Le mouvement des les droits d'entrée. Ils ne payèrent plus
flottes n'était plus là pour entretenir ce- que 5 pour 100. Quelques années après, |

lui des caravanes. en 1718, les Français obligèrent la ré- I


Par une coïncidence désastreuse, l'ex- gence de leur accordera même remise.
pulsion des Maures d'Espagne, signal La compagnie du Bastion de France I
d'une nouvelle réaction chrétienne, inau- avait le privilège d'introduire annuelle-
gurait une ère de violence etd'agression. ment en franchise deux navires d'un
A la faveur des désordres occasionnés tonnage déterminé.
en Afrique par les boutades des rois très- Il est triste de dire que pendant trois
catholiques, Barberousse s'empare de la siècles le commerce d'Alger avec l'Eu- |

côte et y installe la domination des re- rope consista presque exclusivement dans
négats et des corsaires. la vente des prises maritimes et le bro-
Dès lors adieu le fruit et même le sou- cantage des esclaves chrétiens. Comme
venir des bonnes relations établies au chrétien et comme Français, nous nous
moyen âge; la Méditerranée n'est plus faisons un devoir de rappeler les princi-
qu'un vaste coupe-gorge exploité à la pales circonstances de ce trafic impie,
fois par des forbans barbaresques et des que l'Europe puissante et civilisée a sup-
chevaliers chrétiens. porté si longtemps, et qu'elle supporte-
rait peut-être encore si la France ne
Commerce de V Algérie sous la domi- l'en eût affranchie. Qui sait si, dansl'ou-'
nation turque. bli de ces vieilles injures , on ne vien-
Sous la domination turque le brigan- drait pas quelque jour lui reprocher la
dage des mers, érigé en industrie nor- conquête de l'Algérie comme une at-l
male , changea le cours et le caractère teinte à l'équilibre européen 1 !

des relations de la côte d'Afrique avec Le champ de l'industriebarbaresque


l'Europe. Tout contribua dès lors à éloi- s'étendait, sur l'Océan, depuis le cap Fi-<
gner la spéculation loyale et à réduire nistère jusqu'aux Açores; elle poussa'
l'importation régulière; les dangers et même ses croisières jusqu'à Terre-Neuve, !

la concurrence de la piraterie , l'exagé- et enleva des navires dans le Texel et sur


ration des droits, l'incertitude des paye- les côtes de Hollande. Dans la Méditer- 1

ments, la presque certitude des exac- ranée elle exploitait tout le bassin occi-
tions et des avanies. Comment d'ailleurs dental et l'Adriatique.
le consommateur aurait-il demandé au Le bâtiment qui s'éloignait pour la
négociant ce que le corsaire lui fournis- course portait à l'arrière un magnifique
sait à meilleur marché? étendard. Mais à peine avait-il perdu de I

Cependant, quelques armateurs intré- vue Alger, qu'il amenait et hissait' à


pides affrontèrent ces dangers et ces la place le pavillon de quelque puissance
obstacles ils versaient sur la côte d'A-
; chrétienne.
frique des cotonnades, des merceries, Lorsqu'un corsaire arrivait à bonne
des armes et des munitions de guerre. portée du navire chrétien en chasse , il
Us exportaient des blés, des cires, de tirait un coup de canon. C'était le si-
l'huile et du corail. Quelquefois , trop gnal de bonne prise. Un second coup
souvent peut-être, ils revenaient en Eu- annonçait la capture, et aussitôt les pi-
rope chargés de la dépouille des bâti- rates sautaient à bord et se répandaient
ments chrétiens capturés par les cor- sur le pont.
saires. De ce premier examen dépendait' le
Les navires musulmans payaient dans sort du navire capturé. Le jugeait-on
le port d'Alger 20 piastres d'ancrage, de nulle valeur, on faisait passer les
les navires chrétiens 40 si leur pavillon chrétiens à bord du corsaire ; on enle-
était en paix avec la régence, et 80 s'il vait tout ce qui pouvait être enlevé, et on
était en guerre. le brûlait. S'il valait la peine d'être con-
Toutes les marchandises acquittaient servé , le réis , après avoir fait mon-
un droit de 12 - pour 100 à l'entrée et ter les chrétiens à son bord, l'envoyait à
de 2 pour 100 à la sortie. Au commen- Alger, sous la conduite de quelques-uns
cementdu dix-huitième siècleles Anglais de ses hommes.
, ,

ALGÉRIE. 149

La prise était-elle de nature à lui faire Lorsque le dey avait prélevé son hui-
honneur , il la remorquait lui-même, et tième parmi les esclaves les autres ,

mettait aussitôt le cap sur Alger. Arrivé étaient conduits au batistan c'était le :

en vue de la ville, il annonçait le suc- marché aux chrétiens. Là des courtiers


cès de sa croisière par des coups de ca- les promenaient l'un après l'autre en

non tirés sans interruption jusqu'à son annonçant à haute voix la qualité , la
entrée dans le port. Si la capture lui pa- profession et la dernière enchère. Lors-
raissait d'une grande importance, il con- qu'il ne se présentait plus d'enchéris-
tinuait ses salves jusqu'à la nuit. seur, le courtier inscrivait sur son livre
Dès que le canon de bonne prise se le prix du plus offrant.
entendre, les habitants d'Alger
faisait « Le douzième de septembre, dit

montaient sur leurs terrasses,; ils con- « Emmanuel d'Aranda (1), on nous
naissaient alors la nation sur laquelle le « mena au marché où l'on a accoutumé
sort de la course était tombé ; car le « de vendre les chrétiens. Un vieillard
corsaire avait toujours soin de hisser le « fort caduc avec un bâton à la main
,

pavillon de la prise au sommet [de son « me prit par le bras et me mena à diver-
grand mât. « ses fois autour de ce marché. Ceux qui
Il arrivait quelquefois que le corsaire, « avaient envie de m'acheter deman-
dans l'ivresse du succès, commençait « daient de quel pays j'étais, mon nom
dès l'instant de la capture à faire re- « et ma profession. Sur lesquelles de-
canon dans
tentir ses coups de la solitude « mandes je répondais avec des men- ,

des mers mais malheur à lui


;
bruit si le « songes étudiés, que j'étais natif du pays
de ses salves triomphales parvenait à « de Dunkerque et soldat de profession.
quelque navire de guerre , car à son tour « Ils me touchaient les mains pour voir ,

il recevait la chasse et rendait gorge. « si elles étaient dures et pleines de cals

Dès que le corsaire entrait en rade « à force de travailler ; outre cela ils me
le réis de la marine se rendait à bord ; « faisaient ouvrir la bouche pour voir
il prenait connaissance des esclaves et « mes dents, si elles étaient capables de
des marchandises saisies , et en rendait « ronger le biscuit sur les galères.
compte au dey. « Après cela, ils nous firent tous asseoir,
A peine amarré dans le port , le cor- « et le vieillard inventeur prenait le
saire faisait conduire tous les esclaves « premier de la bande par le bras,
au palais du dey : examinait
celui-ci les « marchant avec lui trois ou quatre fois
avec attention et en choisissait un sur « à Fentour du marché, et criant Ar- :

huit : c'était sa part. Les esclaves qu'il « rachel Arrache ! Ce qui veut dire :

avait choisis étaient aussitôt conduits « Qui offre le plus? Le premier étant
au bagne. Le reste se partageait entre « vendu, on le mettait de l'autre côté
les propriétaires du navire et l'équi- « du marché, et l'on commençait un
page. « nouveau rang. »
Le dey avait aussi droit au huitième A cette vente en succédait une autre,
de la cargaison. Le partage s'effectuait qui avait lieu dans le palais du dey.
par les soins du contrôleur des prises L'offre la plus élevée de la première
et de l'écrivain du bord le premier sti-
, devenait la mise à prix de la seconde.
pulant pour le dey, le second pour l'é- L'esclave, promené de nouveau devant
quipage capteur. Ils dressaient ensemble les chalands, était adjugé au dernier en-
un état du chargement avant de le faire chérisseur. Le prix de la première vente
entrer dans les magasins. appartenait au propriétaire et à l'équi-
Les agrès du grand mât revenaient page du navire ; l'excédant résultant de
aux gardiens du port c'était le droit de
: la seconde entrait encore dans le trésor
caraporta; les agrès du mât de mi-
saine passaient sur le navire capteur.
(i) Emmanuel d'Aranda se rendait d'Es-
La vente du bâtiment réduit à son pagne, où il avait passé sa jeunesse, à Bruges,
squelette avait lieu aux enchères publi- sa patrie, lorsqu'il fut pris par un corsaire
ques dans le palais du dey. Le produit d'Alger, où il demeura esclave pendant deux
se partageait dans la même proportion ans. A son retour en Flandre, il composa la
que les esclaves et les marchandises, relation de sa captivité j Paris, i665.
,

150 L'UNIVERS.
du dey. On comprend que les chalands gnait une habitation aux pieux négo-
montraient peu d'empressement à l'en- ciateurs.
chère fictive, et réservaient leurs offres Mais une nouvelle avanie les attendait.
sérieuses pour l'enchère réelle. Ces Le dey exigeait qu'ils rachetassent avant
achats se faisaient au comptant. tout quelques-uns de ses esclaves lui- :

L'acheteur, une fois en possession même en fixait le nombre et le prix, et


de son emplette, en tirait le parti qui lui les religieux devaient se soumettre à sa
semblait le plus avantageux , ne s'inté- volonté, alors même que ces esclaves
ressant à sa conservation que dans la n'appartenaient ni à leur nation ni à
proportion du capital engagé. —
Quelle leur religion.
place l'intérêt matériel du propriétaire Enfin, il leur était permis de procéder
ne laissait-il pas aux abus, aux violences librement au rachat des captifs.
aux profanations! Dès le jour de leur débarquement,
Le rachat des captifs s'effectuait, soit les pères de la Merci se voyaient assié-
par les soins d'un négociateur spécial gés de sollicitations ce n'étaient pas seu-
;

commis par le gouvernement dont ils lement les captifs qui venaient implorer
étaient sujets , soit par l'entremise d'un leur charité, c'étaient les Turcs et les
délégué de leurs familles , soit enfin par Maures eux-mêmes, qui cherchaient à
la médiation des religieux de la Merci. les attendrir en faveur de leurs propres
Dans tous les cas , il fallait ajouter au esclaves.
prix de la rançon ce que l'argot des Les religieux commençaient par les
corsaires appelait les portes. C'était d'a- captifs de leur nation ;n'appliquaient
ils
bord un droit de 10 pour 100 pour la au rachat d'autres chrétiens que l'excé-
douane; c'était ensuite le caftan de dant de leurs ressources ; mais ils se fai-
pacha, qui consistait en un droit de 15 saient un grand scrupule de racheter
piastres au profit du dey; c'était encore des hérétiques.
un droit de 4 piastres pour les secré- La négociation se terminait par une
taires d'État ; c'était enfin un droit de messe d'actions de grâces à laquelle tous
7 piastres pour capitaine du port.
le les malheureux délivrés par les soins des
Les esclaves échus à des particu- pères assistaient vêtus de manteaux
liers ne devaient pas d'autres taxes; blancs ; ils se rendaient ensuite au pa-
mais ceux qui avaient l'honneur d'être lais, où chacun d'eux recevait son teskra
esclaves du dey payaient en outre 17 d'affranchissement. Puis les religieux
piastres destinées au chef des gardiens prenaient congé du dey en audience
du bagne. solennelle. Après cette nouvelle forma-
C'est aux religieux de Notre-Dame lité, les captifs marchant deux par deux
de la Merci, collecteurs des aumônes de traversaient lentement la ville et se ren-
l'Europe, que le plus grand nombre des daient processionnellement, sous la con-
esclaves devaient leur liberté. duite de leurs libérateurs, à bord du
Lorsque les pères croyaient avoir navire qui devait les rendre à leur fa-
réuni la somme nécessaire à l'accom- mille et à leur patrie.
plissement de leur mission charitable, A leur arrivée en Europe la cérémo-
ils en donnaient avis à l'administrateur nie de la procession se renouvelait. Les
de l'hôpital d'Alger, qui demandait religieux ne négligeaient rien pour don-
leurs passeports au pacha. Dès leur ar- ner à cette solennité un caractère théâ-
rivée ils se faisaient présenter au dey, tral. Ils avaient eu soin de faire conser-
et lui offraient un présent considérable. ver à leurs protégés la longue barbe
En même temps ils remettaient une dé- qu'ils portaient dans l'esclavage; ils les
claration des valeurs et des marchan- chargeaient pour ce jour-là de chaînes
dises qu'ils apportaient. Un officier se qu'ils n'avaient jamais portées; enfin,
rendait à bord, pour vérifier et faire le grand manteau blanc, emblème de
transporter le tout au palais. Le dey leur rédemption, complétait l'effet des
commençait par prélever 3 \ pour 100 chaînes et de la longue barbe, signes
sur les espèces et 12 ; pour 100 sur les de leurs souffrances ; les religieux pro-
marchandises. C'était seulement après fitaient de l'émotion des spectateurs
s'être assuré de tous ses droits qu'il assi- pour faire appel à leur libéralité, être-
, ,

ALGÉRIE. 151

cueillaient d'abondantes aumônes, qu'ils qui était en 1835 de 17 millions, s'est


réservaient à de nouveaux rachats. élevée en 1845 à 99 millions. Elle a donc
Ainsi, la charité s'excitait elle-même au augmenté de 82 millions en dix années
spectacle de ses oeuvres. et de 8 millions 200,000 francs par an-
Quelques personnes se souviennent née moyenne.
encore d'avoir vu à Paris, avant notre L'exportation qui était de 2 millions
,

première révolution des processions de


, et demi, s'est élevéeà 10 millions etdemi;
captifs français rachetés de l'esclavage elle a donc augmenté de 8 millions pour
barbaresque par les pères de la Merci. les dix années et de 800,000 francs par
Enlever aux chrétiens leurs marchan- année moyenne.
dises et leurs personnes pour les leur Il résulte de ces premières données

revendre à deniers comptants, telle fut, que l'Algérie rend à peine à la consom-
pendant la plus grande partie delà pé- mation générale la dixième partie de ce
riode turque, la principale branche de qu'elle lui emprunte.
commerce, la principale source de re- Examinons, au point de vue des in-
venus, l'industrie spéciale de l'Algérie. térêts nationaux, la composition de ces
Comment la régence aurait-elle pu divers chiffres.
adhérer sincèrement à l'abolition dé Enattendant que le développement
l'esclavage? c'eût été signer son arrêt de algérienne autorise la
l'industrie
de mort. Il n'y avait qu'un moyen d'en France à tirer directement du sol de sa
finir, c'était de faire main basse sur la conquête les dépenses qu'elle fait pour
boutique et d'enchâsser les marchands. la conserver, il importe à la métropole
Lord Exmouth aurait pu le faire en 1816 ;
que la plus grande partie des impor-
Une le voulut pas. tations vienne de son territoire , et que
II était réservé à la France de replacer la plus grande partie des exportations
l'industrie et le commerce de cette con- aille à l'étranger; car elle y trouve l'a-
trée dans des conditions régulières et vantage de rappeler ou de retenir indi-
morales. Examinons l'état de ses rela- rectement dans la circulation nationale
tions avec l'Europe sous ce nouveau une partie du numéraire qu'elle verse
régime. directement dans la colonie*
Voici quelle était sous ce rapport la
Commerce avec l'Europe depuis 1 830.
situation de 1845 ; dans les marchandises
Comme tous de la civilisa-
les fruits importées en Algérie, celles qui prove-
tion, ce régime se présente hérissé de naient du sol et du territoire de la
chiffres. Nous allons détacher de cette France figuraient pour une valeur de
enveloppe arithmétique les aspérités 62 millions ; les marchandises d'origine
les plus saillantes. Le lecteur nous par- étrangère tirées des entrepôts français
donnera ces détails, malgré leur aridité, pour 9 millions; enfin les marchandises
à raison de l'importance nationale et complètement étrangères, pour 23 mil-
sociale de l'œuvre qu'ils caractérisent. lions.
Nous empruntons ces résultats sta- Quant aux marchandises exportées,
tistiques aux Tableaux de la situation la France en a reçu pour une valeur de
des établissements français en Algérie, 5 millions 700,000 francs et l'étranger
publiés annuellement par le ministère pour une valeur de 4 millions 800,000
de la guerre. Les plus récents s'appli- francs.
quent à l'année 1845, qui est la limite En 1835 le chiffre des importations
des renseignements fournis par le der- étrangères se réduisait à 7 millions
nier deces comptes rendus, celuide 1847. 800,000 francs il a augmenté jusqu'en
;

En 1845 le commerce de l'Algérie 1842. A


cette époque il était de 33 mil-
avec la France et les autres États mari- lions 600,000 francs; mais depuis lors
times s'est élevé à une valeur de 100 le tribut que l'Algérie payait à l'étran-
millions. En 1835 de 11 mil-
il était ger a éprouvé une réduction continue,
lions et demi il a donc décuplé en dix
; et il ne comme on vient de
s'élève plus,
ans, et s'est accru en moyenne de 10 le voir,qu'à 23 millions. Cette réduction
millions par année. doit être attribuée à l'ordonnance du
Dans ce mouvement , l'importation 16 décembre 1843, qui a modifié les
,

152 L'UNIVERS.
tarifs de la douane algérienne au profit l'Angleterre qui exploita presque exclu-
de la fabrication française. sivement cette branche de commerce.
Dans le mouvement d'exportation L'Arabe refusait nos produits, non pas
ilest une donnée fort importante en , parce qu'ils étaient inférieurs mais
,

ce qu'elle exprime à peu près l'état de parce qu'ils étaient autres. Il lui fallait
la production et donne la mesure des le même poids, le même
aspect, le même
progrès de la civilisation industrielle apprêt ; à égalité de prix , il préférait la
en Algérie. C'est la part qui revient aux cotonnade anglaise , dont il avait l'habi-
provenances du sol aux produits du
, tude, au tissu français de qualité supé-
crû. Le chiffre des marchandises tirées rieure, qu'il ne connaissait pas. Cepen-
du sol lui-même était en 1844 de 3 mil- dant l'immense quantité de numéraire
lions; il s'est élevé à plus de 6 mil- versée annuellement par la France en
lions en 1845. Il a donc fait plus que Algérie répandait le bien-être parmi le
doubler dans l'espace d'un an. Les pro- peuple arabe; la consommation des co-
duits sur lesquels porte principalement tonnades s'en augmentait d'autant. Qui
cette amélioration sont les peaux et les en profitait? l'industrie étrangère. Il était
laines brutes les sangsues , le corail
, cruel de voir récolter par d'autres le blé
les céréales , l'huile d'olives et le tabac. que nous semions à si grand'peine et à si
L'accroissement de ce dernier produit frands frais. L'ordonnance du 16décem-
est dû aux encouragements de l'admi- reà eu principalement en vue la cessa-
nistration, qui depuis quelques années tion de cette anomalie. Depuis cette épo-
achète les récoltes pour son propre que les indigènes ont trouvé que les
compte. Beaucoup d'Européens et même chemises de Londres coûtaient trop
d'indigènes séduits par les prix avanta-
, cher et leur ont préféré celles de Rouen.
geux qu'elle leur offre , se livrent à la Lors de la promulgation de l'or-
culture du tabac qui en,
Algérie, on le donnance la France versait en Algérie
sait , jouit d'une entière liberté. pour 2 millions de tissus, et l'étran-
Les principaux articles d'importation ger, soit directement soit par nos en-
,

sont les tissus de coton , les céréales trepôts, pour 7 millions.


en grains et en farines , les tissus de Dès 1844 les tissus nationaux en-
laine, les vins, les bois de construction, traient déjà dans la consommation pour
les tissus de soie , le sucre raffiné et les plus de 8 millions , et les tissus étran-
eaux de vie. gers n'y entraient plus que pour 2 mil-
De tous ces produits de l'industrie lions 800,000 francs.
européenne , le premier est le seul qui Enfin, en 1845, l'importation fran-
entre dans la consommation indigène. çaise montait à 17 millions; l'importa-
En effet, les Arabes produisent leur tion étrangère descendait encore , mais
blé ; ils fabriquent leurs tissus de laine ; faiblement, et se trouvait réduite à 2 mil-
ils tirent de Tunis les tissus de soie. lions 600,000 francs.
Quant au bois de construction les in- , C'est la création de cet important
digènes à demeures stables le trouvent débouché qui a établi des relations
dans leurs montagnes, et les [nomades actives entre Rouen et l'Algérie, et fait
n'en ont pas besoin. Le sucre, et sur- participer un de nos premiers ports de
tout le sucre raffiné , n'est point encore l'Océan au bénéfice d'une conquête
entré dans le cercle de leurs besoins ; et exploitée exclusivement jusque alors par
l'on sait que la religion leur interdit les départements du midi.
l'usage des spiritueux. Il ne reste donc
à leur usage que les cotonnades.
Part des différents ports dans le mou-
Les tissus recherchés par les indigè-
vement commercial.
nes sont des étoffes grossières , dont ils Le mouvement d'arrivée et de départ
font leurs chemises, Ces étoffes pénè- des marchandises s'effectue par quinze
trent partout, dans les villes, dans les points différents de la côte, dont cinq
tribus , dans le Tell et dans le Sahara, absorbent à eux seuls les 95/1 00 e de
partout où l'homme porte la partie du tout le commerce. Ce sont les ports
vêtement que nous regardons en Europe d'Alger, de Philippeville, d'Oran, de
comme indispensable. Longtemps ce fut Bône et de Mers-el-Kébir. Le port
ALGÉRIE. 153

d'Alger reçoit à lui seul les deux tiers En jetant les yeux sur la liste des
des importations. Cette supériorité s'ex- denrées introduites dans la consomma-
plique facilement. C'est à Alger que tion de l'Algérie par les différents États
toutes les administrations ont leur dont elle est tributaire, on est étonné
siège; c'est à Alger que les grands d'y voir figurer les céréales en grains
travaux s'exécutent c'est à Alger que
; ou en farine pour près de 15 millions;
toutes les communications viennent elle en reçoit de l'Angleterre,, de la
concourir. Il ne faut donc pas s'étonner Russie, de la Toscane, de l'Autriche,
de voir cette ville occuper le premier des États Sardes, des Deux-Siciles et
rang dans l'échelle de la consommation. de la Turquie. JN'est-il pas étrange
Peut-être même faut-il regretter que de voir une contrée qui fut l'un des gre-
l'organisation des travaux et des services niers de l'ancien monde, obligée aujour-
ait concentré sur une seule ville cette d'hui de demander une partie de son
prospérité pléthorique. pain aux peuples que jadis elle nour-
Dans l'échelle des exportations Alger rissait?
ne tient que le troisième rang. C'est Un autre fait prouve combien il reste
Bône qui occupe le premier. C'est dans à faire à la colonisation. Parmi les mar-
cette ville que la production a pris le chandises importées d'Espagne, nous
plus de développement. En 1845 les voyons figurer des fruits de table frais,
exportations y ont atteint la moitié du des œufs, des légumes verts et de l'huile
chiffre des importations; tandis que d'olives ; de l'huile d'olives apportée de
partout ailleurs elles n'en représentent l'extérieur dans un pays regardé avec
au plus que le dixième. C'est là un signe raison comme la terre classique de l'o-
de prospérité réelle, dont il faut chercher livier!
la cause dans la fertilité du territoire et Il existe encore des anomalies que les

dans le bon esprit des populations. progrès de l'agriculture et de l'industrie


feront sans doute disparaître. Ainsi, il
Part des divers pays dans la prove- est probable que les tissus de coton
nance et la destination des mar- consommés en Algérie ne se fabrique-
chandises. ront plus à Rouen lorsque la culture
L'Algérie est en relations de com- du coton aura pris en Afrique le déve-
merce avec tous les pays qui bordent loppement qu'elle comporte. Enfin le
la Méditerranée. Les États qui con- temps n'est sans doute pas éloigné où
courent le plus activement au mouve- l'Algérie pourra se passer des tabacs
ment d'importation sont dans l'ordre d'Espagne.
de leur participation relative: la France, Nous terminerons par une observa-
l'Angleterre, la Russie, l'Espagne, la tion destinée à dissiper les inquiétudes
Toscane, l'Autriche et les États Sardes. que pourrait faire concevoir la masse
La France y entre pour près de 66 pour de numéraire que chaque bateau à va-
1 00 elle fournit donc à l'Algérie les deux
: peur transporte dans sa cale de France
tiers de ce qu'elle consomme. L'Angle- en Afrique. Beaucoup de personnes
terre, qui vient immédiatement après, ne pensent qu'une grande partie de ces
compte que pour 3 î pour 100. espèces sortent de France pour n'y plus
Les importations de la Grande-Bre- rentrer; que bien des millions partis de
tagne ont suivi depuis 1844 une pro- la rue de Rivoli vont chaque année
gression constamment décroissante. En se perdre dans les cachettes mystérieuses
1845 la diminution a été de 2 mil- où l'Arabe avare et méfiant enfouit
lions et demi appliqués aux cotonnades
, son trésor. L'état du commerce de
et aux céréales qui arrivaient des entre- l'Algérie permet de reconnaître jusqu'à
pôts de Malte. quel point est fondée cette opinion , de-
Dans le commerce d'exportation la venue populaire en France.
France figure pour 54; pour 100 et En 1845 les dépenses générales pour
l'Espagne pour 26,1 pour 100. Ces l'Algérie se sont élevées à peu près à
deux pays absorbent donc à eux seuls à 85 millions. Sur cette somme une partie
peu près les 9/10 des marchandises ex- assurément est restée en France en
portées d'Algérie. payement de fournitures faites ou de
L'UNIVERS.
services rendus dans la métropole. Mais soin de n'emporter que des marchand!
supposons qu'elle intégralement
ait ses de prix, représentant d'assez grandes
franchi la Méditerranée; il faut en dé- valeurs sous un petit volume. Ils partent
duire les recettes réalisées en Afrique, de Tunis par troupes de dix ou quinze]
recettes qui en nombre rond s'élèvent seulement, montés sur des chevaux ou de
J
à 20 millions. Restent donc 65 mil- bons mulets, et armés de pied en cap.]
lions extraits de la caisse publique et Sur le territoire de la régence ils n'ont
transportés en Algérie. Mais, d'un autre à craindre que des brigandages isolés; j
côté, cette contrée a payé en marchan- aussi marchent-ils ensemble, biendéter-
j

dises provenant du sol et de l'industrie minés à se défendre. Mais, arrivés près


de la France, une somme de 62 mil- de la frontière ils auraient à lutter con-
lions, qui sont rentrés dans la circulation tre des rassemblements dont ils jugent
nationale. prudent d'éviter la rencontre. Alors seu-
La France recouvre donc par îe com- lement ils se dispersent , se cachent dans
merce la presque totalité des sommes les broussailles, et attendent la nuit pour
que lui enlève 1 occupation dé l'Algérie. franchir la frontière à marche forcée.
C'est ainsi qu'ils parviennent à tromper
Commerce avec ta régence de Tunis.
la vigilance des sentinelles arabes. Quand
L'Algérie indigène reçoit principale- le jour commence à paraître, ils sont
ment de Tunis des objets de luxe , les déjà hors de vue.
articles de toilette de quincaillerie, de
, Chacun de ces négociants emporte de !

bijouterie, de mercerie, de soierie, des Tunis pour quelques milliers de pias-'


verroteries de toute espèce, des épices très de marchandises. En un mois ils;
et des parfums, et enfin des fusils, fabri- ont vendu leur pacotille, leur monture!
qués dit-on , en Belgique.
, et leurs armes. Alors ils reviennent par';!
Le commerce se fait par quatre points, mer à Tunis , où ils ne rapportent que,
échelonnés depuis le littoral jusqu'au de l'argent. Les colporteurs vendent^
désert. Ce sont les villes de Bône, du en Algérie leurs marchandises à raison,
Kêf de Tebessa et l'oasis algérienne
, d'un franc pour piastre; ils ont pour!
de l'Ouad-Souf. Bône est la porte du bénéfice la différence, qui est de 25 cen- ;
;

nord, l'Ouad-Souf est la porte du sud. times.


On estime qu'il entre annuellement Les droits à l'entrée de Bône par iâjj
en Algérie parle Kêf et Tebessa pour
: voie de mer étant de 30 pour 1 00 équi-
153,000 fr. dé marchandises de Tu- valent à une prohibition; c'est pour cela
nis; par Bône et Constantine, pour qu'ils choisissent la voie de terre, malgré,
1,400,000 fr. ; par l'Ouad-Souf pour ses difficultés et ses dangers.
1,125,000 fr. ; ce qui forme un total de
2 millions 678 mille francs ; et comme
Commerce par l'oasis de l'Ouad-Souf.
l'Algérie ne donne rien ou presque rien La porte commercialedu Sud, quoique:
en^change c'est une somme de près de
, située en plein Sahara, est cependant la
3 millions en numéraire qui sort chaque plus sûre de toutes et aussi là plus fré-
année de nos possessions. quentée. Il part annuellement de Tunis
Le commerce par Bône , le Kêf et pour cette direction environ six cents
Tebessa ne se fait pas sans difficultés. chameaux, qui versent dans l'Algérie
Plusieurs des tribus de là frontière vivant méridionale pour plus d'un million de
dans une indépendance à peu près com- marchandises.
plète, en profitent pour rançonner les Le personnel des caravanes se com-
négociants. Ceux-ci pour traverser la pose d'abord de Chameliers (un pour
frontière en plein jour doivent se sou- deux chameaux), puis des marchands,
mettre à payer un droit de 25 fr. par et enfin d'un certain nombre de prolé-
mulet. Alors les tribus donnent une sau- taires sahariens, qui , ayant amassé sur
vegarde ; le plus souvent c'est un enfant, la côte un petit pécule, "s'en retournent
qui marche en tête de la caravane, et il suf- à pied dans leur pays avec un beau fusil
fit pour la protéger durant tout le trajet. neuf sur l'épaule, suivant constamment
Lorsque les marchands veulent se de l'œil un chameau, porteur du paquet
soustraire à ce tribut onéreux , ils ont où ils ont caché leur trésor.
ALGÉRIE. 155
entre par cette voie dans notre do-
Il
A l'époque où eurent lieu les négo-
maine africain du sud , outre les articles ciations pour le traité de Lella-Marnia,
de Tunis environ 2,000 fusils achetés
, on sut que des stipulations commerciales
dans cette ville à raison de 27 piastres devaient être annexées aux clauses de
et vendus 40 piastres dans nos posses- la délimitation. Elles devaient garantir
sions méridionales. la liberté des échanges entre les
deux
Les marchandises expédiées de Tunis Etats. Déjà on célébrait les avantages de
par la voie de terre proviennent pour la cette négociation; déjà l'on vovait s'ou-
plupart de l'étranger. Beaucoup sont vrir pour les produits de la France
et
d'origine anglaise. Notre administration de l'Algérie un débouché qui leur assu-
a cherché à contrarier ce commerce de rerait la préférence sur les marchandises
contrebande. Mais malheurèusementelle anglaises et espagnoles.
a dû déléguer son droit de surveillance C'était une erreur. Aussi l'empereur
et de saisie à des agents indigènes, dont Abd-er-Rahman et après lui le gouverne-
elle n'a aucun moyen de contrôler les ment français ont-ils agi prudembient
déclarations. Ses efforts pour fermer en annulant d'un commun accord dans
au commerce de Tunis la frontière de le traité tout ce qui avait rapport au
terre n'ont abouti jusqu'à ce jour qu'à commerce.
y créer un danger de plus. Il est facile d'apprécier le
dommage
Commerce avec le Maroc. qui eût été causé à la France et au Ma-
roc par une reconnaissance diplomati-
Le commerce par terre avec le Ma- que d u droit réciproque de libre échange.
roc offre moins de sûreté encore que ce- Ainsi que nous venons de le dire , la
lui de Tunis. La guerre dont la région frontière du Maroc est bordée sur la
limitrophe a été le théâtre dans ces der- plus grande partie de son développement
nières années en a encore augmenté les
de tribus berbères,, la plupart nomades,
dangers. Sur une ligne de cent quarante- que leur éloignement du centre de l'em-
quatre kilomètres qu'embrasse le déve- pire soustrait à l'action de l'autorité
loppement de la frontière dans la tra- impériale. Ces tribus vendent et achè-
versée du Tell, l'Algérie se trouve en tent suivant leurs ressources et leurs
contact avec des tribus berbères à peu
besoins, sans s'inquiéter des engage-
près indépendantes. Ouchda est le seul
ments pris par leur souverain. Cet état
point où l'autorité de l'empereur s'exerce
de choses rendait illusoire toute conven-
réellement. tion commerciale entre l'Algérie et le
A l'époque où Abd-el-Kader résidait Maroc.
au centre de l'Algérie, c'est par là qu'il
Mais c'était là le moindre inconvé-
recevait les munitions de guerre expé-
nient. L'empereur est lié envers l'An-
diées de Gibraltar et de Maroc : encore
gleterre et l'Espagne par des conven-
devait-il placer ses convois sous la pro-
|
tions spéciales, qui leur assurent le droit
tection d'une nombreuse escorte qui d'être traitées comme la nation la plus
S
quelquefois ne les empêchait pas d'être favorisée. Le traité qui eût affranchi
pillés.
| de tout droit sur la frontière de terre les
i Cependant les tribus indépendantes marchandises françaises affranchissait
(limitrophes de l'Algérie fréquentent les
donc du même coup dans les ports de
marchés voisins de la frontière, tels Tétouan et de Tanger les marchandises
queTlemcen, Nemours, et la petite ville anglaises et espagnoles; il leur ouvrait
de Nedroma. Elles y apportent des bes-
toute grande la porte de terre, et para-
tiaux, des chevaux et des mulets,
de lysait complètement l'ordonnance de
1 huile, des poteries, du kermès, des 1843, qui avait voulu leur fermer la porte
objets de ménage en bois, fabriqués de mer.
Idansles montagnes berbères du Maroc,
Mais c'est surtout pour l'empereur du
des ouvrages en sparterie et
du sel. Maroc que cette erreur diplomatique
lElles prennent en échange des tissus entraînait des conséquences ruineuses.
de laine , de soie et de coton , et
des ar- Quoique souverain légitime, Mouléis
ticles de mercerie, d'épicerie
et de quin- Abd-er-Rahman ne perçoit dans ses États
caillerie.
de contribution directe que sur les trois
, ,

156 L'UNIVERS.
huitièmes environ de la population les , vaste carrefour dont le passage, obliga-
Arabes de la plaine et les habitants des toire pour les provenances de Tripoli,
villes. Les Berbères et les nomades indé- de Tunis et de l'Algérie, n'est que facul-
pendants échappent en grande partie à tatif pour celles du Maroc.
l'impôt direct ; et l'empereur doit se con- L'oasis du Touât occupe au milieu
tenter, à défaut de mieux, des contribu- du désert une position très-remarqua-
tions indirectes perçues à l'entrée et à ble. C'est le sommet d'une double pyra-
la sortie des marchandises que ces cinq mide qui reposerait d'un côté sur l'A-
millions de sujets réfractaires reçoivent frique septentrionale, de l'autre sur
ou expédient parles ports. Si l'empereur, l'Afrique centrale ; c'est le centre d'un
après avoir accordé en droit à la France immense sablier, dont les deux-alvéoles,
un avantage dont elle jouit en fait, se formées de la race blanche et de la race
trouvait,parune conséquence inévitable, noire, versent alternativement du sud au
dans l'obligation d'accorder le même nord et du nord au sud les produits de
avantage à l'Angleterre et à l'Espagne, l'une et de l'autre, et par la régularité
c'en était fait de la douane marocaine; de ces échanges marquent le retour et
l'empereur renonçait d'un trait déplume mesurent la durée des saisons.
au plus clair de ses revenus; il dimi- L'oasis du Touât est un grand vesti-
nuait de 20 millions ses recettes annuel- bule en même temps qu'un grand en-
les, et tombait en faillite. trepôt ; c'est la salle d'attente des voya-
geurs qui, venus de Rdames, d'El-Goléa,
Commerce de V Algérie avec le Soudan. d'El-Arib, c'est-à-dire de Tripoli, de
Nous avons fait connaître précédem- Tunis, d'Alger et de Maroc , se dirigent
ment la chaîne d'oasis qui limite l'Algé- vers le Soudan. C'est en un mot le rendez- ;

rie au sud. vous général des caravanes barbaresques.


j

Au delà de cette limite naturelle ré- Si des trois villes oasis de Rdames
gnent, sur une profondeur immense, des d'El-Goléa et d'El-Arib, on descend,
plages inhabitées et inhabitables. Ces vers le nord , et qu'on cherche sur la )

plages limitent pareillement la régence limite méridionale des États barbares-


de Tunis et l'empire de Maroc. Elles ques les principaux centres de commerce ;

circonscrivent au sud l'ensemble des avec lesquels les trois oasis correspon-
'.

trois États barbaresques , qui présente dent dans chacun des États barbaresques,
ainsi l'aspect d'une grande île baignée voici ce qu'on trouve :
par l'Océan , la Méditerranée et le dé- El-Arib correspond particulièrement :

sert. avec Tafilelt et Figuig, vers la limite du


Sur cette mer de sables arides, qui sé- continent marocain, et sur la côte avec
pare les Nigritiens des peuples barbares- l'Ouad-Noun et Mogador.
ques et la race noire de la race blanche, Rdames communique avec Tripoli,;
trois villes placées à de grandes dis- et dans régence de Tunis avec Nefta,
la
tances les unes des autres , paraissent sur la limite méridionale de Tunis , et
appelées par la nature à jouer le même avec Gabès sur la côte tunisienne.
rôle dans leurs rapports commerciaux El-Goléa communique avec Metlili
avec les États barbaresques auxquels et Ouaregla deux villes situées sur la
,
(

elles correspondent. lisière méridionale de l'Algérie.


La ville oasis de Rdames est l'entre- Il a existé aussi pendant longtemps

pôt intermédiaire commun aux deux ré- des relations entre Rdames et l'oasis
gences de Tripoli et de Tunis. algérienne de TOuad-Souf; mais elles
La ville oasis d'El-Goléa dessert spé- deviennent chaque jour plus rares , à
cialement l'Algérie. cause de l'insécurité delà route; toute-
La ville oasis d'El-Arib dessert spé- fois elles n'ont pas cessé.
cialement l'empire de Maroc. Les marchandises apportées d'El-
Les marchandises qui, partant de Goléa à Metlili ou à Ouaregla prennent
ces trois points, s'acheminent vers le en grande partie la route de Tunis ; elles
sud trouvent en route un nouvel en- suivent alors la ligne des oasis frontiè-
trepôt, qui partage la traversée du dé- res, véritable chemin de ronde de l'Al-
sert. C'est l'archipel oasis du Touât gérie, et passent par Tuggurt.
ALGÉRIE. 157

Les marchandises apportées de tué : il au nord ; le mieux servi


est droit
Rdamesdansl'Ouad-Souf appartiennent et le plus abordable il est français.
:

presque toutes à la consommation de Les marchandises que les États bar-


l'Algérie ; elles sont alors dirigées sur baresques expédient par le Touât , vers
Biskra, et passent encore par Tuggurt. le Soudan, sont des articles de mercerie

Cette ville se trouve donc située à la et de soierie, des parfums , des calottes
rencontre d'un double courant ; ce qui rouges, dites chachia, des haïks, des
lui assure une grande prépondérance bernous , du corail des céréales , des
,

dans le commerce
algérien. moutons, des légumes secs, de l'huile,
Il résulte de ce qui vient d'être dit que des dattes et des plumes d'autruche ti-
les quatre villes frontières de l'Algérie rées d'Ouaregla en Algérie.
qui par le commerce ouvrent sur le Sou- Ils reçoivent en échange des Nègres,

dan sont Metlili , Ouaregla , Tuggurt et de la poudre d'or, du henna, des noix
El-Ouad , chef-lieu deJ'Ouad-Souf. de gourou, du bkhour pour la prépara-
Ainsi en avant des États barbaresques tion des parfums, des toiles bleues, dites
règne un vaste carrefour commercial, guinées, fabriquées dans le pays des
l'oasis de Touât. De ce carrefour par- Noirs, du séné, du natron, du salpêtre,
tent trois avenues qui conduisent : des ânes d'Egypte, dits masriia.
Au nord-est, à Rdames, pour Tri- Le commerce de l'Afrique septentrio-
poli et Tunis; nale avec le Soudan présente des carac-
Au nord, à El-Goléa, pour l'Algérie; tères différents dans l'est et dans l'ouest.
Au nord-ouest , à El-Arib , pour l'em- La régence de Tunis fournit surtout les
pire de Maroc. marchandises de luxe. L'empire de Ma-
Chacune de ces trois oasis devient à roc fournit les denrées de première né-
son tour un centre d'où s'échappent cessité; placée entre les deux, l'Algérie
plusieurs rayons qui vont aboutir : participe à la fois des deux spécialités.
Dans l'empire de Maroc, àTafileltetà Parmi les denrées qu'elle exporte au
Figuig; sud, il en est une dont le monopole lui est
Dans l'Algérie, à Metlili, Ouaregla, assuré , parce qu'elle forme la première
Tuggurt et El-Ouad, chef-lieu de l'Ouad- spécialité de son territoire ; c'est l'huile
Souf; d'olives. La plus grande quantité s'é-
Dans la régence de Tunis, à Gabès et coule des montagnes de la Kabilie, où
à Nefta. de vastes forêts d'oliviers alimentent des
Il existe en outre dans l'Algérie , au milliers de pressoirs ; on peut juger de
nord des quatre villes qui viennent d'être l'importance des produits parle nombre
mentionnées, une seconde ligne de des débouchés et l'étendue de la con-
marchés importants, qui mettent en com- sommation. Une partie de l'huile ap-
munication la chaîne des oasis fron- portée sur le marché d'Alger est expé-
tières et les trois centres de la population diée sur Marseille par des négociants
I
du Tell , Tlemcen , Médéa et Constan- européens; là elle entre dans la fabri-
tine. Ces quatre nouvelles villes sont cation des savons, et sous cette forme
El-Abied-Sidi-Cheik, El-Arouât, Bou- elle arrive jusqu'à Paris. Au sud elle est
Sada et Biskra. portée à Bou-Sada par les Kabiles , de
Tels sont les points qui, par leur posi- Bou-Sada à Metlili par les Oulad-Naïl,
tion géographique et à la lois par le ca- de Metlili à El-Goléa et d'El-Goléa au
ractère et les mœurs des populations Touât par les Chaamba, du Touât à
qui les habitent, qui les entourent ou Timbektou par les Touareg; ainsi deux
qui les fréquentent, peuvent être consi- gouttes d'huile échappées des pressoirs
dérés comme les nœuds du réseau com- de la Kabilie algérienne peuvent aller
mercial formé entre l'Algérie et le Sou- aboutir l'une aux bords de la Seine, l'au-
dan. tre aux rives mystérieuses du Niger.
Des cinq ports où viennent aboutir Le transport des marchandises à tra-
les communications parties du Touât sa- ; vers les six cents lieues qui séparent Al-
voir :Mogador, Tanger, Alger, Tunis et ger de Timbektou s'opère par caravanes,
Tripoli, Alger a le triple avantage d'être et nous venons de nommer les popula-
le plus rapproché du Touât ; le mieux si- tions qui en forment l'escorte et le noyau.
158 L'UNIVERS.
Dans la du Sahara ce sont
traversée et son immensité ; et il leur suffit pour >

les Oulad-Naïl, immense tribu qui ne communier avec le reste des hommes
compte pas moins de cent mille âmes et des quelques villes éparses sur sa sur-
qui habite, au centre de l'Algérie méri- face à de grands intervalles.
dionale, le triangle compris entre Les Touareg pénètrent peu dans les
Biskra, El-Arouat et Bou-Sada, trois campagnes vertes et arrosées du Sou-;
villes sahariennes placées sous l'autorité dan; ils y conduisent les caravanes,!
ou sous la domination française. Les dont ils sont dans
désert les pilo-
le
Oulad-Naïl exercent principalement l'in- tes et les guides. Mais
le plus souvent
dustrie de commissionnaires. Il part cha- quand les Touareg franchissent la lisière
que année des flancs duDjebel-Sahari, du pays des Noirs, c'est pour aller s'em-
compris dans leur vaste territoire, upe busquer dans le voisinage des bourgs
caravane nombreuse, composée en qu'ils habitent, fondre sur eux à l'im-
grande partie de Naïliens auxquels se , proviste, les saisir, les jeter sur des
joignent des négociants, des colporteurs dromadaires et fuir en emportant leur
et des voyageurs venus de presque toute proie avec la rapidité du vent. C'est
l'Algérie centrale. ainsi que ces corsaires redoutables ;

Les Chaamba occupent les trois villes trouvent un aliment à leur principale
d'El-Goléa, d'Ouaregla, et de Metlili ; industrie, le commerce d'esclaves.
l'espace triangulaire qu'elles compren- Quand ont formé une pacotille hu-
ils
nent leur sert de champ de parcours. maine, ils se rendent sur les deux mar-
Les Chaamba reçoivent à Metlili les chés de Rat et de Rdames , et vendent
marchandises apportées par les Oulad- aux marchands du nord le produit de
Naïl et les autres caravanes du nord, et leurs brigandages. Quelquefois, après!
les conduisent par El-Goléa jusqu'à Ti- avoir livré aux blancs les malheureux»
mimoun , le principal marché duTouât. que le sort de la razia a jetés entre
Timimoun est la limite au sud des oscil- leurs mains, ils partent, vont se placer
lations commerciales des Chaamba, sur le passage de la caravane, l'atta-;
comme Metlili est leur limite au nord ; quent, et recouvrent leur marchandise?
Metlili est, au contraire, la limite au par le procédé qui la leur avait donnée.
sud des excursions accomplies par les Placés entre la race blanche et la race ';

Oulad-Naïl et Boucada leur limite au


, noire, les Touareg sont pour l'une et.
Nord. pour un fléau et un besoin.
l'autre
Arrivés au Touât, les Chaamba ces- Aux motifs légitimes d'effroi qu'ils
sent d'être l'élément essentiel et de for- leur donnent vient se joindre encore
mer le noyau des caravanes ils ne s'y ; dans l'esprit des blancs comme des noirs;
joignent qu'individuellement; de là jus- une sorte d'effet fantastique produit
qu'à Timbektou le rôle de protecteurs, par l'excentricité des habitudes.
de commissionnaires est rempli par les Les Touareg ne parlent ni l'arabe ni i

Touareg. le nègre mais une langue dure, sac-


, '

Les Touareg forment une nation plu- cadée et emphatique, qui en réalité est le
tôt qu'une tribu. Ils sont les maîtres et berbère.
les rois du désert , qui a pour eux toutes Ils sont divisés en deux grandes frac-
les douceurs de la patrie et de la fa- tions, les blancs et les noirs. Ces déno-
mille. minations correspondent à la différence
Dans le nord ils confinent à la ligne des costumes. Les Touareg blancs
d'oasis qui borne les États barbaresques; s'habillent comme les Arabes, les Toua-
au sud ils touchent à la Nigritie. Rare- reg noirs portent un costume particulier
ment ils s'engagent dans les landes formé de trois blouses superposées, am-
tigrées d'oasis, dans cette région mi- ples et longues qui reçoivent le nom gé-
,

toyenne, qui sépare les terres propres à nérique de tôb ou saï^ha blouse de des-
la culture et les steppes immenses voués sus, appelée particulièrement lebni, est
au parcours. Pour l'étrange mobilité d'un bleu uni très-foncé, presque noir.
de ces peuples il semble que le Sahara Sous les trois blouses qui les enve-
lui-même n'ait pas d'horizons assez vas- loppent, et dont les manches n'ont pas
tes, 11 leur faut le désert avec son aridité moins de deux mètres de largeur, les
,

ALGÉRIE. 159
Touareg portent un pantalon qui des- Pendant mon séjour à Tunis je fis
cend jusque sur le pied, et ressemble connaissance d'un Targui, que le hasard
assez pour la forme et la largeur à cette y avait amené à la suite d'une caravane.
partie du costume européen. Je voulus profiter de cette circonstance
Leur chaussure consiste en souliers- pour juger par mes yeux l'effet du bi-
brodequins lacés sur le pied. zarre costume en usage dans sa na-
Le lecteur connaît assez sans doute tion.... Devant cet homme de haute
l'habillement des Arabes, devenu popu- taille, vêtu de noir et masqué de noir,
laire en France, pour juger combien je me transportais par la pensée dans
celui desTouareg est différent. les sables de sa région natale
; je le re-

DansTéquipement de voyage les Toua- plaçais sur le fond blanchâtre des soli-
reg substituent au turban une longue tudes qu'il habite, j'animais ce spectre
pièce d'étoffe bleu foncé, lustrée par humain de la force athlétique qu'on lui
un apprêt gommeux auquel le sable prête, je lui rendais ses instincts et ses
n'adhère pas. Elle s'enroule sur le front armes sauvages. Je compris alors l'effroi
et descend en spirale sur la figure, qu'elle de la caravane lorsque , apercevant un
soustrait à l'action du sable et du vent. nuage de sable à l'horizon, elle trouve
Cl ne autre pièce d'étoffe de la même à peine le temps de s'écrier Les Toua-
:

nuance s'enroule autour du corps, et serre reg! et qu'à l'instant elle voit fondre
la poitrine et le ventre. Cette pression sur elle l'essaim de fantômes sombres et
prévient, dit- on, les nausées produites terribles , montés sur de hauts et ra-
par le mouvement du dromadaire. pides coursiers.
Ainsi équipé, couvert de noir depuis Tels sont les Touareg. Corsaires re-
la tête jusqu'aux pieds à quelque chose doutables autant que hardis trafiquants
près, le Targui ressemble à une appari- médiateurs nécessaires aux rapports de
tion sinistre. la race blanche et de la race noire, puis-
Les Touareg ne font presque pas usage qu'ils tiennent le fil de l'immense laby-
Jes armes à feu, pour lesquelles ils ma- rinthe que la nature a jeté entre elles.
nifestent même une répugnance instinc- Le temps n'est peut-être pas éloigné
tive. Gependantquelques-uns d'entre eux, où le commerce européen pourra pren-
es blancs surtout, portent des carabi- dre part au mouvement d'échange qui
îes; mais leurs armes habituelles sont s'exécute à travers le désert ; il trouvera
'arc en bois, le bouclier en cuir d'élé- dans ces Touareg des auxiliaires utiles.
phant, le sabre droit et à double tran- Les intermédiaires entre eux et nous
chant et une longue lance. sont les habitants des villes qui leur
L'ensemble de leur personne offre un servent d'entrepôts et de marchés. Car
ispect étrange, qui surprend et qui ef- ces habitants, fort adonnés au négoce,
raye ; ils sont grands, minces et roides ; sont fréquemment appelés par leurs af-
je' qui leur a fait donner par les Arabes
faires sur le littoral, .Nous citerons par-
e surnom de Poutres.
ticulièrement Rdames, cité saharienne,
i
Les Touareg sont musulmans; mais dont la population intelligente, laborieuse
!ss Arabes leur reprochent l'adoption de
et tolérante fréquente Tunis, Alger et
pratiques chrétiennes. Il est vrai que la surtout Tripoli, qui en est le port le plus
lifierence de langage et de costume suf- voisin.
jiraità elleseulepoùrles faire soupçonner
l'hérésie. Mais d'autres motifs encore Commerce intérieur.
justifient l'accusation portée contre eux. En 1844 legouvernement présenta
La poignée de leur sabre, le devant de aux chambres une loi de crédits extra-
:

3ur selle sont façonnés en forme de ordinaires pour la création d'établisse-


roix, les broderies de leur saï des- ments permanents sur l'extrême lisière
tinent des croix. Cette reproduction fré-
du Tell. Les points qu'il entendait occu-
quente d'un emblème réprouvé par l'is- per étaient Sebdou Saïda, Tiaret, Te-
,

ïmisme n'a pas échappe aux Sahariens, niet-el-HadetBoghar; les trois premiers
|ui, pour cette raison sans doute,
ont dans la province d'Oran, les deux autres
urnommé les Touareg chrétiens du dans celle d'Alger. Cette proposition,
lésert.
rencontra tout d'abord une vive résis*'
160 L'UNIVERS.
tance. La commission de la chambre des transport des marchandises se fait
députés chargée de l'examen du projet dans la direction des méridiens par
crut devoir le combattre. les tribus voyageuses (Nedja), et
A l'appui d'une création de cette im- dans la direction des parallèles par
portance, qui rejetait à trente lieues du les caravanes marchandes (Gafla).
littoral la limite de l'occupation fran- « Presque toutes les tribus du Sahara
çaise, le gouvernement n'invoquait que sont soumises à un régime annuel
des nécessités stratégiques ; il faisait va- de pérégrination, qui a dû exister de
loir l'utilité de ces postes avancés pour tout temps parce qu'il est fondé sur
,

diriger de nouvelles expéditions dans le la nature des productions et du climat


sud. Mais dans le sud il n'y avait plus et sur les premiers besoins de la vie.
que le Sahara avec ses profondeurs plei- Ce mouvement général s'accomplit de
nes alors de mystères , avec ses steppes la manière suivante :
ingrats, qui allaient se perdre dans l'im- « Les tribus passent l'hiver et le
mensité de l'inconnu.. printemps dans les landes du Sahara,
Déjà à cette époque la pensée publique parce que pendant cette période de
en France commençait à s'élever contre l'année elles y trouvent de l'eau et
l'intempérance militaire de la conquête. de la végétation; mais elles ne sé-
Elle voulait à notre domination d'autres journent dans chaque lieu que trois
bases que la razia ; n'y avait-il donc pas ou quatre jours, et ploient leurs ten-
des clefs qui pussent achever de nous tes lorsque les pâturages sont épui-,
ouvrir l'Algérie, et en étions-nous ré- ses pour aller s'établir un peu plus
,

duits à enfoncer successivement toutes loin.


les portes, même celledu Sahara? « Vers la fin du printemps elles pas-;
L'opinion de la commission des cré- sent dans les villes du Sahara où sont
dits extraordinaires était l'expression de déposées leurs marchandises, char-
r
ce sentiment, devenu général. gent leurs chameaux de dattes et d m
Je publiai alors un écrit dans lequel je toffes de laine, et s'acheminent vers le
faisais connaître la loi générale du com- nord, emmenant avec elles tout le
merce intérieur de l'Algérie et l'impor- bagage delà cité nomade, les femmes,!
tance que cette loi assigne dans le mou- les chiens, les troupeaux et les tentes,;
vement général des échanges, aux points C'est l'époque où dans le Sahara
choisis par le gouvernement pour y éta- les puits commencent à tarir et le§
blir des postes avancés. L'occupation de plantes à se dessécher; c'est aussi
Sebdou, Tiaret, Saïda, Teniet-el-Had l'époque où dans le Tell les blés;
et Boghar nous livrait les clefs du Sa- sont mûrs. Elles y arrivent au mo«:
hara. ment de la moisson, lorsque les grain^
Cette manière nouvelle d'envisager la y sont abondants et à bas prix. Cet
question eut le bonheur de trouver dans instant est donc doublement favorable
les deux chambres d'éloquents interprè- pour abandonner les sables devenue
tes ; le projet de loi , menacé d'abord arides et pour s'approvisionner dans
d'une disgrâce presque certaine , reprit le nord, dont les marchés sont inondés
faveur, et fut enfin accueilli à une grande de céréales. |

majorité. « Les tribus du Sahara passent l'été


Cette mesure compléta et régularisa dans le Tell où règne pendant ce
,

le système d'occupation de l'Algérie. temps une grande activité commer-


Qu'on me permette d'extraire de l'écrit ciale. Les dattes et les tissus de laine
dont je viens de parler le passage re- apportés du sud s'échangent contre
latif au phénomène de migration pério- les céréales, la lainebrute, les mou-
dique qui ramène tous les ans dans tons et beurre.
le
la sphère d'action de nos postes avancés « Pendant ce temps aussi la terre se
du Tell la plus grande partie de la po- repose, la moisson est faite, les grains
pulation saharienne c'est sur ce phéno-
: sont rentrés; la récolte n'a rien à
mène que repose le commerce intérieur redouter du parcours : le sol ne peut
de l'Algérie. qu'y gagner ; les troupeaux broutent
« Dans l'intérieur de l'Algérie, le librement dans les pâturages.
, .

ALGÉRIE. 161

« Là fin de l'été donne le signa! du nistratives d'où la vue s'étend jusqu'à


départ, signal accueilli avec joie, parce l'extrême limite du Sahara.
qu'il annonce le retour au pays natal. Depuis 1844 la ligne de nos établisse-
On charge les chameaux, on ploie ments avancés a été complétée par la
les tentes et les cités ambulantes se création du poste de Daïa, qui partage la
remettent en marche vers le sud, à grande trouée laissée entre Sebdou et
petites journées comme elles sont
, Saïda.
venues.
« Elles arrivent dans le Sahara à FINANCES.
l'époque de la maturité des dattes Progressions des recettes des
et dépenses
c'est-à-dire vers le milieu d'octobre. depuis i83o. —
Dépenses militaires. —
Un mois s'écoule à faire la récolte et Dépenses politiques. —
Dépenses civiles,
à la rentrer ; un autre mois est consa- — Recettes territoriales. — Recettes fis-
«cré à échanger le blé , l'orge et la laine cales.
« brute contre les dattes de l'année et
« les tissus de laine , produit du travail Lès finances de l'Algérie occupent
« annuel des femmes. Lorsque ces opé- une place trop large dans la fortune pu-
« rations sont terminées et les mar- blique de la France pour que nous puis-
ischandises déposées dans les magasins, sions nous dispenser d'en faire connaître
« les tribus s'éloignent de la ville , et en quelques mots la situation.
« vont conduire leurs troupeaux,^ de Nos lecteurs suivront sans doute avec
« pâturages en pâturages dans les lan- ,
quelque intérêt la progression des charges
« des désertes du Sahara jusqu'au mo- et des bénéfices d'une entreprise dont
« ment où le retour de l'été ramènera tous, à des degrés et à des titres divers,
« les mêmes voyages et les mêmes tra- nous recueillons la gloire et portons le
« vaux. fardeau
« Telle est dans sa plus grande gêné- Ce qui caractérise la situation finan-
« ralité la loi du mouvement et du com- cière de l'Algérie, c'est la disproportion
« merce des tribus du sud constante entre les dépenses et les re-
« S'il est établi qu'une nécessité im- cettes. Depuis 1831 jusqu'à 1845, date
« périeuse pousse chaque année la po- des derniers comptes rendus, la somme
« pulation mobile des oasis algériennes des dépenses s'est élevée à 708 mil-
« dans la zone des terres de labour les , lions; la somme des recettes à 105 mil-
« points où s'arrête cette marée annuelle lions. L'Algérie se trouve donc pour les
« deviennent des centres d'action dont quinze premières années de son existence
* l'importance est incontestable. C'est coloniale débitrice envers la France
« là que, comme autant de fils, les de 603 millions. S'acquittera-t-elle un
«intérêts du sud viennent se rattacher jour? C'est ce qu'il serait difficile de pré-
« aux intérêts du nord; c'est de là que voir ; car la dette, déjà considérable, se
;« l'Algérie méridionale peut être gou- trouve encore dans la période d'accrois-
i« vernée à longues guides. » sement.
Ce que nous devons désirer, c'est de
Les points où ces fils viennent abou- voir les intérêts commerciaux et indus-
tir, les grands marchés où tous les ans triels se multiplier, se développer, et
la datte saharienne vient d'elle-même augmenter ainsi la part due au trésorsur
s'offriren échange de l'épi du Tell , sont leurs bénéfices.
précisément situés dans le voisinage de Ce qu'il est permis d'espérer , c'est que
Sebdou,deSaïda, deTiâret, deTéniet-el- les recettes, fruit de ce développement,
Had et de Boghar. Le marché principal croîtront dans une proportion plus ra-
porte le nom de Loha; il est situé près pide que les dépenses.
de Tiâret. Lorsque les recettes et les dépenses se
Il était donc d'une grande utilité balanceront, le budget de la colonie aura
d'occuper ces points, non-seulement atteint sa situation normale et l'Algérie ,

comme sentinelles avancées de l'occupa- ne figurera plus dans la balance de nos


tion , mais surtout comme vigies admi- intérêts nationaux que comme un élé-
e
11 Livraison. (Algérie. ) 11
,

162 L'UNIVERS.
ment nouveau de grandeur, de puissance En 1839 une insurrection générale
et de richesse. éclate en Algérie ; elle nécessite de grands
armements; la dépense absolue passe
Voici un tableau qui permettra d'ap-
d'une année à l'autre de 40 millions à
précier la distance qui sépare encore
66 la proportion entre les recettes et les
;
le budget de l'Algérie de cet équilibre
dépenses descend de 11,2 pour 100 à 8,4
entre les dépenses et les recettes. Il pré-
pour 100.
sente en nombres ronds les dépenses et
les recettes faites annuellement en Algé- Elle suit alors une nouvelle série as-
rie depuis le premier janvier 1831 jus- cendante, qui se continue sans pertur-
qu'au 31 décembre 1845 , avec le rap- bation jusqu'en 1845 , où elle s'élève à
port pour chaque année entre les recettes 24,1 pour 100.
et les dépenses. En 1831 la dépense était quinze fois
plus considérable que la recette. En 1 845
TABLEAU DES DÉPENSES ET DES RECETTES elle n'était plus que quatre fois supé*
DE l' ALGÉRIE. rieure le rapport entre la recette et la
:

dépense s'est accru moyennement par


année :
Rapport
entre
Années. Dépenses. Recettes. les recettes Pendant la première série de 1831 à
et les
dépenses.
1837, de 0.85 pour 100.
Pendant la deuxième série, de 1837 à,

millions. millions.
1839, de 0,63 pour 100.
1831 15.5 1.0 6.4<y Pendant la troisième série, de 1839 §
8.1
1832 19-8 1.6 1845, de 2,6 pour 100.
1833 22.7 2.2 9.7
1834 23.6 2.5 10.6
1835 22.7 2.5 11.0 Pour que les recettes fussent égales*
1836 25.3 2.9 II. 5
3.7 9.3
aux dépenses il faudrait , :

1837 39.8
1838 40.8 4.2 10.3
1839 40.1 4.5 II. 2 Au tauxdela première série. 117 ans..
1840 66.5 5.6 8.4
1841 73.3 8.9 12. 1 Au taux de la deuxième.' . . 159 ans. >L

1842 76.4 II. 7 15.3


20.6 Au taux de la troisième. . 38 ans,;
1843 77.8 16.0
1844 78.1 17.7 22.7 sur lesquels six sont déjà écoulés.
1845 84.7 20.4 24.1

708.1 105.4 14.9 Si donc les recettes et les dépenses sui^i


vaient la loi de progression qui les a;
régies depuis 1840, le budget de la mé-
tropole serait dans une trentaine d'an^
On voit par ce tableau que les dé- nées entièrement exonéré.
penses se sont accrues moyennement
Un la nature des
examen rapide de
par année de 4 millions 600,000 francs,
et les recettes de 1 million 300,000 dépenses des recettes permettra
et
francs. d'apprécier le sens des améliorations
que l'avenir réserve au budget de l'Al-
Le rapport entre les recettes et les
gérie.
dépenses, qui en 1831 était de 6,4 pour
100, s'accroît constamment jusqu'en Au point de vue du progrès colonial
1836, et atteint alors le chiffre de 11,5 lesdépenses se partagent en trois classes,
qui correspondent à trois ordres de
be-
pour 100.
soins, ce sont :

En 1837, à la suite de l'expédition de


Constantine, il redescend à9,3 pour 100; militaires;
1« Les dépenses
mais il remonte pendant les deux années
2° Les dépenses politiques ;
suivantes; en 1839 il est de 11,2 pour
3° Les dépenses civiles.
ioo.
ALGÉRIE. 163
Voici pour Tannée 1845 la répartition en nombres ronds des sommes affectées
à ces trois ordres de besoins :

DEPENSES MILITAIRES.
Francs.
États-majors 1,600,000
Solde et entretien des troupes 21,800,000
Vivres et chauffage 16,000,000
Habillement, campement, coucher, transports, convois
et indemnités de routes 7,300,000 69,200,000
) \
Remonte , harnachement et fourrages 9,500,000
Matériel de l'artillerie et du génie; constructions mili-
taires 8,000,000
Hôpitaux. 5,000,000

DÉPENSES POLITIQUES.

Gouvernement de l'Algérie 600,000 \


Gendarmerie et justice militaire 900,000 j 84,000,000
Troupes indigènes 6,300,000 } 8,700,000
Surveillance des côtes ,.... 400,000 {
Dépenses secrètes 500,000 )

DÉPENSES CIVILES.
Administration , cultes ,
justice et finances 1,400,000 )
Colonisation i >5 oo',ooO
I Dessèchements, routes, bâtiments ci- 1
} 6,100,000
Travaux civils. vils, port d'Alger [ 3,200,000 l
J
( Travaux sur le territoire arabe )

Il est facile, en jetant les yeux sur ce civiles, prendront au budget


dépenses
tableau, d'apprécier la nature des modi- une partie de la place que les dépenses
fications que le développement des in- militaires y occupent aujourd'hui.
térêts français en Algérie doit amener Mais il y a entre elles cette différence,
dans l'assiette de son budget. que les dépenses purement militaires
La défense du sol, représentée par sont stériles tandis que les dépenses po-
,

l'armée, coûte 69 millions par an. litiques et civiles contribuent, directe-


La surveillancedu sol, représentée par ment ou indirectement, à l'amélioration
la gendarmerie et les troupes indigènes, des recettes.
coûte 7 millions.
Recettes.
L'exploitation du sol, représentée par
la colonisation et les travaux civils, coûte Parmi les recettes les unes provien-
,

|5 millions. nent du sol de l'Algérie les autres de ,

Peu à peu les moyens de


police géné- droits perçus par l'État sur une con-
rale deviendront plus puissants et plus somniatiWdont il fait lui-même presque
actifs. La gendarmerie et les troupes tous les frais.
{indigènes agrandiront leurs cadres, et Ces dernières sont les recettes pure-
[permettront de réduire l'armée sans ment FISCALES.
[nuire à la sécurité de notre établisse- Les autres sont les recettes terri-
ment. toriales.
I Peu à peu aussi l'exploitation du sol, se composent des
Les recettes fiscales
[devenant plus large, intéressera un droits de timbre et d'enregistrement,
grand nombre
[plus- d'indigènes, appel- des droits de douane et de navigation ,
lera un
plus grand nombre de colons de l'impôt direct, représenté presque uni-
p de travailleurs européens et permet- , quement par les patentes, des contribu-
tra de réduire le chiffre de l'armée sans tions indirectes, des postes et des
compromettre la sécurité de notre éta- bateaux à vapeur. Les recettes de cette
blissement. nature s'élèvent pour 1845 à la somme
j
Les dépenses politiques, et surtout les de 14 millions,
11.
104 L'UNIVERS.
Les recettes territoriales, c'est-à-dire accroissements. Les immeubles produi-
perçus par le trésor sur les pro-
les droits sent déjà 2 millions ; et l'État n'a point |

ductions de l'Algérie elle-même, don- encore pris possession de la totalité de |

nent une somme de 6 millions. En voici son domaine. Les produits forestiers
le détail pour 1845 : sont à l'état de germe; et l'exploitation :

des forêts n'a pour ainsi dire pas com-


Produits forestiers. . . 20,000 f. mencé. Les droits sur la pêche du corail
Produits d'immeubles. 1,876,000
Droits sur la pêche du peuvent s'accroître si la mode ramenait
corail 130,000 en France le goût de cette parure. La
Redevance proportion- redevance sur les concessions de mines
nelle payée par les
3,077,300 f. augmentera avec le nombre des exploi-
concessionnaires des
mines de Mouzaïa. . 1,300 tations; la régularisation et l'extension
Vente du butin pris sur de l'impôt indigène en amélioreront les
l'ennemi 50,000
Produit des dîmes et produits. Enfin le développement et la
redevances arabes. 4,100,000
. / mise en valeur de la propriété agricole
et industrielle autoriseront, d'ici à
C'est sur cette classe de recettes que quelques années, rétablissement de l'im-
porteront principalement désormais les pôt foncier en Algérie.

*~~ WMW ».-».-». %.-*.».» bVt1.1A^V%'\W>lV\l1l\lWtV%%\VV

PARTIE HISTORIQUE.

RÉSUMÉ DE L'HISTOIRE DE L'ALGERIE (1).

INTRODUCTION.

Depuis les temps anciens jusqu'à l'invasion arabe.

aVANT-PKOPOS. tation des territoires et les annales poli-


tiques de ce continent ont été élucidées
,

et exposées avec précision par M. d'Ave-


L'histoire de l'Afrique ancienne a déjà
zac. Les recherches étendues de MM. Du-
été écrite de la manière la plus complète
reau de la Malle et Jean Yanoski ont
et la plus détaillée pour la collection
retrouvé et reproduit tous les détails de
de Y Univers pittoresque. Elle forme le
la fondation , de la prospérité et de la
tome II de YAfrique. Les traditions qui
ruine de Carthage. M. L. Lacroix a
se rapportent à la plus haute antiquité,
tracé l'histoire de la Numidie et de la
I

les connaissances des écrivains anciens


Mauritanie, qui jouèrent un si grand
sur la géographie, l'ethnographie, la
rôle dans les guerres puniques, et dont
distribution des populations, la délimi-
les annales sous la domination ro-
maine offrent un intérêt si vif pour
(i) La du résumé de Y Histoire de
partie
l'étude de la situation actuelle de l'Al-
V Algérie qui comprend l'introduction et les
gérie. Enfin , pour conduire le récit des
périodes de la domination arabe et berbère et
temps anciens jusqu'aux premières
de ladomination turque a été rédigée par
M. J. Urbain, interprète principal pour la époques des âges modernes, M. Jean
langue arabe, attaché pendant dix années à Yanoski a traité la période qui s'étend
l'armée d'Algérie, Les ouvrages où ont été depuis l'introduction du christianisme
puisés les principaux documents sont i° pour en Afrique, sous les Romains, puis
la période berbère Y Histoire de V Afrique,
:
pendant "les dominations vandale et
\
par Kairouani; Y Histoire du Maghreb, par byzantine jusqu'à l'invasion arabe.
,

Nouaïri; le travail d'Ebn-Khaldoun sur les C'est en quelque sorte une histoire
Berbères; Y Histoire des Aghlabites , par ecclésiastique, qui fait connaître les
1

M. Noël Desvergers ; enfin la partie des scien- nombreuses vicissitudes de l'Église d'A-
ces historiques et géographiques, de l'ouvrage frique , déchirée par tant de sectes et
|
de la Commission scientifique de l'Algérie; d'hérésies perdant, à la suite de chaque
,

2 pour la période turque : Fondation de la


commotion politique, une partie de ses
régence d'Alger, par Sander Rang; Histoire
fidèles, jusqu'au jour où ces conscien-
d'Alger, par Ch. de Rotalier; Domination
ces, énervées par d'arides discussions et
turque, par Walsin Eslerhazy ; Mémoires his-
des distinctions subtiles, subirent pres-
toriques et géographiques sur l'Algérie , par
M. E. Pellissier (ouvrage de la Commission que sans défense la religion nouvelle
scientifique); divers travaux remarquables pu-
que leur imposa la conquête musul-
j
bliés par le ministère de la guerre dans les ta- mane.
bleaux de situation des établissements français Le travail que nous entreprenons
en Algérie, pour les années 1837, 1889, aujourd'hui n'a pas pour but de pour-
1840, 1841, 1843, 1844 et i845; l'Histoire suivre, en ce qui concerne l'Afrique
t

j.
de Charles-Quint , par Robertson; enfin les moderne les études savantes sur l'A-
,

\ auteurs espagnols, tels que Marmol, Sando- frique ancienne dont il vient d'être
val, etc., et quelques mauuscrits arabes. question. Nos efforts se sont bornés
,

166 L'UNIVERS.
dans un cercle plus étroit; nous avons Origine et distribution des populations.
recherché, parmi les événements qui se
sont déroulés dans ce vaste continent, Les écrivains de l'antiquité n'avaient
depuis le septième siècle de notre ère, que des connaissances imparfaites sur
jusqu'à nos jours, tout ce qui se ratta- les régions qui s'étendent depuis l'Egypte
che le plus directement possible à l'his- jusqu'à l'Océan. Plusieurs dénomina-
toire de l'Algérie. Cependant, comme tions étaient employées pour désigner
cette partie de l'Afrique septentrionale ces contrées; la plus générale semble
n'est devenue un État distinct que sous avoir été celle de Libye. Encore ne
la domination turque, au seizième siè- s'appliquait-elle qu'à la partie la plus
cle, nous avons été dans l'obligation, rapprochée de l'Egypte; car le disque
pour la première période du récit de
, terrestre d'Homère avait pour extrême
rappeler les faits relatifs à l'ensemble limite occidentale une ligne descendant
de l'Afrique du nord , plus particulière- de l'île d'Elbe au promontoire de Car-
ment connue des Arabes sous le nom de thage. Ce ne fut que dans l'année 639
Maghreb. avant l'ère chrétienne que le Sa mien
Afin de réunir dans un même cadre Coléos poussé par la tempête , dépassa
,

tous les renseignements sur l'Algérie le détroit des colonnes d'Hercule. Le


et de permettre de suivre, pour ainsi dire nom d'Afrique ne fut substitué à celui
à travers les âges, les modifications de Libye que sous la domination car-
successives des territoires jusqu'à la thaginoise. Employé d'abord comme
formation de la Régence par les Turcs, dénomination du territoire propre de
nous avons pensé qu'il serait utile de Carthage il acquit successivement une
,

présenter un résumé rapide des travaux acception plus générale, et servit enfin
sur l'Afrique ancienne déjà publiés dans à désigner la totalité du continent. C'est
Y Univers pittoresque. Il ne s'agit pas une remarque qui se reproduit à l'occa-
de refaire une histoire considérable qui sion de chacune des principales révolu-
n'a rien laissé en oubli et qui ne présente tions de l'histoire de l'Afrique; la vie,
aucune lacune jusqu'à l'invasion arabe; le mouvement, l'action qui l'unissent
nous voulons seulement rechercher au monde européen naissent, soit à
parmi ces riches et abondants matériaux l'orient, soit au nord, mais marchent
ce qui concerne spécialement les con- et progressent constamment de l'orient
trées comprises dans l'Algérie actuelle. à l'occident; et les contrées les plus
Cette partie de l'Afrique a subi, dans le voisines de l'Océan arrivent toujours les
cours des temps, de nombreuses et vio- dernières à prendre part à la civilisa-
j
lentes invasions; des races nouvelles tion nouvelle.
sont venues se mêler aux races indigè- Les traditions les plus anciennes men-
nes; chaque conquête a amené avec elle tionnent des émigrations de peuplades
sa religion, qui, devenue bientôt domi- de l'Asie dans le nord de l'Afrique.
nante, a supplanté la foi des vaincus; Ce sont d'abord des populations Rana-
les territoires ont été remaniés , les dé- néennes, qui, chassées de la Palestine
limitations changées après chaque révo- et refoulées en Egypte , se répandirent
lution, après tous les événements poli- dans les régions libyennes. Aces tri-
tiques importants; et cependant on est bus vinrent se fondre de nombreuses co-
frappé, en parcourant ces annales si lonies de Coptes, de Kouchytes, d'Arabes
variées, si souvent renouvelées dans Sabéens, d'Amalécites et de Palestins.
un cadre si mouvant , de trouver tou- Ces émigrations semblent avoir formé la
jours les traits principaux des races souche des Gétules, qui figurent dans
qui occupent encore aujourd'hui le sol, l'histoire de l'Afrique musulmane sous
de reconnaître leurs mœurs, leur carac- le nom de Berbères. Dans cette fusion
tère , et de saisir les preuves pour ainsi chaque élément conserva cependant le
dire vivantes de leur origine et de la souvenir de son origine distincte. Ainsi,
légitimité de leur descendance. Ce sera les Senahdja, les Ketama, les Lamta,
la justification de cette analyse succincte lestlaouara, les MasmoudaetlesLaouata
des travaux de MM. D'Avezac , Bureau étaient issus des Sabéens de PYémen;
de la Malle Jean Yanoski et L, Lacroix,
, les Zenata descendaient des Amalécites,
, ,

ALGÉRIE, 167

nommés Dja- partie occidentale; puis plus à l'est, les


et d'autres, vulgairement
loulia, représentaient la postérité de Numides, qui s'étendaient depuis le
Goliath. Ces races constituaient avec fleuve Molouïa, jusqu'à la petite Syrte;
enfin, à l'extrémité orientale, les Li-
les Libyens, considérés comme autoch-
thones, la population du nord de l'Afri- byens proprement dits , et derrière eux
les Éthiopiens. Les Gétules, qui passent
que. Les Libyens étaient plus particu-
lièrement fixés vers le littoral et les pour les ancêtres des Berbères d'aujour-
diverses autres peuplades dans l'inté- d'hui, étaient placés derrière les Numi-
rieur.
des, séparés d'eux par la chaîne de
l'Atlas.
A ce premier flot d'émigration dé-
bordé de l'Orient sur la Libye succéda Le premier mouvement d'émigration
partit de l'est ; le second , quoique égale-
un mouvement en sens inverse, qui
apporta des éléments nouveaux dans la ment originaire de l'Orient, s'établit en
composition de la population. C'est Afrique par une expansion de l'ouest à
Salluste qui fournit ces renseignements, l'est.La troisième accession de peuples
qu'il a empruntés aux livres du roi étrangers arriva par le nord. D'autres
carthaginois Hiempsal. Hercule, le con- races vinrent s'implanter, non plus
quérant asiatique , après avoir traversé comme éléments d'une fusion nouvelle,
en vainqueur toute la Libye, à la tête mais comme colonies conservant une
d'une armée immense, à laquelle toutes nationalité séparée. Ce furent, d'une
les nations de l'Asie avaient envoyé leur part, les Phéniciens de Tyr et de Sidon,
contingent , avait passé en Espagne. Là qui fondèrent à l'ouest de la grande
il fut trahi par la fortune, et périt dans Syrte des comptoirs commerciaux, dont
une bataille. A la suite de cette catas- le plus considérable fut Carthage; de

trophe, son armée se débanda. Une l'autre part, ce furent les Grecs de Théra,
partie passa en Afrique. Les Perses s'en- qui s'établirent à l'est de la Syrte, et dont
foncèrent dans le pays, ensuivant les Cyrène devint la métropole principale.
côtes de l'Océan , puis tournèrent vers Les populations commencent à se clas-

l'est; ils se mêlèrent aux Gétules, ser; les divisions territoriales deviennent
dont ils adoptèrent les habitudes no- distinctes; l'histoire sort de la confusion
mades , changeant comme eux très-fré- et des ténèbres.
quemment de campements; ils prirent Amesure que ces deux puissances
le nom de Numides. Les Mèdes et les commerciales prirent du développement,
Arméniens s'unirent aux Libyens du les dénominations géographiques furent
littoral et reçurent le nom de Maures
,
encore simplifiées. Sous le nom de Li-
soit parce qu'ils étaient la population la bye, les Romains désignèrent les colonies
plus occidentale, soit qu'on veuille grecques depuis les autels des Philènes
voir dans le mot Maure une dériva- au fond de la Syrte , jusqu'aux frontières
tion du mot Mèdes. Les Numides ne de l'Egypte. Le domaine carthaginois
tardèrent pas à agrandir leur centre qui ne paraît pas avoir dépassé les li-
d'action ; leurs succès contre les indi- mites actuelles de la régence de Tunis,
gènes les portèrent jusque sur le littoral reçut le nom d'Afrique ; le reste, jusqu'au
de la Méditerranée, refoulant les Li- fleuve Molouïa, s'appelaitNumidie; puis
byens vers l'est et arrêtant à l'ouest le venait la Mauritanie. En refoulant à
mouvement d'expansion des Maures. l'intérieur les tribus du littoral , la civi-
Si on peut ajouter foi à ces traditions lisation carthaginoise et la civilisation
africaines , époque reculée
c'est à cette grecque n'eurent pas la prétention de
qu'il faut faire remonter la première les anéantir, et à aucune époque elles ne
constitution un peu précise, sur le parvinrent à asservir complètement les
territoire actuel de l'Algérie, d'une Numides et les Maures.
nation distincte, formée par un mélange
Fondation de Carthage.
de Perses, de Gétules et de Libyens,
et connue sous le nom de Numides. La Carthage fut fondée l'an 878 avant
population de la Libye se trouvait alors l'ère chrétiennepar Didon, sœur de
ainsi répartie : les Maures, les plus Pygmalion , roi de Tyr. Ce prince ayant
rapprochés de l'Espagne, occupant la fait mourir son mari pour s'emparer de
168 L'UNIVERS.
ses richesses, Didon s'enfuit avec un petit Les indigènes qui habitaient ce pays
nombre de partisans, et vint aborder sur étaient adonnés à l'agriculture, et dispo-
les côteslibyennes, aux environs de Tu- sés par leur caractère pacifique à accep- 1

nis. Il colonies
existait déjà plusieurs ter une civilisation plus avancée. Les
phéniciennes dans les mêmes contrées, Carthaginois eurent soin de disséminer
entre autres Utique , dont les chroni- au milieu de ces populations des colonies
ques phéniciennes font remonter la fon- phéniciennes constituant un réseau de
dation jusqu'à 1520 avant J. C, et «villes destinées à maintenir leurs nou-
qui était située dans le golfe même où veaux sujets dans l'obéissance. Cette
la sœur de Pygmalion débarqua. Le pre- presqu'île portait le nom d'Afrique, et
mier acte des nouveaux émigrants fut était composée de deux provinces la :

d'acheter du terrain aux indigènes. On Byzacène et la Zingitane. Au delà il n'y


sait par quel stratagème ingénieux Didon avait que des tribus nomades indé-
se fit concéder une superficie assez éten- pendantes, avec lesquelles Carthage était
due, en ne demandant que l'espace qu'une quelquefois liée par des traités, et où elle
peau de bœuf pourrait renfermer. Elle recrutait des soldats mercenaires.
bâtit une citadelle, qui prit le nom de La colonie fondée par les Grecs dans
Byrsa. Iarbah régnait alors sur les la Libye orientale eut des commence-
Gétules (Djedala) et sur les Maxyes ments "et des progrès pareils à ceux de
(Amazirgs) ; il voulut épouser Didon, qui Carthage. Souvent aux prises avec les
s'était soumise au payement d'un impôt populations indigènes, Cyrène parvint'
en argent ; la reine de la ville nouvelle à les refouler vers l'intérieur, et quel-
s'y refusa. quefois même à les soumettre entière-
Après la mort de Didon une lacune ment. Ses relations commerciales s'éten-
de trois siècles se présente dans l'histoire dirent également. Ce développement de:
de Carthage. On peut supposer que les prospérité ne tarda pas à exciter la jalou-
commencements de cette colonie furent sie de Carthage. Les vieilles antipathies
très-modestes. Mais son heureuse situa- nationales se réveillèrent. Carthage se rat-
tion les éléments de prospérité commer-
, tachait par son origine aux races sémi-,
ciale et industrielle qu'elle possédait, tiques, dont l'inimitié contre la race hel-
mis à profit par le génie entreprenant lénique alimenta la guerre pendant plu-;
des Phéniciens, aidèrent le développe- sieurs siècles en Asie et en Grèce. Cette,
ment rapide de sa puissance. Elle forma première lutte se termina par une dé--
le long du littoral une chaîne non in- limitation du territoire des deux colonies.
terrompue de colonies de comptoirs, de
, L'histoire a perpétué la mémoirede deux
positions fortifiées, qui se prolongeaient frères carthaginois qui consentirent à
vers l'ouest jusqu'au détroit, et au moyen être enterrés vivants pour assurer à leur
desquels elle établit ses rapports com- patrie des limites plus étendues. Le lieu
merciaux sur des bases solides et prépara où s'accomplit ce dévouement héroïque
dans toute la partie occidentale de la fut appelé autels des Philènes, du nom'
Méditerranée le monopole de la navi- des deux frères, et marqua les frontières
gation, qu'elle conserva longtemps. Le des deux États. A partir de cette époque
gouvernement, qui était monarchique, les annales de Carthage ont été conser-
fut remplacé par une constitution répu- vées sans interruption. C'est le moment
blicaine, sans qu'on assigne l'époque ni où elle porte ses conquêtes au dehors
les causes de cette révolution. du continent africain.
Les progrès des Carthaginois sur les
populations aborigènes, pendant cette Guerres des Carthaginois hors de
espèce d'interrègne historique de trois
V Afrique.
siècles, ne furent pas moins sensibles. L'an 543 avant l'ère chrétienne, Car-
On croit que ce fut du temps de Darius thage, puissante déjà par sa marine , dé-
filsd'Hystape qu'ils s'affranchirent du clara la guerre aux Phocéens. A
l'issue
tribut qu'ils payaient aux rois des peu- de cette lutte , elle resta maîtresse de
plades qui les entouraient. Us étendirent l'île de Corse. Bientôt après, à l'insti-

Leur domination sur toute la presqu'île gation et avec l'aide secrète de Xerxès et
comprise entre ïabraca et la petite Syrte. de ses successeurs , les Carthaginois en-
ALGERIE. 169

treprirent des expéditions en Sicile con- et mirent le siège devant Carthage.


tre les colonies grecques; en 536 ils Mais cette multitude sans chefs expéri-
s'emparèrent de la presque totalité de mentés et sans organisation ne put te-
cette île; en 530 ils tournèrent leurs nir la campagne longtemps manquant :

armes contre la Sardaigne, et s'en ren- de vivres, travaillée par les habiles in-
dirent maîtres. trigues des Carthaginois elle se débanda
,

Pendant que la fortune semblait ac- et délivra la ville des alarmes qu'elle
compagner partout ses flottes Carthage , quatre ans d'efforts
lui causait. Il fallut
eut des luttes à soutenir contre les po- soutenus pour reconquérir l'ascendant
pulations indigènes qu'elle avait subju- politique que cette révolte avait fait
guées. Elle triompha de ces résistan- perdre ;cependant, en 379, une se-
et
ces autant par la ruse et. la séduction conde insurrection des Libyens sans ,

que par la force. D'un autre côté, les reproduire les mêmes dangers, coûta
incursions multipliées qu'elle faisait sur aux Carthaginois des sacrifices de toutes
la Méditerranée la mirent bientôt en sortes, qui l'affaiblirent beaucoup.
présence des Romains; mais ces pre- Invasion de l'Afrique par Aga-
mières relations furent pacifiques, et sont thocle. —
Agathocle, pressé en Sicile
constatées par un traité signé en 509. par les Carthaginois, trompa la vigilance
Les premiers succès de Carthage en de leur flotte, et débarqua en Afrique en
Sicile la portèrent à aspirer à la conquête 309 à El-Haouarieh, sur le côté oriental
,

de l'île tout entière. Son empire et du golfe de Tunis au sud du cap Bon.
,

sa gloire s'étaient accrus par l'habileté Les Siciliens firent des progrès rapides.
de Magon, d'abord suffète de la républi- Après avoir détruit l'armée carthagi-
que, puis général. Il avait introduit la noise, Agathocle dévasta les environsde
discipline militaire parmi les troupes, la capitale, et reçut la soumission d'un
reculé les frontières en subjuguant les grand nombre de places; il marcha en-
peuplades indépendantes, étendu le suite contre les villes maritimes, et en
commerce de sa patrie. Après la mort peu de temps, de gré ou de force, il en
de Magon ses deux fils lui succédèrent
, rangea plus de deux cents sous son obéis-
et commencèrent les expéditions contre sance. A la nouvelle de ces succès, les
Cette lutte avec les races hel-
la Sicile. Libyens tributaires vinrent en grand
léniques, qui devait se prolonger, sans nombre grossir le parti du vainqueur,
changer de théâtre, jusqu'à l'époque de et lui facilitèrent la conquête du litto-
la première guerre punique, en 268 avant ral et les entreprises contre les popula-
J. C, s'engagea l'an 489. Pendant ces tions de l'intérieur. Ces expéditions s'é-
deux siècles la guerre se fit avec des tendirent à l'ouest jusqu'à Hippone,
chances diverses, mais avec un égal ( Bône ) ;
puis, elles atteignirent Stora et
acharnement des deux parts. Les prin- Collo. Une partie des Numides accepta
cipaux événements qui se rattachent l'alliance des Siciliens, le plus grand
d'une façon plus directe à l'histoire des nombre attendit l'issue définitive de la
populations africaines sont une révolte
: lutte pour se prononcer. Mais Carthage
des indigènes, plus formidable que les sut tirer parti de cette hésitation , et dès
précédentes, et l'invasion du domaine que la fortune se montra plus favorable
iCarthaginois par Agathocle , roi de Si- à ses armes, elle ramena les indigènes,
cile. recouvrit ses possessions, força Agatho-
RÉVOLTES DES LlBYENS. L'in- — cle à s'enfuir secrètement , * abandon-
surrection éclata en 395 avant l'ère nant son armée, qui évacua elle-même
chrétienne à la suite d'une expédi-
^ l'Afrique à la suite d'un traité. Cette in-
tion en Sicile par Himilcon , dont l'ar- vasion avait duré trois ans.
mée avait été décimée par la peste, et
qui avait lâchement abandonné les Guerres Puniques.
auxiliaires libyens à la vengeance des La Sicile devait être funeste à Car-
iSyracusains. Cet acte souleva une indi- thage. Après avoir combattu pendant
gnation générale parmi les indigènes; plus de deux siècles sans pouvoir établir
ils se levèrent au nombre de plus de solidement leur domination sur cette
(deux cent mille , s'emparèrent de Tunis île, les Carthaginois rencontrèrent la
,

170 L'UNIVERS.
puissance romaine, qui commençait à des propriétaires ruraux la moitié de
s'alarmer de leurs progrès vers les côtes leurs revenus; les impôts des villes!
septentrionales. La lutte s'engagea sur avaient été doublés ; aux exactions des
ce théâtre, et y fut longtemps circon- gouverneurs s'étaient jointes les dépré-
scrite. Ce fut seulement dans la neu- dations des Romains et des Numides. \

vième année de la première guerre Pu- Ces griefs accumulés firent explosion il
nique, en 256 avant Jésus-Christ, que l'appel des soldats révoltés ; toutes les
Régulus et son collègue, leconsul Aulus villes et les campagnes envoyèrent des
Manlius Vulso firent une descente en
, hommes , des munitions et de l'argent;
Afrique et débarquèrent près de la ville et les insurgés, à la tête d'une armée de
deKélibia ( l'ancienne Clypéa), dont ils soixante-dix mille hommes, allèrent,]
se rendirent maîtres. L'année suivante sous la conduite du Libyen Mathos et du,
les Romains s'emparèrent de Tunis, et transfuge campanien Spendius, attaquer;
ravagèrent le plus beau canton de l'A- Utique et Hippona Diarrhyte (Bizerte)
frique, enlevant une quantité immense qui seules étaient restées fidèles à la
de bestiaux et emmenant un nombre cause carthaginoise.
considérable de prisonniers. Les Numi- L'armée dirigée contre les rebelles
des, qu'on trouve toujours unis aux en- obtint un premier succès, presque aussi-
nemis de Carthage furent les instru-
, tôt suivi d'un désastre; deux fois le gé-
ments les plus actifs de ces déprédations néral carthaginois laissa échapper une
barbares, dont le signal était donné^par victoire facile, et on dut lui envoyer uri
l'armée romaine. Mais les affaires des renfort de dix mille citoyens et de
Carthaginois furent rétablies grâce à
, soixante-dix éléphants. Ces troupes, ma
un corps de Grecs mercenaires com- commandées, ne purent arrêter les insurs
mandés par le Lacédémonien Xantippe. gés, qui, après avoir pris Utique et Bi-f
Régulus fut fait prisonnier, et son armée zerte, vinrent mettre le siège devant la
complètement écrasée. On n'a pas be- capitale. Un général plus habile ayant
soin de rappeler sa fermeté inébranlable été choisi, les Carthaginois triomphé-'
pendant sa captivité et sa mort héroï- rent enfin de cette insurrection
que, qui a conquis l'immortalité à son à la trahison de Naravas, chef numide,
1

nom, La première expédition des Ro- qui, frappé d'enthousiasme pour le carac-
;

mains en Afrique n'eut d'autre résultat tère d'Amilcar, abandonna le parti des;
qu'une occupation passagère et les ten-
; révoltés, et entraîna un corps de deux;
tatives qu'ils firent ultérieurement jus- mille Numides qu'il commandait. Tout^:
qu'à la fin de la première guerre Puni- le pays rentra dans l'obéissance, et les!
que, en 242, n'eurent pas plus de succès. populations voisines, telles que les Nu-
Guerre des Stipendiés. — Le mides Micatanes, qui s'étaient montrées!
traitéde paix qui mit fin à la guerre en- hostiles, furent châtiées avec une rigueur
tre Rome et Carthage amena pour cette excessive. La guerre des Stipendiés,
dernière puissance les embarras inté- qu'on a appelée aussi guerre des Mer- 1

rieurs les plus graves. L'évacuation de cenaires, et qui avait jeté Carthage dans
la Sicile et la cessation des hostilités de si grands périls , dura trois ans et
rendaient inutiles les nombreuses trou- quatre mois; les deux chefs Spendius et
pes mercenaires et libyennes entrete- Mathos furent pris, et subirent une mort
nues par les Carthaginois. Elles furent cruelle et ignominieuse.
dirigées sur Sicca ( le Ref ), vers la fron- Deuxième guerre Punique. — -'

tière de la Numidie. Elles avaient à ré- Pendant que troubles intérieurs me-
les i

clamer un arriéré de solde considérable; naçaient l'existence même de Carthage,


le trésor public était épuisé; on voulut sa puissance s'étendait au dehors. A
l'is-
j

discuter avec elles sur le montant de la sue de la première guerre Punique , le


créance; elles se révoltèrent, et appelè- traité de paix lui avait enlevé la Sicile,
rent le pays à faire cause commune avec la Sardaigne, la Corse, la plage ligu-
elles. Les indigènes avaient été traités rienne ; mais des conquêtes nouvelles
avec une extrême dureté pendant le en Espagne la dédommagèrent bientôt j

cours de la guerre. Pour subvenir aux de ses pertes. Annibal, qui devait porter
dépenses de l'armée Carthage avait exigé la gloire des armes de sa patrie jusqu'au
- ,

ALGÉRIE. 171
cœur même de l'Italie, commandait les Syphax, mécontent des faveurs prodi-
troupes carthaginoises en Espagne. En guées à Gula, écouta les propositions
221 avant J. C. Rome prit ombrage de des Romains, et embrassa leur parti, en
ses progrès, et voulut imposer l'Èbre 213 avant J. C. Les deux rois numides
comme limite des possessions de sa ri- ne tardèrent pas à en venir aux mains :
vale; elle prétendit même réserver au la victoire resta à Massinissa, fils de
midi de cette ligne l'indépendance de Gula, qui commandait les Massyliens;
Sagonte, colonie grecque. Annibal, sans l'allié des Romains dut abandonner
sa
tenir compte des réclamations des am- capitale et se retirer chez les tribus les
bassadeurs romains s'empara de cette
, plus voisines de la Mauritanie. Après
ville, et la ruina complètement. Cette au- cette bataille, Massinissa, à peine
âgé
dacieuse insulte à la protection du peu- alors de dix-sept ans, passa en Espagne,
ple romain fut le signal de la guerre ; elle et prit une part glorieuse au combat
fut rallumée en 219. Nous n'avons pas dans lequel les Scipions furent défaits
à suivre le héros carthaginois dans son par Asdrubal et Magon, en 212. Mais
invasion de l'Italie; nous devons nous pendant que l'armée de Gula était em-
borner à rappeler les événements de la ployée en Espagne au service des Car-
guerre qui eurent l'Afrique pour théâtre. thaginois, Syphax sortit de sa retraite
La seconde guerre Punique ne se con- rétablit ses affaires, et se
mit en rela-
centra pas, comme la première, en Sicile; tion avec le sénat romain.
en peu de temps elle embrasa toutes les Variations de Syphax et de Mas-
contrées qui bordent la Méditerranée
occidentale, et les nations numides
sinissa, — Devenu le plus puissant roi
y de l'Afrique, Syphax, emporté par son
jouèrent un rôle important. Quelques ambition et son inconstance naturelles,
détails sont nécessaires pour expliquer s'était rapproché de Carthage, et se plai-
l'intervention des indigènes dans cette sait à flotter entre les deux républi-
grande lutte. ques qui le sollicitaient également. D'un
Formation des royaumes numi- autre côté, Massinissa s'était mis
des. — A la suite de l'invasion d'Aga- rapport avec les Romains , et , touché en
;hocle, un grand nombre de tribus sou- de ia générosité de Scipion, qui lui avait
mises aux Carthaginois avaient recon- rendu sans rançon son neveu Massiva,
nus leur indépendance. Sans cesse préoc- fait prisonnier,
il avait conclu en secret
•upés des difficultés et des intérêts plus un traité avec eux, en 206.
érieux qu'ils avaient sur le littoral et
A la suite de
cette alliance, il passa en Afrique pour
ians les contrées européennes, les
Car- entraîner les tribus dans le parti nou-
haginois ne purent faire rentrer ces tri- veau qu'il venait d'embrasser. Ainsi,
us dans le devoir. Elles se constitué pendant que les Romains perdaient le
ent en Etats libres. C'est alors que se concours de Syphax définitivement lié
,
primèrent les royaumes des Massyliens aux Carthaginois par son mariage avec
t des Massésyliens qui comprenaient
, la belle Sophonisbe, ils gagnaient Mas-
oute la Numidie. Le roi des Massésy- sinissa, moins puissant alors que son
ens résidait à Siga, auprès de l'em- rival, mais plus jeune, plus habile à
la
ouchure delà Tafna; celui des Massy- guerre,
et destiné à exercer une influence
ens avait Zama pour capitale. La li- immense dans ia lutte contre Carthage.
îite entre les deux
royaumes était Les chances de la guerre ne furent pas
Ampsaga ( Oued-el-Kebir ). Au moment d'abord favorables
au nouvel allié des
u éclata la deuxième guerre Punique,
Romains; vaincu par Syphax, il fut con-
rula régnait sur les Massyliens
et Sy- traint à fuir dans les montagnes avec
nax sur les Numides les plus occiden-
un petit nombre de cavaliers et quelques
iux.
familles emportant leurs tentes et chas-
Ces deux royaumes étaient tous
deux sant devant elles leurs troupeaux. Mais
;op rapprochés de l'Espagne
pour que bientôt Massinissa, guéri de ses blessu-
jome et Carthage ne songeassent
pas à res, reparut dans son royaume, et récu-
chercher des alliés. Gula, fils de
Na- péra le pouvoir. Il réunit une armée, et
ivas, qui aida Amilcar
à triompher des alla camper sur une montagneentre Cirta
:>pendiés, se déclara pour
Carthage; etHippone royale (Constantine etRône)v
, ,

172
L'UNIVERS.
anéantit ses dernières ressources, et ré-
Défait encore une fois par Syphax,
il

avec duisit cette république humiliée à implo-


parvint à s'échapper à grand' peine
rer contre lui l'intervention romaine
soixante-dix cavaliers, et serétugia chez
ravage sur sans pouvoir obtenir que l'exécution des
les Garamantes après avoir
,
de
contrées soumises aux traités fût maintenue et que l'audace
son passage les
l'agresseur fût blâmée. Cette lutte dura
Carthaginois et à leurs alliés.
presque sans interruption depuis l'an 193
Les Romains portent la guerre

L'arrivée de Scipion avant l'ère chrétienne jusqu'en 150,
en Afrique.
peu de temps avant la troisième guerre
en Afrique, en 205, jetal'épouvante dans
allies de Punique. Les résultats de la guerre lu-
les possessions et parmi les
rent pour Massinissa la possession de
Carthage, et rétablit la fortune de Mas- des gran-
cava- la Byzacène , de tout le pays
sinissa. Il n'amena que deux cents et
romaine qui des Plaines jusqu'auprès de Bizerte
liers numides à l'armée pays si-
apportait de quelques autres parties du
assiégeait U tique; mais il domaine
de son ex- tuées au sud ou à l'ouest du
l'utile concours de sa valeur, nu-
très-restreint de Carthage. Le roi
périence et de sa tidélité. Sa troupe gros-
avoir combattu mide étendit aussi ses Etats aux dépens
sit rapidement; après pris
batail- de la Numidie occidentale, qui avait
à côté de Scipion dans plusieurs dans ses démêles avec
Numidie avec Le- parti contre lui
les il fut envoyé en
,

et lui enlever Carthage.


pour poursuivre Syphax
Troisième guerre punique mort,
lius
Massimssa ;
le territoire qu'il avait usurpé.
battit Syphax, et le fit prisonnier
en 202. de Massinissa. —
Ce dernier acte de
la lutte fut aussi meurtrier, aussi dispute,
Il s'empara ensuite de Cirta, qui était
mais moins long que les précédents.;
devenue la capitale de la Numidie. So-
phonisbe tomba en son pouvoir ; mais
Commencée en 149 la troisième guerre;
,

Punique fut terminée en 146 par la des-;'


ne pouvant la sauver de l'humiliation
truction de Carthage. Massinissa,
qui;
de figurer au triomphe de Scipion,
il
poursuivait
se donner depuis près d'un demi-siècle
lui envoya du poison pour
titre et les avec ardeur la ruine des Carthaginois,,
la mort. Massinissa reçut le dépouilles,
de dans l'espoir d'hériter de leurs
insignes de la royauté. La défaite
avec regret les Romains venir
lui
Carthage suivit de près celle de son al-
vit
arracher une proie assurée. Soit
que la
lié- Annibal perdit la
bataille de Zama,
maladie et la vieillesse eussent déjà
pa-;
et lesRomains dictèrent la paix, qui mit de son<
ralysé ses forces , soit par suite
en 201 avant J. C, à la deuxième
fin,
vif mécontentement , il ne parut pas à
guerre Punique. Cette lutte terminée, moi^
partagée entre l'armée romaine, et mourut peu de
la Numidie se trouva
après le commencement du siège de
Massinissa, roi de Massyliens, dont
les
Carthage, à l'âge de quatre-vingt-dix-
possessions s'étendaient au sud du ter- contribua
la Cyre- sept ans. Son long règne
ritoire de Carthage, jusqu'à
beaucoup à changer l'état social de la
naïque, et Vermina, fils de Syphax,
roi
Il s'appliqua dans
plusieurs
anciennes Numidie.
des Massésyiiens , avec leurs aban-
autres contrées de son royaume à faire
limites, moins Cirta et quelques
Massinissa donner aux populations leurs habitudes
villes, qui furent données à
nomades et à les fixer sur le so , en
par les Romains. l'agriculture.
leur inspirant l'amour de
Envahissements de Massinissa.— enseigna
disciplina son armée, lui
Le traité que Rome venait d'accorder a
Il

la tactique romaine, et
réprima ener-
Carthage ne pouvait marquer qu'un répit
phé- giquement l'instinct du pillage et du
dans la destruction de la puissance
de brigandage qui distinguait les Numides.
nicienne. L'agrandissement des Etats
Tout en comprenant les avantages de
la

Massinissa avait placé le roi numide sur taire


civilisation et en s' efforçant d'en
la lignemêmede toutes les frontières car- tou-
jouir ses sujets, Massinissa vécut
thaginoises ; son activité, sa haine et son
jours dans la plus grande simplicité,
ambition le rendirent un voisin redou- de ses
netarda sans rien changer aux coutumes
table pour l'ennemie de Rome. 11 robuste, dur au
pères. 11 était sobre,
pas à envahir le territoire de Carthage; intrépide
provinces travail et à la fatigue; le plus
il lui enleva ses meilleures
,

ALGÉRIE. i s «

cavalier de la Numidie , il restait à che- lonies italiennes, peu importantes d'a-


val plusieurs jours et plusieurs nuits de bord, mais destinées à grandir, appor-
suite, et jusqu'à l'âge de quatre-vingt- tèrent sur le sol africain les mœurs et
dix ans montait seul sur son cheval
il le langage des peuples latins; par leurs
sans Tel fut le héros de la Numi-
selle. relations avec les indigènes , elles pré-
die, guerrier expérimenté, habile poli- parèrent le développement de la puis-
tique, d'un caractère noble et généreux, sance romaine. La conduite des fils de
fidèle jusqu'à la fin de sa vie à l'alliance Massinissa ne donna d'abord aucun su-
qu'il avait contractée avec Rome. jet de plainte. Gulussa et Mastanabal
Massinissa se souvint en mourant que ayant été enlevés tous deux à la fois par
c'étaient les qualités brillantes de Sci- une épidémie qui exerça les plus terribles
pion Paul Emile qui avaient gagné son ravages en Afrique, Micipsa resta seul
cœur à la cause des Romains. Déjà on maître de la Numidie. Ami de la paix et
s'entretenait des exploits et du mérite des arts, il poursuivit l'œuvre de civi-
du jeune Scipion, digne fils du héros ob- lisation entreprise par son père; i! orna
jet de son admiration. Le roi numide Cirta, sa capitale, d'édifices et d'éta-
voulut donner un dernier témoignage blissements utiles et y appela une co-
,

de sa confiance et de son dévouement, lonie grecque, qui contribua à accroître


en laissant à Scipion l'Africain le soin de encore la prospérité de la ville.
partager ses États entre ses trois fils. Guerre de Jugurtha. — La mort
Celui-ci, préoccupé de l'intérêt de sa pa- de Micipsa en 119 vint interrompre le
trie, ne divisa pas le territoire de la cours de ces progrès. Il laissait deux fils;
Numidie, afin d'éviter des guerres ou mais parmi ses neveux, Jugurtha, fils
des rivalités qui auraient affaibli la puis- de Mastanabal s'était déjà concilié l'af-
,

sance des alliés de Rome. Il conserva le fection des populations numides, et


royaume dans son intégrité, et partagea avait gagné la protection romaine par
le pouvoir entre les trois frères à Gu-
: les services qu'il rendit au siège de Nu-
lussa il assigna le commandement de
, mance en Espagne. Jugurtha , dès son
,

l'armée; Micipsa eut le pouvoir admi- adolescence avait montré par sa har-
,

nistratif, et résida à Cirta Mastanabal,


; diesse , sa bravoure et son habileté ce
le plus jeune, fut chargé de présider que le royaume pourrait avoir à souffrir
aux affaires de la justice. En revenant de son ambition. Micipsa crut prévenir
au camp romain, Scipion emmena avec ces dangers en admettant son neveu au
lui le jeune Gulussa, qui, jusqu'au mo- partage de sa succession avec ses deux
ment de la chute de Carthage, fut pour iils. Il avait à peine fermé les yeux,

lui un précieux auxiliaire. Le corps que les maux qu'il avait voulu conjurer
de cavalerie numide se fit aussi remar- éclatèrent. Jugurtha, appelé à régner
quer par son courage et son dévouement. sur le territoire compris entre l'Amp-
Après l'anéantissement de Carthage, les saga et la Mulucha , fut mécontent de
vainqueurs, occupés en Orient et dans la part qui lui échut, et en appela aux
l'Occident de guerres importantes, ne armes. d'abord assassiner Hiemp-
Il fit
songèrent point à étendre leurs conquê- sal , un des deux
fils de Micipsa, et di-
tes en Afrique. Se bornant à dominer rigea ensuite ses efforts contre Adherbal,
directement la province la plus rappro- qui résidait à Cirta. Son brillant courage
chée de la ville détruite, ils laissèrent attira auprès de lui un grand nombre
aux rois numides les régions du sud et de partisans. En vain Adherbal implora
de l'ouest. le secours des Romains , son adroit en-
nemi sut par des largesses faire taire la
Conquête de la Numidie par les Ro- justice des envoyés du sénat, et réussit à
mains.
s'emparer de Cirta. Adherbal fut livré
Utique était devenue le lieu de rési- aux supplices les plus atroces, en 112
dence du préteur qui gouvernait le ter- avant J. C.
ritoire dont Rome s'était réservé l'ad- Quand ces nouvelles arrivèrent à
ministration. Le long des côtes, les Rome, elles soulevèrent l'indignation
Romains héritèrent de la prospérité du peuple, et le sénat, dans lequel Jugur-
commerciale de Carthage. Quelques co- tha avait déjà acheté de nombreux amis,
174 L'UJNIVERS.
se vit contraint d'adopter des mesures observaient ses mouvements en se te-
énergiques. Mais tantôt par la ruse, tan- nant sur les hauteurs.
tôt par violence ou par corruption, le Jugurtha, désespérant de prendre en
roi numide annula ou déjoua les ordres défaut la vigilance de Métellus, voulut
donnés contre lui. Cependant, mandé à tenter le sort des armes. Il attendit les
Rome, il fut obligé de venir se défendre ; Romains dans un défilé, auprès du
là, pendant que les accusations les plus fleuve Muthul (le Hamise, non loin de
vives s'élevaient contre lui , il lit assas- la frontière actuelle de Tunis), et les at-
siner, dans Rome même, un fils d'Ad- taqua avec la plus grande vigueur. La
herbal , qui s'était soustrait jusque-là à victoire trahit ses efforts. Après ce suc-
sa vengeance. Cet acte d'audace inouïe cès , le consul se jeta dans la partie la
rendit pour lui le succès impossible il ; plus riche de la Numidie, et la ravagea
quitta l'Italie, après avoir prodigué par le fer et par le feu. Quant à Jugur-
inutilement son or, et se mit en révolte tha, n'osant s'opposer à Métellus dans
ouverte (111 avant J. C.)« un pays découvert , il tint son armée
Les premières opérations des Romains dans les lieux très-boisés et fortifiés
contre Jugurthane furent pas heureuses. par la nature, et surveilla avec sa cava-
Ils avaient affaire à un ennemi habile, lerie seulement la marche des Romains,
plein d'expédients , qui , par de feintes gênant leurs mouvements profitant de
,

soumissions , paralysa leur ardeur, et toutes les occasions pour leur faire es-
leur fit perdre un temps précieux. suyer des pertes. Il brûlait les fourrages, '

Mais bientôt après, en 110, l'armée empoisonnait les sources sur la route
romaine ayant mis le siège devant Su- suivie par les troupes ennemies ; il atta-
thul, qu'on croit être la ville moderne quait l'arrière-garde pendant la mar-
j

Guelma , et où étaient déposés tous les che , et dès que les Romains se met- !

trésors du roi numide , celui-ci la trompa taient en mesure de le repousser, il


par un stratagème l'attira à sa pour-
, regagnait les hauteurs au galop. Evi- \

suite loin de la place, la surprit pendant tant d'engager une action, il ne laissait ;

la nuit, et la força de passer sous le aucun repos à Métellus, en lui donnant


joug. Cette humiliation donna une des alarmes continuelles.
nouvelle vivacité à la haine qu'on avait Tous les efforts du consul tendaient
vouée à Jugurtha. Rome trouva enfin à amener Jugurtha à combattre dans la
un général incorruptible; à peine arrivé plaine. Après avoir vainement assiégé !

en Afrique, Métellus rétablit la disci- Zama (aujourd'hui Zouarin), Métellus


j
pline dans l'armée; il endurcit les sol- essaya de se rendre maître du roi nu-
dats aux fatigues par de rudes exercices, mide par trahison. Cette tentative n'eut
et leur enleva tout ce qui pouvait les pas plus de succès. Enfin, en 108, les
porter à la mollesse. Le mouvement Romains purent joindre les troupes en- ï
énergique imprimé à la guerre décida nemies, les mirent en déroute, s'empa-
Jugurtha à avoir recours aux négocia- rèrent de Cirta, et forcèrent Jugurtha à
tions pour éloigner de son royaume un se réfugier à Thala, ville située dans le
ennemi aussi redoutable. A deux reprises pays montagneux entre Sétif et Bougie.
différentes Métellus repoussa ses ambas- Poursuivi jusque dans cette retraite,
*
sadeurs. Pour inspirer aux Romains une il se réfugia dans le sud , chez les Gétu-

confiance funeste, il avait ordonné aux les, peuple barbare,. qui ne connaissait
populations que leur armée traversait pas le nom romain. Il en forma une
de ne pas abandonner leurs habitations, armée, et, appuyé par les troupes de Boc-
de continuer leurs travaux agricoles et chus , son beau-père , qui régnait dans
de laisser les campagnes couvertes de la Mauritanie, il alla attaquer Cirta. Le
troupeaux; les chefs des villes et des général romain fit établir un camp re-
hameaux venaient au-devant de Métel- tranché aux environs de cette ville pour
lus lui offrir des provisions et lui pro- y attendre le choc des ennemis. Sur ces
diguer des paroles de paix. Le consul, entrefaites Métellus fut remplacé dans
mis en garde contre la perfidie de l'en- le commandement de l'armée.
nemi, continua à avancer avec la plus MàBIUS SUCCÈDE A MÉTELLUS. -^
grande prudence. Les cavaliers numides Le consulat et la direction de la guerre
,

ALGÉRIE. 175

de Numidie furent donnés à Marius. fut partagé en deux parties l'une, la


:

Débarqué à Utique avec des troupes plus orientale, fut annexée au territoire
fraîches, il reprit les hostilités avec une directement soumis aux Romains, et
vigueur nouvelle, battit Jugurtha et dont Utique était le chef-lieu ; l'autre
ses alliés maures et gétules , non loin fut donnée à Gauda, fils de Mastana-
de Cirta, alla détruire Cafsa (aujour- bal , frère par conséquent de Jugurtha
d'hui Gafsa) située à neuf journées de qui avait gagné depuis longtemps la
Cirta, prit et brûla plusieurs autres protection de Marius. Cirta fut sa ca-
villes; puis, à l'extrémité occidentale de pitale. Une autre version rapporte que
laNumidie, il enleva une forteresse répu- le pays des Massyliens fut divisé entre

tée imprenable, où Jugurtha avait trans- deux princes numides, le sénat n'ayant
porté ses trésors, depuis la première pas voulu s'exposer à créer un État im-
attaque de Suthul par les Romains. portant qui aurait pu favoriser l'éléva-
Marius fut rejoint par son questeur , le tion d'un nouveau Jugurtha.
fameux Sylla, avec un corps considé-
rable de cavalerie, et se mit en retraite
La Numidie pendant les guerres civiles
de Rome.
vers Cirta. Dès que l'armée fut en
marche, Bocchus etJugurtha l'assail- Lorsque s'engagèrent les guerres ci-
lirent avec le plus grand acharnement, viles qui portèrent César à l'empire, les
mais ils furent repoussés avec perte; rois indigènes, entraînés parleurs affec-
une nouvelle tentative ne fut pas plus tions particulières ou par des alliances
heureuse, et les Romains purent gagner antérieures, se mêlèrent avec violence à
Cirta. la lutte. La partie occidentale de la Nu-
Fin de la guerre; mort de midie, qui avait Hierbas pour roi, épousa
Jugurtha. —
Découragé par sa der- le parti de Marius ; Hiempsal , chef des
nière défaite, Bocchus songea à traiter. tribus les plus rapprochées de la pro-
Sylla fut chargé de suivre cette négo- vince romaine et dont Cirta était la ca-
,

ciation auprès du roi de la Mauritanie. pitale, se déclara pour Sylla. Pendant


L'envoyé des Romains dut déployer la que celui-ci triomphait du parti républi-
plus rare habileté pourtriompherdesir- cain en Europe la fortune favorisa en
,

résolutions de Bocchus. Entouré des sol- Afrique les amis de Marius. Hiempsal
licitations des agents de Jugurtha, celui- fut dépossédé de ses États par Hierbas.
ci sembla hésiter longtemps s'il livrerait Mais bientôt la guerre étant terminée
Sylla à son gendre ou s'il trahirait au en Italie, Pompée passa en Afrique, at-
contraire le roi de laNumidie. La crainte teignit Hierbas aux environs d'Utique, le
le détermina en faveur des Romains, et battit complètement, et, s'étant emparé
ilconsentit a livrer Jugurtha. Dans une de sa personne, le fit mettre à mort
entrevue assignée pour des conférences ( 81 avant J. C). Hiempsal fut rétabli
au sujet de la paix, où le roi numide s'é- dans son royaume, agrandi de toutes les
tait rendu sans armes, il fut enveloppé possessions de son ennemi vaincu.
et amené pieds et poings liés à Sylla, Jura. — Lorsque Sylla et Marius eu-
qui le conduisit à Marius. Cet événe- rent disparu, de nouveaux ambitieux
ment mit fin à la guerre. Jugurtha prirent leur place, et se mirent à la tête
figura dans le triomphe décerné à Ma- des partis qui divisaient Rome. César et
rius; il suivit enchaîné le char du vain- Pompée devinrent les chefs, l'un des
queur. On dit que l'excès du malheur et prétentions aristocratiques, l'autre de
de la honte lui lit perdre la raison. Jeté la démocratie. Hiempsal était mort et ,

dans un cachot où on le laissa sans avait eu pour successeur son fils Juba,
nourriture, il mourut après avoir été en qui par reconnaissance de ce que le parti
proie pendant six jours aux tourments aristocratique avait fait pour son père
de la faim ( 104 avant J. C). Après la pendant la guerre précédente, embrassa
défaite de Jugurtha , ses États furent la cause de Pompée. Les armes ne furent
divisés. Bocchus obtint pour prix de pas propices d'abord en Afrique aux
sa trahison le pays des Massésyliens, et amis de César, comme elles avaient été
sa limite orientale fut portée à Saldae en Italie. Juba ayant uni ses troupes
,

(Bougie). Le royaume des Massyliens à celles du lieutenant de Pompée, défit


,

176 L'UNIVERS.
complètement de César , et
les partisans consul. Le nouveau gouverneur profita
les massacra presque entièrement ( 49 de son séjour en Numidie pour réunir
avant J.C.)- L'arrogance de Juba ne con- des matériaux précieux sur l'histoire et
nut plus de bornes après cette victoire; les traditions du pays. Malheureusement
lorsque la perte de la bataille de Phar- ce ne fut pas le seul usage qu'il fit de
sale força les amis de Pompée à venir son pouvoir, il se livra à de cruelles
chercher un refuge en Afrique, le roi exactions, qui fournirent plus tard au
numide leur fît subir toutes sortes d'hu- luxe inouï qu'il étala à Rome.
miliations. Il paraît que Juba avait à
son service un grand nombre de soldats Agrandissement de F Afrique romaine.
étrangers, entre autres des cavaliers Dans la suite de la guerre civile on
gaulois et espagnols. Ce qu'il avait em- voit figurer Bogud, roi de la partie de la
prunté à romaine ne sem-
la civilisation Mauritanie comprise entre l'Ampsaga et
blait lui servir que pour faire sentir plus le méridien de Saldœ, comme partisan
durement au parti aristocratique, qui de César; et Bocchus, dont les États
avait fait la fortune de son père, le poids s'étendaient à l'ouest jusqu'à l'Océan,
de son insolence et de son ingratitude. comme partisan de l'aristocratie ro-
CÉSAR PASSE EN AFRIQUE FIN DE maine. Ces deux princes persistèrent jus-
Juba. — L'Afrique jouait un ;

rôle trop qu'à la fin dans la cause qu'ils suivaient.


important dans les destinées de Rome Bogud fut dépouillé de son royaume au
pour qu'après avoir triomphé de ses en- profit d'Arabion, qui était soutenu par
nemis en Europe, César ne vînt pas y le parti d'Antoine; mais bientôt le gou-'
poursuivre la guerre en personne. Il verneur de la province romaine fit as- :

débarqua à Adrumète, quelques jours sassiner Arabion , et réunit aux posses- >

avant le 1 er janvier de l'année 46 avant sions de Rome tout le pays qui avait'
l'ère chrétienne, avec trois mille fantas- précédemment appartenu à Bogud. !

sins seulement cent cinquante che-


et Quant à Bocchus, il resta maître de la
vaux L'histoire a conservé tous les dé-
. Mauritanie depuis le méridien de Saldœ;
tails de cette campagne si remarquable; jusqu'à l'Océan; il conserva pendant;
sans vouloir retracer ici les principales cinq ans le gouvernement de ce vaste
circonstances racontées dans les Com- royaume ( de 38 à 33 avant l'ère vul- •
mentaires de César, il nous suffira de gaire), dont la capitale était loi, aujour-\
rappeler que le général romain s'en- d'hui Cherchel. Après sa mort, Octave-
ferma d'abord dans un camp jusqu'à ce jugea à propos de ne pas lui donner de'
qu ,; pût entrer en opérations; qu'il ga-
l successeur. Par ses ordres des colonies,
gna a sa cause les Gétules et les Maures, furent établies dans les régions voisines
qui avaient conservé un grand souvenir de la côte.
de Marius, et qu'ayant enfin reçu des Nouveau royaume de Mauri-/
renforts il fit attaquer Cirta par Sittius, tanie. — Réunis d'abord en une seule
chef de partisans qu'il s'était attaché, et province directement régie par Rome,;
battit lui-même Juba et le parti de Pom- les États de Bogud et de Bocchus cons-';
pée dans cette même année 46. Juba, tituèrent de nouveau quelques années
échappé de la mêlée, se cachant le jour après (17 avant J. C. ) un royaume,
et marchant la nuit, atteignit Zama, sa qui fut donné par Auguste à Juba II,
capitale; mais il ne put y pénétrer. Il prince éclairé entièrement dévoué aux
,

se retira alors dans une de ses villas Romains, et fils de Juba l'ancien, qui
avec un des chefs pompéiens , et à la avait été vaincu à Thapsus par César. Il
suite d'un repas splendide ils s'en- obtint la main de Cléopatre Sélène, fille
tre- tuèrent. Maître de la Numidie toute d'Antoine et de la fameuse Cléopatre.
entière, César donna à Sittius la ville Les commencements du règne de Juba
de Cirta avec un territoire considéra- furent troublés par les incursions des
ble; Bocchus II, roi de la Mauritanie, Gétules. Ces tribus turbulentes ne vou-
reçut quelques cantons situés auprès de laient pas d'un maître qui n'avait plus
ses États; tout le reste fut réduit en rien gardé des mœurs et des habitudes
province romaine, et confié au gouver- nationales. En vain ce prince fit marcher
nement de Salluste avec le titre de pro- contre elles ses troupes ; il éprouva de
ALGÉRIE. Î77
grandes pertes, et fut contraint d'in- auxiliaire. réunit d'abord des bandes
Il
voquer le secours des légions romaines pour le vol etle pillage; bientôt il les dis-
(6 avant J. C. ). Après ces difficultés, le ciplina; enfin il devint général des Mu-
royaume jouit d'une longue paix; loi, sulans, peuplades du Djurdjura. Peu
la capitale, fut agrandie et embellie. Juba de temps après, il entraîna les tribus in-
mourut l'an 23 de l'ère chrétienne après , digènes dans son parti : ces auxiliaires
un règne de près d'un demi-siècle ; il se répandirent dans le pays, portant
fut célèbre par son immense savoir, et partout le carnage et l'incendie. Vaincu
composa un grand nombre d'ouvrages. une première fois par les troupes ro-
A la mort de Juba, Ptolémée, son maines, il recommença la guerre, sac-
fils, fut investi de l'héritage paternel par cageant les bourgades* enlevant du bu-
Tibère. Ce prince régna paisiblement tin et échappant toujours par la
promp-
tant que Tibère vécut; mais il fut vic- titude de ses mouvements aux poursuites;
time des fureurs de Caiigula,qui, l'ayant il parvint à mettre en fuite
une cohorte
fait venir à Rome, conçut de la jalousie romaine près du fleuve Pagida, entre
contre lui, et le fit assassiner (40 de Cirta et Igilgilis (Djidjéli ). Enhardi par
J. C. ). Le temps était venu d'effectuer, la ce succès, Tacfarinas alla mettre le siège
réunion de Mauritanie à l'Empire.
la devant Thala, non loin du lieu témoin de
En effet le nouveau royaume de Juba la défaite des Romains ; mais un corps de
semblait n'avoir été créé que pour fami- cinq cents vétérans suffit pour tailler
liariser progressivement les Gétules et en pièces les bandes numides. Le décou-
les farouches populations de l'ouest avec ragement ayant gagné les insurgés, leur
le joug romain. Après ces deux règnes habile chef renonça à toute espèce d'o-
successifs de princes mariés à des Ro- pération régulière, et se contenta de
maines, lorsque des colonies civiles et courir la campagne, fuyant dès qu'on
militaires, formées de Romains, de le pressait, puis revenant à la charge.
Latins , d'Italiens , eurent infiltré dans Ce pian déjoua les efforts des Romains,
le pays l'usage de la langue, le désir qui se fatiguèrent vainement à le pour-
des lois , le goût des coutumes et de la suivre. Mais bientôt, s'étant rapproché
civilisation du peuple conquérant , ces du littoral, embarrassé par le butin con-
contrées furent divisées en deux provin- sidérable qu'il traînait après lui Tac- ,
ces sujettes et tributaires. L'une, la plus farinas se vit obligé de s'assujettir à
occidentale, eut Tingis pour capitale, des campements fixes ; il fut atteint par
et reçut le nom de Mauritanie Tingi- les troupes les plus agiles de l'armée
tane l'autre, qui s'étendait à l'est jus-
; romaine et rejeté dans le désert (de 18
qu'à l'Ampsaga, prit le nom de Mau-
à 20 ans après l'ère chrétienne ).
ritanie Césarienne; loi fut sa capitale.
Nouvelles courses de Tacfari-
En poursuivant à l'est, venaient ensuite
la Numide puis l'Afrique propre.
nas sa fin.
: —
La Numidie ne jouit pas
, d'un long calme ; au contact des popu-
Révoltes des populations indigènes. lations indépendantes du sud , Tacfari-
nas puisa une énergie nouvelle recruta
Tacfarinas.
maine ne
— La domination ro- des partisans, et recommença ses incur-
,

s'établit pas sans contesta- sions. On le vit pousser l'audace jus-


tion sur cet immense territoire. Dès la qu'à proposer la paix à l'empereur , à
troisième année du règne de Tibère,
condition qu'on lui donnerait des terres
l'Afrique et surtout la Numidie furent
pour lui et pour son armée. Cette in~
agitées par la révolte d'un
audacieux suite exaspéra l'orgueil des Romains,
aventurier, qui tint en échec pendant
qui adoptèrent enfin des mesures plus
longtemps toutes les forces que Rome
énergiques et mieux combinées pour
entretenaient dans ces contrées (l'an
17 mettra fin à la guerre. Us formèrent trois
de J.C. ); il s'appelait Tacfarinas.
Nous colonnes, dont l'une ferma les passages
allons emprunter
à Tacite les principaux par où les rebelles se sauvaient chez
traits de cette guerre, qu'il a racontée lesGaramantes après avoir exercé leurs
avec étendue dans ses Annales.
Tacfa- du côté opposé, une seconde
pillages;
rinas était un Numide
déserteur des ar- colonne couvrit les bourgades dépen-
mées romaines, où il avait servi
comme dantes de Cirta ; le troisième corps de
12 e Livraison. (Algérie.)
12
178 L'UNIVERS.
troupes agissait entre les deux premiers, romaines ou italiques, cinq municipes et
établissant dans les lieux convenables trente villes libres. Ces deux provinces
des postes fortifiés enveloppant l'en-
, renfermaient en outre un certain nom-
nemi, l'attaquant, le harcelant sans bre de villes tributaires. D'un autre
cesse. Ces trois premiers corps furent côté, sous le règne d'Antonin le Pieux
ensuite subdivisés en détachements, qui les Mauritanies paraissent avoir été le
tous traquèrent Tacfarinas , tuèrent un théâtre d'une insurrection qui s'étendit
grand nombre de ses gens et firent beau- jusqu'à la province d'Afrique. Les re*
coup de prisonniers. Cette activité, qui belles furent refoulés avec beaucoup de
ne se démentit pas pendant deux ans peine vers les contrées méridionales.
(jusqu'en 22), paralysa les efforts de la Du temps de Marc-Aurèle les Maures
révolte , mais ne l'abattit pas. Les Mau- franchirent le détroit , ravagèrent une
res, les Garamantes fournissaient tou- grande partie de l'Espagne, et armèrent
jours de nouvelles bandes; du sein de nombreux corsaires qui désolèrent
même de la province tous les indigents, ces parages.
tous les hommes d'une humeur tur- Cependant, au commencement du troi-
bulente, couraient sous les drapeaux sième siècle la civilisation romaine s'était
de l'indépendance nationale. Les Ro- si bien répandue dans l'Afrique occiden-

mains entrèrent en campagne pour faire tale, que l'empereur Septime Sévère, qui
lever le siège d'une ville située entre régnait à Rome, était né en Afrique. Une
Saldœ et Sitifis que Tacfarinas avait in- foule d'Africains, venus dans la capitale'
vestie. Ils perfectionnèrent encore leur de l'Empire pendant le règne des Sévère,.
manière de combattre, en s'adjoignant y brillèrent au premier rang à l'armée v
,

des officiers indigènes qui dirigeaient les au barreau, dans la littérature. Des rou-
marches de l'armée et conduisaient au tesnombreuses et sûres sillonnaient la 1

butin des troupes légères. Enfin, après Numidie et la Mauritanie. Bientôt Fédit
deux ans d'une guerre acharnée (en 24), deCaracalla (216) éleva au rang de ci-
par un rapide mouvement exécuté de toyen tous les habitants libres des pro*'
nuit, ils surprirent auprès d'Auzéa vinces romaines. Mais liées aussi étroi-
(Hamza) le camp numide, s'en rendi- tement à la destinée et aux institutions,
rent maîtres, et massacrèrent un nom- de l'Empire, les possessions d'Afrique
bre considérable des insurgés. Tac- subirent généralement le contre-coup
farinas périt dans la mêlée. La paix fut des troubles de l'Italie. En 237 l'Afri-
ensuite facilement rétablie. Ces agita- que donna même l'exemple du soulève:
tions eurent principalement pour théâ- ment en proclamant empereur le gouver-
tre le pays compris entre le méridien neur Gordien. Mais après l'avoir élevé J,
de Djidjeli et celui de Dellis. les Africains abandonnèrent le nouvel
État delaNumidieetdelaMau- empereur, et retournèrent sous le jou
bjtanie. —
Les détails relatifs à Tac- de Maximin. Le règne de Galien fu
farinas nous avaient fait revenir sur signalé par les désordres et les malheurs
nos pas car nous avions déjà vu que
; causés par l'invasion des barbares de260
la Mauritanie avait été réduite en pro- à 268. Parmi eux, les Francs, après
vince romaine par Caligula après la avoir dévasté la Gaule et l'Espagne,
mort du fils de Juba , l'an 40 après J. C. arrivèrent jusqu'en Mauritanie. Cette
Deux faits résument l'histoire de l'ad- invasion passa sans laisser de traces;
ministration romaine en Afrique pen- mais elle ouvrit la route suivie plus tard
dant les premiers siècles de l'Empire : par les Vandales. L'administration de
efforts des chefs du pays pour implan- Probus en Afrique, sous les empereurs
ter la civilisation romaine; défense des Galien, Aurélien et Tacite (de 268
frontières du sud contre les peuplades à 2.S0) préserva ce pays des violentes
indépendantes, qui les franchissaient agitations qui troublaient l'Europe. Pro-
souvent. Au commencement du règne bus employa les armées romaines à des
de Vespasien, la Mauritanie Césarienne constructions d'utilité générale, voies
comptait seule treize colonies romai- publiques acqueducs, temples, ponts,
,

nes, trois municipes libres ou temps de


; théâtres portiques, etc.
,

Pline , la Numidie avait douze colonies Soulèvement des Qtjinquégen-

!
^
,

ALGÉRIE. 179

tiens. — Sous Dioctétien, en 297, les avait été introduit dans cette partie de
Mauritanies furent en proie à une insur- l'empire romain. On suppose cependant
rection formidable, qui nécessita la pré- que ce fut à la fin du premier siècle, par
sence de Maximien pour la réprimer. quelque disciples des apôtres, venus
Elle eut son siège et sa force parmi les d'Asie ou d'Europe sur des vaisseaux
habitants du pâté de montagnes com- marchands. Les idées chrétiennes se ré-
prises entre Saldœ et Rusuccurum pandirent avec rapidité dans toute l'A-
(toute la chaîne actuelle du Djurdjura, frique. Leurs progrès alarmèrent bientôt
depuis Bougie jusqu'à Dellis), qui le gouvernement impérial , et Septime
formaient une association de cinq peu- Sévère ordonna de punir par le dernier
plades désignées en commun par le supplice tous les chrétiens qui refuse-
nom de Quinquégentiens. Ces tribus raient de jurer par le génie des empe-
étaient toujours armées les unes contre reurs et de sacrifier aux dieux. Ce fut
les autres, mais elles s'unirent pour dans la proconsulaire que furent immo-
échapper au joug des Romains. Maxi- lés les premiers martyrs. Ce sang géné-
mien pénétra dans ces montagnes, at- reux versé pour la vraie foi , loin d'abat-
teignit les rebelles dans leurs retraites tre les chrétiens, ne lit qu'exciter leur
les plus inaccessibles, les dompta, et, énergie et leur enthousiasme. Tel fut
pour prévenir de nouveaux soulève- le progrès du prosélytisme, que la
ments, transporta dans d'autres parties cruauté des gouverneurs romains fut
éloignées du pays les populations qui vaincue par la foule des victimes, et toute
s'étaient signalées par leur turbulence. la province se couvrit d'églises et d'é-
Ce fut alors que Maximien opéra des vêchés. Les persécutions illustrées par
changements dans les circonscriptions Tertullien, par le supplice de Perpétue,
administratives. La proconsulaire fut de Félicité, et de tant d'autres glorieux
subdivisée en trois provinces : la Numi^ martyrs , s'étaient à peine ralenties que
die conserva son territoire et sa capitale les schismes éclatèrent. Le premier con-
Cirta ; la Mauritanie Césarienne fut di- cile auquel assistèrent quatre-vingt-dix
visée en deux parties, dont l'une eut Sé- évêques fut tenu à Lambèse ( non loin
tif pour capitale et l'autre Césarée; de Batna aujourd'hui). En 251 nouveau
quant à la Tingitane, elle fut annexée à concile à Carthage; puis l'année sui-
l'Espagne. vante. A partir de cette époque l'histoire
Cette nouvelle organisation, qui se de l'Église d'Afrique est marquée par
rapporte à l'an 312 après J. C, ne les plus sublimes dévouements pendant
maintint pas longtemps la paix et l'or- les persécutions ordonnées par les em-
dre dans les six provinces africaines. pereurs; elle compte aussi plusieurs hé-
Une révolte peu importante, dirigée résies, entre autres celle des manichéens,
par Alexandre, paysan pannonien, de- qui apparut en 296 , et celle du Libyen
vint une occasion pour le cruel Maxence Arius.
de déployer des rigueurs inouïes contre Schisme des donatistes ( de 316
Cirta, contre Carthage, qui avait été à 371 de J. C. ). — Constantin, lors de
rebâtie avec magnificence, et contre les son avènement, trouva les provinces
principales villes d'Afrique. Cirta eut d'Afrique en proie aux plus violentes
particulièrement à souffrir, et les ruines commotions religieuses; elles étaient
que la guerre y avait entassées ne fu- causées par un schisme né dans l'Église
rent réparées que par Constantin , qui même d'Afrique. Par l'étendue et l'im-
après avoir vaincu Maxence, releva portance de sa juridiction le siège épis-
,

Cirta et lui donna le nom de Constantine. copal de Carthage était regardé comme
le second de l'Occident. A la mort du
État religieux de V Afrique sous V Em-
titulaire de ce siège, les délégués de
pire.
l'empereur élevèrent Cécilien à la di-
Mais Constantin ne put porter re- gnité de primat, sans que les évêques de
mède au plus funeste des maux qui dé- JNumidie eussent participé à l'élection.
solaient l'Afrique, aux dissensions re- Soixante-dix d'entre eux protestèrent
ligieuses. On ignore à quelle époque et contre ce choix , et opposèrent Donat
par quels missionnaires le christianisme comme primat légitime. Les décrets
12.
,

U'-O L'UJNIVERS.
des eonciies de Rome et d'Alexandrie et inquiétude à Vaîentinien, qui envoya le
les décisions impériales confirmèrent comte Théodose, un de ses plus habiles
Cécilien; mais les partisans de Donat généraux, pour rétablir la paix en Afri-
n'abandonnèrent rien de leurs préten- que. Débarqué à Igilgilis (Djidjéli ), en
tions et plusieurs subirent le martyre
, 372 de J. C, Théodose se porta à Sétif, et
plutôt que de renoncer à leurs croyances. de là à Tubusuptus (Bordj-el-Bouberak).
Derrière ces querelles, où les haines Firmus essaya d'abord de tromper son
et les ambitions personnelles avaient ennemi par de feintes soumissions la ;

une grande part, se cachaient quelques prudence de Théodose ne se laissa pas


différences peu importantes dans l'in- surprendre. Après les premiers échecs,
terprétation de certains dogmes. Les le chef de la révolte désarma la colère
populations s'étaient divisées. Les clas- des Romains, en restituant à Icosium
ses inférieures se rangèrent du côté ( Alger ) les prisonniers, les drapeaux
des Donatistes, qui étaient en butte aux et le butin dont il s'était emparé. Mais
rigueurs du pouvoir. Bientôt les escla- il profita de cette paix pour organiser

ves , les colons , les petits propriétaires de nouvelles perfidies. En effet, les hos-
ruinés, par le fisc formèrent des bandes tilités recommencèrent bientôt, et Fir-
qui prirent le nom de Circoncellions. mus fut sur le point d'envelopper les
Ces nouveaux prosélytes développèrent troupes romaines à Auzéa (Hamza);
le schisme religieux , et poursuivirent Théodose déjoua de nouveau toutes ses
une réorganisation sociale pour réaliser ruses; par d'habiles négociations, il
sur la terre le règne de l'égalité parfaite. ramena à l'obéissance une partie des
L'exaltation de leurs croyances les poussa tribus indigènes, châtia celles qui, par
à de graves désordres; on envoya contre leur éloignement, se croyaient à l'abri
eux des troupes, qui en firent un grand de ses coups, et pressa chaque jour Fir-
carnage; mais les populations insurgées mus de plus près. Enfin, désespéré,
ne rentrèrent complètement dans le de- au moment d'être livré par Ighmacen
voir que plusieurs années après. Pen- roi des ïsafliens, comme Jugurtha l'avait
dant longtemps les doctrines sociales et été par Bocchus, Firmus se donna la
religieuses des Circoncellions et des mort. Cette insurrection , comme celle
Donatistes agitèrent les campagnes. des Quinquégentiens, avait eu pour
Révolte de Firmus. — Ces troubles théâtre la chaîne du Djurdjura, et s'était
funestes nuisirent à la prospérité du étendue des frontières de la Mauritanie
pays, affaiblirent l'autorité impériale et Sitifienne jusqu'au delà de Césarée. La
encouragèrent les révoltes des tribus lutte dura trois ans.
indigènes. Depuis le terrible châtiment Révolte de Gildon (397-398 de
qui leur avait été infligé par Maximien, l'èrechrétienne). —
Quoique les dangers
elles attendaient avec impatience l'occa- suscités par la rébellion de Firmus eus-
sion de se venger. L'insurrection ne sent dû éclairer Rome sur le péril de
tarda pas à trouver un chef; ce fut trop élever les grandes familles indi-
Firmus, l'un des plus puissants princes gènes , elle ne tarda pas à commettre
maures par son esprit de ruse et par sa
; la même faute ,et ce fut un frère de
bravoure il se plaça au-dessus de Tac- Firmus qui en fut l'objet. En récom-
farinas et à côté de Jugurtha. Il sut se pense des services qu'il avait rendus
donner pour auxiliaires les passions les pendant la première insurrection, en
plus orageuses les Donatistes encore
: , combattant son frère, Gildon avait été
sous le coup des mesures répressives élevé aux plus hautes dignités militaires;
dont on les avait poursuivis et les Mau-
, il reçut même de Théodose le gouverne*

res, qui depuis trois siècles protestaient ment de l'Afrique, qu'il administra
contre le joug étranger. Dans la première pendant douze ans avec une autorité
fureur de la guerre contre les Romains, presque absolue. Lorsqu'à la mort de
Firmus réduisit Césarée en cendres, et Théodose l'Empire fut partagé entre ses
se fit reconnaître comme empereur par deux fils Gildon conçut le projet d'en-
,

une grande partie de la Numidie et de lever l'Afrique au faible Honorius et ,

la Mauritanie Césarienne. Ces hardis de la rattacher à l'empire d'Orient.


commencements inspirèrent une vive Favorisé d'abord par les intrigues de la
ALGÉRIE. 181
cour de Byzance Gildon vit pâlir sa
,
Domination des Vandale 1
fortune devant Stilicon lieutenant
.

d'Hqnorius. Le sénat le déclara hors Invasion des Vandales. -—Le rè-


la loi et lui opposa son propre frère à
, gne du troisième Valentinien, qui succé-
la tête d'une armée de vétérans gaulois da à Honorius en 424, fut marqué en Afri-
et romaius. Gildon avait réuni soixante- que par un grand désastre l'invasion :

dix mille Gétules et Éthiopiens ils fu- : des Vandales. Le comte Boniface, gou-
rent mis en fuite, et lui-même fut obligé verneur de l'Afrique, irrité de voir la
de se donner la mort pour ne pas tomber mère de l'empereur accueillir les calom-
vivant aux mains de ses ennemis. Après nies que propageait contre lui Aétius,
sa mort, le gouvernement de Rome, crai- son rival de gloire et de fortune, menacé
gnant que le troisième frère n'imitât par les forces imposantes envoyées pour
bientôt l'exemple des deux premiers le , le réduire, appela les Vandales à son
lit périr et déploya contre ses partisans secours, et offrit à leur chef de partager
des rigueurs implacables. avec eux la moitié des provinces que
Gildon était maure et païen , mais Rome lui avait confiées. Genséric, roi
protecteur zélé des Circoncellions et des Vandales, établi en Espagne dans
des Donatistes; il représentait donc l'Andalousie, s'embarqua pouri'Afrique
deux intérêts très-puissants celui de : au mois de mai de l'année 429. L'ar-
l'indépendance africaine et celui d'une mée d'invasion se composait de cin-
secte religieuse fort active et fort éten- quante mille hommes, Vandales, Aîains
due. Sa famille était chrétienne et et Goths; les vieillards, les femmes, les
orthodoxe, sa femme, sa sœur et sa enfants et les esclaves pouvaient porter
fille furent des saintes. Un seul chiffre ce nombre à quatre-vingt mille. Mais à
démontrera l'appui que la rébellion pou- peine débarqués une multitude d'auxi-
vait trouver en Afrique. Au concile qui liaires vinrent se joindre à eux. Les Mau-
se tint à Carthage en 411 on compta res habitant les régions qui bordent le
deux cent soixante-dix-neuf évêques do- grand désert et l'océan Atlantique, ac-
natistes sur cinq
cent soixante-seize coururent les premiers; puis ce furent
membres. Cette secte appuyait toutes les les Donatistes, qui étaient en butte
tentatives pour se séparer de l'Empire. aux plus dures persécutions; enfin les
Aussi tous les efforts du gouvernement, Romains eux-mêmes, que l'impitoyable
toute l'énergie des Pères de l'Église et fiscalité de l'administration impériale
de saint Augustin surtout évêque d'Hip-
, avait ruinés et qui espéraient d'un chan-
pone, s'appliquèrent à extirper cette gement une amélioration à leurs souf-
hérésie, qui menaçait à la fois la religion frances.
&
et l'État (1). Siège d'Hippone. —Dès leur entrée
Depuis de Gildon jusqu'à
la révolte en Afrique, les Vandales portèrent dans
1 arrivée des Vandales l'Afrique ne fut toutes
, les contrées qu'ils traversèrent
déchirée par aucune guerre civile ou le fer et laflamme. Les riches et popu-
étrangère. Mais si la paix régnait dans leux établissements fondés sur le litto-
les provinces les plus orientales, les ral par les Carthaginois ou par les Ro-
Mauritanies furent incessamment trou- mains furent détruits de fond en com-
blées par les incursions des tribus de ble. Les Maures et les Donatistes se
l'occident et du sud, qui n'avaientjamais montrèrent aussi animés que l'armée de
ete complètement soumises.
Genséric à cette œuvre de dévastation.
Les trois Mauritanies furent ainsi com-
(i) Saint Augustin, comme on le sait, plètement ravagées, et l'invasion sembla
était né à Tagaste, petite ville de la Numi- s'arrêter un instant à la limite du fleuve
die en 354 il fut ordonné prêtre
, ; en 391, et Ampsaga ( Oued-el-Kebir ), où finissait le
appelé l'année d'après à l'évêché
d'Hippone, territoire cédé par Boniface. Mais bien-
qu'il occupa jusqu'en 43o.
Ses travaux et sa tôt Vandales pénétrèrent dans la
les
vie somtrop connus pour
qu'il soit nécessaire Numidie. Le général romain, réconcilié
ae les rappeler ici.
avec la mère de l'empereur se repentit
,

trop tard d'avoir appelé d'aussi dange-


reux auxiliaires; en vain il voulut négo-
182 L'UNIVERS.
cier pour les arrêter ; essaya , à l'aide
il Vandales et les Maures jusqu'à Rome,
de grandes promesses , de les renvoyer qui fut livrée au pillage pendant qua-
en Espagne. Il se décida alors à recou- torze jours et quatorze nuits (du 15 au
rir à la force ; il réunit toutes les troupes *29 juin 455).

dont il pouvait disposer., et leur livra ba- Expédition contre les Vanda-
taille non loin de l'Ampsaga; mais il les; mort de Genséric —
Pour ven-
fut vaincu , et courut s'enfermer dans ger le nom romain de tant d'outrages
Hippone. Genséric arriva sous les murs et reconquérir la liberté des mers, l'em-
de la place dans l'été de l'année 430. Le pereur d'Occident et celui d'Orient ten-
siège dura quatorze mois. Saint Augus- tèrent des expéditions impuissantes con-
tin se trouvait dans la ville ; il avait prévu tre les Vandales. Cependant un suprême
les malheurs que devait entraîner l'inva- effort fut dirigé par Basilicus, beau-frère
sion des barbares ; il prodigua les encou- de l'empereur Léonce. En 470 une flotte
ragements et les consolations aux habi- formidable débarqua au cap Bon, à qua-
tants et à Boniface; il mourut peu de rante milles de Carthage, une armée de
mois après l'ouverture des opérations. plus décent mille hommes. Les Vanda-
Hippone capitula au mois d'août 431 A . les furent d'abord vaincus sur terre et
la suite de ces succès, il y eut un traité sur mer ; mais Genséric ayant obtenu
entre les vainqueurs et les vaincus, qui une trêve de cinq jours, prit des dispo-
assura à Genséric tout le pays depuis sitions énergiques, lança pendant la
les colonnes d'Hercule jusqu'aux murs nuit des brûlots au milieu des navires
d'Hippone et de Cirta. impériaux, les attaqua avec vigueur et
Genséric organise ses conquê- les mit en fuite. Basilicus retourna à
tes. — Genséric pour
profita de la paix Constantinople,aprèsavoirperdu la moi-
i

établir solidement sa puissance dans le tié de sa flotte et de son armée. Un traité


territoire qu'il occupait ; il chercha à se conclu en 476 sanctionna d'une manière
concilier les Maures , favorisa les Dona- définitive toutes les conquêtes des Van- t

tistes, et tenta de réunir les nombreuses dales en Afrique et dans la Méditerranée.


sectes qui divisaient l'Église d'Afrique Genséric mourut peu de temps après ce
dans le sein de Enfin,
l'Arianisme. traité, en 477. Ce chef était d'une taille
quand il se crut assez fort s'empara
, il moyenne, et il boitait, par suite d'une
de Carthage par surprise et en pleine chute de cheval. Il méditait beaucoup,
paix (439). A cette conquête succéda parlait peu, et ne s'abandonnait point
immédiatement l'occupation de toute aux plaisirs. Les mœurs corrompues !

l'Afrique proconsulaire et de la Byza- des cités romaines furent violemment S

cène. Le premier soin de Genséric fut réformées par le rigide conquérant. 11


de procéder au partage des terres, dans se montra habile et prévoyant dans ses
les mêmes formes qui y présidaient chez alliances avec les différents peuples. A
presque tous les peuples du Nord à l'é- l'intérieur, sut comprimer ou faire
il

poque de leur grande invasion. Les an- tourner à son profit les passions reli-
ciens habitants ne furent dépouillés ni de gieuses, les haines nationales et jus- ;

la liberté ni de leurs propriétés l'orga- ; qu'aux conjurations des siens contre


nisation administrative, qui datait de lui-même. Les tribus indigènes, toujours
Constantin, fut conservée; les impôts prêtes à déborder du désert ou des mon-
restèrent les mêmes. Les habitudes mi- tagnes, sur le territoire des villes, ser*
litaires de la nation se prêtant mal à virent à sa grandeur dans ses armées et
l'attaque et à la défense des places, les dans ses flottes.
fortifications des villes furent détruites. Successeurs de Genséric déca-
Genséric consacra une portion de sa vie dence des Vandales. —
En léguant
;

à la création d'une marine puissante. à ses successeurs son vaste empire,


La Corse conquise lui fournit des bois Genséric ne leur légua pas ce génie po-
de construction; les côtes d'Afrique lui litique et militaire qui avait su le fon-
donnèrent des marins. Il s'élança de der. Pour jouir plus complètement de
Carthage en Sicile, en Sardaigneet'dans la paix, les Vandales renoncèrent à
les Baléares; puis, dévastant les côtes leurs courses maritimes. Ils se jetèrent
de l'Italie et de la Grèce, il conduisit les avec une espèce d'ivresse dans les plai-
ALGERIE. 183

sirs et dans les débauches qui avaient guerres d'Asie. L'armée était de quinze
affaibli les Romains d'Afrique, qu'ils mé- mille hommes , dont dix mille fantassins
prisaient et qu'ils avaient dépossédés. et cinq mille cavaliers. Elle se composait
Les vertus guerrières s'éteignirent dans d'Égyptiens, de Ciliciens, de soldats de
le luxe et dans la mollesse. leur fana- A toutes les parties de l'Asie Mineure et de
tisme ignorant, mais audacieux, se la Grèce, d'un corps de quatre cents Hé-
substitua l'amour des subtilités théolo- rules, barbares aussi cruels que braves,
giques et dés querelles religieuses. Les et de six cents cavaliers Huns. Une flotte
forces de la nation déclinèrent rapide- de cinq cents vaisseaux, montés par vingt
ment sous les quatre successeurs de Gen- mille matelots, débarqua cette armée à
séric Hunéric, Gunthamond, Thrasa-
: Caput Vada, sur les confins de la By-
mond Les tribus nomades,
et Hildéric. zacène et de la Tripolitaine. La retraite
dont l'activité n'était plus entretenue par la Cyrénaïque et par l'Egypte se
par des entreprises de guerre, comme trouvait ainsi assurée, en cas de revers.
sous Genséric, tournèrent leur turbu- Les troupes impériales étaient aguerries
lence contre les Vandales. Les séditions, et pieines de confiance dans leur géné-
commencées d'abord dans les parties de ral ; la discipline la plus sévère fut main-
l'Occident les plus éloignées, se rappro- tenue parmi elles ; elles payaient tous
chèrent progressivement de la Procon- les objets nécessaires à leur "consomma-
sulaire et Byzacène. Les monts
de la tion Les habita nts frappés delà do uceur
. ,

Aurès devinrent le foyer de luttes in- du général et de la modération si nou-


cessantes , dans lesquelles les indigènes velle et si inattendue de l'armée, ne
avaient, souvent l'avantage. Fidèles songèrent pas à résister. Aussi Les succès
d'ailleurs aux traditions nationales, ils de Bélisaire furent-ils rapides. Carthage
ne combattaient jamais en plaine et ne désarmée ouvrit ses portes l'occupation
;

livraient pas de combats à des armées; s'en fit en bon ordre, comme celle de
ils pillaient et ravageaient le pays, se re- toutes les villes qu'on avait traversées.
tiraient dans les montagnes ou dans le Gélimer, battu deux fois, perdit son
désert lorsqu'on envoyait des troupes
, camp, qui était rempli d'immenses dé-
contre eux. Dans les dernières années pouilles, et s'enfuit précipitamment dans
de la domination vandale ils poussè- la JNumidie, où il se réfugia chez les tribus
rent leurs incursions jusqu'à Adrumète sauvages des monts Pappua (Édough),
(Sousa). au mois de décembre de l'année 533. La
Hildéric, le dernier roi vandale, victoire de Bélisaire décida de la perte
avait été élevé à Constantinople, et était définitive de l'Afrique pour les Vanda-
l'ami de Justinien. Dès son avènement les. Leur domination n'avait été réguliè-
il voulut mettre fin aux persécutions rement établie que dans les provinces
dont les catholiques étaient l'objet. Ses orientales, et la prise de Carthage mar-
généreuses intentions lui aliénèrent les qua la fin de leur empire. Bientôt Géli-
Vandales, presque tous attachés à l'héré- mer fut bloqué dans un des villages des
sie d'Arius. Un de ses généraux, Gélimer, monts Pappua, où il menait la vie la plus
illustré par des succès momentanés ob- misérable; abattu par la misère, brisé
tenus contre les nomades, profitant par la douleur, le roi vandale fut enfin
des sentiments de répulsion qu'jnspirait forcé de se rendre. Avant de quitter
Hildéric le renversa du trône, et usurpa
, l'Afrique pour amener son prisonnier à
l'autorité souveraine en 531. Justinien Constantinople , Bélisaire se hâta de
saisit cette occasion pour réaliser les prendre les mesures qui devaient com-
projets qu'il nourrissait depuis longtemps pléter et consolider sa conquête. 11 fit
au sujet de la conquête de l'Afrique. Il occuper la Sardaigne, la Corse et les îles
se déclara le protecteur des intérêts Baléares, qui avaient appartenu aux Van-
d'Hildéric, et prépara une expédition dales. I! s'empara en Afrique de Césarée,
coïitre Gélimer. ville alors vaste, bien peuplée et faisant
Conquête de l'Afrique par Béli- par mer un grand commerce; il s'éten-
saire. —
Le commandement des trou- dit jusqu'à Ceuta. Il rendit à l'Église ca-
pes fut confié à Bélisaire, déjà célèbre par tholique la juridiction, les richesses et
la part glorieuse qu'il avait prise aux les privilèges que l'hérésie arienne avait
, 1

184 L'UNIVERS.
retenues si longtemps. Enfin, au prin- renforts de troupes, eut fait rentrer tous
temps de l'année 534, le vainqueur des les rebelles dans le devoir, et ramené
Vandales reçut à Constantinople les l'ordre et le calme dans les provinces les
honneurs du triomphe. plus rapprochées de Carthage. Les tri-j
bus de P Aurès furent battues dans plu-
Domination byzantine. sieurs rencontres, et durent chercher un
Dispositions des indigènes. — refuge en Mauritanie et chez les peupla-
Pendant les opérations de l'armée impé- des du sud. Mais Salomon pénétra dans
riale contre Gélimer, un certain nombre le pâté des montagnes, s'empara des for-:
de cavaliers appartenant à différentes tri- teresses où l'ennemi avait déposé ses tré-
bus, attirés par l'appât du gain, s'étaient sors, et établit des postes fortifiés dans
joints aux Vandales; d'un autre côté, les l'Aurès. Poursuivant ses succès, il s'a-
chefs des tribus de la Mauritanie de la , vança vers l'ouest, chassant devant lui les
Numidie de la Byzacène, prévoyant la
et tribus indigènes maures qui avaient en-
chute de Gélimer, s'étaient mis en rap- vahi la Numidie pendant la décadence de
port avec Bélisaire et lui avaient fait des la domination romaine. Il soumit le can-j
promesses. Mais la masse des indigènes ton de Zaba (Msila) et toute la Mauri-
restait indécise et flottante, attendant l'é- tanie Sitifienne ; quant à la Mauritanie Cé-
vénement pour se prononcer, impatiente sarienne, elle obéissait à un chef maure
d'être délivrée de la domination vandale, et les Byzantins ne possédaient que Ce-,
mais peu empressée à accueillir pour sarée, la capitale.
maîtres de nouveaux étrangers. La vic- Nouvelle prise d'armes des in-i|
toire s'était à peine prononcée pour les digènes. — L'Afrique jouit d'un repos
Byzantins que les tribus de la Tripoli-
,
de quatre années. Mais un neveu de
taine commencèrent à les attaquer, et Salomon ayant assassiner quatre-
fait
avant son départ d'Afrique Bélisaire dut vingts indigènes qui s'étaient rendus au-
envoyer des troupes pour les réprimer. près de lui avec un sauf-conduit, toutes;
Il avait aussi placé des garnisons dans les tribus prirent les armes (543). L$j
l'intérieur du pays sur les frontières de
, mouvement de rébellion se propagea de
la Byzacène et de la Numidie. Parmi les l'est à l'ouest; et parti de la Tripolitaine,
instructions laissées à l'armée , il avait il atteignit bientôt l'extrémité occidentale

surtout recommandé de préserver les despossessions impériales. Salomon mar-


Deuples soumis des incursions des Maures. cha contre les insurgés; il leur livra ba-'
Expéditions de Salomon contre taille à Théveste; il fut vaincu et tué. lit
les indigènes. —
Bélisaire était à révolte d'une partie des troupes , les dis-;
peine embarqué, que les Maures se levè- sensions entre leurs chefs vinrent com-
rent en armes, et portèrent le pillage et pliquer les dangers de la situation. Pen-
«a dévastation sur les frontières de la dant trois années le pays fut en proie h
Byzacène et de laNumidie ; ils surprirent l'anarchie la plus violente. On vit cepen-i
et massacrèrent deux officiers impériaux dant certaines tribus indigènes rester
renommés par leur habileté et leur bra- fidèles, parce qu'elles recevaient des By-
voure. Salomon marcha contre eux, les zantins un subside annuel.
rejeta de la Byzacène dans la Numidie, Expédition de Jean Troglita.
et ,
guidé par deux chefs indigènes avec — En 546 le commandement de l'A-
lesquels il avait fait alliance , il vint at- frique fut donné à Jean Troglita , qui
taquer les Maures dans les monts Aurès, avait servi avec distinction dans la
où ils s'étaient réfugiés. Mais, craignant guerre contre les Perses. Dès son ar-
de s'engager dans ces difficiles monta- rivée il eut à combattre une confédéra-
gnes, sur la foi de ses nouveaux alliés, tion de toutes les tribus qui s'étaient
Salomon renforça les garnisons de la Nu- réunies dans la Byzacène, et parmi les-
midie, et retourna passer l'hiver à Car- quelles figuraient des nomades du dé-
thage (535). Au printemps une révolte sert. Après quelques échecs de peu d'im-
des troupes força d'ajourner les opéra- portance , le général byzantin, par des
tions contre l' Aurès ; elles ne purent être manœuvres habiles, attira les indigènes
reprises que quatre ans après (539 ), lors- dans la plaine, et répara par d'éclatants

que Salomon, revenu en Afrique avec des succès les revers subis jusque alors par
,

ALGÉRIE. i&
les troupes impériales. La guerre ne fut 570, en 577, en 597 et jusqu'à l'inva-
terminée qu'en 550, par la mort des sion arabe, les populations indigènes
principaux chefs des tribus. Jean Tro- attaquèrent les Byzantins sans relâche.
glita rentra triomphante Carthage, et Elles trouvèrent un chef redoutable, du
s'appliqua à faire jouir l'Afrique des nom de Gasmul, qui, devenu tout puis-
bienfaits d'une paix profonde. Nous de- sant par ses victoires, avait donné des
vons faire remarquer cependant que les établissements fixes aux tribus et diri-
événements que nous venons de raconter gea même une expédition contre la
eurent pour théâtre les provinces orien- Gaule. Cette tentative avorta , mais elle
tales et une partie seulement de la Nu- prouve que le roi Gasmul avait organisé
midie. Ils ne se rapportent qu'indirecte- les indigènes et avait discipliné leurs
ment à l'intérieur des Mauritanies, qui forces. Chaque jour les Maures ga-
(iepuis l'invasion des Vandales sem- gnaient une nouvelle part de territoire
blaient s'être détachées des possessions sur la civilisation ; et quoique les Gara-
impériales et se gouverner le plus sou- mantes eussent embrassé le christia-
vent d'une manière indépendante, sous nisme , la masse des indigènes qui com-
l'autorité de plusieurs chefs indigènes. battaient les Byzantins ramenèrent le
La civilisation, qui avait avancé de l'O- paganisme et la barbarie jusque sur le
rient à l'Occident , se retirait devant la littoral. De 647 à 697, les Arabes achevè-
barbarie. Nous aurons occasion de re- rent l'œuvre des tribus indigènes et por-
marquer plusieurs fois par la suite des tèrent le dernier coup à la domination
mouvements de réaction semblable des byzantine. Dans la seconde moitié du
peuplades indigènes de l'ouest contre septième siècle, l'Afrique perdit une
es civilisateurs arrivés d'Orient. partie considérable de sa population eu-
Fin de la domination byzantine. ropéenne et civilisée; ses villes , un ins-
— Après quinze années de paix les tant relevées après l'invasion vandale,
;ribus indigènes des frontières de la Nu- tombèrent de nouveau ; tous les progrès,
nidie se soulevèrent pour venger un de tous les embellissements qu'elle devait
eurs chefs qui avait été assassiné à aux efforts successifs des Phéniciens,
Jarthage par ordre du gouverneur (564), des Romains et des Grecs, disparurent.
]ette révolte fut promptement réprimée, Un ordre nouveau de faits, de croyan-
nais elle fut suivie d'insurrections ces et d'institutions allait s'implanter
ïombreuses, qui se succédèrent à de sur le sol africain.
courts intervalles. En 568, en 569, en

PÉRIODE [ARABE ET BERBÈRE.


( Du septième au seizième siècle. )

>OMINATIONDES ARABES EN AFBIQUE. Maghreb-el-Ouassath (du milieu ) com-


,

prenant le pays à l'est de ïlemsen jusqu'à


'Les contrées situées à l'occident de Bougie , et qui n'était pas aussi consi-
'Egypte n'étaient connues des hordes dérable que l'Algérie, telle que la France
Irabes qui venaient d'envahir la vallée du la possède-, enfin la province
fil , au commencement du septième
d'Afrique
siè- proprement dite (Afrikia), dont la
le de notre ère, que sous la dénomma-
frontière orientale touchait à l'Egypte.
ion vague de Maghreb (couchant). Ce
L'histoire de ces diverses contrées
l'est que longtemps après la
conquête soit qu'elles obéissent à un même pou-
e ce pays qu'on trouve , dans les géo-
voir; soit qu'elles s'administrent isolé-
graphes arabes, une division du Maghreb ment, est tellement confondue pendant
n trois parties : Maghreb-el-Aksa , le
toute la période de la domination arabe,
ouchant extrême , qui s'étendait depuis qu'on est obligé, pour arriver à démêler
Atlantique jusqu'à Tlemsen, et qui cor- les origines particulières à l'Algérie, de
espond à l'empire actuel du Maroc
; suivre à la fois le développement des
,

186 L'UNIVERS,
faits qui concernent la totalité du con- refoulées vers les déserts du sud et dans
tinent africain. Mais à mesure que les les chaînes de montagnes les plus diffi-
événements modifient la situation qui a ciles , devait faciliter beaucoup la rapide
été la conséquence immédiate de l'inva- invasion du Maghreb. Ace moment,
sion musulmane, lorsque les races indi- sur tous les points occupés de l'Afrique
gènes interviennent dans les destinées septentrionale, la puissance gréco-ro-|
de leur pays , le cercle politique et géo- maine était dans une décadence com-
graphique que notre récit doit embrasser plète. La domination vandale, qui n'avait
se limitera, et nous arriverons à pouvoir pas duré un siècle, avait suffi pour
consacrer toute notre attention à l'his- faire presque entièrement disparaître la
toire spéciale de l'Algérie. civilisation romaine. Sous Justinien,
Les traditions les plus anciennes, une réaction brillante avait un instant
ayant également cours parmi les tribus rendu l'avantage sur les hordes, mieux
de l'Arabie, et parmi les peuplades no- organisées pour la destruction que pour
mades qui habitaient le nord de l'Afrique la fondation des empires l'Afrique fut ;

et qui allaient subir l'invasion musul- arrachée aux Vandales par Bélisaire, qui
mane, rattachaient les Berbères Africains releva les ruines des villes les plus im-
à la grande famille abrahamique. Lors- portantes , détruites au moment de l'in-
que David tua Djalout, le chef des Ka- vasion.
nanéens, qui occupaient la Palestine, Cependant le pouvoir des empereurs,
ceux-ci, disent les chroniques, se dis- d'Orient ne fut jamais solidement établi
persèrent et se dirigèrent vers le sud et en Afrique. Il n'existait presque plus de'
vers Pouest. Établis au milieu de peu- colonies romaines pour l'appuyer; les;
ples nouveaux, les uns dans la plaine, tribus indigènes avaient repris leurs,
les autres dans les montagnes , ils adop- habitudes d'indépendance; les Vandales'
tèrent en partie les mœurs des habitants ; s'étaient retirés dans les montagnes où^
mais, comme toutes les nations issues unis aux indigènes, ils bravaient les ef-Ji
1

des souches patriarcales, ils gardèrent forts des gouverneurs grecs de Car*, ;

fidèlement les traces de leur état primitif, thage. Salomon, successeur de Bélisaire»;
et quelques-uns de ces traits ineffaçables avait bien remporté quelques avantages;
qui après les plus longs intervalles
, sur eux ; mais il n'avait pu leur faire re-
malgré les distances les plus grandes connaître l'autorité des empereurs d'O}
font que deux peuples d'origine com- rient.
mune se reconnaissent en se rencontrant A
ces agitations, à ces luttes incessan-
et se rapprochent. tes avec les Berbères, qu'on ajoute les;
D'autres traditions font descendre les effets d'une administration rapace et
Berbères des colonies hémiarites qui, avilie des populations écrasées d'impôts,/:
;

au nombre de cinq émigrèrent d'Ara-


, livrées aux querelles ardentes d'hérésies
bie, à une époque très-reculée, sous la sans nombre , soupirant après un chan-i,
conduite d'un chef nommée Afrikis. gement, épuisées par des alternatives
Les tribus composant cette émigration rapides de revers désastreux et de succès
étaient les Senhadja, les Masmouda,
: éphémères; des campagnes dévastées
les Zenata, les Ghoumra et les Haouara ; par la guerre, ou ravagées par des nuées
leur postérité , à travers les vicissitudes de sauterelles; des villes, deux ou trois
de l'histoire si troublée des dominations fois renversées et réédifiées pour la plu-
arabe et turque, après des alliances et part et toujours sous le coup des atta-
,

des croisements infinis, s'est perpétuée ques des Berbères de l'intérieur. Telle —
jusqu'à nos jours, et on trouve encore était la situation des dépendances afri-
en Algérie des tribus berbères portant caines de l'empire grec aux premières
les mêmes noms que les cinq tribus hé- années du septième siècle. Les Arabes,
miarites qui pénétrèrent d'abord en poussés par cette force d'expansion qui
Afrique. entraîne hors de leurs foyers les peuples
Cette communauté d'origine entre les travaillés par des révolutions religieuses
Arabes et les peuplades indigènes que les ou politiques, attirés par l'appât du
conquêtes successives des Carthaginois, butin à recueillir dans une contrée dont
des Romains et des Vandales avaient la richesse et la fécondité étaient célè-
ALGÉRIE, 187

bres, aidés par les affinités d'origine, son pouvoir pour en assurer succès,
le
Je mœurs, et presque de croyances, et contribua de ses propres deniers à
qu'ils avaient avec la partie la plus adon- l'organisation de l'expédition. Ce groupe
née aux hérésies et Ja plus turbulente de croisés d'élite rejoignit en Egypte
de la population africaine, pouvaient- des contingents plus considérables et ;

ils rencontrer en pénétrant dans le Ma- Une masse de vingt mille guerriers, sous
ghreb une résistance sérieuse (1)? la conduite d'Abd-Allah ben Saad, fit ir-
ruption dans le Maghreb (1). Après une
Incursions arabes dans le Maghreb. sanglante bataille, dans laquelle fut tué
Ce fut l'an23 de l'hégire (643-644 le patrice Grégoire qui commandait la
,

le J. C. ), sous le règne d'Omar Ben el- province au nom de l'empereur de Cons-


lhettab,deuxièmekhalifedel'islamisme, tantinople, les musulmans se rendirent
ju'Amrou ben el- As, gouverneur del'É- maîtres de Sbaïtla, l'ancienne Sufétula.
^ypte, dirigea les premières incursions Ils parcoururent la Cyrénaïque, la Tri-
[jans le Maghreb. Voici le fait auquel les politaine et la Byzacène, rançonnant les
iumalistes arabes rattachent cette entre- villes, convertissant la population et
prise. Six Berbères africains arrivèrent réduisant en esclavage ceux qui refu-
m Egypte, et se présentèrent devant saient d'embrasser l'islamisme. Cette
Imrou, demandant à se convertir à l'is- armée séjourna un an et deux mois dans
amisme. Ils donnèrent sur les disposi- ces provinces. Il ne paraît pas que les
ons de leurs tribus sur l'état d'anarchie
, vainqueurs aient fait des tentatives pour
les populations chrétiennes des villes, organiser l'administration du pays à leur
les renseignements qui éveillèrent dans profit ; pressés de retourner dans leur
oute leur énergie le prosélytisme des patrie pour procéder au partage du butin
Irabes et leur amour pour de nouvelles d'après les prescriptions légales ils se ,

enquêtes. Amrou organisa des partis contentèrent d'établir à Barka une sorte
le cavalerie qui, sous la conduite des de garnison qui devait servir d'avant-
ix Berbères, pénétrèrent dans la pro- garde pour faciliter les incursions ulté-
ince de l'ancienne Pentapole , ravagè- rieures.
ent Barka, Zouïla et autres villes en- En effet le butin ne devient propriété
vironnantes, poussèrent jusqu'à Tripoli, réelle et personnelle du guerrier que
it soumirent les montagnes de Nefouça, lorsqu'il est transporté en pays musul-
six journées de marche au sud de cette man, et la mort d'un combattant avant
fille. Trop faibles pour s'engager plus le retour annule le droit de ses héritiers
[vaut dans l'ouest, les musulmans re- à la part qu'il devait avoir.
purnèrent en Egypte chargés de bu-
lin et emmenant un grand nombre de
Deuxième invasion.
[aptifs. Il est probable que ces expédi- Les troubles qui suivirent la mort du
ions se renouvelèrent plusieurs fois, khalife Othman retardèrent progrès
les
ns prendre cependant des proportions de ia conquête de l'Afrique. Aucune
lus considérables, et se bornant en grande expédition ne fut tentée dans ce
uelque sorte à une reconnaissance du pays. Mais la paix ayant été rétablie par
ays. l'abdication d'El-Hassan, petit -fils du
prophète, en faveur de Maouia ben
Première invasion.
Abou Sofian, chef de la dynastie des
Mais quatre ans après sous le kha-
, Ommiades, des contingents furent en-
fatd'Othman, successeur d'Omar, on voyés à Barka (2). BenKhedidj, suivi
oit se former une véritable armée de d'un grand nombre de guerriers de la
musulmans pour entrer en Afrique. Des tribu des Koréichites, pénétra en Afrique,
ompagnons du prophète, des notables à la tête de dix mille hommes l'an 45
,

es principales tribus de l'Yémen et de de l'hégire ( 665 de J. C. ). Il s'empara


(

Irak se levèrent pour cette invasion; de Souça, de Djeloula, de Bizerte et de


b khalife employa tous ies moyens en
(r) Voyez Univers pittoresque, Arabie,,
|
(i) Voyez Univers pittoresque , Arabie , pages 25 1 et suivantes.
jages 249 et suivantes, (2) Ibid., pages 276 et suivantes»
18S L'UNIVERS.
Djerba, villes de Byzacène: il envoya
la Iézid, qui venait de succéder à son père
en Sicile une en rapporta de
flotte qui Ce général malgré ses
, fautes, avait ce i

riches dépouilles. Mais ce général ne lit pendant étendu la conquête en s'empa


encore aucun
acte d'administration; rant delà presqu'île du cap Bon rient ,

c'était lechef d'une croisade religieuse contrée, couverte alors de villes et di


et non un gouverneur. Il retourna en maisons de campagne.
Egypte et fut remplacé par Okba ben
, En 62 de l'hégire ( 681 de J. C. ) Okbi
]Nata, qui amena avec lui dix mille com- fut renommé gouverneur de l'Afriqu
battants. C'était l'an 50 de l'hégire. par le khalife Iézid. Il rétablit Kairouan
et, ayant fait de grands préparatifs d
Établissement des Arabes en Afrique.
guerre, il se porta sur Bagaï, au piei
Avec ce chef commence la véritable des montagnes de l'Aurès. Un gram
prise de possession du pays et l'adoption nombre de chrétiens et de Berbère
de mesures politiques pour le gouver- s'étaient réfugiés dans cette place ; Okb,
nement des populations. Il se rendit leur livra bataille, et les vainquit. 11 &
maître de Ghedamès, et parcourut sans dirigea ensuite sur Mélich, une de
éprouver de résistance toute la contrée villes les plus considérables des Romains
qui forme aujourd'hui les provinces de à deux journées de marche de Constan
Tunis et de Tripoli. Pour contenir les Ber- tine; nouveau combat contre les chré
bères, sans cesse remuants, Okba sen- tiens nouvelle victoire. Il pénétra alor
,

tit la nécessité de créer à l'ouest de Barka dans le Zab, dont la ville principal
un centre d'action, afin de servir de point était entourée de trois cent soixante vil

d'appui à la domination arabe. Il choisit lages tous très-peuplés, soumit tout I


,

un emplacement au milieu de la Byza- pays des Berbères et quelques parties d<


eène, dans un pays fertile, jadis très- pays des Nègres. La plupart de ces ville
florissant, et fonda la ville de Kairouan; avaient précédemment fait leur soumis
il en fit la capitale des nouvelles pos- sion aux Arabes , mais depuis elles
sessions musulmanes. Voici en quels taient révoltées. Il s'avança ensuite ver
termes le général arabe justifie l'adop- l'ouest, et se rendit maître de Ceuta etd
tion de cette mesure « Quand Yimam: Tanger. Tournant alors ses armes vers 1

(général revêtu de l'autorité spirituelle sud, il prit Sous El-Aksa, Aïgla, Draa
et temporelle) entre en Afrique, les et atteignit les Berbères Lemtouna, qu'o
« habitants mettent leur vie et leurs croit les mêmes que les Touareg, fixé
« biens à l'abri du danger en faisant la aujourd'hui dans les déserts au sud df f

« profession de foi islamique; mais Maroc. Arrivé au bord de la mer y ,

« dès que l'armée se retire ces gens-là , poussa son cheval jusqu'à ce que Yef
« se rejettent dans l'infidélité. Je suis atteignît le poitrail; levant alors la ma?
« donc d'avis ô musulmans de créer
, , vers le ciel , il dit : « Vous connaissez !

« une ville qui serve de camp et d'appui « ô mon Dieu la pureté de mes iii
,

v à l'islamisme. » Ces paroles font res- « tentions; je vous supplie de m'accoi


sortir d'une manière remarquable l'ana- « der la grâce qu'avait sollicitée de von
logie qui a existé, à douze siècles d'in- « Alexandre le Grand, que je puiss
afin
tervalle, entre les nécessités politiques •
a amener tous les hommes
à vous ado
de la conquête de l'Algérie par la France « rer. » N'ayant plus devant lui qu
et les mesures adoptées par les Arabes des déserts et la mer à sa gauche, 1

dès les premiers pas de leur domination général arabe fit ses dispositions pou
en Afrique. le retour.
Okba ne resta qu'un an dans le Ma- Parvenu dans la province du Zab, ai
ghreb ;gouverneur de l'Egypte lui
le sud de la province actuelle de Constac
donna pour successeur un esclave affran- tine, Okba ordonna à ses troupes d
chi , qui affecta de prendre en tout le se rendre par détachements à Kairouan
contre-pied de ce qu'avait fait son pré- et ne retint auprès de lui qu'un peti
décesseur. Il détruisit Kairouan, et édifia nombre de cavaliers. Tout à coup à , 1

à deux milles de là une ville nouvelle. suggestion des gouverneurs impériaux


Son administration souleva des plaintes une insurrection se déclara parmi le
si vives, qu'il fut rappelé par le khalife tribus nouvellement converties à l'isla
,

ALGÉRIE. lsn.

misme. Elle avait pour chef un Berbère que , sous


ordres de Hassan ben
les M-
nommé Koucila, qui avait à se venger man c'était la cinquième invasion elle
:
;

du général arabe pour une insulte qu'il eut lieu l'an 76 de l'hégire (695 de J. C).
en avait reçue. Celui-ci marcha contre Les musulmans furent d'abord victo-
les rebelles", qui se retirèrent devant rieux, et rétablirent rapidement leurs af-
lui pendant plusieurs jours. Alors, faires:Carthage tomba en leur pou voir , et
rapporte un historien arabe, les Berbères fut entièrement rasée. L'empire grec ne
iirent à leur chef : « Pourquoi te reti- possédait alors sur le littoral que la seule
p rer ? Ne sommes-nous pas cinq mille ? » ville de Bône. Toutes les populations de
Koucila répondit « Chaque jour notre
: la province de Carthage rentrèrent dans
f
nombre grossit et celui des Arabes l'obéissance. Cependant lesBerbères con-
< diminue. Je ne veux les attaquer que vertis à l'islamisme continuèrent soit ,

k lorsqu'ils commenceront à se retirer» avec leurs propres forces , soit avec les
« vers la province d'Afrique. » — Encore secours de Constantinople, la résistance
m trait de ressemblance entre la lutte contre l'invasion des Arabes.
Jes Arabes contre les Berbères, et la A
Koucila, ce chef berbère qui s'était
guerre que nous avons soutenue en emparé de Kairouan , avait succédé
Vlgérie contre les tribus. une femme berbère, issue d'unenoble fa-
Okba résolut de tenter le sort des mille, appelée Dania, et plus connue sous
trmes; les cavaliers de son escorte le nom de Kahina (devineresse). Elle
irisèrent le fourreau de leur sabre, et commandait dans les montagnes de l'Au-
narchèrent au combat; mais, accablés rès , et des populations nombreuses re-
>ar le nombre, ils périrent tous. C'était connaissaient son autorité. Le nouveau
'an 63 de l'hégire. général arabe marcha contre elle ; mais
Kahina se porta à sa rencontre, le défit
Insurrection des Berbères.
et le poursuivit jusqu'au delà de Kabès.
Les Berbères, plus sympathiques pour Ce ne fut que cinq ans après que Ben
m compatriote que pour leurs nouveaux Nâman, qui s'était retiré à Barka,
coreligionnaires embrassèrent tous la
, ayant reçu du khalife de l'argent et des
ause de l'insurrection. Koucila fut renforts, rentra en Afrique. En appre-
•roclamé par eux sultan de leur pays. nant les préparatifs qu'on faisait contre
I trouva un appui très-vif auprès des elle, la reine berbère ordonna à ses sujets
ouverneurs grecs, qui étaient encore de ravager les campagnes , de couper
inaîtres de la plus grande partie du les arbres, de démolir tous les édifices.
littoral depuis la frontière de Tunis
, Elle disait « Les Arabes ne viennent
:

'jsqu'à l'océan Atlantique. Koucila, après « chercher en Afrique que les villes, l'or,
a victoire , à la tête de forces considé- « l'argent et lesarbres. Nous, nous n'a-
rables , marcha sur Kairouan , défit les « vons besoin que de champs ensemen-
roupes arabes qui tentèrent de l'arrêter, « ces et des pâturages. En détruisant
t s'empara de cette ville. Les débris « les cites, cesseront de désirer de
ils
le l'armée musulmane se réfugièrent à « venir dans ces contrées. » L'Afrique
larka. Ces événements embrasèrent l'A- était alors un ombrage continuel de
*ique d'une guerre générale. L'an 69 de Tripoli à Tanger, et il s'y trouvait une
'
ihégire, Abd-el-Malek, cinquième kha- multitude de lieux très-peuplés. Kahina
fe ommiade, partir une armée nom-
fit ne fut pas sauvée par ces sauvages me-
reuseafinde rétablir la puissance arabe. sures. Elle livra bataille son armée fut :

Loucila est tué, Kairouan est pris, mise en fuite; elle-même tomba au
larthage est menacée ; mais la fortune pouvoir des Arabes, et eut la tête tran-
e fut pas longtemps favorable aux chée (1).
nisulmans; des troupes grecques, en- Hassan fit grâce aux fils de Kahina,
oyées de Constantinople et de Sicile qui avaient embrassé l'islamisme. Ils fu-
ar l'empereur d'Orient, atteignirent le rent placés chacun à la tête d'un corps
énéral arabe près de Barka, et lui firent de douze mille Berbères , et envoyés en
ssuyer une déroute complète.
Pour venger cet échec, quarante (i) Voyez Univers pittoresque, Arabie,
nlle hommes furent dirigés sur l'Afri- pages 3i4et3i5.
190 L'UNIVERS.
Occident pour y combattre les tribus alors soumise à la domination arabe
infidèles.Par cette mesure habile, le Après s'être rendu maître de Sfax e;
général arabe en employant dans des
, de Gonstantine et avoir réglé l'admi
,

guerres lointaines la turbulence des Ber- nistration du pays ainsi qu'on vient d<
,

bères , consolida la domination des le voir, Hassan retourna en Orient, em


khalifes en Afrique, et s'assura des auxi- portant d'immenses dépouilles, qui, ei\
liaires courageux, qui prirent une part excitant la jalousie des chefs principaux^
principale , peu de temps après , à la rallumèrent dans tous les cœurs l'ardeu
conquête de l'Espagne. du prosélytisme. Il fut remplacé l'an 8i;
de l'hégire ( 707 de J. C. ), par Mouça bei
Établissement du Karadj.
Woçaïr, pendant le règne d'El-Oulid
L'acte le plus important du commande- sixième khalife ommiade.
ment de Ben Nâman fut le règlement
des impôts à percevoir dans les parties du Conquête de r Espagne.
pays soumises à l'autorité musulmane.
D'après la législation consacrée par le Le Maghreb fut constitué en gouvei
texte même du Koran, ou par les tradi- nement indépendant, et détaché de 1

tions recueillies de la bouche du pro- province d'Egypte, dont il relevait au


phète, le souverain est maître du sort paravant. A l'arrivée de Mouça le pay
des peuples vaincus. S'ils refusent de se était déjà de nouveau agité par les ifl
s

convertir à l'islamisme, il peut les faire trigues des Berbères. Il les poursuivi,
périr, ou perpétuer leur captivité, ou jusque dans l'ouest et les força à dç,
,

les rendre libres en les soumettant à mander la paix; à la suite de cette exp<
la capitation. Il peut distribuer à des dition, il installa à Tanger Tarik, u
musulmans les terres conquises à con* ,
de ses lieutenants, d'origine berbère, 1
dition qu'ils payeront à l'État la dîme lui confia le commandement de cett

des productions annuelles. Il peut lais- contrée; il lui laissa un corps de dix
ser à leurs anciens propriétaires les fonds neuf mille cavaliers berbères, avec 1
ruraux, en leur imposant le karadj, petit nombre d'Arabes pour leur enseï
tribut fixe, ou proportionné au rende- gnerle Koran. Mouça soumit ensuit!

ment delà terre. Mais dans ce cas la pro- la Medjana Zeghouan, les pays de'l
,

priété est immobilisée au profitde la com- Haouara, des Zenata et des Senhadja
munauté musulmane, et le sujet tribu- il conquit la Corse et la Sardaignf
taire ne la détient que comme fermier Toute l'Afrique étant pacifiée, Mouça ev
et usufruitier; il ne peut l'aliéner sans voya en Espagne le gouverneur de TS
'

l'autorisation du souverain. Telles sont ger. Cette invasioneut lieu l'an 92 de l'h?
les deux seules conditions de la propriété gire (710-711 de J. C. ) ; elle fut guic^l
chez les musulmans décimale, c'est-à-
:
par le comte Julien , qui avait été défi
dire soumise à payer la dîme (l'achour); en relation avec Okba quarante m
tributaire, c'est-a-dire soumise au ka- auparavant. Bientôt Mouça suivit soi
radj. Une fois fixé, à l'époque de la con- lieutenant , et donna une impulsion si I
quête, suivant la religion du possesseur, pide à la conquête, qu'en deux annéej
il se rendit maître de toute l'Espagne, e
cette classification ne peut plus être mo-
difiée lors même que la terre tributaire
,
porta ses armes dévastatrices jusqu'à
passerait aux mains d'un musulman. La delà des Pyrénées, à Carcassonne. Apre
capitation (djezia) est un tribut per- avoir gouverné l'Afrique et l'Espagn
sonnel imposé à tous les sujets non con- pendant seize ans, Mouça ben Noçaïrfu
vertis , les femmes les esclaves les en-
, ,
rappelé en Orient, et rapporta à fa cou
fants, les vieillards et les indigents en des khalifes des richesses considérable
sont exemptés. Les musulmans ne doi- et un grand nombre de captifs (1).

vent à l'État que le zekket, espèce de Durant sa longue administration, 1

prélèvement , qui tient à la fois de l'im- général arabe donna des preuves d'un
pôt et de l'aumône, sur la totalité de haute capacité politique. Jamais il n'é
leurs biens apparents. Ces principes fu-
rent appliqués à tous les habitants et à (t) Voyez Univers pittoresque, Arabij
toutes les terres de la partie du Maghreb pages 321 et suiv.
ALGÉRIE. m\
rouva de revers dans les combats multi- sement et le fractionnement de l'auto-
liés qu'il livra. A ussi sage dans les con- rité. C'est, d'une part, l'apparition en
qu'intrépide les armes à la main, il
eils Afrique des khouaredj , schismatiques
tous ses soins à faire oublier aux Ber-
lit musulmans; de l'autre, une révolte
ères l'humiliation de leur défaite. Il fît formidable des peuplades berbères. A la
pouserà ses lieutenants et à ses prin- suite des guerres acharnées qui déchi-
tpaux officiers les filles des chefs des rèrent l'empire arabe en Orient et ame-
entrées qu'il avait soumises. 11 rappela nèrent l'abdication du fils d'Ali en fa-
jx Berbères leur communauté d ori- veur de Maouîa, de nombreuses sectes
gine avec les Arabes, et convertit la d'origines et de croyances diverses se
jiajeure partie à l'islamisme. Les Ber- propagèrent; elles constituèrent une
pres, ainsi que les descendants des co- sortedeprotestantismemusulman, appe-
lins romains, étaient chrétiens; mais lant les peuples à l'indépendance poli-
!3puis l'invasion vandale Tarianisme tique et religieuse , et prétendant rame-
«ait fait de grands progrès parmi eux. ner les fidèles à la pureté de la foi et à la
n sait que cette secte, se rapprochant pratique des bonnes œuvres. Ces héré-
paucoup de la doctrine islamique, re- sies, comprimées tour à tour en Syrie,
ndait Jésus-Christ comme un pro- en Perse, dans l'Arabie et dans l'Egypte,
jeté , et non comme le fils de Dieu ;
furent introduites dans le Maghreb par
jitte analogie dans les croyances rendit les milices venues de l'Irak pour tenir
us facile la tâche de Mouça. Il sut garnison ; elles se firent rapidement de
jénager les superstitions et les préjugés nombreux partisans parmi les Berbères.
Is populations qui habitaient les mon- Il semblait dans les destinées de ces
gnes. Il n'exigea d'elles que de recon- tribus, qui sous le règne du christia-
iittre Mohammed comme prophète, lais- nisme avaient fourni aux Donatistes
rot au temps de purifier leur foi. Ne et aux Circoncellions leurs plus intré-
aignant rien de ces montagnards, qui pides adeptes, de chercher dans ces pro-
aient disposés à ne pas attaquer leurs testations religieuses une voie pour
;>isins pourvu qu'on ne vînt pas les in- faire connaître leurs aspirations à l'in-
liéter, Mouça eut en eux des alliés dépendance politique. La domination
us que des administrés, et ils lui four- arabe, en imposant à ces peuples l'isla-
rent de vaillants auxiliaires pour la misme, avait violemment comprimé en
enquête de l'Espagne. eux des habitudes que de longues tradi-
'
La que Mouça ben Noçaïr avait
gloire tions avaient rendues chères; les vain-
quise, le pouvoir sans bornes
dont il queurs, qui étaient en même temps les
jsposait,et, qu'en partant pour l'O- initiateurs religieux, ne ménagèrent pas
pnt il avait délégué à ses deux fils, le
, toujours les susceptibilités de la race
îent tomber en disgrâce. Dépouillé de vaincue, et firent peser sur elle'une su-
lus ses biens jeté en prison il mourut,
, , prématie oppressive.
{l'âge .de soixante-treize ans, dans la D'un autre côté la plupart des tribus
,

fus affreuse misère. Soliman ben Abd-el- berbères étaient pour ainsi dire d'une
i'alekseptième khalife ommiade , qui
, turbulence héréditaire, la révolte était
de succéder à son frère, confia le
.naît en quelque sorte une nécessité de leur
uivernement de la province d'Afrique vie. Aussi, dès le commencement des
Mohammed ben lézid. premiers successeurs de Mouça des ten-
tatives d'insurrection ne tardèrent pas
Schismes et révoltes.
à éclater; facilement réprimées d'abord,
A partir de cette
époque et jusqu'à la elles mirent bientôt en danger l'exis-
ute de dynastie des Ommiades, tence même de la domination arabe. La
!

i'
la
,'st-à-dire l'an 132 de l'hégire (749 plus considérable, dont les débuts fu-
;
J. C. ), un grand nombre de gouver- rent signalés par la défaite et la mort
iurs furent envoyés successivement de Kaltoum , gouverneur de l'Afrique,
i
ns le Maghreb. Deux faits seulement auprès de Tanger, fit d^s progrès telle-
ent plus particulièrement l'attention ment alarmants, que le khalife Hachem
îndant cette période de troubles et dut appeler aux armes toutes les milices
agitations, qui précipitent l'amoindris- de l'Orient. La Syrie envoya à elle seule
192 L'UNIVERS.
douze mille cavaliers. L'armée arabe ren- de cette ville Fan 155 de l'hégire 77
, (
contra les rebelles au nombre de trois deJ. C).
cent mille, près de Kairouan. Le com- Cette pacification ne fut pas de longu
bat fut des plus sanglants; la victoire durée. Sept gouverneurs, appelés dan
resta aux troupes du khalife, et les Ber- l'espace de trente ans environ au corn
bères laissèrent cent quatre-vingt mille mandement de l'Afrique, ne purent je
cadavres sur le champ de bataille. mais obtenir plus de quelques mois d
Après la chute des Ommiades et l'a- calme consécutif. Insurrections des Be;
vénement au pouvoir suprême de la fa- bères et des Kouaredj rébellion des mi
;
mille des Abbassides, des troubles pro- lices envoyées du Khorassan et de Syrie
fonds agitèrent tout l'empire arabe. qui déposent un gouverneur et procla
L'Afrique ressentit plus cruellement ment un de leurs chefs; mauvaise admi
qu'aucune autre province ces déchire- nistration et infidélité des sous-gou
ments intérieurs. Elle était alors en verneurs tout concourait à prolonge
,

quelque sorte divisée en deux parties l'anarchie. Mais au milieu du conflit de


distinctes : avait pour capitale
l'une ambitions surgirent deux chefs qui s
Tanger, des révolutions in-
et subissait rendirent indépendants de l'autorité de
cessantes, soit qu'elles fussent l'œuvre khalifes , et ramenèrent à une sorte d'u
des Berbères turbulents de l'ouest, soit nitéle Maghreb, prêt à se morceler e
j

qu'elles ne fussent qu'un résultat des vingt petits États. Ce furent dans/oues
mouvements qui avaient lieu en Espa- les fondateurs de la dynastie des Édrissi
gne; l'autre partie, dont Kairouan était tes, et dans l'estIbrahim ben Aghlab
la ville principale, ne jouissait pas d'une premier prince des Aghabites. Une troi
plus grande tranquillité, à cause des en- sième famille moins importante que lé
,

treprises des Khouaredj arabes et berbè- premières, fonda aussi un pouvoir nou
res pour s'emparer du pouvoir elle res- ; veau à Tiharet (Tekdemt), dans le Ma
sentait aussi plus directement l'influence ghreb-el-Ouassath. Ce furent les Ben
des luttes sérieuses qui déchiraient Restam.
l'Orient. Profitant de ces agitations, qui
retenaient les forces des khalifes loin Édrissites.
de l'Afrique , et qui laissaient les popu- Édris fils d'Édris , fils d'Abd- Allah
,

lations incertaines sur l'autorité légitime descendant d'Ali, gendre du prophèt


à laquelle elles devaient obéissance, Mohammed et de sa fille Fathma, fut \
un aventurier du nom d'Abd-er-Rahman fondateur de cette dynastie. Il fut salu
réussit à se créer pendant quelque temps émir dans la ville d'Oulila (l'ancienn
un pouvoir indépendant à Kairouan;
mais il fut vaincu et mis à mort par ses
Volubilis) l'an m
de l'hégire (787 d
J. C..). Il s'était réfugié dans l'ancienn
propres parents (1). Dès que la dynastie Mauritanie Tingitane , à Tiulit, pou'
des Abbassides eut triomphé des Om- échapper aux persécutions du khalil
miades, elle travailla avec énergie à abbasside Haroun-er-Rachid contre tou
tirer l'Afrique de l'anarchie où elle était les membres de la famille des Alides
tombée et à la faire rentrer dans l'obéis* autrefois souveraine, et qui n'avait pa
sance. Deux gouverneurs tentèrent inu- renoncé à ses prétentions à J'empire
tilement cette grande entreprise; ce ne Un parti puissant s'était déclaré pour lu
fut que le troisième, Iézid ben Hatim, parmi les Berbères de l'ouest; et c'es
envoyé par Abou Djafar el-Mansour, grâce à leur concours qu'il put vaincri
deuxième khalife abbasside, à la tête de les gouverneurs envoyés à Tanger pai
plus de cent mille hommes, qui put do- Haroun-er-Rachid et se rendre indépen
miner toutes les révoltes, réduire les dant. Impuissant à abattre son ennem
Khouaredj et mettre fin à la dévastation par les armes, Haroun fit partir secrè
du pays. Ce général remporta sur les tement pour l'ouest un médecin juif
Berbères, aux environs de Kairouan, avec mission de faire périr le descendan
une victoire signalée, qui le rendit maître d'Ali. Édris étant mort empoisonné
l'histoire a accusé Haroun-er-Rachid d<
(i) Voyez Univers pittoresque, Arabie, ce crime.
pages 36i et suiv. Mais la puissance de la nouvelle dynas
ALGÉRIE. 193

tie ne fut pas ébranlée ; Édris eut pour leur ascétisme et par une sage adminis-
successeur un fils posthume, qui régna tration. Ils retinrent entre leurs mains
trente ans. On lui attribue la fondation la moitié du Maghreb jusqu'à l'an 296
de la ville de Fês, l'an 185 de Fhégire. Ses de l'hégire ( 908 de J. C. ), époque de l'a-
successeurs régnèrent pendant plus de vénement d'El-Mahdi fondateur de la
,

cent ans , depuis Sous jusqu'à Oran sur , dynastie des Fathimites, qui les dépos-
tout le pays qui composait l'ancienne séda. Du côté de Fês, les animosités et
Mauritanie Tingitane, et une partie de la rivalité des Berbères contre la race
la Mauritanie Césarienne. En dehors de conquérante se réveillèrent. Une tribu
ces limites l'influence des Édrissites fut
, des Zenata se révolta contre les Édrissites,
peu sensible. Cependant ils prirent sou- et fonda un État indépendant, dont Mé-
vent une part très-active aux guerres quinez fut la capitale. Une insurrection
que les Ommiades d'Espagne firent aux éclata aussi dans la province de Sous et ,

chrétiens; et quoique la famille d'Ali eût opéra un nouveau démembrement. Dans


été dépossédée de l'empire par les Om- ces déchirements qui contribuèrent en
,

miades en Orient, les Édrissites, oubliant grande partie à précipiter la chute des
ftous les ressentiments, se signalèrent par Édrissites, la tribu des Béni Ifren dont ,

Sun attachement constant pour les Om- Abd-el-Kader, le plus redoutableennemi


Imiades d'Espagne, dans les luttes qu'ils de la France en Algérie , prétend tirer
soutinrent pour affranchir ce pays de la son origine joua un rôle important. Les
,

suzeraineté des khalifes de Bagdad. Béni Ifren fournirent plusieurs princes


Lorsque les Abbassides s'étaient fait re- qui furent maîtres du pouvoir souverain
connaître comme khalifes à la place des pendant quelque temps dans une partie
Ommiades, presque tous les membres du Maghreb occidental. Cette tribu avait
de cette illustre et malheureuse famille également marqué dans dissensions
les
avaient été massacrés. Un d'eux, Abd-er- intestines de l'Espagne, lorsque les kha-
Rahman, jeune enfant, fut soustrait à la lifes de Bagdad étant encore en posses-
rage de ses ennemis et conduit en Afri- sion de ces contrées , chaque gouver-
que par un serviteur fidèle, chez la puis- neur rêvait l'indépendance.
sante tribu des Zenata, qui habitait à
quatre journées de marche à l'est de Jghlabites.
Tlemsen. Abd-er-Rahman se fit vite dis- Ibrahim ben Aghlab fut le fondateur
tinguer par les plus brillantes qualités sa ; de cette dynastie. Son aïeul s'était dis-
renommée pénétra jusqu'en Espagne ; et tingué par les services qu'il avait rendus
orsque les musulmans de ce pays, lassés aux Abbassides dans le Rhorassan et en
le vivre dans l'anarchie, voulurent échap- Afrique. Nommé d'abord commandant
per à la dépendance des Abbassides et se de la province du Zab, il s'y montra le
donner un chef, ils députèrent vers Abd- plus ferme soutien de l'autorité des kha-
;ir-Rahman pour lui offrir la couronne. lifes d'Orient ; il châtia les Berbères re-
Les Zenata lui firent les plus tendres belles ,et maintint la paix dans cette
idieux, et ce ne fut pas sans verser des partie du Maghreb. En 184 de l'hégire
armes qu'il se sépara de ses fidèles (800 de J. C.) il fut appelé au gouver-
imis. Cette courte digression était né- nement de l'Afrique par Haroun-er-Ra-
cessaire pour expliquer la présence des chid (1). Il se déclara indépendant, après
Ommiades en Espagne, pendant que les avoir pris toutes les précautions qui
Abbassides régnaient à Bagdad, et pour pouvaient assurer le succès de ses pro-
aire connaître la cause de la sympathie jets et le faire triompher du peu de ré-
jue les Berbères de l'ouest montrèrent sistance qu'il rencontra. Déjà depuis
jour des princes dont le chef avait été longtemps les gouverneurs de l'Afrique
•ecueilli et élevé chez eux. avaient vis-à-vis des khalifes la position
Les Édrissites établirent le siège de de vassaux plus que celle d'agents direc-
eur empire à Fês , qu'ils dotèrent de tement subordonnés. Ibrahim ne fit
(

îombreux collèges pour l'étude de la donc en quelque sorte que constater un


héologie et delà littérature arabes. Plu-
sieurs princes de cette maison se signa- (i) Voyez Univers pittoresque, Arabie',
èrent par leurs succès guerriers, par page 387,
13 e Livraison. (Algérie.) 13
194 L'UNIVERS,
fait accompli en substituant son nom et mis lé peuple à l'abri des exaction!
au nom du khalife dans la prière qui se des grands. Le plus humble de ses sujets!
prononce chaque vendredi dans toutes lorsqu'il avait le droit pour lui; pouvailj
les mosquées pour le souverain. Il rédui- en toute assurance lui porter plainte)
sit par les armes les chefs des diverses même contre les membres de la famill
provinces du Maghreb oriental, qui lui royale. Il condamna sa propre mère!
disputaient le pouvoir; il abolit une dans une affaire civile où elle avait tort
partie des impôts qui pesaient sur les Il purgea le pays des brigands qui l'in
1

villes et sur les tribus ; il organisa une festaient, et il comprima énergiquemen


armée de noirs esclaves, achetés par lui, plusieurs révoltes. Cette dynastie, comm
qui devint le principal instrument de sa celle des Édrissites, fut renversée pa
domination ; il fonda non loin de Kai- celle des Fathimites, dont il sera bientô
rouan une forteresse dont il fit le siège question.
de son gouvernement. Enfin par la ,
Restamites.
concentration de ressources militaires
de tout genre, il établit sur des bases so- Les Restamites, de même que le
lides un pouvoir qu'il transmit à ses en- Aghlabites, tiraient leur origine d'Abd
fants. er-Rahman ben Restam, envoyé comm
Quatorze princes aghlabites régnèrent gouverneur par les khalifes abbasside
de 184 à 296 de l'hégire (908 de J. G.), dans la province d'Afrique. Il se créa ui
c'est-à-dire pendant cent douze ans. Leur parti parmi les tribus berbères des Ma
autorité s'étendait des frontières de l'E- rassa, des Senhadja, des Haouara, de,
gypte jusqu'aux limites orientales actuel- Zenata, et se déclara indépendant penj
les de la province de Constantine. Sous le dant l'insurrection d'un des lieutenant
règne de Ziadet- Allah, second successeur des khalifes, l'an 136 de l'hégire (754 d!
d'Ibrahim, les Aghlabites firent la con- J. C). Il établit le siège de son empire;
quête de la Sicile sur l'empire grec, vers Tiharet (appelée par les Berbères Tek
l'an215del'hégire(824deJ.C.)(l).Une demt), qu'il fonda sur les ruines d'un'
portion de l'jle resta dès lors annexée ancienne cité romaine. On a conservé pei
aux possessions des Aghlabites; mais ils de détails sur les princes restamites; 0!
eurent souvent à y réprimer, d'une part, sait seulement qu'ils régnèrent enviroi
les révoltesde la population chrétienne, cent soixante ans sur 1© Maghrebel
de l'autre, les tentatives quelquefois Ouassath. Ils eurent des guerres frç
heureuses des gouverneurs musulmans quentes contre les Aghlabites. Les Beç
pour se rendre indépendants. Sous les bères, qui avaient aidé à leur élévation
successeurs de ce prince, les incursions commencèrent à se révolter dès que l'ai??
des Arabes d'Afrique désolèrent toute la torité fut affermie entre leurs mains, ê
côte de l'Italie: ils poussèrent jusqu'à s'allièrent à la dynastie des Fathimite
Rome, dont ils pillèrent un des fau- pour achever leur ruine. -
bourgs en 219 de l'hégire (834 de J. C);
Fathimites.
ils ravagèreut la Toscane, Naples, la
Pouille, laCalabre, et mirent le ^iége de- Abou Obéid-Allah fut le véritable fon-
vant Gênes. Ils s'emparèrent de la ville, dateur de cette dynastie nouvelle, qui
et emmenèrent une grande partie des joua un rôle si considérable dans tout
habitants comme esclaves (835 de J. C). l'empire musulman. Avant de panîtrf;
Les Aghlabites fondèrent à la sortie sur la scène politiqueen Afrque, il vivait
de Kairouan la ville de Rakkada qui ,
dans l'Yémen, et avait embrassé fa secte
devint pour les savants de l'islamisme des chiites. Quelques détails sont néceS'
un des centres d'études les plus renom- saires pour faire comprendre l'influence;
més. Ibrahim ben Ahmed, onzième que les croyances religieuses d'Obéid-i
prince de cette dynastie, est cite par les Allah exercèrent dans la révolution qu'il
chroniqueurs arabes comme ayant fait accomplit en Afrique. Les chiites regar-
régner dans ces Etats une exacte justice dent Ali, gendre du prophète, comme
son successeur légitime et immédiat;,
(i) Voyez Univers pittoresque , Arabie, ils ne reconnaissent point comme or-
pages 427 et suiv. thodoxes Abou-Bekr, Omar et Othman.
, ,

ALGÉRIE. 195
gui ont précédé Ali dans les fonctions ment de se séparer de lui les Berbères
de khalife. L'opinion que la souverai-
éprouvèrent tant de peine à le quitter,
neté spirituelle et temporelle résidait qu'ils l'engagèrent à venir avec eux dans
exclusivement dans les descendants le Maghreb. Obéid-Allah
d'Ali était tellementrépandue en Orient, y consentit, et
continua de voyager avec ses amis, sans
que le khalife abbasside El-Mamoun leur rien faire connaître de ses
désigna Mouça, un des membres de la projets.
Chemin faisant, il prit d'eux toutes sor-
famille des Alides, pourson successeur, tes de renseignements sur
afin de faire cesser la séparation du
leur pays
pou- Arrive au terme du voyage il s'éloigna
,
voir de fait du pouvoir de droit mais ; de ses compagnons, et se retira dans
Jetarrangement, contrarié par les autres un
pays montagneux. Mais bientôt il
nembres de la famille des Abbassides, com-
mença à prêcher les doctrines des chii-
ie put avoir lieu. Les musulmans comp-
tes; il sut mettre à profit les
ent douze imam descendant en ligne renseigne-
,
ments qu'il avait demandés sur le ca-
lirecte d'Ali, et dont le dernier, d'après
ractère et les dispositions des Berbères
me tradition chiite adoptée par les or- de tous côtés de nombreux partisans
;

hodoxes eux-mêmes, a disparu à l'âge vinrent se ranger sous son obéissance.


e douze ans dans une caverne
où sa Il entra aussitôt en campagne
1ère l'avait caché pour le soustraire contre les
à dynasties qui régnaient alors, s'empara
es ennemis. Cet imam, nommé
Moham- de Tiharet, défit les troupes envoyées
aed-el-Mahdi, vit encore, et doitappa-
il pour le combattre, et força le dernier
aître dans le monde avant la fzn
des prince de la dynastie des Aghlabites
ecles avec Jésus-Christ et Élie. à
Ces se retirer en Orient en lui abandonnant
•ois pontifes réuniront tous les
peuples toute l'Afrique orientale.
a une seule nation, et il n'y aura
plus On vit ensuite Obéid-Allah entrer dans
3 distinction de juifs de musulmans et
,
le Maghreb occidental, à la
tête de deux
3 chrétiens.
cent mille hommes , infanterie et
Cette croyance, chère à l'imagination cava-
lerie. Après s'être rendu maître
ystique et amoureuse du merveilleux de Sed-
jelmeça, Obéid-Allah proclama son
;s A rabes, a été exploitée, à diverses épo- fais El-Mahdi, et lui céda le commande-
,
îes, par des ambitieux qui ont voulu se
ment. Le nouveau souverain s'établit
ire passer pour l'imam El-Mahdi , afin
auprès de Kairouan il prit Je titre
•s emparer du pouvoir suprême. La ; de
prince des croyants (émir-el-moumenin)
i des musulmans dans cette tradition
et ordonna que la prière du
a pas été ébranlée par les vendredi se
entreprises fit pour lui dans toutes les
dacieuses qui se sont répétées dans mosquées. El-
Mahdi appuyait ses prétentions au rôle
JSieurs contrées ; et aujourd'hui
en- dimam régénérateur sur ces paroles
re on retrouve en Algérie,
dans les du Prophète « L'an 300, le soleil se
:
opheties sur la venue du Moula
Saa, « lèvera du côté de l'occident. »
nt Bou-Maza a su tirer un parti Or son
si ha- avènement eut lieu dans les premières
ie, le souvenir vivant de
la légende des années du quatrième siècle de l'hégire.
fîtes.
La lutte contre les Édrissites fut plus
Ceux qui reconnaissent Obéid-Allah
sérieuse. Ceux-ci prêts de succomber
mme étant de la descendance d'Ali, ,

réclamèrent des Ommiades d'Espagne


pat qu'il sortait d'une branche colla- les secours qu'eux-mêmes
leur avaient
nte. Voici comment il fut amené dans si souvent prêtés contre
les chrétiens
Maghreb. Il se rendit à la Mecque
à Les Arabes andalous, passant le détroit,'
poque de l'arrivée des pèlerins. Là
vinrent arracher aux Fathimites
it connaissance avec Fês
quelques Berbè- Tlemsen Tiharet l'ancienne capitale
,
de la tribu de Ketama qui habitait ,
!
, de Restamites. Mais, consommant
sud du Maghreh-el-Ouassath; il la
cap- ruine des Édrissites qu'ils étaient
leur amitié par sa conversation venu
p secourir, ils proclamèrent le khalife
Imee et par ses récits sur l'histoire d'Es-
de pagne dans la mosquée de Fês. Les Fa-
famille du prophète. Il partit
de la thimites, héritiers de la plus grande
icque avec ces hommes, part
pour aller de la puissance des Aghlabites et
ait-il, étudier en des
Egypte, mais au mo- Restamites ne furent jamais entière-
,

13,
,

19C L'UNIVERS.
ment maîtres du Maghreb-el-Aksa. Il étendent, à chaque nouvel effort, la do-
se forma dans cette portion de l'Afri- mination musulmane vers l'ouest. L'in-
que de petits États secondaires, tels que vasion franchit le détroit., soumet l'Es-
celui des Meknéça, des Zenata, des Ma- pagne et touche la frontière méridio-
ghraoua, des Barghouata, tribus berbè- nale de la France; ce mouvement se
res très-puissantes. Les chefs de ces pe- maintint jusqu'à l'avènement des Om-
tits États se coalisèrent souvent avec miades en Espagne. Alors les choses
les Ommiades d'Espagne pour résister à changent de face; une réaction se pro-
l'ambition envahissante des Fathimi- duit parmi les peuples convertis à l'is-
tes. Malgré des succès assez importants, lamisme; d'une part, les Arabes anda-
ceux-ci voyaient la domination del'ouest lous viennent porter la guerre dans
de l'Afrique leur échapper et lorsque
; l'ouest de l'Afrique; de l'autre, les Fa-
le siège de leur puissance fut transporté thimites, élevés au pouvoir par les Ber-
en Egypte , les Béni Ziri fondateurs
, bères, partent de la province de Tunis,
du petit État d'Achir , d'abord leurs al- font pénétrer leur armées victorieuses
liés ,et appelés par eux à gouverner le jusqu'en Arabie. C'était le mouvement
pays , se déclarèrent indépendants. en sens inverse, de l'Occident à l'Orient.
La domination des Fathimites dura La race berbère semblait refouler les do-
deux cent soixante ans, dont cinquante- minateurs arabes vers leur pays natal ;
deux en Afrique et deux cent huit en échappées à l'influence directe des con-
Egypte ; cette dynastie compte quatorze quérants, ces tribus vont prendre bien-
khalifes. Le successeur d'El-Mahdi bâtit tôt la suprématie dans le gouvernement
lavilledeMsila,etdirigeacontrelavillede et devenir les arbitres de la destinée de
Gênes une flotte qui la ravagea. Sous son tout l'ouest de l'empire musulman.
règne parut un chef de secte et un re- Cette époque marque en Occident le
belle de la tribu des Zenata, qui pendant terme du mouvement d'expansion de
trente ans sema la terreur et la dévas- l'islamisme; elle montre aussi le com-
tation dans la province de Tunis et dans mencement de ladécadence du pouvoir
une grande partie de l'Afrique. Ce fut politique des Arabes en Afrique. La foi
Mouëz quatrième prince fathimite
,
musulmane a déjà dit son dernier mot;
qui dirigea contre l'Egypte une expédi- elle a trahi son impuissance pour fon-
tion,formidable, composée de Berbères der un État. Les tentatives postérieures,
et de troupes régulières. L'Egypte la, dont les débuts paraîtront quelquefois
Syrie et l'Arabie reconnurent le pouvoir si brillants, avorteront toutes, et indi-
des Fathimites. En 361 de l'hégire, queront à peine un temps d'arrêt dans
Mouëz transféra au Caire le siège de son la chute.
empire. Ce prince s'était montré admi-
nistrateur habile et guerrier énergique ; DOMINATION DES BERBÈRES.
il avait organisé avec soin toutes les pro-
Zirites.
vinces de l'Afrique (1).
En partant pour l'Egypte Mouëz ap- Ioucef ben Ziri , de la tribu berbère
pela Balkin ben Ziri , de la tribu des des Senhadja de la province de Sous, fut
Senhadja, qui était gouverneur de Ka- le fondateur de la dynastie des Zirites.
bès , et lui laissa le commandement de Plusieurs historiens ne les considèrent
l'Afrique. pas comme ayant réellement exercé le
Un fait remarquable ressort des évé- pouvoir souverain , et ne voient en eux
ments qui s'accomplirent à cette épo- que des gouverneurs institués par les
que dans le Maghreb. Depuis la con- khalifes fathimites et commandant en
quête arabe le mouvement des grandes
, leur nom ; mais les Zirites jouissaient
masses armées avait toujours eu lieu de d'une indépendance presque complète.
l'Orient à l'Occident. Après les premiè- Ils rendaient hommage au khalife de
res incursions , on voit se succéder des l'Egypte plutôt comme à un chef spiri-
flots de combattants et d'émigrants qui tuel, imam de la religion, que comme
à un souverain. A la mort du prince
(i) Voyez Univers vittoresque, Arabie, zirite , son lils ou son héritier le plus
pages 458 et suiv. direct, lui succédait, et son avènement
ALGÉRIE. 197

était sanctionné par le khalife fathimite tait les principes, et il fit une guerre
gui envoyait une bénichê {vêtement acharnée aux. nombreux partisans des
d'honneur) et un sabre comme signe de diverses hérésies qui s'étaient propagées
Finvestiture; mais jamais les khalifes en Afrique. La secte orthodoxe de l'imam
d'Orient n'intervinrent pour régler la Malek devint la doctrine officielle du
transmission du pouvoir ou pour sur- pays. préparait ainsi sa révolte contre
I!

veiller l'administration du pays. les Fathimites attachés à la secte des chii-


Les Béni Ziri avaient été les auxi- tes. En en 440 de l'hégire ie nom
effet,
liaires des Fathimites dans leur guerre desBeniObéidne fut plus prononcé dans
contre l'ouest du Maghreb et contre les prières publiques. De grands troubles
la grande insurrection d'Abou Izid ils
; suivirent cet acte. Mouëz disposait d'im-
étaient princes d'Achir et de ses dépen- menses richesses; il suffira pour en don-
dances. On voit encore les ruines d'A- ner une idée de citer le passage d'un
chir au nord de la plaine de la Medjana, historien arabe relatif aux funérailles
au sud de Bougie, entre Zamoura et de la grand'mère de ce prince : « Le
le défilé des Portes de fer. loucef ben « cercueil était en bois des ïndes, garni
Ziri administra avec la plus grande « de perles et de lames d'or. Les clous
habileté pendant vingt-six ans ;son fils « étaient d'or; il y en avait pour 1,000
Balkin lui succéda, et fut choisi par « mitkals. Le corps fut enveloppé de
Mouëz pour gouverner l'Afrique lors- « cent vingt linceuls, et embaumé avec
que ce khalife transféra le siège de son « grande profusion de musc et d'encens.
empire en Egypte. En se séparant de « Vingt et un chapelets des plus grosses
lui Mouëz lui dit : « O fils d'Ioucef , si « perles furent suspendus au cercueil de
« tu dois oublier mes conseils tâche au « cette princesse; son petit-fils fit im-
-

« moins de te rappeler les trois sm- « moler à cette occasion 50 chamel-


« vants Né fais jamais remise des con- « les 100 bœufs et î ,000 moutons. La
:

« tributions aux gens du dehors ; — «


,

chair de ces victimes fut distribuée


« tiens toujours ton sabre levé sur les « aux pauvres. Les femmes eurent de
« Berbères ; —
ne donne jamais de com- « plus cent mille dinars. »
« mandement aux membres de ta fa- Sous le règne de ce même prince les
« mille, car ils te disputeraient bientôt Arabes d'Orient firent une invasion en
« le premier rang. Je te recommande Afrique et la ravagèrent. Voici à quelle
« aussi de traiter avec bonté les habi- occasion. Lorsque Mouëz se fut mis en
« tants des villes. » La plupart de ces révolte ouverte contre les Fathimites,
prescriptions réglaient encore la poli- ceux-ci excitèrent les Arabes qui habi-
tique des gouverneurs de l'Algérie lors- taient la haute Egypte à faire une irrup-
que la France s'empara de ce pays ; et tion dans le Maghreb, en leur abandon-
c'est seulement après la fin de la guerre nant la possession de Barka. Les tribus
et l'éloignement d'Abd-el-Kader du pays desRiah, des Zagba, et. une portion
qu'on a pu adopter des errements plus des Béni Amer et des Senan entrèrent en
en conformité avec notre état de civili- Afrique, et y commirent toutes sortes
sation. d'excès. Les Berbères, qui étaient sans
Ben Ziri , aux instructions
fidèle cesse en rébellion contre les princes du
une rude guerre aux
qu'il avait reçues, fit pays, s'unirent à eux pour repousser
Berbères Zenata et Berghouata il com-; les ennemis étrangers mais au moment
;

battit aussi les Onmiiades d'Espagne dans du combat ils firent défection, et Mouëz
le Magtareb-eLAksa se rendit maître de
*, fut battu. Les Arabes pillèrent Kaî-
Tlemsen, dont il transporta les habi- rouan(440de l'hégire; 1061 de.T. C. ), en
tants dans Achir s'empara de Fês de
; . dispersèrent les habitants, et se rendi-
Sedjelmeça, etnelaissaauxOmmiades en rent maîtres de toute la contrée , qu'ils
Afrique que la seule ville de Ceuta. ruinèrent complètement. Cependant
Parmi les neuf princes zirites qui ré- sous le règne suivant on vit ces tribus tur-
gnèrent soit à Achir, soit à Mahdia, il bulentes prêter leur concours au prince
faut signaler Mouëz ben Badis, qui fut pour châtier la révolte des habitants de
proclamé en 406 de l'hégire. Quoique Sfax. Puis les Béni Riah en vinrent aux
hé dans la secte des chiites, il en détes- mains avec les Béni Zagba, qu'ils chas-
198 L'UNIVERS,
sèrent de l'Afrique. De nouvelles tribus giotes, qui obéissaient aux Béni Ham-
arrivèrent successivement de l'Egypte, mad, branche de la famille de Zirites,,
attirées par l'appât du pillage, et im- furent indignés du traité signé par Has-
plantèrent dans le pays un nouvel élé- san; ils se révoltèrent contre son au-
ment de troubles et d'agitations. torité, entraînèrent tout le pays dans l'in-
surrection, et arrivèrent devant Mahdia.
Premières expéditions chrétiennes en
Le prince invoqua l'appui du roi de
Afrique. Sicile; une flotte chrétienne vint aussi-
C'est sous ladomination des Zirites tôt à son secours, et mit en fuite les Bou-
que peuples chrétiens portèrent la
les giotes; c'était en 1134 de J. C. ( 529 de
guerre en Afrique. On sait que la puis- l'hégire). Dans même année Roger
la
sance musulmane vint échouer au delà s'empara de de Djerba, et y établît
l'île

des Pyrénées contre la bravoure fran- une garnison. En 1141 le roi dé Sicile,
çaise, qui imposa des limites à l'invasion prétextant le non-payement d'une somme
de ces hordes fanatiques. Dans le d'argent qu'il avait prêtée à l'émir zirite,
onzième siècle de l'ère chrétienne, les assiégea Mahdia. Hors d'état de résister,
Normands délivraientdu joug des Arabes Hassan ne put obtenir la paix qu'en se
le midi de l'Italie et la Sicile. Mais les déclarant vassal et tributaire du royaume
Européens ne se contentèrent pas de re- de Sicile.
prendre aux Arabes africains les contrées Roger tourna ses armes contre les
que ceux-ci avaient conquises ; ils allè- villes qui n'obéissaient plus aux Zirites;
rent les attaquer en Afrique même. En en 1146 il s'empara de Djidjeli et de
1035 de J. C. ( 426 de l'hégire) lesPisans l'île de Kerkena , qu'il enleva au prince
armèrent une puissante flotte, qui ra- de Bougie; en 1146 il prit Tripoli;
vagea les côtes depuis Tunis jusqu'à Kabès fit sa soumission. L'année sui-
Bône; cinquante ans plus tard, le pape vante, Hassan ayant attaqué Kabès, qui
Victor III organisa une sorte de croi- était sous la protection sicilienne, Roger
sade, à laquelle tous les peuples d'Italie entra sans résistance à Mahdia. Il se
fournirent des contingents. Cette expé- rendit maître ensuite de Zouila, de
dition saccagea Mahdia. Ce fut vers le Sfax, de Souça; plusieurs villes, Tunis
milieu du siècle suivant que Roger, roi entre autres, îirent acte de soumission
de Sicile, porta les plus rudes coups aux avant d'avoir été attaquées. Un État
princes africains, et chercha à créer des chrétien se trouva dès lors constitué en
établissements dans les villes dont il Afrique. L'ordre et la justice furent
s'empara. partout rétablis. L'administration du
Hassan ben Ali occupait le trône des roi de Sicile, quoique ferme, fut conci-
Zirites lorsque Roger dirigea sa pre- pour ses sujets mu-
liante et paternelle
mière expédition contre l'Afrique. La sulmans. Malheureusement son succes-
flotte sicilienne se présenta devant Mah- seur, prince faible et pusillanime, se
dia. Quelques troupes furent débar- laissa enlever ces conquêtes si glorieuses.
quées; mais une violente tempête dis- Hassan, dépossédé par les Siciliens, af-
persa les vaisseaux, et les Arabes enle- faibli par des révoltes continuelles, vit
vèrent le détachement qui avait pris finir en lui la dynastie des Béni Ziri.
terre. Ainsi nous voyons s'ouvrir l'his- Elle disparut devant la souveraineté des
toire des agressions de l'Europe contre Almoravides, déjà puissants à cette épo-
l'Afrique par un échec, qui se renouvellera que dans l'ouest de l'Afrique.
plus d'une fois par la suite et qu'il fau-
Almoravides.
dra toujours attribuer aux mêmes causes :
la mauvaise saison choisie pour ces sor- La dynastie des Almoravides (du
tes d'opérations et l'inconstance de la mot arabe el-merabtin, les liés à Dieu)
mer. Cependant, malgré le secours mi- a été fondée par les Lemtouna, qui
raculeux qui Ut échapper Hassan aux étaient une fraction de la grande tribu
coups des chrétiens ce prince, sentant
, berbère des Senhadja. Ils demeuraient
qu'il ne pourrait lutter contre eux, dans le Sahara le plus occidental du Ma-
envoya demander la paix, et consentit ghreb-el-Aksa. Ces populations guerriè-
à payer un tribut à Roger. Les Bou- res ne connaissaient ni le labourage ni la
ALGERIE. 199

culture des arbres; elles se nourris- « près d'ici nous y passerons à pied
;

saient de viande au moyen de la chasse « lorsque la marée sera basse; nous


et de lait aigre. Elles parcouraient sans « l'habiterons notre nourriture, se com-
;

cesse les déserts qu'elles habitaient, pour « posera de poissons et de fruits sau-

chercher de l'eau et des pâturages. Les « vages;, là nous nous consacrerons à


Zirites avaient commencé l'intronisa- « la piété pour le reste de nos jours. »
tion des races berbères par le côté poli- Abd-Allah accepta cette proposition ; ils
tique, nous les allons voir arriver à la passèrent dans l'île avec sept individus
puissance par l'exaltation des pas- de la tribu des Kedala bâtirent une ca-
,

sions religieuses. Les circonstances qui bane, et s'adonnèrent aux pratiques re-
précédèrent et amenèrent l'avènement ligieuses. De là leur vint le nom de
de ces dynasties indigènes méritent Merabtin.
de fixer l'attention. Les détails ont ici On parla bientôt de ces ermites. Ils
une haute importance ils aident à carac-
; eurent des visiteurs, dont le nombre alla
tériser l'ensemble. L'an 427 de l'hé- toujours en augmentant. Abd-Allah vit
gire, Iahia benBrahim, qui venait d'être entîn ses efforts couronnés de succès.
nommé chef des Lemtouna partit,
Lorsqu'il eut réuni et instruit mille
pour le pèlerinage de la Mecque. En re- disciples, il leur dit « Il faut mainte-
:

venant, ii s'arrêta à Kairouan, et suivit « nant que vous combattiez tous ceux
les leçons d'un cheikh très-savant. Ce- « qui repousseront votre foi. Il con-
lui-ci "apercevant un étranger dans son « vient que nous visitions d'abord les
auditoire lui demanda des renseigne-
, « unes après les autres les tribus aux-
ments sur l'état des études religieuses « quelles vous appartenez. Nous les
dans son pays. Iahia confessa que sa « engagerons à retourner à Dieu; si
tribu était fort ignorante; il manifesta « elles s'y refusent , nous les combat-
lui-même le désir de s'instruire des pré- « trons. » Abd-Allah et les siens se diri-
ceptes de la foi, et demanda au cheikh gèrent ensuite vers les Berbères, accor-
de désigner un de ses disciples pour dant à chaque peuplade sept jours pour
aller enseigner parmi ses compatriotes. se décider à adopter la doctrine nouvelle.
Le professeur ne trouva personne auprès Ils parcoururent ainsi les Kedala, les
de lui pour remplir cette mission; mais Lemtouna et les autres tribus, rangeant
il adressa le Berbère à un de ses con- tout le monde sous leur loi religieuse ;
frères dans le pays de Néfis; et là leur influence pénétra jusque dans le
Iahia ben Brahim rencontra un taleb pays des Nègres, iahia ben Brahim
du nom d'Abd -Allah ben lassin, qui con- resta à la tête des affaires temporelles
sentit à le suivre dans le Maghreb-el- des merabtin Abd-Allah se réserva la
,

Aksa. direction spirituelle. A la mort d'Iahia,


Les Berbères de ces contrées vinrent Abd-Allah désigna son successeur et le fit
en foule à leur rencontre. Abd-Allah re- reconnaître. Les merabtin étaient aussi
connut bientôt que ce peuple était plongé appelés meltemia, parce qu'ils se cou-
dans l'ignorance la plus profonde des vraient le visage dans le combat. Voici
bases fondamentales de la religion mu- l'origine de cette coutume. Un jour
sulmane. 11 leur prêcha le Koran et les , étant sur le point de livrer bataille à un
exhorta à rompre avec leurs habitudes ennemi de beaucoup supérieur en nom-
immorales et à pratiquer les préceptes bre , leurs femmes prirent les armes, et
du livre divin. Mais lorsque les Berbères combattirent à leurs côtés le visage ,

s'aperçurent que le nouveau docteur couvert jusqu'aux yeux. Les hommes


voulait réprimer leurs vices, ils s'éloi- durent en faire autant pour que les en-
gnèrent de lui. Abd-Allah, voyant leurs nemis ne pussent distinguer les hommes
mauvaises dispositions, pensa à quitter des femmes de là le mot meltemia
:

îe pays. Alors Iahia ben Brahim lui {voilés). Cette coutume a été adoptée
dit « Je t'ai fait venir pour moi seul ;
: depuis par le plus grand nombre des tri-
« peu m'importe que mon peuple reste bus de l'Algérie, et aujourd'hui encore
« dans l'infidélité. Si tu veux obtenir au moment du combat les cavaiiers se
« les avantages de l'autre vie tu n'as , couvrent le visage jusqu'aux yeux avec
« qu'à te rendre dans une île située leur haïk.
200 L'UNIVERS.
Iahia ben Omar , le successeur choisi vêtu d'habits de laine ; sa nourriture ne
par Abd-AIlah, fut. chargé de diriger la se composait que d'orge de lait de cha-
,

guerre. Il conquit Sedjelmeça etKaria; melle et d'un peu de viande. Cette simpli-
son frère, Abou Bekr, désigné pour lui cité dans les nlœurs a toujours produit un
succéder , attaqua avec le mênfe succès grand effet moral sur les populations
la tribu de Masmouda et les peuples du musulmanes de l'ouest de l'Afrique.;Tous
Soudan. Abd-Allahfuttué en 451 de l'hé- les aventuriers ou les réformateurs qui
gire ( 1071 de J. C. ), dans une expédition. voulurent par la suite se créer un pou-
Abou Bekr resta seul chef des merabtin. voir souverain imitèrent en cela l'exem-
Il entreprit de soumettre le pays des ple d'Ioucef ben Tachfin. On n'a pas
Nègres. Avant de s'enfoncer dans le besoin de rappeler ici que l'émir
désert, il divisa son armée en deux par- Abd-el-Kader , le plus redoutable adver-
ties, et laissa l'une à son cousin Ioucef saire de la domination française en
benTachfin, qu'il nomma son lieutenant Algérie, affectait aussi de ne porter
dans le Maghreb. Celui-ci étendit les con- que des vêtements de laine, répudiait
quêtes augmenta son armée, et profita
, l'usage des étoffes de soie et des 'bijoux
de l'absence d'Abou Bekr pour s'emparer en or. Du reste , cette sévérité dans les
du pouvoir souverain. De ce moment habitudes de la vie est conforme aux
s'ouvre le rôle politique de la nouvelle recommandations expresses des tradi-
dynastie. tions] laissées par le prophète. Ioucef
Ioucef ten Tachfin fut le plus célèbre ben Tachfin mourut à l'âge de cent ans.
des princes almoravides. Il poussa ses A ses derniers moments il rappela aux
,

conquêtes vers l'Afrique orientale jus- personnes qui l'entouraient que dans le
qu'à Alger. Il bâtit la ville de Maroc. cours de sa longue vie il n'avait pas pro-
Les musulmans de l'Andalousie l'appe- noncé une seule condamnation à mort.
lèrent à leur secours pour arrêter les En effet il avait aboli la peine capitale
progrès des chrétiens. Ioucef rassembla dans ses États.
une puissante armée, et passa en Espa- Sous ses successeurs, la puissance des
gne. Il rencontra les forces chrétiennes Almoravides , après s'être étendue sur
sous les ordres du roi Alphonse; il leur tout le Maghreb-el-Aksa sur la plus ,

livra bataille à Zellaka , dans envi-


les grande partie de l'Espagne et les Baléa-
rons de Badajoz. La victoire trahit les res , vit chaque jour se resserrer le cercle
braves Espagnols, qui combattaient pour de ses possessions. Une nouvelle dynas-
l'affranchissement de leur territoire; tie, celledes Almohades, issue comme
l'armée d'Alphonse fut mise dans une eux des tribus berbères , vint les dépos-
déroute complète et le roi se réfugia
, séder en Espagne et en Afrique. Les
dans la Castille avec un petit nombre derniers Almoravides, poursuivis par
de cavaliers. Cette bataille qui exerça ,
leurs heureux compétiteurs devant
une funeste influence sur les destinées
si Tlemsen , dans Oran et jusque dans le
de l'Espagne, eut lieu en 1083 (479 Maroc , succombèrent enfin, vers l'an
de l'hégire). Le résultat de cet important 543 de l'hégire. Tachfin le dernier prince
,

succès fut pour Ioucef la possession de de cette dynastie se rendant d'Oran à


,

l'Andalousie , de Grenade de Malaga et , Mers-el-Kebir, où il voulait s'embarquer


de Séville car il se substitua aux petits
, pour l'Espagne, fut précipitéd'un rocher
princes arabes , dont les querelles et les sur lequel passait la route , par son che-
rivalités désolaient l'Espagne musul- val , effrayé du bruit des flots. On ne
mane. Arrivé au plus haut point de la compte que cinq princes almoravides,
grandeur leprince almoravide pritletitre qui régnèrent pendant quatre-vingt-
de commandeur des croyants {émir-el' quinze années environ. Ce fut l'époque
moumenin) qualification réservée jus- la plus brillante de l'histoire du Maghreb.
qu'alors aux Fathimites qui régnaient
en Egypte. Il fit battre monnaie en son Almohades.
nom. Abou Abd-AIlah Mohammed ben Tou-
Ioucef ben Tachfin fut un prince mart, fondateur de cette dynastie était ,

très-religieux , ami de la justice et soi- originaire de la tribu berbère des


gneux des intérêts des pauvres. Il était Masmouda, établie à Taroudant, dans le
ALGÉRIE. M
désert du Maroc. Il prit le surnom à ses disciples;, il employa tous ses
d'EI-Mandi, et s'attribua la qualité d'i- efforts à se rendre entièrement maître
mam, comme descendant d'Ali ben Abou de l'esprit de ces tribus. Il réunit ainsi
Thaleb, gendre du prophète. Cette gé- plus de vingt mille combattants, et atta-
néalogie est contestée. Les commence- qua les Almoravides. La première ren-
ments des nouveaux maîtres de l'Afrique contre lui ayant été favorable il pour-
,

ressemblent beaucoup à ceux des Almo- suivit l'ennemi avec vigueur, et en quel-
ra vides. ques années parvint à asseoir son au-
Abou Abd-Allah aimait l'étude, et il torité sur des bases solides. A sa mort
était allé s'instruire en Orient auprès il désigna Abd-el-Moumen pour son suc-

des plus célèbres philosophes. Lorsqu'il cesseur.


retourna dans le Maghreb partout où,
Abd-el-Moumen était fils d'un ouvrier
il passait il enseignait les sciences et qui fabriquait des soufflets de forge ; il
prêchait contre les vices , affectant dans est le représentant le plus illustre des
ses habitudes le mépris des biens de ce races berbères qui régnèrent sur l'Afri-
monde. Il rencontra à Tlemsen un Ber- que. Le nouveau khalife partit bientôt
bère de la tribu des Zenata nommé , de Tinmal, à la tête de trente mille
Abd-el-Moumen ben Ali ;ul se l'attacha hommes. Rien ne résista à l'ardeur
lui confia tousses desseins, et le choisit guerrière de ces sectaires fanatiques; ils
pour son ami et son second. A Fês d'a- s'emparèrent de Tadila, ville apparte-
bord , puis à Maroc il prêchait contre nant aux Haouara, delà province de Draa,
les abus, parcourant les rues et brisant comprise entre Sous et Sedjelmeça.
les instruments de musique. L'émir al- Le Maghreb-el-Aksa fut bientôt presque
moravide qui régnait alors ( 514 de entièrement soumis. Abd-el-Moumen se
l'hégire) le fit comparaître en sa pré- porta alors vers l'est; en 540 (1146 de
sence, et lui demanda pourquoi il en J. C. ) il se rendit maître de Tlemsen
agissait ainsi « Je suis un pauvre
: et d'Oran ;en 541 il prit Fês ; en 542 ,

« homme, lui répondit Abou Abd-Allah, Maroc; en 543, Sedjelmeça. Il envoya


« et cependant il est vrai que je m'ar- ensuite en Espagne une armée qui ar-
« roge vos droits; car ce serait à vous, racha aux Almoravides Méquinèz, Cor-
« chef du pays, à extirper les vices. » doue et Jaën. En 544 (1151 de J. C.)
Obligé de sortir de la ville, il se retira il enleva Miliana, Alger, Bougie, Bône et

dans un cimetière, où il dressa une tente Constantine aux Béni Hammad princes ,

au milieu des tombeaux. Là il continua de la branche cadette des Zirites, qui


ses enseignements et commença à dé-
, possédaient ces contrées (1). En 551
nigrer les Almoravides, les 'traitant les habitants de Grenade le reconnurent.
d'ignorants et d'infidèles, et se donnant Deux ans après ayant rassemblé des
,

pour le véritable El-Mahdi attendu par forces considérables , il se dirigea vers


les musulmans. Quinze cents personnes l'Afrique orientale; il envahit le Zab,
se déclarèrent aussitôt, ses partisans. massacrant les populations qui refu-
L'émir ayant pris de l'ombrage de ces saient de se soumettre à lui. Il s'em-
progrès il dut se réfugier à Tin m al
, para de Tunis, de Kairouan, de Sfax,
vHle située dans la chaîne du Deren au de Mahdia, où il passa au fil de l'épée
sud de Maroc appartenant à une frac-
, les chrétiens qui s'étaient établis dans
tion de la tribu des Masmouda. Une cette ville après la conquête de Roger
foule considérable se rallia à ses doctri- roi de Sicile, Enfin en 555 (1162) il
nes; El-Mahdi leva le masque, se fit avait chassé les Siciliens de tous les
proclamer souverain , et fut reconnu par points qu'ils occupaient en Afrique, et
tous les habitants de ces montagnes. C'é- il était maître du Maghreb depuis Barka

tait en 515 de l'hégire (1121 de J. C. ). jusqu'à l'océan Atlantique.


Il donna le nom de El-Mouaheddin ( les L'organisation donnée à ces vastes
unitairiens ) , dont les écrivains espa- contrées prouve qu'Abd-el-Moumen
gnols ont fait Jlmohades, à ceux qui se
rangèrent sous son obéissance , et com- Voyez Études sur la Kab'die proprement
(i)
posa en langue berbère un traité sur dite,par É. Carette, tome II, pag. 2 3 et suiv,
l'unité de Dieu et sur les devoirs imposés (Exploration scientifique de l'Algérie).
, , j

202 L'UNIVERS.
était aussi bon administrateur que grand d'Orient. Iakoub marcha contre les
général. Il arpenter l'Afrique depuis
fit rebelles, les fit rentrer dans le devoir
Sous la plus occidentale jusqu'à Barka. et força El-Miorki à chercher un refuge
On déduisit du
delà superficie,
total dans le Mais pendant qu'il apai
désert.
un tiers pour les montagnes, les 4acs sait les troubles dans l'est le gouvei
,

les rivières, et le reste fut imposé, neur de Tlemsen, exploitant la haine


chaque tribu devant payer sa contribu- des Arabes contre les Berbères voulu ,

tion en nature. Il interna dans le Maroc se rendre indépendant. De ce côté auss


mille familles de chaque grande tribu. l'ordre fut rétabli, et le vainqueur trans
Il créa une marine militaire de près de porta sur les bords de l'Océan une grande
sept cents voiles. L'administration su- partie des tribus arabes qui peuplaien
périeure du pays était confiée à un la province de Tlemsen; quelques-une
conseil composé de dix membres et d'entre elles ,
pour se soustraire à cette
assisté d'une assemblée de soixante-dix punition humiliante, préférèrent s'en
des principaux chefs berbères. La paci- foncer dans le désert, où elles s'allièren
fication de tout le Maghreb étant ache- à des populations nomades que leu
vée , Abd-el-Moumen prêcha la guerre éloignement des sièges de l'autorit
sainte, rassembla toutes ses forces
et laissait à peu près indépendantes.
pour envahir l'Espagne, dont il ne pos- L'Afrique étant pacifiée, Iakou
sédait encore que quelques villes. La tourna ses vues vers l'Espagne. A <
mort le surprit au milieu de ces prépa- moment il apprit qu'Alphonse de Cas
ratifs en 558 (1165 de J. C. ). Ce prince tille avait envahi le territoire musulma
était un grand orateur et un savant dis- et était arrivé jusque sous les mur
tingué; il fonda des universités et des d'Algésiras. L'émir des Almohades prc
écoles pour l'enseignement des doctrines clama aussitôt la guerre sainte, et pass
des Mouaheddin. en Espagne à la tête d'une armée nom
Sous le règne dloucef , fils d'Abd*el- breuse, composée de l'élite des guer
Moumen, Almoravides, dont
les les riers de l'Afrique. Il rencontra les chré-
débris s'étaient réfugiés dans les îles tiens dans les plaines d'Alarcon, et les ;

Baléares, firent d'impuissantes tenta- tailla en pièces. Cette bataille eut lieu
]

tives pour reconquérir quelques points en 591 de l'hégire ( 1195 de J. C. ). laA \

dans le Maghreb-el-Aksa et dans le Ma- suite de cette grande victoire Iakoub


ghreb-el-Ouassath. Les Zirites à l'est ne s'empara de Séville, de Calatrava, de']
furent pas plus heureux. Il eut à répri- Guadalaxara, de Madrid et d'Escalona;/
mer des troubles suscités par la jalousie il mit en vain le siège devant Tolède, et

de ses frères et les révoltes des Berbè- retourna en Afrique, sans avoir tiré de
res Ghoumera, toujours prêts à se sou- l'important succès qu'il avait remporté
lever dès qu'une autorité vigoureuse ces- tout le résultat que l'affaiblissement
sait de peser sur eux. Il étendit les con- des chrétiens aurait pu lui faire alors
quêtes de son père en Espagne, et s'em- obtenir. Arrivé dans sa capitale
para du royaume de Valence. Ce prince il abdiqua en faveur de son fils, En-
régna pendant vingt-deux ans, principa- Nacer, et rentra dans la vie privée. Il
lement occupé de l'administration de mourut peu de temps après, l'an 595
ses sujets. Son fils Iakoub, qui lui suc- ( 1199 de J. C. ). La cour de ce prince

céda, mérita le surnom d'iti-Mansour fut le rendez-vous des hommes les plus
(le victorieux), à cause des succès qu'il célèbres de cette époque. Parmi les
remporta en Espagne. Les premières savants qu'il combla de ses faveurs on
années de son règne furent consacrées remarquait Ebn-Roch ( Averroès ), le
:

à réprimer des révoltes. Ali-el-Miorki traducteur d'Aristote, et Ebn-Zohar


(de l'île de Majorque) avait opéré un (Avenzoar), son médecin, dont lare-
débarquement entre Bougie et Tunis, et nommée a survécu à la puissance des
s'était emparé de Tunis, de Mahdiaetde Almohades.
plusieurs autres villes; ce prétendant Pendant le règne de ce prince on vit
souleva un grand nombre de tribus arabes pour la première fois paraître en Afri-
contre la domination des Almohades, et que des hordes turques venues du Cur-
,

se plaça sous le patronage des khalifes distan , et qui avaient quitté l'Egypte
ALGÉRIE» 203

en 568 de l'hégire (1 72 de J. C). Cette


1 Nacer fut de retour à Maroc, il abdi-
petite invasion grossie d'une grande
,
qua en faveur de son fils El-Mostancer*
quantité d'Arabes, se rendit maîtresse El-Mostancer était un prince faible,
de Tripoli et de quelques autres villes* recherchant avidement le plaisir et aban-
Mohammed En-Nacer, fils et succes- donnant le soin des affaires à des minis-
seur d'Iakoub , eut aussi dès le début de tres avides et intrigants. L'usurpation
son règne une insurrection à combattre. commença à démembrer son empire.
El-Miorki avait reparu dans la pro- En 613 (1216 de J. C. ) les Béni Merin,
vince de Tunis, et avait fait en peu de qu'on verra recueillir dans le Maroc
temps des progrès considérables. En- l'héritage des Almohades, obtinrent des
Nacer se porta en personne contre cet succès contre El-Mostancer. Sa mort fut
agitateur. Toutes les villes rentrèrent le signal de troubles et d'agitations en
dans l'obéissance, à l'exception de Mah- Espagne et en Afrique. Abou Moham-
dia, qui ne fut emporté qu'après un med Abd-el-Ouahed , frère d'En-Nacer,
long siège. Lorsque l'émir retourna élu par les cheikhs des Mouaheddin, ne
dans l'ouest il nomma au commande- régna pas longtemps; il fut déposé par le
ment de l'Afrique orientale Abou Mo- même conseil qui l'avait fait proclamer
hammed ben Bou Hafez, qui devint plus et qui investit à sa place El-Adel. Peu
tard le chef d'une dynastie indépen- de jours après, il fut étranglé dans le
dante. A peine rentrédans sa capitale où il s'était retiré. Il fut le pre-
palais
(Maroc), En-Nacer apprit que l'Anda- mier émir des Almohades qui eut une
lousie était envahie par des armées pareille fin. La guerre s'alluma ensuite
chrétiennes ; Alphonse de Castille s'était entre les Mouaheddin espèce de milice
,

emparé de Baëna , ravageait les envi- religieuse, dont le noyau avait été for-
rons de Séville et de Cordoue, et parcou- mé par les premiers sectateurs d'Abou
rait le pays en vainqueur. L'émir donna Abd- Allah, qui s'était depuis considéra-
aussitôt des ordrespour qu'on sedisposât blement accrue et était devenue une sorte
à la guerre sainte ; l'armée mit une an- de garde prétorienne. Au milieu des trou-
née entière à se former ; en 607 ( 1210 bles qui agitaient le pays , ces milices
de J.C.) elle arriva à Séville. Cette inva- s'arrogeant la gloire d'avoir fondé l'em-
sion annoncée longtemps d'avance avait pire des Almohades, ne mirent plus de
produit la plus vive émotion dans toute bornes à leurs exigences bientôt elles
-,

l'Europe. Le pape Innocent III avait fait annihilèrent l'autorité des souverains ,

prêcher une croisade pour repousser les les déposèrent et les firent proclamer
ennemis de la chrétienté. De nombreux au gré de leurs caprices ou de leurs in-
croisés , Français, Allemands, Italiens, térêts.
passèrent les Pyrénées et vinrent s'unir El-Adel, qui commandait à Murcie
aux troupes espagnoles. Les deux armées avant son élévation au pouvoir, ne jouit
se rencontrèrent dans les plaines de To- pas longtemps du fruit de ses intrigues;
Josa, au pied des montagnes de la Sierra les cheikhs, gagnés par son frère El-Ma-
Morena. L'armée des Almohades fut moun, gouverneur de Séville, l'étran-
mise en déroute et presque complète- glèrent avec son turban; mais celui-ci
ment anéantie. Cette victoire de la chré- fut presque immédiatement déposé au
tienté contre les forces réunies de tous profit d'Iahïa, fils d'En-Nacer. Ce prince
les peuples musulmans de l'ouest mar- ne put se maintenir, et dut s'enfuir à
qua le commencement de la décadence l'approched El-Mamoun, qui avaitquitté
de l'islamisme en Espagne. Les progrès l'Andalousie et était débarqué à Ceuta
des princes chrétiens ne s'arrêtèrent plus, pour réclamer le bénéfice de sa pre-
et l'Europe occidentale, qui availeu tant mière élection. Les cheikhs lui firent
à souffrir de l'invasion arabe , dans la leur soumission.
Péninsule et dans le midi de la France, El-Mamoun était très-versé dans les
fut définitivement délivrée des alarmes sciences, éloquent, brave et politique
auxquelles elle était sans cesse en proie. habile ; il voulut porter remède aux maux
Le drapeau musulman ne se releva pas qui déchiraient l'empire. Dans ce but,
de cet échec et la puissance des Almo-
, il réforma la constitution que le fonda-
hades ne lit que décroître. Lorsque En- teur de la dynastie avait d'abord établie ;
,

204 L'UNIVERS.
il abolit le conseil des dix cheikhs et l'as- néça les Béni Hafez dans la province
; ,

semblée des soixante-dix chefs berbères, de Tunis; les Béni Zian, à Tlemsen. La
dont l'esprit remuant avait donné une plus grande partie de l'Algérie actuelle
si funeste instabilité au pouvoir. 11 con- était comprise dans ce dernier État.
centra toute l'autorité entre ses mains. Édris ben Saïd fut le dernier émir almo-
Il prit un corps de Curdes à son service, hade; il périt dans une bataiHe que lui livra
et en forma une garde d'élite pour sa à Dékala, au sud de Maroc, Iakoub, chef
défense personnelle. Depuis la première des Béni Merin, en 667 (1269 de J. C).
apparition de ces Turcs en Afrique, d'au- La dynastie fondée par Abou Mohammed
tres étaient arrivés en grand nombre. El- ben Toumart compta quatorze émirs,
Mamoun assigna à ce nouveau corps une et régna pendant cent cinquante-deux
prééminence marquée sur les Mouahed- années lunaires (148 de l'ère vulgaire).
din; il lui alloua une solde mensuelle ; Avec elle finit la puissance de la nationa-
il donna aux principaux chefs des fiefs, lité berbère. Si des princes de cette race
et leur accorda des avantages considéra- parvinrent encore à établir leur autorité
bles. Les historiens font également men- sur certaines portions du Maghreb, on
tion d'un corps de soldats chrétiens qui ne voit plus se former un empire géné-
était au service de ce prince, sans faire ral le grand rôle politique de ces réfor-
;

connaître si ces chrétiens étaient des es- mateurs religieux ne s'élèvera plus à des
claves ou des engagés volontaires ori- proportions aussi considérables. Les.
ginaires du pays, ou venus d'Espagne. sectes successives , les révoltes , les lut-
El-Mamoun, se croyant alors en posi- tes entre les tribus appartenant à des
tion d'agir plus énergiquement contre origines diverses, jetèrent dans ces po-
les Mouaheddin, attaqua leurs doctri- pulations de tels éléments de dissolution,
nes, et fit massacrer tous leurs chefs que l'unité ne put plus être reconsti-
principaux. Il se rattacha à la secte or- tuée. D'un autre côté, à mesure que la
thodoxe de l'imam Malek. Cette réforme domination musulmane s'épuisait par
politique et religieuse ne put sauver son des déchirements intérieurs les nations
,

pouvoir il perdit les îles Baléares dont


; , chrétiennes achevèrent de se consti-
les chrétiens, sous la conduite de Jacques tuer après avoir dépossédé l'islamisme
d'Aragon , se rendirent maîtres. Une ré- de toutes les contrées qu'il avait enva-
volte éclata en Espagne, et Bou-Houd hies , lorsque l'ardeur toute jeune encore
cheikh d'origine arabe, après avoir battu du prosélytisme l'entraînait à des ex-
El-Mamoun aux environs de Tarifa, péditions lointaines, ou lorsqu'au con-
s'empara de Séville, de Grenade, de Mé- tact de sectaires sauvages et de races
rida, et jeta les fondements du royaume nouvelles il avait retrouvé un redouble-
de Grenade, qui fut le dernier refuge des ment de fanatisme. Les peuples de l'Eu-
musulmans refoulés vers le midi de la rope firent à leur tour irruption en
Péninsule. Enfin les Arabes de la pro- Afrique, et précipitèrent par des entre-
vince de Tunis, qui avaientété soumis par prises incessantes , et quelquefois par
El-Mansour, reprirent les armes. El- des conquêtes plus étendues , Je morcel-
Mamoun ne put résister à la douleur lement et la ruine des États musulmans
de voir échouer tous ses efforts il mou-
; dans le nord de ce continent.
rut de chagrin, après trois ans et demi de
Les Mérinides.
règne, et eut pour successeur son fils
Rachid. Les Béni Merin étaient originaires de
Après ce prince trois émirs de la dy- Taza, à de Fês, sur la route de Tlem-
l'est
nastie des Almohades occupèrent encore sen; ils appartenaient par leurs ancê-
le trône. Mais des soulèvements nom- tres à la puissante tribu des Zenata;
breux dans la province de Tunis dans , avant le démembrement de l'empire des
celle de Tlemsen et dans le Maghreb-el- Almohades, ils avaient été souvent leurs
Àksa amenèrent le démembrement gé-
, plus fermes auxiliaires pour réprimer
néral de ce vaste empire. Trois dynasties les révoltes, et avaient été nommés gou-
principales s'élevèrent au milieu de ces verneurs d'une portion du pays, où leur
convulsions : les Béni Merin dans les
, autorité devint ensuite indépendante.
provinces de Fês, de Maroc et de Mek- Le fondateur de cette dynastie fut Abou
ALGÉRIE. 205

ïahia Abd-el-Hak. Il s*empara de Fês et devait plus reparaître dans la péninsule


de ïaza, mit en déroute l'armée de ibérique.
l'émir almobade, Abou-Hafez Omar, Les successeurs d'Iakoub ne gardè-
en 635 (1237 de J. C. ) , et prit le titre de rent pas longtemps la possession de la
Moula-cheikh ( maître et seigneur). Son totalité des contrées qui composaient
successeur Ioucef, profitant des rivalités son empire dans le Maghreb-ekAksa. En
qui éclatèrent entre les derniers repré- moins de cinquante années, neuf prin-
sentants de la famille des Almohades ces furent investis du pouvoir souverain.
compléta par la défaite d'Édris ben Saïd Le principal instrument de la ruine de
la prise de possession de tout le Maghreb- cette dynastie fut la désunion, qui régna
el-Aksa. Le fondateur du royaume de sans cesse entre les membres de la fa-
Grenade, attaqué par Alphonse le Sa- mille royale. Les Béni Merin luttèrent
vant, roi de Léon et de Castille, appela souvent avec avantage contre la dy-
le fils d'Abou Iahia à son secours et lui
, nastie rivale des Béni Zian ils se rendi-
;

concéda les deux villes de Tarifa et d'Al- rent maîtres plusieurs fois de Tlemsen,
gésiras. Après des succès sans impor- et la fortune favorisa quelquefois leurs
tance pour la cause de son allié, l'émir armes au point de les faire avancer jus-
mérinide s'empara de Malaga, au détri- qu'à Tunis, après avoir soumis Arzeu
ment du souverain de Grenade. Son fils Mostaganem, Bougie et Constantine.
Iakoub lui succéda, et s'empressa de Mais ces succès furent toujours éphé-
conclure la paix avec Sanche III, dit le mères. En 776 (1374 de J. C.), deux
Brave, qui avait hérité des couronnes de prétendants appartenant à la famille
Léon et de Castille. Ioucef passa alors royale réunirent leurs efforts, détrônè-
en Afrique, pour y faire reconnaître son rent l'émir Es-Saïd et partagèrent le
autorité. Il tourna bientôt ses armes Maroc en deux États, dont l'un eut Fês
contre les Béni Zian, qui venaient de sur- pour capitale, et l'autre Maroc. Dans
gir à Tlemsen et alla assiéger cette ville. ces révoltes continuelles, les troupes
Le siège traîna en longueur, et ne dura chrétiennes, qu'à l'exemple des Almo-
pas moins de sept ans. Le camp des hades les princes mérinides entrete-
assiégeants se transforma en une ville naient, intervinrent souvent, et firent
assez considérable, située à un quart de arriver au pouvoir le prétendant qu'elles
lieue de Tlemsen et qu'ils nommèrent préféraient. Enfin, vers l'an 840 de l'hé-
El-Mançoura (la victorieuse). On voit gire (1437 de J. C. ), un prince mérinide
encore aujourd'hui le mur d'enceinte et ayant invoqué le secours d'Abou-Farès,
le minaret de la mosquée de cette ville, delà famille des Béni Hafèz, qui régnait
qui n'a plus ni maisons ni habitants. à Tunis les Béni Merin furent chassés
,

Iakoub séjourna plusieurs années en de Tlemsen et refoulés dans le Maroc.


Afrique, engagé dans des luttes conti- Abou-Farès confia le gouvernement de
nuelles avec les Béni Zian ; puis il se préoc- Tlemsen à la famille berbère des Béni
cupa de la situation de ses affaires en Ifren, qui se reconnut tributaire du
Espagne. La ville de Malaga avait été royaume de Tunis. Ainsi finit la domi-
livrée par un gouverneur infidèle au roi nation des Mérinides elle dura environ
;

de Grenade. avait réuni à Tanger une


Il deux cents ans, avec des vicissitudes si
flotte considérable, et se disposait à aller multipliées, qu'elle ne put jamais réunir
venger cette trahison, lorsque Sanche III, sous une autorité vigoureuse les peu-
son ancien allié, gagné par le roi de Gre- plades turbulentes du Maghreb-el-Aksa.
nade, vint détruire sur la côte d'Afri- Après leur chute, plusieurs petits États
que les bâtiments destinés au transport indépendants se maintinrent encore
de son armée. A la suite de ce succès, dans le Maroc; mais leur histoire est
Sanche s'empara de Tarifa en 691 (1292 tellement confuse, qu'on ne peutlasuivre
de J. C. ) ; quatre ans après, Iakoub, ne avec quelque certitude. Cet état d'anar-
possédant plus en Espagne que la ville chie et de tiraillements dura jusqu'au
d'Algésiras, renonça à toute entreprise seizième siècle de notre ère, époque où
sur l'Andalousie, et céda cette place au la famille des chérifs, qui règne aujour-
souverain de Grenade, moyennant une d'hui dans le Maroc, reconstitua cet
somme d'argent. La race berbère ne empire, et détruisit les établissements
206 L'UNIVERS.
que les Portugais avaient formés dans tôt aux Zirites. Éclipsés sous la domi-
cette partie de l'Afrique. nation des Almoravides et des Almoha-
C'est sous les derniers princes méri- des, qui, au moyen de leurs doctrines
nides (1415 de J. C, 823 de l'hégire) que religieuses avaient réuni en faisceaux
,

Jean I er , roi de Portugal, dirigea une toute la race berbère, les Béni Zian
première expédition contre Ceuta. IL reparurent au moment de la chute des
s'empara de la ville, et y laissa une forte Almohades, et se ressaisirent de l'auto-
garnison. En 1437, sous le fils et suc- rité.
cesseur de Jean 1 er , les Portugais opérè- Ce fut sous lerègne d'Abou-el-Hassan,
rent un nouveau débarquement pour un des derniers princes des Mouaheddin,
attaquer Tanger. La ville fut secourue que les Béni Zian, forts de leurs allian-
par une armée musulmane considérable; ces avec les Berbères et de l'influence
les chrétiens furent obligés de capituler qu'ils exerçaient dans le pays, se révol-
et de laisser un infant en otage comme tèrent. En "646 (1247 de J. C), Iagh-
garantie de l'exécution de la convention mouracen, qui était alors le chef de la
qui leur permit de s'embarquer. Mais ce famille des Abd-el-Ouahed, livra un
serait nous éloigner de notre but, que combat à Abou-el-Hassan auprès de
de parler plus longuement des diverses Kala, le mit en déroute, et se rendit
tentatives faites , dans la suite , par les maître du matériel de l'armée ennemie.
rois du Portugal pour s'établir dans le Mais la fortune lui fut souvent con-
Maroc. L'histoire de l'Algérie ne se rat- traire dans les nombreuses luttes qu'il
tache plus que d'une manière indirecte eut à soutenir contre les Béni Merin, qui
à ces événements. régnaient à Fès. Deux rencontres lui
furent surtout fatales : l'une sur les
Les Béni Zian. bords de la Molouïa , et l'autre entre
Lors de la décadence de la domina- Ouchda et l'Oued Isli , deux champs de
tion des Almohades , nous avons vu bataille illustrés par la bravoure de
qu'un État indépendant se constitua à notre armée d'Afrique. Iaghmouracen
ïiemsenau profit des Béni Zian. Lepou- était audacieux, d'une fermeté et dun
voir de cette dynastie s'exerçait sur la courage à toute épreuve ; il n'était pas
majeure partie des contrées comprises moins prudent et habile administrateur.
dans la province d'Alger et dans la pro- Les nombreuses défaites que les Méri-
vince d'Oran de l'ancienne régence tur- nides lui firent essuyer ne purent jamais
que. La famille illustre des Béni Zian, l'abattre. Ce prince , s'il faut en croire
appelée aussi les Abd-el-Ouahed, se un historien arabe , avait aussi à son
rattachait par son origine à la tribu service une troupe de plus de cinq cents
berbère des Meghraoua, branche des chrétiens ; c'était du reste à cette épo-
Zenata. Elle avait, à plusieurs époques, que un usage général parmi les souve-
exercé sur la province de Tlemsen , soit à rains qui dominaient l'Afrique. Voici
titre de sou verainesoit comme tributaire, comment le célèbre historien Ebn Khal-
une autorité incontestée. Lorsque l'A- doun, qui a écrit l'histoire des Berbères,
frique musulmane n'était pas encore explique la présence de ces soldats chré-
démembrée, les Béni Zian avaient pres- tiens dans les armées africaines * Les :

que constamment été alliés aux khalifes « rois du Maghreb ont pris la coutume
ommiades d'Espagne, dont ils avaient « d'enrôler dans leur armée des troupes
embrassé le parts dans la querelle de « franques ils le font, parce que leurs
;

cette dynastie contre les Abbassides ; ils « compatriotes en combattant


, font ,

purent ainsi se maintenir longtemps au « toujours semblant de fuir, puis se


pouvoir sans qu'aucun des rivaux son- « retournant ils fondent sur l'ennemi ;

geât à contester leur position indépen- « tandis que les Francs combattent en
dante. Depuis» ils s'étaient attachés, « restant inébranlables à leur poste. »
suivant les vicissitudes des temps, à la Nos soldats ont pu voir, dans les nom-
fortune des dynasties diverses qui se breuses rencontres qui ont eu lieu en Al-
partageaient l'Afrique prêtant le con-
,
gérie, que malgré les leçons des troupes
cours de leurs guerriers, tantôt aux européennes incorporées au treizième
Ommiades tantôt aux Fathimites, tan-
, siècle dans les armées musulmanes ,
les
ALGÉRIE. 207
indigènes n*ont modifié en rien leur cuirs préparés etc. Ces renseignements
,

manière de faire la guerre. Ce n'est prouvent que Tlemsen entretenait un


certes pas par manque de courage, commerce important avec les tribus du
puisque les Arabes qui servent dans nos Sahara et avec l'intérieur du conti-
rangs sont aussi braves et font aussi nent africain. Quelques princes des
bien que les Français ; mais c'est Béni Zian ont frappé monnaie à leur
l'empire de l'habitude, indestructible coin mais on ne trouve plus dans le
;

chez ces peuples, observateurs scrupu- pays que de très-rares pièces de leur
leux de toutes leurs traditions. monnaie. Les souverains de Tlemsen
Iaghmouracen eut pour successeur vivaient avec magnificence, etlebruitdes
son fils Othman , en 681 de l'hégire richesses que renfermait leur capitale a
( 1283 de J. G.). Ce fut sous ce règne souvent armé contre eux les sultans des
que le sultan mérinide Abou Iâkoub fit contrées voisines.
le siège de Tlemsen pendant sept ans ,
et s'empara de cette ville; les habitants
Les Hafsides.
eurent à souffrir toutes les angoisses de Les Béni Zian de Tlemsen et les Béni
la famine. Othman mourut avant la red- Merin du Maghreb-el-Aksa rencontrè-
dition de la place, dont il avait soutenu rent dans l'est de l'Afrique d'autres
la défense avec la plus grande énergie. compétiteurs au moment du partage
Son fils et successeur continua les mê- des dépouilles des Almohades : c'étaient
mes efforts , et mourut après un règne les Béni Hafèz, qui avaient à Tunis le
de quatre ans , pendant que le siège du- siège de leur puissance. Le premier
rait encore. Ce fut Abou Hammou prince de cette dynastie fut Abou Mo-
frère d'Othman, appelé ensuite au pou- hammed Abd-el-Ouahed Abou Hafèz,
voir, qui vit enlever la capitale de ses qui prétendait descendre du koréichite
États par les Mérinides. Après la prise de Omar ben el-Khettab, deuxième khalife
Tlemsen, quelques villes de la côte tin- de l'islamisme après le prophète ; mais sa
rent encore pour les Béni Zian ils se ; famille s'était alliée aux Berbères, et se
retirèrent avec leurs richesses à Ar- rattachait également à la tribu de Henta-
zeu. Apartir de cette époque et jus-
, ta, fraction des Masmouda. Nous avons
qu'à l'établissement de la domination déjà vu que lorsque En-Nacer , prince
turque à l'est et au centre de l'Afrique almohade, alla combattre dans la pro-
septentrionale, dans le seizième siècle, vince de Tunis le rebelle El-Miorki
les Béni Zian eurent à soutenir des il confia en partant le gouvernement de

luttes sans cesse renaissantes, soit con- cette province à Abd-el-Ouahed Abou
tre les Béni Merin de Fès ou de Maroc ,
Hafèz. Ce fut le successeur de cet
soitcontre les Béni Hafèz de Tunis; sou- émir, Abou Zakaria lahia, qui se pro-
vent ils perdirent Tlemsen, leur capitale, clama indépendant, en 625 de l'hégire. Il
ou furent obligés de se reconnaître tri- s'arrogea le titre de prince des croyants.
butaires; mais ils se relevèrent tou- Profitant des troubles qui agitaient
jours de ces échecs , comme si le fonda- l'empire des Almohades, il prit les ar-
teur de la puissance de leur famille mes, et réunit sous son autorité toute
leur eut légué à tous quelque chose de la province de Tripoli , celles de Tu-
son indomptable courage pour com- nis, de Constantine , du Djérid, du
battre la mauvaise fortune. Zab et une partie de celle d'Alger et
Les chroniques locales recueillies dans d'Oran. Il poussa ses conquêtes jusque
la province d'Oran racontent que sous dans l'ouest, s'empara de Tlemsen, de
le règne des Béni Zian le royaume Ceuta, et reçut la soumission de plu-
de Tlemsen atteignit un grand état de sieurs villes d"'Espagne, entre autres de
prospérité Oran était le port où Mar- Séville, de Grenade et d'Alména. Mais
seille Arles, Agde Narbonne les Vé-
. .
, ces villes ne restèrent pas longtemps
nitiens, les Portugais et les Catalans sous sa dépendance. Il fit la paix avec
venaient échanger des armes, des étof- les Béni Zian, et leur restitua Tlemsen;
fes, de la verroterie, etc., contre de la quant aux autres villes elles retombè-
,

poudre d'or, de l'ivoire, des plumes rent entre les mains des Béni Merin ou,

d'autruche, des laines, de la cire, des des sultans de Grenade. Abou Zakaria
,

208 L'UNIVERS.
était à la fois savant et poète. Il était en 657 les chefs de la Mecque lui en-
toujours vêtu très-simplement, et ne voyèrent également leur soumission,
portait que des habits de laine. Il cons- comme au souverain orthodoxe le plus
truisit des mosquées, des écoles, des puissant de l'époque. Les juifs ha-
bazars, et laissa à sa mort une bibliothè- bitant dans ses États eurent à souffrir
que de trente-six mille volumes. Il fui des avanies sans nombre. Mais le fait
enterré à Bône, puis transporté à Cons- le plus important sans contredit du rè-
tantine. gne de ce prince fut l'expédition diri-
gée par saint Louis contre Tunis (668;
Premiers traités de commerce.
1270 deJ. C. ).
traité de commerce le plus ancien
Le
entre les musulmans africains et les Euro- Expédition de saint Louis à Tunis.
péens remonte à l'an 627 (1230 de J. G.)- Saint Louis n'avait pas été décou-
Ce traité, dont la durée fut fixée à trente ragé par les résultats désastreux de son
ans, fut signé entre Abou Zakaria et la expédition contre l'Egypte; désireux
république de Pise, qui, la première de d'assurer la liberté du commerce dans
tous les peuples de l'Europe, avait noué la Méditerranée et d'affranchir les chré-
des relations commerciales avec les tiens d'Orient il commença en 1268
,

ports du Maghreb. Venus des premiers les préparatifs d'une seconde croisade.
en Orient lors des croisades, qui avaient Il éprouva d'abord des difficultés à se

donné un essor si rapide aux armements procurer la flotte nécessaire pour le


maritimes les Pisans avaient aussi les
, transport de son armée; les Vénitiens,
premiers traité avec le sultan d'Egypte avec lesquels il avait conclu un marché
et sacrifié les antipathies religieuses refusèrent de l'exécuter , et il ne dut
aux intérêtsnouveaux créés par le com- qu'à l'intervention chaleureuse du pape
merce. L'empereur Frédéric II, roi de d'obtenir des Génois les navires dont on
Sicile et comte de Provence, traita égale- avait besoin. Saint Louis concentra ses
ment avec Abou Zakaria ; Gênes , Mar- forces dans le Bas-Languedoc et en Pro-,
seille, Veniseet les Catalans, négocièrent vence. Les troupes françaises, auxquel-
aussi séparément avec lui. Ces traités ré- les s'étaient joints cinq cents Frisons,
glaient les droits et les conditions des un assez grand nombre de Catalans et
échanges dans tous les ports de la Mé- environ dix mille hommes envoyés par
diterranée , depuis Tripoli jusqu'à Bou- les Génois, s'embarquèrent à Marseille
gie , la liberté et la protection des mar- et à Àigues-Mortes. Le roi mit à la
chands étaient aussi garanties ; ils avaient voile de ce dernier port le 4 juillet 1270,
la faculté d'entretenir des églises , des accompagné de ses trois fils, de sa fille
bains et des cimetières , de posséder et d'un de ses neveux. L'expédition
des maisons et des magasins. Les con- aborda à Cagliari le 8 juillet.
suls connaissaient seuls des différends Ce fut à Cagliari seulement que saint
entre leurs nationaux ; et tous les chré- Louis fit connaître son intention de se
tiens n'étaient pas responsables, comme porter d'abord sur Tunis afin d'assurer
,

cela eut lieu plus tard dans la Régence les communications entre l'Europe et
d'Alger , des délits ou des crimes com- l'Orient par la conquête de ce royaume.
mis par leurs compatriotes. Les con- Charles, frère de saint Louis et roi de
suls avaient le droit de se présenter une Sicile, contribua puissamment à faire
fois par mois à l'audience du prince en , prévaloir cette détermination, dont il
quelque lieu qu'il se trouvât. Abou devait recueillir les premiers avanta-
Zakaria se montra toujours fidèle obser- ges, à cause de la proximité de ses États
vateur de ces conventions , et s'appli- de Tunis. L'expédition se dirigea donc
qua à ne pas favoriser d'une manière vers les côtes d'Afrique, et prit la mer
exceptionnelle une nation au préjudice le 15 juillet ; elle arriva le 17 , sans ac-
des autres. cident , en face des ruines de Carthage.
Le fils d'Abou Zakaria Iahia, sur- Le débarquement s'effectua le lende-
nommé Mostancer Billah eut un règne , main sans opposition de la part des Ara-
très-agité ; cependant en 652 les Béni bes. Dès que l'armée eut pris terre elle
Merin reconnurent sa suzeraineté; fut rangée en bataille, et le chapelain du
ALGERIE* .20^

roi lut une proclamation par laquelle Abou Abd-AI!ah fit des ouvertures, et
les croisés prenaient possession du sol demanda la paix. Le roi de Sicile, ayant
Abou Mohammed Abd-Allah el-
africain. obtenu des conditions favorables à son
Mostancer fit sommer les troupes chré- royaume signa un traité, dont la durée
,

tiennes de s'éloigner de son royaume , fut fixée à quinze ans. Les rois de France,
et rendit responsables de l'exécution de de Sicile et de Navarre s'engagèrent à
cette injonction les chrétiens qui étaient protéger les musulmans qui voyage-
établis en grand nombre dans Tunis. raient dans leurs États. La même clause
Saint Louis ne tint aucun compte de fut acceptée par le prince hafside; il
ces menaces, qui d'ailleurs ne furent pas consentit, de plus, à rendre les prison-
réalisées. niers, à payer 210,000 onces d'or pour
Les journées du 19 au 22 juillet fu- frais de la guerre, et un tribut de 24,000
rent employées à l'installation du camp, onces d'or par an au roi de Sicile, avec
et furent marquées par des petits com- rappel de l'arrérage des cinq dernières
bats livrés contre les nuées d'Arabes années. Peu de jours après la signature
qui entouraient l'armée chrétienne. Mais du traité, le 18 octobre, les croisés
au lieu de marcher contre Tunis et de s'embarquèrent. La Hotte essuya une
profiter des succès que ses troupes rem- tempête qui fit périr dix-huit grands
portaient dans ces luttes partielles, vaisseaux. Quatre mille soldats furent
saint Louis fit entourer son camp de noyés. Le roi et la reine de Navarre,
retranchements , et résolut d'attendre la jeune reine de France, le comte et
l'arrivée de son frère le roi de Sicile. En- la comtesse de Toulouse moururent pen-
hardis par cette inaction , les Arabes dant le voyage. Ainsi cette expédition
vinrent tous les jours attaquer le camp. coûta à la famille royale de France six de
Si on marchait à eux, ils fuyaient; ses membres outre saint Louis. L'ar-
puis, lorsque, fatigués de les poursuivre, mée chrétienne était restée trois mois
nos soldats voulaient regagner le camp, sur le territoire tunisien. On sait qu'une
lis reprenaient l'offensive, et harcelaient chapelle a été récemment élevée sur la
les Français jusqu'à ce qu'ils fussent à côte d'Afrique , au lieu même où cam-
l'abri de leurs retranchements. Ces aler- paient les croisés, pour perpétuer le sou-
tes continuelles épuisèrent la constance venir de cette croisade, qui coûta si cher
des troupes; réduits au biscuit et à la à la France mais qui força les musul-
,

viande salée, les soldats furent bientôt mans à reconnaître une fois de plus la
atteints par les maladies que le climat supériorité des armées chrétiennes.
fait éclater toujours rapidement parmi Abou Abd-Allah semble avoir compris
les grandes réunions de personnes étran- l'avantage qu'il y avait pour ses sujets à
gères au pays. Le vent du sud ( siroco ), favoriser le commerce avec les peuples
qui soufflait avec violence, ne fit qu'aug- les plus industrieux du bassin de la Mé-
menter les souffrances et le décourage- diterranée. Il renouvela fréquemment
ment. Les chefs les plus illustres des des conventions commerciales avec les
croisés furent frappés ; le comte de Génois, les Pisans, les Vénitiens, les
Nevers, le plus jeune des fils de saint Florentins. L'activité qui régnait alors
Louis, succomba. Bientôt le roi lui- dans tous les ports de l'Afrique, non-
même fut atteint par la contagion , et seulement dans les provinces de Tripoli
rendit le dernier soupir le 25 août 1270. et de Tunis, mais encore à la Calle,
Les musulmans se réjouirent de la Bône, Collo, Djidjéli, Bougie, Dellis et
mort de saint Louis comme d'une vic- Alger (qui dépendait alors des Béni
toire. Mais, le roi de Sicile étant dé- Hafèz ) contribua à amortir l'humeur
,

barqué le jour même où son frère ex- turbulente des villes. La présence des
pira, l'offensive fut reprise avec vi- comptoirs européens au milieu d'elles,
gueur par les croisés. Le 28 août et les des relations journalières, avaient beau-
jours suivants les Arabes éprouvèrent coup adouci le fanatisme de ces popula-
de rudes échecs, et perdirent beaucoup tions. La prolongation de cet heureux
de monde. Leur camp fut surpris par état de choses pouvait amener les ré-
les chrétiens, qui en rapportèrent un bu- sultats les plus féconds pour l'avenir
tin considérable. Après cette défaite, de l'Afrique. On verra plus tard quelles
14 e Livraison. (Algérie.) M
210 L'UNIVERS.
circonstances contribuèrent à ramener Abou Hafez-Omar se réfugia à Kabès,
en quelque sorte ces contrées vers la où les partisans de Mérinides le tuèrent.
barbarie. Un seul acte politique imprudent fit
perdre à Abou el-Hassan le fruit de ses
Hafsides.
conquêtes. Lorsqu'il se crut solide-
A la mort d'Abou Abd-Allah, dont le ment établi, il se montra ingrat envers
long règne avait comprimé l'ambition des les tribus arabes, ne voulut pas tenir les
grands, de violentes dissensions éclatè- promesses qu'il leur avait faites, et leur
rent parmi les Béni Hafèz. Trois ans s'é- retira les fiefs qui leur avaient été con-
taient à peine écoulés, qu'on vit sous cédés par les sultans hafsides. Une par-
son second successeur, en 680 (1281 tie de ces tribus prirent les armes, bat-
de J. C), apparaître un aventurier tirent les troupes qu'Abou el-Hassan
nommé El-Fadhel, qui défit deux armées dirigea contre elles, et vinrent l'assiéger
envoyées contre lui, et s'empara de toute dans Kairouan, où il s'était enfermé. Le
la province jusqu'à Bougie. El-Fadhel prince mérinide s'enfuit avec beaucoup
était né à Msila, et avait été élevé à Bou- de peine de cette ville; mais en arrivant
gie. C'était un pauvre en
tailleur, qui , à Tunis, ayant appris que son propre
courant de pays en pays pour gagner sa fils s'était emparé du pouvoir dans le
vie, avait fait à Tripoli la connaissance Maghreb, il se hâta de regagner son
d'un nègre ancien serviteur d'un ancien royaume. Échappé miraculeusement à
sultan hafside. Il se faisait passer pour un naufrage, Abou el-Hassan rentra
le fils de cet ancien sultan et le nègre
, dans ses États mais dans la bataille qu'il
;

confirmait le fait de son témoignage. Il dut livrer à son fils il fut défait et forcé
fut renversé par Abou Hafèz , proclamé de s'enfuir dans les montagnes. L'oc-
en 683. cupation du royaume de Tunis par les
Jusqu'au règne d'Abou Iahia, hui- Mérinides ne dura que deux ans et demi.
tième sultan hafside qui fut proclamé en Les Béni Hafèz rentrèrent en possession
718 (131 7 de J.C.), les discordes de la fa- de Tunis en 7ô0 (1349 de J. C).
mille royale se succédèrent avec des vicis- A la faveur des guerres- civiles qui
situdes diverses. Les princes qui gouver- éclatèrent dans le sein de la dynastie des
naient Bône et Constantine, constituées Béni Merin, les Béni Hafèz et les Béni
en vice-royautés, se révoltaient sans cesse Zian purent relever leur puissance. A
contre le souverain et parvenaient sou-
, plusieurs reprises cependant on vit les
vent à le déposséder. Abou Iahia s'em- Mérinides s'emparer soit de Tlemsen,
para de l'île de Djerba dont Roger de
, soit de Bougie, de Constantine, de la
Loria avait fait une principauté chré- province du Zab, et venir mettre le
tienne en 1284. Son fils Abou Hafèz siège devant Tunis. Pendant un siècle
Omar luisuccéda. Ce prince étant allé et demi le nord de l'Afrique est troublé
assiéger de Bedja, située entre
la ville parles guerres incessantes des trois dy-
Bougie et Tunis, son frère Abou el-Ab- nasties rivales. Les faits saillants de
bas, gendre du sultan mérinide Abou cette longue et orageuse période sont :
el-Hassan, et qui avait été injustement la réunion momentanée des trois États
frustré du trône, marcha contre Tunis, dans les mains du sultan mérinide Abou
et s'en empara. Abou Hafèz Omar s'em- el-Hassan le règne d'Abou Hammou
;

pressa d'accourir au secours de sa capi- roi de Tlemsen, qui assura trente-neuf


tale, à la tête d'une armée, surprit Abou ans de prospérité à cette contrée; enfin
el-Abbas, et le fit périr. Le sultan mé- la conquête d'une partie du royaume de
rinide manifesta à cette nouvelle une Tlemsen par Abou Farès, sultan hafside.
grande colère ; il rassembla ses troupes, La ville de Bougie et le pays qui en dé-
et partit de Tlemsen, qu'il venait d'enle- pendait resta au pouvoir d'une branche
ver aux Béni Zian. Pendant sa marche des Hafsides jusqu'au moment où don
il soumit à son autorité les tribus arabes Pèdre de Navarre (1510) se rendit
des provinces de Bougie, de Constantine maître de cette ville. Le règne d'Abou
et de Tunis, et se fit suivre de leurs con- Farès fut remarquable pour les pro-
tingents. En 748 (1347 de J. C.) Abou vinces de Tunis en ce qu'il réduisit les
,

el-liassan se rendit maître de Tunis. tribus arabes à l'obéissance, et les obligea


ALGÉRIE. 21ï

à payer le zekket et Fachour, impôts s'y étaient fixés en grand nombre, et


religieux que tout musulman doit ac- s'y livraient à un commerce considé-
quitter. Le zekket se prélevait sur les rable. On vit des chrétiens investis des
biens mobiliers et les troupeaux, et l'a- pleins pouvoirs des princes arabes pour
chour sur les récoltes. négocier des traités en leur nom. Les
Pisans et lesVénitiens prenaient part au
Rapports avec les peuples chrétiens. commerce intérieur et avaient obtenu la
La suite des relations des Hafsides faculté de faire des caravanes; dans
avec les peuples chrétiens offre plusieurs toutes les stations de leur route ils
circonstances dignes de fixer l'attention. avaient le droit de foire paître, au moins
On a déjà vu qu'en 1284 Roger de Loria pendant trois jours, les animaux qu'ils
s'empara de l'île de Djerba qui s'était
, conduisaient. Ils parcouraient librement
soustraite à domination du sultan de
la le pays, et avaient des courriers pour leur
Tunis , devenue un repaire de
et était correspondance entre les différentes
pirates. Cetteîle demeura au pouvoir des villes où se trouvaient leurs dépôts.
chrétiens pendant cinquante et un ans. Les historiens attestent également
Les Siciliens, qui avaient eu souvent à ré- que les marchands musulmans se ren-
primer les révoltes des Arabes ou à repous- daient très-fréquemment pour vendre
ser les attaques des Hafsides ,
perdirent leurs marchandises soit sur les côtes
Djerba en 1335. Dans la même année, d'Espagne, de France ou d'Italie, soit
Philippe Doria, amiral delà république en Sicile, en Sardaigne, en Corse, soit
de Gênes, se présenta en ami devant Tri- à Gênes, à Pise, à Télamone, à Gaète,
poli pour y acheter des vivres puis, ayant
;
à Naples, à Venise , à Ancône, à Raguse.
bien reconnu les lieux il s'éloigna
, ;
Ils rapportaient des marchés européens
mais il revint à l'improviste, et se rendit des étoffes et des objets manufacturés.
maître de la ville par un hardi coup de D'un autre côté, Bougie et Tunis étaient
main. Les Génois, craignant des repré- après Alexandrie les villes d'Afrique où
sailles contre ceux de leurs nationaux arrivaient le plus grand nombre de
qui étaient établis dans les ports musul- commerçants européens. Il a été aussi
mans, désavouèrent leur amiral et l'exilè- constaté que les sultans de Tunis entre-
rent avec ses compagnons. Philippe Do- tenaient auprès d'eux des corps de trou-
ria, embarrassé de sa conquête, la rendit pes chrétiennes. Des seigneurs italiens
au cheikh de l'île de Djerba, qui, n re- passaient souvent en Afrique avec toute
trouvant son indépendance, avait repris leur maison pour exercer des hautes
ses habitudes de piraterie. Après cet évé- charges à la cour des princes du Maghreb.
nement, Tripoli prit place parmi les États Cette bienveillance réciproque entre les
indépendants de l'Afrique septentrio- chrétiens et les musulmans était plus
nale. particulièrement sensible dans l'est que
A la suite des traités de commerce dans l'ouest, où prédominait encore
qui furent signés entre Abou Abd- Allah et l'influence berbère.
les princes chrétiens, presque immédia-
tement après l'expédition de saint Louis,
Expédition des Européens contre l'A-
on remarque une convention de même frique.
nature entre la Sicile et Tunis en 1285. Après les succès et les revers des
Une première fois, en 1317 et 1320, et Siciliens, les premières attaques furent
une seconde fois, en 1354 et 1358, les dirigées contre l'Afrique par Pierre III ,

Vénitiens obtinrent entre autres privi- roi d'Aragon. En 1277 il envoya une
lèges celui de faire monnayer de l'or et flotte qui ravagea les côtes et détruisit
de l'argent à Tripoli. Malgré les dissen- dans le détroit de Gibraltar les navires
sions politiques qui agitèrent le Maghreb du sultan de Maroc, fils et successeur du
d'une manière si continue et si désas- fondateur de la dynastie des Mérinides.
treuse pendant les treizième et quator- Cinq ans après le roi d'Aragon porta des
zième commerce atteignit dans
siècles, le forces considérables vers l'est, et débar-
ce pays un assez haut degré de prospé- qua à Collo, dont il s'empara sans diffi-
rité. Les Européens avaient établi des culté. Il avait fait alliance avec le prince
comptoirs dans les principales villes; ils de la famille haLide qui gouvernait Cons-
14.
âia L'UNIVERS.
tantine et il voulait appuyer ses pré-
, les escarmouches continuelles dont ils
tentions au pouvoir souverain. Mais le comptaient la harceler. Les choses se pas-
peuple de Constantine, indigné des rela- sèrent comme ils l'avaient prévu. L'ar-
tions de son gouverneur avec les chré- mée chrétienne, mal commandée, mal
tiens, se souleva, et le massacra. Pierre organisée , accablée par la fatigue des
d'Aragon, qui, en attaquant Collo. n'a- combats livrés journellement contre les
vait voulu que cacher le but de ses Arabes pendant la plus grande ardeur
armements, dirigés contre la Sicile, du soleil, ne put faire aucune opé-
s'éloigna de la terre d'Afrique dès qu'il
, ration décisive, et dut reprendre la mer,
connut la mort de son allié et alla , après avoir vainement assiégé Mahdia
enlever la Sicile aux Français. Plus pendant soixante et un jours. Cette ex-
tard, en 1309, la Castille et" l'Aragon pédition fut la dernière entreprise des
opérèrent un débarquement à Ceuta, et États italiens sur les côtes d'Afrique;
se rendirent maîtres de cette ville. Mais pendant tout le quinzième siècle la paix
les Espagnols ne gardèrent pas leur con- entre ces États et le Maghreb ne fut pas
quête; ils en firent don à un chef indi- troublée. Le dernier traité de commerce
gène qui leur avait rendu des services. fut signé avec les Pisans en 1424 (827
Ceuta appartenait alors au sultan de de l'hégire).
Grenade. Mais les Espagnols continuèrent les
Les relations bienveillantes que les hostilités contre les princes du Maghreb,
Génois entretenaient avec les princes et contribuèrent à hâter leur chute. En
de Tunis furent troublées vers le milieu 1432 les Aragonais saccagèrent Djerba
du quatorzième siècle, soit que les Ara- et l'île de Kerkena, sans y fonder d'éta-
bes fussent excités contre les marchands blissement. En 1481 la ville de Mélilla
génois par les Vénitiens, leurs rivaux, fut prise par les Espagnols, et devint un
soit que l'avidité naturelle de ces sultans, apanage de la grandesse. Après la chute
qui se succédèrent si rapidement au du royaume de Grenade, les entreprises
pouvoir, les poussât à rançonner les de l'Espagne contre l'Afrique devinrent
commerçants; Gênes fut réâuite à dé- plus sérieuses. Le cardinal Ximenès
clarer la guerre aux Hafsides , à la suite détermina Ferdinand le Catholique à
de nombreux actes de piraterie commis armer une flotte, qui, sous la conduite de
contre ses navires. Elle débuta par quel- don Diego de Cordoue, s'empara de
ques prises heureuses sur les Africains ; Mers-el-Kebir, en 1505. La ville fut
en 1388 ses galères pillèrent l'île de occupée par des forces importantes.
Djerba. Mais les incursions des musul- En 1508 l'amiral Pierre de Navarre se
mans jusque dans les rivièresdeses villes, rendit maître du Penon de Vêlez, sur les
qu'elle ne put toujours protéger, lui côtes de Maroc. L'année d'après Oran
tirentéprouver des pertes considérables. fut prise par le cardinal Ximenès en
Les Génois, n'osant entreprendre seuls personne, qui avait payé une partie des
une attaque contre Mahdia, sollicitèrent frais de l'expédition. En 1510 Pierre de
l'assistance du roi Charles VI, qui régnait Navarre s'empara de Bougie, et y ins-
alors en France. Leur demande fut ac- talla une forte garnison. A la suite de
cueillie, et le duc de Bourbon, oncle du cette conquête, la plupart des villes du
roi , fut mis à la tête de cette expédition. Maghreb, frappées d'épouvante , recon-
Les principaux seigneurs de la cour de nurent la suzeraineté de l'Espagne,
France et de celle d'Angleterre voulu- s'engagèrent à lui payer tribut et à
rent s'associera cette espèce de croisade, mettre en liberté les esclaves chrétiens.
au nombre de plus de quatorze cents ; les Au nombre de ces villes on comptait
Génois fournirent dix-huit mille hommes: Alger, Dellis, Tlemsen, Mostaganem
on parti t de Gênes vers la fin dejuin 1390. et Tunis même. Dans la même année
Lorsque la flotte arriva devant Mahdia, les Espagnols prirent Tripoli , qui fut
la saison des chaleurs venait de s'ouvrir; réunie à la vice-royauté de Sicile; ils
les Arabes laissèrent débarquer l'armée y laissèrent une garnison. Pierre de
sans opposer de résistance, dans l'espoir Navarre attaqua ensuite, de concert
de la voir bientôt consumée par les ma- avec don Garcia de Tolède, l'île de
ladies du pays, par la chaleur et par Djerba , qui était devenue un repaire de
ALGÉRIE. 213

pirates. Son armée, exténuée par la lique de 1499 et de 1500. Lorsqu'ils


chaleur, débandée autour de
s'étant arrivèrent dans le Maghreb, loin d'être
quelques puits, les Arabes se ruèrent accueillis comme des coreligionnaires
sur elle, et la taillèrent complètement qui avaient accepté les maux de l'exil
en pièces. Les choses restèrent à peu plutôt que d'abjurer leur foi, ces mal-
près dans cette situation jusqu'à réta- heureux furent pillés et massacrés par
blissement des Turcs à Alger. les Berbères. Faut-il attribuer cet acte
de barbarie, si contraire à l'esprit de
Décadence des trois dynasties arabes.
fraternité que les musulmans du globe en-
Ainsi les Béni Merin les Béni Zian
, tier pratiquent toujours entre eux, aux
et les Béni Hafèz voyaient simultané- vieilles querelles des Arabes et des Ber-
ment décroître leur puissance devant les bères , aux rancunes des Africains dé-
attaques des peu pies chrétiens. On a déjà possédés par les rois de Grenade, ou
constaté que les dissensions intestines bien à la cupidité sans entrailles des
dans les familles de chacune de ces dy- tribus qui en voyant débarquer ces
nasties avaient contribué à précipiter leur fugitifs chargés de quelques bagages
ruine; d'autres éléments de dissolution les attaquèrent et les massacrèrent pour
vinrent ajouter pour les Béni Zian à ces les dépouiller plus sûrement? Quoi qu'il
malheurs. Les tribus arabes qui avaient en soit, tant de souffrances endurées
envahi l'Afrique sous le règne des kha- par ces réfugiés ne firent qu'accroître la
lifes Zirites ne s'étaient confondues haine qu'ils avaient vouée aux chrétiens
ni avec les premiers conquérants, ni qui les avaient chassés de l'Espagne.
avec les Berbères. Elles n'avaient jamais Us se disséminèrent sur tous les points
accepté longtemps la domination d'au- de la côte, et donnèrent une nouvelle
cun des chefs du pays ; et soit qu'on les activité et un caractère de cruauté plus
vît s'allier avec le prétendant victorieux, grande encore aux courses et aux bri-
soit qu'elles se missent en rébellion, elles gandages des corsaires musulmans qui
avaient toujours les armes à la main. infestaient ces parages , et qui avaient
Profitant des discordes qui divisaient fait surnommer cette partie de la Mé-
la famille des Béni Zian , les Arabes se diterranée le champ des pirates.
soulevèrent dans la province d'Oran ; ils Ainsi, pendant que les peuples d'Italie
se rendirent maîtres de Mostaganem , de avaient contribué à amener une sorte
Mazagran de Tunis de Mazouna
, , , et se de rapprochement entre les commer-
déclarèrent indépendants. Toutes les tri- çants européens et musulmans dans le
bus berbères depuis Mostaganem jus- royaume de Tunis et dans la portion
qu'au-dessous de Miliana dans la Mé-
, orientale de l'Algérie actuelle les Es-
,

tidja , reconnurent leur autorité. pagnols, par l'expulsion des Arabes


D'un autre côté , après une lutte de d'Espagne et par leurs agressions con-
,

huit siècles, le christianisme avait entiè- tre les ports du Maghreb , détruisirent
rement triomphé en Espagne et le , bientôt ces bonnes dispositions. L'ap-
royaume de Grenade était tombé au parition des Turcs, qui donnèrent pour
pouvoir d'Isabelle et de Ferdinand. Un ainsi dire une organisation à la piraterie
grand nombre d'Arabes s'étaient réfu- et se substituèrent au pouvoir des Béni
giés en Afrique; ceux qui, préférant Hafèz et des Béni Zian, fit perdre
leurs intérêts et leurs habitudes aux rapidement aux musulmans africains
excitations du fanatisme, avaient es- la prospérité dont ils jouissaient, et jeta
péré pouvoir vivre sous la loi des chré- entre les deux religions les ferments
tiens, furent expulsés de la Péninsule d'une haine irréconciliable.
par deux décrets de Ferdinand le Catho-
214 L'UNIVERS.

PÉRIODE TURQUE.

( Du seizième au dix-neuvième siècle,)

Fondation de la Régence d'Alger. gran et de toute la province de Dekkala.


Les Espagnols occupaient le Penon de
Pour apprécier les circonstances qui Vêlez, Mélilla, Mers-el-Kebir, Oran, le
préparèrent et favorisèrent l'établisse- Penon d'Alger, Rougie, le fort de la Gou-
ment des Turcs dans l'Afrique septen- lette devant Tunis. Les Génois s'étaient
trionale et la fondation de la Régence emparés de Djidjéli. Malgré le grand
d'Alger, il est nécessaire de jeter un coup nombre des établissements européens,
d'œil rapide sur l'ensemble de la situa- la piraterie des musulmans exerçait des
tion de ces contrées au commencement ravages considérables sur les côtes de
du seizième siècle, telle qu'elle ressort l'Italie et de l'Espagne, et les navires
des développements qui précèdent. de commerce européens ne pouvaient
L'histoire des provinces constituant naviguer dans la Méditerranée que réu-
aujourd'hui les possessions françaises nis en convoi et sous l'escorte de galè-
dans le nord de l'Afrique va devenir res armées en guerre. Ces corsaires ara-
entièrement distincte de celle des Etats bes, dont le principal repaire avait d'abord
musulmans de l'est ( Tripoli et Tunis ) et été dans l'île de Djerba, puis à Tripoli,
de ceux de l'ouest ( Maroc ). s'étaient recrutés, comme on l'a vu,
On a vu que la famille des Hafsides, d'une grande quantité de musulmans
en proie à des dissensions intestines se , chassés d'Espagne par Ferdinand le Ca-
disputait à Tunis la possession d'une au- tholique. Ils avaient formé dans l'ouest,
torité plus nominale que réelle; les tri- à Cherchel, un centre de piraterie, non
bus arabes des provinces de Tunis , de moins redoutable que celui établi à
Constantine et de Rougie , tiraillées en Djerba.
sens divers par les différents préten- Il n'est pas inutile de rappeler aussi
dants au pouvoir souverain, étaient con- que la population de l'Afrique septen-
tinuellement en révolte, refusaient l'im- trionale était en ce moment dans un
pôt et entretenaient le pays dans une grand état de confusion. Les races ber-
agitation des plus violentes. Les dépen- bères s'étaient usées et affaiblies dans
dances de l'ancien royaume des Reni des luttes incessantes, soit contre les sou-
Zian situées à l'est de Tlemsen avaient verains, soit contre les Arabes. Ceux-ci,
secoué le joug et obéissaient auxMehals, qui avaient relevé depuis peu la supré-
depuis Mostaganem jusqu'à Alger. Dans matie de leur race dans les provinces du
l'ouest, les Reni Merin, fractionnés en centre, n'avaient pas su constituer un
petites souverainetés sans importance, État. La présence des négociants euro-
ne pouvaient dominer les troubles qui péens dans quelques villes, des esclaves
divisaient la population berbère. Ainsi, chrétiens, des troupes européennes en-
de la frontière de l'Egypte jusqu'au ri- tretenues par plusieurs princes, enfin
vage de l'océan Atlantique, nulle part des descendants des anciennes hordes
l'autorité ne se trouvait concentrée entre kurdes, augmentaient encore le morcel-
des mams vigoureuses nulle part on ne
; lement et les divisions de la population.
rencontrait un véritable pouvoir, un Il était impossible de trouver au milieu
étatrégulièrement constitué, une société de tant d'éléments si divers, hostiles les
calme et assise. uns aux autres, un point d'appui pour
Aux relations amicales qui avaient un mouvement de reconstitution. C'est
existé par le commerce entre les Euro- du dehors que vint la force qui, en don-
péens et les Musulmans, des hostilités nant une impulsion plus énergique au
avaient succédé sur toute l'étendue des fanatisme et aux instincts de rapine et
côtes. Les Portugais étaient maîtres, de brigandage, parvint à fonder une puis-
dans le Maroc, de Ceuta, d'Arzilla, de sance nouvelle.
Tanger, d'Azemmour, de Safi, de Maza-
ALGERIE. 215

Aroudj et Kheir-ed-Din. sujets et les alliés du sultan, et de lui


donner le cinquième des prises qu'il fe-
Telle était la situation de l'Afrique rait sur les chrétiens. Son frère Kheir-ed-
Septentrionale lorsque parurent deux Din vint le rejoindre, et ils s'établirent à
aventuriers, Aroudj, nommé par les Tunis. La bravoure de ces corsaires, les
Turcs Baba- Aroudj { dont les Euro- riches captures qu'ils enlevèrent aux
péens ont fait par corruption Barbe- Espagnols et aux Italiens, rendirent
rousse) et son frère Kheir-ed-Din. Leurs leur nom célèbre sur tout le littoral du
exploits remplirent bientôt de terreur Maghreb. Ils eurent bientôt acquis assez
tous les parages de la Méditerranée , et d'importance pour songer à se créer une
ils organisèrent sur les côtes d'Afrique petite principauté indépendante et s'af-
un État important placé sous le patro- franchir de l'espèce de tribut qu'ils
nage du sultan de Constantinople. Ces payaient au sultan hafside.
deux hommes, que la témérité de leur
Tentative contre Bougie.
courage et leurs conceptions hardies ont
fait ranger au nombre des personnages Ils portèrent leurs vues sur Bougie,
illustres de ce siècle fécond en caractè- qui était alors, depuis trois ans, au pou-
res singuliers et remarquables, méritent voir des Espagnols. Ils réunirent cinq
qu'on s'étende avec quelques détails sur navires, et vinrent débarquer auprès de
leur origine et sur les faits principaux la ville en 1512 (918 de l'hégire). Dans
de leur carrière. une reconnaissance qu'Aroudj voulut
Vers la fin du quinzième siècle, sous faire de la place, il eut le bras emporté
le règne du sultan Bajazet TI, vivait par un boulet. Pendant que son frère se
dans l'île de Métilène, l'ancienne Lesbos, retirait à Tunis pour se faire guérir,
un potier du nom dTakoub. Il eut qua- Kheir-ed-Din prit le commandement de la
tre fils Elias, Ishac, Aroudj et Khei r-ed-
: , flotte, et se rendit sur les côtes d'Espa-
Din. Aroudj se fit bientôt remarquer gne, afin de faciliter le passage en Afri-
par son esprit entreprenant et résolu. que des musulmans espagnols qui, après
A la mort de son père, il organisa avec avoir d'abord embrassé le christianisme,
son frère Elias un armement recruté lors des décrets d'expulsion de Ferdi-
parmi les jeunes marins de Métilène nand, persécutés de nouveau, s'en-
pour courir sur les chrétiens. La fortune fuyaient des villes, et cherchaient à pas-
leur fut d'abord contraire; dans un com- ser la mer pour retourner à l'islamisme.
bat livré contre des galères de l'île de Kheir-ed-Din en reçut un certain nombre
Rhodes Elias fut tué avec un grand
, sur ses navires. Il ravagea ensuite l'île
nombre de ses compagnons et Aroudj de Minorque, fit quelques prises auprès
fut fait prisonnier. Mais il parvint bien- de la Corse, et rentra à Tunis au com-
tôt après à s'échapper, et se réfugia mencement de la mauvaise saison.
dans un port de la Caramanie. De là
il se rendit en Egypte , et peu de temps
Prise de Djidjêli.
après on le vit apparaître à la tête d'une Les Génois, commandés par André
petite flotte qui ravagea les côtes de la Doria, vinrent attaquer les deux frères,
Pouille, et porta l'alarme et l'épouvante brûlèrent quelques-uns de leurs bâti-
dans la plus grande partie de la Médi- ments et en prirent six. Dès qu'Aroudj
terranée. fut guéri de sa blessure, pour échapper
à la surveillance du sultan de Tunis et
Aroudj établi à Tunis. pour être mieux protégé contre les atta-
L'année suivante, Aroudj établit sa ques des chrétiens, il alla s'établir à
croisière sur les côtes du royaume de l'île de Djerba, où il employa toute Fan-
Tunis. Il demanda au sultan de ce pays née 1513 à réparer ses pertes. En 1514
(Mouley Mohammed, prince hafside) il fit avec son frère un armement pour
la permission d'abriter sa flotte dans un s'emparer de Djidjêli. Cette ville était
des ports de ses États, et d'en faire le occupée par les Génois. A l'approche
centre de ses entreprises maritimes. Il des corsaires, les habitants musulmans,
obtint cette autorisation, moyennant qui les avaient appelés, et les Kabiles
l'engagement qu'il prit de respecter les des montagnes environnantes sejoigni-
,

216 L'UJNIVERS.

rent à eux ; en peu de jours ils se rendi- Prise d'Alger et de Cherchel.


rent maîtres de cette place. Un butin
immense tomba entre leurs mains, et fut La même année Barberousse trouva
,

également partagé, sans établir de dis- une occasion de se dédommager de l'é-


tinction, entre tous ceux, Turcs ou in- chec qu'il avait éprouvé devant Bougie,
digènes, qui avaient concouru à la vic- Salem Ben Toumi, chef des Béni Mez-
Aroudj et Kheir-ed-Din envoyèrent
toire. ghana, dont Alger était la capitale, l'ap-
un présent considérable au sultan Sélim, pela à son aide pour faire la guerre aux
qui régnait alors à Gonstantinople. Telle Espagnols. Ces derniers avaient bâti
fut en quelque sorte la prise de posses- depuis quelques années une forteresse
sion du territoire de la régence d'Alger sur l'îlot qui était en face de la ville, et
par les Turcs, et l'inauguration de la po- qu'ils appelaient le Penon d'Alger. La
litique d'Aroudj et de son frère, qui mi- présence des Espagnols dans cette île,
rent toujours tous leurs soins à intéres- qui commandait l'entrée du port d'Al-
ser à leurs succès les princes musul- ger, empêchait les Béni Mezghana de
mans les plus puissants qui régnaient faire des armements importants pour
en Orient, et à s'assurer leur appui. se livrer à la course. La renommée des
vainqueurs de Djidjéli fit espérer à Sa-
Seconde tentative contre Bougie. lem Ben Toumi que l'intervention des
Barberousse avait à cœur la conquête Turcs délivrerait du dangereux
la ville
de Bougie; en 1515 (921 de l'hégire) il voisinage des chrétiens. a déjà vu On
résolut de faire une seconde entreprise. que les Béni Mezghana, détachés du
Un grand nombre de Kabiles, conduits royaume des Béni Zian de Tlemsen,
par leurs marabouts vinrent demander
, étaient à peu près indépendants. Ils
à prendre part à la délivrance de Bougie avaient élu pour leur chef Salem Ben
du joug des infidèles. Ces auxiliaires se Toumi, d'une riche famille de la Métidja.
rendirent par terre à l'embouchure de Aroudj partit par terre de Djidjéli avec
la rivière de Bougie (Oued-Soummani), huit cents Turcs et trois mille Kabiles;
où le rendez-vous avait été fixé; les cor- il fit embarquer en même temps sur les
saires partis de Djidjéli avec trois de leurs fustes qu'il possédait encore un corps
bâtiments mouillèrent en dedans de la de quinze cents Turcs. Avant de quitter
barre. Ils formèrent aussitôt le siège de Djidjéli , il eut soin d'informer son frère
la ville; elle était défendue pardon Ray- Kheir-ed-Din, alors à Tunis, de la nou-
mond Carroz, qui repoussa toutes les at- velle entreprise dans laquelle il s'enga-
taques avec la plus grande vigueur. geait, et lui demanda de lui envoyer
Après trois mois d'efforts infructueux comme renforts tous les Turcs qu'il pour-
les assiégeants manquant de munitions,
, rait recruter. Les habitants d'Alger ac-
s'adressèrent au sultan de Tunis pour cueillirent avec joie ceux qu'ils atten-
en obtenir mais ce prince qui commen-
; , daient comme des libérateurs. Cependant
çait à redouter l'esprit entreprenant de Aroudj ne s'arrêta que peu de jours dans
ces corsaires, refusa tout secours. Ils la ville. Avant de rien entreprendre con-
furent donc obligés de lever le siège. tre le Penon il dirigea une expédition
,

Quand ils voulurent s'embarquer, il se sur Cherchel, soit qu'il voulût s'assurer
trouva que, la rivière ayant beaucoup un refuge, ou bien aller enrôler des sol-
baissé, leurs navires ne purent plus sortir, dats dans cette petite ville, peuplée de
et ils durent prendre le parti de les brûler musulmans réfugiés d'Espagne, connus
pour ne pas les laisser au pouvoir des Es- pour de hardis pirates, soit qu'il voulût
pagnols. Ils regagnèrent Djidjéli par la seulement gagner du temps pour que
voie de terre. Aroudj resta dans cette son frère pût lui envoyer les renforts
son frère Kheir-ed-Din se dirigea
ville, et qu'il avait demandés. Cette expédition
sur Tunis pour s'occuper de remplacer
, fut courte et heureuse. A son retour à
les bâtiments qu'ils venaient de perdre Alger il attaqua le Penon mais les ca-
, ;

et pour enrôler de nouveaux compa- nons qu'il employa étaient d'un si petit
gnons. calibre, que, quoique la batterie fût éta-
blie à environ cent pas de la forteresse,
les boulets ne causèrent aucun dommage
ALGÉRIE. 21?

sérieux. Il continua cette canonnade ments en Afrique et dont ruinait le


il

pendant vingt jours sans obtenir aucun commerce, il se déclara vassal du


le

résultat. Ces délais avaient été mis à Grand-Seigneur, et se plaça sous sa pro-
profit, les soldats envoyés par son frère tection.
arrivèrent en grand nombre. En voyant En effet l'élévation de Barberousse ne
augmenter les troupes turques, dont l'in- tarda pas à soulever des protestations vio-
solence envers les habitants redoublait lentes de la part de la population arabe.
chaque jour, Salem Ben Toumi se repentit Les habitants d'Alger, qui avaient beau-
d'avoir appelé des auxiliaires aussi dange- coup à souffrir des allures indiscipli-
reux. Il n'était plus temps Aroudj avait
; nées et turbulentes des soldats turcs, se
gagné la faveur populaire en fréquentant concertèrent avec les Arabes de la Mé-
assidûment les hommes pieux et les sa- tidja et avec les Espagnols de Penon
vants et en déployant une activité ex- pour renverser leurs nouveaux domina-
traordinaire contre les ennemis de teurs. Cette conspiration fut découverte ;
l'islamisme; il usurpa d'une manière in- Aroudj prit des mesures pour en em-
sensible les attributions du pouvoir pêcher le succès sans faire connaître
,

souverain, fit obtenir les emplois les qu'il était instruit des projets des con-
plus importants à ses Turcs et à ses créa- jurés. Profitant de la cérémonie de la
tures et s'attacha les principaux habi-
, prière du vendredi, qui avait réuni les
tants en leur distribuant des présents principaux d'entre eux dans la mosquée,
et en leur faisant des promesses magnifi- il les fit arrêter et mettre à mort. Cet
ques. Enfin quand il se crut assez fort, il acte de rigueur suffit pour tout faire
fit saisir Salem Ben Toumi le pendit à
, rentrer dans le devoir.
une porte de la ville (la porte Babazoun),
Expédition espagnole contre Alger.
et se fit proclamer roi d'Alger. Le fils
de Salem parvint à s'échapper, et se ré- L'établissement de Barberousse à Alger
fugia à Oran d'où il passa ensuite en
, étaitun danger pour les Espagnols, parce
Espagne. que cette ville allait devenir le refuge
Dès que Barberousse fut maître du des plus hardis corsaires de la Méditer-
pouvoir, il manda promptement auprès ranée. Us en avaient éprouvé un dom-
de lui son frère, qui se trouvait alors à mage d'une autre sorte lors de la prise
:

l'île de Djerba Se fiant peu aux Algériens


. de Bougie par Pierrede Navarre, Alger,
et aux Arabes qu'il avait amenés de comme beaucoup d'autres villes arabes,
Djidjéli, il appela à Alger des hommes avait fait sa soumission à l'Espagne et
sûrs et dévoués, et s'entoura préférable- lui payait un tribut annuel. Depuis l'oc-
ment de Turcs. Il s'occupa aussitôt des cupation de cette ville par les Turcs le
soins de l'administration, régla les im- payement de ce tribut avait cessé. Fer-
pôts, organisa des armements ; il ajouta dinand venait de mourir en 1516. Le
de nouveaux ouvrages à la Casba (cita- cardinal Ximenès, régent du royaume
delle) et y mit une garnison turque; au comprenant la gravité des événements
dehors, il comprima et soumit les Ara- qui s'étaient accomplis à Alger, organisa
bes, dans un rayon étendu. Chaque jour aussitôt une armée de huit mille hom-
ses troupes sortaient delà ville pour châ- mes, dont il confia le commandement à
tier quelque tribu récalcitrante elles re-
; Diego de Vera. Le but de cette expédition
venaient toujours victorieuses et char- était d'enlever Alger aux Turcs et d'y,

gées de butin, après avoir surpris et rétablir le fils de Salem, qui s'était adressé
dompté ceux qui refusaient de reconnaî- aux Espagnols pour implorer leur appui.
tre le pouvoir nouveau. Enfin, en peu de D'un autre côté, le sultan de Tlemsen,
temps, la sévérité ou la clémence, les effrayé du progrès d'Aroudj, avait égale-
châtiments ou les libéralités, rendirent ment sollicité l'intervention de l'Espa-
Aroudj maître de toute la province d'Al- gne, et avait fourni sur les dispositions
ger. Mais peu rassuré sur l'avenir de ses des Algériens et des Arabes de laMétidja
conquêtes, justement préoccupé des dif- à l'égard de leurs nouveaux maîtres des
ficultés qu'il rencontrerait, soit de la part renseignements qui déterminèrent le
(les indigènes, soit delà part des peuples cardinal Ximenès à faire cet armement.
européens dont il menaçait les établisse- Les forces espagnoles arrivèrent devant
218 L'UNIVERS.
Alger vers la fin du mois de septembre ; rencontre, et lui livra bataille à quatre
elles débarquèrent sans difficulté, et lieues d'Oran. La fortune fut encore fa-
établirent leur camp non loin de la vorable au chef des corsaires turcs; le
ville, vers le quartier appelé actuelle- sultan fugitif'se retira à Fês, où régnaient
ment Hussein-Dey. La mauvaise com- les Béni Merin. Tlemsen ouvrit ses por-
position des troupes de don Diego de tes. Aroudj parut d'abord vouloir agir
Vera et le plan d'attaque vicieux qui fut avec bonne foi. Il fit sortir de prison le
adopté firent échouer cette entreprise. neveu de Bou Hammou, et lui rendit le
Les Espagnols furent mis en fuite; ils pouvoir. Mais peu de jours après, fei-
laissèrent trois mille cadavres sur le gnant d'aller prendre congé de lui pour
terrain, et quatre cents prisonniers tom- retourner à Alger, il pénétra dans son
bèrent au pouvoir d'Aroudj. Les Arabes palais avec une troupe de soldats dé-
de l'extérieur, loin de prêter leur con- voués , le fit étrangler en sa présence avec
cours aux chrétiens, comme on l'avait tous ses enfants, et se proclama sultan
annoncé, contribuèrent à augmenter en- de Tlemsen. Tous les membres de la fa*
core le désordre de la fuite, et prirent mille royale furent noyés dans une vaste
part au pillage du camp. Pour comble pièce d'eau du palais; les habitants con-
de malheur, les débris de l'armée, em- nus par leur attachement pour les Béni
barques à la hâte, essuyèrent une tem- Zian furent égorgés en détail. La popu-
pête furieuse qui fit périr la majeure lation, frappée de terreur, subit le joug
partie de la flotte avant sa rentrée dans qu'elle s'était imposé en invoquant im-
les ports de l'Espagne, prudemment l'intervention d'un chef
aussicruel. Cependant Aroudj, craignant
Prise de Tenès et de Tlemseti. de ne pouvoir se maintenir dans cette
Après la défaite des Espagnols, Bar- ville éloignée de la côte et voulant se
,

berousse divisa ses conquêtes en deux ménager l'appui du Grand-Seigneur, écri-


parties ; celle de l'est fut confiée à Kheir- vit de nouveau à la Porte pour lui faire
ed-Din, qui établit sa résidence à Dellis ; hommage de sa conquête. Il envoya une
il se réserva la partie occidentale, dont garnison de cinq cents hommes à Kala,
Alger fut la capitale. Ces choses réglées, forteresse appartenant aux Béni Rached,
il marcha contre le prince qui régnait à et située à peu près à moitié distance
Tenès, et qui appartenait à la famille des entre Tlemsen et Alger.
Béni Zian ; il n'avait pu se défendre con-
tre les agressions des arabes Mehals qu'a-
Les Espagnols attaquent Aroudj dans
vec le secours des Espagnols d'Oran, dont Tlemsen,
ilavait reconnu la souveraineté. Les Bou Hammou, pendant qu'il était sul- 1

deux armées se rencontrèrent sur les tan de Tlemsen, entretenait un grand


bords du Chélif. Quoique très-inférieure commerce avec Oran. Il fournissait la
en nombre, l'infanterie turque, qui se garnison espagnole de toutes les denrées
servait d'arquebuses, mit en déroute les nécessaires à sa subsistance. Undes
troupes de Tenès, poursuivit sa victoire, premiers actes d'Aroudj, après la prise
et s'empara de la ville sans éprouver de de possession de Tlemsen, avait été de
résistance. Pendant qu'il était à Tenès, défendre, sous les peines les plus sévères,
Aroudj reçut une députation des habi- toutes relations de commerce avec Oran.
tants de Tlemsen, qui réclamèrent son se- Les Espagnols souffraient beaucoup de
cours contre Bou Hammou, leur sultan. cette mesure. Aussi lorsque Bou Ham-
Ce prince, de la branche aînée des Béni mou s'adressa à la cour d'Espagne pour
Zian, après avoir fait alliance avec les Es- obtenir des secours, Charles-Quint, qui
pagnols, avait dépossédé son neveu, qu'il venait de monter sur le trône , ordonna
tenait prisonnier, et avait usurpé la au marquis de Gomarez, gouverneur
couronne. Aroudj saisit avec empresse- d'Oran, de faire une expédition contre
ment cette occasion d'étendre ses con- Tlemsen pour y rétablir le sultan arabe.
quêtes ; il se mit en marche sur Tlemsen. Le général espagnol voulut d'abord
A mesure qu'il approchait les tribus s'emparer de la forteresse de Kala pour
venaient au-devant de lui, pour faire leur être maître des communications entre
soumission. Bou Hammou se porta à sa Alger et Tlemsen, et empêcher l'arrivée
ALGÉRIE, 219

des renforts qui ne manqueraient pas turques se renfermèrent à hâte dans


la
d'être envoyés à Aroudj. Le colonel Mar- la citadelle {le Mechouar), et s'y défen-
tind'Argote fut choisi pour commander dirent pendant vingt-six jours, espérant
l'expédition ; il partit à la tête de deux que le sultan de Fës leur enverrait des
mille soldats européens et d'un nombre
, secours. Après avoir inutilement atten-
considérable d'indigènes , sous la con- du, Aroudj, voyant que les vivres allaient
duite de Bou Hammou. Kala était dé- lui manquer, résolut de s'ouvrir lechemin
fendue par lshak, frère d' Aroudj et par d'Alger. 11 sortit pendant la nuit par une
un renégat corse du nom de Skender. poterne avec le peu de soldats turcs qui
Les Espagnols investirent la place ; les lui restaient, emportant les richesses
Tures tirent plusieurs sorties,dans les- qu'il avait amassées par ses exactions ;
quelles ils tuèrent du monde aux assié- il traversa les lignes espagnoles sans
geants. Mais ceux-ci de leur côté atti- être aperçu, et se mit en marche vers
rèrent la garnison dans une embuscade, l'est. Ce fut plusieurs heures après que

et lui firent éprouver des pertes. Les Es- Martin d'Argote eut connaissance de
pagnols ayant pratiqué une mine ren- cette fuite audacieuse. D'abord accablé
versèrent une partie des remparts, et par cet événement, qui lui faisait perdre
ouvrirent une brèche. Enfin, affaiblis par le fruit le plus important de son entre-
la perte d'un grand nombre des leurs, prise, il reprit bientôt courage, et se
et par la désertion de presque tous les mit à la poursuite de Barberousse. ïl
habitants de Kala , les Turcs rendirent l'atteignit sur les bords de l'Qued-el Ma»
la place à la condition qu'ils sortiraient îeh ( rio Salado), près des ruines d'une
avec armes et bagages pour aller où bon ancienne construction. Pour ralentir
leur semblerait ; cette capitulation fut l'ardeur des soldats espagnols, Aroudj
indignement violée. Au moment où les s'avisa de semer des pièces d'or et d'ar-
TurcsévacuaientRalaune altercation s'é- gent , et ses objets les plus précieux sur
leva entre un Arabe de l'armée chré- le chemin; ce stratagème ne le sauva
tienne et l'un d'eux ; le soldat turc fut pas : Martin d'Argote animait sa troupe
tué par l'indigène. Aussitôt, comme si ce par ses paroles et par son exemple; il
meurtre n'était qu'un signal convenu, joignit les fugitifs. Ceux-ci, harassés de
les Espagnols entourèrent la garnison fatigue, épuisés par la soif, s'arrêtèrent
et la massacrèrent tout entière, à l'excep- au milieu desruines dontilaété question
tion de seize Turcs que le colonel Martin pour vendre chèrement leur vie. Cette
d'Argote prit sous sa sauvegarde. Ishak résistance désespérée ne pouvait durer
et Skender, qui soutinrent la lutte jus- longtemps. Aroudj succomba tous les ,

qu'au dernier instant, en animant leurs siens périrent avec lui. Un butin consi-
compagnons au combat, périrent tous dérable devint la proie des vainqueurs.
deux les armes à la main. Après cette action décisive , Martin d'Ar-
Le commandant espagnol remit la gote retourna à Tlemsen, où il fut ac-
ville à Bou Hammou ; une garnison y cueilli comme un libérateur. Bou Ham-
fut installée pour maintenir son autorité, mou, rétabli sur le trône, consentit à
et l'expédition retourna à Oran. Sans payer à l'Espagne un tribut annuel de
perdre de temps, le marquis de Gomarez 12,000 ducats d'or, de douze chevaux
organisa aussitôt une nouvelle armée et de six faucons en signe de vasselage.
pour marcher sur Tlemsen. Martin d'Ar- La défaite de Barberousse eut lieu l'an
gote fut encore désigné pour la comman- 924del'hégire(1518deJ.C).
der. Il s'embarqua avec ses troupes, et Aroudj était âgé de quarante-quatre
alla débarquer à l'embouchure de la Taf- ans lorsqu'il fut tué. Il mourut sans
na, au sud de Tlemsen. Bou Hammou postérité, après avoir vécu quatorze ans
et les contingents arabes qu'il avait réu- dans les différentes parties de l'Afrique
nis vinrent le rejoindre par terre. L'ar- septentrionale. D'une taille moyenne,
mée alliée sedirigea ensuitesurTlemsen. mais très-robuste, il avait les yeux vifs
A son approche, les habitants, que les et brillants, le nezaquilin, et le teint
cruautés de Barberousse avaient exaspé- très-brun. Quoiqu'il eût perdu un bras
rés, se révoltèrent contre lui et ouvrirent lors de la première attaque qu'il dirigea
les portes aux Espagnols. Les troupes contre Bougie il combattait toujours
,
,

L'UNIVERS.
S20
bravoure. 11 était en fréquentant les marabouts et les hom-
avec la plus grande mes de loi. Il attacha une garde à sa
et libéral envers ses soldats
magnifique personne, et lit occuper les principaux
allait jusqu'à a
mafs d'une sévérité qui forts par des soldats turcs. Puis,
afin de
pressait la
cruauté pour tout ce qui flatter les instincts sanguinaires
de la
il était a la fois cran et
discipline
multitude, il fit massacrer quelques mal-
:

quiconstitual[orga-
aimé". Ce fut Aroudj
de la Régence heureux esclaves chrétiens, pour venger,
nisation gouvernementale Ces ma-
avoir emprunte disait-il, la mort de son frère.
d'Alger, dont il sembla plein succès; les
république militaire des nœuvres eurent un
principe à la roi
chefs de l'oudjac le proclamèrent
le
de Rhodes. Le pouvoir pui-
chevaliers
d'Alger. Mais Kheir-ed-Din,
comprenant
sait sa force dans
Voudjac corps de
(boulouk- qu'abandonné à ses seules forces, il
soldats turcs) dont les chefs
com- ne pourrait résister aux attaques des
bachi), au nombre de soixante, voulut , comme l'avait tait
de gou- Espagnols ,

posaient une sorte de conseil Grand-


loudjac, son frère, se ménager l'appui du
vernement. Les soldats de que
étaient recru- Seigneur ; il n'accepta le pouvoir
appelés aussi janissaires, que
Ils se mariaient
provisoirement et sous la reserve
tés en dehors du pays.
approuverait son élec-
mais leurs le sultan Sélim
avec les femmes indigènes, concilia la
hautes fonc- tion. Cette soumission lui
enfants étaient exclus des con-
donner une bienveillance de la Porte; il fut
tions du gouvernement. Pour Alger, et
a cette cons- firmé dans le poste de pacha d
sorte de sanction religieuse secours pour
idée a un le sultan lui envoya des
titution , Aroudj en attribua 1 le mena-
tenir tête aux Espagnols qui
marabout très-renomme d Alger, biûi les ports
çaient. On publia en outre dans
Abd-er-Raham el-Talebi. Ce personnage ceux qui
« Si vous voulez de l'empire Ottoman que tous
religieux avait dit :
seraient
inébranlable, voudraient se rendre à Alger y
« que votre puissance soit transportés aux frais du Grand-Seigneur,
laissez la mer aux gens du
pays et n ad-
«
grandes et seraient traités dans cette ville avec
mettez jamais vos fils aux
«
lesmêmes avantages que les janissaires
« dignités de l'État. Nous aurons occa-
».

connaître avec de Constantinople.


sion par la suite de faire Les craintes de Kheir-ed-Din ne
tardè-
politique
plus de détail l'organisation ins-
Aroudj posa les bases rent pas à se réaliser. Charles-Quint,
militaire dont a llem-
truit du brillant succès remporte
et
lorsque plus de
et qui subsistait encore résolut de chasser définitivement
France se rendit sen,
trois siècles après la côte d'Afrique. Les pré-
les Turcs de la
maîtresse de la régence d'Alger. ordon-
paratifs d'une expédition furent
vice-roi de
Kheir-cd-Din succède à Jroudj. nés, et Hugo de Moncade,
Sicile, désigné pour la commander.
En apprenant la mort de son frère
et la
Kheir-ed-Din
destruction de son armée ,
Deuxième expédition contre Alger.
tomba dans un profond découragement. Moncade rassembla quatre mille cinq
faible garni-
Resté dans Alger avec une cents hommes de troupes espagnoles,
population inquiète
son, au milieu d'une composées presque entièrement d
an-
et remuante, il crut
que les Espagnols, était forte de
allaient venir ciens soldats. La flotte
secondés par les Arabes, et de quel-
abandonner trente navires, de huit galères
l'attaquer, et il se disposa a Elle mit a
reprendre la mer pour re- ques brigantins de transport.
la ville et à juillet, et se rendit
la voile dans le mois de
commencer sa vie de corsaire, saut a d'abord à Bougie pour prendre
des trou-
choisir un autre point
du littoral cette place
pes que le gouverneur de
comme4ieu de refuge. Quelques compa- reçu ordre de lui donner. De la,
dissuadèrent de ce pro- avait
gnons dévoués le
dVigea sur Mers-el-Kebir ,
alin
elle se
déterminèrent à mettre a profit Gomarez
fet et le
laissaient les Espagnols,
déconcerter avec le marquis de
le répit que lui ara-
Alger. un mouvement combiné des forces
pour consolider sa puissance à sultan deTlem-
gagner bes, sous les ordres du
Dès lors Kheir-ed-Din s'attacha a que Moncade lit
sen. Pendant le séjour
la faveur populaire en faisant parade expédition con-
les chrétiens et à Oran, il entreprit une
d'un grand zèle contre
ALGERIE. 221

tre les Arabes de la plaine de Sirat au ,


Progrès de Kheir-ed-Din.
nord de Mostaganem et leur enleva
,

quelques, troupeaux. Cet acte impoliti- La défaite des Espagnols effaça dans
que et de pur brigandage exerça comme , l'esprit des indigènes le souvenir des
on le verra, une funeste influence sur les échecs récents éprouvés par les Turcs à
événements qui suivirent. Après avoir l'ouest de la Régence. La puissance de
embarqué un nouveau renfort, choisi Kheir-ed-Din était déjà plus étendue que
parmi les soldats qui avaient déjà com- celle qu'avait exercée son frère. Pour
battu les Turcs, la flotte espagnole vint maintenir les tribus, il institua deux
mouiller dans le fond de la baie d'Alger, grands chefs indigènes qui comman-
le 17 août 1518. Le débarquement s'o- daientensonnom. Ahmed Ben el-Kadhi,
péra aussitôt^ Moncade s'empara d'une qui avait appuyé Aroudj dans toutes ses
hauteur qui dominait la ville, et s'y re- expéditions, fut nommé chef de la partie
trancha avec mille cinq cents hommes. orientale du pays; Mohammed Ben Ali
On croit que c'est la colline où a été bâti eut les tribus de l'est sous sa dépen-
depuis le fort de l'Empereur. Un autre dance. On verra plus tard les résultats
corps investit la ville à l'ouest, et les funestes que produisit cette organisation
vaisseaux se rangèrent en bataille devant d'un gouvernement du pays par le pays.
le port. Les affaires de l'extérieur ayant été ré-
Moncade voulait, sans perdre de glées, le pacha s'occupa de la ville même.
temps, commencer l'attaque sur tous Depuis quelque temps, les principaux
les points à la fois mais le commandant
; officiers de l'oudjac lui représentaient
de l'artillerie, Marino de Ribera, chargé que le grand nombre d'esclaves chré-
de la haute direction du siège, s'y opposa, tiens, dont Alger était plein, menaçait
et prétendit qu'il fallait attendre l'arrivée les habitants d'un danger imminent. "On
du sultan de Tlemsen, qui contiendrait pouvait craindre que les Espagnols qui
les Arabes de la Métidja, pendant les opé- étaient encore maîtres du Penon, pro-
rations contre la ville. Cet avis prévalut. fitassent de la première absence des trou-
Six jours s'écoulèrent sans qu'on vît pa- pes turques pour fomenter des complots
raître les auxiliaires si impatiemment dans la ville. Ces réclamations détermi-
attendus. En effet, l'expédition de Mon- nèrent Kheir-ed-Din à faire enchaîner
cade dans plaine de Sirat avait vive-
la tous les esclaves chrétiens et à les enfer-
ment mécontenté les sujets du prince de mer dans des prisons souterraines. Mais
Tenès et de celui de Tlemsen ; ils n'o- bientôt, à la suite de quelques difficultés
béirent que lentement aux ordres de qui s'élevèrent au sujet du rachat de ces
convocation, et la plupart refusèrent de malheureux prisonniers Kheir-ed-Din,
,

prendre les armes pour aller au secours feignant d'avoir découvert un complot
des chrétiens qui les avaient pillés au d'évasion, les fit massacrer. Près de trois
mépris des traités. Le huitième jour mille hommes furent égorgés ; soixante-
d'attente , le 24 août, il s'éleva une vio- quatorze seulement conservèrent la vie.
lente tempête; vingt-six navires de la Cette horrible boucherie rappelle dans
flotte furent jetés à la côte, quatre mille ses détails le lâche assassinat des prison-
hommes furent noyés. Moncade dut quit- niers français de ladeira d'Abd-el-Kader,
ter ses retranchements, abandonnant immolés par les Arabes sur les bords de
tout le matériel de l'artillerie, pour tâ- la Molouïa en 1845. Ce crime, dont la
cher de s'embarquer , et sauver les dé- mémoire de Kheir-ed-Din restera souil-
bris de son armée. A
la vue du désordre lée, excita des transports frénétiques
que cette catastrophe avait jeté dans le parmi ses fanatiques compagnons.
camp espagnol, Kheir-ed-Din fit une sor- A la suite de ces sanglants événe-
tie avec une troupe d'élite des nuées d'A- ; ments , le chef de l'oudjac sembla tout
rabes accoururent pour harceler les chré- à coup pris de découragement, et ma-
tiens et piller les bagages qu'ils aban- nifesta le désir de se rendre à Constan-
donnaient. Un petit nombre seulement tinople pour renouveler son hommage
de soldats espagnols put gagner le port de fidélité. Il convoqua une grande as-
d'Yvica. semblée pour faire part de sa résolu-
tion aux notables de la ville. Soit que
,
,

222 L'UNIVERS.
cette réunion fût un expédient
politique cha d'Alger pour revendiquer l'héritage
habilement préparé, soit que l'expres- de son père. Sa demande fut acueillie
sion des sentiments des habitants qui y par Kheir-ed-Din, qui lui fournit un corps
furent appelés fût entièrement libre et de fantassins turcs et lui facilita les
spontanée, le projet de Kheir-ed-Din fut moyens de lever une armée nombreuse
vivement combattu, et on le supplia de parmi les tribus qu'il avait récemment
ne pas s'éloigner d'Alger. Après avoir fait rentrer dans l'obéissance. Ces for-
résisté d'abord à leurs vœux, le pacha se ces furent dirigées contre Tlemsen. Mu-
rendit, et désigna un de ses officiers ley Abd-Allah, effrayédesmassesinnom-
pour porter au Grand-Seigneur les ri- brables qui marchaient contre lui, évacua
ches présents qu'il lui avait destinés. la ville, et alla demander asile au gou-
Le résultat de cette ambassade fut pour verneur espagnol d'Oran. Messaoud fut
Kheir-ed-Din le renouvellement de l'in- installé; et pour reconnaître l'appui que
vestiture du gouvernement d'Alger par le pacha d'Alger lui avait prêté, il se dé-
la Porte Ottomane. clara son vassal. Mais dès que les troupes
turques eurent quitté Tlemsen, il chan-
Révoltes des indigènes.
gea brusquement de dispositions, et con-
Les princes qui régnaient à Tunis et tracta une alliance avec les Espagnols,
à Tlerasen virent avec inquiétude l'éta- afin de prévenir les tentatives que son
blissement des Turcs se consolider à Al- frère pourrait faire pour remonter sur le
ger. Us n'avaient été maintenus tous deux trône avec leur assistance. Kheir-ed-Din
dans leurs États que par les secours fut indigné en apprenant cet acte de
que leur avaient prêtés les Espagnols. versatilité, et organisa aussitôt une ar-
Cette alliance avec une nation chrétienne mée pour aller tirer vengeance du traî-
avait considérablement affaibli leur au- tre. Pendant qu'il poussait les prépa-
torité sur les tribus de l'intérieur. Il était ratifs de l'expédition avec activité
à craindre pour eux que dès que les Mouley Abd-Allah , celui-là même qu'il
Turcs se présenteraient dans leurs pro- avait dépossédé au profit de Messaoud
vinces les Arabes ne se portassent à s'adressa à lui par l'intermédiaire d'un
leur rencontre, et ne préférassent échap- marabout, et sollicita son amitié. Le pa-
per au joug de princes qui ne vivaient cha qui n'était pas encore en mesure
,

que sous le bon plaisir des chrétiens, d'occuper par ses propres forces une
pour obéir à une puissance musulmane ville aussi éloignée que Tlemsen de sa
dont la victoire augmentait le prestige. capitale, écouta favorablement ces. pro-
Afin de conjurer ces menaçantes éven- positions, et se déclara le protecteur
tualités, les deux sultans de Tunis et de Mouley Abd-Allah. Mais celui-ci était
de Tlemsen se concertèrent pour séduire encore à Oran surveillé par les Espa-
,

et pousser à la révolte les deux chefs gnols, et ne pouvait espérer de s'é-


indigènes qui gouvernaient les tribus chapper que lorsque les Turcs , en s'a-
,

arabes au nom des Turcs. Ces tentati- vançant vers l'ouest, auraient permis
ves eurent d'abord quelques succès dans aux^partisans qu'il avait dans les tri-
l'ouest; mais les troupes turques mar- bus de se réunir. Il conseilla donc à
chèrent sans perdre de temps contre les Kheir-ed-Din de commencer les opéra-
rebelles, et les firent rentrer dans le de- tions par l'attaque de Mostaganem,
voir. Avant de poursuivre le récit des qui appartenait encore aux Béni Zian et
événements il est nécessaire de dire
, de ne se porter sur Tlemsen que lorsqu'il
quelques mots sur la situation du aurait soumis tout le pays qu'il devait
royaume de Tlemsen. laisser derrière lui.
A la mort de Bou Hammou, qui avait Ce de campagne fut adopté.
plan
été rétabli sur le trône de Tlemsen par Une armée considérable, composée de,
les Espagnols, Messaoud, son fils aîné, cavalerie et d'infanterie, fut dirigée sur
avait été frustré du pouvoir par son Mostaganem ,
pendant qu'une flotte de
frère Mouley Abd- Allah, et s'était réfugié vingt-huit bâtiments allait l'attaquer par
dans le Maroc. Les progrès de la domi- mer. La place fut facilement enlevée.
nation turque inspirèrent à Messaoud la Mouley Abd- Allah parvint à sortir d'Oran,
pensée de venir implorer le secours du pa- et rejoignit l'armée turque; la forte-
ALGÉRIE. 223

resse de Kala fut ensuite assiégée et la seconde fois , en quelques années


emportée presque sans résistance une ; qu'Alger devait son salut aux rigueurs
garnison y fut installée, et les Algériens de la saison. Au printemps suivant, Ah-
se mirent en marche sur Tlemsen sous med Ben el Kadhi viola le traité, et re-
la conduite de Mouley Abd- Allah. Ce fut commença les hostilités mais les Turcs
;

à deux journées de cette ville qu'on ren- dissipèrent facilement les rassemble-
contra Messaoud, qui s'avançait à la ments des rebelles.
tête de ses troupes pour arrêter les vain- Le danger était à peine conjuré de
queurs. Le sort des armes lui fut ce côté, que l'attention de Kheir-ed-Din
contraire. Il se retira précipitamment dut se porter vers Tlemsen. Messaoud,
dans sa capitale, et s'y enferma. L'armée qui s'était retiré dans le Sahara, avait
algérienne vint camper devant Tlem- réuni un grand nombre de tribus arabes
sen mais comme elle n'avait pas d'ar-
; et berbères, et, s'étantmis à leur tête, il
tillerie, après vingt jours de courageux vint assiéger Tlemsen. Les Turcs accou-
efforts, aucun résultat n'avait encore rurent au secours de leur allié, et mirent
été obtenu. Par un stratagème habile, en fuite l'armée de Messaoud. Aussitôt
ils attirèrent enfin les défenseurs de après la victoire le sultan de Tlemsen fit
Tlemsen hors des murs, et les batti- savoir à tous les cheikhs des tribus qu'il
rent complètement. Cette victoire ne traiterait avec honneur ceux qui aban-
put cependant les rendre maîtres de la donneraient le parti de son frère, et qu'il
ville. Ce fut trahison des habitants
la affranchirait d'impôts pendant dix ans
qui leur en ouvrit les portes. Mouley celui qui lui livrerait Messaoud vivant.
Abd-Allah récupéra le trône; mais il dut Les promesses, encore plus que les me-
se reconnaître vassal d'Alger, et renonça naces, produisirent le résultat qu'on en
au privilège de battre monnaie et de attendait ; le malheureux prince fugitif
faire dire la prière du vendredi en son fut trahi par un cheikh qu'il avait autre-
nom dans les mosquées. 11 obtint une fois comblé de bienfaits. Comme on le
garde de cent cinquante Turcs , aux- voit, la perfidie du caractère arabe, dont
quels il alloua une solde avantageuse. on aeu plus d'une fois des preuves dans
Pendant que le succès couronnait les l'histoire de l'Algérie moderne, date de
entreprises de Kheir-ed-Din du côté de loin, et ne s'est pas démentie.
Tlemsen, la fortune lui était moins fa- La tranquillité n'avait pas pu encore
vorable dans l'est. Le sultan de Tunis être complètement rétablie dans la pro-
parvint enfin à corrompre Ahmed Ben vince de l'est. Kheir-ed-Din dut encore
el-Kadhi, et l'entraîna dans son parti. envoyer Kara-Hassan, un de ses lieute-
Il envahit aussitôt les possessions algé* nants, avec des troupes pour combattre
riennes. Kheir-ed-Din envoya des troupes Ahmed Ben el-Kadhi. Ce chef rebelle,
pour défendre son territoire. Après vaincu dans toutes les rencontres, fut
quelques combats sans importance, dont poursuivi par les Algériens jusqu'au de-
les vicissitudes furent diverses, les Turcs là de Bône. Kara-Hassan s'empara de
commirent l'imprudence de s'engager Collo, soumit toutes les tribus qui habi-
dans les montagnes des Flissa en ; taient un pays ouvert, et força la ville
traversant un défilé , ils< furent assaillis de Constantine, alors constituée en ré-
par les populations guerrières de ces publique à reconnaître l'autorité du
,

contrées et taillés en pièces. Un petit pacha d'Alger. Mais ces brillants avanta- :

nombre seulement put gagner Alger. ges tournèrent bientôt contre Kheir-ed-,
A la suite de cette catastrophe , tous Din. Ahmed Ben el-Kadhi n'ayant pui
les indigènes embrassèrent la cause du vaincre le chef des troupes turques le'
vainqueur, et lui fournirent des con- corrompit à force d'intrigues. Il lui per-
tingents. Ahmed Ben el-Kadhi poursui- suada de se déclarer indépendant, et lui
vit ses succès, et mit le siège devant promit l'appui des puissantes tribus ka-
Alger. Kheir-ed-Din fit une résistance biles de la chaîne du Djurdjura. Kara-
désespérée, et allait enfin succomber, Hassan rêva pour lui-même un rôle à
lorsqu'à l'approche de l'hiver le froid et jouer dans l'est semblable à celui qui
les pluies abondantes forcèrent Ahmed avait si bien réussi à Barberousse et à
Ben el-Kadhi à conclure la paix. C'était son frère. Il trahit son maître, et s'unit à
,

224 L'UNIVERS.
Ahmed Ben el-Kadhi. Ils ne se contentè- Djidjéli leur envoyèrent des députés
, ils

rent pas d'avoir arraché à Kheir-ed-Din pour presser de venir les délivrer
les
la possession de la moitié de son gou- des exactions d'Ahmed Ben el Kadhi.
vernement ; ils nouèrent une conspira- Les deux armées se rencontrèrent dans
tion dans Alger même pourle renverser le Sebaou, à l'est d'Alger; les premiers
et le tuer. L'intrigue et les complots combats furent à l'avantage des Turcs;
trouvaient toujours de nombreux parti- enfin une action décisive s'engagea dans
sans parmi les habitants de cette ville. une vallée du pays des Flissa-Oumlil les ;

Une insurrection générale fut préparée ; troupes arabes se débandèrent et furent


mais le projet des conjurés fut dé- mises en déroute. Kheir-ed-Dinsut pro-
couvert avant son exécution , et vingt fiter de la victoire; il détacha les prin-
d'entre eux payèrent de leur vie cette cipaux chefs de tribu du parti ennemi, et
tentative pour s'affranchir de la tyrannie les détermina à assassiner Ahmed Ben
de l'oudjac turc. el-Kadhi. 11 entra ensuite à Alger. Ces
événements s'accomplirent en 1527
Kheir-ed-Din quitte Alger.
(933 de l'hégire). A peine rentré en pos-
Après deux ans d'efforts incessants, session de la capitale de ses États, le
Kheir-ed-Din ne put ressaisir toute son pacha dut prendre encore les armes
autorité sur le pays. La situation était pour châtier le sultan de Tlemsen, qui
loin d'être brillante pour lui. Beaucoup avait secoué le joug et avait entraîné
de soldats étaient retournés en Turquie; dans sa révolte le frère d'Ahmed Ben
la plupartde ceux restés à Alger s'étaient el-Kadhi. Deux ans entiers furent con-
mariés, et avaient perdu presque toutes sacrés à apaiser ces troubles , et ce fut
leurs qualités militaires. Ahmed Ben el- seulement à la fin de l'année 1529 que
Kadhi et Kara-Hassan se maintenaient la tranquillité se trouva partout rétablie.
indépendants dans toute la province
Prise du Penon d'Alger.
orientale. A l'ouest, la fidélité du sultan
deTlemsen chancelait, et toutes les tribus Après avoir réglé l'administration
étaient en rébellion. Cet état de choses des vastes provinces qu'il venait de
inspira à Kheir-ed-Din un si profond dé- conquérir, Kheir-ed-Din imprima une ac-
couragement qu'il quitta presque furti- tivité nouvelle à ses entreprises mari-
vement Alger, et se retira à Djidjéli times. 11 défit et tua, dans les eaux des
avec trois bâtiments. A peine arrivé dans îles Baléares, Portundo, général des
cette dernière ville, il retrouva toute son galères d'Espagne; sur huit navires
activité, toute son audace , et aussi tout dont se composait la flotte espagnole
son bonheur, pour entreprendre des il en prit sept. C'est cette époque
à
courses contre les navires européens. En qu'ilforma la résolution de s'emparer
peu de temps ses croisières avaient vi- du fort que les Espagnols avaient cons-
sité les côtes de Tunis, l'île de Djerba, truit sur un îlot vis-à-vis la ville d'Al-
les parages d'Italie et d'Espagne; il avait ger. Cette forteresse surveillait l'entrée
recruté de nombreux auxiliaires , aug- du port, et obligeait les corsaires algé-
menté le nombre de ses bâtiments , dé- riens à aller mouiller vers la plage de
livré une grande quantité de musulmans Babazoun; et à la moindre apparence
qui étaient encore en Espagne. de mauvais temps étaient réduits à
, ils
tirer leurs navires à terre. Kheir-ed-Din
Retour de Kheir-ed-Din à Alger.
chercha d'abord à s'emparer du Penon
A mesure qu'il rétablissait sa renom- par trahison. Il introduisit dans la for-
mée, Kheir-ed-Din désirait de plus en teresse deux jeunes Arabes, qui annon-
plus retourner à Alger. Cette ville était cèrent vouloir embrasser la religion
tombée après son départ au pouvoir chrétienne. Mais les trames de ces deux
d'Ahmed Ben el-Kadhi. Il résolut de espions furent découvertes; ce moyen
l'en chasser. Les habitants donnèrent n'ayant pas réussi, le pacha d'Alger
encore dans cette circonstance une somma le commandant Martin de Var-
nouvelle preuve de la déplorable incons- gas de lui livrer le fort, lui offrant une
tance de leur caractère; dès qu'ils appri- capitulation honorable. Quoiqu'il man-
rent que les Turcs étaient partis de quât de vivres et de munitions, et qu'il
ALGERIE. 225

de prolonger une défense


lui fût difficile ses galères, afin de les obliger de se
vigoureuse , le commandant espagnol retourner pour combattre; mais ces
repoussa avec indignation les ouvertures malheureux se laissèrent tuer presque
qui lui avaient été faites. Rheir-ed-Din sans se défendre , et l'amiral s'empressa
se décida alors à enlever le Penon de vive de recueillir ceux qui restaient; plus
force. Il fit construire une batterie vis- de quatorze cents hommes périrent dans
à-vis du fort, l'arma de quelques canons cette journée, et six cents furent réduits
de siège qu'il avait et de ceux qu'il prit en esclavage.
à un bâtiment français mouillé dans la Kheir-ed-Din partit aussitôt d'Alger
rade. L'attaque fut commencée le 6 pour se mettre à la poursuite d'André
mai 1530; elle se prolongea pendant Doria. Il ne put le rejoindre; mais il
quinze jours. Lorsque tous les remparts porta la dévastation sur toutes les côtes
furent démantelés et que la brèche fut de Provence et d'Italie. Il rentra enfin
ouverte, il transporta des troupes sur à Alger chargé de dépouilles. Il entre-
le rocher et livra l'assaut. Martin de prit ensuite une croisière sur les côtes
Vargas avait déjà perdu la plus grande d'Espagne, et se rapprocha du littoral
partie de sa faible garnison, le reste était de l'Andalousie , d'où les chroniqueurs
harassé de fatigue et mourait de faim; arabes prétendent qu'il emmena suc-
il était lui-même grièvement blessé. cessivement plus de soixante mille mu-
Malgré des prodiges de valeur, il fut sulmans qui avaient accepté les lois de
pris vivant et conduit au pacha, qui l'Espagne.
le traita d'abord avec distinction et
Kheir-ed-Din est appelé à Constan-
finit par le faire mettre à mort parce
tinople.
qu'il refusa d'apostasier. Le fort fut
entièrement démoli, et les matériaux La renommée de l'audacieux et heu-
servirent à faire la chaussée qui joint reux pacha d'Alger était arrivée à son
maintenant l'îlot à la terre ferme , et apogée. Soliman, sultan de Constantin
qui protège le port du côté du nord. La nople, venait d'essuyer plusieurs défaites
prise et la destruction du Penon assurè- sur mer, à la suite desquelles il avait
rent l'indépendance du port d'Alger, qui perdu quelques villes de la Grèce. II
servait d'asile à de nombreux corsaires jeta les yeux sur Kheir-ed-Din pour l'op-
algériens et à tous les pirates , de quel- poser à l'amiral génois. Il lui envoya
que nation qu'ils fussent. Les Turcs à cet effet un de ses principaux officiers,
devinrent redoutables sur toutes les cô- avec ordre de se rendre aussitôt à Cons-
tes du bassin occidental de la Médi- tantinople. L'Algérie était alors entiè-
terranée. rement Avant de s'embarquer,
pacifiée.
Kheir-ed-Din du commande-
investit
André Doria attaque Cherche!. ment Hassan-Agha, renégat sarde, un
L'année d'après en 1531
, André , de ses plus habiles lieutenants. Il partit au
Doria, alors au service de Charles- mois d'août 1533 ( 939 de l'hégire ) avec
Quint parcourante les côtes d'Afrique
, une flotte de quarante-quatre navires.
pour donner la chasse aux corsaires Après avoir parcouru les parages de
apprit qu'une partie de la flotte de Kheir- Sardaigne, de Sicile, des îles de la
ed-Din était à Cherche); il vint l'y atta- Grèce, fuyant plutôt André Doria
quer, et l'incendia. Il débarqua des trou- qu'il ne le recherchait, et exerçant les
pes qui pénétrèrent facilement dans la ravages que l'occasion lui renditïaciles,
ville etdélivrèrent huit cents esclaves il arriva enfin à Constantinople, Le
chrétiens; mais ses soldats se débandè- sultan accueillit très-bien Kheir-ed-Din,
rent bientôt, et se répandirent dans les et accepta le riche présent qu'il avait
maisons abandonnées pour s'y livrer au apporté d'Alger. Ce présent se composait
pillage. Alors les habitants de Cherchel, d'esclaves des deux sexes, d'étoffes de
unis aux Turcs réfugiés dans la Casbah, soie, de draps d'or, d'objets précieux,
fondirent sur eux et en tuèrent quatre de lions et d'autres animaux d'Afrique.
cents en ~un instant. Doria voyant que Après quelques vicissitudes suscitées
les autres fuyaient vers la mer pour par des intrigues de cour, le pacha
se rembarquer, s'éloigna d'abord avec d'Alger fut élevé à la dignité de Capitan-
15 e Livraison. (Algérie.) 15
226 L'UNIVERS.
Pacha, c'est-à-dire grand amiral de la Expédition de Charles- Quint contre
flotte ottomane. Il n'entre pas dans Tunis.
notre plan de suivre Kheir-ed-Din dans
tous les incidents de sa carrière comme El-Hassan, après son expulsion de
Capitan-Pacha. Nous devons nous con- Tunis, erra quelque temps parmi les
tenter de dire qu'il Jutta avec constance Arabes, s'efforçant
6
de les soulever contre
et souvent avec bonheur contre André la domination turque. Ses tentatives
Doria et que sa réputation ne lit que
, n'obtinrent aucun succès. Alors un re-
s'accroître sur un théâtre plus étendu. négat de sa suite lui conseilla de s'adres-
Hâtons-nous de revenir aux faits qui ser à Charles-Quint. Ce monarque, sup-
intéressent le nord de l'Afrique et plus plié par le pape de mettre un terme aux
particulièrement la Régence d'Alger. déprédations qu'exerçaient les corsaires
sur toutes les côtes de la Méditerranée,
Prise de Tunis. irrité d'ailleurs de l'établissement des
Le premier point de la côte d'Afrique Turcs à Tunis, accueillit favorablement
que la flotte de Kheir-ed-Din aborda fut la demande du prince dépossédé, et pré-
Bizerte. Soit qu'il eût reçu des instruc- para un armement formidable. L'Italie,
tions du Grand -Seigneur, soit qu'il le Portugal et l'ordre de Malte unirent
voulût agrandir son royaume d'Alger, leurs forces à celles de l'Espagne. La
il résolut de s'emparer de Tunis. En France, qui se trouvait liée par un traité
conséquence il fit courir le bruit qu'il avec Soliman, refusa de prendre part à
venait rétablir sur le trône Rachid , qui l'expédition. On dit même que Fran-
er
avait été dépossédé par son frère le sultan çois I envoya un agent secret à Tunis
hafside El-Hassan alors régnant. Les Tu- pour informer les Turcs que les prépara-
nisiens , impatients de secouer le joug du tifs faitspar l'Espagne avec mystère se-
prince usurpateur, lechassèrent Couvri- raient dirigés contre eux. A cette nou-
rent leurs portes aux Turcs. Lorsqu'il velle, Kheir-ed-Din lit venir d'Alger un
se fut emparé des forts , Kheir-ed-Din corps d'élite de soldats turcs; il convoqua
jeta le masque, et déclara qu'il prenait à Tunis tous les corsaires de la Méditer-
possession de la ville au nom du sultan ranée, appela les Arabes des tribus à la
Soliman. Les Tunisiens, indignés, se sou- guerre sainte, et sollicita des secours de
levèrent; mais la force acheva ce que la la Porte Ottomane. Mais Soliman, dont
perfidie avait commencé. Ces événements les forces étaient alors occupées en Asie,
eurent lieu au mois d'août de l'année lui répondit qu'il eût à se défendre avec
1534 (940 de l'hégire). ses propres ressources. Le fort de la
Kheir-ed-Din déploya dans le gouverne- Goulette, bâti à l'entrée du canal unis-
ment de Tunis la même habileté dont il sant à la mer le lac au bord duquel est
avait fait preuve à Alger. Les tribus ara- située Tunis, fut armé avec soin et le
bes tenaient encore pour El-Hassan. commandement en fut confié à Sinan-
Elles furent attirées dans le parti du Reïs, corsaire célèbre.
vainqueur, qui sut flatter leur avidité et Charles-Quint, ayant rallié toutes ses
leur avarice. Les Dreïdet lesNememcha forces en Sardaigne, fit voile pour Tunis.
furent les premiers séduits par ses pro- La flotte, composée de quatre cents bâti-
messes ; les autres tribus imitèrent leur ments et portant vingt-cinq mille cinq
exemple, et reçurent de grandes larges- cents hommes de troupes, parut près de
ses. Il s'empara'deKairouan et des autres Carthage, à Porto-Farino, dans la pre-
villes de la province, et régla partout la mière quinzaine de juillet de l'année 1535.
perception de l'impôt. Eshn il fit ouvrir Le débarquement s'opéra sans peine, etle
par les vingt mille esclaves chrétiens que quartier général fut établi sur le lieu
renfermait alors Tunis le canal de la même où avait campé «aint Louis. L'ar-
Goulette, et créa un port où sa flotte fut mée espagnole mit aussitôt le siège de-
parfaitement abritée. vant la Goulette. Ses premières opéra-
tions furent marquées par des combats
très-vifs , soutenus contre les Turcs et
contre les nuées d'Arabes qui avaient ré-
pondu à Tappel de Kheir-ed-Din. Le feu
ALGÉRIE. 1%
fut ouvert îe 14 juillet, et les Espagnols toutes les dépendances de Tunis ; exclu-
emportèrent le fort après une résistance sion de tous les corsaires de ses ports;
opiniâtre. Sinan se replia avec ses troupes enfin, pour tous les chrétiens, liberté
sur Tunis, en suivant à travers les basses de commerce droit de bâtir des églises
,

du lac un chemin dangereux et difficile et des monastères. El-Hassan dut payer


qui avait été tracé d'avance avec des de plus un tribut annuel de douze mille
pieux. Quarante-deux galères mouillées pièces d'or et faire hommage de douze
dans le canal tombèrent au pouvoir des chevaux et douze faucons.
chrétiens. Quelque glorieusequ'ait été pourl'em-
Après ce succès , un grand nombre pereur cette expédition, on ne peut
des chefs de l'armée furent d'avis de ne s'empêcher de remarquer que le résultat
pas pousser la campagne plus loin et de ne répondit pas à la grandeur des moyens
retourner en Europe. Charles-Quint parut mis en œuvre pour l'obtenir. Dans tou-
hésiter pendant quelques jours; il se tes leurs entreprises en Afrique, on voit
laissa enfin persuader par les personnes continuellement les Espagnols traîner à
qui voulaient qu'on continuât la guerre. la suite de leurs armées un prétendant
Le 25 juillet mit en marche sur
on se indigène , et se contenter presque pour
Tunis. Kheir-ed-Din se porta à la rencon- unique fruit de la victoire d'opérer une
tre de l'empereur avec huit mille Turcs et restauration au profit de leur protégé.
une grande quantité d'Arabes. Ceux-ci au A Alger, à Tlemsen, à Tunis leur con-
premier choc se débandèrent et laissèrent duite fut identique ; et lorsqu'ils surent
les Turcs aux prises avec l'armée chré- mener leurs projets à bonne fin, les avan-
tienne. Sur ces entrefaites, les esclaves tages qu'ils espéraient leur échappèrent
européens qui étaient enfermés, au nom- toujours. Le véritable but de cette der-
bre de vingt-cinq mille, dans la citadelle nière expédition était la destruction de
de Tunis se révoltèrent, brisèrent leurs la puissance de Kheir-ed-Din, si redouta-
fers et vinrent attaquer les troupes de ble à tous les navigateurs européens : or
Kheir-ed-Din. Celui-ci, voyanttout perdu, cette proie avait échappé par la fuite.
sortit de la ville avec ses Turcs et se mit André Doria fut envoyé à sa poursuite ;
en retraite vers Bône, où il avait eu la mais arrivé à Bône il trouva que Kheir-
sage précaution d'envoyer en réserve ed-Din en était déjà parti et s'était dirigé
douze galères avant l'arrivée de Char- sur Alger. Les Génois laissèrent à Bône
les-Quint. Immédiatement après la fuite une garnison qui fit de brillantes expé-
des Turcs, les notables vinrent présenter ditions contre les Arabes et contre les
à l'empereur les clefs de la ville en le Turcs de Constantine; ils pacifièrent le
suppliant de les traiter avec humanité. pays jusqu'à Medjez Ahmar. Mais cet
L'événement ne répondit pas aux pro- établissement n'eut pas de durée. D'un
messes qu'on leur fit. Tunis fut livré autre côté, pendant que l'Europe entière
au pillage pendant trois jours. Plus de répétait les louanges de Charles-Quint
soixante-dix mille indigènes, femmes, pour avoir détruit les corsaires, on ap-
enfants, vieillards périrent dans ce sac prit tout à coup que la flotte de Kheir-
horrible. Lorsque les chrétiens n'eurent ed-Din s'était portée sur Mahon, que la
plus de musulmans à tuer, ils s'égorgè- villeavait capitulé, et que l'audacieux
rent entre eux pour s'arracher récipro- Pacha avait enlevé plus de huit cents
quement leurs parts de butin; ils démoli- chrétiens. Appelé une seconde fois à
rent les maisons pour y chercher des Constantinople, Kheir-ed-Din laissa le
trésors. Ce ne fut qu'avec beaucoup de gouvernement d'Alger à Hassan-Agha,
peine qu'on put réorganiser cette armée renégat corse , que son habileté et des
abandonnée à tous les excès. qualités énergiques recommandaient à
El-Hassan fut remis en possession son choix. 11 ne devait plus revenir dans
de Tunis , à la charge de reconnaître la la capitale de ce royaume, qu'il avait
souveraineté de l'Espagne. Les condi- fondé. Il mourut quelques années après
tions suivantes furent en outre stipulées (1548, 955 de l'hégire), après avoir com-
par Charles-Quint : Occupation perma- mandé avec éclat la flotte ottomane dans
nente de la Goulette par une garnison l'Archipel grec et dans l'Adriatique.
espagnole ; abolition de l'esclavage dans

15.
, ,

228 L'UNIVERS.
ter la ville, leur distribua des armes*
Expédition de Charles-Quint contre
Alger. et assigna à chacun son poste sur les
remparts ; il avait aussi convoqué tous
. Kbeir-ed-Din était parti pour le Levant les guerriers des tribus environnantes.
depuis peu de temps lorsqu'eut lieu la Le premier jour du débarquement l'in-
plus célèbre des expéditions de Charles- fanterie seule fut mise à terre ; elle sou-
Quint contre Alger, celle de 1541 ( 948 tint quelques escarmouches contre les
de l'hégire). Depuis la prise de Tunis Arabes et contre des Turcs sortis d'Alger.
l'audace des corsaires turcs, loin d'être L'empereur savait que la ville n'était
réprimée, avait pris au contraire une ac- défendue que par un très-petit nombre
tivité plus grande. Plusieurs tentatives de soldats de l'oudjac; il espéra qu'une
faites par l'Espagne contre Souça, con- sommation suffirait pour la faire capi-
tre Menestir, enfin contre Kairouan tuler. Mais Hassan-Agha reçut le parle-
dans le royaume de Tunis, poury établir mentaire avec égards, et lui répondit en
solidement son influence, n'avaient pas termes énergiques.
réussi. Le commerce de la Méditerranée Dès le lendemain , 25 , l'armée tout
était interrompu; Gibraltar avait été entière s'ébranla,' pour se rapprocher
surpris et pillé en 1540. Les réclama- d'Alger. On ne fit qu'un millier de pas
tions universelles de l'Europe s'élevaient environ, et on s'établit à El-Hamma
contre les brigandages de ces corsaires. après avoir repoussé quelques attaques
Charles-Quint, ému de tant de plaintes peu importantes des Arabes. Pendant
résolut de frapper un coup décisif et de toute la nuit le camp fut harcelé; l'en-
s'emparer du repaire même des pirates, nemi donna même une alerte très-vive,
d'Alger, leur capitale. mais sans résultat pour lui. Le 25 la ville
On était à une époque déjà avancée fut investie; Charles-Quint établit son
de l'année 1541. La saison n'était plus quartier général au marabout de Sidi-
favorable pour une pareille entreprise. Iakoub, sur l'emplacement où s'élève
Le pape et André Doria firent en vain aujourd'hui le fort l'Empereur. Tout
des représentations à Charles-Quint pour s'annonçait sous les meilleurs auspices;
le déterminer à renvoyer l'exécution de les troupes étaient dans des positions
son projet jusqu'au printemps suivant; avantageuses ; la flotte bloquait le port ;
l'empereur ne voulut rien entendre, il la ville était dans la consternation. Mais
fit seulement activer les préparatifs, et dans l'après-midi du même jour le ciel
fixa les îles Baléares comme point de se chargea de nuages et le mauvais temps
concentration des forces qui devaient commença; il interrompit le débarque-
agir contre Alger. La flotte se composait ment des subsistances et du matériel.
de cinq cent seize voiles, dont soixante- Les soldats n'avaient pris que deux jours
cinq galères et quatre cent cinquante et de vivres et ces deux jours étaient écou-
un bâtiments de transport ; elle portait lés. Les tentes n'avaient pas encore été
vingt-cinq mille hommes de troupes de débarquées, et la pluie tombait par tor-
débarquement. Le 19 octobre les Espa- rents. La nuit fut affreuse sur terre et
gnols arrivèrent devant Alger. Après sur mer. La
flotte, qui n'avait pas eu le
avoir manœuvré pendant quelques jours temps de chercher un refuge, eut beau-
du cap Caxine au cap Matifou, contrariée coup à souffrir, et un grand nombre de
par les vents et la mer, la flotte impériale navires périrent. Au point du jour une
se rapprocha de la côte , et le débarque- troupe turque sortit de la ville, et se jeta
ment eut lieu le 23 octobre, entre l'em- à l'impro viste sur trois bataillons italiens
bouchure de l'Arach et la ville, sur la qui formaient l'avant-garde du camp, et
plage du Hamma. enfonça les premiers postes. Un de leurs
Hassan- Agha, ayant appris de bonne principaux officiers, Augustin Spinola,
heure les préparatifs de Charles-Quint, accourut avec des forces nouvelles, ré-
avait adopté les dispositions les plus tablit le combat, et poursuivit les Turcs
vigoureuses pour la défense de la ville. jusqu'à l'entrée de la ville. Une seconde
Il avait réparé les fortifications de terre sortie tentée par Hassan Agha ne fut pas
et de mer ; il prescrivit des peines sévè- plus heureuse; les chevaliers de Malte,
res pour interdire aux habitants de quit- et principalement ceux de la langue de
ALGÉRIE. 229

France, recueillirent l'honneur de ce au matin. Elle tira aussitôt des vivres


combat. Arrivés pêle-mêle avec les Turcs de la flotte.
qu'ils chassaient devant eux ils furent , Après une journée consacrée au re-
sur le point de pénétrer dans la ville. pos, l'embarquement commença et se ter-
L'un d'eux, Ponce de Balagner, dit Sa- mina le 1 er novembre ce jour même on
;

vignac, planta son poignard dans la mit à la voile. Mais les malheurs de
porte de Babazoun, que l'ennemi venait cette expédition n'étaient pas arrivés à
de fermer précipitamment. Les Aile* leur terme. Le vent, qui s'était un peu
mands furent aussi attaqués, et plièrent apaisé, souffla de nouveau avec violence :
un instant l'empereur mit l'épée à la
;
un vaisseau périt en doublant le cap et
main, et, piquant des deux, il ramena lui- deux autres furent jetés à la côte. Has-
même lessoldats jusqu'aux lignes de san-Agha envoya à leur secours, et traita
l'ennemi , tourner le dos.
et le força à avec humanité les hommes qui purent
La pluie n'avait pas cessé de tomber, et être sauvés. La flotte relâcha à Bougie,
avait privé les chrétiens de l'usage de où les Kabiles lui apportèrent des vivres
leurs mousquets. La terre était tellement frais. Les Espagnols avaient contracté
détrempée, qu'ils enfonçaient jusqu'à alliance depuis quelque temps avec les
mi-jambe dans la boue accablés de fa-
;
tribus du Djurdjura, et le mauvais temps
tigue , glacés par l'eau qui pénétrait seul avait empêché les Kabiles de venir
leurs habits , souffrant déjà de la faim, se joindre à l'armée chrétienne ainsi
ils pouvaient à peine soulever et manier qu'ils l'avaient promis. L'empereur ne
leurs armes. put gagner le port de Carthagène qu'à
Le vent, qui avait commencé à souf- la fin du mois de novembre. Aucun his-
fler avec une grande force dès le milieu torien ne précise les pertes que fit l'ar-
de la nuit du 25 au 26, devint furieux mée impériale; mais on peut les évaluer
avec le jour. Cent quarante navires fu- sans exagération à la moitié des forces
rent jetés à la côte et leurs équipages qui étaient parties d'Europe. Les bords
furent massacrés par les Arabes, qui gar- de la mer, depuis Dellis, à l'est d'Alger,
nissaient le rivage jusqu'au cap Matifou. jusqu'à Cnerchel, à l'ouest, dans un es-
Vers le soir, le vent s'étant un peu calmé, pace de plus de vingt lieues, étaient
Doria rallia les débris de la flotte, et put jonchés de cadavres d'hommes, et de
s'abriter dans une baie,derrière Matifou. chevaux et de débris de toute espèce.
L'armée était dans un état de démorali- Telle fut l'issue désastreuse de cette
sation extrême on fut obligé de tuer
; entreprise, dont les préparatifs formi-
les chevaux qu'on avait débarqués pour dables avaient éveillé l'attention et l'in-
la nourrir. Charles-Quint comprit que térêt de tous les peuples chrétiens.
son entreprise avait échoué, et qu'il n'y Pendant trois siècles l'Europe a payé les
avait plus d'autre salut pour ce qui res- malheurs éprouvés par Charles-Quint
tait de son armée que d'aller s'embar- devant Alger. L'État fondé par les Turcs,
quer à Matifou, où étaient réunis les na- qui échappait à peine aux vicissitudes
vires échappés à la tempête. La retraite des luttes contre les tribus arabes , et
commença avec ordre le 28 on ne laissa
; que le départ de son fondateur pour
pas un blessé. L'armée arriva, toujours Constantinople avait laissé presque sans
poursuivie par la cavalerie turque et par forces, vit sa puissance s'accroître, et
des nuées d'Arabes sur les bords de l'A-
, l'audace de ses corsaires ne connut plus
rach. On s'y arrêta pour construire un de bornes dans la Méditerranée.
pont avec les débris des mâts, des ver- L'influence qu'exerça sur les popula-
gues et des bois appartenant aux navires tions indigènes l'immense échec essuyé
naufragés et dont la plage était couverte. par les chrétiens fut considérable. Has-
La nuit fut employée à ce travail. Le san- Agha sut l'utiliser pour étendre et
jour suivant on rencontra, à l'extrémité consolider la dominationturque. Il porta
de la Métidja, l'Oued-el-Rhemis, qui ne ses efforts principalement vers l'est,
put être franchi qu'avec les plus grandes s'empara de Biskra et de tout le Zab. De
difficultés. Enfin après bien des fati-
, ce côté il n'avait pas à lutter contre les Es-
gues et de cruelles privations, l'armée pagnols, qui, quoique maîtres de Bougie,
atteignit le cap Matifou le 30 octobre n'exerçaient aucune action sur le pays.
230 L'UNIVERS.
Dans l'ouest, la position n'était plus la rangement avec le chef arabe. Mais pen*
même. Les gouverneurs d'Oran entrete- dant qu'on négociait les Espagnols fu-
naient des relations journalières avec les rent attaqués à l'improviste, et, après
tribus de la province de ïlemsen ; et les une résistance des plus valeureuses , ils
sultans qui régnaient dans cette ville périrent tous à l'exception de vingt-
pouvaient invoquer l'appui des chrétiens deux, qui purent gagner Oran. Alphonse
pour résister à une conquête. Mais les Martinez et treize autres furent faits pri-
traditions de la politique de Kheir-ed-Dia sonniers. Martin d'Argote, dit-on, faisait
ne furent pas abandonnées. Hassan-Agha partie de cette malheureuse expédition ,
sut habilement semer la discorde parmi et perdit la vie dans le combat.
les membres de la famile des Beni-
Zian, et l'occasion ne tarda pas à se pré- Prise de Tlemsen,
senter pour intervenir dans les affaires L'affront que venaient d'essuyer les
du royaume de Tlemsen. En effet, à la armes espagnoles ne pouvait pas rester
mort de Mouley Abd-Allah, qui avait été sans vengeance. Charles-Quint envoya
rétabli sur le trône par Kheir-ed-Din, Ah- de nouvelles troupes à Oran; le comte
med, son fils cadet, soutenu dans ses d'AIcaudette en prit lui-même le com-
prétentions par Hassan-Agha, s'empara mandement, et partit le 27 janvier 1544
du pouvoir au détriment de son frère avec une armée composée de neuf mille
aîné. Celui-ci s'adressa au gouverneur fantassins et quatre cents cavaliers. Les
d'Oran, et réclama sa protection en pro- Espagnols rencontrèrent l'ennemi àquel-
mettant qu'il reconnaîtrait la suzeraineté ques lieues de Tlemsen ; mais les atta-
de l'Espagne aux mêmes conditions que ques des Arabes ne furent pas assez
le sultan Abou Hammou, qui avait été se- sérieuses pour déterminer le comte d'AI-
couru précédemment par le colonel Mar- caudette à s'arrêter pour les combattre.
tin d'Argote. Le mauvais succès cons- Après avoir facilement emporté une re-
tant de toutes les tentatives d'interven- doute qui contenait les magasins de l'ar-
tion en faveur des princes indigènes mée de Tlemsen, il arriva devant cette
n'avait pas découragé Charles-Quint. Le ville. Ahmed l'avait abandonnée. Les ha-
souvenir du désastre encore récent de bitants ouvrirent les portes ; mais cette
1541 ne l'arrêta pas davantage. En soumission ne les sauva pas du pillage.
1543 il ordonna à don Martin de Cor- Les Espagnols y restèrent quarantejours.
doue, comte d'AIcaudette, gouverneur Ils firent plusieurs expéditions contre les
d'Oran, de faire une expédition contre Arabes des environs, et leur enlevèrent
Tlemsen pour faire triompher les droits beaucoup de bétail. Ces actes impoli-
du prince légitime. tiques changèrent vite les dispositions à
leur égard; toutes les tribus se soule-
Défaite d'Alphonse Martinez. vèrent contre eux. Quelques étendards
Alphonse Martinez fut mis à la tête étant tombés entre les mains des Arabes
d'un millier de soldats, et sortit d'Oran. on les promena dans tout le pays, pour
Il se rendit d'abord dans la plaine du Sig, exciter le fanatisme contre les chrétiens.
où devait être rejoint par les Arabes
il Le comte d'AIcaudette, qui semblait ne
du partidu prétendant. Quatre cents vouloir séjourner à Tlemsen que pour
cavaliers se rallièrent seuls aux Espa- enleverdubutin, voyant la situation s'ag-
gnols. Les officiers ouvrirent l'avis de graver, partit pour Oran. Le frère d'Ah-
retourner à Oran; mais un faux point med fut installé sur le trône, et se re-
d'honneur empêcha Alphonse Martinez connut vassal de l'Espagne; mais dès
de rétrograder. Il se porta d'abord sur que les Espagnols furent en route, les
l'Oued Senan, puis sur Tisser, à six Arabes et les Berbères, qui s'étaient dé-
lieues de Tlemsen, près des ruines d'une clarés pour le protégé d'Hassan-Agha,
ville. II rencontra dans cette position vinrent assaillir l'armée chrétienne. Le
les troupes de Mouley Ahmed. Trop combat dura pendant toute la journée,
inférieur en nombre pour résister à sans ralentir la marche. Le général fit
une armée considérable, il se retrancha un si bon emploi de son artillerie, que
dans les ruines qui se trouvaient sur l'ennemi se découragea et renonça à la
son chemin et chercha à entrer en ar-
, poursuite. Après la rentrée des Espa-
ALGÉRIE. 231

gnols à Oran, Mouley Ahmed se présen- Après ce coup de main le comte d'Al-
,

ta devant Tiemsen avec quelques trou- caudette se porta sur Akbal, à six lieues
pes ; son frère sortit pour le combattre d'Oran, au sud du grand lac salé, tant
et le mit en déroute. Mais lorsqu'il vou- pour rallier les forces des Arabes qui
lut rentrer dans la ville les habitants lui appuyaient les prétentions de Mouley
crièrent qu'ils ne voulaient pas d'un roi Ahmed, que pour donner le tempsd'arri-
qui avait livré leur pays aux chrétiens ver à des troupes qu'il attendait encore
et avait partagé leurs dépouilles avec d'Espagne. Plusieurs tribus et un grand
eux. Ce malheureux prince se retira chez nombre de cavaliers se réunirent à l'ar-
les Angad , tribu berbère, qui le mas- mée chrétienne. On peut s'étonner à
sacrèrent. Ahmed rentra en possession bon droit de la versatilité du caractère
du pouvoir souverain. Lorsqu'il avait des Arabes qui en moins de deux ans
,

été obligé de fuir devant le comte d'Al- avaient si complètement changé de dis-
caudette , il avait appelé le pacha d'Al- positions. Quelques temps auparavant,
ger à son secours ; mais celui-ci arriva un détachement de trois cents Turcs
quand tout était terminé. Sur ces entre- qui allaient renforcer la garnison de
faites Hassan-Agha mourut à Alger les ;
Tiemsen, avait été attaqué et massacré
soldats de l'oudjac lui donnèrent un parles Béni Amer.Les tribus craignaient
successeur mais peu de temps après le
;
des représailles; elles redoutaient la bra-
fils deRheir-ed-Din, Hassan-Pacha, qui voure et la cruauté des Turcs, et espé-
avait reçu l'investiture de la Porte, ar- raient que les Espagnols seraient assez
riva avec douze galères chargées d'infan- puissants pour les délivrer d'un joug
terie, et se fit facilement reconnaître. odieux. Cependant le comte d'Alcaudette,
ne voyant pas venir les troupes attendues,
Hassan, fils de Kheir-ed-Din. traversa à petites journées la plaine de
Mlata, en faisant de longs et fréquents
Le nouveau pacha avait à peine pris séjours, qui étaient utilisés par Ahmed
possession du pouvoir, que son atten- pour augmenter le nombre de ses parti-
tion fut attirée vers l'ouest. Le sultan de sans parmi les indigènes. Enfin il apprit
Tiemsen , oubliant qu'il devait son élé- que les bâtiments qui lui amenaient du
vation à l'appui des Turcs, s'était brouil- renfort étaient arrêtés par les vents con-
léaveceux. Hassan-Pacha résolut d'aller traires au cap Figalo. Il n'était alors qu'à
châtier ce prince ingrat , et de faire re- quelques lieues de ce point ; il s'y rendit
connaître à sa place un de ses frères. avec la moitié de ses troupes, et fit débar-
Cette expédition réussit complètement, quer mille hommes qu'il amena à son
et Mouley Ahmed se vit dans la néces- camp.
sité d'implorer la protection des Espa- L'armée espagnole se porta alors
gnols, dont il avait été l'ennemi acharné. sur la rivière d'Es-Senan, auprès d'Aïn-
L'empereur, sans s'arrêter à ces fluctua- Temouchent; mais là, son général ayant
tions, accorda les secours qui lui étaient appris qu'Hassan-Pacha marchait au
demandés ; car il voulait avant tout em- secours de Tiemsen ordonna un mou-
,

pêcher les Turcs de s'établir à Tiem- vement rétrograde afin d'aller à la ren-
sen. contre des Turcs pour les combattre.
En 1548 le comte d'Alcaudette, qui Les deux armées se joignirent non loin
avait conduit quatre ans auparavant avec d'Akbal; mais comme on se disposait à
tant d'habileté et de bonheur la première en venir aux mains, un envoyé du roi
expédition contre Mouley Ahmed, fut de France apporta à Hassan Pacha la nou-
chargé d'aller le réintégrer dans son au- velle que son père était mort à Constan-
torité. Deux mille hommes de renfort tinople. Cet événement faisant craindre
lui étant arrivés d'Espagne, il com- au chef de l'oudjac que son absence
mença la campagne par une attaque su- d'Alger ne compromît son autorité, il
bite contre la tribu de Rheristel, située se hâta de conclure un traité avec le
entre Oran et Arzeu , qui avait re- gouverneur d'Oran, et consentit à retirer
çu des armes des Espagnols pour se dé- la garnison turque qui occupait la ci-
fendre contre les Turcs, et qui entrete- tadelle de Tiemsen et à remettre la
nait des intelligences avec ces derniers. ville à Mouley Ahmed. Le sultan dépos-
,

232 L'UNIVERS,
sédé se retira à la cour de Fës pour at- ments avec les gouverneurs espagnols
tendre une occasion de tenter une nou- d'Oran.
velle entreprise. Malgré sa prudence, ce prince ne
Tout étant fini du côté de Tlemsen ,
put assurer le trône à ses descendants.
le comte d'Alcaudette voulut profiter A sa mort, son frère Hassan lui succéda.
des troupes dont il disposait pour enle- Mais en 1550 les habitants de Tlem-
ver Mostaganem, où les Turcs avaient sen incapables d'obéir longtemps au
,

mis une garnison depuis quelque temps. même sultan, voulurent se révolter con-
Il arriva devant Mazagran le 21 août ; tre Mouley Hassan et rappeler le frère
le même jour il commença le siège de de Mouley Ahmed, installé trois ans
Mostaganem. La ville n'était défendue auparavant parle fils de Kheir-ed-Din, et
que par un très-petit nombre de Turcs, qui avait été obligé de se retirer à Fês
qui repoussèrent vaillamment les atta- lors de l'arrangement conclu avec le
ques des Espagnols. Les munitions ve- comte d'Alcaudette. Ces démarches
nant à manquer, le comte d'Alcaudette éveillèrent l'attention des chérifs qui
fut obligé d'en envoyer chercher à venaient de s'emparer de Fês , de ren-
Oran. Pendant le ralentissement des verser les Béni Merin et qui avaient
travaux du siège, la garnison turque qui aussi des prétentions sur Tlemsen. Au
avait évacué Tlemsen parvint à péné- lieu de prêter secours au prince exilé,
trer dans la place. Lorsque l'assaut fut les chérifs mirent une armée en campagne
livré, la bravoure des Espagnols ne put pour leur propre compte , s'emparèrent
triompher de la résistance ; ils perdirent de Tlemsen , se répandirent dans la
beaucoup de monde, et la nuit suivante province , et arrivèrent jusque sous les
ils se mirent en retraite sur Arzeu. Au murs d'Oran. En apprenant ces événe-
point du jour , l'ennemi , prévenu de ments, Hassan-Pacha se hâta de sortir
ce mouvement, assaillit l'armée chré- d'Alger à la tête de ses troupes pour
tienne avec des forces considérables ti- arrêter cette invasion. Il rencontra l'ar-
rées des tribus voisines. Un instant mée des chérifs aux environs de Mosta-
les Espagnols furent sur le point de cé- ganem. Les Turcs étaient mieux armés
der à la panique et de subir une dé- que les Arabes de l'ouest ; leur in-
route complète ; mais , grâce à l'énergie fanterie était aguerrie, et commandée
du général et de quelques officiers par des officiers expérimentés aussi la
:

l'ordre fut rétabli , et la retraite s'opéra victoire ne fut pas longtemps incertaine;
sans accident grave au milieu des nuées le fils de Kheir-ed-Din battit complète-
de cavaliers arabes qui entouraient l'ar- ment les chérifs , les poursuivit l'épée
mée de toutes parts. Il est probable que dans les reins , leur enleva Tlemsen, et
la plupart de ces ardents cavaliers les rejeta au delà de la frontière. Mou-
qui harcelaient les troupes espagnoles ,
leyHassan fut maintenu comme vassal
dont ils croyaient la perte certaine, du Grand-Seigneur. L'éclat de ce suc-
avaient marché avec elles comme auxi- cès ne put préserver le pacha d'Alger
liaires pendant la première partie des des intrigues que ses ennemis avaient
opérations dirigées contre Tlemsen. Les ourdies contre lui à Constantinople.
tribus de ces contrées, sans cesse tirail- Salah-Réis, corsaire déjà célèbre, fut en-
lées entre les efforts contraires des Turcs voyé pour gouverner la Régence.
et des sultans de Tlemsen, hésitant sou-
vent entre les inspirations du fanatisme
Salah-Réis, pacha d'Alger.
et les conseils de la prudence, se décla- Dès son arrivée à Alger, Salah-Réis
raient toujours suivant les circonstances donna tous ses soins à établir de bon-
pour le parti qui leur semblait le plus nes relations avec les Arabes et les Ka-
près du succès. Le comte d'Alcaudette biles, et particulièrement avec les
rentra à Oran après une campagne qui Zouaoua et lesBéni Abbès. Une occa-
avait duré cinquante-sept jours. Quant sion se présenta bientôt de recueillir les
à Mouley Ahmed, sultan de Tlemsen, fruits de cette habile politique. Le
rendu prudent par les derniers événe- cheikh de l'oasis de Tougourt avait pré-
ments , il sut se tenir en paix avec les cédemment recherché l'alliance des
Turcs tout en usant de sages ménage-
, Turcs , pour le protéger contre les at-.
ALGÉRIE. 233

taques des Arabes nomades ; mais pour fortifier leur action vivaient dans
,

croyant n'avoir plus besoin d'un allié une obéissance habituelle. Il n'en était
dont les forces étaient concentrées à Al- pas de même des tribus alliées ou même
ger , c'est-à-dire à plus de cent lieues ayant reconnu la souveraineté d'Alger
de son pays, il refusa de payer le tri- payant un tribut, mais commandées
but. Salah'-Réis résolut aussitôt de châ- par les familles depuis longtemps en
tier le cheikh rebelle. C'était une entre- possession héréditaire du pouvoir, et
prise difficile car Tougourt est située
, éloignées de ces garnisons turques qui
dans le Sahara , et la marche d'une ar- maintenaient et surveillaient le pays.
mée dans ces contrées arides semblait De ce nombre étaient le cheikh de Kouko,
offrir les plus grands obstacles. Il réu- forte bourgade du Djurdjura, appar-
nit trois mille fantassins turcs, mille tenant aux Zouaoua, et le cheikh de
cavaliers et deux pièces d'artillerie. Kalla, petite forteresse située dans les
Plus de huit mille Arabes ou Kabiles se montagnes des Reni Abbès et qui servait
joignirent à lui. Les vivres et les mu- de capitale à la famille des Ouled Mo-
nitions furent chargés sur 4es cha- kran, dont l'autorité presque souveraine
meaux. Après vingt jours de marche s'étendait sur toute la Medjana et sur
Salah-Réis atteignit Tougourt. La ville les contrées environnantes. Dans l'ouest
ne pouvait opposer une sérieuse résis- le cheikh de Miliana avait eu, à l'origine
tance ; entourée de murailles bâties en de l'occupation turque, une position
pisé, dépourvue d'artillerie, elle fut semblable. Ce sont ces personnages , qui
facilement enlevée ; les habitants furent figurent d'abord dans l'histoire de la
passés au fil de l'épée. Ouargla, située conquête comme alliés des Turcs pour
a quatre journées au sud de Tougourt, renverser les princes indigènes alors
fut ensuite attaquée. La population, ef- maîtres du pays, qui sousKheir-ed-Din
frayée , s'était enfuie ; le petit nombre et sous Salah-Reis excitèrent des révol-
,

de ceux qui étaient restés durent payer tes quelquefois formidables. Il fallut
une contribution considérable. Des gar- souvent des efforts considérables pour
nisons furent laissées dans ces deux apaiser ces troubles, et à plusieurs re-
places. Salah-Réis rapporta de cette prises l'oudjac éprouva de rudes échecs
expédition un butin immense. Toutes les soit dans le Djurdjura , soit chez les
populations du Sahara furent frappées Reni Abbès.
d'épouvante par les rapides conquêtes Salah-Réis eut une rébellion de ce
et les cruautés des Turcs ; la supério- genre à combattre à son retour de l'ex-
rité de l'armement des troupes de l'oud- pédition contre Tougourt ; il ne voulut
jac avait rendu le succès facile contre pas concentrer tous ses efforts contre
des peuplades presque entièrement dé- ces difficultés. Pendant qu'il confiait
pourvues d'armes à feu. Les oasis du à un de ses lieutenants un corps de
sud de l'Algérie étaient alors très-in- troupes appuyé par les contingents des
dustrieuses, très-peuplées, et jouissaient Arabes fidèles pour faire rentrer le
encore, comparativement aux tribus cheikh des Reni Abbès dans le devoir,
du Tell et aux villes du littoral , d'un il équipa une flotte pour aller croiser
bien-être plus grand et aussi d'une ci- dans le détroit de Gibraltar. Dans un
vilisation plus avancée; ou plutôt, combat qu'il livra contre une flottille
moins tourmentées par les guerres in- portugaise, la fortune lui fit faire une
testines, elles étaient moins en déca- capture importante. Rou-Azzoun, dernier
dence. représentant de la famille des Reni Merin,
venait d'être chassé de Fès par le chérif
Adjonction de Tlemsen à la Régence.
Mohammed; après avoir vainement ré-
|
Parmi les tribus, quelques-unes clamé l'appui de l'Espagne, il s'était
étaient seulement alliées aux Turcs , et adressé au roi du Portugal, qui lui avait
d'autres, en plus grand nombre, étaient accordé quelques centaines d'hommes
soumises à leur autorité directe. Ces et quelques subsides, pour l'aider à
dernières administrées par des hom-
, reconquérir son royaume. En traversant
mes de choix ayant à leur disposition le détroit il tomba entre les mains de
des détachements de soldats de l'oudjac Salah-Réis. Rou-Azzoun se conduisit à
,

234 L'UNIVERS.
Alger avec tant d'adresse , qu'il déter- Prise de Bougie par Salah-Réis.
mina le pacha à lever une armée pour
marcher contre les chérifs et rétablir En rentrant à Alger , sans se préoc-
les Béni Merin dans Fês. Cette expédi- cuper des troubles qui agitaient encore
tion servit merveilleusement la politi- le pays des Béni Abbès Salah-Réis ré-
,

que de Salah-Réis; il se hâta de convo- solut d'attaquer Bougie et de l'enlever


quer les cavaliers indigènes en leur aux Espagnols. Tous les ressentiments
promettant la conquête de villes riches des tribus se turent devant une si grande
et peuplées. C'était un leurre tout-puis- entreprise dirigée contre les chrétiens.
sant pour les tribus turbulentes. Les De toutes parts les contingents vinrent
hostilités furent partout suspendues se ranger sous les drapeaux de l'oudjac.
dans l'intérieur de la Régence; et au Les tribus fournirent ainsi plus de trente
commencement de janvier 1554 (960 mille hommes. Les forces turques
de l'hégire) une armée sortit d'Alger furent divisées en deux parties trois :

pour se rendre dans le Maroc, tandis mille fantassins se mirent en marche


que vingt-deux navires se dirigeaient avec l'armée arabe, un autre corps fut
vers Mélilla chargés de munitions et embarqué sur la flotte pour être trans-
d'approvisionnements. porté par mer à Bougie. Au mois de
Cette opération importante fut cou- juin 1555, Salah-Réis parut devant la
ronnée d'un succès complet. La flotte ville. La garnison espagnole comptait
s'empara du Penon de Vêlez, et y laissa à peine cinq cents hommes. Pour ne
une garnison turque; les Espagnols ne pas disséminer ses forces , don Alphonse
purent reprendre ce point qu'en 1564. de Peralta, qui commandait, abandonna
Les succès de l'armée furent plus bril- le fort impérial ( fort Mouça actuel ),
lants. Le chérif fut battu, et Fês tomba vivement canonné par une batterie
au pouvoir du vainqueur. La ville fut li- turque. Le fort de la mer (fort Abd-el-
vrée au pillage, etles habitants durent ac- Kader) fut ensuite attaqué et enlevé au
quitter en outre une contribution consi- bout de cinq jours. La garnison n'eut
dérable. Salah Réis installa Bou-Azzoun plus de refuge que dans lu Casbah. Après
dans le royaume de Fês, et chargé d'un vingt-deux jours d'une défense opiniâtre,
immense butin, enlevé dans toutes les le commandant, manquant de munitions
villes qu'il rencontra sur son passage et perdant l'espoir d'être secouru, ca-
il reprit la route d'Alger. Il se servit pitula à la condition qu'il serait trans-
du prestige de ses armes victorieuses porté en Espagne avec tout son monde.
pour pacifier et organiser toute la par- Cette capitulation fut violée par le pacha ;
tie occidentale de ses possessions. Ar- toute la garnison resta prisonnière , à
rivé à Tlemsen Salah-Réis reprocha à
, l'exception de vingt hommes, au choix
Mouley Hassan, qui avait été rétabli du commandant, qui furent renvoyés
par Hassan-Pacha d'entretenir des re-
, avec lui en Espagne. Le malheureux
lations avec les Espagnols d'Oran; il le don Alphonse de Peralta, à peine dé-
déposséda, et réunit la ville et ses dé- barqué dans sa patrie, fut traduit devant
pendances aux autres États de la Régence. un conseil de guerre , qui le condamna
Il y laissa un gouverneur turc avec une à avoir la tête tranchée.
forte garnison. Ainsi finit sans bruit la Après avoir saccagé Bougie, réduit en
dynastie des Béni Zian. Mouley Hassan esclavage ses habitants, Salah-Réis y
se réfugia à Oran , où il mourut de la établit une garnison de quatre cents
peste. Son fils passa en Espagne, se fit Turcs, et rentra à A Iger, châtiant sur son
chrétien , et vécut obscurément sous le passage les tribus contre lesquelles il
nom de don Carlos. L'armée algérienne avait des griefs et qui pour la plupart
se dirigea ensuite vers l'est, marchant à venaient de coopérer avec lui à la prise
petites journées ; elle s'arrêta à Mosta- de Bougie. C'était ià un des secrets de
ganem , Tenès à Miliana et dans tous
à , la politique des pachas; ils se mon-
les lieuxoù sa présence était nécessaire traient patients à supporter les insultes
pour consolider la domination politique des Arabes tant que l'occasion n'était
et fortifier l'administration. pas sûre pour frapper les rebelles d'un
coup décisif; ils entraient même volon-
ALGÉRIE. 235

tiers en composition avec eux. Mais dès Les Turcs attaquent Oran.
qu'une circonstance heureuse se présen-
tait, qui assurait quelque ascendant à Avant de mourir, Salah-Réis avait dé-
leurs forces, ils réglaient impitoyable- signé pour son successeur un renégat
ment le compte des méfaits passés; et génois nommé Iahia; mais un certain
souvent, pour ne pas perdre l'avantage Hassan renégat originaire de l'île de
,

d'un succès, ils imaginaient des griefs Corse se fit proclamer gouverneur d'Al-
,

plutôt que de ne pas punir certaines tri- ger par l'oudjac, et obtint presque aus-
bus turbulentes. sitôt de la Porte sa confirmation. Le
Encouragé par le brillant résultat de nouveau pacha avait retenu les galères
l'expédition contre Bougie, Salah-Réis ottomanes arrivées le jour même de la
médita une entreprise plus im porta nte, et mort de Salah-Réis; il les dirigea sur
résolut d'expulser les Espagnols des der- Oran avec sa propre flotte, montée par
niers établissements qu'ils possédassent trois mille matelots turcs. Lui-même,
encore dans la Régence d'Alger. Ainsi, à la tête d'une armée nombreuse , alla
dans moins d'un demi-siècle, ce peuple assiéger la place par terre. Le gouver-
qui avait occupé la presque totalité des neur d'Oran avait été averti des prépa-
places du littoral africain, avait vu sa ratifs faits contre lui ; il avait réclamé
fortune pâlir devant la puissance de la des renforts en Espagne, et on avait eu
Turquie et des corsaires, au point de per- le temps de lui faire passer des troupes,
dresuccessivementsespossessionsdepuîs des munitions et de l'argent» Hassan-
le fond de la Grande Syrte jusqu'au dé- Corse investit la place, et commençait à
troit de Gibraltar , à l'exception d'Oran pousser le siège avec vigueur , lorsq'ue le
et de Mers-el-Kebir dans la régence d'Al- Grand-Seigneur rappela son escadre,
ger, de Mélilla et de Ceuta dans le Maroc. pour venir arrêter les ravages que faisait
Pour exécuter un semblable projet les André Doria dans l'Archipel. Privé de
forces dont disposait le pacha ne pou- ces renforts, Hassan-Corse fut obligé de
vaient suffire; car dès l'origine de l'oc- lever le siège et de regagner Alger, non
cupation les Espagnols avaient fait des sans avoir été vivement poursuivi par
travaux de défense très-considérables à les Espagnols. Après le départ de l'armée
Oran. Tous les ouvrages étaient cons- turque, le comte d'Atcaudette fit des
truits avec une telle solidité, qu'on ne sorties pour châtier les tribus qui avaient
pouvait espérer de s'en rendre maître que aidé le pacha. Ces expéditions ruinèrent
par un siège régulier, formé tant sur les centres de population indigène qui
terre quesur mer. Salah-Réis en envoyant existaient encore dans un rayon assez
son fils à Gonstantinople porter au rapproché de la ville espagnole.
Grand-Seigneur la nouvelle de la prise A peine rentréà Alger, Hassan-Corse
de Bougie le chargea de solliciter des
, vit arriver un nouveau pacha Tchélébi,
,

secours pour la grande entreprise qu'il envoyé par la Porte pour prendre pos-
méditait. Le sultan accorda six mille session du gouvernement. L'oudjac ne
Turcs et quarante galères. Cependant, le voulut pas d'abord le recevoir; mais
temps avait été mis à profit à Alger pour Tchélébi, ayant gagné les notables de la
poussertous les préparatifs avec activité. population , pénétra par surprise dans la
Au mois de juin 1556, Salah-Réis, avant ville, et fit emprisonner, puis exécuter
appris que l'escadre ottomane avait fait Hassan-Corse. Il fut bientôt renversé
voile pour Alger, du port avec sa
sortit lui-même par Ioucef, gouverneur de
flotte, et alla mouiller au cap Matifou Tlemsen. Celui-ci mourut de la peste, et
pour y attendre les secours envoyés par eut pour successeur Iahia , élu par
la Porte. Mais cet illustre pacha, qui l'oudjac; mais au bout de six mois Has-
était alors dans sa soixante-dixième an- san, fils de Kheir-ed-Din, fut investi du
née, fut subitement atteint de la peste pacnalik pour la seconde fois, et s'ins-
et mourut. Un autre eut mission de talla sans difficultés. Dès son arrivée à
poursuivre ses desseins contre Oran. Alger, au mois de juin 1557 (963 de
l'hégire), Hassan-Pacha vola au secours
de Tlemsen , qui était menacé par les
chérifs du Maroc. Ceux-ci furent vaincus
,

236 L'UNIVERS.
et poursuivis jusqu'auprès de Fês. C'est pour entrer dans la ville à la suite des
à cette époque qu'eut lieu la seconde ex- Turcs, général espagnol fit sonner U
le
pédition du comte d'Alcaudette gou- , retraite. Dans la nuit suivante il établit
verneur d'Oran, contre Mostaganem. une batterie de deux canons ; les boulets
manquaient; on fut obligé d'en faire
Défaite des Espagnols.
avec des pierres, qui produisirent peu
A la suite des événements qui marquè- d'effet contre les murailles de la place.
rent la levée du siège d'Oran le comte , Sur ces entrefaites on vit arriver les,

d'Alcaudette était passé en Espagne dans Turcs d'Alger qu'Hassan-Pacha amenait


l'espoir de déterminer une expédition en toute hâte pour secourir Mostaganem.
sérieuse afin de ruiner la puissance tur- Au lieu d'attaquer résolument le jour ,

que dans l'ouest de la Régence et de con- même, ces troupes, qui étaient fatiguées
solider les établissements espagnols en d'une longue route , le comte d'Alcau-
Afrique. Il prétendait avoir noué des in- dette resta inactif. Puis, le soir venu, il
telligences avec les marabouts deMiliana prit tout à coup la résolution de se reti-
et avec les chérifs du Maroc, qui tous rer sur Mazagran , espérant gagner du
deux lui avaient promis leur concours terrain avant que les Turcs se fussent
pour combattre les Turcs. Le conseil de aperçu de son mouvement. Il partit à
guerre de Castille, sans vouloir adopter l'entrée de la nuit, avec tant de hâte,
dans leur ensemble les projets présentés qu'il abandonna ses blessés. Bientôt les
par le comte d'Alcaudette, s'arrêta à la cris de détresse de ces malheureux qu'on
résolution de s'emparer de Mostaganem égorgeait lui apprirent que sa retraite
et de l'occuper. était connue, et il ne tarda pas à être
Le 26 août 1558, le gouverneur d'O- attaqué par des forces considérables. Les
ran alors très-avancé en âge , partit de
, troupes d'Hassan-Pacha, la garnison de
cette place à la tête de six mille cinq cents Mostaganem, enfin les gens du gouver-
hommes. Soit pour éviter le passage de neur de Tlemsen qui venaient d'arriver,
la Macta toujours difficile , soit pour
, l'assaillirent à la fois. La confusion se
donner le change à l'ennemi, l'armée se mit dans les rangs des Espagnols ; quel-
dirigea d'abord vers la plaine de Sirat, ques caissons de poudre firent explosion
laissant le lac salé d'Arzeu à sa gauche; et brûlèrent plus de cinq cents hommes.
puis elle se rapprocha de la mer, et arriva Le désordre devint alors une panique et
lequatrième jour à Mazagran, petite bour- bientôt une déroute. Les soldats se pré-
gade presque contiguë à Mostaganem. cipitèrent vers Mazagran pour s'y en-
Les Espagnols l'occupèrent sans diffi- fermer. Le brave comte d'Alcaudette,
culté. Les tribus arabes qui devaient se aidé de son fils don Martin , fit des ef-
joindre à eux ne parurent pas; mais ils forts héroïques pour rétablir le combat.
trouvèrent devant eux des nuées de ca- Entraîné par le flot des fuyards qu'il
valiers qui les harcelèrent continuelle- cherchait à rallier, il fut renversé de
ment. Le comte d'Alcaudette parvint cheval, foulé aux pieds et écrasé; toute
enfin à atteindre cesArabes il les battit
; l'armée se rendit. Hassan-Pacha aurait
complètement, et les poursuivit jusque voulu conserver la vie à tous ces prison-
sous les murs de Mostaganem. Après ce niers ; il ne le put pas. Huit cents Es-
succès il revint à Mazagran pour y at-
, pagnols furent massacrés par les Arabes ;
tendre le matériel de siège qu'on devait le reste , et parmi eux le fils du vieux gé-
lui envoyer d'Oran. Malheureusement néral , fut réduit en servitude. Les fau-
les navires qui
portaient furent enle-
le tes du comte d'Alcaudette, qui montra
vés ,
pour ainsi dire sous ses yeux
,
par dans toute cette guerre une irrésolution
une flottille algérienne qui revenait de inconcevable, contribuèrent à ce désas-
faire une croisière sur les côtes de l'An- tre. Deux fois les environs de Mostaga-
dalousie. Ce contre-temps détermina le nem furent funestes à ce général qui ,

comteà tenter d'enlever Mostaganem par avait obtenu de si beaux succès dans
un coup de main. Lorsqu'il se rapprocha l'ouestauprès de Tlemsen.
,

de la ville, les assiégés firent une sortie Lorsque Hassan-Pacha revint à Alger,
vigoureuse; ils furent repoussés; mais couvert de gloire , il se trouva en face de
au lieu de profiter de l'élan des troupes difficultés nouvelles, qui étaient suscitées
ALGÉRIE.
par le cheikh de Kalla. Ce chef indigène, çut ordre d'aller attendre l'armée à Ar-
auquel Salah-Réis avait fait remise de la zeu. Enfin le 15 avril 1563 (969 de l'hé-
ville deMsila dans la Houdna, s'était ré- gire ) Hassan-Pacha se mit à la tête
volté. Il fallut pour le réduire, a près deux des forces qu'il avait rassemblées, et prit
campagnes infructueuses que le pacha ,
la route de l'ouest; il se dirigea d'abord
fît alliance avec le cheikh des Zouaoua, sur Mostaganem, puis sur la plaine de
dont il épousa la fille. Ce mariage fut Sirat, où il organisa complètement son.
le commencement d'une conduite po- armée. Arrivé près d'Oran, il poussa sa
litique nouvelle du
de Kheir-ed-Din
fils cavalerie jusque sous les murs de la
vis-à-vis des Kabiles; s'efforça de les
il place, dans l'espoir d'attirer la garnison
rattacher d'une manière solide àla cause au dehors; mais don Alphonse de Cor-
des Turcs. Mais ces ménagements don- doue, fils aîné du comte d'Alcaudette,
nèrent de l'ombrage aux soldats de qui commandait la ville, ne répondit pas
l'oudjac, qui déposèrent Hassan au mois à ces provocations. Hassan vint alors in-
d'octobre 1561 et le renvoyèrent à Cons-
, vestir la petite tour des Saints ( où est
tantinople , en l'accusant de conspirer actuellement le fort Saint-Ferdinand);
avec les Kabiles la destruction de la Ré- la garnison, très-faible et isolée du corps
gence. Ces plaintes ne furentpas accueil- de la place, capitula à condition qu'elle
lies par le grand-seigneur. Hassan-Pa- serait libre d'entrer dans Oran.
cha reçut bientôt ordre, au mois de Ce premier succès lit croire aux Turcs
seplemÈre 1562, d'aller reprendre son qu'ils auraient bon marché des Espa-
commandement , appuyé par dix galères. gnols; aussi sans attendre que le maté-
Les chefs de la révolte eurent la tête riel de siège fût débarqué , le pacha se
tranchée, et la ville salua par des accla- porta contre Mers-el-Kebir, et résolut
mations le retour du pacha. d'emporter le fort Saint-Michel, qui dé-
fendait les abords de la place. Cette
Seconde attaque contre Or an. 1
première attaque, tentée avec la plus vive
Pour avoir la tranquillité dans les tri- impétuosité, fut repoussée, et coûta aux
bus et pour dominer la turbulence de musulmans un grand nombre de morts.
l'oudjac, il fallait absorber l'attention L'artillerie ayant été débarquée, on
du pays dans quelque grande entreprise. dressa les batteries , et le feu commença
Hassan n'y manqua pas. Depuis quelques contre ce fort le 4 mai. Dès le lende-
années les Espagnols avaient essuyé en main, la brèche étant ouverte, Hassan-
Afrique de graves échecs; après l'anéan- Pacha ordonna l'assaut ; ses troupes ne
tissement de l'armée du comte d'Alcau- purent franchir les décombres des rem-
dette à Mostaganem, le duc deMédina- parts. Cinq attaques consécutives ne
Céli avait été mis en déroute à Tripoli furent pas plus heureuses. Malgré l'a-
et l'île de Djerba avait été enlevée de charnement et Tintrépidité des assié-
vive force.Le pacha résolut de porter geants, quoique les murs fussent presque
un dernier coup à la puissance des Es- entièrement renversés et que la brèche
pagnols en Afrique en s'emparant d'O- fût si facile qu'on aurait pu la gravir à
ran. Il fit de très-grands préparatifs, en cheval , les Espagnols résistèrent héroï-
couvrant d'un mystère profond le but de quement. Le kaïd de Constantine fut
l'expédition; outre quinze mille Turcs, tué et Hassan-Pacha lui-même fut blessé
renégats ou Maures d'Espagne, il réunit à la figure d'un éclat de pierre. Enfin,
douze mille Kabiles des tribus des Béni la garnison du fort Saint-Michel, affai-
Abbès et des Zouaouas. La province de blie par ses pertes, reçut ordre d'évacuer
Constantine fournit aussi un contin- s
un poste qu'elle ne pouvait plus défen-
gent. Le kaïd de Tlemsen reçut ordre dre. Maîtres de ce point les Turcs se
,

de s'établir sur l'Habra , pour empêcher rapprochèrent deMers-el-Kebir, et dres-


les Arabes alliés des Espagnols de por- sèrent cinq batteries qui firent bientôt
ter des vivres dans Oran. La flotte, com- une brèche praticable. La place était dé-
posée de trente-cinq navires, parmi les- fendue par don Martin de Cordoue, se-
quels trois caravelles françaises, fut cond fils du comte d'Alcaudette, qui
chargée d'artillerie, de munitions, d'ap- avait été fait prisonnier à Mazagran et
provisionnements de toutes sortes, et re- avait été racheté depuis. Le pacha , l'ayant
233 L'UNIVERS.
sommé de se rendre, il refusa toute ca- majeure partie des États des anciens
pitulation. L'assaut fut livré; mais làv sultans de cette contrée. Lors de l'attaque
pas plus qu'au fort Saint-Michel, l'im- de Mostaganem par les Espagnols, et
pétuosité des Turcs ne put triompher de tout récemment, pour le siège de Mers-
la résistance; ils furent repoussés avec el-Kebir par Hassan, le gouverneur de
des pertes énormes. Le lendemain, sur Tlemsen était venu se joindre aux trou-
l'indication d'un transfuge, Hassan éta- pes turques avec un contingent de cava-
blit une nouvelle batterie, qui fit brèche lerie considérable. Ainsi, la création de
sur une autre partie de la place. L'as- ce commandement avait eu le double
saut fut donné aux deux endroits à la avantage de couper court aux intrigues
fois. Après cinq heures de carnage, les que les gouverneurs d'Oran entrete-
Turcs furent encore repoussés en lais- naient avec les membres delà familledes
sant quinze cents hommes sur le terrain, Reni Zian , et de mettre à la disposition
et parmi eux le kaïd de Tlemsen. Ce- du pacha d'Alger des forces importantes
pendant le pacha avait été informé qui pouvaient appuyer ses mouvements
qu'une flotte espagnole nombreuse ve- dans l'ouest de la Régence. Les bons
nait au secours du gouverneur d'Oran; résultats produits par cette institution
il voulut faire un dernier effort, et con- déterminèrent Hassan-Pacha à l'étendre
centra sur Mers-el-Kebir toutes les trou- au reste du pays. Il réunit en une seule
pes qu'il avait laissées en observation main les différents pouvoirs indépen-
devant Oran. Le 5 juin une nouvelle at- dants les uns des autres, que les gou-
taque fut tentée; Hassan s'exposa aux verneurs des diverses villes se parta-
plus grands dangers pour entraîner les geaient entre eux, et créa ainsi la dignité
siens. Le courage ne leur fit pas défaut; de bey. 11 avait distingué parmi les trou-
mais les Espagnols furent inébranla- pes de Poudjac un homme intelligent et
bles : la brèche ne put pas être franchie. énergique, Bou-Khedidja; il le choisit
Sur ces entrefaites, la flotte d'Espa- pour occuper cette nouvelle fonction :
gne, commandée par don François de il lui donna deux cents soldats turcs, et

Mendoza, parut devant Oran; à son ap- l'investit du commandement de la pro-


proche les bâtiments algériens qui for- vince, avec mission de maintenir le pays
maient le blocus prirent la fuite. De dans l'obéissance et d'empêcher les Es-.
son côté, Hassan-Pacha se hâta de lever pagnols d'Oran de nouer des intelligen-
le siège. Son armée était affaiblie par ces avec les tribus. Le nouveau gouver-
des pertes considérables et découragée neur, voulant se mettre à l'abri d'un coup
par tant d'attaques infructueuses. Il se de main tenté par les chrétiens, et pour
mit en retraite sur Mostaganem. L'es- agir avec plus d'efficacité sur les tribus,
cadre débarqua des troupes, qui le pour- établit sa résidence à Mazouna ,
petite
suivirent sans pouvoir l'atteindre. Telle ville situéeentre Mostaganem et Tenès,
fut l'issue de ce siège, une des plus for- dans la partie la plus riche de la vallée du
midables entreprises qu'eussent encore Chélif. Cette position assurait les com-
tentées les Turcs. La belle défense de munications entre Alger et Mostaganem.
Mers-el-Kebir fit oublier le désastre des Pour donner de la force à son autorité,
Espagnols à Mazagran, et la gloire de le bey choisit parmi les tribus celles qui
don Martin réhabilita la mémoire du offraient le plus de garantie de fidélité,
vieux comte d'Alcaudette, son père. Ce- et les appela auprès de lui. Elles consti-
pendant, malgré ces heureux événements, tuèrent une sorte de milice indigène, à
qui avaient jeté la consternation parmi laquelle de grandes immunités furent
les indigènes, les Espagnols ne songè- accordées , et qui devait prendre les ar-
rent pas à étendre leur domination dans mes toutes les fois qu'elle en recevrait
la Régence. C'est que l'état du pays n'é- l'ordre pour apaiser des révoltes et pour
tait plus le même, comme on va le voir. percevoir les contributions. Telle fut
l'origine des Makhzen, qui jouèrent de-
Organisation des provinces. puis un rôle si utile dans l'administra-
Après l'annexion de Tlemsen à la Ré- tion du pays. Des kaïds furent institués
gence , Salah-Réis avait laissé dans cette dans chaque ville. Tous les trois ans le
Ville un gouverneur qui commandait la bey dut aller porter lui-même à Alger le
ALGÉRIE. 239

tribut appelé denouche. Cette organisa- établissement fut d'abord de favori-


tion produisit les meilleurs résultats; ser la pêche du corail ; il resta au pou-
elle fut successivement étendue à la pro- voir de la France jusqu'en 1799. Mais
vince de Constantine et à celle d'Al- on verra par la suite, qu'après des vi-
ger (1). cissitudes diverses, ruiné et restauré
tour à tour, le Bastion de France était
Relations de la France avec la -Ré- devenu le centre d'un négoce important
gence.
avec la plus grande partie de la pro-
Le que les fonda-
récit des guerres vince de Constantine. Avant les deux
teurs de la Régence eurent à soutenir négociants marseillais, la pêche du co-
contre les Espagnols nous a entraîné, rail sur ces côtes avait été affermée
et nous a fait négliger des événements par les Turcs à un de leurs plus re-
contemporains relatifs aux rapports de doutables adversaires, àAndréDoria,
la France avec l'Afrique. On sait que qui avaitun poste auprès de Bône, à l'en-
pendant la lutte acharnée que Fran- droit qu'on appelle encore fort Génois.
çois I er soutint contre Charles-Quint, En 1569, sous le règne de Charles IX,
il fut amené à rechercher l'alliance de le traité de 1536 fut renouvelé pour
Soliman , empereur de Constantinople. favoriser le rétablissement et la sûreté du
Dès l'année 1525 des relations ami- commerce français dans la Régence d'Al-
cales existaient entre la Porte et la ger. Un consuîat français avait déjà été
France et les deux puissances concer-
, créé à Alger en 1564. Bans ce document
tèrent plus d'une fois des opérations le roi de France reçoit la qualification de
contre leurs ennemis communs. Au padicha, empereur, titre que la Porte
mois de février 1536, un traité de com- n'accordait alors à aucun prince chrétien,
er
merce fut signé entre François I et et que les souverains français ont tou-
Soliman. Il assurait des avantages po- jours conservé dans les rapports diplo-
litiques etçommerciaux à la France dans matiques avec la Porte et avec les Etats
tous États du grand-seigneur. La
les barbaresques. C'est à cette époque que
Régence d'Alger fut comprise dans ce se rapporte une négociation tentée au-
traité comme étant une dépendance de
, près du grand-seigneur , à l'instiga-
l'empire Ottoman. tion de Catherine de Médicis, pour ob-
C'est à cette époque que remontent tenir la cession du royaume d'Alger
nos établissements commerciaux dans la en faveur du duc d'Anjou, frère de
province de Constantine. On a vu que Charles IX, et qui fut depuis roi de Po-
dès le treizième siècle Marseille, alors logne, et enfin roi de France sous le
principauté indépendante, entretenait nom d'Henri III. Cette ouverture, très-
des rapports de commerce suivis avec l'A- mal accueillie par la Porte , causa une
frique. Lorsque cette ville fut incorporée froideur momentanée entre les deux
à la monarchie française, elle participa puissances. D'un autre côté, les Turcs
aux avantages commerciaux qui résul- établis dans la Régence n'obéissaient
taient <le l'alliance de la France avec plus à J'influence de la politique Otto-
la Porte. En 1561 deux négociants de mane, et leurs corsaires vinrent exercer
Marseille créèrent sur le littoral de la piraterie jusqu'en vue du port de
l'Afrique à l'est de Bône
, entre cette , Marseille. Cette ville s'étant révoltée,
ville et la Calle, l'établissement du Bas- en 1594 contre Henri IV le sultan,

tion de France ils obtinrent pour cela


; Amurath IV écrivit une lettre aux Mar-
une autorisation spéciale du grand-sei- seillais par laquelle il les menaçait de
gneur et le consentement des tribus ara- ruiner complètement leur commerce
bes des environs moyennant certaines , dans larégence d'Alger s'ils ne se sou-
redevances. Le but principal de cet mettaient à leur souverain , son allié.
Cette mesure ne fut sans doute pas
(i) Voyez le tableau de la situation des étrangère à la détermination des Marseil-
établissements en Algérie , année
français lais, qui rentrèrent dans le devoir. Quel-
1840 (organisation de la province de Constan- ques années après, le 25 février 1597,
tine), page 307. Années 1 843- 1844
( organi- Mohammed III renouvela avec Henri IV
sation de la province de Titeri ), page 397. les capitulations qui accordaient des
,

240 L'UNIVERS.
privilèges aux consuls et aux négo- plus douces des habitants fussent moins I
ciants français dans le Levant et sur les favorables au développement de l'instinct I
côtes d'Afrique. Ce sont là les circons- de piraterie et de l'esprit guerrier, soit
tances principales des rapports entre la que les hommes énergiques aient man-
France et la Régence d'Alger pendant qué d'abord à cette institution, l'oudjac
le seizième siècle. de Tunis ne put s'élever ni au même
renom ni à la même turbulence que ce-
La Régence à la fin du seizième siècle.
lui d'Alger.
Après le siège d'Oran parle fils de Pendant cette période , c'est-à-dire
Kheir-ed-Din , l'histoire de la Régence depuis 1563 jusqu'au commencement
devient très-confuse. Les corsaires algé- du dix-septième siècle, il n'est pas pos-
gériens appelés à prendre part aux
, sible de suivre exactement la succes-
grandes luttes maritimes dont la Médi- sion des pachas d'Alger. Ce gouverne-
terranée fut le théâtre y jouèrent un
, ment était d'abord une des premières
rôle important. Dans les mille combats charges de l'empire Ottoman , ardem-
livrés par les escadres turques sur les ment sollicitée , et confiée à des nom
mers du Levant, contre les chevaliers mes de mer renommés. On peut ran-
de Rhodes, contre ceux de Malte et ger parmi les gouverneurs de cette caté>
contre les grandes puissances chrétien- gorie Kheir-ed-Din, Salah-Réis, Hassan
nes, on retrouve les plus habiles ma- fils de Kheir-ed-Din, et Sinan (appelé paî

rins qui avaient conquis leur renom- les auteurs espagnols Aluch-Ali ). Dèi
mée sur les côtes d'Afrique Dragut : que ces marins avaient acquis quelque
Piali, Hassan fils de Kheir-ed-Din Si- , gloire en faisant la course contre le*
nan. Lors du siège de Malte, en 1565 bâtiments européens, le grand-!
la flotte algérienne et le corps de trou- gneur les appelait à Constantinople ë ,

pes qu'elle amena figurèrent avec beau- leur confiait des escadres à commander,
coup d'éclat dans cette lutte mémorable. Kheir-ed-Rin fut élevé à la dignité d*
Pendant l'hiver de l'année 1570, Sinan- Capitan-Pacha (grand amiral). Apre*
Pacha gouverneur d'Alger, envahit le
,
lui, le même honneur fut décerné à Si
royaume de Tunis à la tête de six mille nan-Pacha, qui s'illustra par la prise d«
hommes. Il s'empara de la ville, mais Tunis et de la Goulette. Pour l'histoir
il ne put se rendre maître de laGouIette. intérieure de la Régence, elle ne présent
Les Algériens gardèrent Tunis jus- qu'une suite de faits monotones et uni
qu'en 1571. Ils en furent chassés par série de gouverneurs choisis ,
pour l'jj

don Juan d'Autriche. En 1571 les ma- plupart parmi les renégats originaire^
,

rins d'Alger prirent part avec la flotte d'Europe. C'est, d'une part, la répétition
ottomane au siège de Famagouste dans pour ainsi dire annuelle, des expédition
l'Archipel. Enfin , lors de la célèbre ba- armées pour forcer les tribus à acquit
taille livrée pardon Juan d'Autrichedans ter les contributions ou pour apaise'
le golfe de Lépante, le 7 octobre 1571, des insurrections ; de l'autre la con
,

qui fut si fattle à la marine turque , Si- tinuité des actes de piraterie exercé;;
nan, alors gouverneur d'Alger, occupa, contre les bâtiments chrétiens, quelque
on peut le dire, le premier rang par fois des tentatives dirigées avec de;
la bravoure et l'habileté qu'il déploya. chances diverses sur les côtes d'Espa
Après avoir combattu avec le plus grand gne, d'Italie, de Sicile ou même de
acharnement, les navires algériens fu- France. Pour échapper à l'uniformité
rent presque seuls sauvés de ce désas- des détails qui se reproduisent sous un
tre. La dernière grande action de ce aspect à peu près semblable dans la suite
siècle, si fécond en événements à la- , de l'histoire de la Régence, nous devons
quelle les Algériens coopérèrent, fut le nous bornera signaler les faits principaux:
siège et la prise de Tunis et de la Gou- qui ont exercé une influence notable sui
lette sur les Espagnols au mois de juillet l'organisation intérieure, ou qui se rap
1574. Sinan-Pacha commandait l'opéra- portent aux expéditions importante]!
tion. Après la victoire, il organisa à entreprises par les nations chrétiennes
Tunis une milice d'après les règles éta-
blies à Alger. Mais, soit que les mœurs
ALGÉRIE. 24î

Traité de 1604 avec la France. dations exercées contre le commerce de


.Marseille et sur les côtes deProvence,
Savary de Brèves ambassadeur
, En 1616 et 1618 des de la officiers
I d'Henri IV auprès de la Porte Ottomane, milice algérienne furent envoyés à la
'

conclut avec elle, en 1604, le traité le cour de France, alors à Tours, pour
plus avantageux que la France eût en- nouer des relations amicales; mais ces
! core obtenu de cette puissance. Les démarches avortèrent, à cause de la
j
gouverneurs d'Alger étaient rendus mauvaise foi des Turcs, qui continuaient
\ responsables des méfaits commis par les actes d'hostilité pendant les né-
|
leurs corsaires contre les bâtiments gociations. En 1618 le peuple de Mar-
français , sans être admis à contester seille, indigné du massacre de l'équipage
les déclarations des parties plaignantes. d'un navire français se porta en foule
,

Mais comme déjà, dans des occasions à la maison qu'habitait un des envoyés
récentes , les pachas avaient refusé algériens et le tua avec quarante per-
,

i d'obéir aux injonctions du grand-sei- sonnes de sa suite. Les récriminations,


gneur pour la restitution des prises ou la guerre, les tentatives d'accommode-
pour le payement d'une indemnité ment se prolongèrent jusqu'en 1628, au
l'ambassadeur français stipula que la plus grand détriment de notre com-
France se réservait* le droit de châtier merce dans la Méditerranée et de la
!
elle-même les Algériens s'ils contreve- sûreté des populations qui habitaient
!
naient au traité; sans que cela pût être les côtes de Provence exposées aux in-
,

une cause de rupture entre les deux cursions des Algériens,


parties contractantes. Il était en outre
!
spécifié que les esclaves français dans Traité de 1628.
; toute l'étendue de l'empire seraient mis Le cardinal de Richelieu, fatigué des
(
en liberté ; que le pavillon français cou- plaintes universelles qui du midi de la
l vrait la marchandise, et que les marchan- France s'élevaient contre les Algériens
! dises et personnes des Français
les chargea le capitaine corse Samson Na-
ï étaient insaisissables sous tout pavillon; pollon de travailler à un rapproche-
f:
enfin la pêche du corail était garantie à ment. Ce ne fut qu'après deux ans de
la France conformément aux anciennes négociations, après deux voyages à Cons-
conventions; et il était enjoint aux Al- tantinopie, et après avoir gagné, à prix
gériens de laisser rebâtir le Bastion de d'argent des membres du divan, qu'un
,

;
France, ruiné quelque temps aupara- traité fut accordé à la France le 19
vant par la milice turque. Elle avait septembre 1628. Les esclaves fran-
attribué aux exportations de grains de çais furent rendus, moyennant rem-
[nos négociants une famine qui éclata boursement à leurs propriétaires des
j
alors dans le pays. sommes payées pour leur achat ; le
Afin de signifier la volonté du grand- rétablissement du Bastion de France
!
seigneur aux différents États musul- fut stipulé , ainsi que la liberté de la
mans de la Méditerranée, et d'assurer pêche du corail et du commerce de grains
4'exécution du traité, un chaouch de à la Galle. On convint de plus que le
'la Porte fut désigné pour accompagner traité de 1604 serait rendu exécutoire
Savary de Brèves. En Palestine, en pour l'avenir dans la Régence. La ville de
Egypte, à Tripoli et à Tunis cette mis- Marseille s'était imposé des sacrifices
sion s'accomplit avec quelques diffi- pour hâter la conclusion de la paix. Elle
cultés; mais à Alger la milice fit le en fut en quelque sorte indemnisée par
plus mauvais accueil au chaouch de la les travaux qui furent faits par ordre ,

Porte et à notre ambassadeur toutes : et aux frais du roi , aux concessions


les conditions du traité furent rejetées d'Afrique. On appelait alors de ce nom
^et méconnues. Savary de Brèves se le Bastion de France , la Galle et un petit
rembarqua sans avoir rien obtenu. Les poste au cap Rose. Il y avait sur ces
années qui suivirent furent marquées trois points environ quatre cents habi-
par les plaintes incessantes que, dès le tants, dont une centaine de militaires.
;
commencement de son règne, Louis XIII Le commerce français avait en outre
lit adresser à la Porte, au sujet de dépré- une maison d'agence à Alger et une
e
16 Livraison. ( Algérie. ) 16
,

242
L'UNIVERS.
mière moitié du dix-septième siècle, il
autre à Bône. Les dépenses pour
ces
faut mentionner, en 1624, une démons-
établissements, y compris les redevan-
chefs indigè- tration faite par la Hollande qui cap-
ces et les cadeaux pour les
par an. tura plusieurs corsaires et les fit pendre
nes , s'élevaient à 135,680 francs
Cette paix , si difficilement obtenue pour obtenir la restitution de ses navi-
res en 1638, la destruction de la flotte
ne fut pas longtemps respectée par les ;

Algériens. Ils recommencèrent bientôt


algérienne dans le port de Vallona
leurs courses avec plus d'audace et
parles Vénitiens; en 1652, un traité
d'activité que jamais, Les plus hardis de paix et de commerce entre les Algé-
franchirent le détroit et vinrent croiser riens et les Hollandais; en 1655, l'ap-
à l'embouchure de la Manche, sur les parition d'une flotte anglaise devant
côtes d'Angleterre et de Danemark. En Alger, et la conclusion d'un traité. Les
quelques années la France perdit quatre- Espagnols de leur côté, firent, en i 603,
,

vingts bâtiments de commerce, dont une tentative malheureuse pour s'em-


cinquante-deux des ports de l'Océan; parer du petit port de Tamagut, situé
leur valeur était estimée au-dessus de entre Dellis et Bougie; en 1611, ils
4,500,000 francs. Le nombre des captifs ravagèrent l'île de Kerkena et Djidjéli.
provenant de ces prises s'élevait à treize Pendant cette période la garnison d'Oran
cent trente et un, et en 1633 trois était parvenue à étendre son influence
à la puissante tribu des
mille Français gémissaient dans les ba- et à s'allier
gnes d'Alger. Après plusieurs tentatives Béni Amer. A plusieurs reprises les !

infructueuses pour arriver à une paix Arabes et les Turcs dirigèrent des atta- :

réelie et franche , le cardinal de Riche- ques contre Oran, notamment en 1605,


lieu voulut employer la force. Mais les en 1 622 et 1 653 ; mais ils ne firent jamais
siège régulier, et furent facilement
<

ordres donnés à cet effet au cardinal un


de Sourdis, qui commandait l'escadre repoussés.
dans la Méditerranée, ne purent être '

•exécutés; nos navires guerroyaient alors Révolutions dans f le gouvernement al-


contre l'Espagne. Les démonstrations gérien.
impuissantes qui furent faites n'eurent en peu
Il est nécessaire de rappeler
pour résultat que d'amener dans la pro-
vince de Bône la destruction des établis- de mots quelle était l'organisation du,
sements français, dont six cents habi-
gouvernement de la Régence, pour faire-
tants furent conduits dans les prisons
comprendre les modifications qui y fu-
d'Alger. Mais l'année suivante le réta- rent apportées dans le cours du dix-
blissement du Bastion fut imposé au septième siècle. Le pacha nommé par
la Porte exerçait le pouvoir
suprême,'
pacha d'Alger par les tribus elles-mê-
mes. Voici à quelle occasion La cessa- :
avec l'assistance et le plus souvent sous
contrôle d'un conseil. Les membres
tion du commerce avec les Français
le

avait été funeste aux intérêts indigènes ;


de ce conseil, au nombre de cinq, étaient:
le pacha, Youkil-el-hardj ,
comptable
et lorsque les troupes turques vinrent travaux
collecter l'impôt , les Arabes refusèrent
des munitions de guerre et des
de payer, "et se révoltèrent. Les Turcs de l'arsenal ; le khaznadji , trésorier,
furent battus deux fois , et les tribus chargé des services financiers le kho~ ;

dia-el-kheil , sorte d'inspecteur des ha-


exigèrent comme condition de leur sou- Yagha,
mission l'abolition de l'impôt et le réta- ras, chef du domaine de l'Etat;
blissement du Bastion de France. Ces
commandant de la milice et de toutes
la paye et
les forces, chargé de faire
circonstances facilitèrent, en 1640, la
d'administrer le territoire des tribus
conclusion d un arrangement avec Alger.
Mais cette fois encore aucune des clau-
makhzen de la province d'Alger. Ces
hauts fonctionnaires étaient appelés
les
ses du traité ne fut observée par les
kerassa ( les gens du trône ). Outre
ce
corsaires . et leurs brigandages furent à
interrompus pendant quelque conseil, il y avait une grande assemblée,
peine quatre rois
le divan, qui se réunissait
temps. affaires de;
par semaine pour traiter des
Pour indiquer sommairement les de 1 oudjac;
la Régence. Tous les soldats
rapports de la Régence pendant la pre-
ALGÉRIE. S43-

pouvaient assister au divan. Le pacha tions donnant entrée dans le conseil


en avait la présidence. supérieur. La même exclusion ne pesait
Nous avons déjà vu que la milice pas sur les Européens qui embrassaient
était recrutée dans les ports de la Tur- l'islamisme.L'organisation des équipages
quie d'Europe et de la Turquie d'Asie. des bâtiments qui faisaient la course
Lorsque les recrues arrivaient à Alger était tout à fait indépendante de celle
elles étaient incorporées dans un orta de la milice. Chaque capitaine de navire
(l'oudjac était subdivisé en ortas ou choisissait ses compagnons comme il
bataillons) avec un numéro d'ordre. l'entendait. Telle était la situation que
Le nouveau soldat avait le titre d'am- les révolutions dont nous allons nous
iouldach , jeune soldat; trois ans après occuper vinrent modifier.
il devenait aski-iouldach, vieux soldat. AroudjetKheir-ed-Din avaient placé la
La solde se payait tous les quatre mois, Piégence sous la protection de la Porte, et
et pouvait atteindre comme maximum, avaient sollicité et obtenu le titre de pa-
avec des gratifications fixes, pour le cha. Le grand-seigneur exerçait donc
vétéran, la somme d'environ 130 francs une souveraineté incontestable sur le
par an. La Porte fournissait une par- gouvernement des États d'Alger. Dans
tie des subsides pour la paye de la mi- les premiers temps les pachas étaient
lice. Le soldat vétéran devenait bach- choisis parmi les marins les plus illustres, ;
iouldach, c'est-à-dire chef de vingt sol- parce que la flotte algérienne prêtait sou-
dats (effectif ordinaire d'une tente); vent un secours puissant à la marine ot-
puis il pouvait être nommé oukil-el- tomane dans ses luttes contre l'Europe.
hardj, ou intendant, soit d'une garni- Mais après la bataille de Lépante, la
son , soit d'une colonne de troupes agis- Porte affaiblie, absorbée par la préoccu-
sante ; ensuite oda-bachi, ou belouk- pation d'intérêts glus graves et plus voi-
bachi, chef de compagnie, avec droit sins , n'apporta plus le même soin dans
de siéger au conseil. Les belouk-bachi le choix des gouverneurs d'Alger. D'obs-
étaient au nombre de soixante. Ces curs favoris, ou d'avides fonctionnaires
diverses qualifications ne constituaient qui achetaient leur nomination en cor-
pas, à proprement parler, des grades dif- rompant les principaux officiers du
férents, mais seulement des fonctions grand-seigneur, furent souvent inves-
auxquelles étaient attachés certains tis. A peine arrivés, tous s'empressaient
privilèges Dans toutes ces positions, de faire leur fortune , en puisant à tou-
on conservait lasolde en argent d'aski- tes les sources des revenus. La milice,
iouldach, vétéran. Le belouk-bachi habituée à obéir à des chefs illustres
pouvait être désigné pour commander quelle aimait, ne tarda pas à montrer un
une garnison ou une colonne; il rece- esprit d'indépendance et de révolte à
vait alors le titre à'agha. Après de longs l'égard de ces indignes successeurs des
services, les aghas étaient mis à la Kheir-ed-Din, des Hassan, desSalah-Réis
retraite, en conservant leur solde; ils et des Sinan-Pacha. Dans plus d'une
faisaient alors partie du tribunal du occasion, l'agha de la milice se mit en
kiaxa (lieutenant du pacha ) à Alger, opposition avecle gouverneur envoyé par
ou de celui du kaïd-ed-dar, à Cons- la Porte, et entraîna le divan à prendre
tantine ou de celui du cheikh-el-beled,
, des résolutions tout à fait contraires aux
à Oran, suivant le lieu de leur rési- ordres reçus de Constantinople. Plu-
dence. Ces tribunaux, présidés par le sieurs furent renvoyés , d'autres furent
second personnage de la localité, con- tués.
naissaient de tous les crimes ou délits Mais malgré ces protestations, sou-
,

qui se commettaient dans leur ressort. vent violentes, loin de se modérer, l'avi-
Les coulouglis (fils d un Turc et d'une dité et la rapacité des pachas n'avaient fait
femme indigène ) pouvaient être admis que s'accroître. Un règlement adopté par
dans la milice et arriver à tous les em- la milice leur accordait douze pour cent de
plois. On leur confiait même quelque- la valeur de toutes les prises faites par
fois les fonctions de gouverneur de les corsaires, ils ne se contentaient plus
province (bey); mais ils ne pouvaient de ce droit, qui produisait des bénéfices
$tre élevés à 1 une des cinq hautes fonc- énormes ; ils se livraient à des exactions
16,
244 L'UNIVERS.
contre les étrangers, contre le peuple des mesure de réclamer alors l'intégralité de
villes et contre les Arabes ; enfin ils ne ses droits , approuva les nouvelles insti-
craignaient pas de détourner à leur pro- tutions. Elle stipula seulement que la
fit une partie des sommes que le grand- solde delà milice serait dorénavant tout
seigneur envoyait pour contribuer à la entière à la charge de la Régence. Elle
solde de i'oudjac. C'est contre cet état continua à désigner les pachas pour re-
de choses qu'une révolution éclata en présenter les droits du grand-seigneur
1659. Un boulouk-bachi du nom de
, à Alger. Une lutte presque constante di-
Khelil, se mit à la tête des mécontents, visait le dey et le pacha; la milice, maî-
et proposa en plein divan de déposer le tresse de se donner un chef en changea
,

pacha et de modifier la constitution du au, gré de ses caprices ou de ses intérêts,


gouvernement. Le divan fut maintenu et contribua à rendre impossible l'éta-
comme par le passé; mais au pacha et blissement d'un pouvoir fort et homo-
aux quatre kerassa on substitua un gène.
conseil composé d'un certain nombre En se constituant indépendante, la
d'anciens aghas , retirés du service et , milice était devenue ombrageuse. Vers
auquel fut attribuée l'administration de l'année 1618, sur le bruit vague d'un
toutes les affaires. Un des membres du complot formé par les coulouglis , dix-
conseil en devint le président, avec le huit cents soldats turcs se rassemblèrent
titre d'Agha. On conserva les fonctions et décrétèrent que tous les coulouglis
de pacha à la nomination de la Porte; seraient bannis de la vilie. Quelques-uns,
on alloua au titulaire une solde de cinq ayant tenté de rentrer à Alger furent
cents piastres par mois, et sa maison fut saisis, enfermés dans des sacs et jetés à.
pourvue de tout ce qui est nécessaire à la mer. Cet acte de cruauté ne fit qu'exal-
la vie ; mais il lui fut interdit de s'immis- ter chez les coulouglis le désir de la ven-
cer dans les affaires de la Régence. On geance. Deux ans après , ils ourdirent
continuait à considérer le grand-sei- une vaste conspiration avec les habitants
gneur comme le chef de l'islamisme; on de la ville. Un instant ils furent maîtres
recevait ses ordres avec respect , mais on de la Casbah; mais les Maures hésitèrent
n'y obtempérait que tout autant que à se déclarer, et les rebelles, tombés
l'agha et son conseil le jugeaient con- entre les mains des Turcs, expièrent leur
venable. crime dans d'horribles tortures. Avant
Le chef de la conspiration, Khelil se , de succomber ils mirent le feu aux pou-
plaça à la tête du conseil en qualité d'a- dres ; cinq cents maisons furent renver-
gha*. Mais il ne tarda pas à suivre les sées, et plus de six mille personnes péri-
mêmes errements que les anciens pa- rent. Cette révolte, qui mit en danger
chas. On l'accusa de despotisme, et il fut l'existence même de la domination tur-
assassiné. Quatre aghas se succédèrent que, éclata en 1620 (1032 de l'hégire)..
dans l'espace de onze années, et tous pé- A partir de cette époque les coulouglis;
rirent de mort violente. Enfin, en 1671, ne purent plus être investis d'aucune
la milice irritée après avoir assassiné
, fonction dans la milice ils furent même,,
;

Ali-Agha, changea de nouveau la forme pendant un temps , entièrement exelus


du gouvernement. Elle emprunta à Tu- de I'oudjac. On rattache la formation
nis l'institution du dey. Le conseil des de la tribu des Ouled-Zeitouni, à l'est,
aghas fut aboli. Le dey devint le prési- d'Alger, à ce bannissement des coulou-
dent du divan. Il était électif. Il fut glis.
chargé de l'exécution des délibérations Une modification importante doitêtre
du divan, de l'administration intérieure aussi signalée dans la composition des
du pays et de la paye de là milice. Le équipages des corsaires. Le navire était
pacha fut maintenu dans sa nullité. armé par un entrepreneur ; mais il devait
Comme on le voit la dictature ne fit que
, recevoir un certain nombre de soldats
changer de nom et le pouvoir ne fut ni turcs commandés par un boulouk-ba-
plus stable plus modéré, ni plus res-
, ni chi. Tout l'équipage était sous les ordres
pecté. On envoya des députés à Constan* de cet officier. Ce changement fît perdre
tinople pour faire sanctionner ces chan- à la marine algérienne un grand nombre*
gements. La Porte, qui n'était pas en d'excellents matelots recrutés dans le Le-
ALGERIE 24,

vant; mais la course prit un caractère de part exerçaient des métiers ou tenaient
férocité implacable. de petites' boutiques d'épiceries. Quel-
La force totale de la milice était ques-uns se mariaient avec des femmes
évaluée à environ quinze mille hom- du pays. Pour honorer l'oudjac, le
mes. Son service se divisait par année : dey était inscrit en tête du registre, et
1° en service de garnison, qui absorbait recevait la solde de simple vétéran.
environ deux mille hommes, dissémi- Cette milice turbulente, adonnée à tous
nés dans toutes les villes delà Régence ; les excès , recrutée parmi la lie de
2° en service de camp, ou de colonne la population de tous les ports du Le-
( mahalla ) :
3° en service sédentaire à vant , fut un obstacle permanent au dé-
Alger. Cette troisième année était con- veloppement de l'État algérien. Lors-
sidérée comme année de repos. Il y que les Maures, chassés d'Espagne, vin-
avait des garnisons à Alger même
: rent chercher un refuge dans la Régence,
(environ trois cents hommes en dehors l'esprit jaloux et inquiet des soldats turcs
de la milice qui était au repos dans les les empêcha d'y introduire les industries
casernes ) ; à Mers-ed-Debban ( port des qu'ils pratiquaient dans Péninsule et
la
«louches); à Tizouzou, fort du côté de auxquelles ils fournissaient les plus ha-
ï'Arach; à Bou-Gheni, sur les pentes biles ouvriers. Plus tard lorsque par
,

du Djurdjura ; à Hamza, sur la route les mariages avec les femmes indigè-
d'Alger h Constantine, par les portes de nes il se forma sous le nom de cou-
, ,

Fer; à Sour-Ghozlan sur l'autre route


, louglis une race mixte
, heureusement
,

d'Alger à Constantine, qui contournait douée et susceptible de se livrer aux tra-


ï'Ouennougha ; à El-Kol , à Zamoura, vaux de la paix et de se civiliser, les sol-
au nord de la Medjana ; à Constantine dats turcs furent encore un obstacle
à Bône , à Tibessa sur la frontière
, à tout progrès ,
par leurs soupçons et
de Tunis ; à Biskra , à Bougie, à Oran , leur caractère ombrageux. Ces aventu-
à Mascara , à Mostaganem à Tlemsen. , riers avides , que l'appât du gain atti-
Chaque année au printemps les garni- rait seul de tous les points du Levant
sons étaient relevées. à Alger, n'avaient d'autre désir que d'a-
Il partait trois colonnes d'Alger pour masser de l'argent par tous les moyens.
aller percevoir l'impôt et maintenir les Les plus violents étaient les meilleurs,
tribus dans le devoir. La première se pourvu qu'ils fussent les plus expéditifs.
dirigeait vers la province d'Oran ; la La course, les exactions sur ies tribus,
seconde, vers Constantine; la troisième, les expéditions contre les États voisins
dans la province de Titeri , et jusque avec l'espoir d'en rapporter du butin ;
dans le sud où habitaient les tribus telles étaient leurs seules préoccupations.
sahariennes. Chaque bey comman- , Telles avaient été telles furent aussi
,

dant les provinces entretenait auprès


, les seules causes des guerres de l'oud-
de lui une sorte de bataillon d'infante- jac contre les nations chrétiennes, des
rie , composé également de Turcs et de révoltes des tribus épuisées, des hos-
coulouglis. Cette troupe et les cavaliers tilités souvent à peine motivées soit
du makhzen se joignaient à la colonne contre Tunis , soit contre le Maroc. Les
venue d'Alger, et parcouraient le pays, événements qui vont suivre justifieront
marchant à petites journées, et faisant surabondamment ces appréciations.
de fréquents séjours pour recueillir les
Expédition française contre DjidjêlL
contributions. C'était là le principal élé-
ment de force et de domination des Les révolutions intérieures dont il
Turcs; car l'autorité qu'ils exerçaient vient d'être question n'étaient pas de
sur les Arabes n'était en quelque sorte nature à rendre les corsaires plus scru-
qu'une compression continue et un puleux observateurs des traités. Le com-
système impitoyable pour leur arracher merce français avait particulièrement
un impôt aussi'lourd que possible. à souffrir de leurs déprédations. Le
A Alger les soldatsde l'oudjac étaient commandeur Paul , marin très-redouté
logés dans sept casernes. Ils recevaient de ces pirates, les chevaliers d'Hocquin-
i
la solde ,mais ne touchaient pas de vi- court et de Tourville , le duc de Beau-
vres lorsqu'ils étaient au repos. La plu- fort, croisèrent successivement contre
,

246 L'UNIVERS.
les navires algériens , et leur causèrent Le bruit de ces discussions regrettables
de grandes pertes sans pouvoir mettre parvint jusqu'à la cour de France, et le
fin aux hostilités. Enfin, en 1664, gouvernement ordonna au duc de Beau-
Louis XIV, lassé des insultes incessantes fort de reprendre la mer pour donner
faites par les corsaires à la France, ré- la chasse aux corsaires. Mais, sur ces en-
solut de réprimer sérieusement leurs trefaites , les Turcs arrivèrent devant
brigandages. Déjà le cardinal de Maza- Djidjéli , et attaquèrent les lignes fran-
rin avait précédemment plusieurs" fols çaises le 4 octobre. Ils furent repous-
entretenu le roi de la création d'un sés; l'armée fit des pertes; elle man-
établissement français en Barbarie. Il quait d ailleurs des choses essentielles
voulait occuper un port intermédiaire au bien-être des soldats , et les ma-
entre Tunis et Alger les deux princi-
, ladies sévissaient déjà cruellement. Là
paux foyers de la piraterie , afin d'en encore un temps précieux fut perdu en
arrêter plus sûrement les progrès. Il délibérations. On avait reçu le 22 oc-
avait été successivement question de tobre des renforts avec lesquels on au-
Stora, de Bône, de Bougie on se décida
; rait pu attaquer le camp des Turcs et
pour Djidjéli. Le duc de Beaufort fut enlever leur artillerie; par une étroite
placé à la tête de l'expédition, compo- interprétation des instructions qui pres-
sée de quinze vaisseaux ou frégates, crivaient de ne rien entreprendre au
dix-neuf galères et quelques autres bâ- dehors avant d'avoir assuré la position
timents; en tout soixante-trois voiles. de Djidjéli , les troupes françaises restè-
L'armée de débarquement comprenait rent dans l'inaction. Les Turcs ouvri-
près de six mille hommes. La flotte rent le feu le 29 contre les retranche-
partit de Toulon le 2 juillet 1664, et ar- ments français et refoulèrent tous les
,

riva devant Djidjéli le 22 du même mois, postes extérieurs. La position devint


après avoir relâché aux îles Baléares. Le critique les soldats, frappés de découra-
:

débarquement s'opéra le lendemain au- gement, se trouvaient dans un dénû-


près du marabout, où est maintenant le ment aussi complet qu'avant le ravitail-
fortDuquesne. LesKabiles n'opposèrent lement, car la plus grande partie des
d'abord qu'une faible résistance, et les vivres était avariée; ils manquaient de
habitants évacuèrent la ville. L'armée vêtements et de souliers, et n'avaient pas
s'établit en dehors des murailles sur une même de bois pour faire cuire les vian-
sorte de plateau , et fit quelques travaux des salées qu'on leur distribuait. Il
pour se retrancher et se couvrir. Dès fallut se résigner au rembarquement
Je 24 les Rabiles envoyèrent des parle- pour éviter une plus grande catastrophe.
mentaires et vinrent vendre des denrées ; Le 31 octobre au matin, cette opé-
mais, quoique leur envoyé se fût retiré ration s'effectua avec assez d'ordre;
satisfait des paroles du duc de Beaufort, on abandonna trente-six pièces d'artille-
qui déclara ne vouloir traiter en ennemi rie, et les dernières troupes qui quittè-
que les Turcs et les corsaires, la ligne rent le rivage furent vivement poussées
française futattaquée le lendemain. par les Turcs et-souffrirent beaucoup.
Pendant un mois, ce fut une alternative Cette expédition, quoique terminéed'une
continuelle d'hostilités et de protestations manière fâcheuse, eut cependant pour ré-
pacifiques. Enfin, fatigués des efforts sultat d'effrayer les Algériens. Le duc de
inutiles qu'ils faisaient contre l'armée Beaufort, qui était resté à la tête de la
française , lesKabiles se retirèrent dans flotte, poursuivit les corsaires, les battit
5

leurs montagnes pour attendre l'arrivée le 24 juin 1665 devant la Goulette, le 24


d'un corps de troupes turques qui devait août devant Cherchel, et fit oublier
venir combattre les chrétiens. promptement la fin malheureuse de l'ex-
Au lieu de profiter de ces irrésolutions pédition de Djidjéli. Le 17 mai 1666
et de cette espèce d'armistice pour se for- le divan d'Alger demanda la paix, et si-
tifier dans ia position qu'on occupait, les gna un traité avantageux pour la France.
chefs de l'armée se trouvèrent divisés par Cependant tous ces traités avec les
la plus fâcheuse mésintelligence. Le duc Algériens ne pouvaient offrir de garan-
de Beaufort jalousait le lieutenant gêné» tie. Ils ne les observaient que pendant
rai de Gadagne, commao.da.nt des troupes fè temps nMmmx® pour m Maire ctè
ALGÉRIE, 247

leurs pertes; aussi vit-on en 1670 une de la Merci , remplissant les fonctions
escadre française venir réclamer des de consul français à Alger. Duquesne
réparations pour des actes de piraterie refusa de recevoir le parlementaire, et
et obtenir des articles additionnels au fit répondre que si les Algériens vou-

traité de 1666. Ce nouvel arrangement laient demander grâce , ils eussent a se


stipula le rétablissement du Bastion de faire représenter par leurs chefs prin-
France, qui avaitété détruit par lesTurcs cipaux. La fierté de ce langage exaspéra
en 1659. Mais les affaires ne retrouvè- l'orgueil musulman, et les hostilités con-
rent plus la prospérité d'autrefois, soit tinuèrent. Mais le 12 septembre l'ami-
que les Arabes fussent plus hostiies, soit ral, contrarié par les vents, qui commen-
par le fait de l'incapacité des adminis- çaient à souffler avec violence et qui
trateurs. s'ont toujours si dangereux aux ap-
proches de l'équinoxe, donna l'ordre
Bombardement d'Alger par la France. à la flotte de lever l'ancre et rentra à
Depuis que legouvernement de Foud- Toulon.
jac était dirigé par un dey une animo- Quelques vaisseaux restèrent cepen-
sité particulière semblait avoir éclaté dantdevant le port pour former le blocus.
contre la France. A plusieurs reprises Baba-Hassan, effrayé des conséquences
des envoyés français durent venir récla- funestesqu'avait entraînées pour la Ré-
mer la fidèle exécution des traités; ils gence son imprudente déclaration de
obtenaient des promesses formelles; guerre, implora l'intervention de la Porte.
mais dès qu'ils étaient partis les cor- Sans attendre l'effet de cette démarche,
saires recommençaient à violer toutes Duquesnereparutdevant Alger le20juin.
les conventions. Enfin, en 1681 , le dey L'état de la mer ne permit de commen-
Baba-Hassan poussa l'insolence jusqu'à cer le bombardement que le 26. La ville
déclarer Ta guerre à la France. Tant de souffrit tant des bombes qui pleuvaient
méfaits , une si grossière insulte méri-
, sur elle chaque nuit, que le 28 la po-
taient un châtiment. Louis XIV or- pulation se révolta et exigea du dey
donna de préparer une expédition for- qu'il conclut la paix à tout prix. Du-
midable contre Alger. Le commande- quesne répondit à l'envoyé turc qu'a-
ment en fut confié à Duquesne, lieutenant vant toute espèce de préliminaires il
général des armées navales, auquel on exigeait qu'on rendît sur-le-champ,
adjoignit Tourville, du même grade que sans rançon, tous les esclaves français,
lui, et les chefs d'escadre de l'Hery et même tous les chrétiens pris sous
et d'Amfreville. La flotte, composée de pavillon français. Le dey essaya d'éluder
onze vaisseaux, quinze galères, cinq ces injonctions; l'amiral se montra in-
galiotes à bombes, deux brûlots et quel- flexible, et les clameurs du peuple,
ques petits bâtiments, fut réunie de- et surtout des femmes forcèrent le di-
,

vant Alger le 22 juillet 1682. La ville de- van à s'exécuter. On commença dès le
vait être bombardée jusqu'à ce qu'elle lendemain à rendre les esclaves. Le
arrivât à une soumission complète. Les 2 juillet on en avait déjà livré à la
opérations furent d'abord contrariées flotte cinq cent quarante-six. Le reste
par le mauvais temps. Le bombarde- était dans la campagne , et on s'occu-
ment ne put commencer que dans la pait à les réunir. Le 3 Duquesne
nuit du 21 août; les galiotes étant demanda des otages, et envoya signifier
mouillées trop loin, il produisit peu au divan que la volonté du roi était que
d'effets; repris le 26, jusqu'au 5 du la paix ne serait faite qu'à condition
mois suivant, il fit beaucoup de mal que les Turcs rembourseraient toutes
au port et à la ville. Plus de cinq cents les dépenses de la guerre et touîes
Algériens furent tués. La milice elle- les pertes que la France avait es-
même était dans la consternation suyées. Le divan déclara ces condi-
devant les effets terribles de ces pro- tions inadmissibles; les otages furent
jectiles dont on faisait usage pour la
, rendus, et on se disposa à reprendre
première fois dans la marine. Aussi les hostilités.
le lendemain, le dey envoya pour trai- Cette circonstance exaspéra la milice;
ter de la paix le père Vacher, religieux elle reprocha an dey d'avoir rendu les
,

L'UNIVERS.
248
eut échappe d'Estrées, à la vue de ces membres paU
esclaves sans que la ville
bombarde- pitants lancés jusque sur ses vaisseaux,
pour cela aux malheurs du
Baba-Hassan oublia lui-même les lois de l'humanité,
ment Une sédition éclata ;

Mezzo-Morto corsaire et lit égorger dix-sept prisonniers turcs


fut massacré, et ,

famcux,quivenaitd'êtreenvoyéen otage, qui étaient entre ses mains et laissa flot-


juillet le bom- ter leurs cadavres sur un radeau jusqu'à
fut proclamé dey. Le 21
prolongea,
et se l'entrée port. Après ces représailles,
du
bardementrecommença,
par remit à rentra à Toulon sans
la voile, et
sauf quelques interruptions causées
il

août. Les avoir rien terminé. Ce ne fut que le 24


l'état de la mer, jusqu'au 18
septembre de l'année suivante que Mezzo-
habitants s'étaient dispersés dans
les
Morto consentit à signer un traité pour
campagnes. La milice, qui était restée
pour cent ans. A la suite de cette paix, les re-
dans la ville,se livra à des atrocités
elle attacha le lations de la France avec la Régence fu-
se venger des Français ;

rent moins troublées que par le passé,


père Vacher à la bouche d'un canon,
et
crime quoique les corsaires n'eussent pas en-
son corps vola en lambeaux. Ce
Du- tièrement renoncé à leurs violences et à
devint le signal de bien d'autres.
leurs trahisons.
quesnefitenlever les Français, au nombre
encore
de quatre cent vingt , qui étaient Relations avec les nations européennes,
au Bastion de France, pour les soustraire
Pendant que s'accomplissaient les
à la fureur des Turcs. A la fin d'août
la
:

rega- événements qu'on vient de retracer


flotte ayant épuisé ses munitions ,
,
brièvement, les relations des Algériens
gna Toulon; un blocus sévère lut main-
avec autres peuples de l'Europe
les
tenu devant Alger. Lorsque l'année sui-
n'étaient pas meilleures. En 1660 les
vante de Tourville se présenta avec une
<

Hollandais et les Anglais, après avoir i

escadre nombreuse, Mezzo-Morto n'eut


signé des traités avec Alger, avaient été
pas de peine à décider le divan à accepter
négo- obligés, à la suite des insultes faites à
la paix. Après vingt et un jours de
leur pavillon, d'appuyer leurs réclama-
ciations , elle fut signée le 25 avril 1684,
tions par l'envoi de forces navales. En
malgré les intrigues des Anglais et des
1671 une flotte anglaise détruisit l'es-
Hollandais, qui craignaient de voir les
On rendit réci- cadre algérienne dans la rade de Bougie
Français trop favorisés.
divan en- et bloqua Alger. En 1677 le divan dé-
proquement les esclaves, et le
clara Sa guerre à l'Angleterre, et ne lui
voya des ambassadeurs en France pour
demander au roi la ratification du traité. accorda un traité de paix qu'en 1682,
châtiment si rude, deux fois re- à des conditions assez dures, après
Un par
le premier bombardement d'Alger
nouvelé, ne rendit pas les Algériens plus
Duquesne. Ce traité, plusieurs fois
circonspects. En 1688 ils insultèrent de
nouveau le pavillon de la France, et nous renouvelé, conduisit la Grande-Breta-
prirent quelques navires. Une escadre gne, sans guerre ouverte avec Alger,
jusqu'en 1816.
reçut ordre d'aller bombarder Alger; le
maréchal d'Estrées en fut nommé le Du côté d'Oran la position resta la
commandant. Du 1 er au 16 juillet le feu même entre la garnison espagnole et les
des galiotes ne discontinua presque pas. beys de l'ouest; en 1677 et 1688 plu-
Dix mille bombes furent lancées sur la sieurs attaques lurent facilement repous-
ville cinq gros navires furent coulés
:
sées. Mais en 1687 les Arabes avaient
la plupart des batteries démantelées la ,
-
obtenu un succès important contre le
tour du fanal rasée. Un grand nombre gouverneur d'Oran qui était sorti de la
,

d'habitants furent écrasés sous les dé- place pour les combattre. Il périt avec
combres des maisons; et Mezzo-Morto La ville fut bloquée,
sept cents des siens.
lui-même, alors investi delà dignité de par des secours qui vinrent
et délivrée

pacha, fut blessé à la tête d'un éclat de d'Espagne. En 1693 les Turcs et les
bombe La fureur des Algériens les poussa Arabes perdirent quatre mille hommes
à renouveler les supplices abominables sous les murs d'Oran. Jusqu'en 1696
employés lors dudernierbombardement; ils renouvelèrent chaque année leurs
plus de cinquante Français périrent de attaques sans plus de succès et se re-
,

cette mort épouvantable. Le maréchal tirèrent de guerre lasse. Un bey de la


ALGERIE. 249

province, Chaaban, fut tué dans ces nisiens furent battus, et deux mille d'en-
combats. tre eux qui avaient mis bas les armes
furent passés au fil de l'épée. Après cet
Situation intérieure de la Régence. exploit sauvage, l'armée venait à peine
L'histoire intérieure de la Régence de rentrer à Alger que le dey Mousta-
n'offre qu'un médiocre intérêt pendant pha se mit lui-même à la tête des trou-
la période dont il vient d'être question. pes pour se porter dans l'ouest à la ren-
Cependant, en dehors des efforts inces- contre des Marocains, qui avaient envahi
sants que les troupes turques devaient la Régence et s'étaient avancés jus-
faire pour percevoir des impôts exagérés qu'auprès d'Oran, ravageant tout devant
et pour comprimer les révoltes des tri- eux. Le dey n'avait que six mille fantas-
bus, on remarque une lutte sérieuse sins et mille cavaliers turcs; l'armée
qui s'engagea entre la Régence et les deux ennemie comptait plus de cinquante
Etats musulmans de Tunis et de Maroc. mille hommes, la plupart à cheval;
Ce fut le dey Chaaban, successeur de les Turcs attaquèrent avec tant d'impé-
Mezzo-Morto, qui soutint ces guerres. tuosité qu'après quatre heures de com-
Un prétendant au gouvernement tuni- bat ils enfoncèrent les bandes marocai-
sien, chassé par son heureux compéti- nes, et les mirent dans une déroute
teur, vint solliciter le secours de Chaa- complète. Mouley-Ismayl, sultan du
ban. A deuxreprises différentes, en 1689 Maroc, qui commandait lui-même ces
et en 1695 , les Algériens s'emparèrent troupes, ne s'échappa qu'avec peine;
de Tunis, ety firent un butin des plus ri- son cheval tomba entre les mains du
ches; mais à peine les troupes s'étaient- dey qui l'envoya plus tard en cadeau
,

elles retirées, que le protégé de Chaaban à Louis XIV. Ce combat sauva la Ré-
fut chassé. Le dey se préparait à aller gence ; il fut livré dans la forêt qui
le rétablir une troisième fois, lorsque porta depuis le nom de Mouley-ïsmayi,
l'armée se révolta contre lui et le dé-
, Le bey de Tunis se préparait à envahir
posa. Pendant que Chaaban combattait de son côté les États d'Alger; mais la
ses ennemis extérieurs, les Maures d'Al- défaite des Marocains le rendit plus pru-
ger avaient tramé une conspiration dent. Bientôt après le grand-seigneur,
,

avec l'appui de Tunis et du Maroc pour fatigué de ces querelles, qui affaiblissaient
chasser les Turcs de la Régence; le inutilement deux pays soumis à son
complot fut découvert, et valut à la autorité , envoya un capdji à Tunis
ville une contribution extraordinaire, avec mission de rétablir la paix. Le
outre la mort des principaux chefs de bey Mourad s'étant montré disposé à
la conspiration. Vers la même époque, continuer la guerre, l'officier de la Porte
Chaaban avait aussi dirigé une expédi- le fit étrangler, et massacra toute sa
tion contre les Marocains , qui avaient famille.
franchi la frontière et avaient porté leurs La paix qui suivit cette intervention
ravages jusque sous les murs de Tlem- de Porte ne fut pas de longue durée.
la
sen. Les deux armées se rencontrèrent Terminée en 1702, l'année d'après la
sur les bords de la Molouïa ; la victoire guerre était de nouveau déclarée. Le
resta aux Algériens. Ils poursuivirent dey manquait d'argent, malgré les exac-
l'armée marocaine jusque devant Fès, et tions exercées contre les tribus la mi- ;

lui accordèrent la paix à des conditions lice, qui ne recevait pas exactement sa
avantageuses. paye murmurait on eut recours à la
, ;

Les successeurs de Chaaban eurent guerre pour occuper sa turbulence, et


encore des luttes à soutenir; mais ils dans l'espoir aussi de retrouver des dé-
n'étaient plus les agresseurs. En 1700, pouilles aussi riches que celles que Chaa-
Mourad , bey de Tunis vint assiéger
, ban avait enlevées aux Tunisiens. Cette
-Constantine, défit l'armée du gouver- expédition commença d'abord sous les
neur de la province, et s'empara d'un plus heureux auspices. L'armée tuni-
fort situé en dehors de la ville. La sienne fut battue auprès de Ref et le ,

milice ne tarda pas à prendre une revan- bey tomba au pouvoir des Algériens.
che éclatante de cet échec; elle accou- Tunis, effrayée, offrit de payer une ran-
rut au secours de Constantine les Tu-
: çon pour que l'armée victorieuse n'entrât
,

250 L'UNIVERS.
pas dans ses murs. Le dey refusa, et septembre de l'année 1708 (Tan 1119
vint mettre le siège devant la capitale. de l'hégire). L'Espagne, agitée à cette
A près trente-neuf jours d'efforts inutiles époque par les sanglantes discordes
pour emporter la place, après avoir qui avaient suivi la mort de Charles II ,

perdu un millier d'hommes , les Algé- et par la guerre de la succession n'avait


,

riens partirent pendant la nuit, aban- pu secourir ses possessions d'Afrique.


donnant une partie de leur matériel.
Nouvelle révolution dans le gouverne-
Vivement poursuivis par les Tunisiens,
ils rentrèrent dans la Régence en fugitifs.
ment.
A peine arrivé à Alger, le dey fut étran- L'élection des deys donnait presque
glé et ses biens confisqués pour faire toujours lieu à des séditions et àdes trou-
la paye à la milice. Son successeur ne bles dans ces conflits, souvent fomentés
;

jouit pas longtemps du pouvoir. La pé- par eux, les pachas tentaient de ressaisir
nurie du trésor fût encore la cause de le pouvoir qu'ils avaient perdu. Ces offi-
sa mort. ciers de la Porte étaient haïs par la milice
;

elle les considérait comme les ennemis


Prise d'Oran.
des privilèges de Toudjac. En 1710,
Pektach-Khodja, qui venait de se faire Ali-Chaouch qui venait d'être élu dey,
,

proclamer dey, en 1707, s'occupa im- résolut de faire destituer le pacha, accusé
médiatement à ramasser de l'argent et d'avoir fait de l'opposition à son élec-
à donner de l'activité à la milice. Les tion et de réunir les deux fonctions
,

circonstances le servirent. D'un côté, en ses mains. Il envoya un officier ha-


les Hollandais demandèrent la paix et la bile à Constantinople, muni de riches
payèrent fort cher; de l'autre, le bey présents et chargé de demander pour
de l'ouest, qui voulait attaquer Oran lui l'investiture du pachalik. Le sultan
réclama des secours. Moustapha Bou- Ahmed III, qui régnait alors, considé-
Chelaghme ( père de la moustache ) com- rant que la Régence d'Alger était un
mandait alors la province. Pour mieux État presque indépendant que la mi-
,

surveiller les tribus des environs d'Oran lice méconnaissait ses ordres au gré de
et pour avoir une action plus directe ses caprices et que les pachas qu'il
sur le sud il avait déplacé le siège de
, nommait restaient sans autorité, se dé-
son autorité. Il avait abandonné Ma- cida à accéder à la demande d'Ali-
zouna pour s'établir à Mascara point
, , Chaouch, et lui conféra le titre de pacha.
plus^ centrai. Bou-Chelaghme constitua A partir de cette époque, le dey élu
bientôt des forces militaires imposantes par la milice reçut toujours de la
autour d'Oran. LesDouaïrs et les Abid, Porte l'investiture" des fonctions de
tribus récemment arrivées du Maroc, les pacha. Cette innovation, tout en con-
Béni Amer, qui avaient renoncé à l'al- servant au grand-seigneur l'apparence
liance des Espagnols et fait leur sou- au moins de son droit de souveraineté,
mission, furent organisés en makhzen fit aux deys une position presque ab-

et concentrés autour d'Oran de manière solue et indépendante. Cependant la mi-


à intercepter toute relation avec l'exté- lice, en voyant son chef élu s'élever, ne
rieur. Lorsque l'armée turque arriva lui accorda pas pour cela plus de respect
devant la place, la garnison espagnole, et d'obéissance. L'institution était chan-
à peine suffisante pour la défendre, ne gée; mais les mœurs turbulentes, les
recevant aucun secours d'Espagne, ca- violences, les rébellions continuèrent à
pitula à condition qu'elle serait ren- engendrer les mêmes désordres.
voyée libre en Europe. Les Turcs, fidè- Les rapports de la Régence avec les
les à leurs traditions de perfidie, pri- nations européennes ne furent pas mo-
rent possession de la ville et réduisi- difiés. Dans les années qui suivirent,
rent la garnison en esclavage. Peu après la Hollande, la Suède, la Sicile, l'An-
Mers-el-Kebir, pressée parla famine, se gleterre, la France, l'empire d'Allema-
rendit aussi. Pektach-Khodja fit hom- gne eurent des réclamations à faire
mage des clefs de la ville au grand-sei- valoir. Quelques nations obtinrent de
gneur. Ces événements si désastreux
, ces traités éphémères plus funestes
pour l'Espagne , eurent Heu au mois de qu'utiles, puisqu'ils avaient pour résultat
ALGÉRIE, 251

d'endormir la vigilance des peuples ans après que les Musulmans recou-
européens et que les Algériens ne se vrèrent ces deux places. Bou-Chelaghme
faisaient aucun scrupule de les violer se réfugia à Mostaganem, qui resta jus-
dès qu'une occasion de piraterie se qu'à la mort de ce bey, c'est-à-dire
présentait. La Porte voulut intervenir jusqu'en 1735, le centre du beylik de
en faveur de l'Empire en 1725; son l'ouest. Avantdemourir Bou-Chelaghme
envoyé fut insulté par le divan d'Alger, fit une attaque contre Oran aidé par
,

et ne put rien en obtenir. Irrité de cinq mille Turcs envoyés d'Alger. La


cette résistance, le grand-seigneur es- garnison sortit de la ville, et mit les Mu-
saya de revenir, en 1729, sur les con- sulmans en fuite après un combat très-
cessions qu'il avait faites à l'oudjac en vif. Ce fut la dernière tentative sérieuse

1710, et tenta de rétablir à Alger la dirigée contre Oran jusqu'en 1791.


charge de pacha. L'officier député vers Nous ne ferons que mentionner les
la milice ne put pas débarquer , et fut guerres que l'oudjac d'Alger entreprit
obligé de remettre à la voile, après contre Tunis, malgré les ordres formels
avoir reçu une somme d'argent pour delà Porte, en 1735, en 1740 et en 1745.
le dédommager de ses frais de voyage. Les Algériens s'emparèrent encore une
fois de Tunis, et y établirent un préten-
Prise (TOran par les Espagnols. dant qui se reconnut leur tributaire et
Les choses restèrent dans cette si- consentit à leur payer une redevance
tuation sans incident remarquable jus-
, ,
annuelle. Mais bientôt le nouveau bey
qu'en 1732. A cette époque, Philippe V, de Tunis oublia ses engagements, et la
raffermi sur le trône d'Espagne, réso- paix ne fut rétablie entre les deux États
lut de reconquérir Oran. Une flotte, qu'en 1747. Cette même année les habi-
composée de cinquante et un bâtiments tants de Tlemsen se révoltèrent contre
de guerre et de cinq cents navires de leur kaïd, et organisèrent un gouverne-
transport, fut réunie dans le port d'A- ment indépendant. Les troupes de l'oud-
licante; elle embarqua une armée forte jac, sous les ordres du bey de l'ouest,
de vingt-huit mille hommes, dont trois marchèrent contre la ville , la prirent
mille cavaliers. Le 15 juin, l'expédition, d'assaut et la livrèrent au pillage. La
commandée par le comte de Montémar, milice commit dans le sac de Tlemsen
mit à la voile. Retenue par des vents des excès de tous genres , et en rapporta
contraires, elle ne put opérer le débar- un butin considérable.
quement que 29, à deux lieues en-
le Ce serait se condamner à des répéti-
viron à l'ouest de Mers-el-Kebir, dans tions fastidieuses que de retracer en dé-
la baie du cap Falcon. Les Turcs et les tail les événements de l'histoire de la
Arabes essayèrent de s'opposer au dé- Régence. Ce sont, d'une part, toujours
barquement; ils furent facilement re- les mêmes vexations exercées contre les
poussés. Bou-Chelaghme était encore tribus et par contre les mêmes révoltes;
bey d'Oran où il s'était établi depuis
, de l'autre , les difiicultés sans cesse re-
1708. Le fameux baron de Riperda, re- naissantes avec les nations chrétiennes,
négat hollandais , au service du Maroc, des accommodements obtenus à prix
était accouru avec un renfort considé- d'argent, aussitôt violés que conclus. Il
rable pour protéger Oran. Le 30 juin il est important cependant de signaler la
voulut attaquer les retranchements des destruction d'une armée turque dans
Espagnols ; mais il essuya une défaite les montagnes des Flissa en 1768. La
complète et fut entraîné dans la fuite
, révolte fit des progrès rapides, et les Ka-
de l'armée musulmane. La population biles vinrent porter la dévastation jus-
de la ville, saisie de crainte, s'enfuit en qu'aux portes d'Alger. Jamais loudjac
toute hâte vers Mostaganem. Le comte n'avait été dans un état plus précaire.
de Montémar entra dans Oran sans Le calme courage du dey Moham-
et le
coup férir; il y trouva cent trente-huit med-Pacha sauvèrent la Régence. Après
pièces d'artillerie et des magasins abon- deux ans de troubles, les Kabiles, lassés
damment pourvus. Mers-el-Kebir op- de la guerre qui interrompait leur corn-
posa quelque résistance , et finit par merce firent les premiers des proposi-
,

capituler. Ci m fut que soixante-trois tions de paix et consentirent à, payer un


?
252 L'UNIVERS.
tribut. L'Espagne versa à Alger des som- d'Alger. Les musulmans poussaient de-
mes énormes pour le rachat de quinze vant leurs colonnes des troupeaux de
cents captifs chrétiens. Le Danemark chameaux qui effrayaient les chevaux
essaya de bombarder Alger en 1770; de la cavalerie espagnole, et leur ser-
cette tentative malheureuse ne causa vaient en même temps de remparts mo-
aucun dommage à la ville , et tourna à la biles. Bientôt le désordre et la confusion
confusion de l'amiral de Caas, qui la diri- se mirent dans les rangs des Espagnols,
geait. Deux ans après les Danois obtin- et O'Reilly pensa n'avoir d'autre res-
rent la paix à des conditions exorbitantes. source qu'un prompt rembarquement.
Cette opération eut lieu pendant la nuit
Expédition des Espagnols
et fut terminée le 9 au matin. Le 12
contre Alger.
on remit à la voile, et toute la flotte,
L'Espagne avait des griefs nombreux moins quelques bâtiments qui restèrent
contre lesAlgériens. Charles III voulut en croisière sur la côte, regagna les ports
enfin délivrer la Méditerranée de la pi- de l'Espagne. On évalua à quatre mille
raterie et des exactions des corsaires. te nombre des tués ou des blessés du
Le comte O'Reilly général irlandais au
,
côté des Espagnols.
service de l'Espagne, fut chargé du com- La défaite d'O'Reilly exalta l'inso-
mandement de cette expédition. La flotte, lence des Algériens, et réveilla le souve-
composée de quarante-quatre bâtiments nir de tous les désastres antérieurs que
de guerre, de trois cent quarante-quatre l'Espagne avait éprouvés sur cette même
j

navires de transport, et portant vingt plage. Les corsaires firent un mal af- \

et un mille fantassins, onze cents cava- freux au commerce delà Péninsule, et


liers et cent pièces d'artillerie de siège poussèrent leurs incursions jusque sur
ou de campagne, vint mouiller devant les côtes. Après plusieurs tentatives in-
Alger le 1 er juillet 1775. Le dey d'Alger fructueuses pour conclure un traité, les
avait fait de grands préparatifs de dé- Espagnols se déterminèrent à envoyer
fense. Le bey de Constantine et celui de contre Alger une expédition maritime. ;

ïiteri étaient arrivés avec un fort con- Leur flotte vint mouiller devant la ville \

tingent, fourni par les tribus, lie bey le 28 octobre 1783 elle ouvrit le feu le
; ;

er
de Mascara avait envoyé dix mille hom- 1 novembre, et le continua pendant huit
mes, sous la conduite de son khalifa. jours. La ville souffrit de grands dom-
Enfin les Turcs, les Arabes et les Kabi- mages, et le nombre des Algériens tués
les de la province d'Alger avaient égale- ou blessés fut très-considérable. Enfin j

ment pris les armes. le 9 novembre un vent violent força l'es- \

La flotte espagnole resta pendant huit cadre à s'éloigner. Ce châtiment n'amena


jours dans une inaction inconcevable. pas le dey à composition. Dans son or-
L'amiral Castejou, qui la commandait, gueil, oubliant les pertes, il considéra
eut une vive altercation avec O'Reilly la retraite des Espagnols comme une
au sujet de ses lenteurs et de son indé- victoire, et ordonna des réjouissances.
cision. Enfin le débarquement s'effectua Au mois de juillet de Tannée suivante
le 8 juillet, à gauche de l'embouchure de le bombardement recommença, et pro-
l'Arach, sur la plage du Hamma.Les Al- duisit les mêmes résultats. Enfin le 12
gériens ne cherchèrent point à s'y op- juin 1785 une division espagnole, por-
poser; à peine débarqués, les gardes val- tant pavillon parlementaire, vint de-
îones, les Suisses et les Irlandais, qui mander la paix. Le dey l'accorda, mais il
devaient former l'aile gauche, se portè- en coûta quatorze millions à l'Espagne.
rent vers les hauteurs où étaient em-
,

busqués une grande quantité d'Arabes ; Derniers deys d'Alger.


emportés par leur ardeur à combattre Baba-Mohammed, qui mouruten 1791,
sur un terrain défavorable, ils perdirent après avoir régné vingt-cinq ans, exem-
beaucoup de monde. Pendant ce temps, ple unique dans l'histoire d'Alger, avait
la deuxième division, qui débarquait, fut conclu un traité avec la France deux ans
attaquée à sa gauche par le contingent avant. II fut remplacé par Baba-Hassan,
de Constantine, conduit par Salah-Bey, son fils adoptif. Le 12 septembre 1791
et à sa droite par les troupes sorties l'Espagne abandonna Oran et Mers-el-
ÀLCiÉRIÈ. 253

Kebir au dey, avec les canons, les mor- Il une grande crainte des Français,
avait
tiers et les approvisionnements de et la gloire de nos armées l'avait frappé
guerre. Malgré ces sacrifices un traité
, de terreur. Le général Bonaparte lui cau-
aussi humiliant fut considéré comme sait des alarmes particulières; il l'appe-
une affaire avantageuse pour l'Espa- lait le général diable , et redoutait tou-
gne Oran lui coûtait annuellement qua-
: jours de le voir arriver à Alger avec ses
tre millions sans aucune compensation; troupes invincibles. Il eut pour succes-
il exigeait une garnison de cinq ou six seur son neveu Moustapba. L'expédition
mille hommes. Les rapports de Baba- dirigée par la France contre l'Egypte
Hassan avec la France furent d'abord avait irrité contre elle toutes les nations
satisfaisants; bientôt les sujets de co- musulmanes ; cependant les Algériens
lère et les prétextes de rupture ne man- n'auraient pas déclaré la guerre s'ils n'y
quèrent pas. Mais comme la Régence avaient été pour ainsi dire forcés par un
avait fait des livraisons de blé considé- envoyé de la Porte. Mais dès que cet of-
rables à la Provence pendant la disette ficier fut parti le dey se hâta, à la solli-
de 1789, et que toutes les sommes n'é- citation des juifs Busnac et Bacri, de
taient pas encore payées, malgré les inci- mettre en liberté les Français qu'il avait
tations des Anglais et des Espagnols, qui fait emprisonner. L'intervention de ces
représentaient la France comme un État négociants fit aussi délivrer les Algériens
sans force, sans argent, sans alliés et à que le Directoire avait fait arrêter en
la veille d'une ruine inévitable, le dey France par représailles. Lorsque Bona-
ne rompit jamais complètement les re- parte fut nommé premier consul, le dey,
lations. L'amitié du dey sembla suivre se rappelant que ce général avait renvoyé
pendant un temps les alternatives des re- libres tous les esclaves algériens qu'il
vers ou dessuccès des armées françaises ; avait rencontrés dans les villes d'Italie
la victoire ayant en définitive été favo- et dernièrement encore ceux qui étaient
rable à la France, Baba-Hassan se dé- retenus à Malte, écouta favorablement
termina à devenir l'ami de la république. les propositions de paix qu'on lui fit de
La France tirait alors de grands avan- la part de la France; l'influence an-
tages de son alliance avec Alger. Non- glaise et les menaces de la Porte em-
seulement elle reçut de la Régence de pêchèrent la conclusion du traité. Obligé
nombreuses cargaisons de blé, dont les de déclarer encore la guerre à la France,
provinces du midi en proie à la disette,
, Moustapha-Dey écrivit au premier con-
avaient le plus grand besoin; mais le sul pour s'en excuser. La paix ne fut si-
Directoire parvint, en 1794, à négocier gnée qu'en 1802. La fermeté du gouver-
un emprunt de cinq millions avec Baba- nement français et de son représentant
Hassan, qui se refusa à en recevoir les maintint le cley dans de bonnes rela-
intérêts. Une maison de commerce juive, tions ; on résisla avec énergie à toutes
dirigée par les frères Busnac etBacri, fut ses prétentions exagérées, sansqu'ilosât
l'intermédiaire de ces négociations et des rompre. En 1805, Bonaparte, devenu
fournitures de bié. Elle étendit bientôt empereur, envoya son frère Jérôme avec
son influence avec tant d'habileté sur une division navale pour réclamer les
toutes les affaires de l'oudjac qu'elle dé- esclaves français, italiens et liguriens;
termina la catastrophe qui causa la ruine ils furent rachetés pour une somme
de la domination turque à Alger. En de 400,000 francs. Cette même année,
1796, Busnac et Bacri, ayant achevé leur les 28 et 29 juin, les juifs de la ville fu-
fourniture de blé, en réclamèrent le rent pillés et massacrés à la suite du
payement; le trésor de la république meurtre de Busnac par un soldat de la
était vide, il leur fallut se contenter milice. Ce négociant, d'une intelligence
d'une reconnaissance. Plus tard, ces négo- rare et d'un courage peu ordinaire chez
ciants s'étant faits aussi les fournisseurs ses co-religionnaires , avait acquis une
des Anglais pour l'approvisionnement influence presque absolue sur toutes les
de Gibraltar, le gouvernement français affaires de l'Etat. Son insolence et son
suspecta leur loyauté et ne voulut plus avidité furent fatales à tous ceux de sa
les solder à l'avenir que par à-compte. race. On chassa les juifs de la ville, à
Baba-Hassan mourut le 14 mai 1798. l'exception de ceux qui exerçaient des arts
254 I/OTIVERS.
mécaniques, en nombre limité, confor- la même situation jusqu'à la mort de
mément aux prescriptions d'une ancienne Hadj-Ali, qui fut tué dans son bain le 22
loi, promulguée par Barberousse. mars 1815. Le changement du gouver-
Deux mois après les crimes atroces nement de la France fut accueilli à Al-
dont vient d'être question , la milice
il ger avec joie, parce qu'on espérait échap-
se révolta, tua le dey et nomma à sa per à la crainte que l'empereur Napo-
place Ahmed-Khodja, chef des secrétai- léon avait inspirée. Les juifs se hâtè-
res du divan , connu par sa haine con- rent de produire les anciennes créances
tre les juifs. Des révolutions orageuses pour les fournitures de blé, dont, à l'aide
inaugurèrent le commandement du nou- de quelques fraudes et de leur prétention
veau dey. Dans l'est , Hadj-Mohammed à des intérêts énormes, ils exagérèrent
ben-Arach, marabout originaire du Ma- beaucoup le chiffre.
roc leva l'étendard de la révolte au mi-
, Le successeur de Hadj-Ali fut un cer-
lieu des montagnes de Djidjéii; il vint tain Mohammed, qui régna quelques
assiéger Constantine, suivi par tous les jours à peine. Il fut déposé par la milice,
Kabiles soulevés, au nombre de plus qui choisit à sa place, le 7 avril 1815,
de soixante mille. Le bey était alors ab- Omar-Agha. Les relations avec les na-
sent; un de ses kaïds fit une sortie tions chrétiennes ne s'étaient pas amé-
contre les rebelles, et dissipa leurs bandes liorées. Les États-Unis envoyèrent une
indisciplinées après leur avoir tué sept division navale sous les ordres de l'a- :

ou huit cents hommes. Du coté de l'ouest, mirai Décature, pour tirer vengeance \

l'insurrection éclata dans Tlemsen con- des insultes faites à leur pavillon. Ils j

tre les Turcs, les couiouglis et les juifs; obtinrent un traité avantageux au mois
elle se rendit maîtresse delà ville, et de juin. La Hollande et l'Angleterre
\

remporta une première victoire contre avaient aussi des griefs contre les Algé- j

les troupes de l'oudjac. Le bey de la riens. Ces deux puissances unirent leurs
j'

province fut plus heureux; il joignit les forces pour obtenir une réparation. Le
révoltés, les mit en déroute, et fit rentrer 26 août 1816, lord Exmouth vint à la ;

Tlemsen dans le devoir. Il eut aussi des tête de trente-deux bâtiments anglais
troubles à apaiser chez les Flissa. Ah- et de six frégates hollandaises mouiller ;

med-Khodja entreprit une expédition devant Alger, à un quart de portée de j

contre Tunis en 1807. Son armée battit canon. La ville fut enveloppée par les |

d'abord les Tunisiens ; arrivée devant le vaisseaux ennemis du nord au sud-est. j

Kef pour en faire le siège, elle ne put L'amiral anglais fit signifier au dey les
pas l'emporter , et l'hiver la força de re- conditions suivantes : 1° la délivrance
]

gagner Constantine. L'année suivante sans rançon de tous les esclaves chré- \

les hostilités furent reprises malgré les , tiens ; 2*> la restitution des sommes j

ordres de la Porte ; mais la milice turque payées récemment par la Sardaigne et


se révolta et se débanda ; rentrée à Al- INapîes pour le rachat de leurs esclaves;
ger, elle tua le dey, le 7 novembre 1808. 3° l'abolition de l'esclavage; 4° la paix
Ali-Khodja, le successeur, ne jouit pas avec les Pays Bas aux mêmes conditions
longtemps du pouvoir; il fut étranglé et qu'avec l'Angleterre.
remplacé par Hadj-Ali. Omar-Pacha ne daigna pas répondre
Le nouveau dey se signala par sa à cet ultimatum. Les batteries tur-
cruauté et sondespotisme.il continua la ques du môle ouvrirent le feu ; ce fut
guerrecontre Tunis, dont il réclamait un le signal d'une attaque générale. Elle
tribut : il essuya également une défaite fut terrible, et dura jusque bien avant
devant Réf. Le bey d'Oran se révolta,
le dans la nuit. Presque toutes les batteries
et s'avança jusqu'à Miliana, à la tête de algériennes, qui étaient prises à revers
forces considérables mais ce danger fut
; par l'artillerie anglaise, furent démon-
conjuré par la trahison des cheikhs ara- tées, et les navires qui étaient dans le
bes , qui livrèrent le bey aux troupes port furent incendiés. Mais au milieu de
turques. Dans le sud, le bey de Titeri la nuit, les bâtiments algériens en
fut battu par les tribus du Sahara. En- flammes ayant rompu leurs amarres,
fin les Kabiles du Djurdjura s'agitèrent furent poussés par la brise hors du port j
de nouveau. Les choses restèrent dans et s'avancèrent vers la flotte anglaise.
ALGÉRIE. 255

Elle dut mettre à la voile en toute hâte blit dans Casbah et y fit transporter
la
pour éviter ces dangereux brûlots. Le le trésor public, qui était déposé à la
lendemain lord Exmouth écrivit au dey, Jénina. Les soldats se révoltèrent en
et lui offrit encore la paix aiix mêmes effet plusieurs fois contre lui; mais à
conditions qu'avant le combat. Cette l'abri de toute surprise, derrière les
proposition fut acceptée, et le jour murailles de la Casbah, il triompha des
même, 28 août, un traité fut signé séditieux, et fit mourir les plus compro-
er
avec les Algériens. Cet heureux ré- mis. Il fut atteint par la peste le 1
sultat fit le plus grand honneur à la mars 1818. Il eut pour successeur Hus-
nation anglaise. La flotte souffrit beau- sein-Dey, qui occupait encore le pou-
coup, et perdit huit cent quatre-vingt- voir lorsque la France, pour venger une
trois hommes; les Hollandais de leur insulte faite en 1827 à son consul, diri-
côté eurent deux cents hommes tués et gea une expédition formidable contre
trois cents blessés. la Régence en 1830, et mit fin à la do-
Quoique Omar-Pacha eût montré le mination de ces corsaires, si longtemps
plus grand courage pendant ce long funeste au commerce de tous les États
combat, la milice ne lui pardonna pas chrétiens.
l'issuemalheureuse de cette affaire. 11 La suite de ce résumé historique nous
fut étranglé le 8 septembre de l'année dispense d'entrer ici dans de plus longs
suivante par des soldats mutinés qui ,
développements sur les causes de la
lui donnèrent pour successeur un cer- rupture de la France avec le dey d'Alger
t

tain Ali-Khodja. Ce nouveau dey indis- et sur les principaux événements qui
posa bientôt la milice contre lui par ses précédèrent la prise de possession de
cruautés et ses actes de démence; pour la capitale 4e la Régence par l'armée
se mettre à l'abri des rébellions, il s'éta- française.

L'ALGÉRIE DEPUIS 1830 JUSQU'EN 1848.

L'histoire de l'Algérie française de- mais pour s'y combiner, s'y associer, et
puis 1830 jusqu'à l'époque où nous préparer ainsi l'un des principaux élé-
écrivons ce rapide résumé est sans ments de la civilisation nouvelle et uni-
contredit le tableau le plus varié, le ca- verselleque les vieilles civilisations por-
dre le plus complexe et le plus saisis- tent dans leurs flancs déchirés. Pour la
sant , le drame le plus intéressant qu'of- première fois entre le Christ et Maho-
fre l'histoire des peuples modernes. met la guerre cesse d'être un but ; elle
Nous n'avons pas la prétention de devient un moyen, un accident, un
peindre ce tableau de remplir ce cadre,
, creuset d'où doit sortir un jour un
d'écrire ce drame émouvant de façon à monde nouveau. Nous engageons le lec-
satisfaire toutes les exigences que com- teur à ne jamais perdre de vue ce but
porte un sujet aussi vaste. Nous voulons providentiel , à rattacher sans cesse les
nous borner à réunir les éléments prin- événements qui passeront sous ses yeux
cipaux de cette grande histoire qui com- au point culminant que nous indiquons,
mence qui étend ses horizons de jour
,
s'il veut comprendre toute leur portée

en jour, et qu'un homme de génie pourra philosophique.


à peine écrire dans un siècle. Il est impossible, si l'on n'a pas dans

Pour donner une idée de ce grand ses mains ce fil d'Ariane, si l'on ne
fait qui s'accomplit et se poursuit de- consulte pas cette boussole , si l'on n'a
puis dix-huit années en Algérie , pour pas sans cesse les yeux fixés vers l'ave-
faire comprendre l'immensité de l'œu- nir, il est impossible de rester calme en
vre que la France y a entreprise à son présence de tant de tâtonnements, de
insu, il suffit de dire que pour la pre- tant d'inexpériences, de tant d'épreuves
mière fois les deux religions qui se par- douloureuses qui ne servent pas à l'en-
tagent le monde, le christianisme et seignement du lendemain , de tant de
l'islamisme, se rencontrent sur le même fautes accumulées. La France en Algé-
terrain, non pour s'y entre-choquer, rie est pareille à un enfant qui s'agitç
250 Ï/UNIYEHS.

sans but, qui s'irrite sans motif, et brise nements de toute nature cjue ceux qui
sans raison. Mais laissez l'enfant deve- ont marqué nos premières années d'oc-
nir homme, et vous comprendrez que cupation et d'extension algériennes,
l'activité bruyante et immodérée du la confusion naîtrait inévitablement
premier âge était nécessaire au dévelop- d'une division qui embrasserait dans
pement de l'activité virile. Ainsi de la leur ensemble militaire, politique, re-
France en face de l'œuvre dont Dieu ligieux , administratif, des périodes de
lui a confié la réalisation. La période de huit et dix années. Nous enregistrerons
3830 à 1838 a été sa période d'enfance; donc année par année ces événements
elle a été adolescente jusqu'en 1848; en les classant sous leur double aspect
elle entre aujourd'hui dans sa puberté. administratif et militaire. Nous avions
Ces diverses phases de notre vie poli- d'abord eu l'idée d'adopter une classifi-
tique en Algérie indiquent parfaitement cation plus analytique encore. Nous
les grandes divisions du résumé que avons, en effet, essayé de distinguer dans
nous nous proposons de tracer, bien les faits administratifs ceux qui avaient
plus avec la stricte fidélité du chroni- purement et simplement ce caractère et
queur qu'avec l'élévation de sentiments ceux qui semblaient se rattacher plus
et d'idées, avec les vastes vues d'ensem- particulièrement soit à l'ordre politi-
ble qu'on serait en droit d'exiger d'un que , soit à l'ordre religieux. Nous avons
historien. Or, la première, nous de- dû renoncer à établir cette division ra- ;

vrions dire la seule qualité indispensa- tionneile mais impossible, car le gou- j

ble au chroniqueur, c'est Tordre, c'est vernement militaire qui a régi jusqu'ici
la méthode. Nous tâcherons du moins l'Algérie a été un amalgame confus de
d'avoir cette qualité. tous les pouvoirs et de toutes les attri- l

Selon nous, laphase d'activité turbu- butions.


lente, irréfléchie, insensée quelquefois
Du 25 mai au 5 juillet 1830.
qui s'étend depuis la conquête jusqu'à
la prise de Constantine, correspond Causes de rupture entre le dey
assez bien à la période d'enfance; celle d'Alger et la France. On l'a dit —
qui s'étend depuis la prise de Constan- bien souvent un coup d'éventail un
: ,

tine jusqu'à la captivité d'Abd-el-Rader instant de mauvaise humeur ont suffi


est l'image assez fidèle de l'adolescence pour déterminer l'un des plus grands
avec ses aspirations impuissantes, ses actes de notre siècle, si fécond pourtant
efforts, ses mystérieuses préparations. en péripéties 'imprévues. A coup sûr le
La troisième période dans laquelle la motif, si futile en apparence, qui en-
France est entrée depuis peu par le vote traîna la France à la conquête de la Ré-
des cinquante millions applicables à la gence d'Alger ne sera pas 4e chapitre le
colonisation de l'Algérie, sera, nousfes- moins curieux des grand effets produits
pérons la période de jeunesse, la phase
, par les petites causes. Qu'on nous per-
des généreux élans, des passions sou- mette de résumer rapidement les faits
daines des nobles enthousiasmes. Puis-
, qui amenèrent la guerre.
sions-nous ne pas nous tromper et ce ! C'était en ï827; Hussein-Pacha était
vœu part du fond de notre cœur, car nous dey d'Alger. Le gouvernement algérien
aimons comme une mère bien aimée était créancier pour des sommes assez
cette terre vers laquelle un secret ins considérables de MM. Busnac et Bacri,
tinct nous attira le jour où pour la pre- riches négociants Israélites, qui eux-
mière fois, ily a dix-huit ans de cela! ce mêmes poursuivaient auprès du gouver-
nom d'Alger vint éveiller notre imagina- nement français la liquidation d'une
tion et jeter la France dans la plus gigan- dette contractée envers eux par la répu-
tesque, dans la plus noble entreprise blique pour des fournitures de céréales.
qu'ait jamais tentée un peuple chrétien. Lorsque la restauration revint pour
Toutefois la division que nous venons la seconde fois, tous les créanciers de
d'indiquer est bien plus la division mo- la France, qui voyaient avec quelle fa-
rale que la division matérielle de ce tra- cilité les Bourbons prodiguaient les
vail. Au milieu d'une aussi innombrable milliards aux étrangers et aux émigrés,
quantité de faits, de tentatives ,d'évé- songèrent à produire leurs titres et à
ALGÉRIE. 257

prendre leur part de nos dépouilles. fermeté très-grande, espérant ainsi


MM. Busnac et Bacri ne restèrent pas conquérir une popularité qui le fuyait
en arrière; leurs réclamations furent de jour en jour.
admises par les chambres législatives, Premières mesures offensives.
et fut reconnu que le capital et les
il — Une escadre fut dirigée vers la côte
intérêts de cette dette s'élevaient à la d'Afrique pour y faire blocus d'Alger.
le
somme de 14 millions. C'était énorme. De pompeuses menaces furent adressées
On transigea de part et d'autre , et par à Hussein -Pacha ; mais ces menaces
convention du 28 octobre 1819 ladette n'étant pas suivies de mesures décisives ,
fut réduite à 7 millions. M. Bacri avait du blocus
l'insuffisance et l'inefficacité
des créanciers en France; ceux-ci mi- dangereux même dans ces
si difficile, si
rent opposition au payement de cette parages, ne portant que de légères at-
somme de 7 millions, et ils furent succes- teintes au commerce et aux excursions
sivement désintéressés. Ces payements de la marine algérienne, le dey continua
effectués en France en faveur de créan- à braver notre puissance. Non-seulement
ciers français étaient loin de satisfaire nous ne vengions pas l'affront que nous
le gouvernement du dey, qui voyait avions reçu, mais nous épuisions en
ainsi disparaître le principal gage offert vain sur cette côte inhospitalière de pré-
par M. Bacri lorsqu'il s'était agi de cieuses ressources, une portion considé-
vendre à crédit au riche israélite des rable de notre matériel et de notre per-
laines, des grains, etc. Hussein-Pacha sonnel maritimes. Ce fut pendant cette
s'en plaignit bien souvent à notre consul croisière que notre flotte perdit l'un
général , M. Deval , qui ne tint aucun de ses chefs les plus intrépides et les
compte de ces plaintes. Les payements plus estimés, l'amiral Collet.
continuaient ; voyant qu'il ne pouvait ob- i.
Chacun de nos malheurs encourageait
tenir par M. Deval que le gouvernement ledey dans sa résistance, qui devait lui
français fît droit à ses observations, le dey devenir si fatale. Il poussa l'audace si
résolut de s'adresser directement au roi loin, que les batteries du môle crurent
de France, auquel il écrivit en effet. pouvoir impunément tirer sur un de nos
La réponse tardait; Hussein-Pacha, bâtiments qui s'approchait du port avec
soupçonneux à l'excès , interrogea trop le pavillon parlementaire.
vivement sans doute sur les causes de Sur ces entrefaites restauration
la
ce retard notre consul, qui répondit, sur était arrivée à la dernièrephase de son
un ton hautain , que le roi de France ne existence. Le ministère Polignac venait
pouvait , sans compromettre sa dignité, de prendre la direction des affaires,
correspondre avec un chef de pirates ou soulevant contre lui, de tous les points
de barbares. Cette réponse offensante delà France, une violente impopularité.
faite en présence des grands dignitaires L'expédition est décidée. — Dans
de la Régence , au milieu des solenni- l'espoir de se créer à l'extérieur un point
tés du Beïram provoqua la colère du
,
d'appui et de détourner l'attention pu-
dey, qui, oubliant sa circonspection blique des affaires intérieures, le minis-
habituelle , frappa M. Deval d'un éven- tère Polignac résolut d'en finir avec le
tail en plumes de paon qu'il tenait en dey d'Alger. L'expédition fut décidée,
ce moment à la main. Hussein-Pacha et M. de Bourmont, alors ministre de
accompagna ce geste brutal de paroles la guerre, fut désigné pour la comman-
offensantes pour le roi de Franceet der. On choisit parmi nos amiraux celui
pour les chrétiens en général. dont l'expérience et le caractère pou-
Ce fut le signal de la guerre. M. Deval vaient le mieux compenser, dans l'opi-
quitta Alger, et vint exposer ses griefs nion publique, l'effet désastreux que de-
au gouvernement, dont M. de Villèle vait produire le choix de M. de Bour-
était alors le chef. Loin de dissimuler mont. L'amiral Duperré fut appelé au
l'affront que la France venait de rece- commandement de l'escadre chargée de
voir dans la personne de l'un de ses transporter et de débarquer notre ar-
représentants a l'extérieur, le ministère mée sur la côte d'Afrique.
en fit grand bruit, et se prépara à dé- Le ministère déploya immédiatement
ployer vis-à-vis du dey d'Alger une la plus grande activité pour préparer

17 e Livraison. (Algérie. )
17
,

258 L'UNIVERS
cette vaste entreprise. Le port de formées. Chacune d'elles était composé<
Toulon, désigné comme point de départ, d'environ dix mille hommes.
était le centre d'un mouvement pro- La première fut placée sous le corn
digieux. Les troupes de toutes armes mandement du lieutenant général Ber
qui devaient faire partie de l'expédition thezène, qui avait sous ses ordres les
se mirent en mouvement sur toute la maréchaux de camp Poret de Morvan
surface du pays, et vinrent s'échelonner Achard et Clouët.
dans nos provinces méridionales. Des La deuxième division était comman-
préparatifs, des approvisionnements con- dée par lieutenant général Loverdo
le
sidérables et de toute nature furent or- Les trois brigades de cette division
donnés. La presse de l'opposition, si avaient pour chefs les maréchaux d<
puissante alors sur les esprits, s'attacha camp Monkd'Uzer, Colomb d'Arcin
à décrier le projet du gouvernement, à en et Dam rémont, que nous retrouverons
démontrer les inconvénients et les pé- plus tard expirant glorieusement sur 1
rils;mais on ne peut nier que les ins- brèche de Constantine.
tincts aventureux de notre nation ne Le général d'Escars, ayant sous ses
s'éveillèrent tout puissants à l'idée d'une ordres les généraux Berthier de Sau
expédition lointaine, entreprise, non vigny, Hurel et Montlivault, comman
plus, comme la guerre d'Espagne en dait la troisième division.
1823, pour une cause monarchique L'arme du génie militaire était placé
mais pour la défense de la dignité na- sous le commandement de l'un des of
tionale, de l'honneur de notre pavillon, liciers lesplus distingués de cette arme
des intérêts de notre commerce. le général Valazé. Le général Lahir
Le duc d'Angoulême, en sa qualité eut le commandement de l'artillerie.
de grand amiral, vint à Toulon présider La cavalerie se bornait à trois esca
lui-même à l'embarquement et au dé- drons détachés des 13 e et 17 e régiment
part. Des bateaux-bœufs, des chalands de chasseurs le colonel Bontems di
;

avaient été disposés pour recevoir et Barry eut le commandement de cett


transporter les vivres, les troupes et arme, qui présentait un effectif de cin<
le matériel de l'armée. Tous les navires cents chevaux. L'artillerie avait treize
de commerce disponibles avaient été cent quatre-vingts chevaux, le génie cent
frétés pour le compte de l'administra- vingt, en tout deux mille chevaux,
tion ; ces navires chargeaient, soit à Mar- en dehors de ceux de l' état-major, dont
seille, soit à Cette, des portions de ce le chiffre était considérable.
matériel immense, munitions, armes, Le personnel combattant s'élevait à
outils, puis venaient mouiller dans la trente-quatre mille cent quatre-vingt-
vaste rade de Toulon pour y attendre le quatre hommes, y compris les officiers.
jourdu départ.Un essai de débarquement Le personnel non combattant était de
des troupes eut lieu en présence du duc trois mille cinq cents hommes environ ;
d'Angoulême , par une belle journée de il se composait d'un intendant en chef,

printemps, aux applaudissements d'une M. Déniée, et de dix-huit sous-inten-


population innombrable , accourue de dants ou adjoints; d'un payeur général
tous les points du royaume, et tout sem- et de quatre payeurs particuliers; d'un
bla présager le succès de nos armes. médecin en chef, et de treize médecins
Composition de l'armée expé- de différents grades, indépendamment
ditionnaike. —
La plus généreuse des docteurs attachés à chaque corps;
émulation se manifesta dans l'armée : d'un chirurgien en chef et de cent cin-
faire partie du corps d'expédition était quante chirurgiens;^ d'un pharmacien
le rêve de tous, depuis le dernier soldat en chef et de quatre-vingt treize phar-
jusqu'aux généraux. C'est dire que l'in- maciens ; en tout deux cent soixante et
trigue et la faveur ne furent pas étran- onze officiers de santé. On comptait en
gères au choix des régiments et des chefs outre quatre-vingt-trois employés aux
qui devaient les guider. Il est juste d'a- vivres et fourrages, vingt-trois aux hô-
vouer pourtant que ces choix furent gé- pitaux, dix-huit aux campements. Deux
néralement bons. brigades de mulets de bât, fortes de trois
Trois divisions d'infanterie furent cent quatre-vingt-treize hommes et de
ALGERIE. 259

six cent trente-six mulets, étaient placées tion qu'à dix-huit ans de distance il
sous la direction d'un commandant des évoque souvenir de cette journée so-
le
équipages. Le train d'administration lennelle où la France, aventurière su-
comptait quatre cent trente et un hom- blime, allait joyeuse à la conquête d'un
mes et six-cent quatre-vingt-dix-sept monde nouveau, à l'accomplissement
chevaux ; un bataillon d'ouvriers d'admi- de l'un des plus grands actes de ce siècle.
nistration, fort de sept cent quatre-vingts Les hauteurs qui entourent la rade de
hommes ; cent vingt-cinq gendarmes Toulon étaient couvertes d'une foule in-
commandés par un grand prévôt qua- ;
nombrable. Des cris, des signes d'adieu
rante guides et interprètes complétaient saluaient au passage chacun de ces
ce vaste ensemble. vaisseaux qui portaient une portion de
Composition de la flotte. — la puissance, de la richesse et de la gloire
Nous venons de parcourir les journaux de notre patrie.
de cette époque, dont nous séparent déjà A la nuit, l'escadre entière avait gagné
tant d'événements si considérables, et le large, et s'était rangée en colonne dans
nous croyons inutile d'insister sur les l'ordre et suivant les distances que les
innombrables détails, sur les projets fa- instructions de l'amiral avaient pres-
buleux qui précédèrent ou accompagnè- crits.
rent cette expédition. Nous nous borne- Le lendemain, 26, la vigie du vaisseau
rons à raconter les faits. Pour trans- amiral signala à l'horizon deux frégates,
porter le personnel et le matériel im- l'une portant le pavillon français, l'autre
mense dont nous venons de parler, on portant le pavillon turc. La flotte mit
ne comptait pas moins de cent bâtiments en panne ; elle fut ralliée par les deux
de guerre dont onze vaisseaux , vingt-
, navires ; la frégate turque portait pavil-
quatre frégates, quatorze corvettes, lon au grand mât, signe de la présence
vingt-trois bricks neuf gabares, huit
, d'un grand dignitaire à son bord ; elle
bombardes, quatre goélettes, et sept mit à la mer l'un de ses canots , qui vint
bateaux à vapeur trois cent cinquante-
; accoster la Provence. Cette frégate avait
sept navires de commerce nolisés par en effet à son bord un ambassadeur que la
l'administration ; une flottille composée Sublime-Porte envoyait à Alger pour en-
de gros bateaux désignés sous le nom de gager le dey à faire ses soumissions à la
tartanes; cinquante-trois chalands pour France. Les rigueurs de notre blocus
l'artillerie et lestroupes; cinquante ra- avaient empêché le plénipotentiaire turc
deaux pouvant porter soixante-dix hom- d'aller à Alger, et il se dirigeait sur Tou-
mes chacun. Les chalands étaient amar- lon, accompagné d'une frégate française.
rés aux flancs des grands navires. Les L'ambassadeur fut reçu à bord de la Pro-
radeaux pouvaient se monter et se dé- vence avec les honneurs militaires ; il eut
monter en moins de six heures. L'amiral une assez longue conférence avec l'ami-
Duperré hissa son pavillon de comman- ral et le général de Bourmont puis il ,

dement sur le vaisseau la Provence, com- regagna son navire. Les deux frégates
mandé par le capitaine de vaisseau Villa- reprirent leur marche vers la France, et
ret de Joyeuse. L'amiral Mallet, chef de l'escadre continua sa route. Pendant la
l'état-major maritime, prit passage à journée du 29 elle côtoya l'île de Ma-
bord du même vaisseau, ai nsi que le géné- jorque, et dans la soirée du 30 elle était
ral en chef de l'expédition, l'intendant gé- en vue de la côte d'Afrique.
néral, et les principaux chefs de service. Le temps avait semblé jusque-là se-
DÉPART DE LA FLOTTE ET INCI- conder l'élan de l'armée, qui éclata de
DENTS de la traversée. — Le 25 mai joie à l'aspect de cette terre inconnue.
à midi, par une faible brise de nord-est, On espérait débarquer le lendemain ;
l'amiral donna l'ordre du départ. Toute les préparatifs pour cette grande opé-
l'escadre appareilla aussitôt, et cet im- ration étaient déjà ordonnés. Malheu-
mense mouvement, opéré avec un ordre, reusement la brise contraire fraîchit
avec un ensemble merveilleux, fut un pendant la nuit, et l'amiral Duperré,
imposant spectacle. Celui qui écrit ces sur lequel pesait une responsabilité si
lignes était embarquée bord du vaisseau lourde ne crut devoir rien laisser au
,

amiral, et ce n'est pas sans une vive émo- hasard dans une affaire aussi grave,
17.

260 L'UNIVERS.
L'escadre louvoya jusqu'au jour ; mais, batterie , située à peu de distance de la
le vent ayant augmenté et la mer étant côte , et masquée par des lentisques et
devenue très-grosse, l'amiral donna l'or- des lauriers-roses, eût lancé quatre bom-
dre à la flotte de mettre le cap sur Palma, bes, dont l'une, tombant à bord du vais-
où une partie resta mouillée jusqu'au seau le Breslaw, avait blessé un homme,
10 juin tandis que l'autre tenait la mer
, on présumait que les Algériens n'oppo-
en vue de l'île. seraient pas au débarquement une résis-
Le convoi des bâtiments marchands tance bien opiniâtre.
et la flottille des bateaux de débarque- Pendant toute la nuit, nuit splendide
ment ,
qui n'avaient pu quitter Toulon et étoilée, lestroupes se préparèrent au
qu'après l'escadre, avaient été dispersés débarquement, qui devait s' effectuer dès
par un coup de vent. Tous ces navires, le lendemain, 14, à la pointe du jour. La
après avoir gagné la rade de Palma, en mer, douce et calme, caressait les flancs
étaient sortis le matin du jour où l'es- de nos vaisseaux la brise était tiède
; ;

cadre y entra. Ces contretemps jetèrent ce beau ciel que nous admirions pour
quelque confusion dans l'ensemble des la première fois était si pur, si clément,
mouvements, mais aucun désordre ca- si radieux De temps à autre un chant
!

pital n'en résulta, car la plupart des na- de fête , un cri de joie s'échappaient de
vires se retrouvèrent à la hauteur de l'un des navires ; et de toutes parts aus-
Sidi-Féruk, indiqué comme point de dé- chants ré-
sitôt d'autres cris et d'autres
barquement. pondaient. Bien peu dormirent pendant
Arrivée a Sidi-Féruk; Mouil- cette veillée des armes , pendant cette
lage DE LA FLOTTE. —
Après dix nuit qui parut si longue pourtant , car
jours de pénible attente, pendant lesquels on attendait le jour avec impatience;
l'armée expéditionnaire et ses chefs ne on l'appelait, on le désirait comme on
manquèrent pas d'accuser les lenteurs désire toujours l'inconnu.
de l'amiral, d'incriminer sa prudence, DÉBARQUEMENT DES TROUPES.
le 10 juin l'escadre, favorisée par un Les premières lueurs de l'aube brillè-
temps magnifique, quitta les eaux de rent enfin , et les chalands chargés de
Palma, et reprit la mer dans l'ordre ha- troupes, remorqués par des chaloupes,
bituel. Le 13, à la pointe du jour, on se dirigèrent de toutes parts vers la terre.
aperçut la terre ; bientôt les maisons, Les Arabes laissèrent le débarquement
les arbres, les moindres accidents de s'effectuer avec ordre. En quelques
terrain se dessinèrent nettement, et de heures, grâce à la prodigieuse activité
tous les navires s'élevaient des cris de nos marins, la première division et
d'allégresse. Arrivée à une assez faible l'état-major furent à terre et le pavillon
distance de la côte, l'escadre mit le cap français flotta sur le marabout de Sidi-
à l'ouest et alla mouiller devant Sidi- Féruk, aux applaudissements, aux vivats
Féruk, promontoire situé à vingt kilo- de toute l'armée, de toute l'escadre en-
mètres d'Alger. thousiasmée.
A la fin du jour toute la flotte était à L'ennemi était campé à un ou deux
l'ancre , et si le départ de Toulon avait kilomètres de la côte. La première divi-
eu un caractère majestueux, ce ne fut sion, à peine débarquée , se forma en
pas un spectacle moins solennel et colonne, et marcha vers lui pendant que
moins émouvant que celui de cette flotte le reste des troupes prenait terre;
formidable paisiblement échelonnée en chaque division protégeait ainsi le dé-
présence de ce sol étranger qu'elle ve- barquement de celle qui la suivait, et
nait conquérir, et où le lendemain elle les bateaux à vapeur secondaient ce
allait planter pour toujours le drapeau mouvement en dirigeant leur feu vers
de la civilisation. les batteries que les Arabes avaient
Bien que pendant l'opération du élevées dans diverses positions pour as-
mouillage l'un des bateaux à vapeur de surer leurs retranchements.
l'escadre, le Nageur, eût tiré quelques Le débarquement des troupes, du
coups de canon sur des groupes de ca- matériel , des vivres, des chevaux , de
valiers qui paraissaient être venus en l'artillerie, continua avec une rapidité
reconnaissance sur le rivage bien qu'une
; et un ensemble admirables. Le succès
ALGÉRIE. 261

de l'entreprise dépendait du succès de sivement sur l'appui de Dieu et du


cette opération , car d'un moment à prophète. Le fait est qu'au moment de
l'autre, sur ces parages si difficiles , et notre débarquement le dey n'avait réuni
surtout dans une baie ouverte à tous les qu'une très-faible armée, sous le comman-
vents et à la mer du large, l'escadre pou- dement de son gendre Ibrahim, guer-
vait être obligée de lever l'ancre afin de ne rier fort inexpérimenté. Les Arabes s'é-
pas être jetée à la côte, et il était indis- taient joints en auxiliaires à l'armée
pensable que l'armée eût au moins les régulière d'Ibrahim ; mais ces forces réu-
vivres et les munitions nécessaires à sa nies et bien dirigées eussent été incapa-
défense; les désastres nombreux essuyés bles de résister à nos troupes, à plus
par l'Espagne dans ces mêmes parages forte raison quand l'union et la direc-
justifiaient toutes les appréhensions. tion leur manquaient.

Tempête du 16 juin. Un événe- Nous avons dit qu'à peine débarquée
ment, qui heureusement n'eut pas les la première division avait marché contre
suites déplorables qu'il faisait craindre, l'ennemi; celui-ci après un engagement
,

ne tarda pas à prouver l'utilité des mesu- qui n'eut rien de sérieux , lâcha pied et
res rapides que l'on avait prises, et le dan- prit la fuite. Les deux autres divisions
ger auquel l'escadre était exposée dans ce s'échelonnèrent entre la première et le
mouillage. Dans la matinée du 16 une camp de Sidi-Féruk de façon à défendre
,

tempête épouvantable se déclara ; le vent la ville improvisée et à garder toutes les


soufflait du large, et tous les vaisseaux positions. Pendant cinq jours ces deux
chassaient sur leurs ancres. Quelques divisions se bornèrent à faire et à essuyer
heures de plus, et c'en était fait de notre des feux de tirailleurs ; ces combats par-
puissance maritime, de l'expédition elle- tiels avaient surtout pour objet la con-
même peut-être ; car ce grand désastre quête et la défense d'un cours d'eau, d'un
et le spectacle de nos vaisseaux brisés petit ruisseau, d'une fontaine; car pour
sur la côte eussent certainement démo- les Arabes aussi bien que pour nous,
ralisé l'armée et redoublé l'audace des et pour nous surtout , l'eau était d'ur-
ennemis. Dieu ne le permit pas la tem-
: gente nécessité.
pête s'apaisa, la houle devint moins vio- Combat de Staoueli. — Jusqu'au
lente, et nous en fûmes quittes pour 19 l'armée française s'était done bornée
quelques avaries mais ce fut une rude
; à reconnaître et 'garder ses positions; et
leçon, qui ne fut pas perdue. L'amiral en présence d'un ennemi qu'elle pouvait
pressa davantage encore le débarque- croire bien plus considérable, elle s'était
ment et en peu de jours la plage de
, tenue sur la défensive, ce qui est tou-
Sidi-Féruk fut transformée en une ville, jours dangereux avec les Arabes. M. de
en un vaste parc, où toutes nos ressources Bourmont, à qui on ne saurait faire un
étaient classées et emmagasinées. Les crime de cette inaction apparente, car
divers services de l'armée y étaient or- elle avait surtout pour but de rendre
ganisés, et une route tracée au fur et à complète l'organisation des ressources
mesure des mouvements des troupes et du matériel de l'armée, M. de Bour-
mettait en relation ce quartier général mont ne pouvait deviner ce que nous
de nos opérations avec l'état-major de n'avons appris que par une longue expé-
l'expédition. C'étaitune féerie que de rience et le succès de la vaste et difficile
;

voirune ville française parfaitement or- entreprise qu'il dirigeait lui faisait. une
donnée à cette place déserte peu de loi de la. prudence même excessive.
jours auparavant. Les Arabes attribuèrent notre inaction
Premières opérations militai- à l'impuissance, et Ibrahim, qui comman-
res. —Hussein-Pacha, qui avait si inso- dait au plus vingt mille hommes, d'après
lemment bravé la puissance de la France, l'estimation de M. le commandant Pellis-
avait complètement négligé de prendre sier, l'un des officiers le mieux rensei-
contre nous des précautions proportion- gnés sur ces opérations (1), Ibrahim se
nées à la grandeur du péril soit que ce
,

péril lui parût bien moins redoutable (i) M. Pellissier est l'auteur des Annales
qu'il l'était en réalité, soit que le fa- algériennes , l'un des livres les plus estimés
talisme musulman le fît compter exclu- sur les premiers temps de la conquête, et que
,

2C2 L'UNIVERS.
disposa à nous attaquer. Dans la soirée Combat de Sibi-Khalef(24juïn).
du, 18 des Arabes vinrent donner avis des — La faute qu'on avait commise en se
dispositions de l'agha au général Ber- tenant sur la défensive, du 14 au 19 juin,
thezène, qui ne put ou ne crut pas de- fut malheureusement renouvelée après
voir en instruire le général en chef, dont le combat de Staouëli. Plus administra-
le quartier général était à Sidi-Féruk. teur que guerrier, le général en chef
Le lendemain, en effet, notre ligne fut s'occupa bien plus de l'organisation des
attaquée sur tous lespoints à la fois, mais divers services de l'armée, que du soin
principalement sur la gauche. L'attaque de poursuivre ses avantages. Après la
fut impétueuse, et nos troupes furent journée du 19 les Arabes, nous voyant
,

un moment surprises ; mais aussitôt el- immobiles dans nos cantonnements, en


les reprirent l'offensive, et secondées par conclurent que nous n'osions ou ne
deux bricks de guerre, qui vinrent s'em- pouvions avancer; et, ayant rallié ses
bosser à peu de distance de la côte elles
, troupes, Ibrahim-Agha recommença *
l'at-
repoussèrent les Turcs jusque dans leurs taque dans la matinée du 24 juin.
derniers retranchements. La première division, la brigade Dam-
L'ardeur de nos soldats et celle de leurs rémont, la deuxième, et tout ce que
chefs avaient seules fait les frais de cette nous avions de cavalerie , s'ébranlèrent
journée, à laquelle avait manqué toute aussitôt. Les troupes turques, qui avaient
direction supérieure. Le général de Bour- perdu une partie de leur artillerie à
mont ne put arriver que trop tard sur Staouëli, ne résistèrent pas au choc de nos
le théâtre du combat; et si moins de bataillons ; on les poursuivit jusqu'à huit !

prudence lui eût été commandé, s'il eût kilomètres d'Alger, à l'extrémité du pla-
eu à sa disposition d'importantes parties teau qui se lie au mont Boudjariah, l'une !

du matériel chargées sur des navires que des hauteurs les plus voisines de la ville. :

les contrariétés de la mer avaient jusque- Le général en chef donna l'ordre à ses!
là empêchés d'aborder à Sidi-Féruk, il est troupes de s'arrêter, au grand mécon-
probable que l'armée française, après tentement des soldats, ivres de leur
avoir mis en déroute les troupes musul- victoire. y
manes, aurait pu se rendre maîtresse Heureusement les raisons très-graves;
d'Alger. qui imposaient à M. de Bourmont une
Quoi qu'il en soit, les deux premières prudence que l'ennemi prenait pour de;
divisions poursuivirent les fuyards jus- la faiblesse allaient ne plus exister. Dès le!
qu'au camp de Staouëli , que les Turcs lendemain même du combat de Sidi-
avaient abandonné sans avoir le temps Khalef leconvoi chargé du matériel de<
d'enlever les objets les plus précieux. mouilla devant Sidi-Féruk, et,
l'artillerie
Ce fut une journée décisive , qui nous le général en chef, qui pendant cette
1

coûta six cents hommes tués ou blessés; journée avait eu le malheur de perdre sur
mais les pertes de l'ennemi furent beau- le champ de bataille l'un de ses fils
coup plus fortes. 11 eut trois ou quatre jeune officier de la plus haute espérance,
mille hommes tués ou mis hors de com- put songer à attaquer la ville.
bat; il perdit en outre cinq pièces de La troisièmedivision,quijusque-ià n'a-
canon, quatre mortiers; une grande vait pu donner, reçut l'ordre de prendre
quantité de bétail et de chameaux, qui position sur le front de l'armée. Les Ara-
servirent à porter les bagages de l'armée. bes ne cessèrent de nous harceler, soit par
Le résultat moral fut plusimportant en- leurs tirailleurs, soit par leurs batteries,
core, car dès ce jour le succès de l'expé- qui , des hauteurs voisines, faisaient un
dition et la prise de la ville ne furent feu presque continu. La position que nos
plus douteux. troupes occupaient était désavantageuse,
Les deux premières divisions s'établi- car elle était dominée par des points im-
rent à Staouëli , et s'y fortifièrent. La portants, et il y avait hâte pour nous de
route stratégique partant de Sidi-Féruk reprendre l'offensive, qui seule pouvait
fut prolongée jusqu'à ce point» imposer aux Arabes. Cinq jours pour-
tant se passèrent ainsi, Enfin le 28 au
,

nous consultons avec soin pour écrire notre soir, l'armée, les parcs d'artillerie et du
résumé hiatçu génie furent réunis à hSidi-Abd-er*Rah*
ALGÉRIE. 263
man, en chef donna pour
et le générai le sions. Avec un ennemi toujours
pareil ,

lendemain l'ordre de l'attaque. porté à prendre l'inaction pour de la fai-


Devant Alger. — Le 29, à la pointe blesse, il importait d'en finir au plus tôt.
du jour, l'armée se mit en marche, la Enfin le 3 juillet au soir les travaux fu-
première division en tête, la deuxième au rent terminés, les préparatifs achevés, et
centre, la troisième à droite; l'artillerie l'ordre de l'attaque fut donné pour le
etlegénie marchant dans les intervalles. lendemain.
Les troupes gravirent avec ardeur leBou- Le 4 au matin l'attaque commença en
djariah,et débusquèrent les Turcs, qui effet et elle fut rude ; la garnison du
,

laissèrent en notre pouvoir leur artillerie fort l'Empereur, à laquelle le feu du


après un engagement très-court. Soit fort Bab-Azoun et celui de la Casbah ve-
inexpérience, soit contre-temps, les di- naient en aide, tint bon, et pendant
vers ordres émanés de l'état-major pen- quatre heures riposta vivement. A neuf
dant cette journée, qui d'ailleurs ne heures du matin , au moment où le gé-
nous coûta que peu de monde, furent néral commandant l'artillerie donnait
mal transmis et mal exécutés; il en ré- l'ordre de battre en brèche , une explo-
sulta quelque confusion, qui eût pu de- sion effrayante se fit entendre. Les Turcs,
venir fatale si nous eussions eu en face désespérant de sauver le fort, venaient de
de nous des troupes exercées et des chefs l'abandonner, après avoir mis le feu aux
habiles. Mais il n'en était pas ainsi et , poudres. En un instant le sol fut jonché
avant la fin du jour nos divisions cer- de débris; l'obscurité produite par les
naient la ville. Cependant les communi- nuages de fumée et de poussière ne per-
cations d'Alger avec l'Est, par la plaine mit pas d'abord d'en distinguer la cause,
delà Metidja, restaient libres; et pour que et nos batteries continuèrent pendant
l'investissement fût complet, il fallait se quelque temps leur feu contre des murs
rendre maître du fort l'Empereur, situé qui n'existaient plus.
à huit cents mètres de la ville, sur une Bientôt pourtant on put s'y recon-
élévation qui domine les pentes et le pla- naître, et cette fuis le général en chef
teau de Mustapha. Le général comman- sentit la nécessité de ne pas s'arrêter à
dant l'artillerie reconnut le même jour mi-chemin. Une batterie dressée immé-
les approches du fort l'Empereur, et al diatement parmi les décombres du fort
fut décidé qu'on se rendrait maître de suffit pour faire taire le feu du fort Bab-
cette position avant de songer à attaquer Azoun.
le corps de la place. Dès cet instant, la ville, livrée à la plus
Attaque et destruction du fort grande confusion , était à nous.
l'Empereur. — Le 30 , à la pointe du Capitulation et entrée dans Al-
jour, les travaux de tranchée commen- ger. —
Hussein-Dey, que son aveugle
cèrent sous le feu très-vif et très-sou- confiance avait jusque-là égaré, qui avait
tenu des assiégés. Le 1 er juillet une bat- exclusivement compté sur la Providence
terie de six canons fut dirigée contre la pour nous vaincre ne crut pas que tout
,

face sud ; deux batteries, l'une de quatre pour lui alors même que nos ca-
était fini
pièces de canon de vingt-quatre, et nons dominaient la ville et la mettaient
l'autre de six pièces de même calibre en notre pouvoir. 11 ne fallut rien moins
une batterie d'obusiers et une de mor- que les cris et les menaces de la popula-
tiers furent successivement d ressées con- tion algérienne pour le décider à envoyer
tre les faces principales du fort. Ce fut l'un de ses ministres auprès du général
sous la protection de ces ouvrages que en chef avec des propositions incroyables.
Je travail de la tranchée se poursuivit Le dey offrait sérieusement de rembour-
avec une activité qui aurait pu être plus ser les frais de la guerre et de faire des
grande; seize cents travailleurs, se re- excuses au roi de France. M. de Bour-
levant à intervalles égaux, étaient em- mont répondit avec beaucoup de dignité
ployés à cette opération, souvent contra- qu'il ne pouvait admettre aucune négo-
riée par les sorties de la garnison du ciation avant l'occupation de la ville.
fort et par l'artillerie de la place. Le Cette réponse fut portée au dey, qui com-
feu des tirailleurs arabes ne se ralen- prit enfin que tout était fini pour lui»
tissait pas sur k® flânes de nos divi- tlnecapîtulauonfutsignéeî imxs croyons
,

264 L'UNIVERS.
devoir reproduire ici les termes de ce do- Commandement du maréchal Bour-
cument mémorable, qui a ouvert à la mont.
France une ère nouvelle d'activité dont
elle commence seulement aujourd'hui à (Du 15 juillet au 2 septembre 1830.)
comprendre toute la grandeur et toute
l'importance :
Trésor de la. Casbah. — Le gou-
vernement de Charles X, dirigé alors
« Convention entre le général en chef de l'ar- par l'homme qui allait perdre la res-
mée française et S. A. le dey d Alger. tauration et la branche aînée des Bour-
« i° Le fort de la Casbah, tous les autres bons, avait fait des préparatifs formida-
forts qui dépendent d'Alger, et les portes de bles pour assurer la conquête d'Alger ;
la ville seront remis aux troupes françaises mais aucun des hommes auxquels le
ce matin ( 5 juillet ) à dix heures. succès de cette expédition militaire avait
« 2° Le général de l'armée française s'en- été confiéne savait ce qu'il fallait faire
gage envers S. A. dey d'Alger à lui laisser
le pour administrer cette conquête. M. de
la libre possession de ses richesses person- Bourmont et son état-major se trouvè-
nelles. rent donc en présence d'une difficulté
« 3° Le dey sera libre de se retirer avec immense d'une œuvre qui eût exigé
,

sa famille et ses richesses dans le lieu qu'il un homme de génie. La loyauté du gé-
fixera, et tant qu'il restera à Alger il sera, lui
néral en chef s'attacha surtout à la fidèle
et sa famille, sous la protectiondu général en
exécution de la convention, et les Mau-
chef de l'armée française ; une garde garantira
res durent, au fond de leur cœur, bénir
ïa sûreté de sa personne et celle de sa famille.
le ciel de rencontrer tant de modéra-
« 4° Le général en chef assure à tous les
membres de la milice les mêmes avantages tion, tant de calme, tant d'honnêteté
et la même protection. chez leurs nouveaux maîtres. Mais la
« 5° L'exercice de la religion mahomé- loyauté, les bonnes intentions ne suffi-
tane restera libre; la liberté de toutes les saient pas à la tâche si difficile et si
classes d'habitants, leur religion, leurs pro- vaste qui venait d'incomber à la France.
priétés, leur commerce et leur industrie ne
recevront aucune atteinte; leurs femmes se- divers États de l'Europe au dey d'Alger. —
ront respectées; le général en chef en prend Les Deux-Siciles payaient un tribut annuel
l'engagement sur l'honneur. de 24,000 piastres fortes, et fournissaient des
« 6° L'échange de cette convention sera présents évalués à 20,000 piastres fortes. — La
fait avant dix heures du matin, et les troupes Sardaigne devait à l'Angleterre de ne pas j
françaises entreront aussitôt après dans la payer de tribut ; mais à chaque changement
Casbah , et s'établiront dans les forts de la de consul elle donnait une somme considé-
ville et de la marine. rable. — Les États de l'Église, protégés par
« Signé Hussein-Pacha. la France , ne payaient ni tribut ni présent
:
consulaire. —Le Portugal subissait les mêmes
Comte de Bourmont. » conditions que les Deux-Siciles. —L'Espagne
A l'heure dite les troupes entrèrent devait des présents à chaque renouvellement
en effet dans la ville, et nul désordre de consul. — L'Autriche , par la médiation
nulle violence ne signalèrent cette prise de la Porte, était affranchie du tribut et des'
de possession. L'escadre qui croisait de- présents. — L'Angleterre devait 600 livres
sterling à chaque changement de consul,
vant Alger depuis plusieursjours,etqui,
malgré la convention obtenue en 18 16 par
dans les journées du 1 er et du 3 juillet —
lord Exmouth. La Hollande devait comme
avait fait diversion aux forces;de l'ennemi
en canonnant de loin les batteries du
l'Angleterre un présent. —Les États-Unis , le
Hanovre et Brème, avaient adopté le même
môle, l'escadre vint mouiller sur la rade arrangement. —
La Suède et le Danemark
dès qu'elle vit flotter sur les forts de la fournissaient annuellement des matériaux de
ville le pavillon français. Ce fut une guerre et des munitions pour une valeur de
grande et solennellejournéequi affran- 4,000 piastres fortes.; Ces États payaient en
chit pour toujours les États européens outre tous les dix ans 10,000 piastres fortes
du tribut honteux qu'ils payaient à une et un présent à chaque renouvellement de
poignée de pirates (1). consul. — La France elle-même faisait des
cadeaux au dey à l'occasion de la nomination
(i) Voici la liste des tributs payés par les de chaque nouveau consul.
LGÉRIE. 265

L'un des premiers soins du général en passés à dix, douze et quinze ans de dis-
chef fut de faire constater par une com- tance. Nous nous bornerons donc à
mission l'existence du trésor public renonciation des faits , en ne laissant
trouvé dans les caves de la Casbah. Cette que peu de place aux réflexions qu'ils
commission, composée de trois mem- suggèrent.
bres M. le général Tholozé, M. Denniée,
: Le premier acte administratif de
intendant en chef, et M. Firino, payeur M. de Bourmont fut la création d'une
général, fit l'inventaire des diverses commission du gouvernement. Cette
sommes, qui s'élevaient au chiffre de commission était chargée, sous l'auto-
48,700,000 francs. Ces sommes furent rité immédiate du général en chef, de
embarquées sur les vaisseaux de l'esca- pourvoir provisoirement aux exigences
dre et transportées en France. Des ac- des divers services d'étudier et de pro-
,

cusations graves ont pesé sur certaines poser un système d'organisation pour la
personnes au sujet de ce trésor. Nous ville et le territoire d'Alger.
croyons qu'en pareilles matières, qui Cette commission , que la révolution
touchent à l'honneur des personnes, de juillet vint bientôt modifier, dirigée
lorsque les faits ne sont pas prouvés par M. Denniée, intendant en chef, au
jusqu'à la dernière évidence, il est du lieu de s'attacher à perfectionner les di-
devoir de l'écrivain de s'abstenir. Si verses institutions existant dans le pays,
plus tard la vérité se fait jour, l'histoire, les désorganisa sans y rien substituer. Il
impartiale, signalera les noms qui doi- en résulta les plus grands désordres ad-
vent être flétris ; mais, Dieu merci nous
! ministratifs, l'amoindrissement de notre
n'avons point ici cette tâche à remplir. influence ; et Ton peut dire sans exagé-
Indépendamment du trésor dont nous ration que toutes les fautes commises en
venons de parler, et qui compensa les Algérie ont eu leur point de départ dans
frais de la guerre, évalués pour l'armée l'incurie des premiers administrateurs
de terre à vingt millions , pour l'armée de la colonie nouvelle.
de mer à vingt-trois millions et demi; Organisation de la police. —Un
indépendamment de ce trésor, disons- arrêté en date du 13 juillet institua un
nous, la capitulation d'Alger fit tomber service de police sous la direction de
en nos mains quinze cents canons, M. d'Aubignosc, qui reçut le titre de lieu-
douze bâtiments de guerre et des immeu- tenant général, aux appointements de
bles considérables , dont nous aurons 18,000 fr. Il avait sous ses ordres un
plus tard l'occasion de parler. inspecteur général de police avec 3,000 fr.
Commission de gouvernement. — de traitement; deux commissaires de
Quoique nous ayons tâché de raconter police à 2,500 fr.; une brigade de sû-
rapidement les faits antérieurs au 5 juil- reté , composée de vingt agents ,d'un
let, nous avons dû pourtant entrer à leur chef et d'un sous-chef; trois interprètes,
égard dans quelques développements, recevant ensemble 7,800 fr., complé-
peut-être hors de proportion avec l'exi- taient le personnel de cette organisation.
guïté du cadre qui nous est tracé. C'est Conseil municipal. — Une sorte
qu'il nous a paru nécessaire de donner de conseil municipal fut créé il était
;

aussi complet que possible le tableau de composé de Maures et de Juifs, présidé


ce singulier mouvement diplomatique, par un Maure, ancien négociant qu'une
maritime, militaire, qui conduisit la banqueroute avait chassé de Mar-
France à la conquête d'Alger. De toutes seille. Les membres de ce conseil étaient
les phases de notre domination dans le pour la plupart des intrigants, qui ne
nord de l'Afrique, celle-là est la seule contribuèrent pas peu, par leurs exac-
qui forme un tout, un ensemble. A partir tions et leur insolence envers les in-
du 5 juillet, jour de l'occupation, rien digènes, à déconsidérer notre admi-
n'est complet tout se mêle et s'enchevê-
, nistration et à nous aliéner toutes les
tre: guerre, administration, politique, sympathies. Par un inexplicable aveu-
tout marche en désordre vers un but non glement ce fut à ce conseil qu'un arrêté,
défini, et c'est à peine si les événements en date du 9 août 1830, confia l'admi-
accomplis en 1848 peuvent expliquer nistration et la perception des produits
et faire comprendre ceux qui se sont de l'octroi et de la vente du sel. Cette
,

260 L'UNIVERS.

perception devait s'effectuer au et nom pour eux. Mais l'instant approchait où


pour compte de la ville d'Alger, sous la un nouvel ordre de choses allait renou-
surveillance d'un commissaire royal. On veler le personnel du commandement
peut se faire une idée du désordre qui ré- de la colonie. Un jour on aperçut un
gnait dans les hautes régions de l'admi- navire à l'horizon ; toutes les lunettes
nistration et du gouvernement algérien, braquées sur lui cherchaient le signe de
si l'on songe que ce conseil ne rendit au- sa nationalité. Le pavillon tricolore
cun compte de sa double gestion, et qu'au flottait à sa poupe et en tête de ses
mois d'octobre suivant le général Clauzei, mâts. 11 approchait, et les couleurs de-
gouverneur de la colonie ^ignorait l'exis- venaient de plus en plus visibles. Le
tence des droits d'octroi et de leur per- doute n'était plus permis; c'était un
ception. Le service de la douane, celui navire français. On peut facilement
des domaines, etc., n'offrirent pas moins imaginer les" sentiments divers qui agi-
de traces de désordre et d'imprévoyance. tèrent cette population depuis trois mois
Les édifices publics, les riches villas des absente de la mère patrie. Le navire
environs d'Alger furent saccagés par les avant de mouiller sur rade , amena son
soldats, qui détruisaient pour le plaisir pavillon , et bientôt la grande nouvelle
de détruire, et qui pour faire la soupe se répandit sur la flotte, dans tous les
brûlaient de riches boiseries, coupaient rangs de l'armée : une nouvelle dynastie
les arbres fruitiers, etc., sans que les chefs régnait en France. L'amiral Duperré
opposassent la moindre résistance à ce descendit à terre ; il eut avec le maréchal
vandalisme. C'était la France qui se trai- de longues conférences ; et le surlende-
tait elle-même en peuple conquis. main, d'un commun accord, le pavillon
Départ d'Hussein Pacha. — Ledey tricolore fut hissé sur toutes les batteries
avait accepté sa déchéance avec la ré- de la ville, à bord de tous les navires de
signation musulmane. Profitant des bé- l'escadre, et salué de salves d'artillerie.
néfices que lui garantissait la capitula- Le maréchal de Bourmont, suivi de
tion, reunit ses richesses personnelles,
il quelques officiers quitta Alger, peu de
,

et, après avoir fait une visite au général jours après l'arrivée de son successeur,
en chef, qui le reçut avec les plus grands à bord d'un petit navire qui le transporta
honneurs, il quitta Alger le 10 juillet, à en Italie. Les honneurs militaires dus à
bord d'un brick et fut conduit à Naples.
, son grade lui furent rendus au moment
Ses femmes, sa famille, ses serviteurs du départ. Ce fut un spectacle touchant
l'accompagnèrent. Au moment de son que celui de ce soldat abandonnant pour
embarquement il fit remettre une somme jamais le sol qu'il venait de conquérir,
considérable à l'officier qui avait été et qui gardait la dépouille de l'un de ses
chargé de l'accompagner. L'officier re- fils, mort au champ d'honneur, quittant
fusa ; et le dey s'étonna beaucoup de ce la ville dans laquelle il était entré peu de
refus, en disant que nous étions un jours avant en triomphateur.
peuple inexplicable, en ce sens que nous Le nouveau gouvernement éleva le
avions entrepris la guerre contre lui afin vice-amiral Duperré à la dignité d'amiral
de ne pas lui payer les sommes qui lui qui fut créée pour lui, et le général Clau
étaient dues par le juif Bacri, et que d'un zel , par décision royale du 12 août 1830,
autre côté nous dédaignions l'argent. succéda à M. de Bourmont dans le com-
Les Turcs qui faisaient partie de la mandement en chef de l'armée d'Afrique.
milice et qui n'étaient pas mariés à Alger
Turent embarqués peu de jours après et Commandement du général Clauzei.
dirigés sur Smyrne.
( Du 2 septembre 1830 au 21 février, 1831.)
RÉCOMPENSES DÉVOLUTION DE JUIL-

*,

LET. Une ordonnance royale en Opérations militaires du 5 juil-


date du 14 juillet 1830 éleva le" général let jusqu'à l'arrivée du général
de Bourmont à la dignité de maréchal de clauzel. —
Le général Clauzei, en ar-
France. L'amiral Duperré fut créé pair rivant en Afrique, le 2 septembre, trouva
de France. Les divers corps de l'armée tout à faire, tant sous le rapport admi-
reçurent les promotions et les récompen- nistratif que sous le rapport militaire.
ses que le générai en chef avait demandées Manquant d'instructions précises, igno*
ALGÉRIE. 267

rantles intentions du gouvernement, qui encore parla nomination d'un marchand


se préoccupait de tout autre chose alors maure aux fonctions d'agha des Arabes.
que de l'organisation de sa conquête, Des exactions commises par les intri-
le générai Bourmont, depuis le 5 juillet, gants indigènes dans lesquels M. de
jour de l'entrée dans la ville, n'avait Bourmont avait placé sa confiance au ,

rien fait qui fût de nature à frapper l'i- préjudice des Turcs, accusés par eux
magination du peuple vaincu. INous d'avoir provoqué l'attaque de notre co-
avons déjà eu occasion de faire remar- lonne au retour de Blidah indisposè-
,

quer combien les Arabes étaient disposés rent contre nous le bey de ïiteri qui ,

à prendre l'inaction pour de l'impuissance ne demandait pas mieux que de nous


et l'irrésolution pour delà faiblesse. servir.
Peu de jours après prise de posses-
la Ainsi en moins de deux mois nous
,

sion de la ville, Je général en chef avait avions ameuté contre nous toutes les
fait évacuer Sidi-Féruk, le camp de haines tous les préjugés d'un bout à
,

Staouëli, et avait ainsi concentré ses l'autre de la Régence; nous avions pro-
troupes autour d'Alger. On s'était borné mené le spectacle de notre faiblesse et
à reconnaître le littoral jusqu'au cap Ma- de nos irrésolutions, tristessemences qui
tifou, et à désarmer quelques batteries. devaient plus tard porter de déplorables
Puis , à la tête d'une colonne de quinze fruits!
cents hommes , le maréchal avait fait C'est dans cette situation que M. le
une promenade militaire jusqu'à Blidah. général Clauzel trouva la colonie et l'ar-
Cette colonne, à son retour, fut assaillie mée en arrivant à Alger. L'intendant
par des nuées de tirailleurs arabes et M. Denniée, avait été remplacé
militaire,
reconduite à coups de fusil jusqu'aux (ordonnance du 16 août ) par M. le
environs d'Alger. baron Volland, qui eut le titre d'inten-
Une brigade, sous le commandement dant en chef de l'armée d'Afrique et
du général Damrémont, avait été dirigée intendant des provinces occupées par
sur Bône. Le débarquement s'y était cette armée.
effectué sans opposition de la part des Actes administratifs du 1 er sep-
habitants. Nos troupes établies à la Cas- tembre au 31 décembre 1830.-— Legé-
bah y furent attaquées vigoureusement néral Clauzel, en arrivant à Alger, blessa
par les Arabes, qui déployèrent un grand l'armée par un acte de défiance inu-
courage dans ces hardis coups de main. tile. Son premier soin fut de nommer une
La bravoure et la discipline de nos sol- commission d'enquête chargée de re-
dats l'habileté du général qui les com-
, chercher les dilapidations qui avaient
mandait , triomphèrent de ces disposi- pu avoir lieu à la suite de l'occupation
tions hostiles. Notre domination com- d'Alger. Cette commission ne découvrit
mençait à s'asseoir et à être respectée sur rien, et l'armée fut peu flattée du satis-
ce point, lorsque le général en chef rap- fecit qu'elle en reçut. Si les investiga-
pela la brigade expéditionnaire, qui ren- tions avaient porte sur quelques mem-
tra à Alger le 25 août. bres indigènes du conseil municipal et
Il en fut de même pour le 21
e
de sur d'habiles meneurs on aurait cer-
,

ligne, qui avait été dirigé sur Oran. Les tainement trouvé la trace de désordres
nouvelles que M. de Bourmont venait de qui sont toujours restés impunis.
recevoir de la révolution de juillet moti- Le 7 septembre le général en chef
vèrent ces rappels de troupes en vue d'é- adressa aux habitants du royaume d'Al-
ventualités impossibles. ger une proclamation de nature à inspi-
Dans ce même laps de temps , nous rer la confiance sur les intentions du
donnâmes aussi à Bougie le spectacle de gouvernement français.
notre faiblesse en laissant massacrer, Un arrêté du 8 "septembre organisa
sous feu de deux navires de guerre
le le service des douanes. Le dernier acte
français, un indigène nommé Mourad, de l'administration de maréchal de Bour-
que le général en chef avait investi du mont , daté du 1 er septembre , avait eu
litre de kaïd de Bougie , et que nous pour objet d'organiser le service des
allions y installer en cette qualité. domaines.
Ces diverses fautes furent aggravées Ce même jour, 8 septembre, un ar«
,, ,

2G8 L'UNIVERS.
est devenu la qu'en 1835 si bien qu'à cette époque
rêté fort important, et qui
,

séquestre, ainsique nous le verrons, une ordon-


base de la législation sur le
toutes les nance royale annula toutes les instruc-
réunit au domaine public
tions tous les règlements antérieurs.
maisons magasins , boutiques jardins
, ,
,

quel- Le octobre, un arrêté nomma un


er
terrains, locaux et établissements
1

secrétaire général archiviste du gouver-


conques occupés précédemment par le
nement. Ce fut une coûteuse inutilité.
dey les beys et les Turcs sortis du ter-
,

ritoire de la Régence ou gérés


pour leur Par arrêté du 15 octobre il fut décidé
compte. Cet arrêté portait en outre que que les conseils de guerre connaîtraient
biens affectés à la Mecque et IVfédine, des crimes et délits commis dans l'éten-
les
institutions religieuses de bienfaisance,
due du royaume d'Alger. Nous verrons
plus tard comment fut modifiée cette
seraient réunis aussi au domaine public ;
peu faite pour garantir les
mais un arrêté ultérieur, que nous re-
disposition, si

intérêts de la population civile qu'il im-


trouverons à la date du 7 décembre
portait d'appeler en Algérie.
modifia cette disposition. fm
Le premier corps indigène fut crée Le général Clauzel remplaça l'an-
er octobre sous la dénomination de cienne commission de gouvernement,
le 1
instituée le 7 juillet, par un comité du
corps des zouaves ; il était composé de
gouvernement. arrêté en date du
Un
deux bataillons, commandés l'un par le
16 octobre fixa attributions de ce
les
capitaine Maumet, le second par le

capitaine Duvivier, l'un des officiers les


comité, et posa quelques principes d'or-
plus distingués de cette pépinière d'of- dre administratif. Il divisa l'administra-
en tion civile en trois branches : Intérieur,
ficiers illustres qui se sont formes
justice, ^finances. Il établit une démar-
Algérie. Le capitaine Duvivier, dont
cation rigoureuse entre les dépenses mi-
nous retrouverons souvent le nom sous
litaires et les dépenses civiles; il affecta
notre plume , est le même qui est glo-
rieusement mort naguère à la suite d'une à ces dernières des crédits spéciaux, ou-
verts, d'après un budget particulier, qui
blessure reçue à Paris pendant les fu-
nestes journées de juin 1848.
dans aucun cas ne devait dépasser le

Le 9 septembre un arrêté, dont les montant des recettes. ,

Trois de nos officiers étant tombes


dispositions n'étaient que provisoires,
institua un tribunal spécial, et fixa ses
sous les coups d'individus entrés en ar-
attributions en matière civile et crimi-
mes dans l'intérieur des postes de l'ar-
nelle. On avait jusque là oublié
cette mée le général en chef, par un arrête
,

branche si importante des services pu- du 22 octobre, interdit sous peine de


mort à tout habitant de la Régence d'Al-
blics. des
Un arrêté en date du 17 septembre ger de pénétrer dans l'intérieur
postes avec des armes à feu ou des
ar-
supprima les droits d'octroi perçus
jusqu'à ce jour aux portes de la ville mes blanches; de transporter sans per-
Cet
sur les produits du pays. Les blés furent
mission de la poudre ou du plomb.
arrêté déterminait la formation des
con-
seuls exceptés de cette disposition. L'oc- devaient
seils de guerre spéciaux qui
troi sur les provenances de mer était
maintenu , et un tarif des droits était iueer, séance tenante, les contrevenants.
annexé à cet arrêté. Comme complément de cette mesure
ete
Le 22 septembre parut une instruc- sévère, mais dont la nécessité avait
trop cruellement démontrée, un
autre
tion concernant l'exécution des règle- de bu-
ments et la perception des droits de arrêté établit un certain nombre
reaux pour la vente de la poudre et
du
douane à Alger. On importa toutes les
difficultés, toutes les combinaisons, plomb , et prescrivit les formalités de
toutes les formalités des douanes fran- cette vente.
çaises, dans un pays qu'il aurait fallu, au
Le même jour, 22 octobre , parut 1 ar-
la justice
contraire, affranchir de ce joug dans des rêté portant organisation de
correc-
limites raisonnables. La plus regret- en matière civile , criminelle , et
soit
table mobilité présida à l'organisation tionnelle, et de la justice indigène,
pour les musulmans, pour lesjuits.
soit
de ce service ; les changements , les dis-
La cour de justice fut composée exclu-
positions contraires se succédèrent jus-
ALGÉRIE. 269

un écrivain arabe établit un droit de patente, qui devait


sîvement de Français ;
er
être perçu à dater du 1 janvier suivant.
fut attaché à cette cour.
Unarrêté daté encore du 7 décembre
Le 26 octobre il fut décidé que des l'administration des biens
régularisa
indemnités seraient accordées aux ha-
immeubles de la et Médine, qui fut confiée
Mecque
bitants d'Alger dont les
avaient été ou seraient démolis pour
au domaine, à la charge par lui d'acquit-
ter les payements , pensions ou rede-
cause d'utilité publique. Cet arrêté, si
vances dus par cette institution de bien-
juste en principe, ne reçut qu'une appli-
faisance.
cation très-vicieuse et très-imparfaite.
er
Ce ne fut qu'à partir du 1 mars, 1835 Les fonctions de juge de paix dans la
-
ville d'Alger furent conférées au com-
que les indemnités dues pour cause d'ex-
missaire général de police.
propriation furent régulièrement ac-
Divers arrêtés du 14 décembre éta-
quittées.
blirent 1° le mode de comptabilité des
Le 30 octobre le commandant en chet :

crédits du budget; 2° que l'importation


approuva les statuts d'une société ayant
pour objet l'exploitation d'une ferme ex- des armes de [guerre serait prohibée et ,

périmentale connue sous le nom de l'importation des armes de chasse sou-


mise à certaines formalités; 3° qu'un
ferme modèle. C'était encore là une
entrepôt des poudres serait créé et la
idée heureuse, mais dont l'application
,

vente des poudres; plomb, et armes


fut décourageante, bien qu'un commis-
régularisée; 4° que les poids et mesures
saire du gouvernement eût été placé
seraient soumis à une vérification régu-
auprès du conseil d'administration de
lière ; 5° que le régime des prisons serait
cet établissement.
l'objet de la sollicitude du comité du
Le 4 novembre un arrêté prohiba
gouvernement, et que toutes les mesures
l'exportation des grains et farines , ex-
cepté pour la France.
réclamées par l'humanité seraient prises
Le 8 un arrêté interdit toute aliénation pour assurer le bien-être des détenus;
d'immeubles dépendant du domaine, et que les condamnés pour crimes et délits
seraient employés à des travaux d'utilité
réduisit à trois ans la durée des baux.
publique.
Le 9 on créait deux emplois de com-
Le 18 décembre le général Clauzel
missaires-priseurs pour la ville d'Alger.
Le 12 un arrêté ordonnait la construc- signa un traité avec le bey de Tunis , par
tion d'une salle de spectacle dans cette lequel Sidi-Mustapha , son frère, était
même ville. Ce même jour on créait une nommé bev de Constantine en rempla-
cement du"bey existant, que M. le géné-
place d'architecte voyer.
ral Clauzel, par un arrêté du 15 décembre,
Un arrêté du 14 rétablissait la corpo-
ration des portefaix indigènes connus avait frappé de déchéance comme si un ,

sous le nom de Biskris , et fixait le prix trait de plume suffisait à consacrer de pa-
reils actes. Le bey de Tunis devait nous
des transports effectués par eux.
Le 15 on prenait un arrêté relatif à payer pour cette cession de la province
la police des passeports et des permis de de Constantine un tribut annuel d'un
séjour. million de francs. Ce traité , comme on
arrêté en date du 16 novembre le pense bien ne fut pas ratifié par le
Un ,

destituait le bey de Titeri, qui, malgré gouvernement français, et le bey de


son serment de fidélité , nous était hos- Constantine on le sait , ne souscrivit
,

tile ,nommait à sa place Mustapha


et à sa déchéance que lorsque notre armée
Ben Omar. entra victorieuse dans cette ville en 1 837.
Le 7 décembre il fut décidé qu'à par- Un arrêté du 24 décembre organisa
tir
er
du janvier 1831 les actes de l'état
1 une garde urbaine, qu'un décret ultérieur
( 17 août 1832 ) réorganisa
sous le nom
civil pour les Français seraient reçus ,

de garde nationale ; et enfin un arrêté du


,

par le commissaire cfu roi près la muni-


cipalité d'Alger. 31 décembre assujettit les cabaretiers,
Un arrêté du même jour institua une aubergistes etc., à un droit de vente en
,

chambre de commerce, composée de sept détail.


négociants, dont cinq Français, unMaure On peut juger, par cette rapide enu-
et un Israélite ; à la suite de cet arrêté on mération des actes administratifs qui
270 L'UMVERS.
suivirent les six premiers mois de l'oc- arrêté du 15 novembre, un nouveau
cupation d'Alger, combien était vaste bey, qu'il s'agissait d'installer dans son
et difficile la tâche que la Providence beylik.
venait de nous confier. Ce corps d'armée, composé de trois
Le général Clauzel, dont on ne saurait brigades commandées par ies généraux
trop louer l'activité et les bonnes inten- Achard, Monk-d'Uzer etHurel, comp-
tions, avait pourvu sans doute à bien tait environ sept mille hommes; les
des nécessités, et pourtant rien n'était zouaves nouvellement créés et les chas-
fait encore; et c'est à peine si après seurs d'Afrique en faisaient partie ; on
dix-huit années d'expériences et de tâ- emmena aussi une batteriede campagne,
tonnements nous commençons à distin- une batterie de montagne et une com-
guer le but où nous marchons. pagnie du génie.
Opérations militaires du 1 er sep- La saison était on ne peut plus défa-
tembre AU 31 DÉCEMBRE 1830. — vorable. Les pluies contrarièrent la mar-
M. le général Clauzel en arrivant à Alger che de l'expédition. L'armée arriva pour-
comprit qu'il devait mener de front les tant le 18 devant Blidah, où eut lieu un
soins de l'administration aussi bien que engagement assez vif; nous y eûmes
ceux de la guerre. Nous venons de voir trente hommes hors de combat, et le soir
l'activité un peu désordonnée qu'il mit du même jour nos troupes entraient
à organiser les divers services publics. dans la ville presque déserte. Tous les
Ses préoccupations pour l'armée dont habitants avaient fui et s'étaient réfugiés
le eommanciement lui était confié ne fu- dans les montagnes. L'armée se reposa
rent pas moindres. à Blidah pendant la journée du 19; mais
Il modifia d'abord son organisation les Arabes vinrent tirailler sur ses flancs,
intérieure. Bien que le nombre des trou-, et le général croyant sans doute impo-
,

pes fût diminué par la rentrée en France ser aux indigènes par de sanglantes re-
de plusieurs corps, il accrut le nombre présailles, laissa fusiller tous les prison-
des divisions , mesure qui fut générale- niers; nos soldats livrèrent aux flammes
ment blâmée par les hommes compétents les magnifiques jardins qui entouraient
dans la matière. Le résultat des fautes cette ville; des bois d'orangers furent
commises pendant les premiers temps rasés , et le lendemain l'armée , laissant
de l'occupation, fautes que nous avons une forte garnison à Blidah sous le com-
énumérées, avait été de restreindre le mandement du colonel Rullière, se di-
cercle de nos opérations; cernés de rigea vers Médéah capitale de la pro-
,

toutes parts, nous étions pour ainsi dire vince, par les gorges de l'Atlas.
prisonniers dans la ville ou tout au Le 21 au soir on bivouaqua à Mou-
moins dans un périmètre fort étroit. zaïa , et l'armée se prépara à entrer le
Des postes militaires furent échelon- lendemain dans ces gorges qui depuis
nés le long des deux routes qui mènent les légions romaines n'avaient plus re-
à la Métidja, vaste plaine dont le mi- tenti sous les pas de soldats européens.
rage trompeur a englouti improducti- On se mit en marche en effet, et à la
vement tant de capitaux destinés à sa première halte, après avoir franchi les
colonisation , et qui a retardé si long- premières gorges, on salua le vieil Atlas
temps l'œuvre agricole en Algérie Le ! d'une salve de vingt-cinq coups de canon.
bey de Titeri était alors notre ennemi Vers le milieu du jour la brigade Achard,
le plus remuant. Avant de s'assurer s'il qui marchait à l'avant-garde, rencontra
n'existait pas des moyens pacifiques de l'ennemi, et le débusqua de sa position.
dompter cet ennemi naissant, de nous Bientôt nos troupes se trouvèrent en-
concilier les populations révoltées ; avant gagées dans le col de Ténia passage
,

de connaître les mœurs , les habitudes étroit et dangereux devenu célèbre dans
des indigènes, leurs besoins réels, leurs les fastes de notre armée d'Afrique. Le
vœux légitimes, le général Cïauzel tira bey de Titeri avait fait placer à l'entrée
l'épée, et le 17 novembre un corps d'ar- du deux petites pièces d'artillerie;
col
mée sous ses ordres se dirigea vers la il donc tourner la position, et elle
fallait
province de Titeri, au commandement ne pouvait être tournée que par la gau-
de laquelle on venait de nommer, par che dont les Arabes garnissaient les
,
ALGERIE 271

hauteurs. Nos soldats grimpèrent avec tachement de cinquante hommes, qui de


e
ardeur ce rude chemin. Le 37 régiment la ferme de Mouzaïa avait été dirigé sur
-,
de ligne arriva le premier au col après Alger, était massacré déplorables repré-
:

des efforts surhumains et une lutte sailles que de sang glorieux


! que de ,

acharnée qui frappa d'admiration les


,
sacrifices, que de richesses mal dépen-
Arabes, dont la fuite nous laissa maîtres sées ces premières luttes devaient nous
de la position. Ce fut une glorieuse jour- coûter! Dans quelle voie fatale nous
née mais elle était chèrement achetée
, ;
venions de faire les premiers pas!
nous n'eûmes pas moins de deux cent Le généralClauzel dont le cœur passa,
,

vingt hommes hors de combat. dans ces circonstances, par de cruelles


La brigade Monk-d'Uzer resta pour angoisses, renonça au projet d'occuper
garder le passage du col, et l'armée se Blidah, et rentra a Alger.
dirigea vers Médéah , enlevant pied à La garnison laissée à Médéah, atta-
pied pour ainsi dire le terrain aux Ara- quée le 27 , le 28et le 29 par les troupes
|
bes, qui, après avoir résisté quelque du bey, qui étaient revenues sur leurs
temps, battaient en retraite, allaient se pas après le départ du corps d'armée
reformer un peu plus loin, en se repliant fit des prodiges de bravoure. Le géné-

sur Médeah , où ils comptaient s'en- ral Boyer, parti le 7 décembre d'Alger
fermer et nous opposer une vive résis- pour venir ravitailler la place, y arriva
tance. Mais la prudence des habitants à propos. Nos troupes manquaient de
déjoua ce projet : ayant appris la dé- munitions et de pain.
faite du bey au col de Ténia, ils se sou- La brigade du général Boyer rentra à
mirent, et pour gage de leur soumission Alger sans avoir été inquiétée.
ils se tournèrent eux-mêmes contre les Par suite du projet que le général
troupes du bey, qui prirent la fuite. Clauzel avait conçu d'affermer en quel-
Le 22 au soir le général en chef en- que sorte nos provinces d'Oran et de
trait dans la ville. On s'y reposa quel- Bône , projet dont nous avons fait men-
ques jours ; il fut décidé qu'on laisserait tion dans la série des actes adminis-
à Médéah une garnison. tratifs, une petite expédition fut dirigée
Le 26 l'armée quitta cette ville, et re- sur Oran autant pour y installer le nou-
vint à Mouzaïa par le col, sans coup veau bey, Sidi-Ahmed, parent du bey
férir. Ce même jour Blidah était le de Tunis, que pour imposer à l'empe-
drame sanglant. Notre gar-
théâtre d'un reur du Maroc, dont les troupes avaient
nison y était attaquée par Ben Zamoun fait quelques excursions sur notre ter-
;

!
et l'attaque fut si inopinée si rapide , ritoire. La brigade expéditionnaire com-
|
que les Arabes pénétrèrent par plusieurs mandée par le général Damrémont partit
points dans la ville. Par un habile stra- d'Alger le 11 décembre; elle y arriva
tagème le colonel Rullière sauva la gar- le 13 , occupa le 14 le fort de Mers-
nison d'un massacre général qui aurait el-Kebir et quelques autres positions
certainement porté le coup le plus fu- moins importantes, où elle se maintint
neste à notre domination. Deux com- sans agir. Cette réserve était sans doute
pagnies sortirent par l'une des portes de dans les instructions du général Dam-
la ville et vinrent tomber sur les der-
, rémont. Ce fut le 4 janvier 1831 seu-
rières des assaillants. Les Arabes per- lement qu'il occupa la ville, sans effu-
,
suadés que c'était le corps d'armée qui sion de sang. Aussitôt après l'installation
revenait de Mouzaïa, se débandèrent, de Sidi-Ahmed, la brigade quitta Oran,
et là il se passa une scène de carnage pendant que le colonel Auvray, envoyé
dont le récit est impossible. Le fait est en mission auprès de l'empereur du
que le lendemain, 27, le général Clau- Maroc obtenait de lui que ses troupes
,

zel, rentrant à Blidah, à la tête des évacueraient et respecteraient à l'avenir


troupes, trouva la ville jonchée de ca- notre territoire.
davres de vieillards de femmes et d'en- , 1831. —Opérations militaires;
fants (1). Presque en même temps un dé- abandon de Médéah. — Conquérir
n'est rien pour l'activité et le courage de
^(r) Annales algériennes, par M. notrenation: mais conserver, mais fécon-
:

Pellissier,
r
ï vol., page i52. der une conquête est une tâche plus dtf-
,

L'UNIVERS.
272
premiers jours de jan- Arabes poussèrent plus loin leur audace ;
licite. Dans les
rentrait a les assassinats se multiplièrent, et, espé-
vier la garnison de Médéah
fruit de nos rant y mettre un terme , le général ré-
Alger, abandonnant ainsi le
nous solut de châtier les coupables. Une expé-
premières opérations , et ce retour
le gêne- dition forte de !quatre mille hommes et
restreignait dans la limite que
voulu étendre. de quelques pièces d'artillerie partit
rai Clauzel avait surtout
d'Alger le 7 mai , et se dirigea sur Rha-
Constatons toutefois cette différence
chna; elle parcourut ainsi la plaine,
qu'au delà de cette limite les esprits, escarmouche, jus-
d'escarmouche en
frappés de notre impuissance gouver-
qu'à Théga , l'un des sommets de l'At-
nementale, s'abandonnaient aux rêves
las et rentra dans ses cantonnements
d'insurrection et nous préparaient des ,

quelques
le 13 mai, après avoir dévasté
difficultés des obstacles que nous avions
,

tribus , incendié quelques champs mais ,


nous-mêmes créés.
n'ayant retiré aucun fruit de cette course
Commandement du général Berthe- stérile , n'ayant établi ni fait reconnaître
zène. notre autorité sur aucun point.
Nous avons dit que la ville de Médéah
; ( Du 21 février 1831 au 7 janvier 1832. )
avait été abandonnée par nos troupes.
Situation mouvements des trou- Ben Omar avait été nommé bey de
pes. _ L'activité administrative du
;

gé- cette province parle général Clauzel;


néral Clauzel, activité si insuffisante mais cet homme , abandonné à ses seu-
pourtant, avait déplu à l'administration lesressources , sans argent, sans initia-
centrale. Le général Berthezène,
qui tive, sans caractère, ne put se main-
tenir dans ce poste difficile. Le
désigne général
avait pris part à l'expédition, fut
pour le remplacer. Le général Clauzel Berthezène crut qu'il était de notre
honneur de respecter l'autorité,
faire
quitta Alger le 21 février, aussitôt après
des Il fut décidé qu'une
de nous.
l'arrivée de son successeur. L'étude qu'il tenait

mœurs, du caractère, du génie de la expédition composée de deux brigades


irait à son secours. Elle
quitta Alger
race arabe avait été la moindre des
préoccupations du général Clauzel; le le 25 min. Elle franchit le col de Ténia
après
nouveau commandant s'en préoccupa le28 et arriva à Médéah le 29
,
,

moins encore, et son initiative se borna a quelques engagements sans importance.


nos
quelques tentatives regrettables. Pour Les Arabes s'étaient retirés devant
pour
donner une idée de l'état d'irritation ou troupes; mais ils n'avaient pas
était tout-
étaient les tribus arabes et de notre in- cela abandonné une partie qui
différence à leur égard, il suffira de citer à leur avantage. .
,
|
un fait. kaïd de Rhachna , nommé
Un L'irrésolution du général Berthezène
devait nous être fatale. Après
avoir,)
par l'autorité française, ayant eu l'im-
poussé une reconnaissance au delà
de!
prudence de venir visiter notre agha à
Alger, fut assassiné à son retour comme Médéah, il fut obligé de se replier sur)
cette ville, poursuivi par un
ennemi in-
traître à son pays (1) ; on ne s'en inquiéta
Le 2 juillet il prit le parti
que fort peu. saisissable.
pouvait dé-
Cependant les premiers jours de mars de quitter Médéah, qu'il ne
des prin-
arrivés, le général Berthezène voulut fendre. Le bey et quelques-uns
qui
faire acte de puissance quatre bataillons cipaux habitants suivirent l'armée,
cessèrent d m
:

ennemis ne
et cent cinquante cavaliers firent une les tirailleurs
de monde!
j

excursion dans la plaine de la Métidja. quiéter. et qui perdit beaucoup


au passage du col dont les
Arabes gar
Le général voulait entrer à Blidah et à troupes!
Roleah; mais il jugea prudent de s'en nissaient les hauteurs. Nos
ren
abstenir, et l'expédition rentra à Alger, épuisées de fatigue, découragées,
glorieu:
n'ayant perdu que quelques hommes trèrent à Alger le 5 juillet,
anniversaire tristement célèbre!
i

assassinés à l'arrière-garde. pre;


Enhardis par notre impuissance, les Nous perdîmes dans cette inutile
,

menade soixante-deuxhommes ; noui


blesses]
(i) Annales algériennes, par M. Pellissier, ramenâmes près de deux cents
deplorabl
tome i
er
,
page ao4. Ce résultat produisit le plus
ALGÉRIE. 273

effet dans l'armée et la population , en gènes, Sidi-Mebarek, l'éleva à la dignité


même temps qu'il redoubla notre dé- d'agha; et celui-ci s'engagea, moyennant
considération parmi les indigènes cme , un traitement de 70,000 francs, à nous
leurs succès dus à l'inexpérience et à la
, faire respecter dans nos cantonnements
faiblesse de nos chefs, aveuglèrent jus- par les Arabes, que nous nous engagions
qu'au point de leur faire croire qu'ils à ne plus inquiéter. M.Pellissier, auteur
pouvaient se rendre maîtres d'Alger. des Annales algériennes, dont le travail
Bientôt un mouvement sérieux s'or- nous sert de guide pour ce récit, affirme
ganisa parmi les Arabes; commandés qu'un traité écrit fut conclu dans ce sens.
par des fanatiques intrépides, ils formè- Ce traité sera certainement le plus triste
rent deux camps , l'un à Boufarik, l'au- monument de notre faiblesse, de nos
tre sur la rive droite de l'Arrach , pen- fautes, de notre inintelligence.
dant que des bandes de tirailleurs, vrais Nouvelles tentatives sur Bône.
gueriïieros, se répandaient dans l'inté- — Nous avons vu le général Damrémont
rieur de nos lignes, dévastant, pillant, abandonner la ville de Bône en août 830. 1

assassinant ou enlevant nos soldats et Postérieurement un traité du général


nos colons. Clauzel avait cédé le gouvernement des
Le 17 juillet le camp de l'Arrach, deux provinces de l'est et de l'ouest à
sous les ordres de Ben-Zamoun , s'é- des princes de la maison de Tunis.
branla et vint attaquer la Ferme-Modèle. Ahmed, bey de Constantine fort oc- ,

Instruit de cette agression qu'il aurait


,
cupé à se dérendre contre ses ennemis
dû prévoir , le général Berthezène partit intérieurs avait dû négliger la ville de
,

en toute hâte d'Alger à la tête de toutes Bône, qui se gouverna et se défendit elle-
les troupes disponibles. Ason appro- même contre les attaques des tribus voisi-
che , l'ennemi, fidèle à sa tactique, s'é- nes. Une centaine de Turcs, qui, sous le
loigna et se dirigea vers les montagnes, commandement d'un des leurs, nommé
où nous ne le suivîmes pas. Les troupes Ahmed occupaient la Casbah, avaient
,

rentrèrent le même soir à Alger, en ti- suffi à repousser toutes les agressions
raillant avec quelques Arabes qui étaient jusque-là ; mais comme elles se renou-
embusqués. Rien ne ressemblait moins velaient sans cesse , les habitants recou-
à une victoire. rurent à nous, et sous l'influence d'Ah-
Le 19 la Ferme-Modèle fut de nou- med jaloux de conserver son autorité
,

veau attaquée, mais cette fois par les ils demandèrent au général Berthezène
Arabes rassemblés au camp de Boufa- le concours de quelques troupes indi-
rik. Les Arabes furent repoussés. Les gènes une compagnie de zouaves fut
:

attaques se renouvelèrent le 20, le 21. embarquée à bord de la Créole, et arriva


Le 22, enfin, le général en chef se remit à Bône 14 septembre; cette petite
le
à la tête des troupes, et l'armée, qui fit expédition sous les ordres du comman-
,

vaillamment son devoir dans cette jour- dant Houder, fut bien accueillie par les
née, dispersa l'ennemi dans toutes les habitants; mais le Turc Ahmed fut in-
directions. C'était un succès sans doute, disposé par la présence d'officiers fran-
mais un succès négatif comme tous ceux çais qu'il n'attendait pas et dès cet
,

que nous avions obtenus jusqu'ici, instant il manœuvra contre nous. Le


comme ceux que pendant longtemps commandant Houder fit occuper la
nous devions obtenir au prix de tant de Casbah par une partie de sa petite
sang et de tant de sacrifices. troupe. Trompé par un ancien bey de
Le général Berthezène , voyant qu'il Constantine nommé Ibrahim auquel il ,

lui était impossible d'étendre notre do- accorda légèrement sa confiance, et qui
mination à l'intérieur, et désespérant de voulait s'emparer du gouvernement de
dompter un ennemi qui fuyait sans cesse la ville en perdant à la fois et les Fran-
et qui revenait de plus en plus acharné çais et les Turcs M. Houder tomba
,

sur nos pas, jugea que ce qu'il avait de dans le piège qu'Ibrahim lui tendait;
mieux à faire était de condamner la celui-ci parvint à s'emparer de la cita-
France à rester dans ses étroites limites, delle. Quelques tribus avec lesquelles il
et de traiter avec les indigènes. Il choisit était d'intelligence pénétrèrent clans la
un homme considérable parmi les indi- ville à un signal donné. La plupart des
18 e Livraison. ( Algérie. )
18
;>74
L'UNIVERS.
Bigot, qui la signalèrent , nous croyons devoir,
zouaves furent massacrés. M.
commandant Hou- pour l'intelligence du lecteur , montrer
leur capitaine, et le
brave- le but lointain que la France a atteint à
der furent tués en se défendant
l'heure où nous écrivons ces lignes.
ment. Ce désastre, cette indigne trahi-
deux La législation qui régit l'Algérie in-
son s'accomplirent en présence de
,

dans dépendamment des françaises qui


lois
navires de guerre français mouilles
le port deBône. y sont appliquées , ne remplit pas moins
de neuf volumes du bulletin officiel. Ce
Après le départ d'Alger de la compa-
vaste arsenal législatif ou réglementaire
gnie de zouaves, le général Berthezene
forme le chaos le plus confus et le plus
avait envoyé pour la renforcer deux nou-
propice au désordre que l'on puisse ima-
velles compagnies, commandées par
le
giner. Ce sont les dispositions princi-
capitaine Duvivier. Ce secours arriva a
pales de cet inextricable répertoire que
Bône peu d'instants après le déplorable
événement que nous venons de racon- nous analyserons année par année. Mais
ter. Le chef des zouaves voulait
débar- on comprend les difficultés presque in-
vincibles qui doivent surgir, dans la
quer et venger sur-le-champ cette san-
pratique des affaires de ces milliers
glante offense. Les commandants des
,

d'arrêtés et d'ordonnances qui se con-


navires ne crurent pas devoir le secon-
tredisent. La position toute nouvelle
der dans ce projet. L'expédition retourna
àAlger et y arriva le 11 octobre. On peut que la révolution de février a faite à
l'Algérie, l'initiative que la France a
juger de l'effet qu'y produisit ce doulou-
prise dans l'œuvre de la colonisation
reux résultat.
État des choses A Oran. — No- rendent indispensables la révision et la
tre situation dans l'ouest était meilleure,
réforme de notre législation algérienne.
sans y être brillante pourtant. Le refus Vers la fin de l'année 1848 le général
du gouvernement de ratifier le traité du de Lamoricière, alors ministre de la'
général Clauzel avec le bey de Tunis guerre, dans un rapport très-remar-
décida l'occupation de cette place. Le quable, adressé au président du conseil,
général Boyer y fut envoyé en qualité chargé du pouvoir exécutif, a démontré
de commandant en chef. Divers servi- cette nécessité, et une commission a
ces civils furent organisés, et notre ins- été instituée à l'effet :

1° De réunir et vérifier les arrêtés et


tallation y fut à peu près complète vers
la fin de 1831.Mais nous occupions la ordonnances régissant l'Algérie; j

2° De rétablir les arrêtés ou décisions


villesans exercer aucune influence sur
les populations qui étaient livrées à la
,
omis; j

3° le maintien ou 1 ai
De proposer
plus complète anarchie, et dont l'esprit
aventureux l'humeur belliqueuse n'at-
,
brogation des arrêtés et ordonnance^
tendaient qu'une occasion et un chef qui ont cessé ou doivent cesser d'être
pour lutter contre notre domination. en vigueur;
4° Enfin d'indiquer les matières qui
Mesures administratives.— Nous
ne nous dissimulons certainement pas doivent faire l'objet soit d'arrêtés minis-
tout ce qu'a d'aride la méthode que nous tériels, soit de décrets du pouvoir exé-
avons dû adopter pour présenter dans cutif, soit de règlements d'administra-
un cadre restreint la plus grande quan- tion publique , soit enfin de lois parti-
tité possible de faits accomplis pen- culières , conformément à la législation
dant une longue période de tâtonne- constitutionnelle de la France.
ments et d'essais de toute nature dans Nous avons voulu dès le début in-
, ,

un pays auquel la France, pendant long- diquer la voie de réformation et de syn


temps préoccupée à l'intérieur, n'a pu thèse dans laquelle le gouvernement s<
accorder qu'une attention secondaire. propose d'entrer à l'égard des élément!
Mais nous sommes ici bien plus chroni- si variés de notre législation algérienne

queur qu'historien, ainsi que nous l'a- Cette indication servira de fil conduc
vons dit déjà. Toutefois au début de teur dans le dédale que nous avons à par
'

cette année, qui commence vraiment courir.


l'ère de notre occupation et avant d'a-
, Un arrêté du 9 janvier autorisa 1 ac
border la série des actes administratifs quisition de 10,000 mesures de blé pou
ALGERIE. ^75
rapprovisionneraient de la vîlie d'Alger. tion de l'administration municipale une
Une somme de 144,000 francs fut con- somme de 43,542 fr. pour construction
la
sacrée à cette acquisition, et le gouver- d'un abattoir, les divers locaux affectés
nement de la colonie fut exploité en jusque-là à l'abattage des bestiaux ayant
cette circonstance par les indigènes qui été détournés de cette destination par
l'entouraient avec une rare impudeur. les exigences du service militaire.
L'administration payait au prix de 16 Une loi du 9 mars autorisa la forma-
à 17 fr. le sac les blés qui se vendaient tion de la légion étrangère , dont une
sur la place d'Alger 6 fr. 50 et 7 fr. (1). ordonnance du 10 détermina la com-
Le 19 les négociants maures ou position, et l'uniforme.
au payement
israélites furent assujettis Un arrêté du 21 mars établit des
du droit de patente en échange des droits droits fixes sur les denrées apportées
et taxes qu'ils payaient sous l'adminis- par les Arabes au marché d'Alger; le
tration du dey. produit de ces droits était spécialement
Un
arrêté du même jour, complémen- affecté aux frais de l'enlèvement des
taire de l'arrêté déjà cité à la date du boues et immondices de la ville.
26 octobre 1830, détermina le mode de En vertu de la loi du 9 mars relative
règlement des indemnités dues aux habi- à la formation de corps étrangers , une
tants dont les maisons, boutiques, etc., ordonnance royale du 21 autorisa la
avaient été démolis pour cause d'uti- formation en Afrique de corps de zoua-
lité publique. ves et de chasseurs algériens. Cette or-
Au retour de la malheureuse expédi- donnance n'avait d'autre but que de
tion de Médéah dont nous avons rendu régulariser l'existence de ces divers
compte, le général Clauzel prit un arrêté corps créés déjà depuis quelque temps.
instituant des pensions de retraite et des A la suite des assassinats dont nous
gratifications pour des zouaves qui avons parlé plus haut, le général Ber-
avaient été blessés ou qui s'étaient dis- thezène, par un arrêté en date du 24 mars,
tingués dans cette affaire. Ces pensions prohiba le port d'armes dans l'arron-
étaient payables sur les fonds muni- dissement d'Alger.
cipaux. Un autre arrêté, du 27 mars, déter-
er
Une commission fut nommée le 1 fé- mina les attributions respectives de la
vrier pour diriger les travaux d'entre- municipalité et du commissaire général
tien et de réparation à faire aux quais de de police.
la Marine. Le désordre administratif avait fait
Un arrêté du 18 février rétablit la place detels progrès que des habitants d'Alger,
d'agha, qu'une disposition antérieure malgré la défense formelle qui avait
avait supprimée. été publiée, achetaient des effets appar-
La suppression des présents, des tenant à des sous-officiers et soldats; un
gratifications et redevances que les chefs arrêté en date du 22 avril porta des
des tribus étaient dans l'usage de payer peines sévères contre les auteurs de ces
aux beys ou aux principaux fonction- délits.
naires fut l'un des derniers actes de l'ad- Un arrêté du 25 avril prononça des
ministration du général Clauzel, qui fut amendes contre les ca pitai nés marchands
remplacé, comme nous l'avons dit déjà, qui embarquaient des passagers sans
par le général Berthezène. Cette mesure passeports.
excellente, etdictée par un sentiment de Le commerce et l'importation des
justice, ne produisit pas tout l'effet qu'on armes de toute espèce des pierres à feu,
,

en devait attendre. balles, fers, aciers, plomb, etc., du soufre,


Par arrêté du 26 février le nouveau du salpêtre et des poudres furent sévère-
gouverneur (ce titre n'était pas encore ment prohibes par un arrêté du 23 mai.
donné officiellement) mit à la disposi» Le 9 juin il fut décidé que tout acte
sous seing privé entre les Européens et
(i) Nous consultons pour ce résumé, in- les indigènes devait, pour être valable,
dépendamment du volumineux recueil des être rédigé en français et en arabe , les
Bulletins officiels, l'excellent ouvrage de deux traductions placées en regard l'une
M. Franque , intitulé Lois de l'Algérie. de l'autre.
18.
276 L'UNIVERS.

Un arrêté du 12 juin attribua à la droits d'entrée par arrêté du 15 juillet.


municipalité la surveillance des filles Le 12 août diverses mesures de police
publiques; cette mesure était le complé- pour la ville d'Alger furent prises par
ment de l'arrêté du 11 août 1830 qui arrêté du commissaire général ; elles con«
avait ordonné la création d'un dispen- cernaient surtout la surveillance des
saire. Cette disposition, si nécessaire à établissements publics.
la santé publique, aurait dû être prise Une direction d'artillerie fut établie
plus tôt les désordres qu'elle avait pour
: à Alger par ordonnance royale du 22 août ;
but de prévenir avaient fait déjà de dé- cette ordonnance était le complément
plorables progrès. d'une disposition antérieure (1 er août)
Les affaires de la nation juive avaient qui avait eu pour objet de réorganiser
été concentrées dans les mains d'un seul le service de l'artillerie sur les côtes du
homme, qui avait reçu le titre de chef de territoire.
lanation hébraïque; les inconvénients de Un crédit de 12,000 fr. fut affecté le
cette concentration ne tardèrent pas à 31 août à l'achèvement du lazaret.
se faire sentir. Un arrêté du 21 juin A l'exemple de nos soldats, qui avaient
institua auprès de ce chef un conseil dévasté et coupé les bois de haute futaie
hébraïque composé de trois membres, si précieux dans ce pays , les habitants

nommés par le général en chef. européens et les indigènes se permet-


Un arrêté du même jour eut pour objet taient des dévastations semblables; un
de prévenir les inconvénients qui résul- arrêté du 4 septembre prohiba la coupe
taient pour les transactions privées des bois ; ce fut la première mesure con-
entre Européens et indigènes de la né- servatrice prise dans ce but.
gligence que le kadhi maure et le kadhi Un arrêté du 7 septembre appliqua
turc apportaient à la conservation des au port d'Oran le tarif des droits de
actes rédigés par eux. Il fut décidé que douane et d'octroi en vigueur à Alger.
tous les actes passés depuis le 5 juillet La vente des fers et aciers, interdite à
1830, ou qui seraient passés à l'avenir tous autres qu'aux Européens par divers
pour acquisition d'immeubles situésdans arrêtés, fut rendue libre le même jour,
l'étendue de la Régence , devraient être autant parcequ'on espérait alors unetran-
soumis, sous peine de nullité, à l'enregis- quillité durable que parce que la fabri-
,

trement du domaine. cation des instruments aratoires et autres


Des arrêtés, en date du 8 septem- nécessaires à l'agriculture rendaient cette
bre 1830 et du 8 juin 1831, portaient que prohibition inutile.
les biens immeubles de toute nature Les indigènes refusaient la monnaie
appartenant aux deys , aux beys et aux française dans la plupart de leurs trans
Turcs sortis du territoire de la Régence actions; la circulation et l'acceptation
seraient mis sous le séquestre pour être de notre monnaie furent rendues obli
régis par l'administration des domaines. gatoires sous peine d'amende , en vertu
Cette mesure, résultant du droit que d'un arrêté pris à la même date.
donnait la conquête, n'avait pas été ap- Une ordonnance royale en date du
pliquée aux Turcs qui étaient restés à 24 septembre créa à Alger une direction
Alger. Un arrêté du 11 juillet porta que des fortifications, et augmenta le nombre
cette mesure serait appliquée à ces der- des officiers de l'état- major du génie, qui
niers dans le cas où ils se feraient re- fut porté à quatre cents.
marquer par un esprit systématique L'espoir d'une tranquillité durable,
d'opposition à l'autorité française. qui avait déterminé l'arrêté du 7 septem
Un arrêté du même jour fixa des bre relatif à la liberté du commerce des
droits proportionnels d'enregistrement fers et aciers, ne tarda pas à s'évanouir
sur les mutations d'immeubles. les vols et les assassinats se multipliant,
L'importation et le commerce des sels des mesures de surveillance furent ré
furent déclarés libres moyennant cer- tablies par arrêté du 17 octobre contre
tains droits; cette disposition fut les indigènes.
abrogée plus tard par une ordonnance Une ordonnance royale du 31 octobre
royale du 11 novembre 1835. Les céréa- prescrivit la formation d'une compagnie
les et les farines furent affranchies des de fusiliers de discipline et d'une corn-
ALGÉRIE. 277

pagnie de pionniers en Afrique. Deux ces envoyés emportaient des présents


régiments de cavalerie légère, sous la destinés par le général Rovigo à leur
dénomination de chasseurs d'Afrique, maître, une expédition nocturne fut
furent créés par ordonnance du 17 no- dirigée contre les coupables. La tribu,
vembre. surprise à la pointe du jour, subit un
Un arrêté pris le 25 novembre plaça châtiment des plus rigoureux ; son chef,
dans les attributions du génie tous les fait prisonnier, fut amené à Alger, mis
bâtiments affectés au service de l'armée. en jugement condamné et exécuté. Un
,

Enfin, une ordonnance du 1 er dé- très-grand nombre d'indigènes périrent


cembre commença à établir une division dans cette affaire. •
des pouvoirs civils et militaires. La di- La destruction de la tribu d'El-Ouffia
rection des services administratifs, finan- avait eu lieu le 10 avril 1832. A la suite
ciers et judiciaires fut confiée à un in- de cette exécution , soit que les Arabes
tendant civil, qui devint le président du voulussent venger leurs compatriotes
conseil d'administration. M. Pichon fut soit que la saison fût devenue plus favo-
appelé à ces fonctions importantes. Les rable pour leurs entreprises , les prédi-
attributions du commandant en chef de cations fanatiques recommencèrent; des
l'armée d'occupation furent déterminées provocations nous furent adressées, et
par une ordonnance du 6 décembre; et une coalition nouvelle se constitua.
une autre ordonnance du même jour Notre agha fit d'abord tous ses efforts
nomma le général duc de Rovigo au pour ramener le calme dans les esprits
commandement de nos possessions. Les et éviter la guerre. Sidi-Ali-Mbarek n'é-
rapports des services financiers avec l'in- taitpas dévoué à nos intérêts mais la ;

tendant civil furent réglés par un arrêté douceur de son caractère le portait à
du 16 décembre, pris par le général Ber- condamner toutes les tentatives qui
thezène. troublaient l'ordre. Cependant le mou-
Commandement du général
vement devint tellement général, qu'il
Rovigo.
se laissa lui-même entraîner, et depuis
( Du 7 janvier 1 832 au mois d'avril 1833. )
cette époque il resta notre ennemi. Le
Opérations militaires. La situa- commandant en chef sembla pendant
tion de l'Algérie semblait plus favorable quelques semaines vouloir se contenter
au moment où le duc de Rovigo succéda d'observer les mouvements des insurgés.
au général Berthezène. La nomination Lorsqu'il les vit se rassembler et s'en-
de Sidi-Ali-Mbarekcommeagha des Ara- hardir jusqu'à annoncer l'intention de
bes avait amené quelque sécurité dans la venir nous attaquer dans nos retranche-
Métidja Les tribus se ressentaient encore
. ments, il adopta des dispositions vigou-
du rude échec qu'elles venaient d'éprou- reuses pour les disperser. Une première
ver dans la province d'Alger et dans rencontre leur fut fatale le t er octobre;
celle de Médéah. Elles semblaient dispo- deux jours après atteints par le général
,

sées à la tranquillité. A Oran le général Faudoas, ils éprouvèrent de grandes


Boyer contenait les tribus, toujours me- pertes. Découragés par le mauvais succès
naçantes, qui travaillaient avec une in- de leur entreprise, les confédérés se re-
fatigable ardeur à former des coalitions tirèrent.
pour venir attaquer la ville. Les hostilités continuèrent pourtant
Un événement regrettable vint trou- sur quelques points; les colonnes fran-
bler la paix qui régnait à Alger. Des çaises conduites par le général Faudoas
envoyés d'un chef du Sahara de Cons- et par Je général Brossard visitèrent
tantine, députés à Alger, après avoir successivement Roléah Boufarik Bli- , ,

rempli leur mission auprès du comman- dah, et forcèrent les tribus à implorer la
dant en chef, se mirent en route pour paix.
retourner dans leur pays. Arrivés sur Nouvelle occupation deBône.—
le territoire de la tribu d'El-Ouffia , ils Nous avons vu que Bône avait été oc-
furent dépouillés par les habitants. Pour cupé sans coup férir immédiatement
venger cette violation odieuse des de- après la conquête d'Alger, et que pres-
voirs de l'hospitalité, qui était aussi que aussitôt elle avait été évacuée, lors-
une insulte faite à la France, puisque que la nouvelle de la révolution de juillet
278 L'UNIVERS.
était parvenue en Afrique. Les habitants, Dans premiers jours du mois de
les
restés maîtres de la ville après le départ mai, legénéral Monk-d'Uzer, parti de
des Français avaient refusé de recevoir
, Toulon à la tête de trois mille hommes,
dans leurs murs les troupes d'El-Hadj- débarqua à Bône, et la trouva complète-
Ahmed, bey de Constantine. Celui-ci ment abandonnée, les troupes d'EI-
les avait tenus étroitement bloqués du Hadj -Ahmed ayant forcé les habitants
côté de terre, avec l'aide des tribus qui à l'émigration. La ville n'était plus
lui obéissaient. Vers la fin de 1831, le qu'un amas de ruines ; la Casbah seule
chef de bataillon Houder, envoyé par le offrait un abrï contre une surprise.
général Berthezène avec cent vingt-cinq Pendant que nos soldats déblayaient les
zouaves indigènes pour secourir Bône, décombres pour créer les établissements
trahi par les habitants , avait péri au mo- indispensables, l'ancien bey de Cons-
ment où il essayait de se rembarquer. tantine, dont les habitants de Bône
Les troubles qui à cette époque même avaient accepté l'autorité avant notre
avaient agité les tribus des environs arrivée , vint attaquer la ville avec quinze
d'Alger avaient empêché de poursuivre cents hommes environ, qu'il avait ralliés
Ja réparation des insultes et des échecs dans les tribus. Le général d'Uzer mar-
que nous avions essuyés sur ce point. cha contre eux le 26 juin, les dispersa
Cependant, la situation devenant de plus facilement, et les refoula vers l'intérieur.
en plus grave pour eux , les habitants de Les tribus les plus rapprochées de la
Bône désespérèrent de leur salut, et ville, frappées de la bravoure de nos sol-
adressèrent au commandant en chef de dats, impatientes de retrouver un mar-
l'armée française les demandes les plus ché pour l'écoulement de leurs produits,
instantes pour les délivrer des attaques poussées d ailleurs par les citadins émi-
des troupes du bey de Constantine. grés, qui voulaient rentrer, offrirent leur
L'intérêt de notre domination nous in- concours au général français; et deux
diquait de ne pas laisser El-Hadj-Ahmed d'entre elles s'établirent sous le canon
s'emparer de ce port, où il aurait trouvé de la place, et nous fournirent des cava-
des facilités pour ses approvisionnements liers auxiliaires pour surveiller la plaine
de guerre et un débouché pour les pro- de Bône. Ainsi, pendant l'année 1832 la
duits agricoles de la province. L'occu- France fit acte de domination sur les trois
pation de Bône par une garnison fran- provinces del'ancienneRégence. Nous ne
çaise fut décidée. En attendant la saison possédions encore que quelques points'
favorable pour entreprendre l'expé- du littoral, avec un territoire très-res-;
dition, le duc de Rovigo avait confié à treint; mais notre présence dans les;
deux officiers (les capitaines d' Armandy, deux ports principaux d'Oran et de Bône,
de l'artillerie, et Jousouf, des chasseurs nous permettait d'exercer une surveil-
algériens) la mission d'aller encourager lance efficace pour empêcher les relations
les assiégés à la résistance. Cependant par mer des populations indigènes avec
le 5 mars 1832 la ville fut forcée d'ou- l'extérieur.
vrir ses portes aux troupes du bey de Progrès de la domination fran-
Constantine, et fut livrée au pillage et çaise. — Au commencement de l'an-
à la dévastation. La Casbah, où s'étaient née 1833 le corps d'occupation était
réfugiés les derniers défenseurs de Bône, fort de vingt-trois mille cinq cent qua-
résista jusqu'au 26 au soir; on se dis- rante-cinq hommes et dix-huit cents
posait à l'abandonner, lorsque les deux of- chevaux. Les tribus de Béni Rhelil de ,

ficiers français, avec une trentaine de Béni Moussa et de Khachna, dans la


marins, pénétrèrent dans le fort après plaine de la Métidja , entretenaient avec
avoir escaladé les remparts, et en prirent les autorités françaises des rapports de|
possession, la nuit même, au nom de la plus en plus bienveillants et elles ap-
,

France. Le général en chef se hâta d'en- portaient leurs denrées au marché d'Al-
voyer un bataillon pour assurer le ré- ger Blidah semblait rechercher égale-
;

sultat de ce hardi coup de main (1). ment l'appui de notre armée. L'autorit' "

française s'exerçait directement dans


(î) Voyes Annales algériennes, par M, Pel- banlieue d'Alger et dans le territoii
compris mit® l'ÂràiÉ* la MétUya, '
ALGÉRIE. 279

Mazafran et la mer, c'est-à-dire dans Commandement intérimaire du général


toute l'étendue duSahel. A Oraa, l'oc- Voirol.
cupation n'embrassait qu'un rayon de
{D'avril 1833 au 27 juillet 1834.)
quatre kilomètres autour de la place et
le fort de Mers-el-Kebir. À Bône les ÉVÉNEMENTS SURVENUS DANS LES
tribus se rapprochaient de plus en plus, trois provinces. — Le nouveau gé-
et manifestaient des dispositions favo- néral en chef marcha avec activité et
rables. En dehors de notre domination avec bonheur dans la voie ouverte par
directe, Médéah était encore sous le son prédécesseur; il apporta même dans
commandement de l'envoyé marocain, les affaires un esprit plus conciliant , des
personnage sans valeur, incapable d'ins- formes moins acerbes ; et tout en se mon-
pirer aucune crainte sérieuse. Miliana trant énergique à l'égard des indigènes,
obéissait à la famille des marabouts il s'efforça de leur faire sentir les bien-

Sidi-Ahmed-ben-Joucef ; sans relations faits d'une administration protectrice et


d'autorité avec les tribus environnantes, bienveillante. Au commencement du
qui vivaient dans une indépendance des mois de mai deux tribus de la Métidja,
,

plus turbulentes. Mostaganem et Tlem- ayant commis des actes d'hostilité , fu-
sen étaient occupés par des Turcs et des rent rudement châtiées et cet exemple
,

Coulouglis qui entretenaient des intelli- d'une juste sévérité accrut encore les
gences avec nous. bonnes dispositions de la population
Dans l'intérieur de nos possessions arabe envers nous.
la population civile s'accroissait rapide- Après la défaite et la ruine de Hus-
ment, et semblait dominée par le besoin sein-Pacha, le bey de Constantine, ral-
de prendre racine dans le pays en acqué- liant les débris de la milice turque,
rant des propriétés. On construisait de avait regagné sa province, pillant sur
toutes parts ; les traces de la dévastation son passage toutes les propriétés de
qui avait été la suite inévitable de la l'État. A son arrivée à Constantine, ii
conquêtedisparaissaient successivement. trouva la ville révoltée, et ayant reconnu
Dans le mois de mai 1832, à la suite de un nouveau bey; il lui fallut recourir à
discussions survenues entre le comman- l'alliance des tribus du dont sa
désert,
dant en chef et l'intendant civil , ce der- mère était originaire, et au secours des
nier avait été remplacé par M. Genty Rabiles, pour reprendre possession de la
de Bussy, qui déploya une grande acti- capitale du beylik. Dès que son autorité
vité pour organiser l'administration de avait été rétablie il avait tourné tous
la ville d'Alger. Au dehors , des routes ses efforts vers Bône, afin d'acquérir un
militaires étaient ouvertes; des camps port. Repoussé définitivement de ce côté
retranchés, établis dans des positions par l'occupation de la ville par la France,
bien choisies , multipliaient les moyens au mois de mai 1832, il convoita Bougie.
de défense et prouvaient aux indigènes la Ses intrigues n'eurent pas plus de succès
ferme volonté de la France de garder auprès des populations kabiles, qui se
cette terre conquise par la bravoure de montrèrent peu empressées de se donner
ses soldats. Les sentiments hostiles pa- un maître. Ne pouvant prendre pied sur
raissaient s'affaiblir; la tranquillité et le littoral, il voulut s'emparer de Médéah,
le besoin de la paix faisaient chaque jour afin de se rapprocher d'Alger, impatient
des progrés. Encouragé par ces premiers de s'arroger le titre de pacha, qu'il faisait
résultats, le général Rovigo s'appli- solliciter à Constantinopie. Cette espé-
quait avec persévérance à les développer, rance fut encore déçue ; les habitants de
lorsqu'il fut atteint de la maladie à la- Médéah , divisés par des factions, firent
quelle il devait succomber. Il rentra en taire cependant leurs querelles intestines
France au mois de mars, et fut remplacé pour résister au bey de Constantine.
par le lieutenant général Voirol, qui L'horreur que les tribus avaient de la do-
prit le commandement par intérim. mination turque était si grande, que
plusieurs d'entre elles réclamèrent des
secours auprès du général en chef. On
île put leur eo accorder ; mais l'assurance
Ht \a s#u
| i
i
, ,

L'UNIVERS.
280
pour lui-même à ces sollicitations, et pré-
dans son
ragea: El-Hadj-Ahmed, attaqué
tugitif dans parait les esprits avec habileté et persé-
camp, fut battu, et rentra en vérance à reconnaître l'autorité de son
ne se
son beylik. A Bône nos progrès
attirées filsAbd-el-Kader. Déjà on racontait que
ralentissaient pas; les tribus
commençaient dans le voyage qu'il avait fait avec son
dans notre cercle d'action
entreprises père à la Mecque, il y avait peu d'années,
à résister d'elles-mêmes aux
bey de des prophéties émanées des hommes les
des agents et des troupes du des
plus saints, des songes miraculeux,
Constantine.
apparitions, avaient prédit au jeune
Oran venait de changer de gouverneur ;

Abd-el-Kader qu'il serait sultan des Ara-


le général Boyer, après de nombreux vues de
bes. Il seconda avec adresse les
combats livrés aux Arabes, presque sous
son père. Toujours au premier rang dans
lecanon de la place, avait remis le com-
les combats , remarqué pour
l'austérité
mandement au général Desmichels. En
notre de ses mœurs, sa piété et sa connais-
dehors du territoire soumis a de
la confusion qui régnait sance des ouvrages de théologie et
action directe,
des popula- jurisprudence, Abd-el-Kader gagna bien-
pour nous dans les intérêts
et af-
qui nous tôt tous les cœurs par sa douceur 1

tions indigènes et l'obscurité


fabilité de son caractère. A la
mort de
quel-
cachait les événements accomplis a âges
dissi- son père , trois de ses frères, plus
que distance dans l'intérieur, se
que lui, s'effacèrent devant sa renommée,
paient. L'empereur du Maroc
avait
et les chefs des tribus le
proclamèrent
vainement tenté d'annexer à ses Etats la
l'Algérie. pour diriger la guerre sainte contre les
partie la plus occidentale de
chrétiens.
L'armée qu'il avait envoyée , en proie a
Sous l'inspiration de leur jeune chef
une indiscipline violente, ne tarda pas et vinrent
rentrer les tribus restèrent en armes,
à se révolter, et fut obligée de
souvent nous provoquer jusque sous les
dans le Maroc sans avoir obtenu aucun
résultat. Les représentations du
gou- murs d'Oran. Le général Desmichels ne
dé- voulut pas supporter plus longtemps
vernement français a l'empereur le
prit vigou-
ces insolentes bravades ; il
terminèrent à renoncer à ses projets
reusement l'offensive. Dès qu'il appre-
de conquête. A Tlemsen , les Hadars forme, il
nait qu'un rassemblement s'était
habitants arabes, luttaient contre les
sortaitde la ville, se portait à sa rencon-
Coulougtis, enfermés dans leMéchouar.
adressés à nous
Les 7 et 27 mai , les
tre, et le dispersait.
Ces derniers s'étaient nombre,
tribus arabes, réunies en grand
pour avoir du secours, et s'annonçaient Oblige
subirent ainsi de graves échecs.
déjà hautement comme nos amis.
Apparition d' Abd-el-Kader.
— de se tenir à distance d'Oran,
Abd-el-

Dès que les troupes marocaines eurent Kader se dirigea sur Tlemsen, et se lit
leva
repassé la frontière, les tribus, qui avaient
proclamer sultan par les Hadars; il
contingents
partagé leurs forces pour attaquer Oran des contributions, appela les
des tribus, et marcha sur
Mostaganem
sans relâche, et pour résister en même après
temps à l'invasion des Marocains, con- pour s'emparer de cette ville qui, ,

Mascara et Tlemsen, déjà en son pouvoir,


centrèrent tous leurs efforts contre nous.
la importante du beylik.
plus
Les marabouts prêchaient partout la était
Comme Ahmed-Bey dans l'est, il pour-
guerre sainte et poussaient les guerriers pour 1 e-
au combat. Parmi ces hommes fanati- suivait la conquête d'un port
plai-
ques , le plus considérable par son in- coulement des produits des riches
nes du Chélif et de Mascara. La
petite
fluence était Mahhi-ed-Din, de la tribu
des Hachem , qui dirigeait une zaouïa re- ville d'Arzeu, située entre Oran et Mos-
taganem, fut enlevée par les Arabes,
et
nommée, située sur l'Oued-el-Hammam, Fran-
à une petite distance à l'ouest de Mas- son kadhi, qui avait traité avec les
çais, fut décapité. Le général
Desmi-
cara. La grande tribu des Hachem
chels, craignant avec raison que
Mosta-
obéissait complètement à l'autorité de
Mahhi-ed-Din, et le pressait de transfor- ganem ne fût aussi obligé de se rendre,
places
mer l'influence religieuse qu'il exerçait et que l'occupation de ces deux
ne compromît gravement notre
domina-
en un pouvoir politique. Mais le mara-
garni-
bout, déjà avancé en âge, restait sourd tion, se détermina à établir des
ALGÉRIE. 281

sons françaises sur ces deux points. Il En une commission spéciale, com-
effet,
prit possession d'Arzeu le 3 juillet la : posée de membres des deux chambres,
ville avait été abandonnée par les Ara- avait été nommée, le 7 juillet 1833, pour
bes; le 29 du même mois il entra à aller recueillir en Afrique tous les faits
Mostaganem. Chaque pas en avant propres à éclairer le gouvernement sur
que les circonstances nous forçaient de l'état du pays et sur les mesures que
faire pour mieux asseoir notre autorité réclamait son avenir. La mission de
produisait sur les tribus un effet salu- cette commission, mal interprétée,
taire, et les disposait à se rapprocher ; avait fait croire qu'on se disposait à
ainsi, après l'occupation d'Arzeu et de abandonner notre conquête; de là le dé-
Mostaganem, les importantes tribus des couragement, delà les fausses rumeurs
Douairs et des Zmélas entrèrent en pour- répandues parmi les tribus ennemies et
parlers pour faire leur soumission à la que l'occupation de Bougie détruisit.
France. Abd-el-Kader voulut tenter en- Traité du général Desmichels
core contre nous la fortune des armes; avec Abd-el-Kader. L'année 1834 —
il fut battu dans la plaine deMélata, à commença sous des auspices favorables.
er
Ain Bedha, le 1 octobre, et à Tamzouat Sur tousses points notre situation s'é-
le 3 décembre. Après ce dernier combat tait améliorée; le résultat fut particuliè-
les Douairs et les Zmélas se détachèrent rement sensible dans la province d'Oran,
tout à fait de sa cause. parce que là, les éléments hostiles à
Occupation de Bougie. —A
plu- notre domination étant organisés et
sieurs reprises des bâtiments français et concentrés sous l'autorité d'un seul
étrangers avaient été insultés à Bougie ; chef, la lutte était plus fréquente, mais
un brick de l'État ayant fait naufrage aussi le succès était plus durable. Après
dans la baie où ce port est situé, tout les brillants avantages remportés dans
l'équipage avait été massacré ; on savait la plaine de Mélata, le général Desmi-
que la ville était un foyer d'intrigue, non- chels s'était mis en communication avec
seulement avec l'intérieur, mais encore Abd-el-Kader, et s'efforçait de lui per-
avec les anciens chefs de la Régence; suader de négocier. L'émir ne tarda
enfin on apprit, vers le milieu du mois pas à accueillir avec faveur les ouvertures
d'août, que le bey de Constantine s'a- qui lui étaient faites. Le commandant
vançait vers Bougie pour s'en emparer. d'Oran espérait en traitant faciliter la
Ces causes et ces griefs déterminèrent le création d'un pouvoir fort, qui contien-
gouvernement français à occuper Bougie drait les Arabes et avec lequel les rela-
d'une manière permanente, pour ne pas tions soit pacifiques , soit hostiles , se-
laisser ce port important entre les raient plus avantageuses. De son côté,
mains des Kabiles. Le consul d'Angle- le jeune sultan comprit que la paix lui
terre, à la suite d'une insulte faite par était indispensable pour organiser sa
les Bougiotes à un bâtiment de sa na- puissance, sauf à tourner ses armes
tion avait annoncé que l'Angleterre se
, contre nous dès qu'il aurait fini de sou-
chargerait de châtier Bougie si la France mettre toutes les tribus et qu'il se se-
ne le voulait pas faire. On organisa une rait créé des troupes régulières. Après
expédition à Toulon; les ordres, partis des négociations prolongées, un traité fut
de Paris le 14 septembre, reçurent signé le 26 février 1834 (1). Le gouver-
promptement leur exécution ; lestroupes
mirent à la voile le 23, et le 29, après une (i) Nous croyons devoir transcrire ici en
attaque audacieuse de nos troupes et entier cet acte important :

une très-vive résistance de la part des TRAITÉ DE PAIX


Kabiles , Bougie tomba en notre pour-
Entre le général Desmichels et Abd-el-Kader
voir (1).
(traduit sur l'original arabe laissé à l'émir).
Cet acte de vigueur releva le courage
des colons et rendit l'espoir aux indigè- Conditions des Arabes pour la paix.
nes qui avaient embrassé notre parti. i° Les Arabes auront la liberté de vendre
et acheter de la poudre , des armes , du sou-
( i) Voyez Annales algériennes, par M. Pel- fre , enfin tout ce qui concerne la guerre.

lissier, 2 e vol., pag. 84 et suiv. 2° Le commerce de la Mersa ( Arzeu) sera


,

L'UJNIVEPuS.
282
possessions françaises au nord de
nement approuva cette convention, ou les

étaient mieux garantis


l'Afrique des renseignements précieux,
les intérêts arabes
qui permirent de constituer sur des
peut-être que les nôtres ; mais
il se ré-
meilleures bases le gouvernement et
serva de compléter par des arrange-
l'administration de notre conquête. Le
la

ments ultérieurs mieux combines. La


si profitable a 22 juillet 1834 une ordonnance royale
cessation des hostilités,
sans régla, selon les indications et les conseils
Abd-el Kader, ne fut pas cependant
elle nous permit de la commission, tout l'établissement
utilité pour nous;
politique et administratif. Le gouverne-
d'affermir notre autorité dans les éta-
ment ne fut plus la conséquence du
blissements que nous avions formes;
abondamment commandement militaire, mais le do-
les marchés d'Oran furent
mina. Le pays obéissait avant au général
approvisionnés, et les Européens purent
en chef de l'armée d'occupation; il fut
voyager avec sécurité jusque dans le
|

confié au commandement d'un gouver-


centre de la province.
neur général qui avait sous ses ordres
,

Le générale Erlon gouverneur général un lieutenant général commandant, les


troupes, toute l'administration rentra
(Du 27 juillet 1834 au 8 juillet 1835.) sous la direction immédiate du ministre j

de la guerre. Le général commandant


Nouvelle organisation politi-
|

que de l'Algébie. —
Les travaux de les troupes, un intendant civil , le
mandant de la marine,
coin-
un procureur
\

la commission d'Alger fournirent sur directeur des finances et un


général, un 1

sous le gouvernement du prince des


croyants, intendant militaire furent chargés des
comme parle passé, et pour toutes les affaires différents services civils et militaires , et
les chargements ne se feront
pas autre part que composèrent un conseil de gouverne-
dans ce port. Quant à Moslaganem et Oran , ment auprès du gouverneur général-. I

ils ne recevront que les marchandises néces- Le même acte statuait en outre que les
saires aux besoins de leurs habitants et possessions françaises dans le nord de
lier-,
,

sonne ne pourra s'y opposer ; ceux qui dési- l'Afrique seraient régies par ordonnan-
rent charger des marchandises devront se ces royales. Le général Drouet d'Erlon
rendre à la Mersa.
fut nommé gouverneur général et entra
3° Le général nous rendra tous les déser-
en fonctions le 26 septembre. M. Lepas-
teurs et les fera enchaîner. Il ne recevra pas
Le général comman- quier, préfet du Finistère, fut appelé à
non plus les criminels.
remplacer, comme intendant civil,
dant à Alger n'aura pas de pouvoir sur les
musulmans qui viendront auprès de lui avec M. Gentv deBussy.
le consentement de leurs chefs.
Situation. —
L'administration in-
4» On ne pourra empêcher un musulman térimaire du général Voirol, quoique'
de retourner chez lui quand il le voudra. contrariée par sa prolongation même, qui
Ce sont là nos conditions , qui seront revê- faisait peser sur elle un doute et une
tues du cachet du général commandant à incertitude fâcheux, avait produit des
Oran. résultats satisfaisants. Mais a mesure que
Conditions des Français. diminuaient, les chambres,
les difficultés
dominées par la préoccupation d'alléger
i° A
compter d'aujourd'hui les hostilités les dépenses de l'occupation, jusque-là
cesseront entre les Français et les Arabes. sans compensation, poussaient éner-
2 La religion et les usages des Arabes se- giquement le gouvernement dans la voie
ront respectés. des économies, et demandaient une ré-
3° Les prisonniers français seront rendus.
duction de l'effectif de l'armée. Cette
4» Les marchés seront libres.
impatience, à laquelle il fut impossible
5° Tout déserteur français sera rendu par
de résister absolument, vint arrêter le
Arabes.
les*
développement des progrès nouveaux
6° Tout chrétien qui voudra voyager par
en enlevant au gouverneur général une
terre devra être muni d'une permission re-
partie de ses soldats, seul et tont-puis-
vêtue du cachet du consul d'Abd-el-Kader et
de celui du général.
sant moyen d'action sur les tribus pour
Sur ces conditions se trouve le cachet du leur imposer, par lacrainte, des relations
grince des Grevants* pacifiques avec nous, En voyant réduire
ALGERIE. S83

le nombre des troupes françaises , le gé- d'Oran. Médéah même ne tarda pas à
néral d'Erîon voulut utiliser les indi- l'appeler dans ses murs, et une circons-
gènes, et proposa d'organiser un corps tance hâta encore l'arrivée d' Abd-el-Ka-
de spahis pour être affecté au maintien der dans la province d'Alger. Un mara-
de la tranquillité hors des villes. Cette bout, Hadj -Moussa, parti du Sahara,
création fut approuvée, et pour la com- s'avança vers Médéah suivi de plus de
pléter on donna au chef de ce corps, deux mille Arabes , rançonnant sur son
avec le titre d'agha , la direction des passage toutes les tribus qui avaient été
relations avec les tribus. en relations avec les Français; il força
Tous ces efforts ne demeurèrent pas les habitants à lui livrer la ville, et se di-
infructueux les rapports avec les Ara-
: rigea ensuite vers Miliana. Hadj-Moussa
bes étaient plus suivis et meilleurs. Le confondait dans les mêmes anathèmes
général Voirol avait organisé un bureau les chrétiens et Abd-el-Kader, qui avait
arabe, dont le capitaine de Lamoricière traité avec eux. L'émir marcha à sa
futnomméchefetqui réunit plusieurs of- rencontre, lui livra bataille, le défit
ficiers pleins de zèle et d'intelligence. complètement, et le contraignit à s'en-
Cette utile institution travaillait avec fuir dans le désert. Le vainqueur fut ac-
ardeur à reconstituer au milieu des tri- cueilli avec transporta Médéah; il con-
bus l'administration qui avait complè-
,
fia le commandement de la ville et du
tement disparu depuis la conquête. Les pays environnant à Mohammed ben Aïssa
indigènes étaient tellement las de la el Berkani , marabout de la tribu des
guerre et de l'anarchie, qu'ils étaient dis- Béni Menasser. La ville de Miliana et la
posés à accepter une organisation même contrée qui en dépend eut pour chef
sous notre direction. Malheureusement Hadj Segheir ben Ali Mbarek, marabout
ces bonnes dispositions trouvèrent des de Koiéah qui avait exercé la charge
,

ennemis redoutables. Abd-el-Rader, d'agha à notre service sous le comman-


déjà trop à l'étroit dans la province d'O- dement du générai Berthezène. Il insti-
ran voulait venir pacifier Médéah et le
. tua même des kaïds jusque dans les tri-
territoire qui en dépendait. Les habi- bus de la Metidja , et retourna à Mas-
tants n'étaient pas éloignés de l'accueil- cara en recevant sur son passage les
,

lir; mais ils jugèrent prudent de consul- envoyés et les hommages des popula-
ter le gouverneur général, lui deman- tions dont il venait d'organiser l'admi-
dant ou de leur permettre de recon-
,
nistration.
naître un hakem qui serait nommé par Rupture avec Abd-el-Kader. •—>

l'émir, ou de pourvoir lui-même à la Les réclamations et les explications se


défense de la ville. Le général d'Erlon multipliaient sans amener de conclusion
fit signifier à Abd-el-Kader de ne pas et sans que nous puissions obtenir satis-
pénétrer à Médéah; cependant il ne put faction à nos trop justes griefs. Les tri-
pas envoyer de troupes soit pour pro- bus de la province d'Oran qui entrete-
téger, soit pour surveiller les habitants. naient des rapports avec nous étaient
L'émir invoqua le traité signé avec le injustement persécutées; le monopole
général Desmichels; et comme le terri- commercial établi à Arzeu
pesait dure-
toire pour lequel on entendait traiter ment sur les opérationsde nos négo-
n'avait pas été déterminé, il se prétendit ciants; enfin nous étions informés que
en droit de se porter partout où les mu- l'émir se disposait à recevoir des mu-
sulmans réclameraient sa présence et nitions de guerre à l'embouchure de la
son intervention. Tafna, par des navires étrangers. Le
Progrès d'Abd-el-Kader.— Le be- général Desmichels, malgré les avertis-
soin d'ordre et d'un gouvernement régu- sements incessants que les faits lui
lier fut plus fort que nos remontrances apportaient chaquejour, conservait dans
;

à défaut de la France, trop éloignée et le traité de paix signé par lui une con-
presque toujours invoquée en vain , les fiance dangereuse. On dut le rappeler
tribus s'adressèrent à l'émir, qui venait d'Oran il fut remplacé par le général
;

au devant de leurs désirs et qui leur of- T.rézel, qui était alors chef d'état-major
frait la garantie d'une administration de l'armée d'Afrique»
fortement, organisée dans la province Le premier soin du nouveau comman*
284 L'UNIVERS.

daut fut d'adopter des dispositions vi- Abd-el-Kader, craignant que ces rap-
goureuses pour contenir les tentatives ports nouveaux entre l'autorité française
de l'émir et se préparer à une rupture et les tribus ne fussent d'un factieux
dès lors inévitable. Les Douairs et les exemple dans la contrée la plus rappro-
Zmélas , qui comptaient de nombreux chée d'Oran, prescrivit aux Douairset aux
et braves cavaliers, s'étaient ralliés à Zmélas de quitter le territoire qu'ils occu-
notre cause depuis longtemps ; Musta- paient et d'aller s'établir dans l'intérieur
pha ben Ismayl, leur chef, avait d'abord de la province. Les deux tribus, juste-
lutté avec succès contre Abd-el-Kader, ment alarmées de cette émigration forcée,
et l'émir n'avait pu vaincre son rival, résistèrent aux ordres de l'émir, et in-
représentant du parti de l'ancien gouver- voquèrent la protection française. Le
nement turc, qu'avec l'appui du géné- général Trézel signifia à Abd-el-Kader
ral Desmichels, qui lui avait fourni des
bestiaux, et de tous les produits, sera libre
armes et des munitions. Le brave Mus-
pour chacune de toutes les tribus soumises ;
tapha, qui devait devenir plus tard un
mais les marchandises destinées à l'exporta-
de nos plus précieux auxiliaires, s'était
tion ne pourront être déposées et embarquées
retiré à TIemsen, dans le Méchouar, où
que dans les ports qui seront désignés par le
les coulouglis tenaient encore contre gouverneur général.
Abd-el-Kader. Les Douairs et les Zmé- Art. 6. Le commerce des armes et des mu-
las savaient que le général Desmichels nitions de guerre ne pourra se faire que par
avait été blâmé pour le secours prêté à l'intermédiaire de l'autorité française.
leur ennemi; ils espéraient que le géné- Art. 7. Les tribus fourniront le contingent
ral Trézel rendrait plus de justice à leur ordinaire toutes les fois qu'elles serout ap-
passé, et ils demandèrent qu'on prît avec pelées par le commandant d'Oran à quelque
eux un engagement formel. Ces tribus, expédition militaire dans les provinces d'A-
qui constituaient le makhzen ( force frique.
administrative des anciens beys ), éprou- Art. 8. Pendant
la durée de ces expédi-

vaient la plus vive répugnance à s'unir tions , les armés de fusil et de ya-
cavaliers

à Abd-el-Kader, qu'elles avaient connu taghans recevront une solde de deux francs
par jour. Les hommes à pied armés d'un
pauvre et sans importance; elles appré-
fusil recevront un franc. Les uns et les autres
hendaient les représailles des partisans
apporteront cinq cartouches au moins. Il
du nouveau sultan qu'elles avaient au-
,
leur sera délivré de nos arsenaux un supplé-
trefois aidé les Turcs à pressurer. C'était
ment de dix cartouches. Les chevaux des tri-
donc leur intérêt de se lier à nous le plus bus soumises qui seraient tués dans le com-
étroitement possible. Quant à nous, bat seront remplacés par le gouvernement
nous avions tout avantage à acquérir français.
des auxiliaires dont la fidélité nous était Lorsque les contingents recevront des vivres
garantie par leurs antécédents politiques des magasins français , les cavaliers et les fan-
et par leurs préjugés. Le général Trézel tassins ne recevront plus que cinquante cen-
signa donc avec eux un traité (1). times par jour.
Art. 9. Les tribus ne pourront commettre
(i) Conditions arrêtées le 16 juin i835 au d'hostilités sur les tribus voisines que dans le
camp du figuier, entre le général Trézel et cas où celles-ci les auraient attaquées, et
les Douairs et Zmélas. alors le commandant d'Oran devra en être
Art. i er Les tribus reconnaissent l'auto-
. prévenu sur-le-champ, afin qu'il leur porte
rité du roi des Français et se réfugient sous secours et protection.
son autorité. Art. 10. Lorsque les troupes françaises
Art. 2. Elles s'engagent à obéir aux chefs passeront chez les Arabes, tout ce qui sera
musulmans qui leur seront donnés par le gou- demandé pour la subsistance des hommes et
verneur général. des chevaux sera payé au prix ordinaire et
Art. 3. Elles livreront à Orau , aux épo- de bonne foi.
ques d'usage le tribut qu'elles payaient aux
, Art. 11. Les différends entre les Arabes
anciens beys de la province. seront jugés parleurs kaïds ou leurs kadhis;
Art. 4. Les Français seront bien reçus mais les affaires graves de tribu à tribu se-
dans les tribus, comme les Arabes dans les ront jugées parlekadhi d'Oran.
lieux occupés par les troupes françaises. Art. 12. Un chef sera choisi dans chaque
Art. 5. Le commerce des chevaux , des tribu et résidera à Oran avec sa famille.
,
ALGÉRIE. 285

qu'il eût a respecter nos alliés. En même minaient Les cavaliers occu-
le défilé.
temps il rassembla les forces dont il paient la route et tous les espaces un peu
pouvait disposer avec tant de prompti- découverts. Les troupes françaises abor-
tude, qu'il arriva au milieu du campement dèrent ces positions difficiles avec tant
des Douairs et des Zmélas au moment d'élan que les Arabes durent reculer ;
où les agents d'Ab-el-Kader saisissaient mais ils revinrent bientôt à la charge.
les principaux chefs de ces tribus et Cependant, malgré leurs efforts, la vic-
commençaient à faire opérer le mouve- toire nous resta; elle nous coûta des
ment de' retraite vers l'intérieur. Cet pertes sensibles; le brave colonel Ou-
événement devint le signal de la reprise dinot, fils du maréchal duc de Reggio,
des hostilités. trouva la mort dans ce premier com-
Affaire de la Macta. — Les Arabes bat. Après ce brillant succès, le général
se préparaient à la guerre depuis plu- Trézel établit son camp sur le Sig, et re-
sieurs mois. Les difficultés soulevées çut bientôt des envoyés d' Abd-el-Kader,
par l'interprétation du traité faisaient qui, tout en protestant de son amour
prévoir à Abd-el-Kader une rupture pour la paix, ne voulut pas pourtant
prochaine. Il la désirait, parce que les souscrire aux conditions proposées (l).
prédications fanatiques contre les chré- Unseul jour consacré au repos donna
tiens, l'exaltation des passions reli- le temps aux cavaliers arabes dispersés
gieuses en faveur de la guerre sainte de se rallier, et permit à l'émir de cons-
étaient encore pour lui les plus puis- tater que la colonne française, embar-
sants moyens d'imposer son autorité aux rassée d'un nombreux convoi d'approvi-
tribus, de faire taire leurs rivalités, de sionnements et de blessés, n'avait plus
les grouper pour une action commune, toute la liberté de ses mouvements pour
et de leur demander des contributions combattre. Le général pressentit, de son
sous prétexte des préparatifs à faire côté , qu'il s'était engagé trop avant, et
pour la guerre. L'origine du pouvoir qui résolut de se retirer sur Arzeu , en sui-
lui avait été transmis par son père, (la vant les rives du Sig, qui prend le nom de
nature même de la vénération qu'on lui Macta, après sa jonction avecl'Habra.
avait vouée, le condamnaient pour ainsi On se mit en marche le 28; bientôt
dire à rompre le traité que les Arabes l'armée se trouva resserrée dans un pas-
les plusdévoués n'acceptaient que sage étroit, formé à droite par les bords
comme une suspension d'armes. On a marécageux de la Macta, à gauche, par
vu d'ailleurs que le marabout du désert, des collines très-boisées; c'était le
battu par l'émir à Médéah, avait levé une point choisi par Abd-el-Ivader pour nous
armée assez forte pour le combattre, assaillir. Il fallut porter des troupes
en l'accusant d'être l'allié des chrétiens. nombreuses sur les hauteurs, pendant
D'un autre côté, les indigènes n'avaient que l'avant-garde débarrassait la route ;
pas encore enduré de grands maux; l'ennemi , voyant le convoi protégé par
le fanatisme n'avait perdu qu'une faible une faible arrière-garde, l'attaqua avec
partie de ses illusions, après les échecs fureur. Les Arabes, se précipitant dans
essuyés dans les attaques contre les un intervalle laissé à découvert par la
troupes françaises. Aussi toutes les tri- cavalerie , atteignirent plusieurs voitu-
bus répondirent avec ardeur à l'appel res de blessés, et massacrèrent nos mal-
de leur sultan, et lui fournirent des con- heureux soldats. Les troupes qui sui-
tingents nombreux. Pendant la paix nous vaient, se croyant coupées, se déban-
avions nous-mêmes donné des armes et dèrent. En un instant le désordre fut
des munitions de guerre à toutes les tri- à son comble. Dès ce moment la marche
bus de l'émir. delà colonne devint une véritable dé-
Le 26 juin J835 le général Trézel route; après des efforts inouïs, quel-
mit sa coionneen mouvement, et parvint, ques dévoués purent cependant
officiers
sans rencontrer l'ennemi, jusqu'à un dé- rallierde petits détachements et faire
filé dans la forêt de Muley-Ismayl, sur la franchir ce passage funeste. Enfin , on
route de Mascara. L'infanterie arabe
s'était embusquée dans les pentes très- (i) Voyez Annales algériennes, par M. Pel-
roides et couvertes débroussailles qui do- lissier, a e vol., pag. 267 et suiv.
280 L'UNIVERS.

arriva clans la plaine qui s'étend au bord et à l'ouest de Douera. De Médéah à


de la mer, et les corps se reformèrent ; à Tlemsen toutes
, les populations arabes
sept heures du soir, l'armée, épuisée de ne reconnaissaient d'autre chef qu'Abd-
fatigues, s'arrêta à Arzeu. Nos pertes el-Kader. Le bey de Constantine, après
dans cette fatale journée s'élevèrent à de fréquents efforts, toujours vains,
deux cent soixante-deux morts et trois pour s'emparer du beylik de Titeri,
cent huit blessés. semblait s'être résigné aie laisser entre
L'issue de cette campagne, dont le les mains de l'émir. Dans la province
général ïrézel assuma nobiement toute de Constantine nous possédions en paix
la responsabilité, amena la nomination le littoral, sauf des combats, parfois
du général d'Arlanges au commandement assez vifs , qui nous étaient livrés à
d'Oran. Enhardi par un succès aussi Bougie par les tribus kabiles, et quel-
inespéré, Abd-e!-Kader s'avança jusqu'à ques rapides expéditions dans les en-
vingt kilomètres d'Oran, et établit quatre virons de Bône pour protéger nos alliés
camps autour de la ville. Le 29 août il arabes.
vint attaquer nos avant-postes ; mais Les détails multipliés d'une adminis-
nos auxiliaires indigènes, appuyés par tration compliquée, l'invasion du cho-
l'artillerie,dispersèrent bientôt les ca- léra, la répression des brigandages des
valiers ennemis.Après plusieurs ten- Hadjoutes, ne détournèrent pas le ma-
tatives infructueuses, l'émir, voyant que réchal Clauzel des préparatifs de l'expé-
le zèle de ses troupes s'affaiblissait et dition qui devait aller frapper Abd-el-
que ses pertes augmentaient sans cesse, Kader au cœur même de ses États, à
se retira à Mascara, alléguant pour mas- Mascara. La légion étrangère, forte de
quer sa retraite les ravages que le choléra six mille hommes, venait d'être cédée au
exerçait alors dans la Régence. Il comp- gouvernement espagnol. Cette troupe,
tait sur les intentions pacifiques du gé- qui avait rendu des services si efficaces
néral d'Erlon pour reprendre les négo- en Algérie, fut remplacée par des régi-
ciations ; mais le gouvernement, frappé ments rassemblés à Port- Vendre et diri-
de l'atteinte funeste portée à notre puis- gés sur Oran. A la fin d'octobre le gou-
sance aux yeux des indigènes , s'occu- verneur général ordonna l'occupation
pait déjà de réunir les moyens d'obtenir de nie de Rachgoun, située près de
une éclatante revanche. Le général l'embouchure de la Tafna, à la hauteur
d'Erlon fut rappelé et remplacé par le de Tlemsen. La possession de cette île,
maréchal Clauzel. presque sur l'extrême limite de la pro-
vince d'Oran, nous permettait de sur'
Gouvernement du maréchal Clauzel. veiller les côtes et de réprimer la contre-
bande de munitions de guerre qu'on es-
(Du 8 juillet 1835 au 12 février 1837.)
sayait de faire sur ce point pour appro-
Situation génébale. — Le maréchal visionner Tlemsen.
Clauzel arriva à Alger le 10 août 1835 ; Abd-el-Rader ne se dissimulait pas
il fut reçu avec des transports de joie. la gravité du danger qui le menaçait.
Sa haute réputation militaire donnait Pour exalter le fanatisme des tribus", il
la garantie que l'échec éprouvé par fit répandre le bruit que la France allait
nos armes à la Macta serait glorieu- bientôt être engagée dans une guerre
sement réparé. Quinze mois d'une paix avec l'Europe entière; mais les Arabes,
illusoire dans l'ouest nous avaient malgré leur crédulité, furent détrompés
fait perdre toute iniluence sur les po- en voyant arriver sans cesse de nouvelles
pulations de la province d'Alger; et troupes. Peu rassuré sur ces disposi-
dans la plaine même de iaMétidja Abd- tions, l'émir avait forcé toutes les tribus
el-Kader trouva des partisans. Les Had- établies entre Oran et Mascara à se reti-
joutes, tribu renommée par son courage, rer derrière cette ville ; il fit enlever tous
devinrent les agents les plus actifs de les dépôtsqu'il avait à Mascara , et les
la ligue formée contre nous. Pour mettre dirigea vers le sud; quelque temps
un frein à leurs brigandages et protéger après, il conduisit sa famille au delà du
les propriétés des colons, on dut établir Tell. Quoiqu'il n'eût pas pu déterminer
un camp retranché à Mahelma , en avaut de gros rassemblements de guerriers, il
ALGÉRIE. 287

nos alliés indigènes, et les


faisait harceler des communications pleines de péril ; la
forçait à se réfugier dans la ligne de ville n'offrait qu'un amas de ruines :

nos* avant-postes. Les coulouglis qui l'abandon fut décidé. Les troupes s'éloi-
étaient enfermés dans le Méchouar de gnèrent le 8 décembre après avoir dé-
,

Tlemsen, avec Mustapha ben Ismayl, truit, ou mis hors de service, l'artillerie
se défendaient bravement contre les et le matériel qu'on trouva dans la place.
partisans de l'émir; mais leur position L'armée emmena à sa suite la popula-
devenait de jour en jour plus critique, et tion juive de la ville et quelques Arabes
depuis l'échec de la Macta ils implo- alliés qui redoutaient les vengeances de
raient avec instance les secours de la l'émir. Au retour, le corps expédition-
France. naire ne rencontra pas d'ennemis;
Expédition de Mascara. — Les mais un temps épouvantable, qui s'é-
préparatifs terminés, l'armée se mit en tait déclaré depuis le jour de l'entrée à
mouvement le 26 novembre. Elle comp- Mascara , avait rendu les routes imprati-
tait huit mille hommes, dont mille indi- cables et on ne put arriver à Mosta-
,

gènes, tant cavaliers arabes, que fan- ganem que le 12 décembre, après avoir
tassins turcs ou coulouglis, sous les or- subi les plus pénibles privations et les
dres d'Ibrahim, kaïd de Mostaganem. plus dures fatigues. Le duc d'Orléans
Le duc d'Orléans, prince royal, suivait s'embarqua à Mostaganem pour rentrer
l'expédition. On
arriva sur les bords du en France.
Sig, sans rencontrer de résistance. Le La prise de Mascara avait détaché du
er parti de l'émir quelques chefs arabes,
1 décembre le maréchal Clauzel con-
duisit en personne- quelques troupes notamment Êl-Mézary, qui consentit à
contre un parti d'Arabes établi sur servir comme lieutenant du kaïd Ibra-
l'Habra. Après une courte résistance him, institué bey de Mostaganem. Ce-
l'ennemi s'enfuit dans la montagne ; les pendant ,malgré la destruction de sa
engagements qui suivirent, quoique capitale, la puissance d 'Abd-el-Kader
peu importants, coûtèrent cher aux n'avait pas été sérieusement ébranlée; il
Arabes, et la plupart des tribus abandon- n'attendait que le moment de la retraite
nèrent le camp de l'émir. L'armée con- des Français pour reparaître. Il con-
tinua sa marche, et entra à Mascara le tinua de taire inquiéter les tribus ral-
5 décembre. En quittant sa capitale, liées à notre cause et rassemblées autour
Abd-el-Kader avait forcé les habitants d'Oran; quant à lui, il se porta de sa
à émigrer et avait donné ordre de met- personne, à la tête de forces considéra-
tre le feu à toutes les maisons. Nos bles, sur Tlemsen, dans l'espoir de chas-
soldats, en pénétrant dans la ville, furent ser définitivement les coulouglis et Mus-
obligés de faire de grands efforts pour tapha ben Ismayl du Méchouar. A la nou-
éteindre l'incendie qui s'était déjà dé- velle de ce mouvement, ,1e maréchal
claré sur plusieurs points (1). Clauzel, qui avait eu un instant la pensée
Le but principal de l'expédition contre de négocier avec l'émir, ne songea plus
Mascara avait été d'établir le kaïd Ibra- qu'à aller porter secours aux défenseurs
him avec le titre de bey et de lui créer de la citadelle de Tlemsen , si constants
une position assez forte pour contre- dans leurs sympathies pour notre cause.
balancer la puissance d'Abd-el Kader. Expédition de Tlemsen. — Le
Mais les tribus voisines ne tirent aucun corps d'armée s'était rendu de Mostaga-
acte de soumission. Ibrahim ne pouvait nem à Oran. Après quelques jours consa-
se maintenir dans une ville ouverte, avec crés au repos, il se mit en route pour
le peu de Turcs qui le suivaient. L'ef- Tlemsen, le 9 janvier. Abd-el-Kader avait
fectif de l'armée n'était pas assez consi- fait une trop rude expérience de la valeur
dérable pour en détacher une garnison de nos soldats et de l'habileté de leur chef
qui aurait occupé Mascara. D'ailleurs, pour affronter encore la chance des
on venait d'acquérir la preuve qu'on ne combats. Il n'osa tenter ni de défendre la
pouvait entretenir avec ce point que ville ni de venir arrêter la marche de la
colonne; il s'éloigna de Tlemsen pen-
(i) Voyez annales algériennes, par M. Peî- dant la nuit, après avoir enjoint à la
liss'ier, 3 e vol., pag. 21 et suiv. population de le suivre. Les coulouglis
288 L'ÎWIVKRS.
du Méchouar et les chefs des Angads, des Kabiles et quelques Marocains.
tribu depuis longtemps hostile à l'émir, Après deux engagements des plus vifs,
se réunirent pour se porter à la rencontre dans lesquels il éprouva des pertes con-
des Français. Les deux troupes se joi- sidérables, l'ennemi se retira à quelque
gnirent à quelques kilomètres en avant distance. Le gouverneur général, ayant
de Tlemsen, et entrèrent dans la ville le rencontré une résistance plus grande
13janvier. On trouva dans les maisons qu'il ne s'y attendait, inquiet d'ailleurs
abandonnées de grands approvisionne- de la présence des Marocains, jugea
ments de blé et d'orge qui pourvurent prudent de ne pas pousser sa recon-
largementauxbesoinsde l'armée pendant naissance plusloin, et regagna Tlemsen.
le long séjour qu'elle lit sur ce point (1). Avant de retourner à Oran, le maré-
Abd-el-Kader était campé à huit chal Clauzel compléta l'armement des
kilomètres à l'est de Tlemsen ; il rete- coulouglis il organisa un bataillon de
,

nait auprès de lui les habitants, auxquels cinq cents soldats français pour tenir
il avait persuadé que les troupes fran- garnison dans le Méchouar, et en confia
çaises ne resteraient pas au delà de trois le commandement au capitaine du génie
jours dans la ville, comme cela était ar- Cavaignac; il institua un bey indigène
rivé pour Mascara. Le maréchal Clauzel pour gouverner le pays. Pendant son
voulut se débarrasser de ce dangereux séjour à Tlemsen le maréchal prit une-
,

voisinage ; deux colonnes furent orga- mesure des plus regrettables. Il imposa
nisées pour poursuivre l'émir; on leur à la population une contribution de
adjoignit les Turcs et les coulouglis du 150,000 francs pour payer les frais de
Méchouar, sous les ordres de Mustapha la campagne. Les procédés barbares
ben Ismayl, quatre cents cavaliers employés pour la perception de cette
douairs et zmélas, commandés parÊl- somme atteignirent les coulouglis , qui
Mézary, et quatre cents cavaliers des s'étaient montrés jusque-là nos plus fidè-
Angads. Abd-el-Kader n'attendit pas nos les amis et les habitants rentrés sur no-
troupes; il se retira précipitamment, tre invitation, et sur les approvisionne-
abandonnantsesbagages; nos auxiliaires ments desquels l'armée vivait depuis son
atteignirent toutefois son infanterie , et entrée à Tlemsen. La rigueur fiscale qui
la mirent en déroute. L'émir, vivement fut déployée en cette circonstance nous
poursuivi, ne dut la vie qu'à la vitesse de aliéna le cœur de nos partisans , et éloi-
son cheval. En rentrant à Tlemsen la gna de nous les indigènes , que nos suc-
colonne ramena une partie de la popula- ces militaires avaient disposés à se sou-
tion fugitive. mettre. La colonne française partit pour
L'ancien kaïd de Tlemsen s'était ré- Oran 7 février, et rentra dans cette
le
fugié chez les Kabiles qui habitent la rive ville le 12,après avoir facilement dis-
gauche de la Tafna, et cherchait à y or- persé les cavaliers arabes qui tentèrent
ganiser des forces pour nous attaquer. Le d'inquiéter sa marche.
gouverneur général ne voulut pas laisser État de la province d'Alger. —
se développer ces germes derésistance;il La province d'Alger était loin d'être
dirigea une forte colonne vers le confluent paciliée.Avant d'entreprendre ses opé-
de Tisser et de la Tafna , avec le projet, rations sur Mascara et Tlemsen , le ma-
après avoir dispersé les Kabiles, de s'as- réchal Clauzel avait essayé de placer
surer si la route qui liait Tlemsen à la Miliana , Cherchel et Médéah sous l'au-
mer était praticable. Notre établisse- torité de beys nommés par la France.
ment à 111e de Rachgoun n'était éloigné Les indigènes investis , sans influence
de Tlemsen que de quarante kilomètres. sur la population, ne pouvaient lutter
Arrivé sur les bords de la Tafna, le ma- contre l'ascendant qu'Abd-el-Kader
réchal trouva devant lui Abd-el-Kader, exerçait partout ; aucun d'eux ne put
déjà remis des échecs qu'il venait d'es- se faire recevoir dans son commande-
suyer et ayant réuni les guerriers des ment ; et comme nous n'avions pas de
tribus des Hacuem et des Béni Amer, troupes disponibles pour les appuyer,
cette tentative d'organisation tourna en-
(i) Yoyez Annales algériennes, parM.Pel- tièrement à notre confusion. Cependant
Jissier, 3 e vol., pag. 47 et suiv. lorsque la nouvelle de nos succès mili-
ALGÉRIE 289

taifes dans l'ouest se fut répandue . les Hostilités dans la province


tribus semblèrent se rapprocherde nous, d'Alger. —Le maréchal Clauzel pour-
du moins celles de la Métidja ; plusieurs suivait avec une persistance fâcheuse la
d'entre elles, lesOuledZeitoun (Coulou- pensée d'installer de grands chefs indi-
Béni Misra, les Béni Moussa, vin-
glis), les gènes pour gouverner au nom de la
rent se ranger sous notre obéissance. En France. L'insuccès des tentatives faites
même temps les entreprises coloniales a deux reprises à Médéah puis à Cher-
,

riesEuropéens prirent une activité nou- chel , à Mascara enfin en dernier lieu
,

velle autour d'Alger on occupa des fer-


; à Tiemsen, où notre bey, malgré la pré-
mes et on créa des établissements d'a- sence d'une garnison française, ne pou*
griculture en dehors de nos avant-postes, vait sortir de la place , ne le découragè-
isolés au milieu des Arabes. Quoique rent pas. Il résolut de diriger une expé-
la sécurité ne fût pas encore aussi com- dition sur Médéah pour installer par la
plète que ces colons, trop hardis, pa- force le bey que la population n'avait pas
raissaient le croire, il est certain néan- voulu reconnaître. Six mille hommes
moins qu'on commençait à jouir d'une de nos troupes franchirent l'Atlas à la
tranquillité plus grande. fin du mois de mars 1836, et après avoir
Est de la régence. — Il régnait fait éprouver des pertes considérables
aux environs de Bône une paix à peu aux Kabiles qui avaient essayé de leur
près satisfaisante. La sage administra- disputer le passage, entrèrent à Médéah.
tion du général d'Uzer faisait chaque On donna à notre bey des secours d'ar-
jour des progrès, et se conciliait la mes et de munitions ; on châtia quelques
confiance des tribus. La douceur de tribus rebelles à son autorité, et l'armée
notre gouvernement frappait d'autant repassa les montagnes sans avoir obtenu
plus les indigènes , qu'en ce moment des résultats plus positifs. La colonne
même le bey de Constantine commet- française était à peine rentrée à Aiger,
taitdes actes de cruauté et d'oppression que le lieutenant d'Abd-el-Kader qui
inouïs contre les tribus de son beylik. commandait à Miliana forma une con-
Plusieurs d'entreelles s'étaient révoltées, fédération de tribus, et marcha contre
et leurs chefs cherchaient à entrer en notre bey. Après trois jours de combats,
rapport avec le commandant de Bône. ce malheureux personnage, plus coura-
A Bougie notredomination n'avait fait geux que capable, trahi par les habi-
aucun progrès. Les Kabiles, lassés des tants de Médéah fut livré à nos enne-
,

attaques dirigées sans résultat contre mis. Malgré ces événements, qui don-
nos positions, semblaient avoir conclu naient un grand ascendant aux amis
une espèce de trêve avec nos troupes. d'Abd-el-Kader, les tribus habitant à
Mais ils étaient en proie à des luttes l'est de la Métidja refusaient d'épouser
intestines. Un parti s'était formé qui sa cause et préféraient venir vendre
voulait vivre en bonne intelligence avec leurs produits sur le marché d'Alger.
nous et fréquenter le marché de la ville; Province d'Oran. — Après son
toutes les fois qu'il essayait d'entrer en retour de Tiemsen, le gouverneur
pourparlers une opposition violente
, général avait laissé le commandement
éclatait pour lui contester le droit de au général Perregaux, avec ordre de
traiter avec Bougie. Malheureusement poursuivre sans relâche les tribus hos-
la configuration du sol, les habitudes tiles et de protéger celles qui avaient
guerrières des populations, le peu de fait leur soumission. Nos premières opé-
forces qui gardaient la ville, ne nous rations furent dirigées contre les Gha-
permettaient pas d'intervenir pour aider raba, qui avaient attaqué les Douairs
les partisans de la paix à triompher de et les Zméla ; le général se porta en-
leurs adversaires. Cet état de choses se suite sur l'Habra et dans la vallée du
prolongea, et fut quelquefois interrompu Chélif, jusqu'au confluent de la Mina,
par des agressions partielles contre nos à cent vingt kilomètres à l'est d'Oran.
avant-postes quand le parti des fanati-
, Les tribus dont la colonne traversait le
ques parvenait à dominer, pour un ins- territoire s'empressaient de faire leur
tant, les résolutions des tribus les plus soumission, et venaient nous apporter
rapprochées de la ville. des vivres. Cette reconnaissance, qui
19 e Livraison. (Algérie.) 19
L'UNIVERS.
290
cons- 6 juin. Leur effectif était de quatre mille
dura vingt jours et qui permit de
des Arabes, cinq cents hommes. Dès le 11 juin tout
tater les bonnes dispositions
était prêt pour prendre l'offensive (1).
demeura cependant stérile. Le rappel
division Mais, avant de se diriger vers Tlemsen,
d'une partie des troupes de la
le général Bugeaud voulut parcourir
le
nos
d'Oran nous força d'abandonner
pays dans plusieurs directions, dans
nouveaux alliés qui furent dans la né-
l'espoir de rencontrer l'ennemi et de
,

cessité de se soumettre à Abd-el-Kader


rendre à nos armes le prestige qu'elles
dès qu'il parut dans leur pays.
semblaient avoir perdu. Il conduisit sa
ÉTABLISSEMENT DUN CAMP SUR LA
*Tafna. —
Le projet d'un établisse- colonne successivement sur Oran, sur
à l'embouchure de la Tlemsen , et rentra au camp de la Tafna,
ment permanent
de procurer à la garnison après avoir livré deux combats à des ras-
ïafna , afin
française de Tlemsen une communica- semblements arabes où Abd-el-Kader
tion "plusprompte avec la mer, n'avait ne se trouvait pas.
pas été abandonné. Le général d'Ar-
Dans une nouvelle marche sur Tlem-
langes partit d'Oran avec trois mille sen, pour y mener un convoi de ravi-
taillement, le général Bugeaud fut
hommes pour protéger les travaux à
exécuter et pour mener un convoi de ra- attaqué par l'émir, au passage de la
vitaillementà Tlemsen. Pendant sa mar- Sikak, le 6 juillet 1836. Dès le commen-
che, il rencontra l'émir, qui revenait de cement de l'action l'armée française fut
la frontière de Maroc avec des
forces déplovée sur un plateau compris entre
considérables. Le combat fut des plus Tisser au nord, la Sikak à l'est et la
vifs, et nos troupes, ayant dispersé l'en-
Tafna à l'ouest. Le combat fut acharné
nemi , parvinrent à l'embouchure de la de part et d'autre mais le courage dis-
;

cipliné triompha du nombre et de la fu-


!

Tafna. On se mit sur-le-champ à élever


les retranchements qui devaient fermer
reur sauvage. Un bataillon régulier or-

ganisé par Abd-el-Kader fut mis en


;

le camp. Avant de se hasarder sur la


route de Tlemsen, le général d'Arlanges, complète déroute; douze ou quinze cents
informé qu'un rassemblement composé Arabes et Kabiles furent tues ou blessés
fu-
en partie de Marocains se disposait à et cent trente fantassins réguliers
rent faits prisonniers. Jamais depuis
lui disputer le passage, résolut de pous-
,

ser une reconnaissance dans la direc- la conquête, notre armée n'avait livré
tion indiquée. Dans la nuit du 24 au 25 une bataille aussi importante; c'était
aussi la première fois qu'un si
grand
avril , il sortit du camp et se trouva au
!

nombre de prisonniers musulmans tom-


point du jour en face de l'ennemi. Les
:

troupes françaises, dont l'effectif attei- baient entre nos mains. L'émir, décou-
gnait à peine' quinze cents hommes, fu- ragé , privé de ressources , se retira a
rent assaillies avec fureur par plus de dix Nedroma, où il rallia les débris de son
mille Kabi les ou A rabes ; elles opposèrent armée. Notre organisation militaire ne
une résistance héroïque, et firent re- nous permettait pas alors de le pour-
notre
traite en bon ordre jusqu'aux retranche- suivre, et de compléter l'effet de
victoire. Aussi peu de temps après il ,
ments. Nos pertes s'élevèrent à vingt- ,

avait repris tout son ascendant. Le


gé-
trois tués et cent quatre-vingts blessés.
Le général d'Arlanges, bloqué dans son néral Bugeaud quitta la province d O-
camp, se hâta de faire connaître sa si- ran, et beaucoup de troupes rentrèrent
tuation et de demander du secours. avec lui. Le commandement resta au
parti
LE GÉNÉRAL BTJGEAUD-, COMBAT DE général de l'Estang, qui sut tirer
la Sikak. —
Dès que ces nouvelles de l'abattement momentané des tribus
arrivèrent en France, des ordres furent pour parcourir le pays. Aucun événe-
donnés pour l'embarquement immédiat ment important n'eut lieu dans la pro-
des régiments destinés à dégager le gé- vince d'Oran jusque la fin de l'année
néral d'Arlanges. Le commandement fut 1836.
confié au général Bugeaud , alors maré- Première expédition de Lons-
chal de camp. Parties de Port-Vendres
et de Marseille, les troupes débarquè- (i) Voyez Annales algériennes, par M. Pel-

rent sur la plage de la Tafna du 3 au lissier, 3


e'
vol., pag. nS et suiv.
ALGÉRIE. 291

tàntine. Peu de jours après son retour donner une entreprise depuis longtemps
d'Oran maréchal Clauzel quitta Al-
, le annoncée, ou de l'exécuter avec des
ger et se rendit à Paris pour défendre à moyens insuffisants, le gouverneur
la tribune les intérêts de nos possessions général s'arrêta à ce dernier parti. Il
d'Afrique que des projets de réductions était d'ailleurs trompé sur les disposi-
sur le budget de la guerre menaçaient tions des tribus en faveur de notre bey;
sérieusement. ïl trouva un chaleureux et il comptait trouver des secours de
appui dans le président du conseil des toutes sortes de la part de nos auxiliai-
ministres, qui approuva ses plans pour res. On croyait généralement que notre
l'extension de notre domination, et l'au- armée n'aurait qu'a se montrer pour
torisa à diriger une expédit ion sur Cons- obtenir la soumission de la plupart des
tantine. Revenu à Alger au mois d'août tribus , et que les autres ,fatiguées
1836, le gouverneur général s'occupa de la tyrannie odieuse d'EI-Hadj-Ah-
avec activité des mesures préparatoires. med, garderaient une neutralité indif-
Les opérations qu'il allait faire dans l'est férente.
l'obligeaientàdégarnirde troupes la pro- Sur la foi de ces espérances , l'autori-
vince d'Alger. Pour parera cet inconvé- sation d'agir fut accordée. Bientôt ar-
nient, il établit un nouveau camp sur la rivèrent à Bône le duc de Nemours et le
Chiffa , alin de protéger la plaine contre maréchal Clauzel. Le prince devait assis-
les incursions des Hadjoutes il organisa
; ter à l'expédition sans exercer de com-
en outre, sous le nom de milice africaine, mandement militaire. C'était un témoi-
une garde nationale comprenant tous
, gnage de confiance donné par le cabinet
les individus âgés de dix huit a soixante au gouverneur général. Le corps expé-
ans. Dans le territoire de Bône, la do- ditionnaire , fort de neuf mille cent
mination avait fait des progrès réels. trente sept hommes se mit en marche
,

Le chef d'escadron Jousouf, qui servait le 8 novembre; le 15, il campa sur les
dans ies troupes irrégulières, avait été ruines d'une ancienne ville romaine,
nommé bey de Constantine, en rempla- située au bord de la Seybouse et connue
cement d'EI-Hadj-Ahmed, dont on avait sous le nom de Guelma. L'enceinte
prématurément annoncé la mort. Dès d'une forteresse en assez bon état de
,

le 3 mai un camp avait été formé à conservation, permit d'y établir une
Dréan sur la route de Constantine, à
, garnison et d'y laisser à peu près deux
six lieues de Bône. Cette mesure avait cents soldats trop fatigués pour pouvoir
facilité les opérations de notre bey, qui suivre plus loin l'armée. La colonne
chaque jour détachait de nouvelles tri- n'éprouva aucune résistance de la part
bus de la cause d'EI-Hadj-Ahmed. On des indigènes; mais quand elle prit po-
occupa aussi sans éprouver de résistance sition , le 21, sous les murs de Constan-
le port de la Calle, où les souvenirs des tine elle avait déjà supporté des torrents
anciens établissements du Bastion de de pluie mêles de grêle et de neige; les
France étaient encore vivants dans l'es- bagages enfoncés dans une mer de boue
prit de la population indigène. n'avaient atteint le bivouac qu'avec les
Pendant que le gouverneur préparait plus grandes difficultés. L'hiver, qu'on
l'exécution de ses projets, le cabinet fut avait cru jusque là si doux en Afrique,
changé; et le nouveau ministère, n'adop- s'annonça tout à coup avec des rigueurs
tant pas les idées d'agrandissement du inouïes. "Le froid devenait de plus en
côté de Constantine, prescrivit de se ren- plus vif, et le pays était entièrement dé-
fermer dans la limite des crédits votés pourvu de bois.
par les chambres, et refusa d'accorder La position de Constantine sur un
,

au maréchal Clauzel toutes les troupes rocher élevé, entouré par le Roumel
de renfort qui lui avaient été précédem- qui coule dans des ravins très-profonds
ment promises. Le maréchal menaça et à pic , n'était abordable que d'un seul
de résigner son commandement; le cabi- côté. En reconnaissant ces obstacles,
net lui répondit par l'envoi en Afrique dont on n'avait pas pressenti toute la
du général Damrémont pour prendre sa gravité, le maréchal Clauzel ne se sentit
succession, dans le cas où il persisterait pas découragé ; bercé encore par ies il-
à. se retirer. Dans l'alternative d'aban- lusions que les promesses de notre bey

19,
,

2<)2 L'UNIVERS.
avaient fait naître dans son esprit, il es- riva à Guelma le 28 novembre et se re-
péra qu'une attaque vigoureuse déter- plia lentement sur Bône (I).
minerait les partisans que nous avions L'issue si déplorable de cette expédi-
dans la ville à agir et à amener la reddi- tion n'exerça pas dans la province d'Al-
tion de la place. Les journées du 22 et ger une influence aussi fâcheuse qu'il
du 23 furent employées à canonner la y avait lieu de le craindre. Dans l'ar-
place et à repousser les efforts, peu re- rondissement de Bône, l'établissement
doutables, de quelques Arabes qui vin- formée Guelma contint l'audace des in-
rent assaillir nos troupes dans leurs po- digènes. Après le premier enivrement
sitions. On apprit qu'EI-Hadj Ahmed produit par un succès aussi inespéré,
avait quitté la ville, et qu'il avait confié nos ennemis pressentirent quela France
sa défense à son lieutenant Ben-Aïssa, ne manquerait pas de tirer vengeance
avec un corps de fantassins kabiles sous de l'affront que venait de subir ses ar-
Dans la nuit du 23 au 24 no-
ses ordres. mes. Nous avions été vaincus par les
vembre, deux attaques furent dirigées intempéries, plus que par les hommes.
simultanément contre deux portes de la Un moment dans toute l'Algérie les
ville, l'une commandée par le général hostilités, ayant un caractère un peu gé-
ïrézel, rappelé depuis le 1 er octobre néral , furent suspendues dans l'attente
précédent à l'armée d'Afrique, l'autre des événements qui allaient s'accomplir.
par le lieutenant-colonel Duvivier. Elles La fortune avait donné tort au maréchal
échouèrent toutes deux, et coûtèrent la Clauzel dans son dissentiment avec le
vie à plusieurs braves officiers. cabinet, il fut rappelé: il s'embarqua
Après l'insuccès de ces deux tentati- le 12 janvier 1837, et laissa au général
ves, aucun espoir ne restait d'emporter Rapatel le commandement par intérim.
Constantine de vive force. Un plus long Dans le courant du mois d'octobre de
séjour devant ses murs était impossible. cette année, M. Bresson avait été ap-
Les approvisionnements et les muni- pelée l'intendance civile, en remplace-
tions de guerre étaient épuisés ; chaque ment de M. Genty de Bussy. Le 12 fé-
heure, sous l'influence du froid, des pri- vrier suivant, général Damrémont fut
le
vations de toutes sortes , le nombre des nommé gouverneur général des posses-
combattants diminuait; le matériel était sions françaises dans le nord de l'Afri-
hors de service. Que pouvait le plus que.
brillant courage, la valeur française
elle-même contre les éléments conju-
,
Gouvernement du général Damrémont. '

rés? Le maréchal ordonna la retraite; (Du 12 février 1837 au 12 octobre 1837. ) ,

toute l'armée s'ébranla dans la matinée


du 24 novembre. On sait l'acharnement Le général Bugeaud commandant
que les indigènes de l'Afrique ont tou-
de la division d'Oran. — La paix'
était dans les vœux du gouvernement
jours apporté de temps immémorial
,
français , afin d'alléger les charges du
dans leurs attaques contre une troupe
trésoV public; mais il fallait l'obtenir s

qui bat en retraite. Ils se ruèrent avec


par la force des armes. Dans l'ouest la
fureur sur l'arrière-garde; à chaque ins-
situation n'était pas plus favorable que
tant, leur nombre semblait grossir -et
dans la province de Constantine. Abd-
leur exaltation sauvage s'accroître. Ce
el-Kader avait complètement rétabli son
fut dans ces circonstances périlleuses
autorité depuis la défaite delaSikak;
que le commandant Changarnier révéla
Tlemsen de nouveau bloqué; lef
était
à l'armée ce sang-froid intrépide et in-
camp de ïafna demeurait isolé notre
la ;
telligent qui lui assigna une des pre-
influence ne s'étendait pas au delà d'une
mières places parmi nos jeunes illustra-
portée de canon des places occupées
tions militaires. Du reste, la retraite,
par nos troupes. Le gouverneur gé-
sous la direction du maréchal, dont les
néral reçut donc ordre de se préparer à
qualités guerrières semblaient grandir à
la guerre" sur tous les points , sans né-
mesure que danger augmentait, se
le
gliger toutefois les moyens qui pour-
fit avec calme, sans que l'ennemi pût

se flatter d'avoir inquiété sérieusement (x) Voyez Annales algériennes, par M. Pel-
la marche de notre colonne. L'armée ar- lissier, 3 e vol., pag. 149 et suiv.
ALGÉRIE. 293

raient amener la pacification du pays l'embouchure du Mazafran. Sur toute


et rendre inutiles les opérations mili- cette ligne qui enveloppait nos posses-
,

taires. Le général Bugeaud fut appelé sions à l'ouest, notre colonne ne rencon-
de nouveau au commandement de la tra aucun obstacle sérieux. A l'est,
division d'Oran , dans l'espoir que l'é- un petit poste fut établi à Boudouaou
clat de ses succès de l'année précédente pour couvrir la Métidja. Une expédition
faciliterait peut-être la conclusion d'un fut dirigée vers la fin de mai contre les
arrangement avec l'émir. Isser et les Amraoua, qui reçurent dans
Événements de la province d'Al- leurs montagnes le châtiment de leurs
ger. — Tous de notre redou-
les efforts méfaits. Lorsque plus tard, réunis aux
table adversaire qui s'attendait à être
,
Kabiles, ilsattaquèrent le camp de
attaqué dans l'ouest, portèrent sur la pro- Boudouaou, éprouvèrent des pertes
ils

vince d'Alger, afin de fortifier la résis- si grandes, qu'ils se montrèrent disposés

tance des tribus et de resserrer autour à traiter de leur soumission. Le géuéral


de nous le cercle des hostilités. II pré- Damrémont, continuant d'opérer sur la
voyait que la France ne laisserait pas Chiffa, se préparait à porter la guerre
impuni l'échec subi devant Constan- au delà de l'Atlas, dans la vallée du Che-
tine; il connaissait l'impatience des as- lif, lorsqu'il reçut la nouvelle qu'un
semblées législatives d'arriver à une traité de paix venait d'être conclu avec
forte réduction des dépenses de l'armée Abd-el-Kader dans la province d'O-
d'Afrique; il pouvait espérer qu'en pré- ran.
sence des difficultés qui se produisaient Traité de la Ta fna. — Débarqué
dans les trois provinces à la fois, l'opi- à Oran le 16 a\ril 1837,1e général Bu-
nion publique en France se décourage- geaud pressa avec la plus vive ardeur
rait, reculerait devant des sacrifices plus l'organisation des troupes qui devaient
importants à faire, et pousserait peut- entrer en campagne. Cependant on lui
être à l'abandon des possessions algé- rendit compte qu'Abd-el-Kader mani-
riennes jusque alors si onéreuses. Abd- festait des intentions pacifiques, et ex-
el-Rader se rendit donc de sa personne primait souvent le regret d'avoir été
à Médéah; il y établit son propre frère entraîné à prendre les armes contre la
avec une garnison de cinq cents soldats France. Pour encourager ces disposi-
réguliers. De là , il se porta sur Cher- tions, on négocia un échange de pri-
chai, qui lui paya tribut et reconnut son sonniers ; et , sans attendre l'exécution
autorité. Tournant alors vers l'est de la de toutes les conditions stipulées, nous
Métidja il arriva dans le Sebaou. Ces
, rendîmes généreusement les cent trente
tribus n'avaient pas encore fait acte de Arabes pris à la bataille de la Sikak. Les
soumisson à son pouvoir; sans leur pourparlers traînaient en longueur, et
parler d'obéissance, il s'adressa à leurs n'aboutissaient pas; le commandant de
marabouts, exalta les passions religieuses la division d'Oran voulut les appuyer par
et le fanatisme contre les chrétiens , et une démonstration; il se porta vers
détermina la formation d'une ligue dans l'ouest, le 14 mai, à la tête d'une armée
laquelle entrèrent tous les habitants de de huit à neuf mille hommes, prêt à com-
ces contrées; le petit port de Dellis battre, ou à conclure la paix, suivant
mouvement. Ainsi nous
s'associa à ce ,
Ja marchedes négociations. Il commença
nous trouvions entourés d'ennemis de a ravitailler Tlemsen , où il arriva le 20
toutes parts et si des attaques formi-
; mai, et se dirigea ensuite sur le camp
dables n'étaient pas à craindre , des es- de la Tafna. Abd-el-Kader mit un terme
carmouches incessantes, des brigandages à ses tergiversations en voyant l'armée
fréquents , fatiguaient nos troupes , rui- française se rapprocher de lui. Les tri-
naient nos colons , et jetaient l'alarme bus étaient fatiguées de la guerre ; elles
parmi la population européenne. redoutaient l'incendie et la dévastation
Le gouverneur général résolut de dont le général Bugeaud les avait me-
briser cette résistance. Dans le courant nacées. L'émir eut l'adresse de faire ap-
d'avril, il réunit sept mille hommes à prouver par tous ses partisans la con-
Boufarik, s'avança jusqu'à Blidah, re- clusion de cette paix, qui devait profiter
connut le cours de la Chiffa, Koléah, et surtout à l'affermissement de son pou*
,

294 L'UNIVERS.

voir. La convention fut signée le 30 (1). Abd-el-Kader qu'après l'avoir longtemps


Le commandant français fit proposer à attendu et s'être porté avec son état-
,

l'émir pour le lendemain une entrevue major seulement très en avant du lieu
,

dans un lieu situé entre les deux camps. indiqué; mais il conserva dans cette en-
Le général Bugeaud ne put rencontrer trevue, par la franchise de son langage,

TRAITÉ DE LA TAFNA. Trente mille fanègues d'Oran de froment;


(0 Trente mille fanègues d'Oran d'orge ;

Entre le lieutenant-général Bugeaud, com- Cinq mille bœufs.


mandant les troupes françaises dans la pro- La livraison de ces denrées se fera à Oran
vince d'Oran , et l'émir Abd-el-Kader , il a par tiers; la première aura lieu du i er au i5
élé convenu le traité suivant : septembre 1837, et les deux autres de deux
er mois en deux mois.
Art. i L'émir Abd-el-Kader reconnaît
.

la souveraineté de la France en Afrique. Art. 7. L'émir achètera en France la pou-


Art. a. La France se réserve : dre , le soufre et les armes dont il aura be-
Dans la province d'Oran : Mostaganem, soin.
Mazagran et leurs territoires Oran Arzeu ; , Art. 8. Les Coulouglis qui voudront rester
plus un territoire ainsi délimité, à lest, à Tlemsen, ou ailleurs, y posséderont libre-
par la rivière de la Macta et le marais d'où ment leurs propriétés, et y seront traités
elle sort; au sud, par une ligne parlant du comme les Hadars.
marais ci-dessus meniionné, passant par le Ceux qui voudront se retirer sur le terri-
bord sud du lac Sebkha, et se prolongeant toire français pourront vendre ou affermer
jusqu'à l'Oued -Malah (Rio-Salado), dans la librement leurs propriétés.
direction de Sidi-Saïd, et de cette rivière Art. 9. La France cède à l'émir : Rach-
jusqu'à mer, de manière que tout le ter-
la goun, Tlemsen, le Méchouar et les canons
rain compris dans ce périmètre soit territoire qui étaient anciennement dans cette cita-
français; delle.
Dans la province d'Alger :
-
L'émir s'oblige à faire transporter à Oran
Alger, le Sahel, la plaine de la Métidja, tous les effets, que les munitions de
ainsi
bornée à l'est jusqu'à l'Oued-Khadhara, et guerre et de bouche de la garnison de Tlem-
au delà; au sud, par la première crête de la sen.
première chaîne du petit Atlas jusqu'à la Art. 10. Le commerce sera libre entre les
Chiffa, en y comprenant Blidah et son ter- Arabes et les Français, qui pourront s'éta-
ritoire; à l'ouest, par la Chiffa jusqu'au coude blir réciproquement sur l'un ou l'autre terri-
du Mazafran, et de là par une ligne droite toire.
jusqu'à la mer, renfermant Koléah et son Art. 11. Les Français seront respectés chez
territoire; de manière que tout le terrain les Arabes, comme les Arabes chez les Fran-
compris dans ce périmètre soit territoire çais. Les fermes et les propriétés que les Fran-
français. çais auront acquises ou acquerront sur le
Art. 3. L'émir administrera la province territoire arabe leur seront garanties. Ils en
d'Oran, de Titeri, et la partie de celle
celle jouiront librement, et l'émir s'oblige à rem-
d'Alger qui n'est pas comprise à l'ouest dans bourser les dommages que les Arabes leur
la limite indiquée par l'article 2. Il ne pourra feraient éprouver.
pénétrer dans aucune autre partie de la • Art. 12. Les criminels des deux territoires
régence. seront également rendus.
Art. 4. L'émir n'aura aucune autorité sur Art. i3. L'émir s'engage à ne concéder
les musulmans qui voudront habiter sur le aucun point du littoral à une puissance
territoire réservé à la France : mais ceux-ci quelconque, sans l'autorisation de la France.
resteront libres d'aller vivre sur le territoire Art. 14. Le commerce do la Régence ne
dont l'émir a l'administration; comme les pourra se faire que dans les ports occupés
habitants du territoire de l'émir pourront par la France.
s'établir sur le territoire français. Art. i5. La France pourra entretenir des
Art. 5. Les Arabes vivant sur le territoire agents auprès de l'émir et dans les villes sou-
français exerceront librement leur religion. mises à son administration, pour servir d'in-
Ils pourront
y bâtir des mosquées, et suivre termédiaire auprès de lui aux sujets français,
en tous points leur discipline religieuse, sous pour les contestations commerciales ou autres
l'autorité de leurs chefs spirituels. qui pourraient avoir lieu avec les Arabes.
Art. 6. L'émir donnera à l'armée fran- L'émir jouira de la même faculté dans le»
villes et ports français.
ALGÉRIE. Y:

par noble assurance de son attitude,


la activait l'organisation de l'expédition,
tout l'ascendant qu'il avait gagné sur le Ahmed-Bey, après avoir hésité long-
champ de bataille de la Sikak (1). temps entre le désir de faire la paix et
,

Deuxième expédition de Cons- les conseils de ceux qui demandaient la


tantine. — Il n'entre pas dans notre guerre, se décida pour ce dernier parti.
plan de discuter la valeur des critiques Le 20 septembre il vint attaquer le
qui s'élevèrent en France contre le traité camp de Medjez-el-Ahmar, à la tête
de la Taf'na et d'exposer sur quelles don- de dix mille hommes. Les Arabes espé-
nées le général Bugeaud a pu s'appuyer raient nous surprendre. A la pointe du
pour le signer avec le ferme espoir que jour, ils se précipitèrent avec fureur
notre position en Algérie allait être contre nos troupes; mais ils furent ac-
considérablement améliorée mais il
; cueillis par un feu vif et bien nourri
faut constater que l'ouest de la Régence et ils durent bientôt se replier devant
se trouvant tout à coup pacifié, on put l'offensive énergique prise par nos ba-
reporter toute l'attention sur la province taillons. Leurs attaques continuèrent
de Constantine et employer une partie sans plus de succès pendant plusieurs
des troupes de la division d'Oran pour jours. Ahmed-Bey se retira, et ne reparut
reconquérir à nos armes tout leur pres- plus devant nous (1).
tige. Les tribus de la province d'Alger L'armée partit de Medjez-el-Ahmar le
er
elles-mêmes s'empressèrent de suspen- 1 octobre; elle était composée d'envi-
dre les hostilités afin de jouir des bien-
, ron treize mille hommes le duc de Ne-
;

faits de la paix. Car, dès que la voix du mours avait sollicité la faveur de venir
fanatisme se tait, l'Arabe ressent dans partager, comme l'année précédente,
son cœur un très- vif amour pour la paix; les périls de nos soldats; il marchait à
c'est toujours avec bonheur qu'il re- l'avant-garde. On arriva devant Cons-
trouve la liberté de se livrer à ses tra- tantine le 6 octobre , sans avoir rencon-
vaux agricoles et d'employer ses armes tré l'ennemi. D'immenses pavillons
à poursuivre la réparation de ses griefs étaient arborés sur les remparts, pour
particuliers. marquer la résolution des habitants d'op-
Bône et les camps échelonnés sur la poser une résistance acharnée; dès que
route de Constantine, Dréan,Nechmeya, les troupes parurent sur un terrain dé-
Hammam-Berda, Guelma, se remplis- couvert, le feu de la place commença.
saient detroupesetd'approvisionnements En se trouvant sur ces lieux, où leurs
de toutes sortes. Ahmed-Bey, effrayé par camarades avaient essuyé de si terribles
les préparatifs formidables dirigés con- fatigues nos soldats sentirent redoubler
,

tre sa capitale, songea à négocier, et lit leur ardeur; on se mit à l'ouvrage avec
pressentir le gouverneur général ; les un zèle que le mauvais temps ne put ra-
envoyés reçurent communication des lentir. Dans la journée du 9 trois batte-
conditions qui devaient servir de base à ries étaient armées sur le plateau de
un arrangement pacifique. Le bey de Mansoura, et ouvrirent leur feu. On éta-
Constantine ne se hâtait pas de répondre, blit ensuite une batterie de brèche à
et semblait vouloir gagner du temps. quatre cents mètres des murs de la
Pour lui faire connaître qu'on était ré- ville , du côté de la porte appelée Bab-
solu à en finir avec lui cette année même, el-Oued; le 11 elle était achevée. Avant
Je général Damrémont établit, le 17 juil- de commencer à battre en brèche le ,

let , un vaste camp en avant de Guelma, gouverneur général envoya un parle-


à Medjez-el-Ahmar. Cette position de- mentaire pour engager les habitants à
vait devenir le point de départ des opé- se rendre. Le 12 seulement on connut
rations ultérieures si les négociations la réponse des assiégés, qui refusaient de
n'amenaient pas un résultat favorable. capituler. Dans la nuit du 11 au 12
. La sage vigilance du gouverneur gé- une nouvelle batterie avait été construite
néral fut bientôt justifiée; pendant qu'il à cent cinquante mètres de la place. A
huit heures et demie du matin le géné-
(ï) Voyez de cette entrevue inté-
le récit
ressante dans les annexes du 3 e volume des (1) Voyez Annales algériennes, par M. Pel-
Annales algériennes de M, Pellissier, page 400. lissier, 3 e vol. ? pag, a35etsuiv.
296 L'UNIVERS.

rai Damrémont, accompagné du duc de complètement renversé. Abandonné de


rs'emours et de son chef d'état-major, ses troupes, repoussé par les populations
se rendait au dépôt de tranchée pour y que domination cruelleavait écrasées,
sa
examiner les travaux de la nuit, quand il vers le sud. Trente et une
se retira
il fut atteint d'un boulet dans le flanc tribus firent immédiatement leur sou-
gauche; il tomba mort sans proférer mission. Une garnison de trois mille
une parole. hommes environ , avec des approvision-
•La lin glorieuse du général en chef ne nements pour six mois, fut laissée dans
lit qu'enflammer le courage de l'armée. la ville sous les ordres du colonel Ber-
,

Le général Valée commandant de


, l'ar- nelle. L'armée ramena sans encombre
tillerie, qui se trouvait le plus ancien de, tout son matériel à Bône, après avoir
grade, fut appelé naturellement à la di- séjourné dix jours à Constantine. On
rection des opérations. La batterie con- continua à occuper tous les camps éta-
tinua à charger et à compléter la brèche blis sur la route; et dès le 3 novembre
pendant toute la journée du 12. Dans le général Valée, qui venait d'être nommé
la soirée, Ahmed-bey demanda la ces- gouverneur général intérimaire par une
sation des hostilités ; le nouveau général décision royale du 25 octobre en- ,

en chef répondit que le préliminaire voya un renfort de deux mille hommes


obligé de toute négociation devait être et un convoi de vivres à la garnison
la remise de la place. Cet incident ne de Constantine. Peu de temps après,
fit pas suspendre les travaux ; pendant l'armée apprit qu'une ordonnance du
la nuit, les batteries tirèrent de temps roi, du 11 novembre, avait conféré la
en temps sur la brèche pour empêcher dignité de maréchal de France au géné-
l'ennemi de la réparer. Le 13, à sept ral Valée; une seconde ordonnance, si-
heures du matin, la première colonne gnée le 1 er décembre, appela le vain-
d'attaque , sous les ordres du lieutenant- queur de Constantine au commande-
colonel de Lamoricière, s'élança au pas ment de nos possessions dans le nord
de course, et atteignit bientôt le" sommet de l'Afrique.
de la brèche. Une fois engagée au delà
du mur, elle rencontra une très -vive Gouvernement du maréchal Valée.
résistance, et l'explosion d'une mine er
(Du 1 décembre 1837 au 29 décembre 1840.)
fortement chargée mit son comman-
dant hors de combat. La deuxième co- Organisation du commandement
lonne d'assaut, dirigée par le colonel A Constantine. —
Les derniers jours
,

Combes, arriva à son tour sur le théâtre de l'année 1837 furent entièrement con-
où la lutte était la plus acharnée. L'ac- sacrés à l'organisation de notre autorité \

tion fut meurtrière; mais l'élan et la à Constantine. La chute de cette ville j

valeur de nos troupes en assurèrent bien avait achevé la ruine de l'ancien gouver-
vite le succès. La place se rendit. Le dra- nement de la Régence. Abd-el-Kader
peau français flotta sur ces murailles, n'avait pas encore étendu son influence
devant lesquelles pendant l'expédition
,
jusque dans ces contrées. Depuis long-
de 1836, nos soldats avaient enduré temps un nombre considérable de tribus
tant de fatigues et tant de souffrances. situées autour de Constantine suivaient
La victoire fut chèrement achetée. Le les chances de la fortune de la capitale :

général Damrémont, le général Per- les besoins , conditions


les affaires , les
regaux, le brave colonel Combes, les géographiques , les habitudes, tout con-
commandants Vieux et de Sérigny et courrait à les entraîner dans le même
une foule de vaillants officiers trouvè- cercle de faits. Aussi, la prise de la ville
rent la mort sur le champ de bataille (1). assura immédiatement notre domina-
Constantine tombée en notre pouvoir, tion sur un territoire assez étendu au-
le gouvernement d'Ahmed-Bey se trouva tour de Constantine. Des ordres intel-
ligents prescrivirent la conservation des
(i) Voyez dans les annexes du 3 e volume registres et des archives de l'ancien
des Annales algériennes la relation de ce beylik ; on releva avec soin le sommier
siège mémorable, écrite par un officier de des immeubles appartenant à l'État
l'année, page l\ii. et la liste des propriétés publiques de
'ALGÉRIE. 297

toutes espèces ; beaucoup de familles im- sur l'Oued-Smendou un camp


qui devait
portantes demandèrent à rentrer dans servir de premier gîte d'étape. Une co-
leurs maisons. Enfin , pour la première lonne mobile parcourut les cercles de
fois en Afrique, après une conquête, nous Bône de Gueïma et de Medjez-el-Ah-
,

ne vîmes pas le -vide se faire autour de mar, pour appuyer l'autorité des chefs
nous et les populations fuir notre au- investis par nous et pour recueillir les
torité. impôts. Comme on le voit, nous étions
Les institutions municipales de la ville entrés dans une voie toute nouvelle à
furent conservées; mais on créa un con- l'égard des indigènes. Jusque alors on
seil composé de fonctionnaires français s'était contentéde les dominer en évitant,
et de notables indigènes pour diriger et avec un soin peut-être trop timide , de
surveiller l'ensemble des affaires. L'au- faire peser sur eux les charges ordinaires
torité publique fut confiée, tant pour la du commandement; maintenant on com-
ville que pour les tribus, au fils du mençait des tentatives pour les organi-
Cheikh-el- Islam , ou chef de la reli- ser et les administrer. A cette époque la
gion avec l'espoir que le nom vénéré
, garnison de la Calle fut renforcée, et les
et la haute renommée de piété de ce per- bateaux employés à la pêche du corail
sonnage nous aideraient à calmer l'agi- vinrent en grand nombre fréquenter ce
tation inévitable qui suit toujours un port. L'occupation et la politique pre-
changement de régime. Pouvions-nous naient pour la première fois un caractère
donner un meilleur témoignage de notre de fixité, d'esprit de suite et de prévision
respect pour les traditions et pour la re- qui annonçait qu'un gouvernement al-
ligion des vaincus? On forma un batail- lait enfin se fonder pour le pays.
lon indigène avec les soldats qui avaient Mouvements d'Abd-el-Kadek. —
composé les troupes régulières d'Ahmed- Dans les provinces d'Oran et d'Alger
Bey. Placés sous le commandement d'of- la guerre avait cessé par suite du traité
ficiersfrançais, ces indigènes, dont le de la Tafna. L'exécution de cette con-
plus grand nombre avaient leur famille vention avait suscité de nombreuses
dans Constantine, rendirent des servi- difficultés. Aucunes des contributions
ces incontestables. Le gouvernement se stipulées n'avaient été acquittées par
préoccupa aussi , dès l'origine de l'oc- l'émir, malgré les vives et instantes ré-
cupation , de la nécessité de créer une clamations du général Bugeaud, qui avait
voie de communication plus courte entre quitté Oran au mois de décembre 1837
Constantine et la mer. Bône était situé sans avoir pu obtenir un acte décisif
à plus de dix-sept myriamètres de cette pour l'observation de ces charges. Abd-
place; tandis que la rade de Stora el-Kader avait envoyé un oukil ou repré-
n'en était éloignée que d'un peu plus de sentant à Oran, et avait reçu un agent
sept myriamètres. Après les premières français à Mascara ; mais iï n'avait pas
excursions faites dans le pays, sans ren- encore nommé des commissaires pour
contrer nulle part une résistance sé- procéder à la délimitation du territoire,
rieuse, le général Négrier, qui venait de quoiqu'il se fût engagé à avoir lui-même
succéder au colonel Bernelle, avait, à la une entrevue à ce sujet avec les autorités
linde janvier 1837, recueilli la soumis- françaises au mois d'octobre 1837. La
sion de plus de cent tribus. question des limites était très-impor-
Au moisde mars la petite ville de Mi- tante; Abd-el-Kader exploitait l'obscu-
lan, situéeàquarante kilomètres au nord- rité du texte, pour s'étendre dans l'est,
est de Constantine , fut occupée dans et éludait sans cesse nos propositions
le but de surveiller les populations ka- de règlement. Au mois de décembre 1 837
biles des montagnes, et de préparer les il avait placé son camp dans le voisinage

relations qui pourraient être nouées plus de Hamza, où il avait reçu la soumission
tard, soit vers le nord en allant à Djidjeli, de toutes les tribus de ces contrées.
soit vers l'est dans la direction de Sé-
, Bientôt le gouverneur général apprit
tif. Dans le courant d'avril le général qu'un chef appartenant à une des plus
Négrier poussa une reconnaissance jus- grandes familles de la Medjana s'était
qu'à Stora , et on commença dès lors à mis en relation avec l'émir, et avait été
travailler à cette route en établissant investi par lui du titre de khalifa (lieu-
298 L'UNIVERS.

tenant) pour toute la partie orientale de Occupation de Koléah et de


la province de Constantine. Blïdah. —
Nous avons un peu anticipé
Les progrès d'Abd-el-Kader, l'ascen- sur les événements pour parler de la so-
dant qu'il prenait sur les populations in- lution donnée aux difficultés relatives
digènes, jetèrent l'alarme jusqu'aux ex- au territoire. La France s'était réservé
trémités de la Métidja; et le maréchal la possession directe des villes de Koléah

Valée se vit dans l'obligation pour ras- ,


et de Blidah;les instructions ministé-
surer les esprits, d'établir un camp de rielles prescrivirent au maréchal Valée
deux mille cinq cents hommes sur le haut d'occuper ces deux points. Ces ordres
Ivhimis. Sur ces entrefaites nous vîmes , furent exécutés pour Koléah à la fin du
arriver à nous les débris de la tribu des mois de mars 1838. Un camp fut établi
Ouled Zeitoun, que l'émir venait de sur- à côté et à l'ouest de la ville, sous le
prendre et de massacrer, sous prétexte commandement du chef de bataillon Ca-
qu'ils avaient méconnu son autorité. En vaignac, passé depuis son retour de Tlem-
même temps il institua un kaïd pour sen dans l'arme de l'infanterie. L'occu-
le Sebaou, pays situé entre l'Oued Khad- pation de Blidah s'effectua le 3 mai sui-
hara et les montagnes. Ces deux actes vant. Deux camps furent formés autour
constituaient une violation flagrante du delà ville pour la couvrir. Le comman-
traité de la-Tafna. Ils déterminèrent de dement de cette position importante fut
la part du gouverneur général des pro- donné au colonel Duvivier. Il fut inter-
testations si énergiques, qu'Abd-el-Kader ditaux Européens de faire dans Blidah
consentit enfin à désigner un agent pour aucune transaction ayant pour objet la
discuter les bases de la convention inter- transmission des propriétés, aïin de
prétative de l'article 2 du traité du 30 ne pas provoquer l'émigration de la po-
mai 1837. Mouioud ben Arach, qui s'é- pulation indigène, et de diriger avec
tait rendu à Paris pour offrir au roi des
présents envoyés par son maître, fut conduit actuellement du territoire d'Arzeu à
celui de Mostaganem; elle pourra, si elle le
chargé des négociations. A
son retour à
juge convenable, réparer et entretenir la
Alger, il signa, le 4 juillet 1838, en
partie de cette route à l'est de la Macta qui
,
vertu des pouvoirs dont il était investi, ,

n'est pas sur le territoire de Mostaganem;


une convention complémentaire et mo-
mais les réparations seront faites à ses frais
dificative de trois articles du premier
et sans préjudice des droits de l'émir sur le
traité (1).
pays.
Art, 2, relatif à l'art. 6 du traité.
(i) Convention complémentaire du traité L'émir, en remplacement des trente mille
delà Tajna, négociée avec hen-Arach, chargé fanègues de blé et des trente mille fanègues
des pouvoirs d'Abd-el-Kader, le 3i juillet d'orge qu'il aurait dû donner à la France
i838. avant le i5 janvier i838, versera chaque
er
Article i , relatif à l'art. 2>du traité : année, pendant dix ans, deux mille fanèques
Dans la province d'Alger, les limites du de blé et deux mille fanègues d'orge.
territoire que la France s'est réservé au delà Ces denrées seront livrées à Oran le i er jan-
de rOued-Khadhara sont fixées de la manière vier de chaque année à dater de 1839. Tou-
suivante le cours de l'Oued-Khadhara jus-
: tefois, dans le cas où la récolte aurait été
qu'à la source ou mont Tibiarin , de ce point mauvaise, l'époque serait retardée.
jusqu'à Tisser au-dessus du pont de Ben Hini, Art. 3, remplaçant l'art. 7 du traité.
la ligne actuelle de délimitation entre l'Outhan Les armes, la poudre, le soufre et le plomb
de Jvhachna et celui des Béni Djaad et au dont l'émir aura besoin seront demandés par
delà de Pisser jusqu'aux Biban, la route d'Alger lui au gouverneur général, qui les lui fera livrer
à Constantine, de manière que le fort de à Alger aux prix de fabrication, et sans au-
Hamza, la route royale et tout le territoire cune augmentation pour le transport par mer
au nord et à l'est deslimiies indiquées restent de Toulon en Afrique.
à la France, et que la partie de Béni Djaad, Art. 4.
d? Hamza et de l'Ouennougha, au sud et à Toutes les dispositions du traité du 3o
l'ouest des mêmes limites , soit administré mai 1837 qui ne sont pas modifiées par la
par l'émir. présente convention continueront à recevoir
Dans la province d'Oran, la France con- pleine et entière exécution, tant dans l'est
serve le droit de passage sur la route qui que dans l'ouest.
ALGÉRIE.
plus de prudence et de circonspection rents services militaires. Quant à l'ar-
les rapports avec les tribus voisines sou- rondissement de Bône, il fut partagé en
mises au commandement de l'émir. quatre cercles (Bône, l'Édough, Guel-
Celui-ci était alors engagé dans une ma, La Galle), placé chacun sous le
guerre lointaine et difficile contre le commandement d'un officier français.
marabout Tedjini , chef de la ville Les indigènes de ces territoires obéis-
d'Aïn-Madhy dans le Sahara. Le siège saient à un kaïd relevant directement
traîna en longueur, et suspendit momen- de l'officier français. La population eu-
tanément toutes les relations diploma- ropéenne de ces cercles était soumise à
tiques au sujet de la convention com- l'autorité civile. Mais dans la partie de
plémentaire. Dès cette époque, par cette la province où le commandement était
entreprise, en apparence si excentrique, délégué aux grands chefs arabes, les
A bd-el-Kader trahissait la préoccupation Européens étaient soumis au régime de
de se créer dans le sud un pouvoir bien l'autorité militaire.
assis, afin d'y trouver un refuge et des Ces actes importants ne doivent être
secours dans le cas où les chances de la appréciés que comme ayant réglé une ad-
guerre lui seraient défavorables. Onétat ministration, provisoire. L'organisation
en paix; mais chacun se préparait à une adoptée pour la subdivision de Bône in-
rupture pour un temps plus ou moins diquait que dans la pensée du gouver-
éloigné. neur général les grands dignitaires in-
Organisation administrative digènes devaient disparaître au fur et à
de la province de constantiine. mesure de l'extension et de l'affermisse-
— La situation des provinces d'Alger et ment de notre domination. D'un autre
d'Oran étant à peu près satisfaisante et côté, l'autorité civiledevait être installée
ne donnant lieuà aucune craintede com- partout où le gouvernement des indigè-
plications pour un avenir prochain, le nes ayant passé en des mains françaises,
maréchal Valée se rendit à Gonstantine et une population européenne s'étant
dans le courant du mois de septembre formée, les révoltes des Arabes ne se-
pour y organiser l'administration du raient plus à craindre. C'était par une
pays. La province tout entière fut divi- initiation lente en évitant des innova-
,

sée en deux parties l'une, dontla France


: tions capables d'alarmer les indigènes,
se réservait l'administration directe, que le maréchal Valée songeait à implan-
comprenait l'arrondissement deBône, ter définitivement l'autorité française
érigé en subdivision militaire; l'autre dans la province. La marche progressive
fut confiée au commandement de grands de cette initiation avait le littoral pour
chefs indigènes, sous la surveillance point de départ et était dirigée vers l'in-
du commandant supérieur de Gonstan- térieur.
tine. Fondation de Philippeville. —
Le gouverneur général , voulant mé- Pour compléter mesures et assurer
ces
nager les traditions locales et les in- leur efficacité, le gouverneur général
fluences acquises, conserva pour les di- résolut d'ouvrir la communication di-
gnitaires nouveaux les dénominations recte de Gonstantine avec la mer. Les
déjà consacrées par l'usage. Trois kha- reconnaissances effectuées en février et
lifas pour le Sahel, le Firdjioua, la
(
en avril précédentsavaient suffisamment
Medjana ) un cheikh-el-arab pour le
, préparé la voie. Dans les premiers jours
Sahara trois kaïds ( pour les Haracta,
, d'octobre le camp de i'Arouch fut éta-
lesAmer-Chéraga les Hanencha) un, , bli à vingt-cinq kilomètres en avant de
hakem pour la ville même de Gons- Smendou. Le 7 du même mois quatre
tantine : telles furent les autorités ins- mille hommes partirent de ce point, et
tituées par un arrêté du 30 septembre allèrent prendre possession des ruines
1838. Un conseil d'administration fut de Rusicada , sur le bord de la mer. Il
organisé pour contrôler la perception n'était pas possible de créer un établis-
des impôts et régler les affaires de Cons- sement de quelque importance à Stora,
tantine. Les fonctionnaires indigènes à cause de la configuration du terrain ;
dont il vient d'être question siégeaient et, malgré l'inconvénient qu'il y avait à
dans ce conseil avec les chefs des diffé- fonder une ville à cinq kilomètres de
300 L'UNIVERS.

son port naturel on choisit l'emplace-


, la mer, et commande un pays d'une fer-
ment même des ruines romaines de Ru- extraordinaire. La Colonne n'avait
tilité

sicada pour y élever la ville nouvelle, pas rencontré de résistance pendant sa


qui reçut le nom de Philippeville. Les marche; les populations environnantes
Kabiles attaquèrent le 8 un convoi, trop firent, presque toutes, acte de soumis-
faiblement escorté , qui venait de l'A- sion. Après quelques jours consacrés au
rouch; mais les travaux ne furent pas repos des troupes, le général Galbois, ne
inquiétés à Philippeville; et en peu de recevant pas de nouvelles de la division
jours les matériaux nombreux qui jon- d'Alger, voyant chaque jour les appro-
chaient le sol furent utilisés pour former visionnements diminuer et la rigueur de
une enceinte et jeter les fondements la saison augmenter, crut prudent de
des établissements les plus nécessaires. retourner à Constantine , se réservant
Avant de quitter la province de Cons- de venir occuper définitivement Sétif
tine , le maréchal Valée renforça la gar- dès le printemps suivant.
nison de Milah, et prescrivit de recon- Un demi-bataillon, fort de quatre
naître et de commencer la route qui de cents hommes , avait été laissé à Djemi-
cette ville se dirigeait vers la Medjana lah , qui marquait le dernier gite d'étape
en passant par Djemilah et par Sétif. de la route de Constantine à Sétif. Les
Reconnaissance dirigée sus Sé- Kabiles l'attaquèrent très-vivementdans
tif. —
Le gouvernement avait accordé la nuit du 15 au 16 décembre; mais ils
l'autorisation d'aller prendre possession furent vigoureusement repoussés. Le
du fort de Hamza, dans l'est de la même rassemblement, grossi dequelques
province d'Alger, afin de résoudre par nouveaux contingents, attendit le corps
le fait même les difficultés soulevées expéditionnaire au défilé de Mous, au
par l'interprétation de l'article 2 du delà de Djemilah, et le suivit jusqu'auprès i

traité de la Tafna , et dont le règlement, de Milah, sans réussir cependant à i'in- i

par la convention complémentaire du 4 quiéter sérieusement. En voyant la co-


juillet, n'avait pas encore été bien nette- lonne hors de ses atteintes, l'ennemi
ment ratifié par Abd-el-Kader. Pour retourna sur ses pas et alla assiéger la
, ;

donner à cette opération toutes les chan- garnison de Djemilah dans les retranche- ,

ces de réussite, !e gouverneur général ments qu'elle avait élevés à la hâte.


ordonna au général Galbois , alors com- Cette faible troupe se couvrit de gloire
mandant de la province de Constantine, en résistant pendant six jours aux as-
de diriger une forte colonne sur Sétif sauts furieux qui lui furent livrés par
et d'y attendre les instructions qui lui quatre ou cinqmilleKabiles accourus de j

seraient transmises de Hamza. Le mou- tous les points des montagnes du litto-
vement des troupes devait commencer à ral. Un régiment, conduit par le colonel
Alger dans les premiers jours du mois d'Arbouvilie, arriva bientôt pour déga-
de décembre; mais, une pluie froide et ger Djemilah; l'ennemi ne l'attendit
continue ayant rendu les chemins im- pas. Cependant le commandant de la
praticables, l'opération ne put avoir lieu. province, ayant reconnu que les commu-
Cependant, le général Galbois s'était nications étaient presque impossibles
mis en route pour Sétif. Le mauvais pendant l'hiver avec ce poste , ordonna
temps ralentit et contraria aussi sa de l'évacuer.
marche , et il ne put atteindre Sétif que Gouvernement de l'émir. — Au-
le 15 décembre. Sétif n'offrait plus cun digne d'être mentionné ne si-
fait
qu'un amas de ruines, au milieu des- gnala la fin de Tannée 1838 dans les deux
quelles subsistait encore l'enceinte assez autres provinces. Abd-el-Kader, revenu
bien conservée de l'ancienne citadelle deson expédition contre Aïn-Madhy, qui
reconstruite par les Grecs après la con- avait capitulé, s'occupait de régulariser
quête de l'Afrique par Bélisaire. On l'administration des tribus soumises à
trouva une fontaine abondante, ombra- son commandement. Mohammed el-Ber-
gée par un beau tremble, au milieu des kani fut rétabli à Médéah comme khalifa ;
ruines, et l'armée y établit son bivouac. dans l'est, sur les pentes sud de Djurd-
Le plateau de Sétif est élevé de plus de jura, il confia le pouvoir à Ben Salem;
huit cents mètres au-dessus du niveau de à Ben Allai, pour le pays de Miliana; à
ALGÉRIE. 301

Bén Arach, dans le Bas-Chélif; Mascara les neuf premiers mois de l'année 1839.
obéissait à son beau-frère , Ben Tami; Sans se faire illusion sur la durée d'une
à TIemsen l'autorité était aux mains paix dont plus d'un symptôme pouvait
de Bou Hamedi : tous ces personnages faire présager la rupture, le gouverneur
appartenaient à des grandes familles de général mit à profit cette espèce de trêve
marabouts, et jouissaient déjà à ce titre pour pousser avec activité les travaux de
d'une influence considérable sur les routes et de dessèchements. Des postes
populations. Chacune de ces vastes cir- furent établis au pied de T Atlas, entre la
conscriptions de commandement était Chiffa et le Khamisà l'est, afin de proté-
subdivisée en arrondissements moins ger la Métidj a. La province d'Oran était
étendus, à la tête desquels il plaça des tranquille ; l'absence prolongée d'Abd-el-
chefs qui exerçaient, avec le titre d'agha, Kader, retenu dans l'est pour y organiser
une autorité administrative et militaire. son autorité, semblait avoir favorisé
Toute l'organisation adoptée par l'émir l'apaisement du fanatisme et des senti-
semblait inspirée par ces deux pensées ments hostiles contre nous. Dans la pro-
principales 1° entretenir la ferveur reli-
: vince de Constantine notre domination
gieuse dans les tribus en la faisant ser- se consolidait; si sur quelques points
vir à fortifier l'administration ; 2° don- les indigènes protestaient contre notre
ner à la population une constitution pouvoir par l'assassinat de nos partisans,
militaire vigoureuse, alin de la prépa- par des brigandages commis sur les
rer à chasser, par un effort unanime et routes et par des lenteurs à acquitter
énergique, les chrétiens de la terre d'A- leurs contributions , nulle part nos co-
frique quand le jour de la guerre sainte lonnes qui parcouraient le pays pour
serait venu. réprimer, ces méfaits et punir les cou-
Évêque d'Alger ; actes adminis- pables ne rencontraient de résistance.
tratifs. — Parmi les mesures impor- Ahmed-Bey, réfugié dans le sud-est, près
tantes prises par le gouvernement pour de la frontièrede Tunis, était plus préoc-
hâter le développement de la puissance cupé d'assurer son existence au milieu
française en Algérie, il faut mentionner des tribus , que de nous susciter des
l'érection d'un siège épiscopal à Alger. embarras. Dans le courant du mois d'a-
Deux ordonnances royales du 25 août vrilon fit la reconnaissance de la route
approuvées par le pape dans le mois de qui devait relier Fhilippeville à Bône.
septembre, constituèrent cet évêché,ety On la trouva presque partout prati-
nommèrent l'abbé Dupuch, grand-vicaire cable pour les voitures et abondamment
de Bordeaux. L'organisation de l'admi- pourvue de bois et d'eau.
nistration civile fut modifiée par une Les efforts constants que faisait l'é-
ordonnance du 31 octobre 1838. Les mir pour étendre sa puissance jusque
services civils furent placés sous l'au- dans la province de Constantine nous
torité du gouverneur général , qui eut imposèrent l'obligation de poursuivre
sous ses ordres un directeur de l'inté-
: la réalisation des projets d'établisse-
rieur, un procureur général et un direc- ments A
à Sétif et sur la route. cet effet
teur des finances. Le directeur de l'in- de grands approvisionnements furent
térieur remplaçait l'intendant civil. réunis à Milah. Au mois de mai, Aïn-
Chaque chef de service devint plus indé- Khachbah, Djemilah, sur la route de
pendant l'un de l'autre et fut rattaché Sétif, furent définitivement occupés par
en même temps d'une manière plus di- nos troupes. La nouvelle de ces mouve-
recte à l'autorité du gouverneur géné- ments ranima le courage de nos parti-
ral. On établit des sous-directeurs de sans dans la Medjana, et le parti d'Abd-
l'intérieur à Oran, à Bône, à Alger. el-Kader essuya de graves échecs.
M. Guyot succéda avec le titre de direc- Occupation de Djidjéli et de
teur de l'intérieur à M. Bresson, inten- Sétif. — Dans la pensée du maréchal
dant civil. Yalée l'occupation de Djidjéli devait
Situation générale. — Le terri- être la suite nécessaire des établisse-
toire que la France s'était réservé dans ments que nous avions formés à Milah
la province d'Alger ne fut le théâtre et à Djemilah. C'était le moyen le plus
d'aucun événement important pendant efflcace deréduireles belliqueuses tribus
302 L'UNIVERS.
de la Kabilie qui allaient se trouver en- allant en pèlerinage aux zaouïa (cha-
veloppées entre Bougie, Sétif, Djemilah, pelles) renommées de ces contrées. Cette
IMilah , Philippeville et Djidjéii. Une ex- démarche n'eut pas le succès qu'Abd el-
pédition composée du premier bataillon Kader en attendait. Les Kabiles ré-
de la légion étrangère, de cinquante sistèrent à toutes les propositions les
sapeurs du génie et de quatre pièces de plus habiles pour entrer sous ses ordres
canon, partit de la rade de Philippeville dans une confédération contre les chré-
le 12 mai, et arriva le lendemain devant tiens; d'un autre côté, le lieutenant co-
Djidjéii. La ville fut occupée sans ré- lonel Bedeau, ayant appris sa présence
sistance; les habitants s'étaient réfugiés dans les environs de Bougie , sortit , à la
chez les tribus voisines. Mais bientôt tête de toutes les troupes disponibles de
des groupes de Kabiles se montrèrent la garnison, et l'invita à quitter un pays
sur les hauteurs, et les travaux furent où il avait pénétré en violant le traité de
interrompus par des attaques incessan- là Tafna.
tes et souvent très-vives. Cependant, au Après son excursion chez les Kabiles
bout de peu de jours la ville se trouva l'émir alla s'établir à Thaza, à soixante-
dans un état de défense suffisante et les
; quinze kilomètres au sud de Miliana, où
agressions des Kabiles devinrent plus il avait fondé une ville. Dans la prévi-
rares et moins acharnées. I /opération sion de la reprise des hostilités, Abd-el-
contre Djidjéii avait été facilitée par la Kader s'était créé une seconde ligne de
présence des troupes de la division de défense en arrière des villes de l'inté-
Constantine à Djemilah. Une heureuse rieur, sur la limite du petit désert. Ainsi-
diversion fut encore opérée, au moyen au sud de Médéah il avait établi un poste
d'une forte reconnaissance, dirigée par et des magasins à Boghar; au sud de
le lieutenant-colonel Bedeau, alors com- Mostaganem, il avait relevé les ruines
mandant à Bougie, vers le col de Tizi, de Tekdemt; plus à l'ouest, Saïda cor-
à vingt kilomètres au sud de cette place. respondait à Mascara; enfin, au sud de
La petite colonne de Bougieattira l'atten- Tlemsen il créa ie poste de Sebdou. Il fit
tion des kabiles, et les empêcha de se ren- servir ces établissements à augmenter
dre à l'appel de leurs frères pour défen- ses moyens d'action sur les tribus du
dre Djidjéii. Dans le courant du mois de sud. Il nomma un khalifa pour toute
juin, le général Galbois se porta sur Sétif, cette population nomade qui venait an-
et y commença les établissements qui nuellement faire ses approvisionnements
firent bientôtde ce point un centre im- de grains dans le Tell. Son influence
portant pour la domination des tribus. s'étendit jusque dans les oasis saharien-
Excursion d'Abd-el-Kader dans nes qui relevaient autrefois de Constan-
la Kabilie. —
L'émir, en refusant de tine, et où notre Cheikh-el-Arab n'avait
faire droitaux nombreuses plaintes que pU faire reconnaître son autorité.
la conduite de ses agents soulevait de Passage des portes de fer. —
notre part dans les trois provinces, ne Les fortes chaleurs du mois d'août fu-
pouvait se dissimuler que la patience de rent fatales à l'armée d'Afrique. Malgré
la France serait bientôt à bout et que les plus sages précautions, le nombre
la guerre éclaterait Nous avons déjà dit des malades augmenta dans une telle
que par l'organisation même de son gou- proportion, que les hôpitaux se trouvè-
vernement il se préparait à cette rup- rent bientôt encombrés. Cette fâcheuse
ture. Le but de son administration, de situation détournait le gouvernement
ses discours, de tous ses actes, était d'adopter des résolutions violentes pour
d'inspirer aux Arabes la haine des infi- mettre fin aux incertitudes de la conduite
dèles et de les disposer pour la guerre d'Abd-el-Kader a notre égard. Cepen-
sainte. Vers le milieu du mois de juin dant le duc d'Orléans étant arrivé en
1839, ilrésolut de visiter les tribus guer- Afrique avec la mission de porter à l'ar-
rières delaKabilie pour s'assurer leur ap- mée le témoignage de la sympathie du
pui au moment de la reprise des hostilités. roi et du gouvernement pour ses travaux
Mais, comme il redoutait de blesser l'es- et pour ses souffrances, le maréchal
prit d'indépendance de ces montagnards, Valée profita de cette circonstance pour
il se rendit chez eux comme un
marabout faire la reconnaissance de la route qui
ALGÉRIE. 303

relie Alger à Constantine.il espérait que secret avait été gardé; mais, après la
la présence du prince royal au milieu grande halte, la colonne prit la direction
du corps expéditionnaire enlèverait à de l'ouest; c'était la route d'Alger. Le
cette opération le caractère agressif bivouac fut établi sur l'Oued-Boucelah;
qu'elle pouvait avoir aux yeux d'Abd- le lendemain on atteignit par une mar-
el-Kader. che rapide le marabout de Sidi-Mebarek,
Le duc d'Orléans s'embarqua à Port- auprès de Bordj Bou-Areridj. Le troi-
Vendres, et arriva à Oran le 24 septembre. sième jour l'armée campa dans les pre-
Après un court séjour dans cette ville, mières gorges par lesquelles s'ouvre le
il partit pour Alger, où il débarqua le 28 défilé des Portes de Fer.
du même mois. Plusieurs jours furent Le 28 la division de Constantine se
consacrés à visiter les divers établisse- sépara de celle d'Alger, et reprit, sous les
ments militaires situés dans la plaine ordres du général Galbois, le chemin de
de la Métidja. Le gouverneur général Sétif. L'autre colonne, forte de trois mille
avait d'abord conçu
projet de se rendre
le hommes, sous les ordres du gouverneur
d'Alger à Constantine par terre; mais général et du duc d'Orléans, s'engagea
n'ayant pas encore reçu des renseigne- dans le redoutable passage que les Turcs
ments sur les dispositions de l'émir qui n'avaient jamais franchi sans payer un
pussent donner l'assurance que le trajet tribut aux populations kabiles qui ha-
se ferait sans combats, il proposa au bitent ces montagnes. On mit quatre
prince royal de poursuivre par mer son heures à traverser ce défilé resserré en-
voyage vers l'est pour inspecter les tre des roches formant des murailles
points occupés par nos troupes, sauf à verticales d'une hauteur de plus de cin-
gagner ensuite par la voie de terre la quante mètres. Les sapeurs du génie
province d'Alger en partant de Sétif. gravèrent cette simple inscription Ar-":

Le 6 octobre le prince s'embarqua pour mée française , 1839, à l'endroit le plus


Philippeville; s'arrêta à Bougie et
il étroit de ces portes. On bivouaqua le 28
à Djidjéli, etdébarqua le 8 à Stora. sur le territoire d^s Béni Mansour, dans
Le 12, il fit son entrée à Constantine. la province d'Alger ; le 2a , à Kef er-
La population indigène tout entière Redjala et le 30 on atteignit Hamza.
,

était sortie de la ville, et salua son ar- Le fort était complètement abandonné.
rivée par de bruyantes acclamations; Lorsque l'avant-garde déboucha sur le
le Cheikh-el-Islam, vieillard de quatre- plateau , on aperçut les troupes de Ben
vingt-dix ans, se porta à sa rencontre Salem qui marchaient dans une direction
pour le féliciter. Cette réception solen- parallèle; la cavalerie fut lancée pour
nelle faite au fils aîné du roi donnait s'assurer des intentions de ce rassem-
une preuve irrécusable des progrès que blement; les Arabes ne l'attendirent
notre administration bienveillante avait pas. Le 31, au moment où le corps
accomplis. expéditionnaire quittait son bivouac sur
Le corps expéditionnaire quitta Cons- l'Oued Rekam pour pénétrer sur le ter-
tantine le 16 octobre. Après avoir tra- ritoire des Béni Djaad, les tribus de ce
versé Milan etDjemilah, le duc d'Or- district tentèrent de s'opposer à la
léans et le gouverneur général arrivèrent marche; elles furent facilement re-
à Sétif le 21 au soir. Partout, sur la poussées. On campa le soir non loin
route , les chefs indigènes s'étaient em- des ruines du pont de Ben Hini bâti ,

pressés de venir offrir leurs hommages, par le dey Omar-Pacha. Enfin, le 1 er no-
et les tribus avaient apporté des vivres vembre l'armée rencontra sur l'Oued
,

et des fourrages pour la colonne. Le Khadhara les troupes de la division


25 octobre on partit de Sétif. Pendant d'Alger, qui étaient venues à sa rencon-
les premières heures de la marche la tre. Le lendemain le corps expédition-

f)lusgrande incertitude régnait parmi naire rentra dans Alger, où il reçut de la


es troupes sur le but de l'expédition. population tout entière un accueil en-
Le maréchal Valée avait fait prendre thousiaste.
des renseignements détaillés sur la route RUPTURE DE LA PAIX; PREMIERES
de Bougie, aussi bien que sur celle des hostilités. —Le passage d'une armée
Portes de Fer ( Biban ). Le plus grand française à travers les Portes de Fer
304 L'UNIVERS.
Ces événements jetèrent l'épouvante
causa une immense impression parmi
les indigènes. Cet acte hardi
frappa nos dans toute la Métidja. La plupart des
ennemis de stupeur; mais bientôt l'or- colons rentrèrent dans Alger; les tribus
gueil l'emporta ils nous reprochèrent
:
se réfugièrent sous la protection de nos ;i

d'avoir surpris le pays par le mystère camps. Le vide se fit dans l'intervalle
de notre marche: et, excités par les pré- compris entre nos postes , et tout an-
dications des marabouts, ils réclamè- nonça une guerre acharnée. Le maréchal
rent hautement de l'émir la reprise des Valée s'empressa de concentrer ses for-
hostilités. Sans attendre des instruc- ces, en évacuant les postes les moins im-
tions formelles, les Hadjoutes com- portants et se disposa à prendre une
,

mencèrent à exercer des brigandages offensive vigoureuse. Des troupes nom-


contre nos tribus de la Métidja. Le 10 breuses arrivèrent de France. Dès les
novembre le commandant du camp premiers jours de décembre, nos co-
d'Oued-el-Alèg accourut pour protéger lonnes atteignirent l'ennemi auprès du
nos Arabes; mais, enveloppé par des for- camp de l'Arba, sur le Haut-Arach et j

ces supérieures il fut tué dans le com-


,
aux environs du camp de Kara-Musta-
bat. Des troupes arrivèrent -bientôt du pha, dans l'est de la plaine. Les 14 et
camp , vengèrent sa mort, et forcèrent 15 décembre, les bataillons réguliers de
les Hadjoutes à repasser laChiffa, Le 20 l'émir, auxquels s'étaient joints un grand
du même mois les khalifas de Médéah nombre de Kabiles furent culbutés par
,

et de Miliana, à la tête de trois mille notre cavalerie , entre Méred et Blidah.


nommes , surprirent entre Boufarik et Enfin le 31 décembre, un succès plus
,

l'Oued-el-Alèg un convoi de trente sol- significatif fut remporté, entre le camp


dats, qui fut massacré. Le lendemain supérieur de Blidah et la Chiffa. Le
un détachement de deux compagnies et deuxième léger, qui préludait à la bril- i

renommée conquérir
allait
d'un peloton de cavalerie, sorti du camp lante qu'il

d'Oued-el-Alèg, dans la direction de Bli- sous les ordres du colonel Changarnier,


dah, fut assailli par les Arabes et dut et le premier de chasseurs d'Afrique è ,

battre en retraite, laissant sur le terrain cheval, se précipitèrent sur toutes les \

cent cinq officiers ou soldats. En mémo forces réunies de l'ennemi, et les mirent ,

temps qu'il attaquait nos tribus, l'en- dans une déroute complète. Trois dra-
nemi intercepta toutes les communi- peaux , une pièce de canon , les caisses
cations entre nos postes , incendia nos de tambours des bataillons réguliers, et i

fermes et enleva quelques Européens ; quatre cents fusils restèrent en notre .,

ses coureurs pénétrèrent jusque dans pouvoir. L'ennemi laissa plus de trois,
le massif d'Alger. C'est à ce moment cents cadavres sur le champ de bataille.
qu'Abd-el-Rader écrivit au gouverneur ÉVÉNEMENTS DE L'OUEST. — Les
général pour lui annoncer que tous les hostilités furent aussi déclarées dans la
musulmans avaient résolu de recom- province d'Oran. Le khalifa de Mascara,
mencer la guerre sainte (1). à la tête de plus de trois mille hommes,
dirigea, le 13 décembre, une attaque
contre Mazagran , située à proximité de
(i) Voici la traduction de la lettre par la- Mostaganem. Le poste ,
quoique très-
quelle A.bd-el-Kader dénonça la reprise des faible, se défendit avec une grande bra-
hostilités : — Votre première et votre der- voure, et donna le temps à la garnison
nière lettre nous sont parvenues. Je vous ai
de Mostaganem de venir le dégager. Les
déjà écrit que tous les Arabes de la Régence
Arabes perdirent beaucoup de monde et
étaient d'accord, et qu'il ne leur reste d'autres
se retirèrent dans leurs tribus. Le kha-
paroles que la guerre sainte. J'ai employé mes
lifa rentra à Mascara avec ses troupes
efforts pour changer leur idée, mais personne
régulières. Mais dans toutes les tribus
n'a voulu de la durée de la paix ; ils ont tous
pour faire la guerre sainte, et je
les marabouts prêchèrent la guerre sainte
été d'accord
ne trouve pas d'autre moyen que de les avec ardeur, et nous eûmes bientôt à
écouter, pour être fidèle à notre chère loi qui repousser une agression plus formidable.
le commande. Ainsi je ne vous trahis pas et
vous avertis de ce qui est. Renvoyez mon mille. Tenez-vous prêt à ce que tous les mu-
oukil d'Oran pour qu'il rentre dans sa fa- sulmans vous fassent la guerre sainte.
ALGÉRIE, 305

Plan de caMpAgne; 1840. — Cette


- rement à la destruction de puissance
la
levée de boucliers depuis si longtemps militaire d'Abd-el-Kader et à la soumis-
préparée par Abd-el-Kader eut pour sion des tribus.
résultat, dans les provinces d'Alger et Occupation de Cherchel. — Le
d'Oran, de nous enlever en quelque plan de campagne du gouverneur géné-
sorte la possession de tout le territoire ral ayant été approuvé, et les troupes
qui n'était pas compris dans une en- nécessaires pour en faciliter l'exécution
ceinte fortifiée occupée par nos soldats. se trouvant réunies, les opérations
Dans la province de Constantine les commencèrent dans la province d'Alger.
tribus ne prirent pas les armes, parce Le 12 mars deux colonnes, sorties, l'une
qu'elles avaient échappé à la propagande de Blidah et l'autre de Koléah, parcou-
du fanatisme; mais dans la Medjana et rurent pendant deux jours le territoire
dans le Sahara, partout où avaient pé- des Hadjoutes, et détruisirent tous leurs
nétré les lieutenants d'Abd-el-Kader établissements. Le 16, le corps expé-
la population s'était déclarée contre nos ditionnaire prit possession de Cherchel,
partisans. Les Kabiles ne laissaient re- abandonnée de ses habitants. Des ba-
poser ni Bougie ni Djidjéli. C'était donc, teaux à vapeur apportèrent par mer des
dans toute l'étendue de l'Algérie, la munitions et des approvisionnements.
guerre ou une situation voisine d'hosti- Le 21 mars les troupes étaient rentrées
lités réelles. dans leurs cantonnements.
Le maréchal Valée soumit au gou- Expédition de Médéah. —A la
vernement le plan de campagne qu'il nouvelle de la rupture de la paix , le duc
avait préparé pour détruire la puissance d'Orléans avait demandé à venir prendre
I d'Abd-el-Kader. Les opérations devaient une part active à la guerre. Il débarqua à
se prolonger pendant plus d'une année : Alger avec le ducd'Aumale, le 13 avril.
en 1840, proposait de refouler les
il L'armée, qui comptait neuf mille hom-
Hadjoutes et d'occuper Cherchel; de mes de troupes de différentes armes, se
s'établir à Médéah et à Miliana , en re- mit en mouvement le 25 du même mois.
liant par une route carrossable la plaine Dans la journée du 27 on parvint à
delà Métidja à la vallée du Chélif; d'o- atteindre sur les hauteurs de l'Affroun
pérer ensuite dans cette vallée, pour ren- l'ennemi, qui se tenait toujours hors de
verser les nouveaux établissements de notre portée. Le combat du 31 décembre
l'émir et pour donner la main aux trou- l'avait rendu prudent. Deux jours après,
pes de la division d'Oran, parties de le dix-septième léger, récemment déta-
Mostaganem, et agissant sur le bas ché de la province de Constantine, sou-
Chélif. Pendant l'automne, si les cir- tenu par quelques escadrons de chas-
constances étaient favorables, on de- seurs, fit éprouver des pertes aux Arabes
vait marcher sur Mascara ; mais toute dans la gorge de TOued-Djer.
entreprise contre Tlemsen devait être Mais pendant que le maréchal Valée
ajournée au printemps 1841. La divi- recherchait la route la plus facile pour
sion de Constantine devait se porter sur franchir les montagnes et se rendre
Sétif pour contenir les tentatives des à Médéah, Cherchel fut attaqué par des
partisans de l'émir dans la Medjana et forces supérieures. En même temps toute
pour menacer au besoin la partie orien- la cavalerie del'ennemi fit un mouvement
tale de la province de Médéah. Les trou- vers l'est, comme pour gagner le Sahel
pes devaient être placées dans des vil- d'Alger. Le gouverneur général prescri-
les choisies avec discernement, comme vit aussitôt de se replier vers la Chiffa.
centres commerciaux et points militai- Le 2 mai on prit position à la ferme de
res , et situées sur une ligne parallèle Mouzaïa.Le 9 le corps expéditionnaire se
au littoral, de Constantine à Tlemsen. porta à Cherchel, ou il fut renforcé par
Les garnisons devaient être assez fortes trois bataillons appelés d'Oran. Les Ara-
pour fournir une colonne de trois ou bes s'étaient éloignés en apprenant l'arri-
quatre mille hommes destinée à tenir vée de nos troupes. Le 10 on se remit en
la campagne et à poursuivre l'ennemi marche pour se diriger sur Médéah , en
dans tous les sens. Par cette guerre pa- passant par la route ordinaire du col de
tiente et opiniâtre on devait arriver sû- Mouzaïa. La cavalerie et le convoi furent
20 e Livraison. (Algérie.) 20
,

306 L'UNIVERS.

laissés au camp provisoire de la ferme de fournis incessamment par les tribus.


l'agha, et 12 mai, à quatre heures du
le Occupation de Miliana. — Après
matin, la première division, commandée avoir remplacé les corps les plus mal-
par le duc d'Orléans, se mit en mouve- traités par ceux qui n'avaient pas encore
ment pour enlever les positions difficiles combattu , le maréchal Valée reprit la
qui dominaient le passage du col. Les campagne le 5 juin , à la tête de dix
bataillons réguliers de l'émir et un mille hommes, se dirigeant sur Miliana.
grand nombre de Kabiles garnissaient L'armée ne rencontra plus devant
les hauteurs, défendues par des retran- elle les bataillons réguliers de l'émir;
chements en pierres. L'attaque eut lieu elle franchit le Gontas, et arriva à Mi-
sur trois colonnes : la première, sous les liana le 8 juin. La ville, comme Médéah,
ordres du général Duvivier, récemment fut trouvée complètement déserte; l'en-
promu au grade de maréchal de camp, nemi, en se retirant, y avait mis le feu ;
marcha sur le piton du nord ; la seconde, mais l'incendie, promptement éteint
ayant à sa tête le colonel de Lamori- par nos soldats, ne produisit pas de
cière , devait contourner le col pour l'a- grands ravages. Une garnison de deux
border ensuite par le sud-ouest ; la troi- bataillons fut installée, sous le comman-
sième colonne, commandée par le colonel dement du lieutenant-colonel d'Illens;
Changarnier, alla directement au col en et , après avoir employé trois jours à
gravissant les crêtes à gauche de la route. faire les travaux indispensables pour la
Nos troupes abordèrent l'ennemi avec défense de la place , le corps expédition-
un élan irrésistible , et , malgré le feu naire en sortit le 12. Le gouverneur
meurtrier et le courage opiniâtre des Ka- général, voulant semettreen communi-
biles et des réguliers , tous les retran- cation avec Médéah, remonta la vallée du
chements furent rapidement enlevés et Chélif, atteignit le col de Mouzaïa le 15,
leurs défenseurs repoussés au loin. Le suivi par un grand nombre d'Arabes et
deuxième léger se signala particulière- de Kabiles, qui harcelaient continuelle-
ment dans cette journée glorieuse parmi ment les flancs et l'arrière- garde de la co-
tous les corps qui combattirent ; le soir lonne. Mais les bataillons réguliers, s'é-
l'armée campa sur le champ de bataille, tant misen position pournous disputer le
au sommet du coi. passage , furent abordés avec tant d'im-
Les quatre jours suivants furent em- pétuosité, qu'ils lâchèrent pied, en lais-
ployés à construire une route sur les sant environ mille morts sur le terrain.
pentes sud de la montagne pour se rendre Le reste de la campagne fut une suite
à Médéah, et à faire monter le convoi et d'opérations pour le ravitaillement de
une partie de la cavalerie. Le corps Médéah et de Miliana.
expéditionnaire entra le 17 à Médéah. ABD-EL-KADEB ATTAQUE MÉDÉAH
On y laissa une garnison de deux mille et Miliana. — Danslanuitdu2au3juil-
quatre cents hommes, sous les ordres du let l'émir vint s'embusquer avec quatre
général Duvivier ; le 20 l'armée reprit ou cinq mille hommes dans un ravin aux
la rou te de la Métidja ; elle eut à soutenir environs de Médéah espérant enlever
,

une action très-vive en traversant le bois au point du jour une partie de la gar-
des Oliviers, et l'honneur en resta au nison campée à quelque distance de la
,

dix-septième léger; la belle conduite place. Malgré la vigueur de son attaque


du colonel Bedeau dans le combat fut inopinée, l'ennemi fut partout repoussé ;
remarquée de toutes les troupes. Le 21 il fut poursuivi la baïonnette dans les

on arriva à la ferme deMouzaïa. Le duc reins bien au delà de nos lignes. La gar-
d'Orléans et son jeune frère quittèrent nison, de Miliana fut aussi attaquée à
l'Algérie le 27 mai. Les résultats politi- cette époque ; mais les efforts des Ara-
ques de cette première partie de la cam- bes n'eurent pas plus de succès qu'à
pagne ne purent pas être immédiatement Médéah. El-Berkani et Ben Salem ten-
appréciés. Avantdesonger à reconstituer tèrent le 29 juillet de pénétrer dans le
l'organisation administrative du pays Sahel, en franchissant l'Arach par le gué
i! fallait anéantir les forces régulières de Constantine, à la tête de dix-huit cents
d'Abd-el-Kader, qui servaient de point cavaliers; atteints par nos troupes, ils
d'appui et de ralliement aux contingents se replièrent précipitamment, Aux envi?
ALGÉRIE» 307

rons de Koléah, sur les bords de Maza- litaires, nous avons dû exposer sans in-
fran , les Arabes furent plus heureux : terruption les faits qui s'étaient accomplis
ils surprirent avec des forces supérieures dans la province d'Alger. La guerre était
une reconnaissance imprudemment en- alors l'œuvre la plus importante , celle
gagée loin des avant-postes. Écrasées par dont dépendait tout l'avenir de notre do-
le nombre, nos troupes perdirent deux mination ; et c'est la province d'Alger qui
officiers et cent cinq soldats tués ou en était le théâtre principal. Nous allons
faits prisonniers. Le 15 et le 16 août El- raconter brièvement les événements sur-
Berkani attaqua encore vainement Cher- venus sur les points, peu nombreux, que
chel. nous occupions dans la province d'Oran.
Pendant que les fortes chaleurs de La division n'avait pas reçu de renforts ;
l'été retenaient dans leurs cantonne- le gouverneur général n'avait pas pu se
ments les troupes les plus nouvellement porter de sa personne sur les lieux ; on
débarquées en Afrique, le général Chan- s'était donc partout tenu sur la défen-
garnier, à la tête d'une colonne de sol- sive, jusqu'à ce que les moyens d'agir
dats éprouvés, exécuta une entreprise fussent réunis.
hardie. Parti de Blidah avec deux mille Les Arabes n'avaient pas les mêmes
hommes seulement, il traversa les mon- motifs que nous de rester dans l'inac-
tagnes abruptes des Béni Salah, par des tion. Les 17 et 22 janvier ils attaquè-
chemins affreux, et se mit en commu- rent les Douairs et les Zméla, sans
nication avec Médéah. A son retour il leur faire éprouver de grands domma-
prit le chemin du col de Mouzaïa. As- ges. Le 2 février le khalifa de Mascara
sailli au bois des Oliviers par l'infanterie à la tête des contingents de quatre-vingt»
arabe , il charger à la baïonnette
la fit deux tribus, se présenta devant Maza-
de cent hommes. Peu de
et lui tua plus gran , où nous n'avions plus qu'un poste
jours après, le 19 septembre une co- , de cent vingt-trois hommes seulement.
lonne sous les ordres du général Chan-
, Pendant quatre jours entiers, dix à douze
garnier,tomba à l'improviste sur le camp mille Arabes, dont quatre mille fantas-
de Ben Salem, à l'extrémité orientale sins, assiégèrent le réduit de Mazagran,
de la Métidja , mit toutes ses troupes et livrèrent plusieurs assauts successifs
en fuite, et lui fit supporter des pertes sans parvenir à l'enlever; ils se retirè-
cruelles. rent découragés , après avoir perdu de
Opérations pendant l'automne. cinq à six cents hommes. La garnison
— L'armée consacra d'abord ses efforts qui fit cette résistance héroïque appar-
à ravitailler et Miliana. La gar-
Médéah tenait à la dixième compagnie du pre-
nison de cette dernière place était sou- mier bataillon de l'infanterie légère d'A-
mise à des privations et à des maladies frique. Les 5 et 12 mars d'autres ten-
terribles; mais elle luttait avec un cou- tatives dirigées par le khalifa de Tlem-
rage inébranlable. Médéah fut approvi- sen eurent lieu sur le camp du Figuier
sionné dans les derniers jours d'octobre, et en avant de Miserguin , à Ten Sal-
et du 15 au 22 novembre la garnison met , et furent également énergiquement
reçut des renforts dans la prévision des repoussées. Sans se lasser de ces échecs
opérations qui devaient être entreprises multipliés , Bou-Hamedi , renouvela ses
au printemps de 1841. Miliana fut vi- attaques , dans le courant du mois de
sité par le corps expéditionnaire, une mai et de juin , contre le camp de Bridia
première fois le 4 octobre , puis le 8 no- et contre les tribus qui nous étaient
vembre. Au retour, l'armée , divisée en soumises. Sa ténacité et son énergie fu-
trois colonnes, parcourut le territoire rent enfin vaincues par le courage de nos
des tribus qui exerçaient des brigan- troupes; il renonça à ses entreprises
dages dans la plaine de la Métidja, contre nos établissements, et se retira
brûlantet dévastanttout sur son passage. pour permettre aux Arabes de se livrer
La saison des pluies étant arrivée, les aux travaux de la moisson.
troupes durent rentrer. Le général de Lamoricière a
Événements de la province d'O- Oran. — Les choses prirent bientôt un
ràwen1840. —
Pour ne .pas jeter delà aspect nouveau. Le général de Lamori-
confusion dans le récit des opérations mi- cière, qui venait d'être nommé maré-

20,
,

308 L'UNIVERS.
chai de camp à l'âge de trente-quatre ans, miner ce pays. Cet événement eut lieu
prit le commandement de la division vers la fin du mois de mars. Le mois sui-

d'Oran dans le mois d'août. Il consacra vant une colonne mobile atteignit 1

deux mois à étudier les hommes et les puissante tribu des Haracta, dont les m
choses qui l'entouraient, à organiser faits appelaient depuis longtemps une pu-
vigoureusement les services militaires; nition rigoureuse. On leur prit une im-
mais vers le milieu du mois d'octobre mense quantité debestiaux, etonlescon-
il commença l'exécution du système de traignit à payer une très-forte amende.
guerre qu'il avait combiné. Jusque alors Bientôt on apprit qu'un des frères d<
on s'était contenté de marcher à l'en- l'émir, àla tête d'un bataillon régulier, e
nemi lorsqu'il se présentait devant les suivi des contingents d'un grand nom
places pour les menacer, et de le repous- bre de tribus, avait pénétré dans la Med-
ser lorsqu'il tentait de nous barrer le jana et marchait contre Sétif Les trou-
.

passage le général de Lamoricière vou-


: pes qui occupaient cette place sortirent à
lut prendre l'offensive, et au lieu de s'at- sa rencontre, et le joignirent à Medjez-ez
taquer aux troupes régulières qui nous Zerga. L'ennemi fut culbuté, et perdit
fuyaient, ou aux grands rassemble- beaucoup de monde. A trente kilomètres
ments , toujours rares il résolut de
, au nord-est de Sétif, dans la direction
frapper successivement les tribus les de Zamoura, les partisans d'Abd-el-
plus voisines d'Oran, et de leur enlever Kader sentirent encore le poids de nos
leurs bestiaux et leurs approvisionne- armes. La valeur de nos troupes ne per-
ments de grains. Il voulait combattre les mit pas à l'insurrection de dépasser la
Arabes en employant leurs propres pro- Medjana et préserva la tranquillité de
cédés de guerre. Pour cela , il partait le la province.
soir, en enveloppant sa marche d'un La situation était d'ailleurs favora-
grand mystère; il tombait à la pointe du ble. On commençait à percevoir l'impôt
jour sur la tribu qu'il voulait ruiner. sans trop de difficultés sur une partie
Avant que les Arabes pussent songer à des tribus; les indigènes fréquentaient
la défense, les troupeaux étaient pris, assidûment nos marchés ; les Kabiles
les femmes et les enfants faits prison- des Portes-de-Fer avaient refusé de
niers, et le feu détruisait tout ce qu'on laisser passer les troupes de l'émir;
ne pouvait pas emporter. Les Gharaba Ahmed-Bey, chassé et poursuivi par les
les Béni Amer et les autres tribus hos- tribus de la frontière de Tunis , cher-
tiles situées dans:, un rayon de cent ki- chait un refuge dans des montagnes
lomètres autour d'Oran perdirent ainsi éloignées ; les excitations d'Abd-el-Ka-
presque toutes leurs richesses. Les der pour pousser les tribus à la révolte
Douairs et les Zméla, sous la conduite restaient sans effet , et on nous appor-
de Mustapha benlsmaïl, s'associèrent tait toutes cachetées des ma-
les lettres
à toutes les expéditions du général de rabouts prédicateurs de guerre sainte.
Lamoricière, et commencèrent à se dé- Rappel du maréchal Valée. —
dommager aux dépens de leurs ennemis Les opérations de l'armée dans la pro-
des souffrances et des privations de vince d'Alger n'avaient pas produit des
toutes sortes qu'ils avaient endurées résultats immédiats. Le maréchal Valée,
pendant qu'ils étaient resserrés par la comprenant l'importance de la tâche
guerre sous les murailles d'Oran. qui lui était imposée avait voulu pré-
,

Situation de la province de parer sur une vaste échelle les moyens



Constantine en 1840. Les premiers d'action, afin que lorsque le moment
mois de l'année 1840 ne furent pas mar- serait venu il pût frapper sur tous les
,

qués par des événements importants points à la fois la puissance de l'émir.


dans la province de Constantine. Cepen- Il travaillait avec énergie à l'exécution
dant le chef indigène qui commandait du plan qu'il avait proposé. Mais l'opi-
dans le Sahara, au nom de la France, nion publique mal éclairée sur les pro-
,

parvint, avec le seul concours de ses par- jets ultérieurs du gouverneur général, !

tisans, à détruire entièrement un batail- impatiente d'avoir des résultats plus


lon de réguliers qu'Abd-el-Kader avait importants à constater, indignée des
organisé pour aider son lieutenant à do- actes de brigandages qui se commet-'
!
ALGÉRIE. 309

taient encore à peu de distance d'Al- et il proposa immédiatement au minis-


ger, et qui tenaient la population civile tre d'évacuer la plupart des lieux oc-
prisonnière dans les villes, éleva des cupés précédemment et de tenir la cam-
réclamations presque universelles con- pagne avec toutes les troupes disponi-
tre le maréchal Valée. Le gouvernement bles , de poursuivre les Arabes et de
afin
eut le tort de se souvenir en ce moment prendre partout l'offensive. Cette pen-
des dissentiments qu'il avait eus avec le sée était évidemment très-sage; mais le
gouverneur général pendant le cours de nouveau gouverneur général l'exagéra
son administration; et, oubliant les glo- en demandant l'évacuation de Médéah
rieux services du vainqueur de Constan- etdeMiliana. Le gouvernement ne ratifia
tine , il le rappela en France. pas ces projets dans ce qu'ils avaient de
Dans les premiers jours de l'an- trop absolu. Quelques postes peu im-
née 1841 le maréchal Valée remit le portants furent seuls évacués; on con-
commandement au général Schram, et serva Médéah, Miliana et Cherchel;
s'embarqua pourla France. Il reçut à son l'effectif de l'armée fut porté à soixante-
départ des témoignages non équivoques treize mille cinq cents hommes et treize
et unanimes de la sympathie de l'armée mille cinq cents chevaux ; il devait
et des habitants d'Alger. On oublia ce être augmenté encore de quatre mille
que les formes , souvent très-brusques, cinq cents hommes pour les opérations
du vieux guerrier avaient de blessant, de l'automne. Le général Bugeaud reçut
pour ne se souvenir que des services des instructions pour poursuivre l'exé-
qu'il avaitrendus à la colonie. En effet, cution du plan arrêté l'année précé-
c'était à qu'on devait la prise de
lui dente. Il devait occuper Mascara, et Mos-
Constantine; il avait organisé cette pro- taganem était appelé à devenir la base
vince d'après un système rationnel com- principale des mouvements des troupes
portant des modifications successives, dans la province d'Oran.
et qui aujourd'hui encore sert de base Préliminaires de la campagne.
au gouvernement des indigènes; il avait — Avant de commencer la guerre offen-
ramené dans tous les services adminis- sive contre Abd-el-Kader, le gouverneur
tratifs la discipline et l'observation des général fit une rapide excursion dans
règles ; il avait formulé le plan de la province de Constantine, où il sé-
campagne qui devait amener la chute journa à peine quelques jours. Leduc de
d'Abd-el-Kader , et que son successeur Nemours et le duc d'Aumale vinrent en-
fut appelé à réaliser; enfin, en écrasant core partager les fatigues et les dangers
les troupes régulières de l'émir dans de l'armée. A
la fin du mois de mars
vingt actions de guerre meurtrières, il Médéah fut ravitaillé de manière à pou-
avait donné aux indigènes une si haute voir fournir des vivres aux colonnes qui
idée de notre supériorité militaire, qu'ils agiraient dans le pays. Le 27 avril un
n'osèrent plus se mesurer à nous en ba- convoi parti de Blidah pénétra le 29
taille rangée. Ces beaux services terminè- à Miliana. Le 3 mai la colonne française
rent dignement la carrière militaire du eut un engagement très-sérieux avec une
maréchal Valée, commencée pendant les grande quantité de Kabiles en descen-,

premiers orages de la révolution de 89. dant de Miliana. Abd-el-Kader y prit


part, à la tête d'une cavalerie nombreuse
Le général Bugeaud gouverneur ge- et de trois bataillons réguliers. L'en-
néral. nemi laissa quatre cents hommes sur
(Du 29 décembe 1840, jusqu'au
le terrain.Les réguliers de l'émir fu-
11 sep-
tembre 1847.) rent vivement poursuivis, et plusieurs
tribus qui s'étaient toujours montrées
Premières mesures. — Débarqué très-hostiles furent rudement châtiées.
à Alger le 22 février 1840, le géné- A son retour de Miliana, le général
ral Bugeaud en partit deux jours après Bugeaud confia au général Baraguay-
pour visiter les avant-postes. Il fut d'Hilliers le commandement de la divi-
frappé des inconvénients qui résultaient sion d'Alger, qui devait agir dans la
de la dissémination des forces dans un vallée du Chélif pendant les opérations
grand nombre de postes permanents, qu'on allait entreprendre dans la pro-
310 L'UNIVERS.

vince d'Oran. Le 14 mai le gouverneur récoltes qu'on ne put pas moissonner


général partit pour Mostaganem. pour les porter à Mascara. Bientôt
Destruction deTekdemt; occu- après le général Bugeaud , ayant appris
pation de Mascara. —
L'armée réu- que quelques tribus annonçaient l'inten-
nie à Mostaganem fut divisée en deux tion de faire leur soumission à la
colonnes, l'une sous le commandement France , nomma un
bey pour Mostaga-
du duc de Nemours, la deuxième sous les nem et Mascara à de facili-
la fois, afin

ordres du général de Lamoricière. Le ter le mouvement qui se déclarait parmi


gouverneur général résolut d'aller dé- les Arabes. Malheureusement on conféra
truire l'établissement formé par Abd- cette dignité au fils d'un ancien bey
el-Kader à Tekdemt, sur les limites du d'Oran , sans capacité et sans énergie,
Tell avant d'attaquer Mascara. C'était
, qui s'efforça de ressusciter le faste des
enlever d'abord à l'ennemi le point de re- fonctionnaires turcs; les tribus se sou-
traite qu'il avait approvisionné pour s'y vinrent des exactions passées, et senti-
réfugier en cas de revers dans l'intérieur rent se refroidir leurs désirs de se ran-
du Tell. Le 18 mai 1841 on se mit en ger sous notre autorité. Il aurait fallu
mouvement. Après quelques combats investir de préférence un chef de race
de flanc et d'arrière-garde, et une af- arabe , et, à défaut, essayer d'attirer les
faire de cavalerie plusimportante enga- indigènes par l'appât d'une indépen-
gée sous les murs de la place, nos trou- dance relative qui les aurait affranchis
pes entrèrent à Tekdemt le 25 mai. Les des exigences d'argent toujours très-avi-
magasins, la fabrique d'armes, la scierie des de leurs grands dignitaires.
et d'autres constructions élevées par l'é- Destruction de Saïda. Après —
mir étaient encore intacts. Le gouver- un court séjour à Alger, le gouverneur
neur général donna ordre de faire sauter général revint le 19 septembre à Mosta-
le fort; tous les autres établissements ganem pour campagne d'au-
diriger la
furent également détruits. Abd-el-Rader tomne. Pendant qu'il opérait dans la
assista des hauteurs voisines à la ruine vallée du Chélif et sur la Mina pour ap-
de Tekdemt, sans songer à venir nous puyer notre nouveau bey, le général de
attaquer. Lamoricière conduisit un convoi de ra-
Le
corps expéditionnaire prit ensuite vitaillement à Mascara Rentrées de nou-
.

la route de Mascara. L'émir suivit notre veau à Mostaganem, les deux colonnes
marche avec deux partis de cavalerie combinèrent leurs mouvements ulté-
très-forts ; mais il évita toujours le com- rieurs. Le gouverneur général se diri-
bat. Nous entrâmes dans Mascara le gea vers la grande tribu des Flitta le ;

30 mai, sans éprouver de résistance. On général de Lamoricière fut chargé d'es-


y trouva des ressources suffisantes pour corter un second convoi à Mascara.
le casernement et les magasins trois
; Mais l'ennemi s'étant montré en force
bataillons et trois compagnies du génie sur la route , les deux généraux se réu-
furent désignés pour former la garnison. nirent dans la nuit du 6 au 7 octobre
Le 1 er juin, l'armée se dirigeant vers sur les bords de l'Hilhil. On se mit aus-
Mostaganem, les Arabes assaillirent sitôt à la poursuite d'Abd-el-Kader ; on
avec furie l'arrière* garde dans le défilé le rejoignit en arrière d'EI-Bordj , le
d'Akbet-el-Khedda. L'ennemi disparut 8 octobre. La cavalerie régulière de l'é-
dès que le terrain permit au reste de mir se battit avec la plus grande bra-
l'armée de prendre part au combat. A voure; enfoncés trois fois les réguliers
,

peine rentré à Mostaganem le général revinrent trois fois à la charge ; mais ils
Bugeaud conduisit en personne une co- durent enfin nous céder le terrain. Quant
lonne pour ravitailler Mascara. Sorties à l'infanterie arabe, elle n'osa pas entrer
le 7 juin, nos troupes arrivèrent a Mas- en ligne.
cara le 10, sans aucun événement sé- Après cette victoire, le convoi péné-
rieux. Le gouverneur général parcou- tra dans Mascara sans éprouver de ré-
rut ensuite pendant plusieurs jours le sistance. Le général Bugeaud se porta
pays de la puissante tribu des Hachem, et ensuite à l'ouest de cette ville, poursui-
poussa devant lui les populations jusque vant la tribu des Hachem, qui fuyait de-
vers le désert. Il fit incendier toutes les vant nous on leur enleva un butin très-
;
ALGÉRIE, 311

considérable. Dans son mouvement de se réfugier dans le désert ; quelques


retraite colonne passa au village de
la jours après, il enleva le troupeau de la
la Guetna, berceau de la famille d'Abd- garnison de Mascara. Ces événements
el-Kader. Cet établissement, où était si- déterminèrent le générai de Lamoricière
tuée une école de théologie musulmane à transporter le quartier général de la
renommée fut complètement détruit.
, division à Mascara, en y concentrant ses
Le 21 octobre l'armée sortit de nouveau principales forces. Le gouverneur géné-
de Mascara, et marcha droit au sud vers ral, frappé d'abord de la difficulté de faire
le Fémir en 1838,
fort de Saïda, bâti par vivre six mille hommes dans une place
à quarante kilomètres de sa capitale, qui n'offrait aucune ressource pour les
pour contenir les tribus de la ïakoubia. approvisionnements, combattit l'auda-
Le fort avait été récemment évacué ; on cieuse entreprise de son lieutenant ;
le renversa. La population de cette con- mais vivement il démon-
celui-ci insista ;

trée vint se joindre à nos troupes pour tra qu'il trouverait des moyens de sub-
poursuivre les partisans d'Abd-e!-Rader, sistance dans le butin qu'il enlèverait aux
sur lesquels on fit des prises immenses. tribus, et que d'ailleurs si on laissait l'é-
Dans le cours de ces expéditions la tribu mir respirer pendant l'hiver il réparerait
des Medjehers avait constamment com- ses forces, et que tous les fruits de la
battu dans nos rangs. C'était le com- campagne du printemps seraient perdus.
mencement des défections nombreuses L'autorisation fut accordée.
qui n'allaient pas tarder à se déclarer. Campagne d'hiver a Mascara. —
Le gouverneur général revint à Mos- Le général deLamoricière partit le29 no-
taganem après cinquante-trois jours de vembre de Mostaganem, à la tête de
campagne, n'ayant perdu qu'un officier quatre mille hommes choisis et déjà
et vingt-trois hommes tués par le feu de acclimatés au pays; il conduisait un
l'ennemi et onze morts de maladie. Cet immense convoi d'effets et d'approvi-
heureux résultat fait honneur à la ma- sionnements de toutes sortes , des mou-
nière intelligente dont le service de trans- lins à bras, des instruments aratoires,
port pour les vivres était organisé et à la des graines de légumes et de plantes
sollicitude éclairée et infatigable du gé- fourragères ; cette colonne ressemblait
néral Bugeaud pour la santé et le bien- plus à une émigration allant féconder
être des soldats. Les opérations furent une terre nouvelle, qu'à une armée
dirigées avec activité et les troupes dé- qui se préparait à des combats. On
er
ployèrent toujours le plus grand dévoue- arriva à Mascara le 1 décembre,
ment. Un progrès considérable était ac- après avoir battu l'ennemi, qui avait fait
compli. Le plan si remarquable conçu mine de s'opposer au passage d'un dé-
par le maréchal Valée, approuvé par le filé. Alarmé parla présence de forces im-
gouvernement, avait trouvé le chef qui posantes au milieu des tribus qui lui
devait en assurer le succès, par son ha- étaient le plus dévouées, Fémir se porta
bileté et sa puissance sur l'esprit du sol- vers le bas Chelif pour couper les com-
dat. Il est juste cependant d'ajouter que munications de l'armée française avec le
le général Bugeaud rencontra au pre- littoral.
mier rang des lieutenants éprouvés, tels Cependant , dès que le général de
que généraux deLamoricière et Chan-
les Lamoricière eut réglé l'établissement
garnier tandis que son prédécesseur,
; des troupes dans Sa ville , il s'occupa
générai d'artillerie, qui n'avait pas par à organiser contre les tribus voisines le
lui-même l'habitude du commandement système de guerre qu'il avait si heureuse-
des troupes, ne fut que très -imparfaite- ment pratiqué à Oran. Il recueillit des
ment secondé par les généraux qui ser- renseignements exacts sur les lieux de
vaient sous ses ordres et qui occupaient refuge de la population, sur la situation
alors les premières places dans l'armée. de leurs dépôts de grains (silos), sur la
Mouvement d'Abd-el-Kader. —A topographie détaillée de la contrée.
peine le corps
expéditionnaire eut-il Le 5 décembre une première sortie
quitté Mascara que l'émir reparut aux conduisit les troupes sur les silos des
environs de la Tille. Il châtia d'abord Hachem;il fallut plusieurs jours pour
les tribus de la ïakoubia , et les força de les vider. L'ennemi tenta de s'opposer
312 L'UNIVERS.

à cette opération; mais il fut repoussé rentré en France à la suite de procédés du


avec perte. Les jours suivants l'armée gouverneur général blessants pour son
continua ses recherches et battit le pays, amour-propre. La colonne expédition-
tantôt enlevant les provisions de l'en- naire sortit le 18 mai de Blidah s'a- ,

nemi tantôt le combattant avec succès


,
vança dans le sud de Médéah jusqu'à
dès qu'il se montrait. Bientôt les Béni l'extrême limite du Tell, et arriva le 23
Chougran et les Ouled Dahou firent en vue de Boghar, établissement fortifié
leur soumission. Le plus grand nombre par Abd-el-Kader, dans une position ana-
des tribus comprises entre Mascara et logue à celle de Tekdemt. Dès la veille
Mostaganem imitèrent leur exemple. les Arabes, en se retirant, avaient tout
Le général Bedeau commandait sur ce livré aux flammes, et des tourbillons de
dernier point, et par des opérations in- fumée s'élevaient encore vers le ciel
telligentes secondait les efforts du com- lorsque nos troupes pénétrèrent dans le
mandant de la division. fort. La destruction de Boghar fut
Compétiteur d' Abd-el-Kader. — achevée au moyen de la mine.
Pendant que la fortune lui prodiguait Cette première opération terminée, le
ses faveurs, l'émir avait pu facilement général Baraguay-d'Hilliers marcha vers
vaincre les résistances que son pouvoir le sud-ouest, en suivant la lisière des
avait rencontrées dans les tribus et ré- terres cultivées. Le 25 mai on pénétra
duire ses rivaux à l'impuissance ; mais dans le fort de Thaza sans que les Arabes
dès que les revers multipliés qu'il venait songeassent à le défendre. L'incendie
d'essuyer furent connus, ses adversaires avait là aussi précédé l'arrivée de nos
reprirent courage, et levèrent contre lui troupes ; la pioche et la mine achevèrent
l'étendard de la révolte. Le premier l'œuvre de destruction (1). L'armée prit
qui se déclara fut un marabout de ensuite la route de Miliana, où elle entra
er
l'ouest, appartenant à une famille depuis le 1 juin, sans avoir eu de combats à li-
très-longtemps vénérée par les tribus vrer. Quelques jours après la colonne ar-
limitrophes de la frontière du Maroc. riva sous les murs de Blidah. Cette expé-
Abd-el-Kader se hâta de quitter le bas dition fit beaucoup de mal aux tribus, et
Chelif pour venir surveiller le mouve- commença à ébranler leur fidélité à la
ment qui se manifestait dans l'ouest ; cause de l'émir. La ruine de Boghar et de
mais son compétiteur s'adressa à la Thaza leur prouva que nos armes pou-
France pour avoir des secours. Le 20 vaient atteindre nos ennemis dans les par-
décembre une colonne partit d'Oran ties les plus reculéesdu pays. Pendant
pour faire une démonstration. Une en- ces opérations la province d'Alger jouit
trevue eut lieu entre le chef de la co- d'une tranquillité presque complète.
lonne et le marabout, sur le sommet Échange de prisonniers. — Le
d'une montagne qui domine le cours de 19 mai s'accomplit dans la plaine de la
Tisser. Le général Mustapha ben Ismaïl Métidja près deBoufarik, un échange de
,

assistait à la conférence. On promit prisonniers français et arabes. Cette né-


aide et protection au compétiteur de gociation avait été conduite par l'évêque
l'émir , qui avait pris déjà le titre de d'Alger, en dehors , en quelque sorte de ,

sultan. Nos troupes rentrèrent à Oran


er
le 1 janvier 1842, sans avoir eu à com- (i) Voici l'inscription arabe qui était gra-
battre. vée au-dessus de la porte d'entrée du fort :

Destruction de Boghar et de Bénédictions et faveurs sur l'apôtre de Dieu,

Thaza. 11 est nécessaire de faire un re- louanges à Dieu. — Cette ville de Thaza a
tour sur le passé pour raconter les évé- été bâtie et peuplée par le prince des croyants

nements qui notre seigneur El-Hadj- Abd-el-Kader; que


s'étaient accomplis pendant
l'année 1841 dans les deux autres pro-
Dieu le rende victorieux! Lors de son entrée,
il a rendu témoignage à Dieu de ses œuvres et
vinces de l'Algérie. En partant au mois
de ses pensées , et il a dit : Dieu est témoin
de mai pour Mostaganem , le général que celte œuvre est à moi , et que la postérité
Bugeaud avait laissé le commandement en gardera le souvenir. Tous ceux qui vien-
de d'Alger au général Bara-
la division
dront chercher dans ce lieu la paix, et la tran-
guay-d'Hilliers,le général Duvivier, de- quillité y trouveront après moi le souvenir
puis plus longtemps en Afrique, étant de mes bonnes œuvres.
ALGERIE: 313,

l'attache du gouverneur général. Pendant complis dans l'ouest de la province d'O-


que le prélat pressait par ses envoyés ran et de l'entrevue du commandant
particuliers la conclusion de l'échange, d'Oran avec le compétiteur d'Abd-el-Ka-
les troupes se préparaient à entrer en der, il résolut de se transporter sur le
campagne, et l'escorte de cavaliers ara- théâtre des événements et d'en presser
bes qui accompagna nos prisonniers l'accomplissement par la présence d'une
jusqu'au delà de la Chiffa se rencontra colonne française. 11 débarqua à Mers-
avec la colonne du général Baraguay- el-Kébir avec des renforts dans la nuit
d'Hilliers. L'évëque d'Alger eut une en- du 13 au 14 janvier 1842. La situation
trevue avec le khalifa BenAllal , et on s'était déjà modifiée par suite de l'inter-
crut un
instant que l'émir voulait trai- vention de l'émir. Nous avons fait con-
ter ; les instructions du gouverne-
mais naître que l'arrivée à Mascara de forces
ment étaient formelles : la paix n'était actives considérables au mois de novem-
plus possible. Pendant l'automne et l'hi- bre avait déterminé Abd-el-Kader à se
ver le ravitaillement de Médéah et de porter entre cette ville et Mostaganem
Miliana fut l'unique but des opérations ; pour intercepter les communications. Il
aucun événement important n'est à si- se disposait à nous créer de sérieux em-
gnaler. barras, lorsqu'il apprit le succès des pré-
Province de Constantine; 1841. tentions du marabout de l'ouest ; il se
Le général Négrier avait succédé au géné- hâta de se rendre sur les lieux et de ral-
ral Galbois dans le commandement de la lier son khalifa Bou-Hamedi, afin d'arrê-
province de Constantine. Le 29 mai une ter les défections qui commençaient à se
colonne sortit de Constantine et après
, produire. Les pluies de l'hiver, la crue des
avoir parcouru les tribus jusqu'à Setif rivières paralysaient nos mouvements;
se porta à Msilah ; elle n'eut pas de com- l'émir en profita pour faire rentrer dans
bat sérieux à soutenir. Le pays était de- le devoir les tribus infidèles; les Béni
puis longtemps disposé à accepter no- Amer furent atteints et pillés , et notre
tre autorité, il suffisait de le protéger nouvel allié dut se rapprocher de nos
contre les tentativesdes partisans d'Abd- avant-postes pour échapper aux coups de
el-Kader. Le nouveau commandant su- son ennemi.
périeur ne comprit pas parfaitement Le général Bugeaud put enfin entrer
cette situation. Soit désir d'éclipser son en campagne le 24 janvier. Après avoir
prédécesseur, soit facilité à accueillir des traversé le Rio-Salado et Tisser avec
renseignements intéressés, il crut et vou- les plus grandes difficultés , et visité le
lut persuader au gouverneur général champ de bataille de la Sikak, l'armée
que la tranquillité de la province était arriva à Tlemsen le 30 janvier. Abd-el-
menacée. Il adopta vis-à-vis de la popu- Kader avait évacué la ville la veille au
lation indigène des mesures rigoureuses, soir, emmenant, selon son habitude, toute
multiplia les supplices , et parvint à pro- la population à sa suite. On y trouva une
duire une sorte de terreur qui était loin fonderie, des canons, des boulets , des
d'être profitable aux intérêts de notre obus, essais encore imparfaits récem-
domination. Au lieu de suivre les ins- ment tentés. Bientôt une partie des ha-
tructions laissées par le maréchal Valée bitants de la ville, échappés des mains
au moment de l'organisation du pays, de l'émir pendant la marche , rentrèrent
le général Négrier donna toute sa con- dans leurs maisons; ils annonçaient
fiance à des agents subalternes et à des que les tribus étaient plus que jamais
chefs indigènes, qui abusèrent de son fatiguées de la guerre, que le nombre
nom et soulevèrent contre lui une très-
, des partisans d'Abd-el-Kader diminuait»
vive opposition parmi la population eu- Dans cette situation le gouverneur
,

ropéenne de Constantine. 11 faut ajouter général se détermina à occuper Tlemsen


d'ailleurs que cette agitation toute lo- d'une manière permanente, pourdonner
cale, si elle retarda nos progrès, ne com- un point d'appui au parti de la paix
promit pas sérieusement nos intérêts. parmi les Arabes et pour empêcher
Occupation de Tlemsen; 1842. — l'ennemi de rétablir une autre fois sa
Lorsque le gouverneur général fut infor- puissance après le départ de la colonne
mé des faits nouveaux qui s'étaient ac- expéditionnaire.
:14 LTJNIVERS/
Le 5 février le général Bugeaud se mirent pas à l'ennemi de rétablir son
mît en marche pour poursuivre Abd-el- influence; l'émir fut battu toutes les
Kader qui n'avait avec lui que trois
,
fois qu'il se présenta, et les populations
cents cavaliers et quelques fantassins. protégées par nos efforts s'unirent plus
Nos auxiliaires le joignirent et le chas- étroitement à nous. Enfin Abd-el-Kader
sèrent devant eux jusqu'aux limites de s'éloigna, découragé par l'inutilité de
Ja frontière du Maroc, où ils s'arrêtè- ses tentatives, privé des ressources qu'il
rent. De
retour à Tlemsen , l'armée en tirait du Maroc par suite de négociations
repartit le 8, pour aller détruire le fort du général Bedeau avec les autorités ma-
de Sebdou, situé à cinquante-deux kilo- rocaines de la frontière, appelé d'ail-
mètres, au sud-ouest de Tlemsen. On leurs par les Hachem, que la division
y trouva sept canons en bronze, qui fu- de Mascara ruinait. Il laissa à son kha-
rent envoyés en France. Les remparts lifa six cents chevaux, et se dirigea vers

de cette petite forteresse étaient solide- l'est, en suivant la lisière du désert. Bou-
ment construits ; comme on n'avait pas Hamedi était trop faible pour rien
de poudre on fut obligé de les démolir entreprendre ; le pays jouit donc d'un
pierre à pierre. On ne peut s'empêcher peu de tranquillité. Le commandant de
de regretter cette fureur de destruction Tlemsen en profita pour compléter l'ins-
dont nous étions possédés. Nous ren- tallation des troupes dans la ville, et
versâmes successivement sur la limite du pour régler l'état de propriété en cons-
la
Tell Boghar, Thaza Tekdemt, Saïda,
: , tatant les titres et les droits des établis-
Sebdou; et moins de deux ans après sements publics et des particuliers.
nous étions obligés de reconstruire Bo- Opérations du général de La-
ghar, Saïda et Sebdou, pour y installer moricière.— Nous avonsrendu compte
nos troupes. Des citadelles dans les- des opérations de la division d'Oran jus-
quelles l'ennemi ne se renfermait jamais qu'au 31 décembre 1841. Il serait trop
pour les défendre auraient pu rester de- long de raconter en détail tous les mou-
bout sans danger, et nous nous en se- vements du général de Lamoricière
rions toujours facilement emparé. pendant les trois premiers mois de 1842.
On amassa à Tlemsen tous les vivres Les troupes furent presque constam-
qu'on put recueillir; la garnison fut éta- ment en marche , battant l'ennemi dans
blie dans le Méchouar; le général Be- toutes les rencontres, parcourant le pays
deau quitta Mostaganem, et vint prendre soit pour protéger les tribus soumises
le commandement. Le gouverneur géné- contre les attaques de Ben Thamy , soit
ral laissa un bataillon et toute la cava- pour atteindre les populations fugitives
lerie indigène auxiliaire pendant que le et les forcer de reconnaître notre au-
reste des troupes se rendait à Oran pour torité. Cette activité incessante, aidée

y prendre un grand convoi et le rame- du concours de la colonne de Mostaga-


ner à Tlemsen. nem, commandée d'abord par le général
Opérations du général Bedeau. Bedeau, puis parle général d'Arbou-
— A peine le corps expéditionnaire était- ville, amena la soumission de toutes
il parti qu'Abd-el-Kader reparut à la les tribus situées entre la plaine d'Eghris
tête de quelques aventuriers recueillis et la mer. Le général de Lamoricière
dans le Maroc. La cavalerie de Mus- employa les expédients les plus ingénieux
tapha ben Ismaïl sortit aussitôt de pour assurer la subsistance des six mille
Tlemsen, le battit, et le rejeta sur la rive hommes qu'il avait sous ses ordres, au
gauche de laTafna, le 19 février. Le moyen des silos et des troupeaux des
général Bedeau s'avança bientôt avec populations hostiles. La division eut
les forces mobiles de la" garnison. 11 se aussi à supporter les plus dures intem-
porta sur Nedroma, dont il reçut la péries : froid, pluie, grêle, neige, ou-
soumission; les habitants de Kaf fu- ragans furieux, rien n'arrêta l'ardeur
rent ensuite châtiés pour avoir prêté de son jeune chef; les rigueurs de la
assistance à l'émir. Pendant les mois saison devinrent même un élément de
de mars, d'avril et de mai les trou- succès ; car nos troupes , bien armées,
pes de Tlemsen déployèrent une ac- bien vêtues, organisées pour les marches
tivité et une persévérance qui ne per- rapides et les combats, souffraient bien
ALGÉRIE. SU
moins du mauvais temps que les tribus Hadjoutes furent particulièrement frap-
fugitives, dépourvues Je plus souvent pés par le général Changarnier, et perdi-
de munitions , n'ayant que des armes rent beaucoup de troupeaux. Le 1 er avril
grossières, embarrassées de leurs nom- le gouverneur général dirigea en per-
breux troupeaux, traînant après elles sonne une expédition contre les Béni
tous leurs bagages, obligées dérégler Menasser; on détruisit le village groupé
leurs mouvements de manière à ne pas autour de l'habitation d'El-Berkani,
laisser sans défense les femmes, les dont la famille exerçait une très-grande
[enfants et les vieillards. influence dans cette'tribu. Mais ce châ-
Dans les années précédentes la cessa- timent ne suffit pas pour ébranler la fi-
tion des hostilités pendant les grandes délité des Béni Menasser à leur mara-
chaleurs , et surtout pendant les cinq bout. Le 15 du même; mois la corres-
Imois pluvieux de la saison d'hiver, per- pondance de Boufarik à Blidah escortée
,

[mettait à l'ennemi de se refaire et de par vingt-deux soldats sous les ordres


[recommencer la guerre au printemps. du sergent Blandan, fut attaquée par
Les tribus semaient tranquillement les deux ou trois cents cavaliers ennemis.
[grains, et conduisaient leurs troupeaux Sommé de se rendre, le brave sergent
dans des vallées chaudes réservées pour répondit par un coup de feu; cet acte
cet objet. La poursuite acharnée du gé- énergique fut le signal d'une mêlée hor-
néral de Lamoricière les priva de ces rible ; et lorsque la garnison de Boufarik,
avantages et ne leur laissa pas un mo-
, attirée par le bruit de la mousqueterie,
ment de répit. Attaquées sans relâche arriva sur le théâtre du combat, cinq
par nos colonnes , voyant chaque jour Français seulement étaient encore de-
consommer leur ruine par les prises bout/Un monument a été élevé dans
ique nous faisions, en proie à la misère, le village de Mered pour perpétuer le
[.essuyant plus cruellement que jamais les souvenir de l'action héroïque du sergent
^intempéries du climat, elles durent ar- Blandan et de ses vingt-deux compa-
river à implorer notre pardon et à ac- gnons.
cepter notre autorité. La plus grande Expédition de Mostaganem a
partie des Hachem eux-mêmes passèrent Blidah. — Le général Bugeaud résolut
dans nos rangs. La puissante tribu des de mettre fin par un coup d'éclat à ces
Djaffrafit également sa soumission dans hostilités incessantes qui forçaient, dans
les premiers jours du mois de mai. la Métidja, de prendre des 'escortes de
Événements de la province d'Al- cent hommes pour aller d'un poste à
ger. — Dans le mois de janvier 1842 l'autre. Il se décida à réunir pour quel-
le général de Rumigny avait été envoyé ques jours une partie de la division d'O-
làAlger pour exercer les fonctions cle ran et ses nombreux auxiliaires indigè-
jgouverneur général par intérim pen- ,
nes aux troupes actives de la province
dant le voyage en France que le général d'Alger, et d'envelopper tout le pays
iBugeaud avait projeté; mais la situa- des montagnards dont le voisinage était
tion devint tellement intéressante que si dangereux, afin de les forcer à se sou-
île gouverneur général ne put s'absenter mettre. Il voulut diriger lui-même cette
(de l'Algérie. Le général Rumigny com- opération importante , et retourna à
;
manda à Alger pendant l'expédition de Oran le 28 avril. Les préparatifs termi-
Tlemsen ; il dirigea un ravitaillement sur nés , on se mit en marche le 14 mai.
Médéah, en France. Le
et rentra ensuite Le corps expéditionnaire comprenait
|
grand nombre de postes occupés dans quatre mille fantassins, deux mille cinq
la province d'Alger d'une manière per- cents cavaliers arabes ; le convoi so
manente et les devoirs multipliés im- composait de quinze cents bêtes de
posés aux troupes pour la défense et le somme fournies parles tribus. Le géné-
Iravitaillement de ces établissements ne ral de Lamoricière, qui avait dû d'abord
;
permirent pas d'entreprendre des opéra- prendre part à cette expédition, fut ap-
!
tions étendues ; cependant à l'est et à pelé dans le sud de la province pour
l'ouest de la Métidja de hardis coups de faire face à des nécessités pressantes;
main furent exécutés , et rendiretit les ce fut le général d'Arbouville qui ac-
; tribus hostiles plus circonspectes. Les compagna le gouverneur général.
, , 1

'310 L'UNIVERS.

La division d'Oran arriva le 9 juin au Le 9 juin les montagnes des Béni


débouché de l'Oued -Djer, dans la Mé- Menad et des Soumata furent envahies
tidja. Elle avait remonté la vallée du parles deux colonnes réunies. Cette dé-
Cliélif , confluent de la Mina,
depuis le monstration imposante ouvrit enfin les
passant tantôt sur une rive, tantôt sur yeux aux tribus qui environnaient la
l'autre. Les Béni Zeroual et les Sbéah Métidja sur le danger dont elles étaient
tribus guerrières et fanatiques, furent menacées. Les Soumata, les Béni Menad,
sévèrement punies des actes d'hostilité les Chenoua, les Hadjoutes firent leur
commis contre nos alliés. Nulle part la soumission. Le résultat de cette cam-
colonne ne trouva des ennemis sérieux : pagne ne tarda pas à se manifester. Les
ou bien les populations se soumettaient Arabes, privés depuis longtemps de la
ou bien elles se réfugiaient dans les fréquentation des marchés des villes où
montagnes. Dans ce dernier cas même ils échangeaient leurs produits, afflué-

elles protestaient presque toutes qu'elles rent à Alger en une semaine on leur
:

n'étaient pas ennemies, mais qu'elles vendit pour plus de 1,500,000 francs de
craignaient en se déclarant de n'être pas marchandises. Une sécurité presque
protégées par nous contre les vengeances complète régna dans toute la Métidja
d'Abd-el-Kader. En effet, telle était alors sans qu'aucun accident vînt faire re-
la politique de l'émir dès qu'une tribu
: pentir nos colons de leur imprudente
avait fait sa soumission à la France et confiance. Après trois jours de repos
que nos troupes s'étaient éloignées , il à Blidah, le général d'Arbouville re-
ameutait contre elle les tribus non encore prit le chemin de l'ouest , et parcourut
soumises. Celles-ci, 'soit de gré, pour les deux Tives du Chélif, afin déterminer
l'appât du butin, soit de force, pour l'œuvre de pacification.
échapper aux coups des forces réguliè- Soumission des tribus. — Pour
res dont les khalifas disposaient encore, consolider et développer les heureux ef-
se faisaient les instruments de terribles fets déjà obtenus, deux colonnes parti-
représailles (1). Le 30 mai les troupes rent de Blidah Tune, sous les ordres
:

d'Oran s'étaient jointes à la division du général de Bar, alla opérer dans


d'Alger, sous les ordres du général la province de Titteri ; l'autre , com-J
Changarnier, au confluent de l'Oued- mandée par le général Changarnier,
Rouina avec le cliélif. gagna Miliana. En peu de jours toute
la circonscription placée sous l'autorité ,

du khalifa Ben Allai et celle administrée


(i) Nous 'donnonstraduction d'une des
la
lettres écrites par Àbd-el-Kader aux tribus
par El-Berkani se rangèrent sous le
pour les détourner de faire leur soumission à joug. Le général Changarnier s'avança
la France.
vers le sud, et dépassa Thaza. Il at- :

er
« Vous abandonnez done de vos
la foi teignit le 1 juillet à Aïn Tessemsil
pères, et vous vous livrez lâchement aux chré- une immense émigration de tribus plus ;

tiens N'avez-vous donc pas assez de courage


! de cent mille moutons quinze cents
,

et de persévérance^ pour supporter encore chameaux, les effets militaires du ba-


pendant quelque temps les maux de la guerre ? taillon de Ben Allai tombèrent entre
Encore quelques mois de résistance, et vous nos mains. En même temps un kaïd ,

lasserez les infidèles qui souillent votre sol. de Médéah, encouragé par la présence
Mais vous n'êtes plus de vrais croyants, si
si
delà colonnedu général deBar, attaquait
vous un honteux abandon de votre re-
faites
El-Berkani, dispersait sa troupe et
ligion et de tous les biens que Dieu vous a
s'emparait de son trésor. Lorsque ces
promis , ne croyez pas que vous obtiendrez
corps rentrèrent dans leurs cantonne-
le repos par cette faiblesse indigne. Tant qu'il
me restera un souffle de vie, je ferai la guerre ments , ils amenèrent à Alger pour y ,

aux chrétiens, et je vous suivrai comme votre recevoir l'investiture, les chefs de toutes
ombre, je vous reprocherai en face votre les tribus qui venaient de reconnaître
honte ; pour vous punir de votre lâcheté , je l'autorité de la France. Pendant quel-
troublerai voire sommeil par des coups de ques jours la capitale de l'Algérie prit
fusil qui retentiront autour de vos douars de- un aspect animé; la présence de ces
venus chrétiens. {Moniteur algérien du 5 Arabes, dont quelques-uns arrivaient
juillet 1842.) du désert, rendit à la population in-
ALGÉRIE. 31*

îigèneun peu dévie. Nous venions enfin combattre, se soumirent à notre autorité,
Le conquérir un peuple. La guerre d'in-
on proposa d'adopter le système d'ad-
vasion était à son terme ; on espérait ministration consacré par l'émir, afin
mtrer bientôt dans la période admi- de ne pas tenter des essais dangereux.
nistrative. On renonça sagement aux anciens er-
Organisation des tribus sou- rements, qui consistaient à ressusciter
îises. — Nous avons vu précédemment le régime gouvernemental des Turcs en

[ue le mois d'août 1841


dans quel- nommant des beys; on choisit les nou-
les tribus des environs de Mostaga- veaux chefs parmi la partie la moins fa-
lem ayant manifesté des dispositions natique de l'aristocratie religieuse, ou
lacifiques, legouverneur général avait parmi les hommes de guerre les plus
un bey pour Mostaganem et Mas-
réé renommés. La base de la division des
ara. Quelques jours après, il rétablit circonscriptions de commandement fut
a direction des affaires Arabes qui avait l'aghalik. Plusieurs tribus, obéissantcha-
annexée à l'état-major général par
té cune à un kaïd, formaient un aghalik
e maréchal Valée. Les premières tri- commandé par un agha. Pour les par-
ius qui vinrent à nous dans la province ties du pays éloignées de nos centres d'ac-
l'Oran furent naturellement rangées tion on réunit plusieurs aghaliks pour
,

ous l'autorité du. bey indigène. Dans en confier la direction à un khalifa. La


a province d'Alger les soumissions ne province d'Oran fut partagée entre trois
e déclarèrent qu'en 1842. Le rôle du khalifas un pour l'ouest, à Tlemsen
:

mreau arabe s'était borné jusque là à { c'était le marabout premier compéti-

ecueillir des renseignements pour faci- teur d'Abd-el-Kader); l'autre pour le


iter les opérations militaires; mais du centre, à Mascara (c'était un parent du
noment constituer une ad-
qu'il fallut bey précédemment nommé qui venait
pour les Arabes, la mis-
ninistration de mourir); le troisième pour l'est,
ion de ce nouveau service prit une sur la Mina et le Chélif ( c'était un per-
;rande importance. sonnage dont la famille avait
illustre,
Lorsqu'il s'était agi, après la conquête été persécutée par Abd-el-Rader). La
l'Alger, de gouverner les indigènes, le province d'Alger eut aussi ses khalifas,
;énéral Clauzel et ses successeurs s'é- dont le nombre fut porté successivement
pient contentés de nommer un agha jusqu'à trois celui des Hadjoutes celui
: ,

rabe sur lequel on se déchargeait de du Sebaou, dans l'est; enfin le khalifa


ous les soins de l'administration des de Laghouat , nommé seulement en
iribus. Sous le commandement inté- 1844.
rimaire du général Voirol le service du
, Cette organisation empruntée tout
,

sureau arabe fut organisé pour la plaine entière au gouvernement d'Abd-el-Ka-


leMétidja ; le général d'Erlon conféra
la der , n'était pas sans inconvénients
d'agha à l'officier supérieur qui
e titre surtout après l'épreuve des grands chefs
ommandait les spahis, en le substituant indigènes faite récemment dans la pro-
tu bureau arabe. Pendant son court vince de Constantine. Il eût été sans
:ommandement le général Damrémont doute préférable d'adopter le système
!
établit la direction des affaires arabes d'administration établi par le maréchal
[ui fut supprimée par une décision du Valée pour l'arrondissement de Bône;
naréchal Valée du 5 mars 1839 dont mais les soumissions des tribus nous pri-
îous venons de parler. Le général Bu- rent au dépourvu on avait affaire à un
:

;eaud , en confiant ce service à un offi- pays encore inconnu; les fonctionnai-


cier qui avait séjourné longtemps à res de l'émir qui arrivaient à nous
jUascara auprès de l'émir pendant la
,
étaient ambitieux c'était le désir de
:

paix, avec le titre de chargé des affaires supplanter des rivaux qui les amenait le
;ies Français, fit recueillir tous les ren- plus souvent à se soumettre. On peut
seignements biographiques sur les prin- donc dire qu'en obéissant à ces circons-
îipaux chefs attachés à la fortune d'Abd- tances le gouverneur général avisa au
jîl-Kader et sur l'organisation donnée plus urgent et prit le parti le plus sage.
îiux tribus. La question de l'avenir restait d'ailleurs
Dès que les populations, fatiguées de réservée.
318 L'UNIVERS.
Mouvements d* Abd-el-Kader. — On
croyait l'émir dans le sud, quand
Vers le milieu du mois de mai 1842, on apprit tout à coup qu'il avait surpris
l'émir, appelé avec instance par les Ha- et dévasté les tribus situées dans le bas
chem, avait quitté le pays de Tlemsen de la vallée du Chélif. De là, franchis-
et s'était dirigé vers l'est, pour s'opposer sant quatre-vingts kilomètres en une
aux progrès du général de Lamoricière. seule marche , il tomba sur les Ouled
Il se jeta d'abord dans la Iakoubia avec Khouïdem, auxquels il massacra trois
deux cents cavaliers dévoués ; les Djaf- cents hommes; une nouvelle course,
fra, qui avaient fait leur soumission, fu- aussi rapide, le porta chez les Sdama,
rent les premiers frappés. De là il se auxquels il enleva un butin considérable.
porta dans la plaine d'Eghris, suivi de Après avoir déposé ses prises chez les
tous les Hachem qui lui étaient restés Béni Ouragh, il arriva le 20 septembre
fidèles. L'alarme se répandit parmi nos à la bourgade d'El-Bordj, à vingt kilo-
nouveaux sujets, dont le plus grand mètres seulement de Mascara. L'épou-
nombre vint se réfugier sous le canon vante s'était répandue parmi toutes les
de Mascara. Le général de Lamoricière, tribus soumises ; elles allèrent supplier le
alors occupé à pacifier les tribus de la général de Lamoricière de les protéger ;
Haute-Mina, se hâta d'accourir. Il orga- celui-ci leur répondit qu'elles eussent
nisa aussitôt une colonne mobile, et sor- à se défendre elles-mêmes, et que, pour
tit de Mascara le 2 juin pour se mettre lui, il croyait plus important d'achever la
à la poursuite de l'émir. A
l'approche des dispersion des partisans d'Abd-el-Kader
forces françaises, Abd-el-Kader évacua réunis encore dans le désert. En effet,
la Iakoubia, et se dirigea vers l'est avec sans se préoccuper autrement des mou-
ses deux cents cavaliers, abandonnant vements de l'émir, la colonne s'avança
les tribus qu'il avait soulevées à notre dans le sud jusqu'aux sources de Taguin;
colère. En effet, chassées jusque dans le mais elle ne put pas atteindre l'émigra-
désert , elles furent bientôt forcées de tion, qui fuyait devant elle. A son retour,
rentrer dans le devoir. le 7 octobre, pendant que les troupes
En quittant la Iakoubia l'émir s'était étaient occupées à vider les silos des en-
rendu dans le pays difficile des Flitta. nemis situés sur les rives du Riou, on
Pendant que le général d'Arbouville, re- fut informé qu'Abd-el-Kader pillait nos
venu de Blidah, entrait en campagne alliés dans le voisinage. Notre cavalerie
contre lui, le général de Lamoricière se monta aussitôt à cheval, et joignit l'émif
porta dans le sud franchit le Sersou,
, àLoha un combat très-vif s'engagea
; :

enleva à Goudjila les dépôts qu' Abd-el- l'ennemi ne put soutenir l'attaque, et fut
Kader avait voulu y former, et entraîna vivement poursuivi ; un instant Abd-el-
dans notre parti la puissante tribu des Kader lui-même fut sur le point d'être
Harar et celle des Ouled Khelif. Mais à fait prisonnier, son cheval s'étant abattu
peine cet officier général était-il rentré parmi des rochers. Après cette défaite
à Mascara, après trente-six jours d'opé- l'émir se retira ; les troupes rentrèrent
rations, que notre infatigable adversaire à Mascara à la fin de novembre, et au-
parut dans les lieux mêmes qui venaient cun événement important ne marqua la
d'être visités, et châtia cruellement les finde l'année 1842 dans la province
populations ralliées à notre cause. Accor- d'Oran.
der un plus long repos à l'émir, c'était
Combats dans la province d'Al-
perdre tout le fruit de nos premiers suc-
cès aussi, malgré
ger. —
Pour ne négliger aucun fait se
; les chaleurs de l'été, rattachant à l'histoire de l'Algérie, il est
le général se mit en marche le 15 août. nécessaire de mentionner un combat
La colonne française épuisa vainement très-acharné livré, le 6 juin 1842, par la
ses vivres à poursuivre cet ennemi in-
garnison de Miliana contre les Béni Me-
saisissable. On dut établir un camp nasser, qui ne produisit pas de ré-
provisoire de trois bataillons d'infante- sultat utile. Le 19 septembre le géné-
rie et de deux cents chevaux à
Oued-el- ral Changarnier, engagé avec une co-
Haddad, non loin du plateau de For- lonne très-faible dans les gorges dif-
tassa , pour couvrir l'est de la
plaine ficiles de l'Ouarsenis, soutint une lutte
d'Eghris.
des plus vives contre la population guer-
ALGÉRIE. 31§

rièrede ces montagnes. Nos troupes, dé- provinces lui envièrent longtemps (i).
pourvues de munitions, mal renseignées Cet état de choses, qu'il faut attribuer
par des guides ignorants ou infidèles, surtout à l'éloignement d'Abd-el-Kader,
éprouvèrent des pertes sensibles ; mais donne la meilleure preuve de la puis-
nos soldats étaient dirigés par un chef sance irrésistible de l'émir sur les
trop habile pour être impunément bra- Arabes.
des. Le général Changarnier prit une re- Actes administratifs en 1842. —
vanche éclatante le lendemain même Pour compléter l'organisation du pays
le cette affaire malheureuse, et enleva nouvellement soumis, un arrêté du gou-
j l'ennemi un butin considérable. Dans verneur général, pris le 3 septembre, ins-
es premiers jours d'octobre une expé- titua auprès du commandant supérieur
dition conduite par le gouverneur géné- de chaque ville où l'autorité civile n'é-
ral dans l'est de la province d'Alger, tait pas encore établie une commission
fournit à l'armée de nouvelles occa- administrative chargée de pourvoir aux
sions de prouver son courage et son dé- intérêts de la cité et du territoire com-
nouement. La puissance du khalifa Ben posant la subdivision, tant pour les
Salem fut détruite et un gouvernement questions d'impôt que pour le domaine
[nouveau organisé sous la protection de et l'acquittement des dépenses. Cette
[la France. Le brave colonel Leblond, du commission fut composée du comman-
18 e de ligne, fut tué pendant le cours de dant supérieur, président, d'un fonction-
bette campagne. Enfin dans le courant naire de l'intendance , de deux officiers,
les mois de novembre et de décembre dont l'un pris dans l'armée du génie,
trois colonnes partirent deMiliana, sous d'un médecin militaire et d'un agent des
les ordres du général Bugeaud, et par- services financiers. Un arrêté postérieur,
coururent en tous sens le pâté de mon- du 7 novembre modifia la composition
,

tagnes de l'Ouarsenis. Après plusieurs de cette commission pour les villes où


combats heureux on obtint la soumis-
, l'administration civile fonctionnait déjà.
sion des Béni Ouragh. Au retour, pen- Le commandant supérieur, l'adminis-
dant que le duc d'Aumale, qui venait trateur civil , le sous-intendant militaire,
l'arriver à l'armée avec le grade de ma- l'officier chargé des affaires arabes et
réchal de camp, ramenait une partie des l'agent des services financiers, furent
croupes à Blidah, le général Changar- seuls appelés à en faire partie. Des ar-
aier poussa une reconnaissance jusqu'à rêtés ministériels des 23 novembre, 9 et
irenès et rentra à Blidah en suivant
, 10 décembre, installèrent une sous-di-
e littoral de la mer.
Situation de la province de (i) Les nombreuses exécutions capitales or-
Constantine en 1842. —
Les événe- données par le général Négrier dans la pro-
ments de guerre qui eurent lieu dans la vince de Constantine déterminèrent le gouver-
(province de Constantine ne modifièrent nement à publier le I er avril 184*2 une or-
pas la situation d'un manière notable. donnance royale dont voici les dispositions
Dans la zone plus rapprochée de la
la principales :
er
jmer, on doit citer les attaques dirigées « Art, . Aucune exécution à mort, pai
I

^par les Kabiles contre la garnison de quelque juridiction qu'elle ait été ordonnée,
Bougie et celle deDjidjeli; une sortie jie pourra avoir lieu dans toute l'étendue des

brillante des troupes du camp de l'Ar- possessions françaises en Algérie, qu'autant


touch contre les populations ameutées qu'ilnous en aura été rendu compte et que
par un marabout fanatique. Le général
nous aurons décidé de laisser un libre cours à
la justice.
Négrier conduisit une colonne jusqu'à
« Toutefois, dans les cas d'extrême urgence,
Tébessa, sur la frontière de Tunis; on
le gouverneur général pourra ordonner l'exé-
ne rencontra de résistance nulle part.
cution, à la charge de faire immédiatement
Sauf l'espèce de terreur que les rigueurs connaître les motifs de sa décision à notre mi-
exagérées exercées contre quelques nistre secrétaire d'État de la guerre qui nous
,
Arabes parle commandant supérieur fit en rendra compte.
planer sur le pays, dès cette époque la « Ce pouvoir 'attribué au gouverneur géné-
province de Constantine commençait à ral ne pourra, dans aucun cas, être délé-
jouir d'une tranquillité que les autres gué. »
,

320 L'UNIVERS.

rection de l'intérieur à Philippeville, une châtié les tribus qui refusaient de se


justice de paix et un commissariat civil joindre à lui et avoir enchaîné les chefs
àGonstantine. Vingt-trois arrêtés rendus les plus compromis pour notre cause. Les
dans le courant de l'année par le gou- troupes reprirent aussitôt la campagne.
verneur général prescrivirent la création Une colonne se dirigea vers Cherche!. Le
de dix-huit villages dans le Sahel d'Al- général Changarnier, arrivé en toute hâte
ger, à Béni Mered, à Koléah, etc. Ces àMiliana,courutàlarencontrederémir;
centres de population devaient com- dans le sud et le sud-est de la subdivision
prendre plus de douze cents feux. de Miliana le duc d'Aumale, qui venait
,

Une ordonnance royale du 26 septem- de prendre le commandement de Mé-


bre organisa sur des bases nouvelles le déah, exécuta des coups de main hardis
service de la justice en Algérie. Elle ar- contre les débris du parti d'Abd-el-
rêta la composition de la cour et des Kader. Cette offensive vigoureuse dis-
tribunaux français, détermina la com- persa promptement les rassemblements
pétence des tribunaux indigènes , régla d'insurgés, et refoula l'émir au loin dans
la procédure à suivre, et fixa la juridic- l'ouest.
tion administrative. Le procureur gé- Extension de l'occupation. —
néral eut la correspondance directe Les vicissitudes si nombreuses qui se
avec le ministre delà guerre pour tout produisaient incessamment, soit dans
ce qui concernait l'administration de la province d'Oran, soit dans celle d'Al-
la justice. Ses attributions et la disci- ger, firent comprendre au gouverneur
pline de l'ordre judiciaire furent l'ob- général que notre domination ne pour-
jet d'un arrêté ministériel du 22 novem- rait être consolidée que lorsque la con-
bre. Des arrêtés du ministre delà guerre quête serait complète. L'ennemi n'at-
réglèrent également l'exercice et la dis- tendait plus nos colonnes pour leur dis-
cipline delà profession d'huissier ( 26 no- puter la possession du pays; mais il'
vembre) et de notaire en Algérie ( 30 dé- semait l'agitation, la révolte, la dévas-;
cembre). Enfin un acte du même genre tation dans tous les lieux qui venaient
organisa les commissariats civils (21 d'être pacifiés. Pour remédier à ces.
décembre ). On sait que les commissaires maux ,
qui ruinaient les tribus , on fut
civils en Algérie remplissent à la fois dans la nécessité d'occuper, soit dans
les fonctions de maire, de juge de paix la ligne du centre, soit sur la limite du!
et d'officiers de police judiciaire. Tell , les points les plus importants,
ÏNCUBSTONS D'ABD-EL-KàDER EN pour appuyer la stratégie de l'armée et;
1843.™ L'armée était à peine rentrée pour couvrir les tribus qui avaient droit
dans ses cantonnements que l'émir, qui à notre protection. Dans la province
avait soigneusement évite les combats d'Alger, un poste permanent fut établi'
et qui nous avait laissé ravager et sou- au milieu de la vallée du Chélif, au lieu
mettre les tribus de l'Ouarsenis , reparut appelé el Asnam ; cette ville reçut plus
inopinément au milieu du pays que nous tard le nom d^Orléansville. Le 'général
venions de parcourir. Il avait avec lui Bugeaud dirigeait les opérations en per-
quatre cents cavaliers réguliers et huit sonne ; par un ordre du jour du 26 avril
cents chevaux des populations du sud. il confia le commandement de ce poste

Cette troupe s'augmenta successivement au colonel Cavaignac. Le 3 mai suivant


des contingents des tribus qu'il traver- la ville et le port de Tenès furent occu-
sait et qui étaient trop faibles pour lui pés, afin d'assurer les communications
résister isolément. Il annonçait sur sa d'Orléansville avec la mer. Dans la sub-
route que la France allait conclure la division de Médéah le fort de Bogliar
;
paix avec lui, et il prétendait ne deman- fut relevé et on y installa des troupes
,

der aux Arabes qu'une grande démons- dans les premiers jours de mai. A la
tration armée, afin d'obtenir des condi- même époque le général Changarnier
tions meilleures. Il arriva dans la vallée traça les fondements d'un établissement
du Chélif avec plus de deux mille cava- à quelques kilomètres à l'ouest de Thaza,
s'avança jusqu'à une petite jour-
liers, et à Teniet-el-Ahd , défilé principal pour
née de Mi liana*, et jusqu'à trente kilo- déboucher de la vallée du Derder sur
mètres ouest de Cherche! après avoir
, les hauts plateaux qui précèdent le de-
ALGÉRIE. 321

sert. Dans province d'Oran le général


la guin, à quatre- vingts kilomètres sud-est
de Lamoricière fondait également deux de Goudjila. Le campement de la zmala
postes nouveaux, l'un à Tiaret, non loin couvrait un espace immense et com- ,

du fort de Tekdemt, renversé par nous prenait au moins quatre mille tentes on ;

| en 1841 ; l'autre à Ammi-Moussa, sur le pouvait évaluer les forces des défenseurs
Riou. à deux mille cavaliers environ et trois
Prise de la zmala d'Ard-el-Ka- mille fantassins en dehors du petit ba-
,

der. —
Depuis que nos colonnes s'é- taillon de réguliers. .Notre cavalerie

taient montrées dans les parties les plus n'avait que cinq cents chevaux, et l'in-
I reculées du Tell, Ahd-el-Kader avait jugé fanterie ne devait arriver que plusieurs
qu'il n'y avait plus de sûreté pour sa heures après sur le champ de bataille.
famille, au milieu des tribus que les La circonstance était critique. At-
travaux de labour retenaient dans un tendre l'infanterie et l'artillerie, c'était
j
cercle limité. Il avait envoyé toutes les donner le temps à l'ennemi de plier les
femmes de ses parents et des principaux tentes de mettre les troupeaux à l'abri
,

. personnages attachés à sa fortune dans et de venir ensuite nous combattre. La


I le désert. Cette réunion, grossie d'un prudence conseillait d'être hardi et de
;
grand nombre d'émigrés appartenant à se précipiter au milieu des tentes mal- ,

toutes les tribus de l'ouest et particu- du nombre, de jeter le


gré l'infériorité
|]
lièrement aux Hachem s'était mêlée
, trouble dans lescampements et de triom-
à des populations extrêmement mobiles pher par surprise. Ce parti fut adopté
et qu'aucun intérêt n'attachait à un et le succès le plus complet en fut le ré-
territoire déterminé; elle était en outre sultat. Le
trésor d'Abd-el-Kader, qua-
protégée par quelques centaines de fan- tre drapeaux, un canon, des armes de
tassins réguliers. Cette aggrégation es- toutes espèces, un butin immense, des
sentiellement ambulante s'appelait la troupeaux innombrables, les familles
zmala; tantôt elle s'enfonçait vers le des lieutenants les plus illustres de l'é-
sud ,tantôt elle revenait vers le Tell mir, tombèrent entre nos mains. Les
suivant les circonstances de la guerre ; trente ou quarante mille Arabes qui
elle représentait le foyer et le centre des composaient la zmala se dispersèrent
forces d'Abd-el-Kader, et était devenue dans le pays , et nous ramenâmes à Al-
en quelque sorte la capitale de sa puis- ger plus de trois mille femmes , enfants
sance nomade. La tâche de poursui- et vieillards de la tribu des Hachem.
vre et d'enlever la zmala fut confiée au Pendant que ce coup terrible était
i-
duc d'Aumale. porté à sa puissance, Abd-el-Kader, à
Le jeune prince partit le 9 mai de la tête d'un corps de cavalerie, surveil-
Boghar, où il avait réuni sa colonne et lait les mouvements du général de La-

j
organisé son convoi d'approvisionne- moricière, qui s'avançait aussi vers le
! ments. 11 emmenait dix-huit cents fan- sud, et qui ramassa quelques jours après
; tassins et cinq cents cavaliers, dont deux une partie de la population de l'ouest
cents Français seulement. La marche fut échappée au combat de Taguin. Grâce au
dirigée vers l'ouest dans les journées courage et à l'activité de quelques ser-
|
des 9, 10, 11 et 12 mai; le 13 le corps viteurs dévoués, la mère et les femmes
expéditionnaire tourna vers le sud, de l'émir purent s'enfuir et éviter d'être
et surprit le 14 au matin la petite ville emmenées prisonnières. Les débris de
de Goudjila. Les mouvements avaient la zmala errèrent pendant quelque temps
été si habilement combinés, que les encore dans le sud puis se dirigèrent
,

habitants de ces contrées n'en avaient vers le Maroc. Cette réunion reconsti- ,

eu aucune connaissance. Le 15 on ra- tuée sur des bases moins importantes,


massa sur la route des traînards ennemis prit le nom de dêira, qualification em-
qui mirent sur la trace de la zmala. La ployée dans l'ouest préférablement à
cavalerie prit immédiatement la pour- celle de zmala.
suite; et Je 16, à dix heures du matin, Opérations de l'armée. — Le bril-
après plus de trente heures de marche , lant fait d'armes de la zmala ne doit
on se trouva en présence de la zmala pas nous faire oublier de parler des tra-
qui était campée sur les sources de Ta- vaux et des efforts de l'armée sur d'au-
21 e Livraison. (Algérie.) 21
322 L'UNIVERS.
trrs points. La province d'Qran fut plus nœuvré de son coté contre l'Ouarsenis,
particulièrement agitée par la guerre. consolidant partout notre domination.
Abd-el-Kader refoulé des environs de
, A Teniet-el-Ahd, le colonel Korte avait
Miliana et de la vallée du Chélif, s'était obtenu la soumission de plusieurs tribus.
porté hardiment dans la plained'Eghris, Dans la subdivision de Médéah, nos
pendant que le général de Lamoricière troupes, après avoir exécuté plusieurs
allait créer l'établissement de Tiaret, et expéditions heureuses au sud-ouest de
avait enlevé les Hachem pour les en- Boghar, s'étaient mises en relation avec
traîner dans le désert. Il s'établit ensuite les grandes tribus du désert, telles que
durant quelques jours sur la haute Mina lesOuled Naïl, les Arbaa, et les avaient
pour emmener d'autres tribus; mais de détachées du parti ennemi.
ce côté les populations résistèrent , et Dans la province de Constantine le gé-
nous donnèrent le temps de leur venir néral Baraguay-d'Hilliers, qui remplaça
en aide. Le général de Lamoricière le général Négrier dans le mois de jan-
s'était mis à la poursuite de la zmala de vier 1843, déploya une grande et éner-1
l'émir pour coopérer aux efforts du duc gique activité pour amener la soumission
d'Aumale. En même temps, une co- du triangle montagneux compris entre
lonne de sa division se rendait vers la Constantine , Bdne et Philippeville. Une
Iakoubia pour y rencontrer le général suite non interrompue de succès déter-
Bedeau, arrivant de Tiemsen. La subdi- mina toutes les tribus à accepter notre
vision de Mostaganem ne restait pas domination. Le marabout fanatique qui
inactive elle avait successivement châ-
: avait dirigé l'année précédente une atta-
tié la tribu des Béni Zéroual, partisans que contre lecampdel'Arrouchnousfut
fanatiques de l'émir , et les Flitta tou- , livré par son secrétaire, et exécuté. Le
jours turbulents malgré les nombreux général Baraguay-d'Hilliers se porta en-
échecs qu'ils avaient subis. Le 22 mai suite avec toutes ses forces disponibles '

l'armée eut à regretter une perte dou- dans les montagnes situées entre Cons- j

loureuse; le général Mustapha ben Is- tantine, Collo et Philippeville, afin d'assu-
maïl, ramenant à Oran la cavalerie in- rer définitivement la communication de
digène chargée de butin fut attaqué , la capitale de la province avec la mer. La
en traversant le pays boisé des Cheurfa; lutte fut plus vigoureuse de ce côté de
la terreur s'empara de ces Arabes, or- la part des Kabiles; nous remportâmes :

dinairement si braves ; leur vieux chef sur eux plusieurs brillants succès, mais ,

fit de vains efforts pour les rallier. Il les troupes durent se retirer sans avoir ,

périt les armes à la main. Les Cheurfa obtenu de résultat décisif. Enfin, avant
portèrent sa tête à Abd-el-Kader, comme la période des grandes chaleurs la divi-
,

un trophée. sion de Constantine opéra dans le pays (j

Chez les Djaffra, après plusieurs suc- difficile et accidenté situé entre Guelma,
;

cès importants le général Bedeau fit


, Bône, la Calle et les frontières de Tunis.
prisonnier un des khalifas de l'émir Les tribus furent facilement pacifiées;
le 13 mai. Le 22 juin le colonel Géry elles acquittèrent l'impôt , et toute cause ,

enleva le camp d'Ahd-el-Kader, qui ne de trouble fut éloignée pour un temps.


se sauva lui-même que par miracle deux : Dans l'est de la province la colonne de
cent cinquante réguliers furent tués, Sétif opéra une jonction avec les troupes
cent quarante prisonniers, un drapeau, de Médéah en traversant TOuennougha,
des tambours, les éperons et la selle de et s'avança ensuite dans le sud jusqu'à
l'émir, plus de quatre cents fusils, cent Bouçaada', ville arabe, dont la fondation
vingt chevaux, cinq cents chameaux, remonte au cinquième siècle de l'hégire.
trois cents mulets chargés, huit cents Pour récompenser l'armée de tant de
bœufs, tombèrent entre nos mains. Pen- nobles efforts le gouvernement conféra
dant le mois de juin la colonne de Mos- au gouverneur général la dignité de ma-
taganem et plus tard celle du général
, réchal de France par une ordonnance
de Lamoricière prirent part aux opéra- royale du 31 juillet. MM. de Lamori<
tions dirigées par le gouverneur général cière, Changarnier et Baraguay-d'Hil-
contrejes Béni Ouragh et sur le haut liers furent élevés au grade de général
lliou. Le général Changarnier avait ma- de division, Au mois de novembre le
ALGÉRIE. 323

duc d'Aumaîe arriva à Alger pour pren- par jour. Les cavaliers (khiela), beau-
dre le commandement de la province coup plus nombreux, étaient destinés à
de Consiaatine,en remplacement du gé- agir dans les contrées ouvertes, au mi-
néral Baraguay-d'Hilliers, qui rentrait lieu des populations peu stables; on leur
en France. alloua une paye journalière d'un franc.
Un événement militaire de la plus Toutes ces forces devaient, à la première
haute importance marqua la fin de Tan- réquisition, se joindre à nos colonnes.
née 1843 dans la province d'Oran. Une ordonnance royale du 16 décembre
Le 11 novembre une colonne partie de régla les questions de douane qui se
Mascara sous les ordres du général Tem-
, rapportaientà la navigation, aux importa-
poure, atteignit le camp du khalifa Ben tions, aux exportations et aux entrepôts.
Alla! , qui renfermait le reste de l'infan- Les navires français furent largement
;
tene régulière de l'émir. Ce corps fut favorisés; on frappa de droits élevés
!\ complètement anéanti; les cavaliers les toutes les marchandises de provenance
I
mieux montés purent seuls s'échapper ;
étrangère. Ces nouvelles rigueurs pro-
plus de quatre cents morts restèrent sur hibitives, provoquées dans l'intérêt de
la place ; les drapeaux de trois bataillons, l'industrie et des manufactures de la mé-
trois cent soixante prisonniers, toutes tropole, furent accueillies avec un vif
îles armes, bagages, les bêtes de
les mécontentement en Algérie; car elles
;
somme tombèrent en notre pouvoir. amenèrent le renchérissement d'une
Ben Allai lui-même fut tué dans le corn- fou le d'objets de consommation que l'Es-
;
bat ; il était le premier lieutenant d'Abd- pagne, l'Italie et les entrepôts de Gibral-
el Kader, et exerçait une très-grande tar fournissaient à bon marché.
: influence sur les populations arabes de Campagne de Biskaba en 1844. —
Miliana, de la Métidja, du Sébaou et de Le duc d'Aumaîe arriva à Constantine
Médéah. Ce combat trancha définitive- le 5 décembre 1 843 pour prendre le com-
ment la question de guerre. Dans les mandement de la province. Il appliqua ses
tribus de l'intérieur nous devînmes les premiers soins à donner une impulsion
véritables possesseurs du pays; et ceux vive et régulière à l'organisation des
qui nous combattirent désormais n'é- différents services , et particulièrement
taient plus des ennemis, mais des sujets au gouvernement des indigènes. D'utiles
en rébellion, toujours facilement rame- innovations furent essayées dans la pro-
nés à l'obéissance. L'émir fut rejeté dans vince de Constantine, et on s'empressa de
le Maroc. Il avait encore un de ses lieu- les adopter dans les autres parties de
tenants àBiskara, dans la province de l'Algérie. En même temps qu'il réglait
Constantine; mais il n'existait plus au- l'administration des tribus, le duc d'Au-
cun rapport régulier entre ce chef et son maîe poussait avec activité les prépara-
maître. tifs d'une expédition lointaine, dont le
Administration en 1843. — Les ac- but principal était de chasser de Biskara
tes administratifs ne furent pas en aussi le khalifa qui y commandait encore au
grand nombre qu'en 1842. Nous ne men- nom d'Abd-el-Kader, soutenu par deux
tionnerons que les principaux. Une or- cents fantassins réguliers environ; au
donnance royale du 16 avril rendit appli- retour la colonne expéditionnaire de-
cable à l'Algérie sous certaines modi-
, vait être employée à poursuivre Ahmed-
ficationS; lecodedeprocedurecivile. Des Bey, réfugié dans les montagnes du Be-
arrêtés ministériels des 16 septembre et lezma, et adonner à cette contrée une
16 octobre déterminèrent l'organisation constitution définitive, afin d'ouvrir au
des troupes auxiliaires indigènes appelées commerce français la route si intéres-
à concourir, avec les chefs investis, au sante des oasis sahariennes.
maintien de la tranquillité et à la percep- Le 23 février 1844 les troupes se trou-
tion des impôts. Les fantassins {askar) vaient réunies à Batna , sur la limite du
furent placés auprès des fonctionnaires Tell et du petit désert. Elles se compo-
exerçant un commandement dans les vil- saient de deux mille quatre cents fantas-
les éloignées de nos centres d'occupation sins, six cents chevaux réguliers (spahis
'

ou dans les pays montagneux; ils rece- et chasseurs d'Afrique), quatre pièces de
vaient une solde de cinquante centimes montagne et deux de campagne. On se
.21,
,

324 L'UNIVERS.

mit en marche le 25 des colonnes mobi-


;
qu'il commanda en personne, refouîa
les parcoururent le pays à droite et à gau- au loin les Arabes qui tenaient encore.
che de la route sans rencontrer de résis- Pendant que le khalifa d'Abd-el-Ka-
tance. Le 29 Farinée bivouaqua à El-Kan- der réunissait contre nous les popula-
tara premier village où l'on trouve des tions du sud de l' Aurès, celles du nord
,

plantations de palmiers, et atteignit Bis- etles tribus de Belezmaétaientameutées


kara le 4 mars. Les habitants de la ville par Ahmed-Bey et venaient attaquer les
et des députations de tous les villages des troupes qu'on avait laissées au camp de
Ziban et des tribus nomades, vinrent Batna. Dans les journées des 10 et
faire acte ^le soumission. Le khalifa 12 mars des rassemblements composés
,

d'Abd-el-Kader n'avait pas attendu no- de plus de quatre mille Arabes firent ir-
tre arrivée, et s'était réfugié dans les ruption contre les redoutes qui défen-
montagnes de l'Aurès. Le duc d'Aumale daient les abords du camp; ils furent
consacra dix jours à organiser le pays, repoussés avec perte sur tous les points.
dont il étudia avec soin les ressources et C'était la première fois que ces tribus
la situation. Une compagnie de tirail- luttaient contre nos soldats; elles reçu-
leurs indigènes fut installée dans la Cas- rent une si rude leçon , qu'elles renoncè-
bah pour soutenir l'autorité du cheikh- rent depuis à toute espèce de tentative
el-arab et on lui adjoignit des cavaliers
;
contre le camp de Batna.
choisis parmi les nomades les plus dé- Après quelques jours de repos les for-
voués à notre cause. ces actives de la division de Constantine
Le lieutenant de l'émir chassé de Bis- reprirent la campagne pour aller châtier
kara était cependant un drapeau au- et soumettre lestribus de Belezma qui
tour duquel pouvaient se réunir les mé- avaient pris part à l'attaque de Batna. Par-
contents il fallait lui faire subir un nou-
; mi les montagnes de cette contrée, celles
vel échec pour lui enlever toute influence des Ouled Sultan passaient pour inexpu-
sur les populations des montagnes où il gnables; plusieurs fois les Turcs avaient
s'était réfugié. Il avait déposé ses maga- vainement tenté d'y pénétrer. Le but
sins à Mechounèch, village situé au principal de nos efforts devait être de
pied des derniers contreforts sud de la prouver à ces tribus que nos armes ne
chaîne des monts Aurès à trente-deux
, pouvaient pas rencontrer d'obstacles in-
kilomètres nord-est de Biskara. L'Oued surmontables. Partie de Constantine le
el-Abiadh, sortant d'une gorge étroite, 17 avril , la colonne se réunit le 20 aux
arrosait une petite vallée plantée de pal- troupes de la subdivision de Sétif à Ras-
miers et au milieu de laquelle on voyait el-Aïoun, en face du pays des Ouled
plusieurs maisons. Sur les flancs dénu- Sultan. Le 24 une première tentative
des et à pic des collines qui dominaient pour entrer dans la montagne ne fut pas
cette oasis se trouvaient trois fortins couronnée de succès. Nos soldats mar-
assez solidement construits, défendant ehant au milieu d'un brouillard très-
l'approche du village. Une première re- épais, dans des ravins inconnus, soutin-
connaissance dirigée sur ce point at- rent un très-rude combat. L'absence de
tira l'attention de l'ennemi ; la guerre guides fidèles , une panique qui se dé-
sainte fut prêchée dans les tribus, et le clara parmi nos auxiliaires arabes , for-
khalifa d'Abd-el-Kader réunit à Mechou- cèrentleducd'Aumaledevenirreprendre
nèch deux ou trois mille montagnards. son ancien bivouac à Megaous , au pied
Lorsque le duc d'Aumale se présenta, de la montagne. Les derniers jours du
le 14 mars, avec seize cents hommes, mois d'avril furent employés à rassem-
toutes les hauteurs étaient couvertes bler dans la partie du pays plat cultivée
d'Arabes. On attaqua aussitôt avec la par les Ouled Sultan les tribus noma-
plus vive impétuosité, et l'ennemi fut fa- des du Sahara récemment soumises
cilement chassé des premières pentes ; dont les innombrables troupeaux dévas-
mais il se réunit sur un pic escarpé au- tèrent entièrement les récoltes des mon-
tour des soldats réguliers du khalifa.Une tagnards. Enfin le I e1 mai on pénétra
"

de nos compagnies, envoyée pour le délo- dans la montagne. La résistance des Ou-
ger, commençait à plier, lorsque le duc led Sultan fut bientôt vaincue. On fouilla
d'Aumale, par une charge vigoureuse, le pays dans tous les sens ; Ahmed-Bey
ALGÉRIE. 325

fut obligé de'se sauver en toute hâte, en gne furent l'occupation permanente de
nous abandonnant la plus grande partie Batna et de Biskara, l'organisation des
de ses bagages; après quatorze jours tribus du Sahara, du Belezma et de la
d'efforts persévérants , toutes les tribus Houdna. Les nombreux villages des Zi-
firent leur soumission. ban, qui avaient tant eu à souffrir pen-
Le duc d'Aumale rentrait à Batna le dant que le pays était déchiré par les luttes
14 mai , lorsqu'il reçut la nouvelle d'une de notre cheikh-el-arab contre le khalifa
horrible catastrophe arrivée à Biskara. d'Abd-el-Kader, en retrouvant le calme,
En quittant cette ville au mois de mars se développèrent rapidement. Cette par-
précédent, le commandant de la pro- tie de la province de Constantine ne
vince avait prescrit de former une com- donna plus par la suite aucun sujet d'in-
pagnie de tirailleurs indigènes pour gar- quiétude. Le duc d'Aumale après , avoir
der la Casbah. Les personnes chargées visité Sétif et toute la subdivision de„
de cette organisation n'apportèrent pas Bône, quitta le commandement de la
toute l'attention désirable dans le choix province de Constantine dans les pre-
des nouveaux soldats; on accepta trop miers jours du mois d'octobre. Son ad-
légèrement des hommes qui venaient di- ministration a laissé des souvenirs impé-
rectement de chez le khalifa de l'émir, et rissables dans l'esprit des populations.
qui n'offraientpastousla garantie d'avoir Personne avant lui ne s'était occupé
leur famille à Biskara. Deux officiers avec autant de zèle, d'activité et d'in-
français et quelques artilleurs étaient telligence de toutes les questions d'or-
restées avec cette troupe. Dans la nuit ganisation et des intérêts si souvent
du 11 au 12 mai le lieutenant d'Abd-el- opposés des indigènes et des Européens.
Kader, suivi de quelques hommes dé- La province de Constantine offrait alors
voués, se présenta devant la Casbah; un exemple remarquable de ce qu'on
les portes lui furent ouvertes par tra- pouvait trouver de ressources parmi
hison; les Français, réveillés en sursaut les officiers de l'armée pour le gouver-
par un bruit inusité, furent massacrés nement des tribus, et de ce qu'on pou-
avant d'avoir pu se reconnaître. Les vait attendre des Arabes en les admi-
artilleurs furent emmenés prisonniers; nistrant avec justice et avec bienveil-
le matériel et les approvisionnements lance.
furent livrés au pillage. Un seul sous-of- Événements de la. province d'Al-
ficier français parvint à se sauver dans ger en 1844. —
La tranquillité régnait
un village' dévoué aux intérêts du parti sur tous les points de la province d'Al-
français. ger; le gouverneur général voulut en
En apprenant ces sinistres nouvelles profiter pour étendre notre domination
leduc d'Aumale se hâta de diriger des jusque dans les contrées méridionales,
troupes sur Biskara; le 18 au matin où les partisans d'Abd-el-Kader pou-
notre cavalerie faisait irruption dans vaient trouver un refuge et des res-
l'oasis. Le
khalifa de l'émir était parti sources. Des troupes furent chargées de
depuis la Les habitants les plus
veille. soumettre les Ouled Naïl de pénétrer
,

compromis l'avaient suivi; les autres dans Laghouat dans Ain-Madhi pour
et
vinrent protester de leur obéissance. La organiser l'administration au nom de la
colonne séjourna une semaine dans les France. Cette expédition réussit complè-
Ziban pour arrêter l'organisation admi- tement et si les résultats ne furent pas
;

nistrative d'une manière définitive et aussi décisifs que pour Biskara dans la
pour punir ceux des habitants qui avaient province de Constantine, c'est qu'on ne
participé à la trahison. Le 25 mai le put laisser sur les lieux une garnison
corps expéditionnaire se mit en mar- française. D'ailleurs l'importance des
che; il traversa la Houdna orientale, et intérêts n'était pas assez grande pour
gagna le pays des Ouled Sultan par le nécessiter un établissement, toujours
sud. Les chefs de ces contrées reçurent difficile et dispendieux.
l'investiture, les contributions des tri- Ben-Salem maintenait encore l'auto-
bus furent réglées. Les troupes rentrè- rité de l'émir au milieu des tribus ka-
rent à Constantine le 4 juin. biles du Djurdjura et jusque dans le Se-
ï^es résultats de cette longue campa» baou. Le maréchal Bugeaud résolut de
326 L'UNIVERS.

détruire ce loyer d'intrigues , où les mé- grande partie d'aventuriers, et avec la-
contents de la province se donnaient quelle il franchissait souvent la frontière
rendez-vous. Il partit d'Alger le 27 avril. pour piller nos tribus. Ces brigandages
avec une colonne de cinq mille hommes entretenaient une vive agitation dans
aguerris, et après avoir expliqué aux tout l'ouest de la province d'Oran. Les
Kabiles dans une proclamation le but autorités marocaines, malgré toutes nos
de son entreprise. L'occupation du port réclamations loin de s'opposer a ces dé-
,

de Dellis ayant été arrêtée depuis long- sordres, semblaient les encourager et les
temps, cette ville, qui allait devenir la favoriser. Bientôt les marocains senti-
base des futures opérations, reçut nos rent leur fanatisme s'exalter au contact
troupes le 8 mai. Pendant qu'on rele- d'Abd-el-Kader et de ses partisans; ils
vait les fortifications de la place le ma-
, se crurent appelés à chasser les Fran-
réchal marcha contre les rassemblements çais de la régence d'Alger, et les vieilles
de Kabiles qui s'étaient formés au delà prétentions de la dynastie des chérifs
de l'Oued-Sebaou. Par une habile ma- sur l'ancien royaume de Tlemsen se ré-
nœuvre il les attira dans la plaine, et veillèrent avec toutes leurs illusions. Le
les battit le 13 mai. Une seconde troupe kaïd d'Ouchda réunit autour de lui
d'ennemis, encore plus considérable, un corps de plus de deux mille cavaliers,
s'était rassemblée au centre du pays des et sembla se préparer à la guerre. Abd-el-
Flissa; les Kabiles avaient construit des Kader joignit bientôt ses" forces à celles
rédans en pierres sèches pour ajouter à du Maroc.
la force d'une position déjà formidable. Pour être prêt à parer aux graves
L'armée française sut cette fois encore éventualités que tout faisait prévoir
suppléer au nombre par le courage et la comme très-prochaines, le général de
science de la guerre. Le 17 mai on oc- Lamoricière avait fait occuper le fort de
cupa un sommet très-élevé au-dessus Sebdou, relevé de ses ruines; bientôt il
des positions de l'ennemi en voyant leur
; choisit un nouveau point sur la frontière
ligne débordée, les Kabiles, qui avaient du Maroc pour surveiller Ouchda, et éta-
d'abord résisté avec bravoure, se dis- blit un camp à Lella-Maghma, à soixante
persèrent , et nous laissèrent occuper kilomètres à l'ouest de Tlemsen. Le
cinquante villages, où les auxiliaires in- kaïd marocain frappé de l'attitude ré-
,

digènes firent un grand butin. Ce succès solue de nos troupes, aurait voulu ne
amena la soumission des Flissa, et per- rien précipiter mais il ne pouvait plus
;

mit au gouverneur général de compléter maîtriser les passions fanatiques des con-
l'organisation de cette partie de la pro- tingents réunis autour de lui et qu'Abd-
vincejusqu'au Djurdjura. Cette opération el-Kader poussait à la guerre sainte.
importante était à peine terminée que ,
D'un autre côté, un parent de l'empereur
des nouvelles de la plus haute gravité, de Maroc arriva à Ouchda à la tête d'un
venues de la frontière du Maroc, appe- corps de cavalerie régulière, les Abids-
lèrent sur ce point toute l'attention du Boukhari. Cette troupe, justement re-
maréchal Bugeaud. Il courut en avant de nommée pour sa bravoure parmi les tri-
la Tafna, avec une partie des troupes bus du Maroc, brûlait d'en venir aux
qui avaient combattu et soumis les Ka- mains avec les chrétiens, pour montrer
biles. aux hommes d'Abd-el-Kader la supério-
GUEBBE AVEC LE MAROC. — Abd- rité des Marocains sur les Arabes de
el-Kader, chassé de l'Algérie à la fin de l'Algérie. Toutes ces causes réunies en-
l'auuée 1843 , s'était retiré dans le Ma- traînèrent l'armée marocaine à franchir
roc ; il avait établi les débris de ses par- la frontière et à attaquer le camp français
tisans et de ses réguliers échappés aux sans déclaration de guerre. Le général de
coups du duc d' Aumale à Taguin , du gé- Lamoricière prit des dispositions rapides;
néral de Lamoricière et du générai Tem- le premier choc fut terrible : les Abids-
poure, sur un point situé à l'ouest du Boukhari, qui se trouvaient en présence
Chot-el-Gharbi à quatre-vingts kilomè-
, d'un bataillon de zouaves , firent des ef-
tres environ au sud-est d'Ouchda. Son forts inutiles pour l'enfoncer. Après une
influence religieuse rallia bientôt autour lutte acharnée, l'ennemi fut repoussé
de lui une sorte d'armée, composée en et vigoureusement poursuivi. Cette af-
ALGÉRIE, 327

faire glorieuse pour nos armes eut lieu général avait fait savoir aux autorités
le 30 mai; elle imprima aux Marocains marocaines qu'il ne respecterait pas plus
une si grande terreur, que jamais dans leur territoire qu'elles n'avaient respecté
les combats livrés postérieurement ils le nôtre , et qui!
y poursuivrait Abd-
n'osèrent aborder nos troupes de si el-Kader et les tribus algériennes révol-
er
près et s'exposer à leurs coups. tées. En effet, le 1 juillet il, se porta
Dans les premiers jours du mois de sur l'Oued-lsIy, et il eut, deux jours
juin le maréchal Bugeaud arriva sur après, un engagement peu important avec
la frontière pour prendre la direction les troupes du Maroc. L'armée française
i des opérations militaires. Il voulut d'a- remonta le cours de l'Isly pour chercher
bord recourir aux négociations, afin Abd-el-Kader et les tribus émigrées.
d'éviter la guerre avec le Maroc si c'é-
, Les 11 et 13 juillet quelques centaines
tait possible. Le kaïd d'Ouchda con- de cavaliers seulement vinrent nous
!
sentit à une conférence, et se rendit le 15 attaquer, et le 19 on regagna le camp de
j
juin sur les bords de la Molouïa où il , Lella-Maghnia.
; rencontra le général Bedeau. Le chef Cependant tous les rapports annon-
marocain s'était fait accompagner de çant que des contingents nombreux ve-
plus de trois mille hommes; le général naient grossir incessamment l'armée
1
français n'avait pris pour toute escorte marocaine, et qu'un des (ils de l'empe-
i que quatre bataillons. Dès l'ouverture de reur avait été envoyé pour la comman-
j
l'entrevue, le général Bedeau pressen- der; le maréchal Bugeaud concentra les
tit qu'elle ne pourrait pas avoir d'issue. forces dont il pouvait disposer, et qui
I
Les troupes marocaines poussaient des avaient été accrues par l'arrivée de plu-
clameurs sauvages et des cris de malé- sieurs régiments envoyés de France. Il
diction contre les chrétiens ; elles tiraient apprit bientôt que l'escadre française
même des coups de fusil contre l'escorte qui croisait devant Tanger, sous les
du général. Le kaïd d'Ouchda essaya d'a- ordres du prince de Joinville, avait dé-
bord de ramener l'ordre parmi ses gens, mantelé les fortifications de cette ville.
et linit par déclarer que son maître de- Le rassemblement marocain, établi à une
mandait que les frontières entre les deux très-faible distancede notre camp, comp-
États fussent reportés à la Tafna, et que tait déjà plus de quarante mille combat-
; si nous n'acceptions pas ces conditions, tants. Différer plus longtemps, c'était
nous pouvions considérer la guerre voir diminuer chaque jour les chances
comme dénoncée. Ces paroles rompi- de succès. Aussi le gouverneur générai
rent la conférence; le général Bedeau n'hésita pas à prendre l'initiative. Le 13
se retira. Comme il était en marche, son août, à trois heures après midi, nos
arrière-garde fut assaillie par les Maro- troupes se mirent en mouvement, en
cains. Prévenu de ces circonstances simulant un grand fourrage; le 14, à
le gouverneur général accourut, prit deux heures du matin, elles se remirent
l'offensive, et mit en fuite les forces de en marche. A huit heures on aperçut
l'ennemi , qui laissa environ trois cents tous les camps marocains sur la rîve
hommes sur le terrain. droite de l'Isiy; l'ennemi tenta de nous
Après de nouveaux efforts pour arri- disputer le passage de la rivière; il fut
ver à un arrangement, le maréchal repoussé par les tirailleurs d'infanterie.
Bugeaud marcha sur Ouchda, et y entra A peine notre armée avait pris son or-
sans coup férir. La ville fut respectée ; et dre de combat sur la rive opposée,
comme la difficulté des approvisionne- qu'elle fut assaillie sur les deux flancs
ments recommandait de se rapprocher et sur ses derrières par des masses con-
de la mer l'armée rentra sur le terri-
, sidérables de cavalerie. Mais partout
toire algérien. Le 26 juin elle se porta l'attaque échoua contre la solidité de no-
sur le petit port de Djema-Ghazaouat ; tre infanterie; bientôt notre artillerie
on établit un camp sur ce point , et on mit le désordre dans ces bandes confu-
s'occupa d'y former les magasins et les ses, qui se retirèrent devant nous. La co-
hôpitaux, pour le cas où les hostilités lonne française voyant l'effort de l'en-
avec le Maroc deviendraient plus sérieu- nemi brisé" sur ses flancs, continua sa
ses et se prolongeraient. Le gouverneur marche en avant, et, après une légère ré-
328 L'UNIVERS.

sistance, enleva butte où le fils de l'em-


la terné et ne songea plus qu'à presser la
pereur dès le commence-
s'était établi conclusion de la paix. L'intervention
ment du combat. Alors le maréchal se officieuse de M. Drummond-Hay, agent
dirigea contre les camps. Notre brave ca- diplomatique de l'Angleterre au Maroc,
valerie accomplit cet exploit une charge
;
avait déjà contribué à convaincre les
vigoureuse la fit précipiter jusque sur Marocains qu'ils n'avaient aucun secours
la batterie qui défendait les tentes du à attendre des puissances européennes.
fils de l'empereur. Les canonniers furent Les populations des villes désiraient vive-
sabrés sur leurs pièces, et un immense ment la fin de la guerre, dans la crainte de
butin tomba en notre pouvoir. Les Ma- voir le gouvernement, affaibli dans sa
rocains, vivement poursuivis, se disper- luttecontrelaFrance,devenir impuissant
sèrent dans toutes les directions, et nous à réprimer les excès des tribus insoumi-
restâmes maîtres du champ de bataille. ses et dont l'état d'hostilité faciliterait
Pendant que l'armée de terre se cou- les actes de brigandage. Les pourpar-
vrait de gloire sur les bords de l'ïsly, lers entre les plénipotentiaires français
notre escadre ne demeurait pas inac- et ledélégué de l'empereur furent assez
tive. Le prince de Joinville, chargé des longs; on signa le traité à Tanger
opérations maritimes contre le Maroc, le 10 septembre 1844 (1). Abd-el-Kader
ayant en vain attendu une réponse satis-
faisante aux justes réclamations de la (x) Traité de Tanger.
France au sujet d'Abd-el-Kader et du Art. i
er
Les troupes marocaines réunies
.

retrait des troupes rassemblées à Ouchda, extraordinairement sur la frontière des deux
avait détruit les fortifications de Tan- empires ou dans le voisinage de ladite fron-
,

ger le 6 août. Ce premier fait d'armes tière, seront licenciées.


n'ayant pas suffi pour amener les Maro- S. M. J'empereur de Maroc s'engage à
cains à composition, l'escadre se porta empêcher désormais tout rassemblement de
devant Mogador le 11 août. Cette ville cette nature; il restera habituellement, sous
le commandement du kaïd d'Ouchda, un corps
était en quelque sorte la fortune parti-
culière de l'empereur du Maroc; il est dont la force ne pourra excéder habituelle-
propriétaire de la presque totalité des
ment deux mille hommes ; ce nombre pourra
toutefois être augmenté si des circonstances
terrains et des maisons, qu'il loue à ses
extraordinaires et reconnues telles par les deux
sujets ; c'était en outre la source princi-
gouvernements les rendaient nécessaires dans
pale des revenus du trésor public, à
l'intérêt commun.
cause des droits de douanes acquittés Un châtiment exemplaire sera in-
Art. 2.
par le commerce. Le mauvais temps fit fligéaux chefs marocains qui ont dirigé ou
retarder l'attaque jusqu'au 15; nos vais- toléré les actes d'agression commis en temps
seaux eurent facilement raison des batte- de paix sur le territoire de l'Algérie, contre
ries de la place, et une colonne de débar- lestroupes de S. M. l'empereur des Français, ;

quement de cinq cents hommes s'em- Le gouvernement marocain fera connaître au


para de l'île qui commandait le port. gouvernement français les mesures qui au-
Le lendemain Mogador fut occupé sans ront été prises pour l'exécution de la pré-
obstacle; les forts et la ville avaient été sente clause.
évacués; nos troupes enclouèrent les Art. 3. S. M. l'empereur de Maroc s'en-
pièces de canon, démolirent les em- gage de nouveau de la manière la plus for-
,

brasures noyèrent les poudres, et rap- melle et la plus absolue à ne donner ni per-
,
,

portèrent comme trophées trois drapeaux mettre qu'il soit donné dans ses États, ni as-
et dix canons en bronze. Après cette sistance, ni secours, ni armes, munitions ou
objets quelconques de guerre à aucun sujet re-
expédition les Français rentrèrent dans
belle ou à auffun ennemi de la France.
File, qu'on devait occuper jusqu'à la con-
Art. 4. Hadj Abd-el-Kader est mis hors la
clusion de la paix. Des bandes de Kabi-
loi dans toute l'étendue de l'empire du Ma-
les, accourues des montagnes environ-
roc, aussi bien qu'en Algérie.
nantes envahirent la ville, et y mirent
,
Il sera, en conséquence, poursuivi à main j

le feu après l'avoir pillée.


armée par les Français sur le territoire de l'Ai- j

En apprenant coup sur coup les évé- gérie et par les Marocains sur leur territoire,
nements de Tanger, de Mogador et de jusqu'à ce qu'il soit expulsé ou tombeau pou-
l'ïsly , l'empereur du Maroc fut cons- voir de l'une ou de l'autre nation.
ALGERIE. 329

fut immédiatement sommé par les au- Abd - er - Rahman une lettre pleine de.
torités marocaines d'évacuer le terri- témoignages de respect et de soumis-
toire de l'empire. Il répondit à Mouley sion, s'excusa de ne pouvoir obéir à
ses ordres à cause des maladies qui ré-
Dans où Abd-el-Kader tomberait au.
le cas gnaient parmi ses compagnons; mais
pouvoir des troupes françaises, le gouverne- il réunit les sept ou huit cents hommes
ment de S. M. s'engage à le traiter avec égard armés qui composaient ses troupes, et
et générosité. Dans le cas où Abd-el-Kader
resta campé sur la rive gauche de la
tomberait au pouvoir des troupes marocaines,
Molouïa, à cent kilomètres de notre
S. M. l'empereur de Maroc s'engagea l'enfer-
frontière.
mer dans une des villes du littoral ouest de
l'empire, jusqu'à ce que les deux gouverne-
Derniers événements de 1844.
ments adoptent, de concert, les mesures in- L'issue favorable de la campagne contre
dispensables pour qu' Abd-el-Kader ne puisse, le Maroc exerça la plus salutaire in-

en aucun cas, reprendre les armes et trou- fluence sur la* tranquillité de toute
bler de nouveau la tranquillité de l'Algérie et Les troupes de Mascara firent
l'Algérie.
du Maroc. une démonstration dans le sud pour
Art. 5. La délimitation des frontières entre rassurer les tribus qui redoutaient la
les possessions de S. M. l'empereur
des Fran- réapparition d'Abd-el-Kader dans leur
çais et celles du Maroc reste fixée et conve- pays. La colonne de Sidi-bel-Abbès châ-
nue conformément à l'état reconnu par le tia les Ouled Ali-ben-Hamel qui avaient
gouvernement marocain à l'époque de la do- commis quelques désordres. Dans la
mination des Turcs en Algérie. L'exécution province d'Alger, les montagnes du
complète et régulière de la présente clause
Djurdjura attiraient encore l'attention
sera l'objet d'une convention spéciale, né-
du gouverneur général. Ben Salem et
gociée et conclue sur les lieux entre les pléni-
quelques partisans fanatiques de l'émir y
potentiaires délégués à cet effet par l'empe-
entretenaient l'agitation par leurs me-
reur des Français et un délégué du gouver-
nées. Un détachement trop faible sortit
nement marocain. S. M. l'empereur duMaroc
s'engage à prendre sans délai , dans ce but, de Dellis le 17 octobre pour reconnaître
les mesures convenables et à en informer le les dispositions des tribus ; les troupes
gouvernement français. mal dirigées, furent engagées impru-
Art, 6. Aussitôt après la signature des pré- demment contre un ennemi dix fois
sentes conventions les hostilités cesseront de plus nombreux; elles éprouvèrent des
part et d'autre; dès que les stipulations com- pertes assez fortes. Le maréchal Bu-
prises dans les articles i, 2, 4. et 5 auront geaud se hâta d'accourir à la tête d'un
été exécutées à la satisfaction du gouverne- renfort; il atteignit les Kabiles le 28 oc-
ment français , les troupes françaises évacue- tobre, et les mit en fuite après leur avoir
ront l'île de Mogador, ainsi que la ville
tué plus de cent cinquante hommes. A
d'Ouclida, et tous lesprisonniers faits de part la suite de ce combat vigoureux les tri-
et d'autre seront mis immédiatement à la
bus révoltées rentrèrent dans le devoir.-
disposition de leur nation respective.
Ce fut le dernier fait de guerre de l'an-
Art. 7. Les hautes parties contractantes
née. Le 16 novembre, le maréchal Bu-
s'engagent à procéder, de bon accord et le
plus promptement possible, à la conclusion
geaud partit pour la France, et laissa le
d'un nouveau traité qui, basé sur les traités
gouvernement par intérim de l'Algérie
actuellement en vigueur, aura pour but de les au général de Lamoiïcière après quatre
;

consolider et de les compléter, dans l'inté- années de séjour en Afrique, le vain-


rêt des relations commerciales et politiques queur de l'isly reçut en France les plus
des deux empires. éclatants témoignages d'estime et d'ad-
En attendant, les anciens traités seront miration pour les grands services qu'il
scrupuleusement respectés, etla France jouira, venait de rendre au pays.
en toute chose et en toute occasion, du trai- Administration en 1844. Des —
tement de la nation la plus favorisée. efforts nombreux furent faits pour or-
Art. 8. La présente convention sera rati- ganiser le gouvernement des indigènes ;
fiée et les ratifications en seront échangées du er
.
un arrêté ministériel 1 février
dans un délai de deux mois ou plus tôt si ,
donna une consécration déûnitive à l'im-
faire se peut.
portant service des affaires arabes. On
Cejourd'hui, 10 septembre 1844. institua un bureau arabe dans chaque
330 L'UNIVERS.

poste occupé par nos troupes , en le tionnaient pas encore; l'expropriation et


plaçant sous la dépendance directe du l'occupation temporaire pour cause d'u-
commandant supérieurde lalocalité. Des tilité publique. Enfin il accordait le droit

circulaires du gouverneur général ré- à l'État de rentrer en possession des


glèrent les points principaux de l'ad- terres qu'il avait concédées et qui étaient
ministration des tribus pour la nomi- restées sans culture; un impôt de cinq
nation des chefs, le droit de frapper des francs par hectare frappait les proprié-
amendes, les travaux d'utilité publique, taires des terres incultes. Cette ordon-
la responsabilité pour les crimes dont nance, qui n'était qu'une tentative pour
les auteurs restaient inconnus. Le do- mettre lin à l'agiotage scandaleux des
maine de l'État fut partout recherché propriétés rurales et pour permettre au
avec soin, et on réunit de très-nombreux gouvernement de disposer de vastes es-
renseignements statistiques sur la po- paces afin d'y établir des colons, souleva
pulation et sur les ressources de toute cependant des réclamations nombreuses
espèce du pays. Cette année marqua un parmi les propriétaires algériens. On
progrès des plus utiles accompli par trouva les mesures contre les détenteurs
l'armée; elle se dévoua aux soins mul- des terres incuites trop rigoureuses, et
tipliés du gouvernement des Arabes avec l'administration dut apporter des tempé-
la même ardeur et la même intelligence raments à l'exécution de ces dispositions.
qu'elle avait apportées à faire la guerre Mouvements des populations in-
pendant les années précédentes. Nous digènes en 1845. — La victoire nous
avons déjà eu l'occasion d'indiquer avait rendu maîtres de l'Algérie; mais
que ce mouvement organisateur naquit les efforts que nous faisions pour orga-
d'abord dans la province de Constan- niser l'administration du pays n'avaient
tine, sous l'inspiration et la direction pas encore produit tous les résultats
du duc d'Aumale; les deux autres pro- que nous pouvions en attendre dans les
vinces ne tardèrent pas à entrer dans provinces d'Alger et d'Oran. Du fond de
la même voie, dès que l'affermissement sa retraite, dans le Maroc, Abd-el-Ka-
de la tranquillité permit de ne plus re- der envoyait des émissaires pour prêcher
garder la guerre comme notre intérêt la révolte ; il faisait circuler des lettres

principal. nombreuses dans lesquelles il annonçait


Un du 6 mai régla
arrêté ministériel aux tribus que l'empereur du Maroc «le-
l'exercice de profession de courtier
la vait bientôt se joindre à lui pour nous at-
de commerce; par un arrêté du 8 juin taquer par le sud et par l'ouest. Ces sour-
suivant , le ministre de la guerre orga- des menées portèrent un coup funeste
nisa pour l'Algérie un service télégraphi- à la tranquillité du pays. Le 30 janvier
que, dont le personnel fut emprunté au au matin, une bande de fanatiques, exci-
service de France. Une ordonnance tée par les prédications d'un marabout
royale du 21 décembre établit un droit des Ouled Brahim, se présenta sans ap-
d'octroi municipal à percevoir aux portes parence hostile devant le poste de Sidi-
de mer, afin d'augmenter les ressources bel-Abbès dans la province d'Oran. In-
locales, tant pour les villes du littoral troduits dans le camp, ils tirèrent tout
que pour celles de l'intérieur. Mais l'acte à coup des armes de dessous leurs bur-
le plus important fut sans contredit l'or- nous et se précipitèrent sur nos soldats.
donnance royale du 1 er octobre sur Des ordres énergiques et promptement
la- constitution de la propriété en Algé- exécutés firent aussitôt courir aux ar-
rie. Ce document traitait des acquisitions mes; et en quelques instants les cin-
d'immeubles faites devant les kadhis quante-huit fanatiques qui avaient péné-
musulmans, et indiquait les formalités tré dans le poste furent tous massacrés.
pour établir droit de possession, l'État
le Dans le premier mouvement de surprise
se réservant la propriété des immeubles nous eûmes six hommes tués et vingt-six
sur lesquels personne n'aurait fait acte blessés.Ce châtiment ne suffit pas ce-
public de possession. Il réglait le rachat pendant pour détruire l'effet des intri-
des rentes; les prohibitions d'acquérir gues d'Abd-el-Kader. La fermentation
ou de former des établissements dans les devint bientôt générale. La tribu des Bé-
territoires où les autorités civiles ne fonc- ni Amer nous abandonna la première;
ALGÉRIE. 331

et il fallut adopter des mesures de surveil- tique. Pour un grand nombre d'Arabes,
lance et de répression très-rigoureuses le rôle d'Abd-el-Kader était fini ; la for-
pour arrêter la défection d'un grand tune avait prononcé contre lui; il avait
nombre de tribus qui voulaient émigrer été vaincu et depuis longtemps aucun
,

afin de se joindre à Abd-el-Kader dans le succès n'avait relevé le prestige de son


Maroc. Cette situation nécessita l'établis- nom. Tandis que Bou-Maza venait de
sement d'un nouveau poste à Daïa à , tenir en échec les forces françaises; il
soixante-huit kilomètres au sud de Sidi- instituait un gouvernement nouveau,
i
bel-Abbès, dans le but de défendre cette nommait des fonctionnaires, percevait
partie du Tell contre une irruption subite des impôts, et donnait du butin à parta-
des tribus du sud qui suivaient la for- ger aux cavaliers qui prenaient part à ses
Itune de l'émir. expéditions. Pour bien comprendre le
|
L'insurrection, un moment comprimée caractère de cette insurrection et les cir-
jdans l'ouest, s'étendit vers l'est, et fit constances qui aidèrent à l'élévation de
I
explosion dans les montagnes du Dahra, Bou-Maza, il est indispensable de con-
où habitait une population turbulente, sulter un livre très-intéressant écrit sur
qui n'avait jamais obéi à aucun pouvoir ces matières par le chef du bureau
régulier. Les nombreux éléments de dé- arabe d'Orléansville (1).
sordre qui existaient dans cette contrée Le maréchal Bugeaud était de retour
furent organisés par un homme, jeune à Alger depuis le 27 mars. 11 fit d'abord
encore, qui s'annonçait comme issu de une excursion dans l'ouest pour s'assu-
la famille impériale du Maroc et envoyé rer de la situation des choses. Revenu à
de Dieu pour expulser les chrétiens de Alger le 6 avril, il s'occupa des prépara-
l'Algérie. Le chef de l'insurrection prit tifs d'une grande expédition pour faire
le nom de Mohammed ben Abd- Allah, rentrer dans le devoir les tribus de l'Ouar-
afin de s'attribuer le bénéfice des pro- senis. Il laissa le soin aux colonnes de
phéties qui avaient prédit depuis long- Cherchel , de Tenès et d'Orléansville de
temps qu'un homme de ce nom mettrait réduire le Dahra, et pénétra le 5 mai dans
fin aux malheurs de l'islamisme; mais le pays insurgé avec des forces impo-
les populations le désignèrent plus ha- santes. Le duc de Montpensiër comman-
bituellement par le sobriquet de Bou- dait l'artillerie du corps expéditionnaire.
Maza {le père de la chèvre). En peu de Les montagnards avaient été trop rude-
jours l'agitation gagna toutes les tribus ment châtiés dans les luttes précédentes
comprises dans les subdivisions d'Or- pour accepter encore le combat contre
léansviile et de Mostaganem. Plusieurs nos troupes; la plupart avaient évacué
de nos kaïds furent décapités et les biens leur territoire ; ils furent cependant ame-
!de nos partisans pillés. Le 18 et le 23 nés à capituler, et on procéda à leur dé-
(avril des détachements français peu nom- sarmement, opération dure pour leur
breux soutinrent unelutteinégale contre orgueil, d'une exécution difficile, mais
les insurgés entre Tenès et Orléansville, qui devait produire de bons résultats et
jet essuyèrent des pertes sensibles. Bien- qui fut poursuivie avec fermeté et persé-
tôt Bou-Maza pénétra dans l'Ouarsenis, vérance.
let alluma partout la rébellion. En même Pendant que ces événements se pas-
temps un mouvement éclata parmi les saient dans l'Ouarsenis, la colonne d'Or-
populations qui habitaient entre Ja Mina léansville remportadeux avantages signa-
et le Chélif. lés sur les révoltés du Dahra. Les troupes
Quoique Abd-el-Kader continuâtà inon- de la subdivision de Mostaganem contri-
der le pays de ses lettres et de ses agents, buèrent aussi à la dispersion des parti-
l'insurrection était plutôt déterminée par sans de Bou-Maza. Le 11 juin notre
lessuccès de Bou-Maza, qui travaillait à khalifa de l'est de la province d'Oran
sa grandeur personnelle. On pouvait pré- battit complètement les insurgés sans le
voir que l'émir ne tarderait pas à profiter concours des forces françaises, et mas-
de cette levée de boucliers partielle pour
tenter un mouvement plus général. (i) Elude sur l'insurrection du Dahra (i8^5-
Mais le premier caractère de cette révolte 1846) par M. Richard, capitaine du génie,
ji'ut beaucoup plus religieux que poli- chef du bureau arabe d'Orléansville.
332
L'UNIVERS.
d'en expulser nos ennemis, et
difficiles,
sacra une grande partie de leur infante-
de forcer les tribus à se ranger sous
rie. Après cet échec, Bou-Maza
n'osa
notre domination.
plus tenir la campagne, et disparut pour
Les troupes partirent de Batna le
un instant. La fin de ses opérations fut er
malheureusement signalée par un fait 1 mai en se dirigeant vers l'est; dès
extrêmement regrettable. La colonne de qu'on atteignit les premiers contre-forts
Mostaganem en poursuivant les popula- des montagnes les habiles se présentè-
,

rent en très-grand nombre pour nous


tions rebelles au milieu d'un pays diffi-
cile les força à chercher un refuge dans
combattre; ils ne purent résister à l'é-
une grotte profonde. On les somma vai- lan de nos soldats, et quelques engage-
nement de se rendre, en leur promettant ments heureux suffirent pour les disper-
sauve. Elles repoussèrent toutes ser. Le général Bedeau obtint plusieurs
la vie
nos propositions. Alors, pour les obliger soumissions, et parvint le 4 à Médina,
point central de ces montagnes où il
à quitter leur retraite, on jeta des fasci-
,

établit un dépôt d'approvisionnements


nes enflammées à l'entrée de la grotte ;
mais soit que des fanatiques persistas- pour le ravitaillement des colonnes qui
sent à ne vouloir accepter aucun arran- devaient opérer dans toutes les direc-
gement, soit que le bruit même de l'in- tions. De là inclinant un peu au sud il
, ,

cendie empêchât d'entendre les voix qui pénétra chez les Ouled Abdi, qui, cédant
'

demandaient grâce, huit cents indivi- aux conseils fanatiques de quelques ma-
dus furent étouffés et brûlés. Ce châti- rabouts, avaient pris les armes. On les
ment terrible, désavoué par nos mœurs, rencontra par une marche rapide auprès l

et qui n'avait pas été calculé par le chef du village d'Aïdoussa; après deux heures •

des troupes françaises , frappa d'épou- de combat, et après avoir vu incendier !

vante toutes les tribus , et mit fin à la leurs habitations, les Ouled Abdi arrivè-
résistance du Dahra. Bou-Maza, traqué rent à composition. Les autres tribus,;
, cessèrent toute résistance , et
:

de retraite en retraite, réduit à se cacher, effravées


était dans l'impuissance de rien entre- consentirent à accepter des chefs nom-
prendre de sérieux. més par nous et à payer l'impôtde guerre. ;

Expédition dans l'Aurès. Le — La chaîne entière de l'Aurès fut par-


mouvement insurrectionnel -dont nous courue dans tous les sens; le khalifa
venons de retracer les principales pha- d'Abd-el-Kader et l'ancien bey de Cons-;
ses dans les provinces d'Alger et d'Oran tantine durent quitter leur retraite. Le
n'avait eu aucun retentissement dans la premier se retira dans l'oasis de Souf, et
province de Constantine. Après le départ se mit ainsi dans l'impuissance de rien
du duc d'Aumale, le commandement entreprendre contre les populations sou-
avait étéconfié au général Bedeau, promu mises à notre autorité. Le 21 juin le gé-
au grade de lieutenant général, en ré- néral Bedeau rentra à Batna; moins de
compense des services éminents qu'il deux mois avaient suffi pour dompte*
avait rendus sur la frontière du Maroc. ces populations guerrières , contre les-
La province était dans une situation fa- quelles les conquérants arabes avaient
vorable. Cependant les tribus de l'Aurès, échoué et que les Turcs eux-mêmes n'a-

qui n'avaient pas encore été visitées par vaient jamais tenté de soumettre com-;
nos troupes, se montraient hostiles à plétement. Cette expédition eut un ré-
notre établissement à Batna. Quelques sultat très-important pour nos rapports
expéditions rapides opérées avec discer- avec le Sahara ; la route de Batna à Bis-
nement avaient atteint les populations kara devint parfaitement libre et sûre,
les plus rapprochées et les avaient ame- Expédition des Kessours (1).

nées à reconnaître notre autorité; mais
la majeure partie des tribus, excitées
(i) On donne ce nom, dans la région di
par la présence d'Ahmed-Bey et du kha- Sahara, à une agglomération de cabanes, en
lifa de l'émir, chassé de Biskara refu-
,
vironnée d'un mur d'enceinte et de quelque
saient obstinément d'entrer en relation petits forts détachés qui la rendent susceplibli
avec nous. Cet exemple d'insoumission d'une certaine défense. Les constructions son
était dangereux : le général Bedeau faites en pierres sèches ou en briques cuites ai
résolut de pénétrer dans ces montagnes soleil ; les terrasses sont formées avec de 1
ALGÉRIE.', 333
'

Les premiers troubles qui avaient éclaté ses que cette situation pouvait amener,
dans la partie occidentale de la province le gouverneur général partit d'Alger le
d'Oran avaient été assez facilement ré- 23 juillet, et en peu de jours il rétablit la
primés. Mais les populations éloignées tranquillité, et força les agents de désor-
des points occupés par nos troupes dre à se retirer dans les parties les plus
étaient sans cesse en butte aux menées reculées du Djurdjura. Quelque temps
d'Al?d-el-Kader. Ses efforts persévérants après, toute cause de dangers paraissant
parvinrent à fomenter de grandes agita- conjurée , le maréchal Bugeaud se rendit
tions dans les tribus au sud de Mascara, de nouveau en France, et appela le gé-
limitrophes à l'empire de Maroc. Le néral de Lamoricière au gouvernement
gouverneur général reconnut la néces- général par intérim.
sité de faire une démonstration énergi- Traité de délimitation avec le
que dans ces contrées et d'y inaugurer Maroc. —
L'article 5 du traité du
notre domination. A cet effet une co- 10 septembre 1844 avait stipulé qu'une
lonne de deux mille hommes partit de convention spéciale négociée et conclue
Mascara le 14 avril, et se dirigea vers sur les lieux déterminerait la délimita-
les villages du désert (Kessour), où les tion des frontières entre les posses-
tribus nomades déposent leurs grains et sions algériennes et le Maroc. Au mois
leurs approvisionnements. Le 24, après de janvier 1845 le gouvernement fran-
avoir parcouru deux cent soixante- çais nomma pour son plénipotentiaire le
huit kilomètres, nos troupes atteignirent général de la Rue, qui avait rempli déjà
Stitten. Le village était abandonné; une mission diplomatique au Maroc. Les
mais un envoyé se présenta bientôt au négociations,habilement conduites, abou-
nom des habitants, et annonça qu'ils tirent à la conclusion d'un traité qui fut
étaient disposés à rentrer. En effet, le signé sur la frontière le 18 mars. Ainsi
lendemain ils firent leur soumission. Le que l'avait indiqué le traité du 10 sep-
27 avril la colonne arriva à Rassoul, tembre, les limites furent maintenues
situé à quarante-huit kilomètres de Stit- telles qu'elles existaient autrefois lors-
ten; le 30 en vue de Brezina ,
elle fut que la Régence d'Alger était au pouvoir
à soixante kilomètres plus au sud que des Turcs. On énuméra avec beaucoup
Rassoul. Ce village est situé au milieu de détail les cours d'eaux les sommets
,

d'une fraîche oasis entourée de tous cô- de montagnes et les accidents de terrain
tés de sables arides. La présence d'une qui marquaient la frontière. Mais cette
troupe française à une aussi grande précision ne put s'appliquer qu'au Tell.
distance du "littoral produisit une im- Pour le territoire dénudé et uniforme
pression très-vive sur l'esprit des indi- d'aspect du Sahara on ne donna que des
gènes ; ils purent dès lors se convaincre indications vagues le partage même des
;

que les retraites les plus éloignées ne populations nomades qui fréquentent
mettraient pas nos ennemis à l'abri de ces parages se fit d'une manière peu
notre vengeance. mûre. En effet deux confédérations de
,

Troubles dans le cercle de Del- tribus très- puissantes, les Ouled Sidi-
lis. —
L'insurrection de Bou-Maza dans Cheikh et les Ahmian furent divisées
,

la subdivision d'Orléansville et dans chacune en deux fractions, dont l'une


l'Ouarsenis avait eu un grand retentis- fut assignée au Maroc et l'autre à l'Al-
sement jusque dans la Kabilie, à l'ouest gérie: Le maintien de l'état des cho-
et au sud de Dellis. Ben Salem et les ses antérieur à la conquête française
partisans d'Abd-el-Kader avaient cher- nous aurait autorisé à revendiquer la
ché à exciter aussi une révolte parmi les totalité de ces populations et on doit
,

tribus soumises : ils ne purent produire d'autant plus regretter que nos droits
qu'une agitation partielle. Cependant aient été abandonnés sur ce point, que
pour prévenir les conséquences fâcheu- la division opérée a amené de fréquents
conflits d'autorité et des difficultés très-
terre glaise , on ne blanchit pas ces construc- graves pour l'administration de ces no-
tions, de sorte que le Kessour entier a une mades. L'article 7 du traité consacra le
teinte uniforme, qui se confond avec celle des droit d'asile réciproque pour les deux
terres environnantes. territoires. Cette convention et les rela-
,,

L'UNIVERS.

tions amicales qui en furent consé-


la primer quelques désordres, fut attaquée
quence permirent d'employer la plus pendant plusieurs jours avec un grand
grande partie des troupes disponibles acharnement, et elle fit des pertes sen-
pour la répression des troubles inté- sibles sans pourtant essuyer d'échec.
,

rieurs. Vers la fin de l'année l'empe- Dans la subdivision deTlemsen le voi-


,

reur du Maroc envoya un ambassadeur sinage d'Abd-el-Kader rendit la situa-


extraordinaire à Paris pour témoigner tion plus grave. Le général Cavaignac,
de ses bonnes dispositions et pour offrir qui s'était porté avec dix-sept cents hom-
des présents au roi. Un instant on put mes sur le territoire difficile desTrara,
croire que le Maroc, à l'exemple 'de soutint deux combats très-vifs ; quelques
l'Egypte, de Tunis et de Tripoli, allait jours après, un détachement de deux
tenter quelques efforts pour s'assimiler cents hommes envoyés deTlemsen, pour
la civilisation européenne; mais l'empire renforcer la garnison du poste d'Aïn-
du fanatisme religieux et des traditions Temouchen sur la route d'Oran, fut ren-
nationales fut le plus fort. L'ambassade contré par un fort parti de cavalerie
de 1845 ne produisit aucun résultat sous les ordres de Bou-Hamedi Les Ara-
.

pour la régénération du Maroc. bes entourèrent nos soldats en se pré-


RÉAPPARITION d'AbD EL-KADER. sentant comme des amis, et leurs arra-
— A plusieurs reprises Abd-el-Kader chèrent ensuite leurs armes, avant qu'ils
avait été sommé par les autorités maro- eussent pu s'en servir.
caines de tenir sa promesse et de se reti- Le 21 septembre Ielieutenant-colpnel
rer dans lesudfL'émir avait continuelle- de Montagnac, commandant supérieur
ment répondu évasivement, et avait mis du poste de Djema-Ghazaouat cédant ,

tous les délais à profit pour grossir le aux instances des chefs des tribus voi-
nombre de ses partisans. Moins d'une sines, qui se disaient menacés par l'émir,
année après la bataille d'Isly il comp- sortit à la tête de quatre cent cinquante
tait à sa déira (1) plus de six mille ten- hommes, et se porta au marabout de
tes ,
pouvant mettre au moins deux Sidi-Brahim , à douze kilomètres de
mille hommes à cheval. Il était parvenu Djema-Ghazaouat et à six kilomètres à
à réorganiser à peu près huit cents fan- l'ouest de Nédroma. Le 22 septembre
tassins réguliers et autant de cavaliers. toujours attiré par les sollicitations des
Les populations marocaines l'entou- Arabes, il poussa unereconnaissance jus-

raient de sympathies si vives , que les qu'au lieu appelé Dar-el-Foul, à quatre
agents de l'empereur avaient dû renon- kilomètres plus loin, laissant le gros de
cer au projet de le chasser du Tell. Il sa troupe à Sidi-Brahim. Il était suivi
recevait des secours et des subsides de sur ses flancs par des groupes de cava-
tous les points de l'empire ; ses émis- liers arabes dont le nombre augmentait à
saires parcouraient sans cesse l'Algérie, mesure qu'il avançait ; bientôt le déta-
et au moyen des ramifications nombreu- chement fut entièrement enveloppé et
ses qui existent dans les tribus parmi les assailli avec fureur. Soixante cavaliers
membres des confréries religieuses, il du deuxième hussards, commandés par
entretenait le fanatisme. Bientôt on ap- le chef d'escadron Courby de Cognord
prit la présence de la déira sur la basse firent de vains efforts pour repousser les
Molouïa, et on commença à s'entretenir Arabes l'infanterie, accourue pour ap-
;

des projets d'invasion d'Abd-el-Kader puyer l'attaque tomba sous les coups
,

en Algérie, soit par le sud, soit même de l'ennemi, cent fois supérieur en nom-
directement par le Tell. bre le colonel Montagnac fut lui-même
;

Une levée généraiede boucliers eut lieu frappé mortellement. Tous les officiers
au mois de septembre dans la province furent tués ou pris après des blessures
d'Oran. La colonne de Mostaganem en- qui les mettaient hors de combat. Cent
gagée dans le pays des Flitta, pour ré- soixante hommes détachés de Sidi-Bra-
him pour secourir le commandant supé-
(i)Nous avons déjà dit que le mot Déira a rieur eurent le même sort que les pre-
une signification identique à celle du mot miers. M. de Cognord, resté avec
Zmala il désigne les personnes qui suivent
;
soixante hommes, fantassins et cavaliers,
la fortune d'un chef et campent autour de lui. sur une petite éminence , se défendit
ALGÉRIE; 335

pendant une heure et demie contre les pays était désolant ; Vincendie avait par-
charges de trois milles cavaliers arabes tout exercé ses ravages ; toutes les popu-
conduits par Abd-el-Rader lui-même ; lations avaient été enlevées par l'ennemi
mais les munitions venant à manquer, et s'étaient dirigées vers la déira dans le
l'ennemi resserra dans un cercle plus Maroc. Le général Cavaignac étaitàBab-
étroit nos braves soldats, et les fusilla Taza , avec dix-huit cents baïonnettes,
sans qu'ils pussent disputer leur vie. Le pour tâcher d'arrêter ces émigrations ;
commandant de Cognord, ayant été lui- malgré un brillant combat livré aux fu-
même renversé par trois coups de feu, gitifs, ilspassèrent en grand nombre la
les Arabes se précipitèrent et enlevèrent frontière. Le 8 octobre le général de La-
la position. Quatre-vingts hommes moricière se joignit à la colonne de Tlem-
avaient été laissés à Sidi-Brahim ; ils se sen avec cinq mille cinq cents hommes.
retranchèrent dans le marabout, et ne Les troupes étaient impatientes d'en ve-
tardèrent pas à être attaqués à leur nir aux mains pour venger les victimes du
tour après la destruction des deux pre- guet-apens de Sidi-Brahim la fortune
;

mières troupes. Pendant quarante-huit ne seconda pas leur bouillant courage:


heures cette poignée de braves se main- Abd-el-Kader ne voulut pas accepter le
tint dans le marabout, et n'eut que sept combat; il nous laissa châtier les mal-
blessés. Mais pressés par la faim et par heureuses populations qu'il avait entraî-
la soif,voyant leurs munitions s'épuiser, nées, et poursuivit sa fuite vers l'ouest.
ils prirent la résolution de se faire jour Les insurgés furent habilement cernés
à travers l'ennemi pour regagner Djema- et réduits à implorer notre clémence.
Ghazaouat. Partis le matin, ils marchè- Malgré l'exaspération des soldats qui
rent pendant une heure sans être enta- venaient de traverser le théâtre encore
més. Ils étaient arrivés en vue des forts sanglant du massacre du 22 septembre,
qui dominent Djema-Ghazaouat ; un le général de Lamoricière eut l'énergie
dernier effort allait les sauver; mais ils de pardonner et d'accepter la soumis-
eurent l'imprudence de rompre les rangs sion de cette population qu'il était en
et de s'arrêter pour boire à une rivière son pouvoir d'anéantir. Il avait d'ail-
qui coupait la route les Arabes, réunis
: leurs hâte de se porter au sud pour ar-
en force, se ruèrent sur eux, et ils furent rêter l'insurrection, qui faisait chaque
tous massacrés, à l'exception de quinze jour des progrès. Le poste de Zebdou
qui purent atteindre la ville en se glis- avait été attaqué, et son commandant
sant à travers les broussailles. avait été assassiné.
Après la journée si funeste du 22 sep- Abd-el-Kader, ayant fomenté la révolte
tembre, Abd-el-Kader avait fait irrup- dans toute la subdivision de Tlemsen,
tion vers l'est ; il passa la ïafna, et par- pénétra dans celle de Mascara en pas-
vint sans rencontrer d'obstacles jusqu'à sant par le sud. Il entra d'abord dans la
quarante-huit kilomètres d'Oran. Déjà Iakoubia, marchant à petites journées,
! même ses agents commençaient à entraî- comme un souverain qui reprend posses-
1 ner les Douairs, jusque aîors si fidèles à sion de ses États ; les tribus saluaient
;
notre cause, lorsque le directeur des af- partout son retour avec transport. Cette
faires arabes de la division d'Oran arrêta rois il ne leur demandait plus de com-
la marche de l'émigration par sa conduite battre pour chasser les Français de
énergique. Dès que ces nouvelles furent l'Algérie: il voulait leur persuader d'émi-
connues à Alger, elles produisirent une grer, de fuir un sol souillé par la pré-
sensation des plus fâcheuses ; le général sence des infidèles, et de venir grossir le
de Lamoricière , dominé par la gravité peuple nouveau qu'il implantait dans le
des circonstances, se sentit insuffisant Maroc. Les Arabes, qui sont tous très-
pour y faire face, et écrivit au maré- attachés à leur pays, refusèrent pour la
chal Bugeaud pour le prier de venir re- plupart de suivre ce conseil, et commen-
prendre le commandement. Cependant cèrent à redouter notre vengeance. Quant
il se hâta de se rendre dans la province au général de Lamoricière, voulant sui*
d'Oran avec des renforts. Le 2 octobre vre les mouvements de l'émir, il quitta
il partit d'Oran pour aller se réunir au le général Cavaignac à Tlemsen, et mar-
généralGavaignacàTlemsen.L'aspectdu cha vers la subdivision de Mascara, où
336 L'UNIVERS.

de graves événements réclamaient sa barqua à Alger le 15 octobre, et en par-


présence. Il arriva sous les murs de cette tit pour diriger une co-
trois jours après
ville le 29 octobre, et entra aussitôt en lonne dans l'Ouarsenis. Le mouvement
opération contre les Béni Chougran,qui d' Abd-el-Kader vers l'est était facile à pré-

s'étaient révoltés. Cette tribu ne put ré- voir. Le gouverneur généralespérait pou-
sister elle rentra dans l'obéissance, et
;
voir l'arrêter en se postant dans ce pays
se soumit à payer une contribution de montagneux, toujours disposé à la rébel-
guerre considérable. Son exemple fut lion. LegénéraldeLamoriciéreavait assez
promptement suivi par les populations de troupes pour s'opposer aux entre-
situées entreMascara et Mostaganem, et prises de l'émir dans la province d'Oran.
la libertédescommunicationsfut rétablie. Le 22 octobre le maréchal quitta Mi-
Cette première tâche achevée, le général liana, se dirigeant vers Teniet-el-Ahd,
de Lamoricière fit rentrer dans le devoir afin de prendre l'Ouarsenis parle sud.
la Iakoubia, et ne cessa de parcourir Par des manœuvres habiles et des mar-
le pays, malgré la rigueur de la saison. ches incessantes , l'insurrection com-
Ce mouvement insurrectionnel parais- mençait à s'apaiser, lorsque Abd-el-Ka-
combiné entre Abd-el-Ka-
sait avoir été der arriva dans ce pâté de montagnes.
der et Bou-Maza les combats chez les
; Il fut accueilli avec enthousiasme, et la

Flitta et le massacre de Sidi Brahim résistance prit un caractère plus acharné.


avaient eu lieu presque en même temps. Toutes les tribus habitant un pays
Bou-Maza, descendu des montagnes, pil- découvert fuirent devant nos colonnes,
lait et soulevait les populations de la et firent le vide autour de nous. L'émir
BasseMina. Battu une première fois lui-même fut atteint le 23 décembre.
le30 septembre dans un brillant combat Après cet échec il tenta de pénétrer dans
de cavalerie, il tenta cependant d'enle* la vallée du Chélif et de porter le théâtre
ver des tribus jusque dans la banlieue de la guerre jusque dans la plaine de la
de Mostaganem le 18 octobre. Cette at- Metidja ; mais la vigilance du gouverneur
taque lui coûta cher, et il fut contraint général, la mobilité des mouvements du
de se réfugier dans le Dahra, où il exer- général de Lamoricière, qui s'était rap-
çait encore une très-grande influence. proché, l'en empêchèrent. Il dut quitter
La rapidité des mouvements de cet agi- le Tell et chercher des forces nouvelles
tateur semblait tenir du prodige chassé : parmi les tribus du sud. Les populations
de Mostaganem, il était le 1 er novembre agricoles, qui l'avaient d'abord reçu avec
sur le Riou ; le 4, chez les Ataf, dans le acclamations, commençaient à se lasser
Chélif; le 11 il attaquait sans succès le des malheurs dont elles étaient frappées.
Vieux-Tenès, occupé par des Arabes ; Un de la paix se forma parmi
parti
puis, se dirigeant vers l'est, il envahit elles ; des progrès rapides, et bientôt
il fit

les Béni Rached,les souleva, atteignit les prédications de guerre sainte ne trou-
les Beraz, revint chez les Medjadja, et vèrent plus que de faibles échos.
arriva jusque sous les murailles d'Or» Nouvelle organisation adminis-
léansville. Cette dernière tentative ne trative. —
Une ordonnance royale du
fut pas heureuse ; ses bandes furent dis- 15 avril 1845 modifia l'organisation du
persées après avoir supporté des pertes gouvernement et de l'administration de
énormes, et lui-même disparut pour quel- l'Algérie. Le territoire fut divisé en
que temps de la subdivision d'Orléans- trois zones : 1 ° la zone civile , où les ser-
ville (I). vices administratifs étaient complète-
Mais les troupes de la province d'Al- ment organisés; 2° la zone mixte, où
ger étaient entrées en campagne de leur l'autorité militaire remplissait les fonc-
côté. Dès que le maréchal Bugeaud avait tions civiles; 3° la zone arabe, entière-
reçu la nouvelle de l'insurrection, il s'é- ment soumise au régime et au pouvoir
taitempressé de revenir à Alger, amenant militaires. Le gouverneur général con-
avec lui de nombreux renforts. Il dé- serva le commandement et la haute ad-
ministration de l'Algérie; il avait sous
(i) Voyez le livre du capitaine Richard :
ses ordres un directeur général des af-
:

Étude sur l'insurrection du Dahra (i845- faires civiles, un directeur de l'inté-


i84(i). rieur et des travaux publics, un direc-
337

teur des finances et du commerce et , à coups de fusil. Forcé d'abandonner


un procureur général. Les attributions leïeli , Abd-el-Kader traversa le pays
du conseil supérieur d'administration fu- des Flitta, et se retira dans le sud-ouest
rent déterminées et étendues. Cette or- de la province d'Oran ; mais il ne put se
donnance, en perfectionnant les rouages maintenir longtemps dans ces contrées,
administratifs, augmenta le personnel parce que les ressources des tribus étaient
d'une manière exagérée et compliqua dan- très-restreintes et que la vigilance de nos
gereusement les lenteurs de la centralisa- troupes lui interdisait l'entrée du Tell.
tion ; les pouvoirs, mal définis, se heurtè- Prenant alors la direction de l'est, il
rent souvent, et les intérêts des adminis- traversa rapidement le Djebel-Amour et
trés restèrent en souffrance. Des plaintes les Ouled Naïl, chez lesquels il comptait
très-vives ne tardèrent pas à s'élever, et de nombreux amis, et vint tomber sur
amenèrent des modifications succes- les tribus du petit désert de la subdivi-
sives. M. Blondel , ancien directeur des sion de Médéah. Celles-ci qui n'avaient ,

finances , fut nommé directeur général pas encore pris part à la révolte, furent
des affaires civiles. entraînées dans le parti de l'émir. A la
Les actes administratifs les plus im- suite de ce coup de main il se porta ,

portants furent en outre : une ordon- par une marche rapide dans la vallée de
nance royale, du 17 janvier 1845, pour î'Isser, où il fut rejoint par son khalifa
régler le régime financier de l'Algérie et Ben-Salem. En un jour toutes les tribus
faire un départ des recettes et des dé- furent enlevées, et perdirent un butin
penses entre le budget de l'État et ie bud- considérable ; mais une de nos colonnes
get de la colonie; deux ordonnances du qui gardait les abords de laMétidja, in-
2t juillet, l'une sur l'organisation de la formée de ces événements, marcha à
cavalerie indigène régulière, créant un l'ennemi , le surprit dans son camp , le
régiment de spahis dans chacune des mit en déroute, et le força à abandonner
trois provinces; l'autre sur le mode des toutes les prises qu'il avait faites. Cette
concessions de terre. Un arrêté minis- brillante affaire eut lieu le 7 février
tériel, du 3 novembre, organisa le corps 1846.
des interprètes militaires. Enfin les or- Le gouverneur général s'était hâté
donnances royales datées du 9 novem- d'accourir pour faire tête à Forage. Abd-
bre attribuèrent des concessions de terre el-Kader fut obligé d'évacuer les vallées
et de mines à plusieurs capitalistes et , accessibles et de se réfugier sur les
donnèrent ainsi une impulsion remar- pentes sud du Djurdjura. Le 27 février
quable aux. travaux de coIonisation.il l'émir convoqua une grande assemblée
serait trop long d'entrer dans une dis- de Kabiles à Bordj-el-Boghni, pour les
cussion approfondie de ces mesures; appeler à la guerre. Malgré son élo-
nous les mentionnons afin de suivre le quence il ne put rien obtenir de ces
,

[développement sommaire de l'histoire iiers montagnards. Alors il rallia les ca-


administrative du pays, ou plutôt pour valiers arabes qui le suivaient encore,
i
marquer la série des tentatives, souvent traversa la subdivision de Médéah, en dé-
malheureuses, que le ministère de la robant sa marche aux nombreuses colon-
iguerre faisait pour donner des institu- nes françaises manœuvrant dans le pays
tions civiles à notre colonie. passa à une portée de canon du poste de
Année 1846. —
Dès le mois de dé- Boghar, et enleva une tribu établie à une
cembre 845 le dévouement et la per-
1 petite distance d'un camp français. En
sévérance de l'armée, dans une suite un jour et deux nuits il avait parcouru
d'opérations pénibles et rapides , avaient près de deux cents kilomètres. Nos
arrêté les progrès de l'insurrection fo- troupes volèrent au secours de nos alliés,
mentée par Abd-el-Kader. La majeure atteignirent l'ennemi le 7 mars à Ben-
;
partie des tribus du Tell était rentrée Nahar, le mirent en fuite, et ramenèrent
dans l'obéissance. Les plus remuantes tout le butin qui avait été perdu. Quel-
avaient subi de justes châtiments; sur ques jours après, le 13, une autre co-
plusieurs points on les voyait fermer lonne légère surprit Abd-el-Kader chez
l'entrée de leur territoire a l'émir, et les Ouled Naïl , dispersa complètement
:
quelques-unes même le poursuivaient les bandes qui le suivaient, et les mena ,
e
22 Livraison. ( Algérie.) 22
, ,

338 L'UNIVERS.
le sabre dans les reins, jusqu'en vue de et porta l'alarme jusque dans le camp
Bouçaada. Après ces premiers succès d'Abd-el-Kader.
des renforts furent envoyés à nos colon- Massacre des prisonniers fran-
nes ; elles poursuivirent sans relâche les çais de la deira. —
La satisfaction
partisans de l'émir, et les forcèrent à faire qu'inspirait la situation favorable de
leur soumission. Celui-ci , sérieusement nos affaires fut troublée par un déplo-
menacé par nos progrès se retira dans
, rable incident, le massacre des prison-
le Djebel-Amour, puis se dirigea vers le niers français détenus à la déira de
sud-ouest dans l'Oued Sidi-lNasser. Après l'émir. On'reconnut que ce funeste évé-
son départ la tranquillité fut prompte- nement était le résultat de la double
ment rétablie. crise que venait de traverser la puis-
A la fin du mois de mai les derniers sance d'Abd-el-Kader. Obligé de fuir
foyers de l'insurrection générale de 1845 sans cesse devant nos troupes; atten-
se trouvaient éteints. Les tribus avaient dant en vain les secours qu'il réclamait
fait des pertes considérables, et leur dé- de sa déira; surpris par la défection des
couragement était extrême ; nos enne- Béni Amer et des Hachem, qui s'étaient
mis les plus ardents et les plus fanati- réfugiés dans l'intérieur du Maroc ; dé-
ques avaient péri dans la lutte, ainsi sespérant de faire accepter par la France
que les chefs importants qui avaient ac- une négociation officielle pour l'échange
compagné Abd-el-Kaderdans l'est. La des prisonniers; menacé de voir ces
chaîne du Djebel- Amour était soumise et gages précieux pour ses mensonges po-
organisée. La grande Kabilie, tentée litiques enlevés de vive force par les
un moment de se joindre à nos ennemis, agents marocains ; resserré chaque jour
avait repoussé les provocations de l'émir. dans un cercle plus étroit, où les armes et
Un poste nouveau avait été créé à Sour- les intrigues demeuraient pour lui égale-
el-Ghozlan pour surveiller les pentes du ment impuissantes pressé par la disette
;

Djurdjura, l'Ouennougha et le Dira, et les besoins de toutes sortes, l'émir se


servir de point d'appui aux opérations laissa arracher, dit-on l'ordre barbare
,

militaires, et garder la communication de massacrer nos malheureux prison-


entre Médéah et Sétif. Bou-Maza avait niers. Cette odieuse boucherie s'accom-
été chassé une fois encore du Dahra; plit de nuit vers les derniers jours du
l'Ouarsenis avait été ramené à l'obéis- mois d'avril, sur les bords de la Molouïa,
sance. Dans la province d'Oran un où la déira était campée. Onze person-
nouveau sultan avait voulu attaquer nes, la plupart officiers, furent épar-
Tlemsen, et avait été facilement anéanti gnées; quelques soldats, fuyant devant
dans un combat livré le 24 mars, sur le leurs meurtriers, parvinrent à se sauver
plateau de Terni, entre Tlemsen et Seb- et gagnèrent la frontière. Cet acte de';
dou. Au sud les Harar avaient été obligés cruauté n'améliora pas la situation pré-
d'accepter la paix à des conditions très- caire de la déira; elle ne se composait
onéreuses pour eux. Dans la province de plus que de la famille d'Abd-el-Kader et
Constantine nos succès n'avaient pas d'un petit nombre de tentes. Musta ha
été moins remarquables; quelques ma- ben Thami beau-frère de l'émir, com-
,

rabouts fanatiques avaient tenté de prê- mandait ces débris.


cher l'insurrection les populations, loin
: Quant à Abd-el-Kader, poursuivi vi-
de se lever à leur voix , nous aidèrent à vement par une colonne française dans
les chasser du pays. Enfin , les tribus l'Oued Sidi-Nasser, il fut successive-
marocaines nous ayant donné de graves ment chassé des Kessours de Stitten
sujets de mécontentement en s'unissant de Chellala de Bou-Semghoun, et fut
,

aux bandes de pillards qui exerçaient rejeté jusqu'à la frontière du Maroc, à


leurs rapines sur notre territoire le gé-, Sa hauteur de de Figuig. Lors-
l'oasis
néral Cavaignac franchit la frontière, et qu'il rejoignit sa déira, vers la fin du
leur infligea une punition exemplaire. mois d'août il la conduisit à Aïn-Zohra,
,

Cette opération délicate conduite avec


, à soixante-douze kilomètres environ de
habiieté et couronnée d'un plein succès la ville de Thaza et employa toute son
,

impressionna vivement toutes les popu- habileté et toute son énergie à réta-
lations de la frontière, rassura nos amis. blir sa cavalerie et à se créer de nou-
ALGERIE. 339

velles ressources. Bou-Maza, en quittant garnison et la tribu kabile des Mezaïa,


l'Ouarsenis , s'était réfugiée la déira; pendant le mois d'octobre. Ce combat
mais, lassé des lenteurs et des attermoie- terminé à notre avantage, amena un
ments que l'émir opposait sans cesse à commencement de relations avec quel-
ses projets d'agression contre l'Algérie, ques chefs importants des tribus voi-
il se rapprocha de la frontière pour ten- sines, et on ne tarda pas à recueillir les
ter quelque entreprise par sa propre fruits de cette situation nouvelle.
influence. Malgré toutes ses démarches, Actes administratifs en 1846.
il reconnut bientôt son impuissance; il — Une ordonnance royale, en date du
en attribua la cause aux menées d'Abl- 21 juillet 1846, soumit à vérification
el-Kader, qu'il croyait jaloux de sa re- tous les titres de propriété, et déter-
nommée, et il jugea prudent, dans l'in- mina les conditions de la validité de ces
térêt de sa sûreté, de s'enfuir de la titres et de la culture obligatoire. Deux
déira. Suivi de quarante cavaliers seu- règlements ministériels des 17 septem-
lement , il gagna Stitten, et se dirigea bre et 2 novembre pourvurent aux né-
vers l'est, plutôt en fugitif qu'en pré- cessités de l'exécution de cette ordon-
tendant. nance. Le gouvernement était depuis
Le 25 novembre les onze prisonniers longtemps préoccupé des avantages
français qui restaient à la déira furent qu'on trouverait à porter vers la zone
rendus à la liberté pour une rançon intérieure les principaux sièges de l'au-
d'environ 33,000 francs. Cet événement torité militaire. Ce projet fut adopté en
souleva contre Abd-el-Kader l'indigna- principe dans le mois de novembre 1846.
tion des musulmans qui lui reprochè- , D'après ces dispositions nouvelles, le
rent d'avoir vendu les prisonniers fran- chef lieu de la division d'Alger devait
çais , lorsqu'il pouvait par un échange , être transféré àMédéah; Batna, dans
délivrer ceux de ses amis et de ses par- la province de Constantine, devenait
tisans détenus en France. le chrf-lieu d'une subdivision; Sidi-bel-
Événements de la pbovince de Abbès était désigné comme la future
Constantine. — Deux foyers de désor- capitale militaire de la division d'Oran.
dre existaient encore à l'est de nos pos- Cette grande mesure devait avoir pour
sessions : l'un dans les montagnes au résultat de rendre la guerre et la répres-
nord de Sétif et l'autre vers la frontière sion des révoltes plus faciles, le gou-
de Tunis. Des opérations bien dirigées vernement des indigènes plus efficace
contre les deux marabouts qui agitaient et plus puissant, la colonisation plus
les tribus de Sétif eurent promptement sûre. Par une ordonnance royale du
une issue satisfaisante. Vers la frontière 10 juillet 1846 M. Blondel fut rem-
de Tunis, quinze soldats malades ayant placé comme directeur général des af-
été assassinés dans une tribu auprès , faires civiles par M. Victor Fouché.
de Tébessa la colonne de la subdivision
, Soumission des kabilesde Bougie.
de Bône infligea un châtiment terrible — Les relations nouées avec les chefs des
à la population sur le territoire de la- tribus voisines de Bougie, à la suite du
quelle le crime avait été commis. A combat du mois d'octobre 1846, hâtè-
quelque temps de là nos troupes cam-
, rent la manifestation de dispositions
pées chez les Ouled Khiar, non loin de inespérées chez les Kabiles de Bougie et
:

la frontière furent attaquées, le 19 juin


, de Sétif. Sur ces deux points , les mon-
1846, par un rassemblement de plusieurs tagnards, fatigués d'un état d'hostilité
milliers de cavaliers et de fantassins qui rendait tout commerce impossible,
conduits par un marabout. Notre cava- frappés des sucrés militaires obtenus
:
îerie s'élança contre ces fanatiques, les par nos armes contre les rebelles, re-
dispersa el leur tua plus de cent hom-
, doutant pour leur pays les dangers d'une
j
mes. Dans les Ziban quelques hostilités guerre de conquête", vinrent se ranger
eurent lieu mais ces divers événements
; d'eux-mêmes sous notre domination.
ne donnèrent aucune inquiétude sur la Dans le courant du mois de janvier 1847,
i tranquillité générale de la province de les Mezaïa les Béni bou Messaoud et les
,

: Constantine. il faut aussi mentionner un Béni Mimoun, situés à proximité de


I engagement très-vif à Bougie entre la Bougie, furent organisés en cercle et
22.
,

340 L'UNIVERS.
placés sur leur demande expresse, sous
, et qu'il s'était dirigé vers Stitten. Apres
les ordres immédiats des autorités fran- avoir fait des efforts inutiles pour s'éta-
çaises. Bientôt treize tribus qui sui- blir dans l'Oued SidUNasser, il traversa
vaient la fortune du chef kabile Moham- successivement le Djebel-Amour et les
med-ou-Amzian imitèrent cet exemple. Ouled Naïl sans pouvoir trouver un re-
« Nous sommes, dirent leurs envoyés, fuge assuré. Poursuivant toujours sa
« las de la guerre; convaincus que marche vers l'est, suivi à peine d'une
« l'heure indiquée par Dieu pour la sou- cinquantaine de cavaliers , il arriva dans
« mission de notre pays et de notre race les Ziban de la province de Constantine
« est arrivée, nous ne pouvons qu'obéir prit part à un engagement livré le 10 jan-
« aux décrets du Tout-Puissant. » Le vier 1847 à une colonne française -par
résultat de cet événement fut d'ouvrir les Ouled Djellal , et poussa jusqu'à
la communication directe entre Bougie Tougourt. Nulle part il ne rencontra
et Sétif. Si la route n'offrait pas alors une sympathie assez vive pour oser res-
au commerce une sécurité parfaite, elle ter au milieu des tribus. Enfin déchu de
put cependant être librement parcourue toutes ses espérances de ce côté, il re-
par des courriers indigènes. La ville de prit la direction de l'ouest pour regagner
Bougie ressentit aussi les effets de ces le Dahra , où des milliers de fanatiques
soumissions. Les Kabiles s'y présentè- s'étaient toujours levés à sa voix. Vers
;

rent en grand nombre avec des denrées les premiers jours du mois de mars, il
de toutes sortes. Le prix des aliments pénétra dans le Tell en passant auprès |

de première nécessité baissa immédiate- de Teniet-el-Ahd ; un détachement fran- :

ment de moitié. Du côté de Sétif les çais, qui se trouvait par hasard à proxi- !

relations avec les tribus du Sahel de- mité , le poursuivit pendant plusieurs
vinrent plus fréquentes, et l'autorité kilomètres et lui enleva douze chevaux. \

française put enfin faire sentir son Il parvint avec beaucoup de difficulté j

action parmi les rudes populations de dans le Dahra; mais, pour la première j

ces montagnes. fois , il trouva les tribus sourdes à ses


Soumission de Ben Salem. — La excitations. Cet échec le jeta dans un j

solution pacifique de l'importante ques- découragement complet, et le détermina .

tion de la Kabilie reçut une confirmation à se remettre lui-même entre les mains
m
;

définitive par la soumission de Sy des Français. En effet, le 13 avril


Ahmed Ben Salem ben Thaïeb, ancien s'adressa a cinq cavaliers arabes laissés !

khalifa d'Abd-el-Kader dans le Sébaou chez les Ouled Iounès pour percevoir
et sur les pentes du Djurdjura. Ce chef, une amende, et leur demanda d'être',
après plusieurs entrevues avec un offi- conduit auprès du commandant supé-
cier français, chargé des affaires arabes, rieur d'Orléansville. Après avoir rendu
se rendit le 27 février au nouveau poste hommage au gouverneur général à Al- ;

de Sour-el-Ghozlan,etreconnut l'autorité ger, Bou-Maza fut interné en France (1).


française par cette démarche significa- Expédition de la Kabilie. —
tive. Le kabile Bel-Kassem-ou-Kassi, qui Les événements qui s'étaient produits
s'était fait un nom pendant la dernière aux environs de Bougie au commence-
insurrection, des personnages impor- ment de l'année, la soumission de Ben
tants réfugiés dans la Kabilie, et tous les Salem, de Mohammed-ou-Amzian de ,

chefs notables de la vallée du Sébaou et Bel-Kassem-ou-Kassi, avait fait croire


des revers ouest et sud du Djurdjura fu- que le maréchal Bugeaud renoncerait
rent entraînés par l'exemple de Ben Sa-
lem. Ces beureux événements portèrent (i) Nous renvoyons à l'ouvrage intéressant
le dernier coup à l'influence d'Abd-el-
de M. le capitaine Richard : Études sur l'in-
surrection du Dahra, pour les détails et les
Kader dans la p,.rtie orientale de la pro-
renseignements concernant le rôle religieux et
vince d'Alger, et ouvrirent des débou-
la vie aventureuse de Bou-Maza. Cet indigène
chés nouveaux pour notre commerce.
Soumission de Bou-Maza. — Nous habitait Paris; mais lors de la révolution de
lévrier il s'évada de la capitale, et ne fut arrêté
avons vu précédemment que Bou-Maza qu'à Brest, au moment où il cherchait à s'em-
avait quitté furtivement la déira d'Abd- barquer. Le gouvernement l'a fait enfermer
el-Kader pour échapper à ses embûches, au fort de Ham.
ALGERIE.
à diriger une expédition contre la Ka- bientôt. Maître de ces beaux villages
bilie et qu'il attendrait que l'influence le gouverneur général en ordonna la
des relations commerciales eût habitué dévastation afin de faire un exemple
,

ces farouches montagnards à notre qui ôtât aux autres tribus l'idée de nous
contact, avant de faire pénétrer nos combattre. Cette population, que son
troupes au milieu d'eux. Mais le gou- industrie avait enrichie, éprouva dans
verneur général, excité par la résistance cette circonstance une perte immense.
de l'opinion publique et par la désap- Ses fabriques de poudre et d'armes fu-
probation exprimée à la tribune de la rent renversées; un grand nombre de
chambre des députés, s'exagéra l'ur- fusils et de pièces d'armes furent dé-
gence de cette grande opération, et à truits. Les résultats de cette opération
force d'insistance obtint du gouverne- ne se firent pas attendre. Une heure
ment l'autorisation de conduire une co- après la fin du combat un chef kabile
lonne de Sour-el-Ghozlan à Bougie, vint traiter de la soumission des Béni
pendant que la division de Constantine Abbas , qui acceptèrent toutes les condi-
partirait de Sétif pour se rendre égale- tions imposées par le gouverneur gé-
ment à Bougie. néral. La colonne poursuivit sa route,
Le fort de Hamza fut désigné comme et arriva devant Bougie sans autre ac-
point de concentration des troupes de cident de guerre.
la division d'Alger appelées à prendre Quant aux troupes de la division de
part à l'expédition de la Kabilie. L'ar- Constantine, elles partirent de Sétif le
mée se mit en mouvement le 13 mai, et 14 mai sous les ordres du général Be-
arriva le 15 dans la vallée de l'Oued Sahel deau elles ne trouvèrent aucun obsta-
;

qui descend jusqu'à Bougie. Un grand cle pendant les deux premiers jours.
nombre des tribus habitant le haut de Le 16 les Ghebouîa essayèrent de leur
cette vallée envoyèrent leurs chefs au barrer le passage, et engagèrent une fu-
camp du maréchal, fournirent des gui- sillade très-bien nourrie. Ils furent faci-
des et firent acte de soumission. Mais lement repoussés et on pénétra dans
,

arrivé devant les Béni Abbas, tribu puis- trois de leurs villages dont toutes les
,

sante et industrieuse de la rive droite maisons étaient couvertes en tuiles et


on apprit que sept fractions sur huit crépies à la chaux. Le lendemain pen-
,

étaient décidées à la guerre. D'un autre dant la journée entière, les Kabiles en-
côté, les Zouaoua, situés sur la rive tretinrent un feu assez vif contre nos
gauche, manifestaient également l'in- avant-postes , tandis que leurs envoyés
tention de résister. En effet, dans la traitaient de leur soumission. Un en-
nuit du 16 au 17 les grandes-gardes du gagement sans importance eut encore
camp furent attaquées sur trois faces lieu le 18; le jour suivant toutes les
à la fois. Les Kabiles poussaient de tribus arrivèrent au camp, et firent acte
grands cris et faisaient un feu roulant. de soumission. A
partir de ce moment
'ils au combat par des chants
s'excitaient la colonne ne rencontra plus de résis-
de guerre qui rappelaient que dans des tance et fit sa jonction avec les troupes
attaques semblables les troupes turques de la division d'Alger, non loin de Bou-
avaient essuyé des catastrophes dans gie. Dans les montagnes assez difficiles
ces mêmes contrées. Tous leurs efforts qui séparent cette ville de Sétif, le corps
échouèrent devant l'attitude énergique expéditionnaire trouva de remarquables
de nos soldats, qui durent, sur plusieurs cultures, une végétation active habile-
points, charger à la baïonnette pour se ment entretenue, de très-nombreux vil-
dégager. A une heure du matin l'en- lages, bien construits, dont quelques-
nemi se retira, sans nous avoir causé uns avaient l'apparence de véritables
aucune perte. villes.
Le 16, à la pointe du jour, huit ba- Dans leur marche , les deux colonnes
taillons débarrassés de leurs sacs, furent avaient soumis par trois combats seule-
lancés dans les montagnes contre les ment le triangle montagneux
grand
villages des Béni Abbas. On rencontra indiqué par Hamza,
Sétif et Bougie. Ce
partout une résistance opiniâtre; mais territoire est habité par cinquante-cinq
{'impétuosité de nos soldats en triompha tribus , ayant plus de trente-trois mille
n 42 L'UNIVERS.
fusils ((). La grande vallée du Sebaou et Commandement du duc d'Aumale.
tout le revers nord du Djurdjura jus-
qu'à la mer reconnurent l'autorité de la (Du 11 septembre 1847 au 24 février 1848.)
France, par suite de l'influence de nos
succès. Le 24 mai le maréchal Bugeaud
Gouvernement intérimaire. —
Le maréchal Bugeaud quitta Alger le
réunit sous les murs de Bougie tous les
5 juin et laissa le commandement par
,
principaux personnages des tribus qui
intérim au général de Bar. La province
venaient de taire leur soumission, et leur
d'Alger conserva le calme que nos suc-
donna une organisation administrative
en rapport avec le caractère indépen-
dant de ces montagnards. décision, je vais jouir d'un congé qui m'est
accordé depuis longtemps.
Opérations militaires dans le
sud. — Pendant
celte opération prin-
h Comment me séparer de vous sans éprou-
ver de profonds regrets Vous n'avez cessé de
!
cipale le gouverneur générai avait en-
mbonorer pendant six ans et demi d'une
voyé vers le sud sept colonnes légères
confiance qui faisait ma force et la vôtre. C'est
avec mission de raffermir notre autorité cette union entre le chef et les troupes qui
dans le petit désert et d'enlever à Abd- rend les armées capables de faire de grandes
el-Kader et aux autres perturbateurs choses. Vous les avez faites. En moins de irois
les appuis et les ressources qu'ils pou- ans, vous avez dompté les Arabes du Tell et '

vaient y trouver. Nos forces se montrè- forcé leur chef à se réfugier dans l'empire du ,

rent dans les Ziban, dans l'Aurès, dans la Maroc: les Marocains entrèrent alors dans la
Houdna, chez les Ouied Naïl et dans le lutte ; vous les avez vaincus dans trois com- ;

Djebel- Amour enfin la colonne de Mas-


; bats et une Abd-el-Kader, rentré
bataille. j

cara et celle de Tlemsen poursuivirent en Algérie à la fin de 1845, a soulevé pres-


nos ennemis jusque chez les Ahmian- que tout le pays vous l'avez vaincu de nou-
: ;

Gheraba et chez les Ouled Sidi-Cheikh, veau. Il avait trouvé des appuis et des res-
et obtinrent partout des garanties réel- sources dans le désert, vous avez su l'y at-
les de fidélité et d'obéissance. Ainsi
teindre en vous rendant aussi légers que les
à ,

Arabes, En apprenant l'art de subsister dans


la fin du mois de mai , depuis la fron-
j

ces contrées lointaines, où les populations en


tière du Maroc jusqu'à celle de Tunis,
,

fuyant, ne laissent aucune ressource au vain- '

depuis le littoral jusqu'au désert, l'au-


queur, vous avez pu frapper vos ennemis par- !

torité française était partout acceptée


tout, dans les plaines du Sahara comme dans
sans contestation. Le maréchal Bu- lès montagnes les plus abruptes du Tell.
geaud rentra à Alger le 26 mai et de- ,
Vous ne leur avez laissé aucun refuge, au- ?

manda au ministre de la guerre de pour- cun répit, et voilà comment vous avez éta- ',

voir à son remplacement. La durée de bli cette puissance morale qui garde les
son commandement, qui fut marqué par routes et protège la colonisation sans exi-
une si prodigieuse activité, et pendant ger votre présence constante. C'est ainsi que
lequel s'accomplirent des faits de la plus vous avez pu vous dispenser de multiplier les
haute importance pour l'Algérie avait ,
postes permanents, ce qui aurait immobilisé
dépassé six années (2). une grande partie de vos forces et vous au-
rait mis dans l'impuissance d'achever l'œuvre

(i) Voyez Études sur la KablUe , par


les de la conquête.
M. le capitaine Carette
ouvrage en deux vo- « La grande Kabilie servait de refuge et d'es-
,

lumes, delà collection de l'exploration scien- pérance à vos adversaires. Un danger perma-
tifique de l'Algérie, publiée par le gouverne- nent était là suspendu sur vos tètes. Le sim-
ment. ple bruit d'une expédition a suffi pour sou-

(2) Voici l'ordre du jour qu'il adressa à


mettre l'ouest et la chaîne du Djurdjura, et
l'armée avant de s'embarquer pour la France : par trois combats vous avez dompté ces fiers
montagnards du centre qui se glorifiaient de
Au quartier général à Alger, le 3o mai 1847.
n'avoir été soumis à personne : l'est ne vous
« Officiers, sous-officiers et soldats de l'armée résistera pas davantage.
d'Afrique, « Il est des armées qui ont pu inscrire dans j

« Ma santé et d'autres motifs puissants m'ont leurs annales des batailles plus mémorables
obligé de prier le roi de me donner un suc- que les \ôtres; il n'en est aucune qui ait livré
cesseur. Sa majesté ne me refusera pas un autant de combats et qui ait exécuté autant
repos devenu indispensable. En attendant sa de travaux... »
ALGÉRIE. 343

ces dans la Kabilie venaient de donner luf-même en France, Bedeau


et le général
aux populations. Dans ia province de arriva à Alger le 18 juilletpour y exer-
Constantine le général Bedeau réunit cer l'intérim du commandement. Déjà
toutes les troupes disponibles à Milan on savait que le gouvernement avait ar-
le 14 juin, etdirigea une opération impor- rêté la nomination du duc d'Aumale
tante sur Coilo, afin de garantir la sé- comme gouverneur général. Le général
curité de la communication entre Philip- Bedeau appliqua tous ses efforts à im-
peville et Constantine. La cohonne par- primer une marche régulière aux ser-
courut successivement le territoire des vices civils et militaires :sous son ha-
plus fortes tribus qui habitent ces mon- bile direction les affaires restèrent dans
tagnes. Elle fut attaquée le 19 chez les la situation la plus satisfaisante. Sur la
Ouled Aïdoun ; mais par la- vigueur -frontière du Maroc, le statu quo sem-
de ses retours offensifs elle eut promp- blait vouloir se prolonger. L'empereur
tement raison de cette résistance. Le 21 se décidait lentement à un parti éner-
et le 22 les Kabiles revinrent à la gique; quant à Abd-el-Kader, il était
charge, et essuyèrent des pertes qui les poussé par la fortune, et chaque jour son
découragèrent complètement. Le géné- influence grandissait. Afin de donner un
ral Bedeau atteignit Collo le 26, et y point d'appui sérieux à sa puissance,
séjourna pendant quelques jours pour il envoya des émissaires aux tribus des

achever la pacification des montagnes Béni Amer et des Hachem qui avaient
comprises entre Collo , Milan et le bord émigré dans l'intérieur du Maroc, et les
de la mer. La province d'Oran était engagea à venir le rejoindre; il connais-
tranquille; toute l'attention était absor- sait leur dévouement et leur bravoure
bée par la position, chaque jour plus et il espérait s'en servir pour affermir sa
significative, que prenait Abd-el-Kader domination; ces malheureuses popula-
vis-à-vis de l'empereur du Maroc. Pres- tions, qui supportaient avec peine les dou-
sées par les représentations des agents leurs de l'exil , acceptèrent avec trop de
français, inquiétées de l'ascendant que facilité l'occasion qui leur était offerte
l'émir gagnait dans les tribus de la fron- pour se rapprocher du pays natal ; elles
tière, les autorités marocaines s'étaient se mirent en marche l'émir leur ayant
,

enfin décidées à poursuivre l'exécution promis de venir à leur rencontre. Les


du traité de Tanger et à exiger i'éloigne- autorités marocaines , informées de ce
ment d' Abd-el-Kader. Celui-ci, voyant mouvement, sommèrent les Algériens
qu'on ne voulait plus garder de ména- de s'arrêter; mais ceux-ci repoussèrent
gement envers lui, résolut de prévenir par la force les cavaliers qui leur por-
ses adversaires , et dirigea un coup de taient ces ordres. Alors on ameuta con-
main contre un camp marocain situé tre eux la population encore sauvage des
sur les bords de TOued Azlif. Cette contrées qu'ils devaient traverser. Ils
opération, exécutée vigoureusement et furent bientôt enveloppés par des ban-
avec habileté, eut l'issue la plus heu- des furieuses, impatientes de piller leurs
reuse; les Marocains furent mis en bagages. Ils résistèrent bravement pen-
fuite, et leur chef, tombé au pouvoir de dant plusieurs jours; mais, les mu-
l'ennemi eut la tête tranchée. Cepen-
, nitions venant à leur manquer, ils fu-
dant Abd-el-Kader, redoutant la ven- rent écrasés par le nombre et entière-
geance de l'empereur, s'efforça de le cal- ment dispersés; beaucoup trouvèrent
mer par des actes de respect, rejetant la mort dans cette lutte acharnée; quel-
l'attaque du camp sur les provocations et ques-uns seulement purent franchir la
les menaces qui lui avaient été adressées. frontière. Les Hachem souffrirent
Ces excuses ne furent pas agréées, et les moins que les Béni Amer, qui furent
Marocains, incités par les agents fran- fort maltraités. Abd-el-Kader était parti
çais à Tanger, commencèrent à faire de son camp, comme il l'avait promis,
des préparatifs sérieux contre l'hôte pour se porter au-devant d'eux mais il ;

dangereux qui dans l'esprit de beaucoup fut arrêté par des obtacles, et ne put leur
d'indigènes pouvait porter ombrage à la porter secours ; cet événement jeta la
puissance même de l'empereur. consternation parmi ses partisans.
Le généra! de Bar ne tarda à rentrer Arrivée du duc d'Aumale. — Le
,

Ml L'UNIVERS.
nouveau gouverneur général débarqua dirigés ^e Fès contre la déira
de l'émir,
à Alger, 5 octobre 1847. Il consacra
ie fixée depuis plusieurs mois
à Casbah-
les premiers jours à discuter avec les gé- Zelouan (non loin de Melilia et delà
néraux commandant les trois provinces mer); deux fils de l'empereur étaient
et avec les directeurs des affaires civiles à la tête de ces opérations. L'un de ces
les principales mesures qui allaient être- corps de troupes suivait la rive gauche
mises à exécution pour favoriser le dé- de la Molouïa; le second marchait le
veloppement de la colonisation et don- long delà côte du Riff; enfin le troisième,
ner des garanties nouvelles aux popula- conduit par le kaïd d'Ouchda, tenait
tions européennes. Le général de La- la rive droite de la Molouïa. Ces colon-
moricière conservait le commandement nes châtiaient sur leur passage les tribus
de la province d'Oran , le général Be- qui entretenaient des relations avec
deau celui de la province de Constan- Abd-el-Kader, et déterminaient les po-
tine; le général Changarnier, après pulations à cesser tous rapports avec la
quatre années d'absence, fut rappelé en déira. Cette situationjeta l'alarme parmi
Algérie pour commander la province les amis de l'émir ; on changea de cam-
d'Alger. Avec le concours d'aussi illus- pement ,et on s'établit à Zaïou, pays
tres lieutenants, le jeune prince était difficile, où avaient été formés des dé-
assuré de ne pas laisser péricliter les pôts de grains. En même temps, pour
bons résultats obtenus par son prédé- relever le courage des siens, Abd-el-
cesseur. Toute la population accepta Kader envoya un agent à Djema-Gha-
avec les plus vifs témoignages de joie zaouat pour faire des propositions de
et d'espoir l'arrivée du duc d'Aumale. paix à la France. Son émissaire fut recon-
Peu de jours suffirent pour donner la duit à la frontière sans réponse. Rebuté
preuve que le nouveau gouverneur gé- de ce côté, il dépêcha son khalifa Bou-
néral ne le cédait à aucun de ses devan- Hamedi auprès de l'empereur pour of-
ciers pour l'ardeur au travail l'intelli-
, soumission. Son lieutenant
frir sa fut
gence rapide des questions spéciales au retenu à Fès. A mesure que ces faits si
pays, tant en ce qui concernait les graves se développaient , le général de
Arabes qu'en ce qui touchait aux inté- Lamoricière avait réuni un corps d'ob-
rêts européens. Pour la première fois servation sur la frontière pour seconder
peut-être on vit un chef s'adresser avec au besoin les mouvements de l'armée
une égale confiance à toutes les par- marocaine. Bientôt la déira se trouva
ties du service public faire appel à
; resserrée de tous les côtés, et une solu-
tous lesfonctionnaires soit civils, soit tion parut imminente. Le duc d'Aumale
militaires, sans trahir de prédilection partit d'Alger le 18 décembre pour se
et sans les subordonner les uns aux rapprocher duthéâtre de ces événements
autres. L'autorité civile et le pouvoir importants.
militaire sous la haute direction d'un Soumission d'Abd-el-Kader. —
fils du roi semblaient devoir abjurer Le 9 décembre l'empereur fit connaître à
bientôt leur longue rivalité et travailler l'émir saréponseaux propositions portées
enfin de concert à la prospérité de l'Al- par Bou-Hamedi . Il exigeait la venue de la
gérie. déira à Fès, sa dispersion dans les tri-
Abd-el-Kader et le Maroc. — Les bus , l'incorporation des troupes régu-
événements intérieurs de l'Algérie per- lières dans son armée; à ce prix, il pro-
daient de leur importance depuis que mettait des terres et la paix aux Algériens
le gouverneur général n'accordait plus qui reconnaîtraient son autorité. Abd-
une attention exclusive et exagérée aux el-Kader ne discuta pas même ces con-
faits de guerre. Le pays était tranquille, ditions, et renvoya les agents de l'em-
et la répression des troubles qui se pereur sans répondre. 11 dirigea son in-
produisaient sur quelques points s'opé- fanterie, renforcée de tous les hommes
rait facilement et sans bruit. A
l'exté- valides de la déira, sur le camp maro-
rieur la position d'Abd-el-Kader vis-à-vis cain le plus rapproché. Son projet était
de l'empereur du Maroc s'aggravait cha- de tenter une surprise au moyen d'un
que jour. A la fin du mois de novem- stratagème bizarre. Deux chameaux en-
bre, trois camps marocains s'étaient duits de poix, entourés d'herbes et de
ALGÉRIE. 345

broussailles sèches furent conduits en portèrent à- marcher en diligence vers le


tête de sa troupe, et dans le milieu de col désigné; des dispositions rapides fu-
la nuit, lancés tout en feu à travers les rent prises pour fermer cette voie; et
camps mal gardés des Marocains. La le 22 , à la tête de toute sa colonne , il se
ruse avait été éventée par des déserteurs mit lui-même en marche vers le coi de
deladéira,et lorsqu'on pénétra dans Kerbous.
un premier camp on trouva les tentes
, Un officier indigène envoyé en recon-
vides. Sans s'arrêter, on attaqua avec naissance distingua, au milieu de l'obs-
furie le second camp où l'ennemi s'était curité de la nuit et de la pluie, quelques
réfugié, et on lui fit essuyer des pertes cavaliers qu'il chassa à coups de fusil ;
énormes. Mais bientôt, entouré de toutes au bruit de la fusillade un peloton de
parts par les Marocains, dix fois supé- renfort accourut en sonnant la charge.
rieurs en nombre, Àbd-el-Kader fut Abd-el-Iiader, car c'était lui-même qui
forcé de reculer en laissant entre leurs tentait de franchir le col, reconnut au
mains des morts et des prisonniers. son des trompettes la présence d'une
Cependant, faisant un appel suprême au troupe française, et demanda à parle-
courage et au dévouement de ses plus menter avec le général. La nuit et la pluie
braves cavaliers , il parvint à contenir ne permettaient pas d'écrire; l'émir ap-
les poursuivants, et couvrit sa retraite posa son cachet sur un papier blanc , le
jusqu'au lieu dit Agueddin, situé entre remit à l'officier et le chargea d'être son
la partie inférieure de la Molouïa la , organe. H offrait de se mettre entre les
mer et la montagne éeKebdana, pres- mains des Français, sous rengagement
que en face des îles Zaffarines. d'être conduit avec sa famille à Saint-
Les camps marocains, après avoir Jean d'Acre ou à Alexandrie. Le général
sollicité et obtenu des munitions des au- de Lamoricière ne pouvait non plus
torités françaises , se disposèrent à atta- écrire; il donna son sabre et le cachet
quer de nouveau le 20 ou le 21 décem- du bureau arabe de Tlemsen commegage
bre. Ladéira était dans la plus grande de sa parole. Les incertitudes d'Abd-el-'
confusion. Déjà le frère aîné de l'émir Kader furent longues; il lui était encore
s'était enfui et avait gagné le territoire possible de tenter la fortune dans le sud ;
algérien, après avoir obtenu un sauf-con- il hésitait de briser par cette démarche

duit du général de Lamoricière. Le 21 décisive le prestige religieux dont son


la déira ayant commencé à traverser la nom avait été entouréjusquealors. Toute
Molouïa pour se rapprocher de l'Algérie, lajournée s'écoula sans solution. Enfin
les troupes et les tribus marocaines se à onze, heures du soir il écrivit au géné-
précipitèrent à la fois contre elle; Abd- ral ; il sollicitait une parole française
el-Kader courut au-devant des assail- pour se livrer sans défiance et se" sou-
lants, à la tête de ses fantassins et de ses mettre à sa destinée. L'engagement fut
cavaliers réguliers, et au prixdela vie de pris immédiatement, et le lendemain
plus de la moitié de ses soldats il réussit 23 décembre notre redoutable adversaire
à protéger le passage de la rivière et à se rendit à une troupe française qui l'at-
ramener tout son monde au delà des li- tendait au marabout de feidi-Brahim,
mites du Maroc. Il forma alors le projet théâtre d'un de ses plus importants
de livrer sa déira à la générosité de la succès-
France , et de tenter de sa personne la Le même jour à six heures il arriva
route du désert avec ses plus dévoués à Djema-Ghazaouat, où il fut introduit
partisans ; c'était la seule queles troupes devant le duc d'Aumale. Après s'être
marocaines avaient laissée libre. Cher- assis, sur un signe du prince, il pro-
chant son chemin au milieu de l'obs- nonça les paroles suivantes « J'aurais
:

curité, il interrogea, sans soupçonner la voulu faire plus tôt ce que je fais au-
méprise, un cavalier placé par nous pour jourd'hui. J'ai attendu l'heure marquée
surveiller ses mouvements , et demanda par Dieu. Le général m'a donné une pa-
des renseignements pour gagner le pays role sur laquelle je me suis fié. Je ne
des Béni Snassen, en traversant le col de crains pas, qu'elle soit violée par le fils
Kerbous. Ces indications, transmises d'un grand roicommecelui des Français.
aussitôt au général de Lamoricière le , Je demande son «ma» (protection) pour
,

346 L'UNIVERS.
ma famille et pour moi. Le duc d'Au- » partielles sur quelques points; mais les
male confirma la promesse du général de chefs manquant à ces révoltes, nous n'a-
Lamoricière, et congédia l'émir, dont on vions plus- à craindre un soulèvement
admira dans cette entrevue l'attitude no- général semblable à celui de l'année 1 845.
ble, calme et résignée. Le 24 décembre Les tribus elles-mêmes d'ailleurs semblè-
il s'embarqua pour Oran, et dans les der- rent comprendre la position nouvelle que
niers jours du mois il arriva en France, leur faisait la soumission du plus infa-
où les circonstances politiques ont obligé tigable athlète de leur indépendance re-
de le retenir jusqu'à présent, sans pou- ligieuse et politique; elles étaient avides
voir exécuter encore la promesse de l'en- de repos ; les dernières années avaient
voyer en Orient (1). été désastreuses pour leurs récoltes :
Nous avons voulu raconter les phases elles se tournèrent pour ainsi dire una-
principales de ce grand drame qui ter- nimement vers les choses et les travaux
mina si heureusement pour les intérêts de la paix. Sous l'active et intelligente
français la lutte que la nationalité arabe inspiration des bureaux arabes, elles
soutenait depuis dix-sept années contre entreprirent la construction de maisons
notre domination. La soumission d'Abd- qu'elles groupèrent en village, elles plan-
el-Kader donna une consécration défi- tèrent des arbres, s'essayèrent à des as-
nitive aux succès si brillants et si nom- sociations industrielles, pour immobili-
breux obtenus par notre armée; elle ser leurs intérêts sur le sol. C'était la
marqua d'une manière plus éclatante meilleure preuve de la confiance qu'elles
que désormais la tâche que nous avions à accordaient à notre administration; et
remplir pour affermir notre autorité en c'était en même temps pour nous une ga-
Algérie, cessait d'être exclusivement rantie réelle de la duréede la tranquillité.
militaire et guerrière , pour devenir ci- Cette réaction contre la guerre et les
vile et administrative. Sans doute la pru- troubles qui maintenaient les habitudes
dence commandait de prévoir qu'on au- nomades se déclara d'abord dans la pro-
rait encore à réprimer des insurrections vince d'Oran, parmi les tribus qui avaient
pris la plus large part aux agitations et
(i) L'émir Abd-el-Kader et sa suite, com- qui avaient le plus souffert pendant la
posée de plus de quatre-vingt-dix personnes, lutte.
nommes, femmes et enfants, ont été enfer-
més d'abord au fort Lamalgue à Toulon , jus-
Conclusion. — L'année 1848 s'ou-
vrit sous auspices les plus favorables.
les
qu'à la fin du mois d'avril 1848. A cette
Depuis longtemps l'Algérie était en proie
époque on les transféra au château de Pau;
à une gêne industrielle et commerciale
mais le voisinage de la frontière d'Espagne
détermina le gouvernement à les interner à des plus intenses ; les propriétés avaient j

Am boise. Depuis les premiers jours de no- considérablement perdu de leur valeur,
vembre 1848 ils habitent le château d'Am- le crédit des négociants les plus recom-
boise , où ils sont entourés de tous les soins mandabies était ébranlé; le mouvement
qui peuvent diminuer l'amertume et les en- colonisateur était entièrement paralysé;
nuis de la captivité. on. avait étudié beaucoup de projets
Voici le portrait que le duc d'Aumale tra- mais nulle part on n'était en mesure de
çait d' Abd-el-Kader au moment de sa soumis- les réaliser. La soumission d'Abd el-
sion :« L'èmir est un homme d'environ qua- Kader vint modifier de la manière la
rt rante ans. Sa physionomie est intelligente;
plus heureuse et la plus inespérée
« ses yeux, grands et noirs, ont le regard sévère
cette triste situation. Tout le monde
<i et impérieux; son teint est jaune, sa face
prit confiance; la banque de France, sol-
« amaigrie, sans être longue; sa barbe noire
licitée avec vivacité , se décida enfin à
« est abondante, et se termine en pointe.
« L'ensemble de sa figure est austère ; elle
fonder un comptoir à Alger; le règlement
« rappelle la figure traditionnelle du Christ.
des indemnités dues pour expropriation
« Sa voix est grave et sonore. Sa taille, au- allait verser des sommes importantes

« dessus de moyenne, paraît robuste et


la dans la circulation ; le conseil supérieur
« bien prise. porte un burnous noir sur
Il du gouvernement, présidé par le duc
« deux burnous blancs, des bottes de maro- d'Aumale, travaillait pour ainsi dire
« quin jaune ; le costume est des plus sim» nuit et jour, étudiait , élaborait, arrêtait
« pies. »
â des projets de toutes sortes , pour don-
ALGERIE. 347

ner une impulsion nouvelle aux affaires Les événements que nous aurions
et à l'administration. Des institutions maintenant à raconter sont encore trop
municipales venaient d'être accordées récents pour que nous puissions les ap-
à un grand nombre de localités; les précier avec une certitude complète, il
autorités civiles, dont l'action avait nous suffira seulement d'indiquer que le
été simplifiée et fortifiée par des or- général Cavaignac fut d'abord désigné
donnances royales du 1 er septem- par le gouvernement provisoire comme
bre 1847, moditiratives de celle du successeur du duc d'Aumale ; qu'appelé
15 avril 1845, commençaient à donner à Paris dans le mois de mai pour remplir
des preuves d'une activité jusque alors les fonctions de ministre de la guerre,

inusitée. On se sentait de toutes parts, et sous la commission executive, il fut


pour tous les intérêts, arrivé sur le remplacé par le général Changarnier.
terrain des améliorations et du progrès. Au mois de juin cet officier général
C'est au milieu de ces impatiences fut à son tour mandé pour exercer le
qui semblaient toucher déjà a l'avenir commandement des gardes nationales
si vivement souhaité qu'on reçut comme de Seine; l'intérim fut confié au gé-
la

un. coup de foudre la nouvelle de la révo- néral Marey; et au mois de septembre


lution de Février. L'anxiété patriotique seulement le généra! Charon fut nommé
qui oppressa d'abord les cœurs au sujet gouverneur général.
des périls dont la France était menacée Nous devons dire aussi en terminant
empêcha de mesurer ia gravité de la crise que les dangers les plus sérieux qui sem-
que l'Algérie allait subir. Mais lorsque blaient prêts à fondre sur l'Algérie fu-
les nouvelles furentconfirmées,lorsqu'on rent pour la plupart conjurés. Le pays,
vits'embarquer pour l'exil ce jeune prince après avoir cruellement souffert du temps
qui avait montré tant de dévouement d'arrêt imposé à son développement,
et de véritable amour de la France, qui s'est remis peu à peu. Des institutions
pendant les quelques mois de son gou- très-libérales ont été accordées : le prin-
vernement avait réchauffé tous les cou- cipe civil a reçu une plus large applica-
rages, rassuré les intérêts, le découra- tion; l'Algérie a obtenu d'envoyer des
gement s'empara de tous les esprits, et on représentants à l'Assemblée nationale.
retomba dans une situation plus terrible Enfin le vote de cinquante millions pour
encore que celle à laquelle on venait à l'établissement de colonies agricoles et
peine d'échapper. Le mouvement des af- l'allocation de cinq millions pour la li-
faires fut subitement arrêté: le person- quidation des indemnités d'expropria-
nel administratif, menacé dans son exis- tion, ont appelé dans la colonie un
tence, n'accorda plus qu'une attention dis- mouvement de population et d'affaires
traite aux intérêts dont il était chargé ; qui va chaque jour en augmentant. Les
de l'armée d'Afrique fut dimi-
l'effectif troubles qui avaient éclaté dans les tri-
nué de trente mille hommes environ, qui bus ont été facilement réprimés; les ten-
rentrèrent en France pour la formation dances des indigènes vers les travaux de.
du corps d'observation des Alpes ; la po- construction et de plantation, un instant
pulation civile européenne diminua tout suspendues, ont repris tout leur empire.
à coup de vingt mille âmes; on conçut En un mot, si la situation matérielle est
dans les trois provinces des inquiétudes loin d'être aussi bonne qu'avant la révo-
sérieuses sur le maintien de la tranquil- lution de Février, on a cependant un
lité.Dans ces conjonctures si graves légitime sujet de ne pas désespérer de
on reconnut combien il était important l'avenir le progrès a repris sa marche, et
:

pour notre domination que les princi- on peut même dire que le succès main-
paux chefs de la résistance se trouvas- tenant se fera sentir sur une plus large
sent hors de l'Algérie Abd-el-Kader et
: échelle, parce que la vie politique a pé-
Bou-Maza étaient en France, Ben Salem nétré dans toutes les parties de la popu-
en Syrie; Ahmed-Bey lui-même était ré- lation.
duit à faire sa soumission.

FIN DE L'ALGERIE.
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ÉTATS TRIPOLITAINS,
PAR M. FERD. HOEFER

RÉGENCE DE TRIPOLI.

Djerbi ( Gerbi ou Jerbi ) qui établit la


ï. Description topographique ,

ligne de démarcation entre la régence


ET PHYSIQUE.
de Tunis et celle de Tripoli , est Yinsula
La régence de Tripoli y compris le ,
Meninx des anciens. Ératosthène lui
Fezzan et le Benghazi, est la partie le donne le nom d'île des Lotophages
moins explorée de la région méditerra- (Lotophagitis). Sa longueur est, suivant
néenne. "Limitée à l'est par l'Egypte, et Pline, de vingt-cinq mille pas , et sa lar-
à l'ouest par le beylik de Tunis , elle est geur de vingt-deux mille. A l'époque des
comprise entre 8-23° longitude est de Romains, cette île avait deux villes :

Paris, et le 23°-33° iatitude boréale. l'une, Meninx, sur côte qui regarde
la

Elle s'étend le long de la côte depuis l'île l'Afrique , et l'autre, Thoar, sur la côte
de Djerbi, à l'entrée du golfe de Cabès, opposée. Elle est à deux cent mille pas
jusqu'au Ras-el-Mellah. du promontoire oriental de la petite
Les dernières ra mifications de la grande Syrte (1). — L'île de Djerbi a un ex-
chaîne de l'Atlas viennent aboutir aux cellent port; elle compte, selon Ritter,
limites occidentales de Tripoli , au golfe environ 30,000 habitants, très-indus-
de Cabès. Ce golfe jadis connu sous le trieux : ils ont changé leur île en un vé-
,

nom de petite Sy rte ( Syrtis minor), fait ritable jardin, et envoient leurs pro-
partie du territoire de Tunis (1). L'île de

Nat., "V, 4). C'est au nord de la petite Syrie ,


(ï) Le de Cabès ou petite Syrie com-
golfe plus près de Carthage, que se trouvait située
mence près des îles de Kerkeni( Cercina ), sé- la ville de Leptis parva. —
Au rapport de
parées de la côte par un profond canal. Un Pline , l'île Cercina comprenait une ville libre
énorme banc, très-poissonneux s'étend , dans
, du même nom ; elle avait vingt-cinq milles d'é-
une direction nord-est, depuis les îles de tendue dans sa moindre longueur, sur douze
Malte et de Sicile jusqu'à l'île de Lampeduse mille cinq cents pas dans sa plus grande lar-
(Lopadusa), et forme tout près de Kerkeni geur ; et aux extrémités sa plus grande lar-
une mer calme et paisible dans les plus vio- geur ne dépassait pas cinq milles. Du côté qui
lentes tempêtes. Il est difficile de l'aborder, à regardait Carthage, elle était jointe à une
cause des bas-fonds, et les îles qui couvrent autre île, nommée Cercinitis. « A cinquante
la surface de l'eau ne sont reconnaissabîes à , mille pas environ de l'une et de l'autre est,
une certaine distance que par leurs groupes
,
ajoute Pline , Lopadusa, dont la longueur est
de palmiers. Les habitants de ces îles au , de six mille pas. » (lbid.,/oc. cit. )
nombre de six cents environ , obéissent à un (ï) Clarissima est Meninx , longitadine
chei'k, et vivent de la pêche. XXV. M. pass. latitudine XXII, ab Eratos-
De toute antiquité , les deux Syi tes étaient thène Lotophagitis appellata. Oppida habet
renommées pour leurs bancs de sable et les duo, Meningem ab Ajricœ latere , et ahero
dangers qu'elles offraient à la navigation : Thoar ; ipsa a dexiro Syrtis minoris promon-
vadoso acreciproco mari dirœ,<\\l Pline (Hist. torio passibus CC sita. (Plin., Hist. nat n Y, 7.)
re
l Livraison. (États Tripolttaik S.) 1
L'UNIVERS.
ductions à Malte et dans beaucoup d'au- n'est que de têtes et d'ossements d'hom-
tres endroits; leurs marchandises en mes entassés les uns sur les autres (1). »
laine, en iin et surtout leurs châles sont L'île de Djerbi est actuellement au
répandus dans tous les États barbares- pouvoir du pacha de Tripoli, depuis l'é-
ques. —
Léon l'Africain appelle cette île poque où les Arabes en chassèrent les
Gerbo, et en fait la description sui- ducs d'Alva et de Médina Cœli, dans le
vante : « Gerbo est une île près de la terre quinzième siècle. Suivant Shaw, on ap-
ferme, toute plaine et sablonneuse, et porte de cette île à Tripoli une quantité
garnie d'une infinité de possessions de considérable d'un fruit de la grosseur
vignes , dattes , figues , olives et autres d'un haricot, et jaune clair lorsqu'il est
fruits , et contient de circuit environ nouvellement cueilli. Serait-ce le lotus
dix-huit milles. En chacune de ces pos- des anciens? Les Arabes l'appellent kar-
sessions est bâtie une maison , et là ha- roubj et se servent de sa graine pour pe-
bite une famille à part, tellement qu'il ser les diamants et les perles (2).
s'y trouve force hameaux, mais peu qui Tmpoli ). Le ca-
{Trebllz, Tarabilis
aient plusieurs maisons ensemble. Le pitaine H. Smith place chef-lieu de la
le

terroir est maigre, et quelque soin qu'on régence de Tripoli à 32° 54' 13" latitude
mette à le labourer et l'arroser, à grande nord , et 30° 50' 30" longitude est de
difficulté y saurait-on faire croître un de Fer.
l'île A
l'entrée du port, à quelques
peu d'orge ce qui cause toujours une
, milles de la terre, une verdure magni-
grande cherté Il y a un fort sur la fique donne au pays un aspect pitto-
mer, auquel le seigneur avec sa famille resque. Toutefois, aucun objet ne semble ;

fait résidence, et tout auprès d'iceluy interrompre l'uniformité du sol, qui est :

y a un gros village, là où logent les d'une couleur presque blanche, et en- l

marchands étrangers comme chrétiens, , trecoupé de longues avenues de pal-


maures, turcs, et s'y fait toutes les se- miers. La ville offre au loin la forme j

maines un marché que l'on prendrait d'un croissant. L'extrême blancheur |

quasi pour une foire, à cause que tous des édifices, plats et enduits de chaux, \

les habitants de l'île s'y assemblent. frappe d'abord les regards. Les établis-
Joint aussi que plusieurs Arabes de sements de bains forment, dans les dif- i

terre ferme s'y transportent avec leur férentes parties de la ville, des groupes .

bétail, y portant des laines en grande de dix ou douze grands dômes. Les mos- j

quantité. Mais ceux de l'île vivent de la quées sont la plupart entourées de plan-
facture et trafique des draps de laine tàtions de figuiers et de dattiers. En
( au moins la plus grande partie ) , les- entrant dans la rade, on aperçoit quel-
quels portent vendre, ainsi que du
ils ques buttes de décombres qui indiquent 1

raisin sec dans la cité de Tunis ou d'A-


, les effets destructifs du temps. Le châ-
j
lexandrie (1). » teau où réside le dey est à l'extrémité ]
Cette description s'accorde en tout occidentale de la ville , au dedans de l'en- '

point avec celle que donne Marmol, ceinte ; tout auprès se trouve le chantier.
qui appelle cette île Gelves (2). Ce château est très-ancien; il est fortifié
Paul Lucas donne à l'île de Gerbo par une haute muraille, et paraît inex-
soixante milles de tour. Il y vit, près du pugnable. Mais il est très-irrégulière-
château où réside le gouverneur, une ment construit à l'intérieur, à cause des
pyramide de trente pieds de haut et de additions nombreuses que l'on y a faites
plus de cent trente de circonférence. pour loger tous les membres de la fa-
« C'est , dit-il le tombeau des chrétiens
, mille du dey c'est ce qui le fait ressem-
;

qui furent tués par Arcan le cheik qui , bler à une petite ville.
conquit l'île sur la chrétienté. Cette
pyramide est faite de pierres de taille
(1) Paul Lucas, Voyages, etc., t. II, p. i36.
jusqu'à la moitié; le reste jusqu'au haut
(2) L'espèce végétale dont il est ici ques-
tion, et que Shaw n'a point décrite, est, se-
{ï) Léon
l'Africain, Description de V Afri- lon toute apparence, le caroubier (ceratonia
que , 290; édit. in-folio, Lyon, i556.
p. siliqua, L. ). Je ne suis pas éloigné de croire
(2) Marmol, Afrique, ti ad, de Perrot d'A- que le fruit du caroubier était le véritable
blancourt, tome II, p. 538; Paris, 1667, in-4 . mets des Lotophages.
ÉTATS TRIPOLITAINS.
Les murs et les tours qui forment croix ces ailes contiennent des bouti-
;

l'enceinte de Tripoli sont clans un état ques bâties de chaque côté, avec un
fort délabré. La mer baigne cette en- chemin au milieu pour les acheteurs.
ceinte de trois côtés; une plaine de sable L'autre est beaucoup plus petit, et n'a
joint la ville au continent; à l'est, elle pas de boutiques; il n'est destiné qu'à
est limitée par une contrée stérile, la vente des esclaves noirs. L'extérieur
où l'on ne rencontre que des Arabes de la grande mosquée où les membres ,

nomades. Le sol est très-inégal dans décédés de la famille du dey sont en-
la ville, à cause des décombres accu- sevelis est de la plus grande beauté. Elle
,

mulés sur lesquels on élève souvent est bâtie dans la grande rue, presque
de nouvelles bâtisses qui se trouvent vis-à-vis du château. Devant la porte de
alors de niveau avec les terrasses des la mosquée est une seconde entrée, faite
maisons voisines. Les rues sont étroi- en un treillis de bois, ciselé d'une ma-
tes, quoiqu'elles soient plus larges que nière curieuse, avec deux portes à bat-
celles de Tunis. Des palanquins, doublés tants, aussi en treillis. Un grand nom-
de toile, et portés sur des chameaux, bre de belles tuiles coloriées lui donnent
y remplacent nos voitures. Aucune des un air de propreté extrêmement agréable
femmes appartenant à la famille du dey à l'œil. Au-dessus des portes de toutes
ne se promène dans les rues, excepté les mosquées on voit, sculptés et peints,
lorsqu'elles se rendent à leurs mosquées, de longs préceptes du Koran. Ceux qui
pour remplir un vœu, ce qui leur arrive se trouvent au-dessus de la porte de la
assez fréquemment. Elles sortent jus- grande mosquée sont peints et dorés
qu'à onze heures ou minuit, escortées plus richement, et la sculpture en est
par une garde nombreuse. Les femmes préférable à celle de toutes les autres,
de la moyenne classe sortent générale- 11 n'y a dans les mosquées ni sièges, ni

ment à pied , mais rarement sans être pupitres, ni carreaux pour s'agenouiller,
accompagnées par une esclave. Elles se ni prie-dieu ; tout le monde est debout
couvrent d'un vêtement appelé baracan, et indistinctement placé. Le café —
large d'environ un mètre, et long de trois bazar est le lieu où l'on s'assemble pour
à quatre. Le baracan les cache entière- se communiquer les nouvelles du jour,
ment; elles le tiennent si près de la fi- et pour prendre le café. Aucun Maure
gure, qu'à peine y voient-elles assez de la classe distinguée n'entre dans ce
pour guider leur marche. Les juives bazar : ils se font apporter le café par
portent cette partie de leur habillement leurs esclaves à la porte où il y a des ,

à peu près de la même manière, à l'ex- lits de repos en marbre, couverts de


ception qu'elles laissent un œil à décou- berceaux verts ; ces lits de repos sont
vert, ce qu'une Mauresse n'oserait faire garnis de tapis et de nattes de la plus
sans ternir sa réputation. —
On trans- grande richesse. C'est là qu'à certaines
porte les marchandises à dos de cha- heures du jour on trouve les principaux
meaux et de mulets; la poussière que Maures assis, les jambes croisés
et oc- ,

ces animaux occasionnent dans des rues cupés à boire du café qui est très-fort
,

sablonneuses est insupportable (t). et contient quelquefois de la cannelle et


La ville de
Tripoli renferme de des clous de girofle. Quand les Maures
quinze à vingt mille habitants ; elle est se trouvent dans les cafés publics, ils
bâtie sur un rocher. On voit çà et là des sont servis par leurs propres esclaves
parties de pavé, dont quelques-unes sont noirs , qui se tiennent constamment au-
fort anciennes et paraissent être du
, près de leur maître : i'un porte sa pipe,
temps des Romains. Les boutiques ont un autre sa tasse, et un troisième son
un aspect misérable les plus belles ne
: mouchoir.
sont guère que des échoppes mais elles ; On voit à Tripoli l'un des arcs de
renferment souvent des marchandises triomphe romains les plus beaux et les
d'un grand prix. Tripoli possède deux mieux conservés. ( Voir la planche ). 11
bazars l'un a quatre ailes en forme de
: , fut construit , vers Tan 164 de l'ère chré-
tienne, par un questeur, sous le règne
^(i) Voyage à Tripoli, etc. (trad. de l'anglais commun de Marc-Aurèle et de Lucius
par Mac-Car thy), t.I, p. 5o;Paris, 1819. iElius Verus. Lorsqu'en 161 ces deux

1.
,

t/UJNIVEUS.

empereurs commencèrent a régner, ils Al'époque ou Lemaire était consul à


changèrent leurs noms , ce qui explique Tripoli (vers le commencement du dix-
le grand nombre de lettres initiales em- huitième siècle), ce monument était bien
ployées dans les inscriptions de l'arc de moins endommagé qu'il ne l'est aujour-
triomphe. d'hui. Voici la description qu'en a donné
Quand ce monument fut élevé il n'y ce consul : « Il n'y a rien de curieux à
avait guère d'autres lieux habités près Tripoli qu'un ancien monument, qui est
de Tripoli que Lebida, le Leptis magna un arc de triomphe, tout de marbre
des anciens. Lucius Verus se trouvait blanc élevé de trois toises , et qui est
,

à cette époque dans les bois de Daphai enseveli pour le moins autant clans la
à Antioche, où il se livrait à des excès terre l'architecture et le bas-relief en
:

de tout genre. Des Romains occupés à sont admirables; il y a quatre bustes de


la chasse des bêtes féroces , s'étant éga- consuls romains, tous mutilés. Les or-
rés vers l'endroit où se trouve aujour- nements des quatre coins sont des pilas-
d'hui Tripoli, trouvèrent sous cet arc tres ornés de feuilles de vignes. 11 y a
de triomphe un abri salutaire contre la quatre portes, au-dessus desquelles est
chaleur brûlante du soleil. un char de triomphe, avec une figure
L'arc de triomphe de Tripoli est très- d'Alexandre tirée pardeuxsphinx; au-des-
élevé sans le paraître, à cause de la sous sont des troupes d'esclaves. Il y
grande quantité de sable qui s'est accu- avait au-dessus des portes des inscrip-
mulée autour. On peut estimer que la tions latines ; il y en a encore une du
partie qui se trouve au-dessous de la côté du nord que j'ai copiée avec M. Paul
surface du sol égale celle qui est au- Lucas. La voûte en est bien conservée ;
dessus. 11 est construit en pierres d'une elle est ronde, avec de très-beaux orne-
si grande dimension que l'on a peine à ments en relief, et tout l'édifice est bâti
s'imaginer comment elles ont pu être sans chaux ni ciment. Ces pierres de
transportées dans ce lieu , surtout lors- marbre de cinq à six pieds d'épaisseur
qu'on sait qu'il n'y a ni pierres ni car- en carré , sont assises sur des platines
rières dans ce pays. On n'a employé de plomb, et liées avec des crampons de
aucun ciment pour joindre les pierres fer. Près des murailles on trouve des
et cependant leur solidité est telle , que tombeaux creusés dans la pierre, à trois
le monument existe encore dans toute toises dans la roche : ils sont faits en ma-
son intégrité, malgré les ravages du nière de fours, mais plus grands et plus
temps. La voûte est de la plus belle élevés , avec plusieurs niches. On trouve
sculpture. Il n'y en a qu'une petite partie dans chacun une grande urne de verre.
de visible parce que les Maures l'ont
, Toutes ces ruines sont remplies d'osse-
remplie de décombres et de mortier pour ments de corps humains, et d'une eau
faire des boutiques. On voit à l'exté- rousseâtre , insipide (1). »
rieur des groupes énormes de figures Les maisons de Tripoli diffèrent de
d'hommes et de femmes dans toute leur celles des autres villes de l'Orient elles :

grandeur; mais ces figures sont trop ont presque toutes trois ou quatre étages.
mutilées pour qu'on en puisse compren- On passe d'abord pour y entrer, par-
,

dre la signification (t). une salle ou loge que les Maures ap=
pellent skiffar, ayant des bancs de
Depuis longtemps cet arc de triomphe
(i)
pierre de chaque côté. De là un esca-
ne subsisterait plus
, si les gens du pays ne
lier conduit à -un seul grand apparte-
croyaient pas qu'il leur arriverait de grands
malheurs s'ils y touchaient pour le démolir.
ment nommé gulphor, qui a des croi-
sées sur la rue , ce qui n'est permis dans
Ils racontent qu'un prince en voulant un jour
ôler quelques pierres , il se fit un tremble-
aucune autre partie de l'édifice. Cet ap-
ment de terre épouvantable ; et comme, malgré partement est uniquement réservé au
l'avertissement du ciel, les ouvriers conti- maître de la maison c'est là qu'il traite
;

nuaient à travailler à la démolition , il vint


une pluie de sable qui les ensevelit tous. On des découvertes curieuses.' (Voyages de Paul
y voit encore une pierre à demi tirée, dont Lucas, t. II, p. i33 ; Paris, 1712. )
on n'ose pas seulement approcher. Des fouilles (1) Yoyez Paul Lucas, Voyages , etc., t. II,
qu'on ferait aux environs pourraient amener p, 129 et i3o,
ÉTATS TÏUPOLÏTAINS.
d'affaires et reçoit ses amis. Les per- L'auteur du Voyage à Tripoli (belle-
sonnes même de sa famille n'osent en- sœur de M. Tully ancien consul géné-
,

trer dans le gulphor sans son autorisa- ra! britannique à Tripoli) donne la des-
tion. D'un autre côté le maître ne peut
, cription suivante du château, qui n'a été
entrer dans l'appartement de sa femme : visité encore que par un très-petit nom-
s'il trouve sur le seuil une paire de san- bre d'Européens.
dales de dames, il doit attendre, pour « Ce château est environné d'un mur
passer outre qu'elles aient été retirées.
, de plus de quarante pieds d'élévation,
Au delà de cette salle est une cour, plus avec des créneaux, des embrasures et
ou moins richement pavée , suivant la des tours, d'après l'ancienne manière
fortune du propriétaire. Quelques-unes de fortifier. Son architecture est d'une
de ces maisons sont en ciment brun, époque reculée; il est, au reste, très-dé-
ressemblant à du marbre très-poli; d'au- figuré dans l'intérieur, par les additions
tres sont de marbre noir ou blanc; les irrégulières faites par le pacha actuel
plus communes sont de pierre ou de pour contenir les nombreuses branches
terre. Mais, petites ou 'grandes , elles de sa famille. Après avoir passé la grande
sont toutes bâties sur le même modèle. porte, on entre dans la première cour
La cour sert à recevoir un grand nom- du palais remplie de gardes qui atten-
,

bre de femmes, que la maîtresse de la dent devant le skiffar ou salle , où le


maison régale à l'occasion de la célé- chiah se tient tous les jours : c'est l'of-
bration d'un mariage ; et, en cas de mort, ficier le plus élevé en grade, et auquel le
à l'accomplissement des cérémonies fu- pacha accorde le plus de confiance. En
nèbres, avant que le corps soit porté en cas d'absence du pacha, c'est lui qui
terre. Dans ces circonstances, on couvre est investi du pouvoir suprême. Personne
ïa cour de nattes et de tapis de Turquie, ne peut entretenir le pacha d'aucune
et on tend dessus une toile pour se affaire que par son intermédiaire; un
garantir de l'intempérie de l'air. De grand nombre de gardes et d'esclaves
riches coussins de soie sont placés tout sont toujours auprès de sa personne. Il
autour pour servir de sièges les murs
; y a dans cette salle une place carrée et.
sont garnis de tapisseries; en un mot, comme une galerie, soutenue par des
la cour est transformée dans un grand piliers de marbre, où est bâtie la mes-
salon. Elle est environnée d'un porti- seley ,ou chambre du conseil, et où le
que, soutenu par des piliers, et au-des- pacha reçoit sa cour dans les jours de
sus duquel s'élève une galerie dans les gala. L'extérieur de cet appartement
mêmes dimensions, fermée par un est garni de tuiles chinoises, dont un
treillis de bois. Du portique et de la certain nombre forme une espèce de ta-
galerie on entre dans de grandes cham- bleau; on s'y rend par un escalier en
bres qui ne communiquent pas entre marbre de différentes couleurs. Le
elles, et qui ne sont éclairées que par nabar, ou musique royale, joue avec
cette cour. Les croisées sont sans car- beaucoup d'appareil devant là porte de
,

reaux elles n'admettent qu'une lumière


: la messeley, chaque après-midi, quand
sombre, par des espaces qui n'ont pas le marabout annonce la prière vers
plus de trois lignes de largeur, et sont l'heure du coucher du soleil. Le nubar
traversées par de lourdes barres de fer. ne joue jamais que pour le pacha et son
Les combles des maisons sont couverts fils aîné, lorsqu'ils vont en campagne

de plâtre ou de ciment, et entourés d'un avec l'armée. Avant qu'il commence, le


parapet d'un pied de haut , pour empê- chef ou capitaine des chaoux, remplis-
cher que rien ne tombe dans la rue. sant les fonctions de héraut d'armes
C'est sur ces terrasses que les Maures renouvelle la cérémonie de proclamer le
sèchent et préparent leurs figues, leurs pacha. Les sons du nubar sont singuliers
raisins et leurs dattes. Us vont y jouir de pour une oreille européenne ; ils sont
lafraîcheur que procure Vinbat ou brise formés par le turbuka, espèce de tim-
de mer. Des terrasses les eaux pluviales bale , le chalumeau et le tambour de
tombent dans des citernes qui sont au- basque.
dessous de la cour, et où l'eau se conserve « Les nombreuses constructions ajou-
pendant des années sans se corrompre. tées au château forment différentes rues,
L'UNIVERS.
au delà desquelles est le bagne où sont que les lieux qui devroient être gras et
enfermés les esclaves chrétiens. Il s'y fertiles sont tous baignés en eau. Les
trouve dans ce moment un certain habitants de ce pays disent qu'ancienne-
nombre de Maltais, Génois et Espa- ment il y a voit une gran !e étendue de
gnols. Il n'est permis à aucun homme terres qui s'avançoient bien fort envers
d'approcher le harem plus près que du la Tramontane ( nord ) ; mais que par laps
bagne, où l'on est conduit par des eu- de temps et cours d'années elles furent
nuques à travers de longs passages voû- couvertes par l'heurt des flots continuels,
tés, si sombres que l'on a beaucoup de lesquels minoient toujours , comme il se
peine à reconnaître son chemin. On est voit aux plages deMonestir, Mahdiéh, Af-
frappé en entrant dans le harem d'une facos, Cabes, l'île de Gerbo, et d'autres
certaine tristesse. La cour est recou- cités qui sont devers levant
, ,et ne sont
verte d'un griliage fait de barres de fer guère profonds ces lieux là ; de sorte que
très rapprochées, ce qui lui donne une si quelqu'un venoit à entrer dans la mer

apparence très-mélancolique. Les ga- en ces endroits, l'eau ne lui sauroit ve-
leries qui régnent autour de la cour, nir jusque à la ceinture. Par ce moyen,
devant les chambres, sont entourées de ils disent que les lieux qui sont ainsi

treillis de bois à petites entailles. Lorsque étouffés ont été naguère couverts de
les filles du pacha sont mariées, elles la mer. Ils sont semblablement d'opi-
ont des appartements réservés à elles nion que la cité tirât plus en sus Tra-
seules ; personne ne peut y entrer, ex- montane mais que pour le continuel
,

cepté leur mari et leur suite; et si les miner de l'eau on Ta toujours retirée
princesses sont dans le cas de parler en devers midi, et disent qu'à présent
présence d'une tierce personne, même à même se voient des maisons et édifices
leur mari, à leur père ou à leur frère, cachés sous les ondes. —
11 y eut autrefois

elles doivent être voilées. Le grand nom- plusieurs temples en cette cité, quelques
bre de serviteurs qui remplissent toutes collèges et hôpitaux pour loger les pau-
les issues fait qu'il est presque impos- vres et étrangers. Les habitants usent
sible de se rendre d'un appartement à d'une viande fort vile, parce que les vi-
un autre (1). » vres qui se portent dans la cité ne sont
Il sera curieux de comparer ces dé- quasi suffisants pour la tenir fournie
tails fournis sur Tripoli par un voyageur un jour seulement ; et est estimé riche
récent avec la description que fait de cette le paysan qui peut épargner un setier de
villeun voyageur du seizième siècle. Voici grain ou deux pour sa provision. Néan-
comment s'exprime Léon l'Africain : moins ils s'adonnent fort à trafiquer, à
« Tripoli fut édifiée parles Africains, cause que la cité est voisine de Numidie
après les ruines de l'ancienne Tripoli, et de Tunis , ainsi que de Malte et de
et ceinte de hautes et belles murail- Sicile. Et souloient autrefois les navires
les, située en une plaine sablonneuse, des Vénitiens y aborder, lesquels me-
en laquelle il y a plusieurs dattiers. noient grands trafiques avec les mar-
Les maisons sont magnifiques en com- chands de Tripoli et avec ceux qui s'y
paraison de celles de Tunis, et sem- transportoienttous les ans (1). »
blablementles places ordonnées, et dépu- Voici comment s'exprime sur Tripoli
tées par divers métiers, principalement le géographe arabe lbn-Haucal, d'en-
de tisserands. Il ne s'y trouve aucun viron cinq siècles antérieur à Léon
puits ni fontaine, mais seulement des l'Africain. « La ville de Tripoli faisait
citernes ; et toujours le grain y est fort autrefois partie du gouvernement de la
cher, parce que toutes les campagnes de province d'Afrique et le siège du gou-
;

Tripoli sont en sable, comme celles de


Numidie, à cause que la mer Méditer- exacte, à ne juger que d'après les ruines d'an-
ranée se jette sur le midi (2), tellement ciennes cités maritimes , dont quelques-unes
sont en parue submergées sur la côte sep-
(i) VoyageaTripoli, ou Relation d'un tentrionale de l'Afrique. Sur la côte euro-
séjourde dix ans en Afrique ( trad. par péenne opposée le contraire doit avoir iieu.
Mac Carthy), tom.I, p. 61 ; Paris, 1819. (1) Léon l'Africain, Description de l'Afri-
(2) Cette observation est parfaitement que , p. 292. Lyon, i556, in-fol.
ÉTATS TRÏP0L1TAINS.
verneur était à Sabra ( Zavra ) , ville de la mer. Son port est beau et le mouil-
située à une journée de Tripoli. Le gou- lage y est bon. J'y vis des bâtiments an-
verneur de Sabra prélevait des impôts tiques, qui ont autrefois servi à faire des
sur des marchandises qui allaient de citernes. En d'autres endroits, il y a
Tripoli à Kaïrewan , et de ce dernier des caveaux, où l'on trouve des osse-
lieu à l'autre , indépendamment du droit ments de morts avec de belles phioles de
qu'on avait à payer au gouverneur de verres de plusieurs façons dont la plu-
,

Tripoli pour chaque bête de somme, part ont un petit couvercle, et quelques-
chaque ballot et chameau, Tripoli — unes sont encore pleines de liqueurs.
est bâtie en pierres blanches , et s'élève Autre part ce sont des plats et des as-
sur le bord de mer. C'est une ville
la siettesde terre rouge mais d'une finesse
,

très-riche et très-forte elle possède de


; qui rend précieuses, aussi bien qu'un
les
vastes bazars. Son territoire est d'une nombre infini de grandes jarres ou cru-
I grande étendue on y voit beaucoup de
; ches de terre rouge (1). »
termes et des terrains incultes. Le revenu Le capitaine Lyon donne sur les ha-
est aujourd'hui moins considérable que bitants de Tripoli les renseignements
celui de Barca. Elle produit des fruits suivants. « Un quartier spécial est,
délicieux tels qu'on en trouve rarement
, dit-il, assigné aux juifs qui y tiennent
dans le Maghreb ou ailleurs c'est-à-dire , leurs boutiques, et ils y sont enfermés
des pêches et des poires incomparables. tous les soirs au coucher du soleil. Ce
Les marchandises y abondent ainsi que quartier s'appelle Zanga-el-Yahoud.
la laine du pays. Les habitants se dis- Quoique persécutés , ils savent s'em-
tinguent par la dignité de leur carac- parer de tout le commerce et de toutes
tère, par la recherche de leurs vête- les places lucratives. Il leur est défendu
ments et de leurs tables par la beauté , de porter des vêtements d'un couleur
de leur figure et l'élévation de leurs brillante; le bleu est la seule couleur
sentiments. —
La situation du port en qui leur soit permise pour leurs tur-
rend l'abordage difficile aux vaisseaux bans. — L'ivrognerie est plus commune
le vent étant toujours contraire et la à Tripoli même que dans la plupart des
mer agitée lorsqu'un navire paraît pour
; villes d'Angleterre. Il s'y trouve des

y mouiller, les habitants de la ville, se maisons où l'on vend du vin publique-


jettent aussitôt dans des canots, avec ment; et l'on voit des Maures, assis à
des câbles et l'ont bientôt amené dans
, la porte, en boire sans scrupule. Ra-
le port ; ce qu'ils tbnt sans aucune ré- rement on traverse le Saldanah, la place
tribution, et par dévouement pour les du corps de garde, sans y rencontrer
étrangers (1). » quelques gens ivres. La plupart des
Au commencement du dix-huitième personnes de haut rang sont aussi de
siècle la ville de Tripoli était déjà bien grands buveurs; leur liqueur favorite
déchue de son ancienne splendeur, au est le rosoglio, qu'on tire d'Italie. Les
rapport d'un témoin oculaire. femmes de mauvaise vie sont nombreu-
« La puissance de cette ville , dit Paul ses. Quand elles sontconnuespourtelles,
Lucas, autrefois la plus fameuse pour on leur fait habiter un certain quar-
lescorsaires est à mon avis bien exté-
, tier de la ville, qu'on appelle Zanga-
nuée. Elle n'a plus que trois vaisseaux el-Ghaab, ou quartier des prostituées;
et une poulacre pour faire le cours; et elles ont un chiaoux pour intendant.
comme c'est son principal négoce et Ces femmes sont obligées de fournir la
toute sa ressource, elle serait sans doute nourriture aux chiens du pacha qui
bientôt ruinée entièrement si elle n'avait gardent l'arsenal. — Une coutume sin*
soin d'en fabriquer d'autres. Tripoli est gulière est de roter avec beaucoup de
une petite ville entourée de murailles bruit et le plus souvent possible. Les
et assez jolie; elle n'a que trois portes : grands personnages satisfont à ce besoin
une du côté des terres , et deux du côté avec un air de dignité solennelle, se
frottant la barbe, et remerciant Dieu du
Ibn-Haucal, Description de l'Afrique,
(i)
trad. par Slane. [Journal Asiatique, troi- (i) Voyages de Paul Lucas , etc., tom. II,

sième série, t. XIII, p. 166. ) p. 107 et 108; Paris, 1712, iu-12.


,

L'UNIVERS.
soulagement accorde.
qu'il leur Les — bords de mer, à l'ouest de Tripoli, 011
la

Tripolitains parient assez généralement voit un amphithéâtrebâti par les Ro-


une espèce de mauvais italien de sorte , mains. Cet amphithéâtre est à cinq rangs
que les Européens n'ont pas beaucoup de marches et très-bien conservé ; il a in-
de peine à se faire comprendre (1). » térieurement environ cinquante mètres
La plaine qui avoisine Tripoli est de diamètre.
fertile et bien cultivée; mais pendant « Zoara, dit Marmol, est une petite
les chaleurs de l'été elle se dessèche et ville sur la côte, bâtie à dix-sept lieues
présente l'aspect d'un désert. Le maïs y de l'île de Gelves, du côté du levant.
parvient à près de deux mètres de hau- Eiîe est fermée de méchantes murailles,
teur, etforme les plus belles allées pour et habitée par de pauvres gens, qui font
la promenade, lorsque le sable n'est pas de la chaux et du plâtre, qu'ils portent
trop mouvant. vendre à Tripoli, ou qui s'adonnent à la
Près de la grande route de Tripoli à pêche et vont en course avec les vais-
,

Tunis, il existe un lac sur les bords du- seaux turcs. Cette ville a été fondée par
quel on trouve du sel à une assez grande les Africains , et était autrefois fort peu-
profondeur. Ce lac est à sec une bonne plée, à cause d'un port où l'on abor-
partie de l'année; il est alors doux et dait de tous côtés pour le commerce.
uni comme le plus beau tapis. De là on Ptolémée lui donne 41° 15' de longitude,
voit dans le lointain les sommets bleus et 31 ° 30' de latitude , et la nomme Posi-
des montagnes de Gonrianah ( Gou- don. Elle fut ruinée la première fois par
rian, Gharian, Goriano). Il y a dans Occuba, avec Tripoli et l'a été encore ,

ces montagnes un village d'Arabes très- plusieurs fois depuis. Les Turcs la possè-
curieux les habitations ne sont facile-
: dent aujourd'hui, et les gouverneurs de
ment reconnues que par ceux dont Tripoli la chargent de tant d'impôts, que
elles sont le séjour, par la raison qu'elles les habitants sont misérables et ce n'est ,

sont toutes bâties sous terre. Une en- plus qu'un méchant village (1). »
trée petite, étroite et creusée oblique- Entre Tripoli Zoara est l'emplace-
et
ment conduit à la demeure ; on y fait ment de ^ancienne ville de Tripoli ( le
passer le bétail, qui est suivi par la fa- vieux Tripoli ), dont on ne retrouve pres-
mille. Ces Arabes sont pour la plupart que plus de vestige. Cette ville, bâtie
des bandits, que l'on n'attaque jamais, par les Romains, portait autrefois le
parce que les longs défdés souterrains nom d'Oea. Suivant quelques auteurs,
qui conduisent à leurs asiles les garan- elle fut fondée par les Phéniciens, en
tissent suffisamment contre toute entre- mémoire d'une ville de Syrie du nom de
prise. La longueur de ces défilés a donné Tripoli. Plus tard, elle tomba au pou-
lieu à une comparaison proverbiale voir des Goths quand
les Arabes vin-
, et
parmi les Maures. Tout conte trop long rent en Afrique règne du second
, sous le
est, disent-ils, comme le skiffar (entrée) calife , Omar, ils l'assiégèrent six mois
deGourianah, qui est sans fin. et la pressèrent tant, que les Maures
Il n'y a pas de rivière dans le voisinage furent contraints de l'abandonner et de
de Tripoli. Une sécheresse continuelle se sauver à Carthage : les Arabes rasè-
peut donc y occasionner facilement des rent la ville. Au rapport de Marmol, s'ap-
maladies pestilentielles. Il arrive souvent puyant sur l'autorité d'Ibn-el-Raquig
qu'il pleut pendant plusieurs jours de historien africain , la plupart des ha-
suite sans interruption ; mais une fois bitants furent tués , et le reste mené
que la pluie a cessé, il se passe quelque- captif en Egypte et en Arabie. Ce ne
fois des mois entiers sans qu'il tombe fut que longtemps après que les Afri-
une seule goutte d'eau. cains bâtirent la nouvelle ville de Tri-
poli (2).
A Zavia {Zoara de Marmol et de
Léon l'Africain ) , petite ville sur les
(1) Marmol , Afrique, tome, II, p. 56i
(édit. d'Ablancourt). Comparez Léon l'A- —
(i) Q. F. Lyon, Voyage dans l'intérieur de fricain Description de l'Afrique, p. 291.
,

V.Afrique septentrionale , p. 16. Paris, 1822


(2) Marmol, Afrique, t. II, p. 562. Léon
hi-8°. l'Africain, Description de t Afrique, p. 291,
ÉTATS TRÏP0L1TAINS;
Les caravanes allant de Tripoli à Fezzan d'un endroit à l'autre. Ils fabriquent une
passent par IVlesurate; elles font ce dé- sorte d'étoffe pour baracons, et des tis-
tour afin d'éviter les montagnes de Gou- sus épais de poils de chèvre, que l'on
rianah, qui forment l'extrémité orien- emploie à couvrir les tentes et qu'ils
,

tale du plateau de l'Atlas. Ces montagnes vendent aux Maures. Au printemps , ces
sont les seules que par un temps clair on Bédouins s'approchent de Tripoli par
aperçoive de Tripoli. « Garian, dit Léon la plaine qui touche à la ville; ils sèment
l'Africain, est une montagne haute et alors leur blé, attendent qu'il soit mûr,
froide, qui aen longueur quarante milles et disparaissent jusqu'à l'année suivante.
et quinze en largeur, séparée des autres Pendant leur séjour dans la plaine, leurs
par le sable, et distante de Tripoli envi- femmes tissent différentes étoffes, qu'ils
ron cinquante milles , produisant l'orge vendent aux Tripolitains. Ils dressent
en grande quantité et dattes en parfaite
, leurs tentes sous les murs de la ville,
bonté, mais elles veulent être mangées mais ne peuvent pas y entrer sans per-
toutes fraîches. Outre cela , il y croît mission. Leur chef est responsable en-
force olives, lesquelles rendent l'huile vers le pacha de tous les désordres qu'ils
en quantité, qui est ensuite transportée pourraient commettre.
à Alexandrie et aux autres villes voisines. Ces Bédouins se vantent beaucoup de
Semblablement le safran y est produit leur noblesse. Us se disent les descen-
en grande abondance, et admirable, dants des tribus de Sabéens, qui passè-
tant en couleur qu'en bonté tellement , rent de l'Arabie Heureuse en Afrique
que si la livre de Tunis , du Caire et de sous la conduite de Mélie-Ifrique, qui
Grèce se vend dix sarafes, celui-ci ne donna, dit-on, son nom à l'Afrique.
se délivrera à moins de quinze Il y a Leurs tentes ne sont pas somptueuses
en cette montagne jusqu'au nombre de dans l'intérieur elles sont dressées sur
:

cent trente villages, avec des maisons le sable qui , sans aucun préparatif sert ,

pauvrement bâties et mal en ordre (1). » de plancher. Lorsque les Bédouins ou


Ce récit s'accorde parfaitement avec Arabes causent ensemble, ils s'asseyent
celui de Marmol, que Léon l'Africain en cercle; celui qui parle commence d'a-
paraît avoir copié (2). bord par niveler un petit espace sur le
Les monts Gourianah sont habités, sable, avec sa main, et continue son dis-
ainsique les plaines sablonneuses voisi- cours avec ses doigts en faisant des si-
,

nes par de nombreuses tribus arabes,


, gnes sur le sable, et recommençant à le
parmi lesquelles on distingue celles des niveler, à mesure que le besoin" l'exige.
Tahoconis, des Acas, desBeniolides, des Ils sont si habitués à cela , que , faute
NowaSles et des INargummas. La pre- de sable , un ilrabe qui parle à un chré-
mière, composée d'Arabes pur sang, la se- tien saisit sa main , fait sur la paume
conde, de ceux d'Afrique, et latroisième, divers signes pour marquer les différents
des Bédouins errants. Les deux premiè- points de son discours , et passe ensuite
res sont également belliqueuses lesindi- ; une main sur l'autre pour annuler les
vidus sont d'un beau physique, d'un ca- signes déjà employés à la manière des
ractère généreux honnêtes dans leurs
, sourds-muets; si son interlocuteur lui
transactions et sobres dans leur manière refuse sa main, il se sert de la sienne.
de vivre. Chacune des tribus est gou- Les Bédouins sont ce qu'ils étaient il y
vernée par un cheik, qui réunit tous les a quelques milliers d'années. Ils s'abor-
pouvoirs civils et militaires. Chaque fa- dent encore en se servant de l'antique
mille a un chef pris dans son sein , qui salut « que la paix soit avec vous » ( sa-
:

a également droit de vie et de mort. lant aleikom). Les hommes portent un


Leur commerce est la guerre. Ils ser- épais baracan (bournous) de laine brun
vent d'auxiliaires à quiconque les paie foncé depuis cinq à six aunes de long,
,

le mieux. —
Les Bédouins font le petit sur environ deux de large; il leur sert
négoce , et vivent de ce qu'ils colportent de vêtement pendant le jour et de cou-
verture pendant la nuit. Us le mettent
(i) Description de l'Afrique , p. 297. en réunissant ensemble les deux extré-
(2) Voyez Marmol, Afrique, t. II, p. 576 mités supérieures au moyen d'un poinçon
(tvad. d'Ablancourt). de bois ou de fer. Ces deux extrémités
,

10 L'UNIVERS.
étant d'abord réunies sur l'épaule gau- gés d'impôts qu'ils se révoltèrent, et
che, ils s'enveloppent le corps avec le ayant été remis en leur devoir, ils fu-
reste ; il en est qui se drapent avec goût. rent condamnés à sept mille pistoles d'a-
Ce n'est pas une chose facile de porter mende, sans autre peine (1). »
un baracan , pour quiconque n'en a pas Tagiura est une plaine d'environ douze
l'habitude ; et un étranger est bientôt milles de long sur trois de large; elle
reconnu sous les plis de ce costume. est fertile, bien cultivée, et avoisine, au
midi un désert sablonneux. Le sable en-
,
Littoral depuis Tripoli jusqu'à
vahit de plus en plus les plantations de
Derna (1).
palmiers. On y trouve quelques colonnes
Le développement de la côte (de 13° magnifiques de granit, provenant, sui-
10' 22° 45' longitude orientale de
à vant Della-Cella, des ruines de Lebda
Greenw. ) depuis Tripoli jusqu'à Derna ou Lebeda (Lebida), la Leptis mayna
comprend le fameux golfe de la Syrte des anciens. La population de Tagiura
( Sidras ), que les Arabes appellent est d'environ trois mille habitants, mé-
Djioun-el-Kebrit,ougo\fede soufre. En lange de juifs et de Maures, qui se li-
quittant Tripoli pour suivre la côte à vrent principalement à l'industrie agri-
l'est on rencontre d'abord Tagiura, qui cole. Tagiura est, selon quelques auteurs,
est un groupe de villages dont les huttes YAbrotanum de Scylax.
sont dispersées dans une plaine. Marmol Après sept heures de marche, à l'est
l'appelle Tachore. « C'est, dit-il, une de Tagiura, on rencontre une petite ri-
grande campagne à quatre lieues de Tri- vière, JVadi-Msit ou fVadi-Rammel
poli vers le levant, remplie de plusieurs
, ( ravin sablonneux), qui doit son nom au

villages et de quantité de palmiers et pays qu'elle parcourt (2). Cette rivière a


d'autres arbres portant du fruit. Au sa source au sud, dans les montagnes
milieu est une grande mosquée, bâtie de Gourianah ; son lit est fangeux et pro-
depuis peu par les Turcs , comme une fond ses rives dépourvues de verdure.
;

forteresse, avec beaucoup de bois tout A quelque distance de là est le Wadi-


àl'entour, et force arbres fruitiers qu'on Sayd, petite rivière qui forme la limite
arrose par le moyen de certaines roues orientale de ce désert de sable, borné au
à cause que le pays est fort sec et sa- sud parles montagnes de Gourianah. Le
blonneux. Lorsque les chrétiens eurent Wadi»Sayd ainsi que le Wadi-Terragad et
pris Tripoli cette campagne servit de
, le Wadi-Bouforris traversent les riches
retraite aux habitants, et un Turc s'en prairies du Turot ( plaine de Jumarr ? ), :

étant rendu maître, se fit déclarer roi, où des pâtres bédouins ont établi leurs ;

et lit toujours la guerre aux chrétiens. tentes. L'humidité de ces prairies, pri-
Aussi Cénan Bâcha lui donna-t-il la ville vées d'arbres, mais toutes couvertes ;

de Tripoli, quand il l'eut conquise, pour d'herbes,est entretenue par quelques 1

en jouir pendant qu'il vivait. Les gens du montagnes qui s'affaissent vers la côte, j

pays sont barbares, et leur principal Tout terrain est sablonneux; c'est
le
exercice est voler. Ils vivent dans des pourquoi il faut creuser à une certaine
cabanes sous les palmiers, et se nour- profondeur, pour trouver un peu d'eau
rissent de farine d'orge et de vesce. Ils saumâtre. A
environ quatre heures de
dépendent du gouverneur de Tripoli de- marche de côte , Delia-Cella vit, sur
la
puis la mort de Morataga. Il y a dans une colline, un vieux castel en ruines;
ces villages grand nombre de cavaliers et les environs étaient couverts de vignes
d'arquebusiers fort braves, qui faisaient produisant des raisins délicieux. Ce voya-
des courses à Tripoli quand elle était
aux chrétiens ; mais ils étaient si char-
(1) Marmol, Afrique , t. II, p. 572 (édit,
d'Ablancourt).
Le relevé de cette partie de la côte de
(i) (2) Il faut se rappeler que le nom de Wadi,
la région méditerranéenne est exactement ou Ouadey , signifie , en arabe , tout à la fois
indiqué sur la carte de Beechey. (Proceedings vallée et étroite rivière. C'est qu'en effet
of tke expédition to explore the northern presque toutes les vallées étroites sont traver-
coast of Africa, from Tripoli eastward , in sées par des rivières qui s'alimentent des eaux
1821 et 1832, etc.] London, 1828, in-4 .) découlant du versant des montagnes.
ÉTATS TRIPOLITAINS. ti

geur pense qu'on pourrait en faire des La route de Sélim à Lebida longe le
vins exquis (1). pieddu mont Merdjip, sur le sommet
Dans voisinage fest Guadigmata,
le duquel on aperçoit de loin les ruines
qui paraît marquer l'emplacement de d'une tour considérable. Tout à l'entour
Graphara de Scylax. Ce géographe in- on trouve les vestiges d'anciens tom-
dique Graphara comme une ville située beaux.
entre Jbrotanum et Leptis magna. A Autant les environs de Tripoli sont
deux milles de Guadigmata on trouve stériles, autant ceux de Lebida (Lebda,
quelques colonnes et chapiteaux pres- ,
Lebeda) sont riants et fertiles. C'est là
que entièrement enfouis dans le sa- plutôt qu'on aurait dû fonder la capitale
ble (2). Un peu plus loin est l'embou- de la régence. Lebida ( Leptis magna)
chure du Wadi-Abdellata , sur les rives fut fondée par les Phéniciens de Sidon,
duquel Smyth a rencontré un village qui fuyaient leur patrie à cause des
formé de cavernes de Troglodytes. discordes civiles (1). Leur cité prit peu
Sidi-Abdellati est un village qui doit à peu un accroissement considérable;
son nom à un célèbre marabout , dont elle occupa le premier rang , après Car-
le tombeau est entouré de jardins et de tilage etUtique; ils contractèrent des
plantations de dattiers. La contrée en- mariages avec les Numides, habitants
vironnante est bien cultivée et riche en du pays, ce qui altéra un peu leur
bétail. C'était jadisune station militaire langue primitive; mais ils gardèrent en
de quelque importance, comme sem- grande partie les lois et les coutumes
blent l'indiquer les ruines de plusieurs sidoniennes et ils les conservèrent avec
;

forts carrés qui dominaient la route. Le d'autant plus de facilité que cette ville
tombeau du marabout est construit avec est éloignée du centre de la Numidie,
des matériaux d'édifices anciens et on , et que entre elle et la partie peuplée de
voit à l'entour des débris de faïence, de ce pays il y a de vastes déserts.
poterie et de verre. C'est peut-être là, et Leptis magna était une ville libre;
non à Guadigmata , qu'il faut placer le dès le commencement de la guerre de
Graphara de Scylax (3). Jugurtha ses habitants avaient envoyé
Après avoir quitté cette place, on tra- demander à Rome l'alliance des Ro-
verse le Wadi-Sébm, bordé par une mains. Ils l'avaient obtenue, et se con-
rangée de collines , appelée Terhouna, duisaient en bons et fidèles alliés, lors-
qui estunebranchedes monts Gourianah. qu'un certain Amilcar, peut-être un
Sur ces hauteurs la vue plonge à l'ouest
, agent de Jugurtha , essaya de s'empa-
dans la magnifique plaine de Jumarr, rer de l'autorité souveraine (2). Ni les
jusqu'au désert, tandis qu'à l'est le re- lois ni les magistrats ne purent le re-
gard embrasse la plaine de Lébida. Les tenir; mais les Leptitains envoyèrent
points les plus élevés au nord sont cou- au proconsul Métellus, qui venait de
ronnés de tours en ruines, vestiges d'an- prendre la ville de Thala, demander des
ciennes vigies. Les vallons sont très- secours et celui-ci leur envoya quatre
,

fertiles, mais peu cultivés on y trouve


: cohortes liguriennes , avec C. Annius
la vigne , l'olivier, le pistachier et dif- comme gouverneur, ce qui les mit en
férentes espèces de céréales. Sur le ver- état de s'opposer aux entreprises d'Amil-
sant oriental du Terhouna, Beechey car. L'histoire nous a laissé dans l'igno-
remarqua des débris de murs, de for- rance sur l'issue de cette affaire. Les
teresses , de tombeaux , et quelques frag- Romains envoyèrent, par la suite une ,

ments de colonnes de marbre.


(1) Le nom
de Lebida vient probablement
du phénicien lebatah , qui signifie dans le dé-
(i) Ne riuscirebbero vini dafar prevari- sert.
care l'austerita di un musulmano , Yiaggio de (2) Sallust. Beilum Jugurthinum , cap.
Tripoli, etc., p. 25. LXXTII Nam : Lepitani jam inde aprincipio
(2) De Guadigmata on aperçoit à sept milles belli Jugurthiniad Bestiam consulem et postea
au sud deux tours , Selma et Ipsilata , situées Romam miserant, amicitiam societatemcjue ro-
sur des hauteurs. ( Beechey. fatum. Dein , nbi impetrata , fuere semper
)

(3) Beechey , Proceedings 0/ the expe~ oni , fidelesque mansere et cuncta a Bestia,
dition, etc., p. 47. Albino, Metelloaue imperata gnariterfecerant.
te L'UNIVERS,
colonie à Leptis, dont les vestiges subsis- chey en parlent dans leurs relations. Lé
tent encore aux environs de Lebida. marabout leur défendit d'approcher de
A. l'époque de la domination des Van- sa demeure, et menaça le premier de le
dales en Afrique, les murs et les forti- manger tout cru (1). Du reste, on ren-
fications de Leptis paraissent avoir été contre beaucoup de ces marabouts fana-
détruits (1). Justinien les releva proba- tiques entre Lebida et Mésurate.
blement lorsque la ville devint la rési- Le capitaine Smyth, qui visita en
dence du préfet Sergius. Plus tard, les 1816 et 1817 une "grande partie de la
Sarrasins les démolirent de nouveau, au côte tripolitaine, donne sur Leptis ma-
rapport de Marmol et de Léon l'Afri- gna les détails suivants « Leptis magna,
:

cain. Depuis lors, Leptis paraît avoir été dit-il, est située dans un terrain plat,
entièrement abandonnée ses ruines ser- : argileux, bordé de petites collines. Une
virent en partie à la construction de la grande partie de ce terrain est couverte
moderne Tripoli. Pendant l'exarchat de de champs de blé, de légumes, de planta-
Salomon, successeur de Bélisaire, le tions d'oliviers, de grenadiers, de dat-
préfet Sergius fut assiégé dans Leptis tiers, et de quelques vignes. La récolte
par une tribu d'indigènes appelée Levâ- est annuellement endommagée par une
tes (2) ; il fut défait et obligé de se sau- espèce de rat ou gerboise, probablement
ver par la fuite (3). le p.uç <5W6ç( rat bipède ), qu'on voit re-
La de Leptis était située tout
ville présenté sur quelques médailles cyré-
près de la mer, sur les rives d'un tor- néennes. Les champs cultivés manquent
rent appelé Wadi-Lebda , qui, presque d'enclos : ils ne sont protégés que par
à sec en été, grossit beaucoup dans des rangées de scilla maritima. Dans les
la saison pluvieuse. Quelques vestiges terrains plus élevés, on ne trouve pas
d'un aqueduc semblent attester que cette mal de pâturages ; on y élève des cha-
ville fut jadis alimentée parles eaux du meaux, des chevaux, des bœufs, des
Cinyphus. Le port, qui n'a jamais été moutons et des chèvres. Mais la mé-
considérable, est en grande partie comblé thodedestructive des Arabes, qui autour
par les sables d'alluvion qu'entraîne le de leurs douairs appauvrissent le sol sans
Wadi-Lebda pendant ses débordements. songer à l'amender, s'y fait sentir d'une
Il faut fouiller à une assez grande pro- manière désolante.
fondeur dans le sol pour trouver quel- « Je visitai pour la première fois
ques débris d'édifices romains d'un ex- Leptis en mai 1816, pour m'assurer de .

cellent style. Presque toute la cité avait la possibilité d'embarquer les nombreu-
été construite en briques. Le capitaine ses colonnes enfouies dans le sable que
Smyth y a découvert les restes d'un le pacha de Tripoli avait offertes au roi J

cirque. Malheureusement il faudrait des d'Angleterre. Ces ruines présentaient \

sommes énormes pour exécuter ces tra- un aspect très-pittoresque débris d'une
:

vaux de débayement. grandeur déchue, elles formaient un '

A l'est de Lebida, on trouve, sur une contraste frappant avec les huttes épar-
colline, la demeure d'un marabout fort ses de tribus nomades , composant les
vénéré dans le pays. Della-Cella et Bee- villages deLebida et Legatah. La plus
grande partie de l'emplacement de Leptis
(i) Voy. Procop., Hist.
Vandal., lib. I, est couverte d'un sable blanc très-fin qui,
p. 17 : At
Gizerichus alia molirinon desiït.
poussé par les vents le long de la baie,
Nam prœter Carthaginem , Africce urbes a été arrêté dans sa marche envahis-
nudavit omnes.
sante par les piliers, chapiteaux, cor-
(2) Selon le major Rennel , le nom de Le-
niches, etc., de l'antique cité, lieu de nais-
vâtes dériverait de Libye et serait synonyme
,

Cependant Hérodote dit que sance de l'empereur Sévère (2). »


de Llbycus.
Libye vient du nom d'une femme indigène. Le capitaine Smyth rendit compte de
D'autres font venir de l'Arabe lub , qui
le son exploration au chef de la station de
signifie soif. Mais l'étymologie la plus pro- Malte, et signala au gouvernement bri-
bable est tf>;iS (lebya), qui en phénicien tannique les ruines de Leptis magna
signifie lionne; de là Libya , c'est-à-dire
pays nourricier des lions. (1) Beechey, p. 60. Della-Cella, p. 33.
'
(3) Procop. Hist. VandaL, lib. ÏI, p. 119. (2) Beechey, Joumey from Tripoly, p. 74'
ÉTATS TRIPOLITAINS.
comme pouvant donner, par des fouil- PFad-el-Khahan , dont les bords ver-
une riche moisson de monuments
les , doyants sont couverts d'arbrisseaux; on
d'art. Mais quand il y retourna, en y voit çà et là quelques ruines qui ren-
janvier 1817, il trouva presque toutes dent ce séjour fort pittoresque. A un
les colonnes, qu'il avait vues intactes demi-mille de l'embouchure de cette ri-
quelques mois auparavant, brisées en vière sont les vestiges de l'aqueduc qui
morceaux pour empêcher l'exportation
: fournissait l'eau à Leptis. Dans les en-
de ces belles colonnes, les Arabes avaient virons , qui sont marécageux on voit ,

imaginé de les réduire en fragments et de les traces manifestes de la chaussée dont


s'en servir eux-mêmes en guise de pierres parle Strabon, et qui avait été élevée
meulières. Smyth ne se laissa pas ce- par les Carthaginois. Cette circonstance
pendant décourager; il fit immédiate- montre que le Wad-el-Khahan (la rivière
ment déblayer le terrain et commencer faible ) est le Cinyphus ou Cinyps des
les fouilles. Mais il constata, à son grand anciens (1). Hérodote en parle en ces
regret, que
les édifices publics n'offrent termes « Le fleuve Cinyps, qui traverse
:

plus que des débris informes. Smyth le pays [des Maces], découle d'une col-
pense qu'ils furent démolis par l'intolé- line portant le nom des Grâces, et se
rance des premiers évêques chrétiens, jette dans la mer. Cette colline des Grâces
qui en voulaient jusqu'aux monuments est couverte de bois, tandis que le reste
mêmes du paganisme. La plupart des de la Libye , que nous avons mentionné,
statues sont complètement mutilées; est nu. Depuis la mer jusqu'à cet endroit
les ornements, les feuilles d'acanthe il y a deux cents stades (2). »

des chapiteaux sont défigurés ou brisés; Cette distance est, selon Beechey,
il ne reste plus que le fût massif des beaucoup trop grande ; caria rangée de
colonnes. Dans la nécropole il ne collines où le Wad-el-Ivhahan pren sa l

trouva que des amphores et des patères source n'est qu'à quatre ou cinq milles
assez grossièrement travaillées, ainsi de la côte (3). Ne pourrait-on pas ad-
qu'un petit nombre de médailles, par- mettre qu'une partie de cette côte, jadis
ticulièrement de Sévère, de Papienus, couverte de sable a été depuis envahie
,

d'Alexandre, de Julia Mammea, de Bal- par les eaux de la mer?


bus et de Gordien Pie. Enfin, il renonça Pline et Ptoiémée placent le Cinyphus
bientôt à poursuivre ces fouilles. A en beaucoup plus à l'est, dansle voisinage du
juger d'après ces ruines, Smyth place pays des Lotophages. Nous savons, d'a-
postérieurement au règne d'Auguste près Hérodote, que les environs du Ci-
l'époque de la plus grande splendeur de nyphus formaient une des régions les
Leptis. plus fertiles de l'Afrique (4).
Suivant Marmol, les ruines de Leptis A l'extrémité nord-est des marécages
servirent en partie à la construction de très-malsains qui entourent l'embou-
la moderne Tripoli. « Leptis, dit cet chure du Wad-el-Khahan, est situé le cap
historien, fut détruite par l'armée d'Oc- Tabia, où Beechey trouva les vestiges
cuba, la première fois queles successeurs d'un tombeau. Tout à côté est une ran-
de Mahomet passèrent en Afrique, et se gée de rescifs formant une sorte de cri»
repeupla depuis. Elle appartint au calife
de lïaïrouan, jusqu'à ce qu'une armée e

d'Arabes passant en Afrique contre Se


(x) Strab. XVII, § 18 : E^ç 8' èajl tzo-
Tqxôç Kivù<poç* xai [*sxà Tauxa SiaTStxic^à
rebelle qui avait fait soulever cette
Kapxï]86vioi,YS<pupoOVreç pàpaOpà
ti 8 ëTCoÉriaav
place , la ruina entièrement , et de ses
Ttva bU j(wpav àvs^ovxa.
ty)v
ruines on bâtit la ville de Tripoli quoi- , (2) Hérodot., lib. IV, cap. i75:AcàSsaÙT<À>v
qu'on voie encore quelques restes de ses [Mooctov] Kïvu^ uoTajxoç ps'wv êx Xocpou xaXsu-
c
anciens bâtiments (1).» [xévou Xapifwv sç 6âXa<j(Tav éxoiôoï. O 8s
' A neuf milles à Test des ruines de Le- Xâpoç oûxoç ô XaptTwv Sacrùç ÏSrçcu êc-ci, sou-
tfida, on trouva une rivière appelée ar\ç TÎjç àXXv]ç tïjç npov.a.'ta.'ksyQdaris Ai6uy)<; .

vptAyjç" àTîô ôaXàacT]; 8s sç auxov atàSioi Siyj-


xoaioi sîct.
(*) VAfrique de Marmol, trad.de Perrot (3) Le stade d'Hérodote est , selon Rennnl,
d'Abîancourl, t. II, p. 56i; Paris, in-4» de 10 \ milles anglais.
Ï007,
(4) Herodot. lib. IV, cap. 198.
i

L'UNIVERS.
voit sur une colline des environs les
; les Arabes l'appellent le Marsa-
ruines d'une forteresse. Tout près de là
grah, d'après lenom d'un village voisin.
est le petit hameau de Zouia, qui res-
Dans la belle plaine qui s'étend à l'est
du Wad-el-lvhahan on rencontre le,
semble à Zeliten. Le village de Zoraïg %
qui vient après, toujours le long de la
village de Zeliten ( Sliten ), comprenant
environ cinq cents habitants, dont la côte, renferme environ cent habitants,,
plupart sont juifs ; c'est le chef-lieu du occupés à la culture des dattiers ; deux
petites baies, formées par des rescifs,
district de même nom, situé entre le
Wad-el-Khahan Sélin.Ce district est
et portent le nom de Mersa ( port ) Zo-
fertile il renferme au
et très-peuplé :
raïg.
moins dix mille habitants, dispersés dans Au cap de Mésurate finit la zone cul-

une quinzaine de villages. Ils sont in- tivée qui s'étend le long de la côte a l'est
dustrieux et polis envers les étrangers.
,
de Tripoli. La ville de Mésurate est cons-
Chacun de ces villages est environné de truite avec assez de régularité; ses rues
plantations de dattiers et d'oliviers , qui se croisent à angles droits, et presque
produisent plus que les habitants ne au centre se trouve la place du marché,
consomment; le surplus est vendu aux qui est en partie occupée par un étang
Bédouins marchands. Près de Zeliten d'eau verte et saumâtre. Les maisons
sont deux sources d'eau douce qui entre- n'ont qu'un étage, et sont bâties en
tiennent un petit étang; les femmes de pierres brutes, le plus souvent sans chaux
l'endroit viennent y laver et s'y baigner. ni mortier; les toits sont plats et cou- ;

Le port de Zeliten (Mersa Zeliten) est verts d'algues. Le terrain est inculte;!
sans importance; il est peu profond et et sablonneux; les Arabes y creusent'

entouré de resciis. Les débris de chapi- facilement leurs silos ou greniers. Les*
teaux et de colonnes de marbre qu'on habitants vivent de l'agriculture et de la
voit dans les environs font supposer que manufacture de quelques étoffes de':
laine. Les caravanes du Fezzan et de
f

Zeliten est l'emplacement d'une ancienne


ville, peut-être du Cinsternx oppidum Tombouctou passent àMésurate, et don-'
dePtoiémée; c'est la première ville que nentà cette ville une certaine importance;
ce géographe mentionne après le Tpwpwv commerciale.
obcpov, le Cephalas promontorium de
« Les habitants de cette province,-
Strabon. dit Marmol, sont riches et trafiquent;
Plusieurs collines de sable environnent avec les chrétiens de marchandises d'Eu-
Zeliten et près de la baie on trouve le
;
rope qu'ils portent au pays des Nègres,
, 'f

tombeau d'un marabout fort vénéré, et qu'ils troquent contre des esclaves J

Sidi-Abd-el-Salam; ce tombeau est as- de lacivetteetdu musc, qu'ils vont vendrei


sis sur des colonnes de marbre de très-
en Turquie, sur quoi il y a beaucoup àj
petite dimension. On y voit aussi beau- gagner (1). »
coup defragments de verre et de faïence. La ville de Mésurate est loin d'être au-'
Entre les collines de sable sont des ves- jourd'hui aussi florissante qu'elle l'était
tiges d'anciens bains arabes. du temps de Marmol et de Léon l'Afri-
En sortant de Zeliten , on entre dans cain.
une vaste plaine, tapissée en grande Entre cette ville et la mer
se trouve
une rangée de sablonneuses,
collines
partie d'arbustes et d'arbrisseaux. Deux
routes se croisent dans cette plaine :
dont la hauteur dépasse de beaucoup
l'une conduit à Beniolid, au sud; l'au- celle des plus grands palmiers qui les
tre à Mésurate, à l'est, le long de la côte. entourent; et au delà de ces collines est
Sur les bords de cette dernière route on le cap de Mésurate proprement dit; il

remarque un grand nombre de monti- est formé de grès, et se trouve à environ


cules et des vestiges d'anciennes cons- trente-trois mètres au-dessus du niveau
tructions. On y rencontre le village de de la mer ; son sommet est entièrement nu
Sélin, probablement YOri de Della- et dépourvu de toute végétation; les col-
Cella c'est là que le voyageur italien lines qui l'environnent, et qui sont cou-
;

place le Kwarépvai de Ptolémée (1). On vertes de dattiers, lui donnent l'aspect

(i)Della-Cella,riag#ïWa Tripoli,e\c, p.38. . (i) Marmol , Afrique , t. II, p. 574.


ETATS TRIPOLITAÏNS. ts

ofun triple cap; d'où le nom de Tpoipwv fertiles ce désert demeura pour les mi-
,

àxpov que lui donne Ptolémée. C'est sans sérables qui vont nus , et sans souliers,
doute le promontoire des Têtes (KeçaXaî ) matés de faim, de soif et de chaud,
de Strabon (1), ou la corne occidentaledu parce qu'il n'y a aucune habitation dans
golfe connu sous le nom &v grande Syrte. tout le voisinage , et qu'il n'y croît rien
Il est bon de faire remarquer que l'é- dont on puisse faire profit. La Sicile
pithète de û^YiXvi, élevé, que Strabon donne leur fournit du blé, et, quelquefois
à ce cap, n'est vrai que comparativement n'ayant pas le moyen d'en acheter, ils
à toute la région, qui n'offre que des col- engagent leurs enfants, et vont faire
lines basses; car le cap en lui-même est des courses dans la Numidie , afin d'a-
peu élevé, et semble s'affaisser de plus voir de quoi les racheter ; car ce sont
]
en plus par suite de la dégradation de tous'traîtres et tous voleurs, qui dépouil-
;
!

ses assises en pierres de grès. lent les passants , puis les pendent par
Sur le sommet du cap Mésurate, la les pieds dans le dessein de leur faire
,

|
vue embrasse le contraste Je plus frap- vider tout ce qu'ils ont dans le corps,
j pant à l'ouest et au sud le regard s'ar-
: pour voir s'il n'y a point d'argent ca-
;
rête sur des plaines fertiles parsemées ,
ché (1). »
H de villages et de riches troupeaux; En quittant les champs cultivés de
tandis qu'à l'est l'oeil plonge dans un Mésurate pour entrer dans le désert
immense désert, plage stérile et désolée. de la grande Syrte on rencontre d'a-
,

!
C'est cette plage que Marmol , Léon bord le vaste marais dont parle Stra-
l'Africain et presque tous les géographes bon (2). Il s'étend au sud, le long de
i
anciens appellent le désert de Barca (2). la côte depuis Mésurate jusqu'à Djirafa.
Voici la description qu'en donne Le marais ( de cent un milles de long, sur
Marmol « A l'extrémité de la province
: quinze de large ) n'offre pas , comme du
I
de Mésurate commence un grand désert temps de Strabon, une nappe d'eau
que les Arabes nomment Saliart Bar- uniforme; il se compose d'Une mul-
ca, ou désert de la tempête, quoique titude d'étangs qui communiquent ac-
I
quelques-uns, mal à propos , prétendent cidenteliement avec ia mer. Plusieurs
!
qu'il signifie désert de la bénédiction. de ces étangs sont assez étendus et
I D'autres l'interprètent passage, comme assez profonds pour mériter le nom de
qui dirait passage des Syrtes; mais lacs; peut-être dans la saison des
c'est encore une corruption, car les pluies ne forment-ils qu'une seule
Arabes d'Afrique fie l'appellent point nappe d'eau ayant l'étendue indiquée
,

autrement que Ceirat Barca , ou che- par Strabon (soixante-dix stades de


min de la tempête, qui est le passage large sur trois cents de long ). A neuf
de Barbarie en Egypte. Il s'étend depuis milles environ de Mésurate on voit les
le cap de Rachaltin jusqu'à celui de vestiges d'une jetée de construction sin-
Glauque, sur la frontière de l'ancienne gulière, dans une étendue de trois cent
Alexandrie, par l'espace de quatre cents trente pas dans l'intérieur ; elle forme,
lieues, et en a plus de soixante de avec un butte située en face, ce qu'on
traverse depuis la mer Libyque jusqu'en pourrait appeler l'ancienne communica-
Numidie. C'est un pays rude, sec et tion ( <rro'(i.a ) du marais avec le golfe.
infertile, sans eau, sans culture, et Comme le terrain environnant est plus
sujet à de grandes tempêtes, dont sans élevé que ce marais, on comprend la
doute il tire son nom. Il était entière- nécessité d'un canal artificiel construit ,

ment inhabité avant la première venue par les anciens, pour l'écoulement des
des Arabes; mais après que les plus
puissants se furent emparés de terres (1) Marmol, Afrique, t. II, p. 578 (édit.
d'Abiaucourt ). —
Comparez Léon l'Africain,
Description de ïAfrique, p. 299 ( édit. in-
\
(i) Slrab. lib. XVII, § x8 : EV &cpa fol.; Lyon, i556 ).
h^y\ki\ xai ûXwSv]?, àçyi\
t^ç (Jt,eyàXyiç Supxéwç* (2) Slrab., § 20 : EicmXeovTi 8y) ry)v (xsyàXriv
xaAoùai ôs Ks<paXàç. SupTtv, sv ôeljiqi u,exà xàç KeçaXàç êaxt Xijxv^
(2) Les géographes modernes ont restreint Tpiaxoaiaiv uou <jt<x8iu)v tô pjxoç, éë5o[Jt,yjxovTa
ce nom , comme nous verrons plus loin à la , Se xb uXàroç , exôiôoixra eîç xàv xôXuov, sxovaa
plage sablonneuse située à l'est de Benghazi. xai vyjaia xai ûcpopjxov rcpà toù aTou.àioç.
,,

16 L'UNIVERS.

eaux. Peut-être ee canal servait-il jadis cartes désignent sous le nom de golfe
de refuge (Û<poop.o;) à des navires. de Zuca.
A quelque distance au sud du tom- Près de Mahada Della-Cella aperçut
,

beau du marabout Sidi-Abou-Chaïfa lesruines d'un vieux castel , très-vénêré


près de Mésurate, sont les ruines d'un par les Arabes; il s'appelait Kasr-elr
fort dont les murs circonscrivent [un Djebha ( palais de Jebha ) d'après le,

carré d'environ trente-trois mètres ; on nom du fils d'un célèbre marabout. Ce


y remarque des traces de murs plus castel se compose de trois chambres
petits, qui paraissaient avoir divisé le étroites ( dix mètres de long , sur deux
grand carré en plusieurs comparti- de large), voûtées, parallèles et com-
ments. Du côté nord-ouest on voit muniquant entre elles; dans celle du
quelques blocs de pierre, qui paraissent centre est porte d'entrée.
la

avoir appartenu à des arches suppor- A partir de là le passage du marais


tant la voûte d'un édifice. Ces ruines devient de plus en plus périlleux les :

se trouvent sur une colline basse, près Arabes eux-mêmes refusent souvent de
de la mer. Entre ces ruines et Abou- servir de guides. La croûte saline a
Chaïfa , le lac de Strabon paraît avoir dans quelques endroits à peine deux
également communiqué avec le golfe. pouces d'épaisseur elle se rompt sous
:

il ne faut pas confondre ce lac ou les pas du voyageur, qui s'enfonce dans
marais comme l'a fait d'Anville, avec
,
des creux assez profonds. Ces creux
le lac de Zuchis (golfe de Zuca?), qui sont remplis d'une eau saumâtre et sa-
appartient à la petite Syrte (1). Son lée; il en est qui ont de quatre à cinq;
passage est assez dangereux indépen-
: mètres de profondeur (1). Ils sont très- \

damment des fièvres qu'on y gagne, à nombreux, et contournés par des sen-î
chaque moment on court risque de voir tiersétroits qu'il est facile de man-
le sol s'enfoncer sous les pas des che- quer pendant la nuit.
vaux. On y rencontre çà et là quelques Près de Mahada, au fond d'une crique, ?

îloîs, semblables a des oasis. Le pre- Beeehey vit un bioc de marbre portant 1

mier de ces îlots qu'on trouve en quit- cette inscription française :

tant Mésurate s'appelle Taouerga; il


'

LA GABARE DU ROI
est situé en dehors de la route à sept ,
LA CHEVRETTE.
ou huit milles de la côte iiy a un village
; 1821.
et une belle plantation de dattiers. Tout LAT. 31° 35', LONG. 13° 18'.
alentour le sol est plat, formé d'allu-
Cette inscription fut évidemment gra-
vion, incrusté de sel, et entièrement
vée par l'équipage de la Chevrette, capi-
dépourvu de végétation.
taine Gautier, qui fit en 1821 le relevé
Arar est formé par une oasis sem- d'une partie de cette côte.
blable; il se fait remarquer par un
Les Arabes ont donné le nom de!
grand dattier, le seul qu'on rencontre
Djerid à quelques collines basses et
sur tout, le littoral de la grande Syrte.
stériles, entre Mahada et Mhad-Hassan,
A Melfa? au sud d'Arar, le sol s'élève petite oasis couverte de pâturages. On
un peu et se garnit de quelques plantes.
On y voit les ruines d'un marabout y voit quelques oliviers sauvages et les
restes d'anciens bâtiments. A partir de
abandonné. Souleb (pointe méridionale
Mhad-Hassan le chemin devient plus
du marais, d'après les dimensions
praticable; on remarque sur toute cette
données par Strabon) est plus fertile que
partiedu littoral, jusqu'àDerna, un grand
Mclfa; c'est la propriété de quelques
cheiks arabes, qui y entretiennent des
nombre de carrés, dont
petits édifices

troupeaux de chèvres et de brebis. Sou-


on ignore Ces édifices, espèces
l'usage.
de petits forts occupent la plaine aussi
,
leb est situé dans l'endroit que plusieurs
;

bien que les hauteurs ; ils ont de soixante-


dix à cent pieds carrés; les fentes des
(i)Strab. lib. XVII, § 18 Meta Sè.T^v
:
murs sont envahies par les racines des
Supxtv ( Peine Syrte ) , ZoO/iç ectti XifAvr) (jtoc- végétaux, qui donnent à ces ruines un
ôiwvTSTpaxostwv, orsvàv étouffa eiarcXoùv, xoù aspect très-pittoresque.
rcap' aÙTyjv izokiç, ôpcovu^oç Tcopçupoëaçsia
EXGvcya xat mov/daq 7ravTOÔ«7raç, (i) Beeehey, p. 129.
ÉTATS TRIPOLITAINS. 17

« A Mhad-Hassan nous nous procurâ- tout à fait inaccessibles à l'ennemi.


mes, ditBeechey, un peu de lait dans une La tour d'Euphrantas doit se trouver
tente arabe habitée par une veille femme dans les environs de Zaffran. C'est
avec ses deux fils. Ce furent, à l'excep- près de Zaffran qu'il faut chercher les
tion des chakals de quelques gazelles
, ruines de la ville de Sert ou Sort, si les
et oiseaux aquatiques, les seuls êtres mesures données par Édrisi sont exactes
vivants que nous eussions rencontrés (deux cent trente milles arabes ou deux
depuis notre campement à Souleb(l). » cent quarante-six milles géographiques
A seize milles au sud de Mhad-Hassan, de Tripoli) (i). Mais , d'après l'autorité
le marais finit à Djiraf. A quelque dis- d'Aboulfeda , il faut reculer l'emplace-
tance de Djiraf on rencontre un petit ment de cette ville plus à l'est, dans le
torrent appelé JVadi-Ghibaiba, dont les voisinage de Médinet-Suîtan. Les colon-
bords sont assez bien cultivés, seule nes qui portent des inscriptions tron*
culture des environs ; près de la on voit quées, et que Délia Cella regarde comme
les vestiges d'un ancien bâtiment. Plus des bornes de territoire établies sous les
loin, le sol perd sa désolante monoto- Ptolémées, appartiennent, suivant Bee-
nie ; il devient de plus en plus ondulé
et se couvre de prairies où paissent des
(i) Voici la description qu'Ibn-Haueal fait
troupeaux de chèvres et de moutons :
de celte ville, au onzième siècle : « La ville
mais la rencontre qui réjouit le plus le de Sort a l'apparence d'une forteresse, étant
voyageur dans cette contrée déserte, entourée d'une bonne muraille d'argile. Plu-
c'est celle des sources d'eau douce près sieurs peuplades de Berbères habitent ses en-
de Zaffrao. virons, et possèdent des terres où elles se
A Zaffran on trouve des vestiges de rendent, au lemps des pluies, pour les ense-
constructions nombreuses et régulières. mencer. Elle possède des dattiers dont les fruits
Cet endroit paraît avoir été jadis une parviennen! à maturité, mais elle produit
station militaire de quelque importance. moins de cannes à sucre qu'Audgela, et moins
C'est probablement ÏAspis de Stra- de dattes que Weddan ce qui s'y récolte suffit
:

bon (2) ; seulement son port n'est plus à peine aux besoins des habitants. Ils ont

aussi beau qu'autrefois : comme celui de des jujubes et d'autres fruits, et la vie y est
Lebida, il est en partie comblé de sable. à assez bon marché. Les dîmes et impôts
sont administrés par le chef de la prière. Il
Les édifices dont on voit encore les
a la direction de toutes les affaires de la ville,
ruines sont d'architecture romaine : la
ainsi que l'inspection des marchandises qui
forme quadrangulaire y domine. Leur arrivent de Kaïiewan
et d'Egypte, et sur
construction paraît remonter au règne lesquelles prélève un impôt; il vérifie les
il

|
de l'empereur Adrien. papiers et les patentes, et il saisit tous les
On est frappé du grand nombre d'an- objets que l'on cherche à passer frauduleu-
ciennes tours ou forteresses qui garnis- sement. Pour ces raisons, la ville de Sort est
sent presque toutes les hauteurs dans plus lieheet plus prospère qu'Adjédabia. Eile
cette partie de la Syrte, et dont quel- s'élève sur le bord de la mer, et un grand
ques-unes sont assez bien conservées. Ces nombre de navires y arrivent et en partent.
tours servaient, suivant Diodore et Par la quantité des étoffes de laine qu'elle
Appien , de lieux de refuge ou de ma- produit, elle n'est nullement inférieure à
j

gasins ; elles étaient dans le voisinage Adjédabia et à Barca. On y mange plus de


\ des sources d'eau douce. Ce qu'il y a de chair de chèvre que de mouton et la pre-
,

remarquable, c'est qu'on n'y découvre mière flatte le goût des habitants et des
étrangers. On y boit l'eau du ciel que l'on
aucune porte ni ouverture latérale; elles
recueille dans des citernes, les puits y étant
recevaient sans doute lejour par le haut ;
fort rares. Les alentours sont habités par de
c'est aussi par là que l'on s'y hissait
nombreuses peuplades de Berbères; il y a
:
probablement au moyen de cordes. On même dans l'enceinte de la forteresse un
comprend que ces forteresses étaient quartier qui leur sert de demeure. De temps
en temps des discussions et des guerres écla-
,

(i) Beechey, p. i34. tent parmi eux mais ces guerres ne se pro-
;

(a) Strab. lib. XVII, p. 836 edit. Casaub. longent pas comme celles du peuple de Sous
5/
\
Msxà Se xrjv Xiu-vyjv lônoç sgtiv Acttuç, xal et de Fez. » (Journal Asiatique, troisième série,
t. XTU,p. 164.)
e
2 Livraison, (États trtpoutai N"s.; 2
,

13 L'UNIVERS.
ehey, à une époque beaucoup plus ré- mieux conservées que celles de Zaffran.
cente ; quant aux inscriptions, ce seraient A IVIédinet-Sultan est une baie où des
des nomsdetribusgriffonnés pardes Bé- bateaux peuvent s'abriter. Près de là
douins. Ces colonnes se trouvent à Ha- estun lac, en apparence assez profond
med-Gàrouch, près de Zaffran. qui communique avec la mer en deux
Les environs de Zaffran sont pitto- endroits , et s'étend le long de la côte
resques et bien accidentés comparati- , à l'est. Peut-être ce lac servait-il autrefois
vement à la plaine marécageuse de de port ; cependant ses communications
l'ouest. Zaffran est une des places les plus avec la mer ne sont pas assez larges
importantes de laSyrte(l); elle est riche pour cela. Beechey y vit un grand nom-
en prairies, céréales et bestiaux. Les bre de flamants et de courlis.
habitants sont hospitaliers et polis en- AJSehim est une petite baie sablon-
vers les étrangers. Les hommes sont neuse. Hammah à quelques millesà l'est
vigoureux, bien faits, et les femmes a également une baie où l'on peut se pro-
jolies. Ces dernières portent une large curer de l'eau douce. Ces deux baies se
chemise de coton sous leur baracan , et reconnaissent facilement à un promon-
des bottes lacées au lieu de sandales. toire situé à égale distance de l'un à l'au-
Elles sont couvertes d'amulettes pour tre, et où se voient les ruines d'un ancien
se garantir contre les maux d'yeux, port.
maladies très-communes dans ce pays. Le chemin de Nehim à Bousaïda est
Entre Djedid et Zaffran on rencontre très-plat et offre peu d'intérêt. Les en-
beaucoup de silos ou greniers souter- virons de Bousaïda sont un peu mon-
rains. Dans ces greniers, qui sont ici tueux et couverts d'herbes et d'arbustes.
en usage de temps immémorial, le blé Les habitants sont occupés à élever des
peut se conserver pendant plus de cin- chameaux des brebis et des chèvres.
,

quante ans. Varron et César en par- A l'est de Bousaïda on trouve quelques


lent (2). faibles ruines et des cavernes nombreu-
De Zaffran à Hamed-Garousch , le sol ses, creusées, à ce qu'il paraît, par l'es

s'élève de plus en plus, et les vallées gerboises qui abondent dans contrée.
la
sont bien cultivées. On y voit beaucoup A Scharfa commence un lac qui s'étend
de gibier (lièvres) et d'oiseaux aqua- parallèlement à la côte, jusqu'au cap {ras)
tiques (pluviers, courlis, canards sau- Houeidjah, qui offre de loin l'aspect d'un
vages, bécasses). château en ruines ; c'est probablement le
Médinet- Sultan a été une station mi- cap Liconda. Entre le lac et la mer est
litaire importante. Les ruines de forte- une étroite bande de terre , entrecou-
resses carrées qu'on y remarque sont pée de collines sablonneuses, dont les
anfractuosités sont habitées par des
(i) Cette place doit sans doute son nom Bédouins très-hospitaliers ils offrent
:

à une espèce de crocus ( safran )


qui croît avec empressement du lait et des dattes
dans les environs. aux étrangers qui y passent.
Yarro, De Re Rustica, I, 57 : Quidam
(2) Entre fVadi-Schagga et Bendjerwad
granaria habent sub terris, speluncas , quas se rencontrent beaucoup de ruines pro-
vocant orsipouç, ut in Cappadocia acThracia. venant d'anciennes forteresses. C'est ià
Alii, ut in Hispania citeriore, puieos , ut in que se trouvait, suivant Beechey, la tour
agro Cartkaginensi et Oscensi. Horum solum d'Euphrantas (wûpioç ÊoçpâvTaç), qui
paleis substernunt , et curant ne liumor aut
sous le règne des Ptolémées servait de
aer tangere possit, nisicum promitur ad itswn.
borne entre les territoires de Carthage
Quo enim spiritus non pervertit, ibi non oritur
et de Cyrène. Ce qui rend cette opinion
curcuLio. Sic condition triticum manet -vel
annos quinquaginta ; milium vero plus aniios
probable, c'est la nature même du ter-
centum. rain depuis Zaffran c'est la position
:

la plus élevée et par conséquent le plus


Cœsar, De Bello Jfricano, cap. 65 : Est in
Afriea consuedo incolarum, ut in agris, et en vue de la côte.
in omnibus vere villis, sub terra specus, con- A l'ouest de la tour d'Euphrantas
deudi frumenti gratia, clam habeant, atque était la cité de Charax, mentionnée
id propter bella maxime, hostiumque subi- par Scylax et Strabon. Entre Bendjer-
tum adventum pr<estarent. wad et Hudia, Beechey place les ruines
ÉTATS TRIPOLITAINS. 19

de cette cité frontière. C'est à Charax cessu Syrtis


). « Il y a , dit Beechey
que les Carthaginois venaient échanger probablement peu de contrées dans le
leurs vins contre le silphium et le suc monde qui offrent un aspect aussi dé-
de cette plante (1). solé que cette plage. L'œil n'y ren-
Hudia ( de Hudi, juif) doit son nom contre que des marais, des sables et
à la qualité de ses eaux, qui, disent les des rochers stériles; de quelque côté
Arabes, ne sont bonnes que pour les qu'on se tourne, on n'y aperçoit aucun
juifs. Peut-être était-ce autrefois une ville être humain ni trace de végétation.
! juive; car, au rapport de Procope (2), Pendant le temps que nous passâmes
les juifs étaient jadis très-nombreux sur ce triste rivage, le silence de la
dans Pentapole, dont ils habitaient
la nuit ne fut pas même troublé parles
particulièrement l'extrémité occiden- hurlements de nos anciens amis, les
tale. Hudia était, il y a une trentaine chacals et les hyènes , qui aans les
i
d'années, infesté par des maraudeurs autres parties de la Syrte venaient tou-
arabes. On remarque près de là une jours rôder autour de nos tentes. Tous
colline dont le sommet est couronné les êtres vivants de la création semblent
! d'une masse d'albâtre qui lui donne avoir fui cette plage désolée (1). »
l'aspect d'un cône de glace. Les vallées Dans une caverne de ce coin aban-
adjacentes sont riches en plantes rares. donné, la fameuse Lamia , femme féroce
Près de Mahiriga, entre la route et dont le nom seul faisait, chez les Ro-
la mer, on voit les ruines d'un bâtiment mains , peur aux enfants, avait, suivant
carré occupant le sommet d'une rangée
, la tradition, établi son séjour (2). Le
;
de collines basses. Ce bâtiment se dis- sol se compose de sable mouvant, entre-
tingue de tous les autres du même pays : coupé de quelques collines basses. Mal-
à chacun des angles est une petite tour heur au voyageur qui est surpris dans
circulaire, qui s'élargit à la base. ces parages par le vent brûlant du
A l'est de Mahiriga, la contrée est sud Jéria est le point le plus élevé du
!

stérile, pierreuse, et offre peu d'inté- sommet de la Syrte, et par consé-


rêt jusqu'au delà de Linouf. On n'y aper- quent le plus favorable aux observa-
çoit d'autres êtres vivants que l'hyène tions hydrographiques de cette partie
et une espèce de taureau sauvage, que de la côte. Strabon mentionne le fort
!
les Arabes appellent bograk-wach. Automala comme situé dans l'endroit
Muktahr forme la limite des dis- le plus reculé du golie ( *atà tov p.uxov
; tricts de la Syrte et de Barca ; la ligne toû jco'Xwgu «owtoç ) (3). C'est là aussi que
de démarcation est indiquée par quelques Pline place le séjour des Lotophages :

|
tas de pierres. De là une branche de la in intimo sinu fuit or a Lotophaaon (4).
route se dirige vers les mines de soufre, C'est aussi quelque part au tond de
1 appelées Kebrit, qui sont situées aune la grande Syrte que devaient se trouver
journée et demie au sud. Le soufre les autels des Philènes, qui servaient
qu'on en retire est transporté par des de limites entre les territoires des Car-
!
chameaux jusqu'à Braïga, où il est em- thaginois et des Cyrénéens. Voici l'ori-
barque sur des navires qui stationnent gine de ces autels.
I

dans le port ( Mersa-Braïga). C'est sans « A l'époque, dit Salluste, où les

\
doute à cette circonstance que cette Carthaginois commandaient à presque
partie du golfe doit son nom de Djiun- toute l'Afrique , les Cyrénéens étaient
! el-'KebrU\%o\fo du soufre). Près de puissants et riches. Entre les deux États
Muktahr est un plateau remarquable, se trouvait une plaine sablonneuse
appelé Djebbel- Allah ( montagne de uniforme {ager in medio arenosus,
Dieu ) , et un lac assez grand ( Esub- una specie); il n'y avait ni fleuve ni
bah Muktahr >. A quelques milles, à montagne qui pût servir de limites.
i l'est on se trouve dans le point le Cette circonstance occasionna entre eux
plus méridional du golfe {in imo re-
(i) Voy. Beechey , p. 211.
(i) Strab. XVII, p. 688, édit. Casaub. (a) Voy. Diodor., lib. XX.
(a) Pracop., De JEdificïis , lib. V , p. no- (3) Strab., XVII, p. 836.
;
i i.ij Paris, i663, iu-fol. (4) Pline, Hist. Nat., lib. V, cap. 5.
20 L'UiN-lVERS.

une guerre longue sanglante. De


et l'est et à l'ouest. Au
sud de Sachrin
chaque côté, des armées et des flottes est un petit lac, desséché
pendant l'été,
avaient été dispersées, anéanties , et les et quelques ruines; de là une vallée
forces s'étaient affaiblies réciproque- s'étend à l'est, entre un plateau au sud
ment. Redoutant qu'un troisième peuple et une rangée de collines basses sur
n'attaquât les vainqueurs et les vaincus le littoral; ces collines sont formées de

épuisés, ils conviennent qu'à un jour sables mouvants et pouvantêtre, comme


marqué des envoyés partiront de cha- des avalanches, déplacées par la vio-
que ville, et que l'endroit où ils se ren- lence des vents. Des armées entières
contreront servira de limite aux deux peuvent y trouver leurs tombeaux.
nations. Les Carthaginois choisissent En quittant Sachrin , la côte se relève
deux frères, nommés Philènes. La doucement vers le nord. Après cinq
marche de ceux-ci fut rapide; celle des heures de marche, on arrive à Gar-
Cyrénéens plus lente. Était-ce leur faute tubbah, où l'on trouve quelques tentes
où celle du hasard? Je l'ignore; car arabes. A partir de là la terre devient
dans ces lieux les ouragans retiennent moins stérile, et offre un aspect plus
le voyageur comme en pleine mer : attrayant.
dans ces déserts plats et nus le sable, , Braïga fut jadis une place forte à ,

soulevé par les vents et agité avec en juger d'après ses ruines. A l'angle
violence, remplit la bouche, les yeux ouest de la baie ( Mersa-Braïga ) est une
des voyageurs, et retarde leur marche. hauteur où l'on voit les vestiges d'un
Les Cyrénéens, arrivés Ses derniers, vieux castel. On trouve dans les en-
craignant que leur retard ne fut puni, virons quelques inscriptions grecques
accusent les Carthaginois d'avoir quitté et latines; il serait important d'y faire
leur ville avant le temps convenu, dé- des fouilles. Au sud ouest de Braïga
naturent les faits aiment mieux enfin
, est un lac salé, plus bas que le niveau
tout endurer que de s'en retourner de la mer, avec laquelle il communique
vaincus. Les Carthaginois demandent par une source jaillissante. Plus au
un autre accord, égal pour les deux sud on rencontre de grands pâturages ,
parties. Les Grecs leur donnent le où paissent des troupeaux de chameaux,
choix, ou d'être enterrés vifs à cette de chèvres et de brebis. Beeehey pense
limite contestée, ou de les laisser s'a- que c'est près de Braïga qu'il faut
vancer aussi loin qu'il leur plaira , sous chercher les traces de l'ancienne station
la même condition. Les Philènes, ac- ou tour Automala (1). Il y trouva une
ceptant ce traité, se sacrifièrent à la médaille de l'empereur Auguste.
patrie ; ils furent enterrés vifs. Les Car- Au nord de Braïga on rencontre
thaginois coiisacrèrent dans ce lieu des le cap rocailleux de Tabilba, dont la
autels aux deux frères, et leur décernè- base est criblée d'excavations spacieuses,
rent à Carthage d'autres honneurs (1). » comme une ruche d'abeilles. On y voit
Suivant Pline les autels des Philè-
, quelques inscriptions grecques à moitié
nes étaient des monticules de sable, effacées. Plusieurs de ces excavations,
dont il ne restait déjà pi us de vestiges de forme carrée , ont évidemment servi
du temps de Strabon et de Ptolémée le de tombeaux. On y a découvert quel-
géographe (2). ques médailles de cuivre et d'argent.
Au nord-ouest de Sachrin, que C'est aux environs de Tabilba que
Beeehey signale comme le véritable fond Beeehey place les stations maritimes
du golfe, est situé, à cinq quarts de de Ptolémée, où les Grecs et les Ro-
milledu rivage, un îlot appelé £ou- mains mettaient leurs flottes à l'abri.
chaïfa; il est entouré de brisants à Entre Braïga et Aïn-Agân on voit,
sur des collines, les débris de deux
(i) Sallust,, Bellum Jugurth. cap. 79. — forteresses. Aïn-Agân doit son nom
Val. Maxime etPomponius Meia rapportent le à une source d'eau douce. A quelques
même fait. milles de là est une hauteur remarquable,
(a) Slrab., III, p. 171 'Ou yàp vuv
: «în- appelée Aâlum-Limarisch, du sommet
Xatwv [i<ô(xot, àlV ~6kqc {ast^àt^s tyjv
•jrpocYiyajpCav. (c) Strabon, XX, p. 753.
ÉTATS TRIPOLITAINS. n
de laquelle on jouit d'une vue étendue grosses, non taillées et non jointes par
sur une grande partie de la contrée. du mortier, comme dans les ouvrages
Au sud on aperçoit une série de lacs dits cyclopéens. Dans le voisinage on
salés, qui paraissent s'étendre au loin trouve quelques cavernes ou tombeaux
dans le sud-est. Leur eau est tout à fait taillés dans le roc. Les ruines de Ghi-

saumâtre, et paraît avoir jadis commu- menès et d'ïmschalîa paraissent corres-


niqué avec la mer. Au nord on voit la pondre à l'emplacement du Diachersis
de Gara {Gaïa de Ptolémée?),
petite île praesidium de Ptolémée (l). C'est à
a six milles de la côte, environnée de Benghazi que plusieurs géographes as-
brisants à l'est et à l'ouest. A un mille signent la limite orientale de la grande
au rivage , presque en face d'Aâlum- Syrte.
Limarisch, est un rocher blanc , taillé
Observations générales sur la grande
à pic, d'environ quatorze mètres de
Syrte.
haut; les Arabes l'appellent Ischaïfa.
Des rescifs s'étendent de là jusqu'à l'île Voici la circonscription que Strabon
de Gara. donne à la grande Syrte « La circonfé-:

De Aâlum-Limarisch à Schebah le sol rence de la grande Syrte est d'environ


est parsemé de collines de sable qui , neuf cent trente stades (2) ; son diamè-
sont partiellement couvertes de végéta- tre au fond du golfe (ercl tôv {xûx,ov)est
tion. Aux environs de Rhoui-el-Assoud, de quinze cents stades, et sa largeur à
qui doit son nom à son aspect noir, l'entrée ( toS a-e^àTo? tcàoc-oç ) est à peu
on trouve de nombreux troupeaux de près la même ( de quinze cents sta-
moutons. Près de Scheibah l'eau a des) (3). »
une saveur sulfureuse si marquée, qu'elle L'erreur de ces mesures saute aux
n'est guère potable. A Schohaut-Mara- yeux ; car comment la circonférence
bout on aperçoit au sud-est les ruines peut-elle être plus petite que le diamè-
de deux forteresses. tre ? —
Les commentateurs ont essayé,
Beechey ne trouva point à Car cor a le chacun à sa manière, de corriger ce
puits qui, selon le capitaine Lauthier, passage de Strabon évidemment tron-
,

était très-profond et contenait plusieurs qué. Casaubon proposa ( d'après la glose


inscriptions grecques (1). Au pied de marginale d'un manuscrit ) de substi-
quelques collines de sable se trouvent tuer pour la circonférence le nombre
quelques sources d'eau excellente, bien cinq mille au lieu de neuf cent trente
qu'il y ait à quelques pieds plus loin que donne le texte. Gossellin adopta la
un vaste marais saumâtre et salé. Ce correction de quatre mille ; et en voici
fait, qui se reproduit ailleurs, mérite de la raison :

fixer l'attention des géologues. Dans deuxième livre de sa Géogra-


le
De Carcora à Benghazi la côte offre phie , Strabon rapporte deux opinions
peu d'intérêt cependant le sol est fertile
; sur les dimensions de la grande Syrte :

et dans quelques endroits assez bien la première est celle d'Ératosthène, qui
cultivé. Un peu plus dans l'intérieur on assignait à ce golfe cinq mille stades de
rencontre beaucoup de ruines d'anciens tour et dix-huit cents stades de profon-
forts et des débris d'édifices. Les ruines deur ; selon l'autre opinion , la Syrie
qu'on voit à Ghimenès , à une journée n'aurait eu que quatre mille stades de
de marche au nord de Carcora, diffèrent circonférence et quinze cents de profon-
des autres en ce que les pierres sont deur. Or, dans le passage que nous ve-
nons de citer Strabon paraît abandon-
(i) Délia Cella, Viaggio, etc., p. 177 Nel :

ner l'opinion d'Ératosthène et adopter


fondodi questo seno (di Carcora), alla parte
l'autre, puisqu'il ne parle que de la
di tramontana *v lia un pozzo di acqua dolce,
ove si attigne a una grandissima profondità
mesure de quinze cents stades. Il est
sopra tutto in estate. E rotondo, con una sca- donc probable que la mesure de la cir-
luiata interna, per laquale vi sipubfacilmente
discendere. Adogni 10 scalini ni si trovano (i) Beechey, p. 246.
scolpite inscrizioni in ^greco. Furono impie- (2) Le major Rennell compte seot cents
gate nel mese di settembre 83 braccia di corda stades pour nu degré géographique.
per attignerne Vacqua. (3)Strab., XVIl/p. 385.
, ,,

22 L'UNIVERS.
conférence était de quatre mille stades Hérodote nous apprend à peu près la
plutôt que de cinq mille. même chose; mais il y ajoute plus de
Beechey, quia parcouru tout le littoral détails(l). Les Nasamons(2) habitaient
de la Syrte, estime le diamètre de ce la partie sud-est de la Syrte, à l'occident
golfe à deux cent quarante-six milles des Auchises. « Ils forment, dit Hé-
géographiques, et sa circouférence à rodote, un peuple nombreux ; ils laissent
quatre cent vingt-deux. Ce dernier ré- pendant l'été leurs troupeaux sur la
sultats'accorde assez bien avec les quatre côte, et remontent dans le pays d'Augila
mille stades indiqués dans !e deuxième lh ( àvaêatvoudt èç Au-ytXa x&pov ) , pour
y
vre de Strabon. Quant au diamètre , il est faire en automne la récolte des dattes;
à peu près celui de Pline (trois cent treize car les palmiers y croissent en abon-
milles romains, c'est-à-dire deux cent dance et tous portent des fruits. Ils vont
quarante-huit milles géographiques) (1). aussi à la chasse des sauterelles ( àrre-
Les anciens paraissent avoir eu une xéêoi) ; ils les font dessécher au soleil,
connaissance assez précise de cette partie les broyent ensuite, et en saupoudrent
du littoral de l'Afrique. Ainsi, d'après le lait qu'ils boivent. Chacun a le droit
Beechey, le tracé de Ptolémée est, à d'épouser plusieurs femmes, qui d'ail-
beaucoup d'égards, plus exact que ce- leurs sont en commun ( èmaotvov aÙTswv
lui de nos cartes modernes (2). Toute tt]v fjûJjtv -Troieûvrai), à la façon des Massa-

la contrée, depuis Mésurate jusqu'à gètes. Ils indiquent l'acte de cohabita- !

Benghazi , a été dépeinte comme un dé- tion par un bâton qu'ils placent à côté
sert de sable, dépourvu d'eau et de végé- [de la tente] ( èrcsàv axurava. xpooTYiawvtat, [

tation et peuplé de serpents venimeux.


, pafovTai ). La première fois qu'un Nasa- j

Léon l'Africain lui-même abonde dans mon se marie, la coutume est que la jeune :

ce sens. Cependant d'après la relation de épouse se livre, pendant la première nuit,


Beechey, à laquelle nous avons emprunté successivement à tous les hommes con- j

la plupart des détails qui précèdent, vies à sa noce, et reçoive de chacun d'eux II

cette contrée offre des espèces d'oasis un présent qu'il a apporté avec lui. — i

où l'on trouveune végétation luxuriante Quant aux serments et à la divination


et de î'eau très-potable. Il y a sans doute voici leurs usages ils jurent par les
:

de vastes marais incultes; mais leur pro- hommes lesplus justes et les plus ver-
portion, comparativement aux endroits tueux que la tradition leur désigne en ,

cultivés, n'est pas aussi grande qu'on touchant leurs tombeaux. Pour la divi-
pourrait l'imaginer. Si la population y nation , ils entrent dans les sépultures
est clairsemée , il faut l'attribuer moins à de leurs ancêtres, y font leurs prières
la nature du sol qu'aux mœurs nomades et s'endorment : ils croient ce qu'ils ]

des Arabes. voient en songe. Ils confirment leurs


Le caractère des habitants est encore serments en se donnant réciproquement
tel que les auteurs anciens nous l'ont dé- à boire l'un de la main de l'autre. S'ils
peint. « Ils sont, dit Salluste, sains de n'ont rien de liquide, ils ramassent de
corps, agiles , durs au travail ; la plupart la poussière et se la donnent à lécher. —
s'éteignent de vieillesse, à moins qu'ils Les Nasamons enterrent leurs morts
ne périssent par le fer ou par les bêtes assis : ils ont soin dès qu'un homme
,

féroces; rarement la maladie les em- va rendre l'âme, de le tenir sur son séant,
porte (3). » afin qu'il ne meure pas couché sur le dos.
Leurs cabanes sont construites avec des
(i) Syrtis Major, circuitu DCXXV, aditu
autem , CCCX11I M. passuum. ( Hist. Nat.
Mb. V, cap. 4- —
Pline évalue (V, 5) XVII : Genus hominum salubri corpore
ia distance entre Leptis magna ( Lebida velox, patiens laborum; plerosque senectus
) et
Bérénice (Benghazi) à trois cent quatre-vingt- dissolvit , nisi qui ferro aut bestiis intcriere ;
cinq milles romains. nam morbus haud sœpe quemquam superat.
(2) Ainsi, par exemple, le prétendu golfe de (1) Hérod., II, IV, i72,>io,o.
3îs;
Zuca, indiqué sur la carte de d'Anville et d'au- (2) Suivant Pline ( Hist. Nat., V, 5), les
tres, n'existe pas; il en est de même du prolon- Nasamons s'appelaient d'abord Mesammons
gement de l'angle méridional de la Syrte. ou habitants au milieu des sables (de uicov
(3) Salluste, Bellum jugurthinum, cap. milieu, et à{Au.o;, sable ).
ÉTATS TRIPOLITAINS. 23

antherics (asphodèles ? ), entrelacées de à cause des nombreux bancs de sable


joncs ; elles sont portatives ( aupmwTa il, qui s'y trouvent. Les vents du nord,
àvGspîxtov èvsp^évwv irepi a^oîvouç iaù , xcd qui y soufflent régulièrement et avec
Taûra TceptepGpyjra ) (1). » violence, augmentent encore le dangpr;
Cette dernière circonstance peut nous aussi , pour éviter d'échouer sur les
mettre sur la voie de la nature du bas-fonds , les navires doivent se tenir
pays qu'habitaient les Nasamons : à une certaine distance de la côte. Qu'il
il devait leur fournir des roseaux et nous soit permis de saisir cette occasion
des joncs pour la construction de leurs pour éclaircir quelques points intéres-
cabanes portatives. Or, un terrain ma- sants de physique générale.
récageux est seul propre à la produc- Vents étésiens. Les Grecs ont donné
tion de ces végétaux. Les Nasamons le nom d'è-witoi , c'est-à-dire annuels, à
occupaient donc très-probablement le certains vents réguliers de la région mé-
voisinage des marais de la Syrte (2). diterranéenne. Ce sont les moussons de
Suivant Strabon ( XVII, p. 836, édit. la mer Méditerranée. Les anciens physi-
Cas.), ils habitaient l'espace compris ciens ont a:>signé à ces vents des causes
entre Bérénice et les autels des Philènes différentes, au nombre desquelles la cha-
au fond de la Syrte. leur du soleil occupe avec raison le pre-
D'après le témoignage des anciens (3), mier rang. Mais leurs explications sont
les Nasamons habitaient le pays des obscures, embarrassées, sinon tout à fait
Psylies, dont Hérodote, reproduisant inexactes.
une tradition libyque, raconte ainsi la Les vents étésiens sont sous la dépen-
destruction : « Un vent du midi avait dance des saisons. En été, ils soufflent
tari les réservoirs d'eau ( l'Àurpa twv ô£à- du nord ou nord-est et se font sentir
tov) : toute la contrée en dedans de la avec le plus de violence sur la côte sep-
Syrte est sans eau. Les Psylies, ayant tentrionale de l'Afrique; ils s'engouf-
délibéré entre eux, marchèrent d'un frent, pour ainsi dire, dans le golfe de
commun accord contre lèvent du midi, la Syrte. En hiver, ce sont au contraire
pour le combattre. Mais, arrivés dans les vents du sud ou du sud-ouest qui
les sables, ils y furent ensevelis par le prédominent, et se font surtout sentir
souffle de ce vent. Après l'extinction des sur la côte de l'Egypte. Tous les naviga-
Psylies , les Nasamons vinrent occuper teurs savent qu'en été la traversée d'Eu-
leur territoire (4).» rope en Afrique est plus prompte que
Ainsi , les témoignages anciens et le retour et vice versa.
modernes s'accordent à ne pas nous re- Ces circonstances peuvent nous mettre
présenter la grande Syrte comme une sur la voie pour expliquer la véritable
contrée entièrement inhabitée. cause des yents étésiens et de tous
Comme autrefois, la navigation est les vents réguliers, comme le sont, par
encore dangereuse dans ces parages exemple, les brises de terre et de mer,
qui soufflent sur les côtes le matin et le
(i) Hérodot., IV, 172 et 190. soir. C'est un déplacement d'air déter-
(2) Au rapport de Pline ( XIII, 17 ), le miné par des différences de température
pays des Nasamons produit les plus grands agissant simultanément. Pour nous faire
lotus; et eelte race d'hommes occupe le. ter-
mieux comprendre, rappelons l'expé-
ritoire des Psylies ( VII, 2 ) Camp. Strabon,
.
rience de Franklin. Imaginez deux cham-
XVII, p. 838 , édit Casaub.) —
Lucain (Phars.
bres contiguës, inégalement chauffées
lib. IX), dépeint ainsi les Nasamons :
et séparées l'une de l'autre par une porte
1

Çuas Nasamon gens dura legit, qui proxima ponto


Nudus rura tenet ; quem mundl barbara damnis mal jointe en haut et en bas. Aussitôt
Syrtis alit: nam littoreis populator arenis vous verrez deux courants d'air s'éta-
Imminet , et nulla portus tangente carina
blir l'un supérieur, allant de la cham-
:
Novit opes. Sic cum toto commercia mundo
Naufragiis Nasamones habent bre chaude vers la chambre froide;
Patet omne solum, liberque meatu l'autre inférieur , allant en sens inverse.
JEoliam rabiem totis exercet habenis....
Pour s'en assurer, il suffit de placer
Régna videt pauper Nasamon errantia vento.
deux bougies, l'une en haut, l'autre en
(3) Hérodote, IV, 117; Pline, VII, 2. bas de porte : la flamme de la première
la
(4) Hérodote, IV, 173. se dirigera de dedans en dehors, celle
is L'UNIVERS.
de la seconde se dirigera, au contraire, vents , ont englouti des villes entières et
de dehors en dedans. C'est la chambre fait disparaître des ruines antiques.
chaude qui aspire en quelque sorte l'air On ne peutconcevoiraucun moded'en-
de la chambre froide de telle façon, que seveiissement plusfavorable à la conser-
le courant lui arrive en haut et détermine vation des monuments, que celui que l'on
un contre-courant en bas. observe dans la région située à l'ouest
La même chose existe dans la nature. du Nil. Le sable qui entourait et rem-
Le sol et la mer
s'échauffent inégale- plissait le grand temple d'Ibsamboul,
ment, lors même qu'ils recevraient la découvert d'abord par Burckhardt, et
même quantité de chaleur. La terre ensuite partiellement par Belzoni et par
s'échauffe bien plus vite que l'eau; mais Beechey, était assez fin pour être com-
en retour, elle se refroidit plus vite. paré à un liquide mobile. Ni les traits des
Telle est la cause fondamentale des vents figures colossales, ni la couleur du stuc
réguliers qui soufflent sur les bords qui en recouvrait quelques-unes, ni les
de la mer. Quelques heures après le peintures qui décoraient les murs, n'a-
lever de l'astre échauffant, la mer se vaient souffert du contact de la poussière
trouvera dans la condition de la cham- impalpable dont pendant plusieurs siè-
bre froide dans l'expérience citée, tan- cles elles étaient restées enveloppées.
dis que le sol se trouvera dans la con- Peut-être un jour l'action de la mer
dition de la chambre chaude De là un ou un tremblement de terre pourra met-
vent dirigé de la mer vers le sol ; c'est tre au jour quelques-uns de ces temples
ia brise de mer ou du matin. JNous fai- engloutis. D'un autre côté, on peut sup-
sons ici abstraction du vent opposé poser que le désert n'éprouvera aucun
supérieur qui n'est sensible qu'aux nua- dérangement et que des changements
,

ges. Quelque temps après le coucher dans la configuration de là mer et de la


du soleil, le contraire aura lieu : la mer terre ferme environnantes donneront
est encore chaude pendant que la terre lieu à des modifications dans le climat
est déjà froide ; de là un vent dirigé de et dans la direction des vents dominants
la terre vers la mer. C'est la brise de telles, qu'alors ceux-ci pourraient éloi-
terre ou du soir. gner les sables libyens de ces régions,
Appliquons maintenant ces faits sur dans un espace de temps égal à celui
une plus grande échelle. Au sud de la qu'à une autre époque ils auraient mis
mer Méditerranée s'étend un immense à les y amener. Plusieurs villes et des
désert. Le sable de ce désert, exposé à temples d'une antiquité plus grande en-
l'action d'un soleil tropical s'échauffe,
, core que Thèbes et Memphis pourraient
non-seulement plus vite mais plus
, ainsi reparaître dans leur intégrité pri-
fortement que la mer, située au nord. mitive, et par suite une partie de l'obs-
Le Sahara est un brasier, comparative- curité qui entoure l'histoire des nations
ment à la mer Méditerranée. 11 s'y doit anciennes se trouverait dissipée (1).
donc, pendant l'été, établir un immense Dans l'appréciation des causes capa-
courant d'air froid, qui allant du nord bles de modifier le golfe de la Syrte et
au midi, renouvelle l'air chaud quiforme la côte de l'Afrique en général, 'il faut
un courant en sens inverse dans les ré- tenir compte des vents étésiens et des
gions supérieures de l'atmosphère. Le courants marins.
contraire a lieu en hiver. Telle est la On sait qu'un fort courant coule cons-
principale cause des vents étésiens. tamment de l'Atlantique dans la Médi-
Les vents ne modilient pas seulement terranée, et que son influence s'étend
lesclimats; ils produisent aussi, particu- non-seulement sur toute la côte méri-
lièrement dans les plages sablonneuses, dionale de cette mer mais même jus-
,

des changements profonds. C'est sur- qu'aux rivages de l'Asie Mineure. Sui-
tout sur la frontière libyque de l'Egypte vant le capitaine Smyth, la vitesse de
que l'on a observé ces changements; ce courant central dirigé vers l'orient est
mais, selon toutes les apparences , il y en
a eu de semblables au midi de la Syrte (i) Lyell, Principes de Géologie, t. II,
et dans le désert de Barca. Des mon- p. 38o, traduction de M me Meulien (Paris,

ceaux de sables transportés par les


, i845).
ÉTATS TRÎP0L1TA1NS. }•>

de trois à six milles (de 1 à 2 lieues) opposée au courant supérieur. CetU


par heure, et sa largeur de trois milles opinion paraît confirmée par une expé-
et demi. Mais, outre ce courant central, rience du capitaine Smyth. Ayant puisé
il y a deux courants latéraux, l'un qui de l'eau à la distance d'environ 50 milles,
longe la côte de l'Europe, et l'autre le dans l'intérieur du détroit de Gibraltar
rivage de l'Afrique; leur vitesse égale à et à la profondeur de six cent soixante-
peu près celle du courant central , et la dix brasses, il reconnut qu'elle conte-
largeur de chacun d'eux est de deux nait une quantité de sel quatre fois plus
milles et demi environ. Ils suivent les grande que celle de la surface. Wollas-
mouvements de la marée, se déversant ton,qui analysa l'eau ainsi recueillie,
alternativement dans la Méditerranée et établit que si un sous-courant doué
dans l'Atlantique. L'eau de l'Atlantique d'une telle densité, et se dirigeant de
semble être en quelque sorte pompée dedans en dehors, avait la même profon-
par la Méditerranée soumise à une forte deur et la même largeur que le courant
évaporation. Cette évaporation est en supérieur, il suffirait, lors même qu'il
grande partie déterminée par les vents n'aurait pas le quart de sa vitesse, pour
chauds et secs qui soufflent des rivages transporter dans l'Océan autant de sel
de l'Afrique; d'un autre côté, elle est que celui-ci en fait entrer da<is la Médi-
entretenue par un air assez sec, par con- terranée, et que par suite l'excès de sa-
séquent capable de se saturer des vapeurs lure de cette mer, par rapport à celle de
aqueuses. Ainsi des expériences hygro- l'Atlantique ,n'irait pas toujours en.
métriques faites à Malte et ailleurs mon- augmentant.
trent que la quantité moyenne d'humi- Voici ce qui lit naître l'idée de l'exis-
dité contenue dans l'air qui entoure la tence d'un contre-courant à une cer-
Méditerranée équivaut à la moitié seu- taine profondeur. Delaigle, comman-
lement de celle que renferme l'atmos- dant du corsaire le Phénix, de Mar-
phère des bords de l'Atlantique.Il faut seille, poursuivait un navire hollandais,
signaler enfin comme un moyen puis- près de la pointe de Ceuta, lorsque,
sant à favoriser l'évaporation la tem- l'ayant atteint dans le milieu du dé-
pérature, qui sous la même latitude troit, entre Tarifa et Tanger, il lui en-
excède d'environ deux degrés celle de la voya une bordée qui bientôt le coula à
partie orientale de l'océan Atlantique (1). fond. Peu de jours après, ce navire
Mais l'évaporation n'entraînant que fut jeté, avec sa cargaison d'eau-de-
l'eau douce, et lecourant qui vient de vie et d'huile, sur le rivage, près de
l'Atlantique apportant continuellement Tanger, à quatre lieues, au moins, à
de l'eau salée comment se fait-il que
, l'ouest delà place où il avait coulé bas,
les eaux de la Méditerranée ne soient ce qui montre qu'il avait flotté dans une
pas plus salées que celles de l'Océan? direction contraire à celle du courant
Pour répondre à cette objection, on a central. Ce fait, toutefois, ne doit
supposé que le sel en excès dans la Mé- pas être considéré comme une preuve
diterranée pouvait être entraîné par un de l'existence d'un sous-courant; car
sous-courant, coulant dans une direction le navire, en approchant de la côte,
avait dû nécessairement se trouver sous
(i) Quant à la mer Noire, qui est située
l'influence d'un courant latéral qui en,
sous une latitude plus haute, et qui sert de
|

coulant vers l'ouest, deux fois en vingt-


réceptacle aux rivières coulant du nord, elle
quatre heures pouvait avoir ramené
est beaucoup plus froide, et sa perle est bien ,

le navire à Tanger.
moins considérable. Loin donc de rien recevoir
de la Méditerranée, elle lui envoie une cer- Mais il y a d'autres faits qui détrui-
taine quantité de ses eaux par intermédiaire
1
sent l'opinion d'après laquelle la salure
d'un courant, qui, pendant la majeure partie de la Méditerranée n'irait pas toujours
j
de l'année, s'échappe par le détroit des Dar- en augmentant. D'abord , il est acquis
danelles. Toutefois, l'écoulement qui a lieu à la science que l'eau la plus salée ne se
au Bosphore est si petit, comparativement aux trouve qu'à d'immenses profondeurs,
volumes des eaux qu'amènent les rivières, parce qu'elle est très -lourde, son poids
qu'il doit faire supposer une évaporation spécifique étant très-grand. Il faut arriver
i
considérable, même dans la mer Noire. à une profondeur de plus de quatre cents
,

26 L'UNIVERS.
à quatre cent cinquante brasses, pour bles mouvants sont devenus des terrains
rencontrer une eau sensiblement plus solides et compactes.
salée que celle qui se trouve à peu près Les changements qui se sont effectués
uniformément répandue dans les couches pour l'isthme de Suez (1) ont dû avoir
supérieures. Or, d'après les sondages lieu, avec bien plus de force, dans les
exécutés par le capitaine Smyth, le dé- deux Syrtes, où le niveau du sol est
troit de Gibraltar, entre les caps Tra- bien plus bas (2).
falgar et Spartel, n'a que deux cent Les vents réguliers du nord doivent
vingt brasses de profondeur, les eaux y déterminer une espèce de flux et de
les plus profondes, c'est-à-dire les plus reflux indépendant de la marée. Ce
salées, y sont donc arrêtées (malgré le sont ces flux et reflux bien plus que les
courant qui pourrait exister), comme bas-fonds qui rendent la navigation
par une barrière sous-marine, et tout dangereuse dans ces parages. C'était là
le sel apporté dans la Méditerranée ne re- aussi l'opinion des^Fnciens (3). Salluste
passe donc pas le détroit. Jusqu'où cette dit que c'est à cette espèce de remous
accumulation de sel peut-elle s'étendre que les Syrtes doivent leur nom (4).
et quelles modifications l'énorme pres-
(i) D'après une hypothèse de Girard, un
sion des couches supérieures de l'eau
des savants de l'expédition d'Egypte, l'isthme
peut- elle apporter à l'action dissolvante?
de Suez lui-même n'est qu'une barre formée
Ce sont là des questions auxquelles il parles dépôts amenés par les courants marins,
est impossible de répondre dans l'état et jadis la mer Rouge et la mer Méditerranée
actuel de la science (1). étaient réunies. Il paraît certain qu'un accrois-
Ces courants ont pour caractère de sement extraordinaire de terre fermé s'est
répandre sur un espace immense des produit à l'extrémité supérieure de la mer
mélanges homogènes; car souvent ils Rouge : la largeur de l'isthme a doublé depuis
longent une grande étendue de côte, et le siècle d'Hérodote. Du temps de cet histo-

les dépôts auxquels ils donnent nais- rien jusqu'à celui d'Arrien, Heroopolis était
sance, comparés à ceux des deltas des sur la côte ; aujourd'hui elle se trouve presque
rivières , font paraître ceux-ci tout à fait aussi loinde la mer Rouge que de la Médi-
insignifiants. terranée. Suez, qui en i54i reçut dans
son port la flotte de Soliman II , ne forme
Le courant qui longe les côtes doit
plus à présent qu'un banc de sable. Le terri-
sans cesse tendre à les niveler. Par
toire de Tehama, situé sur la côle arabique
suite d'une action continuée pendant des
du golfe, a augmenté dé 3 à 6 milles depuis
siècles, les baies peuvent secombler et les
l'ère chrétienne. A
une certaine distance des
saillies s'effacer. Il ne répugne pas de
ports actuels on trouve dans l'intérieur des
croire que les Syrtes étaient jadis bien terres les ruines de villes plus anciennes,
plus profondes qu'aujourd'hui ; peut-être qui jadis étaient sur le bord de la mer, et
dans quelques milliers d'années auront- portaient le même nom que les nouveaux
elles entièrement disparu. On verrait ports. Il paraît que le sable transporté des
alors se reproduire ce qui, d'après l'hy- déserts par le vent fournit une partie des ma-
pothèse d'Hérodote, a eu lieu pour la tériaux de ce nouveau terrain , et que le
formation de l'Egypte. Plusieurs cir- reste se compose de coquilles et de coraux,
constances nous portent, en effet, à dont l'accroissement est très-rapide.
penser que la basse Egypte était primi- (2) Rennel a démontré que la petite Syrte
tivement un golfe, comblé depuis par devait entrer jadis plus profondément dans
le littoral, et qu'elle communiquait avec le
Faction réunie du Nil et des courants
méditerranéens. lac Tritonis (lac Lowdeh); ce qui s'accorde
avec les récits d'Hérodote, de Ptolémée et de
Un fait certain c'est que les anciens Scylax.
ports situés sur le littoral de la Syrte
(3) Pomp. Mêla, De Situ Orbis, lib. I,
sont aujourd'hui en partie comblés de
sable , et les lacs ou étangs indiqués par
cap. 7. —
Importuosus atque atrox, et ob
vadorum Jrequentium brevia, magis etiam ob
Strabon sont maintenant convertis en alternos motus pelagi affluentis ac refluentis
marais. Dans bien des endroits , les sa- infestus.
Pline appelle les deux Syrtes vadoso ac
(r) Lyell, Principes de Géologie, t. II, reciproco mari diros. ( Hist. Nat., V, 4- )
p. 333. (4) Syrtes, ab tractu nominatœ. ( Du grec
ÉTATS TRIPOLITAINS. 3Ï

Benghazi côtés qu'un espace étroit pour passer


(1).
d'une chambre à l'autre (1)
A partir de Benghazi la contrée offre La place du marché sert aussi d'a-
un aspect tout différent. La ville de battoir, et le sang qui s'y putréfie ex-
Benghazi est située tout près de la mer hale des miasmes délétères. C'est un
à l'extrémité d'une belle plaine fertile, foyer de peste pendant l'été. Toute la
ville est infectée de mouches et d'autres
qui longe une chaîne de montagnes, au
sud-est. Les maisons sont construites insectes qui incommodent l'homme pen-
en pierres brutes, cimentées avec de la dant la nuit et le jour. Beechey pensequ'il
terre glaise, qui se détrempe pendant les n'est peut-être pas d'endroit au monde où
il y ait autant de mouches et de puces.
pluies. Elles ont chacune une cour non
pavée, et ordinairement un puits au Le port de Benghazi est aujourd'hui
milieu. Les toits sont plats; ils se com- en partie comblé ; autrefois il pouvait
posent de poutres de pin ( provenant des au dire des habitants, recevoir de gros
forêts voisines), que recouvrent des nat- vaisseaux. Du côté de la mer il est
tes sur lesquelles on étend des touffes bien protégé par des rescifs, qui laissent
d'algues, et le tout est enduit de boue bat- une entrée si étroite qu'elle n'est prati-
tue, ou ce qui est plus rare, de chaux.
,
cable qu'avec le secours d'un pilote. Sui-
L'eau de pluie qui tombe dans ces vant Lemaire, consul à Tripoli, ce port
huttes est conduite par des gouttières était encore bon vers le commencement
dans un réservoir général ou dans des du siècle passé : il pouvait contenir aisé-
vases de terre. Il n'est pas rare de ment jusqu'à trente bâtiments. C'est près
voir pendant la saison des pluies des de ce port que l'on trouva, il y a environ
maisons ou des toits s'écrouler ; on laisse cent cinquante ans, une belle statue de
ensuite les décombres à leur place, au marbre, représentant probablement une
grand embarras de la circulation et au dé- Vestale, qui est dans la galerie de Versail-
triment de la salubrité ; car elles donnent les. « J'ai été, dit Lemaire, plusieurs

d'ordinaire lieu à des flaques d'eau sta- fois dans le lieu où elle a été trouvée,
gnante, ou servent de repaires à une mul- quand on jeta le fondement de la maison
titude d'animaux immondes. Beechey, du cadi de Benghazi elle était dans le
:

pendant son séjour à Benghazi ( mois sable, la face en bas, enfoncée à quinze
de janvier 1822), trouva les rues littéra- ou seize pieds, et sans aucun vestige et
lement changées en rivières {the streets bâtisse auprès d'elle; ce qui m'a fait juger
literally converted into rivers). Les qu'elle avait été transportée en cet en-
marchés ne purent être approvisionnés droit pour être portée à Rome , et qu'on
et le nombre des bestiaux ( moutons et l'avait ensevelie dans le sable pour la
chèvres) qui périrent dans le voisinage, conserver (2). »
à cause de l'inclémence du temps, s'é- A l'entrée du port est le château du
leva à plusieurs milliers. Le voyageur bey, élevé sur les ruines d'un ancien
anglais ne put se procurer qu'une seule édifice dont on voit encore les assises
maison à l'épreuve de la pluie {wea- du côté de la mer. Sa forme est carrée,
ther-proof). « La cour, dit-il, autour avec une tour ronde à trois des an-
de laquelle nos chambres étaient bâties gles, dont le quatrième, qui regarde le
eut pendant longtemps l'apparence d'un port, est occupé par une série de bâti-
étang ; et il n'y avait çà et là sur les ments servant de harem. Chacune des
trois tours est garnie de quelques pièces
d'artillerie. Outre le harem , le château
«ïû'peiv, tirer, aspirer ). Solinus, cap. 6 : Syr-
renferme les logements des officiers du
tisa orupto , traho, quod in accessit et recessu
avenant et cœnum ad se trahit at congerit.
bey et une nombreuse garnison en dedans
Il est plus probable que le nom de Syrte de l'enceinte. Benghazi n'offre aucune
vient du phénicien ou hébreu T£D {Siar), de ces ressources que présentent au voya-
tourbillon, tempête. On sait que les Phéniciens,
peuple navigateur, fréqueniaient ces parages (i) Beechey, Expédition to explore , efc. f
depuis la plus haute antiquité. p. 282.
(i) Ce nom signifie, en arabe , fils de la (2) Paul Lucas, Voyages, etc.; t. II,
guerre. p. 122-123 (Paris. £712).
.

2* L'UNIVERS.
geur les autres villes de l'Orient; les di- présent un village, ne parait pas avoir
vertissements sont à peu près nuls, car été superbe en bâtisses de marbre; j'y
on n'y rencontre ni rafé ni bain public. ai seulement vu quelques petites colon-
Suivant Beechey, la ville de Benghazi nes de marbre, de jaspe et de gra-
renferme environ deux mille habitants, nité (1). »
dont une grande partie se compose de La de Bérénice qui existait en-
ville ,

juifs etd'esclaves noirs. Délia Gella core sous le règne de Justinien, ne


porte la population de cette ville à cinq paraît pas avoir dépassé les limites ac-
(

mille âmes. Quant à leur costume et tuellesde Benghazi; un lac d'eau salé s'op-
à leurs mœurs , les habitants ne diffè- posait, au midi , à tout agrandissement
rent pas des autres Arabes. La principale dans cette direction, et à lest le sol est
branche du commerce consiste en bes- si bas qu'il éprouve de fréquentes inon-

tiaux , laine et quelques objets manu- dations. Les carrières que l'on trouve
facturés. Les bestiaux et le blé sont aux environs ne paraissent pas avoir
exportés à Malte, où ils servent surtout servi de tombeaux, comme chez les
à l'approvisionnement de la garnison Égyptiens. Les rochers sont couverts
anglaise. d'herbes et d'arbrisseaux grimpants. Ils
Le climat n'est pas très-sain. La dys- bordent des précipices fort remarquables
senterie y est une des maladies les plus et d'un effet d'autant plus pittoresque
communes cependant on ne trouve
; pas qu'ils contrastent avec tout le paysage.'
à Benghazi autant de cas d'ophthalmie Au fond de ces précipices on aperçoit de
qu'à Tripoli et Mésurate. Les affections beaux tapis de verdure, qui rappellent
cutanées sont très-fréquentes tant chez les contes des Mille et une nuits ou les
les citadins que chez lesBédouins du voi- jardins des Hespérides gardés par des
sinage. Les habitants de la Cyrénaïque dragons (2). Quelques-uns de ces préci-
en attribuent la cause au contact des fûces sont remplis d'eau, et présentent
bestiaux. 'aspect de petits lacs.
On admet généralement que Benghazi On trouve aussi dans le voisinage de
•'

occupe l'emplacement de l'ancienne Benghazi plusieurs cavernes, dont l'une.


Hesperis , qui avait elle-même fait place située à près de trente mètres au-dessous
à ia viiiede Bérénice, qui florissait sous du niveau de la plaine, contient une vaste,
lesPtoîémées (1). Mais il ne reste guère nappe d'eau fraîche. La tradition fait
de vestiges de ces antiques cités. Les venir cette eau de fort Soin à travers les
ruines de Bérénice servirent en grande entrailles de ta terre. Beechey pense que
partie comme matériaux de construc-
, cette caverne occupe la partie souter-
tion, à la moderne Benghazi. C'est dans raine de la rivière Lé thé ou Lathon, que.
les tours des huttes arabes qu'il faut Pline Ptolémée et Strabon placent dans
,

chercher les débris de Bérénice, où il faut le voisinage du jardin des Hespérides (3)
fouiller le sol à plusieurs pieds de pro-
fondeur, pour découvrir quelques restes (i) Voyez Paul Lucas, Voyages, etc. , :

de l'antiquité, tels que médailles, ins- t. II, p. 123. — Lemaire, consul de France
criptions, fragments d'architecture, de à Tripoli, avait fait un voyage à Benghazi,
sculpture, etc. Derne, Grennie ( Cyrène ) dans le but, ainsi
,

Pendant un séjour de deux mois que qu'il l'avoue lui-même, « de chercher des che-
Lemaire fit en 1703 à Benghazi, il vaux pour monseigneur le comte de Tou->
y trouva plusieurs médailles de bronze, louse. m Les antiquités n'attirèrent son atten-
d'or et d'argent sans inscriptions. « La tion qu'accidentellement.

fameuse ville, qui est, dit-il, devenue à (2) Lestémoignages de Pline, de Strabon
et de Scylax semblent s'accorder pour placer
(i) Bérénice était fille de Magos et femme le Jardin des Hespérides près de Bérénice.
de Plolé née Philadelphe. Les rois d'Egypte Beechey ( Expédition to explore the northern
de la dynastie des Ptolémées ont donné à coasts, etc., p. 32 1 et suiv.) essaye de <;on-
un grand nombre de villes les noms de leurs firmer ces témoignages par la description des
sœurs de leurs filles on de leurs femmes. localités actuelles.

,

Les habitants de la contrée environnante (3) Lucain place le Léthé et le Jardin des
portaient le nom de Bérénicides ou d'Hes- Hespérides près du lac Tritonis, dans la Petite
pérides. Syrte.
ÉTATS TRIPOUTAïNS. 29

On se rappelle, ce qui viendrait à l'appui puis les bords de la mer jusqu'au pied
de la tradition mentionnée, que le Léthé, des montagnes qui forment les limites
au dire des poètes disparaissait et re-
, septentrionales de la Cyrénaïque. A
paraissait alternativement. C'est ce qui mesure quel'on s'avance vers Ptoléméta,
expliquerait aussi son nom (de Xavôâvw, ces montagnes se rapprochent de plus en
je suis caché). plus des bords de la mer l'espace in-
:

D'après l'autorité de Strabon, le Léthé termédiaire qu'elles laissent est à Ben-


ou Lathon se jetait dans le port des Hes- ghazi d'environ quatorze milles géogra-
pérides; et, suivant Beechey, on voit en- phiques; il n'est que d'un mille et demi
core, près de la caverne indiquée, un à Ptoléméta. La longueur totale de la
petit ruisseau qui communique, par plaine, depuis Benghazi à Ptoléméta,
l'intermédiaire du lac, avec le port de est de cinquante-sept milles géographi-
Benghazi. L'exemple de l'Hissus, du ques. Les flancs de ces montagnes sont
Xi mois et du Scamandre semble, en couverts de bois, principalement de
effet, démontrer que des fleuves jadis pins(l), de chênes et de plusieurs espèces
célèbres peuvent, par la suite du temps, de genévriers. Les torrents qui en des-
se changer en ruisseaux insignifiants. cendent sont encombrés de troncs d'ar-
Pendant l'été le lac de Benghazi est
, bres et difficiles à franchir pendant la
presque à sec et le petit ruisseau qui va saison des pluies.
de ce lac au port de Benghazi est à On rencontre sur cette route plu-
peine aperceptible. C'est là, suivant Bee- sieurs tours de construction solide, dont
chey, la partie apparente du fameux l'une correspond, par sa position, à
fleuve de l'Oubli, se jetant dans le port celle de Cafez, indiquée par Edrisi Elle
des Hespérides. Il est très-probable est à quinze milles de Benghazi et à qua-
qu'anciennement communication du
la tre milles de la mer; à l'est se trouve
lac salé avec le port étaitbeaucoup plus un petit bois. On le voit de fort loin.
large et qu'elle permettait aux navires Dans voisinage sont des lacs, égale-
le
d'y aborder. Le lac de Benghazi serait ment décrits par Édrisi, et qui sont pa-
alors le lac Trilonis deSirabon, où il y rallèles à la côte ; leur eau est saumâtre.
>

avait une île avec un temple de Vénus (1). Le nom.d /4ziana, par lequel les Arabes
Beechey nous apprend que pendant désignent l'un de ces lacs, semble indi-
la saison des pluies on remarque près quer le voisinage de l'ancienne ville dVi-
du lac un îlot sur lequel se trouvent ariana, qui était, selon Ceilarius, située
quelques ruines (2). Il n'est pas éloigné entre Bérénice et Teuchira.
de croire que ce sont les ruines du tem- A Birsis on trouve un grand nombre
ple de Vénus dont parle Strabon. de puits et beaucoup de fragments mu-
Si l'on ne trouve pas aux environs de où se tient d'or-
tilés d'édifices. Birsis,
Benghazi les fruits du jardin des Hes- dinaire un campement arabe, est situé à
pérides, on y voit encore un grand nom- environ trente et un milles de Benghazi,
bre de dattiers et de figuiers sauvages. et à. sept de Teuchira; il n'est qu'à un
La route de Benghazi à Teuchira et mille et demi de la mer. Au sud-ouest de
Ptoléméta ou Toléméta ( Ptolémaïs Birsis on trouve quelques ruines, cou-
des anciens) passe par un pays fertile, vertes de végétaux. Les Arabes appellent
mais dont il n'y a qu'une petite partie l'emplacement de ces ruines Mabny ou
de cuitivée. C est une plaine couverte Nably. Serait-ce l'ancienne Neapoiis,
d'herbes et d'arbustes; elle s'étend de- qui , suivant Ptolémée, était située entre
Teuchira et Ptoléméta?
(i) Strab., XVII, p. 836 (edit. Casauk )
'Ecrù 8è âxpa Xeyojxsvy; ^FeuSoueviaç, s<p' ^ç
(i) Nous soupçonnons que les pins dont

i\ Bepsvixr] ttqv 6eaiv ëx £l > Trapà Xifxvrjv Tiva parle voyageur anglais sont des espèces
le

TpixwvîSa, ev ^ [xocXiffia vrjatov écm, xod ispàv d'ephedra ( ephedra distachyos y L. ? ) ar-
A<ppo8iTY]ç. bres qià par leur aspect ressemblent à des pins
'Eaxi ôè vcal Xifi^v 'EarcepiStov , xai 7roxa[xoç et appartiennent essentiellement à la flore de la
£|xéàÀXei Aà6<i)v. région méditerranéenne. D'autres voyageurs
Ça) Pendant l'été cet îlot disparaît. C'est n'ont-ils pas confondu le laurier-rose ( nc-
ce qui pourrait expliquer le mot u.àXi»7Ta ( or- rium oleander, L.) avec des saules, à cause
clinnircmenO dont se sert Strabon, de la similitude des feuilles?
,, i

30 L'UNIVERS.
Entre Birsis et la mer sont les ves- et recevant par en haut l'air et la lu-
tiges de deux tours, occupant le sommet mière. Les colonnes mentionnées ont
d'une rangée de collines sablonneuses, été décrites par Bruce, comme faisant
à l'entrée de la baie. Le sol y est très- partie d'un portique d'un temple io-
fertile. A six milles au delà de Birsis nien. Une inscription grecque, aue l'on'
dans la direction nord-est, on rencontre voit à leur base, porte les noms de Cleo-
un amas de ruines fort imposantes des : pâtre et de Ptolémée Philométor ; on \
pans de murs, garnis de tours quadran- lit aussi , d'après Beechey les noms
,
guiaires et de deux grands portiques d'Arsinoé et de Bérénice.
placés en face l'un de l'autre. Ce sont Les ravins qui forment les limites
les vestiijesde l'antique Teuchira onTau- orientales et occidentales de Ptoléméta!
chira , l'une des cités de la Pentapole. sont extrêmement romantiques : onj
Elle changea plusieurs fois de nom elle
: pourrait s'y croire transporté dans quei-j
s'appelait Jnsinoé, sous les Ptolémées, que beau vallon de la Suisse. Beechey
et Cleopatris, depuis Marc-Antoine. Les ne. tarit pas en éloges sur les charmes
Arabes la nomment aujourd'hui Tocra. de ce paysage. Ne vaudrait-il pas mieux
Ses murs furent, au rapport de Pro-
y placer le jardin des Hespérides? Sur
cope ( de sEdiJiciis ), solidement réparés les flancs de ces montagnes qui bordent
sous le règne deJustinien. On y trouve, ces riantes vallées , on rencontre quel-
selon Beechey, beaucoup d'inscriptions ques tombeaux grecs ou romains, qui
grecques, qui sont probablement pres- paraissent receler des inscriptions. Deux
que toutes inédites. Une expédition ponts paraissent avoir été jetés sur chav
de savants et d'archéologues envoyée cun des ravins; les restes de l'un de ces
dans cette région serait une entreprise ponts sont assez bien conservés.
digne d'un gouvernement ami de la Ptoléméta est d'une assiette admi-
science. rable ; défendue de front par la mer,
Tocra n'est habitée que pendant l'été, place s'appuyait, de chaque côté, sur;
parce qu'on y trouve beaucoup de puits des vallées étroites, qui offrent encore 1

d'eau douce. Des cavernes sépulcrales ser- quelques vestiges de fortification. Elle!
vent de demeure aux Arabes nomades. était abondamment pourvue d'eau par des
La distance de Tocra ou Teuchira à citernes et des aqueducs, qui paraissent 1

Ptoléméta est d'environ dix-huit milles. avoir été construits par ordre de Jus-!
Le chemin va le long de la côte à tra-
, tinien. Ces citernes, bien qu'elles soient
vers un pays très-fertile et assez bien cul- très-mal entretenues, fournissent encore;
tivé. Ici la chaîne de montagnes tou'che
aujourd'hui de l'eau fraîche excellente
presque à la nier. En Rapprochant de aux Arabes nomades. J
Ptoléméta, l'attention est d'abord fixée La plus grande partie de Ptoléméta,
par un grand tombeau quadrangulaire, est aujourd'hui couverte d'herbes touf-
très-élevé , construit sur un roc isolé fues, et ses ruines servent de retraites à
taillé en carré. Il présente de loin l'as- des hyènes, à des chacals, à des chats-
pect d'une tour. Délia Gella suppose que huants et à beaucoup d'autres animaux.
ce monument, « veramente di regia D'après l'estimation de Beechey, cette
grandezza, » servait de tombeau au ville avait environ trois milles et demi
septième des Ptolémées, surnommé Phys- decircuit ; sa longueur, du nord au midi,
con, qui joignit, comme on sait, la était d'un peu moins d'un mille, et sa
Cyrénaïque à son royaume. Beechey n'y largeur, de l'est à l'ouest, d'environ
put découvrir aucune trace d'inscrip- trois quarts de mille (1).
tion.
Depuis Ptoléméta à Grenna ou Gren-
On voit encore à Ptoléméta un cirque nie (l'ancienne {Cyrène) le pays est très-
et deux théâtres. Ces derniers sont pittoresque, varié de collines et de val-
attenants aux ruines d'un palais, dont La vallée d'Haribih est couverte d'o-
lons.
il ne reste que deux colonnes
debout. La
cour intérieure du palais est couverte (i) Beechey {Expédition to explore tke
de mosaïques; au-dessous de cette cour northern coast of Africa, etc., p. 367-385)
sont des citernes voûtées très-spacieu- donne une description détaillée des ruines de
ses, communiquant l'une avec l'autre, Teuchira et de Ptoléméta.
ÉTATS TRÎPOLITAINS,
jiviers et contient plusieurs puits d'eau mer. Son port était Sousse; il en est à
douce. On y trouve aussi plusieurs es- deux petites lieues. Ce port était bon au-
pèces de lauriers , de cyprès, de myrtes trefois; il y avait une vue étendue; il y
et de caroubiers. A mesure que l'on peut mouiller à présent deux ou trois
s'approche de Cyrène le terrain devient petites barques dans la belle saison.
plus uni ; il offre de riches moissons et « Il y a dans un autre grand vallon
d'abondants pâturages. C'est dans la quantité de maisons taillées dans le ro-
plaine de Merge et aux environs de cher, où il y a des boutiques et des cham-
Grenna (Cyrène) que Beechey rencontra bres avec un ordre d'architecture parti-
cette ombellifère à suc acre qui paraît culier et des grandes fenêtres ; c'était là,
être le silphium des anciens (1). selon toute apparence, où les marchands
cyrénéens avaient leurs habitations (1).
Ruines de Grenna ( Cyrène). Il y a un ruisseau qui passait au milieu.

Lemaire, consul de France à Tripoli, Ce vallon est compris dans la ville de


visita (en 1706) les ruines de Cyrène,
Cyrène et dans le vallon de la fontaine
,

longtemps avant Beechey et Pacho. Il dudit lieu.


« Sur le revers de la montagne, du
copia le premier, quoiqu'imparfaitement,
l'inscription qui se trouve gravée au-des- côté de l'est, il y a un nombre infini
sus de la fontaine d'Apollon (2). Voici de tombeaux taillés dans le roc avee
comment il expose lui-même le résultat une propreté singulière; il y a des cham-
de ses recherches : « Cyrène, dit-il, a été bres séparées , dans une desquelles j'ai
une grande et superbe ville, à en juger trouvé un tombeau de marbre grec, très-
par les édifices dont les débris parais- bien travaillé il a huit pieds de long sur
:

sent être quelque chose de grand. J'ai quatre de large; il a deux griffons très-
vu dix statues d'un très-bon goût, toutes bien faits et bien conservés, qui tiennent
drapées à la manière des Arabes d'au- une espèce de flambeau ; il n'y a point
jourd'hui de la hauteur de cinq pieds et d'inscription. J'ai vu sur un piédestal de
,

demi, mais toutes mutilées et sans tête. Il marbre, renversé sens dessus dessous,
une inscription en caractères latins, dont
y a une très-belle fontaine qui sort d'un
rocher, et qui fait un gros murmure : la je n'ai pu rien tirer, étant fort effacée.
source vient de fort loin, au dire des On y voit aussi huit femmes qui tiennent
Arabes , et a été trouvée à force de tra- chacune une petite fille parla main;
vailler dans la roche. Cette source est elles sont très-bien faites et toutes ha-
grosse et coule avec impétuosité : l'eau billées d'une draperie fort plissée : ces
est fraîche et admirable ; elle coule sans femmes regardent le char de triomphe.
cesse, et n'augmente ni ne diminue, quel- On voit aux environs de la ville une in-
que grande que soit la sécheresse. Les finité de tombeaux, situés de différentes

plus belles maisons étaient, selon toute manières. J'ai remarqué que les peuples
apparence, autour de la fontaine. Il y de ce temps-là avaient une grande véné-
a au-dessus une muraille d'une épais- ration pour les morts. Il y a un champ
seur extraordinaire, qui a environ cent de Mars, que les Arabes appellent Safsaf,
toises; elle est très-bien bâtie; il y a saule (2). Ils le nomment ainsi à cause
quelques colonnes de marbre de seize qu'ily a trois différents réservoirs tail-
pieds. J'estime que la ville avait quatre lés dans le roc, dans l'un desquels il
lieues détour; il ne parait point d'en- y a sept saules (3) d'une beauté et d'une
ceinte de murailles elle est bâtie sur
:
grandeur extraordinaires; ceux qui sont
une haute montagne à deux lieues de la dans les autres ne sont pas si beaux.
Les réservoirs sont actuellement remplis
d'eau. Il y a un autre réservoir d'eau
(ï)Suivant Hérodote (lib. IV, cap. 169)
la région du silphium s'étendait depuis l'île (1) On verra plus loin que ce que Lemaire
de Plalée jusqu'à l'entrée de la Grande Syrte. regardait comme le quartier des marchands
Comp. Arrien (Exped. Alexand., lib. III, était la nécropole.
e. 29.) (2) Suivant Délia Cella (Fiaggio , etc.,
(a) La copie de cette inscription est repro- p. 107) le safsaf'et le laurier-rose (nerliim
duite dans le Voyage de Paul Lucas , à la fin oleander, Lin. ).
du tome II. (3) Laurier-rose?
.

32 L'UlNIVERS.

taillé dans le roc : a cent vingt pieds


il de farine d'orge; cela les maintient e
de long sur vingt-deux de large , et est santé et les fait vivre longtemps. Il y
couvert d'une seule voûte, et est rempli des peuples dans le bois qui viver
d'eau très-bonne et fraîche- Les pierres de comme des bêtes ils n'ont aucune n
;

cette voûte, qui est presque entière , ont ligion les enfants jouissent de !eui
:

trois pieds de long, sur un pied de large, mères, le père de ses filles, et les frère
etsont toutes numérotées par lettres al- et les sœurs les uns des autres il n'y :

phabétiques de caractère latin. Il y a pas d'autre mariage entre eux. ifr


plus de vingt autres réservoirs d'eau : payent rien à personne, et font des vj
les uns sont remplis d'eau et les autres tements de peaux de chèvre. Les Arabe
de terre. Ce qui me fait décider que c'é- qui sont campés dans les ruines deCvrèi
tait un champ de Mars, c'est un nom- ont des manières plus civiles et ph
bre infini de tombeaux élevés de diffé- affables. Les femmes y sont gracieuse
rentes manières et rangés en bataille- et moins farouches elles ont les pli
:

comme une armée. On distingue les belles dents du monde, et les mieux rai
tombeaux des officiers généraux , des gées ; elles sont fort brunes et font toi
subalternes et ceux des soldats sont de
, le travail, leshommes étant très-pare:
pierres de cinq à six pieds de haut, plantés seux. S'ils voulaient cultiver les terres
sur deux lignes droites; ceux des bas ils feraient des trésors ; mais ils ne se

officiers sont élevés du double deceuxdes ment que ce qu'ils peuvent manger chaqu
soldats. Le corps de bataille était toute année (1). »
la force de l'armée; l'aile droite et l'aile Ces renseignements demeurèrent Ion
gauche étaient très-faibles en compa- temps dans l'oubli. Ce n'est que plus d'un !

raison du corps de bataille; et le poste siècle après le voyage de Lemaire, que;


avancé en est à une portée de canon. les ruines de Cyrène furent de nouveau
Autant que j'en puis juger, il peut y visitées, à des intervalles très-rappro-
avoir vingt-cinq mille tombeaux dans ce chés, par un médecin italien, Délia Ceila , j

champ de Mars. On remarque distinc- par un capitaine anglais, Beechey, et?


tement ouïe fort du combat s'est donné par un Français, Pacho. Les récits de !

en différents endroits. Les hommes de ces voyageurs" se complètent ou se reçu- ;

ce temps-là n'étaient pas plus grands que fient réciproquement.


ceux d'aujourd'hui les tombeaux n'ont
: Au rapport de Beechey, les approches ;

que huit pieds; j'en ai vu un seul qui en de Grenna ont l'apparence de rues dé- \

a vingt de long sur cinq de large. On sertes des tombeaux rangés de chaque
:

pourrait trouver quelque belle statue, côté remplacent les maisons. La solen-;
si on voulait faire travailler dans les nité de cette scène est rehaussée encore
ruines des grandes bâtisses. J'ai vu plu- par le style varié de l'architecture.;
sieurs chapiteaux de l'ordre corinthien Les tombeaux les plus anciens se font
et ionique, mutilés par le temps; et, remarquer par leur simplicité; tandis;
suivant toute apparence il n'y avait pas
, que ceux d'une époque plus récente sont
beaucoup plus chargés d'ornements. La
'

de grandes magnificences en marbre.


Les historiens disent que Cyrène avait même différence a lieu pour les bustes
quarante milles de tour, ce que je crois, et les statues, qui sont dispersés autour
compris les tombeaux taillés dans le de ces tombeaux : on y reconnaît les
roc ils sont très grands et étaient des-
: types grecs et romains de différents
tinés pour les familles de considéra- âges.
tion. Cette ville avait, à dix lieues dans Mais ce qui a le plus d'attraits poul-
ses environs, plus de cent villes ou ievojageur c'est la fameuse fontaine de
villages très-beaux; et à trois lieues on Cyrène consacrée à Apollon. C'est plutôt
trouve un grand bois où il y a plus décent un ruisseau qu'une fontaine son eau :

mille oliviers sauvages. Les montagnes est courante, froide, excellente à boire,
et les anciens monuments sont presque ce qui la distingue des eaux stagnantes
inhabités. Il y a quelques Arabes qui
sont campés dans les ruines de Cyrène, (i) Mémoire d'un voyage dans les monta-
et qui vivent pendant six mois de l'année gnes de Derne , dans l'ouvrage de Pau! Tu-
du laitage de leurs bestiaux avec un peu
, cas . tome II, p. i r4-i20 (Paris, [712 ).
ÉTATS TMP0LITA1NS. M
que l'on rencontre dans le reste de la Tout près de la se voient quelques
contrée. La face du rocher d'où elle jail- débris d'un, temple périptéral de ï)ià-
lit était jadis ornée de deux portiques,
semblables à ceux d'un temple. Elle taine d'Apolion à Cyrène. « Ce canal atteint,
parcourt, dans l'intérieur du roc, un ca- dit-il cinq pieds de hauteur ; sa largeur per-
,

nal d'environ un mètre de large, et met rigoureusement à deux personnes de mar-


tombe dans un bassin en formant une cher de front ; et ses parois, sans être d'un travail
espèce de cascade. De là elle descend de fini, offrent assez de régularité ; on y distingue
cascade en cascade échelons de la
les des couches schisteuses alternativement de
montagne; elle suit tantôt le lit sinueux rouge vif et de jaune foncé. Le temps a
que les anciens lui ont creusé dans la charrié dans le fond un fort dépôt de terre
roche, tantôt elle le quitte, puis le re- argileuse, et tellement glissante, que nous
prend encore, jusqu'à ce qu'elle soit sommes obligés de nous appuyer contre les
parois latérales pour conserver notre équi-
arrivée à la plaine rocailleuse qui s'étend
libre. Nous avons pénétré ainsi assez avant
au bas de la nécropole. Le canal, dont
dans le souterrain, et nous continuions d'y
on ignore l'étendue, est, selon la tradi-
trouver les mêmes détails , auxquels il faut
tion des Arabes, le séjour des fées et des
toutefois en ajouter un accidentel, mais
démons. Sur l'un des côtés de la cascade d'un intérêt particulier. Sur un des côtés du
sont deux chambres creusées dans le roc, canal, et presque au niveau de l'eau, nous
ou plutôt une seule chambre, divisée avons remarqué de temps en temps une
en deux compartiments. Plus loin , au- bande étroite de terre, sur laquelle étaient
dessous du niveau de la chambre, est un de légères traces qui n'ont que vaguement
second bassin , qui paraît avoir primiti- attiré nos regards. Cependant, parvenus à
vement communiqué avec le courant au un endroit où la bande de terre est plus large
moyen d'une petite ouverture pratiquée et les traces plus multipliées, nous voulons
juste au-dessus. Ce réservoir, que Bee- en deviner la cause; et ce n'est pas sans sur-
chey trouva sec, paraît avoir été autrefois prise que nous reconnaissons de belles e.t

affecté à l'usage des prêtres chargés de larges empreintes de pattes d'hyène , et d'au-
tres, plus petites, qui nous semblent êire celles
l'entretien de la rivière sacrée. Presque
de loups et de renards. Ces témoignages va-
en face était i'entrée principale. Le voya-
lent bien les magiciens et les spectres; aussi
geur anglais y trouva une tablette brisée
nous arrêtons aussitôt notre marche. Néan-
en deux morceaux, sur laquelle étaient
moins la réflexion succède à la surprise, et
sculptées trois figures de femmes , joi-
l'on essaye de distinguer la direction des em-
gnant leurs mains comme pour exécuter preintes. La plupart sont tellement posées
une danse sacrée. La draperie de ces les unes sur les autres, comme les pas des
bas-reliefs indique une époque très-re- voyageurs sur un chemin battu, qu'il est
culée. impossible de se faire à ce sujet aucune idée
Sur l'une des parties les plus saillantes exacte. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir
du rocher on lit une inscription en grec que ces traces sont recouvertes d'une légère
dorien, rappelant le nom du prêtre couche de terre d'alluvion on joint ce fait à
;

( Dionysius ) qui a élevé l'un des porti- celui des interruptions qui divisent le petit

ques mentionnés (xàv >cpavav S7rscx£uaae). sentier, et l'onen induit que le volume d'eau,
L'eau de la fontaine de Cyrène est au- grossi en hiver par la filtration des pluies,
dessous du niveau de la ville elle pa-
:
couvre à cette époque une partie du sentier
qui doit être entièrement découvert en été,
raîty avoir été jadis distribuée par des
et que par conséquent les fauves ne doivent
moyens hydrauliques, dont on croit avoir
chercher un repaire dans le souterrain que
retrouvé quelques vestiges. Aujourd'hui
durant celte dernière saison. Rassurés par
les Bédouins logent leurs troupeaux ces observations, qui nous promettent de ne
dans les cavernes de la fontaine d'A- faire aucune fâcheuse rencontre, nous nous
pollon ; ils en disputent matin et soir empressons de continuer notre marche.
l'approche aux chacals et aux hyènes (1), « Quoique l'axe général du canal soit du
nord au sud , il décrit toutefois quelques si-
(i) Unvoyageur français, Pacho {Voyage nuosités, nécessitées par l'état plus ou moins
dans la Marmarique et la Cyrénaïque , etc., sain des couches de la roche. En détour
p. 2i3et suiv, ) visita, en compagnie d'un Nu- nant un de leurs coudes, un sourd mugis-
bien, portant un flambeau, le cana! de la fon- sement se fait entendre; nous en soupçon*
e
3 Livraison, (Tripolitaiivs.
94 L'UNIVERS.
ne (1). Les colonnes, à moitié enfouies dertii anglais de diamètre ; celles du norc
dans le sol, ont environ quatre pieds et sont complètement ensevelies. On
trouve encore les restes de quelques corï
nons la cause : cependant le Nubien s'est tu structions qui ne semblent pas se ratta
tout à coup; il avance encore , mais il avance cher immédiatement au plan du templ
en tremblant le bruit augmente; pour le
: de Diane. Tout près du mur septentrk
coup il n'y tient plus , il s'arrête, le flambeau nâl,[Beechey découvrit une statue muti
va s'échapper de ses mains; nous nous en em- lée, représentant une femme assise, don
parons ; et cet intrépide jeune homme, qui n'a la ceinture serre étroitement la robe (2)
reculé devant aucun danger, tremblant main-
Entre le temple de Diane et la fontaii
tenant comme uu enfant, se glisse à la hâte
i
Beechey trouva un beau bas-relief e
derrière nous. La rumeur, concentrée dans[un
marbre blanc et le torse d'une figur
corridor étroit, en frappe la colonne d'air de
telle manière, qu'elle produit l'effet de voix
d'homme de grandeur naturelle, égale
rauques et glapissantes. Nous ne tardons pas
ment en marbre blanc, et exécutés dan
le meilleur style grec (3).
d'arriver à l'endroit d'où part ce singulier va-
carme, et nous trouvons au côté oriental, et
à peu près à la moitié de son étendue, une elle coule perpendiculairement de mille cre
crevasse caverneuse , par où se précipite avec vasses du plafond cristallisé; on est dans l'ea

fracas un volume d'eau considérable. Ce jusqu'au cou, ou on a la tète inondée; enfir


gouffre, trop étroit pour en distinguer à l'aide après s'être ainsi traîné çà et là dans les en
d'un flambeau la forme intérieure, parait, au trailles de la montagne, après avoir reconnu
son que produit l'eau, pénétrer très-avant une ouverture pratiquée au plafond parmi ',
dans le sein de la montagne, et tomber à une , on se voit
les stalactites forcé de se retirer ; '

centaine de pieds au moins au-dessous du car avec l'embarras des formes humaines on !

niveau du canal. Si l'on pouvait émettre à ne saurait pousser plus loin cette aquatique
ce sujet quelque conjecture, il serait possible reconnaissance. » i

que ce torrent souterrain allât déboucher à (i) Le nom de cette déesse se lit sur uu !

une caverne située à l'extrémité occidentale fragment de ruines (Beechey).


de la nécropolis , d'où jaillit uu ruisseau qui, (2) Suivant Pacho ( Voyage dans la Mar-
pour donner plus d'extension encore à cette marique, etc., p. 218) les débris magnifiques ;

idée, se rendait peut-être autrefois aux maga- en marbre qui couvrent presque totalement
sins de la station d'Apollonie , par l'aqueduc le champ devant la fontaine, sont ceux du
maintenant en ruines. Hormis cet acci- célèbre temple d'Apollon, élevé à Cyrène
dent, le reste du canal n'offre plus rien de dans les premiers temps de l'autonomie ;

remarquable. Nos précédentes observations (Callimach. Hym. in Apoll. ). Le feu éternel j

furent heureusement sanctionnées par l'expé- que Ton conservait dans ce temple ( Pindar. j

rience aucune rencontre ne nous arrêta daus


: Pjth. V) et le beau canal qui, d'après sa di-
notre visite; et dans plusieurs endroits où rection, conduisait dans le sanctuaire du i

le sentier des fauves s'élargit, nous le trou- temple, offrent, en effet, quelques rapproche-
vâmes couvert d'ossements de chameaux et ments allégoriques. Déplus, Battus, selon\
d'autres quadrupèdes, restes des proies appor- Pindare, avait fait paver une rue pour la
tées du désert , et dévorées en ce lieu. Enfin, marche des pompes religieuses qui se ren-
dès qu'on est parvenu à cent cinquante mè- daient au temple d'Apollon; et quelques restes
tres de distance de l'entrée, le travail de de cette rue se retrouvent encore à peu de,
l'homme finit, et l'on ne voit plus que celui distance des ruines du temple. Eufin, le bas-
de la nature. Là le canal , terminé dans sa relief en marbre représentant une jeune
partie supérieure en angle droit, présente femme nue jusqu'à la ceinture, sans attribut
encore en dessous une ouverture irrégulière de déesse , et paraissant couronner un buste
par où l'on ne peut passer qu'en se traînant dont il manque la tête, figure, d'après Pacho ,

à plat ventre dans l'eau; et l'on arrive de non pas Diane, mais la nymphe Cyrène, cou-
cette manière dans une grotte très- large, ronnant Apollon.
mais peu élevée, et tapissée de stalactites. Si (3) La voie de communication entre la
l'on est encore poussé par la curiosité, il faut plaine de Cyrène et la fontaine d'Apollon
conserver la même position qu'on a prise en est, selon Pacho, la rue de Battus; c'est près
entrant, et s'avancer ou plutôt serpenter à de là qu'on trouve les monuments les plus im-
travers les rocailles : la vue se perd alors de portants. On a à peine franchi la forte pente
tous côtés dans ténèbres, l'eau ruisselle
les qu'elle décrit non loin de la source, que
de toutes parts; elle paraît surgir de la terre; l'on rencontre les ruines d'un amphithéâtre.
ÉTATS TMPOLITÂINS.
Gyrène est. située à l'angle d'une trée de ces cellules paraît avoir été pri-
chaîne de collines d'environ deux cent mitivement fermée par des pierres en
cinquante mètres de hauteur. Ces col- forme de tables portant les noms des
lines sont disposées par gradins ou morts qu'elles recelaient. La plupart de
rangées. C'est au pied de la rangée su- ces pierres sont brisées ou complète»
périeure que la ville avait été bâtie. ment enlevées. Peut-être en découvri-
Des défilés étroits sillonnent la contrée, rait-on un grand nombre en débarrassant
et servent de lits aux torrents qui se les tombeaux des matières alluviales
précipitent vers la mer. La chaîne basse amassées par les pluies. Les cellules se
des montagnes qui , à Benghazi sont
, trouvent quelquefois bien au-dessous du
à quelque distance dans l'intérieur se , niveau des chambres , et soutiennent
confond ici avec la côte; elle est cou- une rangée de corps ou d'urnes ciné-
verte de bois et entrecoupée de ravins. raires, placées les unes au-dessus des
Sa hauteur a été estimée à environ mille autres.
pieds au-dessus du niveau de la mer Beechey découvrit dans plusieurs de
et celle de Cyrène à dix-huit cents. De ces grottes sépulcrales des restes de
là on jouit de l'une des plus belles vues peinture représentant des sujets histo-
du monde. Le versant nord de cette riques, allégoriques et pastoraux, aussi
chaîne de montagnes est abrupte , et beaux que "ceux d'Herculanum et de
descend vers la plaine, non par un Pompéi. La composition et le dessin de
plan uniformément incliné, mais par ces groupes témoignent d'une profonde
galeries successives souvent taillées à connaissance de l'art et d'un goût vrai-
pic. C'est dans les rochers de ces gale- ment classique. Dans quelques-unes de
ries suspendues que les anciens habi- ces peintures, les couleurs sont belles,
tants de Cyrène creusèrent leurs tom- bien conservées, et invariablement ap-
beaux. pliquées à certains sujets ; le bleu et le
Ces tombeaux se composent généra- rouge y sont surtout prodigués. Le
lement d'une seule chambre, au bout bleu était la couleur dominante des tri-
de laquelle, à l'opposite de l'entrée, glyphes dans tous les édifices de Cyrène.
est une façade en bas-relief, le plus "Pacho , qui visita cette partie de l'A-
souvent de l'ordre dorique, taillée avec frique presque à la même époque que
élégance et régularité dans la surface du le voyageur anglais , donne sur la né-
roc ; elle représente un portique et un cropole de Cyrène les détails suivants (1),
certain nombre de colonnes en propor- « C'était, dit-il, une ville des morts
tion avec l'étendue du tombeau. Les séparée de la ville des vivants. Entière-
espaces entre les colonnes varient, les ment creusée dans le flanc de la monta-
portiques étant tantôt monotriglyphes, gne, elle en suit les diverses sinuosités :
tantôt ditriglyphes, selon la fantaisie de elle pénètre dans ses ravines, s'avance
l'architecte. Dans les intervalles com- avec ses contreforts; et cette situation
pris entre les colonnes sont les cel- irrégulière , donnée par la nature pré- ,

lules taillées dans le roc, rectangulaire- sente néanmoins une certaine régularité
ment à la façade, pour recevoir les donnée par les hommes. En effet
1 cendres ou les "corps des décédés. L'en- malgré les angles profonds que décrit
cette nécropolis, malgré les amas con-
;
dont les marches inférieures sont enfouies fus de débris de toute espèce dont elle
j
dans la terre ; au-devant sont épars plusieurs est couverte on peut toutefois y dis-
,

fûts de colonnes et des lorses de statues, qui


,
tinguer huit ou neuf petites terrasses qui
d'après leurs graves attitudes et leurs larges
s'élèvent en échelons les unes au-dessus
draperies, paraissent représenter des philo-
des autres, longent horizontalement
sophes.A peu de distance de là, et parmi la montagne, et sont divisées en deux
; un nombre plus considérable de colonnes,
on remarque un immense bloc de marbre de parties par un ancien chemin sillonné
;

|
forme parallélogramme, et offrant une ana-
logie vague avec les stèles égyptiennes, à (1) Relation d'un voyage dans la Marma-
cause d'un globe sculpté en relief au sommet rique , la Cyrénaïque , et les oasis d'Audje-
du monolithe. (Voyage dans la Marmari- lah et de Maradeh , etc., par J.-R. Pacho;
fie, p. 219.) Paris, 1822 , 1 vol. iu-4 , p. 195 et suiv.

3.
,

36 L'UNIVERS.
profondément par les roues" des chars, le styledorique domine continuellement.
et contenant en plusieurs endroits des On trouve quelquefois pur avec ses co-
le ,

marches peu élevées. Chacune de ces lonnes cannelées, ses triglyphes et ses
terrasses présenteune série rarement gouttières ; quelquefois il est modifié par
interrompue de façades de grottes sé- des détails égyptiens, tels que des cor-
pulcrales dont l'élégance et la variété
, niches et des encadrements; et d'autres
du et surtout la conservation,
style, fois il forme un style à part, qui, tout
très-souvent intacte , forment un grand en conservant son type original, paraît
contraste avec les amas de débris qui néanmoins appartenir en propre à l'ar-
les environnent. Des sarcophages mo- chitecture de Cyrène. Les traits distinc-
nolithes, la plupart taillés dans la colline tifs de ce style sont des consoles en place
même, sont placés au-devant des ter- des colonnes, et des angles obtus, dans
rasses , et bordent la série des façades. les moindres moulures au lieu d'angles
,

Ces sarcophages de roche grossière sans droits. Non-seulement ce style caracté-


aucune espèce d'ornement, comparés rise un grand nombre de monuments de
aux pompeuses sépultures dont ils re- îa Pentapole, mais, on le trouve exacte-
lèvent l'éclat , ressemblent plutôt à des ment reproduit sur les édifices grecs ou
Blocs massifs de pierre qu'à des tom- romains de l'oasis d'Ammon. Si l'his-
beaux. Ils furent infailliblement desti- toire ne nous apprenait pas que la colo-
nés à la classe pauvre des Cyrénéens ; niedesAmmoniensfut successivement al-
c'était ici le peuple, là étaient les grands : liée et -dépendante de Cyrène autonome
même distinction même sort après la
, et soumise aux Romains cette identité
,

mort que durant la vie. de formes architectoniques le ferait pré-


« peut établir comme règle géné-
On sumer; elle sert du moins à constater les
rale que partout où les localités per-
,
témoignages de l'antiquité.
mirent aux Cyrénéens de tailler leurs « Cependant toutes les grottes de cette
monuments funéraires dans la roche nécropolis ne sont pas ornées de façades
au lieu de les bâtir , ils en profitèrent à ordres d'architecture, on y en trouve
soigneusement. En partant de ce prin« quelques-unes pareilles à celles décrites
sipe , on ne sera donc pas surpris que dans d'autres cantons de la Cyrénaïque,
parmi toutes les élégantes façades qui et dont l'entrée n'est qu'un simple carré
ornent cette nécropolis il y en ait peu pratiqué dans la roche. Celles-ci sont-
qui ne soient, au moins en partie , tail- elles antérieures ou postérieures aux
lées dans la roche : des accidents lo- précédentes? c'est ce que je ne saurais
caux seuls ont empêché quelquefois affirmer, malgré que par plusieurs rai-
qu'elles ne le fussent entièrement. Dans sons je sois porté à pencher vers la pre-
ce dernier cas , on a équarri , parfois mière hypothèse. Quoi qu'il en soit ces ,

horizontalement parfois perpendicu-


,
dernières grottes méritent seules d'être
lairement, la roche formant la base, appelées hypogêrs, puisque seules elles
la moitié ou les trois quarts de la fa- contiennent de vastes appartements sou-
çade; on a posé ensuite au-dessus, à terrains qui s'avancent quelquefois très-
côté ou au milieu de la roche équarrie, loin dans la montagne. Les autres seront
des assises qui en ont rempli les lacu- mieux désignées en les nommant mau-
nes , ou complété la hauteur et la lar- solées excavés ; car, loin de contenir de
geur de la façade. Ces espèces de ra- grandes salles sépulcrales, elles ne sont
piécetages sont loin de déplaire à la composées au contraire que de deux à
vue , parce qu'ils sont faits avec beau- six caisses funéraires, séparées par des
coup d'art , et que la partie de la façade cloisons taillées avec un soin infini
tailléedans îa colline même est sillon- dans le roc, et se terminant à la façade
née de lignes qui représentent des assi- en pilastres ou en colonnes. Ces caisses,
ses simulées et succèdent avec régu- toujours égales en largeur quelquefois
,

larité aux assises véritables. La solidité inégales en hauteur et profondeur , sont


et îa durée des monuments, tel fut elles-mêmes divisées par d'autres cloisons
sans cloute le but de tant de soins; et horizontales posées sur des étaies ou
ce but n'a pas été trompé. taillées aussi dans le roc. Les mausolées
« Parmi ce grand nombre de tombeaux des environs du Natistaihmm nous ont
ÉTATS TRIPOLITAINS 37
déjà offert en construction la même dis- parties du portique, ou, pour mieux dire,
position que ceux-ci nous offrent en ex- les autres portiques attenants à celui-
cavation. Dans les uns comme dans les ci , n'offrent pas , il s'en faut de beau-
autres nous voyons une , deux et quel- coup la même élégance de travail. Les
,

quefois trois caisses creusées au-dessous uns sont des colonnes élargies à la base
du niveau de la façade; nous les voyons et rétrécies au sommet les autres des
,

aussi ne dépasser jamais en largeur la pilastres à chapiteaux en volutes, et


ligne perpendiculaire des caisses supé- d'autres encore présentent à peu près
rieures, en former parfois l'exacte conti- la même disposition, mais on s'aperçoit
nuation , et le plus souvent se rétrécir qu'ils sont restés inachevés. Ces derniers
progressivement, de manière que la plus formentrextrémitéorientaledecegrand
inférieure de ces caisses n'est plus qu'une hypogée; ils constatent l'observation,
excavation parallélogramme, dont la faite précédemment, puisqu'il est hors de
largeur est disproportionnée avec la lon- doute qu'ils appartiennent à une époque
gueur. postérieure aux autres. On trouve dans
« Telles sont les grottes sépulcrales à l'intérieur de ce portique de longs bancs
façades de Cyrène. Les hypogées à por- destinés à servir de repos aux personnes
tique composent un nouveau genre d'ar- qui venaient visiter ces lieux funèbres ;
chitecture employé dans la nécropole. et ici comme ailleurs des noms gravés né-
Le plus considérable d'entre eux, creusé gligemment çà et là sur le roc indiquent
presque au sommet de la nécropole, leur passage et leurs pieuses intentions,
déploie par cette situation à une très- « Rendons-nous maintenant à l'ex-
grande distance sa longue et magnifique trémité occidentale du cimetière de
galerie on croirait s'approcher des rui-
; Cyrène; nous y verrons îe même genre
nes imposantes de l'Egypte. On arrive d'architecture modifié par les localités
auprès du monument, et l'on trouve une et par le même motif offrir un aspect
colline entière divisée intérieurement plus sauvage et plus varié. Cette partie
en appartements funéraires, et décorée de la nécropolis est séparée de la précé-
au dehors de vingt-six colonnes et pilas- dente par un profond ravin où coule un
tres massifs, disposés sur une seule li- ruisseau dans toutes les saisons; et tout
gne et ayant pour entablement la cou-
, le penchant de la montagne où les tom-
che supérieure de la colline couverte de beaux sont creusés se trouve couvert
champs et d'arbustes. Ce sont bien là les d'arbres et d'arbustes de diverses espè-
efforts prodigieux de l'art égyptien; ces. Aces caractères, qui distinguent le
mais voici la grâce élégante du ciseau côté occidental de la nécropolis du côté
grec jointe aux faveurs du ciel de l'At- oriental , il faut ajouter que la montagne
tique. y est partout abrupte et entrecoupée
« Lors même que la grande étendue de gros rochers cause du petit nombre
,

de cet hypogée ne porterait pas à croire de ses excavations sépulcrales, et de


de travaux entrepris
qu'il est le résultat leur situation par laquelle elles ne peu-
à diverses époques, on en demeurerait vent occuper qu'une seule ligne.
convaincu par la diversité des styles dont « La variété et la richesse de la vé-

il est composé, et qui en forme autant gétation qui décore ces hypogées parais-
de monuments distincts quoique réunis sent être en harmonie avec cette bizar-
sur une même ligne. Une élégante fa- rerie de l'art et du site. Des genévriers
çade , contenant deux colonnes cannelées de Lycie, aux troncs noueux, aux bran-
a chapiteaux en volutes qui soutiennent ches errantes couronnent le rocher et
,

une architrave ornée de frises légères en ombragent la pittoresque façade:


frappe d'abord l'attention. Pour décou- à ses côtés s'élèvent des cyprès orien-
vrir les riches détails d'architecture dé- taux, qui par leur forme pyramidale
licatement sculptés sur le roc, il faut en servent, pour ainsi dire, de cadre au
écarter de larges bandes tfhypnum, de tableau; et au-devant, parmi des bou-
lichens foliacés, et de petites graminées, quets de myrtes et de lauriers-roses
ornements posés par la nature sur ces coule un ruisseau qui de cascade en
ornements de l'art, pour les protéger cascade va se précipiter, à quelques pas
contre les outrages du temps. Les autres de ce lieu, dans le fond du ravin. A
38 L'UNIVERS.

ces massifs de végétation que l'on de feuillage où pendent des grappes de


oppose ocreuses du rocher
les teintes raisin. Des têtes, emblèmes de deuil,
et quelques croûtes bleuâtres peintes ou des rosaces occupent le centre des
,

par le temps ; que Ton place dans les médaillons formés par les ondulations-
crevasses du roc, sur les corniches des des guirlandes. Le couvercle très-mas-
tombeaux, mille plantes saxatiles de sif est sculpté en feuilles imbriquées;
teintes diverses et d'une floraison écla- les Arabes sont parvenus à le détourner
tante, telles que des renoncules, des de son plan vertical , pour enlever ce
séneçons, des giroflées , des sauges , des que le tombeau contenait : il n'est
alyssons, des géraniums, et tant d'au- aucun monument de ce genre dans
tres ; que Ton entremêle ces belles plantes toute la Cyrénaïque qui n'ait subi la
du peuple innombrable des petites gra- même violation. En outre, l'hypogée
minées , et l'on n'aura qu'une faible est divisé en trois pièces , dont cha-
idée des contrastes de formes , de cou- cune contenait un sarcophage. Si l'on
leur et d'aspect, que présentent ces hy- en juge par leurs débris, ils étaient tous
pogées, et que je donne comme type d'un travail non moins achevé que
des sites sauvages mais charmants de celui qui est resté intact. Sur/l'un était
toute la partie occidentale de la nécro- sculptée une chasse , et sur l'autre des
polis. griffons; la perte de ce dernier ne cause
Après cette esquisse rapide de ce
« pas de grands regrets, puisque nous
que les hypogées de Cyrène offrent dé- allons en trouver un semblable , pour
plus remarquable en perspective, il con- les emblèmes , dans un autre hypogée. ;

vient de pénétrer dans l'intérieur, pour « Une petite grotte, taillée dans le ,

connaître ce qu'ils renferment. Sans flanc d'un ravin de la nécropolis, offre


quitter la partie de la nécropolis où plus de richesses monumentales à elle
nous nous trouvons mais en longeant
, seule que toutes les autres ensemble, j

vers le sud le sentier étroit qui borde


, Cette grotte , sans niches ni sarcopha- I

la série d'hypogées dont je viens de ges , contient au milieu un puits sépul-


faire mention nous apercevons cinq
, cral , et ses quatre parois sont couvertes ;

ou six grottes dont les entrées encom- , de peintures qui paraissent représenter
brées de rocailJes et de buissons épi- des jeux funéraires. La mieux conservée ;

neux ne semblent annoncer que d'in-


, comme la plus remarquable de ces pein-
formes cavernes. Cependant comme les
, tures occupe toute la longueur d'une
réduits les plus cachés et les sites les paroi : elle est composée d'une série j

plus bizarres sont ceux qui piquent défigures dont les unes, revêtues de <

davantage notre capricieuse imagina- riches costumes, exécutent une marche


tion , loin de passer dédaigneux devant solennelle, et les autres, divisées en';
ces antres obscurs, nous mettons au plusieurs groupes et couvertes d'une I

contraire tout en œuvre pour pouvoir y simple draperie, donnent l'idée du peu-
pénétrer. Pioches et bâtons sont tour à ple de Cyrène qui assiste à la cérémonie,
tour employés ; serpents et hibous dé- et s'attroupe auprès des principaux
logent à la hâte; enfin , après quelques personnages. En tête du tableau est
égratignures et de petites contusions, une espèce de meuble, auprès duquel
nous voilà dans l'antre, et nous som- des jeunes gens sont occupés à préparer
mes obligés d'avouer que les travers des mets emblème sans doute des repas
,

d'esprit aident quelquefois aux décou- qui suivaient, dans l'antiquité, les fêtes
vertes de Part. A peine nos veux sont-i's populaires ; une table couverte de cou-
familiarisés avec l'obscurité que nous
,
ronnes et de palmes le termine. Là se
nous trouvons en face d'un magnifique trouvent trois personnages mitres, de-
sarcophage en marbre blanc d'une par- bout chacun sur un piédestal. L'un d'en-
faite conservation, et orné sur trois tre eux est appuyé sur une massue,
côtés d'élégants bas-reliefs. Des carya- l'autre paraît consacrer les palmes et
tides , à la pose gracieuse , à la draperie les couronnes ; et le troisième, dans l'at-
légère, et de jeunes garçons dont la titude d'un orateur^ semble attirer l'at-
ceinture n'est voilée que par un tablier, tention du peuple groupé auprès de lui.»
soutiennent des guirlandes de fleurs et Suivant M. Letronne , cette peinture
ÉTATS TRIPOLITAINS. â9
est romaine. Mais la mitre , les grandes temple fut élevé avec les débris d'édifices
robes chamarées de fleurs, les cein- plus anciens. Les matériaux précieux,
tures en bandelettes , rappellent plutôt tels que le marbre, le porphyre et le
le costume des anciens peuples de l'O- granit, étrangers au sol de Cyrène, y
Pacho incline à l'attribuer aux
rient (1). avaient été transportés à une époque
Israélites,dont le nombre s'accrut con- fort reculée avant d'être employés pour
,

sidérablement dans la Cyrénaïque sous flatter la vanité d'un prince romain;


la domination romaine. ils avaient déjà servi aux monuments
Vers le côté occidental de la nécro- érigés en l'honneur d'un Battus ou
pole Pacho découvrit une grotte creu- , d'un Arcésilas. Cette circonstance em-
sée au sommet d'un rocher, et d'un abord pêche souvent d'assigner à un édifice
très-difficile. Le fond de cette grotte une origine et une époque précises.
est occupé par un sarcophage taillé dans Parmi les colonnes dispersées çà et là,
le roc et couronné d'une frise en tri- il en est peu qui se ressemblent, soit
glyphes, contenant dans chaque mé- par la forme , soit par la nature de la
tope une peinture élégante et d'une pierre. On en voit de rondes de torses ,

conservation parfaite. Dans la série et de cannelées ; les unes sont en mar-


des petits tableaux qu'on y voit, on bre blanc , les autres en granit rose
reconnaît les diverses occupations de d'autres en porphyre bleu. Hors de l'en-
la vie d'une esclave noire. « J'ai cru y ceinte du temple à soixante-dix mètres
,

distinguer, dit Pacho , successivement vers l'ouest, on trouve le torse d'une


les entretiens de l'amitié, l'éducation statue colossale en marbre blanc repré*
d'une jeune fille, l'ambition de la pa- sentant un guerrier. Sur ia cuirasse,
rure, les délassements figurés par enrichie de sculptures d'un travail fini,
l'exercice du balançoir, le bain si né- on distingue les emblèmes suivants au :

cessaire dans la brûlante Libye, et enfin milieu du poitrail une figure de femme
le triste lit de mort sur lequel la né- ailée, la tête couverte d'un casque, et
gresse est étendue , les yeux éteints , et tenant d'une main un glaive et de l'autre
paraît être regrettée de son maître le , un bouclier , se tient debout sur une
blanc Cyrénéen , que Ton voit à côté louve; c'est sans contredit l'emblème
d'elle dans une attitude de douleur. La de Rome la guerrière (1). Deux autres
coiffure et le costume de ces miniatures figures, également ailées, sculptées la-
ne sont pas moins remarquables , tant téralement à la précédente, paraissent
par la forme que par la couleur. Les lon- représenter les génies qui présidaient
gues robes blanches, sans agrafes, et aux destins de la ville héroïque. Les
les schalls rouges , entrelacés avec les écailles semisphériques de la cuirasse
cheveux, ou couvrant la tête en guise qui recouvrent les bandelettes libyennes
de turban , offrent une analogie frap- cootiennentaussi chacune des sculptures
pante avec l'habillement des modernes en relief, disposées symétriquement,
Africaines et principalement avec celles
, parmi lesquelles on remarque des dau-
qui habitent le Fezzan (2). phins, des têtes de Mercure, d'Apol-
A peu de distance de la fontaine lon , etc. (2).
d'Apollon, sur le point culminant de la Le profond ravin qui reçoit les eaux
plaine de Cyrène, on voit les ruines des sources occidentales de la nécropo=
d'un Cœsareum ou temple de César; lis, très-large vers le nord, se rétrécit
l'inscription Porticus Cœsarei , gra-
: insensiblement à mesure qu'il pénètre
vée en grandes lettres sur une corniche
colossale, en est la preuve évidente. Ce
Hérodote (IV, 89) nous apprend que
(1)
les Libyennes s'habillaient de peaux de chè-
(i) Au rapport de Salluste (Bell. Jugurth, vres , dont une partie, coupée en bandelettes,
\
cap. XVIII), les Mèdes et les Arméniens, pendait sur les genoux en guise de franges;
:
débris de l'armée d'Hercule, vinrent s'établir les Grecs en ont fait des serpents pour l'égide

( de *l%, chèvre), bouclier de Minerve,


en Afrique, et, se mêlant aux Libyens, ils déesse
changèrent leur nom même en celui de Maures. primitive des Auséens , qui habitaient les
(2) Pacho, Voyage dans la Marmariaue^ bords de la Grande Syrte.
p. 210, (2) Pacho, p. 22 t.
1

40 L'UNIVERS.
dans les ruines de la ville; puis il s'é- inscriptions grecques et latines y sont
largit encore et se dirige vers l'est. A gravées intérieurement et extérieure-
un point qui se trouve en Signe parallèle ment :elles apprennent que tel est mort
avec le temple de César, et à sept cents il y a environ deux mille ans et rien de ,

mètres environ de celui d'Apollon on , plus. Dans la partie septentrionale on


voit à la rive occidentale de ce ravin un trouve les ruines d'un bain construit en
mur d'étayement, moins considérable briques et conservant plusieurs pièces
,

que de ce dernier temple, et où se


celui voûtées un stadium formé par de
,

trouve aussi les débris en marbre d'un simples rangs de bornes semblables à
édifice. Parmi ces débris, plusieurs sont celles des rues, deux petits temples
couverts d'inscriptions,dont l'une, gravée hypogées de l'époque romaine avec des
sur un beau pilastre, remonte peut-être emblèmes chrétiens, et enfin plusieurs
au règne des Lagides; mais elle n'offre châteaux , dont deux, entre autres, sont
malheureusement que des noms propres. situés à l'extrémité méridionale des
Une autre, publiée par M. Letronne d'a- ruines, chacun auprès de l'angle aigu
près la copie rapportée par Délia Cella, qu'y forment les rues en se joignant (1).
et appartenant à l'époque des empereurs, En dehors de la plaine aux confins ,

est ainsi conçue : méridionaux de Cyrène, on voit les


troncs antiques et crevassés d'immenses
claudia venusta caroubiers, qui,suivant Pacho, marquent
'

fille de claude carpisthène meliok, l'emplacement du grand marché, célébré


[a élevé] a ses frais [la statue de bacchus ? par le chantre des Pythiques (2). Il est ;

<

ainsi que le temple [ou elle est placée], en effet constant que chez les anciens
les marchés publics étaient séparés des «

Les rues de Cyrène sont au nombre quartiers habités des villes. Près de là
de cinq; une seule est dirigée de l'est à on voit un groupe d'hypogées à façades j

l'ouest quatre autres se prolongent


, les d'ordre dorique très-ruinés, mais qui, si f

irrégulièrement vers le sud, où elles l'on en juge, par leurs débris, ne le ce- î

finissent par former deux angles très-ai- daient ni par la magnificence du travail, ;

gus. Elles sonttoutes sillonnées de traces ni par le grandiose des dimensions, aux <

de chars antiques , ce que l'on observe ; plus beaux monuments de la nécropolis.


une d'entre elles paraît avoir été spécia- C'est à l'extrémité du marché de Cyrène ;

lement consacrée aux courses de chars :


que se trouvait, selon Pindare, le tom-
j

non-seulement elle est plus large que les beau de Battus (3). Les arbrisseaux et
autres et les traces plus profondes et plus arbustes qui couvrent l'extrémité occi-
multipliées, mais on y lit le mot timwoç, dentale de la nécropolis rappellent, sui-
profondément gravé en lettres de plu- vant Pacho le bois que Battus fit planter
, ;

sieurs pouces (1) làsans doute un


; c'était près de la ville et qu'il consacra aux
ancien hippodrome. Ces rues ne sont point dieux (4).
spacieuses, l'hippodrome même n'a que Notice historique sur F antique Cy-
dix mètres de largeur, et les autres ne rène. — Hérodote (lib. IV, cap. 155 et
dépassent jamais quatre mètres. Bans sui v. ) raconte que Battus, fils de Polym-
les talus ou intervalles des rues, on neste de Thères, se rendit en Libye,
trouve des grottes sépulcrales semblables d'après un ordre de l'oracle de Delphes,
à celles de la nécropolis (2). De courtes et qu'il y fonda une colonie dans l'île
de Platée, voisine du littoral de la Cyré-
naïque. Après deux ans de séjour dans
(i) Délia Cella trouva près de ià une mon-
cette île, il transporta sa colonie à Azi-
naie antique ; sur l'une des faces se voit une
roue avec l'inscription presque effacée de
Kupàva, et sur l'autre un cheval lancé au pour des boutiques vestiges de la grande ac-
,

galop. Il signale les empreintes profondes des tivité du commerce des Cyrénéens. Cette
roues que l'on aperçoit encore dans les ro- opinion n'a pas besoin d'être réfutée.
chers ( Viaggio, etc., p. 112). (1) Pacho , p. 225.
(2) Lemaire ( dans Paul Lucas , Voyages, (2) Pindar., Pyth. IV.
etc., t. H, p. 90 et, d'après lui, Thrige (3) Pind., îoc. cit.; Catull.,
Carm.,\l, v. 6.
),
(Hist. Cyren., p. 268) ont pris ces grottes (4) Pind.,
Pytk V.
ÉTATS TRIPOLlTAIttS. 4

ris, sur la côte opposée à Platée. Cet nues par plusieurs rangs de pilastres,
endroit était riche en bois et bien arrosé; placés plus ou moins régulièrement se-
une rivière l'entourait des deux côtés lon la solidité de la roche. On n'y re-
( 7roTaf/.è; rà k! ôàrepa îrapapps'et). Après connaît pas le moindre indice de desti-
y être resté six ans, Battus se fit con- nation sépulcrale. Les unes sont ornées
duire à Irasa, vers l'ouest, par quelques d'une espèce de portique monolithe et
Libyens. Arrivés près de la fontaine d'une salle découverte; les autres ont
d'Apollon, les Libyens s'arrêtèrent, et une avenue droite ou sinueuse. Ces vastes
dirent à Battus et à ses compagnons : hypogées paraissent avoir servi de ma-
« Grecs, là il vous est commode de gasins ou d'entrepôt aux marchandises
demeurer; car là est le ciel perforé. » transportées d'Apollonie à Cyrène. Au-
(Av^peç ÉXXnvsç, IvÔgcuto. ûjuv sir.rw^eov jourd'hui ils servent de lieux de refuge
oùcsstv èvôaûra *yàp 6 ) Ce
oùpavoç TSTpyiTai. aux Arabes nomades ou à des troupes
fut dans cet endroit que Battus fonda de bandits.
Cyrène. La côte près d'Apollonie ( aujour-
Tel est en abrégé le récit d'Hérodote, d'hui Sozysa ou Sousa ) est en grande
Selon quelques auteurs, une ville nommée partie formée de bancs de roche, prolon-
Zoa avait existé antérieurement à Cy- gements aplatis des monts Cyrénéens,
rène, dont Battus n'aurait été que le se- Dans les intervalles d'un banc à l'autre
cond fondateur. Mais il a été prouvé on remarque du sable rougeâtre, quî^
que cette opinion ne repose que sur une suivant Délia Cella, doit sa couleur à
erreur philologique. Quant au nom de des fragments très-petits d'une espèce
la ville, il vient, suivant quelques-uns, de corail ; ces fragments varient depuis
de Cyrène, fille du roi Hypsée, dont la grosseur d'une molécule microscopi-
l'histoire est bien connue par les beanx que jusqu'à celle d'un grain de millet (1).
vers de Virgile. Le sable des environs d'Apollonie,
Après Carthage , Cyrène était la ville comme en général celui de tout le lit-
la plus considérable de l'Afrique an- toral de la Syrte, est mêlé de débris de
cienne ; Pindare la surnomme la magni- nombreux zoophytes, de madrépores, de
fique, la très-bien bâtie, la ville au trône tubicoles, etc.; il offre donc beaucoup
d or. L'étendue de ses rues en est un té- de matière aux observations du natura-
moignage encore marquantde nos jours. liste et du géologue.
Strabon dit qu'elle était située sur une La plage d'Apollonie , qui était, à pro-
plaine élevée, unie comme une table et prement parler, le port de Cyrène, est
à cent stades de la mer, ce qui permit au aride , dépourvue d'arbres et de sources.
célèbre géographe de l'apercevoir de Pour suppléer à la sécheresse du sol
son navire dans un trajet maritime. — les anciens habitants avaient construit
A l'est de Cyrène, s'élevait une colline un aqueduc qui traversait la plaine de-
consacrée Jupiter Lycéen. Pausanias puis les régions boisées ou le pied des
mentionne le temple de Jupiter Olym- montagnes jusqu'aux bords de la mer.
pien , et Tacite celui d'Esculape, où les Quelques restes de cet aqueduc existent
Cyrénéens renfermaient leur trésor. encore ce sont de grands blocs mono-
;

lithes placés sur une chaussée dont


Suite de V exploration du littoral.
,

l'élévation diffère selon l'inégalité du


En quittant les ruines de Cyrène, et terrain; on y voit des fragments d'ins-
se dirigeant vers le port d'Apollonie, au criptions romaines, mais tellement
nord-est, on rencontre un endroit ri- frustes qu'il n'est guère possible de les
chement boisé, qui à cause de ses ca-
vernes profondes a reçu le nom de
(i) Délia Cella se dénîande si cela ne paraît:
Magharenat. Ces immenses excavations
pas êlre une espèce de corail particulière non ,
se voient de loin, quoiqu'àdemi cachées
décrite. Sarebbe egli , dit-il, il comune
cor allô
par des touffes d'arbres, et frappent l'i- (isis nobilis) nïiscente, che Vimpeto delï onde
magination par leur sombre aspect. On avrebbc staccato da questi scogli, ove si sa
peut y entrer à cheval, et on trouve dans che cresse copioso ? o ben si specie pigmea ,
ces hypogées des pièces ayant trente à e non descritta? {Viaggio da Tripoli, etc.,
quarante mètres de chaque côté, soute- p. 127; Napoli, i83o.)
42 L'UNIVERS.
déchiffrer. Dans
les endroits où la roche Hors de l'enceinte et' à son extrémité
est à nu, Apolloniens creusèrent
les orientale, on voit un quai magnifique <

des citernes ou réservoirs pour les eaux compose de trente à quarante degrés,
de pluie, qui seules fournissent encore et disposé en amphithéâtre. Du côté
aujourd'hui aux besoins des Arabes no- opposé sont les traces d'anciens bains
mades qui occupent cette plage déserte. taillés dans le roc, et se trouvant main-
Apollonie était une des cinq villes de tenant dans les eaux. Le port, plus
la Pentnpole; suivant Etienne de Byzance intéressant, et objet spécial de cette
elle portait aussi le nom de Cyrène , ce excursion, malgré les envahissements
qui expliquerait certaines difficultés géo- de la mer , peut néanmoins donner en-
graphiques dans le Rudens dePlaute(l) ; core une idée de son ancien état. Deux
elle était entourée d'un mur construit gros rochers peu écartés l'un de l'autre
,

en grandes assises sur un massif de ro- et couronnés de ruines, paraissent en


che il n'en reste plus que le côté méri-
: avoir formé rentrée. Plusieurs écueils
dional , flanqué çà et là de petites tours font suite à ces rochers dans l'ouest et
carrées. Du côté'opposé, les flots de la l'abritent parfaitement, de ce côté, de l'ac-
mer, à force de battre ces bases peu tion des vagues, dont l'impétuosité n'au-
solides, sont parvenus à y faire de rait point été suffisamment ralentie par
nombreuses échancrures. Dans le vaste un promontoire rocailleux qui s'avance à
amas de pierres qui couvre l'emplace- quelquedistancedans l'occident. Ce port,
ment de cette antique cité , M. Pacho quoique infailliblement changé, par les
ne remarqua que les ruines de deux écoulements , de son ancienne forme ,
temples, contenant l'un dix, et l'autre semble susceptible d'offrir encore une ;

six colonnes de marbre pentélique. Voici bonne station aux navires, et confirme
la description qu'en donne ce voyageur : ce qu'ont dit les anciens auteurs , et
« Ces deux temples étaient chrétiens ; particulièrement Scylax de sa situation
,
\
'

indépendamment du style des chapi- qui le rendait sûr et accessible par tous
teaux indice certain du moyen âge,
, les temps.
on remarque sur les fûts des croix tail- « Nous ne pouvons douter en effet que
lées en relief, et surmontées d'un globe les ruines que nous venons de décrire
pouvant représenter l'anse égyptienne, ne soient, d'après leur position relative-
qui dans d'autres cantons de l'Afrique ment au Naustathmus , celles d'Apollo-
septentrionale accompagne toujours le nie , et que ce port n'ait été par consé-
symbole du christianisme. Cette parti- quent celui de Cyrène dans les premiers
cularité porterait à croire que les pre- âges de la colonisation grecque (1). »
miers chrétiens de la Pentapole usèrent La ville d'Apollonie, consacrée au
des mêmes précautions que ceux des dieu protecteur de la Cyrénaïque, resta
oasis. Il est certain, d'après les monu- longtemps dépendante de Cyrène, et ne
ments encore existants, que ces derniers servit d'abord que d'entrepôt au com-
adoptèrent la croix ansée des anciens merce de la métropole. Elle devint auto-
Égyptiens dans l'intention peut-être
, nome sous les Ptolémées. C'est probable-
de déguiser par ce symbole antique de ment à dater de cette époque que le Phy-
la régénération physique , une régéné- eus (Razat) (2) devint pour Cyrène ce
ration morale, foi naissante qu'on n'o- qu'avait été jadis le port d'Apollonie (3),
sait alors professer ouvertement. On
voit aussi dans le fond de ces deux tem-
ples une grande pièce cintrée, sembla- (i) Synésius, Epistolœ 5i, 100.

ble à celle que. j'ai fait remarquer dans (a) Pacho, p. i6x.
(3) Strabon ( lib. XVII )
nous apprend
les tours et les châteaux romains.
que ce promontoire, le plus septentrional
« L'intérieur des ruines de la ville
de la côte libyque; contenait une petite ville.
n'offre rien autre de reconnaissable.
Suivant Synésius {Epist. n3), il était dan-
gereux à habiter, à cause des eaux stagnan-
tes, et de leurs exhalaisons fétides ; un
port,
(i) L'aridité des environs du port de Cy-
rène et trouver de l'eau rap-
la difficulté d'y ajoute-t-il , se trouvait à son extrémité occi-
pellent une des plus jolies scènes de la comédie dentale, ce qui est confirmé par le Périple
antique (Plaut., Rudens, art. II, se. 4). anonyme.
ÉTATS TRIPOLITAINS.
Dans les premiers siècles du christia- rait inutile. La contrée^
une tentative
nisme, Apollonie changea son nom le site, lescirconstances , ajoutent à ces
païen en celui deSozysa, et devint la ca- découvertes mille impressions différentes
pitale de la Pentapole et le siège d'un que l'on sent vivement, et que l'on ne
évêque (1). saurait rendre. Je n'avais vu jusqu'alors
Depuis le promontoire Phycus ( Razat) rien de semblable dans les champs dé-
jusqu'à Derna, la côte est des plus ac- solés de la Pentapole, et je n'y vis par
cidentées ; c'est une plaine inégale, tantôt la suite rien de plus beau que ces petits
boisée, tantôt nue; croisée par de petites monuments. Les Arabes les nomment
hauteurs, et sillonnée par de profonds Zaouani, et le lieu où ils sont situés
vallons; ici rocailleuse, plus loin fertile; Menakhiet. La variété des sites, qui fait
elle aboutit à une chaîne de collines qui le charme de cette contrée, en rend les
: se dégradent en petites terrases, au-des- à trouver, lorsqu'on
localités difficiles
sus desquelles s'étend le vaste plateau n'y est point conduit par un habitant du
cyrénéen. canton : encore faut-il que cet habitant
A peu de distance des ruines d'Apol- y ait résidé depuis le bas âge; sinon,
lonie on rencontre, à Test, le cap Hal-al l'on s'expose à perdre beaucoup de temps
1

(Ras-Hal-al ). C'est un banc de terre peu dans courses. Cependant, l'agréable


les
i élevé, qui s'avance dans la mer, et forme effet que produisent, au premier aspect,
|
à son côté oriental un golfe spacieux, ces édifices placés dans une riante soli-
i
La plaine qui sépare le rivage de la pre- tude, change bientôt dénature. A peine
mière terrasse du plateau cyrénéen de- a-t-onjetéun coup d'œildans l'intérieur
vient plus large vers le centre du golfe. que le prestige disparaît ces jolis monu-
:

Là on rencontre les ruines d'un village ments sont encore des tombeaux. Le plus
et de petites flaques d'eau dans le sable. considérable contient une cloison longi-
'
Ces détails s'accordent très-bien avec tudinale qui le divise en deux pièces,
ceux que donne ici le Périple anonyme. séparées elles-mêmes dans leur hauteur
!
C'est la que Pacho place (2) l'ancien par trois rangées de salles formant au-
;
TSaustathmus, que Strabon (lib. XVII ) tant de caveaux funéraires de toute la
indique comme un des lieux les plus re- longueur du monument. TJne belle
nommés du littoral de la Cyrénaïque (3). frise dorique en contourne le sommet,
La belle situation du cap et surtout la et de riches sculptures ornent les côtés
\ jolie baie qu'il forme, dont le fond est de de la double entrée. De grands blocs mo-
(
sable couvert d'algues, devaient en effet nolithes le couvrent; ils décrivent un
[ offrir une bonne station navale. Cepen- triangle aplati , style gracieux que l'on
: dant, hormis le village désigné, on n'a- voit très-souvent reproduit dans les tom-
|
perçoit d'autres traces d'habitation que beaux de la métropole. Tout le corps
les Vestiges d'un castel romain, situé de l'édifice est élevé sur quatre rangées
à l'extrémité du cap. Tout près de là, au de larges assises disposées en escalier
! sud-ouest, Pacho découvrit un amas de quadrilatère. Enfin, un antique olivier
fort belles ruines, dont aucun voyageur ^est placé au devant, et il en ombrage le
n'avait encore parlé. Voici le récit qu'il faîie d'une manière aussi religieuse que
en fait : pittoresque.
est des sensations que les voyages
« Il « A quelques pas de ce magnifique mau-
seuls peuvent procurer : l'aspect de belles solée on en voit un second, moins grand-,
ruines restées inconnues durant plu- mais mieux conservé, qu'une
et n'ayant
I
sieurs siècles n'en est pas une des plus seule pièce. Deux autres se trouvent à
\
faibles. Essayer de la reproduire, ce se- une portée de fusil de ceux-ci l'un,
1

semblable au dernier, est enfoui dans le


bosquet l'autre diffère tout à fait des
;
(i) Voyez les noms de
ses évèques dans
précédents. A ses petites dimensions, à
i Oriens Christian., t. 618.
II, p.
Voyage dans la Marmarique sa forme de carré parfait, et surtout à
\ (2) Pacho ,

sa surface plane, on dirait d'un autel


\
p. 142.
(3) Pomp. Mêla (I, 8) le cite comme un
antique élevé dans ces lieux en l'honneur
i promontoire, et Plolémée (IV, 4) comme de quelque divinité champêtre. Aucune
j
un port. entrée n'y fut ménagée; après quelques
,

M L'UNIVERS.
efforts, ayant réussi à extraire une pierre les saisons, et se rend dans le port (i). »
de ses assises , je le trouvai divisé en Ces ruines, dans le voisinage du Naus- \

trois cloisons , et totalement rempli de tathmus, attestent l'existence d'une


tètes d'enfant. ville jadis florissante. Cependant les
! « Des monuments construits avec géographes anciens n'en font aucune-
tant de soin, et un grand nombre de mention. Le nom d'Hierah, que les in-
grottes sépulcrales ornées aussi de fa- digènes donnent à un groupe de colli-
çades doriques, que l'on voit auprès d'eux, nes, au sud de Zaouani, pourrait porter à
indiquaient le voisinage d'une ancienne croire que ceslieux intéressants représen-
ville. J'en cherchai les vestiges dans les tent le canton Hiersea, qui, selon Etienne
environs. Des traces de chars dans la deByzance, était compris dans le pays de
partie de la plaine où la roche est dé- Cyrène. —
Au sud d'Hierah on atteint
pouillée de terre frappèrent mes re- le sommet
des immenses contre-forts
gards; j'en suivis la direction, et elle me qui forment le soubassement du grand
conduisit, non sans interruptions , du- plateau Cyrénéen. Ce n'est pas sans dan-
rant un quart d'heure de marche dans ger que l'on parcourt les sentiers étroits
l'est, auprès d'une forêt d'oliviers, où je et rocailleux qui longent la cime de ces
trouvai enfin les ruines de la ville anti- crêtes aiguës, dont les talus sont cou-
que. Les incidents de cette excursion verts de la plus belle végétation. On
devaient m'offrir chacun des résultats rencontre plusieurs débris de tours et de'
nouveaux. Par leur singulière localité, villages, entre autres, Kssariaden, Te-\
ces ruines sont à la fois les mieux con- gheigh, Jgthas et Tehelbeh. Ces ruines;
servées et les plus bouleversées de toutes ne contiennent rien de remarquable, si*.
celles dont j'ai parlé jusqu'ici. Un mur ce n'est la dernière. Sur une colline!
d'enceinte les entoure de toutes parts; isolée on voit un grand nombre de sar-
selon les irrégularités du sol, il atteint cophages en pierre calcaire; ils sont' 1

trente pieds environ de hauteur, ou cinq placés sur les bords d'un chemin en spM
à six seulement. Une grande porte cin- raie encore profondément sillonné pari
trée est à son côté occidental. Dès qu'on les chariots grecs ou romains qui ser-
Fa franchie, on se trouve dans un immense virent au transport de ces masses mono-'
labyrinthe de pans de murs encore de- lithes. La tour de TebeVbeh domine les
bout, de fûts de colonnes renversés, et environs; elle conserve un pan de mur;
de blocs de pierre entassés pêle-mêle, et orné d'une frise en triglyphes. Au pied;
entourant ensemble les troncs énormes du rocher sur lequel fut bâtie la tour;
d'un bois épais d'oliviers. Les divers on voit un souterrain : deux rangs de; ;

étages que forme le feuillage de ces ar- pilastres bien équarris sortent du sein';
bres majestueux ne laissent échapper çà d'une source , et se terminent en voûtes/
et là que des rayons inégaux de lumière qui se prolongent fort avant dans ÏÛ
et répandent un demi-jour vénérable montagne. La transparence de la source
sur ce vaste tableau d'un poétique dé- invite à y pénétrer, malgré l'obscurité
sordre. qui règne dans le fond. On enfonce d'a-
« Cependant je m'aperçus que le plan bord dans l'eau jusqu'à la ceinture, et
général des ruines décrivait une pente lorsqu'on est parvenu à une certaine dis-
insensible vers l'est. Je me rendis de ce tance de l'entrée la profondeur devient
côté, où un nouveau spectacle m'atten- plus considérable ; on aperçoit alors au
dait. J'étais loin en effet de me croire sur plafond une large ouverture cylindrique
la sommité d'un profond vallon dont faite avec le ciseau, et correspondant
les rives abruptes sont pittoresquement en ligne droite à la tour, qui se trouve
bariolées de rubans de roche de diver- à cent pjeds environ au-dessus de la
ses couleurs. Sur une pelouse voisine source.
se trouvait un enfant gardien d'un trou- Au sud
de Tebelbeh est la colline d'.ÉÏ-
peau de chèvres. Ce jeune pâtre m'apprit Hôch trouve en
(l'habitation), qui se
que ces ruines se nomment Ghertapou- quelque sorte détachée des hauteurs qui
lous, et que le vallon que nous avions l'entourent. Les anciens y bâtirent une
sous les yeux porte le même nom un
;
ruisseau, ajouta-t-il, y coule dans toutes (i) Pacho, p. 145.
ÉTATS ÏIUPOLITAINS. 45

forteresse , et immédiatement au-dessous ment. Ces détails et surtout de petits


,

creusèrent unhypogée; c'est une belle


ils soupiraux pratiqués dans la partie supé-
salle quadrangulaire, contenant dans le rieure des voûtes offrent une ressem-
,

fond deux grandes corniches , et, ornée blance frappante avec les bains que l'on
autrefois sur le devant, de trois pilas-
, voit dans l'Orient, et portent à croire
tres dont il ne reste plus que la base. que ces ruines appartiennent à la période
Ces pilastres abattus sont maintenant arabe, d'autant plus que celles de la
remplacés par une double rangée de cy- ville même ont des caractères qui sont
près dont le faîte pyramidal, garni de
, relatifs à la même période. Les maisons,
mousse, forme un péristyle naturel pit- bâties en belles assises, ont conservé
toresque. presque toutes leur hauteur, et ne sont
A une heure de chemin d'El-Hôch, vers distantes entre elles que de deux ou
l'ouest, on trouve le village de Djaus, trois mètres. De cette proximité des do-
dans un site enchanteur. A l'extrémité oc- miciles et de leur élévation très-grande
,

cidentale de ce village on voit les ruines en raison de leur peu de superficie, il


d'un grand édifice, dont il n'existe qu'une résulte qu'ils ne peuvent remonter à
seule pièce construite en grandes assises, une époque bien reculée. L'usage des
et couverte à la manière égyptienne. chars, anciennement répandu dans
Dans les environs sont dispersés de toute la contrée, aurait empêché les
grands blocs de marbre , restes défigurés Cyrénéens de construire leurs villes dans
de statues, parmi lesquels on ne peut le système oriental actuel. Ce système
distinguer que le torse gracieux d'une ne peut donc avoir été introduit dans la
femme. A une heure et demie à l'ouest de Cyrénaïque que par les Sarrasins. Ces
Djaus est Saffneh, où l'on voit les res- peuples, tant anciens que modernes,
tes d'une tour antique. Tout près de ce n'ayant d'autre monture que les chevaux
village, la plaine est garnie, non pas de et habitant un sol brûlant en été, adop-
monticules, mais de creux irréguliers de tèrent .dans la construction de leurs vil»
cinq à six mètres de profondeur : de les un usage qui s'est perpétué jusqu'à
petits tombeaux sont taillés dans leurs nos jours ils ne laissèrent entre les
:

paroiscirculaires ; au milieu est un tapis maisons que des sentiers étroits et en ,

de verdure et des degrés ménagés çà et


, élevèrent le faîte, pour augmenter les
là aident à y descendre. Au-dessus de ces masses d'ombre et faciliter les courants
excavations sont d'autres emplacements d'air. Ces précautions devaient être né-
sépulcraux destinés à des funérailles plus cessaires chez les Sarrasins de la Cyré-
somptueuses; on y remarque des sar- naïque bien plus pour les villes bâties
,

cophages et des voûtes en ogive qui n'ont un peu avant dans le plateau que pour
nullement le caractère sarrasin. celles situées aux bords de la mer ou ,

Après une heure et demie de marcha sur les terrases boisées sans cesse ra-
,

au sud de Saffneh, on arrive à Ghernès, fraîchies par les brises marines (1).
petite ville antique, à une petite dis- Au nord-est de Ghernès sont les ruines
tance à l'est de Cyrène. On y voit, sur de Djaborah ; ce sont des tombeaux à
une colline, deux élégants mausolées côté des vestiges d'un petit bourg. Ces
construits immédiatement au-dessus tombeaux, bien que dépourvus de ri-
d'une grotte sépulcrale. Plus loin, près chesses architectoniques imitent par
,

des vestiges d'un grand monument, leur forme les élégants mausolées de
est une porte dont l'architrave est ornée Zaouani. Ils sont placés sur un grand
d'un vase en relief. Plus loin encore, piédestal à gradins, et couverts de blocs
dans un bas-fond , on voit un château triangulaires* A côté de ces monuments
entouré d'un large fossé , et , à quelques se trouve un grand édifice, qui paraît
pas de distance, les ruines assez bien con- avoir été consacré à des cérémonies fu-
servées d'anciens bains. Ces bains sont nèbres il n'en reste plus qu'un angle de
:

remarquables par des voûtes semi-sphé- conservé. Au milieu de l'édifice sont


ïiques qui terminent , tant horizontale- deux pilastres doriques et plusieurs bas-
ment qu'au sommet, de petites pièces sins circulaires, semblables à ceux qu'on
carrées enduites de ciment à citerne in-
térieurement i et de plâtre extérieure- (r) Paeho, p, r5cj.
46 L'UNIVERS.
trouve dans les excavations sépulcrales. gles d'édifices et des voûtes encore de-j
A une heure de Djaborah, au sud, est bout les couvrent de toutes parts, ei
un château grossièrement construit, que forment un ensemble bizarre, non poinl
les Arabes appellent Ghabou-Diounis d'une ville ruinée, mais d'une ville qu'or
(château de Dionysius). Il rappelle par va bâtir. Après ce coup d'œil général,
son nom le séjour de Dionysius et d'A- si l'on se rapproche des ruines du
côté
gathocle dans cette contrée (t). Dans les du nord ce qui frappe d'abord l'atten-
,
environs on voit encore un beau tom- tion ce sont deux grands bassins qua-
beau circulaire, situé sur un monticule
; drangulaires ayant vingt mètres environ
,
les vestiges de deux villages,
Bou-Ebeilah de chaque côté et taillés avec soin dans
,
et Ghaoufel. Enfin , en s'avancant
da- la roche. Immédiatement au-dessus de
vantage dans l'intérieur , on trouve un
ces réservoirs, on en aperçoit deux autres;
immense castel , entouré de larges fos- le temps en a usé les parois, mais on
sés creusés dans la roche. Les habitants
peut toutefois distinguer encore leurs
lui donnent le nom de Thaougat.
Il oc- contours élégants. Ceux-ci furent ainsi
cupe la position la plus méridionale de
placés pour transmettre l'eau des pluies
ce groupe de ruines dont Têreth
est le qu'ils recevaient par la pente de la col-
centre.
line, dans ceux qui se trouvent sur un
Téreth paraît être le Thintis de Ptolé- plan inférieur. Ces derniers en sont en-
mee (lib. IV, c. 4), ou le Disthis
de la core entièrement remplis, et contient
Pentapole chrétienne (2). Cette partie nent, en outre, une végétation abon-,
du plateau Cyrénéen porte les témoigna- dante : les potamogeion forment à leur
ges d'une population jadis fort nom-
surface de larges réseaux, cèdent parfois
breuse les ruines de Téreth sont environ-
:
la place aux feuilles arrondies des nym-t
nées de traces de bourgs et de villages
phœa, ou bien aux touffes de scirpes et
dont le plus septentrional est Djaus, que
de roseaux.
nous venons de décrire. Sept pilastres,
A quelques pas de ces réservoirs est!
restes d'un grand édifice, des
castels, un souterrain , on y pénètre par un es|
plusieurs bassins, quelques pans de
calier étroit qui conduit à deux pièces
murs et des voûtes, tels sont les débris latérales. L'une contient au plafond une
de Téreth. Dans un bas-fond, à l'ouest,
ouverture ronde , bouchée par un bloc
on voit un grand nombre de sarcophages de pierre; cette ouverture correspond à!
monolithes sans chaussée, les uns de-
l'intérieur d'une petite construction
bout , les autres renversés , et la plupart
que l'on trouve au-dessus : l'autre est:
a demi enfouis dans le sol. Ces
masses, suivie d'un corridor qui se prolonge fort?
formées de roche grossière et sans aucune avant dans la colline. Les décombres
espèce d'ornement, paraissent avoir au-
qui le remplissent empêchent d'en con|
trefois bordé les avenues de la ville.
naître toute l'étendue; mais, selon les:
Lamloudeh , ville mentionnée de YIti- Arabes, il communique avec un château 1
'

néraire d'Antonin sous le nom de Lim- que l'on voit sur la partie la plus élevée
nlade, est à trois heures environ
à des ruines de la ville. Le souterrain prend
l'ouest de Téreth. Comme Téreth
, eîie en effet cette direction, et des faits ana-
est entourée de groupes de ruines
isolés. logues rendent cette tradition vraisem-
On dirait une place flanquée de forts et blable. Quant au château, son enceinte
de contre-forts. Lamloudeh, assise
sur est revêtue d'un mur en talus; l'entrée
le penchant d'une colline,
est souvent est de même voûtée et fort petite, et
citée parmi les villes de la
Pentapole des arcs, restes détachés d'anciennes
chrétienne, sous les noms de
Lemandus, voûtes se voient dans l'intérieur.
,
Lemnandi et de Lamponia. Ces ruines Les grottes sépulcrales de Lamlou-
paraissantappartenir à l'époque romaine', deh se trouvent au nord et à quelque
iigurent un amphithéâtre dont les
divers distance de la ville. Elles ont les plafonds
échelons de la colline représentaient
les en plein cintre, indice de l'époque ro-
degrés. Des montants de portes
, des an- maine. On n'y remarque ni inscriptions,
ni ornements architectoniques. Mais
Ci) Voyez Synesius EpistoL 6.
,
une d'entre elles est fort curieuse; elle
(a) Voy. Oriens Christian., t. II
, p. 63o. est très-spacieuse et divisée en plusieurs
ETATS TRIPOLITAÎNS. 47
pièces. Dans la plus reculée on voit un d'homme : il paraît avoir été destiné à
petit sécos orné au-devant de trois pi- des sorties contre les assiégeants. A
lastres , et contenant dans ie fond deux gauche de la même salle est une petite
niches au milieu desquelles est une croix pièce oblongue, qui en est séparée par une
grossièrement sculptée et entourée de cloison où sont pratiquées trois arches
deux lignes sinueuses imitant deux ser- également taillées dans le roc. On y
pents entrelacés. Cette espèce d'union trouve deux colonnes arrivant jusqu'au
d'idées païennes avec la religion du plafond entre lesquelles est une ouver-
,

Christ éveilla le souvenir de cette secte ture conique, bouchée par un bloc de
de goostiques, de ces carpocratiens qui pierre de même forme, ainsi que dans
d'après des inductions probables, au- le souterrain de Lameloudeh. A côté
raient habité la Cyrénaïque(l). des colonnes est un massif carré , légè-
La colline où fut construite Lem- rement creusé à sa surface (1).
niade se trouve isolée au milieu d'une Ces forteresses servaient évidemment
plaine étendue. Cette situation exposait à arrêter les incursions méridionales,
la ville aux irruptions des hordes bar- venant de l'intérieur du pays, de même
bares; pour s'en garantir, les habitants que les châteaux ou forteresses de
élevèrent des forteresses sur les hauteurs Lemschidi et Lemlez, situés au nord,
environnantes. C'est ainsi que l'on voit étaient destinés à prévenir les inva-
lessommités à'Oum-el-Laham, El-Ha- sions maritimes. Ces deux châteaux
rachi, Ghelleb, Senniou, Reffah et sont à une heure de distance l'un de
Boumnah occupées par des châteauxsem- l'autre; leurs murailles, ayant environ
blables à ceux qui ont été décrits, et ap- quarante mètres de chaque côté, sont for-
partenant à l'époque romaine, excepté mées d'énormes assises posées à sec.
celle de Senniou, qui est d'un âge plus Comme les précédents, ils avaient deux
récent. On y a multiplié les précautions étages; l'intérieur en était également
pour s'assurer une ample provision d'eau. voûté, sans offrir toutefois Ja même
A quelques pas de la forteresse de Raffah distribution on n'y remarque point la
:

on voit de vastes citernes, en partie petite pièce cintrée, ornée de deux co-
remplies d'eau ; un conduit couvert de lonnes , indice de l'époque chrétienne.
tables monolithes de cinq pieds de lon- Delà hauteur de ces châteaux le regard
gueur servait de communication entre le plonge au loin dans la mer.
fort et les bassins. Boumnah, situé à un Chenedireh , près du bourg Debek, à
quart de lieue de là, offre dans ses sou- l'est de Lemîey, nous fait encore mieux
terrains des dispositions remarquables : comprendre les véritables usages de ces
leur entrée est au milieu même de l'é- châteaux. Voici la description qu'en
difice; un escalier aide à y descendre donne Pacho :
,
et dans une vaste pièce au
l'on arrive « Le château de Chenedireh est revêtu
milieu de laquelle est un grand pilier d'un second mur en talus à angles ar-
de soutien. Dans la paroi du fond, à rondis. Sur trois de ses côtés, et au
quelques pieds au-dessus du niveau du niveau du sol se trouve une petite entrée
,

sol, on voit un conduit de hauteur cintrée, qui ne permet à un homme d'y


passer qu'en s'agenouillant. Après avoir
(i)Les carpocratiens avaient emprunté aux franchi l'enceinte générale, on en ren-
thesmophories des Grecs et au culte d'Isis
|

contre une autre, séparée de la première


plusieurs symboles où le serpent était figuré
par un corridor étroit; des portes car-
!

tantôt traînant un char, tantôt se mordant rées et à hauteur d'homme y sont pla-
!

la queue, image de l'immortalité. Leur doc-


trine était un mélange des préceptes de l'É-
cées vis-à-vis des petites entrées exté-
vangile et des maximes de Zoroastre et de rieures. Malgré les décombres dont l'in-
i

Pythagore. Par une application littérale des térieur est rempli, on peut toutefois
principes de Masdacès, un de leurs pro- s'assurer que sa surface était divisée en
phètes les carpocratiens avaient adopté l'égal
,
sept pièces voûtées ayant des commu-
partage des biens et la commune jouissance nications entre elles. second étage Un
des femmes. {Voy. Pococke, Spécimen Hist. s'élevait sur celui-ci; les indices qui en
«/•«£., éd. Vhite, p. 21 et Herbelot, Biblioth.
;
oriental., au mot Masdak. ) (1) Pacho, p. i3o,
18 L'UNIVERS.
restent prouvent qu'il était également anonyme à soixante-seize stades de Ze»
voûté, mais ne permettent point de phirium, et dans le voisinage du cap
connaître s'il avait la même distribu- Erythra, qui est situé à l'est et qui donne |

tion. Cet édifice présente en outre une son nom au golfe (1>. Erythron n'est
disposition architectonique très-remar- mentionné comme ville que chez les écri-
quable au fond de l'étage inférieur, in-
: vains postérieurs. C'est sous ce titre
dépendamment des pièces mentionnées, qu'Etienne de Byzance et Synésius en
on en voit une autre plus petite, semi- parlent. Suivant ce dernier, c'était la
circulaire horizontalement , se terminant métropole d'Hydraxet de Palxbisca (2). |

aussi en plein cintre au sommet, et ornée A peu de distance et à l'est du cap Ery-
au-devant de deux colonnes. Cette dis- thra était, suivant Ptolémée, le village
position, accompagnée des mêmes dé- de Ckersis. La ville d'Érythron avait
tails, est continuellement répétée dans été bâtie sur une couche de terre de
tous les monuments du même genre et trois à quatre mètres d'épaisseur, au-
de la même époque de plus, on la re-
, dessous de laquelle se trouve une roche
trouve dans plusieurs ruines de temples composée alternativement de grès friable
chrétiens de la Cyrénaïque, ajoutons et de brèche mal liée. Ces fondements
encore dans quelques châteaux sarra- n'ont pu résister à l'action continuelle
sins appartenant au premier âge de la des vagues des pans de murailles, des
:
'

conquête de l'islamisme» Que les musul- arcs détachés d'anciennes voûtes des ,

mans, après s'être emparés de cette angles d'édifices sortent çà et là de la


contrée, aient imité, en construisant couche déterre que la mer a fait ébouler \

leurs châteaux, une partie des formes tout autour, et forment ensemble un.
j

et de la distribution de ceux qu'ils y ont aspect étrange, cause des récits merveii-
{

trouvés il n'y a rien là de surprenant


,
;
îeux des Arabes. Dans les environs on
mais que des édifices qui ne sont évidem- voit de nombreux ravins, remplis de pe-
j

ment que des postes militaires offrent sans ornement d'architec-


tites grottes,
un telle analogie avec d'autres édifices ture. Un
chemin sillonné par les roues
qui sont aussi évidemment les restes de des chars antiques, et un aqueduc, sui- ;

temples, c'est ce qui paraîtrait fort vent ensemble les contours de la mon-
tagne. L'eau qui coulait autrefois dans
-
étrange si le philosophe de la Pentapole
chrétienne n'avait pris le soin de nous en l'aqueduc a changé de lit : elle se pré j

indiquer clairement la cause. Ne pouvant cipite en cascade du sommet des rochers


arrêter ces torrents dévastateurs, les ha- dans le fond d'un vallon voisin. De cette
bitants se réfugiaient dans les châteaux; source naissent de nombreux ruisseaux
« lieux publics, nous apprend Synésius, qui entretiennent les prairies verdoyan- ]

où l'on célébrait les saints mystères, et tes du vallon Bou-Chafeh, ainsi appelé
où la population alarmée allait prier d'après le nom d'une famille arabe qui
lorsque les barbares s'approchaient pour l'habite de temps immémorial. Ce lieu
dévaster le canton (1). » agreste couvert de vieux ceps de
est
Ces renseignements nous expliquent vigne de mûriers et de grenadiers.
,

la double destination de ces châteaux A l'est de Natroun sont les ruines de


forts, dont les vestiges sont si nombreux Massakhis ( ville des statues ), nom que
dans la Pentapole. A l'ouest de Chenedi- les Arabes appliquent à toutes les
reh se trouvent les ruines de Mel-ar- villes dont les ruines contiennent des
Jrch, qui n'offrent rien de remarquable. statues. La sommité septentrionale du
Tout près de là est un bois touffu, plateau Cyrénéen se trouve ici taillée à
peuplé de gibier de toute espèce. C'est pic dans une profondeur de sept à dix
peut être jusqu'à ce bois que l'empereur
Adrien étendait ses chasses en Libye (i) Synésius, Epist. 5t.
pendant son séjour à Alexandrie. (a) Hydrax (Kousownous) et Palœbisca
A deux heures et au nord de Chene- ( Bou- Hassan ) étaient les bourgs les plus mé-
direh sont les ruines de Natroun, l'an- ridionaux occupés dans la Cyrénaïque par
cienne Erythroriz placée par le Périple la civilisation grecque et romaine.
Synésius
(ep. 67) les place aux confins de la Libye
(i) Pacho p,i2i,
? aride.
ETATS TRIPOLITAINS. 49

mètres, et forme une espèce de falaise ou Beit-Tammery situées sur le sommet


creusée de toutes parts en tombeaux. Des d'une colline d'où la vue embrasse de
fragments de marbres et de statues, magnifiques paysages, et s'étend au loin
épars çà et là, témoignent de l'ancienne dans la mer. Ce sont sans doute les ves-
splendeur de cette cité. Les excavations tiges du célèbre temple de Vénus. En
sépulcrales sont remarquables par la s'avançant dans les terres, sur un espace
prodigieuse quantité de niches taillées de deux heures, chaque hauteur est
dans le roc, et dont les plus spacieuses creusée en tombeaux, et le sol est partout
paraissent avoir servi de chapelles aux couvert de ruines de villages. Asrak
premiers chrétiens. Le séjour des chré- Tadenet et Koubbeh paraissent de loin
tiens à Massakhit est encore attesté par des collines percées circulairement. Kaf-
les sculptures de l'intérieur d'une grotte fram, Zatrah et Kraât hérissent la
située à l'extrémité occidentale de la plaine de quelques pierres angulaires, et
ville. Deux colonnes à chapiteaux eu renferment chacun un petit château.
volute, dont un non achevé , soutien- Koubbèh (coupole) se distingue au loin
nent les angles d'une frise intérieure à ses huit pilastres à chapiteaux, qui
taillée, ainsi que les colonnes, dans le forment une galerie couverte de longs
rocher. Cetterfrise se compose de trois blocs monolithes, adossés contre la col-
faces , chacune sculptée d'une manière line. Dans l'intérieur de la galerie est
différente ; sur celle qui est vis-à-vis de une petite ouverture pratiquée dans le
l'entrée on voit un médaillon formé rocher, au niveau du sol ; un escalier aide
d'une couronne de laurier, au milieu du- à y pénétrer : dès que les yeux sont fa-
quel est une croix entourée de deux ser- miliarisés avec l'obscurité, on se voit
pents ; latéralement au médaillon sont dans une grotte dont le plafond, tapissé
de grossières arabesques, où la figure du de fougères, s'arrondit en voûte sur
cœur se trouve souvent répétée. On ignore une source d'eau limpide jaillissant
:

quelle est la ville ancienne que Massakhit avec force hors de la galerie , l'eau se
a remplacée. Serait-ce Olbie (1) ? répand au loin dans la vallée, qu'elle
Au sud et au nord de Massakhit on Tous ces monuments étaient
fertilise.
aperçoit un monticule couronné de rui- certainement des dépendances du temple
nes c'est un vaste édifice carré, dont
: de Vénus.
chaque côté a environ quatorze mètres de A Koubbeh vient aboutir la vallée
longueur : des blocs de grès de deux mè- étroite et sinueuse de Betkraât, dont la
tres d'épaisseur en forment les assises ; direction générale est du nord au sud.
cependant de ces masses monolithes il Pour la défense de ses habitants , cette
ne reste plus que quelques mètres au-des- vallée était bordée par intervalles de
sus du sol. Dans l'intérieur, une corniche postes fortifiés. La mieux conservée de
dorique et quatre chapiteaux de marbre, ces ruines est située sur le point le plus
ornés de feuilles d'acanthe et de grap- élevé et aux deux tiers de l'étendue du
pes de raisin , ont seuls échappé à une vallon : elle consiste en deux bâtisses
complète mutilation; on les voit à demi carrées , construites sur un rocher es-
enfouis au milieu de blocs écornés et de carpé d'où l'on jouit d'une vue magnifi-
fûts renversés ou debout. que. Non loin de Betkrâat jaillit une
Le cap Tourba, à peu de distance à belle source, qui ajoute encore aux char-
Test de Massakhit , est le Zephyrium mes du paysage. Un peu plus au sud
des anciens. A
soixante stades de là , à on rencontre les vestiges d'un village,
l'ouest, se trouvait la station navale avec une tour antique qui fut pendant
, qui devait son nom à
d''Aphrodisias longtemps la résidence d'un chef arabe,
un temple de Vénus. Scylax place dans d'où elle a pris le nom de Bou- Hassan,
ce même Aphrodisias, que
lieu l'île qui paraît être le Palœbisca des anciens.
mentionne aussi Hérodote (IV, 169). Ces ruines sont à l'entrée du vallon
Vis-à-vis de la situation présumée de Harden, qui, d'abord spacieux, se rétré-
l'île ou du port d'Aphrodisias se trou- cit ensuite insensiblement, et forme
vent les ruines imposantes de Tammer enfin une gorge tellement étroite qu'elle
ressemble à un profond sillon creusé
(i) Comp. Synésius, ep. 76. dans la montagne; à ce point le vallon
4 e Livraison. (États tkipolitains.)
50 L'UNIVERS,
quitte première dénomination, et
sa Littoral depuis Derne jusqu'à Jlexanr
prend de Betkraât.
celle drie.
A l'est de Bou-Hassan se voient les
débris d'un bourg qui a reçu le nom de Après environ trois heures de route,
Zeitoun, d'après quelques oliviers rabou- à l'est de Maârah, on arrive à la ville ma-
gris, épars çà et là; de même que des ritime de Derne, l'ancienne Darnis ou
bouquets de figuiers ont fait donner celui Dardants {Zarine), qui, selon quelques
de Kouroumous aux ruines d'un viliage auteurs, fut bâtie par les Maures chassés
voisin. On y trouve des restes de tom- d'Espagne (1). Cette ville se compose
beaux antiques. Au delà de ces lieux de cinq quartiers ou plutôt de cinq vil-
commencent les plages stériles de la lages distincts, dont le plus considérable,
Libye. entouré d'une muraille, s'appelle El-Me-
A Test de Koubbeh est la vallée de dineh, la capitale, ou Beled-el-Sour, lieu
fortifié. C'est là que résident les auto-
Tara-Kenet, moins étroite que celle de
Betkraât, mais plus boisée ; pour y arri- rités et les riches ; c'est là que sont les

ver il faut se frayer un passage à travers bazars et que viennent se réfugier les
un épais taillis d'arbres et d'arbustes. caravanes de passage. On y voit deux
Sur les hauteurs^ les plus saillantes , on châteaux dont l'un
, , espèce de grande
voit des forteresses ou châteaux, parmi masure ceinte d'un mur élevé, est le
lesquels Maârah mérite seul une mention séjour du bey lorsqu'il visite la ville.
spéciale (1). Ce château, construit sur El-Magharah, le village de la grotte, est à
un rocher nu, près d'un ancien bourg, l'ouest et un peu au-dessous du précédent.
forme un grand carré, ayant de chaque El-Djébeli, rapprochée de la mer, doit
côté vingt mètres de longueur. Dans son nom à son état d'abandon bien plus !

l'intérieur on ne reconnaît plus que les qu'à sa situation isolée. C'est en face de
fondations de quatre pièces, communi- ce village qu'est le port de Derne, mau-
j

quant entre elles par de petites voûtes vaise petite rade dont le fond , sillonné
encore debout. Cet édifice paraît avoir par des rescifs, ne peut offrir aux
appartenu aux Sarrasins : mais un large navires qu'une station peu sûre. Enfin , '.

fossé, qui l'entoure de trois côtés, est in- Mansour-el-Fokhâni et Mansour-el-Ta-


contestablement antérieur au château, hatani sont séparés des trois villages:
et porte à croire que la construction ac- qui viennent d'être cités, par un vallon :

tuelleaété élevée sur l'emplacement d'un formant en hiver un torrent considé-


monument plus ancien. Le fossé de cir- rable. Il existe une assez grande diffé-
convallation est entièrement creusé dans rence de mœurs entre les habitants de
le roc, et contient dans les parois op- Beled-el-Sour et ceux des autres vil-
posées aux murs du château un grand lages. Les premiers, livrés au commerce,

nombre de grottes sépulcrales , formant sont généralement casaniers et séden-


une galerie souterraine. Les Arabes ont taires; les seconds, plus farouches et
changé ces grottes en ateliers, s'il est plus pauvres, ressemblent aux Bédouins :
ils cultivent les champs des environs,
permis d'appeler ainsi des pieux fixés
au sommet des rochers, où sont attachés font fréquemment des voyages dans
des fils de laine que l'on croise avec l'intérieur du pays, pour y vendre des
assez d'adresse pour en faire des ihrams. marchandises. — Les maisons de Derne
Des ossements retirés d'antiques tom- sont toutes construites en pierre calcaire;
beaux servent de navette. Quel sujet de leurs entrées sont généralement formées
méditation pour un philosophe (2) !
de deux pilastres à chapiteaux imitant
grossièrement le style dorique. Ces
Avant d'arriver à Maârah, on rencontre
(i)
portes se trouvent souvent placées aux
le château sarrasin El-Harami (château des deux tiers de la' hauteur de la maison :
voleurs), près duquel sont les vestiges d'un un escalier saillant y conduit; il est or-
ancien village , Kasch-Moursek. dinairement couvert de treilles où les
(a) Pacho, p. no. habitants viennent, pendant les chaleurs
de l'été, prendre le frais. Dans le village

(i) Délia Ceîla,p. i38.


ÉTATS TRIPOLITAINS. 51

centra] presque toutes les maisons ont borne l'horizon à l'ouest, et détache par
des jardins clos de murs ou d'une haie sa teinte obscure les beaux arbrisseaux
de nopals {Cactus opuntia, L. ). On y qui s'élèvent çà et là aux alentours (1).
trouve les fruits de la Provence, mêlés Cet endroit délicieux, qui rappelle le jar-
à quelques palmiers. Deux sources abon- din des Hespérides , est probablement
dantes jaillissent des flancs exhaussés le pavs d'Irasa, dont parle Hérodote
du vallon de Derne, et distribuent les (lib/lV, 169). Ce fut là, près de la
eaux dans les jardins de la ville. Ce vallon, fontaine Theste , que les Cyrénéens dé-
à bords abruptes et rocailleux, renferme firent l'armée d'Apriès. Dans le voisi-
une riche végétation de caroubiers, d'o- nage d'Irasa ou Aïn-Ersen( source Er-
liviers, de palmiers, de figuiers, de lau- sen ) est situé le cap Ras~el- Tyn, qui est
riers-roses, etc. sans doute le Chersonèse Antide de
La population de Derne est composée Scylax, ou Chersonesus magna de Pto-
d'Alexandrins, de Barbaresques et de lémée. Lucain dépeint cette région dans
quelques familles du Fezzan qui sont le quatrième livre de sa Pharsale (2). A
venues s'établir dans cette ville depuis l'est d'Irasa était Aziris,où les Grecs éta-
la conquête de leur pays par le pacha de bli rent une colonie, en quittant l'île de
Tripoli. On y trouve aussi beaucoup de Platée, aujourd'hui Bomba, située dans
juifs, qui s'y plaisent malgré les outrages le golfe du même nom. U
aspect d' Ouadi-
que les musulmans leur infligent. Vers le Temmimeh confirme la description que
commencement de notre siècle, la popu- les anciens nous ont laissée tfAzirù.
lation de Derne, qui était alors de sept Ainsi, Hérodote (IV, 157) nous apprend
mille âmes, fut réduite à cinq cents, par que ce lieu était situé vis-à-vis de Platée,
les ravages de la peste (1). Les Etats-Unis entre une rivière et des collines toujours
avaient entrepris de former un établis- vertes. Cette rivière était le Palïurus
sement à Derne; mais ils renoncèrent des anciens géographes; on l'appelle
bientôt à leur entreprise. Il reste encore, aujourd'hui Temmimeh; elle se jette
comme souvenir de leurs tentatives, un dans le golfe de Bomba, et traverse une
moulin à eau et une batterie de quelques vallée qui va s'élargissant vers les bords
pièces de canon démontées: de la mer. Suivant Ptolémée, elle prend
A un quart d'heure à l'est de Derne sa source dans un lac de l'intérieur.
Isont les excavations sépulcrales appelées C'est du côté occidental de Temmimeh
y
Kennisieh, les églises; elles sont situées qu'il faudrait chercher les vestiges du
s
au sommet des rochers escarpés qui temple d'Hercule, cité par Strabon, et
j
bordent cette partie du littoral, et contre auprès de l'embouchure de ce torrent,
lesquels viennent se briser les flots de le bourg Paliurus.
la mer. Les anciens y avaient pratiqué Ras-el-Tyn et la vallée Temmimeh peu-
des escaliers, dont on retrouve encore vent être considérées comme les limites
Iquelques vestiges. On y voit des voûtes de la Cyrénaïque ou de la Pentapole.
j
et des niches de toute forme et de toute
idimension, depuis le plein cintre romain MARMAKIQUE.
j
jusqu'à l'ogive parfaite du moyen âge.
!
Là, comme dans le reste de la Pentapole, La plage qui s'étend à l'est de la Cy-
i )n voit les travaux du christianisme rénaïque jusqu'à Alexandrie a reçu je
)ntés sur ceux de l'idolâtrie. nom de Marmarique (3).
A l'extrémité orientale du plateau
Cyrénéen , non loin de Derne on ren- , (i) Pacho, p. 84.
contre, au milieu d'un paysage des plus (2) Lucan., Pharsal., IV, vers 5o,o.
I

attrayants, une source appelée Ersen Inde petit tumulo$,exesasque undique rupes
ou Érasem; elle jaillit d'une grotte Anthœi quœ régna vocat nonvanavetustas.
ornée de festons de lierre et de bouquets
(3) Les auteurs ne s'accordent pas entre eux
;

de cytise, et donne naissance à un ruis- sur les limites qu'il faut donner à la Marmaiïq ue
I
seau qui serpente à travers \me plaine et à la Cyrénaïque. Ainsi, Scylax place les
;
fertile. Un rideau de genévriers de Lycie
1

Marmarides entre le bourg Apis et les Hespé-


rides Pline , entre Parœtoniwn et la grande
;

(i) Paul Lucas, Voyage , t. II, p. i%i. Syrte, et Strabon leur fait occuper tout le

4.
,

L'UNIVERS.
Le sol Marmarique est beaucoup
de la vus, dit-il, et la Chersonèse, distante
moins que celui de la Cyrénaïque
fertile : d'une journée de navigation , sont les îles
la terre n'y produit qu'une fois dans jEdonia et Platxa , ayant chacune un
l'année et le moment des récoltes passé
, port (1). » Il y a en effet une journée
tout reprend l'aspect du désert : les de navigation, ou douze lieues de dis-
troupeaux se réfugient dans l'ombre des tance , entre les ruines situées près de
vallées , et un petit nombre de plantes Magharat-el-Heabès , qui correspon-
échappent à l'ardeur destructive du so- dent à Petras Parvus , et Ras-el-ïyn ,
leil. Les habitants languissent dans leurs l'ancienne Chersonèse.
tentes, et trompent leurs ennuis par A L'extrémité orientale du golfe de
des récits fabuleux. Bomba est une petite baie, environnée de
Dans toute l'étendue du littoral, plus lagunes et de plantes marines , séjour
bas que celui de la Cyrénaïque le voya- , d'une quantité prodigieuse de grenouil-
geur rencontre, de distance en distance, les. C'est ce qui lui valut déjà dans l'an-
des puits ou citernes, dont les uns sont tiquité le nom de port Batrachus (gre-
l'ouvrage des Grecs et des Romains , et nouille). Une belle source d'eau sulfu-
les autres celui des Arabes. Ces citer- reuse ( Ain-el-Ghazal ) se jette dans ce
nes sont un véritable bienfait dans cette port; ses eaux ne sont potables que
région peu favorisée du ciel. Leur cons- dans les calmes.
truction varie suivant la nature du sol : A Magharat-el-Heabès (grottes des
elles sont ou taillées dans le roc, ou prisons ), on voit des hypogées remar-
revêtues d'assises régulières, ou sim- quables par leur style gréco-égyptien. De-
plement étayées par des pierres brutes. vant leur entrée on voit ordinairement
Celles des Grecs ou des Romains se une cour découverte , ceinte d'un mur
reconnaissent à leurs grandes dimen- dont la base est taillée dans le roc , et
sions ainsi qu'à la perfection du travail ;
la partie supérieure construite en assi-
elles sont toutes revêtues d'un ciment ses. Intérieurement elles sont subdivisées
ordinairement plus dur que la roche en plusieurs pièces à angle droit , mais
même sur laquelle il est appliqué; elles avec une ou plusieurs ouvertures prati-
sont quelquefois divisées en plusieurs quées auplafond , ainsi qu'aux catacom-
pièces et le plus souvent soutenus par
, bes des Égyptiens. Devant la plus belle
un ou plusieurs piliers, ou taillés dans le de ces cavernes croît un alizier ( Cralœ-
roc leurs ouvertures sont rondes, ellip-
; gus mona, L. ), le seul que Pacho ait vu
tiques ou carrées. Les citernes qui pa- dans toute la Marmarique. C'est là pro-
raissent être l'ouvrage des Arabes sont bablement les grottes du mont Bombxa,
d'un travail plus grossier, dépourvues dont parle Synésius ( Epist. 104 ), et qui
de ciment et de piliers de soutien. servirent de refuge à saint Jean.
En longeant le golfe de Bomba, de Avant d'arriver à Toubrouk on tra-
l'ouest à l'est, on voit d'abord l'île de verse les ruines d'un petit bourg nommé
Bomba , puis celle d'Aïn-el-Ghazal Klekah. On y voit quatre massifs en
VjEdonia des anciens. Nous avons déjà briques crues, qui paraissent être les
dit que la première est la Ptatsea des restes de quatre tours carrées. Toubrouk
anciens. Scylax ne laisse pas le moindre est situé sur une hauteur qui se ratta-
doute à cet égard. « Entre Petras Par- che à une chaîne de collines. Entre cette
chaîne et la mer est une bande de terre
d'une demi-lieue de largeur, sablonneuse
las compris entre la partie méridionale de
Cyrène, l'Egypte et l'oasis d'Ammon. Pto- et couverte de soudes et d'euphorbes ;
lémée donne le nom de Marmarique à la con- elle conserve à peu près cette distance
trée située enlre le nome Libyque et la ville
depuis Akabah jusqu'à Toubrouk, et
de Darnis. Agathémère fait commencer la
devient ensuite plus spacieuse jusqu'au
Marmarique à la Pentapole et l'étend jusqu'à golfe de Bomba. Les puits qu'on y ren-
Alexandrie. — Les limites de la Cyrénaïque contre engagent les voyageurs à préférer
sont encore plus incertaines ; selon Strabon, en été cette route à'celle des hauteurs qui
Pomponius Mêla et Solin, elle occupe tout la dominent. D'après les distances indi-
f espace compris entre le Catabathmus ,
les
autels des Philènes et l'oasis d'Ammon. (i) Scylax, Peripl. p. 45 édit. Voss.
ETATS TRIPOLITAÏNS. Yè

quées dans le Périple de Scylax , Tou- douce qu'à l'est. Cette montagne s'élève
brouk correspond au poste maritime par ondulation, par hauteur progressive;
Antipyrgus. Les principales ruines dans quelques* points cependant elle
qu'on y voit sont sur le prolongement présente des flancs escarpés, que le cha-
rocailleux de la côte qui forme le port meau gravit avec peine. La roche est
et lepréserve de tous les vents , excepté un calcaire coquiller, compacte, entre-
de celui d'est. mêlé de masses de grès des' bouquets de
;

La portion du littoral dans laquelle lentisques et de genêts en remplissent


on entre en quittant Toubrouk s'appelle çà et là les crevasses. Suivant Pacho, le
Dar-Fayal; elle se continue avec la val- Djebel-el-Akabah a environ trois cents
lée de Daphneh ( Ouadi Daphneh). Sur mètres d'élévation; cette chaîne com-
le sommet d'une colline on aperçoit mence immédiatement aux bords de la
Kassr-Coumbouss , débris d'édifices qui mer, d'où elle se dirige au sud-sud-est
paraissent avoir appartenu à des épo- pouraller joindre les hauteursqui côtoient
ques très-différentes. A
sept lieues plus l'oasisd'Ammon. Au sommet s'étend un
loin on Kassr-Djédid, masure
voit plateau de treize heures d'étendue du
informe, mélange de fragments tant sud-est au nord-ouest, occupé par des
antiques que modernes. Arabes cultivateurs et pasteurs. —
La vallée fertile de Daphneh, qui doit UAkabah-el-Kébir est séparé de VAka-
son nom à des bouquets de laurier-rose, bah-el-Zoghaïr ( petit Akabah ) par une
(Nerium oleander, Lin.), ne contient pas vallée, l'Akabah-el-Kébir-el-Soloum
de restes de monuments remarquables. d'une lieue de large, qui vient aboutir
La végétation y est assez active, surtout dans une espèce de golfe, à l'ouest du
dans les ravins. Des vestiges de canaux cap Halem. Les eaux qui s'écoulent des
d'irrigation y sillonnent le sol en tous montagnes y entretiennent une végéta-
sens, et attestent la présence d'une popu- tion abondante, qui attire de nombreux
lation jadis industrieuse. Aux environs camps d'Arabes. Cette vallée, le Cata-
du cap el-Mellah ( Ardanaxès des an- bathmus magnus des anciens, formait
ciens ) suivant les distances indi-
devait , du temps des Romains la limite entre
quées par Strabon ( lib. XVII ), se trou- l'Asie et l'Afrique; aujourd'hui elle
ver le port de Ménélas, où Agésilas vint sépare les États de Tripoli de ceux
terminer sa glorieuse carrière (1). La val- d'Egypte. Mais cette délimitation de la
lée Daphneh aboutit à la plaine Zarah, régence de Tripoli et du vice-royaume
d'où l'on aperçoit un port spacieux , que d'Egypte est très-vague ; car la suze-
les Arabes appellent Marsah-Soloum raineté des deux pachas dans les déserts
probablement celui de Panormus, que est plutôt nominale que réelle. L'Aka-
Ptolémée indique comme la limite du bah-el-Kébir-el-Soloum , territoire en
nome libyque, en le plaçant à l'ouest de quelque sorte neutre entre deux États
la vallée du Catabathmus. l'extrémité A souvent en guerre, fut de temps immé-
orientale de la plaine Zarah on rencontre morial l'asile de tous les transfuges des
plusieurs puits creusés avec soin dans le tribus environnantes. Ce fut là que le
roc, à une très-grande profondeur; ces général Minutoli vit échouer ses projets,
puits sont garnis à leurs bords de petits sous le prétexte que lui et les siens étaient
bassins également taillés dans le roc, des espions.
mais d'une origine plus moderne. Après avoir franchi cette vallée, on
De Biar-Zemleh on monte le plateau aperçoit les murs de Kassr-Ladjebah
ou montagne d'Akabah-el-Kébir ( le ancienne forteresse sarrasine, qui par
grand Akabah ) beaucoup moins élevé
, sa situation à quatre heures des plus
du côté occidental et d'une pente plus hautes montagnes de la Marmarique, et
à une égale distance de la mer, devait
(i) « Pendant le retour dans sa patrie, en en même temps défendre le littoral et
passant par Cyrène, Agésilas mourut; son protéger l'intérieur des terres contre une
corps fut embaumé avec du miel , et fut trans- invasion venant de l'ouest. Les murs,
porté à Sparte, où il reçut des funérailles roya- assez bien conservés, sont construits en
les. » Diodore de Sicile XV, 93. , (Tome III, belles assises , mais dépourvus de tout
p. 88, de ma traduction.) ornement d'architecture; deux tours
64 L'UNIVERS.

carrées sont aux angles du côté ouest ; ceinte, contenant des débris d'une belle
intérieurement est un puits, et l'on voit époque, servit longtemps de forteresse,
des escaliers pratiqués dans l'épaisseur alors que les Aoulâd-Aly régnaient en
des murs pour arriver au sommet. A souverains dans la contrée. Ce mur est
quelque distance de là est une citerne aujourd'hui en partie enfoui par les sa-
dont l'eau est excellente. bles, qui ont aussi rétréci le port, au-
Le sol de Y Akabah-el-Zoghaïer (petite trefois très-spacieux. Avant le règne de
descente ) est moins élevé et plus stérile Méhémet-Ali, Marsah-Berek était un
que celui de l'Akabah-el-Kébir; c'est un des ports les plus fréquentés de la côte:
mélange d'argile;et de sable ferrugineux, les caravanes de Syouah et d'Audjelah
formant après les grandes pluies un y apportaient leurs dattes, et les habi-
chemin très-glissant et presque impra- tants les plus éloignés de la Marmarique
ticable pour les chameaux. A chaque y venaient échanger leurs laines et leurs
instant s'offrent des traces d'ancien- grains contre les ihrams et les tarbou-
nes habitations, des citernes à sec ou à ches de Derne et de Tripoli. Le pacha
demi écroulées. Cette disposition du ter- d'Egypte attira à sa cour les principaux
rain continue à être la même durant seize cheiks des Aoulad-Aly, et confisqua le
heures de marche, depuis Chammès jus- commerce de Marsah-Berek au profit
qu'à Marsah-Lebéi. Chammès est un d'Alexandrie et de Dammahhour.
château sarrasin , cité par Édrisi sous A l'est de Marsah-Berek est le port
le nom de tour Alschemmas. Les murs, Mahadah , près duquel on trouve des ;

très-grossièrement construits, conser- ruines qui ont de l'analogie avec les j

vent encore toute leur hauteur; inté- tombeaux de la Cyrénaïque; on leur !

rieurement, il est divisé en trois pièces; donne le nom de Kassaba-Zarghah-


deux canons de fer sont à demi enfouis Bahariçh; c'est peut-être remplace- j

parmi les décombres. ment de l'ancienne Zygis ou Gyzis. On {

Boun-Adjoubah paraît occuper rem- voit sur quelques pierres des traces de
placement de l'ancien bourg Apis, qui, caractères qui n'appartiennent à aucun
suivant Scylax, était la limite de l'Egypte. alphabet connu ; c'est probablement de
Cette position correspond, en effet, à la simples signes de reconnaissance pour
distance d'Apis au port Parœtonium, les différentes tribus nomades. On en
aujourd'hui Berek-Marsah. Des débris trouve d'ailleurs sur d'autres édifices de
de deux édifices, Kassr- Bou-Souety et la Marmarique, ainsi que sur les rochers
Kassr-Medjah , entourent la vallée au des environs de Syouah et d'Audjelah.
sud de Berek-Marsah. Depuis cet en- A deux heures de marche au midi de
droit jusqu'à Alexandrie on ne rencontre Zarghah-Baharich on trouve un autre ,

plus le palmier. Kassr-Bou-Souety doit monument en ruines, appelé Zarghah-


son nom à un cheik arabe qui a long- el-Ghublieh , et qu'on voit de très-loin.
temps résidé dans ces lieux : par le se- Ce monument est un carré régulier, dont
cours des puits il faisait cultiver le pays chaque côté a sept mètres quatre déci-
et soignait les palmiers et les figuiers, mètres de long sur quatre mètres un dé-
qu'on y voit en grand nombre. Le nom cimètre de haut. Ses murs ont à l'exté-
de Parsetonium ( Ammonia de quel- rieur un soubassement massif, surmonté
ques auteurs , Baretoun d'Ali-Ghaouy ) par deux colonnes engagées et des pilas-
rappelle bien des souvenirs historiques. tres. Le côté sud offre un encadrement
Cette ville ne devait sans doute sa célé- en relief, qui représente une porte mais
;

brité qu'à son port, bien abrité par une l'entrée n'est réellement pratiquée qu'au
ligne de gros rochers, et dont la circon- plafond par une ouverture carrée d'un
férence, au rapport de Strabon, était de mètre quatre décimètres. La partie su-
quarante stades; c'était la capitale du périeure manque :elle devait être cou-
nome libyque; elle servit de refuge à ronnée par des frises, dont on aperçoit
Cléopâtre et Antoine, et fut le point de encore les fragments dispersés aux alen-
départ d'Alexandre pour se rendre au tours. L'intérieur est vide; depuis le
temple deJupiter Ammon. Il ne se trouve sommet jusqu'à la base les assises s'é-
plus de la ville de Parœtonium que de cartent successivement, et lui donnent
bien faibles vestiges; un grand mur d'en- une forme oblique. Pacho suppose que
ÉTATS TRIPOLITAINS. 55

cet édifice , dans lequel il trouva quel- tance contre les incursions de l'ennemi.
ques débris d'ossements, fut un tombeau Les habitants donnent le nom de Mak-
élevé sous le règne des Ptolémées (1). taernai à un plateau en grès , où l'on
Ces ruines sont situées dans la vallée voit environ deux cents ouvertures pra-
( Ouadi ) Thaoun qui envoie des rami-
,
tiquées dans la roche , qui servent d'en-
fications de collines, les unes fertiles, les trée à des grottes, et distantes entre
autres rocailleuses, depuis les bords de elles de trois ou quatre pas. Sur leurs
la mer jusqu'à Bir-Thaoun. De là on bords sont entassés des blocs de pierres
gravit une chaîne de collines , nommée brutes que l'on a extraits du sein du
Mekdar-el-Medah , dont la direction plateau pour former ces excavations ;
générale est du nord-ouest au sud-est. à en juger d'après leur aspect fruste,
Cette chaîne se rattache aux collines ils doivent être là depuis une époque
de VAkabah-el'Zoghaïer, qui , s'avan- très-reculée. La contrée où sont le pla-
çant dans la mer, forment le cap Ka- teau de Maktaernaï et les ruines dont
naïs, probablement Yflermœa extrema nous venons d'indiquer le nom s'appelle
de Ptolémée ; au rapport des Arabes , Djebel-Kourmah ; c'est une région assez
elles se prolongent par mamelons jusqu'à stérile , occupée pendant une partie de
l'oasis Gharah en décrivant une légère
, l'année par des camps d'Arabes noma-
inclinaison à l'ouest (2). Ces collines, à des ; à l'est elle est limitée par YOuadi-
environ cent cinquante mètres au-dessus Mariout, espèce de vallon ou de plaine
du niveau de la mer, constituent pour basse qui avoisine le lac Mariout ou
ainsi dire le premier gradin des hau- Maréotis.
teurs qui s'élèvent progressivement jus- A Dresieh on voit les ruines d'une
qu'aux montagnes de la Pentapole. ancienne ville , située à peu de distance
Le Leucé Acte (rivage blanc) des an- de la mer (1). Parmi les ruines on ne
ciens correspond aux environs du cap trouve de remarquable que des souter-
Kanaïs ; mais , suivant Scylax, il con- rains voûtés en ogive, revêtus d'une cou-
viendrait davantage à la situation tf El- che de plâtre et subdivisés en plusieurs
Heyf (3). Au reste, depuis la grande pièces, débris d'un château sarrasin.
Akabah jusqu'à Abousir, près d'Alexan- Ces souterrains servent d'asile aux voya-
drie, le bord de la mer est formé par une geurs dans la saison rigoureuse, et les
digue de sables blanchâtres. Les ruines Arabes des environs y déposent, pen«
d'Assamback , de Ghepheïrah, de dant l'été , une partie de leurs récoltes.
Djammerneh et de Benaëhbou-Selim
, Près de Dresieh est un lac d'eau salée,
n'offrent rien de remarquable ; ce sont qui s'étend sur un espace de deux heures,
toujours des fragments de murs qui font en suivant les bords de la mer, dont il
supposer que c'étai ent-les restes d'anciens n'est séparé que par une digue de sable.
postes militaires, destinés à protéger les A quelque distance de Dresieh , au
villes ou les bourgs de quelque impor- sud-est, dans l'intérieur des terres, sont
les ruines d'un monument , appelé Kas-
(i) Pacho , Voyage dans la Marmarique sabah-el-Chammameh (palais des chan-
p. 22. deliers). C'était un édifice carré, dont il
(2) Le nom d' Akabah-el-Zoghaïer
'
(petite ne reste plus que l'angle oriental; sur
descente ) rappelle le Catabathmus parws
une de ses faces extérieures le mur forme
des anciens. Ce mot , qui signifie aussi petite
trois rentrées prises dans son épaisseur;
descente était appliqué (ainsi que celui de
elles dessinent une porte , aux côtés de
Catabathmus magnus) tout à la fois à un bourg
laquelle sont deux colonnes engagées,
et à la vallée qu'il dominait.
ornées de chapiteaux à fleur de lotus
(3) Le promontoire El-Heyf paraît être le
Deris des anciens. Quant à la Roche-Noire, imitation grossière du style égyptien.
que Strabon indique près de Deris , on pour- Ce monument dont les détails architec-
,

rait au besoin la retrouver dans les écueilsqui toniques offrent de petites proportions,
entourent El-Heyf. Les nombreux vestiges
d'habitations que l'on voit à l'ouest de ce
(1) Le nom de Dresieh rappelle le pro-
promontoire, et à quelque distance de la montoire Deris de Strabon; mais la situation
mer, rappellent les petits bourgs Antiphrœ, de Dresieh dans Un golfe ne convient pas à un
mentionnés par le même géographe. promontoire (Pacho).
,

56 L'UNIVERS.
était construit en grandes assises de quelques tronçons de colonnes calcaires
grès, posées sans ciment; l'épaisseur La situation d'e Ghettadjiah, au miliet
des murs était monolithe. A tous ces des sables , prouve un empiétement di
caractères on reconnaît la date des mo- désert sur la terre cultivable. Cet em-
numents lagidéens , dont on voit le plus piétement est favorisé par la nudité di
remarquable à Àbousir. pays , jadis couvert d'arbres, et par l'ab-
A quatre heures et demie de marche, au sence de collines assez élevées pour
nord-est de Kassabah-el Chammameh, opposer une barrière à l'invasion des
on rencontre les ruines de Lamaïd, sables.
château sarrasin situé sur le bord de la
, De Ghettadjiah à Abousir on rencon-
mer. Trompé par les premiers mots tre des ruines d'anciens bourgs et un*
d'une inscription arabe (1) M. Scholz , végétation appauvrie. Les ruines de
(Reise in die Gegend zwiscken Alexan- Boumnah n'offrent de remarquable
drien und Parœtonium, p. 52) a pris qu'une pièce cintrée, ornée de deux co-
Lamaïd pour une mosquée en ruines. lonnes. Abousir, l'ancienne Taposiris,
Le Kassr-Lamaïd est divisé en deux fait partie de la vallée Maréotide ( Ouadi
étages; il forme un grand carré, dont Mariout), canton réputé autrefois par
chaque côté est flanqué d'une tour éga- ses vignobles, et dont le' territoire,
lement à angles droits celle du sud
: au temps de Macrizi, était couvert
donne entrée au château par une porte de jardins et de maisons qui se pro-
dont les montants et le linteau sont longeaient jusqu'à la province de Bar-
en grosses masses de granit rose. Ainsi kah. Parmi les ruines d'Abousir, les
que les châteaux forts du moyen âge, plus apparentes et les plus considé-
celui de Lamaïd avait une seconde rables sont celles d'un temple situé sur
porte de clôture, immense dalle qu'on une hauteur à peu de distance des bords
soulevait par des chaînes en fer, à tra- de la mer. Ses murs , disposés en talus,
vers une coulisse pratiquée au-dessus de à la manière égyptienne, et construits
l'entrée du château. Sur la façade étaient en pierres de taille , forment un carré
deux lions en ronde bosse, posés sur dont chaque côté a quatre-vingts mè-
une corniche ornée d'arabesques; on tres. La partie supérieure manque ; mais
n'en voit plus que les restes défigurés(2). au côté oriental est un grand pylône
Les ruines ftAbdermaïn et El- quadrangulaire, engagé dans l'enceinte
Hammam n'offrent rien de remarqua- générale du temple, dont il suit aussi le
ble. A douze heures de marche, au même degré d'inclinaison. Ce pylône con-
sud-est de Ei-Hammam est le Kassr- tient intérieurement deux petites pièces
Ghettadjiah ; c'est une petite mosquée latérales à la porte d'entrée et sa face
,

isolée dans les sables, et construite avec extérieure offre une analogie frappante
les débris d'un ancien monument; deux avec les monuments de l'ancienne
colonnes, l'une de porphyre bleu, l'au- Egypte. Cependant les petites dimensions
tre de syénite, sont renversées au mi- des pierres qui forment ses assises, l'ab-
lieu de l'enceinte; au dehors on voit- sence de tout symbole hiéroglyphique;
enfin l'aspect général de ce monument
(i) Voici la traduction de cette inscription
indiquent une origine grecque sa cons-
:
arabe, sculptée en relief sur une frise en
truction paraît remonter à l'époque des
forme d'ogive, ornée d'arabesques d'un
et
Ptolémées. Près des ruines de ce temple
travail très-soigné « Au nom de Dieu clé-
:
sont les restes d'un autre édifice connu
ment et miséricordieux, la construction de ce
château a été ordonnée par le fortuné sei-
sous le nom de Tour des arabes : il
gneur, le sultan très-grand , le roi éminent figure en effet une tour posée sur un
roi des Arabes , maître souverain des nations, grand socle quadrangulaire, et divisée
colonne du monde
et de la religion , père de en deux étages, dont l'inférieur est
la victoire, Bibars, partisan du prince des octogone, et le supérieur rond et plus
fidèles (que Dieu glorifie son ouvrage), et rétréci. A la partie sud du rocher sur
exécutée par le pauvre serviteur, sur qui lequel elle est bâtie on voit une grotte
soit la miséricorde divine, Ahmed el Taher, funéraire , divisée en deux pièces où ,

el-Iaghmouri. » (Traduction de A. Jaubert. l'on remarque trois niches larges et


)
(a) Voyez Pacho , p. ia. peu profondes ; le tout est d'un travail
ÉTATS TRIPOLITAINS. 57

peu soigné. Ce monument paraît avoir dans les principales villes de l'Egypte
servi de phare aux navires qui s'appro- pour fondre à l'improvistesur les bazars,
chaient de cette côte dangereuse. Les et disparaître aussitôt pour cacher leur
ruines deTaposiris, à une petite distance butin dans des solitudes inaccessibles.
de la mer, sont en partie situées sur le Ils occupaient presque tout le pays
revers méridional d'un colline, percée qui s'étend depuis l'Egypte jusqu'à la
de quelques cavernes sépulcrales; une grande Syrte; et de leurs camps innom-
digue , allant de l'est à l'ouest , fut cons- brables , qui couvraient ce vaste littoral,
truite au sud de la ville, peut-être pour se détachaient des corps de cavalerie qui
préserver ce côté des inondations du se dispersaient dans les déserts du sud,
|
lac Maréotis. Parmi les monceaux de pour mettre à contribution les oasis et
i
pierres on remarque les fondements s'emparer des caravanes d'esclaves. Mais
d'une construction subdivisée en plu- rentrés dans leurs camps ces hommes fa-
sieurs pièces et revêtue de ciment; ce rouches et spoliateurs devenaient géné-
sont là sans doute les vestiges des bains reux et hospitaliers. C'est là du reste un
dont Justinien, au rapport de Procope, trait caractéristique qui s'applique à tous
orna la ville de Taposiris (1). D'Abou- les Arabes. — Les Aoulad-AIy sont gou-
sir à Alexandrie la route suit la langue vernés par des cheiks qu'ils nomment
de terre qui sépare le lac Maréotis de eux-mêmes , et qui reçoivent du pacha
la mer. Cette chersonèse étroite n'a d'Egypte le bournous d'investiture. Mais,
qu'une lieue dans sa plus grande largeur. loin d'être un emblème du pouvoir, ce
Dans la chaîne de collines, qui forme bournous serait un objet de mépris si
une digue au Maréotis, on voit d'ancien- les suffrages de la tribu n'avaient pré-
nes carrières , contenant une végétation cédé ceux du pacha. Le cheik n'exerce
abondante des touffes de figuiers sau-
: qu'une autorité précaire, qui est moins
vages sortent du sein de ces excavations, le résultat de la force que celui de la
et on aperçoit çà et là quelques plantes réputation et de l'estime dont il jouit
marines. dans la tribu. Il ne diffère en rien des
Nous terminons ici notre panorama simples Arabes; aucun signe du pouvoir
de la côte depuis Tripoli. Si nous avons ne l'entoure, aucune ressource pour s'é-
dépassé les limites des États tripolitains, tablir n'est à sa disposition ; ses trésors
c'est que nous avons voulu compléter sont des troupeaux plus nombreux; ses
notre description de cette partie de l'A- gardes sont ses proches et ses enfants.
frique en la rattachant à la topographie Aussi, ne pouvant exercer l'autorité par
de l'Egypte moderne que nous avons la violence , il l'obtient par la libéralité
publiée dans la collection de VUnivers et la douceur.
pittoresque (2). Les Aoulad-AIy sont d'une taille mé-
diocre mais bien proportionnés leur
,
Habitants de la Mar manque. ;

figure basanée, maigre, estgénéralement


Les Aoulad'Aly et les Harâbi sont régulière : l'œil noir et vif, le nez assez
les principales tribus qui occupent cette grand et jamais aquilin, le front large
région les premiers depuis Alexandrie
,
et souvent avancé en forment les traits
jusqu'à Marsah-Soloum, et les derniers les plus constants. Leur barbe peu
jusqu'aux environs de Dernah. Cette fournie, courte et dégarnie latéralement,
population s'élève, selon Pacho, environ se termine en pointe au menton; elle
à 38,000 âmes, dont la moitié seulement blanchit de bonne heure, ce qui occa-
est armée. sionne la surprise d'un Européen en
Les Aoulad-AIy appartiennent aujour- voyant l'emblème de la caducité con-
d'hui à la domination de Méhémet-Aly. traster avec des yeux pleins de feu et
Leur bravoure les rendait autrefois re- avec toutes les apparences de la force
doutables à tous leurs voisins. Ils profi- et de l'agilité. Le costume des Aoulad-
taient du moindre trouble qui survenait AIy est le même que celui des autres
Arabes du désert libyque. Un bonnet
(i)Pacho, p. 6. de drap rouge (tarboueh) ou de feutre
(i) V
Egypte sous la domination de Méhé- blanc (takiek) couvre leur tête; les
met-Jljr,^, 166-205 {Univers pittoresque). cheiks ornent quelquefois ce bonnet
, j

58 L'UNIVERS.
d'un châle, mais ils affectent de le bles s'ils n'étaient défigurés par des ta-

coiffer différemment des Osmanlis. Les touages de khôl et d'énormes anneaux en


plus riches chaussent des boulhnas, verre ou en argent , qui leur pendent aux
souliers jaunes que l'on fabrique dans oreilles et souvent même au nez. Elles
les villes Barbarie. Un ample ca-
de la ne se bornent point à charger leur figure
leçon de toile, nommé
lebas, noué à la de ces lourds ornements, elles s'en gar-
ceinture, leur descend jusqu'aux jarrets ; nissent aussi les jambes et les bras. —
ils revêtent ordinairement par-dessus Les femmes s'occupent seules des soins
une chemise bien plus ample encore, mais du ménage : elles dressent les tentes,
y
ils en sont quelquefois dépourvus , et le entretiennent la propreté préparent dif-
,

ihram la remplace. Cette dernière partie férents laitages, et se dispersent le soir


du costume bédouin en est aussi la plus dans les environs de la demeure pour
indispensable comme la plus distinctive. recueillir des herbes sèches et quelques
Cest tout simplement une pièce d'é- plantes ligneuses, éparses dans les val-
toffe de laine, formant un parallélo- lées. — Les filles sont vendues à leurs
gramme très-allongé, que l'on revêt sans époux. Il est rare que la plus jolie des
couture ni incision préalable. Mais l'A- Bédouines soit évaluée au delà de deux
rabe du désert possède l'art de la draper chameaux. Les Aoulad-Aly ont souvent
avec une noblesse et une simplicité ini- plus d'une femme.
mitables. Une des extrémités du ihram, Quoique scrupuleux observateurs des
repliée et nouée au quart de sa longueur, préceptes du Koran, les habitants du dé-
forme une ouverture qui donne libre sert n'ont pas cet esprit d'intolérance stu-
passage à la tête et au bras gauche ; la pidement féroce que l'on ne remarque ;

partie nouée descend en replis sous ce que trop souvent chez les musulmans
bras soutenu par le nœud qui vient se
, des villes.
poser sur l'épaule droite ; le reste de la Les Aoulad-Aly mènent en général une
draperie est jeté négligemment sur l'autre vie très-oisive. Dès que la terre est en-
épaule. Mais l'usage du ihram ne se semencée, toutes leurs occupations se
'

borne pas à draper le corps, il supplée à bornent à garder les troupeaux et à veil-
lui seul tout l'attirail de nos lits. Sans 1er à la sûreté de la famille. Quelques-uns i

autre secours que leur costume, ces font des voyages en Egypte, à Syouah et ]

Arabes trouvent leur lit partout ils se : à Derne ; ils portent à Alexandrie et à Da-
blottissent dans leur draperie, et s'en manhour la laine de leurs troupeaux, et
couvrent de telle manière qu'une per- en rapportent des ihrams, des toiles,?
sonne étrangère à leurs usages, en en- des armes et de la poudre; ils prennent
trant la nuit dans un camp , ou s'arrê- à Syouah et à Audjelah des dattes qu'ils
tant près d'une caravane, chercherait en échangent contre du beurre et des bes-
vain les habitants , si un allah , ou hia tiaux. Comme tous les Arabes du désert ;

akbar , ou telle autre exclamation ne ils ne connaissent ni l'agriculture régu-


décelait des hommes sous des paquets lière ni le jardinage. C'est aux céréales,
de hardes. et principalement à l'orge, indispensable
Les femmes portent aussi l'ihram, mais pour leur nourriture et celle de leurs
elles le mettent différemment unepartie : juments, que se bornent tous les travaux
de la draperie contourne la tête en guise agricoles. La terre n'est sillonnée qu'une
de capuchon, et le reste est assujetti au- fois et peu profondément par une char-
tour du corps par une ceinture ordinai- rue de petite dimension, souvent dé- \

rement en peau. Les cheveux , qu'elles pourvue de fer et faite quelquefois de


laissent croître dès l'enfance sont dis- , roseaux. Dès que le grain est semé on
posés en tresses autour du front ou , le recouvre d'une légère couche de terre ;
tombent flottants sur les épaules. Elles trois mois après la récolte est prête le:

lescouvrent ordinairement du medaouâ- chanvre est coupé aux deux tiers de sa


rah, étoffe de laine ou de coton, noire, hauteur, et le champ même devient l'aire
ou bariolée de différentes couleurs. Ces où l'on bat le grain pour le dépouiller
Bédouines ont l'avantage de n'être point de son enveloppe. L'Arabe du désert
voilées par le bounah; leurs traits sont croirait déroger à sa noblesse et com-
,

réguliers, et seraient même assez agréa- promettre son orgueilleuse indépen-


ÉTATS TRIPOLITAINS. 53
dance, s'il fixait son séjour dans un tés dans le roc, des madrépores épars
lieu quelconque, pour le rendre plus fé- sur les collines , des basaltes et des
cond par des soins agricoles ce serait : granits roulés sur des terrains secondai-
imiter les mœurs du Fellah, qu'il mé- Dans la vallée maréotide le grès
res.
prise; ce serait quitter la vie errante, est pius fréquent que le calcaire; à
qu'il aime, pour la vie sédentaire , qu'il mesure qu'on avance à l'ouest le cal-
abhorre. caire domine, et devient souvent coquil-
Les Harabi ont des moeurs et des ler. Les lieux les plus fertiles sont les
coutumes analogues. Ils sont peut-être bas-fonds, qui conservent plus long-
un peu plus vindicatifs et plus enclins temps l'eau des pluies, et les plateaux
au brigandage que les Àoulad-Àly, leurs formés par des chaînes de collines que
voisins.Les Mourabouti, autres Ara- leur élévation garantit de l'invasion des
bes du désert, composant pour ainsi sables. Partout où les contre-forts, qui
dire un ordre religieux, qui, sans le vont de l'est à l'ouest , laissent un pas-
secours des prosélytes, se renouvelle sage, les sables poussés par les vents
lui-même dans ses propres descendants. du sud viennent s'unir aux terres , et
prolongent quelquefois leur envahisse-
Sol, végétaux et animaux de la Mar- ment jusqu'aux bords de la mer. La nu-
marique.
dité du sol rend au voyageur plus sen-
Tout pays compris entre Alexan-
le sible encore l'anéantissement des villes
drie et le golfe de Bomba occupe une et la disparition de leurs habitants :
étendue de cent cinquante-six lieues de il ne voit devant lui que plaines grisâtres

l'est à l'ouest, c'est-à-dire du 27° 34' et collines arides ; et au milieu de ce


jusqu'au 20° 49' de longitude orientale tableau sans couleur, à peine si la pré-
de Paris. La seule partie cultivable sence de l'homme lui est indiquée par le
est le littoral, dans une largeur de dix bêlement des troupeaux et par les tentes
à quinze lieues. Au delà de cette zone, arabes qui paraissent dans le lointain,
au sud, jusqu'à l'oasis d'Ammon, on comme des taches noirâtres.
ne trouve qu'un désert aride, garni de La végétation est aussi peu variée que
quelques îlots de terres salées. Des col- le sol UEphadra distachyos et un grand
.

lines dont la hauteur s'élève progres-


, nombre de soudes, parmi lesquelles on
sivement, croisant en tout sens le lit- remarque surtout le Salsola vermicu-
toral fertile, alternent avec des plaines lata, bordant presque exclusivement le
ou des vallons, qui en hiver livrent littoral. Une espèce ligneuse d'armoise
passage à des torrents. D'Abousir à la (Jrtemisiaarborescens, Desf.), que les
petite Akabah le rivage est formé Arabes appellent chéah, s'étend depuis
par une digue de sables blanchâtres, la Akabah jusqu'au golfe de la
petite
qui s'avance très-loin dans les eaux , et Syrte et suit la partie méridionale des
,

occasionne des bas-fonds dangereux terres cultivables. Le Scitla maritima


pour l'abordage des navires. Cette digue (peut-être X asphodèle d'Hérodote) orne
n'estinterrompue que par les prolon- la même plage, mais dans la partie la
gements rocailleux des collines et de plus fertile; sa hampe sèche sert de
leurs contreforts. A l'ouest de la petite combustible aux indigènes ; verte , elle
Akabah, côte devient plus inégale,
la repose la vue par ses fleurs blanches
et présente en plusieurs endroits des disposées en panicule terminale. Pacho
flancs escarpés contre lesquels viennent rapporte, sans d'autres détails, qu'on
se briser les flots de la mer. Dans cette trouve dans cette même partie du litto-
partie du encore que dans
littoral plus ral une espèce de rubia « à tige peu
la précédente on aperçoit de nombreux
, rameuse, mais très-frutescente (1). »
enfoncements, qui ont 'dû jadis servir de Dans les bas-fonds des plaines, dans, les
ports ou de simples abris aux navires enfoncements des vallées, et même dans
;
mais aujourd'hui ils sont en grande par- les endroits sablonneux, on trouve une
tie comblés par des sables.
Le sol de la Marmarique offre par- (i) Desfontaines (Flora Atlanticd) ne men-
tout des traces de grandes révolutions. tionne que le Rubia tinctorum (la garance) et
Partout on voit des coquillages incrus- le Rubia lucida.
00 L'UNIVERS.
multitude de graminées, mêlées à un Le reste du pays était occupé par des Li-
grand nombre de synanthérées, telles que byens, divisés en plusieurs nations. « La
les Anthémis maritima et arabica, les partie éloignée de la cote, la Haute-Li-
Senecio laxiflorus et glaucus, les Gna- bye, est peuplée de bêtes féroces; et au
phalium stœchas et conglobatum, le delà de cette contrée on ne trouve qu'un
Crépis jftliformis et plusieurs Aster. A désert de sable, privé d'eau et complète-
côté de ces plantes on rencontre YAn- ment Stérile. » (Woi[Ly.oçx.ai àvu^poç <£etv£><;
chusa bracteolata et le Lithospermum xaUpyju.oçTràvTMv) (1).
calloswn, dans les sables; les Silène Ici se place un récit qui a la plus
linguafa et pigmœa, les Cuphorbia haute importance pour l'histoire de la
minima et heterophylla , les Plantago géographie. Hérodote avait entendu dire
lagopoides et amplexicaulis , ainsi que à des Cyrénéens, qu'étant allés consul-
plusieurs espèces de Cleome, Eruca, ter l'oracle d'A mmon ils avaient eu un
Clypeola, jBuplevrum, Cuminum, etc. entretien avec Étéarque, roi des Ammo-
Parmi les animaux de la Marmarique niens. Ce dernier raconta qu'il était venu
on remarque, comme les plus abondants, autrefois chez lui des Nasamons, et que
le chacal, l'hyène, le rat, la gerboise, et leur ayant demandé s'ils savaient quel-
le lièvre,que les Arabes chassent avec que chose de remarquable sur les déserts
une espèce de chien lévrier, d'une agilité de la Libye, ils lui avaient rapporté le
extrême. Les gazelles vivent en trou- fait suivant : Des fils entreprenants de
peaux, suivent les sinuosités des vallées quelques chefs imaginèrent de désigner
et s'avancent rarement jusqu'aux bords par le sort cinq d'entre eux pour explo-
de la mer. L'empreinte de leurs pattes rer les déserts de la Libye et pénétrer
dans les sables trahissent leur retraite. plus loin que tous ceux qui jusque alors
De toutes les plantes aromatiques du s'y étaient aventurés. Les jeunes gens
désert, le Statice tubifera (Statice prui- que le sort avait désignés , munis d'eau
nosa, Viviani), que les Arabes appel- et de vivres, traversèrent d'abord le pays
lent Hachich el-ghazal, est le plus re- habité (vi oUtopérn), puis ils entrèrent
cherché par les gazelles. Le pays étant dans la contrée peuplée de bêtes sauva-
j

totalement dépourvu de forêts touffues, ges (TQÔvipuû^Yiç); de là ils parcoururent .

les oiseaux y sont fort rares , à l'excep- le désert ( -h sp^oç) , en faisant route vers
tion de quelques espèces rapaces et l'ouest.Après avoir marché pendant
aquatiques. Cependant, vers la fin de beaucoup de jours dans un vaste pays sa- |

décembre, lorsque le littoral se couvre de blonneux (^teÊ&Xôovraç £è x&pov iroXXov ^a.^.-


verdure, on voit un grand nombre d'oi- ftw^ea xai èv iroXX-çai TojAepYxii), ils virent
seaux voyageurs (hirondelles, alouettes, enfin des arbres croissant au milieu d'une
cailles, etc.) qui viennent s'y reposer, et plaine; ils s'en approchèrent et goûtèrent
poursuivent ensuite leur émigration pé- du fruit de ces arbres. Dans ce moment
riodique. ils furent attaqués par des hommes pe-
tits, au-dessous de la taille moyenne,
INTÉRIEUR DES ÉTATS DE TRIPOLI. qui les saisirent et les emmenèrent. Ils
Nous venons de décrire le littoral de- parlaient une langue inconnue aux Na-
puis Tripoli jusqu'à Alexandrie : c'est la samons, de même qu'ils n'entendaient
partie lamoins mal connue. Quant aux pas celle des derniers, et les conduisirent
pays de l'intérieur, situés au sud de la à travers d'immenses marais (<SV sXswv
zone maritime, dont la largeur varie, p^t<7Tft>v )
, et après cette marche ils ar-
nos connaissances sont encore très-im- rivèrent dans une ville dont tous les ha- ;

parfaites, et nous devons avouer que les bitants étaient noirs et de la même sta-
anciens étaient à cet égard plus avancés ture que leurs conducteurs. Près de cette
que nous. Aussi trouvera-t-on tout na- ville coulait un grand fleuve, dont le
|

turel de leur faire ici quelques emprunts. cours était de l'occident à l'orient , et
Du temps d'Hérodote, les Phéniciens l'on y trouvait des crocodiles. »
et les Grecs avaient fondé plusieurs co- D'après ce passage remarquable d'Hé-
lonies sur la côte de la Libye qui s'étend rodote, que nous avons rendu textuelle-
depuis l'Egypte jusqu'au cap Soloeïs, au-
jourd'hui cap Cantin, dans le Maroc. (i) Hérodote, IV ? 3î.
ÉTATS TRIPOLÏPAINS. &
ment , il est permis de croire que les dix jours de marche, les Ammoniens,
anciens avaient des notions certaines sur qui ont un temple dont l'origine remonte
le pays situé au delà du désert de Sahra, à celui de Jupiter Thébain : car c'est à
c'est-à-dire le Soudan. En se dirigeant à Thèbes que se voit la statue de Jupiter à
l'ouest, les jeunes Nasamons (dont la face de bélier (1). On trouve aussi chez
nation habitait au sud de la grande les Ammoniens une source d'eau parti-
Syrte) devaient tomber dans le désert de culière le matin elle est tiède, vers
:

Sahara , qui est ici parfaitement indiqué l'heure de midi ( à-ppri; 7rXnôuoûcrr,ç ), elle
par yûpoç izoXkbç ^ap.jjuôtSVi; un vaste , est déjà un peu froide: à midi même,
pays sablonneux. Or, la partie orientale elle est très-froide, et ils s'en servent
du Sahara est particulièrement infestée alors pour arroser les jardins; au déclin
par les Touaricks, qui nous paraissent du jour, elle devient moins froide; au
être les descendants de ces petits hom- coucher du soleil , elle est tiède; puis,
mes (àv^psç puipoi) dont parle Héro- l'eau s'échauffe peu à peu jusqu'à minuit,
dote encore aujourd'hui ils ne vivent
: , où elle entre en ébullition (test àp,goXà-
que de pillage, se saisissent des voya- £r,v); dès que minuit est passé, elle se
geurs et les emmènent dans l'intérieur de refroidit jusqu'au matin. Elle porte le
Soudan pour les vendre comme esclaves. nom de fontaine du soleil (2). »
La ville où les Nasamons furent con- Les Ammoniens descendaient d'une
duits pourrait bien être Tombouctou : colonie égyptienne et éthiopique ; aussi
lesenvirons du lac Tchad , dans le voi- leur langue était-elle un mélange de cel-
sinage duquel ils devaient passer, sont les des deux nations. Leur nom vient
en effet très-marécageux, et près de à'Amoun, par lequel les Égyptiens dési-
Tombouctou le cours du Niger est pré- gnaient la principale divinité de Thè-
cisément de l'ouest à Test car il est : bes (3). L'oracle d'Ammon était un des
évident qu'il s'agit ici , non pas du Nil oracles les plus célèbres de l'antiquité.
mais du Niger , qui pourrait bien com- Crésus et Alexandre le Grand l'avaient
muniquer, par l'intermédiaire du lac consulté : le premier par des délégués , le
Tchad , avec le fleuve de l'Egypte (1). dernier en personne. Lors de l'invasion
des Perses en Egypte, Cambyse résolut
Oasis de Siwah (Syouah) ou d'Amman.
de soumettre les Ammoniens, de les faire
Hérodote divise, comme nous venons esclaves et de brûler le temple qui ren-
de voir , la Libye en trois parties :
toute ferme l'oracle de Jupiter. Cette expé-
celle qui est habitée (oaso^swi) , celle dition échoua complètement ; l'armée du
qui est peuplée de bêtes féroces (ôyipiw^vjç) roi des Perses disparut sans qu'on eût
et la région sablonneuse x^poç «jiapuw&nç ) jamais eu sur son sort des nouvelles
« s'étendant depuis Thèbes jusqu'aux certaines. Au rapport des Ammoniens
colonnes d'Hercule. » La première com- elle fut engloutie dans les sables après ,

prend tout le littoral; la seconde, la con- avoir dépassé la GrandeOasis. Voilàtous


trée montagneuse située entre le litto- les renseignements que put à ce sujet se
ral et le désert ; et la troisième , le désert procurer Hérodote, qui, comme l'on sait,
proprement dit. « Sur la lisière de ce dé- voyagea en Egypte peu de temps après
sert, le plus ordinairement tous les dix les guerres de Cambyse (4).
jours de marche, on rencontre, dit Hé- Arrien et Quinte-Curce décrivent la
rodote , des collines couvertes de gros
fragments de sel , et du sommet de cha- (i) D'après la mythologie, Jupiter se
cune de ces collines, jaillit, au milieu montra à Hercule, qui désirait ardemment le
du sel , une source d'eau froide et douce. contempler, sous l'enveloppe d'une peau de
Autour de ces sources vivent les peuples bélier avec la tête et les cornes. Au rapport
limitrophes du désert et de la région ha- des prêtres égyptiens, interrogés par Héro-
bitée par les bêtes féroces. En partant dote, l'oracle d'Ammon fut fondé sur l'indica-
de Thebes , on rencontre d'abord , après tion d'une colombe noire qui s'était envolée
de Thèbes. (Hérodote, II, 55.)
(i) Voyez ce que nous avons dit sur les (i) Hérodote, IV, 181.
sources du Nil, dans notre volume de l'Afri- (3) Hérodote, II, 42.
que, p. a 12 et suiv. (4) Hérodote, 111,25 et a6.
,, ,

G2 L'UNIVERS.
fameuse fontaine du soleil presque dans beaucoup de palmiers. De Santaryé à
lesmêmes termes qu'Hérodote Arrien ; Audjela, du côté de l'ouest, il y a dix
ajoute que l'endroit où est situé le tem- marches. « Je tiens, ajoute Aboulféda ,

ple d'Ammon occupe un très-petit es- de l'un des Arabes qui sont employés à
pace, qu'il est tout environné de sables l'administration d'Alexandrie, et qui
arides ,
qu'il est d'environ quarante sta- perçoivent leur traitement sur les reve-
des dans sa plus grande largeur, et qu'il nus* de Santaryé, que cette dernière
est couvert d'arbres fruitiers, particu- ville est à dix journées d'Alexandrie,
lièrement d'oliviers et de palmiers. On vers le sud-ouest. Cet homme ajoutait
y trouvait des fragments de beau sel que la ville de Santaryé renferme un mil-
gemme qui étaient vendus en Egypte.
,
lier d'habitants, que ses maisons sont
Comme Hercule, Alexandre voulait con- en briques cuites et en d'autres matières
sulter l'Amoun des Égyptiens ; il avait du même genre, qu'on y trouve des
surtout à cœur de faire accréditer auprès sources d'une eau extrêmement chaude,
des nations fanatiques de l'Orient son et que l'air y est très-malsain (1). »
origine divine et ses relations intimes Voici maintenant ce que les voyageurs
avec Jupiter. Après avoir fondé la ville, modernes nous apprennent sur l'antique
qui encore aujourd'hui porte son nom oasis d'Ammon, appelée aujourd'hui
Alexandre longea le rivage jusqu'à Pa- Siwah ou Syouah (2).
rœtonium, et de là il traversa avec son Browne, en 1792, entreprit le pre-
armée un désert aride, où des corbeaux mier de découvrir les vestiges du temple
lui servirent de guide jusqu'au temple de Jupiter-Ammon. Et voici les rensei-
d'Ammon. Selon les uns, Alexandre re- gnements qu'il nous donne à cet égard.
prit la même route pour revenir en L'oasis où est située la petite ville de
Egypte; selon d'autres, il prit le chemin Siwah est d'environ six milles de long
plus court de Memphis (1). sur quatre milles et demi de large. Une
L'oasis de Syouat fut décrite par les grande partie de cet espace est remplie
géographes arabes sous le nom de San- de dattiers de grenadiers, de figuiers
,

taryé. Ibn-Sayd, cité par Aboulféda d'oliviers, d'abricotiers. On y cultive


place Santaryé sous la latitude d'Augela. une quantité considérable de riz. On y
« Santaryé est un groupe d'îles au mi- trouve de l'eau douce et de l'eau salée ;

lieu des déserts; ces îles sont arrosées mais les sources qui fournissent la pre-
d'eau et plantées de palmiers; des mon- mière sont pour la plupart chaudes.
tagnes les entourent de toutes parts. On La ville de Siwah se divise en quartiers
y trouve une grenade qui dans les supérieur et inférieur; elle est défendue
commencements est amère, mais qui par une citadelle bâtie sur un rocher
lorsqu'elle est d'une bonne qualité de- et entourée de murs solides. Les rues
vient douce. L'air y est malsain pour les sont irrégulières, étroites et très-som-
habitants, à plus forte raison pour les bres , à cause de l'élévation des maisons ;
étrangers. Entre la mer, auprès de la quelques-unes sont couvertes. Les gens
petite Acaba (Alacabat-Alseguyré) et mariés occupent seul le haut quartier, les
Santaryé , il y a huit marches ; au sud- étrangers et les gens non mariés sont
est sont les Oasis du nord (Aloûahât- tous relégués dans le bas quartier.
Alschemalyé). C'est à deux milles de Siwah que
« Au rapport d'Edrisi , la ville de Browne découvrit des ruines {bir) qui
Santaryé est petite ; on y trouve cepen- ressemblent à celles de la Haute-Egypte ;
dant une chaire, et plusieurs familles elles paraissent avoir dépendu du temple
berbères et arabes, de races diverses,
y de Jupiter-Ammon. «J'avoue , dit-il, que
ont établi leur demeure. De cette ville à
la mer Méditerranée on compte neuf
(x) Géographie et Aboulféda , traduite de
marches. Les sources y sont rares , et V arabe en français et accompagnée de notes
on y boit de l'eau de puits; il s'y trouve et d'éclaircissements, par M. Reinaud , t. II,
D
p. 181 (Paris, in-4 , i848).
(i) Arrien, Expédit. III, 3 et 4. Comparez (a) Voyez Jomard , Description de l'oasis
Quint.-Cnrt. IV, 7. Quinte-Cmce est ici de Syouah, d'après les observations de
plus détaillé qu'Arrien. M. Drovetti et de M. Caillaud; Paris, 1823.
ETATS TRÏPOLITAINS 63

je fus extrêmement surpris de voir là un couvertes, et ne contiennent rien qui


édifice d'une antiquité incontestable , et annonce avec certitude à quoi elles
qui, quoique petit, était à tous égards ont pu originairement servir. On y voit
très-digne de remarque. Il n'y avait cependant encore des crânes et des osse-
qu'une seule chambre; mais les murs ments humains auxquels sont attachés
étaient construits de très-grosses pier- quelques fragments de peau , même des
res , pareilles à celles des pyramides. cheveux, et qui paraissent avoir subi
Cette chambre était de trente-deux pieds l'action du feu. Mais il est impossible
de long sur quinze de large et dix-huit de dire s'ils sont les restes d'un peuple
de haut ; et elle avait eu originairement qui fut dans l'usage de brûler ses morts,
pour couverture six grandes pierres qui ou s'ils ont été brûlés par les habitants
atteignaient d'une muraille à l'autre. actuels de ces contrées. La grandeur
Une porte, placée à l'une des extrémités, des catacombes peut seule faire croire
formait la principale entrée, et près de que les corps qu'on y déposait étaient
cette extrémité il y avait de chaque côté entiers elles ont douze pieds de long,
:

une autre porte parallèle. L'autre bout six de large et six de haut ; leur nombre
delà chambre était presque entièrement est de plus de trente (1).
en ruines malgré cela, on pouvait juger
: A deux journées de Siwah, plus avant
qu'elle n'avait jamais été plus grande dans le désert , Browne rencontra près ,

qu'elle ne l'était en ce moment. Il parais- de la plaine de Gegabib, un petit lac


sait aussi qu'il n'y avait point eu d'autre d'eau salée, avec une île située au milieu.
appartement attenant, puisque l'exté- « On y voit , dit-il, beaucoup de rochers
rieur des murs était couvert de sculp- difformes ; mais rien ne peut faire croire
tures. On voyait trois rangs de figures avec certitude que ce sont des ruines
qui semblaient représenter une proces- d'architecture. Il n'est même pas vrai-
i
sion , et les intervalles étaient remplis semblable qu'on y ait jamais construit
de caractères hiéroglyphiques. La voûte quelque édifice , puisqu'il n'y a ni arbres
était aussi ornée de la même manière; ni eau douce (2). »
mais une des pierres qui la formaient Ce lac porte le nom d'Araschie (Bir-
était tombée , et faisait qu'on n'en pou- ket-Araschich)-, les habitants du pays en
vait voir la suite. Les autres cinq pierres ont longtemps défendu l'accès aux étran-
de la voûte restaient entières. La sculp- gers ; ils en débitent des contes merveil-
ture était assez facile à distinguer, et les leux. Ils disent entre autres que l'épée, la
couleurs même des peintures s'étaient couronne et le sceau de Salomon sont
conservées en quelques endroits. On cachés dans ce lac mystérieux, et servent
voit aisément dans les environs de cet de charmes pour ia protection de
édifice qu'il y en a eu d'autres ; mais le l'oasis.
i
temps les a détruits jusqu'au niveau du « Quand je me rendis , dit Browne
sol, ou les gens du pays en ont enlevé de Siwah à Araschie qui en est à envi-
,

les matériaux. Je remarquai dans les ron six milles je passai près d'un petit
,

murailles de quelques maisons des édifice d'ordre dorique, qui paraissait


pierres qui provenaient sans doute de être un ancien temple. J'ignore s'il
y
ces ruines; mais il me fut impossible de avait eu autrefois quelque inscription,
reconnaître quelle avait pu être leur car il n'en restait pas le moindre ves-
place (1). » tige. Les proportions de cet édifice an-
Browne détermina les coordonnées de nonçaient qu'il avait été construit dans
ce lieu par une méthode très-peu précise ;
lebeau temps de l'architecture et ce- ,

il le trouva situé à 29° 12' latitude nord pendant il n'était que de pierre calcaire
et 44° 54' longitude est. remplie de fragments de coquillages. »
Leschambres taillées dans le roc Browne pense que Siwah est le Siro-
étaient probablement destinées à rece- pum de Ptolémée, et que les ruines qu'il
voir les morts. Il n'y a ni ornement a visitées n'étaient qu'une dépendance
ni inscriptions. Elles ont toutes été du temple de Jupiter- Ammon.

(i) Browne, Nouveau Voyage dans la haute (1) Browne, Nouveau Voyage y etc., p. 3a.
9t basse Egypte, 1. 1, p. 29, (2) Ibid., p, 40.
,,

(M L'UNIVERS.

Depuis Browne, plusieurs voyageurs sont de peu d'importance, et datent


ont visité l'oasis d'Ammon. Les routes d'une période assez récente.
les plus ordinaires pour s'y rendre par- La petite oasis est à sept journées de
tent d'Alexandrie ou du Raire , en pas- d'Ammon, c'est-à-dire entre le
l'oasis

sant par les lacs Natroun. On met onze Fayoum et Siwah. Les productions de
jours par cette dernière route. Celle Siwah sont semblables à celles de la

d'Alexandrie longe la côte jusqu'à Ba- petite oasis; seulement les dattes y
ratoun , le Parœtoniwn des anciens; de sont d'une qualité supérieure , et beau-
la elle se dirige au sud. C'est le chemin coup plus estimées. On en distingue six
qu'avait pris Alexandre. Strabon (XVII, variétés, dont la plus recherchée se
p. 549) décrit Paraetonium comme une nomme frahih. Les frahih sont de pe-
ville avec un port considérable, ayant tites dattes blanches quand elles sont
presque quarante stades de diamètre. desséchées.
Quelques-uns l'appelaient Jmmonia. Les habitants de Siwah sont hos-
D'après les renseignements les plus pitaliers, mais très -soupçonneux,
récents , c'est à deux ou trois milles à sauvages dans leurs habitudes et des ,

l'est de Siwah qu'était situé le temple musulmans aussi fanatiques que ceux
d'Ammon, dans l'endroit appelé au- de la petite oasis. La souveraineté
jourd'hui Om-Baydah (mer blanche). , est exercée par des cheiks dont le , ,

C'est près de là que se trouve oe qu'on pouvoir est temporaire ou à vie. Le


suppose avoir été la fontaine du soleil, Bayt-el-mal ( maison de la propriété )
nappe d'eau formée par cinquante-cinq est un édifice public où sont déposés les !

sources. L'eau paraît être en effet plus biens de ceux qui meurent sans héri- ;

chaude la nuit que le jour ( ce qui s'ex- tiers ainsi que les amendes infligées à
,

plique parfaitement par la différence de des coupables. Ces dépôts sont employés ,

température de l'air), sa densité est à la réparation des mosquées, à l'en-,;


plus grande que celle de l'eau du Nil. Les tretien des étrangers et à d'autres œu- j

ruines d'Om-Baydah ne sont pas très- vres pies.


vastes ; on y voit les figures assez bien Les cheiks reçoivent les étrangers;
conservées de plusieurs divinités, et avec un cérémonial particulier; la pre-
entre autres, celle de Jupiter* à tête de mière question qu'ils leur adressent,
bélier. Il est à regretter qu'on n'ait pas est de leur demander de quoi les nou-
encore copié toutes les inscriptions veau-venus sont capables. Leur autorité'
hiéroglyphiques qu'on trouve sur les n'est pas toujours très-respectée ; car ils
j

murs et des pierres éparses. Une con- sont souvent impuissants à réprimer
naissance plus exacte des vestiges du les querelles sanglantes qui éclatent)
temple de Jupiter Ammon serait du plus entre les familles, au sein des villages.
haut intérêt pour l'archéologie et l'his- Siwah tomba sous le pouvoir de Mé-
toire ancienne. Minutoli a donné quel- hémet-AK en 1820. La grande et la
ques vues de ce temple, qui a été décrit petite oasis ont été incorporées dans la
par Caillaud et d'autres voyageurs. province d'Egypte. Affligés de la perte
A trois quarts de mille environ de leur indépendance, les habitants ont
d'Om-Baydah, et à deux milles sud- est plus d'une fois essayé de secouer le joug
de la ville de Siwah, est une colline de la domination turque, notamment en
nommée Dar-Abou-Berek, où se trou- 1829 1835; mais leurs tentatives
et
vent quelques excavations anciennes, furent réprimées par les troupes de
sans doute des tombeaux; un peu au- Hassan-bey.
dessus de la colline, on voit quelques Le principal commerce des habitants
inscriptions grecques, gravées sur des consiste en dattes. Ils comprennent l'a-
rochers. Rasr-Roum ( palais romain ) rabe ; mais ils se servent d'un idiome
à cinq milles à l'ouest de Siwah , est particulier, dont M. Wilkinson a com-
un petit temple d'architecture dorique, nuniqué les termes suivants :

de l'époque romaine ; il était autrefois


Tegmirt, maison, Bagawen, dattes;
entouré d'une enceinte sacrée. Les rui- Dalghrumt, cha- Esdin, froment;
nes d'Amondayn ( deux colonnes ) meau Tinirfayn , lentilles ;
;

près de Ramsyeh, à l'ouest de Siwah, Shaha, chèvre ;


Rous , riz.
ÉTATS TRÏPOLITÀÏNS. 65
Le voyage des savants prussiens (.Li- montagnes, ou plutôt la pente d'une
man, Hemprich et Ehrenberg) a fourni plaine élevée, qu'ils avaient déjà re-
des documents remarquables sur la dé- gardée de plus loin comme la limite
couverte de deux chemins conduisant à entre la domination égyptienne et. la
l'oasis d'Ammon
et dont l'un ne peut , Barbarie. Elle est située à peu près à
être éloigné de celui que prit Alexan- six lieues au sud de la mer et n'est
y
dre le Grand lorsqu'il partit de la Ma-
, réellement que la pente de la haute
réotide (1). On nous saura gré de repro- plaine occidentale ou du plateau de
duire ici ces documents, fort intéres- Barca , ainsi que s'en assura le docteur
sants surtout sous le rapport des sciences Hemprich par une excursion qu'il y en-
naturelles. Les savants prussiens s'a- treprit. Cette chaîne limitrophe, dit Li-
vancèrent à l'ouest d'Alexandrie, le long man , s'appelle Etges-el-Egoba. L'oasis
de la côte libyque , jusqu'au delà d'El- de Siwah , au sud-est , en est éloignée
Baratoun dernière station qu'atteignit
, de cinq fortes journées de marche.
Browne. Us arrivèrent ainsi jusqu'à Cette route, située à l'ouest de celle,
quelques lieues du territoire tripolitain, que Browne suivit pour aller d'El-Ba-
où ils séjournèrent près de quinze jours ratoun à Siwah , est ainsi , du côté de
( entre le 43° et le 44° longitude est de l'île la mer, la plus courte entrée du désert.
de Fer ) dans le voisinage de quelques
, Suivant Pline, la distance de Syène à
sources, y attendant le retour des mes- Ammonium ( Siwah ) était de centena
sagers de Derna. Leur camp établi à quater millia passuum, à peu près
Gasser-Eschtabi, à la base nord-est quatre-vingts milles géographiques. En
du Djebel-Kébir, n'était qu'à quelques quittant la plaine de Kassr-Eschtabi
lieues de la mer ; il y avait là d'excel- les voyageurs franchirent d'abord une
lents puits et un fort des Sarrasins (Gas- rangée de collines basses , qui se pro-
ser ouKassr, c'est-à-dire château), longe de l'ouest à l'est. Ils traversèrent
bâti de cubes de calcaire coquillier. Une ensuite une seconde plaine ; et le soir,
particularité qui caractérise les collines après une forte journée de marche ils ,
basses
asses et planes de cette contrée, c'estc'est atteignirent le versant du Djebel-Kébir
qu'elles forment des demi-cercles qui qui conduit à une haute plaine où ils ,
partent de la mer, et s'élargissent con- ne prirent que quelques heures de re-
centriquement , comme si la mer, au- pos. Une longue colline, remplie de
trefois plus élevée, s'était retirée
peu pétrifications, s'étendait
obliquement au
a peu. A l'ouest, à quatre lieues de pied de la montagneson sommet était
;
la, ils remarquèrent une chaîne de couvert de couches d'une masse blan-
che, que les voyageurs ne purent exa-
(i) Ces documents furent d'abord miner de très-près à cause de l'obscurité.
commu-
niqués en manuscrit à M. Ritter, qui Le second jour, le chemin les con-
s'em-
pressa de les publier dans le tom. III
de sa duisit sur le plateau qui s'élève à peu
Géographie de l'Afrique. Liman, architecte, près trois cents pieds au-dessus de la sur-
Hemprich et Ehrenberg, naturalistes, ac- face littorale qu'ils avaient parcourue le
compagnèrent sous
protection du gouver-
la
,
jour précédent le sol est partout désert
:
nement prussien et de l'Académie des Sciences
et pierreux; et à peine apercoit-on cà
de Berlin , le général Minutoli dans et
un voyage là une misérable plante desséchée/
archéologique en Egypte; leur intention
était
de pénétrer, dans l'automne de Au pied de ce Djebel-Kébir étaient
1820, de la
province de Mariout (Maréotide) une quantité d'arbustes {asclepias) et des
jusqu'à
Cyrène. Ils avaient déjà fait douze spartium de la hauteur de douze pieds,
journées
de chemin, et étaient parvenus,
du 10 au 22 phénomène remarquable dans cette con-
octobre, jusqu'au puits de
Bir-el-Gaur, à
trée, car il contraste singulièrement
ouest de la tour des Arabes; bientôt
ils al-
avec l'uniformité et la pauvreté du lit-
laient atteindre la frontière toral de la Libye. Le passage de la flore
de Tripoli , près
delà haute montagne Djebel-Kébir, lors- des côtes d'Alexandrie à la flore du dé-
qu furent forcés de revenir sur leurs
ils
sert n'offrait rien de remarquable cepen-
pas ;
dans l'oasis de Siwah , d'où ils
retournèrent dant ils virent ici une trentaine de phané-
a Alexandrie par des routes
jusqu'alors in- rogames, qu'ils ne retrouvèrent plus dans
connues.
l'intérieur; les cryptogames parasites
e
«5 Livraison. (États tripolttains.) «
66 L'UNIVERS.
qui en tirent leur nourriture disparu- des fossiles à peine à moitié pétrifiés.
rent naturellement en même temps. La disette d'eau était générale dans'
Près d'Alexandrie , comme dans l'in- cette contrée; aussi les voyageurs par-
térieur du désert libyque, les atriplex coururent-ils à marches forcées, pendant
demeurèrent toujours de toutes les plusieurs jours, un désert aride et mo-
plantes les plus nombreuses; ce qui notone, rencontrant de temps en temps
ajoutait encore à l'uniformité de ces de petites élévations et quelques vallées
plaines d'ailleurs si pauvres en végétaux. peu remarquables. Le cinquième jour
On remarquait pour la première fois ils arrivèrent enfin à un ravin entouré

un caractère un peu différent dans la de montagnes escarpées et souvent dis-


végétation, au bord rocheux du Djebel- posées en forme de terrasse ; ce ravin
Kébir ; mais cette variété cesse dès qu'on les conduisit dans la vallée de Siwah. lis
approche du sommet on ne découvre
: avaient aperçu, dès le matin du même
plus alors que quelques espèces d'e- jour, quelques élévations isolées, sem-
chium, des atriplex et des salicornia; blables à des huttes de charbonniers;
plus loin , les voyageurs trouvèrent le puis des couches horizontales de calcaire
Capparis œgyptiaca , qu'ils rencontrè- coquillier, étendues les unes au-dessus
rent depuis, une seconde fois, en s'en des autres, en formant des cônes apla-
retournant de Siwah en Egypte. Jus- tis, semblables à des pyramides; à
qu'à Siwah la contrée offrit toujours partir de ce point la contrée ne cessa
h même aspect; les lichens seuls abon- pas d'être montueuse. Vers midi ils
daient dans ces déserts entre autres le
, découvrirent, dans le lointain, des mon-
Parmelia saxatilis, qui couvrait quel- tagnes de forme bizarre , qui excitèrent ;

quefois des plaines entières et leur don- des cris et des exclamations de joie !

nait une couleur blanche comme de la parmi les Arabes , car elles étaient un
craie. Une nouvelle espèce d'urcéolaire signe qu'on approchait de l'oasis. Dans ,

tapissait les cailloux brunâtres lorsqu'ils les gorges de ces montagnes on voyait j

n'étaient pas disposés en couches trop les tombeaux d'une quantité de voya- »

compactes ; d'autres urcéolaires n'étaient geurs assassinés. Depuis midi la cara- \

pas rares non plus. Une nouvelle espèce vane ne fit que descendre à travers des ;

ûHsidium et le Parmelia miniata se gorges étroites et profondes et entre


rencontraient habituellement sur les des montagnes formant des terrasses na- ;

rochers brûlants de sorte que même le


, turelles, jusqu'à ce qu'on arrivât ie soir à [

Sahara n'était pas désert pour le bo- Siwah. A l'entrée de cette vallée étaient
j

taniste. d'énormes masses de pétrifications très- j

La haute plaine du Djebel-Kébir était bien conservées. Toute la chaîne de


'

souvent couverte de galets, et déjà, au montagnes près de Siwah forme au


matin de la seconde journée, les voya- sud une pente semblable à celle du haut
geurs rencontrèrent plusieurs plaines plateau du désert du côté de la mer au l

unies, qui de loin ressemblaient à de nord. Cette pente cependant se dégrade


larges étangs. Elles se composaient d'une plus doucement et s'effleurit davantage
terre argileuse aussi unie qu'un plancher près de Gasser-Eschtabi, tandis que la
poli, et étaient fendues par des millions dégradation près de Siwah est très-es-
de crevasses en morceaux hexagones, carpée et forme plusieurs groupes de
sur la surface desquels le pas des cha- monticules. Il est difficile de dire si ces
meaux ne laissait aucune trace. Ces en- masses, stratifiées horizontalement et
droits sont toujours situés un peu plus disposées en terrasses , sont du grès ou
bas que le reste de la contrée, et parais- seulement un conglomérat de sable ; car j

sent avoir été autrefois recouverts par souvent on remarque des couches entiè-
les eaux. Les vastes plaines, presque res composées uniquement de coquilles
dénuées de végétation, avaient tantôt une sans aucune espèce d'alliage. Ces mas-
teinte noire provenant des masses de ses de rochers se sont évidemment for-
hornstein; tantôt elles présentaient, mées d'un dépôt réitéré d'une mer pa-
sur dévastes espaces, un reflet d'un cifique.
brun rougeâtre provenant des fragments On remarque ordinairement aux mon-
de cornaline; souvent on y voyait aussi tagnes de Siwah jusqu'à neuf couches
ÉTATS TRIPOLITAÏNS. m
différentes, étendues pour la plupart en du désert libyque. A Dyr-Asa
entrè- ils
forme de terrasse los unes au-dessus des rent dans une seconde vallée plus petite
autres et se distinguant par leur couleur que la première, et que Liman appelle
comme parleurs pétrifications; les trois Gara ou Siwah-Seghir ; elle est presque
supérieures sont blanches, celles du inhabitée, ne produit que quelques
et
milieu jaunâtres, et les trois inférieures buissons de dattiers et quelques tamarins
verdâtres. Les supérieures ont moins de {Tamarix a/ricana ) mais en revanche
;

fossiles, et sont d'un grain très-dur : toute sa surface est couverte de vastes
dans les couches moyennes on trouve forêts de roseaux (Arundo Hammonis,
de très-gros pectinites et des oslracites; Ehr. ) et de petits buissons de zygo-
dans les inférieures, des cardes et autres phyllum etde joncs. L'étendue de cette
formations analogues. Mais toutes ces vallée était de deux lieues et demie dans
couches réunies ne s'élèvent probable- la direction du chemin ; le sol, quoique
ment pas au delà de cent mètres au- salant, donnait cependant de l'eau po-
dessus du niveau de la mer , c'est-à- table. A l'est de cette petite oasis , le
dire qu'elles ne dépassent pas la hauteur plateau de calcaire du désert libyque
du plateau du désert libyque, qui se pro- s'élève de nouveau , et forme plusieurs
longe de la même manière à l'est, et éminences que Liman appelle Kelis. A
auquel correspond sans doute aussi, au trois milles à peu près à l'est des der-
sud de l'oasis de Siwah, une formation niers puits, les voyageurs rencontrèrent
analogue, si l'on peut en juger d'après de nouveau les lichens du désert; vers
les chaînes de collines qui se déroulaient le soir du même jour ils trouvèrent,
dans le lointain aux yeux des voyageurs. aussi quelques mimosa appelées aolha
Le séjour des voyageurs à Siwah n'eut par les Arabes; c'est par l'incision de
pas de bien grands résultats pour la l'écorce de cet arbrisseau que l'on ob-
science, attendu qu'ils furent continuel- tient la précieuse gomme dont l'Orient
lement contrariés dans leurs recherches fait un si grand commerce; on le ren-
par les vexations du chef. Mais leur contre fréquemment dans ces régions,
route de retour de Siwah à Alexandrie mais seulement dans les enfoncements
nous fera connaître l'entrée du désert, des vallées d'oasis.
du côté de la Maréotide, la même Les voyageurs établirent leur tente
route que prit Alexandre le Grand lors- à un endroit où ils trouvèrent pour la
qu'il voulut pénétrer jusqu'à l'oasis première fois Vanastatica hierochun-
d'Ammon. lica, plante connue sous le nom de rose
Le 23 novembre, les voyageurs, ayant de Jéricho.
quitté Siwah, arrivèrent jusqu'au puits Le second jour de leur départ de Dyr-
de Bir-Bagar à l'est. De là, après avoir Asa, les voyageurs arrivèrent, par une
marché trois jours dans la direction de contrée montueuse et pittoresque à la ,

l'est, ils prirent un jour de repos dans troisième oasis, à laquelle il ne manquait
la petite oasis de Dyr-Asa. Après trois que de l'eau pour être habitable ; ils y
autres journées de marche, ils trouvè- rencontrèrent les mêmes plantes que
rent de nouveau de l'eau à Bir-Hajé. De dans les précédentes; mais ce qui les
là ils arrivèrent en deux jours au puits frappa surtout ce fut le caractère parti-
salé, le Bir-Lebouk; puis, tournant au culier des palmiers qu'ils y trouvèrent à
nord-est, ils atteignirent, après trois l'état sauvage , touffus et bien différents
journées de marche , le puits abondant des palmiers tels qu'on est accoutumé à
de Bir-Ha?nan, sur la limite de la Ma- les voir dans les plantations de dattiers.
réotide. Tout cet espace fut ainsi franchi Les savants prussiens rencontrèrent
en onze jours. La route est extraordi- aussi dans ce même enfoncement les pre-
nairement pénible et très-conforme à mières traces de bois pétrifiés, et cons-
la description que nous avons donnée tatèrent par cette découverte une ana-
plus haut de l'entrée du désert, du côté logie frappante de cet enfoncement avec
du nord. Les voyageurs ne quittèrent la vallée du Bahr-Bilma, près des lacs de
que le soir de la seconde journée l'en- natron, et avec celle de Mogharah. Ces
foncement de la vallée de l'oasis de pétrifications se rapprochaient le plus,
Siwah pour monter sur l'élévation aride quant à la forme, du Tamarix africana,
6S L'UNIVERS.
qui croît dans toutes les oasis du voisi- tes » ( 01 Naffap.wvÈç o7T(o pieuvres toùç <pc»-

nage; près de Bir-Haja elles recelaient vocixç cpoiTe'oucn) (1).

des cristaux de quartz. Les puits de Haja, Voilà un document dont l'exacti-
également entourés de bosquets de pal- tude a été parfaitement mise en relief
miers sauvages, sont situés dans l'enfon- par les explorations des voyageurs mo-
cement de la vallée qui s'étend, à l'est, dénies. Le nom même de cette oasis
jusqu'à Bir-Lebouk, sur un espace de n'est pas changé elle s'appelle Audje-
:

deux journées et demie. Le sol y est gé- lah; et les descendants des Nasamons y
néralement salant, couvert de mottes et viennent encore régulièrement tous les
dénué de toute végétation. De Bir-Le- ans faire la récolte des dattes. La distance
bouk cet enfoncement (sans doute le même de Siwah à Augila , qu'Hérodote
même dont parle aussi Hornemann ) se évalue à dix journées de marche est ,

prolonge vraisemblablement encore plus parfaitement exacte. Suivant le témoi-


loin vers l'est jusqu'à Perraneh, sur le
,
gnage des modernes, on met treize
Nil, et communique ainsi réeilement petites journées pour aller de Siwah à
avec le Bahr-Bilma. Nos voyageurs ne Audjelah. Hornemann, qui fit la route à
suivirent pas cette direction ; mais , ar- marches forcées, n'en mit que neuf;
rivés à Bir-Lebouk, ils tournèrent au la moyenne donne donc sensiblement
nord-est, vers la Maréotide. En traver- la distance indiquée par Hérodote. La
sant les plaines élevées du désert ( qui chaîne de rochers nus ( Djebel-Mogha- >

cependant sont moins exhaussées que rah ) , qui commence à une vingtaine de
celles qui entourent Siwah ), ils remar- lieues à l'ouest des lacs de natron, se con-
quèrent çà et là des masses de rochers tinue quatre journées de marche à l'ouest
isolés, offrant un aspect grotesque et un de Siwah jusqu'à l'endroit fertile de
mélange de toutes les couleurs, qui leur Schiatha. Elle trace la route de la zone
rappelait en petit quelques cités de la des oasis et forme, selon la poétique ex-
,

Suisse-Saxonne. Les Arabes de la cara- pression d'Hérodote (si mal comprise


vane prenaient souvent pour guides, par les traducteurs ) , le sourcil, -h ècppuvi,
dans le désert , des troncs de palmiers ou l'arête saillante entre la Libye riche
pétrifiés, de la hauteur d'un homme, en animaux (ônptw^yiç) et la Libye dé- ;

qui surgissent du sol et ressemblent à des serte (epnp.o;) formée de calcaires coquil-
colonnes cylindriques; parfois on ren- liers cette chaîne aride se dégrade au
;

contrait aussi des troncs de dicotylédo- sud, et est séparée du désert par une
nes, avec leurs branches; ceux que l'on rangée, d'oasis plus ou moins fournies
trouvaitpétrifiésen entier, avec leurs ra- d'eau. Les masses'ealeaires sontdisoosées ;

meaux et leur écorce, ressemblaient ex- par couches horizontales, et coupées par '

térieurement au mimosa aolfia. Les dé- des défilés où se réfugient les tribus no- \

bris de coquillages qui étaient déposés en mades. Les collines qui surgissent çà et
quantité dans le sein du désert ne pa- là de ces masses présentent souvent une
raissaient pas appartenir aux espèces ressemblance frappante avec les pyrami-
perdues; ils avaient au contraire une des , à cause des interstices colorés des
frappante ressemblance avec ceux qu'on couches de calcaire. Elles semblent
trouve dans les marais de la Maréotide ainsi protéger la Libye thériode ( rem-
et que les vagues de la Méditerranée jet- plie d'animaux ) contre l'envahissement
tent encore tous les jours sur la côte. des sables. Les pyramides d'Egypte au-
raient-elles été élevées dans le même but ?
Augila (Audjelah). La chaîne de rochers calcaires ( Djebel-
« Après avoir dépassé, dit Hérodote, Mogharah) se rattache, à l'ouest de
les Ammoniens , et après dix jours encore Siwah, à une rangée de collines sablon-
de marche à travers la zone sablon- neuses qui s'étend jusqu'à Augila.
neuse , on rencontre une colline de sel, Dans cette route on rencontre alterna-
semblable à celle des Ammoniens, et tivement des sables arides, des endroits
de l'eau , ainsi que des habitations tout fertiles , des sources d'eau douce et des
autour. Cet endroit s'appelle Augila lacs d'eau salée.
(AûfiXa). C'est là que se rendent les
.Nasamons pour faire la récolte des dat- (i) Hérodote, IV, 182.
ÉTATS TRIPOLITAINS. 69

Audjelah est loin d'offrir l'aspect le mûrier, le figuier et le palmier.


agréable des oasis voisines de l'Egypte : Edrisi ajoute qu'on exporte du pays de
un village et une forêt de palmiers isolés Kouar de l'alun (1). »
dans une immense plaine de sable rou- Léon l'Africain s'exprime ainsi sur
geâtre, tel est le coup d'œil que présente Augila « C'est une contrée au désert de
:

cette oasis. On peut en dire autant de Libye distante du Nil environ quatre
,

Djallouh et de Leckerreh, petits can- cent cinquante milles, en laquelle sont


tons habités qui dépendent d' Audjelah; situés trois châteaux avec quelques
ils sont séparés l'un de l'autre par six villages , autour desquels se voient plu-
ou sept lieues de distance (1). sieurs petites possessions de dattiers ;
Voici les renseignements que nous mais les terres sont stériles en grain
donne Aboulféda sur l'oasis d'Augila, à défaut de quoi les Arabes y en appor-
qu'il place à 27° 52' de latitude. tent de la région d'Egypte. Cette con-
« Parmi les lieux situés entre le Ma- trée est assise sur le grand chemin,
greb et les oasis, nous citerons, dit-il, par lequel on s'achemine de Mauritanie
Audjela, nom d'une île au milieu des en Egypte, traversant le désert de
sables. C'est un lieu habité entouré de , Libye (2). »
déserts ; on y trouve de l'eau et des pal- Une quatrième oasis, censé
aussi faire
miers. Suivant Édrisi, « Audjela est une partie du groupe d' Audjelah , est située
petite ville où quelques nomades ont fixé a trois journées de marche à l'ouest.
leur demeure. Les habitants sont adon- Ce lieu, caché au milieu d'un labyrin-
nés au commerce. Leurs relations com- the de monticules de sables mouvants ,

merciales s'étendent jusqu'à diverses ré- se nomme Maradah , et , soit que son
gions du pays des Nègres comme la , aspect s'embellisse de la profonde hor-
contrée de Kouar et celle de Koukou. reur qui l'entoure, soit qu'une ceinture de
Le territoire d'Audjela et celui de Barea collines schisteuses, bariolées de grandes
n'en font pour ainsi dire qu'un. L'eau y veinesjaunes et bleues, délasse un peu la
est rare. D'Audjela à la ville de Zalla, vue fatiguée de la monotonie de ce vaste
du côté de l'occident il y a dix mar- , désert , soit enfin que plusieurs sources
ches; Zalla est une petite ville possédant d'eau douce dont une thermale rani-
, ,

un marché florissant ; c'est un lieu for- ment par leur agréable saveur l'estomac
tifié. De
Zalla on peut se rendre aussi affadi par les eaux saumâtres ce n'est ,

dans pays des Nègres. On compte de


le pas sans plaisir que l'on arrive dans ce
Zalla à Zaouyla, dans la direction du petit canton. Le sol, formé de terre
sud-ouest , dix journées ; de Zalla à Port, rougeâtre comme celui des oasis d'E-
neuf journées , et de Port à Ouaddan gypte, offre avec, celles- ci une analo-
cinq. Ouaddan est un lieu situé au midi gie des plus remarquables. De même que
de Port; ce sont deux châteaux (cassr), dans ces oasis , on y trouve abondam-
séparés seulement par l'espace que peut ment Vhedysarum alhagi, ce sainfoin
parcourir une flèche. Le château qui fait du désert, célèbre chez les écrivains
face à la mer est abandonné; mais celui orientaux tandis qu'il ne croît ni sur
,

qui est placé du côté du désert est oc- les terres trop grasses de Cyrène, ni dans
cupé; il s'y trouve plusieurs puits, à les plaines argileuses delà Marmarique,
l'aide desquels les habitants peuvent ni à Augila. Une belle forêt de pal-
semer du doura. A
l'occident sont des miers en couvre la surface.
lieux boisés, où croissent en abondance Un pareil canton, quoique peu
spacieux a dû attirer l'attention des
,

(i) Les noms de ces lieux diffèrent suivant Arabes. On y voit en effet les ruines de
les auteurs. D'après Beaufoy (Proceedings, deux villages; cependant, il est main-
I, p. 192), l'oasis d'Augila se compose de
1

quatre endroits habités ; le plus oriental s'ap- (r) Géographie d' Aboulféda, traduite de
pelle Quizarah (Saragma de Ptolémée?) ; les l'arabe en français et accompagnée de notes
trois autres, que Hornemann qualifie du nom et d'éclaircissements, par M. Reinaud, tome II,
de villes, sont : Majabrah à l'est, Meledilah p. 180. (Paris, in- , 1848.)
et Augila. ( Voyez Ritter, Géographie de Léon l'Africain, Description de l'Afrique t
(2)
l'Afrique, tom. III, p. 296.) p. 3i9.
,,

70 L'UNIVERS.
tenant sinon tout à fait abandonné, du des puits creusés à une vingtaine d
moins reste inhabité durant la ma-
il pieds de profondeur , revêtus de tronc
jeure partie de Tannée. Les divisions de dattiers , et d'où l'on extrait des eau
des tribus qui s'en sont tour à tour plus ou moins saumâtres. C'est avec ces
disputé la possession en sont la prin- seules ressources que les habitants s'ef
cipale cause. Toutefois, les nomades forcent d'alimenter la végétation d
des environs de la Syrte ne laissent pas quelques champs, si l'on peut mêm
de venir chaque année y recueillir les donner ce nom à des bandes de sable
dattes; mais n'osant résider dans les métamorphosées en humus par le
villages ruinés, livrés au pouvoir des débris des palmiers et par de pénible
esprits créés par la superstition , ils se irrigations.
sont construit séparément des habita- Toutefois au moyen de cette lutte d
tions en branches de palmiers. C'est là l'industrie contre la nature on parvien
qu'ils viennent, s'établir , en automne à faire.croître l'orge. Le doukhn, es
avec leurs troupeaux ; et comme ce petit pèce de sorgho dont se nourrissent en
canton est sous la dépendance d'Augila général les habitants de l'Afrique , est le
ils sont obligés de payer à cet effet une plante qui se refuse le moins à cette
redevance au gouverneur de ce groupe ingrate culture ; le piment et le pourpie
d'oasis ; mais cette contribution plus que s'y montrent aussi peu rebelles on peu
:

les autres est fort aventurée. en dire autant de l'ail et de l'oignon


Augila fait partie des États du pacha qui occupent à eux seuls des champs en
de Tripoli, de même que la région de tiers ; mais il n'en est pas de même de
Barcah et celle du Fezzan; elle est tomates des melons d'eau, etc., qu'on
,

affermée à un bey qui lui paye annuel- ne peut obtenir qu'à force de soins
lement la somme de dix mille piastres Enfin, les seigneurs les plus riches du
d'Espagne. Le prélèvement de cette canton ceux qui ont à entretenir ur
,

contribution est uniquement fondé sur cheval , emploient plus de précaution


les palmiers, dont la taxe est de deux encore pour faire germer dans le sabk
piastres de Tripoli par pied, c'est-à- un peu de bercim , de ce trèfle symbol
dire, de huit sous environ, monnaie de des gras pâturages de la vallée du Nil
France. Ceci ne donnerait qu'une idée Isolés au milieu des déserts, n'ayan
fausse du nombre des palmiers d'Augila dans leur patrie, brûlée par le soleil
si l'on n'ajoutait pas que la moitié seule- aucune des compensations que les autre
ment de ce nombre est soumise à l'im- oasis offrent à leurs habitants, ceux d' Au
pôt; l'autre moitié appartient aux mos- gila ont dû être essentiellement voya
quées et à leurs desservants. geurs. Ils se destinent dès l'enfance
Les villages épars dans les trois oasis cette carrière , et ils y deviennent for
nommées sont bâtis en blocs de pierre, habiles. La connaissance des astres est le
tirés d'une épaisse couche schisteuse point fondamental de cet art ; ils en con
que l'on trouve sous les sables à six servent avec soin les principales notions
pieds environ de profondeur. La plupart qu'ils se transmettent de père en fils
des maisons ont une enceinte extérieure, Quant aux procédés de l'enseignement
avec une hutte conique au milieu , faites ils sont peu compliqués : le seuil de leurs
l'une et l'autre en branches de palmier; cabanes est leur observatoire, leurs té
elles servent à renfermer les dattes et lescopes sont leurs regards perçants
les troupeaux. Quant aux habitants qu'ils peuvent promener à l'aise sur
,

si l'on en croit leur rapport, ils peuvent l'immense pavillon qui se déroule, sans
fournir environ trois mille hommes taches, au-dessus de leurs têtes.
armés , ce qui porterait la population « Qu'un Européen, dit Pacho, aille as
totale sans distinction d'âge ni de sexe sister aux séances pastorales de ces aca-
à neuf ou dix mille âmes. démies du désert ; l'objet en vaut la peine
Sibilleh, située à trois lieues et au Qu'il aille s'asseoir au-devant de la ca-
nord du village principal, est la seule bane rustique, sur le sable rafraîchi par
source de tout le canton. Ainsi point les brises de la nuit, au milieu des vieil-
de ruisseaux comme à Syouah et à
, lards, des femmes et des enfants, et i
l'oasis de Thèbes on ne voit a Augila que
; verra l'ancien du village, dont la figure
ÉTATS TRIPOLITAINS. 71

|
vénérable s'animera aux rayons de la Ces édifices consistent en grands massifs
lune, indiquera l'assemblée de la voix et de briques crues, au nombre de trois,
du geste les diverses constellations; il contenant chacun un puits au milieu.
l'entendra décrire les cercles et les ellip- Il n'en reste à peu de chose près que

ses des planètes, dénombrer les princi- les fondements mais autant qu'on peut
;

pales étoiles, les nommer par leurs noms en juger par la disposition de l'ensemble,
classiques, quoique altérés par la langue ce devaient être de grandes tours sem-
et les traditions, et désigner par leur blables à celles qu'on rencontre sur le
moyen les routes inaperçues sur les plateau cyrénéen. Il est certain que les
plaines unies du désert, mais tracées villages actuels d'Augila existaient au
dans le firmament : il sera frappé de moins dès le quinzième siècle, d'après le
la patriarcale simplicité de ses paroles et témoignage de Léon l'Africain mais ;

de la religieuse attention de l'auditoire. déjà dans l'antiquité l'oasis d'Augila


Il entendra ensuite les jeunes gens ré- incontestablement habitée. La seule
était
péter aux recueillements les leçons du fontaine qu'on y trouvait du temps
vieillard. » d'Hérodote est la seule qu'on y trouve
Les approvisionnements de comes- encore de nos jours; c'est Sibiileh. La
tibles que les habitants d'Augila sont seule colline qui, d'après l'historien, exis-
obligés d'aller faire chaque année à tait dans ce canton est encore la seule
Ben-Ghazi commencent à mettre en pra- qui interrompe la monotonie de son im-
tique leur éducation de voyageurs. Ces mense plaine de sables elle occupe la par-
:

approvisionnements consistent en céréa- tie nord du village principal. De plus , il


les, beurre et bestiaux, contre lesquels ajoute que cette colline , comme celles
ils échangent leurs dattes, dont la qua- d'Ammon , était de sel ; et dans le mon-
lité exquise, de beaucoup préférable à ticule de spath calcaire d'Augila , comme
celles des autres oasis libyques , fut aux collines d'Ammon , on trouve en-
appréciée dès la plus haute antiquité. core des masses de sel gemme. Ainsi
Le voyage de Tripoli , moins nécessaire vingt-trois siècles ont passé sur le can-
pour eux, est aussi moins fréquent. Ils ton d'Augila, et les mêmes ressources
se rendent plus souvent à Syouah, mais qu'il offrait aux anciens habitants, il
,
ils ne font ordinairement que s'y arrêter les offre aux habitants actuels ; à l'excep-
quelques jours, pour continuer ensuite tion des villages arabes , c'est encore
leur route vers la vallée du Nil, où ils le même aspect. Différemment des
apportent les peaux de chèvres et le Libyens nomades, les Augilites, au
miel des montagnes de Barcah, et un lieu d'adorer les astres , n'avaient
petit nombre de plumes d'autruche, d'autres dieux que leurs mânes, ne
fruit de leur chasse aux environs d'Au- juraient qu'en leur nom , les consul-
gila. Mais ces courtes excursions sont taient comme des oracles , et dans ces
généralement abandonnées aux jeu- occasions ils dormaient sur les tom-
nes gens encore inexpérimentés, et à beaux , et prenaient leurs songes pour
quelques vieillards leurs guides, qui les réponses des mânes (1).
terminent ainsi leur carrière comme ils Pacho croit avoir reconnu des tra-
l'ont commencée. Les grands déserts ces de cet ancien culte dans un petit
du sud , la spacieuse vallée du Soudan, hypogée de Djallon, découvert et dé-
en un mot les provinces centrales de blayé depuis quelques années par les
l'Afrique, et particulièrement la ville de habitants. On y trouva deux petites co-
Tombouctou, tels sont les lointains et lonnes en quartz, de deux pieds six
productifs voyages qu'entreprennent les pouces de hauteur et de forme conique.
hommes dans la force de l'âge , et dont « Ce ne serait donc pas dit ce voya- ,

la durée atteint quelquefois plusieurs geur, émettre Une conjecture dépourvue


années :le commerce des esclaves en de fondement, si l'on supposait que ces
estmalheureusement l'objet exclusif. petits monuments enfermés pendant
,

Les seuls édifices antiques dont on une longue suite de siècles dans un
voie à Augila les traces témoignent hypogée sépulcral et enterrés sous les
,

du peu de ressources que cette oasis a


dû offrir de tout temps à ses habitants. (i) Pacho, p. 179-181.
, ,

72 L'UNIVERS.
sables, fussent des pierres votives que
DESERT DE BARCAH.
les Augilites auraient élevées à leurs
mânes, et offrissent par conséquent
des témoignages encore existants de la
A deux lieues au delà de Ladjeda-
bah, on entre dans le désert de Bar-
fidélité des récits de l'histoire, et du
cah, dont Pacho trace ce sombre
culte funéraire des anciens habitants
tableau. « Je doute, dit-il, qu'un Eu-
d'Augiles (1). »
ropéen, aventuré pendant la chaude
En terminant l'histoire d'Augila , nous
saison dans ces immenses solitudes,
rappellerons,que le bey actuel de cette
quoique familiarisé avec le sol de la
oasis, Abou-Zeith-Abdallah, est Français
Libye, n'en éprouve pas une impres-
d'origine et natif de Toulon, A l'âge* de
sion pénible. 11 tourne le dos à l'Eu-
douze ans , il servait comme tambour
rope , et l'horizon se déroule à ses yeux
dans l'armée d'expédition en Egypte.
en plaine mobile et sans bornes. Là
Pris dans un combat par un corps de
nulle végétation, quelque grêle et gri-
Bédouins, il fut vendu au pacha de
sâtre qu'elle soit, ne fait hâter le pas du
Tripoli : son heureux physique fit sa
fortune. Il resta longtemps attaché au
chameau et n'interrompt la monotonie
de sa marche; nulle colline, quelque
service du pacha et fut envoyé dans le
,

aride et calcinée qu'elle soit, ne coupe


Fezzan, avec l'armée do Mohammed le
la nudité du désert; nul palmier soli-
Circassien. La bravoure qu'il déploya
taire ne provoque les chants de l'Arabe
dans cette campagne, qui eut pour
par l'annonce de la source hospitalière ;
résultat la conquête du Fezzan, lui at-
nul troupeau de gazelles, se jouant dans
tira les bonnes grâces de son souve-
la plaine, ne vient distraire la cara-
rain : celui-ci le récompensa en lui ac-
!

vane attristée; l'hyène même et les


cordant de bey et le gouverne-
le titre
autres fauves de la Libye ne s'aventu-
ment d'Augila. Abou-Zeith- Abdallah
reiit jamais dans cette zone brûlée , et
;

dit Pacho (qui nous donne ces dé-


le silence de ce tombeau de la nature
tails )
, n'a conservé d'autre souvenir
n'est pas même troublé par leurs hurle-
de sa patrie qu'un idée vague de la ville
et des environs de Toulon, et d'autre
ments nocturnes. Un ciel de feu, un sol
usage de la langue originaire que quel-
constamment uni, du sable , toujours du
sable, rien que du sable sans eau , telle
ques mots provençaux qu'il estropie avec
est la région oui s'étend du littoral de la
une bonhomie charmante.
Syrte jusqu'à la station de Rassam;
'

La route la plus commode et la plus


et cet espace, en n'en parcourant qu'une
courte pour visiter l'oasis d'Augila est '

ligne, forme au moins trente lieues d'é-


celle qu'a suivie Pacho. Parti de Ladje-
dabiah sur la côte de la Grande Syrte,
,
tendue (1). »

iltraversa la partie occidentale du désert


de Barcah ( petit désert de la Syrte (1) Pacho, Voyage dans la Marmarique. —
Libyque), en passant par Rassam et Aboulféda dit que la province de Barca est la
Maragh. Ladjedabiad ( Serapeum des Pentapole des anciens. « C'est, dit-il , un pays
anciens?), à treize lieues sud du cap d'une grande étendue ; les Arabes ( nomades )
Carcora, était, au rapport d'Édrisi, s'y sont établis, et maintenant il ne s'y

une ville jadis très-florissante. Si l'on trouve plus de ville belle et importante. On
lit dans MAzyzy que le pays de Barca est tra-
en juge par l'étendue et la beauté des
ruines que l'on aperçoit dans cette par- versé par deux, montagnes, où se trouvent
beaucoup de fermes considérables de sources
,
tie de la plaine qui" sert de limite aux
d'eaux courantes, de champs ensemencés, et
terres fertiles , ce devait être en effet
de beaux monuments élevés par les Romains.
une ville considérable.
Les vivres y sont toujoui's à très-bon mar-
ché , et on en exporte pour l'Egypte du gou-
(i) Pacho, p. 282. Voyez sur le culte dron et beaucoup de brebis. » Il est dit dans
des anciens habitants d'Augila , Pomponius le même ouvrage que le pays présente un
Mêla, lib. I, c. 8 : Augilœ mânes tantum lieu où les navires peuvent jeter l'ancre ; ce
deos putant ; per eos dejerantf eos ut oracula lieu est nommé Adjyé. « Le pays renferme une
consultait: precatique quœvolu/it, ubitumuUs ville où se trouvent une chaire, un marché, et
incubuere ptpro responsis ferunl somnia. plusieurs mahres. Cette ville est située à six
ÉTATS TRIPOLITAÏNSr. 73

Cette région inhospitalière était la de leur faire laguerre, et leur fit quitter
patrie des Psylles et des Nasamons, le littoral. Denys le Périégète dit, en
peuples errants, qui voyaient leurs rares effet, que de son temps on n'y aperce-
moissons souvent englouties par les vait plus que leurs cabanes vides. Toute-
sablesmouvants. Les Psylles eux-mêmes, fois, ils firent encore une tentative pour
voisins des Nasamons périrent de cette
,
reconquérir leur misérable patrie. Mais
façon : ils furent engloutis au milieu Domitien, au rapport d'Eusèbe et de
des sables soulevés par un violent vent Josèphe, leur fit éprouver une nouvelle
du midi. Quant aux Nasamons, ils al- défaite. Les Nasamons se retirèrent alors
laient tous les ans, comme nous l'ap- dans l'intérieur des terres, vers le sud-
prend Hérodote (1) faire leur provision
, ouest et allèrent probablement peupler
,

de dattes à l'oasis d'Augila. « Ils font quelques îlots de terre sur la lisière du
aussi, ajoute-t-il, la chasse aux saute- grand désert.
relles ( àrréXsêouç ) ; il les font dessécher Au delà d'Augila, Hérodote indique
[au soleil et les trempent ensuite dans encore trois stations ou oasis, compo-
pie lait, qu'ils boivent. Us ont la coutume sées également d'un tertre de sel (àXoç
de prendre chacun plusieurs femmes, KoXwvo';), d'eau et de palmiers fertiles
et ils peuvent cohabiter avec toutes les (cpoîvucsç Malheureusement
xapwoçopot).
autres qui sont en commun (2). » Du — les explorations comparatives des moder-
reste, les usages des Nasamons parais- nes nous manquent ici. L'oasis à dix
:sent avoir été appropriés à la nature journées à l'ouest d'Augila était habitée
du sol. Ils n'occupaient point de tours, par les Gamphasantes (Garamantes
comme les Libyens de la région mon- d'Hérodote), peuple timide, allant nu ,
Itueuse ; ils ne se construisaient point et fuyant tout commerce avec les autres
de maisons , comme les Maxyes leurs nations (1). «Ce peuple, dit Hérodote,
[voisins; ils n'avaient point de tentes, est dans l'usage de répandre de la terre
[comme les Scénites des environs d'Am- végétale sur la croûte de sel qui recouvre
mon mais il se construisaient avec des
: le sol, et c'est de cette manière qu'il sème
asphodèles et des joncs entrelacés de et récolte les grains. » L'historien grec
petites cabanes portatives {mapalia) ajoute que c'est dans ce pays que l'on
qu'ils pouvaient placer partout sur ces trouve les bœufs qui paissent à reculons
terrains mouvants (3). On pourrait aussi (ôwtcôovoW Po'eç), à cause delà direction
'attribuer aux mêmes causes le soin qu'ils de leurs cornes saillantes ; et que les Ga-
'prenaient de ne pas laisser expirer leurs ramantes (Gamphasantes) vont à la
parents couchés sur le dos , et de les chasse des Troglodytes éthiopiens , qui
tenir assis, de crainte peut-être que leur vivent de lézards, et ont un langage com-
!
corps ne disparût sous les sables (4). parable au sifflement des chauves-souris
| Comme les Maures de la côte d'Oued- (TSTpt'Yaai xarâirsp al vuxTepî^eç ) (2).
Noun, les Nasamons vivaient surtout du A dix journées du pays des Gamphasan-
pillage des navires jetés sur les côtes tes on trouvait un autre tertre de sel
delaSyrte. Ces déprédations devinrent si de l'eau et la peuplade des Atarantes.
nuisibles au commerce de Cyrène, que les C'est, dit Hérodote, la seule, à no-
Romains, devenus possesseurs de la tre connaissance, dont les individus ne
Pentapole libyque, songèrent aussitôt se distinguent pas entre eux par des noms
là y mettre fin. Auguste ne dédaigna point propres. Celui d'Atarante est commun
àtous, et personne n'en porte d'autre (3).
Géographie d'Aboulféda,
milles de Barca. » (
traduite par M. Reinâud
, tome II, p. 178.) (1) Pomp. Mêla, lib. I, 8 : Nudi sunt Gam-
(1) Hérodote, IV, i 7 3. phasantes, armorumque omnium ignari; nec
'<

(2) Hérodote, IV, 172. vitare sciunt tela , nec jacere ; idcoque obvias
1
(3) Ces cabanes avaient la forme d'une fugiunt, neque aliorum, quamquibus idem ingé-
iîarène de navire. Sallust. Bellum Jugurth. nu est, aut congres sus, aut colloquia patiuntur.
jcap. XVIII: JEdificiaNumidarum agrestium, (2) Hérodote, IV, i83.
\quce mapalia illi 'vocant , oblonga, incurvis (3) Il est à remarquer que Léon l'Africain
lateribus tecta, quasi naçium carinœ sunt, parle d'un peuple du Bornou dont les habi-
(4) Hérodote, IV, 190, tants n'avaient pas de nom propre. « Les lia-
, ,

74 L'UNIVERS.
Ilsmaudissent le soleil, qui passe au-des- pourvu d'animaux et de bois (1). » C'est
sus de Jeur tête (uTrspêaXXwv) (1), et se ré- désigner, on ne saurait plus clairement,
pandent en injures contre cet astre, le désert de Sahara.
parce qu'il brûle et les hommes et le Hérodote, comme on vient de voir,,
pays. Plus loin , et toujours à dix jours avait parfaitement compris les rapports
de marche , on rencontre un autre ter- de ce parallélisme remarquable qui se ,

tre de sel, de l'eau, et des hommes au- déroulant sur un arc immense , séparait
tour. Près de cet endroit est l'Atlas. Ce la Libye riche en animaux, du grand
mont, étroit et de forme circulaire, est désert. Les stations qu'il indique jus-
si élevé qu'il est impossible, à ce qu'on que Augila s'accordent parfaitement
dit, d'en apercevoir les sommets, et que avec les observations des voyageurs mo-
les nuages ne l'abandonnent jamais, ni dernes. Celles situées au delà ont seules
pendant l'été, ni pendant l'hiver; les encore besoin d'être vérifiées La sta- .

indigènes prétendent que c'est une co- tion des Atarantes paraît s'appliquer
lonne du ciel; ceux qui habitent cette à Y oasis de Gadamès, située au pied
montagne, en tirent leur nom ils s'ap- : du grand Atlas. Celle des Atalantes se
pellent Atalantes. On dit qu'ils ne man- rapporte peut-être à une chaîne de l'Atlas
gent rien de ce qui a eu vie, et qu'ils n'ont carthaginois, qui, sans être très-haute
jamais de rêves (2). » l'est cependant assez pour « diviser les
Là s'arrêtent les renseignements orages et rassembler des nuages », et on
d'Hérodote. « Je sais seulement, ajoute- peut dire, sans trop de licence poétique,;
t-il,que cet arc de collines s'étend jus- qu'elle touche au ciel et qu'elle est une
qu'aux colonnes d'Hercule et même au des colonnes qui lui servent d'appui (2).!
delà, enfin quel'on y trouve toujours des Il est probable que dès la plus haute anti-
mines de selde dix jours endix jours (3). » quité les caravanes des Libyens nomades;
En résumé la ceinture de collines
, partant de Thèbes, traversaient la grande
qu'Hérodote nomme le Sourcil ( ôcppuvi ) oasis, la petite oasis, le pays des Am4
s'étend depuis Thèbes en Egypte jus- moniens , l'oasis d'Augila , le pays des
qu'aux colonnes d'Hercule, en passant Garamantes (Gamphasantes), des Ata-
par les oasis d'Ammon d'Augila, le , rantes, des Atalantes, et de là se rendaient
Fezzan, le Beled-el-Djérid et la chaîne à Carthage, comme aujourd'hui ils se-
de l'Atlas. « Au delà de cette ceinture, rendent à Tripoli (3). Des vestiges d'an-
au midi et dans l'intérieur de la Libye ciens édifices viennent à l'appui de cette
est un désert sans eau, sans pluie, dé- opinion. La grande et la petite oasis
contiennent des débris d'anciennes habi-
bitants, dit-il, vont nus en temps d'été, si- tations. Les habitants de Siwah ne cons-
non portent quelques brayes de cuir,
qu'ils truisent leurs maisons qu'avec les
puis l'hiver s'enveloppent dans des peaux de fragments d'anciens monuments. Enfin'
brebis, de quoi ils font encore des lils. Au dans le Fezzan, à Zuilah et à Germah,
reste, ils n'ont aucune cognoissance de quel- on voit des ruines majestueuses qui
que foy que se soit, tant chrétienne, judaïque, témoignent d'une architecture étrangère.
que mahométane mais sans aucune loi, me-
;

nant une voie brutale, ayant femme et en- FLORE DE TRIPOLI ET DES PAYS
fants en commun. Et ( comme il me fut dit ENVIRONNANTS.
par un marchand qui séjourna longtemps en
ce pays^ et qui entendoit bien la langue), La végétation de la côte africaine ne
ils ne s'imposent pas de noms propres selon diffère pas essentiellement de celle des
la coutume des autres peuples , mais selon la côtes d'Asie et d'Europe que baigne la
qualité des personnes, comme ceux de haute mer Méditerranée. En jetant un coup
stature, sont nommées hauts; les petits, petits; d'œil sur la végétation qui caractérise
les louches, louches et ainsi semblablement de
; toute la région méditerranéenne, on com-
tous autres accidents et particularités.
les » prend la nécessité de ne pas subordonner
{Description de l'Afrique, p. 33i.)
Cette expression montre qu'ils
(x)
habi- (i) Hérodote, IV, i85.
taient sous les tropiques. (a) Desfontaines, Flora atlantica, tom. I
(a) Hérodote, IV, i84. préface. *

(3) lbid. y i85. (3) Ritter, Géogr. d'Afrique, t. III, p. 3ai,


ÉTATS TRIPOLITAINS.
aux divisions géographiques et
les flores quoique d'un vert plus clair , ne rendent
politiques des pays. Les flores spéciales pas les coteaux où ils croissent beaucoup
du midi de l'Espagne, de la Provence, de plus riants. C'est pourtant dans les États
Nice, de Gênes, de la Sicile, de la Grèce, tripolitains que se trouvaient les fameux
des côtes de l'AsieMineure et de la Syrie, jardins des Hespérides.
forment avec celles des côtes du Maroc, La plupart des auteurs anciens s'accor
de l'Algérie, de Tunis et de Tripoli , les dent à placer dans la Cyrénaïque le fameux
éléments de la grande flore de la région jardins des Hespérides. Voici comment
méditerranéenne. Ces éléments sont en- Hérodote s'exprime sur la fertilité du
sol dans cette région « Il me semble
core fort incomplets , surtout en ce qui :

concerne les États tripolitains. Nous que la Libye ne peut, pour la bonté du

n'avons guère ici à consulter que le sol ,se comparer ni à l'Asie ni à l'Eu-
Spécimen florx Lïbycx, mémoire que rope, à l'exception seulement du Cinyps,
le professeur Viviani a publié sur les contrée dont le nom est le même que
plantes recueillies par Délia Cella (1). celui du fleuve qui le traverse. Elle ne
Poiret {Voyage en Barbarie), et Desfon- le cède à aucun autre pays du monde

taines ( Flora Atlantica ) n'ont décrit pour l'abondance des céréales (Ayi^rpo?
que les espèces végétales des territoires xap7ro'v) et le reste de la Libye n'offre
,

de Tunis et d'Alger. rien de semblable. Le terrain y est noir


Poiret, en débarquant sur la côte de (p.sXàyycuoç), bien arrosé, et ne souffre

Barbarie (près de la Calle), fut frappé de jamais ni de la sécheresse ni de l'excès


l'aspect lugubre du pays. « Les forêts de pluie, car il pleut dans cette partie
dit-il, presque toutes composées de de la Libye. Le produit des récoltes y
chênes-liéges, n'offrent de loin qu'une est dans le même rapport que dans la
teinte sombre et noire (2) : l'yeuse, le Babylonie. Les Évespérides habitent
lentisque (3), le filaria, l'arbousier, aussi un sol fertile; et dans les meil-
leures récoltes il rapporte cent pour un,
(i) Voyez dans Y Appendice rénuméra- tandis que dans le Cinyps il donne trois
tion des espèces indiquées par Viviani.
cents pour un.
(2) Poiret ( Voyage en Barbarie, etc.; Paris,
« La Cyrénaïque pays le plus élevé
,
1789, 2 vol. in-8°) cite le Quercus ilex
de la Libye qu'occupent les nomades,
(chêne-yeuse), le Q. suber (chêne-liége), le
a trois zones dignes de remarque,
Q. coccifera (chêne-kermès) et le Q. robur
(chêne-rouvre). A ces espèces Desfontaines
déterminées parles saisons. Dans la pre-
ajoute {Flora Atlantica, vol. II, p. 348) : mière, qui comprend le littoral, la
Quercus pseudo- suber, dont l'écorce est moins moisson et la vendange se font de bonne
fongueuse et les feuilles moins larges que celles heure. Quand elles y sont terminées les ,

du Q. suber; Q, pseudo-coccifera , à feuilles fruits commencent à mûrir dans la zone


très-courtement pétiolées ; Q. ballota ( chêne intermédiaire qui s'élève à partir de la
,

à glands doux). Ce dernier chêne a déjà été côte et que l'on appelle les collines
mentionné par Pline {Hist. Nat., lib. XVI, (pouvouç) lorsque la récolte y est faite ,
;

cap. 5). Il se rapproche le plus du Q. ilex; les productions de la partie supérieure


mais son fruit est beaucoup plus gros, allongé, de la colline et la plus haute de tout le
,

et d'une saveur sucrée. Les Arabes le mangent


pays, touchent à la maturité; de telle
cru, bouilli dans l'eau ou cuit sous la cendre.
sorte que quand les fruits donnés par
(3) Le Pistachia lentiscus, L., répand au so- les deux premières récoltes ont été con-
leil couchant une très-forte odeur de térében-
sommés, ceux de la dernière région
thine; ses baies, arrondies, monospermes,
viennent les suppléer. Les Cyrénéens
rouges d'abord, puis brunâtres à leur maturité,
donnent une huile grasse qui sert à des usa-
ont ainsi huit mois d'automne (1). »
ges domestiques. —
Le Pistachia atlantica , Il ne manque à cette description, pour

cité par Desfontaines , est un arbre élevé, qui


être complète, que l'indication des dis-
se plaît dans des terrains sablonneux, et tances mais Strabon et Pline y ont sup-
;

porte des baies acidulés, bleuâtres à leur ma- pléé, en rapportant que le sol, dans l'es-
turité; l'écorce du tronc et des branches laisse
suinter un suc résineux, jaune, qui se durcit en automne et en hiver. Ils le mâchent pour
à l'air et ressemble au mastic des Orientaux. donner à l'haleine une odeur agréable.
Les Arabes l'appellent hcule, et le recueillent (1) Hérodote, IV, 198 et 199.
,,

76 L'UNIVERS,
pace de cent stades du rivage, est cou- restant de leurs vivres. Ils font annuel-
vert d'arbres , et que dans une étendue lement prêter à leurs sujets serment de
de cent stades plus au sud il ne produit fidélité. Ils soignent comme leurs com-
que des moissons (1). pagnons d'armes ceux qui leur sont sou-
Si l'on compare ces récits avec l'état mis; mais ils condamnent à mort ceux qui
actuel de la Cyrénaïque, on les trouve de ne reconnaissent pas leur domination
la plus grande exactitude. Les forêts qui et les poursuivent comme leurs enne-
couvrent toute la partie septentrionale mis. Leurs armes sont appropriées à leur
des montagnes de Barcah ne s'étendent pays et à leurs habitudes; en effet, lé-
pas au delà de quatre lieues des bords gers de corps et habitant une contrée en
de la mer, ce qui correspond parfaite- général plate , ils vont aux combats avec
ment aux cent stades indiqués. Quant trois lances et quelques pierres dans des
à l'espace assigné à la partie du sol cou- sacs de cuirs. Us ne portent ni épée ni ,

verte de céréales, mais dépourvue d'ar- casque , ni aucune autre arme. Ils ne
bres, il se prolonge aujourd'hui au moins songent qu'à surpasser l'ennemi en légè-
à six cents stades de distance au delà du reté, dans la poursuite ou dans la re-
sommet des montagnes, c'est-à-dire à traite. Aussi sont-ils fort habiles à la
vingt-cinq lieues environ vers le sud. course à lancer des pierres, et fortifient
,

Telle est l'étendue du plateau Cyrénéen. par l'exercice leurs dispositions natu- ,

En quittant la région maritime où relies. Ils n'observent aucune justice, ni


étaient situées les cinq villes principales aucune foi à l'égard des étrangers (J j. »
désignées sous le nom collectif de Penta- Ces campements stationnaifes des an- ;

pole et en s'avançant dans l'intérieur


, ciens Libyens étaient en nombre égal à
j

des terres, à traversée plateau Cyrénéen, celui des sources qu'on voit dans la par-
on marche sur une immense plaine sans tie méridionale du plateau Cyrénéen.
cesse ondulée de vallons peu profonds. C'est sans doute à ces mêmes campe-
Cette plaine, partout susceptible de cul- ments, et non à des villes ou villages
ture, et en grande partie cultivée, est que se rapportent les lieux désignés, dans \

couverte, çà et là, d'arbrisseaux, sans of- les tables de Ptolémée, par les noms de
j

frir des forets. Pendant l'hiver ou la sai- Maranthis, Andan, Aehabis, Echi-
son des pluies elle est toute verdoyante nos, Philaus , Jrimanthos.
et arrosée par de nombreux ruisseaux; Revenons à la Cyrénaïque, et essayons
les Arabes du désert viennent y établir de déterminer l'endroit que devait occu- !

leurs joyeux campements. En été, le per le jardin des Hespérides. Poètes et


tableau change ; un soleil brûlant dessè- historiens, tous ont vanté la beauté et la
che la tige des arbrisseaux et les dépouille fertilité de cette région. Pindare l'appelle |

de leur feuillage; les belles prairies ne la Frugifère, le jardin de Jupiter, le


sont plus que des terres pelées et grisâ- jardin de Vénus. Nous venons de citer
|

tres. Le silence succède alors au tumulte le témoignage d'Hérodote. Selon Théo-


des camps nomades, et l'Européen peut phraste, les terres de la Cyrénaïque
parcourir en sécurité ces vastes solitu- étaient légères, et vivifiées par un air
des. Des tours isolées, massives, de forme pur et sec; l'olivier et le cyprès, ajoute-
pyramidale construites en briques at*
, , t-il, y parvenaient à une rare beauté (2).
testent l'existence des campements deces « Le territoire limitrophe de la Cyré-
Libyens dont parle Diodore de Sicile. naïque, dit Diodore, est excellent et
« Tous ces Libyens dit-il mènent une
, , produit quantité de fruits car il est non-
;

vie sauvage, couchent en plein air, et seulement fertile en blé, mais il produit
n'ont que des instincts de brutes. Ils aussi des vignes, des oliviers et toutes
sont sauvages dans leur manière de vi- sortes de fruits sauvages. Il est arrosé
vre et dans leurs vêtements ils ne s'ha- : par des rivières qui sont d'une grande
billent que de peaux de chèvre. Leurs utilité pour les habitants (3). »
chefs ne possèdent pas de villes, mais ils
ont quelques tours assises au bord de (i) Diodore de Sicile , t. I , p. 228 ( de ma
l'eau dans lesquelles ils conservent le
, traduction ).

(2) Théopbr., VI, 27; IV, 3.


(i) Strab. 9 XVÏÏ, 3 ; Plin., V, 5, (3) Diod. ? t. I, p. 22S (de ma traduction).
ÉTATS TRÏPOLlTAïNS. 77

Arrien rapporte aussi que cette contrée qu'ils ne sont accessibles d'aucun coté.
était abondamment arrosée couverte de , Il a deux stades d'étendue en tout sens,

très-belles prairies et qu'elle produisait sa longueur étant égale à sa largeur.


toutes sortes de fruits (1>. Ce jardin est rempli d'arbres serrés les
Mais quelle était la partie la plus uns contre les autres et dont les bran-
,

belle de cette contrée ? ches s'entrelacent. Ce sont des lotus


Strabon plaçait le jardin des Hespé- des pommiers de toutes espèces, des gre-
rides aux environs de la grande Syrte. nadiers, poiriers, arbousiers, mûriers,
« Ceux qui habitent, dit-il, le fond de la myrtes, lauriers, lierres, oliviers do-
Syrte, ne mettent que quatre jours pour mestiques et sauvages, amandiers et
se rendre au, jardin des Hespérides en ,
noyers (1). »
suivant la direction du levant d'hiver; Ainsi , c'est près du golfe formé par
encore marchent-ils fort lentement (2). » le promontoire de Phycus (aujourd'hui
Une opinion généralement accrédi-
,
Ras-Sem ) qu'il faut placer le jardin des
tée, plaçait ce jardin près de Bérénice , Hespérides. A l'exception des noyers
par la raison que cette ville, appelée d'a- et des pommiers , on y retrouve encore,
bord Hesperis, aurait donné son nom au au rapport du voyageur Pacho, tous les
jardin des Hespérides. L'aspect et les arbres nommés par Scylax (2). Ce voya-
[productions du lieu sont tout à fait con- geur voit dans ce lieu inabordable ceint
traires à cette opinion. Bérénice, actuel- de précipices rocailleux, l'allégorie du
ïlement Ben-Ghazi, située à l'extrémité dragon gardant le jardin des Hespéri-
[occidentale de la Pentapole, se trouve des. A quelque distance de Phycus sont
Iséparée, par une plaine d'environ six les ruines de Beneghdem, l'ancienne
lieues, de la région boisée, c'est-à-dire Balacris , située sur la route qui con-
[des terrasses au-dessus desquelles s'é- duisait à Ptolémaïs ,à quinze milles de
Itend le plateau Cyrénéen. Une plage Cyrène, selon Ptolémée (3). Non loin
[nue, aride, sablonneuse, généralement de là était le port où abordèrent pro-
rocailleuse mais plate, et parsemée seu-
, bablement les Argonautes lorsque du ,

lement çà et là de palmiers, de carou- cap Malé ils furent poussés en Libye


biers et ae figuiers sauvages, tels sont par le vent du nord.
le lieu même et les environs de l'ancienne Le témoignage de Délia Cella s'ac-
^Bérénice (3). corde avec celui dePacho, par conséquent
Quelques savants ont traité le jardin
des Hespérides de fable. D'autres l'ont Gronov. p. 110.
(1) Scylax, Peripl., edit.
>.

considéré comme synonyme d'oasis» Pacho Voyage dans la Marmarique


(2) ,

L D'après cette dernière opinion il y au- , et la Cyrénaïque, p. 172.


Irait eu plusieurs jardins des Hespérides (3) Le nom de Balacris rappelle celui de
[sur la côte septentrionale de l'Afrique Balis, ville de Libye, qui était située, selon
[depuis la Cyrénaïque jusqu'à la Tingi- Etienne de Byzance, près de Cyrène, et ainsi
ftane. nommé à cause du dieu assyrien ou phéni-
Mais le témoignage de Scylax con- ,
cien Baal. On sait d'ailleurs que les Phéni-
I

ciens bâtirent plusieurs villes sur cette partie


firmé par celui de plusieurs voyageurs
!
modernes, semble mettre hors de toute du littoral. —
Les ruines de Beneghdem
sont éparses en partie au fond d'un vallon
contestation l'existence et la position
et en partie sur des rochers abruptes. Là
I; précise du jardin des Hespérides.
comme ailleurs, on trouve de nombreuses
Voici le passage de Scylax : « Le golfe
excavations dans le roc ; mais leur aspect est
'formé par le promontoire de Phycus
tel qu'on ne saurait affirmer si elles servaient
est inabordable. C'est près de là que se
d'habitations ou de tombeaux. Le site où ces
trouve le jardin des Hespérides, C'est ruines se trouvent est un des plus âpres et
un lieu de dix-huit orgyes, ceint de des plus sauvages de la contrée de Barcah :
toutes parts de précipices si escarpés de toutes parts on voit des vallées sinueuses et
des gorges étroites. Yers le nord ,1a montagne
(i) Arrien de Expedit. Alex. 28.
, s'incline graduellement jusqu'aux bords de la
(a) Strab. lib. XLVI1. mer; vers le sud apparaissent plusieurs éléva-
(3) Pacho, Voyage dans la Marmarique et tions sur les crêtes desquelles sont des restes
la CyréiMÏque , p. 172. d'anciens postes fortifiés.
78 L'UNIVERS.
avec la description auteurs an-
que les avec la racine on faisait des tables con-
ciens nous ont laissée de cette contrée sacrées aux fêtes de Bacchus. C'est ce
fertile (0- I due alberi, dit Délia Gella, qui avait valtf aux Bacchantes le nom
ricordati da Teofrasto , corne di rara de Thyades. Enfin, Homère place le
bellezza nella Cirenaica, l'ulivo e il thyon au nombre des bois odorants
cipresso , lussureggiano tuttora in dontCircé parfumait sa grotte. Il crois-
questa contracta, di una vegetazione , sait, suivant Théophraste, dans la
che mai mi occorse di vedère altrove Cyrénaïque, là où l'on trouve aujour-
più bella. C'est dans la plaine inter- d'hui le genévrier de Phénicie (Juni-
médiaire entre la partie élevée de la perus Phœnicea, L. )
Cyrénaïque et le bord de la mer qu'il Si l'on parcourt au printemps ces
place le jardin des Hespérides (2). Toute forêts de thyon, qui du sommet des
cette étendue de côte, à partir de l'ouest montagnes de Cyrène s'étendent jus-
du cap Ras-Sem (Phycus), est presque qu'aux vallées maritimes, on rencontre
inaccessible, à cause des innombrables fréquemment à leur pied une petite li-
rochers qui la bordent. Derrière ces liacée , fort safran
célèbre ; c'est le
rochers se trouvent les belles prairies (Crocus sativus plu-
, Linn.) (1). La
d'Ericab. part des auteurs anciens s'accordent
Les pommes d'or gardées, d'après à vanter la beauté du safran de la
le mythe, par les dragons du jardin des Cyrénaïque. Non-seulement on le mê-
Hespérides, étaient-elles des citrons ou laità la préparation des mets, des mé-
des oranges ? Cette question a peu d'im- dicaments et des teintures ; mais on
portance. Il suffit de savoir qu'aujour- s'en servait aussi comme parfum; on
d'hui , comme autrefois, on trouve des en retirait même
une essence très-es-
citronniers et des orangers sur toute la timée chez les Grecs et les Romains (2).
côte de l'Afrique, depuis la Cyrénaïque Le safran, ainsi que le séné (Cassia
jusqu'aux colonnes d'Hercule. senna, Linn.) sont encore aujourd'hui
Le thyon (66ov) (3), appelé citrus une branche des revenus du pacha de
par les Latins, n'est pas le citrus des Tripoli.
botanistes modernes. C'était un ar- Toutefois cette essence ne valait pas
bre de la famille des conifères ; peut- celle que l'on faisait avec les roses de la
être une espèce de juniperus ou de Cyrénaïque (3). L'essence de roses de la
thuya. Son bois, à cause de son incor- Cyrénaïque était , tout à la fois vantée
ruptibilité et de son parfum, servait comme parfum et comme un médica-
à différents usages le tronc était em-
: ment, propre à guérir les blessures
ployé à la construction des temples (4) ; et à empêcher la putréfaction des ca-
davres (4).
(i) La giacitura di questo piano intermedio Ces belles roses libyques quoique ,

alla parte elevata délia Cirenaica , e a quella de nulle valeur aux yeux des Arabes,
ove questi monti deelinano dolcemente verso font encore aujourd'hui l'ornement des
il mare negli orti Esperidi , mette sott' occhio fraîches vallées de Benghazi. « J'en ai
il quadro , che délia sua fertilità ci avevano rencontré fréquemment^dit Pacho, deux
trasmessi gli antichi, ( Viaggio da Tripoli di
espèces à corolle blanche, qui m'ont
Barberia aile frontière occidentali deW
paru s'accorder' par leurs caractères à
Egitto,j>. 119.)
celles connues des botanistes sous les
(2) Délia Cella, p. 77 et 78.
noms de Rosa sylvestris et R. spinosis-
(3) Ce nom vient de ôu&>, je brûle de l'encens.
(4) Délia Cella suppose que le thuyon de
Théophraste est le Juniperus Phœnicea, dont (1) Pline, XXI, 6. Comparez Pacho,
les fruits , à l'état de maturité, sont des baies Voyage dans la Marmarique et la Cyrénaï-
rouges de la grosseur d'un pois ; feuilles ter- que ,^56.p.
nées , imbriquées , obtuses. Le Juniperus (2) Thrige, Hist. Cyren., p. 252, 253.
oxycedrus s'en distingue par ses feuilles (3) Desfontaines (Flora Atlantica) n'a
ternées , écartées , piquantes et par ses baies trouvé que trois espèces de roses , sur la côte
roussâtres, de la grosseur d'une noisette. — de la Barbarie Rosa moschata, R. maialis,
:

Desfontaines {Flora Atlanticd) ne cite qu'une R. microphylla.


seule espèce de thuya : Th. articulata. (4) Athen. JDeipnosoph.f'X.Y, 29.
ÉTATS TRIPOLITAINS. 79

sima, n'osant toutefois affirmer que l'Europe. Mais les olives y fournissent
celles-ci, croissant spontanément parmi de l'excellente huile.
les autres plantes, soient les mêmes qui, Les plantes qu'on trouve répandues
transplantées autrefois dans les jardins, aux environs de la grande Syrte sont,
fournissaient l'essence dont je viens de laplupart, de chétive apparence, hérissées
parler (1). » d'épines, et rabougries ; elles sont dessé-
Pline etThéophraste, en parlant de la chées par le soleil, et conviennent par-
Cyrénaïque, font mention de quelques faitement à ces terres sablonneuses. Les
autres plantes, assez célèbres dans l'anti- labiées, les légumineuses, les liliacées,
quité ; telles sont\esphagnos ou bryon et les corymbifères et les ombellifères y
le misy. Ce sont des cryptogames dont la sont en majorité (1).
détermination spécifique est bien dif- Suivant Délia Cella, on rencontre aux
ficile. Le bryon était une mousse odo- environs du cap deMésurata ( Cephalus)
rante, fixée aux arbres. Pacho affirme une plante à racine fibreuse , garnie de
que, malgré le grand nombre de crypto- tubercules qui servent de nourriture aux
games qui couvrent les forêts de la Cy- Bédouins. Ces tubercules ressemblent à
rénaïque, il n'en est aucune dont l'o- ceux du souchet (Cyperus esculentus, L.)
deur offre un caractère remarquable. Les feuilles sont rugueuses, blanchâtres,
Quant au misy , c'était, selon Pline, une découpées l'absence des organes de
;

truffe d'un goût et d'un parfum exquis, fructification n'avait pas permis au sa-
[l'est certain que l'on rencontre encore vant voyageur d'en déterminer le genre
aujourd'hui dans les parties sablon- ni l'espèce (2).
neuses du littoral de la Libye une Al'ouest du cap de Mésurata on
lespèce de truffe de couleur blan- trouve un territoire très-fertile , le Zaf-
che (2). fran. Il y a de belles prairies émailléesde
Au nombre des plantes qui ornaient renoncules (3) , et arrosées de sources
les belles collines maritimes de Cyrène, d'eau douce. Aux environs croissent plu-
et que Scylax a oubliées dans son énu- sieurs espèces d'armoise, dont une (Ar~
mération, il faut ajouter le figuier, le temisia arborescens) est entièrement
cornouiller et le lentisque. Ainsi, dans recouverte d'un duvet blanc , lanugi-
le Rudens de Plaute (act. III, se. 4) il neux (4). Ces plantes, desséchées, sont
[est dit qu'un valet ne se nourrissait à employées comme combustibles.
ICyrène que de figues; et Pline nous ap- Aux environs de Labiar on trouve le
prend que les cornouilles et les fruits du verdoyant Juniperus Phœnicea (le
[lentisque servaient, dans la Cyrénaïque, thuya de Pline). Les oliviers y abon-
là la préparation de certains aliments (3). dent; toute la contrée pourrait s'en-
(routes ces plantes, auxquelles il faut richir si elle faisait le commerce de
[ajouter le caroubier ( Ceratonia sili- l'huile d'olive, par la voie deBenghasi.
\}ua, L.) croissent encore aujourd'hui Les oliviers y croissent en société des
naturellement dans cette région (4).
I
Quant aux pommiers et aux noyers, (1) Délia Cella, Tiaggio, etc., p. 47.
[étrangers au sol africain , ils furent (2) lbid., p. 5o Le foglie sono irsute,

[apportés en Libye par les Grecs. Les — biancastre , e frastagliate ; ma la mancanza


[pommes, les poires, les prunes et en délie sue parti di fruttificazione ne lasciera

igénéral tous les fruits drupacés qu'on probabilmente incerta la cognizione.


jtrouve en Afrique, ne valent pas ceux de (3) La Flora Atlantica ( 1. 1 , p. 435) donne
le Ranunculus flammula , le R. bullatus , le
R. ficaria, \eR. macrophyllus , le R. trilobus,
(i)Pacho, Voyage dans la Cyrénaïque, etc., le R.flabellatus, le R. monspeliacus, le R. spi-
p. 25n. calus, le R. bulbosus , le R. paludosus, le R.
(2) Ibid., p. 257. arcensis , le R. muricatus, le R. millefoliatusy
(3) Pline, Hist. nat, XV. \eR.parviflorus, le R.hederacens, lei?. aqua-
! (4) Le figuier (Ficus carica ) y présente de tilis et le R. peucedanoides.

,'nombreuses variétés. Le pistachier lentisque (4) Les autres espèces tfArtemisia citées
\{Pistachia lentiscus) est, d'après Desfontaines, dans la Flora Allanlica (t. II, p. 263), sont :
un des arbres les plus fréquents sur la côte A. odoratissima, A. pontica, A. absinthiumt
ide Barbarie, A. wulgaris, A. dracunculus.
,,

«0 L'UNIVERS.
figuiers, des caroubiers, des pistachiers l'on devait en tirer pour ne pas faire
et des poiriers sauvages. Des bosquets périr la plante.
de Nerium oleander, L., embellissent les Quelle espèce de plante était le sil-
ruines delà Cyrénaïque; les Bédouins phium ?
lui donnent le nom de Safsaf. Suivant Théophraste , sa racine était
Le territoire de Derna est une plaine épaisse charnue, vivace; sa tige de la
, ,

très-fertile au fond d'une baie abritée même forme que


,
celle du fenouil ; ses
à l'ouest par le cap de Ben-Andrea. C'est feuilles ressemblaient à celles du seli-
là qu'on trouve des bananiers {Musa num; ses graines étaient larges, ailées,
paradisiaca, L.). On n'en trouve pas ail- et à peu près comme celles de la phyllis.
leurs sur ces rivages. Cette plante croissait principalement
Deux plantes , célèbres dans l'anti- aux environs du jardin des Hespéri-
quité, croissent sur le territoire de des (1).
Tripoli ; nous voulons parler du silphium D'après Pline la racine du silphium
,

et du lotus, dont le fruit avait fait oublier avait une écorce noire et plus d'une
aux compagnons d'Ulysse le retourdans coudée de longueur; à l'endroit où elle
leur patrie. sortait hors de terre était une grosse tu-
Les anciens attribuaient au silphium bérosité, qui incisée produisait un suc
les propriétés les plus merveilleuses. C'é- laiteux. Ses graines étaient plates ; ses
tait une espèce de panacée propre à feuillestombaient tous les ans dès que' ,

guérir toutes sortes de maladies à dé- , du midi (2).


soufflait le vent
sinfecter les eaux corrompues et l'air Scylax et Hérodote placentle silphium)
malsain. Pline lui reconnut, entre autres, dans la région littorale de la Pentapole'
celles d'endormir les moutons et de faire libyque , depuis l'île Platée jusqu'à l'en!
éternuer les chèvres (1). On vendait le trée de la grande Syrte (3). Catulle le
suc de cette plante au poids de l'or. Le place près de Cyrène (4). Cependant';
silphium fut l'un des principaux objets plusieurs auteurs, tel qu'Arrien et Pline,
du commerce des Cyrénéens; il passa paraissent' reléguer le silphium sur la'
en proverbe comme symbole des riches- lisière des terres fertiles ; les autres
ses. Une simple tige fut estimée comme J
comme Strabon Ptolémée, dans les
et ;

un présent qui n'était point indigne des parties centrales du désert du sud de la
souverains et des dieux. César, au com- Cyrénaïque. On a essayé de concilier:
mencement de la guerre civile , retira ces opinions contradictoires, en adop-,
d'une tige de silphium enfermé dans le tant pour la Cyrénaïque toute l'étendue;
trésor public de Rome la somme de que lui ont donnée quelques savants
quinze cents marcs d'argent. Les Cy- c'est-à-dire en y comprenant la région^
rénéens consacrèrent cette plante à leurs ammonienne. Partant ensuite de ce;
souverains les plus vertueux. Ainsi, sur principe, ils ont cru approcher de la
plusieurs médailles de Cyrène, on voit vérité en supposant que le silphium 1

d'un côté la tête du roi Battus ou de croissait dans toute cette vaste contrée
Jupiter Ammon, et de l'autre la fi- et que par cette raison on l'avait placé
gure du silphium. Le suc de cette plante indifféremment au nord et au sud de ;
s'obtenait par l'incision de la tige et là ils ont justifié l'épithète de Cyrénaï-
de la racine ; le premier s'appelait thy- que silphifère, de Libye silphifère,
sias et le second caulias. Quelques que l'on trouve fréquemment chez les
auteurs ont donné à l'un et à l'autre écrivains de l'antiquité. Malheureuse-
indistinctement le nom de larmes de la ment cette explication ne peut point se
Cyrénaïque. concilier avec la nature du sol, qui n'est
Le suc de la racine était préféré à ce- pas le même dans la Libye septentrionale
lui de la tige parce qu'il se conservait
, et méridionale.
plus longtemps. Pour empêcher qu'il ne
se corrompît, on y mêlait de la farine.
(i) Théophrast., Hist. Plant., VI, 3.
Une loi fixait le temps et la manière de
faire l'incision et la quantité de suc
(a) Pline, XIX , 3.
que (3)Hérodote, IV, 169; Scylax, édit. Gronov.
p. 108.
(i) Pline, Hist. Nat., XII , 2 3.
(4) OdeàLesbie, V, 4,
ÉTATS TRIP0LITA1NS. 8t

Depuis les sommités qui dominent détruit par des troupeaux, et on ne


l'ancienne Chersonèsecyrénaïquejusqu'à connaissait plus qu'un laser, provenant
la côte orientale delà Syrte, on trouve de la Perse et de l'Arménie, très-infé-
fréquemment dans la partie septentrio- rieur à celui de la Cyrénaïque. Sous
nale de cette région , et dans un espace Néron on n'en trouva plus qu'un seul
qui s'étend tout au plus , vers le sud , à pied qui fut envoyé à ce prince comme
,

huit ou dix lieues du rivage , une grande une grande rareté (1). Strabon attribue
ombellifère nommée parles Arabes de- la cause de la rareté du silphium, de
rias, et dont voici les caractères : ra- son temps à une invasion de barbares
,

cine fusiforme, charnue, très-longue, qui avaient cherché à le détruire par


de couleur brune à sa surface ; la tige, l'extirpation même des racines ; Solin
striée, atteint deux ou trois pieds de en répétant ce fait, ajoute que les Cy-
hauteur, et s'élève sur un collet épais rénéens avaient contribué à détruire le
d'où jaillit, si on le casse, un suc lai- silphium, pour se délivrer des impôts
teux abondant. Les feuilles radicales énormes dont il était l'objet.
sont nombreuses , luisantes, surdécom- Mais aucune puissance humaine ne
posées les graines terminant en petit
; , saurait faire disparaître une espèce de
paquet chaque ombellule, sont ovales, plante quelconque. Un fragment de ra-
comprimées, entourées d'une mem- cine, une graine échappée au hasard,
brane transparente et colorées d'un peuvent en assurer la propagation. Il
vernis argenté. La fleur se développe en n'estdonc pas impossible que le Laser-
été; elle est jaune, échancrée et très- pitium derias de Pacho, ou le Thapsia
ouverte. silphium de Viviani, qu'on rencontre
Cette description s'applique également encore aujourd'hui dans la régence de
au genre Ferula et au Laserpitium. Se- Tripoli, ne soit le silphium des anciens.
Ferula assa fœtida? Suivant
rait-ce le Seulement, dans ce cas il faut beau-
Sprengel, c'est le Ferula tingitana. coup rabattre des propriétés merveilleu-
Pacho pense que le silphium est une es- ses de cette plante. La plupart des voya-
fpèce de laserpitium, et il propose de lui geurs ont reconnu la propriété d'être
I
donner le nom de Laserpitium derias{\). nuisible aux bestiaux, et particulière-
qu'il y a de certain, c'est qu'à la sim- ment aux chameaux. Ainsi Deila Cella
ICe
ple inspection des médailles de Cyrène,
,

avait remarqué que les bestiaux de l'armée


sur lesquelles se trouve figuré le sil- du bey s'empoisonnaient en mangeant
ïphium on y reconnaît au premier coup
, une ombellifère {Thapsia silphium, Viv.)
d'œil une ombellifère. Les feuilles engaî- qui croît sur les montagnes de la Ciré-
nantes, découpées et opposées; l'inflo- naïque, et qu'une si grande mortalité
I rescence axillaire, en ombelle, etc. indi- , éclata parmi eux que l'armée fut me-
I quent évidemmentlafamillede la plante nacée de les perdre tous. Cependant,
I décrite par Théophraste. grâce aux prudents conseils de son habile
Délia Cella rapporte le silphium au médecin, le bey put en conserver une
o. genre Thapsia (2); et Viviani (Plantœ partie, en changeant de lieu de pâturage.
I Libycse spécimen) lui donne le nom de Il paraît que cette plante agit comme un.

I Thapsia silphium. violent drastique, surtout quand elle


Le silphium des anciens croît-il en- est desséchée : quelques brins de de-
v
core aujourd'hui dans la Cyrénaïque? rias , mêlés par hasard à la paille que
i- Du temps de Plaute, on faisait encore l'on donne aux bestiaux, suffisent, dit-
d'abondantes récoltes de silphium (3). Il on , pour tuer le chameau le plus ro-
commença à devenir rare à l'époque de buste né sous un autre ciel que celui
Strabon. Au siècle de Pline il avait été de Barcah. Mais c'est à peu près la seule
propriété que le Laserpitium derias
(i) Pacho , Relation d'un Voyage dans la partage avec le silphium des anciens (2).
Marmariaue, etc. Paris, 1837, in-4°, p. i5o.
;

(2) Viaggio da Tripoli di Rarberia, etc. ; (1) Pline, Hist. Nat., XVIII, 3.
"Napoli , 1 83o, in-180 , p. io3. (2)11 importe de ne pas confondre le sil-
(3) Plaut., Rudens, act. III, se. 2, vers i5 phium des anciens avec le silphium, L., des
; et 16. botanistes modernes : ce dernier appartient

Livraison. (Etats tripolitains. )


82 L'UNIVERS.
Les tiges de cette plante , jetées sur des tophages. Clusius et J. Bauhin avaient
tisons ardents , servent aujourd'hui de déjà soupçonné que le vrai Lotus des
nourriture à quelques pâtres désœuvrés ; anciens était un jujubier; Shaw par-
c'était aussi l'usage qu'en faisaient les tagea cette opinion. Linné l'admit aussi,
Asbytes avant l'arrivée des Grecs en en appelant cette plante Rhamnus lotus.
Libye (1). Poiret et Desfontaines vinrent enfin le-
Lemaire, consul de Tripoli, cité ver tous les doutes à cet égard. Le pre-
par Paul Lucas , rapporte que les cam- mier trouva le Ziziphus lotus le long
pagnes de Derne sont couvertes d'une des côtes de Tunis et de Tripoli parti- ,

plante que les Arabes nomment Cefie ou culièrement dans la petite Syrte et dans
Zarra. C'est, selon lui, le silphium des l'île de Djerbi. Desfontaines l'observa

anciens. « Cette plante, dit-il, fait un dans les mêmes contrées, et en donne la
petit buisson; les feuillesen sont épaisses description suivante : C'est un arbrisseau
et veloutées, couleur de sang; elle est très-rameux, d'environ trois ou quatre
toujours verte, et fleurit en toute saison. pieds de haut, qui, lorsqu'il a perdu ses
La fleur en est jaune, *et jette plusieurs feuilles ne présente plus qu'un buisson
,

bouquets les uns dans les autres en composé de rameaux blancs, nombreux,
forme d'artichaut (2). » fléchis en zig zag , très-épineux , d'un
Mais cette description ne s'applique aspect tout à fait sauvage. Ses feuilles
à aucune des ombellifères qu'on puisse sont dures, petites, ovales, obtuses, lé-
rapporter au silphium. gèrement dentées , à trois nervures ; les
pétioles très-courts; les fleurs petites,
Les mangeurs de Lotos, ou lotopha- d'un blanc pâle, ramassées par paquets,
ges , dont parle Homère vivaient dans axillaires le long des rameaux. Les
'•

les cavernes formées par les rochers fruits sont globuleux , roussâtres à leur
'

qui entourent la petite Syrte (3). La maturité, offrant, sous une chair pul-
nature du fruit qui fit oublier aux com- peuse d'une saveur agréable un noyau ,

pagnons d'Ulysse le retour à Ithaque globuleux, à deux loges. Ses fleurs pa-
a été l'objet de nombreuses recherches. raissent au mois de mai; ses fruits sont j

Le nom de Lotus a été appliqué à mûrs dans les mois d'août ou de sep-
plusieurs plantes différentes. Le Lotiis tembre.
consacré aux anciennes divinités de l'E- Cette description s'accorde assez bien !

gypte appartient au genre Nymphœa avec celle qu'en donne Polybe. « Le


(N. lotus, Linn., à corolle rose, et N. Lotos des Lotophages, dit cethistorien,
cœrulea à corolle bleue), de même
'

est un arbrisseau rude et armé d'épines.


que le lotus comestible , dont les fruits Ses feuilles sont petites , vertes et sem-
s'appelaient fèves d'Egypte, est une blables à celles du Rhamnus ; ses fruits
espèce de Nelumbium (N. speciosum), encore tendres ressemblent aux baies
qui croît dans le Nil aussi bien que du myrte lorsqu'ils sont mûrs; ils se
dans le Gange. Les genres Lotus et Meli- teignent d'une couleur rousse; ils égalent
lotusûe Linné sont des légumineuses de alors en grosseur les olives rondes, et
la tribu des papilionacées. Enfin , le mi- renferment un noyau osseux dans leur
cocoulier de Provence (Celtis australis, intérieur. »
Linn.), ainsi que plusieurs espèces de Hérodote décrit le Lotos de la manière
Trigonella, Coronilla diospyros, Linn., suivante « Le fruit du Lotos est de ia
:

avaient également reçu le nom de Lotos. grosseur d'une baie de lentisque ( p-é^s-
D'après l'opinion le plus accréditée, le ôoç oaov ttiç ay^aou), et d'une saveur ana-
Ziziphus lotus, Encycl (Rhamnus lotus,
. logue à celle des dattes. Les Lotopha-
Linn.), est l'arbrisseau dont les fruits ges préparent du vin avec ce fruit (1). »
(jujubes) étaient mangés par les Lo- Polybe donne aussi des renseigne-
ments sur la manière dont on préparait
le Lotos. « Lorsque le fruit est mûr,
à la famille des composées , et ressemble au
séneçon. dit-il , les Lotophages le cueillent , l'é-
(i)Pline,XIX,3. crasent et le renferment dans des vases;
(2) Paul Lucas, Voyages, etc., t. II, p. 112.
(3) Hom., Odyss., IX. (1) Hérodote, IV, 177.
ÉTATS TRIPOLITAÎNS.
ils ne font aucun choix des fruits qu'ils ces contrées qu'autrefois, et qu'il a été
destinent à la nourriture des esclaves; en grande partie remplacé par le pal-
mais ils choisissent ceux qui sont de mier. On distingue principalement deux
meilleure qualité pour les hommes li- espèces très-différentes de palmiers : le
bres. On les mange ainsi préparés ; leur lataniernain (Chamserops humilis, L. )
saveur approche de celle des figues ou et le dattier proprement dit (Phœnix
des dattes. On en fait aussi une sorte de dactylifera, L. ). A ces deux espèces on
vin en les mêlant avec de l'eau. Cette pourra ajouter une troisième, le Cuci-
liqueur est très-bonne, mais elle ne se fera Thebaica, Delil. Le premier est par-
conserve pas au delà de dix jours. » tout commun surtoute la côte de la Bar-
Desfontaines remarque à cette oc- que dans la Sicile, dans l'Italie
barie, ainsi
casion que les habitants des bords de et l'Espagne méridionale. Son fruit est
la petite Syrte et du voisinage du désert inférieur aux dattes. C'est une baie
recueillent encore aujourd'hui les fruits presque ronde ; la pulpe qui environne
du Ziziphus : « Us les vendent
lotus le noyau estlégèrement succulente, miel-
dit-il marchés, les mangent
, dans les leuse, un peu sèche, mêlée à beaucoup
comme autrefois et en nourrissent , de filaments. Ce palmier a une tige ex-
même leurs troupeaux; ils en font aussi trêmement courte ; il fleurit au printemps
une boisson en les broyant et les mê-
, et porte des fruits en automne et dans
lant avec de l'eau. Enfin , la tradition l'hiver.
que ces fruits servaient anciennement Quant au dattier, il se cultive par-
de nourriture aux hommes s'est con- ticulièrement dans l'intérieur des terres,
servée parmi ces peuples c'est encore : vers le désert; cependant on en rencontre
ce même Lotos dont parle Homère et , aussi de belles plantations sur les côtes,
qui avait un goût si délicieux qu'il fai- et surtout dans la vaste plaine qui s'é-
sait perdre aux étrangers le souvenir tend de Tripoli au cap Tagiura. Cet
de leur patrie (1), » arbre majestueux, à tronc nu, non
Les fruits du Lotos étaient sans doute ramifié, couronné d'une touffe verte,
une ressource précieuse pour des peu- imprime au paysage un caractère par-
ples qui habitaient un pays peu cultivé ; ticulier. Ses fruits sont la principale
mais il ne peut appartenir qu'à l'imagi- ressource des habitants. Ils sont infé-
nation des poètes d'attribuer à ces rieurs aux dattes de Tunis , qui à leur
fruits , très-inférieurs à beaucoup d'au- tour le cèdent à celles du Fezzan. Ces
tres , tels qu'aux dattes une saveur si
, dernières sont les plus estimées, et on
agréable que les étrangers ne voulaient les voit très-rarement sur les marchés
plus quitter une terre aussi fortunée. d'Europe. Une seule grappe de dattes
Pour terminer cette discussion j'a- , peut à peine tenir dans la peau d'un
jouterai que le fruit du caroubier (Cera- mouton , dont on se sert ordinaire-
tonia siliqua), si commun dans cette ment pour les tenir fraîches et les con-
contrée, pourrait bien avoir été le véri- server. Les jeunes pousses du sommet
table Lotus des Lotophages, quoi qu'en fournissent tous les ans , à l'époque de
disent Polybe et ses commentateurs. leur taille, une liqueur agréable, fer-
Délia Cella s'appuie sur un passage mentescible, que les indigènes appellent
d'Hérodote (IV, 176 et 177), confir- laghibi. Au bout de quelque temps,
mé par Strabon ( III, 65, 6 ), pour sou- par suite de la fermentation qu'elle
tenir que les Lotophages n'habitaient éprouve, cette liqueur devient une espèce
pas le pays de la petite Syrte , mais la de vin fort et enivrant. Us en boivent
Cyrénaïque, à l'est de Giniphium (2).
11 est probable que le Ziziphus lotus
che sono a mezzodi di quel Capo. La due
est aujourd'hui moins abondant dans
circostanze, aggiunte da Omero d'aver salito
questo littorale, per far acqua, sono due
(i) Desf., Acad. Par., 1788. tratti di più, presi dal vero in quesla parte

(2) La nave di Ulisse , sorpresa , a vêle spie- marittima délia Cirenaïca. Tanta concordanza
gate , dal vento di tramontana al capo Malea avrebbe dovuto fissare prima d'ora questo
non dovea punto essere spinta aile Sirte mi- punto di geografia Omerica. Viaggio da Tri-
nore , ma bensi a Lotofagi délia Girenaica, poli, etc., p. ia3.

6.
, ,

84 L'UNIVERS.
souvent immodérément, malgré la dé- FEZZAN.
fense du Roran. L'usage de ce vin est
très-ancien : car Hérodote rapporte que On donne le nom de Fezzan ou Fassan
Cambyse envoya aux Éthiopiens, par à une vaste oasis comprise entre le
l'intermédiaire des Ichthyophages, quel- 25° et 30° latitude boréale , entourée au
ques mesures de vin de palmier (1). nord par une ceinture de sable , à l'est
Les dattiers dont on a coupé les par le grand désert libyque, et à l'ouest
pousses pour en extraire le suc fer- et au sud par le désert de Sahara. Ren-
mentescible ne portent des fruits qu'au nell reconnaît dans le Fezzan le pays des
bout de trois ans, et ces fruits sont Garamantes d'Hérodote {Gamphasan-
alors d'une qualité supérieure. L'A- tes dePomponius Mêla). Les Romains
frique boréale est la patrie du pal- l'appelaient Phazania, les Arabes du
mier porte-dattes, Phœnixdactylifera, moyen âge Zuila; Marmol le nomme
L. (2). Ce n'est qu'à quelque distance Fizen. Léon l'Africain l'appelle Fezzen,
du littoral qu'on trouve ie palmier et en fait la description suivante :
doum {Cucifera Thebaica, Del. ). « Fezzen est une contrée bien ample
en laquelle sont situés de gros châteaux
et villages, tous habités par un peuple
(i) Hérod., III, 20.
fort opulent, tant en possessions comme
(2) Chaque continent a pour ainsi dire
ses palmiers. L'Amérique compte plus d'es-
en deniers pour ce qu'ils sont aux con-
,

fins d'Agadey et du désert de Libye,


pèces que l'Afrique et l'Asie réunies. Parmi
les espèces qui fournissent le vin de pal-
qui confine avec l'Egypte, et est dis-
mier, on peut citer : Arenga sacchari- tante cette marche du grand Caire
fera, Lat. Sagus Rumphii, W.; Borassus
;
environ soixante journées, sans qu'on
flabelliformis, Cocos nucifera, L. ; Rhaphia puisse trouver d'autres habitations par
vinifera, Lab. ; Mauritia vinifera, Mart. Les le désert qu'Augela. Cette contrée de
jeunes pousses de ces palmiers sont en outre Fezzen est gouvernée et régie par un
mangées en guise d'épinards ; la moelle du Sa- seigneur qui est comme primat du
gus Rumphii , dans l'Inde , donne une excel- peuple, lequel distribue tout le revenu
lente fécule (sagou ). Les semences non mû- du pays au profit public après avoir
,

res du Cocos nucifera renferment un li- satisfait aux Arabes de quelque somme
quide qui sert de boisson rafraîchissante ; à de deniers , de quoi on leur est redeva-
leur maturité, elles donnent une matière pul-
ble. Il n'y a en ce pays autre chair que
peuse , saine , qu'on mange. Les baies vertes
de chameau , qui est en grande requête
de YArenga saccharifera sont confites avec
et fort chère (1). »
du sucre. On exprime des graines de YElœis
guineensis el d'autres espèces une huile grasse,
C'est par le Fezzan
que passe la grande
qui se distingue des autres huiles par la pré- voie de communication du nord-est de
sence de l'acide palmique. Le suc du Co- l'Afrique avec le Soudan , et particuliè-
rjpha umbraculifera , L., et Talierna sylves-
rement avec Tombouctou. On devine
tris,palmiers de l'Asie, est émétique, et sert donc facilement l'importance commer-
en médecine. Les noix de cocos, de grosseur ciale que ce pays pourra un jour acquérir.
monstrueuse, vendues autrefois très-cher, et État physique , climat, constitution
que les eaux apportent souvent du rivage de géologique. —
Le Fezzan présente d'a- ,

l'Inde jusqu'aux îles Seychelles et plus loin près Hornemann, une forme arrondie. La
appartient au Lodoicea Sechellarum. Le plupart des géographes lui donnent une
Hyphœne coriacea, Pers. {Cucifera Thebaica, étendue de trois cents milles du nord au
Delisl., doum des Arabes), remarquable par
sud, et de deux cents milles de l'est à
sa division dichotome, fournit le Bdellium
l'ouest.Il est comme une île entourée de
d'Egypte , substance gommo-résineuse , jadis
chaînes de montagnes sauvages et impé-
employée comme diaphorétique et diurétique.
nétrables , qui ne sont interrompues qu'à
Le Calamus draco, Will. (Dracœna draco),
donne le sang-dragon , remarquable par son l'ouest, où l'oasis paraît confiner im-
principe colorant et la matière astringente qu'il médiatement au désert. Le Fezzan est
renferme. Des troncs du Ceroxylum andicola, une vaste plaine basse, couverte partout
Humb., et du Corypha cerifera découle une d'un sable léger, qui autrefois, dit-on,
cire particulière ( Cera de Paima, Carnauba
Brasil). de l'Afrique, p. 3 16,
(1) Description
ETATS TRIPOLITAINS. 85
encombrait un torrent profond et rapide ques couches de gypse , de sel gemme
près de Tessowa , à l'est. A l'ouest du , et de marne, qui, en s'adossant de deux
côté de Sahara, le sol est aride et côtés , au nord et au sud aux basaltes ,

désert. Au sud , il est généralement sec des monts Soudah, constituent toute la
et couvert d'un sel alcalin fixe (sesqui- variété géologique de ces plaines afri-
carbonate du soude), auquel les indi- caines. La base du grès rouge se com-
gènes donnent le nom de trôna. On y pose de couche de calcaire coquillier.
trouve des puits nombreux , et quelques Le capitaine Lyon ne rencontra que trois
sources vives qui ne tarissent jamais. Il sources dans tout le vaste espace qu'il
ne pleut jamais ou très-rarement dans parcourut (1); mais en beaucoup d'en-
ie Fezzan, et Pgn ne rencontre dans droits il trouva de l'eau dans des ter-
tout le pays aucune rivière qu'un Eu- rains argilo-salins à une profondeur de
ropéen pourrait appeler considérable. trois à sept mètres. « Le Fezzan , dit le
Le chérif Imhammed vante cependant capitaine Lyon, ne se distingue nulle-
le petit fleuve qui coule à Mourzouk ment du désert sous le rapport du sol :

ainsi que le territoire bien arrosé des dans le sens propre, il fait même partie
environs, où l'on trouve toujours des du Saharah. Près de Mourzouk, le terrain
puits de trois à quatre mètres de pro- est argileux et blanc, et, quoique mélangé
fondeur. Il y en a, dit-il , plusieurs dans de sable, il offre ici une certaine fertilité;
chaque jardin, qui servent à l'irrigation mais l'irrigation est tellement pénible
et produisent une végétation abondante. que dans tout le royaume on ne trouve
Le nombre des lieux habités est , selon pas un jardin qui ait plus d'un acre d'é-
lui, de cent; Hornemann dit qu'on y tendue et pas un gazon de la longueur
,

compte cent une villes et villages. d'une table. En aucun endroit, depuis
Le climat a un effet funeste sur les les montagnes au sud de Tripoli jusqu'à
étrangers non habitués aux différences Mourzouk et Tegerry l'herbe ne croît ,

considérables qui existent entre la tem- spontanément excepté entre les fissures
,

pérature du jour et celle de la nuit. des roches et sur les bords de quelques
,

Ritchie succomba à l'action de ce cli- ouadeys. »


mat; et Lyon Oudney Clapperton de-
, ,

meurèrent longtemps malades à Mour- Agriculture, productions naturelles,


zouk capitale du Fezzan. Ces voyageurs
, végétaux, du Fezzan.
nous apprennent qu'il est rare de ren-
contrer même parmi les indigènes un Les riches seuls possèdent des terres,
visage qui annonce la santé. Lyon et la valeur des biens-fonds s'estime d'a-
observa, le 14 janvier, pendant la nuit près le nombre des puits et des palmiers,
une température de —
2° 30' les outres
: qui fournissent la principale nourriture
étaient congelées et il y avait de la glace
,
des habitants. Les jardins ainsi que
d'un demi-pouce d'épaisseur; pendant le les terres sont cultivés à la pioche par
jour,aucontraire,latempératures'élevait les esclaves. A
la mort d'un proprié-
quelquefois jusqu'à 30° et au-dessus.
Un sable très-fin soulevé par les vents
, (1) Lyon accompagné du consul anglais
,

cause des ophthalmies et des affections Ritchie, voyagea, au mois de mars 1819, de
pulmonaires très-graves. Tripoli à Mourzouk ; il se proposait de péné-
trer de là dans le Soudan. Mais les fièvres
Suivant le capitaine Lyon (1) , un sable
dont ils furent tous deux atteints pendant
jaune rougeâtre (silice ferrugineuse)
leur séjour à Mourzouk, et la mort préma-
couvre la plus grande partie du pays.
turée de Ritchie , décidèrent le capitaine
Au sud des montagnes de Soudan,
Lyon à renoncer à ses projets de découverte
depuis le 29° jusqu'au 24° latitude nord,
dans l'intérieur de l'Afrique. Cependant il
on ne trouve d'autres roches qu'un grès
fit de nombreuses excursions dans le Fezzan ;
rouge de formation tertiaire, avec quel- et la relation de ses voyages a jeté un grand
jour sur la géographie de ce pays. C'est
(i) Captain G. F. Lyon , Narrative of the principalement dans la direction du nord
Travelsin northern Africa, in the years 1818, au sud qu'il l'a exploré. L'étendue du Fez-
19 et 20, etc. ;London, in-4 , 1821. Traduc- zan , de l'est à l'ouest , lui est moins connue
tion française; Paris, in-8°, 1822. (Gide ). qu'à Hornemann.
,

86 L'UNIVERS.
taire, ses biens appartiennentau plus dix mètres de hauteur; c'est, suivant
proche parent meurt sans hé-
: s'il Ritchie, le Lotus des anciens (Ziziphus
ritiers ou s'il est condamné à mort, lotus , Linn.)
ses propriétés sont saisies au profit Voici à quoi se borne la liste des vé-
du sultan. Tout Fezzanien peut ache- gétaux cultivés du Fezzan , tels qu'ils
ter et vendre aucune réserve ni
: sont indiqués dans le voyage du capi-
substitution ne l'empêche de disposer taine Lyon :
des biens qu'il a reçus de ses ancêtres.
Gafouli masr, sorgho.
Les jardins se cultivent avec une espèce
Gafouli abiad, petit millet.
de bêche : on les divise en carrés d'en-
Goussouh , petit grain brun , rond ; le
viron un mètre. Us sont traversés par dourrha d'Egypte.
de petits canaux d'irrigation. On em- Goussoub tamzavi et Goummah albavi,
ploie beaucoup de fumier le sol sa- : deux autres espèces du même grain.
blonneux des anciens jardins ressemble Goummah, froment.
beaucoup à la terre végétale. Les tra- Chair, orge.
vaux pénibles qu'exige la culture de ces Taridi, autre espèce d'orge, de couleur
rouge.
jardins obligent les propriétaires de
Bichena, petit grain ressemblant au millet.
demeurer sur les lieux , s'ils veulent en Loubia petite fève.
,
tirer quelque profit. Gilgillan, petit pois.
« La plupart des plantes, ajoute Latila , petite vesce noire.
Lyon ,
que dans le midi de
l'on cultive Kervia, car vi.
l'Europe, réussiraient certainement dans (On mange aussi la graine de coloquinte et
]

le Fezzan,en leur donnant des soins celle de soleil. )

convenables. Il serait facile d'y intro- Navet, de forme allongée, petit et rare.
duire l'usage de la bêche, du râteau, Carotte, petite et rare.
de la houe , de la charrue et du van. Radis bon et piquant.
,

Les Fezzaniens ne sauraient d'abord Melochia et Birti Gallis, plantes que l'on
'

mange en salade.
comment s'en servir, mais ils l'appren-
Bamia, petite gousse qu'on mange dans la
draient bientôt , et en feraient grand soupe.
cas(l). » Sénevé , cresson bon mais rare. ; ,

On ne voit dans le Fezzan aucune es- Oignons , bons et abondants.


pèce de bois de charpente, ni de végé- Ail rare, mais de bonne qualité.
,

tal propre à faire des planches. Le pal- Piment, très-bon et en abondance.


mier et les arbres fruitiers , le blé et Tomates , rares mais bonnes. ,

les légumes ne sont cultivés que dans


Potiron, gros, jaune, et de bonne qualité. '

Gerou , fruit qui ressemble au melon.


le voisinage des bourgs ou des villes. Les
Raisins; on en trouve près des puits et"
plantations de palmier ne s'entretien- dans tous les jardins.
nent qu'avec les plus grands efforts : Grenades, fort belles, mais en petite quan-
l'irrigation au moyen de ma-
se fait tité.
chines tirées par des ânes (2). Outre le Abricots , rares et mauvais.
sorgho {gafouly masr) , on cultive Pèches; ne mûrissent jamais.
trois espèces de dourrah, du froment, Pommes , rares, cotonneuses et sans goût.
Melons d'eau , bons , mais en petite quan-
de l'orge, des haricots, des raisins , des
tité.
abricots, des pêches et quelques chétives
Figues, petites , mais bonnes.

pommes. On y trouve de bonnes figues, Corna petit fruit rond, ressemblant à la


,
d'excellents melons d'eau et du corna pomme pour la forme et l'odeur, et de la
petit fruit rond de la grosseur d'une grosseur d'une noix. Il a trois noyaux ; il est
noix. L'arbre qui le porte atteint jusqu'à très-bon quand il est frais ; il croît sur un arbre
qui a quelquefois trente pieds de haut.
(i) Voyage de Lyon, p. 242.
(2)Suivant Lyon, le palmier du Fezzan Les semailles de dourrha et d'orge
(Phœnix dactylifera , L. ) est très-poreux, se font au mois d'octobre et de novem-
sec , se casse aisément, et ne dure pas. Ces — bre. Les moissons aux mois de mars et
différences,purement accidentelles , tiennent d'avril. Dans l'intervalle qui s'écoule
sans doute à l'aridité du sol et à la sécheresse entre les semailles et la récolte , iF faut
du climat. arroser deux fois par semaine. Les ré-
87
ÉTATS TRIPOLITAINS
pour YArundo phragmites , L.,quil cite
coites de dattes les plus importantes
première au mois comme une exception, n'est point, a
ïe Fezzan ont lieu , la
proprement parler, une plante du dé-
de septembre', lorsque le fruit est encore
sert. L'herbier ne contient point d'é-
tendre; la seconde, au mois d'octobre,
gouddoub chantillon du Cyperus papyrus, L., que
lorsqu'il est sec et blanchi. Le sur
qui le capitaine Clapperton a vu croître
ou soufsafa est un espèce de trèfle
en janvier lesbords du Chary , près du lac Tschad
se sème par petites planches ,
tous les dans le Soudan. Parmi les autres mo-
et février, et qu'on peut couper
nocotylédonées il n'y a que deux es-
quinze jours jusqu'en novembre. Alors
,

pèces qui ne paraissent encore avoir


il ne pousse plus , et on en donne les ra-
en- été décrites l'une est voisine du Melan-
cines aux bestiaux. Cette nourriture
:

thiumpunctatum; l'autre est une espèce


graisse en peu de temps les chevaux
et
espèces de de colchique, que R. Brown a nommée
les chameaux. Toutes les
Colchicum Ritchii : elle se distingue
qoussoub gafouly se sèment au
et de
des autres espèces du même genre par
milieu de l'été; la récolte se fait en au-
deux crêtes ou appendices membraneux,
tomne quelquefois on les donne en vert
;
généralement frangeux , situés à la base
aux chevaux, alors la tige a le goût de
de chaque segment du périanthe, et
la canne à sucre. On arrache la
plante
avec les racines. La paille sert de four-
un filament intermédiaire. Quelques
botanistes ont fait de cette espèce un
rage pendant l'hiver; elle est d'un prix nom de hermo-
exorbitant. La tige du gafouli s'élève genre nouveau, sous le

à sept et à huit pieds. dactylus.


quelquefois r ,

(Lyon.)
Dans la classe des dicotyledonees
le Gymnocarpus decandra ( famille
des
Nous avons fort peu de renseigne-
caryophyllées) futconstamment observé
ments sur du Fezzan. Nous ne
la flore
par le docteur Oudney dans les déserts
connaissons guère les végétaux de ce
pierreux, sur la route de Tripoli au
pays que par le petit nombre d'échan-
Fezzan; de même que le Cornulaca mo-
tillons recueillis parRitchieet d'Oudney
nacantha de Delile (famille des chéno-
et déterminés par Rob. Brown (1). Ces
podiacées) paraît être très-commun
herbiers renferment à peine cinquante
c'est-à-dire non dé- depuis Tripoli jusqu'au Bornou, et
espèces nouvelles ,

Flora Allaniica de Des- fournit une nourriture excellente aux


crites dans la
fontaines , dans la Flore d'Egypte de
chameaux. —
De toutes les plantes di-
cotylédones le Samolus Valerandi est
Delile , et dans le Florx Libycx spéci-
,

probablement plus répandue; elle se


la
men de Viviani. Les collections de
Ritchie, d'Oudney et de Clapperton ne trouve dans toute l'Europe dans l'Afri- ,

contiennent que deux cryptogames que septentrionale et dans le Bornou :


Y Acrostichum velleum , trouvé dans R. Brown l'a observée au cap de Bonne-
monts Tarhona et le Grammitis Espérance et dans la Nouvelle-Galle du
les ,

ceterach. L'herbier d'Oudney renferme sud ; elle est également indigène dans
quarante-cinq espèces de graminées, l'Amérique du Nord. La distribution
géographique du genre Samolus est très-
dont trente appartiennent aux poacées
et quinze aux panicées. Dans les remarquable à l'exception du S. ebrac-
:

teatus y qu'on rencontre a Cuba toutes ,


plages sablonneuses, les panicées sont
les autres espèces, environ au nombre
bien moins nombreuses : elles sont
aux poacées dans le rapport de cinq à de sept, appartiennent à l'hémisphère
oriental où le S. Valerandi est très-
,
dix-huit.
A
l'occasion des graminées du désert, commun.
ne vit aucune L'herbier d'Oudney contient vingt-
Oudney remarque qu'il
six espèces de papilionacées , parmi les-
espèce à racines rampantes, et que
quelles on remarque YAlhagi Mauro-
rum(agoul), plante très - commune
(i) Voyages et découvertes dans le nord
dans le Fezzan, et qui procure une
et dans les parties centrales de V Afrique,
excellente nourriture aux chameaux. Les
par le major Denham, le capitaine Clappe/--
ton et le docteur Oudney, trad. de l'anglais mimosées n'y sont représentées que par
parEyriès, lom. III, p.aôi*, Paris, 1826. trois espèces : ,Y Acacia nilotica, le M-
88 L'UNIVERS.

mosa habbas et PInga biglobosa, dont R. Brown, indigènes de l'Afrique septen-


les fruitssont attachés à un réceptacle trionale et de l'Asie moyenne , excepté
en forme de massue. Ulnga biglobosa le C. violacea, qui appartient au Portu-

est un arbre dont les habitants du Fezzan gal.R. Bro^vn considère 17/espem?wfe?fcs
méridional et du Bornou font le plus de Viviani comme appartenant à un
grand cas; ils l'appellent doura. Suivant genre nouveau auquel il a donné le nom
,

Clapperton, on torréfie les graines d'Oudneya, en mémoire du docteur


comme le café, puis on les écrase avant Oudney. Cette plante fut recueillie par
de les faire fermenter dans l'eau ; lors- ce voyageur dans les nombreuses vallées
qu'il se manifeste un commencement de entre' Tripoli et Mourzouk; les chevaux
putréfaction , on les lave et on les réduit et les mulets la mangent volontiers (1).
en poudre pour en former des gâteaux
,
R. Brown propose de faire un sous-
assez semblables au chocolat, et four- genre ( Plagiloba deR.B.) de YHesperis
nissant une sauce excellente à toute ramosissima, recueillie par Ritchie dans
sorte d'aliment. La matière féculente le Fezzan : il diffère par son aspect de
qui enveloppe les graines sert à la fa- toutes les autres Hesperis; il se rappro-
brication d'une boisson agréable; on che sous quelques rapports des Mal-
en fait aussi une espèce de confiture. comia , et sous d'autres des Mathiola.
Le doura du capitaine Clapperton est Les cotylédons sont très-obliquement
probablement lenitta dont parle Mungo- incombants. Le Savignya JEgyptiœ,
Park dans son premier voyage. Palissot R. Brown, fut recueilli près de Bond-
de Beauvois , dans sa Flore d'Oware, jem par le docteur Oudney. Delile dé-
remarque que Ylnga biglobosa (neltida couvrit cette plante près de la pyramide
Sénégal), décrit par Jacquin, comme de Saqqârah ; il la figura et la décrivit
indigène à la Martinique, y aura été sous le nom de Lunaria parvijlora.
probablement introduit par les Nègres. LeLunaria Libyca, Viv., en est une es-
Une espèce de tamarix qui ne paraît , pèce voisine, trouvée en 1819 par Rit-
point différer du T. Gallica , est très- chie aux environs de Tripoli. Elle fut
commun dans le Fezzan, où on l'appelle décrite et figurée en 1824 par Viviani,
attil. Suivant le docteur Oudney, c'est d'après les échantillons recueillis en 1817
le seul arbre susceptible de donner de par le docteur Délia Cella. Sprengel en
l'ombrage. Trois espèces de cistes furent fait une espèce de Farsetia. Le genre
trouvées entre Tripoli et Mourzouk. Savignya, R. Brown, très-voisin du Lu-
L'herbier d'Oudney contient six espèces naria, n'a pas été généralement adopté.
dezygophyllées, savoir Tribulus terres*
: Il importe de faire ici observer que
tris, recueilli dans le Bornou ; Fagonia les herbiers de Ritchie , d'Oudney et de
cretica, entre Tripoli et Beniolid; Fa- Clapperton ne se rapportent pas seule-
gonia arabica, à Aghedem; Fagonia ment à la flore du Fezzan , mais à celle
Oudney et \eZigophyllum simplex, dans des environs de Tripoli du désert de ,

leFezzan; enfin le Zygophyllum album, Sahara et du Bornou dans le Soudan. Le


dans toutes les parties du désert. tiers des échantillons soumis à l'examen
Ritchie trouva entre Tripoli et Mour- de R. Brown appartient au territoire de
zouk une espèce de Reseda, voisine des Tripoli; cinquante furent recueillis sur

R. suffruticulosa et undata , Linn. ; laroute entre Tripoli et Mourzouk,


R. Brown lui donne le nom de Reseda trente-deux dans le Fezzan , trente-trois
propinqua; elle est remarquable en ce
que les onglets de tous les pétales sont
(i) R. Brown donne du genre Oudney a la.
simples, c'est-à-dire qu'ils ne sont ni Calyx clausus basi
caractéristique suivante : ,
dilatés ni épaissis , et qu'ils n'ont au-
bisaccatus. Filamenta distincta, edentula. Sùg-
cune sorte d'appendice à leur point d'u- mala connata, apicibus distinctis. Siliqua ses-
nion avec le limbe trifide , avec lequel ils rostrata; valvis planis , uni-
se confondent insensiblement. Parmi — silis,
nerms,
linearis,
funiculis adnatis, septis areolarum
les crucifères , on remarque le Cleome parietibus supparallelis. Semina uniseriata.
siliquaria, plante assez abondante sur Cotyledones accumbentes. —
Ce genre ne dif-
les limites du Fezzan et deTripoli. Toutes fère des Avabisque par la forme du stigmate
les espèces de ce genre sont, suivant et le bec de la silicjue.
ÉTATS TRIPOLITAINS. 89

de Mourzouk à Kouka, soixante-sept tion des vautours, des faucons et des


dans le Bornou et seize dans
, le Soudan. corbeaux, qui sont aussi communs dans
le désert que les moineaux dans la ville
Animaux du Fezzan. et les pigeons sauvages dans les bois de
Parmi les animaux carnassiers com- palmiers; les autruches s'avancent quel-
e
muns au Fezzan on remarquera pan- quefois ici jusqu'au 30 degré latitude
thère, l'hyène, le chacal , plusieurs espè- nord. Le produit de la chasse de ces ani-
ces de renards et le chat sauvage. Sur maux fait vivre une grande partie des ha-
les frontières du territoire de Tripoli bitants de l'intérieur du Fezzan. « Tous
et du Fezzan on trouve un animal lesArabes, dit Lyon, sont d'accord sur
particulier, que les indigènes appellent la manière dont l'autruche couve ses
kandy. Lyon en tua trois individus, et œufs qu'elle ne laisse pas éclore à la
,

les envoya au musée britannique. « Je chaleur du soleil, comme on le croit


crois ajouta-t-il que ce sont les pre-
, ,
communément. Elle se construit un nid
miers animaux de cette espèce qui arri- assez grossier, y pond quatorze à dix-
veront en Europe. » Le kandy ressemble huit œufs , et les couve de la même ma-
beaucoup au cochon d'Inde ; sa couleur nière que la poule, le mâle prenant de
est d'un brun cendré , son poil est plus temps en temps la place de la femelle.
long que celui du rat, et fort soyeux. Il C'est pendant qu'elles élèvent leurs pe-
a les yeux grands noirs et à fleur de , tits qu'on s'en procure le plus grand
tête. L'orifice de ses oreilles, aplaties nombre; les Arabes tuent les mères tan-
sur le côté de la tête, est également noir, dis qu'elles sont sur leurs nids. Sock- A
et n'est pas couvert de poils. Sa queue na et aux environs on élève des au-
est très-courte, mais elle est garnie d'une truches dans des basses-cours, et l'on
touffe de poils noirs, très-longs. Il a récolte leurs plumes trois fois en deux
le corps arrondi, couvert de graisse, et ans. D'après les peaux d'autruches sau-
s' élargissant vers les épaules. Il se creuse vages que j'ai vu exposer en vente , je
un terrier dans les montagnes. Les crois que toutes les belles plumes qu'on
Arabes en aiment beaucoup la chair, qui voit en Europe viennent de celles qui
est blanche et grasse, et semblable à sont privées , les autres ayant les leurs
celle du lapin (1). Le chameau du Fez- tellement souillées et brisées , qu'elles
zan ( maherry), très-rapide à la course, n'en ont quelquefois pas une douzaine
est de toutes les bêtes de somme la plus de bonnes (1). »
répandue; le cheval, l'âne, le bœuf, Voici la liste que Lyon donne des ani-
lemouton la chèvre et le chien sont
, maux (vertébrés) du Fezzan :

des animaux rares et très - précieux.


Dans une chaîne de montagne à l'est ,
MAMMIFÈRES,
de Sockna, on trouve, selon Lyon, une Chat tigre.
immense quantité de buffles distingués , Hyènes, très-farouches et très-nombreuses.
en trois espèces le ouadan, de la taille
: Chakals , très-nombreux ; ils s'approchent
d'un âne, ayant de très-longues cornes, des lieux habités.
le cuir rougeâtre , et de grandes touffes
Renard, rare, et plus petit que celui d'Eu-
rope.
de poils de 18 à 20 pouces de longueur,
Oadan , buffle sauvage de
taille d'un
la
qui leur tombent des épaules; il a la tête
âne ayant de très-grandes cornes , et sur les
,

fort grosse, et est très-méchant. Lebo- épaules de longues touffes de poils.


qra el oueiche est encore un buffle rouge, Buffle rouge, animal et lourd et facile à
ayant de grandes cornes; il est de la prendre.
taille d'une vache ordinaire, et lent dans Buffle blanc, de petite taille, mais agile
tous ses mouvements. Le buffle blanc, et courageux.

un peu moins gros, est un animal aussi Antilope, rare près de Mourzouk.
Chat sauvage, dans les rochers.
léger que timide, et qui se laisse diffici-
Porc-épic, dans les vallées voisines de
lement atteindre. Ces animaux mettent Beredjan.
bas en avril ou en mai. Les oiseaux — Hérisson; dans les environs des puits. Les
n'abondent pas dans le Fezzan, à l'excep- Arabes en mangent la chair.

(i) Foyage de Lyon, etc., p. 35. (i) Voyage de Lyon, p. 8o.


00 L'UNIVERS.
Mat, de deux espèces, l'une jaunâtre, que les fleurs sont très-rares; les mouches
l'autre brune. La première habite le désert, même sont, suivant Lyon, inconnues ai
la seconde se trouve dans les maisons. Toutes
Fezzan (1). En revanche, on y trouve ec
deux ont la queue touffue.
Ganutcha, animal semblable à un rat,
abondance des scorpions et des fourmis
ayant la queue touffue , et la tête semblable à d'un brun clair, tachetées et munies de,

celle d'un blaireau; il vit dans les palmiers, fortes mandibules. Les lacs d'eau salée
et est facile à apprivoiser. sont peuplés de myriades de petits vers
Souris , de deux espèces, l'une jaune , l'au- gélatineux , que les habitants prennenl
tre brune , comme les rats. au printemps, pour les dessécher et les
Gerbo; ne se trouve que dans le désert.
Lapins sauvages; on en voit à Mourzouk
manger (2).

quelques-uns de privés, qui sont amenés des


côtes de la Méditerranée. Parmi les productions du règne miné-
Lièvre assez rare ; dans les vallées.
, ral on remarque comme les plus abon
?

Mecherry , chameau de course. dantes, le trôna (espèce de carbonate de


Cheval; moutons, chèvres, vaches, en très- soude impur), le sel gemme, l'alur
petit nombre.
( shub),gypse, le nitre et le soufre (3),
le
Le sel gemme et le trôna constituent des
articles de commerce importants. C'est
Autruche, dans les montagnes du Ouadan. près du bourg de Mafen que l'on rencon-
Aigle, rare. tre la mine la plus considérable de sel
Vautour, très-commun dans le désert.
Faucons assez nombreux.-
,
(i) Denham, Clapperton et Oudney sf
Pintade sauvage; dans les vallées au nord
plaignent, au contraire, de la prodigieusf
de Sockna.
Corbeaux, très-nombreux dans quantité de mouches qu'ils ont rencontré*
le désert.
Canard sauvage. « J'en ai vu, dit Lyon dans Fezzan.
le
,

quelques volées ; mais je ne puis dire d'où ils (2)Ces vers comestibles sont particulière^;
viennent , c'est probablement de quelques ment péchés dans les eaux des étangs du Oua?
lacs du désert. dey Chiati. Ils sont de la grosseur d'un grain d<
Foulque. « On en trouve dans les rues de riz. On les pile dans un mortier avec un peu dei
Mourzouk pendant le séjour que nous y fîmes, sel, et on les réduit en une pâte dont on fait des
et on nous l'apporta. C'était la première qu'on boulettes qu'on laisse ensuite sécher au soleil;
y voyait. » Ces vers, qu'on nomme doud , ressemblent
Moineaux, très-nombreux. Le mâle est de pour le goût, à de mauvais caviar, et l'odeu$
couleur d'ardoise, avec des taches noires; la
en est très-désagréable.
femelle comme en Europe.
Hirondelle, couleur d'ardoise. (3) Il est à remarquer que le soufre es*
très-commun, et se rencontre le plus souvem
Hibou; de petites espèces ayant une touffe
de plumes sur la tête. à la surface même du sol depuis le littoral de
Roitelet; ailes noires, poitrine jaune. la grande Syrte jusqu'au delà du Fezzan. Se :
Bergeronnette , ressemblant à un serin rait-ce là un indice de grands bouleverse-
mucelet. ments d'origine volcanique? On sait que le
Oiseau, ressemblant à une grive , mais à soufre est en général très-répandu dans les
queue plus longue. terrains ( solfatarres ) qui avoisinent les vol-
Perdrix, au nord de Sockna. cans. Nous rappellerons à cette occasion que
Pigeon sauvage et privé. Le premier est M. Subtil, qui a séjourné longtemps dans les;
un oiseau de passage, qui part en août, et s'en États de Tripoli , a signalé l'existence de sou-
va du côté du Bornou et duTibbou. frières très-abondantes à Bréga, JLinouf et
Poules, en très-petit nombre. Quelques Moukta, au fond de la grande Syrte. « Les
oies à Zouela.
terrains de soufre, dit cet habile ingénie

Cette liste , quoique bien incomplète occupent une étendue de huit myriamètres du
nord au sud, depuis Linouf jusqu'à Bréga,!
et défectueuse, nous fait cependant
et de vingt-cinq à trente kilomètres de l'est à
comprendre tout l'intérêt qu'on retire-
l'ouest depuis les bords de la mer jusqu'aux
rait d'une exploration scientifique du
montagnes, dont la chaîne se perd dans le
Fezzan. Fezzan. On y trouve des lacs sulfureux et des
Les oiseaux aquatiques, comme les ca- monticules de soufre dont les sommets, dé-
nards, les oies, etc., sont presque incon- nudés par les eaux du ciel laissent le minerai
,

nus. Onne voit que très-peuti'abeilles, de à découvert. » (Document communiqué par


coléoptères et de papillons, par la raison M. Ferd. Denis. )
ÉTATS TRIPOLITAÏNS. m
gemme : c'est une plaine qui s'étend sur parle aussi au Fezzan les idiomes du
un espace d'environ trente milles. Bornou, des Touariks , des Tibbous,
et du Soudan, à cause des relations fré-
Habitants.
quentes avec le Sahara et le Soudan.
La population du Fezzan peut être "Lesfekhis sont des gens qui font mé-
évaluée à soixante-dix ou quatre - vingt tier d'écrire des lettres pour les princi-
mille âmes. C'est sans doute un mé- paux habitants, et délire celles qu'ils
lange d'Arabes et d'aborigènes, tant reçoivent; on les paye en grain. Toutes
de la côte que de l'intérieur. Les habi- le&'correspondances du sultan passent par
tants sont de taille moyenne; ils ont la les mains de ses fekhis; quoiqu'ils ne
peau brun foncé, les pommettes très-sail- soient que des esclaves, ils deviennent des
lantes, le visage plat, les yeux petits, la personnages importants. Presque tous les
bouche large, et les cheveux moins lai- habitants savent lire et écrire l'arabe.
neux ainsi que le nez moins voûté que Ils n'ont pas la moindre idée de l'arith-
chez les Nègres. Les Fezzaniens avec , métique; ils comptent en traçant des
leurs formes originairement belles, ne points sur le sable, et en mettent six à
sont pas robustes. Hornemann et d'au- chaque ligne, Us sont extrêmement
tres voyageurs les dépeignent comme sobres , soit par habitude, soit par né-
un peuple sans énergie, indolent d'es- cessité. Us ne mangent que des dattes
prit et de corps, mais entreprenant lors- (avec lesquelles on nourrit aussi les
qu'il s'agit de gain. Les femmes sont en chevaux) et une bouillie de farine , pré-
général très-laides, elles sont nubiles à parée avec de la graisse de mouton rance ;
douze et treize ans ; à quinze ou seize ils ont rarement de la viande de chameau
ans leurs seins tombent, elles commen- Pour désigner un homme riche, ils di-
cent à prendre les traits de la vieillesse. sent qu'il mange tous les jours du pain
Il est rare qu'elles soient fécondes jus- et de la viande. Les sauterelles grillées
qu'à trente-cinq ans. Quelques familles et le vin de dattes (lougibi) sont leurs
dont les membres ont la peau d'une plus grandes friandises.
teinte plus claire , et qu'on appelle ma- L'extrême facilité avec laquelle on
melouks, forment en quelque sorte la importe toutes sortes de marchandises
caste nobiliaire ; ils sont pauvres , mais dans le Fezzan , fait que l'industrie y
fiers de leur origine la plupart de leurs
: est très-négligée ; les habitants n'ont que
ancêtres étaient attachés au service du de misérables huttes. Les cordonniers et
pacha de Tripoli , et avaient été envoyés les maréchaux-ferrants son seuls indis-
en présent aux beys du Fezzan. Les pensables ; le maréchal qui ferre le che«
chérifs de Zuila appartiennent aussi à la val du sultan est souvent l'artiste qui fa-
classe des nobles ils descendent d'une
: brique aussi les boucles d'oreilles en or
tribu arabe , et sont connus pour leur de la sultane.
probité et leur hospitalité. Les tisserands de laine ne connaissent
Les propriétés territoriales sont entre pas encore la navette ; leurs étoffes sont
les mains des cadis, des cheiks, des lourdes et grossières. Aussi les Fezza-
caïds , des hadjis et des marabouts, qui niens s'habillent-ils en tissus de Tripoli
les font exploiter par des esclaves noirs. et du Caire , qu'ils recouvrent d'une dra-
Il n'y a presque pas de différence entre perie légère et blanche fabriquée dans le
le commun du peuple et l'esclave domes- Soudan. Certaines industries sont tout à
tique. fait impossibles , par le manque absolu
Au rapport de Lyon, les Fezzaniens de bois de charpente.
nebrillent ni par leurs sentiments d'hon- Dépourvus des produits indigènes qui
neur ni par leur courage : ils sont servi- puissent être l'objet d'un commerce uni-
lement soumis à leurs tyrans. Us ne versel, sans fabriques ni manufactures
sentent pas leur abjection, parce qu'ils les Fezzaniens n'expédient que des mar-
n'ont jamais connu la liberté, et qu'ils chandises étrangères , et les habitants
ont toujours été le jouet des caprices de des oasis voisines sont leurs commis
leurs maîtres. subalternes : ceux d'Augila sont des ex-
La langue dominante est l'arabe occi- péditionnaires pour le Caire , ceux de
dental (le maghrebi). Cependant' on Bilma pour le Bornou , ceux d'Agadès
J

92 L'UNIVERS.
pour le Soudan, ceux de Gadamès et de gain céleste , conduisent chaque ann<
Mésurate pour le nord. Le Soudan en- des milliers d'hommes au tombeau
voie des esclaves on y fait pour ainsi
: prophète. La caravane des pèlerins, qi
dire la chasse aux hommes, et on ex- passe par le Fezzan, est connue pour la
pédie annuellement mille à quinze mieux organisée, et la plus sûre. Partout
cents de ces malheureux. Cette contrée elle apporte la joie, les fêtes et les ri-
fournit, en outre, la poudre d'or, les chesses ; elle fait naître et cultive dans ,

plumes d'autruche, l'ivoire, le séné et ceux qui la suivent, les devoirs de l'is-
les noix de gourou. On pourrait y ajouter lamisme, les vertus de l'hospitalité, de
encore l'airain, les peaux de chèvres, les la bravoure et de l'abnégation.
étoffes de coton bleu de Cashna et le
trôna de Mandrah , que les indigènes
Revenus et forces militaires.
échangent contre les articles de luxe de Les revenus du caïd ou sultan qui ne ,

TOrient, des armes en fer et autres mar- reconnaît que l'autorité du pacha de Tri-
chandises de l'Occident. poli, consistent dans l'impôt qu'il prélève
Pendant toute l'année il se tient, dans sur les esclaves, les dattes ou toute espèce
toutes les villes et villages du Fezzan , de marchandise. Chaque esclave en en- ,

des marchés à jours fixes. Cet usage trant dans le pays, paye deux dollars d'Es-
est également répandu dans toute l'A- pagne, et souvent les marchands de l'in-
frique septentrionale, dans le Darfour, térieur en transportent jusqu'à quatre'
dans le Habech, et dans le Soudan. mille par an aux marchés du Fezzan;
C'est avec la saison tempérée, qui dure un chameau chargé d'huile ou de beurre;
depuis le mois d'octobre jusqu'au mois paye sept dollars ; une charge d'étoffes;
de février, que commence à Mour- coûte trois dollars , une charge de dat-'
zouk la grande foire, où se donnent tes, un dollar, etc. Les dattiers payent
rendez-vous les grandes caravanes du un dollar par deux cents pieds, les trou-
Caire de Ben-Ghazi
, ,de Tripoli , de peaux le cinquième du nombre. La vente
Gadamès, de Touat et du Bornou. Dans de chaque esclave vaut en outre un dollar!
cinquante-sept journées les petites cara- et demi au sultan. Ses propres planta-!
vanes des Berbères, des Rehadeh, des tions de palmiers lui rapportent annuel-
Touaricks, des Tibbous, qui font le com- lement six mille charges de dattes dont ,

merce de blé, d'huile, de beurre, etc., chacune, pesant quatre cent livres, a pour'i
s'y rendent aussi; mais elles n'y séjour- le moins une valeur de dix-huit mille
nent que peu de temps. Al'approche dollars. Les jardins payent le dixième de
du printemps toute cette foule com- leur produit; chaque ville paye, en ou-
merçante se met en mouvement; car tre un petit tribut , et le quart des es-f
,

seule époque où les cara-


c'est' alors la claves qu'on amène annuellement du^
vanes puissent reprendre leur route vers Soudan appartient au caïd. Il a, de :

le sud si elles veulent regagner avec


, plus, lemonopole du commerce des che-
le moins de fatigue possible leur but vaux. Le tribut annuel qu'il est obligé
éloigné, le Niger. de payer au pacha do Tripoli est d'environ
L'introduction du luxe étranger altéra vingt mille dollars. Le tribut qu'il est
les mœurs des habitants. Les Fezza- tenu de déposer en personne devant le
niennes poussent la passion de la danse pacha conduit ainsi chaque année le
et de la parure à l'extrême. Avec les caïd ou sultan du Fezzan à Tripoli, et
esclaves nègres on transporte les ka- pendant ce temps son fils est chargé du
dankas du Soudan, destinées aux plaisirs gouvernement. Les forces militaires du
des hommes ; comme les almeh (femmes Fezzan s'élèvent à cinq milie soldats,
savantes) du Caire, elles sont habiles tous arabes. Jamais les Fezzaniens ne
dans la danse , la musique et le chant. sont appelés au service actif le sultan ne
:

On assure qu'aucun endroit de la terre les regarde pas comme assez belliqueux
n'est plus rempli de courtisanes que le pour se fier à eux. Mais ils payent cher
Fezzan, ce grand port où viennent cette exemption, par l'obligation de
aborder tous les voyageurs de l'océan nourrir et d'entretenir ceux qui portent
de sable. lesarmes. Jamais le sultan n'aurait oc-
Le gain terrestre , réuni à l'espoir du casion de faire la guerre; mais l'état des
ÉTATS TRIPOLITAÏNS, 93

peuplades nègres du sud, qui sont sans cadi, résident à Mourzouk, et la dont
défense, offre à sa cupidité des tenta- dignité est héréditaire depuis plus de
tions trop fortes pour qu'il puisse y ré- cent cinquante ans, interprète les lois
sister. Il envoie donc tous les ans' une d'après le Koran ; il est tout à fait indé-
force armée pour piller leurs possessions pendant du sultan.
et réduire les habitants en esclavage.
Topographie.
Histoire du Fezzan. Le Fezzan a été parcouru de l'est à
Nous ne savons que fort peu de chose l'ouest par le voyageur allemand Horne-
sur événements qui se rattachent à
les mann ; il l'a été du nord au sud par les
l'histoiredu Fezzan. Hérodote connais- anglais Lyon et Ritchie, et plus tard
sait, comme nous avons vu plus haut, parClapperton, Oudney etDenham. Ces
le Fezzan sous le nom de pays des Ga- voyageurs ont suivi les deux grandes
ramantes, dont le souvenir semble se re-. routes que prennent de temps immé-
trouver dans le nom de la ville deGher- morial les caravanes qui se rendent dans
ma. Les Romains l'appelaient Phaza- le Soudan ; elles aboutissent à Mourzouk,
nia. Au commencement du premier siè- capitale du Fezzan La première part du
cle de l'ère chrétienne ils y dirigèrent
, Caire, et passe parles oasis de Syouah et
une expédition , sous les ordres de Cor- d'Augila; la dernière part de Tripoli.
nélius Balbus, et soumirent les habi-
tants. Dans cette expédition, on trouve Mekni en grande faveur on le re-
était alors :

mentionnées des villes Alalê et Cillala, gardait comme un personnage de grande im-
qui tombèrent également sous le pouvoir portance; et après la mort de son père il
des Romains. Dans le septième siècle, devint bey el noba, ou percepteur du tribut
les Arabes devinrent les maîtres du pays, que paye au pacha le sultan du Fezzan , et il

et s'y maintinrent longtemps. Édrisi et faisait tous ans un voyage dans ce pays.
les

Ebn Haukal nomment Zuila (l'ancienne Quoique ce tribut fût peu considérable, on
Cillala) comme la du pays. Au
capitale n'en regardait pas moins la place de bey el
quatorzième siècle le Fezzan apparte- noba comme très-importante. Mekni était
nait aux chérifs du Maroc. Plus tard, ce revêtu de celte dignité quand Horneman l'ac-

pays tomba entre les mains d'une dynas- compagna dans le Fezzan. Les fréquents voya-
ges de Mekni lui fournirent l'occasion de se
tie de noirs qui se comptait, suivant Lu-
convaincre que le tribut payé par le sultan
cas , au nombre des chérifs du Tafileit.
n'était qu'une très-faible partie de ses revenus.
En 1811 un usurpateur, nommé Moha- Il résolut de s'approprier ce royaume, et
med-el-Mekni , parvint à se défaire de trouva bientôt le moyen de déterminer le
tous les membres de cette ancienne fa- pacha à lui permettre de se défaire de la fa-
mille, et se fit nommer sultan, après mille régnante, en lui persuadant qu'il n'agi-
s'être assuré , par la promesse d'un tri- rait que dans ses intérêts. Ce fut en 181
ple tribut annuel, la protection du pacha qu'il réussit à surprendre Mourzouk avec un
de Tripoli. Son gouvernement est tout à corps de troupes , tiré des montagnes de Gha-
fait despotique , et il ne se maintient au rian. Il fit étrangler le sultan et son frère,
pouvoir que par la crainte qu'ont les ha- son principal mamelouck et ses deux fils
bitants d'une invasion tripolitaine(l). Un aînés ; et, prétextant ensuite qu'après des ac-
tes pareils de cruauté et d'injustice, il serait
(i) Voicidans quels termes Lyon (Voyage , imprudent de quitter Mourzouk il eut l'a-,

etc., p. 6-8) raconte l'histoire de ce chef. « Ma- dresse de déterminer le pacha à le nommer
homed-el-Mekni, qu'on nomme à Tripoli son vice-roi , et il lui promit de porter le
bey du Fezzan, mais qui prend le litre de sul- tribut annuel à i5,ooo piastres au lieu de
tan en entrant sur son territoire, est un homme 5,ooo. S'élant ainsi emparé de l'autorité sou-
d'environ cinquante ans (en 1819), ayant veraine , il fit la guerre à tous ses voisins hors
l'air martial, et doué d'une grande force de d'état de se défendre , et emmena de chez eux
corps : il est dévoré d'une ambition excessive tous les ans quatre à cinq mille esclaves. C'é-
et d'une avarice insatiable. C'était un des tait au retour d'une semblable expédition,
amis et des plus fermes soutiens du pacha faite dans le Kanem qu'il s'était rendu à
,

actuel pendant le règne de son père , et il lui Tripoli avec un nombre considérable d'es-
fut d'un grand secours pour apaiser les trou- claves et de chameaux, et il avait été en con-
bles qui s'élevaient lorsqu'il usurpa le trône. séquence parfaitement accueilli par le pacha. »
94 L'UNIVERS.
C'est autour de ces deux grandes artères tous côtés de plantations de dattiers qui
que se groupent toutes nos connaissances fournissent aux habitants leur principale
topographiques du Fezzan. nourriture.
Mourzouk, capitale du Fezzan, est Il y a dans la ville plusieurs étangs

située à environ 26° lat. nord et 12° lon- d'eau salée stagnante, que Lyon regarde
gitude orientale de Paris. C'est une ville avec raison comme la source des fièvres
garnie de murs, et qui compte environ qui y régnent tous les étés. Le cime-
vingt-cinq mille habitants sédentaires, tière est situé hors de la ville; son
outre les nombreux étrangers qui s'y étendue est considérable. Au lieu de
rassemblent annuellement. Les remparts couvrir les tombeaux d'une pierre sé-
ont environ cinq mètres de hauteur, pulcrale, on les entoure d'un petit pa-
deux mètres d'épaisseur et sept portes; rapet fait en terre , et on les orne de
ils sont bâtis en terre, comme toutes les morceaux d'étoffe attachés à des bâtons
maisons, et ces constructions sont ici enfoncés dans le sol, de pots carrés , et
très-durables, par la raison qu'il ne pleut quelquefois d'œufs d'autruche. Il y a
presque jamais dans le Fezzan. Les mai- un cimetière séparé pour les esclaves;
sons n'ont en général qu'un étage; dans on les enterre si près de la surface,
la plupart le jour n'entre que par la porte, qu'il arrive souvent que le vent, empor-
qui est si basse qu'il faut se plier en tant le sable qui les couvre, laisse leurs
deux pour y passer; mais lesgrandes mai- os exposés à la vue. A cause de la rareté
sons ont des portes beaucoup plus éle- du bois, on ne se sert pas de cercueils ;
vées; la manière dont on les construit les corps sont enveloppés dans une natte
est assez ingénieuse. On prend d'é- ou dans une pièce d'étoffe; on les descend
paisses planches de palmier de quatre à dans la fosse on les couvre de bran-
,

cinq pouces de largeur ;on y fait un ches de palmiers, et on rejette la terre


trou en haut et en bas, et on les assem- par dessus. Quand les branches pourris-
ble en y passant un bâton de palmier. sent , la terre s'affaisse , de sorte que
On les serre ensuite avec une courroie de les tombeaux, au lieu de présenter une
cuir de chameau mouillé, qui, se rétré- surface convexe , ont une forme con-
cissant en séchant , tient encore les cave. Le lieu de sépulture des anciens
planches plus serrées les unes contre sultans est une plaine voisine de la
les autres. Les portes n'ont pas de ville ; leurs tombeaux ne se distinguent
gonds elles tournent sur un pivot taillé
: de ceux des autres individus que parce
au bout de la première des planches qu'il s'y trouve un plus grand nombre
qui les composent , et qui , pour cette de fragments de pots cassés. Jamais on
raison, est toujours plus longue que les n'enterre les animaux on les porte
autres. —
La rue par laquelle on entre
:

sur des hauteurs hors de la ville , et il


dans la ville a environ cent mètres de n'en résulte aucune exhalaison putride.
largeur; elle est fort belle et conduit L'excessive chaleur les a bientôt dessé-
au château. Les autres sont très-étroites; chés; il n'en reste que la peau, à la-
mais il y a plusieurs grandes places quelle le poil demeure attaché.
destinées aux chameaux des marchands. Les habitants notables de Mourzouk
On trouve dans la ville un assez grand portent le même costume que les Tri-
nombre de palmiers ; quelques maisons politains. Les autres ont une grande
ont de petits enclos où l'on cultive de chemise de toile de coton blanche ou
préférence le poivre rouge et les oignons. bleue à manches très-larges des pan-
, ,

Le château , qui a près de trente mè- talons de même étoffe et des sandales
tres de haut, est vaste et très-fortifié de peau de chameau. Les chemises étant
;
les murs ont à leur base de quinze a très-longues, bien des gens ne portentpas
vingt mètres d'épaisseur, et ne diminuent d'autres vêtements. Le costume des
qu'à mesure qu'ils s'élèvent, de sorte que femmes de Mourzouk
; est entièrement
l'intérieur du palais est très-étroit, à différent de celui des femmes maures;
proportion de sa circonférence. Il ren- exhalent une odeur qui n'est rien
elles
ferme le harem des premières femmes moins qu'agréable. Les cheveux leur
du sultan , et la garde en est confiée à tombent jusqu'aux sourcils, et sont
des eunuques. La ville est entourée de fortement enduits d'une huile grasse*
ÉTATS TRIPOLITAINS. 95
Elles les couvrent ensuite d'une poudre gnes blanchâtres , où l'on trouve de la
nommée hatria, composée de clous de serpentine et des laves vésiculaires
girofle, des feuilles d'une plante res- et amygdaloïdes. Des villages et des
semblant à la lavande sauvage, et de châteaux en ruines s'y montrent partout.
quelques autres herbes odoriférantes. Les habitants sont de la tribu arabe
Ce mélange forme une espèce de pâte d'Arfîlli ; une belle raee , et les
c'est
jui , grossie par la transpiration et les jeunes sont véritablement jolies.
filles
particules de sable volant, révolte, au Lyon estime la population de Beniolid
bout de quelques jours, la vue aussi à environ deux mille âmes.
bien que l'odorat.' Les cheveux delà La structure des montagnes de Ghou-
nuque forment deux tresses qui tom- riano est très-intéressante leur hauteur
;

bent sur les épaules ; pour les faire n'excède pas cent cinquante mètres; la
[paraître plus longs, on y ajoute sou- roche calcaire y domine. Toute la partie
vent de la laine noire ; on y suspend nord est calcaire, jusqu'à un mille de
aussi des ornements d'argent ou de co- l'extrémité occidentale; à partir de là on
rail. Un autre ornement en corail ou ne voit que de la serpentine en couche
pn verroterie pare le milieu du front. épaisse, entremêlée de laves vésiculai-
Chaque oreille porte le plus grand nom- res. Au sud est un plateau étendu, aride,
bre d'anneaux qu'il est possible de faire parsemé de cailloux roulés; il se déploie
[passer dans le trou dont elles sont per- à perte de vue vers l'est. Les laves pa-
pées; on en compte quelquefois cinq raissent déposées par un courant, et par
pu six , le plus grand a cinq pouces de conséquent d'une formation plus ré-
diamètre. Un mouchoir de laine atta- cente que la roche sur laquelle elles re-
ché derrière la tête est noué sous le posent ; elles n'ont que quelques pieds
menton par une bande de cuir. Le d'épaisseur. L'inclinaison générale des
leou est orné de colliers de corail et de roches est de 18 degrés. Le Djibel-
Verroteries très-serrées. Le devant a Ghelat est le pic le plus élevé de la
souvent une large plaque d'or. Les chaîne; il a près de deux cents mètres;
femmes portent en général une chemise son sommet est en table rase; ses
blanche ou bleue, dont le collet et la côtés très-escarpés , offrent un nom-
,

poitrine sont brodés à l'aiguille; ou bien bre considérable de parties détachées.


une chemise de soie rayée , qu'on tire La couche inférieure est en tuf calcaire,
d'Egypte, et qui se nomme chami. presque entièrement formée de coquilla-
Un djérid et des pantoufles rouges ges, parmi lesquels on reconnaît Thuître
complètent leur toilette. et la moule dans un parfait état de con-
Au rapport de Lyon, on trouve dans servation; au-dessus sont des couches de
les environs de Mourzouk un petit carbonate de chaux, dans lesquelles on
reptile, qu'on nomme aselis , ressem- remarque une grande quantité de spath
blant assez à un lézard; il s'enfuit calcaire lamellaire, tombant en poussière
dans le sable en un instant. Si le te-
, à la plus légère pression ; puis paraît en-
nant à la main, on le laisse tomber, il s'en- fin un marbre assez beau. La quantité de
fonce si perpendiculairement, qu'en re- débris qui existent partout ferait croire
muant le sable on est sûr de le re- que cet état de la montagne et ses dé-
[Itrouver. Quand on le tient étendu, son chirures sont dus à un tremblement de
jépine dorsale fait entendre un craque- terre; cependant il serait possible que la
jment; et les femmes croient religieu- décomposition des couches inférieures
sement qu'elles auront autant d'enfants eût produit le même effet. Cette monta-
que ce bruit se répète de fois. Aussi gne a un mille de long, et s'étend dans
achètent-elles cet animal avec empres- la direction est et ouest.
sement. On n'y rencontre qu'une seule famille,
La route de Tripoli passe par Sockna, composée d'un homme, de sa femme
Squi est à environ cinq journées de Mour- et de plusieurs enfants. Elle habite ce
zouk. En quittant. Tripoli on franchit lieu inculte et stérile depuis plus de
|les monts Ghouriano pour arriver d'a- vingt ans, et ne subsiste que de pillage.
jbord h Beniolid (Rm\-OuM). Beniolid Près de la grande chaîne on voit beau-
est une vallée fertile, bordée de monta- coup de petites montagnes coniques,
, ,

96 L'UNIVERS.
composées d'une substance tendre et différent. Une seule existe dans se
blanchâtre, et paraissant mises au jour entier ; les trois autres sont ou dé-
tout récemment, quoique rien ne jus- truites ou enterrées sous- le sable.
tifie cette idée. Cette chaîne est parallèle Les pierres qui ont servi à élever cet
à celle de la côte, mais les voyageurs édifice sont de même grandeur quel
la
anglais ne purent en atteindre la fin celles qu'on voit dans toutes les cons-
vers l'est et l'ouest. On y voit plusieurs tructions romaines. On trouve dans
passes l'une d'elles est rendue rabo-
: l'intérieur d'énormes pierres, qui sem-
teuse par la grande quantité de masses blent avoir servi autrefois à soutenir
qui se sont détachées d'en haut. On y quelque bâtiment. Quelques-unes s'élè-
rencontre plusieurs tumulus en pierres vent de dix pieds au-dessus du sable
indiquant la sépulture des voyageurs qui en couvre la base. On voit encore
qui ont péri par la chute des roches. La l'ouverture d'un puits portant les
passe conduit à une vallée qui offre marques des cordes dont on s'est servi
quelques bouquets d'acacias et une plante pour en tirer l'eau ; mais il est entière-
semblable au néflier, portant des baies ment rempli de sable. Les murs qui s'é-
agréablement astringentes les naturels
: tendent de l'est à l'ouest ont plus de
la nomment Boutomo (1). deux cents pas de longueur; dans cer-
En se dirigeant sur Bondjem, on tains endroits ils sont tout à fait en-
franchit une montagne peu élevée qui terrés dans le sable. Ceux qui vont du'
mène à la vallée de Niffed. Il s'est livré nord au sud n'en ont qu'environ cent
plusieurs combats dans cette vallée, en- cinquante. Il paraît que les Arabes
tre des Arabes de différentes tribus. — probablement du temps des califes, ont'
De là on passe dans un défilé vers le sud fait usage des tours situées du côté du 1

pour entrerdans une plaine très-étendue, nord ; car on voit sur le haut des pre-
nommée Jmbouloum , et qu'on met un mières constructions des restes de leur 5

jour à traverser. Sa surface est en quel- maçonnerie grossière. Au-dessus dé


ques endroits composée de sable à tra- chaque porte est une inscription, iden-
vers lequel perce le rocher, et de gravier tique des quatre côtés ; celle du nordl
est la mieux conservée. En voici la
:

fin entremêlé de débris de coquillages.


La végétation y est très-rare, et on n'y copie , donnée par Lyon :
voit qu'une seule petite oasis, où croît une
graminée du genre Festuca. Le Fœni- IMP. CAES. L. SEPTIMIO. SEVERO.
culum Duter et une belle espèce de Ge- PIO. PERTINACI. AVG. TRPOTV. 1III.
IMP CSIIPPET IMP. CAES. M.
nista y sont encore assez communs. Le
AURELIO. ANTONINO. V RI.
Boutomo s'y trouve en abondance. On J1II ET. SEPTIMIO CAE.
rencontre quelques beaux fragments de AVG. O. ANIC10 FAUSTO. LEG.
jaspe rubanné (quartz jaspe onyx de AVGUSTORVM. CONSVLAR1
Haûy) et de petites pièces de cornaline
, IPO. III AVG. PV.
(quartz agathe cornaline de Haûy).
La distance de Beniolid à Bondjem Sous chacune de ces inscriptions on
voit un grand aigle en bas-relief. Mais
( Ouadi-Bondjem ) est d'environ six
journées. Le puits de Bondjem est situé la sculpture en est très-mutilée. — Le
sur la limite septentrionale du Fezzan; Bondjem, d'après les calculs de Ritchie,
nord de 30° 35' 32''.
son eau est très-saumâtre. A un demi- est sous la latitude
mille de là on voit les ruines d'un Le Ouady Bondjem ne diffère des
ancien édifice romain , qui forme un autres vallées environnantes qu'en ce
parallélogramme , dont chaque côté fait qu'on y rencontre le gypse sous des
face à l'un des points cardinaux. Au formes diverses, ainsi que des co-
centre de chaque muraille est une quillages du genre pecten, et plusieurs
grande porte cintrée, flanquée de deux térébratules. On y trouve beaucoup
tours. Chaque façade est d'un style d'incrustations de carbonate de chaux,
mêlé avec du cristal de sulfate , qui
(r) Celte plante ne se trouve pas indiquée miroitant à la surface du sol éblouis- ,

dans l'herbier de Ritchie. — 11 est à regretter sent la vue à cause de la réflexion des
que la flore d u Fezzan soit encore si peu connue. rayons solaires. Il y a une série de mon-
ÉTATS TRIPOLITAINS. 97
composés de craie, et recouverts
ticuîes portent des chemises plissées en soie ou
d'une couche de gypse. Ces monticules en toile de grandes boucles d'oreilles
,

sont bornés par une chaîne de monta- en argent, des anneaux du même métal
gnes beaucoup plus élevées, qui ressem- aux bras et aux jambes dans les classes
;

blent de loin à des fortifications. Un petit inférieures, ces anneaux sont en verre
SeneciOy un Géranium et un Statice ou en corne. Pendant son séjour à Sock-
sont tous les végétaux que les voyageurs na, Denham fut témoin d'une cérémonie
anglais y rencontrèrent. Ils y constatè- de mariage, qu'il raconte ainsi
rent une température de 17° 76' R. — :

« Le matin du jour du mariage ( la


Près des puits de Bondjem on voit croître cérémonie finit toujours vers le soir,
en abondance XArundo phragmites. mais les futurs sont généralement en-
Cette graminée à racines traçantes se- gagés un an d'avance), la musique se
rait très-susceptible de diminuer l'ari- fait entendre une cornemuse et deux
;

dité des sables du désert, et en rendrait petits tambours donnent une aubade,
habitables les parties qu'il est même d'abord à la mariée, puis à l'époux,
dangereux de traverser. qui se promène dans la ville, richement
De Bondjem on arrive après quatre , vêtu et suivi de toute la population.
fortes journées de marche à travers des Les femmes s'assemblent toutes dans
i plaines arides et quelques défilés rocheux la maison de la jeune fille, et se
( appelés Hormouts par Hornemann ) mettent aux différents trous qui ser-
4

à Sockna, qui est la ville la plus septen- vent de fenêtres et qui donnent sur la
trionale duFezzan. Cette ville, située cour; la mariée se place alors à une
dans une immense plaine de sables, bor- fenêtre en face le visage entièrement
,

née au sud par les montagnes de Sou- couvert d'une barracane et dans sa plus
dan, et à l'est par celles de Ouadan. belle toilette ; toutes ses parures sont
Elle est entourée de murailles dont la exposées aux regards, attachées à la
: circonférence est d'environ un mille; maison, depuis le toit jusqu'au bas. Les
elle a sept portes,mais il n'y en a qu'une jeunes chefs arabes viennent lui présen-
seule par où un chameau chargé puisse ter leurs hommages, précédés de mu-
passer. Les rues sont fort étroites; les siciens et d'une ou deux danseuses. Ils
maisons sont construites en terre et en s'avancent à pas lents jusqu'au centre
i
petites pierres. La plupart d'entre elles de la cour , sous la fenêtre de la mariée :
sont élevées d'un étage au-dessus du rez- les dames saluent alors les visiteurs par
de-chaussée. Une petite cour en occupe les exclamations de lou, lou. Je deman-
le centre, et les portes qui s'ouvrent dai la permission de présenter mes
sur cette cour donnent le seul jour que respects à mon tour, et, loin de s'en
reçoivent les appartements. L'eau y est formaliser, on considéra cette démar-
généralement saumâtre et amère. Si- che comme une faveur. Le marié, qui
tuée entre Tripoli et Mourzouk, Sockna n'était pas admis dans la cour, me
est devenue un lieu d'asile pour les conduisit à la maison de sa maîtresse.
exilés et les réfugiés des deux pays. Les Cette longue présentation se termine
habitants, au nombre de deux mille, ordinairement quelques instants avant
parlent la langue touarick. Ils vivent le coucher du soleil. La mariée se pré-
de leurs plantations de dattiers, qu'ils pare alors à quitter le toit paternel; on
cultivent presque sans impôts, car ils ne lui envoie un chameau avec son djaafa
payent de tribut que pour deux cent ( chaise en osier recouverte de peaux et
soixante mille pieds de palmiers. Les de châles du Soudan , du Caire et de
dattes de Sockna sont fort estimées et Timbouctou ). Elle s'y place de manière
très-abondantes. Les habitants portent à tout voir sans être vue. On la condui-
le costume des Bédouins, et sont d'une sit hors la ville, où étaient réunis tous
propreté remarquable comparativement ceux qui ont des armes. Notre escorte,
aux Arabes du littoral. SuivantDenham, d'après les ordres de Bou-Khaloum, vint
les femmes de Sockna sont très-jolies , et en augmenter le nombre. On exécuta
on prétend qu'elles aiment les intrigues une décharge générale aux pieds du cha-
amoureuses. Leur habillement ressem- meau. Je tremblais pour la jeune fille;
ble à celui des
femmes de Tripoli; elles mais l'honneur qu'elle recevait était
e
7 Livraison. ( États tripolitaiks. )
L'UNIVERS.
pour une compensation de la peur.
elle à Sockna. « Nous passions, dit Denham.
On ensuite trois fois le tour de la
fit deux a trois jours sans trouver d'eau!
ville en exécutant diverses évolutions et et celle que nous rencontrions était gé-
en tirant continuellement sur le djaafa néralement boueuse et amère; mais ce
de la mariée. L'époux futur s'appro- n'est pus ce désagrément que le voya-
chait de temps en temps du chameau geur craint le plus il redoute autrement
:

de sa bien-aimée; mais les jeunes né- les terribles effets des tourbillons d<
gresses lui criaient aussitôt: Barra! vents, qui causent quelquefois la perte
barrai éloignez- vous! mazal chouia, d'une kafila tout entière , déjà abattue
encore un peu , ce qui amusait infini- par les fatigues. On nous fit remarquei
ment l'assemblée. On se rend ensuite un endroit à l'extrémité du désert,
à la maison du mari ; il est d'usage que tout rempli d'ossements, où l'année
la jeune vierge paraisse alors très-sur- précédente avaient<péri cinquante mou-
prise et refuse de descendre; les fem- tons , des chameaux et des hommes qui
mes crient, les hommes hurlent; enfin les conduisaient. Ces malheureux n'é-
on lui persuade d'entrer , et après que , taient qu'à huit lieues de marche de 1
le mari lui a mis un morceau de sucre citerne que nous cherchions avec impa-
dans la bouche, et qu'elle lui en a fait tience et anxiété (1). »
autant, cérémonie est terminée, et
la Entre Sockna et Zeghen
(village ï
on les déclare mariés (1). » 27° 26' lat. nord situé au centre d'ur
,

Suivant Lyon, les jardins de Sockna bois de palmiers) est un désert df


sont les plus fertiles et les mieux cul- sables, où Lyon fut témoin d'un phéno
tivés de (out le Fezzan.Ils sontentourés mène physique fort remarquable
de murs de terre. On trouve dans ces « L'air, dit-il, était si sec que nos cou*
jardins deux espères de rats, l'un vertures et nos barracans rendaient des
noir, qui se creuse un terrier, l'autre étincelles électriques quand on les frotfi
jaune , qui habite dans les branches, des tait; on remarquait le même effet
palmiers. « Je promis, dit Lyon, une pias- quand nos chevaux se bnttaient les flanc!
tre pour deux animaux vivants de chaque de leur queue pour écarter les mouches. >
espèce. On ne m'en apporta qu'un petit Les cadavres des animaux morts dans;
de la première. Sa tête ressemblait à ce désert n'exhalaient aucune mauvais*
celle d'un blaireau, sa queue était lon- odeur :ils ne paraissaient pas avoiii
gue et touffue. Belford et moi nous éprouvé de putréfaction. La peau qu
parvînmes à lui faire une cage d'une les couvrait était intacte et garnie dt
grande boîte à thé en étain , désirant son poil, mais tellement desséché;
l'emporter en Angleterre, de même qu'elle se brisait au moindre choc (2)..l
que trois autres animaux que les Arabes Au sud-est de Sokna est située la vil
nomment dahoub, qui ressemblaient de Houn, entourée de murailles; elle ?
beaucoup à des lézards. Leur forme est trois portes, trois mosquées et une
moins élégante et leurs mouvements
,
espèce de château-fort.
plus lents. Leur queue est large et cou- Au sud de Sockna est une chaîne dt
verte de pointes écailleuses. Ils ont la montagnes, connue sous les noms de
faculté de se suspendre par pattes les Soudafi ou de Djibel-Àssoud ; c'esl
de devant. Ils ressemblent, par la tête une chaîne basaltique {parousch), le
et le museau, à une tortue à bec crochu. Mons Ater des anciens. Ces montagnes
Ils changeât de couleur à peu près noires s'étendent du nord-est au sud
comme les caméléons (2). » ouest, aussi loin que l'œil peut les sui-
La route de Sockna à Mourzouk est vre. Elles atteignent, en plusieurs en
aussi monotone que celle de Tripoli droits, une hauteur decinq cents mètres,
et occupent , entre les 28° 40' et 27° 30'
(i) Voyage dans le nord et les parties cen- latitude nord, une étendue d'environ!
trales de l'Afrique , par Denham , Clapper- vingt milles géographiques. Le basalte;
ton, etc., tome I, p. 3o-32.
(2) Voyage de Lyon, p. 272. Ajoutons — (1) Voyage dans le nord, etc., par Den«
que le capitaine ne réussit point à apporter ces han, Clapperton, etc., tome I, p. 16.
animaux en Angleterre. (2) Voyage de Lyon p 84. .
ÉTATS TRIPOLITAINS. 99
dont elles se composent est noir, forte- peu vers l'ouest on remarque le sentier
ment mélangé de carbonate de chaux, et d'El-Nichka qui ne paraît guère moins
,

se désagrège en petits fragments globu- difficile à franchir; et vers le sud-ouest


leux. Toute la chaîne est complètement des hauteurs inégales ferment le pas-
aride, déchirée, et forme une quantité sage, tandis que le terrain , au nord,
de cônes isolés. Les plaines adjacentes n'est occupé que par le ouadey aride
sont fréquemment parsemées de débris d'Agoutifa, dont le puits est dominé
d'une masse basaltique vitreuse, re- par des coteaux de calcaire et d'argile
marquable par son éclat éblouissant. rouges. On voit répandues sur cette
Plus loin , au nord , le même basalte se grande chaîne des masses basaltiques
retrouve en abondance dans la chaîne de et de larges ouvertures qui s'étendent
Ghouriano, près de Tripoli (32° latitude même sur les plaines environnantes;
H
nord ), où l'on aperçoit aussi beaucoup les plus grandes élévations offrent les
de cônes basaltiques. L'aspect des plus grandes surfaces basaltiques dont ,

montagnes de Soudan est tellement sau- les côtés affectent la forme trapézoïde
vage, que le capitaine Lyon se crut avec des colonnes courbées, inclinées
un instant transporté au milieu du cra- et perpendiculaires ; l'effet qu'elles pro-
tère d'un volcan. Au sud se déroulent duisent ne manque ni de beauté de m
à leur base de vastes plaines inhospi- grandiose. Les couches inférieures de
talières, couvertes tantôt de fragments toutes ces montagnes sont un calcaire
de basalte , tantôt de sable on n'y : mélangé d'argile rouge : cette dernière
rencontre pas d'eau, ni aucune trace de espèce se rencontre également près des
végétation. D'innombrables carcasses de basaltes supérieurs; près de là d'au-
chameaux et une quantité de squelettes tres montagnes calcaires n'offrent pas
1

humains bordent ici les routes des cara- la moindre apparence de basalte, quoi-
vanes. La route s'étend ainsi, sur un que l'état des lieux puisse faire suppo-
espace de cinq journées de marche, ser qu'il a existé dans le voisinage un
jusqu'à une forêt de palmiers, au ancien cratère qui aurait produit tous
milieu de laquelle est situé le village ces débris. Plusieurs de ces montagnes
deZeghaen (a 27° 26' latitude nord); calcaires ont été déchirées ou percées
3
de là elle se prolonge, pendant quatre soit par la chute des masses supérieures,
journées, jusqu'à la ville de Sebha soit par la violence des eaux ; une de ces
( à 27° 3' 8" latitude nord ). Entourée brèches nous offrit la pierre à chaux
d'un magnifique bosquet de palmiers dans toute sa pureté, mélangée avec un
au milieu du désert, cette ville est sur- peu d'argile.
tout remarquable en ce qu'on y aper- « Le Ghibel-Assoud
s'étend du nord
çoit selon Lyon
, les premières traces
, au sud mais en décrivant tant de si-
,

de cette transition de couleur, de la nuosités, que, bien que sa longueur en


peau blanche des habitants du nord au ligne droite n'excède pas trente-cinq
teint foncé des mulâtres, jusqu'à la peau milles , on met trois jours à îe traverser»
d'ébène des habitants de Mourzouk (1). Vers l'ouest il se prolonge jusqu'au
|
Voici la description que Denham puits d'Assela, sur la route de Chiati,
donne des montagnes basaltiques de où l'on ne rencontre que des montagnes
f
Soudan ouDjibel-Assoud « Cette chaîne, : d'argile rouge, et vers l'est jusqu'aux
f dit-il, commence près Sockna. Nous ouadey de Temellin, sur la route de
[nous arrêtâmes à Melaghi, au pied des Zella ou Bengaghi dans une distance
,

[montagnes et près du puits d'Agoutifa. de trois journées de marche (1). »


[Là, on a la plus belle vue qu'il soit
d'imaginer de ces hauteurs.
possible
(i) Le Djibel-Assoud et toutes les mon-
[Vers le sud le défilé des montagnes
tagnes de ce côté portent le même nom ; la
;du Niffdah se montre avec ses pics
vallée est bordée de toutes parts de collines
penchés et un précipice au bord du-
,
de quatre cents et six cents pieds d'élévation;
quel tourne le chemin. En tirant un leurs sommets sont généralement tabulaires
;
quelques-uns cependant se présentent sous
(r) Ritter, Géographie d'Afrique, tome III, la forme conique; leurs flancs sont entière-
!
p. 308,309. ment recouverts de débris. Leur couleur
100 L'UNIVERS.
A deux journées à Test de Mour- lière sa surface est remplie de fentes, e
;

zouk est située Targhan (25° 55' lati- en plusieurs endroits elle offre l'aspec
tude nord). La route est bonne; le ter- d'un champ récemment labouré; les
rain offre fréquemment des efflorescen- mottes de terre sont si compactes qu'on
ces salines. Targhan est une des princi- ne les brise qu'avec une peine extrême.
pales villes du Fezzan ; elle est entourée Près de Mœfen le terrain prend un
d'un mur. Cette ville était autrefois aussi aspect nouveau et moins désagréable;
riche que Mourzouk , et la capitale des les fentes sont plus larges ; on y aper-
États d'un sultan qui gouvernait la partie çoit de beaux cristaux attachés à un
orientale du Fezzan. On voit encore les fond du blanc le plus pur ; c'est du sel
ruines du château où il faisait sa rési- ( peut-être du nitre ) qui tombe en
dence. Targhan ne renferme pas tout miettes au plus léger ébranlement. Ce
à fait mille habitants. On y fabrique terrain a une étendue de plus de vingt
des tapis , qui sont aussi estimés que milles de l'est à l'ouest.
ceux de Constantinople. Les eaux du En sortant de Msefen on entre dans
voisinage sont excellentes; elles for- une plaine déserte; et après une marche
ment quatre étangs de trente à qua- fatiguante de quatorze heures on arrive
rante pieds de diamètre. Ces étangs hMestoula ( de mestem, lieu de repos ),
sont entourés d'épais bosquets de pal- où les chameaux trouvent à brouter
miers, habités par une multitude d'oi- quelques touffes d'aghoul. De là on'
seaux; un marabout, respecté pour sa voyage encore dans une plaine déserte,
sainteté, est le principal personnage de où l'on ne voit aucune créature vi-j
Targhan; son. père l'était avant lui. vante, pas même un
insecte. Le sable;
Les trois voyageurs anglais, Denham, à grains arrondis, et rouge, j
est très-fin ,

Oudney et Clapperton passèrent par Tar- Les Arabes de la kafila épient les dat-
ghan pour se rendre à Lari, sur les bords tiers qui environnent Gatrone (Ka-)
du lac Tchad dans l'intérieur du Sou-
, troun), comme les matelots cherchent^
dan. Comme c'est la route que suivent le à découvrir la terre. Dès qu'ils ont;
plus ordinairement les khafilas, nous aperçu ces signes, ils dirigent leur mar- '.

che en conséquence. Gatrone (à 24° 47'


'

allons suivre les traces de ces intrépi-


des voyageurs. Le premier village que 57" latit. nord, d'après Lyon) est dans:;
l'on rencontre après Targhan est Mx- une situation assez pittoresque. Les'
feni ce n'est qu'un assemblage de cabanes habitants sont la plupart nègres. Tout
construites avec des feuilles de dattiers. alentour s'élèvent des collines de sable ;

Le chemin conduit par un terrain qui et des monticules de terre couverts;


est un mélange de sable et de sel, et d'un petit arbre, appelé alhali. Des*
dont l'apparence est réellement singu- cabanes, bâties pour les Tibbous, en-;
tourent la ville. Les vents de nord et;
de nord-est s'y font vivement sentir.
donne à la vallée un caractère tout particu- Denham observa, le matin dans sa tente,
lier ; les parties élevées sont d'un noir bril- de 4° 88' à 5° 77' therm. centigrade. Le
lant , semblable à de la mine de plomb; plus personnage le plus important de Ga-
bas, celte couleur se change en brun mêlé de trone est une certain Hadji-el-Raschid,
jaune, qui se montre quelquefois comme des maraboutet grand propriétaire. Denham
marbrures sur le noir. Les couches inférieures en fait un grand éloge.
sont de calcaire jaunâtre , et remplies de dé-
On quitte Gatrone après y avoir
bris marins ; quoique assez dure , l'air attaque
fait une bonne provision de dattes. On
facilement cette roche, qui laisse échapper
passe devant El-Bahhi, petit groupe de
une grande quantité de petits fragments. On
cabanes, sur la route, dans une jolie
y voit encore des bandes peu épaisses de gypse
situation. Après avoir fait halte à Me-
terreux, au-dessus desquelles se montre la
pierre calcaire , à surface extérieure fibreuse, drousa, on continue la route, en lais-
et sonore comme la chaux cuite; enfin, au- sant un château arabe au sud-est, et des
dessus de cette dernière couche est le basalte collines aplaties au sud et à l'est. Puis
à texture serrée et brillante , mêlée d'amyg- on arrive à Kasrowa. Des tertres assez
daloïdes. — Voyages de Denham, Clapper- hauts et couverts d'alhali entourent ce
ton, etc., 1. 1, p. 33-34. lieu.Il y a un puits de bonne eau. Une
ËTATS TRIPOLITAINS. 101

route se dirige de là au sud-est, et va pas de ville en Afrique qui n'ait sa mer-


au Kanem et au Ouaday ( Waday). On veille. Celle de Tegherhy est un puits
dit que c'est la plus courte pour aller en dehors et à côté de la porte du châ-
au Bornou ; mais on y trouve bien peu teau. On raconte très-sérieusement que
d'eau. De Kasrowa on atteint, après son eau monte toujours quand une ka-
une journée , Tegherhy ( à 24° 4' lat. fila s'approchede la ville ; dès que les ha-

nord), ville principalement habitée par bitants s'aperçoivent de la crue de l'eau,


des Tibbous. On entre à Tegherhy par ils préparent ce qu'ils ont à vendre, car

un passage étroit , bas et voûté; puis on jamais, disent-ils, cet indice ne les a trom-
trouve une seconde muraille et une pés. Autrefois, Tegherhy était très-re-
porte. La muraille est percée de meur- douté des voyageurs, à cause des brigan-
trières (1) qui rendraienttrès-difficile l'en- dages exercés par ses habitants. Actuelle-
trée par le passage resserré. Au-dessus ment le pacha y entretient une discipline
de la seconde porte il y a une ouverture sévère. Cette ville passe pour la limite
d'où l'on pourrait lancer sur les assail- méridionale du dattier (Phœnyx clac-
lants des traits et des tisons enflammés, tylifera). C'est ici qu'on rencontre les
dont les Arabes faisaient autrefois un premiers groupes de palmiers doûms
grand usage. Il y a dans l'intérieur des (Cucifera Thebaïca, Del.), qui à partir
murs des puits dont l'eau est assez de cet endroit semblent remplacer les
bonne. La situation de Tegherhy est dattiers au sud comme cela se voit aussi
,

vraiment agréable; tout alentour crois- dans la Haute-Egypte


et la Nubie, où le
sent des dattiers , et l'eau y est excel- palmier doûm croît en abondance au
lente. Le désert commence aux murs sud de Girgeh, tandis qu'il est rare au
de cette ville ; ainsi plus au sud on ne
,
nord de cette ville.
trouve plus de dattiers. Une chaîne de En sortant de Tegherhy on entre de
collines basses se prolonge à l'est. Les nouveau dans un désert que parcourent
bécassines, les canards et les oies sau- les marchands d'esclaves. Çà et là s'é-
vages fréquentent les étangs salés qui lèvent des monticules de terre et de sa-
sont près de la ville. Les habitants ne bie , couverts de divers arbrisseaux
cultivent aucune espèce de plante pota- entre autres d'alhali , que les chameaux
gère (2). Ils sont absolument noirs, mangent avec avidité. Au bout de six
mais n'ont pas la physionomie des Nè- milles, les voyageurs anglais dressèrent
gres. Les hommes ont le visage très- leurs tentes à Omah, puits entouré de
aplati, les pommettes saillantes, le nez dattiers ; ils s'y arrêtèrent pendant trois
épaté des Nègres, la bouche grande, jours.
les dents gâtées par l'action du tabac A dix milles de là on arriva à Ghad.
et du trôna qu'ils mâchent. Ils por- Aux environs de ces puits et plus loin,
tent toujours deux poignards, l'un de au sud , presque sur toute la route, on
dix-huit pouces, l'autre de six pouces de rencontre des ossements humains des ,

longueur ; celui-ci est attaché à un an- débris de cadavres, tristes dépouilles


neau qui orne le bras ou le poing. Les de malheureux esclaves amenés de
femmes sont pour la plupart jolies, l'intérieur, et morts de faim ou de fati-
moins cependant que celles de Gatrone. gue. « Ces infortunés, dit Denham,
Elles façonnent avec beaucoup d'adresse sont traînés à travers les déserts ; sou-
les feuilles de dattier, et en font des vent l'eau manque, et rarement la pro-
paniers et des jattes. —
Il n'est presque vision de vivres est assez forte pour
nourrir tout le monde durant ce long et
pénible voyage. A peine parcourait-on
(i) Ces ouvertures ou meurtrières se nom-
un petit nombre de villes sans rencon-
ment en arabe embraza , analogie assez frap-
trer un squelette; les uns étaient en par-
pante avec le mol français embrasure.
tie couverts par le sable , d'autres seu-
(i) Cependant, le capilaine Lyon raconte
qu'il ne voyait dans les jardins de Tegherhy lement avec un petit tas amassé par le
( au mois de décembre ) que des raves, des vent. Une main était fréquemment posée
oignons et quelques autres légumes. Dans les sur la tête, olus souvent encore elles
premiers jours de janvier, le blé n'était pas l'étaient toutes deux comme pour la
aussi avancé qu'à Mourzouk. presser. La peau et toutes les substan-
,

102 .L'UNI VERS.

ces membraneuses étaient raccornies et collines raboteuses et coniques


, res- ,

séchées par l'action de cha-


l'air et de la semblent beaucoup, par leur structure
leur; les muscles et les viscères étaient géologique, à eelles du Fezzan occiden-
les seuls parties qui fussent détruites. tal.La partie supérieure est formée de
Autour de notre campement à Mechrou deux couches successives d'un grès noir
il y avait plus de cent squelettes hu- à texture fine, ayant l'apparence du ba-
mains ; la peau tenait encore à quelques- salte ; au-dessous on trouve du schiste
uns ; les voyageurs n'avaient pas même alumineux, ensuite de la pierre argilo-
jeté un peu de sable sur ces déplorables ferrugineuse, mêlée çà et là de couches
restes. L'horreur que je manifestais d'argile bleuâtre; enfin la base, qui
excita le rire des Arabes : « Bah! s'é- forme près de la moitié de la masse, est
crièrent-ils , ce n'étaient que des Nè- d'un beau grès blanc , mêlé d'une grande
gres : Nambou (malédiction à leurs quantité de craie. Une belle roche bleue,
pères) »; puis ils se mirent à remuer très-dure, veinée de blanc, compose la
ces ossements avec le bout de leurs fu- surface de plusieurs terrains bas, évi-
sils , en disant avec la plus grande in- demment de formation récente. On voit
différence : « Ceci était une femme; une formation semblable dans la grande
ceci était un jeune homme! » La plus plaine stérile qui s'étend entre les col-
grande partie des infortunés dont les lines du Fezzan, à l'est, et les montagnes
restes frappaient nos regards avaient des Touaricks.
formé l'année précédente le butin du Le puits de Mechrou forme la limite
sultan de Fezzan,. On m'assura qu'à leur méridionale du Fezzan.
départ du Bornou ils n'avaient qu'un De Mechrou la route conduità l'ouest,
quart de ration par individu, et qu'il en tournant le défilé ou ouadey d'El-
en mourut plus de faim que de fatigue. Ouahr (le difficile). Ce défilé est entre
Ilsmarchaient enchaînés par le cou et deux collines hautes, garnies de cônes
par les jambes; les plus robustes seule- et de pics, qui dans l'obscurité ont
ment atteignirent le Fezzan , dans un quelque chose d'imposant. Il a près de
grand état d'exténuation ; on les y en- deux milles de longueur. A l'extrémité
graissa pour le marché de Tripoli (1). » ouest s'élève El-Baab, haute colline.
Le puits de Mechrou a de six à sept Les éminences se prolongent vers l'est,
mètres de profondeur; l'eau en est et forment une partie de la chaîne que
bonne exempte de goût salé. Le ter-
et l'on trouve près de Tibetsy , où elles
rain des environs se compose de sable deviennent plus hautes et plus escar-
d'une belle couleur de crème, et mêlé pées (1). De là on entre dans un désert
d'opales grossières. On y voit de beaux où pendant six jours on n'aperçoit
échantillons de bois pétrifié. Le centre, pas la moindre apparence de végétation.
les vaisseaux du latex et les nœuds Dès que la pluie tombe, ce qui a lieu avec
sont remplis d'une matière calcaire; une abondance extraordinaire, un gra-
les fibres ligneuses sont transformées en minée croît soudainement à une hau-
une substance siliceuse. Une chaîne de teur de plusieurs pieds. Dans la.traver-
collines, Aloweri-Seghir, se dirige au sée de ce désert , les Arabes empoignè-
sud; les roches sont rouges et noires, rent avec des cris de joie quelques ra-
et fortement chargées|de parcelles fer- cines de cette herbe desséchée : c'était
rugineuses. La chaîne de XAloweri-el- pour leurs chameaux affamés. —
L'oua-
Kéhir, qui est plus haute , se trouve
plus à l'est. Au rapport des indigènes (1) Dans cet endroit les voyageurs obser-

on n'en rencontre pas déplus élevée dans vèrent un phénomène physiologique fort re-
marquable. Les chameaux avaient le regard
le pays des Tibbous, à l'exception de
éteint, la démarche chancelante, et par in-
YErtcherdat-Erner. Les habitants qui
tervalle tombaient comme un homme ivre.
ils
sont plus au sud s'appellent Tibbou-
Cela leur arrive quand ils mangent des dattes
Irtchad (Tibbous des rochers); des dé- après avoir bu de l'eau. L'explication de ce
filés qui traversent ces deux chaînes
phénomène est très-simple par suite de la
:

mènent au Kanem et au Ouaday. Les fermentation des dattes au contact de l'eau, il


se forme de l'alcool dans l'estomac de ces ani-
(i) Voyages de Denham, etc., t. I, p. 121. maux.
ÉTATS TRIP0L1TAINS. 103

dy Izhaya est nommé Yaat par les avec le puits d'Jghadem, qui est au
Tibbous. 11 y a là quatre puits qui res- ,
sud de Bilma. Au rapport des voya-
semblent à des auges creusées dans le geurs anglais, Aghadem est un grand
sable; ils ont deux à trois pieds de pro- rendez-vous de brigands de toutes sor-
fondeur. On dit qu'en creusant ainsi on tes, et par conséquent la terreur de
peut trouver de l'eau dans toutes les par- toutes les petites kafilas et des voya-
ties du ouadey. geurs. Les monticules du pays d'alen-
La ville d'Anay, que l'on rencontre à tour sont couverts d'une espèce d'arbre
jdeux journées de là consiste en quel- , que les indigènes appellent souag ; le
ques cabanes bâties sur le sommet d'un fruit de cet arbre est une baie de la gros-
[rocher semblable à celui de Goumma- seur etdelaforme des airelles. Il estd'une
jganoumina. Tous les ans les Touaricks saveur douceâtre et chaude, analogue au
y font une visite dévastatrice, emportant de murailles, édifiée par les modernes aux
ïe bétail et tout ce qui leur tombe sous
confins de la Libye. Les maisons sont fort
main. Dans ces occasions, les habi-
la bien bâties , et en la manière de celles de Bar-
tants se réfugient sur le sommet du ro- barie pour ce qu'il ne s'y trouve guère de
:

Icher ; ils y grimpent par une échelle marchands autres' qu'étrangers; et ce peu
grossière qu'ils tirent après eux. Les qu'on y voit du pays sont tous artisans ou
icôtés de leur citadelle étant toujours à la solde du roi de cette cité, en laquelle
Strès-escarpés, ils se défendent à coups n'y a marchand qui ne tienne un grand nom-
jde flèches et en faisant rouler des bre d'esclaves pour s'en aider à ses affaires...
jpierres sur les assaillants. cinq — A Doncques les marchands s'acheminent par
Imilles d'Anay est rendez-vous
Kisbl , pays, s'accompagnent de leurs esclaves, qui
très-fréquenté par les kafilas et les mar- leur font escorte en leur équipage, et bien

chands. C'est la que le sultan de Bilma armés d'épées javelines et arcs. Mais depuis
,

peu de temps ils ont commencé à porter


perçoit le tribut pour la permission de
l'arbalète tellement que ces paillards voleurs
traverser son pays. Kisbi est à huit
,

ne sauroient mordre sur eux ni leur donner


f

journées d'Aghadès et à vingt-quatre du


aucune entorse. Puis les marchands étant ar-
!

Bornou pays qui borde au sud-ouest le


rivés en quelque bonne ville, font travailler
I ,

lac Tchad.
leurs esclaves de tel métier qu'ils savent, à
Il ne faut pas confondre Aghadès (1)
cette fin qu'ils puissent gagner leur vie, en
réservant dix ou douze d'iceux pour sûreté de
leurs personnes et garde .de leurs marchan-
(i) Aghadès, située sur la route du Fezzan
à Tombouctou, est une des plus anciennes sta-
dises. Le roy de cette cité tient semblablement
tions villes du Soudan. Léon l'Africain en
ou une bonne garde dans un somptueux palais qu'il
a dans icelle. Mais sa gendarmerie est des ha-
;

parle; nous apprend que Ton trouve dans les


il
bitants de la campagne et des déserts pour
}

environs ( royaume d' Aghadez) de l'eau excel- ,

ce qu'il a pris son origine des peuples de Li-


i

lente, dans des puits très-profonds, et que l'air


bye ; et quelquefois ceux-ci le chassent, et en
|

y est tempéré. « Près d'Aghadez , dit-il,


tombe
î
la manne, qui est une chose fort merveilleuse,
son lieu élisent un de ses parents , se donnant
garde, tant qu'il leur est possible, de com-
et la vont au malin les habitants cueillir dans
de petits panniers, qu'ils portent vendre mettre homicide, et celui est créé roy qui re-
fraîchement dans Aghadez , là où s'achète vient vieux et est plus agréable au peuple de

douze deniers la peinte , et se boit mêlée avec cette cité. Le reste des habitants de ce royaume,
;

! de l'eau qui est une chose fort souveraine.


,
comme ceux qui habitent du côté du midi, s'a-
! On en met aussi parmi les potages, à cause donnent tous à mener le bétail au pâturage.
Leurs habitations siwvtde rames ou nattes,
qu'elle a la propriété de rafraîchir. Et on croit
transportent ordinairement sur des
!
que pour cette occasion les étrangers sont peu qu'ils

:
souvent atteints de maladie en Aghadez, bœufs en quelque part qu'ils croissent, les
comme le contraire leur advient dans Tom- posant et dressant là où se trouve meilleure
pâture et en plus grande abondance, comme
i

''

but, combien que l'air soit corrompu et pes-


tramon- aussi font les Arabes. Le roy reçoit de grands
,
tiféré en ce désert, qui s'étend de
tane à midi, par l'espace de trois cents milles. » deniers, qui proviennent de la gabelle que
payent les marchands étrangers, et encore
I

)
Description de l'Afrique, p. 3i8; Lyon, in-
il est tributaire
des usufruits du pays , mais
folio, i556.

Yoici la description que Léon donne de la de celui de Tombut de cent cinquante mille
ville même : « Aghadez est une cité ceinte ducats. » (Ibid., p. 327-3a8.)
j
104 L'UNIVERS.
cresson de fontaine. Les habitants du C'est avec les cheiks du Ouangara
Soudan le recherchent beaucoup parce ,
(Wangara), du Kanemy, du Bornou
qu'ils lui attribuent la propriété de faire etde quelques provinces à peu près in-
disparaître la stérilité des femmes. En connues de l'intérieur du Soudan que le
passant près de cet arbre on est frappé pacha de Tripoli entretient des relations
d'une odeur forte et narcotique (1). de commerce très-fréquentes par l'in-
Il importe de constater ici que la plu- termédiaire du gouverneur du Fez-
part des cheiks de ces contrées parais- zan (1).
sent reconnaître l'autorité du pacha du
Fezzan,etconséquemmentcelledu pacha (i) Qu'il nous soit permis de compléter ici,
de Tripoli. Suivant le récit de Denham par le témoignagne de Léon l'Africain ce que
,

et de Clapperton, il existe même un nous avons dit sur ces régions, encore si peu
service de courriers assez régulier en- explorées, dans notre volume Afrique cen-
trale, etc., de V Univers pittoresque. Voici ce
tre le Bornou et Mourzouk. Ces cour-
riers font à peu près six milles à l'heure.
que Léon nous apprend sur le Ouangara, le
Zanfara , le Kano et le Zeg-Zeg , provinces
Un sac de zoumita ( blé torréfié ) et ,
du Soudan, sur lesquelles les voyageurs an-
une ou deux outres remplies d'eau, un
glais ne nous ont fourni que fort peu de ren-
petit bassin de cuivre et une gamelle,
seignements.
qui leur servent pour manger et boire
composent leurs provisions et leurs us-
« Guangara. — Le royaume de Guangara
est habité d'un grand peuple. Le roy peut avoir
tensiles de voyage. On y ajoute quelque- sept mille archers,avec cinq cents chevaux étran-
fois un peu de ghedid ou de viande gers , et retire un grand revenu des marchan-
découpée en lanières et séchée au soleil ; dises et gabelles. Toutes les habitations de ce
elle est mangée crue, car rarement ces royaume ne sont que petits villages et hameaux,"
hommes allument du feu pour faire cuire fors un qui en grandeur et beauté excède les
leurs aliments, quoiqu'en approchant du autres de beaucoup. Du côlé du midi , il con-
Fezzan les nuits froides qui succèdent fine avec aucunes terres , là où l'or se trouve

à des jours très-chauds soient souvent en grande quantité. Maintenant ce peuple ne


fatales à ces voyageurs, faute d'un bra- peut faire train de marchandise hors les li-
mites du pays , pour crainte de deux puissants
sier (2). Ils suspendent sous la queue du
ennemis qui lui sont voisins, l'un (du côté
maherhie un sac dans lequel tombe la
du ponant) est Izchia, et l'autre (qui tient
fiente qui leur sert de combustible à
le levant ) est le roy de Borno ; là où me re-
,

leur halte de nuit.


trouvant , celui qui pour lors régnait ( appelé
Abram) assembla tout son exercite pour se
(i) Cette espèce végétale ne se trouve pas ruer sur le roy de Guangara. Et ainsi qu'il
décrite dans la partie botanique du voyage marchoit sur les frontières de ce royaume,
de Denham Clapperton, etc. Elle reste donc
,
il fut averti qu'Homar, seigneur de Gaoga,
encore à déterminer. s'acheminoit à la volte de Borno, qui fut
(a) L'énorme différence de température qui cause de le faire changer de chemin et de
existe dans ces climats chauds , entre le jour volonté ; ce qui ne fut pas petite aventure au
et la nuit, est une des principales causes de ma- roi de Guangara, dont les marchands, qui
ladie pour les voyageurs. Elle augmente à me- s'acheminent en ces lieux, desquels l'on tire
sure que l'on s/éloigne des côtes. L'explica- l'or en si grande quantité, ne sauroient
tion de ce phénomène se trouve, suivant prendre autre route, sinon par très-hautes
nous, dans la capacité fort inégale de l'eau et montagnes , âpres et aux bêtes inaccessi-
du sol pour la chaleur pendant que le soleil
: bles; de sorte qu'ils sont contraints de faire
est sur l'horizon , le sol, surtout sablonneux, porter à leurs esclaves sur la tête les mar-
s'échauffe incomparablement plus vite que chandises et autres choses en larges co-
l'eau; de là ces chaleurs excessives dans l'in- courdes (gourdes) sèches et creuses, avec les-
térieur des terres et la température modérée quelles ils peuvent porter jusques au poids de
sur les côtes mêmes des régions équatoriales. cent livres par l'espace de dix mille ; et en a qui
Dès que le soleil est au-dessous de l'ho- font ce chemin deux fois par jour, tellement
rizon, le sol commence à se refroidir bien qu'ils sont chauves au sommet de la tête poul-
plus rapidement que l'eau, qui conserve encore ies grosses charges qu'ils ont accoutumé de
une température supérieure à celle du sol porter. » ( Description de V Afrique , p. 329.)
quand le jour reparaît. De là un effet inverse Le Guangara de Léon est sans doute le
qui influe aussi sur la direction des vents. Wangara ou Ouangara des voyageurs mo-
ÉTATS TRIPOLÏTAINS, 105

Hornemann, parti du Caire, péné- en traversant les oasis de Syouah etd' Au«
tra dans le Fezzan par la route de l'est, gila. C'est à lui et au capitaine Lyon

derniers cette royaume-cy souloit être gouverné par un


dernes. Mais, d'après ces ,

seul roy mais Izchia l'occit , et s'empara de


province a le Bornou ( Borno ), non pas à l'est, ;

son pays. » (Ibid., p. 329. )


mais au sud-ouest ; de plus , elle est située au
nord du lac Tchad , dont Léon ne parle pas.
Le pays de Zeg-Zeg est, en effet, traversé par
» Cano, province. Cano est une grande une vaste chaîne de montagnes qui, selon quel-
province, distante du Niger environ cinq ques géographes , se rattachent au Djebel-
cents millesdu côté du levant il y habite plu-
;
Kamr ou montagnes de la lune. On s'expli-
sieurs peuples dans des villages. Une partie que donc parfaitement les variations de froid
et de chaud qui doivent y régner. Quant à
d'iceux conduisent au pâturage les vaches et
Izchia, c'était un conquérant qui paraît
brebis , et les autres s'adonnent à cultiver la
avoir joué un grand rôle dans l'histoire du
terre , qui produit du; grain , riz et coton en
grande abondance; et s'y trouve plusieurs dé- Soudan à la fin du quinzième siècle.
« Zanfara est une région qui confine avec
|

serts et montagnes couvertes de fontaines et


royaume de Zeg-Zeg, du côté du levant , la-
[

le
I bois, où croissent force orangers et citron-
quelle est abondante en grains, riz, millet,
niers sauvages, dont le fruit ne diffère guère
au goût des privés. La province prend son coton , et habitée par gens vils et mécaniques,
nom d'une cité assise au milieu d'icelle, en- de grande corpulence , mais noirs au possible,
vironnée de murs de craye, comme les maisons portants visage large et difforme, partici-
même. Les habitants sont riches marchands pant d'avantage plus de bètes brutes que
et civils artisans. Leur roy était jadis fort puis-
d'hommes raisonnables. Ce roy fut empoisonné
;
sant tenant grand'cour, et plusieurs chevaux,
,
à l'aveu d'Izchia, qui détruit une grande
tellement qu'il se rendit tributaires les roys de partie de ce royaume. » (Ibid., p. 329.)
Zegzeg et Casena l( Kashna). Mais Izchia,
ou
Suivant les voyageurs anglais , le Zanfara
|
roi de Tombut ( feignant leur vouloir donner Zamfra est situé au nord-est du Haoussa, en-
secours et aide contre l'ennemi ) procura leur tre Kashna et Tombouctou. Sa capitale est
I

; mort avec grande trahison; en moyen de quoi Zirmi. —


Le Kano, le Zeg-Zeg le Haoussa et
,

: il s'empara de leur royaume. Puis de là en-


le Zanfara appartiennent aujourd'hui à la race
1

viron trois ans suscita une forte guerre contre des Fellatahs, qui sont les maîtres d'une grande
le roy de Cano, et fit de sorte (en continuant partie du Soudan. Cette race offre , sous le
;

le siège) qu'il le rendit jusqu'à épouser sa rapport historique, quelques traits d'ana-
; fille et lui quitter la tierce partie de son re- logie avec les Mantchous-Tartares auxquels ap-

i venu ; ce qui lui étant accordé laissa en ce


,
partient actuellement l'empire de la Chine.
royaume plusieurs facteurs et trésoriers pour Izchia était probablement un chef fellatah.
ï

S
lever sa portion des deniers et fruits provenant « Guber, royaume. —
Ce royaume est distant
d'iceluy. » (Description, de VJfriqiie, p. 32 8.) de Gaoga environ trois cents milles du côté
Évidemment la province dont il est ici du levant... Il est situé entre hautes monta-
question n'est pas le Kanem ou Kanemy, au gnes ,peuplé de plusieurs villages , lesquels
et

nord-est du lac Tchad, mais le Kano , située sont habités par gens qui mènent les bœufs et
au 12° lat. nord, presqu'au centre du Sou- brebis au pâturage. On y trouve communé-
dan , entre le Haoussa au nord, et le Zeg-Zeg ment les personnes assez civiles. Il y a grand
au sud. nombre de tisserands et cordonniers, lesquels

i

« Zeg-Zeg. Ce royaume confine avec Cano font des souliers à la mode que les souloyent
;
de du Siloc , et est distante de Ca-
la partie anciennement porter les Romains; il s'en
|
sena (Kashna) par l'espace de cent cinquante transporte une grande quantité à Tombut et
milles , étant habité d'un peuple très-opulent, à Gago. Le riz y croît abondamment et autres
qui trafique par tous les contours de ce pays, grains et de telle espèce en ay vu aux Itales
,

qui est partie en plaine et partie en monta- et croy ^emniable que l'Espagne en doit pro-|

gnes , dont l'une est merveilleusement froide, duire. Lorsque le Niger se déborde , il couvre
|

l'autre chaleureuse, tellement que les habi- toutes les campagnes voisines des habitalions|
tants, ne pouvant supporter la véhémence du de ce peuple, qui a coutume de semer le grain]
i
froid , ont coutume de faire en l'aire de leurs sur l'eau. Entre autres, il y a un grand village
maisons des grands foyers qu'ils avivent contenant environ six milles feux; là font ré-
I à force brasier ; puis le mettent sous les châlis sidence autant les marchands étrangers comme
qui sont fort hauts, et dorment en cette ma- ceux du pays même, et souloit être la demeure
nière. Néanmoins le territoire est très- fruc- du roi, lequel de notre temps fut pris par
tueux, et abondant en grains et fontaines. Ce Izchia, roy de Tombut, qui le fit mourir,
, ,

ÏOG L'UNIVERS.
que l'on doit les principaux documents A l'est de Targhan, dont nous avon
sur la partie orientale du Fezzan. parlé plus haut, est la petite ville de
Hemara, située dans une belle
faisant couper les génitoires à ses enfants, grande vallée. A quelques lieues de là
pour employer an service de son palais.
les est Zuila Zuela ou Sylah ( Cillala de
,

Par ce moyen il s'empara de ce royaume, sur Pline), qui du temps d'Ebn-Haukal e


lequel il constitua un gouverneur, oppressant d'Ëdrisi était la capitale du Fezzan
merveilleusement le peuple. » {Description de ( à 26° 11' 48" lat. nord ). Les habitants
l'Afrique, p. 327.) se disent issus d'une tribu de chérifs
Le Guber de Léon ne peut être que le c'est-à-dire parents du prophète. Ili
Cubbi (Coubi ou Goubi), pays de plaine, ont tous le teint clair, et se distinguen
situé sur les rives du Niger, au nord-ouest de leurs voisins par leur amour de la
de Sackatou. Quant au royaume de Gaoga justice, leur maintien calme et leur
qui l'avoisine à l'est, c'est une contrée encore
hospitalité. A un quart de lieue de la
indéterminée ; à moins que ce ne soit la région
ville, à l'ouest, on trouve les ruines
désignée sur les cartes sous le nom de Koukou,
d'une ancienne mosquée de quarante-cint
qui occupe une grande partie du nord-est du
Soudan et du grand désert de Libye limitrophe
mètres de long sur trente mètres de
jusque dans le voisinage de la Nubie. En effet, large; elle est bâtie en briques crues
Léon nous apprend lui-même (p. 33 1 ) que avec du ciment de chaux ; l'architectui
le Gaoga est un royaume qui confine avec est d'un style parfait. A un quart de liei
celui de Borno du côté du ponant et s'étend
,
delà mosquée, à l'est, sont cinq édifie*
devers le levant jusque sur les frontières du quadrangulaires, ayant sept mètres d( de ;

royaume de Nubie, qui est sur le fleuve du diamètre, dix mètres de haut, et des J
'

Nil , et la partie du midi se termine avec un toits et des fenêtres voûtés , ce qui est
désert qui se joint à un détour que fait le Nil, très-remarquable dans l'intérieur de l'A* ;

et devers tramontane finit aux déserts de Serta frique. Ces édifices sont garnis Jusqu'à \
et borne d'Egypte, prenant son étendue du la moitié delà hauteur, de plaques de grès
ponant au levant par l'espace ce cinq cents j

milles , et autant en largeur ou peu s'en faut. autres cités ne peuvent ni ne doivent égaler ,

Il n'est florissant en civilité, en lettres, ni en à celle-ci, quant àcivilité. Joint aussi qu'elle est
bon gouvernement. » fort abondante en pain et chair; mais il se» •

Dans notre volume sur YAfrique cen- roit impossible d'y trouver ni vin ni fruit,
'

trale, etc. ,p. 221, nous avons fait remarquer fors que son terroir est fertile en melons,
combien les voyageurs anglais sont laconi- citrouilles et coucourdes , qui s'y trouvent en
ques en parlant de Kouka , capitale du Bor- grande quantité, et de riz une chose infinie. ?

nou. Ce laconisme semble cacher un mystère : Il y a plusieurs puits d'eau douce, avec une ']

c'est que la ville de Kouka est une des villes les grande place, en laquelle au jour du marché <

plus commerçantes de l'Afrique et peut-être se vendent les esclaves tant hommes que
du monde. Déjà au seizième siècle elle était femmes , et s'achète une fille de quinze ans S

la rivale de Tombouctou. Léon l'appelle Gago. au prix de six ducats , et autant un garçon...
« C'est, dit-il, une très-grande cité et distante L'aune du plus bas drap d'Europe s'y vend
de ïombut environ quatre cents milles , du quatre ducats, quinze le moyen, et celui de
côté du midi , tenant quelque peu du Siloc. La Tenise fin, comme est l'écarlate, le bleu, ou vio-
plus grande partie des maisons est de laide let, ne se laisse à moins de trente ducais. Une
montre; toutefois il s'y trouve quelques édi- épée, la plus imparfaite qu'on sauroit trouver,
fices assez beaux et commodes , auxquels loge s'y vendroit trois ou quatre ducats. Ainsi, les
le roy avec sa cour. Les habitants sont riches éperons, brides , et sembLablement toutes mer-
marchands qui demeurent toujours sur les
, ceries et épiceries y sont très-chères, mais non
champs, vendant leur marchandise et trafi- pas tant ( sans comparaison) que le sel : on le
quant d'un côté et d'autre. Il arrive en cette vend plus chèrement que toute autre marchan-
cité une infinité de noirs, qui apportent de l'or dise qui s'y puisse conduire. » (Ibid., p. 326. )

en grande quantité pour acheter et enlever


, Tels sont les renseignements qui complè-
ce qui vient de l'Europe et Barbarie; mais tent ceux que nous ont donnés les voyageurs
ils ne sauraient trouver assez de marchandises anglais. La ville de Kouka pourrait devenir
pour employer si grande somme de deniers un point de communication fort important
qu'ilsapportent , tellement qu'il leur est force avec l'Algérie. La route la plus praticable
de faire retour en leur pays reportant quasi est celle qui passe par Gadamès et Ghraat
ou par Mourzouk.
:

la moitié ou le tiers de leurs deniers. Les


ÉTATS TRIPOLITAINS. 107

I rouge, et couverts d'inscriptions frustes rendez-vous de tous les marchands qui


que le capitaine Lyon prend pour des vont à Tombouctou ou Touat c'est là ;

;
inscriptions arabes. D'après ce voya- qu'ils font leurs préparatifs pour les
geur, ce sont là les monuments des longs voyages dans le désert. Depuis
1

chérifs qui s'établirent dans cette con- quelque temps la ville de Gadamès est
trée il y a cinq à six siècles. Après — tributaire de Tripoli et gouvernée par
une journée de marche, au nord-est, un fils du pacha. Les habitants sont en
on arrive à Temissa {Tamest d'É- relations de commerce continuelles avec
drisi). Le chemin conduit à travers des Tombouctou, et tous en parlent la
plaines fertiles. Ici la route se divise langue, ainsi que celle des Touaricks.
en deux branches l'une, passant par
: La population est formée par deux tri-
;
Tagga et Djermah ou Germah ( Ga- bus ennemies, qui vivent l'une à côté de
rama, capitale des Garamantes?),abou- l'autre sans entretenir entre elles au-

I
titau fond de la Syrte; l'autre, passant cune communication. Une grande mu-
par Augila, conduit en Egypte. raille circulaire renferme toutes
les
deux; mais un mur très-large coupe
Nous ne devons pas passer sous si- diamétralement la ville, et la divise en
lence deux stations principales, qui, à deux parties, qui ne communiquent que
l'ouest du Fezzan, pourraient acquérir par une porte, que l'on ferme à la moin-
une haute importance si l'Algérie allait, dre apparence de trouble. Avant que
ce qu'il faut espérer, entretenir un jour cette barrière n'existât il y avait guerre
des relations de commerce avec le Sou- continuelle entre les deux tribus enne-
dan, et particulièrement avec Kouka, mies , qui se nomment les Eenewazid
capitale du Bornou. L'une, la plus voi- et les Benewalid. La ville est entourée
jsine de l'Algérie au sud-est du territoire de jardins et de bosquets de dattiers;
tunisien, s'appelle Gadamès ; l'autre, la dans l'intérieur des murs est une source
plus éloignée , se nomme Ghraat. abondante, qui, à l'aide de cinq grands
canaux, fournit d'eau les bains, et ar-
Gadamès (Cydamus de Pline). rose toutes les plantations. La distri-
C'est une oasis , mieux connue
jadis bution de l'eau est confiée à une garde
que de nos jours; elle s'adosse au pla- nommée par les deux tribus. Chaque
teau des Berbères, près du bord mé- tribu a son cheik et une mosquée à
ridional- de l'Atlas. Léon l'Africain ne part. Le commerce et la chasse aux
nous en donne que cette courte des- autruches est la principale occupation
cription : « Gadamès, dit-il, est une des Gadamiens.
[(contrée contenant plusieurs châteaux et Gadamès est, d'après l'état actuel
villages bien peuplés , distante du côté de nos connaissances, la frontière la
de la mer Méditerranée environ trois plus occidentale de la chaîne d'oasis
cents milles. Les habitants sont riches dont parle Hérodote. C'est là que com-
en possessions de dattiers et en argent mence le pays riche en dattes, cette
(pour ce qu'ils démènent grand train de immense steppe, plane, unie et large
marchandise en la terre des Noirs, et de quatre-vingts milles géographiques,
j'se gouvernent par eux-mêmes, rendant qui s'étend au sud de ÏA Igérie jusqu'à
quelque tribut aux Arabes. Mais ils la frontière du Maroc , sous le nom de
étaient premièrement sous le gouverne- Beled-elDjerid ou plutôt Belad-el-Sché-
ment du roi de Thunes c'est à savoir , rit (pays de dattes) (1). D'après Léon
lieutenant de Tripoli. Là le grain et la Africain, le Beled-el-Djérid s'étend de-
j'

chair y est en grande cherté (1 ). » puis Pescara jusqu'à l'île de Djerbo. Ce


I Le capitaine Lyon a recueilli sur Ga- pays est fort sec, fort chaud le sol ne
;

damès les renseignements suivants : produit aucune espèce de blé: il ne pro-


cette station est située à quinze journées duit que des dattes en grande abondance
au sud-ouest de Tripoli et à vingt jour- et d'excellente qualité.
nées au nord-ouest de Ghraat. C'est le
(0 Shaco fait dériver ce nom de Beled-el-
Jèridd, pays aride. Suivant Jackson , il vient
(i) Description de l'Afrique, 3i6, de djerdad,
p. sauterelles.
,
,

108 L'UNIVERS.

Ghraat, II. PARTIE HISTORIQUE.


Cette station ne nous est connue que L'histoire des États tripolitains , de
depuis les relations des voyageurs an- la Cyrénaïque et de la Marmarique,
glais. Ghraat est une.ville enceinte de ayant déjà été traitée au long dans d'au-
murs, située à vingt journées de Touat tres volumes de Y Univers pittoresque,
et à dix journées à l'ouest de Mourzouk. nous n'aurons pas besoin d'y reve-
La plaine dans laquelle Ghraat est nir (1). D'ailleurs, Tripoli n'ayant ja-
située est couverte de cailloux , et en- mais formé un État réellement indépen-
tourée de montagnes désertes. Le dant, son histoire offre peu d'intérêt.
cheik de cette ville prend le titre de Les Phéniciens furent les premiers
sultan , mais il ne reçoit d'impôt que maîtres de l'Afrique, par les colonies
des habitants sédentaires ; les Touariks, qu'ils y avaient fondées. Ils léguèrent
qui forment la population nomade , ne leur pouvoir aux Carthaginois, et im-
lui payent aucun tribut; beaucoup d'en- plantèrent parmi les populations indi-
tre eux ont fait le pèlerinage de la gènes le caractère, les mœurs et h
Mecque, et sont , pour cette raison, vé- langue de la Phénicie, dont il reste en-
nérés comme des marabouts. Le gouver- core aujourd'hui des traces évidentes,
nement est entre les mains d'un conseil après un intervalle de plusieurs siècles.
des anciens : le sultan n'est, à vrai dire Leur domination fut successivement
qu'un grand commerçant. Les habitants remplacée par celle des Grecs et des
sédentaires se nomment Ghrati. Un Romains. Ces derniers, malgré leu
trait qui les distingue de tous les autres puissance, ne réussirent point à s'as
habitants, c'est qu'ils permettent aux simiter des races qui sont et resteror
étrangers d'avoir des relations avec leurs toujours antipathiques aux nations eu
femmes et leurs filles, qu'on assure être ropéennes. Cette antipathie, qu'on 1
très-jolies. Leur commerce avec le Sou- sache bien, est pour ainsi dire instinc
dan les rend tous riches et opulents. tive; elle ne repose point sur de sim
11 se tient chaque printemps un pies différences de religion; car, e
grand marché à Ghraat. Les marchands matière religieuse , quel peuple fut j<
de Gadamès y transportent des armes mais plus >tolérant que les Romains
de la poudre, du plomb du fer; ceux , D'ailleurs, à l'époque de la grandeur d
du Soudan, des esclaves de l'or et des
, Rome le polythéisme était partout lé
noix de gourou. Les Fezzaniens y vien- religion dominante.
nent aussi avec leurs marchandises de Plus tard , les chrétiens ne surent pa
Tripoli et de l'Egypte ; mais les princi- davantage gagner l'affection des indi
paux articles de commerce sont toujours gènes. Ils furent donc facilement chassé
les esclaves , les chameaux et les dattes. par les Arabes, qui, sous la conduite de
En résumant les renseignements que successeurs du prophète , vinrent enva
nous avons fait connaître, soit ici, soit hir et conquérir l'Afrique. Leur règne
ailleurs (1), on trouve pleinement justi- fut le plus long de tous, et l'on peut
fiée la division naturelle de ces régions, dire qu'il dure encore , car la conquête
telle que l'admettent les Arabes : ils de l'Afrique par les Turcs n'est qu'un
divisent l'Afrique septentrionale en par- épisode la vraie force réside dans l'é-
:

tie occidentale ( El-Maghreb ) et en partie lément arabe. Pourquoi ? C'est que l'A-
orientale. La limite entre les deux est rabe , ainsi que le Phénicien et le Car-
le Fezzan. La partie orientale s'étend
depuis l'Egypte {Mesr) jusqu'au Fezzan
(ï) Voyez V Afrique ancienne par M. d*À-
{Zuilah), et le Maghreb, depuis Zui- vezac, et Y Afrique chrétienne, etc., par
lah jusqu'à l'océan Atlantique. M. Yanoski. Dans le volume Arabie, par
M. Desvergers , on trouve les meilleurs ren-
(i) Voyez notre volume sur VAfrique, dans seignements sur Y Afrique sous la domination
Ja collection de Y Univers pittoresque. des Arabes ; enfin le volume Turquie, par
M. Jouannin, renferme le récit de la Conquête
et de f occupation des États barbaresques par
les Turcs.
ÉTATS TRIPOLÏTÀINS. 109

thaginois, appartient à une souche primitif. Voilà le secret de ces haines


commune de langues et de race, la sou- implacables, et de cette antipathie ins-
che sémitique, à laquelle appartiennent tinctive contre toute nation qui n'est
aussi l'Hébreu , le Syrien , l'Assyrien , le pas de race sémitique.
Chaldéen , et peut-être même l'Egyptien
APPENDICE.

i. Voici les renseignements qu'il nou


donne sur Tripoli
On conserve à la Bibliothèque natio-
:

nale un manuscrit français ( n° 2582 « Tripoli ( dit-il, p. q5 ) n'a point de ra


,
in-fol.,Suppl.) qui est*, comme l'in- à proprement parler; on y est exposé à to
dique le titre « la copie collationnée les vents, hors ceux qui viennent de la côte

d'un manuscrit français inédit de M. de Les Tripolitains sont peu forts sur mer; leurs
la Gondamine » (l). C'est le journal plus gros vaisseaux ne portent que trente
pièces de canon. Le fort qui défend le port
d'un voyage en Barbarie, en Syrie et
est plus régulier que les forts de la Goulette
en Asie Mineure. Il intéresse tout à à
Tunis et que le fanal d'Alger; mais l'artille-
la fois par les détails qu'il
renferme rie n'approche pas de celle des autres places,
et par le nom de l'auteur, qui,
pré- surtout d'Alger, dont le fort rond, appelé le'
curseur de Humboldt, ouvrit dans le
Fanal, parce qu'il éclaire l'entrée du port,;
Nouveau Monde un vaste champ aux in- est garni, dans son contour, de trois batteries»'
vestigations du philosophe et du natu- ae canon l'une sur l'autre. A mesure qu'on
raliste. Ce double intérêt devrait approche de Tripoli, il enlaidit à vue d'œil,.
faire
hâter l'impression du manuscrit, dont et quand on est dedans , c'est encore pis.!
nous nous bornerons à extraire quelques Les rues sont dépavées, ou ne l'ont jamais"
fragments , relatifs à Tripoli et à Alger. été ; elles sont pleines de plâtras et de décom-'
Ce voyage en Orient, exécuté en 1731, bres, et le peu que j'ai vu de la ville me pa-
précéda de cinq ans celui que la Con- raît se ressentir beaucoup de nos bombarde-'-

damine fit au Pérou, en compagnie ae clients. »

Bouguer et de Godin. Voici description que la


la Condamine :

Voici comment il raconte lui-même


donne de l'arc de triomphe romain à
le but de son voyage :
Tripoli :

« Journal de mon voyage au Levant. « C'est un pavillon carré, où on entrait


A Toulon, le 21 mai i7si.
« par une arcade de quatre côtés : il paraît très-
« Ayant appris qu'une escadre de quatre enterré, n'ayant que vingt pieds hors de terre è
vaisseaux du roi armait dans le port de il est si défiguré, tant de vétusté que
par la
Toulon,
sous les ordres de M. Duguay-Trouin
lieute-
,
main des Turcs, qui ont mutilé toutes les tètes
nant général, pour aller visiter les échelles de figures humaines pour se conformer à un
du ,

Levant et protéger le commerce, j'ai obtenu article de leur loi ? qu'il faut presque être averti
de M. le comte de Maurepas un ordre pour faire quelque attention à ce monument.
pour
m'embarquer sur le vaisseau commandé par Ils en ont fait un magasin, et ont été obli-
M. le chevalier de Camilly, dans le dessein
de
gés, pour lui donner plus de hauteur, d'éle-
satisfaire l'envie
extrême que j'ai toujours eue ver une maçonnerie de moellon, qui a environ
de faire un voyage de mer, et une toise au-dessus de l'entablement. Les
dans l'espé-
rance de m'mstruire sur la navigation quatre faces sont exposées obliquement aux
, et de
trouver occasion de faire quelques quatre points cardinaux. Elles regardent les
observa-
tions qui pussent m'être de points d'entre eux, c'est-à-dire, en terme de
quelque utilité
pour l'Académie. » marine, le nord-est, le sud-ect, le sud-ouest,
nord-ouest.
et le
La Condamine visita successivement «Le côté du sud-est, qui donne sur la rue,
Alger, Tunis et Tripoli.
au milieu duquel est la porte du magasin, est
le plus maltraité; la face opposée, qui re-
garde le nord-ouest, est la mieux conservée, du
on moins par le haut; car on ne peut juger du
"ù; e?,i^s
sconnalssanceswi, "^™p^
h as qui est masqué par des maisons qui y sont
,
ÉTATS TRIPOLITAINS. lit

adossées, ainsi que le côté du nord-est. La la langue franque, à laquelle on s'accoutume


face opposée au sud-ouest le découvre en en- fort aisément, surtout quand on sait un peu
tier; en montant sur les terrasses des maisons de Le franc de Tunis et ce-
latin et d'italien.
voisines, d'où je pouvais examiner plus com- lui de Tripoli tient beaucoup plus de l'italien,
modément les deux faces du nord-est et nord- comme celui d'Alger tient de l'espagnol. Tous
I
ouest la grande inscription, que j'ai
ouest, les Turcs qui ont été en Provence, eu Italie

déjà reconnue être beaucoup plus longue et ou au Levant, entendent et parlent ce lan-
fort différente de ce qu'en rapporte la Mo- gage, qui est la langue de commerce de tous
j
traye. Ce que j'ai reconnu de plus important, les ports de la Méditerranée

jle soir, au coucher du soleil, qui en éclairant « J'oubliais de dire que dans les temps du
[obliquement les caractères à demi effacés les dernier bombardement les esclaves français
(rendait plus aisés à lire, est que cet arc a été n'en furent pas plus maltraités. Les Turcs se
[élevé en l'honneur des deux empereurs complaisaient en disant que Dieu le voulait
iM. Aurelius Antoninus et L. Abrelius ainsi, et ne s'en prenaient point à ces mal-
•Ver us. » heureux. Il est vrai que le consul de Hollande
eut alors pour eux de grandes attentions, et
A la pag. 109 et suiv. on lit :
leur fournit tout ce qui était nécessaire pour
la vie; car on peut bien juger qu'ils étaient
« Les Français qui ont vécu à Tripoli
nous ont tous dit que les Tripolitains étaient renfermés trèsélroilement dans le bagne, d'où,
il s'en sauva même plusieurs, une bombe qui
de bonnes gens ils m'ont paru, ainsi qu'à Tu-
:

|nis, beaucoup plus polis et plus affectueux en y tomba leur ayant fait passage. Ce bagne est
général que ceux d'Alger; mais cela doit sur- un fort vilain endroit, voûté et obscur, où les,
prendre moins de la part des Tunisiens, à esclaves de la république sont enfermés aux
qui nous n'avons point fait de mal, au lieu heures où ils quittent le travail, et où les par-
ticuliers envoient les leurs quand ils crai-
que nous avons bombardé plusieurs fois Tri-
poli, et récemment, en 1727 dont leur ville
,
gnent de ne les pouvoir pas garder assez sû-
se ressent encore beaucoup (1). J'ai parlé à
rement, et particulièrement quand il y a en
plusieurs, qui me montraient froidement par rade des vaisseaux de guerre français, qui
occasion des ruines causées par les bombes, sont pour les esclaves un asile sûr, ainsi que
n'auraient jel'ai déjà remarqué. J'ai observé déjà que les
(comme une chose à laquelle ils

pris aucune part. Un d'eux même, et c'é- esclaves n'y sont pas, du moins la plupart,
Itait leTurc sur la terrasse de qui je mon- dans d'oppression et de misère où on les
l'état

tais pour examiner l'arc de triomphe, et qui croit en France : à la réserve d'un très-petit

me montrait des maisons voisines, qui n'é- nombre, qui peuvent tomber entre les mains
'taient point encore rétablies parut goûter
,
de patrons capricieux ou brutaux , les autres
mes raisons, lorsque je lui dis que l'empe- sont très-doucement traités , en sorte qu'il y a
[reur de France ne les devait pas bombarder souvent plus à gagner, pour un matelot ou pê-
pour le plaisir de leur faire du mal que cela ,
cheur ou autres gens de cette trempe, qui y
lui avait coûté beaucoup d'argent, raison qui sont les plus exposés, à être emmenés esclaves
près d'un Turc devient encore meilleure, et en Barbarie, que de rester dans leur pre-
'qu'il y avait été obligé, parce que le pacha mière condition. Les maîtres les plus difficiles
lui avait manqué de parole. A
cela le Turc ont soin de ne pas maltraiter leurs esclaves, qui
levait les yeux et haussait les épaules, et sem- sont leur bien et qui leur coûtent de l'argent ;
blait, par le geste, convenir de ce que je lui et chez les autres ils deviennent souvent les

idisais, et n'osait dire hautement que c'était la maîtres, et c'est une chose qui m'a encore été
faute du pacha. confirmée à Tripoli ainsi qu'à Tunis, que quand
« Je me faisais assez bien entendre de lui il y avait dans la ville quelque bon morceau,

jet de la plupart des Turcs en me servant de ou quelque jolie femme, les esclaves chré-
tiens y avaient la meilleure part. Un grand
nombre même de ceux qui sont au Bélic ou à
(I) Sous le règne de Louis XIV, Duquesne avait
la République ont la permission de tenir ta-
été chargé de réprimer les pirateries des Tripoli-
tains. Ce célèbre amiral rencontra huit de leurs verne et de vendre du vin ; ce qui leur vaut
vaisseaux , et leur donna la chasse : ils se réfu- beaucoup. Ils rendent tant par lune à leur
gièrent dans le port de Chio, appartenant au patron sur leur profit ; et quand ils sont payés,
sultan. Mais les Français les y suivirent , et les
ils amassent de quoi se racheter du surplus.
;

enlevèrent presque tous. Duquesne régla en-


suite les conditions de la paix avec le pacha de Leur condition d'esclave et leur profession ou
Tripoli. Les corsaires rendirent un vaisseau leurs talents, quand ils en ont, leur donnent
I
qu'ils avaient pris, ainsi que tous les Français accès dans les maisons; et comme les femmes
qui étaient tombés entre leurs mains, et qu'ils
les plus resserrées sont les plus complaisan-
avaient faits esclaves. (Annales maritimes,
'

sciences et arts ; t. XIV, p. 932. ) tes , et qu'elles ne connaissent ici pas même
L'UNIVERS.
!

le nom d'honneur et de vertu , et que l'i- le vent du golfe de Soliman ou de la montagraime


négalité des conditions ne fait pas ici la même de Plomb y a régné. Les Maures, j'entends
impression qu'en Europe, il ne faut pas s'é- les Maures blancs qui sont les naturels du
,

tonner que qui sont à portée de


les esclaves pays de Barbarie , sont la plupart grands et
profiter des occasions aient souvent de bon- bien faits ; ils ont le visage long basané ; les ,

nes fortunes. Ce sont les juifs, comme partout yeux petits et vifs ; bouche grande,
l'air fin ; la

ailleurs, qui font ici le change; il y en a de les dents belles, et pour peu qu'on en ait vu,
riches à Tunis ; mais à Tripoli comme à Al-
, on reconnaîtrait un Maure au milieu de plu-
ger, ils sont presque tous misérables. Peu de sieurs Turcs. Les Noirs habitent les montagnes
temps avant l'arrivée de l'escadre, le pacha en dedans des terres. Il y en a cependant
avait eu la précaution de diminuer les espèces, quelques-uns dans les villes. J'en ai vu même
surtout celles d'or, présumant qu'on apporte- qui ont une assez belle physionomie; mais la 1

rait des sequins ,


qui est la monnaie d'or qui plupart sont si horribles , qu'on ne les envi-
a cours dans Levant.
le sage qu'avec peine, surtout lorsqu'on voit
« La ressemble à un grand village
ville une barbe blanche et frisée, clair-semée,
ruiné , les maisons sont blanches , bâties en sur les rides qui labourent un teint noir et
terrasses comme à Alger et à Tunis, mais enfumé.
plus basses; je n'en ai point vu à deux étages. « Nous avons mangé à Tripoli du raisin
Les rues sont plus larges, ce qui, joint au peu mûr et fort bon ; du chasselas. Dans
c'était
de hauteur des maisons, fait qu'on est fort in- toute la Barbarie, je n'ai mangé aucun fruit qui
commodé du soleil. Les bazars que nous avons ne soit connu en France je ne parle point des
;

vus ne sont pas si beaux que ceux de Tunis. dattes fraîches, ni des figues de Barbarie,
Il y en a seulement un|fort petit que je ne dont ce n'était pas la saison.
crois pas achevé , qui est assez bien bâti ; il « La Motraye dit, en parlant des habita
fait ressouvenir des salles de marchands du des Tripolins : « La pièce d'étoffe de laine
Palais à Paris. « blanche qu'ils ont autour du corps , du
« On appelle pacha le
souverain de Tripoli : « moins les gens du commun , fait que leur
républiques de Barbarie avaient an-
les trois « habillement ressemble beaucoup aux dra^
ciennement la même forme de gouvernement; « periesque les peintres donnent dans leurs,
un pacha y commandait au nom du grand « tableauxaux anciens philosophes aussi bien
seigneur; il y avait deux principaux officiers « qu'aux apôtres et aux saints. Les Turcs om\
qui avaient sous lui la principale autorité. Le « une pièce d'étamine blanche, qu'ils mettent
dey rendait la justice, et le bey commandait « par-dessus leurs autres vêtements, et qui est
les troupes. Par les révolutions, fréquentes , il « une espèce de manteau de cérémonie, qu'ils'
est arrivé que celui des trois qui a été le plus « appellent bernins ou bernou. >>

heureux s'est emparé de la souveraine puis-


sance et est demeuré maître de l'État. En
, Nous n'avons pas pu résister auj
Alger c'est le dey qui gouverne. A Tunis le plaisir de reproduire ici les renseigne-
bey est absolu , et n'a laissé au dey ou do- ments que la Condamine nous fournit
lely que des honneurs, et la portion d'autorité sur l'Algérie, qui devait, un siècle après,
qu'il a bien, voulu lui conserver ,
qui ne con- devenir une conquête de la France.
siste que dans l'administration de la justice,
dans les affaires que le bey n'évoque point à « Alger est une espèce de république ; le dey,
lui. Le pacha que le grand-seigneur y envoie qui en est originairement le doge, a usurpé
n'y est reçu qu'à la condition qu'il ne se mê- peu à peu toute l'autorité. Celui qui règne
lera de rien , en attendant que les Tunisiens aujourd'hui est plus absolu que n'a jamais été
osent secouer ce reste de joug, comme les Al- aucun de ses prédécesseurs ; mais il ne main-
gériens leur en ont donné l'exemple. A Tri- tient son autorité que par une sévérité qui
poli le pacha est demeuré en possession de la approche de la cruauté. Pour réprimer les
souveraineté, et a gardé le nom de pacha. Il moindres complots qui y pourraient donner
réunit en sa personne le titre de bey , que atteinte, il a souvent sacrifié à ses soupçons ses
lui donne la république en l'élisant, et celui meilleurs amis, ou, pour parler plus juste,ceux
de pacha, que la politique de la cour ottomane des grands du pays avec lesquels il vivait le
accorde toujours au bey de Tripoli. La côte plus familièrement. Un mois ou deux avant
est plus nord que la carte ne l'a marqué. notre arrivée il en avait fait étrangler trois,
« Tripoli est plus sud qu'Alger et Tunis; qui peu auparavant avaient toute sa confiance,
d'ailleurs son terrain sablonneux contribue ou qui paraissaient l'avoir; car il serait très-
à augmenter la chaleur. Elle m'a paru consi- imprudent à lui d'en prendre en personne. Il
dérable; cependant nous en avons moins souf- vit dans une défiance perpétuelle de tout ce
fert qu'à Tunis , même dans la rade, tant que qui l'approche, et ressemble en cela au Pygma-
ÉTATS TRIPOLITAINS. 113
lion de TèUmaque, avec cette différence, que son divan et rend la justice. Ricaut, dans son
tout autre en place du dey serait obligé d'ê- Histoire de F Empire Ottoman, rapporte que
tre aussi défiant que lui. On lui rend la justice c'est faire affront aux Turcs que de se dé-
qu'il n'a point cherché à se faire ce qu'il est couvrir devant eux ils ont changé de céré-
:

et qu'il a même résisté quand on l'a mis en monial à Alger sur cet article c'est, à ce qu'on
;

place, et je n'ai pas de peine à le croire. Il m'a assuré, par l'imprudence de quelques es-
est général de la cavalerie, et avait une grande claves français qui pour faire leur cour au dey,
,

considération. pendant leur captivité, lui dirent qu'en France


« En montant à la souveraine puissance une grande incivilité que de paraître le
c'était
il a perdu la liberté, et est plus esclave qu'au- chapeau sur la tête. Depuis ce temps , dit-
cun de ceux qui le servent. Il n'oserait sortir on ils sont devenus plus près regardants, et
,

de son palais, qu'on appelle maison du roi, exigent même qu'on se découvre en passant
qui est tout à la fois, comme du temps de nos devant porte de la maison du dey. M. de
la
anciens monarques , et la demeure du souve- Florensac, à sa première audience , pour être
rain et le lieu où il rend la justice. Le dey a entré dans la cour du dey avec son chapeau
une autre maison qui lui appartient comme
,
sur la tête , reçut d'un chiaoux un avertisse-
particulier, dans laquelle logent ses femmes ment assez brusque, par un coup de baguette
et ses enfants; mais il n'oserait y aller, de peur sur le bras. Une fois, en passant devant la porte
qu'on ne croie qu'il leur porte son trésor, du dey avec un marchand français je ne me
amassé aux dépens de la république ; et de- découvris point comme lui, feignant d'igno-
puis huit ans qu'il règne on assure qu'il n'est rer la coutume. J'entendis un Turc ou un
sorti que quatre ou cinq fois deux ou trois
: Maure qui disait en espagnol : Celui-là n'a pas
fois pour aller à sa maison, voir ses femmes, ôté son chapeau.
et deux fois pour aller visiter la marine; « Le mauresque est la langue du pays. Les
encore n'était-on prévenu de rien, et il revint Turcs parlent turc entre eux ; mais la langue
par un autre chemin pour éviter le sort de
,
dont se servent les uns et les autres pour se
son prédécesseur , qui fût tué à coup de fusil, faire entendre aux Européens est ce qu'on
près de la porte de la ville , en revenant du appelle la langue franque. On dit qu'on la parle
port. Il est dans une appréhension perpétuelle dans tout le Levant et dans tous les ports de
de quelque soulèvement, et est souvent obligé la Méditerranée, avec cette différence que
de faire , par condescendance pour son divan celle qui est en usage du côté de Tripoli, et plus
et pour sa milice, des choses contre son gré. en avant vers le Levant, est un mélange de pro-
Il s'en explique assez ouvertement, et dans vençal, de grec vulgaire, de latin, et surtout
une des audiences particulières où je me suis d'italien corrompu, au lieu que celle qu'on
trouvé ,il nous a parlé des sept deys qui parle à Alger, et qu'on appelle aussi petit mau-
avaient été tués en un jour, et nous disait resque, tient beaucoup plus de l'espagnol,
qu'il n'était pas le maître. Peut-être affectait- que les Maures ont retenu de leur séjour en
il de parler ainsi pour s'autoriser à refuser Espagne. On assure même qu'il y a dans les
!une partie de ce qu'on lui demandait ; aussi terres de Barbarie plusieurs endroits où
•lui répondait-on toujours qu'il était despot- le bon espagnol s'est conservé, et la plupart
ique, et par-là on flattait sa vanité. Lors de des Maures l'entendent. On ne se sert presque
jîa première audience particulière, il avait pas des infinitifs dans ce jargon, qui s'entend
été question de la manière dont il recevrait aisément quand on est accoutumé à l'accent,
M. de Beaucaire, savoir s'il aurait ou non son surtout quand on sait le latin c'est celui des
:

chapeau sur la tête ; le dey tint bon sur cet divertissements turcs du Bourgeois Gentil-
article
, et. dit au consul que cela lui était im- homme et de l'Europe Galante.
possible, qu'il ferait soulever tous ses soldats; a II y a à Alger, parmi les Maures qui
y
que pour lui il souhaiterait le pouvoir faire sont établis, des familles très -anciennes. Il y
et que s'il était en campagne, ou en un lieu où en a surtout une, très-nombreuse, qui descend
il pût s'abstenir de ce cérémonial, il courrait des anciens rois maures de Grenade. L'un des
au-devant de M, de Beaucaire pour l'embras- chefs de cette famille vint rendre visite au
ser et le prévenir. On n'insista pas sur cet ar- consul pendant que j'y étais. Ils sont considé-
ticle, qui retarda d'un jour l'audience. M. de rés de leur nation à raison de leur naissance ;
,

Beaucaire ne voulut point que cela arrêtât la mais les Turcs ne mettent de différence entre
négociation. Il parla assis dans une chaise à eux et les gens de la lie du peuple qu'à pro-
bras et découvert à l'audience particulière portion de leurs biens et facultés. Comme
•qu'il eût dans le corridor au second étage, et ceux dont je viens de parler sont riches et
debout les deux fois qu'il parla au dey sous , puissants, et qu'ils ont plusieurs vaisseaux en
la galerie découverte au fond de la cour dont course dont ils sont armateurs, ils sont con-
j'ai parlé
,
qui est le lieu où le dey assemble sidérés des Turcs. On m'a dit aussi que ceux
8 e Livraison. (Etats tbipolitains. )
8
,

114 L'UNIVERS.
de cette maison ne se mésalliaient pas, et que près de six cents aspres de leur monnaie.
comme elle est très • étendue ils ne se ma- « Le commerce n'est pas très-considérable
riaient qu'entre eux. Celui que j'ai vu chez le à Alger. La Provence en tire des laines, des
consul se nommait Ben-Amar; je ne sais quel huiles pour les savons, et de la cire, qui vient
est le nom de sa maison. d'un endroit de la côte qu'on nomme Bougie.
« Alger est une ville fort peuplée ; les rues Je ne sais si le nom de bougie en français en
y fourmillent de monde, quoique dans la tire son étymologie. Quoi qu'il en soit, la cire
saison présente la plupart des particuliers qui en vient est jaune ; ils ne savent pas la
fussent à la campagne. Outre que les camps blanchir. C'est en France qu'on la prépare,
sont partis, c'est-à-dire que les gens de guerre ou dans les autres lieux où on la transporte.
sont dehors tous les ans au printemps, le dey On m'avait promis de me mener dans quel-
forme trois camps de ses troupes ,
qui pénè- ques boutiques voir travailler en broderie
trent dans les terres , l'un du côté de l'est sur des maroquins et à quelques autres ou-
l'autre du côté de l'ouest, et l'autre vers le vrages; mon départ précipité m'en a empê-
midi. Ils vont d'abord dans les villages, pour ché. Ce sont quelques marchands français,
fairepayer aux Maures le carach ou le tribut anglais et hollandais qui y font tout le com-
ordinaire qu'ils doivent au dey. Ils se répan- merce. Les Algériens sont tous soldats ou pi-
dent ensuite dans les montagnes et dans le rates. Depuis peu, outre les consuls de France,
pays inhabité jusqu'à ce qu'ils aient rencontré d'Angleterre, de Hollande, les Suédois y en
le camp des Maures , et qu'ils les aient forcés ont envoyé un , et ont fait un traité de paix
de satisfaire à la contribution. On dit aussi et de commerce avec les Algériens. Us l'ont
que les troupes qui partent d'Alger dans cette acheté à force de présents, de munitions de
saison vont renouveler les garnisons que les guerre et de marine. Les Anglais et les Hol-
Turcs entretiennent dans les places et les forts landais en font autant, et quoique nos traités
qu'ils ont sur la côte et dans les terres. Outre n'en fassent aucune mention, par un article
les Maures, qui sont les naturels du pays , et secret il est arrêté qu'on leur fournira tous
les Turcs , qui en sont les conquérants il y a, , les ans un certain nombre de câbles , de voiles
à ce qu'on assure, plus de dix mille juifs dans et d'ancres. Comme ces gens ne vivent que de
Alger. La plupart sont misérables; il faut leurs prises sur mer, il parait juste qu'en se
qu'ils le soient beaucoup pour rester dans un mettant par la paix à l'abri de leurs courses
pays où ils sont aussi maltraités. Ainsi que on achète ces avantages, en leur fournissant
je l'ai déjà remarqué, un grand nombre tra- ce qui leur est nécessaire pour la navigation.
vaillenten orfèvrerie, et les autres font leur mé- Si les princes de l'Europe voulaient s'enten-
tierde juifs, en exerçant le change et la ban- dre, il serait aisé , je ne dis pas seulement de
que, et en rognant les piastres, au risque de se rendre maître d'Alger, ce qui leur serait
se faire brûler. peut-être plus à charge qu'à profit mais d'o- ,

« La petite monnaie du pays , qui est peut- bliger les Algériens à quitter leur métier de
être la seule qui y soit fabriquée , sont de petits pirates, à cultiver leurs terres et à se livrer
morceaux de laiton blanc, taillés irréguliè- au commerce. Le terrain y est bon ; et si les
rement de la forme d'un carré iong très-min- , Maures n'étaient pas découragés par le pillage
ces, sur lesquels sont empreints quelques ca- des soldats turcs, la plupart des terres ne res-
ractères turcs ou arabes. On prétend qu'il y teraient pas en friche comme elles sont.
en a quelques-uns qui sont d'argent, qu'ils « La nourriture ordinaire Us sout
est le riz.
devraient tous en être, et qu'ils ne sont si aussidans l'usage de couper la viande en
remplis d'alliage que par la mauvaise foi du morceaux longs qu'ils mettent dessécher au
prince, qui s'est servi de ce moyen pour s'en- soleil pour les conserver.
richir, par la persuasion d'un favori ; on ap- « Alger ressemble de loin à une carrière de
pelle cette monnaie aspre. La petite piastre pierres blanches; la ville s'élève en amphi^
en vaut sept cents: il en faut à peu près dix théâtre sur un coteau dont la pointe s'avance
pour faire un para, ou un sol de France. Il au nord dans la mer, et forme le cap de Caxi-
suffit de savoir qu'une monnaie si basse a nes. La ville s'étend est et ouest , et paraît
cours pour en conclure la misère de ce peuple : avoir de loin la forme d'un hunier de vais-»
ils vivent pour cinq à six aspres par jour. Ce- seau. J'ai parlé de la construction intérieure
pendant, hors les choses nécessaires à la vie, des maisons, dehors elles paraissent assez
tout est cher à Alger, .du moins pour les étran- mal bâties ; elles sont de briques, mal liées avec
pu faire faire un gnomon pour
gers, et je n'ai du mauvais ciment, qui est le même qu'ils
une méridienne, composée d'une plaque de emploient à leurs terrasses ; la plupart des mu-
tôle ronde comme le creux de la main et , raillessont blanchies avec la chaux jusqu'à ,

d'une verge de fer grosse comme le petit doigt, une certaine hauteur. Il y a près de la maison
longue d'un pied, à moins d'un écu, qui vaut du dey et dans quelques autres endroits, des
ÉTATS TRIP0L1TA1NS.
cafés, où je ne suis point entré ; ils m'ont paru chrétien surtout le plain-pied des terrasses
,

de grandes salles voûtées, soutenues de co- offrant unefacilité infinie de passer d'une
lonnes on s'y entretient de nouvelles comme
; maison à l'autre. On m'avait assuré que mes
en France; les politiques oisifs et autres fai- instruments n'y couraient aucun risque, et
néants s'y rassemblent souvent. Les germes qu'il était inouï qu'on y volât dans les mai-
des soulèvements et des révolutions y sont sons ni par les terrasses. Effectivement toutes
éclos ; aussi sont-ils remplis des espions du mes affaires ont resté sur celles du consul à la
dey, et de tout ce que j'ai vu à Alger c'est ce discrétion des voisins on n'a touché à
, et
qui m'a le plus rappelé l'idée de Paris. J'ai rien. La promptitude, peu de
la sévérité et le
passé devant plusieurs mosquées ; il n'est pas formalité de la justice , procurent cette sécu-
permis aux chrétiens d'y entrer, sous peine rité. On coupe la main aux voleurs, et on la leur

dit- on, ou de mort, ou de se faire turc. Ils pend au cou ; on les exécute à mort. Les es-
sont ici plus superstitieux et plus attentifs sur claves ne sont point maltraités à Alger, à
cela qu'à Constantinople, où il suffît pour y moins que le hasard ne les ait fait tomber
entrer de quitter ses souliers. Le jour elles entre les mains de quelque patron extraordi-
sont toujours ouvertes, et ressemblent assez, naire;mais en général ils sont assez doucement
autant qu'on peut juger au coup d'œil, à une traités. Quand ils ont quelques talents, ou
église chrétienne sans tableaux ni ornements quelque métier, et un peu d'esprit ils se ren- ,

et dont le pavé serait couvert de nattes de dent quelquefois nécessaires , deviennent les
jonc. Les porteurs de faix ou gens chargés
, maîtres de la maison , ont la confiance du pa-
ont dans les rues de la ville le même droit que tronat couchent avec sa femme ce qu'ils peu- ,

les charrettes chargées ont en France sur les vent avec sûreté lorsqu'ils sont d'accord avec
grands chemins et les porteurs de chaise à elle, sans courir les mêmes risques que les
Paris ils crient : Bâtie! bâtie ce qui veut dire :
: ! étrangers. Alger se sent encore des bombar-
Gare! et n'ont aucune considération pour qui dements ; il y a encore des maisons qui ne sont
que ce puisse être. C'est encore bien pis pas encore rétablies. Il serait aujourd'hui plus
quand on rencontre des femmes à équipage. difficile à bombarder qu'autrefois. Le môle
Cet équipage est une mule, une rosse, ou est bordé de grosses pièces de canon. Le Fa-
une bourrique qui porte sur le dos une espèce nal, qui est un fort à l'entrée , a des batteries
de siège ou de boite carrée ; car tout ce qu'on l'une sur l'autre. J'ai vu un canon de vingt-
voit est une étamine blanche, qui enveloppe la deux pieds, donné par le sultan Sélim, dont le
chaise et la femme , dont à peine aperçoit-on nom est gravé sur la pièce en caractères turcs.
quelquefois le sommet de la tête. On juge Ily a plusieurs forts qui défendent la ville
bien que cet attirail et le Maure qui le con- un au nord, à quelque distance de la ville,
duit ne laissent pas de place de reste dans»les
, qu'on appelle le fort des Anglais, bâti depuis
rues aussi étroites que le sont celles d'Alger; quelques années pour défendre un endroit
et s'il ne se trouvait quelque porte , ou quel- de la rade assez éloigné de la ville, où des bâ-
que coude, on ne saurait réellement où se timents anglais venaient quelquefois mouil-
mettre. Aux heures de la prière, à Alger comme ler, outre le fort de l'Empereur et le fort de
dans toutes les villes mahométanes, un homme l'Étoile, dont j'ai parlé plus haut. Notre chan-
chargé de ce soin monte à chaque minaret, celier m'a assuré qu'on pouvait sans aucun
et par les quatre côtés successivement aver- risque chasser seul à deux ou trois lieues de la
tit le peuple par de grands cris; cela leur ville. Le plus sûr est cependant de prendre un
tient lieu de cloches. Si elles étaient en usage Maure pour guide et pour escorte. L'architec-
chez eux, les Algériens n'en iraient pas cher- ture du pays est moresque ou gothique. Ce
cher loin : il en reste huit de celles qu'ils ont que j'ai remarqué de plus singulier est le cin-
enlevées d'Oran , quand ils l'ont pris sur les tre des arcades qui soutiennent les tribunes
Espagnols, qui sont encore sous une des por- en dedans des maisons. Ce cintre est presque
tes d'Alger. On dit qu'ils en ont fondu plu- les deux tiers d'un cercle, au lieu que nos
sieurs autres. Il y a à Alger des lieux de com- voûtes ordinaires ne prennent pas le demi-
modité , et on ne jette pas, comme à Toulon, cercle. Ils les construisent fort adroitement
les ordures dans les rues : elles sont si étroites et n'ont pas d'autre charpente pour étayer la
qu'il n'y aurait pas où poser le pied. En gé- voûte jusqu'à ce qu'elle soit fermée que de
néral, Alger n'est peuplé que de canaille. Les simples cannes de jonc. »
Maures sont des misérables, et les Turcs qui
viennent tous les ans de Constantinople pour Nous reproduirons ailleurs la partie
s'y établir sont de vrais bandits -ils ne sub-
:
du voyage de la Condamine qui con-
sistent que de leurs rapines et pirateries. C'est cerne les côtes de la Syrie.
pour cela qu'il est fort singulier qu'on soit La Condamine rencontra à Tunis le
plus en sûrelé chez soi que dans un pays célèbre voyageur Shaw dont il fait un ,

8.
116 L'UNIVERS.
éloge mérité. Dans plusieurs circonstan- l'Afrique que le dattier (Phœnix dac
ces il fait ressortir l'exactitude des ré- tylifera), connu de toute antiquité, et le
cits de Thévenot, qui avait parcouru latanier nain (Chamœrops humilis, L.)
l'Orient bien avant la Condamine. Les fruits de ce dernier, quoique foi
Nous avions cru rencontrer dans le peu savoureux, sont, dit-on, mangés pi
Journal de la Condamine quelques in- les Bédouins (1).
dications sur la flore et la faune du Quant au dattier, dont nous avoi
nord de l'Afrique; mais notre espoir a parlé en différents endroits, il est , av<
été déçu : nous n'y avons trouvé qu'une le chameau , aussi nécessaire à l'Aral
courte" notice sur îe Cactus opuntia, L. que l'air et l'eau le sont à tous les êtres
( Opuntia vulgaris ) ou figuier de Bar-
,. vivants. Quelques voyageurs, entre au
barie, répandu dans toute la région très le capitaine Lyon, ont parlé de pa
méditerranéenne , et que l'on croit ori- miers un peu différents du dattier com
ginaire du Nouveau Monde. mun. Serait-ce des espèces différentes
Aux environs d'Alger la Condamine c'est là encore un point à éclaircir (2)
trouva « une espèce particulière de pe- Aune certaine distance du littoral
tits abricots, qui ne quittent pas leur au delà de l'oasis d'Audjéla , on rencon
noyau, qui sont infiniment plus délicats tre une espèce de palmier fort remai
et d'un goût plus relevé que les gros quable, en ce que son tronc (stipe) s
abricots. » Il en conserva des noyaux divise par dichotomie, ce qui est un
pour en essayer la culture en France. caractère assez rare dans cette famill
de monocotylédonées. Ce palmier es
II. le Cucijera thebaica de Delile ( Hy
NOTE SUR LES PALMIERS DE l'A-
phœne crinita de Gaertner, et Hyphasn
FRIQUE. cucifera de Persoon). Les Arabes l'ap
pellent Doum, nom qu'ils donnent auss
Les palmiers constituent la famille la quelquefois au dattier commun. Delil
plus intéressante du règne végétal, non- a trouvé le palmier doum dans la haut
seulement par leur structure et leur Egypte, près des monuments de Philœ
forme, aussi variée que merveilleuse, de Thèbes et de Denderah. Une des île
mais surtout par leurs nombreux usages. du MI , à peu de distance de Girgeh,
Malheureusement , pour ce qui est re- reçu le nom d'île de Doum, à cause du
latif aux espèces africaines, nos connais- grand nombre de ces arbres qu'elle pro
sances sont encore fort bornées. Il fau- duit. En s'élevant dans les plaines près
drait faire pour les palmiers de l'Afrique que stériles qui bornent le désert le ,

ce que Martius, célèbre botaniste de Mu- palmier doum présente Un rempart na


nich, a fait pour les palmiers de l'Amé- turel contre les vents et les sables, et
rique; mais un pareil travail, si impor- rend propres à la culture des lieux qu
tant pour les sciences , ne pourrait être autrement seraient abandonnés. Il re
que le résultat d'une expédition dans çoit sous son ombre les Mimosa épi
l'intérieur de l'Afrique (ï) car c'est là: neux, qui croissent rarement dans les
surtout qu'on trouverait des végétaux champs arrosés par le Nil. Sa verdure
qu'aucun Européen n'a encore vus ni contraste avec la sécheresse des lieux qu
décrits. Il répugne de croire que l'Afri- l'environnent (3).
que ne possède qu'une demi-douzaine
d'espèces de palmiers, tandis que le Brésil
seul en compte plusieurs centaines. (1) Le Chamœrops humilis est répandu, non-
seulement sur la côte africaine, mais dans toute
Desfontaines (Flora Atlantica), Vi- la région méditerranéenne. Le C histrix ap-
viani ( Spécimen florx Libyœ ) et partient à l'Inde.
Mungby (Flore de ï Algérie) n'indi- (2) « Le dattier, dit M. Rozet , est l'arbre des
ruines et des tombeaux on en remarque dans
:

quent sur la côte septentrionale de tous les cimetières, et presque toujours un auprès
de chaque marabout. Il est bien rare que les
(I) Nous avons déjà, dans plusieurs occasions, ruines un peu considérables ne soient pas annon-
fait ressortir l'utilité, la nécessité même
d'une cées par quelque dattier qui s'élève de leur in-
semblable expédition, qui ne pourrait être entre- térieur. ( Voyage dans la Régence d'Alger,
prise qu'aux frais du gouvernement. Une man- tome I, p. 188 ; Paris, 1833. )
que pas de savants courageux qui désireraient (3) Description de l'Egypte, Histoire natu-
en faire partie. relle, tome I, in-fol., p. 54 ( Paris, 1809).
ÉTATS TRIPOLITAINS. H7
Théophraste a le premier indiqué le suc , à section nette et dure. Aussi
les

palmier doum comme un arbre de l'E- Perses l'estimaient-ils beaucoup ; ils en


gypte ; il l'appelle xouxioço'pov, et en fait faisaient des pieds de lit (1). »
la description suivante « L'arbre : Plus de deux mille ans après Théo-
appelé Koukiophore est semblable au phraste (2), Delile, membre de l'expédi-
dattier il lui ressemble pour la tige et
:
tion française en Egypte, compléta cette
les feuilles, y a une différence :
mais il description (3) :

le dattier seule végétation


est d'une
« Les fleurs, dit-il, sont mâles ou femelles,
(jAovexpuéç) ( 1 ) et simple, tandis que l'autre,
sur des pieds différents. De longues grappes les
;

parvenu à un certain développement, se produisent en dehors de spathes dans les ais-


divise et devient dichotome, puis ces di- selles des feuilles. Ces spalhes, formés d'une
visions se bifurquent à leur tour (2). Il seule pièce , s'ouvrent sur le côté , et sont
a les rameaux courts et peu nombreux. petits en comparaison de ceux du dattier ;

On emploie son feuillage, comme celui ilscontiennent des graines ou spathes partiels
du dattier, pour des ouvrages textiles propres aux rameaux des grappes. Chacun
(irpbç Ta ^Xe-^axa). Il produit un fruit de ces rameaux se termine par plusieurs épis
particulier, bien différent de grosseur, ou chatons couverts d'écaillés imbriquées,
de forme et de suc ; car ce fruit remplit que des faisceaux de soie séparent , et du mi-
lieu desquels sortent des fleurs solitaires fort
presque le creux de la main ( ayiSov x*i-
petites.
poTrXnôéç ), il est arrondi, et non oblong;
« Les fleurs mâles out un calice à six divi-
sa couleur est jaunâtre son suc doux ,
sions dont trois , extérieures , étroites , sont
et d'une saveur agréable ; il ne croît pas
,

redressées contre un qui soutient


pédicelle
serré ( tôçôov ), comme le fruit du dat-
les trois intérieures, plus larges.Ces dernières
tier, mais par intervalle, un à un. Il a
divisions sont ouvertes et écartées. Le pédi-
un noyau grand et fort dur, avec lequel celle sur lequel elles naissent porte aussi les
\
on fabrique des anneaux pour des ou- étamines, qui sont au nombre de six , et dont
vrages de marqueterie. Son bois diffère les filets, réunis par leur base , au centre des
beaucoup de celui du dattier : l'un a les divisions , sont tellement disposés , que trois
[fibres lâches et jaunâtres, tandis que alternent avec ces divisions, tandis que les
i l'autre est dense , lourd , imprégné de trois autres leur sont opposés. Une anthère
ovoïde termine chaque filet.
« Le calice des fleurs femelles est plus
(1) L'expression de [Aovo<pusç , d'une seule vé-
gétation, contient en germe la belle théorie que grand que celui des- mâles et se divise en
,

!
M. Auguste Saint-Hilaire a développée {Le- six portions ; il est placé au-
presque égales
çons de Botanique ) avec cet esprit de clarté et dessous d'un ovaire à trois lobes. Cet ovaire
de philosophie dont Linné semblait seul avoir
grossit d'une manière irrégulière. Un seul des
le secret. Le nom de [xovocpuéç laisse naturelle-
lobes se développe communément pour for-
[

[ ment supposer qu'il y a un second, un troisième,


etc., degré de végétation. C'est en effet ce qui a mer le fruit , à la base duquel on remarque
i
lieu dans les divisions et subdivisions du sys- souvent deux tubercules, qui remplacent les
I tème axile.
lobes avortés. Mais lorsque deux ou trois
(2) Théophraste signale parfaitement le ca-
j
ractère le plus propre à faire reconnaître sur- lobes se développent ensemble, ils produisent
\ lechamp le palmier doum : Kouxiocpopov èazly autant de fruits soudés par la base , sur les-
;
opy.ov Ty <poivixi* Tr]v Se 6fxoi6xY]xa xaxàxà axé- quels une même écorce passe de l'un à l'au-
i
Xexoç £X £t xa>t Ta <puXXa ' Siacpépei Se, cm ô u,èv

xai àitXoîjv ècm , xoùxo Se rcpo-


cpoïvtl tiovocpusç
(i)Théophrast. Iïeptcpuxwv ïcrxopia S. xecp. (3.
j

aau^Oèv ayi^xai, xai yivexai Sixpoov. L'in- Schneider).


j

(p. 123-124, tome I, edit.


terprète latin a ici (ce qui lui arrive souvent) fort que
(2) Pline {Hist. nat., XIII, 9) n'indique
i

mal rendu le texte. Ainsi, il traduit xrjv Sèôu-oto- fort sommairement le doum. Il dit que ce pal-
;
xv)xa xaxà xo axéXexoç ëx st xai xà cpuXXa' Siacpe'pet mier croît en Egypte, en Syrie, et en l'île de
, Se, ôxi x. Xv X. par cette phrase : caudice et Crète; il signale comme caractère essentiel la
foliis differt, Or, comme on vient de le
quod, etc. bifurcation de la tige... Quœdam in Syrie et
: voir, le texte original dit tout le contraire. ( Theo- yÈgypio in binos dividunt se truncos : in Creta
phrasii Eresii quœ supersunt Opéra, tom. II, etiritemos, quœdamque in quinos— L'Ecluse et
i p. 82, edit. Schneider; Lips., 1818, in-8°. ) Bauhin n'en ont parlé que d'après Théophraste
Ne serait-il pas à souhaiter que les livres et Pline.
! de Théophraste sur la botanique ( Ilepi <puxwv (3) Le doum a de l'affinité
avec le genre Cha-
i
ïcrxopia ; alxitov cptoxtxtov ) fussent enfin
Tcspl mœrops dont les feuilles ont presque la même
,

traduits du grec en français. Ce serait rendre forme mais dans les Chamœrops l'embryon est
;

placé sur la côté de la graine, tandis que dans


i

! un service éminent tout a la fois à l'histoire de


la science et à la géographie ancienne. le doum il est placé au sommet.
,

118 L'UNIVERS.
tre, et dans chacun desquels se trouve une poussière glauque, comme des prunes w
fra;
semence parfaite. ches.
« Le fruit est un drupe sec, jaunâtre, « La semence ou l'amande de ses fruit
ovoïde, couvert d'une écorce fine, lisse et est d'abord cartilagineuse et remplie d'um
friable, qui cache un tissu particulier de eau claire sans saveur; d'ans les fruits mâlej
fibres. Une pulpe d'une saveur mielleuse et elle se durcit assez pour que l'on puisse ei
aromatique est logée entre les fibres, qui ex- former des anneaux et des grains de chapele
térieurement sont lâches et redressées ; elles faciles à polir. »
naissent d'une couche très-serrée à l'intérieur,
et qui forme une enveloppe ligneuse. Le tissu Onn'avait connu encore que lei,
dense de cette enveloppe ne se continue pas fruits du doum. Delile en a le premier
également de toutes parts pour former la bien décrit les fleurs. Avant ce bota.
paroi d'une loge complète ; il est interrompu niste célèbre, Pocock l'avait sommaire
dans un point à la partie supérieure , qui se ment décrit et dessiné, sous le nom d(
perce aisément. Cette enveloppe contient une Palma thebaica. Bruce le mentionne
amande ou semence de forme conique, quel- également ; mais il attribue aux fruits
quefois presque ovoïde, et élargie par une
une saveur amère , qualité tout à fait
de ses extrémités , qui lui sert de base. Cette
passagère. Forskal le place, sans le dé-
semence est un peu tronquée au sommet,
crire, entre les genres Borassus et Co-
où l'embryon se trouve logé dans une petite
rypha. Gaertner en a formé un genrd
cavité; elle est composée d'une substance
particulier, sous le nom de hyphœne, à
blanche et cornée , qui laisse un vide dans le
centre. La surface est recouverte d'une pel- cause de la position de l'embryon aii
licule brune et écailleuse. sommet de la graine (1). Deux espèces!
« Le bois du doum est plus solide que de ce genre sont décrites dans l'ouvragé
celui du dattier. On en taille des planches de Gaertner : l'une, H. crinita, est le
dont on fait des portes dans plusieurs villages même que \edoum ; l'autre,//, coriacea/
du Saïd. Les fibres de ce bois sont noires, en diffère par son fruit, élargi au sommet
J
et la moelle qui les unit est un peu jaune. Ces fruits se ressemblent d'ailleurs
Le bois des branches est mou léger et , , beaucoup : on découvre dans les deux
n'a point de couleur. Les feuilles sont em- espèces le même tissu de fibres, lorsque'!
ployées à faire des tapis des sacs et des pa-
,
la pulpe et la pellicule des fruits com-
niers fort commodes d'un usage très-ré-
et
mencent à se détruire ; mais ces fibresis
pandu. Les fruits ont une pulpe pleine de fibres;
se séparent plus facilement dans YHÏ
ce qui n'empêche pas les paysans du Saïd
coriacea, que dans Y H. crinita. —I
d'en manger quelquefois. On eu apporte beau-
coup au Caire, où on les vend à bas prix.
VH. coriacea est indigène de Mélindej:
( Zanguebar ), sur la côte orientale dm
On les regarde plutôt comme un médicament
utile que comme un fruit agréable; ils plai- l'Afrique (2). \

sent cependant aux enfants , qui en sucent la La côte occidentale de l'Afrique tro-
pulpe , dont la saveur est exactement celle du picale produit Y Elaeis guineensis, Jacqv
pain d'épice. On en fait par infusion un sor- le palmier à l'huile ou maba des indi-
bet, qui ressemble à celui que l'on prépare gènes. C'est la seule espèce de palmier
avec la racine de réglisse ou avec la pulpe des que renferme l'herbier de Smith, re-
gousses de caroubier. Cette liqueur est douce, cueilli au Congo , pendant l'expédition
et passe pour salutaire. du capitaine Tuckey. Le genre Elaeis
« Le doum ans au mois
fleurit tous les est encore très-imparfaitement connu,
d'avril. Il n'est pas besoin d'aider la
fécon- selon le journal de Smith. D'après Jac-
dation en portant des fleurs mâles sur les
quin, Y Elaeis guineensis est monoïque,
grappes femelles : la poussière des étamines
tandis que Gaertner l'a décrit comme
en volant dans l'air , imprègne suffisamment
les ovaires. Les paysans du Saïd assurent
qu'un doum mâle peut féconder plusieurs (1) Le nom (Thyphœne, du grec Oç>a(vw , je
pieds femelles éloignés. Quoiqu'il avorte tisse, esttout a. fait mal choisi. Nous proposons
le nom, beaucoup plus correct, de epacra ( de
beaucoup de fruits sur les grappes , ils y sont
è%i,sur, et àxpa, sommet), qui rappelle parfaite-
fort serrés ; s'ils nouaient tous , ils manque- ment le caractère essentiel du genre. Il faudrait
raient d'espace pour se développer : une alors nommer le palmier-doum Epacra cucifera.
grappe en produit environ trente ou qua- (2) R. Brown, Observations sur V herbier de

rante. Ils sont très-pesants avant leur matu-


Smith, recueilli sur les bords du Zaïre. Broch.
in-4°, 1818. (Extrait de l'expédition ducapit.
rité. Ils se colorent et se recouvrent d'une '

Tuckey. )
ÉTATS TRIP0L1TAINS. 119

dioïque, opinion adoptée, sans exa- pour une espèce de Phœnix (Ph. leonen-
men, par Schrœber, Willdenow et Per- sis), legenre Fulchironia, dédié à M. Ful-
soon. Ce palmier est aussi très-répandu chiron, devra disparaître de la science.
dans l'Amérique tropicale, particulière- Ce palmier a cela de particulier, que ses
ment au Brésil où il est connu sous le
,
feuilles, qui ressemblent tout à fait à

nom de Palma clendé {Palma adil de celles du Phœnix dactylifera, selaissent


diviser, beaucoup plus facilement que
Ciusius ). Suivant R. Brown, il est
indigène de F Afrique tropicale et occi- dans les autres espèces, en une multitude
dentale, d'où il a été sans doute trans- de filaments fibreux propres à fournir
,

porté en Amérique par des colons por- des tissus. Une autre espèce de Phœnix,
tugais. Son fruit, de forme ovalaire le Ph. paludosa, est également indi-
fournit l'huile de palme. Le suc fermenté gène de l'Afrique ; mais on n'a pas su in-
des jeunes spathes est employé en guise diquer avec précision la contrée spéciale
de vin (vin de palmier). que ce palmier habite. Ces deux espèces
Dans son Journal de l'expédition aux sont cultivées dans les serres du Jardin
bords du Zaïre (Congo) , le professeur des Plantes à Paris (1).
Voici, en résumé, les palmiers de l'A-
Smith fait mention d'une espèce d'ffy-
phsene, dénomination sous laquelle il frique jusqu'à présent connus : ceux
a rangé les palmiers qu'il aperçut,
dont les noms sont suivis de (?) ne sont
encore que vaguement indiqués :

pour la première fois en grande abon-


dance, à l'embouchure du fleuve, et qu'il Phœnix dactylifera. Sur toute la côte de
eut souvent occasion de reconnaître, l'Afrique méditerranéenne.
dans ses excursions, surtout auprès des Chamœrops humilis. Dans toute la région
banzas, ou villages des Nègres. D'après méditerranéenne.
Sur côte de Sierra*
les renseignements du jardinier Lock- Phœnix leonensis. la

hart, qui faisait partie de l'expédition, Leone.


Ph. paludosa. Sénégambie et Guinée ( ?).
ce palmier a les feuilles en forme
d'éven-
indivise. Hyphœne crinita , Gasrt. {Cucifera the*
tail, et la tige droite, simple,
baica, Del.). A une certaine distance de la
D'après ce dernier caractère, il n'appar-
mais côte méditerranéenne , dans la haute Egypte
tient pas à YHyphœne de Gaertner ; Fezzan.
et dans le
Rob. Brown incline à penser que c'est Hyph. coriacea, GsBrt. Sur la cote de
une espèce, non déterminée, de Corij- Zanguebar.
pha (1) (Corypha umbraculifera? ). Corypha umbraculifera (?). Au Congo;
Les Nègres du Congo le cultivent pour bords du Zaïre.
en extraire du vin. — Le journal de Elœis guineensis, Jacq. Au Congo ;
bords
Smith mentionne aussi une espèce de Ra- du Zaïre.
phia probablement le Raphia mnifera
,
Raphia vinifera ( ? ) Ibidem.

de Beauvois (Sagus palma-pinus de Calamus secundiflorus ( ? ). Ibidem.


Gaertner). L'herbier renferme des feuil- Elate (phœnix) sylvestris, Ait. (?). Ibid.
les semblables à celles du
Calamus que
Tels sont les renseignements
secundiflorus , Beauv., qui a été aussi recueillir sur les palmiers de l'A-
j'ai pu
retrouvé à Sierra-Leone par le professeur
frique.
Afzeli'us. On y voit en outre un chaton
mâle, qui ressemble à celui de YElate pour témoigner
( Phœnix )
sylvestris de l'Inde. On — (I) Je saisis cette occasion
toute ma reconnaissance à M.
Oulet, sous-chef
d'un rare mé-
n'a aperçu le cocotier {Cocos nucifera,~h.) des serres du Muséum, botaniste
rite, qui a bien voulu me
guider dans ces re-
.dans aucun endroit sur les bords du C'est à son obligeance que je dois les
cherches.
rapporter.
Zaïre. derniers détails que je viens de
Dans la Guinée septentrionale , sur la

côte de Sierra-Leone, on a trouvé une


espèce de palmier qui fut d'abord desi-
gnée sous le nom de Fulchironia leonen-
sis. Mais ce palmier ayant été reconnu

(1)R. Brown, Observations sur les plantes re-


cueillies aux bords du Zaïre, p. 66,
120 L'UNIVERS.
gré d'en donner ici un abrégé. Voici, d'a-
III.
près le système de Linné, l'énumération
des plantes de l'herbier de Délia Cella
NOTE SUR LA FLORE DE TRIPOLI.
( nous avons reproduit à la fin les princi-

La flore de la région méditerranéenne, paux caractères des genres et espèces


dont de Tripoli n'est qu'une frac-
celle nouveaux établis par Viviani) :

tion nous intéresse sous le triple rap-


,
Salicomia radicans. Sur la côte de Tri-
port de la botanique, de la géographie poli.
physique et de la météorologie. Un fait — fruticosa. Sur la côte de toute la Libye
qui frappe tous les botanistes c'est que
, Olea europœa. Sur les collines de Tripol
les mêmes plantes qui habitent la côte et de la Cyrénaïque.
méditerranéenne de l'Europe se retrou- Pliyllyrea angustifolia. Dans les monta-
vent sur le rivage opposé de l'Afrique. gnes de la Cyrénaïque.
C'est ce qui avait fait établir à Viviani — latifo lia. Ibid.

cet axiome célèbre Nihil inflora bo-


:
Sali>ia clandestina. Dans le désert de
reall-africana reperiri quod Euro- Grande Syrte.

pseam australiorem non sapiat. Fedia cornucopia. Dans les prairies de


Cyrénaïque.
La flore générale de la région médi- — denta ta. îhid.
— coronala.
.

terranéenne reste encore à faire ce se- :


Ibid.
rait une entreprise digne de tous les en-
Iris syrtica. Monticules sablonneux de 1

couragements d'un gouvernement ami Grande Syrte.


de la science et jaloux de la gloire du
pays. Nous ne possédons encore à cet
— sissyrinchium. Sur les collines près d
Lébida.
égard que de rares documents, la plupart — juncea. Sur les collines de Tripoli.
fort incomplets , du moins en ce qui — tuberosa. Montagnes de la Cyrénaïque
concerne la côte méditerranéenne de Phalaris canariensis. Régions herbeuse
l'Afrique. Ainsi , Schousboe {Jagttagel- de Tripoli.
ser over vextrigeti Marokko; Copen- — pubescens. Ibid.
hague, in-4°, 1800) a donné rémunéra- Melica cjrenaica. Montagnes de la Cyré
tion de quelques plantes du Maroc, naïque.
principalement des environs de Ceuta et Chrysurus cynosuroides. Collines de Tri
de Tanger; Poiret {Voyage en Barba- poli etde la Cyrénaïque.
rie; 2 vol. in-8°, Paris, 1787) a décrit
Cynosurus echinatus. Prés montueûx de 1
Cyrénaïque.
les végétaux qui croissent aux environs
Bromus chrysopogon, Viv. Prairies de 1
de la Calle, près de Tunis; Desfontai-
Cyrénaïque ( Espèce nouvelle. )
— canescens.
.

nes {Flora atlantica) et, plus récem-


Littoral de la Pentapole.
ment, Mungby ont connaître la
fait
flore de l'Algérie. Prosper Alpin, au
— tenuifoïms , Viv. Ibid. ( Espèce non
velle.)
seizième siècle, etDelile, au commence- Milium cœrulescens. Collines de Tripoli.
ment du dix-neuvième, ont le mieux Stipa tortilis. Tripoli et littoral de la Peu
étudié la flore de l'Egypte, tapole.
Quant à laflore de la côte tripolitaine, Avena fatua. Collines de Tripoli et de la
nous n'avons que l'herbier du docteur Cyrénaïque.
Délia Cella collationné et décrit par le
,
— sterilis. Collines de la Cyrénaïque.

professeur Viviani, sous le titre Florœ :


Triticum hispanwn. Littoral de Tripoli.
Libycx Spécimen, sive plantarum enu- Scabiosa rhizantha, Viv. Montagnes de k
meratio Cyrenaicarum , Pentapolim, Cyrénaïque. ( Espèce nouvelle. )
Magnx Globularia alypum. Rochers maritimes d(
Syrteos desertum et regio-
la Pentapole.
nem Tripolitanam incolentium quas ,
Sherardia arvensis. Montagnes de la Cy-
ex siccis speciminibus delineavit , etc.,
rénaïque.
Viviani, in regia univers. Genuensi
bot. et hist. nat. professor. Genuse,
— muralis. Rochers de la Cyrénaïque.
Plantago lagopoides. Rivage de Tripoli.
1824. —
Comme cet ouvrage (brochure — syrtica. Bords de la Grande Syrte.
in-fol.de62 pages) est assez rare, et qu'il Hypecoum œquilobum. Cyrénaïque.
traite d'une matière tout à la fois inté- Èclùum macranthum. Entre Tripoli et Lé-
ressante et peu connue, on nous saura bida.
ETATS TRIPOLITAINS. 121

Echium spathulatum. Littoral de la Grande Ferula opoponax. Monlagnes de la Cyré-


Syrte. naïque.
— distachyum. Ibid. — communis. Cyrénaïque.
Echiockilon fruticosum. Littoral de la Scandix australis. Montagnes de la Cy-
Grande Syrte. rénaïque.
Myosotis Monlagnes sablon-
tenuifolia. Sium radiation. Dans les marais salants de
neuses et sèches de Cyrénaïque.
la la Grande Syrte.
Nonea phaneranthera. Cyrénaïque. Parentucellia. (Nouveau genre de scro-
Lithospermum micranthum. Désert de la phulacées établi par Viv., en l'honneur de
Grande Syrte. Parentucelli , savant du quinzième siècle. )
Anchusa bracteolata. Montagnes de la Cy- Caractères essentiels « Corolla vigens ;
:

rénaïque. tuberculiduo antherij ormes supra labium in-


—ventricosa. Monticules sablonneux de la ferius ; semina parietibus capsulœ bivalvis
Grande Syrte. seriatiminserta. » (Voisin du genre Besleria.)
Cynogiossum clavatum. Ibid. —
floribunda. Collines maritimes de la Pen-
Cerinthe aspera. Cyrénaïque. tapole. ( Foliis ovato-acutis ,
projunde ser-
i Onosma echinata. Littoral de la Penta- ratis , omnibus oppositis, sess'dibus, quin-
pole et de Tripoli. quenerviis ; floribus spicatis ; caule erecto. )
Anagallh arvensis. Collines de Tripoli et
Voici les renseignements que Viviani
|

delà Cyrénaïque.
donne sur le fameux sylphium des an-
Convolvulus althœoides. Ibid.
—Uneatus. Ibid. ciens :

j
— tricolor. Ibid. Thapsia sylphium : « Foliis pinnatis; fo-
Lonicera cyrenaica. Collines de la Cyré- liolis multipartitis ; laciniissimplicibus, trifidis,
naïque. omnibus linearibus, elongatis, utrinque hirsu-
Coris monspeliensis. Collines maritimes de tis, margine revolutis. Radix crassa, fusifor-

Tripoli et Pentapole. nais ; caulis erectus , teres , sulcatus ,


glaber ;

Lycium europœum. Près de Tripoli. foliacaulina petiolo basi ample dilatato , am-
—a/rum. Désert de la Grande Syrte. plexicauli , pinnata , foliolis plurimis verticil-
Ziziphus vulgaris. Tripoli et Cyrénaïque. latim erumpeutibus , sessilibus, quinqueparti-
— Rochers
lotus. maritimes de la Cyré- tis ; laciniis aliis simplicibus, aliis trifidis pin-

naïque. nalifidisque; foliolis, laciniisque omnibus li-


Rhamnus alaternus. Dans toute la Cyré- nearibus, elongatis, margine revolutis, utrin-
naïque. que hirsutis; umbellae in extremo caule et
Vitïs vinifera. Collines de Tripoli et de ramismagnae, convexae, multi-radiatœ ; invo-
la Cyrénaïque. lucra et involucella , in planta fructifera
Illecebrum paronychia. Collines de Tri- nulla ; umbellulœ multiflorœ ; pedunculi tenues,
ipoli. glabri ; florem haud vidi ; fructus maximus,
Gjmnocarpus decandrum. Rivage sablon- 22 millima longus, i3 mill. latus ; semen
jneux de la Grande Syrte. lineari-ellipticum, basim versus paulo te-
Nerium oleander. Dans toute la Cyrénaï- nuius , nervis 3-4 crassis exaratum , lato
que. margine membranaceo, sericeo-nitente sub- ,

Periploca rigida. Collines de Pentapole. undulato, exceptum. —


Habitat in montibus
Herniaria hirsuta. Collines de Tripoli. Cyrenaicis. —
Obs.: Licet florem non viderim,
j
Salsola fruticosa. Rivage de Lébida. de Thapsiae génère haud dubito. Thapsiam —
Piïuranthus. (Nouveau genre d'ombelli- quoque garganieam, cui nostra species valde
fères, créé par Viv.; de TUTUpov, écaille, dont proxima, medicatis viribus apud incolas prse-
se recouvrent l'involucre, Finvolucelle et les dicari ab I. Bahuinio aliisque auctoribus
fruits.) traditum fuit. Folia cotyledonalia e seminibus
Caractères essentiels : Involucrum et invo- ex sicco hujus planta? specimine decerptis,
lucella polyphylla ; p étala ovato-subrotunda, vidi ovala longe petiolata , eaque aemulantia
integerrima ; fructus hemisphœricus , squa- quae clar. Guanius in T. garganica obser-
misfurfuraceis ledits. va vera t. »
—denudatus, Viv. Dans la Cyrénaïque. Statice monopetala. Marais de la Grande
Caucalis leptophila. Champs près de Tri- Syrte.
poli. — pruinosa. Littoral de Tripoli et de la
Athamanla sicula. Rochers de la Penta- Grande Syrte.
pole. — Thouinii(S. œgyptiaca , Delile).
Ferûla nodiflora. Montagnes de la Cyré- Linum narbonense. Champs près 4e Tri-
! naïque. poli.
.

122 L'UNIVERS.
Linum decumbens. Champs près de Tripoli. Sedumbracteatum,~\T iv. (Espèce nouvelle,
Narcissus sevotinus. Entre Lébida et Me- qui diffère du S. cœruleum , Vahl., par ses
surate. feuilles, linéaires, non oblongues-, par ses
Aphyllanthes monspeliensis . Collines de bractées ovales-aiguës; elle est d'ailleurs tout
Tripoli. à fait hispide.) Littoral de la Grande Syrte.
Allium chamœmoly. Ibid. Oxalislibyca, "Viv. (Espèce nouvelle.) Acau-
— odoratissimum. Ibid. lis, scapo umbellifero ; calycinis folio lis
— paniculatum. Littoral de Tripoli. apice biglandulosis corolla quadruplo bre-
Qrnithogalumflbrosum.'Dësert de la Grande vioribus ; foliis ternatis , foliolis obcordato-
Syrte. bilobis, sessilibus , pilis sparsis , hirsutis.
— umbellatum. Collines de Tripoli. Dans les prairies de la Cyrénaïque.
— Pyrenaicum. Ibid. Euphorbia seticortùs. Littoral de Tripoli.
Perwiana.
Scilla Ibid. — trapezoidalis. Littoral de la Penta-
— undulata. Ibid. pole. Cette plante diffère de l'espèce précé-
— maritima. Littoral de Tripoli. dente par sa petite taille et par son ombelle,
Asphodelus flstulosus Ibid. . non quinquéfide, dichotome.
Anthericum trinervium. Cyrénaïque. — heterophylla. Collines sèches de Tri-
Hyacinthus sessiliflorus. Littoral de la poli.
Grande Syrte. Euphorbia paralias. Côtes de Tripoli et de
Hyacinthus botryoides. Collines de Tripoli. la Pentapole.
Frankenïa hirsuta. Littoral de la Grande — dendroides. Ibid.
Syrte. — spinosa. Collines de Tripoli et de la
,

Rumex bucephalophorus. Collines de Tri- Cyrénaïque.


poli. — peplus. Sur les bords des champs de 1

— spinosus. Montagnes de Cyrénaïque. la Tripoli.


Lawsonia inermis. Cyrénaïque. — helioscopia. Cyrénaïque.
Passerina hirsuta. Littoral de Tripoli. Cactus opuntia, L. Rochers de la Penta-
Polygonum maritimum. Ibid. pole.
* Laurus nobilis. Montagnes de la Cyrénaï- Myrtus communis. Dans toute la Cyrénaï-*
que. que. ?

Anagyris fœtlda. Littoral de la Pentapole. Punica granatum. Montagnes de la Cy-


Fagonia Cretica. Montagnes de la Cyré- rénaïque et jardins de Tripoli.
naïque. Amygdalus communis. Ibidem.
Arbutus unedo. Montagnes de la Cyrénaï- Capparis spinosa. Dans les fentes des ro-i
que. chers de la Pentapole et de la Cyrénaïque..
Dianthus prolifer. Collines près de Tripoli. Glaucium violaceum. Collines de Tripoli.'
Silène setacea. Littoral de la Grande Syrte. Papaver rhœas. Tripoli et Cyrénaïque.
— nocturna. Cyrénaïque , et près de Tri- —hybridum. Littoral de Tripoli.
poli. Cistus syrticus , Viv. ( Espèce nouvelle. )\
— articulata, "Viv. (Espèce nouvelle.) Caractères essentiels : Stipulatus, suffruticosus,
Caractères essentiels : Petalis subbifidis , ca- hirsutus; ramis divaricatis; foliis subsessilibus,
\

lyce quadruplo laminam superante ; floribus linearibus y margine revolutis ; slipulis con-
axillaribus, racemosis ; calyce setulis articula- formibus ; calycinis foliolis majoribus, exqui-
tis hirlo ; capsulis globosis ; foliis inferioribus site quinquenerviis ; minoribus ovato-rotun-
spathulatis ; superioribus floralibusque lan- datis. Fruit encore inconnu. Ibidem.
ceolatis. Littoral de la Grande Syrte. — ciliatus. Collines de la Cyrénaïque.
— cryptantha, "Viv. (Espèce nouvelle. ) Ca- —ruficomus, Viv. ( Espèce nouvelle.) Carac-
ractères essentiels : Foliis obovato-spathulatis', tères essentiels Stipulatus, suffruticosus, pube
:

floribus axillaribus, subsessilibus , solitariis; stellata canescens ; foliis oppositis , inferiori-


petalis bilobis , calycem quinquefidum subœ- bus ellipticis , superioribus linearibus ; flo-
quantibus. Littoral de Tripoli. ribus racemmsis , adproximatis , calycibus lus?
Cette plante ressemble au S. decumbens ; pidissimis , rufescentibus. Littoral de la
elle en diffère par ses feuilles, non spathulées, Grande Syrte.
arrondies au sommet. —micranthus, Viv. Ibid. (Espèce nouvelle.)
—ligulata, Viv. ( Nouvelle espèce. ) Fo- Caractères essentiels : Stipulatus, suffruticosus,
liis linearibus ; floribus racemosis ; calycibus stellato-hirtus ; foliis linearibus , obtusis ,
angulato-hispidis ; petalis biparti tis ; squamis margine subrevolutis ; stipulis lineari-lari'
coronœ biais , elongatis , linearibus , obtusis. ceolatis ; calycis foliolis majoribus ovato-
Littoral de Tripoli. acutis , corollam superantibus
Arenaria serpyllifolia. Ibidem. — parviflorus. Rivage de la Pentapole.
ETATS TRIPOLITAINS. 12S
Cistus lanuginosus. ( Espèce nouvelle. ) Ca- Orobanche fœtida. Collines de Tripoli.
ractères essentiels : Suffruticosus , sûpulatus, Phelypœa -violacea. Littoral de Tripoli.
foliis calycibus lanuginoso-hirsu-
elliplicis •
Lunaria libyca , Viv. ( Espèce nouvelle.
)
tis ; foliolis calycinis omnibus lanceolatis Caractères essentiels :Hirsuta ; caule ramoso ,
longitudine œqualibus ; corolla calycem diffus o , foliis sublinearibus , integerrimis;
œquaiite capsulis exquisite triquetris. Col-
; floribus corymboso-racemosis ; siliculis hispi-
lines de la Grande Syrte. dis. Grande Syrte.
Adonis microcarpa. Collines sablonneuses Carrichtera vella. Collines et rivage de
de la Grande Syrte. Tripoli.
Ranunculus asiaticus. Bord oriental de la Alyssum atlanticum. Rochers de la Penta-
Grande Syrte. pole.
—saniculœfolius, Viv. (Espèce nouvelle.) — campestre. Montagnes de Tripoli.
Caractères essentiels : In inundatis saisis .Biscutella apula. Montagnes de la Cyré-
Magn. Syrt. Proximus Rammculo hederaceo naïque.
at differt foliis profundius lobatis , et partitis Bunias ovalis , Viv. (Espèce nouvelle. ) Ca-
lobisnon integerrimis, sed constanUr crena- ractères essentiels : Glabra ; foliis carnosis
,
pedunculis longissimis ; petiolis basi non
tis, ovatis, incequaliter et obsolète crenatis , vel
appendice membranacea auctis. integerrimis; siliqua subtetragona, subdis-
Ranunculus hederaceus. Montagnes de la perma , nervoso-angulata , in calyce pedun-
Cyrénaïque. culata. Littoral de la Pentapole.
Teucrium flavum. Collines maritimes de Sisymbrium coronopifolium. Littoral de la
Tripoli et de la Cyrénaïque. Grande Syrte.
Satureia nervosa. Collines sèches près de — simplex, Viv. ( Espèce nouvelle , qui dif-
Lébida. fère du S. murale par sa tige et ses feuilles
Nepetà scorditis. Pentapole. Plante encore glabres , et les valvules planes, non carénées. )
peu connue. Littoral de Tripoli.
Phlomis samia. (Yar. bicolor). Montagnes —
cinereum. Ibid.

>

de la Cyrénaïque. erysimoides. Ibid.


Thymus hirtus, Viv. (Espèce nouvelle. ) Ca- TSasturtium palustre. Marais de la Cyré-
ractères essentiels : Incano-hispidus ; foliis li- naïque.
nearibus , margine revolutis ; ramis floriferis Matkiola acaulis. Pavage de la Penta-
'virgatis , aphyllis bracteis ovato-acutis. Col- pole.
?
lines sablonneuses de la Grande Syrte. — parviflora. Littoral de Tripoli.
Prasium majus. Collines maritimes de la Brassica lyrata. Collines entre Tripoli et
Pentapole. Lébida.
— minus. Ibidem. — suffruticosa. Rivage de la Pentapole.
Antirrhinum spicatum , Viv. Montagnes de Raphanus amplexicaulis , Viv. (Espèce nou-
la Cyrénaïque. ( Espèce nouvelle. ) Caractères velle.) Caractères essentiels : Foliis caulinis ova-
essentiels : Caule suffruticoso; ramis, pedun- to-cordatis, acutis, amplexicaulibus, serrula-
\
culisque tandem in spiram abeuntibus ; foliis tis ;rostro apicem 'versus tetragono. Au pied
;
subsessilibus ovatis basi cuneatis , inœqua~
, , des montagnes de la Cyrénaïque, du côté de
liter dentatis ; calcare corollam œquante. la Syrte.
Viviani n'en a pas vu la capsule. — pinnatus Viv. ( Espèce nouvelle. Carac-
— triphyllum. Près de Tripoli. tères essentiels
,

Foliis pinnatis, foliolis lineari-


)

— virgatum. Ibid. bus ,canaliculatis


;
:

hispido-fujfura- siliquis
— laxiflorum. Ibid. ceis,rostrum complanatum longitudine œquan-
— tenue,
Viv. (Espèce nouvelle.) Caractères tibus. Littoralde la Grande Syrte.
essentiels : Foliis alternis, temisque linearibus; Hesperis nitens, Viv. (Espèce nouvelle.)
floribus terminalibus y pedunculatis ; corollœ Caule suffruticoso ; foliis sessilibus , inferio-
labia inferiore bilobo , super iore bifido. Cal- ribus obovato-oblongis , superioribus lato-li-
care subconico , , tubum
recto œquante. Vi- nearibus, obtusis ; siliqua subtetragona.
viani "n'en a pas vu la capsule. Collines sa- Plante très-glabre. Rochers maritimes de la
blonneuses de la Grande Syrte. Pentapole.
— sparteum. Littoral de Tripoli. Erodium laciniatum. Rivage de Tripoli.
Orobanche compacta, Viv. (Espèce nou- — asplenioides. Ibid.
velle. ) Caractères essentiels : Caule simplici — pruinum. Montagnes de la Cyrénaïque.
imbricato , a basi ipsa fiorifera ; spica ovato- — - supragonum. Ibid.
multiflora; bracteis ternis, ovatis; labio su- — tordiliodes. Ibid.
periore bifido , laciniis ovatis, acutis. Littoral Géranium molle. Dans toute la Cyrénaïque»
de la Grande Syrie. -— dissectum. Champs de Tripoli.
, ;,

124
L'UNIVERS.
leguminibus subbinis , incurvis, subcylindrU
Géranium tuberosum. Cyrénaïque.
— robertianum. Ibid.
Champs de Tri-
cis. Littoral de la Grande-Syrte.
Astragalus biflorus, Viv. (Espèce Houvelle.)
Var. parviflorum. Ibid.
Caulescens hirsutus ; stipulis brevissimis ; fo-
poli et de la Cyrénaïque.
,

liis pinnatis, foliolis ellipticis; pedunculis


Malva sylvestris. Ibid.
Rivages de la Cyré- filiformibus, folio longioribus, subbifloris
Fumaria ojficinalls.
calyce pilis nigricantibus , hispido. Cyré-
naïque. ,
.

naïque.
Spartiwn monospermum. Littoral de Tri-
poli.
— sablonneuses du
lanigerus. Collines ri-

vage de Tripoli.
Spartium sphœrocarpum. Ibidem.
— rigidum, Viv. ( Espèce nouvelle.) Caractè-
— de Lébida.
epiglottis. Collines près

Caule ràmisque aphyllis, spino-


— Bœticus. Montagnes de Cyrénaïque. la
res essentiels :

sis; spinis patentibus, subœqualibus , foliaflo-


— Stella. Ibid.

resquefasciculatimgerendbus. Grande Syrte. Trifolium sulcalum, Viv. (Espèce nou-


— spinosum. Collines de Tripoli. ) Leguminibus
velle. monospermis , obovatis ,
arcuatim parallelo-sulcatis , racemis , folium
Ononis vestita , Viv. (Espèce nouvelle.) serrulatis
œquantibus foliolis ellipticis,
Caractères essentiels : Glanduloso-hirta ; caule ;
stipulis lanceolato-acuminatis , inferioribus
flexuoso, tecto, stipularum vaginantium
lâ-
ternatis ; fohohs el- dentatis.
chais lanceolatis ; foliis
Melilotus sulcata , Desfont. ? .
Upticis, profonde denticulatis , summis
sim-

plicibus. Toute la plante est couverte de


poils — rnicranthum, Viv. (Espèce nouvelle.) Ra-
Grande cemis paucifloris in capitulum laxum peduncu-
glanduleux. Endroits sablonneux de la
latum contractis; leguminibus monospermis,
Syrte.
nitidis, sphœricis ; foliolis cuneato-obovatis;
,

Ononis falcata, Viv. ( Espèce nouvelle. )


stipulis ovatis; caule difjuso. Montagnes de
Pedunculis bracteatis, folio longiorïbus ; fo-
sublinearibus la Cyrénaïque.
liis omnibus ternatis ; foliolis

apice dentatis; stipulis integerrimis , falca-


— scabrum. Id. ibid.
tis, basi vaginantibus. Cyrénaïque.
— tomentosum. Id. ibid.
— vaginalis. Littoral de la Pentapole.
— agrarium. Id. ibid.
—-calycina, Viv. (Espèce nouvelle.) Glan-
— striction. Prairies de la Cyrénaïque.

duloso-hirta; foliis ternatis , supremis simpli-


— angustifolium. Ibid.
Var. a. Corollis duplo calicem superanti-
cibus ; foliolis cuneato-obovatis , serrato-den-
stipulis laxe amplexantibus , bilobis ;
bus; spicis globosis.
tatis;
calycem œquantibus; spic'rs
Corollis
calycibus corollam superantibus. Littoral de p.
globosis. Montagnes de la Cyrénaïque.
la Pentapole.
Lotus creticus. Rochers maritimes de la
Anthyllis barba Jovis. Rochers maritimes
Pentapole.
de la Pentapole.
— <vulneraria(Vw. .p). Montagnes de la —secundiflorus. Viv. ( Espèce nouvelle. } (

obo-\
Suffruticosus, sericeo-argenteus ; foliolis
Cyrénaïque.
vato-cuneatis ; stipulis ovato-obliquis ; pe-
Vicia monanthus. j
dunculis capituliferis , secundis , reflexis ;
Var. $
hirsuta. Rivage de la Pentapole.
— angustifolia. braclearum foliolis obovatis. Collines sèches
— intermedia, Viv. (Espèce )
nouvelle.) Le- de la Cyrénaïque.
— cytisoides. Ibid.
solitarïis hirsutis ;
guminibus subsessilibus
foliolis mucronatis ,
,

in foliis
,

superioribus — pusillus, Viv. (Espèce nouvelle. ) Diffo-

stipulis, bracteisque
hirsutus ; foliolis
sus, ,
linearibus in injerioribus obcordato-cunea-
,
ovato-ellipticis ; pedunculis unifloris , folio tri-
tis; stipulis immaculatis , semisagittatis , in-
tegerrimis. Prairies de la Cyrénaïque.
plo longioribus. Montagnes de la Cyrénaïque.
— sauva. Ibid.

unibracteatus, Viv. (Espèce nouvelle.)
obovatis;
Lathyrus aphaca. Ibid. Diffusus, hirsuto-rufescens ; foliolis
— cicera. Ibid. bracleis oblique ovatis; pedunculis axillaribus,
monophylla, elliptica munitis
uni/loris; bractea
Ornithopus scorpioides. Ibid.
Montagnes de Cyrénaïque.
la
Scorpiurus acutifolia, Viv. ( Espèce nou-
velle. ) Pedunculis bifloris ; leguminibus ex-
— ietragonolobus. Collines maritimes de la
Cyrénaïque.
trorsum spinis confertis , hamosis hirtis ; ,

stipulis membrana- Lotus hirsutus ,'Linn.


foliis elliptico-lanceolatis
ceis.
;

Collines sablonneuses de la Pentapole.


— sericeus , DC. Montagnes de la Cyré

Astragalus trimorphus, Viv. ( Espèce nou- naïque.


velle. Hirtus ; foliis inferioribus simplici- Diploprion, Viv. Nouveau genre de legu
)

bus, superioribus ternatis y summis pinnatis ; mineuses. (De SwtXôç, doublent %^m,scie\
ÉTATS TRIPOLITAINS, !25
par allusion au fruit, qui ressemble à celui du Catananche lutea, Linn. Collines delà Cy-
Biserrula pelecinus.) Caractères essentiels : rénaïque.
fjigumen uniloculare, polyspermum, in spiram Carduus tenuiflorus. Will. Montagnes de
îrtvolutum; suturis linearibus , valvularum r
la Cyrénaïque.
piano, axi spirœ parallelo. (Voisin du genre Atractylis cœspitosa , Desf. Littoral de
medicago. ) Tripoli.
Diploprion medicaginoides , Viv. Foliis Siaehlina chamœpeuce , Linn. Rochers ma-
tematis; stipulis ovato-lanceolatis ; peduncu- ritimes de la Pentapole.
lis axillaribus ,^filiformibus , nudis capitula- Santolina maritima, Linn. Littoral de Tri-
tis. Collines sablonneuses de la Grande Syrte. doli.
Trigonella peliolaris, Viv. (Espèce nou- àpatanthus. Viv. Nouveau genre de sy-
velle.) Legumlnibus subcapitatis pendulis nanthérées. ( De àTCaTaa) ,je séduis, et àvQoç,
,
pedicellatis , subfalcatis ; petiolo duplo pe- fleur ; parce qu'elle simule une hieracium.)
dunculos super ante ; foliolis obcordato-cunea- Caractères essentiels : Receptaculum palea-
tis ; stipulis obliquis , ovato-acutis
, profonde ceum; pappus sessilis , pilosus ; coroltulœ om-
|
dentatis. Pâturages de la Cyrénaïque. nes hermaphroditœ , radii ligulatœ ; dis ci tu-
Scorzonera serrulata, Viv. (Espèce nou- bulosœ, tubo inferne,filiformi , superne in cy-
velle.) Caulibus unifloris ; foliis linearibus lindrum expans o , ore truncato.
• caljceque glaberrimis seminibus tuberculato. — crinitus, Viv. Hispidus ; foliis obovatis y
sefrulaiis; foliis lineari-acuminatis. Prairies de in pedunculum attenuatis ; scapo unifloro.
la Cyrénaïque. Montagnes de la Cyrénaïque.
Sonchus Tingitanus. Montagnes de la Cyré- Artemisia pyromacha , Viv. (Espèce nou-
naïque. velle.) Fruticosa, incan a ; foliis apicem versus
Apargia taraxaciflora , -~Vi\. (Espèce nou- laciniatis , pinnatisve ; foliolis nunc integvis,
velle.) Setuloso-hispida ; foliis sinuato-pinna- nunc incisis, subteretibus ; superne sulcatis.
tifidis ; floribus paniculatis; calycis foliolis Désert de Grande Syrte.
la
exterioribus Iaxis. Dans le voisinage de Cy- Gnaphalium conglobatum, Viv. (Espèce
I rêne. nouvelle. Fruticosum ; foliis lineari-spathula'
— hastilis. Cyrénaïque. tis ,
)
sessilibus , margine subrevolutis , canes-
!
Hieracium simplex, Viv. ( Espèce nouvelle.) ceatibus , floribus terminalibus congestis, ova-
;
Scapo simplici , unifloro , prope calycem in- to-conicis , truncatis; foliis calycinis adpres-
crassato, squamifero ; foliolis calycinis unica sis, ovato-acutis. Rivage de la Grande Syrte.
i série in cylindrum conn'wentibus ; foliis ob- — slœchas, Linn. Collines sèches de Tripoli.
I; ovato-ellipticis , sinuato- dentatis ;
seminibus — italicum, Roth. Ibid.
|
apicem versus coarctatis. Prairies de la Cy- Senecio laxiflorus, peut-être le Senecio co-
rénaïque. ronopifolius de Desfont. Monticules sablon-
Crépis nudiflora Viv. ( Espèce nouvelle.
, neux de Tripoli.
)
I Setuloso-hirta ; foliis spathulato-oblongis Chrysanthemum pusillum, Viv. (Espèce nou-
dentatis; pedunculis nudis; calyculi foliolis velle. ) Glaberrimum ; foliis radicalibus ob-
\

j:
lineari-setaceis , patentibus ; corolla calicem ovato-ellipticis ,super ioribus lineari-lanceo-
1 paulo super ante ; seminibus stipitatis , trans- latis utrinque integerrimis ; internodiis apice
,
ii verse rugosis. Pâturages de la Cyrénaïque. dentatis, sublinearibus , omnibus sessilibus;
Crépis nigricans. Viv. ( Espèce nouvelle.) caule unifloro. Bords de la Grande Syrte.
i Setuloso-hispida ; foliis caulinis lanceolato- — macrocephalum, Viv. Espèce nouvelle.)(
I amplexicaulibus , sinuato-dentatis , summis Foliis sessilibus , apice palmatis
linearibus ,
I integerrimis ; calyculi foliolis lineari-acutis tridentatisque ; deniibus mucronatis ; summis
patentibus ; calycinis dorso pilis nigris hirtis. integerrimis ; caule unifloro. Près de Tripoli.
Montagnes de la Cyrénaïque. — coronarium. Linn. Montagnes de la Cyré-
Crépis filiformis, Viv. (Espèce nouvelle.) naïque.
Foliis lineari-lanceolatis elVipticisque , inte- Anthémis arabica, Linn. Rivages de Tripoli.
gris vel remote sinuato-dentatis; peduncu- — clavata, Will. Cyrénaïque.
lis aliis radicalibus , filiformibus , unifloris t — maritima, Linn. Rivages de Tripoli.
nudis , aliis mulûfloris , foliolis; bracteis li- Buphthalmum spinosum , Linn. Collines de
nearibus in laxum calyculum confluentibus. Tripoli et de la Cyrénaïque.
;
Cyrénaïque. — asteroideum, Viv. (Espèce nouvelle.)
^
Hedypnois ( Espèce nouvelle.
laciniflora. Foliis alternis , caulinis superïoribus semi- am-
)
Foliis caulinis amplexicaulibus lanceolatis ; plexicaulibus, lineari-acutis ; foliolis calycinis
pedunculis elongatis , superne incrassatis linearibus, trinerviis , mucronatis, radium
nudis; ligulis quadrifidis ; lacinuli apice sextuplo superantibus. Montagnes de la Cy-
;
glandulosi. Littoral de la Grande Syrte. rénaïque.
, . , j j

12G L'UNIVERS.

Centaurea contracta, Viv. ( Espèce nou-


Musa paradisiaûa, Linn. Cultivé dans les

calycibus palmato-spinosis; jardins de Derné.


velle. ) Acaulis;
subsessilibus; Valantia hispida, Linn. Près de Tripoli;
floribus congestis, radicalibus ,
primoribus lineari-acuminatis , integer- Cyrénaïque
foliis
Rochers de Parietaria judaica, Linn. Montagnes de
rimis, reliquis pinnatifido-dentatis.
la Pentapole. laCyrénaïque.
— bimorpha, Viv. ( Espèce nouvelle.) Caly- Atriplex albicans , Willd*. Rochers mari-
cibus palmato-spinosis; floribus altero radi- times de la Pentapole.
cali sessili, cœteris rameis terminalibus ; fo- Ficus carica, Linn. Sur toute la côte.
liis radicalibus integris, runcinatisque ; rameis
Phœnix dactylifera, Linn Sur toute la côte ;
.

oblongis, dentatis, decurrentibus. Cyrénaï- principalement dans les lieux sablonneux.


que. Chamœrops humilis, Linn. Sur toute lacôte.
Laceixia , Viv. Nouveau genre de synan-
thérées, établi en l'honneur de Délia Cella, élève
de Viviani.
Caractères essentiels : Receptaculum pa-
leoso-setosum ; corolla radiata ex flosculis tu-
NOTE SUR LES LANGUES DU SOUDAN, i

bulosis, elongatis , filiformibus , quinquefidis ,


Dans notre volume intitulé Afrique : \

s ter ili bus; flosculi kermaphroditi tubulosi


australe, centrale, etc., nous avons déjà :

quinquedentati in disco ; semina apice den-


polyphyllo coro-
communiqué le peu de documents que.j
ticulata, pappo paleaceo ,
nous possédons sur le Soudan, la Nigritie
nata. ( Voisin du genre Centaurea. )
— des anciens. C'est par la voie de TAlgé-
Jibyca, Viv. Foliis caulinis remote et
rie que nous pourrions arriver à combler;
decurs'we pinnatis , summis integerrimis ) flori-
bus paniculatis. Cette plante ressemble tout à les immenses lacunes que présente lagéo-j

fait 'au bluet. Montagnes de la Cyrénaïque, graphie de l'intérieur de l'Afrique. Tous


Cahndula crista galli. Viv. (Espèce nou- les efforts des gouvernements devraient,
velle.) Seminibus exterioribus cymbiformibus, donc tendre non-seulement dans l'inté-;
,

dorso triplici ordine late dentato ; interiori- rêt de la science mais encore dans ce-*
,

bus rotundatis , vesiculosis, muticis ; caly- lui du commerce à établir des relations
,

cibus corollam œquantibus ; foliis lineari- suivies avec le Soudan, soit à travers le;
lanceolatis, denticulato-ciliatis. Littoral de désert de Sahara soit en passant par les,
,

la Grande Syrte. stations que nous avons indiquées plus;


—ceratosperma, Viv. (Espèce nouvelle. ) haut sur la lisière du Fezzan. En atten-
Seminibus exterioribus cymbiformibus , dorso dant il conviendrait de recueillir toutes
late dentatis , in rostrum nudum, emargina-
les indications propres à nous éclairer;
tum porrectis ; interioribus vesiculosis, re-
sur cette importante voie de communi-
niformibus ; dorso dentato ; foliis sessilibus,
cation, qui pourrait devenir pour la-
oblongis , obsolète dentatis. Littoral de la
Grande Syrte.
France une source de prospérité.
— arvensis, Linn. Cyrénaïque et collines
La première chose à faire, ce serait^
d'étudier les ressources d'un pays ainsi ,
de Tripoli.
Orchis longibracteata, DC. Pâturages de que les mœurs et surtout l'idiome de la
îa Cyrénaïque. nation avec laquelle on voudrait entre-
Arum pictum, Linn. Cyrénaïque. tenir des relations de commerce. Or
Poterium spinosum, Linn. Rochers de la cette étude, surtout pour ce qui concerne
Pentapole. lesidiomes du Soudan, ne repose encore
Cupressus sempervirens, Linn. Dans toute que sur un fort petit nombre de rensei-
la Cyrénaïque. gnements, fournis par des voyageurs an-
Ricinus africanus, Willd. Aux environs de glais, et particulièrement par Denham
Tripoli. etClapperton, que nous avons eu si sou-
Salix tridentata, Viv. (Espèce nouvelle.) In-
vent l'occasion de citer. On nous saura
cana ; cuneiformibus subsessilibus, tri-
foliis ,
donc quelque gré d'en dire ici un mot.
dentatis. Monticules sablonneux de la Grande
Une chose qui frappe d'abord l'obser-
Syrte.
vateur, c'est que dans des contrées pour
Pistacia lentiscus, Linn. Cyrénaïque.
— ainsi direcontiguës les unes aux autres,
terebinthus , Linn. Ibid.
—-ver a , Linn. Ibid.
comme le Bornou, le Begharmi, ieMa?i-
Junïpcrus lycia, Linn. Montagnes de la dara, le Tombouctou, on parle, d'après
Cyrénaïque. ce que nous rapportent les voyageurs
ÉTATS TRIPOLITAINS. 125f
des langues qui ne paraissent pas avoir ce que fera mieux comprendre le tableau
la moindre analogie entre elles. C'est ci-joint :

LANGUE LANGUE LANGUE LANGUE VALEUR


du du du du en
BORJNOU. BEGHARMI. MANDARA. TOMBOUCTOU. FRANÇAIS.

Fulk. Gaba. Ghila. Harrî. Homme.


Kamou. Ni. Muksa. Wîy. Femme.
Aba. Bab. Dada. Père.
Yuan. Ko nu. Marna. Mère.
Fur. Saudah. Bilseh. Barri. Cheval.
Kelghimmo. Yeo. Chameau.
lnki. Mane. Yowah. Hary. Eau.
Angala. Chrugra. Abourî. Bon.
i Dibbé. Kussu, Mangaua. Affoutou. Mauvais.
}
Hena boui. Zuzie. Ngha. Manger.
i
Inkero. Tcherî. Togouli. Boire.
Dibdouy. Douro. Vetchea. Nouny. Jour.
'
Bouni. Ndjau. Vegghea Kighi. Nuit.
Gunda. Terre.
Auvré. Fandi. Montagne.
Komadagou. Bah. Gauah. Issa. Rivière.
Sauah. Bungo. Puits.
Kano. Peddou. Djarrî. Feu.
Ourah. Or.
Nzurfa. Argent;
Faro. Gala. Izowy. Jeune tille.
Tetaua. Ezahary. Garçon.
Keir. Baly. Affi. Bannia. Esclave.
Kla. Gheadjo. Erey. Bongo. Tète.
;
Chem. Kammo. Etchey, Moh. OEil.
Tché. Tara. Okay. Mey. Bouche.
N'tchitty. Kabi. Barbe.
Musk'o. Kamba. Main.
Chi. Ndjandia. Kay. Pied.
Kamâgum. Kîdjî. Turkonda Éléphant.
Krf. Besy. Hanche. Chien.
Fea. Mungho. Tsah. Hau-foh. | Bœuf.
Anglaro. Batta. Keoay. Fughi. Mouton.
|
Gorassa. Tabaka. Sauah. Takoula. Pain.
i Kyam. Wah. Lait.
,' Fa. Bé. Hou. Maison.
Hourie. Couteau.
i Geaqua. Foulah. Bonnet.
Mugray. Tienta. Joli.
|
Kli. Gana. Doux.
Koïn. Aigr.e.
! Dava. Keske. Tumba. Vite.
i Araï. Da. Sauak. Kau. Viens.
Kautaï. Sensa. Kata. Donner.
! Tsuksa. Gabycoin. Sultan.

Remarque. Les vocables ci-dessus nou, le Begharmi, le Mandara, etle Tom-


kioncés ont été recueillis par Denham. bouctou dans lesquels on parle en même
,

Le vocabulaire du Begharmi fut écrit temps des langues aussi différentes entre
sous la dictée du fils du dernier sultan de elles. On aurait pu douter peut-êtrede l'i-
?e pays et celui du Mandara, sous la dic-
; dentité de valeur des substantifs rappor-
tée d'Achmet, Mandaran, esclave du tés ci-dessus ; car en fait de semblables
îheik du Bornou. Les mots de l'idiome renseignements il ne faut pas se fier à
le Tombouctou diffèrent totalement de la bonne foi, encore moins aux lumières
3eux recueillis par le capitaine Lyon. des habitants de l'intérieur de l'Afrique.
Dans le monde entier il n'existe peut- Mais pour les noms de nombre le doute
îtrepas d'exemple de pays aussi rappro- n'est plus permis il ne peut y avoir
:

chés les uns des autres, comme le Bor- qu'un son pour prononcer un chiffre.
,

128 L'UNIVERS.

LANGUE LANGUE LANGUE LANGUE VALEUR


du du du du en
COltNOU. BEGHARMI MANDARA. TOMBOUCTOU. FRANÇAIS.

Telo. Keddy. Mtaqué. Affon. Un.


Nide. Sub. Sardah. Nah-inka. Deux.
Yasko. Mattàh. Kighah. Nah-inza. Trois.
Dago. Son. Fuddah. At-taki. Quatre.
Ougou. Mî. Eliba. Aggou. Cinq.
Araska. Muka. N'quaha. Iddou. Six.
Tolur. Tchilly, Vauyak. Ea. Sept.
Waskou. Maria. Tîsah. Yaha. Huit.
Lekar. Doso. Musselmann. Yagga. Neuf.
Meagou. Dokemi. Klaau. Auwy. Dix.
Meagou lageri. Dokemi karkeddy. Auwy kindofou. Onze.
Nidouré. Dokemi kar sub. Auwy kindou hinka. Douze.
Meagou yaskun. Dokemi kar mattah. Auwy kindou binza. Treize.
Meagou dari. Dokemi kar son. Auwy kindou taki. Quatorze-
Findé. Doke sub. Kullo boa. Warunka. Vingt.
Fi-askar. Doke mattàh. Kullo kegah. Warunza. Trente.
Fî-daga. Doke soh. Kullo fuddah. Waytakkî. Quarante.
Fi-ougou. Doke mî. Kullo eliba. Wayaggou. Cinquante.
Fî-raski. Doke muka. Kullo n'quaha. Soixante.
Fî-tolur. Doke killy. Kullo vauga. Soixante-dix.
Fi-toskou. Doke marta. Kullo tisah. Quatre-vingts.
Fi-lekar. Doke doso. Kullo musselmann. Quatre-vingt dix.
Mea. Arrau. Drimka. Cent.

De même qu'on a voulu voir quelque empêcher de faire observer que ces rap-
analogie entre le grec et le chinois , de prochements sont déjà bien nombreux
même aussi on pourra trouver quelques comparativement au peu de renseigne-,
ressemblances de mots en comparant les ments que nous avons sur les idiomes du
langues du Soudan avec les langues sé- Soudan. Serait-il vrai, comme nous l'a-
mitiques et indo-germaniques. En voici vons déjà dit ailleurs sous forme d'hypo-
des exemples En begharmi :
: thèse (1), que la Nigritie, pays mysté-
rieux, a servi successivement de re-
Douro; jour, rappelle l'italien giorno, le
fuge à tous les peuples, de race diffé-
français jour , l'un et l'autre dérivant du latin
rente, qui, tour à tour vainqueurs et
diurnus.
vaincus, ont occupé le littoral de l'Afri-
Bah, rivière, ressemble beaucoup à l'a-
rabe bahr, rivière. que depuis les bouches du Nil jusqu'aux
Beh, maison, en hébreu (phénicien) bet colonnes d'Hercule. Il y a eu des Phéni-
{status construct. de baït). ciens, des Carthaginois, des Romains, <

Tcheri, bois, et al djemmo, bride , sont des des Grecs, des Vandales, sans parler
mots presque tout à fait arabes. des autochthones. Tout cela a disparu.
Ni, femme ; en espagnol , nina. Derrière le désert de Salira, cet océan de
Abey, qui signiiie va-t'en, rappelle tout à sable, ils devaient être à l'abri du glaive
fait le latin abi, va-t'en. des conquérants. Pourrait-on recon-
Ma mon ma même valeur
, , ( dans toutes naître dans les peuplades diverses du
si
les langues indo-européennes). Soudan les descendants dégénérés de ces
antiques nations qui ont joué un si grand
Nous nous garderons bien de conclure
rôle dans l'histoire? C'est là un immense
de ces rapprochements qu'il existe une
problème encore à résoudre.
parenté étroite entre les langues sémi-
tiques, indo-européennes et celles du Sou-
(I) Afrique centrale, etc., p. 211 (dans la col-
dan. Cependant nous ne pouvons nous lection de l'Univers pittoresque).

FIN DE L'APPENDICE.
TUNIS,
DESCRIPTION DE CETTE RÉGENCE,
PAR LE Dr LOUIS FRANK,
Ancien médecin du Bey de Tunis, du Pâcha de Jannina, et de l'armée d'Egypte
;

REVUE,

ACCOMPAGNÉE D'UN PRECIS HISTORIQUE ET D'ECLAIRCISSEMENTS


TIRÉS DES ÉCRIVAINS ORIENTAUX,

PAR J. J. MARCEL,
Officier de l'Ordre de la
Légion d'honneur, Ancien membre de l'Institut d'Egypte,
et professeur suppléant des langues orientales au Collège de France
;
des Sociétés Asiatiques de Paris et de Calcutta , des Lincei de Rome , de la Société
littéraire du Kaire etc.

NOTICE PRÉLIMINAIRE (1).

Le docteur Louis Frank était neveu du sa- et lui obtinrent l'amitié particulière de cet
vant médecin Jean-Pierre Frank, dont la cé- habile appréciateur du mérite : le nom de
lébrité a été européenne , et qui mérita la fa- Louis Frank a été cité avec distinction par
veur particulière des souverains de l'Allemagne Desgenettes dans son Histoire médicale de
et de la Russie. l'armée d'Orient (2) où le dévouement et la
,

Sa famille était belge, d'origine française, et science de Louis Frank reçoivent les témoi-
dans ses affections comme dans la carrière gnages les plus honorables.
qu'il s'était tracée,
s'est toujours regardé
il
Mais les travaux de Louis Frank ne se bor-
comme véritablement Français lui-même. nèrent pas en Egypte à ses fonctions médi-
Lorsque nos armes pénétrèrent en Italie cales : répondant avec zèle à l'appel que Des-
dans la mémorable campagne de 1794 et 1795, genettes avait adressé dès son arrivée en Orient
le jeune Frank, qui était alors étudiant en mé-
aux officiers de santé placés sous ses ordres (3),
decine à l'université de Pavie, où il avait déjà en les invitant à recueillir et à lui adresser
obtenu les plus brillants succès, se
bâta d'offrir des notices descriptives sur les différentes lo-
ses servicesau Général en cbef, qui le reçut au calités où leur service les portait, Louis
nombre des médecins ordinaires de l'armée, Frank s'empressa d'offrir à son chef plusieurs
et l'attacha bientôt au service particulier de
mémoires importants, parmi lesquels nous
l'état-major général. nous contenterons de mentionner les suivants:
La manière distinguée dont Louis Frank
8
remplit ces fonctions pendant toute la cam- I Rapport sur l'état sanitaire de l'hôpital
d'Ibrahym-Bey;
pagne mérita le choix du Général en
lui
chef pour l'accompagner dans son expédition
,
2° Mémoire sur commerce des Nègres au
le
Kaire ,et sur les maladies auxquelles ils sont
d'Egypte, et le jeune médecin y rendit à l'ar-
sujets en y arrivant (4).
mée française de tels services qu'ils lui valu-
,

rent fréquemment les plus grands éloges, dans (2) Histoire médicale de l'armée d'Orient, par
les rapports de Desgenettes, médecin en chef, R. Desgenettes; Paris, Crouillebois an X 1802;
, =
2 vol. in-8°.
(5)Lettre circulaire aux médecins de l'armée d'O-
(i) Nous avons pensé qu'il pourrait être agréable
rient , sur la rédaction de la topographie physique
à nos lecteurs de connaître, par cette courte notice, et médicale de l'Egypte (Décade égyptienne,
un savant recommandable dont le nom a été omis tome 1 er , page 29).
par toutes les biographies malgré le droit bien
,
(4) Page 125 et suivantes du IV e volume des Mémoi-
réel qu'il avait de ne pas en être oublié. res sur l'Egypte, publiés pendant les années VII,
re
l Livraison. (Tunis.) 1
,

2 L'UNIVERS.
3° Notice sur la topographie physique et mé- ample moisson de médailles et d'antiquités
dicale de Rosette, opuscule que Desgenettes précieuses , il se décida à quitter une cour où
jugea digne d'être puhlié dans la Décade égyp- nul n'était sûr du lendemain, et où lui-même
tienne fi), et qu'il a inséré en entier dans la se-
conde partie de son Histoire médicale de l'ar- voyait le sabre du Pâcha continuellement sus-
mée d'Orient (2). pendu sur sa tête. Une absence du despote
qui l'avait rendu responsable de sa santé;
Lorsque les éfiorts réunis de l'Angleterre lui fournit l'occasion de s'échapper clandes-
et de la Porte Ottomane eurent contraint les tinement de l'Épire, et il retourna en 1 806 à Tu-
Français à évacuer la belle province que nis, où il était sûr de retrouver un bon accueil
leurs armes avaient conquise, Louis Frank et où du moins- il devait n'avoir aucunemen
suivit encore nos soldats dans leur retour en ,

à craindre pour sa tête le danger incessant qu i


Europe; mais son humeur aventureuse, et le Jannina.
lui faisait fuir
goût que son séjour en Orient lui avait ins- En effetséjourna alors à Tunis pendant
, il
piré pour les voyages dans ces contrées, le un temps assez prolongé , et il remplit à la
portèrent à quitter Paris, presque aussitôt cour de cette Régence les fonctions de médecin
après sa rentrée en France , pour aller visiter particulier du Bey, qui l'honora de sa faveur
Tunis cependant il ne fit pas alors un très-long
:
intime.
séjour dans cette Régence, quoiqu'il eût été Son entraînement pour les mœurs orienta-
accueilli favorablement à la cour du Bey ré- Levant,
les élait tel, qu'il s'était marié dans le
gnant à cette époque. où il épousa une femme chrétienne, quoique
Les mœurs de ce pays lui parurent trop peu
Arabe de naissance, qui pendant toute sa vie lui
différentes de celles de l'Egypte, au milieu des-
prodigua les plus tendres soins.
quelles il avait vécu quatre années : une autre
C'est pendant son double séjour à Tunis ;

contrée lui sembla piquer davantage sa curio-


que Louis Frank a recueilli les matériaux de
sité, etmériter d'être exploitée préférablement
son ouvrage sur cette Régence il m'avait:

à toute autre.
promis ce travail comme le tribut de son ami-
dette contrée était l'Épire, sur laquelle les
tié ,et il m'en envoya le manuscrit (3) d'A-
succès d'un heureux rebelle avaient fixé les
lexandrie ( en Italie ) où à son retour en
, ,

yeux de l'Europe entière. Europe, le gouvernement lui avait confié la ?

Il partit donc de Tunis pour se rendre à


direction du grand hôpital militaire.
Jannina, sans aucune crainte des dangers qu'il
C'est en remplissant ces fonctions honora-
pouvait courir au milieu des chances diverses
bles avec le zèle et le talent médical dont il
d'une lutte acharnée entre l'usurpateur du
avait déjà donné tant de preuves, dans les di-
Pâchalyk et les armées ottomanes.
verses contrées où il avait exercé l'art de
Louis Frank reçut en Épire un accueil
guérir, que Louis Frank s'est éteint, il y a
non moins favorable que celui qu'il avait reçu
quelques années, laissant après lui la réputation'
à Tunis ; et il resta quelque temps attaché, en
d'un véritable ami de la science et de l'huma-;
qualité de médecin particulier, auprès du ter-
nité.
rible Pacha de Jannina.
Toutefois , malgré les émoluments considé-
(s) Ce manuscrit, tout entier écrit de la main de
rables qui lui étaient alloués , malgré la faveur
Louis Frank, était accompagné de dessins autogra-
particulière dont il était investi auprès du phes et inédits, représentant des costumes et des mo-
maître de l'Épire Louis Frank ne tarda pas
, numents, que nous avons eu soin de reproduire dans
à se lasser de voir sa tête à chaque instant les gravures qui sont annexées à cette Description de
Tunis.
menacée , et sa vie en péril à chacune des
Dans la lettre qu'il m'adressait avec l'envoi de son
vicissitudes de la santé de son redoutable ma-
manuscrit, Louis Frank, m'en faisant la cession
lade. Après avoir profité de son séjour dans pleine et entière, m'autorisait à le refondre , et même
cette partie de la Grèce pour y faire une à le publier sous mon nom ; mais ma conscience
m'aurait reproché ce plagiat, quoique autorisé et ,

j'ai voulu lui conserver scrupuleusement tout l'hon-


VIII et IX. Paris, P. Didot l'aîné, an XI. Cet opuscule neur que peut lui mériter la portion de cet opus-
a été depuis réimprimé séparément, et a eu deux édi- cule dont il est réellement l'auteur ; mais en ,

tions en 1802. même temps , pour ne pas rejeter sur lui la respon-
Journal littéraire publie au Kaire, en s volumes
(i) sabilitéde mon propre travail , j'ai eu soin de signer
petit in-4°, sous ma direction et celle de Desgenettes. toutes les notes et les éclaircissements que j'ai cru!
(2) Pag. no et suivantes. devoir ajouter au texte de cette publication,

J. J. M.
PREMIÈRE PARTIE
PAR LOUIS FRANK (1).

INTRODUCTION. Son ouvrage , dont l'édition anglaise


fut publiée en 1737, ne donne cependant
y a une
« Il infinité d'erreurs poli- que de faibles détails sur Tunis , et ce
« tiques qui une
, fois adoptées , devien- fut en vain que je cherchai à me procu-
« nent des principes. » rer d'autres notions, plus satisfaisantes :
Baynal. mais je fus bientôt convaincu qu'un pays
si voisin de la France, et si intéressant
Les impressions favorables que j'avais pour son commerce, n'était guère connu
conservées de mon voyage en Egypte, que de nom. Je commençai alors à com-
un attrait naturel que j'éprouvais pour prendre pourquoi les idées qu'on en a
les voyages et l'instruction qui en ré- en Europe sont si vagues et si insigni-
sulte , prix que j'attachais à une vie
le fiantes.
isolée , du fracas de la vie euro-
loin Dans ce manque total de renseigne-
péenne , l'analogie enfin qui me parais- ments antérieurs, à peine étais-je arrivé
sait s'établir entre ce pays, qui le premier à Tunis, que je m'empressai de recueillir
m'avait révélé l'Orient, et les côtes de des notes sur tous les objets qui frap-
la Barbarie, tels furent les principaux pèrent mes regards et je ne cessai de ,

motifs qui medéterminèrent à me rendre me livrer à cette consciencieuse inves-


à Tunis et à y faire un assez long séjour. tigation, pendant tout le temps que j'y
Ce qui m'engagea alors encore plus séjournai dans mes deux voyages suc-
,

à faire ce voyage, c'est qu'on m'assurait cessifs sur cette terre inexplorée.
que les Européens , et surtout les Fran- Ce sont ces notes que j'offre au-
çais, étaient plus respectés dans cette jourd'hui au public, et j'ai pensé qu'elles
ville qu'en aucune autre échelle des ré- pouvaient intéresser, non-seulement les
gions barbaresques, et que surtout letitre curieux, mais encore les commerçants ,
de médecin m'y garantissait plus parti- les navigateurs , et peut-être aussi' notre
culièrement un accueil favorable. gouvernement lui-même (3).
Convaincu qu'on ne juge bien un Le lecteur serait trompé dans son
pays qu'autant qu'on s'est préalablement attente s'il espérait trouver ici des des-
instruit de ce qui le concerne sous tous criptions riantes et poétiques, des di-
les rapports, je travaillai dès lors à gressions théoriques ou anecdotiques, qui
me procurer tout ce qui avait pu être pourraient amuser un moment son es-
écrit au sujet de cette partie de la Bar- prit, et le délasser en quelque sorte de
barie; mais quel fut mon étonnement l'ennui que fait souvent éprouver un
de ne trouver qu'un seul voyageur , le écrit d'une nature sérieuse je crois de- :

docteur Shaw, qui s'en fût occupé voir l'avertir que je n'ai cherché, dans ce
avec quelque étendue (2). tableau de Tunis, qu'à être vrai et
utile ; et si cet opuscule consciencieux
(i) Cette Description sera divisée en deux
obtient quelque approbation du public,
parties :1a première
est entièrement l'ouvrage
de Louis Frank ; la seconde partie, contenant
les documents historiques que lui-même dans (3) Cet intérêt , si incontestable d'ailleurs
ses lettres m'invitait à
y joindre, a été entiè- s'accroît pour nous, par les circons-
encore ,
rement rédigée par moi. ( J. J. M. ) tances où nous place la conquête de l'Algérie,
(2) Yoyages de M. Shaw, D. M., dans plu- et surtout par les relations amicales mainte-
sieurs provinces de la Barbarie et du Levant nant établies entre la France et Tunis, rela-
contenant des observations géographiques tions dont la visite en France du Bey de cette
physiques, philologiques, etc.; La Haye, 1743, Régence nous donne un gage éclatant et une
2 vol. in-4 . démonstration riche d'avenir. (J. J. M.)

1.
,

L'UNIVERS.
ce n'est que sous ce rapport qu'il pourra Ce temps une destinée par
fut de tout
espérer de la mériter. pour ainsi dire fatalemen
ticulière, et
Il y a plus : c'est que je dois avouer inhérente à cette partie du monde, d
que ce n'est ici qu'un itinéraire, esquissé conserver inconnues et cachées, comm
dans l'intention d'engager quelque sa- sous les ténèbres impénétrables d'un
vant voyageur qui aura l'occasion et le voile mystérieux, les contrées et les
temps d'entreprendre des recherches nations qui occupent l'intérieur de son
plus approfondies, à perfectionner, parun continent immense , même lorsque son
nouveau travail, celui que je n'ai pu qu'é- littoral y servait de théâtre aux luttes
baucher moi-même. des peuples divers, qui, des autres parties
Les connaissances humaines en gé- du monde , semblaient s'y être donne
néral ne pourraient que gagner, sans rendez-vous, comme dans un champclos
doute, à acquérir des notions aussi pré- pour décider des intérêts de rivalité
cises qu'étendues , sur une contrée qui ou satisfaire des inimitiés, étrangères au
offre de toutes parts une récolte aussi sol sur lequel ils établissaient leur san
intéressante que variée; l'histoire, la glante arène.
géographie, l'histoire naturelle, l'ar- C'est ainsi que , dès les temps histo-
chéologie, la politique, l'industrie, l'étude riques les plus reculés, chassée d'un coii
des mœurs des idiomes , des croyan-
, de l'Asie , une horde de Phéniciens vin
ces, etc., telle est la riche moisson pro- s'implanter par la force au milieu d(
mise par les côtes barbaresques. f)euplades pacifiques et inoffensives d<
Je ne terminerai pas ce préambule sans 'Atlas, et y fonder cette cité orgueilleuse
solliciter l'indulgence du public pour si longtemps l'arbitre de l'Afrique et la
ce travail, qu'il s'apercevra peut-être reine de la Méditerranée, Carthage, don
avoir été rédigé dans une langue qui ne l'empire osa si longtemps rivaliser avec
m'est pas entièrement familière. celui deRome : cette rivalité, mettant en j

L. Frank. péril lasuprématie romaine, après mille


combats qui ensanglantèrent la Sicile, \

Alexandrie, I
er
octobre 1816. l'Espagne et l'Italie elle-même, finit par
appeler les aigles de la République sur ;

le sol même où la domination carthagi-


noise avait jeté de si profondes racines. -

CHAPITRE I
er
.
Carthage fut écrasée sous les pas de ses
vainqueurs, et l'Afrique ne fut plus^
Insuffisance des notions antérieures sur Tunis. qu'une province romaine, qui subit pas-
— • Anciennes' révolutions de celte contrée. sivement toutes les révolutions de la Ré-
— Les Phéniciens — Carthaginois — ; les ; publique , de l'empire des Césars et du
Romains — Bas-Empire —
les Van-
le les
Bas-Empire jusqu'à la chute des der-
j

— Arabes. — Connaissance que


; ;
,
dales les
;
niers titulaires des trônes de Rome et j
lesanciens avaient de l'Afrique intérieure.
— Étendue du de Régence. —
territoire la
de Constantinople.
Ancienne —
division. — Villes détruites.
Ainsi l'Afrique avait successivement
encore. — Dé-
Villesanciennes
reçu ses maîtres des rivages de la mer
existant
tails géographiques. Tyrienne, des bords du Tibre et des
parages du Pont-Euxin; la faiblesse de
Une curiosité dont les motifs au- ses derniers possesseurs appela bientôt à
raient été facilement justifiés aux yeux sa conquête d'autres dominateurs , sor-
du philosophe et de l'antiquaire m'en- tis du fond des régions hyperborées les:

traînait donc une seconde fois sur les Vandales, repoussés successivement de
rivages de la partie du monde qui nous presque toutes les contrées européennes,
est la moins connue, quoiqu'elle soit la vinrent à leur tour jeter leurs essaims
plus rapprochée de cette Europe civilisée, dévastateurs sur les provinces littorales
qui a fourni tant d'explorateurs actifs de l'Afrique, et en disputer par de lon-
et infatigables aux îles les plus imper- gues guerres la possession aux fantômes
ceptibles des mers océaniennes , aux la- impériaux qui régnaient encore nomi-
byrinthes les plus inaccessibles des glaces nativement à Byzance.
polaires. Mais tandis qu'ils étaient à grande
TUNIS.
peine refoulés par les Grecs derrière les jusqu'à la source de ce fleuve , sortant
versants de l'Atlas, et confondaient leur d'une montagne à laquelle il donne le
population septentrionale avec celles nom de montagne des Grâces (Xapt-
des Numides , des Libyens et des Mau- Tcbv).
ritaniens indigènes, qu'ils y avaient Sur la route qui conduit de la Cyrénaï-
eux-mêmes repoussés, un autre colosse que en Nigritie , Ptolémée a connu Pha-
se levait dans les déserts de l'Arabie, et zania, maintenant le Fezzan, à peine ex-
venait faire peser un joug commun sur ploré de nos jours par quelques voya-
les vainqueurs et sur les vaincus. geurs; la position qu'il nomme Cyda-
Le Koran de Mahomet d'une main, mus est aujourd'hui Guadamès, dont
le sabre d'Omar de l'autre , les sectaires nous ne connaissons guère maintenant
de l'islamisme, qui avaient déjà arraché que le nom mais où des restes d'anti-
,

l'Egypte aux gouverneurs que lui avait quités et des traces d'anciennes voies
imposés Byzance, se répandaient,comme romaines indiquent la communication
un torrent que nul obstacle ne peut ar- habituelle qui avait lieu, par ce point in-
rêter, depuis les sables de la Marma- termédiaire, entre les places maritimes
rique jusques aux rochers des Colonnes et les contrées intérieures. Les armes ro-
d'Hercule , dont ils devaient bientôt s'é- maines avaient, en effet, pénétré fort
lancer pour enlever l'européenne Espa- avant de ce côté dans le cœur de l'Afri-
gne à ces rois visigoths qui peu aupara- que et sous le règne d'Auguste , jusque
, ,

vant en avaient expulsé les Vandales. chez les Garamantes (2) , au milieu des
Ce tableau rapide des révolutions su- déserts sablonneux du Sahrâ :
bies par cette zone littorale resserrée Reclusâ nudos Garamantes arenâ.
entre les chaînes de l'Atlas et la mer Mé-
diterranée , suffira pour convaincre que Virgile prophétisait même à Octavius
cette partie de l'Afrique a joué un rôle Csesar des conquêtes au delà de ces peu-
historique non moins important dans ,
ples si reculés :

les annales du monde, que cette anti- Super et Garamantes et Indos


que vallée du Nil dont peu d'années au- Proferet imperium

paravant je venais d'explorer les bords. Et, moins d'un siècle après cette prédic-
Mais, au milieu de ces vicissitudes tion, Lucain ainsi que Silius Italicus
, ,

multipliées, l'Afrique elle-même , l'Afri- nous représente ces peuples et leurs


que intérieure, n'avait pas été plus voisins comme entièrement soumis par
connue des peuples qui établissaient les aigles romaines.
sur ses bords leurs luttes sanglantes Au nombre des villes dont le nom
et leurs dominations éphémères. Ils orna le triomphe de Balbus le Jeune se
savaient combattre et vaincre , ravager trouve celle de Tabidium ou Thabudis,
et détruire, non explorer et civiliser :
conservant encore maintenant chez les
nul des vainqueurs ne songea à établir Arabes la dénomination de Tibedou ou
le domaine de la science au delà des limi- Tembouktou, située également sur la
tes qui circonscrivaient le domaine de route du pays des Noirs, et qui jusques
leurs armes. à ces derniers temps n'a été pour nous
Cependant, il paraît que les Grecs et qu'une position géographique idéale.
les Romains ont porté leurs connais- Ptolémée cite encore, comme bien con-
sances sur l'Afrique au delà de celles que nus de sontemps, plusieurs points de ces
jusques à présent nous possédons nous- contrées à peu près inconnus mainte-
mêmes sur ses contrées intérieures. nant pour nos géographes modernes,
Hérodote, qui nous raconte les mer- tels que Bedirum, aujourd'hui nommé
veilles du pays des Lotophages , nous par les Arabes Mederam (3) ; Sabe, main-
offre aussi quelques détails intéressants
sur les peuplades qui de son temps ha- La grande nation des Garamantes tire
(2)
bitaient les bords du fleuve Cinyphs (1), suivant les anciens géographes, sa dénomi-
depuis les rivages des deux Syrtes, nation de la ville de Garama, dont le nom se
retrouve écrit Ghermah dans les cosmographies
(i) Maintenant nommé par les Arabes arabes. ( J. J. M. )
Ouâdy-Qaham. (J. J. M. ) (3) La différence de B et de M dans ces
,

6 L'UNIVERS.
tenant Ta-Sabah, ou Ta-Saouah (1) ; un tana, Proconsuktris , Byzacena(Z) et
fleuveCnyphus, différent de celui de Tripolitana; et elle était arrosée par
Cinyphs , cité ci-dessus, etc. deux grands courants d'eau, le Rubrica-
Les Arabes aussi paraissent avoir eu tus fluvius, et le célèbre Bagradas (4),
sur les contrées africaines des connais- maintenant Mfdjerdah , qui se jette
sances encore plus étendues que celles dans la mer à Porto- Farina, près de
des Grecs et des Romains leurs colonies : Tunis.
conquérantes ayant pénétré plus avant Le nombre des villes ainsi que des
dans l'intérieur de ce continent , et leurs autres établissements romains que ren-
tribus, d'origine et de mœurs nomades, fermait autrefois ce territoire était bien
s'étant plus facilement incorporées et plus considérable qu'à présent. Celles qui
pour ainsi dire amalgamées aux tribus ont disparu, et dont on rencontre à peine
des anciens Numides, c'est-à-dire des maintenant quelques ruines, sont les sui-
Berbères, qui s'unirent d'autant plus vantes :
vite à leurs vainqueurs, que ces apôtres
armés leur avaient fait embrasser leur Tabraca, Aras Philœnorum,
religion en les soumettant à leur Madaurus (5), Horrea cxlia,,
glaive. Musli, minor (6),
Leptis
Pendant la domination romaine, la Tucca, Ubaha,
portion de l'Afrique littorale dans la- Gypsaria ,
Praesidium
quelle je vais introduire mon lecteur, Su/es, Septimuncia ,

et qui s'étend de l'est à l'ouest sur une Spéculum, Utica (7),


zone assez large depuis la petite Syrte,
, Abroionum ,
Nevirgitab ,

maintenant le golfe de Gâbess (2) jus- ,


Mesphe, Tubsetis,
ques aux confins de l'Algérie, était parti- Talalati, Euphrautas, etc.
culièrement désignée sous le nom d'A-
frique propre (Jfrica propria, ou Maintenant la Régence de Tunis n'est
Jfrica proprie dicta) elle était parta- : plus divisée en provinces; elle a seule-
gée alors en quatre provinces Zeugi- : ment deux grandes divisions, qui parta-
gent son territoire en deux parties à
peu près égales, celle d'été et celle
deux noms ne peut empêcher d'en reconnaître d'hiver : elles sont ainsi nommées parce
l'identité on sait que dans le passage des mots
:
que chacune d'elles est annuellement,
d'une langue à une autre il y a habituellement
dans chacune de ces saisons, parcourue
permutation des lettres du même organe , et
surtout des labiales c'est ainsi que de Jacobus
par le Bey, qui, entouré d'un camp volant
:

les Italiens ont fait Giacomo, comme les Es-


de cavalerie, vient alternativement y per- ,

pagnols Jayme et les Anglais James; les Fran- cevoir lui-même les impôts.
çais , de sabbati elles, samedi, et réciproque- Les anciennes villes existant encore
ment de marmor marbre ; , les Latins ont de
même fait somnus du grec utcvoç; de l'ancien (3) Ce nom est dérivé de celui de la ville
nom de Bekkék qiie portait jadis leur ville
,
de Byzacium ou Bizacium, maintenant Begny.
sainte, les Arabes- ont fait celui de Meltkéh, ( J. J. M. )
sous lequel elle est connue aujourd'hui; notre (4) Voyez la note 3 e de
page précédente,
la
adjectif tout se rend par nib dans uu des dia- relativement au changement de B en , dans M
lectes coptes dans un autre par nim , etc.
, et ce double nom ; c'est sur les bords de ce fleuve
(J. J. M.) que Régulus combattit et tua un boa d'une
(i) La syllabe Ta ne doit pas être regardée grandeur prodigieuse. ( J. J. M. )
comme faisant partie du nom moderne de cette (5) Cette ville était la patrie d'un philo-
ville. Cette syllabe n'est autre chose qu'un article sophe célèbre du temps de saint Augustin, et
préfixe qui est encore de nos jours employé
, qui fut connu sous le nom de Maxime de Ma-
par la langue berbère, idiome indigène de daure. ( J. J. M. )
l'Afrique, et que tout prouve avoir déjà existé (6) Il ne faut pas confondre cette ville avec
du temps des Grecs et des Romains. (J. J. M.) celle de Leptis magna , maintenant Lébidah.
(2) Ce golfe tire son nom de la ville tle ( J. J. M. )
Gâbess ou Qdbess ( l'ancienne Tacape) , qui (7) Quelques géographes ont pensé que
subsiste encore dans l'enfoncement le plus re- Porto-Farina avait remplacé l'ancienne Utique.
culé de la courbure que forme la côte. (J. J. M.) (J.J.M.)
TUNIS.

dans la Régence de Tunis et ses dépen- et consiste en blés, huiles, olives, laines,
dances sont les suivantes : éponges savons etc. ; et les produc-
, ,

Noms modernes» tions d'Europe s'y échangent contre


Anciens noms.
de la Nigritie. {Voyez ci-après le
celles
Hippo-Zartyos, Bizerte,
chapitre XI, où il est traité spécialement
Vacca, Ouegyah,
du commerce de Tunis.)
Bulla 9 Boull
Sicca-Venerea, Ourbou, CHAPITRE IL
Membresa, Takaber,
Tuburdo, Tuburhok ,
Rade de Tunis; — Goulette; — nouveau
la

Clypœa Aklibyah bassin; — forts, — de Tu»


batteries; lac

Curubis Gourbess, nis; — îles; — douanes.


Neapolis, Nâbel,
Aquœ calidœ, Hammâmêt, Une vaste rade , bornée à l'est par la
chaîne des montagnes d'une péninsule
Ammedera Hedrah
et au nord-ouest par le cap de Carthage
Zama, Zag,
Sbaytl,
forme le seul abri que la ville de Tunis
Suffetula,
offre aux navigateurs qui y portent ou
Marazana ,
Trouzza,
qui vont y charger des marchandises.
Sousa , Sous,
Tedres ÉlDjem, Lorsque les vents de sud-est, le mistral
des marins provençaux, vulgairement
Caputuada, Qâboudyah,
appelés à Tunis Soùloumenyel (t), ou
Capsa Kafsah,
ceux du nord-ouest (2) y soufflent avec
Bizacium, Begny
violence , les navires ont d'assez grands
Aquœ tacapinse, A'yn dêl-hammâ ,
risques à courir; aussi n'est-il pas rare
Taphrura, Sfaks,
d'en voir périr en temps d'hiver, pour
Thenas Tayny ou Taynéh,
peu que le capitaine néglige les précau-
Machomades ,
Èl-Mahress
tions qui sont nécessaires dans cette oc-
Tacape Gâbess ou Qâbess,
currence.
Nepte, Neft,
Turris Tamalleni, Tamelen
Le Bey, pénétré de l'importance d'a-
voir un meilleur abri pour les navires,
Tisurus, Touzer,
avait conçu le projet défaire construire
Cydamus Gadoumêh,
Enfin Tunes, Tunis.
un port a l'extrémité de cette rade, et
il avait fait venir à cet effet deux in-
Cette dernière est située à 36 degrés 47 génieurs hollandais ou belges, dont
minutes 39 secondes de latitude septen- l'un portait le même nom que moi, et
trionale, et à 7 degrés 51 minutes de était mon parent mais, soit qu'ils eus-
:

longitude orientale du méridien de Paris. sent rencon tré de trop grandes d ifficultés
Le Pâchalik de Tunis borné au nord
,
à surmonter, soit que les dépenses fus-
et à l'est par la Méditerranée, a pour li- sent trop considérables , l'exécution de
mites à l'ouest les frontières de l'Algé- ce dessein fut suspendue et on finit par ,

rie , et au sud une des chaînes de l'Atlas, y renoncer entièrement.


qui le sépare des déserts du Sahrâ. Il L'espèce de golfe aboutissant à la rade,
comprend une superficie d'environ six et surtout l'endroit où la plupart des
mille lieues carrées, contenant une po- navires jettent l'ancre, est ordinairement
pulation de près de trois millions d'ha- désigné sous le nom de la Goulette {Gou*
bitants, Maures, Turks, Arabes, Juifs, letta, en langue franque); mais cette
et Berbères ; la partie septentrionale est dénomination appartient plus particu-
en général montagneuse, et renferme
plus d'une localité stérile et déserte la :
(i) Ce nom signifie littéralement vent
partie occidentale est, au contraire, bien d'arsenic , vent empoisonné ; ce nom vulgaire
arrosée et fertile en céréales comme en a probablement été corrompu de celui de
fruits de toute espèce ; les animaux do- Kechychlemch, qui est le nom turkde ce vent,
mestiques et sauvages y sont très-nom- auquel on donne aussi les noms de Qiblah,
breux le commerce, qui s'y fait tant avec
: et de Qablj en langue arabe. ( J. J. M.
)
les États européens qu'avec le Levant et (2) Nommé en turk Qarah-yel { vent noir),
l'intérieur de l'Afrique, est considérable et en arabe Semâouy. ( J. J. M, )
,,,

8 L'UNIVERS.
lièrement au petit canal de communica- que de quatre pieds et demi ( un mètre
tion entre la mer et le lac de Tunis. On 50 centimètres ), tandis qu'il devrait en
conçoit de quelle importance est ce canal avoir au moins neuf (trois mètres), pour
pour la navigation dans le lac, étant la résister au canon de trente-six; 2° les
seule voie par laquelle on puisse trans- embrasures sont trop ouvertes : consé-
porter à Tunis les marchandises ; mais quemment l'ennemi aurait la plus grande
cette voie est souvent très-pénible par facilité d'en démonter en peu *de temps
son peu de profondeur. Cette double toutes les pièces; 3° le mur de face de
considération engagea le Bey à accepter la poudrière au lieu d'être placé entre
,

deux projets qui lui furent présentés par deux embrasures , étant dans la direc-
le colonel Frank, l'un des deux ingé- tion de l'embrasure elle-même, il s'ensuit
nieurs hollandaisdontj'aiparléci-dessus. naturellement qu'en cas d'une attaque
Le premier de ces projets consistait on ne pourrait plus y entrer, sans courir
à creuser, latéralement au canal , un les plus grands dangers dans le service.
bassin pour y placer les corsaires et les Il y a entre les forts de la Goulette et

chaloupes canonnières; le second, de le cap de Carthage un autre petit fort


construire sur le canal lui-même une nommé Bourdj-êl-Djedyd (la Tour-Nou-
écluse , afin de retenir les eaux du lac, velle) :ce fort est tout aussi inutile que
qui, en été surtout, baissent quelque- les deux premiers ; mais , en supposant
fois si considérablement, qu'on ne peut que ces divers points de défense fussent
aller à Tunis qu'avec des petites barques essentiels et munis d'un nombre double
tirant peu d'eau, et souvent encore char- de canons, qu'ils fussent annuellement j

gées seulement à moitié. approvisionnés de toutes sortes de mu- !

Mais avant d'entrer dans les détails nitions de guerre et de bouche il serait
, :

des travaux du colonel Frank , nous re- encore fort aisé à l'ennemi, quel qu'il fût,
marquerons qu'à l'embouchure du canal d'opérer sa descente, par le défaut ou
il y a une batterie et un petit fort qui l'ignorance absolue des artilleurs.
en défendent le passage : ces moyens Le Bey tient à la Goulette un aga
de défense semblent également super- qui est chargé de vérifier les lettres des
flus ; car on ne voit pas ce qu'on doit capitaines qui arrivent, de lui en donner !

craindre d'un canal étroit et peu pro- immédiatement connaissance , et de ne


fond , où il ne peut tout au plus passer laisser descendre personne à terre, lors-
que des barques plates , ou des chaloupes que le navire vient d'un pays suspect de
de moyenne grandeur. Ce passage ne mé- peste. 11 surveille également toutes les
riterait d'être bien gardé que s'il était marchandises qui sont portées à Tunis,
le seul point par où l'on pût prendre et interdit l'entrée des articles prohibés,
terre et opérer un débarquement ; mais comme le vin, l'eau-de-vie et les li-
les marins, qui connaissent la grande ex- queurs. Sa vigilance s'étend également
tension de la rade de Tunis , savent qu'il sur tous les objets de sortie, et principa-
y a vingt autres endroits où ce débar- lement sur tous les passagers, qui ne peu-
quement pourrait être effectué commo- vent s'embarquer sans une permission
dément et sans crainte d'être inquiété par spéciale du Bey.
les batteries. Le lac de Tunis, nommé par les ha-
On en général une
doit au reste avoir bitants êl-Baheyrah (1), est formé par
opinion bien médiocre de la vigilance les eaux de la mer, qu'y conduit le canal
du soldat turk, surtout à Tunis, où l'idée de la Goulette, et par la filtration de ces
d'une attaque imprévue, ou d'une des- mêmes eaux à travers une langue de terre
cente, paraît généralement la chance la sablonneuse ; il a une circonférence de
plus invraisemblable et la moins capable quatre lieues ( 16 kilomètres ) environ
d'inspirer la moindre crainte.
La batterie, bien située au bout du (i) Le mot Bahejrah signifie proprement
môle, a été construite sous la direction du en langue arabe petite mer, étant le diminu- J

colonel Frank ; elle est armée de douze tif du mot Bahar, qui signifie la mer, et qui
pièces de trente-six ; mais elle a de grands désigne aussi quelquefois les grands fleuves;
défauts, faciles à saisir : le premier, c'est par cette dernière raison qu'on donne, en
c'est que l'épaisseur du merlou n'est Egypte, au Nil le titre de êl-Bahar. ( J. J. M.)
TUNIS.

et sa profondeur était anciennement ques forment l'établissement du bureau


assez considérable pour offrir Un abri où se mesurent les huiles, les blés, etc.
sûr aux escadres romaines (1); mais la La Douane elle-même n'a qu'une très-
ville de Tunis s'étant agrandie ensuite, petite maison , où se tiennent ceux qui
ses égouts charrièrent dans le bassin de sont destinés à visiter les bagages des
ce lac toutes les immondices -des rues voyageurs et les ballots de marchandises.
et des latrines, comme dans un réser- Ces marchandises, dès qu'elles sont
voir général , et il s'est encombré, au débarquées , sont portées , par des bêtes
point de n'offrir en certains endroits de somme dans la ville, où se trouve la
,

que deux pieds d'eau (2). Il y a plus, c'est grande Douane , dont le directeur rend
que ces mêmes bas-fonds , se trouvant les effets aux propriétaires, à des époques
entièrement à sec pendant les fortes cha- déterminées.
leurs, laissent à découvert un limon Tout cela se fait avec une simplicité
fangeux et infect : heureusement les et une bonne foi admirables; et quoi-
exhalaisons de ce cloaque, quoique très- que Tunis soit en relation commerciale
fétides, n'influent que très-rarement sur avec l'Espagne, la France, l'Italie, la Si-
la salubrité de l'air et sur la santé des cile, Malte, la Morée, Constantinople,
habitants je m'arrêterai plus particu-
: Smyrne, l'Egypte, etc. , sa douane ne
lièrement à cette circonstance remar- compte tout au plus que huit employés.
quable lorsque je traiterai du climat et Que ce système, sans rouage inutile, est
de la constitution atmosphérique de cette loin de la complication bureaucratique
contrée (3). des douanes de ces Etats européens qui
Il y a dans le lac, près du rivage méri- se disent plus civilisés que l'Afrique (4) !

dional, plusieurs atterrissements que les


eaux laissent toujours à sec , et sur la CHAPITRE III.
côte septentrionale une petite île que
l'on nomme Chikly, avec un vieux fort
Ville de Tunis ; château —
forts ; — —

;


——
maisons; quartiers; rues; mar-
qui tombe en ruine. L'une et l'autre ser-
chés;
,

fortifications; — ; faubourgs —
Tunis — pa-
vent de lazaret aux marchandises sus-
cimetières —
environs de

; ;
pectes, ainsi qu'à quelques personnes
atteintes de la peste.
lais du Bey ; maisons de campagne ;

anciens aqueducs.
Il y a tout auprès de cette île un mau-

vais môle alentour duquel les marins On peut avancer, sans exagération,
viennent ranger leurs barques l'encom- : que Tunis est une des plus belles et des
brement du bassin est néanmoins si plus grandes villes de la Barbarie mais ;

grand qu'on ne peut approcher le môle


,
sa beauté est relative au pays, et ne pour-
qu'avec beaucoup de difficultés et qu'a- rait être d'aucune manière comparée
près un laps de temps considérable. avec la moindre des villes du troisième
On conçoit aisément qu'il eût été très- ordre en Europe.
facile d'obvier à cet inconvénient , si les Elle existait déjà du temps des Car-
autorités locales s'étaient occupées du thaginois (5); mais elle était alors peu de
curage de ce bassin , opération qui dans , chose en comparaison de leur superbe
le principe, eût été très-aisée à pratiquer, capitale, et peut-être aussi de ce qu'elle-
et qu'on aurait pu renouveler, soit toutes même est aujourd'hui. Ruinée plusieurs
les années, soit chaque fois que le be- foispendant les guerres d'Afrique, Tunis
soin l'aurait exigé. Mais telle est l'in- dut son rétablissement, puis son agran-
curie des Orientaux, qu'ils ne s'aperçoi- dissement successif, à la destruction de
vent d'un mal que lorsqu'il n'est plus
temps d'y remédier.
(4) Voyez, pour les détails géographiques
Tout porte, en effet, l'empreinte de
relatifs à rade de Tunis , la Goulette le
la ,
leur insouciance : deux méchantes bara-
lac, et les environs de cette ville, la plan-
che n° 3 publiée dans le volume Afrique
(i) Voyez ci-après la Notice historique, Esquisse générale, et Afrique ancienne, par
dans ladeuxième partie. M. d'Avezac.
(a) Environ 66 centimètres. (5) Voyez ci-après la Notice historique,
(3) Voyez ci-après, chapitre VII. dans la deuxième partie.
,

ïo {L'UNIVERS.

Carthage, son antique métropole. Cette appelle la Qasbéh ou Gasbén (3). Ce


fameuse cité devint alors pour les bour- château semble construit plutôt pour
gades voisines une carrière ouverte à contenir la ville que pour la défendre.
tous, dont les matériaux ont été em- Il reçoit l'eau qui lui est nécessaire, au
portés pour la construction des maisons moyen d'aqueducs assez bien construits,
de Tunis; et, pour peu qu'on parcoure et qui semblent dater encore du temps
la ville on rencontre une quantité de
, où les Espagnols en étaient maîtres (4).
beaux marbres et de fragments de co- Il y a à la Gasbéh un hôtel des mon-
lonnes placés aux coins des bâtiments naies (5), une poudrière, une fonderie
mauresques , ou devant leurs portes, et de boulets, et les prisons publiques des-
qui, par leurs formes élégantes, leur tinées aux Turks, aux Maures et aux
matière précieuse et la riche exécution Juifs : c'est là que le Bey fait étrangler
de leur travail antique, annoncent in- les Turks condamnés à ce supplice. Il
contestablement leur origine. n'est pas facile à un curieux européen
t Diodore de Sicile donne à Tunis la dé- d'obtenir l'entrée de cette enceinte.
nomination de AEYKOH TYNHTA, c'est- Deux petits forts, qui avaient été
à-dire Tunis la blanche, d'où il résulte- construits également par les Espagnols,
rait la tradition que de tout temps les sont évidemment destinés , comme le
Tunisiens ont blanchi soigneusement la grand château, à contenir la ville.
façade de leurs maisons (1). Les Maures Tunis est, en général, une ville mal ,

d'aujourd'hui la nomment Tounès ês- percée; les rues sont étroites et non
Chdttrah Tunis l'industrieuse) d'au-
( ; pavées; les maisons sont la plupart
tres la nom de Tounès éz-
décorent du d'une forme carrée avec une grande ;

Zâherah , c'est-à-dire, Tunis la fleuris- salle au milieu, dont le plafond n'est


j

sante; mais si sa qualification devait qu'un large auvent, ouvert à l'air libre; ils
dériver des sensations qu'éprouve le appellent cette pièce el pateo (6), et les ,

voyageur en parcourant ses rues et ses Européens la nomment ciel-ouvert. Les j

places, elle porterait indubitablement le maisons n'ont souvent que le rez-de- j

surnom de Fassedéh ( la fétide ). chaussée ; celles qui ont un étage sont ,

Cette ville est située à peu près à rares, et celles qui en ont deux, plus ra- ;

trois cents toises ( six cents mètres ) de res encore. Elles ont toutes pour toits
distance du lac dont nous avons parlé des terrasses, et cette forme est d'au- ;

dans le chapitre précédent relie est bâtie tant plus essentielle, que ce n'est que
partie en amphithéâtre sur le penchant par le moyen de cette couverture qu'on I

d'une colline et partie dans les plaines


, peut rassembler dans des citernes l'eau
environnantes elle a près de deux lieues
: des pluies; ressource d'une indispensable
(huit kilomètres ) de circuit; on ne nécessité, dans un pays où les eaux sont
]

peut cependant pas en faire exactement généralement peu abondantes et sau-


le tour, à cause des nombreux fossés, des- mâtres.
tinés à charrier toutes les immondices Les maisons des riches sont souvent
de la ville dans le lac qui est leur com- à l'intérieur élégantes et commodes;
mun réceptacle (2). elles ont néanmoins rarement des fenê-
A l'extrémité la plus élevée de la ville tres ouvertes sur la rue ; d'où il ré-
domine un assez beau château, qu'on sulte que, malgré cette élégance dans la
construction-, leur extérieur présente

(i) Il est cependant plus probable que le


surnom de Blanche a été donné à la ville de (3) C'est le même nom arabe que celui de
Tunis à cause de la couleur qu'offre généra- Qassabah ou Qassôbah à Alger. ( J. J. M. )
lement aux navigateurs l'aspect de toute cette (4) Voyez ci-après le Précis historique
partie de la côte, dont le sol est entièrement dans seconde partie.
la
composé d'une argile blanchâtre ou de terres (5) Voyezla seconde partie , sur les mon-
calcaires de la même couleur ; le même motif naies de Tunis,
a fait donner à l'un des promontoires le nom (6) Ce mot est espagnol, et dérive lui-même
de Cap Blanc ( Râs-Abyadd). (J. J. M.) du mot arabe êl-batehak, qui signifie un espace
(2) Voyez la planche 3 de l'Afrique, Es- découvert dans l'intérieur d'une maison.
quisse générale. ;, (j. j. m.)
TUNIS, H
plutôt à l'Européen l'idée d'une prison mon séjour à Tunis dirigés par M. Hom-
que celle d'une demeure agréable. bert, capitaine de génie hollandais, qui
Chaque métier occupe un quartier ou m'a paru très-instruit , et qui était en
une rue particulière. Les rues des cor- grande estime auprès du Bey.
donniers, des armuriers, des bonne- Il s'était formé, par le laps du temps,

tiers et des serruriers, sont les plus re- des éminences considérables à l'est de
marquables ; il y a aussi plusieurs quar- ces faubourgs; elles résultaient des dé-
tiers pour les marchands
particuliers bris provenant des diverses démolitions
ainsi que des marchés publics, où se de la ville, qui y étaient journellement
vendent tous les objets nécessaires à la charriés : comme ces monticules com-
vie. Le
plus considérable de ces derniers mandaient les fortifications, le Bey,
est Soug-êt~ Tour k (le marché Turk), au d'après les représentations de l'ingé-
voisinage duquel il s'en trouve d'autres nieur, a ordonné de les raser, et ils ont
moins considérables, savoir, celui où été déblayés aux frais des habitants.
les bijoux se vendent à l'enchère, celui Tous les travaux de défense qui exis-
des Nègres (1), et enfin celui des toi- taient à cette époque, et qui existent
les, etc. probablement encore, étaient, malgré
Un autre marché, appelé Soug-êl-Fa- leur faiblesse, suffisants pour arrêter les
leah, est destiné à la vente des épiceries et Algériens, qu'on redoutait le plus alors ;
des quincailleries, et n'est généralement mais ces moyens seraient absolument
habité que par des Juifs ; le plus agréa- nuls contre une puissance européenne.
ble de tous est celui où sont rassem- Autour de la ville sont placés plusieurs
blés les droguistes, chez lesquels on cimetières; mais comme il est d'usage
trouve plusieurs sortes d'essences et de de n'enterrer qu'un seul cadavre dans
parfums précieux. Les gens du pays chaque fosse, leur proximité ne paraît
l'appellent Soug-Taybyn, c'est-à-dire, pas influer sur la santé des habitants
le marché des odeurs suaves; d'autres les plus voisins. Les corps y étaient à
le nomment simplement Soug-Gemaah peine recouverts d'une légère couche de
él-Khâtoun (le marché de la Mosquée terre ; mais les consuls européens ayant
de la Dame ), à cause d'une grande mos- observé, dans la grande peste de 1785,
quée qui porte ce nom , et qu'on ren- que ces endroits fournissaient beaucoup
contre au milieu de ce quartier. On d'exhalaisons putrides, ils firent sentir au
visite avec plaisir et on ne quitte qu'avec Bey la nécessité d'enterrer les cadavres
regret cette halle attrayante , dont l'at- à six pieds (deux mètres) de profondeur :
mosphère est parfumée des odeurs les ce conseil fut de suite adopté , et l'usage
plus délicieuses; celle de l'essence de en a continué depuis.
roses est entre autres si forte et si eni- Au nord-ouest de Tunis , à la distance
vrante, que l'on croit se trouver dans un d'environ une petite demi-lieue (deux
appartement où l'on aurait répandu cette kilomètres), est situé Êl-Bardo, où ré-
précieuse essence avec profusion. side le souverain (2). C'est un assemblage
La ville de Tunis est entourée d'une bizarre de maisons irrégulières, entre
muraille couronnée de créneaux nom- lesquelles se trouve le palais du Bey,
breux ; cependant ce rempart ne pré- entouré d'une grosse muraille avec des
sente pas une grande solidité, et on peut créneaux et des fossés. Ce château que ,

croire que dix coups de canon suffiraient le prince regarde en quelque sorte
pour y faire une énorme brèche. Cette comme une place forte, peut vraiment
enceinte a cinq portes, au delà desquelles l'être pour les Bédouins ; mais située dans
se trouvent des faubourgs très-étendus : une plaine et dominée au nord par des
celui qui est au nord est entouré de montagnes , cette prétendue forteresse
quelques bastions solides, mais sans ne pourrait résister une heure à une at-
rossés. taque régulièrement dirigée des quatre
Ces travaux, qui ne sont pas encore cotés par des troupes européennes.
entièrement terminés , étaient pendant A un quart de lieue (un kilomètre)
(i) Voyez ci-après le chapitre XVI, sur la (2) Voyez la planche n° 3 de Y Afrique
vente des Nègres. Esquisse générale.
, .

12 L'UNIVERS.

du Bardo se rencontre la Manouba, où sur la position , l'étendue et la magni-


le Bey a une belle maison de campagne, ficence de la cité des Carthaginois ; ces
avec "un vaste jardin ,
qui , sans avoir détails se trouvent retracés dans tant
beaucoup de ressemblance avec ceux de d'ouvrages , que je crois devoir me bor-
Y Europe, est cependant le plus beau du ner uniquement dans ce chapitre à ne
pays. m'occuper de cette fameuse rivale de
Le premier ministre également dans
a Rome que sous le rapport des ruines
ce voisinage une maison de
jolie petite qu'elle présente encore, et que j'ai été
campagne, dans le goûtde celles du pays, d'autant plus curieux d'observer moi-
avec un jardin, qui, comme celui du Bey, même avec le plus grand soin, qu'en
était autrefois entretenu et soigné par offrant une carrière précieuse à explorer
des esclaves européens , mais qui Test aux investigations de l'antiquaire, elles
maintenant par des esclaves nègres. Les ouvrent le plus large champ aux médita-
orangers et les citronniers, toujours char- tions du philosophe.
gés à la fois de fruits et de fleurs, forment Que de réflexions amères et mélanco-
ies principaux ornements de ces jardins liques viennent navrer involontairement
qui ne récréent pas moins la vue que le cœur du voyageur debout au milieu
l'odorat. des débris qui jonchent humblement la
Entre le Bardo et la ville, et au sud- terre, et qui sont les seuls témoins de la
ouest de cette dernière il y a un vaste splendeur, pour toujours éteinte, de cette
étang nommé Sebkhat - es - Seldjou-
, cité, qui fut la dominatrice des mers
my dont l'étendue est assez consi-
(1), et la rivale longtemps heureuse de la
dérable lorsqu'il tombe des pluies abon- Maîtresse du monde !

dantes mais qui se dessèche en grande


,
Giace l'alto, Cartago ed à pena i segni
,
partie lorsqu'il règne de la sécheresse.
De l'alte sue ruine il lido serva (3).
Enfin , à une petite lieue (trois kilo-
mètres environ ) de Tunis , et au nord- Où sont maintenant ces remparts for-
ouest il y a dans une immense plaine
,
midables, ces arsenaux, ces palais,,
un village appelé Êl-Aryânah ; il est ces arcs de triomphe, ces deux ports;
environné de jardins et de maisons de creusés de mains d'hommes d'où s'élan-
campagne destinées à recevoir des loca- çaient ces flottes puissantes qui allaient
taires, et que l'on peut souvent affermer porterla terreur en Sicile, en Sardaigne. \

à assez bon compte. en Espagne, et jusques au pied du Ca-'


C'est là qu'on voyait autrefois une pitole? De toutes ces nobles créations
portion des anciens aqueducs qui ame- de l'industrie humaine, que reste-t-il?f
naient l'eau à la ville ; mais maintenant Quelques pierres éparses qui roulent sous
c'est à peine s'il en existe quelques rui- le pied dont les heurte en passant l'A-

nes, ces utiles monuments ayant été rabe insouciant et le Berbère nomade,
abandonnés aux ravages du temps, puis ignorant qu'il foule les cendres des an-;
enfin entièrement démolis (2). tiens maîtres qui asservirent ses pères.

Quû devictœ Carthaginis arces [res


CHAPITRE IV. Procubuere, jace?ilque, infausto in UÛore, tur-
Eversœ. Quantum illa rnetûs, quantum illa
Carthage; —
Êl-Mersâ; —
le port vieux; — [ laborum
le port neuf; —
Êl-Malgah ; citernes; — Urbs dédit insultans Latio etlaurentibus arvis ;
— Ulique; —
Porto-Farina; Bizerte. — Nuncpassim vixrelliquiasvix nomina servans,
Obruitur, propriis non agnoscenda ruinis (4).

Je craindrais de peu intéresser le lec- Et, comme si ce coin de terre avait


teur , si je lui répétais ici tout ce que été fatalement prédestiné à être le ren-
les anciens historiens nous ont transmis dez-vous des plus hautes infortunes,
peut-on contempler ces tristes décom-
(i) Le mot Sebkha, ou Sabkhah, signifie pro- bres sans que l'esprit soit frappé d'un
prement en arabe un marais salant , un terrain autre grand souvenir, Marius, pros-
dont la surface offre des efflorescences salines. crit par les guerres civiles répondant ,

(J. J. M.)
(2) Voyez la planche n° 14. du volume (3) Tasso, Gerusalemme liberata, canto XV.
Afrique, Esquisse générale. (4) Lucanus, De bello civili , lit». II.
TUNIS. 13

à l'esclave de son heureux antagoniste, jours le nom de Cap Carthage, c'est-à-


Sylla : « Va
dire à ton maître que tu as dire à trois lieues environdouze kilo- (

« vu Marius assis sur les ruines de Car- mètres) au nord de Tunis, et pour ainsi
« thage. » dire en face de cette Rome qu'elle
Solatiafati devait si longtemps combattre et qui de-
Carthago, Mariusque tulit : pariterque jacentes vait enfin l'écraser.
Ignovere Deis (I).
Italiam contra Tiberinaque longe
Mais un autre désastre, et qui nous Ostia (5).

touche de plus près encore, ne vient-il Lorsqu'il parcourt l'immense amon-


pas aussi associer à ces adversités car- cellement des débris qui autrefois furent
thaginoises et romaines le deuil français Carthage, et qu'il considère jusqu'à quel
d'une tombe royale ? point le poids de vingt siècles et la
Le nom de Carthage peut-il être pro- haine humaine ont pu anéantir une ville
noncé sans rappeler que le plus saint de à laquelle la solidité de ses constructions
nos rois , Louis IX, venant chercher la et la puissance de l'empire dont elle était
gloire sur ces parages, y trouva la peste le siège semblaient devoir promettre
et la mort? un avenir presque indestructible, l'ob-
L'observateur a besoin d'écarter de servateur d'une telle misère, après une
son esprit ces lugubres images pour pou- telle gloire, ne peut s'empêcher d'associer
voir se livrer avec l'attention nécessaire à un profond sentiment de regret un
à l'examen archéologique de ces débris retour douloureux sur l'instabilité des
seuls restes de la puissante Carthage. choses humaines et sur l'impitoyable ri-
Des traces assez faciles à reconnaître gueur des destinées auxquelles elles sont
nous révèlent une partie de l'ancienne en- contraintes d'obéir.
ceinte qui circonscrivait de ses remparts Pour mieux connaître ce vaste terri-
l'antique métropole punique : elles pa- toire jadis occupé par Carthage, je pris
raissent confirmer d'une manière non le parti d'aller établir ma demeure pen-
équivoque l'exactitude de la position dant un mois entier,
que lui ont attribuée les géographes
inter semirutas magnœ Carthaginis arces,
anciens, et qu'à leur tour les savants
modernes ont cherché à établir par la c'est-à-dire, à laMarse (6). On appelle
sagacité de leurs conjectures (2). ainsi une assez grande étendue de la
Cette enceinte avait, suivant Tite- côte occupée maintenant par de nom-
Live (3), vingt-trois mille pas de tour, et breux jardins et des maisons de campa-
Pline (4) nous apprend que cette circon- gne agréables, qui forment à ce que l'on ,

férence s'étendait encore davantage à peut croire, à peu près le centre de l'an-
l'époque où les Romains n'en étaient pas cienne Carthage ; car il paraît que cette
encore maîtres Strabon donne à la pé-
: grande ville s'étendait depuis les envi-
ninsule sur laquelle Carthage était assise rons de Sydy-Abou-Sayd jusqu'en deçà
trois cent soixante stades de tour, ce qui de Kamart, que nos navigateurs nom-
établirait une circonférence de quarante- ment la Camarte (7).
cinq milles romains; mais il s'abstient D'après la signification du nom de
de préciser les mesures qui pourraient Él-Mersâ, le docteur Shaw a cru y trou-
déterminer la dimension de la ville elle- ver un indice certain pour déterminer
même. l'emplacement du port de Carthage;.
Quoi qu'il en soit de cette dimen- mais pour peu qu'on examine la position
sion précise, les ruines maintenant exis- de la Marse et les deux montagnes qui
tantes déterminent la position de l'an- la séparent de la mer, on reconnaît
cienne métropole carthaginoise sur cette promptement le peu de fondement de
saillie de la côte qui porte encore de nos cette conjecture.

(i) Lucanus, loco cîtato. (5)Virgil., Mn.


(2) t'oyez dans le volumeAfrique^ Es- (6) Êl-Mersâ; ce nom arabe signifie l'an-
quisse générale, les planches i re et 2 e . crage , la rade , le port. ( J. J. M. )
(3)Tit.-Liv.,lib. LI. (7) Ce village est situé sur un promontoire
(4) Plin., Ajric. Descr. lib. V. qui porte lui-même le nom de Ràs-Kamart.
,,

u L'UNIVERS.
C'est inutilement que j'ai cherché cun doute que par cet indice positif .
à reconnaître l'emplacement du Vieux l'emplacement du réservoir général de
Port et du Port Neuf; mais d'après tout cette eau, si abondante autrefois, est fixé
ce que des géographes habiles en ont ici d'une manière incontestable.

dit dans leurs savants ouvrages, on peut, En partant delà, et en se dirigeant


je crois, conjecturer que le grand port vers le cap Carthage, on trouve en-
autrement dit le vieux port, était réelle- core, près d'un petit village nommé
ment situé là où est actuellement la Douar és-Sahal, et au pied d'un petit fort,
Camarte, et que le port neuf était entre nommé èl-Bourdj él-Djedyd ( la Tour-
le cap de Carthage et le canal de la Gou- Nouvelle ) d'autres citernes d'une forme
,

lette. plus élégante et plus régulière, et véri-


Les traces de ce dernier sont moins tablement d'un travail admirable. Plu-
équivoques si on en juge par les restes sieurs d'entre elles sont dans un état
d'une espèce de construction qui s'a- parfait de conservation, et remplies
vance sur ce point dans la mer; mais il d'une eau saumâtre que la mer y a filtrée
n'en est pas ainsi du premier, qui a été à travers le terrain sablonneux. Leur po-
entièrement comblé par les sables , et sition indique clairement qu'elles ne pou-
qui , par les envahissements d'alluvions vaient être destinées qu'à recevoir les
a subi une métamorphose si considé- eaux pluviales, qui étaient recueillies,
rable, qu'il est maintenant absolument par le moyen des terrasses, formant la
'

impossible de le reconnaître. toiture des maisons de l'ancienne ville.


Bélidor, dans son excellent ouvrage Dans toute l'étendue de terrain qui se
sur Y Architecture hydraulique, a donné trouve entre le cap Carthage et la i

le plan de ces deux ports d'après les plus Malgah, et principalement du côté de la :

célèbres géographes anciens et il suffira


, mer, on peut remarquer çà et là quelques
*
de jeter un coup d'œil sur les planches portions assez considérables des antiques
qu'il a données, pour se convaincre de murailles, que le poète nommait vali-
l'exactitude de ce que je viens d'exposer. dissima Carthaginis mœnia; mais on y
Si toutefois il y avait erreur dans observe surtout un grand nombre de
cette hypothèse, il faut espérer qu'elle voûtes ou arcades plus ou moins ense-
,

pourra être postérieurement rectifiée par velies sous les sables et les décombres :

des savants plus instruits dans l'an- ces restes, qui ont traversé tant de siè-
cienne histoire du peuple qui a si long- cles dans un tel état de conservation,
temps dominé la Libye. pourraient indiquer, de la manière la plus
En partant de la Marse pour se rendre positive, que les Carthaginois, ou les Ro-
à la Goulette, et en marchant constam- mains, possédaient dès lors par excellence
ment, ainsi que je pense avoir lieu de le l'art de cette espèce de construction.
croire, dans l'enceinte de l'ancienne Car- Les ruines couvrent ici toutes les par-
thage, on arrive à un santon nommé Abd~ ties du terrain en revanche le territoire
;

Elyâ , puis à un petit village qu'on ap- qu'on appelle la Marse(2) est si complète-
pelle El-Malgah ; ce village est en grande ment déblayé et si bien cultivé, qu'on a
partie bâti sur des citernes, dont les pro- de la peine à se persuader qu'il y ait eu
portions sont réellement gigantesques. là autrefois quelques édifices; mais ce
Quelques-uns des voyageurs qui les ont qui a sans doute favorisé l'industrie dans
visitées ont été tentés de croire que Cet emplacement, c'est qu'on y a trouvé
ces longues voûtes souterraines, dont une qualité d'eau moins saumâtre, et, par
plusieurs sont encore en assez bon état, conséquent, plus propre à favoriser la
étaient jadis des magasins; mais pour végétation que toute celle qui se trouve
,

peu que l'on considère que les célèbres sur le reste de la plage.
aqueducs venant du Zaghouan (1) y Du côté de la Camarte il existe beau-
aboutissent précisément et devaient y coup d'indices d'anciennes construc-
porter leurs eaux , on trouvera sans au- tions ; on y trouve même plusieurs sou-

(i) Voyez dans le volume Afrique, Es- (2) Le mot arabe mersâ signifie un port,
quisse générale, la gravure n° 14, et ci-après comme nous l'avons vu ci-dessus, note 6,
les planches n° 2, 9, 14, i5, et 16. page i3.
TUNIS.
terrains aussi vastes que curieux à exa- l'intérieur du pays ont tellement éloigné
miner, mais que beaucoup de voyageurs Utique du littoral, par la quantité consi-
n'ont pas eu l'occasion de visiter, soit dérable des sables qu'elles charrient, cel-
par défaut de temps , soit par le man- les de la mer, d'un autre côté, ont opéré le
que d'un guide qui pût les conduire dans contraire car tout prouve que les eaux
;

leurs excursions archéologiques. de la Méditerranée se sont portées sur


Voilà à quoi se réduisent les vestiges Carthage elle-même, et ont envahi et dé-
de cette grande et célèbre cite de cette , truit une portion assez étendue du cap,
dominatrice de l'Afrique (1). Sur chacun qui, d'après toutes les probabilités, s*à-
des décombres que heurtent les pas du vançait dans la mer beaucoup plus au-
voyageur, il croit lire encore ce terrible trefois qu'aujourd'hui.
anathème si souvent lancé par l'implaca- Porto-Farina, au fond du golfe formé
ble Caton contre la rivale de sa patrie : par le cap que les Maures ont nommé
« Delenda est Carthago ! » Ms-Zebyb (3), c'est-à-dire le capdes Rai-
Utique, située au nord de Carthage, à la sins, est une très-petite ville, avec un port
distance d'environ quatre lieues (seize assez profond, qui peut contenir environ
kilomètres), était, d'après tout ce que vingt-cinq navires. Le Bey tient toute sa
l'histoire nous en apprend, une très- marine, ou, pour mieux dire, sa petite es-
grande ville, et elle jouissait sous plu- cadrille, dans ce petit port, pendant tout
sieurs rapports d'une célébrité que re- le temps de l'hiver. On assure que c'est
haussa encore la mort du second Caton. en cet endroit que saint Louis mourut de
Si, d'après les données des anciens his- la peste à sa seconde croisade (4).
toriographes , on cherche à reconnaître L'embouchure du port a si peu de
l'emplacement de cette ville, et si on profondeur, qu'il faut incliner les navires
considère le peu de vestiges qui en sont de côté pour les y faire entrer. Elle est,
restés, on ne se persuadera qu'avec peine au reste, défendue par trois forts; le
que le temps ait pu en faire disparaître premier est au nord-est du port, le se-
aussi complètement les traces. cond au sud-ouest; le troisième, appelé
Les Maures ont fait à Utique ce qu'ils fort Nadour, est au nord et éloigné d'un
ont Carthage; ils en ont successi-
fait à mille de la ville.
vement emporté tous les matériaux pré- Au nord de Porto-Farina, à la distance
cieux surtout les marbres pour cons-
, , de cinq lieues (vingt kilomètres), se
demeures particulières
truire ailleurs des trouve Bizerte, petite ville située sur
ou des mosquées. le bord de la mer; elle a des alentours
Tout ce qu'on voit aujourd'hui sur très-agréables et un petit port qui pré-
,

l'emplacement d'Utique se réduit à sept sentait autrefois de grands avantages


grandes citernes remplies de chauves- aux navigateurs; mais aujourd'hui ce
souris et de pigeons sauvages avec les ,

indices non équivoques de l'ancien port;


(3) Ce mot arabe ras signifie tête, cap, pro-
ce port autrefois si fréquenté a été évi- montoire ; le mot zebyb signifie raisins secs ;
demment comblé par les sables de la ri- on prétend que ce nom a été donné à ce cap
vière appelée maintenant Megerdah (2), à cause du grand commerce de raisins secs
qui a changé son lit depuis longtemps , qu'y fout les habitants ce cap est l'ancien
:

de façon que cet emplacement est éloi- Apollonis promontorium. (J. J. M.)
er
gné aujourd'hui de près de quatre mil- (4) Ce fut l'an 1270 de notre ère, le i juil-
les du rivage de la mer. let, que Louis IX s'embarqua à Aiguës-Mortes

Tandis que les eaux qui viennent de avec ses fils et soixante mille hommes, pour
sa seconde expédition contre les infidèles il ;

(i) Voyez la planche 4, Afrique , Esquisse relâcha d'abord en Sardaigne, et cingla en-
générale. suite de là vers l'Afrique; le 17 du même
;
(a) Medjerdah ou Megerdah ; les géogra- mois il arriva au port de Tunis où il débar-
,

phes ont reconnu dans cette rivière l'ancien qua sans résistance huit jours après il en
:

fleuve Bagradas dont il est si souvent fait


, emportait le château ; mais la maladie s'étant
mention chez les historiens latins. La permu- mise dans son camp , il en fut attaqué lui-
tation réciproque des labiales est fréquente même, et mourut le a5août suivant, à l'âge
dkns les anciens noms géographiques. Voyez de cinquante-cinq ans après en avoir régné
,

ci-dessus la note 3 e de la page 5. près de quarante-quatre. (J. J. M.)


, ,

IG L'UNIVERS.
port a si peu de fond, par ses atterrisse- tre-courant d'une force égale. On croi
inents successifs, qu'il ne permet guère ordinairement que ces courants oppo-
l'entrée qu'à de très-petits bâtiments. sés sont l'effet du flux et du reflux, mais
Cet encombrement du port de Bizerte des observateurs plus éclairés ont re-
accuse la funeste négligence du gouver- connu que ce double phénomène n'est
nement de la Régence; partout on ne voit que l'effet naturel d'une différence al-
qu'insouciance, que dégradations ; et si ternative de niveau entre l'eau de la
on ne connaissait le système , générale- mer et celle du lac lui-même.
ment adopté par ce gouvernement de ne On voit dans ce lac une île au mi-
pas employer de l'argent en réparations, lieu de laquelle s'élève une montagne
on ne pourrait croire qu'on ait pu ainsi assez haute. Il est au reste très-poisson-
abandonner et laisser détruire, par l'incu- neux, et toutes les espèces de poissons
rie, des établissements aussi importants qu'on y prend viennent de la mer, s'in-
pour un État qui songe non-seulement troduisant avec les eaux par ses canaux
aux intérêts de son fisc , mais aussi à de communication. Cette abondance de
ceux de ses sujets. poissons est si considérable, qu'on en
Les navires qui viennent charger des pêche habituellement beaucoup plus
marchandises ou des denrées sont obli- qu'il n'en faut pour la consommation
gés de rester en rade, et même à une de Bizerte.
distance assez considérable, s'ils sont La pêche de ce lac étant affermée, les
d'un fort gabarit. Cette rade offre si entrepreneurs envoient la plus grande'
peu de sûreté, lorsque les vents du nord partie de cet excédant à Tunis , où le
au nord-ouest dominent avec force, qu'il poisson se vend plus ou moins cher, eni
n'est absolument pas rare de voir ces raison de sa conservation; car, comme ;

on charge simplement sur des bêtes


'<

navires se perdre sur les récifs des le


côtes; aussi les navigateurs gui s'y ren- de somme, qui restent quinze heures en
dent cherchent-ils toujours à faire avec chemin, il arrive souvent demi-gâté à
célérité leur chargement, pour se sous- sa destination, pour peu que la saison
traire aux dangers qui les menaceraient soit chaude ou orageuse.
dans un plus long séjour. Au reste , le poisson se pêche facile-
Bizerte a tout au plus une popula- ment, et avec la plus grande simplicité,'
tion de dix mille âmes ; les rues y sont au moyen d'une espèce de bâtardeau
mal percées, comme dans toutes les en joncs , formant une enceinte, de la- :

villes de l'Orient, et on n'y observe ni quelle le poisson ne peut plus sortir


activité ni industrie. On ne peut dire une fois qu'on l'a forcé à y entrer.
que l'air y soit plus sain qu'à Tunis;
mais pourtant je dois avouer qu'il m'a CHAPITRE V.
<

semblé y éprouver une sensation plus


agréable que celle dont j'étais affecté Zagliouân;— samonlagne; — plaine — sa ;

porte romaine — temples — aqueducs


sa '

dans capitale de la Régence.


— Mohammedyah.
; ; ;
la
Durant l'hiver le froid y est un peu plus
sensible , à cause de la proximité de la Zaghouân est une très-petite ville
mer de la direction des vents; mais
et distante d'environ dix lieues ( 40 kilo-
l'été, en revanche, y est plus tempéré, et
mètres de Tunis , et elle mérite d'être
)
plus agréable qu'en aucun autre lieu de considérée sous les différents rapports
la côte (1). qui la recommandent à la curiosité du
Ausud-ouest de Bizerte est un lac voyageur.
d'une vaste étendue et d'une assez D'abord sa position sur le penchant
grande profondeur ; ce qui est remar- de l'une des plus hautes montagnes de
quable, c'est que tantôt il verse ses eaux laRégence est d'autant plus riante qu'elle
avec beaucoup de force dans la mer est entourée d'un grand nombre de jar-
tantôt il en reçoit les eaux avec un con- dins ou vergers, arrosés par des eaux
vives et abondantes.
La planche de coslumes que l'on trouvera
( t) La belle et vaste plaine qui se déve-
ci-après , n° i r offre dans le fond l'esquisse
, loppe à perte de vue devant cette petite
d'une vue de Bizerte. ville, parait, lorsqu'on l'aperçoit à une
TUMS. 17

certaine distance, ne former dans toute elle-même était-elle consacrée à Jupiter-


son étendue qu'un même jardin , rempli Ammon et le reconnaissait-elle pour son
d'arbres fruitiers de toutes les espèces, protecteur particulier.
et surtout d'un grand nombre d'oliviers ; Quelle que soit l'hypothèse que l'on
les sentiers qui passent entre les portes adopte , on doit avouer que la ville n'a
diverses de ce jardin sont eux-mêmes d'autre beauté que sa position pittores-
bordés de jolis peupliers, de noyers et que ; l'aspect de l'intérieur est triste et
d'autres arbres, dont la verdure concourt sévère, la plupart des maisons y étant
encore à augmenter l'illusion de cette bâties sans élégance, et en partie de pier-
délicieuse perspective. res de taille, analogues à celles dont la
Le premier objet qui frappe la vue en grande porte ci-dessus décrite est con-
entrant dans la ville du côté qui regarde struite, pierres qui sont incontestable-
le sud-est est une porte gigantesque, ment des débris des monuments qui
I construite en grosses pierres détaille. ornaient l'ancienne ville, beaucoup plus
I noirâtres (1). Sa partie supérieure est belle et plus grande que celle d'aujour-
! ornée d'une belle tête de bélier, coiffée d'hui.
!
d'une paire de grandes cornes très-élé- On voit sourdre de tous côtés, soit dans
i
gamment enroulées , et au-dessous de la montagne, soit dans la plaine, des
laquelle on lit le mot latin avxilio. sources abondantes, dont les ruisseaux
On trouve cette formule assez com- fournissent de l'eau aux maisons et aux
munément employée par les Romains, jardins ; c'est sans doute l'abondance de
auxquels on doit la construction de cette ces eaux, ainsi que leur pureté, qui a en-
antique porte des inscriptions de ce
:
gagé les bonnetiers, les foulons et les
genre étaient placées particulièrement mégissiers de Tunis à venir établir leurs
par eux sur des portes destinées à faci- fabriques dans ce lieu (3).
liter certaines issues supplémentaires et L'endroit de toute la Régence où
indépendantes des portes principales des l'on respire l'air le plus pur et le plus
villes, ou à procurer durant un siège l'en- salutaire, c'est, sans contredit, Za-
trée d'un secours dans la cité attaquée. ghouân; la température en est même
La tête de bélier, avec ses deux cor- beaucoup plus régulière, et la chaleur
nes, indiquait probablement l'abondance plus modérée , que celle de Tunis ; l'hi-
1 et la fertilité des terres, dont les pro- ver, en revanche , y est infiniment plus
ductions étaient introduites par cette froid, à cause de la proximité de plu-
porte pour les besoins habituels des ha-
, sieurs montagnes fort élevées dont la
bitants. chaîne s'étend au nord-est.
Peut-être aussi cette tête de bélier, Quoi qu'il en soit, il n'y a, dans toutes
jointe au mot avxilio, qui l'accom- les contrées dépendantes de Tunis, que
pagne, n'était-elle autre chose qu'une cette petite ville qui réunisse autant d'a-
dédicace à Jupiter-Ammon, implorant vantages et d'agréments, et on pourrait
son secours en faveur des pèlerins qui s'étonner que les Tunisiens ne fassent
;
sortaient par cette porte pour prendre la pas construire dans les alentours des
route de sontemple et se rendre à l'Oasis
i Ammonien (2). Peut-être encore la ville diadème se retrouve encore sur les médailles
des rois de Macédoine, de Thrace et de Syrie,
(i) Voyez ci-après, la planche n° 16. qui s'étaient partagé l'empire de l'illustre con-
(2) Personne n'ignore que Jupiter-Ammon quérant plus tard, un roi des Perses , Sapor,
;

était représenté avec une tête de bélier, ce qui qui prenait le titre de
second Alexandre,
lui a fait donner par Hérodote (lib. II, cap. 4) avait également adopté ce genre de parure
l'épithète de xpioupocrtouoi;; et par Lucain royale. Le bélier était aussi chez les Grecs l'at-
(lib. IX) celle de fortis cornibus Artimon : tribut de Mercure, protecteur des troupeaux.
la lête de bélier, comme emblème de Jupiter- (J.J.M.)
Ammon, se trouve sur un assez grand nom- Les eaux de Zaghouân sont surtout re-
(3)
bre de médailles. Celles d Alexandre représen- nommées pour la teinture des bonnets feutrés
tent la tête de ce prince ornée de cornes de {tarbouch) en écarlate on trouve aussi à
:

bélier, à cause de la prétention qu'il avait de Zaghouân et aux environs un grand nombre
descendre de Jupiter-Ammon, et ce genre de de blanchisseries.
e
2 Livraison. (Tunis.)
-

18 L'UNIVERS.
maisons de campagne, de préférence à encore existantes au sommet des parois
toute autre localité de ]a province. de cet édifice.
Au milieu d'une multitude de riants Une fort belle colonnade régnait auss
vergers, échelonnés au sud de la ville, tout à l'entour de ce monument; mais
existent encore les restes magnifiques les Maures en ont détaché les colonnes
d'un ancien temple, situé tout près d'une pour orner l'intérieur de la grande mos
belle source d'eau jaillissante, appelée quée deZaghouân, qu'il ne m'a pas été
vulgairement El- Bourg , ou, plus exac- possible de visiter.
tement, A'yn-êl- Bourg (1); on ne peut On aperçoit encore dans la circonfé
s'empêcher d'être frappé d'admiration rence du temple douze niches de gran-
à la vue de la beauté de ce monument, deur humaine, dans lesquelles étaien
dont l'antiquité est incontestable (2). sans doute placées des statues qui 01
L'ignorance d'un peuple barbare, plus successivement été enlevées.
encore que la faux du temps, a attenté à Dans le fond de cet édifice , et dans 1
la conservation de ce temple, soit en dé- portion qu'on peut considérer comme
tachantdes matériaux, pour la construc- l'ancien sanctuaire, on voit égalemer
tion de quelques maisons, soit en fai- une niche plus grande que les précéden
sant des fouilles, que dirige la cupidi- tes, et près d'elle l'autel de la divinité
té, dans l'espoir d'y découvrir quelque à laquelle était consacré ce monument
trésor caché car la recherche des tré-
: Ces douze niches étaient-elles destinée
sors est un des préjugés les plus enra- aux douze grands dieux de l'Olympe
cinés chez tous les peuples orientaux (3). ainsi que l'ont pensé plusieurs antiquai
Comme il n'est pas possible de douter res ; mais alors àqui la treizième, la plus \

que les Romains ont bâti la porte de la grande, était-elle consacrée? Peut-être à j

ville, dont nous venons de faire mention une divinité phénicienne, à une divinité
ci-dessus, on présumera facilement qu'ils locale, protectrice de la ville et du terri- -

sont encore les auteurs de ce temple toire.


magnifique, dont l'enceinte semi-circu- D'autres antiquaires ont cru voir dans j

laire paraît avoir été à demi voûtée, les deux grands bassins d'eaux vives, qui
comme la Rotonde à Rome ; et on est accompagnent le monument, la preuve ;

autorisé à adopter cette hypothèse, qu'il était consacré aux Nymphes des •

d'après l'examen des pierres d'attente, fontaines, et, en conséquence, ont;


donné à ce temple le nom de Nijmphée.
(i) Ce mot bourg en arabe, peut-être En dehors et de chaque côté s'élèvent
dérivé du grec îrOpyoç, signifie de même une avec majesté deux larges escaliers ou \

tour, une citadelle , un édifice élevé un tem-


, perrons, surmontés chacun d'un bel ar-^
ple. Ce nom paraît avoir été donné à la fon- ceau, dont les voussures ont résisté aux
j

taine à cause du temple dont elle était voi- doubles ravages du temps et des barba- \
sine. A^yn-êl-Bourg signifie littéralement la res (4) : ces deux perrons conduisent, par I

fontaine du temple. (J. J. M.) une douzaine de marches, dans l'inté-


(2) Voyez la planche n° i5 du volume rieur du sanctuaire.
Afrique , Esquisse générale. Au pied du temple, et au bas des deux
(3) La recherche des trésors est en Egypte perrons, est un vaste bassin double et de
l'occupation habituelle d'une corporation par-
forme ovale , qui reçoit les eaux venant
ticulière,dont les membres, sans se laisser dé-
delà montagne, et dont les sources, jail-
courager par leur non-réussite continuelle, se
lissant e.i abondance , sont versées par
livrent sans relâche à l'exploitation de Sakha-
rah, de Thèbes et des autres localités, où ils es- quatre bouches de différentes largeurs,
pèrent trouver des dépôts précieux enfouis pen- ouvertes dans les parois circulaires des
dant les révolutions nombreuses dont la vallée bassins.
du Nil a été le théâtre pendant tant de siècles. Au reste, la planche n° 15 citée ci
Les historiens nous ont raconté en effet quel- dessus donne, mieux que cette descrip»
ques rares découvertes de celle espèce mais; tion sommaire, une idée de cet ancien
elles sont si peu fréquentes qu'une expres-
sion proverbiale usitée chez les Arabes est : (4) Voyez ci-après la planche n° 9 et la
« Pauvre comme un chercheur de trésors. » planche n° i5 du volume Afrique, Esquisse
(J. J. M.) générale.
TUNïS. 19

monument, dont beauté est vraiment


la et que ces monuments sont contempo-
inexprimable; je dois les dessins annexés rains des remparts de la ville même.
à cette description à l'amitié de M. J. II faut donc bien peser les deux hypo-
B. Adanson (1), qui les a faits sur les lieux thèses avant de se déterminer à adopter
,

mêmes , et qui a bien voulu m'autoriser l'une ou l'autre de préférence.


à les joindre à mon opuscule. Quoi qu'il en soit, une autre difficulté
J'appris, pendant mon séjour à Za- m'arrêtait encore: en considérant le ni-
ghouân , qu'il existait , à six lieues envi- veau des sources de Zaghouân, qui n'ont
ron (24 kilomètres) de cet endroit, des qu'une médiocre élévation, surtout en
restes d'un temple semblable à celui que faisant attention aux groupes de monta-
je viens de décrire, à la différence seule- gnes assez considérables qui sont pla-
ment que les eaux, dont les sources dé- cés entre Zaghouân et Carthage, je ne
gorgent de la montagne qui le domine, pouvais d'abord m'empêcher de croire
sont encore plus abondantes cette iden-
: qu'il était douteux que les eaux de Za-
tité de forme, piquant moins ma curio- ghouân pussent être portées à Carthage
!
site, me fit renoncer au dessein que j'a- par une ligne d'aqueducs.
vais d'abord formé d'aller visiter alors Déjà je songeais à parcourir'ces mon-
ce monument à Zoungâr, l'ancienne tagnes, pour examiner si elles avaient été
Zacchara. excavées, ou s'il existait quelques traces
On sait, d'après une tradition vague, d'après lesquelles on pût inférer la ma-
que ces eaux ou du moins celles de Za- nière dont les eaux franchissaient un
ghouân, alimentaient autrefois les fa- aussi grand obstacle ; mais une circons-
meux aqueducs qui se prolongeaient de tance imprévue m'empêcha de pousser
là jusques à Carthage; mais il serait jusqu'au bout mes recherches à ce sujet.
très-difficilede déterminer avec préci- Cependant j'ai appris parla suite qu'il
sion si la fondation de ces monuments existait à Mohammedyah, situé au delà
hydrauliques doit être attribuée aux des montagnes, des traces évidentes qui
Romains depuis le rétablissement de prouvent d une manière certaine qu'on
Carthage sous Auguste, ou aux Cartha- avait autrefois percé toute cette masse
ginois antérieurement à la conquête ro- énorme, poury faire passer les aqueducs,
maine. et qu'ainsi, contre ma première opinion,
L'histoire ancienne se tait absolument leur ligne avait pu se prolonger sans in-
sur l'origine de ces aqueducs ; mais terruption depuis Carthage jusqu'à Za-
comme les Romains construisirent sou- ghouân.
vent de ces espèces d'édifices peut-être
, Bien plus, en partant de Moham-
; serait-il permis d'en inférer, avec quel- medyah pour Tunis, on gauche
voit à sa
\
que apparence de probabilité, que les a- une portion considérable de l'ancien
!
queducs de Carthage sont plutôt l'ou- aqueduc encore debout (2) elle contient
;

vrage de ceux-ci que des anciens Cartha- au moins, à présent, une centaine d'ar-
ginois. cades entières; mais de là jusqu'au voi-
i
Toutefois , il serait d'un autre côté,
, sinage de Carthage il n'y a guère que
difficile de croire que, le besoin d'eau s'é- des ruines amoncelées et ne laissant rien
! tant fait sentir aux Carthaginois dès la reconnaître de leur antique forme ces :

première époque de la fondation de leur ruines néanmoins indiquent très-positi-


ville, ils n'aient pas dès lors avisé aux vement à l'observateur leur direction
moyens de satisfaire à cette première régulière, et le conduisent, de débris
nécessité de la vie ce qu'on sait de leur
: en débris, jusqu'aux citernes de la grande
habileté en architecture peut donc bien ville carthaginoise.
faire croire, avec beaucoup de vraisem- Quelle que soit la conséquence de ce
blance, que la construction de ces aque- fait, il me suffit d'avoir indiqué les in-
ducs remonte jusqu'aux Carthaginois certitudes qui rendent encore ce sujet
indécis, et d'appeler sur la décision de
(i) Parent du savant Michel Adanson, si
oélèbre par ses travaux immenses sur la bota- (a) Voyez ci-après, planche n° 2, et la plan-
nique, et ses excursions scientifiques au Sé- che 14 du volume Afrique, Esquisse géné-
négal. rale.
y

20 L'UNIVERS.
ces problèmes archéologiques l'atten- la capitale, jusques aux côtes qui dé-
tion des savants explorateurs qui; pour- pendent de l'Algérie.
ront visiter ces contrées après moi. Cette exploration sera suivie de celle
Certes il serait bien intéressant pour de l'intérieur du territoire que ren-
un voyageur de s'occuper plus particuliè- ferme le Quartier A' Été, au sud des can-
rement de la recherche exacte de tout ce tons littoraux et comprendra particu-
,

qui est relatif à l'histoire de ces célèbres lièrement toute la contrée nommée
monuments, soit pour en déterminer la Frygyahou Fryqyah , avec le cours su-
direction précise, depuis leurs réservoirs périeur de laMecfjerdah, les villes nom-
dans l'antique capitale jusqu'à leur breuses assises sur les bords de cette
source, soit pour fixer d'une manière grande rivière et je n'oublierai pas de
,

certaine l'époque et les auteurs de leur mentionner les antiquités remarquables


construction. que ces anciennes cites peuvent nous pré-
Si mes recherches incomplètes, et senter encore, car les vestiges des anti-
par cela même infructueuses, peuvent ques monuments sont plus nombreux
amener quelque voyageur à des résultats et mieux conservés dans cet intérieur
plus heureux que les miens, je me qu'ils ne le sont sur les côtes, naturel-
consolerai de mon insuccès en répétant lement plus exposées par leur situation
avec Horace : même aux ravages des eaux et aux dévas-
tations des conquêtes.
fungar vice cotis, acutum
Reddere quœferrum valet, exsors ipsa secandi. Je transporterai ensuite le lecteur
dans presqu'île qui forme la partie
la ;

CHAPITRE VI. orientale du golfe de Tunis , et qui , se «

terminant au cap Ron , sépare ce petit |

Description sommaire des parties occidentales golfe du grand golfe de la Syrte.


et septentrionales de la Régence ; —
Quar-
tier d'Été; —
Littoral; —
Péninsule; — La description du Quartier d'Hiver-
suivra immédiatement cette dernière no- i
cap Bon ; —
Parties méridionales et occi-
dentales ; —
Quartier d'Hiver ; —
Monu-
tice , et complétera ainsi la description
générale de toute la Rigence.
.

ments , inscriptions.
Chacune des quatre parties que je viens :

Je n'ai jusqu'à présent rendu compte d'énumérer a été pour moi successive-,
que de mes premières excursions aux en- ment le but de quatre tournées particu- r

virons de Tunis, tant à Carthagequ'à Za- lières, faites à diverses époques c'est :

ghouân ; excursions auxquelles je m'é- ce qui m'a engagé naturellement à par-


tais empressé de me livrer dès les pre- tager ce sixième chapitre en quatre sec-;
miers instants de mon séjour sur les tions, afin que ces descriptions partiel-
côtes barbaresques; plus tard les occa- les puissent présenter plus d'ordre et de

sions ne me manquèrent pas pour pous- régularité.


ser mon exploration dans l'intérieur du
pays, et il est maintenant convenable Section Première.
d'offrir au lecteur une description som-
Littoral— Bizerte — Double — Hip- lac
— Medjerdah; — Gellah —
; ; ;
maire et rapide des autres parties du
ponites la
Êl-Q.mtarah — Bou-Challer; Mers-êU
; ;
territoire de la Régence; j'entrerai donc
;
dans quelques détails à l'égard de plu- Yemyn — Râs-Zebyb —
; de Came- ; Iles
sieurs positions remarquables, que j'ai lora des Cani des
, de Galtah ïabra-
, Frati ,

eu occasion de visiter dans les deux divi- kah — Gap Blanc — Cap Serra — Cap
Negro; — — Cap Roso.
; ; ;

sions territoriales de cette contrée. la Calle;


Nous nous occuperons d'abord de la
partieoccidentalede la première des deux Le point le plus éloigné de Tunis dont
grandes divisions territoriales, et qui est j'aie fait mention ci-dessus dans le cha-
désignée par la dénomination de Quar- pitre IV (2) est Bizerte (l'ancienne
lier d'Été (1), c'est-à dire de la partie Hippo-Zaritus), petite ville que les Mau-
qui s'étend au nord et au nord-ouest de res nomment maintenant Ben-Zert (3),

(i) Voyez, sur ces deux divisions du terri- (2) Voyez ci-dessus, page i5.
toire de la Régence, ci-dessus, page 6. (3) Suivant l'usage communément répandu
TUNIS. 21

et qui est regardée comme l'une des laplus haute vénération parmi les popu-
principales du pachalyk., lations environnantes un vieux cheykh,:

Pour se rendre à Bizerte, on a à tra« abruti et à moitié imbécile, fanatisé par


verser l'espèce de péninsule comprise en- des superstitions mystiques et inintelli-
tre le rivage de Carthage et le double lac gentes, mène bestialement une vie sale
qui, de la mer, s'avance profondément et indolente aux lieux où Caton voulut
dans les terres ; ce double lac avait autre- mourir par le désespoir d'un autre fana-
fois les deux noms de Sisara etd'Hippo- tisme pour sa république expirante.
nites, qui distinguaient les deux bassins De là on arrive à Mers èt-Ymyn (4),
séparés; mais maintenant ces deux bas- petit port creusé à la droite de l'entrée
sins, quoique encore bien distincts, se du canal par laquelle le double lac de
trouvent réunis par un court et étroit Bizerte communique avec la Méditerra-
canal de communication , et ne forment née ce petit port n'est séparé de Bi-
:

plus ainsi qu'un seul lac, qui a reçu des zerte quepar ce même canal, qui estd'une
habitants le nom commun de Bahyrah largeur médiocre.
ben-Zert, c'est-à-dire le lacdeBizerte(l). Le lac de Bizerte était autrefois acces-
Sortant de Tunis par la porte du nord sible aux plus forts bâtiments et a servi
pour se rendre à Bizerte, on longe d'abord d'asile à des flottes entières ; maintenant
pendant quelques instants les bords du dans les endroits les plus profonds il
lac de Tunis qu'on a à sa gauche; puis a à peine quatre pieds et demi (1 mètre 50
laissant à l'orient la vaste enceinte cou- centimètres) de profondeur, et ne peut
verte par les ruines de Carthage , et le recevoir que les plus petites barques.
village d'él-Mersâ, ainsi que la position Dans ce trajet à travers la péninsule,
de Gellâ ( anciennement Castra Corne- on a laissé successivement à sa droite
lia), on se dirige vers le nouveau lit que l'ancienne Clatia, Porto-Farina (5) à
la Medjerdah s'est creusé (2) en se je-
, l'embouchure de la Medjerdah , puis le
tant dans le lac de Porto-Farina. cap nommé par les Arabes Râs-Ze-
On traverse ce fleuve au village tfél- byb (6) et que les anciens appelaient
,

Qantarah, qui son nom du pont


a pris Promontorium Apollinis , sans doute à
même servant au passage (3). cause d'un temple consacré à Apollon
Peu après on trouve la position de qui avait été érigé par les dévots navi-
Bou-Chatter, que l'on doit regarder vé- gateurs sur cette pointe avancée de l'A-
ritablement comme l'emplacement où frique.
existait jadis la célèbre ville d'Utique. Ce Non loin de ce cap sont l'île de Ga-
lieu, illustré jadispar tant de nobles sou- melora, et le redoutable écueil du rocher
venirs , n'est plus remarquable mainte- de Pellou (7) plus au large du côté de
; ,

nant que par l'établissement d'un santon l'occident , les îles des Cani / ancienne-
ou ermitage musulman, qui jouit de ment Dracontia).

chez Orientaux dans l'explication et l'ori-


les (4) Mers êl-Ymyn signifie en arabe le port
gine des noms de lieu, les Maures assurent que ou X ancrage de la droite. Voyez ci-dessus la
ce nom de Ben-Zert était celui d'un prince note 6, page i3. (J. J. M.)
arabe qui aurait été le fondateur de cette ville; Voyez ci-dessus, page i5.
(5)
mais il paraît plus vraisemblable que Zert (6) Le nom de Ràs-Zebyb signifie littéra-
n'estqu'une altération de l'épithètedeZarites, lement Cap du raisin sec; s'il faut en croire
que les Grecs avaient donnée à cette position, lesMaures, cette dénomination aurait été don-
nommée Hippo, comme HippoRegius (Bou- née à ce promontoire à cause du grand com-
nah) afin de la distinguer de cette dernière.
, merce que les habitants y font de cette den-
(J. J. M.) rée , qui de là s'expédie pour la Sicile l'Italie
,

(i) t'oyez ci-dessus la note i, page 8. la Provence et les autres côtes de la Médi-

(2) Voyez ci-dessus page i5.


,
terranée.
(3) Le mot Qantarah signifie en arabe (7) Les habitants de
la côte prétendent que
une arcade, une 'voûte, un pont. C'est de ce ce noma été donné à cet écueil à cause de
mot que vient celui à'Jlmucantarat, que nos sa forme pointue et élevée au sein des flots,
astronomes, par un emprunt fait aux géogra- qui le fait, disent-ils, ressembler à un plat de
phes arabes, donnent à certains cercles célestes, pilau (en arabe Pellou) dressé en pyramide
à cause de leur courbure. (J. J- M.) au milieu d'une table.
,

22 L'UNIVERS.

de Bizerteon continue sa ligne d'ex-


Si les montagnes du nord de Bedjah , ou
ploration vers l'occident, on laisse à Baggah ( l'ancienne Facca), et qui se
gauche Thinedah, situé au bord même jette dans la mer en face de l'île de Ta-
du petit canal qui sépare et unit les deux brakah ou Tabarkah.
lacs on a alors à sa droite le cap nommé
;
On se trouve alors dans le territoire
par les anciens Promontorium Candi- des Mâdys; puis on côtoie la rive mé-
dum ( le Cap Blanc), qui a conservé ridionale d'un lac semblable à celui de
cette dénomination dans celle de Ras Tunis, et qui, de même que celui-ci,
Jbyad (1) que lui donnent les Mau-
,
communique avec la Méditerranée par
res (2). un canal étroit nommé Oued-êl-Agh;
Plus loin on aperçoit les deux îles des cette communication s'ouvre entre deux
Frati, au large, puis le cap Serra, pointe petites saillies de la côte, dont la plus
de terre la plus septentrionale de tout le occidentale est désignée par le nom de
pachalyk Cap Roux , ou Cap Rouge.
Après avoir dépassé ce lac, on entrç
Che sporge soprà la mar lacima altiera,
dans le pays des Marouyahs , où l'on
E i piè si lava nelle instabili onde.
rencontre encore plusieurs lacs; mais
puis, à quelque distance en mer, l'île de
ceux-ci n'ont aucune communication
Djaltah, ou Galtah (l'ancienne Galata, avec la mer, dont ils sont séparés par
ou Calât ha). une large plage.
Après avoir traversé le territoire mon- C'est sur cette langue de terre inter-
tagneux des Mogadys, on atteint aussi médiaire qu'est assise, entre un de ces
le cap Negro, qui s'avance dans la mer lacs et la mer, la petite ville de la Calle,
au sud du cap Serra; puis, cinq lieues à l'occident de laquelle s'élève le Bas-
environ (20 kilomètres) plus loin, dans tion de France.
la direction du sud-ouest, la plage oc- Le Cap Roso, ainsi que les territoires,
cupée par les tribus des Zenatys, où l'on occupés par les tribus des Merdars et
passe à gué la petite rivière nommée des Anebbys, arrosés par deux petites
Oued-Zâyn (3), qui prend sa source dans rivières, terminent de ce côté le terri-
toire tunisien, et conduisent à l'ancienne
(i) Abyad signifie blanc en langue arabe. ;

(J. J. M.) Hippone (Hippo-Regius), maintenant


Bonah ou Bounah, si célèbre dans l'his-
(2) Cette dénomination a élé donnée dès la
toire ecclésiastique comme ayant été le
plus haute antiquité à cette portion de la côte,
à cause de l'aspect que présente aux naviga- siège épiscopal de saint Augustin.
teurs son terrain aride, composé d'argile et de Toute la partie que nous venons de
craie, à peine recouvert d'un sable blanchâtre parcourir est presque entièrement litto-
et dépourvu de toute verdure. rale; en pénétrant davantage dans l'in-j
Une remarque singulière à faire est que térieurdu territoire occidental, qui est
presque tous les caps de la côte barbaresque généralement montagneux, on trouve-
sont désignés par des noms de couleurs, rait les habitations d'autres tribus, plus
le cap Blanc , le cap Negro , le cap Roux , le ou moins nombreuses, telles que celles
cap Koso, le cap Vert; dénominations don- des Nifigehys, des Bourghals , des
nées sans doute par les navigateurs à cause Oueled-Bousderâs des Oueled-Bou'
(4),
des différentes teintes que leurs terrains of-
fraient à la vue. (J. J. M.)
(3) Le mot Oued ou Ouâd et Ouàdy signifie (4) Le mot Oueled ou Ouldd signifie en

rivière, fleuve, courant d'eau, en dialecte langue arabe fils, descendants ; ce


enfants,
africain: alléré en Guad par les Arabes con- mot, ainsi que celui de Beny, qui a la même
quérants de l'Espagne, il entre dans la com- signification, enlre dans la composition des
position des noms d'un grand nombre de noms d'une grande partie des tribus arabes.
rivières de cette contrée Guadalquivir
: Quoique ces deux mots soient parfai-
(Oudd el-Kebyr, mot à mot le grand fleuve);
'
tement synonymes, il est cependant à remar-
Guadiana, Guadacahon, Guadalupe, Gua- quer que la dénomination de Oulad indique
dajara, Guadajoz, Guadalete, Guadalaviar, plus particulièrement les tribus berbères, tan-
Guadalbolion, Guadalentin, Guadalimea, dis que le mot Beny est plus ordinairement
Guadalkaya, Guadalmansor. Guadalcanal, etc, adopté dans la désignation des tribus arabes.
(J. J. M. )
(J. J. M.)
TUNIS. <M

guy, etc., qui s'étendent dans les vallées temple érigé en l'honneur de la divinité
nommées Oued-Mossoud (1), et Fry- dont il porte le nom.
gyah, que traverse le cours supérieur Mais avant de visiter cette presqu'île,
du Bagradas (Oued-Medjerdah). où nous devons trouver des débris an-
Ce fleuve, dont la source est beaucoup tiques importants nous devons achever
,

plus méridionale, se grossit dans ces l'exploration de cette partie occidentale


vallées des eaux de plusieurs rivières de la Régence, nous devons parcourir
secondaires, telles que le Soudjerâs, et le territoire de Fryqyah, c'est-à-dire les
le Oued-êl-Boul , coulant au midi des vallées intérieures arrosées par la Med-
mêmes montagnes de Bedjah, d'où jerdah, où nous attend une moisson bien
sort au nord la rivière de Zayn, dont plus abondante de monuments et de
nous avons eu déjà occasion de parler. souvenirs antiques.
Les autres affluents du Oued-Medjer-
dah sont le Oued-ês- Serrât, une rivière Section Seconde.
qui descend de Oussef, et quelques autres
Vallées intérieures du Quartier d'Été; —
courants d'eau assez nombreux, mais peu
Canton de Fryqyah; —
Alyah, Thimidah,
considérables.
Il est à remarquer que toute la partie
Mezel-Djenneyh ;

Djebel-Êskell Matler, ,

Baydjah, Toubourdô , Tuccaber, Bazil-


du territoire tunisien arrosée par le Ba-
| Bâb —
Testourah, Saloukyan, Toubersôq,
;

gradas {Oued-Medjerdah) est désignée Toungah, Douggah Lorbous; Mestor-


,

particulièrement chez les Maures par la réh, Bessous , Sydy-Abd-êl-Abbàs , Qel'f;
dénomination de Frygy ah, ou Fryqyah, •
— Monuments, Inscriptions.
conservant ainsi, avec une légère altéra-
tion, le nom d'Afrique proprement dite, Après avoir terminé cette exploration
Africa propria, que lui donnaient les littorale et avant de visiter la péninsule
Romains. orientale placée en face de Tunis, nous
La partie la plus remarquable de la devons jeter un regard rapide sur les
division septentrionale de la Régence, portions intérieures du territoire qui
comprise sous la dénomination de Quar- dépendent du Quartier d'Été et qui s'é-
tier d'Été est la grande presqu'île qui tendent à l'occident de la capitale.
s'avance dans la mer du sud ouest au Le Quartier d'Été comprend le pays
nord-est, en face de la rade de Tunis, fertile qui est dans le voisinage de Qeff
entre les deux golfes de Carpis et de et de Baydjah; et comme il s'étend sur
Hammâmét (2), et dont la pointe la toute la partie de la Régence qui est au
plus au nord est l'ancien Promontorium nord du parallèle du golfe de Hammâ-
Mercurii, que les Arabes nomment main- mét, on peut croire qu'il correspond
tenant Râs-Addâr, ou Râs-Attar (3). assez bien à l'ancienne province Zeugi-
Ce promontoire, placé presque en face tane car, borné par la rivière de Tusca,
:

du Promontorium Apollinis, dont nous il doit comprendre non-seulement la


avons parlé au commencement de ce contrée que Strabon nomme le territoire
chapitre paraît comme celui-ci avoir dû
, de Carthage, mais encore l'Afrique
son ancienne dénomination à quelque proprement dite de Pline, de Solin, et
d'Isidore de Séville.
(i) Le mot Oued, ou Ouddy, que nous Cette partie de la Régence est beau-
avons vu ci-dessus signifier rivière, courant coup mieux peuplée que les districts plus
d'eau, est aussi employé en arabe pour désigner méridionaux, qui forment le Quartier
les vallées en général. (J. J. M.) d'Hiver; elle contient proportionnelle-
(2) Tunisi ricca ed onorata sede , ment un plus grand nombre de villes de ,

A par di quante n'ha Lïbia più conte; villages, et de douars (4) tout y paraît ;

Che ha d' ambo ï lati del suo)golfo un monte. plus riant , et tout y annonce une plus

Tasso, GerusaL lib., canto XV.


(4) Le mot Douar est pluriel de ddr (maison,
(3) Ce nom évidemment altéré de celui
est habitation); on désigne parle nom de Doudr
de Râs-Alldred, Attared étant le nom donné les lieux de campement habituel des Arabes
par les astronomes orientaux à la planète nomades, souvent aussi les réunions des ca-
de Mercure. (J. J. M.) banes des Arabes sédentaires. (J/J. M.)
,

24 L'UNIVERS.

grande abondance et une plus grande ruisseau dont les eaux vont se perdre
prospérité. dans le lac de Bizerte.
Cependant toute cette portion du ter- Dix lieues (40 kilomètres) plus loin ,

ritoire ne jouit pas d'une égale fécon- au sud-ouest, est la ville de Baydjah,
dité ; ce que je viens de dire se rapporte qui paraît être la Baga de Plutarque, la
particulièrement aux parties situées aux f^acca de Salluste , et le Vagense Op-
environs de QefJ et de Baydjah, pays pidum de Pline.
désigné parle nom commun de Frygyah, Baydjah est encore aujourd'hui,
ou Fryqyah, dérivé du mot Africa. comme elle l'était du temps des Romains,
On y trouve toutefois assez fréquem- une ville remarquable par son commer-
ment des parties de territoire où le sol ce , particulièrement par celui des blés,
montagneux et coupé de rochers, de étant comme l'entrepôt de tous ceux qui
sables stériles ou de marécages , se re- se récoltent dans la Régence. Tous les
fuse entièrement à toute culture. étés il se tient, au-dessous de cette ville,

La plus septentrionale des villes de dans les plaines de Bousderah , le long


cette contrée intérieure est. Él-Alyah, du cours de la Medjerdah, une foire
située presque au sommet d'une haute célèbre, à laquelle accourent toutes les
colline (1), à moitié chemin entre Por- tribus arabes des points les plus reculés
to-Farina et Bizerte. Les Romains de l'intérieur, avec leurs familles et leurs
avaient nommé cette ancienne ville Co- troupeaux.
tuza; et elle avait autrefois quelque im- La position de Baydjah sur le pen-
portance, comme le prouve le fragment chant d'une colline , iui procure l'avan- \

de l'inscription suivante : tage d'eaux pures et abondantes. Au


haut de la colline est une citadelle cons- !

REIPVBL1CAE SPLENDI truite de matériaux antiques et dans les


DISSIMAE COTVZAE SACR. '

remparts de laquelle est encastrée Tins-


VALERIVS IANVARIVS
cription suivante :

Au sud-est de Bizerte , à trois milles


M. IVLIO M. TI DECVR10N1
de distance de la ville, et sur le bord même
ANN. XXII PRAEFECT. VRB.
du où il se resserre telle-
lac, à l'endroit
DEC. Il VIR QQ
ment, qu'il forme véritablement deux ORDO SPLENDID1SSIMVS
lacs, on trouve le village de Thimidah, OB MERITA SVA STATVAM
l'ancienne Theudalis. P. P. F1ERI DECREVIT.
Plus loin , à sept milles au sud-ouest
de Bizerte, et aussi sur le bord opposé
Lastatue a été brisée sans doute, et ?

l'inscription qui la décerne n'a échappé


du lac , est Mezel-Djemeyh ( l'ancienne
Thinissa ) : on trouve dans ces deux en- au même sort que par la forme du bloc
sur lequel elle était gravée, qu'on a)
droits quelques restes d'antiquités.
Au sud-ouest du double lac , à cinq trouvé apte au revêtissement d'une <

muraille.
lieues (20 kilomètres) de Bizerte, s'é-
lève la montagne anciennement nommée
* Un peu plus loin
sur les mêmes rem-
,

Cirna et maintenant Djebel-Èskell (2) : parts, on lit autre inscription,


cette
près de cette montagne, au sud -est, on monument de la gratitude d'un neveu
aperçoit Matter, V'ancien Oppidum Ma- envers son oncle :

terense; ce n'est maintenant qu'un petit FELIX AVVNCVLO SVO


village, bâti sur une éminence, au mi- MAfiNO PRO PIETATE SVA
lieu d'une plaine fertile qu'arrose un DATO IBI DINE SVO
S. P. FECIT DD.

(i) Le nom ftAlyah signifie élevée en langue


Dans une des maisons particulières
arabe. (J.J.M.)
on trouve aussi une stèle funéraire avec
(2) On sait que le mot arabe Djebel signifie
cette inscription :
montagne ; c'est de cette dénomination don-
née au mont Etna par les Arabes pendant D. M. s.
leur domination dans la Sicile que nos géo- M. TREBIVS RIBIANDS
graphes ont fait le nom de mont Gibel, qui SILOM4.NVS TRIB. POP.
n'est qu'un vicieux pléonasme. ( J. J. M. )
VIX1T ANN. LVH.
TUNIS. 25

A six lieues (24kilomètres) au sud-est érigé à l'est de la Medjerdah , à dix


de Matter, et en même temps à la même lieues (40 kilomètres) au sud-ouest de
distance à l'ouest de Tunis, est la petite Tunis : cet édifice était autrefois décoré
ville de Toubourdô, habitée presque entiè- de niches et d'ornements que le temps,
rement par des descendants des Maures et plus encore la main des hommes, ont
chassés de l'Andalousie (l).C'estl'ancien peu à peu tellement ruinés , que main-
Tuburbum Minus; cette ville doit ses tenant il n'offre rien de remarquable ni
embellissements à un des beys de Tunis, dans sa décoration ni dans son archi-
nommé Mohammed. Ce prince avait fait tecture.
planter dans les environs un grand nom- Au reste sa construction ne date que
,

bre d'arbres fruitiers, tels que orangers, de l'époque de la décadence de l'Empire,


citronniers , abricotiers , pêchers, etc., comme le prouve sans aucun doute l'ins-
, disposés par bosquets isolés, suivant leurs cription suivante, qu'on y peut encore
I diverses espèces il avait aussi fait cons-
: lire :

truire dans la ville un pont sur la Me- ...

éjeréak, et y avait fi& pratiquer des


écluses pour élever les eaux, afin detaci-
£££ S£S5££££J£L
invictissimis principirvs
liter par là l'arrosage des plantations ; DE p ACE ex more condit. décret (4).
mais cette construction, qui avait été ~ ,
r „ nvpr< A „ nnr x, fl P Pan»
.

faite avec les matériaux d'un ancien


amphithéâtre, n'a pas subsisté longtemps
deA
rf t"Lml^
mom P he on ht cette invocatlon :

et maintenant est en ruines. pro salvte c


On a trouvé dans les débris de cet qvintvs sentivs feux
N DEI L1BERI PATRIS
amphithéâtre lefragment de l'inscription -
t

suivante : Sur le même bord de la Medjerdah,


mais deux lieues (8 kilomètres) plus à
PR0NEP - AEL hadriano

f*w«M^i^^
•••• -
l'ouest, on arrive à Testourah ; c'est une

•••::::::;:::::f.TSsr^^:!"
LARiAN. leg. pr Toubourdô , par des descendants des
Maures expulsés d'Espagne.
Dans une des mosquées se lit aussi Cette ville paraît avoir anciennement
l'épitaphe suivante :
porté le nom de Colonia Bisica Lu-
d. M . s. cana (5) ; du moins c'est ce que semble
memoriae sanctissimae
faeminae donatae Afrique , mais encore dans toutes les autres
qvae vixit ANS. xlvi contrées orientales, des dénominations de cette
mensibvs vm. espèce quant à la corruption du B en
: dans M
t- j j m
:
l y^T, .i
Mezd-Bâb, voyez '
ci-dessus la note 3 delà
En ,.
se rendant de Toubourdô a Bazil-
p a „e 5 (j j m }
Mb- Oïl traverse le petit village de Touc- (
3) £ es deux derniers groupes de' cette li-
caber, qui paraît avoir ete l'ancienne gne sont des sigles signifiant Dominis nostris.
ThuccaboH, dont font mention saint Cette épithète n'a été donnée aux princes, soit
|
Augustin et saint Cyprien on ne trouve : sur les monuments, soit sur les médailles,
I
dans cet endroit aucune antiquité remar- qu'à l'époque du Bas-Empire. (J. j. m.)
quable. (4) Gralien devint empereur d'Occident
.

Il n'en est pas de même à Bazil-Bâb l'an 367 de notre ère, et Valentinien II du
(la porte rovale), dont les Maures altè- nom > l'a» 3 75 : le premier régna quinze ans
rent souvent le nom en celui de Mazel- et huit rnois ? le second seize ans six mois

2tâd(2);c'estunantiquearcdetriomphe, lvin gl et un J 0l,rs Pendant leur règne -


? , , ,

a Rome, Theodose le Grand était devenu em-

(1) Les Arabes donnent aux familles qui pereur d'Orient, l'an 379 de l'ère chrétienne,
descendent des Maures d'Espagne le nom et il occupa le trône de Constautinople jus-
j
diAndaloussY ( Andaloux). (J. J. M. ) qu'à l'an 3g5.
(2) Bazil-Bàb est un nom hybride, com- (5) Le surnom de Bisïcanus se trouve
posé par les Maures du mot grec (iaaiXeuç donné à l'empereur Aurélien par une inscrip-
(roi) et de l'arabe bâb (porte) la fusion des : tion presque entièrement effacée qui existe
peuplades arabes avec les populations grec- dans un moulin un peu au-dessous de Bazil-
i
ques et romaines a créé, non-seulement en Bâb.
, ,

26 L'UNIVERS.
prouver l'inscription suivante ,
qu'on y Sur le portail d'un temple ruiné on lit :

renlar <l Ue:


MERCVRIO
D. N. IMP. VALERIO LVCINIANO ÏMP AVRELIO
LICINIO AVG. MAX. SARMATICO PONT. MAX. TR1B. POT. XXIIII (4).
GERMAMCO TR1B POT. X. i x * j j i- , rt •

COS. V. IMP. X. PAT. PATRIAE


A P reS UDe
r0Ute de deUX ,ieUeS ( 8 kl "
. ,

procons. col. bisic! lvcana lomètres), dans la direction du sud-ouest,


dévota nvminibvs on arrive à Toubersôk, l'ancien TMwr-
maiestatiqve eivs. sicum-Bure : c'est une petite ville, en-
tourée d'une muraille, bâtie sur le pen-
Onlit aussi sur une colonne cette
autre inscription :
eh ™* d ™e
colline, et au centre de la-
1
quelle on voit une belle fontaine, qui est
fortissimo imp. située près des ruines d'un temple, dans
™ cl\™ot 1C ,T le 1 uel elle était autrefois renfermée.
.

pio felici avg(i)


Les murailles dé ce temple avaient été
construites avec d'anciens matériaux, où
Au milieu d'un grand coude que fait l'on peut encore lire plusieurs inscrip-
YàMedjerdah, entre Bazil-Bâb et Teston- tions , entre autres les deux suivantes :
rah* est le petit village de Saloukyah,
ou Slougyah, l'ancien Mancipium CM- VRBI R0MAE aeternae avg.
RESP MVN1C,PI ^veriani anto
dibbetensium : on y trouve des restes de -

citernes , des colonnes des chapiteaux ,


mmAm "beri^th.bvrsicensivm
des murs antiques fort épais mais ce ;
r La seconde inscription paraît dater de
qu'on y voit de plus remarquable est
l'inscription suivante :
la construction même des murailles où
elle est encastrée :

IMP. CAES. DIVI. M


ANTONIN1 PII GE SALV1S D0M1NIS NOSTRIS CHRISTIANISSIMIS
NEP. DIVI HADRIANI PRONEP. ET INVICT1SSIHIS 1MPERATORIRVS
DIVI TRAIANI PARTH. AB. IVST1NO ET SOFIAE AVGVSTJS
DIVI NERVAE SEPTIMO SEVERO HANC MVMTIONEM THOMAS (5)
PERTINACI AVG. ARAB. N. P.P. EXCELLENTI?SIMVS PRAEFECTVS
PONT. MAX. TRIB. POT. IMP. VII. FELICITER AEDIFICAV1T (6).
C0S "
' HID1BELENS
(^ ^ fontaine du centre Qe fc viHe fl

En se dirigeant de Testourah à Tou- aussi cette inscription :

bersôk, et à cinq milles au nord de cette NEPTVN0 AVG SAC> PR0 SALVTE
dernière ville, on rencontre Toungah, mPm caesarvm (7).
nommée aussi Tounikah; cette grande
ville, l'ancienne Thignica, OU Thigiba l'an i38 de notre ère, et régna vingt-deux ans
Colonia, offre dans sa citadelle un grand sept mois et vingt-six jours.
nombre de ruines et plusieurs inscrip- (4) Marc-Aurèle succéda, l'an 161 deJ'ère
chrétienne , à Antonin le Pieux, et occupa
tions curieuses, parmi lesquelles je ci-
vingt-neuf ans le trône impérial.
terai les deux suivantes :

(5) Le préfet Thomas, gouverneur de 1 Arri-


antonini pu... que, dont cette inscription porte le nom, est
castrorvm cité avec honneur par Corippus Africanus
thignica DEVOT (3) (] ans j e premier livre de son poème De lau-
dïbus Justini minons, où on Jit le vers sui-
(i) Ces titres semblent bien emphatiques van t .

pour un empereur qui ne régna que six mois, « Et Thomas Libycœ nutantis dextera terrœ. »
depuis octobre de l'an 275 de notre ère, jus- ( J. J. M. )
e
qu'à la fin de mars 276. (6) Justin II du nom, ou
Jeune, succéda le
er
(2) Septime-Sévère parvint à l'empire à son oncle Justinien I , l'an 565 de notre
Fan 193 de l'ère chrétienne, après le meurtre ère, et occupa pendant treize années le
de Didius-Julianus ; et après avoir gouverné trône de Constantinople avec Sophie son ,

l'empire dix-sept ans huit mois et trois jours, épouse, qu'il avait associée à l'empire.
il mourut de chagrin d'avoir pour fils Cara- (7) On trouve souvent dans les inscriptions
calla. les noms des princes qu'elles offraient effacés,

(3) Antonin le Pieux parvint à l'empire non par les effets du temps mais par la ,
TUNIS. 27
'

Mais l'endroit où l'antiquaire pourrait funéraires et plusieurs inscriptions en


faire la moisson la plus abondante est la partie effacées.
petite ville de Douggah ou Touggah On trouve aussi quelques vestiges an-
l'ancienne Thugga , assise à l'extrémité tiques à l'ancienne Musti, située dans
d'une petite chaîne de montagnes, à une plaine, en vue de Douggah et de Des-
environ deux milles au sud de Touber- sous, à moitié chemin de Testourah et
sôk : on y remarque encore plusieurs de Qeff : ce lieu est nommé par les ha-
beaux tombeaux antiques, les restes d'un bitants Sydy-Abd-êl-Abbâs, du nom
ancien aqueduc qui fournissait la ville d'un marabout qui y a sa sépulture : on
d'eaux abondantes, et surtout les por- y voit les restes d'un bel arc de triom-
tiques d'un temple orné de belles colon- phe , dont l'une des pierres offre encore
nes le fronton de ce monument est
: cette inscription :
décoré d'un aigle les ailes éployées, au-
INVICTISSIMO FELICISS1MOQVE
dessous duquel on lit cette inscription :
IMP. AVGVSTO CAESARI 0RB1S PACAT
L. MARCVS SIMPLEX ET L. MVST1GENS1VM DD.
MARCELLVS SIMPLEX REGI En continuant de marcher au sud-
LIANVS S. P. F.
ouest on arrive à la frontière qui sépare
Plusieurs autres inscriptions encore, de ce coté la Régence tunisienne du
les unes frustes, les autres bien conser- territoire de l'Algérie, et qui est à 24
vées, ornent la frise et les parois de ces lieues (96 kilomètres) ouest-sud-ouest

belles ruines. de Tunis.


On ne trouve, au contraire, aucun La ville frontière est celle de Qeff
vestige d'antiquités à Lorbous , l'an- (Y ancienne Sicca-Veheria\ située à cinq
cienne Laribus Colonia; cette petite lieues (20 kilomètres) au sud-ouest de
ville, située à cinq lieues environ ( 20 ki- Lorbous : cette ville est réputée la troi-
lomètres ) à l'ouest-sud-ouest de Tes- sième de la Régence pour la richesse et
la force, quoique sa citadelle ait été dé-
tonrah, et à la même distance au nord-
est de Qeff, n'est maintenant remar- mantelée, il y a environ un siècle, dans
quable que par la beauté de sa situation les guerres civiles. La ville elle-même est
i

I sur uneéminence. bâtie sur le penchant d'une colline,


Dans la plaine qui s'étend au-dessous comme nom même semble l'indi-
son
de Lorbous, non loin de Douggah, est quer (1), etpresque au milieu de son
assise une autre petite ville, Mestorrah, emplacement elle possède une fontaine
l'ancienne Civitas secunda Tuggensis; qui lui fournit une eau abondante. Les
on y trouve le piédestal d'une antique seules antiquités que possède la ville
statue qui a disparu, et sur lequel existe de Qeff sont deux inscriptions, dont je
encore cette inscription : citerai seulement la suivante :

HERGVLI SACRVM. TITACÏVS


SATVRNO AVG. SACRVM CIVITAS
PROGVLVS PROCVRAT. AVGVSTI
II TVGGENS1S DEDIG. DECR. DEGVR.
SVA PEGVN1A FECIT.

I
A une demi-lieue seulement (2 ki- En partant de Bazil-Bâb pour se rap-
lomètres ) de Douggah et à une lieue procher de Tunis on suit la direction
! (4 kilomètres) de foubersôk s'élève sur de l'est à peu près dans le même paral-
une colline Bessous, l'ancien Munici- lèle; et, quittant la vallée arrosée par la
pium Jgbiensium, où l'on trouve les Medjerdah, on se jette dans un pays
vestiges de deux temples antiques et d'un montagneux la première position re-
;

château plus moderne. marquable qu'on y rencontre est Bou-


Ces ruines offrent quelques cippes chah, qui n'est qu'un monceau de ruines,
à environ six lieues (24 kilomètres) au
main des hommes : il paraît que dans les sud-sud-ouest de Tunis.
|
guerres civiles qui ont si longtemps boule- On peut croire que Bouchah était
:
versé l'empire romain, surtout en Afrique, autrefois la cité nommée Turza ou
les vainqueurs effaçaient le nom des princes
j

vaincus ou détrônés sur les monuments qui (i) Le mot Qeff ou Qoffsigmûeune colline,
leur avaient été dédiés. M»)
(J. J. un monticule, en langue arabe. ( J. J. M.)
,

28 L'UNIVERS.
Turceta; du moins cette induction doit êz-Zéyt, à l'entrée de la péninsule qui
se tirer des fragments d'une inscription forme la partie orientale du Quartier
qu'on y lit encore, quoiqu'elle soit pres- d'Été, et que nous allons rapidement
que entièrement détruite ce que l'on : parcourir.
peut déchiffrer des restes de cette ins- Section Troisième.
cription indique que le monument au-
quel elle appartenait avait été érigé en Partie orientale du Quartier d'Été ; Be- —
l'honneur de Cœlius Alcinus Felicianus, led-êl-Hadarah ; —
Rhadès, Hammâm-êl-
qui paraît être natif de cette ville, et Ayn Souleymân, Toubernôk, —-Péninsule,
,

Gourbos, iSydy-Dâoud, Louaréah Grottes


elle se termine par les lignes suivantes ;

,

antiques; Cap Bon, Dakhoul Klybéab, ,

OB EXIMIVM AMOREM IN Gourbah Nabal, Hamâmét, Qassr-êz-Zéyt,


,

PATRIAM SPLENDIDISSIMVS Minârah , Farâdys, Herklah.


ORDO ÏVRCET. PATRONO SVO„
Pour se rendre dans la partie orien-
De chemin de Tunis laisse à
là le taledu Quartier d'Été et visiter cette pé-
droite Mechergah, ou Mecherkah , qui ninsule, qui doit nous offrir une moisson
est dans une plaine entourée de mon- d'antiquités plus abondante que notre
tagnes, à trois lieues (12 kilomètres) à exploration de la côte septentrionale, on
l'est de Bouchah. sort de Tunis par la Porte du Sud, et on
Cette petite ville s'appelait autrefois traverse les faubourgs.
Giufoxx Muninipium Giujitanum; elle D'abord, dans celui qui est nommé
a aussi porté en même temps les titres Beled-êl-Haddrah, on rencontre un Ba-
de Aurelium, Alexandrianum, Augus- gno, où un beau fût de colonne, apporté,
tum , Magnum : cette dernière épithète probablement de Carthage ou de ses I

aura sans doute été donnée à cette cité, environs, offre l'inscription suivante :

pour la distinguer de la bourgade nom- IMP. CAES. D1V. JNERVAE NEP.


mée Giuf Minus, située dans la monta- DIV. TRAIANFPARTHIC. FIL. .. \

gne de Zaghouân , et qu'on appelle en- TRAIANVS HÀDR1ANVS AVG.


core aujourd'hui Zyouf-éz-Zaghouân : PONT. M. TR. P. VU. COSS. III.
on n'y trouve d'autres vestiges d'anti- VIAM^A GARTH. THEVESTEN
quités que cinq inscriptions, dont je ci- STRAVIT ,.PER LEG. III AVG.
terai de préférence celle qui prouve que
On du faubourg en passant entre-
sort
la ville de Giufa. porté simultanément
qu'on laisse à sa gauche, et les ma-'
le lac,
à la même époque, et non successive- récages de Sebkhat-êl-Sedjoumy (3), et' j

ment , les divers surnoms que je viens on suit un chemin qui, partant de
de rapporter :
Bella-Kebira, sur les bords méridio-
LVCINIAE SATVRN1NAE naux du lac se dirige au sud-est cette
, :

AVRELI DIONISI PATRONI route passe bientôt auprès du santon


CONIVGI MVNICFPES nommé Sydy-Fath-Allah, et, traversant
MVNICIPI AVRELI ALEXAN le village de Fondouq, près de la mon-
DRIANI AVGVSTI MAGNI
tagne de Mosmar-Kassâ, elle aboutit
GIVF1TAM.
au port de Rhadès.
C'est de Mechergah qu'une route La petite ville de Rhadès est située
tournant vers le sud-ouest ronduit direc- sur une hauteur, entre le lac et la mer,
tement à la montagne de Zaghouân, etdistante d'environ deux lieues (8 kilo-
dont il a été fait une mention détaillée mètres), à l'est-sud-est de Tunis : c'est
dans le chapitre V ci-dessus (1). Une l'ancienne Ades, où Régulus défît Han-
autre route, partant du même point à non, général des Carthaginois.
l'est-sud-est, se dirige vers Toubernôk (2) En sortant de Rhadès, on traverse
située dans une position centrale entre la rivière nommée maintenant BahyrU
la petite ville de Souleymân et Qassr- él-Mournouq (4) ou Milyânah (l'an-

(i) Voyez ci-dessus ,


pages 16 et suivantes. (3) Le mot Sebkhat , en arabe, signifie

(2) Il faut prendre garde de ne pas con- marais salants : voyez ci-dessus, la note
fondre Toubernôk avec Toubersdk, dont il a page 12. ( J. J. M.)
été question ci-dessus, page 26. (4) Boheyréh , Bahyrét en arabe, et Bahyrt
TUNIS. 29

cienne Catada), qui prend sa source et peut être regardée comme la première
dans les montagnes du midi, et se jette cité de la péninsule. A l'époque de sa fon-
dans la mer à peu de distance de Rhadès. dation, elle fut principalement habitée
Après ce passage , se rapprochant de par des familles de Maures chassés de
plus en plus du rivage, une route d'en- l'Andalousie (5) leurs descendants, qui
:

viron une lieue (4 kilomètres) conduit forment la plus grande partie de la popu-
directement aux eaux thermales nom- lation actuelle ont conservé entre eux
,

mées Hammâm-êl-Ayn (1) situées un , l'usage de la langue espagnole; ils sont


peu au sud des bains chauds de Ham- beaucoup plus civilisés que les autres
mâm-êl-Lyf, et de Hammam êl-Ênf'(2), Maures, et traitent surtout les chrétiens
ainsi nommés d'après leur position sur avec beaucoup d'égards.
un petit promontoire (3) au pied d'une , Si de Souleymân on voulait, sans
montagne à double sommet cette mon- ; visiter les deux côtes de la péninsule,
tagne elle-même, à cause de la configu- passer immédiatement -d'un golfe à l'au-
i
ration bifurquée de sa cime, a reçu le tre , une route conduirait à peu près
nom de Gebel-bou-Qournéyn ( la mon- dans la direction du sud-sud-ouest, de
i
tagne à deux cornes) (4). Souleymânh Qassr-éz-Zéyt, en passant
Ces différentes sources d'eaux ther- par Toubernôk (6) qui se trouve à peu
,

i maies sont fréquentées depuis un temps près à moitié chemin.


j
immémorial, non-seulement par les ha- Toubernôk est l'ancien Oppidum Tu-
i. bitants de Tunis, mais encore par tous burnicense de Pline (7) cette petite :

ceux de la côte africaine. ville est à sept lieues (28 kilomètres) au


On laisse à sa droite cette double sud-sud-est de Tunis. Elle a la forme
montagne, ainsi que le santon nommé d'un croissant,. et est construite dans un
! SydySa'yd-Chourchân, et, après une enfoncement entre les deux sommets
route de deux lieues environ (9 kilomè- d'une belle montagne verte nommée ,

tres), on est bientôt arrivée la petite Mons Balbus par Tite-Live (8) .Cette
i ville de Souleymân. montagne fait partie d'une chaîne de
Cette jolie ville, construite il y a quel- hauteurs qui fait aux environs de Tou-
ques siècles seulement par les musul- bernôk des tours et retours nombreux,
mans, a été placée par eux dans une po- et forme ainsi ces défilés étroits et dif-
sition agréable , auprès d'une vaste ficilesentre lesquels Massinissa fut en-
!

plaine arrosée par une belle rivière, fermé par Bocchar. Le seul vestige an-
1

dont le cours supérieur est d'environ tique que l'on aperçoive à Toubernôk
I deux milles elle occupe l'angle le plus
:
est un bas-relief placé sur le portail d'un
\
enfoncé et le plus méridional du golfe grand édifice, et représentant deux
grandes cornes de cerf.
;
en idiome mauresque , signifie proprement Sur cette route de Toubernôk à
petite mer, comme nous l'avons dit ci-dessus; Çassr-êz-Zéyl (9) se trouvent, à peu de
mais on donne aussi ce nom aux petits lacs, distance de ce dernier château, les ruines
aux petits fleuves ; voyez ci-dessus la note de de la ville de Djeraado, qui est à la fois
la page 8. (J.J. M. ) à douze milles au sud-ouest de Touber-
(i) Ce nom signifie mot à mot, en arabe,
nôk et h quatre au nord de Faradys (10).
les bains de la fontaine. ( J. J. M. )
On y trouve les débris d'un petit aque-
(2) Ce nom signifie en arabe les bains du
promontoire. (J. J. M.)
duc et des citernes dans lesquelles il
Ce mot arabe ênf, qui signifie propre-
versait ses eaux sur le portail d'un
:
(3)
ment le nez s'emploie aussi pour désigner temple ruiné, comme le reste des édt-
y

tonte partie saillante, un cap, un promon-


toire. (J.J. M.) (5) Voyez ci-dessus, la note 1 de la page 25.

(4) Sur le mot Gebel , voyez ci-dessus la (6) Voyez ci-dessus , la note 2, page 28.
note 2 de la page 24 : à l'égard du mot bon il (7) Plin. lib. V, cap. 4.
remplit dans l'idiome barbaresque les mêmes (8) Tit. Liv. lib. XXIX, cap. 3r.
fonctions que le mot dou ou zou dans les au- (9) Voyez ci-après, page 34, l'article sur
tres dialectes, et s'emploie comme celui-ci Qassr-éz-Zéjt.
pour former des adjectifs de qualification ou (10) Voyez ci-après, page 35, l'article sur
de possession. (J. J. M.) Faradys.
,

30 L'UNIVERS.
fices dont la ville se composait, on re- Aqux Ca-
et c'est ici qu'il faut placer les
marque l'inscription suivante. lidx dont parle Tite-Live (2).
Cette inscription, séparée en deux En s'avançant toujours vers le nord,
parties, paraît contenir des détails sur après environ trois lieues ( 12 kilomè-
les diverses sommes fournies par les tres) d'un chemin pénible, on atteint
fondateurs qui avaient concouru à la un cap élevé qui avance dans la mer sa
construction de ce monument. pointe escarpée ; c'est le Râs-Abeyd, le
On lit en effet à droite : Promontorium Herculis des anciens :

par son prolongement il forme à l'est


AVRELIVS RESTITVTVS HCC
JVL1VS TERTIVS HCCCC ET SPAT.
une petite baie dans laquelle a son em-
I AVRELIVS SEVERIANVS HD ET bouchure une petite rivière nommée
CALCIS XX. M
P. Oued-êl-Abeyd (3).
AVRELIVS QVINTINVS HCCCC. Depuis Gourbos on a pareouru une
A gauche :
longue route qui se dirige au nord-est,
en suivant la côte occidentale de la pé-
CALPVRNIVS HCC ninsule, sans y rencontrer une seule ha-
MARTIVS VENVSTVS HCC
bitation digne d'être citée; on continue
L. AELIVS LARGVS HCC
cette route pendant cinq lieues (20 kilo-
AVRELIVS FROTÏANVS HCC.
mètres , avant d'arriver à un santon si-
En sortant de Souleymân, pour en- tué à l'est-nord-est du cap RâsAbeyd;
trer dans la péninsule, la route, tour- ce santon est appelé Sydy-Dàoud ( Da-
nant au nord-est, conduit, après deux vid), et a pris son nom d'un saint musul-
lieues environ de marche ( 9 kilomètres), man dont les Maures croient posséder,
à l'ancienne Maxula , maintenant nom- en ce lieu la sépulture; mais ce prétendu'
mée Morayssak : cette ville, ainsi que tombeau n'est autre chose qu'un ancien,
son nom arabe l'indique, a un petit prétoire romain, orné d'assez belles mo-4
port (1). saïques représentant des pêcheurs, des,
On ne trouve à Morayssak d'autres chasseurs, et différentes espèces d'arbres,
traces d'antiquités que des citernes rui- de poissons, et d'autres animaux.
nées et hors d'usage, les voûtes en étant Du reste, ce santon est situé au mi-
effondrées et les canaux afférents obs- lieu de ruines remarquables, qui nous;
trués par des écroulements. indiquent seules maintenant remplace-'
C'est ici qu'on commence réellement ment où existait l'antique Misua, dont
à entrer dans la péninsule; le chemin, le grand port offrait jadis un asile si fa-
qui depuis Tunis avait été plat et sablon- vorable aux navigateurs.
neux, commence à s'élever et à devenir A deux lieues environ (8 kilomètres)
de plus en plus raboteux, à mesure qu'on de ces ruines , dans la direction de l'est-
approche de la chaîne montagneuse, qui nord-est , immédiatement au sud de la;
fait pour ainsi dire l'arête centrale de pointe la plus saillante du cap Bon,
ce vaste promontoire. s'élève le village de Louarèah , l'an-
En avançant encore deux lieues envi- cienne Aquilaria; les ruines d'antiqui-
ron (9 kilomètres) au nord-est, et en tés y sont assez nombreuses , mais en
suivant la côte, on rencontre la baie de général peu dignes d'attention.
Gourbos, ainsi nommée de la petite ville Le village de Louarèah est réellement
bâtie sur ses bords ; c'est sur cette côte remarquable par les grottes ou souter-
que firent naufrage quelques-uns des rains qui dès la plus haute antiquité ont
vaisseaux d'Octavius. été creusées dans la montagne voisine, et
Gourbos (l'ancienne Carpis) est qui paraissent avoir été les anciennes
aussi connue sous le nom de Hammam carrières dont parle Strabon (4) et dont ,

Gourbos (les bains de Gourbos), parce les excavations ont fourni des matériaux
qu'elle a également des eaux thermales,

(2) Tit. Liv. 1. XXX, cap. 2 4.


(i) Le mot Morayssak est dans la langue (3) Le mot Oued, ou Ouady, signifie ri-
arabe le diminutif du mot Mersâ, ou Mersah, vière ; voyez ci -dessus, la note 3 de la page 22,
qui signifie un ancrage , un port. Voyez ci- (J. J.M.)
dessus, la note 6, page i3. M. ) XVII,
( J. J, (4) Strab. lib.
TUNIS, m
aux constructions de Carthage, d'Utique, que Ja description de cette retraite, qu'il
ainsi que des autres villes de la côte place d'ailleurs sur un des côtés de ce
africaine. golfe, est loin d'être seulement, ainsi
Cette montagne, qui sépare Louarêah que l'ont prétendu la plupart des com-
du rivage, et qui n'a pas moins d'un mentateurs, une fiction purement poé-
demi-mille d'étendue, ne s'élève guère tique , et le jeu d'une imagination pit-
qu'à une trentaine de pieds ( 10 mètres) toresque on ne peut, au contraire,
:

au-dessus du niveau de la mer. Sa su- s'empêcher d'être persuadé que le poète


perficie est partout boisée, et son som- a visité les lieux mêmes , et qu'il a , de
met offre des arbres d'une belle végé- visu, tracé un tableau si détaillé, si
tation mais toute la couche inférieure
; fidèle , et maintenant encore si facile à
du sol a été entièrement fouillée de tou- reconnaître Y Enéide à la main.
tes parts, et excavée dans toutes les di-
rections la voûte des galeries que for-
: Est in secessu longo locus insula portum
.•

Efflcit objectulaterum quibus omnis ab alto


ment ces souterrains est soutenue d'es- ,

Frangitur, inque sinus scindit seseunda reductos


pace en espace, et à des distances régu- Hinc atqve hinc vastœ rupes, geminiqueminantur
lières, par des arcades et de forts piliers In cœlum scopuli quorum sub vertice late
,

qu'on a artistement réservés en taillant sEquora tuta silent Mm


silvis scena coruscis
-.

Desuper, horrentique atrumnemus imminet umbra -.

ces immenses masses de pierre : dans Fronte sub adversa, scopulis pendentibus, antrum .-

la partie supérieure, des ouvertures ont Intus aquœ dulces varioque sedilia saxo :
,

été ménagées avec beaucoup de soin Nympharum domus vivoque.

pour faciliter la circulation de l'air dans Virgil. Mneid. 1. I,


ce labyrinthe souterrain.
Plusieurs bancs taillés dans le roc Quelle que puisse êtrela vraisemblance
invitent le voyageur à s'y reposer, et de cette hypothèse , en sortant de ces
plusieurs sources vives, sortant des pa- grottes curieuses on marche encore en-
rois , y forment de petits bassins dont viron une lieue (4 kilomètres) au nord,
les ruisseaux, s'épanchantsur Je sol, en- et on se trouve à l'extrême pointe du
tretiennent partout la plus agréable fraî- cap Bon , l'ancien Promontorium Mer-
cheur. curii ou Promontorium Hermœum (1),
Différentes ouvertures donnent accès du haut duquel on a presque sous ses pieds
dans ces grottes, mais toutes sont à sa gauche les deux îles de Zouammore
percées du côté de la mer, et la princi- (.anciennement Zembrx insutse), et l'on
pale est directement en face de la petite aperçoit du même côté à l'horizon le cap
île âeZouammore, qui, par sa position à Zebyb, qui, extrémité du golfe,
à l'autre
la pointe du cap Bon, garantit cette est à louest-nord-ouest, à la distance
partie du rivage du souffle des tempêtes de douze lieues environ (48 kilomètres).
et des flots de la haute mer. On assure même que quand le temps
Cette^ petite île concourt, avec la est clair et le ciel serein on peut quel-
grande île du même nom, à diviser l'ef- quefois apercevoir de cette hauteur
fort des vagues en deux courants, qui se non-seulement les rochers de Pantelerie
dirigent séparément sur les deux golfes ( l'ancienne Cossyra ) et de Malte (2 ), je-
qu'elles commandent.
Cette entrée principale des grottes est, (i) Voyezci-dessus, la note 3 de la page 2 3.
de plus, flanquée, de chaque côté, de (2) Onpourrait croire que les ilôts dePan~
deux énormes blocs de rochers dont les telerie, de Favognana ( l'ancienne JEgusa ),
,

pics escarpés , menaçant les nues, Pri- les écueils des Scjuerqui, les îles iEgades , et

sent les efforts des vents et des vagues, Malle elle-même, avec son île de Gozzo et
les îlots de Cumino et de Cuminotto , ainsi
et semblent deux tours avancées , desti-
placés dans l'endroit le plus étroit de la Mé-
nées à couvrir les abords d'une citadelle.
diterranée, resserrée enire la Sicile et le
Envoyant toutes ces circonstances se
cap le plus septentrional de l'Afrique, ne
rapporter avec une exactitude si minu-
sont que les jallons restes jusqu'à notre époque
tieuse à la description que nous fait Vir-
d'une ancienne réunion entre ces deux pla-
gile de la caverne délicieuse habitation
, ges, antérieure à tous les temps historiques^
des Nymphes, où Énée fut conduit par et qui aurait été submergée par le même ca-
Didon on , est facilement porté à croire taclysme qui a fait disparaître l'Atlantide.
,

32 I/UJNIVERS.

de cette vaste mer , mais n'est plus occupé maintenant que par un
tés au milieu
encore pointes les plus élevées des
les château d'architecture moresque, et on
montagnes qui bordent la côte méridio- n'y voit plus aucun édifice antique le ha-:

nale de Sicile. meau qui a conservé le nom de Klybéah


Deux îles portent également le nom est à environ un mille de distance, et
n'offre que de misérables masures.
de Zouammore ; la plus petite, dont nous
avons parlé déjà ci-dessus (1), est très- Dans la baie que forme le cap de Kly-
rapprochée du rivage ; mais la plus béah est l'embouchure de la rivière la
grande est à la distance de quatre lieues plus considérable de la péninsule le :

(16 kilomètres) dans la direction du passage de cette rivière est difficile , et


nord- nord-ouest. devient souvent dangereux, par la pro-
Tout le territoire que nous venons de fondeur et la rapidité de ses eaux, sur-
parcourir depuis la petite ville de Sou- tout par les inégalités de son lit, et le
teymân jusques au cap Bon, et auquel manque complet de tout endroit guéa-
on donne le nom de Dakhoul ( c'est-à- ble. On croit que c'est dans ce courant

dire le coin intérieur ) est particulière- torrentiel que se noya Massinissa lors-

ment renommé pour sa fertilité : il est qu'il fut poursuivi par Bocchar, après sa
en général habité et cultivé par les di- défaite (3).
verses tribus des Oueled-Séyd (2). C'est Lorsqu'on a passé cette rivière fa-
surtout dans cette partie qu'on trouve tale, on traverse une plaine non moins
des prairies et des terres labourables ; fameuse par de funestes souvenirs c'est ;

le reste de la péninsule étant presque


, laque, suivant Tite-Live (4), furent mas-
partout coupé par des collines, des ra- sacrés les quarante cavaliers, dernière
vins, des bruyères et des marais, est escorte du malheureux prince dans sa
peu susceptible de culture et d'amélio- fuite.

ration. En sortant de cette plaine on se dirige


du cap Bon au sud-ouest, et par une route de sept
A
partir route change
la
après
entièrement de direction, et, suivant lieues environ ( 29 kilomètres) ,

l'inclinaison du rivage oriental de la avoir reconnu, à mi-chemin, une grande-


presqu'île, redescend du nord-est au tour isolée de construction moresque
,

sud-ouest. et désignée par le nom de Tour du


Cependant la première partie de cette Guet, on parvient à la petite ville de
route, qui comprend environ cinq lieues Gourbah.
(20 kilomètres ), ne suit pas encore exac- Cette position était autrefois celle de
tement cette nouvelle direction on mar- :
l'ancienne Curobis, ou Curubis ; mais;
che du nord au sud pour atteindre la les seuls vestiges d'antiquités qu'on |
première position, qui est celle de Kly- trouve sont un grand aqueduc et quel
béah. ques citernes. Cependant il paraît que
Cette ancienne ville a conservé, sans l'ancienne ville avait assez d'importance
altération, dans son nom arabe, l'ancien autrefois ; mais son port et une partie de
nom de Clypzea, ou Clupea, que les la ville elle-même ont été envahis par la

Romains lui avaient donné jadis, à cause mer, qui ronge journellement de plus en
de sa forme, qui ressemblait, disait-on, plus toute cette côte, et on assure qu'on
à celle d'un bouclier cette configura-
: peut encore, dans les temps calmes, dis-
tion lui avait déjà valu antérieurement, tinguer au fond de l'eau, à quelque dis-
de la part des Grecs, le nom de Aottîç ,
tance du rivage , les restes des édifices
dont le nom latin Clypsea n'est que la ensevelis sous les flots.
traduction. Au sud de Gourbah, et presque sous
Cette ville avait été bâtie sur un petit les murs de la ville, est l'embouchure

cap auquel les anciens avaient donné le d'une petite rivière, qui descend des
nom de Taphitis; mais cet emplacement montagnes de l'intérieur, et sur laquelle
on avait élevé un pont de pierre, dont
Voyez ci-dessus, page 3i.
on voit encore les débris ; non loin de la
(i)
(s) Voyez ci -dessus, la note 4 de la page 22,
sur le mot Oueled : Oueled-Séyd signifie les (3) Tit. Liv. lib. XXIX, cap. 3a.

descendants de Séyd. ( J. J. M. ) (4) Idera, loc. cit.


TUNIS. 3S

on remarque un autel antique, portant ainsi à Hamâmêt, que quelques-uns


l'inscription suivante : ont cru être l'ancienne ville à'Jdrume-
C. HELVIO C. F. HONORATO AED. tum , position que la plupart des géo-
II. VIR. CVRAT. ALIM. DISTR. graphes s'accordent au contraire à re-
OB INSIGNES LIBERAL1TATES garder comme identique avec celle de
IN REMP. ET IN CIVES AMOREM. Herklah, reculée un peu plus loin à l'est.
VIR. BON. COL. FVLVIA CVRVBIS Ce qui vient à l'appui de cette dernière
DD. PP. opinion, c'est que Léon l'Africain (1),
En continuant de marcher au sud-
I ouest, on arrive, cinq lieues (20 kilomè- (i) Le géographe que nous connaissons
tres) plus loin, aux ruines de l'ancienne sous le nom de Léon l'Africain était Maure
Neapolis, qui paraît avoir été autrefois de naissance, et professa longtemps la religion
une grande ville, mais dont la mer, aussi musulmane. Il était né d'une famille distin-
:

destructive qu'à Curubïs,a emporté la guée à Grenade dans les dernières années du
quinzième siècle de notre ère, et porta alors
meilleure partie.
le nom de Hassan-ben-Mohammea êl-Fâssy.
La portion des ruines de Neapolis
Quand sa patrie , dernier boulevard de la
i
qui subsiste encore offrirait à l'investi-
puissance des Maures en Espagne, fut assiégée
gateur qui aurait le temps de se livrer
en 1491 , ses parents l'emmenèrent encore
à cette recherche un grand nombre d'ins- enfant en Afrique, et lui firent donner une
criptions qu'on aperçoit entaillées sur 'éducation soignée à Fez, alors la métropole des
de grandes pierres longues d'environ sciences dans cette contrée.
six pieds (2 mètres ), sur trois (1 mètre) Il n'avait que seize ans quand il suivit son
'de largeur; mais, par malheur, elles oncle dans une mission que lui avait donnée le
sont tellement effacées, ou encroûtées roi de Fez pour le roi de Tombut ( Tembouc-
de mortier et recouvertes, soit de débris, tou ) ce voyage dui'a quatre années, et fut
:

soit de terre , qu'il serait difficile de les suivi de plusieurs autres dans l'Afrique sep-

|
explorer, et peut-être impossible de les tentrionale, qu'il parcourut souvent comme
déchiffrer. clxargé des affaires de différents princes.
Il traversa l'Atlas, le grand désert du Salira,
Le plus remarquable des fragments
visita l'Egypte, l'Arabie la Perse, la Tarta-
antiques que j'ai pu apercevoir est un ,

rie, l'Arménie, la Syrie : après avoir fait un


bloc de marbre blanc , encore debout
autre voyage de Fez à Constantinople , il
au bord d'un ruisseau qui traverse ces
venait de visiter l'Egypte de nouveau, lors-
s ruines : sur ce bloc est sculpté un bas-
qu'en retournant dans sa patrie le vaisseau
< relief représentant un loup , qui m'a
qui le portait fut pris par des corsaires chré-
semblé d'un assez bon travail. tiens, près de l'île de Djerby, sur la côte de
La ville moderne de Nabal, dont le Tripoli.
nom est dérivé de Neapolis, et qui a suc- Devenu esclave il fut amené à Rome et
,

cédé à cette ancienne cité, n'a pas été donné en présent au pape Léon X ce pon- :

construite sur le même emplacement : tife, ami des lettres, n'eut pas plus tôt reconnu

la crainte des invasions de ia mer, qui dans arabe un savant distingué, qu'il
l'esclave
avaient détruit la vieille ville, aura sans l'accueillit avec une faveur particulière, et
doute déterminé les fondateurs de la lui accorda une forte pension : bientôt après

nouvelle à la transporter plus avant dans il le fit instruire dans la religion chrétienne,

le. fit baptiser, fut lui-même son parrain , et


l'intérieur des terres, dans un fond
défendu par une espèce de levée natu- lui donna ses deux noms Jean -Léon. ,

relle, à environ un mille du rivage et de


Le nouveau converti fixa son séjour à Rome,
l'ancienne Neapolis. y apprit l'italien et le latin, et y ouvrit un
cours de langue arabe ; mais la mort de
Au reste, Nabal est maintenant une Léon X mit un terme à cette honorable exis-
ville florissante, renommée par l'indus- tence : négligé par les successeurs de ce pontife,
triede ses habitants, et surtout fameuse Léon V Africain se décida à retourner en Bar-
par ses fabriques de poterie. barie y abjurer le christianisme, et à y
, à
Après avoir quitté Nabal, on a à sui- professer de nouveau la religion mahométane.
vre pendant deux lieues environ (9 ki- Dès lors il vécut retiré à Tunis , au milieu
lomètres) un chemin difficile et rabo- de ses compatriotes et de ses coreligionnaires ;
teux mais délicieusement ombragé par
, mais aucun renseignement ne nous apprend
de magnifiques oliviers : on parvient en quelle année il y est mort tout ce que ;

e
3 Livraison. (Tunis.)
L'UNIVERS.
dont témoignage ne peut manquer
le vantes, qui toutes deux ont bien évi-
d'avoir plus grand poids, nous repré-
le demment été apportées de Qassr-éz-
sente la fondation de Hamâmét comme Zéyt. Voici la première , qui est entière
antérieure seulement de quelques années et non mutilée :
à l'époque à laquelle il écrivait sa Des-
VICTORIAE
cription de l'Afrique : il ajoute que les
ARMENICAE PARTHICAE
premiers habitants de la nouvelle ville
MEDICAE AVGVSTORVM A.
étaient pauvres et misérables, et il pa- S4CRVM CIVITAS S1AG1TANA
raît même que cette cité n'est devenue DD. PP.
florissante que vers la fin du dix-septième
siècle de notre ère.
La seconde n'offre qu'un fragment;
Quoi qu'il en soit, Hamâmét n'est mais elle présente les mêmes conséquen-
maintenant qu'une ville peu considéra- ces que la précédente :

ble mais elle est opulente, et agréable-


;
M. AVRELIO AlNTONINO PIO FEL.
ment située sur une langue de terre peu PAR. RRIT. GERM.
élevée qui s'avance dans la mer en forme imp. mcos. un p. p.
de cap. CIVITAS SIAGITANORVM.
S'il faut en croire les habitants, le nom DD. PP.
que porte cette ville arabe lui aurait été
C'est à une lieue ( 4 kilomètres ) au
donné à cause de la quantité innombra-
ble de pigeons sauvages (1) qui peuplent
nord-ouest de Hamâmét , dans un pays
montagneux et à quelque distance du ri-
les creux des rochers dans les monta-
vage, qu'on trouve Qassr-êz-Zêyt (2) :
gnes voisines, et qui viennent s'abattre
Cet endroit est couvert de ruines, que
par nuées sur les minarets des mosquées
leur proximité a fait servir de carrière
et sur les terrasses les plus élevées des
aux constructeurs de Hamâmét : là
principaux édifices de la ville.
était autrefois une ville considérable,
Les maisons de Hamâmét sont en
qui paraît surtout avoir joué un rôle
général bien bâties ainsi que les édifi-
,
important à l'époque des Antonins et ,
ces publics , dont la construction paraît
que les anciens nommaient Civitas
ne pas manquer d'élégance les colonnes :
j

Siagitana, ou Civitas Siagitanorum;


et les blocs de marbre qui les décorent,
c'est à cette ville que se rapportent les
comme aussi plusieurs autres restes
deux inscriptions précédentes, aux-
d'antiquités qu'on y retrouve en plus
quelles j'ajouterai encore le fragment!
d'un endroit, paraissent y avoir été ap-
suivant :
portés de Qassr-éz-Zéyt, et par consé-
quent ne peuvent fournir aucune preuve PRO SENAT V POPVLOQVE.
incontestable de l'identité de la moderne SIAG1TANO CELER IMILCONIS ET
j
GVILISSAE F. SVFFES.
Hamâmét et de l'antique Adrumetum. ;.

Parmi les inscriptions qu'on rencon- Cette inscription nous apprend que
tre à Hamâmét , je citerai les deux sui- l'ancienne cité Siagitana était gouvernée
par des magistrats qui portaient le titre
nous savons, c'est qu'il était parvenu à un âge de Soufjetés, comme ceux de l'antique
très-avancé, continuellement livré à l'étude Carthage (3).
et à lacomposition d'un grand nombre d'ou-
vrages, dont la plus grande partie ne nous est
Un peu au delà de ces ruines on entre
dans une grande plaine, qui s'étend jus-
pas parvenue. L'un des plus utiles et des plus
importants de ceux que nous connaissons est
qu'à Herklah , et qui est cultivée par les
sa Description de l'Afrique , qu'il avait com-
tribus des Oueled-Séyd, que nous avions
posée d'abord en arabe, à Rome, et qu'il déjà trouvés dans la péninsule.
y
traduisit ensuite lui-même en italien et en En reprenant la direction du sud-ouest
latin. ( J. J. M.)
(i) Le mot arabe hâmâméh (au pluriel ha- (a) Qassr-êz-Zêyt signifie le Château de
mdm) pigeons saiwages.W faut pren-
signifie V Huile. (J.J.M.)
dre garde de ne pas confondre ce mot avec (3) Ce titre de Suffetes dans les
langues
celui de Hammam (pluriel hammâmyn), qui punique ou phénicienne est analogue à celui
signifie des bains chauds , des eaux thermales. de Souffett, que la Bible hébraïque donne aux
(J. J. M.) Juges d'Israël. J. J. M.
TUNIS. 35

on trouve bientôt sur la côte à deux , On assure qu'autrefois les habitants du


lieues environ 9 kilomètres ) de Ha-
( port de Faradys étaient les marins les
mâmét, une grande construction de plus habiles et les pirates les plus re-
forme cylindrique, et semblable aune doutés de toute la côte barbaresque ;
haute tour, mais sans autres aménage- mais depuis plus d'un siècle cette po-
ments intérieurs qu'une voûte qui la re- pulation a quitté Faradys pour s'établir
couvre, et une baie de porte qui y donne à Hamâmét, dont la position est plus
entrée. Les Maures ont donné à ce mo- favorable au commerce et à la naviga-
nument le nom de Minârah, c'est-à-dire tion.
Phare (1) prétendent qu'autrefois on
, et De là en tournant un peu au sud-est
,

allumait sur le sommet des feux pour on a encore environ trois lieues ( 12 ki-
guider les navigateurs. lomètres) pour arriver à Herklah, re-
Cependant cet édifice pourrait bien gardée par la plupart des géographes
n'être qu'un monument funéraire des- comme étant véritablement l'ancienne
tiné à la sépulture communede touteune Adrumetum, qui reçut le nom à'Hera-
famille : c'est du moins ce que Ton peut clea à l'époque de la décadence de l'Em-
supposer en voyant la corniche de l'édi- pire.
fice surmontée de plusieurs cippes en Située au fond de la courbe que dé-
forme de têtes funéraires, ou d'autels, crit la côte du golfe de Hamâmét,
dont les moins ruinés laissent encore lire Herklah est assise sur une langue de
de courtes inscriptions offrant seulement terre resserrée entre la mer et un lac dont
des noms propres accompagnés de titres les eaux se déchargent dans la mer à
de parente : c'est ainsi qu'on lit sur un travers un terrain marécageux : comme
de ces cippes : ce marécage se trouve directement sur
la route qui conduite Herklah, on
V1TELLIO QVARTO PATR. y
avait construit un pont et une chausrce
Sur un autre cippe :
qui longeait le marais et le lac , et il
C. SVELLIO PONTIANO paraît que cette chaussée était l'ancienne
PATRVELI. limite qui séparait la Zeugitane de la
Byzacène; maintenant elle est, avec la
Sur un troisième :
villede Herklah et le château nommé
L. AEMILIO AFRICANO Qassr-Ouâly (2), à l'occident du lac, les
AVVNCVLO. derniers points jusqu'où s'étend le Quar-
Quelle que soit l'ancienne destination tier d'Eté de ce côté.
de ce monument, pour s'y rendre de Ce quartier, qui forme toute la largeur
Hamâmét on a traversé les ruines du territoire de la Régence contient ,

d'un port qui appartenait autrefois à l'espace d'environ trois degrés de lon-
l'ancienne ville iïAphrodiseum, dont le gitude, depuis Sebekhat, le point le
nom est maintenant altéré en celui de plus occidental , jusqu'à Klybéah et
Faradys. Herklah, les deux villes les plus avan-
Cette dernière position n'est plus im- cées vers l'orient. Herklah est en même
médiatement au bord de la mer, mais temps la ville la plus méridionale de ce
à quelque distance du rivage, en tirant Quartier; au delà on entre dans la divi-
I un peu vers le nord-ouest, sur le bord sion territoriale désignée sous la déno-
j
de la grande plaine où sont établis les mination de Quartier d'Hiver, et qui
; Oueled-Sèyd, et au milieu de laquelle comprend toute la partie sud de la Ré-
on trouve encore un monticule, nommé gence.
: Selloum, qui paraît avoir été formé par
les ruines de quelque ancien village. (2) Le mot arabe Quassr signifie château,
I

forteresse. Ouâlj est le titre qu'on donne


(i) C'est de l'arabe minârah, ou minâvéh, dans l'Orient au lieutenant d'un général, à
\
que nous avons formé le mot minaret, par un officier militaire j et spécialement à celui
)
lequel nous désignons les tours qui accom- qui est chargé de la police. J. J. M.
pagnent les mosquées : les Maures nomment
soumah ces tours, qui sont appelées mddenéh
en Egypte. ( J. J. M. )
, .

36 L'UNIVERS.

SECTION QUATRIEME. également bornée à quelque distance


par des montagnes, dont la chaîne
Quartier' d'Hiver.— Zoungâr;— Youse. s'étend au sud-est jusqu'à Djebel-Ha-
Kisser;— Sous, Sahabyl, Monastyr, Cem- deffan, et à un grand lac qu'on appelle
ptah — Agour, Toboulbah, Demâs, Djou- Sebkhat-êl-Aoudyéh : une autre branche
ry — Mahadyah — Djerby — Qayrouân,
;

; ; de cette chaîne se dirige à perte de vue


Spaytiah, Trouzzah, Qassaréyn. — Beled-
;

vers lesud-ouest,le longd'immenses ma-


èl-Djeryd, Tozer, Sebkhat êl-Aoudyah, —
Megs , êl-Hammah ;
— Tribus arabes. -js*
rais salants, et paraît être une continua-
tiond'une des ramifications de l'Atlas (2)
Le Quartier d'Hiver comprend toutes La partie limitrophe du Sâhrâ qui
les contrées de la Régence situées au passe pour être une des dépendances de la
midi du Quartier d'Été toutes les par- :
Régence ne le cède en horreur à aucune
ties que j'en ai vues sont bien loin d'être autre portion de ce vaste désert, et justifie
maintenant aussi fertiles que l'ont dit bien réellement ce qu'en disait le Tasse :
les anciens celles qui sont le long des
: Addieniro solo
côtes de la mer sont en général sèches et Fertil di mostri, e d'inféconde arène. (3).

sablonneuses même dans les cantons


,
C'est ordinairement de Herklah (4)
réputés les meilleurs; l'intérieur des que l'on part pour s'enfoncer dans les
terres ne vaut guère mieux que ces ri- districts du Quartier d'Hiver en sortant :

vages stériles. de cette ville on suit la direction de


A l'exception des plaines qui sont ar- 1 ouest, un peu inclinée vers le sud, et l'on
rosées par la Défaylah, le Derb, et le arrive à Zoungâr, l'ancienne Zacchara,
Hattaab, on ne trouve que des forêts et dont j'ai déjà dit quelques mots ci-
des montagnes depuis Zoungâr, dans dessus (5).
les cantons iïOuselét, de Trouzzah, de Zoungâr
La petite ville de est,
Spayttah, de Qassaréyn, en tournant à comme nous l'avons vu , à six lieues en-
l'ouest-nord-ouest, dans la direction du viron (24 kilomètres) au sud de Za-
santon de Sydy-bou-Gannim , jusqu'à ghouân : de l'ancienne
elle faisait partie
Hydrah et aux frontières de l'Algérie. Byzacène, et maintenant c'est le point le
Le territoire qui a voisine Qayrouân plus septentrional de la division du Quar-
est en général bas et marécageux , et en tier d'Hiver. Elle est remarquable par
hiver les eaux stagnantes y forment fré- ses eaux abondantes et son grand tem
quemment des lacs et des sebkhâs (1) pie, semblable à celui de Zaghouân;
qui se dessèchent à peine dans les plus mais ses environs , ses ruines et son
grandes chaleurs de l'été. temple même, sont couverts d'une forêt
Depuis le territoire de Ghilmah jus- de chênes verts tellement épaisse, qu'il
ques aux bords de la rivière Akroud, on est très-difficile de pouvoir y pénétrer.
ne rencontre qu'un labyrinthe irrégulier Le temple de Zoungâr, à en juger par
de collines et de vallées, qui n'est pas quelques débris d'ornements qui subsis-
beaucoup plus favorable à la fertilité tent encore, paraît avoir été d'ordre co-
que les terrains qui bordent la mer. rinthien et avoir été, comme celui de
,
Au-delà des montagnes de Qassaréyn, Zaghouân, recouvert d'une coupole :

jusqu'à Ferréanah et aux frontières niches , placées im-


il renfermait trois
du Sahrâ, on a à traverser une vaste médiatement au-dessus de la fontaine ,
plaine, stérile et sans aucune espèce
et qui étaient sans doute destinées à re-
d'habitation ou de culture cette plaine ;
cevoir autant de statues de Nymphes,
est longée de chaque côté par deux chaî-
Naïades ouNapées, qui présidaient à ces
nes de hauteurs peu considérables, mais
sources.
qui, à droite et à gauche, bornent l'hori-
zon d'une manière désagréable. (2) Les Maures donnent à l'Atlas le
nom
Le pays est aride et inculte jusques à de Deren, d'où le pays de Derne a pris sa
Kapsah, et à Djeryd, la vue y étant dénomination, ou celui de êl- Djebel, c'est-à-

dire la montagnepar excellence. (J. J. M.)


(i) Voyez sur la signification du mot Seb~ (3) Tasso, Gerus. lib. canto XV.
kâ, ou Sebkhah, ci-dessus îa note i de la (4) Voyez sur Herklah, ci-dessus, page 35.
page 12. (5) Voyez ci-dessus, page 9.
TUNIS. 37

, Cependant Vitmve (1) nous apprend Cette inscription, la seule bien con-
que les anciens regardaient comme di- servée de Hyblah , ne nous apprend ni
vinités protectrices des fontaines Vé- quels furent les fondateurs du monu-
nus, Flore et Proserpine, et que l'ordre ment ni quel était le nom ancien de la
corinthien était ordinairement préféré ville où il fut érigé, quoique, à en juger
pour la construction des temples qui leur par l'étendue de ses ruines on puisse ,

étaient consacrés rien n'empêcherait


: conjecturer que c'était une des princi-
alors de croire que ce temple était dé- pales cités de la Byzacène.
dié à ces trois déesses; et ce qui semble- Nous sommes dans la même ignorance
rait confirmer cette hypothèse, c'est sur plusieurs lieux de cette province,
l'inscription suivante qu'on lit encore dont, faute de renseignements, nous ne
sur la frise du portail : pouvons déterminer l'identité avec les
positions anciennes ; tels sont Nabhanah
......... PRO SALVTE CAESARIS APHKODIS11 (2)
TOTIVSQVE DIVINAE DOMVS EIVS à huit lieues (32 kilomètres) à l'ouest
CIVITAS ZVCGHARA FECIT ET DEDICAVIT. ùzHerklah; Djelloulah, à cinq lieues
(20 kilomètres) au sud-sud-ouest de
Acinq lieues (20 kilomètres) au sud-
Nabhanah ; Foussanah , à huit lieues
ouest de Zoungâr sont les ruines de
(32 kilomètres) de Hydrah ; Zouâryn,
Yousef; c'est là qu'est la source de la
Sbybcth, l'une à six lieues (24 kilomè-
Chilianah, qui, après avoir traversé et
tres) à l'est-sud-est de Qeff, l'autre à
fertilisé les valléesde Bessous, de Toug-
sept lieues (28 kilomètres) au sud-sud-
gahetde Toubersok, à l'ouest, va se
est; Mansous, à trois lieues (12 kilomè-
jeter dans la Medjerdah, à peu de dis-
tres) au sud des ruines de Yousef, etc.
tance de Testourah.
Dans les débris de Mansous on lit en-
A trois lieues ( 12 kilomètres ) au sud- core sur une pierre tumulaire l'inscrip-
ouest des ruines de Yousef, on rencontre
tion suivante :

d'autres ruines, celles de Kisser (l'an-


cienne Assuras, ou Assurus), puis d. m. s.
celles â'Hyblah, presqu'à la même lati- VSVRVS PONIC1NNVS
tude que Kisser, dans une vallée étroite VERECVNDIA INCOMPARABILIS
ET INGENIO CLARVS...
qu'arrose un ruisseau.
OMNI S1MPLICITATE 1VCVNDVS.
Ces dernières ruines sont les plus re-
marquables que l'on trouve dans cette Mais avant de pénétrer dans l'inté-
partie de l'ancienne Byzacène; on y voit rieur du Quartier d'Hiver il convient ,

des pans de murailles encore debout, le d'explorer la portion de la côte du golfe


pavé entier d'une rue , des autels , des qui s'étend au sud-sud-est, et qui dé-
tombeaux de toutes formes , assez bien pend de cette division territoriale.
conservés les uns ronds, les autres
:
Sous ou plus vulgairement Soussah,
octogones ; les uns soutenus par des située à cinq lieues (20 kilomètres) au
colonnes, les autres carrés et massifs ; sud-est de Herklah est la position la
,

mais la plupart des inscriptions que por- plus remarquable de toute cette côte, et
taient ces sépultures ont été détruites mérite d'être regardée comme une des
soit par le temps, soit par les Arabes. principales villes de la Régence (3); c'est
Au milieu de ces ruines , le monu- là en effet que se fait le plus grand
ment qui frappe d'abord les yeux plutôt commerce des huiles, des toiles, qui
par sa masse que par sa beauté, est un s'exportent dans tous les ports de la Mé-
grand arc de triomphe portant l'inscrip- diterranée: mais les seuls vestiges d'an-
tion suivante en caractères de près d'un tiquités qui y attestent son ancienne
pied ( 30 centimètres) de dimension : grandeur se réduisent à quelques voû-
tes , à quelques colonnes de granit , et
JMP. CAES. L. SEPTIMfO SEVERO
PERTINACI AVG. P. M. TRIE. POT. III.
IMP. V. COS. II. P. P. (3) Une autre ville du même nom se trouve
PARTH. ARAB. ADIABEN. DD. PP. dans leroyaume de Marok pour distinguer
:

l'une de l'autre ces deux villes, les Arabes ont


(x) Vitr. lib. I, cap. 2. ajouté au nom de la dernière î'épithète de
(2) On sait
que Jules César prétendait tirer êl-Aqsâ , c'est-à-dire Y ultérieure la plus e- ,
,-
.

son origine de Vénus , mère d'Éuée. culée, '

(J. J. M.)
'.18 L'UNIVERS.
à d'autres débris sans importance. qu'offrent ses débris , lui a fait donner
La ville est ceinte de murailles , et par les Arabes modernes le nom de
bâtie à l'extrémité septentrionale d'une Bou-Hadjar, c'est-à-dire la pier-
chaîne de collines qui se prolonge jus- reuse (2).
ques à Soursef, l'ancienne Sarsura, Entre Bou-Hadjar et Demâs , et à
et derrière laquelle on a la vue d'une environ quatre milles de cette dernière
vaste plaine qui a plusieurs milles d'é- position, on rencontre un grand lac d'eau
tendue. salée, qui s'étend jusqu'à une demi-
A une lieue et demie (6 kilomètres) lieue ( 2 kilomètres ) de Toboulbah, pe-
de Sous on traverse une vallée qu'arrose tit village bâti au bord de la mer.

un ruisseau dont les eaux sont fraîches Demâs est l'ancienne ville de Thap-
et claires; puis à une demi - lieue sus ; elle est située sur une langue de
(2 kilomètres) plus loin, sur le pen- terre fort basse, à environ trois milles
chant d'une des collines qui se ratta- au sud-est de Toboulbah. La grande
chent à celle sur laquelle la ville de quantité de ruines que l'on y trouve
Sous est bâtie, on rencontre, à environ pourrait faire croire que c'était, après
un mille du rivage d'une petite baie, le Carthage, la ville la plus considérable
village de Sahalyl, qui offre quelques de ces parages, si d'ailleurs tous les
ruines antiques. renseignements fournis par les histo- ,

Sur l'extrémité d'un petit cap , à cinq riens ne concouraient à prouver son im-
milles de Sahalyl, s'élève la petite ville portance très-secondaire sous les Ro- !

de Monastyr. C'est une ville florissante mains. \

et murée comme celle de Sous; mais on Le cap de Demâs et celui de Monas- \

n'y rencontre que peu de marbres de , tyr forment entre eux la baie de Lemp-
colonnes, et d'autres restes d'antiquités : tah, dans laquelle on rencontre plu- j

cependant elle a dû être construite par sieurs iles remarquables. \

les Romains, peut-être même par les La première de ces îles, située parallè- j

Carthaginois, dans une position qui lement à la côte, s'étend dans sa Ion- !

commande à la fois le golfe de Sous et gueur presque depuis Demâs jusqu'à ;

celui de Lemptah. Toboulbah, puis les îles Djoury


Lemptah est l'ancienne Leptîs parva, (les anciennes Tarichiœ) , en face de ;

qui avait reçu cette épithète , non comme Lemptah


'

et de Toboulbah, puis encore


indication "de son peu d'importance, une autre île qui se prolonge depuis |

mais pour la distinguer d'une autre Monastyr jusqu'à moitié chemin de j

ville de la Cyrénaïque, qui portait le Lemptah. I

nom de Leptis magna , et qui est main- A cinq milles au sud de Demâs , est \

tenant connue sous le nom de Lebidah(l). assise dans une péninsule la ville d'e/-
Cette ville paraît avoir eu autrefois Medéah , ou plus correctement Maha- \

plus d'un mille de circonférence, mais dyah, que les géographes modernes
maintenant on n'y voit plus que le châ- nomment Jfrica, et qui paraît avoir
teau , et un amoncellement de pierres été autrefois une place, forte et impor-
qui paraissent avoir formé autrefois un tante. Son port est creusé dans i'enceinte
môle , du côté du nord. même de la ville, et s'ouvre du côté de
Les ruines d'Jgour sont à quelques Kapoudyah ; mais maintenant les eaux
milles de Lemptah, vers l'ouest; la sont si basses qu'elles ne peuvent qu'à
situation de cette petite ville sur un ro- peine recevoir les plus petits navires.
cher, et l'immense quantité de pierres Léon l'Africain nous apprend que
cette ville doit sa construction au khalyfe
Les ruines de Leptis magna ont été
(i)
visitéesen 1806 par mon ancien ami et col- (2) Le mot hadjar signifie en arabe pierre,
lègue J. D. Delaporte , qui y a recueilli une rocher; nous avons déjà vu que le mot bou,
riche moisson d'inscriptions latines, grecques, altéré par les Maures de celui dedùou (père),
phéniciennes et puniques : il a publié ces entre dans la composition d'un grand nombre
inscriptions en 1 836. (t'oyez Journal Asia- de mots pour former des adjectifs vulgaires.
tique, tome I er de la IIP série , page 3o5 et ( Forez ci-dessus , la note 4 de la
page 29.)
suivantes.) (J. J. M.) (J.J. M.)
TUJN1S. 39

Mahady, prince de la dynastie des Fati- taies. Un édifice menace-t-il


de s'écrou-
mites (1), qui régnait d'abord à Qay- ler, une ville ravagée par la
a-t-elle été
rouân, et que la ville a pris son nom guerre, incendiée, bouleversée par un
de celui de son fondateur. Les beaux tremblement de terre ou quelque autre
chapiteaux les colonnes , les fragments
, événement funeste , on abandonne l'é-
d'entablements et les autres débris d'ar-
, difice et la ville , que l'on croit dès lors
chitecture antique qu'on trouve à Ma- sous une fatale influence, et au lieu de ré-
hadyah pourraient faire croire que parer les dommages causés parle temps,
cette ville a été non fondée , mais re- la guerre, l'incendie ou tout autre fléau
construite sur les ruines d'une ville plus on va s'établir dans une habitation nou-
ancienne ; mais il paraît que ces débris velle, que l'on désertera à son tour si les
antiques ont été apportés des villes circonstances qui ont fait quitter la pre-
voisines par l'ordre du khalyfe fonda- mière se renouvellent dans la seconde.
teur, pour embellir sa nouvelle ville. C'est ce système qui a multiplié d'une
11 n'est pas en effet dans les habitudes façon si étonnante les ruines qu'on ren-
des princes de l'Orient de reconstruire contre dans tout l'Orient , au sein même
de réparer ou de rétablir ; ils laissent des pays les plus peuplés et des villes les
tomber en ruines un vieux palais , une plus florissantes.
ville ancienne; ils aiment mieux fonder C'est ainsi qu'en Egypte à la Thèbes
auprèsdu palais ruiné et de la ville dé- aux cent portes a succédé la Memphis
vastée un édifice nouveau une ville , des Pharaons , puis V Alexandrie des
nouvelle à laquelle s'attache leur nom Ptolémées puis à ces deux villes la Fos-
,

de fondateur, et qu'ils enrichissent des iatt des conquérants arabes à Fostatt ;

dépouilles les plus précieuses du palais enfin la grande ville du Kaire, fondée
démoli ou de la ville ruinée dont ils immédiatement auprès de Fostatt par
achèvent ainsi la destruction ; et cette les nouveaux khalyfes de la dynastie fati-
manière d'agir n'est pas particulière aux mite.
princes elle est pratiquée généralement
; Toutes ces villes qui se sont rempla-
par tous les habitants des contrées orien- cées l'une l'autre se sont , chacune à
leur tour, embellies et décorées des dé-
(i) Les Fatimites sont les princes d'une
pouilles architecturales des villes aban-
dynastie puissante , qui commença à régner
données auxquelles elles succédaient,
en Afrique l'an 296 de l'hégire ( 908 de l'ère
chrétienne s'empara de l'Egypte l'an 362
et
et il est peut-être telle colonnade , tel
),
de l'hégire de notre ère ). Obeyd-Jllah, portique, tel marbre précieux qui a
( 972
surnommé él-Mahady, en fut le fondateur; ainsi successivement voyagé des temples
il était de la tribu de Ketamah, qui habitait en
de Thèbes à ceux de Memphis puis à ,

Mauritanie les montagnes des environs de Alexandrie et aux mosquées du Kaire.


Fez il prétendait descendre du khalyfe Aly
:

et de Fatimah, fille du Prophète, descen- Namque, hominum instar , habent urbes sua
[fâta, superbœ
dance qui valut à sa dynastie le titre de Fa-
Pauperibus cedunt quandoque mapalibus arces,
timite. El-Mahady commença à se faire con-
naître dès l'an 269 de l'hégire (882 de notre Le point le plus oriental des domaines
ère), et le nombre de ses partisans s'étant
de la Régence est l'île de Djerby ou
accru, il vint à bout de s'emparer de Qayrouân
Djerbih, qui, quoique située sur la côte
l'an 280 de l'hégire ( 893 de notre ère ) puis ,

l'an 295 de l'hégire (907) de renverser la dy-


du pachalyk de Tripoli (2) est cependant
nastie des Aglabites, qui régnait alors en Afri-
dans les dépendances du Pacha de Tu-
que. Ce prince, qui avait fait de Mahady ah la nis , qui y envoie un gouverneur, au-
capitale de son nouvel empire, mourut à Rou-
kadah, après avoir régné en Afrique pendant (2) Tripoli est appelée Tarabolous par les
vingt-cinq années, l'an 322 de l'hégire (933 Arabes; il y a en Syrie une autre ville du
de l'ère vulgaire ), e\ laissa le trône du kha- même nom : pour distinguer ces deux villes

lyfat africain à son fils él-Qâym-be-dmr-Illah. l'une de l'autre, les Orientaux nomment celle-
Les Fatimites sont aussi désignés par les noms ci Tarabolous ês-Chdm, c'est-à-dire Tripoli

d'Obéydites , d'Alides et d'Ismaéliens. ( Voyez de Syrie, tandis qu'ils donnent à la première


ci-après dans la seconde partie les éclaircisse- la dénomination de Tarabolous él-Gharb {Tri-
N
ments historiques. (J. J. M.) poli d'Occident ). ( J. J. M.
)
40 L'UNIVERS.
quel il confère le titre de hâkem (1). manifester publiquement leurs croyan-
Cette grande île, qui a près de dix- ces, quoiqu'ils refusent de faire leurs
huit milles de circonférence, offre quatre prières avec les partisans de la secte de
ports aux navigateurs de cette côte; Mâlek, et qu'ils aient pour leur culte
savoir : à l'ouest Adjym , à l'est Djer- des mosquées particulières.
djys, et Mersot ês-Souq , enfin au sud Maintenant, après avoir achevé l'ex-
Mersat él-Qantarah (2). ploration de toute la côte maritime,
Le territoire de Djerby est très-fertile, nous allons nous enfoncer dans l'inté-
et doit peut-être cet avantage à la rieur des terres, pour visiter les parties
quantité de pluie qui y tombe; il pro- méridionales du Quartier d'Hiver.
duit une grande abondance de fruits Qayrouân, la seconde ville de la Ré-
de toute espèce, tels que raisins, pêches, gence pour le nombre des habitants et
olives, figues, grenades, amandes; mais le commerce, dans une grande
est située
il est à remarquer qu'on n'y trouve pas plaine stérile et sans presque aucune vé-
de dattiers, et que les habitants sont gétation, à environ neuf lieues ( 36 ki-
contraints de tirer des différents ports lomètres) de Sous, et à la même distance
de la côte les dattes nécessaires à leur au sud-ouest de Herklah.
consommation : du reste, le marché est Cette ville est entourée de murailles
grand bien fourni , et de nombreux
et comme celles de Sous et de Mahadyah,
marchands y ont établi leurs fondouqs et à peu de distance de son enceinte on
( magasins ou boutiques ). Les principales trouve un vaste étang, auprès duquel est
exportations consistent en chaux, en une citerne où se recueillent les eaux
poteries fabriquées dans Tîle et en huile pluviales l'étang sert à abreuver les bes-
:

qu'on y récolte. tiaux , et fournit l'eau nécessaire pour


L'île tout entière est divisée en por- le lavage, l'arrosage et les autres usages
tions séparées, et chaque propriétaire ordinaires : quanta la citerne, elle paraît
a sa maison et son jardin y attenant : d'une construction très-ancienne, et elle
ces maisons sont généralement bâties existait déjà du temps d'Aboul-fédah,
en mortier de terre; cependant on en qui lui donne le nom de él-Mâouahel :
rencontre quelques-unes construites en elle est employée à la boisson des habi-
briques. tants; mais souvent, au milieu de l'été,
La population de l'île se compose de l'eau y manque, ou bien elle se corrompt,
plusieurs races différentes, parmi les-
quelles domine la race arabe ; cependant
de Mahomet, et devint son gendre en épousant
le district de l'ouest , dont le port est vis- j

sa fille Fatimah ; cette double parenté ne put <

à-vis de Gâbês, n'est habité que par une lui assurer la succession du Pro-
toutefois
population nommée Adjym, comme le phète , et il fut trois fois écarté du trône de
port lui-même : le langage de cette peu- l'islamisme par Aboubeker, Omar, et Othmdn.
'

plade est le berbère, et leurs femmes A la mort de ce troisième successeur du Pro-


se voilent beaucoup plus strictement phète, Aly tenta de ressaisir la souveraineté
que dans le reste de l'île : quoiqu'ils dont il avait été frustré ; mais il ne tarda pas
reconnaissent l'autorité du Koran , et à en être de nouveau dépouillé par Moaoujah,
qu'ils en approuvent la lecture , les doc- fondateur de la dynastie des Ommiades. Dès
trines de leur foi s'éloignent des croyan- lors deux sectes s'anathémisant réciproque-
ces orthodoxes de l'islamisme, et se ment se sont établies en Orient ; l'une, la secte
des Sounnites, admettait leskhalyfats OU Abou-
rapprochent de celles des Ouahâbys et
beker, d'Omar et à' Othmdn; l'autre, qu'on
des Beny-Mezzâb: quelques-uns même
appelle secte des Chyïles, ne regardait qu' Aly
d'entre eux rejettent Aly-ben-Aby-Tâ-
et ses descendants pour légitimes imams et
leb (3) mais ils évitent en général de
:
successeurs du Prophète : cette dernière opi-
nion est particulièrement professée par les Per-
(i) Hâkem signifie en langue arabe gou- sans, mais elle a aussi de nombreux partisans
verneur. (J. J. M.) parmi les peuplades de l'Afrique ;les Fatimites,
En langue arabe Mersat ês-Souq signifie
(2) qui ont conquis l'Egypte , et les Chérifs, qui se
le port du marché, et Mersat él-Qantarah, sont assis sur le trône de Marok, prétendaient
le port du pont. (J. J. M. ) tirer d'Air
également
b J leur origine.
(3) Aly , fils d? Aboit'Taleb était cousin
, (J.J.M.)
TUNIS. 41

causant ainsi chaque année des fièvres Undes lieux les plus remarquables de
pernicieuses et d'autres maladies épidé- cette province pour l'étendue et la ma-
micjues. gnificence des ruines qu'on y rencontre,
Quelquefois aussi l'eau de l'étang c'est Spaytlah (Vdintimm Suffetula),
où s'abreuvent les bestiaux est presque située à environ douze lieues (48 kilo-
tarie et s'altère par les chaleurs ; cepen- mètres) de Qeff, sur une éminence
dant les habitants n'ont pas remarqué entièrement couverte de genévriers, au-
dans leurs troupeaux d'épizooties habi- près d'un petit ruisseau,
tuelles la cause probable de cette diffé-
: Ce ruisseau coule au nord-est, se perd
rence entre l'état sanitaire des hommes un peu plus loin dans les sables, et re-
et celui des animaux, tient sans doute à paraît ensuite pour continuer son cours
ce que les eaux de la citerne, renfermées vers Guelmah. *
sous des voûtes, sont entièrement sous- Auprès de la ville du côté de l'est,
traites à l'action de l'air, tandis que les s'élève un magnifique arc de triomphe,
eaux de l'étang en reçoivent à chaque d'ordre corinthien, percé d'une grande
instant l'influence. arcade au milieu et de deux petites la-
On trouve à Çayroudn divers débris térales malheureusement l'inscription
:

d'ancienne architecture : la grande mos- qui contenait la dédicace est tellement


quée est réputée la plus belle et la plus ruinée qu'on n'y peut lire que les mots
sainte de toutes les côtes barbaresques ; suivants :
s'il fallait en croire les habitants, le nom-
caesar avg
bre des colonnes de marbre , de granit '

àntonin .."....."
et même de porphyre ou d'albâtre qui la . N

soutiennent et la décorent, s'élèvent à P U1S après une grande lacune,


plus de cinq cents : l'entrée des mosquées svffetvlensivm.. hanc.
étant interdite scrupuleusement à tous aedificavervnt et dd. pp.
les chrétiens, ie n'ai pu vérifier si ce _ , . , . ,,

nombre avait quelque exagération. .


De P uls ,
c et arc de l™mçhe J
u
^u a
+
la Vllle s tend ne ha " sse e P avee
Je n'ai pu même apprendre si parmi les ? V u ffi /
matériaux antiques qui ont été employés P ierres n0 r es et *>°j;dee de c a(ï ue cote
! .

P aï un P** m « r a hauteur d appu..


, t jî
à la construction de ce magnifique édi- x
fice, il existe quelques blocs portant
Vers 1 extrémité de cette chaussée
est un magnifique portique , sous lequel
des inscriptions anciennes : quant à
celles qu'oîi peut rencontrer en d'aubes
on P ass P ou lf entrer dans une grande
f
endroits de la ville, elles sont tellement
esplanade ou sont les ruines de trois
,

mutilées ou encroûtées de ciment, qu'il tem P les contigus , dont il ne reste que
est absolument impossible d'en déchif-
quelques pans de murs avec des fron-
frer lamoindre partie. to n s parfaitement conserves
ans chacun de ces temples est une
que quelques géographes
C'est à tort Ç .

ont confondu Qayroudn avecl'ancienne


mche <Ï U1 a du avoir autrefois sa statue;
'.

ce qui est particulier au temple du mi-


lyrène, malgré la ressemblance des
deux noms. La position de la ville antique
est tellement différente de celle de la
lieu
m
>
c est
f,
"ne petite cellule
^^
d rner sa mche on re
I
qui servait ,
™<$f
saR d oute aux oracles
ville moderne, qu'il est impossible de fn s avançant a huit lieues kilo-
donner la moindre vraisemblance à cette ^ ) a louest de Qayrouan (on32arrive
mètres
^
hvpothèse ( \ )
aux ruines de Trouzzah {Tuzzo de Ptolé-
mée). Ce lieu renferme plusieurs cham-
(i) Léon l'Africain attribue la fondation bres souterraines et voûtées, qui sont
ou la reconstruction de Qayrouan zlbrahym- toujours remplies d'une vapeur chaude
ben-Jglab, fondateur de la dynastie des
Aglabites , qui avait été nommé gouverneur sa nouvelle souveraineté à son fils Abou-i-

de TAfrique par le khalyfe Haroun àr-Ra- Abbâs-Abd- Allah, dont descendants se les
chyd, et s'y rendit indépendant l'an 184 de maintinrent sur le trône pendant un siècle en-
Vhégire (800 de l'ère chrétienne) ce prince
: tier, et furent renversés par les Fatimites l'an
'régna environ douze années, et mourut l'an 296 de l'hégire (908 de l'ère chrétienne.)
196 de l'hégire (812 de notre ère), laissant (J. J. M.)
,

42 L'UNIVERS.

et sulfureuse ces thermes naturels, que


;
Au-dessous de cette grande inscription
les Arabes fréquentent ont fait donner , et au-dessus de la clef de la voûte on
à l'endroit où ils sont situés le nom de aperçoit encore les restes d'une autre
Hammam Trouzzah, c'est-à-dire les inscription en plus petits caractères;
bains chauds de Trouzzah. mais on n'y peut plus déchiffrer que les
A quelques milles au sud de Trouzzah mots suivants :

on rencontre, sur les bords de la rivière


.INSIGNIA CVRANTE M. CELIO AN. CV.
Mergalyl, les vestiges d'une grande cité,
probablement autrefois Jquss Regiae ; Les plaines qui s'étendent au-dessous
puis à quatre lieues (16 kilomètres) de la ville offrent un grand nombre de
vers l'ouest, sur les bords de la rivière monuments funéraires, de toutes les
Défaylah, les ruines de l'ancienne formes mais dont les plus considérables
,

Masclianis. ont la forme de tours, ce qui a peut-être


La Défaylah a sa source dans
rivière été l'origine du nom moderne de cette
une chaîne de montagnes nommée Gebel- ville (2).
Megala (\), et qui s'étend depuis Trouz- Sur l'un des monuments qui ont cette
zah jusqu'à Spaytlah. Les Arabes culti- forme on lit l'inscription suivante :

vateurs des plaines que parcourt cette


rivière ont coutume d'arrêter son cours M. FLAVIVS SECVNDVS F1L1VS .

par des digues et de la faire déborder, FEC1T L. FLAVIO SEGVNDO


PATR1 VIXIT ANN. CXII. H. S. E.
pour opérer par ses eaux l'irrigation de
FLAVIAE VRBANAE MATRI PIAE
leurs cultures, et subvenir au manque
VIX, ANN. CV. H- S. E.
d'eaux pluviales dont elles sont rarement
favorisées. Acette inscription, qui m'a semblé cu-
A six lieues environ
(24 kilomètres) rieuse par son double exemple de longé
vers l'ouest de Spaytlah , on aperçoit la vite, j'ajouterai les fragments suivants \

ville de Qassareyn, assise sur une' émi- qu'on peut encore lire sur la façade b

nence autour de laquelle la rivière Derb d'une sépulture ornée de pilastres co-
serpente d'une manière agréable, arro- rinthiens :
sant les belles prairies qui l'entourent.
Sur une éminence qui semble presque PERFEC1T ANNOS LXXX
ET CLAUDIAE MARCIAE
SIB1
suspendue en saillie au-dessus de la
CAPITOLINAE KONIVGI KA.RISSIMAE
rivière , et qui fait face au nord-est QVAE EGIT.. ANNOS LXV. ET M,
s'élèveun arc de triomphe plus remar- PETRONIO FORTVNATO F1L10
quable par la masse de ses matériaux VIX1T ANN. XXXV. CV1
que par l'élégance de son architecture : FORTVNATVS ET MARC1A. PARENTES
il ne se compose que d'une grande KARISSIMO MEMORIAM FECERVNT.
arcade surmontée d'un attique et d'un ,
Si de Spaytlah on se dirige à l'est-
entablement qui semblerait appartenir
sud-est, après une marche d'environ six
à l'ordre corinthien , si les pilastres qui
lieues (24 kilomètres), on arrive à Djel-
le supportent n'étaient évidemment
gothiques.
mah, ou Guelmah, l'ancienne Cilma
ou Oppidum Chilmanense : on y voit
On y lit l'inscription suivante :
un assez grand nombre de ruines, el
COLQNIAE SCILLITANAE entre autres celles d'un temple antique,
Q. MANLIVS FELIX C. FILIVSPAPERIA RECEP- S'il fallait en croire les traditions
TVS POST AL1A ARCVM QVOQVE CVM INSIGN1BVS
des habitants, le nom moderne de cette
COLONIAE SOLITA IN PATRIAM LIBER AL1TATE
EREXIT OB CVIVS DEDICATIONEM bourgade, au lieu d'être simplemenl
DECVRIONIBVS SPORTVLAS CVRIIS EPVLAS, la corruption du nom sous lequel elle
était désignée par les Romains, tirerail
Le nom de Gebel-Megala paraît être
(i)
son origine d'un miracle qui y aurait
un composé hybride comme celui de Bazil-
,
été opéré par un de leurs saints mara-
Bâb. ( Voyez ci-dessus la note 6, page 25. )
bouts.
Gebel-Mégala signifiera alors grande monta-
gne , étant formé de l'arabe gebel (monta-
gne) et du grec {xeyàXYi (grande). (2) Qassareyn signifie en arabe les deua
(J. J. M.) châteaux, les deux forteresses. (J. J. M/
TUNIS, 4-t 4
Suivant cette légende, les eaux de la gées dé piliers massifs, et qui autrefois
rivière de Spaytlah s'étant perdues pour fournir de l'eau à toute la
suffisait
dans les sables, comme nous l'avons vu ville.
ci-dessus (1), le saint vint à bout de les Sous le même parallèle à sept lieues ,

jfaire reparaître à Djelmah , et chacun (28 kilomètres ) au sud-sud-ouest de Qas-


dans l'admiration d'un tel miracle, s'é- saréyn, est Ferryânah, dans un terrain
ïcria : Djâ-et-mâ ; c'est-à-dire en arabe : sec et stérile, où la vue est désagréable-
L'eau est venue! »
« ment bornée de toutes parts par des chaî-
!
En s'avançant davantage dans le sud nes de rochers abruptes et arides, qui ne
on trouve plusieurs villages peu impor- laissent apercevoir à travers quelques
tants ManzilztManzilrHayr, tous deux
: défilés étroits qu'un désert brûlé par
six milles vers l'ouest de Sahâlyl; et le soleil et véritablement impraticable :
I
Djemmel, à six milles au sud de Manzil- on ne rencontre aucune végétation dans
Hayr. Ces trois villages sont situés les environs, excepté dans un terrain
dans une vaste plaine , où l'on rencontre peu étendu au sud, où la proximité d'un
çà et là quelques plantations d'oliviers; ruisseau pouvant faciliter les irrigations
pourseffy l'ancienne Sarsura , et Ary- a encouragé les habitants à tenter quel-
djis sont deux villages contigus, à six que culture.
milles environ vers l'ouest de él-Maha- Cette qui paraît être l'ancienne
ville,
dyah, au pied d'une chaîne de collines Thala passe pour avoir été jadis la
(2),
qui s'étendent depuis Djemmel jusqu'à principale de la Byzacène; mais de son
Salecto. ancienne splendeur il ne reste plus que
\
De Sourseff une route de six lieues quelques colonnes, que les Arabes ont
(24 kilomètres), se dirigeant au sud- laissées par hasard debout sur leurs pié-
sud -ouest, conduit à Djemm, l'ancienne destaux.
Tisdra , où l'on trouve -un assez grand A douze lieues (48 kilomètres) à l'est-
Inombre de débris antiques, tels que des sud-est de Ferryânah on tcouve la ville
colonnes de divers marbres , des autels de Gafsah, l'ancienne Capsa, l'une des
avec des inscriptions, des fragments de principales places fortes de Jugurtha ;
statues , et entre autres un torse colos- cette ville frontière est bâtie sur une
sal revêtu d'une cuirasse, une Vénus éminence qui est entourée presque de
pudique , semblable à celle de Médicis toutes parts par des montagnes. Sa si-
mais dont la tête a été détruite. tuation est presque aussi triste que celle
Mais ce que l'on voit de plus remar» de Ferryânah , mais au moins on y ren-
quable à Djemm , c'est un grand amphi- contre un peu de végétation , quelques
théâtre dont l'enceinte extérieure est dattiers et quelques oliviers : néanmoins
presque entièrement conservée; elle ces arbres sont peu nombreux et ne se
avait autrefois soixante-quatre arcades trouvent que dans un cercle très-rappro-
et quatre rangs de colonnes. Le rang su- ché de la ville , tout le reste de la cam-
périeur a été dévasté par les Arabes , et pagne étant sec et désolé et les irriga-
,

le Bey de Tunis Mohammed a fait sau- tions ne pouvant avoir lieu que par les
ter quatre de ces arcades pour en expul- eaux de deux sources situées l'une au
ser des Arabes révoltés, qui avaient fait centre de la ville, l'autre dans la citadelle:
de l'amphithéâtre une forteresse. la première de ces sources dégorge ses
Dans l'intérieur du monument on voit eaux dans un vaste bassin, destiné pro-
encore les plate-formes des sièges , les bablement autrefois à des bains publics,
galeries, les vomitoria, l'arène presque et qui sert maintenant aux ablutions
circulaire, au centre de laquelle est un des musulmans. Ces deux sources se
puits profond revêtu de pierres de taille. réunissent avant de sortir de la ville, et
A deux lieues (8 kilomètres) au sud- forment ainsi un ruisseau qui pourrait
sud-est de Djemm est Rouggà, l'an-
cienne Caraga , renommée dans le pays
(2)Le nom arabe de Ferryânah paraît
par son Dâmous , immense citerne dont s'êtreformé de celui de Ferraditana, qu'elle
la voûte est soutenue par plusieurs ran- portait dans le moyen âge saint Cyprien.
:

cite cette ville sous ce dernier nom comme


(i) Voyez ci-dessus, page 41. l'un des sièges épiscopaux de cette province.
L'UNIVERS»

prolonger assez loin son cours si les ha- ruisseau peu abondant d'eau saumâtrej
bitants n'en épuisaient les eaux pour qui coule du côté du sud , mais dont I
l'arrosement de leurs plantations (1). cours ne tarde pas à se perdre dans les
Dans les murailles de plusieurs mai- sables.
sons de la ville et de la citadelle on Non-seulement la plupart des posi-
trouve un grand nombre de débris an- tions les plus méridionales que nou;
tiques brisés et employés pêle-mêle venons d'explorer sont situées sur h
comme matériaux de construction; ces lisière limitrophe du Sahrâ, mai!
fragments de divers marbres, ces enta- encore elles sont déjà presque ceri
blements brisés , ces colonnes , mainte- nées par les envahissements partiel:
nant tronçons informes , ces autels dé- des sables mouvants que pousse vers elle
molis , devaient faire l'ornement de la du grand désert intérieur, l'action ira
ville avant que la barbarie n'eût réduit cessante des vents du midi il noui :

à l'état de simples moellons leurs ri- resterait maintenant à pénétrer plu:


chesses architecturales. avant dans le Sahrâ lui-même, afii

Les inscriptions qu'on découvre çà et d'y visiter quelques portions de ce vast'


là sont ou entièrement effacées ou tel- désert dont le Pachalyk de Tunis re|
lement endommagées qu'elles sont vendique la possession et la souve
devenues tout à fait illisibles ; cepen- raineté.
dant j'ai pu recueillir lesdeux fragments Mais cette partie désignée sous
,
1'

suivants, inscrits, le premier sur un bloc nom de Djéryrt ou Beled-êl-Djeryd (2),


carré , le second sur une colonne. ne comprend que quelques points près
que inconnus, disséminés dans un!;
Premier fragment. étendue incommensurable sur lesquel ,

subsistent encore à peine quelques reste


.ORTVM NOSTRORVM. de misérables populations, et qui, isol|
..MAGISTRVM MIL1T.,
au milieu de cette mer de sable , re|
.'.TINIANE CAPSE
semblent moins à des oasis susceptii
Deuxième fragment. blés d'habitation et de culture, qu'i
des îlots imperceptibles, perdus sus
IMPERATOR M. AVREL1VS ANTONINVS l'immense abîme du vaste Océan.
PIVS AVGVSTVS PONT. MAX. PARTH. Les positions qu'on rencontre sur ce
BRIT. TR1B. POT COS.... FEST.
points épars , à de grandes distances If
A quatre lieues (16 kilomètres) au sud- uns des autres, et que l'on décore d
sud - ouest de Gafsah est l'ancienne nom de villages, ne se composent qi
Orbita, maintenant Ghorbatah : ce de la réunion de quelques masures!!
village, assis sur un monticule arrondi en
le pays dess>
forme de demi-phare est entouré d'un
,
(2) Ce nom signifie en arabe
ché, nu, sans végétation, le désert; la pli
grand nombre d'autres mamelons éga- ,

part des géographes modernes donnent à to


lement hémisphériques , configuration
à cette dénomination le sens de pays d*\
singulière, qui a été considérée par quel-
dattes, pays des palmiers; ils ont été indui
ques géographes comme l'origine de
en erreur par le mot djeryd, qui signifie,
la dénomination donnée par les R.omains est vrai, branche de palmier, mais qui ne
d<j

à l'ancienne ville que ce misérable vil- signe qu'une branche sèche, effeuillée, dj
lage a remplacée. pouillée de ses folioles , de ses rameaux, et
r
Cette dernière station du Pachalyk duite ainsi à l'état de bâton et de javelot : 1
Tunisien à l'entrée du Sahrâ a peu branches vertes (ghosn), les dattes ( balaa c
d'habitants, et ils n'ont d'autre eau qu'un thamr), lespalmiers eux-mêmes (nakhi
portent des noms qui n'ont avec celui-ci aucui-
(i) Salluste ( dé Bello Jugurth. ) fait men- analogie. La racine du mot djérid est le ver]'
tion de ces fontaines, auxquelles il donne le djered ( il a dévasté , il a dépouillé ) , et c'e
nom de Jugis Jqua ; et êl-Êdryssy, qui en également de cette racine que s'est formé
parle aussi dans sa Géographie Arabe, leur nom djérdd, donné aux sauterelles à cause
quelquefois
donne le titre à'ét-Termed, qui n'est que la leurs dévastations, qui changent
traduction de l'épithète latine, et comme elle déserts les cantons les plus fertiles et les mie=
J. J. M. ) cultivés. ( J. J. M. )
signifie intarissable. (
TUNIS. 48

construites en branches de palmiers, que ês-Soudàn ( le pays des Noirs ), d'où ils
lient entre elles un mortier de boue et de ramènent des Nègres qu'ils troquent ,

sable. Aucun vestige d'antiquité ne sub- contre des dattes , ordinairement sur le
siste plus dans les lieux habités autrefois pied de deux ou trois qonttars (1) par
par les Cinéthiens, les Machlyes, les tête d'esclave (2).
Auses, et les Maxyes;je me bornerai Le grand lac, ou marais, dont je
donc à une énumération sommaire , et je viens de parler (3) établit dans ses si-
n'entrerai dans quelques détails qu'à l'c- nuosités une ligne de séparation entre
gard de l'immense marécage qui sépare le territoire de Tégous , les hameaux
du Désert les pays habités, et qui paraît qui avoisinent Tozer, et la partie du
avoir été jadis ce Palus Tritonis célé- territoire de Nyfzouah, qui entre autres
bré par l'ancienne géographie. villages comprend Télémyn et Falnas-
Sbekkah(la Cerbica de Ptolémée) sah on donne à ce lac marécageux le
:

est à dix-huit lieues (72 kilomètres) à nom de Sebkhat-êl-Joudyah , c'est-à-


l'ouest- sud-ouest de Gafsah; puis à dire le marais des poteaux ou des ja-
douze lieues ( 24 kilomètres) au sud-sud- lons (4); il a reçu cette dénomination à
ouest, Tegouf, ou Tedjouf (l'ancienne cause du grand* nombre de troncs de
Tichafa ) ; puis, tout auprès de cette der- palmier qui y sont plantés de distance en
nière position, Ebbah (l'ancienne Thab- distance pour servir d'indication aux pas-
ba ) ; puis on arrive à Tozer ( autre- sages praticables sans le secours de ces
:

fois Tisurus )% situé à quatre lieues ( 16 poteaux indicateurs, les caravanes qui
kilomètres ) au sud-ouest de Tegous ; sont obligées de traverser ce lac ne pour-
cinq lieues ( 20 kilomètres ) plus loin raient que s'égarer dansune route déplus
au sud-ouest , on trouve Neftah ( l'an- de seize milles , au milieu d'un horizon
cienne Negeta ). aussi plat que celui de la mer, et cour-
De là, en traversant le grand marais raient à chaque pas le danger inévitable
on entre au district de Nyfzonâh , où d'être englouties dans les sables mou-
l'on trouve Télémyn ( l'ancienne Al- vants, et dans les gouffres des immenses
mœna ) , à dix lieues ( 40 kilomètres ) fondrières dont se compose presque en-
à l'est-sud-est de Tégous
,
puis , à deux tièrement cet abîme fangeux.
lieues ( 8 kilomètres ) au sud-est , Ebilly Ce marais s'étend de l'est à l'ouest
{autrefois Vepilliam ). sur une longueur d'environ vingt lieues
Les seules traces de l'ancienne domi- (80 kilomètres), et sa plus petite lar-
nation romaine qu'on rencontre dans tou- geur est au moins de six lieues (24
tes ces positions se bornent à quelques kilomètres ); il renferme un grand nom-
fragments informes de marbres brisés bre de petites îles, une entre autres,
îpars en quelques endroits sur le sol sans , située vers l'extrémité orientale, sous
:ju'on puisse y reconnaître le moindre le même méridien que Télémyn, et qui,
Lronçon de colonne, la moindre mou- quoique inhabitée , est remplie d'innom-
lure d'entablement , le moindre mot ap- brables palmiers : s'il en fallait croire
préciable d'aucune antique inscription. les traditions des Maures, la plantation
Le commerce des habitants si peu nom- de cette forêt isolée serait due à une
breux de ce quartier immense ne con- circonstance bien singulière : suivant
siste qu'en dattes, qu'ils échangent con- eux , une armée égyptienne ayant fait
tre de l'orge, de l'huile, de la toile,
et autres objets nécessaires, soit à leur
subsistance, soit à leur habillement, (i) Le qonttar équivaut à cent rotls, ou à
apportés des provinces septentrionales peu près à 5o kilogrammes.
de Tunis , de Tripoli , de l'Algérie et de (J. J. M.)
Marok même. Tozer (2)Voyez ci-après le chapitre XVI, sur le
est le marché le
plus considérable et l'entrepôt le plus
commerce des esclaves nègres.
(3) Palus Tritonis.
fréquenté de ce trafic : les dattes que
(4) Voyez sur le mot Sebekhah, ou Seb-
l'on y vend sontplus estimées ; et
les
khat, ci-dessus la note 1 de la page 12. A
il
y a des marchands qui , faisant ce l'égarddu mot Joudjah, il dérive de aoud,
commerce en grand, les portent à tra- qui en arabe signifie un tronc d'arbre, un
vers le grand Désert jusqu'au
Beled- poteau de bois. ( J. J. M. )
40 L'UNIVERS.

autrefois une invasion dans cette con- dessous de la surface de l'eau, pour
trée, s'arrêta quelque temps sur cette la commodité des baigneurs.
île, alors nue et sans végétation; les Un
de ces bains particuliers porte le
dattes, disent-ils, composaient en grande nom de bain des lépreux ; et l'eau qui
partie l'approvisionnement que ces trou- s'en écoule forme un peu au-dessous un
pes avaient apporté dans leur expédi- étang dont Léon l'Africain fait mention
tion, et lespalmiers maintenant existants sous le nom de Lac des lépreux.
tirent leur origine des noyaux de ces Les sources qui alimentent ces bains
dattes que les Egyptiens y ont jetés. viennent du sud, à un mille et demi au-
On ne peut douter que le Sebkhat-êl- dessus de la ville; leurs eaux se réunis-
Aoudyah ne soit identique avec le Lacus sent ensuite et forment un petit ruisseau
Tritonis des anciens, et l'île aux Pal- qui, partagé en un grand nombre de ca-
miers celle de Phla, dont parle Héro- naux, sert à arroser les jardins et le peu
dote, et dans laquelle Diodore de Si- de terres cultivables qu'offrent les en-
cile prétend que les Amazones libyen- virons de la ville. Ce ruisseau se dirige
nes avaient bâti une ville ,
qu'il appelle ensuite vers l'extrémité orientale du'
Chersonèse (1). grand marais dont j'ai parlé ci-dessus;
Megs est un des plus petits villages mais avant d'y arriver les eaux se per-
du territoire de Nyfzouah , situé à dent dans les*sables , à quelques milles
trois lieues (12 kilomètres ) est-nord- de Êl-Hammah.
est de Ébilly : après l'avoir dépassé, on Les principales tribus arabes et ber-
a devant soi une route de près de trente bères qui habitent le Quartier d'Hivet
milles à travers un terrible désert , où
, sont les diverses branches des Fara]
l'on ne trouve ni une goutte d'eau ni chys et des Ouêled-Séyd : ces dernierj '

un brin d'herbe. s'étendent surtout le long du Sahel (2)


Il faut pourtant le traverser pour arri- nom qu'ils donnent à la partie la plu$
ver à Êl-Hammah, située à quatre lieues orientale de cette province depuis Her* ,

(16 kilomètres) à l'ouest de Gabs : la klah jusques à Sfax : les Farachyt


ville â'Êl-Hammah est l'extrême fron- occupent la plus grande partie de l'inté',
tière de la Régence de ce côté; et par rieur des terres, particulièrement \e\
cette raison les Tunisiens y ont cons- environs de Spaytlah et de Foussa-
truit un petit fort , où ils entretiennent
une garnison. Les Ouéled-Sydy-Bou-Gannim (3;

La quelque distance
vieille ville est à sont au nord des plaines de FoussanaM
de ce fort et on y rencontre quelques
, et s'étendent jusqu'aux montagnes d'/^
traces d'antiquités; mais il n'y subsiste Loulyah et de y dr ah. H
plus ni édifice remarquable ni monu-» ,
A l'est de ceux-ci, en s'avançant di
ment ni inscription.
, côté de Sbybah et de la montagne nom
Êl-Hammaht\re son nom de quelques mée Djebel-Megala (4), on rencontra
eaux thermales qu'elle possède et elle , les douars des Ouéled-Omrân.
est désignée communément par le titre Les Ouéled-Matty font paître leur
de Hammah-élrGabs, qui lui a été donné troupeaux dans le riche. pays qui avoisin*
afin de distinguer sa position d'une autre Yousef et Zouâryn, et les Ouéled-Ya
du même nom, située à quelques milles goub habitent une campagne non moin
au nord de Tozer, et où se trouvent fertile, presque sous les murs de Qeff
également des bains chauds. Enfin les Rédouins des frontières son
Ceux de Hammah-él- Gabs , quoique lesOuéled-Bou-Gaff, qui disputent fréj
assez fréquentés, sont dans un état quemment le passage de la rivière Serra
misérable et seulement recouverts d'un aux Ouorgahs, tribu formidable don
toit de paille. Il y a plusieurs bassins
de douze pieds ( 4 mètres ) à peu près Le mot Sahel signifie plaine enlangu
(2)
en carré , sur une profondeur d'environ arabe. (J. J.M.)
quatre pieds et demi ( 1 mètre 50 centi- (3) Lear renferme un sanctuaire
territoire
mètres ) , avec des bancs en pierre au- ou santon , consacré à un marabout dont il!

ont dérivé leur nom.


(i) Diod. Sic lib. III. Voyez ci-dessus, la note 1 de la page 42
(4)
TUNIS* 47

dans les dé- réclamer de son obligeance la commu-


la résidence habituelle est
nication qu'il avait bien voulu me pro-
pendances de l'Algérie.
mettre du recueil de ses observations
Au reste, quoique plusieurs de ces
tribus se livrent à la culture des terres,
année par année et jour par jour.
former des éta- Je bornerai donc à tracer rapide-
me
il est rare de leur voir
ment ce que mes souvenirs ont con-
ici
blissements sédentaires , et on les ren-
servé des conversations intéressantes
contre communément à l'état nomade
dans contrées du Pachalyk,
les diverses
que nous avons eues ensemble sur ce
aux diverses épo-
parcourent sujet, et j'y joindrai les observations gé-
qu'elles
nérales que j'ai été à portée d'y faire ,
ques de l'année , par peuplades plus ou
d'après mes sensations comparées avec
moins nombreuses.
celles que j'avais conservées du climat
d'Egypte, et surtout d'après les rensei-
CHAPITRE VIL gnements que je me suis fait un devoir

— température ; — de puiser chez d'autres personnes recom-


Climat de la Régence ;
— —
vents dominants; mias- mandâmes et dignes de foi, qui ont
saisons;;
saisons

mes ;. — —
pluies ;; - eaux ; sol et pro- également longtemps séjourné à Tunis.

ductions ; —
culture ; fruits , 1légumes; La partie habitée de la Régence étant
e
— -— maisons de campagne
jardins campagr' ;
située entre le 34 et le 37 degré de
e

— animaux
;

inimonv domestiques.
bres ;
arbres* rlnmpshniifls. latitude septentrionale, on y jouit en
général d'un air sain et assez tempéré :

que la température n'y est presque jamais


Il n'est pas permis de douter le

climat et la température, dont on recon- trop chaude ni trop étouffante en été,


naît généralement les influences directes et dans l'hiver le froid n'y est ni trop

sur la variété des productions de chacun vif ni de trop longue durée il est :

des trois règnes de la nature, n'aient très-rare que le thermomètre y descende


également la même action sur le système jusqu'à la gelée, et c'est dans ce seul
physique et moral de l'espèce humaine; cas qu'on voit tomber de la neige. Le
Poiybe avait senti cette vérité lorsqu'il thermomètre, d'un autre côté, ne monte
disait que « c'est le climat qui forme au plus haut degré de chaleur que quand
« les mœurs le caractère
,
la couleur ,
le vent souffle du Sahrâ ; aussi voit-on
« et les tempéraments des hommes. » les saisons se succéder d'une manière
insensible, sans variations
Je regretterai donc bien vivement de Eresque
n'avoir pu recueillir des observations rusques dans la température, et l'on
assez multipliées et assez exactes sur pourra juger de cette égalité habituelle
les différentes variations du baromètre en remarquant que le baromètre ne va-
et du thermomètre dans ces contrées rie quelque temps qu'il fasse que d'un
,
,

où je n'ai pu me procurer ces instru- pouce et trois dixièmes, c'est-à-dire de-


ments ; quoique peut-être les observa- puis 29 pouces un dixième jusqu'à 30
il
tions que j'aurais pu faire pendant le peu pouces quatre dixièmes.
|
d'années de mon séjour n'eussent certai- Les anciens Arabes partageaient autre-
nementpas suffi pour établir un système fois l'année en six saisons, auxquelles ils
I complet et une appréciation exacte des donnaient la dénomination commune
I différentes modifications si variables de de Foussoul (1), et qui comprenaient
la température. chacune deux mois de l'année; ils dési-
! Une seule personne , M. Magra , con- gnaient alors par le nom de Raby non-
su! britannique , qui a habité pendant seulement les deux mois du printemps
mais encore les deux mois de l'automne
f
! de longues années à Tunis, et qui pos-
1 sériait les instruments nécessaires, au- ou de la récolte (2).
|
rait pu me fournir une série d'obser-
I vations météorologiques exactes, et (i) Foussoul est le pluriel du mot arabe
! comparées dans leurs variations d'une fasl, qui signifie proprement division, sépa-
année à l'autre; mais il était malheureu- partis séparée
ration,' r r et distincte.

sement absent de cette résidence dans (J.J. M.)


Le mot arabe rahy proprement
signifie
1 les derniers temps que j'y ai séjourné (2)
et au moment de mon départ je n'ai pu le fourrage vert, soit de la première coupe,
|
;

48 L'UNIVERS.
Par la suite les Orientaux n'admirent se prolonge quelquefois jusqu a îa moitié
plus dans leur année que trois saisons, de janvier.
c'est-à-dire 1° le printemps , auquel ils Lorsque l'hiver, qu'on nomme Chi-
conservèrent son nom de Raby; 2° l'été, touah, ou Fasl-des-chitâ, est prématuré,
qu'ils nommèrent Sayf; 3° l'hiver, qui il commence quelquefois avec la nouvelle
fut appelé Chitâ : alors l'époque de année des Européens; mais il dure rare-
l'automne était comprise dans celle de ment plus de deux mois ou environ dix
l'été (1). semaines. Les habitants se réjouissent
A l'époqueoù les Arabes ont compté de voir les pluies fréquentes de cette sai-
six saisons ils partageaient en deux épo- son (3), car la fréquence de ces météores
ques chacune des trois saisons ci-des- est pour eux le sûr présage d'une ré-
sus indiquées; mais maintenant l'usage colte abondante, tandis que la siccité à
de compter quatre saisons s'est peu à cette époque annoncerait une prochaine
peu introduit chez la plupart des peu- disette.
ples orientaux. L'hiver pluvieux leur fournit en
Les quatre saisons de l'année ont outre plus particulièrement l'approvi-
beaucoup plus d'analogie avec celles des sionnement de l'eau qu'ils ont soin de
parties méridionales de la France ou de conserver dans des citernes; mais cet
l'Espagne et de l'Italie, qu'avec celles approvisionnement annuel, pour peu
de l'Egypte. qu'on le dissipe mal à propos, ne sufût'
1

L'automne, que les Arabes nomment pas pour tout le courant de l'année.
Fasl dêl-kharyf,y commence ordinaire- Il est du reste bien rare de voir le;

ment en septembre; cette saison est froid parvenir jusqu'au point de la con-;
tempérée et souvent pluvieuse, ou du gélation, et il est plus rare encorede voir
moins fort orageuse. Cette première tomber de la neige j'avoue cependant
:

saison de l'année solaire des Arabes (2) en avoir vu tomber pendant un jour en-;
tier, phénomène qu'on n'avait pas ob-
soit du regain : deux mois de l'année musul- servé à Tunis depuis dix-sept années. •

mane ont conservé le nom de Raby , qui est


Comme les rues de Tunis ne sont pas;
maintenant sans application précise à aucune
pavées il résulte de cet état de la voie
,
saison, puisque cette année étant maintenant
publique que pour peu qu'il pleuve on
lunaire fait successivement parcourir à la
saison du printemps tous les mois de l'année
ne peut guère circuler en hiver dans
la ville qu'avec des bottes ou en se ser-^
pendant un cycle de trente-deux ans.
( J. J. M. vant d'une monture.
)
(i) Un
ancien poëte arabe fait allusion à Le printemps {Fasl-der-Raby) n'a
cette antique division des saisons dans un guère plus de durée que l'hiver, et comme
distique dont voici la traduction : lui ne comprend qu'environ deux mois,'
« L'hiver succède à l'été à l'hiver succède
,

« le printemps; ainsi sont variables nos dé- Les mois de l'année lunaire des musul-
« sirs et nos destinées. » ( J. J. M. ) mans sont les suivants :

(2)L'année solaire des Arabes a son com- i° Moharrem, ou A achour;


mencement à peu près à l'époque de l'équi- 2° Safar, ou C/idy êl- A achour ;
noxe de septembre. 3° Raby êl-Aouel , ou Mouloud ;

Les mois qui la composent sont les sui- 4° Raby êt-Thdny, ou Chdy êl-Mouloud;
vants :
5° Djemddy êl-Aouel, ou Djoumdd êl-
i° Techryn êl-Aouel; Aouel;
2° Techryn êt-Thdny 6» Djemddy êt-Thdny , ou Djoumdd tl-
;

3° Kânoun êl-Aouel ; Akher ;


4° Kânoun êt-Thdny ; 7 Bedjeb,
ou Êrdjeb ;
5° Chabàtt; 8° Chdabdn;
6° Adâr; 9 Ramadddn ;
7 Nyssdn ; io° Chaoudl, ou Chahar-Aftour ;
8° Ayar; 11° Dou-l-Qaadéh , ou Bout-Djelayb
Houzeyrân; 12° Dou-l-Hadjéh , ou él'Iïd-êl-Kebyr.
9
io° Tamouz; (J.J.M.) .

ii° Ab ; (3) chitâ signifie en même


Le mot arabe
ia° Êyloul. temps hiver et pluie. ( J. J. M. )
TUNIS." 49
Enrevanche, l'été, nommé Fasl-dés- Les vents d'ouest, du nord et du
sayf, est long , et on peut compter que nord-ouest, amènent ordinairement le
sa durée est de cinq mois au moins; beau temps en été et la pluie en hiver;
j'ai lieu de penser que le degré de chaleur mais les vents de l'est et du sud sont
ordinaire est de 25 à 30 degrés du ther- presque toujours secs , quoiqu'ils pous-
momètre de Réaumur. sent devant eux de gros nuages et que
Au reste la chaleur de l'été est entiè- le temps soit alors fort couvert.
rement subordonnée à la nature et à la Les vents du sud, qui sont ordinaire-
force des vents qui dominent alternati- ment chauds et violents soufflent quel-
,
vement constamment pendant
et assez quefois cinq ou six jours de suite ils ;
toute l'année, et qui la plupart du temps sont assez fréquents en juillet et en août,
se succèdent sans aucun ordre régulier. et rendent l'air si prodigieusement étouf-
Lorsque les vents du sud, que les fant que les habitants sont obligés de
Maures nomment Lebetch, ou Lebâdjy jeter de l'eau en abondance sur leurs
(le Lebecchio des Italiens), ou ceux du planchers pour rafraîchir leurs demeu-
,
sud-est nommés Qably, dominent, la res et les rendre supportables.
température est réellement accablante On éprouve aussi quelquefois ces
,
et l'atmosphère est troublée par des va- rafales subites et presque meurtrières
peurs étouffantes. La plupart des per- dans les autres mois de l'année, et on
sonnes qui y sont exposées éprouvent assure qu'on en a eu des exemples même
un malaise général qui ne disparaît que , en janvier.
lorsque ce vent a cessé de souffler. Les vents du nord font monter le
Les autres vents dont le souffle al- baromètre à 30 pouces et 2 ou 3 dixièmes,
terne avec ceux-ci sont ceux du nord quoiqu'ils soient le plus souvent accom-
nommés Djerdjy, du nord-est ( Cherqy- pagnés de grosses pluies et de tempê-
Moudjerredj) , de l'est {Cherqy), du sud- tes ; mais les vents d'est ou d'ouest n'y
ouest {Ghadygah), de l'ouest (Ghar-' produisent point d'effets constants, et
\ty ) et du nord-ouest ( Semâouy ) (1).
, dans les trois ou quatre mois de l'été
Les vents soufflent assez ordinaire- le mercure se maintient toujours environ
rnent de la mer, c'est-à-dire du nord-
à 30 pouces, sans aucune variation sen-
est et du nord-ouest, avec des variations sible, soit que le vent vienne de l'est, soit
,
qui rapprochent leurs aires de l'est ou qu'il souffle de l'ouest; mais lorsque
de l'ouest. Les vents du nord-est et ceux les vents chauds du sud régnent dans
en général de la région de l'est .domi- l'atmosphère, le baromètre ne monte
nent depuis le mois de mai jusqu'à ce- guère plus haut que 29 pouces 3 dixiè-
lui de septembre pendant le reste de
,-
mes, ce qui est aussi sa hauteur ordi-
l'année les vents du nord-ouest et de naire pendant les pluies qu'amène un
I
l'ouest sont les plus réguliers. gros vent d'ouest.
!

Quelquefois, surtout vers les époques Ces vents du sud favorisent plus que
équinoxiales, la Régence est exposée à tous les autres le dégagement du gaz
des rafales de ce vent fort impétueux hydrogène carboné ; c'est par cette rai-
du sud-ouest que nous avons vu ci- son qu'il règne alors dans plusieurs en-
dessus nommé parles Arabes Lebetch, droits de Tunis et du reste de la Ré-
auquel les anciens avaient donné le gence une puanteur insupportable, qui
nom tfjfricus, et qui était générale- ferait croire qu'on est plutôt dans une
ment regardé par eux comme le vent des vaste latrine que dans une ville habitable.
tempêtes (2). Cependant j'ai vu avec un véritable
étonnement jusqu'à quel point les Eu-
(i) En
langue franque, Norte, Norte-Le-
|
ropéens établis dans ce pays se sont ac-
vanti, Levante, Schiroco-Ponente,
Garbino, coutumés à cet intolérable méphistisme
Norte-Ponenti. ;

2 ) Africus furibundus,
ilssont si indulgents à cet égard, qu'ils
! ( ac ruens ab occi-
dente hiberno. considèrent ce désagrément comme
bien peu appréciable, et ne s'en plaignent
Senec. Natur. Quœst. V.
Una Eurus NoUuque ruunt, creberque procellis ,
Luctantem Icariis fluctibus Africwm
'
Jfrious . Moroator metuens
Virgil. sEneid. lib. h Horat. Carm. lib. I, od. I,
4 * Livraison. (Tunis.)
50 L'UNIVERS.
aucunement. Il faut vraiment qu'ils se continuellement agitée par les vents , il
croient suffisamment indemnisés par me paraît indubitablement démontré que
d'autres avantages pour tenir aussi peu c'est aux vents seuls qu'il faut attribuer
de compte de cet inconvénient, qui se la salubrité de l'air à Tunis, malgré les
renouvelle à chaque instant aux moin- obstacles qui sembleraient devoir s'y
dres variations des vents et de la tem- opposer.
pérature. Il ne paraîtra pas, je crois, hors de

Il est plus étonnant encore d'observer propos de rapporter ici quelques faits qui
que les émanations qui s'élèvent de ces non-seulement serviront à appuyer ce
cloaques ne soient jamais devenues le que je viens d'avancer, mais qui prou-
germe de maladies épidémiques; on veront en même temps que ce même gaz
doit en dire autant de la corruption concentré dans l'intérieur des navires
des charognes d'animaux morts qu'on exerce souvent des effets pernicieux et
trouve fréquemment jetées çà et là aux léthifères.
alentours de la ville souvent même aux
, La plupart des navires marchands
coins des rues de chaque quartier et partant de Marseille pour aller chercher
dans les impasses peu fréquentées. de l'huile à Tunis ont généralement la
Le docteur Shaw ainsi que plusieurs coutume de remplir la plus grande par-
habitants de Tunis pensent que ces tie de leurs futailles d'eau puisée dans
miasmes sont neutralisés par les éma- le port qu'ils quittent, afin d'empêcher
nations salutaires de la grande quantité le dessèchement et l'écartement des
de broussailles aromatiques qu'on brûle douves.
journellement dans les fours nombreux Dès que les bâtiments sont en pleine
qui servent tant à calciner la chaux mer et fortement agités, il se manifeste j

qu'à cuire le pain, dans lesquels les feux à bord une puanteur détestable ; l'argent
ne cessent ni jour ni nuit d'être al- et l'or y noircissent. Arrivés dans la
lumés. rade de Tunis, ils vident cette eau pour
On ne croira pas qu'il soit nécessaire la remplacer par l'huile qu'ils s'y procu-
j

de combattre cette opinion; car, pour rent , et il n'est pas rare alors de voir
peu qu'on soit versé dans les sciences tomber malades ceux de l'équipage qui
physiques, on sait que le feu en luN sont chargés de ce soin, surtout si après
même , loin de corriger les mauvaises avoir enlevé la bonde de quelques ton-
qualités de l'atmosphère, peut au con- neaux ils ne se hâtent pas de monter sur
traire le vicier en consommant une trop le pont pour y respirer un air non viciée
grande quantité d'oxygène. par les émanations méphitiques de l'en-j
La prévention favorable si générale- tre-pont et des soutes de la cale.
ment répandue à l'égard du feu pour la Nous connaissons des exemples de<
purification de l'air n'a pour fonde- matelots qui ont été atteints d'une fièvre
ment que l'activité des courants qu'il aiguë nerveuse immédiatement après le;
y occasionne et multiplie, et ce n'est vidage des tonneaux; d'autres ont été
par conséquent que dans les vastes édi- frappés de violentes ophthalmies et de
fices, dans les amphithéâtres ou les cécités subites; le seul moyen d'éviter
hôpitaux, qu'on peut sous ce rapport se de tels inconvénients serait d'engager les
promettre de retirer du feu un avan- capitaines des navires à faire monter
tage réel. sur le pont les futailles remplies d'eau
Il n'est pas douteux que la mauvaise pour les vider en plein air : cela serait
odeur qu'on éprouve à Tunis ne dépende sans doute plus pénible, mais cette opé-
du dégagement d'une grande quantité ration ainsi pratiquée éviterait incontes
d'hydrogène sulfuré, car on y observe tablement des accidents graves chaque
constamment que l'or et l'argent s'ils , jour renouvelés.
ne sont pas scrupuleusement enfermés, Les vents d'est {Cherqy) sont plus
noircissent en très-peu de temps et per- frais et moins importuns pour ceux qui
dent entièrement leur brillant métal- les respirent ; mais ils ont l'inconvénient
lique. de porter sur une grande partie de la
Comme ce gaz est de la plus grande ville les exhalaisons des environs du lac,
légèreté, comme aussi l'atmosphère est où pourrit toujours un nombre con-sidé*
TUNIS. s:

rable de charognes et d'autres matières dant on m'a assuré qu'on avait vu pleu-
fétides. voir à Tunis pendant quarante jours de
Les vents du nord (Djerdjy) et du suite , ce qui parut alors un phénomène
nord-ouest (Semaouy) sont les plus remarquable. Dans le Sahrâ surtout et
sains et les plus agréables; on éprouve dans le pays de Djeryd il ne pleut pres-
lorsqu'ils soufflent, surtout en été, une que jamais , et les plus fortes pluies se
sensation de bien-être et de vigueur qui réduisent à quelques gouttes d'eau.
fait facilement oublier l'importunité des Cependant on raconte qu'il tomba à
autres vents. Si ces vents de nord et de Tozer une de ces petites pluies qui dura
nord-ouest régnaient régulièrement en deux heures entières, et qui y occasionna
été, comme ils régnent en Egypte, je les plus fâcheux accidents : les toits des
pense qu'on ne pourrait guère trouver maisons n'y étant construits qu'en bran-
un dédommagement plus agréable con- chages de palmiers, recouverts par des
tre l'intensité des chaleurs; mais comme tuiles d'argile pétrie et séchée au soleil,
ils varient autant en été que dans les la pluie délaya ces tuiles et fit effondrer
autres saisons, on est trop souvent ac- un grand nombre de toits et de murailles
cablé à Tunis par ces chaleurs exces- composées de briques de même nature;
sives. on ne faisait aucun doute que si la pluie
n'y a que très-peu d'eau douce dans
Il se fût prolongée ou eût acquis plus d'in-
les environs de cette ville , et toute celle tensité, la ville tout entière n'eût été
qu'on y trouve est plus ou moins sau- réduite en un immense monceau de
mâtre il est vrai que le peuple de ces
: boue.
contrées n'est pas fort difficile sur la Les premières pluies tombent en sep-
qualité des eaux potables et j'en ai vu
, tembre , quelquefois un mois plus tard ;
souvent boire dont le goût se rappro- c'est alors que les Arabes commencent à
chait plutôt de celui d'une potion mé- labourer leurs terres ensuite, c'est-à-dire
;

dicinale que de toute autre espèce de vers le milieu d'octobre, ils sèment leur
boisson. froment ( qamèh ) et plantent leurs fè-
L'eau du Bardo, quoique généralement ves {foui ) l'orge {chayr\ les lentilles
;

vantée dans le pays, n'est même pas très- (ats) et les pois chiches (garbanços) ne
bonne; aussi le Bey a-t-il la précaution se sèment que deux ou trois semaines
d'en envoyer chercher à quelque dis- plus tard de manière à ce que ces se-
,

tance pa* des esclaves et des bêtes de mailles soient terminées pour la fin de
somme dont les outres se remplissent à novembre.
de certaines sources dans l'intérieur de Si les pluies de l'arrière-saison tom-
la montagne et en rapportent une eau bent vers le commencement d'avril,
pure et salubre. Lorsqu'un particulier, comme c'est l'ordinaire, on est assuré
soit maure, soit européen,manque d'eau, d'une bonne récolte ; la récolte se fait
il un de ces esclaves, qui peu-
s'adresse à à la fin de mai , ou dans les premiers
vent toujours disposer d'une chargeront jours de juin, suivant le temps qu'il a
le prix ordinaire est d'une demi-pias- fait auparavant et les circonstances, qui
tre (1) ; mais si les demandes se multi- peuvent l'avancer ou la retarder de quel-
plient, on paye quelquefois une charge ques jours.
de cette eau une piastre , ou même une Deux boisseaux et demi de froment
piastre et demie. Aussi une grande ou d'orge suffisent pour ensemencer l'é-
partie des habitants ne boit-elle que l'eau tendue de terre qu'une paire de bœufs
des citernes, construites avec soin pour peut labourer en un jour.
conserver l'eau des pluies. Un boisseau en rend ordinairement
Il pleut rarement dans ces climats, et de huit à douze; on m'a cependant as-
surtout en été il est rare que les pluies suré que dans certains districts le fro-
durent plus de deux ou trois jours, après ment rapportait bien davantage ; aussi
lesquels revient le beau temps; cepen- n'est-il pas rare de voir un seul grain
produire douze ou quinze tuyaux on :

prétend même en avoir vu dont étaient


(i) Voyez ci-après, dans la deuxième partie, sortis quarante et même quatre-vingts
la Notice sur les monnaies de Tunis. tuyaux chaque tuyau a souvent plu-
:

4.
L'UNIVERS.
sieurs épis dont chacun en contient quel- Lefoulage du blé étant terminé , on
quefois plusieurs autres. vanne le grain en le jetant avec des
Mais cette fécondité est encore bien pelles à l'opposite du vent, puis on l'en-
loin de celle que les anciens attribuaient fouitpour le conserverdans d'immenses
au froment de l'Afrique, et particulière- fosses, ou magasins souterrains pou-
ment à celui de la Byzacène ; car Pline (1 ) vant contenir jusqu'à trois cents ou
parle d'une plante qui avait produit même quatre cents boisseaux, et aux-
trois cents ou quatre cents tiges toutes quels le nom de matmou-
on donne
nées d'un seul grain , et évalue en gé- rah (1), moyen de conservation que
néral le produit du blé à cent cinquante Pline et Hirtius (2) nous apprennent
mesures pour une seule semée. avoir été pratiqué dans ces contrées dès
Au reste, ces blés varient dans leurs la plus haute antiquité (3).
qualités , suivant la nature du terrain Le en grande partie argileux
sol est
qui les produit; et ceux qui sont récol- ou sablonneux mais il est fertile et
; ,

tés dans les plaines de Bousdyrah sont produit tout ce que l'on peut désirer,
estimés les meilleurs de toute la Ré- pourvu qu'il soit arrosé par les pluies à
gence. Dans quelques districts , où on des époques convenables ; si cette faveur
peut suffisamment se procurer de l'eau du ciel lui est refusée, il devient bientôt
pour les irrigations en été, comme en absolument stérile se refuse à la cul-
,

diverses plaines qui s'étendent le long ture, et se dépouille de toute végétation.


du cours de la Medjerdah, on sème du Lorsque les pluies manquent totale-
riz (rouz) , du maïs (dourrâ ou tour- ment, comme cela arrive quelquefois,
kyah), et particulièrement une espèce de la famine se manifeste d'autant plus
millet blanc, que les Arabes nomment promptement que les cultivateurs ne
dirah , et qu'ils préfèrent pour engrais- conservent pas toujours des denrées
ser leurs bestiaux. pour les besoins des années suivantes.
Les grandes cultures des Maures sont Les environs de Tunis présentent en
en froment et en orge ; dans un très-pe- général un mélange de vues variées et
tit nombre de localités, on sème une un spectacle vraiment pittoresque, l'ho-
espèce de froment pointu que les Ara- rizon n'offrant de toutes parts que des
bes nomment, je ne sais pourquoi, dje- plaines agréables, coupées en divers sens
nah-nesr, c'est-à^ire aile d'aigle ou de par des montagnes boisées et des colli-
vautour; mais cette culture est si peu nes verdoyantes qui charment presque
répandue, qu'elle vaut à peine une men- partout les regards par leur aspect riant
tion dans les travaux agricoles. A l'é- et par la diversité de leurs perspectives.
gard de l'avoine, les Arabes n'en sèment Les principaux arbres qui embellis-
jamais, et ne nourrissent leurs chevaux sent ces paysages sont les palmiers-
que d'orge. dattiers (phœnix dactylifera) , que les
Au lieu de battre les grains, les Mau- Arabes nomment nakhl ou nakhlah, et
res ont conservé l'ancienne coutume de qui croissent en grande abondance, sur-
les fouler; plus expéditive que notre tout dans les parties maritimes de cette
méthode cette opération est loin d'offrir
, contrée; il s'en trouve aussi beaucoup
les mêmes résultats sous
le rapport de la de plantations dans l'intérieur des terres ;
propreté : elle se pratique en effet sur mais il n'y a guère que ceux du Sahrâ
des aires de terre battues et recouvertes et du pays de Djeryd dont les fruits
d'un enduit de fiente de vache il est ainsi
: parviennent à leur entière perfection.
facile de concevoir combien d'ordures et Pour multiplier les palmiers, on trans-
de graviers se mêlent alors inévitable- plante ordinairement les rejetons qui
ment au grain de plus, la paille qui doit
;

servir à la nourriture des bestiaux se de arabe


(i) Ce mot est dérivé la racine
trouve entièrement brisée et hachée par temer, qui signifie enjouir, cacher sous la
cette opération, qui s'exécute au moyen terre. J. J. M.
d'une espèce de chariot garni de rondelles (2) Plin. lib. XVIII,
(

cap. 3o. — )
Hirt.
tranchantes, et que l'on nomme diras. Bell. Afric. cap. 57.
(3) Pline donne à ces magasins souterrains
(i) Pline, lib. XYIII, cap. 10. le nom de siri.
TUNIS. 53

croissent au pied des vieux arbres, et si quatre ou cinq jours,


les arroser tous les
ces jeunes tiges sont convenablement et de successivement les branches
tailler
soignées , elles donnent du fruit dès la qui viennent à vieillir dans la partie
sixième ou la septième année, tandis que inférieure de leur touffe, à mesure
les arbres nés de noyaux n'en produisent qu'elle s'élève.
qu'au bout de seize ans. La plupart des autres arbres fruitiers
On sait que les palmiers sont mâles de la Régence sont communs à l'Afrique
et femelles, et que les fruits de ces der- et à l'Europe.
niers ne sont que secs et sans saveur Celui qui les devance tous dans sa
s'ils n'ont été fécondés par le pollen des végétation, l'amandier, que les Maures
mâles. Celte fécondation s'opère au nomment chadjerah-dêl-louz, fleurit dès
mois de mars ou d'avril , lorsque les le mois de janvier, et on en recueille les
gousses qui renferment les grappes des fruits dès le commencement d'avril.
fleurs et des fruits commencent à s'ou- L'abricotier ( mich-
chadjerah - dêl-
vrir ; les dattes sont déjà formées et les mâch) donne sa mai; on
récolte en
fleurs couvertes d'une fine poussière. donne à ses fruits le nom de mich-
Deux procédés sont alors employés le : mâch et de nyf. Une variété qu'on
premier consiste à prendre un jet ou appelle sâchy , qui n'a que la grosseur
deux de la grappe du palmier mâle et , du brugnon et qui de même ne se dé-
,

à l'insérer dans la grappe de l'arbre tache pas du noyau se cueille un peu


,

femelle ; autrement on prend une grappe plus tard. Ce dernier fruit n'est pas re-
mâle entière , et on en secoue la pous- gardé comme dangereux à manger, tan-
sière fécondante sur les grappes des dis que l'abricot ordinaire donne sou-
arbres femelles. C'est cette dernière vent la fièvre et la dysenterie ; aussi
méthode que j'ai vu pratiquer en Egypte, est-il nommé
en langue franque matza-
où les palmiers mâles sont très-nom- franka, c'est-à-dire bornereau des Eu-
breux ; mais le premier procédé est pré- ropéens.
féré dans laRégence , ou les arbres mâ- le mois de juin on a deux ou
Dans
les sont moins communs, et alors un trois espèces de prunes (barqouq ou
seul palmier mâle suffit pour féconder mollys) et de cerises ; mais ces dernières
quatre ou cinq centaines d'arbres fe- sont peu abondantes et presque sans
melles. saveur cependant on les a honorées du
:

Les Maures nomment cette opération titre de habb-êl-molouk (2), c'est-à-dire


doukkar, c'est-à-dire fécondation par de fruit des rois.
le mâle, et ils la pratiquent également Vers la même époque on a aussi des
à l'égard des figuierspar la suspension
, mûres (tout) et des pommes ( toffâh) :
de quelques figues d'un figuier mâle ou celles-ci deviennent plus communes en
sauvage sur les figuiers femelles, pour juillet et en août; mais elles sont loin
empêcher leurs fruits d'avorter ou de d'être comparables aux espèces les plus
dégénérer, pratique que Pline nous ap- communes de celles que produit la
prend avoir été connue des anciens, France.
qui la nommaient caprificatio (1). C'est aussi dans le mois de juin qu'on
Le palmier-dattier entre dans sa plus cueille les figues hâtives (bâkour), dont
grande vigueur environ trente ans après il existe deux variétés, l'une noire et l'au-
avoir été transplanté , et on assure qu'il tre blanche (3); mais la figue proprement
continue pendant soixante-dix ans de dite ( kermous ) ne mûrit que fort rare-
porter chaque année quinze ou vingt ment avant le mois d'août. C'est seule-
grappes de dattes (balaa ou thamr), ment cette espèce l'on conserve en
que
pesant chacune douze à vingt livres ( 6 la faisant sécher, dont on approvi-
et
a 10 kilogrammes). Ces arbres commen- sionne les ports de la Méditerranée. Il
cent ensuite à déchoir peu à peu, et tom- y a encore une autre espèce de figue
bent avant d'avoir vécu deux cents ans.
Le seul soin qu'exige leur culture est de (2) Le mot arabe habb signifie
proprement
une graine, un grain, une baie. ( J. J. M. )
(i) Pline, Hist. nat., lib. XV, cap. 19. — (3) Le figuier est nommé kerrnah par les
Voyez aussi Palladius, De re rusticd. Maures, (J.J. M.)
,

L'UNIVERS.

longue et noirâtre, qui reste quelquefois ces jardins il est indispensable d'y avoir
sur l'arbre pendant tout l'hiver. un puits, garni d'une roue à godets que
Les brugnons et les pêches (khoukh) font tourner des chameaux , des bœufs
se cueillent vers le milieu de juillet; ou des chevaux, et au moyen de laquelle
les premiers surpassent les nôtres en gros- l'eau monte à la surface du sol pour se
seur et en saveur les pêches ont une
: distribuer dans les divers canaux d'ar-
odeur exquise, et pèsent quelquefois jus- rosage.
qu'à dix onces. Les maisons de campagne des Tuni-
Les premières grenades ( roummân ) siens diffèrent en quelques points de
sont mares en août elles parviennent
; celles de la ville; dans les premières, le
quelquefois à une grosseur étonnante : pafeo ou ciel ouvert (i) a un bassin d'eau
tfn efi voit qui ont jusqu'à quatre pouces presque toujours jaillissante, tandis que
(11 centimètres) de diamètre et qui les secondes n'en ont pas : si on n'use pas
pèsent une livre (un demi-kilogramme). de la précaution de faire vider souvent
Enfin un fruit qui fait l'unique nour- ces bassins, et de les faire nettoyer soi-
riture d'un grand nombre de pauvres gneusement, il n'est pas rare de voir,
familles pendant les mois d'août et de à l'approche de l'automne, le dégage-
septembre , c'est la figue du nopal ou ment de gaz hydrogène qui s'y forme
opuntia. Ce fruit , hérissé de piquants et s'y accumule, occasionner des oph-
plus longs et plus dangereux que ceux thalmies ou même des fièvres ataxiques
de la châtaigne, a sans doute été apporté et pernicieuses.
de l'Espagne sur les côtes barbaresques; La campagne devient riante et agréa-
c'est du moins ce que pourait faire pré- ble dès que pluies commencent à
les
sumer le nom qu'on lui donne de ker- tomber : elle devient aride, stérile, et
mous dén-nassarâ , qui signifie tejigue d'un aspect déplaisant par la cessation
des chrétiens. des pluies, dès que la saison de la séche-
L'olivier ( chadjerah
- déz - zeytoun resse se déclare.
)
et le noyer \chadjerah-dêl-gouz) don- On rencontre fréquemment des éten-
nent des récoltes abondantes tous les dues de terrain tres-considérables en
deux ans. friche, ou privées de culture par le défaut
L'olivier surtout est très-répandu des bras nécessaires. La dépopulation est
dans toute la Régence ; mais l'huile que telle dans quelques parties de ce pays
son fruit y donne est bien loin d'appro- qu'on voyage souvent pendant plusieurs
cher de l'excellence de celle de notre heures sans rencontrer ni habitations ni
Provence ; aussi ne s'en sert-on guère hommes.
en France que pour les savonneries , où Et cependant, quel heureux pays que
on en fait une grande consommation. celui de la Régence si elle était gouvernée
Je ne crois pas devoir mettre au nom- par une législation sage et prévoyante,
bre des ressources agricoles de la Ré- qui, correspondant à l'importance que ce
gence quelques autres fruits que l'on y
, pays est susceptible d'acquérir, saurait
rencontre en petites quantités les châ-
: favoriser l'industrie manufacturière, en-
taignes {qostâl), plus petites que celles tretenir et améliorer les voies de com-
de France, mais qui ne leur sont pas in- munication, assainir les marécages,
férieures en bonté ; l'arbouse {bou-khan- amener les eaux superflues ou nuisibles
nou); les caroubes {kharroub); les sur les terrains secs et arides pour les
poires sauvages (îddjâs); les coings {se- fertiliser par une irrigation habilement
ferdjel ) ; les nèfles , les jujubes ( zif- coordonnée, et contribuer à l'accroisse-
zouf), etc., ces fruits n'étant cultivés mentde la population, dontla diminution
qu'en petite quantité et en peu d'endroits. est partout sensible, en encourageant les
On voit dans les jardins des environs travaux, la culture, le commerce; en
de Tunis toutes sortes de productions rouvrantles anciennes relations jadis éta-
utiles et agréables ; mais la culture en- blies avec l'intérieur du vaste continent,
tre les mains d'un peuple plus actif et dont Tunis pourrait ainsi devenir l'en-
plus industrieux y rendrait dix fois plus trepôt principal et la clef commerciale,
que les Tunisiens n'en obtiennent.
Pour entretenir la végétation dans (i) Voyez ci-dessus, page 10, note 6„
TUNIS, 53

comme autrefois l'était Alexandrie. parties de la Régence; il est doux et sa-


utre la précieuse récolte d'olives (zey- voureux son jus est exquis et proba-
; ,

toun) et de dattes (thamr ou balaa), blement pourrait fournir un vin égalant


ce qui fait la richesse de la Régence c'est ceux de l'Italie, de la Grèce et de l'Espa-
la grande abondance du blé du maïs , gne mais nul habitant, soit Maure, soit
;

{dourrâ), des fèves (foui), des pois Jujf, soit Européen, n'oserait fabriquer
(djoulbân) , des haricots (loubyah), des une grande quantité de vin sans avoir
pois chiches ou lupins (hoummous) , préalablement obtenu du bey une auto-
ainsi que de beaucoup de plantes légu- risation spéciale. Laplus grande partie de
mineuses et potagères telles que le chou
, ce que produisent les xignes(dalyah)
(krounb), la laitue (khass), l'artichaut de la Régence est convertie en raisins
(kharchouf) , l'asperge (sekkoum) , la secs (zebyb), dont il se fait une grande
poirée (selq), le pourpier (ridjlah), le exportation pour tous les ports de la Mé-
cardon ( guernyn ou gannaryah ) diterranée.
le cresson (zeyatah), les raves (left- Indépendamment des saisons , dont
beledy), le navet (le ft-mahfour), le rai- nous avons vu les noms
ci-dessus, les
fort (figoul), le persil (kerafess), îe Maures divisent aussi leur année agri-
cerfeuil ( mag donnes ) , l'oignon (bas- cole en quatre époques,qui correspondent
sal) , l'ail (thoum) , le poireau (bey- à peu près aux saisons déjà indiquées.
berouz), l'oseille (hamyddah), la to- Ces époques de l'agriculture, qu'ils
mate (tomâttich) ; mais ces dernières comprennent sous la dénomination com-
sont ordinairement assez chères parce , mune de âouqât-del-fellâhah, sont les
qu'elles ne sont en général que très-peu suivantes :

cultivées dans les jardins. Le Temps du Labourage ( Ouaqt-dêl-


On y trouve cependant plusieurs es- Harts ) ;

pèces de courges ( qaraa ), de concom- Le Temps des Semailles (Ouaqt-déz-


bres (khyâr ou faqous) et de citrouil- Zeryah);
les (mahyâ), des melongènes ou au- Le Temps de la Moisson ( Ouaqt-dêl-
bergines ( badindjân ou badindjâl), une Hissâd) ;

grande variété de pastèques (keouâ), Le Temps du Battage des grains


et surtout de melons (dillah, fellous, (Ouaqt-déd-Derâs ).
battykh ). Dans la saison du bon pâturage on
A la nomenclature des fruits que j'ai mange à Tunis d'assez bonne viande de
déjà cités, je dois ajouter encore les bœuf (beqry ) mais cette viande perd
;

oranges ( ledjyn ) , les citrons doux ou tout à fait ses meilleures qualités dès
limons (leymou leymoun), les citrons que la sécheresse exile les troupeaux
aigres ( lârendj ), les cédrats ( troundj ). des prairies, et ne leur laisse pour nour-
On peut joindre encore à cette liste riture que des herbes fanées.
quelques poires (neggâs), des amandes Le mouton (êl-ghannâm) a générale-
(leouz ou neouâ), des raisins (âyneb) ,
ment un très-mauvais goût; aussi les
des noix (gouz ou guergda), des noi- personnes un peu aisées ne mangent guère
settes (zelzella), etc. que de l'agneau (kharouf), qui est in-
Mais en général il est fort rare de pou- finiment meilleur, et qui au moins n'a
voir manger aucun de ces fruits dans un pas le goût insupportable de suif qu'ex-
état complet de maturité qui permette hale la chair des vieilles brebis (nadjah)
à leurs qualités savoureuses une entière et des moutons adultes (haohly), envers
perfection, sous un ciel dont la tempé- lesquels la loi musulmane défend de pra-
rature serait si favorable à ce développe- tiquer la castration.
ment. Les Européens voient avec regret Le porc (hallouf) est rare on mange ;

les Maures les cueillir longtemps avant en revanche d'assez bons sangliers
qu'ils ne soient tout à fait mûrs et ils , ( khanzir), quoique l'un et l'autre soient

s'étonnent avec raison que le goût des également interdits par les prescriptions
gens du pays soit flatté à un tel point de l'islamisme.
par la saveur acre et acerbe de ces avor- Les volailles et surtout les poules
tons encore verts. (djedâd ou dedjadj) sont assez abondan-
Le raisin est abondant dans toutes les tes; mais elles ont bien renchéri depuis
56 L'UNIVERS.
environ un siècle; et si l'on compare le Bizerte, et n'estguère mangeable qu'en
prix qu'elles valaient en 1737, époque hiver; mais le bas peuple et surtout les
à laquelle le docteur Shaw a résidé dans Juifs en font leur principale nourriture,
ce pays, on trouvera qu'elles coûtent et le mangent en toute saison, même
maintenant le quadruple des prix de lorsqu'il est presque à demi gâté , dans \

cette époque. les grandes chaleur de l'été.


Les oies (ouezz), les canards (bork) Je terminerai ici mes remarques sur
ne sont pas absolument rares. Dans la le climat et les productions du sol de
saison favorable on trouve en assez la Régence, en répétant que ce pays
grande quantité sur le marché des pi- entre les mains d'une nation indus-
geons sauvages (hamâm ou limâm), trieuse deviendrait bientôt une des plus
des cailles (soummân), des alouettes belles contrées du globe entier, et pour-
hupées (koubaa), des perdrix (hadjel), rait même fournir à l'Europe beaucoup
des outardes (Jiobarâ), des grives, des de denrées précieuses , telles que l'in-
pintades Cl) ou poules de Numidie {bou- digo, le sucre, le café, le carthame et
zerrâd ), et un nombre prodigieux de d'autres productions utiles que nous som-
sansonnets ou étourneaux (zerzour). mes maintenant forcés d'aller chercher
Le lièvre (arneb) etle lapin (qouleyri) si loin et avec tant de risques.
sont aussi assez communs dans les mar-
chés. La plus grande partie du poisson CHAPITRE VIII.
qu'on y vend est prise dans le lac de
Le Bey de Tunis; —
Gouvernement de la
(i)La pintade est originaire des Indes Régence Divan Dewletly ; Adminis- —

: , ,

elle est du genre des poules, et a été ainsi tration; —


Avanies; Tribunaux; ' — j

nommée à cause de son plumage qui paraît Justice ; —


Loix pénales ; Déportation ; — j

être peint
,

de taches blanches et noires. On — Ile de Kerkanah; Anecdotes judi- — •

luia aussi donné les divers noms depoule d'A- ciaires ;


— Lieux d'asile — Moyen
; d'an- 5

frique, poule de Barbarie ou de Mauritanie , nuler leur privilège pour les criminels, 1,

poule de Tunis et de Numidie poule de Gui-


,

née : en Egypte on la connaît sous le nom de La Régence de Tunis était autrefois ;

voule de Pharaon ; quelques naturalistes l'ont élective, comme l'est encore celle de
appelée meleagris. Les œufs de la pintade res- Tripoli et comme l'était alors celle d'Al- ;

semblent à son plumage, par leurs couleurs


ger; elle est maintenant devenue héré-
mélangées.
ditaire : les prédécesseurs du Bey main-
Les pintades sont à peu près de la grosseur
tenant régnant, ayant su adroitement
des poules domestiques, mais elles ont la
s'arroger peu à peu tout le pouvoir, et
queue effilée comme les perdrix ; elles ont,
comme les poules, deux appendices mem- ayant réussi à paralyser entièrement
braneuses, de couleur de chair, qui leur pen- les forces des partisans du système élec-

dent aux deux côtés des joues tout leur plu-


:
tif et de la forme primitive du Pachalyk !

mage n'est que de deux couleurs, blanc et Tunisien.


noir : les taches du plumage sont presque par- Le Bey qui occupait le trône de Tunis
tout d'une forme ronde lenticulaire régu-
, , à l'époque de mon voyage et de mon séjour
lièrement semées , excepté aux ailes, où elles dans la Régence était Hamoudah-Pa-
sont allongées et rangées comme par bandes ; cha (2). Ce Bey
est le maître absolu
les jambes sont couvertes de petites plumes d'un vaste pays, sur lequel il exerce une
marquetées, couchées sur la peau et comme autorité despotique , et rien ne peut s'y
collées ; la tête est dépourvue de plumes, et cependant autre-
faire sans ses ordres ;
la paupière supérieure a de longs poils noirs Grand-Seigneur conférait assez
fois le
qui se redressent ; au-dessus de la tète il y a
facilement ce titre aux personnages dis-
une crête, ou une sorte de casque, formé d'une
tingués, pourvu qu'ils eussent la précau-
peau sèche , ridée et dure comme du bois ;
tion de joindre à leurs demandes un
la couleur de ce casque est jaune-brun.
Le bec de la pintade est semblable à celui présent de quelque valeur pour les diffé-
de nos poules, la peau des paupières est blanche rents fonctionnaires qui étaient chargés
chez les mâles et rouge chez les femelles : le6
pieds sont brunâtres, et le tiers de la longueur (2) Voyez ci-après la Notice Historique,
e
des doigts est uni par une membrane. dans la II partie.
TUNIS. 57

de proposer leur nomination. On a condaire dans le gouvernement de la


même vu des présents adroitement dis- Régence.
séminés faire nommer à ce poste impor- En effet, le Bey est à la fois le chef su-
tant des enfants encore au berceau. prême de tout le Pachalyk; l'adminis-
Le Bey de Tunis est considéré par la trateur des revenus publics, lejuge sans
Poïte-Ottomane comme un de ses princi- appel de toutes les grandes contesta-
paux feudataires Ce pacha ne paye cepen-
.
tions ; c'est de son autorité immédiate
dant au trésor impérial aucune contri- que ressort la police générale et particu-
bution fixe,; mais l'usage anciennement lière , la haute surveillance des divers
établi exige qu'il envoie tous les trois fonctionnaires, la perception des impôts,
les rapports diplomatiques et tout ce
ans au sultan de Constantinople un pré- ,

sent considérable. S'il manque à cet qui appartient à l'état militaire, ainsi
usage, on ne l'importune pas pour en qu'à la marine.
réclamer l'exécution; mais il tombe en En Europe on aurait bien de la peine
disgrâce ; on ne lui envoie plus mfirman à comprendre comment un seul homme
ni ùaftan jusqu'à ce qu'il ait réparé sa peut faire face à tant d'objets différents
faute. et les diriger avec ordre et précision.
Le firman est une lettre de félicita- Mais il est bon de remarquer que tout
tions émanée chaque année du trône est réduit dans l'administration de ce
impérial et portant confirmation du ti- pays à la plus grande simplicité; de cette
tre primitif de nomination; et le kaftan simplicité, qui sait se passer des rouages
est un manteau long ou vêtement d'hon- compliqués de la bureaucratie euro-
neur qui est présenté au Pacha en au- péenne, découlent naturellement une
dience solennelle par un envoyé extraor- stricte économie dans les dépenses pu-
dinaire de la Porte. bliques et une marche directe et sans
La réception de cette marque hono- détours dans les jugements des tribu-
rifique de la faveur du Grand-Seigneur naux et les affaires gouvernementales.
cause une grande joie dans le Pachalyk, Là où un prince européen aurait be-
et est l'occasion de réjouissances so- soin de cent employés de diverses classes
lennelles à la cour du Bey, qui fête de pour l'administration des affaires d'Etat,
son mieux le porteur du présent impé- quatre ou six écrivains suffisent à Tunis
rial. pour diriger tout ce qui rentre dans ce
Un divan, composé d'officiers pris ressort.
presque dans tous les rangs de la milice Outre une plus grande célérité dans
turke, nommait autrefois dans son sein l'expédition des affaires , outre l'écono-
le Dewletly, c'est-à-dire le lieutenant mie positive d'une administration aussi
du Bey, qui était de droit gouverneur simple, il résulte un troisième avantage
particulier de la ville, et contrebalançait incontestable et bien important , c'est-
souvent l'autorité du Pacha ; mais au- à-dire la facilité que le Bey a par cette
jourd'hui cette nomination n'est plus organisation de surveiller les opérations
qu'une simple formalité, et personne d'un corps administratif si peu nom-
n'arrive par droit d'élection à cette breux , et d'apercevoir d'un seul coup
place importante sans l'agrément bien d'ceil les malversations et les abus qui
positif du Bey, ou plutôt sans sa nomi- pourraient s'y glisser, et qui lui échappe-
nation immédiate. raient nécessairement dans une organi-
Lorsque le Dewletly vient à manquer sation plus compliquée.
par décès ou révocation, l'aga de la Gas- Si le Bey, par exemple, reconnaît
béh (1) lui succède de droit. Le Dewletly qu'un de ses agents vole ouvertement ou
et le divan, qui avaient autrefois un pou- son trésor ou ses sujets, le châtiment ne
voir indépendant du Bey, et qui étaient se fait pas attendre il le punit immédia-
:

même chargés d'exercer leur surveil- tement de la manièrela plus rigoureuse ;


lance sur les actes de son autorité , lui s'il se doute seulement, au contraire, que

sont aujourd'hui entièrement subordon- cet agent emploie, pour cacher ses mal-
nés , et n'ont qu'une influence très-se- versations, des moyens adroits et qui
puissent en imposer assez pour qu'il ne
(i) Voyez ci-dessus la note 3 de la page io. puisse pas être pris, comme on dit vul-
L'UNIVERS,
gairement la main dans le sac, alors En conséquence, loin de lui donner des
le Bey ne manque jamais de frapper preuves de sa faveur, il ne cessa de l'ac-
d'une avanie l'employé suspect, et de lui cabler d'avanies multipliées,afin de le for-
arracher ainsi en un instant, sans forme cer ainsi à restituer la portion du trésor
de procès, la restitution de ce qu'il peut qu'il l'accusait d'avoir dissimulée : le
avoir détourné à son bénéfice pendant pauvre juif, dont la déclaration avait été
un temps plus ou moins long. exacte, fut ainsi réduit à la plus profonde
L'augmentation subite de fortune est misère, et je l'ai vu mendier dans les
communément l'indice auquel se recon- rues de Tunis.
naissent de pareilles infidélités et qui Le Bey, sans être aucunement initié
expose inévitablement celui qui a dé- aux études de la jurisprudence, est le
pouillé les autres à être lui-même dé- juge souverain, non-seulement des cau-
pouillé à son tour : aussi le principal ses importantes, mais encore des moin-
soin des enrichis est-il de dissimuler au- dres différends qui s'élèvent parmi ses
tant que possible un accroissement de sujets. Tous les jours à huit heures du
richesses dont la manifestation pourrait matin il va siéger dans une salle d'au-
les trahir et causer leur perte. dience, où il écoute jusqu'à midi, avec
Ce mode de dépouiller les riches con- une patience admirable, les plaintes et
cussionnaires, qui ne serait qu'une jus- querelles sur lesquelles chacun réclame
tice à la turque s'il se bornait à leur faire sa décision.
rendre gorge de leurs rapines , devient Il paraît se plaire singulièrement
à
souvent suivant le caprice du Bey, un
, ce genre d'occupation, qu'il considère^
acte d'iniquité révoltante. On en pourra même comme plus important de ses
le 5

juger par le fait suivant, qui s'est passé devoirs envers peuple soumis à son
le
sous mes yeux. gouvernement. Je pense aussi qu'il y
Le ministre du Bey Moustafa-Khod- trouve souvent son propre avantage,!
gia, mort il y a quelques années, avait non-seulement par les amendes dont if
un intendant juif, dans lequel il avait la ne manque jamais de frapper la partie
plus entière confiance. Il lui avait remis qu'il condamne, mais encore parce que,
successivement une somme de huit cent comme juge, il apprend à connaître une
mille piastres (environ quatre millions infinité de détails qu'il ignorerait comme
de notre monnaie) cette remise avait
:
prince, et cette connaissance lui est sou-î
eu lieu par versements partiels et dans, vent d'une grande utilité, soit pour son
le plus grand secret, et sans qu'il en fût administration, soit pour ses finances.
fait mention dans aucun de ses regis- Cependant, il ne pourrait guère s'ac-;
tres, ni dans aucune pièce comptable. quitter que d'une bien faible partie de'
Le ministre étant mort sans avoir dis- ses fonctions judiciaires si, comme dans/
posé de cette somme, le juif aurait pu fa- un tribunal européen, il devait s'assujet-
cilement s'approprier ce dépôt inconnu tir à la régularité de certaines formes'
de tous, et en jouir avec toute sécurité; accessoires.
cependant soit qu'il craignît qu'un jour Ici tout se réduit à une exposition
l'existence de cette somme entre ses simple des faits. Chacun plaide indivi-
mains ne pût venir à la connaissance du duellement sa cause sans intermédiaire
Bey, soit qu'il voulût lui donner une et sans autres écrits que ceux qui attes-
preuve de son honnêteté et de son atta- tent le payement ou la dette.
chement, et dans l'espoir d'obtenir ainsi Le Bey, après avoir entendu les deux
sa faveur, il se décida à lui en faire la parties, cherche souvent à se procurer
déclaration. une connaisance plus exacte de l'affaire
Mais le prince, loin de se montrer sa- par des questions et des objections adres-
j

tisfait de cette confession, sentit, au con- sées à chacune des parties , et dès qu'il
traire s'en accroître une avidité sans
, est suffisamment éclairé, ou du moins
bornes ; il se crut fondé à soupçonner qu'il croit avoir bien saisi le fond de
le juif d'une réticence dans sa
déclara- l'affaire en litige, il rend son arrêt, arrêt
tion , et le crut dépositaire d'un trésor décisif et en dernier ressort. S'il faut
beaucoup plus considérable que celui pour achever d'éclaircir l'affaire quel-
qu'il avouait avoir entre les mains. que pièce, quelque témoin, quelque attes-
TUNIS.

tation , la chose est renvoyée à un autre sequins nommés mahboubs (1). Dési-
jour.
rant la recouvrer, il fit proclamer sa perte
les cas les plus importants ou
Dans dans les rues et les places de la ville, par
plus épineux il fait revenir les plai-
les
un crieur. Celui qui avait trouvé l'objet
deurs à une autre audience, pour se perdu était un nomme généralement
ionner le temps de mieux réfléchir sur renommé par sa probité; et dès qu'il
eur cause , ou pour se consulter avec connut le propriétaire de la bourse, il
hommes de loi qu'il appelle auprès s'empressa de la lui rendre. Mais celui-ci,
ies ,

je lui ; mais en général la justice du Bey voyant qu'il avait affaire à un homme
expéditive et un tribunal d'Europe riche, crut la circonstance favorable pour
?st ,

rurait bien de la peine à examiner dans


se procurer un gain illicite aux dépens de
B
mois autant de causes que ce prince celui qui venait de lui faire cette restitu-
tion consciencieuse. Dans ce but de
iîn termine dans une seule
matinée.
spoliation coupable, il soutint qu'il man-
Une manière de juger aussi précipitée
quait 80 sequins dans la bourse rendue,
j

peut avoir ses inconvénients; car elle


et en réclama avec violence la restitution.
îxpose au risque d'une, condamnation
rréfléchie celui qui dans le fond a rai-
Il s'engagea, comme on peut le croire, une
forte querelle entre les deux Maures, et
son mais dont l'affaire aurait besoin
,

mûr examen. 11 est vrai néanmoins ce différend fut enfin porté devant le Bey.
l'un
lue, même dans ce dernier cas, au moins Le propriétaire de la bourse perdue
Il plaideur a l'avantage de ne pas languir soutenait vivement qu'il y avait dans
dans une pénible incertitude, et évite sa bourse cent sequins, tandis que celui
ainsi des démarches désagréables et des
qui l'avait trouvée affirmait également
Idépenses ruineuses.
avec serment qu'il l'avait rendue telle
également juste d'avouer que qu'il l'avait trouvée.
11 est
Comme il y avait en apparence autant
j

Ile Bey qui régnait à Tunis à


l'époque de
mon séjour dans cette Régence se faisait de probabilité pour l'une que pour l'au-
remarquer par un fonds naturel de bon tre assertion, le Bey se vit un instant

sens et par une pénétration dont la per-


embarrassé sur la décision qu'il devait
ispicacité , en presque toute affaire, sup-
rendre cependant, avant de prendre
:

pléait heureusement à l'instruction qui


un parti dénnitif pour son jugement, il
(pouvait lui manquer'. demande à voir la bourse, qui lui fut pré-

On peut même lui reprocher de pous- sentée aussitôt. Après l'avoir examinée
ser cette circonspection jusqu'à la dis-
avec attention, il en retira le peu de
simulation, à la ruse et à une défiance, sequins qu'elle contenait, et il ordonna
peut-être fondée sur l'expérience de qu'on lui apportât de son trésor cent
vingt-cinq ans d'exercice dans ses fonc- autres sequins mahboubs. Il essaya alors
tions : cette longue expérience lui a fait de les faire entrer dans la bourse, qui ne
acquérir une connaissance exacte de tous put en recevoir qu'environ cinquante :
les détails de l'administration et de tout
puis la vidant de nouveau, il invita le
ce qui importe à son maintien dans son propriétaire à y placer lui-même les
j'Pachalyk. cent sequins qu'il prétendait y avoir
J'assistais souvent à ces séances judi- été contenus. Celui-ci n'ayant pas pu
ciaires; et je regrette de ne pas avoir eu davantage y réussir, le Bey remit dans
Lassez de loisir pour recueillir une série la bourse les vingt sequins qu'elle renfer-

complète des sentences que j'ai enten- mait d'abord, et la donna à celui qui l'a-
dues prononcer; j'aurais pu ainsi faire vaittrouvée enlui disant « Commel'état
:

Bey v de cette bourse ne répond pas aux in-


mieux comprendre comment le s'ac-

quitte de ces hautes fonctions judiciaires. « dications désignées par votre adver-

Je citerai cependant ici quelques faits « saire, elle vous appartient légitime-

qui pourront faire connaître la manière « ment et sans que personne puisse vous
'

dont ce prince procédait soit dans l'ins- « en contester la possession. Quant à

truction , soit dans la décision des af- « vous ajouta-t-il en s'adressant au


,

faires.
Un Maure avait perdu une bourse (i) Voyez ci-après la Notice sur les Mon-
; contenant quelques monnaies d'or ou naies de Tunis.
- j

60 L'UNIVERS.
« propriétaire de la bourse , vous mé- conjugale, toutes les fois que le mari
« riteriez certainement que je vous fisse s'en absentait.
« donner deux ou trois cents coups de On peut aisément croire à l'empres-
« bastonnade : mais il me suffit d'avoir sement que met la veuve à révéler cette
« constaté d'une manière aussi authen- intrigue à son amant, qui, plein de con-
« tique que vous êtes un malhonnête fiance en sa femme, refusa d'abord de
« homme : allez , et gardez-vous de ja- croire la dénonciatrice, et ne se laissa
« mais reparaître devant mon tribunal. » persuader que lorsqu'il lui entendit citer
Voici un second exemple de la manière des faits tellement positifs, qu'il lui fut
dont le Bey rend la justice. impossible de conserver son incrédulité.
Deux Bédouins avaient trouvé une va- Un jour donc, averti parla jalouse que
che égarée dans la campagne; nul ne se le galant de sa femme venait de se glisser
présentait pour la réclamer ; mais cha- dans son domicile, il se hâta de rentrer
cun des deux Bédouins prétendait s'ar- chez lui pour surprendre les deux cou-
roger un droit exclusif à la possession pables; il trouva sa femme seule, contre]
de l'animal trouvé par eux. De là con- son attente; mais il n'en fit pas moins
testation et plainte portée devant le dans toute la maison une recherche qui)
Bey; le juge essaya vainement de con- fut également sans résultats.
cilier l'avidité des deux prétendants ; et Désappointé, il courut aussitôt chezj
ne pouvant y réussir, il leur ordonna l'accusatrice lui faire part de l'inutilité
d'amener devant lui la vache en litige; de son investigation dans toutes les par-
alors il leur dit : « Tout bien qui n'a pas ties de la maison qui auraient pu servir
« de propriétaire reconnu légalement de retraite à celui qu'il voulait saisir-
« m'appartient ; d'après cette maxime la La jalouse réfléchit, l'interroge suc4
« vache ne sera ni à l'un ni à l'autre cessivementsur toutes les cachettes qu'il
« de vous, mais à moi. Que le pro- avait explorées , puis tout à coup « Et :

« priétaire qui l'a laissée égarer vienne « le grand coffre de votre femme lu? ,

« la réclamer; il sera assuré de recevoir « dit-elle , celui où elle serre ses robes
« une punition exemplaire pour sa né- « et ses atours , l'avez-vous visité? —
« gligence à garder ses troupeaux : « Non, vraiment. —
Allez vite, c'est là
« quant à vous , estimez-vous heureux « où elle a caché son amant. »
« de ne pas me voir approfondir davan- Le mari s'élance aussitôt, remonte
« tage cette affaire, et de sortir sans bas- dans la chambre de sa femme, voit le
« tonnade de mon audience; car je vous coffre, en demande la clef, qui lui es
« soupçonne fort de n'avoir pas trouvé d'abord obstinément refusée et qu'i|
« la vache, mais de l'avoir volée. » n'obtient que par la violence : le coffr^
D'autres voyageurs ont suffisamment est ouvert, le coupable y était, en effet*!
fait connaître les dangers que les aven- caché sous quelques robes et quelques
tures galantes entraînent à leur suite, châles.
et la sévérité des lois musulmanes à cet Aussitôt il referme le coffre à double
égard ; je citerai seulement les deux faits tour, enferme sa femme dans un cabinet
suivants, qui se sont passés pendant attenant à la chambre, et court faire sa!
mon séjour, et qui pourront peut-être déclaration au chef de la police récla ,

faire sourire le lecteur par le côté plai- mant le jugement du Bey contre lej
sant qu'ils offrent. couple adultère.
Un Maure de Tunis avait une femme Pendant que le mari outragé prépare;
jeune et joiie; ce qui ne l'empêchait pas ainsi sa vengeance, la femme infidèle!
d'avoir clandestinement des relations n'était pas restée inactive. Une petite!
très-intimes avec une de ses voisines, fenêtre , ouverte au haut de la cloison
veuve et belle, et qui s'était montrée très- pour éclairer le cabinet qui lui servait
disposée à l'accueillir celle-ci, jalouse
: de prison, lui facilita les moyens d'en
de la femme de son amant, dont elle dé- sortir; elle avait une double clef; elle
sirait d'occuper le cœur sans partage, s'en servit pour ouvrir le coffre fatal,
épia tellement sa rivale, qu'elle parvint et donner à son complice une liberté
à découvrir l'introduction secrète d'un dont il s'empressa de profiter.
jeune et beau négociant dans la maison En allant porter sa plainte devant le
TUNIS; êi

chef de la police et devant le Bey, le une forte amende, heureux encore de ne


Maure s'était d'instruire sa
empressé pas payer par une bastonnade l'insuccès
veuve du succès qu'avaient obtenu ses de sa fausse accusation.
nouvelles recherches : celle-ci, impa- Cependant, malgré sa mésaventure, le
de jouir de son triomphe et de
tiente mari était loin de croire à l'innocence
l'humiliation de sa rivale, ne tarda pas à
!!
de sa femme il avait vu, et ne pouvait
:

se présenter chez elle, sous le prétexte démentir le témoignage de ses yeux sans ;

de la consoler dans l'affliction où elle la doute aussi la veuve, sa maîtresse,


supposait plongée, lui demandant les l'avait instruit des circonstances qui
détails de la scène de jalousie conjugale avaient amené la métamorphose impré-
qui devait avoir eu lieu entre le mari et vue dont le tribunal avait été témoin.
la femmeinfidèle. Celle-ci paraît ne rien Toujours est-il que la femme fut plus
[Comprendre aux discours de sa voisine, adroitement épiée et les deux amants
,

et l'assure qu'il ne s'était passé chez imprudents comme ils le sont tous fu- ,

[elle rien d'extraordinaire. rent saisis un jour en flagrant délit et ,

« Comment! veuve, votre


s'écria la sans qu'aucune substitution fut possible.
« mari n'a pas découvert un amant caché Le couple adultère fut traîné de nou-
« chez vous? —
Et où aurais-je pu le ca- veau aux pieds du Bey, pour y subir une
! cher, dans toute la maison il n'y a condamnation désormais inévitable :
« pas un coin qui puisse offrir une ca- leur crime, d'après les lois musulmanes,
« chette sûre. —
Mais.... dans ce cof- encourait lapeine de mort, la noyade
« fre? —
Est-ce qu'un homme pourrait pour la femme , la strangulation pour
I y tenir ? —
Pourquoi pas ? J'y tiendrais son complice; mais le Bey, qui n'avait
« bien moi , et à l'aise.
,

Impossible. pas encore oublié combien la première
__ Voyez » Et la veuve s'était vive-
!
scène l'avait égayé, voulut cette fois user
I
ment blottie dans le coffre , dont plus d'indulgence. La peine capitale fut com-
vivement encore le couvercle fut refermé muée pour la femme en une déportation
sur elle et assuré par un double tour de à l'île de Kerkanah (1 ), et pour l'homme
clef. en cinq cents coups de bâton sous la
Aussitôt la femme du Maure s'était plante des pieds, suivis de six mois de
réintégrée dans sa prison par le même galères, et du payement d'une amende
chemin qu'elle avait pris pour s'en échap- considérable, complément ordinaire de
per, et le mari, arrivant au même instant tous les arrêts criminels rendus par le
avec les gens de la police , ne se douta Bey.
[de rien, en trouvant sa femme prisonnière Le fait suivant m'a semblé mériter
[comme il l'avait laissée et le coffre éga- également d'être mis sous les yeux du
lecteur.
Ilement fermé.
coffre est placé sur les épaules de
Le Une chanteuse publique, de la classe
quatre porteurs de la police ; et le cor- de celles qu'on nomme en Egypte alméhs
itége, entraînant la femme accusée, ac- ou ghaouazys (2), avait demandé au
ticompagne au tribunal du Bey le mari ac-
cusateur. (i)Voyez sur ce lieu d'exii, ci-après, p. 63.
Celui-ci expose ses griefs contre les (2)Ces danseuses ou chanteuses publiques
se voient fréquemment sur les places de tou-
ïdeux coupables, et sur l'ordre du Bey
tes les villes de l'Orient où la plupart se li-
le coffre est ouvert. Mais on peut se fi-
,
;

vrent aussi au métier de courtisanes. Leurs


gurer quelles durent être la surprise et
danses attirent toujours autour d'elles un grand
l'hilarité générale quand on vit appa-
nombre de spectateurs, que charment surtout
raître sous le couvercle levé une femme
leurs gestes lubriques et les contorsions ob-
effarée, honteuse, et qui sans aucune
scènes dont leurs exercices se composent, et
explication s'empressa de prendre la dont l'impudeur ne pourrait qu'exciter le
fuite au milieu des éclats de rire et des dégoût de tout spectateur honnête.
huées de la foule rassemblée. Les Romains paraissent avoir été autrefois
I Le Bey beaucoup ri de la
aussi avait très-amateurs de ce genre de spectacle;
[singulière aventuremais toutefois il ne
; les poètes latins nous dépeignent surtout les
voulut pas qu'on semblât se moquer de femmes des îles Baléares comme les actrices
sa justice, et le Maure fut; condamné à les plus renommées dans ce genre de panto-
, ,

62 L'UNIVERS
Bey un passe-port pour aller à Constan- se faire prier, les encourageant même;
tine, dans la Régence d'Alger. Ayant et elle feignit bientôt d'être plus ivre
reçu un refus formel elle s'était décidée
, qu'eux; bientôt aussi ceux-ci furent
à partir furtivement et à se passer de plongés dans un sommeil profond, pro-
la permission refusée; mais bientôt ar- duit par une ivresse dont la chanteuse;
rêtée et ramenée à Tunis devant le tri- avait eu soin de se garantir. Saisissant
bunal du Bey, elle y fut condamnée pour alors le moment favorable, elle s'em-
sa désobéissance à la déportation dans pare adroitement de la clef du cadenas,
l'île de Kerkanah, et elle fut confiée à se délivre de ses chaînes, avec lesquelles
deux soldats cbargés de l'y conduire. elle lie étroitement les deux gardiens en-,
La chanteuse était assez jolie. L'état dormis; puis s'emparant de leurs ar-i
qu'elle exerçait n'annonçant pas des mes et de l'ordre écrit qui constatait
mœurs trop* sévères, ses* conducteurs leur mission, elle se hâta de prendre la
conçurent à l'égard de leur captive des fuite.
projets amoureux, auxquels elle se prêta Malgré leurs velléités erotiques, les!
avec assez de facilité, et qui lui valurent gardiens de la chanteuse n'avaient pas
pendant la route tous les soins et toutes négligé de s'approprier les sequins et les
les attentions que permettait sa situation. petites plaquettes d'or que les femmes
Arrivés à Soussah, ces soldats, se de l'Orient ont coutume de suspendre à
croyant assez loin de la capitale pour ne leur longue chevelure. Ces plaquettes' 1

plus craindre une surveillance immé- d'or et les sequins étaient passés immé-
diate, et pouvoir se livrer impunément diatement des tresses de la chanteuse
à leurs projets d'orgie, achetèrent du dans les bourses des deux soldats ; à son*,
vin et de l'eau-de-vie, en burent assez départ la fugitive à son tour n'oublia pas:
copieusement pour se livrer à la plus de ressaisir les ornements dont elle avait
profonde ivresse. Cependant, avant de été spoliée, et emporta avec elle les deux
s'y abandonner, craignant que leur pri- bourses, sans s'amuser à trier parmi les
sonnière quoique ayant un bras et un
,
sequins qu'elles contenaient ceux qui;
pied enchaînés, ne profitât pour s'évader lui appartenaient et ceux qui apparte-
'

de leur déraison ou de leur sommeil, naient réellement aux soldats l'une de


:

ils prirent la précaution d'attacher à ces bourses renfermait en outre l'ordre


leur ceinture la chaîne qui liait le pied de déportation fendu contre elle et la |

de la chanteuse, afin de mieux s'assurer commission donnée aux deux soldats de


contre les diverses tentatives qu'elle conduire à l'île de Kerkanah leur eap- ;

pourrait essayer pour leur échapper. tive.


Cette combinaison faite au moyen de Ceux-ci avaient longtemps cuvé leur/
la portion de la chaîne qui retenait le vin et leur eau-de-vie ils ne s'éveillèrent
;

bras et qui fut détachée, permettant d'ail- qu'au milieu de la nuit. Le premier qui
leurs à la captive les mouvements néces- reprit ses sens se sentant fortement re-
,
j

saires pour qu'elle pût s'associer à l'or- tenu par la chaîne dont la chanteuse l'a-
gie de ses gardiens, la chaîne fut fer- vait étroitement accouplé à son cama-
mée par unfort cadenas, dont la clef fut rade, et n'ayant pas encore les idées très-
placée soigneusement dans la poche de nettes, au milieu des ténèbres, se crut
l'un d'eux, l'objet d'une attaque inconnue et se hâta
La femme but avec les soldats sans de faire pleuvoir une grêle de coups sur
celui par lequel il se croyait ainsi retenu.
mime libidineuse , dont les riches débauchés Éveillé brusquement à son tour par cette
de Rome faisaient leurs délices. aggression , le camarade chercha son
Forsitan expectes ut Gaditana canoro poignard , et nul doute que sans le soin
ïncipiat prurire choro , plausuque probata,
qu'avait eu la chanteuse d'emporter
Jdterramtrenmlo descendait renepuella
Irritamentum Feneris languentis, et acres leurs armes , les deux adversaires ne se
Divilis uriicce • fussent entr'égorgés avant toute expli-
JUVÉNAX, XL cation.
Tel de Gadïbus improbis puellce
Cette explication eut lieu enfin, après
Vibrahunt sine fine pritrientes
JLascivos docili tremore lumbos. ...... un long combat et de cruelles meurtris-
Martial, Y, sures dont chacun d'eux, enchaîné corps
TUNIS. 63

voyées par le Bey à Kerkanah, sans ju-


corps à l'autre, n'avait pu se garantir; la de-
i

par l'in- gement, et seulement d'après


nais le combat n'avait cessé que
mande de leurs maris.
ervention des gardes de la police, que
bruit de la rixe et les hurlements des
Ceux qui connaissent la rapacité ha-
e
bituelle des gouvernements orientaux
combattants avaient attirés.
Les trouvant ainsi au milieu de la ne seront sans doute pas étonnés de voir
figurer dans presque tous les procès des
mit, enchaînés, sans armes, dépourvus
la mis- condamnations à des amendes, qui for-
le toute pièce qui pût justifier
sion dont ils prétendaient avoir été
char- ment ainsi une des branches les plus lu-
cratives du revenu fiscal mais ils trou-
gés le chef de la police, incrédule à tou-
;

veront sans doute, avec raison, étrange


,

tes leurs allégations, les prit pour


des
léserteurs échappés dubagne, où il s'em-
que la bastonnade, qui ne rapporte rien
oressa de les réintégrer.
au trésor du prince, soit si fréquemment
Mais les deux prétendus fugitifs ordonnée par lui et joue , pour ainsi
,

dire, un rôle obligé dans toutes ses déci-


l'ayant été reconnus par aucun des geô-
bonne et sions judiciaires.
liers, ils furent reconduits sous
Un débiteur nie-t-il une dette, s il est
ïûre garde à Tunis, où ils comparurent
devant le tribunal du Bey. convaincu de mauvaise foi il est con- ,

Là ils racontèrent leur aventure ga- damné non- seulement au payement,


lante avec les modifications qu'ils cru-
mais encore à une forte bastonnade si, ;

rent devoir y ajouter dans l'intérêt de au contraire, le créancier échoue dans sa


leur cause. demande, l'ordre de la bastonnade ac-
I
L'histoire amusa le prince, qui en rit compagne l'arrêt qui le déboute de ses
beaucoup mais toutefois il donna au récit prétentions iniques.
;

qui lui avait semblé plaisant un dénoû-


Toute discussion, toute plainte, toute
ment plus sérieux : par sa sentence, les querelle, tout procès, aboutissent né-
deux soldats reçurent chacun trois cents cessairement à une bastonnade, pour
celle des deux parties qui succombe,
in-
coups de bastonnade , en punition de
leur infidélité à remplir leurs devoirs,
dépendamment des fortes amendes qui
et, renfermés pendant trois ans aux ga-
sont imposées, et véritablement c'est le
lères ils purent y réfléchir longuement cas d'appliquer notre vieux proverbe
,

sur les inconvénients de la galanterie et peut-être originaire de l'Orient, « les


de l'ivresse. battus payent l'amende. »
Il s'est même trouvé plus
d'ime lois
L'île de Kerkanah ou Kerkano, dont
il est fait mention dans les deux
anec- des cas où la bastonnade a été distribuée
dotes précédentes, est située vis-à-vis de par portions égales à la fois au deman-
absolument stérile, in- deur et au défendeur, les Maures ayant
Sfax; elle est
culte et seulement habitée par des pê-
,
un proverbe, qu'ils regardent comme un
cheurs et des déportés. Le Bey ne four- axiome juridique « Bâtonne l'innocent,
:

»
« pour faire avouer le coupable.
nit à ceux-ci que le pain mais le pois-
;

son étant très-abondant dans ces para- J'ignore jusqu'à quel point cette for-
ges ils peuvent facilement se procurer
,
mule de procédure peut avoir du succès ;
cependant on cite à ce sujet le fait sui-
I, leur nourriture. Cependant ce n'est
i qu'à force de travail que les déportés vant :

parviennent à gagner suffisamment pour Un marchand joaillier de Tunis venait


! subvenir à leurs besoins les plus pres- de recevoir de Constantinople dix belles
sants , et il m'a été assuré que le nom- bagues montées en rubis, enémeraudes,
bre de ces condamnés ou exilés s'élève en topazes et autres pierreries ; il les
avait serrées soigneusement dans un cof-
[

: à plus de six cents ; ce qui n'est pas dif-


>

ficile à concevoir, si on considère qu'il y fret qu'il avait enfermé dans une de ses

I
en a beaucoup qui sont condamnés pour armoires; le lendemain, voulant prendre
i la vie. ces joyaux pour en aller proposer l'achat
D'ailleursoutre les condamnations
,
à quelqu'une de ses riches pratiques, il
judiciaires, arrive souvent que les
il s'aperçut qu'il n'en restait plus que
neuf dans coffret et qu'une topaze
, femmes des gens riches lorsqu'elles ont
,
le ,

commis quelque faute grave sont en- ,


avait disparu.
,,

64 L'UNIVERS.
Aucun étranger n'avait pénétré dans reux domestique les cinquante coups de
la chambre où avait été placé le coffret bâton qu'il avait déjà si injustement re-
précieux et il était incontestable que la
, çus; mais il lui alloua pour dédommage-
soustraction n'avait pu être faite que par ment la bague fatale , et ordonna que
un habitant de la maison : les esclaves les quatre cent cinquante coups restant
les domestiques, les membres même de à solder de la bastonnade seraient immé-
la famille furent interrogés, et exacte- diatement administrés au joaillier, dont
ment fouillés , sans que la bague fût re- l'accusation inconsidérée avait manqué
trouvée; les soupçons du joaillier se por- de faire condamner un innocent à la
tèrent alors sur un vieux domestique de- peine capitale. Comme le marchand était
puis plusieurs années attaché à son ser- riche, il est inutile de dire qu'une forte
vice, et, se persuadant de sa culpabilité, amende payée au trésor du Bey dédom-
malgré ses dénégations réitérées, il le magea ce juge perspicace de l'effort
traîna devant le tribunal du Bey, l'accu- d'imagination qui lui avait procuré la dé-
sant du vol commis à son préjudice. couverte de la vérité.
Le malheureux accusé n'avait pour se Au reste, quoique les formalités de pro-
défendre que ses larmes et les serments cédure employées par la justice du Bey
énergiques par lesquels il attestait son soient peut-être en général assez acer-
innocence. D'un autre côté, le joaillier ne bes, les Tunisiens aiment mieux avoir
pouvait alléguer pour appuyer son accu- recours à son tribunal qu'à la juridiction '

sation que le soupçon d'après lequel il des qâdys et des hommes de loi ; et un
l'avait intenté et ïe témoignage de sa
, proverbe commun à Tunis est celui-ci :
|
jeune fille, âgée de douze à treize ans, « Mieux vaut la tyrannie du Turk que
qui déclarait avoir bien réellement vu, « la justice de l'Arabe. »
la veille, son père examiner Tune après Les meurtres sont généralement pu-
l'autre les dix bagues, les compter, et nis par la peine de mort, avec cette dif-
les enfermer dans le coffret, qui n'en férence toutefois que si c'est un Turk i

contenait plus que neuf le lendemain. qui en soit coupable , il est étranglé au
Entre les allégations si opposées et si fort de la Gasbéh, et que si le meurtrier
j

peu décisives de l'accusation et de la dé- est un Maure , il est pendu sur le lieu
:

fense, le Bey,ne pouvant distinguer la vé- même où crime a été commis


le les : -

rité, était plongé dans une perplexité femmes mêmes condamnées pour meur- ;

dont rien ne semblait devoir le tirer; tre subissent ce supplice.


tout à coup il s'écrie « J'ordonne cinq
:
Lorsqu'un Turk est condamné à la
« cents coups de bastonnade à répar- strangulation, on envoie prendre dans la
« tir également entre les deux parties ville quelques chrétiens ou des taver-
j
« et qui seront distribués alternative- niers grecs, qui sont ainsi forcés d'exer-
« ment cinquante par cinquante à cha- cer les fonctions de bourreaux ; deux
« cun d'eux. » d'entre eux enlacent au col du patient i;

L'exécution de la sentence commença une corde bien frottée de savon , deux


par l'accusé , et le malheureux domesti- autres saisissent la corde, qu'ils attachent
que reçut ses cinquante coups de bâton, également à chacun de leurs pieds , et
en persistant à protester de son inno- tous les quatre tirent de concert des
cence et en adjurant Mahomet et tous pieds et des mains jusqu'à ce que la mort
les prophètes de faire éclater sa justifi- s'en suive.
cation. Un autre supplice auquel les femmes
Les cinquante coups suivants devaient sont condamnées en certain cas est ce-
appartenir à l'accusateur ; déjà il était lui de la noyade.
saisipar les exécuteurs, renversé à plat- Une femme condamnée à être noyée
ventre; déjà le bâton était levé, lors- est d'abord promenée par toute la ville,
que sa jeune fille, s'avançant aux pieds du assise à rebours sur un âne; puis elle
Bey, tire de sa bouche la bague qu'elle est conduite au lac , mise dans un sac
y tenait cachée, et qu'un désir de coquet- avec quelques grosses pierres , et jetée
terie l'avait portée à dérober la veille à dans l'eau par les exécuteurs; mais
son père. comme le lac n'a guère sur ses bords
Le Bey ne pouvait ôter au malheu- que deux pieds à peu près (66 centime-
TUNIS, 65

très) de profondeur, des hommes sont par les musulmans, qu'ils ne sauraient
chargés d'enfoncer le sac avec des per- en permettre l'approche soit aux chré-
,

ches et de le maintenir au fond de l'eau tiens, soit aux juifs et il était même au*
,

jusqu'à ce que la patiente soit tout à trefois réputé si respectable par sa sain-
fait étouffée. teté , que les Beys eux-mêmes n'osaient
Ordinairement le Bey fait couper le plus poursuivre un homme qui s'y était
poignet aux voleurs. La sentence pro- réfugié : le Bey maintenant régnant n'a
noncée, ceux-ci sont conduits pour être osé y faire saisir qu'un seul assassin
opérés à l'hôpital maure, où un juif exé- qui avait égorgé impitoyablement deux
cute le jugement et ampute tant bien petits enfants pour se venger de leur
que mal la main dans l'articulation avec père. Le privilège de la mosquée a dû
un mauvais couteau. cette fois céder devant i'énormité du
Autrefois on trempait le moignon crime et l'indignation générale.
dans du goudron chaud, il en résultait Si cependant le Bey veut absolument
ce qu'il pouvait au mutilé; mais aujour- avoir en son pouvoir quelque malfaiteur
d'hui on fait quelquefois une ligature réfugié dans une des mosquées privilé-
aux grosses artères, ou bien on les tam- giées, voici le moyen qu'il emploie, et
ponne avec de la charpie, sans s'inquié- dont le succès est infaillible.
ter aucunement des suites de l'opération. Il envoie des maçons à la mosquée,

La main coupée est attachée à une fi- avec l'ordre de murer la porte et les
celle et suspendue au col du voleur, qui, fenêtres de la chambre où se trouve le
ainsi châtié, est promené par la ville as- , réfugié , en ne laissant qu'une petite
sisà rebours sur un âne au milieu des
, ouverture par laquelle la voix peut à
huées générales. peine passer cela fait, deux gardes y
:

Le chef des médecins maures (Hakim- sont placés avec la consigne de ne laisser
Bâchy) profite souvent de l'occasion d'un donner au reclus aucune espèce de
de ces supplices pour exercer une avanie boisson ni d'aliments ; il est vrai que
sur quelques chirurgiens européens, en par ce moyen on ne force pas directe-
les faisant appeler par des soldats et les ment le délinquant à sortir de son asile;
contraignant à pratiquer une opération mais, pressé par la faim et par la soif
aussi répugnante. Mais, dans le fond, son il ne tarde pas à demander lui-même son

but réel n'est guère que de les exposer à extraction du saint lieu et sa comparu-
une démarche désagréable et de leur ex- tion devant le tribunal du Bey.
torquer quelque argent au bénéfice du Ces mosquées servent particulière-
juif qui fait l'amputation. ment d'asile aux débiteurs poursuivis
Il y a à Tunis quatre mosquées jouis- pour leurs dettes, et ils s'y trouvent
sant du privilège d'immunité ou d'asile complètement à l'abri des poursuites
et où beaucoup de malfaiteurs se réfu- de leurs créanciers; ils y restent ainsi
gient pour se mettre à l'abri des pour- jusqu'à ce qu'ils aient pu les solder,*
suites de la justice. Cette immunité est ou prendre des arrangements avec eux;
accordée aux mosquées en l'honneur du s'il leur survient cependant quelque
saint musulman ou du fondateur qui y affaire trop importante, et qu'ils soient
ont leur sépulture; cette prérogative absolument obligés de sortir, ils peu-
est attribuée non-seulement à la mos- vent le faire sans crainte d'être moles-
quéeelle-même, mais encore à un certain tés en se munissant d'un chapelet du
espace de terrain qui l'avoisine; de sorte cheykh de la mosquée qui leur sert
que les chrétiens et les juifs peuvent d'asile. Ce chapelet ne se délivre guère
également y trouver un refuge ce qui , par celui-ci qu'à raison de la rétribution
n'est pas absolument rare, surtout lors- d'un sequin Mahboub ( sept francs envi-
qu'ils sont poursuivis pour dettes. ron de notre monnaie) que le débiteur
Mais entre toutes les mosquées qui paye par jour au cheykh dont il obtient
jouissent de ce privilège, il n'y en a ce sauf-conduit.
aucune qui soit en si grande vénération Les Qâdys jugent communément les
que celle de Qayrouân, la ville la plus causes sommaires et les contestations
considérable de la Régence , après celle minimes; mais il y a à Tunis un autre
de Tunis : cet édifice est même si vénéré tribunal supérieur, qui est formé par la
e
5 Livraison. (Tunis.) 5
66 L'UNIVERS.
réunion desQâdys et des jurisconsultes mans ne payent aucune contribution
Les Maures le nom-
les plus instruits. personnelle ou foncière, ni même d'im-
ment Mohakemét-és-Cheryah , ou le position relative à l'état qu'ils exercent;
tribunal du droit divin , le tribunal lé- ce n'est que sur les productions terri-
gal (1). Celui qui croit n'avoir pas été toriales que le Bey perçoit le dixième
bien jugé par les Qâdys particuliers ou de leur valeur brute.
même par Je Bey peut porter son appel La source la plus fertile du revenu
devant ce tribunal, et quelquefois le Bey public, et en même temps la plus rui-
lui-même renvoie à cette juridiction neuse pour les contribuables, provient
certains procès , mais surtout lorsqu'il des gouverneurs ou Qâyds, établis dans
veut favoriser une partie; car, malgré le chaque arrondissement.
proverbe que j'ai cité ci-dessus (2), ce tri- Eneffet, chaque district a un Qâyd(3),
bunal est toujours plus modéré dans ses qui est obligé de payer annuellement au
sentences, quoique souvent il soit beau- Bey une somme déterminée ; et s'il veut
coup trop tardif à les rendre. Les plai- jouir de quelque considération auprès
deurs peuvent aussi s'y présenter direc- du Bey surtout s'il veut rester dans son
,

tement et sans avoir besoin d'un arrêt emploi, il faut qu'outre cette somme
de renvoi ou d'un acte d'appel. fixée d'avance, fasse parvenir à ce prince
i I

Il y a un juge particulier pour les de temps en temps , dans le courant de


Turks un pour les Maures et un pour
, , l'année, un présent particulier, en argent
les Bédouins. Dès que le juge a prononcé ou en denrées, que chacun d'eux s'ef-
sa sentence , il frappe un coup avec un force à l'envi de rendre le plus considé-
petit marteau de bois , ce qui indique rable qu'il peut.
que tout est terminé et que toute Sous de telles conditions, le Qâyd')ouit
réplique ou observation est entièrement d'un pouvoir absolu dans son arrondis-
inutile. sement; il peut avec assurance exercer
C'est dans ce même tribunal que se toute espèce de vexations, d'extorsions ,
décide plus particulièrement tout ce d'avanies ; et ce n'est guère que par ces
qui a rapport à l'infraction des lois de moyens illicites qu'il parvient à recueil-
la religion mahométane , ainsi que les lir la somme qui doit être envoyée au
contestations entre sectaires de rits Bey.
différents. Le Qâyd dans son dis-
est d'ailleurs
chef administratif et juge.
trict à la fois
CHAPITRE IX. Nulle contestation ne peut être portée
devant lui sans lui payer une somme
Administration intérieure; —
contributions;
—revenus publics ; —
Qâyds, gouverneurs plus ou moins considérable; cette
d'arrondissement ; —
leurs redevances an- somme est toujours relative à la nature
nuelles; —
leurs exactions; réclama- — de la cause et proportionnelle à la for-
tions; —
ministre, garde du sceau de la tune de la partie qu'elle concerne.
Régence; —
ambassadeurs; discrétion — Mais, malgré l'omnipotence accordée
exigée de tous les sujets de la Régence sur au Qâyd dans son district, il en est de
les affaires d'europe; —
service intérieur cet emploi comme de bien d'autres, il
du palais ; —
attentat contre la vie du Bey ; doit avoir soin, comme on dit vulgaire-

caractère de ce prince; —
sa famille. ment de plumer la poule sans la trop
,

faire crier; car si ce gouverneur pousse


La simplicité qui règne dans la partie son avidité trop-loin s'il vexe trop ou-
,

judiciaire règne également dans la par- vertement et avec trop d'impudeur, il


tie administrative. Les habitants musul- court risque d'être destitué par le Bey
le

(i) Le mot arabe Cheraa, dont celui de


et d'être à son tour dépouillé de toutes
Cherjah est dérivé, signifie proprement la ses richesses mal acquises.
loi divine, le code religieux; mais il signifie Il n'est pas rare, en effet, de voir ar-

encore la loi civile, et même la loi criminelle, river chez le Bey une nombreuse dé-
parce que l'une et l'autre jurisprudences n'ont
pour base que les prescriptions du Koran et (3) C'est du mot arabe êl-Qâyd ou âl-
de la tradition sacrée. ( J. J. M. ) Qâyd, que Espagnols ont formé leur titre
les
(2) J^oyez t ci-dessus, page '64. $ Alcade. (J.J. M.)
m\
putatîondes habitants d'un district, qui Le Bey envoie quelquefois, auprès des
vient solliciter le changement de leur gou- puissances européennes qui bordent ies
verneur quelque fondement qu'aient
:
côtes de la Méditerranée et ayoisinent
leurs réclamations et leurs plaintes , le ses États, des ambassadeurs (Eltchys),
Bey paraît toujours se refuser à les qu'il choisit parmi les riches personna-
écouter mais, comme il leur importe de
;
ges qui l'entourent; ces ambassades
ne pas retourner dans leur pays sans n'ont guère d'autre but que celui de
avoir réussi dans leurs démarches, qui remplir quelques formalités cérémo-
les exposeraient infailliblement à la nielies , ou quelquefois de nouvelles né-

vengeance du Qâyd accusé par eux ils ,


gociations commerciales.
insistent de nouveau auprès du prince, Au reste, ces ambassadeurs ne sont
et ils viennent ordinairement à bout bien reçus par le Bey à leur retour qu'au-
d'obtenir la destitution demandée, par tant qu'ils rapportent des présents, of-
le présent d'une somme d'argent, qui ferts à la Régence par les princes à la
édifie la conscience du Bey , et fait pen- cour desquels ils ont été envoyés car ;

cher la balance en leur faveur. c'est là ordinairement tout le résultat


Quoi qu'il en soit, les mécontente- que le Bey attend de leur mission diplo-
ments du public envers ies Qâyds qui matique ils doivent de plus se garder de
:

gouvernent les divers districts de la s'entretenir avec les Tunisiens des Etats
Régence sont loin de déplaire au Bey, dans lesquels ils ont séjourné, et surtout
qui y trouve un triple intérêt 'l le:
de se permettre aucunes réflexions corn»
;
présent des réclamants dont je viens de paratives soit en bien soit en mal , entre
!
parler; 2° Sa spoliation du fonctionnaire ies princes européens et le Bey de Tunis.

destitué; 3° le tribut que lui rapporte En effet, pour plaire à ce prince, une
la nomination nouvelle; car ce ne sont qualité importante est surtout une dis-
guère que des personnages très-riches crétion à toute épreuve : et si un envoyé
|

;
ou des favoris qui peuvent aspirer à ces manquait à cette obligation, s'il parlait
!

sortes d'emplois et c'est encore par


,
de la magnificence d'un pays ou d'un gou-
un présent qu'ils doivent acheter du vernement, qu'il aurait observée pendant
prince leur nomination à la place du son ambassade; s'il osait surtout en
gouverneur dépossédé. comparer l'étendue, la richesse, la cul-
Le Bey n'a qu'un seul ministre, qu'on ture, la force militaire ou maritime avec
) nomme communément Zou-l-Khâtem, celles de la Régence, ses assertions ris-

j
ou Sahab-tabaa , c'est-à-dire garde du queraient d'être tournées en contes ri-
sceau, parce que c'est lui qui imprime dicules par les courtisans du Bey, si
le cachet du Bey sur les ordres qui éma- même il n'était pas accusé d'être devenu
nent du prince ; cachet qui remplace dans un mauvais Musulman et le partisan
tout l'Orient la signature sur les actes des Chrétiens, pour lesquels la popula-
usitée en Europe. tion mauresque tout entière professe un
Au reste, ce ministre a très-peu de pou- mépris souverain et une prompte dis-
,

voir^ on doit plutôtleconsidérer comme grâce ne manquerait pas de payer l'im-


un conseiller privé, attaché aux intérêts prudence de l'ex-ambassadeur indiscret.
du Bey, que comme chef réel d'une
le L'anecdote suivante, que je puis d'au-
vaste administration. Celui qui était en tant mieux citer que je la garantis comme
I place pendant mon séjour à Tunis était m'étant personnelle fournira au lecteur
,

ï Géorgien d'origine, et avait appartenu un double exemple et du mépris géné-


I primitivement au QâydÛeSufrah, l'un ral des Maures pour les Chrétiens, et de

[
des plus riches et des plus puissants di- la discrétion sévèrement imposée par le

i gnitaires de la Régence. Ce Géorgien Bey à tous les sujets de la Régence, pour



jeune, bien fait et d'une figure agréable, tout ce qui a rapport aux affaires des
j
fut donné par son maître au Bey , qui puissances européennes.
en reconnaissance des preuves d'attache- Lorsque je me rendais au palais du
ment qu'il en reçut, le fit passer promp- Bey pour mon service auprès de lui,
tement par tous" les grades de la milice, j'entrais ordinairement par la porte
et l'ëleva enfin aux fonctions aussi ho- principale , et parfaitement connu des
,

norables que lucratives du ministère. portiers, jamais la moindre difficulté


5.
, ,

68 L'UNIVERS.
n'avait arrêté mon passage. Un jour officieusement le rapport : toujours est-

pourtant , revenant d'un des quartiers il que le Maure


moi nous reçûmes
et
intérieurs de la ville, où mes affaires l'ordre de nous rendre devant lui.
m'avaient conduit, je voulus, pour abré- Je racontai le sujet et les détails de la
ger ma route et m'éviter un long cir- querelle ; le Maure, tout fier d'avoir dé-
cuit, passer par une petite porte laté- fendu l'honneur de son prince et de son
rale qui devait me faire entrer directe- pays, répéta lui-même les sarcasmes
ment et sans détour dans la partie du qu'il s'était permis contre la France et
palais où m'appelait mon service; mais son Empereur il comptait par là assu-
:

le Maure chargé de la garde de cette rer le gain de sa cause; il se trompait


petite porte ne me reconnaissant pas
,
,
son indiscrète apologie du Bey et de la
ou plutôt affectant de me méconnaî- Régence, au détriment de Bonaparte et
tre me refusa l'entrée , et même me
, de la France n'obtint d'autre récom-
,

repoussa avec quelque brutalité. pense que cent coups de bastonnade


II s'éleva dès lors une rixe entre nous administrés sur-le-champ devant moi
deux. « Je suis musulman, s'écriait le puis l'envoi aux galères pour six années :

« Maure, et nuls autres que des Musul- j'ajouterai que depuis cette scène le Bey
« mans ne passeront par cette porte. » sembla me traiter avec plus de bienveil-
Puis fl répétait avec arrogance « Je suis lance encore qu'auparavant et il est inu-

: ;

« au service du noble Bey de Tunis. tile de dire que le passage par aucune
« Et moi aussi répondais-je , je suis
, des portes ne me fut plus refusé.
« maintenant au service de ton Bey La conduite du Bey de Tunis dans cette
;

« mais , de plus, je suis Français et je , circonstance semble prouver qu'en effet


« n'ai pas cessé d'être au service de Bo- il est loin de partager les préjugés de ses

« naparte , le vainqueur de l'Egypte, le sujets à l'égard des Européens ; mais,


« grand empereur des Français, l'ami et quelle que soit l'opinion réelle de ce
« le protecteur de ton noble maître. » prince -sur les Chrétiens, il est néan-
A cette réplique, la fureur du Maure moins constant qu'il en a toujours un
ne connut plus de bornes « Un: assez grand nombre à son service , et
« chien de Chrétien, hurla-t-il, oserait-il qu'il se plaît à leur accorder sa confiance,
« se dire l'ami, le protecteur d'un magna- beaucoup plus qu'aux Turks eux-mêmes
« nime prince musulman ; non non , , et surtout qu'aux Maures naturels du
« Allah n'a pas permis cet outrage à sa pays.
« sainte religion Tu mens, Roumy (1)
! ! Le
service intérieur des appartements
« Et qu'est-ce, après tout, qu'un Bona- du palais est fait par six jeunes garçons
« parte auprès du trône sublime de italiens, qui ont été enlevés il y a quel-
« notre Bey ? Qu'est-ce que le pays des ques années par quelques corsaires sur
« Français auprès de notre belle Ré-
, les côtes de la Toscane et de la Sicile
« gence? Je l'ai vu, leur pays, dans une avec lesquels la Régence de Tunis était
« des courses auxquelles j'ai pris part alors dans un état d'hostilité permanent,
« je suis descendu sur les côtes de la état qui depuis n'a cessé que grâce à
« Corse; notre île deKerkanah, ce lieu l'intercession française.
« terrible de châtiment et de déporta- Ces jeunes gens, bienfaits, d'une tailla
« tion, est un vrai paradis auprès des ri- élégante et d'une physionomie agréable,
« vages désolés de la France. » remplissent auprès du Bey les fonctions
Je ne sais si le bruit de nos voix, dont de valets de chambre et de pages. Son
la dispute élevait de plus en plus le ton, premier favori, qui est Napolitain, le sert
parvint par hasard jusqu'aux oreilles depuis dix-sept ans; il a même amassé
du prince, ou si quelqu'un des témoins dans ce service une petite fortune, qui suf-
de cette rixe s'était hâté de lui en faire pour le faire vivre en Europe dans
firait
une honorable aisance; mais la posses-
(i) On donne en langue barbaresque aux sion de ces richesses lui est entièrement
Chrétiens et aux Européens en général ce inutile, parce que le Bey refuse obstiné-
titre, qui signifie proprement Grec , sujet de ment de rendre sa liberté.
lui
la Porte Ottomane dans la Homélie. Tout Sarcla était, il y a peu de
le
(J. J. M.) temps encore, presque entièrement peu-
TUNIS. 69

pîé d'esclaves européens, attachés soit à « son trésor : qu'elle daigne seulement
la maison du Bey, soit à celles de ses « m'appeler, lorsqu'elle sera dans sa
parents. La garde du palais est entière- « salle d'audience pour me dire à l'o-
,

ment composée de renégats sur la fidé- , « reille et en souriant quelques paroles


lité desquels le Bey se repose, malgré « insignifiantes. »
la modicité de la solde qui leur est allouée Le Bey consentit facilement à ce genre
et la rareté des gratifications qu'ils peu- singulier bouffon,
de libéralité; et le
vent espérer. lorsque le Bey d'une
lui parlait ainsi
Le Bey est, en effet, généralement par- manière gracieuse en public, ne man-
tisan de l'économie. Ses libéralités ne quait pas de répondre au prince d'un
sont presque jamais des dons pécuniai- air de confiance et en souriant lui-même,
res; et s'il veut récompenser quelqu'un comme s'il eût reçu des confidences
particulièrement, cette faveur consiste intimes bientôt cette condescendance
:

ordinairement en une licence (tezkerék) du prince pour son bouffon fut remar-
ou un privilège qu'il lui concède. Ces pri- quée et à peine eut-on observé la fami-
,

vilèges ou licences sont des permissions liarité dont celui-ci semblait être ho-
d'embarquer ou de débarquer des mar- noré , qu'on se persuada généralement
chandises, dont la quantité et la qualité de sa faveur particulière et de son pou-
sont spécifiées, et qui deviennent par là voir sur l'esprit du souverain. Dès lors
exemptes du régime de la douane. Au ce fut à lui que les solliciteurs s'adres-
reste, ces licences se transmettent et se sèrent; dès lors chaque jour de riches
négocient par des transports et des en- présents lui étaient adressés par ceux qui
dossements, absolument comme des croyaient avoir besoin de ses bons of-
lettres de change. fices. Le Bey lui demanda un jour si sa
Lorsque le Bey sort de la ville, ou bourse n'était pas trop vide depuis que
même du palais, son frère et ses deux les gratifications éventuelles avaient
cousins doivent fndispensablement, d'a- cessé : « O mon prince, répondit -il, elle
près un ancien usage, le suivre, et ne « n'a jamais été plus pleine que depuis
pas cesser de l'accompagner cet usage : « que vous n'y mettez plus rien. » On
paraît n'avoir d'autre origine que la voit donc que la Barbarie a aussi ses
craiiite d'une tentative de leur part pour Roquelaures.
s'emparer de l'autorité par quelque coup Quoi qu'il en soit, le Bey était autre-
de main, que favoriserait, pendant un fois d'une rigidité sans égale envers
moment d'absence, la suspension d'une les gens de son service particulier; il
surveillance incessante et immédiate. leur défendait de converser entre eux;
Dans ses moments de loisir, le Bey et dès qu'il s'apercevait que deux de
s'entretient volontiers avec quelques- ses esclaves se disaient deux mots à
uns de ses courtisans ou admet auprès
, voix basse, il leurfaisait payer cette com-
de lui quelques bouffons, qui par leurs munication interdite par cent ou deux
jeux et leurs plaisanteries font leurs ef- cents coups de bastonnade.
forts pour l'égayer : un de ceux qui C'est vraisemblablement cette rigueur
depuis quelque temps s'était livré à cette excessivedu Bey qui contribua à déter-
espèce de profession, et qui recevait miner, y a quelques années, trois de
il

quelquefois du prince une douzaine de ses mamelouks à concerter contre lui un


sequins, ayant pensé que ses lazzis n'é- complot d'assassinat.
taient pas suffisamment récompensés, Les conspirateurs s'introduisirent
imagina un tour d'adresse assez spirituel après minuit dans la chambre du prince,
pour accroître ses bénéfices. avec l'intention de lui couper la tête avec
Un jour que le Bey , satisfait dune de leurs yatagans; mais, réveillé en sursaut
ses plaisanteries, lui avait présenté quel- par cette brusque attaque, le Bey se dé-
que argent, le bouffon pria très-humble- fendit vigoureusement contre ses assas-
ment le prince de ne plus lui en donner sins et sa longue barbe ayant empêché
;

à l'avenir : « Que votre Altesse, ajouta- le couteau de pénétrer dans sa gorge


it t-il, daigne, en remplacement de toute il en fut quitte pour deux blessures au

« gratification pécuniaire, m'accorder visage et une autre très-légère au col. Le


« une faveur légère qui ne coûtera rien à ministre qui couchait dans une cham-
,
,

70 L'UNIVERS.
bre adjacente à celle du Bey, accourut çue, on sera étonné de reconnaître en fui
au bruit, et en cherchant à défendre son un jugement aussi sagaceetaussi éclairé.
maître il reçut, au milieu de l'obscurité, Il parle, lit, et écrit facilement l'arabe
un coup de poignard dans la poitrine et et leturk; langue franque, c'est-à-
la

un coup de pistolet dans la cuisse; l'un dire cet italienou provençal corrompu
des trois assassins fut coupé en mor- qu'on parie dans le Levant , lui est éga
ceaux par les gardes qui vinrent au se- lement familière il avait même voulu
:

cours du Bey et les deux autres, voyant


, essayer d'apprendre à lire et à écrire l'i
leur attentat manqué, désarmés et en- , talien pur-toscan; mais les chefs de la
fermés provisoirement dans une des religion l'ont détourné de cette étude,
chambres du palais s'y tuèrent récipro-
, qu'ils prétendaient être indigne d'un
quement avec leurs pistolets, pour prince musulman.
échapper aux cruelles tortures qui les Une longue expérience jointe à sa sa-
attendaient. gacité naturelle lui ont donné une facilité
Cet événement avait fait naître diffé- surprenante pour deviner et apprécier le
rents soupçons sur les chefs présumés caractère et les qualités de ceux qui rap-
de cette conspiration, dont les trois prochent dans la discussion d'une affai
:

assassins ne semblaient être que les re, sa manière de raisonner est précise,
exécuteurs mais on n'a jamais pu vé-
: concise et pressante il saisit avecpromp
:

rifier jusqu'à quel point ces soupçons titude et habileté le point essentiel d'une
pouvaient être fondés. question, et en juge avec autant de pé-
Il se répandit néanmoins un bruit qui nétration que de sagesse : la dissimula-
assignait à cet attentat une autre cause; tion est surtout son talent principal , et
on prétendit que quoique le Bey en fût
,
lorsque l'occasion le demande il joue
la victime immédiate, la conspiration son rôle avec un air naturel dont un co-
était réellement dirigée contre le minis- médien consommé lui envierait l'expres-
tre : on assure que les trois conjurés sion factice.
ayant subi de mauvais traitements de la Si dans l'art de gouverner il ne possède
part de ce haut fonctionnaire, auquel le pas à un degré éminent les qualités qu'on
Bey avait confié la garde particulière regarde comme devant être propres aux
de sa personne, ils avaient imaginé ce grands hommes d'État en Europe s'il ,

moyen étrange de le compromettre et de paraît étranger aux nobles idées qui ca-
le perdre, en s' évadant, comme ils l'espé- ractérisent un génie supérieur, il faut
raient, après l'exécution de leur crime, considérer que c'est un souverain barba-
et en faisant peser sur le ministre même resque, ignorant les principes qui gouver-
l'accusation de cet assassinat. nent les nations civilisées ; mais sans ,

Quoi qu'il en soit de ces deux ver- s'arrêter à ce parallèle, faut avouer il

sions différentes, on assure que cet qu'il administre avec une habileté suffi-
attentat a rendu le Bey beaucoup plus sante pour son pays, qu'il tient d'une
circonspect, plus modéré et plus indul- inain ferme les rênes de son gouverne-
gent surtout avec les gens attachés à ment, et qu'il a su contenir par sa pru-
son service ; et on ajoute que le ministre dence non-seulement les velléités hosti-
lui-même, dont la excessive
sévérité les des Algériens ennemis nés de Tu-
,

avait jusque alors approché de la bar- nis, mais encore les intrigues intérieu-
barie une fois guéri de ses blessures
, I res et les troubles civils ,
qui pourraient
s'est empressé de suivre l'exemple d'in- compromettre la sûreté de l'Etat.-
dulgence et de mansuétude'que lui don- La Régence n'a jamais joui d'une tran-
nait son maître. quillité pluscomplète et d'une situation
Le Bey est d'une haute taille, bien plus florissante que sous le règne de Ha~
fait, bien proportionné dans sa stature, mouda h- Pac hâ ;.jamais les sujets tuni-
et peut, à juste titre, être considéré siens n'ont joui de plus d'indépendance
comme un des plus beaux hommes de et de sécurité à l'égard de leurs ennemis
Tunis : sa physionomie porte le carac- extérieurs; les troupes établies sur le
tère de la finesse et de la perspicacité il : pied actuel sont mieux payées qu'elles ne
a beaucoup d'esprit naturel; et si l'on l'ont été sous le règne d'aucun de ses
considère l'éducation bornée qu'il a re- prédécesseurs ; et quoiqu'on doive les
TUNIS. n
considérer plutôt comme une bande de ticulière contre l'ivrognerie et contre les
pillards que comme une armée régulière, délits qu'elle entraîne après elle.
elles suffisent à la défense au dehors Hamoudah-Pachâ a plusieurs fem-
dans les rapports actuels de la Régence mes; mais ilpasse peu de temps dans
avec ses voisins, et à l'intérieur au main- son hârem ; il y a quelques années on
tien du bon ordre, à la police telle quelle, lui amena une très-jeune esclave, dont

et à la perception des impôts. la beauté singulière fit sur son cœur

Depuis que Hamoudah-Pachâ occupe une vive impression. Cet enfant n'avait
le trône de Tunis, il ne s'est formé con- que huit ans, et le Bey confia à un de
tre lui aucune conspiration véritable ses renégats, dont il connaissait les ta-
pour l'en arracher car on ne peut don-
;
lents et la fidélité l'éducation de la fu-
,

ner le nom de conspiration à l'échauf- ture odalisque ; mais une fièvre maligne,
fourée dont le guet-apens fortuit et qui causa de grands ravages sur la
improvisé mit ses jours en danger, mais ville entière, moissonna peu de temps
qui n'eut aucune portée politique (l). après cette jeune plante avant que son
Le défaut principal qu'on puisse re- âge eût permis sa transplantation dans
procher au Bey est son avarice et sa cu- le palais du prince : vivement touché de
pidité, fruit de ses fausses maximes sur cette perte, le Bey paraît avoir entière-
la manière dont les hommes doivent ment renoncé aux plaisirs du hârem.
être gouvernés cette avidité le porte à
: Tous ses enfants étant morts en bas
opprimer ses sujets et particulièrement âge et n'en ayant plus pour succéder à
à ruiner le commerce tunisien en se li- son trône, Hamoudah-Pachâ vit sur le
vrant pour son propre compte à des spé- pied le plus amical avec ses cousins, qui
culations commerciales dont aucun né- sont ses héritiers naturels, ainsi qu'a-
gociant particulier n'est en état de sou- vec son frère et ses neveux , qui habitent
tenir la concurrence. continuellement le Bardo. Ses neveux,
Un autre défaut que Hamoudah-Pa- ayant avec eux leurs femmes et leurs en-
châ avait manifesté dans sa jeunesse, fants, accompagnent leur oncle toutes les
mais dont il s'est corrigé depuis, c'est le fois qu'il sort, et prennent part à tous
penchant à l'ivrognerie ; malgré l'inter- ses plaisirs. On ignore encore quel est
diction portée contre le vin par la loi celui de ces jeunes princes qu'il choisira
musulmane, ce prince en buvait avec pour son successeur ; ils sont au nombre
un tel excès, que souvent son ivresse de quatre, dont deux du côté de son frère,
associait à ses orgies ses courtisans, ses deux du côté de sa sœur, tous à peu près
officiers, jusqu'à de simples soldats et de même âge, et quoique lorsque je ré-
ses esclaves eux-mêmes. sidais à Tunis aucun d'eux n'eût encore
Un jour qu'à cet état d'abrutissement atteint la majorité, ils étaient tous déjà
et de déraison il joignit un accès de co- mariés et avaient des enfants.
lère furieuse, il avait ordonné à son mi- L'opinion générale désignait alors
nistre un assez grand nombre d'exécu- l'aîné des fils du frère du Bey comme de-
tions contre des tapageurs
capitales vant un jour succéder à son oncle ; il m'a
dont crime était d'avoir imité
le seul paru à cette époque être un jeune homme
leur souverain dans ses excès bachi- d'un naturel assez doux, mais dont le
ques la réflexion fit naître le repentir
; caractère et l'esprit ne manifestaient au-
dans l'esprit du prince lorsqu'il sortit cunes qualités supérieures. Au reste,
de son ivresse; heureusement que son quoique le plus âgé de ces princes ait
prudent ministre avait osé prendre sur montré quelque prudence dans sa con-
sa responsabilité un sursis à l'exécution duite, aucun d'eux ne paraissait devoir
des ordres qu'il avait reçus. Au reste, le hériter du mérite et des qualités person-
repentir du Bey porta d'excellents fruits. nelles de leur oncle (2).
Depuis ce temps ce prince renonça en-
tièrement à l'ivresse, et même à l'usage (2) Hamoudah-Pachâ a eu pour successeur
du vin etonremarquegénéralementque
; son frère Oihmân, qui trois mois après fut rem-
sa sévérité se signale d'une manière par- placé par son cousin Mahmoud, l'un des fils de
Mo'hamed-Bey, écarlés du trône par Aly-Bey.
(i) Voyez ci-dessus ,
page 69. (J. J.M.)
72 L'UNIVERS.
que la Régence de Tunis n'ait a s
CHAPITRE X.
solde habituelle que tout au plus neuf
à dix mille hommes de troupes, réparties
Forces militaires de la Régence ; troupes—
de terre ; —
recrutement ; —
soldats turks ;
dans tout le territoire.
—soldats maures ; —
troupes arabes
Les trois quarts au moins des milices
auxiliaires —
guerres —
tournées fis- qui sont à la solde habituelle du Bey

; ;

cales et militaires violences commises sont formées de corps de cavalerie , le


turks; —
;

par les soldats forces maritimes; service de l'infanterie étant en général mé-
— pusillanimité de quelques États Euro- prisé chez les peuples barbaresques , et
péens envers la Régence. aucun corps d'artilleurs n'y est attaché,
les canons que possède la Régence n'y
L'entretien des forces militaires est étant employés qu'à la défense des forts
une des plus grandes dépenses auxquelles et à l'armement des vaisseaux.
sont nécessairement assujetties les Puis- Le tiers environ de ces forces mili-
sances européennes; il n'en est pas taires si peu redoutables est composé de
ainsi à l'égard de la Régence de Tunis, soldats turks asiatiques , qui passent
et tout concourt à rendre pour le trésor pour être plus courageux que les Mau-
du Bey cette charge très-modérée. res, et que le Bey recrute dans le Le-
Les principales causes de cette écono- vant d'où il les fait venir, par petits
mie sont l'esprit parcimonieux qui règle corps détachés, sous la conduite de chefs,
en général toutes les parties du gouver- de la même nation.
nement, position territoriale du pays,
la Si l'on devait juger cette classe
la facilitéde contenir les populations, d'hommes, ainsi ramassée, d'après tout
et surtout la conduite habituelle des ce que j'ai pu en voir pendant mon sé-j-
Puissances qui peuvent être en guerre jour dans la Régence, il est certain
avec la Régence. qu'on ne saurait la considérer en général,
En effet, il ne s'agit pas à Tunis de ras- que comme une vile canaille, indigne du
sembler, pour la défense du territoire, nom de soldat, redoutée des habitants
et de tenir continuellement sur pied des campagnes, mais méprisée de ceux
une masse considérable d'hommes ré- des villes; et j'ajouterai que le Bey lui-;
gulièrement enrégimentés, de les divi- même est bien loin de leur accorder la
ser en bataillons, en compagnies, en moindre confiance: plus j'ai vu ces ban-
escouades , .pelotons, hiérarchiquement des grossières et ignorantes, et plus je.
coordonnés, sous des chefs permanents et me suis convaincu qu'elles étaient abso-
convenablement instruits; bien moins lument semblables à celles qui , poussées:
encore de les discipliner, de leur ensei- contre l'Egypte du fond de l'Asie Mi-
gner les exercices , les évolutions et la neure, sont venues, à plusieurs reprises,
tactique militaire, d'assurer l'exactitude essayer de nous arracher notre conquête,
de leur solde et de leur nourriture de , mais dont les victoires d'Aboukir, de
les habiller d'une manière réglée et uni- Damiette et d'Héliopolis, ont si sévère-
forme, afin d'avoir ainsi à chaque instant ment châtié les tentatives téméraires.
sous la main un corps d'armée prêta voler Je dois avouer que les soldats orien-
au combat, ou à se porter partout où taux ne manquent pas d'un certain cou-
pourrait l'appeler la répression de quel- rage , surtout lorsqu'ils s'aperçoivent
que désordre. que leur ennemi leur est inférieur en
On n'a, au contraire, dans ce que l'on force, ou lorsqu'ils le voient prendre la
peut appeler l'organisation militaire de fuite ; on peut même leur accorder quel-
la Régence, d'autre but que celui de se que bravoure individuelle dans un com-
procurer, à certaines époques de Tannée, bat d'homme à homme. Mais d'après
la disponibilité du petit nombre de toutes les observations que j'ai été à
soldats strictement nécessaire pour as- portée de faire sur les hommes dont se
surer au souverain, dans chaque arron- composent ces milices, j'ai dû me per-
dissement, la rentrée des revenus pu- suader qu'ils ne seraient pas moins pol-
blics; et l'on sera, sans doute, bien sur- trons que les milices ottomanes qui
pris d'apprendre qu'un prince qui est nous attaquèrent en Egypte, s'ils étaient
le maître absolu d'un pays aussi étendu obligés de marcher à la rencontre de
TUNIS.
permet envers les chrétiens ou les
troupes disciplinées et connaissant la se
tactique militaire des Européens. juifs, il risquerait de la dégoûter de son
Toutes leurs connaissances dans l'art service, et de passer pour un mauvais
de la guerre se bornent à manier un sa- musulman.
bre avec quelque dextérité, à charger Quoique les milices tunisiennes ne
un fusil avec la plus grande lenteur, et portent pas d'uniforme, comme nos
à le tirer sans ensemble et de la manière troupes d'Europe, il n'est pas cependant
difficile de reconnaître les soldats turks
la plus irrégulière ; n'attendez pas d'eux
des feux de peloton, ou des feux de dont elles sont composées, au costume
levantin qu'ils ont conservé à leur
file ;tout se borne dans leurs attaques ,

à des coups de fusil ou de pistolet, ti-


physionomie toute différente de celle des
lés isolément, et suivant la fantaisie Maures, et particulièrement aux armes
de chacun d'eux. Ils évitent surtout dont ils sont pour ainsi dire bardés : ces
autant que possible de s'exposer aux armes consistent au moins en deux ou
chances d'une attaque générale ; cepen- quatre pistolets fort longs en un large
,

dant l'appât du butin les engage quel- poignard et un yatagan, qu'ils portent à
quefois à se jeter dans les plus grands la ceinture, et souvent en une carabine

dangers ces attaques partielles sont


:
de fort calibre, jetée en bandoulière der-
toujours exécutées au milieu de hur- rière leurs épaules, avec la poire à pou-
lements semblables à ceux des bêtes fé- dre et la petite giberne bien garnie de
roces, et elles ne sont nullement coor- cartouches.
données ni même dirigées par des chefs, Les deux autres tiers des forces mi-
car je ne crois pas qu'il y ait au monde litairesde terre se composent de Maures :

des soldats plus insubordonnés que cette classe de soldats est moins consi-
ceux-ci. dérée que les milices turkes; on les
En dépit de l'interdiction du vin et croit moins courageux et moins bons
des liqueurs fortes portée par les lois soldats, peut-être parce qu'ils sont
musulmanes, ils passent leur vie dans moins insolents et qu'on est moins ex-
une ivresse presque continuelle, et on posé à leurs violences.
les rencontre fréquemment, ainsi privés L'expérience a prouvé que ce petit
de raison, parcourant par bandes les nombre de troupes est plus que suf-
rues de la ville leur khandjâr nu à la
,
fisant pour maintenir l'ordre dans le

main, épouvantant les passants et se


, pays, tant que la Régence est en état de
livrant surtout aux plus grandes vio- paix ; mais toutes les fois que le Bey s'est
lences contre les juifs et contre les chré- trouvé engagé dans quelque guerre, soit
tiens; au reste, quoique leur insolence avec le Pacha de Tripoli, soit avec les
soit moins turbulente lorsque, par ha- Beys d' A Iger ou de Constantine, il a été

sard ils se trouvent hors de cet état pres-


,
forcé de réunir une force militaire plus
que habituel d'ivresse, néanmoins la ren- imposante, et il peut, dans de telles cir-
contre de ces troupes désordonnées fait constances, rassembler sous ses dra-
toujours craindre quelque insulte aux peaux une armée de quarante à cinquante
habitants paisibles qui se trouvent sur mille combattants. Voicila manière dont
il s'y prend alors pour se la procurer.
leur passage.
L'Européen qui, dans les rues, ne leur Après avoir réuni tous les corps d'ar-
céderait pas la droite s'exposerait in- mées qu'il tient à sa solde, il fait par-

dubitablement à quelque mauvais traite- venir à toutes les tribus des Arabes
ment; car leur orgueil leur fait croire Bédouins un appel général, les invitant
qu'ils seraient déshonorés s'ils cédaient à venir dans ces conjonctures au secours
la droite à un infidèle. Les scènes de de la Régence, offrant à ces auxiliaires
cette nature, qui se multiplient chaque l'appâtqui peut le plusles tenter, l'espoir
jour, restent presque toujours impunies, d'un riche butin et du pillage des camps
quoiqu'elles ne soient pas ignorées du ennemis.
Bey, qui feint ordinairement de ne pas Alors, d'après un ancien usage uni-
en avoir eu connaissance si, d'ailleurs,
: versellement établi, chaque tribu s'em-
il voulait châtier cette soldatesque ef- presse de lui fournir un certain nom-
frénée pour chacune des insultes qu'elle bre de combattants , conduits par des
74 L'UNIVERS.
chefs choisis dans chacune de ces peu- pulations les torrents de sang que coûtent
plades errantes. Jamais les tribus arabes les grandes batailles ?
ne manquent à cet appel, attirées par Depuis un temps immémorial, les Beys
l'espoir du butin à faire, non-seulement de Tunis et les gouverneurs qui les ont
sur leurs ennemis, mais encore sur les précédés dans ces contrées sont dans
sujets même de la Régence dont elles tra- l'usage de faire marcher, deux fois par
versent le pays en se rendant au ren-
: an, dans les divers districts de la Régence
dez-vous désigné par le Bey, les Bédouins plusieurs colonnes mobiles de troupes
portent avec eux leurs armes et leurs pour faire opérer la rentrée des contri-
bagages, comme tentes, munitions de butions; la plus considérable de ces co-
bouche et de guerre, et en général tout lonnes est la division turke, forte d'en-
ce qui est nécessaire pour leur campe- viron deux mille hommes: son départ
ment et même, ce qui paraîtra sans
; est annonce huit jours à l'avance, d'après
doute singulier, ils amènent aussi à leur un ancien usage, parles salves de toute
suite leurs familles entières, leurs cha- l'artillerie des différents forts.
meaux et leurs troupeaux de toute es- Pendant les deux journées qui pré-
pèce. cèdent immédiatement celle dans la-
Chaque tribu marche isolément, et quelle l'expédition quitte Tunis, la cons-
établit son camp à part, sous le com- ternation et la terreur régnent dans toute
mandement de son chef respectif. Il la ville : les chrétiens, les juifs, et même ,

n'y a pas parmi ces combattants de beaucoup de maures, n'osent sortir de


piétons, tous sont à cheval et générale- chez eux, dans la crainte d'être insultés,
ment bons cavaliers. Les chevaux qu'ils volés et maltraités, par ces soldats in-
montent maintenant n'ont plus rien de disciplinés, presque toujours alors livrés ;

commun avec la raceprimitive des à une ivresse furieuse, qui, le poignard


chevaux autrefois si renommés des Car- nu, ou le pistolet au poing, exigent im-
thaginois et des Numides; et il est très- pérativement de l'argent de ceux qu'ils
rare de trouver chez eux un cheval rencontrent dans les rues, ou même leur j

remarquable par sa beauté. Cependant, enlèvent de force leurs habillements, de ;

quoique le défaut de soins ait fait dégé- manière à les laisser souvent entièrement j

nérer à ce point l'espèce chevaline, on y nus sur la voie publique.


rencontre encore quelquefois de bons Il n'est pas rare d'apprendre que quel-
]

coursiers, qui réunissent des qualités ques malheureux passants ont été griè- ;

précieuses, malgré leur maigreur rebu- vement blessés, ou même massacrés,


tante et leur mauvaise mine. dans ces scènes d'un désordre qui ne
La manière de se battre habituelle fait que s'accroître la veille et le jour
aux Bédouins est presque toujours même du départ.
d'homme à homme; mais dès qu'il en Ce dernier jour surtout la ville en-
est tombé une cinquantaine sur le champ tière semble être une place prise d'as- j

de bataille, la tribu qui les a perdus re- saut, tant retentissent de toutes parts
garde, pour cette fois, la victoire comme les coups de pistolet et de fusil, que
décidée contre elle il arrive même: ne cessent de tirer les soldats; de telle
fréquemment, après une affaire qui a eu sorte qu'on croirait se trouver sous des
de tels résultats, que les deux partis se feux de file, dans une bataille rangée.
réconcilient, et chacun d'eux, mettant Ce jour-là aussi la violence des soldats

isolément fin aux hostilités générales, turks tellement parvenue à son


est
s'en retourne sur ses pas, et rentre pai- comble, que l'on a des exemples de mai-
siblement dans son pays. sons d'habitants envahies, pillées et i

Voilà en quoi consiste la guerre chez même incendiées par ces forcenés.
ces peuples, qui se croient les plus braves En vain porterait-on des plaintes au
du monde. Les Européens ne se trouve- Bey contre ces excès à ceux qui ont
:

raient-ils pas heureux si leurs chefs ne été maltraités dans les rues il répond
faisaient la guerre que d'après un pareil qu'ils ont mérité leur malheureux sort, \

système, et évitaient ainsi à l'État les par leur imprudence à s'y exposer dans
dépenses énormes qu'entraînent les hos- une pareille circonstance : à ceux dont
tilités prolongées, comme aussi aux po- les maisons ont été pillées, il demande
TUNIS, *5
les noms des pillards, qu'on ne retrouve Au reste , lorsqu'elles reviennent de
jamais. Ainsi les malfaiteurs sont assurés leur expédition
les colonnes turkes
de l'impunité , et les victimes n'ont d'au- sont beaucoup plus tranquilles; et si
tre ressource que leur résignation et leurs les soldats qui les composent voulaient
prières au ciel pour réclamer vengeance. à leur retour se livrer aux mêmes excès
Un négociant de Raguse établi à qui ont marqué leur départ, le Bey,
Tunis avait vu ainsi sa maison saccagée, qui craignait alors d'affaiblir leur zèle
3t ses deux filles, à peine nubiles, enle- et de décourager leur dévouement par
vées par les soldats turks; il réclama sa sévérité, le but de leur tournée étant
jvec les plus vivres instances, et de- rempli suivant ses désirs , se garderait
manda justice aux autorités compétentes: bien de se montrer aussi indulgent
iprès bien des démarches, tout ce qu'il envers eux.
Hit obtenir, c'est qu'on lui rendit sa Au surplus , je dois rendre au Bey
illeaînée; mais la malheureuse, victime cette justice, qu'à l'époque où j'ai quitté
le la brutalité de son ravisseur, était la Régence il paraissait avoir compris la
mceinte : quant à la plus jeune des deux nécessité d'une répression sérieuse pour
eunes filles, malgré toutes les recher- ces excès, et d'une réforme fondamentale
ches et lesréclamations du père elle ne , dans son système d'organisation mili-
>ut jamais être retrouvée, et l'on igno- taire. Il paraissait avoir renoncé à ces
ait encore son sort pendant mon séjour enrôlements, qui ne recrutaient dans l'A-
tTunis. sie Mineure que la lie de la canaille et
Au reste, quelque temps après ce fatal le rebut des populations , vagabonds ta-
ivénenlent, on trouva dans une rue rés, capables de tout hors du bien, et me-
cartée de Tunis le cadavre d'un soldat naçant quelquefois de devenir plus dange-
urk poignardé, et l'on présuma parmi reux pour leurs maîtres, que ceux contre
es Européens, mais sans oser le dire lesquels leur force devait être employée :

rop publiquement, que ce meurtre n'était des enrôlements réguliers devaient avoir
utre chose que la Vendetta du père ou- lieu, surtout dans les îles grecques de
ragé heureusement il ne se trouva
: l'Archipel, dont les naturels, bien autre-
ias le moindre indice qui pût appeler ment civilisés que les bandits asiatiques,
ur lui, de la part des autorités tuni- étaient susceptibles à la fois de fidélité,
iennes, un soupçon qu'il aurait indu- d'ordre, d'instruction et de discipline (1).
•itablement payé 'de sa tête. Lorsqu'une Puissance européenne se
La colonne turke emploie environ trouve en état de guerre avec quelques-
eux mois dans sa tournée, qu'elle uns des États barbaresques, en enten-
mousse jusqu'au Beled-êl-Djerid ; elle dant raconter le nombre considérable de
st toujours commandée par un chef re- prises capturées par les vaisseaux des
onnu pour exercer avec sévérité ses corsaires africains, et les vexations que
onctions d'exacteur; au reste, partout font subir leurs armements aux bâti-
ur le passage de la colonne, se renou- ments marchands même des nations,

ellent les mêmes


violences et les alliées on est porté à croire que chacun
,

aêmes avanies qui ont signalé son dé- de ces Etats a réellement une force ma-
art de la ville, et je m'engagerais dans ritime considérable.
n trop long récit si je voulais raconter Il n'en est pas cependant ainsi. Parmi
ous détailsquej'aiappris, àce sujet,
les les Puissances de la côte barbaresque, le
I moncompatriote et ami Zehler, na- Bey de Tunis n'est ni le plus fort ni le
if de Strasbourg, qui pendant un assez plus faible sur mer : il n'a pas tant de
rand nombre d'années a suivi ces ex- voiles qu'eu pouvait armer le Dey
éditions en qualité de médecin et de
hirurgien du corps expéditionnaire.
(i) Ces projets salutaires ont été réalisés
Les colonnes mobiles composées de
par Hamoudah-Pachd et les Beys ses succes-
roupes maures ne font à leur départ
seurs ; bien plus, des officiers français ont été
ucun bruit dans la ville, et n'y occa- appelés à Tunis pour introduire parmi les
ionnent aucun désordre : et l'on peut troupes nouvelles delà Régence l'organisation
ire que généralement on ne s'aperçoit
'

régulière et la discipline européenne,


•aspîusdeleurdépartque de leur retour. (J. J. M.)
ÏC L'UNIVERS.
d'Alger, niais il en a plus que le Pacha larade qu'au mois de mai, et y rentre tout
de Tripoli; et cependant toutes ces for- entière en septembre, ou, au plus tard,
ces, jointes à celles que pourraient offrir en octobre, pour se mettre à l'abri du
tes côtes de Maroc, sont loin d'équivaloir mauvais temps jusqu'à Tannée suivante.
à celles que pourraient réunir les marines Pendant même le temps que dure la
européennes des côtes du nord de la Mé- course, iln'est pas rarede voir, de six se-
diterranée, et même sans y comprendre maines en six semaines, quelques-uns de
les armements de la marine française. ces bâtiments rentrer, pour se ravitail-
Il n'y a pas bien longtemps que toutes ler, ou prendre de nouveaux vivres et de
les Puissances barbaresques étaient en nouvelles provisions de guerre.
même temps en guerre contre la France : Dès le moment que l'escadre tuni-
cette circonstance me portait à croire sienne réunie dans la rade au-
s'est ,

qu'à mon arrivée à Tunis j'y trouverais cun bâtiment étranger à l'armement,
des indices non équivoques des forts ar- quelle que soit la nation à laquelle il ap-
mements que cette guerre avait dû néces- partienne, ne peut mettre à la voile
siter, et que sa rade ou ses ports m'offri- avant le départ de la flottille ; et cette me-
raient encore une escadre plus ou moins sure, qui peut être dequelque utilité pour
considéra ble ; et cependant, à mon grand la marine du Bey, n'est souvent que
étonnement, je n'ai vu dans la rade de trop préjudiciable aux intérêts des com-
Tunis, que quelques mauvais chebecks merçants et des navigateurs.
désarmés, quelques petites pinques ou Au reste, les armateurs tunisiens sont
tartanes, quelques felouques et un petit loin défaire de la course le but spécial et
nombre de chaloupes canonnières. unique de leurs spéculations maritimes,
J'appris cependant que la plupart et n'ont jamais imité, sous ce rapport,
des bâtiments tunisiens étaient station- leurs voisins les Algériens, puisqu'ils :

nés pendant l'hiver à Porto-Farina, et ne s'y livrent qu'en cas de guerre, et à


'

je dus rester ainsi dans l'incertitude sur l'égard des Puissances qui leur sonthos-
la véritable force maritime de Tunis, tiles, respectant scrupuleusement les;
jusqu'au moment où ces bâtiments vin- bâtiments des alliés et des neutres. Ce j

rent se réunir dans la rade devant la scrupule n'avait jamais arrêté les Algé- \

Gouletle, pour de là se mettre en riens, qui trouvaient toujours des pré-


course et se livrer à différentes excur- textes pour faire des prises, même sur
sions; mais on peut s'imaginer combien les sujets des Puissances dont ils rece-;
plus grande encore fut ma surprise en vaient des contributions annuelles.
voyant que cette escadre, si vantée d'a- Dans le courant de chaque été on,
vance, n'était composée en totalité que voyait arriver à Tunis plusieurs corsaires?
de seize voiles savoir une seule frégate,
; : algériens, qui, quoique sur le territoire,;
deux gros chebecks, quelques bricks et d'une Régence indépendante de la leur,
corvettes, et quelques petites pinques à se permettaient de commander en maî-
peine armées qui avaient été prises sur
,
tres dans la rade, comme s'ils eussent été
les Napolitains. chez eux leur exigence et leur insolence
;

Si à cette marine de l'État on ajoute étaient telles, qu'ils imposaient aux ca-
vingt-quatre petits corsaires apparte- pitaines des bâtiments qui s'y trouvaient
nant à des particuliers, montés par quel- à l'ancre l'obligation d'envoyer leurs cha-
ques mauvais marins et encombrés par
, loupes pour les aider à faire de l'eau et ;

autant de soldats qu'il est possible d'y si quelque vaisseau s'y refusait, les Algé-

en entasser, on aura une idée complète riens n'hésitaient pas à l'y forcer, en le
de la force maritime de la Régence. criblant de leurs boulets, ou en montant
Du reste, la plus profonde misère règne à bord et maltraitant l'équipage d'une
à bord de cette dernière classe d'arme- manière véritablement intolérable.
ment aucun des besoins de la navigation
; Les navires français eux-mêmes n'é-
n'y est prévu : ni les provisions de vivres taient pas à l'abri de ces insolentes vexa-
de l'équipage, ni les matériaux pour le ra- tions, qui cependant, il fautl'avouer, tom-
doub et les réparations des avaries éven- baient de préférence sur les marines
tuelles. Une flottille de ce genre va cha- sarde, napolitaine, toscane, génoise et
que année en course; mais elle ne quitte même espagnole. Plusieurs capitaines ont
TUNIS. 71

été battus cruellement, et des gens de


Puissances du Nord par leur position
,

leurs équipages, enlevés par les Algériens éloignée, sont forcées d'entretenir la
contre toute espèce de droit, ne leur ont paix avec le Bey, au moyen d'un présent
qu'elles s'obligent de lui envoyer tous
été rendus qu'après le payement d'une
les trois ans ; et il serait du moins bien
forte indemnité pour leur rançon. C'était
en vain que des excès aussi criants parve- à désirer que ces redevances périodiques
naient à la connaissance du Bey et des ne se composassent point d'armes de ,

consuls européens; ni le Bey ni les con- munitions de guerre, d'artillerie, de bois


suls n'osaient faire la moindre démarche de construction, et encore moins de
pour réprimer des désordres qui outra- navires construits et équipés ; car il est
certain que si le Bey n'avait d'autre
geaient a la fois et le pavillon violé et les
moyen de se procurer ces objets, qu'en
droits du territoire de la Régence.
D'après le tableau que je viens de tra- les achetant à prix d'argent, sa marine
cer des forces de terre et de mer que se trouverait bientôt dans un dénûment
possède le Bey de Tunis il est aisé de con- qui la mettrait hors d'état de tenter la
cevoir que ce prince est bien loin d'être moindre opération hostile (2).
assez puissant pour inspirer la moindre Le prince auquel on peut le plus jus-
crainte à un État quelconque de l'Eu- tement reprocher de concourir à l'ac-
rope ; et cependant, durant mon séjour à croissement de la puissance tunisienne et
Tunis, j'ai vu la Régence oser menacer d'encourager la rapacité des corsaires,
l'Espagne d'une déclaration de guerre, est sans contredit le roi de Naples; car
malgré l'infériorité si évidente de ses for- on ne peut concevoir avec quelle résigna-
ces contre celles de la marine espagnole. tion et quelle indolence il souffre que les
Il est vrai que de la manière dont on pirates lui enlèvent ses vaisseaux, déci-
a fait jusqu'à présent la guerre aux Puis- ment continuellement sa marine mar-
sances barbaresques, celles-ci ne peuvent chande, et réduisent en esclavage un nom-
que gagner aux hostilités, et la perte de- bre considérable de ses sujets , tandis
vait toujours être considérable pour les qu'il suffirait d'un seul effort de sa ma-

États européens qui ont une marine rine militaire, toute faible qu'elle est,
marchande ; car, tandis qu'on coule bas pour repousser vigoureusement les
quelque petit corsaire tunisien, dont la vexations continuelles du Bey ; il est
valeur est insignifiante, leur flottille même difficile d'attribuer une cause
prend ailleurs un grand nombre de na- vraisemblable à une pareille conduite
vires marchands, dont la riche valeur les et rien ne peut justifier cette lâcheté ou
dédommage amplement de ces pertes. cette nonchalance.
La marine commerciale napolitaine
Tant qu'on ne fera la guerre aux Bar-
baresques que par mer, on ne domptera est tellement intimidée par l'approche
jamais leur orgueil; mais si on débar- du plus petit corsaire barbaresque à
quait sur leurs côtes seulement vingt l'horizon, que l'équipage se hâte aussitôt
mille hommes de nos troupes discipli- de jeter son bâtiment à la côte, et de
nées, verrait bientôt succéder à leur
on s'enfuir dans l'intérieur des terres, quels
audace la terreur et l'humiliation; on que soient les moyens qu'il ait de se dé-
pourrait alors leur dicter des lois, et fendre, et même quand sa défense paraî-
même extirper peut-être entièrement le trait évidemment devoir être supérieure
fléau de la piraterie (1). à la force des agresseurs.
Mais une entreprise de cette nature Ce qui rend les marins napolitains
n'est guère possible qu'à la France ;
Naples, la Toscane, laSardaigne, l'Es- serait plus à désirer encore que les
(2) Il
pagne elle-même, par leur faiblesse , les Puissances européennes osassent s'affranchir
enfin de ce tribut monstrueux payé par la civi-
(i) Ces lignes étaient écrites par le Docteur lisation à la barbarie, et qu'un refus formel,

Frank longtemps avant l'expédition qui a mis appuyé de démonstrations vigoureuses, apprît
Alger en notre pouvoir, expédition qu'il sem- enfin à l'Afrique septentrionale que le bassin
blait dès lors prévoir etappeler de tous ses de la Méditerranée cesse d'être l'apanage, et
pour ainsi dire le domaine féodal, des pirates
vœux.
(J. J. M.) barbaresques.
1* L'UNIVERS.
aussi pusillanimes, c'est qu'ils sont en gé- Placées en face Tune de l'autre , Mar-
néral terrifiés par l'exemple de l'infor- seille etCarthage étaient les deux cen-
tune de leurs compatriotes qui sont tres de ces échanges habituels, auxquels
tombés dans l'esclavage, et par la diffi- l'une fournissait les productions terri-
culté du rachat, qui leur ôte tout espoir toriales de la Gaule tandis que l'autre
,

de retour dans leur patrie cette ter- : y apportait toutes les richesses de l'Afri-
reur avilissante paralyse leur force phy- que centrale, et même celles des régions
sique et morale, dans" le moment même plus lointaines, explorées par les marines
où ils devraient déployer le plus d'é- phénicienne et punique.
nergie et de courage (1). Sur la ligne de son trajet la marine
commerçante des deux contrées trouvait
CHAPITRE XL des points intermédiaires, tels que la Si-
cile, la Sardaigne la Corse et même les
Commerce de la Régence; — exportations, ,

îles Baléares, dont les golfes et les pro-


— importations; — relations commer- montoires, si multipliés, leur offraient,
ciales de la Régence avec la France et les
autres Étals européens ;
— négociants. fran-
presqu'à chaque instant de la navigation,
soit des ports de relâche, soit des abris
çais établis à Tunis.
assurés contre la violence des vents et
Si on jette les yeux sur une carte du des tempêtes.
bassin de la Méditerranée , on sera fa- Ces circonstances favorables devaient
cilement convaincu que les relations également encourager les expéditeurs de
commerciales des régions méridionales la Gaule et ceux de l'Afrique septentrio-

de l'Europe avec le littoral barbaresque nale ; cependant dans les premiers temps
ontdûexisterdèslaplus haute antiquité, de ces communications elles furent plus
et du moment même où quelque com- actives de Carthage à Marseille que de
merce a commencé à s'établir dans cha- Marseille à Carthage; mais quelques
cune de ces diverses contrées. Loin siècles plus tard, lorsque Carthage, deux
d'être un obstacle aux communications fois détruite, eut entièrement perdu son
du commerce entre les deux continents, ancienne force et son antique splen-
la mer qui les sépare offrait au contraire, deur, Marseille s'empressa de lui suc-
aux Européens comme aux Africains, une céder dans la suprématie du commerce
voie facile et un véhicule assuré pour méditerranéen, et d'exploiter avec les
les denrées et les marchandises, dont plus grands avantages les productions
leurs besoins réciproques réclamaient le des côtes barbaresques, qu'elle allait re-
mutuel échange. cueillir avec une activité admirable,
pour les répandre ensuite dans les pro-
Depuis l'époque dont le tableau est
(i) vinces intérieures de la Gaule, dont elle
tracé par leDocteur Frank, et surtout depuis portait à son tour les produits aux peu-
la conquête d'Aiger, les armateurs tunisiens ples du littoral de l'Afrique septentrio-
ont entièrement renoncé à la course mari- nale.
time , et bornent leurs opérations à des spé- Ce commerce enrichit Marseille, et fut
culations commerciales; les redevances an- la cause principale de l'état de splendeur
nuelles que payaient à la Régence les Puis- auquel elle parvint à cette époque; mais
sances trop faibles pour se maintenir en paix ces succès excitèrent l'émulation des
avec Tunis ont également cessé, grâce à l'in-
autres villes méridionales de la Gaule,
fluence delà France; et on assure que depuis
et bientôt elle eut pour rivale, dans ses
quelques années la Régence de Tunis paraît
expéditions transmarines, Narbonne,
marcher à grands pas dans la voie de la civi-
Montpellier, Arles , Agde, Toulon, An-
lisation européenne. Le voyage que le Bey ré-
tibes, Fréjus, surtout Barcelone et les
gnant de Tunis est venu faire à Paris doit
certainement concourir à accélérer < cette
autres villes de la Catalogne littorale :
marche progressive dont peut être regardée
,
elle finit pourtant par éclipser ses ri-
comme une preuve incontestable une telle vales , et reconquérir cette suprématie
pérégrination dans le pays des infidèles , si commerciale que leurs efforts avaient
opposée aux préjugés répulsifs enracinés chez tenté de lui enlever.
les Orientaux. Le commerce de Marseille avec les
(J. J. M.) côtes barbaresques fut quelque temps
TUNIS. 79

paralysé, à l'époque où Rome fut aban- vité, puisque nous savons qu'en l'an 1270
donnée par les empereurs pour Cons- de notre ère, lorsque saint Louis vint
tantinople, et où l'Occident fut livré assiéger Tunis, un assez grand nombre
aux invasions des Barbares; mais ces re- de commerçants français faisaient leur
lations commerciales reprirent une ex- trafic dans ce royaume. Le traité con-
tension nouvelle, lorsqu'après les vic- clu après la mort de ce prince, entre
toires deBélisaire et de Narsès, les rois Philippe le Hardi et le roi de Tunis (1),
de France Childebert, Théodebert, Clo- stipule en faveur de ces négociants d'im-
taire et Chilpéric se firent accorder, par portants privilèges. Suivant un article
les empereurs byzantins Justinien et de ce traité « les marchands chrétiens
Tibère II des capitulations favorables « doivent être respectés et préservés de

au commerce de Marseille et des autres « toute injure, de tout dommage ils :

villes de la Provence, avec le littoral « doivent être traités à l'égal des mar-
barbaresque. « chands musulmans dans tous les ports
Dès lors les armateurs provençaux « du royaume, et tout ce qui leur aura été
allèrent fonder sur ces côtes des établis- « pris pendant la guerre leur sera res-
sements commerciaux, qui jouissaient « titué. >»

déjà d'une prospérité toujours crois- Tels sont les avantages que recueillit
sante au septième siècle de notre ère, du moins notre commerce de cette expé-
époque de l'invasion des Arabes. dition de saint Louis, entreprise dans
Les perturbations causées par la con- un but non moins politique que reli-
quête durent nécessairement interrom- gieux , et qui , si elle n'avait malheureu-
pre les relations commerciales entre les sement avorté, eut, en mettant entre nos
contréeschrétiennes et cel les qui venaient mains Tunis, ce point central du littoral
de devenir musulmanes ; cependant africain, assuré notre prépondérance
cette interruption ne fut que momen- commerciale sur toutes les côtes barba-
tanée bientôt les Arabes, dont on con-
: resques, et particulièrement dans la par-
nut l'esprit mercantile, reprirent d'eux- tie occidentale du bassin de la Méditer-
mêmes les relations qui avaient mis en ranée.
rapport le commerce des deux contrées : La prospérité dont était redevable à
des capitulations, des concessions favo- l'expédition de saint Louis notre com-
rables aux négociants provençaux, fu- merce avec Tunis prit des accroisse-
rent stipulées par les nouveaux maîtres ments successifs jusqu'au milieu du
du pays; et les communications ami- quatorzième siècle de notre ère; à cette
cales qui s'établirent entre Charlemagne époque elle perdit cet état florissant, par
et le khalyfe Haroun-êr-Rachyd vin- l'épuisement dans lequel les guerres en-
rent encore concourir à activer et pro- treprises pour soutenir les prétentions
téger les opérations commerciales de la de la maison d'Anjou sur la couronne
Provence avec Tunis et les autres con- de Naples jetèrent la Provence et les au-
trées, barbaresques; et les historiens tres provinces du midi de la France :
nous apprennent qu'en l'an 813 de l'ère ce commerce se releva ensuite un peu
chrétienne, un an avant la mort de Char- après l'expulsion des Anglais par Char-
lemagne, le commerce avec l'Afrique sep- les VII, et il dut surtout sa renaissance
tentrionale était florissant dans les aux expéditions commerciales du célèbre
provinces méridionales de la France, argentier du roi Jacques Cœur, qui y
parmi lesquelles on comptait alors la Sar- trouva, dit-on , la source de ses immen-
daigne, la Corse et les îles Baléares. ses richesses; mais il reçut ses plus
Cette prospérité fut ruinée par le dé- grands accroissements de Louis XI, qui
membrement du grand empire français, lui accorda une protection toute parti-
et surtout par l'établissement de la culière.
puissance Aghlabite sur le rivage afri- Les communications commerciales de
cain; cependant à l'époque des croisades la France avec le littoral africain fuient
le génie maritime des peuples de l'Eu-
rope méridionale sembla se réveiller, et (i) Voyez ci-après les éclaircissements
le commerce français avec les contrées historiques de la seconde Partie.
barbaresques avait repris quelque acti- (J. J. M.)
,

80 L'UNIVERS.
brusquement interrompues au seizième commerce français dans ees contrées.
siècle, lorsque ces contrées tombèrent Cet établissement consulaire, dont on
sous la domination de Khayr-êd-dyn apprécia promptement les avantages, fut
que nous connaissons sous son surnom bientôt suivi de plusieurs autres sur la
de Barberousse , et de son frère Ha- riye africaine, à Fez, à Tetouân, à Asfy,
roud] (1). Ces deux pirates y établirent à Moghador, à Aghadir, à âl-Bouzen, à
l'autorité nominative du Sultan otto- Alger.
man; mais leur brigandage et leurs En voyant combien est peu considé-
cruautés effrayèrent le commerce euro- rable la distance qui sépare la France de
péen qui dès lors se tint à l'égard de
,
laRégence de Tunis et combien le tra-
,

l'Afrique dans une prudente réserve. jetimmédiat en est prompt et facile en ;

Le commerce ne put reprendre avec considérant surtout l'utilité qu'ont pour


quelque sûreté ses opérations sur les côtes notre consommation, soit alimentaire,
de l'Afrique septentrionale que quelques soit industrielle, les différents articles
années plus tard , à l'époque du traité commerciaux que nous fournit son ter-
conclu par François I er avec le sultan ritoire on ne sera aucunement étonné
,

Souleymân dit le Magnifique


(2)', et ces de voir que depuis plusieurs siècles le
relations devinrent bientôt assez impor- commerce de nos provinces méridionales
tantes pour que Charles IX, en 1564, ait constamment, dans ses spéculations,
crût nécessaire d'y accréditer un consul donné la préférence à ce port sur tous
français (3), et depuis ce temps la France les autres ports des rivages barbares-
a toujours entretenu des consuls dans ques.
ces parages. Nos armateurs de Provence ont dû
En 1578 Henri III nomma le capitaine en effet regarder cette Échelle comme
Lourdaries au consulat de Tunis par les : la plus favorable, sous tous les rapports,
soins de ce consul des comptoirs fran-
, où ils pussent étendre des relations mu-
çais furent établis à Tunis et à la Gou- tuellement avantageuses. Aussi il n'y a
lette, ainsi qu'à Tripoli , et il s'étudia pas bien longtemps qu'on pouvait comp-
avec le plus grand zèle à faire fleurir le ter une vingtaine de maisons de négo-
ciants français résidents à Tunis ces :

établissements commerciaux, en faisant


(i)Haroudj-êbn-Yaqoub et son frère
jouir leur patrie d'avantages considéra-
Khayr-êd-dyn s'emparent d'Alger l'an 922
bles, surtout par le versement dans
nos
de l'hégire ( i5i6 de l'ère chrétienne) Ha- :
ports , des matières premières nécessai-
roudj, qui y avait d'abord exercé le pouvoir
souverain , le laisse à son frère Kkayr l'an res à l'exploitation des manufactures de
924 de l'hégire (i5i 8 de notre ère). Celui-ci, nos provinces méridionales, trouvaient
voulant se mettre à l'abri sous la protection en même temps dans leurs opérations
du Sultan de Constantinople, contre la ven- d'immenses profits, et finissaient par
geance des princes chrétiens, irrités de ses y amasser des fortunes bien capables
brigandages , fit hommage de sa conquête à la d'encourager leurs compatriotes à les
Porte Ottomane, et en reçut la même année le suivre dans la même carrière.
double titre de Bey d'Alger et de Qapylan- Deux circonstances principales favo-
Pachâ, c'est-à-dire de généralissime des forces risaient les maisons françaises qui se
maritimes de l'empire Ottoman. livraient aux opérations commerciales
(J. J. M.) avec Tunis :1a première résulte de l'igno-
Souleymân~ben-Selym, connu de nos
(2)
er rance des gens du pays, qui n'ont en gé-
historiens sous le nom de Soliman I du nom,
néral qu'une connaissance très-bornée
succéda l'an 926 de l'hégire ( i52o de l'ère
des matières commerciales , et de tous
chrétienne ) à son père, Selym-ben-Bayazyd.
er les détails qui s'y rapportent : par suite
( Seljm I ) son long règne fut d'environ
:

quarante-sept années, et l'an 974 de l'hégire de cette ignorance, toutes les marchan-
dises soit d'importation, soit d'expor-
( i566 de notre ère) il laissa le trône ottoman
,

à son fils Seljm-ben-Souleymàn ( Selym IIe du tation, devaient nécessairement passer


nom). par les mains des négociants français :
((J. J. M.) une seconde circonstance favorable au
(3) Ce consul se nommait Bcvtholle de commerce français, c'est que les cargai-
Marseille. sons expédiées "sur un navire français
TUNIS. U
jouissaient de la franchise des droits du les nationaux, qui, en étendant leurs
port, tandis que les Maures qui expé- vues et leurs spéculations au dehors,
diaient directement .et par leurs propres contribuent à l'agrandissement de notre
navires- un chargement étaient obligés commerce extérieur et à l'amélioration
de payer une redevance de vingt pour de notre marine marchande : or, il est
cent. certain qu'on n'arrivera jamais à rétablir
Ce règlement, qui avait été établi sous le commerce de la France avec la Ré-
leministère de Colbert, a subsisté jusqu'à gence de Tunis si l'on n'adopte derechef
l'époque de la révolution ; mais les évé- le système de Colbert, système qui con-
nements qui résultèrent alors des diver- siste à établir un droit de port de vingt
ses secousses politiques ayant amené la pour cent sur les bâtiments maures ex-
pénurie des grains surtout dans nos pro- portant de France nos marchandises ou
vinces méridionales les agents du gou-
, y important leurs denrées.
vernement se virent forcés, pour activer Je ne crois pas qu'on puisse prétendre
l'arrivage des blés de Barbarie, de con- qu'il importe peu à l'Etat que le com-
sentir à la suspension momentanée de merce d'un pays se fasse par l'intermé-
cette imposition conservatrice du com- diaire des Français, ou par celui de tout
merce français; profitant alors des cir- autre peuple; 'car adopter de telles
constances qui les favorisaient, les né- maximes serait vouloir ouvertement
gociants maures, instruits par des Euro- nuire aux intérêts de sa patrie.
péens, et même par quelques Français, En effet , indépendamment des autres
s'initièrent quelques connaissances
à considérations, qu'un Français gagne
sur la manière de se conduire dans le une fortune en pays étranger, il est
commerce; les résultats de l'expérience presque certain qu'il reviendra en France
qu'ils acquirent leur ouvrirent succes- pour en jouir et en faire jouir sa patrie ;
sivement les yeux, etles engagèrent bien- qu'un Maure, au contraire, amasse cette
tôt à faire par eux-mêmes ce qu'ils fai- fortune dans ses opérations commer-
saient faire autrefois par l'intermédiaire ciales avec les Français, il ira en jouir
des négociants français. dans son pays, et c'est une perte réelle
L'esprit commercial s'étant ainsi ré- pour la France.
pandu parmi les Maures, le ministre et Je le dis à regret , il n'est que trop
le Bey favorisèrent cette disposition des certain que le commerce des Français à
esprits , et prirent part eux-mêmes aux Tunis n'est dans ce moment qu'une pure
opérations commerciales alors tentées illusion, et si le gouvernement ne donne
par les négociants maures : dès lors l'a- pas des soins particuliers à cet égard,
vantage, à chance égale, étant plus du il sera difficile de prévoir les résultats

côté des habitants du pays que du côté fâcheux que causera une telle négli-
des Français le commerce de ceux-ci
, gence (2).
subit des détériorations successives , et La chambre de commerce de Mar-
il est réduit dans ce moment à bien peu pour maxime
seille avait autrefois établi
d'opérations, tellement qu'il n'y a au- réglementaire que les négociants qui
,

jourd'hui à Tunis que cinq commerçants iraient s'établir au Levant ne pour-


français (1) qui y sont encore retenus,
,
raient y rester que dix ans seulement,
plutôt par l'habitude , ou par le besoin et elle exigeait qu'ils fussent célibataires :

de terminer quelques affaires , que par son but sans doute, de diminuer
était,
l'espoir d'y former quelques nouvelles ainsi les dépenses annuelles de ces mai-
entreprises capables de les enrichir.
S'il est vrai qu'un des intérêts princi-
(2) Depuis ce temps, et particulièrement
paux de l'État est de faire fleurir son
depuis quelques années , notre gouvernement
commerce , il doit regarder comme in-
s'est occupé avec zèle du rétablissement des re-
dispensable defavoriserparticulièrement
lations commerciales et diplomatiques avec la
Régence : ta visite que le Bey de Tunis a
(i) Depuis l'époque du séjour du docteur rendue à la France n'a pu que concourir à as-
Frank à Tunis le nombre des maisons de surer les liens d'amitié qui unissent les deux
commerce françaises s'est beaucoup accru. États.
(J. J.M.) (J. J. M.)
e
6 Livraison: (Tunis.) 6
82 L'UNIVERS.
la rade, que le Bey, qui avait l'inten-
sons de commerce, afin de leur faciliter
tion d'envoyer un chargement d'huile
par là les moyens d'amasser des fortu-
à Alger, s'empara du bâtiment suédois,
nes, et rie les obligera venir en faire
sans autre prétexte que celui de la com-
iou»r la France à l'époque du retour.
Mais cette loi n'est plus observée au- modité qu'il allait en retirer pour sa
propre opération et il n'éprouva au-
jourd'hui, sous prétexte qu'elle nuisait
,

aux progrès du commerce et aux inté- cune opposition de la part du consul


rêts des jeunes gens qui s'y livrent, en français on pensa cependant générale-
:

restreignant les facilités d'entrer dans ment à Tunis que si ce fonctionnaire


cette carrière. Il résulte de cette abroga- eût montré du caractère dans cette cir-
tion tacite, que les négociants qui ont constance , s'il avait parlé au Bey avec
passé de longues années dans ces con- cette fermeté que doit inspirer le bon
trées s'y enracinent, pour ainsi dire, droit et la justice, le navire nolisé par
et finissent souvent par trouver conve- des Français aurait été relâché et
nable à leurs intérêts de s'y marier ils : rendu certainement à sa destination lé-
ont alors des enfants, qui les attachent gitime (2).

davantage au pays, et ils restent pour Dans une autre occasion, il plut à
toujours dans cette patrie adoptive, avec un agent commercial du Bey nommé ,

les biens qu'ils y ont amassés, sans pen- Hadgy-Younès, de s'emparer d'une ma-
ser aucunement à rapporter leur fortune nière aussi arbitraire d'une certaine
en France. quantité de jarres appartenant à un
On voit doue qu'il serait peut-être négociant français; celui-ci fut forcé au
également convenable pour l'avantage silence par la crainte d'une plus grande
du commerce de remettre en vigueur avanie. Certes, si le consul doit remplir,
ce règlement, utile à l'intérêt public et les devoirs de sa charge, c'est dans des

si mal à propos abrogé par l'usage. occurrences pareilles, où l'honneur du


Quoiqu'il y ait à Tunis un consul fran- pavillon français et la fortune des corn-,
çais pour présider aux relations commer- merçants sont à la fois compromis.
ciales, quoiqu'on puisse, par conséquent, Mais ce négociant n'a pas été la seule
supposer que ce mandataire s'empresse victime de l'oppression arbitraire exercée
de donner des soins particuliers à tout par cet Hadgij-Younès; chaque jour il'
ce qui concerne les intérêts de sa nation, faisait éprouver les vexations les plus in-;
il est vraiment affligeant de voir qu'il ne tolérables aux bateliers chargés de trans-'
peut faire que bien peu pour elle, et que porter les marchandises à bord des na-(
notre commerce est gêné et opprimé à vires européens, sans s'inquiéter aucu-;
un tel point, qu'on a peine à concevoir nement du tort que le commerce devait;
comment nos commerçants résistent à en éprouver; il s'emparait, pour son;
tant de vexations (1). propre service, de toutes les barques
Je ne tracerai ici qu'une esquisse qui devaient servir aux négociants, les;
sommaire des entraves qui s'opposent retenait aussi longtemps que bon lui
au développement et à l'amélioration du semblait, et mettait de cette manière des
Commerce français dans la Régence, et entraves tvranniques aux expéditions
je mecontenterai de rapporter simple- des cargaisons, et aux opérations des
ment, mais avec liberté, ce que j'ai été négociants, dont les retards qu'ils étaient
dans le cas de voir moi-même à cet forcés d'éprouver trompaient les cal-
égard. culs et rendaient les entreprises infruc-
La maison Dolier et compagnie, de tueuses
Marseille, avait nolisé un gros navire Il résultait encore de là que pendant
suédois pour charger des laines à Tunis; ces retards forcés, qui se prolongaient
mais à peine ce navire fut- il arrivé dans quelquefois à plus de vingt jours avant;

(i) Cet état de choses s'est singulièrement (a) Je rapporte ces assertions du docteur
amélioré, et le commerce français est mainte- Frank, en déclinant toule solidarité à l'égard
nant plus florissant à Tunis que dans aucune des accusations qu'il hasarde peut-être un peu
autre Echelle du Levant. légèrement.
6
(J. J. M.) (J. J.M.)
TON.ÏS. ss

que marchandises pussent être dé-


les tion faite il se trouve des circonstances
barquées, les navires en rade couraient qui empêchent d'effectuer le chargement
des dangers fort à craindre, surtout en immédiat, ou qui forcent à ne l'opérer
hiver, saison pendant laquelle il n'est qu'en partie ; il faut alors avoir dere-
pas rare de voir, ainsi que je l'ai déjà chef recours au Bey, pour en obtenir un
dit, des coups de vent assez forts pour contrebon ; car si on négligeait cette dé-
les pousser à la côte et occasionner leur marche dans le courant de l'année, la
naufrage. permission précédemment obtenue et
Les négociants français et anglais sont payée cesserait d'être valable.
les seuls qui jouissent à Tunis de la pré- On exporte de la Régence de Tunis
rogative de ne payer que trois pour cent beaucoup de blé, de l'huile d'olive, de
sur les articles d'importation toutes les la belle laine et des légumes secs; on
:
y
autres nations qui ont des traités avec importe de Marseille du café, du sucre,
le Bey payent cinq pour cent à la douane ;
des draperies, des soieries, des laines
mais il est expressément stipulé que les d'Espagne qu'ils emploient pour la fa-
marchandises doivent venir directement brication de leurs bonnets, du vermillon,
du pays du commerçant, et sous le pa- et toute sorte d'épiceries. Le gain était
villon'de sa nation. "Un navire français assez considérable autrefois sur tous les
qui y exporterait des marchandises de . articles, soit d'importation, soit d'expor-
Livourne, d'Espagne, deNaples, etc., tation ; mais depuis que le commerce est
payerait aussi bien le droit de cinq entre les mains d'environ cent cinquante
pour cent que le négociant de ces con- négociants maures, ou chrétiens in-
trées, qui ne jouit d'aucun privilège. digènes et juifs le profit des Européens
,

L'exportation en revanche, n'est ni


, se réduit à peu de chose.
aussi facile ni à aussi bon compte au- : Le vin , l'eau-de-vie et les liqueurs
cune nation ne jouit de la moindre pré- sont des marchandises de contrebande ;
rogative. Il n'y a pas longtemps, par elles ne peuvent être débarquées que sur
exemple, qu'on ne payait que 21 francs une permission spéciale ( teskeréh ) du
de frais d'extraction (1) par qaffiz (2), Bey, qui ne l'accorde que très-difficile-
aujourd'hui on est obligé de payer ment; d'où il résulte que celui qui en
60 fr.; de façon qu'un chargement de aurait obtenu une trouverait facilement
blé d'une valeur de 80,000 francs coûte à la vendre, souvent au prix de 90 à
autant que le prix d'achat, pour la per- 100 piastres, et les cessionnaires font
mission de sortir des ports de la Ré- d'autant plus volontiers ce sacrifice,
gence. qu'ils ont alors aussi bien la facilité de dé-
Mais ce n'est pas le seul obstacle à barquer une pièce de vingt milleroles (3)
surmonter il faut encore se présenter
: qu'une pièce d'un jaugeage très-infé-
chez le Bey, solliciter de lui cette per- rieur.
mission de sortie, comme une grâce par- Le consul français obtient, sur sa
ticulière, et il arrive souvent que le demande un certain nombre de tez-
,

négociant, l'argent à la main, renouvelle keréh pour ceux de sa nation mais il ;

cinq à six fois sa supplique avant d'ob- en dispose à son gré, quoiqu'il en ait
tenir une faveur qu'il paye aussi cher. toujours à sa disposition. Quand il a
La coutume qui s'établit de débourser de mauvaise volonté, pour colorer son
la
le montant de la teskeréh avant l'achat refus il l'attribue au refus qu'il prétend
des denrées destinées à être exportées avoir lui-même éprouvé du Bey. Cepen-
entraîne de grands inconvénients ; car il dant la moindre faveur que le Bey pût
peut arriver souvent qu'après l'acquisi- accorder aux négociants français qui
sont établis dans ses États serait la di-
(i) Ces frais étaient, ceux que nécessitaient minution de ces entraves, qui font haus-
la délivrance detezkeréh (permission d'ex-
la
ser le prix du vin pour les consomma-
porter), que l'on obtenait du gouvernement teurs français car il y en a beaucoup
;

tunisien. qui n'ont jamais pu parvenir à obtenir


(i) Voyez ci-après, page 88, sur cette me- une tezkeréh, même pour leur con-
sure de capacité, le chapitre XII, traitant des
poids et mesures de Tunis. (3) Voyez ci-après le chapitre XII, page 88,
Si ;umvëus.
sommation habituelle, et qui, étant obli- importantes de Tunis est sans contredit I
gés d'acheter aux débitants le vin qu'ils la quantité de bonnets tarbouch, ou I
boivent , le payent trois fois plus cher qaouq, qu'on y fabrique. On les préfère f
qu'il ne coûte à leurs compatriotes. dans le Levant à ceux qu'on fabrique en I
Il est certain que les reproches à ce Europe (1), soit à cause de leur forme, I
sujet peuvent tomber sur le consul ; mais soit pour la bonté de leur couleur; mais I
malheureusement on peut lui appliquer il en est de ce commerce comme du reste I

cette sentence de minîmis non curât dans la Régence ; il s'en faut de beau- I
prœtor. coup qu'il soit aujourd'hui ce qu'il était I
Rien n'excite plus le mécontentement autrefois. La douzaine de beaux bon- I
du Bey que d'apprendre que, malgré les nets, qui se vendait anciennement 14 fr., I
mesures rigoureuses prises à l'égard du se vend maintenant près du double, sans
débarquement du vin il y a cependant
, que cet accroissement de prix augmente
toujours un certain nombre d'Européens le gain des fabricants.
qui trouvent le moyen d'en faire le com- Le ministre du Bey fait venir directe-
merce clandestin. ment les laines d'Espagne ; les bonne-
Cette boisson a été maintes fois la cause tiers sont forcés de lesprendre de lui
des plus grands désordres; et il est cer- aux prix qu'il en exige,' et il les oblige
tain q^ue si les Maures et les Turcs pou- non-seulement à subir ce monopole des
vaient s'en procurer avec autant de fa- matières premières, mais encore à lui 1
cilité que dans les autres pays, on les fournir les bonnets fabriqués qu'il désire,
verrait à chaque instant commettre les au prix qu'il détermine lui-même. Par i

plus criminels excès. cet acte d'un despotisme usuraire il s'en- j'

Il y a peu d'années que quelques sol- richit, il est vrai, mais aussi il détruit le
'

dats turcs, ivres, rencontrèrent dans commerce, et finirapar anéantir entière-


les rues un jeune garçon d'une naissance ment l'industrie du pays.
honorable ; ils fondirent sur lui le cou- Je ne terminerai pas ce chapitre sans
teau à la main, et lui firent subir les ou- parler d'une autre branche de commerce ]

trages les plus infâmes. qui se fait à Tunis celui de l'essence de


: [

Les auteurs de ce crime ayant été rose. Tout le monde sait que cette es-
bientôt connus reçurent pour tout châ- sence suave jouit d'une renommée toute
timent une rude bastonnade; mais leBey particulière (2), et que Tunis en fournit I

fut plus sévère envers les marchands de qu'on regarde comme de la première j

vin, car il lit jeter dans le lac tout le qualité ; sans vouloir démentir entière-
vin qui se trouvait alors dans leurs ma- ment cette opinion, je ferai cependant ;

gasins , et un seul négociant perdit plus observer que la majeure partie de cette
de cent mille francs par cet acte de ri- essence précieuse qui entre dans le com- j

gueur. merce n'est pas fabriquée sur le terri-


Il se faisait autrefois un commerce toire de la Régence; mais elle y est ap-
assez considérable entre les Grecs de la portée de Constantinople , d'Andrinople
Morée et les Tunisiens; plusieurs mai- et des autres parties de la Turquie Eu-
sons grecques s'étaient même établies à ropéenne (3). Le mithqâl (4) se vend com-
Tunis , et se livraient avec succès à ce
négoce ; mais depuis 1769, époque d'une (i) Une fabrique importante de ces bon-
guerre avec la Russie, la plupart des nets levantins avait été établie à Orléans.
(J. J. M.)
Grecs ont cessé de fréquenter les ports
(2) Voyez sur l'essence de
rose l'opuscule
de la Régence. Ils apportaient de Zante
de mon illustre maître le savant et modeste
,
des toileries, et de la Morée du ver-
Langles , intitulé Recherches sur la décou-
:
millon, des soies non ouvrées et des
verte de f essence de rose. Paris de l'impri-,

soieries. Les Albanais Turks et les


, les
merie impériale, 1804. (J. J. M.)
Maures emparés ex-
se sont aujourd'hui
(3) Une grande partie de l'essence de
rose
clusivement de cette partie du commerce, se fabrique en Egypte, où les roses du Fayoum
et les Grecs aiment mieux rester chez fournissent d'abondanls matériaux pour la
eux que de demeurer à Tunis dans l'in- distillation. ( J. J. M. )
activité.
(4) Forez ci-après le chapitre XII, page 86.
Une des branches d'industrie les plus (J.J. M.)
TUNIS. 85

munément 9 à 10 fr.; heureux l'acqué- pendant les dernières années de mon


reur lorsqu'elle n'est pas falsifiée. séjour à Tunis; tandis que l'année qui
On reconnaît sa pureté lorsqu'elle a avait précédé mon arrivée elles coûtaient
une véritable odeur de rose sans aucun
, jusqu'à 30 piastres; l'huile essentielle
mélange d'odeur étrangère, et lorsqu'une qu'on en retire n'est guère recherchée
goutte versée sur l'ongle n'y coule pas parce qu'elle a souvent une odeur d'em-
facilement d'autres amateurs de ce dé-
: pyreume.
licieux parfum jugent de sa bonté et de Plusieurs distillateurs fabriquent aussi
sa pureté parfaite par l'essai suivant. On de l'essence de jasmin (yasmyn) quoi- :

en verse une goutte sur un morceau de que cette plante soit assez commune,
papier blanc placé près du feu si le li-
: l'essence qu'on en extrait se vend au
quide s'y volatilise promptement sans même prix que l'essence de nessery,
altérer le papier, l'essence est reconnue parce que les fleurs du jasmin ne four-
pour être parfaitement pure mais si elle
; nissent qu'une très -petite quantité
forme une tache sur le papier, c'est une d'huile essentielle.
preuve de falsification et de mélange
avec des substances hétérogènes. CHAPITRE XII.
La vraie essence de rose de Tunis est
rare et coûte deux tiers de plus par mith- Des poids mesures usités à Tunis ;
et Rottl- —
qâl que celle de Constantinople. Un quin- Àttâry; —
Rottl-Souqy; Rottl-Khod- —
tal (qontâr) de feuilles de roses ne donne
dâry ; —
qyrâtt mithqâl ; , onces — —

;

qontârs. Mesures de longueur; De- —


guère par la distillation que deux à trois
raa-êi-Hendazéh ; —
Deraa-êt-tourky; —
mithqâls d'essence, et le quintal dépo-
Deraa-êl-Araby Ghebr; — Qâméh. —
— —
;

ses se vend à raison de 50 à 60 piastres.


Mesures de capacité; Sâa; Ouey- —
Dans cette distillation on obtient, outre bah; —
Qâfyz; Millerole; — Escan- —
l'essence, environ cinquante livres (25 deau ; —
Satina. —
Mesures agraires —
kilogrammes) de bonne eau de rosés Feddân —
Messâhah; Zoudjéh-Fered.—
;

(mâ-ouerd) ,
qui revient à assez bon — ;

Mesures itinéraires; Myl-Khattouah. —


compte, la valeur n'en étant regardée que
comme accessoire au prix de l'essence POIDS.
but principal de l'opération.
La rose rouge ordinaire est celle qu'on Les poids portent en général le nom
distille ordinairement; cependant ii y a de ouezn.
en outre une espèce de rose blanche, L'unité pondérale en usage à Tunis a
qu'on nomme nessery, et qui fournit une la même dénomination que celles qui
essence encore plus précieuse; mais sont usitées en Egypte à Tripoli , à ,

comme elle est très-rare, elle coûte 90 à Alger et à Marok on lui donne le :

100 piastres le mithqâl. nom de roltle ou rottl (1), correspon-


En effet ceux qui aiment les parfums dant à celui de rotolo, que les Maltais
ne sauraient trouver une odeur plus ex- donnent à leur livre.
quise que celle de l'essence de nessery ; On connaît à Tunis trois espèces dif-
sa rareté est telle à Tunis que souvent
,
férentes de rottles, savoir : Je rottl-at-
on ne peut s'en procurer à quelque prix târy } le rottl-souqy, et le rottl- khod-
que ce soit; aussi ce ne sont que les dâry.
Maures les plus riches et les pins volup- 1° Le rottl-atiâry ( c'est-à-dire la livrée
tueux qui en font distiller chez eux pour des droguistes) dont la dénomination
,

leur usage particulier. est formée du mot âttâr (épicier-dro-


Les Tunisiens qui s'occupent de dis- guiste), équivaut à 506 grammes 88 cen-
tillation fabriquent surtout une grande tigrammes de nos poids métriques.
quantité d'eau de fleur d'orange (mâ- Cent rottles-attârys équivalent à
narendj ou mâ-bortougân)\ le prix de 103 et 23 centièmes de nos anciennes
ces fleurs est , comme celui des roses livres poids de marc.
relatif à l'abondance plus ou moins Cent livres anciennes poids de marc va-
grande qu'en produit la saison , et varie
quelquefois beaucoup on ne les vendait
: (i) Pluriel rottàl ou êrtâl. Pour exprimer
qu'à raison de 15 piastres le quintal deux rottles, on dit rottléyn ou zoudj-êrtdl.
,

86 L'UMVERS.
lent 96 rottles-attârys, plus 88 centiè- et de tout autre aliment de même na*
mes. Ce rottl sert à peser toutes sortes de ture.
drogues (otiryah), les matières précieu- Les divers poids de ces trois espèces
ses, les pierreries , les perles , le corail, différentes de livres employées par le
le thé, l'opium, le musc, les parfums de commerce de Tunis sont en général
toute espèce ; il sert aussi à peser les mé- exécutés d'une manière grossière et bien
taux , tels que le fer, le plomb , l'étain éloignée d'une exactitude rigoureuse ;
le cuivre, l'argent, l'or, ainsi que les cependant leur rapport est fixé par l'u-
substances minérales connues sous la sage dans les proportions de 8 à 9 et à 10,
dénomination de demi-métaux. et ce rapport serait celui qui devrait
Le rottl-attâry se divise en 16 onces : être établi par un étalon régulier mais;

et je ferai ici la remarque que la division cet étalon n'existe pas , et parmi les poids
en seize parties est employée commu- em ployés vulgairement dans le co m merce
nément à Tunis, non-seulement pour habituel on en trouve qui ont près de
les poids mais encore pour les mesures
, deux grammes en moins, et un plus
de longueur et de capacité, comme grand nombre qui ont près de six gram-
nous le verrons ci-après, à l'égard du mes en plus.
deraa ou pyk (coudée), du qâfyz, du L'once (ouqyah, pluriel ouqyât)
meltâr\ cette division est même usitée équivautà 31 grammes 68 centigrammes
à l'égard des monnaies et la piastre se
, de notre poids décimal elle se divise en
;

divise en seize qarroubes (1). 8 parties , dont chacune est encore sub-
Les mesures des anciens peuples ad- divisée en 20.
mettaient aussi fréquemment la division Il existe trois espèces différentes de
en seize parties : parmi elles on peut quintaux (qoniârP pluriel qenâttyr ou
citer le pied romain et le pied philété- qenâtter).
réen, qui avaientadopté cette division (2). La première est de 100 roules et sert
,

Lorsqu'on emploie ce poids à peser à peser toutes les marchandises , à l'ex-


l'or et les pierres précieuses , il se divise ception du fer, du coton tiié , et du coton
en qyrâtts (3), d'où vient notre mot ca- brut ou en laine.
rat; ou en mithqâl pour les essences, Ce troisième article se pèse avec un
l'argent et les perles. quintal particulier,qui comprend 110 rot-
Le qyrâtt vaut en poids décimal tles.
2,670 millionièmes de gramme, et le Enfin le fer et le coton filé se pèsent
mekqâl 4,169 millionièmes. avec un quintal qui se compose de 150 rot-
2° Le rottl-souqy (c'est-à-dire la livre tles.
du marché) équivant à 568 grammes Indépendamment de ces quintaux,
445 milligrammes des poids du système il en existe plusieurs autres de conven-
décimal. tion spéciale dans les transactions so-
Il correspond à 18 onces, et sert à ciales et dont l'emploi est particulier à
,

peser la viande de boucherie, l'huile, certaines marchandises.


le beurre, le savon * les olives, le miel,
lebois à brûler, le charbon , et les fruits
MESURES DE LONGUEUR.
secs de toute espèce. Les mesures en général ,soit de lon-
3° Le rottl- khoddâry , mot à mot gueur, soit de capacité, portent le nom
la livre des verdures , équivaut à de qyâs.
639 grammes 453 milligrammes de nos Il existe à Tunis trois différentes me-
nouveaux poids français, et correspond sures linéaires ou de longueur, et on les
à 20 onces. comprend toutes les trois sous la double
Il sert à peser toutes sortes d'herbages, dénomination de deraa (coudée), qui
de légumes verts, de fruits frais ou cuits, signifie en même temps le bras, ou plus
exactement V avant-bras, et de pyk,
(i) Voyez ci-après la Notice sur les mon- nom d'origine grecque, dérivé de celui
naies de Tunis. de wwcoç (coudée).
(2) Yitruv. lib. III.. —
Greaves, on the Ro- Les règles dont on se sert pour dé-
man j00 t. • —
HerOj in Isagoge^ terminer les mesures des coudées sont
(3) Pluriel qarârpU failli Qxûimmmmî de fer on de cai*
TUNIS. 87

vre, quelquefois même de bois pour les males est seulement.de 488 millimètres,
plus pauvres débitants; mais toutes en et sert à mesurer les toiles et les étoffes
général , et surtout celles qui sont em- de coton : cette coudée, qui porte aussi
ployées à Tunis pour le mesurage des le nom de pyk-araby ou pyk-beledy
grosses toiles et autres étoffes com- (coudée du pays), est aussi désignée fort
munes, sont d'une exécution tellement souvent par l'appellation de deraa, sans
grossière, et d'une graduation si peu aucune épithète.
exacte, qu'on ne peut que difficilement Cette coudée arabe paraît être iden-
parvenir à une appréciation précise de tique avec celle qui fut autrefois em-
leur longueur totale et du rapport cor-
, ployée par les astronomes du khalyfe^/-
rélatif que devraient avoir entre eux les Mamoun ; car en supposant cinquante-
points de leur division, de manière à sept milles arabes au degré terrestre
établir un échantillon régulier qui puisse qu'ils mesurèrent, et eu attri buant quatre
servir d'étalon unique et légal. mille coudées à chacun de ces milles, on
Pour cela il serait nécessaire de faire trouve avec une différence très-minime
la comparaison entre elles de la plupart la coudée arabe de Tunis pour résultat
de ces règles, et d'en fixer le résultat de la coudée qu'ils ont dû employer dans
moyen, en éliminant celles qui pèchent leurs calculs astronomiques.
soit en plus, soit en moins; et il est à En effet , cette valeur de la coudée
remarquer que ces dernières forment gé- arabe donne pour celle du mille 1,949
néralement le plus grand nombre. mètres ou justement 1,000 toises de nos
Chaque règle porte seize divisions, anciennes mesures; ainsi la coudée
qui devraient être égales; mais il est arabe se trouve être avec la toise dans
rare que la plupart se coordonnent ré- la proportion de 14 à 15, avec le pied an-
gulièrement entre elles; on remarque cien comme 3 est à 2 et avec le mètre
,

même généralement que les deux divi- presque exactement comme 1 esta 2; rap-
sions qui terminent de part et d'autre ports utiles pour simplifier les calculs du
chaque extrémité de la mesure sont plus commerce, et d'autant plus importants à
longues que les divisions intérieures, remarquer que l'emploi de la coudée
et cet excès est trop considérable pour arabe ne se borne pas seulement à Tunis,
pouvoir être attribué au hasard ou à la et que son usage est général sur toutes
maladresse ou à la négligence de l'ou- les côtesbarbaresques, à Tripoli, à Alger,
vrier qui a établi ces mesures il paraî- : et même
dans l'empire de Marok, où l'on
trait plutôt que cet excès est introduite ne se sert d'aucune mesure turke.
dessein, et qu'il est toléré par le gouver- On ne doit pas s'étonner de voir con-
nement comme nécessaire aux besoins servées ainsi jusqu'à nos jours parmi ces
du commerce de détail. peuples les mesures du temps du khaly-
Quoi qu'il en soit de ces imperfec- fat; la position géographique de ces
tions et de ces inexactitudes, les trois contrées, l'isolement des Orientaux dans
mesures de longueur usitées à Tunis leurs croyances, leurs mœurs, leurs usa-
sont les suivantes : ges, font véritablement de cette popula-
, nommé aussi tion un peuple monumental, chez lequel
1° Deraa-êl-hendâzéh
pyk-hendazéh qui équivaut à 673 milli-
,
tout se conserve et se transmet de
mètres de nos mesures décimales; cette siècle en siècle lois, coutumes, habil-
:

coudée sert à mesurer les draps et les lements, mesures, et toutes les choses
étoffes de laine. de la vie, qui sont si variables dans notre
2° Deraa êt-tourky (coudée turke), Europe, sont stables dans l'Orient, et à
qui correspond à 637 millimètres de l'abri de tout caprice de mode et de
nos mesures métriques. Cette coudée changement. Ainsi on trouve encore au-
sert à mesurer les étoffesde soie ou de jourd'hui sur les côtes barbaresques les
On donne aussi
fil. coudée le
à cette lois, les habitudes, les costumes et les
nom de pyk-tourky , et souvent même préjugés qu'y ont introduits les Arabes à
elle est designée par le nom seul de pyk} l'époque de leur première invasion et de
sans épithète. leur conquête.
3° Enfin , deraa-ël-araby ( coudée Quoique j'aie donné le rapport des
iirybe )* dont Sa valeur en mesures déci- trois coudées tunisiennes avec les me*
, ,

88 L'UNIVERS.

sures métriques, j'ai cru qu'il ne serait rellement très-arbitraire, et son exacti
peut-être pas désagréable au lecteur de tude est susceptible d'être contestée.
trouver ici le rapport de ces trois espèces Cette mesure, faite en bois, a la form
de coudées avec l'ancienne aune de d'un cône tronqué, à l'ouverture duque
Paris. une barre prismatique en fer soutien
Cent coudées hendâzéh équivalent à une croix également de fer, placée dans
56 aunes et 61 centièmes; le plan du bord supérieur.
Cent coudées turkes, à 53 aunes et 60 Le sâa ne sert qu'au mesurage du
centièmes ; blé, de l'orge, de toutes les espèces de
Cent coudées arabes, à 41 aunes et grains qu'on apporte au marche, e
9 centièmes ;
des légumes secs , ainsi que du sel et d
Cent anciennes aunes de Paris équi- la farine; le lait, l'huile, le vinaigr
valent à 176 coudées hendâzéh et 64 et autres liquides se mesurent dans ui
centièmes; à 186 coudées turkes et 57 sâa en grès, qui contient un litre
centièmes; à 243 coudées arabes et 38 26 centilitres en mesures décimales.
,

centièmes. Douze sâas forment un oueybah


Il y a encore deux autres mesures de équivalant à 30 litres 996 millièmes d
longueur qui sont quelquefois employées litre, et le poids d'un oueybah de bon bl
à Tunis, et dont l'usage remonte incon- de Tunis s'évalue au poids de 50 rottles
testablement à la plus haute antiquité Seize oueybahs, ou cent quatre-vingt
chez les peuples orientaux. douze sâas, font un qâfyz, correspon-
La première de ces mesures est celle dent à 495 litres et 93 millièmes de litre.
du ( l'empan
che.br ou palme ) mais ; Une autre évaluation du qâfyz le j

cettemesure est plutôt approximative fait équivaloir à environ trois charges et j

que rigoureusement applicable. demie de Marseille; la charge étant


Huit empans forment une canne, que de 1 hectolitre six dixièmes , cette éva- \

l'on évalue ordinairement à la toise an- luation porterait le qâfyz à 5 hectolitres


cienne ou à environ deux mètres : la 6 dixièmes.
mesure de la canne paraît
au reste
, Les relations commerciales qui existent
avoir été introduite à Tunis par le com- habituellement entre la France et la i

merce de Provence. Régence de Tunis y ont introduit l'u- j

Une autre mesure également assez en sage de plusieurs des mesures usitées '
j

vogue et sans détermination bien pré-


, anciennement en Provence ; telle est
cise est celle de la hauteur d'homme
, : surtout pour le jaugeage des tonneaux
cette mesure porte le nom de qâméh; la mesure provençale nommée millerole
c'est celle que la plupart de nos voya- et qui équivaut "à 64 litres 32 centi-
geurs traduisent le plus ordinairement litres.
par toise, ce qui peut occasionner habi- Cette mesure se divise en quatre es-
tuellement une erreur d'environ un candaux pour le mesurage des huiles, I

sixième dans leurs calculs. et pour celui des vins en 60 pots , dont
chacun se subdivise en 4 quarts, ce qui
MESURES DE CAPACITÉ. établit 240 quarts pour la contenance
La mesure de capacité à
principale totale de la millerole.
Tunis est le sâa ( pluriel sâân ) , qui Le pot équivaut à un litre et 72 mil-
équivaut, mesure rase, à 2 litres 583 lièmes de litre.
millièmes de litreen système décimal. Ce- Les rapports continuels et immédiats
pendant dans l'usage ordinaire on ne de Tunis avec l'île de Malte ont aussi
nivèle pas le contenu avec une règle, et introduit quelquefois dans la Régence
on emplit la mesure comble en y ajoutant l'usage de la mesure de capacité mal-
du grain jusqu'à ce qu'il se verse de toute taise nommée salma ; cette mesure
part hors de la mesure, au-dessus de la- équivaut à 2 hectolitres plus 897 mil-
quelle il forme un cône ou une pyramide, lièmes.
qu'on appelle kemelah, et dont la cir-
MESURES AGRAIRES.
conférence repose sur l'épaisseur même
des parois du sâa. "La mesure agraire usitée habituelle-
Par conséquent ce mesurage est natu- ment dans la Régence est celle qui est
TUJNIS. 89

nommée feddân, comme en Egypte, ou lois , les usages et les mœurs sont
lui

messâhah, comme à Alger, espèce d'ar- tellement étrangers, qu'ils lui paraissent
pent, dont la valeur est variable suivant barbares.
les localités. La curiosité et l'ambition d'acquérir
On emploie aussi l'expression zoud- de vastes connaissances peuvent, à la vé-
jeh-fered (une paire de bœufs) pour rité faire naître le même mouvement
,

désigner un espace d'environ 25 arpents d'expatriation ; mais celui-ci n'a-t-il pas


de nos anciennes mesures, ou à peu près un point de vue analogue au premier,
13 hectares, mesure décimale. celui de contribuer à la félicité en ser- ,

vant d'aliment à ce sentiment factice


MESURES ITINÉRAIRES. qu'on a appelé amour-propre , premier
Les seules mesures itinéraires sont : mobile du désir d'acquérir soit des con-
1° L'heure de marche, sâah êt-taryq naissances, soit des richesses ?
(pluriel sâât ou souyah). De toutes les villes de la Barbarie Tunis
2° La journée de chemin youm-êt- ,
est celle où il y a un plus grand concours
taryq (pluriel ayyâm) on lui donne
: d'Européens. Son commerce et sa proxi-
aussi la dénomination de nehâr-mâchy mité avec les côtes méridionales de l'Eu-
et quelquefois celles de mehalah ou de rope en sont les causes principales. Il
messyrah (pluriel messyrât). y avait autrefois quinze maisons de
On a observé que les caravanes con- commerce françaises établies dans cette
duisant des chameaux chargés de 15 à ville, il n'y en'a plus que cinq aujour-

20 myriagrammes avaient par heure d'hui ; et j'indiquerai ailleurs les motifs


une vitesse moyenne de trente-cinq cen- de cette décadence.
tièmes de myriamètre, c'est-â-dire un En ce moment deux négociantsanglais
peu plus d'un tiers de myriamètre. y sont établis ; mais l'expérience prouve
Cependant quelquefois", pour mesurer que le commerce de cette nation n'a jus-
les distances, on se sert du mille, myl, qu'à présent jamais prospéré dans ce
qui contient 1,000 pas. pays. Le plus grand nombre des Euro-
Le pas lui-même porte le nom de péens qui l'habitent est d'origine gé-
kattouah (pluriel kattouât). noise, corse , napolitaine, romaine, etc.
Ils s'occupent tous de quelque branche
CHAPITRE XIII. particulière et spéciale de commerce ou
de travaux industriels , dont ils trouvent
Des Européens établis à Tunis — rapports l'emploi soit chez leurs compatriotes,
des consuls avec le— cérémonie du
Bey
;

chez
les indigènes.
baisement de mains — consuls — quar-
;
soit
; ;
n'y a pas de doute que le climat de
habitent; — logement; —
Il
tier qu'ils inso-
la Barbarie ne soit plus favorable aux
lence des soldats turks envers les Euro-
Européens que celui de l'Egypte ; leur
péens.
génération y prospère aussi bien que
Le désir du bonheur est de tous les dans leur patrie; et sous ce rapport la
sentiments celui que la nature a le côte barbaresque conviendrait beaucoup
mieux gravé dans le cœur de l'homme mieux aux Français que la vallée du Nil
qu'il soit civilisé ou sauvage; il le fait pour l'établissement d'une colonie.
consister dans le repos et l'abondance D'un autre côté , tous ceux qui ont
qu'il ne peut se procurer dans l'un ou quelque connaissance de ce pays con-
l'autre état et surtout dans le premier,
, viendront avec moi de la réalité de l'ob-
que par des travaux constants et souvent servation, que les Européens, en général,
périlleux. Ce désir, dépassant chez lui la ne manquent guère de contracter par un
plupart des bornes que prescrit la rai- long séjour dans ces contrées les vices
son et la prudence, lui fait surmonter et les qualités morales des Juifs et des
avec constance tous les obstacles; et Maures au milieu desquels ils passent
pour parvenir au but si ardemment désiré leur vie.
on le voit quitter sa patrie traverser les, On fera cependant une exception en
mers, braver les écueils, s'exposer à faveur de plusieurs personnes qui habi-
tous les dangers, et passer sa vie parmi tent depuis longtemps Tunis, et surtout
des peuples dont les institutions, les des Français , qui , dans quelque climat
L' UNIVERS.

qu'ils soient, ne perdent que difficile- La France, l'Espagne, l'Angleterre,


ment cette affabilité et cette loyauté qui les Etats-Unis, la Hollande, le Dam
les caractérisent plus particulièrement mark, la Suède et plusieurs autres États
que toutes autres nations.
les européens d'une importance secondaire,
L'exercice du culte catholique est ont chacun un consul, ou un autre
absolument libre à Tunis; il y a deux agent, chargé de protéger leur com-
petites églises, desservies par des reli- merce, et résidant près le Bey de Tunis
gieux italiens et espagnols. Ces consuls et ces agents, accrédités
Du reste, les Européens sont, ainsi que sous divers titres, forment en apparenc
les Juifs confinés ou relégués dans cer-
, une espèce de corps diplomatique; mais
tains quartiers fort étroits de la ville. ce corps semble manquer de ce caractère
Et la plupart des maisons qu'ils habitent, imposant qui caractérise les vrais repre
à l'exception de celles des consuls et sentants des Puissances européennes (t).
quelques autres en petit nombre, sont mal Le traitement qu'ils reçoivent, réur
construites , peu commodes et d'un loyer avec le casuel de leur place, leur forme
excessivement cher; les Européens sont un revenu assez considérable. Leurs
forcés de se soumettre à cette nécessité* fonctions sont de protéger à Tunis le
le Bey interdisant formellement aux commerçants de la nation dont ils sont
chrétiens la faculté de se loger dans les les agents , de prendre leur défense lors
autres quartiers de la ville, où les loge- qu'ils sont lésés dans leurs intérêts, 01
ments sont à bien meilleur marché. qu'ils ont reçu quelque insulte; ils sont,
Un Européen qui vient à Tunispour s'y de plus, les juges naturels de toutes les
établir se trouve ainsi singulièrement em- contestations qui s'élèvent entre ceux
barrassé pour s'y procurer un logement; de leur nation; et ils doivent porter les
car, outre la cherté du loyer qu'exige le plaintes et les réclamations de leur com-
propriétaire, il fait payer encore au nou- patriotes au Bey, afin de lui en demander
veau locataire les réparations déjà faites satisfaction.
et celles qui sont à faire, pour rendre le Il de leur devoir d'instruire
est encore
logement habitable et de plus il lui fait
; le gouvernement qu'ils représentent, de
souvent solder par avance, et en un seul tous les faits qui peuvent intéresser le
payement préalable, le loyer de plusieurs commerce dans le pays de leur résidence.
des années à écheoir. La plupart des consuls ont un chance-
Cependant, les négociants français lier ou un secrétaire qui fait une grande
jouissent de l'avantage d'être logés à'as- partie de la besogne; c'est l'un ou l'au-
sez bon compte, dans la maison même tre de ces auxiliaires qui dresse les con-
du consul, appelée le Fo ndouq, et dont le trats, reçoit les dépositions, les déclara-
Bey est propriétaire. Quoique ce loge- tions expédie les passeports, etc.
,

ment offre d'un côté quelques agréments y a quelques années que l'Espagne
Il

par laréunion de plusieurs familles, il et la Hollande tiennent aussi chacune à


faut regretter que d'une autre part il y Tunis un vice-consul, qui remplaçait, en
règne trop souvent les tracasseries et son absence, le principal agent, et le sup-
les jalousies qui sont propres à toutes pléait dans ses fonctions.
les maisons de communauté, et surtout Les consuls ont ordinairement à leur
lorsqu'il y habite des personnes qui ne service plusieurs gens du pays , qu'on
cessent d'avoir des prétentions ridicules, appelle janissaires dans les Échelles du
ou des antipathies déraisonnables. Levant, mais qu'on nomme à Tunis drog-
Il est vrai que dans les réunions de Mans y quoiqu'ils ne sachent souvent
cette espèce les passions prennent un de- qu'une seule langue et qu'ils soient ab-
gré d'incandescence intolérable; mais il solument incapables de remplir les véri-
paraît qu'à Tunis l'avidité de la concur-
rence, l'ennui de la solitude et de l'isole- (i) le docteur Frank
Depuis l'époque dont
ment en inspirent de plus violentes qu'en trace ici tableau les consuls européens
le
Europe, et que l'égoïsme, à son comble, ont repris l'importance qui leur est due, et
s'y manifeste avec une telle force que la exercent à Tunis l'influence à laquelle leur»
cohabitation y devient quelquefois réel- fonctions leur donnent droit de prétendre.
!ëîiïè?s£ insupportable. (J* J, M,)
TUNIS» m
tables fonctions du drogmanat. Le con- godants européens vont, les uns par de-
sul ne sort guère de chez lui sans être convenance, visiter
voir, les autres par
précédé par un de ces hommes, et cette et féliciter le Bey
ils obtiennent alors
:

espèce de garde d'honneur a la plus de ce prince faveur insigne de lui bai-


la
grande influence sur le respect que la ser la main cérémonial auquel j'ai voulu
,

population a pour les consuls. assister deux fois, afin de pouvoir en bien
Les maisons consulaires jouissent de connaître toutes les particularités.
l'immunité pour toutes les personnes Je me suis donc rendu à l'endroit dé-
qui y ont cherché un asile, et l'entrée signé à cet effet, et la je trouvai groupés
en est toujours gardée par des janissai- dans un coin du pateo tous les consuls,
res, qui font chacun à leur tour l'office en grand uniforme, entourés de plusieurs
de portier; on reconnaît de loin les con- Européens, qui attendaient patiemment
sulats par un long mât fixé sur la ter- l'heureux instant du baisement de main.
rasse, et sur lequel est hissé le pavillon Les consuls défilèrent l'un après l'au-
de leur nation. tre devant le souverain avec les.négo-
,

Les consuls peuvent se présentertous ciants de leur nation, et baisant la main


les jours, excepté le vendredi, chez le Bey, présentée, à peu près comme les dévots
pour lui parler d'affaires; mais il les fait qui à la messe vont baiser la patène, en
souvent attendre plusieurs heures dans se présentant à l'offrande, et les surpas-
le pateo (1), sorte d'antichambre, où ils sant encore par leur air d'humilité et
se trouvent confondus avec le public. de componction.
Cette humiliation n'est pas la seule qu'ils Je ne pus assez m'étonner d'un acte
éprouvent; ils sont encore tenus de se qui me paraissait très inconvenant, non-
présenter avec une double paire de sou- seulement pour les consuls eux-mêmes,
liers, dont ils quittent la première lors- mais encore plus pour les gouvernements
qu'ils entrent dans l'appartement du qu'ils représentent, et qui sans doute
Bey puis ils doivent lui baiser la main
;
,

comme font ses sujets et ses esclaves,


le êl-Kebyr, est aussi appelée lid-êl-Fettr, c'est-
à-dire la Fête de la rupture du jeûne. En effet
et ôter leur chapeau , quoiqu'il ne soit er
cette solennité se célèbre le I du mois de
pas d'usage dans ce pays de se découvrir
chaouâl, dixième mois de l'année lunaire mu-
la tête comme marque de respect.
sulmane, et sert de clôture au jeûne imposé
Il n'existe aucune contrée dans le
pendant tout le mois de Ramaddân ; c'est par
monde où les anciens usages soient aussi cette raison que le mois de chaouâl a pris
respectés qu'à Tunis; quelque ridicules
chez les barbaresques le nom de chahar-
qu'ils soient, quelque répugnance même aftour, mot à mot le mois de la cessation du
que la raison éprouve a les suivre, les jeûne.
Maures disent « C'est l'usage : , » star Il est à remarquer que les deux fêtes qui
la usanza ( en langue franque ), et cette portent également le nom de Béyrâm ne
phrase termine toutes les difficultés ; en sont pas désignées chez les diverses sectes
voici un exemple : orthodoxes de l'islamisme d'une manière uni-
A l'époque des fêtes du grand et du forme, par l'appellation de Grande (en arabe
petit Béyrâm (2) les consuls et les né- Kebyr, en turk Bouyouk) et de Petite ( So-
gheyr en arabe, Koutchouk en turk) : la pre-
(i) Voyez, sur le local indiqué par cette dé- mière épithète n'est donnée que par les Cha-
signation, ci-dessus la note 6, page io. féytes et les Hanefîtes à la fête qui au i er du ,

{%) Le petit Béyrâm {en turk Koutchouk mois de chaouâl, termine le jeûne an Ramad-
Béyrâm) est une des principales fêtes de l'an- ddn ; tandis que ce titre est réservé spéciale-
née musulmane : les Arabes la nomment ment par les Malekites et les Hambalites , et
Youm êl-Qorbân, c'est-à-dire le Jour du Sa- particulièrement par les peuplades barbares-
crifice, qui se célèbre avec une grande pompe ques, ainsi qu'à la Mekke, au Béyrâm solennité
à la Mekke. Cette fête a lieu le io du mois le io du mois de dou-l-hageh ; et par cette
de dou-l-liadjeh , douzième et dernier mois raison lé dernier mois de l'année musulmane
de l'année lunaire musulmane. Cette solen- a reçu en Afrique le nom de lid-êl-Kebyr,
nité dure quatre jours, et le treizième jour du c'est-à-dire la Grande-Fête. lien résulte que.
même mois lunaire est spécialement férié, pour eux le Petit Béyrâm est la fête qui fâîî
h\ clôture du Petii Béyrâm. la clôture du jeûne du Ramadddn,
-'..•<
fêfcg <-\h Grand Béy^àn'. lél-Béi
92 L'UNIVERS.

ignorent cet avilissant cérémonial. On successivement deux à deux, et se livrent


peut facilement s'imaginer combien de tour à tour à ce combat gymnastique.
pareils usages doivent enorgueillir un Ce spectacle étrange m'a paru d'autant
prince naturellement fier, et diminuer plus intéressant que ces lutteurs tuni-
aux yeux des Tunisiens l'importance et siens me rappelaient absolument les
la considération des consuls européens. athlètes combattant aux jeux olympiques
II existe dans la chancellerie du consu- de l'ancienne Grèce et les gladiateurs
lat de France un acte qui constate qu'en dontles amphithéâtres de Rome faisaient
l'année 1757 le Bey, s'étant aperçu que leurs délices. Après s'être exercés pen-
le consul français n'était pas venu lui dant quelque temps devant l'assemblée,
rendre, avec les autres consuls, à l'occa- ils traversent la ville dans le même cos-

sion de la fête, l'hommage du baisement tume en continuant leurs combats et tâ- ,

de main, lui envoya l'ordre de venir chent de mettre à contribution les Chré-
s'acquitter de ce devoir, sous peine d'a- tiens ou les Juifs qu'ils rencontrent.
voir la tête tranchée. Le consul commu- Lorsque ces derniers font quelque résis-
niqua cet insolent message au corps des tance les lutteurs se vengent en les em-
,

négociants français, et leur demanda leur brassant étroitement, corps à corps, et


avis ils déclarèrent à l'unanimité qu'at-
; en salissant ainsi leurs habits de l'huile
tendu le caractère violent et despotique dont ils sont enduits.
du Bey alors régnant, il convenait de se Ceux des consuls qui aspirent à la
soumettre à ses volontés, intimées d'une bienveillance du Bey, ou qui la possè-
manière si acerbe; mais aussitôt après dent, ne manquent pas de lui faire
la cérémonie le consul quitta Tunis et , une visite de cérémonie tous les ven-
se rendit par terre à Tripoli, d'où il dredis (1).
donna avis à son gouvernement de ce Le consul danois jouissait particuliè-
qui s'était passé ; l'acte déposé à la rement de la confiance du Bey à l'épo- :

chancellerie du consulat constate à la que où j'habitais Tunis c'était lui que ce


fois l'ordre émané du Bey et la protes- prince consultait le plus volontiers, et
tation solennelle du consul. dont il suivait le plus ordinairement les
Les consuls prétendent que leur con- conseils en plus d'une occasion ce prince
:

duite habituelle avec le Bey est constam- a reconnu l'utilité des avis de ce con-
ment basée sur les instructions qu'ils seiller, dontles profondes connaissances
reçoivent de leurs gouvernements; mais en fait de commerce et de navigation
des motifs, dont je parlerai plus bas, ne pouvaient faire qu'un guide éclairé
me portent, au contraire, à croire qu'ils pour l'administration et la politique de la
ne sont pas fâchés de maintenir ce céré- Régence. Aussi ce consul avait-il mérité
monial, à l'insu de leurs gouvernements, auprès du Bey une faveur toute particu-
auxquels d'ailleurs ils ne communiquent lière, que les autres consuls s'efforçaient
que ce qu'ils croient convenable à leurs en vain d'obtenir.
propres intérêts. Puisque l'ordre établi exige que les
Lorsque la cérémonie du baisement de ccnsuls traitent directement avec le
main est terminée, une musique turque Bey sur les difficultés ou les différends
très-bruyante se fait entendre; et pen-. quelecommerce et la navigation peuvent
dant sa barbare exécution la fête se ter- faire naître, ils doivent sans aucun doute
mine par un singulier spectacle deux : tâcher de se concilier la bienveillance de
hommes , qui n'ont d'autres vêtements ce prince; mais il serait à désirer qu'ils
qu'unéculottede peau, souvent fort sale,
et dont la partie supérieure du corps est
entièrement nue et frottée d'iiuile, se
(i) On sait que le vendredi est le jour férié
des Musulmans pour lesquels ce jour est ce
,
présentent devant le Bey, et, après une
qu'est le dimanche pour les Chrétiens et le
profonde salutation, luttent ensemble en samedi pour les Juifs c'est le vendredi de
:

sa présence, jusqu'à ce que la supériorité chaque semaine qu'ils se rassemblent dans


de la force ou de l'adresse de l'un des deux leurs mosquées ; et c'est par cette raison qu'ils
soit évidemment constatée. Après ces ont donné à ce jour le nom de youm-êl-
premiers lutteurs, huit autres athlètes, djemaah , c'est-à-dire jour d'assemblée.
dans le même costume, se présentent (J. J.M.)
•TUNIS.

n'oubliassent pas ieur dignité, en cette Bardo fut assailli par trois soldats turks,
occasion, surtout lorsqu'il s'agit des in- qui lui demandèrent sa bourse en plein
térêts oude l'honneur des nations qu'ils jour, et il fut contraint de se laisser ainsi
sont chargés de représenter; mais aussi voler, sans qu'aucune recherche ait été
il conviendrait que lorsqu'il s'élève ensuite faite pour reconnaître et punir les
quelque difficulté entre le Bey et un con- voleurs.
sul celui-ci fût puissamment soutenu Le frère du consul danois, âgé d'envi-
par son gouvernement, et surtout qu'il ron douze ans, se promenait sur le bord
ne pût être renvoyé par le Bey sans autre de la mer, lorsqu'il jfut attaqué par d'au-
prétexte que celui de sa mauvaise humeur. tres soldats turks, qui lui firent subir les
Pendant mon séjour à Tunis le Bey plus odieux outrages; et cet attentat ne
a expulsé le consul des États-Unis , sans fut pas plus puni que le premier.
lui manifester d'autres motifs que celui La nation française est dans ce mo-
de sa volonté ; or, laplace de consul étant ment la plus respectée à Tunis , c'est-à-
à la fois honorable et lucrative, et peu dire qu'elle y essuie moins d'avanies
pénible à remplir, tous ceux qui ont le que les autres, et que si un Français vient
bonheur d'y être parvenus songent sur- à être insulté , le Bey ou son lieutenant
tout à ne pas la perdre, c'est-à-dire à ne él-Deweletly, ne manquent pas de faire
pas déplaire au Bey; il résulte de là paraître leur mécontentement et de
que dans les discussions qui s'élèvent manifester la résolution de faire châtier
entre lui et un gouvernement le consul les coupables ; mais rarement cette pro-
agittrop souvent avecmollesse, ou même messe,, toute d'apparat, reçoit son exé-
sacrifie les intérêts de sa nation pour cution.
ne pas tomber en défaveur auprès du Quoi qu'il en soit ,'en avouant que de
prince. tous les Barbaresques les Tunisiens sont,
Mais il ne s'agit pas seulement de faire en général, les plus doux et les plus hu-
sa cour au Bey , faut nécessairement
il mains, on doit convenir néanmoins que
la faire encore à son ministre , et avoir les Européens sont souvent exposés à re-
pour celui-ci des complaisances sans cevoir des insultes, lorsque par état ils
cesse exigées. S'agit-il de raccommoder sont obligés de parcourir la ville ; et la
un fusil, une montre dérangée, ou de rencontre des nombreux individus de
quelque autre objet aussi minime ap- différentes nations qui y habitent, ou
partenant au ministre ou aux gens de sa d'une soldatesque insolente et indiscipli-
maison, c'est toujours au consul qu'on née, expose à chaque instant les étrangers
s'adresse, et il ne serait pas convenable à en venir aux prises avec quelque agres-
à celui-ci de réclamer le montant de la seur imprévu , s'ils ne mettent en usage
dépense. Si les consuls ne sont pas en dans ces occasions la modération que
faveur chez le ministre , ils sont assurés dicte la prudence.
de ne pas obtenir celle du Bey ; d'où il Plusieurs faits qui sont arrivés pen-
résulte qu'il faut courtiser le premier dant mon séjour à Tunis viendront à
pour être bien avec le second. l'appui de ce que j'annonce.
Au reste, la considération dont jouis- Un capitaine français ayant été frappé
sent les consuls à Tunis est générale- par un officier de la garnison turke de
ment relative au rôle que joue la puis- la Goulette, le consul de France porta ses
sance qu'ils représentent on y est per-
: plaintes au Bey, qui l'assura que le Turk
suadé que la France et l'Angleterre mé- serait puni sévèrement; mais le coupable
ritent des égards particuliers; mais ces en fut néanmoins quitte pour quelques
égards sont bien moindres envers les jours de prison.
autres puissances qui ont des consuls à Un autre officier de la marine fran-
Tunis. Cependant, quoique les consuls çaise ayant été assailli et volé par trois
soient les seuls Européens pour lesquels soldats turks, le consul adressa égale-
ces égards soient plus ou moins observés, ment ses plaintes*aux autorités tunisien-
ils ne sont pas toujours à l'abri de nes. On
l'assura que les voleurs avaient
toute insulte, et je puis en citer quelques reçu une forte bastonnade ; mais la res-
exemples. titution du vol ne put être obtenue.
Dernièrement un consul venant du Peu de semaines avant mon départ de
94 L'UMVERS.
Tunis, un perruquier français et sa Je passerai sous silence d'autres ob-
femme, enceinte de huit mois, lurent in- servations; seulement je crois utile de
sultés et battus par trois Maures, aux- remarquer, comme un fait particulier à
quels se joignit un groupe de la plus vile Tunis, qu'aucune femme, de quelque
populace; et ils furent si indignement nation qu'elle soit ne peut y débarquer
,

traités, qu'ils furent forcés de garder sans une permission expresse du Bey.
Je lit pendant plus de dix jours :sur les Cette mesure, qui influe puissamment
représentations du consul , on répandit sur le bon ordre et la moralité des habi-
le bruit que les agresseurs avaient été tants, soit indigènes, soit européens,
condamnés à cinq cents coups de bas- n'est pas sans inconvénients, d autant
tonnade et à six ans de galères ; mais plus que le Bey est très-rigoureux sur
rien ne constata la réalité de ce châti- ce point, et refuse souvent l'autorisation
ment, si justement mérité. demandée. Cependant, lorsque les con-
Moi-même , j'ai été également exposé suls français et anglais demandent une
plusieurs fois à de pareilles insultes; permission d'entrée pour une femme de
mais je m'en suis toujours tiré sain et leur nation, ils l'obtiennent assez facile-
sauf, en parlant aux agresseurs avec ment ; mais il n'en est pas de même à
fermeté, et en faisant bonne contenance, l'égard des autres consuls.
surtout en faisant valoir le titre de mes Cependant il est arrivé que deux
fonctions auprès du Bey ; car les Maures Françaises, dont l'une venait rejoindre ,

et même les ïurks rabattent beaucoup son père, l'autre son mari, furent for-
de leur insolence lorsqu'ils trouvent des cées de rester à bord par l'absence mo« !

hommes qui ont plus de courage qu'eux, mentanée du consul , la première pen- ;

surtout lorsqu'ils peuvent craindre que dant une semaine, la seconde pendant
leur délit ne soit porté aux oreilles du trente-cinq jours.
prince , et ne leur attire une punition La France est intéressée , plus que J
grave. toute autre Puissance , à avoir des con- j

Pour obvier à de tels inconvénients, suis qui possèdent des connaissances


je pense«que le gouvernement français exactes sur ce qui concerne la Barbarie , !

devrait exiger que l'homme qui a insulté et qui soient suffisamment instruits dans :

ou frappé. un Français fût remis entre les la science de la statistique pour fournir
mains de notre consul , pour être châtié des renseignements utiles sur la géogra-
J
par ses ordres, ou du moins qu'il subît, phie ancienne et moderne de ces con-
par jugement des autorités tunisiennes, trées, sur l'histoire naturelle, le gou-
une punition publique et exemplaire, qui vernement et le commerce du pays, dont ]

pût prouver d'une manière incontestable on n'a eu jusqu'à présent que des no-
à chaque habitant la ferme volonté du tions très-confuses; les facilités et les
prince de ne jamais laisser impunie avantages que lui procurerait un em-
toute infraction aux égards qui sont dus ploi permanent, et la considération qui j

à une puissance voisine et alliée. y est attachée, les mettraient en état


Mais tout me porte à croire que la d'envoyer tous les ans un mémoire dé-
mollesse avec laquelle agissent en général taillé et raisonné, relatif aux sciences
les consuls dans de semblables occasions ci-dessus mentionnées; et le gouverne-
vient de ce qu'ils aiment souvent mieux ment serait en droit d'exiger ce travail
assurer leur tranquillité en employant en sus de leurs fonctions officielles.
les voies d'une faible représentation, que Il serait peut-être encore utile que le
remplir dignement leurs devoirs. gouvernement envoyât de temps en
Toutefois M. Devoize, qui a occupé la temps incognito en Barbarie des agents
place importante de consul français à d'une probité reconnue, dont la mission
Tunis, et qui a été employé dans les spéciale serait d'éclairer la conduite des
mêmes fonctions depuis trente années consuls, pour lui en rendre compte :

en plusieurs Échelles du Levant, ne je pense qu'on obvierait par cette me-


mérite pas ce reproche, quoiqu'on lui sure à beaucoup d'inconvénients ou
adresse ordinairement celui d'être de- d'abus ; car l'expérience a prouvé que
venu plus Oriental et plus Africain que plus un homme a de pouvoir, plus il est
Français. tenté d'en abuser.
9;,
TUNIS.
qui sont les intermédiaires obligés de
CHAPITRE XIV. toutes leurs transactions avec les Mau-
res. Ce sont ces courtiers qui achètent ; ce
Juifs deTunis ; —
femmes juives ; —
leurs cos-
sont eux qui vendent; c'est par leurs
tumes leurs mœurs ; —
courtiers ; —
col-
que l'argent est transmis des
,

porteurs, marchands ambulants; —


ordon- mains
nance du Bey à leur sujet. —
Rabbins ; — acquéreurs aux vendeurs toutes ces
:

— opérations leur valent le demi pour cent


leur sévérité ; leurs enquêtes morales ;
— usuriers juifs ; —conditions des prêts; de la part de l'un et de l'autre côté ; ce
— écritures des Juifs de Tunis.
qui leur produit en totalité une remise
d'un pour cent pour leur courtage.
Les Juifs sont plus nombreux à Tunis Les Juifs sont les seuls des sujets de
que dans les autres villes de la Barbarie : la Régence qui payent au Bey une impo-

leur nombre n'est pas positivement dé- sition personnelle; cependant, quoique
terminé; on assure même qu'il est im- cette redevance ait pour prétexte 4e but
possible "de le connaître, et qu'il est de d'assurer leur sécurité , rien n'est plus
leur intérêt de le cacher au gouverne- commun que de les voir outrager et même
ment tunisien. Si cependant on consulte frapper par les Maures; ils reçoivent
l'opinion publique à ce sujet, si on fait même les mauvais traitements ou les

un calcul approximatif, d'après l'exten- coups avec une résignation vraiment


sion du quartier qu'ils habitent et leur étonnante : mais aussi si jamais un d'eux
entassement prodigieux dans les mai- osait en riposter à ses aggresseurs il,

sons dont ce quartier se compose, je risquerait infailliblement d'être compro-


crois pouvoir penser qu'il n'y aurait pas mis dans un procès sérieux, qui ne pour-
d'exagérationàprésumerqu'ilyenaplus rait s'arranger que par le sacrifice d'une
de vingt mille qui y ont fixé leur rési- forte somme d'argent; et souvent ces
dence habituelle. insultes n'ont pas d'autre but que cette
Cette race d'hommes est là ce qu'elle extorsion abusive et tyrannique.
Quelques-uns parmi les Juifs s'habil-
est partout, remplie de superstition, de
ruse, de méchanceté et de haine pour lent à l'européenne; et ce costume est
quiconque n'est pas leur coreligionnaire. plus particulièrement adopté par ceux qui
Quelques-uns s'occupent des arts mé- sont originaires de Livourne; d'autres
caniques mais la plus grande partie se
;
adoptent les vêtements orientaux, por-
livre a quelque branche particulière de tant le bonnet et le châle gris ou bleu ;
commerce. Ils ont acheté du Bey le pri- car cette couleur leur est imposée, afin
vilège exclusif de faire celui de la pel- qu'ils ne puissent pas être confond us avec
leterie et celui de la cire, commerces les musulmans, dont leur costume ne
qui sont l'un et l'autre très-lucratifs. Ils diffère pas d'ailleurs.
payent aussi une somme très-considé- Malgré les humiliations essuyent
qu'ils
et Tétat d'avilissement auquel ils sont
rable pour le privilège de distilleries
eaux-de-vie, qu'ils ne peuvent cependant réduits ils peuvent cependant monter
,

vendre qu'à ceux de leur nation. Mais, des chevaux et des mulets, ce qui leur
quoiqu'il leur soit sévèrement interdit est défendu en Egypte et dans la plupart
dVn débiter aux Maures et aux Turks, ils des autres contrées soumises aux mu-
trouvent habituellement le moyen d'élu- sulmans.
der cette prescription, par des ventes Les femmes juives ont assez généra-
clandestines, qui forment la plus grande lement adopté le costume du pays ; mais
partie du gain de leur fabrication. ce qui les distingue des femmes maures,
Beaucoup d'entre eux font des opéra- c'est qu'elles n'ont que te moitié de la
tions très-actives , en tout genre de né- figure couverte par un crêpe noir, tan-
goce, avec Livourne et Marseille, et l'on dis que les femmes des Maures se voilent
peut assurer qu'une grande partie du le visage entièrement. J'en ai vu un as-

commerce de ces deux places avec Tunis sez grand nombre qui étaient belles et
est aujourd'hui entre leurs mains ; les Eu- bien faites, surtout parmi celles que pare
ropéens même n'en peuvent faire aucun encore la jeunesse; mais la nature gros-
dans la Régence sans avoir à leur servi- sière et la forme désagréable de leur ha-
ce plusieurs sensals, ou courtiers juifs, billement les empêche de faire valoir ce&
96 L'UNIVERS.
avantages ; et leur défaut de soin pour d'une pluie abondante malgré ces actes
;

soutenir leur gorge, qui est communé- de pénitence et ces supplications ferven-
ment fort volumineuse, leur fait perdre tes, la sécheresse continua à désoler le
bientôt toute espèce de charme. Elles pays. Les rabbins se persuadèrent alors
ne se montrent pas trop difficiles à se prê- que les péchés des impies, et surtout
ter aux aventures galantes ; mais elles ap- l'impudicité des femmes répudiées ou
portent les plus grands soins pour ca- veuves , devaient être la seule cause du
cher leurs intrigues amoureuses ; car si courroux céleste ; en conséquence ils fi-
leur mari ou le rabbin de la synagogue rent dans toutes les familles juives des
en avait connaissance elles courraient
, recherches scrupuleuses , à la suite des-
le risque d'être châtiées sévèrement, ou quelles ils découvrirent qu'un assez
même répudiées. grand nombre de ces femmes délaissées,
Il n'est pas difficile à un Juif de répu- ou condamnées'au célibat parla mort de
dier sa^femme, pour peu qu'il puisse allé- leurs maris , avaient un commerce illicite
guer une cause raisonnable pour moti- avec des débauchés , ou même étaient
ver ce divorce ; et plusieurs, sans avoir devenues enceintes par suite de ce com-
recours à cet acte légal prennent une
,
merce criminel : les pécheresses furent
seconde femme, leur loi autorisant la po- châtiées sévèrement ; mais cette punition
lygamie ainsi que la loi musulmane. exemplaire n'empêcha pas que de nou-
Un assez grand nombre de Juifs et de velles recherches n'en fissent découvrir
Juives parcourent la ville en colportant encore un assez grand nombre , parmi
des marchandises que ces marchands am- lesquelles on en reconnut beaucoup de
bulants offrent à acheter dans les maisons relapses, dont le châtiment précédem-
et les harems et il est à remarquer que
; ment subi n'avait pu amender Ja con-
les femmes mauresques ne croient pas duite.
être obligées de se voiler devant un Juif, Tout Juif convaincu d'avoir mangé à
qu'elles ne regardent que comme de vils la table d'un Chrétien ou d'un Maure est
animaux, et qu'elles sont loin de croire fortement réprimandé par le rabbin, en
appartenir à l'espèce humaine. pleine assemblée de la synagogue, et
Comme il est arrivé plusieurs fois que s'il vient à récidiver, il est déclaré déchu
des Juifs et des Juives ont été assassinés de ses droits civils et religieux dans la
dans des maisons, pour s'approprier leurs communauté israélite; son témoignage
marchandises, le Bey a ordonné qu'à n'est plus admis; il est frappé d'ana-
l'avenir les colporteurs de l'un ou de thème, déclaré infâme, et en conséquence
l'autre sexe iraient toujours deux à deux, déshonoré dans l'esprit de tous ceux qui
et que l'un d'eux serait obligé de rester composent sa nation.
devant la porte de la maison pendant Les rabbins ne dédaignent même pas
que son compagnon y entrerait avec ses de s'occuper du règlement des habille-
marchandises. Depuis cette ordonnance, ments ; et ils cherchent à réprimer le
aussi simple que sage , aucun Juif n'a goût des jeunes filles pour l'élégance du
été la victime de l'avidité et de la per- costume, les bijoux les parures et pour
,

fidie des spoliateurs meurtriers. les modes du jour. Je croirai volontiers


Les rabbins jouissent d'une autorité qu'il est très-probable que cette grande,
très-étendue sur leurs coreligionnaires ; autorité des rabbins a dû exercer beau-
ils veillent non-seulement sur la stricte coup d'influence sur la conservation et la
observance du culte mosaïque, mais propagation dans ces contrées de la secte
aussi sur la conduite morale des particu- mosaïque, qui sans cela aurait peut-être
liers de l'un et l'autre sexe. éprouvé des altérations et des change-
Peu de temps après mon arrrivée à ments aussi sensibles que toutes les au-
Tunis la Régence fut affligée d'une
, tres sectes religieuses dont l'Orient a vu
grande sécheresse, fléau qui est une des les révolutions et l'extinction successive.
calamités les plus dommageables et les Cependant , si la sévérité des rabbins
plus redoutées dans ce pays. Les rab- s'exerce sur les infractions du sixième et
bins ordonnèrent deux jours de jeûne du neuvième commandement du Déca-
rigoureux par semaine , et des prières logue, leur rigidité se relâche singu-
solennelles pour obtenir du ciel la faveur lièrement sur le reste de la conduite
TUNIS. 97

morale, de leurs ouailles, et principale- ment quelque effet précieux et porta-


ment sur les diverses tromperies dont tif, comme
bijoux, diamants , perles
les Juifs ne se font aucun scrupule d'user or ouvré ou en lingots, etc. , sur lesquels
dans le commerce avec les Chrétiens, et le prêteur ne donne jamais que moitié ou
même avec les Maures, auxquels on peut tout au plus deux tiers de la valeur in-
dire qu'ils semblent vouloir disputer le trinsèque ;
monopole des fourberies et le privilège 2° De payer d'intérêts par mois un ,
delà mauvaise foi. etmême souvent deux, pour cent de la
Les rabbins sont les premiers à aider somme dont le prêt est stipulé, lesdits
les membres de la synagogue dans toutes intérêts payables mensuellement et à
les manœuvres mensongères qu'ils em- jour fixe;
ploient journellement, soit pour frauder 3° De défalquer d'avance sur la somme
les droits de la douane par de fausses prêtée le montant des intérêts de la pre-
déclarations, soit pour éluder ceux du mière année;
fisc dans le payement de la redevance 4° Enfin d'abandonner à l'usurier le
,

du kharadj, à laquelle les membres gage entier, sans aucun dédommage-


de la corporation judaïque sont soumis, ment, si le débiteur se trouve dans l'im-
espèce de capitation ou d'impôt person- possibilité de lui solder un terme des
nel qui frappe également tous les indi- intérêts à leur échéance. Dans ce der-
vidus de cette caste, de tout sexe, de nier cas il' n'est même fait aucune dé-
tout âge, depuis le vieillard décrépit falcation des intérêts payés aux diffé-
jusqu'à l'enfant à la mamelle. rents termes précédents.
La principale cause de l'ignorance Ces prêts usuraires ne peuvent man-
où le gouvernement lui-même est sur quer d'absorber ainsi , dès la première
le nombre réel des Juifs habitant Tunis année le huitième au moins ou même
,

vient des fausses déclarations que font le quart de la somme prêtée; chaque
à ce sujet les chefs de la synagogue année porte le même préjudice à l'em-
donnant ainsi à leurs co-religionnaires prunteur et pour peu que celui-ci tarde
;

les premiers exemples de duplicité et de à retirer son gage, il risque de le perdre


fraude. entièrement, soit par les intérêts mons-
Ils tolèrent d'ailleurs l'usure la plus trueux qu'il est obligé de payer, soit par
révoltante, et qu i est désapprouvée par les le défaut de payement d'un seul terme de
Maures eux-mêmes ; beaucoupde Juifs ne ces intérêts. Il ne doit, dans ce dernier
vivent que des produits de ce trafic in- cas, espérer d'obtenir de son créancier
fâme de leur capital , et la seule chose dont ni la moindre faveur ni le moindre délai.
ils s'occupent, c'est du soin de ne placer Mais il ne faut pas croire que cet
leur argent que d'une manière sûre , et infâme monopole se limite simplement
entre les mains de débiteurs incontesta- à la nation juive: on accuse, à tort ou à
blement solvables. raison des Européens
, qui se disent
,

Dès qu'ils sont assurés de ce premier chrétiens de s'y livrer à Tunis avec au-
,

point essentiel , ils mettent tous leurs tant d'empressement que les enfants d'Is-
soins à garantir le recouvrement de leur raël.
capital et de leurs intérêts par les stipu- Ceux-ci, au reste, sont loin d'être
lations les plus rigoureuses, qu'ils s'ef- découragés par la concurrence soit des ,

forcent de rendre aussi lucratives pour Européens soit des Maures dans toute
, ,

le créancier qu'oppressives et spolia- espèce de commerce et de trafic bien ,

trices pour le débiteur. sûrs de l'emporter sur leurs concur-


Lorsque des emprunteurs n'ont aucun rents, par leur habitude des affaires,
crédit, ou même n'ont qu'un crédit in- leurs ruses financières, et surtout leur
certain , ils ont beau avoir besoin de activité véritablement admirable.
quelque somme , ils ne la trouvent pas On ne peut en effet faire un pas dans
chez les Juifs, ou, s'ils réussissent à Tunis sans rencontrer sur son passage
l'obtenir, ce n'est qu'en consentant à se des Juifs et des Juives, courant d'un bout
soumettre aux quatre conditions sui- à l'autre de la ville, aux divers endroits
vantes : où leurs intérêts commerciaux les ap-
1° De donner pour gage et nantisse- pellent on les trouve partout, se glis-
:

7 e Livraison. (Tunis.)
98 L'UNIVERS.

santdans heurtant les passants,


la foule, du dialecte arabe vulgaire , qui est leur
au hasard d'encourir les plus mauvais langage habituel , il leur est strictement
traitements et à leur marche accélérée,
, interdit de se servir des caractères ara-
essoufflée, haletante, à leur air effaré, bes réservés par l'usage aux seuls Mu-
,

on croirait qu'ils arrivent à l'instant des sulmans; quoique cette interdiction ne


quatre coins du globe terrestre , alléchés soit basée sur aucune prescription légale,
par l'odeur d'un gain à faire et d'une elle s'est pourtant établie également dans
opération fructueuse à exploiter. toutes les contrées barbaresques, où elle
On reconnaît aisément, les hom-
les a acquis force de loi.
mes à vêtements d'une couleur
leurs Les Juifs de Tunis doivent donc se
sombre, à leur vaste bonnet évasé par servir uniquement, pour écrire non-
le haut, le turban musulman leur étant seulement leur langue , mais encore l'a-
interdit; les femmes, à la manière par- rabe, de caractères hébréo-rabbiniques
ticulière dont elles sont voilées, soit, qui leur sont particuliers, ainsi qu'à
comme je l'ai déjà dit, par un morceau leurs co-religionnaires d'Alger et de Tri-
de crêpe noir leur couvrant seulement poli, mais qui sont très-différents des
la moitié de la figure, soit par un mou- lettres rabbiniques connues et en usage
choir tendu transversalement d'une chez les Juifs des autres contrées, soit
oreille à l'autre, qui, passant sur la bou- européennes , soit asiatiques comme
:

che et le menton, ne cache que la partie cet alphabet n'a jusqu'à présent été pu-
inférieure de leur visage. blié par aucun voyageur, le lecteur me
On les reconnaît surtout, dans tous saura peut-être quelque gré_de le lui faire
les endroits où il y a des réunions com- connaître.
merciales, non-seulement à leur allure
turbulente et empressée, et à leur physio- SPECIMEN
nomie, qui à Tunis, comme partout
ailleurs, a conservé son type originel,
de Vécriture des juifs de Tunis, $Alger
et de Tripoli (1).
mais encore à leurs voix glapissantes
et criardes, à leur timbre nasillard, au
détestable patois qu'ils emploient entre
eux, si différent des idiomes arabes et
de toute autre langue usitée soit en
Afrique , en Europe.
soit
En langage habituel des Juifs
effet, le
S
de Tunis, dans leurs rapports avec les
Européens, est le jargon informe que
l'on désigne par le nom de langue fran-
que 9 et qui se parle dans toutes les
Échelles du Levant; mais entre eux ils
ne se servent que d'un patois judaïque,
ou hébreu corrompu. La langue franque Le tableau suivant offrira les lettres

est seulement parlée, et n'est presque de cette écriture exactement représen-


jamais employée par les Juifs dans leur tées, avec leur double valeur, tant al-
correspondance écrite l'idiome qu'ils
:
phabétique qu'arithmétique; car ces let-
écrivent dans leurs lettres missives tres servent en même temps de chiffres ;

est cet hébreu corrompu dont je viens et les Juifs n'ont pas d'autres signes nu-
de parler, ou un mauvais arabe, mêlé méraux.
non-seulement de mots hébreux mais ,
Ce caractère, se trace de droite à
encore de ceux des langues de toutes gauche, que l'hébreu ordinaire
ainsi
les nations qui bordent la Méditer- et l'arabe, mais les lettres n'en sont pas
~ liées entre elles, comme dans la plupart
ranée.
Je ne dois pas oublier d'ajouter ici une des autres écritures orientales.
observation digne de remarque; c'est
que, soit que les Juifs emploient, en (i) Lecture min cind-y'ânâ mosselem
:

écrivant leur correspondance, leur patois alây-k ketyr êslem nalem-ki le-dy l-youm
hébreu corrompu, soit qu'ils se servent talit dyydm.
TUNIS. 99

ALPHABET lamême raison, la même étymoiogie


au nom de Mauritania , attribué au
des Juifs de Tunis, d'Alger et de Tripoli. pays qu'ils habitent.
Cependant cette étymologie ne ferait
TT KH. Z.OD.AH. D. DJ. B. A.
remonter que jusqu'aux Grecs l'origine
de ce nom, et on doit d'ailleurs avouer
que la plupart des Maures tunisiens qui

9 8' 765 432 1


habitent les villes sont à peu près blancs
comme les Européens ; ceux qui habitent
la campagne, et particulièrement les cul-

SS. F. AA. S. N. M. L K. Y. tivateurs ont le teint plus brun , et sont


,

presque basanés; mais ils ne le sont pas


plus que beaucoup de laboureurs de
nos provinces méridionales, et beau-
coup moins peut-être que la plupart des
90. 80. 70. 60. 50. 40. 30. 20. 10.
gens du peuple parmi les espagnols.
Ne paraîtrait-il pas plus probable que
SS*. T*.N*. M*. K*. T. CH. K. Q. le nom donné aux Maures remonte plus
haut que les Grecs, et qu'il peut rap-
porter son origine à l'époque plus an-
cienne, où les Phéniciens explorèrent les
premiers les côtes septentrionales de
900. 800. 700. 600. 500. 400. 300. 200. 100. l'Afrique, et où les Carthaginois y éta-
blirent leur puissant empire.
Les cinq dernières lettres de ce ta-
Or, en langue phénicienne, et sans
bleau marquées d'un astérisque sont
, ,
doute aussi en dialecte punique, Mouè-
seulement finales les vingt-deux précé-
;

dentes sont en même temps initiales


rym, ou Mouéryn, est le nom attribué
aux Occidentaux , aux nations les plus
médiales et finales.
reculées, les plus éloignées de £0-
rient (1); quelle dénomination peut
CHAPITRE XV.
mieux convenir aux peuples qui habi-
Des Maures. —
Étymologie du nom de Mau- tent les parties occidentales des côtes
res; —
physionomie et caractère des Mau- septentrionales de l'Afrique , et quelles
res; — leur taille; — - leur industrie; — leur autres expressions ont pu mieux adopter
haine pour Chrétiens ;
les renégats — les navigateurs phéniciens pour les dé-
chrétiens; —
renégats juifs; manière de — signer, lorsqu'ils en firent la découverte
vivre des Tunisiens; ivrognerie;— — dans leurs excursions maritimes?
usage de l'opium ; —
Turks de Tunis ; — Au reste, la Mauritanie et les côtes
écriture des Maures.
barbaresques, en général, portent en
langue arabe le nom de êl-Moghreb,
On désigne par le nom de Maures, ou c'est-à-dire l'Occident (2), et le peuple
de Mores, non-seulement les indigènes qui les habite est dit Moghreby ( Occi-
delà Régence de Tunis, mais encore dental).
tous ceux de la côte de Barbarie. Ce nom
dérive de celui de Mauri , sous lequel (1) Ultimaad Herculeas Maurorum terra Columnas,
on comprenait toutes les nations occi- Imper at Occidui fluctibus Oceani.
Littoribus mauris duplex simul incubât Atlas s
dentales de l'Afrique septentrionale. Hasque ultra metas longius ire vêtant,
S'il fallait s'en rapporter à l'opinion la Hinc mare fine carens, nulli navigabile, et illinc
plus généralement accréditée chez les JEquora arenarum , torrida , fœta feris.
Sistere limitlbus sic te natura , viator,
écrivains qui se sont occupés de la re- HisjubeÛ, atque tibi claudit utrimque viam.
cherche étymologique de ce nom, il serait Cl. Rutilius.
dérivé lui-même du grec Maupoç, qui si-
(a) C'est racine arabe gharb, dont est
de la
gnifie sombre , basané, quia la peau
formé le mot Moghreb , qu'esl dérivé le nom
brune, à cause, disent ces étymologis- d' Algarves, donné à la province la plus occi-
tes, de la couleur du teint des peuples qui dentale du Portugal, dont les Arabes Maures
ont été ainsi appelés ; et on donne par ont élé longtemps les maîtres. (J. J. M.)
,
,

100 L'UNIVERS.
La taille moyenne est la plus com- résultat du souvenir de ces guerres injus-
mune parmi Maures, pour les hom-
les tes qui, sous de vains prétextes, et no-
mes; cependant on yen rencontre un tamment sous celui d'un zèle mal en-
assez grand nombre qui sont d'une tendu , leur furent faites autrefois par
haute stature tandis que la taille in-
, les Croisés, qui s'acharnèrent si long-
férieure à la moyenne est très-rare. Ils temps à vouloir délivrer la Terre-Sainte
ont généralement le maintien sérieux des maîtres que la victoire lui avait
leur physionomie est mâle ; et si, malgré donnés, et d'en expulser ses pacifiques
ses variétés, je ne la trouvai pas aussi habitants, ainsi que tous ceux qui , n'a-
agréable et aussi belle que celle des dorant pas le Christ, suivaient inno-
Européens, il faut peut-être en attribuer cemment la religion de leurs pères.
lacause au turban qui l'écrase, et à la Que le lecteur veuille bien se rappeler
longue barbe qui la couvre et la dé- les horreurs, les meurtres, et les exac-
forme. tions, que les Croisés commirent à cette
La religion musulmane et le dogme époque de fanatisme tant en Asie qu'en
,

de prédestination les tiennent dans


la Afrique; qu'il se retrace le souvenir
la superstition la plus déraisonnable, des flots de sang qu'ils firent couler, au
et dans la plus profonde ignorance; nom et sous la bannière d'un Dieu qui
ils leur doivent néanmoins cette ad- est venu apporter la paix aux hommes,
mirable résignation qui les accom- ( pax hominibus bonae voluntatis ) , et
pagne toujours dans les plus grandes il concevra facilement comment, d'une

épreuves de l'adversité. Cette supersti- génération à l'autre s'est propagée et


,

tion et cette ignorance ne sont cepen- perpétuée une haine nationale , dont la
dant pas générales ; car on rencontre de cause paraît juste et naturelle à ces peu-
loin en loin quelques Maures intelli- ples quoique oubliée peut-être du vul-
,

gents, qui se sont dépouillés des vieilles gaire , chez lequel l'instinct de l'habi-
routines et des préjugés populaires, et tude a remplacé le souvenir : ainsi la
dont la croyance est moins vive pour postérité paye souvent les fautes de ses
leurs maximes superstitieuses; ils doi- ancêtres , et la peine du talion tombe T
vent ce progrès surtout aux communica- après bien des" générations , sur les
tions qu'ils peuvent avoir, soit avec les têtes innocentes des descendants des
peuples d'Europe, soit avec les esclaves coupables.
de ces dernières contrées qui sont à leur Il y a cependant quelques occasions
service. où la haine et le mépris pour un Chré-
Le Tunisien en général ne manque pas tien semblent disparaître totalement;
d'aptitude pour différentes branches mais ces circonstances ne naissent que de
d'industrie, et on trouve dans la ville Pégoïsme, et lorsqu'un besoin pressant
de nombreux ateliers où ils fabriquent tourmentant le Maure le force de recou-
des toiles, des gazes, des soieries et sur- rir au Chrétien.Il s'établit alors une éga-
tout beaucoup de bonneterie. lité parfaite entre lui et le Chrétien ce-
:

Les affaires d'intérêt sont les seules lui-ci même jouit quelquefois de la préé-
qui les rendent susceptibles d'émotion : minence ; mais dès que le besoin, ce puis-
aussi se fâchent-ils et crient-ils autant sant moteur, vient à cesser, dès que l'ur-
pour une lésion de la valeur d'un sou, gence qui réclamait un concours est sa-
que les gens les plus intéressés pourraient tisfaite , il est plus fréquent de voir le
le faire parmi nous pour une somme Maure revenir à sa fierté et au dédain
beaucoup plus forte et pour la perte habituel , que de voir succéder sa grati-
d'une fortune entière. tude à sa détresse et au service reçu.
Ils croient fermement que leur reli- Je ne puis nier cependant que j'ai* ren-
gion les rend supérieurs à tous les au- contré à Tunis plusieurs Maures dont le
tres hommes, et ils n'estiment par con- cœur m'a semblé accessible à quelques
séquent les Chrétiens qu'à une bien sentiments de reconnaissance ; ces Mau-
faible valeur, quoique cependant ils les res, qui avaient été esclaves à Malte, et
mettent bien au-dessus des Juifs. qui avaient été mis en liberté par Bona-
La haine qu'ils vouent aux premiers parte, lorsqu'il fit la conquête de cette
paraît, selon toute probabilité , être le île , n'avaient pas oublié ce bienfait du
TUNIS, ÏOÎ

général français :tous me demandaient ressource est la fuite à Tunis et l'abju-


avec empressement de ses nouvelles, en ration.
priant Allah de le combler des fa- Il n'est pas absolument rare de voir

veurs célestes, et de lui accorder tout le des Juifs, de l'un et de l'autre sexe, em-
bonheur qu'il pourrait désirer. brasser la religion de l'islamisme; mais
Au reste, il est facile de témoigner ce qu'il y a de singulier, c'est que les re-
verbalement sa reconnaissance, et je négats de cette nation sont beaucoup
n'ai jamais eu occasion de vérifier par moins considérés que les renégats chré-
des faits l'influence de ces souvenirs en tiens, à tel point que lorsqu'un renégat
ma faveur. J'ajouterai même qu'un de juif vient à mourir, il n'est pas inhumé
ces Maures me demandait l'aumône en dans le cimetièredes musulmans, et il lui
langue franque, et formulait sa sup- est désigné une place particulière et
plique en ces termes, bien étranges dans isolée, tandis que les cadavres des rené-
la bouche d'un musulman. « Donar mi gats chrétiens se mêlent sans aucune
« meschino la carità d'una carrouba, difficulté à ceux des Maures musulmans
« per ïamor délia santissima Trinità de race et d'origine.
« e dello gran Bonaparte. » La manière de vivre des Tunisiens
La classe des Maures admet dans ses est assez simple, et n'admet guère au-
rangs un assez grand nombre de René- cun excès de prodigalité ; on trouve la
gats , dont les descendants sont estimés plupart du temps sur leur table un
Maures pur sang, aussi bienquesi leurs grand plat de kouskousou , avec quel-
ancêtres avaient fait partie des premiers ques herbages ou quelques légumes,
Musulmans conquérants de l'Afrique. auxquels ils ajoutent ordinairement de
La prééminence dont jouissent les la viande de bœuf ou de mouton.
Musulmans dans presque^toutes les oc- Le kouskousou est une espèce de
casions sur les sectateurs d'une autre semoule, pétrie avec une très-petite
religion , le désir d'améliorer son sort, quantité d'eau; on fait sécher ensuite
et l'espoir d'amasser quelque fortune, en cette pâte pour la diviser en très-petits
obtenantla protection du gouvernement, segments et alors on procède à l'as-
,

et en parvenant à quelque poste éminent saisonnement, dans lequel ils n'épar-


et lucratif, soit civil, soit militaire, mais gnent ni l'oignon , ni le poivre ni le ,

surtout, peut-être, la liberté d'avoir beurre. Les gourmets se plaisent à mê-


légitimement et légalement plusieurs ler à ce mets ainsi apprêté toutes sortes
femmes ou concubines, ainsi que le d'épices et de parfums, qui en rehaus-
droit de les répudier à sa volonté ; tels sent encore le goût.
sont généralement les motifs qui pa- Ils aiment beaucoup les fruits , et ils
raissent déterminer les Européens à re- ne manquent pas d'en couvrir abondam-
nier leur religion pour embrasser la
,
ment leur table pendant la saison qui les
eroyance musulmane. produit. Ils sont moins partisans du
11 est vrai que le nombre des René- café que les autres peuples orientaux ;

gats dépend en grande partie encore de mais, en revanche, ils sont tous adon-
l'arrivée plus ou moins nombreuse des nés au vin et à l'eau-de-vie ; et malgré la
aventuriers que la navigation jette sur défense formelle dont la loi musulmane
les côtes barbaresques , et qui y sont frappe ces liqueurs un grand nombre
,

poussés par des motifs divers. d'entre eux a de la peine à se persuader


En effet, cette abjuration est aussi qu'il y ait péché à en boire. Au surplus,
quelquefois la suite du désespoir, après voilà comment ils raisonnent pour tran-
des malheurs irréparables ; mais le plus quilliser leur conscience : « Ce n'est pas,
souvent c'est un moyen de se soustraire « disent-ils,ce qui entre dans la bouche
à quelque fâcheuse poursuite, en cas de « qui fait du mal à autrui , mais ce qui
démêlés trop compromettants avec la jus- « en sort : donc, le péché peut être dans
tice européenne ; aussi la caste des Re- « le second cas , mais non pas dans le
négats se recrute-t-elle, en grande partie, « premier. »

de meurtriers, de faussaires, de banque- Quoi qu'ilen soit de leur raisonnement,


routiers , condamnés par les tribunaux ils conviennent de la nécessité de boire
de leurs pays respectifs , et dont l'unique avec modération, pour ne passcandaliser
102 L'UNIVERS.

le prochain, et croient, en ne s'enivrant que leur science médicale doit être, plus
pas , avoir pleinement satisfait à la loi que celle de tout autre médecin et sur-
d'interdiction , qui ne spécifie ni l'eau- tout de leurs docteurs ignorants, capa-
rle-vie ni le vin, et ne prohibe que les ble de leur indiquer des moyens efficaces
liqueurs enivrantes. pour rétablir leur vigueur primitive;
Ceux qui se sont livrés à l'ivrognerie toutefois, comme la plupart des méde-
se corrigent quelquefois de ce vice ; mais cins qu'ils consultent, charlatans ou au-
le plus souvent, en renonçant à un excès, tres , ne cherchent à remédier à cette
ils retombent dans un autre, qui consiste débilitation fatale que par des médica-
dans l'usage ou plutôt l'abus de l'opium ments échauffants et des aphrodisiaques
(âfyoun). ne produisent sur des organes
actifs, ils
Les opiophages ;<d ( que le lecteur me usés, au lieu d'une cure réelle, qu'un
permette de créer ce mot) sont assez ré- effet momentané; et même cette lutte
pandus dans la Régence, et surtout à avec lanature épuisée n'est pas sans
Tunis l'excès auquel ils parviennent pro-
; danger pour la santé et pour la vie du
gressivement, dans l'abus de cette sub- patientqui s'estsoumis àleur expérience.
stance délétère, est réellement effrayant, Un vice honteux , dont ma plume se
et j'en ai connu qui en consommaient refuse à écrire le nom paroxisme de la
,

depuis un quart d'once jusqu'à une débauche la plus effrénée, et qui outrage
demi-once par jour. à la fois la nature et les lois morales ,
Ils soutiennent assez généralement est malheureusement trop répandu
que les sensations agréables que ce nar- parmi les Maures, ainsi que parmi une
cotique enivrant leur procure sont de grande partie des peuples de l'Orient.
beaucoup supérieures à celles qu'occa- On doit peut-être chercher la cause
sionne l'ivresse du vin et des autres li- d'une pareille dépravation, qui pervertit
queurs spiritueuses ; mais ils sont trop et dégrade l'instinct naturel du sexe
peu instruits pour comprendre que l'o- masculin dans le mépris qu'inspire aux
,

pium altère bien plus vite et plus puis- Maures et aux autres peuples orientaux
samment leur constitution que le vin et la faiblesse d'un sexe qui , leur accordant
même Teau-de-vie il en est de cette jouis-
: ses faveurs sans leur opposer assez de
sance factice comme de tant d'autres on ; résistance, doit nécessairement, par'cette
n'aperçoit que le plaisir du moment, sans soumission passive à leurs moindres vel-
s'inquiéter sur l'avenir. léités, loin d'exciter et d'aiguillonner
D'après les recherches que j'ai faites leurs désirs , leur inspirer bientôt la
sur la quantité approximative d'opium satiété et le dégoût.
que l'on consomme annuellement à Tu- A cette première cause sont proba-
nis, je regarde comme très- probable blement venues s'en joindre d'autres,
que cette consommation peut monter à soit une inconstance maladive des fan-
près de vingt quintaux par an ; mais il se- taisiesvoluptueuses soit une bizarrerie
,

rait bien difficile de pouvoir évaluer la insatiable qui pousse l'homme oisif à
quantité que les Bédouins et les autres chercher des jouissances moins commu-
habitants des provinces de la Régence nes et plus étranges, soit enfin un raf-
absorbent journellement. finement illimité de volupté plus facile à
Les Tunisiens sont singulièrement por- caractériser qu'à comprendre et à expli-
tés aux plaisirs de l'amour, et s'y livrent quer.
généralement avec ardeur; mais, soit Je pense cependant qu'on aurait tort
qu'ils abusent habituellement avec trop de croire, comme le prétendent quel-
d'excès des jouissances voluptueuses, ques-uns de ceux qui habitent ce pays
soit qu'ils commencent à s'y adonner depuis longtemps, que ce vice a ici une
dès un âge trop tendre , il en résulte extension générale tellement que s'il
, ,

que beaucoup d'entre eux se plaignent fallait ajouter foi à leurs assertions,
de bonne heure d'un épuisement et on pourrait pronostiquer la fortune dont
d'une impuissance plus ou moins com- un homme peut courir la chance, en la
plets aussi c'est particulièrement dans
i préjugeant d'après îe plus ou moins de
ce cas qu'ils aiment à consulter les mé* beauté dont il pourrait être pourvu; au
imlm européens* dans la persuasion reste , j'avouerai qm lertfon m
TUNIS. 10?

semblera pas être destituée de toute opérations commerciales : on pourra


probabilité , si on considère que ce qui dire véritablement que les Carthaginois
est, à mon avis, au moins douteux des siècles passés se retrouvent encore
en Barbarie , ne l'était pas en Egypte dans les Tunisiens de nos jours.
lorsque les Mamelouks en étaient les Mais s'il est permis de supposer que
maîtres. la portion de la population tunisienne

Mais si, quelques points des


en qui peut réclamer sa descendance des
mœurs, des coutumes, et des habitu- anciens colons puniques, en ait con-
des de la vie intérieure, les Tunisiens servé cette tendance commerciale, il
m'ont paru avoir avec les populations est vrai de dire qu'elle a été fortifiée et
que j'avais déjà observées en Egypte ces généralisée dans ce pays par les popu-
rapports généraux qui semblent ne faire lations juives qui se sont empressées
qu'un seul peuple de tous les peuples d'y accourir, attirées soit par cette con-
de l'Orient, le caractère particulier des formité des mœurs maures avec les
habitants de la Régence et l'aspect de leurs, soit par la situation éminemment
Tunis en général m'ont offert des dif- favorable que leur offre Tunis pour
férences bien marquées entre ceux qui leurs opérations commerciales , comme
foulent le sol punique et ceux qui occu- point intermédiaire entre l'Orient et
pent maintenant l'ancien domaine des l'Occident, entre l'Afrique et le littoral
Pharaons. de l'Europe méridionale.
Tunis, Tripoli, Alger et Maroc for- Au reste , que les Maures aient donné
ment comme un peuple à part parmi aux juifs tunisiens ou qu'ils en aient
les tribus nombreuses d'Arabesque l'is- reçu cet instinct commercial qui forme
lamisme a répandues d'Orient en Occi- le caractère distinctif des peuples de la

dent sur les vastes contrées de l'Asie Régence, il n'en est pas moins vrai de
méridionale et de l'Afrique septentrio- remarquer que la ville de Tunis tout
nale. Les diverses populations barbares- entière semble n'être qu'un vaste bazar,
ques sont, avec quelques nuances, des ou plutôt , si j'ose le dire , une immense
populations sœurs; qui a vu l'une d'elles juiverie.
a vu les autres :
On pourrait dire que le génie du né-
goce plane non-seulement sur Tunis,
faciès non omnibus una
Nec diversa tamen, qualis decetesse sororum. mais encore sur toutes les cités de la
Régence; la capitale surtout semble
La nuance qui paraît donner à la po- n'être qu'une aggrégation A' hommes
pulation tunisienne une teinte morale d'affaires; les places publiques, les
particulière, c'est l'esprit mercantile, rues, les cafés fourmillent de Maures
qu'on pourrait croire lui avoir été légué et de Juifs, et même d'Européens em-
par héritage , de génération en généra- pressés sillonnant la foule stationnaire,
tion, depuis les anciens Carthaginois, coudoyant ceux qui marchent, agents de
héritiers eux-mêmes, sous ce rapport, change ambulants, courtiers, entremet-
des Phéniciens leurs ancêtres, auxquels teurs, flairant les opérations commer-
les Hébreux avaient donné le nom ca- ciales, s'informant du cours des espèces
ractéristique de Cananéens, attestant la et des marchandises, des arrivées, des
propension que les peuples de la Phé- départs des navires, suivant à la piste des
nicie avaient pour le commerce (1). opérations commencées ou en proposant
L'antique reine du commerce médi- de nouvelles ils ne s'abordent qu'en par-
;

terranéen, Carthage, dont les ruines sont lant d'agio, de banco, de doit et avoir.
si rapprochées de la nouvelle capitale Tunis entière est pour l'Afrique ce que
de Y Afrique proprement dite, semble sont pour l'Europe les Bourses de Mar-
en effet présider encore du fond de ses seille , d'Amsterdam ,de Londres et de
débris à l'esprit dont sont animés les Paris,' mais avec une teinte plus pro-
peuples qui ont remplacé ses anciens noncée de brocantage juif, de mesquin
sujets, si industrieux, si adonnés aux regrat et de tripotage illégitime.
Ces instincts commerciaux ont sans
(t) Canaan t en hébreu, signifie mar<- contredit concouru à adoucir la rudesse
tikandf négociant adonné au commerce*
f, primitive de la population tunisienne «
104 L'UNIVERS.

et en font, pour ainsi dire, l'avant- sentiments, la droiture dans leur con-

garde de la civilisation parmi les peu- duite et la sûreté dans leur commerce.
plades barbaresques;^ mais, en revan- Les Maures reprochent aux Turks de
che, on peut reprocher à cet esprit n'avoir qu'un esprit pesant, borné, et
mercantile d'avoir imprimé au ca- dépourvu d'instruction; mais les qua-
ractère des habitants de la Régence lités plus brillantes dont se vantent les
une tendance vers la cupidité qu'on ne Maures ne sont employées par eux qu'à
peut assez déplorer l'avarice naturelle
: nuire par leurs fourberies et à imaginer
aux races arabes et juives se complique des ruses ourdies avec tant d'adresse et
ici de rapacité, d'avidité, et de lési- une apparence de bonne foi qu'il
telle ,

nerie. est bien difficile de s'en défendre.


Aussi, les exigences fiscales du, gou- Au reste l'avarice et la cupidité régnent
vernement tunisien en forçant les con-
, à peu près au même degré chez les
tribuables maures et les juifs à desserrer Turks et les Maures. J'ai vu un riche
de temps en temps les cordons de marchand Turk venir trois fois dans
leur bourse, ne réussissent qu'à leur une journée chez un négociant italien,
faire dissimuler autant que possible pour solliciter de lui le dégrèvement de
leur richesse par les moyens les plus quelques sequins sur un nolisement de
sordides la thésaurisation secrète est
: plus de mille piastres, et en voyant ses
la manie générale, et la fortune réelle vives instances et l'excès de son déses-
d'un Tunisien est aussi inconnue au pou- poir lorsqu'il dut renoncer à rien ob-
voir lui-même qu'aux particuliers il : tenir, j'aurais dû croire qu'au lieu de
est admis parmi eux que impôts et
les , cette modique somme il s'agissait pour
même les dettes privées, ne doivent lui de toute sa fortune.
se payer qu'à la dernière extrémité, et D'après ce naturel cupide, on peut
comme forcé et contraint : les ruses bien s'imaginer que les Turks, ainsi que
les plus ingénieuses, les moyens de ré- les Maures, nesont pas moins désireux de
sistance les plus inconcevables sont in- recevoir des présents leur caractère à
:

ventés par la ladrerie des débiteurs; cet égard sera suffisamment indiqué
à toute demande d'argent le Tunisien par le proverbe populaire suivant , qu'ils
répond invariablement « qu'il est trop se plaisent à répéter « Vinaigre donné
:

« pauvre pour payer, qu'il est cntière- « est plus doux que miel acheté. » Aussi,
« ment ruiné, et qu'il ne possède abso- il faut se garder de leur rien promettre,
« Jument rien. » Une bastonnade bien ad- à moins qu'on ne soit en état de déga-
ministrée est la seule réplique qui puisse ger sur-le-champ sa promesse , si l'on
triompher de ces allégations les Tuni- : ne veut s'exposer à être tourmenté par
siens payent alors ; mais quand on leur les sollicitations les plus importunes.
demande s'il n'aurait pas mieux valu Ne s'occupant qu'à jouir du présent, les
payer avant cet acerbe argument « A : Maures préfèrent toujours des avantages
« Dieu ne plaise, répondent-ils, que je actuels, quelque modiques qu'ils soient,
« paye jamais avant d'avoir été préala- à des avantages plus considérables, mais
« blement bâtonné. » dépendant encore de l'avenir.
Les mœurs des familles turques éta- Le refus ou même le délai d'un ser-
blies à Tunis sont en général meilleures vice qu'ils vous réclament, et que les
que celles des familles mauresques les : circonstances ne vous permettent pas
Turks sont communément capables de de leur rendre à l'instant même , efface
bons sentiments et d'actions estimables ;
en eux le souvenir de tous les bons of-
cependant on doit avouer que leur bon fices qu'ils ont reçus de vous, et vous
naturel s'est détérioré par leur contact en fait aussitôt des ennemis irréconci-
habituel avec les Maures et surtout
, liables.
avec Renégats, classe d'hommes
les Les présents trop fréquents et à épo-
aussi dangereux à fréquenter que mé- que fixe sont bientôt regardés par ces
prisables; mais cette contagion n'est peuples comme des redevances exigi-
pas tellement répandue qu'on ne trouve bles , et les seules puissances qui aient su
encore à Tunis plusieurs Turks qui s'y se soustraire à ces prétentions intéres-
font remarquer par l'élévation de leurs sées sont l'Angleterre et la France , dont
TUNIS. 105

le Bey ne reçoit de présents que dans des Maures de Tunis et de toute cette partie
occasions rares et importantes, et seu- de l'Afrique septentrionale.
lement lorsque ce complément de l'éti-
quette habituelle est réellement indis-
pensable; mais malgré les tentatives
souvent répétées des souverains de la
Régence, ces deux États se sont bien
t<Bk£)
gardés de laisser convertir en règle leurs
libéralités accidentelles, que, bien dif-
Cette ligne renferme la formule con-
férents des autres princes de l'Orient,
sacrée par la religion musulmane :

les Barbaresques demandent avec har-


« B-Umlllahêr-rahmanêr-rahxjm. »
diesse, au lieu d'attendre qu'on les leur
« Au nom de Dieu clément et miséri-
offre.
cordieux. »
Une des principales différences qui Cette formule se place généralement
existent entre les Tunisiens et les autres
en tête des livres, des lettres missives,
peuplades arabes de l'Orient, est celle
des actes et écrits de toute espèce des ,
qui a rapport à leur écriture.
inscriptions soit glyptiques , soit lapi-
Comme la conquête des Arabes a daires sur les monnaies , etc., et elle se
,
porté leur langue sur les côtes barba-
prononce au commencement, non-seu-
resques, elle y a de même introduit leur
lement de toutes les prières , mais en-
écriture, et y a fait disparaître l'usage
core de toute entreprise et action im-
des caractères puniques, grecs et latins,
portante.
qui y avaient successivement régné
depuis les époques les plus reculées : Alphabet Mauresque.
cependant cette écriture arabe-occiden-
tale,
quoique identique dans son sys- R. Z. D. KH. HH. DJ. TH. T. B. A.
tème avec l'orientale, et se traçant
également de droite à gauche , c'est-à-
dire dans un sens inverse de celui de nos
écritures européennes , subit pourtant 200.70. 4. 600. 8. 3. 500. 400. 2. 1.

des variations de formes telles, qu'au


premier aspect on pourrait croire le ca- DD. SS. N. M. L. G. K. ZZ. TT.Z.
ractère arabe mauritanique et celui qui
est usité en Syrie , en Egypte , en Ara-
bie, etc., deux caractères entièrement
différents.
90. 60. 50. 40. 30 20. 800. 9. 7.
Il n'en est pourtant pas ainsi ; les let-

tres de ces deux alphabets sont absolu-


Y. LÀ. OU. H. CH. S. Q. F. GH. A'
ment les mêmes, à cela près de plus de
roideur dans leur tracé, qui semble ainsi
se rapprocher beaucoup de l'ancienne
écriture arabe connue sous le nom de
koufique, de quelques changements dans 10.31. 6. 5.1,000.300.100.80.900.70.
la position des points diacritiques, de
variantes dans la prononciation de quel-
ques-uns , et en général de la calligra- Maintenant ce serait ici le lieu de
phie plus négligente et plus grossière qui donner la description des costumes usi-
se fait remarquer dans les manuscrits tés parmi les habitants de Tunis; mais,
moghrebins. quoiqu'ils ne soient pas absolument les
Pour mieux faire comprendre aux lec- mêmes que ceux des autres nations
teurs cette identité et cette dfiference arabes de l'Orient, ces costumes des
des deux alphabets, j'ai cru devoir join- Arabes soit orientaux soit occiden-
, ,

dre ici un spécimen de l'écriture barba- taux, ont été si souvent dépeints par
resque suivi du tableau présentant les
, tous, les voyageurs qui ont visité ces
valeurs alphabétiques et numériques contrées que je crois superflu d'entrer
,

des lettres qui composent l'écriture des dans quelque détail à ce sujet, croyant
,

106 L'UNIVERS.
suffisant, pour en faire connaître les n'était admise dans le fort : « Il faut, rc-
variantes au lecteur, de le renvoyer à « pondit le Maure, que vous et vos em-
la planche II ci-après (1). « ployés soyez coupables de bien grands
« crimes, pour qu'on vous en ait puni
CHAPITRE XVI. « en vous séquestrant de toute cohabi-

Femmes Mauresques. — Leurs costumes; — « tation avec le sexe féminin. »

leur toilette; —
préjugés sur leur gros- Cependant les femmes de Tunis et de
sesse ; —
répudiation ; —
divorce; po-— la Barbarie en général sont bien éloignées
'lygamie; —
réclusion des femmes; —
leur de jouer un rôle aussi brillant que nos
jalousies; leur amusements; — musique dames européennes, et elles sont bien
mauresque; — chanteuses, danseuses pu- loin d'obtenir, dans la société tunisienne
bliques; — ombres chinoises; — bate- une position aussi agréable que celle
— ophiophages; — canivores; —
leurs; dont notre civilisation fait jouir nos
femmes publiques; — mariages — funé- ; compagnes.
— circoncision.
railles ;
Dès qu'une jeune fille se marie, elle
La passion pour les femmes égale au ne peut, sous quelque prétexte que ce
moins celle que les Maures montrent soit, sortir de sa demeure pendant le
pour l'argent; peut-être même pourrait- cours de la première année, et cette pro-
on dire que ce dernier penchant l'em- hibition n'a que de bien rares exceptions
porte sur le premier, et qu'il change ces dans les années suivantes.
harpagons intéressés et cupides en J'ignore sur quel motif est basé l'usage
hommes généreux et libéraux, auxquels de cette réclusion complète , si stricte-
rien ne coûte pour acquérir les femmes ment observée pendant la première an- |

qui ont excité leurs désirs. née du mariage ; mais il est peut-être i

Les Maures sont loin- d'avoir dans vraisemblable que le mari tunisien veut
leurs longs loisirs les mêmes distrac- accoutumer ainsi la nouvelle mariée à
tions dont nous jouissons en Europe ; ne connaître d'autres douceurs et d'au- I

ils ne connaissent ni lecture, ni specta- très distractions que celles que peut lui ,

cles , ni fêtes , ni assemblées publiques offrir l'intérieur de son ménage. Cette


ou particulières, ni les exercices de la espèce d'emprisonnement continuel, qui !

chasse, ni les réunions de la table ils :


serait un supplice pour une Européenne, 3

n'ont ainsi d'autre moyen de passer le n'est pas même une privation pour une
j

temps que les plaisirs du harem, au Mauresque, qui est intimement persua-
milieu de femmes dont la vie désœuvrée, dée qu'il doit en être ainsi d'après les
semblable à la leur, n'est occupée qu'à mœurs établies et qu'elle ne pourrait
,

imaginer et mettre en usage tout ce qui sans crime se refuser à l'observation d'un
j

peut exciter, entretenir et accroître la usage qui tient à la fois à la décence et |

passion réciproque des deux sexes. Aussi à la volonté du mari auquel elle a été
le célibat volontaire leur paraît-il in- donnée : celui-ci , d'ailleurs, n'a nulle- !

compréhensible, et ils ne peuvent jamais ment l'intention de produire sa femme


l'attribuer qu'à un état d'infirmité et de dans la société , et il est bien rare que
maladie. l'épouse veuille se regarder comme maî-
Un riche marchand maure que ses tresse absolue de la maison; il est plus
affaires avaient appelé à la Calle (2) fréquent de l'y voir figurer seulement
ayant visité tout l'établissement sans y ou comme la première esclave favorite,
avoir aperçu aucune femme, s'imagina ou comme une concubine , ayant plus
qu'on les avait fait cacher pour les sous- de droit que les autres à la tendresse de
traire à sa vue. Le directeur l'ayant as- son mari et aux caresses conjugales.
suré que bien réellement aucune femme Les seules femmes qu'on rencontre
dans les rues, ou sur les marchés, ap-

(i) Outre quatre costumes tunisiens que


les partiennent, ou à la classe du peuple,
présente cette planche, elle offre encore dans ou à celle des femmes de mauvaise vie;
le fond de la perspective une vue de Jiizerte„ mais, quelles qu'elles soient, elles sont
(2) Le fort de la Calle;, situé entre Tunis toujours tellement couvertes et voilées,
Llgôf êtai mte {mee§sian de l'ancienne
<
s
qu'on ne peut guère distinguer que l'em-
bonpoint excessif dont la plupart d'elle*
TUNIS, 10?

jouissent , et qui est l'avantage corporel Rien n'est plus humiliant pour une
dont elles tirent le plus de vanité. En femme mauresque que d'être remarqua-
effet. ce prétendu charme est si estimé ble par sa maigreur, ou même d'avoir
parmi les Maures, qu'ils le regardent seulement une dégagée
taille sveîte et ;

comme plus haut degré de perfection


le car cet état la ferait regarder comme
auquel puisse parvenir la beauté , et ce attaquée de quelque maladie ou comme
charme l'emporte même jusqu'à un cer- ne jouissant pas d'une santé parfaite;
tain point sur la régularité des traits et mais la- plus grand inconvénient qu'elle
sur les agréments de la figure dont les y trouverait, c'est d'être exposée par là
femmes peuvent être douées. à déplaire à son mari, et de voir quel-
Cet embonpoint, qui donne aux fem- que rivale, plus avantageusement cons-
mes des formes exubérantes et plus que tituée, réussir à lui enlever les bonnes
potelées, les gêne dans leur marche et, , grâces conjugales.
si l'on peut me permettre cette compa- Aucun homme ne peut sous aucun
raison vulgaire, fait ressembler leur harems, ou
prétexte être admis dans les
allure habituelle à celle des cannes de appartements des femmes le gynécée ,

nos basses-cours. Bien plus, celles à qui des anciens Grecs; mais comme mon
la nature ne procure pas cette démarche état de médecin était de nature à me
ne manquent pas cependant de se la donner le droit de pénétrer dans l'inté-
donner elles-mêmes, sans nécessité, seu- rieur des maisons musulmanes, ilm'a
lement pour se conformer à la mode procuré la possibilité de voir à Tunis
établie, et mettre par là une ligne de plusieurs femmes de la haute classe,
démarcation entre elles et les femmes dont les yeux noirs et vifs, la chevelure
de la basse classe, dont la démarche est d'ébène et la fraîcheur du teint; la ré-
aisée et agile. gularité des traits, et la physionomie
D'après ce préjugé singulier, mais gé- piquante, auraient eu en tout lieu, même
néralement adopté si, par une vie oisive
, en nos pays, des admirateurs, quoique
et sédentaire et par leur manière de se leur manière de se vêtir et de se parer
nourrir, les femmes acquièrent
naturel- fût loin d'être capable de les embellir;
lement cet embonpoint désiré, leurs
si il faudrait en effet n'avoir jamais vu
souhaits les plus chers sont en partie d'autres costumes, pour être tenté de
accomplis; mais si cette obésité n'arrive trouver agréable et élégant celui des
pas spontanément , elles ont recours à dames tunisiennes (2).
des moyens qui passent pour avoir la La parure principale des femmes mau-
propriété d'engraisser : ces moyens sont resques consiste eu une quantité impos-
parfois assez étranges (1) ; mais je m'abs- sible à décrire et à évaluer de perles , de
tiendrai d'en faire ici rénumération diamants et d'autres pierres précieuses
bien persuadé que cette mode n'obtien- et d'innombrables plaquettes d'or, dont
dra jamais de faveur parmi les femmes elles se couvrent pour ainsi dire de la
européennes. tête aux pieds; mais ces parures, quel-
Si , toutefois , on désirait connaître que précieuses qu'elles paraissent, sont
quelque partie de cette pratique hygié- d'un mauvais choix, mal montées, mal
nique, il me suffira de dire que la plus taillées , et placées sans art et sans au-
essentielle et la plus raisonnable consiste cune espèce de goût (3).
à n'user que des aliments les plus nour-
rissants, et à leur associer quelquefois (2) Voyez ci-après la planche 12 , repré-
sentant deux dames de Tunis et de Tripoli,
l'emploi fréquent des médicaments de
dans l'intérieur de [eut harem.
la classe des confortatifs.
(3) Les femmes qui n'ont point de bijoux
(i)Les femmes égyptiennes , chez lesquel- à attacher soit sur leurvêtement, soit aux
les lamode d'obésité n'a pas moins été adop- tressesnombreuses de leur chevelure y sup-
tée que chez les Tunisiennes , mangent pour pléent par le plus grand nombre de pièces
d'or qu'elles peuvent se procurer, qu'elles
y parvenir, outre cerlains mets particuliers,
des aliments aussi étranges que dégoûtants, portent ainsi suspendues; les plus pauvres des
entre au 1res des scarabées de la grande espèce,, femmes du peuple emploient les petites pièces
4cs léssardâ vivants» d? B«trei s'eptites, etc« es mies et les au*
i

1
Bgmbjgftt preadrs uo plaisir pev$iou
108 L'UNIVERS.
Elles ont en outre une manière singu- peintures, qu'on pourrait comparer au
lière de s'embellir, ou plutôt de se défi- tatouage des nations sauvages de l'Amé-
gurer, soit en se teignant les sourcils en rique ou à celui des Nègres, ne s'effa-
noir, soit en les réunissant ensemble par cent que cinq à six jours après avoir été
une prolongation large de quelques li- placées.
gnes, qu'elles opèrent avec la même Souvent même le rouge est un des
peinture non contentes de ce prétendu
; cosmétiques appelés à compléter cette
agrément, comme les femmes de l'E- singulière toilette, et sa préparation est
gypte et de presque tout l'Orient, elles tout à la fois plus simple et moins' coû-
cherchent à faire paraître leurs yeux teuse que celui dont se servent les da-
plus grands en insinuant sous leur pau- mes européennes.
pière du kohol, ou poudre d'anti- Un usage généralement adopté par
moine (1), ce qui noircit tout le tour de les Tunisiennes est celui de se frotter
l'œil , et change tout à fait leur physio- les gencives et les lèvres avec Técorce
nomie en leur donnant un air dur, hardi, de noyer ; cette friction donne à toute
et pour ainsi dire viril. les parties de la bouche la couleur d'o
D'autres femmes, plus ridicules en- range foncée, couleur que les femme
core dessinent , à deux doigts au-dessus
, de ce pays aiment passionnément : elle
des sourcils, un demi-cercle noir, qui prétendent , en outre que l'usage habi
,

ressemble de loin à une ficelle noirâtre tuel de cette écorce contribue puissam
que l'on aurait attachée à l'entour de la ment à conserver les dents; et en effe
tête et qui passerait sur le front. Elles cet ornement si utile de la bouche se fai
emploient également cette peinture noire généralement remarquer chez les Tuni
à distribuer des mouches éparses sans siennes par la régularité de son arran
symétrie sur leur figure; ces diverses gement et par la blancheur, de son
brillant émail; mais il m'a paru plu
probable que cette beauté dépend beau
au cliquetis que produit cette singulière pa-
coup moins de leur spécifique dentifrice
rure, à chacun de leurs mouvements.
que de la manière de vivre dont le
(J. J. M.)
femmes tunisiennes ont l'habitude, e
(i) Stibium, nommé surmahou surméh par
surtout du soin avec lequel elles éviten
les Turks.
Le surméhest un collyre ou une poudre
de manger les mets aussi brûlants qu
impalpable le font la plupart des Européens.
composée d'antimoine l'usage
, :

d'en colorer leurs yeux, établi parmi les fem- La coutume de teindre en couleu
mes de l'Orient s'est conservé dans ces con-
,
orangée l'intérieur des mains, ou ai
trées, depuis les temps les plus reculés jusqu'à moins le bout des doigts , avec le hen
nos jours , et les Prophètes, qui reprochaient néh (2) , est assez généralement adoptée
aux filles de Sion de colorer leurs yeux du
fard noir de la coquetterie ( Cum pinxeris (2) Hennéh est le nom
d'une fleur et d
stibio oculos tuos,
Jéremie, IV, 3o), auraient Cyperus de
l'arbrisseau qui la porte: c'est le
encore le même reproche à adresser aux anciens ( Lawsonia inermis de Forskal ) et, i

femmes de Tunis, d'Egypte, et des autres est communément cultivé dans les jardins di
contrées orientales. Kaire. Il donne une fleur blanche dont le
,

La poudre de surméh est conservée


dans grappes portent en Egypte le nom de thamr
un étui, dont le couvercle est traversé par une hennéh: leur odeur, assez pénétrante, mal
aiguille d'or ou d'argent. Cette aiguille, plon- gré l'espèce de fadeur qui se mêle à leur
geant dans le collyre se charge légèrement
, émanations, comme à celles du marronnie
des atomes qui s'y attachent, et, introduite d'Inde, semble désagréable aux Européens
avec dextérité entre l'œil et la paupière y dé- ,
mais elle est aimée avec une véritable passion
pose sa teinture noire dans l'intérieur. L'ef- par les femmes de l'Orient; elles se plaisen
fet de cette teinture est de faire paraître les à en parer leur turban, et à les placer dai
yeux plus grands, plus fendus, plus vifs, et leur sein.
en même temps de donner aux regards une Celte fleura, dit-on, des vertus hystêri
langueur tendre et vraiment enchanteresse ques et aphrodisiaques. Les feuilles verte
pour les Orientaux, quoiqu'au premier as- de l'arbrisseau desséchées et réduites en pou
pect elle puisse sembler désagréable aux Eu- dre impalpable, forment une poussière co
ropéens. (J. J. M.) lorante d'une grande activité et dont on fai
TLÎiNlS. 109

surtout par les courtisanes, et on fait car un cas presque infail-


la stérilité est

également subir ce prétendu embellis- liblede répudiation.


sement à la plante des pieds ainsi qu'aux A mesure qu'une femme donne des
ongles des orteils , et aux malléoles des enfants à son mari , il s'établit progres-
chevilles. Mais le sein, ce charme le plus sivement entre elle et lui cette force
délicieux dont la nature a orné la femme, d'habitude qui attache l'homme à sa
est tellement négligé par les Maures- femme la consolation de se voir entou-
:

ques qu'elles le laissent bientôt se flé- rer d'une fa'mille nombreuse , la jouis-
,

trir et sedéformer de la manière la plus sance des caresses et de l'affection par-


désagréable et la plus rebutante; je pense tagée par les enfants entre les deux
qu'on doit surtout accuser l'abus im- auteurs de leurs jours, l'espérance de
modéré des bains chauds de cette dégra- trouver un appui pour ses derniers ans
dation, dont souvent les jeunes filles dans sa postérité, tous ces motifs ne
elles-mêmes ne sont pas exemptes. laissent plus naître dans le cœur de l'é-
Le désir d'avoir des enfants est après poux la pensée et la volonté de se sépa-
celui de plaire et de se parer la passion rer de l'épouse à laquelle il est uni.
idominante des femmes tunisiennes; Si la femme , au contraire, est stérile
il ne tes quitte que très-tard, et le mé- elle court toujours deux dangers égale-

idecin est souvent consulté par elles sur ment redoutés par elle, celui d'être ré-

les moyens qu'elles pourraient employer pudiée, ou du moins celui de voir une
pour devenir enceintes car une femme
;
rivale la remplacer dans les bonnes
stérile est un être méprisable aux yeux grâces et l'amour de son mari.
du mari maure et même de tous les pa- Les femmes mauresques ont réussi à
rents qui composent la famille; ces accréditer une opinion aussi déraison-
femmes mauresques sentent très-bien nable que ridicule ; suivant elles l'enfant,
)que leur position conjugale manquerait une fois conçu, pourrait dormir plusieurs
[
de solidité si la tendresse paternelle, Mu- années dans" le sein de sa mère , et n'en
nissant à l'amour maternel, pour la con- sortir qu'à son réveil, après cette gesta-
servation de ces fruits de leur union, ne tion prolongée contre les lois de la na-
venait par ce double lien corroborer ture d'après ce préjugé absurde, il y a
:

'celui qui attache les époux l'un à l'autre, des exemples de femmes qui attestent
que leur enfant a dormi plusieurs an-
nées, et qui prétendent que leur accou-
en Orient un grand usage. Les femmes de tou-
chement a été séparé de la conception
tes les classes s'en servent pour se teindre les
par un intervalle de six à huit ans.
ongles et les paumes des mains en rouge
orangé très-vif; cette teinture dure très-long- Ce préjugé, au reste , leur est de la
temps, et résiste à tous les détersifs ordi- plus grande utilité dans deux circonstan-
naires. Elles emploient ce genre singulier de ces importantes tantôt une femme ré-
:

parure principalement aux jours de fêtes et de pudiée, qui devient enceinte quelques an-
réjouissances, et surtout dans les célébrations nées après que son mari l'a abandonnée,
de noces. Cet usage n'est pas moins commun prétend que l'enfant provient néanmoins
aux femmes chrétiennes qu'aux musulmanes. de ce mari et que le fœtus a dormi pen-
,

Bien plus j'ai remarqué pendant mon sé-


, dant tout l'espace de temps qui s'est
jour au Kaire que les chevaux et les ânes eux- écoulé entre son accouchement et l'épo-
mêmes ne sont pas étrangers à ce genre de que qu'elle assigne à sa conception ; tantôt
fard et de coquetterie. Le cheval favori du une femme s'aperçoit d'un refroidisse-
maître a son poil ainsi orné de bandes oran-
ment de la part de son mari elle se croit
:

gées. Parmi les ânes qu'on trouvait, à chaque


en danger d'être répudiée ou de céder la
coin de rue, prêls à être loués pour les courses
place à une rivale; alors elle commence
dans la ville ou dans les environs, et qui at-
a se dire enceinte ; plus tard elle déclare
tendaient leur ^cavalier temporaire , comme
nos fiacres sur la voie publique celui sur le-
,
que l'enfant s'est endormi. Les maris,
quel son conducteur voulait attirer la préfé- assez crédules en général, ajoutent foi à
rence des pratiques, était largement décoré ces assertions de leurs femmes, redou-
d'ornements de cette couleur, dont le liennék blent d'égards pour elles , leur rendent
faisait les frais. leurs bonnes grâces et leurs caresses ;
(J. J. M.) et par cette manœuvre, non-seulement
,

MO L'UNIVERS.
elles s'attirent un surcroît de considéra- férence qui blesse les droits des autres,
tion et de ménagement, mais encore alors infailliblement la discorde règne
elles parviennent souvent à réaliser ce dans le harem plus ou moins ouverte-
qui n'était d'abord qu'une fiction que ment.
leur intérêt leur avait fait supposer. La jalousie mutuelle des femmes
Il n'y a d'ailleurs pas de doute que mauresques a néanmoins quelquefois ses
l'état de soumission extrême dans le- exceptions. J'ai connu un jeune homme
quel vivent les femmes de ce pays n'ait qui était devenu éperdument amoureux
en grande partie pour cause la crainte d'une jeune fille sa voisine; ne pouvant
d'être répudiées ; et quoique de leur côté ni la voir chez elle ou chez lui, ni l'épou-
elles aient également le droit de deman- ser par son défaut de fortune suffisante, 1

der le divorce, elles usent d'autant plus il prit le parti de se marier lui-même,
rarement de ce droit, qu'elles ne peuvent dans le seul but que sa voisine pût li-
y recourir sans avoir à alléguer des brement, et sans être critiquée, entrer
motifs puissants et bien avérés, tandis dans sa maison, sous prétexte de visiter
que la volonté du mari suffit pour auto- la femme qu'il venait d'épouser. Supé-
riser sa demande. rieur aux préjugés de son pays, où un
La polygamie est moins rare à Tunis mari ne laisse voir sa femme à au-
qu'en Egypte; mais elle a ici, comme cun autre homme , il m'admit non-seu-
partout ailleurs, ses inconvénients. Si lement dans sa maison, mais encore-
plusieurs femmes rivales habitent une dans l'intérieur de son harem, et là
même maison , les querelles, les tracas- je vis et l'épouse et la voisine amicale"
j

series, les emportements et la jalousie ment réunies. Ayant demandé à la jeune !

sont inévitables , et troublent souvent épouse comment elle pouvait tolérer}


d'une manière intolérable la tranquillité avec cette apparence d'indifférence les
du mari. empressements de son mari envers cette j

Je conversais un jour avec un riche rivale, dont l'intrigue amoureuse était i

Maure , qui avait deux femmes , et qui assez évidente, le mari ne se trouvant j

n'ayant obtenu aucun enfant ni de l'une aucunement gêné par la présence de sa


ni de l'autre, songeait à en prendre une femme: «J'aime mieux, me répondit-elle i

troisième. Je lui demandais comment il « naïvement, qu'elle soit sa maîtresse .

comptait maintenir l'harmonie et le bon « que sa femme; les journées sont à elle,
j

ordre chez lui après ce triple mariage. « mais les nuits sont à moi. »
« Il n'y a que deux moyens, me répon- Les gens riches et les hauts person-
« dit-il , pour avoir la paix , et les mettre nages du pays ont dans leurs maisons des ;

« d'accord : c'est de terminer toutes leurs appartements séparés^ non-seulement'^


« querelles le bâton à la main , ou de les pour leurs femmes mais encore pour
,

« loger dans des maisons séparées » il : leurs enfants lorsque ceux-ci ont atteint
est vrai qu'il n'y a guère que les gens très- l'âge de l'adolescence; car ils ne restent
riches qui puissent adopter ce dernier auprès de leurs mères qu'à l'époque où
parti , et le premier moyen est plus à la ils sont encore en bas âge.
portée des maris en générai. Les maris, les femmes et les enfants
Cependant quoique le mari soit maî- prennent leurs repas isolément, et sans
tre absolu chez lui, il cherche commu- se réunir à la même table ; les enfants
nément à entretenir autant qu'il est pos- même ne sont pas admis à la table de
siblel'harmonie et le bon accord, au leur père, usage établi, dit-on, pour
moins apparent , entre ses femmes ; et augmenter le respect dû au chef de la
comme chacune d'elles a sa chambre famille.
particulière et séparée dans le harem, Au reste , chacun de son côté fait ses
il leur consacre successivement une jour- invitations particulières; les hommes
née et une nuit. Si cette attribution a lieu ont pour convives leurs amis, les fem-
avec égalité entre elles, il arrive ordi- mes leurs amies; les enfants, les jeunes
nairement qu'elles se résignent assez vo- gens de leur âge. Cependant cette ma-
lontiers à ce partage conjugal ; mais s'il nière de vivre aussi isolément n'est pra-
en agit différemment et témoigne pour tiquée que par les gens de haute classe;
quelqu'une de ses femmes quelque pré- les marchands et autres particuliers de
111-
TUNIS.

eondition médiocre, sont plus pères et puis ce temps mon empressement à les

plus maris, vivant habituellement et fuir surpassa de beaucoup celui que la

prenant leurs repas avec leurs femmes curiosité m'avait précédemment inspiré
et leurs enfants. pour venir les écouter.
Quoique les femmes mauresques soient Aussi , ce qui plaît le plus aux recluses
la plupart du temps si strictement con- et les dédommage en quelque sorte de
finées dans leurs maisons, ou plutôt à l'ennui que leur cause l'absence fré-
cause de cette réclusion même, elles n'é- quente de leurs maris, c'est moins le
prouvent pas moins le désir commun aux chant sauvage de ces musiciennes anti-
deux sexes d'interrompre la monotonie harmoniques, que la vue des danseuses
d'une vie sédentaire par quelques di- publiques, qui exécutentdevantelles leurs
vertissements , ou du moins par quel- danses et leurs exercices avec un laisser-
ques distractions. aller le plus souvent lascif etindécent (1).
La seule qui leur soit permise, et En effet , le grand talent des dan-
seulement encore à certaines époques, seuses consiste à mouvoir avec une
est de faire venir dans le harem des agilité étonnante leurs rems et leurs
chanteuses ou danseuses publiques, hanches, qu'elles secouent en tous les
qu'elles obtiennent la permission d'y sens par des oscillations tantôt graduées
introduire. avec mollesse, tantôt brusquement sac-
Il faut avouer franchement qu'il y a cadées. Cette danse, dans laquelle les
certains plaisirs de convention qui ont pieds et les jambes ne jouent presque
besoin d'être jugés tels d'avance par. le jamais aucun rôle chorégraphique, n'est
préjugé, et d'être assaisonnés par l'at- ainsi pour ces artistes , dépourvues de
tente et le désir, pour obtenir quelque toute pudeur, qu'une série non inter-
prix ; c'est là un reproche qu'on pour- rompue de gestes lubriques et de mou-
rait justement adresser à la plupart des vements obscènes, qui embrasent l'ima-
plaisirs qui ont mérité ce titre de nos gination des spectatrices, mais qui fe-
conventions sociales ; véritablement le raient rougir de honte l'Européenne la
chant des musiciens et des musiciennes plus dépravée.
barbaresques nécessite, surtout, l'in- Les figures de ces danses si étranges
fluence de l'opinion que le préjugé a ré- se composent de postures libidineuses,
pandu parmi les habitants en sa faveur, d'un certain nombre de pas divers, coor-
pour causer le moindre plaisir aux oda- donnés de telle manière, que les dan-
lisques prisonnières qui se délectent à
,
seuses, tout en ayant l'air de se fuir

l'entendre ; car ce chant n'est, à propre- mutuellement, se rapprochent cependant


ment parler, qu'une longue série de insensiblement, et finissent par se serrer
criaillements et, si j'ose ledire, de miaule- de très-près , s'entrelacent , et se per-
ments confus, et d'une cascade de sons mettent alors tous les excès du déver-
incohérents, le tout mêlé par intervalle gondage le plus révoltant. Je supprime
d'espèce de hurlements , bien faits pour d'autres détails que ma plume se refu-
épouvanter quiconque n'est pas habi- serait à décrire, car d'après ceux que je
tué à les entendre cette musique bar-
: viens de tracer il est facile de présumer

bare, étrangère à la fois à la mélodie et à que les danseuses publiques ne sont pas
l'harmonie, loin de pouvoir flatter les d'une autre classe que de celle des pros-
oreilles, serait capable d'en briser le tituées.
tympan plus dur.
le Les maris maures accordent à leurs
Bien plus, les voix les plus perçantes femmes un troisième genre d'amuse-
et les plus discordantes sont en général ment, qui est celui de promenades à la
celles qui sont les plus recherchées ; et campagne, où elles sont conduites dans
ces sons criards poussés sans aucune
,
des voitures hermétiquement fermées :

pitié pour les auditeurs, jusqu'aux notes elles y sont accompagnées par une nom-
les plus élevées, hors des extrêmes limites breuse cohorte de domestiques et d'es-
du diapazon musical, firent sur moi claves, qui les surveillent , et qui sont
un après avoir entendu un con-
tel effet très-attentifs à vérifier si le jardin où
cert vocal qui réunissait plusieurs des
meilleures chanteuses de Tunis, que de- (i) Voyez ci- dessus la note 2 de la page 6r*
,

112 L'UNIVERS.
elles font leur promenade est entière- conjugale : portent les proposi
elles
ment à l'abri de ia vue de tout indi- lions , les entrevues. Au
elles facilitent
vidu du sexe masculin. reste , ces intrigues amoureuses n'on
S'il arrivait par hasard que la maison aucunement à craindre d'être trahie
ne lût pas tout à fait isolée , si on n'a- par la saisie de quelque correspondanc
vait pas d'avance acquis la certitude que délatrice ; les demandes et les répons(
les femmes ne pourraient y être ren- se faisant de vive voix par le moyen de
contrées par qui que ce soit, elles ne sau- officieuses intermédiaires, et les femme
raient décemment sortir de l'apparte- tunisiennes ne sachant ni lire ni écrire
ment intérieur dans lequel on les ren- mais comme une aventure galante dé-
ferme, d'où il résulte que souvent elles voilée coûte ordinairement la vie,
sont aussi bien emprisonnées à la cam- tout au moins l'exil à l'île de Kerkanah
pagne qu'à la ville. il n'y a que fort peu de Tunisiennes
Si cependant une femme était tour- même parmi celles dont les sens soi
mentée par un désir irrésistible de s'ab- le plus ardemment impressibles , qi
senter delà maison conjugale, etde se dé- osent se livrer ainsi à leur penchai
livrer momentanément de cette réclusion amoureux ; et c'est vraisemblablemei
auprès de son mari, si même elle avait en cet état de contrainte qui a introdui
vue la conclusion de quelque aventure dans les harems le goût, trop répandu
galante, elle parviendrait quelquefois au parmi les femmes tunisiennes, et même ,

but désiré en affectant une dévotion par- chez les dames du premier rang , du
ticulière, et l'envie d'aller pour quelques vice détestable , qui , dans l'ancienne
jours visiter un saint lieu, autrement dit Grèce, a déshonoré la célèbre Sapho ; et
santon ; c'est ainsi que l'on nomme l'es- on ne saurait croire jusqu'à quels sacri- \

pèce de chapelle où est inhumé un per- fices cette passion monstrueuse peut
sonnage réputé saint par les Musulmans, porter les femmes des harems pour par-
et où il y a toujours un petit sanctuaire. venir à satisfaire un goût qui outrage \

Parmi ces lieux de pèlerinage , les autant la nature.


uns sont destinés à la dévotion des On ne peut que gémir, pour l'honneur ,

femmes, les autres ne sont ouverts que de l'humanité, de ces immoralités révol- ;

pour les hommes. Si le mari est confiant tantes, qui sont les délices et l'occupa-
et crédule, s'il aime à montrer quelque tion favorite des harems, et je croirais ;

complaisance pour sa femme, il consen- salir ma plume si je m'arrêtais davan- ;

tira à sa demande et la conduira lui-


, tage sur ces tableaux, qu'on ne saurait j

même au saint lieu , pour venir la re- peindre avec trop d'indignation et de j

prendre, soit le même jour, soitquelques dégoût.


jours après, suivant la longueur présu- Mais l'immoralité des hommes de es
mée des prières que la dévote déclare pays ne le cède en rien à celle de leurs
vouloir y faire. femmes, et le goût du libertinage est j

Les femmes font ordinairement ces aussi répandu dans les rues de la ville
parties de dévotion en compagnie d'au- que dans les harems je me bornerai ici
:

tres femmes leurs amies, et, s'il faut en à quelques détails, m'abstenant de parler
croire la chronique scandaleuse de Tu- des faits de ce genre dont j'ai été témoin
nis, absolument rare qu'elles
il n'est pas à Tunis.
profitent de ce moment de liberté pour En général la décence est peu respec-
quelque rendez-vous secret et quelque tée dans les amusements des Maures,,
infraction aux droits conjugaux. non-seulement en particulier mais en-
Au reste, les femmes maures, naturel- core en public dans la plupart des ca-
:

lement vives etd'un tempérament ardent, fés, surtout à l'époque du Ramaddân,


ne manquent ni de ruses ni d'intrigues qui est tout à la fois leur carême pen-
pour se procurer des entrevues avec quel- dant le jour et leur carnaval pendant
que amant quand elles se croient né-
, la nuit à ces danses licencieuses on
,

gligées par leurs maris des marchandes


; joint une représentation des ombres
à la toilette qui parcourent les harems chinoises, dont le sujet est toujours
sont ordinairement les adroites entre- quelque acte d'une licence tellement ef-
metteuses de ces infractions à la fidélité frénée, qu'elle ne peut qu'inspirer le
TUNIS. 113

goût du plus honteux libertinage, non- Ces mêmes historiens racontent que
seulement aux hommes faits, qui se les Carthaginois regardaient la chair des
plaisent à en être spectateurs, mais, ce chiens comme le meilleur des mets, et
qui est d'une immoralité bien plus ré- que les gastronomes raffinés aimaient
voltante aux enfants, qui accourent et
, passionnément à voir leurs tables char-
se pressent en foule à ces scènes scanda- gées de cette nourriture recherchée;
leuses ; combien ce spectacle pervertis- maintenant il se trouve encore dans les
sant ne doit-il pas avoir d'influence sur dépendances de la Régence de Tunis une
leurs sens précoces, qu'il initie au mys- peuplade qui semble avoir hérité des
tère de la débauche, et dont il provoque goûts canivores (4) des anciens maîtres
une imitation bien funeste parles suites de Carthage, et s'être transmis ce caprice
fatales qui en résultent à la fois pour d'une gastronomie bizarre, de généra-
leurs mœurs et leur santé ! tion en génération jusqu'à nos jours :

D'autres danseuses et chanteuses exé- il est, en effet certain que les habitants
,

cutent leurs danses et leurs chants sur de l'île de Djerby, située à l'extrémité
les places publiques, où, surtout pen- orientale de la Régence, dans le voisinage
dant le mois de Ramaddân, on voit ap- des côtes de Tripoli sont également de
,

paraître des troupes de chanteurs et de nos jours canivores, et manifestent gé-


danseurs, des escamoteurs, des dan- néralement pour la viande de l'espèce
seurs de cordes, des bateleurs, des bala- canine un goût non moins passionné
dins de toute espèce. que celui des anciens gourmets puni-
Mais ce qui attire le plus la curiosité ques.
du peuple, c'est le spectacle d'une classe On voit à Tunis beaucoup de femmes
de charlatans qui manient des serpents publiques, qui parcourent les places et les
impunément et sans crainte; on assure rues les moins fréquentées de la ville :

qu'on voit quelquefois ces jongleurs en- elles sont voilées comme toutes les autres
trer dans une espèce de fureur et d'ivres- femmes; mais on les reconnaît facile-
se, et déchirer à belles dents le corps de ment à leur démarche dévergondée, et
ces animaux vivants; le peuple, qui re- à la hardiesse impudente avec laquelle
garde ces prétendus psylles comme de elles découvrent, soit leur visage, soit
véritables magiciens (1 ), prétend qu'i Is ne quelque autre nudité, devant les hommes
se nourrissent que de serpents, de lé- dont elles tentent l'attaque.
zards et d'autres reptiles qu'ils ont le Les Maures et les Turks, c'est-à-dire
pouvoir de charmer et dont ils rendent tous les Musulmans en général, peuvent
le venin inoffensif. Cette classe d'hom- les fréquenter impunément ; mais mal-
mes serait-elle le reste de cette peuplade heur à l'Européen ou au Juif qui serait
ftOphiophages , que le-s anciens poètes trouvé avec une femme maure quelcon-
nous assurent avoir habité jadis un can- que, quand même elle ferait profession
ton de l'Afrique (2) ? publique de la prostitution il existe une :

Si l'existenced'une telle nation est pro- loi d'après laquelle un Chrétien qui se-
blématique, du moins les historiens et les rait trouvé avec elle devra avoir la tête
poètes nous apprennent que les exercices tranchée, le Juif sera brûlé vif, et la
des psylles étaient au nombre des spec- femme elle-même noyée impitoyable-
tacles offerts à la populace romaine (3). ment dans le lac.

(i) Quand on soupçonne que quelque ser- Impavide hic artus cingit furialibus hydrîs
pent ou autre reptile malfaisant s'est intro- Undique mille gyros stringentibus, anguineisque
duit dans une maison ou un jardin, on ap- Tôt circum arrectis collis, quoi Echidna, palude
pelle un des psylles, et celui-ci, après quelques Lernœo , herculece fuit ausa opponere clavee :
Ille veneniferos lacérât sub denlibus angues
opérations magiques, ne manque pas de Atque cruentato vivos ingurgitai ori,
montrer un de ces animaux qu'il prétend avoir Omnibus ipse feris, cunctisque ferocior hydris :
charmé et forcé de se livrer entre ses mains. Pascitur his etenim, veluti foret escu venenum,
(2) Gens unica terras Çuod fugiant etiam tigrides Libyce atque leones.
Jncolit , a scevo serpenlum innoxia morsu; Ausois.
M armaridee Psylli par lingua potentibus herbis. Qu'on me permette d'inventer celte ex-
(4)
LUCAN.
(3) Ecce voratores serpenlum, plèbe vocati pression, qui me dispense d'employer la pé-
Corpore nudato , sua dant spectacula Psylli : riphrase , mangeurs de chiens.
e
8 Livraison. (Tunis.) 8
,,

114 L'UNIVERS.
II n'y a pas un demi-siècle qu'un ca- qui l'attend dans son appartement ; c'es
pitaine ragusais fut engagé à aller voir là qu'elle se dévoile et se montre à lu
une courtisane maure: des espions, pour première fois le
la : mari seul la
qui l'avaient suivi, ou même qui l'a- déshabille et détache les bijoux dont
vaient peut-être provoqué, les saisirent elle était parée pendant tous ces préli
:

ensemble en flagrant délit, et les condui- minaires la nouvelle épouse garde le plus
sirent l'un et l'autre par devant le Bey ; strict silence, et ne le rompt que quand
ce Prince, ayant constaté le fait, or- son mari lui a offert quelque présent
donna leur exécution selon toute la ri- comme preuve de la satisfaction qu'i
gueur des lois. éprouve de leur union.
Il est vraique depuis cet arrêt rigou- Les filles n'ont ordinairement en ma
reux plusieurs autres Européens, ayant riage que quelques bijoux et quelques
été surpris en conversation criminelle habillements, qui ne figurent pas au con-
par des Maures, ont heureusement trat. A l'égard des autres stipulations
trouvé la possibilité d'assoupir leur af- si le mari renvoie sa femme sans pou-
faire par le moyen de l'argent-, mais ce- voir alléguer contre elle quelque faut
pendant je crois devoir convenir que le grave, il perd tout ce qui est énonc
conseil le plus raisonnable et le plus sûr dans le contrat mais si la femme quit
;

qu'on puisse donner à ceux qui sont son mari, quel qu'en soit le motif, ell
obligés d'habiter parmi les Musulmans n'a plus rien à prétendre de tout ce qu'
et surtout en Barbarie, est d'y amener lui avait donné.
une femme européenne avec eux, ou Si au moment de la séparation
de se vouer courageusement pendant existe des enfants, les garçons resten
leur séjour au 'plus sage célibat. avec leur mère jusqu'à l'âge "de sept ans
La facilité que les Maures ont de à cet âge le mari a droit de les reprendre.
rompre leurs mariages , pour les causes A la mort des hommes et des femmes
les plus légères, a sans doute contribué de toute condition , les Nègres et les
à introduire parmi eux l'usage de lier Négresses de la maison , ainsi que les
les parties dès le plus bas âge sans leur parentes et les amies, se meurtrissent et
consentement. Si les liens conjugaux se déchirent avec leurs ongles le visage
avaient chez eux la même indissolubilité et la poitrine, en poussant de grands
que chez nous, ils apporteraient peut- cris ; la veuve s'habille de noir, et se
être à cet engagement une attention ceint d'une double corde le corps et la
plus sérieuse; mais comme la liberté tête ; puis tout échevelée elle entre
des maris n'est aucunement restreinte, dans la chambre où le corps est déposé : i

et comme le mariage des Musulmans alors ses amies et ses parentes qui y sont
j

n'est, pour ainsi dire , qu'une espèce de réunies redoublent leurs hurlements,-
concubinage, ils ne cherchent point les accompagnés de battement de tambours. \

considérations morales qui pourraient Ce tintamarre n'est interrompu par in-


influer sur leur choix une femme quelle
: tervalle que pour entendre l'éloge répété
qu'elle soit est toujours une femme pour des bonnes qualités du mort, oraison
eux ; si elle déplaît on la renvoie ou on funèbre dont chaque reprise a pour ac-
lui associe des compagnes plus agréa- compagnement obligé de nouveaux cris
bles. etde nouveaux déchirements cet office :

Lorsque les pères et les mères ont funéraire dure trois jours entiers, pen-
réciproquement disposéde leurs enfants, dant lesquels les amis, les parents et les
les deux familles s'assemblent, et les con- Mollahs ne cessent de faire des prières
ventions matrimoniales sont arrêtées autour du cercueil découvert ; puis on
en présence des Mollahs, et les deux bouche soigneusement avec du coton
fiancés continuent de vivre séparés jus- toutes les ouvertures du corps, et on le
qu'à l'époque où leur âge permet la con- lave avec du camphre et d'autres aro-
sommation du mariage. Alors les deux mates. Le linceul des riches et des pau-
familles se rassemblent de nouveau ; le vres doit être également de toile neuve,
marié, après avoirfait une courte prière, et la famille la plus indigente croirait
et présenté aux gens de la noce le sorbet manquer à la mémoire du mort si elle
avec des parfums va trouver l'épousée,
, ne se conformait à cette formalité.
TUNIS. 115

Te n'entrerai dans aucun autre détail peuples que devrait unir une fraternité
sur le culte et la religion des Maures de la universelle; mais après avoir vu les
Régence; ces détails sont généralement mœurs et la dégradation des peuples bar-
connus , puisqu'ils sont les mêmes que baresques, n'est-on pas amené à penser
ceux des autres nations musulmanes ,
qu'une guerre importée dans ces con-
et surabondamment déjà décrits par tous trées par les Européens serait un in-
les voyageurs; je me borne donc, avant signe bienfait pour elles, puisqu'une
de finir ce chapitre, à présenter ici une armée civilisée pourrait frayer à ces
observation qui m'est particulière, et qui populations par son exemple et les lu-
,

par son caractère hygiénique m'a sem- mières qu'elle répandrait, le chemin de
ble digne d'attention. la renaissance à la raison et à l'amélio-
De tous les usages établis parmi les ration morale, dissiperait progressive-
Maures de la Régence, et qui leur sont ment les préjugés et les vices les plus
communs avec les Musulmans des autres choquants, qui s'y sont enracinés depuis
contrées, celui que je blâmerai le plus, tant de siècles , et les rapprocherait ainsi
comme médecin, est celui qu'ils suivent peu à peu de la classe des nations civi-
relativement à la circoncision de leurs lisées.
enfants mâles. Nous en avons vu un exemple frap-
Cette pratique religieuse des Juifs, ins- pant dans la révolution qu'a opérée en
tituée parmi eux , depuis tant de siècles, Egypte la mémorable expédition des
par les lois mosaïques, a été, comme l'on Français ; cette conquête et cette occupa -
sait, adoptée également par les sectateurs tion/de quatre ans seulement, ont pro-
de l'islamisme; mais, tandis que les Juifs duit sur l'esprit des peuples qui habitent
ont conservé la méthode salutaire de cir- cette contrée de TOrient un effet très-
concire leurs enfants mâles dès le hui- remarquable elles leur ont fait naître
:

tième jour de leur naissance, les Maures le désir de secouer le joug des préju-
ne jugent à propos de pratiquer cette opé- gés; et si jamais les Français viennent
ration douloureuse, et qui souvent n'est arborer leurs drapeaux sur la côtebar-
pas sans danger, qu'après la septième an- baresque, ils y trouveront peut-être un
née. Ils ont grand soin de cacher à l'en- nombre de partisans plus considérable
fant les détails de cette opération, et au qu'ils n'en ont rencontré en Egypte (1).
moment où on la pratique on tâche de
distraire l'attention du petit patient, par CHAPITRE XVII.
un grand fracas d'exclamations pieuses,
de prières bruyantes, de tintamare mu- Commerce des Nègres ; —
leur affranchisse-

dont on l'entoure et dont on l'étour- ment; —


syndic des Nègres; marché —
sical
plusieurs jours avant la cérémonie des esclaves ; —
Gellâbys , marchands
dit :

il y a grandes fêtes dans la famille, si


d'esclaves— examen minutieux avant
;

l'achat — manière dont font se les


elle jouit de quelque aisance; mais dès
achats; —
;

— à
courtiers, sensals; criée
l'encan — chasses aux Nègres — cara-
que l'opération est terminée la tristesse
vanes — traversée du Désert —
; ;
règne dans la maison, à cause de la souf- relations
; ;
france qu'éprouve l'enfant, et on s'efforce avec l'Afrique centrale ; — chasse des
de le consoler en lui répétant qu'il est autruches.
bien heureux qu'on lui ait enlevé un
morceau de chair qui le déshonorait, Le nombre des Nègres est considé-
et l'empêchait d'être reconnu pour vrai rable à Tunis ; les maisons et les rues en
Musulman. Le zèle religieux est telle- sont, pour ainsi dire, remplies, et à mon
ment fort chez les sectateurs de l'isla-
Je répéterai ici que cette description
(i)
misme, que l'enfant endure ses souffran- de laRégence de Tunis a été écrite par le
ces, non-seulement avec patience, mais docteur Frank longtemps avant qu'on son-
presque avec gaieté, pour la plus grande geât à la conquête de l'Algérie, et même qu'on
gloire de sa religion et de son Prophète. pût en prévoir la possibilité. Cependant on
Je ne puis certes disconvenir que la voit que dès lors il semblait prophétiser cette
guerre est un fléau pour l'humanité, j'ap- expédition si glorieuse pour la France, et
prouve le philosophe philanthrope qui la qu il l'appelait de tous ses vœux.
regarde comme un acte impie entre des (J. J. M.)
8.
116 L'UNIVERS.

arrivée dans cette ville je ne pouvais d'a- Une seconde cause qui alimente jour
bord conjecturer la cause d'où provenait nellement le Marché des Nègres, c'es
cette surabondance d'individus, que leur qu'ils ont eux-mêmes ledroit de demande
couleur me prouvait évidemment ne pas d'être revendus, lorsqu'ils croient avoi
faire partie des indigènes ce qui motivait
: des motifs pour désirer de courir I

mon étonnement, c'est qu'il n'y a le plus chance d'un changement de maître
souvent qu'une seule caravane, qui en toutefois il est vrai de dire que le plu
amène à peu près mille ou tout au plus souvent cette demande ne leur vau
douze cents chaque année ; tandis que je qu'une rude bastonnade. Le besoin d'ar
les avais vus beaucoup moins nombreux gent est encore un motif qui force que
au Kaire, où cependant chaque année quefois les propriétaires d'esclaves à cett
plusieurs caravanes en amènent un bien vente.
plus grand nombre des différentes con- Les Chrétiens et les Juifs ne peuven
trées de l'Afrique centrale. acheter des Nègres, cette prérogativ
Mais bientôt mes recherches m'appri- n'étant accordée qu'aux Musulmans. Ce
rent que cette multiplicité des Noirs, lui qui veut en acheter examine, avan
dont je cherchais la cause, résultait de tout, avec le soin le plus minutieux, leur
deux circonstances particulières. qualités et leurs défauts physiques; ce
La première, et cette considération examen se fait avec la même exactitude
est plus essentielle, consiste en ce
la et les mêmes détails que pour l'achat
que la peste étant beaucoup plus rare d'un cheval ou de tout autre animal do-
en ce pays qu'en Egypte, il y périt par mestique.
conséquent une moins grande quantité On fait marcher, courir, sauter, se
de Nègres , tandis que la peste semble courber, se plier, se tordre en divers
les attaquer de préférence aux Blancs sens l'esclave, mâle ou femelle, qu'on
sur les bords du Nil (1). examine. On palpe ses chairs; on fait
La seconde provient de la coutume, jouer ses articulations, craquer ses join-
plus répandue parmi les Tunisiens, d'af- tures on explore minutieusement les
,

franchir de temps en temps quelques-uns parties les plus secrètes de son corps ; en-
de leurs esclaves, qui, une fois libres, fin, ce qu'on aura peine à croire, on
sont bien loin d'avoir la moindre envie voit les dames , même de la plus haute
de retourner dans leur pays natal où , classe déguster sur leur langue la sueur
,

sans doute les attendrait un nouvel es- delà jeune esclave qu'elles veulent ache-
clavage, et préfèrent rester à Tunis, de- ter, persuadées qu'elles reconnaîtront
venue pour eux une seconde patrie ils : dans l'appréciation de cette saveur les
se répandent ainsi dans la ville, soit bonnes ou mauvaises qualités de leur
pour y débiter en détails quelques mar- acquisition future.
chandises qu'ils colportent, soit pour s'y Après cet examen si scrupuleux et ,

procurer du travail. accompagné de recherches si étranges,


Le commerce des Nègres n'est pas li- l'acheteur fait d'abord une offre préli-
mité à l'arrivée de la caravane, comme minaire approximative, suivant le taux
elle l'est au Kaire on désigne ceux qui
:
du prix ordinaire. Un courtier (déliai
sont amenés à Tunis par le nom de ou sensâl) prend alors l'esclave en vente
khodâmsy ; mais une grande partie des par la main, et le promène dans le
esclaves qui s'y achètent journellement Marché, proclamant à diverses reprises
proviennent des reventes. et à haute voix l'offre qui en a été faite,
Le Marché destiné à ce genre de com- reçoit les enchères comme dans une vente
merce est en effet garni toute l'année à f encan , par l'adjuger au
et finit enfin
de cette marchandise humaine, parce que plus offrant des enchérisseurs , ou bien
les particuliers mécontents d'un Nègre le ramène à son maître , pour le repré-
ou d'une Négresse se décident assez fa- senter un autre jour aux enchères, si
cilement à les revendre. l'offre qui avait été faite par le premier
est au-dessous de la valeur que le ven-
(r) Foyez ci-après le chapitre XIX, sur les deur y attache.
maladies auxquelles les Nègres sont particu- Si, aucun enchérisseur n'ayant dépassé
lièrement sujets. le prix offert par l'acheteur, celui-ci et
TUNIS. i 17

le vendeur n'ont pu se mettre d'accord, La


plupart des Nègres qui se vendent
le déliai se place entre eux et prend cha- à Tunis sont du royaume de Bournou,
cun d'eux par la main et prie l'acheteur de Hawnia et du Fezzân : j'en ai vu
d'augmenter son prix, comme le vendeur quelques-uns de Houfféh, qui sont sur-
de diminuer le sien celui-ci ne répond
: tout reconnaissables à la manière dont
jamais que yft ah- Allah y c'est-à-dire ils ont coutume de se faire aiguiser les
Dieu m'en préserve , aux instances du dents incisives de la mâchoire supé-
dellâl, auquel l'acheteur joint les sien- rieure, dans la persuasion que c'est un
nes ce trio de propositions et de refus se
: ornement. Une autre race de Nègres a
fait avec de tels cris et de telles contor- les lèvres supérieure et inférieure entou-
sions dans les gestes que le spectateur rées de cicatrices en forme de petits
croirait assister à une rixe violente et , boutons ronds.
non à la discussion pacifique d'une con- Les habitants de Tunis ont l'habitude
vention d'achat et de vente enfin le dé-
; de juger de la bonté du caractère d'un
bat semble se terminer par la lassitude Nègre ou d'une Négresse, d'après dif-
des parties contractantes; et soit que l'a- férents indices le jugement est favora-
:

cheteur ait ajouté quelque chose à son ble lorsque l'esclave a un bel œil , bien
prix, soit que le vendeur ait fait quelque ouvert et bien clair, avec l'albumine bien
concession , le marché se conclut par la nette et bien blanche , les gencives et la
formule bism-illah (au nom de Dieu) langue vermeilles, sans aucune tache
que le courtier semble arracher de force brune ou noirâtre, la paume des mains
au vendeur. et la plante des pieds de couleur de chair,
L'achat est ordinairement condition- les ongles beaux et réguliers : ils pré-
nel, c'est-à-dire qu'on paye la somme tendent que les Nègres qui ont le blanc
convenue seulement après trois jours ;
de l'œil d'une couleur brunâtre ou rou-
mais le marché devient virtuellement geâtre, et sillonné de ramifications de pe-
nul dans le cas où l'on découvre quel- tites veines apparentes , les gencives et
que défaut essentiel. la langue tachées de noir ou debrun, sont
La vente une fois consommée et rati- infailliblement d'un mauvais caractère
fiée par le vendeur et l'acheteur, il y a, et d'un naturel absolument incorrigible.
sur le Marché même, des écrivains {kâ- Je n'ai pas été à portée d'acquérir l'ex-
tebs) qui délivrent un contrat d'achat périence nécessaire pour confirmer ou ré-
(heddjéh), pour éviter toute espèce de li- futer cette assertion ; mais je puis assu-
tige entre les deux parties. rer que j'ai rencontré plusieurs Nègres
On expose aussi à ce Marché un nom- et plusieurs Négresses portant tous les
bre assez considérable de Négresses des- mauvais signes indiqués, et qui cepen-
tinées à être expédiées au Levant, et on dant n'avaient aucune des mauvaises
assure que les spéculateurs font un gain qualités dont on prétendait que ces si-
considérable à ce négoce. gnes étaient les symptômes j'en ai vu ;

Les prix des Nègres et des Négresses d'autres qui étaient du caractère le plus
varient beaucoup, suivant leur âge et la pervers, quoiqu'ils réunissent tous les
valeur intrinsèque que leur donnent leurs signes qui pouvaient motiver à leur
qualités particulières; une des plus bel- égard une présomption favorable.
les Négresses, dans tout l'éclat de la jeu- Beaucoup d'habitants de Tunis, et
nesse, peut ordinairement coûter 600 même quelques Nègres, m'avaient assuré
piastres (1); les jeunes filles sont d'un qu'on rencontrait quelquefois, parmi les
prix plus bas, et leur valeur est sus- esclaves exposés en vente au Marché,
ceptible d'être plus ou moins élevée, sui- des Noirs d'une caste vraiment anthro-
vant qu'elles approchent plus ou moins pophage , et qu'on les reconnaissait à ce
de l'âge de puBerté. Les jeunes garçons, qu'ils avaient une petite queue, ou une
ainsi que les hommes faits, sont beau- prolongation de l'os du coccyx; ils m'as-
coup moins chers, parce qu'ils sont suraient que les Gellâbys, lorsqu'ils s'en
moins recherchés. apercevaient, en faisaient faire l'extir-
pation, et que par cette raison il était
(i) Voyez ci-après la Notice sur les mon- essentiel d'examiner soigneusement si
naies de Tunis, l'on ne découvrait aucune cicatrice à l'en.
118 L'UNIVERS.
droit auquel cette excision devait avoir de cicatrices régulièrement tracées, dans
eu lieu. le seul but d'éviter, par la ciselure de ce

Ce fait m'avait aussi été assuré précé- tatouage en relief, d'avoir le ventre trop
demment en Egypte, et je me suis donné uni , ce qui paraît n'être pas de mode
beaucoup de peine, tant au Kaire qu'à chez elles.
Tunis, pour en acquérir la certitude ocu- Lorsqu'un Européen voit pour la pre-
laire; je dois néanmoins avouer que non- mière fois ce marché de créatures humai-
seulement je n'ai pu l'obtenir personnel- nes, ces Nègres entassés, dont la plupart
lement, mais encore que je n'ai pu re- sont nus, ces jeunes garçons, ces filles
cueillir de tous ceux que j'ai consultés à de tout âge, ces jeunes coquettes si ridi-
cet effet, que des réponses insuffisantes. culement vaines de leurs toilettes bizar-
Parmi les personnes considérables et res et dégoûtantes, ces mères portant
dignes de foi que j'ai questionnées leurs nourrissons collés sur leur sein
pour apprendre d'elles si elles avaient vu il ne peut guère se défendre d'éprouver

de leurs propres yeux des Nègres de un sentiment pénible, qu'un tel specta-
cette espèce, il ne s'en est trouvé aucune cle lui inspire.
qui pût répondre affirmativement à ma Mais si l'on y retourne plusieurs fois,
demande. en voyant la gaieté qui règne parmi ces
Les Nègres que l'on amène du royau- misérables captifs, leur insouciance,
me de Dâr-Four sont d'un beau noir, semblable à celle-des enfants incapables
et ont généralement au plus haut degré de réflexion, et qui est bien éloignée de la
les traits qui caractérisent la race nègre : grave et sérieuse résignation au malheur,
le nez large et écrasé, les lèvres grosses, on est amené à songer que ces infortu-
renversées, et en totalité une physiono- nés savent maintenant que la plus grande
mie qui déplaît sensiblement aux Euro- partie de leur misère est passée, que les
péens ; leurs qualités morales m'ont paru souffrances de la route du Désert ne doi-
être dans un parfait rapport avec leur vent jamais recommencer pour eux, et
physionomie. qu'ils sont prêts à entrer dans une situa-
Quant aux Nègres originaires du Fez- tion plus douce, qui effacera bientôt
zân, ils sont moins noirs, et se distin- jusqu'au souvenir des maux qu'ils ont
guent surtout par leur docilité et leur in- endurés alors on les voit, non pas sans
:

telligence ils sont fréquemment marqués


; pitié, mais sans la peine poignante qui
à la figure par des cicatrices nombreuses avait serré le cœur à leur première vue.
et assez régulières, qu'ils ont coutume Tous les Nègres se plaignent du voyage
de considérer comme des ornements. qu'on leur a fait faire à travers le Désert,
Les Négresses, en général, quoique et de la cruauté inouïe des marchands
plongées misérablement dans une condi- d'esclaves qui les ont conduits à Tunis,
tion si abjecte, sont bien loin d'avoir en- dont les traitements impitoyables n'ont
tièrement renoncé à la coquetterie et au fait qu'aggraver leurs douleurs et leur
désir de plaire. Dès leur arrivée à Tunis misère , tandis que ces marchands au-
elles se frottent le corps tout entier raient dû, pour leur propreintérêt même,
d'huile ou de graisse, pour mieux faire chercher à alléger, autant que possible,
ressortir le coloris de leur peau noire ; les fatigues et les souffrances de ces mal-
quoique ces femmes n'aient, au lieu de heureux esclaves.
cheveux , qu'une espèce de laine , cepen- Quoique les Nègres ne soient à Tunis
dant elles conservent pour cette partie que des domestiques, quoique leur état
de leur toilette la coutume de leur pays, de servitude leur soit plus avantageux
et se couvrent la tête d'une centaine de souvent que la liberté, les Maures croient
petites tresses trempées, pour ainsi dire, cependant que c'est une œuvre pieuse
dans le beurre ou la graisse de mouton, que de les affranchir après un certain
qui leur servent de pommade; toutes nombre d'années de service. Mais lors-
ont les oreilles, et souvent même les qu'ils se déterminent à cet acte de bien-
deux ailes des narines, percées , pour y faisance il faut ordinairement qu'ils y
suspendre des ornements. J'ai même vu soient poussés par quelque puissant mo-
quelques-unes de ces coquettes sauvages tif.La plus fréquente occasion de l'af-
dont le ventre était artistement sillonné franchissement arrive , pour un Nègre,
TUNIS. 119

lorsque son maître ou sa maîtresse vient esclave trouve le moyen de se réfugier


à mourir; cette sorte de sacrifice expia- chez lui le propriétaire ne peut obtenir
,

en témoignage de l'affection
toire se fait la réintégration de cet esclave entre ses
que son maître avait pour lui, et en ré- mains, que moyennant un payement de
paration du tort qu'il a fait à l'esclave, six piastres au profit du Premier Eu-
en le retenant forcément à son service. nuque, qui se charge alors déterminer
Lorsqu'une épouse du Bey vient à le différend entre l'esclave et son maître.
mourir, toutes les personnes qui sont de Comme le Premier Eunuque est obli-
quelque considération s'empressent d'a- gé, par son service auprès du Prince, de
cheter plus ou moins de Nègres, aux- résider habituellement au Bardo, il y a
quels ils accordent immédiatement la à Tunis même un sous-chef des Nègres,
liberté.Leur nombre s'élève quelquefois qui a reçu les pouvoirs du Premier Eunu-
à près de deux cents. Ils doivent suivre que, et qui, comme lui, est chargé d'ar-
le cortège funèbre, ayant chacun à la ranger toute affaire contentieuse qui s'é-
main un long bâton, au bout duquel est lève, soit de Nègre à Nègre, soit entre
attachée une pancarte sur laquelle est l'esclave et son maître.
inscrit le certificat de leur liberté. Les Négresses ont également une su-
J'aiconnu un riche particulier qui, périeure qui les régit, les protège contre
ayant fait une chute de cheval si violente, toute vexation, et donne ses décisions
qu'il faillit être tué sur le coup , fit vœu dans les querelles qui peuvent naître
que s'il en guérissait il donnerait la li- entre elles.
berté à dix de ses esclaves. Il guérit heu- Les voyageurs ont avancé plus d'une
reusement, et non-seulement il tint sa assertion souventrévoltante, sur les cau-
parole mais il fournit de plus à chacun
, ses qui forcent les Nègres dans leur
des affranchis quelques moyens d'é- pays natal à subir ainsi l'esclavage :
tablissement. j'ai , à mon tour, profité de mon séjour
Souvent aussi des personnes qui at- à Tunis pour y faire des recherches
tendent une succession, promettent, exactes et consciencieuses sur ce sujet
en cas de réussite, la liberté à quelques- et c'est des Nègres eux-mêmes que j'ai
uns de leurs esclaves, et si leurs vœux tiré mes renseignements.
sont exaucés, la promesse est tenue reli- Quatre principales causes paraissent
gieusement. concourir le plus fréquemment à ré-
Tant qu'une Négresse est esclave, elle duire les Nègres à l'état d'esclavage.
peut aller dans les rues à visage décou- La première est, sans contredit, la
vert; mais dès qu'elle est devenue libre guerre presque continuelle qui ravage
la décence exige qu'elle se couvre d'un le pays des Noirs, et qui provient des fré-
voile, comme les femmes mauresques. quentes dissensions élevées entre leurs
Les enfants des Nègres ne vivent et Rois, ou leurs Sultans; ces guerres ne
ne s'élèvent que très difficilement à se terminent jamais par un accommode-
Tunis ils périssent presque tous dans
; ment ; et les deux partis belligérants ont
la première enfance, et il est infiniment toujours recours au sortdes armes. Tout
rare de les voir parvenir à l'âge d'homme. alors appartient au vainqueur, et les su-
Les mulâtres ne sont pas sujets à cette jets du vaincu deviennent les esclaves de
mortalité, et leur santé ne prospère pas ce nouveau maître. Celui-ci tantôt les
moins que celle des blancs. retient à son service particulier, tantôt
Udghâ, premier Eunuque du Bey, les vend ou les échange contre des arti-
est le chef ou plutôt le Syndic et le cles de marchandises, tels que des pièces
Juge né des Nègres, et cette juridiction de toile bleue, des serviette*blanches, de
est d'autant plus nécessaire que beau- la quincaillerie, des armes, de la poudre,
coup d'entre eux ne connaissent que très- de la verroterie , des habillements , des
imparfaitement la langue du pays. C'est vaches, des chameaux, des chevaux, etc.
lui seul qui a le droit de décider les dif- Lorsque les Nègres se mettent en
férends qui s'élèvent entre eux et rece- campagne, tout ce qui forme leur fa-
voir leurs réclamations. mille suit son chef respectif les femmes
:

Une autre prérogative attachée aux même, soit par dévouement, soit par
fonctions de ce chef, c'est que si un devoir les accompagnent avec leurs en-
,

120 L'UNIVERS.
fants, ce qui fait que le plus ordinaire- la clôture, et par cette ouverture, prati-
ment la suite de l'année excède de beau- quée sans aucun bruit, enleva la petite
coup le nombre des combattants. Négresse endormie, sans que la malheu-
Browne , dans sa relation sur le reuse mère s'en aperçût. Dans la même
royaume de Dâr-Four, rapporte que nuit la pauvre petite'avait été emportée
lorsque le Sultan Terâoub partit pour au loin, livrée à des marchands ambu-
faire la guerre dans le Kordofân, il lants parson ravisseur, qui l'avait échan-
avait cinquante femmes à sa suite, et gée contre quelques provisions de bou-
qu'il en laissa autant dans le lieu de sa che et quelques charges de poudre.
résidence :parmi celles qui suive t ainsi Troisièmement, une autre partie des
les camps, les unes sont chargées de Nègres esclaves est prise sur des hordes
moudre le b'é, de pniser l'eau, de pré- errantes et isolées, qui n'ont m religion,
parer les aliments: à l'exception des ni lois, ni forme de gouvernement.
concubines du Sultan, toutes voyagent D'autres peuplades vivant sous l'au-
à pied, et portent sur leurs têtes une torité de quelque sultan sont conduites
partie des bagages; si l'armée qu'elles par lui à cette espèce de chasse hu-
suivent est vaincue elles ne font guère
, maine; les chasseurs, armés de fusils,
que changer d'esciavage. épient la piste de ces hordes vagabondes,
A ussi, après la mémorable bataille des qu'il n'est pas rare de rencontrer, les
Pyramides, nous avons vu les Nègres et cernent les bloquent , et s'attachent
,

les Négresses que les Mamlouks avaient, surtout à leur couper l'eau : les malheu-
dans leur défaite et leur fuite précipitée, reux bloqués cherchent en vain à se dé-
abandonnés, avec leurs familles, admirer fendre à coups de pierres; lesbloqueurs
et louer la bonté des Français qui n'u-
,
resserrent de plus en plus leur enceinte
saient pas envers eux du droit du vain- et se contentent de tirer de temps en
queur, et leur admiration était d'autant temps quelques coups de fusil, mais en
plus grande, qu'on leur avait représenté l'airseulement et comme moyen d'inti- j

les Français comme le peuple le plus midation se gardant bien de faire la


,

inhumain et le plus féroce. moindre blessure qui puisse gâter leur \

Une seconde cause de l'esclavage des marchandise.


Nègres est l'enlèvement de quelques in- La faim, la soif surtout, forcent
dividus par les plus forts de leurs com- bientôt troupe cernée à se rendre
la : ]

patriotes , qui s'emparent violemment les capteurs lient de chaînes et de cor-


des plus faibles pour les vendre, e se des leur gibier, qu'ils se partagent en-
procurer par là les denrées ou les mar- tre eux, et qu'ils emmènent pour en faire
chandises dont ils ont besoin cet enlè-
: l'échange contre d'autres articles de
vement, qui se fait quelquefois entre commerce.
voisins et d'une cabane à l'autre, con- Enfin laquatrième cause d'esclavage
tribue au moins autant que la guerre, à a au moins une forme à peu près légale;
entraîner ces malheureux dans la servi- dans les peuplades de Nègres les moins
tude. éloignées de la civilisation qui recon-
,

Cette coutume de voler la chair naissent des lois et des magistrats, le


humaine est partout établie, et la har- moindre attentat à la propriété d'autrui
diesse des voleurs est telle, qu'on les a est sévèrement puni; tout vol constaté
vus quelquefois enlever ainsi, pendant y expose le voleur à voir, en réparation
la nuit, jusqu'à l'enfant couché auprès du crime commis par lechefde la famille,
de sa mère. réduire à l'esclavage ses enfants ou ses
Une Négresse m'a raconté que , dans plus jeunes parents.
son pays, un de ses voisins, qui était Bien plus, si un Nègre aperçoit dans
entré sous quelque prétexte dans sa pau- son champ l'empreinte" du pied d'un de
vre cabane construite en joncs, y ayant ses voisins, il appelle des témoins, fait
remarqué la place où elle couchait avec constater l'identité de l'empreinte, porte
sa fille âgée d'environ quatre ans, re- plainte contre le délinquant , auquel une
vint clandestinement la nuit suivante, condamnation enlève bientôt son fils,
s'approcha de la cabane, écarta peu à sa fille, son neveu, ou sa nièce, qui de-
peu par dehorsies joncs qui composaient viennent les esclaves du plaignant. Ces
TUNIS. 121

cas sont fréquents, et ne peuvent man- ventes, les articles d'habillements, les
quer de fournir un grand nombre d'es- armes, et les autres marchandises dont
claves ; la même punition s'inflige à celui le Sultan a besoin.
i qui, chargé d'aller faire un achat dans Les provisions de bouche pour la nour-
[i un marché désigné, n'aurait pas rempli riture des Nègres pendant le voyage à
avec fidélité et exactitude la commission travers le Désert ne consistent qu'en maïs
qui donnée.
lui avait été ou blé de Turquie {dourrâ) et quelque
L'opinion assez généralement répan- peu de viandes. Comme les chameaux
I due en Europe que chez les Nègres les sont considérablement chargés, soit de
pères et les mères, et même les parents, provisions d'eau, so.t de marchandises,
vendent au marché leurs enfants au plus telles que gomme arabique, dents d'élé-
offrant, comme les autres animaux do- phant, tamarin, etc., tous les Nègres, à
mestiques, est absolument fausse : les l'exception des enfants au-dessous de d ix
Nègres attachent autant de prix à leurs ans, sont, ainsi que les Négresses, obli-
!
enfants que les nations les plus civilisées : gés de marcher à pied.
« Si vous autres Blancs , me disait une Au moment du départ de la caravane,
« Négresse affranchie pouvez croire à les Gellâbys déploient la plus grande
1

« de telles monstruosités, comment vous surveillance sur le troupeau d'esclaves


« étonnerez- vous de nous voir, nous qu'ils emmènent; autrement ils risque-
« autres pauvres ignorants , adopter tant raient d'en perdre une grande partie
« d'erreur sur les mœurs et les coutumes la plupart des Nègres cherchant a pro-
« des Européens : il n'est pas d'animal fiter de cette circonstance pour s'éva-
« qui souffre volontiers qu'on lui enlève der; ce qui surtout alors détermine
« ses petits pouvez-vous penser que
;
leur désertion c'est la certitude de ne
,

« nous nous ravalions nous-mêmes au- plus revoir jamais leur pays natal , et la
« dessous des bêtes brutes? » crainte d'être maltraités chez les Blancs,
Cependant il est une circonstance qui quoique les marchands emploient toute
a pu donner cours à cette croyance. leur éloquence pour leur persuader qu'ils
Lorsqu'un Nègre meurt, s'il laisse une seront bien plus heureux chez les étran-
nombreuse famille que la veuve ou les gers que chez eux.
parents n'aient pas le moyen de nourrir, Au reste, les Gellâbys sont, pour l'or-
souvent il arrive que le Sultan prend les dinaire, des gens entièrement dépourvus
enfants , sous prétexte d'en faire ses d'humanité, qui ont plus d'égards pour
domestiques et d'assurer ainsi leur sub- leurs chameaux que pour leurs Nègres ;
sistance; il donne alors quelque.récom- car tandis qu'ils permettent à leurs cha-
pense à la mère ou aux parents qui les meaux de prendre le pas en marchant
ont nourris jusque là; mais il fait à leur volonté , sans jamais les presser
ainsi réellement ses esclaves de ces en- pour accélérer leur allure, si quelque es-
fants , vend bientôt aux marchands
et les clave, excédé de fatigue, a peine à les
qui font traite en grand
la et qui , suivre de près, c'est au moyen du fouet,
connus sous le nom de Gellâbys, amè- {kourbadj), qu'ils prétendent ranimer
nent par caravanes les esclaves au Kaire, ses forces épuisées (1)
à Alger et à Tunis.
Ces marchands d'esclaves ne peuvent, Le kourbadj, ou le fouet des Orientaux,
(i)

en effet, se rendre aux lieux de leur estformé par une lanière étroite de la peau
destination qu'en caravanes plus ou de l'élephaut , ou mieux encore par un nerf
de cet animal. Suivant même quelques-uns,
moins nombreuses. Le Sultan du lieu de
on n'emploie que le nerf génital à cet usage.
leur départ nomme un ou plusieurs
Quoiqu'il en soit , ce nerf, à peu près de la
chefs de la caravane ces chefs prennent:
grosseur du pouce, est taillé à la longueur
le titre de êl-Habiry , et sont chargés
d'environ quatre pieds, arrondi et propor-
non- seulement de maintenir l'ordre, tionnellement aminci, de manière qu'à son
mais encore de vendre des esclaves et extrémité, qui est un peu aplatie, il soit ré-
d'autres productions du pays, pour le duit à une grosseur moindre que celle du
compte du Sultan ils ont également
: petit doigt.
pour mission d'acheter, au lieu d'arrivée Ces fouets ne se brisent jamais, et laissent
de la caravane , sur le produit de ces dans lçs chairs de ceux qu'on en frappe des
122 L'UNIVERS.
Quant aux Gellâbys, ils font plus dre que celui que moissonne la traite
commodément la traversée du Désert européenne des Nègres, à la côte de
qui sépare le Soudan (pays des Noirs) Guinée.
de Tunis, montés sur des ânes, qui sont Il arrive à Tunis, dans le cours de
la meilleure des montures pour ce trajet, l'année, diverses caravanes qui y ap-
et garantis des ardeurs du soleil brûlant portent les différentes marchandises et
par un parasol de toile cirée. denrées que produisent les contrées qui
La caravane se met constamment en les expédient ; en temps de paix Constan-'
marche à la pointe du jour, et ne s'ar- tine et quelques autres districts de l'Al-
rête que vers le soir alors les uns al-
: gérie en dirigent plusieurs assez nom-
lument du feu les autres écrasent sur
, breuses vers la capitale de la Régence.
une pierre concave qui fait partie de
,
Les parties les plus éloignées du territoire
leurs ustensiles de cuisine une portion , tunisien envoient aussi à Tunis, à cer-
"
de dourrâ , que l'on fait cuire ensuite taines époques, des caravanes, ordinai-
en forme de bouillie , avec un très-petit rement peu nombreuses; mais ces der-
morceau de viande de vache salée et nières sont regardées comme peu impor-
séchée le repas du matin consiste éga-
: tantes, et n'ont pas un intérêt majeur
lement en une bouchée de dourrâ > mais pour le commerce; les plus considéra-
sans viande. bles sont celles qui viennent de l'inté-
On économise singulièrement l'eau rieur de l'Afrique.
pendant tout le voyage; souvent les Les caravanes que Tunis reçoit annuel-
malheureux Nègres n'obtiennent qu'une lement de l'Afrique centrale sont au nom- :

seule fois à boire pendant toute la jour- bre de trois seulement on les désigne
:
\

née d'où il résulte qu'il en périt en-


, par le nom commun de caravanes de \

core plus de soif que de fatigue. Ghadamissyah, parce que c'est par la
Quelque cruelle que soit cette écono- ville de Ghadâmess qu'elles entrent sur j

mie de boisson, elle est cependant dictée le territoire de la Régence (1 ). Elles appor- :.

pardeux puissants motifs le premier est


: tent de la poudre d'or, du séné, des dents
que l'on ne rencontre de l'eau que trois d'éléphant, de la gomme, des plumes
ou quatre fois, dans le Désert, pen- d'autruche et des esclaves noirs. Lors- ;

dant une traversée de trente-six à qua- qu'elles n'amènent qu'environ deux cents
j

rante journées, c'est-à-dire à peu près Nègres elles sont considérées comme ;

tous les dix ou douze jours. Le second peu importantes, et leur entrée dans la
motif, c'est qu'il périt souvent un grand ville ne fait pas une grande sensation
nombre des chameaux employés à porter sur le marché.
les outres contenant la provision d'eau. Les retraits de ces caravanes consis- j
Cependant, on doit avouer que, malgré tent en draps, toiles, mousselines,
j

ces fatigues et cette pénurie, le nombre soieries, cuirs rouges propres à fabri-
des Nègres qui périssent dans cette tra- quer des chaussures, épices cochenille,
;

versée du Désert est infiniment moin- pour la teinture de la soie on évalue à


:

environ soixante quintaux la quantité de


sillons sanglants, profonds, de l'épaisseur ce dernier article vendu chaque année
d'un doigt et vivement coupés. à ces caravanes , et c'est le seul de leurs
Le mot kourbadj , qui est turk d'origine,
a été, comme beaucoup d'autres de cette lan- (i) Ghadâmess, nommé aussi vulgairement
gue introduit dans la langue vulgaire des di-
,
Gdamess, elÊgdâméss, est une grande ville de
verses contrées de l'Orient soumises à la do- l'Afrique centrale, qui est le rendez-vous et
mination ottomane : il se prononce en l'entrepôt des marchands d'esclaves : c'est de
Egypte kourbag , et le plus vulgairement celte ville que les caravanes se dirigent vers le
en Syrie krobatch ou karbatch : c'est l'origine Soudan ( le pays des Noirs ) par la route
de notre mot français cravache, que nous iïAmyah, qui est séparée de Ghadâmess par
avons emprunté aux Allemands qui Pavaieut,
un désert de huit journées de marche. Les mai-
adopté eux-mêmes des Turks , dans les com- sons de Ghadâmess sont bâties en terre, le
munications fréquentes que le voisinage et vaste désert de sables qui l'entoure n'offrant
les guerres continuelles onl établies entre pas la moindre pierre qu'on puisse employer
eux. aux constructions.
(J. J.M.) CJ. J. M.
TUNIS. 123

achats qui ait quelque importance, car le et à des étoffes de laine de l'espèce la
reste est de peu de valeur. plus grossière. Les retraits se bornent
Les caravanes de Constantiue, au également à fort peu de chose, et ne se
contraire, ainsi que celles des autres dis- composent que d'une petite quantité de
tricts de l'Algérie , lorsque la paix avec sucre et de café et de quelques mar-
,

Alger en permettait l'expédition étaient


, chandises fabriquées.
d'un grand intérêt pour le commerce de Après la vente des esclaves noirs , une
Tunis ; elles venaient ordinairement une partie importante du commerce de Tunis
fois par mois, et n'étaient pas moins con- avec l'Afriquecentraleconsisteen plumes
sidérables parles valeurs qu'elles impor- d'autruche. La principale chasse de ces
taient que par celles qu'elles exportaient animaux se fait dans le vaste désert qui
à leur retour , et par les bénéfices que s'étend depuis Ghadâmess jusqu'à la,
procurait aux marchands tunisiens cette vallée nommée Ouady-Souf : le manque
double opération. En argent seulement, absolu d'eau de cette vaste étendue de
les sommes qui circulaientdans les divers sables, qui a plus de dix journées d'éten-
marchés d'achat et de vente , montaient due empêche les Arabes de la fréquen-
,

souvent à 100,000 piastres fortes d'Es- ter, et ils n'y pénètrent que pour y faire
pagne (environ 535,000 francs de notre la chasse des autruches (naâm) et des
monnaie). Ces monnaies, qu'on recher- bœufs sauvages (baqar él-ouahech) , les
che particulièrement à Tunis pour les seuls animaux qui puissent subsister
retraits, étaient soumises de nouveau au sous ce soleil ardent qui embrase l'air,
balancier, pour l'usage du pays , et les et brûle le sol de ses rayons semblables
Juifs s'étaient empressés de profiter de aux émanations d'une fournaise: les cha-
dans laquelle ils trou-
cette circonstance, kals les tigres, les lions les hyènes el-
, ,

vaient une occasion favorable, pour les-mêmes fuient cette terre désolée, sur
exercer leur talent si connu de rogner laquelle ils ne peuvent ni vivre, ni même
les espèces. respirer.
Les articles bruts qu'apportaient les Voici la manière dont se fait cette
caravanes de Constantine consistaient chasse.
en cire vierge , en peaux sèches , tant de Les chasseurs montent à cheval, ayant
bœufs que d'autres espèces diverses d'a- soin de se pourvoir d'une petite provi-
nimaux sauvages ou domestiques mais , sion d'eau ; ils entrent en chasse vers
surtout en d'immenses troupeaux de midi , époque de la journée à laquelle les
bœufs et de moutons. autruches ont coutume de se rassem-
Les retraits étaient à peu près les bler par bandes d'une centaine, plus ou
mêmes que ceux des trois caravanes moins aussitôt que les autruches les
:

dont j'ai parlé ci-dessus toiles, draps


: aperçoivent elles prennent la fuite, et les
mousselines, soies, tant écrues qu'ou- chasseurs se lancent à leur poursuite.
vrées, denrées coloniales, bonnets des Cette poursuite dure quelquefois qua-
fabriques de Tunis, drogues, essences tre heures sans interruption, jusqu'à ce
et épices de toute espèce. que les autruches, épuisées de fatigue et
Les principales caravanes que Tunis paralysées par l'épouvante, cessent' enfin
reçoit des points de son territoire les d'accélérer autant leur course précipitée.
plus éloignés sont celles de Djerbah, qui Le chasseur, pourvu d'eau, a pu boire
apporte à la capitale de la Régence des dans sa longue course; mais l'autruche,
étoffes de laine fabriquées dans le pays, épuisée, ne pouvant se procurer le
et dont l'usage est commun à toutes les même soulagement, finit par tomber à
classes des habitants. Les retours de terre et y rester étendue sans pouvoir
cette caravane sont de peu de valeur, et faire aucun mouvement le chasseur :

; ne consistent qu'en quelques articles im- descend alors de cheval coupe la tête de
,

portés à Tunis tant en denrées colonia-


, l'autruche, incapablede faire la moindre
les qu'en objets manufacturés en Eu- résistance, et remet l'animal à un homme
rope. dont il s'est fait suivre pour porter ses
Le Beled-el-Djeryd envoie aussi à vivres et sa provision d'eau, puis re-
Tunis quelques caravanes mais le peu
; commence à se mettre à la recherche
qu'elles apportent se réduit à des dattes d'une autre proie , tandis que son com-
124 L'UNIVERS.
pagnon va placer l'autruche sur un cha- négligé ne payer un tribut aux"pirates
meau qui les attend à un lieu indiqué. Non-seulement les vaisseaux des États
Toutefois il est rare qu'un chasseur réfractaires étaient saisis et pillés en
prenne plus d'une ou au plus deux au- mer ; mais la marine des Régences bar-
truches dans la même journée; mais le baresques cherchait même à capturer sur
lendemain ces oiseaux, effarouchés d'a- les plages de ces États, sur lesquels elle
bord et dispersés par la crainte dans les osait tenter des descentes, l'habitant
profondeurs du désert semblent avoir , paisible des champs, que ces pirates em-
perdu tout souvenir de la poursuite de menaient comme esclave, aussi bien que
la veille de manière que le chasseur est
, celui qui voyageait sur les eaux ; la prise
assuré d'en retrouver les bandes aux de ces malheureuses victimes, de tout âge
lieux qu'elles ont coutume de fré- et de tout sexe, était pour les Barbares-
quenter. ques le but et l'occasion d'un trafic hon-
teux, lorsqu'ils ne les condamnaient pas
CHAPITRE XVIII (1). aux travaux pénibles de la culture de
De l'esclavage des Européens à Tunis; cor- — leurs terres ou au service particulier d(
saires — armements en course ; descentes — leuis maisons.
sur
;

les côtes; — prises ;


— traitement des Il estvéritablement incompréhen-
esclaves. sible que Puissances Européennes
les
qui avaient toutes éprouvé les vexa
Ce n'était pas assez que l'arrêt du tions les plus révoltantes de la part des
destin eût rendu maîtres d'une des plus
pirates barbaresques, n'aient jamais
belles contrées de l'Afrique un peuple
dans les siècles passés, formé le desseii
barbare et ennemi de la civilisation eu-
de les détruire, ou tout au moins d<
ropéenne, il avait encore fallu que le sort
les contenir assez sévèrement pour
infligeât àl'Europe l'affront le plus hu-
mettre les navires et les côtes de l'Eu-
miliant, en permettant que ce peuple osât
rope à l'abri de leurs ravages; car on ne
s'arroger avec insolence une espèce de
peut présumer qu'aucune de ces Puis
suprématie maritime, et un droit de pil-
sances ait eu quelque intérêt à tolérer
lage et d'extorsion, qui entravait d'une
de pareils brigandages.
manière intolérable la navigation des
Quoi qu'il en soit, on ne peut penser
sujets, dont les princes avaient refusé ou
qu'aucun cabinet politique ait jamais
(i) Une des parties les plus intéressantes
pu être à cet égard influencé par l'opi
que présentaient autrefois nion qu'en cas de guerre, ce fléau, dont
les relations des
voyageurs qui avaient visité Tunis était le ré- tous souffraient, était un moyen tout
cit des détails qui concernaient les Européens comme un autre de gêner et de ruinei
que les pirates de la Régence avaient plongés la marine et le commerce de son en
dans un cruel esclavage. Quoique mainte- nemi.
nant cet état de choses, alors si honteux pour les On doit toutefois convenir que ces
Puissances Européennes, ait entièrement cessé, pirates auraient montré moins d'audace
grâce au concours des divers États de l'Europe s'il avait régné moins de jalousie et plus
pour abolir la piraterie barbaresque, grâce d'harmonie parmi les princes chrétiens
surtout glorieuse conquête d'Alger, où.
à la
Mais je terminerai ces réflexions, poui
la France a écrasé, sous les pieds de ses guer-
ne m'occuper que du soin de tracer
riers victorieux, le nid le plus dangereux de
exactement un tableau historique de c(
ces odieux reptiles, etanéanti le principal foyer
que j'ai vu à Tunis de mes propres yeux,
,
de ce fléau trop longtemps toléré, j'ai cru cepen-
sur cet esclavage, qui n'était pas encore
dant ne pas devoir retrancher ce chapitre de
aboli à l'époque de mon séjour en Bar-
la description du docteur Frank, et il m'a
paru utile de le conserver, au moins comme barie :ce tableau fera du moins con-
document historique d'une époque qui n'existe naître la manière dont on en agissait
plus, mais dont il a pu retracer de -visu l'af- avec les infortunés qui avaient eu le
fligeant tableau. Je me permettrai seulement malheur de tomber entre les mains des
dans ma transcription de changer du présent corsaires.
au passé le temps grammatical qu'il em- Si chaque Puissance trouve généra-
ployait lement dans la paix un bien inappréciable
(J. J. M.) pour la prospérité de ses États de son
,
TUNIS. 125

commerce et de sa navigation , il n'en taines-corsaires cnerchaient souvent à


étaitpas de même à l'égard du Bey de opérer des descentes aux endroits de la
Tunis. côte les plus mal gardés, et ils en enle-
II lui était assez indifférent d'être en vaient tout ce qu'ils pouvaient rencon-
paix ou en guerre avec les Puissances trer ; c'est ainsi que le pillage de la terre
chrétiennes, à l'exception toutefois de les dédommageait du désappointement
la France et l'Angleterre il trouvait
: de la mer.
même un avantage réel à avoir des voi- Dans l'an sixième de la République
sins qui se refusassent aux conditions (1798), les corsaires tunisiens firent
qu'il leur imposait pour leur accorder pendant la nuit une descente à l'île de San-
une sauvegarde contre les hostilités de Pietro (1), et s'emparèrent d'environ neuf
ses corsaires ; car l'espèce de guerre cents personnes hommes femmes , fil-
, ,

qu'il leur faisait alors lui rapportait les, enfants vieillards même. Ces mal-
,

infiniment plus que les conditions de heureux captifs languissaient à Tunis


paix auxquelles se soumettaient ces depuis quatre ans et demi, dans le plus
Princes. cruel esclavage, lorsque j'arrivai pour la
Les rois de Sardaigne et de Naples, la première fois dans cette ville; plusieurs
Toscane, Gênes, Raguse, Venise, et le d'entre eux m'ont alors raconté leur fu-
Pape, étaient les Puissances qui n'avaient neste aventure, et c'est leur propre ré-
pas de traité permanent avec le Bey de cit que je vais répéter ici.
Tunis, et qui par conséquent étaient le La veille du jour où ils tombèrent si
plus souvent avec luisur le pied deguerre, misérablement entre les mains de leurs
et ce n'est qu'en s'obligeant comme plu- ravisseurs, ils avaient aperçu les bâti-
sieurs autres États à devenir les tributai- ments corsaires devant l'île; mais ils
res de ce prince, que la paix se rétablis- n'avaient eu aucun soupçon de la des-
sait entre leurs sujets et lui. cente préméditée qui s'exécuta vers mi-
Lorsque l'escadre du Bey allait en nuit, pendant que les habitants et les
course, les corsaires cherchaient, aussi gardes-marines eux-mêmes étaient li-
souvent qu'il leur était possible, à abor- vrés au sommeil le plus profond.
der clandestinement les territoires con- Arrachés de leurs lits à l'improviste,
sidérés comme ennemis , et à y enlever sans qu'on leur laissât le temps de se vê-
ce qu'ils trouvaient sur leur passage den- : tir, plus morts que vifs d'épouvante, on
rées marchandises, objets précieux
, , les embarquait par troupeaux, de manière
hommes, femmes, filles, et enfants même qu'à l'approche du jour toute la ville en-
en bas âge, hors d'état de se passer de non-seulement dévastée, mais
tière était
leurs mères, tout semblait à ces forbans encore entièrement dépeuplée.
de bonne prise. Heureux ceux qui purent s'évader de
S'ils rencontraient dans leurs courses leursdemeures par un heureux hasard, et
des bâtiments avec pavillon des nations échapper à cette chasse de chair humaine!
qui n'avaient pas souscrit à des condi- Mais qu'on se peigne, d'un côté la poi-
tions de paix, ils les attaquaient avec l'ar- gnante douleur d'un père qui, revenant
deur qu'inspire l'amour du pillage car ,

les marchandises, le bâtiment, les passa- (i) Il y a deux îles de ce nom dans la Mé-

gers et les hommes de l'équipage, tout, diterranée, l'une sur les côtes de Sardaigne ,
l'autre dans les États du roi de Naples , à
sans exception, était pour eux un béné-
l'entrée du golfe de Saverne : cette der-
fice assuré, qu'ils se partageaient , d'a-
nière porte particulièrement le nom de San-
près des proportions établies d'avance.
Pietro da'frati; celle à laquelle se rapporte
Le capitaine avait droit à tous les ob- dont le docteur Frank donne
le cruel désastre
jets qui se trouvaient dans la chambre
le récit est plusconnue sous le nom de l'île
du navire capturé; mais aussi, s'il n'a- de Saint-Pierre : c'est l'ancienne Accipitrnm
menait pas de temps en temps quelque Insula qui a environ neuf lieues de tour et
,

prise, il risquait de ne plus être em- qui est située au sud-ouest de la Sardaigne,
ployé par la suite à aucun commande- dont elle dépend; elle est bien cultivée, et a
ment, événement qui blessait à la fois des salines qui procurent aux habitants un
son honneur et ses intérêts. C'est pour commerce avantageux.
obvier à cet inconvénient que les capi- (T. J. M.)
126 L'UNIVERS.
sur ses pas après le départ des corsaires, côtes qui avaient été saisis par hasard,
voyait sa maison dévastée, et n'y retrou- épars dans la campagne, c'était une ville
vait plus ni son épouse ni sa famille ché- entière que cette fois les pirates amenaient
rie d'un autre côté, le sombre désespoir
; prisonnière dans leurs bagnes.
d'une mère pleurant la perte de ses en- Dans ce débarquement opéré par les
fants, d'un fils que les brigands avaient forbans de leur gibier humain, les mal-
rendu orphelin en lui enlevant les au- heureux habitants de San- Pietro étaient
teurs de ses jours ; on ne pourra se for- jetés pêle-mêle sur le rivage, épuisés, dé-
mer qu'une bien faible idée du tableau figurés par l'effroi et par les souffrances
déchirant que présentaient ces malheu- de toute espèce, couverts à peine de quel-
reux insulaires miraculeusement échap- ques misérables haillons, ou seulement
pés au désastre général de leur patrie. des lambeaux d'une mauvaise chemise,
Les hommes furent enchaînés, entas- insuffisants pour couvrir leur nudité; la
sés les uns sur les autres, dans la cale du plupart la tête nue, les pieds nus ; les
bâtiment. Les mères, les filles, les en- infirmes et les vieillards hors d'état de
fants se pressaient, hurlaient, et se cher- marcher avaient seuls obtenu la faveur
chaient réciproquement dans cette foule de monter sur des ânes voilà la triste
:

confuse : il de présumer que


est facile scène qu'offrit l'arrivée de ces infor-
les corsaires, enivrés des désirs les plus li- tunés cfue la violence avait arrachés à
cencieux, ne tardèrent pas à chercher et leur patrie.
choisir les plus belles des jeunes filles, Leur sort funeste les fit accueillir
et à les séparer de leurs mères: ces vic- avec une vive compassion par tous les
times de leur lubricité furent les seules Européens qui se trouvaient à cette épo-
qui furent traitées avec quelques égards. que à Tunis. Ces pauvres victimes fu-
On leur présenta du vin et des liqueurs rent conduites immédiatement devant le
pour les induire à une
égayer, les Bey ,
qui en préleva un certain nombre
sorte d'ivresse , afin d'en venir plus pour sa part, comme souverain. Les plus
aisément à bout et d'amollir leur résis- Délies des jeunes filles furent d'abord
tance (1). choisies pour le service particulier de sa
A tant de maux en succédèrent bien- femme et celui de son harem; les plus
tôt de non moins affreux. Contrarié par beaux parmi les jeunes garçons furent
les vents, le bâtiment des corsaires n'ar- attachés au service personne! du Prince;
riva qu'après le dixième jour à la rade de la majeure partie des hommes les plus
Tunis; les forbans annoncèrent leur ar- valides furent destinés à cultiver ses ter-
rivée avec une prise par une canonnade res ; le restant des hommes et des fem-
réitérée ; et bienlôt débarqués dans le mes fut distribué parmi ceux qui avaient
port les malheureux capturés, qui par- pris part à la course, et vendu à diffé-
tout ailleurs auraient été considérés rents Maures ; les vieillards, les infirmes,
comme prisonniers de guerre, devinrent, les malades, furent abandonnés à leur
comme c'était l'usage dans tous les ports sort, à la charge de pourvoir comme ils
barbaresques, des esclaves, c'est-à-dire la pourraient à leur subsistance.
propriété de l'armateur qui avaitpréparé A mon arrivée à Tunis, je vis les rues,
l'expédition et de l'équipage qui l'avait les places publiques et quelques misé-
exécutée. rables cabanes encombrées de ces der-
Jamais un spectacle plus lamentable nières victimes, qui, plongées dans la plus
n'avait paru à Tunis; car jamais nulle déplorable misère , excitaient la pitié gé-
prise, nulle descente n'y avait amené nérale : quelques-uns, des plus valides,
un aussi grand nombre de victimes : avaient pu se mettre volontairement au
ce n'était pas l'équipage d'un navire; service de quelques maisons maures;
ce n'étaient pas quelques habitants des mais la plupart de ces serviteurs sans
gages , ou plutôt de ces esclaves volon-
(i) Si cependant l'on voulait ajouter foi taires, avaient eu peu à se louer du trai-
aux assertions unanimes des jeunes filles, tement qu'ils reçurent de leurs maîtres ;
elles auraient résisté victorieusemcnttoutes, et tandis que ceux" de leurs compatriotes
triomphé des pièges dans lesquels tentaient que le manque de force, l'infirmité ou
de les faire tomber leurs nouveaux maîtres. la maladie privaient de la faculté de
TUNIS. 127
trouver un pareil asile, éprouvaient de sur le point d'être rendus à la liberté et
la part de la populace toute sorte de sé- à leur pays natal.
vices et de vexations. Bientôt pourtant , une circonstance
,

Le roi de Sardaigne avait songé à aussi soudainequ'imprévueretarda l'exé-


racheter ses infortunés sujets; il avait cution du nouvel arrangement, et re-
même chargé ses agents de stipuler un plongea momentanément les malheu-
contrat par lequel le Bey devait recevoir reux captifs dans l'abattement et le dé-
100 piastres d'Espagne pour chaque in- sespoir.
dividu remis en liberté, par conséquent Un colonel sarde envoyé comme com-
une somme de 500,000 francs environ missaire à Tunis par le vice-roi de Sar-
de notre monnaie pour la totalité mais
; daigne, touché du s"ort de quelques es-
lesévénements de la guerre dans laquelle claves, ses compatriotes, pris dans une
la Sardaigne se trouvait malheureuse- autre occasion, et non compris dans le
ment alors compromise, firent retarder, traité qui venait d'être conclu insinua ,

puis avorter entièrement ce projet d'un au Consul français de profiter de l'occur-


acte de bienfaisance ou plutôt de jus- rence pour délivrer ces malheureux en
tice. payant au même taux leur rançon le :

Enfin, après de longues hésitations, il Consul, empressé d'être utile à ces autres
se forma à Cagliari une société qui victimes de l'infortune, et ignorant que
sous des conditions de remboursement depuis longtemps le marché de leur ra-
par annuités, offrait la somme nécessaire chat avait été conclu à 12,000 piastres
pour racheter la population captive de (près de 70,000 francs de notre monnaie),
San-Piétro. fit au Bey la proposition de les compren-

Cette société s'adressa pour reprendre dre dans les clauses du nouveau marché.
une nouvelle négociation à M. De- Suivant ce qu'on peut présumer, la com-
voize , Consul de France à Tunis, qui paraison entre les prix relatifs des deux
fut assez heureux pour faire sentir transactions ouvrit les yeux du Bey, et le
au Bey que dans les circonstances ac- fit repentir d'avoir conclu la seconde, qui

tuelles le roi de Sardaigne était hors lui offrait un profit si inférieur à celui
d'état de fournir la somme d'abord con- qu'il apercevait dans l'autre il annula :

venue; que d'ailleurs ces esclaves, en donc d'une manière fort dure le dernier
grande partie incapables de tout service, traité auquel il avait souscrit, et se ré-
ne pourraient jamais lui être d'une pandit en invectives contre le Consul
grande utilité; qu'enfin différentes Puis- français, l'accusant d'avoir abusé de sa
sances européennes pourraient en récla- bonne foi et de l'avoir indignement
mer un certain nombre, puisqu'il avait trompé dans cette négociation.
lui-même reçu de son gouvernement Des médiateurs désintéressés réussi-
l'ordre de faire cette réclamation en fa- rent cependant à faire sentir au Bey l'in-
veur décent vingt individus, qui avaient conséquence et l'injustice de ses procé-
voulu en vain se réfugiera San-Piétro sous dés , injustice d'autant plus évidente
le pavillon de la France, au moment de qu'il avait déjà touché une partie de la
la descente des corsaires, et dont l'asile somme convenue, et ils vinrent à bout de
avait été indignement violé. le décider à ne pas rompre ainsi un con-

On dressa en conséquence un nou- trat auquel il avait apposé sa signature,


veau contrat, dans lequel il fut convenu et qui était pleinement ratifié par un
à l'amiable, entre le Bey et le Consul commencement d'exécution. Il se rendit
français, que le rachat de chaque esclave à ces remontrances, et renvoya les habi-
serait réduit à la moitié du prix antérieu- tants de San-Pietro, comme il avait
rement stipulé, c'est-à-dire à 50 pias- été convenu ; mais il garda les autres
tres par tête d'esclave libéré : cette captifs , pour ne les libérer que lorsque
convention signée de part et d'autre, on les 12,000 piastres de leur rançon au-

ne s'occupa plus que de faire les prépa- raient été soldées.


ratifs d'embarquement et de départ, au Revenons maintenant à ce qui concer-

milieu des cris joyeux et des transports nait en général l'esclavage des Euro-
tumulteux qu'occasionnait l'allégresse péens. J'ai parlé ailleurs de la préémi-
parmi ces hommes, qui se voyaient enfin nence dont jouissent à Tunis, comme
128 L'UNIVERS.
dans tout le Levant, les Musulmans sur (7,200 francs de notre monnaie), que le
les Chrétiens et sur les Juifs; malgré ce Bey avait toujours soin de faire peser
préjugé de leur orgueil si un Maure , avec un soin minutieux avant que de
était pris dans ses courses par un bâti- délivrer la déclaration de la libération
ment ennemi, ou s'il tombait par quel- accordée.
que accident entre les mains des Euro- Si toutefois les captifs qui voulaient
péens, le Bey s'empressait de proposer connus pour avoir
se racheter étaient
un échange, et n'appréciait, dans cette une grande fortune ou quelque con-
transaction, ses sujets, d'après un usage sidération dans leur pays , ce dont le
établi, que bien au-dessous de la valeur Bey ne manquait pas de se faire ins-
d'un Chrétien , puisqu'il fallait deux truire, le prix ordinairement établi ne
Maures et demi pour équivaloir à un suffisait plus, devenait absolument arbi-
Chrétien, c'est-à-dire cinq Musulmans traire, et était subordonné au bon plaisir
pour deux Européens. du Bey, dont la rapacité ne connaissait
Les Puissances chrétiennes avaient plus alors de bornes.
été contraintes de souscrire à cet étrange Les Consuls étaient ordinairement
système d'échange, si fort à l'avantage chargés du rachat et du versement de
des Maures, lorsqu'elles n'avaient pas la somme convenue. C'était particulière-
la force de réprimer une injustice aussi ment par leur entremise que les commu-
manifeste; mais, en général, on doit nications des esclaves avaient lieu avec
avouer que ce sont les Européens qui se leurs compatriotes d'outre-mer.
sont fait ce tort à eux-mêmes dans pres- Lorsque les corsaires avaient fait quel-
que toutes leurs transactions avec les que prise, ils la signalaient dès leur en-
Maures. trée à la Goulelte, par une forte canon-
Dans le temps que la Compagnie d'A- nade; tous les captifs étaient ensuite
frique existait à la Calle, elle avait indistinctement débarqués, conduits de-
stipulé avec les Maures que si un d'eux vant le Bey, et obligés, en entrant à la
tuait un Chrétien hors du cas de guerre, porte de la ville, de se découvrir la tête,
il payerait seulement 500 piastres, tan- pour être présentés ainsi devant le
dis que le Chrétien qui aurait tué un Prince.
Maure devait en payer 800. On voit donc 11 traitait ordinairement avec un peu
que des Français eux-mêmes étaient plus d'indulgence et d'égards les capitai-
convenus d'évaluer le sang maure à un nes des navires capturés, les prêtres, les
prix près du double du sang de leurs médecins et les autres passagers de mar-
compatriotes. que, auxquels il permettait quelquefois
Au reste, il y avait dans ce mode d'é- de vivre en ville comme bon leur sem-
change une autre observation à faire , blait ; mais il envoyait
ordinairement les
c'est que, quelle que fût la condition du marins, les laboureurs, les simples arti-
Maure libéré le Bey ne donnait guère
, sans et autres gens du commun à la ,

en échange que des esclaves de la plus Manouba (1) ou aux travaux publics, où
basse classe , et toujours des esclaves ils travaillaient sous l'inspection d'un
maies; si on désirait obtenir des captifs gardien maure.
réputés avoir quelque fortune, ou des Le Bey accordait à chaque esclave,
femmes tombées dans l'esclavage, il pour sa nourriture journalière, deux pe-
s'élevait alors des difficultés graves, et tits pains à peine cuits et faits d'une
le plus souvent un refus formel répon- mauvaise farine gâtée, avec deux pe-
dait à cette demande. tites pièces de monnaie de cuivre équi-
Il arrivait quelquefois que les Chré- valant à environ deux sous en argent
tiens devenus esclaves des Maures trou-
vaient des moyens de racheter leur li- (i) La Manouba est un ancien palais
berté. Dans ce'casle prix du rachat d'un maure, situé à peu de distance de Tunis, et
homme était assez communément de qui, malgré l'élégance remarquable de son ar-
300 sequins de Venise eftèctifs ( ce qui chitecture, a été converti par les Beys en
équivalait à environ 3,600 fr. de notre caserne : il sert maintenant de quartier à un
monnaie) ; celui d'une femme s'élevait corps de cavalerie,
le plus souvent jusqu'à 600 sequins (J. J. M..)
TUNIS. 129
de France ; mais souvent, s'ils ne parta- le peu d'heures qu'on accordait à leur
geaient pas leur modique paye avec leur repas.
surveillant, ils risquaient d'être mal- Les nouveaux arrivés étaient souvent
traités habituellement et même de re- saisis, d'après les causes citées ci-dessus,
cevoir maintes fois des bastonnades de quelque maladie aussi violente que
cruelles sous divers prétextes. dangereuse ces malades étaient aban-
:

Telle était la position pénible à la- donnés aux chances de leur malheureux
quelle étaient soumis , pendant toute sort et privés de tout secours. Ce fut à
leur vie, des hommes qui n'avaient com- un noble désintéressement et à l'huma-
mis d'autre crime que celui d'apparte- nité vraiment héroïque d'un moine espa-
nir à un État qui ne s'était pas rendu gnol de l'ordre de la Trinité, et très-ri-
tributaire du Bey. che, qu'on dut le changement qui s'était
Au reste, sur le nombre habituel des opéré dans les derniers temps.
esclaves qu'on employait aux travaux, Ce bon religieux, étant tombé dans un
une grande partie ne trouvait de terme de ses voyages entre les mains des pira-
à sa misère que quand la Providence profondémentémuducruelaban-
tes, fut
céleste, prenant pitié des souffrances si don dans lequel languissaient les malades
cruelles qu'ils enduraient, daignait les européens; et, loin d'employer l'argent
rappeler dans son sein. qu'il fit venir d'Europe à son propre
Cette mortalité annuelle était vrai- rachat/ pour lequel on exigeait une forte
ment excessive ; mais elle n'est pas dif- somme, il généreusement sa
sacrifia
ficile à concevoir, si on considère que propre au soulagement de ses
liberté
ces hommes, après avoir déjà beaucoup frères. Ayant calculé qu'à l'âge avancé
souffert dans leur traversée, étaient auquel il était déjà parvenu il était pro-
obligés de s'épuiser par le plus dur tra- babiequ'il n'avait plus longtemps à vivre,
vail, sous le bâton de leurs gardiens, sans qu'il lui était à peu près égal de mourir
aucun abri, presque sans vêtements , en à Tunis ou en Espagne, il fit une dona-
proie aux ardeurs délétères d'un soleil tion considérable à son ordre, à condi-
dont les rayons embrasés tombaient à tion qu'il serait fondé pour le soulage-
plomb sur leurs têtes nues pendant toute ment'des esclaves européens, à Tripoli,
une longue journée, et ne recevant cha- à Tunis et à Alger, des hôpitaux dans
que jour qu'une nourriture malsaine, lesquels on leur donnerait, en cas de ma-
qui certainement suffisait à peine pour ladie, tous les secours nécessaires.
prolonger de quelques mois les restes de .
Le bienfaiteur mourut en esclavage.
leur malheureuse vie. D'autres personnes, animées du véri-
11 faut même s'étonner que cette mor- table esprit de charité chrétienne, avaient
talité n'ait pas été plus grande encore, ensuite imité un si bel exemple et voulu
dans ce véritable enfer, auquel l'Afrique concourir à augmenter les fonds de ce
condamnait ses captifs européens; s'il pieux établissement; et on ne saurait dire
en échappait à la mort par hasard quel- combien il en était résulté d'avantages

ques-uns, c'est que l'homme entouré de de toute espèce pour ceux qui avaient
besoins pressants apprend à déployer eu le malheur de tomber au pouvoir des
toute l'industrie imaginable pour s'y corsaires barbaresques (1).
soustraire.
L'un arrachait au sol à moitié brûlé (i) Maintenant la fondation subsiste tou-
quelques racines, quelques herbes sau- jours, mais elle a changé d'objet, et l'établis-
vages , dont il parvenait à se faire une sement charitable a prisuneautre destination :
salade : l'autre trouvait un compa- ce n'est plus l'hôpital des esclaves, mais c'est
l'hospice des Européens, où les voyageurs qui
triote, et en obtenait par ses prières
viennent à Tunis sont sûrs d'élro fraternelle-
qu'il lui avançât quelque peu d'argent, en
ment accueillis par les deux religieux de. Tor-
attendant qu'il en pût recevoir de son
dre de la Trinité qui en ont la direction , et
pays ; d'autres encore , qui avaient le
qui sont chargés, l'un des détails de l'admi-
bonheur d'être plus industrieux, tri- nistration intérieure; l'autre spécialement
de
cotaient, fabriquaient des chapeaux de
l'extérieure.
paille tressée, des jouets, des coffrets, (J. J. M.)
des bourses, rtes cordons, etc., pendant
e
9 Livraison. (Tunis.)
130 L'UNIVERS.

CHAPITRE XIX. On croit généralement que la Barba-


rie est un foyer de peste permanent et
Des maladies les plus fréquentes dans la Ré- inépuisable; que ce fléau y prend nais-
gence de Tunis; — peste; — emploi des sance et que c'est de là qu'il se pro-
contagion — ma-
,
frictionsd'huile contre la ;
page ; Prosper Alpin remarque même
nière de administrer; — régime à suivre
les
que de tous les miasmes pestilentiels
pendant traitement; — piqûre des scor-
le
pions; — morsures des serpents; — mala-
qui sont portés en Egypte, celui qui s'y

des Nègres —
transmet de la Barbarie est le plus re-
dies ; affections
catharrales
— ophtalmies; — vérole; — maladie
petite
;
doutable. Cependant, d'après les recher-
cutanée — diarrhée, dyssenterie; — dra-
;
ches les plus exactes que j'ai faites pen-
gonueau , ou veine de Médine. dant mes deux séjours dans la Régence,
sur tout ce qui concerne la salubrité de
Les maladies qui régnent le pins com- ce pays, je crois pouvoir franchement
munément à Tunis sont occasionnées en avancer que la peste n'est pas inhérente
général, ou par les vicissitudes rapides à son climat comme plusieurs l'ont
,

de l'atmosphère, ou par la quantité de aussi prétendu à l'égard de l'Egypte.


fruits qu'on y mange avant leur parfaite L'expérience dément l'opinion sinistre
maturité. On peut en conséquence pré- qu'on en a répandue depuis si longtemps ;

juger avec quelque certitude le carac- car il est constant qu'il y a eu, dans le
tère des maladies régnantes pendant la dix-huitième siècle, un intervalle de
saison des fruits, et selon qu'il sont plus quatre-vingt-deux années pendant les-
ou moins abondants. quelles ce fléau n'y a exercé aucun ra-
Ces maladies sont : les diarrhées , la vage.
dyssenterie, les coliques, les fièvres in- En 1785 un bâtiment venu
, de Cons-
termittentes, et même celle qu'on dési- tantinople débarqua des pestiférés à
gne vulgairement sous le nom dejièvre Soussahf et cette cruelie contagion se
putride ; des opthalmies assez analogues répandit rapidement dans tout le pays.
à celles qui ont été observées en Egypte, Le Bey méprisait d'abord, en bon Mu-
et qui se répandent dans un grand nom- sulman, toutes les mesures préventives,
bre de localités pendant l'automne. et les précautions sanitaires que les Eu-
Les maladies chroniques y sont moins ropéens lui suggéraient ; mais lorsqu'il
communes qu'en Europe, et l'on peut vit le fléau exercer ses ravages jusque
rapporter cette rareté a la bonté du cli- dans son palais même, il revint de la ré-
mat, à la simplicité des institutions, des signation que lui inspirait le dogme du
mœurs, et surtout au régime de vie. fatalisme, et, sortant enfin de son insou-
Celles qui se présentent le plus souvent, ciance, i! fit placer dans la salle d'au-
et cependant d'une manière assez iso- dience une barrière qui empêchait qu'on
lée pour ne pas en accuser le climat afri- ne pût l'approcher ; il abolit lecerémonial
cain, sont l'asthme, l'hydropisie, l'apo- du baisement de main, et ne reçut plus de
plexie, la paralysie, les scrophules, la papiers sans les avoir trempes dans du
gravelle, les catharres, les affections can- vinaigre.
céreuses, etc. Comme cependant la mortalité aug-
h'éléphantiasis , vulgairement ap- mentait chaque jour, les Consuls firent
pelé le pied d'éléphant, et décrite par au Bey des observations sur le danger
Prosper Alpin , est peut-être plus fré- d'inhumer les cadavres dans les petits
quente à Tunis qu'en Egypte; je me bor- cimetières placés dans l'intérieur de la
nerai à témoigner combien il esta regret- ville, ainsi que sur le peu de profondeur
ter qu'on ne connaisse encore aucun des fosses aussitôt le Bey défendit l'in-
;

moyen propre à combattre cette terrible humation dans les cimetières delà ville,
maladie, et je ne dirai rien des divers et ordonna de creuser les fosses des sé-
traitements qu'exigent les autres mala- pultures à six pieds au moins (deux mè-
dies que j'ai désignées ci-dessus, parce tres) de profondeur.
qu'ils ne sont ignorés d'aucun des gens La plupart des observations que j'a*
de l'art, etque je crois nécessairede pas- vais eu occasion de recueillir sur la mar-
ser à un point plus important et moins che et la variation de la contagion pes-
connu. tilentielle, dans les différentes saisons, en
TUNIS. 131
Egypte, ne m'ont présenté aucune diffé- qu'ont fait naître à cet égard les faits déjà
rence avec celles qui m'ont été offertes isolément constatés, nul doute alors ne
par cette maladie dans la Régence de serait permis sur l'efficacité des frictions
Tunis; ainsi, par exemple, les accidents d'huile d'olive tiède sur le corps, comme,
étaient plus fréquents lorsque les vents préservatif de la contagion, et même sur
du sud régnaient et lorsque la lune en- l'emploi de ce spécifique, si facile à ad-
trait dans ses différents quartiers. ministrer, comme un puissant moyen
Il faut cependant observer ici que la curatif des pestiférés déjà atteints par
peste ne cesse ordinairement à Tunis la terrible maladie.
que vers la fin du mois de juillet, tandis Les premières observations qui ont
qu'en Egypte le terme de ses ravages a donné l'éveil sur cette découverte salu-
presque toujours lieu à l'époque du sol- taire sont dues à George Baldwin, Con-
stice d'été. sul anglais à Alexandrie (2) ces obser-
:

On remarque que les Nègres sont en vations réitérées, et les raisonnements


général plus particulièrement frappés de qu'il en avait déduits, l'avaient porté à
la contagion ; mais il est difficile d'en croire à l'utilité de ces frictions contre
assigner la cause véritable, quoiqu'on la peste; pour s'en assurer davantage, il
puisse cependant présumer que cette fit part de son opinion au P. Louis de
propension de la race noire à subir l'in- Pavie, alors directeur depuis vingt-sept
fluence morbifique paraît dépendre ans de l'hôpital de Smyrne, en le priant
d'une plus grande activité de leur sys- de faire l'épreuve de ce remède.
tème absorbant. Le religieux s'empressa de faire l'essai
II n'a été fait jusqu'à présent aucune proposé , observé que
et déclara avoir
observation particulière , et systémati- de tous les moyens employés sous ses
quement suivie, sur le traitement de la yeux contre la peste, celui-ci lui a paru
peste à pratiquer à Tunis ; et la mé- le plus avantageux. Il est résulté des es-
thode curative par laquelle la théorie de sais faits sur ce remède une suite de
quelques médecins s'est flattée d'obtenir préceptes sur la manière de l'adminis-
des résultats extraordinaires , mérite trer et sur le régime qu'il convient d'ob-
d'être rangée au nombre des idées origi- server pendant le traitement, soit préser-
nales les plus follement hasardées par vatif, soit curatif : mon désir d'être utile
un empyrisme irréfléchi, et son ineffica- m'engage à entrer ici dans quelques
cité est trop généralement reconnue détails à ce sujet.
pour que je croie devoir en parler. Il ne suffit pas d'oindre le corps entier
Des faits nombreux nous prouvent, en avec de l'huile, il faut encore en même
revanche, que les porteurs d'huile ainsi temps le frotter fortement ; et c'est ce qui
que les Sagas, ou porteurs d'eau, dont les a fait préférer la dénomination de fric-
épaules nues sont continuellement en tion à celle fonction.
contact avec des outres fortement im- La friction doit se faire avec une
prégnées d'huile, ne sont que très-rare- éponge propre, et s'opérer assez vite
ment atteints de la peste ; que dès qu'ils pour ne pas durer plus de trois minutes :

quittent leurs habits imbibés d'huile, et elle n'est nécessaire qu'une fois seule-
qu'ils se purifient au bain, ils contractent ment le jour où la maladie se déclare.
la contagion aussi facilement que les Si ensuite les sueurs ne sont pas
autres habitants (1). abondantes ,il faut recommencer la
Si une suite d'observations conscien- friction, jusqu'à ce que le malade soit
cieuses et incontestées parvenait à con- dans un état tel qu'il nage, pour ainsi
firmer pleinement les présomptions dire , dans les sueurs ; et alors on ne
doit le changer de linge et de lit que
lorsque la transpiration a cessé.
(i) Cette observation avait déjà été faite en
Egypte par le docteur Desgenettes, médecin Cette opération ne doit se faire que
en chef de l'armée, et elle a été consignée dans dans une chambre bien fermée, et dans
une intéressante notice insérée au journal lit- laquelle on doit tenir un brasier de feu
téraire et scientifique que je publiais alors au
Kaire. Voyez Décade égyptienne, volume pre- (i) Cette observation a également été faite

mier, page i ôo. ( J. J. M. )


à Tunis, à Smyrne, etc.
,,

132 L'UINIVERS.

sur lequel on jette de temps en temps quelques jours de retard pourraient ren-
du sucre ou des baies de genièvre. dre le remède tout à fait inefficace on fa-
:

On ne peut déterminer d'une manière cilitera en même temps les sueurs ; et


précise l'intervalle qui doit s'écouler on obtiendra beaucoup de succès à cet
d'une friction à l'autre parce que l'on
,
égard, en faisant prendre au malade une
ne peut commencer la seconde que infusion de fleurs de sureau , sans addi-
lorsque les sueurs causées par la pre- tion de sucre.
mière ont entièrement cessé , et cette Quant au régime nutritif, on ne don-
circonstance dépend de la constitution nera au malade, pendant les cinq ou six
particulière du malade. premiers jours , qu'un potage de. vermi-
Avant de répéter la friction huileuse, celle bien cuit à l'eau seulement et sans
,

il faut essuyer soigneusement, avec un sel dans la suite on ajoute peu à peu,
:

morceau d'étoffe chaude, la sueur qui cinq à six fois par jour, une petite cuil-
couvre encore le malade, et qui le tient lerée de confitures de cerises mais il faut
;

en une moiteur qu'il importe de sécher veiller à ce qu'elles soient faites au sucre
absolument. et non au miel , ce dernier pouvant fa-
Ces frictions peuvent être continuées voriser la dyarrhée, qui est regardée
plusieursjoursde suite, jusqu'à ce qu'on comme un symptôme mortel : dans ce
aperçoive un changement favorable, et cas pourtant on ne doit pas pour cela
alors on diminue l'intensité de la force abandonner les frictions ; car on a des
employée aux frottements il n'est pas fa-
: exemples de malades arrivés à cette crise
cile de déterminer avec précision la pro- funeste, et que cependant on est parvenu
gression que doit suivre le frotteur dans à sauver.
la légèreté nouvelle donnée à son action, Lorsqu'on a l'espoir de la guérison
et moins encore de fixer la quantité c'est-à-dire lorsque après cinq à six jours
doit employer à chaque
d'huile qu'il la santé paraît un peu meilleure, on
opérationmais une livre ( un demi-ki-
; pourra donner le matin au malade une
logramme) doit certainement chaque tasse de bon café moka avec un petit
,

fois suffire : l'huile la plus fraîche et la biscuit fait également au sucre, et si


plus pure est toujours préférable, et le mieux continue on augmentera peu
il faut qu'elle soit plutôt tiède que à peu le nombre des biscuits, suivant
chaude : la poitrine et les parties qu'on verra les forces renaître.
sexuelles seront plus légèrement friction- Le dîner et le souper des malades ne
nées , et les portions du corps sur les- devra consister, pendant les quinze à
quelles ne s'exerce pas le frottement vingt jours suivants, qu'en riz ou en ver-
devront être soigneusement couvertes micelle, cuits simplement à leau, un
pour les préserver du froid. Si le ma- peu de pain quelques raisins secs, et des
,

lade a quelques tumeurs ou quelques confitures de cerises, un peu plus abon-


bubons, les frotter également d'une damment que dans les journées précé-
manière légère, jusqu'à ce qu'ils soient dentes.
disposés à recevoir des cataplasmes On augmentera ensuite la dose de pain,
émollients qui puissent en procurer la qui doit être meilleur possible; on
le
suppuration. pourra même donner de légères soupes
Celui qui opère ces frictions doit au- composées en été de petites courges bien
paravant s'oindre lui-même le corps mûres, et en hiver d'herbes potagères
entier d'huile mais il est inutile qu'il se
; sans autre assaisonnement qu'un peu
frotte, et il est indifférent qu'il s'oi- d'huile d'amande douce {zeytlouz).
gne plus ou moins promptement qu'il : Dans le courant de la journée, suivant
prenne les précautions usitées, des vête- l'état du convalescent, on pourra soit lui
ments de toile cirées, des chaussures de permettre de sucerune orange, soit lui
bois, etc. Qu'il évite avec soin le souffle donner une poire cuite, ou du moins bien
des malades, et surtout qu'il conserve mûre on lui accordera même un supplé-
;

beaucoup de sang-froid et de courage. ment de quelques biscuits, mais à la con-


On ne saurait trop recommander de ne dition qu'après avoir prisées aliments il
pas différer le commencement des fric- conserve encore quelque appétit, et que
tions dès que la maladie se prononce : la digestion en soit facile, sans surcharge
TUNIS. 133

pour l'estomac, comme sans anomalie et par Pinel sous celui de scorpio rufus.
pour les intestins. On a beaucoup de peine à empêcher
Ce n'est qu'après le trentième ou le l'intérieur des maisons d'être infesté par
quarantième jour, qu'on accordera un ces animaux nuisibles afin de préser-
:

potage fait avec du bouillon de poulet ou ver leurs habitations d'hôtes aussi mal-
de collet de mouton. L'usage de viandes lé- faisants il y a des Maures qui s'occu-
,

gères ne sera permis que quelques jours pent fréquemment à parcourir les rues
encore après, afin d'éviter les indiges- de la ville pendant la nuit avec un flam-,

tions, qui sontd'autantplus dangereuses, beau allumé et une longue canne, dont
qu'elles sont fréquemment accompa- ils se servent pour faire tomber les scor-
gnées de la récidive des bubons. pions des parois des murailles, le long
Passé cinquante jours ou deux mois, desquelles ces insectes dangereux grim-
on pourra enfin permettre au convales- pent le soir, et auxquelles ils demeurent
cent le veau rôti ou bouilli, un peu de vin attachés pendant les ténèbres.
pris modérément, en lui prescrivant Les Européens ont néanmoins trouvé
d'éviter, non-seulement tout excès, mais que le moyen le plus assuré d'empêcher
encore tout ce qui pourrait être d'une ces insectes de pénétrer dans leurs de-
digestion difficile. meures consiste à faire placer des grilles
On a cru jusqu'à présent assez généra serrées en fil de fer devant les fenêtres
lement que la contagion de la peste se et toutes les autres ouvertures. Si on
communiquait par les organes de la dé- n'use pas, en effet, de beaucoup de pré-
glutition, en prenant pour véhicule l'hu- cautions , on est assez fréquemment
meur salivaire, ou par l'organe de la exposé à être piqué, et les chambres à
respiration , qui absorbait les miasmes coucher elles-mêmes exposent à ce dan-
mêlés à l'air ambiant, ou enfin par les ger les dormeurs pendant la nuit, les
pores de la peau , dont les ouvertures scorpions recherchant particulièrement
multipliées opèrent à chaque instant cette la chaleur des lits occupés.
absorption d'une manière insensible ; Les principaux soins pour se garantir
mais si l'observation faite sur les por- de ce fléau doivent consister à entre-
teurs d'huile est incontestable, il faut tenir la plus grande propreté dans les
nécessairement en conclure que ce der- maisons , à visiter exactement les lits
nier organe est la voie principale par la- avant de s'y coucher, à ne pas coucher
quelle la contagion pénètre dans le corps par terre , et surtout à ne marcher ja-
humain; car si elle pouvait l'envahir mais les pieds-nus. Il n'est pas moins
avec égale facilité par les autres organes, essentiel de ne jamais mettre surtout ,

les frictions huileuses ne seraient plus dans la saison chaude, des souliers ou
on moyen préservatif. des pantoufles sans les renverser aupa-
Depuis la grande peste de Tunis, ravant et les secouer fortement , car il
en 1785, cette maladie a reparu à quatre n'est pas rare que les scorpions s'y glis-
autres reprises; ce qui n'est pas éton- sent et s'y cachent.
nant à concevoir, si on considère que les Il en est de la piqûre de cet insecte

Musulmans n'emploient aucun moyen comme de celle de la vipère. Le venin


de désinfection et de salubrité publique. qu'un seul scorpion verse dans sa piqûre
Dans les mois d'août et de septembre, ne suffit pas, il pour donner la
est vrai,
on risque toujours, plus ou moins, d'être mort à un homme; mais lui occasionne
il

piqué par les scorpions (aqrâb), qui sont de cruelles souffrances les enfants en
;

très-nombreux dans la Régence ainsi ,


éprouvent des effets plus fâcheux, et il
qu'à Tunis même, et qui peuvent se rap- n'est pas rare de les voir succomber à
porter à la grande espèce. une seule piqûre.
Cette espèce particulièrement véné- Je ne m'arrêterai pas à détailler les
neuse est désignée, par le docteur Jmo- moyens de guérison de ces piqûres,
reux sous le nom de scorpion fauve (1), parce qu'ils ne diffèrent en rien de ceux
qu'on emploie en Europe contre toute
(i) Voyez la Notice des insectes de la
France réputés venimeux, publiée en 1789, ihécaire de la Faculté de Médecine de Mont-
in-8°, par P. 7. Amoreux, membre et biblio- pellier.
,

134 L UNIVERS.
espèce de piqûre vénéneuse; la seule veulent bien se donner la peine de le
particularité qui mérite d'être rapportée tromper ; et la multitude irréfléchie court

ici, c'est que beaucoup de personnes souvent même au-devant des déceptions
emploient avec succès le sel ammoniac ;
les plus grossières dont on tente de l'a-
mais il est toujours essentiel de ne buser.
pas négliger les autres moyens curatifs Au reste à l'égard de la morsure de
,

comme, par exemple, la ligature immé- ceux de ces animaux qui n'ont pas subi
diate , les scarifications, la cautérisation l'opération par laquelle on les met hors
avec un fer rouge, etc. d'état de nuire , le sel ammoniac est
La manière d'employer le sel ammo- également un remède employé fréquem-
niac consiste à en prendre une petite ment avec succès.
portion réduite en poudre et à en frot- , Quoique les Nègres soient générale-
ter pendant quelque temps l'endroit de ments forts et robustes ils sont néan-
,

ia piqûre. Ce même remède est re- moins sujets, en arrivant à Tunis à di-
,

connu en Egypte comme très-utile con- verses maladies, qui sont pour la plupart
tre toute espèce de piqûre des animaux une suite naturelle des fatigues et des
vénéneux, et le succès constant qu'on en privations qu'ils ont subies dans leur
obtient prouve qu'il mérite réellement voyage, si long et si pénible, à travers les
ia confiance dont il jouit. déserts. Une autre cause aussi se joint
On voit à Tunis, à certaines époques, à cette première, c'est la différence no-
des espèces de jongleurs qui manient im- table qui existe entre le climat de Tunis
punément les scorpions; mais un examen et celui de leur pays natal, toujours
attentif a fait connaître qu'ils en avaient plus ou moins rapproché de la Zone
précédemment brisé le dard. Il est re- Torride.
connu, au reste, que la piqûre du scor- Les maladies dont ils sont alors le
pion fauve n'est aussi dangereuse que plus souvent attaqués se réduisent aux
dans les époques annuelles des amours sept classes suivantes :

de cet animal c'est-à-dire pendant tout


, 1° Les rhumes opiniâtres, ou affec-
13 printemps ainsi qu'une partie de l'été tions catharrales. Cette indisposition,
et de l'automne (1). née de la nudité absolue des Nègres
Souvent aussi ainsi que je l'ai déjà
, pendant les nuits, quelquefois très-fraî-
dit ci-dessus, on voit sur les places pu- ches , qu'amènent les vents froids, n'a
bliques de Tunis d'autres bateleurs, qui jamais de suites fâcheuses et finit par
,

manient des serpents, les excitent à leur céder aux remèdes ordinaires.
mordre la langue et le nez, etc.; mais, 2° Des ophthalmies accidentelles, pro-
indépendamment de ce que les reptiles duites, comme la maladie précédente, de
de l'espèce des amphibies ne sont pas l'exposition nocturne des Nègres nus à
ordinairement réputés dangereux (2), il toutes les vicissitudes de l'atmosphère,
est fort à présumer qu'on leur a précé- se guérissent presque toujours sponta-
demment arraché les dents avec les vé- nément, et n'ont d'autres remèdes que
sicules contenant leur venin. l'usage fréquent du simple lavage avec
Le peuple ne laisse pas que d'admirer de l'eau naturelle et pure.
ces sortes de jongleries qu'offrent en 3° La petite-vérole {djedrey), maladie
spectacle les prétendus psylles, et il les souvent bien funeste, tant à la vie des
considère comme une espèce de prodiges Nègres qu'aux intérêts des Gellâbys. Elle
magiques (3) car le peuple est partout
; semble être moins fréquente parmi eux
dupe des charlatans de toute espèce, qui au Soudan ( pays des Noirs ) qu'à Tunis ;
mais elle est toujours meurtrière les
:

Gellâbys prétendent même qu'elle ne


(i) Voy. A.moreux, Histoire naturelle des
règne jamais dans leur pays, excepté lors-
animaux vénéneux, article Scorpion.
Gesner, Aldrovande, Klein, Buffon et
(i)
qu'une circonstance quelconque y ap-
Valmont de Bomare ont observé, au contraire, porte le germe de la contagion varioli-
que les reptiles amphibies sont souvent plus que et ce qui paraîtrait fortifier cette
;

vénéneux que les autres. Les variétés de assertion, c'est que parmi les Nègres
lézards nous en offrent des exemples. amenés par les caravanes à Tunis j'en
(3) Forez ci-dessus page ix3, ,
ai vu fort peu qui eussent été atta*
TUNIS. 13^

qués de cette maladie dans leur pays. mais cette éruption a lieu sans lièvre
L'éruption de la petite-vérole est or- et sans aucune indisposition morbide,
dinairement très- abondante chez les quelquefois lente, quelquefois rapide,
Nègres et presque toujours elle se fait
, parfois durant quelques semaines, par-
avec plus de difficulté que chez les Blancs; fois stationnaire, et ressemblant parfai-
vraisemblablement parce que les Noirs tement alors à une gale sèche (scabiea
ont la peau plus épaisse et plus com- sicca ); d'autres fois encore les boutons
pacte la fièvre qui précède l'éruption
: s'agrandissent, et, en les perçant, on
est souvent très-violente. y trouve une matière séreuse et puru-
Un médecin européen , s'il n'a pas vu lente, faisant naître dans le corps du ma-
déjà plusieurs fois cette maladie chez lade une démangeaison générale qui ne
,

les Nègres, a peine à la reconnaître lui laisse de repos ni le jour ni la nuit.


dans son principe, à moins que les sym- J'ai vu quelquefois ces boutons venir
ptômes concomitants n'en indiquent si abondants, que les extrémités supé-
suffisamment la nature, ou bien que rieures etinférieures eu étaient tuméfiées
l'épidémie régnante ne lui enlève tout comme dans la petite-vérole; la lièvre
doute à cet égard : en effet les petits
, alors survient, et se déclare quelquefois
boutons qui se manifestent au moment avec assez d'intensité.
de l'éruption sont d'une nature telle- Abandonnée à elle-même , cette mala-
ment équivoque, qu'on n'y distingue die dure quelquefois plusieurs mois, et
aucune nuance de blanc ou de rouge, devient quelquefois réellement hideuse;
et que la couleur de la peau est la même si, au contraire, après l'éruptiou com-
que celle des boutons. Comme les nou- plète, on applique les remèdes conve-
veaux arrivés sont souvent sujets à des nables la maladie disparaît entièrement
,

maladies cutanées ou couverts de bou-


, après un espace de temps assez court.
tons produits par la morsure des mous- La méthode la plus usitée et la plus
tiques (namous) les médecins peuvent
, efficace à employer pour obtenir la gué-
souvent hésiter sur la vraie nature de la rison consiste à frotter le corps entier
maladie. du malade tous les deux jours avec du
Au reste, les Gellâbys perdraient kiskes : on appelle ainsi du blé froment
certainement bien moins d'esclaves par (Qamèh) à demi cuit, puis desséché,
cette maladie, s'ils leur donnaient plus trituré, mêlé pendant quelques jours
de soins, et surtout s'ils se décidaient à avec du lait, et exposé au soleil pour que
consulter quelque médecin européen. cette préparation se dessèche de nou-
Mais, ou leur peu d'intelligence n'ar- veau : on continue les frictions jusqu'à
rive pas jusqu'à comprendre cette vérité, ce que l'éruption ait complètement dis-
ou leur avarice se refuse à faire aucune paru ce qui a lieu après une huitaine
,

dépense de ce genre. ou tout au plus une quinzaine de jours.


4° Une maladiecutanée, quej'avais vue J'ai vu aussi employer avec succès la
également chez les Nègres au Kaire , où farine de lupin {hoummouss), humectée
nommée vulgairement Éêch-êl-
elle est avec une bonne quantité de jus de citron
Medynéh ( mot à mot manière de vie de (leymoim màlèh) on couvre de ce
:

la ville), sans doute parce qu'on la re- mélange tout le corps du malade, et on
garde comme un effet de l'acclimatement l'expose en cet état au soleil pendant
et du changement que subissent les Nè- quelques heures jusqu'à ce que cette pâte
gres dans leur manière de vivre et leur soitdesséchéeentièrementsurlapeau:on
nourriture; cette maladie est presque conduit alors le malade au bain chaud, et
générale parmi les nouveaux arrivés et , on continue de deux jours en deux jours
on l'a souvent confondue avec la gale, l'application de cet enduit jusqu'à la dis-
soit par la forme des pustules, soit par parition complète de la maladie.
le prurit intolérable qu'elle cause. Cette J'ai encore vu employer quelquefois,
maladie, qui n'est pas contagieuse comme avec un égal succès un Uniment d'huile
,

la gale , se manifeste par l'éruption suc- de lin mélangé avec du soufre et de la


,

cessive d'une quantité de petits boutons, noix de galle.


un peu pointus , plus ou moins nom- Au reste, on n'emploie jamais dans
breux sur toutes les parties du corps ;
,
le traitement de celte maladie aucune
,

136 L'UNIVERS.
espèce de remède interne; ceux qui ont une espèce de ver qui s'introduit sous
voulu administrer le mercure doux ou le la peau , et principalement aux ex-
soufre pris intérieurement, n'en ont trémités inférieures du corps. Ce ver
retiré aucun avantage sensible; et la est de la grosseur de la corde à violon ,

maladie, ainsi traitée, n'a eu ni plus ni dite chanter elle, quelquefois même d'une
moins de durée. ténuité encore plus grande ses deux:

Je terminerai cet article par ud avis extrémités seterminent en pointe, comme


essentiel ; c'est celui de ne donner que celles du lombric, et sa longueur varie
très-peu d'aliments gras aux Nègres de quatre pieds et demi à plus de six
nouvellement arrivés par les caravanes , pieds (de un mètre et demi à plus de
qu'ils soient malades ou non; car on deux mètres).
regarde l'usage de la viande comme une On reconnaît son existence à ses tor-
des principales causes de leurs maladies tuosités sous la peau , qui ont assez de
cutanées les gens du pays prétendent
: ressemblance avec les petites veines va-
même qu'on ne doit les nourrir, pen- riqueuses ; il reste quelquefois ainsi
dant les quarante premiers jours, que longtemps sans causer aucune incom-
de riz de pain et de légumes secs cet
, , modité, sans être même aperçu; mais
espace de temps leur semblant néces- quand enfin il a atteint le plus haut
saire pour habituer graduellement les point de son accroissement, il occa-
esclaves à un genre de vie aussi opposé sionne dans la partie qu'il a envahie une
à celui qu'ils suivaient dans leur patrie. inflammation, qui passe bientôt à l'état
5° La diarrhée et la dyssenterie sont de suppuration : dès que l'abcès s'est
généralement redoutables pour tous les ouvert, le ver s'y présente par la tête,
nouveaux arrivés; il y a deux moyens et on commence alors à en pratiquer
principaux pour en préserver : le pre- l'extraction par des procédés qui ne
mier consiste dans un bon régime et réclament de la part de l'opérateur que
dans l'abstinence des viandes; le second de l'adresse et surtout de la patience :
est de se couvrir de bons vêtements à ces procédés, souvent décrits, sont trop
l'approche de l'hiver du reste, le traite-
: connus pour que je croie nécessaire
ment de ces deux maladies est suffisam- d'entrer dans de longs détails à ce sujet.
ment connu des praticiens , et n'offre Au reste, si on néglige de remédier à
aucune prescription particulière àTunis. temps au mal, le Nègre qui en est at-
6° La peste attaque plus particuliè- teint, en quelque partie du corps que ce
rement non-seulement les Nègres nou- soit , finit ordinairement par périr d'é-
vellement arrivés à Tunis mais encore
, puisement.
les individusde la race noire qui depuis Je ne finirai pas ce chapitre sans y ajou-
plusieurs années séjournent dans cette ter la remarque que \ePian, qui tue tant
capitale. de Nègres en Amérique, est absolument
J'ai peine à m'expliquer cette suscep- inconnu sur les côtes septentrionales de
tibilité particulière
; car tout ce qu'on l'Afrique.
peut dire sur l'acclimatement des Noirs,
sur la propension de. leurs humeurs à CHAPITRE XX.
contracter la contagion, n'est qu'une
présomption extrêmement vague et pu-
De la médecine à Tunis;— médecins tu-
les
nisiens; — leur ignorance; — préjugés sur
mauvais œil; — amulettes, talismans;
rement hypothétique.
le
7° Enfin le dragonneau , autrement
— vertus aux
attribuées pierres précieuses
dit la veine de Médine (1), se rencontre
aussi quelquefois chez les Nègres nou-
— eaux minérales thermales de Ré-
et la
;

gence.
vellement arrivés à Tunis.
Il paraît qu'il se trouve dans les eaux La médecine est exercée à Tunis soit
du Soudan, et peut-être aussi dans celles par des Européens, soit par des Juifs ou
que l'on peut rencontrer dans le désert, des Maures. Je crois superflu de parler
des premiers, les seuls chez lesquels se
(i) Furia infemails , Vena Medinensis trouvent les connaissances indispensa-
Dracunculus , Gordius Medinensis , Dragim* bles à l'exercice de l'art de guérir; mais
tia JEgyptiaca. je crois nécessaire de donner sur les
TUNIS. 137
médecins indigènes quelques détails qui la suite duquel ils ont l'habitude de le
puissent faire connaître en quel état est voir : ils lui demandent des conseils hy-
maintenant l'art de la médecine chez les giéniques , et finissent par lui accorder
Orientaux en général, et en particulier les mêmes titres qu'à son maître; sou-
chez les Maures. vent même ils préfèrent aux consulta-
Sans passer individuellement en revue tions du docteur celles du valet-méde-
les membres de tunisienne, je
la faculté cin, parce qu'elles sont d'abord gratui-
me bornerai d'abord à cette seule obser- tes mais ensuite elles sont payées par
,

vation , qu'il en est en Barbarie à l'égard quelques légers cadeaux, puis enfln elies
des indigènes qui se vouent à l'art médi- ont leur rétribution fixe et leur tarif au
cal, comme dans beaucoup d'autres pays; rabais.
même de notre Europe; ces prétendus Le titre de médecin ainsi acquis par
docteurs forment, dans la Régence et les le drogman juif devient dans la fa-
autres États barbaresques, un bizarre mille un titre héréditaire; le fils est mé-
assemblage d'empiriques sans instruc- decin (hakim) parce que son père l'é-
tion et sans théorie ne se soutenant
, tait, et il a dû transmettre ce titre à ses
parmi les populations qui leur fournis- descendants sans qu'aucun d'eux ait be-
,

sent des patients, que par la tolérance soin de plus d'études et d'instruction
d'un Prince ignorant l'importance qu'il qu'il n'en a fallu à son père et à lui-
devrait mettre à surveiller une classe même on sent par conséquent que j'ai
:

dont l'ineptie peut occasionner des maux bien peu de chose à dire sur les méde-
incalculables à ses sujets. cins juifs.
Les empiriques juifs ou maures de On compte parmi les Maures de Tunis
Tunis n'y deviennent qu'accidentelle- au moins vingt-cinq soi-disant méde-
ment médecins; leur titre de doctor me- cins. Cette faculté a un chef, qu'on ap-
dicus leur échoit sans étude, sans pré- pelle êl-Hakim-Bâchy, et qui n'est pas
paration, et absolument par cas fortuit. plus instruit que ses collègues. Tout leur
Pour mieux faire connaître les causes savoir ne consiste qu'en un empirisme
de cette éventualité accidentelle, il est grossier, et dans la plupart des cas ils
à propos de faire observer qu'un mé- ne connaissent d'autres remèdes que le
decin européen qui vient s'établir dans cautère actuel.
ce pays doit avoir nécessairement, pour Quoique les médecins européens ne
le conduire dans la ville et faciliter ses soient pas subordonnés à ce chef, il est
relations avec les gens du pays, un drog- cependant convenable qu'ils fassent sa
man ou courtier interprète, qu'il trouve connaissance; car il peut quelquefois
assez aisément parmi les Juifs. leur être utile, et son inimitié les expo-
Ce cornac médical, qui dans le fond serait à quelques désagréments.
n'est qu'un domestique, marche devant Les médecins maures ne connaissent
son maître dans ses visites chez les mala- en fait de livres que celui iïAvicenne{i).
des, lui indiqueles rues, les demeures des S'ils ont, outre cela, quelquefois d'autres
clients, est l'interprète et l'intermédiaire
obligé de ses conversations, achète les (i) Le nom à'Avicenneesl tellement connu,
provisions journalières du ménage, pré- même en Europe par sa science médicale,
,

pare, sous les yeux du docteur, les tisa- que je regarde comme inutile d'entrer dans
nes, les infusions, les décoctions, les aucun détail à son sujet; cependant je crois
nécessaire d'ajouter ici une particularité gé-
médecines, etc., et fait dans la ville et
néralement ignorée des Occidentaux : c'est
lesenvirons les commissions de toute
que ce philosophe célèbre n'était pas moins
espèce.
versé dans les sciences mathématiques que
En suivant ainsi pendant quelques
dans les sciences médicales. La belle collec-
années le médecin au service duquel il tion de manuscrits que j'ai rapportée d'E-
est attaché , le Juif acquiert nécessaire- gypte contient d'un ouvrage
le manuscrit
ment une connaissance empirique et composé par des nombres,
lui sur la science
superficielle des remèdes, des formules dont j'ai inséré un extrait dans le Diction-
et des maladies dans lesquelles ses pres- naire des Sciences mathématiques pures et
criptions ont été utiles; les Maures le appliquées, publié par Montf'errier et édité
Confondent bientôt avec le médecin à par Denain, à Paris, i835. (J. J. M.)
138 L'UMVERS.
manuscrits sur la matière médicale, on vertus par les théories les plus absurdes
peut être assuré que la teneur en est et les moins logiques; un autre enfin
toujours basée en grande partie sur les prétend qu'on administre exclusivement
théories de cet ancien auteur. les remèdes qu'il propose, sans daigner
Pour eux le classement général des
, donner la moindre explication, ni sou-
maladies comprend deux grandes divi- mettre aucun raisonnement au jugement
sions celles qui sont occasionnées par
: de ses confrères.
excès de chaleur ou d'échauffement et , Pour peu qu'on ait de l'instruction
celles qu'ils attribuent à des causes froi- et de l'expérience, quand on est témoin
des. La pituite ou l'âcreté du sang, consi- de semblables scènes on ne peut que se
,

dérées par la médecine arabe comme les sentir humilié de cette dégradation de
causes principales des maladies chroni- l'art médical; mais il serait inutile de
ques, sont accusées par elle, peut-être chercher à mettre ces guérisseurs de la
aussi souvent que par la médecine euro- Barbarie sur le bon chemin car leur pro-
;

péenne, des désordres qui se manifestent fonde ignorance est d'autant plus pré-
dans l'organisation humaine. somptueuse, qu'ils n'attribuent qu'à
Les médecins orientaux connaissent, leurs mérites et à leurs talents la con-
comme beaucoup de nos médecins, un fiance dontils jouissent, et croienttoute
certain nombre de formules hors des- science entièrement inutile pour assurer
quelles leur savoir ne les fait jamais leur succès.
sortir, et qu'ils appliquent souvent sans Le prix ordinaire d'une consultation
motif dans les cas les plus divers. est de 7 fr. 50 cent. Les malades aisés
Après avoir parlé des médecins, je payent 3 50 cent, par visite ; et sur
fr.
crois devoir faire la remarque que dans cette somme le médecin, qui est aussi en
aucun pays les Chrétiens, les Maures et même temps pharmacien-droguiste, est
les Juifs ne sont plus empressés qu'à obligé de fournir les médicaments né-
Tunis à demander une consultation : cessaires dans le courant de la journée,
ces consultations sont quelquefois for- et de faire même une seconde visite s'il
mées d'un si grand nombre de médecins, le juge indispensable. Si la maladie est
soit européens, soit indigènes, qu'elles de longue durée il est assez ordinaire de
,

ressemblent bien plus à une assemblée stipuler une convention à forfait, pour
populaire qu'à une société de gens ins- la totalité du traitement; la moitié du
truits, réunis pour l'avantage du malade. prix convenu doit être payée d'avance. Si
Ordinairement chacun lui parle quand on n'insiste pas sur cette dernière condi-
bon lui semble, souvent même plusieurs. tion, on a fréquemment les plus grandes
y parlent à la fois et si à la fin on désire
; peines à obtenir le payement de ses
connaître le résultat de la conférence, il soins.
est presque toujours impossible de ne Au reste, comme les malades se las-
pas s'apercevoir qu'il se réduit à rien sent quelquefois du traitement, ou
par la nature et l'incohérence des opi- quand ils viennent à mourir, il est bon
nions. C'est en vain qu'on prétendrait que le médecin ait quelque payement
faire consulter ces médecins à la manière d'avance en main d'autant plus qu'il
,

d'Europe ils se refusent obstinément


: éprouve souvent les plus grandes diffi-
à suivre une méthode, qui est pour ainsi cultés pour retirer après la cure le res-
^riire la pierre de touche par le moyen tant de ses honoraires car il arrive sou-
;

;<!e laquelle on distingue facilement vent qu'un Maure délivré de son mal
jl'homme instruit de celui qui ne l'est pas. n'en rapporte la guérison qu'aux secours
I Aussi je dois avouer que ces consulta- de la divinité, et non aux soins qu'il a
tions m'ont toutes paru plus dignes de la reçus du médecin.
scène comique que de la chambre d'un J'ai parlé dans le chapitre précédent
malade l'un propose des corroborants,
: de l'ophthalmie comme d'une maladie
l'autre des désobstruants, sans que ni l'un assez fréquente à Tunis ; elle l'est pour-
ni l'autre motive d'une manière raison- tant beaucoup moins qu'en Egypte, car
nable les prescriptions opposées ; le troi- au Kaire sur dix personnes que l'on
,

sième opine pour une multiplicité de rencontre dans les rues on peut être
,

remèdes compliqués, dont il explique les presque assuré d'en trouver trois aveu-
TUNIS. 139

gles, trois borgnes, et trois ayant mal dont chaque gouttelette a emporté avec
aux yeux ; de manière qu'à peine en voit- elle un atome salin ; cette gouttelette, in-
on une sur dix qui soit exempte de i'o- troduite entre la paupière et les tuni-
phthalmie ou des suites fatales de cette ques du globe oculaire, s'y volatilise de
maladie. nouveau , mais en se volatilisant elle
J'ai entendu plupart des Européens
la laisse dans les pores où elle s'était insi-
attribuer cet état morbide des yeux aux nuée la molécule saline dont elle était
sables du désert, dont, disaient-ils, les chargée, A cette gouttelette ei* succède
vents portent au loin la poussière, etdont une autre , apportant une nouvelle parti-
les molécules impalpables s'insinuant cule saline, dont la multiplicité s'ag-
sans cesse entre la paupière et le globe glomérant successivement forme autant
de l'œil y causent ces lésions incessantes de petits coins aigus pénétrant et déchi-
devenant peu à peu par l'irritation une rant la surface dans laquelle ils sont im-
multiplicité de petits ulcères, d'abord plantés augmentant de plus en plus l'ir-
:

presque invisibles, mais finissant par en- ritation par leur action incisive, ils amè-
vahir la totalité de l'organe visuel. nent l'inflammation, et finissent pardon-
Les observations que j'ai été à portée ner à la maladie une intensité capable de
de faire soit à Tunis, soit antérieurement détruire l'organe tout entier.
en Egypte, me persuadent qu'on doit La médecine arabe ne s'est pas donné
disculper les sables du désert de cette la peine de remonter à ces causes phy-
accusation : en effet, si elle était fondée, siques : suivant les populations orienta-
ce serait parmi les Bédouins, qui habi- les , et même d'après l'opinion des mé-
tent constamment le désert, et dont les decins arabes eux-mêmes, l'ophthalmie
tribus nomades le sillonnent continuel- aurait pour cause unique un mauvais
lement dans tous les sens, que le fléau de regard, un regard malfaisant , jeté
(

l'ophthalmiedevraitétendre plus particu- par un ennemi sur le malade; et le seul


lièrement ses ravages or, il est incon-
: remède employé par eux contre la ma-
testable que ces populations offrent beau- ladie est un petit morceau de drap écar-
coup moins de cas ophthalmiques que late, ou de toute autre étoffe rouge, sus-
les populations urbaines; bien plus on a pendu par un fil devant le globe de l'œil
observé que la plupart des ophthalmies « afin disent-ils, d'attirer l'attention du
contractées dans les villes se guérissent « mauvais œil, et d'en recevoir la pre-
presque spontanément lorsqu'une cir- « mière influence, ainsi détournée de
constance quelconque transporte le ma- i l'œil malade. » Je laisse à penser com-
lade dans le désert. bien ce moyen ridicule est au contraire
Il faut donc chercher une autre cause nuisible à la guérison de l'œil attaqué
aux affections ophthalmiques, et je crois d'une affection ophthalmique, dont l'in-
qu'on doit plutôt la trouver dans les tensité ne peut que s'accroître par la
émanations humides s'exhalant par l'ef- présence continuelle et immédiate d'un
fet de la chaleur atmosphérique des lambeau rouge source immanquable de
,

lacs, des canaux, et des autres récep- fatigue et d'irritation pour le globe de
tacles aqueux qui avoisinent les villes, l'œil.
et souvent y produisent des marécages Le mauvais œil ou l'œil envieux est
d'eaux stagnantes et putréfiées : en également accusé par les Orientaux de
Egypte c'est surtout au voisinage des toutes les maladies et de tous les évé-
lacs , des étangs et des canaux , et prin- nements fâcheux qui leur surviennent :

cipalement à l'époque des débordements aussi si un Européen ou un Maure ca-


,

annuels du JNil, que les ophthalmies pren- resse un enfant, semble le regarder
nent un caractère endémique; nul doute avec plaisir, ou en fait l'éloge ses pa- ,

que ces maladies ne soient produites et rents se hâtent de l'arracher brusque-


entretenues à Tunis par les émanations ment à ces caresses et à ces regards, crai-
putrides du grand lac aux bords duquel gnant que l'œil mauvais ne devienne
la ville est située, et des marais salants fatal à leur famille; si on vante un
qui l'avoisinent ; l'eau de ces divers ré- beau cheval devant son propriétaire il ,

ceptacles , vaporisée incessamment, rem- le regarde comme perdu d'avance, et

plit l'atmosphère de molécules aqueuses comme devant bientôt être victime de


,

140 L'UNIVERS.
peste , l'avortement , l'épilepsie et même
quelque maladie ou de quelque accident
contre les chutes de cheval et les bles-
imprévu (1). ... sures de toute espèce (5).
Un des moyens curatifs qui jouissent
Ces talismans consistaient aussi quel-
de la plus haute réputation parmi les
médecins arabes et leurs clients con- quefois en pierres précieuses, soit char-
c'est-à-dire gées de caractères et de légendes ma-
siste dans des amulettes,
giques, soit non gravées c'est ainsi que
en morceaux de papier, ou fragments
:

les Orientaux, les Maures regardent la


de parchemin, sur lesquels sont inscrits
soit les noms de Dieu (2) et des Prophè-
topaze ( Yaqout-astar) comme un spé-
Koran, cifique souverain contre la jaunisse et
tes (3) , soit certains versets du
formules composées de les affections bilieuses; le jaspe sanguin
soit quelques
et de caractères et la gemme rouge nommée par nous
mots sans aucun sens
magiques. cornaline ou sardoine, et par les Arabes
Ces talismans, nommés telsem par les
Hadjar-ed-dam , c'est-à-dire pierre dh
Arabes (4), sont ordinairement l'ouvrage sang, contre le flux de sang et l'hémor-
ragie. Les nourrices croient augmenter
des Marabouts, qui les vendent fort
l'abondance et la qualité nutritive de
cher , et les Nègres , non moins crédu-
leur lait en portant des bagues dont les
les que les Maures, donnent à
ces sor-
chatons sont des turquoises etc.
tes d'amulettes le nom de gris-gris.
,

Un des moyens curatit's qui mérite-


Je possède plusieurs de ces échantil-
an- raient d'être les plus répandus dans la
lons de la pharmacopée talismanique
noncés comme spécifiques préservatifs
Régence serait l'usage soit en bains, soit
en boisson, des eaux minérales que ren-
contre la galle, la fièvre, l'ophthalmie,
la
ferme son territoire.
( Les anciens Grecs et les Romai ns
i)
croyaient Je n'entrerai pas dans des détails
aussi à l'influence du mauvais
œil. On ht dans étendus sur ce qui concerne les sources
Virgile , Eglog. III, io3 : thermales qu'offrent les contrées qui
Wescio quis teneros oculus
mihi fascinai agnos. avoisinent Tunis (6) je me bornerai a
;

Forez aussi Héliodore, JEthiopic.


lib. III. rapporter les notions les plus générales
exagères
Ils croyaient même que des éloges qui les concernent , telles que j'ai été à
attiraient quelque malheur à, ceux qui en portée de les recueillir, et qui m'ont paru
étaient l'objet. Voyez Virgile, Eglog. VII, 27 5
devoir fixer l'attention sur un objet jus-
(J. J.M.)
Pline, lib. VII, 2. qu'à présent trop ignoré, ou presque to-
(2) Suivant les
mystiques musulmans, on
talement négligé.
connaît quatre-vingt-dix-neuf
noms de Dieu,
c est en
Le docteur Shaw et les autres voya-
dont chacun a sa vertu particulière : geurs qui ont parcouru ces pays ne
noms
l'honneur de ces quatre-vingt-dix-neut
ayant un pareil
qu'ils portent des chapelets batailles de Sédiman, des
sur chacun desquels ils (5) Après les
nombre de grains ,

ils ajoutent que


Pyramides et d'Héliopolis, on a trouvé sur
récitent un des noms divins : nombre de Mamlouks
mais que le les cadavres d'un grand
Dieu a effectivement cent noms, de soldats lurks des amulettes de celte es-
centième nom est resté caché aux hommes, et
pèce dont la vertu devait les mettre à
l'abri
et que celui qui
parviendrait à le connaître ,

quelques-uns
universelle, le don des coups de sabre et desballes;
en recevrait la puissance même portaient pour le même but des petits
le maître sou-
des miracles, et deviendrait de forme octogone , pendus à leur cou
commandant même Korans
verain de tout l'univers , ces
autres intelli- et renfermés dans une boîte d'argent : si

aux génies , aux anges, et aux préservatifs magiques se sont trouvés impuis-
gences célestes: suivant eux, ce
nom n a jus- portaient,
qu'à Adam, a Salo- sants pour défendre ceux qui les
qu'à présent été révélé que sans doute ceux qui les avaient
mon et à Mahomet. ( J. J. M. )
c'est
des
et fabriqués n'avaient pas prévu les cas
Les Musulmans comptent soixante de
(3)
est le dernier
baïonnettes françaises et de la mitraille
dix prophètes, dont Mahomet ( J. J. M. )
c'est par cette raison qu ils
nos canons.
et le plus parfait :
Voyez ci-dessus ce que j'ai dit sur les
lui donnent le titre de
Khdtem el-onbya , qui (6)
eaux thermales de Hammâm-êl-Ayn , de
sceau des prophètes. ( J. J. M. )
signifie le
sem, le même Hammâm-él-Lyf, de Hammâm-êlEnf, de
C'est du mot arabe tel
(4)
notre mot Eammâm-Gourbos, pages 29 et 3o; de Ham-
que le grec TÉXe^a qu'est dérivé
,
page 46.
J. J. M. mâm-êl-Gabs ,
français talisman. ( )
TUNIS. 141

parlent que fort vaguement de deux et rendre avec usure au Bey les sommes
de ces sources, qu'ils n'ont vraisembla- qu'il avancerait pour les réparations in-
blement pas visitées; les médecins du dispensables. Cet endroit serait vérita-
pays paraissent même à peu près ignorer blement charmant si on y faisait des
ce qui les concerne , car les renseigne- plantations d'arbres, des allées qui con-
ments que j'ai pu en recevoir à ce sujet duisissent au bord de la mer, et surtout
ne diffèrent en rien de ceux qui m'ont si l'on y construisait une maison où l'on
été communiqués par le vulgaire. pût se procurer facilement des alimenls,
On compte dans la Régence de Tunis des rafraîchissements, et les autres ob-
douze quinze différentes sources mi-
à jets nécessaires.
nérales; mais je n'ai eu la possibilité Une observation qui m'a semblé sin-
de visiter que les deux principales, dont gulière et devoir appeler l'attention des
parle le docteur Shaw , et qui sont très- naturalistes, c'est que dans les bains
accréditées pour la guérison debeaucoup d'étuves . même dans ceux du Bey, et
de maladies chroniques. La première est dans les eaux qui en découlent , j'ai vu
appelée Hammam-él-Lyf(l) ; elle est si- plusieurs tortues qui semblent se plaire
tuée près de la mer, à trois lieues au sud beaucoup dans ces eaux minérales. Je
de Tunis, et au pied d'un groupe de mon- remarquai avec quelque étonnement
tagnes assez élevées. que ces animaux se distinguaient des
La première source fournit l'eau pour autres individus de leur espèce par une
les bains et les étuves, qui ont naturel- queue de la longueur et de la grosseur
lement à peu près la même température, du doigt indicateur. Je crus d'abord que
que celle que l'on donne artificiellement cette espèce de tortue qui n'a pas l'é-
,

aux bains chauds des différentes villes caille aussi convexe que celles de terre
du Levant. Ces eaux sont claires et lim- était spécialement particulière à ces
pides, médiocrement salines et tant soit eaux et à cette localité; niais des per-
peu après. La teinture de noix de galles sonnes qui connaissaient mieux le pays
leur donne une couleur violette; ce qui que moi m'assurèrent qu'on en voyait
indique assez qu'elles renferment du fer une quantité de cette même espèce dans
en petite quantité; d'aiileurs on peut, tous les étangs de la Régence qui con-
sans cette épreuve, se convaincre de la tiennent de l'eau saumâtre.
présence du métal, par l'examen du ter- A deux cents pas environ des bains
rain qui l'avoisine, et qui est évidemment d'étuves, vers le sud, on trouve une
ferrugineux. seconde source, qui n'est pas aussi con-
L'édifice construit sur cette source sidérable que la première, et que les
est assez vaste , et appartient au Bey, Maures appellent Hammam -él-ar y an,
qui en réserve la moitié pour son pro- c'est-à-dire la source nue (2).
pre usage, ou pour celui des riches par- L'eau qui en découle a à peu près
ticuliers auxquels il veut faire une poli- le mène degré de chaleur que la pre-
tesse; l'autre moitié est destinée au pu- mière; son goût est plus salé, les indi-
blic, et est affermée 1500 piastres par ces du principe ferrugineux y sont plus
an; c'est une espèce de caravansérail, sensibles et l'acide citrique lui procure
,

ayant une cour au milieu et un grand une légère effervescence. On en obtient


nombre de petites chambres assez mal par l'évaporation une petite quantité de
tenues. Les deux bains d'étuves sont sulfate de soude, plus ou moins pur, et
mesquins obscurs et rendus fétides
, , qui combiné avec les acides est aussi
par leur proximité avec les latrines. effervescent que la soude elle-même.
Les eaux qui découlent des bains s'ar- Un bassin formé par la nature reçoit
rêtent dans le voisinage, y croupissent, l'eau de cette source; mais l'écoule-
et exhalent une puanteur malfaisante qui ment en est obstrué par toutes sortes
augmente à mesure que l'été s'approche. d'immondices, et l'on est d'autant plus
Voilà le triste tableau d'un établisse-
ment qui pourrait présenter beaucoup (2) Celte dénomination paraît lui avoir été
plus d'avantages à l'humanité souffrante, donnée parce qu'elle n'est garantie ni par
aucune toiture, ni par aucune enceinte con-
(i) Voyez ci-dessus, page 29. servatrice.
,

142 L'UNIVERS.
répréhensible de tolérer un pareil abus, de Carthage. Une partie du chemin qui
que cette eau est très-fréquemment em- y conduit est fort agréable; l'autre, sur
ployée en boisson. Tandis que des va- les bords de la mer et à travers des pré-
létudinaires s'y rendent pour y boire cipices, offre beaucoup de difficultés. Si
l'eau de ce bassin, il n'est pas rare d'y la curiosité m'eût porté à visiter dere-
trouver des Bédouins qui s'y baignent, ce chef cette source, j'aurais pris le parti
qui ne peut manquer d'être très-désa- de m'y rendre par mer, en m'embar-
gréable et répugnant pour les buveurs. quant à la Goidette.
Avec une dépense de 100 francs au Près de Gourhos est enterré un per-
plus on pourrait couvrir cette source sonnage réputé saint par les Maures,
d'une petite toiture et en fermer l'en- et le domaine de l'oratoire élevé sur sa
ceinte avec une porte pour empêcher ces sépulture s'étend sur les eaux miné-
inconvénients; mais l'insouciance, ce rales voisines; aussi sont-elles révérées
vice le plus constant de cette nation, vice comme un saint lieu , et les Musulmans
qu'on ne pourra jamais déraciner que par n'y souffrent aucun infidèle. Quoique je
une impulsion extraordinaire, s'oppo- fusse accompagné par le domestique
sera longtemps encore à une améliora- d'une personne considérée, de la petite
tion aussi urgente et aussi peu coûteuse. villede Souleymân, chargé de me proté-
Quelques malades sont convenable- ger, j'aurais peut-être essuyé le désagré-
ment purgés par deux livres (un kilo- ment de ne pouvoir visiter ces sources,
gramme) de ces eaux; d'autres, pour ob- si le juif-interprête qui était à ma suite
tenir ce même effet, ont besoin d'en n'eût déclaré hautement que j'étais lepre-
boire jusqu'à six livres(3kilogrammes); mier médecin {Hâkim-Bacliij) du Bey,
elles procurentsouventdes déjections al- envoyé par ce prince pour faire un exa-
vinesune heure après qu'on les a bues. men officiel de la qualité des eaux.
Immédiatement après le jeûne du mois Bientôt aux murmures des Musul-
de Ramaddân, on voit une quantité mans succéda ledésirde me consulter, et
extraordinaire de valétudinaires, et sur- je ne tardai pas à être entouré par les ma-
tout des Juifs, se rendre à Hammâm-êl- lades, et même les gens valides qui se
,

Lyf; comme ils ont une confiance aveu- trouvaient là, ou qui venaient des envi-
gle, tant à l'efficacité des bains dans ces rons, attirés, soit par la curiosité d'assis-
eaux qu'à celle de leur boisson il en ré-
, ter à mon examen, soit par le besoin de me
sulte que, la plupart usant avec excès, et demander mon avis sur leurs maladies.
à la fois, de l'une et de l'autre manière Je trouvai dans une large gorge plu-
d'administrer ce remède, ils n'en obtien- sieurs sources d'eau, beaucoup plus
nent cependant pas tout l'avantage qu'ils chaudes que celles de Hammâm-êl~Lyf ;
pourraient retirer d'un emploi mieux on m'avait même assuré que le degré de
raisonné et surtout en isolant les deux chaleur avait assez d'intensité pour cuire
modes de traitement. des œufs; mais l'expérience m'a fait
Dans les maladies vénériennes, cuta- trouver cette assertion fausse , car les
nées, dartreuses, etc., les bains seuls œufs mis dans cette eau et retirés après
opèrent admirablement; plusieurs affec- une demi-heure n'avaient pas subi de
tions du bas-ventre se trouvent soulagées changement sensible.
sensiblement par la boisson de l'eau de Les eaux de Gourbos contiennent une
la seconde source; mais je pense que grande quantité d'alumine; il s'y en
l'état de certains malades est plus sou- cristallise même sur les rochers par les-
vent amélioré par le changement d'air, quels l'eau passe. Les pièces d'argent
que par les bains et la boisson des eaux, qu'on y plonge et qu'on frotte un peu
auxquelles on attribue leur guérison. deviennent d'une propreté et d'une blan-
Une autre source d'eau minérale qui cheur étonnante. La teinture de noix de
jouit d'une grande réputation dans la galles ne leur fait subir aucunealtération,
Régence de Tunis est celle que les Mau- l'acide citrique aucune effervescence.
res appellent Hammâm-êl-Gourbos{\) : Il y a à ces sources des bains d'étuves
elle est située à i'est de Tunis et en face très-médiocres; mais, de plus, on a
creusé dans le rocher plusieurs baignoi-
(i) Voyez ci-dessus, page 3o. res, qu'on remplit et vide à volonté; pour
TUNIS. 143

ces dernières baignoires il est indispen- d'autres sources, sur lesquelles je ne puis
sable d'avoir une tente; on se trouve donner des notions positives , et que
ainsi tout à la fois dans un bain chaud je regrette de n'avoir pu aller examiner.
à l'air libre, et jouissant de Ja vue pit- Je terminerai ce chapitre par une ob-
toresque de la mer. Quel endroitdélicieux servation , plutôt cosmétique qu'hygié-
on pourrait faire de ces bains, s'ils étaient nique, que je n'ai pas trouvé l'occasion
entre les mains des Européens, et si l'art de placer dans les chapitres précédents.
suppléait à l'aridité naturelle des roches L'usage des bains chauds est générale-
qui environnent les sources? ment recherché dans tous les pays orien-
_ Les eaux de Gourbos sont fortifiantes ;
taux. Il y a beaucoup de bains d'etuves
mais quand on en boit en trop grande établis dans la ville de Tunis ; mais il

quantité elles irritent le canal intes- n'y en a que bien peu qui soient élégants
tinal, et occasionnent des purgations et propres, et l'eau des bains est dé-
violentes; elles sont d'ailleurs d'une ef- sagréablement saumâtre. Pour laver la
ficacité supérieure dans bien des cas, tête, pour dégraisser les cheveux, les
en raison de leur plus haut degré de Tunisiens se servent d'une terre argileuse
chaleur ; car je pense que les effets salu- particulière qu'ils apportent du royaume
taires attribués souvent exclusivement de Marok, et qu'ils appellent Tijjel.
aux différentes substances contenues
dans les eau\ minérales dépendent peut-
Ici s'arrêtera cette Description de
être davantage du calorique, qui jus-
Tunis , pour laquelle je regrette de n'a-
qu'ici n'a pas été suffisamment appré-
voir pu recueillir les notes plus étendues
cié, quoiqu'il reconnu que c'est
soit
que m'auraient, sans aucun doute, four-
de la nature.
l'agent le plus actif
nies un séjour plus prolongé dans la ca-
Bruce assure avoir visité à Terianah
pitale de ia Régence et quelques ex-
des eaux minérales qui, quoique très-
cursions dans l'intérieur du territoire;
chaudes, contiennent beaucoup de petits
je m'étais promis d'explorer pius en
poissons vivants et qui paraissent s'y
détail toutes les parties du pays et j'au-
trouver très-bien. Comme ce voyageur
,

rais exécuté ce projet plusieurs cir-


si
a avancé beaucoup d'autres faits peu
constances ne m'avaient forcé, d'abord a
croyables, ou même reconnus pour faux,
l'ajourner, puis ày renoncer entièrement.
j'avais aussi conçu quelques doutes sur
Je regrette aussi , surtout , de ne pas
ce qu'il dit de Terianah; mais je dois
avoir possédé la langue arabe avec as-
avouer que j'ai trouvé plusieurs habi-
sez d'étendue pour pouvoir me livrer
tants du pays, dignes de foi, qui m'ont
aux recherches historiques , dont je ne
confirmé la réalité de cette particularité
puis me dissimuler que le manque se
remarquable.
fera sentir à mes lecteurs, comme je l'ai
A la distance de cinq milles de Za- senti moi-même; mais je mets à ce
ghouân il y a encore des eaux minérales,
que les gens des environs emploient
sujet mon espoir dans l'active obli-
geance de mon ami et compagnon d'E-
contre plusieurs infirmités; mais je n'ai
gypte M. J. J. Marcel, dont personne
pas eu le loisir de les explorer.
n'ignore les travaux sur l'Orient, et qui
On en trouve également près de l'an-
a bien voulu s'engager, non-seulement à
cienne Utique, ainsi que dans 1 île située
revoir et corriger mon texte avant sa
au milieu du lac de Bizerte. N'ayant
publication, mais encore à y joindre le
pu visiter qu'une seule fois les thermes
complément indispensable d'un Précis
naturels de Hammam- Trouzzah et de
historique sur Tunis et ses révolutions
Hammah-èl-Gahs, je n'ai rien à ajouter
diverses, dont les matérieux lui seront
icià ce que j'en ai déjà dit, sommaire-
fournis, je l'espère, par quelques-uns des
ment, ci-dessus pages 42 et 46. Mais, in-
manuscrits arabes dont il a rapporté
dépendamment des sources dont je viens
d'Egypte une si riche collection.
de parler, ceux qui voudront se livrer
à la recherche des eaux minérales dans L. Frank , D. M.
ce pays, y trouveront un grand nombre
,

SECONDE PARTIE
PAR S. J. MARCEL (I).

PRECIS HISTORIQUE DES REVOLUTIONS DE TUNIS,

DEPUIS SA FONDATION JUSQU'A NOS JOURS.

â laquelle on a conservé, même à pré-


CHAPITRE l
ec
.
sent encore, le titre de Royaume, com-
prend les deux anciennes provinces nom»
Fondation de Tunis par les Phéniciens lé- —
— —
;
niées la Byzacène et l'Afrique propre-
gende mythologique; Didon Car-

;

tilage ; —
Utique; Tunis sous les Car-
ment dite ( Africa proprie dicta ). -
thaginois; —
guerres puniques; Tunis — La capitale de cette Régence, Tunis,
est située à cent cinquante lieues (600
prise par Régulus et reprise par les Cartha-
ginois ; — Scipion rétablit les remparts de kilomètres) à l'est nord-est d'Alger,
Tunis ; — Massinissa ; Syphax — Juha — à cent dix lieues (440 kilomètres) ouest-
— Jugurtha ; —
révolte des Mercenaires ;
; ;

nord-ouest de Tripoli, et à cent quatre-


— prise de Tunis par les révoltés; Tu- — vingt lieues (720 kilomètres) au sud de
nis et Carthage sous la république Ro- Marseille.
maine. Le nom sous lequel la ville de Tunis
a été désignée par les plus anciens écri-
Depuis les siècles les plus reculés dont vains est celui de Tunetum, suivant
l'histoirenous ait transmis le souvenir, quelques-uns Thunetum, Tuneta, ou
il n'est que quatre époques pendant les- même Tunes. L'Itinéraire d'Antonin
quelles ait été soumise à un seul maître nomme cette ville Tuniswn , et le nom
cette vaste zone du littoral africain, qui, de Tounès est celui que lui donnent
des embouchures du Nil à l'Océan Atlan- actuellement les Arabes dont les géo-
,

tique, ceint la partie méridionale du graphes la placent dans la seconde partie


bassin de la Méditerranée. du troisième climat (2).
Cette unité de souveraineté territo- Les premiers habitants de Tunis fu-
riale n'eut lieu, pour les États que nous rent, suivant l'opinion de tous les géogra-
comprenons dans dénomination com-
la phes et de tous les historiens anciens
mune des États Barbaresques , que des colons, Phéniciens, comme ceux
sous la domination des Romains sous , de Carthage. ville dont la proximité im-
celle des empereurs Byzantins, sous les médiate fait confondre tellement l'his-
Kalyfes Ommiades, et sous les règnes toire avec celle de Tunis, que raconter
de quelques-uns des Princes Fatimites. les événements dont Carthage fut le
Toutes les autres périodes de l'histoire théâtre, serait en même temps écrire
de l'Afrique septentrionale nous repré- les annales de Tunis ; j'ajouterai même
sentent cette contrée perpétuellement que la plupart des géographes et des
morcelée en petites principautés, où suc- historiens orientaux ne font de Tunis
cessivement établissaient leur pouvoir et de Carthage qu'une seule et même
des familles, plus souvent étrangères ville.
qu'indigènes qui se groupaient autour
,
Malheureusement l'histoire même de
des États principaux, parmi lesquels Carthage, où nous aurions pu puiser
jouent le rôle le plus important les royau- les matériaux de celle de Tunis, pendant
mes de Marok d'Alger et de Tunis.
, les premiers siècles qui ont suivi la fon-
On sait que la Régence de Tunis,
(2) Voyez ci-dessus, pour les détails géo-
er
graphiques généraux, le chapitre I , et pour
Voyez re
(x) ci-dessus la note i de la page 3 la topographie particulière, le chapitre YI de
et le dernier alinéa de la page précédente. la première partie.
TUNIS. u;
dation de l'une et de l'autre ville , est assertions de quelques anciens auteurs,
bien incomplète ; à peine un seul fragment l'origine de Tunis remonterait à des
des historiens puniques a-t-il survécu siècles plus reculés encore, et cette ville
aux désastres qui ont réduit leur patrie aurait été fondée par une colonie de
à n'être plus maintenant qu'un monceau Phéniciens en même temps que celle
de ruines. d' Utique (2) que Justin nous représente
,

Certes, si les anciens historiens nous comme existant déjà depuis près d'un
avaient laissé pour l'histoire de la répu- siècle sur la côte africaine avant que la
blique carthaginoise des documents tant princesse tyrienne connue sous le nom
soit peu proportionnés au pouvoir et à de Elyssa ou de Didon (3) n'y vînt abor-
l'opulence de cette fameuse cité, il y der avec une nouvelle colonie, et y jeter
aurait très-peu de peuples au monde les premiers fondements de l'antique
dont les annales offriraient une série de citadelle des Carthaginois (4).
faits plus intéressants; mais tel a été le Au reste, si le génie poétique de Vir-
malheur de cette métropole africaine gile s'est plu à embellir des fictions les
que, malgré ses immenses richesses, plus intéressantes ie berceau de la ville
l'étendue de son commerce, sa politique fondée par Didon, les Grecs, si ama-
consommée et son génie militaire (Car- teurs de fables, n'ont pas laissé l'origine
thago dives opum, studiisqueasperrima de Tunis sans légende romanesque.
belli ), qui l'ont rendue si longtemps for- Suivant quelques scoliastes, Cadmus,
midable aux peuplades voisines, et même ce héros oriental (5), qui joue un rôle
à la puissante république romaine, il ne presque universel dans toutes les tradi-
nous reste cependant que des mémoires tions des temps mythologiques , et que
très-imparfaitssur les grands événements
qui ont dû être signalés par l'histoire tin ; de quatre-vingt-douze ans suivant Tite-
,

carthaginoise. Les principaux faits aux- Live ; de cent-dix-neuf ans, suivant Solin;
d'autres chronologistes, tels que Josèphe et
quels les Carthaginois ont pris part,
Ménandre d'Éphèse, portent jusqu'à cent
et qui ont pu échapper à l'oubli nous,
quarante années cette différence de date.
ont été transmis par les écrivains d'une
Nous n'entreprendrons pas de concilier ces
nation leur ennemie, ou par ceux qui assertions diverses , d'où résulte seulement
étaient favorablement disposés pour l'antériorité de Carthage, généralement re-
leurs adversaires. Ainsi, bien des choses connue et nous ne croirons pas être trop
,

qui mériteraient d'être connues ont dû éloigné de l'exactitude chronologique, en


être omises dans l'histoire de Carthage adoptant l'opinion la plus généralement reçue,
et dans celle de Tunis, qui en dépend qui place la fondation de Carthage ainsi que
et on ne peut recueillir quelques rensei- celle de Tunis entre les années 900 et 890
gnements sur ces deux villes, dans les avant l'ère chrétienne.
siècles qui ont précédé l'ère chrétienne (2) Le nom d'Utique (Outyqah), ou Aty-
qu'en recherchant quelques passages qah, signifiait en langue phénicienne l'antique,
épars dans les historiens grecs et latins, l'ancienne ville; celui de Carthage (Qa?-the-
data ), la nouvelle ville.
sans cependant qu'on puisse parvenir à
(3) Didon était petite-fille du roi de Tyr
en former un tableau historique com-
Ithobaal , que la Bible cite comme le père de
plet et sans lacunes, et ce n'est même
la fameuse Jezabel, dont par conséquent Di-
que depuis l'invasion des Arabes que don aurait été la nièce.
les annales de Tunis peuvent être con-
(4) Cette citadelle reçut lenomde Byrsa
sidérées comme un corps d'histoire qui en langue phénicienne signifie tour , for-
suivi et régulier. tification, et subsiste encore dans la langue

On assure que fondation de Tunis


la arabe , sous la forme de bourdj, qui a le même
fut contemporaine ou du moins de très- sens, analogue au mot 7rupyoç des Grecs,
peu de temps postérieure à celle de Car- (5) Le mot qedam, qadm, ou qadem, signifie
thage (1) ; si Ton ajoutait même foi aux oriental dans toutes les langues comprises
sous l'appellation commune d'idiomes semi-
(i) La fondation de Carthage fut anté- tiques ; et il est présumable que sous cette
rieure à celle de Rome
de soixante-cinq ans, appellation commune les Grecs n'ont fait qu'un
suivant Velleius Paterculus ; de soixante- seul et même personnage de tous les Orien-
douze ans , suivant Trogus Pompeius et Jus- taux qui ont amené des colonies dans la Grèce.

10 e Livraison. (Tunis.) 10
146 L'UNIVERS.
l'on trouve partout, en Egypte en Grèce , Tunis fut à cette époque particulière-
et en Afrique, fuyant la Samothrace, avec ment exposée aux attaques des peuplades
la belle Harmonie, qu'il venait d'enle- africaines, habituellement en état de
ver (1 ), se serait retiré sur les bords du lac guerre avec Carthage tantôt subissant
,

Triton (2) entouré d'une pos-


: il s'y vit le joug de cette république, tantôt la
térité nombreuse ; mais il quitta cet forçant de leur payer un tribut annuel ;
asile pour poursuivre à son tour le ra- et l'an 395 avant notre ère les Afri-
visseur de sa sœur Europe. Harmonie, cains, s'étant réunis au nombre de deux
ajoutent-ils, mourut de douleur peu après cent mille hommes, s'emparèrent de
son abandon, sur la plage où elle avait Tunis, menaçant Carthage même d'un
reçu les derniers adieux de Cadmus, et siège mais lafamine et les divisions qui
;

énamourant elle ordonna à ses enfants éclatèrent parmi les barbares firent
d'élever son tombeau au lieu même où échouer leurs desseins , et délivrèrent
elle avait exhalé ses derniers regrets. bientôt Tunis de leur possession éphé-
Non-seulement ils obéirent, mais encore mère.
ils quittèrent les bords du lac Triton, Les premiers siècles de la république
pourvenir fixer leur habitation autour du romaine avaient été loin de faire présa-
monument qu'ils élevèrent à leur mère, ger l'animosité irréconciliable qui devait
et ils donnèrent à cette nouvelle rési- par la suite diviser Rome et Carthage:
dence le nom de Tounah, ou de Tounét, des traités d'alliance avaient même été
qui signifie habitation en langue phéni- conclus entre les deux peuples, dès l'épo-
cienne. que même de l'expulsion des Tarquins,
Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, l'an 508 avant l'ère chrétienne, sous le
on ne peut cependant disconvenir que consulat de Rrutus et de Valerius ; et il
les historiens de la République romaine est à remarquer que dans ces traités,
font déjà mention de Tunis dès le temps ainsi que dans ceux qui les suivirent,
de la première guerre Punique c'est-à- , particulièrement à l'époque de l'invasion
dire dès l'époque qui s'étend de l'an 490 de Pyrrhus en Italie, comme aussi dans
à l'an 513 de la fondation de Rome (deux tous les traités conclus par Carthage,
siècles et demi avant l'ère chrétienne) et ; soit avec Denys de Sicile, soit avec les
que, suivant eux, cette ville tenait alors peuples africains, la ville de Tunis se
le second rang parmi les cités de la côte trouve toujours nominativement men-
africaine. tionnée immédiatement après celles de
Déjà, dans qui précédèrent
les siècles Carthage et d'Utique; circonstance qui
acharnées de Rome et de
les hostilités si constate que dès cette époque Tunis
Carthage on trouve des preuves de l'im- était regardée comme la troisième ville
portance que Tunis avait déjà acquise, du territoire carthaginois.
et du puissant concours que prêta sa Tunis spécialement désignée par
est
marine a celle de Carthage, dans les di- les historiens au nombre des deux cents
verses expéditions que tentèrent les places dont Régulus se rendit maître sur
Carthaginois, soit contre la Sardaigne la côte d'Afrique , après la victoire mé-

et les Phocéens (3), soit surtout contre la morable (4) qu'il avait remportée sur
Sicile. Jmikaret Hannon, dans les parages qui
s'étendent entre la côte méridionale de
Vers le milieu du seizième siècle avant
(i) la Sicile et le cap africain que nous con-
l'ère chrétieune , peu de temps environ avant
le déluge de Deucalion. d'JSmporium, d' Alonis et de Mœnace; ils s'é-
{2) Voyez ci-dessus, page 45* taient aussirendus maîtres de la Corse et de
(3) Vers le milieu du sixième siècle avant la Sardaigne. Toutes ces possessions leur fu-
notre ère , les Phocéens , fuyant la domina- rent successivement enlevées par les Cartha-
tion de Cprus, qui s'étendait sur la Grèce ginois,
asiatique, vinrent s'établir à Marseille , où (4) Dans cette bataille navale, Régulus
cinquante années auparavant ils avaient déjà prit aux Carlhaginois soixante-quatre galères
envoyé une colonie. Les Phocéens avaient et en coula à fond plus de trente ; la descente
étendu leur établissement sur toute la côte qu'ilexécuta alors sur la côte d'Afrique fut si-
depuis le Var jusqu'à l'Èbre, et y avaient gnalée par une nouvelle victoire qu'il remporta
fondé les villes de Nicœa, d'Olbia, dUAgatha, près de Tunis.
TUNIS. 147

naissons maintenant sous le nom de Carthage avait eu à subir sur le terri-


cap Bon. toire africain, Tunis n'avait pas eu à
Tunis avait été choisie par les Ro- jouer un rôle moins important que dans
mains pour y établir le quartier général les catastrophes des hostilités étrangè-
de leur armée et de ce poste militaire
, res l'année même dans laquelle la pre-
:

ils menaçaient avec avantage les rem- mière guerre Punique avait été terminée
parts de Carthage elle-même; mais Tu- par un traité qui coûta aux Carthaginois
nis, où l'armée des assiégeants avait con- dix millions exigés par Rome au mo-
centré ses forces, resta peu de temps ment même de la signature , la républi-
en sa puissance elle fut bientôt rendue
; que africaine s'était vue menacée d'une
aux Carthaginois par le général lacédé- perte entière par la guerre des Merce-
monien Xantippe, qui défît les Ro- naires.
mains, leur tua trente mille hommes, On donnait le nom de Mercenaires
et fit Régulus lui-même prisonnier. à des troupes soldées par les Carthagi-
Le sort des armes, qui avait livré Tunis nois et recrutées par eux parmi toutes
,

tour à tour au parti victorieux, la soumit les nations qui habitent autour du bassin
définitivement aux légions qui vinrent de la Méditerranée; on comptait parmi
l'attaquer ayant Scipion à leur tête. ces soldats mercenaires, des Espagnols,
Lorsque cet illustre général forma des Gaulois, des Liguriens, des Siciliens,
le siège de Carthage, il fit de Tunis sa des Grecs, et surtout un grand nombre
place d'armes, et, comme Régulus, son d'Africains :la politique du sénat de
prédécesseur, il y établit son quartier gé- Carthage avait cru prévoir toute occasion
néral (I). Afin de mettre la place à l'abri de révolte parmi ces troupes étrangères,
de toute attaque de la part des assiégés, en réunissant sous les mêmes drapeaux
il en répara les fortifications que lui- , dessoldats parlantdes idiomes différents
même avait ruinées pour s'en emparer, etne comprenant pas mutuellement leurs
ety augmenta considérablement les tra- divers langages. Ce système avait réussi
vaux que les Carthaginois y avaient faits tant que la guerre avait duré il n'en fut
;

antérieurement. pas de même lorsque la paix était faite


En effet, lorsque Carthage était deve- avec Rome. Carthage aurait voulu licen-
nue puissante par le concours des étran- cier ces troupes, devenues inutiles.
gers, que sa situation favorable au com- Ramenées de la Sicile sur le continent
merce y attirait de toute part, elle avait africain, ces troupes ne purent y être
fait le premier essai de ses forces contre sur-le-champ payées de leur solde arrié-
Tunis, qu'elle avait soumise, et qu'elle rée et renvoyées dans leurs patries res-
s'était empressée de fortifier, comme pectives, l'épuisement du trésor de
un avant-poste important à la sûreté Carthage ayant même forcé le sénat à
de la capitale, dont Tunis, par sa proxi- proposer une réduction dans la somme
mité, semblait n'être que la succursale considérable qui leur était due.
et, pour ainsi dire, le faubourg. Le mécontentement des Mercenaires
Durant la première guerre punique et éclata aussitôt avec violence ces corps
:

les suivantes la ville de Tunis fut ainsi


, militaires si hétérogènes , et que leurs
plusieurs fois prise et reprise par les deux idiomes étrangers semblaient isoler les
partis qui se disputaient avec tant de uns des autres surent s'entendre réci-
,

fureur et d'opiniâtreté souveraineté


la proquement pour une rébellion générale.
du monde alors connu en Occident. 1

Les révoltés quittèrent les cantonne-


Presque entièrement détruite à cette ments dans lesquels les ordres du sénat
époque, par les vicissitudes de ces guerres de Carthage les avaient placés, et vinrent
acharnées, elle finit par subir, avec tout établir leur camp à Tunis, menaçant de
l'empire carthaginois, le joug de la domi- ce poste la métropole elle-même.
nation romaine. La révolte s'étendit bientôt de Tunis
Mais dans les guerres intestines que au reste du territoire africain, dont
toutes les villes s'unirent aux rebelles,
(i) Ce que Scipion reçut les
fut à Tunis à l'exception de deux seulement, celles
trente ambassadeursque les Carthaginois en- à'Utique et de Hippacra : les Merce-
voyaient pour demander la paix. naires, au nombre de soixante-dix mille
10.
48 L'UNIVERS.
en firent le siège, et profitèrent de la proxi- l'alliance formée par Juba l cc avec Poni'
mité de Tunis, où ils avaient établi leur pée contre Cœsar (3).
quartier général , pour bloquer étroite-
ment Carthage. CHAPITRE IL
Mais après les vicissitudes d'une longue
guerre, les Mercenaires se virent enlever Tunis etCarthage sous les empereurs romains ;
successivement toutes leurs positions
— rétablissement de Tunis à diverses épo-

par Amilcar, surnommé Barca, qui mit


ques ; —
révolte du Berbère Takfarmas;
— les empereurs Gordiens ; —
christia-
fin à la rébellion par la prise de Tunis elle-
même et le massacre de tous les Merce-
nisme; —
saint Cyprien; —
invasions des

naires dont cette ville avait été la der-


Francs ; —
dissensions religieuses ; Do- —
nalistes.
nière retraite. Cette guerre, qui avait mis
Carthage dans un si grand danger, avait Mais si le voisinage de Carthage et de
duré trois années et quatre mois. Tunis fut fatal à cette dernière ville et ,

Après avoir subi le choc des armes suivre toutes les phases des cata-
lui fit
romaines, Tunis avait aussi souffert strophes que la fortune imposa à la pre-
les luttes sanglantes entre Massinissa mière dans ses vicissitudes ennemies,
et Syphax (I), dont son territoire fut le cette proximité l'associa en même temps
théâtre, puis celles qu'entraînèrent l'u-
surpation de Jugurtha (2) et plus tard sâl, espérant ainsi contenir par la reconnais-
sance les desseins ambitieux qu'il soupçonnait
(i) Au commencement de la secondé à son neveu et faire naître l'affection entre ce
guerre Punique, Syphax, roi d'une partie de prince et ses deux cousins.
la Mauritanie, s'était d'abord déclaré pour Il n'en fut pas ainsi ; à peine Micipsa fut-
les Romains, tandis que Massinissa, roi d'une il mort, que Jugurtha fit périr Hiempsàl,
autre partie du pays , avait embrassé la cause qu'il dépouilla, et attaqua vivement Adherhal,
des Carthaginois; mais bientôt l'un et l'autre dont il prétendait aussi saisir la part d'héri-
changèrent de parti , par suite de leurs ini- tage. Adherhal avait réclamé le secours des
mitiés particulières : réunissant ses forces à Romains, qui envoyèrent successivement Ce-
celles àUJElius, Massinissa livra à Syphax, cilius Metellus et Marias pour combattre l'u-
l'an 201 avant notre ère, une bataille, dans surpateur.Jugurtha fut défait , et chercha
laquelle celui-ci fut vaincu et fait prisonnier. vainement un asyle dans toutes les villes de
Mis en possession par les Romains de tous l'Afrique septentrionale; repoussé partout, il
les États qui avaient appartenu à son ennemi, se réfugia auprès de son beau -père, Bocchus,
Massinissa eut un long règne, pendant lequel roi d'une portion de la Mauritanie; mais
il se montra toujours le fidèle allié de la Ré- celui-ci livra aux Romains son gendre, qui fut
publique; il mourut l'an 149 avant noire emmené à Rome et jeté dans une prison, où
ère, laissant cinquante-quatre enfants de di- l'on dit qu'il mourut de faim, l'an 106 avant
verses concubines : il avait chargé en mou- notre ère.
er
rant Scipion le Jeune de faire le partage de (3) Juba 1 du nom avait succédé à son
ses États entre ses trois fils légitimes , Mi- père Hiempsàl; dans la guerre entre Pompée
cipsa , Gulussa, et Mastanabal. et J. Cœsar , il s'était attaché au parti de
(2) Jugurtha était fils de Mastanabal : Mi- Pompée, et l'avait aidé de ses troupes Cœsar, :

cipsa , que la mort de ses deux frères avait après la mort de son rival, revint punir
rendu héritier des provinces que chacun d'eux Juba Ie1 de son alliance contre lui. Juba Ier ,
'

avaient eues en partage, se méfiant du caractère dont les troupes furent taillées en pièces , ne
ambitieux de son neveu Jugurtha, l'avait en- put survivre à sa défaite, et se fit donner la
voyé faire la guerre en Espagne, espérant que mort par Petreius, l'an 42 avant notre ère.
les combats sanglants qui s'y livraient le dé- Son ûhJuba II e du nom avait été amené à
barasseraient d'un prince dont il regardait la Rome pour orner le triomphe de Cœsar ; il
rivalité comme pouvant être dangereuse pour fut élevé à la cour d'Auguste , qui lui fit épou-
ses deux fils auxquels il destinait sa succes- ser Cléopatre-Séléné , fille de la fameuse
sion. L'espoir deMicipsa fut trompé. Jugurtha Cléopatre et de Marc-Antoine , et lui donna
sut unir la prudence au courage, et revint d'Es- le royaume des deux Mauriianies et de la
pagne sain et sauf; alors Micipsa en mourant, Gélulie. Juba II mourut l'an 24 avant notre
l'an 120 avant notre ère, prit le parti d'a- ère; et, après sa mort, ses États, dont Tunis
dopter Jugurtha et de l'associer dans son hé- faisait partie , furent réunis aux provinces ro-
ritage avec ses deux fils Adherhal et Hiemp- maines.
TUNIS. 149

aux retours de fortune qui à diverses , deux empereurs reçurent les lettres
époques devinrent favorables à la ca-
, d'assentiment du sénat de Rome, et
pitale du territoire carthaginois. qu'ils passèrent le peu de jours que dura
Ainsi , à la fin de la troisième guerre leur règne éphémère; c'est là aussi
Punique J'unis avait été ruinée avec qu'ils furent l'un et l'autre détrônés
Carthage par le second Scipion (1) puis, ;
par Capellianus , général des troupes
quelques années avant l'ère chrétienne, restées fidèles au parti de Maximin,
lorsque Auguste envoya une population l'an 238 de notre ère.
de cinq mille hommes d'ans la métropole C'est également à Carthage que Sa-
africaine, pour la faire sortir deses ruines binianus, mécontent de voir le trône
et la coloniser, Tunis partagea les bien- impérial occupé par le troisième Gor-
faits de la munificence impériale comme ; dien , fils du consul Junius Balbus , et
aussi elle vit ses murs se relever, lorsque petit-fils par sa mère de l'empereur pré-
Hadrien rétablissait, vers l'an 125 de cédent, lit éclater contre lui, l'an 240
notre ère, une partie de ceux de Car- de notre ère, une révolte, qui fut presque
thage, à laquelle il donnait le nom de aussitôt étouffée par le gouverneur de-
Hadrianopolis, et qu'il destinait à con- là Mauritanie (3).
tenir les esprits turbulents des peupla- A cette époque le christianisme s'était
des de ces contrées, de tout temps por- déjà tellement répandu sur les côtes
tés aux séditions et aux révoltes. septentrionales de l'Afrique, qu'un évê-
En effet dès l'an 17 de notre ère un ché avait été établi à Carthage; et Tan
naturel du pays, c'est-à-dire un Berbère, 248 de l'ère chrétienne cette Église avait
nommé Takfarmas, avait excité en Afri- eu pour évêque l'illustre saint Cyprien
que une grande sédition, qui s'était éten- qui y fut martyrisé, Tan 258.
due sur presque toute la côte septen- Les populations mêlées des descen-
trionale de cette contrée, et qui ne put dants des Africains indigènes et des
être apaisée par Camillus qu'après une anciens Phéniciens , puis des Grecs et
guerre de sept années et la mort du des Romains, dont les invasions suc-
chef des rebelles. cessives avaient couvert les rivages de
Depuis cette sédition , qui avait man- l'Afrique septentrionale, en repoussant
qué d'enlever toutes les provinces afri- dans l'intérieur du territoire les Berbè-
caines à l'autorité impériale, les Romains res, les Numides , et les autres tribus
avaient eu encore à comprimer plusieurs africaines, se virent accrues à cette épo-
autres soulèvements partiels, sans cesse que par une nouvelle colonie, bien étran-
renaissants parmi les tribus berbères. gère à ces pays.
Sous les empereurs romains du troi-
sième siècle de notre ère, Carthage, qui tions de ses intendants ayant fait révolter
liait toujours ses destinées à celles de cette province, Gordien, âgé de quatre-
Tunis lui fit partager sa renaissance à
, vingts ans fut proclamé empereur par les lé-
la prospérité, dont elle commençait à gions, l'an 2^7 de l'ère chrétienne il associa
:

jouir de nouveau à cette époque. son fils à la dignité d'empereur; mais le règne
En effet l'antique métropole africaine de ces deux princes ne fut que d'environ six
paraît avoir alors repris assez de splen- semaines attaqué par Capellianus , gouver-
:

deur pour mériter d'être la résidence neur de Mauritanie , attaché au parti de


Maximin, Gordien fils périt dans une ba-
de deux empereurs les deux Gordiens
:

taille, et son père s'étrangla lui-même de


(le père et le fils) y furent élevés à l'em-
désespoir.
pire, l'an 237 de l'ère chrétienne, par les
, surnommé le
(3) M. A. Gordien Pieux,
légions qui tenaient garnison en Afri- petit-fils de Gordien l'ancien et neveu de
que (2) c'est dans cette ville que les
;
Gordien le jeune, fut nommé César à l'âge de
douze ans à seize ans il fut proclamé empe-
:

(i) L'an 146 avant l'ère chrétienne. reur, l'an 241 de notre ère; son règne ne fut
que de quatre années environ; 244 il
et l'an
(2) Marc-Antoine Gordien, surnommé XA-
du prétoire,
fut assassiné par Philippe, préfet
fricain, était né à Rome, l'an 157 de notre
ère; nommé consul l'an 23 1, il fut envoyé lorsqu'il venait de remporter une double vic-

l'année suivante comme proconsul en Afrique: toire sur les hordes desGoths et sur l'armée

les cruautés de l'empereur Maximin et les exac- de Sapor, roi de Perse,


,

150 L'UNIVERS.
En effet, les historiens nous appren- était chassé, et forcéde céder l'épiscopat
nent que vers l'an 260 de notre ère à Majorien.
une forte colonne de Francs, sortis des Né de ces violences le schisme des
,

forêts de la Germanie, traversait les donatistes s'élevait au sein des Églises


Gaules, les Pyrénées, s'embarquait à africaines, et s'y signalait par les fureurs
Tarragone après l'avoir saccagée et
, , réciproques des orthodoxes et des schis-
venait sejetersur les côtes d'Afrique, où matiques.
elle fondait plusieurs établissements. Carthage avait alors deux évêques
Cette invasion des Francs n'est pas à la fois, Cécilien et Majorien, nom-
la seule dont l'Afrique ait eu à souffrir més le premier par les orthodoxes le
, ,

de la part du même peuple; s'il faut second par les schismatiques; après des
en croire ces mêmes historiens, un excès de tout genre, les deux partis, ne
autre corps de Francs, que l'empe- pouvant s'accorder, en appelèrent, l'an
reur Probus avait transportés près du 314, à l'empereur Constantin , à peine
Pont-Euxin, s'y embarquèrent, l'an 277 devenu chrétien. Le proconsul d'Afri-
de notre ère, et purent, par le détroit que JElianus, que le prince avait chargé
de Cadix, regagner l'embouchure du de pacifier les esprits, ne fut pas plus
Rhin, après avoir traversé dans toute écouté qu'un concile provincial assem-
sa longueur la mer Méditerranée, et pillé blé par l'ordre impérial, et les désordres,
en route les côtes de la Grèce de la , entretenus par les haines religieuses
Sicile, et surtout celles de la Libye, troublèrent encore l'Afrique pendant de
exposées alors à d'autres dévastations , longues années , dont chacune était si-
par les excursions des barbares indigè- gnalée à Carthage et à Tunis par de nou-
nes sortis des gorges de l'Atlas. velles scènes de guerre intestine et de
Les troubles qui agitaient alors l'Em- meurtres.
pire romain ne permettaient pas aux
empereurs de défendre contre ces di- CHAPITRE III.

verses agressions leurs domaines afri-


Tunis sous les Empereurs Byzantins ; — Mas-

cains; et peu d'années après (1) cette


sezel — Dissensions religieuses; — Gil-
— Vandales; —
;
malheureuse contrée vit ses provinces don; établissement des
intérieures en proie à la fois à tous les Genséric; —
ses successeurs , —
Bélisaire;
fléaux qu'enfantent les dissensions in- — expulsion des Vandales; —
Héraclius;
testines, les révoltes sanglantes et les — invasion des Perses ; —
prise et pillage
attaques réciproques des différents par- de Carthage par Khosroès —
invasion mu-

tis, ameutant successivement l'une contre sulmane.


l'autre les races hétérogènes dont se
composait la population de ces contrées. Lorsque l'Empire romain fut, l'an 337
Bientôt les désordres devinrent tels, de l'ère chrétienne, pour la première fois
que pour y mettre un terme l'empereur partagé et divisé par un triple droit d'hé-
Maximien-Galère fut obligé, l'an 301, rédité entre les trois fils de Constantin
le Grand, Constantin le Jeune, Cons-
de passer lui-même en Afrique.
Mais à cette déplorable époque les tance et Constant, l'Afrique, la Sicile,
l'Italie,ITIlyrie, la Macédoine et la
Chrétiens d'Afrique semblaient vouloir,
par les dissensions d'Église à Église et Grèce formèrent la part du troisième
les disputes violentes entre les divers
de ces princes mais Constance, ayant
;

sectaires, ajouter encore aux fléaux qui survécu à ses deux frères, recueillit par
désolaient leur malheureuse patrie à :
héritage les deux portions que ceux-ci
peine échappés aux persécutions dont avaient possédées.
les avaient accablés les empereurs ro- Ainsi Carthage et Tunis, comprises
mains, ils se persécutaient mutuellement d'abord dans le troisième lot de ce pre-
eux-mêmes. L'an 306 de notre ère , Men- mier partage, cessèrent d'être isolées
suris, évêque de Carthage, était violem- des autres parties du grand Empire ro-
ment arraché de son siège épiscopal , et main , et rentrèrent avec les autres pro-
remplacé par Cécilien; celui-ci à son tour vinces sous l'autorité d'un seul et même
maître ; mais cette réunion ne fut pas
(i) L'an a 86 de l'ère chrétienne. d'une longue durée.
TUNIS. 151

Constant avait voulu pacifier l'Église de Gildon, et qui, ayant encouru sa co-
d'Afrique, et y avait envoyé dans ce but, lère, s'était réfugié en Italie, fut choisi
l'an 349, Paul et Macaire mais les dona- ; pour satisfaire à la fois à sa propre ven-
tistes prirent les armes contre eux à Car- geance (2) et à celle des Romains ; Stîli-
tilage et à Tunis, et la rébellion ne put con, beau-père d'Honorius envoya en ,

être éteinte que dans le sang d'un grand Afrique Massezel avec une petite armée,
nombre de révoltés que leur parti ho- qui remporta une grande victoire sous
nora du nom de martyrs; enfin l'an 355 les murs de Tunis, et Gildon, désespéré
Donat, chef des schismatïques, fut défi- de sa défaite s'étrangla lui-même (3).
,

nitivement chassé de Carthage et de Tu- Arcadius et Honorius se disputèrent


nis, et mourut peu après. quelque temps le domaine africain ; mais
Le second partage du grand Empire il fut bientôt enlevé à leurs prétentions
romain, entre les deux fils de Théodose, réciproques par l'invasion de Genséric à
Arcadius eXHonorius, formant par cette la tête de ses hordes Scandinaves (4).
scission deux empires, l'un d'Occident, Forcés l'an 432 de l'ère chrétienne de
l'autre d'Orient, mit, l'an 395 de l'ère quitter l'Andalousie, où ils s'étaient
chrétienne Carthage et Tunis dans le
, d'abord établis , les Vandales allèrent je-
lot qui échut à l'empereur d'Occident. ter en Afrique les fondements d'une
Mais les stipulations de ce partage ne nouvelle monarchie leur roi Genséric :

furent pas longtemps respectées, et deux profita de la trahison de Boniface, gou-


ans après l'an 397, Gildon, fils d'un roi
,

maure, à qui Théodose avait confié le trides , de Pélopides , deLagides , de Sêleu-


gouvernement de l'Afrique, séduit par cides , etc.
les intrigues d'Eutrope, abandonnait le (2) Gildon s'était vengé de la fuite de Mas-
parti d'Honorius, et livrait ses provinces sezel en massacrant les enfants que celui-ci
à Arcadius, qu'il trouva empressé de avait laissés en Afrique.
dépouiller son frère d'un de ses plus (3) Lorsqu'il revint en Italie, Massezel fut à
beaux domaines. son tour, par l'ordre de Stilicon, précipité du
Gildon ne tarda pas à recevoir le prix haut d'un pont et noyé dans une rivière.
de sa trahison : aussitôt après sa défec- (4) Les Vandales étaient originaires des
bords de la mer Baltique, où ils habitaient,
tion, il s'opposa à l'envoi des blés que
entre l'Elbe et la Vistule, dans les contrées ap-
chaque année Rome tirait de l'Afrique,
pelées aujourd'hui le Holstein, la Poméranïe
et particulièrement de la Byzacène, si
et le Meckletnbourg ils formaient une des
:

renommée par sa fertilité les Romains, ;


tribus de cette grande famille de peuples sep-
qui étaient restés tranquilles quand il ne tentrionaux qui comprenait les Bourguignons
s'était agi que d'une spoliation des do- les Ostrogoths, les Visigoths, les Gépides.
maines de leur empereur, s'émurent Pline l'Ancien est le premier écrivain qui
quand ils virent leur subsistance com- fasse mention des Vandales ce fut vers le :

promise l'an 398 de notre ère la


: milieu du premier siècle de notre ère que ces
guerre fut déclarée. Massezel (1), frère peuples commencèrent à se faire connaître ;
vers la moitié du second siècle , ils- s'étaient
(i) Le mot mas , mes, mis, qui commence établis dans les montagnes des Géants , et
un grand nombre de noms d'hommes et de ils avaient, en l'an 170, envahi laPaunonie,

peuples africains cités par les historiens , tels dont ils furent bientôt chassés par Marc- Au-
que ceux de Mas-sinissa, de Mis-sipsa ou rèle: battus par Jurélien en 270, par Probus
Micipsa, de Mas-lanabal, de Mas-sezel , de en 277, ils réussirent néanmoins à s'établir
Mas-sjli , de Mas-sassyli , de Mazices ou dans la bords du Danube et de la
Dacie, sur les

Mas-syces, etc., paraît n'être autre chose que Theiss: l'an 406 de l'ère chrétienne, une partie
le mot mes ou mis , signifiant fils dans l'an- qui s'était alors jetée en Allemagne y fut vain-
cienne langue numide, et qui existe encore cue par les Francs ; mais les autres, s'étant joints
dans la langue berbère. aux Alains et aux Suèves, passèrent le Rhin,
Ce mot, équivalant ainsi aux mots ben des entrèrent dans les Gaules qu'ils ravagèrent ,

Hébreux, ebn des Arabes, mac des Irlan- jusques en l'année 4 16 de notre ère, et de là pé-
dais, etc., paraît jouer dans la composition des nétrèrent en Espagne, qui dès lors prit, d'après
noms propres africains le même rôle que les leur nom, celui d'Andalousie, conservé en-
formes des noms patronimiques chez les Grecs, core de nos jours par une des provinces es-
tels que ceux de Héraclides, à'inachides, $Â~ pagnoles,
152 L'UNIVERS.
verneur d'Afrique, piour se jeter sur était établi lé siège de son gouverne-
cette nouvelle conquête, qui devait le ment.
dédommager de la perte de ses posses- Cette résistance tardive fut impuis-
sions espagnoles. sante l'an 430 il fut complètement
:

Mécontent de la cour de Rome, Boni- battu, et bientôt chassé de toute l'Afri-


face avait levé, en 427, l'étendard de la que, où la domination romaine fut dès
révolte; pour se soutenir dans sa rébel- lors entièrement détruite.
lion avait appelé à son secours les
il Avant d'abandonner les provinces
Vandales, leur promettant la moitié des qu'il perdait ainsi par sa faute, Boniface
provinces qu'il gouvernait. Le roi Hon- s'était d'abord réfugié dans la ville
déric, qui régnait alors sur les Vandales, d'Hippone (maintenant Bône) Genséric
:

s'apprêtait à profiter de ses ouvertures; vint l'y assiéger, au mois de juin 430 ;

mais il mourut sur ces entrefaites , et mais, peu versé dans l'art poliorcétique,
Genséric, son fils naturel , qui s'empara - il ne trouva d'autre moyen de forcer la

alors du pouvoir, mit à exécution le ville à se rendre, que celui de faire je-
projet dont son père avait fait les pré- ter dans ses fossés un nombre immense
paratifs. de cadavres qui empestèrent l'air et por-
Le nouveau roi de ces Vandales, qui al- tèrent la mort chez les assiégés.
laient jouer un si grand rôle dans l'his- Cependant après quatorze mois de
toire de la ruine de l'Empire romain, siège les Vandales n'avaient encore pu se
avait compris de quelle importance était rendre maîtres d'Hippone; mais pendant
dans cette grande lutte l'établissement cet intervalle leurs détachements avaient
de ses hordes tant sur le littoral africain poussé plus loin leurs incursions sur
que dans les îles de la Méditerranée; la Je littoral, où ils s'étaient emparés des
position de Carthage, de Bizerte, d'Uti- places principales, entre autres , de Car-
que et de Tunis fournissait au prince thage, de Tunis, de Bizerte et d'U-
qui en serait devenu maître les moyens tique.
d'établir une puissance maritime d'au- Devenu ainsi maître de presque toute
tant plus redoutable, que depuis long- l'Afrique septentrionale, Genséric vou-
temps les Romains n'avaient plus de lut s'assurer la possession de ses con-
flotte à opposer aux invasions de leurs quêtes , et, craignant d'y être attaqué
côtes. De ces ports si favorables , les ar- par l'empereur Falentinien III, il par-
mements pouvaient impunément porter vint à obtenir de ce prince un traité qui
le ravage sur tous les points de l'Empire lui cédait les trois Mauritanies, la Nu-
sans rencontrer d'obstacle; de plus, en midie et les autres provinces africaines ,
enlevant ainsi l'Afrique à Rome on que la force des armes avait déjà livrées
affamait l'Italie, qui tirait de ces pro- entre ses mains en tout ou en partie.
vinces ses subsistances et les regardait L'empereur s'était pourtant réservé
comme ses véritables greniers. la possession des villes de Cannage, de
Dès l'année 429 de notre ère qua- Tunis et de tout le territoire qui en dé-
tre-vingt mille Vandales et Alains pendait, bornant ainsi aux provinces oc-
avaient déjà traversé le détroit de Ca- cidentales le territoire dont il faisait
dix débarqué en Mauritanie
et : ef- cession aux Vandales ; mais ceux-ci, peu
frayés de ce déiuge d'envahisseurs, les scrupuleux sur la stricte exécution des
habitants s'étaient enfuis et réfugiés traites , voyant aussi l'impossibilité où
dans les montagnes pour les empêcher
: se trouvait de les y forcer l'empereur,
de se réunir de nouveau et de venir in- trop occupé à se défendre ailleurs contre
quiéter ses derrières, Genséric fit tout d'autres barbares , les Vandales refusè-
détruire sur son passage. Les trois pro- rent de restituer les conquêtes dont le
vinces mauritaniques étaient bientôt -traité leur interdisait la possession, et
tombées en son pouvoir mais quand les
; s'établirent au contraire plus solide-
Vandales voulurent passer plus avant, Bo- ment encore à Caithage et à Tunis.
ni/ace s'aperçut qu'au lieu d'auxiliaires Avec ces villes le reste des provinces
il s'était donné de nouveaux maîtres, et romaines en Afrique tomba bientôt en
il essaya de refouler les hordes conqué- leur pouvoir.
rantes loin de Carthage et de Tunis, où La possession des ports de Carthage „
TUJSIS. w.
et de Bizerte donna à Gensêric
de Tunis de Justinien mais cette éducation ca-
,

lesmoyens de se créer une marine telle- tholique le rendit odieux aux Vandales,
ment puissante, que, comme la républi- que Ton sait avoir adopté les dogmes de l'a-
que romaine au moment de sa plus rianisme, à l'imitation de tous les bar-
grande splendeur, il pouvait dire en par- bares qui à cette époque fondirent de
lant de la Méditerranée « mare nos- toutes parts sur l'Empire romain. Lors-
trum. » C'est de ces ports, et surtout de que les Vandales virent Hildérich per-
celui de Tunis, que sortaient alors ces mettre aux catholiques de rouvrir leurs
flottes formidables qui allaient libre- églises aux évêques exilés de rentrer
,

ment ravager les côtes italiennes, pren- dans leur diocèse et de se reunir en un
dre et piller Rome, dévaster le Pélopo- concile à Carthage (2), le mécontente-
nèse, l'Épire, la Dalmatie, lTstrie, et ment public devint extrême; on résolut
qui revenaient amonceler dans Car- de renverser un ennemi de la religion
tilage et dans Tunis les richesses du arienne, et que ses relations avec Justi-
monde entier. nien faisaient soupçonner du projet ca-
Il beaucoup trop long d'entrer
serait ché de livrer à l'empereur grec les pro-
ici dans quelques détails sur les intermi- vinces africaines.
nables guerres de Gensêric et des empe- Sur ces entrefaites, les Maures s'étant
reurs romains elles furent terribles
: : jetés sur la Tripolitaine et sur la Byza-
l'Empire épuisa ses dernières ressources cène y avaient enlevé plusieurs villes et
pour équiper des flottes destinées à re- tenté une attaque sur Tunis envoyé par
;

pousser les excursions de l'ennemi, ou Hildérich pour les repousser, Gelimer


même à reporter la guerre en Afrique ;
les battit; mais après la victoire l'armée
ces flottes furent battues par celles de proclama roi des Vandales son général
Gensêric, et le prince vandale fit alliance victorieux, et l'an 531 Hildérich, dé-
avec les Huns d' Attila les Ostrogoths,
, trôné, fut jeté en prison après le mas-
les Gépides, les Francs-Saliens, qui par sacre de ses partisans.
leurs attaques continuelles contre les Gelimer se croyait assuré du trône
empereurs d'Occident opéraient une di- lorsque Justinien lui intima l'ordre de
version favorable à la sécurité de ses mettre en liberté et de rétablir Hildé-
États. rich, le menaçant de la guerre en cas
Gensêric avait fait de Tunis et de de refus.
Carthage le double siège de son nou- Gelimer refusa, et l'an 535 Bélisaire
velempire, dont l'éclat cependant com- débarqua avec une armée sur les confins
mença à décheoir à la mort de son re- de la Byzacène et de la Tripolitaine, puis
doutable fondateur. II avait fait de ses il marcha rapidement sur Tunis et sur

Vandales un peuple belliqueux et de Carthage battit les Vandales et entra


, ,

mœurs sévères; les jouissances de la dans leur capitale, dont les portes lui fu-
conquête et l'adoption de la civilisation rent livrées; bientôt après une bataille
romaine en firent un peuple amolli et de en rase campagne décida du sort de l'em-
mœurs dissolues. Cependant, malgré pire vandale ; toutes les villes africaines
cette dégénérescence progressive sous turent occupées par l'armée de Bélisaire,
les règnes des successeurs de Gensêric et l'Afrique fut rendue à l'empire grec.
en Afrique, les Vandales ne purent en Gelimer fut emmené prisonnier à
être expulsés que sous le règne de Jus- Constantinople, la nation vandale dis-
Hnien, par les armes de Bélisaire (1), parut les uns furent tués les autres
; ,

après une possession de plus d'un siècle. réduits en esclavage ou incorporés dans
Gensêric était mort l'an 477 de l'ère l'armée byzantine , et envoyés contre
chrétienne; il eut pour successeur Huné- les Perses. C'est à peine si dans les ré-
ric , puis Gunthamundi qui monta sur
le trône en 484; puis Thrasamund , (2) Depuis le premier concile provincial
en 496, puis Hildérich en 523. Hildé- tenu par l'ordre de l'empereur Constantin,
rich avait été élevé à la cour de Cons- dont il a été question ci-dessus, cette ville
tantinople, et il y avait obtenu l'amitié avait déjà vu se rassembler dans ses murs sept
autres conciles, dans les années 3go, 401,
(i) L'an 533 de noire ère. 4o3, 405,407,419 et 484 de l'ère chrétienne.
,

154 L'UNIVERS.
voltes des Maures qui suivirent la con- Constantin avait rendue héritière de la
quête de Bélisaire l'on trouva parmi eux suprématie romaine et chrétienne.
quelques centaines de Vandales; les fem-
mes vandales avaient elles-mêmes été CHAPITRE IV.
expulsées de l'Afrique , et depuis cette
époque il n'est plus question de ce peuple Invasion des Arabes ;
— cinq expéditions con-
dans l'histoire. duites par Amrou, Abd-AHah-ben-Sayd,
Toutefois, cette réintégration de l'au-
Moaouyah - ebn -Khadydjéh, Moussely-
mah - èl - Nazzahy et Oqbah - ben - Nafy
,
torité impériale en Afrique n'eut pas
une durée beaucoup plus longue que ne
— Abd- Allah ben-Zobeyr;
prise de — ;

Barqah, de Tripoli d'Occident, d'Afryqyah ;


l'avait été l'occupation des barbares;
bientôt la décadence de l'Empire de By-
— conquête de l'Afrique par les Musulmans.

zance livra Carthage et Tunis à de nou- L'Afrique, cependant, ne fut entière-


veaux maîtres, et les Arabes, qui venaient ment conquise par cette invasion nou-
d'enlever au faible Héraclivs les belies velle, et n'appartint définitivement aux
provinces de la Syrie et de l'Egypte, ne Musulmans qu'après cinq expéditions
,

tardèrent pas à s'élancer sur celles de successives, dont les victoires furent al-
l'Afrique septentrionale, dont ils s'assu- ternativement balancées par des revers.
rèrent la possession, maîgréla résistance La première de ces tentatives de con-
que les Grecs tentèrent vainement de leur quête eut lieu dès l'an 23 de l'hégire
opposer. ( 644 de l'ère chrétienne ).

Déjà quelques années avant l'inva-


,
Cette expédition fut entreprise par le
sion musulmane, le malheureux Héra- conquérant même de l'Egypte , Amrou-
ciius, battu par les Perses en Syrie, n'avait ben-èl-Aas (2) , qui aprè's avoir pacifié ,

pu arrêter le débordement des armées et organisé cette province dont il avait été
de Khosroès, qui se répandirent, comme nommé le premier gouverneur, réunit
un torrent dévastateur, sur les côtes ses troupes à Alexandrie, et s'avança sur
égyptiennes et africaines. Carthage et la côte barbaresque il s'y empara bientôt
:

Tunis avaient été saccagées par les Per- de Barqah et de Tripoli d'Occident (3) ;
ses (1); mais l'inondation de ce fléau mais il avait à peine annoncé cette con-
n'avait été qu'éphémère, le patrice qui quête à Omar-êbn-èl-Khettâb\4) , que
gouvernait alors l'Afrique au nom de la mort de ce khalyfe força i'armée vic-
l'empereur d'Orient n'ayant fait que cé- torieuse à renoncer à ses projets d'in-
der momentanément à cet orage passa- vasion et à rentrer promptement en
ger, et ayant presque aussitôt repris Egypte.
possession des provinces dévastées. Othmân, fils &Affân{S) , succéda à
Il n'en fut pas de même à l'égard de

l'invasion des Arabes bientôt , dépos-


:
(2) Amvou-ben-êl-Aas avait conquis l'E-
sédé de ses riches vallées du Nil , ex- gypte par l'ordre du khalyfe Omar, l'an 20
pulsé pour toujours de ses domaines de l'hégire (640 de l'ère chrétienne).
africains par ces tribus si longtemps (3) Nommée par les Arabes Tarabolous-êl-
inconnues, organisées maintenant en gharb. Il existe sur les côtes de la Méditer-
phalanges conquérantes, l'empire By- ranée deux villes portant également le nom
zantin dut prévoir dès lors que tôt ou de Tripoli; la seconde est située en Syrie et
est appelée par les Orientaux Tarabolous-ês-
tard ces sectaires fanatiques viendraient
Cliâm.
arborer l'étendard de leur prophète sur
(4) Omar-ebn-êl-Kettàb, le second des kha-
les remparts de la capitale que le grand
Jyfes qui héritèrent de l'autorité du Prophète,
succéda l'an i3 de l'hégire (634 de l'ère chré-
(i) « llle ( Cosroas )totam occupant tienne) à Ahou-Beker, beau-père du Prophète;
JEgyptum, Libyam, Gigue Carthaginem, ubi il régna environ djx ans, et mourut l'an 23 de
Heraclius patricius fuerat antequam sumeret l'hégire (644 de notre ère).
imperii diadema » Gesta Del per Franco s (5) Olhmàn fils à'Jffân, troisième khalyfe,
page 122. monta sur le trône de l'islamisme l'an 23 de
Voyez la note au bas de la page io de mon l'hégire ( 644 de notre ère ) son règne fut;

Histoire de l'Egypte , faisant partie de celte d'environ douze années, et il fut tué l'an 35
Collection» de l'hégire (656 de notre ère ).
TUNIS. *55

Omar sur le trône du khalyfat : à peine d'une flotte des Grecs le contraigni t de le
ce prince avait-il été inauguré à Damas, lever et d'aller à leur rencontre : il les dé-
qu'il avait déposé Amrou, malgré tous fit, revint prendre Tripoli, et assiéger
les titresque le conquérant de l'Egypte Qâbès, battit en plusieurs rencontres
avait pour en conserver le gouverne- les troupes impériales, et s'empara de
ment. plusieurs autres villes, entre autres de
Amrou fut remplacé par le frère de Soubayttah , où résidait le gouverneur
lait du khalyfe Abd-allah, surnommé envoyé de Constantinople.
Ben-Saad, ou Ben-Sayd : celui-ci ja- , Un des principaux officiers de cette
loux de la gloire de son prédécesseur, expédition était le célèbre Abd-allah-ben
vouiutaussi s'illustrer par une conquête, Zobêyr, bien jeune encore, mais déjà
dont l'éclat pût éclipser celui de la con- illustré par sa bravoure et qui parvint
quête de l'Egypte. Il obtint du khalyfe depuis au khalyfat (3). Abd-allah-ben-
la permission de porter une seconde ex- Zobéyr fut choisi par le général en chef
pédition en Afrique, pour y étendre à l'oc- des Musulmans pour commander un
cident l'empire des Musulmans , qui , à corps nombreux qu'il envoyait afin de
cetteépoque, commençaitd'envahir avec maintenir les communications; et ce
tant de succès la Perse" et les autres con- furent surtout les manœuvres habiles
trées orientales. de ce corps qui décidèrent la défaite en-
Au lieu de se mettre en défense tière des Grecs.
contre le déluge dans lequel l'islamisme Devenu maître de toute la côte de la
menaçait d'engloutir leur empire dé- Cyrénaïque, Abd-allah-ben-Sayd ajouta
généré, les héritiers de Constantin et de à sa conquête celle de la ville â'Afry*
Théodose, amollis par les délices de By- qyah , dont le Prince fut tué de sa main
zance et tiraillés tour à tour dans les et il en réunit le territoire à son gou-
sens opposés par les divers sectaires qui vernement d'Egypte. Mais le mauvais
s'attribuaient successivement le titre succès d'une autre expédition, qu'il
d'orthodoxes, passaient leur vie avilie avait en même temps envoyée en Nubie,
au milieu des querelles ignobles du cir- le contraignit à renoncer à ses pro-
que (l ) et des discordes religieuses. Pour jets d'invasion sur la côte africaine.
s'opposer au torrent musulman, déjà Informé des progrès de la puissance
maître de l'Egypte et qui menaçait l'A- musulmane sur ses provinces d'Afrique,
frique d'une invasion prochaine," aucune et voulant prévenir l'envahissement de
armée n'avait été réunie à Carthage; celles qui lui restaient encore , l'empe-
mais les évêques y avaient été réunis en reur grec y fit faire des levées considé-
concile (2) , l'an 646 de l'ère chrétienne ; rables d'argent pour subvenir aux frais
et là, au lieu de songer aux moyens de la défense; mais, loin d'y concourir,
de préserver l'Afrique chrétienne du ces levées n'eurent d'autre effet quo
joug musulman, on n'avait pensé qu'à celui de mécontenter les populations;
combattre la nouvelle hérésie des Mo- et, fatigués de ces vexations intolérables,
nothélites. les habitants des contrées non encore
Cependant l'orage grondait déjà dans envahies implorèrent eux-mêmes, l'an
l'Egypte, si voisine; bientôt ses éclats 45 de l'hégire (665 de l'ère chrétienne)
vinrent frapper Carthage elle-même et le secours de Moaouyah, fils dAbou So-
disperser les pères du concile. (4) , qui, après la mort dOthmân,
L'an 27 de l'hégire ( 647 de notre ère ),
Abd-allah, avec une armée de vingt en- Zobéyr fut le qua-
(3) Jbd-Jllah-b
mille hommes se présenta devant la
trième khalyfe de la dynastie des Ommyades ,
,

ville de Tripoli d'Occident, et il en avait quoiqu'il ne fût pas de la race à'Ommynh ; il


déjà commencé le siège, quand l'arrivée
fut inauguré l'an 64 de l'hégire (683 de notre
ère), et régna, en même temps que Méroudn,
(i) Les querelles entre le parti des verts et dans l'Egypte, XKedjàz et l'Iraq. Il fut tué
celui des bleus. l'an 71 de l'hégire (690 de l'ère chrétienne),

(2) Déjà, depuis le dernier concile cité ci- âgé de soixante-douze ans, après un règne de
dessus, un autre avait été tenu à Carthage, neuf ans et vingt-deux jours.
l'an 534 de l'ère chrétienne. (4) Moaouyah, hhd'Abou-Sofyan,
d'abord
156 L'UJNÏVERS.

s'était faitproclamer khalyfe (1) , et fut veaux combats illustrer de plus en plus
le fondateur de la dynastie des Ommya- les drapeaux de l'islamisme.
des (2). Tandis que le khalyfe assurait par ces
Ce Prince, débarrassé alors des guerres nouvelles forces la conquête entière des
qu'il avait eu à soutenir contre les par- côtes africaines, l'empereur de Constan-
tisans é'Aly et de ses fils, était devenu tinopleexpédiaitpour combattre les ren-
paisible possesseur du khalyfat, et pou- forts musulmans une armée de trente
vait par conséquent, dans cette circons- mille hommes, qui vinrent établir leur
tance favorable, employer à achever la camp sur le bord de la mer, à Sant-
conquête de l'Afrique ses forces deve- , bartah.
nues disponibles. Ils y furent bientôt attaqués par les
Le khalyfe envoya donc aussitôt dans Musulmans, qui les défirent et prirent
la Cyrénaïque une troisième expédition, d'assaut elle-même.
la ville
commandée par un de ses généraux, Un des épisodes de cette campagne
nommé comme lui Moaouyah, mais dis- fut la première descente des Musulmans
tingué par le surnom de Ebn-Kha- eu Voulant faire diversion aux
Sicile.
dydjêh. forces que l'empereur de Constantinople
Cette nouvelle armée comptait dans envoyait pour défendre ses provinces
ses rangs les plus braves guerriers de africaines Moaouyah-ben-Khadydjêli
,

l'islamisme, et entre autres cet Abd-allah - avait expédié Abd-allah-benQays pour


ben-Zobêyr 3 que^nous avons déjà vu ravager ces côtes siciliennes, ou plus tard
concourir si efficacement au succès de la puissance musulmane devait s'établir
la précédente expédition. pendant trois siècles, et de là s'étendre
Nourrissant dès lors en secret ses pré- sur les provinces méridionales de l'Italie.
tentions au khalyfat, mais contraint Les Grecs coururent au secours de
par l'avènement de Moaouyah d'ajour- la Sicile dévastée, abandonnant dès lors
nerses projets, il employait les moments l'Afrique à ses propres forces.
iuactifs de son ambition à conquérir de Tel fut le succès de la troisième expé-
nouveaux titres de gloire ; et cette Afri- dition musulmane sur cette plage, où
que , qui avait été le premier théâtre dès lors l'islamisme put porter ses dra-
de ses exploits , le vit encore en de nou- peaux triomphants presque sans aucune
résistance.
gouverneur de la Syrie sous Othmân, s'em- Les Musulmans profitèrent de cette
para du trône du khalyfat l'an- 4.1 de l'hé-
espèce de renonciation de la cour de
gire ( 661 de l'ère chrétienne ), au préjudice
Constantinopleà ses domaines d'Afrique,
d'Ali, fils à'Abou-Taleb, gendre du Prophète.
et une quatrième expédition parut néces-
Moaouyah força Hassan, ûhà'Aly et héritier
saire, pour y doubler leurs forces, à Mous-
de ses droits à la succession du Prophète, à
lui céder ses prétentions à la souveraineté de
seylimah, fils de Mokhalled-êl-Hazzahy,
l'islamisme depuis cette cession Moaouyah
:
que le khalyfe Moaouyah avait nommé
régna neuf années, jusqu'à l'an 60 de l'hé- au gouvernement de l'Egypte; et, en
gire ( 680 de notre ère ). conséquence, l'an 46 de l'hégire (666
(1) L'an 37 de l'hégire (657 de l'ère chré- de notre ère), ce gouverneur envoya de
tienne). nouvelles troupes, sous la conduite de
(2) La dynastie des Ommyades , qui avait Bâcher-ben-Artah.
dépossédé violemment les successeurs légi- Ce général s'avança encore plus loin
times de Mahomet, compte quinze khalyfes dans l'Occident que ne l'avaient fait les
nommés par les Orientaux Beni-Ommyah, de- trois expéditions précédentes, et conquit
puis Moaouyah Ier du nom jusqu'à Meroudn II,
à l'islamisme une nouvelle partie des
qui fut le dernier; elle occupa le trône du
côtes de la Mauritanie.
khalyfat pendant quatre-vingt-onze années,
Pour mieux s'assurer la possession,
et en renversée à son tour, l'an i32 de
fut
non-seulement des conquêtes qu'il venait
l'hégire ( 750 de l'ère chrétienne ) par Abou-l-
Abbâs, surnommé ês-SaffâJi, fondateur de la de faire, mais encorede celles qui avaient
dynastie des Abbassides, qui massacra tous les été le fruit des trois expéditions précé-
princes Ommyades. Un seul, échappé à ce dé- dentes, il établit son quartier général
put se réfugier en Espagne, où il fonda
sastre, dans un poste bien fortifié, non loin des
une seconde dynastie des Ommyades. ruines de l'ancienne Cyrène, poste mi-
TUNIS. 157

litaire dont l'importance s'accrut de l'empire de l'islamisme, et les règnes des


plus en plus, et qui peu après devint la khalyfes successeurs de Moaouyah I er ,
er e
nouvelle ville de Qayrouân. c'est-à-dire Yezyd I ( 2 ), Moaouyah II

Enfin une cinquième expédition afri- du nom (3) et Merouân 1 er (4) , furent
,

caine fut celle qui fut conduite jusque presque toujours signalés par une nou-
sur les côtes occidentales de la Mauri- velle extension donnée à l'islamisme dans
tanie par Oqbah, surnommé Ben-Nâfy. les parties occidentales de cette vaste
Ce général y fut envoyé l'an 50 de contrée.
l'hégire (670 de
chrétienne), par
l'ère Sous le règne du khalyfe Abd-êl-
le même khalife (1) qui avait ordonné Melek'ben-Merouân (5), l'an 69 de
les trois dernières des précédentes. l'hégire( 689 de notre ère) , sous la con-

Oqbah-ben-Nâfy avait fait partie de duite d'un de ces gouverneurs, nommé


la quatrième expédition des troupes mu- Hassan - ben - Noumân , les Musul -
sulmanes en Afrique ; mais il était resté mans après avoir pris Tunis , qui ne
,

dans les cantonnements de Barqah et de put se défendre, avaient enlevé la ville


Rouylah, oùiiavait rassemblé les tribus de Carthage , et les Grecs qui l'habi-
berbères qui avaient embrassé l'isla- taient, abandonnant la ville conquise,
misme ; le khalyfe mit sous son com- étaient allés chercher un asile en Sicile
mandement de nouvelles troupes à la , et en Espagne.
tête desquelles il putpousser encore plus Ceux (jui étaient restés en Afrique se
en avant vers l'occident. cantonnèrent à Safat-Kousrah et à
Déjà maître du littoral de la Cyrénaï- Bizerte, où ils ne tardèrent pas à être
que, il dirigea les opérations militaires poursuivis par les Musulmans et battus
sur les peuplades des provinces intérieu- de nouveau. Ces Grecs étaient les seuls
res, et pour contenir leurs esprits re- restes des milices impériales en Afrique,
muants il jugea convenable de former
,
et un bien petit nombre put échapper
un grand établissement musulman sur au cimeterre des Musulmans. Pendant
cette plage il choisit à cet effet le poste
: qu'ils éprouvaient cet échec décisif,
militaire, déjà bien fortifié, qu'avait éta- celles des tribus berbères qui étaient
bli précédemment Bâcher-ben-Artah ,

près de l'emplacement qu'avait jadis oc- er


(2) Yezyd, fils de Moaouyah I du nom,
cupé l'ancienne Cyrène : il jeta l'an 55 succéda à son père, l'an 60 de l'hégire (680 de
de l'hégire (675 de notre ère) les fonda- notre ère ) ; il régna seulement quatre ans
tions de sa nouvelle ville, qu'il nomma jusqu'à l'an 64 de l'hégire (634 de notre ère).
Qayrouân, du nom de l'antique cité (3) Moaouyah II
e du nom était fils de

détruite; et cette ville prit des accrois- Yezid l ev du nom et petit - fils de Moa-
sements si rapides , par l'affluence des ouyah I er Ce prince, appelé au trône par le
.

émigrants d'Egypte, qu'elle devint dès droit d'hérédité après la mort de son père,
lors la résidence des gouverneurs que hésita d'abord à accepter l'autorité sou veraine ;
les khalyfes envoyèrent pour exercer puis après l'avoir exercée pendant six semaines
leur autorité sur les provinces africaines. seulement se sentant trop faible pour diriger
,

les rênes du gouvernement, il abdiqua, et se

CHAPITRE V. renferma dans une retraite, où il mourut la


même année.
Prise de Tunis et de Carthage — ; des
victoire
er
(4) Merouân I , surnommé Ben-êl-Hakem,
Musulmans a Bizerte; — révolte des Ber- succéda à Moaouyah //aussitôt après l'abdi-
bères; — Damyâh; — gouverneurs en- cation de celui-ci, l'an 64 de l'hégire ( 684 de
voyés par les khalyfes — leur indépen- l'ère chrétienne), mais son règne ne fut que

— conquête de l'Espagne; —

;

dance; des- de dix mois et il périt empoisonné l'an 65


, ,

centes et établissement en Sicile; — nou- de l'hégire (684 de notre ère).


velles révoltes ;
— gouverneurs particuliers (5) Abd-êl-Melek, fils de
Merouân Ier , fut
de Tunis. inauguré au khalyfat aussitôt après la mort
de son père, l'an 65 de l'hégire (684 de notre
Ces différents gouverneurs ne cessè- ère). Son règne futde vingt et une années, jus-
rent de s'occuper à étendre en Afrique qu'à l'an 86 de l'hégire (705 de l'ère chré-
tienne ) et il laissa le trône à son fils Oua-
,

(i) Moaouyah'ben-Abou-Sofyan, lyd 7 e r du nom.


158 L'UNIVERS.
restées fidèles à leur cause se concentrè- khalyfes, dits Seconds- Ommyades , ou
rent à Bounah (Bône ), où les troupes Ommyades occidentaux (2).
musulmanes dédaignèrent d'aller les Ce fut peu de temps avant cette der-
poursuivre toutefois ces tribus étaient
: nière époque, sous le règne du khalyfe
loin d'être des ennemis méprisables. Les Abd-êl-Melek-ben-Merouân, qu'eut lieu
Berbères ne restèrent pas longtemps la seconde descente des Arabes d'Afrique
* tranquillesdans cet asyle , et bientôt en Sicile; parti des côtes mauritani-
ilsreprirent l'offensive , ayant à leur ques, Mohammed- Abou-Ê dry s vint por-
tête une femme de leur nation nommée , ter le ravage et la désolation sur ces
Damyâfi. contrées, encore soumises à l'empereur
Cette héroïne battit les Musulmans en grec ; ces descentes furent suivies d'au-
plus d'une rencontre, et vint à bout tres excursions désastreuses.
de les chasser non-seulement de la por- Mais la Sicile était trop voisine de
tion orientale de la côte mauritanique l'Afrique pour n'inspirer aux Arabes,
{Africa proprie dicta), mais encore maîtres de celle-ci, que des désirs de dé-
d'une partie du Mog hreb-êl-aq sa , c'est- sastre et de dévastation ils la regar-
:

à-dire de la partie occidentale de ces dèrent bientôt comme une annexe in-
mêmes côtes, dispensable de leur domination afri-
(S Hassan-ben-Noumân fut contraint de caine. Déjà, sous le règne du khalyfe He-
faire sa retraite sur Barqah, et il se tint châm (3), quatrième fils û'Abd-él-Melek.
renfermé dans cette ville jusqu'à ce ,
un gouverneur musulman nommé Bâ
que le khalyfe lui eut fait passer des cher, fils de Safouan, surnommé êl-Ke-
renforts suffisants pour qu'il pût à son lâby, avait commencé à former un éta-
tour reprendre l'offensive.. blissement fixe en Sicile, et l'an 122 de
Grâce à la nouvelle armée que lui ex- l'hégire 739 de notre ère ) Habyb , fils
(

pédia le khalyfe, il alla au-devant de d'Obeydah, vint assiéger la ville même


Damyâh, jusques alors partout victo- de Syracuse (4).
rieuse, l'attaqua, la battit en plusieurs Cette même année est signalée par la
combats, et parvint à reconquérir tout première sédition qui eût éclaté en Afri-
ce que cette femme belliqueuse avait que depuis la défaite des Berbères et de
enlevé aux Musulmans de leurs premières Damyâh : Mâyrsarah, surnommé êl-

conquêtes. Mattaghâhy, s'y déclara en révolte ou-


Ce gouverneur eut pour successeur verte contre l'autorité des khalyfes , et
Moussâ-ben-Nassir , qui, non content de se proclama indépendant de leur puis-
la vaste étendue de côtes qui étaient sance.
sous Sa puissance , laissa à son fils aîné, Sept ans plus tard, l'an 129 de l'hégire
Abd- Allah, le gouvernement de l'Afri- ( 746 de l'ère chrétienne ), de nouveaux

que, et tenta avec succès, l'an 91 de troubles vinrent encore agiter l'Afrique;
l'hégire ( 708 de l'ère chrétienne ) une ils étaient suscités par le chef de la
conquête bien autrement importante, tribu des Zenetes, ou Beny-Meryn,
celle de l'Espagne, où , sous le khalyfat nommé Abou-Qara-êl-Maghyly , qui
de Oualyd i er (1), l'an 92 de l'hégire ameuta contre les Arabes toutes les tri-
( 711 de notre ère ), il porta les armes et bus de l'Occident, et prétendait fonder
la religion de l'islamisme. dans ie Moghreb un empire dont Telmes-
Mais avant qu'un demi-siècle fût
écoulé cette conquête, faite au nom Voyez ci-dessus la note 2 de la page i56.
(2)
des khalyfes d'Orient, leur échappait Hechâm-ben-Abd-êl-Meleh , onzième
(3)
déjà irrévocablement, pour devenir le khalyfe de la dynastie des Ommyades orien-
domaine d'une nouvelle dynastie de taux, succéda à son frère Yèzyd II e du nom,
l'an io5 de l'hégire ( 724 de notre ère) son ;

(i) Oualyd 1 er du nom, fils $ Abd-êl-Melek, règne fut de vingt années environ, et se termina
fut le septième khalyfe de la dynastie Om- l'an 125 de l'hégire (743 de l'ère chrétienne).
myacle ; il succéda à sou père, l'an 86 de l'hé- (4) Huit ans après, le fils de ce Habyb,
gire ( 7o5 de notre ère). Son règne fut de dix nommé Abd-êr-Rhaman , était le chef de l'ex-

années environ jusqu'à l'an 96 de l'hégire


,
pédition que nous verrons ci-après exécuter
(714 de l'ère chrétienne ). une nouvelle descente en Sicile.
TUNIS. 159

san ( Tremeçendevait être la capitale.


) au lieu d'être versées dans le trésor du
Ces deux séditions ne tardèrent pas khalyfe furent toutes portées dans les
,

à être comprimées; et il ne paraît pas villes de la côte, c'est-à-dire à Tripoli,


qu'elles aient inspiré des inquiétudes à Qay rouan, à Afryqyah, à Cartilage
bien sérieuses au gouverneur de l'Afri- et à Tunis.
que, puisque dès l'année suivante, 130 Cette dernière ville avait toujours,
de l'hégire ( 746 de notre ère ) , il con- depuis l'invasion arabe, partagé la des-
sentait à détacher une partie de ses tinée générale des provinces, conquises
forces, qu'il envoya ravager en Sicile les et perdues tour à tour, et successivement
provinces dont ies Musulmans n'avaient reprises par les Musulmans, pendant les
encore pu se rendre maîtres. Mais un vicissitudes que subirent entre leurs
danger plus réel menaçait déjà l'autorité mains leurs conquêtes africaines : elle
du khalyfat; c'était l'esprit d'indépen- fut dès lors gouvernée par des êmyrs
dance des gouverneurs qu'ils envoyaient que nommaient les gouverneurs géné-
administrer leurs provinces africaines. raux des provinces du Moghreb, et qui
Le khalyfe Yezyd II (1), troisième comme ceux-ci, reconnurent d'abord la
fils d' Abd - êl - Melek , avait d'abord suzeraineté des khalyfes.
nommé Bâcher -ben-Sajouân , dont Mais bientôt les souverains de l'isla-
nous avons parlé ci-dessus , au gouver- misme, trop occupés de leurs conquêtes
nement de l'Egypte : puis, le soupçon- orientales ne pensèrent plus qu'à leurs
,

nant d'ourdir clans cette contrée "des trophées de la Perse , de l'Inde et de la


trames contre sa suzeraineté, il lui -

Transoxiane, et relâchèrent imprudem-


avait fait échanger ce gouvernement, ment le frein dont ils retenaient encore,
l'an 101 de l'hégire (720 de l'ère chré- du moins en apparence, les hauts fonc-
tienne ) contre celui des provinces
, tionnaires de leurs dumaines de l'occi-
africaines ; mais cette mutation ne fit dent bientôt les gouverneurs généraux
:

qu'accélérer l'exécution des projets de de l'Afrique, bientôt les gouverneurs


Bâcher. Plus éloigné en Afrique qu'en particuliers des villes africaines, à
Egypte du centre de l'autorité il put , l'exemple des gouverneurs généraux,
développer sans crainte l'essor de ses profitèrent de l'éloignement et de la
vues ambitieuses, et le nouveau gouver- négligence des chefs de l'État musul-
neur ne tarda pas à y réaliser les craintes man; abusant surtout des dissensions
dont peut-être injustement il avait été intestines auxquelles fut en proie le
l'objet dans son premier gouvernement. khalyfat , lorsque la dynastie des Om-
Il conserva en effet quelques appa- myades fut renversée par celle des Ab-
rences de soumission pendant le règne bassides, ces gouverneurs particuliers
de Oualyd; mais à la mort de ce prince, eux-mêmes ne tardèrent pas à chercher
l'an 105 de l'hégire ( 724 de l'ère chré- à s'affranchir non-seulement de la su-
tienne ), et à l'avènement de son frère zeraineté des khalyfes, mais encore de
Hecham , le changement de souverain l'autorité immédiate des gouverneurs
avait paru à Bâcher une occasion de généraux.
secouer une autorité devenue impor- Ceux-ci, trop occupés à leur tour de
tune; dès lors il avait cessé de prendre leurs propres révoltes envers leur sou-
les ordres du khalyfe, et son expédi- verain, négligeaient de réprimer ces ré-
tion en Sicile, mentionnée ci-dessus, voltes partielles et les êmyrs des prin-
,

avait été faite non-seulement sans le cipales villes des côtes barbaresques pu-
consulter, mais même sans lui en donner rent impunément s'arroger eux-mêmes
avis. un pouvoir indépendant à la fois des
Les dépouilles de ces déprédations khalyfes et des gouverneurs généraux
pouvoir que plusieurs d'entre eux es-
dixième
sayèrent même de rendre héréditaire.
(i) Yezyd-hen-Abd-êl-Meleh fut le
khalyfe de la dynastie ommyade; il succéda Des compétiteurs nombreux s'élevè-
l'an ioi de l'hégire (720 de notre ère ) à son rent successivement, dépouillant leurs
cousin Omar-ben-Abd-êl-Azyz; mais il ne ré- prédécesseurs , dépouillés à leur tour
gna que quatre années, jusqu'à l'an io5 de par une suite de catastrophes partielles
l'hégire ( 724 de l'ère chrétienne ). que l'histoire a dédaigné d'enregistrer
,

160 L'UNI V"ERS.

et de nous transmettre, au milieu des s'étendit bientôt sur Tripoli d'Occi-


catastrophes de la grande révolution qui dent , sur Tunis , et sur le reste des
imposait un changement de maîtres à provinces mauritaniennes, jusques aux
la population musulmane tout entière. rivages de l'océan Atlantique.
Les choses en vinrent au point que
l'autoritédes khalyfes n'était plus guère CHAPITRE VI.
reconnue qu'à la mort du feudataire
insoumis, ou à son renversement par Domination des Aghlabites; Ibrahym- —
un rival plus heureux mais non moins ben-Aghlab; —
révolte des Berbères; —
rebelle : alors seulement ceux qui s'em- prise de Tunis par Hamdys, leur chef ;

paraient du pouvoir semblaient se sou Édrys-ben-Édrys —
princes Aglilabites,
;

venir qu'il existait à Baghdâd un kha- —Abou-1-Abbas Abd- Allah, Zyadét-Al-


sr
lyfe, souverain de l'islamisme; mais le lah l du nom , Abou-el-Aqqâl-êl-Aghlab,
seul acte de souveraineté qu'ils lui per- Abou-1-Abbas - Mohammed Zyadél - Al-
,

e
mettaient à leur égard se bornait à la lah II du nom Abou-Ishâq-Ibraym
,

délivrance du diplôme impérial d'inves- Abou'-l-Abbas Abd-Allah II, Zyadét-


Allah III, Ibraym-ben-Aghlab; — conquête
d Abd- Allah; —
titure qui donnait à l'usurpation les ap-
parences légales d'une vassalité illusoire de la —
Sicile; révolte
destruction de monarchie Aghlabite par
la
Fatymitès. — Règnes des khalyfes de
et tout à fait fictive.
les
L'établissement d'une branche de la
cette dynastie.
famille des Ommyades en Espagne avait
contribué encore à encourager les gou- • Ibrahym-ben-Aghlab, avait été pré-
verneurs envoyés pan. les khalyfes d'O- senté au célèbre Haroun-êr-Rachyd (t),
rient pour administrer l'Afrique, à s'ar- khalyfe de la dynastie des Abbassides;
roger ainsi peu à peu une puissance les bons témoignages qu'on rendit d7-
presque souveraine, n'obéissant aux or- brahyniy et les qualités éminentes que
dres de ces khalyfes qu'autant que ces leprince crut reconnaître en lui le dé- ,

ordres étaient favorables à leurs des- terminèrent à confier au fils d'Aghlab le


seins. gouvernement de l'Afrique , espérant de
Néanmoins, les kalyfes orientaux con- trouver à la fois en lui un administra-
tinuèrent d'être les maîtres nominatifs teur habile et un sujet fidèle , incapable
des côtes africaines , et d'y nommer des de suivre les mauvais exemples par les-
gouverneurs à chacune des vacances qui quels s'était signalée l'insoumission des
leur permettait d'exercer ce droit, jus- précédents gouverneurs.
qu'à 1 époque où la plus puissante des fa- L'espoir du khalyfe fut déçu. Les
milles de la Mauritanie, celle des Agh~ prédécesseurs du nouveau gouverneur
labites, y éleva un nouvel empire rival à la
fois des khalyfes d'Orient et des khalyfes Hai-oun-ér-Rachyd, cinquième khalyfe
(i)
d'Occident, et qui, pendant un siècle en- de ladynastie des Abbassides, était fils du
tier, sut entre ces deux puissantes mo- khalyfe êl-Mahady , et succéda l'an 170 de
narchies conserver sur toute la côte afri- l'hégire (7 86 de notre ère) à son hère êl-Hddy,
caine sa domination indépendante. dont le règne n'avait été qu'environ d'une
Cette indépendance n'eut alors à re- année. Haroun-êr-Rachjd régna vingt-trois
douter aucune attaque, ni des khalyfes ans, c'est-à-dire jusqu'à l'an 193 de l'hégire
(809 de l'ère chrétienne), et laissa en mourant
d'Andalousie, occupés à résister aux
le trône du khalyfat à ses deux fils, êl-Amyn
tentatives des rois espagnols pour res-
et al-Mamoun, qui régnèrent successivement
saisir leurs anciens domaines , ni des
après lui. Contemporain de Charlemagne, Ha-
khalyfes orientaux, pouvant à peine lut-
roun-êr-Rachid avait envoyé des ambassa-
ter contre leurs puissants vassaux asia-
deurs à ce prince avec de riches présents, et
tiques, qui s'efforçaient de détacher avait recherché son alliance, dans le but d'ob-
quelques provinces du grand Empire tenir son concours pour l'attaque qu'il pré-
musulman. méditait contre les khalifes d'Espagne. L'é-
Le chapitre suivant exposera en peu tablissement de la puissance aghlabite sur les
de mots l'origine et les progrès de cette côtes d Afrique, enlevant aux khalyfes d'Orient
domination nouvelle, qui, s'établissant la souveraineté sur ces contrées , fit avorter
d'abord sur les côtes de la Gyrénaîque, les projets de cette expédition.
TUNIS. 161

avaient, il est vrai, été insoumis, mais cinquante-six ans, Tan 196 de l'hégire
non ouvertementrebelles ils netenaient ; (812 de l'ère chrétienne).
aucun compte des ordres du souverain Victorieux de ses ennemis à l'inté-
de l'Islamisme et n'envoyaient au trésor
, rieur, n'ayant rien à craindre du kha-
impérial aucune des sommes qu'ils pré- lyfe, trop éloigné des provinces afri-
levaient en tribut sur les provinces caines pour y tenter une répression
soumises à leur administration; mais difficile, lbraliym-ben>Aghlab était par-
cependant ils étaient restés ostensible- venu à rendre héréditaire son pouvoir
ment dans les formes du vasselage, et sur l'Afrique; et il le laissa en mourant
n'avaient pas cessé de reconnaître dans à son fils aîné, Abou-l-Abbâs-Abd-allah.
tous leurs actes les khalyfes de Bagh- A la mort de son père ce prince se
dcid pour leurs suzerains de droit. trouvait dans la ville de Tripoli; pro-
Ibrahym-ben-Aghlab alla plus loin fitant de cette absence son frère Zyâ-
,

qu'eux et ne se contenta pas d'une po-


, dét-Jllah se fit proclamer à Qayrouân
sition mixte, qu'il regarda comme fausse roi de Tunis; mais l'année suivante,
et précaire : à peine arrivé dans son 197 de l'hégire (813 de notre ère), il
gouvernement, il osa secouer le joug rendit la couronne à son frère, qui n'en
purement nominatif du khalyfat, en se jouit que pendant cinq années, ayant
déclarant maître absolu et indépendant été tué à Qayrouân, dans le dernier
dans la ville de Qayrouân, à la fin de mois de l'année 201 de l'hégire (817 de
Tan de l'hégire 184 (800 de l'ère chré- l'ère chrétienne).
tienne); il fut ainsi le fondateur de la Zyâdét- Allah I er du nom, second
première des dynasties qui s'arrachant , fils d''Ibrahym-ben-Aghlab avait le
,

successivement le pouvoir, enlevèrent prénom d'Abou- Mohammed, et le sur-


pour toujours aux khalyfes d'Orient la nom d'Èbn-Chiklah : la mort de son
domination de l'Afrique. frère le fit remonter sur le trône, qu'il lui
Cependant l'autorité du nouveau maî- avait restitué. Son règne fut signalé par
tre des provinces africaines ne s'établit plusieurs événements remarquables, et
pas sans contestation et sans secousses; surtout par la conquête de la Sicile.
et son règne fut d'abord agité par des Le patrice Constantin, nommé par
troubles et des attaques réitérées ; plu- l'empereur de Constantinople au gou-
sieurs des émirs placés sous ses ordres vernement de la Sicile, avait envoyé son
suivant son exemple, se révoltèrent à lieutenant Phima avec quelques vais-
leur tour contre lui, dans plusieurs par- seaux ravager et piller les côtes d'Afri-
ties de son gouvernement et refusèrent , que. Zyâdêt- Allah, résolu à venger cette
de reconnaître son pouvoir, croyant agression , profita des troubles qui agi-
avoir les mêmes titres que ce prince à tèrent alors la Sicile (2), et y envoya l'an
l'usurpation et à l'indépendance. Ham- 212 de l'hégire (827 de notre ère) une
dys, fils d' Abd-êr-Rahman-êl-Kendy, à flotte forte de \ 00 vaisseaux (3), qu'il avait
la tête d'un grand nombre de Nègres et fait construire hSoussah, et dont il
de Berbères, parut devant la ville de confia le commandement à Assad-ben-
Tunis à l'improviste, s'en empara, et Farath.
s'efforça de s'y établir, tandis que, d'un
autre côté, Édrys-ben-Êdrys , descen- (a) Phima, ayant appris que sa destitution
avait été décidée à Constantinople, s'était em-
dant d' Abou-Tateb (1) , essayait égale-
mé- paré de Syracuse ; et, après avoir battu le
ment de se rendre indépendant, et
gouverneur Constantin , s'était proclamé roi
connaissait à la fois l'autorité de fait
de la Sicile; mais bientôt un des complices
tflbrahym, et l'autorité de droit du
de sa rébellion, Platha, s'élant à son tour ré-
khalyfe; mais ces compétiteurs, et d'au-
volté contre lui , l'avait expulsé de Syracuse.
tres plus ou moins redoutables, furent
Phima s'était alors réfugié en Afrique , où il
battus par les troupes d'Ibrahym et for- avait imploré le secours de Zyâdét- Allah pour
cés à se soumettre. être rétabli sur le trône qu'il avait usurpé et
Après un règne d'environ douze ans dont un autre usurpateur venait de le chasser.
et demi, Ibrahym mourut, à l'âge de (3) Ces vaisseaux portaient dix mille
hom-
mes d'infanterie et environ sept cents de ca-
(i) Père à'Aly et oucle de Mahomet. valerie.

11 e Livraison. (Tunis.) 11
, ,

162 L'UNIVERS.
Les Musulmans battirent à Mazzara Zyâdét- Allah mourut à l'âge de cin-
l'armée sicilienne; et Platha, forcé de quante-un ans et demi (3), l'an 223 de
prendre la fuite, se retira en Calabre, l'hégire (838 de l'ère chrétienne), lais-
où bientôt après il fut tué; le général sant le trône à son frère Abou-l- Aqqâl-
musulman était également mort; et son ôl- Aghlab. Ce prince se rendit surtout
successeur, Mohammed- Abou-l- Djouâ- recommandable par la vigilance qu'il mit
ry , qui, l'an 21 3 de l'hégire ( 828 de no- à préserver ses États de toute attaque
tre ère) avait été assiéger Syracuse, fut et par les largesses qu'il répandit sur les
forcé par une flotte envoyée de Constan- milices son règne, qui ne fut que d'un
:

tinople, non-seulement de lever le siège, peu moins de trois années, fut exempt de
mais encore de se replier dans l'inté- toute espèce de trouble; et il mourut (4)
rieur de l'île, où les Musulmans, battus Tan 226 de l'hégire (841 de notre ère).
sur plusieurs points, privés de vivres, Son fils A
bou-l- Abbâs- Mohammed
se virent réduits à manger leurs che- étant mort jeune , il eut pour succes-
vaux; après deux années de combats seur son petit-fils Ahmed-ben- Abou-l-
qui n'avaient été pour eux que des dé- Abbas , auquel on doit la construction
faites continuelles, ils s'attendaient à du grand aqueduc et de la mosquée qui
une perte inévitable, quand, l'an 215 de sont près de la porte de Tunis. Après un
l'hégire (830 de notre ère), des secours règne d'environ vingt-trois années, il
inespérés leur arrivèrent d'Espagne, laissa, l'an 249 de l'hégire (863 de notre
amenés par Asbay-ben-Ouakyl. Dès lors ère), le trône à son frère Ab ou- Moham-
les affaires changèrent de face ; la vic- med- Zyâdét- Allah II e du nom qui ne ,

toire favorisant de plus en plus les Mu- régna que six mois , et eut pour succes-
sulmans, les Grecs furent enfin forcés seur son neveu Mohammed-ben-Ahmed,
de leur abandonner la possession de surnommé Abou-l- Gharany k , âgé seu-
nie , dont le premier gouverneur, Mo- lement alors de quatorze ans.
hammed-ben-Abd-Allah-ben - Aghlab Ce prince, monté si jeune sur le trône,
prit le titre de roi (1). y mourut également bien jeune encore,
C'est ainsi que la Sicile passa sous la car il n'avait que vingt-quatre ans lorsque
domination d'une branche de la famille la mort le frappa , après un règne d'envi-
des Aghlabites : ce domaine leur fut en- ron onze années (5), l'an 261 de l'hé-
suite enlevé par les Fatymites, qui la gire (875 de Tère chrétienne).
possédèrent jusqu'à ce qu'ils en furent Cette mort transmit le pouvoir royal
expulsés à leur tour par les armes des à Abou-lshâq-Ibrahym, fils de Ahmed-
Normands, que commandait le célèbre ben- Abou-l- Abbâs : le règne de ce prince
comte Roger (2). se signala par deux événements remar-
quabjes ; l'an 264 de l'hégire ( 877 de l'ère
(i) Il mourut l'an a36 de l'hégire ( 85o de chrétienne ) la ville de Syracuse fut prise
l'ère chrétienne), aprèsun règne de dix-neuf ans. par les Musulmans , que commandait
er
(2) Roger I du nom, le dernier des douze Ahmed-ben- Aghlab; et l'an 281 de
fils de ïancrède , seigneur de Hauteville en l'hégire (894 de notre ère) la résidence
Normandie, naquit en l'année io3i de notre royale fut transférée à Tunis, où Abou-
ère il était venu en Italie vers l'an 1048 :
;
Ishâq fit bâtir un palais , dans lequel il
devenu maître de la Sicile par la prise de Pa-
mourut Fan 289 de l'hégire ( 902 de no
ïenne et la conquête des autres places de cette
tre ère ), après un règne d'environ vingt
île , il en chassa
Musulmans, et y rétablit
les
huit années.
la religion chrétienne. L'an 1096 il prit le
titre de grand Comte de Calabre et de Sicile.
Son fils , Abou-l-Abbâs-Abd- Allah IIe
Tous les historiens attestent que le règne de du nom, avait été proclamé roi du vivant
ce prince fut signalé non-seulement par les de son père; mais il lui avait à peine
conquêtes brillantes qu'il remporta sur les succédé qu'il fut tué dans le mois de
Musulmans, mais encore par une adminis-
tration sage et éclairée, qui rendit heureuses seur au trône de Sicile son fils Roger II, dit
les populations sur lesquelles ses armes ve- le Jeune.
naient d'établir son pouvoir. (3) Le mardi 14 du mois de Redjeb.
Roger mourut au mois de juillet l'an 1101, (4) Dans le mois de Raby-êl-âkher.
âgé de soixante-dix ans , laissant pour succes- (5) Dans le mois de Djemâdy-êl doitel.
TUNIS. 163

Chaabân de l'an 290 de l'hégire (l'an 903 aghlabite, dont il était devenu le ven-
de notre ère) il avait régné conjointe-
: geur (1).
ment avec son père un an et cinquante- Bientôt puissance des Successeurs
la
deux jours et seul neuf mois et treize
, ftèl-Mahady se trouva trop resserrée
jours. dans les limites de ses possessions d'A-
Le fils d'Abou-l-Abbâs, nommé Abou- frique les khalyfes fatymites allèrent
:

Nasr, et surnommé Zyadét- Allah III e en Egypte fonder une nouvelle capitale,
du nom succéda à son père
, le règne
: quidevintla seconde ville (2) de l'Orient,
de ce prince fut signalé par les plus et établirent un nouvel empire, qui di-
grands désastres : un rebelle, nommé visa l'islamisme en deux schismes s'a-
Abd- Allah, se mit à la tête d'un parti nathématisant l'un l'autre.
nombreux , défit en plusieurs rencon- Dès lors les khalyfes du Kaire eurent
tres les troupes royales, et, s'emparant plutôt les yeux tournés vers leur rival
d'une grande étendue de pays, força de Bayhdadque vers leurs provinces bar-
Zyadét- Allah à abandonner ses États, baresques,dontilsabandonnèrentlegou-
après un règne seulement de cinq années vernement à différents princes, grands
et dix mois. Le prince détrôné s'était feudatairesplus ou moins indépendants,
retiré en Egypte, d'où il avait dessein plus ou moins soumis à la suzeraineté
de se rendre à Baghdâd; mais l'entrée du khalyfat (3).
dans cette ville lui fut refusée.
A la nouvelle de la défaite et de la fuite (i) Si le lecteur désire connaître plus en
de Zyâdet- Allah, un autre prince de sa détail l'histoire de la dynastie des Aghlabites,
famille, nommé Ibrahym-ben-Aghlab, il pourra se satisfaire pleinement en lisant
la traduction de YHistoire de C Afrique sous
avait tenté dereleverle trône aghlabite ;
la domination des Aghlabites, publiée avec le
il était entré à la tête d'un parti dans
texte arabe d'Ebn-Khaldoun, et des notes
la ville de Qayrouàn , avait rassemblé
aussi savantes qu'intéressantes, par M. A. Noël
les habitants dispersés, et s'était emparé
Desvergers ; Paris, imprimerie de MM. Fir-
du palais; il avait ainsi rétabli la tran- min Didot frères, 184.1 gr. in-8°. ,

quillité dans cette province, et se flat-


(2) Le Kaire fut fondé par Djouhar, géné-
tait du plus heureux succès, lorsque ral du khalyfe Moëz-le-din-lllah, l'an 36a de
Abd- Allah vint l'attaquer , le battit en l'hégire ( 972 de l'ère chrétienne).
plusieurs combats successifs, et, l'ayant (3) Quoique les khalyfes fatymites aient
forcé de prendre à son tour la fuite, conservé, au moins nominativement, le titre de
prit possession de toutes les provinces souverains de l'Afrique septentrionale, je crois
qui avaient appartenu aux Aghlabites. devoir m'abstenir de tout détail à leur sujet,
C'est ainsi que fut éteinte, l'an 296 leur histoire étant trop connue, et étant d'ail-
de l'hégire (908 de l'ère chrétienne), leurs devenue à peu près étrangère à celle de

cette dynastie puissante, qui avait ré- l'Afrique proprement dite depuis leur trans-
migration en Egypte.
gné pendant plus d'un siècle sur l'Afri-
Je me bornerai donc, à l'égard de ces
que septentrionale et avait conquis la
princes, et pour compléter la série chrono-
Sicile,
logique des souverains auxquels furent sou-
Toutefois le rebelle Abd- Allah ne
mises Tunis et l'Afrique septentrionale, à
jouit pas longtemps de la double victoire donner seulement ici la liste des khalyfes
qui semblait assurer son usurpation. qui composent cette dynastie :

Dans la même année, un adversaire, bien


Obeyd-Allah Êl-Mahady monta sur le

autrement formidable que les deux en-
trône du khalifat l'an 296 de l'hégire ( go3 de
nemis qu'il venait de vaincre, vint fon-
notre ère).
dre sur lui et lui arracher la belle proie
2 El Qayem-be-âmr-lllah, l'an 324 (933).
qu'il avait envahie. Le fondateur du
3° El-Mansour-b-illah, l'an 334 (945).
khalyfat fatymite, Abou-Mohammed- 40 Èl-Moëz-le-dyn-Illah , l'an 34 1 (952).
Obeyd- Allah, surnommé êl-Mahady, 5° Êl-Azyz-b-illah, l'an 365 (975).
qui avait déjà convoité les dépouilles du 6° Êl-Hakem-be-âmr-Illah, l'an 387 (996).
royaume de Tunis et s'était emparé de 7
Èd-Dàher-le-àzâz-dyn-Illah, l'an 411
Qayrouàn, porta ses armes puissantes (1020).
contre Abd-Allah, le mit à mort, et re- 8° Êl-Mostanser-b-illah , l'an 427 (io35).

cueillit la riche succession de la dynastie 9 Êl-Mostaaly-b-illah ,Xn\ 487 (1094).


11.
,

164 L'UNIVERS.

CHAPITRE VII. auxquels il enleva Telmessân (Tremecen),


ileutdans l'intérieure sedéfendre contre
Dynastie des Zeyrites; —
Yousouf- Abou-1- plusieurs révoltes le drapeau de la ré-
Fotouh ;
— de Ebn-êl-Qadym ,
révoltes
:

bellion était arboré dans Qayrouân par


d'Abd-Allah et de Khalaf-beu-Khayr ; Êbn-êl-Qadym , puis par Abd- Allah,
— Abou-1-Qassem-al-Mansour; Abou- —
Mounad-Badys ; —
Abou-Temym ; ré- — descendant de la famille des Aghlabites.
En mêmetemps Khalaf-ben-Khayr fai-
volte de Ahmed-ben-Nasrouyah; il est —
chassé de Tunis; Tahyâ;— Aly; — — sait soulever les Berbères ces révoltes
:

révolte de Rafy-ben-Makân ; Hassan; — furent étouffées l'an 369 de l'hégire ( 979


— conquêtes des Normands en Afrique;
de l'ère chrétienne) et Yousouf, libre
;

— prise de Tunis par Abd-êl-Moumen ; de toute inquiétude à cet égard put pour- ,

— dynastie des Almohades; prise de — suivre le cours de ses conquêtes, qu'il


Tunis par Taq-y-ed-dyn-Qara-Qouch; — étendit jusqu'à Fez, à Sedjelmesse , et
prise de Tunis par Aly-ben-Ishaq Nas- — sur tout le reste du Moghreb.

;

ser-le-dyn-Illah; Almoravides; fin — Yousouf mourut (4) à la fin de l'an-


de la domination des Almohades. née 373 de l'hégire (984 de l'ère chré-
tienne); son fils Abou-l-Qassem-âl-
Le premier de ces vassaux ou vice- Mansour, qui lui succéda , signala son
rois africains fut un prince dela famille
avènement au trône par la reprise de Ça-
des Zeyrites (1). Yousouf, surnommé bès et de Sedjelmesse, dont les Zenètes
Abou-l-Fotouh et ês-Senahedjy (2), avait s'étaient emparés de nouveau à la mort
suivi en égypte le khalyfe Moè'z-le-dyn- de son père. Abd-Allah l'Aghlabite, qui
Illah, qui lui donna l'investiture des do- s'était déjà révolté contre Yousouf, fut
maines du khalyfat en Afrique com- ,
tué dans une nouvelle tentative de ré-
prenant, entre autres riches provinces bellion. Lafin de son règne (5) ainsi que
Tunis, Tripoli, et la Sicile, Accueilli avec ceux de son fils, Abou-Mounad-Ba-
joie par les Africains, victorieux en plu- dys (6), etdeson petit-fils, Abou-Temym,
sieurs combats contre les Zenètes (3), surnommmé el-Moëz et Chorf-êd-dou-
lah (7), furent presque continuellement
io° El- Amer-be-dhkdm- Illah , l'an 495
troublés par des soulèvements et des ré-
(1101 de l'ère chrétienne).
n° Êl-Hdfezz-le-dyn-Illah, l'an 5a4 voltes, ou par des guerres contre les
(1 129).
12° Êd-DdJer-be-àmr-Illah, l'an 544(1149). Zenètes, et des efforts impuissants pour
i3° Êl-Fayr.-be-nasr-IlJah, l'an 549 (11 54).
i4° Êl-Added-le-dyn-Illah, l'an 557 (1160).
le nom de Zenètes ou Mérinites sont dési-
Ce dernier prince mourut sans postérité , gnées par les Arabes par celui de Beny-Me-
et à sa mort tous les domaines qui avaient rjn; les princes de ces peuplades descen-
appartenu aux khalyfes fatymites, par consé- daient de Abou-Kara-él-Maghyly, qui s'était
quent Tunis et les autres villes de l'Afrique révolté à Telmessân l'an 129 de l'hégire (746
septentrionale, passèrent entre les mains de de l'ère chrétienne). Un de ces princes, Abd-
Yousej-ben-Ayoub ( le célèbre Saladin ) et de êl-Eaqq, fils d'Yahyaet descendant de
ses descendants, qui formèrent
dynastie des
la Meryn, domination dans le Mo-
établit sa
Ayoubïtes ; mais ces derniers princes , dont les ghreb l'an 610 de l'hégire (i2i3 de notre
regards étaient plus particulièrement tournés ère). Cette dynastie, qui compte dix-huit
vers l'Orient, n'exercèrent, ainsi que les Faty- princes, régna pendant environ un siècle et
mites, qu'un pouvoir de suzeraineté nominative demi à Fez, à Marok, et sur presque tout le
sur les provinces africaines , où de grands vas- littoralde l'Afrique septenlrionale.
saux continuèrent d'être réellement les maîtres (4) Au
mois de Doul-hadjéh.
immédiats et indépendants. (5) Il mourut après un règne d'environ
(1) Les Zeyrites , en arabe Zeyryéh, sont douze années, dans le mois de Raby-êl-âouel
les princes auxquels les Espagnols donnent de l'an 386 de l'hégire ( 996 de l'ère chré-
le nom de Zégris, et qui sont si connus par tienne ).
leurs querelles sanglantes avec les Abencer- (6) Il régna près de vingt et un ans, et mourut
rages. au mois de Dou-l-Qadèh de l'an 406 de l'hé-
(2) Il était fils de Zeyry-ben-Mounoud gire ( 1016 de notre ère ).
fondateur de dynastie des Zeyrites, qui ré-
la (7) Son règne fut de
quarante-neuf ans : il
gna pendant environ deux siècles en Afrique. mourut l'an 453 de l'hégire ( io6t de notre
(3) Les tribus que nous connaissons sous ère).
TUNIS. 165

conserver la Sicile sous le joug de l'isla- môurutdans le mois de Redjeb de l'an 501
misme. de l'hégire ( 1108 de l'ère chrétienne),
Temym, de êl-Moëz, eut aussi à
fils laissant le trône de Tunis à son fils Ya-
Gombattreplus d'une rébellion. L'an 455 hyâ, qui mourut l'an 609 de l'hégire
de l'hégire (1063 de l'ère chrétienne), (1115 de notre ère), et dont le court
il réduisit à son obéissance les villes de règne n'offre d'autre événement im-
Sfax et de Soussah, qui avaient pris les portant que l'arrivée de Tripoli au ter-
armes contre son autorité. Trois ans ritoire tunisien, de Mohammed-ben-
après, l'an 458 de l'hégire ( 1 066 de notre Tomrout, surnommé Él-Mahady, qui
ère), il rentra dans Qay rouan, et reprit dans la suite devait être le fondateur de
Tunis, où Ahmed-ben-Nasrouyah s'é- la dynastie des Almohades.
tait établi. L'an 466 de l'hégire (1076 de Yayhâ eut pour successeur son fils
notre ère) l'Arabe Malek-be?i-Alouy, Aly ; ce prince commença son règne en
qui avait osé mettre le siège devant la envoyant une flotte contre les habitants
ville de Mahadyêh, en avait été repoussé de l'île de Djerby, qui s'étaient révoltés
avec perte. Cet échec ne l'empêcha pas et infestaient les côtes d'Afrique par
de se jeter sur Qayrouân, dont il se leurs pirateries; puis, l'an 511 de l'hé-
rendit maître; mais presque aussitôt il gire (1117 de l'ère chrétienne), il alla
en fut expulsé par Temym. assiéger la ville de Qabès, toujours
L'an 481 de l'hégire (1088 de l'ère portée à la rébellion, et dans laquelle
chrétienne), les Normands, victorieux Rafy-ben-Makân, secouru parles trou-
en Sicile et unis aux Grecs , s'étaient pes de Roger (3) , roi de Sicile, s'était dé-
emparé de l'île de Panlellaria (1) , d'où claré en révolte ; Aly éprouva plusieurs
ils menaçaient également Tunis, Bizerte, échecs, qui le contraignirent de lever le
et le reste de la côte africaine; Temym, siège , et Rafy, profitant de ses avan-
déjà trop occupé par ses guerres con- tages , vint à son tour mettre le siège
tinentales, acheta la paix , moyennant devant Mahadyêh; mais il fut défait par
quatre- vingt-mille pièces d'or et la pro- Aly, et se réfugia à Qay rouan, d'où il
messe de renoncer à toute intervention retourna à Qabes.
dans les affaires des Musulmans en Si- Aly n'avait régné qu'environ cinq an-
cile (2). nées lorsqu'il mourut (4), l'an 515 de
En effet, à cette époque un Turk, l'hégire (1121 de l'ère chrétienne).
nommé Chah-Mélik, était venu avec
quelques troupes tenter une invasion (3) Roger II, fils du prince dont il a été ques-
en Afrique; il s'était déjà emparé de tion ci-dessus, dans la noie 2 de la page 162,
Tripoli, lorsque Temym courut à sa ren- était né l'an 1097 de notre ère, et à la mort

contre et le força d'évacuer cette ville. de son père, l'an 1101, il fut proclamé comte
Pendant ce même temps les villes de de Sicile et de Calabrè sous la régence de sa
,

Qabès, de Sfax et de Tunis même s'é- mère Adélaïde. Il prit le titre de roi de Sicile

taientsoustraites à son autorité; et ce ne


en n3o ; l'an 1147 il avait envoyé une flotte
attaquer Tripoli, donl les pirateries dévastaient
fut que l'an 491 de l'hégire ( 1 098 de l'ère
les côtes de ses États; l'armée sicilienne prit la
chrétienne) que ce prince, obligé d'em- ville, etramena en Sicile un grand nombre
ployer force des armes, parvint à s'en
la
de prisonniers. L'an 11 52 profitant des que-
,

rendre de nouveau le maître. relles qui s'étaient élevées entre les princes
Enfin, après avoir eu continuellement à musulmans de l'Afrique, le roi Roger II porta
défendre son trône pendant un règne laguerre sur leurs côtes, et y fit plusieurs con-
d'environ quarante-huit années, Temym quêtes. Aussi avait-il pris pour devise ce vers
latin :

(i) En
arabe Qossyrah, la Cossyra des Appuluset Calaber, Siculus mihi servit et Afer.
anciens géographes. Enfin l'an 1 154 ce prince mourut, à l'âge de
Fertilis est Melite sterili vicina Cosyrœ. cinquante-huit ans. Il avait favorisé les sciences,
0\ID. et avait appelé à sa cour les plus savants des
(2) Les Musulmans furent entièrement ex- Musulmans, parmi lesquels ou remarque sur-
pulsés de la Sicile l'an 484 de l'hégire tout le célèbre géographe Êl-Edryssy, qui
( 1091 de l'ère chrétienne). Voyez ci-dessus, composa pour lui plusieurs savants ouvrages,
la note 2 de la page 162, (4) Dans le mois de Raby-êl-àkher.
,

166 L'UNIVERS.
fils Hassan, auquel
Le règne de son En même temps il envoya trois de ses
il ne fut qu'une suite de
laissa le trône, enfants, Yahyâ, Aly et Temym, vers
désastres. L'an 519 de l'hégire (1125 de un prince de ia famille des Bény-Ham-
l'ère chrétienne) les Normands de Sicile med (4), nommé Yahyâ (5),comme l'aîné
s'étaientemparés 3e l'île de Djerby sur la de ses fils.

côte d'Afrique. A cette époque une fa- Abd-él-Moumen se décida facile-


mine cruelle ravagea les provinces afri- ment à aller expulser les Francs de leurs
caines et un grand nombre de familles
, conquêtes d'Afrique; il connaissait leur
de ces pays vint chercher en Sicile un esprit entreprenant, et leur établisse-
abri contre ce fléau. Le roi Roger, ins- ment sur la côte africaine lui faisait con-
truit de l'état misérable des populations cevoir des inquiétudes pour la sûreté
de l'Afrique, voulut profiter de cette cir- de ses propres États il fit en consé-
:

constance il arma une flotte, qu'il réunit,


; quence tous les préparatifs nécessaires
auprès de l'île de Pantelerie, débarqua pour la délivrance des Africains musul-
sur la côte barbaresque, et l'an 541 de mans que la victoire avait soumis au
l'hégire ( 1146 de notre ère) s'empara de joug des chrétiens de Sicile; il voulut
Tripoli, puis l'an 543 de l'hégire (1148 lui-même présider à cette guerre sainte,
de notre ère) de Mahadyéh , de Sfax et et partit de Marok, l'an 554 de l'hé-
de Soussah; de manière que les Francs gire (1159 de l'ère chrétienne ) à la ,

se virent ainsi maîtres de toute la con- tête d'une armée de cent mille hommes,
trée qui s'étend depuis Tripoli jusques dont il confia la conduite sous ses or-
à Tunis. dres à un général nommé Hassan
Hassan avait abandonné sa ville de comme le prince fugitif.
Mahadyéh , et avait pris avec toute sa Il se rendit d'abord maître de Tunis,
famille la route de l'Egypte, dans le des- puis il alla assiéger Mahadyéh. Pendant
sein de se réfugier auprès du khalyfe le siège il prit possession des villes de
Hâfezz-le-dyn-Illah (1 ); mais en chemin Tripoli, de Sfax, de Qabès , et de tout
il changea d'avis , et, retournant sur ses le territoire qui en dépend une flotte :

pas, il préféra chercher un asile auprès envoyée de Sicile pour porter des secours
d' Abd-él-Moumen , qui venait d'établir à la garnison assiégée fut battue par la
avec éclat la dynastie des Almohades (2) flotte musulmane.
dans le Moghreb êl-Aqsâ (3), dont il espé- Enfin l'an 555 de l'hégire (1160 de
rait obtenir des secours contre les Francs. notre ère), Abd-él-Moumen entra dans
Mahadyéh , où il établit un gouverneur,
(i) Voyez ci-dessus la note 3 de la page i63. et qu'il mit en état de se défendre contre
La dynastie qui porte le nom A'Almo- les nouvelles attaques que les Francs
(2)
hades chez nos historiens, et ftél-Mouahedyn, auraient pu tenter bientôt après il com-
:

c'est-à-dire unitaires, chez les Arabes, com- pléta la conquête des autres places et
mença à paraître en Afrique l'an 5 14 de l'hé- des autres parties du territoire, et se
gire ( ii 20 de l'ère chrétienne). El-Mahady- vit ainsi en possession de toute l'éten-
ben-Tomrout, dont nous avons parlé ci-dessus, due de pays qui avait appartenu aux Zey-
en fut le fondateur. Ayant été chassé de la rites. Toutefois , aucune partie de ces
ville de Marok par Aly, prince des Al/nova- conquêtes ne fut rendue au prince dé-
vides, il se retira à Soussah, où il se fit pro- trôné, et par cette spoliation fut com-
clamer souverain par les tribus qui l'avaient plétée l'extinction de cette dynastie,
suivi dans sa retraite. Cette dynastie, qui
compte douze souverains , parmi lesquels le (4) Cette famille était une branche de celle
plus illustre est Abd-êl-Moumen-ben-Aly, des Zeyrites ; elle descendait de Hammdd, fils
qui succéda à él-Mahady, régna sur l'Afrique de Yousoufet petit-fils de Zéry : elle habitait
et une partie de l'Espggne pendant cent cin- les montagnes situées au sud de la ville de
quante quatre-ans , jusqu'à l'année 668 de Bougie.
l'hégire (1269 de l'ère chrétienne), qu'elle fut
(5) Ce prince était le fils de Azyz-b-Illah
renversée par la dynastie des Merinites ou septième descendant du fondateur de la fa-
Zenètes. mille. Celte dynastie, dépouillée par Abd-él-
(3) Les Arabes désignent par ce nom la Moumen, l'an 546 de l'hégire ( ii5i de notre
partie la plus occidentale des côtes barbares- ère ) , avait régné en Afrique sous neuf prin-
ces, pendant cent soixante années.
TUNIS. 167
qui avait régné sur l'Afrique pendant événements qui eurent quelque rapport
deux cents années. avec Tunis sont les suivants :
Chacune des provinces conquises eut -Tandis que Abou-Yaqoub , petit-fils
son gouvernenr particulier, nommé par et successeurd'Abou-l-Moumen , était
Abdêl-Moumen, et Tunis n'eut pas occupé en Espagne à combattre le roi
un sort différent de celui auquel furent Alphonse, plusieurs troubles avaient
soumises les autres parties du vaste ter- agité ses provinces africaines.
ritoire incorporé par la victoire au grand L'an 568 de l'hégire (1172 de notre
empire des Al monades. ère), une troupe de'Turks, qui avaient
Tant que la dynastie Almohade dont
, quitté l'Egypte sous le règnede Salah-êd-
Marok était la capitale, conserva sa dyn (Saladin) avaient été conduits
puissance en Afrique, Tunis fut gouver- sur les côtes barbaresques par Taq-y-éd-
née par des délégués envoyés de la rési- dyn-Qara-Qouch ; les populations mé-
dence royale , et cette ville fut ainsi en contentes des Arabes indigènes s'étaient
proie aux vexations de nombreux oppres- jointes à ces étrangers, qui s'étaient ren-
seurs, profitant de l'éloignement du chef- dus maîtres de Tripoli, de Tunis, Maha-
lieu du gouvernement pour se supplanter dyéh, et de quelques «autres places im-
et se dépouiller mutuellement, par une portantes.
série non interrompue de petites catas- Abou-Yaqoub se hâta d'accourir pour
trophes intérieures sans aucune impor- repousser les envahisseurs; et il les eut
tance historique, mais dont le peuple bientôt expulsés de ses domaines. Lors-
payait toujours les frais en avanies et qu'il fut entré à Mahadyéh , il y reçut
en spoliations de toute espèce: plus d'une des ambassadeurs du roi de Sicile avec ,

famille musulmane abandonna alors lesquels il conclut une paix ou du


Tunis pour aller chercher asile et pro- moins une longue trêve , qui devait lui
tection chez les Chrétiens de la Sicile. ôter toute inquiétude sur la sûreté de
Une autre circonstance contribua ses provinces orientales, et lui per-
encore à accroître cette émigration. mit de retourner à son expédition de
Abd-êl-Moumen , dont la passion favo- la péninsule espagnole.
rite était celle de guerroyer en Espagne, Abou-Yaqoub faisait le siège de San-
pour en chasser les Chrétiens ou les tarem, en Portugal, lorsqu'il mourut,
soumettre de nouveau aux Musulmans, l'an 580 de l'hégire (1184 de l'ère chré-
avait d'abord espéré pouvoir faire de tienne), laissant le trône à son fils Al-
ses nouveaux sujets autant de soldats Mansour-Yaqoub, surnommé Abou-
pour recruter les armées qu'il voulait Yousouf.
envoyer sur le continent européen. La mort à.' Abou-Yaqoub avait failli
Mais les Arabes refusèrent hautement donner lieu en Afrique à une révolution
de quitter leur pays, et se retirèrent dans générale. A la nouvellede cet événement,
le désert et dans les parties adjacentes Aly-Ben-Ishaq , de la race des Morabe-
du territoire, où ils excitaient des sédi- £%?i(Almoravides)(l), qui régnait dans
tions : il fallut y envoyer des troupes et

en venir aux mains avec eux ; ils furent (i) La dynastie des princes que nos historiens
battus l'an 556 de l'hégire ( 1161 de l'ère nomment Almoravides ou Marabouts, et que
les Arabes nomment êl-Morabettyn oxxêl-Mo-
chrétienne ) , et les tribus qui
prirent le
latemin> tirait son origine des tribus Hémya-
parti de se soumettre furent immédiate-
rites que le premier khaïyfe des Musulmans,
ment envoyées en Andalousie; mais la
Abou-beker-es-Sadyq, avait autrefois envoyées
majeure partie de cette population, at-
conquérir la Syrie. Quelques-unes de ces tribus
tachée au sol natal se maintint opiniâ-
,
passèrent ensuite en Egypte, et de là dans le
trement en hostilité avec l'autorité des Moghreb avec Moussa, fils de Nassyr, sous
rois de Marok. lequel se fit la conquête de l'Espagne. Ces tribus
Cet état de choses dura sous Abou- ne suivirent l'expédition de Tdreq que jusqu'à
Yaqoub , âl-Mansour-Yaqoub et Nâs- Tandjah (Tanger ), où elles quittèrent ce gé-
ser-le-dyn-Illah, successeurs d'Abd-él- néral, lorsqu'il entra en Espagne : elles allè-

Moumen , jusques à l'an 603 de l'hé- rent chercher dans le Sahra quelque point
gire (1206 de l'ère vulgaire). où elles pussent fixer leur habitation, et peu
Pendant cet espace de temps les seuls après s'emparèrent de Sedjelmesse. Ce fut
168 L'UNIVERS.
l'îlede Mayorque vint avec une flotte
,
à la fin de l'an
593 de l'hégire (1196 de
attaquer Ja ville de Bougie, et s'en ren- notre ère), en apprenant qu'Aly-ben-
dit maître, ainsi que de Tunis, de Ishâq et les Almoravides étaient sortis
Qabès et des autres places principales du désert avec un grand nombre d'Ara-
de ce territoire; ii en chassa tous les Al- bes, dont ils avaient su attacher les tri-
monades, et fit faire la khotbah (1) au bus à leur parti ; mais la maladie le sai-
nom du khalyfe de Baghdâd, Nâsser- sit en route, et il fut forcé de s'arrêter
le-dyn-Illah (2), annonçant ainsi solen- à Marok, où il mourut, dans le mois de
nellement qu'il abjurait toute obéissance Raby-ël-âkher de l'an 595 de l'hégire
envers les khalyfes d'Occident. Al-Man- ( 1199 de l'ère chrétienne), après un rè-
sour accourut aussitôt attaquer les gne de quinze années.
troupes du prince almoravide , les bat- Abou- Abd- Allah -Mohammed, sur-
tit, leur reprit Tunis et toutes les autres nommé Nâsser-le-dyn-Illah , fils d'Aï-
places dont ils s'étaient emparés , et les Mansour, qui succéda à son père, se ren-
força à chercher un asile dans le désert. dit lui-même dans les provinces orien-
Àl-Mansour-Yaqoub était retourné tales d'Afrique, l'an 607 de l'hégire (1205
à la guerre contre les Espagnols; mais il de notre ère). Ce prince vint à bout
se hâta de quitter son armée d'Espagne de pacifier cette contrée et d'y apaiser
tous les troubles que Aly-Ben-Ishaq et
alors qu'unde leurs chefs, nommé Djouhar, de ses Almoravides n'avaient cessé d'y sus-
la tribu dedjoudalah, appela auprès de lui un citer. Il quitta alors l'Afrique pour aller
docteur, nommé Abd- Allah, pour instruire ses continuer la guerre en Portugal ; mais
compatriotes, qu'il regrettait de voir plongés à peine Abou- Abd- Allah fut-il sorti de
dans la plus profonde ignorance. Bientôt l'Afrique , croyant y avoir pleinement
d'autres tribus se joignirent à la première
rétabli son pouvoir, que cette contrée
pour participer à cette instruction ; et Abd-
changeait de nouveau de maîtres, et tom-
Allah leur persuada d'élire pour chef su-
bait des mains des Almohades en celles
prême un personnage recommandable par sa
piété et ses vertus nommé Abou-beker-ben-
des Bény-Hafs.
,

Omar, en lui conférant le titre d'Êmyr-êl-


Moumenyn, c'est-à-dire prince des croyants. CHAPITRE VIII.
C'est à cetteépoque que les tribus qui recon-
nurent l'autorité de ce nouveau prince adop- Dynastie des Beny-Hafs — origine de cette
tèrent le nom d'êl-Morabetyn, c'est-à-dire, famille; — Abd-êl-Ouâhyd — Abou-Fâ- ;

liés , attachés à la religion. La dynastie des ress — il de Tunis —


se déclare roi
;

il
;

— Yahyâ-Abou-
;

Almoravides comprend six princes, qui ré- est détrôné par son frère
gnèrent pendant quatre-vingt onze ans sur Zakaryâ du nom
I —
er
êl-Lehyâny
;

il force
l'Afrique et sur une portion de l'Espagne, de- à embrasser — sou-;

la vie religieuse il se
puis l'année 4^o de l'hégire ( io58 de l'ère met aux Almohades — Abou-Abd-Allah-
;
;

chrétienne) jusqu'à l'an 54i de l'hégire ( 1146 Mohammed, surnommé êl-Mostanser-b-Il-


de notre ère ). Les Almohades détruisirent la lah — il trône de Tunis de
affranchit le
des Almohades — expédi-
;

dynastie des Almoravides, dont quelques-uns la suzeraineté ;

se retirèrent dans les déserts et dont les autres tion de Louis en Afrique; —
saint motifs
restèrent possesseurs des îles Baléares. secrets de — Charles d'An-
cette croisade ;
(1) La khotbah est une formule de prière jou de
roi — Sicile;envers ses griefs le
publique qui se fait le vendredi dans toutes les roi de Tunis — premiers ; — succès ; prise
mosquées : l'imam y fait mention du nom du de de Tunis; — invasion de
la citadelle
prince régnant, et cette mention est l'acte so- la peste;— mort de Louis; — saint arri-
lennel par lequel on reconnaît sa souveraineté. vée de de
la flotte — proposition
Sicile;
(2) Nasser-le-dyn-lllah fut le surnom du de paix du de Tunis; —
roi conclu traité
khalyfe Ahmed-abou-l-Jbbas, trente-sixième entre lui et les princes chrétiens — ; re-
prince de la première dynastie des Abbassides ; tour en France de la flotte des Croisés.
il était le fils de Mostaddy-be-amr- Illah, au-

quel il succéda, l'an 575 de l'hégire (1180 de La dernière des dynasties indigènes
notre ère) ; il régna quarante-six ans et onze qui se succédèrent sur le trône de Tunis,
mois, et mourut âgé de soixante-dix ans, l'an et qui y portèrent le titre de Roi, est
622 de l'hégire (1225 de notre ère ), laissant celle des Beny-Hafs ou Beny-Abou-
le trône du khalyfat à son fils Ddher-b-Illah. Hafs. Cette famille tirait son origine
TUNIS. 169

d'une tribu de Berebères, ou suivant la dix-huitième année du règne de ce


quelques historiens, de Nègres, et des- prince qu'eut lieu l'expédition de saint
cendait de Sinhadj-ben-Amer. Louis, qui vint assiéger Tunis, l'an 1270
Le premier chef de cette famille, Abd- de l'ère chrétienne (669 de l'hégire).
èl'Ouâhid , était fils iïAbou-beker et Le roi de Tunis était loin de s'atten-
du cheykh Omar-Abou-Hafs,
petit-fils dre à cette aggression de la part des
premier du nom, de la tribu des JJenetas, Chrétiens : les points de contact et de li-
qui, répudiant son origine africaine, tige qui avaient si longtemps existé entre
comme moins noble se prétendait ori-
, Tunis et l'Espagne chrétienne avaient
ginaire du Yémen et même descendant
, cessé depuis que l'île de Mayorque et les
du khalyfe Omar. autres Baléares avaient été définitive-
Abd-él-Ouahid avait accompagné le ment enlevées aux derniers princes
prince almohade Nasser-le-dyn-Illah aghlabites, l'an 627 de l'hégire (1 229 de
dans son expédition d'Afrique, l'an 601 notre ère), par le roi d'Aragon don
de l'hégire ( 1205 de l'ère chrétienne ). Jayme, deuxième du nom, surnommé à
Deux ans environ après, l'an 603 de juste titre le Conquérant : quelques an-
l'hégire (1206 de notre ère), il obtint de nées après cette conquête, les Musulmans
ce prince le gouvernement de l'Afrique de Mayorque avaient bien essayé de se-
et particulièrement celui de Tunis, où il couer le joug espagnol, et Tunis s'était
établit tellement sa puissance que ses empressée de seconder cette tentative
successeurs ne craignirent pas de sub- par des secours de troupes et d'argent;
stituer au titre de gouverneurs celui de mais le roi d'Aragon avait comprimé le
rois de Tunis , et ce nouveau royaume soulèvement de ses nouveaux sujets, et
s'accrut bientôt par des conquêtes qui y avait maintenu une autorité que rien
soumirent à ses lois Bougie et plusieurs ne put ébranler depuis cette époque.
autres provinces voisines. Le roi de Tunis avait dès lors renoncé
Abd-êl-Ouâhidy qui reçut le surnom à toute hostilité envers les Chrétiens
d''Abou- Mohammed / mourut l'an 618 d'Espagne, s'estimant heureux que le
de l'hégire ( 1222 de l'ère chrétienne ), roi d'Aragon, victorieux, n'eût pas jugé
et il eut pour successeur son fils aîné à propos d'aller à Tunis même punir, par
Abou-Fâress ; mais à peine ce prince de justes représailles, la coopération que
avait-il proclamé l'indépendance du le roi tunisien avait prêtée aux entre-
trône de Tunis, qu'il en fut dépossédé prises des rebelles.
par son frère Yahyâj I er du nom, sur- Ainsi, quoique les victoires du roi d'A-
nommé Abou-Zakaryâ, qui, pour jouir ragon sur les Musulmans des îles Ba-
seul du pouvoir, força son autre frère léares fussent loin d'avoir été vues avec
Abou- Abd- Allah-Mohammed à se con- indifférence par les divers princes mau-
tenter du titre de cheykh et à se consa- res de la côte d'Afrique voisins de ces
crer à la vie religieuse (1). îles, et particulièrement par le roi de Tu-
Mais Abou-Zakaryâ jouit peu du nis , que la renommée de Don Jayme de-
succès de sa violence effrayé des dan- : vait inquiéter pour ses propres États
gers qui entouraient son nouveau trône cependant aucune tentative d'hostilité
il se soumit bientôt aux Almohades, et réelle n'avait eu lieu , et l'Espagne chré-
mourut dans l'obscurité, l'an 647 de l'hé- tienne n'eut pas besoin d'employer ses
gire ( 1249 de l'ère chrétienne). forces contre les préparatifs d'agression
Son fils , qui portait comme son oncle donton soupçonnait alors le roi de Tunis.
le nom de Abou- Abd- Allah-Mohammed, Bien plus, plusieurs traités de paix ou
n'imita pas son père dans sa renonciation de trêve avaient été depuis cette époque
au trône de Tunis ; et, prenant le sur- échangés entre Don Jaime et Tunis (3) ;
nom royal de êl-Mostanser-b-illah (2),
(3) Le dernier de ces traités de paix et de
il s'y établit dans une entière indépen-
commerce n'avait précédé que de moins de
dance de l'autorité des Almohades c'est
cinq mois l'altaque de Tunis par saint Louis,
:

et la pièce originale, conservée à la Bibliothè-


(i) Ce prince fut surnommé êl-Lchyâhy que nationale , atteste que ce traité avait été
( le barbu ). conclu entre le roi d'Aragon et le roi de Tunis
(2) Celui qni implore le secours de Dieu, le 14 février de l'an 1270 de notre çre.
,

170 L'UNIVERS.

f)ar
suite de ces stipulations pacifiques peine sorti lui-même des fers des sultans
a marine marchande des États chrétiens égyptiens, Louis IX, à son retour en
jouissait sur toutes les côtes barbares- France, prépara une seconde expédition
ques d'une sûreté et de garanties rare- contre les infidèles : il était surtout ex-
ment violées; et le trafic des Européens, cité à ce projet pieux par son frère Char-
libre et protégé sur terre comme sur les d'Anjou , roi de Sicile (2), qui cachait,
mer, d'immenses bénéfices en
réalisait sous le prétexte d'un zèle chrétien et des
faisant refluer les productions de son in- intérêts de la religion, des motifs d'in-
dustrie des points les plus éloignés de térêt personnel et d'un ressentiment
l'Orient. particulier contre le roi de Tunis.
semblait donc devoir être de l'inté-
II En effet, depuis cinq années le prince
a
rêt des puissances chrétiennes de ne musulman avait refusé de payer au roi
troubler en rien un état de choses si fa- de Sicile le tribut annuel auquel Tunis
vorable à la fois à l'Europe et à l'Afri- était assujetti (3) ; et Charles, se trouvant
que ; mais l'intérêt personnel d'un prince trop faible pour aller à Tunis revendi-
vint déranger cet équilibre, et le fana- quer lui-même ses droits les armes à la
tisme religieux fournit le prétexte qui main , persuada à son frère de diriger
devait faire pencher la balance, pour ses attaques sur Tunis, qu'il lui repré-
entraîner l'Europe dans une nouvelle senta comme la porte de l'Egypte, et le
guerre contre les Musulmans. chemin le plus assuré vers la possession
La France commençait à peine à se de cette terre sainte objet de tous ses
remettre des pertes immenses d'hommes pieux désirs.
et d'argent que l'Egypte avait englou- Louis IX s'était donc décidé à l'atta-
ties, lorsque, loin d'être découragé par que de Tunis, treize ans après son re-
les revers de sa première croisade (1), à tour d'Egypte, laissant le gouvernement
de son royaume en son absence à l'abbé
de Saint-Denis et au comte de Nesie, et
La première croisade de saint Louis eut
(i)
s'était embarqué à*Aigues -Mortes (4), le
lieu en l'année 1248 de notre ère; l'armée ei
l 'juilletdei'an 1270 de l'ère chrétienne,
croisée descendue en Egypte se signala d'a-
pour sa seconde croisade, qui devait lui
bord par les plus brillants succès et par la
être encore plus fatale que la première.
prise de Damiette mais elle vit bientôt ses
;

triomphes se changer en revers après la mé-


Le roi de France emmenait avec lui
morable bataille de Mansourah. L'armée fran-
une armée de 60,000 hommes et ses
trois fils, dont l'aîné fut depuis Philippe
çaise fut mise en déroute, et le roi lui-même
le Hardi, accompagnés du roi de Na-
devint le prisonnier des mamlouks qu'il était
venu combattre; il n'obtint sa liberté et celle
varre (5) : forcé par une bourrasque qui
des barons qui étaient tombés comme lui entre
les mains des Musulmans que moyennant à désigner saint Louis particulièrement par le
une rançon de huit mille besants d'or nom de Redefrans (Roi de France), comme si
( sept millions de francs de notre monnaie ) lui seul avait été digne de porter ce titre.
er
et la reddition de Damiette; il revint en France (2) Charles I d'Anjou, fils de Louis VIH
l'an 1254.. et de Blanche de Castille, était né en 1220.
Pendant qu'il était encore entre les mains Devenu maître de la Provence par son ma-
des mamlouks, ceux-ci s'étaient révoltés contre riage avec Béatrix, fille de Raimond Bérenger,
leur sultan, dernier rejeton de la famille son ambition le porta à conquérir l'Italie ; et il
de Saladin; on a assuré que les révoltés, pour y fut couronné roi de Naples et de Sicile en
mettre fin aux diverses prétentions rivales de l'an 1265.
leurs chefs , avaient offert la couronne d'E- (3) Ce tribut avait été imposé aux rois de
gypte à leur prisonnier; ce fait a été repoussé, Tunis par les empereurs d'Allemagne lors- ,

comme invraisemblable, par la plupart de nos qu'ils étaient souverains de la Sicile; et Charles
écrivains européens. Cependant on en trouve d'Anjou, en devenant maître de ce royaume,
les traces dans quelques historiens orientaux ; avait succédé à leurs droits.
et ce qui pourrait lui donner quelque proba- (4) S'il en faut croire les historiens con-
bilité, c'est l'admiration qu'avait inspirée aux temporains, la flotte des Croisés se composait
mamlouks la vertu et la noble fermeté de de dix-huit cents vaisseaux.
leur saint prisonnier, admiration partagée par (5) Le roi de Navarre qui accompagnait
tous les auteurs orientaux , et qui les a portés saint Louis dans sa croisade d'Afrique était
TUNIS. 171

dispersa ses vaisseaux relâcha d'abord


, il marquant obtenu contre
, Tunisiens
les
en Sardaigne et il y réunit à sa flotte
, par les troupes fraîches venues de Sicile,
celle de Naples et de Gênes, puis de là vintà propos relever le courage des Chré-
cingla vers l'Afrique. Le 17 du même tiens et faire perdre aux infidèles la con-
mois il arriva devant Tunis, où il put fiance que leur avait inspirée l'état de
opérer son débarquement sans éprouver faiblesse et de consternation de l'armée
de résistance sérieuse, et il battit com- française.
plètement les troupes qui étaient sor- Dans de telles circonstances, le roi
ties de la ville pour s'opposer à sa des- de Tunis Abou-Jbd-Allah, crut prudent
cente. d'acheter la paix, et d'éloigner à prix
Huit jours après en emportait d'as-
il d'argent les dangers dont était mena-
saut la forteresse. Ces deux premières cée sa capitale; l'inquiétude que lui ins-
victoires semblaient être les préliminai- pirait la présence des croisés sur ses do-
res d'une campagne glorieuse, et tout maines avait abattu sa confiance dans
promettait un heureux succès aux armes sa puissance et dans ses richesses : il
au saint roi mais les infidèles s'étaient
; pensa donc ne pouvoir mieux employer
retranchés dans la ville d'une manière une partie des immenses trésors qu'il
inexpugnable ; maîtres de la campagne avait hérités de son père qu'à se délivrer
ils assiégeaient à leur tour les assié- d'ennemis aussi dangereux et aussi re-
geants, les harcelaient sans cesse, évi- doutables, et se détermina à faire propo-
tant toutefois soigneusement tout ce ser aux assiégeants un accommodement.
qui pouvait amener un combat décisif : La plupart des princes et des ba-
le siège traînait en longueur, le renfort rons de l'armée chrétienne n'étaient
promis par Charles d'Anjou n'arrivait pas éloignés de prêter l'oreille à ces pro-
pas ; le zèle des troupes croisées com- positions; mais le nouveau roi, Philippe
mençait à se refroidir : d'un autre côté, le Hardi, eût mieux aimé poursuivre
les soldats chrétiens, peu accoutumés à l'entreprise de son père contre Tunis ;
ces climats brûlants , en subirent la fu- il lui semblait facile d'achever la con-

neste influence : l'eau et les vivres man- quête de cette ville, et une fois maître
quaient; déjà un assez grand nombre de la place , il devait la raser, pour
de croisés était mort de fatigue et de pri- ne pas affaiblir, en y laissant une forte
vations ; bientôt une terrible maladie garnison, l'armée qu'il voulait porter en
la peste, se répandit dans le camp de Egypte et en Syrie : toutefois il céda
saint Louis, décima l'élite de son armée ; sans peineaux avis des rois de Navarre et
bientôt il en fut lui-même attaqué ; et de Sicile, et consentit à l'ouverture des
transporté de Carthage, où il avait placé négociations.
son quartier général, à Porto-Farina, il En effet, parmi les princes croisés le
y mourut, le 25 août suivant à l'âge de
, nouveau roi de France était peut-être
cinquante cinq ans , après en avoir ré- celui à qui il devait le plus paraître con-

gné environ quarante-quatre. venable de terminer d'une manière ho-


La mort de saint Louis avait jeté le norable une expédition entreprise avec
découragement dans l'armée française : quelque imprudence, et dont les chances
affaiblie d'ailleurs également par le étaienthasardeuses.Indépendammentde
manque de vivres et par la maladie qui l'indemnité qu'il voulait exiger pour les
la ravageait, elle n'était plus en état de frais de la guerre dispendieuse portée
résister aux Musulmans s'ils reprenaient en Afrique, Philippe le Hardi sentait
l'offensive. toute l'importance de sa présence en
L'arrivée du roi de Sicile , Charles France au commencement d'un nouveau
avec une flotte chargée de renforts et de règne ; et, même dans le cas où Tunis
provisions, ranima un peu les espérances aurait été conquise, l'Egypte et la Syr.'e
des croisés. Bientôt un avantage assez étaient encore bien loin : l'armée qu'il
pourrait y conduire n'arriverait à ces
Thibaut II, qui avait épousé Isabelle, fille du nouveaux champs de bataille qu'excé-
roi de France ; après là mort de saint Louis, dée par les privations et les fatigues, et
Thibaut débarqua en Sicile et mourut lui- devait y trouver non des victoires, mais
même à Trapani, le 5 décembre 1270. des défaites presque certaines.
,
.

172 L'UNIVERS.
Une paix ou plutôt une longue trêve mes qui resteraient dues, des cautions
fut conclue entre les Musulmans et les prises parmi les négociants chrétiens;
Chrétiens ; voici les clauses principales Le 8 e et dernier article du traité était
du traité (1) : le plus important pour le roi de Sicile ;
1° Une trêve de dix ans était conve- car c'était pour parvenir à obtenir cette
nue entre les deux parties belligérantes stipulation à son profit , qu'il avait
er
à partir du 1 novembre 1270; poussé Louis IX à la guerre et Philippe
2° Le roi de Tunis devait rembourser le Hardi à la paix.
au roi de France et à ses barons les Cet article portait en effet « que Abou-
frais de la guerre, fixés à 210,000 onces « Abd- Allah-Mohammed , surnommé
d'or ;
« èl-Mostanser-b-Illah, roi de Tunis
3° Les Chrétiens qui s'établiraient « et d'Afrique, khalyfe, prince des
dans les États du roi deTunis y vivraient « croyants (3), payerait à Charles d'An-
en liberté et avec les mêmes franchises « jou, roi de Sicile, chaque année, le
que les naturels du pays ;
« double du tribut auquel Tunis était
4° Il permis aux prêtres et aux
serait « depuis longtemps soumise envers la
moines chrétiens, non-seulement de rési- « Sicile, et qu'il solderait avant le dé-
der dans les États barbaresques, mais fi part des croisés les arrérages des cinq
encore d'y avoir des églises et des mo- « années qu'il avait refusé de payer (4). »
nastères (pour la construction desquels Ce traité pouvait paraître nécessaire
le roi de Tunis leur devait donner des aux deux parties, surtout à l'armée fran-
terrains convenables où ils pourraient
, çaise , ravagée par la contagion pestilen-
servir Dieu suivant leurs rites, enterrer tielle ; cependant s'il obtint l'assentiment
leurs morts, et prêcher publiquement la des princes et des barons, il excita les mur-
religion chrétienne (2) ; mures du reste de l'armée, qui ne parti-
5° Les marchands chrétiens pourraient cipait pas au partage de l'indemnité
venir trafiquer dans ces mêmes États stipulée, et qui, espérant beaucoup des
aux mêmes conditions que les marchands renforts que devait amener le prince
musulmans ;
Edouard d'Angleterre, avait compté
6° Les prisonniers faits de part et sur le pillage de Tunis, ville florissante
d'autre devaient être immédiatement depuis longtemps enrichie soit par h
relâchés; commerce de l'Orient et de l'Occident
7° Le roi de Tunis devait payer comp- soit par les dépouilles des provinces
tant une moitié de l'indemnité stipulée opulentes de la péninsule espagnole.
pour les frais de la guerre , et l'autre Quoi qu'il en soit, ce traité fut mis à
moitié en deux payements égaux , à la exécution, et Philippe le Hardi ramena
fin des deux années solaires suivantes : sa flotte dans son royaume, emportant
il devait de plus fournir, pour les som- avec lui le corps de la royale victime
qu'avait coûté à la France la croisade
(i) L'acte original de ce traité, écrit en d'Afrique.
arabe, exisle à Paris dans le dépôt des Archi- Ainsi se termina ce drame héroïque,
ves nationales. à la fois religieux et chevaleresque, qui
(a) Suivant Guillaume de Nangis , écrivain
avait eu son exorde aux côtes de Pro-
contemporain et quelques autres chroni-
vence, son nœud secret à la cour de Na-
queurs , cet article aurait encore accordé aux
ples, et qui trouvait maintenant son
Musulmans , la pleine et entière liberté d'em-
triste dénoûment aux caveaux funèbres
brasser le christianisme sans encourir la ri-
gueur des lois musulmanes, qui condamnent de Saint-Denis.
sans aucune rémission à la peine de mort les
apostats de l'islamisme; mais l'insertion de cet (3) Êmyr-êl-Moumenyn , titre que nos his-
article dans le traité n'a jamais été prouvée ; toriens ont altéré en celui de Miramolin.
il ne se trouve pas dans l'acte original que (4) Ce traité fut déclaré commun à Bau-
cite la note précédente ; et une telle tolérance douin , empereur de Constantinople, à Al-
est trop en opposition avec les principes de la phonse, comte de Toulouse, à Guy , comte
foi musulmane pour qu'on puisse attribuer à de Flandres, à Henry comte de Luxembourg,
•,

Abou-Abd-Alhh une condescendance aussi et à tous les comtes, barons, et chevaliers


pusillanime. présents.
TUNIS. 173

CHAPITRE IX. mieux s'assurer de cet héritage , avait


massacré Yahya-Abou-Zakarya, ainsi
Suite de la dynastie des Beny-Hafs; mort— que deux de ses enfants, él-Faddelet êl-
d'Abou-Abd-allah-êl-Mostanser-b-illah ; — Tayb : il fut bientôt lui-même renversé
Yahyâ-Abou-Zakaryâ II e , surnommé êl- de son trône usurpé, par un autre usur-
Ouatheq-b-Illah —
Abou-Ishaq-Ibrahym ; pateur, étranger à la famille des Bêny-

;

Ahmed-ben-Marzouq (faux Faddel); Hafs.


— Omar-Abou-HafsII e ; —
êl-Mottaked-li-
*

Cet usurpateur, nommé Admed-ben-


yhay-dyn-Illah ; —
Mohammed-Abou-Abd-
Allah ; —
Aboubeker ; —
Khaled-ben-Za-
Marzouq, était d'une naissance obscure
karyâ ; —
Zakaryâ-abou-Yahyâ —
Abou-
;
et originaire de la ville de Bougie;


beker-Abou-Yahyâ; Omar-Abou-HafsIII
e profitant de quelques traits de ressem-
du nom; — Abou-Hassan-Aly, roi desZé- blance qu'il avait avec él-Faddel, il se
nètes, s'empare de Tunis; —
Ibrahym-ben- présenta comme ce prince lui-même, et
Abou-Faddel. entraîna dans son parti la plupart des tri-
bus arabes, qui alors comme aujourd'hui
Cette croisade entreprise contre Tunis étaient établies dans ces contrées. Ibra-
fut Ja sixième et la dernière, et la catas- hym chercha en vain à résister à l'im-
trophe royale qui venait de la terminer posteur réfugié dans Bougie, auprès
:

acheva d'éteindre chez les barons chré- d'un de ses fils, il ne tarda pas à y périr
tiens ce fanatisme guerrier, qui avait, avec la plus grande partie de sa famille.
sans aucun autre résultat qu£ celui de Le nouvel usurpateur prit alors les
la gloire, dépeuplé l'Europe pendant titres de khalyfe et de prince des fidèles,
deux siècles. lenom d''A bou-l-Abbas-êl- Faddel et le ,

Abou-Abd- Allah-Mohammed survé- surnom â'él-Mansour-b-Illah (celui qui


cut peu d'années à l'évacuation de ses est secouru par Dieu) : il ajouta ensuite
États par l'armée française. Il mourut à ce dernier surnom celui de êl-Qâyem-
au mois de Dou-l-Hadfeh de l'an 675 de be-Haqq~Illah (celui qui établit la vérité
l'hégire (mai 1277 de Tère chrétienne). de Dieu), et se maintint pendant trois an-
Le successeur de Abou-Abd- Allah fut nées entières sur le trône de Tunis;
e
son fils, Yahyâ-Abou-Zakaryâ, II du mais les efforts réunis de Abou-lshâq-
nom, surnommé êl-Ouatheqb-Illah (ce- Ibrahym et de son neveu Omar Abou-
Hafs IIe du nom, fils û Abou-Abd-
1
lui qui s'attache à Dieu).
Ceprinceenmontantsurletrônerenou- Allah, réussirent, l'an 683 de l'hégire
vela, ran676del'hegire ( 1277 de notre (1284 de notre ère ) à l'en faire des-
ère), le traité que son père avait conclu cendre et à l'expulser du royaume tuni-
huit années auparavant avec. le roi d'A- sien.
ragon (1); mais à peine avait-il joui quel- Omar-Abou-Hafs , à qui était échu
que temps de la souveraine puissance le souverain pouvoir, le conserva pen-
qu'au mois de Raby-êl-âouel de l'an dant un assez long règne, et l'an 694 de
678 de l'hégire (juillet 1279) il en fut l'hégire (1295 de notre ère ) il le laissa en
dépouillé par son oncle Abou-lshâq-Ibra- mourant à son neveu Abou-Zakarya,
hym (2), qui laissa d'abord à son neveu qui fut surnommé êl-Mottahked-li-
les apparences d'une souveraineté nomi- yhay-dyn-Illah ( celui qui revivifie la
native et ne prit pour lui-même que le
, religion de Dieu).
titre d'Êmyr-êl-Moudjâhed (le prince Celui-ci eut pour successeurunfilsde
dévoué à laguerre sainte ) celui-ci espéra
: Ouatheq-b-Illah nommé, Mohammed-
vainement pouvoir transmettre son Abou-Abd- Allah, mais plus connu sous
pouvoir à l'un de ses deux fils, qui, pour le sobriquet de Abou-Assydah. Ce prince
prit le surnom d''êl-Mostanser-b-Illah

(celui qui réclame le secours de Dieu),


(i) L'original de cet acte se lit à la Biblio-
titre qu'avaient déjà porté deux de ses
thèque nationale, sur le même parchemin
où est inscrit le traité de 1270, ci- dessus cité.
prédécesseurs, et mourut au mois de
(2) Abou-lshaq-lbrahym avait déjà levé Raby êl-Thâny de l'an 709 de l'hégire

l'étendard de la révolte dès le temps àAbou- (septembre 1309 de l'ère chrétienne).


Abd- Allah-Mohammed et avait été obligé Son règne n'éprouva aucune pertur-
d'aller chercher un refuge en Espagne. bation; mais il n'en fut pas de même de
,,

174 L'UNIVERS,
celui de Abou-Beker, surnommé Abou- hadya, où il proclamer kha-
s'était fait
Yahyâ, son fils et son successeur le ; lyfe, sous le titre impérial de él-Mostan-
petit-fils de Abou - Ishâq - Ybrahym ser-b-Illah, porté déjà par trois de ses
nommé Khaled-ben-Zakaryâ, et sur- prédécesseurs ; voyant tous leurs efforts
nommé Abou-l-Abbas , leva l'étendard inutiles, le père et le fils prirent le parti
de la révolte dans la ville de Badjyah de chercher une retraite en Egypte.
1
( Bougie), tandis que Cheykhéd-Doulet Le vainqueur en s emparant du pou-
faisait éclater sa rébellion dans les parties voir prit le surnom àêl-Motouakkel-
orientales du royaume et se rendait Ala-Allah (le confiant en Dieu), et
maître de Tripoli Abou-Beker se vit
: régna sans trouble jusqu'à sa mort, arri-
hors d'état de résister à cette double at- vée au mois de Redjeb de l'an 747 de
taque, et, abandonnant Tunis, qu'il ne l'hégire ( octobre 1346 de notre ère).
pouvait défendre contre ses nombreux Il eut pour successeur son fils nommé
assaillants, il chercha une retraite chez Omar-Abou-Hafs III e d u nom comme le
,

les tribus arabes de la frontière méri- fondateur de la dynastie. Son règne fut
dionale. loin d'être aussi tranquille que celui de
Devenu ainsi possesseur du trône de son père; et il vit de tous côtés les pro-
Tunis (1) , Khaled espérait le transmet- vinces tunisiennes se refuser à reconnaî-
tre à son fils aîné, Omar; mais le règne tre son autorité.
de ce prince fut agité par des troubles Des rebelles s'adressèrent à Abou-l-
continuels et des révoltes sans cesse Hassan-Aly , roi des Bèny-Mêryn ou
renaissantes. des Zénètes (2), et le déterminèrent à
Il y avait à cette époque en Egypte un entrer en armes dans les États d'O-
prince de la famille des Beny-Hafs, qui mar; ce prince éprouva une grande dé-
s'était arrêté dans ce pays, après avoirfait faite auprès de Qayrouân, l'an 748
le pèlerinage de la Mekke ; fils de l'êmyr- de l'hégire (1347 de l'ère chrétienne ), et
Abou-l-Abbas- Ahmed et petit-fils du son neveu, Abou-Faddel-ben-Yahyâ, qui
cheykh Abou- Abd- Allah- Mohammed- avait cherché une retraite à Tunis , fut
él-Leyâny , ce prince se nommait Zaka- tué dans sa fuite.
ryâ-Abou-Yahiâ, comme tant d'autres Abou-l- Hassan- Aly , déjà maître des
princes de sa famille. Il était alors d'un villes de Qossantynah ( Constantine )
âge avancé, sans ambition, et seulement et de Bougie , prit alors possession de
occupé des sciences; cependant, sans Tunis.
être effrayé de l'infortune de son aïeul Depuis cet événement l'histoire nous
il crut l'occasion favorable pour s'em- apprend seulement que le royaume de Tu-
parer à son tour de l'autorité souveraine ; nis passa entre les mains dlbrahym (3),
et, s'avançant vers Tripoli parvint à se
,
fils d'Abou-Faddel, lorsque la dynas-

rendre maître de Tunis. Ayant mis tie des Bény-Méryn fut détruite mais
;

Khaled à mort, il se fit proclamer lui- elle se tait sur les successeurs de ce
même khalyfe, au commencement du prince, qui occupèrent le trône tunisien
mois de Re'djeb de l'année 711 de l'hé- jusqu'à l'époque de la conquête de Tunis
gire (novembre 1311 de notre ère). par le sultan de Constantinople.
Mais bientôt un frère de Khaled, Je crois utile de raconter avec quelque
nommé Abou-Beker et surnommé Abou- détail les événements qui amenèrent
Yahyà, vint de Bougie attaquer Za- pour Tunis cette catastrophe mémo-
karyâ, de sa capitale. Le
et le chassa rable, au récit de laquelle sera consa-
prince détrôné se retira à Tripoli, et son cré le chapitre suivant.
fils Abou- Abd- Allah, désigné par le so-
briquet d'Abou-Darbéh, essaya sans suc- (2) Les princes de la dynastie des Bèny-
cès de se maintenir dans la ville de Ma- Mèryn, ou des Zénètes , régnaient alors à
Telmessân , à Fez et à Marok, où leur do-
(i) On conserve à la Bibliothèque natio- mination s'est maintenue jusqu'à l'an 762 de
nale l'original d'un traité conclu , l'an 712 de l'hégire ( i36o de l'ère chrétienne).

l'hégire (i3i3 de l'ère chrétienne), entre ce (3) Vulgairement Brahym,


prince et Sanche , roi de Majorque, comte
de Roussillon, de Cerdagne et de Montpellier,
TUNIS. 175

CHAPITRE X. nos écrivains ont altéré tour à tour en ceux


de Hariadan, Jiradin, Cheredin , etc.
Suite de là —Moulay-
dynastie des Beny-Hafs ; Ce dernier, qui fut le plus célèbre, était
Mohammed; — Moulay-Hassan — Res- né vers l'an 881 de l'hégire ( 1476 de
chyd; — expédition de Khayr-êd-dyn
;

notre ère, ) dans 111e de Metelin ( l'an-


(Barberousse) contre Tunis; — détrône- cienne Lesbos), d'une Andalouse et
ment de Moulay-Hassan — réfugie il se
auprès de Charles-Quint; — première ex-
;
d'un renégat sicilien, qui quitta son mé-
empereur contre Tunis —
tier de potier de terre pour celui de
pédition de cet ;
pirate; les deux frères suivirent les
débarquement des Espagnols à Carthage;
— de Tunis; —
traces de leur père, et firent la course
prise de Goulette
la et
trai té des Espagnols avec Moulay-Hassan ; — ensemble avec un tel succès qu'ils rem-
révolte de.Tunis ;
—nouvelle fuite de Mou- plirent du bruit de leurs exploits la der-
lay-Hassan ; —
il est rétabli une seconde
nière moitié du quinzième siècle et la
fois par les Espagnols; —
troisième fuite première du seizième. Devenus la terreur
de ce même prince ; —
son fils Hamidah se de tous les navigateurs de la Méditerra-
fait proclamer roi de Tunis. —
Prise de née, ils réussirent à se rendre maîtres
Tunis par les Algériens; —
troisième ex- d'Alger, dont ils firent hommage au sul-
pédition des Espagnols contre Tunis. tan de Constantinople, afin de se faire de
cette suzeraineté une sauve-garde contre
Malgré les catastrophes diverses, les vengeances de ceux que leurs dépré-
la dynastie des Bény-Hafs avait su dations ne cessaient de dépouiller non- :

maintenir son système. héréditaire; et seulement le sultan accepta le vasselage


malgré les tentatives diverses de plu- offert, mais encore, appréciant toute
sieurs compétiteurs, dont elle avait rendu l'importance qu'il y avait à attacher à
vaines les velléités ambitieuses, elle ré- son service un homme aussi redoutable
gnait ainsi depuis plus de trois siècles que l'ancien pirate devenu roi d'Alger,
à Tunis, lorsque, l'an 940 de l'hégire il conféra à Khayr-êd-dyn la dignité de
(1533 de notre ère), le roi Moulay-Mo- Qapitan-pacha ou de généralissime des
hammed, prince d'un caractère faible, flottes ottomanes (1).
parvenu à un âge avancé, désigna pour Khayr-êd-dyn accueillit le prince fu-
son successeur son fils Moulay-Hassan, gitif, l'emmena avec lui à Constantino-
quoiqu'il ne fût pas l'aîné de ses enfants. ple, et proposa au sultan Soliman (2) de
Mais ce prince , affaibli par l'âge , s'é-
tait déterminé à cette préférence parce
(i) L'histoire de la vie de Khayr-êd-dyn
que la mère de ce fils était particulière- ne fut qu'un tissu de victoires mémorables ,
ment sa favorite. mais la plupart étrangères à celle de Tunis.
Cette décision ne fut pas accueillie Je joindrai ici l'empreinte de son sceau,
sans murmure par les grands du royaume. tiré de pièces qu'il signa à Tunis même pen-
Cependant, Moulay - Mohammed étant dant sa conquête.
mort, Moulay-Hassan monta sur le
trône en vertu de la volonté paternelle.
Le premier acte du nouveau roi fut
de faire étrangler ses frères , dont il
craignait la révolte ; mais le plus jeune
d'entre eux, Reschyd, parvint à s'échap-
per, et se réfugia à Alger auprès de
Khayr-êd-dyn, le célèbre Barberousse,
dont il implora la protection.
Le souverain^d'Alger était en effet Souleymân-Khân, fils deSelym I er, éfafï
(2)
alors le célèbre Bar berousse. Deux frè- le douzième prince de la dynastie ottomane ;

res, fameux pirates, ont été désignés il succéda à son père l'an 926 de l'hégire ( 1 5s
par nos historiens européens sous ce de l'ère chrétienne). Il régna quarante-huit
surnom commun, à cause de la couleur ans, et mourut à l'âge de soixante-quatorze
de leur barbe ; l'aîné portait le nom de ans, dans le mois de saffar de l'an 974 de
Aroudj et le second celui de Khayr-êd- l'hégire (i566 de notre ère) : nos historiens
er
dyn, qui signifie l'élu de la religion, et que le désignent sous le nom de Soliman I du
,

17G L'UNIVERS.
se servir dunom de ce malheureux prince sa victoire , ou si on la doit à l'adulation
pour faire la conquête de Tunis le sul- : de quelques-uns des petits princes dont
tan adopta ce projet une flotte formi-
: les États bordent la Méditerranée, qui
dable, aux ordres de Khayr-êd-dyn, fut aurait espéré par cette basse flatterie
dirigée sur Tunis, et l'on eut soin de ré- se mettre à l'abri des attaques du terri-
pandre d'avance? le bruit que le but de ble corsaire (2).
cet armement était de placer Reschyd Moulay - Hassan s'était vainement
sur le trône de Tunis; mais au moment adressé aux tribus arabes pour les enga-
du départ le prince tunisien, au lieu d'ê- ger à s'armer en sa faveur contre les
tre reçu sur la flotte armée en son nom, Turks alors un de ses renégats lui don-
:

avait été arrêté et jeté dans une prison, na le conseil de recourir plutôt à Charles-
où il finit ses jours. Quint. Cet empereur accueillit d'autant
La flotte ottomane arriva devant Tu- plus favorablement la demande de Mou-
nis. Les Tunisiens, dont Moulay -Hassan lay-Hassan que d'ailleurs il n'avait pas
n'avait pas su se faire aimer, persuadés vu sans mécontentement l'entreprise des
que la flotte turke leur amenait le prince Turks sur Tunis; et il se décida facile-
Reschyd, prirent les armes, chassèrent ment à tenter une expédition contre eux.
leur roi, et ouvrirent leurs portes à Toutefois, dans cette circonstance, son
Khayr-êd-dyn. intention était non défaire une conquête,
L'amiral ottoman se mit en posses- mais seulement de nuire aux ennemis
sion des forts, prit toutes ses mesures de la chrétienté; il chercha à obtenir
défensives et déclara alors aux Maures
, pour cette entreprise la participation des
qu'il ne s'agissait plus de Reschyd, qu'ils autres puissances européennes. Le pape,
avaient cessé d'être les sujets des Bény- le roi de Portugal et l'ordre de Malte
Hafs, et qu'ils avaient désormais pour unirent leurs forces aux siennes, et les
maître le sultan Soliman. Les Tunisiens, flottes réunies se préparèrent à l'attaque
indignés d'une telle mauvaise foi, se sou- de Tunis.
levèrent ; mais la force acheva ce que la lie général des Turks fit aussitôt de-
ruse avait commencé. mander du secours à la Porte-Ottomane ;
C'est à l'époque de la conquête de Tu- mais Soliman, engagé alors dans une
nis par Khayr-êd-dyn que l'on doit guerre d'Asie, lui répondit qu'il ne de-
rapporter la médaille suivante, qui se vait rien attendre de Constantinople
trouve dans les cabinets de quelques dans ce moment , et qu'il eût à se défen-
curieux. dre avec ses propres ressources. C'est ce
que fit Khayr-êd-dyn.
L'empereur avait voulu prendre. en
personne le commandement de cette ex-
pédition (3). Il partit de Barcelone le 31

(2) Cette seconde hypothèse paraîtra pré-


férable, d'après le nom italien Darbarossa,
inscrit du côté de la face , et surtout d'après
le texte de la légende inscrite au revers. On

y lit en effet :
On ne sait si cette médaille, d'un tra-
Khayr-êd-din Pachah Djézayr Soultan
vail grossier, et dont la légende
fort
Tounes :
arabe est très-incorrecte (1) , a été frap-
pée alors par les ordres de Khayr-êd-dyn « Khajr-td-dyn , Pàchâ d'Alger, Sultan
« de Tunis; »
lui-même, pour éterniser le souvenir de
et il peu vraisemblable que Barberousse
est
nom il eut pour successeur son
: fils , Sultan- malgré tout l'orgueil que lui inspirait sa vic-
Sélim-Châh (Selim II). toire, ait pu alors prendre lui-même, sur une
(i) On trouve quelques variantes à celte médaille frappée par son ordre, le titre de
empreinte dans celle que donne O. G. Ty- Sultan d'un royaume qu'il ne venait de con-
chsen (Introductioin rem nummariam Muha- quérir qu'au nom du Sultan de Constantinople,
medanorum), d'après la médaille qui se trouve et comme grand amiral des flottes ottomanes.
au cabinet numismatique de Saxe-Gotha. (3) Une des places de Tunis porte encore
TUNIS. 177

mai 1 535, avec les flottes combinées d'Es- ves avaient été laissés par lui dans la
pagne, de Portugal, de Flandre etde Gê- ville, tandis qu'il allaitdans la campa-
nes, et il sedirigea sur la Sardaigne, où se gne présenter le combat aux Espagnols :

rendirent de leur côté celles de l'Italie et délivrés de leurs gardiens par la réunion
de Malte. Vers la fin de juillet l'armée de toutes les troupes maures en un seul
impériale, composée de quatre cents voi- corps d'armée, les esclaves chrétiens s'é-
les, dont quatre-vingt-dix galères, était taient emparés de Tunis, dont ils ouvri-
arrivée devant Carthage; le débarque- rent les portes à Charles-Quint.
ment s'effectua sans peine, et le quartier L'armée espagnole se retira après
général occupa le lieu même où près de avoir fait un traité avec Moulay-Hassan,
trois siècles auparavant saint Louis avait laissant dans le fort de la Goulette une
assis son camp. Les troupes débarquées garnison de mille hommes sous le eorn-
formaient une armée d'environ vingt- mandementde Bernardin de Mendoza;
sept mille hommes, dont les différents cette garnison devait être soldée par
corps étaient commandés par six bons Moulay-Hassan et on laissa également
;

généraux (1). au commandant espagnol dix galères.


Ces forces étaient plus que suffisantes Néanmoins, les Tunisiens, ne voyant
pour battre les Maures, qui n'opposèrent dans Moulay-Hassan qu'un esclave des
au débarquement des Espagnols qu'une chrétiens, révoltèrent bientôt, et
se
faible résistance. Qayrouân que toutes les villes
ainsi
La Goulette et Tunis étaient tombés maritimes ne tardèrent pas à suivre
au pouvoir de Charles- Quint, après l'exemple de la capitale : le nouveau roi
une grande bataille livrée sous les murs de Tunis se vit derechef obligé de pren-
de la ville, et dans laquelle Barberousse dre la fuite, et réduit à implorer encore
fut obligé de prendre la fuite ce fut en ; l'appui de l'Espagne. Cet appui lui fut
vain qu'il crut alors trouver une retraite promis, mais ne put lui être accordé
dans Tunis. Ses excursions sur les côtes immédiatement par l'empereur, trop oc-
de la Méditerranée avaient mis entre ses cupé alors sur le continent européen par
mains vingt mille esclaves chrétiens d'autres guerres : cependant deux années
qu'il avait réunis à Tunis, et qu'il avait ne se passèrent pas sans que Charles-
employés à creuser le canal de la Goulette Quint ne songeât à rétablir son protégé
afin de procurer aux bâtiments une en- sur le trône dont il venait d'être ren-
trée plus facile dans le port. Ces escla- versé pour la seconde fois.
En l'année 1537 le marquis de Terre-
de nos jours le nom de place de Charles-
Neuve, envoyé par le vice-roi de Sicile, d'a-
Quint ou de place de l'Empereur, parce que près les ordres de Charles-Quint, fit ren-
la tradition rapporte que ce prince y avait trer dans la soumission la ville deSous-
fait camper ses troupes, et y avait même éta- sah, et en 1539 André Doria réduisit à
bli sa tente impériale. l'obéissance celles deS/ax, de Klybeah
(i) i° La division espagnole ( vieilles trou- ( l'ancienne Clypœa ), de Monastyr, etc.

pes), formant quatre mille nommes, ayant pour Cette seconde restauration ne fut
général le marquis Duguast; pas plus heureuseque la première; et la
2° La division espagnole (nouvelles levées), soumission imposée pur la force aux
huit mille hommes, général le duc à'Albe; Tunisiens ne fut pas de longue durée.
3° La division allemande , sept mille hom- En l'an 1542 de notre ère (949 de
mes, général Maximilien Piedrabuena; l'hégire ), Moulay-Hassan passa en Sicile
4° La division italienne, quatre mille hom-
pour implorer une troisième fois l'assis-
mes, général le prince de Salerne;
tance du roi d'Espagne contre les dis-
5° La division portugaise, deux mille hom-
positions séditieuses que continuait à
mes, général l'infant Louis de Portugal.
montrer la population mais, profitant
;
Ces cinq corps tous d'infanterie, présen-
de son absence , son fils Hamidah se ré-
,

taient un effectif de vingt-cinq mille com-


volta lui-même, et se fit proclamer roi de
battants.
Tunis, malgré garnison espagnole de
la
La cavalerie ne compta que quinze cents
hommes, dont mille volontaires nobles de la Goule/le, trop faible pour s'y opposer.

toute nation et cinq cents cavaliers andalous, En apprenantcet événement, Moulay


commandés par le marquis de Mondechar. //assaft accourut de Sicile aveccinq cents

12
e
Livraison. (Tunis.) 12
178 L'UNIVERS.
Musulmans, auxquels se joignirent deux Alarmé de l'extension que prenait la
mille Chrétiens, mauvaises recrueg, que puissance des Algériens par la conquête
le vice-roi lui avait permis de prendre à de Tunis , le roi d'Espagne, Philippe II,
sa solde, et dont il donna le comman- ordonna en 1573 une nouvelle expédition
dement à un gentilhomme napolitain, contre cet État, et en donna le comman-
nommé Lojredo. dement à son frère naturel Don Juan ,

Arrivé à la Goulette , il marcha sur d'Autriche, déjà célèbre par la bataille


Tunis , malgré le sage avis de Tobar, de Lepante.
gouverneur du fort de la Goulette, qui Les ordres de Philippe II étaient de
l'engageait à ne point se présenter de- ne s'établir nulle part sur les côtes d'A-
vant Tunis avec une division de troupes frique et fatigué des énormes dépenses
, ,

chrétiennes. que coûtaient à l'Espagne ses improduc-


En effet, la vue des Chrétiens exaspéra tifs établissements sur les côtes barba-
les Musulmans. La troupe de Lojredo resques, il prescrivit à Don Juan de
fut taillée en pièces. Moulay-Hassan lui- raser toutes les villes qui tomberaient
même fut blessé et fait prisonnier, et en sa possession et d'abandonner même
son fils Hamidah lui lit crever les yeux; la forteresse de la Goulette.
mais peu de temps après ce malheureux Don Juan arriva devant Tunis avec
prince obtint de l'usurpateur la liberté, une flotte nombreuse et plus de vingt
avec la permission de se retirer en Sicile. mille hommes de troupes les Turks,:

Le prince usurpateur put jouir pen- effrayés, abandonnèrent la ville de Tunis,


dant vingt-huit années de la couronne et Outch-Aly lui-même, se croyant peu
qu'il avait acquise par son crime; mais en sûreté dans sa ville d'Alger contre les
si la vengeance céleste fut tardive à le troupes espagnoles, se retira à Constanti-
punir, elle n'en tomba pas avec moins nople,et Don Juan prit possession de Tu-
de sévérité sur sa tête, et l'ennemie per- nis sans combat. Mais, au lieu de suivre
pétuel de Tunis , Alger, fut choisie par les ordres de Philippe II, rêvant, au con-
les décrets divins pour exécuter ses ar- traire, la création d'un Etat européen en
rêts contre le prince parricide. Barbarie, ambitionnant pour lui-même
En l'année 1570 de notre ère ( 978 de la couronne de ce royaume projeté, en-
l'hégire), Outch-Aly , nommé aussi couragé dans ses projets par la cour de
Ulugh-Aly grand Aly), Pacha ou Bey
(\e Rome, le vainqueur de Tunis épargna
d'Alger (l), attaqua Tunis, en fit la con- la ville, dont il donna l'administration
quête, et en chassa le roi Hamidah, qui provisoire à un Hamidah, en y
frère de
se réfugia auprès des Espagnols de la laissant une garnison de quatre mille
Goulette. hommes et pour mieux tenir en bride
,

Cette domination d'Alger sur Tunis les habitants il ordonna de construire


avait été le rêve constant des Algériens, un nouveau fort entre la ville et le lac.
et le but continuel des entreprises des La ville de Bizerte fut occupée éga-
Beys ou des Deys qu'ils avaient eus à lement par une garnison espagnole, et,
leur tête. La possession de cette ville au lieu de détruire le fort de la Goulette,
rivale réalisée déjà pendant une courte pé- Don Juan en augmenta encore les dé-
riode par Khayr-êd-dyn (Barberousse) fenses et en donna le commandement à
était bientôt échappée de ses mains : Porto-Carrero , l'une de ses créatures
elle ne resta pas plus longtemps dans les plusdévouées.
celles de Outch-Aly. Le prince , après avoir laissé des gar-

nisons espagnoles dans les forts les plus


importants de la côte , était retourné en
(i) Ce bey, le dix-septième de ceux qui
Europe, avec l'espoir que Philippe II
ont régné à Alger, était un renégat calabrois,
sanctionnerait ses actes mais avant que
qui était à cette époque regardé comme le plus
;

la question ne fût décidée, la scène


fameux corsaire; il ne conserva son pouvoir
que trois ans à Alger, de l'an 975 de. l'hégire changea complètement dans le royaume
(i568 de l'ère chrétienne) jusqu'à la fin de de Tunis, et une fatale catastrophe vint
l'an 978 ( 1571 de notre ère. ) Il fut remplacé confirmer les préventions de Philippe II
par un renégat corse qui avait été son lieu-
,
contre tous les systèmes d'établissements
tenant et qui portait le nom de Memminy. en Afrique.
TUNIS. 179

CHAPITRE* XL conduite de la flotte ottomane, com-


posée^de deux cents galères armées ,

Seconde expédition des Turks contre Tunis; d'une nombreuse artillerie, et accompa-
— Sinân-Pâcha ; —attaque de Tabarkah ; gnées de plusieurs bâtiments de trans-
— débarquement des troupes ottomanes; port portant le matériel et les munitions
— siège de Tunis; —
prise de la Goulette et de guerre.
Tunis par l'armée ottomane; —
massacre Cette expédition, l'une des plus impor-
delà garnison espagnole; —
captivité de tantes qui eût été faite jusque alors par
Moulay-Mohammed-êl-Hafsy, dernier roi
les Ottomans , eut un plein succès.
de Tunis.
L'armée navale quitta Constantinople
le premier jour du mois de Raby-él-
Le sultan Selym-Châh{\) s'était mon-
àouely etse dirigea d'abord vers le port de
tré irrité des succès de don Juan à
Navarin, en Morée, où elle fit une courte
Tunis, et au printemps de l'année 1574
relâche : ayant repris la mer, elle fit
de notre ère (fin de l'an 981 de l'hégire)
voile vers les côtes des possessions véni-
il envoya contre les Espagnols de Tunis
tiennes , qu'elle ravagea ; puis le neu- ,
une flotte formidable, portant quarante
vième jour de sa navigation elle arriva
millehommes et commandée par Sinân- en vue de Tabarkah , où eurent lieu les
Pachâ qui s'était déjà illustré par la
,
premières hostilités.
conquête de VYémen, et qui avait lui-
La garnison de cette forteresse était
même demandé d'être chargé de cette
espagnole : vivement attaquée par les
nouvelle expédition.
Ottomans, elle se défendit plus vivement
L'ancien dey d'Alger, qui était devenu
encore; mais, après un combat acharné,
Qapytân-Pachâ et avait pris le nom de elle fut forcée de céder au nombre et de
Kelijdj-Jly (2), avait saisi avec empres-
se replier sur un autre fort de la côte :

sement cette occasion de prendre sa là les Chrétiens eurent à soutenir un


revanche de l'échec que trois ans au-
nouveau combat, dans lequel périrent un
paravant lui avait fait éprouver Don grand nombre de Musulmans, entre
Juan d'Autriche; il s'étaitchargé de la autres Mohammed- Bey y qui était le
kiahya ( lieutenant ) du Qapytân-Pa-
(i) Seljm- Chah-ben- Soûleyman , que nos
châ. Le combat, commencé à midi,
historiens nomment Sélym, deuxième du nom
n'avait cessé qu'à l'heure du moghreb,
( treizième prince de la dynastie ottomane )

était fils du sultan Soulejmdn , dont il a été


c'est-à-dire au coucher du soleil.
question ci-dessus note 2, page 175; il avait at- Renonçant à renouveler son attaque,
teint l'âge de quarante ans lorsqu'il succéda à la flotte ottomane reçut l'ordre d'appa-
son père, Tan 974 de l'hégire ( i566 de notre reiller et d'aller croisersur les côtes de
ère ) ce fut sous son règne que l'île de Chypre
:
Sicile, où exerça de nouveaux ra-
elle
fut conquise et que les Turks perdirent la fa- vages, et dont elle fut bientôt repoussée
meuse bataille de Lepante, l'an 979 de l'hé- par les habitants, que la vue de leurs
gire ( 1571 de l'ère chrétienne). Ce prince villages pillés et incendiés, de leurs
mourut l'an 982 de l'hégire ( 1574 de notre femmes et de leurs enfants enlevés, avait
ère ), laissant pour successeur au trône otto- armés du courage du désespoir.
man son fils Mourdd-ben-Seljm , connu de Quittant alors les parages de la Sicile,
nos historiens sous le nom àHAmurat III. les Ottomans se décidèrent à retourner
(2) Il est plus connu sous le nom de Alj-êl- vers les côtes de Tunis, et le 18 de
fartdz (Aly te Teigneux ).
Raby-êl-âouel leur flotte arriva enfin
Au sujet de ce surnom je ferai la remarque devant un fort ruiné du territoire tuni-
que les Orientaux ne regardent aucunement
sien, situé près la forteresse de Klybeah,
comme injurieux les sobriquets et surnoms
tirés des imperfections du corps; c'est ainsi
à environ dix-huit milles à l'est de Tu-
que le nom du conquérant de l'Asie, Tamer- nis. En arrivant au mouillage tous les
lan, n'était autre chose que Tymour-lenk bâtiments de l'armée navale se pavoisè-
(Tymour le boiteux) un des plus célèbres
:
rent de pavillonsde mille couleurs, fêtant
vizirs de l'empire ottoman fut moins connu ainsi d'avance les triomphes qu'elle allait
par son nom propre que par le sobriquet qu'il remporter.
adopta lui-même, de Topai , signifiant égale- Trois jours après, le 21, la flotte ot-
ment boiteux dans la langue turke, tomane jeta l'ancre devant l'entrée du
12.
180 L'UNIVERS.
canal de la Goulette : le débarquement achevé, et les Espagnols cherchèrent à
des troupes expéditionnaires e^t lieu suppléer aux ouvrages non encore cons-
immédiatement, ainsi que celui de l'ar- truits par des palissades et des retranche-
tillerie de siège et du matériel. Le ments en terre : ces retranchements fu-
camp fut aussitôt établi; l'on eut soin rent armés d'une formidable artillerie,
de placer hors de l'atteinte des canons et on les approvisionna de toutes les mu-
du fort les tentes destinées au général nitionsde guerre nécessaires pour soute-
en chef Sinân et au Qapytan-Pachâ. nir un long siège : plus de six mille
Le premier soin des assiégeants fut hommes tant chrétiens que renégats y
de se mettre eux-mêmes à l'abri de étaient venus chercher un asile.
l'attaque de ceux qu'ils venaient assié- Ainsi évacuée par les Espagnols Tu- ,

ger de hauts et forts retranchements


: nis ne put offrir aucune résistance; les
furent élevés en terre autour du camp, deux Pachas en prirent possession sans
qui fut en même temps ceint de fossés coup férir, et s'occupèrent à fortifier les
larges et profonds : puis on construisit points de l'enceinte reconnus comme
à la hâte quelques batteries. trop facilement accessibles.
L'attaque commença l'artillerie es-
: Maîtres de la ville , ils tournèrent
pagnole ouvrit sur lesassaillants un feu leur attaque contre le fort où les troupes
meurtrier et bien nourri. Les assiégeants espagnoles s'étaient retranchées ils :

ne faisaient que des progrès très-lents, crurent cependant nécessaire de deman-


lorsqu'on vit arriver au camp ottoman der des renforts au général en chef, qui
le Pachâ de Tripoli, Moustafâ-Pachâ, s'empressa de leur envoyer un nouveau
accompagné âeHayder-Pachâ, qui avait détachement que le Qapytan-Pachâ se
défendu Qayrouân contre le roi de Tunis, chargea de commander lui-même.
Moulay-Mohammed-êl-Hafsy. Le géné- Mais réunion de ces troupes avec
la
ral en chef chargea ces deux Pachas du celles desdeux Pachas ne parut pas encore
siège de Tunis, tandis qu'il presserait suffisante à l'amiral ottoman pour ré-
lui-même celui du fort de la Goulette-, duire les Espagnols enfermés dans le
et il mit sous leurs ordres, pour cette fort; et un nouveau renfort fut demandé
opération, une division formée par mille à Sinân-Pachâ , qui n'hésita pas à en-
fusiliers {toujenkdjyân) et de mille vo- voyer aux assiégeants mille janissaires,
lontaires, que commandait leur Aghâ commandés par Médjy-Pachâ et par
Habil-Bey ; l'artillerie qui accompa- Aty-Aghâ-Sdâhdâr (2), avec une bat-
gnait cette colonne se composait de plu- terie de huit canons et de six pierriers.
sieurs grosses pièces de siège et de plu- Cependant, sans s'effrayer de ces pré-
sieurs pierriers. paratifs redoutables, la garnison du fort
Les troupes espagnoles qui occupaient fit plusieurs sorties, pénétra jusque dans

Tunis, jugeant que la ville était trop les retranchements des Ottomans, et
grande pour les moyens de défense leur fit éprouver les plus grandes pertes.
qu'elles pouvaient employer, et que le Sinân-Pachâ crut alors devoir quit-
château, seul point fortifie de l'enceinte, ter son camp de la Goulette, pour venir
tombait presque en ruines (1), avaient pris diriger par lui-même les opérations
le parti d'en sortir, et de se retirer dans contre le fort , et ne retourna continuer
le fort situé en dehors de la porte de la le siège de la Goulette qu'après avoir
Marine, et dont le prince don Juan donne aux deux Pachas ses instructions
d'Autriche avait ordonné la construc- sur le plan qu'ils devaient suivre dans
tion quelque temps auparavant : mais leurs attaques.
ce fort n'était pas encore entièrement Pendant que le siège des deux forts
continua en même temps, Sinân-Pachâ
vit arriver dans son camp Ahmed-Pa-
Les restes de ce fort sont connus des Tu-
(i)
nisiens sous la double dénomination du Bas-

tion ( et- Bastyoun ) et de Kouksou adkàn ; (a) Le mot Seldlidâr signifie proprement
ce lieu sert aujourd'hui de tannerie; et les fon- écuyer. On donne ce titre à l'aghâ chargé du
dations de la citadelle espagnole s'y voyaient soin des armes du sultan, et qui accompagne
encore du temps de Hamoudah-Pachd , dont ce prince en portant devant lui son sabre de
nous parlerons ci-après. cérémonie.
TUNIS. 181
châ nouveau Bey d'Alger, qui
(1) , lui et l'autre jetés dans une prison , en at-
amenait un contingent de troupes , et tendant qu'il fût décidé de leur sort.
qui reçut ordre d'établir- son quartier Ainsi tomba au pouvoir des Musul-
devant la partie méridionale du fort de mans, après quarante jours de siège, la
la Goulette. forteresse de la Goulette, dont la cons-
Ces trou pes fraîches assurèrent bientôt truction n'avait pu être achevée par les
l'avantage aux Ottomans: le 14 du mois Chrétiens qu'en quarante années.
Raby-et-Tâny , un chemin couvert qui Considérant les dépenses qu'exigerait
communiquait à l'ancienbâtiment des la réparation de ce fort après les désas-
douanes, où les Espagnols avaient établi tres d'un siège aussi destructif, Sinân-
leurs avant-postes, fut enlevé après un Pachâ jugea sa conservation inutile ou
combat sanglant; le fossé fut comblé, même dangereuse à une si grande dis-
et sur son emplacement fut élevée une tance du centre de l'empire. Il ordonna
redoute, dont le feu commandait les ou- qu'il fût détruit de fond en comble
vrages extérieurs de la place. et entièrement rasé les troupes otto-
:

!
Un nouveau renfort vint encore ac- manes furent immédiatement employées
croître la supériorité numérique des as- aux travaux de cette démolition, et le gé-
siégeants; Ramaddân-Pachâ, que Ah- néral en chef s'empressa de se rendre de-
med-Pachâ avait laissé pour gouverner vant le fort de Tunis, afin de mettre par
Alger en son absence, avait quitté cette sa prise la dernière main à sa conquête.
ville, et amenait à Sinân-Pachâ un corps A peinearrivé au camp des assiégeants,
de trois mille hommes : il reçut l'ordre Sinân-Pachâ ordonna une attaque gé-
d'aller se joindre aux deux Pachas qui as- nérale, à laquelle il prit part de sa per-
siégeaient le fort près de Tunis, pour les sonne mais, les assiégés se défendant
:

aider a bâter la fin du siège. avec une intrépidité digne d'un meilleur
Enfin , le sixième jour du mois de sort, ce ne fut qu'après deux assauts que
Djemâdy-êl-âouel de l'an 981 de l'hé- les Turks réussirent enfin à arborer leurs
gire (1573 de notre ère), le général en étendards sur les remparts de la place.
chef ordonna un assaut général contre Trois mille Chrétiens périrentdansces
le fort de la Goulette. La garnison espa- deux combats acharnés et le reste de la
;

gnole, épuisée par une suite non inter- garnison, montant à environ cinq mille
rompue de combats, décimée par le feu hommes, sortant du fort presque écroulé,
continuel des batteries contre lesquelles allaprendre position sur la plage, derrière
ses remparts la protégeaient mal, ne des retranchements élevés à la hâte.
put résister aux innombrabiesassaillants Les Espagnols y furent bientôt suivis
qui l'attaquaient de toutes parts ; elle fut et attaqués par les Musulmans; ils s'y
tout entière passée au fil de l'épée : les défendirent avec le courage que donne
Chrétiens, les renégats, les Maures qui le désespoir : la mêlée fut terrible; on
s'y étaient réfugiés, tous tombèrent sous se battait corps à corps, face à face, fer
le tranchant des cimeterres ottomans, contre fer, poitrine contre poitrine, se
et les seuls dont la vie fut épargnée fu- frappant, se saisissant, s'étreignant, se
rent le gouverneur espagnol et Moidey- déchirant l'un l'autre les épées, les ci-
:

Mohammed-êl-Hafsy ,
qui avait succédé meterres, les poignards se brisaient; les
sur le trône de Tunis à son frère Ha- ongles et les dents remplaçaient hor-
midah, et qui fut le dernier rejeton de riblement ces armes dans cette épou-
la famille des Bény-Hafs ils furent l'un
: vantable lutte. Tous les Espagnols fu-
rent massacrés, et il ne resta plus un seul
Chrétien vivant sur la terre tunisienne.
(i) Alimed-Pachà , surnommé él-iskande-
Toutefois sinân-Pachâ, dans ce mas-
râny, parce qu'il était natif d'Alexandrie, fui
sacre général, avait cru devoir épargner
le dix neuvième des Beys qui régnèrent à
Alger; il était parvenu au pouvoir l'an 979 deux cents artilleurs experts dans l'art de
de l'hégire ( 1572 de noire ère). Il avait suc- la fonte des canons; il les envoya à l'ar-

cédé à Memminy, renégat corse, et fut rem- senal de Constantinople , où, attachés
placé, l'an 982 de l'hégire (i574 de notre deux à deux par une chaîne au pied
ère) par un renégat sarde, Ramaddàn, dont ils furent employés à la fabrication de

il va être bientôt question. l'artillerie pour la marine ottomane.


- ,

182 L'UNIVERS.
Cette dernière catastrophe complé- muant de ces peuples , qui lui avaien
tait la victoire de Sinân-Pachâ le 25 du fourni l'occasion d'enrichir l'empire otto-
mois de Djemady-êl-âouelâe l'an 981 man de cette belle province, ne tarderait
de l'hégire ( 1573 de l'ère chrétienne). pas à essayer de secouer le joug imposé
Cette conquête était achetée au prix de par la force militaire, si cette même
la vie de dix mille Chrétiens et de dix force ne continuait son action com-
mille Musulmans (1). pressive, il avait voulu ne remonter
Rien ne retenait plus Sinân-Pachâ sur ses vaisseaux qu'après avoir crée à
sur les côtes d'Afrique; comme trophée Tunis une forme gouvernementale qu'il
de son triomphe, il avait envoyé au Sul- crût capable d'y défendre les droits du
tan les deux seuls prisonniers dont il Sultan contre toute velléité de désobéis-
avait épargné la vie, le gouverneur de la sance et. toute tentative de rébellion.
Goulette, l'infortuné Porto-Carrero, et Il laissa donc à Tunis, en partant pour

Mouley-Mohammed-êl-Hafsy, dernier Constantinople, un Pacha, auquel, avec


roi de Tunis (2) il revint Jui-même à
: le titre de Bey, il délégua son autorité, et
Constantinople jouir des félicitations et qui fut chargé par lui de la haute admi-
des récompenses que lui décerna le Sul- nistration de ce royaume.
tan. Il lui adjoignit un Divan, presque entiè-

rement composé de gens de guerre ayant


CHAPITRE XII.
pris part à la conquête, et mit sous leurs
Sinân-Pachâ organise le nouveau gouverne- ordres un corps de cinq mille janissai-
ment de Tunis; — Pachâ-Bey, Divan, res, qui devaient assurer leur autorité
janissaires ;— ôddâ-bâchys ; — leurs excès et contenir les nouveaux sujets du
— massacre des membres du Divan par les
;

Sultan.
milices ; — élection d'un nouveau Divan et Le pouvoir était partagé entre le Di-
d'un Dey; — continuation des troubles ; — van et le Pachâ; celui-ci avait dans ses
mutineries de la soldatesque; —
expulsion attributions spéciales la police, les
et massacre de plusieurs Pachas; —créa- finances et l'administration civile, tan-
tion de Beys indépendants du Pachâ; — que réglait les affaires mi-
Divan
leur ambition; — leurs tentatives pour éta-
dis le

blir l'hérédité dans leurs familles ; — Mo-


litaires tout ce qui concernait les
et

hammed; — Tcheleby.
corps de troupes.
Ces milices, comprises sous. l'appel-
Avant de quitter Tunis, Sinân-Pachâ lation commune de Yoldach, étaient di-
voulut en organiser le gouvernement, visées en deux cents Ortas ou Oddâs
et assurer pour l'avenir à la Porte-Otto- c'est-à-dire en compagnies de vingt-
mane la possession de sa nouvelle con- cinqhommes (4) chacune d'elles était
;

quête par des institutions conservatrices commandée par un capitaine (Oddâ-


de l'autorité que ses armes venaient d'y Bâchy ).
établir (3). Jugeant bien que l'esprit re-
lequel on lit avec son nom la date de l'année

(i) Le nombre des pièces de canon que la 981 de l'hégire.

victoire de Sinan-Pachd mit en son pouvoir


fut de deux cent vingt-cinq; il en envoya
cent quatre-vingt-dix à Constantinople; les
trente-cinq autres fureni laissées pour la dé-
fense de la forteresse de Tunis contre les nou-
velles attaquesque l'Espagne aurait pu tenter.
(2) Les historiens orientaux ont gardé le
siïence sur le sort ultérieur de ces deux pri-
sonniers; mais il est vraisemblable qu'ils ter-
minèrent leur misérable vie à Constantinople
dans une longue captivité, aux cachots des
Sept-Tours.
(3) Je crois que le lecteur ne verra pas (4) On donnait aussi à ces compagnies le
sans intérêt l'empreinte suivante, qui offre le nom de Beyrâk (drapeau), parce que chacune
sceau de Sinan-Pachâ apposé par lui aux dif- d'elles était distinguée par son étendard
férents actes qu'il souscrivit à Tunis, et sur particulier.
TUNIS. 183

Ces Oddâ-Bâchys, choisis parmi les le château ou se tenait l'assemblée du


,

plus anciens des Yoldach , parvenaient Divan et en massacrèrent presque tous


,

ensuite au titre de Bach- Odda 1er et , les membres.


remplissaient alors les fonctions de Cependant, après cette exécution san-
conseillers du Divan; enfin, après six glante, les jani>saires, voulant montrer
mois d'exercice dans ce nouveau grade, qu'ils n'avaient été poussés à cette in-
ils pouvaient être promus à la dignité de surrection par aucun esprit de révolte
Boulouk- Bâchy (colonel). contre la Porte-Ottomane, déclarèrent
Après avoir rempli leurs fonctions hautement qu'ils n'avaient prétendu
comme membres du Divan, les plus an- que venger leurs injures particulières
ciens Boulouk- Bâchy s en sortaient et qu'ils restaient les fidèles sujets du
pour aller commander dans quelques Sultan, qui sans doute ignorait les
villes les garnisons; et alors ils rece- abus intolérables dont ils s'étaient vus
vaient ÏÏAghâs.
le titre forcés de faire justice eux-mêmes puis
:

Tous les six mois aussi on choisissait le ils choisirent parmi eux les membres
plus ancien des Boulouk-Bâchys pour lui d'un nouveau Divan à la tête duquel
,

conférer le titre de Tchâouch-Bâchy ils placèrent un Président, également pris


ou de Bach-Tchâouch la solde de ces ; parmi eux et amovible à leur volonté.
divers officiers était proportionnée au Ce nouveau fonctionnaire, auquel ils don-
rang auquel ils étaient parvenus dans la nèrent le titre de Dày ou de Dey, était
hiérarchie militaire. ainsi dans une dépendance absolue des
Dans la première création le Divan , corps militaires qui l'avaient élu, qui
n'était composé que d'un Kiahyâ (lieu- pouvaient le révoquer au moindre ca-
tenant général), de huit Tchâouch, de price il était spécialement chargé d'em-
:

deux Khodjâs (secrétaires), d'un inter- ployer l'autorité qui lui était confiée à
prète (terdjmân) et de vingt-cinq au- contre-balancer celles du Bey et du Di-
tres membres conseillers soit Oddâs- Bâ- van lui-même, envers lesquels il exerçait
chy s (capitaines) , soit Boulouk-Bâchys une opposition permanente.
(colonels). Cette réunion de fonction- Dans cette nouvelle organisation l'au-
naires décidait en dernier ressort de torité du Pachâ-Bey représentant le Sul-
toutes les affaires importantes qui lui tan avait été respectée; il était resté en
étaient soumises, de concert avec l'^M, dehors des excès des Boulouk-Bâchys
président de ce conseil. et du mécontentement des milices; mais
Cet Aghâ ne conservait que six mois cet état de choses ne dura que dix an-
ces hautes fonctions de présidence; nées, et bientôt la forme du gouverne-
mais, à chaque nouvelle élection, son ment de Tunis reçut une modification
successeur était toujours choisi parmi nouvelle.
les Boulouk-Bâchys qui faisaient partie Un Pachâ chargé de dettes ne se fit
du Divan. pas scrupule d'y subvenir par la sous-
Cette prérogative fit bientôt naître traction de cent mille sequins du trésor
parmi lesmembres de cette ciasse pri- public exaspérés par ses avanies et ses
:

vilégiée un tel orgueil qu'ils osèrent


,
violences, les habitants de Tunis furent
se permettre habituellement les plus poussés à bout par ce dernier acte de
grands excès d'injustice et de violence, brigandage ; se réunissant aux janissai-
non-seulement contre la population tuni- res, également mécontents, ils chassèrent
sienne, mais encore contre le corps de le Pachâ spoliateur, et toutes les tenta-
la milice (Tayféh). tives de la Porte-Ottomane ne purent
Celle-ci, qui avait partagé et servi les parvenir à sa réintégration enfin, après
:

excès de ses officiers supérieurs tant de longues négociations avec le Divan


qu'ils n'avaient pesé que sur la popula- de Constantinople, un nouveau Pachâ
tion inoffensive, n'eut pas la même to- fut reçu dans la ville aux conditions sui-
lérance quand cette tyrannie s'exerça vantes :
sur les corps armés. A peine deux années 1° Les charges de Pachâ et de Bey
s'étaient écoulées depuis le départ de Si- devaient dorénavant être séparées et
non- Pacha, les milices se rassemblè- distinctes, sans pouvoir être exercées
rent tumultueusement, fondirent sur par le même fonctionnaire.
184 L'UNIVERS.
T Le Pacha , envoyé de Constanti- tre de l'élection des Deys, auxquels il
nople, devait être renouvelé tous les ne qu'une ombre d'autorité, maî-
laissa
trois ans, sans pouvoir être prorogé dans trisa le Divan, et tenta de rendre le titre
ses fonctions. de Bey héréditaire dans sa famille. Sous
3° Les Pachas ne devaient plus avoir ce Dey et ses successeurs Tunis de-
aucune part à l'administration, et se vint florissante par les prises innombra-
contenter du rôle inactif de représen- bles que faisaient ses corsaires sur les
tant du Sultan, en conservant d'ailleurs côtes des États chrétiens, et par le
les honneurs et les émoluments attachés commerce actif qu'elle entretenait avec
à sa place. les nations voisines.
4° Un Bey, indépendant du Pachâ, Le Sultan avait fermé les yeux sur ces
était créé pour remplir les fonctions de demi-nbellions,et, s'inquiétant peu de
grand trésorier du royaume ou d'admi- ces révolutions intestines, il continuait de
nistrateur général des finances; c'était conférer comme auparavant le titre d'ad-
luiqui deux fois chaque année, en été ministrateur suprême du nouveau do-
et en hiver, devait, sous les ordres du maine que la Porte-Ottomane s'estimait
Dey, parcourir le territoire avec un heureuse de conserver par cette conces-
corps de troupes pour exiger l'impôt sion, à des Pachas envoyés de Constan-
nommé Kharadj. tinople chaque année, gouverneurs fic-
Mais les Beys ne restèrent pas long- tifs et éphémères, dont l'histoire a en-
temps dans cet état de dépendance et seveli dans l'oubli les noms et les actes
d'infériorité; peu à peu leur influence obscurs; nommés, destitués et rem-
s'accrut soit par le moyen des sommes
, placés par les intrigues du sérail ou du
considérables qui passaient entre leurs Divan ils auraient passé inaperçus sur
,

mains, soit par leurs relations habituel- la scène élevée du gouvernement de


les avec les corps de troupes qui les Tunis, s'ils n'y avaient laissé un souvenir
suivaient dans leurs expéditions fiscales, fatalement vivace deviolences, d'avanies
soit enfin parles liaisons que ces mêmes et de spoliations.
expéditions leur donnaient occasion de Souvent plusieurs d'entre eux avaient
nouer avec les plus puissants des chefs de voulu reconquérir par l'intrigue ou par
tribus arabes des frontières : bientôt tout la force la position active dont avaient
le pouvoir passa entre leurs mains, et ils joui leurs prédécesseurs dans le gou-
ne laissèrent que peu d'autorité au Divan vernement de Tunis ils avaient cha-
:

et au Dey, qui n'apparaissait plus dans que fois échoué dans leurs prétentions,
les affaires publiques que pour être la et se dédommageaient par une tyrannie
victime des démêlés qui s'élevaient entre spoliatrice exercée sourdement sur les
\eBey et le Divan. populations et les particuliers.
Le premier Dey que les milices avaient Leur inhabileté, égalant leur cupi-
établi avait pris le titre de Khahjfah dité et leur avarice, laissa peu à peu les
(vice-roi, ou lieutenant du souverain); milices turkes établies à Tunis par5ê-
il fut massacré par la soldatesque même nân-Pachâ prendre une influence de
qui l'avait élu, et Ibrahim / er du nom plus en plus croissante, et leur permit
lui avait succédé l'an 993 de l'hegire de saisir elles mêmes le gouvernement;
(1585 de l'ère chrétienne) ; mais, crai- tantôt leur faiblesse avait encouragé ces
gnant un sort pareil à celui de son pré- milices à de nouveaux empiétements sur
décesseur, il se retira à la Mekke , et le peu d'autorité qu'on leur avait laissée ;
préféra une vie tranquille à un pouvoir tantôt leurs violences irréfléchies avaient
flottant et périlleux. provoqué les mécontents aux excès les
Dey, Quârâ-
Ce fut sous le troisième plus subversifs; enfin, à peine vingt
Othmân, que la puissance des Beys com- années s'étaient écoulées depuis la con-
mença à s'accroître, et Mourâd-Bey I er quête de Sinân- Pachâ, que l'an 1003
du nom fut celui qui le porta au plus de l'hégire (1594 de l'ère chrétienne) les
haut degré, usant de l'influence que lui milices se mutinèrent de nouveau, et, s'é-
donnaient ses victoires sur les Algériens, tantdéclarées en révolte ouverte contre le
auxquels il avait enlevé le pays de Keff Pachâ gouverneur, elles chassèrent de
et le Beled-êl-Djeryd. Il se rendit maî- Tunis le fonctionnaire ottoman, et établi-
TUNIS. ÎS5

rentun nouveau gouvernement de forme CHAPITRE XIII.


à peu près républicaine.
Le même système fut également Établissement de la souveraineté héréditaire
adopté à la même époque par les États dans la Régence ; — Mohammed-Bey —Aly- ;

voisins de Tripoli- et d'Alger; et il s'est Bey; — Chaabân, Dey d'Alger, s'empare


conservé dans cette dernière Régence — Ahmed-ben-Chouk — Mo-
de Tunis; ;

jusqu'au moment où la conquête des hammed-Bey Tunis — Ramad-


rentre à
dân-Bey — Mourâd-Bey; —
;

Français vint y mettre fin, en rempla- révolte; sa


— Ibrahym-ês-Chéryf — Hassan-ben-
;

çant la domination musulmane par une


Aly — meurtre de Ibrahym-ês-Chéryf.
;

domination européenne. ;

On donna tantôt le titre de Bey de Tu-


nis , tantôt celui de Dey au nouveau dé- Ce fut en l'an 1060 de l'hégire ( 1650
positaire du pouvoir; mais il n'en était de notre ère ) qu'eurent lieu les premiers
réellement que le prête-nom , toute l'au- symptômes de cette nouvelle révolution
torité et la puissance résidant unique- qui rendit indépendants les Beys de
ment dans un Divan, composé, soit des Tunis, en annulant le pouvoir du Divan
principaux chefs de la milice, soit même militaire, qui jusque alors avait été le
de quelques simples soldats, dont les vrai souverain de la Régence. Depuis
seuls titres étaient l'intrigue ou l'audace. cette dernière révolution, qui établit à
C'était ce Divan qui réglait toutes les Tunis une forme de gouvernement ré-
affaires, disposait de tout, nommait les gulière et stable, il y a bien eu dans
Beys, ou les destituait à son gré, pour la Régence des catastrophes person-
remplacer le fonctionnaire disgracié par nelles pour les princes qui occupèrent
un de ses compétiteurs plus redouté, ou le trône ; mais aucun de ces événements
plus adroit et plus libéral : car ce trône ne changea le système héréditaire, et
éphémère et précaire du Beylyk de Tunis ceux même qui niaient ce droit à l'é-
s'achetait le plus souvent par des larges- gard des princes auxquels ils voulaient
ses et des prodigalités, quand il n'était arracher l'autorité, le réclamaient en
pas le prix de la révolte et de la violence. faveur de leur propre descendance, dès
Aucune partie de l'histoire de Tunis que leur usurpation avait été couronnée
n'est moins intéressante que cette pé- du succès.
riode du gouvernement des Beys élec- La fuite du Dey Mohammed-Tche-
tifs ; aucune autre partie des annales de leby, contraint, après quelques années
la Régence ne présente moins de faits de lutte, de céder le trône à l'agres-
mémorables, quoique nulle autre époque sion violente des deux frères Aly-Bey
n'ait offert plus de petites révolutions et Mohammed-Bey, permit à ceux-ci
intérieures, d'élections, de dépositions non-seulement de saisir le pouvoir,
et même de catastrophes sanglantes ; mais encore d'employer les forces qu'ils
car peu de ces Beys tirés du corps des avaient réunies, à se délivrer du système
milices sont morts de mort naturelle, et électif et à rendre héréditaire la souve-
presque toujours c'était le cadavre d'un raineté de Tunis. Parvenus à la suprême
Bey assassiné qui servait de première puissance par la force des armes et sans
marche au trône de celui qui, osant le les formalités de l'élection , ils préten-
remplacer, ne pouvait ignorer qu'il se dirent affranchir de cette dépendance
dévouait au même sort. leurs descendants, et leur transmettre
Au milieu de tels désordres et de tels par droit d'hérédité un trône dont ils ne
désastres cet état de choses dura à peu devaient la possession qu'à leurs ef-
près un demi-siècle, jusqu'à l'époque où forts personnels.
le Dey Mohammed-Tcheleby, le dernier Ils y réussirent; leur habileté com-
des Beys ou Deys élus, suivant l'usage, prima peu à peu la turbulence insolente
par les milices, fut renversé du trône des milices et les prétentions des chefs
par deux frères qui parvinrent à se sous-
, de la force militaire soit par la crainte
:

traire eux-mêmes au joug de la solda- qu'ils inspirèrent, soit par les faveurs et
tesque et à rendre leur pouvoir hérédi- les largesses qu'ils répandirent, ils par-
taire dans leur famille. vinrent à faire reconnaître généralement,
dans toute la Régence , leur pouvoij
186 L'UNIVERS.
comme héréditaire ettransmissible sans ben-Chouk, sur lequel il remporta plu-
élection dans leur famille. sieurs avantages.
L'aîné des deux frères, Aly-Bey, fut Alors, à son tour, il vint mettre le
le premier qui jouit de l'autorité souve- siège devant la capitale dont il avait été
raine fondée sur ce nouveau système. expulsé, et peu de temps après il réussit
La Mohammed-Tcheleby avait
lutte avec à en redevenir le maître.
été violente, mais assez promptement Chaabân, pressé alors plus vivement
terminée; celle avec le Divan militaire encore par les escadres de d'Estrées et
eut une plus longue durée; mais ce fut de Tourville, que ne l'avaient été parcelle
une lutte sans violence, toute d'intri- de Duquesne (2) ses prédécesseurs Él-
gues et de négociations partielles. Hassan (3) et Hosseyn-Mezzomorto ,
Le du règne d'Aly-Bey fut pai-
reste s'était trouvé dans l'impossibilité ab-
n'éprouva aucune secousse assez
sible, et solue d'envoyer le moindre secours à
violente pour mettre en danger le nou- Ahmed-ben-Chouk , qui fut réduit à
veau trône , et en mourant il laissa l'hé- prendre la fuite et à chercher une re-
ritage du pouvoir à son frère. traite à Alger.
Le règne de Mohammed-Bey aurait Ainsi réintégré sur le trône dont il
été aussi tranquille, et également exempt avait été dépossédé, Mohammed-Bey
de troubles dans son assez longue du- rétablit son autorité l'an il 07 de l'hé-
rée, si ses dernières années n'avaient vu gire (1695 de l'ère chrétienne) sur toutes
cette tranquillité interrompue par une les provinces de la Régence , et la con-
catastrophe à laquelle le souverain de serva jusqu'à sa mort sans être davan-
la Régence était loin de s'attendre. tage inquiété par les Algériens, trop
Le Dey qui venait de monter sur le occupés à se défendre eux-mêmes contre
trône d'Alger, Chaabân(i), à la tête les attaques de la France pour pouvoir
d'une puissante armée , marcha à l'im- songer à de nouvelles hostilités contre
proviste contre le souverain de Tunis, leurs voisins, et trop heureux de ne pas
l'an 1100 de l'hégire ( au mois de sep- s'en voir attaqués à leur tour, à titre
tembre de Tan 1689 de notre ère). Il de justes représailles.
assiégea la capitale de la Régence, qu'il Mohammed Bey eut pour successeur
contraignit Mohammed-Bey d'abandon- son second frère, Ramaddân-Bey. Le
ner devenu ainsi maître de la résidence
: règne de ce prince fut pendant quelque
royale, le vainqueur plaça Ahmed-ben- temps paisible et tranquille ; mais la trop
Chouk sur le trône de la Régence; puis grande douceur de son caractère et la
il se hâta de retourner avec son armée, mansuétude qu'il montra dans son gou-
où le rappelait la nécessité de sa propre vernement n'étaient convenables ni aux
défense contre une flotte française. mœurs de ses sujets ni aux circonstances
Cependant Mohammed-Bey s'était ré- critiques dans lesquelles il se trouva; et
fugié chez les Arabes de la frontière ; ce défaut d'une fermeté nécessaire dans
et il réussit à faire embrasser son parti ces pays fut à la fin la cause de sa perte.
par ces peuplades; profitant alors de Son neveu Mourâd-Bey, fils iïAly-
l'absence forcée de Chaabân et de l'em-
barras où jetait ce Dey la guerre sur- (2) Duquesne avait bombardé deux fois

venue entre la France et Alger, il reprit Alger, la première fois en 1682 ,


pendant le

l'offensive, et s'avança à la tête des règne de Êl-Hassau; lorsqu'il fit subir un


forces qu'il put réunir contre Ahmed- second bombardement à cette ville, en 1684,
les Algériens, exaspérés par leurs pertes, se
révoltèrent, et le Dey alors régnant, Hossejn-
(i) Chaabân, trente-neuvième Dey d'Alger, Mezzomorto, ne put échapper à leur fureur
y régna pendant environ douze années, de que par une fuite précipitée.
v
(3) Él-Hassan, trente-sixième Dey
l'an 1099 de l'hégire ( 1688 de l'ère chré- d'Al-
tienne) à l'an 11 12 de l'hégire ( 1700 de notre ger, avait succédé à Hadjy-Aly ; il régna de
ère). Il avait succédé à Ybrdhym, et eut pour l'an 108 1 de l'hégire '( 1670 de notre ère) à
successeur êl-Hassdn. Pendant la durée de l'an 1094 de l'hégire (i683 de l'ère chré-
son règne il avait été obligé de partager le tienne) : il eut pour successeur Hosseyn
pouvoir avec Rama'dddn, qui avait pris le titre Mezzomorto, qui ne régna qu'environ une
de Pacha, année.
TUNIS. 187

fëey, impatient de monter sur un trône étaient favorables , et devaient lui créer
qui devait lui appartenir un jour par un grand nombre de partisans secrets ;
droit d'hérédité, son oncle n'àvant pas d'ailleurs, les Algériens eux-mêmes ne
de postérité, profita de la faiblesse de pouvaient ils pas, en rendant la liberté à
Ramaddân-Bey pour se former un parti, leur prisonnier, tenter de jeter ainsi
se déclara en révolte ouverte contre son. dans les provinces tunisiennes un bran-
oncle, l'attaqua, le fit prisonnier, et le don de discorde capable d'allumer un
mit à mort pour s'assurer contre tout funeste incendie et de favoriser les pro-
revirement possible des affaires. jets haineux d'Alger, cette éternelle en-
Le règne du prince parricide ne fut nemie de Tunis.
qu'un tissu de cruautés intolérables et Cette crainte inspira à Hassan-ben-
de crimes inouis ce règne dura trop
: Aly l'idée de recourir à la ruse pour se
longtemps pourlebonheurde la Régence; débarrasser du rival qu'il redoutait il :

mais enfin le prince, exécré universelle- chercha à attirer Ibrahymês Chéryf


ment, fut à son tour assassiné par Bra- dans les États de la Régence, par l'appât
hym ou Ibr a hym-és- Chéryf (î); et par d'un faux espoir; il y réussit assez faci-
ce meurtre la dynastie de Mohammed- lement, en publiant qu'il ne gardait le
Bey se trouva éteinte après le court trône de Tunis qu'à titre de dépôt, et
espace de quatre règnes seulement. que
qu'il n'attendait le retour d'ibra-
Ibrahym-ês-Chéryf se fit proclamer hym-ês-Chéryf pour se démettre entre
Bey par le Divan ainsi que par les mi- ses mains.de l'autorité souveraine, qu'il
lices, et monta sans aucune opposition prétendait n'exercer qu'en qualité de
sur le trône du prince dont il venait de régent provisoire.
délivrer la Régence. Abusé par une démonstration aussi
Cependant les Algériens avaient repris capable de flatter son ambition, Ibra-
contre Tunis leurs hostilités longtemps hym-ês-Chéryf ne tarda pas à s'échap-
suspendues, et Ibrahym - es - Chéryf per des mains des Algériens, qui peut-
ayant été fait prisonnier dans un combat être fermèrent les yeux sur cette évasion,
qu'il livra à ses agresseurs, l'armée élut par le motif indiqué ci-dessus; et il se
pour Bey, à sa place, Hassan-ben- rendit à Ben-Zert ( Bizerte), où il fut
Aly (2), fils d'un Corse renégat, nommé aussitôt saisi et mis à mort par les ordres
Aly-êt-Turky, qui avait été esclave à Tu- de Hassan-ben-Aly : cette exécution, qui
nis et qui était devenu kiahyâ du Bey ês- désormais rassura ce dernier Bey contre
Chêryf. toute crainte ultérieure de rivalité, eut
En ce prince commença une nouvelle lieu au mois de janvier de l'an 1118 de
dynastie son règne fut presque toujours
: l'hégire ( 1706 de notre ère ).
exempt de troubles; et il dut cette tran-
quillité, si rare dans ces contrées, non-
CHAPITRE XIV.
seulement à l'habileté de son administra- Suite du règne de Hassan-ben-Aly — traité

;

tion mais encore au suffrage universel


,
avec la France ; Aly-Pachâ ; Sa —
de ses sujets, dont il sut mériter la bien- révolte? — meurtre de Hassan-ben-Aly;
veillance et l'attachement. — Mohammed -ben-Aly; —
Babâ-Aly-
Cependant le nouveau Bey sentit que Agha Dey d'Alger ; —
restauration de la
sa sécurité ne pourrait être irrévoca- dynastie de Hassan-ben-Aly ; —
inaugura-
blement assurée tant que son prédéces- tion de Mohammed-Bey.
seur Ibrahym-ês-Chéryf serait vivant et
Tandis qu'il jouissait ainsi d'une tran-
pourrait lui faire courir les chances
quillité intérieure, Hassan-ben-Aly
d'une rivalité dangereuse. Les souve-
avait assuré sa sécurité à l'extérieur par
nirs qu' Ibrahym-ês-Chéryf avait laissés
de son passage sur le trône tunisien lui des stipulations pacifiques contractées
avec celles des puissances européennes
dont l'inimitié pouvait lui paraître re-
(i) Le nom à' Ibrahym ( Abraham) est vul-
Barbaresques en ce- doutable ; un traité conclu avec la France,
gairement altéré par les
l'an 11 33 de l'hégire ( 1720 de l'ère chré-
lui de Brahym.
nomment ce prince tienne), avait fait cesser toute hostilité
(2) Plusieurs historiens
fîousseyn-ben-Aly, entre les deux États et réglé les relations.
188 L'UNIVERS.
réciproques de leur commerce respectif. amolli la résistance religieuse de la
Dès lors Hassan ben-Aly commença captive génoise, soit que le Divan eût
à jouir d'un règne calme et paisible : rien cru devoir se montrer moins intolérant
ne manquait son bonheur, qu'un en-
a que dans sa première délibération, cet
fant qui put après lui hériter de ce trône enfant, déclaré l'héritier du trône de
dont il venait par le meurtre de son rival Tunis, reçut en naissant le nom musul-
de s'assurer la possession; mais il n'a- man de Mohammed Bey ; et l'investi-
vait pu encore obtenir du ciel cette ture officielle du nouveau-né comme
faveur si désirée, malgré le grand nom- futur souverain de la Régence fut,
bre de femmes qui peuplaient son ha- moyennant quelques présents, obtenue
rem, ou peut-être à cause de cette mul- sans trop de difficultés de la Porte-Otto -
tiplicitémême. Renonçant enfin à toute mane. Ce fils fut en peu d'années suivi de
espérance de postérité", il se détermina deux autres, qui furent nommés Mah-
à désigner pour son successeur son ne- moud- Bey et Aly-Bey.
veu Aly-Bey, auquel il avait depuis L'heureux père de trois héritiers si
quelque temps confié le commandement longtemps inespérés annonça à son
général de toutes les forces militaires de neveu Aly que, le ciel ayant accordé à
la Régence. ses vœux un changement aussi favorable
L'ordre de succession au trône de
la dans sa destinée, le successeur qu'il
Tunis avait été ainsi réglé, lorsqu'un s'était précédemment désigné ne pou-
événement fortuit vint amener inopiné- vait plus conserver aucun droit d'héré-
ment un changement dans ces disposi- dité à l'autorité souveraine; mais, pour
tions; une jeune esclave génoise, captu- adoucir autant que possible le désap-
rée par un des corsaires deHassan-Bey, pointement que devait causer à l'héri-
fut amenée devant ce prince : la jeune tier déshérité une déclaration aussi fâ-
captive était d'une rare beauté; elle lui cheuse , Hassan-ben-Aly y joignit l'as-
plut, et il la fit placer dans son harem, surance que son amitié pour son neveu
où peu de temps après elle devint en- n'éprouverait aucune diminution par
ceinte. cette détermination nouvelle : il voulut
S'étant assuré de la certitude de cette même confirmer cette assurance d'affec-
grossesse, Hassan-ben-Aly convoqua le tion par une preuve authentique, et il fit
Divan pour lui annoncer solennellement conserver à son neveu Aly, par le Divan
cette heureuse nouvelle : il demanda de Constantinople, le titre de Pacha de
ensuite à l'assemblée si elle consentirait Tunis , titre qui rendait ce.jeune prince
à reconnaître pour héritier du trône le second personnage de la Régence.
tunisien l'enfant qui allait naître de l'o- Le neveu feignit de se soumettre vo-
dalisque génoise, dans le cas où cet en- lontairement aux décisions de son oncle,
fant serait du sexe masculin : il avoua et d'accepter avec satisfaction et recon-
en même temps que jusqu'à ce moment naissance ledédommagement honorable
ses sollicitations et ses vives instances qu'il recevait de la haute position qui
n'avaient pu convertir la jeune mère à lui était enlevée par ce changement ; en
la foi musulmane. conséquence, sans faire éclater aucun
Laquestion ainsi soumise à la délibé- murmure, il s'empressa de prendre le
ration du Divan y éprouva quelque dif- nom d'Aly-Pachâ, au lieu de celui
1
ficulté : l'assemblée, en effet, déclara d Aly-Bey, qui lui avait été concédé par
d'abord que le fils d'une esclave chré- anticipation; mais, sous ce voiie d'obéis-
tienne ne pouvait aucunement prétendre sance, il ne cherchait qu'à cacher les
au droit de régner sur les populations noirs desseins qui fermentaient dans
musulmanes de Tunis. son cœur: son ambition, frustrée des
Cependant tout finit par s'arrangera espérances dont elle s'était si longtemps
la satisfaction de Hassan-ben-Aly; il nourrie, ne pouvait s'habituer à voir
parvint à gagner successivement par ses passer en d'autres mains un pouvoir
largesses ou pard'autres moyens les suf- qu'il avait regardé jusque alors comme
frages de la majorité du Divan ; la jeune devant un jour lui appartenir l'humilia-
;

odalisque mit au monde un enfant tion qu'il croyait avoir subie lui devenait
maie, et, soit que l'amour maternel £Ût de jour en jour plus intolérable.
TUNIS. 180

Enfin, ne pouvant plus supporter les de Tunis détrônés où il comptait se


, et
pensées qui torturaient son orgueil, si retirer bientôt après lui-même; mais il
cruellement blessé, Aly-Pachâ aban- fut découvert, dans son trajet, par You-
donna la cour de son oncle, et se réfugia nas-Bey, fils a" Aly-Pachâ, qui décapita
dans les montagnes des Ossélites, où il de sa propre main l'oncle de son père.
avait secrètement travaillé à se former Ainsi débarrassé de son plus dange-
un parti puissant. Mais il ne tarda pas reux ennemi Aly-Pachâ se flattait à
,

à sortir de cette retraite il revint, à la


: son tour de se maintenir paisiblement
tête de nombreux corps de troupes qu'il sur trône qu'il venait d'usurper crai-
le ;

était parvenu à rassembler, attaquer son gnant que le détrôneront de son oncle
oncle et son bienfaiteur. n'eût fait regarder par le cabinet de Ver-
En apprenant la trahison et l'ingrati- sailles comme annulé le traité qui avait
tude de son neveu, Hassan ben-AlywM été conclu en 1720 entre France et la
rassemblé son armée; il livra bataille au Hassan-ben-Aly il s'était hâté de re-
,

rebelle, le battit, le mit en fuite, et le for- nouveler cet acte conservateur d'une
ça à se réfugier sur le territoire algérien. bonne intelligence, en l'an 1155 de l'hé-
Pendant son séjour dans cette retraite gire (1742 de l'ère chrétienne) tout :

forcée, Aly-Pachâ s'appliqua activement semblait donc à l'intérieur et à l'exté-


à gagner les bonnes grâces du Divan rieur devoir mettre l'usurpateur à i'a-
d'Alger, en lui faisant toutes les pro- bri de toute crainte. Son espoir fut déçu,
messes qu'il crut susceptibles de flatter et sa tranquilliténe tarda pas à être trou-
les intérêts de la Régence algérienne. Il blée par des dissensions domestiques.
réussit à captiver tellement la bienveil- Il avait trois dont l'aîné était cet
fils ,

lance de ce corps, qu'il en obtint les se- Younas-Bey le meurtrier de Hassan-


cours nécessaires pour pouvoir repren- ben-Aly : le second de ses fils, nommé
dre une position offensive. Aussitôt il Mohammed-ben-Aly , jouissait plus par-
se hâta de marcher de nouveau contre ticulièrement que ses frères de l'affec-
son oncle. tion de son père cette prédilection fit
:

Hassan-ben-Aly fut moins heureux naître dans l'esprit du jeune prince le


dans cette campagne que dans la précé- dessein de s'emparer de 1 autorité sou-
dente ; l'an 1148 de l'hégire (1735 de veraine , au détriment de Younas-Bey,
l'ère chrétienne) fut pour lui une année son aîné. En conséquence, il travailla à
de désastres forcé d'abord d'abandon-
: détruire l'affection qu' Aly-Pachâ por-
ner sa capitale bientôt après il perdit
, tait à celui-ci, etilyréussit àuntel point,
une grande bataille, et se vit obligé d'al- qu'il obtint l'ordre de l'arrestation de
ler chercher un refuge dans les monta- Younas-Bey, sous prétexte d'un com-
gnes de Qayrouân. plot ourdi contre son père par cet héri-
La famine ne tarda pas à succéder tier du trône.
pour le Bey fugitif aux malheurs de la Younas-Bey , qui se doutait des mau-
guerre : contraint par le manque des vaises intentions de son frère Moham-
subsistances d'abandonner la retraite med-ben- Aly , se tenait sur ses gardes,
qui l'avait protégé, il alla s'établir à et se réfugia dans la Qasbéh (I); mais
Soussah , port situé dans la partie orien- les troupes à' Aly-Pachâ
étant venues
tale de la Régence. l'y inve>tir, il ne parvint qu'avec peine
Là il trouva le capitaine d'un vais- à leur échapper, et courut à son tour
seau marchand français, nommé Baril- chercher un asile à Alger.
Ion, que par les promesses d'une bril- La ruine et la fuite de Younas-Bey
lante fortune si ses affaires venaient à ne satisfaisaient pas entièrement Mo-
se rétablir, il vint à bout de déterminer hammed-ben-Aly; et il voyait encore
à subvenir à tous ses besoins et à ceux de avec inquiétude son plus jeune frère
la suite qui l'avait accompagné. Mais le placé si près du trône à la possession
sort ne permit pas au malheureux Has- duquel il aspirait à tout prix il s'en dé- :

san-ben-Aly de réaliser ses promesses : barrassa par le poison. Alors le Divan


voyant chaque jour sa fortune plus dé-
sespérée , il prit le parti d'envoyer sa fa- (i) Citadelle de Tunis; Voyez ci-dessus,
mille à Alger, asile ordinaire des Beys page io.
190 L'UNIVERS.
proclama Mohammed- Ben- A ly héritier cette famille sur le trône, dont l'injustice
présomptif du trône de la Régence. et l'ingratitude secondées parla victoire
Dès ce moment le prince fratricide l'avaient précipitée.
crut pouvoir espérer la jouissance non Le succès couronna l'entreprise
de
contestée du fruit de ses crimes; mais Babâ-Aly; de Hassan-ben-Aly
les fils

l'état des choses changea bientôt pour lui se rendirent maîtres de Tunis; Aly-
de face. Pachâ fut étranglé sur-le-
saisi et
Alger venait d'éprouver une de ces ré- champ : des
princes vainqueurs
l'aîné
volutions si fréquentes dans les pays fut proclamé Bey avec toutes les for-
soumis au gouvernement militaire et malités usitées, et reçut l'hommage so-
anarchique, où le suprême pouvoir est lennel de ses nouveaux sujets, sous le
souvent le prix décerné par la multitude nom de Mohammed-Bey.
au plus audacieux et au plus criminel :

un nouveau Dey venait d'être élu par CHAPITRE XV.


la soldatesque, l'an 1168 de l'hégire
(1754 de l'ère vulgaire); le choix des Mohammed-Bey; — Aly-Bey; — rupture
milices algériennes étaittombé sur Babâ- avec la Frauce ; — d'une escadre
arrivée
Jly-Aghâ (1). Ce Dey succédait à Aly- française; — bombardement
de Porto-
Ouzoun, renégat albanais , qui n'avait Farina et de Bizerte de Soussah de Mo-
, ,

régné que quelques heures, et qui, après nastyr; —


envoi d'un qapydjy-bâchy de
avoir assassiné son prédécesseur Mo- Constantinople; —
négociations; traité —
hammed- Khodjah et , s'être proclamé de paix; —
ambassade en France.
lui-même Dey d'Alger, avait été immé-
diatement après massacré à son tour par
La restauration de la dynastie de
Hassan-ben-Aly heureu-
s'était ainsi
les gardes du palais (2).
sement terminée, le 6 du mois de Dou-l-
Le nouveau souverain d'Alger avait été
antérieurement envoyé^en ambassade à
Hadgéh de l'an 1169 de l'hégire
( 31 août 1756 de notre ère ), et le meur-
Tunis pendant son séjour dans cette
:
tre de ce malheureux prince avait trouvé
ville l'orgueilleux Younas-Bey lui avait
dans ses fils de justes vengeurs.
fait subir un affront qu'il n'avait pas
oublié ; il saisit donc avec empresse-
Le nouveau souverain de Tunis était
ment l'occasion de s'en venger sur ce un jeune prince d'un caractère doux et
facile, et sa restauration sur le trône
prince fugitif , réduit maintenant à im-
tunisien semblait promettre a laRégence
plorer sa protection. Loin d'accueillir
de cicatriser les plaies profondes que
ses instances et ses supplications, il ré-
depuis un grand nombre d'années elle
solut d'étendre sa vengeance sur la fa-
avait reçues de tant de guerres et de
mille entière de Younas-Bey , et d'épou-
révolutions successives : malheureuse-
ser les intérêts des fils de l'infortuné
Hassan-ben-Aly.
ment ce prince mourut le 14 du mois
de Djemâdy êl-Tâny de l'an 1172 de
L'an 1169 de l'hégire (1755 de l'ère
l'hégire ( 11 février de l'an 1759 de notre
chrétienne) une armée algérienne fut
ère), après deux ans et demi seulement
donc envoyée, sous le commandement
de règne ne laissant pour lui succéder
,
du Bey de Constantine (3), pour rétablir
que deux fils en bas âge , Mahmoud-
(i) Le mot turk Baba signifie père : ce titre Bey (4) et lsmayl-Bey.
se donnait communément à tous les Deys , et Le frère de Mohammed-Bey , nommé
même à tout homme avancé en âge, qu'il eût Aly-Bey, second fils de Hassan-ben-
ou non des enfants.
(i) Le Dey Babâ-Aly-Jghâ se maintint tantîna, qu'elle a porté dans le moyen âge.
pendant onze années sur le trône d'Alger ; il C'est l'ancienne Cirta, résidence des rois de
fut remplacé, l'an 1179 de l'hégire ( 1766 de Nnmidie; elle avait aussi été appelée Sitliano-
notre ère), par le Dey Mohammed, que les his- rum Colonia, du nom d'un partisan nommé
toriens remarquent être mort dans son Ut et Sittius ,dont César tira de grands services
de vieillesse, cas excessivement rare dans dans la guerre d'Afrique.
l'histoire des souverains d'Alger. (4) Mahmoud- Bey parvint plus tard au trône
(3) Cette ville est nommée par les Maures de Tunis, l'an i23o de l'hégire (1 8 14 de l'ère
Qossentynâh, nom altéré de celui de Cons- chrétienne ).
TUNIS. 191

Jly, monta donc alors sur le trône le jour oublié les châtiments infligés, moins
même de la mort de son frère, sous d'un siècle auparavant, par Louis XIV à
promesse de le restituer à l'aîné de ses l'audace des puissances barbaresques.
neveux dès qu'il aurait atteint l'âge né- La première cause de cette rupture
cessaire pour prendre les rênes du gou- entre la France et Tunis tirait son ori-
vernement ; mais l'attrait irrésistible du gine de l'incorporation de l'île de Corse
pouvoirsouverainetledésirdeperpétuer aux provinces du royaume de France,
ce pouvoir dans sa propre descendance consentie par la république de Gênes,
persuadèrent bientôt à Aly-Bey de violer et sanctionnée par un édit de Louis XV,
ses promesses solennelles ainsi, loin de
: rendu le 15 août 1768.
songer à les accomplir, il mit tout en La Corse avait constamment depuis
usage pour tenir ses neveux à l'ombre, le moyen âge appartenu aux Génois;
et pour mettre en évidence son propre mais ils avaient eu presque toujours à
fils Hamoudâh : il lui donna en consé- lutter contre l'esprit d'indépendance
quence le commandement général des des habitants de cette île, et la dernière
troupes de la Régence, et sollicita pour insurrection, en 1734 et 1735 avait été
lui auprès de la Porte-Ottomane le titre tellement sanglante et terrible, qu'elle
de Pachâ : pour obtenir cette faveur avait forcé la république à réclamer les
du gouvernement de Constantinople, il secours de la France les troupes fran-
:

employa habilement l'entremise et l'in- çaises firent rentrer l'île sous l'obéissance
fluence des ambassadeurs européens, de Gênes; mais leur départ permit bien-
qu'il avait su mettre dans ses intérêts. tôt à la révolte, qui reconnut pour chef
C'est ainsi qu' Aly-Bey parvint à as- Paschal Paoli , de relever une tête plus
surer d'avance à son fils Hamoudah- menaçante : appelées de nouveau par
Pachâ le respect et les suffrages de ses la république, les troupes françaises,
futurs sujets, et ce jeune prince réussit commandées par M. de Maillebôis oc-
tellement à se rendre maître de l'esprit cupèrent, en 1763, les villes et les places
de ses cousins mêmes , qu'à la mort de du littoral; mais les Corses, réfugiés
son père, arrivée, ainsi que nous le ver- dans leurs montagnes se refusaient à
,

rons ci-après, le 13 du mois de Djemady- toute espèce de soumission et parais-


,

êl-Tâny de l'an 1196 de l'hégire (26 saient même disposés à appeler les An-
mai 1782 de notre ère), après un règne glais à leur secours ce fut alors que le
:

de ving-trois ans, ces légitimes héri- ministre Choiseul, craignant de voir cette
tiers du trône furent les premiers à lui île tomber comme celle de Mayorque et
rendre hommage comme Bey souve- comme Gibraltar au pouvoir de l'Angle-
rain de Tunis, et se résignèrent d'eux- terre, traita avec les Génois pour la ces-
mêmes à une condition privée, renonçant sion à la France d'un domaine dont la
volontairement à toute prétention ulté- possession leur était à charge, et qui leur
rieure au trône de la Régence où les
, causait sans cesse des embarras et des
appelaient leurs droits méconnus d'hé- dépenses sansaucune utilité réelle. Paoli,
rédité et les promesses formelles de leur, chef de l'insurrection corse, lutta encore
oncle. pendant un an contre les Français,
Sous aucun règne précédent l'État ainsi qu'il l'avait fait contre les Génois;
tunisien n'avait encore joui d'une tran- mais la vigueur avec laquelle il fut pour-
quillité intérieure aussi parfaite que suivi lecontraigiiit enfin à abandonner la
pendant les onze premières années du Corse, et sa fuite assura la soumission
règne <XJly-Bey, lorsqu'en l'année 1770 entière de cette île.
de notre ère ( 1184 de l'hégire ) ce prince Avant l'occupation des Français Gênes
vit son trôneexposé aux plus grands dan- et l'île de Corse étaient avec le Bey
gers par l'imprudence qu'il eut d'exciter de Tunis dans un état hostile; aussi,
contre lui la colère de la France, avec la- pendant la guerre qu'y soutinrent les
quelle jusque-là il avait vécu sur le pied Français, le cabinet de Versailles avait
de la meilleure intelligence. cru devoir demander au Bey , avec le-
Plusieurs causes concoururent à ap- quel la France était en paix , des pa-
peler les armes de Louis XV contre Tu- tentes pour servir de sauvegarde con-
nis, qui semblait avoir entièrement tre les corsaires tunisiens, aux bâti-
l£2 L'UNIVERS.
nients employés au transport des vivres étaiten guerre avec la France la pêcherie
et munitions que l'armée française était de Tabarkah avait été détruite par Aly-
obligée de tirer du continent": ces pa- Pachâ, et tous les Chrétiens qui l'habi-
tentes avaient été délivrées sans diffi- taient avaient été réduits en esclavage.
culté; mais elles furent jugées superflues Dès lors Tabarkah n'eut plus de pê-
lorsque la Corse fut déclarée partie inté- cherie de corail , dont le privilège ne
grante de la France, les navires corses, fut conservé que par les habitants de la
devenus ainsi navires français, devant Calle Lorsque la paix eut été rétablie
(2).
dès lors participer à toutes les franchises entre Régence et la France, celle-ci
la

de la marine française. demanda au Bey la concession du droit


Cependant, à cette époque, des vais- de pêcher le corail dans les eaux de Tu-
seaux de guerre tunisiens, armés en nis; les bateaux corailleurs devaient en
course, rencontrèrent des bâtiments partant de la Calle stationner soit à Ta-
corses non pourvus de patentes tuni- barkah , soit à Bizerte; et cette concession
siennes; les navires corses furent aus- pour deux années, fixées par un traité,
sitôt capturés, et les gens de l'équipage moyennant un droit fixe à payer au gou-
mis aux fers. Un envoyé du ministère vernement tunisien, pouvait être renou-
français vint bientôt à Tunis protester velée ou cesser d'avoir lieu à l'expira-
contre cette prise, et réclamer la resti- tion du terme , suivant que le gouver-
tution des bâtiments, ainsi que la liberté nement français en manifesterait l'in-
des équipages jetés dans les bagnes , tention. La pèche s'établit; mais à l'ex-
alléguant que les Corses étaient devenus piration des deux années Aly-Bey, con-
sujets du roi de France, c'est-à-dire trairement aux stipulations formelles du
d'une puissance amie, et avaient cessé traité, annula la concession, et déclara
d'être sujets de la république de Gênes, la pêche du corail désormais interdite
avec laquelle Tunis avait continué d'être aux bateaux de la Calle : ce fut en vain
en guerre. que les Français réclamèrent le droit au-
Non-seulement My-Bey repoussa ces thentique qu'ils avaient seuls, de pro-
réclamations , mais il refusa même de rogation ou de renonciation au privilège
conférer davantage avec l'envoyé fran- de la pêcherie et les bateaux qui, forts
,

çais, qui, forcé de quitter Tunis , alla à de leur droit, osèrent se présenter à Ta-
Versailles faire partager au ministère barkah ou à Bizerte furent immédiate-
son indignation et son ressentiment : ment capturés.
la guerre contre le Bey de Tunis fut Enfin, un troisième motif accéléra le
décidée d'autant plus volontiers que deux commencement des hostilités.
motifs venaient encore se joindre au Un vaisseau de guerre tunisien, armé
premier pour engager la France à une en course, commandé par un Ray s (3)
rupture. nommé Souleymân-êl-Djerby, rencon-
Voici le premier de ces deux motifs : tra en mer un navirede commercd fran-
La pêche du corail abon-
est plus çais en fit venir le capitaine à soi/bord,
, il

dante sur les côtes septentrionales de en exigea des vivres au delà de ses be-
l'Afrique, que sur les autres points de la soins, et s'empara même de force d'une
Méditerranée les Génois avaient fondé
: partie des provisions. Le capitaine fran-
pour cette pêche un établissement dans çais, qui avait voulu réclamer contre cot
l'île de Tabarkah (1), située a trente- abus de la force, avait été maltraité par
huit lieues ( 152 kilomètres) à l'ouest de le Rays et cruellement battu ses do-:

Tunis. Cette pêche leur produisait des léances , portées par lui devant l'Ami-
profits considérables, et ils en jouissaient
en toute sécurité moyennant une faible
(2) La Calle est une petite ville située en-
redevance qu'ils payaient au souverain Tabarkah et Bone elle était occupée par
tre .

de Tunis ; mais cet établissement avait une population presque toute française, dont
passé entre les mains de la compagnie les habitants payaient un droit fixe et annuel
fondée en France sous le titre de Compa- aux souverains de Tunis et à ceux d'Alger.
gnie d'Afrique : à l'époque où Tunis (3) On donne ce titre aux capitaines
des
bâtiments soit de la marine militaire, soit de la
\ (0 Voyez ci-dessus, p. 22. marine marchande.
TUNIS. 193

raiitéde France, décidèrent ie départ de mouvement pendant deux jours; puis


l'expédition,dont les préparatifs avaient le chef de l'escadre fit passer au Bey
été tenus secrets jusque alors, pour ne une dépêche portant les réclamations
pas laisser le temps au gouvernement suivantes :

tunisien d'apprêter sa défense. 1° La participation de la Corse aux


Le jeudi 28 du mois de Moharem de avantages des traités conclus antérieure-
Tan 1184 de l'hégire (23 mai 1770) trois ment entre la France et Tunis;
gros vaisseaux français vinrent jeter 2° La restitution par le gouverne-
l'ancre devant la Goulette y et envoyèrent ment tunisien de tous les bâtiments et
chercher le consul de France à Tunis ; de tous les esclaves pris par le Bey ou
en même temps tous les bâtiments du ses sujets sur la Corse depuis sa réunion
commerce françaisquisetrouvaientdans à la France;
le port de Tunis quittèrent ce mouillage 3° La restitution des esclaves corses
pour aller se rallier aux trois vaisseaux capturés avant que la Corse fût devenue
de guerre ; et dès lors les Tunisiens ne française;
b

purent plus douter des intentions hos- 4° La continuation du privilège pour


tiles de l'escadre française. les pêcheries de corail ;
Cette rupture inattendue avec la 5° La réinstallation d'un établissement
France inquiéta d'autant plus Aly-Bey, français tel qu'il existait précédemment
qu'il venait d'apprendre la victoire que à Tamekart (3) , petite ville située sur le
les Russes avaient remportée (1) sur le cap Negro, entre l'île de Tabarhah et
sultan Moustafâ{2). Bizerte ;
Les trois vaisseaux de guerre fran- 6° La punition du Ray s tunisien Sou-
çais n'étaient que l'avant-garde de forces leymàn-él-Djerby, pour son attentat
plus imposantes, qui devaient les re- envers un sujet français ;

joindre; ils se contentèrent donc de 7° Enfin le remboursement de tous les


tenir en état de blocus pendant vingt- frais qu'avait occasionnés à la France
cinq jours le fort de laGoulette et l'en- son armement contre Tunis.
trée du canal. Ledimanche 27 du mois de La dépêche ajoutait que si le gouver-
Safar 1184 de l'hégire (21 juin 1770) nement tunisien n'obtempérait pas à ces
le reste de l'escadre arriva devant Tunis: demandes, les hostilités commence-
cette division navale, commandée par le raient; et le chef d'escadre accordait
comte de Broves, se composait de seize trente heures pour que le Bey pût ré-
bâtiments, savoir deux vaisseaux
: fléchir et lui rendre une réponse; ce
de guerre, l'un de 74, l'autre de 50 ca- délai expiré, devait commencer immé-
nons , deux frégates chacune de 26 diatement le bombardement.
canons, une grosse barque armée de La réponse tf Aly-Bey fut remise au
18 canons, deux chebeks chacun de terme prescrit mais elle était vague,
;

20 canons, deux galiotes à bombes, une évasive et ne décidant aucun des points
flûte , et, de plus, d'autres navires armés de la demande. Le chef d'escadre se dé-
fournis par la marine de Malte. cida alors à laisser seulement devant
Les vaisseaux français ne firent aucun la Goulette les trois vaisseaux qui en
avaient commencé le blocus, et avec le
reste del'escadre il alla bombarder Porto-
(i) Bataille gagnée sur les bords du Prnuih
Farina et Bizerte. Le bombardement
par le maréchal Romanzof.
de Porto-Farina dura deux jours entiers ;
(2) Le sultan Moustafâ-ben-Ahmed fut le
celui de Bizerte commença le mercredi
vingt-sixième sultan de la dynastie ottomane ;
il est désigné par nos historiens sous le nom
10 Raby-êl-Tâny 185 deVhégire ( août
1

de Moustafd III e du nom. Ce prince, fils 1770), et dura un jour et une nuit; plus
de Ahmed-ben-Mohammed ( Ahmed III), suc- de 300 bombes furent lancées sur la ville,
céda à son cousin Othmân-ben-Moustafd et des brûlots allèrent porter l'incen-
(Othmân III), l'an 1171 de l'hégire ( 1757 de die dans son port. Les habitants, épou-
l'ère chrétienne, et, après un règne de dix-sept vantés, abandonnèrent la ville pour aller
ans environ, laissa, l'an 1187 de l'hégire
,'1774 de notre ère), le trône de Constant! (3) Cet établissement avait été fondé à la
nople à son frère Abdêl-Eamyd-b en* Ahmed. fin du dix-septième siècle.

\V Livraison. (Tunis.) 13
194 L'UNIVERS.
se réfugier avec leurs femmes et leurs contra le navire du Qapydjy-Bâchy,
enfants dansl'intérieur desterres, à l'abri que le commandant fit venir à son bord
des projectiles incendiaires dont l'esca- et avec lequel il s'entretint des affaires
dre française ne cessait d'écraser leurs de Tunis.
maisons," déjà presque entièrement dé- Le Qapydjy-Bâchy , après avoir té-
truites. moigné ses craintes qu'une telle atta-
Un violent coup de vent força l'es- que contre un vassal de la Porte-Otto-
cadre française de quitter le 4 août le mane ne fût capable d'amener une rup-
mouillage devant Bizerte, pour venirre- ture entre la France et le sultan, s'of-
prendre celuide la Goulette : deux jours frit pour être l'intermédiaire d'une
après (le 6 août) elle appareilla de négociation qui pût rétablir la paix
nouveau, et se dirigea vers le sud-est : entre les Tunisiens et les Français ;
elle vint, le 13 août (mardi 21 deRaby- cette offre fut acceptée par le chef'd'es-
él-Tâny, jeter l'ancre devant Soussah, cadre, et l'envoyé ottoman retourna
dont elle commença le bombardement à Tunis, accompagné de M. Barthélémy
dès le lendemain la population se hâta
: deSaizieu, consul de France dans cette
de fuir, et la ville, déserte, fut seule ex- résidence, et de quelques officiers de la
posée au feu des Français, qui lancèrent marine française, chargés de renouveler
sur Soussah plus de mille projectiles. les sept demandes qu'avait formulées le
Après avoir fait subir le même sort au chef d'escadre dans sa dépêche prélimi-
port de Monastyr, l'escadre vint à la naire.
fin d'août reprendre son mouillage de- Aly-Bey donna son adhésion aux deux
vant la Goulette, premières réclamations, dont il reconnut
Les hostilités duraient ainsi depuis la justice ; il repoussa la troisième , la
plus de trois mois, sans que le Bey an- quatrième et la cinquième ; promit de
nonçât plus de propension à céder, et faire examiner la conduite de Sou-
sans que le chef d'escadipe se désistât des leymân-êl-Djerby, qu'il assurait être
conditions qu'il avait imposées; rien en fuite et qu'il ferait punir, si ceBays
ne semblait donc présager un terme était reconnu coupable ; mais il se re-
prochain à cet état de choses, lorsqu'il fusa absolument au remboursement des
arriva à Tunis un Qapydjy-Bachy de frais d'une guerre qu'il assurait lui
Constantinople cet envoyé extraor-
: avoir été injustement intentée , et pour
dinaire de la Porte-Ottomane avait pro- laquelle il prétendait, au contraire,
fité, pou r aborder les côtes delà Régence, avoir lui-même le droit de réclamer des
de l'absence de l'escadre française, oc- indemnités.
cupée alors, dans l'est, aux' bombar- Cependant un armistice fut accordé
dements de Soussah de Monastyr :
et par M. de Broves ; des conférences conti-
le but de sa mission était de demander nuèrent d'avoir lieu , et enfin la paix fut
à Aly-Bey un contingent d'hommes et conclue le 2 septembre sur les bases
de vaisseaux pour aider le Sultan à se suivantes :

défendre contre les Russes, qui le pres- 1° La Corse fut assimilée à la France
saient vivement. pour toutes franchises et les privilè-
les
Voyant que la position du Bey lui- ges qu'assuraient aux Français les traités
même le mettait dans l'impossibilité antérieurs ;
absolue de satisfaire à cette demande 2° Les esclaves corses faits depuis
et le contraignait de réserver toutes ses l'incorporation de la Corse à la France
forces pour sa propre défense, le Qa- devaient seuls être immédiatement ren-
pydjy-Bâchy prit le parti de se rembar- dus par le gouvernement tunisien les :

quer pour retourner à Constantinople, bâtiments corses pris sous pavillon fran-
persuadé que s'il rencontrait l'escadre çais devaient être restitués, ou remplacés
française en mer, il aurait une sauve- par une juste indemnité;
gardé suffisante dans son titre d'envoyé 3° La jouissance de la pêche du co-
du Sultan avec lequel la France était
, rail était prorogée pour cinq années elle ;

alors en bonne intelligence. devait être exécutée par douze bateaux


En effet, en revenant à son mouillage corailleurs de la Calle , et le Bey s'obli-
de la Goulette, l'escadre française ren- geait à indemniser la Compagnie d'A-
TUNIS. 195

frîque du dommage qu'elle avait reçu La


meilleure intelligence continua à
par l'interruption de cette jouissance; régner entre ce prince et la France et ,

4° La Compagnie d'Afrique obtenait nous en trouvons preuve dans une


la
le privilège, d'exporter de la Régence, lettre écrite, le 15 juillet 1778, par M. de
sans être assujettie à aucun droit, trois Sartine, alors ministre de la marine, et
mille qâfyz (I) de blé; adressée aux amirautés des ports de la
5° La France renonçait à ses préten- Méditerranée (2) à l'époque où la France
tions sur la restauration de l'établisse- était en guerre avec l'Angleterre.
ment de Tamekart ;
6° La France devait faire au Bey de CHAPITRE XVI.
Tunis présents consacrés par l'usage
les

Mort d'Aly-Bey. -— Hamoudah-Parhâ ;

à laconclusion de chaque traite de paix ;


sa famille; —
son ministre, Moustafâ-
7° L'indemnité pour frais de la guerre
Khodjah; —
agression des Algériens; —
devait être réglée a Versailles par un Isrnayl ben-Younas revient à Tunis; —
ambassadeur que le Dey y enverrait pro- sa mort —
infraction des traités avec la
chainement; France; —
;

nouveau traité avec, la répu-


8° Les hautes parties contractantes blique; —
ambassade tunisienne à Paris;
déclaraient que par la signature de ces ar- — paix définitive entre la France et Tunis.
ticles étaient rétablies dans toutes leurs
teneurs les stipulations et conventions Aly-Bey mourut le 13 du mois de
réciproques contenues dans les traités de Djèmâdy-él-Tâny, de l'an 1 196 de l'hé-
paix et decommerce antérieurement con- gire (26 mai 1782), après avoir occupé
clus, notamment ceux d^ ï 720 et de 1742, le trône de Tunis pendant vingt-trois

pour recevoir désormais leur plein et années.


entier effet comme avant les hostilités. Le lendemain de la mort de ce prince
Après la signature de ces conventions son fils Hamoudah-Pachâ, que son père

l'escadre appareilla, et revint en France. avait déjà


,
pendant les dernières années
Quelque temps après Aly-Bey envoya de sa vie, associé à son autorité et à
à Versailles, pour recevoir la ratification son gouvernement, le remplaça sans
du traité, une ambassade de plusieurs aucune opposition au souverain pouvoir,
membres du Divan, à la tête desquels (a) Voici quelques extraits de cette lettre
il plaça Ibrahym- Khodjah , secrétaire dont cru la publication utile:
j'ai
général de cette assemblée : l'ambas- « ...... Vous n'ignorez certainement pas que
sade rapporta de riches présents pour le « nos capitulations et nos traités avec le Grand-
Bey et dès lors la bonne intelligence fut
; « Seigneur et les princes de Barbarie ont établi
entièrement rétablie entre Tunis et la « cette maxime, que La marchandise amie ne
France. « perd pas cette qualité sur un vaisseau en-
Sorti ainsi heureusement de cette « nemi;
crise fatale, Aly-Bey vit la plus grande « Les musulmans ont toujours observé avec
tranquillité établie dans ses États pen- « fidélité cette disposition; S. M. est résolue
« d'en maintenir l'exécution, et de ne pas souf-
dant tout le reste de son règne les
:

« frir que ses sujets y donnent atteinte;


douze années qui s'écoulèrent depuis l'é-
« Son intention est, en conséquence, que
poque de ce traite jusqu'à la fin de sa
« vous enjoigniez aux armaleurs de la Médi-
vie ne furent troublées par aucune agi-
« lerranée que, dans le cas où ils viendraient
tation intestine, par aucune tentative de
« à s'emparer de bâtiments anglais dont la
révolution ; et les princes qui auraient « cargaison appartiendrait, en tout ou en par-
pu avoir quelque intérêt à essayer de le « tie, aux sujets du Grand Seigneur, ou à
remplacer sur le trône, où il s'était as- « ceux des États de Barbarie avec lesquels
sis au mépris de leurs droits, paraissaient « nous sommes en paix tels que Tunis et
,

avoir trop à se louer du sort qu'il leur « Tripoli, ils conserver intacte la
aient à
avait fait pour vouloir s'engager contre « cargaison entière, ou la partie appartenant
lui dans des entreprises hasardeuses et « auxdits sujets ou États; et même, s'ils
incertaines. « étaient à portée du port pour lequel cette
« cargaison serait destinée, de l'y faire débar-
(ï) Voyez sur cette mesure de capacité, « quer, dans le cas où cette opération serait
ci-dessus, page 88. « praticable sans inconvénient »

13.
,

(96 L'UNIVERS.
et aucune portion de la population tu- Lorsque son beau-frère mourut Ha- ,

nisienne ne songea à former un parti moudah- Pacha ne lui donna pas de suc
en faveur des fils de Mohammed- Bey cesseur à la tête de son gouvernement,
que leur oncle Aly-Bey avait dépouillé et, ne trouvant à sa cour aucun person-
de leurs droits d'hérédité. nage qu'il pût investir de la même con-
Le nouveau souverain de Tunis était fiance annonça la résolution de gou-
, il

né vers le milieu du dix-huitième siècle verner par lui-même , sans premier mi-
de notre ère, et était déjà âgé de plus nistre.
de trente ans lorsqu'il prit possession Cette résolution sembla porter bon-
du trône. heur aux affaires de la Régence; des
avait deux frères et cinq soeurs;
Il agressions tentées par les Algériens fu-
l'aîné de ses frères mourut sans lais- rent repoussées avec de brillants succès
ser de postérité; mais le second de ces par celui des favoris du Bey qui joi-
deux princes, Othmân-Bey, devait survi- gnait aux fonctions de garde des sceaux,
vre à Hamoudah-Pachâ et lui succéder. ou chancelier d'État , celles de capitaine
Parmi les cinq sœurs que Aly-Bey des gardes du palais et de lieutenant
avait données à Hamoudah-Pachâ ,
général des forces militaires de la Ré-
deux furent épousées par le premier mi- gence (2).
nistre de la Régence, Moustafâ-Khod- D'un autre côté, la tranquillité inté-
jah (1), au neveu duquel, nommé Mah- rieure semblait assurée par la résignation
moud, fut mariée la troisième ; Ismayl- volontaire des fils de Mohammed-Bey
Kyahyâ, qui avait été Qapytan-Pachâ dans le rôle secondaire et inactif auquel
de Porte-Ottomane, épousa la qua-
la les avait réduits Aly-Bey, et la seule
trième; quant à la cinquième elle avait
, inquiétude que pouvait concevoir Ha-
préféré le célibat au mariage. Moustafâ- moudah-Pachâ avait rapport à un fils
Khodjah, que Hamoudah s'était choisi de Younas-Bey , nommé Ismayl, ré-
à*la fois pour son beau-frère et son pre- fugié à Alger , où il continuait de sé-
mier ministre, était un esclave géorgien, journer, et que l'on soupçonnait d'avoir
qui avait appartenu au prince avant son été T nstigateur des dernières agres-
avénecnent au trône de Tunis et qui en, sions tentées par les Algériens contre la
avait obtenu la liberté en récompense Régence.
de sa fidélité et de ses bons services; Ces attaques ayant échoué, Ismayl-
toutefois malgré son affranchissement,
, Ben- Younas avait témoigné le désir d'ob-
Moustafâ-Khodjahn'en était pas moins tenir de Hamoudah-Pachâ la permis-
resté attaché à son ancien maître, dont sion de venir résider à la cour de Tunis ;
il conserva la faveur lorsque ce prince en sollicitant cette faveur, il s'était for-
devint souverain de la régence. mellement engagé à abjurer toute pensée
Cette faveur se signala à la fois par hostile envers ce prince, et promettait de
son double mariage avec deux sœurs de se conduire en fidèle sujet la permission :

Hamoudah-Pachâ et par sa nomination lui fut aussitôt accordée par Hamoudah-


au poste de premier ministre mais le ; Pachâ, dont la politique trouva plus
Bey n'eut qu'à se louer de son choix : utile à sa surveillance d'avoir immédia-
il trouva dans son beau-frère un admi- tement sous sa main ce compétiteur
nistrateur aussi habile et aussi actif que éventuel, que de le laisser à Alger, prêt à
fidèle et dévoué, sur lequel il put se re- servir d'instrument à quelque velléité
poser en toute confiance : c'est, en effet, nuisible de ces anciens ennemis de son
a la prudence et aux conseils de Mous- trône.
tafâ-Khodjah que ce prince fut rede- Le fils de Younas-Bey se rendit en
vable de la tranquillité et du bon ordre
qui régnèrent dans ses États pendant les (2) Ce général fut récompensé de ses vic-
premières années de son règne. toires par le privilège de s'asseoir devant le
Bey, honneur le plus insigne dont puisse
(i)Khodjali est un mot turk : c'est un jouir un esclave ; car il n'avait pas? cessé de
titre honorilique, qu'on donne ordinairement l'être, malgré les hautes fonctions dont il était
aux écrivains ministériels et aux principaux revêtu , le Bey ayant constamment refusé df
personnages de l'administration. lui accorder sa liberté.
TUNIS. 197

effetàBizerte, où Hamoadah-Pachâ en- du nouveau traité, un article supplé-


voyaàsa rencontre unegarded'honneur: mentaire, décrété le 20 thermidor an III
il le fit habiller magnifiquement et lui , (15 août 1795 ), modifia cette distance à
donna un appartement au Bar do, le Ver- une portée de canon , et fixa à cet éloi-
sailles de la Régence. Le nouvel hôte du gnement des côtes de France et de Bar-
Bey habita ce château pendant plusieurs barie les limites de l'immunité tant pour
années, sans se permettre aucune dé- les ennemis de la République française
marche qui pûtexciterkie nouveaux soup- et les armements tunisiens, que pour
çons mais les Algériens, qui n'avaient
; leurs ennemis respectifs. Cette disposi-
peut-être consenti à son départ qu'avec tion devait avoir son exécution, soit
une arrière-pensée réussirent à établir
, qu'il y eût en effet des canons sur le ri-
avec lui une correspondance secrète et , vage, soit qu'il n'y en eût point, excepté
travaillèrent à le séduire cette cor-
: dans les ports de la Goulette et de Por-
respondance fut découverte et inter- to- Farina , où les Français ni leurs en-
ceptée par Hamoudah-Pachâ ; elle ne nemis ne pourraient faire de prises ni
lui laissaaucun doute sur la trahison inquiéter en aucune manière la naviga-
d' Ismayl-Ben-Yoïmas et sur les com- tion (2).
plots auxquels il participait ; la punition La bonneintelligence était ainsi ré-
ne se lit pas attendre : le complice des République française et la
tablie entre la
conspirateurs algériens fut sur-le-champ Régence de Tunis : pour la consolider,
saisi et aussitôt étranglé au Bardo. Hamoudah-Pachâ envoya à Paris, dans
Ce foyer de conspirations extérieures le mois de Chaabân de l'an 1211 de
ayant été étouffé par cette exécution l'hégire, c'est-à-dire en pluviôse an V
Hamoudah-Pachâ aurait dû jouir tran- (janvier 1797), une ambassade solen-
quillement de prospérité de ses États,
la nelle.
délivrés à la fois des perturbations in- L'ambassadeur tunisien était Sydy-
testines et des craintes d'une guerre Mohammed - Khodjàh , intendant de
étrangère; mais les agitations de la ré- l'arsenal de Tunis ( Terskanéh-amyn) :
volution qui, à la fin du siècle dernier, cet envoyé présenta au Directoire exécutif
avait renversé la monarchie française les lettres de son maître, qui y prenait
parurent au Bey de Tunis des circonstan- les titres de Pachâ-Bey et de Myr-
ces favorables qui lui permettaient d'en- myran Tounès ( prince des princes de
freindre les traités qui le liaient avec la Tunis) ; et, après avoir visité les princi-
France, et de recommencer ses violences paux établissements de Paris, il retourna
contre la marine de la République, qu'il à Tunis, rapportant au Bey des promes-
savait trop occupée de ses grands intérêts ses d'amitié, accompagnées de riches
à l'intérieur et de ses guerres avec l'Eu- présents (3).
rope entière pour ouvrir les yeux au de-
hors sur ces infractions partielles. (2) L'exécution de cet article supplémen-
taire ne devait avoir son effet qu'après quatre
Toutefois, ces tentatives hostiles furent
mois, afin d'avoir le temps d'en prévenir les
réprimées et le Bey de Tunis se vit con-
,
puissances intéressées.
traint de solliciter de la Convention na-
(3) Un des établissements publics visités
tionale un nouveau traité de paix qui ,
alors par l'ambassadeur tunisien fut l'Impri-
fut conclu avec l'autorisation du Comité merie de la République, où il vit avec ad-
de salut public entre lui et le Consul gé- miration composer el imprimer devant lui
néral Devoize , et signé à Tunis , le 6 un compliment en langue française et arabe ;
prairial an III (1) (lundi 25 mai 1795). l'art de la typographie était à cette époque
Les anciens traités entre la France entièrement inconnu à Tunis. Je crois devoir
et la Régence avaient fixé à trente ajouter ici le texte même de ce'compliment,
milles des côtes de France la distance d'après l'original que je possède , comme une
qui devait être la limite des courses des pièce rare et curieuse de cette époque.
Tunisiens contre les puissances euro- « LOUANGE A DIEU UNIQUE.
péennes avec lesquelles ils se trouveraient
en état de guerre; entre autres stipulations Cet écrit a pour objet de demander que
«
« Sydy Mohammed-Khodjah, intendant, de
(i) Fin de l'année 1209 de l'hégire. « l'arsenal et ambassadeur de Tunis, en ce
)

198 L'UNIVERS.
Cependant l'année suivante, lorsque, « ennemis dela Régence, sur lesquels se
l'an VI de la République (1798), l'expé- « trouveraient des marchandises dont
dition d'Egypte et l'occupation par les « la propriété française serait constatée
Français de eette province, vassale de la « par le manifeste et police de charge-
Porte'-Ottomane, eut été considérée par « ment, elles seront rendues sur-le-
leDivandeConstantinopie comme ca- « champ à qui elles appartiendront.

sus belli, le Bey de Tuais n'hésita pas « Le citoyen Devoize s'engage, de son
à rompre lui-même avec la République « côté, de faire défendre par le gouver-
française et à envoyer ses corsaires nedément de la République à tous com-
contre les bâtiments que la mère-patrie « mandants de ses armements, et no-
envoyait au secours de sa colonie nais- « tamment de ceux de la Corse, de cou-
sante. Les hostilités réciproques conti- « rirsur le pavillon tunisien; et quant
nuèrent entre les deux États, surtout par « aux marchandises trouvées à bord des
Bonaparte, devenu premier Consul, et « bâtiments ennemis de la République ,
elles ne cessèrent que lorsque le Bey de v chargées par des sujets du Bey il sera
,

Tunis obtint un armistice, qui fut signé « usé de réciprocité comme dessus.
à Tunis, le 9 du mois de Raby-êl-àkher « 3° Tout bâtiment pris de part et
de l'an 1215 de l'hégire, c'est-à-dire « d'autre après le 9 fructidor sera rendu
le 9 fructidor an VIII de la République « avec ses équipages et sa cargaison.

( 7 août 1800) par. le citoyen Devoize,


,
« 4° En attendant la paix définitive,
qualifié de Chargé d'affaires ekde Com- « les bâtiments de Tunis seront reçus
missaire général des relations commer- « dans les ports de France, comme ceux
ciales de la République (1) , et muni des « de la République seront admis dans les

pleins pouvoirs du premier Consul pour « ports de la Régence.


traiter d'une paix définitive. « 5° Dans le cas de rupture du présent
Voici la teneur des conditions de cet « armistice, il est convenu qu'il sera ré-

armistice, qui n'ont été publiées par au- « ciproquement donné avis de la reprise
cun historien contemporain : « des hostilités deux mois avant qu'elles
«1°A commencer du 9 fructidor « recommencent. »
« toutes les hostilités seront suspendues La
paix définitive ne tarda pas à être
« entre les deux nations. conclue sur les mêmes bases que l'ar-
« 2° Le Bey donnera immédiatement mistice ci-dessus, et dès lors il a régné
« aux commandants de ses corsaires, et entre la France et la Régence une
« à ceux armés par ses sujets, des ordres bonne intelligence qui n'a pas cessé
« de respecter le paviilon français ; et jusqu'à nos jours pendant les dix an-
:

« s'ils venaient à s'emparer de bâtiments nées qui s'écoulèrent depuis ce traité au-
cun événement digne de remarque ne
« moment à Paris, agrée ce témoignage d'a- signala l'histoire de Tunis; mais l'année
« mitié, imprimé ensa présence pour lui 1226 de l'hégire (18U de notre ère) vit
« faire connaître l'artde l'imprimerie. Nous tout à coup interrompre cet étas paisible
« désirons aussi que le Bey de Tunis, prince et prospère par une catastrophe qui ré-
« des princes, Hamoudah-Pacha , trouve pandit la terreur dans toute la Régence.
« dans cette attention l'assurance de l'amitié
« sincère qui existe entre les deux, gouver-
« nements. »
CHAPITRE XVII.

A l'Imprimerie de la République. Suite du règne d'Hamoudah-Pachâ; —


son
<c

a Dans mois de Chaabân 12 11 de l'hé-


le entreprise contre les milices turkes ; —
« gire, qui correspond au mois de pluviôse révolte de ces milices; —
elles sont atta-

« (c'est-à-dire le mois pluvieux) de l'an 6 de quées et battues;— leur retraite; —


leur
l'ère de la République française. » (Fé- massacre; — supplice des chefs des re-
«.

vrier 1797. belles;— mort de Hamoudah-Pachâ.

(1)Ce titre était celui qu'on attribuait


Se' voyant ainsi à l'abri de toutes
alors aux agens extérieurs du gouvernement
français, depuis que le titre de Consul avait craintes intérieures et extérieures, Ha-
été réservé pour la qualification des trois moudah-Pachâ, dans les vues d'une poli-
hauts fonctionnaires de la république. tique éclairée et prudente, conçut une
,
,

TUNIS. 190

mesure non moins importante pour assu- dats turks formèrent le projet d'exter-
rer désormais sa sécurité. miner le Bey réformateur avec toute sa
Le souvenir des malheurs passés et le famille et ses adhérents, pour nommer
spectacle des troubles continuels d'Aiger, parmi eux un Bey de leur propre nation,
causés par l'esprit inquiet et remuant de comme il se pratiquait à Alger. Déjà
la milice, lui ouvrirent les yeux sur la ils avaient fixé le jour pour l'exécution
nécessité d'enlever aux Turks l'influence de leur complot,: c'était un vendredi
dangereuse qu'ils s'étaient arrogée sur jour férié de la religion musulmane, et
toutes les affaires du gouvernement de auquel le Bey avait coutume de venir
la Régence. Dès lors il s'appliqua à les du Bardo à Tunis, pour se rendre à la
en éloigner par degrés. Du temps de mosquée et y assister aux prières solen-
son père, Aly-Bey, et dans les com- nelles prescrites par la loi.
mencements de son propre règne, les Les conjurés devaient attaquer le Bey
Turks étaient redevenus réellement les et le massacrer avec toute sa cour, au
maîtres de tout à Tunis : Hamoudah- moment même de leur entrée dans la
Pachâ voulut leur substituer peu à peu mosquée ; ensuite se porter en force au
des hommes plus dévoués à ses intérêts, Bardo , et y égorger également le reste
choisis particulièrement parmi ses Géor- de sa famille et de ses serviteurs fidèles.
giens et les renégats européens, ou Averti de la conspiration , le Bey re-
dans d'autres classes qui avaient mérité fusa d'abord d'y croire; néanmoins,
sa confiance aussi depuis cette époque
: soit qu'il conservât quelques doutes
de son règne la Régence de Tunis ne soitquequelque heureux hasard l'eût fa-
peut plus être considérée comme sou- vorisé, il ne quitta pas le Bardo le jour
mise au gouvernement des Turks, et destiné à cet effroyable massacre. Dé-
ce n'est qu'alors que la souveraineté concertés parce contre-temps, les Turks
de Tunis, rendue déjà héréditaire par pensèrent que leur complot pouvait avoir
les Bey s ses prédécesseurs , devint entre été découvert, et, dans le cas où le prince
ses mains un pouvoir indépendant et eût pu l'ignorer encore, ils craignirent,
entièrement absolu. en différant leur attentat jusqu'au ven-
Cependant ce système de réformes dredi suivant, de voir leur secret éventé
salutaires et cette tendance nouvelle par quelque circonstance fortuite ils :

imprimée au gouvernement tunisien prirent donc la résolution d'éclater dès


vers l'économie et le bon ordre ne purent cette nuit-là même; et le 30 août, à neuf
s'établir sans soulever quelques orages, heures du soir, ils se jetèrent sur les bou-
qui auraient menacé l'existence même tiques, qui furent en grande partie pillées,
du trône de la Régence, et l'indépen- saccagées et brûlées.
dance que ses efforts avaient su s'ac- La population ayant pris les armes
quérir, si la fermeté du Iteyn'était par- pour réprimer ces désordres, les Turks
venue à les comprimer, lorsque l'explo- évacuèrent la ville, et se retirèrent à la
sion en éclata avec une violence qu'il Qasbéh(\), au nombre de deux mi lie deux
n'avait pu ni prévoir ni prévenir. cents; malheureusement cette forteresse
En effet, le vendredi 10 du mois de était gardée par une garnison turke, qui
Chaabân, huitième mois de l'année s'empressa d'en ouvrir les portes aux re-
1225 de l'hégire (30 août 1811), des belles. Ceux-ci , après avoir organisé
troubles soudains agitèrent la ville de leurs moyens de défense, se hâtèrent de
Tunis et en épouvantèrent les habitants. procéder à l'élection d'un nouveau Bey,
Mécontents de se voir enlever succes- et d'instituer un gouvernement forme
sivement tous les moyens d'influence parmi eux.
et de pouvoirdont jusque alors ils avaient Cette élection faite , ils tirèrent plu-
été en possession, et d'être forcés de sieurs salves d'artillerie , signal convenu
céder les prérogatives dont ils avaient pour donner avis de leur réussite aux
joui , à une famille qui les avait déjà garnisons des forts de la Goulette, de
privés du droit d'élection, et dont la di- Qeff, de Bizerte, de Soussah et des au-
gnité de Bey était devenue le domaine
exclusif, transmis par un droit d'héré- (i) Voyez sur cette forteresse de Tunis ci-

dité qu'ils voulaient anéantir, les sol- dessus, page xo.


, ,

200 L'UNIVERS.
très parties de la côte, afin que de leur ces d'une résistance opiniâtre en les
côté elles arborassent simultanément attaquant réunis à leur sortie.
l'étendard de la révolte. On ignorait de même le nombre des
Mais le Kyahyâ de Porto- Far i?ia, révoltés qui étaient restés enfermés
qui remplissait les fonctions de minis- obstinément dans la Qasbéh\ mais lors-
tre de la marine, s'était hâté, à l'ins- qu'on eut laissé passer les fuyards, dont
tant même où il avait appris les pre- beaucoup échappèrent aux Arabes, cinq
miers actes de la rébellion, d'armer les cents Turks formant le reste de la gar-
Arabes et les Zouaves (troupes maures), nison qui avait défendu la Qasbéh mi-
et avait sans retard pris le fort de la rent bas les armes le disnanche 12 du
Gouletle, dont il soupçonnait la garnison mois de Chaabân ( 1 er septembre), et
de complicité avec les conspirateurs. Au se rendirent prisonniers. Trente chefs
•même moment le premier ministre du environ furent conduits devant le Bey,
Bey entrait, de son côté, à Tunis avec qui leur reprocha sévèrement leur rébel-
toutes les troupes qu'il avait pu rassem- lion, les fit jeter dans les cachots du fort,
bler. et peu après en fit décapiter la plupart.
Les rebelles avaient arboré le pavillon Aussitôt que la tranquillité fut rétablie
vert, drapeau du Sultan Ottoman, dé- dans la ville, leZ?q/envoya aux Arabes de
clarant par )à abolir l'indépendance de nouveaux ordres, leur enjoignant depour-
Tunis, et ne plus reconnaître que la suivre vivement les fuyards et de lespren-
Porte-Ottomane pour souveraine immé- dre vivants, autant que cela serait pos-
diate tous les forts de la ville restés
: sible. A demi morts de faim et de fatigue,
au pouvoir du Bey reçurent aussitôt ils avaient pris le chemin de Tabarkah,

l'ordre de tirer à outrance et sans inter- dont ils avaient dessem de se rendre
ruption sur la Qasbéh, où les Turks maîtres, et dont ils devaient ouvrir les
étaient retranchés, et la canonnade dura portes aux Algériens, avec lesquels Tunis
de part et d'autre depuis six heures du était en guerre.
matin jusqu'au soir. Ceux d'entre eux qui ne pouvaient
Cependant, à l'approche de la nuit suivre la marche de la colonne étaient
les Turks avaient déjà beaucoup ralenti massacrés par leurs propres camarades,
leur feu, lorsque M. Devoize, consul de dans la crainte que, tombant entre les
France, vint offrir au Bey et mettre à sa mains des Arabes qui les poursuivaient,
disposition pour activer le service de ses ils ne leur révélassent le plan de l'expé-
batteries des soldats d'artillerie français, dition vers laquelle ils se dirigaient. Mais
qui venaient d'arriver à Tunis de Malte, ces massacres ne servirent qu'à faire dé-
où ils avaient longtemps été retenus pri- couvrir leur projet; car les Arabes, ayant
sonniers de guerre; le feu de différents trouvé plus de cinquante de ces malheu-
forts fut alors dirigé avec une habileté reux égorgés ainsi le long du chemin
telle, que les révoltés, frappés de terreur, devinèrent que les Turks en suivant
ne virent d'autre ressource qu'une fuite cette route et prenant cette précaution
précipitée, si elle leur était encore pos- barbare ne pouvaient avoir d'autre but
sible. que l'occupation de Tabarkah, et- en
Environ mille sept cents Turks, qui conséquence ils se hâtèrent de joindre
avaient échappé à la canonnade des Fran- cette colonne fugitive et de l'attaquer.
çais, parvinrent en effet à faire retraite. Après deux jours d'une marche forcée,
Le Bey ayant donné ordre à ses troupes les Turks, se voyant atteints par les Ara-
de ne pas arrêter les fuyards au passage bes, malgré leur diligence, n'osèrent plus
bien sûr qu'ils tomberaient infaillible- tenir la plaine, où la cavalerie des Bé-
ment entre les mains des Arabes qu'il douins les aurait facilement exterminés ;

avait chargé d'occuper la campagne aux ils prirent donc le parti de se reti-
environs et de les exterminer. rer sur une montagne nommée Gebel-
Il aurait été d'ailleurs d'autant plus im- Ensaryeh ,
qui est à la distance d'envi-
prudent de dégarnir la ville de troupes ron vingt lieues (80 kilomètres ) de Tu-
pour combattre ces fugitifs désespérés nis ils se mirent donc en état de défense
;

qu'on n'en connaissait pas encore le dans ce poste favorable, décidés à y


nombre total, et qu'on courait les chan- vendre chèrement leur vie.
TUNIS» 201

Arrivés au pied de ces hauteurs, les fait monter au pouvoir qu'avec la per-
Arabes se partagèrent en deux corps ;
spective que l'assassinat les en ferait des-
l'un cerna la montagne l'autre mit
, cendre. Par une exception remarquable
pied à terre, et monta résolument à dans ces annales de violences , de meur-
l'assaut :quoique réduits à moins de tres et de catastrophes, Hamoudah-Pa-
quinze cents combattants les rebelles
, châ se maintint paisiblemeut sur le
purent encore tenir longtemps tête aux trône de Tunis pendant trente-trois
Arabes; mais à la lin la supériorité du années : il mourut la veille de la fête
nombre l'emporta six cents Turks mi-
: à'Êl-Fettar (1) de l'an 1229 de l'hégire
rent bas les armes, les autres étaient res- (14 septembre 1814 de l'ère chré-
tés sur le champ de bataille du côté des
; tienne) (2).
Arabes la perte n'avait été que de deux Je ne puis terminer ce récit du règne
cents hommes. La nouvelle de cette vic- de Hamoudah-Pachâ sans dire quel-
toire fut aussitôt portée au Bey, et on ques mots du sceau de ce prince, dont je
prit ses ordres sur le sort que devaient joins ici l'empreinte.
subir les prisonniers.
Ce prince ordonna qu'on lui envoyât
le préfendu Bey, nommé par les rebel-
les, ainsi que les membres du nouveau
ministère qu'ils avaientcomposé et vingt-
sept enfants qui avaient suivi les Turks
dans leur fuite : quant aux autres révol-
tés , il permettait de les tuer tous ; et les
Arabes, de tout temps ennemis jurés
des Turks, exécutèrent cet ordre avec ar-
deur. Le 5 du mois de Chaabân (4 sep-
tembre) tous les prisonniers furent mas-
sacrés, à l'exception de trente -deux,
qui furent conduits au Bardo. Les
cinq principaux chefs furent étranglés J'ai regardé cette insertion comme
avec le faux Bey, et les ministres, ainsi d'autant plus intéressante , qu'elle me
que les enfants, mis en prison : plus tard fournira l'occasion de quelques remar-
les ministres du Bey rebelle subirent le ques curieuses.
même sort que leur chef, après qiïHa- On y lit, dans le cartouche formé par
mondah-Pachâ eut tiré de leurs aveux le cercle intérieur, ia légende suivante,
tous les renseignements nécessaires pour contenant le nom et les titres du prince :

prévenir une nouvelle révolte; les enfants Hamoui>aii-Pacfia-Bey, Myrmyran (a).


prisonniers obtinrent grâce entière, et
furent incorporés dans la garde particu- Ce nom, qui signifie en arabe la cessa-
(i)
lière du prince. tiondu jeûne , est donné par les Musulmans
Le Bey laissa aux Bédouins toutes les au premier jour du mois de Chaouàl, parce
dépouilles des Turks, et ce butin fut con- qu'en effet c'est le jour où cesse l'obligation
sidérable; car il consistait en argent, du jeûne imposé aux Musulmans par leur reli-
or, diamants, armes, et autres effets gion pendant le mois entier de Ramaddàn.
On donne aussi à ce jour le nom d lyd-êl-Fittr
}
!

précieux, qu'ils avaient volés dans le pil-


(la fête de la cessation du jeûne). C'est à cause
lage des boutiques de la ville.
de cette fête que le dixième mois de l'année
Ainsi se termina cette rébellion, et le
lunaire des Musulmans , Chaouàl, a reçu chez
Bey prit toutes les mesures nécessaires Barbaresques le nom de Chahar-Aftour.
les
pour s'assurer qu'un semblable attentat Le lecteur trouvera sur Hamoudah-Pa-
(p.)
ne pourrait jamais se renouveler. châ des détails plus circonstanciés dans le
Le règne de Hamoudah-Pachâ fut chapitre VIII de la première partie ci-dessus,
beaucoup plus long que ceux de la plu- détails donnés par le docteur Frank lui-même,
part de ses prédécesseurs , et surtout dont les deux voyages et le séjour à Tunis
que ceux de ses prédécesseurs électifs. eurent lieu sous le règne de ce prince.
La plupart de ceus-ci n'avaient eu qu'un (3) Le mot Myrmyran signifie prince des
règne éphémère; l'assassinat ne les avait princes.
202 L'UNIVERS.
La légende circulaire renferme la D'après ces deux considérations, ou
phrase votive suivante : ne sera pas étonné d'apprendre que les

Jllahoummdâm mouïk-ho 3 — fydâr- Tunisiens aient regardé le sceau de leur


prince comme un talisman auquel il a
êl-djehâd Tonnes. dû la prolongation remarquable de son
« Que Dieu éternise son règne dans
! —
« le siège de la guerre sacrée, Tunis. »
CHAPITRE XVIII.
Puis on lit la date de i'avénement du
prince, 1196 de l'hégire Othmân-Bey — Mahmoud-Pachâ — Sydy-
Rousséyn-Bey — Moustafâ-Bey; — Sydy-
; ;

La première observation que me four-


Ahmed-PachâBey, maintenant régnant —
;

nit cette légende est que cette même ;

date, ici exprimée en chiffres , se trouve description de son sceau; — réformes; ses

également représentée par les caractères sa tendance vers la civilisation européenne;

composant les quatre mots de la légende — érection de la chapelle consacrée à

intérieure , réunis à ceux des trois pre-


saint Louis; — collège Européen.

miers mots de la phrase votive qu'offre


la légende circulaire, en prenant ces Hamoudah-Pachà eut pour succes-
caractères dans leur valeur arithmé- Othmân-Bey , fils, comme
seur son frère
tique; car on sait que toutes les lettres lui, $Aly-Bey\ ce prince prit posses-
arabes ont, indépendamment de leur sion de l'autorité souveraine le lende-
valeur alphabétique, une valeur arithmé- main de la mort de son frère, c'est-à-
tique, dont l'usage remplace fréquem- dire le jour même delà fête tfél-Fettar de
ment les signes de l'arithmétique déci- l'an 1229 de l'hégire (15 septembre 1814

male. de notre ère); mais son règne, plus court


La seconde observation est que ce que celui d'aucun de ses prédécesseurs,
sceau est gravé sur une grande corna- comprit à peine trois mois entiers dans
line vivement colorée, pierre à laquelle sa durée éphémère (2). Quatre-vingt-
les Orientaux attribuent la plus puissante seize jours après son avènement, il
influence pour le bonheur de ceux qui quittait à la fois et le trône et la vie , et
le 8 du mois de Moharrem de l'an 1230
la portent ou qui en font habituellement
usage (i). de l'hégire (20 décembre 1814 de no-
tre ère ) il était massacré avec ses en-

(i) Voyez ci-dessus, page 140 , ce que rap-


porte le docteur Frank des influences hygié- Le diamant ( elmâs ) n'est pas moins utile
niques attribuées par les Tunisiens aux di- contre l'épilepsie , les maux d'estomac et la
verses pierres précieuses. Mais, indépendam- colique.
ment de ces effets physiques, les préjugés du La turquoise (fyrouzéh) fortifie la vue,
vulgaire dans l'Orient attachent à l'usage des guérit les ophthalmies et les piqûres de scor-
pierres précieuses des influences morales et pion.
surnaturelles. La cornaline ( acjy q ) calme la colère, ar-
Un écrivainarabe, nommé Teyfâchy, rête les hémorragies, guérit les maux de dents;
dont le manuscrit est conservé à la Biblio- ellepréserve de la mauvaise fortune , est un
thèque nationale, a consacré un ouvrage entier gage de bonheur constant et de prolongation
à cette matière, et sa pharmacopée telesma- de la vie.
tique est beaucoup plus étendue que celle qui L'hématite {maghndttys) calme les douleurs
nous a été donnée par le docteur Franck. de la goutte, facilite l'accouchement, détruit
Suivant lui, le rubis (yâcjout) fortifie le Faction des poisons.
cœur, éloigne la foudre et la peste il apaise
: Le jade ( yechm ) garantit de la foudre et
la soif, arrête le flux de sang, etc. des mauvais rêves.
L'émeraude (zemroud ) guérilla piqûre des Enfin la gemme appelée œil de chat ( ayn-
vipères, ou toute autre blessure venimeuse; el-hor ) préserve de l'influence des mauvais
elle aveugle même les serpents auxquels on la regards et met à l'abri des coups du sort ;
présente ; elle chasse les démons et les mau- bien plus , dans un combat elle rend celui
vais esprits ; c'est un spécifique contre l'é- qui la porte invisible aux yeux de son adver-
pilepsie, les douleurs d'estomac les maux
, saire ; etc.
d'yeux. (a) Trois mois et six jours.
,

TUNIS. 203

fants, abandonnant par ce meurtre le On assure d'ailleurs que ce prince, qui


suprême pouvoir à son cousin Mah- régna sur la Régence pendant onze an-
moud , fils de Mohammed-Bey , et l'aîné nées et deux mois, y parut suivre, dans
des deux princes que l'usurpation de leur sa politique et son administration, la
oncle Aly-Bey avait écartés du trône. marche sagement progressive dont Ha-
De toute la famille d'Othmân-Bey il moudah-Pachâ avait iegué l'exemple à
n'y eut d'épargné que les deux plus jeu- ses successeurs.
nes de ses enfants , qui , assure-t-on , vi- Sydy- Houssêyn-Bey mourut le 29 du
vent encore , et qui sont renfermés dans mois deMoharrem de l'an 1251 de l'hé-
une prison avec leur mère. gire (26 mai 1835 de notre ère).
Avec Othmân-Bey s'est éteinte la Sa mort fit passer la souveraineté de
branche collatérale descendant $ Aly- la Régence entre les mains de son frère
Bey , et le pouvoir suprême est rentré Momtafà-Bey ,
qui en prit possession
dans la branche aînée des descendants le lendemain de la mort de son frère,
d'Aly-êt-Turky. c'est-à-dire le 30 du mois de Moharrem
Le jour même du meurtre d'Othmân, ( 27 mai), et qui, après avoir régné seu-

Mahmoud, .qui prit le titre de Pacha, s'é- lement près de deux ans et demi (2). par
tait empare du trône de Tunis son am- ; sa mort, arrivée le 10 du mois de Red-
bition, longtemps dissimulée, était par- jeb de l'an 1253 de l'hégire (il octo-
venue au but de ses désirs ; mais sa jouis- bre 1837), transmit le trône de Tunis a
sance se borna a neuf années trois mois son fils Sydy - Ahmed- Bey , mainte-
et dix jours, et il mourut le 28 du mois nant régnant.
de Redjeb de l'an 1239 de l'hégire ( 30 Ce prince a été proclamé souverain
mars 1824 de l'ère chrétienne). de la Régence le jour même de la mort de
Il laissa le trône de Tunis à son fils, son père, et dès le commencement
Sydy- Houssêyn-Bey , qui fut reconnu de son -règne il a obtenu de la Porte -
pour souverain le jour même de la mort Ottomane la dignité de Pacha, dont le
de son père. titre avait déjà été accordé par le Divan
Ce prince régnait depuis dix années à de Constantinople à plusieurs de ses pré-
Tunis, lorsqu'une catastrophe qu'on était décesseurs.
bien loin de prévoir est venue soudaine- Depuis qu'il a reçu cette faveur, il a
ment changer la position des puissances changé son nom d'Ahmed- Bey en ce-
barbaresques et préparer à l'Afrique sep- lui & Ahmed-Pachâ-Bey, ainsi qu'on
tentrionale un nouvel avenir cet événe- : peut le remarquer dans l'empreinte de
ment fut l'outrage qu'osa se permettre son sceau, que le lecteur verra peut-
envers la France le Dey d'Alger Hous- être ici avec plaisir :

séyn-Pachâ, et la vengeance qu'en tira


cette puissance en le renversant de son
trône et en faisant la conquête de ses
États.
La Régence de Tunis s'était bien gar-
dée de prêter le moindre secours à celle
qui s'était montrée constamment sa ri-
vale et son ennemie ; le Bey s'était même
empressé d'assurer sa position auprès
des vainqueurs , en souscrivant à un
traité conclu avec M. Mathieu de Les-
seps, consul général, le 8 août 1830, et
dont entre autres conditions , l'article 2
,

abolissait pour toujours dans les États


tunisiens la course des pirates et l'es- On lit en effet dans le cartouche que
clavage des Chrétiens (1). forme le cercle intérieur de ce sceau les

(i) Voyez, sur cet esclavage, ci-dessus le cha- dont il fut lui-même témoin pendant son sé-

pitre XVIII de première partie, dans lequel


la jour à Tunis,
le docteur Frank raconte les détails révoltants (2) Deux ans cinq mois et sept jours.
, ,

204 L'UNIVERS.
mots suivants, tracés en caractères ara- pas vers ce but en interdisant absolu-
bes, remarquables par leur élégance : ment dans ses États la vente à l'enchère
des esclaves, et avait fait fermer le mar-
A'bd-ho Ahmed-Pacha-Beyk (1).
ché où se faisait publiquement cet odieux
Ce de Pachâ ne lui avait pourtant
titre trafic (2). Dédaignant les préjugés du
pas été concédé par la Porte-Ottomane vulgaire des Musulmans contre les
aussitôt après son avènement au trône Chrétiens non-seulement il a accueilli
,

de Tunis les premiers rapports du gou-


; et favorisé lesEuropéens dans ses États,
vernement de Constantinople avec lui mais il y a appelé des officiers français
s'étaient montrés malveillants et le Di-
, pour discipliner ses milices et les former
van avait témoigné son mécontentement à la tactique européenne (3) ; il a même
des innovations que le nouveau prince confié à des ingénieurs français l'exécu-
commençait à introduire dans ses États. tion d'une grande carte générale de
En 1 838 une expédition partit de Cons- toutes les provinces de la Régence (4).
tantinople, sous les ordres de Tàhir-Pa- C'est à l'affection particulière professée
châ, et se présenta dans les eaux de Tunis, par Ahmed- Pachâ- Bey pour la France
afin de rétablir la domination turke et que nous devons l'autorisation don-
de détrôner le Bey. Grâce à l'attitude née par ce prince pour l'érection d'une
ferme du gouvernement français qui ,
chapelle consacrée à saint Louis, au mi-
prévenu à temps envoya sur les lieux
, lieu des ruines de cette Carthage illus-
les amiraux Lalande et Gallois pour trée par les derniers exploits et la mort
s'opposer au débarquement de Tahir- du saint roi : cette autorisation est d'au-
Pachâ, cette expédition échoua complè- tant plus remarquable, qu'elle enfreint
tement, et l'amiral turk fit exécuter à de la manière la plus frappante les usages
Tripoli ce qu'il n'avait pu faire à Tunis. de ces contrées et les préjugés qui y sont
Ce fut alors que le titre de Pachâ fut enracinés depuis tant de siècles par les
accordé au Bey par le Divan comme un
, traditions musulmanes.
témoignage authentique des dispositions En effet, quoique l'exercice de la reli-
pacifiques du sultan à son égard. gion chrétienne n'y soit point interdit
Ce prince a paru, dès son avènement et que l'existence des chapelles et autres
au trône tunisien, plus porté encore que lieux consacrés au culte chrétien y soit
ses prédécesseurs à introduire parmi autorisée, cependant l'érection de tout
ses peuples les bienfaits de la civilisa-
tion européenne et chaque jour de son
,
(2) Voyez XVII de la
ci-dessus le chapitre
administration a étémarqué par une amé- première partie, dans lequel docteur Frank
le
lioration nouvelle; voulant s'associer donne les détails les plus circonstanciés sur
autant que le lui permettaient les ce marché et sur les ventes qui y avaient lieu
mœurs de ses sujets aux efforts que les journellement.
puissances chrétiennes tentaient pour (3) Le Bey s'occupe avec un soin tout par-
l'abolition de l'esclavage, il avait fait un ticulier de son armée, dont il regarde la créa-
tion comme son œuvre favorite : ses troupes
(i) Le mot cûbd-ho, qui commence cette régulières montent déjà à vingt mille hommes
légende signifie littéralement le serviteur de
, disciplinés et formés à la tactique européenne.
Lui, et est employé habituellement par les Les officiers français qui avaient été char-
Arabes comme synonyme de l'expression Abd- gés par notre gouvernement, sur la demande
Atlak (le serviteur de Dieu ). du Bey, d'aider le prince de leurs lumières dans
En effet, dans le langage mystique des Mu- l'organisation de son armée, étaient en 1845
sulmans le mot HOU (r.ui) est regardé le colonel d'infanterie Lavelaine, le lieutenant-
comme un des principaux noms de Dieu, si- colonel d'artillerie Lecorbeiller, et le chef de
gnifiant ainsi l'Être par excellence, celui bataillon Qillard.
qui est : ce nom paraît correspondre au nom (4) Cette belle carte a
été dressée et publiée
divin de Jéhovah, usité chez les Hébreux, en 1841, au dépôt général de la guerre, sous
•et dont le Hou des Arabes est peut-être dérivé. la direction de M. le général Pelet, d'après
Ce mot sacré, fortement articulé du fond les observations et les reconnaissances de
de la poitrine, forme le cri que poussent en M. Falbe, capitaine de vaisseau danois, de
chœur les derviches en tournoyant frénéti- M. Pricot-Sainte-Marie, capitaine d'état-major,
quement dans leurs danses mystiques. et d'après les renseignements recueillis par eux.
TUNIS. 205
nouvel édifice de cette espèce y est sévè- Mais ce digne chapelain fait sa rési-
rement prohibée, et les permissions dence la plus habituelle dans la ville ;
n'ont jusqu'à présent été jamais accor- car il partage ses soins entre le sanc-
dées que pour la réparation des édifices tuaire qu'il est chargé de desservir et
déjà existants. Bien plus, Ahmed-Pachâ- le soulagement des pauvres chrétiens,
Bey a refusé de vendre le terrain destiné pour lesquels son zèle évangélique a
à la construction de cette nouvelle cha- su créer à Tunis un hôpital avec les
pelle , et a voulu en faire un don gratuit seules ressources de la charité.
à la France. Un autre établissement, que la Ré-
Ce monument, édifié par l'ordre et gence tunisienne doit également à la
aux frais du roi Louis-Philippe, à la mé- sollicitude patriotique et éclairée de
moire de son illustre aïeul et comme , M. l'abbé Bourgade , et qui est en même
un complément lointain, du magnifique temps une des preuves les plus remar-
musée historique de Versailles occupe , quables du penchant que ne cesse de
au centre même des ruines de Carthage le témoigner Ahmed-Pachâ-Bey pour la
sommet de la colline où fut assiseau- France ainsi que de son constant désir
,

trefois l'antique citadelle de Byrsa : la de propager dans ses États la civilisation


chapelle est entièrement isolée de toute et les institutions de l'Europe, c'est le col-
habitation ; et la solitude de ce monu- lège Européen , créé à Tunis sous la di-
ment ajoute encore à la majesté des sou- rection de zélés et savants missionnaires.
venirs qu'il consacre. On ne voit autour Dans ce collège, véritable gymnase
de la. modeste enceinte qui le forme que de régénération, sont admis à participer
quelques misérables tentes de poil de aux bienfaits d'une instruction salutaire,
chameau où quelques bergers nomades
, non-seulement les enfants des chrétiens
cherchent un asile contre les ardeurs du établis dans la Régence, mais encore
soleil africain. ceux des populations musulmane et
On doit féliciter l'architecte (1 d'ayoir, ) juive ; ils y reçoivent ensemble, avec l'en-
dans la construction de ce monument à seignement âe la langue française et
la fois français et barbaresque, su fon- des autres idiomes principaux de l'Eu-
dre quelques détails de l'art arabe dans rope les premiers éléments des sciences
,

les formes de l'architecture gothique. les plus utiles à la société humaine.


Dans le jardin qui entoure la chapelle Ahmed-Pachâ-Bey paraît avoir com-
ont été disposées çà et là quelques belles pris toute l'importance qu'aura pour l'a-
colonnes trouvées dans les fouilles né- mélioration de ses peuples cet établis-
cessitées par la construction on v remar-
: sement salutaire ; il ne s'est pas contenté

que aussi un beau torse d'une statue en d'autoriser sa création , mais il a voulu
marbre, une élégante mosaïque qu'on en mainte circonstance témoigner son
a ingénieusement placée au fond d'un approbation à cette entreprise, et il s'est
bassin d'eau limpide, dont le cristal fait empressé de lui accorder tous les en-
vivement ressortir les couleurs diverses couragements qui ont été sollicités au-
dont les dessins sont diaprés. près de son gouvernement.
Enfin , la même enceinte renferme des C'est déjà un progrès bien remarqua-
dépendances où un logement a été pré- ble que cette fusion dans une même réu-
paré pour l'abbé Bourgade (2), aumônier nion scolastique et dans une commu-
de la chapelle. nauté d'enseignement des enfants mu-
sulmans avec ceux des Chrétiens, jadis
(i) La construction de cette chapelle a été objet de leur antipathie, et surtout avec
dirigée par M. Jourdain, l'un de nos archi- ceux des Juifs, jusque alors véritables
tectes les plus recommandables par leur goût
parias de l'Orient, à peine regardés par
et leurs connaissances.
(i) Auteur d'un ouvrage conçu dans les
vues les plus utiles, publié par souscription, L'auteur de cet ouvrage emploie les con-
en 1847, chez MM. Firmin Didot frères, naissances qu'il a acquises de la langue arabe

sous le titre de Soirées de Cartilage, et dont et de la religion musulmane à essayer de


le produit doit êlre consacré à augmenter convertir par le raisonnement et la citation
les ressources de l'hôpital de Tunis ainsi que des phrases mêmes du Korau les sectateurs
du collège Européen. de l'islamisme à la religion chrétienne.
206 L'UNIVERS.
les Musulmans comme appartenant à CHAPITRE XIX.
l'espèce humaine;
on peut certaine-
et
ment calculer d'avance quelle haute in- Visitedu duc de Moutpensier au Bey de Tu-
fluence aura cette institution par la suite, nis; —détails de la réception du prince;
même dans un avenir peu éloigné, sur — Bey du camp; — ses fonctions; — dra-
future des populations
la civilisation peau de la religion musulmane — visite du
barbaresques et sur la propagation des
, Bey ; — départ du Prince ;

;

voyage à
lumières de notre Europe dans ces con- Tunis de deux autres fils du roi.
trées, qui s'enorgueillissaient autrefois à
juste titre d'être la patrie des saint Cy- Les relations de sympathie et de bien-
prien,des saint Augustin »., parmi les
veillance réciproquement manifestées de-
Chrétiens ; des êbn Khaledovn (l), des puis plusieurs années entre la France
Léon l'Africain parmi
Arabes, les
et Tunis s'accrurent encore en Tannée
(-2),
et de tant d'autres savants illustres mais ;
1845, et les deux gouvernements virent
qui depuis plusieurs siècles n'ont plus les liens qui les unissaient se resserrer

été fameuses que par l'ignorance la plus de nouveau, par la visite amicale que
abjecte et la plus infâme piraterie (3). vint rendre le duc de Montpensier au
Pachâ de Tunis.
(i)Le nom de ce célèbre historien arabe Le prince tunisien n'avait, sans doute,
est un de ceux qui ont le plus souvent retenti, pu voir qu'avec un secret plaisir notre
depuis quelques années, dans le monde sa- attaque d'Alger humilier la Régence qui
vant ; et les manuscrits que possèdent mainte-
s'était montrée la constante ennemie de
nant de ses ouvrages plusieurs bibliothèques
Tunis; mais ensuite il avait pu être alarmé
de l'Europe ont pu nous convaincre qu'il
de nous savoir si près de lui depuis que
n'y avait rien d'exagéré dans les éloges que
notre conquête avait été complétée. Ce-
lui ont donnés les Orientaux.
Son nom entier pendant, il avait fini par comprendre
est Oualy-êd-dyn-abou-
Zeyd~Abd-êv-Rahman : on ne sait d'où lui qu'il navait rien à redouter du voisi-

vient le surnom ftEbn-Khaledoun, sous lequel nage de la France, et qu'il ne pouvait


il est généralement connu il naquit à Tunis,
;
en recevoir que la contagion de sa géné-
l'an732 de l'hégire ( i33<2 de notre ère). reuse civilisation.
Après avoir étudié dans sa patrie auprès des Les Français établis à Tunis avaient eu
hommes les plus savants de son temps, il s'at- plus d'une fois occasion de se convaincre
tacha au général Mohammed-ben-TafarKen, de ces nouveaux sentiments du Bey,
gouverneur de Tunis ; puis il passa au service par les marques de bienveillance par-
des souverains de Fez et d'autres princes ticulière qu'ils en avaient reçues en plu-
d'Afrique. sieurs circonstances; ils apprirent avec
L'an 784 de l'hégire ( 1 385 de l'ère chré- joie la nouvelle du projet qu'avait formé
tienne) il quitta tout à fait cette contrée
un des fils du roi de venir visiter le pays
pour passer à Alexandrie, et de là au Kaire,
consacré par la mort de saint Louis;
où il fixa sa résidence; il y fut nommé gjand
et ils regardèrent cette visite comme le
Qâddy des Maiekites par le sultan mamlouk
plus sûr moyen d'assurer les privilèges
Barqouq. Destitué plusieurs fois, par suite
d'intrigues, mais rétabli chaque fois avec
dont ils jouissaient dans la Régence, en
honneur dans cette place éminente, il suivit confirmant Amed-Pachâ-Bey dans les
en Syrie Faradj, successeur de Barqouq, qui dispositions favorables qu'il manifestait
allait n'opposer aux progrès de Tamerlan. habibuellement à leur égard, depuis son
Quoique accueilli de la manière la plus favo- avènement au trône.
rable par le conquérant mogol, qui voulait Parti d'Alger le 18 juin, à midi, sur la
l'attacher à sa cour, Ebn-Klialedoun revint corvette le Gomer, commandée par le
au Kaire, où il mourut dans les derniers jours capitaine Goubin, le voyageur royal ar-
de Ramaddân de l'an 808 de l'hégire ( 1406
de notre ère ), âgé de soixante seize ans et septembre annoncent qu'une proposition doit
vingt-cinq jours. être présentée à l'Assemblée nationale législa-
(2) Voyez sur cet illustre géographe la note 1, tive pour en obtenir une allocation en fa-
page 33 , ci-dessus. veur de cet établissement afin de lui donner
,

du collège de Tunis paraît avoir


(3) L'utilité toute l'extension dont il est susceptible, et
été appréciée par notre gouvernement et avoir que réclament les intérêts réunis de la Régence
excité son intérêt; les journaux du mois de et de la France.
TUNIS. 507
riva le 20 au matin en vue du fort de la dues à Florence et portant les armes
Goulette. des Médicis avaient été données en pré-
,

Le consul général chargé des affaires sent à la Régence, il y a plusieurs siè-


de France, M. de Lagau, qui venait d'ar- cles, par un des ducs de la Toscane, et
river à Tunis sur le Lavoisier, avait pré- attestent ainsi le soin qu'avaient les pe-
venu le Bey de l'arrivée de l'hôte illustre tits souverains de l'Italie de se mainte-
que la France envoyait pour le visiter; nir en bonne intelligence avec les États
Ahmed-Pacha avait témoigné combien barbaresques , dont ils redoutaient l'a-
il était flattéd'une telle visite, et avait gression.
assuré le consul qu'il n'épargnerait rien Une voiture du Bey, envoyée par ce
pour en témoigner sa reconnaissance. prince, conduisit à Tunis le duc de
On doit, en effet, avouer que l'ancienne Montpensier, accompagné d'une escorte
hospitalité arabe n'aurait pu, dans une de cavalerie, commandée par un officier
pareille réception , donner des preuves français. Sur le passage du prince était
d'une courtoisie plus ingénieuse et plus accourue une population nombreuse
délicate, renouvelant la magnificence d'indigènes qui se pressait de toute part
,

chevaleresque des anciens Maures de autour d u cortège, et dont le mouvement,


Cordoue et de Grenade. la variété des costumes, les bournous
Depuis plusieurs jours un palais déli- admirablement drapés, dissimulaient la
cieux, nommé Dar-êl-Bey, à la fois élé- nudité de l'immense plaine qui sépare de
gant et magnifique, meublé entièrement la ville îe rivage de la mer.
à l'européenne, mais rappelant dans ses Le duc descendit à la porte même du
exquises recherches les merveilles féeri- palais que le Bey avait mis à sa disposi-
ques des mille et une nuits, avait été pré- sion , et que ce prince n'habite lui-même
paré par le prince musulman pour re- que rarement ne l'occupant qu'une fois
,

cevoir et fêter son hôte chrétien. ou deux chaque année dans le mois de
Le fort de la Goulette salua le prince Ramaddân. On se ferait difficilement
français de vingt-et-un coups de canon : une idée de la somptuosité des appar-
le Bey y avait envoyé au-devant de lui ses tements de ce palais, de la beauté des
deux ministres Sydy-Moustajâ, saheb- marbres, delà richesse des incrustations,
êl-tabè (garde des sceaux), et Sydy- de l'élégance des mosaïques, et de l'ex-
Mahmoud, kyahyat-halq-êl-ouad ( mi- quise délicatesse des sculptures qui le dé-
nistre de la marine et gouverneur de la corent.
Goulette (1) ) : ce dernier n'était pas étran- Le Bey avait eu l'ingénieuse préve-
ger à la France ; car c'est lui qui y avait nance d'en couvrir les murs de gravures
été envoyé par le Bey pour assister au représentant toutes les grandes batailles
sacre de Charles X, en 1825. qui dans le dernier demi-siècle ont il-
Le duc de Montpensier fut reçu à la lustré la France, depuis les premières
Goulette dans unpalaisqueleBey y a fait victoires de la republique en Italie jus-
élever, mais qu'il n'habite que pendant la qu'à la prise de Constantine.
saison des bains de mer. Ayant pris possession de cette magni-
Avant de se rendre à Tunis il visita fique résidence, le duc de Montpensier
les fortifications de cette citadelle, dont reçut la visite de toute la cour du Bey, à
il examina soigneusement toutes les la "tête de laquelle se présentait ie Bey
parties, et dont II passa en revue la gar- du camp, nommé Sydy-Mohammed-
nison, armée à l'européenne. Son atten- Bey.
tion y fut particulièrement attirée par Le titre de Bey du camp est celui
deux anciens canons d'uncalibre énorme, qui est attribué à l'héri ier présomptif
véritables objets d'art, et désignés sous du prince régnant, et qui n'est pas tou-
les noms de Saint-Pierre et de Saint- jours son descendant immédiat : car on
Paul; ces deux pièces d'artillerie, fon- saitque dans la Régence la couronne
ne se transmet point nécessairement du
(r) L'expressionhalq-êl-oudd , qui signifie père au fils mais que le droit de succes-
,

proprement la gorge au canal ,


est la déno- sion est dévolu au plus âgé des princes
mination particulière sous laquelle les Tuni- de la famille royale c'est ainsi que
:

siens désignent la Goulette. Moustafâ-Bey avait succédé à son frère,


, ,

!0S L'UNIVERS.
quoique celui-ci eût un fils, et que pour certains jours consacrés par la re-
maintenant ce flls est le successeur pré- ligiondu Prophète.
sumé â'Ahmed-Pachâ-Bey, dont il n'est
que le cousin.
Le Bey du camp est particulièrement
chargé de la levée des impôts dans les
provinces pour faire cette collecte il
:

part chaque année deux fois de Tunis


c'est-à-dire dans les deux saisons d'été
et d'hiver, à la tête d'une petite armée,
et il parcourt successivement toutes les Le dessin ci-dessus représente cet éten-
divisions du territoire : cette double dard sacré, sur lequel est figuré le cime-
tournée annuelle est pour lui une occa- terre d'Aly entouré d'une inscription
sion toute naturelle d'apprendre à con- arabe où on lit la légende suivante :

naître d'une manière plus particulière


les contrées et les populations sur les-
B-ism Illah ér-rahmân êr-rahym —
Ennâ fatahnâ le Koum fatehânn
quelles il est appelé à régner un jour (1).
mobeynânn.
Le prince français reçut en même
temps Sydy - Moùstafâ - Khaznadar, « Au nom de Dieu clément et rnisé-
beau-frère du Bey, grand trésorier ou mi- « ricordieux, — certes nous vous avons
,

nistre des finances et qui est un de ceux


, « accordé une victoire éclatante (4). » .

dont les conseils ont le plus de poids dans Ahmed-Pacha attendait le duc de
le gouvernement; Sy dy -Moùstafâ- A gha, Montpensier dans la plus belle salle de
ministre de la guerre, autre beau-frère son palais; en l'apercevant il courut
du Bey, Sydy-ben-Ayad, personnage l'embrasser, et le plus affectueux entrer
très-influent et qui appartient à l'une des tien eut lieu entre eux pendant plus
plus grandes familles du pays, les reli- d'une demi-heure. Le prince visita en-
gieux de la mission apostolique , et enfin suite non-seulement les divers apparte-
une nombreuse députation des Français ments du palais, mais encore la caserne
qui résident à Tunis. qui y est annexée, puis de là il se rendit
Le lendemain 21 le duc alla rendre à la Manouba, autre palais magnifique
visite au Bey au palais du Bardo (2). Des des anciens rois maures maintenant,

salves d'artillerie y fêtèrent la bienvenue transformé en caserne de cavalerie, et en-


de l'hôte français; pour sa réception le suite à une autre caserne, celle de l'artil-
Bey fit arborer l'étendard de l'islamisme lerie, placée dans un palais d'une plus
portant la représentation du cimeterre simple architecture, et qui fait moins
à double lame (3) réservé uniquement
,
regretter que la Manouba le nouvel em-
ploi auquel sont consacrées les magnifi-
(i) Le Bey du camp actuel est grand ama-
cences des anciens palais arabes.
teur de peinture, de sculpture et de ciselure;
il passe de longues journées à tourner le Ason retour à Tunis le prince trouva
cuivre, le bois et l'argent. On a de lui de fort les cours du Dar-él-Bey remplies d'une

jolis ouvrages qui feraient honneur à d'habiles foule de visiteurs à turbans; c'étaient
artistes européens. De mœurs douces, d'ha- les protégés de la France, des Grecs
bitudes paisibles, vivant au milieu d'une fa- des Juifs, surtout des Algériens en grand
mille nombreuse , où grandissent ses cinq nombre; la démarche de ces derniers a
filles et ses quatre fils, il jouit en sybarite produit beaucoup d'effet sur la popula-
d'une très-grande fortune, et n'envie nulle- tion tunisienne , regardant comme le
ment le pouvoir souverain. plus bel hommage rendu à la France et à
(2) Voyez sur ce palais ci-dessus, page 11. son ascendant en Afrique cetempresse-
,

(3) Ce cimeterre est celui que la tradition


prétend avoir été porté par Aly, gendre du « Il n'y a d'épée que Dou-l-fiqdr, et de héros
Prophète, et qui lui avait été donné par Ma- « que Aly. »

homet lui-même. On donne à cette arme sacrée (4)Ces paroles forment le premier verset
le nom de Dou-l-fiqdr, et un axiome souvent du quarante-huitième chapitre du Koran,
répété par les Musulmans est cette phrase : intitulé Sourat-êl-Fatèh ( chapitre de la Vic-

Mdseyf êlldDou-l-fiqâr, ou-mâ fetd êlld-Aly :. toire ).


,

TUNIS. 209
ment des Algériens musulmans établis Le 24 le duc de Montpensier reçut au pa
à Tunis, à comprendre et accepter la nou- lais qu'il habite la visite iï Ahmed- Pachâ-
velle condition de leurs frères d'Alger. Bey lui-même : c'est la première que ce
Le dimanche 22 fut consacré par le prince ait jamais rendue, et la plus grande
duc de Montpensier à la visite de la cha- preuve de l'affection qu'il porte à la
pelle dédiée à saint Louis, où il fut reçu France. Cette visite fut suivie presque
par l'aumônier revêtu de ses habits sa- aussitôt de l'envoi de présents magnifi-
cerdotaux (1); puis il parcourut toutes ques, consistant en superbes chevaux de
les ruines de l'ancienne cité d'Annibal race, un sabre d'un travail merveilleux
depuis le lieu où Ton s'accorde générale- et couvert de diamants, une selle d'une
ment à reconnaître la trace des deux richesse admirable, de riches étoffes, etc.
ports , en passant par les fameuses ci- Le prince français laissa à son tour
ternes si souvent signalées par les voya- aux principaux officiers du Bey de riches
geurs jusqu'au cap à la pointe duquel
, souvenirs de son passage dans leur pays.
l'auteur de ¥ Enéide a placé le bûcher de Le lendemain 25 après avoir visité la
,

Didon. fonderie de canons, dirigée par le lieute-


Le 23 le Bey reçut son hôte à la nant-colonel Lecorbeiiler; le duc de
Mohammedyéh, autre résidence royale, Montpensier partit pour Alexandrie;
à quelques lieues de Tunis. Pour s'y mais avant son départ il avait été faire
rendre on traverse un lac d'eau salée, une dernière visite au Bey, qui dès la
dont le fond, à sec pendant l'été, ne mon- veille était venu coucher dans son palais
tre alors qu'une couche de sel blanc, qui de la Goulette pour s'y préparer à rece-
de loin ressemble encore à une nappe voir les adieux de l'hôte illustre qui allait
d'eau. Le prince y fut également salué le quitter, et qu'il semblait ne voir partir
par l'artillerie et par l'étendard de Ma- qu'avec regret.
homet flottant sur le palais. Mais cet illustre visiteur ne fut pas le
Au retour le prince visita la caserne seul envers lequel le Bey de Tunis eut à
du colonel Sélym, soldat digne des temps exercer sa magnifique hospitalité bien- :

héroïques de l'empire ottoman il y a


: tôt deux autres fils du roi Louis-Philippe,
quelques années il avait combattu corps le duc d'Aumale et le prince de Join-
à corps une panthère qui s'était échappée ville,dédommagèrent Ahmed-Pachâ-
de la ménagerie du Bardo, et son bras Bey du départ du duc de Montpensier, et
droit a gardé les traces des dents de l'a- vinrent à leur tour visiter la Régence (3) ;

nimal furieux. on n'a pas besoin de dire que les deux


Quoique cette caserne ait été cons- princes français y furent accueillis avec
truitepour sa destination et ne soit pas le même empressement et la même cor-
un ancien palais, elle mériterait d'en dialité hospitalière que l'avait été leur
porter le nom au centre est une cour
: jeune frère, par le souverain de Tunis ,
immense pavée en dalles de marbre et qui se montra heureux de trouver dans
entourée d'élégantes galeries ; là encore cette triple visite une preuve certaine de
l'instruction des troupes est en grande
partie l'œuvre d'un officier français (2). un second régiment de cavalerie.
d'artillerie et
Les soldats tunisiens sont armés et habillés
à l'européenne ; l'infanterie porte le pantalon
(i) Le duc de Montpensier décora M. l'abbé garance et une petite capote bleue semblable
Bourgade de la croix de la Légion d'hon- à celle de notre infanterie légère ; la cavalerie,
neur, juste récompense de son zèle patrio- lanciers et chasseurs, pantalon garance, ca-
tique et de sa charité infatigable. pote bleue ; l'artillerie , capote et pantalon
(2) Cet officier est le commandant Gillard. bleus. Toute l'armée est coiffée du fez, orné
On a vu ci-dessus que ces troupes mon- de jugulaires et d'une plaque en cuivre sur-
taient maintenant à 20,000 hommes effec- montée d'ornements qui indique l'arme et le
tifs : à l'avènement de Ahmed-Pacha- Bey numéro du régiment.
elles ne se composaient quede deux régiments (3) Le prince de Joinville arriva à Tunis

d'infanterie s'élevant tout au plus à 5,ooo le 28 juin 1846; il y fut rejoint le 5 juillet
hommes il en porta d'abord l'effectif à 10,000
;
par son frère le duc d'Aumale, et tous deux
hommes, et créa un régiment de cavalerie; quittèrent la capitale de la régence le 7 juillet
quelque temps après il forma un régiment suivant.

14 e Livraison. (Tunis. 14
)
210 L'UNIVERS.
la bienveillance du gouvernement fran- qu'il jugeait si sagement devoir concou-
çais, et la triple confirmation des pro- rir à l'amélioration et au bonheur futur
messes de bonne intelligence et d'appui de son pays.
qu'ilen avait déjà reçues à différentes Aucun des préjugés si anciennement
époques. enracinés dans les contrées orientales ne
put arrêter l'exécution de ce projet d'une
CHAPITRE XX. propagande vraiment philanthropique,
Voyage du Bey de Tunis en France; — son et le Bey s'embarqua au port de Porto-Fa-

embarquement à Porto-Farina ;
— hauts
rina, à la fin de l'année 1262 de l'hégire
(novembre 1846 de notre ère), sur le
fonctionnaires dont il se fait accompagner ;
— sa réception à. Paris; ses visitesaux divers
bateau à vapeur français le Dante , que
monuments et établissements publics ; — ses notre gouvernement s'était empressa
aumônes; — son retour dans ses États. de mettre à sa disposition.
Tl s'était fait accompagner, dans le
Depuis ces royales visites Sydy-Ahmed- voyage qu'il venait d'entreprendre, par
Pachâ-Bey n'avait cessé de saisir toutes une suite nombreuse des Tunisiens les
les occasions dans lesquelles il pouvait plus recommandables parmi lesquels
,

manifester sa sympathie pour la France on remarquait deux des principaux per-


et son désir de lui être agréable; s'en- sonnages de Régence
la Moustafâ-
,

quérant du progrès des arts en Europe, Khaznadâr son grand trésorier, et


(1),
surtout en France, et impatient de voir Moustafâ-Aghâ, son ministre de la
se reproduire dans ses États, par les guerre tous deux ses beaux-frères bien
, ,

mains de ses sujets, les merveilles qu'il capables l'un et l'autre de seconder ses
en avait apprises. Déjà il avait introduit intentions en étudiant et appréciant nos
dans les États de la Régence plusieurs systèmes administratifs, financiers et
manufactures où se fabriquaient avec les militaires.
laines tunisiennes les draps et les étof- On remarquait aussi à la suite du
fes qui jusque alors avaient été tirés des prince tunisien un autre de ses beaux-
fabrications étrangères il avait annoncé
: rrères, le général Mohammed- Mora-
le dessein de fonder à Tunis une impri- beth, M. Raffo, secrétaire et conseiller
merie, et d'autres projets encore de- de la Régence, le colonel Salah, com-
vaient peu à peu assimiler ces contrées mandant la garde du palais, le colonel
aux pays civilisés de l'Europe. Ahmed-Aly-êl-Diaf, premier secrétaire,
Mais bientôt il voulut donner une les colonels Khayr-êd-dyn et Hassouna-
preuve plus frappante et plus irréfra- Metely, le contre-amiral Hassouna-Mo-
gable du vif et sincère désir qui l'animait raly, le chevalier Lombroso, premier
défaire participer les Tunisiens aux bien- médecin.
faitsde la civilisation européenne non : Le Bey voulut aussi amener avec lui
content des communications habituelles deux vieillards de sa famille : peut-être
avec l'Europe, dont la facilité et la fré- par mesure de surveillance, et afin d'être
quence manifestaient aux peuples de la assuré en les tenant sous sa main qu'au-
Régence les avantages incontestables de cune brigue nuisible contre ses intérêts ne
cette civilisation, et tendaient journel- se formerait à Tunis pendant son absence
lement à la propager parmi eux il ré- , de sa capitale.
solut d'aller lui-même la voir de ses pro- 11 laissa en partant l'administration
pres yeux, dans le principal foyer des lu- de ses États à son cousin Sydy-Hamda
mières qui l'ont créée , et dont à son et à son premier ministre portant le titre
tour elle augmente le progrès et l'éclat. de Saheb-Tabè; mais il défendit expres-
D'après cette pensée, le Rey de Tunis sément à ces deux fonctionnaires qu'il ,

fit connaître à l'improviste, et à la grande investissait de son pouvoir, qu'aucune


surprise de toute sa cour, le dessein tête tombât à Tunis pendant son absence.
qu'il avait conçu de quitter momentané- Cette dernière marque d'une huma-
ment ses États, pour aller en personne
visiter la France et Paris; explorer les (r) Le mot khaznaddr , ou khazindâr, si-
causes de l'état florissant de nos con- gnifie trésorier; ce titre se donne aussi à
trées, et en réexporter les connaissances, l'administrateur général des finances.
,

TUNIS. 211

nité rare parmi les princes de l'Orient,


si ment cordial dont il paraissait heureux.
que Bey comme un adieu à ses
laissait le AAix, ayant entendu des acclamations
sujets, avait ému tous les cœurs tuni- devant la porte de son hôtel il voulut ,

siens de reconnaissance; aussi, lorsque descendre dans la rue, et là, s'adressant


le Bey monta sur le bâtiment à vapeur au peuple , il dit qu'il regrettait de ne
qui devait le conduire en France, une pouvoir remercier en particulier chacun
multitude d'embarcations réunies spon- de ceux qui l'entouraient. Puis, aperce-
tanément et portant une population vant un drapeau tricolore, il ajouta en le
nombreuse, le suivirent longtemps hors montrant de la main : « C'est lui que je sa-
du port de la Goulette avec toutes les « lue pour tous. » Ce mouvement plein de
marques du plus vif regret; le Bey lui- noblesse impressionna vivement la foule.
même était fort touché de ces démons- 11 arriva à Paris le 23 novembre, à
trations d'attachement. une heure après midi, par un convoi spé-
Avant de s'embarquer il avait réuni cial que l'administration du chemin de
son armée à la Goulette pour la passer fer d'Orléans avait mis à la disposition
en revue « Je vous quitte, avait-il dit,
: du prince et de sa suite.
« mais c'est pour vous que je vais en Le palais de l'Elysée fut donné au Bey
« France. » pour son logement, et le lendemain
Parti le 14 du mois de Dou-l-hadjéh, même de son arrivée à Paris il fut reçu
1262 (5 novembre 1846), après une en cérémonie au Tuileries, par le roi et
heureuse traversée et une navigation de par toute la famille royale ; il fut conduit
quatre jours, le Beyarriva à Toulon le 17 à cette réception solennelle par le comte
de Dou-l-hadjéh (8 novembre). de Saint-Mauris,introducteurdes ambas-
Le ministre des affaires étrangères sadeurs et y parut suivi de Moustafâ-
,

avait envoyé dans ce port, pour l'y rece- Khaznadâr et de Moustafâ-Àghâ la :

voir et l'accompagner dans son voyage connaissance que ce prince a acquise de


à travers la France, le premier secrétaire la langue italienne, qu'il parle avec as-
interprète de son ministère, M. Alix sez de facilité, lui permit d'entretenir
Desgranges, et un aide de camp du mi- avec le roi une conversation suivie, sans
nistre de la guerre avait été chargé de avoir besoin de recourir à l'interprète
veiller aux soins de la route , au maté- qui lui avait été donné pour l'accompa-
riel des transports et aux autres détails gner à cette présentation (l).
du voyage. Ahmed-Pachâ-Bey employa les jour-
Admis au bout de cinq jours (le 13 no- nées suivantes à visiter les monuments
vembre) à la libre pratique , il fut reçu les musées du Louvre, d'histoire natu-
à son débarquement dans le port par relle, d'artillerie et les autres merveilles
toutes les autorités civiles et militaires, de notre capitale; à explorer nos manu-
et fut accueilli à la préfecture maritime factures, nos établissements industriels;
avec tous les honneurs qu'on décerne à assister à des revues brillantes soit ,

ordinairement aux princes régnants et au fort de Vincennes, soit au vaste hip-


alliés de la France. podrome du Champ de Mars, où l'on dé-
Mais il se refusa à faire un plus long ploya pour le fêter, tout l'appareil qui
,

séjour dans cette ville, et à peine y avait- quelques mois auparavant avait été mis
il pris quelques instants de repos, qu'im- sous les yeux d' Ibrahim- Pachâ, et le
patient de connaître la capitale de la souverain de Tunis se montra aussi im-
France , il se hâtait de prendre la route pressionné à ces divers spectacles, si
deRoquevaire, se dirigeant directement nouveaux pour lui ,
que l'avait été le fils
vers Paris.
Partout sur sa route, depuis Toulon (i) Cet interprète était M. Alix Desgranges,
jusqu'à la capitale, Ahmed-Pachâ fut dont j'ai parlé ci-dessus , etqui joint aux
reçu en souverain , et des salves d'artil- fonctions de premier secrétaire interprète
lerie annonçaient son .passage; partout des langues orientales au ministère des affaires
où il s'arrêtait les autorités venaient le étrangères , celle de professeur au Collège de
complimenter , et des gardes d'honneur France et à l'École des jeunes de langues éta-
lui étaient données; les populations blie au collège Louis-le-Grand , sous la direc-
montraient sur son passage un empresse- tion de son frère M. Desgranges aîné.

14.
,,

212 L'UNIVERS
du vice-roi d'Egypte comme lui il ren-
: la variétépittoresque de ses sites, et sur-
dit un juste hommage à la splendeur ar- tout son précieux Musée historique, ob-
tistique industrielle et militaire de la tinrent également le tribut des éloges et
France, qui se plaisait ainsi à dérouler l'admiration du prince tunisien.
successivement devant son nouvel hôte A la grande revue du Champ de Mars,
le tableau de ses richesses en tout genre. dans laquelle se pressait l'élite de l'ar-
Le 25 il visita l'école Militaire et les mée française, on remarqua que, s'asso-
Invalides ; entré dans l'église et arrivé ciant déjà à nos usages européens , et
devant le cercueil de l'Empereur, il se re- s'assimilant pour ainsi dire à ces Fran-
cueillit longtemps. « Voici, dit-il enfin çais qu'il venait visiter, le prince afri-
« celui qui a rempli l'univers de son cain portait les épaulettes de nos offi-
« nom, et dont la gloire éclaire encore ciers généraux et s'était ceint du grand
« le monde! » Comme on lui montrait cordon de la Légion d'honneur dont le
encore l'épée de l'Empereur « Cette : roi lui avait envoyé précédemment la
« épée dit-il, a remporté bien des victoi- décoration (2).
» res ; mais la plus belle c'est quand
, Bien plus, en passant devant le front
« les Français s'égorgeaient entre eux des régiments d'infanterie qui avaient
« de les avoir défendus contre eux-mê- pris une part glorieuse à la guerre d'A-
« mes et de leur avoir donné la paix in- frique et voyant leurs drapeaux criblés
,

« térieure. » par les balles algériennes, le Bey, en les


L'hôtel de la Monnaie (1), le Jardin honorant d'un salut plusieurs fois ré-
des Plantes, le puits de Grenelle, la bi- pété, voulut applaudir aux victoires rem-
bliothèque Nationale furent aussi l'objet portées par ces braves soldats sur les
de l'examen attentif du Bey; dans ce ennemis naturels et longtemps acharnés
dernier établissement il admira la collec- de la Régence qu'il gouverne.
tion magnifique de manuscrits orien- Sa première visite à Versailles n'avait
taux, et lut avec intérêt les originaux au- pas suffi pour satisfaire la curiosité du
tographes qui y sont conservés , de plu-
,
Bey bientôt après il renouvela cette vi-
;

sieurs traités conclus entre la France et site ,et fut reçu sur la magnifique ter-
quelques-uns des princes ses prédéces- rasse qui borde' la grande façade du châ-
seurs au trône de Tunis. teau, par le corps entier de l'École de
Lors de sa visite à l'école Polytechni- Saint-Cyr, qu'il passa en revue. « J'ai
que, il assista, dans le grand amphithéâ- « déjà vu, dit-il à ces jeunes élèves,
tre, aux curieuses expériences de physi- « j'ai déjà vu aux Invalides l'ancienne
que et de chimie, dont chacune fut pour « gloire de la France; à la revue de son
lui etpour sa suite l'occasion d'une sur- « admirable armée au champ de Mars,
prise nouvelle, et ouvrait à son esprit les « j'ai vu sa gloire présente; maintenant,
perspectives les plus inattendues. « Je « en vous je vois sa gloire future. »
« ne m'étonne plus, disait-il du grand , Toutefois au milieu des fêtes qui fu-
,

« renom de cette école dans le monde. rent données alors au Bey de Tunis
« J'ai déjà moi-même des remercîments pour célébrer sa bienvenue on prétend
,

« à lui présenter, car c'est de son sein que plus d'une puissance européenne
« que sont sortis les habiles officiers et éprouva quelque jalousie de ce cérémo-
« les savants ingénieurs dont la France nial, et témoigna même son méconten-
<v a bien voulu me prêter le concours ;
tement, de voir traiter en prince souve-
« Tunis leur devra sa régénération fu- rain un Bey, qu'elles s'obstinaient à ne
« ture : la science partage avec l'épée le considérer que comme un simple vassal
« privilège de fonder des empires et de de la Porte-Ottomane.
« les maintenir. »
Versailles, la masse imposante de ses (2) Depuis que le Bey avait reçu à Tunis
grandes eaux l'étendue de son vaste
,
celte décoration il se faisait honneur de s'en
parc, ses magnificences architecturales, parer dans les grandes circonstances» et surtout
dans ses audiences solennelles ; on l'avait vu
(î) Suivant l'usage de cet établissement on se revêtir de cet insigne européen lorsque,
y frappa devant le royal visiteur une médaille avant son départ pour la France, il avait été
commémoraùve de son voyage en France. faire ses adieux au tombeau de son père.
,

TUNIS. 213

Ce mécontentement diplomatique alla tainebleau , et de làse rendre immédia-


même, dit-on, jusqu'à motiver une pro- tement à Toulon , où l'attendait le vais-
testation formelle de l'ambassadeur du seau le Labrador, qui devait le reporter
sultan de Constantinople contre ces dans ses États.
honneurs, qu'il regardait comme excé- Mais avant son départ, voulant laisser
dant l'étiquette obligée, et qu'il préten- parmi nous un souvenir de son voyage
dait être une offense à la dignité de son plus intéressant et plus honorable que
maître, dont, suivant lui, la France celui de la curiosité qu'il avait partout
semblait ainsi méconnaître la suzerai- excitée, ce prince envoya au préfet du
neté. département de la Seine une somme de
Depuis cette époque, l'orgueil ottoman vingt-cinq mille francs, destinée à être
se donna chaque année la satisfaction distribuée aux familles indigentes de Pa-
d'essayer la menace d'une expédition ris dont cette année calamiteuse avait
contre Tunis ; obligeant par là la France, accru la détresse; déjà, à son premier
à chacune de ces démonstrations, de faire passage en se rendant à Paris , il avait
sortir de Toulon quelques vaisseaux des- laissé dans toutes les villes où il couchait
tinés à croiser dans la Méditerranée, afin des sommes considérables pour le sou-
de tenir en respect le mauvais vouloir du lagement des classes malheureuses; à
gouvernement ottoman. Roanne ému douloureusement des dé-
,

Indépendamment de cette position sastres qui venaient de frapper cette


demi-hostile de Constantinople envers malheureuse ville, il avait voulu con-
Tunis, d'autres embarras sont venus courir par une somme de cinquante mille
encore compliquer l'état actuel des af- francs à leur réparation témoignant
:

faires de la Régence : les réformes sa- ainsi que pour le véritable esprit de cha-
lutaires que le Bey régnant avait entre- rité, le malheur et la compassion répa-
prises, et qu'il a poursuivies avec cons- ratrice sont de toutes les religions et ,

tance et vigueur dans ses États , ont par ces actes de bienfaisance d'un fidèle
soulevé les mécontentements de la par- croyant envers des infidèles, il a mérité
tie la plus fanatique et la moins éclairée d'entendre sur son passage les bénédic-
de la population ; mais, malgré ces dif- tions du pauvre se mêler aux acclama-
ficultés le Bey n'en continue pas avec
, tions louangères des flatteurs et des
moins de pertinacité sa marche progres- courtisans.
sive , et les inspirations de notre diplo- La traversée du Bey pour son retour
matie, qui ont prévalu jusqu'à ce jour à Tunis dura cinquante-deux heures et ,

dans le conseil du gouvernement tuni- il arriva à la Goulette le 30 décembre;

sien , l'ont rattaché à nos intérêts qui ,


en uassant de nuit aux environs du cap
sont en même temps les véritables inté- Blanc , le Bey remarqua que la côte of-
rêts de la Régence. frait des dangers pour les navigateurs
Ce résultat est pour la France de l'im- et il décida aussitôt qu'un phare serait
portance la plus haute, puisqu'il assure immédiatement construit sur l'un des
la frontière orientale de nos possessions îlots des Cani, terminant ainsi son pè-
algériennes, et nous permet ainsi de lerinage au centre de la civilisation
tourner toute notre attention sur ie voi- comme il l'avait commencé , par un acte
sinage inquiétant de Marok : la conser- d'humanité et de bienfaisance, heureux
vation d'une pareille alliance devra donc présage pour les peuples de la Régence
paraître bien désirable, malgré les in- des fruits qu'ils devaient incessamment
convénients et les ombrages que pour- recueillir de la pérégrination philanthro-
raient faire penchant d'Jh-
naître le pique de leur prince (1).
med-Pachâ-Bey pour France, son
la
voyage à Paris, et la manière solennelle
dont notre pays a accueilli son hôte
africain.
Quoi qu'il en soit, après un séjour de (i) Lorsque, du vaisseau qui l'emportait loin
près d'un mois à Paris, Sydy-Ahmed- de Tunis , Alimed-Pachd avait vu disparaître
Pachâ-Bey a quitté cette capitale le les côtes de l'Afrique, il s'était écrié « Les :

16 décembre pour aller coucher à Fon-, u princes musulmans en allant dans l'Arabie
214 L'UNIVERS.
Je terminerai ici ce Tableau historique et se conformant à l'usage presque géné-
du passé et du présent de Tunis, où les ralement suivi par ses prédécesseurs , a
lecteurs trouveront même une anticipa- d'avance désigné son cousin Mo hammed-
tion, pour ainsi dire, sur l'histoire de Bey , fils de son oncle Houssêyn-Bey,
son avenir/puisqu'ils y auront appris(l) comme héritier présomptif de la souve-
que Sydy Ahmed- Pachâ-Bey , n'ayant raineté de la Régence :le peu de détails
pas d'enfants qui puissent lui succéder, dans lesquels je suis entré sur le carac-
tère et les habitudes de ce futur souve-
« visiter les deux villes saintes ( Haraméyn ),
rain de Tunis annonce dès à présent
« aspirent à obtenir le de pèlerin de
titre qu'il y sera le digne successeur d'Ak-
« la Mekke {hadjj) ; moi , je serai le premier med-Pachâ-Bey dans ses projets régé-
« qui ait été visiter la terre des Francs pour nérateurs et dans ses efforts pour y
« mériter le titre de pèlerin de la civilisation introduire les sciences, les arts, et les
« européenne ( hadjy frandjy ). »
mœurs de l'Europe civilisée.
(i) Voyez ci-dessus, page 208.

TABLEAU GÉNÉALOGIQUE ET CHRONOLOGIQUE


DE LA DYNASTIE RÉGNANTE A TUNIS.

Aly et-Turky.

L Hassan Mohammed.
(1705).
I
III. Mohammed IV. Aly-Bey II. A!y-Pachâ.
(1756). (1759). (1735).

VII. Mahmoud VI. Othmân V. Hamoudah Younas.


(1814). (1814 ). (1782).
-JL
VIII. Housséyn IX. Moustafâ Ismayl.
(1824). ( 1835 ).

Mohammed. X. Ahmed -Pachâ


(1837).
,

APPENDICE.

NOTICE SUR LES MONNAIES DE TUNIS.

Bourbine — Bourbe — Aspre — Qarroube par les habitants felous-reqyq , c'est-à-


— — Sequin — Soultany —
; ; ; ;

Piastre diremenue monnaie ; les Européens qui


Mahboub ;
;

— ;

Monnaies de Tripoli
;

;
— font le commerce avec Tunis donnent à
Monnaies d'Alger, du ft_aire , de Marok cette monnaie le nom de bourbine; il en
de Constantinople et d'Espagne ayant Gours faut douze pour équivaloir à un aspre,
à Tunis. par conséquent six cent vingt-quatre pour
composer la piastre tunisienne.
Les monnaies de Tunis n'ayant été Cette pièce de monnaie est presque
données jusqu'à présent que d'une ma- toujours tellement fruste et irrégulière-
nière fort inexacte et incomplète par les ment taillée, qu'elle ressemble souvent à
écrivains qui se sont occupés de la nu- des fragments informes coupés grossiè-
mismatique orientale , et dans plusieurs rement dans une lame de cuivre, et que
ouvrages consacrés à la description des nous ne pouvons en donner ici aucune
monnaies considérées sous le point de empreinte.
vue commercial, j'ai pensé qu'il serait monnaie, qui ne figure
D'ailleurs cette
utile et même agréable au lecteur de ici que pour mémoire, a presque cessé
trouver ici un tableau complet de ces d'être dans la circulation habituelle. Ces
monnaies, présentant, dans un cadre bourbines, qui avaient cours autrefois
resserré, avec leur fidèle empreinte, leurs dans le commerce de détail, en ont peu
rapports respectifs entre elles, et leur à peu disparu ; depuis près d'un demi-siè-
évaluation comparée à celle de nos mon- cle on n'en voyait que bien rarement,
naies européennes. et bientôt cette petite pièce ne sera plus
Je me suis d'autant plus volontiers dé- qu'une monnaie idéale, comme est la
cidé à joindre ici cette Notice que je me bourbe ou demi-aspre , dont je vais
suis vu dispensé par ce travail d'un assez parler.
grand nombre de notes , dont , sans cet Cependant on tient compte des bour-
Appendice spécial, j'aurais inévitable- bines dans les opérations de change, et
ment été forcé de faire l'insertion fré- dans les comptes, qui se tiennent en
quente au bas des pages du texte de l'O- piastres, qarroubes , aspres et bour-
puscule composé par le docteur Frank; bines, comme autrefois nous tenions
il n'était en effet, en rédigeant ses vingt nos comptes par livres, sols et deniers,
chapitres, entré dans aucun détail moné- quoique cette dernière division de la li-
taire, quoiqu'il en eût senti la néces- vre tournois ne fût plus devenue chez
sité indispensable, et s'était borné à nous qu'une monnaie idéale.
m'envoyer une collection des monnaies Au reste, dans cette disparition à peu
tunisiennes, me priant de faire un travail près totale des bourbines hors de la
à ce sujet : c'est ce travail, réclamé par circulation habituelle , on peut voir un
lui,dont je vais mettre un extrait abrégé indice de renchérissement progressif des
sous les yeux du lecteur. denrées et des marchandises de mince
valeur, qui a peu à peu rendu tout à fait
inutiles au commerce minime ces der-
nières divisions de la piastre c'est la :

La pièce de monnaie tunisienne laplus même cause qui a fait peu à peu dispa-
petite dans sa dimension et la plus basse raître chez nous les petites piécettes
dans sa valeur est en cuivre, et nommée de nos anciens deniers.
,

216 L'UNIVERS.

II. Le lecteur trouvera ici l'empreinte de


la qaroubah :
Lefels, que les Européens nomment
bourbe, n'est pas une pièce frappée.,
mais une monnaie idéale, qui n'est em-
ployée que dans les comptes elle équi- :

vaut à six bourbines; deux fels équiva-


lent à un aspre, et il en faut cent quatre
pour égaler la valeur d'une piastre tuni-
sienne.

III.

La pièce que les Européens nomment


aspre (1) ou blanquile ,gens
et que les
du pays désignent par de nas-
le nom La face A n'a d'autre légende que la
sery, vaut deux bourbes, ou douze bour- suivante, en trois lignes entourée d'un,

bines; il en faut cinquante-deux pour cercle accompagné d'une circonférence


former la valeur de la piastre tunisienne. ponctuée :

Je joins ici l'empreinte de cette petite


pièce d'argent.
Soultân — Moustafâ — Khan.
c'est-à-dire :

Sultan — Moustafâ — Khan.


Sur le revers on lit, comme sur la pré-
cédente, dourib-fy-Tounès ( frappé àTu-
nis), mais la date est ici différente, c'est
celle de l'année 1171 de l'hégire.
Le sultan Moustafâ, dont le nom
Cette petite monnaie porte à la face A,
est placé sur cette pièce comme sur la
dans un cercle ponctué, le nom du sul-
,

précédente, en hommage de suzeraineté,


tan Moustafâ;
est Moustafa-ben- Ahmed, troisième du
Sur le revers on lit dourib-fi-Tounès
nom, vingtième sultan de la dynastie
( frappé à Tunis ), avec la date de
l'armée
ottomane , qui occupa le trône de Cons-
1175 de l'hégire (1761 de l'ère chré-
tantinople de l'an 1 171 de l'hégire ( 1757
tienne).
de notre ère) à l'an 1187 de l'hégire
IV. (1774 de l'ère chrétienne); ainsi cette
pièce a été frappée l'année même de son
Le qarroube, ou la qarroube, que les avènement.
Tunisiens nomment qaroubéh ou qarou- Une observation digne de remarque
bah (2), vaut trois aspres et un quart est celle de la coïncidence parfaite du
ou trente-neuf bourbines; sa valeur est poids des anciennes qarroubes avec celui
la seizième partie de la piastre tuni- du gramme de notre poids décimal; ainsi
sienne (3). l'unité que nous avons adoptée pour
notre système pondéral se trouve être
(i) Cette dénomination est dérivée du mot aussi celle du système monétaire ancien-
a<mpoç, qui signifie blanc en grec vulgaire; en nement établi en Barbarie. S'il est vrai,
langue turke on donne aux aspres le nom de
comme l'ont assuré les auteurs du nou-
aqtcliék.
veau système adopté chez nous, qu'un
(2) Ce mot s'écrit aussi kharroubak , nom
des grands avantages qui devait résulter
du fruit que nous nommons carroube , et que
de son introduction soit que toutes les
les botanistes appellent siliqua dulcis.
pièces de monnaie peuvent en même
(3) Vojezi ci-dessus, page 86, ce qui a été
dit sur cette division par seize, employée par
temps servir de poids exact, il est bien a
les Tunisiens, non-seulement dans leur sys- regretter qu'en changeant le titre de la
tème monétaire, mais encore dans leur sys- qarroube, à Tunis , on en ait aussi
tème pondéral et dans l'échelle de leurs me- changé le poids sans cette altération
:

sures de longueur et de capacité. elle aurait eu sur la France l'avantage


TUNIS. 217

d'être à la fois l'unité du système pon- celui des secondes de 0,2874.Ce qui éta-
déral et du système monétaire. blit une valeur de 218 francs et 89 cen-
times pour le kilogramme d'argent, ainsi
qu'il estpayé dans les changes. Aussi
Enfin la piastre de Tunis, désignée la valeur de l'ancienne piastre était
dans le pays par le nom de riâl, est une de 1 franc 15 centimes en monnaie de
pièce d'argent de bas aloi qui vaut seize
,
France, tandis que la nouvelle ne vaut
qarroubes , cinquante-deux aspres ou qu'un peu moins de 62 centimes et un
nasserys, cent quatre bourbes (fels), et quart.
six cent vingt-quatre bourbines. Le rapport des poids entre ces deux
Je joins ici l'empreinte d'une piastre espèces de piastres est comme 2 est
tunisienne: à 3 ; celui qui résulte de leur diffé-
rence de titre est comme 287 est à 404,
et celui de leurs valeurs intrinsèques et
respectives, comme 8 est à 15.
Au reste dans le cours légal 4 piastres
et demie équivaudraient au mahboub,
dont il sera question ci-après cependant
:

le rapport entre ces deux pièces de mon-


naie est sujet à de grandes fluctuations ;
principalement par les opérations du
change entre la France et Tunis, et par
les altérations que le gouvernement tu-
La face A offre la légende suivante, nisien fait subir au titre de sa piastre.
en quatre lignes séparées par des traits :

VI.
Soultân el-Berréyn, — ou Khâqân êl-
Baharéyn ,
— Depuis une trentaine d'années on a frap-
Es -Soultân Mahmoud, — Khan, Azz pé à Tunis des pièces d'une plus grande
nasrho. dimension, et qui représentent deux pias-
Souverain des deux continents, —
et Monar- tres on leur donne le nom de ryâléyn.
que des deux mers, — ;

Leur empreinte, que je joins ici, est


Le Sultan Mahmoud, —
Khan, que Dieu
illustre sa victoire. A
Le Sultan dont cette pièce porte le nom
est Mahmoud-ben-Abd-êl-Hamyd ( on-
zième du nom), surnommé Adely, c'est-
à-dire le Juste , trentième Sultan de la
dynastie ottomane, qui régna à Constan-
tinople de l'an 1223 de l'hégire (1808 de
l'ère chrétienne) à l'an 1255 de l'hégire
(juillet 1839 de notre ère) ; il avait succédé
à son frère Moustafâ IF, détrôné le
28 juillet 1808, et il a eu pour succes-
seur son fils aîné, le Sultan Abd-êt-Med-
jyd, maintenant régnant.
Les piastres tunisiennes ont subi suc-
cessivement plusieurs variations dans
leur poids et dans leur titre ; cette alté-
ration a principalement eu lieu depuis
la fin du règne de Housséyn-Bey.
En effet, le poids des anciennes était
de 15 grammes et un peu plus d'un quart
de gramme (2,642 dix-millièmes); tan-
dis que le poids des nouvelles n'est que
de 11 grammes et moins d'un demi-
gramme (481 millièmes). Le titre des
premières était de 0,4040, et maintenant
218 L'UNIVERS.
entièrement semblable, sauf la grandeur, le nom de nousf- soultany ou de nouss-
la date et le nom du prince, aux simples soultâny.
piastres que nous venons de voir. Ces demi-sequins n'ont été frappés à
On lit en effet sur celle-ci la date de Tunis que depuis le commencement de
1218 de l'hégire (1) et le nom du sultan ce siècle c'est aussi de la même époque
:

Selym. Cette double piastre est reçue que date l'émission des quarts de se-
pour une valeur de 1 franc 60 centimes. quin (roub-mahboub).
Ces trois pièces d'or portent les mê-
VIL mes inscriptions, et ne diffèrent l'une
Depuis la même époque on a frappé de l'autre que par leurs dimensions res-
aussi des quarts de pectives ; en voici l'empreinte :
piastre, dont je
joins ici l'empreinte :
B

La face A porte, en quatre lignes


dans un champ partagé par trois traits
et entouré d'un double cercle séparé l'un
de l'autre par une rangée de points, l'ins-
Ces quarts de piastre portent la cription suivante, un peu différente de
même empreinte que les piastres et les celle des sequins d'Alger et d'Egypte,
doubles piastres n'en différant que par
,
dont ilsera question ci-après :
la dimension. Soultân — êl-berréyn ou él-baharéyn,
VIII.
— es-Soultân Moustafa — Khân a'zz ,

nasfho!
Le Souverain — des deux continents
Le sequin nommé mahboub ou zer-
,
« des et
mahboub, comme à Tripoli, auKaire et « deux mers. — Le Sultan Moustafa —
à Alger, est plus souvent désigné à Tu- « Khan que Dieu,
illustre sa victoire ! »
nis par le nom de soultany.
C'est une pièce d'or à peu près de la Le revers B présente, dans un en-
cadrement pareil, en quatre lignes
dimension d'un sequin de Venise mais ,

moins épaisse et dont la valeur est re-


,
non séparées par des traits, comme
çue, ainsi que je viens de le dire, pour dans le premier côté, l'inscription sui-

quatre piastres et demie, suivant son vante :

cours légal mais, par les raisons que j'ai


; 1185 — Dourib — fy — Tounes.
indiquées, son prix s'est élevé en l'année
c'est-à-dire :
1831 dans les changes de Tunis à Ginq
piastres et sept huitièmes, et dans ceux « 1 185 — frappé — à — Tunis. »
de Marseille à 6 francs 25 centimes ou L'an 1185 de l'hégire a commencé le
même 6 francs 35 centimes.
à
lundi 4 avril de notre année 1771.
Les mêmes causes qui avaient pro- Le Sultan sous lequel cette monnaie
duit cette hausse alors ont depuis cette
fut frappée est Moustafa III, dont nous
époque concouru à l'augmenter progres- avons déjà vu ci-dessus le nom cité sur
sivement.
une monnaie.
Le sequin a pour diviseur des demi- On trouve aussi des pièces de cette
sequins et des quarts.
nature avec la date de 1171 de l'hégire,
Le demi-sequin est une pièce d'or ap- époque de l'avènement de ce sultan au
pelée nousf-mahboub , et plus vulgaire-
trône de Constantinople (2).
ment nouss-mahboub ; on lui donne aussi
(a) L'an 1171 de l'hégire a commencé
le

(i) Cette année a commencé le vendredi mercredi 3 septembre de l'an 1757 de notre
io avril de l'an i8o3 de notre ère.
,

TUNIS. 219
On rencontre encore de ces pièces por-
tant la date de l'an 1 189 de l'hégire (1776
IX.
de chrétienne).
l'ère
Je ne croirais pas avoir complété, au-
Comme ces dernières pièces sont frap- tant qu'il m'est possible, ce qu'il m'a paru
pées sous le règne d'un autre sultan, important de faire connaître sur les
et offrent des légendes différentes, j'ai
monnaies de Tunis si j'omettais ici les
cru utile d'en offrir également ici l'em- empreintes de deux petites monnaies
preinte :
d'argent, très-minces et déforme carrée,
qui sont d'environ près de deux siècles
antérieures à celles que je viens de dé-
crire, mais qu'on peut cependant ren-
contrer quelquefois chez les changeurs
de Tunis.
Voici l'empreinte de la première :

La face A porte dans un double cercle


,

non ponctué, la même inscription que


Je sequin précédent, à l'exception toute-
fois du nom Moustafâ, remplacé ici par
celui de Abd-êl-Hamyd.
Le revers B présente, en quatre lignes,
Sur la face A on lit l'inscription sui-
vante , en quatre lignes :
la légende suivante :

Soultân —Ahmed ben-Mohammed —Khan,


Dourib — fy — Tonnes — 1189.
a'zz nasr-ho ! darb Tonnes. —
c'est-à-dire :
« Sultan —
Ahmed, fils de Mohammed —
« Frappé — à — Tunis, — 1 189. »
«Khan, que Dieu illustre sa victoire!
« frappe
*

— de Tunis. »

L'an 1189 de l'hégire, deuxième du


Le Sultan de Constantinople dont
règne du sultan Abd-êl-Hamyd, a com- monnaie porte nom
cette ancienne le
mencé le samedi 4 mars 1775 de notre quatorzième prince de la dynas-
était le
ère.
tie ottomane, que nos historiens con-
Le Sultan Abd-êl-Hamyd- Ben- Ah- naissent sous le nom de Achmet Ier du
med, dont cette pièce offre le nom, était nom , et qui régna depuis l'an 1012 à
le vingt-septième prince de la dynastie
l'an 1026 de l'hégire (1); quoique ni la
ottomane; il a régné de. Tan 1187 de
face ni le revers n'offrent de millésime
l'hégire ( 1771 de l'ère chrétienne) jusqu'à
il est probable que la date de cette mon-
l'an 1203 de l'hégire (1789 de notre
naie est l'année même de l'avènement du
ère).
prince.
Il avait succédé à son frère le Sultan
La seconde pièce de monnaie présente
Moustafâ, dont nous avons vu une mon- cette empreinte.
naie ci-dessus , et eut pour successeur
le Sultan Selym, fils de son prédéces-
seur.
Quoique les sequins et les demi-se-
quins de Tunis soient en général à un
titre aussi élevé que ceux du Kaire etd'Al-
ger, on a cependant coutume de ne les
admettre qu'au poids dans les payements
qu'on reçoit, ces pièces étant toujours
plus ou moins rognées , et correspon- (i) L'année 1012 de l'hégire a commence
dant rarement par leur valeur intrin- le mercredi ri juin de l'année i6o3 de notre
sèque à leur valeur nominale. ère.
220 L'UNIVERS.
On y lit, sur la face, A , dans un limbe canons (4), et la pièce d'or nommée qua-
quadrangulaire et ponctué, l'inscription druple, sont reçues habituellement à
suivante , en trois lignes : Tunis comme monnaies courantes dans
Soultân — Mourad ben — Ahmed- Khan. le commerce.

« Sultan — Mourad, de— Ahmed-Khan.


fils » XL
Le revers, B contient la légende sui-
,
Les relations fréquentes qui ont tou-
vante, en quatre lignes, entourées par jours existé, soit par le voisinage, soit
un limbe pareil à celui delà face: par le commerce, entre Tunis et Alger,
ont depuis longtemps introduit dans la
Azz nasr-ho ! — Darb Tonnes — Séneh — Régence de Tunis la circulation habi-
1033.
tuelle et autorisée des monnaies algé-
« Que Dieu illustre sa victoire — Frappe de riennes, surtout des pièces d'or, comme
— Année — 1033
!

« Tunis. (1). » aussi , par réciprocité, les monnaies tu-


nisiennes sont reçues à Alger non-seule-
Leprince qui régnait à Constanti-
nople à l'époque où cette monnaie a été ment dans les transactions du commerce,
frappée était le dix-septième Sultan de mais aussi dans les achats courants des
plus minimes denrées et des objets habi-
la dynastie ottomane, Amurat IF ; il
tuellement nécessaires à la vie.
occupa le trône depuis l'an 1032 de l'hé-
gire (2) jusqu'à Fan 1049 (3), époque à
On peut cependant remarquer que les
laquelle il fut remplacé par son frère
bourbes et les qarroubes de Tunis sont
lbrahym -Ben-Ahmed. moins répandues à Alger que les pias-
tres tunisiennes , et surtout les sequins
Ces deux dernières monnaies, qui sont
soultanys et les demi-sequins (nous/-
d'anciens parafe ou d'anciennes qarrou-
soultanys ) de la Régence.
bes, n'ont plus de cours habituel dans le
commerce, et ne reçoivent dans les En conséquence je crois utile de don-
changes qu'une valeur* idéale, relative ner ici l'empreinte des trois monnaies
algériennes qui ont le plus souvent cours
soit à leur poids , soit surtout à leur ra-
à Tunis.
reté.
Il est à remarquer que ce mode ex-
Empreinte delà qarroube algérienne :
traordinaire de frapper des monnaies
sur un flan quadrangulaire avait été
renouvelé, à l'égard des deux pièces pré-
cédentes de l'usage des princes al-Mo-
,

hades, qui ont fait fabriquer un grand


nombre de pièces d'argent de cette
forme ; mai s depuis cette dernière époque
cet usage a cessé d'être suivi , et on n'a
plus frappé sous lesprinces suivants que Empreinte du sequin algérien :

des monnaies dont le flan était plus ou


moins régulièrement circulaire. A. !B

X.
Les monnaies d'Espagne, telles que la
piastre colonnata, nommée par les Mau-
res bou-medfa , c'est-à-dire la pièce aux

(i) L'année io33 de l'hégire a commencé


le mercredi 25 octobre de l'an 1623 de notre
ère.
(2) L'an io32 de l'hégire a commencé le (4) Cette dénomination a été donnée aux
vendredi 2 5 octobre de l'année 1622 de l'ère piastres espagnoles par les Barbaresques à
chrétienne. cause des deux colonnes qui flanquent ï'écus-
(3) L'an 1049 de l'hégire a commencé le son , et que les Maures ont prises pour deux
mardi 2 3 avril de l'an 1639 de notre ère. canons.
,

TUNIS ftf
Empreinte du demi-sequin algérien : quelle les Européens donnent le nom de
a -» petit ducat d'or :

A J?

Je me bornerai à donner ici ces em-


preintes, l'explication de leurs légendes
XIII.
ayant déjà été dounée par moi dans
l'ouvrage que j'ai publié en 1844 sous Les monnaies de Tripoli sont encore
le titrede Tableau général des Mon~ plus fréquentes à Tunis que celles d'Al-
naies ayant cours en Algérie. ger, et les monnaies d'or surtout y sont
souvent plus nombreuses dans les forts
XII. payements que celles de la Régence.
Je crois donc devoir ajouter encore ici
Les monnaies de Constantinople, du les deux empreintes suivantes de ces
Kaire et même celles de Marok ont monnaies de Tripoli, qui sont remar-
comme celles d'Alger et de Tripoli, un quables par l'élégance avec laquelle elles
cours légal et habituel dans la Régence sont frappées :

de Tunis; j'ai jugé inutile de donner des


spécimens de celles des pièces de Cons-
tantinople et du Kaire, qui sont presque
entièrement semblables à celles qui sor-
tent des ateliers monétaires de Tunis,
de Tripoli et d'Alger, et je me bornerai
à donner ici l'empreinte des trois mon-
naies marokaines qu'on rencontre le plus
souvent dans le commerce à Tunis.
La première est le mouzounah, petite
pièce d'argent très- mince, équivalant à La face B,
, porte dans un double cer-
Vaspre de Tunis , et qui est reçue dans cleponctué, et en quatre lignes, l'inscrip-
cette ville pour la même valeur : tion suivante :

Soultân êl-berréyn, —ouKhâqan êlbaha-


réyn, — ês-Soultdn,— és-Soultân.êbn
« Souverain des deux continents — mo- et
narque des deux mers —
,

« Sultan , le , fils
— de Sultan.
« »

Cette inscription de la face est la


même que celle des sequins du Kaire.
La seconde , la drachme ou dirhem, Le revers, A, offre d'abord dans le ,

équivalant à quatre aspres :


même entourage, letoghrâ, ou chiffre
impérial, du Sultan Abd-êl-Hamyd, dont
nous avons déjà vu ci-dessus une mon-
naie puis en dessous de ce chiffre, et en
;

quatre lignes, on lit la légende suivante :

Dourib — fy — Traboulous-Gharb —
1187.
« Frappé— à —Tripoli d'Occident— 1187 (1). »

Cette monnaie a été frappée l'année de


l'avènement du Sultan Abd-êl-Hamyd.

La troisième enfin est la pièce d'or que (i) L'année 1 187 de l'hégire a commencé le
les Marokains appellent mitsqàl, et à- la- jeudi 25 mars de l'an 1 773 de l'ère chrétienne.
222 LT7NIVERS,
XIV. du Kaire; c'est que, ainsi que je l'ai déjà
dit ci-dessus, leur valeur intrinsèque ne
concourt pas toujours avec leur valeur
nominative, et qu'il est prudent de ne
les accepter en payement qu'après leur
avoir fait subir l'épreuve du trébuchet
du changeur, et après s'être assuré de
leur titre métallique.
Dans les pays les plus civilisés de l'Eu-
rope, où des lois fixent de la manière la
plus stricte le titre et le poids des es-
pèces d'or et d'argent , et où l'on met en
Cette seconde empreinte est celle d'une
usage les procédés pour
les plus parfaits
variété du sequin de Tripoli qui ne dif-
fère de la pièce précédente , du côté de la y parvenir, il n'est cependant pas très-
rare de rencontrer des pièces de même
face, B , que par les traits qui séparent
valeur dont le titre et quelquefois le
les lignes et par l'insertion du chiffre
poidsne sont pas rigoureusement les mê-
dix-sept au-dessus du niot êbn (fils).
mes ; et ce fait est trop bien connu des es-
La différence du coté du revers, A, sayeurs, etdeceux qui s'occupent du com-
est plus grande; elle consiste surtout en
merce des métaux précieux, pour, que
ce qu'elle ne porte pas le toghrâ impé-
l'on puisse être étonné de voir que les
rial , et qu'elle contient l'inscription sui-
sequins et même les piastres n'offrent
vante, en quatre lignes également sépa-
pas un résultat identique lorsqu'on les
rées par des traits :
soumet à l'essai et au trébuchet , quoi-
ES'Soultân—Selym-Khân^azz nasr-ho! que ces pièces soient frappées la même
— Douribfy Traboulous — Gharb, 1203. année, et on en sera d'autant moins
« Le Sultan — Selym-Khân Dieu sa illustre surpris, qu'on devra se rappeler que les
« victoire !

;

Frappé à Tripoli — d'Occi- gouvernements orientaux qui font frap-


«dent, 1203 (1). » per ces pièces n'ont aucune loi qui les
Le Sultan dont cette monnaie offre le astreigne à une stricte régularité : de
nom est Selym-ben-Moustafa (IIIe du manière qu'ils sont maîtres d'altérer le
nom), vingt- septième prince de la dynas- titre et le poids de leurs monnaies tou-
tie ottomane, qui succéda à son oncle, tes les fois que cette altération leur pa-
Abd-êl-Hamyd, l'an 1203 de l'hégire raît convenir à leurs intérêts.

(1789 de l'ère chrétienne) c'est lui qui :

occupait letrônedeConstantinopleà l'é-


Arrivé au terme du travail que je m'étais
poque de notre mémorable expédition
imposé pour la Description et la Notice his-
d'Egypte, et il a régné jusqu'à l'an 1222 torique de la Régence, je ne puis poser la
de l'hegire (2). plume sans témoigner ma reconnaissance aux
Une remarque essentielle à faire ici personnes instruites qui ont bien voulu m'ai-
est que les sequins de Tripoli sont en or der de quelques renseignements relatifs àcette
du plus bas titre, et que leur alliage est contrée, entre autres, à M. Duchenoux, qui
a séjourné quinze années à Tunis çn qualité
d'argent, ce qui fait paraître très-pâle
de chancelier du consulat (maintenant secré-
cet or ainsi allié.
taire interprète du ministère des affaires étran-
Je terminerai cette notice par un aver- gères et professeur à l'École des jeunes de lan -

tissement essentiel au commerce , à l'é- gués établie à Paris au collège de Louis-le-


gard des divers sequins de Tunis , ainsi Grand), dont je ne puis assez louer l'obli-
que ceux de Tripoli d'Alger, et même
, geance; j'associerai dans mes remercîments
M. Alix Desgranges, dont j'ai fait mention
(i)L'année i2o3 de l'hégire a commencé le ci-dessus, page 211 , et M. Alphonse Rous-
mercredi 20 sept, de l'an 1788 de notre ère. seau, premier interprèle du consulat général
(2) I/année 1222 de l'hégire a commencé de la république française à Tunis, membre
le mardi 26 février t 807 de l'ère chrétienne. de notre Société Asiatique de Paris.

J. J. Marcel.
er décembre 1849.
I
5

TABLE DES MATIÈRES


CONTENUES DANS L'HISTOIRE DE TUNIS,

Notice Préliminaire Page

PREMIERE PARTIE,
PAR LOUIS FRANK.

Page. Page.
Introduction 3 Chapitre VIII. —
Le Bey de Tunis;
Chapitre Premier. — Anciennes révo-
gouvernement de la Régence ; tribu-
naux; anecdotes judiciaires 56
lutions de Tunis; détails géographi-
ques 4 Chapitre IX. — Administration inté-

Chapitre II. — Rade et lac de Tunis ;


rieure; revenus publics; gouverneurs
de provinces ; service intérieur du pa-
la Goulette 7
lais caractère du Bey sa famille. 66
Chapitre III. — Ville de Tunis; châ-
;

Chapitre X. —
Forces militaires de la
; . .

teau; environs; palais du Bey; an-


Régence ; troupes de terre ; forces ma-
ciens aqueducs 9 ritimes 72
Chapitre IV. — Carthage; Utique; Chapitre — Commerce de Ré-
XL la
Porto- Farina Bizerte
; 12
gence 78
Chapitre V. — Zaghouân porte ;
ro-
Chapitre XII. — Poids mesures et
maine; temples; aqueducs; Moham- Tunis
usités à 85
meyah
Chapitre XIII. — Européens
16
Chapitre VI. — Description sommaire Tunis ; Consuls
à établis
89
de la Régence 20
Section I™. — Bizerte; Tabra-
Littoral;
Chapitre XIV. — Juifs de Tunis ; leur
écriture 95
kah ; cap Blanc ; cap Serra cap Ne-
XV. — Maures, renégats;
;

gro; la Calle ib.


Chapitre
Section IL — Vallées intérieures du
manière de vivre des Tunisiens ;
ture des Maures
écri-
99
quartier d'Été ; monuments ; inscrip-
tions 23 Chapitre XVI. —
Femmes mauresques;
Section III. — Partie orientale du quar-
polygamie; musique mauresque ;ophio-
phages; funérailles; circoncision. . . 106
tier d'Été; Péninsule ; grottes antiques ;
cap Bon; Hamâmét 28 Chapitre XVII. — Commerce Nè- des

Section IV. — Quartier d'Hiver ; Djerby;


gres caravanes chasse des
; ;

Chapitre XVIII. — Esclavage des Eu-


autruches. 1 1

Qayrouân; Beled-êl-Djerid ; tribus


arabes 36 ropéens; corsaires l ">.\

Chapitre VIL —
Climat de la Ré- Chapitre XIX. — Maladies les plus fré-
'**>
gence; sol et productions; culture; quentes dans Régence la 1

maisons de campagne; animaux do- Chapitre XX. — Médecins tunisiens;


mestiques 47 amulettes ; eaux thermales x36
224 TABLE DES MATIÈRES.

SECONDE PARTIE,

PAR J. J. MARCEL.

Page. Page.
Chapitre I er . —
Fondation de Tunis ; Chapitre XII. —
Sinân-Pachâ organise
Didon ; guerres puniques ; Tunis sous le nouveau gouvernement de Tunis;
la république romaine." 144 massacre du divan par les milices;
Chapitre II. —
Tunis et Carthage sous tentatives des nouveaux Beys pour
les empereurs romains christianisme. 148 établir l'hérédité dans leur famille. . 182
— Élablissement de
;

Chapitre III. — Tunis sous les empe- Chapitre XIII. la

reurs byzantins; Vandales; invasion souveraineté héréditaire dans la Ré-


des Perses; invasion musulmane. . . i5o gence ; Chaabân, Dey d'Alger, s'empare
Chapitre IV. — Cinq expéditions des
de Tunis; Mohammed-Bey rentre à
Tunis ; Hassan-ben-Aly i85
Arabes ; conquête de l'Afrique. . i54
Chapitre V. — Prise de Tunis; gouver-
. .

Chapitre XIV. — Aly-Pachâ ; restaura-


tion de la dynastie de Hassan-ben-Aly;
neurs envoyés par Khalyfes.
les . . 1S1
Mohammed-Bey
Chapitre VI. — Domination des Aghla-
187

bites ; règne des Khalyfes Fatymites. . 160


Chapitre XV. — Aly-Bey; rupture
avec la France ; bombardement ; traité
Chapitre VII. —
Dynastie des Zéy- de paix 190
rites ; conquêtes des Normands en
Afrique; Almohades 164
Chapitre XVI. — Hamoudah-Pachâ;
Chapitre VIII. — Dynastie des Beny-
ambassade tunisienne à Paris
Chapitre XVII. — Révolte
195
des milices
Hafs; expédition de saint Louis en
turkes; mort de Hamoudah-Pachâ. . 198
Afrique 168
Chapitre IX. — Suite de la dynastie Chapitre XVIII. — Othman-Bey; Mah-
des Beny-Hafs ; prise de Tunis par le
moud -Pachâ; Sydy-Housséyn-Bey;
de Zénètes Moustafà-Bey ; Sydy-Ahmed-Pachà-
roi 173
Bey, maintenant régnant ; chapelle de
Chapitre X. — Suite de la dynastie des
Saint-Louis; collège européen. 202
. . .

Beny-Hafs ; expédition de Barberousse


contre Tunis ; première expédition de
Chapitre XIX. — Visites du duc de
Charles- Quint; seconde et troisième
Montpensier, du prince de Joinville
et du duc d'Aumale au Bey de Tunis. 206
expédition des Espagnols 175
Chapitre XL —
Expédition de Sinân- Chapitre XX. —Voyage du Bey de
Tunis en France 210
Pachâ contre Tunis ; captivité deMou-
lay-Mohammed-êl-Hafsy, dernier roi Tableau Généalogique et Chronolo-
de Tunis 179 gique 214

APPENDICE.
Notice sur les monnaies de Tunis, de Tripoli, etc. .
ai5

FIN DE TUNIS.
,
,

b a^v». v»^.»^^Wfc»^^»^».

TABLE DES MATIERES


CONTENUES DANS CE VOLUME,

( Les chiffres sans initiale indiquent les pages de Y Algérie,• ceux précédés de T., les pages de Tunis
et ceux précédés de Tr M les pages de Tripoli. )

Abd-el-Kader. Son apparition , page 280; son révolution de juillet, 266. Commandement du —
traité avec le général Desmichels, 282; ses pro- général Clauzel. Opérations militaires jusqu'à
grès, rupture, 283-284 ; mouvements de troupes, l'arrivée du général Clauzel, 266; actes admi-
297 ; gouvernement de l'émir, 300 ; excursion dans nistratifs du er septembre au 31 décembre
I

la Kabylie 302 ; passage des Portes de Fer, 303 ;


, 1830, 267-270; opérations militaires , 270-271. —
rupture de paix 304 ; plan de campagne , 305 ;
, Commandement du général Berthezène 272. ,

il attaque Médéah et Miliana, 306; compétiteur Nouvelles tentatives sur Bône, 273 état des cho- ;

d' Abd-el-Kader, 312; incursions, 320; prise de ses à Oran , mesures administratives , 274-277.
la smala d'Abd-el-Kader, 32i; réapparition — Commandement du général Rovigo. Opéra-
d'Abdel-Kader, 334; sa soumission, 344. tions militaires, nouvelle occupation de Bône,
Abousir ( Taposiris), Tr M 5G. progrès de la domination française , 276. —
Aghadem, puits Tr., 103. Commandement intérimaire du général Voirol.
Aghadès, ville. Tr., 103, note. Événements survenus dans les trois provinces »
Aglabites ( Dynastie des ). T., 160. 279; apparition d'Abd-el-Kader, 280; occupa-
Aglabites. Suite de leur histoire, T., I6I-I63. tion de Bougie 281. Commandement du gé-
,

Ahmed- Pacha, bey actuel de Tunis. Son néral d'Erlon. Nouvelle organisation politique
sceau, T., 203; réformes, chapelle de Saint- de l'Algérie, 282-283. Gouvernement du ma-—
Louis, collège, 204-305; il reçoit la visite du réchal Clauzel, 286. Expédition de la Mascara,
duc de Montpensier, 206-209 ; il visite la France, expédition de Tlemcen 287 état de la province, ;

son arrivée à Paris, 210-213. d'Alger, 288; est de la régence, hostilités 289. ,

Alger. Bombardé par les Français sous — Gouvernement du général Damrémont 292. ,

Louis XIV , expédition de Duquesne , 247 ; ex- Événements de la province d'Alger, 293. Gou- —
pédition espagnole , en 1775, contre Alger, 252 ; vernement du maréchal Valée 296; évèque ,

derniers deys , ibid. d'Alger, situation générale, 301. — Bugeaud,


Algérie. Organisation de cette régence sous la gouverneur général. Préliminaires de la cam-
domination turque , 242 ; milice , paye, tribu- pagne, 309; événements de la province d'Alger,
naux , 243 ; révolutioas intérieures , 244 ; force 315; organisation des tribus soumises, combats
de la milice , perception des impôts corsaires , dans la province d'Alger, opérations de l'armée,
245 ; relations avec les autres nations de l'Eu- 321-322 ; administration en IS43, 323 ; événe-
rope, 248; histoire intérieure sous les Turcs, ments de la province d'Alger en 1844, guerre
249, 250, 251 ; derniers deys, 252-255. Al- —U avec le Maroc 325-326; derniers événements de
,

gérie depuis 1830 jusqu'en 1848, p. 255 et suiv. ; 1844, administration en 1844, 329; mouvements
causes de rupture entre le dey d'Alger et la des populations indigènes 330; nouvelle orga- ,

France, 256; premières mesures offensives, nisation administrative , 336 ; année 1846 337 ,
;

l'expédition est décidée 257 ; composition de


, actes administratifs en 1846, soumission des
l'armée expéditionnaire, 258; composition de Kabyles de Bougie, 339; opérations militaires
la flotte, départ de la flotte et incident de la dans le sud, 342. Commandement du duc —
traversée, 259; arrivée à Sidi-Féruk, mouillage d'Atimale, 342. —Conclusion, 346-347.
de la flotte, débarquement des troupes, 260; Ali-bey. Conclut un traité de paix aveG la
tempête du 16 juin premières opérations mili-
, France, T., 194.
taires combat de Staoueli , 261 ; combat de Sidi-
, Almohades (Dynastie des). T., 166- 167.
Khalef, 262; attaque et destruction du fort Almoravides (Dynastie des ). T., I67-K)8.
l'Empereur, capitulation et entrée dans Alger, Ambassadeur tunisien à Paris. T., 197.
263. — Commandement du maréchal Bourmont. Anay, ville. Tr., 103.
Trésor de la Casbah, 264 commission de gouver-
; Apoïlonie (aujourd'hui Sousa). Ruines de
nement, organisation de la police, conseil munici- cette antique cité Tr.,4i-43. ,

pal, 265; départ d'Hussein -Pacha , récompenses Airgila, oasis. Tr., G8-72.

15 e Livraison. (Tunis. ) 15
,

226 TABLE DES MATIÈRES.


Aumale Duc d' ) Son commandement en
( . Al- Djaborah. Ruines, Tr.,45.
gérie, 342-347. Djebel- Assoud, montagnes du Fezzan . Tr.
Aurès. Expédition, 332. 98 et suiv.
Djerbi, île. Tr., 1-2.

Barca, désert. Tr., 15, 72-74. Djidjéli. Expéditions sous Louis XIV, 245-
Bedeau (Le général). Opérations, 314. 240; son occupation par le maréchal Valée, 301.
Bédouins des monts Gourianah. Tr., 9. Dynastie régnante à Tunis. Tableau généalo-
Béled-el-Djerid, pays riche en dattes. Tr., 107. gique, T., 214.
Benghasi ( Hespérie des anciens ). Description
de cette ville, Tr., 27-28. Eltchis , ambassadeur. T., 67.
Beni-Hafs ( Dynastie des ). T., 168-170; suite Erlon ( Le général ). Son commandement en
de leur histoire , 173-176. Algérie, 282-286.
Ben-Salem. Soumission de ce chef, 340. Erythron, ville. Tr., 48.
Berthezène ( Le général ). Son commandement Esclavage des Européens àTunis. T., 124-129.
en Algérie 272-277., Euphrantes, tour. Tr., 18-
Bey. Fonctions, palais, Tr., 67-7 r.
Biskara (Campagne de) en 1844,323. Fezzan. État physique, Tr., 84-85; agricul-
Bizerte. Bombardée par les Français, T., 193. ture, productions naturelles, 85-89; animaux,
Boghar ( Destruction de), 312. 89-91 ; habitants, 91-92; services et forces mi-
Bondjem, ville du Fezzan. Tr., 96. litaires, 92-93; histoire, topographie, 93 et suiv.
Bougie. Occupation de cette ville, 28 f. Flore de Tripoli et des pays environnants. Tr.,
Bou-Maza. Soumission de ce chef, 340. 74 et suiv.; herbier de Della-Cella, décrit par
Bourgade. Directeur du collège français à Viviani, 120-126.
Tunis, T., 205.
Bourmont (Le maréchal). Son commandement Gadamès ( Cydamus de Pline ). Tr., 107.
en Algérie, 264-266. Gara, île. Tr.,2I.
Bousaïda, dans la grande Syrte. Tr., 18. Gatrone, ville du Fezzan. Tr., 100.
Braïga , au fond de la grande Syrte. Tr., 20. Ghad, ville du Fezzan. Tr., loi.
Bugeaud (Le maréchal). Combat de Sikak, 290 ; Gherta-Poulous. Ruines, Tr., 44.
commande la division d'Oran, 29 i ; nommé gou- Ghernès, petite ville. Tr-, 45.
verneur général, 309; occupation de Mascara Ghimenès, ville. Tr.,2I.
destruction de Saïda, etc., 310; départ de l'Al- Ghraat. Station de l'intérieur de l'Afrique,
gérie , 342- Tr., 108.
Gourbos (Eaux minérales de ). T., I4ï>
Chapelle de Saint-Louis, sur les ruines de Gourianah, montagnes près de Tripoli. T., 9.
Carthage. T., 205. Grenna. Voyez Cyrène.
Charles-Quint. Prise de Tunis, T., 177. Guangara ( Wouangara ) , royaume. Décrit
Chenedireh, petite ville. Tr., 47. par Léon l'Africain, Tr., 104.
Chrétiens renégats. T., 101.
Cinyphus, fleuve. Tr., 13. Hamoudah-Pachâ , bey de Tunis. T.,I95-I»7;
Son commandement-en suite de son règne, 197-200; sceau de ce prince,
Clauzel( Le général ).
201-202.
Algérie, 266-272.
Clauzel (Le maréchal). Son gouvernement Hamoudah-Pachâ, bey de Tunis. T., 70-71.
en Algérie, 286-292.
Hassan-ben-Aly , bey de Tunis. Son traité
Consiantine. Première expédition, 290-292; avec la France, 187-188.
Hespérides ( Jardins des ). Tr., 70 et sui*.
deuxième expédition, 295; organisation admi-
nistrative de cette province , 299 ; situation de
Hudia , dans la grande Syrte. Tr., 19.
cette province en 1840, 308; situation en 184-1,
313; situation en 1842, 319; événements aurivés
Juifs.Lmrs mœurs, coutumes, conditions, etc.,
dans cette province , 339. à Tunis, T., 95 et suiv.; femmes juives, 96;
Courants de la Méditerranée. Tr., 24-26. spécimen d'écriture juive, 98-99; renégats juifs,
I0Ï.
Cyrène. Description de la ville ancienne,
ruines actuelles, grottes sépulcrales , récits de
Pacho, de Beechey,etc, Tr.,3l-4I. Kabyles. Leur soumission, 339.
Kabylie. Expédition, 340.
Damrémont ( Le général ). Son gouvernement Kayr-êd-Dyn, amiral turc. Fait la conquête
en Algérie , 292-296. de Tunis T., 176.
,

Dattier. Tr., 83, 101. Kessours. Expédition, 332.


Dêira. Massacre des prisonniers français , 338. Koubbeh. Ruines , Tr., 49.
Dellis. Trouble dans ce cercle, 333. Kouskousou , mets des Maures. T., loi.
Berné (l'ancienne Darnis). Tr., 50-51.
Desmichels (Le général ). Son traité avec Abd- La Condamine. Sa description de Tripoli et
el-Kader, 281. d'Alger, d'après un manuscrit inédit de la Bi-
JDevoize , consul français à Tunis. T., 94. bliothèque nationale, Tr., 100 et suiv.
,,,, ,,,,

TABLE DES MATIÈRES. 227


. Lamia, caverne de la Syrte. Tr., 19. Palmiers. Notice sur les paimiers d'Afrique
Lamloudeh, ville. Tr., 46-47. Tr., 116 et suiv.
Lamoricière { Le général ). Opérations, 31*. Philènes (Autel des). Tr., 19-20.
Lebida ( Leptis Magna ). Tr., 11-12. Philippeville. Fondation de cette ville , 299.
Léthé, rivière des anciens. Tr., 29. Piastres tunisiennes. T., 217.
Lotus, arbrisseau de la Cyrénaïque. Tr., 82 Porto-Farina. Bombardé par les Français,
et suiv. T. , 193.
Louis XI F. Rupture avec Tunis, T., 191 et Psylles , jongleurs. T. , 134.
suiv. Ptoléméta ( Toléméta). Tr. , 29-30.

Macta ( Bataille de la ) 285. , Qâyd { Caïd.) , chef administrateur et juge.


Maradah, oasis. Tr., 69. T. , 66-67.
Marah, château. Tr., 50.
Marmarique. Description topographique Régence. Voyez Algérie.
Tr., 51-56; habitants, 57-59; sol, végétaux, Rovigo ( Le général ). Son commandement en
animaux, [59-60. Algérie , 277-279.
Maroc. Guerre avec le Maroc, 326-329 ; traité
de délimitation , 333. Sachrin, au fond de la grande Syrte. Tr., 20.
Mascara ( Occupation de ), 310 ; campagne Saïda (Destruction de ) 310. ,

d'hiver, 311. Saint Louis. Son expédition à Tunis T. ,

Mascara Expédition de ) , 287.


( 170- 171.
Massakhit. Ruines, Tr., 48. Savary, ambassadeur d'Henri IV. Conclut un
Maures. Étymologie de ce nom ; leur physio- traité avec l'Algérie, 241.
nomie et leur caractère , leur taille, leur indus- Sequins, pièces d'or de Tunis. T. , 218.
haine pour les chrétiens, leur écriture
trie, leur Sétif. Son occupation , 301.
T., 99-105; femmes mauresques, leurs costu- Sikak ( Combat de ) 290. ,

mes, leur toilette, préjugés sur leur grossesse Silphium. Plante célèbre de la Cyrénaïque
répudiation , divorce , polygamie , réclusion des Tr. , 80 et suiv.
femmes, leur jalousie, leurs amusements, mu- Sockna, ville du Fezzan. Tr. 95, 97. ,

sique mauresque chanteuses, danseuses publi-


, Sources thermales et bains à Tunis. T.,
ques ombres chinoises, bateleurs, ophiophages,
,
140-142.
canivores, femmes publiques, mariages, fu- Sort, ville. Tr., 17.

nérailles, circoncision, I06-H2. Soudan. Note sur les langues de ce pays , Tr.
Méchrou, puits du désert. Tr. 102. , 126-128.
Médéah (Expédition de) par le maréchal Soussah. Bombardé par les Français, T. , 194.

Valée,305. Syouah (oasis d'Jmmon). Récits compara-


Médecine à Tunis. T. 65. , tifs des anciens et des modernes , 61-68.
Médecins à Tunis. T. 136 et suiv. , Syrte, marais. Tr. , 15-16.
Medinet-Sultan. Station dans la grande Syrte Syrte { Grande ). Observations générales , Tr.
Tr. , 18. 21-26.
Mesurate, cap. Tr. , 15.
Miliana { Occupation de ) , 306. Tafna. Etablissement d'un camp à l'embou-
Monnaies de Tunis. Bourbe , aspre, karroube, chure de celte rivière, 250; traité de la Tafna, 294.
piastre, T., 214 219. Tagiura, plaine. Tr. , 10.
Monnaies de Tripoli. T. , 220-221. Takfarmas. Révolte de ce Berbère, T., 149.
Mostaganem. Expédition, 316 soumission des ;
Talismans chez les Tunisiens. T., 140.
tribus, ibid. Targhan, du Fezzan. Tr., 100.
ville

Mosquée de Qayrouàn. T. , 65. Tegherhy, du Fezzan. Tr. , 101-


ville
Mourzouk, capitale du Fezzan. Tr., 94. Tereth ( Tintis des anciens ). Tr. , 46.
Muktahr. Limite des districts de la Syrte et Terianah ( Eaux minérales de ). Tr. , 143.
de Barka , Tr. , 19. Teuchira. Tr. , 30.
Tlemcen ( Expédition de ) sous le maréchal
Nasamons. Tr. , 22-23. Clausel , 287.
Naustathmos. Tr., 43. Tourba, cap (Zephyrium). Tr. 49- ,

ISègres (Commerce des ). Marchés d'esclaves Traité de l'Algérie en 1604 avec la France,
traversée du désert, etc. T. II5-I23. , , traité de 1628,241-242.
Tripoli { régence). Limites, Tr., I ; description
Ôpiophages, ou mangeurs d'opium. T., 102. de l'intérieur, 60 et suiv. ; végétaux , 74 et suiv. ;
Oran. Appartenant aux Espagnols tombe au , aperçu historique, 108
pouvoir des Turcs , 250 ; ville reprise par les Tripoli (ville). Description, Tr. , 2-3; arc de
Espagnols en 1732. triomphe romain, 4; château, 5; histoire de
Oran. État de cette ville après la conquête cette ville, 5-7; ses habitants, 7; vieux Tri-
poli, 8; description de Tripoli par La Conda-
274; prince d'Oran, 289; événements dans cette
province en 1840, 307. mine, 110 et suiv.
,

228 TABLE DES MATIÈRES.


Tunis { régence ). Forces militaires , troupes péens établis , rapports des consuls avec le bey
de terre, recrutement, soldats turcs, soldats cérémonie du baisement de mains, consuls,
maures, troupes arabes auxiliaires, guerres, quartier qu'ils habitent, logement, insolence*
tournées fiscales et militaires, forces maritimes, des soldats turcs envers les Européens , T., 89-
pusillanimité de quelques États européens envers 94; juifs de Tunis, femmes juives, leurs cos-
la régence, T., 72-78; commerce, exportations, tumes, leurs mœurs, courtiers, colporteurs,
importations, relations commerciales avec la marchands ambulants, ordonnance du bey à
France et les autres États européens, négociants leur sujet, rabbins, leur sévérité, leurs en-
français établis à Tunis, 78-85 poids , 85 ; mesu-
;
quêtes morales , usuriers juits, conditions des
res de longueur, 86 ; mesures de capacité, 88 me- ;
prêts, écritures des juifs de Tunis, 95-99; ma-
sures agraires, 88; mesures itinéraires, 89 ma- ;
nière de vivre des Tunisiens ivrognerie, usage
,

ladies fréquentes, éléphantiasis, T. 130; peste,


, de l'opium, Turcs de Tunis, 101-103.
131-132; morsures d'animaux venimeux, 133; Tunisiens. Voyez Tunis.
ophthalmies, variole, 134-135; dissenterie, 136; Ttircs. Leur expédition contre Tunis mas- ,

médecins, et leurs méthodes, etc., 137-139; sour- sacre de la garnison espagnole, T., 179-182.
ces thermales, bains, 140-142; monnaies, 2 15-222.
Tunis (ville). Sa fondation, T., 144-145; son Falée ( Le maréchal ). Son gouvernement en
histoire sous les Phéniciens et les Carthaginois, Algérie, 296-308.
146-148; sous les Romains et sous les chrétiens, Vents étésiens. Leur cause Tr., 23-24.
,

148-150; sous les empereurs byzantins et les Foirol (Le général). Son commandement en
Vandales, 150-154; sous la domination des Algérie, 279-282.
Arabes, 154-157; suite, prise de Tunis, 157-160; Wadi-Rammel. Tr., 10.
dynastie des Aghlabites, 160; juifs, leur com-
merce, spécimen de leur écriture, T., 97-99; Zaffran {Aspis de Strabon). Tr., 17-18.
prise de la citadelle par saint Louis, 171 ; prise Zaghoutan , eaux minérales. T., 143-
parKhayr-Eddyn, 176; prise par Charles-Quint, Zeg-zeg. Royaume, décrit par Léon l'Africain,
177; tombe une seconde fois au pouvoir des Tr., 104.
Turcs 179 organisation d'un nouveau gouver-
, ; Zeghen y village du Fezzan. Tr., 98.
nement, 182-185; beys héréditaires, IS5-I87; Zeliten, village du littoral de Tripoli. Tr., 14.
suite de leur histoire, 187-190; rupture avec la Zéyrites. Leur dynastie, T., 164-166.
France, 19 itraité de paix, 194 ; suite de l'histoire
; Zoara, ville voisine de Tripoli. Tr., 8.
des beys de Tunis, 195-197; rupture avec la ré- Zuila ( Cillalade Pline). Tr., 106.
publique française, armistice, 197-198; Euro-
AVIS.

Les événements survenus en Algérie et l'importance de cette grande co-


lonie française nous ont engagés à lui donner toute l'extension qu'elle devait
avoir dans notre Univers Pittoresque. Lorsqu'en 1832 nous avons commencé
la publication de cette grande histoire universelle, M. le capitaine du génie
Rozet ,
qui avait fait partie de la première expédition d'Algérie, dont il a écrit
l'histoire , voulut bien se charger de traiter cette partie de notre ouvrage. Mais
sur le désir de nos souscripteurs , et en raison de l'importance des événements
postérieurs, nous avons cru ne pas devoir renfermer cette histoire dans des li-

mites aussi restreintes , et nous avons mis à profit les documents nombreux
publiés à grands frais par le gouvernement , résultant de Y Exploration scien

tifique de V Algérie faite par les commissions nommées par l'Institut.

Nous n'avons pas cru pouvoir mieux nous adresser qu'à M. le capitaine

Carette, membre de ces commissions, rédacteur d'une grande partie de ces

documents, etmaintenant préfet à Gonstantine, Ses travaux, dont quelques-uns


ont été couronnés par l'institut, et la connaissance parfaite qu'il a des localités,
ainsi que des événements auxquels il a pris part, lui ont permis, tout en of-
frant un résumé très-complet de ce qui a été jusqu'à ce jour publié sur l'Al-
gérie, d'y ajouter des renseignements nouveaux.

Le travail de M. le capitaine Rozet, placé en tête de cet ouvrage , doit donc


être considéré comme un tableau général de l'Algérie, dont on trouvera les
développements dans la suite, donnée par M. Carette, qui pour la partie his-

torique s'est adjoint M. Urbain, interprète principal pour la langue arabe,

attaché pendant dix ans à l'armée d'Afrique.


Notre histoire de l'Algérie s'arrête au moment où ,
par suite de la soumis-

sion des chefs les plus influents, et surtout de la prise d'Abd-el-Kader, le pays

semble devoir entrer dans une ère nouvelle , de paix et de prospérité ; au

moment enfin où survient la révolution de février.

A l'histoire et à la description de Tbipoli, rédigées sur les textes originaux et

d'après les voyages les plus récents , M. le docteur Hoefer a joint un appendice
,

contenant des extraits du voyage de M. de la Condamine à Tripoli , «ne


flore de Tripoli, et des détails étendus sur les palmiers d'Afrique.

La partie de Tunis se compose de la description de cette régence, par


le docteur Louis Frank, ancien médecin du Bey de Tunis, et qui avait fait

partie de l'armée d'Egypte ; elle a été revue et accompagnée de pièces histo-


riques et d'éclaircissements tirés des écrivains orientaux par J. J. Marcel

ancien membre de l'Institut d'Egypte et professeur suppléant au Collège


de France , etc.
PLACEMENT DES GRAVURES.

ALGERIE.

Texte de .U. Rozef.

Planche 1. Alger (côté du nord ). . . Page i

2. Intérieur d'une maison 14


3. Costumes 12
4. La Calle 28
5. Belida 16
6. Col de Ténia 32
7. Medeya . 17
8. Oran 18

Texte de M. Caretie.

Carte de l'Algérie , Maroc , Tunis et Tripoli 1

9. Sidi Yacoub, marabout près d'Alger ! 40


10. Constantine ( après l'assaut, 13 octobre 1837) 296
il. Constantine, EI-Kantara, Pont Romain 56
12. Oasis de Ben Tiout ( source d'Ani-Kalbi )
7;">

13. Vue générale d'Alger ( prise de la mer ) 34


14. La place d'Alger 38

TRIPOLI.
Planche ( . Arc de Marc-Aurèle à Tripoli. «».*..« é . . » . 3

TUNIS.
Planche 2. Ruine du grand aqueduc de l'ancienne Carthage 18

9. Vue intérieure d'un Nymphée à Zagwan 18

10. Porte et ville de Zagwan i:

11. Costumes et vue de Bizerte 56

12. Femmes de Tripoli. ( C'est par erreur que îa planche porte Tripoli au lieu
de Tunis. ) 106

Nota, Ces quatre dernières Planches ont paru avec les livraisons de Maroc, d'où elles devront

être extraites. On peut aussi reporter a l'article Tunis la gravure n° 15, représentant le»

thermes de Zagwan, qui a paru dans le volume de Y Afrique ancienne contenant Car-
thage, etc.
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