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Ch. carrington,
Libraire-Editeur,
10.Rue de la Tribune, 10
I
BRUXELT.es (Belgique).
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University of Illinois Urbana-Champaign
http://archive.org/details/algrieOroze
L'UNIVERS
e » »»B«»a»« »« •«
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES.
ALGERIE.
ETATS TRIPOLITAINS
TUNIS.
PARIS.
TYPOGRAPHIE DE FIRM1N DIDOT FRÈRES,
RUE JAGOB, 56.
ALGÉRIE,
PAR MM. LES CAPITAINES DU GÉNIE,
ROZET ET CARETTE.
ETATS TRÏPOLITAINS,
PAR M. LE D r FERD. HOEFER.
TUNIS,
PAR LE D r LOUIS FRANK,
ANCIEN MÉDECIN DU BEY DE TUBIS ET DE L'ARMEE D'EGYPTE ;
PARIS,
FIRMIN DIDOT FRERES, EDITEURS,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 50.
1850.
Al35
L'UNIVERS
OU
HISTOIRE ET DESCRIPTION
l
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, etc.
ÂLGEB,
PAR M. P. ROZET (*),
716681
L'UNIVERS.
les cailloux de son lit. Ces fleuves et les plusgrandes chaleurs de Y été, il
beaucoup de rivières moins considé- ne dépasse pas 34°, excepté quand le
rables conservent de l'eau pendant vent du sud règne où il monte jus-
,
toute l'année; mais les ruisseaux et qu'à 38°; alors la chaleur est insup-
les petites rivières sont souvent à sec portable et on a de la peine à respi-
dans l'été, surtout ceux situés à une rer. En hiver le froid n'est jamais
,
certaine distance des montagnes. rigoureux dans les plaines et sur les
Les plaines renferment des lacs collines situées au sud du petit Atlas.
des étangs et des marais dont les ex-
, Je n'ai vu qu'une seule fois le thermo-
halaisons malfaisantes nuisent pendant mètre descendre à 1° au-dessous de 0°,
l'été à la salubrité du pays. Les ma- un jour que la plaine de la Métidja
rais de la Métidja rendent certaines était couverte de gelée blanche. Pen-
portions de cette plaine tout-à-fait dant tout le temps que je suis resté en
inhabitables. Dans sa partie occiden- Afrique, il n'y a jamais eu de glace
tale, il existe un lac peu considérable dans les environs d'Alger, ni d'Oran;
qui ne tarit jamais. Près d'Oran , on mais nous avons vu l'Atlas couvert
voit deux lacs dont le plus éloigné de plusieurs fois de neige , et nos soldats,
cette ville est beaucoup plus considé- pendant qu'ils occupaient Medéya, ont
rable que l'autre ; mais tous les deux pu marcher sur la glace qui s'était for-
se dessèchent entièrement en été. mée dans plusieurs mares, aux envi-
Toute la portion du petit Atlas que rons de cette ville.
nous avons parcourue est formée L'hiver, ou la saison des pluies,
d'un calcaire argileux , alternant avec commence vers le milieu de novem-
des marnes , et la forme des monta- bre et dure jusqu'aux premiers jours
gnes annonce que ces roches s'éten- de janvier non sans qu'il y ait encore
,
trouvent aux environs d'Oran et sur en un mot la fin de janvier est aussi
,
le littoral, jusqu'à plus de six lieues belle que le mois de mai aux environs de
à l'ouest de cette ville- Paris. Cependant de fortes pluies ac- ,
plupart des vallées sont formés par quelquefois inonder la terre et forcer
un terrain d'alluvions , composé de l'Arabe et le Berbère à rentrer dans
couches d' argile, souvent très-épais- leur cabane mais au mois de juin le
; ,
habitants des contrées voisines. C'est coup de vent est une bouffée de cha-
dans ce mois que les lièvres endémi- leur assez semblable à celles qui sor-
ques sont le plus dangereuses et que , tent d'un four allumé. La respiration
les soldats français en sont le plus at- devient extrêmement difficile , on
taqués. Dès les premiers jours de sep- éprouve des maux de tête et des lassi-
tembre, la chaleur devient supportable. tudes dans tous les membres; enfin,
Les journées d'octobre sont extrême- au bout de quelques heures, on est
ment agréables, quoique assez souvent comme anéanti. Dans le désert le ,
ceux qui régnent sur la côte de Barba- éclairs éblouissants sillonnent l'atmo-
rie ils amènent avec eux les orages ,
; sphère dans tous les sens, la foudre
les pluies et rafraîchissent l'air. C'est gronde avec un fracas épouvantable
pendant l'hiver qu'ils plus com-
sont le des torrents de pluie inondent la terre
muns et le plus redoutablesils occa-
; ravagent les champs noient les ani-
,
sionnent souvent des tempêtes violen- maux; quelques heures après, l'ardeur
tes qui brisent les navires dans le port du soleil a entièrement enlevé l'humi-
d'Alger, et jettent à la côte ceux qui dité et il ne reste d'autres traces de la
,
vont en grand nombre sur le bord de arbres renversés, des cadavres d'ani-
la mer attendre que quelque bâtiment maux, etc.
vienne se briser contre les écueils Dans la presqu'île de Sydi-Efroudj
pour le piller et massacrer impitoya- le 16 juin 1830, deux jours après le
blement tous ceux qui le montent. débarquement de l'armée française,
Le vent du sud, que les Arabes nom- vers les 9 heures du matin il s'éleva
,
comme pour se faire charger, "et éten- de Voici V or âge de Charles-Quint (*)
:
1
L'UNIVERS.
, L'air est extrêmement sain sur Provence, Espagne, etc.) avec le cactus
:
que nous cultivons avec tant de soins à la culture de la vigne pour faire du
dans nos jardins d'Europe. vin , car leur religion leur défend d'en
A la fin de l'hiver, la surface des boire; mais ils aiment beaucoup les
plaines et les flancs des montagnes, raisins , et s'en servent pour faire des
dépourvus de broussailles, et qui n'ont confitures et une espèce de vin cuit
point été ensemencés, se couvrent fort épais, très-estimé parmi eux.
d'herbe qui s'élève souvent jusqu'à L'olivier croît très-bien dans toutes
cinq nieds de hauteur, et qui, étant les contrées du territoire algérien, on
fauchée, donne un excellent min. en trouve de belles forêts dans l'inté-
Les plantes et les arbres qui crois- rieur des plaines et sur les flancs des
sent entre le petit Atlas et la mer, montagnes. Les arbres sont aussi gros
sont les mêmes que sur tout le litto- que nos chênes ordinaires; mais comme
ral de la Méditerranée ( Syrie , Italie ils ne sont pas greffés , ils ne donnent
ALGER*
que de très-petites olives que les habi- souvent des dyssenteries violentes.
tants ne récoltent point, et qui de- Le jujubier et Y arbousier, qui exis-
viennent la pâture des oiseaux. Dans tent à l'état sauvage et que l'on cultive
les pays où l'olivier est cultivé, comme aussi dans les vergers, produisent
par exemple dans l'intérieur du petit abondamment d'excellents fruits. Mais
Atlas , il produit de très-beaux fruits soit qu'on les cultive mal ou que ia
,
dont les naturels ne tirent qu'une chaleur soit trop considérable, les
mauvaise huile parce qu'ils ne savent
,
poiriers , les pommiers , les pêchers et
pas la fabriquer. les pruniers donnent peu, et leurs
Les Algériens n'élevant point de fruits sont toujours mauvais. L'abri-
vers à soie, ne cultivent pas le mûrier ; cotier est celui de nos arbres d'Eu-
mais on en rencontre quelques pieds rope qui prospère le mieux, mais ses
dans les jardins , dont la belle venue fruits sont très -dangereux; ils occa-
prouve que le sol lui convient autant sionnent presque toujours la fièvre.
que celui de la Provence , où on en tire Le blé et Yorge sont les céréales que
un si grand parti. l'on trouve le plus communément dans
Le plus bel arbre de la Barbarie, les champs cultivés par les Maures , les
celui qui donne les meilleurs fruits et Arabes et les Berbères. Ils viennent
en plus grande quantité, est l'oranger; fort bien ; mais comme la terre dans
il croît naturellement sur les collines du laquelle on les sème est toujours mal
littoral , dans les plaines et le fond des préparée , les chaumes sont clairs , et
vallées du petit Atlas ; sa taille est aussi le champ ne rend pas la moitié de ce
élevée que celle de l'olivier, mais son qu'il pourrait rendre. On m'a cepen-
branchage, enformede boule, est un peu dant assuré que dans les années mé-
,
loups dans nos contrées. Ceux-ci parais- menades du père et de la mère , jusqu'à
sent manquer en Barbarie ; ils sont rem- ce qu'il se soit bien assuré des heures
placés par les chacals espèce qui tient
, de garde de chacun. Alors profitant de
,
encore plusieurs pieds de terre. Quand le ciel semble avoir donné aux habi-
nous faisions la guerre, les chacals ve- tants des pays chauds pour les trans-
,
naient pendant la nuit dévorer les morts porter, eux, leurs bagages et des provi-
au milieu de nos camps ; nous étions sions pour plusieurs jours , à travers des
souvent entourés de leurs troupes qui déserts de sables brûlants ; c'est le cha-
poussaient des hurlements continuels. meau, le compagnon fidèle de l'Arabe,
Les naturels ne font pas, ou peu, la dont il porte sur le dos la famille et la
chasse aux chacals , parce qu'ils ne maison de contrées en contrées.
leur causent aucun tort , et que leur Cet animal supporte la fatigue avec
peau n'est pas très-estimée mais ils
; une constance à toute épreuve , il peut
chassent beaucoup le lion et le tigre rester plusieurs jours sans boire ; un
dont ils vendent la peau à des prix peu d'herbe qu'il broute dans la cam-
très-élevés : ce sont les habitants des pagne une poignée d'orge ou de fèves
,
tent bas , ceux qui cherchent les lion- sortes de transports. A la moindre
ceaux découvrent facilement, par les alerte , on voit les tribus ployer leurs
empreintes laissées sur le sable ou l'ar- tentes, les mettre sur les chameaux
gile , les endroits où les lions ont leurs ainsi que les bagages, les provisions,
petits. Ils savent , par expérience que
,
les femmes et les enfants, et fuir rapi-
l'un reste toujours auprès d'eux, pen- dement vers les montagnes.
dant que l'autre va chercher la nourri- Quand les Arabes veulent se servir
ture. Quand la mère est de garde, elle des chameaux, ils vont les prendre
ne ferme jamais les yeux et se tient dans les pâturages et les amènent de-
prête à dévorer les animaux et les hom- vant la tente. Ils les frappent avec une
mes qui oseraient s'approcher de ses petite baguette sur les jambes de de-
chers nourrissons; mais le père n'est vant, et aussitôt l'animal se met sur
pas si vigilant , à peine s'est-il couché le ventre en ployant les quatre jambes.
près de ses enfants, qu'il s'endort d'un Il se laisse ensuite charger sans bouger
profond sommeil. Le Berbère qui a dé- et attend pour se lever que le maître,
!
ALGER.
monté sur l'un d'eux, ait donné le sont deux broches de fer , légèrement
signaldu départ alors tous se met-
: recourbées aux extrémités , avec les-
tent en marche à la suite les uns des quelles il pique doucement le ventre
autres, en obéissant très-exactement du cheval mais s'il n'obéit pas , il lui
;
blanc ,
que fixe autour de sa tête un quand va à la guerre. Il l'affec-
il
triple cordon de laine brune , avec une tionne, le caresse, et passe avec lui
longue baguette à la main, semble être plus de temps à le soigner et le con-
un de ces magiciens auxquels les Orien- templer, qu'avec ses femmes; il en
taux accordent tant de pouvoir. parle souvent, raconte sa généalogie
Nous venons de décrire l'animal le et ses exploits avec une ardeur tout
plus précieux de la Barbarie; mais le plus orientale. Un Arabe tient à grand
beau, celui que les naturels préfèrent honneur de posséder un cheval qui
et dont ils prennent plus de soin que de descend en ligne directe de tel cour-
leurs femmes et de leurs enfants, c'est sier fameux et c'est pour le prouver
,
et peu chargé de crin. Us sont de petits que les nôtres et la chair en est
taille moyenne; les plus grands ont moins succulente. Les vaches n'ont pas
quatre pieds huit à neuf pouces. Quoi- autant de lait que dans nos contrées.
que très-légers à la course , ils sont ce- On voit partout de nombreux trou-
pendant paresseux et ont besoin d'être peaux de moutons d'une espèce peu
stimulés. Les selles arabes et berbères différente de la nôtre. Ces troupeaux
sont comme celles des Turcs. Le mors forment la principale richesse des tri-
de la bride est un anneau de fer, dont bus arabes qui s'habillent avec leur
,
la partie qui entre dans la bouche porte laine et se nourrissent avec leur lait et
un bras de levier qui s'appuie contre leur chair. La viande de mouton est la
le palais quand le cavalier marque un meilleure que l'on pusse manger en
temps d'arrêt. Les éperons de celui-ci Barbarie. Les naturels la font cuire et
L'UNIVERS.
la conservent, dans des pots bien bou- douces que les Numides, et étant aussi
chés, pendant des années. plus disposés à vivre en société, s'é-
Les autres animaux domestiques tablirent sur le bord de la mer, où ils
sont les mêmes que les nôtres. Les bâtirent des villes , tandis que ceux-ci
Algériens élèvent une grande quantité se retirèrent dans les montagnes , où
de poules et quelques pintades. On ils vécurent sous des tentes," ou dans
trouve dans toutes les villes un grand de mauvaises cabanes faites de bran-
nombre de pigeons , auxquels les habi- ches d'arbres, ou de roseaux enduits
tants rendent une espèce de culte. Us de terre. Les Maures ont subi le joug
n'en mangent jamais et ont pour eux de tous les conquérants qui se sont
une attention toute religieuse. Ils ont succédé sur la côte septentrionale de
aussi une grande vénération pour les l'Afrique ; ils se sont même alliés avec
cigognes. eux , ce qui a altéré très-sensiblement
Le gibier est très-commun , surtout la pureté de leur race. Depuis la domi-
les lièvres et les perdrix. Les plaines nation des Turcs , beaucoup d'esclaves
humides sont habitées par une grande chrétiens , qui , après avoir embrassé
quantité d'oiseaux d'eau (courlis, plu- l'islamisme, ont épousé des Maures-
viers, vanneaux, bécassines, canards, ques , se sont confondus avec le peuple
cigognes , hérons , etc. ). On trouve maure , en sorte qu'aujourd'hui la
dans la Métidja une jolie petite espèce classe d'hommes à laquelle on donne le
de héron blanc, dont les bandes sui- nom de Maure est composée d'éléments
vent les troupeaux pendant l'hiver. Us très-hétérogènes; il existe cependant
sont ordinairement accompagnés d'une encore quelques familles qui ne se sont
quantité d'étourneaux , telle que leurs point mésalliées et chez lesquelles on
troupes semblent former dans l'air des retrouve les caractères de la race pri-
nuages orageux qui se meuvent rapi- mitive.
dement. La taille des hommes est au-dessus
L'HOMME. de la moyenne. Leur démarche est
noble et grave; ils ont les cheveux
Dans les états algériens il n'en est
, noirs, la peau un peu basanée, mais
pas comme dans presque tous ceux de cependant plutôt blanche que brune ,
depuis plus de trois cents ans , quand hommes, comme tant d'autres choses.
nous vînmes leur imposer le nôtre. Le mariage chez eux n'est point une
Leur costume se rapproche beaucoup cérémonie religieuse c'est une espèce
;
ont pour chaussure des pantoufles teint l'âge de puberté ne sortent ja-
de maroquin très-couvertes, qu'ils mais , ou très-rarement , non plus que
nomment babouches. les jeunes femmes ; il n'y a que celles
Si les Maures sont les hommes les déjà d'un certain âge qui soient libres de
plus doux de la Barbarie, ils sont sortir le visage couvert de manière à
,
le koran. Quand l'heure de la prière des tapis, les jambes croisées, et fumant
sonne, ils se prosternent partout où leur pipe en prenant du café. Cette
ils se trouvent et prient avec la plus manière de vivre s'oppose à ce que les
grande ferveur, en faisant tous les bai- jeunes gens puissent voir les demoi-
sements de terre et les salutations vou- selles et leur faire la cour. Les ma-
lues , sans s'inquiéter en aucune façon riages se font donc par arrangement
de ceux qui les environnent. entre les parents, ou par commérage,
Les mahométans d'Alger prient sans que les enfants se soient jamais vus.
cinq fois par jour: à la pointe du jour, Il arrive quelquefois qu'un jeune
après midi à quatre heures du soir,
, homme , ayant beaucoup entendu par-
immédiatement après le coucher du ler de la beauté et des vertus d'une
soleil, enfin une heure après. A ces demoiselle se monte l'imagination et
,
toutes ses forces: « Il n'y a qu'un sa mère à aller s'assurer par elle-même
Dieu , Dieu est grand et Mahomet est de toutes les qualités qu'il a entendu
son prophète » Ce qu'il répète trois
! prôner, il s'adresse à une vieille femme
fois de suite; il continue « Je vous : connue pour se charger de négocier
« salue; venez à la mosquée adorer les mariages , et il y en a beaucoup en
« Dieu, et que ceux qui sont dans les Barbarie ; il lui promet des cadeaux et
« champs ou sur les chemins, prient là de l'argent si elle veut aller dans la
« où ils se trouvent : les prières sont maison de la jeune fille s'assurer de
« bonnes partout. » A la voix du muez- tout ce qu'il a ouï dire , et venir lui en
zin , ceux qui ont le temps d'aller dans rendre compte.
les mosquées s'y rendent. Les autres La messagère s'introduit dans la
prient partout où ils sont. maison en prétextant une autre raison
Les femmes n'entrent presque ja- que celle qui l'amène , et, tout en cau-
mais dans les mosquées, et elles ne sant avec les parents , elle ne manque
sont pas même obligées de prier chez pas de leur faire comprendre adroite-
elles. Les musulmans croient qu'elles ment sa mission , surtout si le jeune
n'ont point d'aine , et qu'elles ont été homme est riche. Quand ceux-ci trou-
créées uniquement pour le plaisir des vent le parti avantageux , ils font à
10 L'UNIVERS.
cette femme des cadeaux et de belles sa toilette, viennent la prendre pour
promesses, pour l'engager à vanter la conduire chez son mari. Deux vieil-
les qualités et la beauté de leur fille, lards prennent alors la jeune épouse
et la négociatrice se trouve ainsi payée par la main , et se mettent en marche
par les deux parties. De retour auprès vers sa nouvelle habitation , suivis de
de celui qui envoyée , la vieille fait
l'a toutes les personnes réunies autour
un rapport souvent moins dicté par
, d'elle dont plusieurs portent des lan-
,
les charmes de celle qu'elle est allée ternes allumées, et font entendre de
voir , que par la manière dont elle a temps en temps le cri de joie des Al-
été traitée par ses parents c'est là ce
: gériens : You! y oui y oui Dans la
qui fait que beaucoup de maris trom- maison du futur, une chambre super-
pés répudient leurs femmes peu de bement décorée et illuminée avec des
temps après les avoir épousées. Quand bougies et des verres de couleur , a été
un jeune homme est satisfait des in- préparées l'avance; la jeune épouse
y
formations qu'il a fait prendre sur est conduite avec toutes les femmes qui
une demoiselle, il engage son père, l'ont accompagnée. Là , on leur sert un
ou son plus proche parent s'il n'a plus souper, et elles restent jusqu'à minuit à
de père, à la demander en mariage. boire, manger et se divertir entre elles.
De quelque manière que les préli- Les hommes ,
qui sont demeurés sous
minaires aient eu lieu , les pères qui la galerie soupent ensemble dans une
,
sont tombés d'accord pour unir leurs autre pièce. Le mari n'est point avec
enfants se rendent chez le cadi (juge ) eux ; il mange tout seul dans une cham-
et, devant ce magistrat, ils déclarent bre à part , probablement pour que les
leurs intentions et stipulent la somme convives ne l'excitent point à la dé-
que le futur est convenu de donner à bauche , et qu'à l'heure fixée il puisse
son épouse. Après cette déclaration, se présenter d'une manière décente
qui est inscrite sur un registre , le cadi auprès de celle dont il s'est chargé de
fait apporter de l'eau sucrée qu'il boit faire le bonheur. Cette heure, c'est
avec les contractants; ensuite ils se minuit , époque à laquelle les mos-
prosternent tous les trois, et adres- quées sont rouvertes. Chacun se re-;
sent à Dieu une prière (feata) pour tire, et les deux époux restent libres. >
Ce jour arrivé , la jeune épouse prend Les Berbères. D'après ce qu'ont écrite
un bain , après lequel on la pare de ses les auteurs anciens sur les Numides
plus beaux habits ; le dedans de ses il est évident que les Berbères , nom-,
mains et le dehors de ses pieds sont mes par les Algériens Kbaiil, sont les
teints en rouge avec du henné; on descendants de ce peuple si courageux,
lui dessine une fleur au milieu du et dont la cavalerie a toujours été si
front; ses sourcils sont peints en redoutable aux légions romaines. Ce
noir; on dessine avec un bouchon que Salluste dit des Numides peut en-
brûlé des lignes en forme de zig-zag core s'appliquer aux Berbères. Par-
sur ses mains; et, assise très-grave- tout ils se tiennent enfermés dans l'in-
ment sur un divan , elle attend le cou- térieur des montagnes, d'où ils sor-
cher du soleil, époque à laquelle ses tent de temps en temps , tous à che-
parents , ainsi que ceux de son futur, val, et viennent fondre à Pimproviste
hommes et femmes, avec ses meilleures sur les villes et les villages maures et
amies qui ont ordinairement assisté à les tribus arabes, qu'ils pillent en
ALGER. ii
Leur figure est plus courte que celle mânes de celui qu'ils ont chéri et ré-
des Arabes , et son expression a quel- véré pendant sa vie. Le tombeau d'un
que chose de cruel, expression que marabout porte le nom de marabout.
leur conduite ne dément pas. Ils par- Les Musulmans Maures Arabes et
, ,
lent un langage particulier (le chovia), Nègres ont aussi des marabouts comme
qui n'a de rapport avec aucune des les Berbères ; mais ces marabouts n'ont
langues connues et qui doit être l'an-
, pas autant d'influence, quoiqu'ils soient
cien numide. Ils se vêtissent à peu près encore très-vénérés et qu'ils jouissent
comme les Arabes, avec une grande de privilèges fort étendus.
pièce de laine blanche, de leur fabrique, Les femmes berbères vont le visage
qui leur enveloppe tout le corps , et découvert , et ne sont pas aussi rete-
sur laquelle ils mettent , quand il fait nues que celles des Maures et des
froid ou qu'ils vont en voyage un , Arabes. Les jeunes gens font la cour
manteau ( bernons ) de la même étoffe, aux demoiselies avant de les épouser.
portant un capuchon. Ils n'habitent Cependant le mariage parmi eux n'est
point sous des tentes mais dans de
, encore qu'un véritable marché. Le
petites cabanes construites avec des jeune homme qui veut épouser une
branches d'arbres ou des roseaux en- demoiselle va trouver le père de celle-
duits de terre grasse. ci et lui offre une somme d'argent
,
quand ils changent de place , suivant dont cependant toutes les parties sont
les différentes saisons de l'année; ils pour eux des articles de foi.
cultivent la terre, et possèdent une « Quand les musulmans possédaient
grande quantité de troupeaux , qui for- l'Espagne , ils nous avaient
disent-ils ,
ment leur principale richesse; ils sont permis d'habiter parmi eux , de nous
bien moins actifs et moins indus- livrer au commerce, et d'exercer libre-
trieux que les Berbères , et peut-être ment notre sainte religion. Lorsque les
aussi un peu moins cruels. Cependant chrétiens les eurent chassés, et eurent
ils aiment beaucoup la guerre, et ils reconquis ce beau pays , ils nous lais-
parcourent la campagne pour piller les sèrent tranquilles pendant quelque
voyageurs et les habitations des Maures. temps; mais, envieux des richesses
Ce sont les Arabes qui ont apporté que nous avions amassées par notre
l'islamisme dans la régence d'Alger ;
travail, ils ne tardèrent pas à nous
et leurs pratiques religieuses ne dif- tyranniser. En 1390, le grand rabbin
fèrent en rien de celles des Maures de Séville , Simon - Ben- Smia, fut
et des Turcs, avec lesquels on les chargé de fers et jeté en prison , avec
trouve souvent réunis dans la même 60 des principaux chefs des familles
mosquée. Leur manière de s'habiller juives. Cet acte arbitraire fut le signal
diffère peu de celle des Berbères. de cruautés encore plus grandes que cel-
Les femmes arabes sont vêtues les que nous avions éprouvées jusque-
comme celles des Maures mais sont ce-
, là. La mort du rabbin et de ses com-
pendant moins retenues et moins scru- pagnons d'infortune fut ordonnée et ,
la tribu, elles sont souvent découvertes les délivra par un de ces miracles dont
et causent librement avec les hommes. nos annales offrent tant d'exemples.
Les Nègres. Il existe dans les états « Tous ceux qui étaient avec Simon
algériens Beaucoup de familles nègres voyant approcher leur dernière heure,
qui vivent au milieu des Maures et accablés de douleur, s'abandonnaient
des Arabes, en jouissant des mêmes au désespoir; mais ce grand homme
droits qu'eux, parce qu'elles ont em- restait calme et semblait se résigner
,
brassé l'islamisme. Ces familles pro- avec courage à son malheureux sort.
viennent d'esclaves amenés de l'inté- Tout-à-coup ses yeux se remplirent de
rieur de l'Afrique, auxquels leurs feu, sa figure s'anima, et un rayon
maîtres ont donné la liberté. Les de lumière brilla autour de sa tête ;
tour d'une grande cour carrée; une plusieurs chambres donnant sur une
,
fertiles ; les parties incultes sont cou- fermer à cette époque 6000 à 7000
, ,
appartenaient au dey et* aux grands Ces vergers sont loin d'être aussi beaux \
l
ALGER. 17
sont cultivés jusqu'à près de 1000 mè- des pommiers , des poiriers , des pru-
tres d'élévation au-dessus de la mer ; niers, etc. On croirait être en France,
on y rencontre tous nos arbres frui- dans les montagnes de la Bourgogne.
tiers de l'Europe, et même des oran- Les rues de Médéya sont assez bien
gers et des agaves. percées, et de chaque côté régnent
Les cultures disparaissent à peu près de petits trottoirs. Cette ville renferme
aux deux tiers de la hauteur des mon- quatre mosquées, une caserne de ja-
tagnes; et jusqu'à la crête, on ne nissaires et un palais assez mesquin
,
trouve plus" que des bois de chênes habité par les fils du bey de Titéry;
verts et de lièges d'une assez vilaine le père résidait dans une fort jolie mai-
venue. Mais, sur le versant sud, les son de campagne située sur un plateau
cultures et les habitations arrivent tout à une demi-lieue à l'est de la ville. La
près de cette crête. population ,composée d'Arabes de ,
de la chaîne sur des collines arides et On peut aller d'Alger à Oran par
nues, qui continuent jusqu'à Médéya. terre, en traversant la plaine de la
Médéya , située entre les deux Atlas Métidja, quelques petites chaînes de
à 22 lieues S. S.-O. d'Alger , est bâ- montagnes et ensuite de vastes plaines
tie sur une petite colline escarpée à qui s'étendent jusqu'à l'empire de Ma-
l'O. et penchant légèrement vers l'o- roc ; le trajet est de 80 à 90 lieues. On
rient. Elle est entourée d'un mur en rencontre sur la route beaucoup de
pierres très-solide, dans lequel sont
, tribus nomades, qui cultivent le riz
gercées cinq portes, dont deux sont dé- et les céréales ; peu de maisons , habi-
fendues par de mauvaises batteries tées par les chefs de tribus ; point de
armées de quatre pièces chacune. Un villages ni de villes, mais les ruines de
bel aqueduc à deux rangs d'arcades, plusieurs cités romaines, dont l'étendue
et sous lequel on passe en venant d'Al- annonce qu'elles étaient très-considé-
ger, conduit dans la ville une eau ex- rables. On traverse plusieurs fleuves, et
cellente qui alimente ses nombreuses entre autres, le superbe Chélif, dont ies
fontaines. (Voy. planche 7.) eaux vivifient les vallées et les plaines
L'aspect de Médéya diffère complè- qu'il arrose.
tement de celui des villes de la côte : Les Français ne peuvent point aller
les maisons sont couvertes en tuiles d'Alger à Oran par terre , et la com-
creuses et ne sont point blanchies à
, munication entre les garnisons de ces
la chaux. Les agaves les cactus et les
, deux villes se fait par la mer. Jusqu'à
orangers ont entièrement disparu; la Mostoganem, ville située près de l'em-
campagne est couverte de vignes et de bouchure du Chélif, la côte est bordée
champs cultivés, entourés de haies d'é- par des collines, et ensuite par des
pines, et dans lesquels sont plantés montagnes assez élevées, sur lesquelles
e
2 Livraison. (Alger.)
18 L'UNIVERS.
on remarque des villages et quelques ges, aidés par ceux de la campagne, at-
petites villes. Au
pied de la haute taquaient continuellement.
montagne de Chénouah, à 20 lieues La p aine qui se trouve au sud d'O-
d'Alger, est la petite ville de Cherche!, ran , légèrement accidentée , est inha-
très-bien construite, entourée de ver- bitée, couverte de broussailles et peu
gers et d'une campagne fertile. De propre à la culture. Les tribus qui ve-
Mostoganem au cap Ferrât , le terrain naient s'y établir dans le printemps,
est plat; ensuite recommencent les sont maintenant retirées au pied de
montagnes, qui s'étendent fort loin à l'Atlas, à huit lieues de la ville.
l'ouest d'Oran. Il n'y a point de porta Oran; la baie
Cette ville , située dans le fond d'une au fond de laquelle cette ville est si-
baie, à 35° 44' de latitude nord, et tuée est trop peu profonde pour que
3° 2' de longitude ouest , occupe deux même les bâtiments de commerce
petits plateaux allongés, séparés par un puissent y mouiller de plus elle est
; ,
ravin très-profond, ou coule une rivière ouverte à presque tous les vents.
qui fait tourner plusieurs moulins, Mers-el-Kébir. Mais il existe une
donne de l'eau à la ville et arrose ses superbe rade à une demi -lieue au N.
jardins. Oran a été long-temps occupée d'O. de cette ville, assez profonde
par les Espagnols, quï l'ont entourée pour recevoir des bâtiments de guerre
d'une enceinte, et y ont bâti des forts et où une flotte de cent vaisseaux
magniiiques , encore en très-bon état. peut braver les plus fortes tem-
La partie occidentale renferme un pêtes. Cette rade appelée Mers-el-Ké-
,
grand nombre de ruines de maisons bir (le grand port), est défendue par
et d'édifices espagnols , couvents, égli- plusieurs forts construits en pierres de
ses, palais, etc., qui furent détruits en taille , dont le plus considérable situé ,
terre. Au milieu de ces ruines, les ferme des logements et des magasins
Maures et les Arabes avaient élevé pour une garnison de 1600 hommes.
quelques maisons ; mais la ville mau- Après le fort de Mers-el-Kébir jusqu'à
resque est située sur la rive droite de une grande distance à PO., la côte est
la rivière. La portion qui regarde la bordée de falaises très-escarpées, au-
mer est occupée par la Nouvelle-Kasba} dessus desquelles le terrain est inculte.
fort magnifique, de construction espa-
gnole j et dans lequel le bey avait éta- CONSTANTINE ET SES ENVIRONS.
bli sa résidence. Les maisons d'Oran Constantîne est située à PE. d'Al-
sont à peu près les mêmes que celles ger sous le 4° de longitude et à 20 ,
de Bé.ida ; la cour intérieure est ordi- lieues dans l'intérieur des terres. La
nairement couverte d'une beile treille, route, entre ces deux villes, n'est prati-
qui donne de l'ombrage et des raisins cable que pour des bêtes de somme.
délicieux. ( Voy. planche 8. ) Elle traverse de hautes montagnes,
Oran par des Maures
était habitée où se trouvent des défilés très-difiiciles
des Arabes, des Turcs, des Juifs et à franchir, et dont les environs sont
quelques Nègres. D'après l'étendue de habités par des Berbères fér ces et
la ville, on peut évaluer la population, belliqueux, qui ne laissent jamais pas-
avant l'entrée des Français , a cinq ou ser les voyageurs sans les rançonner
six mille âmes; mais à notre arrivée, quand ils ne^ les pillent pas.
tous les habitants prirent la fuite, à Constantine est bâtie au milieu
l'exception des Juifs et de quelques fa- d'une grande plaine , sur le bord du
milles maures. Il existait deux grands Suffimar, rivière qui contourne ses
villages au sud et à l'est d'Oran , con- murs en formant un demi-cercle. Cette
struits en maçonnerie et habités par ville est construite dans le même genre
des Arabes ; mais on a été obligé de que Médéya; elle est la rés dence d'un
les détruire pour la défense de la ville, bey , que nous n'avons pu soumettre
que les habitants de ces mêmes villa- et qui nous fait une guerre continuelle,
ALGER. m
en attaquant à chaque instant quelques- dans la ville. Les maisons sont con-
uns des points que nous occupons sur struites comme celles d'Alger; les mos-
la côte. Cette ville n'est point fortifiée, quées ne présentent rien de remar-
il y a seulement une petite batterie du quable; l'édifice le plus beau est la
côté d'Alger, armée de sept à huit mau- Kasba, forteresse vaste et bien con-
vais canons. Sa population est de struite , armée de plusieurs pièces de
15,000 âmes au plus; elle se compose canon , avec lesquelles quelques cen-
d'Arabes, de Nègres, de Turcs ma- taines d'hommes peuvent se défendre
riés avec les filles des Arabes et de , contre les hordes barbares du voisinage.
deux mille Juifs. Les habitants s'adon- Bone est située dans une baie ter-
nent à l'agriculture et s'occupent aussi minée par le cap de la Garde et le cap
de commerce. Il existe à Constantine Rosa. Près de ces deux caps il y a des ,
civilisation ne fit pas chez eux des pro- mençaient leurs courses.
grès remarquables ; car Procope, l'his- La république qui comprenait les
,
Les colonies romaines, établies d'a- tout le terrain qui forma plus tard la j
retirer, il réunit tout ce qu'il lui res- de nouvelles troupes, équipèrent une
tait de soldats, et combattit en déses- puissante flotte dans le port d'Alexan-
péré. Mais il fut complètement défait drie, et revinrent attaquer les Ro-
et obligé de fuir, en laissant les Van- mains par terre et par mer. Jean
dales maîtres des états qu'il avait voulu trop faible pour résister, fut vaincu;
usurper. Ceux-ci se voyant possesseurs il s'embarqua avec le peu de troupes
d'un des plus beaux pays du monde , qui lui restait, et revint à Constanti-
résolurent de s'y fixer; ils envoyèrent nople , porter à l'empereur la nouvelle
des députés faire soumission à l'empe- de la perte de toutes les provinces
reur , et promettre de lui payer tribut. d'Afrique.
Les propositions des Vandales furent Les Romains une fois expulsés , rien
acceptées ; Rome était alors hors d'état ne s'opposa plus aux progrès des Arabes,
d'entreprendre une guerre pour recou- qui s'emparèrent, sans coup férir, de
vrer ses provinces d'Afrique. tous les pays jusqu'au détroit de Gi-
Les Vandales jouirent en paix du braltar. Les Maures se soumirent sans
fruit de leur usurpation pendant plus résistance au nouveau joug qu'on ve-
de cent ans ; mais, en 534 , Gélimère nait leur imposer; ils abandonnèrent
ayant fait crever les yeux à son neveu le christianisme pour la religion de
pour régner à sa place , et ses prédé- Mahomet, et donnèrent leurs filles
cesseurs n'ayant pas rempli exacte- aux Asiatiques , comme ils l'avaient
ment leurs engagements envers l'em- fait auparavant avec les Romains et
pire, l'empereur Justinien envoya Bé- les Vandales. Les Numides se tenant
lisaire , qui prit Carthage , fit balayer toujours enfermés dans les montagnes,
le pays jusqu'aux colonnes d'Hercule ne voulurent point faire alliance avec
pour en expulser les Vandales, et le les Arabes, et se maintinrent en état
réduisit de nouveau sous la domina- permanent d'hostilité.
tion romaine. Les enfants de Mahomet, maîtres
Depuis l'établissement du siège de des deux Mauritanies se trouvaient
,
brassé le christianisme, vivaient plus que entreprendre contre lui. Ils avaient
jamais en bonne intelligence avec les déjà tenté infructueusement plusieurs
Romains, dont un grand nombre avait débarquements, lorsqu'en 712 le comte
épousé leurs filles. On vit alors s'élever Julien , qui s'était révolté contre Ro-
plusieurs petits états indépendants, où drigue, son souverain légitime, les
les Romains se trouvèrent mélangés appela à son secours. Les Arabes, traî-
avec les naturels. nant avec eux les Maures et les restes
Les Arabes ,
qui s'étaient emparés des Vandales , traversèrent le détroit
de l'Egypte, avaient déjà plusieurs vainquirent les princes chrétiens dans
fois attaqué les Romains, et les avaient plusieurs batailles, les forcèrent de
forcés d'acheter la paix par un tribut, s'enfermer dans les montagnes des
lorsqu'en 697 ils résolurent de s'em- Asturies , et s'établirent dans les plus
22 L'UNIVERS.
belles contrées de la Péninsule ibé- tillerie, mouillèrent à l'ouest, hors
rique. de la portée du canon. Le débarque-
Jusqu'au XI e
siècle , les Musulmans ment offrit les plus grandes difficultés.
restèrent paisibles possesseurs du pays Les Maures et les Arabes qui défen-
dont ils s'étaient emparés, et ils
y daient la côte, ne le croyant pas exé-
construisirent des villes , des palais et cutable, se retirèrent ne laissant que
des mosquées magnifiques , dont plu- 3000 hommes et 200 chevaux. Les Espa-
sieurs sont encore très-bien conservés. gnols débarqués n'éprouvèrent qu'une
En 1492, Ferdinand d'Aragon et faible résistance , le fort se rendit, et
Isabelle de Castille, qui régnaient en- reçut une garnison.
semble sur les Espagnes, tirent une Quatre ans après la prise de Mers-
guerre vigoureuse aux Musulmans , et el-Kébir, le gouverneur de cette place
finirent par les expulser entièrement. noua des intelligences avec un juif d'O-
Ceux qui purent échapper au fer ran qui promettait de 1 vrer aux Espa-
des vainqueurs repassèrent le détroit gnols la p rtede cette ville située sur la
et allèrent demander asile à leurs co- route de ïelmecen. Le cardinal Ximé-
religionnaires africains. Leur haine nès, informé de ce qui se passait, ras-
contre les chrétiens était trop invété- sembla à Carthagène une flotte et une
rée , et ils étaient trop belliqueux pour armée qui devaient aller attaquer Oran.
vivre tranquillement si proche de la Les troupes, sous le commandement
belle contrée qu'ils venaientde perdre; de Pierre de Navarre, se composaient
ils ne tardèrent pas à armer en cor- de 15,000 hommes de différentes ar-
saires de petits bâtiments qui pillaient mes tous vieux soldats. Le cardinal
,
el-Kébir ,
principal repaire des pira- tie des troupes qui venaient de s'em-
tes. La flotte sous les ordres de Rai- parer d'Oran , mit à la voile et rallia à
mond, portant 5000 hommes de débar- Yvica une autre division navale , com-
quement, partit du port de Malaga à mandée par Jérôme Vianelli. Les deux,
la fin d'août 1504. Arrêtée par des escadres réunies ayant 5,000 hommes
vents contraires, elle fut obligée de de débarquement, mirent à la voile le
er
relâcher dans le port d'Almeria , et 1 janvier, et arrivèrent devant Bou-
ne parut devant le fort que le 1 1 sep- gie le 5 janvier; mais lèvent étant con-
tembre. Les chrétiens voyant Mers- traire, èllesdurent se tenir aular.re. Les
el-Kébir armé d'une nombreuse ar- Berbères et les Arabes, commandés par
ALGER. 23
m roi , au nombre de dix mille envi- lejoug qui leur était imposé. La mort
de Ferdinand, qui arriva en 1516,
ron, dont une grande partie à cheval,
occupaient les montagnes qui envi- ranima leur courage, et ils pensèrent
ronnent la ville. à reconquérir la liberté.
Le vent s'étant calmé, les vaisseaux Les Algériens appelèrent à leur se-
jetèrent l'ancre et le débarquement cours Sélïm-Utémi , prince arabe, qui
commença aussitôt. Les ennemis s'a- jouissait alors d'une grande réputation
vancèrent alors ; mais , foudroyés par militaire. Ce guerrier, ne se croyant
l'artilleriedes navires, ils se retirèrent point assez fort pour attaquer lui seul
avec précipitation, et les troupes purent les Espagnols, envoya un agent au fa-
continuer à débarquer sans être in- meux corsaire Barbërousse, qui régnait
quiétées. Le général en chef qui avait alors sur la Méditerranée, pour l'enga-
mis pied à terre avec les premières gera attaquer par mer le fort d'Alger,
troupes, les rangeait en bataille au fur pendant que de son côté il s'emparerait
et à mesure de leur arrivée. ÏI en forma de la ville. Les deux attaques, bien
quatre grosses masses avec lesquelles combinées, eurent un succès complet;
il marcha droit à l'ennemi, pour le la garnison espagnole fut faite prison-
chasser de ses positions. Les Africains nière ; Alger et tout son territoire ren-
terrifiés n'osèrent pas attendre les chré- trèrent sous la domination musulmane.
tiens , ils abandonnèrent les postes Les deux vainqueurs , qui s'étaient
avantageux qu'ils occupaient , et se pré- si bien entendus pour attaquer, ne
cipitèrent vers la ville , comptant sur purent jamais s'entendre pour gou-
la force de ses remparts. Mais les Es- verner le pays dont ils venaient de
pagnols les suivirent de si près , qu'ils s'emparer; Sélim-Utémi fut assassiné,
entrèrent pêle-mêle avec eux. Bou- et son fils forcé de chercher un refuge
gie fut pris dans un instant et livré au parmi les Espagnols.
pillage. Dans son expédition sur Alger, Bar-
La chute si prompte de Bougie, que bërousse avait amené avec luises com-
les Barbares regardaient comme im- pagnons de brigandage , presque tous
prenable, jeta la consternation sur Turcs, qui formèrent le premier noyau
toute la côte et même fort loin dans de cette milice algérienne, devenue
les terres. Les villes du voisinage, depuis si redoutable.
craignant un sort semblable, envoyè- Peu d e temps après la prise d' A lger par
rent des députés au vainqueur pour Barbërousse, une flotte espagnole, por-
faire leur soumission au roi d'Espagne tant 10,000 hommes de débarquement,
et offrir de payer un tribut. Alger, se présenta pour attaquer cette ville.
qui n'était point alors aussi forte Quoique plusieurs bâtiments se fussent
qu'elle l'est devenue depu s , fut une brisés contre les rochers en abordant
des premières à se soumettre. la côte , le débarquement n'en eut pas
Les rois de Tunis, de Tedeîez et moins lieu ; mais les Espagnols , qui
jusqu'aux habitants de Mostaganem s'étaient livrés au pillage, vigoureu-
se reconnurent tributaires de "la cou- sement attaqués par les Maures et
ronne de Castiile, dont en peu de mois les Arabes, sous les ordres de Barbë-
augmenté par les Turcs, qui forma ser entièrement les Espagnols; et il
depuis le port d'Alger , et lit toute la aurait réussi s'il n'eût été tué deux ,
force de ce repaire de pirates. ans après , dans une bataille qu'il leur
Les Africains, traités par les Es- livra aux environs de Telmecen.
pagnols comme des vaincus et des in- Barbërousse fut remplacé dans le
fidèles , ne supportaient qu'avec peine gouvernement d'Alger par son frère
24 L'UNIVERS.
Chéridin, nommé aussi Barberousse, l'Italie, les Calonne, les Doria et les
qui était non moins habile et non moins Spinosa rassemblèrent les meilleures
courageux que lui. Les Espagnols ten- troupes du pays.
tèrent une autre expédition, sous les Les troupes, réunies sur les côtes
ordres de Moncade ; mais une affreuse d'Espagne et sur celles de l'Italie,
tempête lit périr la moitié de la flotte, furent embarquées sur les flottes d'Es-
composée de 26 vaisseaux. pagne et de Gênes , réunies toutes les
Chéridin, se voyant continuellement deux sous les ordres d'André Doria,
menacé , faisait de grands travaux pour l'amiral le plus célèbre de cette époque.
défendre de son empire il
la capitale ; Doria et le pape Paul III firent tous
augmenta beaucoup le fort que les Es- leurs efforts auprès de Charles-Quint
pagnols avaient construit sur le rocher pour le faire renoncer à une expé-
d'Alger, et il le joignit à cette ville dition dont ils semblaient prévoir la
par un superbe môle en pierres dont
, mauvaise réussite. Rien ne put l'ar-
l'intérieur renferme de beaux maga- rêter; il s'embarqua le 1 er octobre à
sins et des logements pour les troupes, Porto-Venere, et se rendit, non sans
à l'abri de la bombe. Malgré toutes ces beaucoup de difficultés, à Majorque ,
précautions, il ne se crut pas encore lieu du rendez-vous des flottes combi-
assez fort pour résister aux attaques nées. La flotte espagnole arriva la der-
des chrétiens et il mit ses états sous
, nière; quelques-uns de ses vaisseaux
la protection du grand-seigneur, en lui que le mauvais temps empêcha de ral-
demandant du secours. Le sultan lui lier , s'étaient dirigés directement sur
envoya quelques janissaires. Alger.
Peu de temps après , Chéridin laissa Le 18 octobre , 70 galères et plus de
le gouvernement d'Alger à un renégat, 100 bâtiments de moindre dimension
Hassan-Aga, d'origine sarde, d'une firent voile pour la côte d'Afrique.
cruauté et d'une bravoure à toute Le 26, le débarquement s'effectua aVec
épreuve, et partit pour Constanti- ordre et promptitude.
nopie, afin de traiter directement avec L'armée se composait de 22,000
le sultan la question algérienne. hommes d'infanterie, Espagnols, Alle-
mands , Bourguignons , Italiens et
EXPÉDITION DE CHARLES-QUINT EN 1541.
Maltais, et de 1 100 chevaux.
Charles-Quint , qui voyait la puis- Les attaques des Algériens furent re-
sance d'Alger s'augmenter tous les poussées avec vigueur par l'infanterie
jours , et qui comprenait tous les mal- espagnole soutenue par l'artillerie des
,,
tablir sur le trône Miucley-Hassan dre position entre deux torrents. Une
vassal de l'Espagne, dépossédé par Bar- attaque de nuit fut encore repoussée
berousse, et cette expédition avait eu avec avantage, et le 27 on commença
un succès complet. l'investissement de la place. Gonzague
L'absence de Chéridin parut à l'em- attaqua vigoureusement les Arabes
pereur une occasion favorable pour qui s'étaient emparés des hauteurs sur
exécuter son projet. Depuis long-temps la gauche de l'armée , ce qui leur don-
il s'y préparait. Les vice-rois de Na- nait un grand avantage. Le centre,
ples et de Sicile avaient fait des levées commandé par l'empereur en personne,
de vieux soldats. En Espagne, beau- s'empara d'une hauteur (Sidi-Jacoub ),
coup déjeunes gens de la noblesse s'é- où est maintenant le fort de l'Empe-
taient enrôlés pour cette périlleuse ex- reur. La gauche des Espagnols s'éten-
pédition. Fernand-Cortès , le conqué- dait sur les collines qui bordent la mer
rant du Mexique , se présenta comme à l'ouest d'Alger : de cette manière , la
volontaire avec ses trois fils. Dans ville se trouvait investie assez complé-
ALGER. 25
tement pour commencer les opérations on l'avait espéré; un pont fut con-
du siège. struit pendant nuit, et le lende-
la
Mais les précautions les mieux prises main l'armée passa. L'Hamise, que
ne suffisent pas toujours quand les l'on rencontra avant d'arriver au point
éléments peuvent influer sur le succès : de l'embarquement, nécessita encore
le même sot un vent violent du nord- la construction d'un pont ; l'armée
ouest amena des nuages qui crevèrent campa sur la rive droite, et le 31
et vomirent , durant toute la nuit, des elle commença à se rembarquer , sans
torrents d'une pluie froide, accompa- que l'ennemi "l'inquiétât. Mais comme
gnée de grêle ; les soldats n'avaient la tempête avait beaucoup diminué le
que leur simple vêtement, et absolu- nombre des vaisseaux , on fut obligé
ment rien pour se mettre à l'abri les , pour pouvoir ramener les hommes,
tentes n'étant pas encore débarquées. d'abandonner les chevaux débarqués,
Le flotte, horriblement battue par la et de jeter à la mer tous ceux qui n'a-
tempête, fut dispersée: plusieurs vais- vaient pas pu l'être.
seaux sombrèrent, d'autres vinrent se Dès que l'embarquement fut ter-
briser contre la côte , et un grand miné on annonça par un ordre du
,
nombre fût emporté ou coulé. La jour- jour à l'armée, que le siège d'Alger
née du 28 fut aussi mauvaise que la était remis à l'année prochaine , et
nuit qui l'avait précédée ; on manquait la flotte fit voile pour Bougie, où elle
déjà de vivres, et on n avait pas l'espoir arriva le 2 novembre après avoir
,
mais il revint ensuite , et culbuta les gné, les laissa chacun libres de pren-
chevaliers de Malte. L'empereur étant dre telle route qu'il leur plairait pour
venu lui-même à leur secours avec une retourner chez eux il partit lui-même,
;
maréchal d'Estrées bombardèrent de sur quelques Anglais qui , suï- la foi '
nouveau Alger et coulèrent à fond cinq des traités se trouvaient à Bone, lord
,
cette ville, si le dey n'accédait pas se vit obligée de couper ses câbles et
aux premières propositions. de gagner fe large.
Lord Exmouth reparut devant ce Pendant l'attaque, une révolte avait
repaire de pirates le 27 août avec 37 éclaté dans la ville et les jours du
,
les X pensa à prendre des mesures mes fut rassemblée autour de Toulon ;
plus énergiques pour terminer cette et une flotte de 60 navires de guerre,
guerre inutile et ruineuse, et punir 6 bateaux à vapeur et 200 bâtiments
les Algériens. Il crut cependant de- de transport, réunis dans le port de
voir encore tenter la voie des négo- cette ville, se trouva prête à embar-
ciations avant d'entreprendre une ex- quer les troupes.
pédition dont le succès était douteux Les équipages de cette flotte se mon-
d'après l'issue de celles des Espagnols taient à 27,000 hommes; et quand
et des Anglais. l'armée fut à bord, elle portait 64,000
M. de La Bretonnière reçut la mis- hommes , 4,000 chevaux , l'artillerie
sion d'aller porter au dey les réclama- de siège et l'artillerie de campagne,
ALGER. 29
Aussitôt que l'obscurité commença mis se jetèrent sur les postes avancés
à paraître,on fit les préparatifs du en poussant des hurlements affreux
débarquement. Des vivres, des muni- en culbutèrent plusieurs, et parvinrent
tions et des objets de campement fu- jusqu'à la ligne de bataille, où une
rent distribués aux troupes. Les cha- action très - vive s'engagea : notre
loupes et tous les bateaux plats que gauche plia un moment; mais s'é-
l'on avait apportés sur les vaisseaux tant reformée elle revint à la charge
,
de plusieurs mortiers qui leur faisaient avait débarqué, vivres et munitions, fut
beaucoup de mal. Pendant ce temps, transporté par mer dans les arsenaux
les Français ne tirèrent pas un seul et les magasins d'Alger. Les troupes
coup de canon ; mais le cinquième jour, qui occupaient les environs de cette
nos batteries , qui formaient un demi- (*) Parmi les personnages les plus remar-
cercle devant le fort, furent démas- quables qui furent les esclaves des Algériens,
quées , et à 10 heures du matin elles nous citerons seulement notre célèbre co-
l'avaient tellement réduit en ruine mique Régnard, qui nous a laissé l'histoire
que l'ennemi, ne pouvant plus s'y de sa captivité, et dans les temps modernes
maintenir, l'évacua en y laissant trois le secréiaire perpétuel de l'Académie des
nègres qui, pour le faire sauter, mirent Sciences, notre illustre astronome Arago.
ALGER. 31
ville, élevèrent des redoutes sur les les haies et démolissaient les maisons.
positions les plus importantes, et ces Le bey de Titéry continuait tou-
redoutes turent armées avec des ca- jours ses courses, et ses éclaireurs
nons pris à l'ennemi; le fort de l'Em- rôdaient continuellement autour de
pereur fut réparé , on y mit une gar- nos camps pour massacrer les hommes
nison, et on arma de nouveau le iront qui s'écartaient. Des reconnaissances
qui donne sur la campagne. assez fortes avaient déjà été poussées
On avait d'autant mieux fait de dans différentes directions pour es-
prendre toutes ces dispositions que le sayer de le surprendre; mais on n'a-
bey de Titéry, qui avait été noinmé vait jamais pu y parvenir. Il s'écartait
Aga après la perte de la bataille de rarement des montagnes , et y ren-
Staouéli , en remplacement de celui trait aussitôt qu'il se savait menacé.
qui commandait à cette bataille, et Le général Clauzel comprit qu'il ne
que le dey avait destitué pour l'avoir serait jamais tranquille tant que ce
perdue, restait encore à la tête d'un prince aurait les armes à la main; il
assez grand nombre de troupes, avec pensa dès lors à aller l'attaquer jusque
lesquelles il inquiétait continuelle- dans l'intérieur de ses montagnes.
ment nos avant-postes , et menaçait Le 17 novembre 1830, un corps
de venir reprendre Alger. d'armée de 8,000 hommes, avec deux
Nous étions maîtres de cette ville de- batteries d'artillerie, commandé par
puis plus d'un mois, quelques-uns des le général Clauzel, partit d'Alger pour
généraux étaient déjà retournés en se porter sur Médéya. On traversa
France , on s'occupait d'embarquer le toute la plaine de la Mitidja, et on
trésor et beaucoup de marchandises arriva jusque devant Bélida sans ren-
et d'objets précieux trouvés dans la contrer d'obstacle. Là, quelques cen-
Kasba , lorsque tout-à-coup le bruit taines d'Arabes et de Berbères ,
qui
des événements de juillet se répandit avaient pris posi t on de l'autre côté d'un
dans l'armée. On douta un instant de ravin profond, voulurent couvrir la
faits si extraordina res, qui n'étaient ville et s'opposer à la marche de l'ar-
annoncés que par des lettres particu- mée; mais à peine furent-ils attaqués
lières; mais des nouvelles officielles par nos voltigeurs, qu'ils prirent la
étant arrivées , l'armée prit les cou- fuite et se ret rèrent dans les vergers
,
mais lorsqu'en les quittant nous dé- désirer que les Français puissent en i
FIN.
L'UNIVERS,
OU
HISTOIRE ET DESCRIPTION
DE TOUS LES PEUPLES,
DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, etc.
ALGERIE 5
PAR M. E. CARETTE.
tentiaires, passe dans le sud à vingt-cinq La plus courte, celle de Bougie, est de
kilomètres à l'est de l'oasis marocaine sept cent six kilomètres. j
de Figuig, dans le nord à dix kilomètres Le mouillage de Bougie, qui est le plus
de la ville marocaine d'Oudjda, et qu'elle rapproché de la côte de France, est en
vient aboutir sur la côte à vingt quatre même temps le meilleur de la côte d'A-
ou vingt-six kilomètres à l'ouest de frique. C'est une double propriété qui
Djema-Ghazaouat ou Nemours, qui est ne peut manquer d'exercer une grande
notre dernier établissement maritime de influence sur l'avenir de cette ville, dès
ce côté. que l'Algérie sera entrée dans la voie
Ainsi délimitée, l'Algérie embrasse de d'un développement normal.
l'est à l'ouest à peu près la même lar- Au reste, la distance absolue n'est pas
geur que la France. La distance en ligne le seul élément qui mesure la facilité
droite de La Cal le à Nemours est de des communications entre notre fron-
quatre-vingt-quinze myriamètres, et celle tière maritime de France et notre fron-
de Strasbourg à Brest de quatre-vingt- tière maritime d'Algérie. Elle dépend
dix. Elle se trouve en outre, si l'on y encore de la fréquence et de la direction
comprend la Corse, renfermée à peu près des vents.
entre les mêmes méridiens. En effet La Dans le bras de mer qui sépare la
Calle tombe sous le méridien d'Ajaccio Provence de notre colonie d'Afrique,
et Nemours sous le méridien qui con- les vents régnants sont ceux de la partie
tient Cherbourg, Rennes, Nantes, la est et de la partie ouest; on les désigne
Rochelle et Bayonne. Ajoutons cette par le nom de traversiers; ils poussent
dernière particularité, que le méridien également d'Europe en Afrique et d'A-
de Paris passe à quelques lieues seule- frique en Europe.
ment à l'ouest d'Alger. Mais les vents de la partie ouest l'em-
portent de beaucoup sur les autres, et
parmi les différentes directions dans les-
ALGERIE.
quelles ils soufflent , c'est celle du nord- gnée de deux cent quatre-vingt-dix kilo-
ouest qui domine , autant par la fré- mètres en ligne droite. »
quence que par l'intensité : or cette di- Les communications entre l'Ouad-
rection est beaucoup plus favorable Souf et R'dâmes sont assez rares, et elles
pour naviguer du nord au sud que du exigent des caravanes nombreuses; car
sud au nord. Il en résulte un fait assez la région qu'il faut traverser n'est plus
remarquable; c'est qu'il est plus facile le Sahara, où Ton ne voyage jamais plus
d'alier en Algérie que d'en revenir. de deux jours sans rencontrer une oasis ;
Limite naturelle du sud. La déli- — c'est un désert hérissé de montagnes de
mitation méridionale des États barbares- sable qui se succèdent sans interruption
ques est restée pendant fort longtemps depuis le moment où l'on perd de vue
dans une obscurité profonde. Allaient- les palmiers de R'dâmes jusqu'à ce que
ils se perdre par degrés insensibles dans l'on touche ceux de l'Ouad-Souf. Dans
les profondeurs de l'Afrique centrale, ou une traversée aussi longue et aussi rude
bien s'arrêtaient-ils à des bornes pré- il n'existe qu'un seul puits. Encore
cises, infranchissables? C'étaient des court-on le risque d'y remontrer les
questions que la géographie n'avait ni Touareg r qui, dans l'espoir de piller les
résolues ni même posées. En 1844 d'ho- caravanes, peuvent les attendre à coup
norables députés demandaient encore sûr au voisinage de ce point de passage
au gouvernement du haut de la tribune si obligé. Des difficultés et des dangers de
l'Algérie ne devait pas s'allonger jusqu'à cette nature établissent une ligne de dé-
Timbektou. marcation aussi impérieuse que la tra-
C'est, alors que je fis connaître la li- versée d'un bras de mer.
mite naturelle qui borne l'Algérie au sud ; Entre l'Ouad-Mzab et El-Golea les
je vais reproduire les résultats princi- communications ont lieu par Metlili.
paux de ce travail (l). C'est une ville située à quarante-cinq
La limite méridionale de l'Algérie est kilomètres environ ouest-sud-ouest de
une ligne d'oasis unies entre elles par des R'ardeia chef-lieu de l'Ouad-Mzab. La
,
obstacles limitent aussi bien le territoire relles du sud au nord et des divisions
des nations que la cime des montagnes, politiques de l'est à l'ouest.
que les vagues de la mer. Entre le rivage de la Méditerranée et
Nous ajouterons un dernier fait qui la ligne d'oasis qui la limitent, l'une au
nous paraît fixer d'une manière décisive nord et l'autre au sud, règne une ligne
la limite naturelle de l'Algérie. La po- intermédiaire, tracée de l'est à l'ouest, et
pulation nomade des six oasis vient cha- qui, comme elles, traverse l'Algérie d'une
que année s'établir dans -la zone sep- frontière à l'autre.
tentrionale et y acheter la provision de Cette ligne la partage en deux zones
blé nécessaire à la consommation de tout connues sous les deux noms de Tell et
le Sahara. de Sahara.
Au delà des six oasis aucune peuplade Le Tell est la zone qui borde la Mé-
ne participe à ce mouvement, aucune ne diterranée ;
dépasse la ligne qu'elles déterminent. Le Sahara est celle qui borde le dé-
Cette ligne forme donc comme une sert; mais les deux zones se distinguent
crête naturelle de partage entre les inté- et se définissent surtout par la différence
rêts qui se tournent vers le nord et les in- de leurs produits le Tell est la région
:
térêts qui se tournent vers le sud. C'est des céréales; le Sahara est la région des
à partir de cette ligne, où finit le Sahara, palmiers.
que commence à proprement parler
, , le Laligne qui délimite le Sahara et le
désert , vaste solitude parcourue plutôt Tell n'a rien d'apparent, rien qui la
qu'habitée par la redoutable tribu des signale aux regards du voyageur, lor-
Touareg, qu'elle sépare à la fois de la race qu'il ignore la série des points que la
blanche et de la race noire. tradition locale reconnaît pour lui ap-
Le bord du désert établit donc pour partenir.
l'Algérie au sud une délimitation aussi Quelques-uns de ces points portent
rigoureuse que le rivage de la Méditer- le nom de Foum-es-Sahara (la bouche
ranée au nord. du Sahara ). Telle est la gorge étroite et
çaises, des commissariats civils, des di- de Tunis jusqu'à celle de Maroc, règne
rections et des bureaux arabes, des divi- uneautre zone, presque aussi large que la
sions et des subdivisions militaires. première, formée d'une suite d'immenses
Il faut espérer que la division territo- plaines.
riale de l'Algérie sortira quelque jour de Ici les eaux , arrêtées par le bourrelet
ce chaos, pour rentrer dans un cadre, montagneux du littoral, ne trouvent pas
régulier, normal, analogue à celui dont d'issue à la Méditerranée; elles s'achemi-
la métropole lui offre le modèle. nent par des déclivités assez douces vers
de grands lacs salés appelés Chott ou
Sebkha, qui occupent le tond des plaines.
Il n'existe qu'une seule exception à cette
ALGÉRIE,
règle ; c'est le Chélif, qui traverse à la fois On peut donc appeler îa première
et la zone plane de l'intérieur et le bour- massif méditerranéen et la seconde
relet montueux du littoral. MASSIF INTÉRIEUR.
Cette suite de bassins fermés larges , Quant aux deux zones plates, elles
et plats, détermine, en y joignant la contiennent l'une et l'autre d'immenses
vallée supérieure du Chélif, cinq régions, espaces dépourvus d'eau; c'est là leur
que les indigènes désignent par les noms caractère commun. Mais la première reste
suivants : livrée à son aridité, ne comporte en
1° Les Sbakh 2° le Hodna, 3° le Za-
,
général que peu de culture , et n'admet
réz, 4° le Sersou, 5° les Chott. guère que le régime du parcours.
A travers l'immensité des plaines La seconde possède des eaux souter-
dont se compose cette seconde zone sur- raines assez abondantes, qui s'obtien-
gissent quelques montagnes, qui de loin nent par le forage de puits et donnent
en loin font exception à la conformation naissance aux oasis.
générale de la contrée et en rompent l'u- On exprime donc le caractère distinc-
niformité. Elles établissent une sépara- tif de chacune de ces deux zones en ap-
tion naturelle entre les cinq régions dont pelant la première zone des landes et
elle se compose. la seconde zone des oasis.
L'horizon de cette contrée piane est En résumé, l'observateur qui pourrait
borné au sud par un second rideau de embrasser d'un seul coup d'oeil l'ensemble
montagnes, tendu encore de la frontière des mouvements orogra, niques qui cou-
orientale à la frontière occidentale de vrent le sol de l'Algérie verrait deux
l'Algérie. larges sillons se dessiner de l'est à l'ouest
L'Aurès dans la province de Cons- en travers de sa surface. Dans les parties
tantine et le Djebel-Amour dans la pro- saillantes il reconnaîtrait le massif mé-
vince d'Alger en sont les deux masses diterranéen et le massif intérieur; dans
les plus remarquables. les parties creuses la zone des landes et
Enfin au sud de ce second bourrelet celle des oasis.
de montagnes règne une seconde zone Comment cette division déterminée
,
de plaines, plus vaste encore que la pre- par lesondulations matérielles du sol
mière; elle se compose comme elle de bas- rentre-t-elle dans la division en Tell et
sins fermés , au fond desquels s'étendent Sahara, fondée sur la différence des pro-
delargeslacsdesel;commeelleaussi, elle duits? Le voici.
renferme, exceptionnellement encore, Le massif méditerranéen appartient
quelques massifs de montagnes, mais exclusivement au Tell.
plus rares et moins élevés. La zone des oasis appartient exclusi-
C'est l'arrière-scène du Sahara, et pour vement au Sahara.
ainsi dire le vestibule du désert. Cette Les deux bandes intermédiaires, la
seconde nappe va se terminer dans le zone des landes et le massif intérieur
sud, à ligne d'oasis qui
la forme la limite offrant, à raison même de leur situation,
naturelle de l'Algérie. un caractère moins prononcé, appartien-
Ainsi , dans sa configuration orogra- nent dans l'est, à la région du Tell , et
,
l'Algérie, s'élève une île déserte, longue Quoique l'île soit déserte, presque
de près d'une lieue de Test à l'ouest tous les habitants des côtes de l'est la
surmontée de deux pics, dont le plus regardent comme une dépendance de
élevé a quatre cent soixante-seize mè- l'Algérie et les visites de nos navires de
;
tres. Ces deux pointes se voient de fort guerre équivalent d'ailleurs à une prise
loin. Lorsque le temps est clair on les de possession.
découvre de Bône, malgré la distance de A six lieues ouest-sud-ouest de la
vingt-huit lieues qui les en sépare. Galite, à onze lieues nord de la terre
Cette île, que les géographes de l'an- ferme , il existe deux écueils , dont l'un
tiquité appellent Galata, porte aujour- est recouvert de quatre brasses d'eau et
le nom de Galite. Elle
d'hui se présente l'autre d'une brasse. On les appelle So-
comme une masse grise et aride; elle les deux sœurs. Le 20 décembre
relli f
est peuplée exclusivement de lapins et 1847, à dix heures du soir, par une
de chèvres, qui dévorent toutes les plan- nuit sombre, la frégate anglaise l'A*
tes naissantes; ce qui contribue à lui venger vint donner sur ces roches; en
donner un air triste et désolé. Mais quelques instants l'équipage, composé
en débarquant on y trouve une petite de deux cent soixante et dix person-
couche de terre végétale qui permettrait nes, avait péri, à l'exception de cinq
de la mettre en culture. matelots et de trois officiers, qui purent
Il y existe un assez bon mouillage du gagner la côte sur une des chaloupes
côté de la terre ferme une source, située
; de la frégate. Le 26 recueil était encore
au fond d'une grotte basse, à côté du couvert de débris.
point de débarquement fournit en toute
, La Calle. — En revenant de la Galite
saison l'eau nécessaire à l'approvisionne- vers la terre ferme, et longeant la côte la
,
plein , et y soulèvent une mer affreuse. rougeâtre, saluons les ruines d'une
Le poste du moulin occupe une colline vieille forteresse qui rappelle encore un
qui domine l'entrée de la darse. On voit souvenir national. Ce sont les débris de
que la position de la Calle ne brille pas l'établissement connu sous le nom de
sous le rapport nautique; mais elle Bastion de France, qui devança celui de
est voisine d'un riche banc de corail, la Galle. Les Arabes l'appellent encore
que la compagnie française d'Afrique Bestioun. Quoique ces ruines datent à
a exploité pendant plus d'un siècle. peine de deux siècles, elles ont déjà
Abandonnée en 1827 par les Français, revêtu la teinte fauve que le temps en
lors de la dernière rupture avec la' ré- Afrique applique sur les édifices ro-
gence, la Calle fut livrée aux flammes; mains.
elle rentra en notre pouvoir neuf ans A quelque distance de cette ruine
après.Au mois de juillet 1836 un petit française nous atteignons le cap Rosa,
détachement fut envoyé pour reprendre terre* basse, sans culture, couverte de
possession de cet ancien comptoir, au- broussailles; lieu sauvage, presque inha-
quel se rattachait le souvenir de tant bité, peuplé de bêtes tauves et de gi-
d'avanies. Il ne rencontra pas de résis- bier, où se trouvent les débris d'un tem-
tance; un groupe d'Arabes sans armes, ple deDianementionné sur les itinéraires
assis paisiblement sur les ruines de cette romains.
ville française, attendait avec impatience Les parages du cap Rosa offrent pen-
l'arrivée cie ses anciens maîtres dont
, dant la belle saison l'aspect le plus
ils reconnaissaient les droits. La petite animé; la mer y est couverte d'une mul-
garnison trouva la Calle dans l'état où titude de barques, dont les unes glis-
l'incendie de 1827 l'avait laissée. Les sent sous leur voile triangulaire et dont
poutres carbonisées , les murs debout les autres demeurent immobiles. La
mais calcinés, les rues couvertes d'her- cause de cette animation est enfouie au
ALGÉRIE» li
trée du golfe, dont il semble être le progrès accomplis depuis cette époque
gardien. C'est un îlot d'un seul bloc. par la domination française et la civilisa-
Bône. —
Cette ville est mentionnée tion européenne.
dans les itinéraires anciens sous le nom C'est à mille mètres à peine de la viîle 9
d'Aphrodisium. Mais elle est appelée au fond du golfe, que la Seybouse débou-
Annaba (la ville aux jujubes) par les che dans la mer. Cette rivière, qui dans
indigènes, qui fidèles à l'histoire ont
, , la saison des pluies roule avec l'im-
conservé le nom de Bôna aux restes de pétuosité d'un torrent ses eaux chargées
l'ancienne Hippône. de vase et de débris , conserve pendant
Il a déjà paru dans cet ouvrage , à l'été, jusqu'à deux kilomètres environ
la naissance de cette publication, une de son embouchure, une largeur et une
notice qui retraçait l'image de Bône profondeur qui la rendent navigable.
telle que la conquête nous l'avait li- C'est une des rares exceptions de ce
vrée. Depuis lors cette petite ville, genre que présente la côte de l'Algérie.
alors pauvre, sale, misérable, dévastée, La ville de Bône, outre la sécurité
et dépeuplée par des violences récentes, dont elle jouit, la fertilité de son terri-
a complètement changé d'aspect à la : toire , l'aspect pittoresque de ses envi-
place de ses masures se sont élevés des rons, trouve encore dans ses minesde fer
édifices d'un style simple, mais d'une et dans ses forêts de nouveaux éléments
apparence décente; les marais qui de prospérité. Le mont Edough renfer-
croupissaient devant ses portes et infec- me à lui seul vingt-cinq mille hectares
taient l'air de miasmes mortels ont de bois ; quant au fer, on peut dire qu'il
entièrement disparu , d'abord sous des est partout. Plusieurs concessions ont
remblais informes, plus tard sous des déjà été faites. Le gisement le plus re-
maisons et des jardins. La population marquable est celui de Mokta-el-Hadid \
12 L'UNIVERS.
c'est une haute colline formée exclusi- Le débris le plus curieux et le mieux
vement de minerai de fer magnétique ;
conservé de l'ancienne Hippône est ce-
les Arabes l'ont appelée Mokta-el-Hadid lui que l'on rencontre en gravissant la
( la carrière de fer ) à cause d'une haute colline la plus rapprochée de Bône par
et large caverne taillée dans la masse le versant qui regarde la mer. Là, au-
métallifère, reste d'anciennes exploita- dessus des arbres séculaires qui cou-
tions. vrent la déclivité inférieure de la mon-
La population de Bône
se composait tagne, s'élève un grand mur adossé aux
er
au 1 1847 de six mille six
janvier pentes du mamelon. Au pied de cette
cents Européens, dont mille neuf cent muraille régnent de vastes souterrains,
soixante et un Français, et de trois mille dont les voûtes ont éprouvé par l'ef-
sept cent quatre-vingt-treize indigènes, fet du temps , et peut-être aussi des trem-
dontdeux mille quatre cent soixante-trois blements de terre , de larges ruptures.
musulmans, six cent treize nègres et Ces ouvertures béantes laissent voir
sept cent dix-sept israélites. plusieurs salles carrées, séparées par
d'énormes arceaux.Plusieursdes piédroits
Ruines d'Hippône.
sont endommagés ou abattus, et les ar-
•Ne quittons pas Bône sans saluer ces ceaux, privés de leurs supports, ne se
ruines célèbres sur lesquelles plane le soutiennent plus que par la force d'ad-
souvenir d'une des plus grandes illus- hérence du mortier. Dans les voûtes
trations du monde chrétien. demeurées intactes on remarque vers
Elles occupent deux mamelons ver- la clef desouvertures carrées de soixante
doyants situés à douze cents mètres de la à soixante et dix centimètres de côté,
ville actuelle, à quelques centaines de ménagées par l'architecte romain. Elles
mètres au-dessus de la Seybouse, tout font connaître la destination primitive
près de son embouchure. de ces souterrains, qui ne pouvaient être
On y parvient en remontant dans la que de grands réservoirs ; on voit encore
plaine le cours d'un ruisseau, la Boud- au-dessus des principaux piédroits de
jima, que l'on traverse sur un pont d'ori- petites galeries voûtées, dont le sol, dis-
gine antique, restaure il y a une dizaine posé en forme de cunette et cimenté , di-
d'années par les Français. Au débouché rigeait les eaux dans les citernes. Rien
de ce pont deux chemins se présentent: ne révèle destination de la haute mu-
la
l'un en face c'est la route de Constan-
, raille adossée à la montagne; mais il est
tine l'autre à droite conduit à Hippône.
; à présumer qu'elle appartenait, comme
Dès les premiers pas apparaît une trace les substructions imposantes qu'elle do-
de muraille qu'à son épaisseur on re- mine , à un édifice considérable.
connaît pour avoir fait partie des an- Il n'existe pas de source auprès d'Hip-
ciens remparts. A quelque distance de pône, et levoisinage de la mer altère trop
ïà, dans la plaine qui sépare les deux ma- celles de la Seybouse et de la Boudjima
melons, un pan de murrougeâtre, haut pour qu'il soit possible d'en faire usage.
d'environ dix mètres, épais de trois, se Les ingénieurs romains y avaient pourvu
montre parmi les touffes d'oliviers et par la création d'unaqueduc, qui prenait
de jujubiers qui ombragent le tombeau naissance dans les pentes du mont
de la ville ancienne. On y remarque la Edough traversait sur des arches deux
,
naissance d'un arceau fort élevé. D'é- vallées profondes et la rivière de l'Armua
normes fragments d'une maçonnerie ( aujourd'hui Boudjima ), et conduisait
épaisse et solide gisent à l'entour; quel- ainsi dans la cité royale les eaux de la
ques antiquaires voient dans ces débris montagne. On retrouve
les traces impo-
un reste des remparts ; d'autres y cher- santes de cet aqueduc sur toute l'éten-
chent les vestiges de cette basilique de due de son ancien parcours, depuis la
la Paix, dans laquelle saint Augustin prise d'eau dans les gorges sauvages de
prononça son fameux discours De tem- la montagne jusqu'aux citernes monu-
pore bârbarico, où, à l'approche des mentales dont on vient de lire la descri-
Vandales, qui s'avançaient de l'ouest, il ption.
exhorte le peuple d'Hippône à la rési- Il existe encore en face du coteau
gnation et au courage. d'Hippône, sur le bord de la Seybouse,
ALGERIE. 1S
palais , sur ses habitations , sur ses aque- d'exhalaisons marécageuses, qui ren-
ducs même, l'œuvre de destruction daient insalubre le séjour des deux villes.
que le temps et les Arabes ont achevée, Pour combattre cette influence pesti-
la campagne d'Hippône, vue de la plus lentielle, dont l'histoire de Pinien et de
haute de ses deux collines , où Ton pense Mélanie, racontée par saint Augustin,
que s'élevait la résidence des rois de prouve que l'antiquité n'avait pas entiè-
Numidie, devait offrir un magnifique rement détruit l'effet, un système de
spectacle. De quelque côté qu'on se canaux avait été combiné de manière à
tournât, on voyait descendre en espa- jeter toutes les eaux dans l'Ubus. L'Ar-
liers, s'allonger dans la plaine ou re- rhua, sujet comme aujourd'hui à des
monter sur le mamelon voisin, les ter- crues rapides, franchissait ses berges en
rasses d'une ville riche et animée, hiver; on lui avait creusé un débouché;
comme devaient l'être les grandes cités un large canal le recevait au-dessus
de l'Afrique romaine. Une ceinture de d'Hippône, passait derrière les deux
tours et de courtines en dessinait les collines , et venait traverser
sous des ar-
contours. ches le quai de l'Ubus. C'est par cette
Au pied du coteau, l'Ubus, qui est la combinaison d'ouvrages, dont nousavons
Seybouse actuelle, déployait son cours ; nous-même retrouvé les vestiges, qu'on
on le voyait monter dunord au midi, était parvenu à assurer l'écoulement des
puis se replier vers le couchant , pois eaux.
disparaître comme un filet noir au mi- Sept chaussées pavées de larges dalles
lieu de la nappe d'or dont la culture partaient d'Hippo-Regius. Deux con-
couvrait les plaines. Au delà s'étendait le duisaient à Carthage, l'une par le litto-
golfe , vaste croissant dont l'œil domi-
, ral, l'autrepar l'intérieur; une troisième
nait toute l'étendue. C'était d'abord une se dirigeait sur Tagaste patrie de saint
,
grève aux contours réguliers; mais bien- Augustin, et pénétrait de là dans l'Afri-
tôt le rivage changeait d'aspect. A droite que proconsulaire ; une autre, remontant
il s'escarpait en dunes de sable, sur les- le cours de l'Ubus, allait aboutir à la
quelles se dessinait comme une large ville importante de Tipasa, construite à
déchirure l'embouchure de la Mafrag, l'une des sources duBagrada.Une autre
qui était alors le Rubricatus. Au delà le unissait Hippo-Regius à Cirta, capitale
regard allait se perdre dans la direction de la Numidie. Enfin les deux voies les
du promontoire où s'élevait le temple plus occidentales menaient à la colonie
de Diane et que nous appelons aujour-
, de Rusicada , où est aujourd'hui Phi-
d'hui le cap Rosa. A gauche et à un mille lippeville, l'une par le littoral , Tautre
environ la côte commençait à se hérisser par l'intérieur.
de falaises. C'est là qu'était assise la C'est par cette dernière que devait
d'Aphrodisium, devenue l'An-
petite ville arriver le flot vandale en l'année 430 de
naba des Arabes et la Bône française. notre ère, année funeste, qui unit dans
Entre le nord et le couchant l'horizon une destinée commune Hippône royale
était borné par la haute chaîne du Pap- et saint Augustin.
pua, appelé depuis Djébel-Edough. Des Il existe encore dans le voisinage des
bois séculaires , qui ont survécu à tous ruines d'Hippône de nombreux vestiges
les orages quelques champs cultivés
, des villas et des bourgades qui, au temps
des prairies, des rochers arides nuan- de sa splendeur, devaient animer ces
çaient ce vaste rideau et dentelaient la plaines et ces coteaux, devenus silen-
crête de la montagne. cieux et mornes.
14 L'UNIVERS
Parmi ces ruines une des plus re- masses déroches qui l'entourent, tout
marquables porte le nom de Guennara. porte l'empreinte delà désolation. Si l'on
C'est là que doit avoir existé la bourgade s'en rapproche par mer, on y découvre
de Mutugenne, nommée plusieurs fois de larges et profondes cavernes.
dans la correspondance de saint Augus- Un petit édifice carré se détache en
tin. Quatre hautes murailles encore blanc sur le versant oriental du morne,
debout, construites moitiéen briques (t), dont il occupe un des contre-forts. C'est
moitié en pierres jaunies par le temps, le fort génois : il est situé à deux lieues
tristes et inhabitées, voilà ce qui reste de Bôneet habité par une petite garnison
aujourd'hui de cette petite ville morte; française. Il protège une baie assez
et afin que toujours et partout la mort commode et l'un des meilleurs mouillages
ne se montre point à nous comme le de l'Algérie
néant , mais comme une transformation Tout près de là, dans un des ravins qui
de la vie, des myriades d'oiseaux et un sillonnent la masse rocheuse du cap, il
figuier au feuillage large et vert sont les existe une carrière de marbre blanc, qui
hôtes vivants et vivaces de cette demeure dut être exploitée pendant des siècles
depuis longtemps abandonnée par les par les Romains, à en juger par la haute
hommes. et profonde excavation taillée à pic dans
Le voyageur qui parcourt ces plaines le banc calcaire. On y retrouve la trace
rencontre aussi çà et la quelques débris encore fraîche du ciseau des carriers.
d'apparence plus modeste et de date Quelques colonnes ébauchées gisent
plus récente; ce sont des puits, dus à la abandonnées sur la rampe qui servait
charité de quelques bons musulmans à l'extraction des blocs. Les Arabes, pro-
qui, pour l'amour de Dieu (fiSab-Illah), fitant des débris de pierres accumulés,
ont voulu de leurs propres deniers en ce lieu par les travaux de l'antiquité,
fournir de l'eau au voyageur altéré. C'est en ont construit un petit marabout que
dans cette vue qu'ont été bâtis ces petits ia piété des fidèles a couvert d'oripeaux.
monuments d'utilité publique. Aussi Entre cet édifice de forme basse et de
,
portent-ils en général le nom deSebbala, couleur terne, et cette haute et large mu-
expression du sentiment religieux qui a raille taillée dans le roc vif, il y a toute
présidé à leur fondation. Il en existe un la distance des deux civilisations que ces
assez grand nombre au voisinage de monuments représentent on dirait une
:
toutes les grandes villes, et l'on ne s'é- petite touffe de mousse venue sur un
tonnera pas, nous le pensons, de trouver vieux chêne mort.
ces pieuses inspirations de la bienfai- Deuuis le cap de Garde jusqu'au cap
sance musulmane associées au souvenir de Fer la côte déroule une longue série
de saint Augustin. de falaises couronnées par les pentes
La chaîne du mont Edough s'avance rapides du mont Edough. Quelques
comme un trumeau de séparation entre accidents se détachent sur ce cordon
le golfe de Bône et celui de Philippeville; abrupte, et fixent l'attention du voya-
elle s'étend depuis le cap de Garde, qui geur. Tantôt ce sont de petites plages
ferme le premier, jusqu'au cap de Fer, qui défendues par des roches détachées; une
ouvre le second. de ces baies, plus profonde que les au-
Le cap de Garde, appelé par les Arabes tres, forme le petit port de Takkouch. Là
Ras-el-Hamra ( le cap de !a rouge ), est se trouvent, à demi cachées dans un mas-
formé déterres élevées, d'un aspect sau- sif d'oliviers sauvages, les ruines d'une
vage et d'une aridité repoussante. Les ville romaine appeléejadis Tacatua. Tan-
profondes crevasses qui le sillonnent, tôt ce sont des rochers de formes bizar-
les déchirements produits par le choc res et fantastiques, analogues au lion de
des vagues, les débris et les grandes Bône. L'un d'eux par exemple lors-
,
,
montre de loin sur la crête des falaises. Le mont Edough ne se perd point,
Les marabouts en Algérie occupent comme tant d'autres, dans la foule de
presque toujours des sites pittoresques, noms barbares que les bulletins mili-
Ilssont couverts généralement d'une taires ont cherché vainement à tirer de
couche de chaux, qui contraste avec la leur obscurité. Il renferme la fameuse
teinte noire des tentes ou le vert foncé mine d'Aïn-Barbar, et à ce titre il a reçu,
de la végétation ; ce qui les fait aperce- dans ces derniers temps, le baptême
voir de très-loin. Souvent l'œil cherche d'une célébrité toute spéciale, la célé-
en vain dans les profondeurs de l'ho- britéque donne la police correctionnelle.
rizon d'autres témoins de la présence li est limité à l'est , à l'ouest et au
des hommes; seuls ils animent les soli- nord par la Méditerranée, au sud par
tudes où ie hasard les a placés L'un de la vaste plaine du lac Fzara, et forme
ces marabouts solitaires élevés au pied ainsi une longue presqu'île de quatre-
de l'Edough porte le nom de Sidi-Akkê- vingt-dix mille hectares de superficie
cha. Il est situé au fond d'une petite baie, entièrement circonscrite par des régions
où les caboteurs viennent quelquefois basses qui l'isolent de toutes parts. Il
chercher un abri il occupe le sommet
; contient une population d'environ neuf
d'une colline, dont le pied est garni de mille habitants, tous indigènes.
beaux vergers ; ce qui fait ressortir la Les deux points culminants de cette
sauvage aridité des abords du cap de chaîne sont, à l'est, celui d'Aïn-bou-Sîs,
Fer. Ce marabout fut, il y a quelques et à l'ouest celui du Chahiba. Entre ces
années le théâtre d'une exécution san-
, deux sommets règne une dépression
glante, dont nous raconterons bientôt considérable,occupée par l'antique mara-
les détails. bout de Sidi-bou-Medîn, sanctuaire vé-
Unautre marabout situé un peu à
, néré, visité en pèlerinage par tous les
l'estde Sidî-Akkêcha, offre un intérêt bons musulmans de la contrée circon-
d'un genre différent. On l'aperçoit au voisine. L'espace qui sépare Sidi-bou-
pied du cap Arxin, que les indigènes ap- Medîn du Chahiba est traversé par une
pellent Bas-Jouâm, le cap Nageur. Au- vallée étroite, ombragée de beaux ar-
dessus dans la montagne règne une bres : c'est là que repose le trésor tant
sombre forêt, entrecoupée- de hauts ro- disputé d'Aïn-Barbar.
chers et enveloppée fréquemment par De la longue corde tendue entre Aïn-
des brumes qui l'assombrissent encore. bou-Sîs et le Chahiba partent les rugo-
Il nous est arrivé plusieurs fois de tra- sités qui, dans les quatre directions
verser cette partie de l'Edough au mi- cardinales, déterminent les pentes gé-
lieu des nuages, et nous nous reportions nérales de la montagne.
involontairement à ces bois sacrés de L'ensemble de la chaîne représente
l'antiquité, à ces sanctuaires redouta- donc assez fidèlement une grande tente
bles au fond desquels le paganisme ac- dont le Chahiba et l'Aïn-bou-Sîs seraient
complissait d'horribles sacrifices et cé- les montants, et dont les piquets seraient
lébrait des mystères lugubres. Par une plantés sur les bords de la Méditerra-
coïncidence remarquable, il existait au- née et du lac Fzara.
trefois, précisément au-dessous de ces L'histoire place au pied de cette mon
forêts, à côté du marabout blanc, une tagne deux des épisodes les plus impo-
villeromaine,dont les ruinesy subsistent sants de l'histoire d'Afrique. Lorsque le
encore, et cette ville est mentionnée roi vandale Genseric vint mettre le siège
par les itinéraires anciens sous le nom devant Hippône, l'année même qui vit
de Sulluco, forme un peu altérée de sub mourir saint Augustin, les habitants de
luco, sous le bois sacré. l'Edough, spectateurs naturels de ce
Mont Edough. —
Arrêtons-nous un grand événement, virent s'éteindre à la
moment dans ce massif tapissé de bois, fois du haut de leurs montagnes la domi-
veiné de métaux, destiné, par sa proxi- nation du grand peuple et l'existence
mité de la mer et les éléments de ri- du grand homme.
chesse industrielle qu'il possède, à de- Un siècle après Bélisaire ramenait en
venir l'un des points les plus intéressants Afrique l'étendard de l'empire. Le der-
de notre colonie. nier des successeurs de Genseric, Géli-
1G L'UNIVERS.
mer, fuyait devant lui, et dans sa fuite et chercha ainsi à y ranimer le fanatisme
il demandait un asile aux gorges de l'E- de ses co-religionnaires.
dough, appelé alors Pappua. C'est de là Quoique les populations de ces mon-
qu'il envoyait demander à Bélisaire une tagnes ne soient pas plus belliqueuses
cithare, un pain et une éponge, mes- que ne le sont en général les tribus de
sage emblématique que l'archéologie n'a la province de Constantine, cependant
pas encore expliqué. Si-Zerdoud parvint à trouver des audi-
Des souvenirs plus modernes, des teurs qui crurent en lui et prirent les
souvenirs qui se rattachent directement armes.
à l'occupation française , ajoutent à ces Deux actes d'hostilité préludèrent à
traditions antiques l'intérêt d'un drame cette petite croisade: un officier envoyé
récent. avec une faible escorte sur le marché
Pendant les premières années de notre des Beni-Mohammed près du cap de Fer
conquête les montagnards de l'Edough y fut assassiné de la main même de Zer-
restèrent à peu près étrangers à ce qui doud. Peu de temps après le camp d'El-
se passait daus la plaine de Bône, située Harrouch fut attaqué par les tribus du
au pied de leurs rochers. Quelques Fran- Zerdêza, à la tête desquelles figurait
çais habitant cette ville s'aventuraient encore Zerdoud.
de loin en loin dans la montagne, bien En même temps des actes de brigan-
armés, bien escortés, et ils atteignaient dage isolés, provoqués par les prédica-
ainsi le pic le plus voisin de Bône mais ; tions du marabout, furent commis dans
arrivés sur la crête dont le prolongement la plaine de Bône, ordinairement si sûre
forme le cap de Garde ils s'arrêtaient et si tranquille. Dans l'espace de quel-
prudemment , et redescendaient vers la ques jours Si-Zerdoud devint la terreur
ville. de toute la contrée.
Cet état de choses dura dix ans , les Informé de ces événements, le général
montagnards ne paraissant à Bône que Baraguay d'Hilliers, que les Arabes ap-
pour vendre du charbon des fagots ou, pellent Bou-Dera ( l'homme au bras ),
des fruits , téméraires de
les touristes à cause d'une glorieuse infirmité, le
Bône dans l'Edough qu'afin de
n'allant général Baraguay d'Hilliers prit ses
pouvoir dire qu'ils y étaient allés. mesures pour mettre à la raison ce fa-
Quant à l'état politique des tribus on natique et ses adhérents.
ne savait trop qu'en penser. Les monta- Trois colonnes partirent à la fois de
gnards ne commettaient aucun acte Constantine, de Philippeville et de
d'hostilité collective, mais ils s'abste- Bône, et se dirigèrent vers le massif isolé
naient aussi de toute manifestation bien- de l'Edough. La vigueur et l'ensemble
veillante. de ces opérations combinées ne tardè-
Cet état d'équilibre incertain durait rent pas à amener la soumission du
depuis l'origine, lorsqu'une circonstance Zerdêza.
inattendue vint tout à coup porter le Cependant Si-Zerdoud, retiré dans le
trouble dans la montagne et dessiner Djebel-Edough, y continuait ses prédi-
nettement les positions. cations et y entretenait la résistance.
Vers la fin de 1841 un marabout de la
, Mais elle ne fut pas de longue durée.
tribu des Beni-Mohammed, qui occupe Les trois colonnes pénétrèrent dans la
le cap de Fer à l'extrémité de la chaîne , montagne par la plaine du lac, c'est-à-
s'imagina que la Providence l'avaitchoisi dire par le sud, et après avoir traversé
pour être le libérateur de sa patrie. Ce la chaîne à la hauteur du port de Tak-
nouveau Pierre-l'Ermite se mit donc à kouch , finirent par acculer les insur-
parcourir toutes les tribus de l'Edough gés dans la petite pointe de terre occu-
et à y prêcher la guerre sainte. De là il pée par le marabout de Sidi-Akkêcha.
pénétra dans les montagnes du Zerdêza, Les montagnards demandèrent l'a-
qui s'élèvent de l'autre côté du lac (1), man, qui leur fut aussitôt accordé;
(i) Le massif du Zerdêza occupe le centre de d'El-Harrouch, situé sur la route de Philippe-
l'espace compris enlre Constautine, Guelma, Constantine, en est le poste le plus rap-
ville à
saille vint blesser à côté du général avant que ce mouvement ait pu s'exé-
un de ses mkahli ou hommes d'armes cuter d'une manière ^complète le bruit
indigènes. Aussitôt la trêve fut rompue ; de la marche des troupes dans le fourré
le général français, indigné d'une aussi s'était fait entendre jusqu'au fond de
odieuse infraction aux lois delà guerre, ces retraites silencieuses. Tout à coup
donna l'ordre de tout massacrer, et cet le massif de broussailles qui cachait le
ordre fut exécuté sur-le-champ. Quel- fond du ravin s'agita d'une manière
ques Arabes, placés dans l'impossibilité étrange. Un homme en sortit. C'est —
de fuir autrement, tentèrent un moyen lui, dit tout bas le guide.
terrible mais subite d'un crime flagrant de tous les Arabes, comme le seul acte
produisit une impression profonde sur de décès auquel ils pussent ajouter foi.
toutes les tribus. Dans une vengeance C'était le moyen d'ôter tout prétexte à
aussi prompte, aussi éclatante que la des contes absurdes et de prévenir de
foudre, elles crurent voir la tracedu doigt nouveaux malheurs.
de Dieu. Au moment de l'exécution c'é- Depuis cette époque l'Edough est de-
tait une rigueur salutaire; une heure meuré fidèle aux promesses de soumis-
après ce n'eût été qu'une barbarie in- sion qu'il avait faites et au besoin de
utile. tranquillité qu'il éprouve. Non-seule-
Cependant l'auteur de l'insurrection, ment montagnards viennent comme
les
le marabout Zerdoud, n'était point au par le passé apportera Bône les produits
nombre des victimes; on sut bientôt de leur modeste industrie; mais ils ac-
qu'au moment où les Arabes s'étaient cueillent avec une hospitalité cordiale
décidés à demander l'aman il s'était les Français qui leur rendent visite.
jeté dans les bois avec quelques partisans Les habitants de Takkouch ont de-
exaltés , et avait ainsi échappé au mas- mandé la création d'un établissement
sacre. français à côté de leur port, qui offrirait
Mais l'effroi répandu dans toute la ainsi* un débouché à leurs produits. Ils
contrée par l'hécatombe de Sidi-Akkê- ont offert de former une garde natio-
cha devait produire ses fruits. nale pour contribuer à la défense de
Quelques jours après un indigène se ce port.
présentait à la porte du commandant Devant le picd'Aîn-bou-Sîs, sur le col
supérieur de Philippeville, et deman- appelé Fedj-el-Mâdel, s'est élevé un peti*
dait à lui parler en secret. C'était le se- village français, composé de trois ou
crétaire de Zerdoud il venait offrir de ; quatre maisons. Là sans fossé, sans
livrer son maître. mur d'enceinte, sans haie même, vivent
Une petite colonne partit aussitôt en cénobites quelques gardes forestiers.
sous conduite de ce guide, et força la
la Une route tracée par les ordres du gé-
marche en suivant ses traces. Elle pé- néral Randon conduit à cet établisse-
nétra dans les montagnes par les forêts ment, qui, placé à cinq lieues de Bône,
qui en couvrent les versants méridio- parmi les bois et les montagnes, jouit
naux au sud de Sidi-Akkêcha. On ar- d'une sécurité que rien jusqu'à ce jour
riva ainsi au-dessus d'un ravin profond n'est venu troubler.
couvert d'épaisses broussailles. Alors le Dans le cours de l'été 1845 nous
guide, élevant la main dans la direction parcourions le théâtre des événements
où la gorge paraissait se rétrécir et qui viennent d'être racontés. En pas-
s'approfondir le plus, dit à voix basse au sant auprès d'un ravindésert, silencieux,
chef de la colonne C'est là. : sauvage, les Arabes qui nous accompa-
e
2 Livraison. ( Algérie. )
2
ÎS L'UNIVERS.
gnaient quittèrent un moment la route, occupe l'emplacement d'une
peville. Elle
et s'approchèrent avec respect d'un pe- villeromaine , appelée Rusiccada, dont
tit dé en maçonnerie blanche, à demi le nom s'est conservé sous la forme Ras-
caché dans les broussailles ; c'était la Skikda, appliquée à l'un des deux mame-
tombe de Zerdoud. lons entre lesquels s'étendait l'ancienne
Quelques jours après, en descendant, ville.
à la tombée de la nuit, le défilé d'Aoun, L'histoire ne nous a pas fait con-
pour aller camper dans la plaine située naître l'importance de la colonie de Ru-
en arrière du cap de Fer nous aperçû-
, siccada, mais les débris accumulés sur
mes sur la gauche, dans une anfractuo- le sol ont permis de l'apprécier; on y a
sité déserte de la montagne une tente
, trouvé un théâtre bâti sur le penchant
isolée au fond de laquelle brillait une de la colline de l'ouest, et du côté opposé
lumière. Tous les regards de nos guides un amphithéâtre destiné peut-être aux re-
indigènes se portèrent à la fois vers ce présentations navales appelées par les
point; nous traversions la tribu des Beni- anciens naumachies. Enfin des citernes
Mohammed, où l'insurrection avait pris monumentales existaient dans la région
naissance: cette tente solitaire avait élevée du mamelon de l'ouest. Çà et là
été celle de l'agitateur, elle abritait encore surgissaient des cintres de voûtes, des
sa veuve et son fils. restes de temples, et enfin des construc-
Golfe de Philippeville. —
Philippeville.
tions de formes bizarres, dont la destina-
— Stôra. -~ Kollo.
tion primitive n'a pu encore être assignée
avec certitude.
Après avoir doublé le cap de Fer on Tous ces vestiges, qui témoignent de
entre dans le golfe de Philippeville , le l'importance de l'ancienne Rusiccada,
rentrant le plus profond de la côte de la solidité et de la grandeur de ses
d'Algérie ; il n'a pas moins de trente-neuf monuments, se voyaient à la surface du
lieues d'ouverture de l'est à l'ouest, sol au moment où les Français prirent
sur six lieues d'enfoncement du nord possession de la plage et de la vallée de
au sud. Il est compris entre le cap de Skikda. Mais quand la pioche eut com-
Fer à l'est et le cap Bougaroni à l'ouest. mencé à remuer la terre pour y asseoir
La saillie du cap Srigina le divise en lesfondationsdela nouvelle ville, elle mit
deux baies, celle de Kollo et celle de au jour des inscriptions, des statues,
Stôra. des colonnes , des sculptures , et surtout
Cet immense bassin se fait remarquer un énorme amas de pierres de taille, hé-
par l'aspect verdoyant des terres qui le ritage da générations depuis longtemps
circonscrivent; quelques sites délicieux éteintes qui a déjà fourni les matériaux
apparaissent au fond de petites plages d'une cité neuve, et qui est loin encore
entrecoupées de pointes de roches. L'un d'être épuisé.
des plus agréables est formé par la pe- A deux mille mètres à l'est de Philippe-
tite vallée de l'Ouad-el-Rîra qui des-
,
ville une petite débouche à la
rivière
cend des versants occidentaux du Fulfula, mer : dont la belle vallée
c'est le Safsaf,
et vient déboucher à la mer, au pied du estdevenuedepuisquelques années l'objet
cap de ce nom. Lorsque la mode aura de concessions aussi importantes par la
accrédité en France l'usage des villas position des concessionnaires que par
algériennes , ces vallons frais et ombra- l'étendue des lots.
gés se couvriront d'habitations blanches, La fondation de Philippeville date du
et ces belles campagnes, aujourd'hui dé- mois d'octobre 1838. Dès le mois de jan-
laissées, emprunteront à la culture le vier une première reconnaissance avait
seul charme qui leur manque aujour- été dirigée de Constantine jusqu'au point
d'hui , celui de l'animation. où est aujourd'hui le camp du Smen-
Philippeville. —La partie la plus recu- dou, c'est-à-dire à six lieues et demie.
lée du ^olfe est bordée par une plage de Au mois d'avril une seconde explora-
sable où jusqu'en 1838 les embarcations tion atteignit les ruines de l'ancienne
des navires français envoyés pour recon- Rusiccada. Au mois de septembre la
naître la côte étaient accueillies à coups route était ouverte et viable jusqu'au col
de fusil. C'est là que s'est élevé Philip- deKentours, à neuf lieues de Constantine;
ALGÉRIE. 19
quelques jours après les deux camps in- de quinze siècles n'avait vu que des
termédiaires de Smendou et d'El-Har- ruines mornes et silencieuses à côté de
rouch furent établis. Ce dernier n'était huttes éparses et chétives.
éloigné de la mer que d'une journée de Au mois d'avril 1839, c'est-à-dire six
marche. Enfin le 5 octobre une colonne mois après sa fondation, Philippeville
expéditionnaire, commandée par M. le comptait déjà 716 habitants. Au 1 er jan-
maréchal Vallée , partit de Constantine. vier 1847 elle renfermait une population
Le même jour elle allait bivouaquer au de 5,003 Européens dont 2,520 Fran- ,
camp du Smendou. Le 6 elle passa la çais, et de 849 indigènes, dont 652 mu-
nuit au camp d'El-Harrouch, et le 7, à sulmans 58 nègres et 139 israélites,
,
quatre heures du soir , le drapeau trico- auxquels il faut ajouter une population
lore fut arboré définitivement sur les rui- indigène flottante de 246 personnes. Il
nes de la colonie romaine. est à remarquer que c'est de toutes les
C'était le premier exemple d'une prise villes d'origine française celle où les in-
grande rue fut ménagée au fond de la malheureusement aussi ingrate pour les
vallée étroite qui sépare les deux mame- architectes que celle de Philippeville est
lons; ce fut la ligne de séparation entre désespérante pour les marins. Quoi que
les constructions militaires et les con- l'on fasse, le village se trouve impérieu-
structions civiles. sement borné dans son développement
Philippeville devenait le port de Con- par la roideur des pentes qui le domi-
stantine, le vestibule de toute la pro- nent.
vince; aussi prit-elle un accroissement On se flattait du moins de trouver une
rapide : lesconstructions s'élevèrent ample compensation à ce vice radical
comme par enchantement ; une agitation
électrique , une activité fébrile animèrent (i) C'est de là sans doute qu'est venu notre
tout à coup ce rivage, qui depuis près mot de store.
2.
20 L'UNIVERS.
dans la sûreté du mouillage, lorsque la naissant l'impuissance de ses ancres
mer vint tout à coup restreindre une avait fait couper les câbles, qui ne fai-
confiance un peu trop hâtive et réduire saient plus que gêner sa manœuvre, et
à sa juste valeur le mérite nautique de il gouvernait pour s'échouer sur une
Stôra. Nous pensons faire acte de jus- plage de sable, qui aurait favorisé le
tice en rappelant les principales circon- sauvetage des hommes; mais par mal-
stances de cette affreuse catastrophe, heur il traînait encore une dernière an-
circonstances aussi honorables pour la cre, dont il avait été impossible de rom-
population de Philippeville que pour la pre la chaîne.
marine française. Le navire, horriblement tourmenté
Le 16 février 1841 nous débarquions par la mer, montrait alternativement
à Philippeville, après une traversée déli- aux spectateurs du rivage sa quille et
cieuse par une mer calme et un beau
,
son pont on voyait alors sur ce plan-
:
ALGÉRIE. 23
communications avec nos établissements enfin la culture des potagers et des cé-
de l'intérieur. Elle n'est accessible aux réales occupe les déclivités inférieures.
Français que par mer tout le massif de
: Quelques accidents remarquables se
tribus compris entre elle et Koilo est de- détachent sur ce fond majestueux dans
:
meuré jusqu'à ce jour dans l'insoumis- l'est c'est le Babour, aplati, en forme
sion. Djemila serait le point de la route de table, au sommet, sillonné de rides
de Constantine à Sétif, avec lequel elle profondes sur les flancs ; au centre c'est
correspondrait naturellement. Mais l'a- le Kendirou, habité par une tribu de mi-
bandon de cet établissement a retardé neurs qui exploitent de riches gisements
l'ouverture de la route entre ces deux de fer ; dans l'ouest c'est le ïoudja,
points. au pied duquel s'élèvent de beaux villa-
Djidjeli, sous la domination romaine, ges, construits dans une forêt d'oran-
avait été élevée au rang de colonie; elle gers.
a conservé sous une forme un peu alté- 11 se produit en entrant dans le golfe
rée le nom d'igilgilis, qu'elle portait de Bougie une illusion analogue à celle
alors. On y retrouve quelques débris de que nous avons déjà signalée pour le golfe
ses édifices antiques. Vers 361 de notre de Bône. Quelques arbres élevés situés
ère une insurrection violente ayant à fleur d'eau s'éloignent par l'effet du
éclaté dans massif qui forme aujour-
le mirage, et prêtent à la baie une profon-
d'hui la Kabilie, un des premiers géné- deur immense. Mais à mesure que l'on
raux de l'empire fut envoyé pour la ré- se rapproche de Bougie l'illusion se dis-
primer. C'était Théodose, père de l'em- sipe, et le golfe montre dans leur réalité
pereur qui s'agenouilla devantsaint Am- sa forme et son étendue. Enfin on ar-
broise. Parti d'Aries en Provence, il rive au mouillage; on se trouve alors
vint débarquer dans le port d'igilgilis. au pied des roches grises du Gouraïa, en
C'est dans l'antiquité le seul fait histo- face d'un groupe de maisons blanches
rique relatif à Djidjeli. séparées eutre elles par des massifs de
Djidjeli est habitée par une garnison vergers; c'est un des plus illustres débris
de sept à huit cents hommes et une po- de la grandeur musulmane en Afrique,
pulation européenne de 265 individus, et la capitale actuelle de la Kabilie.
dont 99 Français. Les habitants indi- Bougie. — La ville et le port de Bou-
gènes sont au nombre de 794, dont 792 gie occupent le segment occidental du
musulmans et 2 israélites. large hémicycle que dessine le golfe , si-
Golfe de Bougie. —
Djidjeli n'est tuation analogue à celle des principaux
éloigné que de vingt kilomètres du cap établissements maritimes de l'Algérie
Cavallo, où commence le golfe de Bou- Bône, Stôra, Kollo, Djidjeli, Alger, Ar-
gie. Quelques groupes d'îlots se mon- zeu et Mers-el-Kébir.
trent dans l'intervalle; en arrière, de Elle est bâtie en amphithéâtre sur
petites plages entrecoupées de falaises deux croupes exposées au sud, et sé-
basses et noires; à mi-côte, des champs parées par un ravin profond appelé Ouad-
cultivés; enfin à l'horizon les hauteurs Abzaz. Le ravin et les deux mamelons
couronnées de bois dessinent le bord viennent se perdre dans la mer en for-
supérieur d'une petite vallée verte et mant une petite baie qui est le port ac-
riante. tuel de Bougie. En arrière de la ville
Rien déplus imposant que le spectacle règne un plateau de cent quarante-cinq
de la cote lorsqu'on a dépassé le cap mètres d'élévation, d'où s'élance à pic à
Cavallo et qu'on pénètre dans le golfe une hauteur de six cent soixante et onze
de Bougie. Un vaste amphithéâtre v de mètres le Gouraïa , remarquable par ses
hautes montagnes apparaît dans l'en- pentes abruptes, sa teinte grisâtre et ses
foncement; presque toutes ont leurs formes décharnées,
sommets hérissés de roches nues quel- ;
La crête du Gouraïa s'abaisse par
ques-unes conservent de la neige jus- ressauts successifs jusqu'au cap Carbon,
qu'au mois de juin au-dessous de la
: qui ferme à l'ouest le golfe de Bougie.
zone des roches et des neiges règne Le premier porte le nom de Mlaad-ed-Dib
un large bandeau de forêts; au-dessous (le théâtre du Chacal). Puis viennent sept
encore commence la zone des vergers ;
dentelures juxtaposées, que les Bougio-
34 L'UNIVERS.
tes comprennent sous la dénomination écoles renommées , de belles mosquées,
commune de Seba-Djebilât (les sept pe- des palais ornés de mosaïques etd'arabes-
tites montagnes ). ques. Chaque année de nombreux pèle-
Le cap Carbon présente à la mer une mu- rins venaient la visiter; aussi l'appelait-
railleperpendiculaire d'énormes rochers on la petite Mecque. Un monument
d'un rouge fauve, qui se prolonge sans qui existe dans la haute ville rappelle
interruption jusque dans la baie de cette tradition ; c'est un puits situé parmi
Bougie, et prête aux abords de cette ville des débris sans nombre et sans nom ;
un caractère imposant. A la base de ce les habitants l'appellent encore , par al-
morne règne une caverne haute et pro- lusion à la métropole de l'islamisme,
fonde creusée par le choc incessant des
, le puits de Zemzem.
vagues qui viennent s'y engouffrer avec Par un caprice assez bizarre, le temps
des bruits sourds ; elle traverse le rocher et la guerre , ces destructeurs impitoya-
de part en part, ce qui lui a fait donner bles , ont respecté sur une grande partie
le nom d'El-Metkoub (la roche percée ). de son étendue la muraille qui fermait
S'il faut en croire une tradition accré- Bougie alors qu'elle était la capitale
ditée parmi les prêtres espagnols éta- des Hammadites et qu'elle tenait sous ses
blis jadis à Alger, la crypte naturelle d'El- lois Bône , Constantine et Alger. On re-
Metkoub fut au quatorzième siècle le trouve encore un échantillon de l'archi-
théâtre des pieuses méditations de tecture de cette époque dans l'ogive
Raymond Lulle. C'est dans cet oratoire gracieuse et pittoresque appelée porte
sauvage et grandiose que l'infatigable des Pïsans, qui s'élève au bord de la
apôtre de la foi prouvée venait chercher mer, à côté du débarcadère actuel. C'est
des inspirations durant le cours de sa par cette étroite ouverture que le 29
mission en Afrique. septembre 1833 les Français ont fait leur
Bougie occupe l'emplacement de la co- entrée dans Bougie sous" le feu des Ka-
lonie romaine de Saldae. On y a retrouvé biles.
des soubassements de murs en pierres de Bougie passa des mains sarrazines dans
taille, quelques tronçons de colonnes les fnains espagnoles, qui lui ont laissé
et plusieurs inscriptions latines dont
, des restes imposants d'architecture mi-
une porte l'ancien nom
de la colonie. litaire. Les trois forteresses delà Kasba,
Mais la véritable grandeur de Bougie d'Abd-el-Kader etdeMouça, occupéesen-
date de la période sarrazine. Vers le mi- core aujourd'hui parles Français, datent
lieu du onzième siècle elle contenait de cette époque.
plus de vingt mille maisons ce qui sup-
, C'était en 1509, au moment où l'Es-
pose une population d'au moins cent mille pagne jetait les fondements de la gran-
habitants. Au commencement du sei- deur maritime qui devait illustrer deux
zième siècle elle ne comptait plus que règnes. Ferdinand le Catholique, sous
huit mille feux , et par conséquent qua- prétexte de réprimer les incursions au-
rante mille habitants. dacieuses des pirates bougiotes, mais
En 1509, au moment où elle fut prise en réalité pour s'assurer d'une des meil-
par les Espagnols , elle renfermait plus leures positions maritimes de la côte
de huit mille défenseurs. Avant l'occupa- d'Afrique , envoya contre Bougie Pierre
tion française elle pouvait avoir, d'après Navarre avec quatorze grands vaisseaux
l'estimation des habitants , environ deux chargés de 15,000 hommes. Au lieu d'in-
cents maisons ; ce qui correspondrait trépides forbans, acharnés à la défense de
au taux des évaluations précédentes à , leur repaire, Pierre Navarre se trouva
une population de mille âmes. Enfin la avoir affaire, suivant le langage d'un
population indigène se trouve réduite auteur contemporain, à « de joyeux
aujourd'hui à cent quarante-six indivi- « citoyens, qui ne tâchaient à autre chose
dus, dont un tiers se compose de Kou- « qu'à se donner du bon temps et à vivre
loughis et le reste de Kabiles. « joyeusement tellement qu'il n'y avait
,
Telle a été la loi de décadence d'une « celui qui ne sût sonner d'instruments
des premières cités de l'islamisme, d'une « musicaux et baller, principalement
ville comptée parmi les villes saintes. « les seigneurs. » A
la vue de l'escadre
Au temps de sa grandeur Bougie avait des espagnole, ces joyeux citoyens s'en-
,,
ALGÉRIE. 2S
fort Mouça. Ce sont à peu près les seuls cuments qui constatent que les Anglais
vestiges cle la période de trois siècles regardent la situation de Bougie comme
qui a précédé la nôtre. comparable à celle de Gibraltar.
La prise de Bougie par les Français fut Ce concours de témoignages s'expli-
provoquée par des brigandages' mari- que par la configuration de la rade de
times. En 1831 un brick de l'État ayant Bougie. La jetée que l'art est obligé d'é-
fait naufrage sur ses côtes, l'équipage lever à si grands frais dans la baie d'Al-
fut massacré. Plus tard un brick anglais, ger existe naturellement dans celle de
le Procris, s'étant présenté devant la Bougie. Cette jetée, c'est le cap Bouac,
ville, en reçut, sans aucune provocation, un des bras du cap Carbon. Il com-
deux coups' de canon. Aussitôt le consul bine son action avec toutes les monta-
d'Angleterre à Alger demanda satisfac- gnes du voisinage pour préserver des
tion de cette insulte, et exprima l'espoir coups de mer et des coups de vent une
que la France, maîtresse de la côte d'A- anse connue sous le nom de Sidi-Iahia
frique, saurait y faire respecter les pa- qui devient, par un concours de dispo-
villons amis. L'expédition ne fut cepen- sitions naturelles, l'un des meilleurs
dant décidée que le 14 septembre 1833, mouillages de la côte d'Afrique. Aussi
et le 23 une colonne de deux mille les Turcs ne l'avaîent-ils pas méconnue.
hommes partait de Toulon sous le com- Chaque année vers l'équinoxe d'automne
mandement du général Trézel. Le 29 au leur flotte abandonnait les parages dan-
point du jour elle parut devant Bougie. gereux d'Alger, et venait prendre sa sta-
Le débarquement s'opéra de vive force, tion d'hiver dans la rade de Sidi-Iahia.
à côté du grand arceau du moyen âge ap- Par une faveur nouvelle de la nature
pelé Porte des Pisans. En deux heures la disposition de la rade de Bougie per-
le fort Abd-el-Rader, le fortMouca et la met encore de l'améliorer à peu de frais,
26 L'UNIVERS.
En effet, c'est surtout par la hauteur des travail, l'exercice des arts profession-
fondations sous-marines que les jetées nels , le soin et l'art des cultures , ne se
artificielles deviennent ruineuses. Eh retrouvent nulle part au même degré
bien une jetée à Bougie, eût-elle deux
! que dans les habitants des montagnes
mille mètres de longueur, ne rencontre- qui entourent la ville de Bougie. Une
rait à cette distance que dix-huit à vingt des différences les plus frappantes est
mètres d'eau tandis que le môle d'Alger
, celle qui se remarque dans la nature des
à sept cents mètres seulement en trouve habitations. En général le Kabile fait peu
déjà trente-deux. de cas de la tente; mais dans les monta-
Pour faire apprécier la valeur arithmé- gnes de Stôra et de Djidjeli il se con-
tique de ces hasards heureux qui se ren- tente de huttes chétives appelées gourbis.
contrent dans la configuration des côtes, Quelques perches garnies de roseaux
ajoutons : forment les murailles ; quelques brassées
Qu'un môle de six cents mètres de de pailles composent la toiture. C'est là
longueur doterait notre marine militaire que l'homme, ramené par une servitude
d'un abri de cent quatre hectares à Bou- séculaire à l'état rudimentaire de l'hu-
gie et seulement de trente-huit à Alger; manité, passe sa vie en compagnie de
Qu'il coûterait a Bougie trois millions tous les objets de son affection de son
,
et demi, tandis que le môle d'Alger pour âne, de sa vache, de son chien, de sa
cinq cents mètres seulement a déjà coûté femme, de ses enfans et de son fusil.
dix millions. Quand on se rapproche des montagnes
Voilà pourquoi Ferdinand le Catho- de Bougie , où se trouvent les parties du
lique, Charles-Quint, Barberousse, territoire demeurées vierges d'invasions,
Louis XIV et les Anglais ont arrêté l'état des habitations humaines s'amé-
leurs regards sur Bougie, les uns avec liore par degrés. D'abord c'est le misé-
complaisance, les autres avec regret. rable enduit de bouse de vache qui seul
Cette ville sera un jour le Gibraltar préserve le foyer domestique de l'indis-
de la côte d'Afrique. crétion des regards et de l'intempérie
des saisons; plus loin c'est la terre blan-
La Kabilie proprement dite.
che appelée torba qui consolide le frêle
En arrivant à l'entrée du golfe de treillage en roseaux; puis viennent les
Bougie, nous avons appelé l'attention murs en pierres sans enduit extérieur,
du lecteur ou plutôt du voyageur sur le et puis enfin il arrive un moment où
caractère et l'aspect particuliers des vous voyez apparaître dans les massifs
montagnes qui auprès comme au loin,
, d'oliviers, de grenadiers, ou d'orangers,
en hordent ou en dominent le contour! la petite maison en pierres blanchie à la
On sent que la nature a dû former là chaux, couverte somptueusement en
un de ces nœuds qui se remarquent tuiles, décorée d'un magnifique pied de
au point de rencontre des grandes vigne qui s'arrondit en voûte" au-dessus
chaînes dans la configuration des conti- de la porte d'entrée. Il arrive un mo-
nents c'est que là aussi existe un nœud
: ment où la propriété , d'abord vague et
d'une autre espèce, et que les populations mal définie , livrée aux caprices et aux
de ce massif diffèrent autant de celles injures du parcours, se montre à vous
qui les entourent que le massif lui-même divisée, délimitée, entourée de murs ou
de ceux qui le circonscrivent. de haies; où, à l'aspect d'une de ces
La contrée qui vous fait face lors- bourgades comme la Kabilie propre-
,
ALGÉRIE. 27
avis , dans la condition et les habitudes porte. Qu'il s'éloigne au large à dix ou
des peuples , commencent à se dessiner douze milles seulement ; et au-dessus du
nettement. Une petite rivière , appelée rideau de cultures qui bordent le rivage
Aguerioun marque , la limite entre le ré- il verra se dresser, derrière le pic nu de
seaux, de la bouse de vache etde la pailJe. neigeux du Jurjura, élevés de deux mille
C'est là que commence la Rabilie. cent mètres au-dessus du niveau de la
A partir de l'embouchure de ce ruis- mer. Au sud de ces montagnes, au
seau la côte, malgré le caractère assez
,
pied de leur versant, coule une rivière,
abrupte de ses pentes, étale sans inter- l'Akbou, qui vient jeter ses eaux à la mer
ruption de belles et riches cultures, au pied des murs de Bougie. C'est cette
jusqu'à l'embouchure d'une autre rivière partie supérieure de son cours qui forme
qui forme comme l'artère intérieure de la limite méridionale de la Kabilie. C'est
la Kabilie, et dont l'embouchure en là aussi que passe la grande communi-
marque la limite occidentale. Cette ri- cation de Constantine à Alger. La dis-
vière est l'Ouad-Nessa; elle prend sa tance du cours supérieur de l'Akbou à la
source dans les hautes gorges'de Jurjura, côte est de soixante kilomètres : c'est la
et vient déboucher à la mer, derrière le profondeur de la Kabilie.
cap qui abrite Dellis. La chaîne du Jurjura, dont les som-
L'Aguérioun et la Nessa comprennent mets s'aperçoivent en mer par-dessus la
une étendue de côtes d'environ cent bordure abrupte de la côte, règne sur une
quarante kilomètres c'est la base de la
; longueur d'environ vingt-cinq lieues.
Kabilie. Elle est inhabitée sur tout son dévelop-
Entre ces deux termes le rivage con- pement, à cause des températures gla-
serve un caractère homogène, sans ciales que les vents et l'élévation y en-
avoir pour cela un aspect uniforme. La tretiennent. Les crêtes sont même impra-
continuité des cultures que l'on voit ticables depuis octobre jusqu'en juin, à
s'élever jusqu'au sommet des collines cause des neiges qui les couvrent.
réjouit la vue sans la fatiguer. Çà et là Entre les limites que nous venons de
sur le bord de la mer, ou dans le fond tracer habite une petite république fédé-
d'un ravin boisé se montrent les toits
, rative, fière, hargneuse, entêtée, ja-
de tuiles d'un village ou le dôme blanc louse à l'excès de son indépendance,
d'un marabout. D'autres accidents con- préférant sa liberté orageuse et anar-
tribuent encore à rompre l'uniformité du chique à un vasselage quf lui donnerait
tableau c'est par exemple la masse rous-
; l'ordre et la richesse, industrieuse et
sâtre du cap Corbelin avec ses couches commerçante; néanmoins ce qui distin-
de roche disposées par stries obliques. gue tout d'abord le Kabile de l'Arabe,
C'est le cap Sigli, avec ses blocs accu- c'est un patriotisme naïf et touchant
mulés d'une manière si bizarre qu'on les qui lui inspire une sorte de piété filiale
prendrait de loin surtout en venant de
, pour les roches même les plus ingrates
l'est, pour les ruines d'une ville cyclo- de son pays natal. Il ne s'en éloigne que
péenne ; tantôt enfin c'est l'anfractuosité pour demander à l'émigration le pain
profonde dessinée par la belle et riche du travail ou pour marcher à la dé-
,
ALGÉRIE. 29
Aii prête son bras; elle fait prix avec lui, et à la configuration non moins âpre
puis elle part et va mendier de tribu en
, du sol qu'il habite, le peuple kabile a
tribu jusqu'à ce qu'elle ait amassé la échappé en partie du moins à toutes
, ,
mezrag établit entre les contractants une cessent lorsque la voix de la poudre se
union étroite , une solidarité complète. fait entendre dans la montagne tous :
Le mezrag est un gage sacré : honte à les hommes doivent courir aux armes
qui le perd; honte plus grande à qui et se réunir autour du cheik ; les fem-
le laisse arracher de ses mains. mes demeurées au village abandonnent
Ce culte de l'objet échangé, qui lie les leurs occupations habituelles, et pensent à
tribus, lie aussi les personnes. Le Kabile ceux qui combattent: à plus forte raison
qui a échangé le mezrag avec un autre cette obligation est-elle rigoureuse lors-
devient ce qu'on appelle son naïa, c'est- qu'il s'agit de la guerre sainte.
à-dire son répondant corps pour corps ; Pendant les premiers temps qui sui-
son alter ego. Il épouse toutes ses que- virent la prise de Bougie , les Kabiles
relles, il doit le défendre au péril de ses paraissaient tous les jours devant la
jours, et s'il succombe il doit le venger. place, et tous les jours ils interrompaient
Cet étrange fanatisme a ensanglanté plus leurs travaux. Bientôt, fatigués de ce
d'une tribu. Il a été la cause ou au moins régime , ils laissèrent une semaine d'in-
le prétexte de l'assassinat commis sur la tervalle entre leurs attaques , plus tard
personne de M. Salomon de Musis, un mois, puis enfin deux et même trois
commandant supérieur de Bougie par mois. suffisait alors
Il pour rompre la
,
comme une partie de lui-même. A peine credis. Les tribus qui avaient voté pour
a-t-il atteint l'âge de seize ans, qui mar- la guerre fournissaient leurs contingents.
que le passage de l'adolescence à la viri- Il arrivait souvent que les cheiks enne-
lité, qu'il reçoit un fusil des mains de mis se faisaient un devoir chevaleres-
son père et dès lors cette arme devient
, que , aussitôt après la décision prise, de
son inséparable compagne; elle le suit la signifier auxlFrançais (1). Le comman-
dans toutes ses courses, dans toutes les dant supérieur fut prévenu plusieurs fois
vicissitudes de sa vie; elle est à la fois par écrit du jour où il serait attaqué ;
sa protectrice et son amie. jamais les Kabiles ne l'ont trompé et
Le paysan kabile a pour fortune deux n'ont manqué au rendez-vous.
bœufs, un âne et un fusil. Éprouve-t-il La campagne durait deux ou trois
un malheur, il vend un bœuf ; un second, jours ; chacun apportait ses munitions
il vend l'autre bœuf; un troisième , il et ses provisions : ces dernières étaient
vend son âne jamais, quoi qu'il arrive,
:
torze furent tuées ou blessées. Enfin le ainsi on les voit agiter leur bernou
8 juin 1836 on vit la veuve d'un cheik, avec les bras, pour donner le change
tué la veille devant le fort Doriac , con- sur la place que leur corps grêle occupe
duire en personne une colonne sur le sous ce vêtement. Sont-ils serrés de
théâtre de sa mort en poussant des hur- près, ils se retournent, saisissent la
lements affreux et braver la mitraille baïonnette du fantassin, prennent le
pendant plus d'une heure (1). sabre du cavalier par la lame , et le ti-
Les Kabiles, quand ils marchent à la rent à eux en se coupant les mains, dans
guerre , avancent par groupes gagnant l'espoi r de désarçonner leur ennemi Par- .
favorable, s'élancent au galop, les fan- traîne la destruction des maisons et des
tassins courent avec eux , se tenant à la arbres, ces deux liens par lesquels l'en-
selle ou à la queue des chevaux. On a vu fant de la Kabilie tient si fortement au
jusqu'à trois hommes cramponnés au sol natal.
même cheval. Le drapeau s'arrête à est facile de reconnaître que dans
Il
distance, et indiqué le point de rallie- les goûts kabiles c'est le travail qui tient
ment le premier rang; quel que soit le point
Les Kabiles attachent une certaine qu'il occupe, il trouvée utiliser les res-
importance à commencer l'attaque par sources naturelles du sol. Dans les plai-
un feu bien nourri; c'est ce qu'ils ap- nes étroites qui bordent le talweg de
pellent la taraka. Us accompagnent ses cours d'eau, il est laboureur et pas-
teur; sur les pentes des montagnes, il
est jardinier là il passe sa vie au milieu
:
(i) Nous empruntons ces faits et plusieurs
des détails qui précèdent et qui les suivent
les
des vergers ; il sait les soins que chaque
à un ouvrage intitulé : Vingt-six mois à Bou- sujet, que chaque espèce réclame; l'oli-
gie, par M. Edouard Lapène, lieutenant- vier forme sa principale ressource, et
colonel d'artillerie , ancien commandant su- lui donne des flots d'huile, dont les derniè-
périeur de cette ville. res gouttes vont aboutir, sous la forme
ALGÉRIE. 31
de savon, aux boudoirs de Paris, et, sous chaque jour voit un bon nombre de
la forme de pommade, aux huttes de jeunes Kabiles, n'ayant pour tout bien
Timbektou. Le jardinier kabile connaît qu'un bâton un derbal en guenilles et
,
très bien, quoi qu'on en ait dit, l'utilité la foi dans le travail, descendre de ces
de la greffe. montagnes et s'acheminer vers Alger,
Vers le sommet des montagnes, où vers Sétif , vers Constantine, vers tous
régnent d'immenses espaces couverts les points enfin où la présence des Eu-
de forêts vierges, le Kabile est bû- ropéens promet un aliment à leur acti-
cheron et tourneur. C'est de ces hautes vité. Amasser en quelques années un
régions que descend toute la vaisselle petit capital, retourner ensuite dans leur
indigène de l'Algérie : c'est là particu- pays , y acheter une chaumière , un coin
lièrement que se fabriquent ces plats de terre cultivable, et y passer le reste
majestueux en bois de hêtre appelés de leurs jours parmi les roches ingrates
gaça, où s'apprête et se sert chaque qui les ont vus naître : voilà le rêve de
jour le mets national, le couscoussou leur ambition.
destiné à tous les habitants d'une tente, On n'apprécie peut-être pas assez l'im-
d'une gourbi, d'une maison. Là où do- portance pour la soumission pacifique
mine ia roche ingrate, là où le sol ne de cette contrée , de ce courant qui
produit ni blés, ni fruits, ni arbres, le amène sans cesse au contact de nos be-
Kabile est orfèvre , forgeron, armurier. soins et de nos ressources un peuple
Ainsi la tribu de Fliça-sur-mer est une industrieux et imitateur.
grande manufacture" d'armes blanches. N'omettons pas une branche intéres-
Elle fabrique de longs sabres droits et sante de l'industrie kabile, celle que
pointus que les Kabiles appellent khe- les mœurs musulmanes réservent ex-
dama, et que nous appelons Flîça, du clusivement aux femmes , la fabrication
nom de ia fabrique. Ailleurs ce sont des des tissus de laine. Dans toutes les tri-
manufactures d'armes à feu la tribu des
: bus les femmes tissent la laine et la
Beni-Abbês, par exemple, livre au com- façonnent en bernous. Mais il en est
merce indigène de longs fusils , produit deux qui excellent surtout dans ce genre
de ses usines, et en particulier des pla- d'industrie, et dont les produits uni- ,
extrait au pic à roc est traité par le char- au contraire les occasions de se montrer ;
bon de bois dans de petits fourneaux à elles paraissent à toutes les fêtes, et y
la catalane. Les soufflets, faits en peaux prennent part avec les hommes, dont
de bouc, rappellent ceux de nos éta- elles suivent les exercices. Elles
y jouent
meurs forains. même un rôle actif par les chants et les
Dans les régions pauvres, ravinées, danses auxquelles elles se livrent. Leur
impropres à la culture, incapables de danse favorite s'appelle sgara ; elles
nourrir tous leurs habitants l'émigra-
, l'exécutent au son de ia zerna (i), en
tion devient une nécessité. Chaque an-
née, chaque mois, on pourrait dire (i) Espèce de haut-bois à six trous.
32 L'UNIVERS.
brandissant un yatagan ou un fusil. nourrir. Le divorce est aussi commode
Le vêtement ordinaire des femmes et aussi fréquent chez eux que chez les
consiste dans un haïk ou longue pièce autres peuples de l'islam. C'est surtout
de laine descendant jusqu'à mi-jambe, dans la classe des femmes divorcées que
maintenu à la ceinture par une cbrde de le dérèglement est le plus commun.
laine. La femme divorcée porte le nom
Elles portent comme ornements d'im- tfadjoula. Elle retourne chez son père,
menses boucles d'oreilles quelquefois
,
et s'y livre à la prostitution, de l'aveu et
en argent , le plus souvent en cuivre sous les yeux de ses parents. Quelquefois
ou en fer, et d'autres anneaux de même même le père et le frère de l'adjoula
métal aux pieds et aux bras. spéculent sur le désordre de leur fille
Elles affectionnent singulièrement le et de leur sœur, et en partagent le prix
collier de verroterie ou de corail, qu'elles avec elle. Il en est qui poussent le cy-
achètent aux colporteurs forains. Maïs nisme jusqu'à se faire les courtiers de
c'est un luxe réservé aux bourgeoises et cet infâme commerce. Ce sont eux-
aux coquettes. Le henné, cette teinture mêmes qui appellent les étrangers, les
populaire en Algérie, fournit son tribut introduisent dans leur demeure , et di-
à leur parure ; il colore les ongles , la sent à l'adjoula : Fille, préparez la cou-
plante du pied et la paume de la main. che de l'étranger. D'autres poussent la
Enfin divers dessins tatoués sur le front complaisance jusqu'à se tenir devant la
et les bras complètent cette toilette assez porte du logis et à faire le guet armés,
Quelques tribus sont renommées pour laisser à l'adultère toute sécurité , et en-
le nombre de leurs jolies femmes. On core ont-ils soin d'annoncer leur retour
cite surtout les Saïdiennes et les Guisfa- par des cris ou des coups de fusil, afin de
riennes. Un Kabile nous disait avec en- sauver du moins les apparences.
thousiasme que les premières, les Saï- C'est surtout aux voyageurs qui s'ar-
diennes, étaient les plus jolies créatures rêtent un jour et repartent le lendemain
du monde; il avait peut-être quelque que ce genre d'hospitalité est offert ; car
raison personnelle pour tenir un pareil les Kabiles, très-jaloux les uns des autres,
langage. Dans les villages situés vers ne le sont nullement des étrangers.
les cimes de la montagne, régions gla- Chaque village possède sa petite mos-
ciales, où il faut quelquefois, par 36° de quée; c'est en général la plus belle mai-
latitude, se faire un passage à la pioche son. Elle est consacrée à la prière; mais
au travers des neiges , les femmes sont comme chez les musulmans la vie civile
généralement rouges rouges comme du
, se confond dans la vie religieuse la mos-
,
corail, nous disait un habitant du pays, quée a une autre destination toute ter-
qui attribuait la coloration de leur teint restre: c'est l'hôtellerie des voyageurs.
au froid habituel de ces contrées. Elle est entretenue aux frais des habi-
Nous devons dire que les femmes ka- tants; le cheik y pourvoit sur le pro-
biles se montrent souvent peu soucieu- duit des amendes et si ce fonds ne suffît
;
ses de leur réputation. Tous les voya- pas il a recours aux cotisations. 11 com-
geurs indigènes qui ont parcouru ce met un oukil à la garde et à l'entretien
pays et ceux même qui l'habitent s'ac- de la mosquée : c'est ce dernier qui a
cordent à leur reprocher une facilité de charge d'héberger les voyageurs, et le
mœurs que dans certains cas la dépra-
,
cheik les laisse rarement partir sans
vation des hommes autorise et pro- leur demander s'ils sont satisfaits de
voque. l'hospitalité qu'ils ont reçue.
Le Kabile peut prendre plusieurs Lorsqu'un étranger aVrive dans une
femmes, comme les musulmans : toute- bourgade kabile, un habitant officieux
fois il est limité par l'obligation de les se présente à lui , et lui demande s'il est
,
ALGÉRIE. m
de passage pour la mosquée ou pour la l'esquisse sommaire que nous venons de
femme. Dans le premier cas il est logé tracer un dernier reflet du caractère na-
et nourri aux frais de la commune, qui tional.
pourvoit à ses besoins , sans s'inquiéter Le sommet du Tamgout forme un
du but de son voyage. S'il est de passage large plateau inhabité, couvert d'une fo-
pour une femme , l'officieux cicérone le rêt de chênes. A l'ombre de ces bois sé-
conduit chez l'adjoula, qui le reçoit culaires s'élève une petite mosquée blan-
moyennant salaire. che, propre, bien entretenue, seul mo-
Les femmes, malgré les dérèglements nument qui dans la forêt déserte rap-
auxquels se livrent un grand nombre pelle le voisinage des hommes. C'est
d'entre elles, n'en sont pas moins, chez cette petite coupole qui s'appelle Tam-
les Kabiles , entourées d'une vénération gout; elle donne son nom à la monta-
toute particulière. A l'exemple des an- gne, et porte elle-même celui d'un mara-
ciens Germains, ils supposent à leur sexe bout dont elle renferme la dépouille. La
une mission religieuse, une puissance forêt est la propriété commune de tous ;
d'inspiration; aussi se gardent-ils bien ainsi l'a voulu Tamgout lui-même.
de rejeter leurs avis ou de douter de leurs Mais le bois de Tamgout est un objet
oracles. Ce respect pour les femmes, sacré : malheur à celui qui concevrait, en
malgré leur état habituel d'infériorité, lecoupant, la pensée de le brûler ou de
est un très-remarquable. Lorsque
fait levendre Dieu couvrirait ses yeux d'un
!
l'on est menacé, il fait bon se mettre bandeau ou lui susciterait un lion pour
sous leur protection; c'est la meilleure le dévorer.
sauvegarde. Dans les premières années La dévotion pour ces dieux pénates
de la prise de Bougie, deux Arabes des va, dit-on, quelquefois jusqu'à balancer
nôtres firent naufrage dans la partie la l'influence des prescriptions fondamen-
plus inhospitalière du golfe. Ils allaient tales de l'islamisme. Ainsi, dans les
être massacrés lorsqu'une femme inter- montagnes des Beni-Amran, en arrière
vint, les couvritde sa protection, et les du cap Sigli, remarquable par ses ro-
arracha à mort.
la ches fantastiques il existe une gorge
,
Le respect des Kabiles pour les fem- qui a la propriété de rendre l'écho. Or,
mes se manifeste encore par les hon- suivant une croyance qui remonte sans
neurs rendus à la mémoire de plusieurs doute à bien des siècles, cet écho est un
d'entre elles, que la voix populaire a oracle qui manifeste les volontés du ciel.
proclamées saintes. Une sainte fille Un jour, aux approches du ramadan
kabile, Lélla-Gouraïa, fut longtemps la les Kabiles s'avisèrent d'aller consulter
patrone révérée de Bougie La chapelle
. la montagne pour savoir s'ils devaient
qui renfermait ses restes occupait en- jeûner. « Jeûnerons-nous ou non? » s'é-
core au moment de l'arrivée des Fran- crièrent-ils. —
La montagne répondit :
çais la cime brumeuse du pic où s'é- Non. Ils s'en allèrent bien résolus à
lève aujourd'hui une forteresse qui a enfreindre l'un des premiers préceptes
conservé son nom. Cette chapelle était du Coran et il ne fallut rien moins que
,
un village kabile, que les nouveaux le fond de la baie, il ne reste plus que
maîtres ont respecté. Il s'est élevé à côté quatre kilomètres environ à franchir
un camp et un village français. Dellis pour atteindre le port d'Alger.
occupe l'emplacement d'une ville ro- Il est difficile alors
si l'on se trouve
,
ler comme un des atterrages les plus sont différentes, l'effet est le même.
poissonneux des côtes d'Algérie. Il y a La nuit c'est la brise de terre chargée
trois siècles que Marmol disait « On : du parfum des fleurs, qui vous révèle
prend tant de poisson sur cette côte, que tout d'abord le voisinage des cultures
les pêcheurs le rejettent souvent en mer de luxe. En approchant du rivage, vous
parce qu'il ne se présente personne pour distinguez peu à peu dans l'obscurité
l'acheter. » Ce qu'il y a de remarquable, une forme triangulaire blanchâtre qui
c'est que le nom de Rusuccurum lui- se dresse devant le navire; et quand
même paraît se former des deux mots même la nuit serait assez sombre pour
phéniciens rus (cap) et caura (poisson). qu'elle échappât à la vue, elle s'annon-
La population de Dellis est un mélange cerait à l'odorat , car il s'en élève aussi
de toutes les tribus voisines ; mais les une senteur particulière, commune à
plus anciennes familles passent pour toutes les grandes cités de l'Orient, mé-
appartenir à cette classe de proscrits ap- lange indéfinissable de tous les parfums
pelés Jndalous, que l'Espagne rejeta qu'elles affectionnent.
de son sein à la fin du quinzième siècle. Pendant le jour la forme triangulaire
Le nombre des habitants indigènes d'Alger commence à se dessiner dès que
s'élève à 1033, dont 1016 musulmans, l'on a doublé le cap Matifou. A la hau-
4 nègres et 13 Israélites. Quant à la teur de l'Harrach quelques détails pa-
population européenne , elle se réduit à raissent déjà : à droite, au bord de la mer,
308 personnes, sur lesquelles on compte la tour du Phare ; à gauche , sur le som-
215 Français. met des hauteurs le fort l'Empereur.
,
Entre le cap Bengut , dont la pointe Au pied de cette forteresse, qui fut le
orientale protège imparfaitement le tombeau de la domination turque, les
mouillage de Dellis, et le cap Matifou coteaux de Moustapha déploient leur
qui ferme la baie d'Alger, des terres bas- magnifique amphithéâtre de villas et de
ses et uniformes déterminent le cordon vergers.
de côte, interrompu seulement par une
la Rien de plus gracieux , rien de plus
vallée plate et boisée à travers laquelle animé que l'aspect de cette ville blanche
l'Isser termine son cours. Durant tout à côté de ces vertes campagnes.
ce trajet , l'horizon est borné par les Mais combien d'autres causes con-
hautes montagnes du Jurjura. tribuent à faire naître le sentiment que
A côté du cap Matifou , un groupe de Ton éprouve en voyant Alger pour la
petits rochers d'un brun presque noir première fois !
borde la côte : l'un d'eux, grandi par le Au-dessus de cette ville blanche et
mirage, ressemble à un bâtiment à de ces vertes campagnes flotte une
la voile. Les marins lui ont donné le nom des plus sombres pages de l'histoire des
deSandjak, qui signifie drapeau. C'est hommes. Devant le fantôme galvanisé
en effet une sorte de pavillon de signal du vieil Alger, comment ne pas songer
qui annonce la prochaine apparition de à tous les gémissements chrétiens que
l'ancienne capitale barbaresque. ses murailles ont entendus ? Gomment
ALGÉRIE. 35
oublier tant de malheureux que le ba- truites et occupées par la tribu des
gne a vus périr au fond de ses cachots Beni-Mezranna. Il existait à cette épo-
impies? Comment ne pas se reporter à que en face de la ville un groupe d'îlots
ces débauches inouïes de la révolte , à que les compagnons d'Hercule et la
ces sept souverains égorgés dans le puissance romaine elle-même, cette
même jour , dont le dernier devait le grande fille d'Hercule avaient dédaigné
,
lendemain, pour inaugurer son règne, d'unir au continent; cela fut cause que
faire attacher aux créneaux cent têtes -la ville berbère reçut le nom de Djé-
sanglantes? Devant cette ancienne bas- zaïr- Beni-Mezranna , les îles des Beni-
tille delà piraterie, c'est à peine si l'on Mezranna. Elle' devint vassale du
ose se fier à l'hospitalité qu'elle vous royaume de Bougie, rôle modeste, dont
offre. Et alors à quelque nation que elle se contenta pendant près de six
vous apparteniez vous adressez invo-
, cents ans.
lontairement des actions de grâces au Vers la fin du quinzième siècle un ,
peuple qui a ramené sur une terre événement mémorable, qui frappait l'is-
souillée de tant de crimes des jours lamisme au cœur, sè*rvit accidentelle-
d'ordre et de justice. ment la fortune de Djézaïr. Ce fut l'ex-
On sait qu'Alger occupe l'emplace- pulsion des Maures d'Espagne. La pe-
ment d'une cité romaine. Les géographes tite cité kabile tendit la main à ses
de l'antiquité rapportent qu'elle fut coreligionnaires proscrits, qui lui ap-
fondée par vingt compagnons d'Hercule, portèrent en échange de l'hospitalité
qui l'appelèrent, en souvenir de son ori- qu'ils en recevaient, leur nombre , les
gine, Icosium, la ville des Vingt. Mais débris de leur fortune et de leur civili-
assurément ces vingt compagnons du sation, et une profonde haine du nom
dieu de la force tirent moins pour la chrétien. Suivant l'Espagnol Haedo,
grandeur et la célébrité de leur ville mille familles maures cherchèrent un
que Barberousse tout seul avec son refuge à Djézaïr. Elles furent désignées
génie de forban. sous le nom d'Andaious. C'est à cette
Une circonstance qui survint vers la époque que remonte la construction de
fin du quatrième siècle de notre ère ap- la grande mosquée, le plus bel édifice
pela un moment sur lavilledes /^^l'at- religieux que possède aujourd'hui Alger.
tention de l'histoire. Un de ces agitateurs Djézaïr dut aussi aux émigrés de
qu'une expérience de dix-huit années l'Andalousie quelques ouvrages de for-
nous a appris à connaître était sorti du tification. Craignant avec raison de voir
mont Ferra tus, qui est le Jurjura actuel, la rancune de l'Espagne les poursuivre
et menaçait la domination romaine. Il jusque dans leur dernier asile, ils du-
s'appelait Firmus; c'était l'Abd-el-Ka- rent songer au soin de leur défense.
der de son époque. On envoya contre Deux batteries furent construites, l'une
lui le meilleur général de l'empire, à côté de la mosquée ,l'autre à la porte
père et homonyme de l'empereur Théo- de la Marine , toutes deux dirigées vers
dose. Après plusieurs engagements, un la mer. La première a entièrement dis-
traité fut conclu un traité de la Tafna,
, paru sous les constructions modernes;
qui devait être violé quelques mois de la seconde il n'a survécu aux ravages
après; néanmoins les prisonniers, les du temps, et surtout des boulets euro-
drapeaux, le butin, furent restitués de péens, que quelques vestiges mais le nom
;
i
Alger à la hauteur de son génie et de ques. Cette eurieuse machine de guerre 1
sa fortune. Cette révolution s'accomplit a disparu; mais le souvenir s'en est
en 1515. conservé à Alger; les habitants mon-
Si après un règne de trois années traient encore il y a quelques années
seulement l'illustre renégat succomba l'embrasure qu'elle occupait dans le
sous le fer espagnol , si sa tête et sa fort des Andalous.
veste d'or furent portées en triomphe à Sous le règne de Khaïr-ed-Din la
Saint- Jérôme de Cordoue, l'édifice qu'il population d'Alger prit un accroisse-
éleva n'en est que plus digne d'étonne- ment rapide. Vers la même année 1573
ment , nous n'osons dire d'admiration. elle contenait 12,200 maisons, ce qui
Ces trois années lui avaient suffi pour suppose environ 60,000 habitants ; elle
fonder la capitale d'un empire. Du jour possédait en outre 100 mosquées et 34
où Barberousse eut touché Djézaïr , une hôpitaux (1).
révolution magique s'opéra la petite
; Le plus grand ouvrage de Khaïr-ed-
ville, qui quelque temps avant n'eût pas Din , celui qui suffirait à la gloire d'un
résisté aux sandales de Bougie et de règne , fut la construction de la jetée qui
Tunis , allait voir échouer devant elle porte son nom. Il commença par s'empa-
en quelques années François de Véra, rer du Penon ; ce qui le débarrassa des
Hugues de Moncade et Charles-Quint Espagnols. C'est alors seulement qu'il
le grand souverain du seizième siècle, posa la première pierre de ce fameux
avec les meilleures troupes de ses trois port d'Alger , dont nous allons retracer
royaumes. l'histoire.
Il y eut du bonheur sans doute mais : Il existait alors dans la courbe du
quel est le succès qui peut se passer de rivage où est assis Alger une saillie na-
la fortune? Il y eut du bonheur, car turelle, encore appréciable aujourd'hui,
un auxiliaire terrible , la mer , se sou- malgré ouvrages dont elle est cou-
les
leva elle-même contre les flottes enne- verte. En avant , et à deux cent trente
mies ; il y eut du bonheur encore dans mètres environ dans la mer, surgissaient
la rencontre de ces deux frères, dont les quatre îlots rocheux qui avaient valu
l'un hérita du génie de l'autre et sut si à la ville son nom de Djézaïr. C'est à
bien achever et consolider son œuvre. l'abri de ces quatre îlots que les navires
Khaïr-ed-Din fit ce que Barberousse venaient jeter l'ancre.
eût fait s'il avait vécu ; autour de cette Du milieu du groupe s'avançait vers
ville, qui désormais valait la peine d'être la sailliedu rivage une série de pointes
prise , il étendit une ceinture de rem- de rochers , barre naturelle qui dessi-
parts; au sommet de la colline dont nait l'enceinte du mouillage, mais ne
elle occupe les pentes , il éleva une ci- lui donnait aucune protection ni contre
tadelle; en un mot il l'équipa en guer- les vents , ni même contre la houle du
rière : il en fit Alger la bien gardée. nord. D'autres dangers y menaçaient
C'est en 1532 que Khaïr-ed-Din fit d'ailleurs les navires ; ainsi il existait au
élever les murailles d'Alger. En 1571 milieu même de la darse plusieurs
une terreur panique détermina la cons- pointes de roches, sur l'une desquelles
truction de nouveaux ouvrages. Les est venu se perdre en 1835 le bateau à
Algériens tremblèrent de voir apparaître vapeur VÉclaireur.
devant leurs côtes le vainqueur de Lé-
pante. Dans leur trouble ils se décidè-
(i) Fondation de la régence d'Alger,
rent, pour dégager les abords de la ville, par MM.Sander-Rang et Ferdinand Denis.
à démolir un faubourg entier. Deux ans La population d'Alger paraît avoir déchu dans
après , sans doute sous l'impression de la suite. A la fin du dix-huitième siècle, Ven-
la même terreur , de nouvelles fortifica- lure de Paradis ne comptait dans toute l'é-
tions furent élevées. A cette époque tendue de la ville que 5,ooo maisons, environ
Alger comptait neuf portes ; vingt-trois a 5, ooo habitants. C'est le nombre, auquel
pièces de canon garnissaient le front de l'Espagnol Haedo évalue les esclaves chrétiens.
,
ALGÉRIE, 87
voiles surgissent à l'horizon; des bâti- dans la grande mosquée, ouvrage des
ments de tous les tonnages, de tous les proscrits de Grenade, il retrouve ces
pavillons, de toutes les formes se pres- temps d'intolérance et de fanatisme qui
sent dans Tétroite enceinte conquise sur préparèrent l'avènement de la pira-
la région des tempêtes. Des légions terie.
d'ouvriers construisent sans relâche Enfin au pied des gradins de l'amphi-
leurs blocs gigantesques, et les lancent à théâtre que domine la Kasba en avant
,
la mer, qui les engloutit; sur les onze de la ville mauresque, s'élève au bord de
millions jetés dans ce grand ouvrage il la place une haute et sombre demeure, à
y en a dix qui dorment sous les flots. petites lucarnes garnies de barreaux de
INon loin de là, sur les quais, la ruche des fer : c'est le palais de la Djenina.
Kiskris bourdonne et s'agite. Il faut Elle a servi de résidence à tous les
voir ces Auvergnats de l'Algérie, race deys jusqu'en 1817. A cette époque, Ali
active et laborieuse, répartir sur dix ou surnommé le Fou venait de succéder à
douze épaules les plus lourds fardeaux, Omar-Pacha, que la milice avait mis à
et courir , ainsi chargés , du port à la mort pour avoir été trahi par la fortune
ville en se dandinant pour amortir les dans sa glorieuse défense contre l'esca-
chocs de la marche. Cependant toute la dre delordExmouth. Ali fut porté malgré
ruche suffit à peine au mouvement des lui dans le fauteuil de la Djénina , et re-
arrivages et des départs. vêtu de ce fameux caftan, blouse de
Au-dessus de la mer, au pied de la coton dont la valeur ne dépassait pas
ville moresque , il est un large espace quinze piastres, mais qui avait la pro-
qu'on appelle la place du Gouvernement. priété de vous faire roi. Dès qu'il sentit
C'est là que se forme le remous de ces sur ses épaules cette robe de Déjanire,
agitations diverses , carrefour bruyant le nouveau dey prit des dispositions pour
ouvert à toutes les croyances, à toutes en conjurer les effets. Sans confier son
les passions, espace mitoyen entre TO- projet à personne, il fit compléter les
rient et l'Occident. défenses de la Kasba, et quand il l'eut
Par une disposition fortuite l'horizon mise à l'abri d'un coup de main, il s'y
de la place du Gouvernement réunit, transporta de sa personne dans la nuit
échelonnés à différens plans, quelques du 8 septembre 1817, emportant avec
traits expressifs de cette physionomie lui le trésor de la Régence. Ali ne sur-
double. D'un côté c'est la mer, devenue vécut pas longtemps à ce coup d'État;
enfin le domaine de l'Europe; en face mais du moins il échappa à l'iatagan de
c'est la ville mauresque, qui s'élève en la milice. Il mourut de la peste suivant
gradins , étalant encore ses grands murs les uns, de ses excès suivant les autres.
percés de lucarnes jalouses et ses terras- Son successeur fut Husséin-Dey ; il con-
ses aériennes. A côté de la grande mos- serva sa résidence à la Kasba , et n'en
quée , le plus beau reste de l'architec- sortit que le 5 juillet 1830, au moment
, .
ALGÉRIE.
où les premiers officiers français ve- tous deux d'origine française, placés sur
naient d'y pénétrer. laroute d'Alger à Blida
C'est dans le palais de la Djénina que Depuis cette époque, les chambres
se sont accomplies les sanglantes orgies ayant accordé des crédits spéciaux pour
de la domination turque. C'est sur la ter- la colonisation de l'Algérie, c'est dans
1
rasse de cet édifice que l'étendard de ce massif que s'est concentré presque ex-
l'oudjak, rouge, jaune et vert, aux clusivement l'emploi des sommes votées.
croissants d'argent, déroulait ses plis à Il s'est formé autour d'Alger une large
C'est là que
dey se tenait habituel-
le nisation subventionnée.
lement. Du haut de cet observatoire L'administration a conservé le plus
il suivait les travaux du port ou in- souvent aux villages qu'elle fondait les
terrogeait l'horizon de la mer. Les noms arabes des localités ou des tribus
premières constructions ou plutôt les dont ils occupaient l'emplacement. Ce-
premières démolitions exécutées par pendant plusieurs dénominations fran-
les Français atteignirent ce monument çaises se sont introduites et forment
,
nion hebdomadaire continua d'avoir habitants. Elle est Je chef-lieu tl'un dis-
lieu ; elle devint même plus nombreuse trict où l'industrie privée a fondé quel-
et surtout plus animée que précédem- ques établissements importants, et par-
ment. Mais elle n'avait eu jusque alors ticulièrement le village de mineurs créé
qu'un caractère purement commercial ; près du beau gisement de cuivre de
elle prit une physionomie politique. Le Mouzaïa, non loin du col célèbre si sou-
marché de Boufarik devint un club tu- vent et si âprement disputé dans le cours
multueux où quelques marabouts éner-
, de la guerre. L'administration a fondé
gumènes convoquaient périodiquement aussi dans le voisinage de Blida quelques
à la guerre sainte les tribus trop cré- que Beni-Méred Montpen-
villages, tels ,
population européenne.
par l'État représente , sans tenir compte
de la valeur des terres une dépense de
, Français 3i,966 <
italiens.
Allemands
-•;•;;;;;;;;; ^ 514
4,088
3,326
\
i sr aéiites
.
.
• . . .
.
i7,jg
5,758 )
^ 34,876
de la Métidja. Au sud c'est le Mouzaia, Popuiation flottante 9,sso
\ ;
timents venaient encore se briser sur les p ar s> ..... 945,721 habitants,
écueils de son mouillage. Lyon.
j
.... . 159,783 . —
Alger devait être assurément la reine Marseille. . . . 133,216 —
de la Métidja et du Sahel; mais la nature Bordeaux. 120,203 —
avait marqué la limite de son empire au A!crer
. . .
103,610 —
pied des montagnes dont Médéa occupe
le plateau. j> rt «w» m
Ce§
population
la *^F U
^ vJUes gont les seu , es dont
dépasse
v cent mille âmes.
Cependant trois cents années d efforts
consacrées par le gouvernement turc Sidi-Féruch.
à pallier des vices organiques, dix-huit . ,
mais l'histoire l'a marquée d'un sceau contre-forts du massif d'Alger , la pre-
ineffaçable, et le voyi.geur ne passera mière saillie considérable qui s'avance
jamais' sans la saluer devant cette pe- dans la côte est celle du cap Ras-Am-
tite baie qui fut le théâtre d'un des épi- mouch, formé par les contre-forts du
sodes les plus glorieux de l'histoire mo- mont Chénoua. Dès que l'on a dépassé la
derne. cime triste et brumeuse de ce cap, on dé-
couvre les minarets blancs de Cherchel.
Le Tombeau de la Chrétienne. Ses maisons, couvertes en tuiles, se déta-
Par un contraste assez singulier, un chent bientôt au milieu des bouquets
peu à l'ouest de ce monument d'une d'arbres qui les entourent, etse déploient
gloire récente, la côte en présente un en amphithéâtre sur un large plateau
autre dont l'origine va se perdre dans la que les montagnes situées en arrière sem-
nuit des temps. Il est situé à peu près à blent isoler du reste du continent.
'
la moitié de la distance qui sépare Alger Cherchel est bâti sur les ruines d'une
ville qui portait le nom du grand César,
de Cherche!. La côte, jusque-làd'une hau-
teur uniforme, se relève un peu et dessine Julia Caesarea ; c'était la capitale de la
un petit mamelon à pentes douces, dont Mauritanie Césarienne et l'une des cités
le sommet est occupé par une construc- les plus importantes de l'Afrique ro-
tion en forme de pyramide. Ce monu- maine, Les anciens avaient fait pour
ment est un des plus anciens et des plus elle ce que les Turcs firent plus tard
curieux de l'Algérie. Les géographes de pour Alger. Ils y avaient créé un port :
l'antiquité le désignent tous , sans qu'il les restes des constructions hydrauli-
soit possible de s'y méprendre, comme ques que l'on y trouve en retracent toutes
la sépulture commune des rois de Sa les dispositions. Un gros îlot situé au
chercheurs de trésors , et très-crédules ferme par une double jetée, qui compre-
dans leurs recherches, prétendent que nait un bassin intérieur formant un ar-
cette pyramide tuniulaire, dont ils igno- rière-port; la superficie de ce bassin était
rent destination, renferme des riches-
la de huit mille mètres carrés. Une autre
ses immenses. Mais les tentatives qu'ils jetée, partant de la pointe dite des Mara-
ont faites pour les découvrir, et dont on bouts, créait un second bassin de cinq à
retrouve la trace, ont toujours été vaines. six hectares de surface : celui-ci servait
tion arabe du mot roum, qui dans la rière-port. Cette opération amena une
langue punique signifie royale. Il a ainsi découverte intéressante. On trouva
restitué au nom de Kbeur-Roumia le enfouis dans la vase des blocs de maçon-
sens de Sépulture royale, qu'il devait nerie , des fûts de colonnes et une par-
avoir au temps des Syphax et des Juba. tie des matériaux qui garnissaient les
Ce monument mérite donc tout l'intérêt quais de l'ancienne ville. On retira enfin
,
ALGÉRIE. 4â
de dessous ces débris un bateau romain ropéens, dont 650 Français, et de i 045 in«
remarquable en ce que toute ia mem- digènes, dont 1019 musulmans, 23 nè-
brure était chevillée en bois, sans qu'il y gres et 3 Israélites.
entrât un seul clou. Comment expliquer Ténès.
la présence des colonnes et des blocs de
maçonnerie dans la vase du port autre- Depuis Cherchel jusqu'au cap Ténès,
la côte présente un rideau presque con-
ment que par une violente secousse de
tremblement de terre ? Des ingénieurs tinu de montagnes, espèce de muraille
ont même remarqué certains indices qui sans abri qui sépare la mer du cours
sembleraient annoncer un déplacement du Chéiif. Elle se termine à une grosse
du niveau de la mer ou au moins un dé- masse de roches escarpées , dont l'en-
rangement dans l'assiette des terres du semble constitue le cap Ténès, et der-
rivage. Cet effet se serait produit -à la rière laquelle sont deux villes de ce nom,
suite de la catastrophe qui a bouleversé l'une indigène, l'autre française. La
Cherchel et précipitédans la mer une par- vilie indigène, qui est l'aînée, est appelée
(
la grandeur des travaux, l'un des plus portance de l'ancienne ville et du long
! importants de la Méditerranée, n'est plus espace de temps pendant lequel ce lieu a
» aujourd'hui pour nous qu'une crique servi au,même usage.
|
de cabotage, inaccessible même aux plus La ville actuelle de Ténès est éloignée
|
petits bateaux à vapeur. de douze cents mètres environ à l'ouest
La population de Cherchel se com- du seul point de la côte qui comporte
posait au 1 er janvier 1847 de<967 Eu- la création d'un port. L'emplacement
'44 L'UNIVERS.
en est dessiné par un massif d'îlots d'eau en ce que son embouchure n'est
éloignés de la plage d'environ six cents point obstruée par les sables; on la voit
mètres , mais reliés à la terre-ferme par en toute saison couler librement à la
une série de bas-fonds rocheux. Cette mer, dans une large vallée que domi-
disposition naturelle détermine une nent à droite et à gauche de hautes mon-
petite crique circulaire, analogue mais tagnes.
préférable à celle que dut présenter Le cap Ivi marque la limite orientale
Alger avant les immenses travaux que du .golfe d'Arzeu, qui se termine dans
les Turcs et les Français y ont exécutés. l'ouest au cap Carbon. Au fond de la
Il existait autrefois, tout près de baie une grève blanche, large et profonde
Cartennœ une autre ville, que le géogra- donne issue à l'embouchure de la Makta,
phe Ptolémée appelle Carcôma, et Bo- de douloureuse mémoire. Le fond du
chart fait remarquer que carcôma dans golfe dans le voisinage de l'embouchure
la langue phénicienne signifie cuivre. est formé de terres basses, d'un aspect
Il en conclut que dans le voisinage de cette triste, commun d'ailleurs à toute la côte
ville doivent se trouver des mines de occidentale de l'Algérie.
cuivre. Cette induction du savant ar- \ Deux villes occupent les faces du golfe :
saillie du cap que vient déboucher à la Quoi qu'il en soit de cette formidable I
mer cette rivière, la plus considérable de hypothèse ( car ce n'est qu'une hypo
l'Algérie, autant par l'étendue de son thèse bien hasardée, à notre sens), Mosj
cours que par le volume de ses eaux. Elle taganem occupe aujourd'hui une de!
diffère de la plupart des autres cours positions les plus riantes , un des ter 1
, ,
ALGÉRIE. 45
;
agricoles s'élevèrent alors la culture du
;
malheureusement ils arrivent sur une
s
coton y prit surtout un développement côte ouverte à toutes les tempêtes, ce
! considérable. qui forme un grand obstacle à leur écou-
On peut juger de l'élégance de la ville lement.
,
trois siècles après sa fondation par un La population de Mostaganem a été
: détail que les chroniques espagnoles autrefois considérable. En 1830, à en
nous ont conservé. En 1558 le comte juger par l'étendue de la ville, elle pou-
;
d'Alcaudète, conformément aux ordres vait encore s'élever à 15,000 âmes. Au
er
du conseil de guerre de Madrid, partit 1 janvier 1847 elle se composait de
d'Oran, marcha sur Mostaganem, et 3,614 Européens, dont 1 ,717 Français et
s'en rendit maître. La porte de la ville 1,366 Espagnols, et de 3,035 indigènes,
possédait alors un beau portail de mar- dont 2,662 musulmans, 87 nègres et 586
bre, qui lui donnait une apparence mo- israélites. Il faut y ajouter une popu-
! numentale. Le général espagnol le fit lation indigène flottante de 470 person-
abattre, et en fabriqua des boulets pour nes ; ce qui élève la population totale à
amenés. Mais le
les pierriers qu'il avait 7,119 âmes.
triomphe des Espagnols ne fut pas de Jrzeu.
longue durée peu de temps après ils
:
perdirent contre les troupes du dey une Chaque ville de l'Algérie a un mérite
bataille dans laquelle le comte d'Alcau- et un défaut dominants; il en est de
dète lui-même perdit la vie. même dira-t-on de toutes les villes du
, ,
là toute l'Algérie, que paraît dater la dé- du monde qui nous intéressent sont fai-
cadence de Mostaganem. Depuis lors tes; celles-ci,qui nous intéressent si
i
les incursions des Arabes et les exactions onéreusement , sont à faire. Dans un
des gouverneurs turcs amenèrent l'ap- pays en voie de création il faut avoir
Ipauvrissement rapide de sa population. sans cesse présentes à la pensée ces qua-
j
La conquête française fut elle-même lités et ces imperfections dominantes,
le signal de nouveaux désastres. Les afin de placer chaque ville naissante
tribus d'alentour pillèrent les récoltes dans la voie de prospérité que la nature
détruisirent les maisons de plaisance, lui trace.
saccagèrent les riches plantations de Le mérite dominant d'Arzeu est dans
vignes , de figuiers et d'oliviers , créées la sûreté de son mouillage : à tous les
en des temps de sécurité et de pros- bâtiments au-dessous de la force des
périté. frégates il offre un excellent abri , parce
j
Cependant en juillet 1833 , époque où qu'ils peuvent se placer derrière une
ces désordres nécessitèrent l'occupation pointe de roches qui les protège con-
de Mostaganem par une garnison fran- tre le vent et la mer du large; mais
çaise il restait assez de vestiges de la
, les grands navires n'y trouvent point
[ville et de sa ceinture de maisons de cam- assez de fond, et doivent mouiller en
pagne et de jardins pour y reconnaître dehors de cet abri, dans une position
une des situations les plus délicieuses qui n'est pas sûre. AArzeu ce sont les
de l'ancienne Régence. eaux qui manquent : les habitants en
A sept kilomètres à l'ouest de Mosta- sont réduits à l'eau de puits ; encore -est-
ganem il existe une autre ville déchue., elle un peu saumâtre. Néanmoins la po-
c'est Mazagran. La plaine qui les sépare sition est saine; le choléra ne s'y est pas
était autrefois couverte d'habitations arrêté. Vers le sud de la ville, à six mille
de plaisance et de riches cultures. mètres, sur la crête d'un plateau, existent
M L'UNIVERS.
des assises en pierres de taille, restes d'automne ils doivent se retirer, soit à
d'une longue muraille qui faisait face Mers-el-Kébir, soit à Arzeu. Même pen-
à In mer, d'autres fragments de murs, des dant la belle saison le débarcadère cesse
citernes, des tronçons de colonnes épars d'être praticable dès que la brise de
et quelques inscriptions : ce sont les res- nord-est commence à fraîchir.
tes de la ville romaine d'Arsenaria. Il est difficile de savoir ce que fut
A l'époque où les Français parurent en Oran sous la domination romaine ; car
ce lieu il s'y trouvait une petite tribu tous les édifices antérieurs à la conquête
kabile venue des côtes du Maroc, d'où espagnole ont disparu sous les construc-
elle avait fui pour échapper aux vexa- tions gigantesques dont elle a couvert le
tions et aux avanies si communes dans sol.
toutes ces contrées. Elle s'étaitconstruit La prise d'Oran par les troupes espa-
des gourbis entourés de nopals, et avait gnoles suivit- de quatre ans celle de
formé un petit hameau appelé Bétioua, Mers-el-Kébir ; elle fut provoquée par le
nommé aujourd'hui le Fieil-Arzeu, pour double ressentiment d'une injure et d'un
le distinguer d'Arzeu-le-Port. A l'appro- échec. Cela eut lieu en 1507, tandis que
che des Français les exilés se retirèrent de la garnison espagnole occupait Mers-el-
nouveau, et portèrent ailleurs leurs Kébir. Les Maures firent une descente
foyers errants. sur les côtes de la péninsule, surpri-
A une lieue au sud-ouest d'Arzeu rè- rent une petite ville et en massacrèrent
gne un grand lac salé, dont les eaux s'é- tous les habitants. Le gouverneur de
vaporent naturellement chaque année Mers-el Kébir, Fernand de Cordoue, ré-
au retour des chaleurs. Le sel s'extrait solut aussitôt de venger cette insulte :
|
formait autrefois avec les grains, la spar- sement. Il sortit le 15 juillet, à la tête
terie et le kermès, les principales res- d'une colonnede trois mille hommes. Les
sources du pays. L'exploitation de ces Arabes ne paraissant pas, il crut qu'ils
salines a été concédée depuis quelques voulaient éviter le combat, et conti-
années à une compagnie française. nua à s'avancer. Bientôt il fut enveloppé
Arzeu est appelé à devenir l'un des pre- de toutes parts et son corps d'armée
miers ports de commerce de l'Algérie taillé en pièces.
quoique sa population ne se compose La nouvelle de ce désastre répandit la
encore que de 300 Européens et 50 in- consternation dans toute l'Espagne;
digènes. mais personne n'en ressentit plus de
douleurquelecardinal Ximénès.II pressa
Oran.
avec instance le roi Ferdinand de con-
Un massif de montagnes, que les ma- sentir à l'expédition d'Oran. Il sollicita
rins désignent sous le nom de cap Ferrât, même l'honneur de diriger en personne \
sépare la baie d'Arzeu de la baie d'Oran. les opérations, oubliant, dans un entrai
C'est un amas de roches escarpées , dé- nement que l'histoire doit admirer , sa \
quetées , dont les nuances blafardes ré- tre et son grand âge. Il offrit, comme il
pandent une teinte générale de tristesse avait déjà fait pour Mers-el-Kébir , de
sur tout ce qui avoisine la mer. Mais le payer de ses propres deniers les frais de
massif du cap Ferrât ne pénètre pas fort la guerre. Aussitôt d'envieuses menées,
avant dans l'intérieur : car la route par d'injustes sarcasmes vinrent se mettre
terre d'Arzeu à Oran se fait en plaine. en travers de cette résolution généreuse
Arzeu, avons-nous dit, a un bon et en retarder les effets. Il ne fallut pas
mouillage et manque d'eau; Oran a la moins de deux ans à l'illustre vieillard
qualitéetledéfautopposés:eil&iest située pour déjouer toutes ces intrigues. En-
dans la partie la* plus reculée de la baie fin la flotte réunie à Carthagène mit à la
qui porte son nom sur les deux rives
, voile le 16 mai 1509. Elle se composait
d'un ruisseau qui lui donne en tout temps de quatre-vingts vaisseaux, dix galères
une eau limpide et abondante. Mais les à trois rangs de rames et un grand nom-
navires ne peuvent mouiller devant la bre de petits bâtiments; elle portait
ville que pendant l'été; après l'équinoxe quinze mille hommes. Ximénès s'était
,
ALGÉRIE. 4?
réservé la haute direction de l'entre- stupeur, il s'élance sur l'ennemi, pour-
le
prise ; le comte Pierre de Navarre de- suit, le culbute, et reste maître du
vait commander les troupes. champ de bataille.
Le lendemain du départ, jour de l'As- En ce moment un boulet parti de la
cension, à la nuit tombante , l'escadre flotte venait de mettre hors de service
mouillait dans la rade de Mers-el-Kébir. la meilleure pièce des assiégés. Ce fut
Aussitôt l'alarme se répandit dans toutes comme le coup décisif. Les marins sau-
les tribus. En quelques heures des feux tent à terre, et font leur jonction avec
télégraphiques allumés sur la cime des les troupes. Les Arabes de la campagne
montagnes, portaient jusqu'au Sahara prennent l'épouvante, et se sauvent dans
la terrible nouvelle. Ximénès débarqua le plus grand désordre. Les Maures ren-
le soir même. Il convoqua les chefs de trent tumultueusement dans la ville et
l'armée, et tint conseil. Il fut décidé ferment les portes.
qu'une partie des troupes irait attaquer Les Espagnols se jettent sur leurs
Oran par terre, tandis que la flotte me- traces, et arrivent au pied des murailles;
nacerait la ville de l'autre côté. Le dé- ils y appuient leurs longues piques à dé-
barquement commença avant le jour. faut d'échelles, et s'élancent à l'esca-
Vers sixheures l'infanterie était réunie lade. Déjà six étendards flottent sur la
sous les murs de Mers-el-Kébir. citadelle. Eientôt la ville entière appar-
Ximénès parut alors devant les trou- tenait aux chrétiens.
pes entouré d'une multitude de religieux Ce fut Sosa, commandant des gardes
en armes précédés de la croix. Il vou-
, du cardinal qui le premier atteignit le
,
lait marcher à la tête de l'armée et la sommet du mur; il courut à la cita-
conduire au combat; il n'y renonça delle en brandissant l'étendard de
et
,
qu'à regret, vaincu par les supplications Cisneros, il cria de toute sa force Saint- :
des soldats et des chefs. Il se retira dans Jacques et Ximénès! Toute l'armée ré-
l'église de Saint-Michel à Mers-el-Kébir, péta ce cri de victoire.
et là , à genoux, les yeux baignés de lar- La ville fut livrée au pillage et la po-
mes, il adressa au ciel de ferventes pulation impitoyablement massacrée.
'prières pour le succès des armes chré- On porte à quatre mille îe nombre des
tiennes. Maures qui périrent dans cette fatale
ï Cependant un rassemblement nom- journée. Huit mille furent faits prison-
breux de Maures et d'Arabes se formait niers. Les Espagnols ramassèrent un
sur les pentes de la montagne. Pierre butin immense. Un officier eut pour sa
;de Navarre hésitait à les attaquer : il part dix mille ducats (1).
vint soumettre ses scrupules au cardinal, « A cette époque, » dit M. de Rotalier
qui, après s'être recueilli quelques ins- d'après Alvare Gomez, « Oran comptait
tants, s'écria comme éclairé d'une inspi- près de quinze cents boutiques et six
ration soudaine : « Ne balancez pas mille maisons. On trouva sur les mu-
'combattez ; j'ai l'assurance que vous railles plus de soixante gros canons et
remporterez aujourd'hui une grande dans les arsenaux une grande quantité
victoire. »
de catapultes, de batistes et d'instru-
Le comte de Navarre fit aussitôt son- ments propres à lancer des traits. »
ner les clairons; les soldats s'élancèrent
Le cardinal passa îa nuit en prières,
m
criant Saint- Jacques, et gravirent au et se rendit lendemain à Oran. Il fit
le
aas de course les flancs abruptes de la
son entrée dans îa ville précédé de la
nontagne. Un combat furieux s'engage. croix épiscopale, au milieu des acclama-
Les Arabes font pleuvoir sur leurs en- tions et des rjieux cantiques de la multi-
îemis une grêle de flèches et roulent des tude. Lui-même répétait à haute voix le
martiers de rocher. verset de^ David qui renvoie au ciel tou-
Enfin les chrétiens parviennent à tes les gloires humaines.
/emparer d'une source d'où l'on aper- monta d'abord à
Il la Kasba dont ,
cevait la ville; Navarre y fait amener îe gouverneur avait déclaré ne vouloir
jjuatre coulevrines, qui répandent dans
es masses arabes la mort et la
conster- (ï) Histoire d'Alger, par Ch. de Rotalier-
nation. Profitant du premier instant de tome er
I .
48 L'UNIVERS.
remettre les clefs qu'entre ses mains ; il juin, lecomte de Montemar vint débar-
les reçut , et le< premier usage qu'il en fit quer dans la petite baie du cap Falcon,
fut d'ouvrir les portes des cachots à trois avec une armée de vingt-huit mille
cents esclaves chrétiens. hommes. Dix à douze mille Maures ten-
Le lendemain il
visita l'enceinte de la tèrent de s'opposer au débarquement ils ;
'
Quint contre Alger, qui eut lieu vers la Ainsi finit l'occupation espagnole,
fin de 1541 trente-six ans après la
, laissant après elle d'immenses travaux'
prise de Mers-el-Kébir , trente-deux ans sans utilité et sans résultat.
après celle d'Oran , porta un coup décisif Des Maures venus de tous les points
à la domination espagnole sur la côte delà province, de Mascara, de Mazouna,
d'Afrique. L'Espagne perdit successive- de Tlemcen, de Mostaganem et de Maza-
ment dans le cours du seizième siècle gran repeuplèrent la ville déserte. On
les diverses positions qu'elle y occupait, leur distribua les maisons chrétiennes :
à l'exception d'Oran , qu'elle conserva elles étaient presque toutes en bois; il
jusqu'en 1708. Alors les embarras d'une les reconstruisirent en pierres ; mais la
collision européenne , guerre de la
la ville basse ne se releva point de ses rui-
succession, déterminèrent la cour de nes, et les Français la trouvèrent encore
Madrid à faire le sacrifice de cette der- couchée dans la poussière, perdue dans
nière place. les ronces (i).
Mais en 1732 les embarras avaient
cessé; les Espagnols reparurent. Le 26 (i) Histoire cf Alger, par Ch. de Rotalier.
ALGÉRIE. 40
Le premier sentiment qu'éveilla dans trer; là sont réunies dé belles plantations
l'esprit du dey la nouvelle de la reddi- d'amandiers, de grenadiers et d'orangers;
tion d'Oran ne fut pas la joie , comme et ce massif de verdure, animé et rafraî-
ilserait naturel de le penser, mais la chi sans cesse par des eaux abondantes,
méfiance. Il craignit que la possession paraît plus délicieux encore par le con-
d'une place aussi forte n'encourageât le traste qu'il forme avec la nudité du
bey à braver son autorité , et contraire- pic de Santa-Cruz.
ment à un article formel de la capitula- Quelques essais de colonisation ont été
tion, il envoya à Oran un commissaire tentés depuis quelques années dans les
(onkil) chargé de démanteler la ville. environs d'Oran. En 1844 les villages
Celui-ci fit sauter trois forts , la tête de de la Senia et de Misserguin, en 1845
ravin, Saint-Philippe et Santa-Cruz. De celui de Sidi-Chami, ont été fondés dans
ceux qu'il laissa debout Lamouni et Saint- la plaine et les territoires communaux
Grégoire sont les plus anciens : le pre- concédés en partie à des habitants aisés de
mier remonte à 1563 le second à 1589.
, la ville, et en partie à des familles pau-
Les autres datent du milieu du dix- vres. Un grand établissement agricole a
huitième siècle époque où furent exé-
, été fondé par une compagnie française,
cutés les grands travaux de fortification entre Oran et Mascara au-dessous du
,
Il règne entre les deux une vallée pro- il l'éclaira sur la situation du pays, et
fonde, étroite, tortueuse dans laquelle appela surtout son attention sur le
les vents d'ouest s'engouffrent par ra- port de Mers-el-Kébir et la ville d'Oran,
fales et produisent dans la baie des qu'il représenta comme les deux princi-
alternatives remarquables d'effroyable paux foyers de la piraterie. Pour rendre
bourrasque et de calme plat. Ce carac- ses indications plus saisissantes , il exé-
tère fantasque des vents, dû à la confi- cuta en cire un relief de la partie de la
guration du sol, rend souvent l'appareil- côte où se trouvent ces deux points.
lage difficile et enlève à la position une Ximenès demeura convaincu que
partie de son mérite. Mers-el-Kébir était pour l'Espagne la
Quoi qu'il en soit, l'Espagne fut bien véritable porte de l'Afrique ; il s'arrêta
inspirée lorsque dans les premières an- donc à l'occupation de ce port, et se hâta
nées du seizième siècle, cherchant à de présenter son projet au roi.
entamer la côte d'Afrique, elle arrêta Ferdinand n'avait qu'une seule objec-
ses vues sur Mers-el-Kébir. tion à élever; mais elle était grave.
Les Maures venaient d'être expulsés Deux guerres, dont l'une venait de se
de la péninsule ; la plupart avaient de- terminer par l'expulsion des Maures, |
mandé un asile à ces rivages habités avaient épuisé ses ressources. Ximenès
par leurs coreligionnaires, et y avaient le savait sans cloute mieux que personne,
porté la haine profonde qui les animait et il était prêt à lever cette difficulté ;
contre leurs vainqueurs. mais il voulait avant tout s'assurer de
,
ALGÉRIE.
Padhésion du roi; li offrit de payer lui- Fernand fit sur-le-champ saisir le cou-
même les frais de la guerre , et dès lors pable, et prononça son arrêt de mort.
l'expédition fut résolue. Enfin le 23 octobre les Espagnols pri-
Quelques mois suffirent au grand mi- rent possession de Mers-el-Kébir, cin-
nistre pour organiser une armée et une quante jours après leur départ de Ma-
flotte. Fernand de Cordoue devait com- laga. Fernand expédia aussitôt une ga-
mander la première Raymond de Cor-
, lère pour porter au cardinal Ximenès
doue la seconde l'artillerie fut confiée
; l'heureuse nouvelle. L'Espagne entière
àCiego de Vera; enfin l'expédition eut en tressaillit de joie ; elle crut voir du
pour guide Jérôme Vianelle. même coup ses côtes fermées à la pira-
Le 3 septembre 1505 la flotte appa- terie et le continent Africain ouvert à
reilla à TVJalaga; le 9 elle était en vue ses armes; magnifiques espérances que
de Mers-el-Kébir. Aussitôt des feux al- l'avenir ne devait pas réaliser.
lumés sur les hauteurs signalèrent l'ap- La pointe de Mers-el-Kébir marque
proche des Espagnols toutes les cimes ; la limite de la baie d'Oran ; mais le
voisines du. rivage se couvrirent de fan- golfe se prolonge jusqu'à la pointe du
tassins et de cavaliers. Les troupes dé- cap Falcon. Derrière celui-ci est une
barquèrent sous une grêle de flèches et petite baie où débarqua en 1732 le
sous les boulets du fort. Leur premier comte de Montemar elle se termine
:
soin fut de se retrancher; le lendemain au cap des Andalous, où existent les rui-
elles poussèrent une reconnaissance vers nes d'une petite ville construite par les
la place, et enlevèrent une position qui Maures exilés d'Espagne.
ladominait une batterie y fut établie.
: A partir de ce cap la côte s'enfonce
Pendant ce temps la flotte attaquait dans le sud-ouest, bordée par des terres
par m< r. de moyenne hauteur , d'un aspect uni-
Cependantle fort ne se rendait pas, et forme, qui se terminent à la mer par une
la position des Espagnols commençait muraille de roches abruptes.
à devenir critique; placés sous le feu de Une teinte générale de tristesse règne
la garnison , assaillis par des nuées d'A- sur ce long rideau de distance, en dis-
:
4.
52 L'UNIVERS.
Cherchel , capitale de la Mauritanie nous allons suivre les différents plateaux
Césarienne , par les Romains. de l'intérieur dans le même ordre c'est-
,
elliptique qui pouvait contenir 6,000 ville de Guelma, dont il n'est plus alors
spectateurs, et d'immenses vestiges d'un éloigné que d'environ douze kilomètres.
autre monument, qui paraît avoir été un 1
Après avoir donné quelques instants
temple de la Justice. d'attention au panorama qu'il a sous
Les ruines de Théveste et la petite les yeux, il redescend par une route en
ville deTébessa, qui semble le gui de lacets le versant méridional de l'Aouara,
cet arbre mort, ont été visitées deux traverse la rivière sur un beau pont
fois par les troupes françaises, la pre- construit, il y a quelques années, par
mière fois au commencement de juin les Français avec le concours des indi-
1842, sous le commandement du général gènes, et après avoir parcouru une dis-
Négrier , et en juillet 1846, sous les or- tance de deux kilomètres sur le glacis
dres du général Randon. Ainsi au mo- en pente douce de la Maouna, il arrive à
ment où l'arc de triomphe a été visité Guelma.
il y avait seize cent vingt-huit ans que On sait que cette position fut occupée
les" pierres qui le composent avaient par les Français en 1836 au retour de,
été élevées les unes sur les autres , que la première expédition de Constantine,
les lettres de la première inscription pour affaiblir dans l'esprit des indigènes
avaient été tracées, et c'est plus de trois les effets de l'insuccès de nos armes.
cents ans après qu'une autre main y a Il n'y existait à cette époque qu'un
tracé la seconde épigraphe, qui date ainsi amas de ruines restes de l'ancienne Ca-
,
le
,
ALGÉRIE. 55
va porter les siennes dans le golfe de dont l'œil suitle cours jusqu'à six lieues
Djidjeli; on entre alors dans la vallée du environ.
Roumel. Le partage entre les deux fleu- Les deux autres faces sont couvertes
ves s'opère sur un plateau large et nu, par un effroyable fossé , encaissé entre
dominé au nord par la ehaîne grise et deux murailles de roches à pic, dont la
aride de l'Oum-Settas, couverte de monu- hauteur moyenne est de cent dix mè-
ments druidiques, dont nous donnerons tres.
plus loin la description. Au sud l'horizon Cette configuration étrange, résultat
est borné à une assez grande distance de quelque grande convulsion du sol
par un majestueux rideau de monta- donne à la masse rocheuse qui sup-
gnes dont l'accident le plus remarqua- porte la ville de Constantine l'aspect
ble est la large découpure du Nif-en-Nser, d'un de ces promontoires à roches vi-
ou Bec de l'aigle. ves, battu par le choc incessant des va-
En descendant le cours du Mehris, gues. Elle justifie la dénomination de
on ne tarde pas à apercevoir dans une ville aérienne, que lui appliquent les
échancrure de la vallée les minarets de écrivains arabes du moyen âge; elle
Constantine. explique le mot de cirta, qui signifie en
Laissons de côté le monument curieux phénicien taillé à pic.
du Sôma, qui se présente sur la route, C'est au fond de ce précipice que le
au sommet d'une colline; monument Roumel, réuni au Bou-Merzoug, roule,
fastueux autel ou tombeau, dont aucun
, de cascade en cascade, ses eaux torren-
archéologue n'a pu encore avec certitude tueuses. Il entre au pied de la pointe
reconnaître la destination. Laissons sud, et sort au pied de la pointe nord. La
donc de côté le Sôma, et entrons à Cons- porte naturelle par laquelle la rivière
tantine, cette ville qui à toutes les épo- s'engouffre dans le ravin n'a pas plus de
ques, sous les rois numides, sous la do- cinq à six mètres de largeur sur une
mination romaine comme sous la domi- hauteur de quarante mètres. La porte de
nation française, a occupé une place si sortie présente une ouverture de qua-
éminente dans les destinées de cette con- rante mètres sur une élévation presque
trée. verticale de cent soixante-dix mètres.
Parvenu à l'extrémité de son ravin,
Constantine,
le Roumel se précipite avec un horrible
Il est difficile en effet d'échapper à fracas d'une hauteur de soixante mètres,
un sentiment mêlé d'étonnement, de res- et disparaît dans un nuage de poussière
pect et presque d'effroi
, lorsque pour, humide. Cette cataracte imposante forme
la première fois on se trouve en face de un des accidents les plus remarquables
cette ville étrange, de ce nid d'aigle, du sol de l'Algérie.
comme on l'a dit souvent, qui fut la Après avoir franchi la dernière cas-
capitale de la Numidie-royaume et de la cade, le Roumel, redevenu calme, entre
.Numidie-province, et dont la conquête dans une belle vallée bordée de magni-
a été pour la domination française elle- fiques jardins d'orangers, de grenadiers,
même un si puissant auxiliaire , un si de cerisiers, qu'il arrose et vivifie.
utile enseignement. Malgré l'abîme qui l'enveloppe et le
La ville de Constantine dessine une surnom ^aérienne, que le moyen âge
espèce de parallélogramme, dont les lui a décerné, Constantine, ce nid d'ai-
quatre angles regardent les quatre points gle, est encore dominée par trois hau-
cardinaux. Les indigènes la comparent à teurs, d'où la vue plonge à quelques
un bernous déployé, et assignent à la centaines de mètres de distance sur les
pointe sud, occupée par IaKasba, la place toits de tuiles de ses édifices. Ce sont
du capuchon. les hauteurs du Mecid, de Setha-Man-
La face dirigée au sud-ouest est la soura et de Koudiat-Ati. Les deux pre-
seule partie de la ville que la nature ait mières sont séparées de la ville par le
rendue abordable. La face nord-ouest ravin; la dernière commande la seule
est bordée de rochers escarpés, termi- langue de terre par où Constantine soit
nés par un talus haut et raide. De ce abordable.
côté la ville domine la vallée du Roumel, Les monuments romains que l'on re-
56 L'UNIVERS.
trouve à Constantine sont dignes de son où Ben-Aïça accomplit le 1 3 octobre i 837
antique renom. sa périlleuse évasion. Cette voûte protège
Lé premier qui se présenta aux re- contre les éboulements une source et un
gards de l'armée française arrivant par bassin d'eau thermale, dont l'usage et
la route de Bône fut l'aqueduc monu- la réputation se sont conservés jusqu'à
mental situé au sud de la ville, à 1,200 nos jours. Les Arabes viennent encore
mètres environ, un peu au-dessus du fréquemment se baigner dans ces eaux
confluent du Roumel et du Bou-Mer- qu'ils regardent comme très-salutaires.
zoug. Les restes de cet édifice se compo- Cette construction n'est pas la seule
sent de six arceaux en pierres de taille, dont la jouissance se soit perpétuée du-
dont le plus élevé n'a pas moins de vingt rant vingt siècles. On en retrouve fine au-
mètres de hauteur. Il devait recueillir les tre au-dessous de Sidi-Mimoun. C'est un
eaux des sources du Bou-Merzoug à neuf canal de dérivation, qui prendles eaux du
ou dix lieues de la ville et les conduire Roumel dans le fond de son précipice
dans de vastes citernes dont on retrouve contourne la muraille de roches qui
les ruines sur le sommet du Koudiat- forme la pointe sud de la ville, et vient,
Ati. en aval de la grande cataracte , mettre
!
Sur les pentes de cette colline, et au- en mouvement des meules de moulin qui,
dessous de ces citernes, existe encore à cette heure, alimentent encore les
un fragment de la voie romaine qui s'é- boulangeries de Constantine.
tendait de Cirta à Carthage; elle est Nous venons de parcourir les princi-
formée de grandes dalles parfaitement paux monuments romains qui se voient
jointes. extérieurement à l'ouest de la ville. Cette
Si l'on suit en se rapprochant de la excursion nous a conduits au pied de la
ville la direction tracée
par cette voie, pointe sud, près de l'issue du Roumel. Il
on passe devant les débris d'un de ces semble que pour gagner la face opposée
édifices qui caractérisent la civilisation le plus court serait de suivre les bords de
romaine. Il existait encore en 1840 à la rivière; mais il faudrait s'engager dans
côté de la porte Valée, hors des rem- le fond du ravin, et suivre son lit de ro-
parts, un bourrelet déterre arrondi en ches semé de gouffres et de cascades et
hémicycle d'où surgissaient de distance assombri de distance en distance par
en distance des restes informes de ma- d'immenses voûtes naturelles sous les-
çonnerie noircie par le temps. L'année quelles le fleuve disparaît. C'est un
suivante remplacement fut déblayé par voyage imprudent de tenter.
qu'il serait
l'intendance militaire, pour y faire un Le plus sûr est de remonter jusqu'à la
dépôt de bois de chauffage. Ce travail porte Valée et de traverser la ville dans
mit à découvert les restes d'un théâtre sa longueur pour aller sortir par la pointe
antique. La place et l'orientation de ce d'El-Kantara. !
ALGÉRIE. 5?
c'est là que s'élevaient les temples con- Les montagnes qui se dressaient
sacrés aux divinités protectrices de la autrefois dans l'ouest devant les yeux
ville. 11 y a quelques années les soubas- des spectateurs romains ou numides as-
sements existaient encore; mais les ma- sis sur les gradins du théâtre ont con-
tériaux en ont été depuis lors employés servé l'aspect imposant qu'elles avaient
dans la construction d'une caserne et alors; mais le nom qu'elles portaient
d'un hôpital. à cette époque n'est pas parvenu jus-
Parmi les ruines nombreuses enseve- qu'à nous. Elles s'appellent aujourd'hui
lies sous le sol de la Kasba, les seules Zouara, du nom des tribus kabiles qui
que les ingénieurs français aient conser- les habitent. L'histoire et la géographie
vées sont les citernes si justement célè-
, n'ont conservé que le nom d'une petite
bres, dont les puissantes murailles por- ville construite au pied des versants
tent aujourd'hui un édifice considérable. méridionaux de la chaîne. Elle s'appelait
Elles se composaient d'au moins trente- Milevum; elle s'appelle aujourd'hui Mila.
trois bassins en béton , dont vingt-deux Dans les dernières années du quatrième
sont parfaitement conservés. D'autres siècle, elle eut pour évêque saint Optât,
restes de maçonnerie doivent, à en juger qui fut l'un des hommes distingués de
par les alignements des murs et la qua- l'Eglise d'Afrique. Il a laissé un ouvrage
lité des matériaux, avoir fait partie de ce
sur le schisme des donatistes que le
,
-éservoir colossal. S'il en était ainsi, temps nous a conservé et dont saint
es citernes romaines de Constantine au- Augustin faisait beaucoup de cas.
aient couvert jadis un hectare de terrain. Pendant quelques années Mila fut
Le cadre de cette notice nous force occupé parles Français; mais en 1840,
iomettre plusieurs débris intéressants à l'époque où prévalut le système aban- ,
rouvés à Constantine, et en particulier donné bientôt après de la concentra-
,
a grande mosaïque découverte en amont tion des forces sur un petit nombre de
le la ville, sur la rive gauche du Roumel points, Mila fut évacuée malgré les
;
:eux de nos lecteurs qui désireraient prières instantes de ses habitants indigè-
onnaître ce bel échantillon de l'art nes*, que la retraite des troupes françaises
intique peuvent aisément satisfaire livrait aux incursions et aux brigandages
eur curiosité ils n'ont qu'à se rendre
:
des Kabiles. Il n'y resta qu'un seul Fran-
u musée algérien du Louvre, où la mo- çais, non militaire, qui se livra à di-
aïque de Constantine a été transportée, verses spéculations , et qui à cette heure
ous la surveillance de M. le comman- compose encore à lui seul, avec sa fa-
58 L'UNIVERS.
postes intermédiaires. Et cependant
mille, toute la population européenne.
cette route importante est loin de sa-
Mila est située sur un petit affluent'
tisfaire aux conditions stratégiques qui,
du Roumel , au milieu de magnifiques
jardins, qui donnent à cette petite ville j
dans un pays conquis, garantissent la
d'ailleurs propre et décente, un aspect
sûreté des communications de Cons-
tantine jusqu'à Djemila et de Djemila à
des plus pittoresques. Il y reste plu-
Sétif. Elle traverse une suite de ravins
sieurs débris intéressants de l'antiquité.
Mais ce qui nous a paru surtout digne profonds, dominés de part et d'autre
d'attention, c'est l'expression de bien- par de hautes montagnes. L'un des
passages que
les plus difficiles est celui
veillance et de douceur peinte sur toutes
physionomies. Les habitants de Mila les indigènes appellent Kasbaït, et les
les
ne connaissent ni les contestations ni Français Col de Mons , du nom d'une
ville romaine dont on y retrouve les
les procès. Ils ont cependant un kadi ;
mais ce respectable magistrat nous a ruines. C'est vers ce point que l'on
plusieurs fois assuré que le caractère abandonne le bassin du Roumel pour
pacifique de ses justiciables lui consti- entrer dans celui du Bou-Sellam, auquel
tuait une sinécure. Nous signalons ce appartient le camp de Sétif, aujourd'hui
fut appesantie sur l'Afrique , Sétif parti- Un tremble colossal couvrait de son
cipa au mouvement général de décadence ombre la porte de l'ancienne citadelle
qui s'étendit à toute l'Algérie. La guerre et la source limpide qui baigne le pied
perpétuer le témoignage de son ancienne çais vinrent la doter d'une vie nouvelle.
splendeur, au milieu des ruines accu- Il existe dans les ruines de Sétif un
mulées dans son enceinte déserte, s'é- grand nombre d'inscriptions latines.
tablit un marché périodique, où les L'une d'elles m'a paru intéressante, parce
habitants de toutes les régions comprises qu'elle sembleannoncer l'existence d'une
dans l'ancien royaume de Bougie ve- colonie juive à Sétif antérieurement à
naient chaque dimanche apporter les la dispersion du peuple d'Israël. Je l'ai
ainsi ce qu'elle avait toujours été, ce traduction littérale Avilia Ester {aster)
:
11 n'avait existé jusqu'à cette époque au- dans les flancs septentrionaux du Djebel-
cun établissement français dans le sud- Amour, montagne saharienne dont la!
est d'Alger. Aussi, pendant l'insurrec- base domine celles de toutes les monta-,
tion de 1S45 Abd-el-Kader y avait-il gnes de l'Algérie; en descendant de;
installé la base de ses opérations ; et on ce réservoir élevé le Chélif traverse une!
le vit pendant longtemps établi dans ce partie du Sahara du sud au nord
large espace, que la conquête française franchitdans une gorge profonde les mon^
laissait dégarni, promener sa victoire no- tagnes qui limitent le Tell , puis , durant
made du nord au sud, de la Kabilie aux l'espace de cinquante lieues environ, il
Oulâd-Naïl, toucher et ébranler à la fois coule parallèlement au littoral, et trouve
la province de Constantine et celle d'Al- enfin son issue à la mer , à quelques
ger. Le centre de ces oscillations , qui kilomètres à l'est de Mostaganem.
embrassait dans sa largeur méridienne Une des circonstances qui caractérisent
la moitié de l'Algérie, était un]col compris le cours du Chélif, la grande rivière du
entre deux hautes masses de montagnes, Tell , c'est qu'il sort du même berceau
le Dira et l'Ouennoura. Il occupe l'ex- que l'Ouad-el-Djedi , la grande ligne
trémité occidentale du large éventail de fond du Sahara , le fleuve Triton de
dessiné par les rameaux supérieurs de l'antiquité. A quelques kilomètres à peine
l'Ouad-Akbou. Là , sur un de ces af- des gorges qui recèlent les sources de
fluents , existaient les ruines d'une ville l'une s'ouvrent les gorges qui recèlent
romaine appelée Auzia , qui déjà à l'é- les sources de l'autre.
poque où les agitateurs numides inquié- Cependant il s'en faut encore de beau-
taient la domination romaine avait joué coup que le Chélif puisse se comparer
un rôle important dans les annales de à nos cours d'eau d'Europe. Dans la par-
ALGÉRIE. 61
tieinférieure de son cours il n'est point des et de feuillages, on lit une inscription
navigable , et dans la partie supérieure tumulaire consacrée à la mémoire de
il demeure presque toujours à sec. C'est l'évéque Reparatus. La date se rapporte
sur cette branche supérieure, au milieu à une ère spéciale qui la fait remonter
de la grande plaine saharienne du Sersou, aux premièresannées du cinquième siècle.
qu'est la station de Tagguîn , où s'ac- Orléansville offre cela de particulier
complit en 1843 l'enlèvement de la que parmi les monuments antiques dé-
zmala d'Abd-e! Kader par M. le duc couverts jusqu'ici la plupart appartien-
d'Aumale. nent au christianisme.
Le cours inférieur du Chélif se dé- La ville est située au bord du Chélif,
roule entre les deux massifs de l'Ouer- dans la plaine longue et monotone com-
senis etjdu Dahra , qui furent dans ces prise entre l'Ouersenis et le Dahra elle
;
dernières [années les deux principaux a suivi la progression hiérarchique de
foyers d'insurrection. Aussi est-ce dans tous nos établissements qui de camps
le bassin de ce fleuve que la domination ou même de simples postes se sont éle-
française a formé le plus grand nombre vés au rang de! cités. Elle compte une
relatif d'établissements. 11 en existe trois population européenne d'environ 700
sur les confins méridionaux du Tell : habitants, dont la moitié sont Français.
Boghar, à l'entrée de la rivière, dans Mais il paraît que cette fondation n'entre
la région des terres de labour et sur la pas encore dans les besoins et les ha-
route des caravanes qui d'Alger s'ache- bitudes indigènes; car la; population
minent vers le sud; indigène en résidence fixe se réduit à
ïeniet-el-Had, à l'extrémité orientale quatre personnes, et la population flot-
de l'Ouersenis ; tante est presque nulle.
Tiaret, à la source de la Mina, le Quant aux deux autres postes, Ammi-
principal affluent du Chélif. Mouça et Sidi-bel-Hacel, ils en sont en-
Sur la ligne médiane, celle qui partage core au premier degré de l'échelle hié-
en deux la largeur du Tell , le Chélif ne rarchique, celui de simples postes.
compte pas moinsdecinq établissements
français, qui sont Médéa , Miliana, Or- iWk Médéa.
léânsville, Ammi-Mouça et Sidi-bel-
Au premier rang des établissements
Hacel. Les deux premiers existaient fondés ou conservés par les Français
avant la conquête; autres sont
les trois dans le vaste bassin du Chélif figurent
d'origine française. les deux villes originairement indigènes
La place où s'élève aujourd'hui Or- de Médéa et de Miliana. Elles forment
léansville portait, avant que les Français
deux des principaux anneaux de la grande
s'y fussent installés, le nomd'El-Asnam
chaîne médiane tendue par l'occupation
(les idoles). Il y existait des ruines française de l'est à l'ouest de l'Algérie
considérables. On y a retrouvé depuis entre le littoral et le Sahara, chaîne
un grand nombre d'antiquités curieuses, dont l'importance;, mal comprise après
et particulièrement le pavé en mosaïque
une première apparition de nos troupes
d'une des plus anciennes basiliques de
à Médéa, après une autre apparition à
la chrétienté. Une inscription écrite en
Mascara, qui eut lieu quelques années
grands caractères la fait remonter aux
plus tard , après le séjour temporaire
premières années du troisième siècle.
d'une garnison française à ïlemcen, ne
La mosaïque n'a pas moins de quarante
fut mise dans tout son jour que par la
pas de longueur sur vingt-deux de lar-
prise et l'occupation définitive de Cons-
geur, sans y comprendre les bas-côtés,
tantine et de Sélif.
qui étaient séparés de la nef par deux
rangs de colonnes. A l'une des extré- vi.r . Médéa.
mités de ce pavé se trouvait l'autel et Aux détails donnés sur cette ville
îu-devant un agneau percé d'une flèche dans la première partie de cette publi*
3t des poissons. Le poisson était
autre- cation nous n'ajouterons que le com-
foisune image symbolique du christia- plément nécessité par les faits accom-
nisme. A l'extrémité opposée, au milieu plis depuis cette époque.
rime belle rosace entourée de guirlan- L'armée française prit définitivement
l'univers.
possession de Médéa le 17 mai 1840, long d'environ 25 mètres et large de 8,
dix ans après la première expédition construit en moellons et couvert en tui-
rapportée dans la notice que nous com- les; c'était une usine fondée par Abd-el-
plétons. Les Français trouvèrent la ville Kader. La façade, d'un style moderne,
déserte; elle avait été entièrement éva- reposait sur trois arceaux réguliers en
cuée par les habitants , qui depuis sont plein cintre. Cet établissement contenait
revenus en grand nombre se ranger sous cinq fourneaux à la catalane alimentés
la loi française. par une trompe ; une retenue d'eau prati-
Au commencement de 1847 la popu- quée dans le ravin faisait mouvoir un
lation indigène de Médéa
se composait martinet , auprès duquel on trouva quel-
de 3, 578 indigènes, dont 2,887 musul- ques ébauches grossières de bayonnettes.
mans, 65 nègres et 626 Israélites. Le territoire de Miliana paraît réunir
Quant à la population Européenne, plusieurs éléments de prospérité indus--
elle comptait 1,390 personnes, dont 776 trielle; on assure que le Zakkar ren-
français. ferme une mine de cuivre et un magnifî-:
que banc de marbre. On a trouvé dans le
Miliana,
voisinage de la ville des gisements de sul-
Le 8 juin 1840 les Français entrèrent fure de plomb , d'oxyde et de carbonate
à Miliana; ils la trouvèrent abandonnée de fer. Près de la forge d'Abd-el-Kader
par les habitants et livrée aux flammes. il existe de riches affleurements, qui, se-
Cette ville est située à 900 mètres lon toute apparence, ont fourni leur mi-
environ au-dessus du niveau de la mer, nerai à l'usine créée par l'émir; car on
et dominée au nord par le mont Zak- a retrouvé autour de l'établissement dei
kar, qui a lui-même 1,534 mètres d'élé- débris de même nature.
vation. Les magnifiques vergers qui La domination romaine a laissé à
l'entourent, les eaux vives qui l'arrosent Miliana des traces non équivoques d^
et l'animent, le voisinage imposant du son passage ; un reste de voie romaine
Zakkar , font de Miliana l'un des sites existe encore aux environs de la ville;
les plus pittoresques de l'Algérie. le temps a même conservé la façade d'ur
Elle présentée formed'une ellipse res- édifice qui date de cette époque. Beauj
serrée entre deux ravins, dont les escar- coup de blocs de marbre dont plusieurs
pements naturels lui serventde remparts. portent des bas-reliefs et des inscrip-
La kasba occupe l'une des extrémités tions gisent épars dans l'intérieur d<
du grand axe. Comme la plupart des cités Penceinte. L'un de ces bas-reliefs repré
musulmanes, la ville est sillonnée de rues sente un homme à cheval, tenant un»
étroites et tortueuses. Les maisons sont épée dans une main et un rameau dam
construites en pisé blanchi à la chaux; l'autre.
elles secomposent d'un rez-de-chaussée Au commencement de 1847 la populaj
et d'un étage avec une galerie quadran- tion indigène de Miliana se composai
gulaire intérieure, forme habituelle des de 1,247 habitants, et la populatioi
maisons moresques. Un oranger ou un européenne de 1,210, dont 793 Français
citronnier planté dans la plupart des
cours y répand son ombre et ses par- La Makta.
fums ; une multitude de canaux souter- À la vallée du Chélif succède, dans 1
Ife camp Perregaux , qui porte le nom général de Ternir , le point de départ de
d'un des martyrs de la conquête; puis sa fortune.
un simple poste-étape jeté sur la route Selon les traditions locales recueillies
d'Oran à Mascara, et enfin Mascara elle- par les Taleb, ces archivistes de l'Algérie,
même. Deux autres établissements fran- Mascara aurait été bâtie par les Ber-
çais situés aux sources méridionales de bères sur les ruines d'une cité romaine.
la rivière,Saïda et Daïa, appartiennent L'étymologie d'ailleurs lui assignerait
à cette ligne de vigies permanentes éle- une origine guerrière car Mascara si-
;
vées en 1844 sur les confins du Tell , là gnifie la ville aux armées.
où les tribus sahariennes viennent an- Cette ville, telle que les indigènes nous
nuellement chercher leur pain. l'ont laissée, se divise en plusieurs par-
Le second bras de la Makta , le Sig, ties séparées entre elles . La villed'abord,
possède deux établissements de nature puis faubourg de Baba-Ali au nord
le ,
par la compagnie de l'Union du Sig et le petit faubourg à l'est, et enfin celui d'Ar-
poste de Sidi-bel-Abbès, où eut lieu dans koub-Ismaïl, construit, il y a moins d'un
les premiers jours de 1845 l'audacieux siècle ,
par les Turcs.
coup de main de soixante-huit visionnai- La deux portes , et une po-
ville avait
res indigènes enrôlés sous la bannière terne ou porte de secours, donnant sur
mystique de Mouléï-Taïeb (1). un ravin qui la traverse. De belles eaux
De ces différents nœuds
qui forment provenant d'une source abondante y ar-
leréseau actuel de l'occupation française rivaient par des canaux d'une distance de
dans le bassin de la Makta le plus" im-
, 3,000 mètres.
portant est Mascara, ville de création Les Français, devenus maîtres de
indigène qui fut sous les Turcs le siège
,
Mascara, l'approprièrent à leur usage.
du beylik de l'ouest jusqu'au moment Le petit faubourg de l'est disparut, et
de l'évacuation d'Oran par les Espagnols, les trois autres, réunis par une enceinte
et dont l'occupation définitive par les continue, forment aujourd'hui une seule
Français eut lieu le 30 mai 1841. et même place , traversée par un cours
d'eau qui ne tarit pas , l'Ouad-Sidi-Tou-
Mascara. dman.
Mascara a unekasba ou citadelle, si-
A quarante-cinq
kilomètres au sud de tuée au nord et isolée de la ville par une
Mostdgnem s'élève une montagne qui muraille en pisé; elle possède en outre
domine au nord lecoursdel'Habra. Elle a plusieurs mosquées remarquables par l'é-
été baptisée par les indigènes du nom pit-
légance de leur architecture, un îondouk
toresque de Chareb°er-Rih, la lèvre du
ou caravansérail , un marché un pa- ,
vent, parce que les bourrasques qui fré-
lais, qui fut la résidence des beys, et la
quemment s'engouffrent dans ses gorges caserne des réguliers de l'émir dans la
y font entendre des bruits sourds sem- kasba.
blables à de grandes et mystérieuses pa-
Les environs de Mascara, dans un
roles. Le sommet de Chafeb-er-Rih voit
rayon de plusieurs kilomètres, étalent
se dérouler autour de lui un magnifique
une végétation riche et active la vigne, :
panorama au nord la mer depuis Oran
:
Je figuier de Barbarie, le figuier d'Eu-
jusqu'au Chelif à Test les montagnes
;
rope, y mêlent leur verdure à celle de l'o-
qui bordent les deux rives du fleuve;
livier, de l'amandier , du coignassier et
au sud les dernières cimes de la chaîne
de plusieurs arbres fruitiers de nos cli-
au delà de laquelle commence le Sahara.
mats.
C'est sur le versant méridional du
La guerre a ruiné l'industrie de Mas-
Chareb er-Rih, et au-dessus de la plaine
cara ; mais au temps de sa prospérité elle
d'Eglires, qui fut le berceau d'Abd-el-
exploitait une
spécialité importante :
Kader, qu'est assise l'ancienne capitale
c'était fabrication de ces bernous
la
du beylik de l'ouest , l'ancien quartier
noirs qui jouissaient dans toute la Bar-
barie d'une juste réputation d'élégance
'
(i) Nous ferons connaître plus tard l'ori- et de solidité.
gine et la nature de ces associations. Dans les premiers temps de sa for-
oi L'TJMVERS.
tune, l'émir avait formé le projet d'é- hautes roches" d'un rouge ardent encais-
tablir àMascara le siège de son gou- sent les deux rives et servent de base à
,
placer cette ville parmi les colonies mi- isolés les uns des autres et munis de
litaires. M. Azema de Montgravier,
qui remparts. Ils portaient les noms des dif-
s'est livré à des études spéciales sur férents corps d'état qui les habitaient.
ïlemcen a observé une analogie géné-
, Les ouvrages qui sortaient de leurs
rale dans le caractère des ruines qui ateliers étaient en général fort recher-
bordent la frontière occidentale de l'Al- chés ; c'étaient, des casaques de laine ap-
gérie. Il a signalé en outre une ressem- pelées kabbout, d'ouest venu sans doute
blance curieuse entre ces ruines et les notre mot capote , de riches tapis, des
constructions militaires retrouvées sur sayes et des mantes si fines, qu'il s'en
les bords du Rhin et dans d'autres pays trouve, dit Marmol , qui ne pèsent pas
limitrophes entre les Romains et les dix onces. Us fabriquaient en outre des
barbares. harnais de prix avec de beaux étriers,
Mais laissons la colonie des Gordiens des mors, des éperons et des têtières, les
dormir dans la tombe que le temps et meilleures qui se fissent alors en Afri-
le génie des peuples africains lui ont que, dont les ouvriers, ajoute encore
creusée, et revenons à la ville musulmane, Marmol , gagnent bien de quoi vivre et
quitintlerang de capitaledepuis le milieu de quoi passer leur temps.
du treizième siècle jusqu'au milieu du Au midi de la ville s'élevait le palais
seizième. du roi. C'était une forteresse fermée
Toutefois, dès avant le treizième siècle de murailles ; deux portes y donnaient
Tlemcen occupait déjà une place émi- accès.L'une d'elles, celle d'Agadir, a lé-
nente parmi les villes d'Afrique; car gué son nom à un faubourg en ruines que
sous le règne d'Abou-Tachfîn, le premier l'enceinte actuelle laisse en dehors , et
des Almoravides , elle ne contenait pas qui fut construit originairement sur la
moins de 16,000 feux, ce qui suppose nécropole romaine; ce qui apparaît par
une population de 90,000 habitants. le grand nombre de pierres tumuiaires
Environ deux siècles après, sous la et d'inscriptions votives que l'on y dé-
dynastie des Beni-Zeïan , Tlemcen ren- couvre. Les historiens qui ont assisté
fermait tout ce qui caractérise les gran- au déclin de Tlemcen parlent avec ad-
des villes, de belles et riches mosquées, et miration de la fraîcheur et de l'abon-
cinq grandes écoles ornées de mosaï- dance des eaux que la muniOcence des
ques, élevées par les princes Zenata. princes berbères avait fait venir par des
Des revenus affectés à l'entretien de conduits souterrains; des maisons de
ces établissements permettaient d'offrir plaisance que les habitants s'étaient fait
l'instruction gratuite à un certain nom- bâtir autour de la ville pour y passer
bre de jeunes musulmans qui venaient ,
l'été, et enfin des forêts d'oliviers, de
y étudier, sous les maîtres les plus re- noyers, de vignes et d'arbres à fruits de
nommés, le dogme
religieux et les scien- toutes sortes qui ombrageaient au loin la
ces naturelles. Ajoutez à cela des bains campagne. Léon l'Africain, qui aécrit ses
et des fondouks ou caravansérails, où voyages en Europe et qui avait parcouru
les négociants, qui à cette époque d'immenses contrées, dit n'avoir vu en
faisaient un grand commerce avec la aucun autre lieu autant de cerises qu'il
Guinée, entreposaient la poudre d'or, en vit à Tlemcen.
l'ambre gris le musc de civette et les
, Au commmencement du seizième
autres productions de ces contrées loin- siècle capitale des Beni-Zeian était,
la
taines. Les relations commerciales entre encore une ville puissante. Mais alors
Tlemcen et le pays des noirs étaient une série d'événements , provoqués par
si actives et si lucratives , qu'il suffisait, l'imprudence des habitants eux-mêmes,
suivant Marmol, de deux ou trois voya- vint la précipiter dans un abîme de
ges pour faire la fortune d'un trafi- maux, et nous donne le secret de la plu-
quant. Parmi les fondouks il y en avait part des grandes destructions dont le
deux réservés aux marchands génois et sol de l'Afrique porte l'empreinte.
vénitiens . qui venaient y acheter, pour C'était en 1517; il y avait deux ans
les verser en Europe , les marchandises que Barberousse s'était emparé d'Alger ;
apportées par les caravanes. il y en avait huit que les Espagnols
La ville était divisée en quartiers occupaient Oran. Deux factions rivales
5e Livraison. ( Algébie.)
m L'UNIVERS.
se disputaient le gouvernement de Tlem- et ses sept fils et pendre avec la toile
cen. L'une avait à sa tête Bou-Zeïan, de leurs turbans aux piliers de la galerie.
frère du dernier roi, et l'autre Bou- En même temps il se faisait amener
Hammou, qui était son fils. tous les membres de cette famille, et les
Bou-Zeïan s'appuyait sur le suffrage précipitait lui-même dans un étang
des Arabes, et à ce titre sa cause parais- prenant plaisir, dit Marmol , à leurs
sait la plus juste; mais Bou-Hammou postures et à leurs grimaces.
avait invoqué l'assistance des Espagnols, Enfin, pour couronner toutes ces
et il était demeuré le plus fort. A l'aide atrocités par une dernière il attira chez
,
de ce secours étranger, de cette dange- lui soixante et dix des principaux habi-
reuse intervention des chrétiens, il avait tants, de ceux qui l'avaient appelé à
détrôné son oncle, et le tenait en prison. leur secours, et les fit massacrer sous
Sur ces entrefaites Haroudj-Barbe- ses yeux , dans la crainte , disait-il, qu'ils
rousse s'empara de Tènès. Cette expédi- ne conspirassent contre lui. Après quoi
tion lerapprochait de Tlemcen. Les par- il se fit proclamer roi de Tlemcen sous
tisans de Bou-Zeïan voyant en lui le
, l'autorité du grand seigneur.
champion de la guerre sainte, lui dé- C'est de cette manière que, suivant
putèrent deux des principaux habitants les écrivains espagnols , Tlemcen tomba
pour l'informer de la situation de leur une première fois au pouvoir des Turcs.
ville et implorer son secours en faveur Mais leur triomphe devait être aussi
du roi légitime contre l'usurpateur que court qu'il avait été cruel et félon.
les armes infidèles leur avaient imposé. Bou-Hammou avait pris la fuite avec
Barberousse ne laissa point échapper ses femmes, ses enfants et ses richesses,
une si belle occasion; et, confiant Alger plus heureux dans sa défaite que son
à la garde de son frère Khaïr ed-Din, compétiteur dans sa victoire. 11 s'était
lieues d'Oran ( septembre 1517). Mais venait, lui aussi, invoquer l'assistance
à peine l'action était-elle engagée, que des Espagnols contre les Turcs. Le mar-
ses troupes prirent la fuite, écrasées par quis de Comarès lui accorda immédia- j
instruments nouveaux dont les Arabes, mes. Bou-Rekkaba sut si bien en tirer ;
Maître de la ville, Barberousse sembla cents hommes sont massacrés; les deux
disposé à tenir sa promesse; du moins cents qui survivent se sauvent à Oran
il fit mettre le prince en liberté. Mais où ils vont porter cette triste nouvelle.
quelques jours après, feignant d'aller Comarès ne perd pas un instant , et
prendre congé de lui , il le fit saisir lui fait partir le colonel Martin Argote avec
,,
ALGÉRIE. 67
leur victoire. Il assiège la place, y ouvre mune, qui porte les hommes à concen-
une brèche à l'aide de la mine, et la trer dans un seul toutes leurs espérances
force à capituler. Mais à peine la con- et toutes leurs craintes, elle se flatta qu'a-
vention était-elle signée qu'une querelle vec Barberousse la piraterie avait dis-
s'engage entre un Turc et un chrétien; paru; mais elle reconnut bientôt quel
celui-ci tue son adversaire on court aux : mécompte l'avenir lui réservait.
armes les Espagnols oublient la parole
: Bou-Hammou , rétabli sur le trône,
qu'ils viennent de donner et massacrent s'engagea à payer à l'Espagne un tribut
la garnison. annuel de 12,000 ducats d'or, douze
Martin Argote marche alors sur Tîem- chevaux et six gerfauts femelles; rede-
cen,où il joint ses forces àcelles du cheik vance qu'il acquitta fidèlement pendant
Bou-Rekkaba. Barberousse s'y était en- toute sa vie.
fermé, attendant avec impatience le Mais Abdallah, son frère et son suc-
détachement que Martin Argost venait cesseur, rompit letraité, à l'instigation de
de détruire. Bientôt menacé au dedans quelques marabouts et surtout de Khaïr-
pressé au dehors, le corsaire sentit qu'il ed-Din, et refusa de rien payer. En mou-
n'y avait plus pour lui de chances de sa- rant il laissa deux fils, Mouleï-Abd-Aîlah
lut que dans la fuite. Il ramasse donc et Mouleï- Ahmed. Ce dernier, qui était le
ses richesses, et sort secrètement par une plus jeune , obtint l'appui de Khaïr-ed-
poterne, emmenant avec lui tous ses Din, et s'empara du pouvoir. Abd-Allah
Turcs et quelques Arabes; mais le colonel se jeta alors dans les bras des Espagnols,
Argote, informé de son départ, s'atta- Le gouverneur d'Oran lui donna un dé-
che à ses traces, et le poursuit durant tachement composé de six cents hommes
l'espace de trente lieues. Barberousse a et de quatre bouches à feu, et commandé
recours à une dernière ruse. Il répand par Aifonse Martinez. Cette troupe par-
sur son chemin de l'or, de l'argent mon- tie d'Oran s'avança péniblement jusqu'à
nayé, de la vaisselle et tous les objets cinq lieues de Tle'mcen ; là elle fut enve-
précieux qu'il emportait avec lui peut- : loppée par une multitude d'Arabes et
être les Espagnols s'arrêteront-ils a les taillée en pièces. Des six cent hommes il
ramasser. Mais il n'en fut rien. Aban- n'y en eut que vingt qui parvinrent à re-
donné par quelques-uns de ses compa- gagner Oran; treize furent faits prison-
gnons accablé de fatigue et de soif, le
, niers ; le reste périt.
corsaire se jette en desespéré dans les Charles-Quint sentit qu'il ne pouvait
ruinesd'uneancienneforteresse.Là,avec laisser la domination espagnole sous le
le petit nombredhommesqui lui restent coup d'un pareil échec, et chargea le
fidèles, oppose encore une résistance
il comte d'Alcaudète de le venger. Ce gé-
héroïque. Mais l'alferez Garcia de Tineo néral quitta Oran le 27 janvier 1543, à
lui porte un coup de lance qui le ren- la tête de neuf mille hommes d'infan-
verse, et se précipitesur lui; Barberousse terie et de quatre cents chevaux.
jeté à terre combat encore , et dans un A peine fut-il éloigné de la ville de
effort suprême le blesse à la main. Enfin quelques lieues que des nuées d'Arabes
il succombe. Sa tête est aussitôt séparée commencèrent à l'assaillir et le harcelè-
de son corps; elle fut portée à Oran au rent sans relâche jusqu'auprès deTlem-
bout d'une pique, et promenée, dit-on ,
cen. Là il trouva l'armée de Mouleï-
dans toute l'Espagne comme un glorieux Ahmed , et engagea contre elle un corn*
trophée. Ses vêtements, qui étaient de bat plus sérieux et plus décisif.
brocard cramoisi, furent envoyés à A cette époque l'arquebuse était en-
Cordoue et déposés dans le monastère de core pour les Africains une arme nou-
Saint-Jérôme, où les religieux en firent velle, qu'ils maniaient avec peu d'a-
une châsse que l'on montrait encore long- dresse. Aussi l'armée espagnole eut-elle
temps après sous le nom de Capa de plus à souffrir de leurs flèches que de
JSabaroxa. leurs balles. .Néanmoins la victoire resta
68 L'UNIVERS.
aux chrétiens et le comte d'Àlcaudète
, nom de l'Espagne, l'alliance qui s'offrait
put bivouaquer sur le champ de bataille. à et passa aussitôt en Andalousie
lui ,
Le lendemain l'armée entra dans Tlem- pour y lever des troupes. Il revint bien-
cen qu'elle saccagea d'un bout à l'au-
,
tôt à Oran, et entra en campagne avec
tre, dit Marmol tuant ou faisant pri-
, un corpsde dix-huit cents hommes. Cette
sonnier tout ce qu'elle rencontra. fois il fut accueilli à bras ouverts par
Le comte d'Alcaudète resta quarante toutes les tribus qu'il traversa. Chacune
jours àTlemcen. Il avait réinstallé Abd- lui envoyait son contingent; il voyait
Allah dans sa capitale ; mais pendant ce à chaque pas grossir ses troupes. Com-
temps Ahmed recrutait des partisans bien cette expédition différait de la pre-
parmi les tribus, et à peine les Espagnols mière, où les mêmes tribus Pavaient
avaient-ils quitté la ville, qu'il reparut harcelé jusqu'aux portes de Tlemcen !
pieds de son frère, qui venait de remon- l'armée turque, et les circonstances fa-
ter sur le trône. vorables qui avaient marqué le début
Cependant les Turcs n'avaient point de l'expédition lui faisaient attendre im-
encore réussi à se maintenir dans Tlem- patiemment la lutte qui allait s'engager.
cen. Maîtres de presque toutes les vil- Mais il était écrit que cette fois encore
les de l'Algérie, ils regardaient avec et sans combat , Tlemcen échapperait
raison la conquête de cette capitale aux Turcs.
d'un royaume comme le complément Tandis que l'armée arabe-espagnole
nécessaire de leur domination. Ils sai- s'approchait de la ville, un envoyé du
sirent pour l'entreprendre le premier roi de France le chevalier de Lanis
,
Ahmed se hâta de quitter Tlemcen , et monté sur un cheval noir, donna le si-
se réfugia à Oran ; et l'on vit, par un sin- gnal du départ (l).
gulier retour de fortune, ce prince, qui Mouleï-Ahmed ne demeura pas long-
avait combattu les Espagnols, qui avait temps sur le trône où l'intervention
anéanti une de leurs colonnes, venir espagnole venait de le replacer. Mais
implorer leur protection contre les
Turcs, ses anciens alliés. (i) Histoire d'Alger, par M. Ch. de Piota-
ALGÉRIE.
cette fois l'initiative des intrigues qui Haroudj Barberousse fuyant de Tlem-
,
blissait l'autorité turque à Alger , il s'é- craignit de risquer une bataille si loin
levait Maroc une dynastie nou-
dans le d'Aiger. Il fallut que le Berbère Abd-el-
velle , des chérifs , dynastie non
celle Aziz, indigné de la faiblesse du chef
moins ambitieuse que l'occupation es- s'élançât lui-même à la tête de ses ban-
pagnole et le gouvernement turc. Elle des kabiles et entraînât Ses Turcs par
avait établi à Fès le siège de son auto- son exemple. Bientôt il atteignit le ché-
rité. C'est là que, délaissé par Hacen-Pa- rif, le tua, et décida le gain de la bataille.
cha , le prétendant, frère de Mouleï- Ah- Les Turcs entrèrent en triomphe dans
med avait cherché un refuge. A l'aide
, Tlemcen qui fut livrée au pillage pen-
,
des intelligences qu'il s'était ménagées, dant plusieurs jours. Enfin Hacen le
il parvint à se créer un parti à Tlemcen Corse convoqua en conseil les chefs
et quand il le crut assez fort il éleva de l'armée pour statuer sur le sort de
,
de nouveau ses prétentions , et sollicita leur nouvelle conquête. Il fut décidé que
l'intervention marocaine. l'autorité des princesmaures serait abo-
Le chérif, qui convoitait pour son nou- lie, que Tlemcen recevrait une garnison
vel empire le beau royaume de Tlemcen, turque et serait gouvernée par un lieu-
trouva l'occasion favorable et l'accueillit. tenant du pacha. Le kaïd Saffa, Turc
En 1550 une armée marocaine, forte de naissance, et l'un des premiers offi-
de dix mille hommes entra en campa- , ciers de l'armée, fut désigné pour en
gne elle était commandée par les deux
: être le premier gouverneur. Il resta donc
fils du sultan , Mouleï- Abd-el-Kader et dans Tlemcen avec quinze cents janis=
Mouleï-Abd-Allah. saires, dix pièces d'artillerie et un ap=
Mouleï-Ahmed ne les attendit pas , et provisionnement considérable de mu=
se réfugia à Oran. Les deux frères en- nitions de guerre (1).
trèrent sans résistance dans Tlemcen. L'armée victorieuse reprit le chemin
Abd-Allah se chargea d'occuper la ville, d'Alger, portant devant elle au bout
tandis que son frère irait entreprendre d'une pique la tête d'Abd-el-Kader , le
de nouvelles conquêtes. Use dirigea d'a- ehérif vaincu. Pour conserver la mé-
bord sur Mostaganem. moire d'une expédition aussi glorieuse,
A la nouvelle de cette marche auda- Hacen-Pacha voulut que cette tête res-
cieuse, Hacen-Pacha réunit à la hâte tât suspendue dans une cage de fer,
toutes les troupes disponibles. Il de- sous la voûte de la porte Bab-Azoun*
manda aussi des secours à Abd-el-Aziz, Elle y demeura jusqu'en l'année 1573
cheik des Beni-Abbès (1), qui accourut C'est ainsi que l'ancien royaume de
lui-même à la tête de ses Berbères. L'ar- Tlemcen devint une province turque.
mée fut placée sous les ordres d'un Retardée une première fois par la mort
renégat corse , nommé Hacen : elle se d'Haroudj-Barberousse, ajournée une se-
composait de cinq cents arquebusiers re- conde fois par ia mort de Khaïr-ed-Din,
négats ou turcs , de mille spahis et de cette conquête ne s'accomplitque trente
dix bouches à feu. Le chérif n'osa point deux ans après la première tentative,
attendre des forces aussi considérables ; alors que toutes les villes de l'Algérie
il se retira en ravageant le pays et chas- reconnaissaient déjà l'autorité turque.
sant devantlui des milliers de chameaux, Pendant ces trente-deux années Tlem-
de moutons et de bœufs, produits de cen fut tour à tour ravagée par les rois
ses razia. Mais tout ce butin retardait maures qui se la disputaient, par les
sa marche , et les Turcs l'atteignirent au Espagnols, par les chérifs et par les
passage d'une rivière, la même, dit Turcs , qui, sous le nom des rois maures,
Haëdo , où trente-deux ans auparavant se la disputaient aussi.
j) L'une des princij les tribus de la Ka- (i) Histoire d'Alger, par M, Ch. de Roi;<
bilie. lier.
70 L'UNIVERS.
Enfin elle échut aux Turcs, dont elle que sollicitude pour la conservation
complétait l'empire naissant, et pendant de ces monuments, un peu délabrés, de
trois siècles elle fit partie de la régence. l'art moresque au moyen âge. L'étude
Après tant de vicissitudes désastreuses et la restauration de ces édifices peut
Tlemcen aurait pu encore se relever, si le exercer une salutaire influence sur l'art
règne qui commençait eût été celui de moderne redevenu un peu trop païen.
,
cen il existe un autre monument histo- pulations, et enfin qu'il y flotte encore.
rique ; c'est le camp de Mansoura Le Sahara fut longtemps défiguré par
rectangle long de treize cents mètres, les exagérations des géographes et par
large de sept cent cinquante, entouré de les rêveries des poètes. Compris sous
murs et flanqué de tours. La destination deux dénominations qui, à raison de leur
guerrière de cet établissement se recon- généralité, s'excluaient mutuellement,
naît à la régularité de son trace. On voit appelé par les uns grand désert, ce qui
que l'enceinte précéda la ville. Ce camp entraînait l'idée de la stérilité et de la
'
fut en effet construit pour l'installation désolation; appelé parles autres pays
d'une armée, dans le cours du qua- des dattes, ce qui impliquait l'idée de la <
sitôt il fit part de sa découverte à ses terre rougeâtre sous ses pieds, autour
compagnons de voyage, et les engagea de lui le silence, la nudité, la solitude ,
vivement à creuser le sol. Mais il s'adres- il fut saisi d'un tel accès de peur, qu'il
sait à des hommes que le décourage- rebroussa chemin, regagna au plus vite
ment rendait incrédules, et ne put rien en son village et ses palmiers, et renonça
obtenir. 11 eut alors recours à un moyen pour toujours aux voyages.
extrême : il promit un réal par coup de Le sentier blanchâtre quitraverse l'É-
pioche. Stimulés parl'appâtd'un salaire tang du Salut s'appelle le chemin des
aussi énorme, quelques voyageurs se marabouts. Voici, suivant la légende,
mirent au travail. On compta les coups l'origine de ce nom Quelques bons der-
:
sud de la Galle, dans le Sahara, a la place de sable qui les sépare a été produite,
du petit lac figuré sur les cartes, il doit par des atterrissements successifs. Ainsi
exister un lac immense. » Je lui fis con- en des temps beaucoup plus rapprochés
naître alors l'accord qui existait entre de nous s'est fermée la communication
des indications puisées à deux sources si de la mer avec l'étang d'Aigues-Mortes
différentes. où saint Louis s'embarquait au dou-
Il serait bien étonnant qu'un accident zième siècle pour la contrée qui possède
physique aussi remarquable que le lac le lac Triton.
Melrir n'eût pas frappé vivement l'ima-
gination des anciens. C'est dans le voi-
Oasis du Ziban. — Biskra. — Sidi-
Okba.
sinage du Melrir que devait se trouver le
lac triton. Mais le rétrécissement consi- Le Ziban au nord , TOuad-Souf au
dérable des dimensions et l'ignorance sud sont les deux oasis les plus rappro-
des phénomènes particuliers à cette, chées des bords de l'ancien lac Triton.
grande plaine embarrassaient beaucoup Le Ziban se compose de trente-huit
les géographes. Comment, en présence villes ou villages et de dix-huit tribus,
d'un étang vulgaire, s'expliquer l'antique formant ensemble une population d'en-
renommée du lac Triton et surtout l'hon- viron 1<J0 ? 000 âmes.
neur insigne d'avoir produit Pallas, la Biskra est le chef-lieu politique de
déesse de la guerre et de la prudence? l'oasis; Sidi-Okba en est la métropole
Aujourd'hui il ne peut plus rester de religieuse.
doutes. Non-seulement le lac Melrir, La ville de Biskra est située au pied
avec ses gouffres vaseux et son immense des versants méridionaux de l'Aurès, et
étendue, occupe la place du lac Triton; de la longue chaîne de montagnes qui,
mais il est digne en tout point de le re- dans l'est de l'Algérie, sépare le Tell du
présenter. Sahara. Elle est formée de cinq petits
Jl n'est pas jusqu'à la fable de Pallas quartiers , entièrement séparés les uns
qui ne s'explique. L'idée de prudence des autres, et d'une petite citadelle, qui
est comme associée à toutes les descrip- les domine tous, citadelle occupée jadis
tions que les indigènes font du Melrir. par les Turcs et maintenant par les
Us disent proverbialement pour caracté- Français. L'architecture, comme celle
riser un homme d'une prudence con- de toutes les villes du Sahara, en est
sommée : Il pourrait aller seul dans le plus que simple; les maisons sont en
Melrir. Imprudent est celui qui s'aven- général construites en briques de terre
ture sans guide dans ces steppes redou- séchées au soleil, que les Arabes appel-
tables. Enfin combien n'a-t-il pas fallu lent Tôb; elles sont couvertes de ter-
de prudence à ces marabouts qui les rasses grossières reposant sur bois de
premiers ont traversé l'Étang du salut ! palmier. La population est d'environ
Doit-on s'étonner que dans l'enfance 3,000 âmes.
des religions les hommes aient fait naître C'est le 4 mars 1844 qu'une colonne
la déesse de la prudence dans des lieux française, commandée par M. le duc
où il faut tant^ de prudence pour se di- d'Aumale, a pris possession, sans aucune
riger ? résistance , de cette ville saharienne.
Plus de doute non plus sur le fleuve Malheureusement la petite garnison
Triton de l'antiquité : c'est l'Ouad-el- qu'on y avait laissée fut surpriseet mas-
Djedi actuel, qui traverse le Sahara al- sacrée quelque temps après par Moham-
gérien dans les deux tiers de sa largeur, med-Sghir, khalifad'Abd-el-Kader; mais
vient passer un peu au-dessous de Bis- la ville rentra immédiatement en notre
kra , et va porter le tribut de ses eaux pouvoir; et depuis cette époque aucun
dans les abîmes vaseux d'où est sortie acte d'hostilité n'est venu troubler la
Pallas. Il est vrai que la géographie an- tranquillité dont elle jouit.
cienne fait déboucher ce fleuve dans le On a trouvé dans la citadelle de Bis-
fond de la petite Syrte ; mais on sait kra une pièce de canon du temps de
aujourd'hui que les étangs du Melrir Henri IL Elle portait le millésime de
s'avancent très-près du golfe de Gabès, et 1 549, avec le chiffre de Diane de Poi tiers.
il est très-probable que la petite langue Par quelles vicissitudes ce monument de
74 L'UNIVERS.
notre histoire nationale s'est-il trouvé cales, c'est sur les bords de cette rivière
transporté dans les landes du Sahara? qu'eut lieu le combat à la suite duquel
C'est ce qu'il serait sans doute difficile le général musulman Okba-ben-Amer
de dire. Cette pièce a dû être rapportée fut fait prisonnier par les chrétiens.
en France, où elle avait été fondue il y La grande mosquée consacrée à la mé-
trois siècles. moire de ce général est surmontée d'un
Le 7 mars, trois jours après la prise haut minaret, qui, s'il faut admettre une
de Biskra, M. le duc d'Aumale se rendit croyance bien vieille, tremble de lui-
à la tête de sa colonne dans la ville sainte même toutes les fois que l'on prononce
de Sidi-Okba, située à quatre lieues au le nom de Sidi-Okba.
sud est de Biskra. Comme toutes les Nous n'avons encore parlé que des
cités, villes ou villages du Sahara, oasis planes, telles que l'opinion vul-
elle est entourée de magnifiques jar- gaire accréditée jusqu'en ces dernières
dins, où le palmier domine et où tous années se les figurait toutes. Mais le
lesarbres à fruits lui font cortège. Vue Sahara, et en particulier le Sahara algé-
de Biskra, toute cette végétation se rien, a aussi ses oasis montagneuses.
dessine comme une ligne noire sur le Telles sont l'Ouad-Souf et l'Ouad-Mzab,
fond blanchâtre du Sahara. situées l'une et l'autre à la limite mé-
Au moment où M. le duc d'Aumale ridionale naturelle de nos possessions,
entra dans la ville, le khalifa d'Abd-el- dans la région où le drapeau de la con-
Kader Mohammed-Sghir venait de la quête n'a pas encore pénétré, l'Ouad-
quitter. Le prince occupa la maison même Souf dans l'est du côté de Tunis, l'Ouad-
que lieutenant de l'émir avait habi-
le Mzab dans l'ouest du côté du Maroc.
tée. 11 la visite de tous les nota-
y reçut Quoique montagneuses l'une et l'au-
bles de la ville, et de là se rendit avec eux tre, elles ont cependant chacune leur
dans la mosquée de Sidi-Okba. A l'ins- cachet particulier.
tant où il franchissait le seuil du temple, L'Ouad-Souf est située dans un laby-
tous les Tolba, qui sont les marguilliers rinthe de montagnes de sable, qui absor-
de la paroisse musulmane, entonnèrent bent immédiatement comme autant d'é-
à l'unisson la Khotba, prière spéciale ponges les pluies les plus abondantes. On
pour le souverain correspondant à notre dirait de hautes et largesdunes, et il est en
Domine saloum. C'était la première fois effet hors de doute que la mer en a jadis
qu'une pareille manifestation retentissait baigné le pied : comment expliquer par
dans une mosquée en présence d'un une autre cause la présence des nom-
prince chrétien, et cette manifestation se breuses coquilles marines que l'on y
produisait au milieu des plages saha- rencontre ?
riennes, sur lesquelles la France venait Les replis de ce labyrinthe recèlent
d'imprimer sans coup férir le sceau de sa huit petites villes ou villages, dont les
domination. habitations couvertes de dômes pointus
Après la prière, le prince pénétra dans présentent exactement l'image de ru-
la Kobba, sanctuaire inviolable , où re- ches. Ils produisent les plus belles
posent depuis près de dix siècles les dattes du Sahara, celles que l'on appelle
restesdu général quia soumis aux armes très-improprement en France dattes de
musulmanes les terres du Magreb. Le Tunis. Il est bien vrai qu'elles passent
tombeau est recouvert d'un drap de soie par Tunis pour nous arriver. C'est là
verte, où des inscriptions sont brodées une anomalie que le développement de
en soie blanche. Une pierre porte une notre domination doit faire cesser. Mais
inscription en caractères koufiques, qui elles n'en appartiennent pas moins au
remonte aux premiers temps de l'isla- terroir de nos possessions; et l'Algérie
misme. méridionale les revendique comme une
La ville de Sidi-Okba est arrosée par de ses belles spécialités.
un ruisseauappeléOuad-Braz (la Rivière Lorsque le voyageur commence à dé-
du combat); il descend du Djebel- Au- couvrir les montagnes de l'Ouad-Souf,
rès, et va porter l'excédant torrentiel' de cette multitude de cimes coniques dénu-
ses eaux dans POuad-el-Djedi , l'ancien
v
dées par le vent, colorées d'une teinte
fleuve Triton. Suivant les traditions lo- uniforme et blanchâtre, produit l'effet
ALGÉRIE. 75
fantastique d'un camp lointain dont on des précautions que les habitants sont
n'apercevrait que les sommets des ten- obligés de prendre contre l'impétuosité
tes. C'est sans doute pour ce motif que des torrents. Lorsque vers le nord le
les anciens géographes arabes l'avaient ciel s'assombrit, des cavaliers partent en
désignée sous le nom de Kitoun-el-Raï= toute hâte dans cette direction, qui est
dha( la tente blanche). celle du cours supérieur des eaux, et
La situation de cette oasis impose vont s'échelonner de distance en distance
aux habitants une servitude pénible; le sur les points culminants de la berge. Si
vent qui dénude la cime des collines, en la pluie est tombée sur le plateau du
chasse les sables dans les villages cons- Feïad, le torrent ne tarde pas à se mon-
truits à leurs pieds ; aussi voit-on les trer. Alors le plus avancé des éclai-
Souafa occupés du matin au soir à dé- reurs tire un coup de fusil; répété de
blayer leurs cours et leurs jardins pour sommet en sommet par tous les autres,
éloigner l'invasion qui les menace sans ce signal télégraphique parvient à la
cesse. ville en quelques minutes. A l'instant on
court aux jardins qui occupent le lit
Oasis de l'Ouad-Mzab.
même du torrent; on éveille tous les
L'oasis de l'Ouad-Mzab se présente hommes qui s'y seraientendormis; on en-
hérissée de montagnes presque nues et lève tous les objets qui pourraient de-,
complètement arides. Les aspérités ro- venir la proie des eaux. Bientôt un bruit
cailleuses du massif sont séparées par horrible annonce l'irruption; le sol des
des vallées couvertes d'une épaisse cou- jardins disparaît sous les flots, elia cité
che de sable ; là s'élèvent au milieu des saharienne se voit transportée comme
palmiers huit petites villes habitées par par magie au bord d'un fleuve large et
la population la plus active et la plus rapide, d'où sortent, pareilles à de pe-
commerçante de toute l'Algérie. Il n'y tites îles de verdure, les innombrables
a pas un'seul de nos établissements soit têtes des palmiers ; décoration éphé-
du littoral, soit de l'intérieur, où les né- mère qui en quelques jours se sera éva-
,
i
gociantsde l'Ouad-Mzab n'aientde nom- nouie.
breux comptoirs. Les huit villes de l'oa- Ces circonstances, communes à toutes
comptent ensemble 36,000 âmes, et
sis les villes de l'Ouad-Mzab, donnent une
Cellesn'ont pas moins de 3,036 négociants idée de la roideur des lignes d'écoule-
établis sur les différents points du Teli ment et de la dépression considérable du
Ique nous occupons. Tous les témoi- lac saléd'Ouaregla où elles vont abou-
,
gnages indigènes sont unanimes sur tir. Il est probable que le sol de cette
l'importance commerciale de Rardeïa, dernière oasis et de celle de Tuggurt,
chef-lieu de l'oasis. Qu'une caravane qui en forme presque la continuation,
aussi nombreuse, aussi chargée, aussi ne se trouvent qu'à une faible hauteur
|
inattendue qu'elle puisse être, arrive à au-dessus du niveau de la Méditerranée*
Rardeïa : en quelques heures eile a ef-
Régime des eaux sahariennes.
j
Biskra et Sidi-Okba, dont nous avons ques années de service s'arrêtent tout
déjà parié, la reçoivent de deux cours à coup et dont le niveau se maintient
,
une idée exacte du rôle qu'elle joue, de la cours aux Mzada (1), car on marche
place qu'elle occupe dans le réseau de quelquefois dix jours de suite sans ren-
la circulation générale. contrer un seul puits.
D'ailleurs lorsqu'on pénètre dans les A la difficulté résultant du manque
parties sablonneuses soit du Sahara soit d'eau vient s'ajouter la crainte des Got-
du désert, l'aspect du sol ne révèle plus taxa ou Coupeurs de route, misérables
rien ; la trace du voyageur qui passe est bandits qui appartiennent généralement
bientôt emportée par le vent; vaine- à de petites tribus logées dans des po-
ment y chercherait-il le long sillon blanc sitions presque inaccessibles, et qui vont
battu et frayé qui lui sert de guide dans s'embusquer sur le passage des caravanes.
le Tell; c'est à d'autres signes qu'il Nous ne dironsqu'un motdes dangers
doit se reconnaître. La tige d'un pista- d'une autre espèce dont on menace
chier un buisson de lotus , la tête blan-
, bien à tort les voyageurs dans le Sahara.
che d'une colline de sable ou même la Le lion du désert est un mythe : popu-
cime lointaine d'une montagne sont les larisé par les artistes et les poètes, il
jalons naturels qui lui tracent sa route à n'existe que dans leur imagination. Cet
travers les solitudes. animal ne sort pas de la montagne où
Quelques repères artificiels l'aident il trouve de quoi se loger , s'abreuver
encore à se diriger : tels sont par exemple et se nourrir. Quand on parle aux ha-
les Nza , monuments malheureusement bitants de ces contrées des lions que la
trop nombreux de l'anarchie et du dé- savante Europe leur donne pour com-
sordre où nous avons trouvé l'Algérie. pagnons, ils répondent avec un imper-
Voyageant un jour en compagnie de turbable sang-froid : « Il y a peut-être
plusieurs Arabes, je fus étonné de les chez vous des lions qui boivent de l'air,
voir successivement s'arrêter pour ra- et broutent des feuilles, mais chez nous,
masser une pierre et plus étonné de il leur faut de l'eau courante et de la
voir l'un d'eux m'en présenter une. chair vive. » Aussi ne paraissent-ils pas
Avant d'accepter cette offre étrange, dans le Sahara.
j'en demandai l'explication. « Nous al- Assurément le lion n'est pas rare en ,
après nous arrivâmes à côté d'un amas gnes du Sahara en recèlent quelques-
informe de cailloux, qui pouvait avoir uns ; mais ils ne descendent jamais dans
un mètre et demi de hauteur. Chacun la plaine.
de mes compagnons y jeta la pierre qu'il Les deux seules bêtes redoutées du)
tenait à la main en disant : Au Nza de voyageur sont la vipère et le moustique.
1
Bel-Gaceml J'en fis autant quand mon Toutefois, le nombre des lieux habités!
tour fut venu. Le Nza est un amas de par les vipères est assez restreint. Quant
pierres amoncelées une à une par la aux moustiques, ils abondent dans le
piété persévérante, des voyageurs sur le voisinage des eaux fléau des animaux
:
lieu témoin d'un meurtre qui n'a pas été et des hommes ils s'attaquent aux yeux
,
vengé. Ces monuments désignés par le des gazelles et font souffrir à ces pau-
nom de la victime atteignent quelque- vres petites bêtes d'horribles tortures.
fois plusieurs mètres de hauteur. Mais c'est seulement aux approches
Deux choses font le mérite d'une des oasis septentrionales que le mous-
route aux yeux des Arabes, l'eau et la tique est redoutable; il ne s'aventure
sécurité. Les voyageurs africains che- pas dans la région des sables. Celle-ci
minent parétape; ils partentavantle lever ne compte parmi ses hôtes indépen-
du soleil , et marchent jusques vers le dants que des animaux inoffensifs. Les
milieu du jour; ils s'arrêtent alors en-
(i) Outres faites de la peau d'un jeune
viron deux heures.
'
Dans le Tell on trouve généralement chameau.
ALGÉRIE, 79
En résumé le Sahara avec ses sahles, et dans les pays dépourvus d'eau ou ex-
peut-être à cause de ses sables, est la ploités par les coupeurs de route.
terre promise du voyageur indigène; Les voyageurs qui s'adjoignent à' la
car il y trouve des nuits presque tou- caravane ne sont soumis à aucune disci-
jours sereines , un lit presque toujours pline; il n'existe d'autre solidarité en-
doux et un sol presque toujours sec. tre eux que celle des périls à éviter et
L'homme est le seul ennemi dont il ait à du but à atteindre. S'il survient une
redouter les attaques; encore ce danger attaque, chacun d'eux ne prend conseil
;
y est-il moindre que partout ailleurs. que de sa présence d'esprit et de son
courage, et fait isolément ce qu'il peut
Diverses manières de voyager. — La pour repousser l'ennemi ou pour l'éviter,
gafla ou caravane marchande. car il est bien rare que des dispositions
Lorsqu'on veut entreprendre un voyage aient été prises pour la défense du con-
i dans le Tell dans le Sahara ou dans le
, voi aussi les accidents de cette nature
;
i
désert ce qu'on a de mieux à faire est
, ne manquent-ils jamais d'y occasionner
: de s'adjoindre à une caravane; il y en a un grand désordre.
de deux sortes , la gafla ou caravane Les caravanes du genre de celles
marchande, et la nedja ou tribu en que l'on appelle gafla sont presque en-
mouvement. La gafla accepte tous ceux tièrement composées d'hommes dont
qui se présentent, et les protège tant la principale affaire est le négoce. Ce-
qu'ils veulent la suivre; elle ne leur de- pendant les femmes n'en sont pas ex-
mande ni d'où ils viennent ni où ils clues, et il ne paraît pas extraordinaire
vont; c'est un omnibus. La nedja se devoir des veuves privées de tout autre
montre plus exigeante; il faut y être moyen d'existence continuer person-
connu de quelqu'un, ce qui équivaut à nellement le commerce de leur mari.
la présentation d'un passe-port. Il faut
presque y retenir sa place; c'est une di- La nedja ou tribu en marche.
ligence. La gafla est une aggrégation d'hom-
La usage plus général
gafla est d'un mes dont la plupart ne se connaissent
;
que bornée par sa nature à un
la nedja , pas ; elle a une marche grave, silencieuse
;
petit nombre de tribus et de directions. et monotone. La nedja, au contraire,
Il existe dans toutes les villes de c'est la tribu avec ses femmes , ses chiens,
[quelque importance desfondouk ou ca- sestroupeaux ses tentes et tout le ba-
,
sur le champ de bataille, et le lende- privation. C'est de cette manière que les ^
gli, parce que les gens d'Ouaregla y chanté spontanément devant le fils du
formaient la majorité des travailleurs ; à roi des Français, dans la mosquée sa-
Alger, c'était les gens de Biskra; on harienne de "Sidi-Okba , la plus sainte
les appelait Biskri. Ils exerçaient par- et la plus lointaine du pays conquis.
ticulièrement les professions de cano-
Voyageurs isolés.
tiers et de porte-faix et trouvaient dans
le mouvement de ces deux ports un Les caravanes et les tribus ne circu-
travail lucratif et assuré. lent ni en tout temps ni dans toutes les
L'apparition des Français à Alger éleva directions; aussiles Arabes sont-ils sou-
subitement le prix de la journée à 1 fr. vent obligés de voyager isolément/S'ils
50 c. et 2 francs. L'attraction qui déter- connaissent bien la route, ils partent
minait le mouvement d'émigration vers seuls, marchant le jour quand elle est
le nord n'en fut que plus énergique. sûre, marchant la nuit et se cachant le
Alger devint le point de mire et en , jour lorsqu'ils arrivent dans le voisinage
quelque sorte l'Eldorado des travailleurs de quelque tribu mal famée.
sahariens. En général, lorsque l'on traverse des
Quel que soit l'espoir de fortune qui tribus, il est toujours imprudent d'aller
porte les hommes à s'expatrier, c'est seul. Le plus sûr est de se placer sous la
toujours un sacrifice pénible que de quit- protection d'un mekri (loué). C'est un
ter sa famille et son pays, et le Saharien homme qu'on loue pour servir à la fois
ne s'y détermine pas sans réflexion. de guide et de sauvegarde. Il appartient
Mais aussi quand chaque soir, après à la tribu elle-même dans laquelle on
Une journée laborieuse, il se trouve pos- doit passer, et sous ce rapport il pré-
sesseur d'un pauvre terrien (1), qui ne lui sente toute garantie. Le prix du mekri
assure que sa nourriture du lendemain, est peu de chose; un mouchoir, un fi-
'quand il voit son travail invariablement chu; un simple ruban dont on lui fait
fixé au taux modique de 25 centimes, présent pour sa femme. On le lui remet
sans aucune chance d'amélioration, alors avant le départ; c'est un gage plutôt
Ile courage l'abandonne ou plutôt le cou- qu'un salaire. A partir du moment où il
rage lui revient ; il prend vaillamment l'a reçu, le mekri devient la providence
son parti, et se décide à faire son tour du voyageur, qui ne s'appartient plus et
d'Afrique, comme nos ouvriers font leur se repose entièrement sur son guide du
tour de France, Une caravane part : il la soin de sa sûreté. Dès l'instant du départ
suit, et atteint d'abord une autre ville du il s'établit entre eux une solidarité com-
|
réalisé quelques centaines de francs d'é- dangereuse, à l'avance il prend parmi
conomies. Pour faire valoir ce petit ca- ses amis une escorte suffisante pour
ipital , il le transforme en marchandises, effectuer le passage en sûreté; il ne lui
jqu'il emporte dans son pays. Sur le pro- en coûte rien que de rendre en pareille
duit delà vente il dote une femme, il occasion le même service à d'autres. En-
[achète une maison et un jardin, Au fin jusqu'à ce qu'ils aient atteint le terme
|
bien-être dont il jouit alors se rattache, convenu, le mekri répond de son pro-
[même involontairement, le souvenir de tégé; devant qui? Devant Dieu, sans
;
la source où il l'a puisé. Voilà pourquoi doute, qui lit au fond de la pensée des
la France compte plus d'amis dans le hommes car la fidélité du guide est une
;
i
Sahara que dans la banlieue d'Alger. vertu innée chez les Arabes on ne cite :
il apprend a connaître les difficultés et les farine de blé grillé des petits pains ronds
ressources du pays qu'il traverse; et s'il et plats; mais s'il doit être long, on se
se retrouve dans la nécessité de parcou- contente de la rouîna, qui gêne moins et'
rir lamême route, cette fois il part seul à se conserve mieux.
ses risques et périls, ou bien il cherche Un autre instrument indispensable
quelques compagnons de voyage, et or- au voyageur, c'est le bâton (okkaz); il'
ganise une petite caravane, dont il de- sert à tuer les serpents, les vipères et
vient, moyennant une légère rétribution, autres bêtes nuisibles; il sert aussi à
le chef et le guide. tenir à distance les chiens des tribus,
animaux éminemment insociables.
Équipement du voyageur arabe. JMuni de son mezoued et de son bâton
Le voyageur n'est pas toujours sûr de l'Arabe est équipé pour les plus longues
trouver l'hospitalité dans les tribus. S'il traversées; mais à la condition de trou-
n'y connaît personne, il court le risque de ver de l'eau en route.
coucher à la belle étoile et de vivre d'air et Il est vrai que les pays qu'il traverse
d'eau. D'ailleurs, quand on n'est pas en n'en sont pas toujours fort abondamment,
nombre, et qu'on ne veut pas faire la dé- pourvus; c'est pourquoi l'équipage de!
pense d'un mekri, il est prudent, avons- route exige souvent un nouveau meuble,;
nous dit, d'éviterles tribus. Ajoutonsque la chenna; il est du reste aussi simple
lorsqu'on s'engage dans le Sahara, on et aussi peu embarrassant que les autres,^
doit s'attendre à traverser des landes in- C'est encore une peau de chevreau; mais
habitées. Il est donc sage de prendre ses elle dif ère du mezoued parle mode dé
mesures pour se passer du secours des préparation. Celle-ci conserve son poil
hommes et d'emporter ses provisions et reçoit à l'intérieur une couche de gou-
pour toute la route. Elles consistent dron' Les trous sont cousus et goudron-
quand on y met du luxe, dans une pâte nés avec soin, à l'exception d'une des
formée de rouîna, de dattes et de beurre, pattes qui reste ouverte pour emplir le
le beurre étant destiné, dit-on, à pré- vase ou le vider. Grâce à l'imperméabilité
server d j la soif; mais le plus souvent, des coutures et à l'enduit prést rvatif, l'eau
elles se réduisent à la rouîna. Or, la rouîna peut s'y conserver l'espace de dix jours
n'est autre chose que du ble grillé dans sans éprouver la moindre altération.
une poêle et broyé à la meule de mé- Ainsi la chenna sur une épaule , le me-
nage. La farine obtenue ainsi est intro- zoued sur l'autre, un bâton à la main,
duite et pressée dans une peau de mouton l'Arabe peut traverser des steppes im-
ou de chèvre tannée, et teinte en rouge, menses , arides et inhabités, et cela à
que l'on porte en sautoir derrière le dos. raison de auinze lieues par jour,; car il
ALGERIE. 8S
température à peu près au même degré l'horizon avait entièrement changé d'as- \
jusqu'au milieu d'octobre; cependant on pect. Toutes les montagnes étaient blan-
observe de légères différences entre les ches depuis le pied jusqu'au sommet.
mois d'été. A Alger le mois le plus chaud Nous consultâmes alors notre thermo- :
de Tannée paraît être le mois d'août ; mètre; il ne marquait plus que 13°. La
du moins dans l'intervalle des sept an- température avait donc baissé de 23°.
jj
fournie six fois par le mois d'août et profit par quelques personnes, qui eurent
une fois par le mois de septembre. A
j
let, une fois au mois de juin et une fois qui apportentdans la température des mo-
au mois d'août. difications presque instantanées: tantôt il
La température moyenne du mois le s'annonce par une bourrasque violente,
plus chaud, calculée pour les sept années, qui enlève les tentes et renverse les che-
est à Alger de 29° et à Paris de 23° minées; quelquefois il prélude par un
21'. La différence, qui est de 5° 79', re- calme plat, auquel succède un souffle d'a-
présente à peu près la différence entre bord faible mais toujours brûlant. Lors-
l'été d'Alger et celui de Paris. A Alger la que le sirocco a soufflé pendant quel-
température moyenne du mois le plus ques heures, le soleil se couvred'un voile
froid est de 15° 39' ; à Paris elle est de 0° rougeâtre ; une poussière imperceptible
72'. La différence, emi est de 14° 67', re- se répand dans l'air et le trouble. Le vent
présente à peu près la rigueur relative du désert produit sur la peau une im-
des deux hivers, et l'on voit encore pression de chaleur qui la dessèche la ;
ALGÉRIE. m.
n'est pas jusqu'aux animaux qui ne res- vanche l'été doitcommencer plus tôt,finir
sentent lès mêmes effets ; toute la nature plus tard, et conserver pendant tout
vivante éprouve un trouble indéfinis- le temps de sa durée des températures
sable. plus élevées et plus uniformes.
Heureusement cette crise atmosphé-
État électrique et hygrométrique
rique ne dure pas longtemps sur le lit-
:
de l'air.
toral elle se prolonge rarement au-delà
de quarante-huit heures ; alors la brise Il s'en faut de beaucoup que l'impres-
de mer reprend le dessus, et replace tous sion de la chaleur sur les organes dé-
les organes dans des conditions norma- pende uniquement de l'effet mécanique
les. Dans l'intérieur la brise de mer ar- de dilatation accusé parle thermomètre,
rive plus faible, le sirocco se montre plus $iie se combine encore de l'influence de
tenace; lorsqu'il a soufflé plusieurs l'électricité et des variations qui sur-
jours de suite , on voit la température viennent dans la pesanteur et l'humi-
s'élever à 45°. dité de l'atmosphère.
Ce phénomène, vraiment redoutable Je ne sais s'il a été fait en Algérie des
par l'influence qu'il exerce sur tous les observations électrométriques continues;
êtres vivants, ne se produit en général mais tout le monde peut y constater
que trois ou quatre fois dans l'année. l'extrême rareté des orages ; l'état élec-
L'année 1839 est une de celles où il a trique de l'atmosphère s'y écarte donc
été le plus fréquent. Alger l'a ressenti peu des conditions normales, ce qui
huit fois, savoir le 7 mai, le 14 et contribue encore à adoucir l'effet des
er
le 21 juin, le 1 et le 14 juillet, le 16, hautes températures, que les orages,
le 18 et le 26 août. si fréquents en France rendent presque
,
remonte aussi davantage pendant l'été. que c'est par les ascensions et les dépres-
Il neige presque tous les ans à Cons- sions d'une colonne de mercure introduit
tantine, à Sétif, à Médéa, à Miliana et à dans un siphon de verre renversé que
Tlemcen : en revanche , il n'est pas rare l'on mesure les fluctuations de la co-
d'y voir le thermomètre s'y élever pen- lonne d'air répandue sur nos têtes.
dant l'été à 36°. La colonne de mercure étant très-
Dans le Sahara lui-même l'hiver est courte à raison du poids de ce métal
plus rigoureux que sur la côte; il ne les variations sont très-faibles; mais
se passe pas une année où l'on n'y voie elles correspondent à des variations
de la glace le givre y est assez fréquent ;
: énormes dans la hauteur correspondante
on ne parvient à préserver les jeunes de l'athmosphère. On peut s'en faire
palmiers de l'action meurtrière du froid une idée par un calcul bien simple. La
qu'en les garnissant depuis le pied jus- hauteur de noire atmosphère a été
qu'à la tête de débris végétaux Les Saha- . évaluée à environ vingt lieues, ce qui
riens, interrogés sur les températures ferait quatre-vingts kilomètres. Suppo-
de leur région natale, disent que l'hi- sons qu'il y en ait soixante-seize, cela
ver d'Alger serait le printemps pour eux; simplifiera le calcul. Chaque centimètre
que dans leur pays ce n'est pas trop de de mercure fait donc équilibre à un
deux ou trois bernous pour se couvrir kilomètre d'air et chaque centimètre de
pendant l'hiver, tandis que sur la côte un variation dans la hauteur de mercure
seul suffit toujours. Il est vrai qu'en re- produit une variation d'un kilomètre
86 L'UNIVERS,
dans la hauteur de la colonne. Ainsi huit ans a été de 0,774
quand dans le baromètre le niveau du A Paris elle a été de 0,772
mercure s'abaisse ou s'élève seulement Le baromètre d'Alger a donc dépassé
d'un millimètre, on est averti que le ni- dans ses plus grandes ascensions moyen-
veau supérieur de l'atmosphère s'a- nes le baromètre de Paris de deux mil-
baisse ou s'élève de cent mètres. limètres. Ce sont les dépressions baro-
On comprend dès lors comment il se métriques qui amènent les tempêtes,
fait qu'ilsurvienne des tempêtes lors- qui agitent les nerfs, qui fatiguent la
que le baromètre descend seulement de tête, qui rendent enfin ce qu'on appelle
trois centimètres au-dessous de son ni- très-improprement le temps lourd. Eh
veau normal puisque cet abaissement,
, bien, c'estjustementdans lesdépressions
si faible en apparence, correspond en que le baromètre d'Alger est au-dessus
realité à un soubresaut de trois mille de celui de Paris. Dans les ascensions
mètres dans la hauteur de la colonne il atteint à peu près le même niveau.
Alger et à Paris. A Paris il est des- d'Alger est dans les conditions assignées;
cendu une fois à 0,729, c'est-à dire à aux climats les plus doux et les plus
31 millimètres au-dessous de son point réguliers, puisque les plus grandes os-'
normal. A Alger il n'a pas dépassé 0,731. dilations atmosphériques s'éloignent;
La moyenne de ces huit observations également dans les deux sens de la po-,i
extrêmes donne la valeur du plus grand sition d'équilibre.
écart moyen ; voici les nombres : C'est à l'ensemble de ces conditions;
AAlger la moyenne des moindres climatériques qu'il faut attribuer un effet
hauteurs annuelles du baromètre pendant remarquable souvent observé par beau-
huit ans a été de 0,746 coup de personnes. En se rappelant à
A Paris elle a été de 0,734 Paris, sous l'influence de certains jours
Le baromètre d'Alger s'est donc tenu d'été, l'impression produite sur leurs or-
même dans ses plus fortes dépressions ganes par les mêmes températures sous
au-dessus de celui de Paris de douze le climat d'Algérie, ces personnes cons-
millimètres, ou en d'autres termes les tataient quà température égale on
affaissements de la masse atmosphéri- souffre plus de la chaleur à Paris qu'à
ques ont eu moyennement 1200 mètres Alger.
de profondeur de moins à Alger qu'à
État du ciel.
Paris.
Les mouvements d'ascension donnent Les rhumes, les catharres, et toutes
une différence beaucoup plus faible. les affections de poitrine qui apportent
,
A Alger la moyenne des plus grandes une si triste compensation aux douceurs
hauteurs annuelles du baromètre pendant de la capitale, sont des infirmités très-
,
ALGÉRIE. 87
tie aux causes que nous venons d'ana- d'abord l'attention du voyageur , c'est
lyser. Il est impossible que les consti- la teinte rougeâtre qui colore leurs
tutions faibles ne ressentent pas doulou- vieilles murailles. Beaucoup de ces restes
reusement le contre-coup de ces gran- d'antiquité ont reçu des indigènes le
ies aberrations du thermomètre et du nom de Kasr-el-Ahmer (le Château-
saromètre. Mais l'effet doit être aussi Rouge), nom qui constate la réalité et
ittribué à l'état du ciel. Sous l'action la généralité de cette impression. Il en
)ienfaisante d'un rayon de soleil quelle est de même des roches naturelles , lors-
souffrance ne se sent pas soulagée? qu'elles sont restées durant plusieurs
Quelle organisation délicate n éprouve siècles exposées au contact de l'air. De là
3as d'indicibles malaises en présence encore le nom de Rêf el-Ahmer (la
l'un cielsombre et brumeux? Roche-Rouge) très-prodigué dans la
Les poètes et les touristes ont célébré géographie indigène. Il suffit de déta-
a splendeur du soleil d'Afrique; mais cher un fragment de la pierre ou de la
eurs descriptions, quelque charme roche pour se convaincre que le vernis
aient d'ailleurs, laissent tou-
ju'elles général répandu à la surface est une cou-
ours du vague dans l'esprit. Essayons leur d'emprunt. Au-dessous de leur sur-
ionc d'exprimer par des nombres l'effet face rougeâtre on retrouve la couleur
datif qu'ils ont cherché à rendre par naturelle de la pierre, qui quelquefois est
les images. d'un gris presque noir, comme par
J'ai compté , pour une période de neuf exemple à Constautine.
;ns les jours de beau temps
, de temps, Rien de semblable n'a lieu en France.
'ouvert et de brouillard à Paris et à Les édifices passent en vieillissant du
Llger. Le résultat de cette supputation, jaune-pâle, qui est la couleur de la pierre,
iivisé par 9, donne le nombre annuel d'abord au gris sale, puis au gris de
inoyen de jours sereins, nuageux ou deuil , et enfin , après plusieurs siècles
fumeux dans les deux capitales. d'existence, ilsdeviennentpresque noirs,
I
Le nombre des beaux jours, calculé comme nos cathédrales gothiques. Le
insi,se trouve être, à Paris de 174 temps n'a donc pas pour la France le
1
eus onze siècles de brume? quel monu- l'année. Comme si le ciel eût été épuisé j
ment ne se colorerait pas d'une teinte par cette saignée, le reste du mois se
splendide et chaude sous l'action de ces passa sans pluie.
quatre siècles de soleil? La saison des grandes sécheresses
Cependant, il s'élève quelquefois à commence vers le milieu de mai. Dès
Alger, même pendant la belle saison, des lors plus de pluie, plus même de nuage :
la cataracte paraissait se calmer; mais plus d'eau à Alger qu'à Paris, et que
elle se ruait bientôt avec une nouvelle dans le mois le plus sec il en tombe
violence. La plus forte averse eut lieu le 2 cent quatre-vingt-huit fois moins.
dans la matinée ; elledura de onze heures Il tombe moyennement à Paris dans
et demie du matin jusqu'à une heure, une année quatre cent quatre- vingt deux
c'est-à-dire une heure et demie. Elle pro- millimètres quarante et un centièmes
duisit quarante-neuf millimètres d'eau ; d'eau, mesurés sur la terrasse de l'Obser-
,,
ALGÉRIE. S9
vatoire royal ; à Alger il en tombe huit mort a diminué tous les ans; et, enfin ,
villes. A Paris cent quarante-deux jours moindre chiffre. Voilà doneune ville qui
de pluie; à Alger cinquante-six; deux d'un état désespéré est revenue progres-
fois et demi moins. sivement à des conditions normales de
Alger reçoit deux fois plus de pluie salubrité, et cette transformation s'est
et compte deux demie moins de
fois et accomplie dans l'espace de treize ans.
jours pluvieux; il tombe donc dans cha- Boufarik, au milieu de la Métidja,
que jour de pluie cinq fois plus d'eau est encore un de ces établissements mal
à Alger qu'à Paris. famés qui se réhabilitent peu à peu. Ce-
pendant elle perdait encore en 1845
Mortalité.
4,04 habitants sur 100. Blida, au con-
Lamortalité telle que les registres de traire, avec son horizon pittoresque et
l'état civil la constatent ne représente sa ceinture d'orangers, passait pour un
pas encore en Algérie l'effet normal des paradis terrestre. Eh bien, la morta-
propriétés climatériques que nous ve- lité y était encore en 1845 de 6,62 !
nons d'analyser. Elle se combine de • Alger, qui possède toutes les ressour-
causes étrangères et accidentelles inhé- ces des grandes villes, qui compte
rentes à la naissance des sociétés. Elle dix-huit années d'une existence cons-
'
Bône, 2,82 0/0 Guelma, 2,23 0/0 massescolossales de béton; tantôt ce sont ;
Miliana,
Alger, 3,64 2,56 que d'une commotion souterraine. A
Tenès, 4,96 Mascara, 2,81
Guelma on a trouvé des murs en pierres
Mostaganem, 3,70 Tlemcen, 1,76 ]
doit représenter à peu près la distance ait conservé à l'histoire des témoins sem-
qui sépare la condition sociale des deux blables à ceux que l'ancienne capitale
pays, les deux états de civilisation. de la Mauritanie Césarienne recelait au
Mais il est hors de doute que les amé- fond des eaux. Les colonnes, les statues,
liorations de toute nature introduites les pans de mur que l'on a retrouvés
,
ALGÉRIE, 9*
<jue je trouve mentionné dans l'histoire ficiers du génie. Il existe encore dans
noderne ne remonte pas au delà du dix- cette maison, qui à cette époque ve-
niitièmesiècle.IleutlieuàAIger,enl716. nait d'être construite ou au moins ré-
La première secousse arriva le 3 février; parée, quelques traces des effets du
îlle fut assez violente pour renverser tremblement de terre.
me partie de la ville. Un grand nom- En1825 ce fut le tour de Blida. Dans
>re d'habitants restèrent ensevelissous l'espace de quelques secondes la ville
es décombres. Les autres, épouvantés, fut renversée. On dit que les habitants
^enfuirent hors des portes, et allèrent entreprirent, quelques jours après la
ïamper dans les champs ; ils commen- catastrophe, de construire une nouvelle
cependant à se remettre de leur
taient ville, dont on voit encore les murs en
Première frayeur et à rentrer dans leurs avant de Blida. Mais de nouvelles se-
foyers, lorsque, le 26, une nouvelle se- cousses les obligèrent à y renoncer, et
cousse presque aussi forte que la pre- ils se résignèrent alors à attendre sous
seconde faible, qui eut lieu précisément tremblements de terre survenus en Al-
à la même heure, c'est-à-dire à huit gérie de ceux du moins dont le sou-
,
heures après , à sept heures trente mi- rugueuse qui borde le fond du golfe de
nutes. Le même jour, à huit heures Bougie. De temps en temps des bruits
vingt-minutes du soir, on entendit un sourds et souterrains s'élèvent des flancs
roulement souterrain. de ces montagnes , et appellent l'atten-
Le 27 , à une heure trois minutes du tion de toutes les tribus voisines. A
ALGERIE.
îhacun des massifs d'où sortent ces dé- bouleverse le sol , celle qui a détruit
crétions mystérieuses, la crédulité Alger en 1716, Oran en 1790, Bïida
lopulaire attache invariablement le en 1825. Ils ont remarqué que la petite
10m et le patronage d'un grand mara- zenzela est très-fréquente; et ils la re-
out. Le plus célèbre est Djoua. à Il' gardent comme fort irrégulière. Quant
onné son nom à la haute montagne au à la grande zenzela, ils assurent qu'elle
ommet de laquelle ses restes reposent, revient tous les trente ans. L'intervalle
lorsque le roulement accoutumé s'é- de trente-cinq ans qui sépare les deux
eve des profondeurs de la terre, les dernières catastrophes justifierait assez
Labiles croient fermement que c'est leur bien cette croyance, qui si elle était
rat qui tire le canon. Quelques-uns fondée nous menacerait d'un violent
oême prétendent en avoir vu la fumée. tremblement de terre vers l'année 1855.
'ai demandé à l'un d'eux si dans ces C'est justement à la même époque,
moments le sol tremblait; mais je n'ai en 1854, qu'une autre croyance, appuyée
iu en obtenir d'autre réponse que sur l'autorité d'une préâiction écrite,
elle-ci « Le sol tremble toujours quand
: place la venue du Moul-es-Saa, de ce
î canon parle. » messie conquérant qui doit étendre son
Quoi qu'il en soit le canon de Djoua
, empire sur les trois États de l'ancien
st pour toutes les tribus qui l'en'ten- . Magreb. Sans accorder à ces deux
ent un signal de réjouissance. Dès les croyances plus d'importance qu'elles
remiers coups les Kabiles seréunissent, n'en méritent il sera prudent de mettre
,
t font des collectes dont le produit est à profit le temps qui nous sépare de cette
oiployé en divertissements. La fête se formidable échéance pour consolider en
3rmine, comme il convient, par une Algérie nos édifices et notre domination.
îcture solennelle de la Fatha, qui est la
rière d'actions de grâces. ANTIQUITÉS.
Les indigènes paraissent s'être mis \
ié dans les anciennes maisons mau- Il est peu de contrées dont les vicissi-
îsques en démolition une précaution tudes puissent se comparer à celles de
'xcellente prise par les constructeurs l'Afrique septentrionale. A l'origine des
aur consolider les angles. Elle consis- traditions, nous la trouvons libyenne
tât à placer horizontalement, de cin- et numide dans l'est, gétule et gara-
quante en cinquante centimètres de hau- mante dans le sud, maure dans l'ouest.
;!ur, des pièces de bois d'environ deux
Les différents peuples qui l'habitent en
,tètres de longueur. Ces pièces, noyées ces âges primitifs sont autant de rameaux
ms la maçonnerie, se prolongeaient d'un même tronc, du tronc aborigène.
ternativement suivant chacun des deux Dans la suite des temps elle devient
mrs, et venaient se croiser dans l'an- tour à tour carthaginoise, romaine,
je. J'ai vu des maisons sapées à la base,
vandale, grecque et arabe.
p
à moitié démolies, se soutenir en- Alors une révolution immense s'ac-
,)re grâce à cet artifice de
construction. complit; le joug étranger se brise de
Tous les indigènes ne partagent pas lui-même; l'Afrique autochtone rentre
i confiance superstitieuse des Kabiles dans ses droits; et non-seulement elle
u mont Djoua. Éclairés par de sinis-
conserve l'indépendance durant six
es exemples , ils connaissent les effets
siècles , mais elle étend son empire de-
•rribles de ce phénomène, qu'ils
appel- puis l'oasis de Sioua, qui sépare les dé-'
ant zenzela. Quelques-uns
reconnais- serts de la Libye de ceux de l'Egypte ,
;nt une grande et une petite zenzela.
jusqu'aux Pyrénées. C'estàl'issuede cette
>a grande zenzela est celle qui préci- période qu'elle passe sous la domination
se les édifices dans la mer, celle qui turque.
94 Ï/CJNIVERS.
L'Algérie, et en particulier le territoire
Ses annales religieuses nous la pré-
chré- de Guelma, ont ouvert aux savants oc-
sentent successivement idolâtre ,
ALGÉRIE. 95
la langue africaine des premiers âges ; prise au fond des solitudes, sur les ro-
par malheur les preuves manquaient. chers de la Libye déserte.
La meilleure de toutes eût été celle qui Walter Oudney se fit tracer quelques
serait résultée de la confrontation de lettres berbères, et les reproduisit dans
ces caractères avec la langue africaine le journal de son voyage; il en donna
de nos jours. Mais partout l'idiome ber- dix-neuf, dont quatre se réduisent à
bère paraissait en possession exclusive des assemblages de points.
des caractères arabes. Nulle part il ne Quelque incomplète que fût la com-
produisait des signes qui lui fussent munication de Walter Oudney , elle
propres. fournissait un premier spécimen d'al-
Cependant phénicien des ins-
le texte phabet berbère, dont la confrontation
criptions jumelles noms propres
et les avec cet autre alphabet, mystérieux four-
qu'il contenait permirent de déterminer ni par l'inscription bilingue de Dugga
la forme et la valeur de la plupart des produisit des signes de parenté in-
caractères inconnus, et fournirent l'é- contestables.
bauche d'un alphabet. A quelle langue Longtemps après la découverte d'Oud-
appartenait-il? A l'ancien libyen ? 11 n'en ney, une circonstance fortuite fit con-
existait pas un seul débris authentique. naître que les caractères berbères re-
Au berbère moderne? Il se dérobait à gardés comme insaisissables, surtout
tous les regards. au voisinage de la côte, n'y étaient pas
Les choses en étaient là, lorsqu'une cependant aussi inusités qu'ils parais-
double lueur, partie des profondeurs du saient l'être. Dans les premiers temps de
désert, vint dissiper les ténèbres de la l'occupation française un habitant d'Al-
science, et révéler un des phénomènes ger, nommé Othman-Khodja, entrete-
historiques les plus intéressants. nait une correspondance assez active
Le 17 juin 1822, un voyageur an- avec Hadji-Ahmed, bey deConstantine.
glais, WalterOudney, étant à Djerma, Pour plus de sûreté ils y employaient
l'ancienne capitale des Garamantes à , des signes particuliers, qu'ils croyaient,
l'ouest de Morzouk et du Fezzan, dans à l'abri des trahisons et des indiscré-
le pays des Touareg (1), vit sur les tions. Quelques années plus tard Ali
pierres d'un bâtiment romain des figu- fils d'Othman-Khodja, se trouvant à
res et des lettres grossièrement tracées, Paris, communiqua à M. de Saulcy les
auxquelles il trouva quelque analogie lettres de Hadji-Ahmed. Après avoir
avec les caractères européens. Le 20 il tourné une de ces dépêches jusqu'à ce
remarqua sur des rochers, au bord d'un qu'elle lui semblât placée dans le sens
torrent, de nombreuses inscriptions dont le plus commode pour tracer les ca-
les caractères ressemblaient aux pre- ractères , le savant orientaliste aperçut
miers. Quelques-unes devaient dater de en vedette, tout au haut du papier, deux
plusieurs siècles; d'autres paraissaient groupes désignes isolés : il pensa que
récentes. Le 24 il trouva un Targui ce devait être la formule sacramentelle
qui connaissait quelques lettres, mais El-Hamdoullah (gloire à Dieu), par
personne qui les connût toutes. Le 27 laquelle tous les musulmans commen-
il arrivait à Rat, l'une des principales cent leurs lettres. La connaissance de
villesde commerce des Touareg. Là il ces premiers caractères devait faciliter
acquit la certitude que les inscriptions la découverte des autres.
trouvées en route étaient écrites dans Ali consentit à se dessaisir des deux
la langue de ces peuples, qui est la lan- pièces en faveur de M. de Saulcy, qui
gue berbère. le lendemain matin lui en remettait la
Enfin il l'avait trouvée , cette langue transcription complète. Quel ne fut pas
insaisissable qu'on entendait partout, l'étonnement du diplomate africain en
qu'on ne pouvait pas voir ; il l'avait sur- voyant reproduit par une espèce de
sortilège le texte arabe d'une correspon-
Voir sur ce peuple étrange le chapitre
(i) dance qu'il avait crue indéchiffrable!
au commerce de l'Algérie avec le sud,
relatif Les choses en restèrent là jusqu'à ce
dans mes Recherches sur la géographie et le que M. de Sauley eût entrepris l'étude
commerce de l'Algérie méridionale. du texte libyque de l'inscription ju-
96 L'UNIVERS.
melle de Thugga. C'est alors seulement litiques et commerciales que lescircons
qu'il remarqua une analogie frappante tances comportaient et en recomman
entre les caractères de l'alphabet liby- dant par-dessus tout de rapporter l'al-
que et ceux de la lettre du bey. C'étaient phabet complet. Malheureusement à
tout simplement des lettres berbères cette époque les Châmba et les Toua-
que les deux correspondants avaient reg se livraient des combats à outrance
employées. Mais, par excès de prudence dans les grandes solitudes qu'ils par-
sans doute, ils avaient eu la précaution courent. Cet état d'hostilité empêcha le
d'en intervertir les valeurs, et avaient taleb d'exécuter son voyage; mais il
poussé la prudence jusqu'à introduire écrivit à l'un de ses parents fixé au
dans l'alphabet convenu entre eux les Touât, pour lui demander le précieux
signes de la numération arabe (1). alphabet. Il choisit pour messager un
L'alphabet de Waiter Oudney de- marabout qui en cette qualité, pou-
, ,
meura pendant vingt-trois ans le seul vait circuler sans danger entre les tri-
échantillon connu de l'écriture berbère. bus ennemies. Il ne tarda pas à recevoir
De tous côtés , en Algérie , les sons la réponse et la transmit à Constantine.
berbères arrivaient à nos oreilles. Les Une fois en possession de ce renseigne-
deux tiers de la population qui nous ment tant désiré, M. le capitaine Bois-
entourait ne parlaient pas d'autre lan- sonnet s'empressa de le faire lithogra-
gue , et personne ne paraissait l'écrire ! phies C'est ainsi que le troisième spéci-
En 1844 gouvernement publiait un
le men del'alphabet berbère contemporain
dictionnaire berbère, composé en colla- parvint du fond du désert à la connais-
boration par un Français (2) et un sance des savants d'Europe.
Kabile; mais iesmots étaient écrits en L'examen de ces documents ne laisse
lettres arabes. aucun doute sur l'étroite parenté qui
un taleb de l'oasis
Enfin, en 1845 , existe entre l'idiome des inscriptions!
du ïouât, du cheik de
établi auprès antiques, etcet autre idiome qui se parle
Tuggurt, fut envoyé par lui en mission aujourd'hui depuis l'oasis égyptienne
àConstantine. Le directeur des affaires de Sioua jusqu'à la côte de l'Océan, et
arabes de la province M. le capitaine , depuis le Soudan jusqu'à la Méditer-'
Boissonnet, se lia, en raison de ses fonc- ranée. Ainsi s'est révélée dans toute
tions, avec ce savant du désert. Il ap- son évidence la filiation séculaire de la
prit qu'il avait fait dix-huit fois le langue libyenne, qui a survécu à tant
voyage de Timbektou, et par conséquent de langues riches et savantes, et s'est!
traversé dix-huit fois le pays des Toua- perpétuée dans la langue actuelle des
reg, qui paraissaient les seuls déposi- Kabiles , à travers tant de révolutions, \
taires du secret de l'écriture africaine. sans livres, sans monuments, sans au-j
M. Boissonnet questionna son hôte sur cun effort de la science et de l'intelli-i
les signes du langage targui, et le pria gence humaines (1).
de lui tracer ceux qu'il connaissait. Il C'est peut-être à l'époque libyenne;
obtint ainsi un premier spécimen de qu'il faut attribuer certains monuments'
cet alphabet targui, en usage à trois bizarres, dont il existe un assez grand
cents lieues de la contrée, où, vingt-trois nombre en Algérie, et qui, à cause de leur
ans auparavant , Waiter Oudney avait nature particulière, ont résisté aux trem-
recueilli le sien. blements déterre et aux révolutions.
Frappé de ressemblance de ces
la Les savants les désignent par le nom
caractères ceux de l'inscription
avec de Troglodij tiques, désignation qui sem-
antique de Thugga, M. Boissonnet vou- ble les rattacher aux premiers âges de
lut en savoir davantage. Il pria son l'histoire.
informateur d'entreprendre une dix-
neuvième fois le voyage de Timbektou, M. Judas, dans ses belles études sur
(1)
le chargeant de toutes les missions po- les langues phéniciennes et libyques , a fait
une heureuse application de cette découverte
(i) Revue Archéologique, 2 e par- importante en interprétant à l'aide du ber-
tie, p. 491. bère le texte libyque de l'inscription de
(2) M . JBrosselard, Thugga,
ALGÉRIE. 97
Ce sont des cryptes taillées dans le vives et lympides du Bou-Aça ,' véri-
roc diverseb de forme et de grandeur,
, table oasis blottie dans un pli inaperçu
mais qui portent des traces évidentes du sol, et qu'embellissaient singulière-
du travail des hommes. ment à nos yeux la nudité et l'unifor-
J'ai trouvé une de ces demeures tro- mité de tout l'horizon.
glodytiques dans un pli de terrain dif- Après avoir examiné quelques ins-
ficile à soupçonner, non loin de la tants l'ensemble de la scène , nous des-
route qui conduit de Constantine à cendîmes dans la vallée pour en ob-
Sétif par la plaine des Oulâd-Abd-en- server les détails. C'est alors que s'of-
JVour. Ce qui frappe le plus dans tout le frirent à nos regards une série d'exca-
cours de ce voyage c'est la nudité de
, vations nombreuses de formes et de
,
la contrée que l'on traverse. Aucun ac- grandeurs diverses, pratiquées dans le
cident ne vient rompre l'uniformité de roc vif. Elles garnissent les deux rives
la scène, si ce n'est quelques ruines du Bou-Aca. C'est d'abord une longue
d'établissements romains jetés çà et là suite de cellules faisant face à la rivière;
sur le penchant des coteaux et quelques dans l'une d'elles nous vîmes un trian-
arbres solitaires rabougris plantés de
,
, gle incrusté profondément sur l'une
|
loin en loin sur la cime d'une colline de ses faces. Pour les indigènes ces cel-
pour marquer la tombe d'un marabout. lules sont autant de boutiques, c'est le
Une de ces ruines porte le nom de nom qu'ils leur donnent, par opposi-
Kasr-bou-Malek le château de Bou-
, tion à un autre quartier où sont les
Malek. C'est un amas de pierres de maisons.
taille, dont quelques-unes seulement sont L'une d'elles s'appelle la Maison des
demeurées sur leur lit de pose. Les au- bains. Elle se compose de plusieurs
tres gisent pêle-mêle, dispersées soit bassins régulièrement creusés dont le,
!
par temps, soit par des causes vio-
le fond communique encore avec le sol par
;
lentes, qui resteront sans doute à jamais des gradins bien conservés. A côté de cet
inconnues. établissement s'ouvre une galerie sou-
!
Si en ce point on abandonne le sen- terraine, haute et large de deux mètres,
tier qui forme la route royale de Sétif, longue de quinze. C'est une autre mai-
et qu'on remonte de quelques centaines son. A quelques pas de l'entrée de la
de mètres seulement vers le nord , on galerie, nous vîmes deux grandes salles
arrive tout à coup sur le bord d'un es- voûtées séparées par un pied-droit com-
carpement demi-circulaire d'environ mun ménagé dans le roc comme tout
mille mètres de diamètre, qui étonne le reste. C'est la maison de l'homme
d'autant plus, qu'on est loin de s'atten- assis. L'une des deux salles est garnie
dre à trouver un site aussi accidenté sur tout son pourtour de bancs en
:
dans une contrée aussi nue et mono- pierres, réservés dans la masse ro-
tone. L'amphithéâtre est ouvert au cheuse; c'est sans doute à cette cir-
sud-est ; les pentes sont bordées de ro- constance que la maison de l'homme
chers bouleversés, dont plusieurs pré- assis doit son nom. Parmi toutes ces
sentent des formes régulières, dont quel- cavernes creusées à diverses hauteurs
ques-uns portent l'empreinte du pic et dans les berges rocheuses du Bou-Aça,
du ciseau. Cette ligne de blocs entassés nous en remarquâmes une que l'on ap-
;
tout le long de la déchirure circulaire pelle la maison du capitaine chrétien
dessinée par l'affaissement du sol offre
( Darkaptan nçara).
de loin l'image d'une grande ville en
Le débris le" plus somptueux et le
ruines.
plus curieux en même temps de cette
j
"Quelques tentes sont établies dans petite ville souterraine nous parut être
intérieur de l'amphithéâtre; mais
1
ce la maison de Bel-Okhtabi. C'est la seule
qui attira surtout notre attention, lors-
qui possède un rez-de-chaussée et un
que le hasard nous eut conduits en ce étage. Mais l'entrée n'est pas facile à
lieu ce fat la végétation qui
en tapis- découvrir. Il fallut d'abord descendre
sait le fond et les pentes.
Nous avions le long des rochers qui encaissent le
sous les yeux un magnifique verger,
Bou-Aça sur la rive droite pour gagner
-traversé dans sa longueur par les eaux
v un étroit sentier taillé en corniche dans
e
7 Livraison. (Algérie.)
7
98 L'UNIVERS.
les berges abruptes. Nos guides nous fondations des temples et des palais,
indiquèrent alors une étroite plate- dans le sol des chaussées prétoriennes,
forme , élevée de trois mètres , sur la- dont elle formait et encaissait les dalles,
quelle nous parvînmes à nous hisser; dans la poussière des nécropoles, dans
là une excavation étroite s'offrit à nous, les théâtres, les amphithéâtres, les
c'était le rez-de-chaussée deBel-Okhtabi. cirques, les arcs de triomphe, restes
Il d'atteindre l'étage : or il
s'agissait d'une civilisation qui contraste étrange-
n'existe d'autre communication pour y ment avec la barbarie actuelle mais à ,
arriver qu'un puits vertical de six mètres laquelle notre civilisation chrétienne
de hauteur creusé dans le rocher comme n'a heureusement rien à envier.
les autres dépendances de l'habitation. Dans le réseau itinéraire de l'empire
A défaut d'escalier plus commode, nous romain le mille marquait la largeur de
nous résignâmes à grimper en nous la maille; il s'est conservé dans le lan-
appuyant contre les parois du puits. gage actuel. Mais combien la notion de
Cette ascension nous conduisit sur cette mesure s'est altérée! Pour la plu-
une seconde plate-forme à ciel ouvert part des indigènes le mil est la distance
où régnait une forte odeur de bête à laquelle on cesse de distinguer un
fauve. Elle sortait d'une caverne haute homme d'une femme ; définition bizarre,
de quatre-vingts centimètres , et aussi qui montre à quel point le besoin de la
large que haute, qui débouchait sur la précision , si impérieux chez les nations
plate-forme. Nous nous décidâmes à la chrétiennes, est devenu étranger aux
visiter : mais à peine étions-nous en- peuples d'Afrique. Cependant quelques
gagés dans cette galerie étroite et som- musulmans éclairés, surtout dans les
bre , que l'odeur devint suffocante , et régences de Tunis et de Tripoli savent ,
obligea plusieurs d'entre nous à retour- encore quele mil se compose de mille pas \
ner sur leurs pas. Nous parcourions le doubles. Dans quelques contrées sur- ,
que nous avancions, la galerie deve- Elle reproduit exactement Tes chiffres,
nait plus étroite; l'air respirable s'a- déterminés originairement par les ingé-
pauvrisî^ait. Enfin, après avoir rampé nieurs romains, sans que la tradition;
l'espace de cinquante mètres , nous ar- locale qui les conserve rende compte
rivâmes à un élargissement qui termi- en aucune façon de la valeur de l'unité!
nait la caverne , et nous parut être le à laquelle ils se rapportent. Ainsi il'
salon de Bel-Okhtabi. Mais nous nous est arrivé quelquefois d'entendre!
n'y fîmes pas long séjour ; il nous tar- un simple chamelier énoncer correcte-;
dait de revoir le ciel. Nous eûmes bien- ment en milles toutes les distances par-<
tôt regagné la plate-forme supérieure : tielles d'une route que nous suivions,
nous reprîmes pour en descendre l'es- sur de postes de l'empire ro-
le livre
calier d'honneur qui nous y avait con- main; et si, étonnés de cette concor-i
duits, et nous dîmes adieu au palais tro- dance frappante entre des témoignages
glodytique de Bel-Okhtabi, à la maison de nature si différente, produits à
des bains, à 1 habitation de l'homme vingt siècles d'intervalle , nous deman-
assis, à celle du capitaine chrétien, et dions à ce voyageur : Qu'est-ce que
enfin à la ville souterraine cachée dans le mil, il nous répondait naïvement/
la jolie vallée du Bou-Aça. comme tous les autres : C'est la dis-
tance à laquelle on cesse de distinguer
Antiquités romaines. un homme d'une femme.
Les débris romains ont pour signe Presque toutes les villes importantes
caractéristique la pierre de taille ; elle comprises dans les limites de l'Algérie
se montre à chaque pas avec l'empreinte actuelle portent encore, sauf de lé-
fraîche encore du ciseau antique. Elle gères altérations, le nom que l'anti-
apparaît dans les ruines des villes , des quité leur avait donné. Telles sont Bône
villages, des fermes, des maisons de (Hippone ) , Constantine ( Constantina ),
plaisance , dans les soubassements et les Mila (Milevum), Sétif ( Sitifi ) , Djidjeli
,
ALGÉRIE. 99
(Igilgilis),Kolïo (Coîlops), Ras-Skikda, pitaphes bordent la route, et se succè-
nom arabe dePhilippeville(Russicada) dent presque sans interruption.
Tebessa(Theveste), Tifêch (Tipasa), A l'entrée de la ville s'élève un grand
Guelma (Calama), Madaure (Mdou- édifice rectangulaire orné de colonnes
rouch ) Tenès ( Cartennœ ). Mais à côté
,
et de pilastres corinthiens ; chaque face
de ces établissements dont le nom sur-
, est percée de trois portes; celle du
vit à toutes les catastrophes combien , milieu a des dimensions colossales.
d'autres dont vous retrouvez la pierre Deux voyageurs, un Français et un An-
de taille muette et dont le nom s'est à glais, avaient déjà visité au dix-huitième
jamais perdu ! siècle la ville de Lambcesa; mais ils ne
Les ruines romaines qui se rencon-
,
s'accordent guère sur la destination de
trent à chaque pas dans les champs de ce monument ; car l'un a cru y voir
l'Afrique , occupent en général le pen- tout simplement un arc de triomphe, et
chant des collines. C'est une position l'autreune écurie d'éléphants.
que les architectes de l'antiquité pa- Il reste encore à Lambœsa quatre
raissent avoir choisie, autant pour portes de ville monumentales, plusieurs
éviter l'insalubrité des fonds que l'ari- arceaux bien conservés d'un ancien
dité des sommets. Elles se reconnais- aqueduc , la façade d'un temple élevé à
sent de loin aux grandes pierres droites, Esculape et à la Santé , un cirque bien
demeurées debout dans le soubassement conservé, de cent quatre mètres de dia-
des constructions ; elles tracent encore mètre , de riches mausolées et un grand
la direction des murs, marquent l'aligne- nombre d'autres constructions, assez
ment des rues dessinent la forme des
, épargnées par le temps pour donner
places. Lorsque le voyageur , cheminant aux ruines de Lambœsa le caractère
dans la campagne silencieuse et déserte, d'un magnifique musée. M. de Lamare a
aperçoit de loin, réunis sur le penchant évalué approximativement le nombre
d' u n "coteau , ces piliers de hauteur iné- d'inscriptions qu'elles renferment, et il
gale , il est tenté de les prendre pour estime qu'un homme seul ne pourrait
une assemblée , assistant , dans une im- les copier toutes en moins d'une année.
mobilité religieuse , à la prière du soir ;
car c'est principalement vers le coucher Antiquités chrétiennes.
du soleil que cette illusion m'a paru Quelle que soit l'apparence fastueuse
frappante. de l'architecture païenne et l'admira-
On peut évaluer à plusieurs milliers tion de quelques savants pour ces restes
le nombre d'établissements romains de inanimés d'une civilisation oppressive,
toute grandeur répandus sur la surface nous avouons notre prédilection pour
|
de l'Algérie. Mais le débris le plus im- les monuments du christianisme, pour
posant de la grandeur et du faste an- ces témoins vivants d'une révolution
tiques est assurément cette belle et fa- sociale qui a fondé la civilisation mo-
meuse- ville de Lambcesa dont les rui-
, derne, et qui compte au rang de ses
nes, connues aujourd'hui sous le nom de phases glorieuses la conquête de l'Al-
Tezzout, furent visitées pour la pre- gérie par la France.
mière fois, en février 1844, par quelques L'Église d'Afrique a eu ses jours de
Français , et particulièrement par M. le triomphe et ses jours
de deuil, et elle a
commandant de Lamare , mon collègue laissé sur le sol l'empreintede ses joies
et ami. C'est à lui que je dois les quel- et de ses souffrances. L'Église triom-
ques détails qui suivent. phante relevait les basiliques détruites,
Les ruines de Lambœsa occupent et renversait à son tour les temples
I une belle vallée, sur les dernières pentes païens. Il reste des traces nombreuses
[
du mont Aurès, à huit kilomètres à l'est de ces réactions. Dans les murailles
;!
de Bêtna. Elles couvrent un espace de d'un temple élevé au Dieu des chré-
quatre cent-soixante-dix hectares. tiens, on retrouve fréquemment des
Un peu avant d'y arriver, une voie restesd'inscriptionsconsacréesaux dieux
1
romaine se présente; c'était la route de de l'ancienne Rome. A chaque pas encore
Cirta Lambœsa. A droite et à gauche vous rencontrez cet emblème qui carac-
des monuments funéraires couverts d'é- térise la restauration de Justinien , les
100 L'UNIVERS.
deux lettres grecques a et © réunies dans lactitesaux formes variées et fantas-
un même chiffre aux deux lettres ini- tiques garnissent les parois du souter-
tiales du nom de xpiaroç. rain. D'énormes blocs , détachés de la
Mais combien nous devons préférer voûte, en encombrent le sol; on dit
encore ces débris de l'Église souffrante, qu'il marcher pendant trente-
faut
la croix modeste incrustée grossière- cinq minutes pour en atteindre le fond.
ment dans le roc au fond de quelque Une autre caverne, plus rapprochée de
caverne obscure, signe simple et mys- Contanstine, porte aussi sur les roches
tique que les chrétiens des premiers de ses parois un grand nombre d'ins-
âges traçaient sur la pierre vive pour criptions chrétiennes. Elle est creusée
perpétuer le souvenir des jours de per- dans le versant méridional du Chettaba.
sécution. C'est surtout dans les lieux sau- Dans plusieurs des inscriptions, les let-
vages, inhabités, presque inaccessibles, tres sont colorées en rouge. La plupart
que se rencontre ce monument symbo- commencent par les quatre lettres CDAS,
lique de la foi et de la douleur; car au-dessous desquelles viennent des noms
c'est au fond de ces antres que les propres.
chrétiens cherchaient un refuge contre Un des monuments les plus intéres-
l'éditde mort des empereurs romains. sants des souffrances de l'Eglise d'Afri-
Nonloin du col de Mouzaïa , sur le que est celui quej'ai découvert dans la
revers opposé de l'Atlas avant le fa-
, vallée du Roumel au pied du rocher de
meux bois des oliviers , l'un des princi- Constantine (1). Il se rapporte à la per-
paux ossuaires de la conquête française, sécution qui ensanglanta les dernières
il est un lieu non moinscélèbre qui" s'ap-
,
années du règne de Valérien. Parmi
pelle le plateau de la croix. « Figurez-
'
les chrétiens qui reçurent la mort dans
« vous, dit le premier évêque d'Alger, des ce jours d'épreuve l'Eglise recommande
« grottes creusées dans le roc vif , et au pieux souvenir des fidèles deux ha-
« au-dessus une croix une véritable
, bitants de Cirta, nommés Marien et
« croix chrétienne, incrustée parmi Jacques, dont la mémoire fut pendant
« des touffes de laurier-rose , chargées longtemps en grande vénération dans
« de fleurs embaumées; du pied de la la Numidie.
« croix un figuier immense se détache La relation de leur martyre, écrite
« et forme une gracieuse coupole. » par un de leurs amis, qui en fut témoin,
« On raconte, dit encore le prélat place le théâtre de cet événement sur
« dont nous invoquons le témoignage, le bord de la rivière, entre deux hautes
« que lorsque pour la première fois, et collines qui la dominaient de part et
« encore tout couverts du sang des d'autre et découvraient aux spectateurs
« ennemis, nos bataillons descendant
, le lieu de l'exécution.
« la pente raide du Teuia arrivèrent à
, Cette indication , rendue précise par
« ce plateau, un long et solennel cri de l'assiette bizarre de Constantine , laisse
« joie s'éleva du milieu de leurs rangs peu de place aux conjectures. Le lieu
« pour saluer cette croix. » où Marien et Jacques reçurent le mar-
L'Église d'Afrique ne réduisit pas tyre devait être sur le bord du Roumel,
toujours l'expression de ses douleurs à entre les deux hauteurs du Mansoura
ce symbole d'un laconisme si tou- et du Koudiat-Ati , un peu avant l'en-
chant. A huit lieues à l'ouest de Guel- trée du fleuve dans le gouffre où il dis-
ma il existe une caverne dont l'entrée paraît.
est couverte d'inscriptions , qui remon- Ce lieu fut souvent le but de mes
tent aux premierstemps du christianisme. promenades durant le séjour que je fis
Les Arabes n'osent en franchir le seuil, à Constantine, en 1840. J'allais mepla-
tant est grande la terreur que leur ins-
pire le Djin , gardien du sanctuaire. La (i) J'ai envoyé sur cette inscription à l'A-
caverne est creusée dans la masse cal- cadémie des Inscriptions et Belles-lettres un
caire du mont Mtaïa. Elle n'a pas moins mémoire qui a été inséré dans le tome I er de
de mille à douze cents mètres. Elle des- la 2° partie des Mémoires présentés par divers
cend constamment, et s'enfonce de qua- savants. J'en extrais une partie des détails
tre cents mètres. Des milliers de sta- qui suivent.
,
ALGÉRIE. 101
cer sur les gradins duKoudiat-Ati,et de de cap, un plateau qui domine la vailée
là j'assistaispar la pensée à cet épisode de la Seybouse, et fait face à un magni-
sanglant de nos premiers siècles. fique amphithéâtre de montagnes et de
Un matin j'avais gravi plus tôt que de collines, qui s'élève dans le lointain au
coutume les pentes roides de la colline ; delà du fleuve et couronne l'horizon de
assis sur un reste de construction an-
la vallée.
tique, j'admirais aux premiers rayons du En 1837ce plateau était encore cou-
soleil les riches découpures de, l'hori-
vert de broussailles, reste déshonoré
d'une forêt antique. « Nous remarquâ-
En abaissant mes regards dans la mes à cette époque, dit M. Judas, sur
remarquai sur la rive oppo- le bord du versant incliné vers la Sey-
valiée ,
je
sée un rocher taillé à pic qui jusque
bouse, près d'une fontaine qui conserve
alors avait échappé à mon attention,
quelques traces de construction, une
parce qu'aux heures de mes visites il était pierre brute circulaire, ayant environ
éclairé de face et recevait une clarté uni- neuf mètres de circonférence et soixante
forme. Mais en ce moment les rayons etquinze centimètres d'épaisseur, placée
qui tombaient obliquement dessinaient horizontalement, à quatre-vingts centi-
avec une fidélité minutieuse toutes les mètres à peu près au-dessus du sol, sur
aspérités de la surface. Parmi ces jeux trois autres pierres brutes. »
de lumière et d'ombre, je crus distin- Malgré l'apparence grossière de ce
guer des lignes régulières ; et, descendant trépied, il est impossible d'en attribuer
aussitôt pour observer de plus près , ce la formation au hasard; les hommes
ne fut pas sans surprise que je trouvai seuls peuvent avoir élevé au-dessus du
gravée sur le roc une inscription en sol et posé sur ses trois supports cette
partie fruste, mais dans laquelle les mots masse de cent cinquante tjuintaux.
passione mariani et iagobi, par- Les monuments du même genre que
faitement nets et lisibles, se rapportaient j'ai observés sont assez nombreux pour
sans le moindre doute à l'exécution ra- éloigner l'idée d'un fait accidentel; ils
contée dans les actes. Je me trouvais prouvent que l'érection de ces tables
donc sur le lieu même que le sang des grossières se rattache à une croyance
deux martyrs a rougi et consacré, il y a ou tout au moins à une coutume qui, à
seize siècles. une époque demeurée inconnue, unis-
sait une partie de la population de ces
Antiquités vandales. contrées. Sous ces trépieds muets se cache
Nous plaçons sous ce titre des monu- peut-être un fait historique important.
ments d'un "caractère tout particulier, Qui sait même s'ils ne recèlent pas quel-
d'une origine incertaine, qui n'ont que feuillet perdu de nos archives na-
rien de commun avec les restes du pa- tionales ?
ganisme , qui ne portent aucun signe Les monuments que j'ai rencontrés
dans la triangle compris entre Constan- reposait sur trois piliers. A quelque dis-
tine, Guelma et la haute montagne de tance de là je vis une ligne de pierres
Sidi-Rghéis. verticales qui allait se terminer à trois
Le monument trouvé par M. Judas murs en pierres brutes surmontées d'une
existe à côté et à l'ouest de Guelma; là énorme dalle nontaillée. Les trois murs,
vient se terminer brusquement, en forme disposés suivant les trois côtés d'un
, ,
102 L'UNIVERS.
carré , déterminaient une petite cha mbre Aujourd'hui même où trouve-t-on en
dont la large pierre formait le toit. Le Algérie des demeures et des habitudes
quatrième c*ôté , dirigé au nord , restait stables? où trouve-t-on le goût de la
ouvert. pierre et du mortier , avec l'art de les
Un cordon circulaire de pierres in- réunir? Chez les Berbères qui ont su
formes entourait le monument, laissant tenir à distance la domination turque
entre elles et lui un espace annulaire de dans les montagnes de l'Aurès et du
deux mètres de largeur. La même dispo- Jurjura. Qui a construit les villes soi-
sition se retrouve dans la plupart des disant arabes que nous occupons ? Des
dolmen druidiques elle porte le nom de
; architectes et des maçons berbères que
cromlech, qui signifie cercle de pierres. les Turcs avaient fait venir de leurs mon-
Plusieurs monuments semblables tagnes. Alger lui-même avec ses palais
existent dans des ruines considérables et ses villas est sorti de leurs mains.
appelées Agourén, situées à trois lieues L'archéologie berbère se rapporte à
environ du mont Sidi-Rghéis, et un plus cette époque mémorable de l'histoire
grand nombre encore sur le versant de d'Afrique où le peuple aborigène se dé-
l'Oumsettas, qui commande la vallée de barrassa des dominations étrangères et
Mehris, à sept lieues à l'est de Cons- rentra dans ses droits, à cette époque
tantine. où on le vit reprendre possession de son
A quel peuple attribuer la formation patrimoine à la façon d'un propriétaire,
de ces trépieds bizarres ? A quelle date c'est-à-dire en bâtissant. Envisagée à ce
les faire remonter? L'histoire ne fournit point de vue , cette période de six siècles
à cet égard que des inductions. Il résulte se résume dans les deux capitales qu'elle
toutefois d'un rapprochement intéres- a fondées , Bougie et Tiemcen. Nous
sant établi par M. Judas que toutes les renverrons le lecteur à la description
circonstances, toutes les dispositions que nous en avons donnée précédem-
qui caractérisent les dolmen de la Bre- ment.
tagne, les menhir, les cromlech se
Antiquités turques.
reproduisent dans les tables de pierre
trouvées en Algérie. Nous terminerons cette esquisse ar-
chéologique de l'Algérie par quelques
Antiquités berbères. mots sur un petit monument dans le
C'est une grave erreur que d'appeler style turc. 11 existait encore il y a quel-
monuments arabes les restes d'architec- ques années à Constantine , où nous l'a-
ture sarrasine qui existent en Afrique ; vons visité plus d'une fois.
car ce ne sont pas des mains arabes qui les II porte un nom bien simple, les trois
ont élevés, mais des mains africaines, pierres; et en effetil se compose de trois
des mains berbères. pierres ; encore y reconnaît-on la trace
Quand la domination arabe, au du ciseau romain. Il ne reste donc aux
onzième siècle , eut laissé passer le gou- Turcs que le mérite du transport et de
vernement de l'Afrique à des princes de la disposition.
sang national, de sang africain, le premier Les trois pierres avaient été placées
effet de cette révolution fut la recons- dans Kasba, au bord du rocher qui
la
truction des villes que les pasteurs domine la vallée du Roumel, en un
armés venus de l'Asie avaient ou sac- point où le terre-plein de l'ancien capi-
cagées ou négligées. Ainsi s'éievèrent tole se termine à une arête vive et à un
toutes ces cités dont quatre géographes escarpement à pic de deux cents mètres
deux africains et deux espagnols , nous d'élévation, ce qui fait à peu près cinq
ont conservé en partie la nomenclature; fois la hauteur de la colonne de la place
ainsi l'Afrique, livrée àson génie abori- Vendôme. Disposées bout à bout, les
gène, se couvrit, au sortir de la domina- trois pierres formaient un banc d'environ
tion arabe, de demeures stables, que deux mètres de longueur et elles affleu-
,
dans cet effroyable vide sans éprouver les efforts, se pressent, dans l'espace, en-
la caisse assurait l'extrémité de son çaise. Enfin tous ces intérêts disparates
coffre sur celle du milieu, tandis que s'agitent dans un milieu formé lui-même
l'autre y déposait son sac; puis tous deux de plusieurs éléments distincts, la popu-
soulevaient lentement l'autre extrémité. lation indigène.
Bientôt l'inclinaison de la planche faisait Armée.
glisser le sac, qui tournoyait dans le
vide et allait s'arrêter à deux cents Au-dessus des différentes classes d'ha-
bitantsil convient de placer celle qui
mètres au-dessous sur les roches blan-
châtres du Roumel. Cela fait , les deux les protège toutes, l'armée. C'est la
hommes emportaient leur caisse, et partie la plus homogène de
la population,
mel ne pouvaient s'empêcher d'élever nes, commandés par des Français, les
avec effroi leurs regards vers la Kasba spahis et les tirailleurs indigènes; enfin
pour y chercher la place des Trois des corps auxiliaires indigènes de cava-
Piebres. lerie irrégulière, groupés par goum ou
peloton, dont l'ensemble compose ce
population. qu'on appelle le makhzen. Ces dernières
troupes, placées sous le commandement
Diverses classes de la population de l'Algé-
de chefs investis par l'autorité française,
rie. — Population européenne : militaire,
se lèvent à sa voix, ainsi que le mbt de
civile. — Population indigène Urbaine : :
goum l'exprime, et apportent au service
Maures, Turcs, Kouloughli, Juifs, Nè-
Foraine. — Constitution de notre cause avec la confiance que
,
gres ; et variétés
de la tribu. — Chiffre delà population des leur donne l'appui des troupes françaises,
tribus. la connaissance du pays et l'intelligence
de la guerre locale.
Ce qui attire d'abord l'attention du Corps indigènes. —La présence des
voyageur en Algérie , c'est la diversité indigènes dans les rangs de l'armée fran-
des mœurs des costumes et des lan-
, çaise d'Afrique lui donne une physiono-
gages. Il est peu de pays dont la popu- mie toute particulière , pleine d'étran-
lation présente plus de variétés et de getéset de contrastes. Ainsi rien de plus
bigarrures. Sur ce théâtre ouvert par la bizarre pour le voyageur récemment
France à toutes les ambitions , à tous arrivé de France que le spectacle de la
, ,
104 L'UNIVERS.
cavalerie du makhzen
essaim mobile
, etd indigènes, arriva, après une suite
tumultueux, irrégulier, à côté de nos d essais et de transformations à l'orga-
,
bataillons français, calmes, précis, uni- nisation actuelle, qui consacre en prin-
formes, qui ne se pressent jamais, et qui cipe la séparation complète des corps
cependant vont au bout du monde. En- français et des corps indigènes réguliers
tre ces deux points extrêmes, des nuan- et irréguhers.
ces intermédiaires marquent la transi- L'idée d'employer les indigènes comme
tion ce sont d'abord les zouaves , in-
:
soldats ne fut pas la première qui se
fanterie régulière, dont la composition
présenta. Dès les premiers jours de
est devenue presque entièrement fran- l'occupation il avait été formé à Alger
çaise, quoique le costume soit resté mu- une garde extérieure composée de vingt
sulman, avec \a.chachia rouge et le tur- cheiks et chaouchs, auxquels on dé-
ban pour coiffure, la veste bleue de roi cerna le titre modeste de gardes cham-
taillée à l'ottomane, le seroual ou culotte
pêtres. Leurs fonctions consistaient à
large de couleur garance et les guêtres de faire la police et à servir de guides aux
cuir; viennent ensuite les tirailleurs environs de la ville. En 1835 le nom de
indigènes , recrutés entièrement d'Afri- garde champêtre fut changé en celui
cains , dont le costume diffère de celui de gendarme. Il est probable que ledé-
des zouaves par la couleur de la veste et veloppement des intérêts français ramè-
du seroual, qui est bleu clair. Enfin les nera l'emploi des indigènes à ces formes
spahis, qui forment la cavalerie régu- primitives, et que la France demandera
lière indigène , ajoutent à cette variété
aux tribus, comme dans les premiers
de formes et de couleurs , l'effet de leur jours de la conquête , des gardes cham-
double bernous, blanc et garance, dont pêtres , des gendarmes , et surtout des
ils se drapent avec la grâce et la
dignité cantonniers car ce sont trois fonctions
:
ALGÉRIE. 105
accru, comme l'on sait, depuis la con- le nombre des femmes et celui des hom-
quête. En 1831 il était de 17,939 hom- mes. A mesure que notre établissement
mes; au 1 er janvier 1847 il s'élevait à se développera et se stabilisera ce rap-
97,760 à ce nombre il faut ajouter
: port convergera vers l'unité qui est son
7,048 hommes de troupes indigènes, terme normal. Envisagée à ce point de
ce qui porte la force totale de l'armée vue, la population de l'Algérie n'a pas
d'Afrique à 104,808. Cet effectif a un suivi depuis 1843 la voie de progrès où
peu diminué depuis quelques mois par elle était entrée avant cette époque. En
la rentrée en France de deux régiments. 1841 le nombre des femmes était de
C'est surtout depuis 1840 que les 7,000, celui des hommes de 29,000 et le ,
sait à 602 personnes; seize années port entre l'effectif numérique des deux
après, au 31 décembre 1846, elle était de sexes à 0,61, à peu près comme il était
109,400 habitants. Dans ce nombre les en 1843.
Français figurent pour 47,274, les Espa. Il faut ajouter à la population mâle
gnols pour 31,528, les Maltais pour de l'Algérie les 100 mille célibataires
3,788, les Italiens pour 8,175, les Al- qui composent l'armée; ce qui porte
emands pour 5,386, les Suisses pour le nombre des Européens à 160,000, et
'i,238. Il comprend encore, mais dans réduit la proportion réelle des femmes
les proportions beaucoup moindres, des à 0,15 , c'est-à-dire que la population
ingio-Espagnols, des Anglais, des Po- européenne civile et militaire de l'Al-
onais, des Portugais, des Irlandais, gérie ne contient qu'une femme pour
les Belges , des Hollandais , des Rus- six hommes.
ses et des Grecs.
i
est, comme on le voit, le
L'Espagne Rapport entre la population civile et
)ays quiaprès la France , fournit le
,
la population militaire.
!)lus cfhabitants à l'Algérie. Dans ces
nous reste à mettre en parallèle
Il
ilerniers temps surtout elle lui en a les accroissements successifs de la po-
mvoyé un grand nombre. Ainsi, en pulation civile et de l'armée. Cette com-
1.846 sur 14,079 émigrés de toute na-
, paraison fournira au lecteur une don-
tion dont
la population algérienne s'est née de plus pour apprécier la situation
nrichie l'Espagne compte à elle seule
,
et l'avenir de l'Algérie.
;)our 6,356. c'est-à-dire près de la moi-
En France l'armée est d'environ
îé, tandis que la France n'a participé à 300,000 soldats et la population d'en-
:e mouvement que pour 2,969. viron 30,000,000 d'habitants. Chaque
En général, l'émigration étrangère soldat suffit donc à la sécurité de 100
lest montrée depuis quelques années habitants.
>eaucoup plus active que l'émigration L'Algérie à la fin de 1830 avait une
rançaise. La proportion des Français armée de 37,000 hommes et une po-
iux étrangers, qui au 31 décembre 1843 pulation européenne de 602 habitants ;
(tait de 28,000 sur 31,000, s'était ré- chaque habitant occupait donc au soin
, i
106 L'UNIVERS.
l'Arabe, ni le Berbère, ni le Kouloughli
de sa sûreté 62 soldats. Dès l'année sui-
ni le Turc, ni le Juif , ni le Nègre. Ces
vante ce nombre était réduit à 6;
le résidu de la population des ville
en 1834 il était de 3, c'est-à-dire qu'il
quand on en a extrait ces cinq classe
ne fallait plus pour garder un habitant
d'habitants. La plupart d'entre eu
que 3 soldats. En 1839 chaque habi-
ignorent leur origine ; quelques-uns 1
tant ne représentait plus que deux sol-
font remonter aux Andalous ou mu
dats. Enfin en 1845 l'armée et la po-
pulation atteignirent ^'une et l'autre le sulmans chassés de l'Espagne ; d'autre
se prétendent issus de quelque tribu d
chiffre de 95,000. La population était
l'intérieur, et rentreraient à ce titre dan
arrivée au pair, chaque colon avait son
l'une des deux catégories arabe ou bei
soldat. Enfin en 1846 10 soldats garan-
tissaient la sûreté de 11 colons.
bère.Le plus grand nombre descen
L'accroissement progressif de la po- de ces renégats qui , sous la domina
tion des corsaires, venaient cherche
pulation civile a permis d'ajouter à
l'armée, par la création des milices
dans les ports ou sur les navires barba
algériennes , une force réelle dont l'ef- resques un refuge contre les lois d
s'élève aujourd'hui à plus de leur pays. Au reste, la classe des Mai
fectif
res est peu nombreuse ; c'est à" peine
12,000 hommes.
dans toute l'Algérie on parviendrait
Population indigène. en réunir dix mille; elle est d'ailleui
On vient de voir que l'armée d'Afri- peu recommandante; dans le contai
des Européens elle a pris presque tôt
que ou la population militaire renferme
des les vices de la civilisation , sans perdi
trois éléments fort différents,
corps français , des corps étrangers , des aucun de ceux qu'elle devait à la bai
que la population ci- barie. C'est celle qui depuis la coi
corps indigènes :
elle-même est un mélange à fortes quête d'Alger a payé le plus large tribf
vile
doses de Français, d'Espagnols, de Mal- au mezouar (1).
tais , d'Italiens , d'Allemands et de Suis-
(i) Le mezouar était l'agent spécial de
ses , et à doses plus faibles d'Anglais posé à la surveillance des femmes qui faisait*
de Polonais, de Portugais, d'Irlandais, métier de la prostitution. On lui donnait
de Belges et de Hollandais, de Russes droit de percevoir sur chacune d'elles u;
p\ de ("ifecs. taxe mensuelle de deux douros d'Alger ( 7_
Une diversité analogue se remarque 44 c. ) et de faire un certain nombre de fi
dans la population indigène, qui se par année une sorte d'exhibition de ses adn
compose d'Arabes-, de Berbères, de nistrées dans des bals publics, dont tout le
||
Maures, de Kouloughlis, de Turcs, de fit était pour lui.
définissent négativement. Ce n'est ni chercher par ses agents celles des femmes rép
,
ALGÉRIE. 107
ils se sont toujours conduits en braves
Les Kouloughlis.
et fidèles soldats. Le nombre des Kou-
Les Kouloughlis forment plusieurs loughlis en Algérie peut s'élever à envi<
ment fait cause commune avec nous, Oran 90 Turcs de l'ancienne milice, dont
t beaucoup d'entre eux ont pris du sér-
27 entrèrent dans les chasseurs algériens,
et 63 restés dans un profond dénûment,
iée dans notre infanterie indigène , où
reçurent des vivres, des vêtements et une
légère solde.
ées honnêtes dont la conduite était suspecte ;
t pouvait prouver devant le cadi qu'elles
s'il
A Mostaganem la garnison turque,
taient tombées en faute, libres ou mariées,
composée de 157 hommes, reçut des allo-
lies étaient, comme femmes perdues, ins-
cations en argent qui l'aidèrent à se sou-
rites au livre du mezouar, et soumises au tenir contre les Arabes.
ayement de la taxe. De ce jour aussi le dés- En 1832, au moment du hardi coup
lonneur avait rompu les liens du mariage ou de main qui nous livra la ville de Bône,
etranché la fille de la famille. 105 Turcs, qui composaient la garnison
L'administration éprouva une répugnance de la Kasba, passèrent à notre solde, et
lien naturelle à conserver l'institution du formèrent le noyau d'un escadron de
tezouar. Plusieurs fois elle essaya d'organi- Spahis.
er sur une autre base la police de la prosti- Enfin après la prise de Constantine
ution; mais au mois de juillet i83i elle se
les Turcs qui se trouvaient dans celte
rut obligée de revenir à l'ancien moyen de
ville, entrèrent aussi à notre service ; on
urveillance modifié par l'adjonction d'un dis-
en forma une compagnie d'infanterie et
pensaire. La ferme fut consentie à un Maure
'Alger au prix de 1,860 francs par mois,
une section d'artillerie.
Si l'on ajoute à ces différents chiffres
/lais lemezouar ayant commis des abus , le
tiarché fut résilié et passé à un nouvel adjudi- quelques centaines de Turcs, la plupart
ataire moyennant une redevance mensuelle vieux et infirmes, épars dans nos villes
!e 2,046 francs. du littoral, on aura réuni tout ce qui
Cet état de choses s'est prolongé avec quel- reste après dix-sept ans de ces domina-
les variations dans le fermage jusqu'au 28 teurs, qui ont régné sur l'Algérie pen-
eptembre i835, époque à laquelle la ferme dant trois siècles. Nous ne croyons pas
ut supprimée et la surveillance être au-dessous de la vérité en évaluant
du commis-
aire central de police substituée
à celle du à 1,000 le nombre des Turcs qui à
tezouar.
cette heure habitent encore l'Algérie,
, }
108 L'UNIVERS.
Les Juifs.
manes qui montrent le plus d'intolfi
rance sont celles qui affectionnent speji
Les Juifs , qui furent nos premiers cialement ces deux industries tel esjï ;
médiateurs et nos premiers interprètes par exemple le massif des tribus kabityi
qui habitent vers le sommet des versaj||
en Algérie, y avaient obtenu dès long-
temps droit de cité malgré la répugnance nord du Jurjura : elles se montrei>
prononcée que les musulmans et sur- inexorables pour les Juifs, tandis que j
toutles Barbaresques leur ont toujours
reste de la Kabilie leur ouvre ses porte.
témoignée. Fidèles à la loi de leur grande Mais aussi ces tribus n'ont pas d'autw|
et mystérieuse destinée, ils sont là, moyens d'existence que les industries g
comme partout, comme
toujours, les colporteur et d'orfèvre ; l'exclusion pr<
agents et souvent les martyrs d'un rap- noncée par elles contre les Israélite
prochement providentiel entre dés peu- tient donc moins à une antipathie rel
ses habitants. Il y en a dans toutes les même langue que les peuples dont i
général les Juifs des tribus y exercent les L'esclavage chez les musulmans
professions de colporteurs et d'orfèvres. ressemble en rien à ce qu'il est dans i
Aussi Je gouvernement français avait- donné parles Arabes aux ruines d'Hip-
Isagement agi en s'abstenant de toute pone, où ils prétendent qu'une sainte de
fiesùre violente pour supprimer un ce nom est enterrée.
sage que la force des choses devait faire La scène
se passe dans les vastes ci-
isparaître; partout où le drapeau fran- ternes de l'ancienne ville. Le jour est
ais a été arboré le fait seul de sa consacré aux sacrifices; on immole à la
résence a suffi pour faire cesser la sainte des coqs et toujours des coqs rou-
ente des esclaves aux enchères. Ce fut ges, parce que Lella-Bôna était fille de
omme un hommage spontané rendu la rouge ( Bent-el-Hamra ).
ar la population conquise aux mœurs, Dès que vient le soir les bougies s'al-
ux principes et aux répugnances du lument, et projettent une lumière vacil-
euple conquérant. lante sur les murailles du souterrain.
Le gouvernement républicain s'est Des Négresses préparent le couscoussou.
proclamer l'abolition de l'escla-
âté de Pendant ce temps le tambourin et le fifre
age mais il a ainsi jeté la perturbation
: font entendre sans interruption leur
ans un grand nombre de familles mu- bruit assourdissant. Bientôt Nègres et
ulmanes; et nous avons vu plus d'un Négresses commencent à danser chacun
sclave regretter, en face de la misère, de son côté, chacun à sa manière; d'a-
\ chaîne légère et douce qui lui assurait bord les mouvements ont de la len-
liaque jour son pain du lendemain. teur et une sorte de nonchalance , mais
Depuis 1830 les importations de Ne- peu à peu la mesure se précipite, les
ttes en Algérie étaient devenues chaque cadences deviennent plus vives; danseurs
>ur plus rares; la population esclave et danseuses , haletant de fatigue ruis- ,
bit encore diminué par le départ des selant de sueur, finissent par tomber
randes familles et par l'appauvrisse- dans un état d'ivresse magnétique, au
tent des autres. Le temps n'était pas milieu de laquelle ils poussent de grands
oigne où elle ne devait plus se renou- cris incohérents.
?ler que par les naissances. Tout cela se voit à la lueur incertaine
Le recensement de 1844 a constaté de quelques bougies, par une nuit som-
ïil existait au 31 décembre 1843, dans bre dans de vastes souterrains, aux-
,
ressort de l'administration civile, 1,595 quels tous ces visages noirs donnent une
ègres libres et 1,277 esclaves. On peut certaine ressemblance avec l'enfer des ;
dessus de la tempe gauche, qui, par voit promener son pinceau à long man
suite de cet usage, est recommandé tout che sur lacoupole des mosquées, su
particulièrement aux soins du haffaf, les flèches des minarets, sur les façade;
ou barbier. et les terrasses de tous les édifrces
Il existe encore entre les deux types C'est à ses mains noires qu'Alger doi
quelques différences de détail. Ainsi l'u- le voile blanc qui l'enveloppe et qui des
sage des bas est plus répandu parmi sine de loin sa forme triangulaire enca
les Turcs que parmi les Maures. drée dans la verdure de ses coteaux e
Mais c'est surtout dans le jeu de la de ses campagnes.
physionomie, dans l'ensemble du main- Tel est l'extérieur des classes cita
tien que les deux natures se dessinent. dines; il nous reste à parler du peupl
ALAiJbiKiE. lî|
des campagnes , du peuple des tribus d'étoffe de laine légère, fixée par une
réparti en deux classes, bien autrement corde en poil de chèvre et de chameau,
importantes, bien autrement nombreu- qui s'enroule plusieurs fois autour de
ses, qui, soit sous le tissu de laine de la la tête, où elle s'étend en spirale. La
tente, soit sous la toiture de chaume pièce d'étoffe s'appelle haïh, et se fa-
ou de tuiles, représentent la plus grande brique surtout dans le Djérid, oasis tu-
partie de population algérienne.
la nisienne. La corde de chameau s'appelle
On comprend qu'il s'agit des Arabes khéit ou brima, suivant qu'elle est
et des Berbères. ronde ou plate. Une gandoura, couvre
Quelques échantillons de ces deux le corps et les épaules ; c'est une autre
races se rencontrent même dans le sein chemise de laine , plus longue que le
Ides villes. Ils y paraissent à divers ti- derbaldu Kabile, et sur laquelle des-
itres les uns viennent y vendre les pro-
:
cendent les plis du haïk. Enfin l'habil-
duits de la campagne et y acheter des lement se complète par l'inévitable ber-
cotonnades et des merceries ; les autres nous, qui est pour l'Arabe une seconde
viennent y chercher du travail , et con- peau.
sentent à subir pendant plusieurs an- Les deux derniers types qui viennent
nées la dure loi de l'expatriation, dans d'être définis par leur costume appar-
l'espoir d'amasser un petit pécule et tiennent au peuple des tribus; elles for-
d'acheter du produit de leurs écono- ment la grande masse de la population
mies une maisonnette et un jardin, soit indigène.
dans l'oasis , soit dans la montagne na- La principale différence qui existe en-
tale; c'est cet espoir qui fait accepter au tre eux est celle du langage. Quant à leur
Berbère de la Kabilie, à l'arabe du Sahara, origine, il doit s'être introduit beaucoup
présidence temporaire de nos villes. de sang berbère, même chez les peuples
1
Hô L'UNIVERS.
La race arabe et la race berbère ont Le Kabile a les défauts qui corres-
aes habitudes et des inclinations telle- Eondent à ses qualités. Comme tous les
ment différentes qu'en quelque point
,
ommes dont l'intelligence se concentre !
qu'on les observe, on les trouve sépa- dans des ouvrages matériels , il est
rées partout : l'une a fini par absorber ou âpre, entêté, hargneux; après la pio-
repousser l'autre. che la scie et le marteau, il ne con-
,'
Iln'est peut-être dans toute l'Algérie naît plus rien que le fusil.
quune seule localité où elles habitent Il a le don de l'imitation ; c'est encore
le même sol , sans perdre ni le carac- une qualité qui accompagne presque
tère ni la langue qui leur est propre ; toujours des instincts industriels. D'ar-
c'est Guelma. Nous avons déjà signalé tisan laborieux il n'attend pour de-
le phénomène remarquable de juxta- venir mécanicien habile que des maîtres
position particulier à cette petite ville, et des modèles.
située dans un des sites les plus riants L'Arabe a le caractère plus sociable
de la Seybouse. Là se trouvent réunis l'esprit plus élevé, l'imagination plus vive.
des Chaouias descendus de l'Aurès, des Il anime son langage d'expressions pit-
tecteur que l'autorité française a su tous ces peuples , on remarque dans l'A-
établir entre des éléments étrangers au rabe quelques aspirations vers la lumière,
territoire qu'ils habitent et partout ail- quelques vagues désirs de culture intel-
leurs hostiles entre eux. lectuelle; une propension instinctive le
L'éloignement que le Berbère et l'A- porte surtout vers deux sciences, l'as-'
rabe éprouvent l'un pour l'autre tient tronomie et la géographie. Rien n'a le
en grande partie à des différences orga- don de le captiver comme les récits de)
l'Arabe est rêveur, contemplatif, amou- Les tentes elles-mêmes, ces demeures
reux des formes poétiques, qu'il trans- flottantes où il abrite sa famille, c'est
porte instinctivemeut dans son langage aux nomades du Sahara qu'il les achète.
Enfin l'Arabe du Sahara malgré ses
le plus vulgaire , dans la nomenclature
,
nombre de villes que l'Algérie possède port d'Alger nous tendait la main pour
en dehors de la Kabilie c'est lui qui
,
débarquer durant les premières années
les a élevées Alger , lui-même, ce gra-
:
de la conquête ; c'est lui qui transporte
cieux spécimen de l'art moresque, est nos marchandises et nos bagages. Le
sorti de ses mains. Ce sont les usines Biskri ( ce nom comprend tous les tra-
berbères qui fabriquent les plus belles vailleurs sahariens ) est aussi intelligent,
aussi actif et adroit que le Kabile.
Le
armes indigènes,et particulièrement les
sabres longs et pointus appelés fliça. paysan arabe du Tell, au contraire,
ALGÉRIE. Ï13
chaque classe en ajoute une autre qui Entre cette unité constitutive de la
lui crée de nouvelles ressources. Au fond commune tribu, qui est l'unité
et la
de ses montagnes , l'artisan berbère cul- constitutive de la société , il existe une
tive l'olivier sur une large échelle; à division intermédiaire, qui réunit un
côté de ses landes vouées au parcours , le certain nombre soit de villages, soit
pasteur saharien possède des forêts de de douars, et que l'on appelle \aferka ,
dattiers; dans les plaines monotones mot qui signifie fraction. La somme de
qu'il cultive le laboureur arabe du Tell ces fractions produit l'unité, c'est-à-dire
élève encore d'immenses troupeaux. la tribu.
Ainsi chacun de ces trois types , en- En France l'homogénéité est un des
visagé au point de vue de sa participation principaux caractères de nos communes;
à l'entretien des autres , représente une il n'y a pour ainsi dire entre elles que
double aptitude, une double industrie. des différences numériques; ainsi pas de
Le Berbère cumule les professions commune nomade, religieuse, féodale;
d'artisan et de jardinier; le moule révolutionnaire les a toutes
L'Arabe du Tell celles de laboureur uniformisées.
et de pasteur; A cet égard l'Algérie attend encore
L'Arabe du Sahara celles de pasteur sa révolution. Parmi ses milliers de
'et de jardinier. communes (pourquoi ce mot consacré
dans notre langage administratif ne se-
Forme constitutive de la 'population rait-il pas appliqué à une terre désormais
indigène. française?) les unes sont sédentaires,
,
i
Arabes et les Berbères. Dans les clans munes serves.
(abruptes de la montagne, dans les Les communes ou les tribus séden-
[horizons découverts de la plaine, dans taires sont celles qui habitant sous le
les steppes et dans les oasis du Sahara, chaume , sous la tuile ou sous la terrasse,
'partout nous retrouvons la constitution ne se déplacent jamais , comme les villa-
s
isomorphe des peuples berbères , nous ges de la Rabilie et du Sahara ; celles qui
retrouvons le même élément d'agréga- habitant sous la tente se meuvent entre
tion, la tribu; la tribu c'est l'unité , c'est des limites fixes, comme les Arabes du
la commune. Tell ; ou bien enfin celles qui habitant
Chezles peuples stables, qui ne font sous la tente se meuvent autour de
5
point usage de la tente la tribu se pré-
, points fixes, comme cela a lieu pout
sente comme une agglomération de villa- quelques tribus du Sahara.
ges ; c'est alors surtout qu'elle offre la Il ne faut pas prendre les peuples no-
plus grande analogie avec nos commu- mades pour des peuples errants car il ;
nes de France; c'est la forme caractéris- n'existe pas detribus errantes en Algérie.
tique de la race berbère. Les plus mobiles obéissent dans leurs
Chez les peuples qui ont rompu avec mouvements à certaines lois qui limitent
8 e Livraison, ( Algérie.) S
,
114 L'UNIVERS.
d'une manière presque invariable le champ une partie de cette tribu à s'éloigner du
de l'habitation, de la culture et du par- sol natal. Elle s'avança alors vers le
cours; ces lois résultent de la nature du nord-est, et vint s'établir sur les confins
climat et du sol , de l'extrême régularité du Sahara algérien. Là de nouvelles
qui préside au retour des saisons cle , contestations avec les tribus voisines
l'extrême inégalité qui préside au par- déterminèrent un nouveau mouvement
tage des eaux. vers le nord, et la colonie nomade des
Pendant une moitié de l'année l'Algé- Arib arriva ainsi dans le Hodna, au sud
rie ressemble à une vaste pelouse verte de Sét.if ; puis elle passa dans le massif
et arrosée. méditerranéen, et vint s'établir, par suite
Pendant l'autre moitié elle se partage d'un arrangement avec les tribus qu'elle
en deux larges bandes verdoyantes et déplaçait,sur l'un des affluentssupérieurs
en deux larges bandes jaunes et arides. de l'Ouad-Akbou (rivière de Bougie).
Les deux premières sont le massif L'occupation française occasionna en-
méditerranéen et le massif intérieur; core un déplacement dans la tribu des
les deux autres sont la zone des landes Arib, dont une partie vint asseoir ses
et celle des oasis. tentes au pied de la maison carrée, à
Pendant les six mois de verdure les deux lieues d'Alger. C'est ainsi que, par
tribus des oasis se répandent avec leurs une suite de vicissitudes et de déplace-
troupeaux dans les landes limitrophes; ments, la tribu la plus reculéedu Sahara
les tribus qui habitent les pentes des marocain se trouve avoir une colonie
montagnes méridionales descendent pa- sur la côte algérienne.
reillement dans les landes voisines. Alger lui-même, le chef-lieu actuel
Pendant les six mois de sécheresse cle nos possessions, est une colonie d'o-
ces dernières remontent dans leurs mon- rigine berbère. Mais les Beni-Mesghanna,
tagnes. Les tribus des oasis exécutent ses fondateurs, ont disparu dans les
leurs mouvementsde migration lointaine; guerres nombreuses quiont agité le pays
elles abandonnent la région natale , et depuis trois siècles. Cependant ils ont
vont chercher sur les plateaux du Tell laissé leur nom à la montagne qu'ils
de l'eau, des blés et des pâturages. habitaient dans la partie supérieure du
Pendant la première saison la popu- cours de Tisser. Ce lieu est encore fré-
lation de l'Algérie se disperse sur toute quemment visité par les Algériens , qui
sa surface; pendant la seconde elle se vont saluer leur ancienne métropole.
concentre dans les massifs montueux La ville avec les îlots qui lui font face,
et dans les terres cultivables des oasis. îlots dont le principal forme la tête de
Elles obéissent ainsi à un mouvement ja jetée Khaïr-ed-Din, s'appelait au
régulier d'oscillation, qui aux mêmes moyen âge Djezaïr-Beni-Mezghanna
époques les ramène sur les mêmes (les îlots de Beni-Mezghanna). Plus
points. tard ce nom fut altéré. Les indigènes
'n'en conservèrent que la dernière partie
Tribus-colonies.
et nommèrent par abréviation la ville
Il se rencontre fréquemment des tribus barbaresque Dzair. Les Européens, au
de même nom séparées par de grandes contraire, n'en conservèrent que les pre-
distances ; elles reconnaissent presque mières syllabes, et l'appelèrent Alger;
toujours une origine commune : l'une de sorte que l'ensemble des deux noms
est la métropole, les autres sont des Alger , Dzair donnés aujourd'hui à la
colonies. cité mauresque par les deux populations
C'est en général la discorde ou la mi- qui l'habitent , reconstitue le nom pri-
sère qui provoque ces émigrations. Un mitif Eldje-Zaïr.
des exemples les plus remarquables de Parmi les tribus-colonies, nous ne
ces déplacements se présente aux portes devons point passer sous silence la
même d'Alger, dans la tribu des Arib classe intéressante de celles que les
dont la métropole occupe la partie la Turcs avaient formées pour la sûreté
plus méridionale du Sahara marocain. A de leur conquête. Us les établissaient
une époque qu'il serait difficile de pré- sur des terres acquises au domaine de
ciser, des dissensions intestines forcèrent l'État, soit par voie de confiscation, soit
,
ALGÉRIE. i i
8.
,,
m L'UMVERS,
C'était en 1844 ; le vieux marabout gion les enfants du voisinage viennent
habitait avec sa famille de modestes apprendre à lire; ils ont pour maîtres
gourbis sur le bord de l'Ouad-el-Fer- des talebs ou hommes lettrés, entrete-
cha, au pied du Djebel-Edough. Quand nus sur les produits de la zekkat ou
il sentit' sa fin prochaine , il convoqua redevance pieuse imposée à tous les
autour de lui tous les membres de sa musulmans. C'est là aussi que siège
famille sans exception , et leur déclara le cadi, dont la juridiction s'étend à
au milieu d'un religieux- silence , ses toutes les tribus du ressort ecclésiastique
dernières volontés : « Mes enfants , leur de la zaouia. Souvent la zaouia est habi-
dit-il j'ai voulu, avant de mourir , vous
, tée par des ulémas ou docteurs que les
faire connaître ce que Dieu m'a révélé cadis eux-mêmes ne dédaignent pas de
;
en ce moment suprême l'avenir se dé- consulter.
couvre à mes yeux. Ne cherchez pas Le voyageur qui se présente à la zaouia
à lutter contre les Français , ce serait y trouve la nourriture et le gîte, le
lutter contre la volonté divine. Voyez ; pauvre y reçoit des vêtements du pain et
,
de tous côtés ils élèvent des maisons et surtout du travail, qui ne manque pas;
des villes; plus ils rencontrent de ré- car la zaouia possède de vastes dépen-
sistance , plus ils marchent et grandis- dances foncières.
sent ; croyez-moi, mes enfants, ils n'au- La tribu religieuse renferme donc
raient pas grandi si Dieu ne l'avait en elle la paroisse et le clocher, l'école
voulu. Au nom de ce Dieu devant lequel et le tribunal le bureau de bienfaisance
,
cupe une place éminente dans la vie et tes groupées à l'entour de la koubba.
les besoins de la population indigène. La zaouia de Sidi-Mahiddin jouissait
Nous voulons parler de Ja Zaouia. C'est déjà il y a trois cents ans, à l'époque
là que sous les auspices de la reli- où Léon l'Africain écrivait sa Descrip-
, ,,
ALGÉRIE. 117
savoir et de sainteté qui a servi de base relative des familles cléricales dans
à la fortune des Hachem. Déjà à cette l'ouest et dans l'est.
époque les marabouts d'Eghres faisaient Tribus nobles.
trembler sur trône de Tlemcen la
le
puissante dynastie des Beni-Zeian, et Là ou l'aristocratie ecclésiastique
trois siècles après, dans cette même n'exerce pas l'autorité, c'est la noblesse
zaouia de Sidi-Mahiddin, naissait un en- militaire qui la remplace. La popula-
fant qui devait faire retentir le monde tion indigène compte des tribus nobles
entier du bruit de son nom : il s'appe- tout aussi bien que des tribus reli-
lait Abd-el-Kader. gieuses. Dans l'ouest elle les désigne par
Nous ne devons point omettre une des le nom de Djouad et de Mehal, dans
plus importantes variétés de la tribu l'est par celui de Douaouda. Elle fait
religieuse, celle que l'on désigne sous remonter l'origine des Douaouda et des
le nom de cherfa ou chérifs. Les tribus Djouad à la première invasion arabe et ,
existe dans les trois provinces de l' Al- Quoi qu'il en soit , la noblesse mili-
gérie c'est un chérif qui occupe le
:
taire a jeté peu de racines dans l'ouest,
trône du Maroc. où l'aristocratie religieuse envahit le
Ils passent pour descendre du prophète sol. En général, les tribus de djouad,
en ligne collatérale ; mais, quelle que soit comme celles de douaouda, tiennent
leur origine première, le berceau com- à leur service et traînent à leur suite
mun que la tradition populaire leur d'autres tribus qui dépendent entière-
,
assigne en Afrique est une oasis du ment d'elles, et subissent sans se plain-
grand désert appelée Saguit-el-Hamra dre un véritable servage , qui se trans-
située au sud de l'Ouad-Noun, au sud- met de génération en génération ; c'est
Ipuest de l'empire de Maroc. C'est ce que nous appelons les tribus serves.
de là que, suivant l'opinion générale- Formation,
ment admise, ils se sont répandus
dans toute l'Afrique septentrionale. Il nous reste à dire quelques mots
L'influence des cherfa et en général sur la division de la tribu, ou, ce qui
des tribus religieuses est très-variable ; revient au même, sur sa formation. La
ielle va s'af faiblissant de l'ouest à l'est. constitution normale de la tribu est
jDans la province d'Oran ce sont les com- aussi simple qu'homogène. C'est une
Iniunes ecclésiastiques qui donnent au famille qui porte le nom de son chef.
peuple ses magistrats, ses généraux et Chacun des enfants lègue son nom aux
{ses princes ; dans la province de Cons- lignées issues de lui ; et ce sont elles
itantine elles ne lui donnent que des cu- qui forment les ferka ou fractions de
irés de campagne, des tabellions et des la tribu.
[maîtres d'école ; quelquefois même elles Toutefois, la formation de la tribu
descendent plus bas encore. s'écarte souvent de cette régularité pa-
! Ainsi à l'extrémité orientale de l'Al- triarcale. Au lieu de puiser en elle-même
gérie, tout près de la frontière de ses éléments constitutifs et de se déve-
Tunis , il se trouve une tribu de cherfa lopper par intussusception, elle se forme
[qui habitent les forêts du Djebel-Zouak, par l'agrégation d'éléments étrangers,
l'un des contreforts méridionaux de ou même hétérogènes, et se développe pa r
l'Aurès. Ce sont des moines mar miteux, juxtaposition.
sans crédit, sans influence, sans consi- Quelles que soient l'origine et la compo-
dération, qui passent leur temps et ga- sition de la tribu , les indigènes la con-
gnent leur vie dans l'exercice de trois sidèrent comme leur unité sociale ; ainsi
industries misérables faire de la résine
: dans l'indication du lieu de naissance
et des paillassons, mendier de tribu en indication qui fait partie intégrante du
tribu , et détrousser les voyageurs. nom propre , c'est toujours à la tribu
Que l'on mesure par la pensée l'espace jamais à la fraction qu'ils se rattachent.
qui sépare le chérif sultan du Maroc de Elle est pour eux ce que la ville est pour
ces autres chérifs mendiants et voleurs, nous.
, ,
118 L'UNIVERS.
Nous citerons un exemple où se trou- faisants. Ils manquent d'ensemble, et
vent réunis les deux modes de formation présentent des lacunes considérables. Le
qui viennent d'être signalés. Il nous est gouvernement les a fait connaître en
fourni par la plus ancienne et la plus 1846. Quelque imparfaits qu'ils soient,
considérable tribu de la province d'Oran, ils donnent encore l'aperçu le plus au-
celle des Beni-Amer. thentique et le plus probable.
Amer, le fondateur de la tribu, avait Ces documents statistiques se com-
cinq fils; ils donnèrent naissance aux posent de trois parties distinctes, savoir :
gers la postérité d'Amer perdit son unité 3° Enfin les omissions reconnues mais
familiale; mais elle conserva son unité non spécifiées.
sociale, et transmit aux nouveaux venus Voici en nombres ronds les valeurs sta-
son nom et sa nationalité. Elle y gagna tistiques qui correspondent à ces trois
même une consistance nouvelle, puisque catégories :
Mais, il faut l'avouer, les résultats obte- Quatre fois moins peuplée que l'Es-
nus jusqu'à ce jour sont loin, d'être satis- pagne ;
ALGÉRIE. 119
Cinq fois moins que la Turquie d'Eu- tion des Kouloughlis et des Turcs , qui
rope; appartiennent au ritehanafi; c'est celui
Sept moins que la Prusse
fois ;
de l'empire ottoman.
Huit demi moins que la France ;
fois et En dehors de ces quatre rites , il existe
Onze fois moins que la Hollande ;
une secte que beaucoup d'indigènes
Seize fois moins que l'Angleterre et appellent hhâmes (cinquième) pour la
ta Belgique ;
distinguer des quatre formes ortho-
Pour que l'Algérie fât peuplée pro- doxes. Mais on la désigne plus généra-
portionnellement comme France, il
la lement par l'épithète de ouhabi, qui
faudrait ajouter à la population qu'elle paraît être son véritable nom. L'ouha-
Possède plus de 22 millions d'habitants. bisme constitue dans la religion musul-
On voit quelle large place la popu- mane un véritable schisme, qui diffère
lation actuelle laisse à la colonisation, de la communion orthodoxe, sinon par
puisque deux tiers de la population
si les le dogme au moins par le culte et la
,
ndigènes, serait encore moins serrée prudence d'agiter l'eau et qui la boit
,
120 L'UNIVERS.
résignent à la faire avec eux; mais ils ne que ces sectaires ne commettent ni vol
la croient pas efficace, et s'empressent de ni mensonge, ni lâcheté.
la recommencer dès qu'ils sont seuls. Ils Tous les traits particuliers de l'ouha-
ne boivent ni ne mangent dans des va- bisme le présentent comme une secte
ses qui ont servi à l'usage des malkis. puritaine.
Quanta ces derniers, ils ne peuvent prescrit de quitter, avant de s'a-
S'il
parler des ouhabites sans les tourner en dresser à Dieu, le vêtement le plus ex-
dérision ; ils leur reprochent quelques posé aux souillures du corps , c'est afin
pratiques bizarres , comme d'ôter leur que la prière monte plus pure vers le
pantalon pour faire la prière, et des ciel.
goûts plus bizarres encore , comme de S'il prescrit, pour accomplir ce devoir,
manger de la chair d'âne , de chien , de de choisir les lieux élevés et découverts,
chat, et de gerboise. On prétend que le sol d'une terrasse la cime d'une col-
,
lorsqu'ils aperçoivent un âne gras et line ou d'une montagne , c'est afin que
bien nourri , ils éprouvent un violent dé- la prière de l'homme, en s'élevant vers
sir de s'en régaler. Pendant le ramadan Dieu ne puisse rencontrer aucune im-
,
demeurer impunie. Ils croient ferme- doxes la conservent jusque dans le par-
ment que dès qu'un ouhabi a rendu le vis ; les ouhabites la laissent à la porte
dernier soupir, ses oreilles s'allongent extérieure.
aussitôt démesurément, et que sa tête En entrant dans le temple , les malkis ,
'
offre alors une ressemblance frappante ne touchent pas à leur coiffure, les
avec celle de l'animal dont il s'est ouhabites détachent, en signe d'humi-
nourri. lité le kheït, qui est la corde en poil de
,
\
Oter son pantalon pour prier et man- chameau enroulée autour de la tête pour i
Toutefois ces traits ne sont pas les embrasse l'ouhabisme subit une puri-
seuls qui le distinguent des quatre rites fication complète : on commence par lui
'
orthodoxes ; il s'en écarte encore par la couper les ongles , les sourcils et les cils ; j
différence des pratiques qui accompa- puis on le conduit au bain; après quoi I
mains à la tête comme les malkis, les ainsi du moins que la cérémonie de
ouhabites les abaissent le long des l'abjuration se pratique dans l'Ouad- i
cuisses. Mzab.
Dans la vie religieuse comme dans la Il est probable que de son côté le, ,
vie civile, les ouhabites se font remar- sunnisme a dû faire aussi des conver-
quer par l'austérité de leur caractère et sions et imposer à ses prosélytes l'obli-
de leurs mœurs. gation de renoncer aux habitudes qui
Ainsi le précepte qui interdit aux mu- frappent le plus vivement l'imagination
sulmans l'usage du vin s'observe plus du peuple. Il a dû exiger, par exemple,
rigoureusement chez les ouhabites que une rupture complète avec l'animal so-
chez les malkis. Us se montrent aussi bre et modeste dont, à tort ou à raison,
plus exacts à accomplir le pèlerinage on suppose que les ouhabites se nour-
de la Mecque; ils comptent un plus rissent.
grand nombre de Hadji que les ortho- C'est à une conversion de cette nature
doxes. que nous paraît se rapporter la répu-
Les malkis eux-mêmes, malgré leur gnance singulière témoignée à l'âne par
antipathie pour des sectaires qui man- quelques tribus berbères de l'Algérie, et
gent de la chair d'âne, reconnaissent en particulier par celles qui bordent le
,
ALGÉRIE» 12Ï
fond du golfe de Bougie. Elles ne peuvent Constantine, et Ton sait que cet acte de
ni en élever ni en souffrir à aucun titre possession sur le continent eut lieu le
sur leur territoire. Si d'aventure elles vendredi 13 octobre 1837, h dix heu-
aperçoivent l'âne d'un voyageur ou d'une res du matin.
tribu' voisine broutant les chardons de Toutes les traditions qui se ratta-
'
leur territoire , elles courent aussitôt chent à ïa possession du sol soit dans le
vers le propriétaire de l'animal , et le passé, soit dans l'avenir, font inévita-
prient instamment de l'éloigner ; cette blement intervenir les chrétiens. Les
antipathie paraîtra d'autant plus éton- pierres de taille jetées à profusion dans
nante que partout ailleurs, dans les les ruines des établissements antiques
montagnes , l'âne est recherché par le sont autant de coffres remplis de trésors
paysan kabile, comme le compagnon dont les chrétiens d'autrefois chassés
infatigable et l'auxiliaire docile de ses par les armes musulmanes ont eu la pré-
travaux. caution d'emporter les clefs. Ils les ont
conservées dans l'exil , et les ont trans-
Prophéties et traditions.
mises à leurs descendants , qui les pos-
LeÈ Arabes ont un grand nombre de sèdent encore. Mais il est écrit que les
prophéties écrites, et ils y croient fer- chrétiens doivent revenir alors tous ces
;
mement ,
parce que tout ce qui doit ar- trésors s'ouvriront et répandront sur la
river est écrit et que les auteurs de ces verte ( c'est le nom que les premiers Ara-
prophéties étaient, aux yeux du peuple bes donnaient à l'Afrique) l'abondance
les élus de Dieu. et la richesse.
Ils ont aussi des traditions ,
que cha- Chaque peuple rapporte le pressenti-
que génération répète d'après la géné- ment et les effets du retour des chré-
ration qui la précède et lègue à la géné- tiens à ses besoins et à ses usages par-
ration qui la suit ; échos mystérieux de ticuliers. Pour les habitants du Tell , les
l'instinct populaire, où au souvenir chrétiens sont partis emportant la clef
confus du passé se mêle un vague pres- des trésors enfouis sous le sol ou amon-
sentiment de l'avenir. celés à sa surface; pour les habitants
Il règne entre les prophéties et les du Sahara, ils sont descendus dans des
traditions un accord remarquable , re- cités souterraines , emmenant avec eux
lativement au retour des chrétiens dans les eaux qui autrefois arrosaient et fer-
les contrées qu'ils ont possédées. tilisaient la terre. i
Un siècle avant la prise d'Alger par Il règne en effet dans le Sahara une
les Français , une croyance de ce genre croyance générale à l'existence de fleu-
avait déjà attiré l'attention d'un voya- ves souterrains. Le fait est qu'à part
geur anglais , le docteur Shaw. « Je ne quelques rares exceptions on ne voit
,
« puis, dit-il, omettre une prophétie point d'eau à la surface du sol, mais
j« dont le temps et l'avenir découvriront presque partout le sable qui couvre le
« la vérité, et qui est fort remarquable lit des ruisseaux en recèle à une petite
« en ce qu'elle promet aux chrétiens le profondeur. Nous avons déjà fait con-
« rétablissement de leur religion dans naître comment les habitants de quel-
k tous ces royaumes... Pour cette raison, ques oasis la font jaillir du sein de la
L ils (les indigènes) ferment soigneu- terre.
« sèment les portes de leurs villes tous Les voyageurs de cette contrée dési-
|r les vendredis depuis dix heures du ma- gnent sous le nom de Bou-Chougga un
|k tin jusqu'à midi, qui est, disent-ils, amas de ruines situées dans le sud-est
« le temps marqué pour cette catas- de Biskra. On y voit encore un bassin
k trophe. » en pierres de taille profond de quatre à
Il est très-bizarre que cette prophé- cinq mètres, entouré de gradins qui
tie ait reçu son accomplissement dans devaient atteindre autrefois le niveau de
l'épisode le plus important de nos l'eau. Mais aujourd'hui le bassin est à
guerres d'Afrique, dans l'événement sec. En ce lieu, disent les voyageurs,
jjui de dominateurs maritimes que nous si l'on approche l'oreille de la terre, on
îtions jusqu'alors nous a faits conqué- entend un bouillonnement souterrain.
rants. Cet événement est la prise de Toutes ces circonstances, dues à des
,
122 L'UNIVERS.
causes naturelles, servent de texte à des « dixième. Les troupes des chrétiens
légendes merveilleuses, où les chrétiens « viendront de toutes parts. Les monta-
figurent toujours armés d'une puissance « gnes et les villes se rétréciront pour
surnaturelle. Depuis l'enfant jusqu'au « nous ; ils viendront avec des armées
vieillard, depuis le fellah jusqu'au der- « de tous les côtés ; certes ce sera un
viche tout le monde est convaincu que
, « royaume puissant qui les enverra...
le chrétien est là , sous terre ; qu'il y a En vérité, tout le pays de France vien-
habite de somptueuses demeures , qu'il « dra... Les églises des chrétiens s'élè-
y trouve une eau courante et limpide, « veront, etc. (1). »
et qu'un jour il sortira de sa retraite, Ainsi notre arrivée était annoncée en
ramenant aveclui les palais et les fleuves. termes précis ; il n'y a que les dates qui
Les Arabes du Sahara m'ont plusieurs ne peuvent s'accorder, de quelque ma-
fois entretenu, avec un air fort mysté- nière qu'on s'y prenne, soit que l'on
rieux , d'une certaine colline solitaire compte par siècles ou par années; mais
qui s'élève près du lit desséché de les savants rejettent l'erreur sur les co-
l'Ouâdi-Iel. Les pentes en sont jon- pistes; car il ne leur vient pas un seul
chées de pierres détaille, que ies habi- moment à la pensée que Sidi-el-Akhdar
tants appellent la maison du remue- le prophète ait pu se tromper.
ménage ( Bordj-el-Guerba ). Là souvent, La prédiction de Sidi-el-Akhdar est
pendant la nuit, l'oreille est frappée de surtout répandue parmi les populations
sons étranges ; et quoique le lieu de- du Tell; mais le Sahara aussi a son pro-
meure habituellement désert, le matin phète : c'est un marabout d'El-Arouat,
des traces récentes d'hommes et d'ani- nommé Hadji-Aïça , qui écrivait il y a
maux domestiques se voient sur le sol. cent trente ans. Celui-là a fixé la durée
Les voyageurs qui rapportaient ces dé- de la domination turque ; il a prédit que
tails déclaraient pour leur compte les Français prendraient Alger, vien-
n'avoir jamais rien vu d'extraordinaire ; draient dans sa ville natale et s'avance-
mais tous avaient entendu des bruits raient jusqu'à l'Ouad-el-Hemar, qui est
confus et sourds dont ils ne pouvaient un des affluents de l'Ouad-el-Djeeli.
deyiner la cause. Ce qu'il y a de certain, Cette prédiction fort curieuse se trouve
ajoutaient-ils , c'est qu'un pâtre de la consignée dans un livre en vers laissé
contrée acquit jadis une grande fortune par Hadji-Aïça, et dont le manuscrit a
sans qu'on ait jamais su par quel moyen. été trouvé à El-Arouat par M. le géné-
On pense généralement qu'il aura fait le ral Marey pendant son intéressante ex-
commerce de moutons avec les chrétiens pédition dans cette contrée en mai et
de l'ancienne ville , qui habitent encore juin 1844 (1).
les rivages souterrains du fleuve. Cet officier général a publié le récit de
Gardons -nous de dédaigner ces l'expédition; il y a joint un extrait de la
croyances traditionnelles , expression prophétie de Hadji-Aïça. En voici quel-
superstitieuse d'un pressentiment géné- ques passages :
ral qui ressemble tant à une révélation. « Préparez pour les chrétiens leur
Croyons à ces trésors que la pierre de « repas du matin et leur repas du soir.
taille renferme dans son sein et qui en « Car je le jure par le péché, ils vien*
sortiront lorsque nous l'aurons mise en « nent à l'Ouad-el-Hemar.
œuvre; croyons au retour des eaux vi- « Lajoie brille dans les yeux de leurs
ves dans les landes du Sahara par l'effet « femmes.
du sondage magique dont nous possé- « Leurs soldats allument leurs feux
dons le secret. « sur nos rochers.
Les prophéties sont plus explicites « Ilsretournent ensuite dans leur
encore que les traditions; la venue des « magnifique cité , dans leurs demeures I
« Alger, la superbe Alger, a été pen- de Tlemcen , cet envoyé du ciel doit
:
dant près de trois cents ans soumise venir dans la soixante-dixième année du
:
à la tyrannie des Turcs. treizième siècle de l'hégire, c'est-à-dire
t i en 1854. Ilserajeuneetbeau,ilaurades
« Une armée innombrable arrive. lèvres fines, un nez retroussé et un signe
« Le Français et l'Espagnol traversent au front. Suivant Sidi-el-Akhdar, il por-
la mer. ° terà e nom et ^ e Prénom du prophète ;
^
.
il s'appellera donc Mohammed-ben-
« Alger tombe au pouvoir des ebré- Abd-Allah.
;
tiens. Ben-el-Benna donne des détails précis
/ sur l'origine et la marche du Moul-es-
« La France vient faire la récoite dans Saâ. Il sortira de Sous-el-Aksa, province
nos champs » (1). du Maroc ; il s'emparera du Maroc de ,
amais montrés sans avoir de rudes corn- ensuite il détruira Alger ira à Tunis, y
,
124 L'UNIVERS.
En ce moment Jésus-Christ descen- faitement motivé aux yeux de nos com-
dra du ciel , et exterminera à son tour patriotes, a pris un caractère mystérieux
tous les Jadjoudjaoumadjoudja. Puis aux yeux des Arabes , qui l'attribuent à
le Christ régnera dans toute sa gloire. des causes surnaturelles. Suivant eux,
Mais bientôt lui-même ira mourir à la ces deux maisons servent de rendez-vous
Mecque; la race humaine cessera de aux esprits; ce sont les djins qui ont
se reproduire , et la fin du monde arri- forcé à la retraite non-seulement les
vera. chrétiens, mais des Arabes même qui
Telle est l'idée générale que les Arabes ont tenté de s'y établir depuis. Pendant
se forment de leur destinée , mélange le jour il est vrai , rien ne se voit, rien
,
ment des esprits crédules , des imagina- disparu quelques imprudents qui avaient
tions superstitieuses, etdonner naissance bravé le danger.
à la légende la plus fantastique. Un fait Tous ces contes, auxquels les Arabes
qui s'est produit sous nos yeux depuis dans leur ignorance , ajoutent d'autant
la conquête française montrera com- plus de foi qu'ils en sont moins dignes,
bien sur cette terre d'Afrique la fabri- ont fait donner à ces deux maisons uo
cation des miracles est chose facile. nom funèbre, que rien désormais n'effa-,
Sur la route de Bône au lac Fzara cera. On les appelle Diar-el-Djenoun
;
à deux lieues environ delà ville, il existe (les demeures des esprits).
un étranglement compris entre le pied Une circonstance très-simple en réa-,
de la montagne et le ruisseau de la Mé- lité et assez étrange en apparence a servi
boudja. Ce lieu détermine la séparation de fondement aux récits merveilleux
entre la plaine de Bône et celle des que l'ignorance et la superstition onl
Khareza. Là sur un rocher qui domine grossis et accrédités.
la route s'élève un grand bâtiment cré- Jusqu'en 1836 il existait, à côté d
nelé, bien construit, mais désert, ce que la maison crénelée bâtie en pierres, une
l'on reconnaît de loin à l'absence des de ces baraques en bois construites dai
portes et des fenêtres. Cet édifice fut les ateliers de France, et dont toutes 1(
pendant les six premières années de la pièces numérotées avec soin s'assem-
conquête française une des sentinelles blaient et se démontaient rapidement.
avancées de no'tre domination. Mais de- Dans l'espace de quelques heures une déi
puis la prise de Constantine grâce aux
,
ces baraques était sur pied; dans l'es-
dispositions vraiment pacifiques des tri- pace de quelques heures aussi elle avait:
bus et aussi, il faut le dire, à la bonne disparu.
administration de nos généraux, ce poste En 1836 la construction du camp de
est devenu inutile, comme tous ceux Dréan à cinq lieues de Bône, en reculant
qui avaient contribué dans l'origine à la la frontière de cette ville, permit de
sûreté de Bône ; et comme les gardiens de réduire la garnison des postes les plus
la petite forteresse avaient été décimés voisins. De
ce nombre fut la maison
par les maladies , l'insalubrité de la po- crénelée construite au défilé des Kha-
sition jointe à son inutilité militaire en reza; on résolut donc de démonter la
a déterminé l'abandon définitif. baraque en bois attenant à la petite
Il en fut de même d'une petite habi-" forteresse en pierre , pour la transpor-,
tation de colon située près de là, et dont ter au camp.
la porte sans vantail reçoit encore l'om- Par suite de circonstances qu'il est
brage de deux magnifiques mûriers inutile de rapporter, cette résolution fut
plantés par des mains françaises. prise d'urgence et dut être exécutée du
L'abandon de ces deux édifices ,
par- jour au lendemain.
ALGÉRIE. 125
Un soir donc
, après le coucher du so- la religion musulmane. Il a pris nais»
eil,à Pheure où la fraction des Kharezas sance avec elle ; c'est au nom du djehad
ampée au pied de la hauteur que la que Mahomet, chef de tribus à demi sau-
naison crénelée domine, se livrait déjà vages , sommait Héraclius et Chosroès
iu sommeil, des voitures et des ouvriers de devenir musulmans ou tributaires.
>artirent de Bône , et s'acheminèrent C'est au nom du djehad que le premier
ers ce point. En quelques heures toutes de ses successeurs Abou-Bekr envahissait
es pièces de la baraque furent démon- l'empire de Byzance par trois côtés à la
ées et chargées sur les voitures, qui fois, par l'Irak, la Syrie et l'Egypte.
•rirent aussitôt la route du camp. Dès
lors se constitua, sous l'influence
Le lendemain les Arabes , s'éveillant des traditions recueillies par les premiers
vec le jour, ne furent pas médiocrement disciples du prophète, l'ensemble des
urpris de ne plus voir la maison de prescriptions législatives qui régissent
ois à la place qu'elle occupait la veille. le djehad et forment le code de la guerre
Cependant au coucher du soleil elle était sainte (1).
ncore sur pied, tout le monde l'avait Proclamée par l'iman, la guerre
ue. Comment avait-elle pu disparaître? sainte devient obligatoire pour tous les
'endant toute la journée il ne fut ques- musulmans tous doivent y contribuer
;
ion dans la tribu que de cet événement. ou de leur personne ou de leurs biens.
,es anciens furent consultés; ils rap- La levée en masse n'admet d'exception
rochèrent toutes les particularités u'en faveur des femmes des , enfants,
tranges qui se rattachaient à ces deux a es esclaves et des infirmes. Mais si
îaisons on se rappela les maladies et
: quelqueirruption soudaine meten danger
lême les morts subites qui avaient en- les terres de l'islam tout doit répondre
,
;vé une grande partie de leurs habitants, à l'appel de l'iman l'esclave n'attend
;
traité de la Tafna, et malgré l'article for- à Narbonne une statue portant cet*
mel qui stipulait la liberté du commerce, inscription prophétique « Enfants d'm
:
Abd-el-Rader défendit sous peine de mael, vous n'irez pas plus loin. »
mort la vente des chevaux. A dater de ce moment, le djeh?
Comme toutes les institutions musul- perdit insensiblement sa rigueur et II
manes, djehad se présentait sous une
le ferveur primitives. Dès le premier sièç; j
joies de la vie future; aux appétits sen- cinquante esclaves et de cinquante ch«
suels les jouissances du pillage, l'appât vaux.
du butin et les consolations du fatalisme; C'est surtout après la conquête |
au moudjahed (combattant pour la foi) l'Espagne que le relâchement se fit sei
le paradis ; au déserteur l'enfer. Celui qui tir. Il arriva que les lois fondamentale
ALGÉRIE. m
moins de profondes atteintes à la dis- deux coups de canon tirés l'un au lever
cipline des premiers jours. et l'autre au coucherdu soleil annoncent
Désormais djehad avait perdu son
Je chaque jour le commencement et la ces-
caractère originel. Le prosélytisme ar- sation du jeûne.
mé avait fait son temps. De son côté, La population indigène vit au milieu
l'Europe s'élevait peu à peu au-dessus de nous; le coup de canon qui retentit
des préjugés réactionnaires qui l'avaient pour elle frappe également nos oreilles
animée contre l'islamisme. Elle entra par et appelle malgré nous notre attention,
degrés dans les voies de la modération sur les particularités qui accompagnent
et de la justice ; elle acquit le sentiment cette grande solennité.
éminemment religieux des droits du Les huit premiers jours du jeûne sont
faible et des devoirs du fort; elle apprit les plus rudes à supporter; mais on s'y
à respecter toutes les croyances , toutes habitue vite, surtout lorsqu'on peut se
les convictions. Lorsqu'en 1830 la France livrer au sommeil pendant une partie de
porta ses armes en Afrique , les rôles la journée. Les ouvriers qui attendent
avaient changé; devenue l'iman des de leur travail le repas du soir ont
temps modernes, c'était elle qui , à son beaucoup à souffrir lorsque le ramadan
tour, proclamait la guerre sainte de no- a lieu en été. Ces longues journées de
tre âge, le djehad de la civilisation. quinze heures pendant lesquelles il leur
est défendu de boire et de manger, les
Le jeûne du Ramadan.
accablent et altèrent souvent leur santé.
Le mois de ramadan est Je neuvième Vers quatre heures les maisons riches
le l'année musulmane, et la religion ouvrent leurs portes ; et le personnage
:'aconsacré au jeûne , parce que c'est qui l'habite vient s'asseoir sur le seuil :
aendant ce mois que le Koran est des- il égrène son chapelet pour tromper les
cendu du ciel. Cet événement eut lieu instances de la faim. Chacun, dans le
;uivant l'opinion la plus générale, dans même but, recourt à un stratagème par-
a vingt-septième nuit. ticulier; celui-ci resserre les plis de sa
Le jeûne tient une place importante ceinture, devenue trop large; celui-là
lans le dogme musulman ; il y figure en- s'enveloppe le visage dans un haïk. Quel-
re la prière et l'aumône ; la prière nous ques-uns essayent de dormir. Le mar-
ionduit à moitié chemin vers Dieu; le chand , accroupi dans son étroite bouti-
eûne nous mène à la porte de sa demeure, que, récite le Koran.
'aumône nous y fait admettre. A mesure que le soleil s'abaisse vers
Le jeûne chez les musulmans est l'horizon , le mouvementaug- et la vie
•eaucoup plus rigoureux que chez nous. mentent; on dirait que
population la
I consiste à ne prendre aucune nourri-
se réveille. L'attente et l'impatience se
ure, à ne pas boire, à ne pas fumer, peignent sur toutes les physionomies.
\ ne respirer aucun parfum depuis le Enfin le coup de canon retentit ; la ville
>oint du jour jusqu'au coucher du so- entière répond par un murmure de joie
;
èil. Dans l'origine la parole elle-même tous les minarets s'illuminent ; sur les
tait interdite. galeries les plus élevées apparaît le mod-
1 Vers la fin du mois de chaban, qui pré- den, qui de sa voix sonore et lente, ap-
,
gueurs de l'abstinence, on les voit assis gager, la fête de l'Aïd-es-Srir fut célébrée
par les rues et sur les places, dévorant, avec plus de pompe encore que de cou
mais des yeux seulement, un pain qu'ils tu me.
tiennent à deux mains, et attendant avec La veille et l'avant-veille les kaïds
impatience le signal libérateur. Ils comp- des différentes tribus soumises étaient
tent les minutes qui restent encore , le arrivés suivis chacun de quarante ou
cinquante cavaliers composant leurs
regard fixé sur l'horloge , et l'oreille at-
tentive. Lorsque enfin le coup de canon goums.
se fait entendre , c'est un spectacle cu-
Quelques difficultés s'étaient élevées
rieux que de voir au même instant une pour la fixation du jour de la fête; l'a
vant-veille un témoin était venu annon
centaine de coups de dents vigoureux ap-
pliqués sur autantde pains qu'ils tenaient cer au cadi l'apparition de la nouvelh
élevés à la hauteur de la bouche, afin d'a- lune; mais le kadi ayant récusé son té
voir moins d'espace à parcourir. moignage, le jeûne" fut prolongé d'ui
Le soir les boutiques restent ouvertes et jour.
illuminées jusqu'à une heure jivancée. Le lieu où les fêtes se célèbrent ordi
Par compensation aux privations du nairement à Constantine est le plateai
jour, presque toute la nuit s'écoule dans de Msalla, situé derrière la colline d
les fêtes et les festins. On passe alterna- Roudiat-Ati. L'autorité française, dan
tivement du café à la collation et de la un sage esprit de conciliation, avaj
collation au café; cela dure jusqu'aux voulu que la population européenne pn
approches du jour, mais seulement pour part, comme cela d'ailleurs estd'usagt
ALGÉRIE. 129
Les différents kaïds suivis de leurs , isolé, l'autre est une sebbala ou réser-
goums, défilèrent successivement, à la voir d'eau pour les voyageurs. Le mina-
manière des Arabes, c'est-à-dire au galop ret, de forme octogonale, porte sur une
en brandissant leurs armes et faisant re- de ses huit faces ces mots qui n'ont pas
tentir l'air de coups de fusil. besoin de commentaire : Aux braves
Une circonstance prêtait à la fête un morts devant Constantine pendant les
caractère nouveau plusieurs chefs sou-
: années 1836 et 1837. Au pied de l'autre
mis depuis peu à la France y paraissaient monument est un petit enclos fermé par
pour la première fois. C'étaient le kaïd une simple barrière en bois; modeste
de I'Aurès , jeune homme de dix-huit cimetière, qui contient les restes de quel-
ans , les deux kaïds des Oulad-Soltan, et ques-uns des martyrs de notre conquête.
le marabout récemment investi kaïd des C'est autour de ces deux petits monu-
Sahari et des Oulad-Derradj. ments qu'avait lieu le tournoi en l'hon-
A côté de ces personnages, qui au temps neur desdames. A la vue de ce simulacre
même de la puissance des beys ne parais- de combat, du lieu de la scène, des souve-
saient pas à Constantine, en figuraient nirs tristes et glorieux qu'il réveille, des
d'autres , qui depuis longtemps étaient physionomies sereines de tous les specta-
nos amis. A
la tête de ces derniers on teurs,Pâme émue rapprochait involontai-
remarquait le brave et infortuné Ben- rement toutes ces circonstances, et y re-
Ouani , cet intrépide enfant de tribu , si connaissait une sorte d'hommage funèbre
promptement et si noblement francisé, rendu en commun à la mémoire de
victime depuis de son dévouement à ceux que la guerre a moissonnés et de
notre cause. Il était alors kaïd des Amer la paix que tous leur doivent.
et des Elma, près de Sétif. Quelques personnes comparaient ce
C'était un curieux spectacle que celui spectacle, mélange bizarre de sons et
3e tous ces chefs escortés des cavaliers
, de costumes si divers, aux carrousels du
le leurs goums , représentant le Tell et moyen âge. Quelle différence pourtant!
!e Sahara de la province , réunis sous la Au moyen âge on disait Crois ou meurs.
:
vait avoir lieu sur la place brèche, de Ja chacun retourna chez soi les goums re-
;
m
l'honneur des dames. On appelle place gagnèrent leurs tentes, les soldats leurs
me la Brèche l'espace qui s'étend entre le casernes et les habitants leurs maisons.
rempart de Constantine et le pied du
toudiat-Ati. C'est là en effet que se Pèlerinage de la Mecque.
lonna l'assaut en 1837. Toute la popu- Le pèlerinage de la Mecque est une
ation bourgeoise se trouvait réunie sur des six obligations fondamentales de la
îette double estrade; les musulmans religion musulmane. Mahomet en a fait
occupaient les pentes du Roudiat-Ati un devoir rigoureux à tous ceux qui se-
e
9 Livraison. (Algérte.) S
130 L'UNIVERS.
raient en état de l'exécuter ; un novateur sous le nom
particulier de râheb (1).
s'étant avisé un jour d'enseigner une pra- C'est le 2du mois musulman de redjeb
tique qu'il disait pouvoir suppléer la vi- que lefiâkeb africain se met en marche;
site au berceau du prophète, fut mis à il part alternativement de Fès et de Ta-
dont ils se montrent très-jaloux. pereur à l'un de ses plus proches pa-
Les premiers khalifes donnèrent rents. Ce prince marche escorté d'une
l'exemple de l'exactitude à remplir ce garde nombreuse, au son de la musique,
devoir. Ils voyageaient avec une grande les étendards déployés.
pompe, distribuant sur leur route beau- L'itinéraire est réglé d'une manière
coup d'aumônes et de bienfaits. L'un immuable ; les lieux de passage, les lieux
d'eux traînait à sa suite plusieurs mil- de séjour, la durée des séjours, sont des
liers de chameaux chargés de provisions données constantes, qui ne paraissent
pour ses compagnons de voyage. La neige pas avoir varié depuis plusieurs siècles.
et la glace destinées aux rafraîchisse- La caravane obtient sur son passage
ments occupaient à elles seules cinq le respect des populations; mais ce res-
son pèlerinage à pied. En route il ren- et la consommation n'est pas sans im- ;
contra un bon musulman , qui accom- portance pour des populations clairse- ;
plissait le même voyage, mais à bien pe- mées comme celles qu'il traverse. A El-
tites journées, car il avait fait vœu d'y Arouat, où il n'a encore recruté que les
employer douze années entières. pèlerins du Maroc et une petite partie des
Le pèlerinage de la Mecque , comme Algériens, le nombre des voyageurs s'é-
toutes les institutions musulmanes, a lève déjà à huit mille. Le jour où la ca-
beaucoup perdu de son prestige et de sa ravane doit passer étant connu à l'avance,
ferveur. Cependant il détermine encore les trafiqueurs peuvent venir de fort loin ;
annuellement un grand remou dans l'em- à peine les piquets des tentes sont-ils
pire de l'Islam. plantés, que des chameaux chargés de
De toutes les caravanes qui traversent
l'Algérie celle que sa force numérique, (i) La plupart des détails qui suivent sont
son caractère à la fois religieux, poli- extraits des Recherches sur la géographie et le
ALGÉRIE. 131
des confréries varie encore dans le nom- prime par une image consacrée parmi ;
bre et la teneur des prières et dans cer- les khouan. Cela s'appelle prendre la'\
taines pratiques de piété. Le deker a la rose. On prend la rose du marabout
valeur et l'importance d'un mot d'ordre. Mouléi-Taieb lorsqu'on se fait recevoir !
'
Il est donné auxkhouans hiérarchique- frère de l'ordre qu'il a fondé. Pour se re-
ment par leurs chefs immédiats, sous la connaître, deux musulmans s'adressent
défense formelle de le faire connaître à cette question : Quelle rose portes-tu?
qui que ce soit. C'est qui-vive de l'affiliation. Si celui
le
Chaque confrérie attribue son origine que l'on interroge n'appartient à aucune
à une vision du marabout qui l'a insti- congrégation, il répond : Je ne porte au-
tuée. Il a vu en songe Mahomet lui- cune rose; je suis simplement serviteur
même , et le prophète lui a révélé la de Dieu.
voie la plus sainte et les pratiques les Lorsqu'un musulman veut être ad-
plus efficaces. En même temps il l'a mis dans une confrérie il se fait pré-
,
chargé de former des disciples et d'ap- senter par un frère au cheik ou mkad'
peler des khouan à le suivre dans la dern de l'ordre qu'il a choisi; celui-ci
voie tracée. lui prend la main, comme le font les
Chaque confrérie est dirigée par un maîtres dans les ordres maçonniques ;
khalifa, qu'elle reconnaît pour chef il iui fait alors connaître ses devoirs,
spirituel et souvent aussi pour chef tem- les prières qu'il doit réciter, les for-
,
ALGÉRIE. 133
mules qu'il doit employer, la manière de Ce saint entre tous les saints, cette vic-
dire son chapelet ; c'est après ces forma- time immolée au salut de l'humanité,
lités qu'il est reçu frère. porte dans les croyances populaires le
Les congrégations musulmanes ne nom de Rout. La moitié de ce qui reste
paraissent avoir rien d'analogue aux de maux est répartie entre vingt hom-
signes mystiques et aux mots de passe mes pieux nommés Aktab disséminés
de la franc-maçonnerie; elles n'ont de dans l'empire de l'islam. L'autre moitié
commun avec elles que le nom de frè- ou le dernier huitième se répand sur le
res que les affiliés se donnent entre eux. genre humain.
Elles sont de leur nature exclusives, et Dès que le choix de Dieu s'est arrêté
n'admettent que des mahométans la : sur lui, le Rc-ut tombe malade; il en-
franc-maçonnerie admet tous les hom- dure toutes sortes de souffrances, et
mes, sans distinction de culte ni de meurt en moins de quarante jours, sous
drapeau. le poids de deux cent quatre-vingt-cinq
Sept ordres religieux comptent des mille maux différents dont il est affligé.
affiliés en Algérie. Sidi-Abd-el-Kader dut à sa sainteté l'é-
Ce sont : clatante faveur d'être choisi pour Rout,
1° L'ordre de Sidi-Abd-el-Kader-el- et il conserve dans le ciel le privilège
Djelali; d'intercéder efficacement pour ceux qui
T De
Mouléi-Taïeb ; souffrent. De la sphère brillante qu'il
3° et de Sidi-Mohammed-
Des Aïçaoua habite entre re troisième et le quatrième
ben-Aïça; ciel ,ce saint patron des affligés entend
De Sidi-Mohammed-ben-Abd-er-
4° les plaintes qui s'élèvent vers lui, et il
fils de Mahi-Eddin , l'élu du ciel, était sur lequel tout l'empire a les yeux fixés.
proclamé sultan. Mais par un malentendu qu'il est dif-
Depuis cette époque, disent les Ara- ficile de s'expliquer, les envoyés du con-
bes, il ne s'est pas écoulé un jour où le sul général ne purent trouver le desti-
nouveau prince des croyants n'ait reçu nataire, et rapportèrent les présents à I
résolution qui n'ait été inspirée à Hadji- tion éclatait en Algérie ; elle avait pour
Abd-el-Kader par son homonyme de point de départ une petite nation kabile
Bagdad. située sur le bord delà mer, à l'extrémité
Mouléi-Abd-el-Kader a donc pris une occidentale de nos possessions. On a
grande part aux affaires de l'Algérie. su depuis que le massif montagneux des
On compte très-peu de khouan de Traras était un des principaux centres
cet ordre dans la province de Constan- de réunion des frères de Mouléi-Taïeb;
tine; ils sont au contraire très-nom- que l'ordre y entretenait des zaouïas, y
breux dans la province d'Oran, où tenait des écoles y possédait de vastes
,
presque toutes les routes, presque tou- domaines , et que ces divers établisse-
tes les cimes de montagnes sont cou- ments reconnaissaient les lois de- Sidi-
vertes de koubba consacrées à la mémoire Hadji-el-Arbi. C'étaient des khouan de
de Sidi-Abd-el-Kader-el-Djelali. Mouléi-Taïeb qui à la même époque,'
2° Ordre de Mouléi-Taïeb Cet . — conduits par Abd-el-Kader, anéantis-
ordre a été fondé par les chérifs de Ma- saient à Sidi-Brahina le petit corps du;
roc, où il compte un nombre immense colonel Montagnac.
dekhouan : à leur tête figure l'empereur C'étaient encore des khouan de!
lui-même, Mouléi-Abd-er-Rahman. Le Mouléi-Taïeb qui soutinrent deux jours
khalifa ou grand-maître de l'ordre est après contre le général Cavaignac les
toujours choisi parmi les membres de combats des 22, 23 et 24 septembre ; el-
la famille impériale celui qui occupe
: le théâtre de ces actions sanglantes,,
aujourd'hui ce poste éminent est Sidi- quoique situé en Algérie, était un des
Hadji-el-Arbi ; il réside avec les cherfa nombreux domaines que possède le'
de la dynastie régnante , dans une petite marocain Sidi-Hadji-el-Arbi, khalifa de
ville appelée Ouazzan, située à mi-chemin l'ordre.
d'El-Arach à Fès. C'était dans les mêmes lieux, et
La prépondérance numérique et l'in- contre les mêmes hommes, que le géné-
fluence morale de l'ordre de Mouléi- ral Lamoricière avait à combattre trois?
Taïeb diminuent à mesure que l'on s'é- semaines plus tard dans les journées,;
loigne de son berceau dans la direction des 12, 13, 14 et 15 octobre.
de l'ouestà l'est. Cependant Constantine, On n'a vu d'abord dans ces divers;
quoique située à la limite de son action, événements qu'une explosion banale et
compte encore à elle seule environ douze confuse de fanatisme ; mais M. le capi-
cents khouan. taine de Neveu a fait connaître plus tard
Au Maroc l'ordre de Mouléi-Taïeb le lien mystérieux qui unissait les épi-
exerce une sorte d'omnipotence ; aussi sodes et les personnages de ce drame
l'empereur Abd-er-Rahman, jaloux de funèbre.
conserver l'appui de Sidi-Hadji-el-Arbi, Antérieurement à cette époque fu-
a-t-ii soin de lui envoyer au moins une neste, l'existence des khouan de Mouléi-
fois par mois des présents à son quar- Taïeb se révélait d'une tout autre ma-
tier général d'Ouazzan. nière. Mais le fil de cette organisation
En juin 1843 le gouvernement, in- maçonnique manquait encore, et l'au-
formé par M. le maréchal Bugeaud de torité française n'avait pas saisi toute
l'influence qu'exerçait en Algérie le la portée de cette indication. C'était du
grand maître de l'ordre de Mouléi-Taïeb, temps que M. le général Baraguay d'Hil-
donna l'ordre à son consul général à liers commandait à Constantine. Un des
Tanger de se mettre en relation avec mokaddems de Mouléi-Taïeb étant mort
ALGÉRIE, «&
dans cette ville, leskhouan lui désignè- fiance en Dieu. Tous les jours il se ren-
rent un successeur provisoire, et ils dait à la mosquée, où i passait des heures
I
de Constantine ne furent pas médiocre- trois enfants en lui disant C'est Sidi
, :
;ment surpris d'apprendre que l'emploi Aïça qui vous les envoie.
était déjà donné. Us essayèrent alors de Le lendemain et les jours suivants le
faire revenir le khalifa sur sa décision; protecteur mystérieux apporta régu-
mais les partisans du compétiteur nom- lièrement de nouvelles provisions , de
mé agirent de leur côté la nomination
: sorte que la maison de Sidi- Aïça connut
jfut maintenue. enfin l'abondance.
C'est alors qu'en désespoir de cause Bientôt les faveurs et les dons du ciel
[les khouan de Mouléi-Taïeb prirent l'é- se multiplièrent tellement que la fortune
itrange résolution d'en appeler à l'auto- du marabout porta ombrage au sultan
rité française. M, le général Baraguay de Meknès , Mouléi-Mohammed , qui le
jd'Hilliers" fit des efforts pour concilier chassa de la ville. Sidi-Aïça partit en effet,
[toutes les prétentions; mais la décision et alla s'établir à quelques lieues, sur un
[qu'il ne termina pas le différend
prit ,
terrain jusque-là inhabité , emmenant
et il que plus tard un chérif vînt
fallut avec lui sa femme , ses enfants et qua-
(exprès du bout du Maroc à Constan- rante disciples.
tine pour clore par un jugement dé- Peu de temps après Mouléi-Ismael lui
ifinitif ce long et singulier débat. On fit défense de rester sur son domaine.
jignorait encore à cette époque l'étroite Sidi-Aïça lui proposa alors de lui acheter
solidarité queles ordres religieux établis- à deniers comptants toutes les terres de
sent entre des individualités et des popu- son empire. Mouléi-Ismael ne vit dans
lations séparées par d'immenses espaces. cette proposition que l'acte d'un arrogant
Cette affaire révéla cependant deux faits et d'un insensé ; et l'accepta néanmoins,
graves, savoir : comme un moyen de se débarrasser du
D'une part, l'influence occulte qu'un marabout. On convint d'un prix et d'un
[personnage étranger exerçait à notre jour pour l'exécution du traité.
[insu sur les terres et sur les peuples de Au jour fixé le sultan sortit en grande
/notre domination ;
pompe de Meknès , accompagné des ou-
D'une autre part, l'esprit de modéra- lémas et de tous les grands personnages
tion particulier à la province de Cons- de la ville qu'il voulait rendre témoins de
tantine, dont les habitants ne crai- la déconvenue du marabout. Arrivé à
gnaient pas de recourir à l'intervention Hamria tout le cortège s'assit en cercle
[française même dans des questions reli- autour d'un large olivier. « Aïça, dit Mou-
gieuses. Mais ce dernier fait, rassurant léi-Ismael ,
je suis venu pour te livrer la
pour une partie de nos possessions, de- ville de Meknès et ses dépendances ; voici
ivait inspirer de sérieuses inquiétudes l'acte de vente, livre-moi le prix con-
|sur le sort des autres. venu.— Tu vas le recevoir, dit Sidi-Aïça. »
3° Ordre de Sidi-Mohammed-ben- Alors il frappa de la main l'olivier, à
—
!
absolument rien pour faire vivre une le propriétaire de Meknès et de ses dé-
nombreuse famille, mais plein de con- pendances à votre tour, sortez démon
:
, ,
136 L'UNIVERS.
territoire. Cependant il se radoucit
» à coup quelques-uns des frères se lèvent,
bientôt, et, cédant aux prières de ceux se placent en dansant sur une même
qui l'entouraient, il rendit au sultan son ligne, et tirentdu fond de leur poitrine,
empire, à condition que chaque année, à en sons rauques et gutturaux le nom
,
vante d'une fête des Aïcaoua , que nous de pouvoir les rejeter sans être vus des
empruntons presque textuellement à assistants. Ceux-ci mangent des épines
l'intéressant ouvrage de M. le capitaine et des chardons; ceux-là portent la
de Neveu. langue sur un fer rouge, ou le prennent
Dans la cour intérieure du bâtiment entre les mains sans se brûler. L'un se
on avait à l'avance préparé des lumières frappe le bras gauche avec la main
et des tapis ; un coussin marquait la place droite, et la chair s'ouvre, le sang coule;
du mokaddem, président ordinaire de la mais aussitôt après il repose la main
fête. Des femmes en assez grand nombre sur son bras , la blessure se ferme, et le
garnissaient la galerie du premier étage, sang disparaît ; d'autres sautent sans se ;
ALGERIE. 137
e fut pas leur désolation en pensant que Abd-er-Rahman , lié d'une étroite amitié à
3n corps reposerait loin d'eux , sur la Hadji-el-Béchir, trouvait dans ce dou-
il
ALGERIE. 139
tuée en état permanent de révolte et de n'a pas pour but exclusif la propagation
conspiration. de l'islam.
Le 30 janvier, vers dix heures du ma- Il ne peut se manifester en eux des
à leur passage, et voulut les visiter. Aus- Ben-Ali prêcha la révolte dans la pro-
,
A ce signal les conjurés tirent les ar- Daïli, détruisit dans la province de
mes cachées sous leurs bernous , pénè- Constantine le camp du bey Othman
trent dans la redoute , et se dirigent vers sur l'Ouad-Zhour.
les chambres occupées par les officiers, En 1809unmaraboutderkaoui, nommé
en déchargeant sur tous ceux qu'ils ren- Ben-Chérif,soulevala province del'ouest,
contrent leurs fusils et leurs pistolets. et tint bloqué pendant deux mois le
Au bruit des premières détonations, les bey Moustafa-el-Mansali dans les murs
défenseurs de la redoute courent aux d'Oran.
armes, le combat s'engage, mais ne dure Abd-el-Kader lui-même a ressenti
pas longtemps. Les conjurés étaient en- plus d'une fois les effets de la lierté
trés dans la redoute au nombre de cin- farouche des Derkaoua.
quante-huit au bout de dix minutes on
: En 1835 un marabout derkaoui,
comptait sur le sol cinquante-huit ca- nommé Mouça, lui livra bataille sous les
davres. murs de Milîana.
Une enquête commence aussitôt, et ne En 18381e même marabout lui disputa,
tarde pas à faire connaître que les con- à la tête des Oulad-Mokhtar, le passage
jurés appartenaient à une tribu voisine, du mont Dira.
étaient affiliés depuis peu aux Derkaoua Les Derkaoua se reconnaissent faci-
société secrète qui compte de nombreux lement à leur extérieur; ordinairement
adeptes dans l'Algérie et le Maroc. ils portent à la main Un bâton armé à
C'est ainsi que s'est révélée l'associa- Les Derkaoua ont, comme les francs-
tion religieuse des Derkaoua. Ils tirent maçons, leur loge (fondouk) et leur
leur nom de Derka, petite ville du grand orient, qui est la djema, ou assem-
royaume de Fès , où leur ordre paraît blée des cheiks. La djema nomme an-
avoir pris naissance. nuellement son président par voie dïélec*
Les Derkaoua professent en matière tion. Ce président est le grand maître de
religieuse un ascétisme rigoureux, et en l'ordre. Chaque fondouk e/tf pareillement
matière politique le radicalisme absolu. les cheiks en assemblée générale.
Ils ne reconnaissent comme légitime Les Derkaoua possèdent, soit dans
d'autre pouvoir que celui de Dieu ils re-
; leurs fondouks, soit dans des lieux se-
jettent toute autorité temporelle , si elle crets,des dépôts d'armes et de munitions.
, ,
140 L'UNIVERS.
Leur principal dépôt, leur quartier gé- léi-Abd-el-Kader, qui grandit en s'avan-
néral en Algérie, est la montagne, de cent vers l'est, vivent dans un état de j
sur l'Algérie une sorte de réseau invi- son action à toute l'échelle sociale, depuis
sible, qui nous enserre nous-mêmes à le fellah jusqu'à l'empereur. Il dispose
Comme toutes les institutions religieu- lui qui désigne le successeur à l'empire, r
recueillaient et faisaient parvenir pen- exercée à notre profit. Ainsi au fort de!
dant la guerre, soit à l'émir, soit aux au- l'insurrection du Dahra, le jour où 8
tres ennemis de notre cause, les offran- toutes les tribus se ruèrent sur Orléans-
ville à la suite de Bou-Maza, notre cadi,.!
des des fidèles ; elles qui assuraient les
mouvements de fonds , qui transpor- qui était en même temps mokaddem dei
taient les correspondances , qui entre- la confrérie de Mouléi-Abd-el-Rader, de-
tenaient la haine du nom chrétien, qui bout sur le seuil de son gourbi , arrêta'
préparaient et organisaient les conspi- d'un geste les hommes armés de sa tribu
rations. En temps de calme elles agis- que leur kaïd conduisait au rendez-vous,
sent dans l'ombre; mais dès que la général.
lutte s'engage contre nous «lies ap- Des sept confréries, trois ont leur
paraissent au-dessus des groupes enne- siège principal dans le Maroc, trois ont'
mis, comme des étendards cachés qui pris naissance en Algérie ; une seule sort
se déploient au vent de la tempête. Alors du berceau de l'islamisme.
surgissent de l'obscurité des hommes Des trois confréries d'origine algé-
qui nous étaient inconnus, qui sor- rienne deux remplissent, à leur insu
tent nous ne savons d'où, qui s'élè- peut-être, une mission sociale digne d'in-
vent en un instant aux plus hautes di- térêt. Ce sont celles de Sidi-Ben-Abd
Historique. —
État du commerce maritime
Hiberniens. Combien les rôles sont
sous les dominations- antiques; Sous les — changés! L'Afrique, civilisée alors, al-
dynasties berbères; — Sous
domination la
lait faire dans la barbare Albion ce que
turque — Sous
domination française.
la — l'Albion civilisée de nos jours fait sur
—
;
réennes, vêtus de la casaque de buffle, l'on en est réduit aux conjectures pour
armés de la longue épée et de la forte rétablir le fruste de l'histoire.
lance, traînant avec eux, sur de grossiers Aux Grecs du Bas-Empire succèdent
et massifs chariots, richesse et famille. les Arabes ; avec eux une civilisation
d'un siècle! Les caractères de la civili- rant les premiers siècles de l'islamisme,'
sation, le luxe, la richesse, l'amour du aucun document explicite ne permet'
bien-être ont remplacé chez ces colons d'en apprécier nature et l'étendue. Il
la
rapprochant des indications éparses , on alors une des phases les plus orageuses
est conduit à la chercher encore dans de sa croissance , y ait prit une part di-
les relations d'échange établies par les recte et active. Toutefois , elle se forme
Vandales avec les rivages de la Méditer- à l'école des géographes arabes ; elle ap-
ranée et les contrées intérieures de l'A- prend d'eux les richesses que l'Afrique
frique. Si le paysan vandale était devenu renferme dans son sein; elle recueille
en un siècle sybarite raffiné c'est qu'il
, enfin les enseignements d'une civilisa-;;
ne craignait pas d'aller chercher l'ambre tion qui la devance, mais qu'elle doit dés
jusqu'aux confins desa patrie originelle, passer un jour.
la Germanie; c'est qu'il faisait venir à Jusque vers le milieu du onzième
travers l'Egypte les parfums de l'Inde, siècle elle avait opposé aux envahisse-
et à travers les déserts de la Libye les ments- de l'islamisme une attitude inerte
esclaves, la poudre d'or, et les pierres et défensive ; elle entre alors dans la
besoins nouveaux , leur avait aussi créé teville,est le premier souverain chrétien I
ALGÉRIE. 143'
ont fonder, les armes à la main, quel- et l'Occident. Deux incidents amenèrent
ues établissements sur la côte orientale la suspension des hostilités. En 1167,
e la régence actuelle de Tunis. Bien- quelques navires pisans furent jetés par
3t des rapports de commerce s'établis- la tempête sur les côtes barbaresques
3nt entre le continent musulman et l'île et les naufragés retenus captifs. A la
iirétienne, qui lui achète ses cuirs, son nouvelle de ce sinistre, le consul de la
roire, ses laines, ses plumes d'autru- république de Pise, Cocco Griffi, se
lie son corail et sa poudre d'or.
, rendit lui-même en Afrique, sous pré-
Le successeur de Roger ne conserve texte d'obtenir la liberté de ses compa-
as, il est vrai, lesconquêtes de ce prince ; triotes, mais en réalité pour y nouer
lais il fait la paix avec les souverains des relations. Il visita d'abord Bougie
msulmans; et les relations entre i'A- qui était à cette époque la véritable ca-
•ique et l'Europe survivent à la guerre pitale de l'Algérie; de là il passa dans
ni les a créées. Bientôt elles s'étendent le Maroc. Non-seulement obtint sans il
jenir, pour le progrès de la civilisa- église et une bourse. Ces deux derniers
|>n, un grave et utile enseignement, établissements témoignent de la sécurité
le montre ce que fut la race berbère dont ils jouissaient. Une lettre, adressée
^ant que le despotisme des trois der- le 18 mai 1182 à l'émir de Bougie par la
jèrs siècles l'eût aigrie et falsifiée ; elle république de Pise, et conservée dans les
représente dans la liberté de ses allu- archives de Florence, ne laisse aucun
s, dans la naïveté de ses instincts. Or, doute sur la confiance et la bonne har-
race berbère, c'est encore aujourd'hui monie qui régnaient habituellement
lément numérique le plus important dans les relations des deux États.
I la population de l'Algérie; c'est le Pendant longtemps ces relations ne
élément organique et vivace.
ul reposèrent que sur de simples traités
La
perte des conquêtes de Roger en d'alliance, et ne cherchèrent point de ga-
/rique et l'avènement des Berbères à ranties ailleurs que dans la loyauté des
! souveraineté du Maghreb furent sui- transactions et la réciprocité des inté-
d'un armistice général conclu vers rêts. Ce ne fut qu'au bout d'un demi-
|
Ifîn du douzième siècle entre
l'Orient siècle que la multiplicité toujours crois-
144 L'UNIVERS.
santé des rapports d'échange fit sentir manufactures les laines d'Afrique, regar
l'utilité de par des actes les-droits
fixer dées comme supérieures à celles d'Eu
et les devoirs de chacun. rope. Aussi, s'était-elle ménagé des ap
Un premier traité de commerce, con- provisionnements réguliers dans lei
clu en 1230, entre la république de Pise villes de Bône, de Bougie et de Tunis
et le royaume de Tunis (1), devint la base Elle achetait en outre dans les. port:
du drojt public entre l'Afrique septen- d'Afrique de l'alun, de l'huile à savon
trionale et les États maritimes de l'Italie. des plumes d'autruche, des pelleteries
Il assurait aux marchands italiens des maroquins, des cuirs communs, di
une entière protection pour leurs biens la cire et des fruits secs. Elle livrait ei
des bains , des cimetières et des églises des draps des étoffes de soie, destoilei
,
dans toutes les villes des royaumes de de Rouen et de Reims, des objets di
Tunis et de Bougie. quincaillerie et de mercerie enfin dei ,
treizième siècle consacraient donc déj à le dans quelques tribus , le plomb n'entrai
principe de l'inviolabilité des neutres, plus pour rien dans les exportations d*
l'une des plus belles conquêtes de notre l'Algérie., La découverte de ces riches<
droit public moderne. Nous rappelle- ses métallurgiques est un bienfait quf
rons plus tard combien de fois les sti- l'avenir réserve à l'industrie française.
pulations de ce genre furent violées par Vers 1252 quelques florins d'or ré
la mauvaise foi des pachas turcs dans , cemment frappés au coin de la républi-
la personne même des consuls. L'his- que de Florence tombèrent sous le/
toire ne reproche aux émirs berbères yeux du roi de Tunis ce prince en té-
;
veur des négociants pisans. Cette ré- florentin nommé Péra Balducci, l'in-
publique faisait alors un immense com- terrogea sur les ressources de ses com-
merce de tissus, et recherchait pour ses patriotes; et c'est à la suite de cet en-
tretien qu'il leur accorda des privilèges
(i)Le royaume de Tunis comprenait alors,
commerciaux, notamment le droit d'a-
outre la régence de ce nom, les pays de la Calle,
voir une église et un fondouk à Tunis.
Bône, Kollo, Djidjeli, Bougie, et se prolon-
Dès lors les Florentins purent commer-
geait jusqu'au delà d'Alger et de Cherchell.
cer librement dans tous ses États, mal-!
Elle embrassait donc la plus grande partie de
gré la jalousie des Pisans, qui jusque-là
r Algérie actuelle. L'enclave la plus importante
de ce vaste empire était désignée spécialement les avaient fait passer pour un peuple
par le nom de royaume de Bougie. Elle com- de montagnards et de portefaix.
prenait environ les trois quarts de nos pos- C'est ainsi que dans l'espace de vingt-
6essions actuelles. deux ans, de 1230 à 1252, les républi-
ALGÉRIE. 145
ques italiennes
conclurent successive- africains sous l'empire des traités du
ment des traités de commerce avec les moyen âge.
princes berbères du Maghreb. - L'histoire ne mentionne aucune in-
Arrive l'année 1270; saint Louis s'em- • fraction au traité de 1270.
Au contraire,
barque une seconde fois pour la Pales- une pièce conservée dans les
archives
tine quittant son royaume qu'il ne doit
, , de Marseille constate à là date du mois
,
plus revoir : il va mettre le siège de- de juin 1293, les bons offices rendus aux
vant Tunis; mais il tombe malade sous négociants de cette ville par le chef de
les murs de cette ville, et succombe le la marine musulmane à Bougie.
25 août. 11 semblait que cette guerre dût Voici un fait arrivé peu de temps
rompre les liens commerciaux formés après la conclusion du traité avec la
entre les deux rivages de la Méditer- France, et qui peut donner une idée de
ranée au contraire, elle les resserra.
:
l'importance des valeurs engagées à cette
Presque aussitôt après la mort du saint époque dans le [commerce de l'Europe
roi Philippe le Hardi entra en négo-
, avec l'Afrique, en même temps qu'il ca-
ciation avec l'émir de Tunis. Un traité ractérise la nature de leurs relations.
fut conclu, traité empreint encore de Vers 1286 quelques navires génois ayant
l'esprit de tolérance dont la convention été maltraités dans le port de Tunis,
[de 1230 avait inauguré le régime. Que- l'émir fit immédiatement estimer le
lques dispositions de cet acte diploma- dommage et indemniser les négociants
tique feront juger la nature des rapports qui avaient souffert. Le montant des
qui durent s'établir entre la France et réclamations s'éleva à la somme de
l'Algérie de ces temps-là. 63,616 besants, environ 600,000 francs
Par le traité de 1270 le roi très- de notre monnaie, qui
furent répartis
Arétien et l'émir des croyants s'impo- entre neuf maisons.
sèrent l'obligation réciproque de faire La bienveillance qui rapprochait alors
Recueillir les objets provenant de nau- les deux rives de la Méditerranée s'é-
frages et de les restituer à leurs
pro- tendait à d'autres intérêts que ceux du
priétaires. A l'époque où fut pris cet en- négoce. Vers la fin du treizième siècle
gagement, le droit d'épave s'exerçait de quelques seigneurs
européens occu-
chrétiens à chrétiens dans toute "sa ri- paient de hauts emplois dans le gouver-
gueur. nement de l'Afrique. Ils négociaient des
Une autre clause interdit la course traités percevaient des impôts au
(
faits sont constatés par des bulles pon- ou leurs protégés. Ainsi au moyen âgé j
aux religieux fixés dans les royaumes de chrétiens de sa protection jusque sur la
Tunis , Bougie , Tlemcen et Maroc. terre chrétienne.
Rien ne prouve mieux là sécurité dont Il n'était pas rare de voir la confiance
les étrangers jouissaient en Afrique, réciproque se traduire par des actes d'as-
sous le gouvernement berbère, que le sociation. Tantôt les négociants afri-
nombre des chrétiens qui s'y étaient éta- cains s'intéressaient dans les cargaisons
blis. Voici un document qui peut en européennes, tantôt ils venaient eux-
donner une idée. Au commencement du mêmes en Europe se livrer à des opéra-
quatorzième siècle les droits sur le vin tions de négoce, en participation avec
seul produisaient à Tunis un revenu as- des marchands chrétiens. Beaucoup de
sez considérable pour que le roi en navigateurs italiens faisaient le com-
affermât la perception au prix annuel merce de cabotage depuis Alexandrie
de 34,000 besants, environ 340,000 fr. jusqu'à Ceuta, sous la commandite mu-
de notre monnaie. Les droits néces- , sulmane.
sairement supérieurs à cette somme, En même temps les marchands chré«
étaient au maximum de 10 pour 100. Il tiens établis en Afrique prenaient part
entrait donc annuellement àTunis pour au commerce intérieur. Ils parcouraient
3,400,000 francs de vins, destinés ex- le pays dans tous les sens ou le faisaient
clusivement à la consommation euro- parcourir par leurs courriers. Ils avaient
péenne. En tenant compte de l'énorme obtenu la faculté de se joindre aux gran^
dépréciation que le numéraire a subie de- des caravanes qui traversent l'Afrique, et
puis cette époque, on peut regarder cette jouissaient même sur les terres qu'"
valeur comme équivalente au moins aux traversaient d'un droit de pâturage pour)
7,400,000 francs de vins que l'Algérie leurs animaux de transport. Investis de!
reçoit en ce moment pour la consomma- ce privilège, ils purent s'avancer jus^'
tion des deux cent mille Européens, mi- que dans les profondeurs de l'Afrique
litaires ou civils, qui l'habitent. Ainsi la centrale, et obtenir à la source delà pro:
contrée que desservait le seul port de duction nigritienne les denrées que 1 Euf|
Tunis pouvait renfermer une population rope leur demandait.
chrétienne de deux cent mille âmes. Il Vers la fin du quatorzième siècle des;
en était de même sans doute à Bougie, pirates de tous pays commencèrent f
à Oran, à Ceuta et dans les autres infester la Méditerranée. Afin de protégei
ports du Maghreb, aussi accessibles que contre ce fléau des intérêts devenus
celui de Tunis. On peut donc évaluer à communs, on vit alors les républiques
un million le nombre des chrétiens éta- italiennes, de concert avec les princes
blis au moyen âge dans l'empire berbère. d'Afrique, organiser des croisières mixtes
Les Sarrasins jouissaient en Europe où le pavillon musulman s'unissait au
de tous les privilèges garantis en Afri- pavillon chrétien pour la sécurité des
que aux négociants chrétiens. Chaque mers.
année des navigateurs musulmans par- La protection accordée aux négo-
taient de Tunis, de Bougie et d'Oran, ciants chrétiens dans toute l'étendue de
versaient les productions de l'Afrique l'empire berbère, avait déterminé un
dans les ports de France, d'Espagne et grand nombre d'entre eux, pour se rap-
d'Italie, etemportaient en échange des procher des points de départ et d'arri-
toiles de Reims, des futaines, des vée des caravanes nigritiennes , à trans-
draps, de la quincaillerie et une foule porter dans l'intérieur leurs pénates,
d'autres articles de fabrique européenne. leurs fondouks, leurs comptoirs et leurs
Ce qui est digne de remarque, c'est que églises. Sous la dynastie des Beni-Zeian
ALGÉR1E. 147
une colonie chrétienne, composée prin- vent de pays très-éloignés pour les ache-
cipalement de Catalans et d'Aragonais, ter. Ce ne fut qu'au seizième siècle que
avaitobtenulafacuîtédes'établiraTlem- le privilège de la pêche du corail échut
cen.Elle comptaitaussi dans son sein plu- à la France; mais la Compagnie fran-
sieurs familles françaises et italiennes; çaise, sans cesse inquiétée, ne donna pas
possédait des maisons , des maga-
elle à cette industrie tout le développe-
des bains, des églises, et contribuait
sins, ment qu'elle avait pris au treizième
au riche commerce que Tlemcen entre- siècle entre les mains de la Toscane.
tenait alors par Oran et Mers-el-Kébir Encore un mot sur cette époque in-
avec tous les ports de la Méditerranée. téressante, où la France trouve pour
Dans le mouvement d'échange qui rap- l'œuvre de civilisation qu'elle accomplit
prochait au moyen âge l'Europe et l'A- en Algérie de si précieux encourage-
jfrique, chaque peuple s'était attribué ments.
?une part spéciale. Pise demandait sur- Dans toutes les villes du Maghreb les
tout aux États berbères des cuirs bruts marchandises étaient passibles , à l'en-
pour ses tanneries et teintureries des trée et à la sortie, d'un droit de douane
rives de l'Arno , Gênes des laines pour cjui variait depuis la franchise entière
ses filatures , Venise des métaux. jusqu'à 10 pour 100.
:
Bougie, placée au milieu des côtes de Les métaux précieux furent toujours
l'Algérie et à l'entrée du massif berbère admis avec des droits faibles , quelque-
e plus compact, demeure dans tout le fois en franchise, surtout à Bougie et à
;ours de cette période l'une des cités les Tunis, où ils étaient transformés en nu-
)lus florissantes de l'Afrique. Elle éten- méraire car Bougie si déchue de nos
; ,
lait ses relations à tous les ports de la jours, avait alors son hôtel des monnaies.
Méditerranée; elle correspondait non- Habituellement les blés devaient une
leulement avec l'Italie, la France et taxe d'exportation cependant, s'il était
:
'Espagne, mais aussi avec PAsieïMi- constant que la disette régnait en Ita-
ieure, la Morée, la Turquie, l'île de lie, ils sortaient en franchise. Mais en
Chypre , la Syrie et l'Egypte. Elle ex- revanche, si la disette se faisait sentir en
portait des cotons bruts du lin, de la
, Afrique, l'exportation était suspendue.
ioie , des laines , des cuirs de la cire
, Enfin, le commerce européen avait ob-
tdu miel, des métaux, des caroubes, tenu des souverains berbères ce que la
|es noix, du blé, des épices et des civilisation moderne place ajuste titre
forces à tan. Ce dernier article s'ex- au rang de ses bienfaits. En vertu d'un
>ortait en si grande quantité, qu'il était privilège réservé aux Pisans , les mar-
|:onnu dans toute la Méditerranée sous chandises n'étaient tenues d'acquitter
le nom fîiscorza di buggiea.
les droits de douane qu'au moment de
1
Ajoutons encore un produit dont le leur entrée en consommation. C'est le
10m dispense de tout commentaire, la principe de l'institution des entrepôts,
ïpugie, et un autre qui devait jouer un dont Colbert devait doter la France qua-
|iigrand rôle dans la politique des siè- tre siècles après.
ges suivants, le corail. Nous sommes parvenus à la fin du
\
C'est encore aux Pisans que revient quinzième siècle. Deux événements im-
,our le dernier article l'honneur de Pi- menses s'accomplissent Colomb décou-
:
10.
148 L'UNIVERS.
Méditerranée entraînait l'abandon du obtinrent une réduction considérable sur !
continent africain. Le mouvement des les droits d'entrée. Ils ne payèrent plus
flottes n'était plus là pour entretenir ce- que 5 pour 100. Quelques années après, |
côte et y installe la domination des re- rope consista presque exclusivement dans
négats et des corsaires. la vente des prises maritimes et le bro-
Dès lors adieu le fruit et même le sou- cantage des esclaves chrétiens. Comme
venir des bonnes relations établies au chrétien et comme Français, nous nous
moyen âge; la Méditerranée n'est plus faisons un devoir de rappeler les princi-
qu'un vaste coupe-gorge exploité à la pales circonstances de ce trafic impie,
fois par des forbans barbaresques et des que l'Europe puissante et civilisée a sup-
chevaliers chrétiens. porté si longtemps, et qu'elle supporte-
rait peut-être encore si la France ne
Commerce de V Algérie sous la domi- l'en eût affranchie. Qui sait si, dansl'ou-'
nation turque. bli de ces vieilles injures , on ne vien-
Sous la domination turque le brigan- drait pas quelque jour lui reprocher la
dage des mers, érigé en industrie nor- conquête de l'Algérie comme une at-l
male , changea le cours et le caractère teinte à l'équilibre européen 1 !
ments, la presque certitude des exac- ranée elle exploitait tout le bassin occi-
tions et des avanies. Comment d'ailleurs dental et l'Adriatique.
le consommateur aurait-il demandé au Le bâtiment qui s'éloignait pour la
négociant ce que le corsaire lui fournis- course portait à l'arrière un magnifique
sait à meilleur marché? étendard. Mais à peine avait-il perdu de I
ALGÉRIE. 149
La prise était-elle de nature à lui faire Lorsque le dey avait prélevé son hui-
honneur , il la remorquait lui-même, et tième parmi les esclaves les autres ,
mettait aussitôt le cap sur Alger. Arrivé étaient conduits au batistan c'était le :
non tirés sans interruption jusqu'à son annonçant à haute voix la qualité , la
entrée dans le port. Si la capture lui pa- profession et la dernière enchère. Lors-
raissait d'une grande importance, il con- qu'il ne se présentait plus d'enchéris-
tinuait ses salves jusqu'à la nuit. seur, le courtier inscrivait sur son livre
Dès que le canon de bonne prise se le prix du plus offrant.
entendre, les habitants d'Alger
faisait « Le douzième de septembre, dit
montaient sur leurs terrasses,; ils con- « Emmanuel d'Aranda (1), on nous
naissaient alors la nation sur laquelle le « mena au marché où l'on a accoutumé
sort de la course était tombé ; car le « de vendre les chrétiens. Un vieillard
corsaire avait toujours soin de hisser le « fort caduc avec un bâton à la main
,
pavillon de la prise au sommet [de son « me prit par le bras et me mena à diver-
grand mât. « ses fois autour de ce marché. Ceux qui
Il arrivait quelquefois que le corsaire, « avaient envie de m'acheter deman-
dans l'ivresse du succès, commençait « daient de quel pays j'étais, mon nom
dès l'instant de la capture à faire re- « et ma profession. Sur lesquelles de-
canon dans
tentir ses coups de la solitude « mandes je répondais avec des men- ,
Dès que le corsaire entrait en rade « à force de travailler ; outre cela ils me
le réis de la marine se rendait à bord ; « faisaient ouvrir la bouche pour voir
il prenait connaissance des esclaves et « mes dents, si elles étaient capables de
des marchandises saisies , et en rendait « ronger le biscuit sur les galères.
compte au dey. « Après cela, ils nous firent tous asseoir,
A peine amarré dans le port , le cor- « et le vieillard inventeur prenait le
saire faisait conduire tous les esclaves « premier de la bande par le bras,
au palais du dey : examinait
celui-ci les « marchant avec lui trois ou quatre fois
avec attention et en choisissait un sur « à Fentour du marché, et criant Ar- :
huit : c'était sa part. Les esclaves qu'il « rachel Arrache ! Ce qui veut dire :
avait choisis étaient aussitôt conduits « Qui offre le plus? Le premier étant
au bagne. Le reste se partageait entre « vendu, on le mettait de l'autre côté
les propriétaires du navire et l'équi- « du marché, et l'on commençait un
page. « nouveau rang. »
Le dey avait aussi droit au huitième A cette vente en succédait une autre,
de la cargaison. Le partage s'effectuait qui avait lieu dans le palais du dey.
par les soins du contrôleur des prises L'offre la plus élevée de la première
et de l'écrivain du bord le premier sti-
, devenait la mise à prix de la seconde.
pulant pour le dey, le second pour l'é- L'esclave, promené de nouveau devant
quipage capteur. Ils dressaient ensemble les chalands, était adjugé au dernier en-
un état du chargement avant de le faire chérisseur. Le prix de la première vente
entrer dans les magasins. appartenait au propriétaire et à l'équi-
Les agrès du grand mât revenaient page du navire ; l'excédant résultant de
aux gardiens du port c'était le droit de
: la seconde entrait encore dans le trésor
caraporta; les agrès du mât de mi-
saine passaient sur le navire capteur.
(i) Emmanuel d'Aranda se rendait d'Es-
La vente du bâtiment réduit à son pagne, où il avait passé sa jeunesse, à Bruges,
squelette avait lieu aux enchères publi- sa patrie, lorsqu'il fut pris par un corsaire
ques dans le palais du dey. Le produit d'Alger, où il demeura esclave pendant deux
se partageait dans la même proportion ans. A son retour en Flandre, il composa la
que les esclaves et les marchandises, relation de sa captivité j Paris, i665.
,
150 L'UNIVERS.
du dey. On comprend que les chalands gnait une habitation aux pieux négo-
montraient peu d'empressement à l'en- ciateurs.
chère fictive, et réservaient leurs offres Mais une nouvelle avanie les attendait.
sérieuses pour l'enchère réelle. Ces Le dey exigeait qu'ils rachetassent avant
achats se faisaient au comptant. tout quelques-uns de ses esclaves lui- :
commis par le gouvernement dont ils lement les captifs qui venaient implorer
étaient sujets , soit par l'entremise d'un leur charité, c'étaient les Turcs et les
délégué de leurs familles , soit enfin par Maures eux-mêmes, qui cherchaient à
la médiation des religieux de la Merci. les attendrir en faveur de leurs propres
Dans tous les cas , il fallait ajouter au esclaves.
prix de la rançon ce que l'argot des Les religieux commençaient par les
corsaires appelait les portes. C'était d'a- captifs de leur nation ;n'appliquaient
ils
bord un droit de 10 pour 100 pour la au rachat d'autres chrétiens que l'excé-
douane; c'était ensuite le caftan de dant de leurs ressources ; mais ils se fai-
pacha, qui consistait en un droit de 15 saient un grand scrupule de racheter
piastres au profit du dey; c'était encore des hérétiques.
un droit de 4 piastres pour les secré- La négociation se terminait par une
taires d'État ; c'était enfin un droit de messe d'actions de grâces à laquelle tous
7 piastres pour capitaine du port.
le les malheureux délivrés par les soins des
Les esclaves échus à des particu- pères assistaient vêtus de manteaux
liers ne devaient pas d'autres taxes; blancs ; ils se rendaient ensuite au pa-
mais ceux qui avaient l'honneur d'être lais, où chacun d'eux recevait son teskra
esclaves du dey payaient en outre 17 d'affranchissement. Puis les religieux
piastres destinées au chef des gardiens prenaient congé du dey en audience
du bagne. solennelle. Après cette nouvelle forma-
C'est aux religieux de Notre-Dame lité, les captifs marchant deux par deux
de la Merci, collecteurs des aumônes de traversaient lentement la ville et se ren-
l'Europe, que le plus grand nombre des daient processionnellement, sous la con-
esclaves devaient leur liberté. duite de leurs libérateurs, à bord du
Lorsque les pères croyaient avoir navire qui devait les rendre à leur fa-
réuni la somme nécessaire à l'accom- mille et à leur patrie.
plissement de leur mission charitable, A leur arrivée en Europe la cérémo-
ils en donnaient avis à l'administrateur nie de la procession se renouvelait. Les
de l'hôpital d'Alger, qui demandait religieux ne négligeaient rien pour don-
leurs passeports au pacha. Dès leur ar- ner à cette solennité un caractère théâ-
rivée ils se faisaient présenter au dey, tral. Ils avaient eu soin de faire conser-
et lui offraient un présent considérable. ver à leurs protégés la longue barbe
En même temps ils remettaient une dé- qu'ils portaient dans l'esclavage; ils les
claration des valeurs et des marchan- chargeaient pour ce jour-là de chaînes
dises qu'ils apportaient. Un officier se qu'ils n'avaient jamais portées; enfin,
rendait à bord, pour vérifier et faire le grand manteau blanc, emblème de
transporter le tout au palais. Le dey leur rédemption, complétait l'effet des
commençait par prélever 3 \ pour 100 chaînes et de la longue barbe, signes
sur les espèces et 12 ; pour 100 sur les de leurs souffrances ; les religieux pro-
marchandises. C'était seulement après fitaient de l'émotion des spectateurs
s'être assuré de tous ses droits qu'il assi- pour faire appel à leur libéralité, être-
, ,
ALGÉRIE. 151
revendre à deniers comptants, telle fut, que l'Algérie rend à peine à la consom-
pendant la plus grande partie delà pé- mation générale la dixième partie de ce
riode turque, la principale branche de qu'elle lui emprunte.
commerce, la principale source de re- Examinons, au point de vue des in-
venus, l'industrie spéciale de l'Algérie. térêts nationaux, la composition de ces
Comment la régence aurait-elle pu divers chiffres.
adhérer sincèrement à l'abolition dé Enattendant que le développement
l'esclavage? c'eût été signer son arrêt de algérienne autorise la
l'industrie
de mort. Il n'y avait qu'un moyen d'en France à tirer directement du sol de sa
finir, c'était de faire main basse sur la conquête les dépenses qu'elle fait pour
boutique et d'enchâsser les marchands. la conserver, il importe à la métropole
Lord Exmouth aurait pu le faire en 1816 ;
que la plus grande partie des impor-
Une le voulut pas. tations vienne de son territoire , et que
II était réservé à la France de replacer la plus grande partie des exportations
l'industrie et le commerce de cette con- aille à l'étranger; car elle y trouve l'a-
trée dans des conditions régulières et vantage de rappeler ou de retenir indi-
morales. Examinons l'état de ses rela- rectement dans la circulation nationale
tions avec l'Europe sous ce nouveau une partie du numéraire qu'elle verse
régime. directement dans la colonie*
Voici quelle était sous ce rapport la
Commerce avec l'Europe depuis 1 830.
situation de 1845 ; dans les marchandises
Comme tous de la civilisa-
les fruits importées en Algérie, celles qui prove-
tion, ce régime se présente hérissé de naient du sol et du territoire de la
chiffres. Nous allons détacher de cette France figuraient pour une valeur de
enveloppe arithmétique les aspérités 62 millions ; les marchandises d'origine
les plus saillantes. Le lecteur nous par- étrangère tirées des entrepôts français
donnera ces détails, malgré leur aridité, pour 9 millions; enfin les marchandises
à raison de l'importance nationale et complètement étrangères, pour 23 mil-
sociale de l'œuvre qu'ils caractérisent. lions.
Nous empruntons ces résultats sta- Quant aux marchandises exportées,
tistiques aux Tableaux de la situation la France en a reçu pour une valeur de
des établissements français en Algérie, 5 millions 700,000 francs et l'étranger
publiés annuellement par le ministère pour une valeur de 4 millions 800,000
de la guerre. Les plus récents s'appli- francs.
quent à l'année 1845, qui est la limite En 1835 le chiffre des importations
des renseignements fournis par le der- étrangères se réduisait à 7 millions
nier deces comptes rendus, celuide 1847. 800,000 francs il a augmenté jusqu'en
;
152 L'UNIVERS.
tarifs de la douane algérienne au profit l'Angleterre qui exploita presque exclu-
de la fabrication française. sivement cette branche de commerce.
Dans le mouvement d'exportation L'Arabe refusait nos produits, non pas
ilest une donnée fort importante en , parce qu'ils étaient inférieurs mais
,
ce qu'elle exprime à peu près l'état de parce qu'ils étaient autres. Il lui fallait
la production et donne la mesure des le même poids, le même
aspect, le même
progrès de la civilisation industrielle apprêt ; à égalité de prix , il préférait la
en Algérie. C'est la part qui revient aux cotonnade anglaise , dont il avait l'habi-
provenances du sol aux produits du
, tude, au tissu français de qualité supé-
crû. Le chiffre des marchandises tirées rieure, qu'il ne connaissait pas. Cepen-
du sol lui-même était en 1844 de 3 mil- dant l'immense quantité de numéraire
lions; il s'est élevé à plus de 6 mil- versée annuellement par la France en
lions en 1845. Il a donc fait plus que Algérie répandait le bien-être parmi le
doubler dans l'espace d'un an. Les pro- peuple arabe; la consommation des co-
duits sur lesquels porte principalement tonnades s'en augmentait d'autant. Qui
cette amélioration sont les peaux et les en profitait? l'industrie étrangère. Il était
laines brutes les sangsues , le corail
, cruel de voir récolter par d'autres le blé
les céréales , l'huile d'olives et le tabac. que nous semions à si grand'peine et à si
L'accroissement de ce dernier produit frands frais. L'ordonnance du 16décem-
est dû aux encouragements de l'admi- reà eu principalement en vue la cessa-
nistration, qui depuis quelques années tion de cette anomalie. Depuis cette épo-
achète les récoltes pour son propre que les indigènes ont trouvé que les
compte. Beaucoup d'Européens et même chemises de Londres coûtaient trop
d'indigènes séduits par les prix avanta-
, cher et leur ont préféré celles de Rouen.
geux qu'elle leur offre , se livrent à la Lors de la promulgation de l'or-
culture du tabac qui en,
Algérie, on le donnance la France versait en Algérie
sait , jouit d'une entière liberté. pour 2 millions de tissus, et l'étran-
Les principaux articles d'importation ger, soit directement soit par nos en-
,
d'Alger reçoit à lui seul les deux tiers En jetant les yeux sur la liste des
des importations. Cette supériorité s'ex- denrées introduites dans la consomma-
plique facilement. C'est à Alger que tion de l'Algérie par les différents États
toutes les administrations ont leur dont elle est tributaire, on est étonné
siège; c'est à Alger que les grands d'y voir figurer les céréales en grains
travaux s'exécutent c'est à Alger que
; ou en farine pour près de 15 millions;
toutes les communications viennent elle en reçoit de l'Angleterre,, de la
concourir. Il ne faut donc pas s'étonner Russie, de la Toscane, de l'Autriche,
de voir cette ville occuper le premier des États Sardes, des Deux-Siciles et
rang dans l'échelle de la consommation. de la Turquie. JN'est-il pas étrange
Peut-être même faut-il regretter que de voir une contrée qui fut l'un des gre-
l'organisation des travaux et des services niers de l'ancien monde, obligée aujour-
ait concentré sur une seule ville cette d'hui de demander une partie de son
prospérité pléthorique. pain aux peuples que jadis elle nour-
Dans l'échelle des exportations Alger rissait?
ne tient que le troisième rang. C'est Un autre fait prouve combien il reste
Bône qui occupe le premier. C'est dans à faire à la colonisation. Parmi les mar-
cette ville que la production a pris le chandises importées d'Espagne, nous
plus de développement. En 1845 les voyons figurer des fruits de table frais,
exportations y ont atteint la moitié du des œufs, des légumes verts et de l'huile
chiffre des importations; tandis que d'olives ; de l'huile d'olives apportée de
partout ailleurs elles n'en représentent l'extérieur dans un pays regardé avec
au plus que le dixième. C'est là un signe raison comme la terre classique de l'o-
de prospérité réelle, dont il faut chercher livier!
la cause dans la fertilité du territoire et Il existe encore des anomalies que les
156 L'UNIVERS.
huitièmes environ de la population les , vaste carrefour dont le passage, obliga-
Arabes de la plaine et les habitants des toire pour les provenances de Tripoli,
villes. Les Berbères et les nomades indé- de Tunis et de l'Algérie, n'est que facul-
pendants échappent en grande partie à tatif pour celles du Maroc.
l'impôt direct ; et l'empereur doit se con- L'oasis du Touât occupe au milieu
tenter, à défaut de mieux, des contribu- du désert une position très-remarqua-
tions indirectes perçues à l'entrée et à ble. C'est le sommet d'une double pyra-
la sortie des marchandises que ces cinq mide qui reposerait d'un côté sur l'A-
millions de sujets réfractaires reçoivent frique septentrionale, de l'autre sur
ou expédient parles ports. Si l'empereur, l'Afrique centrale ; c'est le centre d'un
après avoir accordé en droit à la France immense sablier, dont les deux-alvéoles,
un avantage dont elle jouit en fait, se formées de la race blanche et de la race
trouvait,parune conséquence inévitable, noire, versent alternativement du sud au
dans l'obligation d'accorder le même nord et du nord au sud les produits de
avantage à l'Angleterre et à l'Espagne, l'une et de l'autre, et par la régularité
c'en était fait de la douane marocaine; de ces échanges marquent le retour et
l'empereur renonçait d'un trait déplume mesurent la durée des saisons.
au plus clair de ses revenus; il dimi- L'oasis du Touât est un grand vesti-
nuait de 20 millions ses recettes annuel- bule en même temps qu'un grand en-
les, et tombait en faillite. trepôt ; c'est la salle d'attente des voya-
geurs qui, venus de Rdames, d'El-Goléa,
Commerce de V Algérie avec le Soudan. d'El-Arib, c'est-à-dire de Tripoli, de
Nous avons fait connaître précédem- Tunis, d'Alger et de Maroc , se dirigent
ment la chaîne d'oasis qui limite l'Algé- vers le Soudan. C'est en un mot le rendez- ;
Au delà de cette limite naturelle ré- Si des trois villes oasis de Rdames
gnent, sur une profondeur immense, des d'El-Goléa et d'El-Arib, on descend,
plages inhabitées et inhabitables. Ces vers le nord , et qu'on cherche sur la )
circonscrivent au sud l'ensemble des avec lesquels les trois oasis correspon-
'.
trois États barbaresques , qui présente dent dans chacun des États barbaresques,
ainsi l'aspect d'une grande île baignée voici ce qu'on trouve :
par l'Océan , la Méditerranée et le dé- El-Arib correspond particulièrement :
pôt intermédiaire commun aux deux ré- des relations entre Rdames et l'oasis
gences de Tripoli et de Tunis. algérienne de TOuad-Souf; mais elles
La ville oasis d'El-Goléa dessert spé- deviennent chaque jour plus rares , à
cialement l'Algérie. cause de l'insécurité delà route; toute-
La ville oasis d'El-Arib dessert spé- fois elles n'ont pas cessé.
cialement l'empire de Maroc. Les marchandises apportées d'El-
Les marchandises qui, partant de Goléa à Metlili ou à Ouaregla prennent
ces trois points, s'acheminent vers le en grande partie la route de Tunis ; elles
sud trouvent en route un nouvel en- suivent alors la ligne des oasis frontiè-
trepôt, qui partage la traversée du dé- res, véritable chemin de ronde de l'Al-
sert. C'est l'archipel oasis du Touât gérie, et passent par Tuggurt.
ALGÉRIE. 157
Cette ville se trouve donc située à la et de soierie, des parfums , des calottes
rencontre d'un double courant ; ce qui rouges, dites chachia, des haïks, des
lui assure une grande prépondérance bernous , du corail des céréales , des
,
dans le commerce
algérien. moutons, des légumes secs, de l'huile,
Il résulte de ce qui vient d'être dit que des dattes et des plumes d'autruche ti-
les quatre villes frontières de l'Algérie rées d'Ouaregla en Algérie.
qui par le commerce ouvrent sur le Sou- Ils reçoivent en échange des Nègres,
dan sont Metlili , Ouaregla , Tuggurt et de la poudre d'or, du henna, des noix
El-Ouad , chef-lieu deJ'Ouad-Souf. de gourou, du bkhour pour la prépara-
Ainsi en avant des États barbaresques tion des parfums, des toiles bleues, dites
règne un vaste carrefour commercial, guinées, fabriquées dans le pays des
l'oasis de Touât. De ce carrefour par- Noirs, du séné, du natron, du salpêtre,
tent trois avenues qui conduisent : des ânes d'Egypte, dits masriia.
Au nord-est, à Rdames, pour Tri- Le commerce de l'Afrique septentrio-
poli et Tunis; nale avec le Soudan présente des carac-
Au nord, à El-Goléa, pour l'Algérie; tères différents dans l'est et dans l'ouest.
Au nord-ouest , à El-Arib , pour l'em- La régence de Tunis fournit surtout les
pire de Maroc. marchandises de luxe. L'empire de Ma-
Chacune de ces trois oasis devient à roc fournit les denrées de première né-
son tour un centre d'où s'échappent cessité; placée entre les deux, l'Algérie
plusieurs rayons qui vont aboutir : participe à la fois des deux spécialités.
Dans l'empire de Maroc, àTafileltetà Parmi les denrées qu'elle exporte au
Figuig; sud, il en est une dont le monopole lui est
Dans l'Algérie, à Metlili, Ouaregla, assuré , parce qu'elle forme la première
Tuggurt et El-Ouad, chef-lieu de l'Ouad- spécialité de son territoire ; c'est l'huile
Souf; d'olives. La plus grande quantité s'é-
Dans la régence de Tunis, à Gabès et coule des montagnes de la Kabilie, où
à Nefta. de vastes forêts d'oliviers alimentent des
Il existe en outre dans l'Algérie , au milliers de pressoirs ; on peut juger de
nord des quatre villes qui viennent d'être l'importance des produits parle nombre
mentionnées, une seconde ligne de des débouchés et l'étendue de la con-
marchés importants, qui mettent en com- sommation. Une partie de l'huile ap-
munication la chaîne des oasis fron- portée sur le marché d'Alger est expé-
tières et les trois centres de la population diée sur Marseille par des négociants
I
du Tell , Tlemcen , Médéa et Constan- européens; là elle entre dans la fabri-
tine. Ces quatre nouvelles villes sont cation des savons, et sous cette forme
El-Abied-Sidi-Cheik, El-Arouât, Bou- elle arrive jusqu'à Paris. Au sud elle est
Sada et Biskra. portée à Bou-Sada par les Kabiles , de
Tels sont les points qui, par leur posi- Bou-Sada à Metlili par les Oulad-Naïl,
tion géographique et à la lois par le ca- de Metlili à El-Goléa et d'El-Goléa au
ractère et les mœurs des populations Touât par les Chaamba, du Touât à
qui les habitent, qui les entourent ou Timbektou par les Touareg; ainsi deux
qui les fréquentent, peuvent être consi- gouttes d'huile échappées des pressoirs
dérés comme les nœuds du réseau com- de la Kabilie algérienne peuvent aller
mercial formé entre l'Algérie et le Sou- aboutir l'une aux bords de la Seine, l'au-
dan. tre aux rives mystérieuses du Niger.
Des cinq ports où viennent aboutir Le transport des marchandises à tra-
les communications parties du Touât sa- ; vers les six cents lieues qui séparent Al-
voir :Mogador, Tanger, Alger, Tunis et ger de Timbektou s'opère par caravanes,
Tripoli, Alger a le triple avantage d'être et nous venons de nommer les popula-
le plus rapproché du Touât ; le mieux si- tions qui en forment l'escorte et le noyau.
158 L'UNIVERS.
Dans la du Sahara ce sont
traversée et son immensité ; et il leur suffit pour >
les Oulad-Naïl, immense tribu qui ne communier avec le reste des hommes
compte pas moins de cent mille âmes et des quelques villes éparses sur sa sur-
qui habite, au centre de l'Algérie méri- face à de grands intervalles.
dionale, le triangle compris entre Les Touareg pénètrent peu dans les
Biskra, El-Arouat et Bou-Sada, trois campagnes vertes et arrosées du Sou-;
villes sahariennes placées sous l'autorité dan; ils y conduisent les caravanes,!
ou sous la domination française. Les dont ils sont dans
désert les pilo-
le
Oulad-Naïl exercent principalement l'in- tes et les guides. Mais
le plus souvent
dustrie de commissionnaires. Il part cha- quand les Touareg franchissent la lisière
que année des flancs duDjebel-Sahari, du pays des Noirs, c'est pour aller s'em-
compris dans leur vaste territoire, upe busquer dans le voisinage des bourgs
caravane nombreuse, composée en qu'ils habitent, fondre sur eux à l'im-
grande partie de Naïliens auxquels se , proviste, les saisir, les jeter sur des
joignent des négociants, des colporteurs dromadaires et fuir en emportant leur
et des voyageurs venus de presque toute proie avec la rapidité du vent. C'est
l'Algérie centrale. ainsi que ces corsaires redoutables ;
Les Chaamba occupent les trois villes trouvent un aliment à leur principale
d'El-Goléa, d'Ouaregla, et de Metlili ; industrie, le commerce d'esclaves.
l'espace triangulaire qu'elles compren- Quand ont formé une pacotille hu-
ils
nent leur sert de champ de parcours. maine, ils se rendent sur les deux mar-
Les Chaamba reçoivent à Metlili les chés de Rat et de Rdames , et vendent
marchandises apportées par les Oulad- aux marchands du nord le produit de
Naïl et les autres caravanes du nord, et leurs brigandages. Quelquefois, après!
les conduisent par El-Goléa jusqu'à Ti- avoir livré aux blancs les malheureux»
mimoun , le principal marché duTouât. que le sort de la razia a jetés entre
Timimoun est la limite au sud des oscil- leurs mains, ils partent, vont se placer
lations commerciales des Chaamba, sur le passage de la caravane, l'atta-;
comme Metlili est leur limite au nord ; quent, et recouvrent leur marchandise?
Metlili est, au contraire, la limite au par le procédé qui la leur avait donnée.
sud des excursions accomplies par les Placés entre la race blanche et la race ';
Les Touareg forment une nation plu- cadée et emphatique, qui en réalité est le
tôt qu'une tribu. Ils sont les maîtres et berbère.
les rois du désert , qui a pour eux toutes Ils sont divisés en deux grandes frac-
les douceurs de la patrie et de la fa- tions, les blancs et les noirs. Ces déno-
mille. minations correspondent à la différence
Dans le nord ils confinent à la ligne des costumes. Les Touareg blancs
d'oasis qui borne les États barbaresques; s'habillent comme les Arabes, les Toua-
au sud ils touchent à la Nigritie. Rare- reg noirs portent un costume particulier
ment ils s'engagent dans les landes formé de trois blouses superposées, am-
tigrées d'oasis, dans cette région mi- ples et longues qui reçoivent le nom gé-
,
toyenne, qui sépare les terres propres à nérique de tôb ou saï^ha blouse de des-
la culture et les steppes immenses voués sus, appelée particulièrement lebni, est
au parcours. Pour l'étrange mobilité d'un bleu uni très-foncé, presque noir.
de ces peuples il semble que le Sahara Sous les trois blouses qui les enve-
lui-même n'ait pas d'horizons assez vas- loppent, et dont les manches n'ont pas
tes, 11 leur faut le désert avec son aridité moins de deux mètres de largeur, les
,
ALGÉRIE. 159
Touareg portent un pantalon qui des- Pendant mon séjour à Tunis je fis
cend jusque sur le pied, et ressemble connaissance d'un Targui, que le hasard
assez pour la forme et la largeur à cette y avait amené à la suite d'une caravane.
partie du costume européen. Je voulus profiter de cette circonstance
Leur chaussure consiste en souliers- pour juger par mes yeux l'effet du bi-
brodequins lacés sur le pied. zarre costume en usage dans sa na-
Le lecteur connaît assez sans doute tion.... Devant cet homme de haute
l'habillement des Arabes, devenu popu- taille, vêtu de noir et masqué de noir,
laire en France, pour juger combien je me transportais par la pensée dans
celui desTouareg est différent. les sables de sa région natale
; je le re-
DansTéquipement de voyage les Toua- plaçais sur le fond blanchâtre des soli-
reg substituent au turban une longue tudes qu'il habite, j'animais ce spectre
pièce d'étoffe bleu foncé, lustrée par humain de la force athlétique qu'on lui
un apprêt gommeux auquel le sable prête, je lui rendais ses instincts et ses
n'adhère pas. Elle s'enroule sur le front armes sauvages. Je compris alors l'effroi
et descend en spirale sur la figure, qu'elle de la caravane lorsque , apercevant un
soustrait à l'action du sable et du vent. nuage de sable à l'horizon, elle trouve
Cl ne autre pièce d'étoffe de la même à peine le temps de s'écrier Les Toua-
:
nuance s'enroule autour du corps, et serre reg! et qu'à l'instant elle voit fondre
la poitrine et le ventre. Cette pression sur elle l'essaim de fantômes sombres et
prévient, dit- on, les nausées produites terribles , montés sur de hauts et ra-
par le mouvement du dromadaire. pides coursiers.
Ainsi équipé, couvert de noir depuis Tels sont les Touareg. Corsaires re-
la tête jusqu'aux pieds à quelque chose doutables autant que hardis trafiquants
près, le Targui ressemble à une appari- médiateurs nécessaires aux rapports de
tion sinistre. la race blanche et de la race noire, puis-
Les Touareg ne font presque pas usage qu'ils tiennent le fil de l'immense laby-
Jes armes à feu, pour lesquelles ils ma- rinthe que la nature a jeté entre elles.
nifestent même une répugnance instinc- Le temps n'est peut-être pas éloigné
tive. Gependantquelques-uns d'entre eux, où le commerce européen pourra pren-
es blancs surtout, portent des carabi- dre part au mouvement d'échange qui
îes; mais leurs armes habituelles sont s'exécute à travers le désert ; il trouvera
'arc en bois, le bouclier en cuir d'élé- dans ces Touareg des auxiliaires utiles.
phant, le sabre droit et à double tran- Les intermédiaires entre eux et nous
chant et une longue lance. sont les habitants des villes qui leur
L'ensemble de leur personne offre un servent d'entrepôts et de marchés. Car
ispect étrange, qui surprend et qui ef- ces habitants, fort adonnés au négoce,
raye ; ils sont grands, minces et roides ; sont fréquemment appelés par leurs af-
je' qui leur a fait donner par les Arabes
faires sur le littoral, .Nous citerons par-
e surnom de Poutres.
ticulièrement Rdames, cité saharienne,
i
Les Touareg sont musulmans; mais dont la population intelligente, laborieuse
!ss Arabes leur reprochent l'adoption de
et tolérante fréquente Tunis, Alger et
pratiques chrétiennes. Il est vrai que la surtout Tripoli, qui en est le port le plus
lifierence de langage et de costume suf- voisin.
jiraità elleseulepoùrles faire soupçonner
l'hérésie. Mais d'autres motifs encore Commerce intérieur.
justifient l'accusation portée contre eux. En 1844 legouvernement présenta
La poignée de leur sabre, le devant de aux chambres une loi de crédits extra-
:
ïmisme n'a pas échappe aux Sahariens, niet-el-HadetBoghar; les trois premiers
|ui, pour cette raison sans doute,
ont dans la province d'Oran, les deux autres
urnommé les Touareg chrétiens du dans celle d'Alger. Cette proposition,
lésert.
rencontra tout d'abord une vive résis*'
160 L'UNIVERS.
tance. La commission de la chambre des transport des marchandises se fait
députés chargée de l'examen du projet dans la direction des méridiens par
crut devoir le combattre. les tribus voyageuses (Nedja), et
A l'appui d'une création de cette im- dans la direction des parallèles par
portance, qui rejetait à trente lieues du les caravanes marchandes (Gafla).
littoral la limite de l'occupation fran- « Presque toutes les tribus du Sahara
çaise, le gouvernement n'invoquait que sont soumises à un régime annuel
des nécessités stratégiques ; il faisait va- de pérégrination, qui a dû exister de
loir l'utilité de ces postes avancés pour tout temps parce qu'il est fondé sur
,
ALGÉRIE. 161
162 L'UNIVERS.
ment nouveau de grandeur, de puissance En 1839 une insurrection générale
et de richesse. éclate en Algérie ; elle nécessite de grands
armements; la dépense absolue passe
Voici un tableau qui permettra d'ap-
d'une année à l'autre de 40 millions à
précier la distance qui sépare encore
66 la proportion entre les recettes et les
;
le budget de l'Algérie de cet équilibre
dépenses descend de 11,2 pour 100 à 8,4
entre les dépenses et les recettes. Il pré-
pour 100.
sente en nombres ronds les dépenses et
les recettes faites annuellement en Algé- Elle suit alors une nouvelle série as-
rie depuis le premier janvier 1831 jus- cendante, qui se continue sans pertur-
qu'au 31 décembre 1845 , avec le rap- bation jusqu'en 1845 , où elle s'élève à
port pour chaque année entre les recettes 24,1 pour 100.
et les dépenses. En 1831 la dépense était quinze fois
plus considérable que la recette. En 1 845
TABLEAU DES DÉPENSES ET DES RECETTES elle n'était plus que quatre fois supé*
DE l' ALGÉRIE. rieure le rapport entre la recette et la
:
millions. millions.
1839, de 0,63 pour 100.
1831 15.5 1.0 6.4<y Pendant la troisième série, de 1839 §
8.1
1832 19-8 1.6 1845, de 2,6 pour 100.
1833 22.7 2.2 9.7
1834 23.6 2.5 10.6
1835 22.7 2.5 11.0 Pour que les recettes fussent égales*
1836 25.3 2.9 II. 5
3.7 9.3
aux dépenses il faudrait , :
1837 39.8
1838 40.8 4.2 10.3
1839 40.1 4.5 II. 2 Au tauxdela première série. 117 ans..
1840 66.5 5.6 8.4
1841 73.3 8.9 12. 1 Au taux de la deuxième.' . . 159 ans. >L
DEPENSES MILITAIRES.
Francs.
États-majors 1,600,000
Solde et entretien des troupes 21,800,000
Vivres et chauffage 16,000,000
Habillement, campement, coucher, transports, convois
et indemnités de routes 7,300,000 69,200,000
) \
Remonte , harnachement et fourrages 9,500,000
Matériel de l'artillerie et du génie; constructions mili-
taires 8,000,000
Hôpitaux. 5,000,000
DÉPENSES POLITIQUES.
DÉPENSES CIVILES.
Administration , cultes ,
justice et finances 1,400,000 )
Colonisation i >5 oo',ooO
I Dessèchements, routes, bâtiments ci- 1
} 6,100,000
Travaux civils. vils, port d'Alger [ 3,200,000 l
J
( Travaux sur le territoire arabe )
nent une somme de 6 millions. En voici son domaine. Les produits forestiers
le détail pour 1845 : sont à l'état de germe; et l'exploitation :
PARTIE HISTORIQUE.
INTRODUCTION.
Nouaïri; le travail d'Ebn-Khaldoun sur les C'est en quelque sorte une histoire
Berbères; Y Histoire des Aghlabites , par ecclésiastique, qui fait connaître les
1
M. Noël Desvergers ; enfin la partie des scien- nombreuses vicissitudes de l'Église d'A-
ces historiques et géographiques, de l'ouvrage frique , déchirée par tant de sectes et
|
de la Commission scientifique de l'Algérie; d'hérésies perdant, à la suite de chaque
,
j.
de Charles-Quint , par Robertson; enfin les moderne les études savantes sur l'A-
,
\ auteurs espagnols, tels que Marmol, Sando- frique ancienne dont il vient d'être
val, etc., et quelques mauuscrits arabes. question. Nos efforts se sont bornés
,
166 L'UNIVERS.
dans un cercle plus étroit; nous avons Origine et distribution des populations.
recherché, parmi les événements qui se
sont déroulés dans ce vaste continent, Les écrivains de l'antiquité n'avaient
depuis le septième siècle de notre ère, que des connaissances imparfaites sur
jusqu'à nos jours, tout ce qui se ratta- les régions qui s'étendent depuis l'Egypte
che le plus directement possible à l'his- jusqu'à l'Océan. Plusieurs dénomina-
toire de l'Algérie. Cependant, comme tions étaient employées pour désigner
cette partie de l'Afrique septentrionale ces contrées; la plus générale semble
n'est devenue un État distinct que sous avoir été celle de Libye. Encore ne
la domination turque, au seizième siè- s'appliquait-elle qu'à la partie la plus
cle, nous avons été dans l'obligation, rapprochée de l'Egypte; car le disque
pour la première période du récit de
, terrestre d'Homère avait pour extrême
rappeler les faits relatifs à l'ensemble limite occidentale une ligne descendant
de l'Afrique du nord , plus particulière- de l'île d'Elbe au promontoire de Car-
ment connue des Arabes sous le nom de thage. Ce ne fut que dans l'année 639
Maghreb. avant l'ère chrétienne que le Sa mien
Afin de réunir dans un même cadre Coléos poussé par la tempête , dépassa
,
présenter un résumé rapide des travaux acception plus générale, et servit enfin
sur l'Afrique ancienne déjà publiés dans à désigner la totalité du continent. C'est
Y Univers pittoresque. Il ne s'agit pas une remarque qui se reproduit à l'occa-
de refaire une histoire considérable qui sion de chacune des principales révolu-
n'a rien laissé en oubli et qui ne présente tions de l'histoire de l'Afrique; la vie,
aucune lacune jusqu'à l'invasion arabe; le mouvement, l'action qui l'unissent
nous voulons seulement rechercher au monde européen naissent, soit à
parmi ces riches et abondants matériaux l'orient, soit au nord, mais marchent
ce qui concerne spécialement les con- et progressent constamment de l'orient
trées comprises dans l'Algérie actuelle. à l'occident; et les contrées les plus
Cette partie de l'Afrique a subi, dans le voisines de l'Océan arrivent toujours les
cours des temps, de nombreuses et vio- dernières à prendre part à la civilisa-
j
lentes invasions; des races nouvelles tion nouvelle.
sont venues se mêler aux races indigè- Les traditions les plus anciennes men-
nes; chaque conquête a amené avec elle tionnent des émigrations de peuplades
sa religion, qui, devenue bientôt domi- de l'Asie dans le nord de l'Afrique.
nante, a supplanté la foi des vaincus; Ce sont d'abord des populations Rana-
les territoires ont été remaniés , les dé- néennes, qui, chassées de la Palestine
limitations changées après chaque révo- et refoulées en Egypte , se répandirent
lution, après tous les événements poli- dans les régions libyennes. Aces tri-
tiques importants; et cependant on est bus vinrent se fondre de nombreuses co-
frappé, en parcourant ces annales si lonies de Coptes, de Kouchytes, d'Arabes
variées, si souvent renouvelées dans Sabéens, d'Amalécites et de Palestins.
un cadre si mouvant , de trouver tou- Ces émigrations semblent avoir formé la
jours les traits principaux des races souche des Gétules, qui figurent dans
qui occupent encore aujourd'hui le sol, l'histoire de l'Afrique musulmane sous
de reconnaître leurs mœurs, leur carac- le nom de Berbères. Dans cette fusion
tère , et de saisir les preuves pour ainsi chaque élément conserva cependant le
dire vivantes de leur origine et de la souvenir de son origine distincte. Ainsi,
légitimité de leur descendance. Ce sera les Senahdja, les Ketama, les Lamta,
la justification de cette analyse succincte lestlaouara, les MasmoudaetlesLaouata
des travaux de MM. D'Avezac , Bureau étaient issus des Sabéens de PYémen;
de la Malle Jean Yanoski et L, Lacroix,
, les Zenata descendaient des Amalécites,
, ,
ALGÉRIE, 167
trophe, son armée se débanda. Une l'autre part, ce furent les Grecs de Théra,
partie passa en Afrique. Les Perses s'en- qui s'établirent à l'est de la Syrte, et dont
foncèrent dans le pays, ensuivant les Cyrène devint la métropole principale.
côtes de l'Océan , puis tournèrent vers Les populations commencent à se clas-
l'est; ils se mêlèrent aux Gétules, ser; les divisions territoriales deviennent
dont ils adoptèrent les habitudes no- distinctes; l'histoire sort de la confusion
mades , changeant comme eux très-fré- et des ténèbres.
quemment de campements; ils prirent Amesure que ces deux puissances
le nom de Numides. Les Mèdes et les commerciales prirent du développement,
Arméniens s'unirent aux Libyens du les dénominations géographiques furent
littoral et reçurent le nom de Maures
,
encore simplifiées. Sous le nom de Li-
soit parce qu'ils étaient la population la bye, les Romains désignèrent les colonies
plus occidentale, soit qu'on veuille grecques depuis les autels des Philènes
voir dans le mot Maure une dériva- au fond de la Syrte , jusqu'aux frontières
tion du mot Mèdes. Les Numides ne de l'Egypte. Le domaine carthaginois
tardèrent pas à agrandir leur centre qui ne paraît pas avoir dépassé les li-
d'action ; leurs succès contre les indi- mites actuelles de la régence de Tunis,
gènes les portèrent jusque sur le littoral reçut le nom d'Afrique ; le reste, jusqu'au
de la Méditerranée, refoulant les Li- fleuve Molouïa, s'appelaitNumidie; puis
byens vers l'est et arrêtant à l'ouest le venait la Mauritanie. En refoulant à
mouvement d'expansion des Maures. l'intérieur les tribus du littoral , la civi-
Si on peut ajouter foi à ces traditions lisation carthaginoise et la civilisation
africaines , époque reculée
c'est à cette grecque n'eurent pas la prétention de
qu'il faut faire remonter la première les anéantir, et à aucune époque elles ne
constitution un peu précise, sur le parvinrent à asservir complètement les
territoire actuel de l'Algérie, d'une Numides et les Maures.
nation distincte, formée par un mélange
Fondation de Carthage.
de Perses, de Gétules et de Libyens,
et connue sous le nom de Numides. La Carthage fut fondée l'an 878 avant
population de la Libye se trouvait alors l'ère chrétiennepar Didon, sœur de
ainsi répartie : les Maures, les plus Pygmalion , roi de Tyr. Ce prince ayant
rapprochés de l'Espagne, occupant la fait mourir son mari pour s'emparer de
168 L'UNIVERS.
ses richesses, Didon s'enfuit avec un petit Les indigènes qui habitaient ce pays
nombre de partisans, et vint aborder sur étaient adonnés à l'agriculture, et dispo-
les côteslibyennes, aux environs de Tu- sés par leur caractère pacifique à accep- 1
nis. Il colonies
existait déjà plusieurs ter une civilisation plus avancée. Les
phéniciennes dans les mêmes contrées, Carthaginois eurent soin de disséminer
entre autres Utique , dont les chroni- au milieu de ces populations des colonies
ques phéniciennes font remonter la fon- phéniciennes constituant un réseau de
dation jusqu'à 1520 avant J. C, et «villes destinées à maintenir leurs nou-
qui était située dans le golfe même où veaux sujets dans l'obéissance. Cette
la sœur de Pygmalion débarqua. Le pre- presqu'île portait le nom d'Afrique, et
mier acte des nouveaux émigrants fut était composée de deux provinces la :
Leur domination sur toute la presqu'île gation et avec l'aide secrète de Xerxès et
comprise entre ïabraca et la petite Syrte. de ses successeurs , les Carthaginois en-
ALGERIE. 169
armes contre la Sardaigne, et s'en ren- de vivres, travaillée par les habiles in-
dirent maîtres. trigues des Carthaginois elle se débanda
,
Pendant que la fortune semblait ac- et délivra la ville des alarmes qu'elle
compagner partout ses flottes Carthage , quatre ans d'efforts
lui causait. Il fallut
eut des luttes à soutenir contre les po- soutenus pour reconquérir l'ascendant
pulations indigènes qu'elle avait subju- politique que cette révolte avait fait
guées. Elle triompha de ces résistan- perdre ;cependant, en 379, une se-
et
ces autant par la ruse et. la séduction conde insurrection des Libyens sans ,
que par la force. D'un autre côté, les reproduire les mêmes dangers, coûta
incursions multipliées qu'elle faisait sur aux Carthaginois des sacrifices de toutes
la Méditerranée la mirent bientôt en sortes, qui l'affaiblirent beaucoup.
présence des Romains; mais ces pre- Invasion de l'Afrique par Aga-
mières relations furent pacifiques, et sont thocle. —
Agathocle, pressé en Sicile
constatées par un traité signé en 509. par les Carthaginois, trompa la vigilance
Les premiers succès de Carthage en de leur flotte, et débarqua en Afrique en
Sicile la portèrent à aspirer à la conquête 309 à El-Haouarieh, sur le côté oriental
,
de l'île tout entière. Son empire et du golfe de Tunis au sud du cap Bon.
,
sa gloire s'étaient accrus par l'habileté Les Siciliens firent des progrès rapides.
de Magon, d'abord suffète de la républi- Après avoir détruit l'armée carthagi-
que, puis général. Il avait introduit la noise, Agathocle dévasta les environsde
discipline militaire parmi les troupes, la capitale, et reçut la soumission d'un
reculé les frontières en subjuguant les grand nombre de places; il marcha en-
peuplades indépendantes, étendu le suite contre les villes maritimes, et en
commerce de sa patrie. Après la mort peu de temps, de gré ou de force, il en
de Magon ses deux fils lui succédèrent
, rangea plus de deux cents sous son obéis-
et commencèrent les expéditions contre sance. A la nouvelle de ces succès, les
Cette lutte avec les races hel-
la Sicile. Libyens tributaires vinrent en grand
léniques, qui devait se prolonger, sans nombre grossir le parti du vainqueur,
changer de théâtre, jusqu'à l'époque de et lui facilitèrent la conquête du litto-
la première guerre punique, en 268 avant ral et les entreprises contre les popula-
J. C, s'engagea l'an 489. Pendant ces tions de l'intérieur. Ces expéditions s'é-
deux siècles la guerre se fit avec des tendirent à l'ouest jusqu'à Hippone,
chances diverses, mais avec un égal ( Bône ) ;
puis, elles atteignirent Stora et
acharnement des deux parts. Les prin- Collo. Une partie des Numides accepta
cipaux événements qui se rattachent l'alliance des Siciliens, le plus grand
d'une façon plus directe à l'histoire des nombre attendit l'issue définitive de la
populations africaines sont une révolte
: lutte pour se prononcer. Mais Carthage
des indigènes, plus formidable que les sut tirer parti de cette hésitation , et dès
précédentes, et l'invasion du domaine que la fortune se montra plus favorable
iCarthaginois par Agathocle , roi de Si- à ses armes, elle ramena les indigènes,
cile. recouvrit ses possessions, força Agatho-
RÉVOLTES DES LlBYENS. L'in- — cle à s'enfuir secrètement , * abandon-
surrection éclata en 395 avant l'ère nant son armée, qui évacua elle-même
chrétienne à la suite d'une expédi-
^ l'Afrique à la suite d'un traité. Cette in-
tion en Sicile par Himilcon , dont l'ar- vasion avait duré trois ans.
mée avait été décimée par la peste, et
qui avait lâchement abandonné les Guerres Puniques.
auxiliaires libyens à la vengeance des La Sicile devait être funeste à Car-
iSyracusains. Cet acte souleva une indi- thage. Après avoir combattu pendant
gnation générale parmi les indigènes; plus de deux siècles sans pouvoir établir
ils se levèrent au nombre de plus de solidement leur domination sur cette
(deux cent mille , s'emparèrent de Tunis île, les Carthaginois rencontrèrent la
,
170 L'UNIVERS.
puissance romaine, qui commençait à des propriétaires ruraux la moitié de
s'alarmer de leurs progrès vers les côtes leurs revenus; les impôts des villes!
septentrionales. La lutte s'engagea sur avaient été doublés ; aux exactions des
ce théâtre, et y fut longtemps circon- gouverneurs s'étaient jointes les dépré-
scrite. Ce fut seulement dans la neu- dations des Romains et des Numides. \
vième année de la première guerre Pu- Ces griefs accumulés firent explosion il
nique, en 256 avant Jésus-Christ, que l'appel des soldats révoltés ; toutes les
Régulus et son collègue, leconsul Aulus villes et les campagnes envoyèrent des
Manlius Vulso firent une descente en
, hommes , des munitions et de l'argent;
Afrique et débarquèrent près de la ville et les insurgés, à la tête d'une armée de
deKélibia ( l'ancienne Clypéa), dont ils soixante-dix mille hommes, allèrent,]
se rendirent maîtres. L'année suivante sous la conduite du Libyen Mathos et du,
les Romains s'emparèrent de Tunis, et transfuge campanien Spendius, attaquer;
ravagèrent le plus beau canton de l'A- Utique et Hippona Diarrhyte (Bizerte)
frique, enlevant une quantité immense qui seules étaient restées fidèles à la
de bestiaux et emmenant un nombre cause carthaginoise.
considérable de prisonniers. Les Numi- L'armée dirigée contre les rebelles
des, qu'on trouve toujours unis aux en- obtint un premier succès, presque aussi-
nemis de Carthage furent les instru-
, tôt suivi d'un désastre; deux fois le gé-
ments les plus actifs de ces déprédations néral carthaginois laissa échapper une
barbares, dont le signal était donné^par victoire facile, et on dut lui envoyer uri
l'armée romaine. Mais les affaires des renfort de dix mille citoyens et de
Carthaginois furent rétablies grâce à
, soixante-dix éléphants. Ces troupes, ma
un corps de Grecs mercenaires com- commandées, ne purent arrêter les insurs
mandés par le Lacédémonien Xantippe. gés, qui, après avoir pris Utique et Bi-f
Régulus fut fait prisonnier, et son armée zerte, vinrent mettre le siège devant la
complètement écrasée. On n'a pas be- capitale. Un général plus habile ayant
soin de rappeler sa fermeté inébranlable été choisi, les Carthaginois triomphé-'
pendant sa captivité et sa mort héroï- rent enfin de cette insurrection
que, qui a conquis l'immortalité à son à la trahison de Naravas, chef numide,
1
nom, La première expédition des Ro- qui, frappé d'enthousiasme pour le carac-
;
mains en Afrique n'eut d'autre résultat tère d'Amilcar, abandonna le parti des;
qu'une occupation passagère et les ten-
; révoltés, et entraîna un corps de deux;
tatives qu'ils firent ultérieurement jus- mille Numides qu'il commandait. Tout^:
qu'à la fin de la première guerre Puni- le pays rentra dans l'obéissance, et les!
que, en 242, n'eurent pas plus de succès. populations voisines, telles que les Nu-
Guerre des Stipendiés. — Le mides Micatanes, qui s'étaient montrées!
traitéde paix qui mit fin à la guerre en- hostiles, furent châtiées avec une rigueur
tre Rome et Carthage amena pour cette excessive. La guerre des Stipendiés,
dernière puissance les embarras inté- qu'on a appelée aussi guerre des Mer- 1
rieurs les plus graves. L'évacuation de cenaires, et qui avait jeté Carthage dans
la Sicile et la cessation des hostilités de si grands périls , dura trois ans et
rendaient inutiles les nombreuses trou- quatre mois; les deux chefs Spendius et
pes mercenaires et libyennes entrete- Mathos furent pris, et subirent une mort
nues par les Carthaginois. Elles furent cruelle et ignominieuse.
dirigées sur Sicca ( le Ref ), vers la fron- Deuxième guerre Punique. — -'
tière de la Numidie. Elles avaient à ré- Pendant que troubles intérieurs me-
les i
cours de la guerre. Pour subvenir aux de ses pertes. Annibal, qui devait porter
dépenses de l'armée Carthage avait exigé la gloire des armes de sa patrie jusqu'au
- ,
ALGÉRIE. 171
cœur même de l'Italie, commandait les Syphax, mécontent des faveurs prodi-
troupes carthaginoises en Espagne. En guées à Gula, écouta les propositions
221 avant J. C. Rome prit ombrage de des Romains, et embrassa leur parti, en
ses progrès, et voulut imposer l'Èbre 213 avant J. C. Les deux rois numides
comme limite des possessions de sa ri- ne tardèrent pas à en venir aux mains :
vale; elle prétendit même réserver au la victoire resta à Massinissa, fils de
midi de cette ligne l'indépendance de Gula, qui commandait les Massyliens;
Sagonte, colonie grecque. Annibal, sans l'allié des Romains dut abandonner
sa
tenir compte des réclamations des am- capitale et se retirer chez les tribus les
bassadeurs romains s'empara de cette
, plus voisines de la Mauritanie. Après
ville, et la ruina complètement. Cette au- cette bataille, Massinissa, à peine
âgé
dacieuse insulte à la protection du peu- alors de dix-sept ans, passa en Espagne,
ple romain fut le signal de la guerre ; elle et prit une part glorieuse au combat
fut rallumée en 219. Nous n'avons pas dans lequel les Scipions furent défaits
à suivre le héros carthaginois dans son par Asdrubal et Magon, en 212. Mais
invasion de l'Italie; nous devons nous pendant que l'armée de Gula était em-
borner à rappeler les événements de la ployée en Espagne au service des Car-
guerre qui eurent l'Afrique pour théâtre. thaginois, Syphax sortit de sa retraite
La seconde guerre Punique ne se con- rétablit ses affaires, et se
mit en rela-
centra pas, comme la première, en Sicile; tion avec le sénat romain.
en peu de temps elle embrasa toutes les Variations de Syphax et de Mas-
contrées qui bordent la Méditerranée
occidentale, et les nations numides
sinissa, — Devenu le plus puissant roi
y de l'Afrique, Syphax, emporté par son
jouèrent un rôle important. Quelques ambition et son inconstance naturelles,
détails sont nécessaires pour expliquer s'était rapproché de Carthage, et se plai-
l'intervention des indigènes dans cette sait à flotter entre les deux républi-
grande lutte. ques qui le sollicitaient également. D'un
Formation des royaumes numi- autre côté, Massinissa s'était mis
des. — A la suite de l'invasion d'Aga- rapport avec les Romains , et , touché en
;hocle, un grand nombre de tribus sou- de ia générosité de Scipion, qui lui avait
mises aux Carthaginois avaient recon- rendu sans rançon son neveu Massiva,
nus leur indépendance. Sans cesse préoc- fait prisonnier,
il avait conclu en secret
•upés des difficultés et des intérêts plus un traité avec eux, en 206.
érieux qu'ils avaient sur le littoral et
A la suite de
cette alliance, il passa en Afrique pour
ians les contrées européennes, les
Car- entraîner les tribus dans le parti nou-
haginois ne purent faire rentrer ces tri- veau qu'il venait d'embrasser. Ainsi,
us dans le devoir. Elles se constitué pendant que les Romains perdaient le
ent en Etats libres. C'est alors que se concours de Syphax définitivement lié
,
primèrent les royaumes des Massyliens aux Carthaginois par son mariage avec
t des Massésyliens qui comprenaient
, la belle Sophonisbe, ils gagnaient Mas-
oute la Numidie. Le roi des Massésy- sinissa, moins puissant alors que son
ens résidait à Siga, auprès de l'em- rival, mais plus jeune, plus habile à
la
ouchure delà Tafna; celui des Massy- guerre,
et destiné à exercer une influence
ens avait Zama pour capitale. La li- immense dans ia lutte contre Carthage.
îite entre les deux
royaumes était Les chances de la guerre ne furent pas
Ampsaga ( Oued-el-Kebir ). Au moment d'abord favorables
au nouvel allié des
u éclata la deuxième guerre Punique,
Romains; vaincu par Syphax, il fut con-
rula régnait sur les Massyliens
et Sy- traint à fuir dans les montagnes avec
nax sur les Numides les plus occiden-
un petit nombre de cavaliers et quelques
iux.
familles emportant leurs tentes et chas-
Ces deux royaumes étaient tous
deux sant devant elles leurs troupeaux. Mais
;op rapprochés de l'Espagne
pour que bientôt Massinissa, guéri de ses blessu-
jome et Carthage ne songeassent
pas à res, reparut dans son royaume, et récu-
chercher des alliés. Gula, fils de
Na- péra le pouvoir. Il réunit une armée, et
ivas, qui aida Amilcar
à triompher des alla camper sur une montagneentre Cirta
:>pendiés, se déclara pour
Carthage; etHippone royale (Constantine etRône)v
, ,
172
L'UNIVERS.
anéantit ses dernières ressources, et ré-
Défait encore une fois par Syphax,
il
la tactique romaine, et
réprima ener-
Carthage ne pouvait marquer qu'un répit
phé- giquement l'instinct du pillage et du
dans la destruction de la puissance
de brigandage qui distinguait les Numides.
nicienne. L'agrandissement des Etats
Tout en comprenant les avantages de
la
ALGÉRIE. i s «
l'armée; Micipsa eut le pouvoir admi- adolescence avait montré par sa har-
,
lui un précieux auxiliaire. Le corps que les maux qu'il avait voulu conjurer
de cavalerie numide se fit aussi remar- éclatèrent. Jugurtha, appelé à régner
quer par son courage et son dévouement. sur le territoire compris entre l'Amp-
Après l'anéantissement de Carthage, les saga et la Mulucha , fut mécontent de
vainqueurs, occupés en Orient et dans la part qui lui échut, et en appela aux
l'Occident de guerres importantes, ne armes. d'abord assassiner Hiemp-
Il fit
songèrent point à étendre leurs conquê- sal , un des deux
fils de Micipsa, et di-
tes en Afrique. Se bornant à dominer rigea ensuite ses efforts contre Adherbal,
directement la province la plus rappro- qui résidait à Cirta. Son brillant courage
chée de la ville détruite, ils laissèrent attira auprès de lui un grand nombre
aux rois numides les régions du sud et de partisans. En vain Adherbal implora
de l'ouest. le secours des Romains , son adroit en-
nemi sut par des largesses faire taire la
Conquête de la Numidie par les Ro- justice des envoyés du sénat, et réussit à
mains.
s'emparer de Cirta. Adherbal fut livré
Utique était devenue le lieu de rési- aux supplices les plus atroces, en 112
dence du préteur qui gouvernait le ter- avant J. C.
ritoire dont Rome s'était réservé l'ad- Quand ces nouvelles arrivèrent à
ministration. Le long des côtes, les Rome, elles soulevèrent l'indignation
Romains héritèrent de la prospérité du peuple, et le sénat, dans lequel Jugur-
commerciale de Carthage. Quelques co- tha avait déjà acheté de nombreux amis,
174 L'UJNIVERS.
se vit contraint d'adopter des mesures observaient ses mouvements en se te-
énergiques. Mais tantôt par la ruse, tan- nant sur les hauteurs.
tôt par violence ou par corruption, le Jugurtha, désespérant de prendre en
roi numide annula ou déjoua les ordres défaut la vigilance de Métellus, voulut
donnés contre lui. Cependant, mandé à tenter le sort des armes. Il attendit les
Rome, il fut obligé de venir se défendre ; Romains dans un défilé, auprès du
là, pendant que les accusations les plus fleuve Muthul (le Hamise, non loin de
vives s'élevaient contre lui , il lit assas- la frontière actuelle de Tunis), et les at-
siner, dans Rome même, un fils d'Ad- taqua avec la plus grande vigueur. La
herbal , qui s'était soustrait jusque-là à victoire trahit ses efforts. Après ce suc-
sa vengeance. Cet acte d'audace inouïe cès , le consul se jeta dans la partie la
rendit pour lui le succès impossible il ; plus riche de la Numidie, et la ravagea
quitta l'Italie, après avoir prodigué par le fer et par le feu. Quant à Jugur-
inutilement son or, et se mit en révolte tha, n'osant s'opposer à Métellus dans
ouverte (111 avant J. C.)« un pays découvert , il tint son armée
Les premières opérations des Romains dans les lieux très-boisés et fortifiés
contre Jugurthane furent pas heureuses. par la nature, et surveilla avec sa cava-
Ils avaient affaire à un ennemi habile, lerie seulement la marche des Romains,
plein d'expédients , qui , par de feintes gênant leurs mouvements profitant de
,
soumissions , paralysa leur ardeur, et toutes les occasions pour leur faire es-
leur fit perdre un temps précieux. suyer des pertes. Il brûlait les fourrages, '
Mais bientôt après, en 110, l'armée empoisonnait les sources sur la route
romaine ayant mis le siège devant Su- suivie par les troupes ennemies ; il atta-
thul, qu'on croit être la ville moderne quait l'arrière-garde pendant la mar-
j
Guelma , et où étaient déposés tous les che , et dès que les Romains se met- !
suite loin de la place, la surprit pendant tant d'engager une action, il ne laissait ;
confiance funeste, il avait ordonné aux les, peuple barbare,. qui ne connaissait
populations que leur armée traversait pas le nom romain. Il en forma une
de ne pas abandonner leurs habitations, armée, et, appuyé par les troupes de Boc-
de continuer leurs travaux agricoles et chus , son beau-père , qui régnait dans
de laisser les campagnes couvertes de la Mauritanie, il alla attaquer Cirta. Le
troupeaux; les chefs des villes et des général romain fit établir un camp re-
hameaux venaient au-devant de Métel- tranché aux environs de cette ville pour
lus lui offrir des provisions et lui pro- y attendre le choc des ennemis. Sur ces
diguer des paroles de paix. Le consul, entrefaites Métellus fut remplacé dans
mis en garde contre la perfidie de l'en- le commandement de l'armée.
nemi, continua à avancer avec la plus MàBIUS SUCCÈDE A MÉTELLUS. -^
grande prudence. Les cavaliers numides Le consulat et la direction de la guerre
,
ALGÉRIE. 175
Débarqué à Utique avec des troupes plus orientale, fut annexée au territoire
fraîches, il reprit les hostilités avec une directement soumis aux Romains, et
vigueur nouvelle, battit Jugurtha et dont Utique était le chef-lieu ; l'autre
ses alliés maures et gétules , non loin fut donnée à Gauda, fils de Mastana-
de Cirta, alla détruire Cafsa (aujour- bal , frère par conséquent de Jugurtha
d'hui Gafsa) située à neuf journées de qui avait gagné depuis longtemps la
Cirta, prit et brûla plusieurs autres protection de Marius. Cirta fut sa ca-
villes; puis, à l'extrémité occidentale de pitale. Une autre version rapporte que
laNumidie, il enleva une forteresse répu- le pays des Massyliens fut divisé entre
tée imprenable, où Jugurtha avait trans- deux princes numides, le sénat n'ayant
porté ses trésors, depuis la première pas voulu s'exposer à créer un État im-
attaque de Suthul par les Romains. portant qui aurait pu favoriser l'éléva-
Marius fut rejoint par son questeur , le tion d'un nouveau Jugurtha.
fameux Sylla, avec un corps considé-
rable de cavalerie, et se mit en retraite
La Numidie pendant les guerres civiles
de Rome.
vers Cirta. Dès que l'armée fut en
marche, Bocchus etJugurtha l'assail- Lorsque s'engagèrent les guerres ci-
lirent avec le plus grand acharnement, viles qui portèrent César à l'empire, les
mais ils furent repoussés avec perte; rois indigènes, entraînés parleurs affec-
une nouvelle tentative ne fut pas plus tions particulières ou par des alliances
heureuse, et les Romains purent gagner antérieures, se mêlèrent avec violence à
Cirta. la lutte. La partie occidentale de la Nu-
Fin de la guerre; mort de midie, qui avait Hierbas pour roi, épousa
Jugurtha. —
Découragé par sa der- le parti de Marius ; Hiempsal , chef des
nière défaite, Bocchus songea à traiter. tribus les plus rapprochées de la pro-
Sylla fut chargé de suivre cette négo- vince romaine et dont Cirta était la ca-
,
résolutions de Bocchus. Entouré des sol- Afrique les amis de Marius. Hiempsal
licitations des agents de Jugurtha, celui- fut dépossédé de ses États par Hierbas.
ci sembla hésiter longtemps s'il livrerait Mais bientôt la guerre étant terminée
Sylla à son gendre ou s'il trahirait au en Italie, Pompée passa en Afrique, at-
contraire le roi de laNumidie. La crainte teignit Hierbas aux environs d'Utique, le
le détermina en faveur des Romains, et battit complètement, et, s'étant emparé
ilconsentit a livrer Jugurtha. Dans une de sa personne, le fit mettre à mort
entrevue assignée pour des conférences ( 81 avant J. C). Hiempsal fut rétabli
au sujet de la paix, où le roi numide s'é- dans son royaume, agrandi de toutes les
tait rendu sans armes, il fut enveloppé possessions de son ennemi vaincu.
et amené pieds et poings liés à Sylla, Jura. — Lorsque Sylla et Marius eu-
qui le conduisit à Marius. Cet événe- rent disparu, de nouveaux ambitieux
ment mit fin à la guerre. Jugurtha prirent leur place, et se mirent à la tête
figura dans le triomphe décerné à Ma- des partis qui divisaient Rome. César et
rius; il suivit enchaîné le char du vain- Pompée devinrent les chefs, l'un des
queur. On dit que l'excès du malheur et prétentions aristocratiques, l'autre de
de la honte lui lit perdre la raison. Jeté la démocratie. Hiempsal était mort et ,
dans un cachot où on le laissa sans avait eu pour successeur son fils Juba,
nourriture, il mourut après avoir été en qui par reconnaissance de ce que le parti
proie pendant six jours aux tourments aristocratique avait fait pour son père
de la faim ( 104 avant J. C). Après la pendant la guerre précédente, embrassa
défaite de Jugurtha , ses États furent la cause de Pompée. Les armes ne furent
divisés. Bocchus obtint pour prix de pas propices d'abord en Afrique aux
sa trahison le pays des Massésyliens, et amis de César, comme elles avaient été
sa limite orientale fut portée à Saldae en Italie. Juba ayant uni ses troupes
,
176 L'UNIVERS.
complètement de César , et
les partisans consul. Le nouveau gouverneur profita
les massacra presque entièrement ( 49 de son séjour en Numidie pour réunir
avant J.C.)- L'arrogance de Juba ne con- des matériaux précieux sur l'histoire et
nut plus de bornes après cette victoire; les traditions du pays. Malheureusement
lorsque la perte de la bataille de Phar- ce ne fut pas le seul usage qu'il fit de
sale força les amis de Pompée à venir son pouvoir, il se livra à de cruelles
chercher un refuge en Afrique, le roi exactions, qui fournirent plus tard au
numide leur fît subir toutes sortes d'hu- luxe inouï qu'il étala à Rome.
miliations. Il paraît que Juba avait à
son service un grand nombre de soldats Agrandissement de F Afrique romaine.
étrangers, entre autres des cavaliers Dans la suite de la guerre civile on
gaulois et espagnols. Ce qu'il avait em- voit figurer Bogud, roi de la partie de la
prunté à romaine ne sem-
la civilisation Mauritanie comprise entre l'Ampsaga et
blait lui servir que pour faire sentir plus le méridien de Saldœ, comme partisan
durement au parti aristocratique, qui de César; et Bocchus, dont les États
avait fait la fortune de son père, le poids s'étendaient à l'ouest jusqu'à l'Océan,
de son insolence et de son ingratitude. comme partisan de l'aristocratie ro-
CÉSAR PASSE EN AFRIQUE FIN DE maine. Ces deux princes persistèrent jus-
Juba. — L'Afrique jouait un ;
débarqua à Adrumète, quelques jours sassiner Arabion , et réunit aux posses- >
avant le 1 er janvier de l'année 46 avant sions de Rome tout le pays qui avait'
l'ère chrétienne, avec trois mille fantas- précédemment appartenu à Bogud. !
se retira alors dans une de ses villas Romains, et fils de Juba l'ancien, qui
avec un des chefs pompéiens , et à la avait été vaincu à Thapsus par César. Il
suite d'un repas splendide ils s'en- obtint la main de Cléopatre Sélène, fille
tre- tuèrent. Maître de la Numidie toute d'Antoine et de la fameuse Cléopatre.
entière, César donna à Sittius la ville Les commencements du règne de Juba
de Cirta avec un territoire considéra- furent troublés par les incursions des
ble; Bocchus II, roi de la Mauritanie, Gétules. Ces tribus turbulentes ne vou-
reçut quelques cantons situés auprès de laient pas d'un maître qui n'avait plus
ses États; tout le reste fut réduit en rien gardé des mœurs et des habitudes
province romaine, et confié au gouver- nationales. En vain ce prince fit marcher
nement de Salluste avec le titre de pro- contre elles ses troupes ; il éprouva de
ALGÉRIE. Î77
grandes pertes, et fut contraint d'in- auxiliaire. réunit d'abord des bandes
Il
voquer le secours des légions romaines pour le vol etle pillage; bientôt il les dis-
(6 avant J. C. ). Après ces difficultés, le ciplina; enfin il devint général des Mu-
royaume jouit d'une longue paix; loi, sulans, peuplades du Djurdjura. Peu
la capitale, fut agrandie et embellie. Juba de temps après, il entraîna les tribus in-
mourut l'an 23 de l'ère chrétienne après , digènes dans son parti : ces auxiliaires
un règne de près d'un demi-siècle ; il se répandirent dans le pays, portant
fut célèbre par son immense savoir, et partout le carnage et l'incendie. Vaincu
composa un grand nombre d'ouvrages. une première fois par les troupes ro-
A la mort de Juba, Ptolémée, son maines, il recommença la guerre, sac-
fils, fut investi de l'héritage paternel par cageant les bourgades* enlevant du bu-
Tibère. Ce prince régna paisiblement tin et échappant toujours par la
promp-
tant que Tibère vécut; mais il fut vic- titude de ses mouvements aux poursuites;
time des fureurs de Caiigula,qui, l'ayant il parvint à mettre en fuite
une cohorte
fait venir à Rome, conçut de la jalousie romaine près du fleuve Pagida, entre
contre lui, et le fit assassiner (40 de Cirta et Igilgilis (Djidjéli ). Enhardi par
J. C. ). Le temps était venu d'effectuer, la ce succès, Tacfarinas alla mettre le siège
réunion de Mauritanie à l'Empire.
la devant Thala, non loin du lieu témoin de
En effet le nouveau royaume de Juba la défaite des Romains ; mais un corps de
semblait n'avoir été créé que pour fami- cinq cents vétérans suffit pour tailler
liariser progressivement les Gétules et en pièces les bandes numides. Le décou-
les farouches populations de l'ouest avec ragement ayant gagné les insurgés, leur
le joug romain. Après ces deux règnes habile chef renonça à toute espèce d'o-
successifs de princes mariés à des Ro- pération régulière, et se contenta de
maines, lorsque des colonies civiles et courir la campagne, fuyant dès qu'on
militaires, formées de Romains, de le pressait, puis revenant à la charge.
Latins , d'Italiens , eurent infiltré dans Ce pian déjoua les efforts des Romains,
le pays l'usage de la langue, le désir qui se fatiguèrent vainement à le pour-
des lois , le goût des coutumes et de la suivre. Mais bientôt, s'étant rapproché
civilisation du peuple conquérant , ces du littoral, embarrassé par le butin con-
contrées furent divisées en deux provin- sidérable qu'il traînait après lui Tac- ,
ces sujettes et tributaires. L'une, la plus farinas se vit obligé de s'assujettir à
occidentale, eut Tingis pour capitale, des campements fixes ; il fut atteint par
et reçut le nom de Mauritanie Tingi- les troupes les plus agiles de l'armée
tane l'autre, qui s'étendait à l'est jus-
; romaine et rejeté dans le désert (de 18
qu'à l'Ampsaga, prit le nom de Mau-
à 20 ans après l'ère chrétienne ).
ritanie Césarienne; loi fut sa capitale.
Nouvelles courses de Tacfari-
En poursuivant à l'est, venaient ensuite
la Numide puis l'Afrique propre.
nas sa fin.
: —
La Numidie ne jouit pas
, d'un long calme ; au contact des popu-
Révoltes des populations indigènes. lations indépendantes du sud , Tacfari-
nas puisa une énergie nouvelle recruta
Tacfarinas.
maine ne
— La domination ro- des partisans, et recommença ses incur-
,
mains entrèrent en campagne pour faire tale, que l'empereur Septime Sévère, qui
lever le siège d'une ville située entre régnait à Rome, était né en Afrique. Une
Saldœ et Sitifis que Tacfarinas avait in- foule d'Africains, venus dans la capitale'
vestie. Ils perfectionnèrent encore leur de l'Empire pendant le règne des Sévère,.
manière de combattre, en s'adjoignant y brillèrent au premier rang à l'armée v
,
des officiers indigènes qui dirigeaient les au barreau, dans la littérature. Des rou-
marches de l'armée et conduisaient au tesnombreuses et sûres sillonnaient la 1
butin des troupes légères. Enfin, après Numidie et la Mauritanie. Bientôt Fédit
deux ans d'une guerre acharnée (en 24), deCaracalla (216) éleva au rang de ci-
par un rapide mouvement exécuté de toyen tous les habitants libres des pro*'
nuit, ils surprirent auprès d'Auzéa vinces romaines. Mais liées aussi étroi-
(Hamza) le camp numide, s'en rendi- tement à la destinée et aux institutions,
rent maîtres, et massacrèrent un nom- de l'Empire, les possessions d'Afrique
bre considérable des insurgés. Tac- subirent généralement le contre-coup
farinas périt dans la mêlée. La paix fut des troubles de l'Italie. En 237 l'Afri-
ensuite facilement rétablie. Ces agita- que donna même l'exemple du soulève:
tions eurent principalement pour théâ- ment en proclamant empereur le gouver-
tre le pays compris entre le méridien neur Gordien. Mais après l'avoir élevé J,
de Djidjeli et celui de Dellis. les Africains abandonnèrent le nouvel
État delaNumidieetdelaMau- empereur, et retournèrent sous le jou
bjtanie. —
Les détails relatifs à Tac- de Maximin. Le règne de Galien fu
farinas nous avaient fait revenir sur signalé par les désordres et les malheurs
nos pas car nous avions déjà vu que
; causés par l'invasion des barbares de260
la Mauritanie avait été réduite en pro- à 268. Parmi eux, les Francs, après
vince romaine par Caligula après la avoir dévasté la Gaule et l'Espagne,
mort du fils de Juba , l'an 40 après J. C. arrivèrent jusqu'en Mauritanie. Cette
Deux faits résument l'histoire de l'ad- invasion passa sans laisser de traces;
ministration romaine en Afrique pen- mais elle ouvrit la route suivie plus tard
dant les premiers siècles de l'Empire : par les Vandales. L'administration de
efforts des chefs du pays pour implan- Probus en Afrique, sous les empereurs
ter la civilisation romaine; défense des Galien, Aurélien et Tacite (de 268
frontières du sud contre les peuplades à 2.S0) préserva ce pays des violentes
indépendantes, qui les franchissaient agitations qui troublaient l'Europe. Pro-
souvent. Au commencement du règne bus employa les armées romaines à des
de Vespasien, la Mauritanie Césarienne constructions d'utilité générale, voies
comptait seule treize colonies romai- publiques acqueducs, temples, ponts,
,
!
^
,
ALGÉRIE. 179
tiens. — Sous Dioctétien, en 297, les avait été introduit dans cette partie de
Mauritanies furent en proie à une insur- l'empire romain. On suppose cependant
rection formidable, qui nécessita la pré- que ce fut à la fin du premier siècle, par
sence de Maximien pour la réprimer. quelque disciples des apôtres, venus
Elle eut son siège et sa force parmi les d'Asie ou d'Europe sur des vaisseaux
habitants du pâté de montagnes com- marchands. Les idées chrétiennes se ré-
prises entre Saldœ et Rusuccurum pandirent avec rapidité dans toute l'A-
(toute la chaîne actuelle du Djurdjura, frique. Leurs progrès alarmèrent bientôt
depuis Bougie jusqu'à Dellis), qui le gouvernement impérial , et Septime
formaient une association de cinq peu- Sévère ordonna de punir par le dernier
plades désignées en commun par le supplice tous les chrétiens qui refuse-
nom de Quinquégentiens. Ces tribus raient de jurer par le génie des empe-
étaient toujours armées les unes contre reurs et de sacrifier aux dieux. Ce fut
les autres, mais elles s'unirent pour dans la proconsulaire que furent immo-
échapper au joug des Romains. Maxi- lés les premiers martyrs. Ce sang géné-
mien pénétra dans ces montagnes, at- reux versé pour la vraie foi , loin d'abat-
teignit les rebelles dans leurs retraites tre les chrétiens, ne lit qu'exciter leur
les plus inaccessibles, les dompta, et, énergie et leur enthousiasme. Tel fut
pour prévenir de nouveaux soulève- le progrès du prosélytisme, que la
ments, transporta dans d'autres parties cruauté des gouverneurs romains fut
éloignées du pays les populations qui vaincue par la foule des victimes, et toute
s'étaient signalées par leur turbulence. la province se couvrit d'églises et d'é-
Ce fut alors que Maximien opéra des vêchés. Les persécutions illustrées par
changements dans les circonscriptions Tertullien, par le supplice de Perpétue,
administratives. La proconsulaire fut de Félicité, et de tant d'autres glorieux
subdivisée en trois provinces : la Numi^ martyrs , s'étaient à peine ralenties que
die conserva son territoire et sa capitale les schismes éclatèrent. Le premier con-
Cirta ; la Mauritanie Césarienne fut di- cile auquel assistèrent quatre-vingt-dix
visée en deux parties, dont l'une eut Sé- évêques fut tenu à Lambèse ( non loin
tif pour capitale et l'autre Césarée; de Batna aujourd'hui). En 251 nouveau
quant à la Tingitane, elle fut annexée à concile à Carthage; puis l'année sui-
l'Espagne. vante. A partir de cette époque l'histoire
Cette nouvelle organisation, qui se de l'Église d'Afrique est marquée par
rapporte à l'an 312 après J. C, ne les plus sublimes dévouements pendant
maintint pas longtemps la paix et l'or- les persécutions ordonnées par les em-
dre dans les six provinces africaines. pereurs; elle compte aussi plusieurs hé-
Une révolte peu importante, dirigée résies, entre autres celle des manichéens,
par Alexandre, paysan pannonien, de- qui apparut en 296 , et celle du Libyen
vint une occasion pour le cruel Maxence Arius.
de déployer des rigueurs inouïes contre Schisme des donatistes ( de 316
Cirta, contre Carthage, qui avait été à 371 de J. C. ). — Constantin, lors de
rebâtie avec magnificence, et contre les son avènement, trouva les provinces
principales villes d'Afrique. Cirta eut d'Afrique en proie aux plus violentes
particulièrement à souffrir, et les ruines commotions religieuses; elles étaient
que la guerre y avait entassées ne fu- causées par un schisme né dans l'Église
rent réparées que par Constantin , qui même d'Afrique. Par l'étendue et l'im-
après avoir vaincu Maxence, releva portance de sa juridiction le siège épis-
,
Cirta et lui donna le nom de Constantine. copal de Carthage était regardé comme
le second de l'Occident. A la mort du
État religieux de V Afrique sous V Em-
titulaire de ce siège, les délégués de
pire.
l'empereur élevèrent Cécilien à la di-
Mais Constantin ne put porter re- gnité de primat, sans que les évêques de
mède au plus funeste des maux qui dé- JNumidie eussent participé à l'élection.
solaient l'Afrique, aux dissensions re- Soixante-dix d'entre eux protestèrent
ligieuses. On ignore à quelle époque et contre ce choix , et opposèrent Donat
par quels missionnaires le christianisme comme primat légitime. Les décrets
12.
,
U'-O L'UJNIVERS.
des eonciies de Rome et d'Alexandrie et inquiétude à Vaîentinien, qui envoya le
les décisions impériales confirmèrent comte Théodose, un de ses plus habiles
Cécilien; mais les partisans de Donat généraux, pour rétablir la paix en Afri-
n'abandonnèrent rien de leurs préten- que. Débarqué à Igilgilis (Djidjéli ), en
tions et plusieurs subirent le martyre
, 372 de J. C, Théodose se porta à Sétif, et
plutôt que de renoncer à leurs croyances. de là à Tubusuptus (Bordj-el-Bouberak).
Derrière ces querelles, où les haines Firmus essaya d'abord de tromper son
et les ambitions personnelles avaient ennemi par de feintes soumissions la ;
ves , les colons , les petits propriétaires de nouvelles perfidies. En effet, les hos-
ruinés, par le fisc formèrent des bandes tilités recommencèrent bientôt, et Fir-
qui prirent le nom de Circoncellions. mus fut sur le point d'envelopper les
Ces nouveaux prosélytes développèrent troupes romaines à Auzéa (Hamza);
le schisme religieux , et poursuivirent Théodose déjoua de nouveau toutes ses
une réorganisation sociale pour réaliser ruses; par d'habiles négociations, il
sur la terre le règne de l'égalité parfaite. ramena à l'obéissance une partie des
L'exaltation de leurs croyances les poussa tribus indigènes, châtia celles qui, par
à de graves désordres; on envoya contre leur éloignement, se croyaient à l'abri
eux des troupes, qui en firent un grand de ses coups, et pressa chaque jour Fir-
carnage; mais les populations insurgées mus de plus près. Enfin, désespéré,
ne rentrèrent complètement dans le de- au moment d'être livré par Ighmacen
voir que plusieurs années après. Pen- roi des ïsafliens, comme Jugurtha l'avait
dant longtemps les doctrines sociales et été par Bocchus, Firmus se donna la
religieuses des Circoncellions et des mort. Cette insurrection , comme celle
Donatistes agitèrent les campagnes. des Quinquégentiens, avait eu pour
Révolte de Firmus. — Ces troubles théâtre la chaîne du Djurdjura, et s'était
funestes nuisirent à la prospérité du étendue des frontières de la Mauritanie
pays, affaiblirent l'autorité impériale et Sitifienne jusqu'au delà de Césarée. La
encouragèrent les révoltes des tribus lutte dura trois ans.
indigènes. Depuis le terrible châtiment Révolte de Gildon (397-398 de
qui leur avait été infligé par Maximien, l'èrechrétienne). —
Quoique les dangers
elles attendaient avec impatience l'occa- suscités par la rébellion de Firmus eus-
sion de se venger. L'insurrection ne sent dû éclairer Rome sur le péril de
tarda pas à trouver un chef; ce fut trop élever les grandes familles indi-
Firmus, l'un des plus puissants princes gènes , elle ne tarda pas à commettre
maures par son esprit de ruse et par sa
; la même faute ,et ce fut un frère de
bravoure il se plaça au-dessus de Tac- Firmus qui en fut l'objet. En récom-
farinas et à côté de Jugurtha. Il sut se pense des services qu'il avait rendus
donner pour auxiliaires les passions les pendant la première insurrection, en
plus orageuses les Donatistes encore
: , combattant son frère, Gildon avait été
sous le coup des mesures répressives élevé aux plus hautes dignités militaires;
dont on les avait poursuivis et les Mau-
, il reçut même de Théodose le gouverne*
res, qui depuis trois siècles protestaient ment de l'Afrique, qu'il administra
contre le joug étranger. Dans la première pendant douze ans avec une autorité
fureur de la guerre contre les Romains, presque absolue. Lorsqu'à la mort de
Firmus réduisit Césarée en cendres, et Théodose l'Empire fut partagé entre ses
se fit reconnaître comme empereur par deux fils Gildon conçut le projet d'en-
,
dix mille Gétules et Éthiopiens ils fu- : des Vandales. Le comte Boniface, gou-
rent mis en fuite, et lui-même fut obligé verneur de l'Afrique, irrité de voir la
de se donner la mort pour ne pas tomber mère de l'empereur accueillir les calom-
vivant aux mains de ses ennemis. Après nies que propageait contre lui Aétius,
sa mort, le gouvernement de Rome, crai- son rival de gloire et de fortune, menacé
gnant que le troisième frère n'imitât par les forces imposantes envoyées pour
bientôt l'exemple des deux premiers le , le réduire, appela les Vandales à son
lit périr et déploya contre ses partisans secours, et offrit à leur chef de partager
des rigueurs implacables. avec eux la moitié des provinces que
Gildon était maure et païen , mais Rome lui avait confiées. Genséric, roi
protecteur zélé des Circoncellions et des Vandales, établi en Espagne dans
des Donatistes; il représentait donc l'Andalousie, s'embarqua pouri'Afrique
deux intérêts très-puissants celui de : au mois de mai de l'année 429. L'ar-
l'indépendance africaine et celui d'une mée d'invasion se composait de cin-
secte religieuse fort active et fort éten- quante mille hommes, Vandales, Aîains
due. Sa famille était chrétienne et et Goths; les vieillards, les femmes, les
orthodoxe, sa femme, sa sœur et sa enfants et les esclaves pouvaient porter
fille furent des saintes. Un seul chiffre ce nombre à quatre-vingt mille. Mais à
démontrera l'appui que la rébellion pou- peine débarqués une multitude d'auxi-
vait trouver en Afrique. Au concile qui liaires vinrent se joindre à eux. Les Mau-
se tint à Carthage en 411 on compta res habitant les régions qui bordent le
deux cent soixante-dix-neuf évêques do- grand désert et l'océan Atlantique, ac-
natistes sur cinq
cent soixante-seize coururent les premiers; puis ce furent
membres. Cette secte appuyait toutes les les Donatistes, qui étaient en butte
tentatives pour se séparer de l'Empire. aux plus dures persécutions; enfin les
Aussi tous les efforts du gouvernement, Romains eux-mêmes, que l'impitoyable
toute l'énergie des Pères de l'Église et fiscalité de l'administration impériale
de saint Augustin surtout évêque d'Hip-
, avait ruinés et qui espéraient d'un chan-
pone, s'appliquèrent à extirper cette gement une amélioration à leurs souf-
hérésie, qui menaçait à la fois la religion frances.
&
et l'État (1). Siège d'Hippone. —Dès leur entrée
Depuis de Gildon jusqu'à
la révolte en Afrique, les Vandales portèrent dans
1 arrivée des Vandales l'Afrique ne fut toutes
, les contrées qu'ils traversèrent
déchirée par aucune guerre civile ou le fer et laflamme. Les riches et popu-
étrangère. Mais si la paix régnait dans leux établissements fondés sur le litto-
les provinces les plus orientales, les ral par les Carthaginois ou par les Ro-
Mauritanies furent incessamment trou- mains furent détruits de fond en com-
blées par les incursions des tribus de ble. Les Maures et les Donatistes se
l'occident et du sud, qui n'avaientjamais montrèrent aussi animés que l'armée de
ete complètement soumises.
Genséric à cette œuvre de dévastation.
Les trois Mauritanies furent ainsi com-
(i) Saint Augustin, comme on le sait, plètement ravagées, et l'invasion sembla
était né à Tagaste, petite ville de la Numi- s'arrêter un instant à la limite du fleuve
die en 354 il fut ordonné prêtre
, ; en 391, et Ampsaga ( Oued-el-Kebir ), où finissait le
appelé l'année d'après à l'évêché
d'Hippone, territoire cédé par Boniface. Mais bien-
qu'il occupa jusqu'en 43o.
Ses travaux et sa tôt Vandales pénétrèrent dans la
les
vie somtrop connus pour
qu'il soit nécessaire Numidie. Le général romain, réconcilié
ae les rappeler ici.
avec la mère de l'empereur se repentit
,
dont il pouvait disposer., et leur livra ba- Expédition contre les Vanda-
taille non loin de l'Ampsaga; mais il les; mort de Genséric —
Pour ven-
fut vaincu , et courut s'enfermer dans ger le nom romain de tant d'outrages
Hippone. Genséric arriva sous les murs et reconquérir la liberté des mers, l'em-
de la place dans l'été de l'année 430. Le pereur d'Occident et celui d'Orient ten-
siège dura quatorze mois. Saint Augus- tèrent des expéditions impuissantes con-
tin se trouvait dans la ville ; il avait prévu tre les Vandales. Cependant un suprême
les malheurs que devait entraîner l'inva- effort fut dirigé par Basilicus, beau-frère
sion des barbares ; il prodigua les encou- de l'empereur Léonce. En 470 une flotte
ragements et les consolations aux habi- formidable débarqua au cap Bon, à qua-
tants et à Boniface; il mourut peu de rante milles de Carthage, une armée de
mois après l'ouverture des opérations. plus décent mille hommes. Les Vanda-
Hippone capitula au mois d'août 431 A . les furent d'abord vaincus sur terre et
la suite de ces succès, il y eut un traité sur mer ; mais Genséric ayant obtenu
entre les vainqueurs et les vaincus, qui une trêve de cinq jours, prit des dispo-
assura à Genséric tout le pays depuis sitions énergiques, lança pendant la
les colonnes d'Hercule jusqu'aux murs nuit des brûlots au milieu des navires
d'Hippone et de Cirta. impériaux, les attaqua avec vigueur et
Genséric organise ses conquê- les mit en fuite. Basilicus retourna à
tes. — Genséric pour
profita de la paix Constantinople,aprèsavoirperdu la moi-
i
poque de leur grande invasion. Les an- tourner à son profit les passions reli-
ciens habitants ne furent dépouillés ni de gieuses, les haines nationales et jus- ;
sirs et dans les débauches qui avaient guerres d'Asie. L'armée était de quinze
affaibli les Romains d'Afrique, qu'ils mé- mille hommes , dont dix mille fantassins
prisaient et qu'ils avaient dépossédés. et cinq mille cavaliers. Elle se composait
Les vertus guerrières s'éteignirent dans d'Égyptiens, de Ciliciens, de soldats de
le luxe et dans la mollesse. leur fana- A toutes les parties de l'Asie Mineure et de
tisme ignorant, mais audacieux, se la Grèce, d'un corps de quatre cents Hé-
substitua l'amour des subtilités théolo- rules, barbares aussi cruels que braves,
giques et dés querelles religieuses. Les et de six cents cavaliers Huns. Une flotte
forces de la nation déclinèrent rapide- de cinq cents vaisseaux, montés par vingt
ment sous les quatre successeurs de Gen- mille matelots, débarqua cette armée à
séric Hunéric, Gunthamond, Thrasa-
: Caput Vada, sur les confins de la By-
mond Les tribus nomades,
et Hildéric. zacène et de la Tripolitaine. La retraite
dont l'activité n'était plus entretenue par la Cyrénaïque et par l'Egypte se
par des entreprises de guerre, comme trouvait ainsi assurée, en cas de revers.
sous Genséric, tournèrent leur turbu- Les troupes impériales étaient aguerries
lence contre les Vandales. Les séditions, et pieines de confiance dans leur géné-
commencées d'abord dans les parties de ral ; la discipline la plus sévère fut main-
l'Occident les plus éloignées, se rappro- tenue parmi elles ; elles payaient tous
chèrent progressivement de la Procon- les objets nécessaires à leur "consomma-
sulaire et Byzacène. Les monts
de la tion Les habita nts frappés delà do uceur
. ,
livraient pas de combats à des armées; s'en fit en bon ordre, comme celle de
ils pillaient et ravageaient le pays, se re- toutes les villes qu'on avait traversées.
tiraient dans les montagnes ou dans le Gélimer, battu deux fois, perdit son
désert lorsqu'on envoyait des troupes
, camp, qui était rempli d'immenses dé-
contre eux. Dans les dernières années pouilles, et s'enfuit précipitamment dans
de la domination vandale ils poussè- la JNumidie, où il se réfugia chez les tribus
rent leurs incursions jusqu'à Adrumète sauvages des monts Pappua (Édough),
(Sousa). au mois de décembre de l'année 533. La
Hildéric, le dernier roi vandale, victoire de Bélisaire décida de la perte
avait été élevé à Constantinople, et était définitive de l'Afrique pour les Vanda-
l'ami de Justinien. Dès son avènement les. Leur domination n'avait été réguliè-
il voulut mettre fin aux persécutions rement établie que dans les provinces
dont les catholiques étaient l'objet. Ses orientales, et la prise de Carthage mar-
généreuses intentions lui aliénèrent les qua la fin de leur empire. Bientôt Géli-
Vandales, presque tous attachés à l'héré- mer fut bloqué dans un des villages des
sie d'Arius. Un de ses généraux, Gélimer, monts Pappua, où il menait la vie la plus
illustré par des succès momentanés ob- misérable; abattu par la misère, brisé
tenus contre les nomades, profitant par la douleur, le roi vandale fut enfin
des sentiments de répulsion qu'jnspirait forcé de se rendre. Avant de quitter
Hildéric le renversa du trône, et usurpa
, l'Afrique pour amener son prisonnier à
l'autorité souveraine en 531. Justinien Constantinople , Bélisaire se hâta de
saisit cette occasion pour réaliser les prendre les mesures qui devaient com-
projets qu'il nourrissait depuis longtemps pléter et consolider sa conquête. 11 fit
au sujet de la conquête de l'Afrique. Il occuper la Sardaigne, la Corse et les îles
se déclara le protecteur des intérêts Baléares, qui avaient appartenu aux Van-
d'Hildéric, et prépara une expédition dales. I! s'empara en Afrique de Césarée,
coïitre Gélimer. ville alors vaste, bien peuplée et faisant
Conquête de l'Afrique par Béli- par mer un grand commerce; il s'éten-
saire. —
Le commandement des trou- dit jusqu'à Ceuta. Il rendit à l'Église ca-
pes fut confié à Bélisaire, déjà célèbre par tholique la juridiction, les richesses et
la part glorieuse qu'il avait prise aux les privilèges que l'hérésie arienne avait
, 1
184 L'UNIVERS.
retenues si longtemps. Enfin, au prin- renforts de troupes, eut fait rentrer tous
temps de l'année 534, le vainqueur des les rebelles dans le devoir, et ramené
Vandales reçut à Constantinople les l'ordre et le calme dans les provinces les
honneurs du triomphe. plus rapprochées de Carthage. Les tri-j
bus de P Aurès furent battues dans plu-
Domination byzantine. sieurs rencontres, et durent chercher un
Dispositions des indigènes. — refuge en Mauritanie et chez les peupla-
Pendant les opérations de l'armée impé- des du sud. Mais Salomon pénétra dans
riale contre Gélimer, un certain nombre le pâté des montagnes, s'empara des for-:
de cavaliers appartenant à différentes tri- teresses où l'ennemi avait déposé ses tré-
bus, attirés par l'appât du gain, s'étaient sors, et établit des postes fortifiés dans
joints aux Vandales; d'un autre côté, les l'Aurès. Poursuivant ses succès, il s'a-
chefs des tribus de la Mauritanie de la , vança vers l'ouest, chassant devant lui les
Numidie de la Byzacène, prévoyant la
et tribus indigènes maures qui avaient en-
chute de Gélimer, s'étaient mis en rap- vahi la Numidie pendant la décadence de
port avec Bélisaire et lui avaient fait des la domination romaine. Il soumit le can-j
promesses. Mais la masse des indigènes ton de Zaba (Msila) et toute la Mauri-
restait indécise et flottante, attendant l'é- tanie Sitifienne ; quant à la Mauritanie Cé-
vénement pour se prononcer, impatiente sarienne, elle obéissait à un chef maure
d'être délivrée de la domination vandale, et les Byzantins ne possédaient que Ce-,
mais peu empressée à accueillir pour sarée, la capitale.
maîtres de nouveaux étrangers. La vic- Nouvelle prise d'armes des in-i|
toire s'était à peine prononcée pour les digènes. — L'Afrique jouit d'un repos
Byzantins que les tribus de la Tripoli-
,
de quatre années. Mais un neveu de
taine commencèrent à les attaquer, et Salomon ayant assassiner quatre-
fait
avant son départ d'Afrique Bélisaire dut vingts indigènes qui s'étaient rendus au-
envoyer des troupes pour les réprimer. près de lui avec un sauf-conduit, toutes;
Il avait aussi placé des garnisons dans les tribus prirent les armes (543). L$j
l'intérieur du pays sur les frontières de
, mouvement de rébellion se propagea de
la Byzacène et de la Numidie. Parmi les l'est à l'ouest; et parti de la Tripolitaine,
instructions laissées à l'armée , il avait il atteignit bientôt l'extrémité occidentale
que Salomon, revenu en Afrique avec des succès les revers subis jusque alors par
,
ALGÉRIE. i&
les troupes impériales. La guerre ne fut 570, en 577, en 597 et jusqu'à l'inva-
terminée qu'en 550, par la mort des sion arabe, les populations indigènes
principaux chefs des tribus. Jean Tro- attaquèrent les Byzantins sans relâche.
glita rentra triomphante Carthage, et Elles trouvèrent un chef redoutable, du
s'appliqua à faire jouir l'Afrique des nom de Gasmul, qui, devenu tout puis-
bienfaits d'une paix profonde. Nous de- sant par ses victoires, avait donné des
vons faire remarquer cependant que les établissements fixes aux tribus et diri-
événements que nous venons de raconter gea même une expédition contre la
eurent pour théâtre les provinces orien- Gaule. Cette tentative avorta , mais elle
tales et une partie seulement de la Nu- prouve que le roi Gasmul avait organisé
midie. Ils ne se rapportent qu'indirecte- les indigènes et avait discipliné leurs
ment à l'intérieur des Mauritanies, qui forces. Chaque jour les Maures ga-
(iepuis l'invasion des Vandales sem- gnaient une nouvelle part de territoire
blaient s'être détachées des possessions sur la civilisation ; et quoique les Gara-
impériales et se gouverner le plus sou- mantes eussent embrassé le christia-
vent d'une manière indépendante, sous nisme , la masse des indigènes qui com-
l'autorité de plusieurs chefs indigènes. battaient les Byzantins ramenèrent le
La civilisation, qui avait avancé de l'O- paganisme et la barbarie jusque sur le
rient à l'Occident , se retirait devant la littoral. De 647 à 697, les Arabes achevè-
barbarie. Nous aurons occasion de re- rent l'œuvre des tribus indigènes et por-
marquer plusieurs fois par la suite des tèrent le dernier coup à la domination
mouvements de réaction semblable des byzantine. Dans la seconde moitié du
peuplades indigènes de l'ouest contre septième siècle, l'Afrique perdit une
es civilisateurs arrivés d'Orient. partie considérable de sa population eu-
Fin de la domination byzantine. ropéenne et civilisée; ses villes , un ins-
— Après quinze années de paix les tant relevées après l'invasion vandale,
;ribus indigènes des frontières de la Nu- tombèrent de nouveau ; tous les progrès,
nidie se soulevèrent pour venger un de tous les embellissements qu'elle devait
eurs chefs qui avait été assassiné à aux efforts successifs des Phéniciens,
Jarthage par ordre du gouverneur (564), des Romains et des Grecs, disparurent.
]ette révolte fut promptement réprimée, Un ordre nouveau de faits, de croyan-
nais elle fut suivie d'insurrections ces et d'institutions allait s'implanter
ïombreuses, qui se succédèrent à de sur le sol africain.
courts intervalles. En 568, en 569, en
186 L'UNIVERS,
faits qui concernent la totalité du con- refoulées vers les déserts du sud et dans
tinent africain. Mais à mesure que les les chaînes de montagnes les plus diffi-
événements modifient la situation qui a ciles , devait faciliter beaucoup la rapide
été la conséquence immédiate de l'inva- invasion du Maghreb. Ace moment,
sion musulmane, lorsque les races indi- sur tous les points occupés de l'Afrique
gènes interviennent dans les destinées septentrionale, la puissance gréco-ro-|
de leur pays , le cercle politique et géo- maine était dans une décadence com-
graphique que notre récit doit embrasser plète. La domination vandale, qui n'avait
se limitera, et nous arriverons à pouvoir pas duré un siècle, avait suffi pour
consacrer toute notre attention à l'his- faire presque entièrement disparaître la
toire spéciale de l'Algérie. civilisation romaine. Sous Justinien,
Les traditions les plus anciennes, une réaction brillante avait un instant
ayant également cours parmi les tribus rendu l'avantage sur les hordes, mieux
de l'Arabie, et parmi les peuplades no- organisées pour la destruction que pour
mades qui habitaient le nord de l'Afrique la fondation des empires l'Afrique fut ;
et qui allaient subir l'invasion musul- arrachée aux Vandales par Bélisaire, qui
mane, rattachaient les Berbères Africains releva les ruines des villes les plus im-
à la grande famille abrahamique. Lors- portantes , détruites au moment de l'in-
que David tua Djalout, le chef des Ka- vasion.
nanéens, qui occupaient la Palestine, Cependant le pouvoir des empereurs,
ceux-ci, disent les chroniques, se dis- d'Orient ne fut jamais solidement établi
persèrent et se dirigèrent vers le sud et en Afrique. Il n'existait presque plus de'
vers Pouest. Établis au milieu de peu- colonies romaines pour l'appuyer; les;
ples nouveaux, les uns dans la plaine, tribus indigènes avaient repris leurs,
les autres dans les montagnes , ils adop- habitudes d'indépendance; les Vandales'
tèrent en partie les mœurs des habitants ; s'étaient retirés dans les montagnes où^
mais, comme toutes les nations issues unis aux indigènes, ils bravaient les ef-Ji
1
des souches patriarcales, ils gardèrent forts des gouverneurs grecs de Car*, ;
fidèlement les traces de leur état primitif, thage. Salomon, successeur de Bélisaire»;
et quelques-uns de ces traits ineffaçables avait bien remporté quelques avantages;
qui après les plus longs intervalles
, sur eux ; mais il n'avait pu leur faire re-
malgré les distances les plus grandes connaître l'autorité des empereurs d'O}
font que deux peuples d'origine com- rient.
mune se reconnaissent en se rencontrant A
ces agitations, à ces luttes incessan-
et se rapprochent. tes avec les Berbères, qu'on ajoute les;
D'autres traditions font descendre les effets d'une administration rapace et
Berbères des colonies hémiarites qui, avilie des populations écrasées d'impôts,/:
;
des croisements infinis, s'est perpétuée ques des Berbères de l'intérieur. Telle —
jusqu'à nos jours, et on trouve encore était la situation des dépendances afri-
en Algérie des tribus berbères portant caines de l'empire grec aux premières
les mêmes noms que les cinq tribus hé- années du septième siècle. Les Arabes,
miarites qui pénétrèrent d'abord en poussés par cette force d'expansion qui
Afrique. entraîne hors de leurs foyers les peuples
Cette communauté d'origine entre les travaillés par des révolutions religieuses
Arabes et les peuplades indigènes que les ou politiques, attirés par l'appât du
conquêtes successives des Carthaginois, butin à recueillir dans une contrée dont
des Romains et des Vandales avaient la richesse et la fécondité étaient célè-
ALGÉRIE, 187
bres, aidés par les affinités d'origine, son pouvoir pour en assurer succès,
le
Je mœurs, et presque de croyances, et contribua de ses propres deniers à
qu'ils avaient avec la partie la plus adon- l'organisation de l'expédition. Ce groupe
née aux hérésies et Ja plus turbulente de croisés d'élite rejoignit en Egypte
de la population africaine, pouvaient- des contingents plus considérables et ;
ils rencontrer en pénétrant dans le Ma- Une masse de vingt mille guerriers, sous
ghreb une résistance sérieuse (1)? la conduite d'Abd-Allah ben Saad, fit ir-
ruption dans le Maghreb (1). Après une
Incursions arabes dans le Maghreb. sanglante bataille, dans laquelle fut tué
Ce fut l'an23 de l'hégire (643-644 le patrice Grégoire qui commandait la
,
enquêtes. Amrou organisa des partis contentèrent d'établir à Barka une sorte
le cavalerie qui, sous la conduite des de garnison qui devait servir d'avant-
ix Berbères, pénétrèrent dans la pro- garde pour faciliter les incursions ulté-
ince de l'ancienne Pentapole , ravagè- rieures.
ent Barka, Zouïla et autres villes en- En effet le butin ne devient propriété
vironnantes, poussèrent jusqu'à Tripoli, réelle et personnelle du guerrier que
it soumirent les montagnes de Nefouça, lorsqu'il est transporté en pays musul-
six journées de marche au sud de cette man, et la mort d'un combattant avant
fille. Trop faibles pour s'engager plus le retour annule le droit de ses héritiers
[vaut dans l'ouest, les musulmans re- à la part qu'il devait avoir.
purnèrent en Egypte chargés de bu-
lin et emmenant un grand nombre de
Deuxième invasion.
[aptifs. Il est probable que ces expédi- Les troubles qui suivirent la mort du
ions se renouvelèrent plusieurs fois, khalife Othman retardèrent progrès
les
ns prendre cependant des proportions de ia conquête de l'Afrique. Aucune
lus considérables, et se bornant en grande expédition ne fut tentée dans ce
uelque sorte à une reconnaissance du pays. Mais la paix ayant été rétablie par
ays. l'abdication d'El-Hassan, petit -fils du
prophète, en faveur de Maouia ben
Première invasion.
Abou Sofian, chef de la dynastie des
Mais quatre ans après sous le kha-
, Ommiades, des contingents furent en-
fatd'Othman, successeur d'Omar, on voyés à Barka (2). BenKhedidj, suivi
oit se former une véritable armée de d'un grand nombre de guerriers de la
musulmans pour entrer en Afrique. Des tribu des Koréichites, pénétra en Afrique,
ompagnons du prophète, des notables à la tête de dix mille hommes l'an 45
,
tit la nécessité de créer à l'ouest de Barka dans le Zab, dont la ville principal
un centre d'action, afin de servir de point était entourée de trois cent soixante vil
(général revêtu de l'autorité spirituelle sud, il prit Sous El-Aksa, Aïgla, Draa
et temporelle) entre en Afrique, les et atteignit les Berbères Lemtouna, qu'o
« habitants mettent leur vie et leurs croit les mêmes que les Touareg, fixé
« biens à l'abri du danger en faisant la aujourd'hui dans les déserts au sud df f
« dès que l'armée se retire ces gens-là , poussa son cheval jusqu'à ce que Yef
« se rejettent dans l'infidélité. Je suis atteignît le poitrail; levant alors la ma?
« donc d'avis ô musulmans de créer
, , vers le ciel , il dit : « Vous connaissez !
« une ville qui serve de camp et d'appui « ô mon Dieu la pureté de mes iii
,
dès les premiers pas de leur domination général arabe fit ses dispositions pou
en Afrique. le retour.
Okba ne resta qu'un an dans le Ma- Parvenu dans la province du Zab, ai
ghreb ;gouverneur de l'Egypte lui
le sud de la province actuelle de Constac
donna pour successeur un esclave affran- tine, Okba ordonna à ses troupes d
chi , qui affecta de prendre en tout le se rendre par détachements à Kairouan
contre-pied de ce qu'avait fait son pré- et ne retint auprès de lui qu'un peti
décesseur. Il détruisit Kairouan, et édifia nombre de cavaliers. Tout à coup à , 1
ALGÉRIE. lsn.
du général arabe pour une insulte qu'il eut lieu l'an 76 de l'hégire (695 de J. C).
en avait reçue. Celui-ci marcha contre Les musulmans furent d'abord victo-
les rebelles", qui se retirèrent devant rieux, et rétablirent rapidement leurs af-
lui pendant plusieurs jours. Alors, faires:Carthage tomba en leur pou voir , et
rapporte un historien arabe, les Berbères fut entièrement rasée. L'empire grec ne
iirent à leur chef : « Pourquoi te reti- possédait alors sur le littoral que la seule
p rer ? Ne sommes-nous pas cinq mille ? » ville de Bône. Toutes les populations de
Koucila répondit « Chaque jour notre
: la province de Carthage rentrèrent dans
f
nombre grossit et celui des Arabes l'obéissance. Cependant lesBerbères con-
< diminue. Je ne veux les attaquer que vertis à l'islamisme continuèrent soit ,
k lorsqu'ils commenceront à se retirer» avec leurs propres forces , soit avec les
« vers la province d'Afrique. » — Encore secours de Constantinople, la résistance
m trait de ressemblance entre la lutte contre l'invasion des Arabes.
Jes Arabes contre les Berbères, et la A
Koucila, ce chef berbère qui s'était
guerre que nous avons soutenue en emparé de Kairouan , avait succédé
Vlgérie contre les tribus. une femme berbère, issue d'unenoble fa-
Okba résolut de tenter le sort des mille, appelée Dania, et plus connue sous
trmes; les cavaliers de son escorte le nom de Kahina (devineresse). Elle
irisèrent le fourreau de leur sabre, et commandait dans les montagnes de l'Au-
narchèrent au combat; mais, accablés rès , et des populations nombreuses re-
>ar le nombre, ils périrent tous. C'était connaissaient son autorité. Le nouveau
'an 63 de l'hégire. général arabe marcha contre elle ; mais
Kahina se porta à sa rencontre, le défit
Insurrection des Berbères.
et le poursuivit jusqu'au delà de Kabès.
Les Berbères, plus sympathiques pour Ce ne fut que cinq ans après que Ben
m compatriote que pour leurs nouveaux Nâman, qui s'était retiré à Barka,
coreligionnaires embrassèrent tous la
, ayant reçu du khalife de l'argent et des
ause de l'insurrection. Koucila fut renforts, rentra en Afrique. En appre-
•roclamé par eux sultan de leur pays. nant les préparatifs qu'on faisait contre
I trouva un appui très-vif auprès des elle, la reine berbère ordonna à ses sujets
ouverneurs grecs, qui étaient encore de ravager les campagnes , de couper
inaîtres de la plus grande partie du les arbres, de démolir tous les édifices.
littoral depuis la frontière de Tunis
, Elle disait « Les Arabes ne viennent
:
'jsqu'à l'océan Atlantique. Koucila, après « chercher en Afrique que les villes, l'or,
a victoire , à la tête de forces considé- « l'argent et lesarbres. Nous, nous n'a-
rables , marcha sur Kairouan , défit les « vons besoin que de champs ensemen-
roupes arabes qui tentèrent de l'arrêter, « ces et des pâturages. En détruisant
t s'empara de cette ville. Les débris « les cites, cesseront de désirer de
ils
le l'armée musulmane se réfugièrent à « venir dans ces contrées. » L'Afrique
larka. Ces événements embrasèrent l'A- était alors un ombrage continuel de
*ique d'une guerre générale. L'an 69 de Tripoli à Tanger, et il s'y trouvait une
'
ihégire, Abd-el-Malek, cinquième kha- multitude de lieux très-peuplés. Kahina
fe ommiade, partir une armée nom-
fit ne fut pas sauvée par ces sauvages me-
reuseafinde rétablir la puissance arabe. sures. Elle livra bataille son armée fut :
Loucila est tué, Kairouan est pris, mise en fuite; elle-même tomba au
larthage est menacée ; mais la fortune pouvoir des Arabes, et eut la tête tran-
e fut pas longtemps favorable aux chée (1).
nisulmans; des troupes grecques, en- Hassan fit grâce aux fils de Kahina,
oyées de Constantinople et de Sicile qui avaient embrassé l'islamisme. Ils fu-
ar l'empereur d'Orient, atteignirent le rent placés chacun à la tête d'un corps
énéral arabe près de Barka, et lui firent de douze mille Berbères , et envoyés en
ssuyer une déroute complète.
Pour venger cet échec, quarante (i) Voyez Univers pittoresque, Arabie,
nlle hommes furent dirigés sur l'Afri- pages 3i4et3i5.
190 L'UNIVERS.
Occident pour y combattre les tribus alors soumise à la domination arabe
infidèles.Par cette mesure habile, le Après s'être rendu maître de Sfax e;
général arabe en employant dans des
, de Gonstantine et avoir réglé l'admi
,
guerres lointaines la turbulence des Ber- nistration du pays ainsi qu'on vient d<
,
convertir à l'islamisme, il peut les faire trigues des Berbères. Il les poursuivi,
périr, ou perpétuer leur captivité, ou jusque dans l'ouest et les força à dç,
,
les rendre libres en les soumettant à mander la paix; à la suite de cette exp<
la capitation. Il peut distribuer à des dition, il installa à Tanger Tarik, u
musulmans les terres conquises à con* ,
de ses lieutenants, d'origine berbère, 1
dition qu'ils payeront à l'État la dîme lui confia le commandement de cett
des productions annuelles. Il peut lais- contrée; il lui laissa un corps de dix
ser à leurs anciens propriétaires les fonds neuf mille cavaliers berbères, avec 1
ruraux, en leur imposant le karadj, petit nombre d'Arabes pour leur enseï
tribut fixe, ou proportionné au rende- gnerle Koran. Mouça soumit ensuit!
ment delà terre. Mais dans ce cas la pro- la Medjana Zeghouan, les pays de'l
,
priété est immobilisée au profitde la com- Haouara, des Zenata et des Senhadja
munauté musulmane, et le sujet tribu- il conquit la Corse et la Sardaignf
taire ne la détient que comme fermier Toute l'Afrique étant pacifiée, Mouça ev
et usufruitier; il ne peut l'aliéner sans voya en Espagne le gouverneur de TS
'
l'autorisation du souverain. Telles sont ger. Cette invasioneut lieu l'an 92 de l'h?
les deux seules conditions de la propriété gire (710-711 de J. C. ) ; elle fut guic^l
chez les musulmans décimale, c'est-à-
:
par le comte Julien , qui avait été défi
dire soumise à payer la dîme (l'achour); en relation avec Okba quarante m
tributaire, c'est-a-dire soumise au ka- auparavant. Bientôt Mouça suivit soi
radj. Une fois fixé, à l'époque de la con- lieutenant , et donna une impulsion si I
quête, suivant la religion du possesseur, pide à la conquête, qu'en deux annéej
il se rendit maître de toute l'Espagne, e
cette classification ne peut plus être mo-
difiée lors même que la terre tributaire
,
porta ses armes dévastatrices jusqu'à
passerait aux mains d'un musulman. La delà des Pyrénées, à Carcassonne. Apre
capitation (djezia) est un tribut per- avoir gouverné l'Afrique et l'Espagn
sonnel imposé à tous les sujets non con- pendant seize ans, Mouça ben Noçaïrfu
vertis , les femmes les esclaves les en-
, ,
rappelé en Orient, et rapporta à fa cou
fants, les vieillards et les indigents en des khalifes des richesses considérable
sont exemptés. Les musulmans ne doi- et un grand nombre de captifs (1).
prélèvement , qui tient à la fois de l'im- général arabe donna des preuves d'un
pôt et de l'aumône, sur la totalité de haute capacité politique. Jamais il n'é
leurs biens apparents. Ces principes fu-
rent appliqués à tous les habitants et à (t) Voyez Univers pittoresque, Arabij
toutes les terres de la partie du Maghreb pages 321 et suiv.
ALGÉRIE. m\
rouva de revers dans les combats multi- sement et le fractionnement de l'auto-
liés qu'il livra. A ussi sage dans les con- rité. C'est, d'une part, l'apparition en
qu'intrépide les armes à la main, il
eils Afrique des khouaredj , schismatiques
tous ses soins à faire oublier aux Ber-
lit musulmans; de l'autre, une révolte
ères l'humiliation de leur défaite. Il fît formidable des peuplades berbères. A la
pouserà ses lieutenants et à ses prin- suite des guerres acharnées qui déchi-
tpaux officiers les filles des chefs des rèrent l'empire arabe en Orient et ame-
entrées qu'il avait soumises. 11 rappela nèrent l'abdication du fils d'Ali en fa-
jx Berbères leur communauté d ori- veur de Maouîa, de nombreuses sectes
gine avec les Arabes, et convertit la d'origines et de croyances diverses se
jiajeure partie à l'islamisme. Les Ber- propagèrent; elles constituèrent une
pres, ainsi que les descendants des co- sortedeprotestantismemusulman, appe-
lins romains, étaient chrétiens; mais lant les peuples à l'indépendance poli-
!3puis l'invasion vandale Tarianisme tique et religieuse , et prétendant rame-
«ait fait de grands progrès parmi eux. ner les fidèles à la pureté de la foi et à la
n sait que cette secte, se rapprochant pratique des bonnes œuvres. Ces héré-
paucoup de la doctrine islamique, re- sies, comprimées tour à tour en Syrie,
ndait Jésus-Christ comme un pro- en Perse, dans l'Arabie et dans l'Egypte,
jeté , et non comme le fils de Dieu ;
furent introduites dans le Maghreb par
jitte analogie dans les croyances rendit les milices venues de l'Irak pour tenir
us facile la tâche de Mouça. Il sut garnison ; elles se firent rapidement de
jénager les superstitions et les préjugés nombreux partisans parmi les Berbères.
Is populations qui habitaient les mon- Il semblait dans les destinées de ces
gnes. Il n'exigea d'elles que de recon- tribus, qui sous le règne du christia-
iittre Mohammed comme prophète, lais- nisme avaient fourni aux Donatistes
rot au temps de purifier leur foi. Ne et aux Circoncellions leurs plus intré-
aignant rien de ces montagnards, qui pides adeptes, de chercher dans ces pro-
aient disposés à ne pas attaquer leurs testations religieuses une voie pour
;>isins pourvu qu'on ne vînt pas les in- faire connaître leurs aspirations à l'in-
liéter, Mouça eut en eux des alliés dépendance politique. La domination
us que des administrés, et ils lui four- arabe, en imposant à ces peuples l'isla-
rent de vaillants auxiliaires pour la misme, avait violemment comprimé en
enquête de l'Espagne. eux des habitudes que de longues tradi-
'
La que Mouça ben Noçaïr avait
gloire tions avaient rendues chères; les vain-
quise, le pouvoir sans bornes
dont il queurs, qui étaient en même temps les
jsposait,et, qu'en partant pour l'O- initiateurs religieux, ne ménagèrent pas
pnt il avait délégué à ses deux fils, le
, toujours les susceptibilités de la race
îent tomber en disgrâce. Dépouillé de vaincue, et firent peser sur elle'une su-
lus ses biens jeté en prison il mourut,
, , prématie oppressive.
{l'âge .de soixante-treize ans, dans la D'un autre côté la plupart des tribus
,
fus affreuse misère. Soliman ben Abd-el- berbères étaient pour ainsi dire d'une
i'alekseptième khalife ommiade , qui
, turbulence héréditaire, la révolte était
de succéder à son frère, confia le
.naît en quelque sorte une nécessité de leur
uivernement de la province d'Afrique vie. Aussi, dès le commencement des
Mohammed ben lézid. premiers successeurs de Mouça des ten-
tatives d'insurrection ne tardèrent pas
Schismes et révoltes.
à éclater; facilement réprimées d'abord,
A partir de cette
époque et jusqu'à la elles mirent bientôt en danger l'exis-
ute de dynastie des Ommiades, tence même de la domination arabe. La
!
i'
la
,'st-à-dire l'an 132 de l'hégire (749 plus considérable, dont les débuts fu-
;
J. C. ), un grand nombre de gouver- rent signalés par la défaite et la mort
iurs furent envoyés successivement de Kaltoum , gouverneur de l'Afrique,
i
ns le Maghreb. Deux faits seulement auprès de Tanger, fit d^s progrès telle-
ent plus particulièrement l'attention ment alarmants, que le khalife Hachem
îndant cette période de troubles et dut appeler aux armes toutes les milices
agitations, qui précipitent l'amoindris- de l'Orient. La Syrie envoya à elle seule
192 L'UNIVERS.
douze mille cavaliers. L'armée arabe ren- de cette ville Fan 155 de l'hégire 77
, (
contra les rebelles au nombre de trois deJ. C).
cent mille, près de Kairouan. Le com- Cette pacification ne fut pas de longu
bat fut des plus sanglants; la victoire durée. Sept gouverneurs, appelés dan
resta aux troupes du khalife, et les Ber- l'espace de trente ans environ au corn
bères laissèrent cent quatre-vingt mille mandement de l'Afrique, ne purent je
cadavres sur le champ de bataille. mais obtenir plus de quelques mois d
Après la chute des Ommiades et l'a- calme consécutif. Insurrections des Be;
vénement au pouvoir suprême de la fa- bères et des Kouaredj rébellion des mi
;
mille des Abbassides, des troubles pro- lices envoyées du Khorassan et de Syrie
fonds agitèrent tout l'empire arabe. qui déposent un gouverneur et procla
L'Afrique ressentit plus cruellement ment un de leurs chefs; mauvaise admi
qu'aucune autre province ces déchire- nistration et infidélité des sous-gou
ments intérieurs. Elle était alors en verneurs tout concourait à prolonge
,
qu'elles ne fussent qu'un résultat des vingt petits États. Ce furent dans/oues
mouvements qui avaient lieu en Espa- les fondateurs de la dynastie des Édrissi
gne; l'autre partie, dont Kairouan était tes, et dans l'estIbrahim ben Aghlab
la ville principale, ne jouissait pas d'une premier prince des Aghabites. Une troi
plus grande tranquillité, à cause des en- sième famille moins importante que lé
,
treprises des Khouaredj arabes et berbè- premières, fonda aussi un pouvoir nou
res pour s'emparer du pouvoir elle res- ; veau à Tiharet (Tekdemt), dans le Ma
sentait aussi plus directement l'influence ghreb-el-Ouassath. Ce furent les Ben
des luttes sérieuses qui déchiraient Restam.
l'Orient. Profitant de ces agitations, qui
retenaient les forces des khalifes loin Édrissites.
de l'Afrique , et qui laissaient les popu- Édris fils d'Édris , fils d'Abd- Allah
,
tie ne fut pas ébranlée ; Édris eut pour leur ascétisme et par une sage adminis-
successeur un fils posthume, qui régna tration. Ils retinrent entre leurs mains
trente ans. On lui attribue la fondation la moitié du Maghreb jusqu'à l'an 296
de la ville de Fês, l'an 185 de Fhégire. Ses de l'hégire ( 908 de J. C. ), époque de l'a-
successeurs régnèrent pendant plus de vénement d'El-Mahdi fondateur de la
,
cent ans , depuis Sous jusqu'à Oran sur , dynastie des Fathimites, qui les dépos-
tout le pays qui composait l'ancienne séda. Du côté de Fês, les animosités et
Mauritanie Tingitane, et une partie de la rivalité des Berbères contre la race
la Mauritanie Césarienne. En dehors de conquérante se réveillèrent. Une tribu
ces limites l'influence des Édrissites fut
, des Zenata se révolta contre les Édrissites,
peu sensible. Cependant ils prirent sou- et fonda un État indépendant, dont Mé-
vent une part très-active aux guerres quinez fut la capitale. Une insurrection
que les Ommiades d'Espagne firent aux éclata aussi dans la province de Sous et ,
miades en Orient, les Édrissites, oubliant grande partie à précipiter la chute des
ftous les ressentiments, se signalèrent par Édrissites, la tribu des Béni Ifren dont ,
ALGÉRIE. 195
gui ont précédé Ali dans les fonctions ment de se séparer de lui les Berbères
de khalife. L'opinion que la souverai-
éprouvèrent tant de peine à le quitter,
neté spirituelle et temporelle résidait qu'ils l'engagèrent à venir avec eux dans
exclusivement dans les descendants le Maghreb. Obéid-Allah
d'Ali était tellementrépandue en Orient, y consentit, et
continua de voyager avec ses amis, sans
que le khalife abbasside El-Mamoun leur rien faire connaître de ses
désigna Mouça, un des membres de la projets.
Chemin faisant, il prit d'eux toutes sor-
famille des Alides, pourson successeur, tes de renseignements sur
afin de faire cesser la séparation du
leur pays
pou- Arrive au terme du voyage il s'éloigna
,
voir de fait du pouvoir de droit mais ; de ses compagnons, et se retira dans
Jetarrangement, contrarié par les autres un
pays montagneux. Mais bientôt il
nembres de la famille des Abbassides, com-
mença à prêcher les doctrines des chii-
ie put avoir lieu. Les musulmans comp-
tes; il sut mettre à profit les
ent douze imam descendant en ligne renseigne-
,
ments qu'il avait demandés sur le ca-
lirecte d'Ali, et dont le dernier, d'après
ractère et les dispositions des Berbères
me tradition chiite adoptée par les or- de tous côtés de nombreux partisans
;
13,
,
19C L'UNIVERS.
ment maîtres du Maghreb-el-Aksa. Il étendent, à chaque nouvel effort, la do-
se forma dans cette portion de l'Afri- mination musulmane vers l'ouest. L'in-
que de petits États secondaires, tels que vasion franchit le détroit., soumet l'Es-
celui des Meknéça, des Zenata, des Ma- pagne et touche la frontière méridio-
ghraoua, des Barghouata, tribus berbè- nale de la France; ce mouvement se
res très-puissantes. Les chefs de ces pe- maintint jusqu'à l'avènement des Om-
tits États se coalisèrent souvent avec miades en Espagne. Alors les choses
les Ommiades d'Espagne pour résister à changent de face; une réaction se pro-
l'ambition envahissante des Fathimi- duit parmi les peuples convertis à l'is-
tes. Malgré des succès assez importants, lamisme; d'une part, les Arabes anda-
ceux-ci voyaient la domination del'ouest lous viennent porter la guerre dans
de l'Afrique leur échapper et lorsque
; l'ouest de l'Afrique; de l'autre, les Fa-
le siège de leur puissance fut transporté thimites, élevés au pouvoir par les Ber-
en Egypte , les Béni Ziri fondateurs
, bères, partent de la province de Tunis,
du petit État d'Achir , d'abord leurs al- font pénétrer leur armées victorieuses
liés ,et appelés par eux à gouverner le jusqu'en Arabie. C'était le mouvement
pays , se déclarèrent indépendants. en sens inverse, de l'Occident à l'Orient.
La domination des Fathimites dura La race berbère semblait refouler les do-
deux cent soixante ans, dont cinquante- minateurs arabes vers leur pays natal ;
deux en Afrique et deux cent huit en échappées à l'influence directe des con-
Egypte ; cette dynastie compte quatorze quérants, ces tribus vont prendre bien-
khalifes. Le successeur d'El-Mahdi bâtit tôt la suprématie dans le gouvernement
lavilledeMsila,etdirigeacontrelavillede et devenir les arbitres de la destinée de
Gênes une flotte qui la ravagea. Sous son tout l'ouest de l'empire musulman.
règne parut un chef de secte et un re- Cette époque marque en Occident le
belle de la tribu des Zenata, qui pendant terme du mouvement d'expansion de
trente ans sema la terreur et la dévas- l'islamisme; elle montre aussi le com-
tation dans la province de Tunis et dans mencement de ladécadence du pouvoir
une grande partie de l'Afrique. Ce fut politique des Arabes en Afrique. La foi
Mouëz quatrième prince fathimite
,
musulmane a déjà dit son dernier mot;
qui dirigea contre l'Egypte une expédi- elle a trahi son impuissance pour fon-
tion,formidable, composée de Berbères der un État. Les tentatives postérieures,
et de troupes régulières. L'Egypte la, dont les débuts paraîtront quelquefois
Syrie et l'Arabie reconnurent le pouvoir si brillants, avorteront toutes, et indi-
des Fathimites. En 361 de l'hégire, queront à peine un temps d'arrêt dans
Mouëz transféra au Caire le siège de son la chute.
empire. Ce prince s'était montré admi-
nistrateur habile et guerrier énergique ; DOMINATION DES BERBÈRES.
il avait organisé avec soin toutes les pro-
Zirites.
vinces de l'Afrique (1).
En partant pour l'Egypte Mouëz ap- Ioucef ben Ziri , de la tribu berbère
pela Balkin ben Ziri , de la tribu des des Senhadja de la province de Sous, fut
Senhadja, qui était gouverneur de Ka- le fondateur de la dynastie des Zirites.
bès , et lui laissa le commandement de Plusieurs historiens ne les considèrent
l'Afrique. pas comme ayant réellement exercé le
Un fait remarquable ressort des évé- pouvoir souverain , et ne voient en eux
ments qui s'accomplirent à cette épo- que des gouverneurs institués par les
que dans le Maghreb. Depuis la con- khalifes fathimites et commandant en
quête arabe le mouvement des grandes
, leur nom ; mais les Zirites jouissaient
masses armées avait toujours eu lieu de d'une indépendance presque complète.
l'Orient à l'Occident. Après les premiè- Ils rendaient hommage au khalife de
res incursions , on voit se succéder des l'Egypte plutôt comme à un chef spiri-
flots de combattants et d'émigrants qui tuel, imam de la religion, que comme
à un souverain. A la mort du prince
(i) Voyez Univers vittoresque, Arabie, zirite , son lils ou son héritier le plus
pages 458 et suiv. direct, lui succédait, et son avènement
ALGÉRIE. 197
était sanctionné par le khalife fathimite tait les principes, et il fit une guerre
gui envoyait une bénichê {vêtement acharnée aux. nombreux partisans des
d'honneur) et un sabre comme signe de diverses hérésies qui s'étaient propagées
Finvestiture; mais jamais les khalifes en Afrique. La secte orthodoxe de l'imam
d'Orient n'intervinrent pour régler la Malek devint la doctrine officielle du
transmission du pouvoir ou pour sur- pays. préparait ainsi sa révolte contre
I!
battit aussi les Onmiiades d'Espagne dans du combat ils firent défection, et Mouëz
le Magtareb-eLAksa se rendit maître de
*, fut battu. Les Arabes pillèrent Kaî-
Tlemsen, dont il transporta les habi- rouan(440de l'hégire; 1061 de.T. C. ), en
tants dans Achir s'empara de Fês de
; . dispersèrent les habitants, et se rendi-
Sedjelmeça, etnelaissaauxOmmiades en rent maîtres de toute la contrée , qu'ils
Afrique que la seule ville de Ceuta. ruinèrent complètement. Cependant
Parmi les neuf princes zirites qui ré- sous le règne suivant on vit ces tribus tur-
gnèrent soit à Achir, soit à Mahdia, il bulentes prêter leur concours au prince
faut signaler Mouëz ben Badis, qui fut pour châtier la révolte des habitants de
proclamé en 406 de l'hégire. Quoique Sfax. Puis les Béni Riah en vinrent aux
hé dans la secte des chiites, il en détes- mains avec les Béni Zagba, qu'ils chas-
198 L'UNIVERS,
sèrent de l'Afrique. De nouvelles tribus giotes, qui obéissaient aux Béni Ham-
arrivèrent successivement de l'Egypte, mad, branche de la famille de Zirites,,
attirées par l'appât du pillage, et im- furent indignés du traité signé par Has-
plantèrent dans le pays un nouvel élé- san; ils se révoltèrent contre son au-
ment de troubles et d'agitations. torité, entraînèrent tout le pays dans l'in-
surrection, et arrivèrent devant Mahdia.
Premières expéditions chrétiennes en
Le prince invoqua l'appui du roi de
Afrique. Sicile; une flotte chrétienne vint aussi-
C'est sous ladomination des Zirites tôt à son secours, et mit en fuite les Bou-
que peuples chrétiens portèrent la
les giotes; c'était en 1134 de J. C. ( 529 de
guerre en Afrique. On sait que la puis- l'hégire). Dans même année Roger
la
sance musulmane vint échouer au delà s'empara de de Djerba, et y établît
l'île
des Pyrénées contre la bravoure fran- une garnison. En 1141 le roi dé Sicile,
çaise, qui imposa des limites à l'invasion prétextant le non-payement d'une somme
de ces hordes fanatiques. Dans le d'argent qu'il avait prêtée à l'émir zirite,
onzième siècle de l'ère chrétienne, les assiégea Mahdia. Hors d'état de résister,
Normands délivraientdu joug des Arabes Hassan ne put obtenir la paix qu'en se
le midi de l'Italie et la Sicile. Mais les déclarant vassal et tributaire du royaume
Européens ne se contentèrent pas de re- de Sicile.
prendre aux Arabes africains les contrées Roger tourna ses armes contre les
que ceux-ci avaient conquises ; ils allè- villes qui n'obéissaient plus aux Zirites;
rent les attaquer en Afrique même. En en 1146 il s'empara de Djidjeli et de
1035 de J. C. ( 426 de l'hégire) lesPisans l'île de Kerkena , qu'il enleva au prince
armèrent une puissante flotte, qui ra- de Bougie; en 1146 il prit Tripoli;
vagea les côtes depuis Tunis jusqu'à Kabès fit sa soumission. L'année sui-
Bône; cinquante ans plus tard, le pape vante, Hassan ayant attaqué Kabès, qui
Victor III organisa une sorte de croi- était sous la protection sicilienne, Roger
sade, à laquelle tous les peuples d'Italie entra sans résistance à Mahdia. Il se
fournirent des contingents. Cette expé- rendit maître ensuite de Zouila, de
dition saccagea Mahdia. Ce fut vers le Sfax, de Souça; plusieurs villes, Tunis
milieu du siècle suivant que Roger, roi entre autres, îirent acte de soumission
de Sicile, porta les plus rudes coups aux avant d'avoir été attaquées. Un État
princes africains, et chercha à créer des chrétien se trouva dès lors constitué en
établissements dans les villes dont il Afrique. L'ordre et la justice furent
s'empara. partout rétablis. L'administration du
Hassan ben Ali occupait le trône des roi de Sicile, quoique ferme, fut conci-
Zirites lorsque Roger dirigea sa pre- pour ses sujets mu-
liante et paternelle
mière expédition contre l'Afrique. La sulmans. Malheureusement son succes-
flotte sicilienne se présenta devant Mah- seur, prince faible et pusillanime, se
dia. Quelques troupes furent débar- laissa enlever ces conquêtes si glorieuses.
quées; mais une violente tempête dis- Hassan, dépossédé par les Siciliens, af-
persa les vaisseaux, et les Arabes enle- faibli par des révoltes continuelles, vit
vèrent le détachement qui avait pris finir en lui la dynastie des Béni Ziri.
terre. Ainsi nous voyons s'ouvrir l'his- Elle disparut devant la souveraineté des
toire des agressions de l'Europe contre Almoravides, déjà puissants à cette épo-
l'Afrique par un échec, qui se renouvellera que dans l'ouest de l'Afrique.
plus d'une fois par la suite et qu'il fau-
Almoravides.
dra toujours attribuer aux mêmes causes :
la mauvaise saison choisie pour ces sor- La dynastie des Almoravides (du
tes d'opérations et l'inconstance de la mot arabe el-merabtin, les liés à Dieu)
mer. Cependant, malgré le secours mi- a été fondée par les Lemtouna, qui
raculeux qui Ut échapper Hassan aux étaient une fraction de la grande tribu
coups des chrétiens ce prince, sentant
, berbère des Senhadja. Ils demeuraient
qu'il ne pourrait lutter contre eux, dans le Sahara le plus occidental du Ma-
envoya demander la paix, et consentit ghreb-el-Aksa. Ces populations guerriè-
à payer un tribut à Roger. Les Bou- res ne connaissaient ni le labourage ni la
ALGERIE. 199
culture des arbres; elles se nourris- « près d'ici nous y passerons à pied
;
cesse les déserts qu'elles habitaient, pour « posera de poissons et de fruits sau-
sions religieuses. Les circonstances qui bane, et s'adonnèrent aux pratiques re-
précédèrent et amenèrent l'avènement ligieuses. De là leur vint le nom de
de ces dynasties indigènes méritent Merabtin.
de fixer l'attention. Les détails ont ici On parla bientôt de ces ermites. Ils
une haute importance ils aident à carac-
; eurent des visiteurs, dont le nombre alla
tériser l'ensemble. L'an 427 de l'hé- toujours en augmentant. Abd-Allah vit
gire, Iahia benBrahim, qui venait d'être entîn ses efforts couronnés de succès.
nommé chef des Lemtouna partit,
Lorsqu'il eut réuni et instruit mille
pour le pèlerinage de la Mecque. En re- disciples, il leur dit « Il faut mainte-
:
venant, ii s'arrêta à Kairouan, et suivit « nant que vous combattiez tous ceux
les leçons d'un cheikh très-savant. Ce- « qui repousseront votre foi. Il con-
lui-ci "apercevant un étranger dans son « vient que nous visitions d'abord les
auditoire lui demanda des renseigne-
, « unes après les autres les tribus aux-
ments sur l'état des études religieuses « quelles vous appartenez. Nous les
dans son pays. Iahia confessa que sa « engagerons à retourner à Dieu; si
tribu était fort ignorante; il manifesta « elles s'y refusent , nous les combat-
lui-même le désir de s'instruire des pré- « trons. » Abd-Allah et les siens se diri-
ceptes de la foi, et demanda au cheikh gèrent ensuite vers les Berbères, accor-
de désigner un de ses disciples pour dant à chaque peuplade sept jours pour
aller enseigner parmi ses compatriotes. se décider à adopter la doctrine nouvelle.
Le professeur ne trouva personne auprès Ils parcoururent ainsi les Kedala, les
de lui pour remplir cette mission; mais Lemtouna et les autres tribus, rangeant
il adressa le Berbère à un de ses con- tout le monde sous leur loi religieuse ;
frères dans le pays de Néfis; et là leur influence pénétra jusque dans le
Iahia ben Brahim rencontra un taleb pays des Nègres, iahia ben Brahim
du nom d'Abd -Allah ben lassin, qui con- resta à la tête des affaires temporelles
sentit à le suivre dans le Maghreb-el- des merabtin Abd-Allah se réserva la
,
îe pays. Alors Iahia ben Brahim lui {voilés). Cette coutume a été adoptée
dit « Je t'ai fait venir pour moi seul ;
: depuis par le plus grand nombre des tri-
« peu m'importe que mon peuple reste bus de l'Algérie, et aujourd'hui encore
« dans l'infidélité. Si tu veux obtenir au moment du combat les cavaiiers se
« les avantages de l'autre vie tu n'as , couvrent le visage jusqu'aux yeux avec
« qu'à te rendre dans une île située leur haïk.
200 L'UNIVERS.
Iahia ben Omar , le successeur choisi vêtu d'habits de laine ; sa nourriture ne
par Abd-AIlah, fut. chargé de diriger la se composait que d'orge de lait de cha-
,
guerre. Il conquit Sedjelmeça etKaria; melle et d'un peu de viande. Cette simpli-
son frère, Abou Bekr, désigné pour lui cité dans les nlœurs a toujours produit un
succéder , attaqua avec le mênfe succès grand effet moral sur les populations
la tribu de Masmouda et les peuples du musulmanes de l'ouest de l'Afrique.;Tous
Soudan. Abd-Allahfuttué en 451 de l'hé- les aventuriers ou les réformateurs qui
gire ( 1071 de J. C. ), dans une expédition. voulurent par la suite se créer un pou-
Abou Bekr resta seul chef des merabtin. voir souverain imitèrent en cela l'exem-
Il entreprit de soumettre le pays des ple d'Ioucef ben Tachfin. On n'a pas
Nègres. Avant de s'enfoncer dans le besoin de rappeler ici que l'émir
désert, il divisa son armée en deux par- Abd-el-Kader , le plus redoutable adver-
ties, et laissa l'une à son cousin Ioucef saire de la domination française en
benTachfin, qu'il nomma son lieutenant Algérie, affectait aussi de ne porter
dans le Maghreb. Celui-ci étendit les con- que des vêtements de laine, répudiait
quêtes augmenta son armée, et profita
, l'usage des étoffes de soie et des 'bijoux
de l'absence d'Abou Bekr pour s'emparer en or. Du reste , cette sévérité dans les
du pouvoir souverain. De ce moment habitudes de la vie est conforme aux
s'ouvre le rôle politique de la nouvelle recommandations expresses des tradi-
dynastie. tions] laissées par le prophète. Ioucef
Ioucef ten Tachfin fut le plus célèbre ben Tachfin mourut à l'âge de cent ans.
des princes almoravides. Il poussa ses A ses derniers moments il rappela aux
,
conquêtes vers l'Afrique orientale jus- personnes qui l'entouraient que dans le
qu'à Alger. Il bâtit la ville de Maroc. cours de sa longue vie il n'avait pas pro-
Les musulmans de l'Andalousie l'appe- noncé une seule condamnation à mort.
lèrent à leur secours pour arrêter les En effet il avait aboli la peine capitale
progrès des chrétiens. Ioucef rassembla dans ses États.
une puissante armée, et passa en Espa- Sous ses successeurs, la puissance des
gne. Il rencontra les forces chrétiennes Almoravides , après s'être étendue sur
sous les ordres du roi Alphonse; il leur tout le Maghreb-el-Aksa sur la plus ,
ressemblent beaucoup à ceux des Almo- suivit l'ennemi avec vigueur, et en quel-
ra vides. ques années parvint à asseoir son au-
Abou Abd-Allah aimait l'étude, et il torité sur des bases solides. A sa mort
était allé s'instruire en Orient auprès il désigna Abd-el-Moumen pour son suc-
dans un cimetière, où il dressa une tente Constantine aux Béni Hammad princes ,
202 L'UNIVERS.
était aussi bon administrateur que grand d'Orient. Iakoub marcha contre les
général. Il arpenter l'Afrique depuis
fit rebelles, les fit rentrer dans le devoir
Sous la plus occidentale jusqu'à Barka. et força El-Miorki à chercher un refuge
On déduisit du
delà superficie,
total dans le Mais pendant qu'il apai
désert.
un tiers pour les montagnes, les 4acs sait les troubles dans l'est le gouvei
,
Baléares, firent d'impuissantes tenta- tailla en pièces. Cette bataille eut lieu
]
de ses frères et les révoltes des Berbè- retourna en Afrique, sans avoir tiré de
res Ghoumera, toujours prêts à se sou- l'important succès qu'il avait remporté
lever dès qu'une autorité vigoureuse ces- tout le résultat que l'affaiblissement
sait de peser sur eux. Il étendit les con- des chrétiens aurait pu lui faire alors
quêtes de son père en Espagne, et s'em- obtenir. Arrivé dans sa capitale
para du royaume de Valence. Ce prince il abdiqua en faveur de son fils, En-
régna pendant vingt-deux ans, principa- Nacer, et rentra dans la vie privée. Il
lement occupé de l'administration de mourut peu de temps après, l'an 595
ses sujets. Son fils Iakoub, qui lui suc- ( 1199 de J. C. ). La cour de ce prince
céda, mérita le surnom d'iti-Mansour fut le rendez-vous des hommes les plus
(le victorieux), à cause des succès qu'il célèbres de cette époque. Parmi les
remporta en Espagne. Les premières savants qu'il combla de ses faveurs on
années de son règne furent consacrées remarquait Ebn-Roch ( Averroès ), le
:
se plaça sous le patronage des khalifes distan , et qui avaient quitté l'Egypte
ALGÉRIE» 203
emparé de Baëna , ravageait les envi- religieuse, dont le noyau avait été for-
rons de Séville et de Cordoue, et parcou- mé par les premiers sectateurs d'Abou
rait le pays en vainqueur. L'émir donna Abd- Allah, qui s'était depuis considéra-
aussitôt des ordrespour qu'on sedisposât blement accrue et était devenue une sorte
à la guerre sainte ; l'armée mit une an- de garde prétorienne. Au milieu des trou-
née entière à se former ; en 607 ( 1210 bles qui agitaient le pays , ces milices
de J.C.) elle arriva à Séville. Cette inva- s'arrogeant la gloire d'avoir fondé l'em-
sion annoncée longtemps d'avance avait pire des Almohades, ne mirent plus de
produit la plus vive émotion dans toute bornes à leurs exigences bientôt elles
-,
l'Europe. Le pape Innocent III avait fait annihilèrent l'autorité des souverains ,
prêcher une croisade pour repousser les les déposèrent et les firent proclamer
ennemis de la chrétienté. De nombreux au gré de leurs caprices ou de leurs in-
croisés , Français, Allemands, Italiens, térêts.
passèrent les Pyrénées et vinrent s'unir El-Adel, qui commandait à Murcie
aux troupes espagnoles. Les deux armées avant son élévation au pouvoir, ne jouit
se rencontrèrent dans les plaines de To- pas longtemps du fruit de ses intrigues;
Josa, au pied des montagnes de la Sierra les cheikhs, gagnés par son frère El-Ma-
Morena. L'armée des Almohades fut moun, gouverneur de Séville, l'étran-
mise en déroute et presque complète- glèrent avec son turban; mais celui-ci
ment anéantie. Cette victoire de la chré- fut presque immédiatement déposé au
tienté contre les forces réunies de tous profit d'Iahïa, fils d'En-Nacer. Ce prince
les peuples musulmans de l'ouest mar- ne put se maintenir, et dut s'enfuir à
qua le commencement de la décadence l'approched El-Mamoun, qui avaitquitté
de l'islamisme en Espagne. Les progrès l'Andalousie et était débarqué à Ceuta
des princes chrétiens ne s'arrêtèrent plus, pour réclamer le bénéfice de sa pre-
et l'Europe occidentale, qui availeu tant mière élection. Les cheikhs lui firent
à souffrir de l'invasion arabe , dans la leur soumission.
Péninsule et dans le midi de la France, El-Mamoun était très-versé dans les
fut définitivement délivrée des alarmes sciences, éloquent, brave et politique
auxquelles elle était sans cesse en proie. habile ; il voulut porter remède aux maux
Le drapeau musulman ne se releva pas qui déchiraient l'empire. Dans ce but,
de cet échec et la puissance des Almo-
, il réforma la constitution que le fonda-
hades ne lit que décroître. Lorsque En- teur de la dynastie avait d'abord établie ;
,
204 L'UNIVERS.
il abolit le conseil des dix cheikhs et l'as- néça les Béni Hafez dans la province
; ,
semblée des soixante-dix chefs berbères, de Tunis; les Béni Zian, à Tlemsen. La
dont l'esprit remuant avait donné une plus grande partie de l'Algérie actuelle
si funeste instabilité au pouvoir. 11 con- était comprise dans ce dernier État.
centra toute l'autorité entre ses mains. Édris ben Saïd fut le dernier émir almo-
Il prit un corps de Curdes à son service, hade; il périt dans une bataiHe que lui livra
et en forma une garde d'élite pour sa à Dékala, au sud de Maroc, Iakoub, chef
défense personnelle. Depuis la première des Béni Merin, en 667 (1269 de J. C).
apparition de ces Turcs en Afrique, d'au- La dynastie fondée par Abou Mohammed
tres étaient arrivés en grand nombre. El- ben Toumart compta quatorze émirs,
Mamoun assigna à ce nouveau corps une et régna pendant cent cinquante-deux
prééminence marquée sur les Mouahed- années lunaires (148 de l'ère vulgaire).
din; il lui alloua une solde mensuelle ; Avec elle finit la puissance de la nationa-
il donna aux principaux chefs des fiefs, lité berbère. Si des princes de cette race
et leur accorda des avantages considéra- parvinrent encore à établir leur autorité
bles. Les historiens font également men- sur certaines portions du Maghreb, on
tion d'un corps de soldats chrétiens qui ne voit plus se former un empire géné-
était au service de ce prince, sans faire ral le grand rôle politique de ces réfor-
;
connaître si ces chrétiens étaient des es- mateurs religieux ne s'élèvera plus à des
claves ou des engagés volontaires ori- proportions aussi considérables. Les.
ginaires du pays, ou venus d'Espagne. sectes successives , les révoltes , les lut-
El-Mamoun, se croyant alors en posi- tes entre les tribus appartenant à des
tion d'agir plus énergiquement contre origines diverses, jetèrent dans ces po-
les Mouaheddin, attaqua leurs doctri- pulations de tels éléments de dissolution,
nes, et fit massacrer tous leurs chefs que l'unité ne put plus être reconsti-
principaux. Il se rattacha à la secte or- tuée. D'un autre côté, à mesure que la
thodoxe de l'imam Malek. Cette réforme domination musulmane s'épuisait par
politique et religieuse ne put sauver son des déchirements intérieurs les nations
,
concéda les deux villes de Tarifa et d'Al- rent maîtres plusieurs fois de Tlemsen,
gésiras. Après des succès sans impor- et la fortune favorisa quelquefois leurs
tance pour la cause de son allié, l'émir armes au point de les faire avancer jus-
mérinide s'empara de Malaga, au détri- qu'à Tunis, après avoir soumis Arzeu
ment du souverain de Grenade. Son fils Mostaganem, Bougie et Constantine.
Iakoub lui succéda, et s'empressa de Mais ces succès furent toujours éphé-
conclure la paix avec Sanche III, dit le mères. En 776 (1374 de J. C.), deux
Brave, qui avait hérité des couronnes de prétendants appartenant à la famille
Léon et de Castille. Ioucef passa alors royale réunirent leurs efforts, détrônè-
en Afrique, pour y faire reconnaître son rent l'émir Es-Saïd et partagèrent le
autorité. Il tourna bientôt ses armes Maroc en deux États, dont l'un eut Fês
contre les Béni Zian, qui venaient de sur- pour capitale, et l'autre Maroc. Dans
gir à Tlemsen et alla assiéger cette ville. ces révoltes continuelles, les troupes
Le siège traîna en longueur, et ne dura chrétiennes, qu'à l'exemple des Almo-
pas moins de sept ans. Le camp des hades les princes mérinides entrete-
assiégeants se transforma en une ville naient, intervinrent souvent, et firent
assez considérable, située à un quart de arriver au pouvoir le prétendant qu'elles
lieue de Tlemsen et qu'ils nommèrent préféraient. Enfin, vers l'an 840 de l'hé-
El-Mançoura (la victorieuse). On voit gire (1437 de J. C. ), un prince mérinide
encore aujourd'hui le mur d'enceinte et ayant invoqué le secours d'Abou-Farès,
le minaret de la mosquée de cette ville, delà famille des Béni Hafèz, qui régnait
qui n'a plus ni maisons ni habitants. à Tunis les Béni Merin furent chassés
,
Jean I er , roi de Portugal, dirigea une toute la race berbère, les Béni Zian
première expédition contre Ceuta. IL reparurent au moment de la chute des
s'empara de la ville, et y laissa une forte Almohades, et se ressaisirent de l'auto-
garnison. En 1437, sous le fils et suc- rité.
cesseur de Jean 1 er , les Portugais opérè- Ce fut sous lerègne d'Abou-el-Hassan,
rent un nouveau débarquement pour un des derniers princes des Mouaheddin,
attaquer Tanger. La ville fut secourue que les Béni Zian, forts de leurs allian-
par une armée musulmane considérable; ces avec les Berbères et de l'influence
les chrétiens furent obligés de capituler qu'ils exerçaient dans le pays, se révol-
et de laisser un infant en otage comme tèrent. En "646 (1247 de J. C), Iagh-
garantie de l'exécution de la convention mouracen, qui était alors le chef de la
qui leur permit de s'embarquer. Mais ce famille des Abd-el-Ouahed, livra un
serait nous éloigner de notre but, que combat à Abou-el-Hassan auprès de
de parler plus longuement des diverses Kala, le mit en déroute, et se rendit
tentatives faites , dans la suite , par les maître du matériel de l'armée ennemie.
rois du Portugal pour s'établir dans le Mais la fortune lui fut souvent con-
Maroc. L'histoire de l'Algérie ne se rat- traire dans les nombreuses luttes qu'il
tache plus que d'une manière indirecte eut à soutenir contre les Béni Merin, qui
à ces événements. régnaient à Fès. Deux rencontres lui
furent surtout fatales : l'une sur les
Les Béni Zian. bords de la Molouïa , et l'autre entre
Lors de la décadence de la domina- Ouchda et l'Oued Isli , deux champs de
tion des Almohades , nous avons vu bataille illustrés par la bravoure de
qu'un État indépendant se constitua à notre armée d'Afrique. Iaghmouracen
ïiemsenau profit des Béni Zian. Lepou- était audacieux, d'une fermeté et dun
voir de cette dynastie s'exerçait sur la courage à toute épreuve ; il n'était pas
majeure partie des contrées comprises moins prudent et habile administrateur.
dans la province d'Alger et dans la pro- Les nombreuses défaites que les Méri-
vince d'Oran de l'ancienne régence tur- nides lui firent essuyer ne purent jamais
que. La famille illustre des Béni Zian, l'abattre. Ce prince , s'il faut en croire
appelée aussi les Abd-el-Ouahed, se un historien arabe , avait aussi à son
rattachait par son origine à la tribu service une troupe de plus de cinq cents
berbère des Meghraoua, branche des chrétiens ; c'était du reste à cette épo-
Zenata. Elle avait, à plusieurs époques, que un usage général parmi les souve-
exercé sur la province de Tlemsen , soit à rains qui dominaient l'Afrique. Voici
titre de sou verainesoit comme tributaire, comment le célèbre historien Ebn Khal-
une autorité incontestée. Lorsque l'A- doun, qui a écrit l'histoire des Berbères,
frique musulmane n'était pas encore explique la présence de ces soldats chré-
démembrée, les Béni Zian avaient pres- tiens dans les armées africaines * Les :
que constamment été alliés aux khalifes « rois du Maghreb ont pris la coutume
ommiades d'Espagne, dont ils avaient « d'enrôler dans leur armée des troupes
embrassé le parts dans la querelle de « franques ils le font, parce que leurs
;
geât à contester leur position indépen- « tandis que les Francs combattent en
dante. Depuis» ils s'étaient attachés, « restant inébranlables à leur poste. »
suivant les vicissitudes des temps, à la Nos soldats ont pu voir, dans les nom-
fortune des dynasties diverses qui se breuses rencontres qui ont eu lieu en Al-
partageaient l'Afrique prêtant le con-
,
gérie, que malgré les leçons des troupes
cours de leurs guerriers, tantôt aux européennes incorporées au treizième
Ommiades tantôt aux Fathimites, tan-
, siècle dans les armées musulmanes ,
les
ALGÉRIE. 207
indigènes n*ont modifié en rien leur cuirs préparés etc. Ces renseignements
,
chez ces peuples, observateurs scrupu- pays que de très-rares pièces de leur
leux de toutes leurs traditions. monnaie. Les souverains de Tlemsen
Iaghmouracen eut pour successeur vivaient avec magnificence, etlebruitdes
son fils Othman , en 681 de l'hégire richesses que renfermait leur capitale a
( 1283 de J. G.). Ce fut sous ce règne souvent armé contre eux les sultans des
que le sultan mérinide Abou Iâkoub fit contrées voisines.
le siège de Tlemsen pendant sept ans ,
et s'empara de cette ville; les habitants
Les Hafsides.
eurent à souffrir toutes les angoisses de Les Béni Zian de Tlemsen et les Béni
la famine. Othman mourut avant la red- Merin du Maghreb-el-Aksa rencontrè-
dition de la place, dont il avait soutenu rent dans l'est de l'Afrique d'autres
la défense avec la plus grande énergie. compétiteurs au moment du partage
Son fils et successeur continua les mê- des dépouilles des Almohades : c'étaient
mes efforts , et mourut après un règne les Béni Hafèz, qui avaient à Tunis le
de quatre ans , pendant que le siège du- siège de leur puissance. Le premier
rait encore. Ce fut Abou Hammou prince de cette dynastie fut Abou Mo-
frère d'Othman, appelé ensuite au pou- hammed Abd-el-Ouahed Abou Hafèz,
voir, qui vit enlever la capitale de ses qui prétendait descendre du koréichite
États par les Mérinides. Après la prise de Omar ben el-Khettab, deuxième khalife
Tlemsen, quelques villes de la côte tin- de l'islamisme après le prophète ; mais sa
rent encore pour les Béni Zian ils se ; famille s'était alliée aux Berbères, et se
retirèrent avec leurs richesses à Ar- rattachait également à la tribu de Henta-
zeu. Apartir de cette époque et jus-
, ta, fraction des Masmouda. Nous avons
qu'à l'établissement de la domination déjà vu que lorsque En-Nacer , prince
turque à l'est et au centre de l'Afrique almohade, alla combattre dans la pro-
septentrionale, dans le seizième siècle, vince de Tunis le rebelle El-Miorki
les Béni Zian eurent à soutenir des il confia en partant le gouvernement de
luttes sans cesse renaissantes, soit con- cette province à Abd-el-Ouahed Abou
tre les Béni Merin de Fès ou de Maroc ,
Hafèz. Ce fut le successeur de cet
soitcontre les Béni Hafèz de Tunis; sou- émir, Abou Zakaria lahia, qui se pro-
vent ils perdirent Tlemsen, leur capitale, clama indépendant, en 625 de l'hégire. Il
ou furent obligés de se reconnaître tri- s'arrogea le titre de prince des croyants.
butaires; mais ils se relevèrent tou- Profitant des troubles qui agitaient
jours de ces échecs , comme si le fonda- l'empire des Almohades, il prit les ar-
teur de la puissance de leur famille mes, et réunit sous son autorité toute
leur eut légué à tous quelque chose de la province de Tripoli , celles de Tu-
son indomptable courage pour com- nis, de Constantine , du Djérid, du
battre la mauvaise fortune. Zab et une partie de celle d'Alger et
Les chroniques locales recueillies dans d'Oran. Il poussa ses conquêtes jusque
la province d'Oran racontent que sous dans l'ouest, s'empara de Tlemsen, de
le règne des Béni Zian le royaume Ceuta, et reçut la soumission de plu-
de Tlemsen atteignit un grand état de sieurs villes d"'Espagne, entre autres de
prospérité Oran était le port où Mar- Séville, de Grenade et d'Alména. Mais
seille Arles, Agde Narbonne les Vé-
. .
, ces villes ne restèrent pas longtemps
nitiens, les Portugais et les Catalans sous sa dépendance. Il fit la paix avec
venaient échanger des armes, des étof- les Béni Zian, et leur restitua Tlemsen;
fes, de la verroterie, etc., contre de la quant aux autres villes elles retombè-
,
poudre d'or, de l'ivoire, des plumes rent entre les mains des Béni Merin ou,
d'autruche, des laines, de la cire, des des sultans de Grenade. Abou Zakaria
,
208 L'UNIVERS.
était à la fois savant et poète. Il était en 657 les chefs de la Mecque lui en-
toujours vêtu très-simplement, et ne voyèrent également leur soumission,
portait que des habits de laine. Il cons- comme au souverain orthodoxe le plus
truisit des mosquées, des écoles, des puissant de l'époque. Les juifs ha-
bazars, et laissa à sa mort une bibliothè- bitant dans ses États eurent à souffrir
que de trente-six mille volumes. Il fui des avanies sans nombre. Mais le fait
enterré à Bône, puis transporté à Cons- le plus important sans contredit du rè-
tantine. gne de ce prince fut l'expédition diri-
gée par saint Louis contre Tunis (668;
Premiers traités de commerce.
1270 deJ. C. ).
traité de commerce le plus ancien
Le
entre les musulmans africains et les Euro- Expédition de saint Louis à Tunis.
péens remonte à l'an 627 (1230 de J. G.)- Saint Louis n'avait pas été décou-
Ce traité, dont la durée fut fixée à trente ragé par les résultats désastreux de son
ans, fut signé entre Abou Zakaria et la expédition contre l'Egypte; désireux
république de Pise, qui, la première de d'assurer la liberté du commerce dans
tous les peuples de l'Europe, avait noué la Méditerranée et d'affranchir les chré-
des relations commerciales avec les tiens d'Orient il commença en 1268
,
ports du Maghreb. Venus des premiers les préparatifs d'une seconde croisade.
en Orient lors des croisades, qui avaient Il éprouva d'abord des difficultés à se
cela eut lieu plus tard dans la Régence les communications entre l'Europe et
d'Alger , des délits ou des crimes com- l'Orient par la conquête de ce royaume.
mis par leurs compatriotes. Les con- Charles, frère de saint Louis et roi de
suls avaient le droit de se présenter une Sicile, contribua puissamment à faire
fois par mois à l'audience du prince en , prévaloir cette détermination, dont il
quelque lieu qu'il se trouvât. Abou devait recueillir les premiers avanta-
Zakaria se montra toujours fidèle obser- ges, à cause de la proximité de ses États
vateur de ces conventions , et s'appli- de Tunis. L'expédition se dirigea donc
qua à ne pas favoriser d'une manière vers les côtes d'Afrique, et prit la mer
exceptionnelle une nation au préjudice le 15 juillet ; elle arriva le 17 , sans ac-
des autres. cident , en face des ruines de Carthage.
Le fils d'Abou Zakaria Iahia, sur- Le débarquement s'effectua le lende-
nommé Mostancer Billah eut un règne , main sans opposition de la part des Ara-
très-agité ; cependant en 652 les Béni bes. Dès que l'armée eut pris terre elle
Merin reconnurent sa suzeraineté; fut rangée en bataille, et le chapelain du
ALGERIE* .20^
roi lut une proclamation par laquelle Abou Abd-AI!ah fit des ouvertures, et
les croisés prenaient possession du sol demanda la paix. Le roi de Sicile, ayant
Abou Mohammed Abd-Allah el-
africain. obtenu des conditions favorables à son
Mostancer fit sommer les troupes chré- royaume signa un traité, dont la durée
,
tiennes de s'éloigner de son royaume , fut fixée à quinze ans. Les rois de France,
et rendit responsables de l'exécution de de Sicile et de Navarre s'engagèrent à
cette injonction les chrétiens qui étaient protéger les musulmans qui voyage-
établis en grand nombre dans Tunis. raient dans leurs États. La même clause
Saint Louis ne tint aucun compte de fut acceptée par le prince hafside; il
ces menaces, qui d'ailleurs ne furent pas consentit, de plus, à rendre les prison-
réalisées. niers, à payer 210,000 onces d'or pour
Les journées du 19 au 22 juillet fu- frais de la guerre, et un tribut de 24,000
rent employées à l'installation du camp, onces d'or par an au roi de Sicile, avec
et furent marquées par des petits com- rappel de l'arrérage des cinq dernières
bats livrés contre les nuées d'Arabes années. Peu de jours après la signature
qui entouraient l'armée chrétienne. Mais du traité, le 18 octobre, les croisés
au lieu de marcher contre Tunis et de s'embarquèrent. La Hotte essuya une
profiter des succès que ses troupes rem- tempête qui fit périr dix-huit grands
portaient dans ces luttes partielles, vaisseaux. Quatre mille soldats furent
saint Louis fit entourer son camp de noyés. Le roi et la reine de Navarre,
retranchements , et résolut d'attendre la jeune reine de France, le comte et
l'arrivée de son frère le roi de Sicile. En- la comtesse de Toulouse moururent pen-
hardis par cette inaction , les Arabes dant le voyage. Ainsi cette expédition
vinrent tous les jours attaquer le camp. coûta à la famille royale de France six de
Si on marchait à eux, ils fuyaient; ses membres outre saint Louis. L'ar-
puis, lorsque, fatigués de les poursuivre, mée chrétienne était restée trois mois
nos soldats voulaient regagner le camp, sur le territoire tunisien. On sait qu'une
lis reprenaient l'offensive, et harcelaient chapelle a été récemment élevée sur la
les Français jusqu'à ce qu'ils fussent à côte d'Afrique , au lieu même où cam-
l'abri de leurs retranchements. Ces aler- paient les croisés, pour perpétuer le sou-
tes continuelles épuisèrent la constance venir de cette croisade, qui coûta si cher
des troupes; réduits au biscuit et à la à la France mais qui força les musul-
,
viande salée, les soldats furent bientôt mans à reconnaître une fois de plus la
atteints par les maladies que le climat supériorité des armées chrétiennes.
fait éclater toujours rapidement parmi Abou Abd-Allah semble avoir compris
les grandes réunions de personnes étran- l'avantage qu'il y avait pour ses sujets à
gères au pays. Le vent du sud ( siroco ), favoriser le commerce avec les peuples
qui soufflait avec violence, ne fit qu'aug- les plus industrieux du bassin de la Mé-
menter les souffrances et le décourage- diterranée. Il renouvela fréquemment
ment. Les chefs les plus illustres des des conventions commerciales avec les
croisés furent frappés ; le comte de Génois, les Pisans, les Vénitiens, les
Nevers, le plus jeune des fils de saint Florentins. L'activité qui régnait alors
Louis, succomba. Bientôt le roi lui- dans tous les ports de l'Afrique, non-
même fut atteint par la contagion , et seulement dans les provinces de Tripoli
rendit le dernier soupir le 25 août 1270. et de Tunis, mais encore à la Calle,
Les musulmans se réjouirent de la Bône, Collo, Djidjéli, Bougie, Dellis et
mort de saint Louis comme d'une vic- Alger (qui dépendait alors des Béni
toire. Mais, le roi de Sicile étant dé- Hafèz ) contribua à amortir l'humeur
,
barqué le jour même où son frère ex- turbulente des villes. La présence des
pira, l'offensive fut reprise avec vi- comptoirs européens au milieu d'elles,
gueur par les croisés. Le 28 août et les des relations journalières, avaient beau-
jours suivants les Arabes éprouvèrent coup adouci le fanatisme de ces popula-
de rudes échecs, et perdirent beaucoup tions. La prolongation de cet heureux
de monde. Leur camp fut surpris par état de choses pouvait amener les ré-
les chrétiens, qui en rapportèrent un bu- sultats les plus féconds pour l'avenir
tin considérable. Après cette défaite, de l'Afrique. On verra plus tard quelles
14 e Livraison. (Algérie.) M
210 L'UNIVERS.
circonstances contribuèrent à ramener Abou Hafez-Omar se réfugia à Kabès,
en quelque sorte ces contrées vers la où les partisans de Mérinides le tuèrent.
barbarie. Un seul acte politique imprudent fit
perdre à Abou el-Hassan le fruit de ses
Hafsides.
conquêtes. Lorsqu'il se crut solide-
A la mort d'Abou Abd-Allah, dont le ment établi, il se montra ingrat envers
long règne avait comprimé l'ambition des les tribus arabes, ne voulut pas tenir les
grands, de violentes dissensions éclatè- promesses qu'il leur avait faites, et leur
rent parmi les Béni Hafèz. Trois ans s'é- retira les fiefs qui leur avaient été con-
taient à peine écoulés, qu'on vit sous cédés par les sultans hafsides. Une par-
son second successeur, en 680 (1281 tie de ces tribus prirent les armes, bat-
de J. C), apparaître un aventurier tirent les troupes qu'Abou el-Hassan
nommé El-Fadhel, qui défit deux armées dirigea contre elles, et vinrent l'assiéger
envoyées contre lui, et s'empara de toute dans Kairouan, où il s'était enfermé. Le
la province jusqu'à Bougie. El-Fadhel prince mérinide s'enfuit avec beaucoup
était né à Msila, et avait été élevé à Bou- de peine de cette ville; mais en arrivant
gie. C'était un pauvre en
tailleur, qui , à Tunis, ayant appris que son propre
courant de pays en pays pour gagner sa fils s'était emparé du pouvoir dans le
vie, avait fait à Tripoli la connaissance Maghreb, il se hâta de regagner son
d'un nègre ancien serviteur d'un ancien royaume. Échappé miraculeusement à
sultan hafside. Il se faisait passer pour un naufrage, Abou el-Hassan rentra
le fils de cet ancien sultan et le nègre
, dans ses États mais dans la bataille qu'il
;
confirmait le fait de son témoignage. Il dut livrer à son fils il fut défait et forcé
fut renversé par Abou Hafèz , proclamé de s'enfuir dans les montagnes. L'oc-
en 683. cupation du royaume de Tunis par les
Jusqu'au règne d'Abou Iahia, hui- Mérinides ne dura que deux ans et demi.
tième sultan hafside qui fut proclamé en Les Béni Hafèz rentrèrent en possession
718 (131 7 de J.C.), les discordes de la fa- de Tunis en 7ô0 (1349 de J. C).
mille royale se succédèrent avec des vicis- A la faveur des guerres- civiles qui
situdes diverses. Les princes qui gouver- éclatèrent dans le sein de la dynastie des
naient Bône et Constantine, constituées Béni Merin, les Béni Hafèz et les Béni
en vice-royautés, se révoltaient sans cesse Zian purent relever leur puissance. A
contre le souverain et parvenaient sou-
, plusieurs reprises cependant on vit les
vent à le déposséder. Abou Iahia s'em- Mérinides s'emparer soit de Tlemsen,
para de l'île de Djerba dont Roger de
, soit de Bougie, de Constantine, de la
Loria avait fait une principauté chré- province du Zab, et venir mettre le
tienne en 1284. Son fils Abou Hafèz siège devant Tunis. Pendant un siècle
Omar luisuccéda. Ce prince étant allé et demi le nord de l'Afrique est troublé
assiéger de Bedja, située entre
la ville parles guerres incessantes des trois dy-
Bougie et Tunis, son frère Abou el-Ab- nasties rivales. Les faits saillants de
bas, gendre du sultan mérinide Abou cette longue et orageuse période sont :
el-Hassan, et qui avait été injustement la réunion momentanée des trois États
frustré du trône, marcha contre Tunis, dans les mains du sultan mérinide Abou
et s'en empara. Abou Hafèz Omar s'em- el-Hassan le règne d'Abou Hammou
;
Vénitiens obtinrent entre autres privi- roi d'Aragon. En 1277 il envoya une
lèges celui de faire monnayer de l'or et flotte qui ravagea les côtes et détruisit
de l'argent à Tripoli. Malgré les dissen- dans le détroit de Gibraltar les navires
sions politiques qui agitèrent le Maghreb du sultan de Maroc, fils et successeur du
d'une manière si continue et si désas- fondateur de la dynastie des Mérinides.
treuse pendant les treizième et quator- Cinq ans après le roi d'Aragon porta des
zième commerce atteignit dans
siècles, le forces considérables vers l'est, et débar-
ce pays un assez haut degré de prospé- qua à Collo, dont il s'empara sans diffi-
rité. Les Européens avaient établi des culté. Il avait fait alliance avec le prince
comptoirs dans les principales villes; ils de la famille haLide qui gouvernait Cons-
14.
âia L'UNIVERS.
tantine et il voulait appuyer ses pré-
, les escarmouches continuelles dont ils
tentions au pouvoir souverain. Mais le comptaient la harceler. Les choses se pas-
peuple de Constantine, indigné des rela- sèrent comme ils l'avaient prévu. L'ar-
tions de son gouverneur avec les chré- mée chrétienne, mal commandée, mal
tiens, se souleva, et le massacra. Pierre organisée , accablée par la fatigue des
d'Aragon, qui, en attaquant Collo. n'a- combats livrés journellement contre les
vait voulu que cacher le but de ses Arabes pendant la plus grande ardeur
armements, dirigés contre la Sicile, du soleil, ne put faire aucune opé-
s'éloigna de la terre d'Afrique dès qu'il
, ration décisive, et dut reprendre la mer,
connut la mort de son allié et alla , après avoir vainement assiégé Mahdia
enlever la Sicile aux Français. Plus pendant soixante et un jours. Cette ex-
tard, en 1309, la Castille et" l'Aragon pédition fut la dernière entreprise des
opérèrent un débarquement à Ceuta, et États italiens sur les côtes d'Afrique;
se rendirent maîtres de cette ville. Mais pendant tout le quinzième siècle la paix
les Espagnols ne gardèrent pas leur con- entre ces États et le Maghreb ne fut pas
quête; ils en firent don à un chef indi- troublée. Le dernier traité de commerce
gène qui leur avait rendu des services. fut signé avec les Pisans en 1424 (827
Ceuta appartenait alors au sultan de de l'hégire).
Grenade. Mais les Espagnols continuèrent les
Les relations bienveillantes que les hostilités contre les princes du Maghreb,
Génois entretenaient avec les princes et contribuèrent à hâter leur chute. En
de Tunis furent troublées vers le milieu 1432 les Aragonais saccagèrent Djerba
du quatorzième siècle, soit que les Ara- et l'île de Kerkena, sans y fonder d'éta-
bes fussent excités contre les marchands blissement. En 1481 la ville de Mélilla
génois par les Vénitiens, leurs rivaux, fut prise par les Espagnols, et devint un
soit que l'avidité naturelle de ces sultans, apanage de la grandesse. Après la chute
qui se succédèrent si rapidement au du royaume de Grenade, les entreprises
pouvoir, les poussât à rançonner les de l'Espagne contre l'Afrique devinrent
commerçants; Gênes fut réâuite à dé- plus sérieuses. Le cardinal Ximenès
clarer la guerre aux Hafsides , à la suite détermina Ferdinand le Catholique à
de nombreux actes de piraterie commis armer une flotte, qui, sous la conduite de
contre ses navires. Elle débuta par quel- don Diego de Cordoue, s'empara de
ques prises heureuses sur les Africains ; Mers-el-Kebir, en 1505. La ville fut
en 1388 ses galères pillèrent l'île de occupée par des forces importantes.
Djerba. Mais les incursions des musul- En 1508 l'amiral Pierre de Navarre se
mans jusque dans les rivièresdeses villes, rendit maître du Penon de Vêlez, sur les
qu'elle ne put toujours protéger, lui côtes de Maroc. L'année d'après Oran
tirentéprouver des pertes considérables. fut prise par le cardinal Ximenès en
Les Génois, n'osant entreprendre seuls personne, qui avait payé une partie des
une attaque contre Mahdia, sollicitèrent frais de l'expédition. En 1510 Pierre de
l'assistance du roi Charles VI, qui régnait Navarre s'empara de Bougie, et y ins-
alors en France. Leur demande fut ac- talla une forte garnison. A la suite de
cueillie, et le duc de Bourbon, oncle du cette conquête, la plupart des villes du
roi , fut mis à la tête de cette expédition. Maghreb, frappées d'épouvante , recon-
Les principaux seigneurs de la cour de nurent la suzeraineté de l'Espagne,
France et de celle d'Angleterre voulu- s'engagèrent à lui payer tribut et à
rent s'associera cette espèce de croisade, mettre en liberté les esclaves chrétiens.
au nombre de plus de quatorze cents ; les Au nombre de ces villes on comptait
Génois fournirent dix-huit mille hommes: Alger, Dellis, Tlemsen, Mostaganem
on parti t de Gênes vers la fin dejuin 1390. et Tunis même. Dans la même année
Lorsque la flotte arriva devant Mahdia, les Espagnols prirent Tripoli , qui fut
la saison des chaleurs venait de s'ouvrir; réunie à la vice-royauté de Sicile; ils
les Arabes laissèrent débarquer l'armée y laissèrent une garnison. Pierre de
sans opposer de résistance, dans l'espoir Navarre attaqua ensuite, de concert
de la voir bientôt consumée par les ma- avec don Garcia de Tolède, l'île de
ladies du pays, par la chaleur et par Djerba , qui était devenue un repaire de
ALGÉRIE. 213
huit siècles, le christianisme avait entiè- tre les ports du Maghreb , détruisirent
rement triomphé en Espagne et le , bientôt ces bonnes dispositions. L'ap-
royaume de Grenade était tombé au parition des Turcs, qui donnèrent pour
pouvoir d'Isabelle et de Ferdinand. Un ainsi dire une organisation à la piraterie
grand nombre d'Arabes s'étaient réfu- et se substituèrent au pouvoir des Béni
giés en Afrique; ceux qui, préférant Hafèz et des Béni Zian, fit perdre
leurs intérêts et leurs habitudes aux rapidement aux musulmans africains
excitations du fanatisme, avaient es- la prospérité dont ils jouissaient, et jeta
péré pouvoir vivre sous la loi des chré- entre les deux religions les ferments
tiens, furent expulsés de la Péninsule d'une haine irréconciliable.
par deux décrets de Ferdinand le Catho-
214 L'UNIVERS.
PÉRIODE TURQUE.
216 L'UJNIVERS.
Quand ils voulurent s'embarquer, il se sur Cherchel, soit qu'il voulût s'assurer
trouva que, la rivière ayant beaucoup un refuge, ou bien aller enrôler des sol-
baissé, leurs navires ne purent plus sortir, dats dans cette petite ville, peuplée de
et ils durent prendre le parti de les brûler musulmans réfugiés d'Espagne, connus
pour ne pas les laisser au pouvoir des Es- pour de hardis pirates, soit qu'il voulût
pagnols. Ils regagnèrent Djidjéli par la seulement gagner du temps pour que
voie de terre. Aroudj resta dans cette son frère pût lui envoyer les renforts
son frère Kheir-ed-Din se dirigea
ville, et qu'il avait demandés. Cette expédition
sur Tunis pour s'occuper de remplacer
, fut courte et heureuse. A son retour à
les bâtiments qu'ils venaient de perdre Alger il attaqua le Penon mais les ca-
, ;
et pour enrôler de nouveaux compa- nons qu'il employa étaient d'un si petit
gnons. calibre, que, quoique la batterie fût éta-
blie à environ cent pas de la forteresse,
les boulets ne causèrent aucun dommage
ALGÉRIE. 21?
résultat. Ces délais avaient été mis à Grand-Seigneur, et se plaça sous sa pro-
profit, les soldats envoyés par son frère tection.
arrivèrent en grand nombre. En voyant En effet l'élévation de Barberousse ne
augmenter les troupes turques, dont l'in- tarda pas à soulever des protestations vio-
solence envers les habitants redoublait lentes de la part de la population arabe.
chaque jour, Salem Ben Toumi se repentit Les habitants d'Alger, qui avaient beau-
d'avoir appelé des auxiliaires aussi dange- coup à souffrir des allures indiscipli-
reux. Il n'était plus temps Aroudj avait
; nées et turbulentes des soldats turcs, se
gagné la faveur populaire en fréquentant concertèrent avec les Arabes de la Mé-
assidûment les hommes pieux et les sa- tidja et avec les Espagnols de Penon
vants et en déployant une activité ex- pour renverser leurs nouveaux domina-
traordinaire contre les ennemis de teurs. Cette conspiration fut découverte ;
l'islamisme; il usurpa d'une manière in- Aroudj prit des mesures pour en em-
sensible les attributions du pouvoir pêcher le succès sans faire connaître
,
souverain, fit obtenir les emplois les qu'il était instruit des projets des con-
plus importants à ses Turcs et à ses créa- jurés. Profitant de la cérémonie de la
tures et s'attacha les principaux habi-
, prière du vendredi, qui avait réuni les
tants en leur distribuant des présents principaux d'entre eux dans la mosquée,
et en leur faisant des promesses magnifi- il les fit arrêter et mettre à mort. Cet
ques. Enfin quand il se crut assez fort, il acte de rigueur suffit pour tout faire
fit saisir Salem Ben Toumi le pendit à
, rentrer dans le devoir.
une porte de la ville (la porte Babazoun),
Expédition espagnole contre Alger.
et se fit proclamer roi d'Alger. Le fils
de Salem parvint à s'échapper, et se ré- L'établissement de Barberousse à Alger
fugia à Oran d'où il passa ensuite en
, étaitun danger pour les Espagnols, parce
Espagne. que cette ville allait devenir le refuge
Dès que Barberousse fut maître du des plus hardis corsaires de la Méditer-
pouvoir, il manda promptement auprès ranée. Us en avaient éprouvé un dom-
de lui son frère, qui se trouvait alors à mage d'une autre sorte lors de la prise
:
gées de butin, après avoir surpris et rétablir le fils de Salem, qui s'était adressé
dompté ceux qui refusaient de reconnaî- aux Espagnols pour implorer leur appui.
tre le pouvoir nouveau. Enfin, en peu de D'un autre côté, le sultan de Tlemsen,
temps, la sévérité ou la clémence, les effrayé du progrès d'Aroudj, avait égale-
châtiments ou les libéralités, rendirent ment sollicité l'intervention de l'Espa-
Aroudj maître de toute la province d'Al- gne, et avait fourni sur les dispositions
ger. Mais peu rassuré sur l'avenir de ses des Algériens et des Arabes de laMétidja
conquêtes, justement préoccupé des dif- à l'égard de leurs nouveaux maîtres des
ficultés qu'il rencontrerait, soit de la part renseignements qui déterminèrent le
(les indigènes, soit delà part des peuples cardinal Ximenès à faire cet armement.
européens dont il menaçait les établisse- Les forces espagnoles arrivèrent devant
218 L'UNIVERS.
Alger vers la fin du mois de septembre ; rencontre, et lui livra bataille à quatre
elles débarquèrent sans difficulté, et lieues d'Oran. La fortune fut encore fa-
établirent leur camp non loin de la vorable au chef des corsaires turcs; le
ville, vers le quartier appelé actuelle- sultan fugitif'se retira à Fês, où régnaient
ment Hussein-Dey. La mauvaise com- les Béni Merin. Tlemsen ouvrit ses por-
position des troupes de don Diego de tes. Aroudj parut d'abord vouloir agir
Vera et le plan d'attaque vicieux qui fut avec bonne foi. Il fit sortir de prison le
adopté firent échouer cette entreprise. neveu de Bou Hammou, et lui rendit le
Les Espagnols furent mis en fuite; ils pouvoir. Mais peu de jours après, fei-
laissèrent trois mille cadavres sur le gnant d'aller prendre congé de lui pour
terrain, et quatre cents prisonniers tom- retourner à Alger, il pénétra dans son
bèrent au pouvoir d'Aroudj. Les Arabes palais avec une troupe de soldats dé-
de l'extérieur, loin de prêter leur con- voués , le fit étrangler en sa présence avec
cours aux chrétiens, comme on l'avait tous ses enfants, et se proclama sultan
annoncé, contribuèrent à augmenter en- de Tlemsen. Tous les membres de la fa*
core le désordre de la fuite, et prirent mille royale furent noyés dans une vaste
part au pillage du camp. Pour comble pièce d'eau du palais; les habitants con-
de malheur, les débris de l'armée, em- nus par leur attachement pour les Béni
barques à la hâte, essuyèrent une tem- Zian furent égorgés en détail. La popu-
pête furieuse qui fit périr la majeure lation, frappée de terreur, subit le joug
partie de la flotte avant sa rentrée dans qu'elle s'était imposé en invoquant im-
les ports de l'Espagne, prudemment l'intervention d'un chef
aussicruel. Cependant Aroudj, craignant
Prise de Tenès et de Tlemseti. de ne pouvoir se maintenir dans cette
Après la défaite des Espagnols, Bar- ville éloignée de la côte et voulant se
,
et lui firent éprouver des pertes. Les Es- Martin d'Argote eut connaissance de
pagnols ayant pratiqué une mine ren- cette fuite audacieuse. D'abord accablé
versèrent une partie des remparts, et par cet événement, qui lui faisait perdre
ouvrirent une brèche. Enfin, affaiblis par le fruit le plus important de son entre-
la perte d'un grand nombre des leurs, prise, il reprit bientôt courage, et se
et par la désertion de presque tous les mit à la poursuite de Barberousse. ïl
habitants de Kala , les Turcs rendirent l'atteignit sur les bords de l'Qued-el Ma»
la place à la condition qu'ils sortiraient îeh ( rio Salado), près des ruines d'une
avec armes et bagages pour aller où bon ancienne construction. Pour ralentir
leur semblerait ; cette capitulation fut l'ardeur des soldats espagnols, Aroudj
indignement violée. Au moment où les s'avisa de semer des pièces d'or et d'ar-
TurcsévacuaientRalaune altercation s'é- gent , et ses objets les plus précieux sur
leva entre un Arabe de l'armée chré- le chemin; ce stratagème ne le sauva
tienne et l'un d'eux ; le soldat turc fut pas : Martin d'Argote animait sa troupe
tué par l'indigène. Aussitôt, comme si ce par ses paroles et par son exemple; il
meurtre n'était qu'un signal convenu, joignit les fugitifs. Ceux-ci, harassés de
les Espagnols entourèrent la garnison fatigue, épuisés par la soif, s'arrêtèrent
et la massacrèrent tout entière, à l'excep- au milieu desruines dontilaété question
tion de seize Turcs que le colonel Martin pour vendre chèrement leur vie. Cette
d'Argote prit sous sa sauvegarde. Ishak résistance désespérée ne pouvait durer
et Skender, qui soutinrent la lutte jus- longtemps. Aroudj succomba tous les ,
qu'au dernier instant, en animant leurs siens périrent avec lui. Un butin consi-
compagnons au combat, périrent tous dérable devint la proie des vainqueurs.
deux les armes à la main. Après cette action décisive , Martin d'Ar-
Le commandant espagnol remit la gote retourna à Tlemsen, où il fut ac-
ville à Bou Hammou ; une garnison y cueilli comme un libérateur. Bou Ham-
fut installée pour maintenir son autorité, mou, rétabli sur le trône, consentit à
et l'expédition retourna à Oran. Sans payer à l'Espagne un tribut annuel de
perdre de temps, le marquis de Gomarez 12,000 ducats d'or, de douze chevaux
organisa aussitôt une nouvelle armée et de six faucons en signe de vasselage.
pour marcher sur Tlemsen. Martin d'Ar- La défaite de Barberousse eut lieu l'an
gote fut encore désigné pour la comman- 924del'hégire(1518deJ.C).
der. Il s'embarqua avec ses troupes, et Aroudj était âgé de quarante-quatre
alla débarquer à l'embouchure de la Taf- ans lorsqu'il fut tué. Il mourut sans
na, au sud de Tlemsen. Bou Hammou postérité, après avoir vécu quatorze ans
et les contingents arabes qu'il avait réu- dans les différentes parties de l'Afrique
nis vinrent le rejoindre par terre. L'ar- septentrionale. D'une taille moyenne,
mée alliée sedirigea ensuitesurTlemsen. mais très-robuste, il avait les yeux vifs
A son approche, les habitants, que les et brillants, le nezaquilin, et le teint
cruautés de Barberousse avaient exaspé- très-brun. Quoiqu'il eût perdu un bras
rés, se révoltèrent contre lui et ouvrirent lors de la première attaque qu'il dirigea
les portes aux Espagnols. Les troupes contre Bougie il combattait toujours
,
,
L'UNIVERS.
S20
bravoure. 11 était en fréquentant les marabouts et les hom-
avec la plus grande mes de loi. Il attacha une garde à sa
et libéral envers ses soldats
magnifique personne, et lit occuper les principaux
allait jusqu'à a
mafs d'une sévérité qui forts par des soldats turcs. Puis,
afin de
pressait la
cruauté pour tout ce qui flatter les instincts sanguinaires
de la
il était a la fois cran et
discipline
multitude, il fit massacrer quelques mal-
:
quiconstitual[orga-
aimé". Ce fut Aroudj
de la Régence heureux esclaves chrétiens, pour venger,
nisation gouvernementale Ces ma-
avoir emprunte disait-il, la mort de son frère.
d'Alger, dont il sembla plein succès; les
république militaire des nœuvres eurent un
principe à la roi
chefs de l'oudjac le proclamèrent
le
de Rhodes. Le pouvoir pui-
chevaliers
d'Alger. Mais Kheir-ed-Din,
comprenant
sait sa force dans
Voudjac corps de
(boulouk- qu'abandonné à ses seules forces, il
soldats turcs) dont les chefs
com- ne pourrait résister aux attaques des
bachi), au nombre de soixante, voulut , comme l'avait tait
de gou- Espagnols ,
quelques, troupeaux. Cet acte impoliti- La défaite des Espagnols effaça dans
que et de pur brigandage exerça comme , l'esprit des indigènes le souvenir des
on le verra, une funeste influence sur les échecs récents éprouvés par les Turcs à
événements qui suivirent. Après avoir l'ouest de la Régence. La puissance de
embarqué un nouveau renfort, choisi Kheir-ed-Din était déjà plus étendue que
parmi les soldats qui avaient déjà com- celle qu'avait exercée son frère. Pour
battu les Turcs, la flotte espagnole vint maintenir les tribus, il institua deux
mouiller dans le fond de la baie d'Alger, grands chefs indigènes qui comman-
le 17 août 1518. Le débarquement s'o- daientensonnom. Ahmed Ben el-Kadhi,
péra aussitôt^ Moncade s'empara d'une qui avait appuyé Aroudj dans toutes ses
hauteur qui dominait la ville, et s'y re- expéditions, fut nommé chef de la partie
trancha avec mille cinq cents hommes. orientale du pays; Mohammed Ben Ali
On croit que c'est la colline où a été bâti eut les tribus de l'est sous sa dépen-
depuis le fort de l'Empereur. Un autre dance. On verra plus tard les résultats
corps investit la ville à l'ouest, et les funestes que produisit cette organisation
vaisseaux se rangèrent en bataille devant d'un gouvernement du pays par le pays.
le port. Les affaires de l'extérieur ayant été ré-
Moncade voulait, sans perdre de glées, le pacha s'occupa de la ville même.
temps, commencer l'attaque sur tous Depuis quelque temps, les principaux
les points à la fois mais le commandant
; officiers de l'oudjac lui représentaient
de l'artillerie, Marino de Ribera, chargé que le grand nombre d'esclaves chré-
de la haute direction du siège, s'y opposa, tiens, dont Alger était plein, menaçait
et prétendit qu'il fallait attendre l'arrivée les habitants d'un danger imminent. "On
du sultan de Tlemsen, qui contiendrait pouvait craindre que les Espagnols qui
les Arabes de la Métidja, pendant les opé- étaient encore maîtres du Penon, pro-
rations contre la ville. Cet avis prévalut. fitassent de la première absence des trou-
Six jours s'écoulèrent sans qu'on vît pa- pes turques pour fomenter des complots
raître les auxiliaires si impatiemment dans la ville. Ces réclamations détermi-
attendus. En effet, l'expédition de Mon- nèrent Kheir-ed-Din à faire enchaîner
cade dans plaine de Sirat avait vive-
la tous les esclaves chrétiens et à les enfer-
ment mécontenté les sujets du prince de mer dans des prisons souterraines. Mais
Tenès et de celui de Tlemsen ; ils n'o- bientôt, à la suite de quelques difficultés
béirent que lentement aux ordres de qui s'élevèrent au sujet du rachat de ces
convocation, et la plupart refusèrent de malheureux prisonniers Kheir-ed-Din,
,
prendre les armes pour aller au secours feignant d'avoir découvert un complot
des chrétiens qui les avaient pillés au d'évasion, les fit massacrer. Près de trois
mépris des traités. Le huitième jour mille hommes furent égorgés ; soixante-
d'attente , le 24 août, il s'éleva une vio- quatorze seulement conservèrent la vie.
lente tempête; vingt-six navires de la Cette horrible boucherie rappelle dans
flotte furent jetés à la côte, quatre mille ses détails le lâche assassinat des prison-
hommes furent noyés. Moncade dut quit- niers français de ladeira d'Abd-el-Kader,
ter ses retranchements, abandonnant immolés par les Arabes sur les bords de
tout le matériel de l'artillerie, pour tâ- la Molouïa en 1845. Ce crime, dont la
cher de s'embarquer , et sauver les dé- mémoire de Kheir-ed-Din restera souil-
bris de son armée. A
la vue du désordre lée, excita des transports frénétiques
que cette catastrophe avait jeté dans le parmi ses fanatiques compagnons.
camp espagnol, Kheir-ed-Din fit une sor- A la suite de ces sanglants événe-
tie avec une troupe d'élite des nuées d'A- ; ments , le chef de l'oudjac sembla tout
rabes accoururent pour harceler les chré- à coup pris de découragement, et ma-
tiens et piller les bagages qu'ils aban- nifesta le désir de se rendre à Constan-
donnaient. Un petit nombre seulement tinople pour renouveler son hommage
de soldats espagnols put gagner le port de fidélité. Il convoqua une grande as-
d'Yvica. semblée pour faire part de sa résolu-
tion aux notables de la ville. Soit que
,
,
222 L'UNIVERS.
cette réunion fût un expédient
politique cha d'Alger pour revendiquer l'héritage
habilement préparé, soit que l'expres- de son père. Sa demande fut acueillie
sion des sentiments des habitants qui y par Kheir-ed-Din, qui lui fournit un corps
furent appelés fût entièrement libre et de fantassins turcs et lui facilita les
spontanée, le projet de Kheir-ed-Din fut moyens de lever une armée nombreuse
vivement combattu, et on le supplia de parmi les tribus qu'il avait récemment
ne pas s'éloigner d'Alger. Après avoir fait rentrer dans l'obéissance. Ces for-
résisté d'abord à leurs vœux, le pacha se ces furent dirigées contre Tlemsen. Mu-
rendit, et désigna un de ses officiers ley Abd-Allah, effrayédesmassesinnom-
pour porter au Grand-Seigneur les ri- brables qui marchaient contre lui, évacua
ches présents qu'il lui avait destinés. la ville, et alla demander asile au gou-
Le résultat de cette ambassade fut pour verneur espagnol d'Oran. Messaoud fut
Kheir-ed-Din le renouvellement de l'in- installé; et pour reconnaître l'appui que
vestiture du gouvernement d'Alger par le pacha d'Alger lui avait prêté, il se dé-
la Porte Ottomane. clara son vassal. Mais dès que les troupes
turques eurent quitté Tlemsen, il chan-
Révoltes des indigènes.
gea brusquement de dispositions, et con-
Les princes qui régnaient à Tunis et tracta une alliance avec les Espagnols,
à Tlerasen virent avec inquiétude l'éta- afin de prévenir les tentatives que son
blissement des Turcs se consolider à Al- frère pourrait faire pour remonter sur le
ger. Us n'avaient été maintenus tous deux trône avec leur assistance. Kheir-ed-Din
dans leurs États que par les secours fut indigné en apprenant cet acte de
que leur avaient prêtés les Espagnols. versatilité, et organisa aussitôt une ar-
Cette alliance avec une nation chrétienne mée pour aller tirer vengeance du traî-
avait considérablement affaibli leur au- tre. Pendant qu'il poussait les prépa-
torité sur les tribus de l'intérieur. Il était ratifs de l'expédition avec activité
à craindre pour eux que dès que les Mouley Abd-Allah , celui-là même qu'il
Turcs se présenteraient dans leurs pro- avait dépossédé au profit de Messaoud
vinces les Arabes ne se portassent à s'adressa à lui par l'intermédiaire d'un
leur rencontre, et ne préférassent échap- marabout, et sollicita son amitié. Le pa-
per au joug de princes qui ne vivaient cha qui n'était pas encore en mesure
,
que sous le bon plaisir des chrétiens, d'occuper par ses propres forces une
pour obéir à une puissance musulmane ville aussi éloignée que Tlemsen de sa
dont la victoire augmentait le prestige. capitale, écouta favorablement ces. pro-
Afin de conjurer ces menaçantes éven- positions, et se déclara le protecteur
tualités, les deux sultans de Tunis et de Mouley Abd-Allah. Mais celui-ci était
de Tlemsen se concertèrent pour séduire encore à Oran surveillé par les Espa-
,
arabes au nom des Turcs. Ces tentati- vançant vers l'ouest, auraient permis
ves eurent d'abord quelques succès dans aux^partisans qu'il avait dans les tri-
l'ouest; mais les troupes turques mar- bus de se réunir. Il conseilla donc à
chèrent sans perdre de temps contre les Kheir-ed-Din de commencer les opéra-
rebelles, et les firent rentrer dans le de- tions par l'attaque de Mostaganem,
voir. Avant de poursuivre le récit des qui appartenait encore aux Béni Zian et
événements il est nécessaire de dire
, de ne se porter sur Tlemsen que lorsqu'il
quelques mots sur la situation du aurait soumis tout le pays qu'il devait
royaume de Tlemsen. laisser derrière lui.
A la mort de Bou Hammou, qui avait Ce de campagne fut adopté.
plan
été rétabli sur le trône de Tlemsen par Une armée considérable, composée de,
les Espagnols, Messaoud, son fils aîné, cavalerie et d'infanterie, fut dirigée sur
avait été frustré du pouvoir par son Mostaganem ,
pendant qu'une flotte de
frère Mouley Abd- Allah, et s'était réfugié vingt-huit bâtiments allait l'attaquer par
dans le Maroc. Les progrès de la domi- mer. La place fut facilement enlevée.
nation turque inspirèrent à Messaoud la Mouley Abd- Allah parvint à sortir d'Oran,
pensée de venir implorer le secours du pa- et rejoignit l'armée turque; la forte-
ALGÉRIE. 223
à deux journées de cette ville qu'on ren- dissipèrent facilement les rassemble-
contra Messaoud, qui s'avançait à la ments des rebelles.
tête de ses troupes pour arrêter les vain- Le danger était à peine conjuré de
queurs. Le sort des armes lui fut ce côté, que l'attention de Kheir-ed-Din
contraire. Il se retira précipitamment dut se porter vers Tlemsen. Messaoud,
dans sa capitale, et s'y enferma. L'armée qui s'était retiré dans le Sahara, avait
algérienne vint camper devant Tlem- réuni un grand nombre de tribus arabes
sen mais comme elle n'avait pas d'ar-
; et berbères, et, s'étantmis à leur tête, il
tillerie, après vingt jours de courageux vint assiéger Tlemsen. Les Turcs accou-
efforts, aucun résultat n'avait encore rurent au secours de leur allié, et mirent
été obtenu. Par un stratagème habile, en fuite l'armée de Messaoud. Aussitôt
ils attirèrent enfin les défenseurs de après la victoire le sultan de Tlemsen fit
Tlemsen hors des murs, et les batti- savoir à tous les cheikhs des tribus qu'il
rent complètement. Cette victoire ne traiterait avec honneur ceux qui aban-
put cependant les rendre maîtres de la donneraient le parti de son frère, et qu'il
ville. Ce fut trahison des habitants
la affranchirait d'impôts pendant dix ans
qui leur en ouvrit les portes. Mouley celui qui lui livrerait Messaoud vivant.
Abd-Allah récupéra le trône; mais il dut Les promesses, encore plus que les me-
se reconnaître vassal d'Alger, et renonça naces, produisirent le résultat qu'on en
au privilège de battre monnaie et de attendait ; le malheureux prince fugitif
faire dire la prière du vendredi en son fut trahi par un cheikh qu'il avait autre-
nom dans les mosquées. 11 obtint une fois comblé de bienfaits. Comme on le
garde de cent cinquante Turcs , aux- voit, la perfidie du caractère arabe, dont
quels il alloua une solde avantageuse. on aeu plus d'une fois des preuves dans
Pendant que le succès couronnait les l'histoire de l'Algérie moderne, date de
entreprises de Kheir-ed-Din du côté de loin, et ne s'est pas démentie.
Tlemsen, la fortune lui était moins fa- La tranquillité n'avait pas pu encore
vorable dans l'est. Le sultan de Tunis être complètement rétablie dans la pro-
parvint enfin à corrompre Ahmed Ben vince de l'est. Kheir-ed-Din dut encore
el-Kadhi, et l'entraîna dans son parti. envoyer Kara-Hassan, un de ses lieute-
Il envahit aussitôt les possessions algé* nants, avec des troupes pour combattre
riennes. Kheir-ed-Din envoya des troupes Ahmed Ben el-Kadhi. Ce chef rebelle,
pour défendre son territoire. Après vaincu dans toutes les rencontres, fut
quelques combats sans importance, dont poursuivi par les Algériens jusqu'au de-
les vicissitudes furent diverses, les Turcs là de Bône. Kara-Hassan s'empara de
commirent l'imprudence de s'engager Collo, soumit toutes les tribus qui habi-
dans les montagnes des Flissa en ; taient un pays ouvert, et força la ville
traversant un défilé , ils< furent assaillis de Constantine, alors constituée en ré-
par les populations guerrières de ces publique à reconnaître l'autorité du
,
contrées et taillés en pièces. Un petit pacha d'Alger. Mais ces brillants avanta- :
nombre seulement put gagner Alger. ges tournèrent bientôt contre Kheir-ed-,
A la suite de cette catastrophe , tous Din. Ahmed Ben el-Kadhi n'ayant pui
les indigènes embrassèrent la cause du vaincre le chef des troupes turques le'
vainqueur, et lui fournirent des con- corrompit à force d'intrigues. Il lui per-
tingents. Ahmed Ben el-Kadhi poursui- suada de se déclarer indépendant, et lui
vit ses succès, et mit le siège devant promit l'appui des puissantes tribus ka-
Alger. Kheir-ed-Din fit une résistance biles de la chaîne du Djurdjura. Kara-
désespérée, et allait enfin succomber, Hassan rêva pour lui-même un rôle à
lorsqu'à l'approche de l'hiver le froid et jouer dans l'est semblable à celui qui
les pluies abondantes forcèrent Ahmed avait si bien réussi à Barberousse et à
Ben el-Kadhi à conclure la paix. C'était son frère. Il trahit son maître, et s'unit à
,
224 L'UNIVERS.
Ahmed Ben el-Kadhi. Ils ne se contentè- Djidjéli leur envoyèrent des députés
, ils
rent pas d'avoir arraché à Kheir-ed-Din pour presser de venir les délivrer
les
la possession de la moitié de son gou- des exactions d'Ahmed Ben el Kadhi.
vernement ; ils nouèrent une conspira- Les deux armées se rencontrèrent dans
tion dans Alger même pourle renverser le Sebaou, à l'est d'Alger; les premiers
et le tuer. L'intrigue et les complots combats furent à l'avantage des Turcs;
trouvaient toujours de nombreux parti- enfin une action décisive s'engagea dans
sans parmi les habitants de cette ville. une vallée du pays des Flissa-Oumlil les ;
15.
, ,
228 L'UNIVERS.
ter la ville, leur distribua des armes*
Expédition de Charles-Quint contre
Alger. et assigna à chacun son poste sur les
remparts ; il avait aussi convoqué tous
. Kbeir-ed-Din était parti pour le Levant les guerriers des tribus environnantes.
depuis peu de temps lorsqu'eut lieu la Le premier jour du débarquement l'in-
plus célèbre des expéditions de Charles- fanterie seule fut mise à terre ; elle sou-
Quint contre Alger, celle de 1541 ( 948 tint quelques escarmouches contre les
de l'hégire). Depuis la prise de Tunis Arabes et contre des Turcs sortis d'Alger.
l'audace des corsaires turcs, loin d'être L'empereur savait que la ville n'était
réprimée, avait pris au contraire une ac- défendue que par un très-petit nombre
tivité plus grande. Plusieurs tentatives de soldats de l'oudjac; il espéra qu'une
faites par l'Espagne contre Souça, con- sommation suffirait pour la faire capi-
tre Menestir, enfin contre Kairouan tuler. Mais Hassan-Agha reçut le parle-
dans le royaume de Tunis, poury établir mentaire avec égards, et lui répondit en
solidement son influence, n'avaient pas termes énergiques.
réussi. Le commerce de la Méditerranée Dès le lendemain , 25 , l'armée tout
était interrompu; Gibraltar avait été entière s'ébranla,' pour se rapprocher
surpris et pillé en 1540. Les réclama- d'Alger. On ne fit qu'un millier de pas
tions universelles de l'Europe s'élevaient environ, et on s'établit à El-Hamma
contre les brigandages de ces corsaires. après avoir repoussé quelques attaques
Charles-Quint, ému de tant de plaintes peu importantes des Arabes. Pendant
résolut de frapper un coup décisif et de toute la nuit le camp fut harcelé; l'en-
s'emparer du repaire même des pirates, nemi donna même une alerte très-vive,
d'Alger, leur capitale. mais sans résultat pour lui. Le 25 la ville
On était à une époque déjà avancée fut investie; Charles-Quint établit son
de l'année 1541. La saison n'était plus quartier général au marabout de Sidi-
favorable pour une pareille entreprise. Iakoub, sur l'emplacement où s'élève
Le pape et André Doria firent en vain aujourd'hui le fort l'Empereur. Tout
des représentations à Charles-Quint pour s'annonçait sous les meilleurs auspices;
le déterminer à renvoyer l'exécution de les troupes étaient dans des positions
son projet jusqu'au printemps suivant; avantageuses ; la flotte bloquait le port ;
l'empereur ne voulut rien entendre, il la ville était dans la consternation. Mais
fit seulement activer les préparatifs, et dans l'après-midi du même jour le ciel
fixa les îles Baléares comme point de se chargea de nuages et le mauvais temps
concentration des forces qui devaient commença; il interrompit le débarque-
agir contre Alger. La flotte se composait ment des subsistances et du matériel.
de cinq cent seize voiles, dont soixante- Les soldats n'avaient pris que deux jours
cinq galères et quatre cent cinquante et de vivres et ces deux jours étaient écou-
un bâtiments de transport ; elle portait lés. Les tentes n'avaient pas encore été
vingt-cinq mille hommes de troupes de débarquées, et la pluie tombait par tor-
débarquement. Le 19 octobre les Espa- rents. La nuit fut affreuse sur terre et
gnols arrivèrent devant Alger. Après sur mer. La
flotte, qui n'avait pas eu le
avoir manœuvré pendant quelques jours temps de chercher un refuge, eut beau-
du cap Caxine au cap Matifou, contrariée coup à souffrir, et un grand nombre de
par les vents et la mer, la flotte impériale navires périrent. Au point du jour une
se rapprocha de la côte , et le débarque- troupe turque sortit de la ville, et se jeta
ment eut lieu le 23 octobre, entre l'em- à l'impro viste sur trois bataillons italiens
bouchure de l'Arach et la ville, sur la qui formaient l'avant-garde du camp, et
plage du Hamma. enfonça les premiers postes. Un de leurs
Hassan- Agha, ayant appris de bonne principaux officiers, Augustin Spinola,
heure les préparatifs de Charles-Quint, accourut avec des forces nouvelles, ré-
avait adopté les dispositions les plus tablit le combat, et poursuivit les Turcs
vigoureuses pour la défense de la ville. jusqu'à l'entrée de la ville. Une seconde
Il avait réparé les fortifications de terre sortie tentée par Hassan Agha ne fut pas
et de mer ; il prescrivit des peines sévè- plus heureuse; les chevaliers de Malte,
res pour interdire aux habitants de quit- et principalement ceux de la langue de
ALGÉRIE. 229
vignac, planta son poignard dans la mit à la voile. Mais les malheurs de
porte de Babazoun, que l'ennemi venait cette expédition n'étaient pas arrivés à
de fermer précipitamment. Les Aile* leur terme. Le vent, qui s'était un peu
mands furent aussi attaqués, et plièrent apaisé, souffla de nouveau avec violence :
un instant l'empereur mit l'épée à la
;
un vaisseau périt en doublant le cap et
main, et, piquant des deux, il ramena lui- deux autres furent jetés à la côte. Has-
même lessoldats jusqu'aux lignes de san-Agha envoya à leur secours, et traita
l'ennemi , tourner le dos.
et le força à avec humanité les hommes qui purent
La pluie n'avait pas cessé de tomber, et être sauvés. La flotte relâcha à Bougie,
avait privé les chrétiens de l'usage de où les Kabiles lui apportèrent des vivres
leurs mousquets. La terre était tellement frais. Les Espagnols avaient contracté
détrempée, qu'ils enfonçaient jusqu'à alliance depuis quelque temps avec les
mi-jambe dans la boue accablés de fa-
;
tribus du Djurdjura, et le mauvais temps
tigue , glacés par l'eau qui pénétrait seul avait empêché les Kabiles de venir
leurs habits , souffrant déjà de la faim, se joindre à l'armée chrétienne ainsi
ils pouvaient à peine soulever et manier qu'ils l'avaient promis. L'empereur ne
leurs armes. put gagner le port de Carthagène qu'à
Le vent, qui avait commencé à souf- la fin du mois de novembre. Aucun his-
fler avec une grande force dès le milieu torien ne précise les pertes que fit l'ar-
de la nuit du 25 au 26, devint furieux mée impériale; mais on peut les évaluer
avec le jour. Cent quarante navires fu- sans exagération à la moitié des forces
rent jetés à la côte et leurs équipages qui étaient parties d'Europe. Les bords
furent massacrés par les Arabes, qui gar- de la mer, depuis Dellis, à l'est d'Alger,
nissaient le rivage jusqu'au cap Matifou. jusqu'à Cnerchel, à l'ouest, dans un es-
Vers le soir, le vent s'étant un peu calmé, pace de plus de vingt lieues, étaient
Doria rallia les débris de la flotte, et put jonchés de cadavres d'hommes, et de
s'abriter dans une baie,derrière Matifou. chevaux et de débris de toute espèce.
L'armée était dans un état de démorali- Telle fut l'issue désastreuse de cette
sation extrême on fut obligé de tuer
; entreprise, dont les préparatifs formi-
les chevaux qu'on avait débarqués pour dables avaient éveillé l'attention et l'in-
la nourrir. Charles-Quint comprit que térêt de tous les peuples chrétiens.
son entreprise avait échoué, et qu'il n'y Pendant trois siècles l'Europe a payé les
avait plus d'autre salut pour ce qui res- malheurs éprouvés par Charles-Quint
tait de son armée que d'aller s'embar- devant Alger. L'État fondé par les Turcs,
quer à Matifou, où étaient réunis les na- qui échappait à peine aux vicissitudes
vires échappés à la tempête. La retraite des luttes contre les tribus arabes , et
commença avec ordre le 28 on ne laissa
; que le départ de son fondateur pour
pas un blessé. L'armée arriva, toujours Constantinople avait laissé presque sans
poursuivie par la cavalerie turque et par forces, vit sa puissance s'accroître, et
des nuées d'Arabes sur les bords de l'A-
, l'audace de ses corsaires ne connut plus
rach. On s'y arrêta pour construire un de bornes dans la Méditerranée.
pont avec les débris des mâts, des ver- L'influence qu'exerça sur les popula-
gues et des bois appartenant aux navires tions indigènes l'immense échec essuyé
naufragés et dont la plage était couverte. par les chrétiens fut considérable. Has-
La nuit fut employée à ce travail. Le san- Agha sut l'utiliser pour étendre et
jour suivant on rencontra, à l'extrémité consolider la dominationturque. Il porta
de la Métidja, l'Oued-el-Rhemis, qui ne ses efforts principalement vers l'est,
put être franchi qu'avec les plus grandes s'empara de Biskra et de tout le Zab. De
difficultés. Enfin après bien des fati-
, ce côté il n'avait pas à lutter contre les Es-
gues et de cruelles privations, l'armée pagnols, qui, quoique maîtres de Bougie,
atteignit le cap Matifou le 30 octobre n'exerçaient aucune action sur le pays.
230 L'UNIVERS.
Dans l'ouest, la position n'était plus la rangement avec le chef arabe. Mais pen*
même. Les gouverneurs d'Oran entrete- dant qu'on négociait les Espagnols fu-
naient des relations journalières avec les rent attaqués à l'improviste, et, après
tribus de la province de ïlemsen ; et les une résistance des plus valeureuses , ils
sultans qui régnaient dans cette ville périrent tous à l'exception de vingt-
pouvaient invoquer l'appui des chrétiens deux, qui purent gagner Oran. Alphonse
pour résister à une conquête. Mais les Martinez et treize autres furent faits pri-
traditions de la politique de Kheir-ed-Dia sonniers. Martin d'Argote, dit-on, faisait
ne furent pas abandonnées. Hassan-Agha partie de cette malheureuse expédition ,
sut habilement semer la discorde parmi et perdit la vie dans le combat.
les membres de la famile des Beni-
Zian, et l'occasion ne tarda pas à se pré- Prise de Tlemsen,
senter pour intervenir dans les affaires L'affront que venaient d'essuyer les
du royaume de Tlemsen. En effet, à la armes espagnoles ne pouvait pas rester
mort de Mouley Abd-Allah, qui avait été sans vengeance. Charles-Quint envoya
rétabli sur le trône par Kheir-ed-Din, Ah- de nouvelles troupes à Oran; le comte
med, son fils cadet, soutenu dans ses d'AIcaudette en prit lui-même le com-
prétentions par Hassan-Agha, s'empara mandement, et partit le 27 janvier 1544
du pouvoir au détriment de son frère avec une armée composée de neuf mille
aîné. Celui-ci s'adressa au gouverneur fantassins et quatre cents cavaliers. Les
d'Oran, et réclama sa protection en pro- Espagnols rencontrèrent l'ennemi àquel-
mettant qu'il reconnaîtrait la suzeraineté ques lieues de Tlemsen ; mais les atta-
de l'Espagne aux mêmes conditions que ques des Arabes ne furent pas assez
le sultan Abou Hammou, qui avait été se- sérieuses pour déterminer le comte d'AI-
couru précédemment par le colonel Mar- caudette à s'arrêter pour les combattre.
tin d'Argote. Le mauvais succès cons- Après avoir facilement emporté une re-
tant de toutes les tentatives d'interven- doute qui contenait les magasins de l'ar-
tion en faveur des princes indigènes mée de Tlemsen, il arriva devant cette
n'avait pas découragé Charles-Quint. Le ville. Ahmed l'avait abandonnée. Les ha-
souvenir du désastre encore récent de bitants ouvrirent les portes ; mais cette
1541 ne l'arrêta pas davantage. En soumission ne les sauva pas du pillage.
1543 il ordonna à don Martin de Cor- Les Espagnols y restèrent quarantejours.
doue, comte d'AIcaudette, gouverneur Ils firent plusieurs expéditions contre les
d'Oran, de faire une expédition contre Arabes des environs, et leur enlevèrent
Tlemsen pour faire triompher les droits beaucoup de bétail. Ces actes impoli-
du prince légitime. tiques changèrent vite les dispositions à
leur égard; toutes les tribus se soule-
Défaite d'Alphonse Martinez. vèrent contre eux. Quelques étendards
Alphonse Martinez fut mis à la tête étant tombés entre les mains des Arabes
d'un millier de soldats, et sortit d'Oran. on les promena dans tout le pays, pour
Il se rendit d'abord dans la plaine du Sig, exciter le fanatisme contre les chrétiens.
où devait être rejoint par les Arabes
il Le comte d'AIcaudette, qui semblait ne
du partidu prétendant. Quatre cents vouloir séjourner à Tlemsen que pour
cavaliers se rallièrent seuls aux Espa- enleverdubutin, voyant la situation s'ag-
gnols. Les officiers ouvrirent l'avis de graver, partit pour Oran. Le frère d'Ah-
retourner à Oran; mais un faux point med fut installé sur le trône, et se re-
d'honneur empêcha Alphonse Martinez connut vassal de l'Espagne; mais dès
de rétrograder. Il se porta d'abord sur que les Espagnols furent en route, les
l'Oued Senan, puis sur Tisser, à six Arabes et les Berbères, qui s'étaient dé-
lieues de Tlemsen, près des ruines d'une clarés pour le protégé d'Hassan-Agha,
ville. II rencontra dans cette position vinrent assaillir l'armée chrétienne. Le
les troupes de Mouley Ahmed. Trop combat dura pendant toute la journée,
inférieur en nombre pour résister à sans ralentir la marche. Le général fit
une armée considérable, il se retrancha un si bon emploi de son artillerie, que
dans les ruines qui se trouvaient sur l'ennemi se découragea et renonça à la
son chemin et chercha à entrer en ar-
, poursuite. Après la rentrée des Espa-
ALGÉRIE. 231
gnols à Oran, Mouley Ahmed se présen- Après ce coup de main le comte d'Al-
,
ta devant Tiemsen avec quelques trou- caudette se porta sur Akbal, à six lieues
pes ; son frère sortit pour le combattre d'Oran, au sud du grand lac salé, tant
et le mit en déroute. Mais lorsqu'il vou- pour rallier les forces des Arabes qui
lut rentrer dans la ville les habitants lui appuyaient les prétentions de Mouley
crièrent qu'ils ne voulaient pas d'un roi Ahmed, que pour donner le tempsd'arri-
qui avait livré leur pays aux chrétiens ver à des troupes qu'il attendait encore
et avait partagé leurs dépouilles avec d'Espagne. Plusieurs tribus et un grand
eux. Ce malheureux prince se retira chez nombre de cavaliers se réunirent à l'ar-
les Angad , tribu berbère, qui le mas- mée chrétienne. On peut s'étonner à
sacrèrent. Ahmed rentra en possession bon droit de la versatilité du caractère
du pouvoir souverain. Lorsqu'il avait des Arabes qui en moins de deux ans
,
été obligé de fuir devant le comte d'Al- avaient si complètement changé de dis-
caudette , il avait appelé le pacha d'Al- positions. Quelques temps auparavant,
ger à son secours ; mais celui-ci arriva un détachement de trois cents Turcs
quand tout était terminé. Sur ces entre- qui allaient renforcer la garnison de
faites Hassan-Agha mourut à Alger les ;
Tiemsen, avait été attaqué et massacré
soldats de l'oudjac lui donnèrent un parles Béni Amer.Les tribus craignaient
successeur mais peu de temps après le
;
des représailles; elles redoutaient la bra-
fils deRheir-ed-Din, Hassan-Pacha, qui voure et la cruauté des Turcs, et espé-
avait reçu l'investiture de la Porte, ar- raient que les Espagnols seraient assez
riva avec douze galères chargées d'infan- puissants pour les délivrer d'un joug
terie, et se fit facilement reconnaître. odieux. Cependant le comte d'Alcaudette,
ne voyant pas venir les troupes attendues,
Hassan, fils de Kheir-ed-Din. traversa à petites journées la plaine de
Mlata, en faisant de longs et fréquents
Le nouveau pacha avait à peine pris séjours, qui étaient utilisés par Ahmed
possession du pouvoir, que son atten- pour augmenter le nombre de ses parti-
tion fut attirée vers l'ouest. Le sultan de sans parmi les indigènes. Enfin il apprit
Tiemsen , oubliant qu'il devait son élé- que les bâtiments qui lui amenaient du
vation à l'appui des Turcs, s'était brouil- renfort étaient arrêtés par les vents con-
léaveceux. Hassan-Pacha résolut d'aller traires au cap Figalo. Il n'était alors qu'à
châtier ce prince ingrat , et de faire re- quelques lieues de ce point ; il s'y rendit
connaître à sa place un de ses frères. avec la moitié de ses troupes, et fit débar-
Cette expédition réussit complètement, quer mille hommes qu'il amena à son
et Mouley Ahmed se vit dans la néces- camp.
sité d'implorer la protection des Espa- L'armée espagnole se porta alors
gnols, dont il avait été l'ennemi acharné. sur la rivière d'Es-Senan, auprès d'Aïn-
L'empereur, sans s'arrêter à ces fluctua- Temouchent; mais là, son général ayant
tions, accorda les secours qui lui étaient appris qu'Hassan-Pacha marchait au
demandés ; car il voulait avant tout em- secours de Tiemsen ordonna un mou-
,
pêcher les Turcs de s'établir à Tiem- vement rétrograde afin d'aller à la ren-
sen. contre des Turcs pour les combattre.
En 1548 le comte d'Alcaudette, qui Les deux armées se joignirent non loin
avait conduit quatre ans auparavant avec d'Akbal; mais comme on se disposait à
tant d'habileté et de bonheur la première en venir aux mains, un envoyé du roi
expédition contre Mouley Ahmed, fut de France apporta à Hassan Pacha la nou-
chargé d'aller le réintégrer dans son au- velle que son père était mort à Constan-
torité. Deux mille hommes de renfort tinople. Cet événement faisant craindre
lui étant arrivés d'Espagne, il com- au chef de l'oudjac que son absence
mença la campagne par une attaque su- d'Alger ne compromît son autorité, il
bite contre la tribu de Rheristel, située se hâta de conclure un traité avec le
entre Oran et Arzeu , qui avait re- gouverneur d'Oran, et consentit à retirer
çu des armes des Espagnols pour se dé- la garnison turque qui occupait la ci-
fendre contre les Turcs, et qui entrete- tadelle de Tiemsen et à remettre la
nait des intelligences avec ces derniers. ville à Mouley Ahmed. Le sultan dépos-
,
232 L'UNIVERS,
sédé se retira à la cour de Fës pour at- ments avec les gouverneurs espagnols
tendre une occasion de tenter une nou- d'Oran.
velle entreprise. Malgré sa prudence, ce prince ne
Tout étant fini du côté de Tlemsen ,
put assurer le trône à ses descendants.
le comte d'Alcaudette voulut profiter A sa mort, son frère Hassan lui succéda.
des troupes dont il disposait pour enle- Mais en 1550 les habitants de Tlem-
ver Mostaganem, où les Turcs avaient sen incapables d'obéir longtemps au
,
mis une garnison depuis quelque temps. même sultan, voulurent se révolter con-
Il arriva devant Mazagran le 21 août ; tre Mouley Hassan et rappeler le frère
le même jour il commença le siège de de Mouley Ahmed, installé trois ans
Mostaganem. La ville n'était défendue auparavant parle fils de Kheir-ed-Din, et
que par un très-petit nombre de Turcs, qui avait été obligé de se retirer à Fês
qui repoussèrent vaillamment les atta- lors de l'arrangement conclu avec le
ques des Espagnols. Les munitions ve- comte d'Alcaudette. Ces démarches
nant à manquer, le comte d'Alcaudette éveillèrent l'attention des chérifs qui
fut obligé d'en envoyer chercher à venaient de s'emparer de Fês , de ren-
Oran. Pendant le ralentissement des verser les Béni Merin et qui avaient
travaux du siège, la garnison turque qui aussi des prétentions sur Tlemsen. Au
avait évacué Tlemsen parvint à péné- lieu de prêter secours au prince exilé,
trer dans la place. Lorsque l'assaut fut les chérifs mirent une armée en campagne
livré, la bravoure des Espagnols ne put pour leur propre compte , s'emparèrent
triompher de la résistance ; ils perdirent de Tlemsen , se répandirent dans la
beaucoup de monde, et la nuit suivante province , et arrivèrent jusque sous les
ils se mirent en retraite sur Arzeu. Au murs d'Oran. En apprenant ces événe-
point du jour , l'ennemi , prévenu de ments, Hassan-Pacha se hâta de sortir
ce mouvement, assaillit l'armée chré- d'Alger à la tête de ses troupes pour
tienne avec des forces considérables ti- arrêter cette invasion. Il rencontra l'ar-
rées des tribus voisines. Un instant mée des chérifs aux environs de Mosta-
les Espagnols furent sur le point de cé- ganem. Les Turcs étaient mieux armés
der à la panique et de subir une dé- que les Arabes de l'ouest ; leur in-
route complète ; mais , grâce à l'énergie fanterie était aguerrie, et commandée
du général et de quelques officiers par des officiers expérimentés aussi la
:
l'ordre fut rétabli , et la retraite s'opéra victoire ne fut pas longtemps incertaine;
sans accident grave au milieu des nuées le fils de Kheir-ed-Din battit complète-
de cavaliers arabes qui entouraient l'ar- ment les chérifs , les poursuivit l'épée
mée de toutes parts. Il est probable que dans les reins , leur enleva Tlemsen, et
la plupart de ces ardents cavaliers les rejeta au delà de la frontière. Mou-
qui harcelaient les troupes espagnoles ,
leyHassan fut maintenu comme vassal
dont ils croyaient la perte certaine, du Grand-Seigneur. L'éclat de ce suc-
avaient marché avec elles comme auxi- cès ne put préserver le pacha d'Alger
liaires pendant la première partie des des intrigues que ses ennemis avaient
opérations dirigées contre Tlemsen. Les ourdies contre lui à Constantinople.
tribus de ces contrées, sans cesse tirail- Salah-Réis, corsaire déjà célèbre, fut en-
lées entre les efforts contraires des Turcs voyé pour gouverner la Régence.
et des sultans de Tlemsen, hésitant sou-
vent entre les inspirations du fanatisme
Salah-Réis, pacha d'Alger.
et les conseils de la prudence, se décla- Dès son arrivée à Alger, Salah-Réis
raient toujours suivant les circonstances donna tous ses soins à établir de bon-
pour le parti qui leur semblait le plus nes relations avec les Arabes et les Ka-
près du succès. Le comte d'Alcaudette biles, et particulièrement avec les
rentra à Oran après une campagne qui Zouaoua et lesBéni Abbès. Une occa-
avait duré cinquante-sept jours. Quant sion se présenta bientôt de recueillir les
à Mouley Ahmed, sultan de Tlemsen, fruits de cette habile politique. Le
rendu prudent par les derniers événe- cheikh de l'oasis de Tougourt avait pré-
ments , il sut se tenir en paix avec les cédemment recherché l'alliance des
Turcs tout en usant de sages ménage-
, Turcs , pour le protéger contre les at-.
ALGÉRIE. 233
taques des Arabes nomades ; mais pour fortifier leur action vivaient dans
,
croyant n'avoir plus besoin d'un allié une obéissance habituelle. Il n'en était
dont les forces étaient concentrées à Al- pas de même des tribus alliées ou même
ger , c'est-à-dire à plus de cent lieues ayant reconnu la souveraineté d'Alger
de son pays, il refusa de payer le tri- payant un tribut, mais commandées
but. Salah'-Réis résolut aussitôt de châ- par les familles depuis longtemps en
tier le cheikh rebelle. C'était une entre- possession héréditaire du pouvoir, et
prise difficile car Tougourt est située
, éloignées de ces garnisons turques qui
dans le Sahara , et la marche d'une ar- maintenaient et surveillaient le pays.
mée dans ces contrées arides semblait De ce nombre étaient le cheikh de Kouko,
offrir les plus grands obstacles. Il réu- forte bourgade du Djurdjura, appar-
nit trois mille fantassins turcs, mille tenant aux Zouaoua, et le cheikh de
cavaliers et deux pièces d'artillerie. Kalla, petite forteresse située dans les
Plus de huit mille Arabes ou Kabiles se montagnes des Reni Abbès et qui servait
joignirent à lui. Les vivres et les mu- de capitale à la famille des Ouled Mo-
nitions furent chargés sur 4es cha- kran, dont l'autorité presque souveraine
meaux. Après vingt jours de marche s'étendait sur toute la Medjana et sur
Salah-Réis atteignit Tougourt. La ville les contrées environnantes. Dans l'ouest
ne pouvait opposer une sérieuse résis- le cheikh de Miliana avait eu, à l'origine
tance ; entourée de murailles bâties en de l'occupation turque, une position
pisé, dépourvue d'artillerie, elle fut semblable. Ce sont ces personnages , qui
facilement enlevée ; les habitants furent figurent d'abord dans l'histoire de la
passés au fil de l'épée. Ouargla, située conquête comme alliés des Turcs pour
a quatre journées au sud de Tougourt, renverser les princes indigènes alors
fut ensuite attaquée. La population, ef- maîtres du pays, qui sousKheir-ed-Din
frayée , s'était enfuie ; le petit nombre et sous Salah-Reis excitèrent des révol-
,
de ceux qui étaient restés durent payer tes quelquefois formidables. Il fallut
une contribution considérable. Des gar- souvent des efforts considérables pour
nisons furent laissées dans ces deux apaiser ces troubles, et à plusieurs re-
places. Salah-Réis rapporta de cette prises l'oudjac éprouva de rudes échecs
expédition un butin immense. Toutes les soit dans le Djurdjura , soit chez les
populations du Sahara furent frappées Reni Abbès.
d'épouvante par les rapides conquêtes Salah-Réis eut une rébellion de ce
et les cruautés des Turcs ; la supério- genre à combattre à son retour de l'ex-
rité de l'armement des troupes de l'oud- pédition contre Tougourt ; il ne voulut
jac avait rendu le succès facile contre pas concentrer tous ses efforts contre
des peuplades presque entièrement dé- ces difficultés. Pendant qu'il confiait
pourvues d'armes à feu. Les oasis du à un de ses lieutenants un corps de
sud de l'Algérie étaient alors très-in- troupes appuyé par les contingents des
dustrieuses, très-peuplées, et jouissaient Arabes fidèles pour faire rentrer le
encore, comparativement aux tribus cheikh des Reni Abbès dans le devoir,
du Tell et aux villes du littoral , d'un il équipa une flotte pour aller croiser
bien-être plus grand et aussi d'une ci- dans le détroit de Gibraltar. Dans un
vilisation plus avancée; ou plutôt, combat qu'il livra contre une flottille
moins tourmentées par les guerres in- portugaise, la fortune lui fit faire une
testines, elles étaient moins en déca- capture importante. Rou-Azzoun, dernier
dence. représentant de la famille des Reni Merin,
venait d'être chassé de Fès par le chérif
Adjonction de Tlemsen à la Régence.
Mohammed; après avoir vainement ré-
|
Parmi les tribus, quelques-unes clamé l'appui de l'Espagne, il s'était
étaient seulement alliées aux Turcs , et adressé au roi du Portugal, qui lui avait
d'autres, en plus grand nombre, étaient accordé quelques centaines d'hommes
soumises à leur autorité directe. Ces et quelques subsides, pour l'aider à
dernières administrées par des hom-
, reconquérir son royaume. En traversant
mes de choix ayant à leur disposition le détroit il tomba entre les mains de
des détachements de soldats de l'oudjac Salah-Réis. Rou-Azzoun se conduisit à
,
234 L'UNIVERS.
Alger avec tant d'adresse , qu'il déter- Prise de Bougie par Salah-Réis.
mina le pacha à lever une armée pour
marcher contre les chérifs et rétablir En rentrant à Alger , sans se préoc-
les Béni Merin dans Fês. Cette expédi- cuper des troubles qui agitaient encore
tion servit merveilleusement la politi- le pays des Béni Abbès Salah-Réis ré-
,
tiers en composition avec eux. Mais dès Les Turcs attaquent Oran.
qu'une circonstance heureuse se présen-
tait, qui assurait quelque ascendant à Avant de mourir, Salah-Réis avait dé-
leurs forces, ils réglaient impitoyable- signé pour son successeur un renégat
ment le compte des méfaits passés; et génois nommé Iahia; mais un certain
souvent, pour ne pas perdre l'avantage Hassan renégat originaire de l'île de
,
d'un succès, ils imaginaient des griefs Corse se fit proclamer gouverneur d'Al-
,
plutôt que de ne pas punir certaines tri- ger par l'oudjac, et obtint presque aus-
bus turbulentes. sitôt de la Porte sa confirmation. Le
Encouragé par le brillant résultat de nouveau pacha avait retenu les galères
l'expédition contre Bougie, Salah-Réis ottomanes arrivées le jour même de la
médita une entreprise plus im porta nte, et mort de Salah-Réis; il les dirigea sur
résolut d'expulser les Espagnols des der- Oran avec sa propre flotte, montée par
niers établissements qu'ils possédassent trois mille matelots turcs. Lui-même,
encore dans la Régence d'Alger. Ainsi, à la tête d'une armée nombreuse , alla
dans moins d'un demi-siècle, ce peuple assiéger la place par terre. Le gouver-
qui avait occupé la presque totalité des neur d'Oran avait été averti des prépa-
places du littoral africain, avait vu sa ratifs faits contre lui ; il avait réclamé
fortune pâlir devant la puissance de la des renforts en Espagne, et on avait eu
Turquie et des corsaires, au point de per- le temps de lui faire passer des troupes,
dresuccessivementsespossessionsdepuîs des munitions et de l'argent» Hassan-
le fond de la Grande Syrte jusqu'au dé- Corse investit la place, et commençait à
troit de Gibraltar , à l'exception d'Oran pousser le siège avec vigueur , lorsq'ue le
et de Mers-el-Kebir dans la régence d'Al- Grand-Seigneur rappela son escadre,
ger, de Mélilla et de Ceuta dans le Maroc. pour venir arrêter les ravages que faisait
Pour exécuter un semblable projet les André Doria dans l'Archipel. Privé de
forces dont disposait le pacha ne pou- ces renforts, Hassan-Corse fut obligé de
vaient suffire; car dès l'origine de l'oc- lever le siège et de regagner Alger, non
cupation les Espagnols avaient fait des sans avoir été vivement poursuivi par
travaux de défense très-considérables à les Espagnols. Après le départ de l'armée
Oran. Tous les ouvrages étaient cons- turque, le comte d'Atcaudette fit des
truits avec une telle solidité, qu'on ne sorties pour châtier les tribus qui avaient
pouvait espérer de s'en rendre maître que aidé le pacha. Ces expéditions ruinèrent
par un siège régulier, formé tant sur les centres de population indigène qui
terre quesur mer. Salah-Réis en envoyant existaient encore dans un rayon assez
son fils à Gonstantinople porter au rapproché de la ville espagnole.
Grand-Seigneur la nouvelle de la prise A peine rentréà Alger, Hassan-Corse
de Bougie le chargea de solliciter des
, vit arriver un nouveau pacha Tchélébi,
,
secours pour la grande entreprise qu'il envoyé par la Porte pour prendre pos-
méditait. Le sultan accorda six mille session du gouvernement. L'oudjac ne
Turcs et quarante galères. Cependant, le voulut pas d'abord le recevoir; mais
temps avait été mis à profit à Alger pour Tchélébi, ayant gagné les notables de la
poussertous les préparatifs avec activité. population , pénétra par surprise dans la
Au mois de juin 1556, Salah-Réis, avant ville, et fit emprisonner, puis exécuter
appris que l'escadre ottomane avait fait Hassan-Corse. Il fut bientôt renversé
voile pour Alger, du port avec sa
sortit lui-même par Ioucef, gouverneur de
flotte, et alla mouiller au cap Matifou Tlemsen. Celui-ci mourut de la peste, et
pour y attendre les secours envoyés par eut pour successeur Iahia , élu par
la Porte. Mais cet illustre pacha, qui l'oudjac; mais au bout de six mois Has-
était alors dans sa soixante-dixième an- san, fils de Kheir-ed-Din, fut investi du
née, fut subitement atteint de la peste pacnalik pour la seconde fois, et s'ins-
et mourut. Un autre eut mission de talla sans difficultés. Dès son arrivée à
poursuivre ses desseins contre Oran. Alger, au mois de juin 1557 (963 de
l'hégire), Hassan-Pacha vola au secours
de Tlemsen , qui était menacé par les
chérifs du Maroc. Ceux-ci furent vaincus
,
236 L'UNIVERS.
et poursuivis jusqu'auprès de Fês. C'est pour entrer dans la ville à la suite des
à cette époque qu'eut lieu la seconde ex- Turcs, général espagnol fit sonner U
le
pédition du comte d'Alcaudette gou- , retraite. Dans la nuit suivante il établit
verneur d'Oran, contre Mostaganem. une batterie de deux canons ; les boulets
manquaient; on fut obligé d'en faire
Défaite des Espagnols.
avec des pierres, qui produisirent peu
A la suite des événements qui marquè- d'effet contre les murailles de la place.
rent la levée du siège d'Oran le comte , Sur ces entrefaites on vit arriver les,
que dans l'ouest de la Régence et de con- même, ces troupes, qui étaient fatiguées
solider les établissements espagnols en d'une longue route , le comte d'Alcau-
Afrique. Il prétendait avoir noué des in- dette resta inactif. Puis, le soir venu, il
telligences avec les marabouts deMiliana prit tout à coup la résolution de se reti-
et avec les chérifs du Maroc, qui tous rer sur Mazagran , espérant gagner du
deux lui avaient promis leur concours terrain avant que les Turcs se fussent
pour combattre les Turcs. Le conseil de aperçu de son mouvement. Il partit à
guerre de Castille, sans vouloir adopter l'entrée de la nuit, avec tant de hâte,
dans leur ensemble les projets présentés qu'il abandonna ses blessés. Bientôt les
par le comte d'Alcaudette, s'arrêta à la cris de détresse de ces malheureux qu'on
résolution de s'emparer de Mostaganem égorgeait lui apprirent que sa retraite
et de l'occuper. était connue, et il ne tarda pas à être
Le 26 août 1558, le gouverneur d'O- attaqué par des forces considérables. Les
ran alors très-avancé en âge , partit de
, troupes d'Hassan-Pacha, la garnison de
cette place à la tête de six mille cinq cents Mostaganem, enfin les gens du gouver-
hommes. Soit pour éviter le passage de neur de Tlemsen qui venaient d'arriver,
la Macta toujours difficile , soit pour
, l'assaillirent à la fois. La confusion se
donner le change à l'ennemi, l'armée se mit dans les rangs des Espagnols ; quel-
dirigea d'abord vers la plaine de Sirat, ques caissons de poudre firent explosion
laissant le lac salé d'Arzeu à sa gauche; et brûlèrent plus de cinq cents hommes.
puis elle se rapprocha de la mer, et arriva Le désordre devint alors une panique et
lequatrième jour à Mazagran, petite bour- bientôt une déroute. Les soldats se pré-
gade presque contiguë à Mostaganem. cipitèrent vers Mazagran pour s'y en-
Les Espagnols l'occupèrent sans diffi- fermer. Le brave comte d'Alcaudette,
culté. Les tribus arabes qui devaient se aidé de son fils don Martin , fit des ef-
joindre à eux ne parurent pas; mais ils forts héroïques pour rétablir le combat.
trouvèrent devant eux des nuées de ca- Entraîné par le flot des fuyards qu'il
valiers qui les harcelèrent continuelle- cherchait à rallier, il fut renversé de
ment. Le comte d'Alcaudette parvint cheval, foulé aux pieds et écrasé; toute
enfin à atteindre cesArabes il les battit
; l'armée se rendit. Hassan-Pacha aurait
complètement, et les poursuivit jusque voulu conserver la vie à tous ces prison-
sous les murs de Mostaganem. Après ce niers ; il ne le put pas. Huit cents Es-
succès il revint à Mazagran pour y at-
, pagnols furent massacrés par les Arabes ;
tendre le matériel de siège qu'on devait le reste , et parmi eux le fils du vieux gé-
lui envoyer d'Oran. Malheureusement néral , fut réduit en servitude. Les fau-
les navires qui
portaient furent enle-
le tes du comte d'Alcaudette, qui montra
vés ,
pour ainsi dire sous ses yeux
,
par dans toute cette guerre une irrésolution
une flottille algérienne qui revenait de inconcevable, contribuèrent à ce désas-
faire une croisière sur les côtes de l'An- tre. Deux fois les environs de Mostaga-
dalousie. Ce contre-temps détermina le nem furent funestes à ce général qui ,
comteà tenter d'enlever Mostaganem par avait obtenu de si beaux succès dans
un coup de main. Lorsqu'il se rapprocha l'ouestauprès de Tlemsen.
,
de la ville, les assiégés firent une sortie Lorsque Hassan-Pacha revint à Alger,
vigoureuse; ils furent repoussés; mais couvert de gloire , il se trouva en face de
au lieu de profiter de l'élan des troupes difficultés nouvelles, qui étaient suscitées
ALGÉRIE.
par le cheikh de Kalla. Ce chef indigène, çut ordre d'aller attendre l'armée à Ar-
auquel Salah-Réis avait fait remise de la zeu. Enfin le 15 avril 1563 (969 de l'hé-
ville deMsila dans la Houdna, s'était ré- gire ) Hassan-Pacha se mit à la tête
volté. Il fallut pour le réduire, a près deux des forces qu'il avait rassemblées, et prit
campagnes infructueuses que le pacha ,
la route de l'ouest; il se dirigea d'abord
fît alliance avec le cheikh des Zouaoua, sur Mostaganem, puis sur la plaine de
dont il épousa la fille. Ce mariage fut Sirat, où il organisa complètement son.
le commencement d'une conduite po- armée. Arrivé près d'Oran, il poussa sa
litique nouvelle du
de Kheir-ed-Din
fils cavalerie jusque sous les murs de la
vis-à-vis des Kabiles; s'efforça de les
il place, dans l'espoir d'attirer la garnison
rattacher d'une manière solide àla cause au dehors; mais don Alphonse de Cor-
des Turcs. Mais ces ménagements don- doue, fils aîné du comte d'Alcaudette,
nèrent de l'ombrage aux soldats de qui commandait la ville, ne répondit pas
l'oudjac, qui déposèrent Hassan au mois à ces provocations. Hassan vint alors in-
d'octobre 1561 et le renvoyèrent à Cons-
, vestir la petite tour des Saints ( où est
tantinople , en l'accusant de conspirer actuellement le fort Saint-Ferdinand);
avec les Kabiles la destruction de la Ré- la garnison, très-faible et isolée du corps
gence. Ces plaintes ne furentpas accueil- de la place, capitula à condition qu'elle
lies par le grand-seigneur. Hassan-Pa- serait libre d'entrer dans Oran.
cha reçut bientôt ordre, au mois de Ce premier succès lit croire aux Turcs
seplemÈre 1562, d'aller reprendre son qu'ils auraient bon marché des Espa-
commandement , appuyé par dix galères. gnols; aussi sans attendre que le maté-
Les chefs de la révolte eurent la tête riel de siège fût débarqué , le pacha se
tranchée, et la ville salua par des accla- porta contre Mers-el-Kebir, et résolut
mations le retour du pacha. d'emporter le fort Saint-Michel, qui dé-
fendait les abords de la place. Cette
Seconde attaque contre Or an. 1
première attaque, tentée avec la plus vive
Pour avoir la tranquillité dans les tri- impétuosité, fut repoussée, et coûta aux
bus et pour dominer la turbulence de musulmans un grand nombre de morts.
l'oudjac, il fallait absorber l'attention L'artillerie ayant été débarquée, on
du pays dans quelque grande entreprise. dressa les batteries , et le feu commença
Hassan n'y manqua pas. Depuis quelques contre ce fort le 4 mai. Dès le lende-
années les Espagnols avaient essuyé en main, la brèche étant ouverte, Hassan-
Afrique de graves échecs; après l'anéan- Pacha ordonna l'assaut ; ses troupes ne
tissement de l'armée du comte d'Alcau- purent franchir les décombres des rem-
dette à Mostaganem, le duc deMédina- parts. Cinq attaques consécutives ne
Céli avait été mis en déroute à Tripoli furent pas plus heureuses. Malgré l'a-
et l'île de Djerba avait été enlevée de charnement et Tintrépidité des assié-
vive force.Le pacha résolut de porter geants, quoique les murs fussent presque
un dernier coup à la puissance des Es- entièrement renversés et que la brèche
pagnols en Afrique en s'emparant d'O- fût si facile qu'on aurait pu la gravir à
ran. Il fit de très-grands préparatifs, en cheval , les Espagnols résistèrent héroï-
couvrant d'un mystère profond le but de quement. Le kaïd de Constantine fut
l'expédition; outre quinze mille Turcs, tué et Hassan-Pacha lui-même fut blessé
renégats ou Maures d'Espagne, il réunit à la figure d'un éclat de pierre. Enfin,
douze mille Kabiles des tribus des Béni la garnison du fort Saint-Michel, affai-
Abbès et des Zouaouas. La province de blie par ses pertes, reçut ordre d'évacuer
Constantine fournit aussi un contin- s
un poste qu'elle ne pouvait plus défen-
gent. Le kaïd de Tlemsen reçut ordre dre. Maîtres de ce point les Turcs se
,
240 L'UNIVERS.
privilèges aux consuls et aux négo- plus douces des habitants fussent moins I
ciants français dans le Levant et sur les favorables au développement de l'instinct I
côtes d'Afrique. Ce sont là les circons- de piraterie et de l'esprit guerrier, soit
tances principales des rapports entre la que les hommes énergiques aient man-
France et la Régence d'Alger pendant qué d'abord à cette institution, l'oudjac
le seizième siècle. de Tunis ne put s'élever ni au même
renom ni à la même turbulence que ce-
La Régence à la fin du seizième siècle.
lui d'Alger.
Après le siège d'Oran parle fils de Pendant cette période , c'est-à-dire
Kheir-ed-Din , l'histoire de la Régence depuis 1563 jusqu'au commencement
devient très-confuse. Les corsaires algé- du dix-septième siècle, il n'est pas pos-
gériens appelés à prendre part aux
, sible de suivre exactement la succes-
grandes luttes maritimes dont la Médi- sion des pachas d'Alger. Ce gouverne-
terranée fut le théâtre y jouèrent un
, ment était d'abord une des premières
rôle important. Dans les mille combats charges de l'empire Ottoman , ardem-
livrés par les escadres turques sur les ment sollicitée , et confiée à des nom
mers du Levant, contre les chevaliers mes de mer renommés. On peut ran-
de Rhodes, contre ceux de Malte et ger parmi les gouverneurs de cette caté>
contre les grandes puissances chrétien- gorie Kheir-ed-Din, Salah-Réis, Hassan
nes, on retrouve les plus habiles ma- fils de Kheir-ed-Din, et Sinan (appelé paî
rins qui avaient conquis leur renom- les auteurs espagnols Aluch-Ali ). Dèi
mée sur les côtes d'Afrique Dragut : que ces marins avaient acquis quelque
Piali, Hassan fils de Kheir-ed-Din Si- , gloire en faisant la course contre le*
nan. Lors du siège de Malte, en 1565 bâtiments européens, le grand-!
la flotte algérienne et le corps de trou- gneur les appelait à Constantinople ë ,
pes qu'elle amena figurèrent avec beau- leur confiait des escadres à commander,
coup d'éclat dans cette lutte mémorable. Kheir-ed-Rin fut élevé à la dignité d*
Pendant l'hiver de l'année 1570, Sinan- Capitan-Pacha (grand amiral). Apre*
Pacha gouverneur d'Alger, envahit le
,
lui, le même honneur fut décerné à Si
royaume de Tunis à la tête de six mille nan-Pacha, qui s'illustra par la prise d«
hommes. Il s'empara de la ville, mais Tunis et de la Goulette. Pour l'histoir
il ne put se rendre maître de laGouIette. intérieure de la Régence, elle ne présent
Les Algériens gardèrent Tunis jus- qu'une suite de faits monotones et uni
qu'en 1571. Ils en furent chassés par série de gouverneurs choisis ,
pour l'jj
don Juan d'Autriche. En 1571 les ma- plupart parmi les renégats originaire^
,
rins d'Alger prirent part avec la flotte d'Europe. C'est, d'une part, la répétition
ottomane au siège de Famagouste dans pour ainsi dire annuelle, des expédition
l'Archipel. Enfin , lors de la célèbre ba- armées pour forcer les tribus à acquit
taille livrée pardon Juan d'Autrichedans ter les contributions ou pour apaise'
le golfe de Lépante, le 7 octobre 1571, des insurrections ; de l'autre la con
,
qui fut si fattle à la marine turque , Si- tinuité des actes de piraterie exercé;;
nan, alors gouverneur d'Alger, occupa, contre les bâtiments chrétiens, quelque
on peut le dire, le premier rang par fois des tentatives dirigées avec de;
la bravoure et l'habileté qu'il déploya. chances diverses sur les côtes d'Espa
Après avoir combattu avec le plus grand gne, d'Italie, de Sicile ou même de
acharnement, les navires algériens fu- France. Pour échapper à l'uniformité
rent presque seuls sauvés de ce désas- des détails qui se reproduisent sous un
tre. La dernière grande action de ce aspect à peu près semblable dans la suite
siècle, si fécond en événements à la- , de l'histoire de la Régence, nous devons
quelle les Algériens coopérèrent, fut le nous bornera signaler les faits principaux:
siège et la prise de Tunis et de la Gou- qui ont exercé une influence notable sui
lette sur les Espagnols au mois de juillet l'organisation intérieure, ou qui se rap
1574. Sinan-Pacha commandait l'opéra- portent aux expéditions importante]!
tion. Après la victoire, il organisa à entreprises par les nations chrétiennes
Tunis une milice d'après les règles éta-
blies à Alger. Mais, soit que les mœurs
ALGÉRIE. 24î
conclut avec elle, en 1604, le traité le cour de France, alors à Tours, pour
plus avantageux que la France eût en- nouer des relations amicales; mais ces
! core obtenu de cette puissance. Les démarches avortèrent, à cause de la
j
gouverneurs d'Alger étaient rendus mauvaise foi des Turcs, qui continuaient
\ responsables des méfaits commis par les actes d'hostilité pendant les né-
|
leurs corsaires contre les bâtiments gociations. En 1618 le peuple de Mar-
français , sans être admis à contester seille, indigné du massacre de l'équipage
les déclarations des parties plaignantes. d'un navire français se porta en foule
,
Mais comme déjà, dans des occasions à la maison qu'habitait un des envoyés
récentes , les pachas avaient refusé algériens et le tua avec quarante per-
,
;
France, ruiné quelque temps aupara- traité fut accordé à la France le 19
vant par la milice turque. Elle avait septembre 1628. Les esclaves fran-
attribué aux exportations de grains de çais furent rendus, moyennant rem-
[nos négociants une famine qui éclata boursement à leurs propriétaires des
j
alors dans le pays. sommes payées pour leur achat ; le
Afin de signifier la volonté du grand- rétablissement du Bastion de France
!
seigneur aux différents États musul- fut stipulé , ainsi que la liberté de la
mans de la Méditerranée, et d'assurer pêche du corail et du commerce de grains
4'exécution du traité, un chaouch de à la Galle. On convint de plus que le
'la Porte fut désigné pour accompagner traité de 1604 serait rendu exécutoire
Savary de Brèves. En Palestine, en pour l'avenir dans la Régence. La ville de
Egypte, à Tripoli et à Tunis cette mis- Marseille s'était imposé des sacrifices
sion s'accomplit avec quelques diffi- pour hâter la conclusion de la paix. Elle
cultés; mais à Alger la milice fit le en fut en quelque sorte indemnisée par
plus mauvais accueil au chaouch de la les travaux qui furent faits par ordre ,
242
L'UNIVERS.
mière moitié du dix-septième siècle, il
autre à Bône. Les dépenses pour
ces
faut mentionner, en 1624, une démons-
établissements, y compris les redevan-
chefs indigè- tration faite par la Hollande qui cap-
ces et les cadeaux pour les
par an. tura plusieurs corsaires et les fit pendre
nes , s'élevaient à 135,680 francs
Cette paix , si difficilement obtenue pour obtenir la restitution de ses navi-
res en 1638, la destruction de la flotte
ne fut pas longtemps respectée par les ;
infructueuses pour arriver à une paix Arabes et les Turcs dirigèrent des atta- :
qui se commettaient dans leur ressort. vent violentes, loin de se modérer, l'avi-
Les coulouglis (fils d un Turc et d'une dité et la rapacité des pachas n'avaient fait
femme indigène ) pouvaient être admis que s'accroître. Un règlement adopté par
dans la milice et arriver à tous les em- la milice leur accordait douze pour cent de
plois. On leur confiait même quelque- la valeur de toutes les prises faites par
fois les fonctions de gouverneur de les corsaires, ils ne se contentaient plus
province (bey); mais ils ne pouvaient de ce droit, qui produisait des bénéfices
$tre élevés à 1 une des cinq hautes fonc- énormes ; ils se livraient à des exactions
16,
244 L'UNIVERS.
contre les étrangers, contre le peuple des mesure de réclamer alors l'intégralité de
villes et contre les Arabes ; enfin ils ne ses droits , approuva les nouvelles insti-
craignaient pas de détourner à leur pro- tutions. Elle stipula seulement que la
fit une partie des sommes que le grand- solde delà milice serait dorénavant tout
seigneur envoyait pour contribuer à la entière à la charge de la Régence. Elle
solde de i'oudjac. C'est contre cet état continua à désigner les pachas pour re-
de choses qu'une révolution éclata en présenter les droits du grand-seigneur
1659. Un boulouk-bachi du nom de
, à Alger. Une lutte presque constante di-
Khelil, se mit à la tête des mécontents, visait le dey et le pacha; la milice, maî-
et proposa en plein divan de déposer le tresse de se donner un chef en changea
,
vant; mais la course prit un caractère de part exerçaient des métiers ou tenaient
férocité implacable. de petites' boutiques d'épiceries. Quel-
La force totale de la milice était ques-uns se mariaient avec des femmes
évaluée à environ quinze mille hom- du pays. Pour honorer l'oudjac, le
mes. Son service se divisait par année : dey était inscrit en tête du registre, et
1° en service de garnison, qui absorbait recevait la solde de simple vétéran.
environ deux mille hommes, dissémi- Cette milice turbulente, adonnée à tous
nés dans toutes les villes delà Régence ; les excès , recrutée parmi la lie de
2° en service de camp, ou de colonne la population de tous les ports du Le-
( mahalla ) :
3° en service sédentaire à vant , fut un obstacle permanent au dé-
Alger. Cette troisième année était con- veloppement de l'État algérien. Lors-
sidérée comme année de repos. Il y que les Maures, chassés d'Espagne, vin-
avait des garnisons à Alger même
: rent chercher un refuge dans la Régence,
(environ trois cents hommes en dehors l'esprit jaloux et inquiet des soldats turcs
de la milice qui était au repos dans les les empêcha d'y introduire les industries
casernes ) ; à Mers-ed-Debban ( port des qu'ils pratiquaient dans Péninsule et
la
«louches); à Tizouzou, fort du côté de auxquelles ils fournissaient les plus ha-
ï'Arach; à Bou-Gheni, sur les pentes biles ouvriers. Plus tard lorsque par
,
du Djurdjura ; à Hamza, sur la route les mariages avec les femmes indigè-
d'Alger h Constantine, par les portes de nes il se forma sous le nom de cou-
, ,
246 L'UNIVERS.
les navires algériens , et leur causèrent Le bruit de ces discussions regrettables
de grandes pertes sans pouvoir mettre parvint jusqu'à la cour de France, et le
fin aux hostilités. Enfin, en 1664, gouvernement ordonna au duc de Beau-
Louis XIV, lassé des insultes incessantes fort de reprendre la mer pour donner
faites par les corsaires à la France, ré- la chasse aux corsaires. Mais, sur ces en-
solut de réprimer sérieusement leurs trefaites , les Turcs arrivèrent devant
brigandages. Déjà le cardinal de Maza- Djidjéli , et attaquèrent les lignes fran-
rin avait précédemment plusieurs" fols çaises le 4 octobre. Ils furent repous-
entretenu le roi de la création d'un sés; l'armée fit des pertes; elle man-
établissement français en Barbarie. Il quait d ailleurs des choses essentielles
voulait occuper un port intermédiaire au bien-être des soldats , et les ma-
entre Tunis et Alger les deux princi-
, ladies sévissaient déjà cruellement. Là
paux foyers de la piraterie , afin d'en encore un temps précieux fut perdu en
arrêter plus sûrement les progrès. Il délibérations. On avait reçu le 22 oc-
avait été successivement question de tobre des renforts avec lesquels on au-
Stora, de Bône, de Bougie on se décida
; rait pu attaquer le camp des Turcs et
pour Djidjéli. Le duc de Beaufort fut enlever leur artillerie; par une étroite
placé à la tête de l'expédition, compo- interprétation des instructions qui pres-
sée de quinze vaisseaux ou frégates, crivaient de ne rien entreprendre au
dix-neuf galères et quelques autres bâ- dehors avant d'avoir assuré la position
timents; en tout soixante-trois voiles. de Djidjéli , les troupes françaises restè-
L'armée de débarquement comprenait rent dans l'inaction. Les Turcs ouvri-
près de six mille hommes. La flotte rent le feu le 29 contre les retranche-
partit de Toulon le 2 juillet 1664, et ar- ments français et refoulèrent tous les
,
leurs pertes; aussi vit-on en 1670 une de la Merci , remplissant les fonctions
escadre française venir réclamer des de consul français à Alger. Duquesne
réparations pour des actes de piraterie refusa de recevoir le parlementaire, et
et obtenir des articles additionnels au fit répondre que si les Algériens vou-
vant Alger le 22 juillet 1682. La ville de- van à s'exécuter. On commença dès le
vait être bombardée jusqu'à ce qu'elle lendemain à rendre les esclaves. Le
arrivât à une soumission complète. Les 2 juillet on en avait déjà livré à la
opérations furent d'abord contrariées flotte cinq cent quarante-six. Le reste
par le mauvais temps. Le bombarde- était dans la campagne , et on s'occu-
ment ne put commencer que dans la pait à les réunir. Le 3 Duquesne
nuit du 21 août; les galiotes étant demanda des otages, et envoya signifier
mouillées trop loin, il produisit peu au divan que la volonté du roi était que
d'effets; repris le 26, jusqu'au 5 du la paix ne serait faite qu'à condition
mois suivant, il fit beaucoup de mal que les Turcs rembourseraient toutes
au port et à la ville. Plus de cinq cents les dépenses de la guerre et touîes
Algériens furent tués. La milice elle- les pertes que la France avait es-
même était dans la consternation suyées. Le divan déclara ces condi-
devant les effets terribles de ces pro- tions inadmissibles; les otages furent
jectiles dont on faisait usage pour la
, rendus, et on se disposa à reprendre
première fois dans la marine. Aussi les hostilités.
le lendemain, le dey envoya pour trai- Cette circonstance exaspéra la milice;
ter de la paix le père Vacher, religieux elle reprocha an dey d'avoir rendu les
,
L'UNIVERS.
248
eut échappe d'Estrées, à la vue de ces membres paU
esclaves sans que la ville
bombarde- pitants lancés jusque sur ses vaisseaux,
pour cela aux malheurs du
Baba-Hassan oublia lui-même les lois de l'humanité,
ment Une sédition éclata ;
d'habitants furent écrasés sous les dé- place pour les combattre. Il périt avec
combres des maisons; et Mezzo-Morto La ville fut bloquée,
sept cents des siens.
lui-même, alors investi delà dignité de par des secours qui vinrent
et délivrée
pacha, fut blessé à la tête d'un éclat de d'Espagne. En 1693 les Turcs et les
bombe La fureur des Algériens les poussa Arabes perdirent quatre mille hommes
à renouveler les supplices abominables sous les murs d'Oran. Jusqu'en 1696
employés lors dudernierbombardement; ils renouvelèrent chaque année leurs
plus de cinquante Français périrent de attaques sans plus de succès et se re-
,
province, Chaaban, fut tué dans ces nisiens furent battus, et deux mille d'en-
combats. tre eux qui avaient mis bas les armes
furent passés au fil de l'épée. Après cet
Situation intérieure de la Régence. exploit sauvage, l'armée venait à peine
L'histoire intérieure de la Régence de rentrer à Alger que le dey Mousta-
n'offre qu'un médiocre intérêt pendant pha se mit lui-même à la tête des trou-
la période dont il vient d'être question. pes pour se porter dans l'ouest à la ren-
Cependant, en dehors des efforts inces- contre des Marocains, qui avaient envahi
sants que les troupes turques devaient la Régence et s'étaient avancés jus-
faire pour percevoir des impôts exagérés qu'auprès d'Oran, ravageant tout devant
et pour comprimer les révoltes des tri- eux. Le dey n'avait que six mille fantas-
bus, on remarque une lutte sérieuse sins et mille cavaliers turcs; l'armée
qui s'engagea entre la Régence et les deux ennemie comptait plus de cinquante
Etats musulmans de Tunis et de Maroc. mille hommes, la plupart à cheval;
Ce fut le dey Chaaban, successeur de les Turcs attaquèrent avec tant d'impé-
Mezzo-Morto, qui soutint ces guerres. tuosité qu'après quatre heures de com-
Un prétendant au gouvernement tuni- bat ils enfoncèrent les bandes marocai-
sien, chassé par son heureux compéti- nes, et les mirent dans une déroute
teur, vint solliciter le secours de Chaa- complète. Mouley-Ismayl, sultan du
ban. A deuxreprises différentes, en 1689 Maroc, qui commandait lui-même ces
et en 1695 , les Algériens s'emparèrent troupes, ne s'échappa qu'avec peine;
de Tunis, ety firent un butin des plus ri- son cheval tomba entre les mains du
ches; mais à peine les troupes s'étaient- dey qui l'envoya plus tard en cadeau
,
elles retirées, que le protégé de Chaaban à Louis XIV. Ce combat sauva la Ré-
fut chassé. Le dey se préparait à aller gence ; il fut livré dans la forêt qui
le rétablir une troisième fois, lorsque porta depuis le nom de Mouley-ïsmayi,
l'armée se révolta contre lui et le dé-
, Le bey de Tunis se préparait à envahir
posa. Pendant que Chaaban combattait de son côté les États d'Alger; mais la
ses ennemis extérieurs, les Maures d'Al- défaite des Marocains le rendit plus pru-
ger avaient tramé une conspiration dent. Bientôt après le grand-seigneur,
,
avec l'appui de Tunis et du Maroc pour fatigué de ces querelles, qui affaiblissaient
chasser les Turcs de la Régence; le inutilement deux pays soumis à son
complot fut découvert, et valut à la autorité , envoya un capdji à Tunis
ville une contribution extraordinaire, avec mission de rétablir la paix. Le
outre la mort des principaux chefs de bey Mourad s'étant montré disposé à
la conspiration. Vers la même époque, continuer la guerre, l'officier de la Porte
Chaaban avait aussi dirigé une expédi- le fit étrangler, et massacra toute sa
tion contre les Marocains , qui avaient famille.
franchi la frontière et avaient porté leurs La paix qui suivit cette intervention
ravages jusque sous les murs de Tlem- de Porte ne fut pas de longue durée.
la
sen. Les deux armées se rencontrèrent Terminée en 1702, l'année d'après la
sur les bords de la Molouïa ; la victoire guerre était de nouveau déclarée. Le
resta aux Algériens. Ils poursuivirent dey manquait d'argent, malgré les exac-
l'armée marocaine jusque devant Fès, et tions exercées contre les tribus la mi- ;
lui accordèrent la paix à des conditions lice, qui ne recevait pas exactement sa
avantageuses. paye murmurait on eut recours à la
, ;
milice ne tarda pas à prendre une revan- bey tomba au pouvoir des Algériens.
che éclatante de cet échec; elle accou- Tunis, effrayée, offrit de payer une ran-
rut au secours de Constantine les Tu-
: çon pour que l'armée victorieuse n'entrât
,
250 L'UNIVERS.
pas dans ses murs. Le dey refusa, et septembre de l'année 1708 (Tan 1119
vint mettre le siège devant la capitale. de l'hégire). L'Espagne, agitée à cette
A près trente-neuf jours d'efforts inutiles époque par les sanglantes discordes
pour emporter la place, après avoir qui avaient suivi la mort de Charles II ,
jouit pas longtemps du pouvoir. La pé- par eux, les pachas tentaient de ressaisir
nurie du trésor fût encore la cause de le pouvoir qu'ils avaient perdu. Ces offi-
sa mort. ciers de la Porte étaient haïs par la milice
;
proclamer dey, en 1707, s'occupa im- résolut de faire destituer le pacha, accusé
médiatement à ramasser de l'argent et d'avoir fait de l'opposition à son élec-
à donner de l'activité à la milice. Les tion et de réunir les deux fonctions
,
surveiller les tribus des environs d'Oran lice méconnaissait ses ordres au gré de
et pour avoir une action plus directe ses caprices et que les pachas qu'il
sur le sud il avait déplacé le siège de
, nommait restaient sans autorité, se dé-
son autorité. Il avait abandonné Ma- cida à accéder à la demande d'Ali-
zouna pour s'établir à Mascara point
, , Chaouch, et lui conféra le titre de pacha.
plus^ centrai. Bou-Chelaghme constitua A partir de cette époque, le dey élu
bientôt des forces militaires imposantes par la milice reçut toujours de la
autour d'Oran. LesDouaïrs et les Abid, Porte l'investiture" des fonctions de
tribus récemment arrivées du Maroc, les pacha. Cette innovation, tout en con-
Béni Amer, qui avaient renoncé à l'al- servant au grand-seigneur l'apparence
liance des Espagnols et fait leur sou- au moins de son droit de souveraineté,
mission, furent organisés en makhzen fit aux deys une position presque ab-
d'endormir la vigilance des peuples ans après que les Musulmans recou-
européens et que les Algériens ne se vrèrent ces deux places. Bou-Chelaghme
faisaient aucun scrupule de les violer se réfugia à Mostaganem, qui resta jus-
dès qu'une occasion de piraterie se qu'à la mort de ce bey, c'est-à-dire
présentait. La Porte voulut intervenir jusqu'en 1735, le centre du beylik de
en faveur de l'Empire en 1725; son l'ouest. Avantdemourir Bou-Chelaghme
envoyé fut insulté par le divan d'Alger, fit une attaque contre Oran aidé par
,
navires de transport, et portant vingt plage. Les corsaires firent un mal af- \
ïiteri étaient arrivés avec un fort con- Leur flotte vint mouiller devant la ville \
tingent, fourni par les tribus, lie bey le 28 octobre 1783 elle ouvrit le feu le
; ;
er
de Mascara avait envoyé dix mille hom- 1 novembre, et le continua pendant huit
mes, sous la conduite de son khalifa. jours. La ville souffrit de grands dom-
Enfin les Turcs, les Arabes et les Kabi- mages, et le nombre des Algériens tués
les de la province d'Alger avaient égale- ou blessés fut très-considérable. Enfin j
Kebir au dey, avec les canons, les mor- Il une grande crainte des Français,
avait
tiers et les approvisionnements de et la gloire de nos armées l'avait frappé
guerre. Malgré ces sacrifices un traité
, de terreur. Le général Bonaparte lui cau-
aussi humiliant fut considéré comme sait des alarmes particulières; il l'appe-
une affaire avantageuse pour l'Espa- lait le général diable , et redoutait tou-
gne Oran lui coûtait annuellement qua-
: jours de le voir arriver à Alger avec ses
tre millions sans aucune compensation; troupes invincibles. Il eut pour succes-
il exigeait une garnison de cinq ou six seur son neveu Moustapba. L'expédition
mille hommes. Les rapports de Baba- dirigée par la France contre l'Egypte
Hassan avec la France furent d'abord avait irrité contre elle toutes les nations
satisfaisants; bientôt les sujets de co- musulmanes ; cependant les Algériens
lère et les prétextes de rupture ne man- n'auraient pas déclaré la guerre s'ils n'y
quèrent pas. Mais comme la Régence avaient été pour ainsi dire forcés par un
avait fait des livraisons de blé considé- envoyé de la Porte. Mais dès que cet of-
rables à la Provence pendant la disette ficier fut parti le dey se hâta, à la solli-
de 1789, et que toutes les sommes n'é- citation des juifs Busnac et Bacri, de
taient pas encore payées, malgré les inci- mettre en liberté les Français qu'il avait
tations des Anglais et des Espagnols, qui fait emprisonner. L'intervention de ces
représentaient la France comme un État négociants fit aussi délivrer les Algériens
sans force, sans argent, sans alliés et à que le Directoire avait fait arrêter en
la veille d'une ruine inévitable, le dey France par représailles. Lorsque Bona-
ne rompit jamais complètement les re- parte fut nommé premier consul, le dey,
lations. L'amitié du dey sembla suivre se rappelant que ce général avait renvoyé
pendant un temps les alternatives des re- libres tous les esclaves algériens qu'il
vers ou dessuccès des armées françaises ; avait rencontrés dans les villes d'Italie
la victoire ayant en définitive été favo- et dernièrement encore ceux qui étaient
rable à la France, Baba-Hassan se dé- retenus à Malte, écouta favorablement
termina à devenir l'ami de la république. les propositions de paix qu'on lui fit de
La France tirait alors de grands avan- la part de la France; l'influence an-
tages de son alliance avec Alger. Non- glaise et les menaces de la Porte em-
seulement elle reçut de la Régence de pêchèrent la conclusion du traité. Obligé
nombreuses cargaisons de blé, dont les de déclarer encore la guerre à la France,
provinces du midi en proie à la disette,
, Moustapha-Dey écrivit au premier con-
avaient le plus grand besoin; mais le sul pour s'en excuser. La paix ne fut si-
Directoire parvint, en 1794, à négocier gnée qu'en 1802. La fermeté du gouver-
un emprunt de cinq millions avec Baba- nement français et de son représentant
Hassan, qui se refusa à en recevoir les maintint le cley dans de bonnes rela-
intérêts. Une maison de commerce juive, tions ; on résisla avec énergie à toutes
dirigée par les frères Busnac etBacri, fut ses prétentions exagérées, sansqu'ilosât
l'intermédiaire de ces négociations et des rompre. En 1805, Bonaparte, devenu
fournitures de bié. Elle étendit bientôt empereur, envoya son frère Jérôme avec
son influence avec tant d'habileté sur une division navale pour réclamer les
toutes les affaires de l'oudjac qu'elle dé- esclaves français, italiens et liguriens;
termina la catastrophe qui causa la ruine ils furent rachetés pour une somme
de la domination turque à Alger. En de 400,000 francs. Cette même année,
1796, Busnac et Bacri, ayant achevé leur les 28 et 29 juin, les juifs de la ville fu-
fourniture de blé, en réclamèrent le rent pillés et massacrés à la suite du
payement; le trésor de la république meurtre de Busnac par un soldat de la
était vide, il leur fallut se contenter milice. Ce négociant, d'une intelligence
d'une reconnaissance. Plus tard, ces négo- rare et d'un courage peu ordinaire chez
ciants s'étant faits aussi les fournisseurs ses co-religionnaires , avait acquis une
des Anglais pour l'approvisionnement influence presque absolue sur toutes les
de Gibraltar, le gouvernement français affaires de l'Etat. Son insolence et son
suspecta leur loyauté et ne voulut plus avidité furent fatales à tous ceux de sa
les solder à l'avenir que par à-compte. race. On chassa les juifs de la ville, à
Baba-Hassan mourut le 14 mai 1798. l'exception de ceux qui exerçaient des arts
254 I/OTIVERS.
mécaniques, en nombre limité, confor- la même situation jusqu'à la mort de
mément aux prescriptions d'une ancienne Hadj-Ali, qui fut tué dans son bain le 22
loi, promulguée par Barberousse. mars 1815. Le changement du gouver-
Deux mois après les crimes atroces nement de la France fut accueilli à Al-
dont vient d'être question , la milice
il ger avec joie, parce qu'on espérait échap-
se révolta, tua le dey et nomma à sa per à la crainte que l'empereur Napo-
place Ahmed-Khodja, chef des secrétai- léon avait inspirée. Les juifs se hâtè-
res du divan , connu par sa haine con- rent de produire les anciennes créances
tre les juifs. Des révolutions orageuses pour les fournitures de blé, dont, à l'aide
inaugurèrent le commandement du nou- de quelques fraudes et de leur prétention
veau dey. Dans l'est , Hadj-Mohammed à des intérêts énormes, ils exagérèrent
ben-Arach, marabout originaire du Ma- beaucoup le chiffre.
roc leva l'étendard de la révolte au mi-
, Le successeur de Hadj-Ali fut un cer-
lieu des montagnes de Djidjéii; il vint tain Mohammed, qui régna quelques
assiéger Constantine, suivi par tous les jours à peine. Il fut déposé par la milice,
Kabiles soulevés, au nombre de plus qui choisit à sa place, le 7 avril 1815,
de soixante mille. Le bey était alors ab- Omar-Agha. Les relations avec les na-
sent; un de ses kaïds fit une sortie tions chrétiennes ne s'étaient pas amé-
contre les rebelles, et dissipa leurs bandes liorées. Les États-Unis envoyèrent une
indisciplinées après leur avoir tué sept division navale sous les ordres de l'a- :
ou huit cents hommes. Du coté de l'ouest, mirai Décature, pour tirer vengeance \
l'insurrection éclata dans Tlemsen con- des insultes faites à leur pavillon. Ils j
tre les Turcs, les couiouglis et les juifs; obtinrent un traité avantageux au mois
elle se rendit maîtresse delà ville, et de juin. La Hollande et l'Angleterre
\
remporta une première victoire contre avaient aussi des griefs contre les Algé- j
les troupes de l'oudjac. Le bey de la riens. Ces deux puissances unirent leurs
j'
province fut plus heureux; il joignit les forces pour obtenir une réparation. Le
révoltés, les mit en déroute, et fit rentrer 26 août 1816, lord Exmouth vint à la ;
Tlemsen dans le devoir. Il eut aussi des tête de trente-deux bâtiments anglais
troubles à apaiser chez les Flissa. Ah- et de six frégates hollandaises mouiller ;
contre Tunis en 1807. Son armée battit canon. La ville fut enveloppée par les |
Kef pour en faire le siège, elle ne put L'amiral anglais fit signifier au dey les
pas l'emporter , et l'hiver la força de re- conditions suivantes : 1° la délivrance
]
gagner Constantine. L'année suivante sans rançon de tous les esclaves chré- \
les hostilités furent reprises malgré les , tiens ; 2*> la restitution des sommes j
Elle dut mettre à la voile en toute hâte blit dans Casbah et y fit transporter
la
pour éviter ces dangereux brûlots. Le le trésor public, qui était déposé à la
lendemain lord Exmouth écrivit au dey, Jénina. Les soldats se révoltèrent en
et lui offrit encore la paix aiix mêmes effet plusieurs fois contre lui; mais à
conditions qu'avant le combat. Cette l'abri de toute surprise, derrière les
proposition fut acceptée, et le jour murailles de la Casbah, il triompha des
même, 28 août, un traité fut signé séditieux, et fit mourir les plus compro-
er
avec les Algériens. Cet heureux ré- mis. Il fut atteint par la peste le 1
sultat fit le plus grand honneur à la mars 1818. Il eut pour successeur Hus-
nation anglaise. La flotte souffrit beau- sein-Dey, qui occupait encore le pou-
coup, et perdit huit cent quatre-vingt- voir lorsque la France, pour venger une
trois hommes; les Hollandais de leur insulte faite en 1827 à son consul, diri-
côté eurent deux cents hommes tués et gea une expédition formidable contre
trois cents blessés. la Régence en 1830, et mit fin à la do-
Quoique Omar-Pacha eût montré le mination de ces corsaires, si longtemps
plus grand courage pendant ce long funeste au commerce de tous les États
combat, la milice ne lui pardonna pas chrétiens.
l'issuemalheureuse de cette affaire. 11 La suite de ce résumé historique nous
fut étranglé le 8 septembre de l'année dispense d'entrer ici dans de plus longs
suivante par des soldats mutinés qui ,
développements sur les causes de la
lui donnèrent pour successeur un cer- rupture de la France avec le dey d'Alger
t
tain Ali-Khodja. Ce nouveau dey indis- et sur les principaux événements qui
posa bientôt la milice contre lui par ses précédèrent la prise de possession de
cruautés et ses actes de démence; pour la capitale 4e la Régence par l'armée
se mettre à l'abri des rébellions, il s'éta- française.
L'histoire de l'Algérie française de- mais pour s'y combiner, s'y associer, et
puis 1830 jusqu'à l'époque où nous préparer ainsi l'un des principaux élé-
écrivons ce rapide résumé est sans ments de la civilisation nouvelle et uni-
contredit le tableau le plus varié, le ca- verselleque les vieilles civilisations por-
dre le plus complexe et le plus saisis- tent dans leurs flancs déchirés. Pour la
sant , le drame le plus intéressant qu'of- première fois entre le Christ et Maho-
fre l'histoire des peuples modernes. met la guerre cesse d'être un but ; elle
Nous n'avons pas la prétention de devient un moyen, un accident, un
peindre ce tableau de remplir ce cadre,
, creuset d'où doit sortir un jour un
d'écrire ce drame émouvant de façon à monde nouveau. Nous engageons le lec-
satisfaire toutes les exigences que com- teur à ne jamais perdre de vue ce but
porte un sujet aussi vaste. Nous voulons providentiel , à rattacher sans cesse les
nous borner à réunir les éléments prin- événements qui passeront sous ses yeux
cipaux de cette grande histoire qui com- au point culminant que nous indiquons,
mence qui étend ses horizons de jour
,
s'il veut comprendre toute leur portée
Pour donner une idée de ce grand ses mains ce fil d'Ariane, si l'on ne
fait qui s'accomplit et se poursuit de- consulte pas cette boussole , si l'on n'a
puis dix-huit années en Algérie , pour pas sans cesse les yeux fixés vers l'ave-
faire comprendre l'immensité de l'œu- nir, il est impossible de rester calme en
vre que la France y a entreprise à son présence de tant de tâtonnements, de
insu, il suffit de dire que pour la pre- tant d'inexpériences, de tant d'épreuves
mière fois les deux religions qui se par- douloureuses qui ne servent pas à l'en-
tagent le monde, le christianisme et seignement du lendemain , de tant de
l'islamisme, se rencontrent sur le même fautes accumulées. La France en Algé-
terrain, non pour s'y entre-choquer, rie est pareille à un enfant qui s'agitç
250 Ï/UNIYEHS.
sans but, qui s'irrite sans motif, et brise nements de toute nature cjue ceux qui
sans raison. Mais laissez l'enfant deve- ont marqué nos premières années d'oc-
nir homme, et vous comprendrez que cupation et d'extension algériennes,
l'activité bruyante et immodérée du la confusion naîtrait inévitablement
premier âge était nécessaire au dévelop- d'une division qui embrasserait dans
pement de l'activité virile. Ainsi de la leur ensemble militaire, politique, re-
France en face de l'œuvre dont Dieu ligieux , administratif, des périodes de
lui a confié la réalisation. La période de huit et dix années. Nous enregistrerons
3830 à 1838 a été sa période d'enfance; donc année par année ces événements
elle a été adolescente jusqu'en 1848; en les classant sous leur double aspect
elle entre aujourd'hui dans sa puberté. administratif et militaire. Nous avions
Ces diverses phases de notre vie poli- d'abord eu l'idée d'adopter une classifi-
tique en Algérie indiquent parfaitement cation plus analytique encore. Nous
les grandes divisions du résumé que avons, en effet, essayé de distinguer dans
nous nous proposons de tracer, bien les faits administratifs ceux qui avaient
plus avec la stricte fidélité du chroni- purement et simplement ce caractère et
queur qu'avec l'élévation de sentiments ceux qui semblaient se rattacher plus
et d'idées, avec les vastes vues d'ensem- particulièrement soit à l'ordre politi-
ble qu'on serait en droit d'exiger d'un que , soit à l'ordre religieux. Nous avons
historien. Or, la première, nous de- dû renoncer à établir cette division ra- ;
vrions dire la seule qualité indispensa- tionneile mais impossible, car le gou- j
ble au chroniqueur, c'est Tordre, c'est vernement militaire qui a régi jusqu'ici
la méthode. Nous tâcherons du moins l'Algérie a été un amalgame confus de
d'avoir cette qualité. tous les pouvoirs et de toutes les attri- l
17 e Livraison. (Algérie. )
17
,
258 L'UNIVERS
cette vaste entreprise. Le port de formées. Chacune d'elles était composé<
Toulon, désigné comme point de départ, d'environ dix mille hommes.
était le centre d'un mouvement pro- La première fut placée sous le corn
digieux. Les troupes de toutes armes mandement du lieutenant général Ber
qui devaient faire partie de l'expédition thezène, qui avait sous ses ordres les
se mirent en mouvement sur toute la maréchaux de camp Poret de Morvan
surface du pays, et vinrent s'échelonner Achard et Clouët.
dans nos provinces méridionales. Des La deuxième division était comman-
préparatifs, des approvisionnements con- dée par lieutenant général Loverdo
le
sidérables et de toute nature furent or- Les trois brigades de cette division
donnés. La presse de l'opposition, si avaient pour chefs les maréchaux d<
puissante alors sur les esprits, s'attacha camp Monkd'Uzer, Colomb d'Arcin
à décrier le projet du gouvernement, à en et Dam rémont, que nous retrouverons
démontrer les inconvénients et les pé- plus tard expirant glorieusement sur 1
rils;mais on ne peut nier que les ins- brèche de Constantine.
tincts aventureux de notre nation ne Le général d'Escars, ayant sous ses
s'éveillèrent tout puissants à l'idée d'une ordres les généraux Berthier de Sau
expédition lointaine, entreprise, non vigny, Hurel et Montlivault, comman
plus, comme la guerre d'Espagne en dait la troisième division.
1823, pour une cause monarchique L'arme du génie militaire était placé
mais pour la défense de la dignité na- sous le commandement de l'un des of
tionale, de l'honneur de notre pavillon, liciers lesplus distingués de cette arme
des intérêts de notre commerce. le général Valazé. Le général Lahir
Le duc d'Angoulême, en sa qualité eut le commandement de l'artillerie.
de grand amiral, vint à Toulon présider La cavalerie se bornait à trois esca
lui-même à l'embarquement et au dé- drons détachés des 13 e et 17 e régiment
part. Des bateaux-bœufs, des chalands de chasseurs le colonel Bontems di
;
six cent trente-six mulets, étaient placées tion qu'à dix-huit ans de distance il
sous la direction d'un commandant des évoque souvenir de cette journée so-
le
équipages. Le train d'administration lennelle où la France, aventurière su-
comptait quatre cent trente et un hom- blime, allait joyeuse à la conquête d'un
mes et six-cent quatre-vingt-dix-sept monde nouveau, à l'accomplissement
chevaux ; un bataillon d'ouvriers d'admi- de l'un des plus grands actes de ce siècle.
nistration, fort de sept cent quatre-vingts Les hauteurs qui entourent la rade de
hommes ; cent vingt-cinq gendarmes Toulon étaient couvertes d'une foule in-
commandés par un grand prévôt qua- ;
nombrable. Des cris, des signes d'adieu
rante guides et interprètes complétaient saluaient au passage chacun de ces
ce vaste ensemble. vaisseaux qui portaient une portion de
Composition de la flotte. — la puissance, de la richesse et de la gloire
Nous venons de parcourir les journaux de notre patrie.
de cette époque, dont nous séparent déjà A la nuit, l'escadre entière avait gagné
tant d'événements si considérables, et le large, et s'était rangée en colonne dans
nous croyons inutile d'insister sur les l'ordre et suivant les distances que les
innombrables détails, sur les projets fa- instructions de l'amiral avaient pres-
buleux qui précédèrent ou accompagnè- crits.
rent cette expédition. Nous nous borne- Le lendemain, 26, la vigie du vaisseau
rons à raconter les faits. Pour trans- amiral signala à l'horizon deux frégates,
porter le personnel et le matériel im- l'une portant le pavillon français, l'autre
mense dont nous venons de parler, on portant le pavillon turc. La flotte mit
ne comptait pas moins de cent bâtiments en panne ; elle fut ralliée par les deux
de guerre dont onze vaisseaux , vingt-
, navires ; la frégate turque portait pavil-
quatre frégates, quatorze corvettes, lon au grand mât, signe de la présence
vingt-trois bricks neuf gabares, huit
, d'un grand dignitaire à son bord ; elle
bombardes, quatre goélettes, et sept mit à la mer l'un de ses canots , qui vint
bateaux à vapeur trois cent cinquante-
; accoster la Provence. Cette frégate avait
sept navires de commerce nolisés par en effet à son bord un ambassadeur que la
l'administration ; une flottille composée Sublime-Porte envoyait à Alger pour en-
de gros bateaux désignés sous le nom de gager le dey à faire ses soumissions à la
tartanes; cinquante-trois chalands pour France. Les rigueurs de notre blocus
l'artillerie et lestroupes; cinquante ra- avaient empêché le plénipotentiaire turc
deaux pouvant porter soixante-dix hom- d'aller à Alger, et il se dirigeait sur Tou-
mes chacun. Les chalands étaient amar- lon, accompagné d'une frégate française.
rés aux flancs des grands navires. Les L'ambassadeur fut reçu à bord de la Pro-
radeaux pouvaient se monter et se dé- vence avec les honneurs militaires ; il eut
monter en moins de six heures. L'amiral une assez longue conférence avec l'ami-
Duperré hissa son pavillon de comman- ral et le général de Bourmont puis il ,
dement sur le vaisseau la Provence, com- regagna son navire. Les deux frégates
mandé par le capitaine de vaisseau Villa- reprirent leur marche vers la France, et
ret de Joyeuse. L'amiral Mallet, chef de l'escadre continua sa route. Pendant la
l'état-major maritime, prit passage à journée du 29 elle côtoya l'île de Ma-
bord du même vaisseau, ai nsi que le géné- jorque, et dans la soirée du 30 elle était
ral en chef de l'expédition, l'intendant gé- en vue de la côte d'Afrique.
néral, et les principaux chefs de service. Le temps avait semblé jusque-là se-
DÉPART DE LA FLOTTE ET INCI- conder l'élan de l'armée, qui éclata de
DENTS de la traversée. — Le 25 mai joie à l'aspect de cette terre inconnue.
à midi, par une faible brise de nord-est, On espérait débarquer le lendemain ;
l'amiral donna l'ordre du départ. Toute les préparatifs pour cette grande opé-
l'escadre appareilla aussitôt, et cet im- ration étaient déjà ordonnés. Malheu-
mense mouvement, opéré avec un ordre, reusement la brise contraire fraîchit
avec un ensemble merveilleux, fut un pendant la nuit, et l'amiral Duperré,
imposant spectacle. Celui qui écrit ces sur lequel pesait une responsabilité si
lignes était embarquée bord du vaisseau lourde ne crut devoir rien laisser au
,
amiral, et ce n'est pas sans une vive émo- hasard dans une affaire aussi grave,
17.
—
260 L'UNIVERS.
L'escadre louvoya jusqu'au jour ; mais, batterie , située à peu de distance de la
le vent ayant augmenté et la mer étant côte , et masquée par des lentisques et
devenue très-grosse, l'amiral donna l'or- des lauriers-roses, eût lancé quatre bom-
dre à la flotte de mettre le cap sur Palma, bes, dont l'une, tombant à bord du vais-
où une partie resta mouillée jusqu'au seau le Breslaw, avait blessé un homme,
10 juin tandis que l'autre tenait la mer
, on présumait que les Algériens n'oppo-
en vue de l'île. seraient pas au débarquement une résis-
Le convoi des bâtiments marchands tance bien opiniâtre.
et la flottille des bateaux de débarque- Pendant toute la nuit, nuit splendide
ment ,
qui n'avaient pu quitter Toulon et étoilée, lestroupes se préparèrent au
qu'après l'escadre, avaient été dispersés débarquement, qui devait s' effectuer dès
par un coup de vent. Tous ces navires, le lendemain, 14, à la pointe du jour. La
après avoir gagné la rade de Palma, en mer, douce et calme, caressait les flancs
étaient sortis le matin du jour où l'es- de nos vaisseaux la brise était tiède
; ;
cadre y entra. Ces contretemps jetèrent ce beau ciel que nous admirions pour
quelque confusion dans l'ensemble des la première fois était si pur, si clément,
mouvements, mais aucun désordre ca- si radieux De temps à autre un chant
!
pital n'en résulta, car la plupart des na- de fête , un cri de joie s'échappaient de
vires se retrouvèrent à la hauteur de l'un des navires ; et de toutes parts aus-
Sidi-Féruk, indiqué comme point de dé- chants ré-
sitôt d'autres cris et d'autres
barquement. pondaient. Bien peu dormirent pendant
Arrivée a Sidi-Féruk; Mouil- cette veillée des armes , pendant cette
lage DE LA FLOTTE. —
Après dix nuit qui parut si longue pourtant , car
jours de pénible attente, pendant lesquels on attendait le jour avec impatience;
l'armée expéditionnaire et ses chefs ne on l'appelait, on le désirait comme on
manquèrent pas d'accuser les lenteurs désire toujours l'inconnu.
de l'amiral, d'incriminer sa prudence, DÉBARQUEMENT DES TROUPES.
le 10 juin l'escadre, favorisée par un Les premières lueurs de l'aube brillè-
temps magnifique, quitta les eaux de rent enfin , et les chalands chargés de
Palma, et reprit la mer dans l'ordre ha- troupes, remorqués par des chaloupes,
bituel. Le 13, à la pointe du jour, on se dirigèrent de toutes parts vers la terre.
aperçut la terre ; bientôt les maisons, Les Arabes laissèrent le débarquement
les arbres, les moindres accidents de s'effectuer avec ordre. En quelques
terrain se dessinèrent nettement, et de heures, grâce à la prodigieuse activité
tous les navires s'élevaient des cris de nos marins, la première division et
d'allégresse. Arrivée à une assez faible l'état-major furent à terre et le pavillon
distance de la côte, l'escadre mit le cap français flotta sur le marabout de Sidi-
à l'ouest et alla mouiller devant Sidi- Féruk, aux applaudissements, aux vivats
Féruk, promontoire situé à vingt kilo- de toute l'armée, de toute l'escadre en-
mètres d'Alger. thousiasmée.
A la fin du jour toute la flotte était à L'ennemi était campé à un ou deux
l'ancre , et si le départ de Toulon avait kilomètres de la côte. La première divi-
eu un caractère majestueux, ce ne fut sion, à peine débarquée , se forma en
pas un spectacle moins solennel et colonne, et marcha vers lui pendant que
moins émouvant que celui de cette flotte le reste des troupes prenait terre;
formidable paisiblement échelonnée en chaque division protégeait ainsi le dé-
présence de ce sol étranger qu'elle ve- barquement de celle qui la suivait, et
nait conquérir, et où le lendemain elle les bateaux à vapeur secondaient ce
allait planter pour toujours le drapeau mouvement en dirigeant leur feu vers
de la civilisation. les batteries que les Arabes avaient
Bien que pendant l'opération du élevées dans diverses positions pour as-
mouillage l'un des bateaux à vapeur de surer leurs retranchements.
l'escadre, le Nageur, eût tiré quelques Le débarquement des troupes, du
coups de canon sur des groupes de ca- matériel , des vivres, des chevaux , de
valiers qui paraissaient être venus en l'artillerie, continua avec une rapidité
reconnaissance sur le rivage bien qu'une
; et un ensemble admirables. Le succès
ALGÉRIE. 261
ne tarda pas à prouver l'utilité des mesu- qui n'eut rien de sérieux , lâcha pied et
res rapides que l'on avait prises, et le dan- prit la fuite. Les deux autres divisions
ger auquel l'escadre était exposée dans ce s'échelonnèrent entre la première et le
mouillage. Dans la matinée du 16 une camp de Sidi-Féruk de façon à défendre
,
voirune ville française parfaitement or- entreprise qu'il dirigeait lui faisait. une
donnée à cette place déserte peu de loi de la. prudence même excessive.
jours auparavant. Les Arabes attribuèrent notre inaction
Premières opérations militai- à l'impuissance, et Ibrahim, qui comman-
res. —Hussein-Pacha, qui avait si inso- dait au plus vingt mille hommes, d'après
lemment bravé la puissance de la France, l'estimation de M. le commandant Pellis-
avait complètement négligé de prendre sier, l'un des officiers le mieux rensei-
contre nous des précautions proportion- gnés sur ces opérations (1), Ibrahim se
nées à la grandeur du péril soit que ce
,
péril lui parût bien moins redoutable (i) M. Pellissier est l'auteur des Annales
qu'il l'était en réalité, soit que le fa- algériennes , l'un des livres les plus estimés
talisme musulman le fît compter exclu- sur les premiers temps de la conquête, et que
,
2C2 L'UNIVERS.
disposa à nous attaquer. Dans la soirée Combat de Sibi-Khalef(24juïn).
du, 18 des Arabes vinrent donner avis des — La faute qu'on avait commise en se
dispositions de l'agha au général Ber- tenant sur la défensive, du 14 au 19 juin,
thezène, qui ne put ou ne crut pas de- fut malheureusement renouvelée après
voir en instruire le général en chef, dont le combat de Staouëli. Plus administra-
le quartier général était à Sidi-Féruk. teur que guerrier, le général en chef
Le lendemain, en effet, notre ligne fut s'occupa bien plus de l'organisation des
attaquée sur tous lespoints à la fois, mais divers services de l'armée, que du soin
principalement sur la gauche. L'attaque de poursuivre ses avantages. Après la
fut impétueuse, et nos troupes furent journée du 19 les Arabes, nous voyant
,
prudence lui eût été commandé, s'il eût kilomètres d'Alger, à l'extrémité du pla-
eu à sa disposition d'importantes parties teau qui se lie au mont Boudjariah, l'une !
du matériel chargées sur des navires que des hauteurs les plus voisines de la ville. :
les contrariétés de la mer avaient jusque- Le général en chef donna l'ordre à ses!
là empêchés d'aborder à Sidi-Féruk, il est troupes de s'arrêter, au grand mécon-
probable que l'armée française, après tentement des soldats, ivres de leur
avoir mis en déroute les troupes musul- victoire. y
manes, aurait pu se rendre maîtresse Heureusement les raisons très-graves;
d'Alger. qui imposaient à M. de Bourmont une
Quoi qu'il en soit, les deux premières prudence que l'ennemi prenait pour de;
divisions poursuivirent les fuyards jus- la faiblesse allaient ne plus exister. Dès le!
qu'au camp de Staouëli , que les Turcs lendemain même du combat de Sidi-
avaient abandonné sans avoir le temps Khalef leconvoi chargé du matériel de<
d'enlever les objets les plus précieux. mouilla devant Sidi-Féruk, et,
l'artillerie
Ce fut une journée décisive , qui nous le général en chef, qui pendant cette
1
coûta six cents hommes tués ou blessés; journée avait eu le malheur de perdre sur
mais les pertes de l'ennemi furent beau- le champ de bataille l'un de ses fils
coup plus fortes. 11 eut trois ou quatre jeune officier de la plus haute espérance,
mille hommes tués ou mis hors de com- put songer à attaquer la ville.
bat; il perdit en outre cinq pièces de La troisièmedivision,quijusque-ià n'a-
canon, quatre mortiers; une grande vait pu donner, reçut l'ordre de prendre
quantité de bétail et de chameaux, qui position sur le front de l'armée. Les Ara-
servirent à porter les bagages de l'armée. bes ne cessèrent de nous harceler, soit par
Le résultat moral fut plusimportant en- leurs tirailleurs, soit par leurs batteries,
core, car dès ce jour le succès de l'expé- qui , des hauteurs voisines, faisaient un
dition et la prise de la ville ne furent feu presque continu. La position que nos
plus douteux. troupes occupaient était désavantageuse,
Les deux premières divisions s'établi- car elle était dominée par des points im-
rent à Staouëli , et s'y fortifièrent. La portants, et il y avait hâte pour nous de
route stratégique partant de Sidi-Féruk reprendre l'offensive, qui seule pouvait
fut prolongée jusqu'à ce point» imposer aux Arabes. Cinq jours pour-
tant se passèrent ainsi, Enfin le 28 au
,
nous consultons avec soin pour écrire notre soir, l'armée, les parcs d'artillerie et du
résumé hiatçu génie furent réunis à hSidi-Abd-er*Rah*
ALGÉRIE. 263
man, en chef donna pour
et le générai le sions. Avec un ennemi toujours
pareil ,
face sud ; deux batteries, l'une de quatre pour lui alors même que nos ca-
était fini
pièces de canon de vingt-quatre, et nons dominaient la ville et la mettaient
l'autre de six pièces de même calibre en notre pouvoir. 11 ne fallut rien moins
une batterie d'obusiers et une de mor- que les cris et les menaces de la popula-
tiers furent successivement d ressées con- tion algérienne pour le décider à envoyer
tre les faces principales du fort. Ce fut l'un de ses ministres auprès du général
sous la protection de ces ouvrages que en chef avec des propositions incroyables.
Je travail de la tranchée se poursuivit Le dey offrait sérieusement de rembour-
avec une activité qui aurait pu être plus ser les frais de la guerre et de faire des
grande; seize cents travailleurs, se re- excuses au roi de France. M. de Bour-
levant à intervalles égaux, étaient em- mont répondit avec beaucoup de dignité
ployés à cette opération, souvent contra- qu'il ne pouvait admettre aucune négo-
riée par les sorties de la garnison du ciation avant l'occupation de la ville.
fort et par l'artillerie de la place. Le Cette réponse fut portée au dey, qui com-
feu des tirailleurs arabes ne se ralen- prit enfin que tout était fini pour lui»
tissait pas sur k® flânes de nos divi- tlnecapîtulauonfutsignéeî imxs croyons
,
264 L'UNIVERS.
devoir reproduire ici les termes de ce do- Commandement du maréchal Bour-
cument mémorable, qui a ouvert à la mont.
France une ère nouvelle d'activité dont
elle commence seulement aujourd'hui à (Du 15 juillet au 2 septembre 1830.)
comprendre toute la grandeur et toute
l'importance :
Trésor de la. Casbah. — Le gou-
vernement de Charles X, dirigé alors
« Convention entre le général en chef de l'ar- par l'homme qui allait perdre la res-
mée française et S. A. le dey d Alger. tauration et la branche aînée des Bour-
« i° Le fort de la Casbah, tous les autres bons, avait fait des préparatifs formida-
forts qui dépendent d'Alger, et les portes de bles pour assurer la conquête d'Alger ;
la ville seront remis aux troupes françaises mais aucun des hommes auxquels le
ce matin ( 5 juillet ) à dix heures. succès de cette expédition militaire avait
« 2° Le général de l'armée française s'en- été confiéne savait ce qu'il fallait faire
gage envers S. A. dey d'Alger à lui laisser
le pour administrer cette conquête. M. de
la libre possession de ses richesses person- Bourmont et son état-major se trouvè-
nelles. rent donc en présence d'une difficulté
« 3° Le dey sera libre de se retirer avec immense d'une œuvre qui eût exigé
,
sa famille et ses richesses dans le lieu qu'il un homme de génie. La loyauté du gé-
fixera, et tant qu'il restera à Alger il sera, lui
néral en chef s'attacha surtout à la fidèle
et sa famille, sous la protectiondu général en
exécution de la convention, et les Mau-
chef de l'armée française ; une garde garantira
res durent, au fond de leur cœur, bénir
ïa sûreté de sa personne et celle de sa famille.
le ciel de rencontrer tant de modéra-
« 4° Le général en chef assure à tous les
membres de la milice les mêmes avantages tion, tant de calme, tant d'honnêteté
et la même protection. chez leurs nouveaux maîtres. Mais la
« 5° L'exercice de la religion mahomé- loyauté, les bonnes intentions ne suffi-
tane restera libre; la liberté de toutes les saient pas à la tâche si difficile et si
classes d'habitants, leur religion, leurs pro- vaste qui venait d'incomber à la France.
priétés, leur commerce et leur industrie ne
recevront aucune atteinte; leurs femmes se- divers États de l'Europe au dey d'Alger. —
ront respectées; le général en chef en prend Les Deux-Siciles payaient un tribut annuel
l'engagement sur l'honneur. de 24,000 piastres fortes, et fournissaient des
« 6° L'échange de cette convention sera présents évalués à 20,000 piastres fortes. — La
fait avant dix heures du matin, et les troupes Sardaigne devait à l'Angleterre de ne pas j
françaises entreront aussitôt après dans la payer de tribut ; mais à chaque changement
Casbah , et s'établiront dans les forts de la de consul elle donnait une somme considé-
ville et de la marine. rable. — Les États de l'Église, protégés par
« Signé Hussein-Pacha. la France , ne payaient ni tribut ni présent
:
consulaire. —Le Portugal subissait les mêmes
Comte de Bourmont. » conditions que les Deux-Siciles. —L'Espagne
A l'heure dite les troupes entrèrent devait des présents à chaque renouvellement
en effet dans la ville, et nul désordre de consul. — L'Autriche , par la médiation
nulle violence ne signalèrent cette prise de la Porte, était affranchie du tribut et des'
de possession. L'escadre qui croisait de- présents. — L'Angleterre devait 600 livres
sterling à chaque changement de consul,
vant Alger depuis plusieursjours,etqui,
malgré la convention obtenue en 18 16 par
dans les journées du 1 er et du 3 juillet —
lord Exmouth. La Hollande devait comme
avait fait diversion aux forces;de l'ennemi
en canonnant de loin les batteries du
l'Angleterre un présent. —Les États-Unis , le
Hanovre et Brème, avaient adopté le même
môle, l'escadre vint mouiller sur la rade arrangement. —
La Suède et le Danemark
dès qu'elle vit flotter sur les forts de la fournissaient annuellement des matériaux de
ville le pavillon français. Ce fut une guerre et des munitions pour une valeur de
grande et solennellejournéequi affran- 4,000 piastres fortes.; Ces États payaient en
chit pour toujours les États européens outre tous les dix ans 10,000 piastres fortes
du tribut honteux qu'ils payaient à une et un présent à chaque renouvellement de
poignée de pirates (1). consul. — La France elle-même faisait des
cadeaux au dey à l'occasion de la nomination
(i) Voici la liste des tributs payés par les de chaque nouveau consul.
LGÉRIE. 265
L'un des premiers soins du général en passés à dix, douze et quinze ans de dis-
chef fut de faire constater par une com- tance. Nous nous bornerons donc à
mission l'existence du trésor public renonciation des faits , en ne laissant
trouvé dans les caves de la Casbah. Cette que peu de place aux réflexions qu'ils
commission, composée de trois mem- suggèrent.
bres M. le général Tholozé, M. Denniée,
: Le premier acte administratif de
intendant en chef, et M. Firino, payeur M. de Bourmont fut la création d'une
général, fit l'inventaire des diverses commission du gouvernement. Cette
sommes, qui s'élevaient au chiffre de commission était chargée, sous l'auto-
48,700,000 francs. Ces sommes furent rité immédiate du général en chef, de
embarquées sur les vaisseaux de l'esca- pourvoir provisoirement aux exigences
dre et transportées en France. Des ac- des divers services d'étudier et de pro-
,
cusations graves ont pesé sur certaines poser un système d'organisation pour la
personnes au sujet de ce trésor. Nous ville et le territoire d'Alger.
croyons qu'en pareilles matières, qui Cette commission , que la révolution
touchent à l'honneur des personnes, de juillet vint bientôt modifier, dirigée
lorsque les faits ne sont pas prouvés par M. Denniée, intendant en chef, au
jusqu'à la dernière évidence, il est du lieu de s'attacher à perfectionner les di-
devoir de l'écrivain de s'abstenir. Si verses institutions existant dans le pays,
plus tard la vérité se fait jour, l'histoire, les désorganisa sans y rien substituer. Il
impartiale, signalera les noms qui doi- en résulta les plus grands désordres ad-
vent être flétris ; mais, Dieu merci nous
! ministratifs, l'amoindrissement de notre
n'avons point ici cette tâche à remplir. influence ; et Ton peut dire sans exagé-
Indépendamment du trésor dont nous ration que toutes les fautes commises en
venons de parler, et qui compensa les Algérie ont eu leur point de départ dans
frais de la guerre, évalués pour l'armée l'incurie des premiers administrateurs
de terre à vingt millions , pour l'armée de la colonie nouvelle.
de mer à vingt-trois millions et demi; Organisation de la police. —Un
indépendamment de ce trésor, disons- arrêté en date du 13 juillet institua un
nous, la capitulation d'Alger fit tomber service de police sous la direction de
en nos mains quinze cents canons, M. d'Aubignosc, qui reçut le titre de lieu-
douze bâtiments de guerre et des immeu- tenant général, aux appointements de
bles considérables , dont nous aurons 18,000 fr. Il avait sous ses ordres un
plus tard l'occasion de parler. inspecteur général de police avec 3,000 fr.
Commission de gouvernement. — de traitement; deux commissaires de
Quoique nous ayons tâché de raconter police à 2,500 fr.; une brigade de sû-
rapidement les faits antérieurs au 5 juil- reté , composée de vingt agents ,d'un
let, nous avons dû pourtant entrer à leur chef et d'un sous-chef; trois interprètes,
égard dans quelques développements, recevant ensemble 7,800 fr., complé-
peut-être hors de proportion avec l'exi- taient le personnel de cette organisation.
guïté du cadre qui nous est tracé. C'est Conseil municipal. — Une sorte
qu'il nous a paru nécessaire de donner de conseil municipal fut créé il était
;
260 L'UNIVERS.
et, après avoir fait une visite au général jours après l'arrivée de son successeur,
en chef, qui le reçut avec les plus grands à bord d'un petit navire qui le transporta
honneurs, il quitta Alger le 10 juillet, à en Italie. Les honneurs militaires dus à
bord d'un brick et fut conduit à Naples.
, son grade lui furent rendus au moment
Ses femmes, sa famille, ses serviteurs du départ. Ce fut un spectacle touchant
l'accompagnèrent. Au moment de son que celui de ce soldat abandonnant pour
embarquement il fit remettre une somme jamais le sol qu'il venait de conquérir,
considérable à l'officier qui avait été et qui gardait la dépouille de l'un de ses
chargé de l'accompagner. L'officier re- fils, mort au champ d'honneur, quittant
fusa ; et le dey s'étonna beaucoup de ce la ville dans laquelle il était entré peu de
refus, en disant que nous étions un jours avant en triomphateur.
peuple inexplicable, en ce sens que nous Le nouveau gouvernement éleva le
avions entrepris la guerre contre lui afin vice-amiral Duperré à la dignité d'amiral
de ne pas lui payer les sommes qui lui qui fut créée pour lui, et le général Clau
étaient dues par le juif Bacri, et que d'un zel , par décision royale du 12 août 1830,
autre côté nous dédaignions l'argent. succéda à M. de Bourmont dans le com-
Les Turcs qui faisaient partie de la mandement en chef de l'armée d'Afrique.
milice et qui n'étaient pas mariés à Alger
Turent embarqués peu de jours après et Commandement du général Clauzei.
dirigés sur Smyrne.
( Du 2 septembre 1830 au 21 février, 1831.)
RÉCOMPENSES DÉVOLUTION DE JUIL-
—
*,
rien fait qui fût de nature à frapper l'i- préjudice des Turcs, accusés par eux
magination du peuple vaincu. INous d'avoir provoqué l'attaque de notre co-
avons déjà eu occasion de faire remar- lonne au retour de Blidah indisposè-
,
quer combien les Arabes étaient disposés rent contre nous le bey de ïiteri qui ,
sion de la ville, Je général en chef avait avions ameuté contre nous toutes les
fait évacuer Sidi-Féruk, le camp de haines tous les préjugés d'un bout à
,
Staouëli, et avait ainsi concentré ses l'autre de la Régence; nous avions pro-
troupes autour d'Alger. On s'était borné mené le spectacle de notre faiblesse et
à reconnaître le littoral jusqu'au cap Ma- de nos irrésolutions, tristessemences qui
tifou, et à désarmer quelques batteries. devaient plus tard porter de déplorables
Puis , à la tête d'une colonne de quinze fruits!
cents hommes , le maréchal avait fait C'est dans cette situation que M. le
une promenade militaire jusqu'à Blidah. général Clauzel trouva la colonie et l'ar-
Cette colonne, à son retour, fut assaillie mée en arrivant à Alger. L'intendant
par des nuées de tirailleurs arabes et M. Denniée, avait été remplacé
militaire,
reconduite à coups de fusil jusqu'aux (ordonnance du 16 août ) par M. le
environs d'Alger. baron Volland, qui eut le titre d'inten-
Une brigade, sous le commandement dant en chef de l'armée d'Afrique et
du général Damrémont, avait été dirigée intendant des provinces occupées par
sur Bône. Le débarquement s'y était cette armée.
effectué sans opposition de la part des Actes administratifs du 1 er sep-
habitants. Nos troupes établies à la Cas- tembre au 31 décembre 1830.-— Legé-
bah y furent attaquées vigoureusement néral Clauzel, en arrivant à Alger, blessa
par les Arabes, qui déployèrent un grand l'armée par un acte de défiance inu-
courage dans ces hardis coups de main. tile. Son premier soin fut de nommer une
La bravoure et la discipline de nos sol- commission d'enquête chargée de re-
dats l'habileté du général qui les com-
, chercher les dilapidations qui avaient
mandait , triomphèrent de ces disposi- pu avoir lieu à la suite de l'occupation
tions hostiles. Notre domination com- d'Alger. Cette commission ne découvrit
mençait à s'asseoir et à être respectée sur rien, et l'armée fut peu flattée du satis-
ce point, lorsque le général en chef rap- fecit qu'elle en reçut. Si les investiga-
pela la brigade expéditionnaire, qui ren- tions avaient porte sur quelques mem-
tra à Alger le 25 août. bres indigènes du conseil municipal et
Il en fut de même pour le 21
e
de sur d'habiles meneurs on aurait cer-
,
ligne, qui avait été dirigé sur Oran. Les tainement trouvé la trace de désordres
nouvelles que M. de Bourmont venait de qui sont toujours restés impunis.
recevoir de la révolution de juillet moti- Le 7 septembre le général en chef
vèrent ces rappels de troupes en vue d'é- adressa aux habitants du royaume d'Al-
ventualités impossibles. ger une proclamation de nature à inspi-
Dans ce même laps de temps , nous rer la confiance sur les intentions du
donnâmes aussi à Bougie le spectacle de gouvernement français.
notre faiblesse en laissant massacrer, Un arrêté du 8 "septembre organisa
sous feu de deux navires de guerre
le le service des douanes. Le dernier acte
français, un indigène nommé Mourad, de l'administration de maréchal de Bour-
que le général en chef avait investi du mont , daté du 1 er septembre , avait eu
litre de kaïd de Bougie , et que nous pour objet d'organiser le service des
allions y installer en cette qualité. domaines.
Ces diverses fautes furent aggravées Ce même jour, 8 septembre, un ar«
,, ,
2G8 L'UNIVERS.
est devenu la qu'en 1835 si bien qu'à cette époque
rêté fort important, et qui
,
sous le nom de Biskris , et fixait le prix trait de plume suffisait à consacrer de pa-
reils actes. Le bey de Tunis devait nous
des transports effectués par eux.
Le 15 on prenait un arrêté relatif à payer pour cette cession de la province
la police des passeports et des permis de de Constantine un tribut annuel d'un
séjour. million de francs. Ce traité , comme on
arrêté en date du 16 novembre le pense bien ne fut pas ratifié par le
Un ,
pes fût diminué par la rentrée en France ser aux indigènes par de sanglantes re-
de plusieurs corps, il accrut le nombre présailles, laissa fusiller tous les prison-
des divisions , mesure qui fut générale- niers; nos soldats livrèrent aux flammes
ment blâmée par les hommes compétents les magnifiques jardins qui entouraient
dans la matière. Le résultat des fautes cette ville; des bois d'orangers furent
commises pendant les premiers temps rasés , et le lendemain l'armée , laissant
de l'occupation, fautes que nous avons une forte garnison à Blidah sous le com-
énumérées, avait été de restreindre le mandement du colonel Rullière, se di-
cercle de nos opérations; cernés de rigea vers Médéah capitale de la pro-
,
toutes parts, nous étions pour ainsi dire vince, par les gorges de l'Atlas.
prisonniers dans la ville ou tout au Le 21 au soir on bivouaqua à Mou-
moins dans un périmètre fort étroit. zaïa , et l'armée se prépara à entrer le
Des postes militaires furent échelon- lendemain dans ces gorges qui depuis
nés le long des deux routes qui mènent les légions romaines n'avaient plus re-
à la Métidja, vaste plaine dont le mi- tenti sous les pas de soldats européens.
rage trompeur a englouti improducti- On se mit en marche en effet, et à la
vement tant de capitaux destinés à sa première halte, après avoir franchi les
colonisation , et qui a retardé si long- premières gorges, on salua le vieil Atlas
temps l'œuvre agricole en Algérie Le ! d'une salve de vingt-cinq coups de canon.
bey de Titeri était alors notre ennemi Vers le milieu du jour la brigade Achard,
le plus remuant. Avant de s'assurer s'il qui marchait à l'avant-garde, rencontra
n'existait pas des moyens pacifiques de l'ennemi, et le débusqua de sa position.
dompter cet ennemi naissant, de nous Bientôt nos troupes se trouvèrent en-
concilier les populations révoltées ; avant gagées dans le col de Ténia passage
,
de connaître les mœurs , les habitudes étroit et dangereux devenu célèbre dans
des indigènes, leurs besoins réels, leurs les fastes de notre armée d'Afrique. Le
vœux légitimes, le général Cïauzel tira bey de Titeri avait fait placer à l'entrée
l'épée, et le 17 novembre un corps d'ar- du deux petites pièces d'artillerie;
col
mée sous ses ordres se dirigea vers la il donc tourner la position, et elle
fallait
province de Titeri, au commandement ne pouvait être tournée que par la gau-
de laquelle on venait de nommer, par che dont les Arabes garnissaient les
,
ALGERIE 271
sur Médeah , où ils comptaient s'en- ral Boyer, parti le 7 décembre d'Alger
fermer et nous opposer une vive résis- pour venir ravitailler la place, y arriva
tance. Mais la prudence des habitants à propos. Nos troupes manquaient de
déjoua ce projet : ayant appris la dé- munitions et de pain.
faite du bey au col de Ténia, ils se sou- La brigade du général Boyer rentra à
mirent, et pour gage de leur soumission Alger sans avoir été inquiétée.
ils se tournèrent eux-mêmes contre les Par suite du projet que le général
troupes du bey, qui prirent la fuite. Clauzel avait conçu d'affermer en quel-
Le 22 au soir le général en chef en- que sorte nos provinces d'Oran et de
trait dans la ville. On s'y reposa quel- Bône , projet dont nous avons fait men-
ques jours ; il fut décidé qu'on laisserait tion dans la série des actes adminis-
à Médéah une garnison. tratifs, une petite expédition fut dirigée
Le 26 l'armée quitta cette ville, et re- sur Oran autant pour y installer le nou-
vint à Mouzaïa par le col, sans coup veau bey, Sidi-Ahmed, parent du bey
férir. Ce même jour Blidah était le de Tunis, que pour imposer à l'empe-
drame sanglant. Notre gar-
théâtre d'un reur du Maroc, dont les troupes avaient
nison y était attaquée par Ben Zamoun fait quelques excursions sur notre ter-
;
!
et l'attaque fut si inopinée si rapide , ritoire. La brigade expéditionnaire com-
|
que les Arabes pénétrèrent par plusieurs mandée par le général Damrémont partit
points dans la ville. Par un habile stra- d'Alger le 11 décembre; elle y arriva
tagème le colonel Rullière sauva la gar- le 13 , occupa le 14 le fort de Mers-
nison d'un massacre général qui aurait el-Kebir et quelques autres positions
certainement porté le coup le plus fu- moins importantes, où elle se maintint
neste à notre domination. Deux com- sans agir. Cette réserve était sans doute
pagnies sortirent par l'une des portes de dans les instructions du général Dam-
la ville et vinrent tomber sur les der-
, rémont. Ce fut le 4 janvier 1831 seu-
rières des assaillants. Les Arabes per- lement qu'il occupa la ville, sans effu-
,
suadés que c'était le corps d'armée qui sion de sang. Aussitôt après l'installation
revenait de Mouzaïa, se débandèrent, de Sidi-Ahmed, la brigade quitta Oran,
et là il se passa une scène de carnage pendant que le colonel Auvray, envoyé
dont le récit est impossible. Le fait est en mission auprès de l'empereur du
que le lendemain, 27, le général Clau- Maroc obtenait de lui que ses troupes
,
Pellissier,
r
ï vol., page i52. der une conquête est une tâche plus dtf-
,
L'UNIVERS.
272
premiers jours de jan- Arabes poussèrent plus loin leur audace ;
licite. Dans les
rentrait a les assassinats se multiplièrent, et, espé-
vier la garnison de Médéah
fruit de nos rant y mettre un terme , le général ré-
Alger, abandonnant ainsi le
nous solut de châtier les coupables. Une expé-
premières opérations , et ce retour
le gêne- dition forte de !quatre mille hommes et
restreignait dans la limite que
voulu étendre. de quelques pièces d'artillerie partit
rai Clauzel avait surtout
d'Alger le 7 mai , et se dirigea sur Rha-
Constatons toutefois cette différence
chna; elle parcourut ainsi la plaine,
qu'au delà de cette limite les esprits, escarmouche, jus-
d'escarmouche en
frappés de notre impuissance gouver-
qu'à Théga , l'un des sommets de l'At-
nementale, s'abandonnaient aux rêves
las et rentra dans ses cantonnements
d'insurrection et nous préparaient des ,
quelques
le 13 mai, après avoir dévasté
difficultés des obstacles que nous avions
,
ennemis ne
et cent cinquante cavaliers firent une les tirailleurs
de monde!
j
en toute hâte d'Alger à la tête de toutes Bône, qui se gouverna et se défendit elle-
les troupes disponibles. Ason appro- même contre les attaques des tribus voisi-
che , l'ennemi, fidèle à sa tactique, s'é- nes. Une centaine de Turcs, qui, sous le
loigna et se dirigea vers les montagnes, commandement d'un des leurs, nommé
où nous ne le suivîmes pas. Les troupes Ahmed occupaient la Casbah, avaient
,
rentrèrent le même soir à Alger, en ti- suffi à repousser toutes les agressions
raillant avec quelques Arabes qui étaient jusque-là ; mais comme elles se renou-
embusqués. Rien ne ressemblait moins velaient sans cesse , les habitants recou-
à une victoire. rurent à nous, et sous l'influence d'Ah-
Le 19 la Ferme-Modèle fut de nou- med jaloux de conserver son autorité
,
veau attaquée, mais cette fois par les ils demandèrent au général Berthezène
Arabes rassemblés au camp de Boufa- le concours de quelques troupes indi-
rik. Les Arabes furent repoussés. Les gènes une compagnie de zouaves fut
:
vaillamment son devoir dans cette jour- dant Houder, fut bien accueillie par les
née, dispersa l'ennemi dans toutes les habitants; mais le Turc Ahmed fut in-
directions. C'était un succès sans doute, disposé par la présence d'officiers fran-
mais un succès négatif comme tous ceux çais qu'il n'attendait pas et dès cet
,
lui était impossible d'étendre notre do- accorda légèrement sa confiance, et qui
mination à l'intérieur, et désespérant de voulait s'emparer du gouvernement de
dompter un ennemi qui fuyait sans cesse la ville en perdant à la fois et les Fran-
et qui revenait de plus en plus acharné çais et les Turcs M. Houder tomba
,
sur nos pas, jugea que ce qu'il avait de dans le piège qu'Ibrahim lui tendait;
mieux à faire était de condamner la celui-ci parvint à s'emparer de la cita-
France à rester dans ses étroites limites, delle. Quelques tribus avec lesquelles il
et de traiter avec les indigènes. Il choisit était d'intelligence pénétrèrent clans la
un homme considérable parmi les indi- ville à un signal donné. La plupart des
18 e Livraison. ( Algérie. )
18
;>74
L'UNIVERS.
Bigot, qui la signalèrent , nous croyons devoir,
zouaves furent massacrés. M.
commandant Hou- pour l'intelligence du lecteur , montrer
leur capitaine, et le
brave- le but lointain que la France a atteint à
der furent tués en se défendant
l'heure où nous écrivons ces lignes.
ment. Ce désastre, cette indigne trahi-
deux La législation qui régit l'Algérie in-
son s'accomplirent en présence de
,
3° le maintien ou 1 ai
De proposer
plus complète anarchie, et dont l'esprit
aventureux l'humeur belliqueuse n'at-
,
brogation des arrêtés et ordonnance^
tendaient qu'une occasion et un chef qui ont cessé ou doivent cesser d'être
pour lutter contre notre domination. en vigueur;
4° Enfin d'indiquer les matières qui
Mesures administratives.— Nous
ne nous dissimulons certainement pas doivent faire l'objet soit d'arrêtés minis-
tout ce qu'a d'aride la méthode que nous tériels, soit de décrets du pouvoir exé-
avons dû adopter pour présenter dans cutif, soit de règlements d'administra-
un cadre restreint la plus grande quan- tion publique , soit enfin de lois parti-
tité possible de faits accomplis pen- culières , conformément à la législation
dant une longue période de tâtonne- constitutionnelle de la France.
ments et d'essais de toute nature dans Nous avons voulu dès le début in-
, ,
queur qu'historien, ainsi que nous l'a- Cette indication servira de fil conduc
vons dit déjà. Toutefois au début de teur dans le dédale que nous avons à par
'
tendant civil furent réglés par un arrêté douceur de son caractère le portait à
du 16 décembre, pris par le général Ber- condamner toutes les tentatives qui
thezène. troublaient l'ordre. Cependant le mou-
Commandement du général
vement devint tellement général, qu'il
Rovigo.
se laissa lui-même entraîner, et depuis
( Du 7 janvier 1 832 au mois d'avril 1833. )
cette époque il resta notre ennemi. Le
Opérations militaires. La situa- commandant en chef sembla pendant
tion de l'Algérie semblait plus favorable quelques semaines vouloir se contenter
au moment où le duc de Rovigo succéda d'observer les mouvements des insurgés.
au général Berthezène. La nomination Lorsqu'il les vit se rassembler et s'en-
de Sidi-Ali-Mbarekcommeagha des Ara- hardir jusqu'à annoncer l'intention de
bes avait amené quelque sécurité dans la venir nous attaquer dans nos retranche-
Métidja Les tribus se ressentaient encore
. ments, il adopta des dispositions vigou-
du rude échec qu'elles venaient d'éprou- reuses pour les disperser. Une première
ver dans la province d'Alger et dans rencontre leur fut fatale le t er octobre;
celle de Médéah. Elles semblaient dispo- deux jours après atteints par le général
,
rempli leur mission auprès du comman- dah, et forcèrent les tribus à implorer la
dant en chef, se mirent en route pour paix.
retourner dans leur pays. Arrivés sur Nouvelle occupation deBône.—
le territoire de la tribu d'El-Ouffia , ils Nous avons vu que Bône avait été oc-
furent dépouillés par les habitants. Pour cupé sans coup férir immédiatement
venger cette violation odieuse des de- après la conquête d'Alger, et que pres-
voirs de l'hospitalité, qui était aussi que aussitôt elle avait été évacuée, lors-
une insulte faite à la France, puisque que la nouvelle de la révolution de juillet
278 L'UNIVERS.
était parvenue en Afrique. Les habitants, Dans premiers jours du mois de
les
restés maîtres de la ville après le départ mai, legénéral Monk-d'Uzer, parti de
des Français avaient refusé de recevoir
, Toulon à la tête de trois mille hommes,
dans leurs murs les troupes d'El-Hadj- débarqua à Bône, et la trouva complète-
Ahmed, bey de Constantine. Celui-ci ment abandonnée, les troupes d'EI-
les avait tenus étroitement bloqués du Hadj -Ahmed ayant forcé les habitants
côté de terre, avec l'aide des tribus qui à l'émigration. La ville n'était plus
lui obéissaient. Vers la fin de 1831, le qu'un amas de ruines ; la Casbah seule
chef de bataillon Houder, envoyé par le offrait un abrï contre une surprise.
général Berthezène avec cent vingt-cinq Pendant que nos soldats déblayaient les
zouaves indigènes pour secourir Bône, décombres pour créer les établissements
trahi par les habitants , avait péri au mo- indispensables, l'ancien bey de Cons-
ment où il essayait de se rembarquer. tantine, dont les habitants de Bône
Les troubles qui à cette époque même avaient accepté l'autorité avant notre
avaient agité les tribus des environs arrivée , vint attaquer la ville avec quinze
d'Alger avaient empêché de poursuivre cents hommes environ, qu'il avait ralliés
Ja réparation des insultes et des échecs dans les tribus. Le général d'Uzer mar-
que nous avions essuyés sur ce point. cha contre eux le 26 juin, les dispersa
Cependant, la situation devenant de plus facilement, et les refoula vers l'intérieur.
en plus grave pour eux , les habitants de Les tribus les plus rapprochées de la
Bône désespérèrent de leur salut, et ville, frappées de la bravoure de nos sol-
adressèrent au commandant en chef de dats, impatientes de retrouver un mar-
l'armée française les demandes les plus ché pour l'écoulement de leurs produits,
instantes pour les délivrer des attaques poussées d ailleurs par les citadins émi-
des troupes du bey de Constantine. grés, qui voulaient rentrer, offrirent leur
L'intérêt de notre domination nous in- concours au général français; et deux
diquait de ne pas laisser El-Hadj-Ahmed d'entre elles s'établirent sous le canon
s'emparer de ce port, où il aurait trouvé de la place, et nous fournirent des cava-
des facilités pour ses approvisionnements liers auxiliaires pour surveiller la plaine
de guerre et un débouché pour les pro- de Bône. Ainsi, pendant l'année 1832 la
duits agricoles de la province. L'occu- France fit acte de domination sur les trois
pation de Bône par une garnison fran- provinces del'ancienneRégence. Nous ne
çaise fut décidée. En attendant la saison possédions encore que quelques points'
favorable pour entreprendre l'expé- du littoral, avec un territoire très-res-;
dition, le duc de Rovigo avait confié à treint; mais notre présence dans les;
deux officiers (les capitaines d' Armandy, deux ports principaux d'Oran et de Bône,
de l'artillerie, et Jousouf, des chasseurs nous permettait d'exercer une surveil-
algériens) la mission d'aller encourager lance efficace pour empêcher les relations
les assiégés à la résistance. Cependant par mer des populations indigènes avec
le 5 mars 1832 la ville fut forcée d'ou- l'extérieur.
vrir ses portes aux troupes du bey de Progrès de la domination fran-
Constantine, et fut livrée au pillage et çaise. — Au commencement de l'an-
à la dévastation. La Casbah, où s'étaient née 1833 le corps d'occupation était
réfugiés les derniers défenseurs de Bône, fort de vingt-trois mille cinq cent qua-
résista jusqu'au 26 au soir; on se dis- rante-cinq hommes et dix-huit cents
posait à l'abandonner, lorsque les deux of- chevaux. Les tribus de Béni Rhelil de ,
France. Le général en chef se hâta d'en- portaient leurs denrées au marché d'Al-
voyer un bataillon pour assurer le ré- ger Blidah semblait rechercher égale-
;
sultat de ce hardi coup de main (1). ment l'appui de notre armée. L'autorit' "
plus turbulentes. Mostaganem et Tlem- ayant commis des actes d'hostilité , fu-
sen étaient occupés par des Turcs et des rent rudement châtiées et cet exemple
,
Coulouglis qui entretenaient des intelli- d'une juste sévérité accrut encore les
gences avec nous. bonnes dispositions de la population
Dans l'intérieur de nos possessions arabe envers nous.
la population civile s'accroissait rapide- Après la défaite et la ruine de Hus-
ment, et semblait dominée par le besoin sein-Pacha, le bey de Constantine, ral-
de prendre racine dans le pays en acqué- liant les débris de la milice turque,
rant des propriétés. On construisait de avait regagné sa province, pillant sur
toutes parts ; les traces de la dévastation son passage toutes les propriétés de
qui avait été la suite inévitable de la l'État. A son arrivée à Constantine, ii
conquêtedisparaissaient successivement. trouva la ville révoltée, et ayant reconnu
Dans le mois de mai 1832, à la suite de un nouveau bey; il lui fallut recourir à
discussions survenues entre le comman- l'alliance des tribus du dont sa
désert,
dant en chef et l'intendant civil , ce der- mère était originaire, et au secours des
nier avait été remplacé par M. Genty Rabiles, pour reprendre possession de la
de Bussy, qui déploya une grande acti- capitale du beylik. Dès que son autorité
vité pour organiser l'administration de avait été rétablie il avait tourné tous
la ville d'Alger. Au dehors , des routes ses efforts vers Bône, afin d'acquérir un
militaires étaient ouvertes; des camps port. Repoussé définitivement de ce côté
retranchés, établis dans des positions par l'occupation de la ville par la France,
bien choisies , multipliaient les moyens au mois de mai 1832, il convoita Bougie.
de défense et prouvaient aux indigènes la Ses intrigues n'eurent pas plus de succès
ferme volonté de la France de garder auprès des populations kabiles, qui se
cette terre conquise par la bravoure de montrèrent peu empressées de se donner
ses soldats. Les sentiments hostiles pa- un maître. Ne pouvant prendre pied sur
raissaient s'affaiblir; la tranquillité et le littoral, il voulut s'emparer de Médéah,
le besoin de la paix faisaient chaque jour afin de se rapprocher d'Alger, impatient
des progrés. Encouragé par ces premiers de s'arroger le titre de pacha, qu'il faisait
résultats, le général Rovigo s'appli- solliciter à Constantinopie. Cette espé-
quait avec persévérance à les développer, rance fut encore déçue ; les habitants de
lorsqu'il fut atteint de la maladie à la- Médéah , divisés par des factions, firent
quelle il devait succomber. Il rentra en taire cependant leurs querelles intestines
France au mois de mars, et fut remplacé pour résister au bey de Constantine.
par le lieutenant général Voirol, qui L'horreur que les tribus avaient de la do-
prit le commandement par intérim. mination turque était si grande, que
plusieurs d'entre elles réclamèrent des
secours auprès du général en chef. On
île put leur eo accorder ; mais l'assurance
Ht \a s#u
| i
i
, ,
L'UNIVERS.
280
pour lui-même à ces sollicitations, et pré-
dans son
ragea: El-Hadj-Ahmed, attaqué
tugitif dans parait les esprits avec habileté et persé-
camp, fut battu, et rentra en vérance à reconnaître l'autorité de son
ne se
son beylik. A Bône nos progrès
attirées filsAbd-el-Kader. Déjà on racontait que
ralentissaient pas; les tribus
commençaient dans le voyage qu'il avait fait avec son
dans notre cercle d'action
entreprises père à la Mecque, il y avait peu d'années,
à résister d'elles-mêmes aux
bey de des prophéties émanées des hommes les
des agents et des troupes du des
plus saints, des songes miraculeux,
Constantine.
apparitions, avaient prédit au jeune
Oran venait de changer de gouverneur ;
Dès que les troupes marocaines eurent Kader se dirigea sur Tlemsen, et se lit
leva
repassé la frontière, les tribus, qui avaient
proclamer sultan par les Hadars; il
contingents
partagé leurs forces pour attaquer Oran des contributions, appela les
des tribus, et marcha sur
Mostaganem
sans relâche, et pour résister en même après
temps à l'invasion des Marocains, con- pour s'emparer de cette ville qui, ,
sons françaises sur ces deux points. Il En une commission spéciale, com-
effet,
prit possession d'Arzeu le 3 juillet la : posée de membres des deux chambres,
ville avait été abandonnée par les Ara- avait été nommée, le 7 juillet 1833, pour
bes; le 29 du même mois il entra à aller recueillir en Afrique tous les faits
Mostaganem. Chaque pas en avant propres à éclairer le gouvernement sur
que les circonstances nous forçaient de l'état du pays et sur les mesures que
faire pour mieux asseoir notre autorité réclamait son avenir. La mission de
produisait sur les tribus un effet salu- cette commission, mal interprétée,
taire, et les disposait à se rapprocher ; avait fait croire qu'on se disposait à
ainsi, après l'occupation d'Arzeu et de abandonner notre conquête; de là le dé-
Mostaganem, les importantes tribus des couragement, delà les fausses rumeurs
Douairs et des Zmélas entrèrent en pour- répandues parmi les tribus ennemies et
parlers pour faire leur soumission à la que l'occupation de Bougie détruisit.
France. Abd-el-Kader voulut tenter en- Traité du général Desmichels
core contre nous la fortune des armes; avec Abd-el-Kader. L'année 1834 —
il fut battu dans la plaine deMélata, à commença sous des auspices favorables.
er
Ain Bedha, le 1 octobre, et à Tamzouat Sur tousses points notre situation s'é-
le 3 décembre. Après ce dernier combat tait améliorée; le résultat fut particuliè-
les Douairs et les Zmélas se détachèrent rement sensible dans la province d'Oran,
tout à fait de sa cause. parce que là, les éléments hostiles à
Occupation de Bougie. —A
plu- notre domination étant organisés et
sieurs reprises des bâtiments français et concentrés sous l'autorité d'un seul
étrangers avaient été insultés à Bougie ; chef, la lutte était plus fréquente, mais
un brick de l'État ayant fait naufrage aussi le succès était plus durable. Après
dans la baie où ce port est situé, tout les brillants avantages remportés dans
l'équipage avait été massacré ; on savait la plaine de Mélata, le général Desmi-
que la ville était un foyer d'intrigue, non- chels s'était mis en communication avec
seulement avec l'intérieur, mais encore Abd-el-Kader, et s'efforçait de lui per-
avec les anciens chefs de la Régence; suader de négocier. L'émir ne tarda
enfin on apprit, vers le milieu du mois pas à accueillir avec faveur les ouvertures
d'août, que le bey de Constantine s'a- qui lui étaient faites. Le commandant
vançait vers Bougie pour s'en emparer. d'Oran espérait en traitant faciliter la
Ces causes et ces griefs déterminèrent le création d'un pouvoir fort, qui contien-
gouvernement français à occuper Bougie drait les Arabes et avec lequel les rela-
d'une manière permanente, pour ne pas tions soit pacifiques , soit hostiles , se-
laisser ce port important entre les raient plus avantageuses. De son côté,
mains des Kabiles. Le consul d'Angle- le jeune sultan comprit que la paix lui
terre, à la suite d'une insulte faite par était indispensable pour organiser sa
les Bougiotes à un bâtiment de sa na- puissance, sauf à tourner ses armes
tion avait annoncé que l'Angleterre se
, contre nous dès qu'il aurait fini de sou-
chargerait de châtier Bougie si la France mettre toutes les tribus et qu'il se se-
ne le voulait pas faire. On organisa une rait créé des troupes régulières. Après
expédition à Toulon; les ordres, partis des négociations prolongées, un traité fut
de Paris le 14 septembre, reçurent signé le 26 février 1834 (1). Le gouver-
promptement leur exécution ; lestroupes
mirent à la voile le 23, et le 29, après une (i) Nous croyons devoir transcrire ici en
attaque audacieuse de nos troupes et entier cet acte important :
L'UJNIVEPuS.
282
possessions françaises au nord de
nement approuva cette convention, ou les
que de l'Algébie. —
Les travaux de les troupes, un intendant civil , le
mandant de la marine,
coin-
un procureur
\
ils ne recevront que les marchandises néces- Le même acte statuait en outre que les
saires aux besoins de leurs habitants et possessions françaises dans le nord de
lier-,
,
sonne ne pourra s'y opposer ; ceux qui dési- l'Afrique seraient régies par ordonnan-
rent charger des marchandises devront se ces royales. Le général Drouet d'Erlon
rendre à la Mersa.
fut nommé gouverneur général et entra
3° Le général nous rendra tous les déser-
en fonctions le 26 septembre. M. Lepas-
teurs et les fera enchaîner. Il ne recevra pas
Le général comman- quier, préfet du Finistère, fut appelé à
non plus les criminels.
remplacer, comme intendant civil,
dant à Alger n'aura pas de pouvoir sur les
musulmans qui viendront auprès de lui avec M. Gentv deBussy.
le consentement de leurs chefs.
Situation. —
L'administration in-
4» On ne pourra empêcher un musulman térimaire du général Voirol, quoique'
de retourner chez lui quand il le voudra. contrariée par sa prolongation même, qui
Ce sont là nos conditions , qui seront revê- faisait peser sur elle un doute et une
tues du cachet du général commandant à incertitude fâcheux, avait produit des
Oran. résultats satisfaisants. Mais a mesure que
Conditions des Français. diminuaient, les chambres,
les difficultés
dominées par la préoccupation d'alléger
i° A
compter d'aujourd'hui les hostilités les dépenses de l'occupation, jusque-là
cesseront entre les Français et les Arabes. sans compensation, poussaient éner-
2 La religion et les usages des Arabes se- giquement le gouvernement dans la voie
ront respectés. des économies, et demandaient une ré-
3° Les prisonniers français seront rendus.
duction de l'effectif de l'armée. Cette
4» Les marchés seront libres.
impatience, à laquelle il fut impossible
5° Tout déserteur français sera rendu par
de résister absolument, vint arrêter le
Arabes.
les*
développement des progrès nouveaux
6° Tout chrétien qui voudra voyager par
en enlevant au gouverneur général une
terre devra être muni d'une permission re-
partie de ses soldats, seul et tont-puis-
vêtue du cachet du consul d'Abd-el-Kader et
de celui du général.
sant moyen d'action sur les tribus pour
Sur ces conditions se trouve le cachet du leur imposer, par lacrainte, des relations
grince des Grevants* pacifiques avec nous, En voyant réduire
ALGERIE. S83
le nombre des troupes françaises , le gé- d'Oran. Médéah même ne tarda pas à
néral d'Erîon voulut utiliser les indi- l'appeler dans ses murs, et une circons-
gènes, et proposa d'organiser un corps tance hâta encore l'arrivée d' Abd-el-Ka-
de spahis pour être affecté au maintien der dans la province d'Alger. Un mara-
de la tranquillité hors des villes. Cette bout, Hadj -Moussa, parti du Sahara,
création fut approuvée, et pour la com- s'avança vers Médéah suivi de plus de
pléter on donna au chef de ce corps, deux mille Arabes , rançonnant sur son
avec le titre d'agha , la direction des passage toutes les tribus qui avaient été
relations avec les tribus. en relations avec les Français; il força
Tous ces efforts ne demeurèrent pas les habitants à lui livrer la ville, et se di-
infructueux les rapports avec les Ara-
: rigea ensuite vers Miliana. Hadj-Moussa
bes étaient plus suivis et meilleurs. Le confondait dans les mêmes anathèmes
général Voirol avait organisé un bureau les chrétiens et Abd-el-Kader, qui avait
arabe, dont le capitaine de Lamoricière traité avec eux. L'émir marcha à sa
futnomméchefetqui réunit plusieurs of- rencontre, lui livra bataille, le défit
ficiers pleins de zèle et d'intelligence. complètement, et le contraignit à s'en-
Cette utile institution travaillait avec fuir dans le désert. Le vainqueur fut ac-
ardeur à reconstituer au milieu des tri- cueilli avec transporta Médéah; il con-
bus l'administration qui avait complè-
,
fia le commandement de la ville et du
tement disparu depuis la conquête. Les pays environnant à Mohammed ben Aïssa
indigènes étaient tellement las de la el Berkani , marabout de la tribu des
guerre et de l'anarchie, qu'ils étaient dis- Béni Menasser. La ville de Miliana et la
posés à accepter une organisation même contrée qui en dépend eut pour chef
sous notre direction. Malheureusement Hadj Segheir ben Ali Mbarek, marabout
ces bonnes dispositions trouvèrent des de Koiéah qui avait exercé la charge
,
lir; mais ils jugèrent prudent de consul- envoyés et les hommages des popula-
ter le gouverneur général, lui deman- tions dont il venait d'organiser l'admi-
dant ou de leur permettre de recon-
,
nistration.
naître un hakem qui serait nommé par Rupture avec Abd-el-Kader. •—>
à défaut de la France, trop éloignée et le traité de paix signé par lui une con-
presque toujours invoquée en vain , les fiance dangereuse. On dut le rappeler
tribus s'adressèrent à l'émir, qui venait d'Oran il fut remplacé par le général
;
au devant de leurs désirs et qui leur of- T.rézel, qui était alors chef d'état-major
frait la garantie d'une administration de l'armée d'Afrique»
fortement, organisée dans la province Le premier soin du nouveau comman*
284 L'UNIVERS.
daut fut d'adopter des dispositions vi- Abd-el-Kader, craignant que ces rap-
goureuses pour contenir les tentatives ports nouveaux entre l'autorité française
de l'émir et se préparer à une rupture et les tribus ne fussent d'un factieux
dès lors inévitable. Les Douairs et les exemple dans la contrée la plus rappro-
Zmélas , qui comptaient de nombreux chée d'Oran, prescrivit aux Douairset aux
et braves cavaliers, s'étaient ralliés à Zmélas de quitter le territoire qu'ils occu-
notre cause depuis longtemps ; Musta- paient et d'aller s'établir dans l'intérieur
pha ben Ismayl, leur chef, avait d'abord de la province. Les deux tribus, juste-
lutté avec succès contre Abd-el-Kader, ment alarmées de cette émigration forcée,
et l'émir n'avait pu vaincre son rival, résistèrent aux ordres de l'émir, et in-
représentant du parti de l'ancien gouver- voquèrent la protection française. Le
nement turc, qu'avec l'appui du géné- général Trézel signifia à Abd-el-Kader
ral Desmichels, qui lui avait fourni des
bestiaux, et de tous les produits, sera libre
armes et des munitions. Le brave Mus-
pour chacune de toutes les tribus soumises ;
tapha, qui devait devenir plus tard un
mais les marchandises destinées à l'exporta-
de nos plus précieux auxiliaires, s'était
tion ne pourront être déposées et embarquées
retiré à TIemsen, dans le Méchouar, où
que dans les ports qui seront désignés par le
les coulouglis tenaient encore contre gouverneur général.
Abd-el-Kader. Les Douairs et les Zmé- Art. 6. Le commerce des armes et des mu-
las savaient que le général Desmichels nitions de guerre ne pourra se faire que par
avait été blâmé pour le secours prêté à l'intermédiaire de l'autorité française.
leur ennemi; ils espéraient que le géné- Art. 7. Les tribus fourniront le contingent
ral Trézel rendrait plus de justice à leur ordinaire toutes les fois qu'elles serout ap-
passé, et ils demandèrent qu'on prît avec pelées par le commandant d'Oran à quelque
eux un engagement formel. Ces tribus, expédition militaire dans les provinces d'A-
qui constituaient le makhzen ( force frique.
administrative des anciens beys ), éprou- Art. 8. Pendant
la durée de ces expédi-
vaient la plus vive répugnance à s'unir tions , les armés de fusil et de ya-
cavaliers
à Abd-el-Kader, qu'elles avaient connu taghans recevront une solde de deux francs
par jour. Les hommes à pied armés d'un
pauvre et sans importance; elles appré-
fusil recevront un franc. Les uns et les autres
hendaient les représailles des partisans
apporteront cinq cartouches au moins. Il
du nouveau sultan qu'elles avaient au-
,
leur sera délivré de nos arsenaux un supplé-
trefois aidé les Turcs à pressurer. C'était
ment de dix cartouches. Les chevaux des tri-
donc leur intérêt de se lier à nous le plus bus soumises qui seraient tués dans le com-
étroitement possible. Quant à nous, bat seront remplacés par le gouvernement
nous avions tout avantage à acquérir français.
des auxiliaires dont la fidélité nous était Lorsque les contingents recevront des vivres
garantie par leurs antécédents politiques des magasins français , les cavaliers et les fan-
et par leurs préjugés. Le général Trézel tassins ne recevront plus que cinquante cen-
signa donc avec eux un traité (1). times par jour.
Art. 9. Les tribus ne pourront commettre
(i) Conditions arrêtées le 16 juin i835 au d'hostilités sur les tribus voisines que dans le
camp du figuier, entre le général Trézel et cas où celles-ci les auraient attaquées, et
les Douairs et Zmélas. alors le commandant d'Oran devra en être
Art. i er Les tribus reconnaissent l'auto-
. prévenu sur-le-champ, afin qu'il leur porte
rité du roi des Français et se réfugient sous secours et protection.
son autorité. Art. 10. Lorsque les troupes françaises
Art. 2. Elles s'engagent à obéir aux chefs passeront chez les Arabes, tout ce qui sera
musulmans qui leur seront donnés par le gou- demandé pour la subsistance des hommes et
verneur général. des chevaux sera payé au prix ordinaire et
Art. 3. Elles livreront à Orau , aux épo- de bonne foi.
ques d'usage le tribut qu'elles payaient aux
, Art. 11. Les différends entre les Arabes
anciens beys de la province. seront jugés parleurs kaïds ou leurs kadhis;
Art. 4. Les Français seront bien reçus mais les affaires graves de tribu à tribu se-
dans les tribus, comme les Arabes dans les ront jugées parlekadhi d'Oran.
lieux occupés par les troupes françaises. Art. 12. Un chef sera choisi dans chaque
Art. 5. Le commerce des chevaux , des tribu et résidera à Oran avec sa famille.
,
ALGÉRIE. 285
qu'il eût a respecter nos alliés. En même minaient Les cavaliers occu-
le défilé.
temps il rassembla les forces dont il paient la route et tous les espaces un peu
pouvait disposer avec tant de prompti- découverts. Les troupes françaises abor-
tude, qu'il arriva au milieu du campement dèrent ces positions difficiles avec tant
des Douairs et des Zmélas au moment d'élan que les Arabes durent reculer ;
où les agents d'Ab-el-Kader saisissaient mais ils revinrent bientôt à la charge.
les principaux chefs de ces tribus et Cependant, malgré leurs efforts, la vic-
commençaient à faire opérer le mouve- toire nous resta; elle nous coûta des
ment de' retraite vers l'intérieur. Cet pertes sensibles; le brave colonel Ou-
événement devint le signal de la reprise dinot, fils du maréchal duc de Reggio,
des hostilités. trouva la mort dans ce premier com-
Affaire de la Macta. — Les Arabes bat. Après ce brillant succès, le général
se préparaient à la guerre depuis plu- Trézel établit son camp sur le Sig, et re-
sieurs mois. Les difficultés soulevées çut bientôt des envoyés d' Abd-el-Kader,
par l'interprétation du traité faisaient qui, tout en protestant de son amour
prévoir à Abd-el-Kader une rupture pour la paix, ne voulut pas pourtant
prochaine. Il la désirait, parce que les souscrire aux conditions proposées (l).
prédications fanatiques contre les chré- Unseul jour consacré au repos donna
tiens, l'exaltation des passions reli- le temps aux cavaliers arabes dispersés
gieuses en faveur de la guerre sainte de se rallier, et permit à l'émir de cons-
étaient encore pour lui les plus puis- tater que la colonne française, embar-
sants moyens d'imposer son autorité aux rassée d'un nombreux convoi d'approvi-
tribus, de faire taire leurs rivalités, de sionnements et de blessés, n'avait plus
les grouper pour une action commune, toute la liberté de ses mouvements pour
et de leur demander des contributions combattre. Le général pressentit, de son
sous prétexte des préparatifs à faire côté , qu'il s'était engagé trop avant, et
pour la guerre. L'origine du pouvoir qui résolut de se retirer sur Arzeu , en sui-
lui avait été transmis par son père, (la vant les rives du Sig, qui prend le nom de
nature même de la vénération qu'on lui Macta, après sa jonction avecl'Habra.
avait vouée, le condamnaient pour ainsi On se mit en marche le 28; bientôt
dire à rompre le traité que les Arabes l'armée se trouva resserrée dans un pas-
les plusdévoués n'acceptaient que sage étroit, formé à droite par les bords
comme une suspension d'armes. On a marécageux de la Macta, à gauche, par
vu d'ailleurs que le marabout du désert, des collines très-boisées; c'était le
battu par l'émir à Médéah, avait levé une point choisi par Abd-el-Ivader pour nous
armée assez forte pour le combattre, assaillir. Il fallut porter des troupes
en l'accusant d'être l'allié des chrétiens. nombreuses sur les hauteurs, pendant
D'un autre côté, les indigènes n'avaient que l'avant-garde débarrassait la route ;
pas encore enduré de grands maux; l'ennemi , voyant le convoi protégé par
le fanatisme n'avait perdu qu'une faible une faible arrière-garde, l'attaqua avec
partie de ses illusions, après les échecs fureur. Les Arabes, se précipitant dans
essuyés dans les attaques contre les un intervalle laissé à découvert par la
troupes françaises. Aussi toutes les tri- cavalerie , atteignirent plusieurs voitu-
bus répondirent avec ardeur à l'appel res de blessés, et massacrèrent nos mal-
de leur sultan, et lui fournirent des con- heureux soldats. Les troupes qui sui-
tingents nombreux. Pendant la paix nous vaient, se croyant coupées, se déban-
avions nous-mêmes donné des armes et dèrent. En un instant le désordre fut
des munitions de guerre à toutes les tri- à son comble. Dès ce moment la marche
bus de l'émir. delà colonne devint une véritable dé-
Le 26 juin J835 le général Trézel route; après des efforts inouïs, quel-
mit sa coionneen mouvement, et parvint, ques dévoués purent cependant
officiers
sans rencontrer l'ennemi, jusqu'à un dé- rallierde petits détachements et faire
filé dans la forêt de Muley-Ismayl, sur la franchir ce passage funeste. Enfin , on
route de Mascara. L'infanterie arabe
s'était embusquée dans les pentes très- (i) Voyez Annales algériennes, par M. Pel-
roides et couvertes débroussailles qui do- lissier, a e vol., pag. 267 et suiv.
280 L'UNIVERS.
nos* avant-postes. Les coulouglis qui l'abandon fut décidé. Les troupes s'éloi-
étaient enfermés dans le Méchouar de gnèrent le 8 décembre après avoir dé-
,
Tlemsen, avec Mustapha ben Ismayl, truit, ou mis hors de service, l'artillerie
se défendaient bravement contre les et le matériel qu'on trouva dans la place.
partisans de l'émir; mais leur position L'armée emmena à sa suite la popula-
devenait de jour en jour plus critique, et tion juive de la ville et quelques Arabes
depuis l'échec de la Macta ils implo- alliés qui redoutaient les vengeances de
raient avec instance les secours de la l'émir. Au retour, le corps expédition-
France. naire ne rencontra pas d'ennemis;
Expédition de Mascara. — Les mais un temps épouvantable, qui s'é-
préparatifs terminés, l'armée se mit en tait déclaré depuis le jour de l'entrée à
mouvement le 26 novembre. Elle comp- Mascara , avait rendu les routes imprati-
tait huit mille hommes, dont mille indi- cables et on ne put arriver à Mosta-
,
gènes, tant cavaliers arabes, que fan- ganem que le 12 décembre, après avoir
tassins turcs ou coulouglis, sous les or- subi les plus pénibles privations et les
dres d'Ibrahim, kaïd de Mostaganem. plus dures fatigues. Le duc d'Orléans
Le duc d'Orléans, prince royal, suivait s'embarqua à Mostaganem pour rentrer
l'expédition. On
arriva sur les bords du en France.
Sig, sans rencontrer de résistance. Le La prise de Mascara avait détaché du
er parti de l'émir quelques chefs arabes,
1 décembre le maréchal Clauzel con-
duisit en personne- quelques troupes notamment Êl-Mézary, qui consentit à
contre un parti d'Arabes établi sur servir comme lieutenant du kaïd Ibra-
l'Habra. Après une courte résistance him, institué bey de Mostaganem. Ce-
l'ennemi s'enfuit dans la montagne ; les pendant ,malgré la destruction de sa
engagements qui suivirent, quoique capitale, la puissance d 'Abd-el-Kader
peu importants, coûtèrent cher aux n'avait pas été sérieusement ébranlée; il
Arabes, et la plupart des tribus abandon- n'attendait que le moment de la retraite
nèrent le camp de l'émir. L'armée con- des Français pour reparaître. Il con-
tinua sa marche, et entra à Mascara le tinua de taire inquiéter les tribus ral-
5 décembre. En quittant sa capitale, liées à notre cause et rassemblées autour
Abd-el-Kader avait forcé les habitants d'Oran; quant à lui, il se porta de sa
à émigrer et avait donné ordre de met- personne, à la tête de forces considéra-
tre le feu à toutes les maisons. Nos bles, sur Tlemsen, dans l'espoir de chas-
soldats, en pénétrant dans la ville, furent ser définitivement les coulouglis et Mus-
obligés de faire de grands efforts pour tapha ben Ismayl du Méchouar. A la nou-
éteindre l'incendie qui s'était déjà dé- velle de ce mouvement, ,1e maréchal
claré sur plusieurs points (1). Clauzel, qui avait eu un instant la pensée
Le but principal de l'expédition contre de négocier avec l'émir, ne songea plus
Mascara avait été d'établir le kaïd Ibra- qu'à aller porter secours aux défenseurs
him avec le titre de bey et de lui créer de la citadelle de Tlemsen , si constants
une position assez forte pour contre- dans leurs sympathies pour notre cause.
balancer la puissance d'Abd-el Kader. Expédition de Tlemsen. — Le
Mais les tribus voisines ne tirent aucun corps d'armée s'était rendu de Mostaga-
acte de soumission. Ibrahim ne pouvait nem à Oran. Après quelques jours consa-
se maintenir dans une ville ouverte, avec crés au repos, il se mit en route pour
le peu de Turcs qui le suivaient. L'ef- Tlemsen, le 9 janvier. Abd-el-Kader avait
fectif de l'armée n'était pas assez consi- fait une trop rude expérience de la valeur
dérable pour en détacher une garnison de nos soldats et de l'habileté de leur chef
qui aurait occupé Mascara. D'ailleurs, pour affronter encore la chance des
on venait d'acquérir la preuve qu'on ne combats. Il n'osa tenter ni de défendre la
pouvait entretenir avec ce point que ville ni de venir arrêter la marche de la
colonne; il s'éloigna de Tlemsen pen-
(i) Voyez annales algériennes, par M. Peî- dant la nuit, après avoir enjoint à la
liss'ier, 3 e vol., pag. 21 et suiv. population de le suivre. Les coulouglis
288 L'ÎWIVKRS.
du Méchouar et les chefs des Angads, des Kabiles et quelques Marocains.
tribu depuis longtemps hostile à l'émir, Après deux engagements des plus vifs,
se réunirent pour se porter à la rencontre dans lesquels il éprouva des pertes con-
des Français. Les deux troupes se joi- sidérables, l'ennemi se retira à quelque
gnirent à quelques kilomètres en avant distance. Le gouverneur général, ayant
de Tlemsen, et entrèrent dans la ville le rencontré une résistance plus grande
13janvier. On trouva dans les maisons qu'il ne s'y attendait, inquiet d'ailleurs
abandonnées de grands approvisionne- de la présence des Marocains, jugea
ments de blé et d'orge qui pourvurent prudent de ne pas pousser sa recon-
largementauxbesoinsde l'armée pendant naissance plusloin, et regagna Tlemsen.
le long séjour qu'elle lit sur ce point (1). Avant de retourner à Oran, le maré-
Abd-el-Kader était campé à huit chal Clauzel compléta l'armement des
kilomètres à l'est de Tlemsen ; il rete- coulouglis il organisa un bataillon de
,
nait auprès de lui les habitants, auxquels cinq cents soldats français pour tenir
il avait persuadé que les troupes fran- garnison dans le Méchouar, et en confia
çaises ne resteraient pas au delà de trois le commandement au capitaine du génie
jours dans la ville, comme cela était ar- Cavaignac; il institua un bey indigène
rivé pour Mascara. Le maréchal Clauzel pour gouverner le pays. Pendant son
voulut se débarrasser de ce dangereux séjour à Tlemsen le maréchal prit une-
,
voisinage ; deux colonnes furent orga- mesure des plus regrettables. Il imposa
nisées pour poursuivre l'émir; on leur à la population une contribution de
adjoignit les Turcs et les coulouglis du 150,000 francs pour payer les frais de
Méchouar, sous les ordres de Mustapha la campagne. Les procédés barbares
ben Ismayl, quatre cents cavaliers employés pour la perception de cette
douairs et zmélas, commandés parÊl- somme atteignirent les coulouglis , qui
Mézary, et quatre cents cavaliers des s'étaient montrés jusque-là nos plus fidè-
Angads. Abd-el-Kader n'attendit pas nos les amis et les habitants rentrés sur no-
troupes; il se retira précipitamment, tre invitation, et sur les approvisionne-
abandonnantsesbagages; nos auxiliaires ments desquels l'armée vivait depuis son
atteignirent toutefois son infanterie , et entrée à Tlemsen. La rigueur fiscale qui
la mirent en déroute. L'émir, vivement fut déployée en cette circonstance nous
poursuivi, ne dut la vie qu'à la vitesse de aliéna le cœur de nos partisans , et éloi-
son cheval. En rentrant à Tlemsen la gna de nous les indigènes , que nos suc-
colonne ramena une partie de la popula- ces militaires avaient disposés à se sou-
tion fugitive. mettre. La colonne française partit pour
L'ancien kaïd de Tlemsen s'était ré- Oran 7 février, et rentra dans cette
le
fugié chez les Kabiles qui habitent la rive ville le 12,après avoir facilement dis-
gauche de la Tafna, et cherchait à y or- persé les cavaliers arabes qui tentèrent
ganiser des forces pour nous attaquer. Le d'inquiéter sa marche.
gouverneur général ne voulut pas laisser État de la province d'Alger. —
se développer ces germes derésistance;il La province d'Alger était loin d'être
dirigea une forte colonne vers le confluent paciliée.Avant d'entreprendre ses opé-
de Tisser et de la Tafna , avec le projet, rations sur Mascara et Tlemsen , le ma-
après avoir dispersé les Kabiles, de s'as- réchal Clauzel avait essayé de placer
surer si la route qui liait Tlemsen à la Miliana , Cherchel et Médéah sous l'au-
mer était praticable. Notre établisse- torité de beys nommés par la France.
ment à 111e de Rachgoun n'était éloigné Les indigènes investis , sans influence
de Tlemsen que de quarante kilomètres. sur la population, ne pouvaient lutter
Arrivé sur les bords de la Tafna, le ma- contre l'ascendant qu'Abd-el-Kader
réchal trouva devant lui Abd-el-Kader, exerçait partout ; aucun d'eux ne put
déjà remis des échecs qu'il venait d'es- se faire recevoir dans son commande-
suyer et ayant réuni les guerriers des ment ; et comme nous n'avions pas de
tribus des Hacuem et des Béni Amer, troupes disponibles pour les appuyer,
cette tentative d'organisation tourna en-
(i) Yoyez Annales algériennes, parM.Pel- tièrement à notre confusion. Cependant
Jissier, 3 e vol., pag. 47 et suiv. lorsque la nouvelle de nos succès mili-
ALGÉRIE 289
riesEuropéens prirent une activité nou- chel , à Mascara enfin en dernier lieu
,
attaques dirigées sans résultat contre mis. Malgré ces événements, qui don-
nos positions, semblaient avoir conclu naient un grand ascendant aux amis
une espèce de trêve avec nos troupes. d'Abd-el-Kader, les tribus habitant à
Mais ils étaient en proie à des luttes l'est de la Métidja refusaient d'épouser
intestines. Un parti s'était formé qui sa cause et préféraient venir vendre
voulait vivre en bonne intelligence avec leurs produits sur le marché d'Alger.
nous et fréquenter le marché de la ville; Province d'Oran. — Après son
toutes les fois qu'il essayait d'entrer en retour de Tiemsen, le gouverneur
pourparlers une opposition violente
, général avait laissé le commandement
éclatait pour lui contester le droit de au général Perregaux, avec ordre de
traiter avec Bougie. Malheureusement poursuivre sans relâche les tribus hos-
la configuration du sol, les habitudes tiles et de protéger celles qui avaient
guerrières des populations, le peu de fait leur soumission. Nos premières opé-
forces qui gardaient la ville, ne nous rations furent dirigées contre les Gha-
permettaient pas d'intervenir pour aider raba, qui avaient attaqué les Douairs
les partisans de la paix à triompher de et les Zméla ; le général se porta en-
leurs adversaires. Cet état de choses se suite sur l'Habra et dans la vallée du
prolongea, et fut quelquefois interrompu Chélif, jusqu'au confluent de la Mina,
par des agressions partielles contre nos à cent vingt kilomètres à l'est d'Oran.
avant-postes quand le parti des fanati-
, Les tribus dont la colonne traversait le
ques parvenait à dominer, pour un ins- territoire s'empressaient de faire leur
tant, les résolutions des tribus les plus soumission, et venaient nous apporter
rapprochées de la ville. des vivres. Cette reconnaissance, qui
19 e Livraison. (Algérie.) 19
L'UNIVERS.
290
cons- 6 juin. Leur effectif était de quatre mille
dura vingt jours et qui permit de
des Arabes, cinq cents hommes. Dès le 11 juin tout
tater les bonnes dispositions
était prêt pour prendre l'offensive (1).
demeura cependant stérile. Le rappel
division Mais, avant de se diriger vers Tlemsen,
d'une partie des troupes de la
le général Bugeaud voulut parcourir
le
nos
d'Oran nous força d'abandonner
pays dans plusieurs directions, dans
nouveaux alliés qui furent dans la né-
l'espoir de rencontrer l'ennemi et de
,
ser une reconnaissance dans la direc- la conquête, notre armée n'avait livré
tion indiquée. Dans la nuit du 24 au 25 une bataille aussi importante; c'était
aussi la première fois qu'un si
grand
avril , il sortit du camp et se trouva au
!
troupes françaises, dont l'effectif attei- baient entre nos mains. L'émir, décou-
gnait à peine' quinze cents hommes, fu- ragé , privé de ressources , se retira a
rent assaillies avec fureur par plus de dix Nedroma, où il rallia les débris de son
mille Kabi les ou A rabes ; elles opposèrent armée. Notre organisation militaire ne
une résistance héroïque, et firent re- nous permettait pas alors de le pour-
notre
traite en bon ordre jusqu'aux retranche- suivre, et de compléter l'effet de
victoire. Aussi peu de temps après il ,
ments. Nos pertes s'élevèrent à vingt- ,
tàntine. Peu de jours après son retour donner une entreprise depuis longtemps
d'Oran maréchal Clauzel quitta Al-
, le annoncée, ou de l'exécuter avec des
ger et se rendit à Paris pour défendre à moyens insuffisants, le gouverneur
la tribune les intérêts de nos possessions général s'arrêta à ce dernier parti. Il
d'Afrique que des projets de réductions était d'ailleurs trompé sur les disposi-
sur le budget de la guerre menaçaient tions des tribus en faveur de notre bey;
sérieusement. ïl trouva un chaleureux et il comptait trouver des secours de
appui dans le président du conseil des toutes sortes de la part de nos auxiliai-
ministres, qui approuva ses plans pour res. On croyait généralement que notre
l'extension de notre domination, et l'au- armée n'aurait qu'a se montrer pour
torisa à diriger une expédit ion sur Cons- obtenir la soumission de la plupart des
tantine. Revenu à Alger au mois d'août tribus , et que les autres ,fatiguées
1836, le gouverneur général s'occupa de la tyrannie odieuse d'EI-Hadj-Ah-
avec activité des mesures préparatoires. med, garderaient une neutralité indif-
Les opérations qu'il allait faire dans l'est férente.
l'obligeaientàdégarnirde troupes la pro- Sur la foi de ces espérances , l'autori-
vince d'Alger. Pour parera cet inconvé- sation d'agir fut accordée. Bientôt ar-
nient, il établit un nouveau camp sur la rivèrent à Bône le duc de Nemours et le
Chiffa , alin de protéger la plaine contre maréchal Clauzel. Le prince devait assis-
les incursions des Hadjoutes il organisa
; ter à l'expédition sans exercer de com-
en outre, sous le nom de milice africaine, mandement militaire. C'était un témoi-
une garde nationale comprenant tous
, gnage de confiance donné par le cabinet
les individus âgés de dix huit a soixante au gouverneur général. Le corps expé-
ans. Dans le territoire de Bône, la do- ditionnaire , fort de neuf mille cent
mination avait fait des progrès réels. trente sept hommes se mit en marche
,
Le chef d'escadron Jousouf, qui servait le 8 novembre; le 15, il campa sur les
dans ies troupes irrégulières, avait été ruines d'une ancienne ville romaine,
nommé bey de Constantine, en rempla- située au bord de la Seybouse et connue
cement d'EI-Hadj-Ahmed, dont on avait sous le nom de Guelma. L'enceinte
prématurément annoncé la mort. Dès d'une forteresse en assez bon état de
,
le 3 mai un camp avait été formé à conservation, permit d'y établir une
Dréan sur la route de Constantine, à
, garnison et d'y laisser à peu près deux
six lieues de Bône. Cette mesure avait cents soldats trop fatigués pour pouvoir
facilité les opérations de notre bey, qui suivre plus loin l'armée. La colonne
chaque jour détachait de nouvelles tri- n'éprouva aucune résistance de la part
bus de la cause d'EI-Hadj-Ahmed. On des indigènes; mais quand elle prit po-
occupa aussi sans éprouver de résistance sition , le 21, sous les murs de Constan-
le port de la Calle, où les souvenirs des tine elle avait déjà supporté des torrents
anciens établissements du Bastion de de pluie mêles de grêle et de neige; les
France étaient encore vivants dans l'es- bagages enfoncés dans une mer de boue
prit de la population indigène. n'avaient atteint le bivouac qu'avec les
Pendant que le gouverneur préparait plus grandes difficultés. L'hiver, qu'on
l'exécution de ses projets, le cabinet fut avait cru jusque là si doux en Afrique,
changé; et le nouveau ministère, n'adop- s'annonça tout à coup avec des rigueurs
tant pas les idées d'agrandissement du inouïes. "Le froid devenait de plus en
côté de Constantine, prescrivit de se ren- plus vif, et le pays était entièrement dé-
fermer dans la limite des crédits votés pourvu de bois.
par les chambres, et refusa d'accorder La position de Constantine sur un
,
au maréchal Clauzel toutes les troupes rocher élevé, entouré par le Roumel
de renfort qui lui avaient été précédem- qui coule dans des ravins très-profonds
ment promises. Le maréchal menaça et à pic , n'était abordable que d'un seul
de résigner son commandement; le cabi- côté. En reconnaissant ces obstacles,
net lui répondit par l'envoi en Afrique dont on n'avait pas pressenti toute la
du général Damrémont pour prendre sa gravité, le maréchal Clauzel ne se sentit
succession, dans le cas où il persisterait pas découragé ; bercé encore par ies il-
à. se retirer. Dans l'alternative d'aban- lusions que les promesses de notre bey
19,
,
2<)2 L'UNIVERS.
avaient fait naître dans son esprit, il es- riva à Guelma le 28 novembre et se re-
péra qu'une attaque vigoureuse déter- plia lentement sur Bône (I).
minerait les partisans que nous avions L'issue si déplorable de cette expédi-
dans la ville à agir et à amener la reddi- tion n'exerça pas dans la province d'Al-
tion de la place. Les journées du 22 et ger une influence aussi fâcheuse qu'il
du 23 furent employées à canonner la y avait lieu de le craindre. Dans l'ar-
place et à repousser les efforts, peu re- rondissement de Bône, l'établissement
doutables, de quelques Arabes qui vin- formée Guelma contint l'audace des in-
rent assaillir nos troupes dans leurs po- digènes. Après le premier enivrement
sitions. On apprit qu'EI-Hadj Ahmed produit par un succès aussi inespéré,
avait quitté la ville, et qu'il avait confié nos ennemis pressentirent quela France
sa défense à son lieutenant Ben-Aïssa, ne manquerait pas de tirer vengeance
avec un corps de fantassins kabiles sous de l'affront que venait de subir ses ar-
Dans la nuit du 23 au 24 no-
ses ordres. mes. Nous avions été vaincus par les
vembre, deux attaques furent dirigées intempéries, plus que par les hommes.
simultanément contre deux portes de la Un moment dans toute l'Algérie les
ville, l'une commandée par le général hostilités, ayant un caractère un peu gé-
ïrézel, rappelé depuis le 1 er octobre néral , furent suspendues dans l'attente
précédent à l'armée d'Afrique, l'autre des événements qui allaient s'accomplir.
par le lieutenant-colonel Duvivier. Elles La fortune avait donné tort au maréchal
échouèrent toutes deux, et coûtèrent la Clauzel dans son dissentiment avec le
vie à plusieurs braves officiers. cabinet, il fut rappelé: il s'embarqua
Après l'insuccès de ces deux tentati- le 12 janvier 1837, et laissa au général
ves, aucun espoir ne restait d'emporter Rapatel le commandement par intérim.
Constantine de vive force. Un plus long Dans le courant du mois d'octobre de
séjour devant ses murs était impossible. cette année, M. Bresson avait été ap-
Les approvisionnements et les muni- pelée l'intendance civile, en remplace-
tions de guerre étaient épuisés ; chaque ment de M. Genty de Bussy. Le 12 fé-
heure, sous l'influence du froid, des pri- vrier suivant, général Damrémont fut
le
vations de toutes sortes , le nombre des nommé gouverneur général des posses-
combattants diminuait; le matériel était sions françaises dans le nord de l'Afri-
hors de service. Que pouvait le plus que.
brillant courage, la valeur française
elle-même contre les éléments conju-
,
Gouvernement du général Damrémont. '
se flatter d'avoir inquiété sérieusement (x) Voyez Annales algériennes, par M. Pel-
la marche de notre colonne. L'armée ar- lissier, 3 e vol., pag. 149 et suiv.
ALGÉRIE. 293
taires. Le général Bugeaud fut appelé sions à l'ouest, notre colonne ne rencon-
de nouveau au commandement de la tra aucun obstacle sérieux. A l'est,
division d'Oran , dans l'espoir que l'é- un petit poste fut établi à Boudouaou
clat de ses succès de l'année précédente pour couvrir la Métidja. Une expédition
faciliterait peut-être la conclusion d'un fut dirigée vers la fin de mai contre les
arrangement avec l'émir. Isser et les Amraoua, qui reçurent dans
Événements de la province d'Al- leurs montagnes le châtiment de leurs
ger. — Tous de notre redou-
les efforts méfaits. Lorsque plus tard, réunis aux
table adversaire qui s'attendait à être
,
Kabiles, ilsattaquèrent le camp de
attaqué dans l'ouest, portèrent sur la pro- Boudouaou, éprouvèrent des pertes
ils
294 L'UNIVERS.
l'émir pour le lendemain une entrevue major seulement très en avant du lieu
,
dans un lieu situé entre les deux camps. indiqué; mais il conserva dans cette en-
Le général Bugeaud ne put rencontrer trevue, par la franchise de son langage,
faits de la paix. Car, dès que la voix du mours avait sollicité la faveur de venir
fanatisme se tait, l'Arabe ressent dans partager, comme l'année précédente,
son cœur un très- vif amour pour la paix; les périls de nos soldats; il marchait à
c'est toujours avec bonheur qu'il re- l'avant-garde. On arriva devant Cons-
trouve la liberté de se livrer à ses tra- tantine le 6 octobre , sans avoir rencon-
vaux agricoles et d'employer ses armes tré l'ennemi. D'immenses pavillons
à poursuivre la réparation de ses griefs étaient arborés sur les remparts, pour
particuliers. marquer la résolution des habitants d'op-
Bône et les camps échelonnés sur la poser une résistance acharnée; dès que
route de Constantine, Dréan,Nechmeya, les troupes parurent sur un terrain dé-
Hammam-Berda, Guelma, se remplis- couvert, le feu de la place commença.
saient detroupesetd'approvisionnements En se trouvant sur ces lieux, où leurs
de toutes sortes. Ahmed-Bey, effrayé par camarades avaient essuyé de si terribles
les préparatifs formidables dirigés con- fatigues nos soldats sentirent redoubler
,
tre sa capitale, songea à négocier, et lit leur ardeur; on se mit à l'ouvrage avec
pressentir le gouverneur général ; les un zèle que le mauvais temps ne put ra-
envoyés reçurent communication des lentir. Dans la journée du 9 trois batte-
conditions qui devaient servir de base à ries étaient armées sur le plateau de
un arrangement pacifique. Le bey de Mansoura, et ouvrirent leur feu. On éta-
Constantine ne se hâtait pas de répondre, blit ensuite une batterie de brèche à
et semblait vouloir gagner du temps. quatre cents mètres des murs de la
Pour lui faire connaître qu'on était ré- ville , du côté de la porte appelée Bab-
solu à en finir avec lui cette année même, el-Oued; le 11 elle était achevée. Avant
Je général Damrémont établit, le 17 juil- de commencer à battre en brèche le ,
Combes, arriva à son tour sur le théâtre de l'année 1837 furent entièrement con-
où la lutte était la plus acharnée. L'ac- sacrés à l'organisation de notre autorité \
valeur de nos troupes en assurèrent bien avait achevé la ruine de l'ancien gouver-
vite le succès. La place se rendit. Le dra- nement de la Régence. Abd-el-Kader
peau français flotta sur ces murailles, n'avait pas encore étendu son influence
devant lesquelles pendant l'expédition
,
jusque dans ces contrées. Depuis long-
de 1836, nos soldats avaient enduré temps un nombre considérable de tribus
tant de fatigues et tant de souffrances. situées autour de Constantine suivaient
La victoire fut chèrement achetée. Le les chances de la fortune de la capitale :
ne vîmes pas le -vide se faire autour de mar, pour appuyer l'autorité des chefs
nous et les populations fuir notre au- investis par nous et pour recueillir les
torité. impôts. Comme on le voit, nous étions
Les institutions municipales de la ville entrés dans une voie toute nouvelle à
furent conservées; mais on créa un con- l'égard des indigènes. Jusque alors on
seil composé de fonctionnaires français s'était contentéde les dominer en évitant,
et de notables indigènes pour diriger et avec un soin peut-être trop timide , de
surveiller l'ensemble des affaires. L'au- faire peser sur eux les charges ordinaires
torité publique fut confiée, tant pour la du commandement; maintenant on com-
ville que pour les tribus, au fils du mençait des tentatives pour les organi-
Cheikh-el- Islam , ou chef de la reli- ser et les administrer. A cette époque la
gion avec l'espoir que le nom vénéré
, garnison de la Calle fut renforcée, et les
et la haute renommée de piété de ce per- bateaux employés à la pêche du corail
sonnage nous aideraient à calmer l'agi- vinrent en grand nombre fréquenter ce
tation inévitable qui suit toujours un port. L'occupation et la politique pre-
changement de régime. Pouvions-nous naient pour la première fois un caractère
donner un meilleur témoignage de notre de fixité, d'esprit de suite et de prévision
respect pour les traditions et pour la re- qui annonçait qu'un gouvernement al-
ligion des vaincus? On forma un batail- lait enfin se fonder pour le pays.
lon indigène avec les soldats qui avaient Mouvements d'Abd-el-Kadek. —
composé les troupes régulières d'Ahmed- Dans les provinces d'Oran et d'Alger
Bey. Placés sous le commandement d'of- la guerre avait cessé par suite du traité
ficiersfrançais, ces indigènes, dont le de la Tafna. L'exécution de cette con-
plus grand nombre avaient leur famille vention avait suscité de nombreuses
dans Constantine, rendirent des servi- difficultés. Aucunes des contributions
ces incontestables. Le gouvernement se stipulées n'avaient été acquittées par
préoccupa aussi , dès l'origine de l'oc- l'émir, malgré les vives et instantes ré-
cupation , de la nécessité de créer une clamations du général Bugeaud, qui avait
voie de communication plus courte entre quitté Oran au mois de décembre 1837
Constantine et la mer. Bône était situé sans avoir pu obtenir un acte décisif
à plus de dix-sept myriamètres de cette pour l'observation de ces charges. Abd-
place; tandis que la rade de Stora el-Kader avait envoyé un oukil ou repré-
n'en était éloignée que d'un peu plus de sentant à Oran, et avait reçu un agent
sept myriamètres. Après les premières français à Mascara ; mais iï n'avait pas
excursions faites dans le pays, sans ren- encore nommé des commissaires pour
contrer nulle part une résistance sé- procéder à la délimitation du territoire,
rieuse, le général Négrier, qui venait de quoiqu'il se fût engagé à avoir lui-même
succéder au colonel Bernelle, avait, à la une entrevue à ce sujet avec les autorités
linde janvier 1837, recueilli la soumis- françaises au mois d'octobre 1837. La
sion de plus de cent tribus. question des limites était très-impor-
Au moisde mars la petite ville de Mi- tante; Abd-el-Kader exploitait l'obscu-
lan, situéeàquarante kilomètres au nord- rité du texte, pour s'étendre dans l'est,
est de Constantine , fut occupée dans et éludait sans cesse nos propositions
le but de surveiller les populations ka- de règlement. Au mois de décembre 1 837
biles des montagnes, et de préparer les il avait placé son camp dans le voisinage
relations qui pourraient être nouées plus de Hamza, où il avait reçu la soumission
tard, soit vers le nord en allant à Djidjeli, de toutes les tribus de ces contrées.
soit vers l'est dans la direction de Sé-
, Bientôt le gouverneur général apprit
tif. Dans le courant d'avril le général qu'un chef appartenant à une des plus
Négrier poussa une reconnaissance jus- grandes familles de la Medjana s'était
qu'à Stora , et on commença dès lors à mis en relation avec l'émir, et avait été
travailler à cette route en établissant investi par lui du titre de khalifa (lieu-
298 L'UNIVERS.
donner à cette opération toutes les chan- garnison de Djemilah dans les retranche- ,
seraient transmises de Hamza. Le mou- tous les points des montagnes du litto-
vement des troupes devait commencer à ral. Un régiment, conduit par le colonel
Alger dans les premiers jours du mois d'Arbouvilie, arriva bientôt pour déga-
de décembre; mais, une pluie froide et ger Djemilah; l'ennemi ne l'attendit
continue ayant rendu les chemins im- pas. Cependant le commandant de la
praticables, l'opération ne put avoir lieu. province, ayant reconnu que les commu-
Cependant, le général Galbois s'était nications étaient presque impossibles
mis en route pour Sétif. Le mauvais pendant l'hiver avec ce poste , ordonna
temps ralentit et contraria aussi sa de l'évacuer.
marche , et il ne put atteindre Sétif que Gouvernement de l'émir. — Au-
le 15 décembre. Sétif n'offrait plus cun digne d'être mentionné ne si-
fait
qu'un amas de ruines, au milieu des- gnala la fin de Tannée 1838 dans les deux
quelles subsistait encore l'enceinte assez autres provinces. Abd-el-Kader, revenu
bien conservée de l'ancienne citadelle deson expédition contre Aïn-Madhy, qui
reconstruite par les Grecs après la con- avait capitulé, s'occupait de régulariser
quête de l'Afrique par Bélisaire. On l'administration des tribus soumises à
trouva une fontaine abondante, ombra- son commandement. Mohammed el-Ber-
gée par un beau tremble, au milieu des kani fut rétabli à Médéah comme khalifa ;
ruines, et l'armée y établit son bivouac. dans l'est, sur les pentes sud de Djurd-
Le plateau de Sétif est élevé de plus de jura, il confia le pouvoir à Ben Salem;
huit cents mètres au-dessus du niveau de à Ben Allai, pour le pays de Miliana; à
ALGÉRIE. 301
Bén Arach, dans le Bas-Chélif; Mascara les neuf premiers mois de l'année 1839.
obéissait à son beau-frère , Ben Tami; Sans se faire illusion sur la durée d'une
à TIemsen l'autorité était aux mains paix dont plus d'un symptôme pouvait
de Bou Hamedi : tous ces personnages faire présager la rupture, le gouverneur
appartenaient à des grandes familles de général mit à profit cette espèce de trêve
marabouts, et jouissaient déjà à ce titre pour pousser avec activité les travaux de
d'une influence considérable sur les routes et de dessèchements. Des postes
populations. Chacune de ces vastes cir- furent établis au pied de T Atlas, entre la
conscriptions de commandement était Chiffa et le Khamisà l'est, afin de proté-
subdivisée en arrondissements moins ger la Métidj a. La province d'Oran était
étendus, à la tête desquels il plaça des tranquille ; l'absence prolongée d'Abd-el-
chefs qui exerçaient, avec le titre d'agha, Kader, retenu dans l'est pour y organiser
une autorité administrative et militaire. son autorité, semblait avoir favorisé
Toute l'organisation adoptée par l'émir l'apaisement du fanatisme et des senti-
semblait inspirée par ces deux pensées ments hostiles contre nous. Dans la pro-
principales 1° entretenir la ferveur reli-
: vince de Constantine notre domination
gieuse dans les tribus en la faisant ser- se consolidait; si sur quelques points
vir à fortifier l'administration ; 2° don- les indigènes protestaient contre notre
ner à la population une constitution pouvoir par l'assassinat de nos partisans,
militaire vigoureuse, alin de la prépa- par des brigandages commis sur les
rer à chasser, par un effort unanime et routes et par des lenteurs à acquitter
énergique, les chrétiens de la terre d'A- leurs contributions , nulle part nos co-
frique quand le jour de la guerre sainte lonnes qui parcouraient le pays pour
serait venu. réprimer, ces méfaits et punir les cou-
Évêque d'Alger ; actes adminis- pables ne rencontraient de résistance.
tratifs. — Parmi les mesures impor- Ahmed-Bey, réfugié dans le sud-est, près
tantes prises par le gouvernement pour de la frontièrede Tunis, était plus préoc-
hâter le développement de la puissance cupé d'assurer son existence au milieu
française en Algérie, il faut mentionner des tribus , que de nous susciter des
l'érection d'un siège épiscopal à Alger. embarras. Dans le courant du mois d'a-
Deux ordonnances royales du 25 août vrilon fit la reconnaissance de la route
approuvées par le pape dans le mois de qui devait relier Fhilippeville à Bône.
septembre, constituèrent cet évêché,ety On la trouva presque partout prati-
nommèrent l'abbé Dupuch, grand-vicaire cable pour les voitures et abondamment
de Bordeaux. L'organisation de l'admi- pourvue de bois et d'eau.
nistration civile fut modifiée par une Les efforts constants que faisait l'é-
ordonnance du 31 octobre 1838. Les mir pour étendre sa puissance jusque
services civils furent placés sous l'au- dans la province de Constantine nous
torité du gouverneur général , qui eut imposèrent l'obligation de poursuivre
sous ses ordres un directeur de l'inté-
: la réalisation des projets d'établisse-
rieur, un procureur général et un direc- ments A
à Sétif et sur la route. cet effet
teur des finances. Le directeur de l'in- de grands approvisionnements furent
térieur remplaçait l'intendant civil. réunis à Milah. Au mois de mai, Aïn-
Chaque chef de service devint plus indé- Khachbah, Djemilah, sur la route de
pendant l'un de l'autre et fut rattaché Sétif, furent définitivement occupés par
en même temps d'une manière plus di- nos troupes. La nouvelle de ces mouve-
recte à l'autorité du gouverneur géné- ments ranima le courage de nos parti-
ral. On établit des sous-directeurs de sans dans la Medjana, et le parti d'Abd-
l'intérieur à Oran, à Bône, à Alger. el-Kader essuya de graves échecs.
M. Guyot succéda avec le titre de direc- Occupation de Djidjéli et de
teur de l'intérieur à M. Bresson, inten- Sétif. — Dans la pensée du maréchal
dant civil. Yalée l'occupation de Djidjéli devait
Situation générale. — Le terri- être la suite nécessaire des établisse-
toire que la France s'était réservé dans ments que nous avions formés à Milah
la province d'Alger ne fut le théâtre et à Djemilah. C'était le moyen le plus
d'aucun événement important pendant efflcace deréduireles belliqueuses tribus
302 L'UNIVERS.
de la Kabilie qui allaient se trouver en- allant en pèlerinage aux zaouïa (cha-
veloppées entre Bougie, Sétif, Djemilah, pelles) renommées de ces contrées. Cette
IMilah , Philippeville et Djidjéii. Une ex- démarche n'eut pas le succès qu'Abd el-
pédition composée du premier bataillon Kader en attendait. Les Kabiles ré-
de la légion étrangère, de cinquante sistèrent à toutes les propositions les
sapeurs du génie et de quatre pièces de plus habiles pour entrer sous ses ordres
canon, partit de la rade de Philippeville dans une confédération contre les chré-
le 12 mai, et arriva le lendemain devant tiens; d'un autre côté, le lieutenant co-
Djidjéii. La ville fut occupée sans ré- lonel Bedeau, ayant appris sa présence
sistance; les habitants s'étaient réfugiés dans les environs de Bougie , sortit , à la
chez les tribus voisines. Mais bientôt tête de toutes les troupes disponibles de
des groupes de Kabiles se montrèrent la garnison, et l'invita à quitter un pays
sur les hauteurs, et les travaux furent où il avait pénétré en violant le traité de
interrompus par des attaques incessan- là Tafna.
tes et souvent très-vives. Cependant, au Après son excursion chez les Kabiles
bout de peu de jours la ville se trouva l'émir alla s'établir à Thaza, à soixante-
dans un état de défense suffisante et les
; quinze kilomètres au sud de Miliana, où
agressions des Kabiles devinrent plus il avait fondé une ville. Dans la prévi-
rares et moins acharnées. I /opération sion de la reprise des hostilités, Abd-el-
contre Djidjéii avait été facilitée par la Kader s'était créé une seconde ligne de
présence des troupes de la division de défense en arrière des villes de l'inté-
Constantine à Djemilah. Une heureuse rieur, sur la limite du petit désert. Ainsi-
diversion fut encore opérée, au moyen au sud de Médéah il avait établi un poste
d'une forte reconnaissance, dirigée par et des magasins à Boghar; au sud de
le lieutenant-colonel Bedeau, alors com- Mostaganem, il avait relevé les ruines
mandant à Bougie, vers le col de Tizi, de Tekdemt; plus à l'ouest, Saïda cor-
à vingt kilomètres au sud de cette place. respondait à Mascara; enfin, au sud de
La petite colonne de Bougieattira l'atten- Tlemsen il créa ie poste de Sebdou. Il fit
tion des kabiles, et les empêcha de se ren- servir ces établissements à augmenter
dre à l'appel de leurs frères pour défen- ses moyens d'action sur les tribus du
dre Djidjéii. Dans le courant du mois de sud. Il nomma un khalifa pour toute
juin, le général Galbois se porta sur Sétif, cette population nomade qui venait an-
et y commença les établissements qui nuellement faire ses approvisionnements
firent bientôtde ce point un centre im- de grains dans le Tell. Son influence
portant pour la domination des tribus. s'étendit jusque dans les oasis saharien-
Excursion d'Abd-el-Kader dans nes qui relevaient autrefois de Constan-
la Kabilie. —
L'émir, en refusant de tine, et où notre Cheikh-el-Arab n'avait
faire droitaux nombreuses plaintes que pU faire reconnaître son autorité.
la conduite de ses agents soulevait de Passage des portes de fer. —
notre part dans les trois provinces, ne Les fortes chaleurs du mois d'août fu-
pouvait se dissimuler que la patience de rent fatales à l'armée d'Afrique. Malgré
la France serait bientôt à bout et que les plus sages précautions, le nombre
la guerre éclaterait Nous avons déjà dit des malades augmenta dans une telle
que par l'organisation même de son gou- proportion, que les hôpitaux se trouvè-
vernement il se préparait à cette rup- rent bientôt encombrés. Cette fâcheuse
ture. Le but de son administration, de situation détournait le gouvernement
ses discours, de tous ses actes, était d'adopter des résolutions violentes pour
d'inspirer aux Arabes la haine des infi- mettre fin aux incertitudes de la conduite
dèles et de les disposer pour la guerre d'Abd-el-Kader a notre égard. Cepen-
sainte. Vers le milieu du mois de juin dant le duc d'Orléans étant arrivé en
1839, ilrésolut de visiter les tribus guer- Afrique avec la mission de porter à l'ar-
rières delaKabilie pour s'assurer leur ap- mée le témoignage de la sympathie du
pui au moment de la reprise des hostilités. roi et du gouvernement pour ses travaux
Mais, comme il redoutait de blesser l'es- et pour ses souffrances, le maréchal
prit d'indépendance de ces montagnards, Valée profita de cette circonstance pour
il se rendit chez eux comme un
marabout faire la reconnaissance de la route qui
ALGÉRIE. 303
relie Alger à Constantine.il espérait que secret avait été gardé; mais, après la
la présence du prince royal au milieu grande halte, la colonne prit la direction
du corps expéditionnaire enlèverait à de l'ouest; c'était la route d'Alger. Le
cette opération le caractère agressif bivouac fut établi sur l'Oued-Boucelah;
qu'elle pouvait avoir aux yeux d'Abd- le lendemain on atteignit par une mar-
el-Kader. che rapide le marabout de Sidi-Mebarek,
Le duc d'Orléans s'embarqua à Port- auprès de Bordj Bou-Areridj. Le troi-
Vendres, et arriva à Oran le 24 septembre. sième jour l'armée campa dans les pre-
Après un court séjour dans cette ville, mières gorges par lesquelles s'ouvre le
il partit pour Alger, où il débarqua le 28 défilé des Portes de Fer.
du même mois. Plusieurs jours furent Le 28 la division de Constantine se
consacrés à visiter les divers établisse- sépara de celle d'Alger, et reprit, sous les
ments militaires situés dans la plaine ordres du général Galbois, le chemin de
de la Métidja. Le gouverneur général Sétif. L'autre colonne, forte de trois mille
avait d'abord conçu
projet de se rendre
le hommes, sous les ordres du gouverneur
d'Alger à Constantine par terre; mais général et du duc d'Orléans, s'engagea
n'ayant pas encore reçu des renseigne- dans le redoutable passage que les Turcs
ments sur les dispositions de l'émir qui n'avaient jamais franchi sans payer un
pussent donner l'assurance que le trajet tribut aux populations kabiles qui ha-
se ferait sans combats, il proposa au bitent ces montagnes. On mit quatre
prince royal de poursuivre par mer son heures à traverser ce défilé resserré en-
voyage vers l'est pour inspecter les tre des roches formant des murailles
points occupés par nos troupes, sauf à verticales d'une hauteur de plus de cin-
gagner ensuite par la voie de terre la quante mètres. Les sapeurs du génie
province d'Alger en partant de Sétif. gravèrent cette simple inscription Ar-":
était sortie de la ville, et salua son ar- Le fort était complètement abandonné.
rivée par de bruyantes acclamations; Lorsque l'avant-garde déboucha sur le
le Cheikh-el-Islam, vieillard de quatre- plateau , on aperçut les troupes de Ben
vingt-dix ans, se porta à sa rencontre Salem qui marchaient dans une direction
pour le féliciter. Cette réception solen- parallèle; la cavalerie fut lancée pour
nelle faite au fils aîné du roi donnait s'assurer des intentions de ce rassem-
une preuve irrécusable des progrès que blement; les Arabes ne l'attendirent
notre administration bienveillante avait pas. Le 31, au moment où le corps
accomplis. expéditionnaire quittait son bivouac sur
Le corps expéditionnaire quitta Cons- l'Oued Rekam pour pénétrer sur le ter-
tantine le 16 octobre. Après avoir tra- ritoire des Béni Djaad, les tribus de ce
versé Milan etDjemilah, le duc d'Or- district tentèrent de s'opposer à la
léans et le gouverneur général arrivèrent marche; elles furent facilement re-
à Sétif le 21 au soir. Partout, sur la poussées. On campa le soir non loin
route , les chefs indigènes s'étaient em- des ruines du pont de Ben Hini bâti ,
pressés de venir offrir leurs hommages, par le dey Omar-Pacha. Enfin, le 1 er no-
et les tribus avaient apporté des vivres vembre l'armée rencontra sur l'Oued
,
d'avoir surpris le pays par le mystère camps. Le vide se fit dans l'intervalle
de notre marche: et, excités par les pré- compris entre nos postes , et tout an-
dications des marabouts, ils réclamè- nonça une guerre acharnée. Le maréchal
rent hautement de l'émir la reprise des Valée s'empressa de concentrer ses for-
hostilités. Sans attendre des instruc- ces, en évacuant les postes les moins im-
tions formelles, les Hadjoutes com- portants et se disposa à prendre une
,
renommée conquérir
allait
d'un peloton de cavalerie, sorti du camp lante qu'il
battre en retraite, laissant sur le terrain cheval, se précipitèrent sur toutes les \
cent cinq officiers ou soldats. En mémo forces réunies de l'ennemi, et les mirent ,
temps qu'il attaquait nos tribus, l'en- dans une déroute complète. Trois dra-
nemi intercepta toutes les communi- peaux , une pièce de canon , les caisses
cations entre nos postes , incendia nos de tambours des bataillons réguliers, et i
ses coureurs pénétrèrent jusque dans pouvoir. L'ennemi laissa plus de trois,
le massif d'Alger. C'est à ce moment cents cadavres sur le champ de bataille.
qu'Abd-el-Rader écrivit au gouverneur ÉVÉNEMENTS DE L'OUEST. — Les
général pour lui annoncer que tous les hostilités furent aussi déclarées dans la
musulmans avaient résolu de recom- province d'Oran. Le khalifa de Mascara,
mencer la guerre sainte (1). à la tête de plus de trois mille hommes,
dirigea, le 13 décembre, une attaque
contre Mazagran , située à proximité de
(i) Voici la traduction de la lettre par la- Mostaganem. Le poste ,
quoique très-
quelle A.bd-el-Kader dénonça la reprise des faible, se défendit avec une grande bra-
hostilités : — Votre première et votre der- voure, et donna le temps à la garnison
nière lettre nous sont parvenues. Je vous ai
de Mostaganem de venir le dégager. Les
déjà écrit que tous les Arabes de la Régence
Arabes perdirent beaucoup de monde et
étaient d'accord, et qu'il ne leur reste d'autres
se retirèrent dans leurs tribus. Le kha-
paroles que la guerre sainte. J'ai employé mes
lifa rentra à Mascara avec ses troupes
efforts pour changer leur idée, mais personne
régulières. Mais dans toutes les tribus
n'a voulu de la durée de la paix ; ils ont tous
pour faire la guerre sainte, et je
les marabouts prêchèrent la guerre sainte
été d'accord
ne trouve pas d'autre moyen que de les avec ardeur, et nous eûmes bientôt à
écouter, pour être fidèle à notre chère loi qui repousser une agression plus formidable.
le commande. Ainsi je ne vous trahis pas et
vous avertis de ce qui est. Renvoyez mon mille. Tenez-vous prêt à ce que tous les mu-
oukil d'Oran pour qu'il rentre dans sa fa- sulmans vous fassent la guerre sainte.
ALGÉRIE, 305
306 L'UNIVERS.
une action très-vive en traversant le bois au point du jour une partie de la gar-
des Oliviers, et l'honneur en resta au nison campée à quelque distance de la
,
on arriva à la ferme deMouzaïa. Le duc reins bien au delà de nos lignes. La gar-
d'Orléans et son jeune frère quittèrent nison, de Miliana fut aussi attaquée à
l'Algérie le 27 mai. Les résultats politi- cette époque ; mais les efforts des Ara-
ques de cette première partie de la cam- bes n'eurent pas plus de succès qu'à
pagne ne purent pas être immédiatement Médéah. El-Berkani et Ben Salem ten-
appréciés. Avantdesonger à reconstituer tèrent le 29 juillet de pénétrer dans le
l'organisation administrative du pays Sahel, en franchissant l'Arach par le gué
i! fallait anéantir les forces régulières de Constantine, à la tête de dix-huit cents
d'Abd-el-Kader, qui servaient de point cavaliers; atteints par nos troupes, ils
d'appui et de ralliement aux contingents se replièrent précipitamment, Aux envi?
ALGÉRIE» 307
rons de Koléah, sur les bords de Maza- litaires, nous avons dû exposer sans in-
fran , les Arabes furent plus heureux : terruption les faits qui s'étaient accomplis
ils surprirent avec des forces supérieures dans la province d'Alger. La guerre était
une reconnaissance imprudemment en- alors l'œuvre la plus importante , celle
gagée loin des avant-postes. Écrasées par dont dépendait tout l'avenir de notre do-
le nombre, nos troupes perdirent deux mination ; et c'est la province d'Alger qui
officiers et cent cinq soldats tués ou en était le théâtre principal. Nous allons
faits prisonniers. Le 15 et le 16 août El- raconter brièvement les événements sur-
Berkani attaqua encore vainement Cher- venus sur les points, peu nombreux, que
chel. nous occupions dans la province d'Oran.
Pendant que les fortes chaleurs de La division n'avait pas reçu de renforts ;
l'été retenaient dans leurs cantonne- le gouverneur général n'avait pas pu se
ments les troupes les plus nouvellement porter de sa personne sur les lieux ; on
débarquées en Afrique, le général Chan- s'était donc partout tenu sur la défen-
garnier, à la tête d'une colonne de sol- sive, jusqu'à ce que les moyens d'agir
dats éprouvés, exécuta une entreprise fussent réunis.
hardie. Parti de Blidah avec deux mille Les Arabes n'avaient pas les mêmes
hommes seulement, il traversa les mon- motifs que nous de rester dans l'inac-
tagnes abruptes des Béni Salah, par des tion. Les 17 et 22 janvier ils attaquè-
chemins affreux, et se mit en commu- rent les Douairs et les Zméla, sans
nication avec Médéah. A son retour il leur faire éprouver de grands domma-
prit le chemin du col de Mouzaïa. As- ges. Le 2 février le khalifa de Mascara
sailli au bois des Oliviers par l'infanterie à la tête des contingents de quatre-vingt»
arabe , il charger à la baïonnette
la fit deux tribus, se présenta devant Maza-
de cent hommes. Peu de
et lui tua plus gran , où nous n'avions plus qu'un poste
jours après, le 19 septembre une co- , de cent vingt-trois hommes seulement.
lonne sous les ordres du général Chan-
, Pendant quatre jours entiers, dix à douze
garnier,tomba à l'improviste sur le camp mille Arabes, dont quatre mille fantas-
de Ben Salem, à l'extrémité orientale sins, assiégèrent le réduit de Mazagran,
de la Métidja , mit toutes ses troupes et livrèrent plusieurs assauts successifs
en fuite, et lui fit supporter des pertes sans parvenir à l'enlever; ils se retirè-
cruelles. rent découragés , après avoir perdu de
Opérations pendant l'automne. cinq à six cents hommes. La garnison
— L'armée consacra d'abord ses efforts qui fit cette résistance héroïque appar-
à ravitailler et Miliana. La gar-
Médéah tenait à la dixième compagnie du pre-
nison de cette dernière place était sou- mier bataillon de l'infanterie légère d'A-
mise à des privations et à des maladies frique. Les 5 et 12 mars d'autres ten-
terribles; mais elle luttait avec un cou- tatives dirigées par le khalifa de Tlem-
rage inébranlable. Médéah fut approvi- sen eurent lieu sur le camp du Figuier
sionné dans les derniers jours d'octobre, et en avant de Miserguin , à Ten Sal-
et du 15 au 22 novembre la garnison met , et furent également énergiquement
reçut des renforts dans la prévision des repoussées. Sans se lasser de ces échecs
opérations qui devaient être entreprises multipliés , Bou-Hamedi , renouvela ses
au printemps de 1841. Miliana fut vi- attaques , dans le courant du mois de
sité par le corps expéditionnaire, une mai et de juin , contre le camp de Bridia
première fois le 4 octobre , puis le 8 no- et contre les tribus qui nous étaient
vembre. Au retour, l'armée , divisée en soumises. Sa ténacité et son énergie fu-
trois colonnes, parcourut le territoire rent enfin vaincues par le courage de nos
des tribus qui exerçaient des brigan- troupes; il renonça à ses entreprises
dages dans la plaine de la Métidja, contre nos établissements, et se retira
brûlantet dévastanttout sur son passage. pour permettre aux Arabes de se livrer
La saison des pluies étant arrivée, les aux travaux de la moisson.
troupes durent rentrer. Le général de Lamoricière a
Événements de la province d'O- Oran. — Les choses prirent bientôt un
ràwen1840. —
Pour ne .pas jeter delà aspect nouveau. Le général de Lamori-
confusion dans le récit des opérations mi- cière, qui venait d'être nommé maré-
20,
,
308 L'UNIVERS.
chai de camp à l'âge de trente-quatre ans, miner ce pays. Cet événement eut lieu
prit le commandement de la division vers la fin du mois de mars. Le mois sui-
d'Oran dans le mois d'août. Il consacra vant une colonne mobile atteignit 1
deux mois à étudier les hommes et les puissante tribu des Haracta, dont les m
choses qui l'entouraient, à organiser faits appelaient depuis longtemps une pu-
vigoureusement les services militaires; nition rigoureuse. On leur prit une im-
mais vers le milieu du mois d'octobre mense quantité debestiaux, etonlescon-
il commença l'exécution du système de traignit à payer une très-forte amende.
guerre qu'il avait combiné. Jusque alors Bientôt on apprit qu'un des frères d<
on s'était contenté de marcher à l'en- l'émir, àla tête d'un bataillon régulier, e
nemi lorsqu'il se présentait devant les suivi des contingents d'un grand nom
places pour les menacer, et de le repous- bre de tribus, avait pénétré dans la Med-
ser lorsqu'il tentait de nous barrer le jana et marchait contre Sétif Les trou-
.
parvint, avec le seul concours de ses par- jets ultérieurs du gouverneur général, !
la route de Mascara. L'émir suivit notre veau à Mostaganem, les deux colonnes
marche avec deux partis de cavalerie combinèrent leurs mouvements ulté-
très-forts ; mais il évita toujours le com- rieurs. Le gouverneur général se diri-
bat. Nous entrâmes dans Mascara le gea vers la grande tribu des Flitta le ;
peine rentré à Mostaganem le général revinrent trois fois à la charge ; mais ils
Bugeaud conduisit en personne une co- durent enfin nous céder le terrain. Quant
lonne pour ravitailler Mascara. Sorties à l'infanterie arabe, elle n'osa pas entrer
le 7 juin, nos troupes arrivèrent a Mas- en ligne.
cara le 10, sans aucun événement sé- Après cette victoire, le convoi péné-
rieux. Le gouverneur général parcou- tra dans Mascara sans éprouver de ré-
rut ensuite pendant plusieurs jours le sistance. Le général Bugeaud se porta
pays de la puissante tribu des Hachem, et ensuite à l'ouest de cette ville, poursui-
poussa devant lui les populations jusque vant la tribu des Hachem, qui fuyait de-
vers le désert. Il fit incendier toutes les vant nous on leur enleva un butin très-
;
ALGÉRIE, 311
trée vint se joindre à nos troupes pour tra qu'il trouverait des moyens de sub-
poursuivre les partisans d'Abd-e!-Rader, sistance dans le butin qu'il enlèverait aux
sur lesquels on fit des prises immenses. tribus, et que d'ailleurs si on laissait l'é-
Dans le cours de ces expéditions la tribu mir respirer pendant l'hiver il réparerait
des Medjehers avait constamment com- ses forces, et que tous les fruits de la
battu dans nos rangs. C'était le com- campagne du printemps seraient perdus.
mencement des défections nombreuses L'autorisation fut accordée.
qui n'allaient pas tarder à se déclarer. Campagne d'hiver a Mascara. —
Le gouverneur général revint à Mos- Le général deLamoricière partit le29 no-
taganem après cinquante-trois jours de vembre de Mostaganem, à la tête de
campagne, n'ayant perdu qu'un officier quatre mille hommes choisis et déjà
et vingt-trois hommes tués par le feu de acclimatés au pays; il conduisait un
l'ennemi et onze morts de maladie. Cet immense convoi d'effets et d'approvi-
heureux résultat fait honneur à la ma- sionnements de toutes sortes , des mou-
nière intelligente dont le service de trans- lins à bras, des instruments aratoires,
port pour les vivres était organisé et à la des graines de légumes et de plantes
sollicitude éclairée et infatigable du gé- fourragères ; cette colonne ressemblait
néral Bugeaud pour la santé et le bien- plus à une émigration allant féconder
être des soldats. Les opérations furent une terre nouvelle, qu'à une armée
dirigées avec activité et les troupes dé- qui se préparait à des combats. On
er
ployèrent toujours le plus grand dévoue- arriva à Mascara le 1 décembre,
ment. Un progrès considérable était ac- après avoir battu l'ennemi, qui avait fait
compli. Le plan si remarquable conçu mine de s'opposer au passage d'un dé-
par le maréchal Valée, approuvé par le filé. Alarmé parla présence de forces im-
gouvernement, avait trouvé le chef qui posantes au milieu des tribus qui lui
devait en assurer le succès, par son ha- étaient le plus dévouées, Fémir se porta
bileté et sa puissance sur l'esprit du sol- vers le bas Chelif pour couper les com-
dat. Il est juste cependant d'ajouter que munications de l'armée française avec le
le général Bugeaud rencontra au pre- littoral.
mier rang des lieutenants éprouvés, tels Cependant , dès que le général de
que généraux deLamoricière et Chan-
les Lamoricière eut réglé l'établissement
garnier tandis que son prédécesseur,
; des troupes dans Sa ville , il s'occupa
générai d'artillerie, qui n'avait pas par à organiser contre les tribus voisines le
lui-même l'habitude du commandement système de guerre qu'il avait si heureuse-
des troupes, ne fut que très -imparfaite- ment pratiqué à Oran. Il recueillit des
ment secondé par les généraux qui ser- renseignements exacts sur les lieux de
vaient sous ses ordres et qui occupaient refuge de la population, sur la situation
alors les premières places dans l'armée. de leurs dépôts de grains (silos), sur la
Mouvement d'Abd-el-Kader. —A topographie détaillée de la contrée.
peine le corps
expéditionnaire eut-il Le 5 décembre une première sortie
quitté Mascara que l'émir reparut aux conduisit les troupes sur les silos des
environs de la Tille. Il châtia d'abord Hachem;il fallut plusieurs jours pour
les tribus de la ïakoubia , et les força de les vider. L'ennemi tenta de s'opposer
312 L'UNIVERS.
de cette petite forteresse étaient solide- l'est, en suivant la lisière du désert. Bou-
ment construits ; comme on n'avait pas Hamedi était trop faible pour rien
de poudre on fut obligé de les démolir entreprendre ; le pays jouit donc d'un
pierre à pierre. On ne peut s'empêcher peu de tranquillité. Le commandant de
de regretter cette fureur de destruction Tlemsen en profita pour compléter l'ins-
dont nous étions possédés. Nous ren- tallation des troupes dans la ville, et
versâmes successivement sur la limite du pour régler l'état de propriété en cons-
la
Tell Boghar, Thaza Tekdemt, Saïda,
: , tatant les titres et les droits des établis-
Sebdou; et moins de deux ans après sements publics et des particuliers.
nous étions obligés de reconstruire Bo- Opérations du général de La-
ghar, Saïda et Sebdou, pour y installer moricière.— Nous avonsrendu compte
nos troupes. Des citadelles dans les- des opérations de la division d'Oran jus-
quelles l'ennemi ne se renfermait jamais qu'au 31 décembre 1841. Il serait trop
pour les défendre auraient pu rester de- long de raconter en détail tous les mou-
bout sans danger, et nous nous en se- vements du général de Lamoricière
rions toujours facilement emparé. pendant les trois premiers mois de 1842.
On amassa à Tlemsen tous les vivres Les troupes furent presque constam-
qu'on put recueillir; la garnison fut éta- ment en marche , battant l'ennemi dans
blie dans le Méchouar; le général Be- toutes les rencontres, parcourant le pays
deau quitta Mostaganem, et vint prendre soit pour protéger les tribus soumises
le commandement. Le gouverneur géné- contre les attaques de Ben Thamy , soit
ral laissa un bataillon et toute la cava- pour atteindre les populations fugitives
lerie indigène auxiliaire pendant que le et les forcer de reconnaître notre au-
reste des troupes se rendait à Oran pour torité. Cette activité incessante, aidée
'310 L'UNIVERS.
elles protestaient presque toutes qu'elles rent à Alger en une semaine on leur
:
n'étaient pas ennemies, mais qu'elles vendit pour plus de 1,500,000 francs de
craignaient en se déclarant de n'être pas marchandises. Une sécurité presque
protégées par nous contre les vengeances complète régna dans toute la Métidja
d'Abd-el-Kader. En effet, telle était alors sans qu'aucun accident vînt faire re-
la politique de l'émir dès qu'une tribu
: pentir nos colons de leur imprudente
avait fait sa soumission à la France et confiance. Après trois jours de repos
que nos troupes s'étaient éloignées , il à Blidah, le général d'Arbouville re-
ameutait contre elle les tribus non encore prit le chemin de l'ouest , et parcourut
soumises. Celles-ci, 'soit de gré, pour les deux Tives du Chélif, afin déterminer
l'appât du butin, soit de force, pour l'œuvre de pacification.
échapper aux coups des forces réguliè- Soumission des tribus. — Pour
res dont les khalifas disposaient encore, consolider et développer les heureux ef-
se faisaient les instruments de terribles fets déjà obtenus, deux colonnes parti-
représailles (1). Le 30 mai les troupes rent de Blidah Tune, sous les ordres
:
er
« Vous abandonnez done de vos
la foi teignit le 1 juillet à Aïn Tessemsil
pères, et vous vous livrez lâchement aux chré- une immense émigration de tribus plus ;
lasserez les infidèles qui souillent votre sol. de Médéah, encouragé par la présence
Mais vous n'êtes plus de vrais croyants, si
si
delà colonnedu général deBar, attaquait
vous un honteux abandon de votre re-
faites
El-Berkani, dispersait sa troupe et
ligion et de tous les biens que Dieu vous a
s'emparait de son trésor. Lorsque ces
promis , ne croyez pas que vous obtiendrez
corps rentrèrent dans leurs cantonne-
le repos par cette faiblesse indigne. Tant qu'il
me restera un souffle de vie, je ferai la guerre ments , ils amenèrent à Alger pour y ,
aux chrétiens, et je vous suivrai comme votre recevoir l'investiture, les chefs de toutes
ombre, je vous reprocherai en face votre les tribus qui venaient de reconnaître
honte ; pour vous punir de votre lâcheté , je l'autorité de la France. Pendant quel-
troublerai voire sommeil par des coups de ques jours la capitale de l'Algérie prit
fusil qui retentiront autour de vos douars de- un aspect animé; la présence de ces
venus chrétiens. {Moniteur algérien du 5 Arabes, dont quelques-uns arrivaient
juillet 1842.) du désert, rendit à la population in-
ALGÉRIE. 31*
îigèneun peu dévie. Nous venions enfin combattre, se soumirent à notre autorité,
Le conquérir un peuple. La guerre d'in-
on proposa d'adopter le système d'ad-
vasion était à son terme ; on espérait ministration consacré par l'émir, afin
mtrer bientôt dans la période admi- de ne pas tenter des essais dangereux.
nistrative. On renonça sagement aux anciens er-
Organisation des tribus sou- rements, qui consistaient à ressusciter
îises. — Nous avons vu précédemment le régime gouvernemental des Turcs en
paix, avec le titre de chargé des affaires supplanter des rivaux qui les amenait le
;ies Français, fit recueillir tous les ren- plus souvent à se soumettre. On peut
seignements biographiques sur les prin- donc dire qu'en obéissant à ces circons-
îipaux chefs attachés à la fortune d'Abd- tances le gouverneur général avisa au
jîl-Kader et sur l'organisation donnée plus urgent et prit le parti le plus sage.
îiux tribus. La question de l'avenir restait d'ailleurs
Dès que les populations, fatiguées de réservée.
318 L'UNIVERS.
Mouvements d* Abd-el-Kader. — On
croyait l'émir dans le sud, quand
Vers le milieu du mois de mai 1842, on apprit tout à coup qu'il avait surpris
l'émir, appelé avec instance par les Ha- et dévasté les tribus situées dans le bas
chem, avait quitté le pays de Tlemsen de la vallée du Chélif. De là, franchis-
et s'était dirigé vers l'est, pour s'opposer sant quatre-vingts kilomètres en une
aux progrès du général de Lamoricière. seule marche , il tomba sur les Ouled
Il se jeta d'abord dans la Iakoubia avec Khouïdem, auxquels il massacra trois
deux cents cavaliers dévoués ; les Djaf- cents hommes; une nouvelle course,
fra, qui avaient fait leur soumission, fu- aussi rapide, le porta chez les Sdama,
rent les premiers frappés. De là il se auxquels il enleva un butin considérable.
porta dans la plaine d'Eghris, suivi de Après avoir déposé ses prises chez les
tous les Hachem qui lui étaient restés Béni Ouragh, il arriva le 20 septembre
fidèles. L'alarme se répandit parmi nos à la bourgade d'El-Bordj, à vingt kilo-
nouveaux sujets, dont le plus grand mètres seulement de Mascara. L'épou-
nombre vint se réfugier sous le canon vante s'était répandue parmi toutes les
de Mascara. Le général de Lamoricière, tribus soumises ; elles allèrent supplier le
alors occupé à pacifier les tribus de la général de Lamoricière de les protéger ;
Haute-Mina, se hâta d'accourir. Il orga- celui-ci leur répondit qu'elles eussent
nisa aussitôt une colonne mobile, et sor- à se défendre elles-mêmes, et que, pour
tit de Mascara le 2 juin pour se mettre lui, il croyait plus important d'achever la
à la poursuite de l'émir. A
l'approche des dispersion des partisans d'Abd-el-Kader
forces françaises, Abd-el-Kader évacua réunis encore dans le désert. En effet,
la Iakoubia, et se dirigea vers l'est avec sans se préoccuper autrement des mou-
ses deux cents cavaliers, abandonnant vements de l'émir, la colonne s'avança
les tribus qu'il avait soulevées à notre dans le sud jusqu'aux sources de Taguin;
colère. En effet, chassées jusque dans le mais elle ne put pas atteindre l'émigra-
désert , elles furent bientôt forcées de tion, qui fuyait devant elle. A son retour,
rentrer dans le devoir. le 7 octobre, pendant que les troupes
En quittant la Iakoubia l'émir s'était étaient occupées à vider les silos des en-
rendu dans le pays difficile des Flitta. nemis situés sur les rives du Riou, on
Pendant que le général d'Arbouville, re- fut informé qu'Abd-el-Kader pillait nos
venu de Blidah, entrait en campagne alliés dans le voisinage. Notre cavalerie
contre lui, le général de Lamoricière se monta aussitôt à cheval, et joignit l'émif
porta dans le sud franchit le Sersou,
, àLoha un combat très-vif s'engagea
; :
enleva à Goudjila les dépôts qu' Abd-el- l'ennemi ne put soutenir l'attaque, et fut
Kader avait voulu y former, et entraîna vivement poursuivi ; un instant Abd-el-
dans notre parti la puissante tribu des Kader lui-même fut sur le point d'être
Harar et celle des Ouled Khelif. Mais à fait prisonnier, son cheval s'étant abattu
peine cet officier général était-il rentré parmi des rochers. Après cette défaite
à Mascara, après trente-six jours d'opé- l'émir se retira ; les troupes rentrèrent
rations, que notre infatigable adversaire à Mascara à la fin de novembre, et au-
parut dans les lieux mêmes qui venaient cun événement important ne marqua la
d'être visités, et châtia cruellement les finde l'année 1842 dans la province
populations ralliées à notre cause. Accor- d'Oran.
der un plus long repos à l'émir, c'était
Combats dans la province d'Al-
perdre tout le fruit de nos premiers suc-
cès aussi, malgré
ger. —
Pour ne négliger aucun fait se
; les chaleurs de l'été, rattachant à l'histoire de l'Algérie, il est
le général se mit en marche le 15 août. nécessaire de mentionner un combat
La colonne française épuisa vainement très-acharné livré, le 6 juin 1842, par la
ses vivres à poursuivre cet ennemi in-
garnison de Miliana contre les Béni Me-
saisissable. On dut établir un camp nasser, qui ne produisit pas de ré-
provisoire de trois bataillons d'infante- sultat utile. Le 19 septembre le géné-
rie et de deux cents chevaux à
Oued-el- ral Changarnier, engagé avec une co-
Haddad, non loin du plateau de For- lonne très-faible dans les gorges dif-
tassa , pour couvrir l'est de la
plaine ficiles de l'Ouarsenis, soutint une lutte
d'Eghris.
des plus vives contre la population guer-
ALGÉRIE. 31§
rièrede ces montagnes. Nos troupes, dé- provinces lui envièrent longtemps (i).
pourvues de munitions, mal renseignées Cet état de choses, qu'il faut attribuer
par des guides ignorants ou infidèles, surtout à l'éloignement d'Abd-el-Kader,
éprouvèrent des pertes sensibles ; mais donne la meilleure preuve de la puis-
nos soldats étaient dirigés par un chef sance irrésistible de l'émir sur les
trop habile pour être impunément bra- Arabes.
des. Le général Changarnier prit une re- Actes administratifs en 1842. —
vanche éclatante le lendemain même Pour compléter l'organisation du pays
le cette affaire malheureuse, et enleva nouvellement soumis, un arrêté du gou-
j l'ennemi un butin considérable. Dans verneur général, pris le 3 septembre, ins-
es premiers jours d'octobre une expé- titua auprès du commandant supérieur
dition conduite par le gouverneur géné- de chaque ville où l'autorité civile n'é-
ral dans l'est de la province d'Alger, tait pas encore établie une commission
fournit à l'armée de nouvelles occa- administrative chargée de pourvoir aux
sions de prouver son courage et son dé- intérêts de la cité et du territoire com-
nouement. La puissance du khalifa Ben posant la subdivision, tant pour les
Salem fut détruite et un gouvernement questions d'impôt que pour le domaine
[nouveau organisé sous la protection de et l'acquittement des dépenses. Cette
[la France. Le brave colonel Leblond, du commission fut composée du comman-
18 e de ligne, fut tué pendant le cours de dant supérieur, président, d'un fonction-
bette campagne. Enfin dans le courant naire de l'intendance , de deux officiers,
les mois de novembre et de décembre dont l'un pris dans l'armée du génie,
trois colonnes partirent deMiliana, sous d'un médecin militaire et d'un agent des
les ordres du général Bugeaud, et par- services financiers. Un arrêté postérieur,
coururent en tous sens le pâté de mon- du 7 novembre modifia la composition
,
^par les Kabiles contre la garnison de quelque juridiction qu'elle ait été ordonnée,
Bougie et celle deDjidjeli; une sortie jie pourra avoir lieu dans toute l'étendue des
320 L'UNIVERS.
der aux Arabes qu'une grande démons- dans les premiers jours de mai. A la
tration armée, afin d'obtenir des condi- même époque le général Changarnier
tions meilleures. Il arriva dans la vallée traça les fondements d'un établissement
du Chélif avec plus de deux mille cava- à quelques kilomètres à l'ouest de Thaza,
s'avança jusqu'à une petite jour-
liers, et à Teniet-el-Ahd , défilé principal pour
née de Mi liana*, et jusqu'à trente kilo- déboucher de la vallée du Derder sur
mètres ouest de Cherche! après avoir
, les hauts plateaux qui précèdent le de-
ALGÉRIE. 321
du fort de Tekdemt, renversé par nous prenait au moins quatre mille tentes on ;
| en 1841 ; l'autre à Ammi-Moussa, sur le pouvait évaluer les forces des défenseurs
Riou. à deux mille cavaliers environ et trois
Prise de la zmala d'Ard-el-Ka- mille fantassins en dehors du petit ba-
,
der. —
Depuis que nos colonnes s'é- taillon de réguliers. .Notre cavalerie
|«
taient montrées dans les parties les plus n'avait que cinq cents chevaux, et l'in-
I reculées du Tell, Ahd-el-Kader avait jugé fanterie ne devait arriver que plusieurs
qu'il n'y avait plus de sûreté pour sa heures après sur le champ de bataille.
famille, au milieu des tribus que les La circonstance était critique. At-
travaux de labour retenaient dans un tendre l'infanterie et l'artillerie, c'était
j
cercle limité. Il avait envoyé toutes les donner le temps à l'ennemi de plier les
femmes de ses parents et des principaux tentes de mettre les troupeaux à l'abri
,
j
organisé son convoi d'approvisionne- moricière, qui s'avançait aussi vers le
! ments. 11 emmenait dix-huit cents fan- sud, et qui ramassa quelques jours après
; tassins et cinq cents cavaliers, dont deux une partie de la population de l'ouest
cents Français seulement. La marche fut échappée au combat de Taguin. Grâce au
dirigée vers l'ouest dans les journées courage et à l'activité de quelques ser-
|
des 9, 10, 11 et 12 mai; le 13 le corps viteurs dévoués, la mère et les femmes
expéditionnaire tourna vers le sud, de l'émir purent s'enfuir et éviter d'être
et surprit le 14 au matin la petite ville emmenées prisonnières. Les débris de
de Goudjila. Les mouvements avaient la zmala errèrent pendant quelque temps
été si habilement combinés, que les encore dans le sud puis se dirigèrent
,
habitants de ces contrées n'en avaient vers le Maroc. Cette réunion reconsti- ,
l'armée eut à regretter une perte dou- dans les montagnes situées entre Cons- j
loureuse; le général Mustapha ben Is- tantine, Collo et Philippeville, afin d'assu-
maïl, ramenant à Oran la cavalerie in- rer définitivement la communication de
digène chargée de butin fut attaqué , la capitale de la province avec la mer. La
en traversant le pays boisé des Cheurfa; lutte fut plus vigoureuse de ce côté de
la terreur s'empara de ces Arabes, or- la part des Kabiles; nous remportâmes :
dinairement si braves ; leur vieux chef sur eux plusieurs brillants succès, mais ,
fit de vains efforts pour les rallier. Il les troupes durent se retirer sans avoir ,
périt les armes à la main. Les Cheurfa obtenu de résultat décisif. Enfin, avant
portèrent sa tête à Abd-el-Kader, comme la période des grandes chaleurs la divi-
,
Chez les Djaffra, après plusieurs suc- difficile et accidenté situé entre Guelma,
;
duc d'Aumaîe arriva à Alger pour pren- par jour. Les cavaliers (khiela), beau-
dre le commandement de la province coup plus nombreux, étaient destinés à
de Consiaatine,en remplacement du gé- agir dans les contrées ouvertes, au mi-
néral Baraguay-d'Hilliers, qui rentrait lieu des populations peu stables; on leur
en France. alloua une paye journalière d'un franc.
Un événement militaire de la plus Toutes ces forces devaient, à la première
haute importance marqua la fin de Tan- réquisition, se joindre à nos colonnes.
née 1843 dans la province d'Oran. Une ordonnance royale du 16 décembre
Le 11 novembre une colonne partie de régla les questions de douane qui se
Mascara sous les ordres du général Tem-
, rapportaientà la navigation, aux importa-
poure, atteignit le camp du khalifa Ben tions, aux exportations et aux entrepôts.
Alla! , qui renfermait le reste de l'infan- Les navires français furent largement
;
tene régulière de l'émir. Ce corps fut favorisés; on frappa de droits élevés
!\ complètement anéanti; les cavaliers les toutes les marchandises de provenance
I
mieux montés purent seuls s'échapper ;
étrangère. Ces nouvelles rigueurs pro-
plus de quatre cents morts restèrent sur hibitives, provoquées dans l'intérêt de
la place ; les drapeaux de trois bataillons, l'industrie et des manufactures de la mé-
trois cent soixante prisonniers, toutes tropole, furent accueillies avec un vif
îles armes, bagages, les bêtes de
les mécontentement en Algérie; car elles
;
somme tombèrent en notre pouvoir. amenèrent le renchérissement d'une
Ben Allai lui-même fut tué dans le corn- fou le d'objets de consommation que l'Es-
;
bat ; il était le premier lieutenant d'Abd- pagne, l'Italie et les entrepôts de Gibral-
el Kader, et exerçait une très-grande tar fournissaient à bon marché.
: influence sur les populations arabes de Campagne de Biskaba en 1844. —
Miliana, de la Métidja, du Sébaou et de Le duc d'Aumaîe arriva à Constantine
Médéah. Ce combat trancha définitive- le 5 décembre 1 843 pour prendre le com-
ment la question de guerre. Dans les mandement de la province. Il appliqua ses
tribus de l'intérieur nous devînmes les premiers soins à donner une impulsion
véritables possesseurs du pays; et ceux vive et régulière à l'organisation des
qui nous combattirent désormais n'é- différents services , et particulièrement
taient plus des ennemis, mais des sujets au gouvernement des indigènes. D'utiles
en rébellion, toujours facilement rame- innovations furent essayées dans la pro-
nés à l'obéissance. L'émir fut rejeté dans vince de Constantine, et on s'empressa de
le Maroc. Il avait encore un de ses lieu- les adopter dans les autres parties de
tenants àBiskara, dans la province de l'Algérie. En même temps qu'il réglait
Constantine; mais il n'existait plus au- l'administration des tribus, le duc d'Au-
cun rapport régulier entre ce chef et son maîe poussait avec activité les prépara-
maître. tifs d'une expédition lointaine, dont le
Administration en 1843. — Les ac- but principal était de chasser de Biskara
tes administratifs ne furent pas en aussi le khalifa qui y commandait encore au
grand nombre qu'en 1842. Nous ne men- nom d'Abd-el-Kader, soutenu par deux
tionnerons que les principaux. Une or- cents fantassins réguliers environ; au
donnance royale du 16 avril rendit appli- retour la colonne expéditionnaire de-
cable à l'Algérie sous certaines modi-
, vait être employée à poursuivre Ahmed-
ficationS; lecodedeprocedurecivile. Des Bey, réfugié dans les montagnes du Be-
arrêtés ministériels des 16 septembre et lezma, et adonner à cette contrée une
16 octobre déterminèrent l'organisation constitution définitive, afin d'ouvrir au
des troupes auxiliaires indigènes appelées commerce français la route si intéres-
à concourir, avec les chefs investis, au sante des oasis sahariennes.
maintien de la tranquillité et à la percep- Le 23 février 1844 les troupes se trou-
tion des impôts. Les fantassins {askar) vaient réunies à Batna , sur la limite du
furent placés auprès des fonctionnaires Tell et du petit désert. Elles se compo-
exerçant un commandement dans les vil- saient de deux mille quatre cents fantas-
les éloignées de nos centres d'occupation sins, six cents chevaux réguliers (spahis
'
ou dans les pays montagneux; ils rece- et chasseurs d'Afrique), quatre pièces de
vaient une solde de cinquante centimes montagne et deux de campagne. On se
.21,
,
324 L'UNIVERS.
d'Abd-el-Kader n'avait pas attendu no- de plus de quatre mille Arabes firent ir-
tre arrivée, et s'était réfugié dans les ruption contre les redoutes qui défen-
montagnes de l'Aurès. Le duc d'Aumale daient les abords du camp; ils furent
consacra dix jours à organiser le pays, repoussés avec perte sur tous les points.
dont il étudia avec soin les ressources et C'était la première fois que ces tribus
la situation. Une compagnie de tirail- luttaient contre nos soldats; elles reçu-
leurs indigènes fut installée dans la Cas- rent une si rude leçon , qu'elles renoncè-
bah pour soutenir l'autorité du cheikh- rent depuis à toute espèce de tentative
el-arab et on lui adjoignit des cavaliers
;
contre le camp de Batna.
choisis parmi les nomades les plus dé- Après quelques jours de repos les for-
voués à notre cause. ces actives de la division de Constantine
Le lieutenant de l'émir chassé de Bis- reprirent la campagne pour aller châtier
kara était cependant un drapeau au- et soumettre lestribus de Belezma qui
tour duquel pouvaient se réunir les mé- avaient pris part à l'attaque de Batna. Par-
contents il fallait lui faire subir un nou-
; mi les montagnes de cette contrée, celles
vel échec pour lui enlever toute influence des Ouled Sultan passaient pour inexpu-
sur les populations des montagnes où il gnables; plusieurs fois les Turcs avaient
s'était réfugié. Il avait déposé ses maga- vainement tenté d'y pénétrer. Le but
sins à Mechounèch, village situé au principal de nos efforts devait être de
pied des derniers contreforts sud de la prouver à ces tribus que nos armes ne
chaîne des monts Aurès à trente-deux
, pouvaient pas rencontrer d'obstacles in-
kilomètres nord-est de Biskara. L'Oued surmontables. Partie de Constantine le
el-Abiadh, sortant d'une gorge étroite, 17 avril , la colonne se réunit le 20 aux
arrosait une petite vallée plantée de pal- troupes de la subdivision de Sétif à Ras-
miers et au milieu de laquelle on voyait el-Aïoun, en face du pays des Ouled
plusieurs maisons. Sur les flancs dénu- Sultan. Le 24 une première tentative
des et à pic des collines qui dominaient pour entrer dans la montagne ne fut pas
cette oasis se trouvaient trois fortins couronnée de succès. Nos soldats mar-
assez solidement construits, défendant ehant au milieu d'un brouillard très-
l'approche du village. Une première re- épais, dans des ravins inconnus, soutin-
connaissance dirigée sur ce point at- rent un très-rude combat. L'absence de
tira l'attention de l'ennemi ; la guerre guides fidèles , une panique qui se dé-
sainte fut prêchée dans les tribus, et le clara parmi nos auxiliaires arabes , for-
khalifa d'Abd-el-Kader réunit à Mechou- cèrentleducd'Aumaledevenirreprendre
nèch deux ou trois mille montagnards. son ancien bivouac à Megaous , au pied
Lorsque le duc d'Aumale se présenta, de la montagne. Les derniers jours du
le 14 mars, avec seize cents hommes, mois d'avril furent employés à rassem-
toutes les hauteurs étaient couvertes bler dans la partie du pays plat cultivée
d'Arabes. On attaqua aussitôt avec la par les Ouled Sultan les tribus noma-
plus vive impétuosité, et l'ennemi fut fa- des du Sahara récemment soumises
cilement chassé des premières pentes ; dont les innombrables troupeaux dévas-
mais il se réunit sur un pic escarpé au- tèrent entièrement les récoltes des mon-
tour des soldats réguliers du khalifa.Une tagnards. Enfin le I e1 mai on pénétra
"
de nos compagnies, envoyée pour le délo- dans la montagne. La résistance des Ou-
ger, commençait à plier, lorsque le duc led Sultan fut bientôt vaincue. On fouilla
d'Aumale, par une charge vigoureuse, le pays dans tous les sens ; Ahmed-Bey
ALGÉRIE. 325
fut obligé de'se sauver en toute hâte, en gne furent l'occupation permanente de
nous abandonnant la plus grande partie Batna et de Biskara, l'organisation des
de ses bagages; après quatorze jours tribus du Sahara, du Belezma et de la
d'efforts persévérants , toutes les tribus Houdna. Les nombreux villages des Zi-
firent leur soumission. ban, qui avaient tant eu à souffrir pen-
Le duc d'Aumale rentrait à Batna le dant que le pays était déchiré par les luttes
14 mai , lorsqu'il reçut la nouvelle d'une de notre cheikh-el-arab contre le khalifa
horrible catastrophe arrivée à Biskara. d'Abd-el-Kader, en retrouvant le calme,
En quittant cette ville au mois de mars se développèrent rapidement. Cette par-
précédent, le commandant de la pro- tie de la province de Constantine ne
vince avait prescrit de former une com- donna plus par la suite aucun sujet d'in-
pagnie de tirailleurs indigènes pour gar- quiétude. Le duc d'Aumale après , avoir
der la Casbah. Les personnes chargées visité Sétif et toute la subdivision de„
de cette organisation n'apportèrent pas Bône, quitta le commandement de la
toute l'attention désirable dans le choix province de Constantine dans les pre-
des nouveaux soldats; on accepta trop miers jours du mois d'octobre. Son ad-
légèrement des hommes qui venaient di- ministration a laissé des souvenirs impé-
rectement de chez le khalifa de l'émir, et rissables dans l'esprit des populations.
qui n'offraientpastousla garantie d'avoir Personne avant lui ne s'était occupé
leur famille à Biskara. Deux officiers avec autant de zèle, d'activité et d'in-
français et quelques artilleurs étaient telligence de toutes les questions d'or-
restées avec cette troupe. Dans la nuit ganisation et des intérêts si souvent
du 11 au 12 mai le lieutenant d'Abd-el- opposés des indigènes et des Européens.
Kader, suivi de quelques hommes dé- La province de Constantine offrait alors
voués, se présenta devant la Casbah; un exemple remarquable de ce qu'on
les portes lui furent ouvertes par tra- pouvait trouver de ressources parmi
hison; les Français, réveillés en sursaut les officiers de l'armée pour le gouver-
par un bruit inusité, furent massacrés nement des tribus, et de ce qu'on pou-
avant d'avoir pu se reconnaître. Les vait attendre des Arabes en les admi-
artilleurs furent emmenés prisonniers; nistrant avec justice et avec bienveil-
le matériel et les approvisionnements lance.
furent livrés au pillage. Un seul sous-of- Événements de la. province d'Al-
ficier français parvint à se sauver dans ger en 1844. —
La tranquillité régnait
un village' dévoué aux intérêts du parti sur tous les points de la province d'Al-
français. ger; le gouverneur général voulut en
En apprenant ces sinistres nouvelles profiter pour étendre notre domination
leduc d'Aumale se hâta de diriger des jusque dans les contrées méridionales,
troupes sur Biskara; le 18 au matin où les partisans d'Abd-el-Kader pou-
notre cavalerie faisait irruption dans vaient trouver un refuge et des res-
l'oasis. Le
khalifa de l'émir était parti sources. Des troupes furent chargées de
depuis la Les habitants les plus
veille. soumettre les Ouled Naïl de pénétrer
,
compromis l'avaient suivi; les autres dans Laghouat dans Ain-Madhi pour
et
vinrent protester de leur obéissance. La organiser l'administration au nom de la
colonne séjourna une semaine dans les France. Cette expédition réussit complè-
Ziban pour arrêter l'organisation admi- tement et si les résultats ne furent pas
;
nistrative d'une manière définitive et aussi décisifs que pour Biskara dans la
pour punir ceux des habitants qui avaient province de Constantine, c'est qu'on ne
participé à la trahison. Le 25 mai le put laisser sur les lieux une garnison
corps expéditionnaire se mit en mar- française. D'ailleurs l'importance des
che; il traversa la Houdna orientale, et intérêts n'était pas assez grande pour
gagna le pays des Ouled Sultan par le nécessiter un établissement, toujours
sud. Les chefs de ces contrées reçurent difficile et dispendieux.
l'investiture, les contributions des tri- Ben-Salem maintenait encore l'auto-
bus furent réglées. Les troupes rentrè- rité de l'émir au milieu des tribus ka-
rent à Constantine le 4 juin. biles du Djurdjura et jusque dans le Se-
ï^es résultats de cette longue campa» baou. Le maréchal Bugeaud résolut de
326 L'UNIVERS.
détruire ce loyer d'intrigues , où les mé- grande partie d'aventuriers, et avec la-
contents de la province se donnaient quelle il franchissait souvent la frontière
rendez-vous. Il partit d'Alger le 27 avril. pour piller nos tribus. Ces brigandages
avec une colonne de cinq mille hommes entretenaient une vive agitation dans
aguerris, et après avoir expliqué aux tout l'ouest de la province d'Oran. Les
Kabiles dans une proclamation le but autorités marocaines, malgré toutes nos
de son entreprise. L'occupation du port réclamations loin de s'opposer a ces dé-
,
de Dellis ayant été arrêtée depuis long- sordres, semblaient les encourager et les
temps, cette ville, qui allait devenir la favoriser. Bientôt les marocains senti-
base des futures opérations, reçut nos rent leur fanatisme s'exalter au contact
troupes le 8 mai. Pendant qu'on rele- d'Abd-el-Kader et de ses partisans; ils
vait les fortifications de la place le ma-
, se crurent appelés à chasser les Fran-
réchal marcha contre les rassemblements çais de la régence d'Alger, et les vieilles
de Kabiles qui s'étaient formés au delà prétentions de la dynastie des chérifs
de l'Oued-Sebaou. Par une habile ma- sur l'ancien royaume de Tlemsen se ré-
nœuvre il les attira dans la plaine, et veillèrent avec toutes leurs illusions. Le
les battit le 13 mai. Une seconde troupe kaïd d'Ouchda réunit autour de lui
d'ennemis, encore plus considérable, un corps de plus de deux mille cavaliers,
s'était rassemblée au centre du pays des et sembla se préparer à la guerre. Abd-el-
Flissa; les Kabiles avaient construit des Kader joignit bientôt ses" forces à celles
rédans en pierres sèches pour ajouter à du Maroc.
la force d'une position déjà formidable. Pour être prêt à parer aux graves
L'armée française sut cette fois encore éventualités que tout faisait prévoir
suppléer au nombre par le courage et la comme très-prochaines, le général de
science de la guerre. Le 17 mai on oc- Lamoricière avait fait occuper le fort de
cupa un sommet très-élevé au-dessus Sebdou, relevé de ses ruines; bientôt il
des positions de l'ennemi en voyant leur
; choisit un nouveau point sur la frontière
ligne débordée, les Kabiles, qui avaient du Maroc pour surveiller Ouchda, et éta-
d'abord résisté avec bravoure, se dis- blit un camp à Lella-Maghma, à soixante
persèrent , et nous laissèrent occuper kilomètres à l'ouest de Tlemsen. Le
cinquante villages, où les auxiliaires in- kaïd marocain frappé de l'attitude ré-
,
digènes firent un grand butin. Ce succès solue de nos troupes, aurait voulu ne
amena la soumission des Flissa, et per- rien précipiter mais il ne pouvait plus
;
mit au gouverneur général de compléter maîtriser les passions fanatiques des con-
l'organisation de cette partie de la pro- tingents réunis autour de lui et qu'Abd-
vincejusqu'au Djurdjura. Cette opération el-Kader poussait à la guerre sainte.
importante était à peine terminée que ,
D'un autre côté, un parent de l'empereur
des nouvelles de la plus haute gravité, de Maroc arriva à Ouchda à la tête d'un
venues de la frontière du Maroc, appe- corps de cavalerie régulière, les Abids-
lèrent sur ce point toute l'attention du Boukhari. Cette troupe, justement re-
maréchal Bugeaud. Il courut en avant de nommée pour sa bravoure parmi les tri-
la Tafna, avec une partie des troupes bus du Maroc, brûlait d'en venir aux
qui avaient combattu et soumis les Ka- mains avec les chrétiens, pour montrer
biles. aux hommes d'Abd-el-Kader la supério-
GUEBBE AVEC LE MAROC. — Abd- rité des Marocains sur les Arabes de
el-Kader, chassé de l'Algérie à la fin de l'Algérie. Toutes ces causes réunies en-
l'auuée 1843 , s'était retiré dans le Ma- traînèrent l'armée marocaine à franchir
roc ; il avait établi les débris de ses par- la frontière et à attaquer le camp français
tisans et de ses réguliers échappés aux sans déclaration de guerre. Le général de
coups du duc d' Aumale à Taguin , du gé- Lamoricière prit des dispositions rapides;
néral de Lamoricière et du générai Tem- le premier choc fut terrible : les Abids-
poure, sur un point situé à l'ouest du Boukhari, qui se trouvaient en présence
Chot-el-Gharbi à quatre-vingts kilomè-
, d'un bataillon de zouaves , firent des ef-
tres environ au sud-est d'Ouchda. Son forts inutiles pour l'enfoncer. Après une
influence religieuse rallia bientôt autour lutte acharnée, l'ennemi fut repoussé
de lui une sorte d'armée, composée en et vigoureusement poursuivi. Cette af-
ALGÉRIE, 327
faire glorieuse pour nos armes eut lieu général avait fait savoir aux autorités
le 30 mai; elle imprima aux Marocains marocaines qu'il ne respecterait pas plus
une si grande terreur, que jamais dans leur territoire qu'elles n'avaient respecté
les combats livrés postérieurement ils le nôtre , et qui!
y poursuivrait Abd-
n'osèrent aborder nos troupes de si el-Kader et les tribus algériennes révol-
er
près et s'exposer à leurs coups. tées. En effet, le 1 juillet il, se porta
Dans les premiers jours du mois de sur l'Oued-lsIy, et il eut, deux jours
juin le maréchal Bugeaud arriva sur après, un engagement peu important avec
la frontière pour prendre la direction les troupes du Maroc. L'armée française
i des opérations militaires. Il voulut d'a- remonta le cours de l'Isly pour chercher
bord recourir aux négociations, afin Abd-el-Kader et les tribus émigrées.
d'éviter la guerre avec le Maroc si c'é-
, Les 11 et 13 juillet quelques centaines
tait possible. Le kaïd d'Ouchda con- de cavaliers seulement vinrent nous
!
sentit à une conférence, et se rendit le 15 attaquer, et le 19 on regagna le camp de
j
juin sur les bords de la Molouïa où il , Lella-Maghnia.
; rencontra le général Bedeau. Le chef Cependant tous les rapports annon-
marocain s'était fait accompagner de çant que des contingents nombreux ve-
plus de trois mille hommes; le général naient grossir incessamment l'armée
1
français n'avait pris pour toute escorte marocaine, et qu'un des (ils de l'empe-
i que quatre bataillons. Dès l'ouverture de reur avait été envoyé pour la comman-
j
l'entrevue, le général Bedeau pressen- der; le maréchal Bugeaud concentra les
tit qu'elle ne pourrait pas avoir d'issue. forces dont il pouvait disposer, et qui
I
Les troupes marocaines poussaient des avaient été accrues par l'arrivée de plu-
clameurs sauvages et des cris de malé- sieurs régiments envoyés de France. Il
diction contre les chrétiens ; elles tiraient apprit bientôt que l'escadre française
même des coups de fusil contre l'escorte qui croisait devant Tanger, sous les
du général. Le kaïd d'Ouchda essaya d'a- ordres du prince de Joinville, avait dé-
bord de ramener l'ordre parmi ses gens, mantelé les fortifications de cette ville.
et linit par déclarer que son maître de- Le rassemblement marocain, établi à une
mandait que les frontières entre les deux très-faible distancede notre camp, comp-
États fussent reportés à la Tafna, et que tait déjà plus de quarante mille combat-
; si nous n'acceptions pas ces conditions, tants. Différer plus longtemps, c'était
nous pouvions considérer la guerre voir diminuer chaque jour les chances
comme dénoncée. Ces paroles rompi- de succès. Aussi le gouverneur générai
rent la conférence; le général Bedeau n'hésita pas à prendre l'initiative. Le 13
se retira. Comme il était en marche, son août, à trois heures après midi, nos
arrière-garde fut assaillie par les Maro- troupes se mirent en mouvement, en
cains. Prévenu de ces circonstances simulant un grand fourrage; le 14, à
le gouverneur général accourut, prit deux heures du matin, elles se remirent
l'offensive, et mit en fuite les forces de en marche. A huit heures on aperçut
l'ennemi , qui laissa environ trois cents tous les camps marocains sur la rîve
hommes sur le terrain. droite de l'Isiy; l'ennemi tenta de nous
Après de nouveaux efforts pour arri- disputer le passage de la rivière; il fut
ver à un arrangement, le maréchal repoussé par les tirailleurs d'infanterie.
Bugeaud marcha sur Ouchda, et y entra A peine notre armée avait pris son or-
sans coup férir. La ville fut respectée ; et dre de combat sur la rive opposée,
comme la difficulté des approvisionne- qu'elle fut assaillie sur les deux flancs
ments recommandait de se rapprocher et sur ses derrières par des masses con-
de la mer l'armée rentra sur le terri-
, sidérables de cavalerie. Mais partout
toire algérien. Le 26 juin elle se porta l'attaque échoua contre la solidité de no-
sur le petit port de Djema-Ghazaouat ; tre infanterie; bientôt notre artillerie
on établit un camp sur ce point , et on mit le désordre dans ces bandes confu-
s'occupa d'y former les magasins et les ses, qui se retirèrent devant nous. La co-
hôpitaux, pour le cas où les hostilités lonne française voyant l'effort de l'en-
avec le Maroc deviendraient plus sérieu- nemi brisé" sur ses flancs, continua sa
ses et se prolongeraient. Le gouverneur marche en avant, et, après une légère ré-
328 L'UNIVERS.
retrait des troupes rassemblées à Ouchda, extraordinairement sur la frontière des deux
avait détruit les fortifications de Tan- empires ou dans le voisinage de ladite fron-
,
brasures noyèrent les poudres, et rap- melle et la plus absolue à ne donner ni per-
,
,
portèrent comme trophées trois drapeaux mettre qu'il soit donné dans ses États, ni as-
et dix canons en bronze. Après cette sistance, ni secours, ni armes, munitions ou
objets quelconques de guerre à aucun sujet re-
expédition les Français rentrèrent dans
belle ou à auffun ennemi de la France.
File, qu'on devait occuper jusqu'à la con-
Art. 4. Hadj Abd-el-Kader est mis hors la
clusion de la paix. Des bandes de Kabi-
loi dans toute l'étendue de l'empire du Ma-
les, accourues des montagnes environ-
roc, aussi bien qu'en Algérie.
nantes envahirent la ville, et y mirent
,
Il sera, en conséquence, poursuivi à main j
En apprenant coup sur coup les évé- gérie et par les Marocains sur leur territoire,
nements de Tanger, de Mogador et de jusqu'à ce qu'il soit expulsé ou tombeau pou-
l'ïsly , l'empereur du Maroc fut cons- voir de l'une ou de l'autre nation.
ALGERIE. 329
fut immédiatement sommé par les au- Abd - er - Rahman une lettre pleine de.
torités marocaines d'évacuer le terri- témoignages de respect et de soumis-
toire de l'empire. Il répondit à Mouley sion, s'excusa de ne pouvoir obéir à
ses ordres à cause des maladies qui ré-
Dans où Abd-el-Kader tomberait au.
le cas gnaient parmi ses compagnons; mais
pouvoir des troupes françaises, le gouverne- il réunit les sept ou huit cents hommes
ment de S. M. s'engage à le traiter avec égard armés qui composaient ses troupes, et
et générosité. Dans le cas où Abd-el-Kader
resta campé sur la rive gauche de la
tomberait au pouvoir des troupes marocaines,
Molouïa, à cent kilomètres de notre
S. M. l'empereur de Maroc s'engagea l'enfer-
frontière.
mer dans une des villes du littoral ouest de
l'empire, jusqu'à ce que les deux gouverne-
Derniers événements de 1844.
ments adoptent, de concert, les mesures in- L'issue favorable de la campagne contre
dispensables pour qu' Abd-el-Kader ne puisse, le Maroc exerça la plus salutaire in-
en aucun cas, reprendre les armes et trou- fluence sur la* tranquillité de toute
bler de nouveau la tranquillité de l'Algérie et Les troupes de Mascara firent
l'Algérie.
du Maroc. une démonstration dans le sud pour
Art. 5. La délimitation des frontières entre rassurer les tribus qui redoutaient la
les possessions de S. M. l'empereur
des Fran- réapparition d'Abd-el-Kader dans leur
çais et celles du Maroc reste fixée et conve- pays. La colonne de Sidi-bel-Abbès châ-
nue conformément à l'état reconnu par le tia les Ouled Ali-ben-Hamel qui avaient
gouvernement marocain à l'époque de la do- commis quelques désordres. Dans la
mination des Turcs en Algérie. L'exécution province d'Alger, les montagnes du
complète et régulière de la présente clause
Djurdjura attiraient encore l'attention
sera l'objet d'une convention spéciale, né-
du gouverneur général. Ben Salem et
gociée et conclue sur les lieux entre les pléni-
quelques partisans fanatiques de l'émir y
potentiaires délégués à cet effet par l'empe-
entretenaient l'agitation par leurs me-
reur des Français et un délégué du gouver-
nées. Un détachement trop faible sortit
nement marocain. S. M. l'empereur duMaroc
s'engage à prendre sans délai , dans ce but, de Dellis le 17 octobre pour reconnaître
les mesures convenables et à en informer le les dispositions des tribus ; les troupes
gouvernement français. mal dirigées, furent engagées impru-
Art, 6. Aussitôt après la signature des pré- demment contre un ennemi dix fois
sentes conventions les hostilités cesseront de plus nombreux; elles éprouvèrent des
part et d'autre; dès que les stipulations com- pertes assez fortes. Le maréchal Bu-
prises dans les articles i, 2, 4. et 5 auront geaud se hâta d'accourir à la tête d'un
été exécutées à la satisfaction du gouverne- renfort; il atteignit les Kabiles le 28 oc-
ment français , les troupes françaises évacue- tobre, et les mit en fuite après leur avoir
ront l'île de Mogador, ainsi que la ville
tué plus de cent cinquante hommes. A
d'Ouclida, et tous lesprisonniers faits de part la suite de ce combat vigoureux les tri-
et d'autre seront mis immédiatement à la
bus révoltées rentrèrent dans le devoir.-
disposition de leur nation respective.
Ce fut le dernier fait de guerre de l'an-
Art. 7. Les hautes parties contractantes
née. Le 16 novembre, le maréchal Bu-
s'engagent à procéder, de bon accord et le
plus promptement possible, à la conclusion
geaud partit pour la France, et laissa le
d'un nouveau traité qui, basé sur les traités
gouvernement par intérim de l'Algérie
actuellement en vigueur, aura pour but de les au général de Lamoiïcière après quatre
;
et il fallut adopter des mesures de surveil- tique. Pour un grand nombre d'Arabes,
lance et de répression très-rigoureuses le rôle d'Abd-el-Kader était fini ; la for-
pour arrêter la défection d'un grand tune avait prononcé contre lui; il avait
nombre de tribus qui voulaient émigrer été vaincu et depuis longtemps aucun
,
cendie empêchât d'entendre les voix qui pénétra chez les Ouled Abdi, qui, cédant
'
demandaient grâce, huit cents indivi- aux conseils fanatiques de quelques ma-
dus furent étouffés et brûlés. Ce châti- rabouts, avaient pris les armes. On les
ment terrible, désavoué par nos mœurs, rencontra par une marche rapide auprès l
et qui n'avait pas été calculé par le chef du village d'Aïdoussa; après deux heures •
vante toutes les tribus , et mit fin à la leurs habitations, les Ouled Abdi arrivè-
résistance du Dahra. Bou-Maza, traqué rent à composition. Les autres tribus,;
, cessèrent toute résistance , et
:
qui n'avaient pas encore été visitées par vaient jamais tenté de soumettre com-;
nos troupes, se montraient hostiles à plétement. Cette expédition eut un ré-
notre établissement à Batna. Quelques sultat très-important pour nos rapports
expéditions rapides opérées avec discer- avec le Sahara ; la route de Batna à Bis-
nement avaient atteint les populations kara devint parfaitement libre et sûre,
les plus rapprochées et les avaient ame- Expédition des Kessours (1).
—
nées à reconnaître notre autorité; mais
la majeure partie des tribus, excitées
(i) On donne ce nom, dans la région di
par la présence d'Ahmed-Bey et du kha- Sahara, à une agglomération de cabanes, en
lifa de l'émir, chassé de Biskara refu-
,
vironnée d'un mur d'enceinte et de quelque
saient obstinément d'entrer en relation petits forts détachés qui la rendent susceplibli
avec nous. Cet exemple d'insoumission d'une certaine défense. Les constructions son
était dangereux : le général Bedeau faites en pierres sèches ou en briques cuites ai
résolut de pénétrer dans ces montagnes soleil ; les terrasses sont formées avec de 1
ALGÉRIE.', 333
'
Les premiers troubles qui avaient éclaté ses que cette situation pouvait amener,
dans la partie occidentale de la province le gouverneur général partit d'Alger le
d'Oran avaient été assez facilement ré- 23 juillet, et en peu de jours il rétablit la
primés. Mais les populations éloignées tranquillité, et força les agents de désor-
des points occupés par nos troupes dre à se retirer dans les parties les plus
étaient sans cesse en butte aux menées reculées du Djurdjura. Quelque temps
d'Al?d-el-Kader. Ses efforts persévérants après, toute cause de dangers paraissant
parvinrent à fomenter de grandes agita- conjurée , le maréchal Bugeaud se rendit
tions dans les tribus au sud de Mascara, de nouveau en France, et appela le gé-
limitrophes à l'empire de Maroc. Le néral de Lamoricière au gouvernement
gouverneur général reconnut la néces- général par intérim.
sité de faire une démonstration énergi- Traité de délimitation avec le
que dans ces contrées et d'y inaugurer Maroc. —
L'article 5 du traité du
notre domination. A cet effet une co- 10 septembre 1844 avait stipulé qu'une
lonne de deux mille hommes partit de convention spéciale négociée et conclue
Mascara le 14 avril, et se dirigea vers sur les lieux déterminerait la délimita-
les villages du désert (Kessour), où les tion des frontières entre les posses-
tribus nomades déposent leurs grains et sions algériennes et le Maroc. Au mois
leurs approvisionnements. Le 24, après de janvier 1845 le gouvernement fran-
avoir parcouru deux cent soixante- çais nomma pour son plénipotentiaire le
huit kilomètres, nos troupes atteignirent général de la Rue, qui avait rempli déjà
Stitten. Le village était abandonné; une mission diplomatique au Maroc. Les
mais un envoyé se présenta bientôt au négociations,habilement conduites, abou-
nom des habitants, et annonça qu'ils tirent à la conclusion d'un traité qui fut
étaient disposés à rentrer. En effet, le signé sur la frontière le 18 mars. Ainsi
lendemain ils firent leur soumission. Le que l'avait indiqué le traité du 10 sep-
27 avril la colonne arriva à Rassoul, tembre, les limites furent maintenues
situé à quarante-huit kilomètres de Stit- telles qu'elles existaient autrefois lors-
ten; le 30 en vue de Brezina ,
elle fut que la Régence d'Alger était au pouvoir
à soixante kilomètres plus au sud que des Turcs. On énuméra avec beaucoup
Rassoul. Ce village est situé au milieu de détail les cours d'eaux les sommets
,
d'une fraîche oasis entourée de tous cô- de montagnes et les accidents de terrain
tés de sables arides. La présence d'une qui marquaient la frontière. Mais cette
troupe française à une aussi grande précision ne put s'appliquer qu'au Tell.
distance du "littoral produisit une im- Pour le territoire dénudé et uniforme
pression très-vive sur l'esprit des indi- d'aspect du Sahara on ne donna que des
gènes ; ils purent dès lors se convaincre indications vagues le partage même des
;
que les retraites les plus éloignées ne populations nomades qui fréquentent
mettraient pas nos ennemis à l'abri de ces parages se fit d'une manière peu
notre vengeance. mûre. En effet deux confédérations de
,
Troubles dans le cercle de Del- tribus très- puissantes, les Ouled Sidi-
lis. —
L'insurrection de Bou-Maza dans Cheikh et les Ahmian furent divisées
,
tribus soumises : ils ne purent produire d'autant plus regretter que nos droits
qu'une agitation partielle. Cependant aient été abandonnés sur ce point, que
pour prévenir les conséquences fâcheu- la division opérée a amené de fréquents
conflits d'autorité et des difficultés très-
terre glaise , on ne blanchit pas ces construc- graves pour l'administration de ces no-
tions, de sorte que le Kessour entier a une mades. L'article 7 du traité consacra le
teinte uniforme, qui se confond avec celle des droit d'asile réciproque pour les deux
terres environnantes. territoires. Cette convention et les rela-
,,
L'UNIVERS.
tous les délais à profit pour grossir le aux instances des chefs des tribus voi-
nombre de ses partisans. Moins d'une sines, qui se disaient menacés par l'émir,
année après la bataille d'Isly il comp- sortit à la tête de quatre cent cinquante
tait à sa déira (1) plus de six mille ten- hommes, et se porta au marabout de
tes ,
pouvant mettre au moins deux Sidi-Brahim , à douze kilomètres de
mille hommes à cheval. Il était parvenu Djema-Ghazaouat et à six kilomètres à
à réorganiser à peu près huit cents fan- l'ouest de Nédroma. Le 22 septembre
tassins réguliers et autant de cavaliers. toujours attiré par les sollicitations des
Les populations marocaines l'entou- Arabes, il poussa unereconnaissance jus-
raient de sympathies si vives , que les qu'au lieu appelé Dar-el-Foul, à quatre
agents de l'empereur avaient dû renon- kilomètres plus loin, laissant le gros de
cer au projet de le chasser du Tell. Il sa troupe à Sidi-Brahim. Il était suivi
recevait des secours et des subsides de sur ses flancs par des groupes de cava-
tous les points de l'empire ; ses émis- liers arabes dont le nombre augmentait à
saires parcouraient sans cesse l'Algérie, mesure qu'il avançait ; bientôt le déta-
et au moyen des ramifications nombreu- chement fut entièrement enveloppé et
ses qui existent dans les tribus parmi les assailli avec fureur. Soixante cavaliers
membres des confréries religieuses, il du deuxième hussards, commandés par
entretenait le fanatisme. Bientôt on ap- le chef d'escadron Courby de Cognord
prit la présence de la déira sur la basse firent de vains efforts pour repousser les
Molouïa, et on commença à s'entretenir Arabes l'infanterie, accourue pour ap-
;
des projets d'invasion d'Abd-el-Kader puyer l'attaque tomba sous les coups
,
en Algérie, soit par le sud, soit même de l'ennemi, cent fois supérieur en nom-
directement par le Tell. bre le colonel Montagnac fut lui-même
;
Une levée généraiede boucliers eut lieu frappé mortellement. Tous les officiers
au mois de septembre dans la province furent tués ou pris après des blessures
d'Oran. La colonne de Mostaganem en- qui les mettaient hors de combat. Cent
gagée dans le pays des Flitta, pour ré- soixante hommes détachés de Sidi-Bra-
him pour secourir le commandant supé-
(i)Nous avons déjà dit que le mot Déira a rieur eurent le même sort que les pre-
une signification identique à celle du mot miers. M. de Cognord, resté avec
Zmala il désigne les personnes qui suivent
;
soixante hommes, fantassins et cavaliers,
la fortune d'un chef et campent autour de lui. sur une petite éminence , se défendit
ALGÉRIE; 335
pendant une heure et demie contre les pays était désolant ; Vincendie avait par-
charges de trois milles cavaliers arabes tout exercé ses ravages ; toutes les popu-
conduits par Abd-el-Rader lui-même ; lations avaient été enlevées par l'ennemi
mais les munitions venant à manquer, et s'étaient dirigées vers la déira dans le
l'ennemi resserra dans un cercle plus Maroc. Le général Cavaignac étaitàBab-
étroit nos braves soldats, et les fusilla Taza , avec dix-huit cents baïonnettes,
sans qu'ils pussent disputer leur vie. Le pour tâcher d'arrêter ces émigrations ;
commandant de Cognord, ayant été lui- malgré un brillant combat livré aux fu-
même renversé par trois coups de feu, gitifs, ilspassèrent en grand nombre la
les Arabes se précipitèrent et enlevèrent frontière. Le 8 octobre le général de La-
la position. Quatre-vingts hommes moricière se joignit à la colonne de Tlem-
avaient été laissés à Sidi-Brahim ; ils se sen avec cinq mille cinq cents hommes.
retranchèrent dans le marabout, et ne Les troupes étaient impatientes d'en ve-
tardèrent pas à être attaqués à leur nir aux mains pour venger les victimes du
tour après la destruction des deux pre- guet-apens de Sidi-Brahim la fortune
;
s'étaient révoltés. Cette tribu ne put ré- voir. Le gouverneur généralespérait pou-
sister elle rentra dans l'obéissance, et
;
voir l'arrêter en se postant dans ce pays
se soumit à payer une contribution de montagneux, toujours disposé à la rébel-
guerre considérable. Son exemple fut lion. LegénéraldeLamoriciéreavait assez
promptement suivi par les populations de troupes pour s'opposer aux entre-
situées entreMascara et Mostaganem, et prises de l'émir dans la province d'Oran.
la libertédescommunicationsfut rétablie. Le 22 octobre le maréchal quitta Mi-
Cette première tâche achevée, le général liana, se dirigeant vers Teniet-el-Ahd,
de Lamoricière fit rentrer dans le devoir afin de prendre l'Ouarsenis parle sud.
la Iakoubia, et ne cessa de parcourir Par des manœuvres habiles et des mar-
le pays, malgré la rigueur de la saison. ches incessantes , l'insurrection com-
Ce mouvement insurrectionnel parais- mençait à s'apaiser, lorsque Abd-el-Ka-
combiné entre Abd-el-Ka-
sait avoir été der arriva dans ce pâté de montagnes.
der et Bou-Maza les combats chez les
; Il fut accueilli avec enthousiasme, et la
les Béni Rached,les souleva, atteignit les prédications de guerre sainte ne trou-
les Beraz, revint chez les Medjadja, et vèrent plus que de faibles échos.
arriva jusque sous les murailles d'Or» Nouvelle organisation adminis-
léansville. Cette dernière tentative ne trative. —
Une ordonnance royale du
fut pas heureuse ; ses bandes furent dis- 15 avril 1845 modifia l'organisation du
persées après avoir supporté des pertes gouvernement et de l'administration de
énormes, et lui-même disparut pour quel- l'Algérie. Le territoire fut divisé en
que temps de la subdivision d'Orléans- trois zones : 1 ° la zone civile , où les ser-
ville (I). vices administratifs étaient complète-
Mais les troupes de la province d'Al- ment organisés; 2° la zone mixte, où
ger étaient entrées en campagne de leur l'autorité militaire remplissait les fonc-
côté. Dès que le maréchal Bugeaud avait tions civiles; 3° la zone arabe, entière-
reçu la nouvelle de l'insurrection, il s'é- ment soumise au régime et au pouvoir
taitempressé de revenir à Alger, amenant militaires. Le gouverneur général con-
avec lui de nombreux renforts. Il dé- serva le commandement et la haute ad-
ministration de l'Algérie; il avait sous
(i) Voyez le livre du capitaine Richard :
ses ordres un directeur général des af-
:
finances , fut nommé directeur général pas encore pris part à la révolte, furent
des affaires civiles. entraînées dans le parti de l'émir. A la
Les actes administratifs les plus im- suite de ce coup de main il se porta ,
portants furent en outre : une ordon- par une marche rapide dans la vallée de
nance royale, du 17 janvier 1845, pour î'Isser, où il fut rejoint par son khalifa
régler le régime financier de l'Algérie et Ben-Salem. En un jour toutes les tribus
faire un départ des recettes et des dé- furent enlevées, et perdirent un butin
penses entre le budget de l'État et ie bud- considérable ; mais une de nos colonnes
get de la colonie; deux ordonnances du qui gardait les abords de laMétidja, in-
2t juillet, l'une sur l'organisation de la formée de ces événements, marcha à
cavalerie indigène régulière, créant un l'ennemi , le surprit dans son camp , le
régiment de spahis dans chacune des mit en déroute, et le força à abandonner
trois provinces; l'autre sur le mode des toutes les prises qu'il avait faites. Cette
concessions de terre. Un arrêté minis- brillante affaire eut lieu le 7 février
tériel, du 3 novembre, organisa le corps 1846.
des interprètes militaires. Enfin les or- Le gouverneur général s'était hâté
donnances royales datées du 9 novem- d'accourir pour faire tête à Forage. Abd-
bre attribuèrent des concessions de terre el-Kader fut obligé d'évacuer les vallées
et de mines à plusieurs capitalistes et , accessibles et de se réfugier sur les
donnèrent ainsi une impulsion remar- pentes sud du Djurdjura. Le 27 février
quable aux. travaux de coIonisation.il l'émir convoqua une grande assemblée
serait trop long d'entrer dans une dis- de Kabiles à Bordj-el-Boghni, pour les
cussion approfondie de ces mesures; appeler à la guerre. Malgré son élo-
nous les mentionnons afin de suivre le quence il ne put rien obtenir de ces
,
338 L'UNIVERS.
le sabre dans les reins, jusqu'en vue de et porta l'alarme jusque dans le camp
Bouçaada. Après ces premiers succès d'Abd-el-Kader.
des renforts furent envoyés à nos colon- Massacre des prisonniers fran-
nes ; elles poursuivirent sans relâche les çais de la deira. —
La satisfaction
partisans de l'émir, et les forcèrent à faire qu'inspirait la situation favorable de
leur soumission. Celui-ci , sérieusement nos affaires fut troublée par un déplo-
menacé par nos progrès se retira dans
, rable incident, le massacre des prison-
le Djebel-Amour, puis se dirigea vers le niers français détenus à la déira de
sud-ouest dans l'Oued Sidi-lNasser. Après l'émir. On'reconnut que ce funeste évé-
son départ la tranquillité fut prompte- nement était le résultat de la double
ment rétablie. crise que venait de traverser la puis-
A la fin du mois de mai les derniers sance d'Abd-el-Kader. Obligé de fuir
foyers de l'insurrection générale de 1845 sans cesse devant nos troupes; atten-
se trouvaient éteints. Les tribus avaient dant en vain les secours qu'il réclamait
fait des pertes considérables, et leur dé- de sa déira; surpris par la défection des
couragement était extrême ; nos enne- Béni Amer et des Hachem, qui s'étaient
mis les plus ardents et les plus fanati- réfugiés dans l'intérieur du Maroc ; dé-
ques avaient péri dans la lutte, ainsi sespérant de faire accepter par la France
que les chefs importants qui avaient ac- une négociation officielle pour l'échange
compagné Abd-el-Kaderdans l'est. La des prisonniers; menacé de voir ces
chaîne du Djebel- Amour était soumise et gages précieux pour ses mensonges po-
organisée. La grande Kabilie, tentée litiques enlevés de vive force par les
un moment de se joindre à nos ennemis, agents marocains ; resserré chaque jour
avait repoussé les provocations de l'émir. dans un cercle plus étroit, où les armes et
Un poste nouveau avait été créé à Sour- les intrigues demeuraient pour lui égale-
el-Ghozlan pour surveiller les pentes du ment impuissantes pressé par la disette
;
impressionna vivement toutes les popu- habileté et toute son énergie à réta-
lations de la frontière, rassura nos amis. blir sa cavalerie et à se créer de nou-
ALGERIE. 339
340 L'UNIVERS.
placés sur leur demande expresse, sous
, et qu'il s'était dirigé vers Stitten. Apres
les ordres immédiats des autorités fran- avoir fait des efforts inutiles pour s'éta-
çaises. Bientôt treize tribus qui sui- blir dans l'Oued SidUNasser, il traversa
vaient la fortune du chef kabile Moham- successivement le Djebel-Amour et les
med-ou-Amzian imitèrent cet exemple. Ouled Naïl sans pouvoir trouver un re-
« Nous sommes, dirent leurs envoyés, fuge assuré. Poursuivant toujours sa
« las de la guerre; convaincus que marche vers l'est, suivi à peine d'une
« l'heure indiquée par Dieu pour la sou- cinquantaine de cavaliers , il arriva dans
« mission de notre pays et de notre race les Ziban de la province de Constantine
« est arrivée, nous ne pouvons qu'obéir prit part à un engagement livré le 10 jan-
« aux décrets du Tout-Puissant. » Le vier 1847 à une colonne française -par
résultat de cet événement fut d'ouvrir les Ouled Djellal , et poussa jusqu'à
la communication directe entre Bougie Tougourt. Nulle part il ne rencontra
et Sétif. Si la route n'offrait pas alors une sympathie assez vive pour oser res-
au commerce une sécurité parfaite, elle ter au milieu des tribus. Enfin déchu de
put cependant être librement parcourue toutes ses espérances de ce côté, il re-
par des courriers indigènes. La ville de prit la direction de l'ouest pour regagner
Bougie ressentit aussi les effets de ces le Dahra , où des milliers de fanatiques
soumissions. Les Kabiles s'y présentè- s'étaient toujours levés à sa voix. Vers
;
rent en grand nombre avec des denrées les premiers jours du mois de mars, il
de toutes sortes. Le prix des aliments pénétra dans le Tell en passant auprès |
ment de moitié. Du côté de Sétif les çais, qui se trouvait par hasard à proxi- !
relations avec les tribus du Sahel de- mité , le poursuivit pendant plusieurs
vinrent plus fréquentes, et l'autorité kilomètres et lui enleva douze chevaux. \
française put enfin faire sentir son Il parvint avec beaucoup de difficulté j
action parmi les rudes populations de dans le Dahra; mais, pour la première j
tion de la Kabilie reçut une confirmation à se remettre lui-même entre les mains
m
;
khalifa d'Abd-el-Kader dans le Sébaou chez les Ouled Iounès pour percevoir
et sur les pentes du Djurdjura. Ce chef, une amende, et leur demanda d'être',
après plusieurs entrevues avec un offi- conduit auprès du commandant supé-
cier français, chargé des affaires arabes, rieur d'Orléansville. Après avoir rendu
se rendit le 27 février au nouveau poste hommage au gouverneur général à Al- ;
ces farouches montagnards à notre qui ôtât aux autres tribus l'idée de nous
contact, avant de faire pénétrer nos combattre. Cette population, que son
troupes au milieu d'eux. Mais le gou- industrie avait enrichie, éprouva dans
verneur général, excité par la résistance cette circonstance une perte immense.
de l'opinion publique et par la désap- Ses fabriques de poudre et d'armes fu-
probation exprimée à la tribune de la rent renversées; un grand nombre de
chambre des députés, s'exagéra l'ur- fusils et de pièces d'armes furent dé-
gence de cette grande opération, et à truits. Les résultats de cette opération
force d'insistance obtint du gouverne- ne se firent pas attendre. Une heure
ment l'autorisation de conduire une co- après la fin du combat un chef kabile
lonne de Sour-el-Ghozlan à Bougie, vint traiter de la soumission des Béni
pendant que la division de Constantine Abbas , qui acceptèrent toutes les condi-
partirait de Sétif pour se rendre égale- tions imposées par le gouverneur gé-
ment à Bougie. néral. La colonne poursuivit sa route,
Le fort de Hamza fut désigné comme et arriva devant Bougie sans autre ac-
point de concentration des troupes de cident de guerre.
la division d'Alger appelées à prendre Quant aux troupes de la division de
part à l'expédition de la Kabilie. L'ar- Constantine, elles partirent de Sétif le
mée se mit en mouvement le 13 mai, et 14 mai sous les ordres du général Be-
arriva le 15 dans la vallée de l'Oued Sahel deau elles ne trouvèrent aucun obsta-
;
qui descend jusqu'à Bougie. Un grand cle pendant les deux premiers jours.
nombre des tribus habitant le haut de Le 16 les Ghebouîa essayèrent de leur
cette vallée envoyèrent leurs chefs au barrer le passage, et engagèrent une fu-
camp du maréchal, fournirent des gui- sillade très-bien nourrie. Ils furent faci-
des et firent acte de soumission. Mais lement repoussés et on pénétra dans
,
arrivé devant les Béni Abbas, tribu puis- trois de leurs villages dont toutes les
,
étaient décidées à la guerre. D'un autre dant la journée entière, les Kabiles en-
côté, les Zouaoua, situés sur la rive tretinrent un feu assez vif contre nos
gauche, manifestaient également l'in- avant-postes , tandis que leurs envoyés
tention de résister. En effet, dans la traitaient de leur soumission. Un en-
nuit du 16 au 17 les grandes-gardes du gagement sans importance eut encore
camp furent attaquées sur trois faces lieu le 18; le jour suivant toutes les
à la fois. Les Kabiles poussaient de tribus arrivèrent au camp, et firent acte
grands cris et faisaient un feu roulant. de soumission. A
partir de ce moment
'ils au combat par des chants
s'excitaient la colonne ne rencontra plus de résis-
de guerre qui rappelaient que dans des tance et fit sa jonction avec les troupes
attaques semblables les troupes turques de la division d'Alger, non loin de Bou-
avaient essuyé des catastrophes dans gie. Dans les montagnes assez difficiles
ces mêmes contrées. Tous leurs efforts qui séparent cette ville de Sétif, le corps
échouèrent devant l'attitude énergique expéditionnaire trouva de remarquables
de nos soldats, qui durent, sur plusieurs cultures, une végétation active habile-
points, charger à la baïonnette pour se ment entretenue, de très-nombreux vil-
dégager. A une heure du matin l'en- lages, bien construits, dont quelques-
nemi se retira, sans nous avoir causé uns avaient l'apparence de véritables
aucune perte. villes.
Le 16, à la pointe du jour, huit ba- Dans leur marche , les deux colonnes
taillons débarrassés de leurs sacs, furent avaient soumis par trois combats seule-
lancés dans les montagnes contre les ment le triangle montagneux
grand
villages des Béni Abbas. On rencontra indiqué par Hamza,
Sétif et Bougie. Ce
partout une résistance opiniâtre; mais territoire est habité par cinquante-cinq
{'impétuosité de nos soldats en triompha tribus , ayant plus de trente-trois mille
n 42 L'UNIVERS.
fusils ((). La grande vallée du Sebaou et Commandement du duc d'Aumale.
tout le revers nord du Djurdjura jus-
qu'à la mer reconnurent l'autorité de la (Du 11 septembre 1847 au 24 février 1848.)
France, par suite de l'influence de nos
succès. Le 24 mai le maréchal Bugeaud
Gouvernement intérimaire. —
Le maréchal Bugeaud quitta Alger le
réunit sous les murs de Bougie tous les
5 juin et laissa le commandement par
,
principaux personnages des tribus qui
intérim au général de Bar. La province
venaient de taire leur soumission, et leur
d'Alger conserva le calme que nos suc-
donna une organisation administrative
en rapport avec le caractère indépen-
dant de ces montagnards. décision, je vais jouir d'un congé qui m'est
accordé depuis longtemps.
Opérations militaires dans le
sud. — Pendant
celte opération prin-
h Comment me séparer de vous sans éprou-
ver de profonds regrets Vous n'avez cessé de
!
cipale le gouverneur générai avait en-
mbonorer pendant six ans et demi d'une
voyé vers le sud sept colonnes légères
confiance qui faisait ma force et la vôtre. C'est
avec mission de raffermir notre autorité cette union entre le chef et les troupes qui
dans le petit désert et d'enlever à Abd- rend les armées capables de faire de grandes
el-Kader et aux autres perturbateurs choses. Vous les avez faites. En moins de irois
les appuis et les ressources qu'ils pou- ans, vous avez dompté les Arabes du Tell et '
vaient y trouver. Nos forces se montrè- forcé leur chef à se réfugier dans l'empire du ,
rent dans les Ziban, dans l'Aurès, dans la Maroc: les Marocains entrèrent alors dans la
Houdna, chez les Ouied Naïl et dans le lutte ; vous les avez vaincus dans trois com- ;
Gheraba et chez les Ouled Sidi-Cheikh, veau. Il avait trouvé des appuis et des res-
et obtinrent partout des garanties réel- sources dans le désert, vous avez su l'y at-
les de fidélité et d'obéissance. Ainsi
teindre en vous rendant aussi légers que les
à ,
manda au ministre de la guerre de pour- cun répit, et voilà comment vous avez éta- ',
voir à son remplacement. La durée de bli cette puissance morale qui garde les
son commandement, qui fut marqué par routes et protège la colonisation sans exi-
une si prodigieuse activité, et pendant ger votre présence constante. C'est ainsi que
lequel s'accomplirent des faits de la plus vous avez pu vous dispenser de multiplier les
haute importance pour l'Algérie avait ,
postes permanents, ce qui aurait immobilisé
dépassé six années (2). une grande partie de vos forces et vous au-
rait mis dans l'impuissance d'achever l'œuvre
lumes, delà collection de l'exploration scien- pérance à vos adversaires. Un danger perma-
tifique de l'Algérie, publiée par le gouverne- nent était là suspendu sur vos tètes. Le sim-
ment. ple bruit d'une expédition a suffi pour sou-
« Ma santé et d'autres motifs puissants m'ont leurs annales des batailles plus mémorables
obligé de prier le roi de me donner un suc- que les \ôtres; il n'en est aucune qui ait livré
cesseur. Sa majesté ne me refusera pas un autant de combats et qui ait exécuté autant
repos devenu indispensable. En attendant sa de travaux... »
ALGÉRIE. 343
achever la pacification des montagnes Béni Amer et des Hachem qui avaient
comprises entre Collo , Milan et le bord émigré dans l'intérieur du Maroc, et les
de la mer. La province d'Oran était engagea à venir le rejoindre; il connais-
tranquille; toute l'attention était absor- sait leur dévouement et leur bravoure
bée par la position, chaque jour plus et il espérait s'en servir pour affermir sa
significative, que prenait Abd-el-Kader domination; ces malheureuses popula-
vis-à-vis de l'empereur du Maroc. Pres- tions, qui supportaient avec peine les dou-
sées par les représentations des agents leurs de l'exil , acceptèrent avec trop de
français, inquiétées de l'ascendant que facilité l'occasion qui leur était offerte
l'émir gagnait dans les tribus de la fron- pour se rapprocher du pays natal ; elles
tière, les autorités marocaines s'étaient se mirent en marche l'émir leur ayant
,
dangereux qui dans l'esprit de beaucoup fut arrêté par des obtacles, et ne put leur
d'indigènes pouvait porter ombrage à la porter secours ; cet événement jeta la
puissance même de l'empereur. consternation parmi ses partisans.
Le généra! de Bar ne tarda à rentrer Arrivée du duc d'Aumale. — Le
,
Ml L'UNIVERS.
nouveau gouverneur général débarqua dirigés ^e Fès contre la déira
de l'émir,
à Alger, 5 octobre 1847. Il consacra
ie fixée depuis plusieurs mois
à Casbah-
les premiers jours à discuter avec les gé- Zelouan (non loin de Melilia et delà
néraux commandant les trois provinces mer); deux fils de l'empereur étaient
et avec les directeurs des affaires civiles à la tête de ces opérations. L'un de ces
les principales mesures qui allaient être- corps de troupes suivait la rive gauche
mises à exécution pour favoriser le dé- de la Molouïa; le second marchait le
veloppement de la colonisation et don- long delà côte du Riff; enfin le troisième,
ner des garanties nouvelles aux popula- conduit par le kaïd d'Ouchda, tenait
tions européennes. Le général de La- la rive droite de la Molouïa. Ces colon-
moricière conservait le commandement nes châtiaient sur leur passage les tribus
de la province d'Oran , le général Be- qui entretenaient des relations avec
deau celui de la province de Constan- Abd-el-Kader, et déterminaient les po-
tine; le général Changarnier, après pulations à cesser tous rapports avec la
quatre années d'absence, fut rappelé en déira. Cette situationjeta l'alarme parmi
Algérie pour commander la province les amis de l'émir ; on changea de cam-
d'Alger. Avec le concours d'aussi illus- pement ,et on s'établit à Zaïou, pays
tres lieutenants, le jeune prince était difficile, où avaient été formés des dé-
assuré de ne pas laisser péricliter les pôts de grains. En même temps, pour
bons résultats obtenus par son prédé- relever le courage des siens, Abd-el-
cesseur. Toute la population accepta Kader envoya un agent à Djema-Gha-
avec les plus vifs témoignages de joie zaouat pour faire des propositions de
et d'espoir l'arrivée du duc d'Aumale. paix à la France. Son émissaire fut recon-
Peu de jours suffirent pour donner la duit à la frontière sans réponse. Rebuté
preuve que le nouveau gouverneur gé- de ce côté, il dépêcha son khalifa Bou-
néral ne le cédait à aucun de ses devan- Hamedi auprès de l'empereur pour of-
ciers pour l'ardeur au travail l'intelli-
, soumission. Son lieutenant
frir sa fut
gence rapide des questions spéciales au retenu à Fès. A mesure que ces faits si
pays, tant en ce qui concernait les graves se développaient , le général de
Arabes qu'en ce qui touchait aux inté- Lamoricière avait réuni un corps d'ob-
rêts européens. Pour la première fois servation sur la frontière pour seconder
peut-être on vit un chef s'adresser avec au besoin les mouvements de l'armée
une égale confiance à toutes les par- marocaine. Bientôt la déira se trouva
ties du service public faire appel à
; resserrée de tous les côtés, et une solu-
tous lesfonctionnaires soit civils, soit tion parut imminente. Le duc d'Aumale
militaires, sans trahir de prédilection partit d'Alger le 18 décembre pour se
et sans les subordonner les uns aux rapprocher duthéâtre de ces événements
autres. L'autorité civile et le pouvoir importants.
militaire sous la haute direction d'un Soumission d'Abd-el-Kader. —
fils du roi semblaient devoir abjurer Le 9 décembre l'empereur fit connaître à
bientôt leur longue rivalité et travailler l'émir saréponseaux propositions portées
enfin de concert à la prospérité de l'Al- par Bou-Hamedi . Il exigeait la venue de la
gérie. déira à Fès, sa dispersion dans les tri-
Abd-el-Kader et le Maroc. — Les bus , l'incorporation des troupes régu-
événements intérieurs de l'Algérie per- lières dans son armée; à ce prix, il pro-
daient de leur importance depuis que mettait des terres et la paix aux Algériens
le gouverneur général n'accordait plus qui reconnaîtraient son autorité. Abd-
une attention exclusive et exagérée aux el-Kader ne discuta pas même ces con-
faits de guerre. Le pays était tranquille, ditions, et renvoya les agents de l'em-
et la répression des troubles qui se pereur sans répondre. 11 dirigea son in-
produisaient sur quelques points s'opé- fanterie, renforcée de tous les hommes
rait facilement et sans bruit. A
l'exté- valides de la déira, sur le camp maro-
rieur la position d'Abd-el-Kader vis-à-vis cain le plus rapproché. Son projet était
de l'empereur du Maroc s'aggravait cha- de tenter une surprise au moyen d'un
que jour. A la fin du mois de novem- stratagème bizarre. Deux chameaux en-
bre, trois camps marocains s'étaient duits de poix, entourés d'herbes et de
ALGÉRIE. 345
curité, il interrogea, sans soupçonner la voulu faire plus tôt ce que je fais au-
méprise, un cavalier placé par nous pour jourd'hui. J'ai attendu l'heure marquée
surveiller ses mouvements , et demanda par Dieu. Le général m'a donné une pa-
des renseignements pour gagner le pays role sur laquelle je me suis fié. Je ne
des Béni Snassen, en traversant le col de crains pas, qu'elle soit violée par le fils
Kerbous. Ces indications, transmises d'un grand roicommecelui des Français.
aussitôt au général de Lamoricière le , Je demande son «ma» (protection) pour
,
346 L'UNIVERS.
ma famille et pour moi. Le duc d'Au- » partielles sur quelques points; mais les
male confirma la promesse du général de chefs manquant à ces révoltes, nous n'a-
Lamoricière, et congédia l'émir, dont on vions plus- à craindre un soulèvement
admira dans cette entrevue l'attitude no- général semblable à celui de l'année 1 845.
ble, calme et résignée. Le 24 décembre Les tribus elles-mêmes d'ailleurs semblè-
il s'embarqua pour Oran, et dans les der- rent comprendre la position nouvelle que
niers jours du mois il arriva en France, leur faisait la soumission du plus infa-
où les circonstances politiques ont obligé tigable athlète de leur indépendance re-
de le retenir jusqu'à présent, sans pou- ligieuse et politique; elles étaient avides
voir exécuter encore la promesse de l'en- de repos ; les dernières années avaient
voyer en Orient (1). été désastreuses pour leurs récoltes :
Nous avons voulu raconter les phases elles se tournèrent pour ainsi dire una-
principales de ce grand drame qui ter- nimement vers les choses et les travaux
mina si heureusement pour les intérêts de la paix. Sous l'active et intelligente
français la lutte que la nationalité arabe inspiration des bureaux arabes, elles
soutenait depuis dix-sept années contre entreprirent la construction de maisons
notre domination. La soumission d'Abd- qu'elles groupèrent en village, elles plan-
el-Kader donna une consécration défi- tèrent des arbres, s'essayèrent à des as-
nitive aux succès si brillants et si nom- sociations industrielles, pour immobili-
breux obtenus par notre armée; elle ser leurs intérêts sur le sol. C'était la
marqua d'une manière plus éclatante meilleure preuve de la confiance qu'elles
que désormais la tâche que nous avions à accordaient à notre administration; et
remplir pour affermir notre autorité en c'était en même temps pour nous une ga-
Algérie, cessait d'être exclusivement rantie réelle de la duréede la tranquillité.
militaire et guerrière , pour devenir ci- Cette réaction contre la guerre et les
vile et administrative. Sans doute la pru- troubles qui maintenaient les habitudes
dence commandait de prévoir qu'on au- nomades se déclara d'abord dans la pro-
rait encore à réprimer des insurrections vince d'Oran, parmi les tribus qui avaient
pris la plus large part aux agitations et
(i) L'émir Abd-el-Kader et sa suite, com- qui avaient le plus souffert pendant la
posée de plus de quatre-vingt-dix personnes, lutte.
nommes, femmes et enfants, ont été enfer-
més d'abord au fort Lamalgue à Toulon , jus-
Conclusion. — L'année 1848 s'ou-
vrit sous auspices les plus favorables.
les
qu'à la fin du mois d'avril 1848. A cette
Depuis longtemps l'Algérie était en proie
époque on les transféra au château de Pau;
à une gêne industrielle et commerciale
mais le voisinage de la frontière d'Espagne
détermina le gouvernement à les interner à des plus intenses ; les propriétés avaient j
Am boise. Depuis les premiers jours de no- considérablement perdu de leur valeur,
vembre 1848 ils habitent le château d'Am- le crédit des négociants les plus recom-
boise , où ils sont entourés de tous les soins mandabies était ébranlé; le mouvement
qui peuvent diminuer l'amertume et les en- colonisateur était entièrement paralysé;
nuis de la captivité. on. avait étudié beaucoup de projets
Voici le portrait que le duc d'Aumale tra- mais nulle part on n'était en mesure de
çait d' Abd-el-Kader au moment de sa soumis- les réaliser. La soumission d'Abd el-
sion :« L'èmir est un homme d'environ qua- Kader vint modifier de la manière la
rt rante ans. Sa physionomie est intelligente;
plus heureuse et la plus inespérée
« ses yeux, grands et noirs, ont le regard sévère
cette triste situation. Tout le monde
<i et impérieux; son teint est jaune, sa face
prit confiance; la banque de France, sol-
« amaigrie, sans être longue; sa barbe noire
licitée avec vivacité , se décida enfin à
« est abondante, et se termine en pointe.
« L'ensemble de sa figure est austère ; elle
fonder un comptoir à Alger; le règlement
« rappelle la figure traditionnelle du Christ.
des indemnités dues pour expropriation
« Sa voix est grave et sonore. Sa taille, au- allait verser des sommes importantes
ner une impulsion nouvelle aux affaires Les événements que nous aurions
et à l'administration. Des institutions maintenant à raconter sont encore trop
municipales venaient d'être accordées récents pour que nous puissions les ap-
à un grand nombre de localités; les précier avec une certitude complète, il
autorités civiles, dont l'action avait nous suffira seulement d'indiquer que le
été simplifiée et fortifiée par des or- général Cavaignac fut d'abord désigné
donnances royales du 1 er septem- par le gouvernement provisoire comme
bre 1847, moditiratives de celle du successeur du duc d'Aumale ; qu'appelé
15 avril 1845, commençaient à donner à Paris dans le mois de mai pour remplir
des preuves d'une activité jusque alors les fonctions de ministre de la guerre,
pour notre domination que les princi- on peut même dire que le succès main-
paux chefs de la résistance se trouvas- tenant se fera sentir sur une plus large
sent hors de l'Algérie Abd-el-Kader et
: échelle, parce que la vie politique a pé-
Bou-Maza étaient en France, Ben Salem nétré dans toutes les parties de la popu-
en Syrie; Ahmed-Bey lui-même était ré- lation.
duit à faire sa soumission.
FIN DE L'ALGERIE.
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ÉTATS TRIPOLITAINS,
PAR M. FERD. HOEFER
RÉGENCE DE TRIPOLI.
Paris, et le 23°-33° iatitude boréale. l'une, Meninx, sur côte qui regarde
la
Elle s'étend le long de la côte depuis l'île l'Afrique , et l'autre, Thoar, sur la côte
de Djerbi, à l'entrée du golfe de Cabès, opposée. Elle est à deux cent mille pas
jusqu'au Ras-el-Mellah. du promontoire oriental de la petite
Les dernières ra mifications de la grande Syrte (1). — L'île de Djerbi a un ex-
chaîne de l'Atlas viennent aboutir aux cellent port; elle compte, selon Ritter,
limites occidentales de Tripoli , au golfe environ 30,000 habitants, très-indus-
de Cabès. Ce golfe jadis connu sous le trieux : ils ont changé leur île en un vé-
,
nom de petite Sy rte ( Syrtis minor), fait ritable jardin, et envoient leurs pro-
partie du territoire de Tunis (1). L'île de
terroir est maigre, et quelque soin qu'on régence de Tripoli à 32° 54' 13" latitude
mette à le labourer et l'arroser, à grande nord , et 30° 50' 30" longitude est de
difficulté y saurait-on faire croître un de Fer.
l'île A
l'entrée du port, à quelques
peu d'orge ce qui cause toujours une
, milles de la terre, une verdure magni-
grande cherté Il y a un fort sur la fique donne au pays un aspect pitto-
mer, auquel le seigneur avec sa famille resque. Toutefois, aucun objet ne semble ;
fait résidence, et tout auprès d'iceluy interrompre l'uniformité du sol, qui est :
quasi pour une foire, à cause que tous des édifices, plats et enduits de chaux, \
les habitants de l'île s'y assemblent. frappe d'abord les regards. Les établis-
Joint aussi que plusieurs Arabes de sements de bains forment, dans les dif- i
terre ferme s'y transportent avec leur férentes parties de la ville, des groupes .
bétail, y portant des laines en grande de dix ou douze grands dômes. Les mos- j
quantité. Mais ceux de l'île vivent de la quées sont la plupart entourées de plan-
facture et trafique des draps de laine tàtions de figuiers et de dattiers. En
( au moins la plus grande partie ) , les- entrant dans la rade, on aperçoit quel-
quels portent vendre, ainsi que du
ils ques buttes de décombres qui indiquent 1
point avec celle que donne Marmol, ceinte ; tout auprès se trouve le chantier.
qui appelle cette île Gelves (2). Ce château est très-ancien; il est fortifié
Paul Lucas donne à l'île de Gerbo par une haute muraille, et paraît inex-
soixante milles de tour. Il y vit, près du pugnable. Mais il est très-irrégulière-
château où réside le gouverneur, une ment construit à l'intérieur, à cause des
pyramide de trente pieds de haut et de additions nombreuses que l'on y a faites
plus de cent trente de circonférence. pour loger tous les membres de la fa-
« C'est , dit-il le tombeau des chrétiens
, mille du dey c'est ce qui le fait ressem-
;
qui furent tués par Arcan le cheik qui , bler à une petite ville.
conquit l'île sur la chrétienté. Cette
pyramide est faite de pierres de taille
(1) Paul Lucas, Voyages, etc., t. II, p. i36.
jusqu'à la moitié; le reste jusqu'au haut
(2) L'espèce végétale dont il est ici ques-
tion, et que Shaw n'a point décrite, est, se-
{ï) Léon
l'Africain, Description de V Afri- lon toute apparence, le caroubier (ceratonia
que , 290; édit. in-folio, Lyon, i556.
p. siliqua, L. ). Je ne suis pas éloigné de croire
(2) Marmol, Afrique, ti ad, de Perrot d'A- que le fruit du caroubier était le véritable
blancourt, tome II, p. 538; Paris, 1667, in-4 . mets des Lotophages.
ÉTATS TRIPOLITAINS.
Les murs et les tours qui forment croix ces ailes contiennent des bouti-
;
l'enceinte de Tripoli sont clans un état ques bâties de chaque côté, avec un
fort délabré. La mer baigne cette en- chemin au milieu pour les acheteurs.
ceinte de trois côtés; une plaine de sable L'autre est beaucoup plus petit, et n'a
joint la ville au continent; à l'est, elle pas de boutiques; il n'est destiné qu'à
est limitée par une contrée stérile, la vente des esclaves noirs. L'extérieur
où l'on ne rencontre que des Arabes de la grande mosquée où les membres ,
nomades. Le sol est très-inégal dans décédés de la famille du dey sont en-
la ville, à cause des décombres accu- sevelis est de la plus grande beauté. Elle
,
mulés sur lesquels on élève souvent est bâtie dans la grande rue, presque
de nouvelles bâtisses qui se trouvent vis-à-vis du château. Devant la porte de
alors de niveau avec les terrasses des la mosquée est une seconde entrée, faite
maisons voisines. Les rues sont étroi- en un treillis de bois, ciselé d'une ma-
tes, quoiqu'elles soient plus larges que nière curieuse, avec deux portes à bat-
celles de Tunis. Des palanquins, doublés tants, aussi en treillis. Un grand nom-
de toile, et portés sur des chameaux, bre de belles tuiles coloriées lui donnent
y remplacent nos voitures. Aucune des un air de propreté extrêmement agréable
femmes appartenant à la famille du dey à l'œil. Au-dessus des portes de toutes
ne se promène dans les rues, excepté les mosquées on voit, sculptés et peints,
lorsqu'elles se rendent à leurs mosquées, de longs préceptes du Koran. Ceux qui
pour remplir un vœu, ce qui leur arrive se trouvent au-dessus de la porte de la
assez fréquemment. Elles sortent jus- grande mosquée sont peints et dorés
qu'à onze heures ou minuit, escortées plus richement, et la sculpture en est
par une garde nombreuse. Les femmes préférable à celle de toutes les autres,
de la moyenne classe sortent générale- 11 n'y a dans les mosquées ni sièges, ni
ment à pied , mais rarement sans être pupitres, ni carreaux pour s'agenouiller,
accompagnées par une esclave. Elles se ni prie-dieu ; tout le monde est debout
couvrent d'un vêtement appelé baracan, et indistinctement placé. Le café —
large d'environ un mètre, et long de trois bazar est le lieu où l'on s'assemble pour
à quatre. Le baracan les cache entière- se communiquer les nouvelles du jour,
ment; elles le tiennent si près de la fi- et pour prendre le café. Aucun Maure
gure, qu'à peine y voient-elles assez de la classe distinguée n'entre dans ce
pour guider leur marche. Les juives bazar : ils se font apporter le café par
portent cette partie de leur habillement leurs esclaves à la porte où il y a des ,
ces animaux occasionnent dans des rues cupés à boire du café qui est très-fort
,
1.
,
t/UJNIVEUS.
à cette époque dans les bois de Daphai enseveli pour le moins autant clans la
à Antioche, où il se livrait à des excès terre l'architecture et le bas-relief en
:
grandeur; mais ces figures sont trop ont presque toutes trois ou quatre étages.
mutilées pour qu'on en puisse compren- On passe d'abord pour y entrer, par-
,
dre la signification (t). une salle ou loge que les Maures ap=
pellent skiffar, ayant des bancs de
Depuis longtemps cet arc de triomphe
(i)
pierre de chaque côté. De là un esca-
ne subsisterait plus
, si les gens du pays ne
lier conduit à -un seul grand apparte-
croyaient pas qu'il leur arriverait de grands
malheurs s'ils y touchaient pour le démolir.
ment nommé gulphor, qui a des croi-
sées sur la rue , ce qui n'est permis dans
Ils racontent qu'un prince en voulant un jour
ôler quelques pierres , il se fit un tremble-
aucune autre partie de l'édifice. Cet ap-
ment de terre épouvantable ; et comme, malgré partement est uniquement réservé au
l'avertissement du ciel, les ouvriers conti- maître de la maison c'est là qu'il traite
;
trer dans le gulphor sans son autorisa- ra! britannique à Tripoli) donne la des-
tion. D'un autre côté le maître ne peut
, cription suivante du château, qui n'a été
entrer dans l'appartement de sa femme : visité encore que par un très-petit nom-
s'il trouve sur le seuil une paire de san- bre d'Européens.
dales de dames, il doit attendre, pour « Ce château est environné d'un mur
passer outre qu'elles aient été retirées.
, de plus de quarante pieds d'élévation,
Au delà de cette salle est une cour, plus avec des créneaux, des embrasures et
ou moins richement pavée , suivant la des tours, d'après l'ancienne manière
fortune du propriétaire. Quelques-unes de fortifier. Son architecture est d'une
de ces maisons sont en ciment brun, époque reculée; il est, au reste, très-dé-
ressemblant à du marbre très-poli; d'au- figuré dans l'intérieur, par les additions
tres sont de marbre noir ou blanc; les irrégulières faites par le pacha actuel
plus communes sont de pierre ou de pour contenir les nombreuses branches
terre. Mais, petites ou 'grandes , elles de sa famille. Après avoir passé la grande
sont toutes bâties sur le même modèle. porte, on entre dans la première cour
La cour sert à recevoir un grand nom- du palais remplie de gardes qui atten-
,
apparence très-mélancolique. Les ga- en ces endroits, l'eau ne lui sauroit ve-
leries qui régnent autour de la cour, nir jusque à la ceinture. Par ce moyen,
devant les chambres, sont entourées de ils disent que les lieux qui sont ainsi
treillis de bois à petites entailles. Lorsque étouffés ont été naguère couverts de
les filles du pacha sont mariées, elles la mer. Ils sont semblablement d'opi-
ont des appartements réservés à elles nion que la cité tirât plus en sus Tra-
seules ; personne ne peut y entrer, ex- montane mais que pour le continuel
,
cepté leur mari et leur suite; et si les miner de l'eau on Ta toujours retirée
princesses sont dans le cas de parler en devers midi, et disent qu'à présent
présence d'une tierce personne, même à même se voient des maisons et édifices
leur mari, à leur père ou à leur frère, cachés sous les ondes. —
11 y eut autrefois
elles doivent être voilées. Le grand nom- plusieurs temples en cette cité, quelques
bre de serviteurs qui remplissent toutes collèges et hôpitaux pour loger les pau-
les issues fait qu'il est presque impos- vres et étrangers. Les habitants usent
sible de se rendre d'un appartement à d'une viande fort vile, parce que les vi-
un autre (1). » vres qui se portent dans la cité ne sont
Il sera curieux de comparer ces dé- quasi suffisants pour la tenir fournie
tails fournis sur Tripoli par un voyageur un jour seulement ; et est estimé riche
récent avec la description que fait de cette le paysan qui peut épargner un setier de
villeun voyageur du seizième siècle. Voici grain ou deux pour sa provision. Néan-
comment s'exprime Léon l'Africain : moins ils s'adonnent fort à trafiquer, à
« Tripoli fut édifiée parles Africains, cause que la cité est voisine de Numidie
après les ruines de l'ancienne Tripoli, et de Tunis , ainsi que de Malte et de
et ceinte de hautes et belles murail- Sicile. Et souloient autrefois les navires
les, située en une plaine sablonneuse, des Vénitiens y aborder, lesquels me-
en laquelle il y a plusieurs dattiers. noient grands trafiques avec les mar-
Les maisons sont magnifiques en com- chands de Tripoli et avec ceux qui s'y
paraison de celles de Tunis, et sem- transportoienttous les ans (1). »
blablementles places ordonnées, et dépu- Voici comment s'exprime sur Tripoli
tées par divers métiers, principalement le géographe arabe lbn-Haucal, d'en-
de tisserands. Il ne s'y trouve aucun viron cinq siècles antérieur à Léon
puits ni fontaine, mais seulement des l'Africain. « La ville de Tripoli faisait
citernes ; et toujours le grain y est fort autrefois partie du gouvernement de la
cher, parce que toutes les campagnes de province d'Afrique et le siège du gou-
;
Tripoli pour chaque bête de somme, part ont un petit couvercle, et quelques-
chaque ballot et chameau, Tripoli — unes sont encore pleines de liqueurs.
est bâtie en pierres blanches , et s'élève Autre part ce sont des plats et des as-
sur le bord de mer. C'est une ville
la siettesde terre rouge mais d'une finesse
,
L'UNIVERS.
soulagement accorde.
qu'il leur Les — bords de mer, à l'ouest de Tripoli, 011
la
Tunis, il existe un lac sur les bords du- seaux turcs. Cette ville a été fondée par
quel on trouve du sel à une assez grande les Africains , et était autrefois fort peu-
profondeur. Ce lac est à sec une bonne plée, à cause d'un port où l'on abor-
partie de l'année; il est alors doux et dait de tous côtés pour le commerce.
uni comme le plus beau tapis. De là on Ptolémée lui donne 41° 15' de longitude,
voit dans le lointain les sommets bleus et 31 ° 30' de latitude , et la nomme Posi-
des montagnes de Gonrianah ( Gou- don. Elle fut ruinée la première fois par
rian, Gharian, Goriano). Il y a dans Occuba, avec Tripoli et l'a été encore ,
ces montagnes un village d'Arabes très- plusieurs fois depuis. Les Turcs la possè-
curieux les habitations ne sont facile-
: dent aujourd'hui, et les gouverneurs de
ment reconnues que par ceux dont Tripoli la chargent de tant d'impôts, que
elles sont le séjour, par la raison qu'elles les habitants sont misérables et ce n'est ,
sont toutes bâties sous terre. Une en- plus qu'un méchant village (1). »
trée petite, étroite et creusée oblique- Entre Tripoli Zoara est l'emplace-
et
ment conduit à la demeure ; on y fait ment de ^ancienne ville de Tripoli ( le
passer le bétail, qui est suivi par la fa- vieux Tripoli ), dont on ne retrouve pres-
mille. Ces Arabes sont pour la plupart que plus de vestige. Cette ville, bâtie
des bandits, que l'on n'attaque jamais, par les Romains, portait autrefois le
parce que les longs défdés souterrains nom d'Oea. Suivant quelques auteurs,
qui conduisent à leurs asiles les garan- elle fut fondée par les Phéniciens, en
tissent suffisamment contre toute entre- mémoire d'une ville de Syrie du nom de
prise. La longueur de ces défilés a donné Tripoli. Plus tard, elle tomba au pou-
lieu à une comparaison proverbiale voir des Goths quand
les Arabes vin-
, et
parmi les Maures. Tout conte trop long rent en Afrique règne du second
, sous le
est, disent-ils, comme le skiffar (entrée) calife , Omar, ils l'assiégèrent six mois
deGourianah, qui est sans fin. et la pressèrent tant, que les Maures
Il n'y a pas de rivière dans le voisinage furent contraints de l'abandonner et de
de Tripoli. Une sécheresse continuelle se sauver à Carthage : les Arabes rasè-
peut donc y occasionner facilement des rent la ville. Au rapport de Marmol, s'ap-
maladies pestilentielles. Il arrive souvent puyant sur l'autorité d'Ibn-el-Raquig
qu'il pleut pendant plusieurs jours de historien africain , la plupart des ha-
suite sans interruption ; mais une fois bitants furent tués , et le reste mené
que la pluie a cessé, il se passe quelque- captif en Egypte et en Arabie. Ce ne
fois des mois entiers sans qu'il tombe fut que longtemps après que les Afri-
une seule goutte d'eau. cains bâtirent la nouvelle ville de Tri-
poli (2).
A Zavia {Zoara de Marmol et de
Léon l'Africain ) , petite ville sur les
(1) Marmol , Afrique, tome, II, p. 56i
(édit. d'Ablancourt). Comparez Léon l'A- —
(i) Q. F. Lyon, Voyage dans l'intérieur de fricain Description de l'Afrique, p. 291.
,
tale du plateau de l'Atlas. Ces montagnes vendent aux Maures. Au printemps , ces
sont les seules que par un temps clair on Bédouins s'approchent de Tripoli par
aperçoive de Tripoli. « Garian, dit Léon la plaine qui touche à la ville; ils sèment
l'Africain, est une montagne haute et alors leur blé, attendent qu'il soit mûr,
froide, qui aen longueur quarante milles et disparaissent jusqu'à l'année suivante.
et quinze en largeur, séparée des autres Pendant leur séjour dans la plaine, leurs
par le sable, et distante de Tripoli envi- femmes tissent différentes étoffes, qu'ils
ron cinquante milles , produisant l'orge vendent aux Tripolitains. Ils dressent
en grande quantité et dattes en parfaite
, leurs tentes sous les murs de la ville,
bonté, mais elles veulent être mangées mais ne peuvent pas y entrer sans per-
toutes fraîches. Outre cela , il y croît mission. Leur chef est responsable en-
force olives, lesquelles rendent l'huile vers le pacha de tous les désordres qu'ils
en quantité, qui est ensuite transportée pourraient commettre.
à Alexandrie et aux autres villes voisines. Ces Bédouins se vantent beaucoup de
Semblablement le safran y est produit leur noblesse. Us se disent les descen-
en grande abondance, et admirable, dants des tribus de Sabéens, qui passè-
tant en couleur qu'en bonté tellement , rent de l'Arabie Heureuse en Afrique
que si la livre de Tunis , du Caire et de sous la conduite de Mélie-Ifrique, qui
Grèce se vend dix sarafes, celui-ci ne donna, dit-on, son nom à l'Afrique.
se délivrera à moins de quinze Il y a Leurs tentes ne sont pas somptueuses
en cette montagne jusqu'au nombre de dans l'intérieur elles sont dressées sur
:
cent trente villages, avec des maisons le sable qui , sans aucun préparatif sert ,
le mieux. —
Les Bédouins font le petit sur environ deux de large; il leur sert
négoce , et vivent de ce qu'ils colportent de vêtement pendant le jour et de cou-
verture pendant la nuit. Us le mettent
(i) Description de l'Afrique , p. 297. en réunissant ensemble les deux extré-
(2) Voyez Marmol, Afrique, t. II, p. 576 mités supérieures au moyen d'un poinçon
(tvad. d'Ablancourt). de bois ou de fer. Ces deux extrémités
,
10 L'UNIVERS.
étant d'abord réunies sur l'épaule gau- gés d'impôts qu'ils se révoltèrent, et
che, ils s'enveloppent le corps avec le ayant été remis en leur devoir, ils fu-
reste ; il en est qui se drapent avec goût. rent condamnés à sept mille pistoles d'a-
Ce n'est pas une chose facile de porter mende, sans autre peine (1). »
un baracan , pour quiconque n'en a pas Tagiura est une plaine d'environ douze
l'habitude ; et un étranger est bientôt milles de long sur trois de large; elle
reconnu sous les plis de ce costume. est fertile, bien cultivée, et avoisine, au
midi un désert sablonneux. Le sable en-
,
Littoral depuis Tripoli jusqu'à
vahit de plus en plus les plantations de
Derna (1).
palmiers. On y trouve quelques colonnes
Le développement de la côte (de 13° magnifiques de granit, provenant, sui-
10' 22° 45' longitude orientale de
à vant Della-Cella, des ruines de Lebda
Greenw. ) depuis Tripoli jusqu'à Derna ou Lebeda (Lebida), la Leptis mayna
comprend le fameux golfe de la Syrte des anciens. La population de Tagiura
( Sidras ), que les Arabes appellent est d'environ trois mille habitants, mé-
Djioun-el-Kebrit,ougo\fede soufre. En lange de juifs et de Maures, qui se li-
quittant Tripoli pour suivre la côte à vrent principalement à l'industrie agri-
l'est on rencontre d'abord Tagiura, qui cole. Tagiura est, selon quelques auteurs,
est un groupe de villages dont les huttes YAbrotanum de Scylax.
sont dispersées dans une plaine. Marmol Après sept heures de marche, à l'est
l'appelle Tachore. « C'est, dit-il, une de Tagiura, on rencontre une petite ri-
grande campagne à quatre lieues de Tri- vière, JVadi-Msit ou fVadi-Rammel
poli vers le levant, remplie de plusieurs
, ( ravin sablonneux), qui doit son nom au
étant rendu maître, se fit déclarer roi, où des pâtres bédouins ont établi leurs ;
et lit toujours la guerre aux chrétiens. tentes. L'humidité de ces prairies, pri-
Aussi Cénan Bâcha lui donna-t-il la ville vées d'arbres, mais toutes couvertes ;
en jouir pendant qu'il vivait. Les gens du montagnes qui s'affaissent vers la côte, j
pays sont barbares, et leur principal Tout terrain est sablonneux; c'est
le
exercice est voler. Ils vivent dans des pourquoi il faut creuser à une certaine
cabanes sous les palmiers, et se nour- profondeur, pour trouver un peu d'eau
rissent de farine d'orge et de vesce. Ils saumâtre. A
environ quatre heures de
dépendent du gouverneur de Tripoli de- marche de côte , Delia-Cella vit, sur
la
puis la mort de Morataga. Il y a dans une colline, un vieux castel en ruines;
ces villages grand nombre de cavaliers et les environs étaient couverts de vignes
d'arquebusiers fort braves, qui faisaient produisant des raisins délicieux. Ce voya-
des courses à Tripoli quand elle était
aux chrétiens ; mais ils étaient si char-
(1) Marmol, Afrique , t. II, p. 572 (édit,
d'Ablancourt).
Le relevé de cette partie de la côte de
(i) (2) Il faut se rappeler que le nom de Wadi,
la région méditerranéenne est exactement ou Ouadey , signifie , en arabe , tout à la fois
indiqué sur la carte de Beechey. (Proceedings vallée et étroite rivière. C'est qu'en effet
of tke expédition to explore the northern presque toutes les vallées étroites sont traver-
coast of Africa, from Tripoli eastward , in sées par des rivières qui s'alimentent des eaux
1821 et 1832, etc.] London, 1828, in-4 .) découlant du versant des montagnes.
ÉTATS TRIPOLITAINS. ti
geur pense qu'on pourrait en faire des La route de Sélim à Lebida longe le
vins exquis (1). pieddu mont Merdjip, sur le sommet
Dans voisinage fest Guadigmata,
le duquel on aperçoit de loin les ruines
qui paraît marquer l'emplacement de d'une tour considérable. Tout à l'entour
Graphara de Scylax. Ce géographe in- on trouve les vestiges d'anciens tom-
dique Graphara comme une ville située beaux.
entre Jbrotanum et Leptis magna. A Autant les environs de Tripoli sont
deux milles de Guadigmata on trouve stériles, autant ceux de Lebida (Lebda,
quelques colonnes et chapiteaux pres- ,
Lebeda) sont riants et fertiles. C'est là
que entièrement enfouis dans le sa- plutôt qu'on aurait dû fonder la capitale
ble (2). Un peu plus loin est l'embou- de la régence. Lebida ( Leptis magna)
chure du Wadi-Abdellata , sur les rives fut fondée par les Phéniciens de Sidon,
duquel Smyth a rencontré un village qui fuyaient leur patrie à cause des
formé de cavernes de Troglodytes. discordes civiles (1). Leur cité prit peu
Sidi-Abdellati est un village qui doit à peu un accroissement considérable;
son nom à un célèbre marabout , dont elle occupa le premier rang , après Car-
le tombeau est entouré de jardins et de tilage etUtique; ils contractèrent des
plantations de dattiers. La contrée en- mariages avec les Numides, habitants
vironnante est bien cultivée et riche en du pays, ce qui altéra un peu leur
bétail. C'était jadisune station militaire langue primitive; mais ils gardèrent en
de quelque importance, comme sem- grande partie les lois et les coutumes
blent l'indiquer les ruines de plusieurs sidoniennes et ils les conservèrent avec
;
forts carrés qui dominaient la route. Le d'autant plus de facilité que cette ville
tombeau du marabout est construit avec est éloignée du centre de la Numidie,
des matériaux d'édifices anciens et on , et que entre elle et la partie peuplée de
voit à l'entour des débris de faïence, de ce pays il y a de vastes déserts.
poterie et de verre. C'est peut-être là, et Leptis magna était une ville libre;
non à Guadigmata , qu'il faut placer le dès le commencement de la guerre de
Graphara de Scylax (3). Jugurtha ses habitants avaient envoyé
Après avoir quitté cette place, on tra- demander à Rome l'alliance des Ro-
verse le Wadi-Sébm, bordé par une mains. Ils l'avaient obtenue, et se con-
rangée de collines , appelée Terhouna, duisaient en bons et fidèles alliés, lors-
qui estunebranchedes monts Gourianah. qu'un certain Amilcar, peut-être un
Sur ces hauteurs la vue plonge à l'ouest
, agent de Jugurtha , essaya de s'empa-
dans la magnifique plaine de Jumarr, rer de l'autorité souveraine (2). Ni les
jusqu'au désert, tandis qu'à l'est le re- lois ni les magistrats ne purent le re-
gard embrasse la plaine de Lébida. Les tenir; mais les Leptitains envoyèrent
points les plus élevés au nord sont cou- au proconsul Métellus, qui venait de
ronnés de tours en ruines, vestiges d'an- prendre la ville de Thala, demander des
ciennes vigies. Les vallons sont très- secours et celui-ci leur envoya quatre
,
(3) Beechey , Proceedings 0/ the expe~ oni , fidelesque mansere et cuncta a Bestia,
dition, etc., p. 47. Albino, Metelloaue imperata gnariterfecerant.
te L'UNIVERS,
colonie à Leptis, dont les vestiges subsis- chey en parlent dans leurs relations. Lé
tent encore aux environs de Lebida. marabout leur défendit d'approcher de
A. l'époque de la domination des Van- sa demeure, et menaça le premier de le
dales en Afrique, les murs et les forti- manger tout cru (1). Du reste, on ren-
fications de Leptis paraissent avoir été contre beaucoup de ces marabouts fana-
détruits (1). Justinien les releva proba- tiques entre Lebida et Mésurate.
blement lorsque la ville devint la rési- Le capitaine Smyth, qui visita en
dence du préfet Sergius. Plus tard, les 1816 et 1817 une "grande partie de la
Sarrasins les démolirent de nouveau, au côte tripolitaine, donne sur Leptis ma-
rapport de Marmol et de Léon l'Afri- gna les détails suivants « Leptis magna,
:
cain. Depuis lors, Leptis paraît avoir été dit-il, est située dans un terrain plat,
entièrement abandonnée ses ruines ser- : argileux, bordé de petites collines. Une
virent en partie à la construction de la grande partie de ce terrain est couverte
moderne Tripoli. Pendant l'exarchat de de champs de blé, de légumes, de planta-
Salomon, successeur de Bélisaire, le tions d'oliviers, de grenadiers, de dat-
préfet Sergius fut assiégé dans Leptis tiers, et de quelques vignes. La récolte
par une tribu d'indigènes appelée Levâ- est annuellement endommagée par une
tes (2) ; il fut défait et obligé de se sau- espèce de rat ou gerboise, probablement
ver par la fuite (3). le p.uç <5W6ç( rat bipède ), qu'on voit re-
La de Leptis était située tout
ville présenté sur quelques médailles cyré-
près de la mer, sur les rives d'un tor- néennes. Les champs cultivés manquent
rent appelé Wadi-Lebda , qui, presque d'enclos : ils ne sont protégés que par
à sec en été, grossit beaucoup dans des rangées de scilla maritima. Dans les
la saison pluvieuse. Quelques vestiges terrains plus élevés, on ne trouve pas
d'un aqueduc semblent attester que cette mal de pâturages ; on y élève des cha-
ville fut jadis alimentée parles eaux du meaux, des chevaux, des bœufs, des
Cinyphus. Le port, qui n'a jamais été moutons et des chèvres. Mais la mé-
considérable, est en grande partie comblé thodedestructive des Arabes, qui autour
par les sables d'alluvion qu'entraîne le de leurs douairs appauvrissent le sol sans
Wadi-Lebda pendant ses débordements. songer à l'amender, s'y fait sentir d'une
Il faut fouiller à une assez grande pro- manière désolante.
fondeur dans le sol pour trouver quel- « Je visitai pour la première fois
ques débris d'édifices romains d'un ex- Leptis en mai 1816, pour m'assurer de .
cellent style. Presque toute la cité avait la possibilité d'embarquer les nombreu-
été construite en briques. Le capitaine ses colonnes enfouies dans le sable que
Smyth y a découvert les restes d'un le pacha de Tripoli avait offertes au roi J
sommes énormes pour exécuter ces tra- un aspect très-pittoresque débris d'une
:
A l'est de Lebida, on trouve, sur une contraste frappant avec les huttes épar-
colline, la demeure d'un marabout fort ses de tribus nomades , composant les
vénéré dans le pays. Della-Cella et Bee- villages deLebida et Legatah. La plus
grande partie de l'emplacement de Leptis
(i) Voy. Procop., Hist.
Vandal., lib. I, est couverte d'un sable blanc très-fin qui,
p. 17 : At
Gizerichus alia molirinon desiït.
poussé par les vents le long de la baie,
Nam prœter Carthaginem , Africce urbes a été arrêté dans sa marche envahis-
nudavit omnes.
sante par les piliers, chapiteaux, cor-
(2) Selon le major Rennel , le nom de Le-
niches, etc., de l'antique cité, lieu de nais-
vâtes dériverait de Libye et serait synonyme
,
plus que des débris informes. Smyth le pays [des Maces], découle d'une col-
pense qu'ils furent démolis par l'intolé- line portant le nom des Grâces, et se
rance des premiers évêques chrétiens, jette dans la mer. Cette colline des Grâces
qui en voulaient jusqu'aux monuments est couverte de bois, tandis que le reste
mêmes du paganisme. La plupart des de la Libye , que nous avons mentionné,
statues sont complètement mutilées; est nu. Depuis la mer jusqu'à cet endroit
les ornements, les feuilles d'acanthe il y a deux cents stades (2). »
des chapiteaux sont défigurés ou brisés; Cette distance est, selon Beechey,
il ne reste plus que le fût massif des beaucoup trop grande ; caria rangée de
colonnes. Dans la nécropole il ne collines où le Wad-el-Ivhahan pren sa l
trouva que des amphores et des patères source n'est qu'à quatre ou cinq milles
assez grossièrement travaillées, ainsi de la côte (3). Ne pourrait-on pas ad-
qu'un petit nombre de médailles, par- mettre qu'une partie de cette côte, jadis
ticulièrement de Sévère, de Papienus, couverte de sable a été depuis envahie
,
L'UNIVERS.
voit sur une colline des environs les
; les Arabes l'appellent le Marsa-
ruines d'une forteresse. Tout près de là
grah, d'après lenom d'un village voisin.
est le petit hameau de Zouia, qui res-
Dans la belle plaine qui s'étend à l'est
du Wad-el-lvhahan on rencontre le,
semble à Zeliten. Le village de Zoraïg %
qui vient après, toujours le long de la
village de Zeliten ( Sliten ), comprenant
environ cinq cents habitants, dont la côte, renferme environ cent habitants,,
plupart sont juifs ; c'est le chef-lieu du occupés à la culture des dattiers ; deux
petites baies, formées par des rescifs,
district de même nom, situé entre le
Wad-el-Khahan Sélin.Ce district est
et portent le nom de Mersa ( port ) Zo-
fertile il renferme au
et très-peuplé :
raïg.
moins dix mille habitants, dispersés dans Au cap de Mésurate finit la zone cul-
une quinzaine de villages. Ils sont in- tivée qui s'étend le long de la côte a l'est
dustrieux et polis envers les étrangers.
,
de Tripoli. La ville de Mésurate est cons-
Chacun de ces villages est environné de truite avec assez de régularité; ses rues
plantations de dattiers et d'oliviers , qui se croisent à angles droits, et presque
produisent plus que les habitants ne au centre se trouve la place du marché,
consomment; le surplus est vendu aux qui est en partie occupée par un étang
Bédouins marchands. Près de Zeliten d'eau verte et saumâtre. Les maisons
sont deux sources d'eau douce qui entre- n'ont qu'un étage, et sont bâties en
tiennent un petit étang; les femmes de pierres brutes, le plus souvent sans chaux
l'endroit viennent y laver et s'y baigner. ni mortier; les toits sont plats et cou- ;
Le port de Zeliten (Mersa Zeliten) est verts d'algues. Le terrain est inculte;!
sans importance; il est peu profond et et sablonneux; les Arabes y creusent'
entouré de resciis. Les débris de chapi- facilement leurs silos ou greniers. Les*
teaux et de colonnes de marbre qu'on habitants vivent de l'agriculture et de la
voit dans les environs font supposer que manufacture de quelques étoffes de':
laine. Les caravanes du Fezzan et de
f
tombeau d'un marabout fort vénéré, et qu'ils troquent contre des esclaves J
ofun triple cap; d'où le nom de Tpoipwv fertiles ce désert demeura pour les mi-
,
àxpov que lui donne Ptolémée. C'est sans sérables qui vont nus , et sans souliers,
doute le promontoire des Têtes (KeçaXaî ) matés de faim, de soif et de chaud,
de Strabon (1), ou la corne occidentaledu parce qu'il n'y a aucune habitation dans
golfe connu sous le nom &v grande Syrte. tout le voisinage , et qu'il n'y croît rien
Il est bon de faire remarquer que l'é- dont on puisse faire profit. La Sicile
pithète de û^YiXvi, élevé, que Strabon donne leur fournit du blé, et, quelquefois
à ce cap, n'est vrai que comparativement n'ayant pas le moyen d'en acheter, ils
à toute la région, qui n'offre que des col- engagent leurs enfants, et vont faire
lines basses; car le cap en lui-même est des courses dans la Numidie , afin d'a-
peu élevé, et semble s'affaisser de plus voir de quoi les racheter ; car ce sont
]
en plus par suite de la dégradation de tous'traîtres et tous voleurs, qui dépouil-
;
!
ses assises en pierres de grès. lent les passants , puis les pendent par
Sur le sommet du cap Mésurate, la les pieds dans le dessein de leur faire
,
|
vue embrasse le contraste Je plus frap- vider tout ce qu'ils ont dans le corps,
j pant à l'ouest et au sud le regard s'ar-
: pour voir s'il n'y a point d'argent ca-
;
rête sur des plaines fertiles parsemées ,
ché (1). »
H de villages et de riches troupeaux; En quittant les champs cultivés de
tandis qu'à l'est l'oeil plonge dans un Mésurate pour entrer dans le désert
immense désert, plage stérile et désolée. de la grande Syrte on rencontre d'a-
,
!
C'est cette plage que Marmol , Léon bord le vaste marais dont parle Stra-
l'Africain et presque tous les géographes bon (2). Il s'étend au sud, le long de
i
anciens appellent le désert de Barca (2). la côte depuis Mésurate jusqu'à Djirafa.
Voici la description qu'en donne Le marais ( de cent un milles de long, sur
Marmol « A l'extrémité de la province
: quinze de large ) n'offre pas , comme du
I
de Mésurate commence un grand désert temps de Strabon, une nappe d'eau
que les Arabes nomment Saliart Bar- uniforme; il se compose d'Une mul-
ca, ou désert de la tempête, quoique titude d'étangs qui communiquent ac-
I
quelques-uns, mal à propos , prétendent cidenteliement avec ia mer. Plusieurs
!
qu'il signifie désert de la bénédiction. de ces étangs sont assez étendus et
I D'autres l'interprètent passage, comme assez profonds pour mériter le nom de
qui dirait passage des Syrtes; mais lacs; peut-être dans la saison des
c'est encore une corruption, car les pluies ne forment-ils qu'une seule
Arabes d'Afrique fie l'appellent point nappe d'eau ayant l'étendue indiquée
,
ment inhabité avant la première venue par les anciens, pour l'écoulement des
des Arabes; mais après que les plus
puissants se furent emparés de terres (1) Marmol, Afrique, t. II, p. 578 (édit.
d'Abiaucourt ). —
Comparez Léon l'Africain,
Description de ïAfrique, p. 299 ( édit. in-
\
(i) Slrab. lib. XVII, § x8 : EV &cpa fol.; Lyon, i556 ).
h^y\ki\ xai ûXwSv]?, àçyi\
t^ç (Jt,eyàXyiç Supxéwç* (2) Slrab., § 20 : EicmXeovTi 8y) ry)v (xsyàXriv
xaAoùai ôs Ks<paXàç. SupTtv, sv ôeljiqi u,exà xàç KeçaXàç êaxt Xijxv^
(2) Les géographes modernes ont restreint Tpiaxoaiaiv uou <jt<x8iu)v tô pjxoç, éë5o[Jt,yjxovTa
ce nom , comme nous verrons plus loin à la , Se xb uXàroç , exôiôoixra eîç xàv xôXuov, sxovaa
plage sablonneuse située à l'est de Benghazi. xai vyjaia xai ûcpopjxov rcpà toù aTou.àioç.
,,
16 L'UNIVERS.
eaux. Peut-être ee canal servait-il jadis cartes désignent sous le nom de golfe
de refuge (Û<poop.o;) à des navires. de Zuca.
A quelque distance au sud du tom- Près de Mahada Della-Cella aperçut
,
se trouvent sur une colline basse, près Arabes eux-mêmes refusent souvent de
de la mer. Entre ces ruines et Abou- servir de guides. La croûte saline a
Chaïfa , le lac de Strabon paraît avoir dans quelques endroits à peine deux
également communiqué avec le golfe. pouces d'épaisseur elle se rompt sous
:
il ne faut pas confondre ce lac ou les pas du voyageur, qui s'enfonce dans
marais comme l'a fait d'Anville, avec
,
des creux assez profonds. Ces creux
le lac de Zuchis (golfe de Zuca?), qui sont remplis d'une eau saumâtre et sa-
appartient à la petite Syrte (1). Son lée; il en est qui ont de quatre à cinq;
passage est assez dangereux indépen-
: mètres de profondeur (1). Ils sont très- \
damment des fièvres qu'on y gagne, à nombreux, et contournés par des sen-î
chaque moment on court risque de voir tiersétroits qu'il est facile de man-
le sol s'enfoncer sous les pas des che- quer pendant la nuit.
vaux. On y rencontre çà et là quelques Près de Mahada, au fond d'une crique, ?
îloîs, semblables a des oasis. Le pre- Beeehey vit un bioc de marbre portant 1
LA GABARE DU ROI
est situé en dehors de la route à sept ,
LA CHEVRETTE.
ou huit milles de la côte iiy a un village
; 1821.
et une belle plantation de dattiers. Tout LAT. 31° 35', LONG. 13° 18'.
alentour le sol est plat, formé d'allu-
Cette inscription fut évidemment gra-
vion, incrusté de sel, et entièrement
vée par l'équipage de la Chevrette, capi-
dépourvu de végétation.
taine Gautier, qui fit en 1821 le relevé
Arar est formé par une oasis sem- d'une partie de cette côte.
blable; il se fait remarquer par un
Les Arabes ont donné le nom de!
grand dattier, le seul qu'on rencontre
Djerid à quelques collines basses et
sur tout, le littoral de la grande Syrte.
stériles, entre Mahada et Mhad-Hassan,
A Melfa? au sud d'Arar, le sol s'élève petite oasis couverte de pâturages. On
un peu et se garnit de quelques plantes.
On y voit les ruines d'un marabout y voit quelques oliviers sauvages et les
restes d'anciens bâtiments. A partir de
abandonné. Souleb (pointe méridionale
Mhad-Hassan le chemin devient plus
du marais, d'après les dimensions
praticable; on remarque sur toute cette
données par Strabon) est plus fertile que
partiedu littoral, jusqu'àDerna, un grand
Mclfa; c'est la propriété de quelques
cheiks arabes, qui y entretiennent des
nombre de carrés, dont
petits édifices
bon (2) ; seulement son port n'est plus à peine aux besoins des habitants. Ils ont
aussi beau qu'autrefois : comme celui de des jujubes et d'autres fruits, et la vie y est
Lebida, il est en partie comblé de sable. à assez bon marché. Les dîmes et impôts
sont administrés par le chef de la prière. Il
Les édifices dont on voit encore les
a la direction de toutes les affaires de la ville,
ruines sont d'architecture romaine : la
ainsi que l'inspection des marchandises qui
forme quadrangulaire y domine. Leur arrivent de Kaïiewan
et d'Egypte, et sur
construction paraît remonter au règne lesquelles prélève un impôt; il vérifie les
il
|
de l'empereur Adrien. papiers et les patentes, et il saisit tous les
On est frappé du grand nombre d'an- objets que l'on cherche à passer frauduleu-
ciennes tours ou forteresses qui garnis- sement. Pour ces raisons, la ville de Sort est
sent presque toutes les hauteurs dans plus lieheet plus prospère qu'Adjédabia. Eile
cette partie de la Syrte, et dont quel- s'élève sur le bord de la mer, et un grand
ques-unes sont assez bien conservées. Ces nombre de navires y arrivent et en partent.
tours servaient, suivant Diodore et Par la quantité des étoffes de laine qu'elle
Appien , de lieux de refuge ou de ma- produit, elle n'est nullement inférieure à
j
remarquable, c'est qu'on n'y découvre mière flatte le goût des habitants et des
étrangers. On y boit l'eau du ciel que l'on
aucune porte ni ouverture latérale; elles
recueille dans des citernes, les puits y étant
recevaient sans doute lejour par le haut ;
fort rares. Les alentours sont habités par de
c'est aussi par là que l'on s'y hissait
nombreuses peuplades de Berbères; il y a
:
probablement au moyen de cordes. On même dans l'enceinte de la forteresse un
comprend que ces forteresses étaient quartier qui leur sert de demeure. De temps
en temps des discussions et des guerres écla-
,
(i) Beechey, p. i34. tent parmi eux mais ces guerres ne se pro-
;
(a) Strab. lib. XVII, p. 836 edit. Casaub. longent pas comme celles du peuple de Sous
5/
\
Msxà Se xrjv Xiu-vyjv lônoç sgtiv Acttuç, xal et de Fez. » (Journal Asiatique, troisième série,
t. XTU,p. 164.)
e
2 Livraison, (États trtpoutai N"s.; 2
,
13 L'UNIVERS.
ehey, à une époque beaucoup plus ré- mieux conservées que celles de Zaffran.
cente ; quant aux inscriptions, ce seraient A IVIédinet-Sultan est une baie où des
des nomsdetribusgriffonnés pardes Bé- bateaux peuvent s'abriter. Près de là
douins. Ces colonnes se trouvent à Ha- estun lac, en apparence assez profond
med-Gàrouch, près de Zaffran. qui communique avec la mer en deux
Les environs de Zaffran sont pitto- endroits , et s'étend le long de la côte
resques et bien accidentés comparati- , à l'est. Peut-être ce lac servait-il autrefois
vement à la plaine marécageuse de de port ; cependant ses communications
l'ouest. Zaffran est une des places les plus avec la mer ne sont pas assez larges
importantes de laSyrte(l); elle est riche pour cela. Beechey y vit un grand nom-
en prairies, céréales et bestiaux. Les bre de flamants et de courlis.
habitants sont hospitaliers et polis en- AJSehim est une petite baie sablon-
vers les étrangers. Les hommes sont neuse. Hammah à quelques millesà l'est
vigoureux, bien faits, et les femmes a également une baie où l'on peut se pro-
jolies. Ces dernières portent une large curer de l'eau douce. Ces deux baies se
chemise de coton sous leur baracan , et reconnaissent facilement à un promon-
des bottes lacées au lieu de sandales. toire situé à égale distance de l'un à l'au-
Elles sont couvertes d'amulettes pour tre, et où se voient les ruines d'un ancien
se garantir contre les maux d'yeux, port.
maladies très-communes dans ce pays. Le chemin de Nehim à Bousaïda est
Entre Djedid et Zaffran on rencontre très-plat et offre peu d'intérêt. Les en-
beaucoup de silos ou greniers souter- virons de Bousaïda sont un peu mon-
rains. Dans ces greniers, qui sont ici tueux et couverts d'herbes et d'arbustes.
en usage de temps immémorial, le blé Les habitants sont occupés à élever des
peut se conserver pendant plus de cin- chameaux des brebis et des chèvres.
,
s'élève de plus en plus, et les vallées gerboises qui abondent dans contrée.
la
sont bien cultivées. On y voit beaucoup A Scharfa commence un lac qui s'étend
de gibier (lièvres) et d'oiseaux aqua- parallèlement à la côte, jusqu'au cap {ras)
tiques (pluviers, courlis, canards sau- Houeidjah, qui offre de loin l'aspect d'un
vages, bécasses). château en ruines ; c'est probablement le
Médinet- Sultan a été une station mi- cap Liconda. Entre le lac et la mer est
litaire importante. Les ruines de forte- une étroite bande de terre , entrecou-
resses carrées qu'on y remarque sont pée de collines sablonneuses, dont les
anfractuosités sont habitées par des
(i) Cette place doit sans doute son nom Bédouins très-hospitaliers ils offrent
:
|
tas de pierres. De là une branche de la in intimo sinu fuit or a Lotophaaon (4).
route se dirige vers les mines de soufre, C'est aussi quelque part au tond de
1 appelées Kebrit, qui sont situées aune la grande Syrte que devaient se trouver
journée et demie au sud. Le soufre les autels des Philènes, qui servaient
qu'on en retire est transporté par des de limites entre les territoires des Car-
!
chameaux jusqu'à Braïga, où il est em- thaginois et des Cyrénéens. Voici l'ori-
barque sur des navires qui stationnent gine de ces autels.
I
\
doute à cette circonstance que cette Carthaginois commandaient à presque
partie du golfe doit son nom de Djiun- toute l'Afrique , les Cyrénéens étaient
! el-'KebrU\%o\fo du soufre). Près de puissants et riches. Entre les deux États
Muktahr est un plateau remarquable, se trouvait une plaine sablonneuse
appelé Djebbel- Allah ( montagne de uniforme {ager in medio arenosus,
Dieu ) , et un lac assez grand ( Esub- una specie); il n'y avait ni fleuve ni
bah Muktahr >. A quelques milles, à montagne qui pût servir de limites.
i l'est on se trouve dans le point le Cette circonstance occasionna entre eux
plus méridional du golfe {in imo re-
(i) Voy. Beechey , p. 211.
(i) Strab. XVII, p. 688, édit. Casaub. (a) Voy. Diodor., lib. XX.
(a) Pracop., De JEdificïis , lib. V , p. no- (3) Strab., XVII, p. 836.
;
i i.ij Paris, i663, iu-fol. (4) Pline, Hist. Nat., lib. V, cap. 5.
20 L'UiN-lVERS.
soulevé par les vents et agité avec en juger d'après ses ruines. A l'angle
violence, remplit la bouche, les yeux ouest de la baie ( Mersa-Braïga ) est une
des voyageurs, et retarde leur marche. hauteur où l'on voit les vestiges d'un
Les Cyrénéens, arrivés Ses derniers, vieux castel. On trouve dans les en-
craignant que leur retard ne fut puni, virons quelques inscriptions grecques
accusent les Carthaginois d'avoir quitté et latines; il serait important d'y faire
leur ville avant le temps convenu, dé- des fouilles. Au sud ouest de Braïga
naturent les faits aiment mieux enfin
, est un lac salé, plus bas que le niveau
tout endurer que de s'en retourner de la mer, avec laquelle il communique
vaincus. Les Carthaginois demandent par une source jaillissante. Plus au
un autre accord, égal pour les deux sud on rencontre de grands pâturages ,
parties. Les Grecs leur donnent le où paissent des troupeaux de chameaux,
choix, ou d'être enterrés vifs à cette de chèvres et de brebis. Beeehey pense
limite contestée, ou de les laisser s'a- que c'est près de Braïga qu'il faut
vancer aussi loin qu'il leur plaira , sous chercher les traces de l'ancienne station
la même condition. Les Philènes, ac- ou tour Automala (1). Il y trouva une
ceptant ce traité, se sacrifièrent à la médaille de l'empereur Auguste.
patrie ; ils furent enterrés vifs. Les Car- Au nord de Braïga on rencontre
thaginois coiisacrèrent dans ce lieu des le cap rocailleux de Tabilba, dont la
autels aux deux frères, et leur décernè- base est criblée d'excavations spacieuses,
rent à Carthage d'autres honneurs (1). » comme une ruche d'abeilles. On y voit
Suivant Pline les autels des Philè-
, quelques inscriptions grecques à moitié
nes étaient des monticules de sable, effacées. Plusieurs de ces excavations,
dont il ne restait déjà pi us de vestiges de forme carrée , ont évidemment servi
du temps de Strabon et de Ptolémée le de tombeaux. On y a découvert quel-
géographe (2). ques médailles de cuivre et d'argent.
Au nord-ouest de Sachrin, que C'est aux environs de Tabilba que
Beeehey signale comme le véritable fond Beeehey place les stations maritimes
du golfe, est situé, à cinq quarts de de Ptolémée, où les Grecs et les Ro-
milledu rivage, un îlot appelé £ou- mains mettaient leurs flottes à l'abri.
chaïfa; il est entouré de brisants à Entre Braïga et Aïn-Agân on voit,
sur des collines, les débris de deux
(i) Sallust,, Bellum Jugurth. cap. 79. — forteresses. Aïn-Agân doit son nom
Val. Maxime etPomponius Meia rapportent le à une source d'eau douce. A quelques
même fait. milles de là est une hauteur remarquable,
(a) Slrab., III, p. 171 'Ou yàp vuv
: «în- appelée Aâlum-Limarisch, du sommet
Xatwv [i<ô(xot, àlV ~6kqc {ast^àt^s tyjv
•jrpocYiyajpCav. (c) Strabon, XX, p. 753.
ÉTATS TRIPOLITAINS. n
de laquelle on jouit d'une vue étendue grosses, non taillées et non jointes par
sur une grande partie de la contrée. du mortier, comme dans les ouvrages
Au sud on aperçoit une série de lacs dits cyclopéens. Dans le voisinage on
salés, qui paraissent s'étendre au loin trouve quelques cavernes ou tombeaux
dans le sud-est. Leur eau est tout à fait taillés dans le roc. Les ruines de Ghi-
et dans quelques endroits assez bien la première est celle d'Ératosthène, qui
cultivé. Un peu plus dans l'intérieur on assignait à ce golfe cinq mille stades de
rencontre beaucoup de ruines d'anciens tour et dix-huit cents stades de profon-
forts et des débris d'édifices. Les ruines deur ; selon l'autre opinion , la Syrie
qu'on voit à Ghimenès , à une journée n'aurait eu que quatre mille stades de
de marche au nord de Carcora, diffèrent circonférence et quinze cents de profon-
des autres en ce que les pierres sont deur. Or, dans le passage que nous ve-
nons de citer Strabon paraît abandon-
(i) Délia Cella, Viaggio, etc., p. 177 Nel :
22 L'UNIVERS.
conférence était de quatre mille stades Hérodote nous apprend à peu près la
plutôt que de cinq mille. même chose; mais il y ajoute plus de
Beechey, quia parcouru tout le littoral détails(l). Les Nasamons(2) habitaient
de la Syrte, estime le diamètre de ce la partie sud-est de la Syrte, à l'occident
golfe à deux cent quarante-six milles des Auchises. « Ils forment, dit Hé-
géographiques, et sa circouférence à rodote, un peuple nombreux ; ils laissent
quatre cent vingt-deux. Ce dernier ré- pendant l'été leurs troupeaux sur la
sultats'accorde assez bien avec les quatre côte, et remontent dans le pays d'Augila
mille stades indiqués dans !e deuxième lh ( àvaêatvoudt èç Au-ytXa x&pov ) , pour
y
vre de Strabon. Quant au diamètre , il est faire en automne la récolte des dattes;
à peu près celui de Pline (trois cent treize car les palmiers y croissent en abon-
milles romains, c'est-à-dire deux cent dance et tous portent des fruits. Ils vont
quarante-huit milles géographiques) (1). aussi à la chasse des sauterelles ( àrre-
Les anciens paraissent avoir eu une xéêoi) ; ils les font dessécher au soleil,
connaissance assez précise de cette partie les broyent ensuite, et en saupoudrent
du littoral de l'Afrique. Ainsi, d'après le lait qu'ils boivent. Chacun a le droit
Beechey, le tracé de Ptolémée est, à d'épouser plusieurs femmes, qui d'ail-
beaucoup d'égards, plus exact que ce- leurs sont en commun ( èmaotvov aÙTswv
lui de nos cartes modernes (2). Toute tt]v fjûJjtv -Troieûvrai), à la façon des Massa-
Benghazi , a été dépeinte comme un dé- tion par un bâton qu'ils placent à côté
sert de sable, dépourvu d'eau et de végé- [de la tente] ( èrcsàv axurava. xpooTYiawvtat, [
Léon l'Africain lui-même abonde dans mon se marie, la coutume est que la jeune :
la plupart des détails qui précèdent, vies à sa noce, et reçoive de chacun d'eux II
cette contrée offre des espèces d'oasis un présent qu'il a apporté avec lui. — i
de vastes marais incultes; mais leur pro- hommes lesplus justes et les plus ver-
portion, comparativement aux endroits tueux que la tradition leur désigne en ,
cultivés, n'est pas aussi grande qu'on touchant leurs tombeaux. Pour la divi-
pourrait l'imaginer. Si la population y nation , ils entrent dans les sépultures
est clairsemée , il faut l'attribuer moins à de leurs ancêtres, y font leurs prières
la nature du sol qu'aux mœurs nomades et s'endorment : ils croient ce qu'ils ]
féroces; rarement la maladie les em- va rendre l'âme, de le tenir sur son séant,
porte (3). » afin qu'il ne meure pas couché sur le dos.
Leurs cabanes sont construites avec des
(i) Syrtis Major, circuitu DCXXV, aditu
autem , CCCX11I M. passuum. ( Hist. Nat.
Mb. V, cap. 4- —
Pline évalue (V, 5) XVII : Genus hominum salubri corpore
ia distance entre Leptis magna ( Lebida velox, patiens laborum; plerosque senectus
) et
Bérénice (Benghazi) à trois cent quatre-vingt- dissolvit , nisi qui ferro aut bestiis intcriere ;
cinq milles romains. nam morbus haud sœpe quemquam superat.
(2) Ainsi, par exemple, le prétendu golfe de (1) Hérod., II, IV, i72,>io,o.
3îs;
Zuca, indiqué sur la carte de d'Anville et d'au- (2) Suivant Pline ( Hist. Nat., V, 5), les
tres, n'existe pas; il en est de même du prolon- Nasamons s'appelaient d'abord Mesammons
gement de l'angle méridional de la Syrte. ou habitants au milieu des sables (de uicov
(3) Salluste, Bellum jugurthinum, cap. milieu, et à{Au.o;, sable ).
ÉTATS TRIPOLITAINS. 23
des changements profonds. C'est sur- qu'aux rivages de l'Asie Mineure. Sui-
tout sur la frontière libyque de l'Egypte vant le capitaine Smyth, la vitesse de
que l'on a observé ces changements; ce courant central dirigé vers l'orient est
mais, selon toutes les apparences , il y en
a eu de semblables au midi de la Syrte (i) Lyell, Principes de Géologie, t. II,
et dans le désert de Barca. Des mon- p. 38o, traduction de M me Meulien (Paris,
le navire à Tanger.
moins considérable. Loin donc de rien recevoir
de la Méditerranée, elle lui envoie une cer- Mais il y a d'autres faits qui détrui-
taine quantité de ses eaux par intermédiaire
1
sent l'opinion d'après laquelle la salure
d'un courant, qui, pendant la majeure partie de la Méditerranée n'irait pas toujours
j
de l'année, s'échappe par le détroit des Dar- en augmentant. D'abord , il est acquis
danelles. Toutefois, l'écoulement qui a lieu à la science que l'eau la plus salée ne se
au Bosphore est si petit, comparativement aux trouve qu'à d'immenses profondeurs,
volumes des eaux qu'amènent les rivières, parce qu'elle est très -lourde, son poids
qu'il doit faire supposer une évaporation spécifique étant très-grand. Il faut arriver
i
considérable, même dans la mer Noire. à une profondeur de plus de quatre cents
,
26 L'UNIVERS.
à quatre cent cinquante brasses, pour bles mouvants sont devenus des terrains
rencontrer une eau sensiblement plus solides et compactes.
salée que celle qui se trouve à peu près Les changements qui se sont effectués
uniformément répandue dans les couches pour l'isthme de Suez (1) ont dû avoir
supérieures. Or, d'après les sondages lieu, avec bien plus de force, dans les
exécutés par le capitaine Smyth, le dé- deux Syrtes, où le niveau du sol est
troit de Gibraltar, entre les caps Tra- bien plus bas (2).
falgar et Spartel, n'a que deux cent Les vents réguliers du nord doivent
vingt brasses de profondeur, les eaux y déterminer une espèce de flux et de
les plus profondes, c'est-à-dire les plus reflux indépendant de la marée. Ce
salées, y sont donc arrêtées (malgré le sont ces flux et reflux bien plus que les
courant qui pourrait exister), comme bas-fonds qui rendent la navigation
par une barrière sous-marine, et tout dangereuse dans ces parages. C'était là
le sel apporté dans la Méditerranée ne re- aussi l'opinion des^Fnciens (3). Salluste
passe donc pas le détroit. Jusqu'où cette dit que c'est à cette espèce de remous
accumulation de sel peut-elle s'étendre que les Syrtes doivent leur nom (4).
et quelles modifications l'énorme pres-
(i) D'après une hypothèse de Girard, un
sion des couches supérieures de l'eau
des savants de l'expédition d'Egypte, l'isthme
peut- elle apporter à l'action dissolvante?
de Suez lui-même n'est qu'une barre formée
Ce sont là des questions auxquelles il parles dépôts amenés par les courants marins,
est impossible de répondre dans l'état et jadis la mer Rouge et la mer Méditerranée
actuel de la science (1). étaient réunies. Il paraît certain qu'un accrois-
Ces courants ont pour caractère de sement extraordinaire de terre fermé s'est
répandre sur un espace immense des produit à l'extrémité supérieure de la mer
mélanges homogènes; car souvent ils Rouge : la largeur de l'isthme a doublé depuis
longent une grande étendue de côte, et le siècle d'Hérodote. Du temps de cet histo-
les dépôts auxquels ils donnent nais- rien jusqu'à celui d'Arrien, Heroopolis était
sance, comparés à ceux des deltas des sur la côte ; aujourd'hui elle se trouve presque
rivières , font paraître ceux-ci tout à fait aussi loinde la mer Rouge que de la Médi-
insignifiants. terranée. Suez, qui en i54i reçut dans
son port la flotte de Soliman II , ne forme
Le courant qui longe les côtes doit
plus à présent qu'un banc de sable. Le terri-
sans cesse tendre à les niveler. Par
toire de Tehama, situé sur la côle arabique
suite d'une action continuée pendant des
du golfe, a augmenté dé 3 à 6 milles depuis
siècles, les baies peuvent secombler et les
l'ère chrétienne. A
une certaine distance des
saillies s'effacer. Il ne répugne pas de
ports actuels on trouve dans l'intérieur des
croire que les Syrtes étaient jadis bien terres les ruines de villes plus anciennes,
plus profondes qu'aujourd'hui ; peut-être qui jadis étaient sur le bord de la mer, et
dans quelques milliers d'années auront- portaient le même nom que les nouveaux
elles entièrement disparu. On verrait ports. Il paraît que le sable transporté des
alors se reproduire ce qui, d'après l'hy- déserts par le vent fournit une partie des ma-
pothèse d'Hérodote, a eu lieu pour la tériaux de ce nouveau terrain , et que le
formation de l'Egypte. Plusieurs cir- reste se compose de coquilles et de coraux,
constances nous portent, en effet, à dont l'accroissement est très-rapide.
penser que la basse Egypte était primi- (2) Rennel a démontré que la petite Syrte
tivement un golfe, comblé depuis par devait entrer jadis plus profondément dans
le littoral, et qu'elle communiquait avec le
Faction réunie du Nil et des courants
méditerranéens. lac Tritonis (lac Lowdeh); ce qui s'accorde
avec les récits d'Hérodote, de Ptolémée et de
Un fait certain c'est que les anciens Scylax.
ports situés sur le littoral de la Syrte
(3) Pomp. Mêla, De Situ Orbis, lib. I,
sont aujourd'hui en partie comblés de
sable , et les lacs ou étangs indiqués par
cap. 7. —
Importuosus atque atrox, et ob
vadorum Jrequentium brevia, magis etiam ob
Strabon sont maintenant convertis en alternos motus pelagi affluentis ac refluentis
marais. Dans bien des endroits , les sa- infestus.
Pline appelle les deux Syrtes vadoso ac
(r) Lyell, Principes de Géologie, t. II, reciproco mari diros. ( Hist. Nat., V, 4- )
p. 333. (4) Syrtes, ab tractu nominatœ. ( Du grec
ÉTATS TRIPOLITAINS. 3Ï
d'ordinaire lieu à des flaques d'eau sta- fois dans le lieu où elle a été trouvée,
gnante, ou servent de repaires à une mul- quand on jeta le fondement de la maison
titude d'animaux immondes. Beechey, du cadi de Benghazi elle était dans le
:
pendant son séjour à Benghazi ( mois sable, la face en bas, enfoncée à quinze
de janvier 1822), trouva les rues littéra- ou seize pieds, et sans aucun vestige et
lement changées en rivières {the streets bâtisse auprès d'elle; ce qui m'a fait juger
literally converted into rivers). Les qu'elle avait été transportée en cet en-
marchés ne purent être approvisionnés droit pour être portée à Rome , et qu'on
et le nombre des bestiaux ( moutons et l'avait ensevelie dans le sable pour la
chèvres) qui périrent dans le voisinage, conserver (2). »
à cause de l'inclémence du temps, s'é- A l'entrée du port est le château du
leva à plusieurs milliers. Le voyageur bey, élevé sur les ruines d'un ancien
anglais ne put se procurer qu'une seule édifice dont on voit encore les assises
maison à l'épreuve de la pluie {wea- du côté de la mer. Sa forme est carrée,
ther-proof). « La cour, dit-il, autour avec une tour ronde à trois des an-
de laquelle nos chambres étaient bâties gles, dont le quatrième, qui regarde le
eut pendant longtemps l'apparence d'un port, est occupé par une série de bâti-
étang ; et il n'y avait çà et là sur les ments servant de harem. Chacune des
trois tours est garnie de quelques pièces
d'artillerie. Outre le harem , le château
«ïû'peiv, tirer, aspirer ). Solinus, cap. 6 : Syr-
renferme les logements des officiers du
tisa orupto , traho, quod in accessit et recessu
avenant et cœnum ad se trahit at congerit.
bey et une nombreuse garnison en dedans
Il est plus probable que le nom de Syrte de l'enceinte. Benghazi n'offre aucune
vient du phénicien ou hébreu T£D {Siar), de ces ressources que présentent au voya-
tourbillon, tempête. On sait que les Phéniciens,
peuple navigateur, fréqueniaient ces parages (i) Beechey, Expédition to explore , efc. f
depuis la plus haute antiquité. p. 282.
(i) Ce nom signifie, en arabe , fils de la (2) Paul Lucas, Voyages, etc.; t. II,
guerre. p. 122-123 (Paris. £712).
.
2* L'UNIVERS.
geur les autres villes de l'Orient; les di- présent un village, ne parait pas avoir
vertissements sont à peu près nuls, car été superbe en bâtisses de marbre; j'y
on n'y rencontre ni rafé ni bain public. ai seulement vu quelques petites colon-
Suivant Beechey, la ville de Benghazi nes de marbre, de jaspe et de gra-
renferme environ deux mille habitants, nité (1). »
dont une grande partie se compose de La de Bérénice qui existait en-
ville ,
mille âmes. Quant à leur costume et tuellesde Benghazi; un lac d'eau salé s'op-
à leurs mœurs , les habitants ne diffè- posait, au midi , à tout agrandissement
rent pas des autres Arabes. La principale dans cette direction, et à lest le sol est
branche du commerce consiste en bes- si bas qu'il éprouve de fréquentes inon-
tiaux , laine et quelques objets manu- dations. Les carrières que l'on trouve
facturés. Les bestiaux et le blé sont aux environs ne paraissent pas avoir
exportés à Malte, où ils servent surtout servi de tombeaux, comme chez les
à l'approvisionnement de la garnison Égyptiens. Les rochers sont couverts
anglaise. d'herbes et d'arbrisseaux grimpants. Ils
Le climat n'est pas très-sain. La dys- bordent des précipices fort remarquables
senterie y est une des maladies les plus et d'un effet d'autant plus pittoresque
communes cependant on ne trouve
; pas qu'ils contrastent avec tout le paysage.'
à Benghazi autant de cas d'ophthalmie Au fond de ces précipices on aperçoit de
qu'à Tripoli et Mésurate. Les affections beaux tapis de verdure, qui rappellent
cutanées sont très-fréquentes tant chez les contes des Mille et une nuits ou les
les citadins que chez lesBédouins du voi- jardins des Hespérides gardés par des
sinage. Les habitants de la Cyrénaïque dragons (2). Quelques-uns de ces préci-
en attribuent la cause au contact des fûces sont remplis d'eau, et présentent
bestiaux. 'aspect de petits lacs.
On admet généralement que Benghazi On trouve aussi dans le voisinage de
•'
chercher les débris de Bérénice, où il faut le voisinage du jardin des Hespérides (3)
fouiller le sol à plusieurs pieds de pro-
fondeur, pour découvrir quelques restes (i) Voyez Paul Lucas, Voyages, etc. , :
de l'antiquité, tels que médailles, ins- t. II, p. 123. — Lemaire, consul de France
criptions, fragments d'architecture, de à Tripoli, avait fait un voyage à Benghazi,
sculpture, etc. Derne, Grennie ( Cyrène ) dans le but, ainsi
,
Pendant un séjour de deux mois que qu'il l'avoue lui-même, « de chercher des che-
Lemaire fit en 1703 à Benghazi, il vaux pour monseigneur le comte de Tou->
y trouva plusieurs médailles de bronze, louse. m Les antiquités n'attirèrent son atten-
d'or et d'argent sans inscriptions. « La tion qu'accidentellement.
fameuse ville, qui est, dit-il, devenue à (2) Lestémoignages de Pline, de Strabon
et de Scylax semblent s'accorder pour placer
(i) Bérénice était fille de Magos et femme le Jardin des Hespérides près de Bérénice.
de Plolé née Philadelphe. Les rois d'Egypte Beechey ( Expédition to explore the northern
de la dynastie des Ptolémées ont donné à coasts, etc., p. 32 1 et suiv.) essaye de <;on-
un grand nombre de villes les noms de leurs firmer ces témoignages par la description des
sœurs de leurs filles on de leurs femmes. localités actuelles.
—
,
Les habitants de la contrée environnante (3) Lucain place le Léthé et le Jardin des
portaient le nom de Bérénicides ou d'Hes- Hespérides près du lac Tritonis, dans la Petite
pérides. Syrte.
ÉTATS TRIPOUTAïNS. 29
On se rappelle, ce qui viendrait à l'appui puis les bords de la mer jusqu'au pied
de la tradition mentionnée, que le Léthé, des montagnes qui forment les limites
au dire des poètes disparaissait et re-
, septentrionales de la Cyrénaïque. A
paraissait alternativement. C'est ce qui mesure quel'on s'avance vers Ptoléméta,
expliquerait aussi son nom (de Xavôâvw, ces montagnes se rapprochent de plus en
je suis caché). plus des bords de la mer l'espace in-
:
avait une île avec un temple de Vénus (1). Le nom.d /4ziana, par lequel les Arabes
Beechey nous apprend que pendant désignent l'un de ces lacs, semble indi-
la saison des pluies on remarque près quer le voisinage de l'ancienne ville dVi-
du lac un îlot sur lequel se trouvent ariana, qui était, selon Ceilarius, située
quelques ruines (2). Il n'est pas éloigné entre Bérénice et Teuchira.
de croire que ce sont les ruines du tem- A Birsis on trouve un grand nombre
ple de Vénus dont parle Strabon. de puits et beaucoup de fragments mu-
Si l'on ne trouve pas aux environs de où se tient d'or-
tilés d'édifices. Birsis,
Benghazi les fruits du jardin des Hes- dinaire un campement arabe, est situé à
pérides, on y voit encore un grand nom- environ trente et un milles de Benghazi,
bre de dattiers et de figuiers sauvages. et à. sept de Teuchira; il n'est qu'à un
La route de Benghazi à Teuchira et mille et demi de la mer. Au sud-ouest de
Ptoléméta ou Toléméta ( Ptolémaïs Birsis on trouve quelques ruines, cou-
des anciens) passe par un pays fertile, vertes de végétaux. Les Arabes appellent
mais dont il n'y a qu'une petite partie l'emplacement de ces ruines Mabny ou
de cuitivée. C est une plaine couverte Nably. Serait-ce l'ancienne Neapoiis,
d'herbes et d'arbustes; elle s'étend de- qui , suivant Ptolémée, était située entre
Teuchira et Ptoléméta?
(i) Strab., XVII, p. 836 (edit. Casauk )
'Ecrù 8è âxpa Xeyojxsvy; ^FeuSoueviaç, s<p' ^ç
(i) Nous soupçonnons que les pins dont
i\ Bepsvixr] ttqv 6eaiv ëx £l > Trapà Xifxvrjv Tiva parle voyageur anglais sont des espèces
le
TpixwvîSa, ev ^ [xocXiffia vrjatov écm, xod ispàv d'ephedra ( ephedra distachyos y L. ? ) ar-
A<ppo8iTY]ç. bres qià par leur aspect ressemblent à des pins
'Eaxi ôè vcal Xifi^v 'EarcepiStov , xai 7roxa[xoç et appartiennent essentiellement à la flore de la
£|xéàÀXei Aà6<i)v. région méditerranéenne. D'autres voyageurs
Ça) Pendant l'été cet îlot disparaît. C'est n'ont-ils pas confondu le laurier-rose ( nc-
ce qui pourrait expliquer le mot u.àXi»7Ta ( or- rium oleander, L.) avec des saules, à cause
clinnircmenO dont se sert Strabon, de la similitude des feuilles?
,, i
30 L'UNIVERS.
Entre Birsis et la mer sont les ves- et recevant par en haut l'air et la lu-
tiges de deux tours, occupant le sommet mière. Les colonnes mentionnées ont
d'une rangée de collines sablonneuses, été décrites par Bruce, comme faisant
à l'entrée de la baie. Le sol y est très- partie d'un portique d'un temple io-
fertile. A six milles au delà de Birsis nien. Une inscription grecque, aue l'on'
dans la direction nord-est, on rencontre voit à leur base, porte les noms de Cleo-
un amas de ruines fort imposantes des : pâtre et de Ptolémée Philométor ; on \
pans de murs, garnis de tours quadran- lit aussi , d'après Beechey les noms
,
guiaires et de deux grands portiques d'Arsinoé et de Bérénice.
placés en face l'un de l'autre. Ce sont Les ravins qui forment les limites
les vestiijesde l'antique Teuchira onTau- orientales et occidentales de Ptoléméta!
chira , l'une des cités de la Pentapole. sont extrêmement romantiques : onj
Elle changea plusieurs fois de nom elle
: pourrait s'y croire transporté dans quei-j
s'appelait Jnsinoé, sous les Ptolémées, que beau vallon de la Suisse. Beechey
et Cleopatris, depuis Marc-Antoine. Les ne. tarit pas en éloges sur les charmes
Arabes la nomment aujourd'hui Tocra. de ce paysage. Ne vaudrait-il pas mieux
Ses murs furent, au rapport de Pro-
y placer le jardin des Hespérides? Sur
cope ( de sEdiJiciis ), solidement réparés les flancs de ces montagnes qui bordent
sous le règne deJustinien. On y trouve, ces riantes vallées , on rencontre quel-
selon Beechey, beaucoup d'inscriptions ques tombeaux grecs ou romains, qui
grecques, qui sont probablement pres- paraissent receler des inscriptions. Deux
que toutes inédites. Une expédition ponts paraissent avoir été jetés sur chav
de savants et d'archéologues envoyée cun des ravins; les restes de l'un de ces
dans cette région serait une entreprise ponts sont assez bien conservés.
digne d'un gouvernement ami de la Ptoléméta est d'une assiette admi-
science. rable ; défendue de front par la mer,
Tocra n'est habitée que pendant l'été, place s'appuyait, de chaque côté, sur;
parce qu'on y trouve beaucoup de puits des vallées étroites, qui offrent encore 1
d'eau douce. Des cavernes sépulcrales ser- quelques vestiges de fortification. Elle!
vent de demeure aux Arabes nomades. était abondamment pourvue d'eau par des
La distance de Tocra ou Teuchira à citernes et des aqueducs, qui paraissent 1
Ptoléméta est d'environ dix-huit milles. avoir été construits par ordre de Jus-!
Le chemin va le long de la côte à tra-
, tinien. Ces citernes, bien qu'elles soient
vers un pays très-fertile et assez bien cul- très-mal entretenues, fournissent encore;
tivé. Ici la chaîne de montagnes tou'che
aujourd'hui de l'eau fraîche excellente
presque à la nier. En Rapprochant de aux Arabes nomades. J
Ptoléméta, l'attention est d'abord fixée La plus grande partie de Ptoléméta,
par un grand tombeau quadrangulaire, est aujourd'hui couverte d'herbes touf-
très-élevé , construit sur un roc isolé fues, et ses ruines servent de retraites à
taillé en carré. Il présente de loin l'as- des hyènes, à des chacals, à des chats-
pect d'une tour. Délia Gella suppose que huants et à beaucoup d'autres animaux.
ce monument, « veramente di regia D'après l'estimation de Beechey, cette
grandezza, » servait de tombeau au ville avait environ trois milles et demi
septième des Ptolémées, surnommé Phys- decircuit ; sa longueur, du nord au midi,
con, qui joignit, comme on sait, la était d'un peu moins d'un mille, et sa
Cyrénaïque à son royaume. Beechey n'y largeur, de l'est à l'ouest, d'environ
put découvrir aucune trace d'inscrip- trois quarts de mille (1).
tion.
Depuis Ptoléméta à Grenna ou Gren-
On voit encore à Ptoléméta un cirque nie (l'ancienne {Cyrène) le pays est très-
et deux théâtres. Ces derniers sont pittoresque, varié de collines et de val-
attenants aux ruines d'un palais, dont La vallée d'Haribih est couverte d'o-
lons.
il ne reste que deux colonnes
debout. La
cour intérieure du palais est couverte (i) Beechey {Expédition to explore tke
de mosaïques; au-dessous de cette cour northern coast of Africa, etc., p. 367-385)
sont des citernes voûtées très-spacieu- donne une description détaillée des ruines de
ses, communiquant l'une avec l'autre, Teuchira et de Ptoléméta.
ÉTATS TRÎPOLITAINS,
jiviers et contient plusieurs puits d'eau mer. Son port était Sousse; il en est à
douce. On y trouve aussi plusieurs es- deux petites lieues. Ce port était bon au-
pèces de lauriers , de cyprès, de myrtes trefois; il y avait une vue étendue; il y
et de caroubiers. A mesure que l'on peut mouiller à présent deux ou trois
s'approche de Cyrène le terrain devient petites barques dans la belle saison.
plus uni ; il offre de riches moissons et « Il y a dans un autre grand vallon
d'abondants pâturages. C'est dans la quantité de maisons taillées dans le ro-
plaine de Merge et aux environs de cher, où il y a des boutiques et des cham-
Grenna (Cyrène) que Beechey rencontra bres avec un ordre d'architecture parti-
cette ombellifère à suc acre qui paraît culier et des grandes fenêtres ; c'était là,
être le silphium des anciens (1). selon toute apparence, où les marchands
cyrénéens avaient leurs habitations (1).
Ruines de Grenna ( Cyrène). Il y a un ruisseau qui passait au milieu.
sent être quelque chose de grand. J'ai quatre de large; il a deux griffons très-
vu dix statues d'un très-bon goût, toutes bien faits et bien conservés, qui tiennent
drapées à la manière des Arabes d'au- une espèce de flambeau ; il n'y a point
jourd'hui de la hauteur de cinq pieds et d'inscription. J'ai vu sur un piédestal de
,
demi, mais toutes mutilées et sans tête. Il marbre, renversé sens dessus dessous,
une inscription en caractères latins, dont
y a une très-belle fontaine qui sort d'un
rocher, et qui fait un gros murmure : la je n'ai pu rien tirer, étant fort effacée.
source vient de fort loin, au dire des On y voit aussi huit femmes qui tiennent
Arabes , et a été trouvée à force de tra- chacune une petite fille parla main;
vailler dans la roche. Cette source est elles sont très-bien faites et toutes ha-
grosse et coule avec impétuosité : l'eau billées d'une draperie fort plissée : ces
est fraîche et admirable ; elle coule sans femmes regardent le char de triomphe.
cesse, et n'augmente ni ne diminue, quel- On voit aux environs de la ville une in-
que grande que soit la sécheresse. Les finité de tombeaux, situés de différentes
plus belles maisons étaient, selon toute manières. J'ai remarqué que les peuples
apparence, autour de la fontaine. Il y de ce temps-là avaient une grande véné-
a au-dessus une muraille d'une épais- ration pour les morts. Il y a un champ
seur extraordinaire, qui a environ cent de Mars, que les Arabes appellent Safsaf,
toises; elle est très-bien bâtie; il y a saule (2). Ils le nomment ainsi à cause
quelques colonnes de marbre de seize qu'ily a trois différents réservoirs tail-
pieds. J'estime que la ville avait quatre lés dans le roc, dans l'un desquels il
lieues détour; il ne parait point d'en- y a sept saules (3) d'une beauté et d'une
ceinte de murailles elle est bâtie sur
:
grandeur extraordinaires; ceux qui sont
une haute montagne à deux lieues de la dans les autres ne sont pas si beaux.
Les réservoirs sont actuellement remplis
d'eau. Il y a un autre réservoir d'eau
(ï)Suivant Hérodote (lib. IV, cap. 169)
la région du silphium s'étendait depuis l'île (1) On verra plus loin que ce que Lemaire
de Plalée jusqu'à l'entrée de la Grande Syrte. regardait comme le quartier des marchands
Comp. Arrien (Exped. Alexand., lib. III, était la nécropole.
e. 29.) (2) Suivant Délia Cella (Fiaggio , etc.,
(a) La copie de cette inscription est repro- p. 107) le safsaf'et le laurier-rose (nerliim
duite dans le Voyage de Paul Lucas , à la fin oleander, Lin. ).
du tome II. (3) Laurier-rose?
.
32 L'UlNIVERS.
cette voûte, qui est presque entière , ont ligion les enfants jouissent de !eui
:
trois pieds de long, sur un pied de large, mères, le père de ses filles, et les frère
etsont toutes numérotées par lettres al- et les sœurs les uns des autres il n'y :
comme une armée. On distingue les belles dents du monde, et les mieux rai
tombeaux des officiers généraux , des gées ; elles sont fort brunes et font toi
subalternes et ceux des soldats sont de
, le travail, leshommes étant très-pare:
pierres de cinq à six pieds de haut, plantés seux. S'ils voulaient cultiver les terres
sur deux lignes droites; ceux des bas ils feraient des trésors ; mais ils ne se
officiers sont élevés du double deceuxdes ment que ce qu'ils peuvent manger chaqu
soldats. Le corps de bataille était toute année (1). »
la force de l'armée; l'aile droite et l'aile Ces renseignements demeurèrent Ion
gauche étaient très-faibles en compa- temps dans l'oubli. Ce n'est que plus d'un !
que huit pieds; j'en ai vu un seul qui en de Grenna ont l'apparence de rues dé- \
a vingt de long sur cinq de large. On sertes des tombeaux rangés de chaque
:
pourrait trouver quelque belle statue, côté remplacent les maisons. La solen-;
si on voulait faire travailler dans les nité de cette scène est rehaussée encore
ruines des grandes bâtisses. J'ai vu plu- par le style varié de l'architecture.;
sieurs chapiteaux de l'ordre corinthien Les tombeaux les plus anciens se font
et ionique, mutilés par le temps; et, remarquer par leur simplicité; tandis;
suivant toute apparence il n'y avait pas
, que ceux d'une époque plus récente sont
beaucoup plus chargés d'ornements. La
'
mille oliviers sauvages. Les montagnes est courante, froide, excellente à boire,
et les anciens monuments sont presque ce qui la distingue des eaux stagnantes
inhabités. Il y a quelques Arabes qui
sont campés dans les ruines de Cyrène, (i) Mémoire d'un voyage dans les monta-
et qui vivent pendant six mois de l'année gnes de Derne , dans l'ouvrage de Pau! Tu-
du laitage de leurs bestiaux avec un peu
, cas . tome II, p. i r4-i20 (Paris, [712 ).
ÉTATS TMP0LITA1NS. M
que l'on rencontre dans le reste de la Tout près de la se voient quelques
contrée. La face du rocher d'où elle jail- débris d'un, temple périptéral de ï)ià-
lit était jadis ornée de deux portiques,
semblables à ceux d'un temple. Elle taine d'Apolion à Cyrène. « Ce canal atteint,
parcourt, dans l'intérieur du roc, un ca- dit-il cinq pieds de hauteur ; sa largeur per-
,
affecté à l'usage des prêtres chargés de larges empreintes de pattes d'hyène , et d'au-
tres, plus petites, qui nous semblent êire celles
l'entretien de la rivière sacrée. Presque
de loups et de renards. Ces témoignages va-
en face était i'entrée principale. Le voya-
lent bien les magiciens et les spectres; aussi
geur anglais y trouva une tablette brisée
nous arrêtons aussitôt notre marche. Néan-
en deux morceaux, sur laquelle étaient
moins la réflexion succède à la surprise, et
sculptées trois figures de femmes , joi-
l'on essaye de distinguer la direction des em-
gnant leurs mains comme pour exécuter preintes. La plupart sont tellement posées
une danse sacrée. La draperie de ces les unes sur les autres, comme les pas des
bas-reliefs indique une époque très-re- voyageurs sur un chemin battu, qu'il est
culée. impossible de se faire à ce sujet aucune idée
Sur l'une des parties les plus saillantes exacte. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir
du rocher on lit une inscription en grec que ces traces sont recouvertes d'une légère
dorien, rappelant le nom du prêtre couche de terre d'alluvion on joint ce fait à
;
( Dionysius ) qui a élevé l'un des porti- celui des interruptions qui divisent le petit
ques mentionnés (xàv >cpavav S7rscx£uaae). sentier, et l'onen induit que le volume d'eau,
L'eau de la fontaine de Cyrène est au- grossi en hiver par la filtration des pluies,
dessous du niveau de la ville elle pa-
:
couvre à cette époque une partie du sentier
qui doit être entièrement découvert en été,
raîty avoir été jadis distribuée par des
et que par conséquent les fauves ne doivent
moyens hydrauliques, dont on croit avoir
chercher un repaire dans le souterrain que
retrouvé quelques vestiges. Aujourd'hui
durant celte dernière saison. Rassurés par
les Bédouins logent leurs troupeaux ces observations, qui nous promettent de ne
dans les cavernes de la fontaine d'A- faire aucune fâcheuse rencontre, nous nous
pollon ; ils en disputent matin et soir empressons de continuer notre marche.
l'approche aux chacals et aux hyènes (1), « Quoique l'axe général du canal soit du
nord au sud , il décrit toutefois quelques si-
(i) Unvoyageur français, Pacho {Voyage nuosités, nécessitées par l'état plus ou moins
dans la Marmarique et la Cyrénaïque , etc., sain des couches de la roche. En détour
p. 2i3et suiv, ) visita, en compagnie d'un Nu- nant un de leurs coudes, un sourd mugis-
bien, portant un flambeau, le cana! de la fon- sement se fait entendre; nous en soupçon*
e
3 Livraison, (Tripolitaiivs.
94 L'UNIVERS.
ne (1). Les colonnes, à moitié enfouies dertii anglais de diamètre ; celles du norc
dans le sol, ont environ quatre pieds et sont complètement ensevelies. On
trouve encore les restes de quelques corï
nons la cause : cependant le Nubien s'est tu structions qui ne semblent pas se ratta
tout à coup; il avance encore , mais il avance cher immédiatement au plan du templ
en tremblant le bruit augmente; pour le
: de Diane. Tout près du mur septentrk
coup il n'y tient plus , il s'arrête, le flambeau nâl,[Beechey découvrit une statue muti
va s'échapper de ses mains; nous nous en em- lée, représentant une femme assise, don
parons ; et cet intrépide jeune homme, qui n'a la ceinture serre étroitement la robe (2)
reculé devant aucun danger, tremblant main-
Entre le temple de Diane et la fontaii
tenant comme uu enfant, se glisse à la hâte
i
Beechey trouva un beau bas-relief e
derrière nous. La rumeur, concentrée dans[un
marbre blanc et le torse d'une figur
corridor étroit, en frappe la colonne d'air de
telle manière, qu'elle produit l'effet de voix
d'homme de grandeur naturelle, égale
rauques et glapissantes. Nous ne tardons pas
ment en marbre blanc, et exécutés dan
le meilleur style grec (3).
d'arriver à l'endroit d'où part ce singulier va-
carme, et nous trouvons au côté oriental, et
à peu près à la moitié de son étendue, une elle coule perpendiculairement de mille cre
crevasse caverneuse , par où se précipite avec vasses du plafond cristallisé; on est dans l'ea
centaine de pieds au moins au-dessous du car avec l'embarras des formes humaines on !
niveau du canal. Si l'on pouvait émettre à ne saurait pousser plus loin cette aquatique
ce sujet quelque conjecture, il serait possible reconnaissance. » i
que ce torrent souterrain allât déboucher à (i) Le nom de cette déesse se lit sur uu !
idée, se rendait peut-être autrefois aux maga- en marbre qui couvrent presque totalement
sins de la station d'Apollonie , par l'aqueduc le champ devant la fontaine, sont ceux du
maintenant en ruines. Hormis cet acci- célèbre temple d'Apollon, élevé à Cyrène
dent, le reste du canal n'offre plus rien de dans les premiers temps de l'autonomie ;
furent heureusement sanctionnées par l'expé- que Ton conservait dans ce temple ( Pindar. j
le sentier des fauves s'élargit, nous le trou- temple, offrent, en effet, quelques rapproche-
vâmes couvert d'ossements de chameaux et ments allégoriques. Déplus, Battus, selon\
d'autres quadrupèdes, restes des proies appor- Pindare, avait fait paver une rue pour la
tées du désert , et dévorées en ce lieu. Enfin, marche des pompes religieuses qui se ren-
dès qu'on est parvenu à cent cinquante mè- daient au temple d'Apollon; et quelques restes
tres de distance de l'entrée, le travail de de cette rue se retrouvent encore à peu de,
l'homme finit, et l'on ne voit plus que celui distance des ruines du temple. Eufin, le bas-
de la nature. Là le canal , terminé dans sa relief en marbre représentant une jeune
partie supérieure en angle droit, présente femme nue jusqu'à la ceinture, sans attribut
encore en dessous une ouverture irrégulière de déesse , et paraissant couronner un buste
par où l'on ne peut passer qu'en se traînant dont il manque la tête, figure, d'après Pacho ,
à plat ventre dans l'eau; et l'on arrive de non pas Diane, mais la nymphe Cyrène, cou-
cette manière dans une grotte très- large, ronnant Apollon.
mais peu élevée, et tapissée de stalactites. Si (3) La voie de communication entre la
l'on est encore poussé par la curiosité, il faut plaine de Cyrène et la fontaine d'Apollon
conserver la même position qu'on a prise en est, selon Pacho, la rue de Battus; c'est près
entrant, et s'avancer ou plutôt serpenter à de là qu'on trouve les monuments les plus im-
travers les rocailles : la vue se perd alors de portants. On a à peine franchi la forte pente
tous côtés dans ténèbres, l'eau ruisselle
les qu'elle décrit non loin de la source, que
de toutes parts; elle paraît surgir de la terre; l'on rencontre les ruines d'un amphithéâtre.
ÉTATS TMPOLITÂINS.
Gyrène est. située à l'angle d'une trée de ces cellules paraît avoir été pri-
chaîne de collines d'environ deux cent mitivement fermée par des pierres en
cinquante mètres de hauteur. Ces col- forme de tables portant les noms des
lines sont disposées par gradins ou morts qu'elles recelaient. La plupart de
rangées. C'est au pied de la rangée su- ces pierres sont brisées ou complète»
périeure que la ville avait été bâtie. ment enlevées. Peut-être en découvri-
Des défilés étroits sillonnent la contrée, rait-on un grand nombre en débarrassant
et servent de lits aux torrents qui se les tombeaux des matières alluviales
précipitent vers la mer. La chaîne basse amassées par les pluies. Les cellules se
des montagnes qui , à Benghazi sont
, trouvent quelquefois bien au-dessous du
à quelque distance dans l'intérieur se , niveau des chambres , et soutiennent
confond ici avec la côte; elle est cou- une rangée de corps ou d'urnes ciné-
verte de bois et entrecoupée de ravins. raires, placées les unes au-dessus des
Sa hauteur a été estimée à environ mille autres.
pieds au-dessus du niveau de la mer Beechey découvrit dans plusieurs de
et celle de Cyrène à dix-huit cents. De ces grottes sépulcrales des restes de
là on jouit de l'une des plus belles vues peinture représentant des sujets histo-
du monde. Le versant nord de cette riques, allégoriques et pastoraux, aussi
chaîne de montagnes est abrupte , et beaux que "ceux d'Herculanum et de
descend vers la plaine, non par un Pompéi. La composition et le dessin de
plan uniformément incliné, mais par ces groupes témoignent d'une profonde
galeries successives souvent taillées à connaissance de l'art et d'un goût vrai-
pic. C'est dans les rochers de ces gale- ment classique. Dans quelques-unes de
ries suspendues que les anciens habi- ces peintures, les couleurs sont belles,
tants de Cyrène creusèrent leurs tom- bien conservées, et invariablement ap-
beaux. pliquées à certains sujets ; le bleu et le
Ces tombeaux se composent généra- rouge y sont surtout prodigués. Le
lement d'une seule chambre, au bout bleu était la couleur dominante des tri-
de laquelle, à l'opposite de l'entrée, glyphes dans tous les édifices de Cyrène.
est une façade en bas-relief, le plus "Pacho , qui visita cette partie de l'A-
souvent de l'ordre dorique, taillée avec frique presque à la même époque que
élégance et régularité dans la surface du le voyageur anglais , donne sur la né-
roc ; elle représente un portique et un cropole de Cyrène les détails suivants (1),
certain nombre de colonnes en propor- « C'était, dit-il, une ville des morts
tion avec l'étendue du tombeau. Les séparée de la ville des vivants. Entière-
espaces entre les colonnes varient, les ment creusée dans le flanc de la monta-
portiques étant tantôt monotriglyphes, gne, elle en suit les diverses sinuosités :
tantôt ditriglyphes, selon la fantaisie de elle pénètre dans ses ravines, s'avance
l'architecte. Dans les intervalles com- avec ses contreforts; et cette situation
pris entre les colonnes sont les cel- irrégulière , donnée par la nature pré- ,
lules taillées dans le roc, rectangulaire- sente néanmoins une certaine régularité
ment à la façade, pour recevoir les donnée par les hommes. En effet
1 cendres ou les "corps des décédés. L'en- malgré les angles profonds que décrit
cette nécropolis, malgré les amas con-
;
dont les marches inférieures sont enfouies fus de débris de toute espèce dont elle
j
dans la terre ; au-devant sont épars plusieurs est couverte on peut toutefois y dis-
,
|
forme parallélogramme, et offrant une ana-
logie vague avec les stèles égyptiennes, à (1) Relation d'un voyage dans la Marma-
cause d'un globe sculpté en relief au sommet rique , la Cyrénaïque , et les oasis d'Audje-
du monolithe. (Voyage dans la Marmari- lah et de Maradeh , etc., par J.-R. Pacho;
fie, p. 219.) Paris, 1822 , 1 vol. iu-4 , p. 195 et suiv.
3.
,
36 L'UNIVERS.
profondément par les roues" des chars, le styledorique domine continuellement.
et contenant en plusieurs endroits des On trouve quelquefois pur avec ses co-
le ,
marches peu élevées. Chacune de ces lonnes cannelées, ses triglyphes et ses
terrasses présenteune série rarement gouttières ; quelquefois il est modifié par
interrompue de façades de grottes sé- des détails égyptiens, tels que des cor-
pulcrales dont l'élégance et la variété
, niches et des encadrements; et d'autres
du et surtout la conservation,
style, fois il forme un style à part, qui, tout
très-souvent intacte , forment un grand en conservant son type original, paraît
contraste avec les amas de débris qui néanmoins appartenir en propre à l'ar-
les environnent. Des sarcophages mo- chitecture de Cyrène. Les traits distinc-
nolithes, la plupart taillés dans la colline tifs de ce style sont des consoles en place
même, sont placés au-devant des ter- des colonnes, et des angles obtus, dans
rasses , et bordent la série des façades. les moindres moulures au lieu d'angles
,
quefois trois caisses creusées au-dessous uns sont des colonnes élargies à la base
du niveau de la façade; nous les voyons et rétrécies au sommet les autres des
,
il est composé, et qui en forme autant gétation qui décore ces hypogées parais-
de monuments distincts quoique réunis sent être en harmonie avec cette bizar-
sur une même ligne. Une élégante fa- rerie de l'art et du site. Des genévriers
çade , contenant deux colonnes cannelées de Lycie, aux troncs noueux, aux bran-
a chapiteaux en volutes qui soutiennent ches errantes couronnent le rocher et
,
par le temps ; que Ton place dans les médaillons formés par les ondulations-
crevasses du roc, sur les corniches des des guirlandes. Le couvercle très-mas-
tombeaux, mille plantes saxatiles de sif est sculpté en feuilles imbriquées;
teintes diverses et d'une floraison écla- les Arabes sont parvenus à le détourner
tante, telles que des renoncules, des de son plan vertical , pour enlever ce
séneçons, des giroflées , des sauges , des que le tombeau contenait : il n'est
alyssons, des géraniums, et tant d'au- aucun monument de ce genre dans
tres ; que Ton entremêle ces belles plantes toute la Cyrénaïque qui n'ait subi la
du peuple innombrable des petites gra- même violation. En outre, l'hypogée
minées , et l'on n'aura qu'une faible est divisé en trois pièces , dont cha-
idée des contrastes de formes , de cou- cune contenait un sarcophage. Si l'on
leur et d'aspect, que présentent ces hy- en juge par leurs débris, ils étaient tous
pogées, et que je donne comme type d'un travail non moins achevé que
des sites sauvages mais charmants de celui qui est resté intact. Sur/l'un était
toute la partie occidentale de la nécro- sculptée une chasse , et sur l'autre des
polis. griffons; la perte de ce dernier ne cause
Après cette esquisse rapide de ce
« pas de grands regrets, puisque nous
que les hypogées de Cyrène offrent dé- allons en trouver un semblable , pour
plus remarquable en perspective, il con- les emblèmes , dans un autre hypogée. ;
vient de pénétrer dans l'intérieur, pour « Une petite grotte, taillée dans le ,
ou six grottes dont les entrées encom- , de peintures qui paraissent représenter
brées de rocailJes et de buissons épi- des jeux funéraires. La mieux conservée ;
plus bizarres sont ceux qui piquent défigures dont les unes, revêtues de <
contraire tout en œuvre pour pouvoir y simple draperie, donnent l'idée du peu-
pénétrer. Pioches et bâtons sont tour à ple de Cyrène qui assiste à la cérémonie,
tour employés ; serpents et hibous dé- et s'attroupe auprès des principaux
logent à la hâte; enfin , après quelques personnages. En tête du tableau est
égratignures et de petites contusions, une espèce de meuble, auprès duquel
nous voilà dans l'antre, et nous som- des jeunes gens sont occupés à préparer
mes obligés d'avouer que les travers des mets emblème sans doute des repas
,
d'esprit aident quelquefois aux décou- qui suivaient, dans l'antiquité, les fêtes
vertes de Part. A peine nos veux sont-i's populaires ; une table couverte de cou-
familiarisés avec l'obscurité que nous
,
ronnes et de palmes le termine. Là se
nous trouvons en face d'un magnifique trouvent trois personnages mitres, de-
sarcophage en marbre blanc d'une par- bout chacun sur un piédestal. L'un d'en-
faite conservation, et orné sur trois tre eux est appuyé sur une massue,
côtés d'élégants bas-reliefs. Des carya- l'autre paraît consacrer les palmes et
tides , à la pose gracieuse , à la draperie les couronnes ; et le troisième, dans l'at-
légère, et de jeunes garçons dont la titude d'un orateur^ semble attirer l'at-
ceinture n'est voilée que par un tablier, tention du peuple groupé auprès de lui.»
soutiennent des guirlandes de fleurs et Suivant M. Letronne , cette peinture
ÉTATS TRIPOLITAINS. â9
est romaine. Mais la mitre , les grandes temple fut élevé avec les débris d'édifices
robes chamarées de fleurs, les cein- plus anciens. Les matériaux précieux,
tures en bandelettes , rappellent plutôt tels que le marbre, le porphyre et le
le costume des anciens peuples de l'O- granit, étrangers au sol de Cyrène, y
Pacho incline à l'attribuer aux
rient (1). avaient été transportés à une époque
Israélites,dont le nombre s'accrut con- fort reculée avant d'être employés pour
,
cessaire dans la brûlante Libye, et enfin milieu du poitrail une figure de femme
le triste lit de mort sur lequel la né- ailée, la tête couverte d'un casque, et
gresse est étendue , les yeux éteints , et tenant d'une main un glaive et de l'autre
paraît être regrettée de son maître le , un bouclier , se tient debout sur une
blanc Cyrénéen , que Ton voit à côté louve; c'est sans contredit l'emblème
d'elle dans une attitude de douleur. La de Rome la guerrière (1). Deux autres
coiffure et le costume de ces miniatures figures, également ailées, sculptées la-
ne sont pas moins remarquables , tant téralement à la précédente, paraissent
par la forme que par la couleur. Les lon- représenter les génies qui présidaient
gues robes blanches, sans agrafes, et aux destins de la ville héroïque. Les
les schalls rouges , entrelacés avec les écailles semisphériques de la cuirasse
cheveux, ou couvrant la tête en guise qui recouvrent les bandelettes libyennes
de turban , offrent une analogie frap- cootiennentaussi chacune des sculptures
pante avec l'habillement des modernes en relief, disposées symétriquement,
Africaines et principalement avec celles
, parmi lesquelles on remarque des dau-
qui habitent le Fezzan (2). phins, des têtes de Mercure, d'Apol-
A peu de distance de la fontaine lon , etc. (2).
d'Apollon, sur le point culminant de la Le profond ravin qui reçoit les eaux
plaine de Cyrène, on voit les ruines des sources occidentales de la nécropo=
d'un Cœsareum ou temple de César; lis, très-large vers le nord, se rétrécit
l'inscription Porticus Cœsarei , gra-
: insensiblement à mesure qu'il pénètre
vée en grandes lettres sur une corniche
colossale, en est la preuve évidente. Ce
Hérodote (IV, 89) nous apprend que
(1)
les Libyennes s'habillaient de peaux de chè-
(i) Au rapport de Salluste (Bell. Jugurth, vres , dont une partie, coupée en bandelettes,
\
cap. XVIII), les Mèdes et les Arméniens, pendait sur les genoux en guise de franges;
:
débris de l'armée d'Hercule, vinrent s'établir les Grecs en ont fait des serpents pour l'égide
40 L'UNIVERS.
dans les ruines de la ville; puis il s'é- inscriptions grecques et latines y sont
largit encore et se dirige vers l'est. A gravées intérieurement et extérieure-
un point qui se trouve en Signe parallèle ment :elles apprennent que tel est mort
avec le temple de César, et à sept cents il y a environ deux mille ans et rien de ,
trouve aussi les débris en marbre d'un simples rangs de bornes semblables à
édifice. Parmi ces débris, plusieurs sont celles des rues, deux petits temples
couverts d'inscriptions,dont l'une, gravée hypogées de l'époque romaine avec des
sur un beau pilastre, remonte peut-être emblèmes chrétiens, et enfin plusieurs
au règne des Lagides; mais elle n'offre châteaux , dont deux, entre autres, sont
malheureusement que des noms propres. situés à l'extrémité méridionale des
Une autre, publiée par M. Letronne d'a- ruines, chacun auprès de l'angle aigu
près la copie rapportée par Délia Cella, qu'y forment les rues en se joignant (1).
et appartenant à l'époque des empereurs, En dehors de la plaine aux confins ,
<
ainsi que le temple [ou elle est placée], en effet constant que chez les anciens
les marchés publics étaient séparés des «
Les rues de Cyrène sont au nombre quartiers habités des villes. Près de là
de cinq; une seule est dirigée de l'est à on voit un groupe d'hypogées à façades j
irrégulièrement vers le sud, où elles l'on en juge, par leurs débris, ne le ce- î
finissent par former deux angles très-ai- daient ni par la magnificence du travail, ;
gus. Elles sonttoutes sillonnées de traces ni par le grandiose des dimensions, aux <
non-seulement elle est plus large que les beau de Battus (3). Les arbrisseaux et
autres et les traces plus profondes et plus arbustes qui couvrent l'extrémité occi-
multipliées, mais on y lit le mot timwoç, dentale de la nécropolis rappellent, sui-
profondément gravé en lettres de plu- vant Pacho le bois que Battus fit planter
, ;
galop. Il signale les empreintes profondes des tivité du commerce des Cyrénéens. Cette
roues que l'on aperçoit encore dans les ro- opinion n'a pas besoin d'être réfutée.
chers ( Viaggio, etc., p. 112). (1) Pacho , p. 225.
(2) Lemaire ( dans Paul Lucas , Voyages, (2) Pindar., Pyth. IV.
etc., t. H, p. 90 et, d'après lui, Thrige (3) Pind., îoc. cit.; Catull.,
Carm.,\l, v. 6.
),
(Hist. Cyren., p. 268) ont pris ces grottes (4) Pind.,
Pytk V.
ÉTATS TRIPOLlTAIttS. 4
ris, sur la côte opposée à Platée. Cet nues par plusieurs rangs de pilastres,
endroit était riche en bois et bien arrosé; placés plus ou moins régulièrement se-
une rivière l'entourait des deux côtés lon la solidité de la roche. On n'y re-
( 7roTaf/.è; rà k! ôàrepa îrapapps'et). Après connaît pas le moindre indice de desti-
y être resté six ans, Battus se fit con- nation sépulcrale. Les unes sont ornées
duire à Irasa, vers l'ouest, par quelques d'une espèce de portique monolithe et
Libyens. Arrivés près de la fontaine d'une salle découverte; les autres ont
d'Apollon, les Libyens s'arrêtèrent, et une avenue droite ou sinueuse. Ces vastes
dirent à Battus et à ses compagnons : hypogées paraissent avoir servi de ma-
« Grecs, là il vous est commode de gasins ou d'entrepôt aux marchandises
demeurer; car là est le ciel perforé. » transportées d'Apollonie à Cyrène. Au-
(Av^peç ÉXXnvsç, IvÔgcuto. ûjuv sir.rw^eov jourd'hui ils servent de lieux de refuge
oùcsstv èvôaûra *yàp 6 ) Ce
oùpavoç TSTpyiTai. aux Arabes nomades ou à des troupes
fut dans cet endroit que Battus fonda de bandits.
Cyrène. La côte près d'Apollonie ( aujour-
Tel est en abrégé le récit d'Hérodote, d'hui Sozysa ou Sousa ) est en grande
Selon quelques auteurs, une ville nommée partie formée de bancs de roche, prolon-
Zoa avait existé antérieurement à Cy- gements aplatis des monts Cyrénéens,
rène, dont Battus n'aurait été que le se- Dans les intervalles d'un banc à l'autre
cond fondateur. Mais il a été prouvé on remarque du sable rougeâtre, quî^
que cette opinion ne repose que sur une suivant Délia Cella, doit sa couleur à
erreur philologique. Quant au nom de des fragments très-petits d'une espèce
la ville, il vient, suivant quelques-uns, de corail ; ces fragments varient depuis
de Cyrène, fille du roi Hypsée, dont la grosseur d'une molécule microscopi-
l'histoire est bien connue par les beanx que jusqu'à celle d'un grain de millet (1).
vers de Virgile. Le sable des environs d'Apollonie,
Après Carthage , Cyrène était la ville comme en général celui de tout le lit-
la plus considérable de l'Afrique an- toral de la Syrte, est mêlé de débris de
cienne ; Pindare la surnomme la magni- nombreux zoophytes, de madrépores, de
fique, la très-bien bâtie, la ville au trône tubicoles, etc.; il offre donc beaucoup
d or. L'étendue de ses rues en est un té- de matière aux observations du natura-
moignage encore marquantde nos jours. liste et du géologue.
Strabon dit qu'elle était située sur une La plage d'Apollonie , qui était, à pro-
plaine élevée, unie comme une table et prement parler, le port de Cyrène, est
à cent stades de la mer, ce qui permit au aride , dépourvue d'arbres et de sources.
célèbre géographe de l'apercevoir de Pour suppléer à la sécheresse du sol
son navire dans un trajet maritime. — les anciens habitants avaient construit
A l'est de Cyrène, s'élevait une colline un aqueduc qui traversait la plaine de-
consacrée Jupiter Lycéen. Pausanias puis les régions boisées ou le pied des
mentionne le temple de Jupiter Olym- montagnes jusqu'aux bords de la mer.
pien , et Tacite celui d'Esculape, où les Quelques restes de cet aqueduc existent
Cyrénéens renfermaient leur trésor. encore ce sont de grands blocs mono-
;
des citernes ou réservoirs pour les eaux compose de trente à quarante degrés,
de pluie, qui seules fournissent encore et disposé en amphithéâtre. Du côté
aujourd'hui aux besoins des Arabes no- opposé sont les traces d'anciens bains
mades qui occupent cette plage déserte. taillés dans le roc, et se trouvant main-
Apollonie était une des cinq villes de tenant dans les eaux. Le port, plus
la Pentnpole; suivant Etienne de Byzance intéressant, et objet spécial de cette
elle portait aussi le nom de Cyrène , ce excursion, malgré les envahissements
qui expliquerait certaines difficultés géo- de la mer , peut néanmoins donner en-
graphiques dans le Rudens dePlaute(l) ; core une idée de son ancien état. Deux
elle était entourée d'un mur construit gros rochers peu écartés l'un de l'autre
,
six colonnes de marbre pentélique. Voici bonne station aux navires, et confirme
la description qu'en donne ce voyageur : ce qu'ont dit les anciens auteurs , et
« Ces deux temples étaient chrétiens ; particulièrement Scylax de sa situation
,
\
'
indépendamment du style des chapi- qui le rendait sûr et accessible par tous
teaux indice certain du moyen âge,
, les temps.
on remarque sur les fûts des croix tail- « Nous ne pouvons douter en effet que
lées en relief, et surmontées d'un globe les ruines que nous venons de décrire
pouvant représenter l'anse égyptienne, ne soient, d'après leur position relative-
qui dans d'autres cantons de l'Afrique ment au Naustathmus , celles d'Apollo-
septentrionale accompagne toujours le nie , et que ce port n'ait été par consé-
symbole du christianisme. Cette parti- quent celui de Cyrène dans les premiers
cularité porterait à croire que les pre- âges de la colonisation grecque (1). »
miers chrétiens de la Pentapole usèrent La ville d'Apollonie, consacrée au
des mêmes précautions que ceux des dieu protecteur de la Cyrénaïque, resta
oasis. Il est certain, d'après les monu- longtemps dépendante de Cyrène, et ne
ments encore existants, que ces derniers servit d'abord que d'entrepôt au com-
adoptèrent la croix ansée des anciens merce de la métropole. Elle devint auto-
Égyptiens dans l'intention peut-être
, nome sous les Ptolémées. C'est probable-
de déguiser par ce symbole antique de ment à dater de cette époque que le Phy-
la régénération physique , une régéné- eus (Razat) (2) devint pour Cyrène ce
ration morale, foi naissante qu'on n'o- qu'avait été jadis le port d'Apollonie (3),
sait alors professer ouvertement. On
voit aussi dans le fond de ces deux tem-
ples une grande pièce cintrée, sembla- (i) Synésius, Epistolœ 5i, 100.
ble à celle que. j'ai fait remarquer dans (a) Pacho, p. i6x.
(3) Strabon ( lib. XVII )
nous apprend
les tours et les châteaux romains.
que ce promontoire, le plus septentrional
« L'intérieur des ruines de la ville
de la côte libyque; contenait une petite ville.
n'offre rien autre de reconnaissable.
Suivant Synésius {Epist. n3), il était dan-
gereux à habiter, à cause des eaux stagnan-
tes, et de leurs exhalaisons fétides ; un
port,
(i) L'aridité des environs du port de Cy-
rène et trouver de l'eau rap-
la difficulté d'y ajoute-t-il , se trouvait à son extrémité occi-
pellent une des plus jolies scènes de la comédie dentale, ce qui est confirmé par le Périple
antique (Plaut., Rudens, art. II, se. 4). anonyme.
ÉTATS TRIPOLITAINS.
Dans les premiers siècles du christia- rait inutile. La contrée^
une tentative
nisme, Apollonie changea son nom le site, lescirconstances , ajoutent à ces
païen en celui deSozysa, et devint la ca- découvertes mille impressions différentes
pitale de la Pentapole et le siège d'un que l'on sent vivement, et que l'on ne
évêque (1). saurait rendre. Je n'avais vu jusqu'alors
Depuis le promontoire Phycus ( Razat) rien de semblable dans les champs dé-
jusqu'à Derna, la côte est des plus ac- solés de la Pentapole, et je n'y vis par
cidentées ; c'est une plaine inégale, tantôt la suite rien de plus beau que ces petits
boisée, tantôt nue; croisée par de petites monuments. Les Arabes les nomment
hauteurs, et sillonnée par de profonds Zaouani, et le lieu où ils sont situés
vallons; ici rocailleuse, plus loin fertile; Menakhiet. La variété des sites, qui fait
elle aboutit à une chaîne de collines qui le charme de cette contrée, en rend les
: se dégradent en petites terrases, au-des- à trouver, lorsqu'on
localités difficiles
sus desquelles s'étend le vaste plateau n'y est point conduit par un habitant du
cyrénéen. canton : encore faut-il que cet habitant
A peu de distance des ruines d'Apol- y ait résidé depuis le bas âge; sinon,
lonie on rencontre, à Test, le cap Hal-al l'on s'expose à perdre beaucoup de temps
1
Là on rencontre les ruines d'un village ments sont encore des tombeaux. Le plus
et de petites flaques d'eau dans le sable. considérable contient une cloison longi-
'
Ces détails s'accordent très-bien avec tudinale qui le divise en deux pièces,
ceux que donne ici le Périple anonyme. séparées elles-mêmes dans leur hauteur
!
C'est la que Pacho place (2) l'ancien par trois rangées de salles formant au-
;
TSaustathmus, que Strabon (lib. XVII ) tant de caveaux funéraires de toute la
indique comme un des lieux les plus re- longueur du monument. TJne belle
nommés du littoral de la Cyrénaïque (3). frise dorique en contourne le sommet,
La belle situation du cap et surtout la et de riches sculptures ornent les côtés
\ jolie baie qu'il forme, dont le fond est de de la double entrée. De grands blocs mo-
(
sable couvert d'algues, devaient en effet nolithes le couvrent; ils décrivent un
[ offrir une bonne station navale. Cepen- triangle aplati , style gracieux que l'on
: dant, hormis le village désigné, on n'a- voit très-souvent reproduit dans les tom-
|
perçoit d'autres traces d'habitation que beaux de la métropole. Tout le corps
les Vestiges d'un castel romain, situé de l'édifice est élevé sur quatre rangées
à l'extrémité du cap. Tout près de là, au de larges assises disposées en escalier
! sud-ouest, Pacho découvrit un amas de quadrilatère. Enfin, un antique olivier
fort belles ruines, dont aucun voyageur ^est placé au devant, et il en ombrage le
n'avait encore parlé. Voici le récit qu'il faîie d'une manière aussi religieuse que
en fait : pittoresque.
est des sensations que les voyages
« Il « A quelques pas de ce magnifique mau-
seuls peuvent procurer : l'aspect de belles solée on en voit un second, moins grand-,
ruines restées inconnues durant plu- mais mieux conservé, qu'une
et n'ayant
I
sieurs siècles n'en est pas une des plus seule pièce. Deux autres se trouvent à
\
faibles. Essayer de la reproduire, ce se- une portée de fusil de ceux-ci l'un,
1
M L'UNIVERS.
efforts, ayant réussi à extraire une pierre les saisons, et se rend dans le port (i). »
de ses assises , je le trouvai divisé en Ces ruines, dans le voisinage du Naus- \
trente pieds environ de hauteur, ou cinq placés sur les bords d'un chemin en spM
à six seulement. Une grande porte cin- raie encore profondément sillonné pari
trée est à son côté occidental. Dès qu'on les chariots grecs ou romains qui ser-
Fa franchie, on se trouve dans un immense virent au transport de ces masses mono-'
labyrinthe de pans de murs encore de- lithes. La tour de TebeVbeh domine les
bout, de fûts de colonnes renversés, et environs; elle conserve un pan de mur;
de blocs de pierre entassés pêle-mêle, et orné d'une frise en triglyphes. Au pied;
entourant ensemble les troncs énormes du rocher sur lequel fut bâtie la tour;
d'un bois épais d'oliviers. Les divers on voit un souterrain : deux rangs de; ;
étages que forme le feuillage de ces ar- pilastres bien équarris sortent du sein';
bres majestueux ne laissent échapper çà d'une source , et se terminent en voûtes/
et là que des rayons inégaux de lumière qui se prolongent fort avant dans ÏÛ
et répandent un demi-jour vénérable montagne. La transparence de la source
sur ce vaste tableau d'un poétique dé- invite à y pénétrer, malgré l'obscurité
sordre. qui règne dans le fond. On enfonce d'a-
« Cependant je m'aperçus que le plan bord dans l'eau jusqu'à la ceinture, et
général des ruines décrivait une pente lorsqu'on est parvenu à une certaine dis-
insensible vers l'est. Je me rendis de ce tance de l'entrée la profondeur devient
côté, où un nouveau spectacle m'atten- plus considérable ; on aperçoit alors au
dait. J'étais loin en effet de me croire sur plafond une large ouverture cylindrique
la sommité d'un profond vallon dont faite avec le ciseau, et correspondant
les rives abruptes sont pittoresquement en ligne droite à la tour, qui se trouve
bariolées de rubans de roche de diver- à cent pjeds environ au-dessus de la
ses couleurs. Sur une pelouse voisine source.
se trouvait un enfant gardien d'un trou- Au sud
de Tebelbeh est la colline d'.ÉÏ-
peau de chèvres. Ce jeune pâtre m'apprit Hôch trouve en
(l'habitation), qui se
que ces ruines se nomment Ghertapou- quelque sorte détachée des hauteurs qui
lous, et que le vallon que nous avions l'entourent. Les anciens y bâtirent une
sous les yeux porte le même nom un
;
ruisseau, ajouta-t-il, y coule dans toutes (i) Pacho, p. 145.
ÉTATS ÏIUPOLITAINS. 45
fond deux grandes corniches , et, ornée blance frappante avec les bains que l'on
autrefois sur le devant, de trois pilas-
, voit dans l'Orient, et portent à croire
tres dont il ne reste plus que la base. que ces ruines appartiennent à la période
Ces pilastres abattus sont maintenant arabe, d'autant plus que celles de la
remplacés par une double rangée de cy- ville même ont des caractères qui sont
près dont le faîte pyramidal, garni de
, relatifs à la même période. Les maisons,
mousse, forme un péristyle naturel pit- bâties en belles assises, ont conservé
toresque. presque toutes leur hauteur, et ne sont
A une heure de chemin d'El-Hôch, vers distantes entre elles que de deux ou
l'ouest, on trouve le village de Djaus, trois mètres. De cette proximité des do-
dans un site enchanteur. A l'extrémité oc- miciles et de leur élévation très-grande
,
cophages et des voûtes en ogive qui n'ont un peu avant dans le plateau que pour
nullement le caractère sarrasin. celles situées aux bords de la mer ou ,
Après une heure et demie de marcha sur les terrases boisées sans cesse ra-
,
au sud de Saffneh, on arrive à Ghernès, fraîchies par les brises marines (1).
petite ville antique, à une petite dis- Au nord-est de Ghernès sont les ruines
tance à l'est de Cyrène. On y voit, sur de Djaborah ; ce sont des tombeaux à
une colline, deux élégants mausolées côté des vestiges d'un petit bourg. Ces
construits immédiatement au-dessus tombeaux, bien que dépourvus de ri-
d'une grotte sépulcrale. Plus loin, près chesses architectoniques imitent par
,
des vestiges d'un grand monument, leur forme les élégants mausolées de
est une porte dont l'architrave est ornée Zaouani. Ils sont placés sur un grand
d'un vase en relief. Plus loin encore, piédestal à gradins, et couverts de blocs
dans un bas-fond , on voit un château triangulaires* A côté de ces monuments
entouré d'un large fossé , et , à quelques se trouve un grand édifice, qui paraît
pas de distance, les ruines assez bien con- avoir été consacré à des cérémonies fu-
servées d'anciens bains. Ces bains sont nèbres il n'en reste plus qu'un angle de
:
néraire d'Antonin sous le nom de Lim- que l'on voit sur la partie la plus élevée
nlade, est à trois heures environ
à des ruines de la ville. Le souterrain prend
l'ouest de Téreth. Comme Téreth
, eîie en effet cette direction, et des faits ana-
est entourée de groupes de ruines
isolés. logues rendent cette tradition vraisem-
On dirait une place flanquée de forts et blable. Quant au château, son enceinte
de contre-forts. Lamloudeh, assise
sur est revêtue d'un mur en talus; l'entrée
le penchant d'une colline,
est souvent est de même voûtée et fort petite, et
citée parmi les villes de la
Pentapole des arcs, restes détachés d'anciennes
chrétienne, sous les noms de
Lemandus, voûtes se voient dans l'intérieur.
,
Lemnandi et de Lamponia. Ces ruines Les grottes sépulcrales de Lamlou-
paraissantappartenir à l'époque romaine', deh se trouvent au nord et à quelque
iigurent un amphithéâtre dont les
divers distance de la ville. Elles ont les plafonds
échelons de la colline représentaient
les en plein cintre, indice de l'époque ro-
degrés. Des montants de portes
, des an- maine. On n'y remarque ni inscriptions,
ni ornements architectoniques. Mais
Ci) Voyez Synesius EpistoL 6.
,
une d'entre elles est fort curieuse; elle
(a) Voy. Oriens Christian., t. II
, p. 63o. est très-spacieuse et divisée en plusieurs
ETATS TRIPOLITAÎNS. 47
pièces. Dans la plus reculée on voit un d'homme : il paraît avoir été destiné à
petit sécos orné au-devant de trois pi- des sorties contre les assiégeants. A
lastres , et contenant dans ie fond deux gauche de la même salle est une petite
niches au milieu desquelles est une croix pièce oblongue, qui en est séparée par une
grossièrement sculptée et entourée de cloison où sont pratiquées trois arches
deux lignes sinueuses imitant deux ser- également taillées dans le roc. On y
pents entrelacés. Cette espèce d'union trouve deux colonnes arrivant jusqu'au
d'idées païennes avec la religion du plafond entre lesquelles est une ouver-
,
Christ éveilla le souvenir de cette secte ture conique, bouchée par un bloc de
de goostiques, de ces carpocratiens qui pierre de même forme, ainsi que dans
d'après des inductions probables, au- le souterrain de Lameloudeh. A côté
raient habité la Cyrénaïque(l). des colonnes est un massif carré , légè-
La colline où fut construite Lem- rement creusé à sa surface (1).
niade se trouve isolée au milieu d'une Ces forteresses servaient évidemment
plaine étendue. Cette situation exposait à arrêter les incursions méridionales,
la ville aux irruptions des hordes bar- venant de l'intérieur du pays, de même
bares; pour s'en garantir, les habitants que les châteaux ou forteresses de
élevèrent des forteresses sur les hauteurs Lemschidi et Lemlez, situés au nord,
environnantes. C'est ainsi que l'on voit étaient destinés à prévenir les inva-
lessommités à'Oum-el-Laham, El-Ha- sions maritimes. Ces deux châteaux
rachi, Ghelleb, Senniou, Reffah et sont à une heure de distance l'un de
Boumnah occupées par des châteauxsem- l'autre; leurs murailles, ayant environ
blables à ceux qui ont été décrits, et ap- quarante mètres de chaque côté, sont for-
partenant à l'époque romaine, excepté mées d'énormes assises posées à sec.
celle de Senniou, qui est d'un âge plus Comme les précédents, ils avaient deux
récent. On y a multiplié les précautions étages; l'intérieur en était également
pour s'assurer une ample provision d'eau. voûté, sans offrir toutefois Ja même
A quelques pas de la forteresse de Raffah distribution on n'y remarque point la
:
on voit de vastes citernes, en partie petite pièce cintrée, ornée de deux co-
remplies d'eau ; un conduit couvert de lonnes , indice de l'époque chrétienne.
tables monolithes de cinq pieds de lon- Delà hauteur de ces châteaux le regard
gueur servait de communication entre le plonge au loin dans la mer.
fort et les bassins. Boumnah, situé à un Chenedireh , près du bourg Debek, à
quart de lieue de là, offre dans ses sou- l'est de Lemîey, nous fait encore mieux
terrains des dispositions remarquables : comprendre les véritables usages de ces
leur entrée est au milieu même de l'é- châteaux. Voici la description qu'en
difice; un escalier aide à y descendre donne Pacho :
,
et dans une vaste pièce au
l'on arrive « Le château de Chenedireh est revêtu
milieu de laquelle est un grand pilier d'un second mur en talus à angles ar-
de soutien. Dans la paroi du fond, à rondis. Sur trois de ses côtés, et au
quelques pieds au-dessus du niveau du niveau du sol se trouve une petite entrée
,
tantôt traînant un char, tantôt se mordant rées et à hauteur d'homme y sont pla-
!
Pythagore. Par une application littérale des térieur est rempli, on peut toutefois
principes de Masdacès, un de leurs pro- s'assurer que sa surface était divisée en
phètes les carpocratiens avaient adopté l'égal
,
sept pièces voûtées ayant des commu-
partage des biens et la commune jouissance nications entre elles. second étage Un
des femmes. {Voy. Pococke, Spécimen Hist. s'élevait sur celui-ci; les indices qui en
«/•«£., éd. Vhite, p. 21 et Herbelot, Biblioth.
;
oriental., au mot Masdak. ) (1) Pacho, p. i3o,
18 L'UNIVERS.
restent prouvent qu'il était également anonyme à soixante-seize stades de Ze»
voûté, mais ne permettent point de phirium, et dans le voisinage du cap
connaître s'il avait la même distribu- Erythra, qui est situé à l'est et qui donne |
tion. Cet édifice présente en outre une son nom au golfe (1>. Erythron n'est
disposition architectonique très-remar- mentionné comme ville que chez les écri-
quable au fond de l'étage inférieur, in-
: vains postérieurs. C'est sous ce titre
dépendamment des pièces mentionnées, qu'Etienne de Byzance et Synésius en
on en voit une autre plus petite, semi- parlent. Suivant ce dernier, c'était la
circulaire horizontalement , se terminant métropole d'Hydraxet de Palxbisca (2). |
aussi en plein cintre au sommet, et ornée A peu de distance et à l'est du cap Ery-
au-devant de deux colonnes. Cette dis- thra était, suivant Ptolémée, le village
position, accompagnée des mêmes dé- de Ckersis. La ville d'Érythron avait
tails, est continuellement répétée dans été bâtie sur une couche de terre de
tous les monuments du même genre et trois à quatre mètres d'épaisseur, au-
de la même époque de plus, on la re-
, dessous de laquelle se trouve une roche
trouve dans plusieurs ruines de temples composée alternativement de grès friable
chrétiens de la Cyrénaïque, ajoutons et de brèche mal liée. Ces fondements
encore dans quelques châteaux sarra- n'ont pu résister à l'action continuelle
sins appartenant au premier âge de la des vagues des pans de murailles, des
:
'
conquête de l'islamisme» Que les musul- arcs détachés d'anciennes voûtes des ,
leurs châteaux, une partie des formes tout autour, et forment ensemble un.
j
et de la distribution de ceux qu'ils y ont aspect étrange, cause des récits merveii-
{
temples, c'est ce qui paraîtrait fort vent ensemble les contours de la mon-
tagne. L'eau qui coulait autrefois dans
-
étrange si le philosophe de la Pentapole
chrétienne n'avait pris le soin de nous en l'aqueduc a changé de lit : elle se pré j
où l'on célébrait les saints mystères, et tes du vallon Bou-Chafeh, ainsi appelé
où la population alarmée allait prier d'après le nom d'une famille arabe qui
lorsque les barbares s'approchaient pour l'habite de temps immémorial. Ce lieu
dévaster le canton (1). » agreste couvert de vieux ceps de
est
Ces renseignements nous expliquent vigne de mûriers et de grenadiers.
,
quelle est la ville ancienne que Massakhit avec force hors de la galerie , l'eau se
a remplacée. Serait-ce Olbie (1) ? répand au loin dans la vallée, qu'elle
Au sud et au nord de Massakhit on Tous ces monuments étaient
fertilise.
aperçoit un monticule couronné de rui- certainement des dépendances du temple
nes c'est un vaste édifice carré, dont
: de Vénus.
chaque côté a environ quatorze mètres de A Koubbeh vient aboutir la vallée
longueur : des blocs de grès de deux mè- étroite et sinueuse de Betkraât, dont la
tres d'épaisseur en forment les assises ; direction générale est du nord au sud.
cependant de ces masses monolithes il Pour la défense de ses habitants , cette
ne reste plus que quelques mètres au-des- vallée était bordée par intervalles de
sus du sol. Dans l'intérieur, une corniche postes fortifiés. La mieux conservée de
dorique et quatre chapiteaux de marbre, ces ruines est située sur le point le plus
ornés de feuilles d'acanthe et de grap- élevé et aux deux tiers de l'étendue du
pes de raisin , ont seuls échappé à une vallon : elle consiste en deux bâtisses
complète mutilation; on les voit à demi carrées , construites sur un rocher es-
enfouis au milieu de blocs écornés et de carpé d'où l'on jouit d'une vue magnifi-
fûts renversés ou debout. que. Non loin de Betkrâat jaillit une
Le cap Tourba, à peu de distance à belle source, qui ajoute encore aux char-
Test de Massakhit , est le Zephyrium mes du paysage. Un peu plus au sud
des anciens. A
soixante stades de là , à on rencontre les vestiges d'un village,
l'ouest, se trouvait la station navale avec une tour antique qui fut pendant
, qui devait son nom à
d''Aphrodisias longtemps la résidence d'un chef arabe,
un temple de Vénus. Scylax place dans d'où elle a pris le nom de Bou- Hassan,
ce même Aphrodisias, que
lieu l'île qui paraît être le Palœbisca des anciens.
mentionne aussi Hérodote (IV, 169). Ces ruines sont à l'entrée du vallon
Vis-à-vis de la situation présumée de Harden, qui, d'abord spacieux, se rétré-
l'île ou du port d'Aphrodisias se trou- cit ensuite insensiblement, et forme
vent les ruines imposantes de Tammer enfin une gorge tellement étroite qu'elle
ressemble à un profond sillon creusé
(i) Comp. Synésius, ep. 76. dans la montagne; à ce point le vallon
4 e Livraison. (États tkipolitains.)
50 L'UNIVERS,
quitte première dénomination, et
sa Littoral depuis Derne jusqu'à Jlexanr
prend de Betkraât.
celle drie.
A l'est de Bou-Hassan se voient les
débris d'un bourg qui a reçu le nom de Après environ trois heures de route,
Zeitoun, d'après quelques oliviers rabou- à l'est de Maârah, on arrive à la ville ma-
gris, épars çà et là; de même que des ritime de Derne, l'ancienne Darnis ou
bouquets de figuiers ont fait donner celui Dardants {Zarine), qui, selon quelques
de Kouroumous aux ruines d'un viliage auteurs, fut bâtie par les Maures chassés
voisin. On y trouve des restes de tom- d'Espagne (1). Cette ville se compose
beaux antiques. Au delà de ces lieux de cinq quartiers ou plutôt de cinq vil-
commencent les plages stériles de la lages distincts, dont le plus considérable,
Libye. entouré d'une muraille, s'appelle El-Me-
A Test de Koubbeh est la vallée de dineh, la capitale, ou Beled-el-Sour, lieu
fortifié. C'est là que résident les auto-
Tara-Kenet, moins étroite que celle de
Betkraât, mais plus boisée ; pour y arri- rités et les riches ; c'est là que sont les
ver il faut se frayer un passage à travers bazars et que viennent se réfugier les
un épais taillis d'arbres et d'arbustes. caravanes de passage. On y voit deux
Sur les hauteurs^ les plus saillantes , on châteaux dont l'un
, , espèce de grande
voit des forteresses ou châteaux, parmi masure ceinte d'un mur élevé, est le
lesquels Maârah mérite seul une mention séjour du bey lorsqu'il visite la ville.
spéciale (1). Ce château, construit sur El-Magharah, le village de la grotte, est à
un rocher nu, près d'un ancien bourg, l'ouest et un peu au-dessous du précédent.
forme un grand carré, ayant de chaque El-Djébeli, rapprochée de la mer, doit
côté vingt mètres de longueur. Dans son nom à son état d'abandon bien plus !
l'intérieur on ne reconnaît plus que les qu'à sa situation isolée. C'est en face de
fondations de quatre pièces, communi- ce village qu'est le port de Derne, mau-
j
quant entre elles par de petites voûtes vaise petite rade dont le fond , sillonné
encore debout. Cet édifice paraît avoir par des rescifs, ne peut offrir aux
appartenu aux Sarrasins : mais un large navires qu'une station peu sûre. Enfin , '.
centra] presque toutes les maisons ont borne l'horizon à l'ouest, et détache par
des jardins clos de murs ou d'une haie sa teinte obscure les beaux arbrisseaux
de nopals {Cactus opuntia, L. ). On y qui s'élèvent çà et là aux alentours (1).
trouve les fruits de la Provence, mêlés Cet endroit délicieux, qui rappelle le jar-
à quelques palmiers. Deux sources abon- din des Hespérides , est probablement
dantes jaillissent des flancs exhaussés le pavs d'Irasa, dont parle Hérodote
du vallon de Derne, et distribuent les (lib/lV, 169). Ce fut là, près de la
eaux dans les jardins de la ville. Ce vallon, fontaine Theste , que les Cyrénéens dé-
à bords abruptes et rocailleux, renferme firent l'armée d'Apriès. Dans le voisi-
une riche végétation de caroubiers, d'o- nage d'Irasa ou Aïn-Ersen( source Er-
liviers, de palmiers, de figuiers, de lau- sen ) est situé le cap Ras~el- Tyn, qui est
riers-roses, etc. sans doute le Chersonèse Antide de
La population de Derne est composée Scylax, ou Chersonesus magna de Pto-
d'Alexandrins, de Barbaresques et de lémée. Lucain dépeint cette région dans
quelques familles du Fezzan qui sont le quatrième livre de sa Pharsale (2). A
venues s'établir dans cette ville depuis l'est d'Irasa était Aziris,où les Grecs éta-
la conquête de leur pays par le pacha de bli rent une colonie, en quittant l'île de
Tripoli. On y trouve aussi beaucoup de Platée, aujourd'hui Bomba, située dans
juifs, qui s'y plaisent malgré les outrages le golfe du même nom. U
aspect d' Ouadi-
que les musulmans leur infligent. Vers le Temmimeh confirme la description que
commencement de notre siècle, la popu- les anciens nous ont laissée tfAzirù.
lation de Derne, qui était alors de sept Ainsi, Hérodote (IV, 157) nous apprend
mille âmes, fut réduite à cinq cents, par que ce lieu était situé vis-à-vis de Platée,
les ravages de la peste (1). Les Etats-Unis entre une rivière et des collines toujours
avaient entrepris de former un établis- vertes. Cette rivière était le Palïurus
sement à Derne; mais ils renoncèrent des anciens géographes; on l'appelle
bientôt à leur entreprise. Il reste encore, aujourd'hui Temmimeh; elle se jette
comme souvenir de leurs tentatives, un dans le golfe de Bomba, et traverse une
moulin à eau et une batterie de quelques vallée qui va s'élargissant vers les bords
pièces de canon démontées: de la mer. Suivant Ptolémée, elle prend
A un quart d'heure à l'est de Derne sa source dans un lac de l'intérieur.
Isont les excavations sépulcrales appelées C'est du côté occidental de Temmimeh
y
Kennisieh, les églises; elles sont situées qu'il faudrait chercher les vestiges du
s
au sommet des rochers escarpés qui temple d'Hercule, cité par Strabon, et
j
bordent cette partie du littoral, et contre auprès de l'embouchure de ce torrent,
lesquels viennent se briser les flots de le bourg Paliurus.
la mer. Les anciens y avaient pratiqué Ras-el-Tyn et la vallée Temmimeh peu-
des escaliers, dont on retrouve encore vent être considérées comme les limites
Iquelques vestiges. On y voit des voûtes de la Cyrénaïque ou de la Pentapole.
j
et des niches de toute forme et de toute
idimension, depuis le plein cintre romain MARMAKIQUE.
j
jusqu'à l'ogive parfaite du moyen âge.
!
Là, comme dans le reste de la Pentapole, La plage qui s'étend à l'est de la Cy-
i )n voit les travaux du christianisme rénaïque jusqu'à Alexandrie a reçu je
)ntés sur ceux de l'idolâtrie. nom de Marmarique (3).
A l'extrémité orientale du plateau
Cyrénéen , non loin de Derne on ren- , (i) Pacho, p. 84.
contre, au milieu d'un paysage des plus (2) Lucan., Pharsal., IV, vers 5o,o.
I
attrayants, une source appelée Ersen Inde petit tumulo$,exesasque undique rupes
ou Érasem; elle jaillit d'une grotte Anthœi quœ régna vocat nonvanavetustas.
ornée de festons de lierre et de bouquets
(3) Les auteurs ne s'accordent pas entre eux
;
de cytise, et donne naissance à un ruis- sur les limites qu'il faut donner à la Marmaiïq ue
I
seau qui serpente à travers \me plaine et à la Cyrénaïque. Ainsi, Scylax place les
;
fertile. Un rideau de genévriers de Lycie
1
(i) Paul Lucas, Voyage , t. II, p. i%i. Syrte, et Strabon leur fait occuper tout le
4.
,
L'UNIVERS.
Le sol Marmarique est beaucoup
de la vus, dit-il, et la Chersonèse, distante
moins que celui de la Cyrénaïque
fertile : d'une journée de navigation , sont les îles
la terre n'y produit qu'une fois dans jEdonia et Platxa , ayant chacune un
l'année et le moment des récoltes passé
, port (1). » Il y a en effet une journée
tout reprend l'aspect du désert : les de navigation, ou douze lieues de dis-
troupeaux se réfugient dans l'ombre des tance , entre les ruines situées près de
vallées , et un petit nombre de plantes Magharat-el-Heabès , qui correspon-
échappent à l'ardeur destructive du so- dent à Petras Parvus , et Ras-el-ïyn ,
leil. Les habitants languissent dans leurs l'ancienne Chersonèse.
tentes, et trompent leurs ennuis par A L'extrémité orientale du golfe de
des récits fabuleux. Bomba est une petite baie, environnée de
Dans toute l'étendue du littoral, plus lagunes et de plantes marines , séjour
bas que celui de la Cyrénaïque le voya- , d'une quantité prodigieuse de grenouil-
geur rencontre, de distance en distance, les. C'est ce qui lui valut déjà dans l'an-
des puits ou citernes, dont les uns sont tiquité le nom de port Batrachus (gre-
l'ouvrage des Grecs et des Romains , et nouille). Une belle source d'eau sulfu-
les autres celui des Arabes. Ces citer- reuse ( Ain-el-Ghazal ) se jette dans ce
nes sont un véritable bienfait dans cette port; ses eaux ne sont potables que
région peu favorisée du ciel. Leur cons- dans les calmes.
truction varie suivant la nature du sol : A Magharat-el-Heabès (grottes des
elles sont ou taillées dans le roc, ou prisons ), on voit des hypogées remar-
revêtues d'assises régulières, ou sim- quables par leur style gréco-égyptien. De-
plement étayées par des pierres brutes. vant leur entrée on voit ordinairement
Celles des Grecs ou des Romains se une cour découverte , ceinte d'un mur
reconnaissent à leurs grandes dimen- dont la base est taillée dans le roc , et
sions ainsi qu'à la perfection du travail ;
la partie supérieure construite en assi-
elles sont toutes revêtues d'un ciment ses. Intérieurement elles sont subdivisées
ordinairement plus dur que la roche en plusieurs pièces à angle droit , mais
même sur laquelle il est appliqué; elles avec une ou plusieurs ouvertures prati-
sont quelquefois divisées en plusieurs quées auplafond , ainsi qu'aux catacom-
pièces et le plus souvent soutenus par
, bes des Égyptiens. Devant la plus belle
un ou plusieurs piliers, ou taillés dans le de ces cavernes croît un alizier ( Cralœ-
roc leurs ouvertures sont rondes, ellip-
; gus mona, L. ), le seul que Pacho ait vu
tiques ou carrées. Les citernes qui pa- dans toute la Marmarique. C'est là pro-
raissent être l'ouvrage des Arabes sont bablement les grottes du mont Bombxa,
d'un travail plus grossier, dépourvues dont parle Synésius ( Epist. 104 ), et qui
de ciment et de piliers de soutien. servirent de refuge à saint Jean.
En longeant le golfe de Bomba, de Avant d'arriver à Toubrouk on tra-
l'ouest à l'est, on voit d'abord l'île de verse les ruines d'un petit bourg nommé
Bomba , puis celle d'Aïn-el-Ghazal Klekah. On y voit quatre massifs en
VjEdonia des anciens. Nous avons déjà briques crues, qui paraissent être les
dit que la première est la Ptatsea des restes de quatre tours carrées. Toubrouk
anciens. Scylax ne laisse pas le moindre est situé sur une hauteur qui se ratta-
doute à cet égard. « Entre Petras Par- che à une chaîne de collines. Entre cette
chaîne et la mer est une bande de terre
d'une demi-lieue de largeur, sablonneuse
las compris entre la partie méridionale de
Cyrène, l'Egypte et l'oasis d'Ammon. Pto- et couverte de soudes et d'euphorbes ;
lémée donne le nom de Marmarique à la con- elle conserve à peu près cette distance
trée située enlre le nome Libyque et la ville
depuis Akabah jusqu'à Toubrouk, et
de Darnis. Agathémère fait commencer la
devient ensuite plus spacieuse jusqu'au
Marmarique à la Pentapole et l'étend jusqu'à golfe de Bomba. Les puits qu'on y ren-
Alexandrie. — Les limites de la Cyrénaïque contre engagent les voyageurs à préférer
sont encore plus incertaines ; selon Strabon, en été cette route à'celle des hauteurs qui
Pomponius Mêla et Solin, elle occupe tout la dominent. D'après les distances indi-
f espace compris entre le Catabathmus ,
les
autels des Philènes et l'oasis d'Ammon. (i) Scylax, Peripl. p. 45 édit. Voss.
ETATS TRIPOLITAÏNS. Yè
quées dans le Périple de Scylax , Tou- douce qu'à l'est. Cette montagne s'élève
brouk correspond au poste maritime par ondulation, par hauteur progressive;
Antipyrgus. Les principales ruines dans quelques* points cependant elle
qu'on y voit sont sur le prolongement présente des flancs escarpés, que le cha-
rocailleux de la côte qui forme le port meau gravit avec peine. La roche est
et lepréserve de tous les vents , excepté un calcaire coquiller, compacte, entre-
de celui d'est. mêlé de masses de grès des' bouquets de
;
carrées sont aux angles du côté ouest ; ceinte, contenant des débris d'une belle
intérieurement est un puits, et l'on voit époque, servit longtemps de forteresse,
des escaliers pratiqués dans l'épaisseur alors que les Aoulâd-Aly régnaient en
des murs pour arriver au sommet. A souverains dans la contrée. Ce mur est
quelque distance de là est une citerne aujourd'hui en partie enfoui par les sa-
dont l'eau est excellente. bles, qui ont aussi rétréci le port, au-
Le sol de Y Akabah-el-Zoghaïer (petite trefois très-spacieux. Avant le règne de
descente ) est moins élevé et plus stérile Méhémet-Ali, Marsah-Berek était un
que celui de l'Akabah-el-Kébir; c'est un des ports les plus fréquentés de la côte:
mélange d'argile;et de sable ferrugineux, les caravanes de Syouah et d'Audjelah
formant après les grandes pluies un y apportaient leurs dattes, et les habi-
chemin très-glissant et presque impra- tants les plus éloignés de la Marmarique
ticable pour les chameaux. A chaque y venaient échanger leurs laines et leurs
instant s'offrent des traces d'ancien- grains contre les ihrams et les tarbou-
nes habitations, des citernes à sec ou à ches de Derne et de Tripoli. Le pacha
demi écroulées. Cette disposition du ter- d'Egypte attira à sa cour les principaux
rain continue à être la même durant seize cheiks des Aoulad-Aly, et confisqua le
heures de marche, depuis Chammès jus- commerce de Marsah-Berek au profit
qu'à Marsah-Lebéi. Chammès est un d'Alexandrie et de Dammahhour.
château sarrasin , cité par Édrisi sous A l'est de Marsah-Berek est le port
le nom de tour Alschemmas. Les murs, Mahadah , près duquel on trouve des ;
Boun-Adjoubah paraît occuper rem- voit sur quelques pierres des traces de
placement de l'ancien bourg Apis, qui, caractères qui n'appartiennent à aucun
suivant Scylax, était la limite de l'Egypte. alphabet connu ; c'est probablement de
Cette position correspond, en effet, à la simples signes de reconnaissance pour
distance d'Apis au port Parœtonium, les différentes tribus nomades. On en
aujourd'hui Berek-Marsah. Des débris trouve d'ailleurs sur d'autres édifices de
de deux édifices, Kassr- Bou-Souety et la Marmarique, ainsi que sur les rochers
Kassr-Medjah , entourent la vallée au des environs de Syouah et d'Audjelah.
sud de Berek-Marsah. Depuis cet en- A deux heures de marche au midi de
droit jusqu'à Alexandrie on ne rencontre Zarghah-Baharich on trouve un autre ,
brité qu'à son port, bien abrité par une l'entrée n'est réellement pratiquée qu'au
ligne de gros rochers, et dont la circon- plafond par une ouverture carrée d'un
férence, au rapport de Strabon, était de mètre quatre décimètres. La partie su-
quarante stades; c'était la capitale du périeure manque :elle devait être cou-
nome libyque; elle servit de refuge à ronnée par des frises, dont on aperçoit
Cléopâtre et Antoine, et fut le point de encore les fragments dispersés aux alen-
départ d'Alexandre pour se rendre au tours. L'intérieur est vide; depuis le
temple deJupiter Ammon. Il ne se trouve sommet jusqu'à la base les assises s'é-
plus de la ville de Parœtonium que de cartent successivement, et lui donnent
bien faibles vestiges; un grand mur d'en- une forme oblique. Pacho suppose que
ÉTATS TRIPOLITAINS. 55
cet édifice , dans lequel il trouva quel- tance contre les incursions de l'ennemi.
ques débris d'ossements, fut un tombeau Les habitants donnent le nom de Mak-
élevé sous le règne des Ptolémées (1). taernai à un plateau en grès , où l'on
Ces ruines sont situées dans la vallée voit environ deux cents ouvertures pra-
( Ouadi ) Thaoun qui envoie des rami-
,
tiquées dans la roche , qui servent d'en-
fications de collines, les unes fertiles, les trée à des grottes, et distantes entre
autres rocailleuses, depuis les bords de elles de trois ou quatre pas. Sur leurs
la mer jusqu'à Bir-Thaoun. De là on bords sont entassés des blocs de pierres
gravit une chaîne de collines , nommée brutes que l'on a extraits du sein du
Mekdar-el-Medah , dont la direction plateau pour former ces excavations ;
générale est du nord-ouest au sud-est. à en juger d'après leur aspect fruste,
Cette chaîne se rattache aux collines ils doivent être là depuis une époque
de VAkabah-el'Zoghaïer, qui , s'avan- très-reculée. La contrée où sont le pla-
çant dans la mer, forment le cap Ka- teau de Maktaernaï et les ruines dont
naïs, probablement Yflermœa extrema nous venons d'indiquer le nom s'appelle
de Ptolémée ; au rapport des Arabes , Djebel-Kourmah ; c'est une région assez
elles se prolongent par mamelons jusqu'à stérile , occupée pendant une partie de
l'oasis Gharah en décrivant une légère
, l'année par des camps d'Arabes noma-
inclinaison à l'ouest (2). Ces collines, à des ; à l'est elle est limitée par YOuadi-
environ cent cinquante mètres au-dessus Mariout, espèce de vallon ou de plaine
du niveau de la mer, constituent pour basse qui avoisine le lac Mariout ou
ainsi dire le premier gradin des hau- Maréotis.
teurs qui s'élèvent progressivement jus- A Dresieh on voit les ruines d'une
qu'aux montagnes de la Pentapole. ancienne ville , située à peu de distance
Le Leucé Acte (rivage blanc) des an- de la mer (1). Parmi les ruines on ne
ciens correspond aux environs du cap trouve de remarquable que des souter-
Kanaïs ; mais , suivant Scylax, il con- rains voûtés en ogive, revêtus d'une cou-
viendrait davantage à la situation tf El- che de plâtre et subdivisés en plusieurs
Heyf (3). Au reste, depuis la grande pièces, débris d'un château sarrasin.
Akabah jusqu'à Abousir, près d'Alexan- Ces souterrains servent d'asile aux voya-
drie, le bord de la mer est formé par une geurs dans la saison rigoureuse, et les
digue de sables blanchâtres. Les ruines Arabes des environs y déposent, pen«
d'Assamback , de Ghepheïrah, de dant l'été , une partie de leurs récoltes.
Djammerneh et de Benaëhbou-Selim
, Près de Dresieh est un lac d'eau salée,
n'offrent rien de remarquable ; ce sont qui s'étend sur un espace de deux heures,
toujours des fragments de murs qui font en suivant les bords de la mer, dont il
supposer que c'étai ent-les restes d'anciens n'est séparé que par une digue de sable.
postes militaires, destinés à protéger les A quelque distance de Dresieh , au
villes ou les bourgs de quelque impor- sud-est, dans l'intérieur des terres, sont
les ruines d'un monument , appelé Kas-
(i) Pacho , Voyage dans la Marmarique sabah-el-Chammameh (palais des chan-
p. 22. deliers). C'était un édifice carré, dont il
(2) Le nom d' Akabah-el-Zoghaïer
'
(petite ne reste plus que l'angle oriental; sur
descente ) rappelle le Catabathmus parws
une de ses faces extérieures le mur forme
des anciens. Ce mot , qui signifie aussi petite
trois rentrées prises dans son épaisseur;
descente était appliqué (ainsi que celui de
elles dessinent une porte , aux côtés de
Catabathmus magnus) tout à la fois à un bourg
laquelle sont deux colonnes engagées,
et à la vallée qu'il dominait.
ornées de chapiteaux à fleur de lotus
(3) Le promontoire El-Heyf paraît être le
Deris des anciens. Quant à la Roche-Noire, imitation grossière du style égyptien.
que Strabon indique près de Deris , on pour- Ce monument dont les détails architec-
,
rait au besoin la retrouver dans les écueilsqui toniques offrent de petites proportions,
entourent El-Heyf. Les nombreux vestiges
d'habitations que l'on voit à l'ouest de ce
(1) Le nom de Dresieh rappelle le pro-
promontoire, et à quelque distance de la montoire Deris de Strabon; mais la situation
mer, rappellent les petits bourgs Antiphrœ, de Dresieh dans Un golfe ne convient pas à un
mentionnés par le même géographe. promontoire (Pacho).
,
56 L'UNIVERS.
était construit en grandes assises de quelques tronçons de colonnes calcaires
grès, posées sans ciment; l'épaisseur La situation d'e Ghettadjiah, au miliet
des murs était monolithe. A tous ces des sables , prouve un empiétement di
caractères on reconnaît la date des mo- désert sur la terre cultivable. Cet em-
numents lagidéens , dont on voit le plus piétement est favorisé par la nudité di
remarquable à Àbousir. pays , jadis couvert d'arbres, et par l'ab-
A quatre heures et demie de marche, au sence de collines assez élevées pour
nord-est de Kassabah-el Chammameh, opposer une barrière à l'invasion des
on rencontre les ruines de Lamaïd, sables.
château sarrasin situé sur le bord de la
, De Ghettadjiah à Abousir on rencon-
mer. Trompé par les premiers mots tre des ruines d'anciens bourgs et un*
d'une inscription arabe (1) M. Scholz , végétation appauvrie. Les ruines de
(Reise in die Gegend zwiscken Alexan- Boumnah n'offrent de remarquable
drien und Parœtonium, p. 52) a pris qu'une pièce cintrée, ornée de deux co-
Lamaïd pour une mosquée en ruines. lonnes. Abousir, l'ancienne Taposiris,
Le Kassr-Lamaïd est divisé en deux fait partie de la vallée Maréotide ( Ouadi
étages; il forme un grand carré, dont Mariout), canton réputé autrefois par
chaque côté est flanqué d'une tour éga- ses vignobles, et dont le' territoire,
lement à angles droits celle du sud
: au temps de Macrizi, était couvert
donne entrée au château par une porte de jardins et de maisons qui se pro-
dont les montants et le linteau sont longeaient jusqu'à la province de Bar-
en grosses masses de granit rose. Ainsi kah. Parmi les ruines d'Abousir, les
que les châteaux forts du moyen âge, plus apparentes et les plus considé-
celui de Lamaïd avait une seconde rables sont celles d'un temple situé sur
porte de clôture, immense dalle qu'on une hauteur à peu de distance des bords
soulevait par des chaînes en fer, à tra- de la mer. Ses murs , disposés en talus,
vers une coulisse pratiquée au-dessus de à la manière égyptienne, et construits
l'entrée du château. Sur la façade étaient en pierres de taille , forment un carré
deux lions en ronde bosse, posés sur dont chaque côté a quatre-vingts mè-
une corniche ornée d'arabesques; on tres. La partie supérieure manque ; mais
n'en voit plus que les restes défigurés(2). au côté oriental est un grand pylône
Les ruines ftAbdermaïn et El- quadrangulaire, engagé dans l'enceinte
Hammam n'offrent rien de remarqua- générale du temple, dont il suit aussi le
ble. A douze heures de marche, au même degré d'inclinaison. Ce pylône con-
sud-est de Ei-Hammam est le Kassr- tient intérieurement deux petites pièces
Ghettadjiah ; c'est une petite mosquée latérales à la porte d'entrée et sa face
,
isolée dans les sables, et construite avec extérieure offre une analogie frappante
les débris d'un ancien monument; deux avec les monuments de l'ancienne
colonnes, l'une de porphyre bleu, l'au- Egypte. Cependant les petites dimensions
tre de syénite, sont renversées au mi- des pierres qui forment ses assises, l'ab-
lieu de l'enceinte; au dehors on voit- sence de tout symbole hiéroglyphique;
enfin l'aspect général de ce monument
(i) Voici la traduction de cette inscription
indiquent une origine grecque sa cons-
:
arabe, sculptée en relief sur une frise en
truction paraît remonter à l'époque des
forme d'ogive, ornée d'arabesques d'un
et
Ptolémées. Près des ruines de ce temple
travail très-soigné « Au nom de Dieu clé-
:
sont les restes d'un autre édifice connu
ment et miséricordieux, la construction de ce
château a été ordonnée par le fortuné sei-
sous le nom de Tour des arabes : il
gneur, le sultan très-grand , le roi éminent figure en effet une tour posée sur un
roi des Arabes , maître souverain des nations, grand socle quadrangulaire, et divisée
colonne du monde
et de la religion , père de en deux étages, dont l'inférieur est
la victoire, Bibars, partisan du prince des octogone, et le supérieur rond et plus
fidèles (que Dieu glorifie son ouvrage), et rétréci. A la partie sud du rocher sur
exécutée par le pauvre serviteur, sur qui lequel elle est bâtie on voit une grotte
soit la miséricorde divine, Ahmed el Taher, funéraire , divisée en deux pièces où ,
peu soigné. Ce monument paraît avoir dans les principales villes de l'Egypte
servi de phare aux navires qui s'appro- pour fondre à l'improvistesur les bazars,
chaient de cette côte dangereuse. Les et disparaître aussitôt pour cacher leur
ruines deTaposiris, à une petite distance butin dans des solitudes inaccessibles.
de la mer, sont en partie situées sur le Ils occupaient presque tout le pays
revers méridional d'un colline, percée qui s'étend depuis l'Egypte jusqu'à la
de quelques cavernes sépulcrales; une grande Syrte; et de leurs camps innom-
digue , allant de l'est à l'ouest , fut cons- brables , qui couvraient ce vaste littoral,
truite au sud de la ville, peut-être pour se détachaient des corps de cavalerie qui
préserver ce côté des inondations du se dispersaient dans les déserts du sud,
|
lac Maréotis. Parmi les monceaux de pour mettre à contribution les oasis et
i
pierres on remarque les fondements s'emparer des caravanes d'esclaves. Mais
d'une construction subdivisée en plu- rentrés dans leurs camps ces hommes fa-
sieurs pièces et revêtue de ciment; ce rouches et spoliateurs devenaient géné-
sont là sans doute les vestiges des bains reux et hospitaliers. C'est là du reste un
dont Justinien, au rapport de Procope, trait caractéristique qui s'applique à tous
orna la ville de Taposiris (1). D'Abou- les Arabes. — Les Aoulad-AIy sont gou-
sir à Alexandrie la route suit la langue vernés par des cheiks qu'ils nomment
de terre qui sépare le lac Maréotis de eux-mêmes , et qui reçoivent du pacha
la mer. Cette chersonèse étroite n'a d'Egypte le bournous d'investiture. Mais,
qu'une lieue dans sa plus grande largeur. loin d'être un emblème du pouvoir, ce
Dans la chaîne de collines, qui forme bournous serait un objet de mépris si
une digue au Maréotis, on voit d'ancien- les suffrages de la tribu n'avaient pré-
nes carrières , contenant une végétation cédé ceux du pacha. Le cheik n'exerce
abondante des touffes de figuiers sau-
: qu'une autorité précaire, qui est moins
vages sortent du sein de ces excavations, le résultat de la force que celui de la
et on aperçoit çà et là quelques plantes réputation et de l'estime dont il jouit
marines. dans la tribu. Il ne diffère en rien des
Nous terminons ici notre panorama simples Arabes; aucun signe du pouvoir
de la côte depuis Tripoli. Si nous avons ne l'entoure, aucune ressource pour s'é-
dépassé les limites des États tripolitains, tablir n'est à sa disposition ; ses trésors
c'est que nous avons voulu compléter sont des troupeaux plus nombreux; ses
notre description de cette partie de l'A- gardes sont ses proches et ses enfants.
frique en la rattachant à la topographie Aussi, ne pouvant exercer l'autorité par
de l'Egypte moderne que nous avons la violence , il l'obtient par la libéralité
publiée dans la collection de VUnivers et la douceur.
pittoresque (2). Les Aoulad-AIy sont d'une taille mé-
diocre mais bien proportionnés leur
,
Habitants de la Mar manque. ;
58 L'UNIVERS.
d'un châle, mais ils affectent de le bles s'ils n'étaient défigurés par des ta-
partie nouée descend en replis sous ce que trop souvent chez les musulmans
bras soutenu par le nœud qui vient se
, des villes.
poser sur l'épaule droite ; le reste de la Les Aoulad-Aly mènent en général une
draperie est jeté négligemment sur l'autre vie très-oisive. Dès que la terre est en-
épaule. Mais l'usage du ihram ne se semencée, toutes leurs occupations se
'
borne pas à draper le corps, il supplée à bornent à garder les troupeaux et à veil-
lui seul tout l'attirail de nos lits. Sans 1er à la sûreté de la famille. Quelques-uns i
autre secours que leur costume, ces font des voyages en Egypte, à Syouah et ]
Arabes trouvent leur lit partout ils se : à Derne ; ils portent à Alexandrie et à Da-
blottissent dans leur draperie, et s'en manhour la laine de leurs troupeaux, et
couvrent de telle manière qu'une per- en rapportent des ihrams, des toiles,?
sonne étrangère à leurs usages, en en- des armes et de la poudre; ils prennent
trant la nuit dans un camp , ou s'arrê- à Syouah et à Audjelah des dattes qu'ils
tant près d'une caravane, chercherait en échangent contre du beurre et des bes-
vain les habitants , si un allah , ou hia tiaux. Comme tous les Arabes du désert ;
les oiseaux y sont fort rares , à l'excep- le désert ( -h sp^oç) , en faisant route vers
tion de quelques espèces rapaces et l'ouest.Après avoir marché pendant
aquatiques. Cependant, vers la fin de beaucoup de jours dans un vaste pays sa- |
parfaites, et nous devons avouer que les bitants étaient noirs et de la même sta-
anciens étaient à cet égard plus avancés ture que leurs conducteurs. Près de cette
que nous. Aussi trouvera-t-on tout na- ville coulait un grand fleuve, dont le
|
turel de leur faire ici quelques emprunts. cours était de l'occident à l'orient , et
Du temps d'Hérodote, les Phéniciens l'on y trouvait des crocodiles. »
et les Grecs avaient fondé plusieurs co- D'après ce passage remarquable d'Hé-
lonies sur la côte de la Libye qui s'étend rodote, que nous avons rendu textuelle-
depuis l'Egypte jusqu'au cap Soloeïs, au-
jourd'hui cap Cantin, dans le Maroc. (i) Hérodote, IV ? 3î.
ÉTATS TRIPOLÏPAINS. &
ment , il est permis de croire que les dix jours de marche, les Ammoniens,
anciens avaient des notions certaines sur qui ont un temple dont l'origine remonte
le pays situé au delà du désert de Sahra, à celui de Jupiter Thébain : car c'est à
c'est-à-dire le Soudan. En se dirigeant à Thèbes que se voit la statue de Jupiter à
l'ouest, les jeunes Nasamons (dont la face de bélier (1). On trouve aussi chez
nation habitait au sud de la grande les Ammoniens une source d'eau parti-
Syrte) devaient tomber dans le désert de culière le matin elle est tiède, vers
:
Sahara , qui est ici parfaitement indiqué l'heure de midi ( à-ppri; 7rXnôuoûcrr,ç ), elle
par yûpoç izoXkbç ^ap.jjuôtSVi; un vaste , est déjà un peu froide: à midi même,
pays sablonneux. Or, la partie orientale elle est très-froide, et ils s'en servent
du Sahara est particulièrement infestée alors pour arroser les jardins; au déclin
par les Touaricks, qui nous paraissent du jour, elle devient moins froide; au
être les descendants de ces petits hom- coucher du soleil , elle est tiède; puis,
mes (àv^psç puipoi) dont parle Héro- l'eau s'échauffe peu à peu jusqu'à minuit,
dote encore aujourd'hui ils ne vivent
: , où elle entre en ébullition (test àp,goXà-
que de pillage, se saisissent des voya- £r,v); dès que minuit est passé, elle se
geurs et les emmènent dans l'intérieur de refroidit jusqu'au matin. Elle porte le
Soudan pour les vendre comme esclaves. nom de fontaine du soleil (2). »
La ville où les Nasamons furent con- Les Ammoniens descendaient d'une
duits pourrait bien être Tombouctou : colonie égyptienne et éthiopique ; aussi
lesenvirons du lac Tchad , dans le voi- leur langue était-elle un mélange de cel-
sinage duquel ils devaient passer, sont les des deux nations. Leur nom vient
en effet très-marécageux, et près de à'Amoun, par lequel les Égyptiens dési-
Tombouctou le cours du Niger est pré- gnaient la principale divinité de Thè-
cisément de l'ouest à Test car il est : bes (3). L'oracle d'Ammon était un des
évident qu'il s'agit ici , non pas du Nil oracles les plus célèbres de l'antiquité.
mais du Niger , qui pourrait bien com- Crésus et Alexandre le Grand l'avaient
muniquer, par l'intermédiaire du lac consulté : le premier par des délégués , le
Tchad , avec le fleuve de l'Egypte (1). dernier en personne. Lors de l'invasion
des Perses en Egypte, Cambyse résolut
Oasis de Siwah (Syouah) ou d'Amman.
de soumettre les Ammoniens, de les faire
Hérodote divise, comme nous venons esclaves et de brûler le temple qui ren-
de voir , la Libye en trois parties :
toute ferme l'oracle de Jupiter. Cette expé-
celle qui est habitée (oaso^swi) , celle dition échoua complètement ; l'armée du
qui est peuplée de bêtes féroces (ôyipiw^vjç) roi des Perses disparut sans qu'on eût
et la région sablonneuse x^poç «jiapuw&nç ) jamais eu sur son sort des nouvelles
« s'étendant depuis Thèbes jusqu'aux certaines. Au rapport des Ammoniens
colonnes d'Hercule. » La première com- elle fut engloutie dans les sables après ,
G2 L'UNIVERS.
fameuse fontaine du soleil presque dans beaucoup de palmiers. De Santaryé à
lesmêmes termes qu'Hérodote Arrien ; Audjela, du côté de l'ouest, il y a dix
ajoute que l'endroit où est situé le tem- marches. « Je tiens, ajoute Aboulféda ,
ple d'Ammon occupe un très-petit es- de l'un des Arabes qui sont employés à
pace, qu'il est tout environné de sables l'administration d'Alexandrie, et qui
arides ,
qu'il est d'environ quarante sta- perçoivent leur traitement sur les reve-
des dans sa plus grande largeur, et qu'il nus* de Santaryé, que cette dernière
est couvert d'arbres fruitiers, particu- ville est à dix journées d'Alexandrie,
lièrement d'oliviers et de palmiers. On vers le sud-ouest. Cet homme ajoutait
y trouvait des fragments de beau sel que la ville de Santaryé renferme un mil-
gemme qui étaient vendus en Egypte.
,
lier d'habitants, que ses maisons sont
Comme Hercule, Alexandre voulait con- en briques cuites et en d'autres matières
sulter l'Amoun des Égyptiens ; il avait du même genre, qu'on y trouve des
surtout à cœur de faire accréditer auprès sources d'une eau extrêmement chaude,
des nations fanatiques de l'Orient son et que l'air y est très-malsain (1). »
origine divine et ses relations intimes Voici maintenant ce que les voyageurs
avec Jupiter. Après avoir fondé la ville, modernes nous apprennent sur l'antique
qui encore aujourd'hui porte son nom oasis d'Ammon, appelée aujourd'hui
Alexandre longea le rivage jusqu'à Pa- Siwah ou Syouah (2).
rœtonium, et de là il traversa avec son Browne, en 1792, entreprit le pre-
armée un désert aride, où des corbeaux mier de découvrir les vestiges du temple
lui servirent de guide jusqu'au temple de Jupiter-Ammon. Et voici les rensei-
d'Ammon. Selon les uns, Alexandre re- gnements qu'il nous donne à cet égard.
prit la même route pour revenir en L'oasis où est située la petite ville de
Egypte; selon d'autres, il prit le chemin Siwah est d'environ six milles de long
plus court de Memphis (1). sur quatre milles et demi de large. Une
L'oasis de Syouat fut décrite par les grande partie de cet espace est remplie
géographes arabes sous le nom de San- de dattiers de grenadiers, de figuiers
,
lieu des déserts; ces îles sont arrosées mais les sources qui fournissent la pre-
d'eau et plantées de palmiers; des mon- mière sont pour la plupart chaudes.
tagnes les entourent de toutes parts. On La ville de Siwah se divise en quartiers
y trouve une grenade qui dans les supérieur et inférieur; elle est défendue
commencements est amère, mais qui par une citadelle bâtie sur un rocher
lorsqu'elle est d'une bonne qualité de- et entourée de murs solides. Les rues
vient douce. L'air y est malsain pour les sont irrégulières, étroites et très-som-
habitants, à plus forte raison pour les bres , à cause de l'élévation des maisons ;
étrangers. Entre la mer, auprès de la quelques-unes sont couvertes. Les gens
petite Acaba (Alacabat-Alseguyré) et mariés occupent seul le haut quartier, les
Santaryé , il y a huit marches ; au sud- étrangers et les gens non mariés sont
est sont les Oasis du nord (Aloûahât- tous relégués dans le bas quartier.
Alschemalyé). C'est à deux milles de Siwah que
« Au rapport d'Edrisi , la ville de Browne découvrit des ruines {bir) qui
Santaryé est petite ; on y trouve cepen- ressemblent à celles de la Haute-Egypte ;
dant une chaire, et plusieurs familles elles paraissent avoir dépendu du temple
berbères et arabes, de races diverses,
y de Jupiter-Ammon. «J'avoue , dit-il, que
ont établi leur demeure. De cette ville à
la mer Méditerranée on compte neuf
(x) Géographie et Aboulféda , traduite de
marches. Les sources y sont rares , et V arabe en français et accompagnée de notes
on y boit de l'eau de puits; il s'y trouve et d'éclaircissements, par M. Reinaud , t. II,
D
p. 181 (Paris, in-4 , i848).
(i) Arrien, Expédit. III, 3 et 4. Comparez (a) Voyez Jomard , Description de l'oasis
Quint.-Cnrt. IV, 7. Quinte-Cmce est ici de Syouah, d'après les observations de
plus détaillé qu'Arrien. M. Drovetti et de M. Caillaud; Paris, 1823.
ETATS TRÏPOLITAINS 63
une autre porte parallèle. L'autre bout six de large et six de haut ; leur nombre
delà chambre était presque entièrement est de plus de trente (1).
en ruines malgré cela, on pouvait juger
: A deux journées de Siwah, plus avant
qu'elle n'avait jamais été plus grande dans le désert , Browne rencontra près ,
les matériaux. Je remarquai dans les ron six milles je passai près d'un petit
,
il le trouva situé à 29° 12' latitude nord pendant il n'était que de pierre calcaire
et 44° 54' longitude est. remplie de fragments de coquillages. »
Leschambres taillées dans le roc Browne pense que Siwah est le Siro-
étaient probablement destinées à rece- pum de Ptolémée, et que les ruines qu'il
voir les morts. Il n'y a ni ornement a visitées n'étaient qu'une dépendance
ni inscriptions. Elles ont toutes été du temple de Jupiter- Ammon.
(i) Browne, Nouveau Voyage dans la haute (1) Browne, Nouveau Voyage y etc., p. 3a.
9t basse Egypte, 1. 1, p. 29, (2) Ibid., p, 40.
,,
(M L'UNIVERS.
sant par les lacs Natroun. On met onze Fayoum et Siwah. Les productions de
jours par cette dernière route. Celle Siwah sont semblables à celles de la
d'Alexandrie longe la côte jusqu'à Ba- petite oasis; seulement les dattes y
ratoun , le Parœtoniwn des anciens; de sont d'une qualité supérieure , et beau-
la elle se dirige au sud. C'est le chemin coup plus estimées. On en distingue six
qu'avait pris Alexandre. Strabon (XVII, variétés, dont la plus recherchée se
p. 549) décrit Paraetonium comme une nomme frahih. Les frahih sont de pe-
ville avec un port considérable, ayant tites dattes blanches quand elles sont
presque quarante stades de diamètre. desséchées.
Quelques-uns l'appelaient Jmmonia. Les habitants de Siwah sont hos-
D'après les renseignements les plus pitaliers, mais très -soupçonneux,
récents , c'est à deux ou trois milles à sauvages dans leurs habitudes et des ,
l'est de Siwah qu'était situé le temple musulmans aussi fanatiques que ceux
d'Ammon, dans l'endroit appelé au- de la petite oasis. La souveraineté
jourd'hui Om-Baydah (mer blanche). , est exercée par des cheiks dont le , ,
sources. L'eau paraît être en effet plus biens de ceux qui meurent sans héri- ;
chaude la nuit que le jour ( ce qui s'ex- tiers ainsi que les amendes infligées à
,
plique parfaitement par la différence de des coupables. Ces dépôts sont employés ,
murs et des pierres éparses. Une con- sont souvent impuissants à réprimer
naissance plus exacte des vestiges du les querelles sanglantes qui éclatent)
temple de Jupiter Ammon serait du plus entre les familles, au sein des villages.
haut intérêt pour l'archéologie et l'his- Siwah tomba sous le pouvoir de Mé-
toire ancienne. Minutoli a donné quel- hémet-AK en 1820. La grande et la
ques vues de ce temple, qui a été décrit petite oasis ont été incorporées dans la
par Caillaud et d'autres voyageurs. province d'Egypte. Affligés de la perte
A trois quarts de mille environ de leur indépendance, les habitants ont
d'Om-Baydah, et à deux milles sud- est plus d'une fois essayé de secouer le joug
de la ville de Siwah, est une colline de la domination turque, notamment en
nommée Dar-Abou-Berek, où se trou- 1829 1835; mais leurs tentatives
et
vent quelques excavations anciennes, furent réprimées par les troupes de
sans doute des tombeaux; un peu au- Hassan-bey.
dessus de la colline, on voit quelques Le principal commerce des habitants
inscriptions grecques, gravées sur des consiste en dattes. Ils comprennent l'a-
rochers. Rasr-Roum ( palais romain ) rabe ; mais ils se servent d'un idiome
à cinq milles à l'ouest de Siwah , est particulier, dont M. Wilkinson a com-
un petit temple d'architecture dorique, nuniqué les termes suivants :
quefois des plaines entières et leur don- des cris et des exclamations de joie !
nait une couleur blanche comme de la parmi les Arabes , car elles étaient un
craie. Une nouvelle espèce d'urcéolaire signe qu'on approchait de l'oasis. Dans ,
tapissait les cailloux brunâtres lorsqu'ils les gorges de ces montagnes on voyait j
n'étaient pas disposés en couches trop les tombeaux d'une quantité de voya- »
pas rares non plus. Une nouvelle espèce vane ne fit que descendre à travers des ;
Sahara n'était pas désert pour le bo- Siwah. A l'entrée de cette vallée étaient
j
sent avoir été autrefois recouverts par souvent on remarque des couches entiè-
les eaux. Les vastes plaines, presque res composées uniquement de coquilles
dénuées de végétation, avaient tantôt une sans aucune espèce d'alliage. Ces mas-
teinte noire provenant des masses de ses de rochers se sont évidemment for-
hornstein; tantôt elles présentaient, mées d'un dépôt réitéré d'une mer pa-
sur dévastes espaces, un reflet d'un cifique.
brun rougeâtre provenant des fragments On remarque ordinairement aux mon-
de cornaline; souvent on y voyait aussi tagnes de Siwah jusqu'à neuf couches
ÉTATS TRIPOLITAÏNS. m
différentes, étendues pour la plupart en du désert libyque. A Dyr-Asa
entrè- ils
forme de terrasse los unes au-dessus des rent dans une seconde vallée plus petite
autres et se distinguant par leur couleur que la première, et que Liman appelle
comme parleurs pétrifications; les trois Gara ou Siwah-Seghir ; elle est presque
supérieures sont blanches, celles du inhabitée, ne produit que quelques
et
milieu jaunâtres, et les trois inférieures buissons de dattiers et quelques tamarins
verdâtres. Les supérieures ont moins de {Tamarix a/ricana ) mais en revanche
;
fossiles, et sont d'un grain très-dur : toute sa surface est couverte de vastes
dans les couches moyennes on trouve forêts de roseaux (Arundo Hammonis,
de très-gros pectinites et des oslracites; Ehr. ) et de petits buissons de zygo-
dans les inférieures, des cardes et autres phyllum etde joncs. L'étendue de cette
formations analogues. Mais toutes ces vallée était de deux lieues et demie dans
couches réunies ne s'élèvent probable- la direction du chemin ; le sol, quoique
ment pas au delà de cent mètres au- salant, donnait cependant de l'eau po-
dessus du niveau de la mer , c'est-à- table. A l'est de cette petite oasis , le
dire qu'elles ne dépassent pas la hauteur plateau de calcaire du désert libyque
du plateau du désert libyque, qui se pro- s'élève de nouveau , et forme plusieurs
longe de la même manière à l'est, et éminences que Liman appelle Kelis. A
auquel correspond sans doute aussi, au trois milles à peu près à l'est des der-
sud de l'oasis de Siwah, une formation niers puits, les voyageurs rencontrèrent
analogue, si l'on peut en juger d'après de nouveau les lichens du désert; vers
les chaînes de collines qui se déroulaient le soir du même jour ils trouvèrent,
dans le lointain aux yeux des voyageurs. aussi quelques mimosa appelées aolha
Le séjour des voyageurs à Siwah n'eut par les Arabes; c'est par l'incision de
pas de bien grands résultats pour la l'écorce de cet arbrisseau que l'on ob-
science, attendu qu'ils furent continuel- tient la précieuse gomme dont l'Orient
lement contrariés dans leurs recherches fait un si grand commerce; on le ren-
par les vexations du chef. Mais leur contre fréquemment dans ces régions,
route de retour de Siwah à Alexandrie mais seulement dans les enfoncements
nous fera connaître l'entrée du désert, des vallées d'oasis.
du côté de la Maréotide, la même Les voyageurs établirent leur tente
route que prit Alexandre le Grand lors- à un endroit où ils trouvèrent pour la
qu'il voulut pénétrer jusqu'à l'oasis première fois Vanastatica hierochun-
d'Ammon. lica, plante connue sous le nom de rose
Le 23 novembre, les voyageurs, ayant de Jéricho.
quitté Siwah, arrivèrent jusqu'au puits Le second jour de leur départ de Dyr-
de Bir-Bagar à l'est. De là, après avoir Asa, les voyageurs arrivèrent, par une
marché trois jours dans la direction de contrée montueuse et pittoresque à la ,
l'est, ils prirent un jour de repos dans troisième oasis, à laquelle il ne manquait
la petite oasis de Dyr-Asa. Après trois que de l'eau pour être habitable ; ils y
autres journées de marche, ils trouvè- rencontrèrent les mêmes plantes que
rent de nouveau de l'eau à Bir-Hajé. De dans les précédentes; mais ce qui les
là ils arrivèrent en deux jours au puits frappa surtout ce fut le caractère parti-
salé, le Bir-Lebouk; puis, tournant au culier des palmiers qu'ils y trouvèrent à
nord-est, ils atteignirent, après trois l'état sauvage , touffus et bien différents
journées de marche , le puits abondant des palmiers tels qu'on est accoutumé à
de Bir-Ha?nan, sur la limite de la Ma- les voir dans les plantations de dattiers.
réotide. Tout cet espace fut ainsi franchi Les savants prussiens rencontrèrent
en onze jours. La route est extraordi- aussi dans ce même enfoncement les pre-
nairement pénible et très-conforme à mières traces de bois pétrifiés, et cons-
la description que nous avons donnée tatèrent par cette découverte une ana-
plus haut de l'entrée du désert, du côté logie frappante de cet enfoncement avec
du nord. Les voyageurs ne quittèrent la vallée du Bahr-Bilma, près des lacs de
que le soir de la seconde journée l'en- natron, et avec celle de Mogharah. Ces
foncement de la vallée de l'oasis de pétrifications se rapprochaient le plus,
Siwah pour monter sur l'élévation aride quant à la forme, du Tamarix africana,
6S L'UNIVERS.
qui croît dans toutes les oasis du voisi- tes » ( 01 Naffap.wvÈç o7T(o pieuvres toùç <pc»-
des cristaux de quartz. Les puits de Haja, Voilà un document dont l'exacti-
également entourés de bosquets de pal- tude a été parfaitement mise en relief
miers sauvages, sont situés dans l'enfon- par les explorations des voyageurs mo-
cement de la vallée qui s'étend, à l'est, dénies. Le nom même de cette oasis
jusqu'à Bir-Lebouk, sur un espace de n'est pas changé elle s'appelle Audje-
:
deux journées et demie. Le sol y est gé- lah; et les descendants des Nasamons y
néralement salant, couvert de mottes et viennent encore régulièrement tous les
dénué de toute végétation. De Bir-Le- ans faire la récolte des dattes. La distance
bouk cet enfoncement (sans doute le même de Siwah à Augila , qu'Hérodote
même dont parle aussi Hornemann ) se évalue à dix journées de marche est ,
cependant sont moins exhaussées que rah ) , qui commence à une vingtaine de
celles qui entourent Siwah ), ils remar- lieues à l'ouest des lacs de natron, se con-
quèrent çà et là des masses de rochers tinue quatre journées de marche à l'ouest
isolés, offrant un aspect grotesque et un de Siwah jusqu'à l'endroit fertile de
mélange de toutes les couleurs, qui leur Schiatha. Elle trace la route de la zone
rappelait en petit quelques cités de la des oasis et forme, selon la poétique ex-
,
qui surgissent du sol et ressemblent à des serte (epnp.o;) formée de calcaires coquil-
colonnes cylindriques; parfois on ren- liers cette chaîne aride se dégrade au
;
contrait aussi des troncs de dicotylédo- sud, et est séparée du désert par une
nes, avec leurs branches; ceux que l'on rangée, d'oasis plus ou moins fournies
trouvaitpétrifiésen entier, avec leurs ra- d'eau. Les masses'ealeaires sontdisoosées ;
meaux et leur écorce, ressemblaient ex- par couches horizontales, et coupées par '
térieurement au mimosa aolfia. Les dé- des défilés où se réfugient les tribus no- \
bris de coquillages qui étaient déposés en mades. Les collines qui surgissent çà et
quantité dans le sein du désert ne pa- là de ces masses présentent souvent une
raissaient pas appartenir aux espèces ressemblance frappante avec les pyrami-
perdues; ils avaient au contraire une des , à cause des interstices colorés des
frappante ressemblance avec ceux qu'on couches de calcaire. Elles semblent
trouve dans les marais de la Maréotide ainsi protéger la Libye thériode ( rem-
et que les vagues de la Méditerranée jet- plie d'animaux ) contre l'envahissement
tent encore tous les jours sur la côte. des sables. Les pyramides d'Egypte au-
raient-elles été élevées dans le même but ?
Augila (Audjelah). La chaîne de rochers calcaires ( Djebel-
« Après avoir dépassé, dit Hérodote, Mogharah) se rattache, à l'ouest de
les Ammoniens , et après dix jours encore Siwah, à une rangée de collines sablon-
de marche à travers la zone sablon- neuses qui s'étend jusqu'à Augila.
neuse , on rencontre une colline de sel, Dans cette route on rencontre alterna-
semblable à celle des Ammoniens, et tivement des sables arides, des endroits
de l'eau , ainsi que des habitations tout fertiles , des sources d'eau douce et des
autour. Cet endroit s'appelle Augila lacs d'eau salée.
(AûfiXa). C'est là que se rendent les
.Nasamons pour faire la récolte des dat- (i) Hérodote, IV, 182.
ÉTATS TRIPOLITAINS. 69
cette oasis. On peut en dire autant de Libye distante du Nil environ quatre
,
merciales s'étendent jusqu'à diverses ré- se nomme Maradah , et , soit que son
gions du pays des Nègres comme la , aspect s'embellisse de la profonde hor-
contrée de Kouar et celle de Koukou. reur qui l'entoure, soit qu'une ceinture de
Le territoire d'Audjela et celui de Barea collines schisteuses, bariolées de grandes
n'en font pour ainsi dire qu'un. L'eau y veinesjaunes et bleues, délasse un peu la
est rare. D'Audjela à la ville de Zalla, vue fatiguée de la monotonie de ce vaste
du côté de l'occident il y a dix mar- , désert , soit enfin que plusieurs sources
ches; Zalla est une petite ville possédant d'eau douce dont une thermale rani-
, ,
un marché florissant ; c'est un lieu for- ment par leur agréable saveur l'estomac
tifié. De
Zalla on peut se rendre aussi affadi par les eaux saumâtres ce n'est ,
qui est placé du côté du désert est oc- les terres trop grasses de Cyrène, ni dans
cupé; il s'y trouve plusieurs puits, à les plaines argileuses delà Marmarique,
l'aide desquels les habitants peuvent ni à Augila. Une belle forêt de pal-
semer du doura. A
l'occident sont des miers en couvre la surface.
lieux boisés, où croissent en abondance Un pareil canton, quoique peu
spacieux a dû attirer l'attention des
,
(i) Les noms de ces lieux diffèrent suivant Arabes. On y voit en effet les ruines de
les auteurs. D'après Beaufoy (Proceedings, deux villages; cependant, il est main-
I, p. 192), l'oasis d'Augila se compose de
1
quatre endroits habités ; le plus oriental s'ap- (r) Géographie d' Aboulféda, traduite de
pelle Quizarah (Saragma de Ptolémée?) ; les l'arabe en français et accompagnée de notes
trois autres, que Hornemann qualifie du nom et d'éclaircissements, par M. Reinaud, tome II,
de villes, sont : Majabrah à l'est, Meledilah p. 180. (Paris, in- , 1848.)
et Augila. ( Voyez Ritter, Géographie de Léon l'Africain, Description de l'Afrique t
(2)
l'Afrique, tom. III, p. 296.) p. 3i9.
,,
70 L'UNIVERS.
tenant sinon tout à fait abandonné, du des puits creusés à une vingtaine d
moins reste inhabité durant la ma-
il pieds de profondeur , revêtus de tronc
jeure partie de Tannée. Les divisions de dattiers , et d'où l'on extrait des eau
des tribus qui s'en sont tour à tour plus ou moins saumâtres. C'est avec ces
disputé la possession en sont la prin- seules ressources que les habitants s'ef
cipale cause. Toutefois, les nomades forcent d'alimenter la végétation d
des environs de la Syrte ne laissent pas quelques champs, si l'on peut mêm
de venir chaque année y recueillir les donner ce nom à des bandes de sable
dattes; mais n'osant résider dans les métamorphosées en humus par le
villages ruinés, livrés au pouvoir des débris des palmiers et par de pénible
esprits créés par la superstition , ils se irrigations.
sont construit séparément des habita- Toutefois au moyen de cette lutte d
tions en branches de palmiers. C'est là l'industrie contre la nature on parvien
qu'ils viennent, s'établir , en automne à faire.croître l'orge. Le doukhn, es
avec leurs troupeaux ; et comme ce petit pèce de sorgho dont se nourrissent en
canton est sous la dépendance d'Augila général les habitants de l'Afrique , est le
ils sont obligés de payer à cet effet une plante qui se refuse le moins à cette
redevance au gouverneur de ce groupe ingrate culture ; le piment et le pourpie
d'oasis ; mais cette contribution plus que s'y montrent aussi peu rebelles on peu
:
affermée à un bey qui lui paye annuel- ne peut obtenir qu'à force de soins
lement la somme de dix mille piastres Enfin, les seigneurs les plus riches du
d'Espagne. Le prélèvement de cette canton ceux qui ont à entretenir ur
,
si l'on en croit leur rapport, ils peuvent l'immense pavillon qui se déroule, sans
fournir environ trois mille hommes taches, au-dessus de leurs têtes.
armés , ce qui porterait la population « Qu'un Européen, dit Pacho, aille as
totale sans distinction d'âge ni de sexe sister aux séances pastorales de ces aca-
à neuf ou dix mille âmes. démies du désert ; l'objet en vaut la peine
Sibilleh, située à trois lieues et au Qu'il aille s'asseoir au-devant de la ca-
nord du village principal, est la seule bane rustique, sur le sable rafraîchi par
source de tout le canton. Ainsi point les brises de la nuit, au milieu des vieil-
de ruisseaux comme à Syouah et à
, lards, des femmes et des enfants, et i
l'oasis de Thèbes on ne voit a Augila que
; verra l'ancien du village, dont la figure
ÉTATS TRIPOLITAINS. 71
|
vénérable s'animera aux rayons de la Ces édifices consistent en grands massifs
lune, indiquera l'assemblée de la voix et de briques crues, au nombre de trois,
du geste les diverses constellations; il contenant chacun un puits au milieu.
l'entendra décrire les cercles et les ellip- Il n'en reste à peu de chose près que
ses des planètes, dénombrer les princi- les fondements mais autant qu'on peut
;
pales étoiles, les nommer par leurs noms en juger par la disposition de l'ensemble,
classiques, quoique altérés par la langue ce devaient être de grandes tours sem-
et les traditions, et désigner par leur blables à celles qu'on rencontre sur le
moyen les routes inaperçues sur les plateau cyrénéen. Il est certain que les
plaines unies du désert, mais tracées villages actuels d'Augila existaient au
dans le firmament : il sera frappé de moins dès le quinzième siècle, d'après le
la patriarcale simplicité de ses paroles et témoignage de Léon l'Africain mais ;
Les seuls édifices antiques dont on une longue suite de siècles dans un
voie à Augila les traces témoignent hypogée sépulcral et enterrés sous les
,
72 L'UNIVERS.
sables, fussent des pierres votives que
DESERT DE BARCAH.
les Augilites auraient élevées à leurs
mânes, et offrissent par conséquent
des témoignages encore existants de la
A deux lieues au delà de Ladjeda-
bah, on entre dans le désert de Bar-
fidélité des récits de l'histoire, et du
cah, dont Pacho trace ce sombre
culte funéraire des anciens habitants
tableau. « Je doute, dit-il, qu'un Eu-
d'Augiles (1). »
ropéen, aventuré pendant la chaude
En terminant l'histoire d'Augila , nous
saison dans ces immenses solitudes,
rappellerons,que le bey actuel de cette
quoique familiarisé avec le sol de la
oasis, Abou-Zeith-Abdallah, est Français
Libye, n'en éprouve pas une impres-
d'origine et natif de Toulon, A l'âge* de
sion pénible. 11 tourne le dos à l'Eu-
douze ans , il servait comme tambour
rope , et l'horizon se déroule à ses yeux
dans l'armée d'expédition en Egypte.
en plaine mobile et sans bornes. Là
Pris dans un combat par un corps de
nulle végétation, quelque grêle et gri-
Bédouins, il fut vendu au pacha de
sâtre qu'elle soit, ne fait hâter le pas du
Tripoli : son heureux physique fit sa
fortune. Il resta longtemps attaché au
chameau et n'interrompt la monotonie
de sa marche; nulle colline, quelque
service du pacha et fut envoyé dans le
,
une ville jadis très-florissante. Si l'on trouve plus de ville belle et importante. On
lit dans MAzyzy que le pays de Barca est tra-
en juge par l'étendue et la beauté des
ruines que l'on aperçoit dans cette par- versé par deux, montagnes, où se trouvent
beaucoup de fermes considérables de sources
,
tie de la plaine qui" sert de limite aux
d'eaux courantes, de champs ensemencés, et
terres fertiles , ce devait être en effet
de beaux monuments élevés par les Romains.
une ville considérable.
Les vivres y sont toujoui's à très-bon mar-
ché , et on en exporte pour l'Egypte du gou-
(i) Pacho, p. 282. Voyez sur le culte dron et beaucoup de brebis. » Il est dit dans
des anciens habitants d'Augila , Pomponius le même ouvrage que le pays présente un
Mêla, lib. I, c. 8 : Augilœ mânes tantum lieu où les navires peuvent jeter l'ancre ; ce
deos putant ; per eos dejerantf eos ut oracula lieu est nommé Adjyé. « Le pays renferme une
consultait: precatique quœvolu/it, ubitumuUs ville où se trouvent une chaire, un marché, et
incubuere ptpro responsis ferunl somnia. plusieurs mahres. Cette ville est située à six
ÉTATS TRIPOLITAÏNSr. 73
Cette région inhospitalière était la de leur faire laguerre, et leur fit quitter
patrie des Psylles et des Nasamons, le littoral. Denys le Périégète dit, en
peuples errants, qui voyaient leurs rares effet, que de son temps on n'y aperce-
moissons souvent englouties par les vait plus que leurs cabanes vides. Toute-
sablesmouvants. Les Psylles eux-mêmes, fois, ils firent encore une tentative pour
voisins des Nasamons périrent de cette
,
reconquérir leur misérable patrie. Mais
façon : ils furent engloutis au milieu Domitien, au rapport d'Eusèbe et de
des sables soulevés par un violent vent Josèphe, leur fit éprouver une nouvelle
du midi. Quant aux Nasamons, ils al- défaite. Les Nasamons se retirèrent alors
laient tous les ans, comme nous l'ap- dans l'intérieur des terres, vers le sud-
prend Hérodote (1) faire leur provision
, ouest et allèrent probablement peupler
,
de dattes à l'oasis d'Augila. « Ils font quelques îlots de terre sur la lisière du
aussi, ajoute-t-il, la chasse aux saute- grand désert.
relles ( àrréXsêouç ) ; il les font dessécher Au delà d'Augila, Hérodote indique
[au soleil et les trempent ensuite dans encore trois stations ou oasis, compo-
pie lait, qu'ils boivent. Us ont la coutume sées également d'un tertre de sel (àXoç
de prendre chacun plusieurs femmes, KoXwvo';), d'eau et de palmiers fertiles
et ils peuvent cohabiter avec toutes les (cpoîvucsç Malheureusement
xapwoçopot).
autres qui sont en commun (2). » Du — les explorations comparatives des moder-
reste, les usages des Nasamons parais- nes nous manquent ici. L'oasis à dix
:sent avoir été appropriés à la nature journées à l'ouest d'Augila était habitée
du sol. Ils n'occupaient point de tours, par les Gamphasantes (Garamantes
comme les Libyens de la région mon- d'Hérodote), peuple timide, allant nu ,
Itueuse ; ils ne se construisaient point et fuyant tout commerce avec les autres
de maisons , comme les Maxyes leurs nations (1). «Ce peuple, dit Hérodote,
[voisins; ils n'avaient point de tentes, est dans l'usage de répandre de la terre
[comme les Scénites des environs d'Am- végétale sur la croûte de sel qui recouvre
mon mais il se construisaient avec des
: le sol, et c'est de cette manière qu'il sème
asphodèles et des joncs entrelacés de et récolte les grains. » L'historien grec
petites cabanes portatives {mapalia) ajoute que c'est dans ce pays que l'on
qu'ils pouvaient placer partout sur ces trouve les bœufs qui paissent à reculons
terrains mouvants (3). On pourrait aussi (ôwtcôovoW Po'eç), à cause delà direction
'attribuer aux mêmes causes le soin qu'ils de leurs cornes saillantes ; et que les Ga-
'prenaient de ne pas laisser expirer leurs ramantes (Gamphasantes) vont à la
parents couchés sur le dos , et de les chasse des Troglodytes éthiopiens , qui
tenir assis, de crainte peut-être que leur vivent de lézards, et ont un langage com-
!
corps ne disparût sous les sables (4). parable au sifflement des chauves-souris
| Comme les Maures de la côte d'Oued- (TSTpt'Yaai xarâirsp al vuxTepî^eç ) (2).
Noun, les Nasamons vivaient surtout du A dix journées du pays des Gamphasan-
pillage des navires jetés sur les côtes tes on trouvait un autre tertre de sel
delaSyrte. Ces déprédations devinrent si de l'eau et la peuplade des Atarantes.
nuisibles au commerce de Cyrène, que les C'est, dit Hérodote, la seule, à no-
Romains, devenus possesseurs de la tre connaissance, dont les individus ne
Pentapole libyque, songèrent aussitôt se distinguent pas entre eux par des noms
là y mettre fin. Auguste ne dédaigna point propres. Celui d'Atarante est commun
àtous, et personne n'en porte d'autre (3).
Géographie d'Aboulféda,
milles de Barca. » (
traduite par M. Reinâud
, tome II, p. 178.) (1) Pomp. Mêla, lib. I, 8 : Nudi sunt Gam-
(1) Hérodote, IV, i 7 3. phasantes, armorumque omnium ignari; nec
'<
(2) Hérodote, IV, 172. vitare sciunt tela , nec jacere ; idcoque obvias
1
(3) Ces cabanes avaient la forme d'une fugiunt, neque aliorum, quamquibus idem ingé-
iîarène de navire. Sallust. Bellum Jugurth. nu est, aut congres sus, aut colloquia patiuntur.
jcap. XVIII: JEdificiaNumidarum agrestium, (2) Hérodote, IV, i83.
\quce mapalia illi 'vocant , oblonga, incurvis (3) Il est à remarquer que Léon l'Africain
lateribus tecta, quasi naçium carinœ sunt, parle d'un peuple du Bornou dont les habi-
(4) Hérodote, IV, 190, tants n'avaient pas de nom propre. « Les lia-
, ,
74 L'UNIVERS.
Ilsmaudissent le soleil, qui passe au-des- pourvu d'animaux et de bois (1). » C'est
sus de Jeur tête (uTrspêaXXwv) (1), et se ré- désigner, on ne saurait plus clairement,
pandent en injures contre cet astre, le désert de Sahara.
parce qu'il brûle et les hommes et le Hérodote, comme on vient de voir,,
pays. Plus loin , et toujours à dix jours avait parfaitement compris les rapports
de marche , on rencontre un autre ter- de ce parallélisme remarquable qui se ,
tre de sel, de l'eau, et des hommes au- déroulant sur un arc immense , séparait
tour. Près de cet endroit est l'Atlas. Ce la Libye riche en animaux, du grand
mont, étroit et de forme circulaire, est désert. Les stations qu'il indique jus-
si élevé qu'il est impossible, à ce qu'on que Augila s'accordent parfaitement
dit, d'en apercevoir les sommets, et que avec les observations des voyageurs mo-
les nuages ne l'abandonnent jamais, ni dernes. Celles situées au delà ont seules
pendant l'été, ni pendant l'hiver; les encore besoin d'être vérifiées La sta- .
indigènes prétendent que c'est une co- tion des Atarantes paraît s'appliquer
lonne du ciel; ceux qui habitent cette à Y oasis de Gadamès, située au pied
montagne, en tirent leur nom ils s'ap- : du grand Atlas. Celle des Atalantes se
pellent Atalantes. On dit qu'ils ne man- rapporte peut-être à une chaîne de l'Atlas
gent rien de ce qui a eu vie, et qu'ils n'ont carthaginois, qui, sans être très-haute
jamais de rêves (2). » l'est cependant assez pour « diviser les
Là s'arrêtent les renseignements orages et rassembler des nuages », et on
d'Hérodote. « Je sais seulement, ajoute- peut dire, sans trop de licence poétique,;
t-il,que cet arc de collines s'étend jus- qu'elle touche au ciel et qu'elle est une
qu'aux colonnes d'Hercule et même au des colonnes qui lui servent d'appui (2).!
delà, enfin quel'on y trouve toujours des Il est probable que dès la plus haute anti-
mines de selde dix jours endix jours (3). » quité les caravanes des Libyens nomades;
En résumé la ceinture de collines
, partant de Thèbes, traversaient la grande
qu'Hérodote nomme le Sourcil ( ôcppuvi ) oasis, la petite oasis, le pays des Am4
s'étend depuis Thèbes en Egypte jus- moniens , l'oasis d'Augila , le pays des
qu'aux colonnes d'Hercule, en passant Garamantes (Gamphasantes), des Ata-
par les oasis d'Ammon d'Augila, le , rantes, des Atalantes, et de là se rendaient
Fezzan, le Beled-el-Djérid et la chaîne à Carthage, comme aujourd'hui ils se-
de l'Atlas. « Au delà de cette ceinture, rendent à Tripoli (3). Des vestiges d'an-
au midi et dans l'intérieur de la Libye ciens édifices viennent à l'appui de cette
est un désert sans eau, sans pluie, dé- opinion. La grande et la petite oasis
contiennent des débris d'anciennes habi-
bitants, dit-il, vont nus en temps d'été, si- tations. Les habitants de Siwah ne cons-
non portent quelques brayes de cuir,
qu'ils truisent leurs maisons qu'avec les
puis l'hiver s'enveloppent dans des peaux de fragments d'anciens monuments. Enfin'
brebis, de quoi ils font encore des lils. Au dans le Fezzan, à Zuilah et à Germah,
reste, ils n'ont aucune cognoissance de quel- on voit des ruines majestueuses qui
que foy que se soit, tant chrétienne, judaïque, témoignent d'une architecture étrangère.
que mahométane mais sans aucune loi, me-
;
nant une voie brutale, ayant femme et en- FLORE DE TRIPOLI ET DES PAYS
fants en commun. Et ( comme il me fut dit ENVIRONNANTS.
par un marchand qui séjourna longtemps en
ce pays^ et qui entendoit bien la langue), La végétation de la côte africaine ne
ils ne s'imposent pas de noms propres selon diffère pas essentiellement de celle des
la coutume des autres peuples , mais selon la côtes d'Asie et d'Europe que baigne la
qualité des personnes, comme ceux de haute mer Méditerranée. En jetant un coup
stature, sont nommées hauts; les petits, petits; d'œil sur la végétation qui caractérise
les louches, louches et ainsi semblablement de
; toute la région méditerranéenne, on com-
tous autres accidents et particularités.
les » prend la nécessité de ne pas subordonner
{Description de l'Afrique, p. 33i.)
Cette expression montre qu'ils
(x)
habi- (i) Hérodote, IV, i85.
taient sous les tropiques. (a) Desfontaines, Flora atlantica, tom. I
(a) Hérodote, IV, i84. préface. *
concerne les États tripolitains. Nous que la Libye ne peut, pour la bonté du
n'avons guère ici à consulter que le sol ,se comparer ni à l'Asie ni à l'Eu-
Spécimen florx Lïbycx, mémoire que rope, à l'exception seulement du Cinyps,
le professeur Viviani a publié sur les contrée dont le nom est le même que
plantes recueillies par Délia Cella (1). celui du fleuve qui le traverse. Elle ne
Poiret {Voyage en Barbarie), et Desfon- le cède à aucun autre pays du monde
taines ( Flora Atlantica ) n'ont décrit pour l'abondance des céréales (Ayi^rpo?
que les espèces végétales des territoires xap7ro'v) et le reste de la Libye n'offre
,
à glands doux). Ce dernier chêne a déjà été côte et que l'on appelle les collines
mentionné par Pline {Hist. Nat., lib. XVI, (pouvouç) lorsque la récolte y est faite ,
;
porte des baies acidulés, bleuâtres à leur ma- pléé, en rapportant que le sol, dans l'es-
turité; l'écorce du tronc et des branches laisse
suinter un suc résineux, jaune, qui se durcit en automne et en hiver. Ils le mâchent pour
à l'air et ressemble au mastic des Orientaux. donner à l'haleine une odeur agréable.
Les Arabes l'appellent hcule, et le recueillent (1) Hérodote, IV, 198 et 199.
,,
76 L'UNIVERS,
pace de cent stades du rivage, est cou- restant de leurs vivres. Ils font annuel-
vert d'arbres , et que dans une étendue lement prêter à leurs sujets serment de
de cent stades plus au sud il ne produit fidélité. Ils soignent comme leurs com-
que des moissons (1). pagnons d'armes ceux qui leur sont sou-
Si l'on compare ces récits avec l'état mis; mais ils condamnent à mort ceux qui
actuel de la Cyrénaïque, on les trouve de ne reconnaissent pas leur domination
la plus grande exactitude. Les forêts qui et les poursuivent comme leurs enne-
couvrent toute la partie septentrionale mis. Leurs armes sont appropriées à leur
des montagnes de Barcah ne s'étendent pays et à leurs habitudes; en effet, lé-
pas au delà de quatre lieues des bords gers de corps et habitant une contrée en
de la mer, ce qui correspond parfaite- général plate , ils vont aux combats avec
ment aux cent stades indiqués. Quant trois lances et quelques pierres dans des
à l'espace assigné à la partie du sol cou- sacs de cuirs. Us ne portent ni épée ni ,
verte de céréales, mais dépourvue d'ar- casque , ni aucune autre arme. Ils ne
bres, il se prolonge aujourd'hui au moins songent qu'à surpasser l'ennemi en légè-
à six cents stades de distance au delà du reté, dans la poursuite ou dans la re-
sommet des montagnes, c'est-à-dire à traite. Aussi sont-ils fort habiles à la
vingt-cinq lieues environ vers le sud. course à lancer des pierres, et fortifient
,
Telle est l'étendue du plateau Cyrénéen. par l'exercice leurs dispositions natu- ,
des terres, à traversée plateau Cyrénéen, celui des sources qu'on voit dans la par-
on marche sur une immense plaine sans tie méridionale du plateau Cyrénéen.
cesse ondulée de vallons peu profonds. C'est sans doute à ces mêmes campe-
Cette plaine, partout susceptible de cul- ments, et non à des villes ou villages
ture, et en grande partie cultivée, est que se rapportent les lieux désignés, dans \
couverte, çà et là, d'arbrisseaux, sans of- les tables de Ptolémée, par les noms de
j
frir des forets. Pendant l'hiver ou la sai- Maranthis, Andan, Aehabis, Echi-
son des pluies elle est toute verdoyante nos, Philaus , Jrimanthos.
et arrosée par de nombreux ruisseaux; Revenons à la Cyrénaïque, et essayons
les Arabes du désert viennent y établir de déterminer l'endroit que devait occu- !
vie sauvage, couchent en plein air, et seulement fertile en blé, mais il produit
n'ont que des instincts de brutes. Ils aussi des vignes, des oliviers et toutes
sont sauvages dans leur manière de vi- sortes de fruits sauvages. Il est arrosé
vre et dans leurs vêtements ils ne s'ha- : par des rivières qui sont d'une grande
billent que de peaux de chèvre. Leurs utilité pour les habitants (3). »
chefs ne possèdent pas de villes, mais ils
ont quelques tours assises au bord de (i) Diodore de Sicile , t. I , p. 228 ( de ma
l'eau dans lesquelles ils conservent le
, traduction ).
Arrien rapporte aussi que cette contrée qu'ils ne sont accessibles d'aucun coté.
était abondamment arrosée couverte de , Il a deux stades d'étendue en tout sens,
alla parte elevata délia Cirenaica , e a quella de nulle valeur aux yeux des Arabes,
ove questi monti deelinano dolcemente verso font encore aujourd'hui l'ornement des
il mare negli orti Esperidi , mette sott' occhio fraîches vallées de Benghazi. « J'en ai
il quadro , che délia sua fertilità ci avevano rencontré fréquemment^dit Pacho, deux
trasmessi gli antichi, ( Viaggio da Tripoli di
espèces à corolle blanche, qui m'ont
Barberia aile frontière occidentali deW
paru s'accorder' par leurs caractères à
Egitto,j>. 119.)
celles connues des botanistes sous les
(2) Délia Cella, p. 77 et 78.
noms de Rosa sylvestris et R. spinosis-
(3) Ce nom vient de ôu&>, je brûle de l'encens.
(4) Délia Cella suppose que le thuyon de
Théophraste est le Juniperus Phœnicea, dont (1) Pline, XXI, 6. Comparez Pacho,
les fruits , à l'état de maturité, sont des baies Voyage dans la Marmarique et la Cyrénaï-
rouges de la grosseur d'un pois ; feuilles ter- que ,^56.p.
nées , imbriquées , obtuses. Le Juniperus (2) Thrige, Hist. Cyren., p. 252, 253.
oxycedrus s'en distingue par ses feuilles (3) Desfontaines (Flora Atlantica) n'a
ternées , écartées , piquantes et par ses baies trouvé que trois espèces de roses , sur la côte
roussâtres, de la grosseur d'une noisette. — de la Barbarie Rosa moschata, R. maialis,
:
sima, n'osant toutefois affirmer que l'Europe. Mais les olives y fournissent
celles-ci, croissant spontanément parmi de l'excellente huile.
les autres plantes, soient les mêmes qui, Les plantes qu'on trouve répandues
transplantées autrefois dans les jardins, aux environs de la grande Syrte sont,
fournissaient l'essence dont je viens de laplupart, de chétive apparence, hérissées
parler (1). » d'épines, et rabougries ; elles sont dessé-
Pline etThéophraste, en parlant de la chées par le soleil, et conviennent par-
Cyrénaïque, font mention de quelques faitement à ces terres sablonneuses. Les
autres plantes, assez célèbres dans l'anti- labiées, les légumineuses, les liliacées,
quité ; telles sont\esphagnos ou bryon et les corymbifères et les ombellifères y
le misy. Ce sont des cryptogames dont la sont en majorité (1).
détermination spécifique est bien dif- Suivant Délia Cella, on rencontre aux
ficile. Le bryon était une mousse odo- environs du cap deMésurata ( Cephalus)
rante, fixée aux arbres. Pacho affirme une plante à racine fibreuse , garnie de
que, malgré le grand nombre de crypto- tubercules qui servent de nourriture aux
games qui couvrent les forêts de la Cy- Bédouins. Ces tubercules ressemblent à
rénaïque, il n'en est aucune dont l'o- ceux du souchet (Cyperus esculentus, L.)
deur offre un caractère remarquable. Les feuilles sont rugueuses, blanchâtres,
Quant au misy , c'était, selon Pline, une découpées l'absence des organes de
;
truffe d'un goût et d'un parfum exquis, fructification n'avait pas permis au sa-
[l'est certain que l'on rencontre encore vant voyageur d'en déterminer le genre
aujourd'hui dans les parties sablon- ni l'espèce (2).
neuses du littoral de la Libye une Al'ouest du cap de Mésurata on
lespèce de truffe de couleur blan- trouve un territoire très-fertile , le Zaf-
che (2). fran. Il y a de belles prairies émailléesde
Au nombre des plantes qui ornaient renoncules (3) , et arrosées de sources
les belles collines maritimes de Cyrène, d'eau douce. Aux environs croissent plu-
et que Scylax a oubliées dans son énu- sieurs espèces d'armoise, dont une (Ar~
mération, il faut ajouter le figuier, le temisia arborescens) est entièrement
cornouiller et le lentisque. Ainsi, dans recouverte d'un duvet blanc , lanugi-
le Rudens de Plaute (act. III, se. 4) il neux (4). Ces plantes, desséchées, sont
[est dit qu'un valet ne se nourrissait à employées comme combustibles.
ICyrène que de figues; et Pline nous ap- Aux environs de Labiar on trouve le
prend que les cornouilles et les fruits du verdoyant Juniperus Phœnicea (le
[lentisque servaient, dans la Cyrénaïque, thuya de Pline). Les oliviers y abon-
là la préparation de certains aliments (3). dent; toute la contrée pourrait s'en-
(routes ces plantes, auxquelles il faut richir si elle faisait le commerce de
[ajouter le caroubier ( Ceratonia sili- l'huile d'olive, par la voie deBenghasi.
\}ua, L.) croissent encore aujourd'hui Les oliviers y croissent en société des
naturellement dans cette région (4).
I
Quant aux pommiers et aux noyers, (1) Délia Cella, Tiaggio, etc., p. 47.
[étrangers au sol africain , ils furent (2) lbid., p. 5o Le foglie sono irsute,
,'nombreuses variétés. Le pistachier lentisque (4) Les autres espèces tfArtemisia citées
\{Pistachia lentiscus) est, d'après Desfontaines, dans la Flora Allanlica (t. II, p. 263), sont :
un des arbres les plus fréquents sur la côte A. odoratissima, A. pontica, A. absinthiumt
ide Barbarie, A. wulgaris, A. dracunculus.
,,
«0 L'UNIVERS.
figuiers, des caroubiers, des pistachiers l'on devait en tirer pour ne pas faire
et des poiriers sauvages. Des bosquets périr la plante.
de Nerium oleander, L., embellissent les Quelle espèce de plante était le sil-
ruines delà Cyrénaïque; les Bédouins phium ?
lui donnent le nom de Safsaf. Suivant Théophraste , sa racine était
Le territoire de Derna est une plaine épaisse charnue, vivace; sa tige de la
, ,
et du lotus, dont le fruit avait fait oublier avait une écorce noire et plus d'une
aux compagnons d'Ulysse le retourdans coudée de longueur; à l'endroit où elle
leur patrie. sortait hors de terre était une grosse tu-
Les anciens attribuaient au silphium bérosité, qui incisée produisait un suc
les propriétés les plus merveilleuses. C'é- laiteux. Ses graines étaient plates ; ses
tait une espèce de panacée propre à feuillestombaient tous les ans dès que' ,
un présent qui n'était point indigne des parties centrales du désert du sud de la
souverains et des dieux. César, au com- Cyrénaïque. On a essayé de concilier:
mencement de la guerre civile , retira ces opinions contradictoires, en adop-,
d'une tige de silphium enfermé dans le tant pour la Cyrénaïque toute l'étendue;
trésor public de Rome la somme de que lui ont donnée quelques savants
quinze cents marcs d'argent. Les Cy- c'est-à-dire en y comprenant la région^
rénéens consacrèrent cette plante à leurs ammonienne. Partant ensuite de ce;
souverains les plus vertueux. Ainsi, sur principe, ils ont cru approcher de la
plusieurs médailles de Cyrène, on voit vérité en supposant que le silphium 1
d'un côté la tête du roi Battus ou de croissait dans toute cette vaste contrée
Jupiter Ammon, et de l'autre la fi- et que par cette raison on l'avait placé
gure du silphium. Le suc de cette plante indifféremment au nord et au sud de ;
s'obtenait par l'incision de la tige et là ils ont justifié l'épithète de Cyrénaï-
de la racine ; le premier s'appelait thy- que silphifère, de Libye silphifère,
sias et le second caulias. Quelques que l'on trouve fréquemment chez les
auteurs ont donné à l'un et à l'autre écrivains de l'antiquité. Malheureuse-
indistinctement le nom de larmes de la ment cette explication ne peut point se
Cyrénaïque. concilier avec la nature du sol, qui n'est
Le suc de la racine était préféré à ce- pas le même dans la Libye septentrionale
lui de la tige parce qu'il se conservait
, et méridionale.
plus longtemps. Pour empêcher qu'il ne
se corrompît, on y mêlait de la farine.
(i) Théophrast., Hist. Plant., VI, 3.
Une loi fixait le temps et la manière de
faire l'incision et la quantité de suc
(a) Pline, XIX , 3.
que (3)Hérodote, IV, 169; Scylax, édit. Gronov.
p. 108.
(i) Pline, Hist. Nat., XII , 2 3.
(4) OdeàLesbie, V, 4,
ÉTATS TRIP0LITA1NS. 8t
huit ou dix lieues du rivage , une grande une grande rareté (1). Strabon attribue
ombellifère nommée parles Arabes de- la cause de la rareté du silphium, de
rias, et dont voici les caractères : ra- son temps à une invasion de barbares
,
(2) Viaggio da Tripoli di Rarberia, etc. ; (1) Pline, Hist. Nat., XVIII, 3.
"Napoli , 1 83o, in-180 , p. io3. (2)11 importe de ne pas confondre le sil-
(3) Plaut., Rudens, act. III, se. 2, vers i5 phium des anciens avec le silphium, L., des
; et 16. botanistes modernes : ce dernier appartient
plante que les Arabes nomment Cefie ou culièrement dans la petite Syrte et dans
Zarra. C'est, selon lui, le silphium des l'île de Djerbi. Desfontaines l'observa
anciens. « Cette plante, dit-il, fait un dans les mêmes contrées, et en donne la
petit buisson; les feuillesen sont épaisses description suivante : C'est un arbrisseau
et veloutées, couleur de sang; elle est très-rameux, d'environ trois ou quatre
toujours verte, et fleurit en toute saison. pieds de haut, qui, lorsqu'il a perdu ses
La fleur en est jaune, *et jette plusieurs feuilles ne présente plus qu'un buisson
,
bouquets les uns dans les autres en composé de rameaux blancs, nombreux,
forme d'artichaut (2). » fléchis en zig zag , très-épineux , d'un
Mais cette description ne s'applique aspect tout à fait sauvage. Ses feuilles
à aucune des ombellifères qu'on puisse sont dures, petites, ovales, obtuses, lé-
rapporter au silphium. gèrement dentées , à trois nervures ; les
pétioles très-courts; les fleurs petites,
Les mangeurs de Lotos, ou lotopha- d'un blanc pâle, ramassées par paquets,
ges , dont parle Homère vivaient dans axillaires le long des rameaux. Les
'•
les cavernes formées par les rochers fruits sont globuleux , roussâtres à leur
'
qui entourent la petite Syrte (3). La maturité, offrant, sous une chair pul-
nature du fruit qui fit oublier aux com- peuse d'une saveur agréable un noyau ,
pagnons d'Ulysse le retour à Ithaque globuleux, à deux loges. Ses fleurs pa-
a été l'objet de nombreuses recherches. raissent au mois de mai; ses fruits sont j
Le nom de Lotus a été appliqué à mûrs dans les mois d'août ou de sep-
plusieurs plantes différentes. Le Lotiis tembre.
consacré aux anciennes divinités de l'E- Cette description s'accorde assez bien !
avaient également reçu le nom de Lotos. grosseur d'une baie de lentisque ( p-é^s-
D'après l'opinion le plus accréditée, le ôoç oaov ttiç ay^aou), et d'une saveur ana-
Ziziphus lotus, Encycl (Rhamnus lotus,
. logue à celle des dattes. Les Lotopha-
Linn.), est l'arbrisseau dont les fruits ges préparent du vin avec ce fruit (1). »
(jujubes) étaient mangés par les Lo- Polybe donne aussi des renseigne-
ments sur la manière dont on préparait
le Lotos. « Lorsque le fruit est mûr,
à la famille des composées , et ressemble au
séneçon. dit-il , les Lotophages le cueillent , l'é-
(i)Pline,XIX,3. crasent et le renferment dans des vases;
(2) Paul Lucas, Voyages, etc., t. II, p. 112.
(3) Hom., Odyss., IX. (1) Hérodote, IV, 177.
ÉTATS TRIPOLITAÎNS.
ils ne font aucun choix des fruits qu'ils ces contrées qu'autrefois, et qu'il a été
destinent à la nourriture des esclaves; en grande partie remplacé par le pal-
mais ils choisissent ceux qui sont de mier. On distingue principalement deux
meilleure qualité pour les hommes li- espèces très-différentes de palmiers : le
bres. On les mange ainsi préparés ; leur lataniernain (Chamserops humilis, L. )
saveur approche de celle des figues ou et le dattier proprement dit (Phœnix
des dattes. On en fait aussi une sorte de dactylifera, L. ). A ces deux espèces on
vin en les mêlant avec de l'eau. Cette pourra ajouter une troisième, le Cuci-
liqueur est très-bonne, mais elle ne se fera Thebaica, Delil. Le premier est par-
conserve pas au delà de dix jours. » tout commun surtoute la côte de la Bar-
Desfontaines remarque à cette oc- que dans la Sicile, dans l'Italie
barie, ainsi
casion que les habitants des bords de et l'Espagne méridionale. Son fruit est
la petite Syrte et du voisinage du désert inférieur aux dattes. C'est une baie
recueillent encore aujourd'hui les fruits presque ronde ; la pulpe qui environne
du Ziziphus : « Us les vendent
lotus le noyau estlégèrement succulente, miel-
dit-il marchés, les mangent
, dans les leuse, un peu sèche, mêlée à beaucoup
comme autrefois et en nourrissent , de filaments. Ce palmier a une tige ex-
même leurs troupeaux; ils en font aussi trêmement courte ; il fleurit au printemps
une boisson en les broyant et les mê-
, et porte des fruits en automne et dans
lant avec de l'eau. Enfin , la tradition l'hiver.
que ces fruits servaient anciennement Quant au dattier, il se cultive par-
de nourriture aux hommes s'est con- ticulièrement dans l'intérieur des terres,
servée parmi ces peuples c'est encore : vers le désert; cependant on en rencontre
ce même Lotos dont parle Homère et , aussi de belles plantations sur les côtes,
qui avait un goût si délicieux qu'il fai- et surtout dans la vaste plaine qui s'é-
sait perdre aux étrangers le souvenir tend de Tripoli au cap Tagiura. Cet
de leur patrie (1), » arbre majestueux, à tronc nu, non
Les fruits du Lotos étaient sans doute ramifié, couronné d'une touffe verte,
une ressource précieuse pour des peu- imprime au paysage un caractère par-
ples qui habitaient un pays peu cultivé ; ticulier. Ses fruits sont la principale
mais il ne peut appartenir qu'à l'imagi- ressource des habitants. Ils sont infé-
nation des poètes d'attribuer à ces rieurs aux dattes de Tunis , qui à leur
fruits , très-inférieurs à beaucoup d'au- tour le cèdent à celles du Fezzan. Ces
tres , tels qu'aux dattes une saveur si
, dernières sont les plus estimées, et on
agréable que les étrangers ne voulaient les voit très-rarement sur les marchés
plus quitter une terre aussi fortunée. d'Europe. Une seule grappe de dattes
Pour terminer cette discussion j'a- , peut à peine tenir dans la peau d'un
jouterai que le fruit du caroubier (Cera- mouton , dont on se sert ordinaire-
tonia siliqua), si commun dans cette ment pour les tenir fraîches et les con-
contrée, pourrait bien avoir été le véri- server. Les jeunes pousses du sommet
table Lotus des Lotophages, quoi qu'en fournissent tous les ans , à l'époque de
disent Polybe et ses commentateurs. leur taille, une liqueur agréable, fer-
Délia Cella s'appuie sur un passage mentescible, que les indigènes appellent
d'Hérodote (IV, 176 et 177), confir- laghibi. Au bout de quelque temps,
mé par Strabon ( III, 65, 6 ), pour sou- par suite de la fermentation qu'elle
tenir que les Lotophages n'habitaient éprouve, cette liqueur devient une espèce
pas le pays de la petite Syrte , mais la de vin fort et enivrant. Us en boivent
Cyrénaïque, à l'est de Giniphium (2).
11 est probable que le Ziziphus lotus
che sono a mezzodi di quel Capo. La due
est aujourd'hui moins abondant dans
circostanze, aggiunte da Omero d'aver salito
questo littorale, per far acqua, sono due
(i) Desf., Acad. Par., 1788. tratti di più, presi dal vero in quesla parte
(2) La nave di Ulisse , sorpresa , a vêle spie- marittima délia Cirenaïca. Tanta concordanza
gate , dal vento di tramontana al capo Malea avrebbe dovuto fissare prima d'ora questo
non dovea punto essere spinta aile Sirte mi- punto di geografia Omerica. Viaggio da Tri-
nore , ma bensi a Lotofagi délia Girenaica, poli, etc., p. ia3.
6.
, ,
84 L'UNIVERS.
souvent immodérément, malgré la dé- FEZZAN.
fense du Roran. L'usage de ce vin est
très-ancien : car Hérodote rapporte que On donne le nom de Fezzan ou Fassan
Cambyse envoya aux Éthiopiens, par à une vaste oasis comprise entre le
l'intermédiaire des Ichthyophages, quel- 25° et 30° latitude boréale , entourée au
ques mesures de vin de palmier (1). nord par une ceinture de sable , à l'est
Les dattiers dont on a coupé les par le grand désert libyque, et à l'ouest
pousses pour en extraire le suc fer- et au sud par le désert de Sahara. Ren-
mentescible ne portent des fruits qu'au nell reconnaît dans le Fezzan le pays des
bout de trois ans, et ces fruits sont Garamantes d'Hérodote {Gamphasan-
alors d'une qualité supérieure. L'A- tes dePomponius Mêla). Les Romains
frique boréale est la patrie du pal- l'appelaient Phazania, les Arabes du
mier porte-dattes, Phœnixdactylifera, moyen âge Zuila; Marmol le nomme
L. (2). Ce n'est qu'à quelque distance Fizen. Léon l'Africain l'appelle Fezzen,
du littoral qu'on trouve ie palmier et en fait la description suivante :
doum {Cucifera Thebaica, Del. ). « Fezzen est une contrée bien ample
en laquelle sont situés de gros châteaux
et villages, tous habités par un peuple
(i) Hérod., III, 20.
fort opulent, tant en possessions comme
(2) Chaque continent a pour ainsi dire
ses palmiers. L'Amérique compte plus d'es-
en deniers pour ce qu'ils sont aux con-
,
res du Cocos nucifera renferment un li- satisfait aux Arabes de quelque somme
quide qui sert de boisson rafraîchissante ; à de deniers , de quoi on leur est redeva-
leur maturité, elles donnent une matière pul-
ble. Il n'y a en ce pays autre chair que
peuse , saine , qu'on mange. Les baies vertes
de chameau , qui est en grande requête
de YArenga saccharifera sont confites avec
et fort chère (1). »
du sucre. On exprime des graines de YElœis
guineensis el d'autres espèces une huile grasse,
C'est par le Fezzan
que passe la grande
qui se distingue des autres huiles par la pré- voie de communication du nord-est de
sence de l'acide palmique. Le suc du Co- l'Afrique avec le Soudan , et particuliè-
rjpha umbraculifera , L., et Talierna sylves-
rement avec Tombouctou. On devine
tris,palmiers de l'Asie, est émétique, et sert donc facilement l'importance commer-
en médecine. Les noix de cocos, de grosseur ciale que ce pays pourra un jour acquérir.
monstrueuse, vendues autrefois très-cher, et État physique , climat, constitution
que les eaux apportent souvent du rivage de géologique. —
Le Fezzan présente d'a- ,
l'Inde jusqu'aux îles Seychelles et plus loin près Hornemann, une forme arrondie. La
appartient au Lodoicea Sechellarum. Le plupart des géographes lui donnent une
Hyphœne coriacea, Pers. {Cucifera Thebaica, étendue de trois cents milles du nord au
Delisl., doum des Arabes), remarquable par
sud, et de deux cents milles de l'est à
sa division dichotome, fournit le Bdellium
l'ouest.Il est comme une île entourée de
d'Egypte , substance gommo-résineuse , jadis
chaînes de montagnes sauvages et impé-
employée comme diaphorétique et diurétique.
nétrables , qui ne sont interrompues qu'à
Le Calamus draco, Will. (Dracœna draco),
donne le sang-dragon , remarquable par son l'ouest, où l'oasis paraît confiner im-
principe colorant et la matière astringente qu'il médiatement au désert. Le Fezzan est
renferme. Des troncs du Ceroxylum andicola, une vaste plaine basse, couverte partout
Humb., et du Corypha cerifera découle une d'un sable léger, qui autrefois, dit-on,
cire particulière ( Cera de Paima, Carnauba
Brasil). de l'Afrique, p. 3 16,
(1) Description
ETATS TRIPOLITAINS. 85
encombrait un torrent profond et rapide ques couches de gypse , de sel gemme
près de Tessowa , à l'est. A l'ouest du , et de marne, qui, en s'adossant de deux
côté de Sahara, le sol est aride et côtés , au nord et au sud aux basaltes ,
désert. Au sud , il est généralement sec des monts Soudah, constituent toute la
et couvert d'un sel alcalin fixe (sesqui- variété géologique de ces plaines afri-
carbonate du soude), auquel les indi- caines. La base du grès rouge se com-
gènes donnent le nom de trôna. On y pose de couche de calcaire coquillier.
trouve des puits nombreux , et quelques Le capitaine Lyon ne rencontra que trois
sources vives qui ne tarissent jamais. Il sources dans tout le vaste espace qu'il
ne pleut jamais ou très-rarement dans parcourut (1); mais en beaucoup d'en-
ie Fezzan, et Pgn ne rencontre dans droits il trouva de l'eau dans des ter-
tout le pays aucune rivière qu'un Eu- rains argilo-salins à une profondeur de
ropéen pourrait appeler considérable. trois à sept mètres. « Le Fezzan , dit le
Le chérif Imhammed vante cependant capitaine Lyon, ne se distingue nulle-
le petit fleuve qui coule à Mourzouk ment du désert sous le rapport du sol :
ainsi que le territoire bien arrosé des dans le sens propre, il fait même partie
environs, où l'on trouve toujours des du Saharah. Près de Mourzouk, le terrain
puits de trois à quatre mètres de pro- est argileux et blanc, et, quoique mélangé
fondeur. Il y en a, dit-il , plusieurs dans de sable, il offre ici une certaine fertilité;
chaque jardin, qui servent à l'irrigation mais l'irrigation est tellement pénible
et produisent une végétation abondante. que dans tout le royaume on ne trouve
Le nombre des lieux habités est , selon pas un jardin qui ait plus d'un acre d'é-
lui, de cent; Hornemann dit qu'on y tendue et pas un gazon de la longueur
,
compte cent une villes et villages. d'une table. En aucun endroit, depuis
Le climat a un effet funeste sur les les montagnes au sud de Tripoli jusqu'à
étrangers non habitués aux différences Mourzouk et Tegerry l'herbe ne croît ,
considérables qui existent entre la tem- spontanément excepté entre les fissures
,
pérature du jour et celle de la nuit. des roches et sur les bords de quelques
,
cause des ophthalmies et des affections Ritchie, voyagea, au mois de mars 1819, de
pulmonaires très-graves. Tripoli à Mourzouk ; il se proposait de péné-
trer de là dans le Soudan. Mais les fièvres
Suivant le capitaine Lyon (1) , un sable
dont ils furent tous deux atteints pendant
jaune rougeâtre (silice ferrugineuse)
leur séjour à Mourzouk, et la mort préma-
couvre la plus grande partie du pays.
turée de Ritchie , décidèrent le capitaine
Au sud des montagnes de Soudan,
Lyon à renoncer à ses projets de découverte
depuis le 29° jusqu'au 24° latitude nord,
dans l'intérieur de l'Afrique. Cependant il
on ne trouve d'autres roches qu'un grès
fit de nombreuses excursions dans le Fezzan ;
rouge de formation tertiaire, avec quel- et la relation de ses voyages a jeté un grand
jour sur la géographie de ce pays. C'est
(i) Captain G. F. Lyon , Narrative of the principalement dans la direction du nord
Travelsin northern Africa, in the years 1818, au sud qu'il l'a exploré. L'étendue du Fez-
19 et 20, etc. ;London, in-4 , 1821. Traduc- zan , de l'est à l'ouest , lui est moins connue
tion française; Paris, in-8°, 1822. (Gide ). qu'à Hornemann.
,
86 L'UNIVERS.
taire, ses biens appartiennentau plus dix mètres de hauteur; c'est, suivant
proche parent meurt sans hé-
: s'il Ritchie, le Lotus des anciens (Ziziphus
ritiers ou s'il est condamné à mort, lotus , Linn.)
ses propriétés sont saisies au profit Voici à quoi se borne la liste des vé-
du sultan. Tout Fezzanien peut ache- gétaux cultivés du Fezzan , tels qu'ils
ter et vendre aucune réserve ni
: sont indiqués dans le voyage du capi-
substitution ne l'empêche de disposer taine Lyon :
des biens qu'il a reçus de ses ancêtres.
Gafouli masr, sorgho.
Les jardins se cultivent avec une espèce
Gafouli abiad, petit millet.
de bêche : on les divise en carrés d'en-
Goussouh , petit grain brun , rond ; le
viron un mètre. Us sont traversés par dourrha d'Egypte.
de petits canaux d'irrigation. On em- Goussoub tamzavi et Goummah albavi,
ploie beaucoup de fumier le sol sa- : deux autres espèces du même grain.
blonneux des anciens jardins ressemble Goummah, froment.
beaucoup à la terre végétale. Les tra- Chair, orge.
vaux pénibles qu'exige la culture de ces Taridi, autre espèce d'orge, de couleur
rouge.
jardins obligent les propriétaires de
Bichena, petit grain ressemblant au millet.
demeurer sur les lieux , s'ils veulent en Loubia petite fève.
,
tirer quelque profit. Gilgillan, petit pois.
« La plupart des plantes, ajoute Latila , petite vesce noire.
Lyon ,
que dans le midi de
l'on cultive Kervia, car vi.
l'Europe, réussiraient certainement dans (On mange aussi la graine de coloquinte et
]
convenables. Il serait facile d'y intro- Navet, de forme allongée, petit et rare.
duire l'usage de la bêche, du râteau, Carotte, petite et rare.
de la houe , de la charrue et du van. Radis bon et piquant.
,
Les Fezzaniens ne sauraient d'abord Melochia et Birti Gallis, plantes que l'on
'
mange en salade.
comment s'en servir, mais ils l'appren-
Bamia, petite gousse qu'on mange dans la
draient bientôt , et en feraient grand soupe.
cas(l). » Sénevé , cresson bon mais rare. ; ,
(Lyon.)
Dans la classe des dicotyledonees
le Gymnocarpus decandra ( famille
des
Nous avons fort peu de renseigne-
caryophyllées) futconstamment observé
ments sur du Fezzan. Nous ne
la flore
par le docteur Oudney dans les déserts
connaissons guère les végétaux de ce
pierreux, sur la route de Tripoli au
pays que par le petit nombre d'échan-
Fezzan; de même que le Cornulaca mo-
tillons recueillis parRitchieet d'Oudney
nacantha de Delile (famille des chéno-
et déterminés par Rob. Brown (1). Ces
podiacées) paraît être très-commun
herbiers renferment à peine cinquante
c'est-à-dire non dé- depuis Tripoli jusqu'au Bornou, et
espèces nouvelles ,
ceterach. L'herbier d'Oudney renferme sud ; elle est également indigène dans
quarante-cinq espèces de graminées, l'Amérique du Nord. La distribution
géographique du genre Samolus est très-
dont trente appartiennent aux poacées
et quinze aux panicées. Dans les remarquable à l'exception du S. ebrac-
:
est un arbre dont les habitants du Fezzan gal.R. Bro^vn considère 17/espem?wfe?fcs
méridional et du Bornou font le plus de Viviani comme appartenant à un
grand cas; ils l'appellent doura. Suivant genre nouveau auquel il a donné le nom
,
un peu moins gros, est un animal aussi Antilope, rare près de Mourzouk.
Chat sauvage, dans les rochers.
léger que timide, et qui se laisse diffici-
Porc-épic, dans les vallées voisines de
lement atteindre. Ces animaux mettent Beredjan.
bas en avril ou en mai. Les oiseaux — Hérisson; dans les environs des puits. Les
n'abondent pas dans le Fezzan, à l'excep- Arabes en mangent la chair.
celle d'un blaireau; il vit dans les palmiers, fortes mandibules. Les lacs d'eau salée
et est facile à apprivoiser. sont peuplés de myriades de petits vers
Souris , de deux espèces, l'une jaune , l'au- gélatineux , que les habitants prennenl
tre brune , comme les rats. au printemps, pour les dessécher et les
Gerbo; ne se trouve que dans le désert.
Lapins sauvages; on en voit à Mourzouk
manger (2).
quelques volées ; mais je ne puis dire d'où ils (2)Ces vers comestibles sont particulière^;
viennent , c'est probablement de quelques ment péchés dans les eaux des étangs du Oua?
lacs du désert. dey Chiati. Ils sont de la grosseur d'un grain d<
Foulque. « On en trouve dans les rues de riz. On les pile dans un mortier avec un peu dei
Mourzouk pendant le séjour que nous y fîmes, sel, et on les réduit en une pâte dont on fait des
et on nous l'apporta. C'était la première qu'on boulettes qu'on laisse ensuite sécher au soleil;
y voyait. » Ces vers, qu'on nomme doud , ressemblent
Moineaux, très-nombreux. Le mâle est de pour le goût, à de mauvais caviar, et l'odeu$
couleur d'ardoise, avec des taches noires; la
en est très-désagréable.
femelle comme en Europe.
Hirondelle, couleur d'ardoise. (3) Il est à remarquer que le soufre es*
très-commun, et se rencontre le plus souvem
Hibou; de petites espèces ayant une touffe
de plumes sur la tête. à la surface même du sol depuis le littoral de
Roitelet; ailes noires, poitrine jaune. la grande Syrte jusqu'au delà du Fezzan. Se :
Bergeronnette , ressemblant à un serin rait-ce là un indice de grands bouleverse-
mucelet. ments d'origine volcanique? On sait que le
Oiseau, ressemblant à une grive , mais à soufre est en général très-répandu dans les
queue plus longue. terrains ( solfatarres ) qui avoisinent les vol-
Perdrix, au nord de Sockna. cans. Nous rappellerons à cette occasion que
Pigeon sauvage et privé. Le premier est M. Subtil, qui a séjourné longtemps dans les;
un oiseau de passage, qui part en août, et s'en États de Tripoli , a signalé l'existence de sou-
va du côté du Bornou et duTibbou. frières très-abondantes à Bréga, JLinouf et
Poules, en très-petit nombre. Quelques Moukta, au fond de la grande Syrte. « Les
oies à Zouela.
terrains de soufre, dit cet habile ingénie
Cette liste , quoique bien incomplète occupent une étendue de huit myriamètres du
nord au sud, depuis Linouf jusqu'à Bréga,!
et défectueuse, nous fait cependant
et de vingt-cinq à trente kilomètres de l'est à
comprendre tout l'intérêt qu'on retire-
l'ouest depuis les bords de la mer jusqu'aux
rait d'une exploration scientifique du
montagnes, dont la chaîne se perd dans le
Fezzan. Fezzan. On y trouve des lacs sulfureux et des
Les oiseaux aquatiques, comme les ca- monticules de soufre dont les sommets, dé-
nards, les oies, etc., sont presque incon- nudés par les eaux du ciel laissent le minerai
,
92 L'UNIVERS.
pour le Soudan, ceux de Gadamès et de gain céleste , conduisent chaque ann<
Mésurate pour le nord. Le Soudan en- des milliers d'hommes au tombeau
voie des esclaves on y fait pour ainsi
: prophète. La caravane des pèlerins, qi
dire la chasse aux hommes, et on ex- passe par le Fezzan, est connue pour la
pédie annuellement mille à quinze mieux organisée, et la plus sûre. Partout
cents de ces malheureux. Cette contrée elle apporte la joie, les fêtes et les ri-
fournit, en outre, la poudre d'or, les chesses ; elle fait naître et cultive dans ,
plumes d'autruche, l'ivoire, le séné et ceux qui la suivent, les devoirs de l'is-
les noix de gourou. On pourrait y ajouter lamisme, les vertus de l'hospitalité, de
encore l'airain, les peaux de chèvres, les la bravoure et de l'abnégation.
étoffes de coton bleu de Cashna et le
trôna de Mandrah , que les indigènes
Revenus et forces militaires.
échangent contre les articles de luxe de Les revenus du caïd ou sultan qui ne ,
TOrient, des armes en fer et autres mar- reconnaît que l'autorité du pacha de Tri-
chandises de l'Occident. poli, consistent dans l'impôt qu'il prélève
Pendant toute l'année il se tient, dans sur les esclaves, les dattes ou toute espèce
toutes les villes et villages du Fezzan , de marchandise. Chaque esclave en en- ,
des marchés à jours fixes. Cet usage trant dans le pays, paye deux dollars d'Es-
est également répandu dans toute l'A- pagne, et souvent les marchands de l'in-
frique septentrionale, dans le Darfour, térieur en transportent jusqu'à quatre'
dans le Habech, et dans le Soudan. mille par an aux marchés du Fezzan;
C'est avec la saison tempérée, qui dure un chameau chargé d'huile ou de beurre;
depuis le mois d'octobre jusqu'au mois paye sept dollars ; une charge d'étoffes;
de février, que commence à Mour- coûte trois dollars , une charge de dat-'
zouk la grande foire, où se donnent tes, un dollar, etc. Les dattiers payent
rendez-vous les grandes caravanes du un dollar par deux cents pieds, les trou-
Caire de Ben-Ghazi
, ,de Tripoli , de peaux le cinquième du nombre. La vente
Gadamès, de Touat et du Bornou. Dans de chaque esclave vaut en outre un dollar!
cinquante-sept journées les petites cara- et demi au sultan. Ses propres planta-!
vanes des Berbères, des Rehadeh, des tions de palmiers lui rapportent annuel-
Touaricks, des Tibbous, qui font le com- lement six mille charges de dattes dont ,
merce de blé, d'huile, de beurre, etc., chacune, pesant quatre cent livres, a pour'i
s'y rendent aussi; mais elles n'y séjour- le moins une valeur de dix-huit mille
nent que peu de temps. Al'approche dollars. Les jardins payent le dixième de
du printemps toute cette foule com- leur produit; chaque ville paye, en ou-
merçante se met en mouvement; car tre un petit tribut , et le quart des es-f
,
On assure qu'aucun endroit de la terre les regarde pas comme assez belliqueux
n'est plus rempli de courtisanes que le pour se fier à eux. Mais ils payent cher
Fezzan, ce grand port où viennent cette exemption, par l'obligation de
aborder tous les voyageurs de l'océan nourrir et d'entretenir ceux qui portent
de sable. lesarmes. Jamais le sultan n'aurait oc-
Le gain terrestre , réuni à l'espoir du casion de faire la guerre; mais l'état des
ÉTATS TRIPOLITAÏNS, 93
peuplades nègres du sud, qui sont sans cadi, résident à Mourzouk, et la dont
défense, offre à sa cupidité des tenta- dignité est héréditaire depuis plus de
tions trop fortes pour qu'il puisse y ré- cent cinquante ans, interprète les lois
sister. Il envoie donc tous les ans' une d'après le Koran ; il est tout à fait indé-
force armée pour piller leurs possessions pendant du sultan.
et réduire les habitants en esclavage.
Topographie.
Histoire du Fezzan. Le Fezzan a été parcouru de l'est à
Nous ne savons que fort peu de chose l'ouest par le voyageur allemand Horne-
sur événements qui se rattachent à
les mann ; il l'a été du nord au sud par les
l'histoiredu Fezzan. Hérodote connais- anglais Lyon et Ritchie, et plus tard
sait, comme nous avons vu plus haut, parClapperton, Oudney etDenham. Ces
le Fezzan sous le nom de pays des Ga- voyageurs ont suivi les deux grandes
ramantes, dont le souvenir semble se re-. routes que prennent de temps immé-
trouver dans le nom de la ville deGher- morial les caravanes qui se rendent dans
ma. Les Romains l'appelaient Phaza- le Soudan ; elles aboutissent à Mourzouk,
nia. Au commencement du premier siè- capitale du Fezzan La première part du
cle de l'ère chrétienne ils y dirigèrent
, Caire, et passe parles oasis de Syouah et
une expédition , sous les ordres de Cor- d'Augila; la dernière part de Tripoli.
nélius Balbus, et soumirent les habi-
tants. Dans cette expédition, on trouve Mekni en grande faveur on le re-
était alors :
mentionnées des villes Alalê et Cillala, gardait comme un personnage de grande im-
qui tombèrent également sous le pouvoir portance; et après la mort de son père il
des Romains. Dans le septième siècle, devint bey el noba, ou percepteur du tribut
les Arabes devinrent les maîtres du pays, que paye au pacha le sultan du Fezzan , et il
et s'y maintinrent longtemps. Édrisi et faisait tous ans un voyage dans ce pays.
les
Ebn Haukal nomment Zuila (l'ancienne Quoique ce tribut fût peu considérable, on
Cillala) comme la du pays. Au
capitale n'en regardait pas moins la place de bey el
quatorzième siècle le Fezzan apparte- noba comme très-importante. Mekni était
nait aux chérifs du Maroc. Plus tard, ce revêtu de celte dignité quand Horneman l'ac-
pays tomba entre les mains d'une dynas- compagna dans le Fezzan. Les fréquents voya-
ges de Mekni lui fournirent l'occasion de se
tie de noirs qui se comptait, suivant Lu-
convaincre que le tribut payé par le sultan
cas , au nombre des chérifs du Tafileit.
n'était qu'une très-faible partie de ses revenus.
En 1811 un usurpateur, nommé Moha- Il résolut de s'approprier ce royaume, et
med-el-Mekni , parvint à se défaire de trouva bientôt le moyen de déterminer le
tous les membres de cette ancienne fa- pacha à lui permettre de se défaire de la fa-
mille, et se fit nommer sultan, après mille régnante, en lui persuadant qu'il n'agi-
s'être assuré , par la promesse d'un tri- rait que dans ses intérêts. Ce fut en 181
ple tribut annuel, la protection du pacha qu'il réussit à surprendre Mourzouk avec un
de Tripoli. Son gouvernement est tout à corps de troupes , tiré des montagnes de Gha-
fait despotique , et il ne se maintient au rian. Il fit étrangler le sultan et son frère,
pouvoir que par la crainte qu'ont les ha- son principal mamelouck et ses deux fils
bitants d'une invasion tripolitaine(l). Un aînés ; et, prétextant ensuite qu'après des ac-
tes pareils de cruauté et d'injustice, il serait
(i) Voicidans quels termes Lyon (Voyage , imprudent de quitter Mourzouk il eut l'a-,
etc., p. 6-8) raconte l'histoire de ce chef. « Ma- dresse de déterminer le pacha à le nommer
homed-el-Mekni, qu'on nomme à Tripoli son vice-roi , et il lui promit de porter le
bey du Fezzan, mais qui prend le litre de sul- tribut annuel à i5,ooo piastres au lieu de
tan en entrant sur son territoire, est un homme 5,ooo. S'élant ainsi emparé de l'autorité sou-
d'environ cinquante ans (en 1819), ayant veraine , il fit la guerre à tous ses voisins hors
l'air martial, et doué d'une grande force de d'état de se défendre , et emmena de chez eux
corps : il est dévoré d'une ambition excessive tous les ans quatre à cinq mille esclaves. C'é-
et d'une avarice insatiable. C'était un des tait au retour d'une semblable expédition,
amis et des plus fermes soutiens du pacha faite dans le Kanem qu'il s'était rendu à
,
actuel pendant le règne de son père , et il lui Tripoli avec un nombre considérable d'es-
fut d'un grand secours pour apaiser les trou- claves et de chameaux, et il avait été en con-
bles qui s'élevaient lorsqu'il usurpa le trône. séquence parfaitement accueilli par le pacha. »
94 L'UNIVERS.
C'est autour de ces deux grandes artères tous côtés de plantations de dattiers qui
que se groupent toutes nos connaissances fournissent aux habitants leur principale
topographiques du Fezzan. nourriture.
Mourzouk, capitale du Fezzan, est Il y a dans la ville plusieurs étangs
située à environ 26° lat. nord et 12° lon- d'eau salée stagnante, que Lyon regarde
gitude orientale de Paris. C'est une ville avec raison comme la source des fièvres
garnie de murs, et qui compte environ qui y régnent tous les étés. Le cime-
vingt-cinq mille habitants sédentaires, tière est situé hors de la ville; son
outre les nombreux étrangers qui s'y étendue est considérable. Au lieu de
rassemblent annuellement. Les remparts couvrir les tombeaux d'une pierre sé-
ont environ cinq mètres de hauteur, pulcrale, on les entoure d'un petit pa-
deux mètres d'épaisseur et sept portes; rapet fait en terre , et on les orne de
ils sont bâtis en terre, comme toutes les morceaux d'étoffe attachés à des bâtons
maisons, et ces constructions sont ici enfoncés dans le sol, de pots carrés , et
très-durables, par la raison qu'il ne pleut quelquefois d'œufs d'autruche. Il y a
presque jamais dans le Fezzan. Les mai- un cimetière séparé pour les esclaves;
sons n'ont en général qu'un étage; dans on les enterre si près de la surface,
la plupart le jour n'entre que par la porte, qu'il arrive souvent que le vent, empor-
qui est si basse qu'il faut se plier en tant le sable qui les couvre, laisse leurs
deux pour y passer; mais lesgrandes mai- os exposés à la vue. A cause de la rareté
sons ont des portes beaucoup plus éle- du bois, on ne se sert pas de cercueils ;
vées; la manière dont on les construit les corps sont enveloppés dans une natte
est assez ingénieuse. On prend d'é- ou dans une pièce d'étoffe; on les descend
paisses planches de palmier de quatre à dans la fosse on les couvre de bran-
,
Le château , qui a près de trente mè- talons de même étoffe et des sandales
tres de haut, est vaste et très-fortifié de peau de chameau. Les chemises étant
;
les murs ont à leur base de quinze a très-longues, bien des gens ne portentpas
vingt mètres d'épaisseur, et ne diminuent d'autres vêtements. Le costume des
qu'à mesure qu'ils s'élèvent, de sorte que femmes de Mourzouk
; est entièrement
l'intérieur du palais est très-étroit, à différent de celui des femmes maures;
proportion de sa circonférence. Il ren- exhalent une odeur qui n'est rien
elles
ferme le harem des premières femmes moins qu'agréable. Les cheveux leur
du sultan , et la garde en est confiée à tombent jusqu'aux sourcils, et sont
des eunuques. La ville est entourée de fortement enduits d'une huile grasse*
ÉTATS TRIPOLITAINS. 95
Elles les couvrent ensuite d'une poudre gnes blanchâtres , où l'on trouve de la
nommée hatria, composée de clous de serpentine et des laves vésiculaires
girofle, des feuilles d'une plante res- et amygdaloïdes. Des villages et des
semblant à la lavande sauvage, et de châteaux en ruines s'y montrent partout.
quelques autres herbes odoriférantes. Les habitants sont de la tribu arabe
Ce mélange forme une espèce de pâte d'Arfîlli ; une belle raee , et les
c'est
jui , grossie par la transpiration et les jeunes sont véritablement jolies.
filles
particules de sable volant, révolte, au Lyon estime la population de Beniolid
bout de quelques jours, la vue aussi à environ deux mille âmes.
bien que l'odorat.' Les cheveux delà La structure des montagnes de Ghou-
nuque forment deux tresses qui tom- riano est très-intéressante leur hauteur
;
bent sur les épaules ; pour les faire n'excède pas cent cinquante mètres; la
[paraître plus longs, on y ajoute sou- roche calcaire y domine. Toute la partie
vent de la laine noire ; on y suspend nord est calcaire, jusqu'à un mille de
aussi des ornements d'argent ou de co- l'extrémité occidentale; à partir de là on
rail. Un autre ornement en corail ou ne voit que de la serpentine en couche
pn verroterie pare le milieu du front. épaisse, entremêlée de laves vésiculai-
Chaque oreille porte le plus grand nom- res. Au sud est un plateau étendu, aride,
bre d'anneaux qu'il est possible de faire parsemé de cailloux roulés; il se déploie
[passer dans le trou dont elles sont per- à perte de vue vers l'est. Les laves pa-
pées; on en compte quelquefois cinq raissent déposées par un courant, et par
pu six , le plus grand a cinq pouces de conséquent d'une formation plus ré-
diamètre. Un mouchoir de laine atta- cente que la roche sur laquelle elles re-
ché derrière la tête est noué sous le posent ; elles n'ont que quelques pieds
menton par une bande de cuir. Le d'épaisseur. L'inclinaison générale des
leou est orné de colliers de corail et de roches est de 18 degrés. Le Djibel-
Verroteries très-serrées. Le devant a Ghelat est le pic le plus élevé de la
souvent une large plaque d'or. Les chaîne; il a près de deux cents mètres;
femmes portent en général une chemise son sommet est en table rase; ses
blanche ou bleue, dont le collet et la côtés très-escarpés , offrent un nom-
,
96 L'UNIVERS.
composées d'une substance tendre et différent. Une seule existe dans se
blanchâtre, et paraissant mises au jour entier ; les trois autres sont ou dé-
tout récemment, quoique rien ne jus- truites ou enterrées sous- le sable.
tifie cette idée. Cette chaîne est parallèle Les pierres qui ont servi à élever cet
à celle de la côte, mais les voyageurs édifice sont de même grandeur quel
la
anglais ne purent en atteindre la fin celles qu'on voit dans toutes les cons-
vers l'est et l'ouest. On y voit plusieurs tructions romaines. On trouve dans
passes l'une d'elles est rendue rabo-
: l'intérieur d'énormes pierres, qui sem-
teuse par la grande quantité de masses blent avoir servi autrefois à soutenir
qui se sont détachées d'en haut. On y quelque bâtiment. Quelques-unes s'élè-
rencontre plusieurs tumulus en pierres vent de dix pieds au-dessus du sable
indiquant la sépulture des voyageurs qui en couvre la base. On voit encore
qui ont péri par la chute des roches. La l'ouverture d'un puits portant les
passe conduit à une vallée qui offre marques des cordes dont on s'est servi
quelques bouquets d'acacias et une plante pour en tirer l'eau ; mais il est entière-
semblable au néflier, portant des baies ment rempli de sable. Les murs qui s'é-
agréablement astringentes les naturels
: tendent de l'est à l'ouest ont plus de
la nomment Boutomo (1). deux cents pas de longueur; dans cer-
En se dirigeant sur Bondjem, on tains endroits ils sont tout à fait en-
franchit une montagne peu élevée qui terrés dans le sable. Ceux qui vont du'
mène à la vallée de Niffed. Il s'est livré nord au sud n'en ont qu'environ cent
plusieurs combats dans cette vallée, en- cinquante. Il paraît que les Arabes
tre des Arabes de différentes tribus. — probablement du temps des califes, ont'
De là on passe dans un défilé vers le sud fait usage des tours situées du côté du 1
pour entrerdans une plaine très-étendue, nord ; car on voit sur le haut des pre-
nommée Jmbouloum , et qu'on met un mières constructions des restes de leur 5
dans l'herbier de Ritchie. — 11 est à regretter sent la vue à cause de la réflexion des
que la flore d u Fezzan soit encore si peu connue. rayons solaires. Il y a une série de mon-
ÉTATS TRIPOLITAINS. 97
composés de craie, et recouverts
ticuîes portent des chemises plissées en soie ou
d'une couche de gypse. Ces monticules en toile de grandes boucles d'oreilles
,
sont bornés par une chaîne de monta- en argent, des anneaux du même métal
gnes beaucoup plus élevées, qui ressem- aux bras et aux jambes dans les classes
;
blent de loin à des fortifications. Un petit inférieures, ces anneaux sont en verre
SeneciOy un Géranium et un Statice ou en corne. Pendant son séjour à Sock-
sont tous les végétaux que les voyageurs na, Denham fut témoin d'une cérémonie
anglais y rencontrèrent. Ils y constatè- de mariage, qu'il raconte ainsi
rent une température de 17° 76' R. — :
dité des sables du désert, et en rendrait petits tambours donnent une aubade,
habitables les parties qu'il est même d'abord à la mariée, puis à l'époux,
dangereux de traverser. qui se promène dans la ville, richement
De Bondjem on arrive après quatre , vêtu et suivi de toute la population.
fortes journées de marche à travers des Les femmes s'assemblent toutes dans
i plaines arides et quelques défilés rocheux la maison de la jeune fille, et se
( appelés Hormouts par Hornemann ) mettent aux différents trous qui ser-
4
à Sockna, qui est la ville la plus septen- vent de fenêtres et qui donnent sur la
trionale duFezzan. Cette ville, située cour; la mariée se place alors à une
dans une immense plaine de sables, bor- fenêtre en face le visage entièrement
,
née au sud par les montagnes de Sou- couvert d'une barracane et dans sa plus
dan, et à l'est par celles de Ouadan. belle toilette ; toutes ses parures sont
Elle est entourée de murailles dont la exposées aux regards, attachées à la
: circonférence est d'environ un mille; maison, depuis le toit jusqu'au bas. Les
elle a sept portes,mais il n'y en a qu'une jeunes chefs arabes viennent lui présen-
seule par où un chameau chargé puisse ter leurs hommages, précédés de mu-
passer. Les rues sont fort étroites; les siciens et d'une ou deux danseuses. Ils
maisons sont construites en terre et en s'avancent à pas lents jusqu'au centre
i
petites pierres. La plupart d'entre elles de la cour , sous la fenêtre de la mariée :
sont élevées d'un étage au-dessus du rez- les dames saluent alors les visiteurs par
de-chaussée. Une petite cour en occupe les exclamations de lou, lou. Je deman-
le centre, et les portes qui s'ouvrent dai la permission de présenter mes
sur cette cour donnent le seul jour que respects à mon tour, et, loin de s'en
reçoivent les appartements. L'eau y est formaliser, on considéra cette démar-
généralement saumâtre et amère. Si- che comme une faveur. Le marié, qui
tuée entre Tripoli et Mourzouk, Sockna n'était pas admis dans la cour, me
est devenue un lieu d'asile pour les conduisit à la maison de sa maîtresse.
exilés et les réfugiés des deux pays. Les Cette longue présentation se termine
habitants, au nombre de deux mille, ordinairement quelques instants avant
parlent la langue touarick. Ils vivent le coucher du soleil. La mariée se pré-
de leurs plantations de dattiers, qu'ils pare alors à quitter le toit paternel; on
cultivent presque sans impôts, car ils ne lui envoie un chameau avec son djaafa
payent de tribut que pour deux cent ( chaise en osier recouverte de peaux et
soixante mille pieds de palmiers. Les de châles du Soudan , du Caire et de
dattes de Sockna sont fort estimées et Timbouctou ). Elle s'y place de manière
très-abondantes. Les habitants portent à tout voir sans être vue. On la condui-
le costume des Bédouins, et sont d'une sit hors la ville, où étaient réunis tous
propreté remarquable comparativement ceux qui ont des armes. Notre escorte,
aux Arabes du littoral. SuivantDenham, d'après les ordres de Bou-Khaloum, vint
les femmes de Sockna sont très-jolies , et en augmenter le nombre. On exécuta
on prétend qu'elles aiment les intrigues une décharge générale aux pieds du cha-
amoureuses. Leur habillement ressem- meau. Je tremblais pour la jeune fille;
ble à celui des
femmes de Tripoli; elles mais l'honneur qu'elle recevait était
e
7 Livraison. ( États tripolitaiks. )
L'UNIVERS.
pour une compensation de la peur.
elle à Sockna. « Nous passions, dit Denham.
On ensuite trois fois le tour de la
fit deux a trois jours sans trouver d'eau!
ville en exécutant diverses évolutions et et celle que nous rencontrions était gé-
en tirant continuellement sur le djaafa néralement boueuse et amère; mais ce
de la mariée. L'époux futur s'appro- n'est pus ce désagrément que le voya-
chait de temps en temps du chameau geur craint le plus il redoute autrement
:
de sa bien-aimée; mais les jeunes né- les terribles effets des tourbillons d<
gresses lui criaient aussitôt: Barra! vents, qui causent quelquefois la perte
barrai éloignez- vous! mazal chouia, d'une kafila tout entière , déjà abattue
encore un peu , ce qui amusait infini- par les fatigues. On nous fit remarquei
ment l'assemblée. On se rend ensuite un endroit à l'extrémité du désert,
à la maison du mari ; il est d'usage que tout rempli d'ossements, où l'année
la jeune vierge paraisse alors très-sur- précédente avaient<péri cinquante mou-
prise et refuse de descendre; les fem- tons , des chameaux et des hommes qui
mes crient, les hommes hurlent; enfin les conduisaient. Ces malheureux n'é-
on lui persuade d'entrer , et après que , taient qu'à huit lieues de marche de 1
le mari lui a mis un morceau de sucre citerne que nous cherchions avec impa-
dans la bouche, et qu'elle lui en a fait tience et anxiété (1). »
autant, cérémonie est terminée, et
la Entre Sockna et Zeghen
(village ï
on les déclare mariés (1). » 27° 26' lat. nord situé au centre d'ur
,
montagnes de Soudan est tellement sau- les côtés affectent la forme trapézoïde
vage, que le capitaine Lyon se crut avec des colonnes courbées, inclinées
un instant transporté au milieu du cra- et perpendiculaires ; l'effet qu'elles pro-
tère d'un volcan. Au sud se déroulent duisent ne manque ni de beauté de m
à leur base de vastes plaines inhospi- grandiose. Les couches inférieures de
talières, couvertes tantôt de fragments toutes ces montagnes sont un calcaire
de basalte , tantôt de sable on n'y : mélangé d'argile rouge : cette dernière
rencontre pas d'eau, ni aucune trace de espèce se rencontre également près des
végétation. D'innombrables carcasses de basaltes supérieurs; près de là d'au-
chameaux et une quantité de squelettes tres montagnes calcaires n'offrent pas
1
humains bordent ici les routes des cara- la moindre apparence de basalte, quoi-
vanes. La route s'étend ainsi, sur un que l'état des lieux puisse faire suppo-
espace de cinq journées de marche, ser qu'il a existé dans le voisinage un
jusqu'à une forêt de palmiers, au ancien cratère qui aurait produit tous
milieu de laquelle est situé le village ces débris. Plusieurs de ces montagnes
deZeghaen (a 27° 26' latitude nord); calcaires ont été déchirées ou percées
3
de là elle se prolonge, pendant quatre soit par la chute des masses supérieures,
journées, jusqu'à la ville de Sebha soit par la violence des eaux ; une de ces
( à 27° 3' 8" latitude nord ). Entourée brèches nous offrit la pierre à chaux
d'un magnifique bosquet de palmiers dans toute sa pureté, mélangée avec un
au milieu du désert, cette ville est sur- peu d'argile.
tout remarquable en ce qu'on y aper- « Le Ghibel-Assoud
s'étend du nord
çoit selon Lyon
, les premières traces
, au sud mais en décrivant tant de si-
,
zouk est située Targhan (25° 55' lati- en plusieurs endroits elle offre l'aspec
tude nord). La route est bonne; le ter- d'un champ récemment labouré; les
rain offre fréquemment des efflorescen- mottes de terre sont si compactes qu'on
ces salines. Targhan est une des princi- ne les brise qu'avec une peine extrême.
pales villes du Fezzan ; elle est entourée Près de Mœfen le terrain prend un
d'un mur. Cette ville était autrefois aussi aspect nouveau et moins désagréable;
riche que Mourzouk , et la capitale des les fentes sont plus larges ; on y aper-
États d'un sultan qui gouvernait la partie çoit de beaux cristaux attachés à un
orientale du Fezzan. On voit encore les fond du blanc le plus pur ; c'est du sel
ruines du château où il faisait sa rési- ( peut-être du nitre ) qui tombe en
dence. Targhan ne renferme pas tout miettes au plus léger ébranlement. Ce
à fait mille habitants. On y fabrique terrain a une étendue de plus de vingt
des tapis , qui sont aussi estimés que milles de l'est à l'ouest.
ceux de Constantinople. Les eaux du En sortant de Msefen on entre dans
voisinage sont excellentes; elles for- une plaine déserte; et après une marche
ment quatre étangs de trente à qua- fatiguante de quatorze heures on arrive
rante pieds de diamètre. Ces étangs hMestoula ( de mestem, lieu de repos ),
sont entourés d'épais bosquets de pal- où les chameaux trouvent à brouter
miers, habités par une multitude d'oi- quelques touffes d'aghoul. De là on'
seaux; un marabout, respecté pour sa voyage encore dans une plaine déserte,
sainteté, est le principal personnage de où l'on ne voit aucune créature vi-j
Targhan; son. père l'était avant lui. vante, pas même un
insecte. Le sable;
Les trois voyageurs anglais, Denham, à grains arrondis, et rouge, j
est très-fin ,
Oudney et Clapperton passèrent par Tar- Les Arabes de la kafila épient les dat-
ghan pour se rendre à Lari, sur les bords tiers qui environnent Gatrone (Ka-)
du lac Tchad dans l'intérieur du Sou-
, troun), comme les matelots cherchent^
dan. Comme c'est la route que suivent le à découvrir la terre. Dès qu'ils ont;
plus ordinairement les khafilas, nous aperçu ces signes, ils dirigent leur mar- '.
un passage étroit , bas et voûté; puis on jamais, disent-ils, cet indice ne les a trom-
trouve une seconde muraille et une pés. Autrefois, Tegherhy était très-re-
porte. La muraille est percée de meur- douté des voyageurs, à cause des brigan-
trières (1) qui rendraienttrès-difficile l'en- dages exercés par ses habitants. Actuelle-
trée par le passage resserré. Au-dessus ment le pacha y entretient une discipline
de la seconde porte il y a une ouverture sévère. Cette ville passe pour la limite
d'où l'on pourrait lancer sur les assail- méridionale du dattier (Phœnyx clac-
lants des traits et des tisons enflammés, tylifera). C'est ici qu'on rencontre les
dont les Arabes faisaient autrefois un premiers groupes de palmiers doûms
grand usage. Il y a dans l'intérieur des (Cucifera Thebaïca, Del.), qui à partir
murs des puits dont l'eau est assez de cet endroit semblent remplacer les
bonne. La situation de Tegherhy est dattiers au sud comme cela se voit aussi
,
on n'en rencontre pas déplus élevée dans vèrent un phénomène physiologique fort re-
marquable. Les chameaux avaient le regard
le pays des Tibbous, à l'exception de
éteint, la démarche chancelante, et par in-
YErtcherdat-Erner. Les habitants qui
tervalle tombaient comme un homme ivre.
ils
sont plus au sud s'appellent Tibbou-
Cela leur arrive quand ils mangent des dattes
Irtchad (Tibbous des rochers); des dé- après avoir bu de l'eau. L'explication de ce
filés qui traversent ces deux chaînes
phénomène est très-simple par suite de la
:
dy Izhaya est nommé Yaat par les avec le puits d'Jghadem, qui est au
Tibbous. 11 y a là quatre puits qui res- ,
sud de Bilma. Au rapport des voya-
semblent à des auges creusées dans le geurs anglais, Aghadem est un grand
sable; ils ont deux à trois pieds de pro- rendez-vous de brigands de toutes sor-
fondeur. On dit qu'en creusant ainsi on tes, et par conséquent la terreur de
peut trouver de l'eau dans toutes les par- toutes les petites kafilas et des voya-
ties du ouadey. geurs. Les monticules du pays d'alen-
La ville d'Anay, que l'on rencontre à tour sont couverts d'une espèce d'arbre
jdeux journées de là consiste en quel- , que les indigènes appellent souag ; le
ques cabanes bâties sur le sommet d'un fruit de cet arbre est une baie de la gros-
[rocher semblable à celui de Goumma- seur etdelaforme des airelles. Il estd'une
jganoumina. Tous les ans les Touaricks saveur douceâtre et chaude, analogue au
y font une visite dévastatrice, emportant de murailles, édifiée par les modernes aux
ïe bétail et tout ce qui leur tombe sous
confins de la Libye. Les maisons sont fort
main. Dans ces occasions, les habi-
la bien bâties , et en la manière de celles de Bar-
tants se réfugient sur le sommet du ro- barie pour ce qu'il ne s'y trouve guère de
:
Icher ; ils y grimpent par une échelle marchands autres' qu'étrangers; et ce peu
grossière qu'ils tirent après eux. Les qu'on y voit du pays sont tous artisans ou
icôtés de leur citadelle étant toujours à la solde du roi de cette cité, en laquelle
Strès-escarpés, ils se défendent à coups n'y a marchand qui ne tienne un grand nom-
jde flèches et en faisant rouler des bre d'esclaves pour s'en aider à ses affaires...
jpierres sur les assaillants. cinq — A Doncques les marchands s'acheminent par
Imilles d'Anay est rendez-vous
Kisbl , pays, s'accompagnent de leurs esclaves, qui
très-fréquenté par les kafilas et les mar- leur font escorte en leur équipage, et bien
chands. C'est la que le sultan de Bilma armés d'épées javelines et arcs. Mais depuis
,
lac Tchad.
leurs esclaves de tel métier qu'ils savent, à
Il ne faut pas confondre Aghadès (1)
cette fin qu'ils puissent gagner leur vie, en
réservant dix ou douze d'iceux pour sûreté de
leurs personnes et garde .de leurs marchan-
(i) Aghadès, située sur la route du Fezzan
à Tombouctou, est une des plus anciennes sta-
dises. Le roy de cette cité tient semblablement
tions villes du Soudan. Léon l'Africain en
ou une bonne garde dans un somptueux palais qu'il
a dans icelle. Mais sa gendarmerie est des ha-
;
douze deniers la peinte , et se boit mêlée avec cette cité. Le reste des habitants de ce royaume,
;
:
souvent atteints de maladie en Aghadez, bœufs en quelque part qu'ils croissent, les
comme le contraire leur advient dans Tom- posant et dressant là où se trouve meilleure
pâture et en plus grande abondance, comme
i
''
)
Description de l'Afrique, p. 3i8; Lyon, in-
il est tributaire
des usufruits du pays , mais
folio, i556.
Yoici la description que Léon donne de la de celui de Tombut de cent cinquante mille
ville même : « Aghadez est une cité ceinte ducats. » (Ibid., p. 327-3a8.)
j
104 L'UNIVERS.
cresson de fontaine. Les habitants du C'est avec les cheiks du Ouangara
Soudan le recherchent beaucoup parce ,
(Wangara), du Kanemy, du Bornou
qu'ils lui attribuent la propriété de faire etde quelques provinces à peu près in-
disparaître la stérilité des femmes. En connues de l'intérieur du Soudan que le
passant près de cet arbre on est frappé pacha de Tripoli entretient des relations
d'une odeur forte et narcotique (1). de commerce très-fréquentes par l'in-
Il importe de constater ici que la plu- termédiaire du gouverneur du Fez-
part des cheiks de ces contrées parais- zan (1).
sent reconnaître l'autorité du pacha du
Fezzan,etconséquemmentcelledu pacha (i) Qu'il nous soit permis de compléter ici,
de Tripoli. Suivant le récit de Denham par le témoignagne de Léon l'Africain ce que
,
et de Clapperton, il existe même un nous avons dit sur ces régions, encore si peu
service de courriers assez régulier en- explorées, dans notre volume Afrique cen-
trale, etc., de V Univers pittoresque. Voici ce
tre le Bornou et Mourzouk. Ces cour-
riers font à peu près six milles à l'heure.
que Léon nous apprend sur le Ouangara, le
Zanfara , le Kano et le Zeg-Zeg , provinces
Un sac de zoumita ( blé torréfié ) et ,
du Soudan, sur lesquelles les voyageurs an-
une ou deux outres remplies d'eau, un
glais ne nous ont fourni que fort peu de ren-
petit bassin de cuivre et une gamelle,
seignements.
qui leur servent pour manger et boire
composent leurs provisions et leurs us-
« Guangara. — Le royaume de Guangara
est habité d'un grand peuple. Le roy peut avoir
tensiles de voyage. On y ajoute quelque- sept mille archers,avec cinq cents chevaux étran-
fois un peu de ghedid ou de viande gers , et retire un grand revenu des marchan-
découpée en lanières et séchée au soleil ; dises et gabelles. Toutes les habitations de ce
elle est mangée crue, car rarement ces royaume ne sont que petits villages et hameaux,"
hommes allument du feu pour faire cuire fors un qui en grandeur et beauté excède les
leurs aliments, quoiqu'en approchant du autres de beaucoup. Du côlé du midi , il con-
Fezzan les nuits froides qui succèdent fine avec aucunes terres , là où l'or se trouve
Hornemann, parti du Caire, péné- en traversant les oasis de Syouah etd' Au«
tra dans le Fezzan par la route de l'est, gila. C'est à lui et au capitaine Lyon
le
I bois, où croissent force orangers et citron-
quelle est abondante en grains, riz, millet,
niers sauvages, dont le fruit ne diffère guère
au goût des privés. La province prend son coton , et habitée par gens vils et mécaniques,
nom d'une cité assise au milieu d'icelle, en- de grande corpulence , mais noirs au possible,
vironnée de murs de craye, comme les maisons portants visage large et difforme, partici-
même. Les habitants sont riches marchands pant d'avantage plus de bètes brutes que
et civils artisans. Leur roy était jadis fort puis-
d'hommes raisonnables. Ce roy fut empoisonné
;
sant tenant grand'cour, et plusieurs chevaux,
,
à l'aveu d'Izchia, qui détruit une grande
tellement qu'il se rendit tributaires les roys de partie de ce royaume. » (Ibid., p. 329.)
Zegzeg et Casena l( Kashna). Mais Izchia,
ou
Suivant les voyageurs anglais , le Zanfara
|
roi de Tombut ( feignant leur vouloir donner Zamfra est situé au nord-est du Haoussa, en-
secours et aide contre l'ennemi ) procura leur tre Kashna et Tombouctou. Sa capitale est
I
viron trois ans suscita une forte guerre contre des Fellatahs, qui sont les maîtres d'une grande
le roy de Cano, et fit de sorte (en continuant partie du Soudan. Cette race offre , sous le
;
le siège) qu'il le rendit jusqu'à épouser sa rapport historique, quelques traits d'ana-
; fille et lui quitter la tierce partie de son re- logie avec les Mantchous-Tartares auxquels ap-
S
lever sa portion des deniers et fruits provenant « Guber, royaume. —
Ce royaume est distant
d'iceluy. » (Description, de VJfriqiie, p. 32 8.) de Gaoga environ trois cents milles du côté
Évidemment la province dont il est ici du levant... Il est situé entre hautes monta-
question n'est pas le Kanem ou Kanemy, au gnes ,peuplé de plusieurs villages , lesquels
et
nord-est du lac Tchad, mais le Kano , située sont habités par gens qui mènent les bœufs et
au 12° lat. nord, presqu'au centre du Sou- brebis au pâturage. On y trouve communé-
dan , entre le Haoussa au nord, et le Zeg-Zeg ment les personnes assez civiles. Il y a grand
au sud. nombre de tisserands et cordonniers, lesquels
—
i
« Zeg-Zeg. Ce royaume confine avec Cano font des souliers à la mode que les souloyent
;
de du Siloc , et est distante de Ca-
la partie anciennement porter les Romains; il s'en
|
sena (Kashna) par l'espace de cent cinquante transporte une grande quantité à Tombut et
milles , étant habité d'un peuple très-opulent, à Gago. Le riz y croît abondamment et autres
qui trafique par tous les contours de ce pays, grains et de telle espèce en ay vu aux Itales
,
qui est partie en plaine et partie en monta- et croy ^emniable que l'Espagne en doit pro-|
gnes , dont l'une est merveilleusement froide, duire. Lorsque le Niger se déborde , il couvre
|
l'autre chaleureuse, tellement que les habi- toutes les campagnes voisines des habitalions|
tants, ne pouvant supporter la véhémence du de ce peuple, qui a coutume de semer le grain]
i
froid , ont coutume de faire en l'aire de leurs sur l'eau. Entre autres, il y a un grand village
maisons des grands foyers qu'ils avivent contenant environ six milles feux; là font ré-
I à force brasier ; puis le mettent sous les châlis sidence autant les marchands étrangers comme
qui sont fort hauts, et dorment en cette ma- ceux du pays même, et souloit être la demeure
nière. Néanmoins le territoire est très- fruc- du roi, lequel de notre temps fut pris par
tueux, et abondant en grains et fontaines. Ce Izchia, roy de Tombut, qui le fit mourir,
, ,
ÏOG L'UNIVERS.
que l'on doit les principaux documents A l'est de Targhan, dont nous avon
sur la partie orientale du Fezzan. parlé plus haut, est la petite ville de
Hemara, située dans une belle
faisant couper les génitoires à ses enfants, grande vallée. A quelques lieues de là
pour employer an service de son palais.
les est Zuila Zuela ou Sylah ( Cillala de
,
royaume de Nubie, qui est sur le fleuve du diamètre, dix mètres de haut, et des J
'
Nil , et la partie du midi se termine avec un toits et des fenêtres voûtés , ce qui est
désert qui se joint à un détour que fait le Nil, très-remarquable dans l'intérieur de l'A* ;
et devers tramontane finit aux déserts de Serta frique. Ces édifices sont garnis Jusqu'à \
et borne d'Egypte, prenant son étendue du la moitié delà hauteur, de plaques de grès
ponant au levant par l'espace ce cinq cents j
milles , et autant en largeur ou peu s'en faut. autres cités ne peuvent ni ne doivent égaler ,
Il n'est florissant en civilité, en lettres, ni en à celle-ci, quant àcivilité. Joint aussi qu'elle est
bon gouvernement. » fort abondante en pain et chair; mais il se» •
Dans notre volume sur YAfrique cen- roit impossible d'y trouver ni vin ni fruit,
'
trale, etc. ,p. 221, nous avons fait remarquer fors que son terroir est fertile en melons,
combien les voyageurs anglais sont laconi- citrouilles et coucourdes , qui s'y trouvent en
ques en parlant de Kouka , capitale du Bor- grande quantité, et de riz une chose infinie. ?
nou. Ce laconisme semble cacher un mystère : Il y a plusieurs puits d'eau douce, avec une ']
c'est que la ville de Kouka est une des villes les grande place, en laquelle au jour du marché <
plus commerçantes de l'Afrique et peut-être se vendent les esclaves tant hommes que
du monde. Déjà au seizième siècle elle était femmes , et s'achète une fille de quinze ans S
la rivale de Tombouctou. Léon l'appelle Gago. au prix de six ducats , et autant un garçon...
« C'est, dit-il, une très-grande cité et distante L'aune du plus bas drap d'Europe s'y vend
de ïombut environ quatre cents milles , du quatre ducats, quinze le moyen, et celui de
côté du midi , tenant quelque peu du Siloc. La Tenise fin, comme est l'écarlate, le bleu, ou vio-
plus grande partie des maisons est de laide let, ne se laisse à moins de trente ducais. Une
montre; toutefois il s'y trouve quelques édi- épée, la plus imparfaite qu'on sauroit trouver,
fices assez beaux et commodes , auxquels loge s'y vendroit trois ou quatre ducats. Ainsi, les
le roy avec sa cour. Les habitants sont riches éperons, brides , et sembLablement toutes mer-
marchands qui demeurent toujours sur les
, ceries et épiceries y sont très-chères, mais non
champs, vendant leur marchandise et trafi- pas tant ( sans comparaison) que le sel : on le
quant d'un côté et d'autre. Il arrive en cette vend plus chèrement que toute autre marchan-
cité une infinité de noirs, qui apportent de l'or dise qui s'y puisse conduire. » (Ibid., p. 326. )
;
inscriptions arabes. D'après ce voya- qu'ils font leurs préparatifs pour les
geur, ce sont là les monuments des longs voyages dans le désert. Depuis
1
chérifs qui s'établirent dans cette con- quelque temps la ville de Gadamès est
trée il y a cinq à six siècles. Après — tributaire de Tripoli et gouvernée par
une journée de marche, au nord-est, un fils du pacha. Les habitants sont en
on arrive à Temissa {Tamest d'É- relations de commerce continuelles avec
drisi). Le chemin conduit à travers des Tombouctou, et tous en parlent la
plaines fertiles. Ici la route se divise langue, ainsi que celle des Touaricks.
en deux branches l'une, passant par
: La population est formée par deux tri-
;
Tagga et Djermah ou Germah ( Ga- bus ennemies, qui vivent l'une à côté de
rama, capitale des Garamantes?),abou- l'autre sans entretenir entre elles au-
I
titau fond de la Syrte; l'autre, passant cune communication. Une grande mu-
par Augila, conduit en Egypte. raille circulaire renferme toutes
les
deux; mais un mur très-large coupe
Nous ne devons pas passer sous si- diamétralement la ville, et la divise en
lence deux stations principales, qui, à deux parties, qui ne communiquent que
l'ouest du Fezzan, pourraient acquérir par une porte, que l'on ferme à la moin-
une haute importance si l'Algérie allait, dre apparence de trouble. Avant que
ce qu'il faut espérer, entretenir un jour cette barrière n'existât il y avait guerre
des relations de commerce avec le Sou- continuelle entre les deux tribus enne-
dan, et particulièrement avec Kouka, mies , qui se nomment les Eenewazid
capitale du Bornou. L'une, la plus voi- et les Benewalid. La ville est entourée
jsine de l'Algérie au sud-est du territoire de jardins et de bosquets de dattiers;
tunisien, s'appelle Gadamès ; l'autre, la dans l'intérieur des murs est une source
plus éloignée , se nomme Ghraat. abondante, qui, à l'aide de cinq grands
canaux, fournit d'eau les bains, et ar-
Gadamès (Cydamus de Pline). rose toutes les plantations. La distri-
C'est une oasis , mieux connue
jadis bution de l'eau est confiée à une garde
que de nos jours; elle s'adosse au pla- nommée par les deux tribus. Chaque
teau des Berbères, près du bord mé- tribu a son cheik et une mosquée à
ridional- de l'Atlas. Léon l'Africain ne part. Le commerce et la chasse aux
nous en donne que cette courte des- autruches est la principale occupation
cription : « Gadamès, dit-il, est une des Gadamiens.
[(contrée contenant plusieurs châteaux et Gadamès est, d'après l'état actuel
villages bien peuplés , distante du côté de nos connaissances, la frontière la
de la mer Méditerranée environ trois plus occidentale de la chaîne d'oasis
cents milles. Les habitants sont riches dont parle Hérodote. C'est là que com-
en possessions de dattiers et en argent mence le pays riche en dattes, cette
(pour ce qu'ils démènent grand train de immense steppe, plane, unie et large
marchandise en la terre des Noirs, et de quatre-vingts milles géographiques,
j'se gouvernent par eux-mêmes, rendant qui s'étend au sud de ÏA Igérie jusqu'à
quelque tribut aux Arabes. Mais ils la frontière du Maroc , sous le nom de
étaient premièrement sous le gouverne- Beled-elDjerid ou plutôt Belad-el-Sché-
ment du roi de Thunes c'est à savoir , rit (pays de dattes) (1). D'après Léon
lieutenant de Tripoli. Là le grain et la Africain, le Beled-el-Djérid s'étend de-
j'
108 L'UNIVERS.
tie occidentale ( El-Maghreb ) et en partie lément arabe. Pourquoi ? C'est que l'A-
orientale. La limite entre les deux est rabe , ainsi que le Phénicien et le Car-
le Fezzan. La partie orientale s'étend
depuis l'Egypte {Mesr) jusqu'au Fezzan
(ï) Voyez V Afrique ancienne par M. d*À-
{Zuilah), et le Maghreb, depuis Zui- vezac, et Y Afrique chrétienne, etc., par
lah jusqu'à l'océan Atlantique. M. Yanoski. Dans le volume Arabie, par
M. Desvergers , on trouve les meilleurs ren-
(i) Voyez notre volume sur VAfrique, dans seignements sur Y Afrique sous la domination
Ja collection de Y Univers pittoresque. des Arabes ; enfin le volume Turquie, par
M. Jouannin, renferme le récit de la Conquête
et de f occupation des États barbaresques par
les Turcs.
ÉTATS TRIPOLÏTÀINS. 109
d'un manuscrit français inédit de M. de Les Tripolitains sont peu forts sur mer; leurs
la Gondamine » (l). C'est le journal plus gros vaisseaux ne portent que trente
pièces de canon. Le fort qui défend le port
d'un voyage en Barbarie, en Syrie et
est plus régulier que les forts de la Goulette
en Asie Mineure. Il intéresse tout à à
Tunis et que le fanal d'Alger; mais l'artille-
la fois par les détails qu'il
renferme rie n'approche pas de celle des autres places,
et par le nom de l'auteur, qui,
pré- surtout d'Alger, dont le fort rond, appelé le'
curseur de Humboldt, ouvrit dans le
Fanal, parce qu'il éclaire l'entrée du port,;
Nouveau Monde un vaste champ aux in- est garni, dans son contour, de trois batteries»'
vestigations du philosophe et du natu- ae canon l'une sur l'autre. A mesure qu'on
raliste. Ce double intérêt devrait approche de Tripoli, il enlaidit à vue d'œil,.
faire
hâter l'impression du manuscrit, dont et quand on est dedans , c'est encore pis.!
nous nous bornerons à extraire quelques Les rues sont dépavées, ou ne l'ont jamais"
fragments , relatifs à Tripoli et à Alger. été ; elles sont pleines de plâtras et de décom-'
Ce voyage en Orient, exécuté en 1731, bres, et le peu que j'ai vu de la ville me pa-
précéda de cinq ans celui que la Con- raît se ressentir beaucoup de nos bombarde-'-
Levant et protéger le commerce, j'ai obtenu article de leur loi ? qu'il faut presque être averti
de M. le comte de Maurepas un ordre pour faire quelque attention à ce monument.
pour
m'embarquer sur le vaisseau commandé par Ils en ont fait un magasin, et ont été obli-
M. le chevalier de Camilly, dans le dessein
de
gés, pour lui donner plus de hauteur, d'éle-
satisfaire l'envie
extrême que j'ai toujours eue ver une maçonnerie de moellon, qui a environ
de faire un voyage de mer, et une toise au-dessus de l'entablement. Les
dans l'espé-
rance de m'mstruire sur la navigation quatre faces sont exposées obliquement aux
, et de
trouver occasion de faire quelques quatre points cardinaux. Elles regardent les
observa-
tions qui pussent m'être de points d'entre eux, c'est-à-dire, en terme de
quelque utilité
pour l'Académie. » marine, le nord-est, le sud-ect, le sud-ouest,
nord-ouest.
et le
La Condamine visita successivement «Le côté du sud-est, qui donne sur la rue,
Alger, Tunis et Tripoli.
au milieu duquel est la porte du magasin, est
le plus maltraité; la face opposée, qui re-
garde le nord-ouest, est la mieux conservée, du
on moins par le haut; car on ne peut juger du
"ù; e?,i^s
sconnalssanceswi, "^™p^
h as qui est masqué par des maisons qui y sont
,
ÉTATS TRIPOLITAINS. lit
déjà reconnue être beaucoup plus longue et ou au Levant, entendent et parlent ce lan-
fort différente de ce qu'en rapporte la Mo- gage, qui est la langue de commerce de tous
j
traye. Ce que j'ai reconnu de plus important, les ports de la Méditerranée
jle soir, au coucher du soleil, qui en éclairant « J'oubliais de dire que dans les temps du
[obliquement les caractères à demi effacés les dernier bombardement les esclaves français
(rendait plus aisés à lire, est que cet arc a été n'en furent pas plus maltraités. Les Turcs se
[élevé en l'honneur des deux empereurs complaisaient en disant que Dieu le voulait
iM. Aurelius Antoninus et L. Abrelius ainsi, et ne s'en prenaient point à ces mal-
•Ver us. » heureux. Il est vrai que le consul de Hollande
eut alors pour eux de grandes attentions, et
A la pag. 109 et suiv. on lit :
leur fournit tout ce qui était nécessaire pour
la vie; car on peut bien juger qu'ils étaient
« Les Français qui ont vécu à Tripoli
nous ont tous dit que les Tripolitains étaient renfermés trèsélroilement dans le bagne, d'où,
il s'en sauva même plusieurs, une bombe qui
de bonnes gens ils m'ont paru, ainsi qu'à Tu-
:
|nis, beaucoup plus polis et plus affectueux en y tomba leur ayant fait passage. Ce bagne est
général que ceux d'Alger; mais cela doit sur- un fort vilain endroit, voûté et obscur, où les,
prendre moins de la part des Tunisiens, à esclaves de la république sont enfermés aux
qui nous n'avons point fait de mal, au lieu heures où ils quittent le travail, et où les par-
ticuliers envoient les leurs quand ils crai-
que nous avons bombardé plusieurs fois Tri-
poli, et récemment, en 1727 dont leur ville
,
gnent de ne les pouvoir pas garder assez sû-
se ressent encore beaucoup (1). J'ai parlé à
rement, et particulièrement quand il y a en
plusieurs, qui me montraient froidement par rade des vaisseaux de guerre français, qui
occasion des ruines causées par les bombes, sont pour les esclaves un asile sûr, ainsi que
n'auraient jel'ai déjà remarqué. J'ai observé déjà que les
(comme une chose à laquelle ils
pris aucune part. Un d'eux même, et c'é- esclaves n'y sont pas, du moins la plupart,
Itait leTurc sur la terrasse de qui je mon- dans d'oppression et de misère où on les
l'état
tais pour examiner l'arc de triomphe, et qui croit en France : à la réserve d'un très-petit
me montrait des maisons voisines, qui n'é- nombre, qui peuvent tomber entre les mains
'taient point encore rétablies parut goûter
,
de patrons capricieux ou brutaux , les autres
mes raisons, lorsque je lui dis que l'empe- sont très-doucement traités , en sorte qu'il y a
[reur de France ne les devait pas bombarder souvent plus à gagner, pour un matelot ou pê-
pour le plaisir de leur faire du mal que cela ,
cheur ou autres gens de cette trempe, qui y
lui avait coûté beaucoup d'argent, raison qui sont les plus exposés, à être emmenés esclaves
près d'un Turc devient encore meilleure, et en Barbarie, que de rester dans leur pre-
'qu'il y avait été obligé, parce que le pacha mière condition. Les maîtres les plus difficiles
lui avait manqué de parole. A
cela le Turc ont soin de ne pas maltraiter leurs esclaves, qui
levait les yeux et haussait les épaules, et sem- sont leur bien et qui leur coûtent de l'argent ;
blait, par le geste, convenir de ce que je lui et chez les autres ils deviennent souvent les
idisais, et n'osait dire hautement que c'était la maîtres, et c'est une chose qui m'a encore été
faute du pacha. confirmée à Tripoli ainsi qu'à Tunis, que quand
« Je me faisais assez bien entendre de lui il y avait dans la ville quelque bon morceau,
jet de la plupart des Turcs en me servant de ou quelque jolie femme, les esclaves chré-
tiens y avaient la meilleure part. Un grand
nombre même de ceux qui sont au Bélic ou à
(I) Sous le règne de Louis XIV, Duquesne avait
la République ont la permission de tenir ta-
été chargé de réprimer les pirateries des Tripoli-
tains. Ce célèbre amiral rencontra huit de leurs verne et de vendre du vin ; ce qui leur vaut
vaisseaux , et leur donna la chasse : ils se réfu- beaucoup. Ils rendent tant par lune à leur
gièrent dans le port de Chio, appartenant au patron sur leur profit ; et quand ils sont payés,
sultan. Mais les Français les y suivirent , et les
ils amassent de quoi se racheter du surplus.
;
sciences et arts ; t. XIV, p. 932. ) tes , et qu'elles ne connaissent ici pas même
L'UNIVERS.
!
nes fortunes. Ce sont les juifs, comme partout yeux petits et vifs ; bouche grande,
l'air fin ; la
ailleurs, qui font ici le change; il y en a de les dents belles, et pour peu qu'on en ait vu,
riches à Tunis ; mais à Tripoli comme à Al-
, on reconnaîtrait un Maure au milieu de plu-
ger, ils sont presque tous misérables. Peu de sieurs Turcs. Les Noirs habitent les montagnes
temps avant l'arrivée de l'escadre, le pacha en dedans des terres. Il y en a cependant
avait eu la précaution de diminuer les espèces, quelques-uns dans les villes. J'en ai vu même
surtout celles d'or, présumant qu'on apporte- qui ont une assez belle physionomie; mais la 1
vus ne sont pas si beaux que ceux de Tunis. dattes fraîches, ni des figues de Barbarie,
Il y en a seulement un|fort petit que je ne dont ce n'était pas la saison.
crois pas achevé , qui est assez bien bâti ; il « La Motraye dit, en parlant des habita
fait ressouvenir des salles de marchands du des Tripolins : « La pièce d'étoffe de laine
Palais à Paris. « blanche qu'ils ont autour du corps , du
« On appelle pacha le
souverain de Tripoli : « moins les gens du commun , fait que leur
républiques de Barbarie avaient an-
les trois « habillement ressemble beaucoup aux dra^
ciennement la même forme de gouvernement; « periesque les peintres donnent dans leurs,
un pacha y commandait au nom du grand « tableauxaux anciens philosophes aussi bien
seigneur; il y avait deux principaux officiers « qu'aux apôtres et aux saints. Les Turcs om\
qui avaient sous lui la principale autorité. Le « une pièce d'étamine blanche, qu'ils mettent
dey rendait la justice, et le bey commandait « par-dessus leurs autres vêtements, et qui est
les troupes. Par les révolutions, fréquentes , il « une espèce de manteau de cérémonie, qu'ils'
est arrivé que celui des trois qui a été le plus « appellent bernins ou bernou. >>
et qu'il a même résisté quand on l'a mis en monial à Alger sur cet article c'est, à ce qu'on
;
place, et je n'ai pas de peine à le croire. Il m'a assuré, par l'imprudence de quelques es-
est général de la cavalerie, et avait une grande claves français qui pour faire leur cour au dey,
,
de son palais, qu'on appelle maison du roi, exigent même qu'on se découvre en passant
qui est tout à la fois, comme du temps de nos devant porte de la maison du dey. M. de
la
anciens monarques , et la demeure du souve- Florensac, à sa première audience , pour être
rain et le lieu où il rend la justice. Le dey a entré dans la cour du dey avec son chapeau
une autre maison qui lui appartient comme
,
sur la tête , reçut d'un chiaoux un avertisse-
particulier, dans laquelle logent ses femmes ment assez brusque, par un coup de baguette
et ses enfants; mais il n'oserait y aller, de peur sur le bras. Une fois, en passant devant la porte
qu'on ne croie qu'il leur porte son trésor, du dey avec un marchand français je ne me
amassé aux dépens de la république ; et de- découvris point comme lui, feignant d'igno-
puis huit ans qu'il règne on assure qu'il n'est rer la coutume. J'entendis un Turc ou un
sorti que quatre ou cinq fois deux ou trois
: Maure qui disait en espagnol : Celui-là n'a pas
fois pour aller à sa maison, voir ses femmes, ôté son chapeau.
et deux fois pour aller visiter la marine; « Le mauresque est la langue du pays. Les
encore n'était-on prévenu de rien, et il revint Turcs parlent turc entre eux ; mais la langue
par un autre chemin pour éviter le sort de
,
dont se servent les uns et les autres pour se
son prédécesseur , qui fût tué à coup de fusil, faire entendre aux Européens est ce qu'on
près de la porte de la ville , en revenant du appelle la langue franque. On dit qu'on la parle
port. Il est dans une appréhension perpétuelle dans tout le Levant et dans tous les ports de
de quelque soulèvement, et est souvent obligé la Méditerranée, avec cette différence que
de faire , par condescendance pour son divan celle qui est en usage du côté de Tripoli, et plus
et pour sa milice, des choses contre son gré. en avant vers le Levant, est un mélange de pro-
Il s'en explique assez ouvertement, et dans vençal, de grec vulgaire, de latin, et surtout
une des audiences particulières où je me suis d'italien corrompu, au lieu que celle qu'on
trouvé ,il nous a parlé des sept deys qui parle à Alger, et qu'on appelle aussi petit mau-
avaient été tués en un jour, et nous disait resque, tient beaucoup plus de l'espagnol,
qu'il n'était pas le maître. Peut-être affectait- que les Maures ont retenu de leur séjour en
il de parler ainsi pour s'autoriser à refuser Espagne. On assure même qu'il y a dans les
!une partie de ce qu'on lui demandait ; aussi terres de Barbarie plusieurs endroits où
•lui répondait-on toujours qu'il était despot- le bon espagnol s'est conservé, et la plupart
ique, et par-là on flattait sa vanité. Lors de des Maures l'entendent. On ne se sert presque
jîa première audience particulière, il avait pas des infinitifs dans ce jargon, qui s'entend
été question de la manière dont il recevrait aisément quand on est accoutumé à l'accent,
M. de Beaucaire, savoir s'il aurait ou non son surtout quand on sait le latin c'est celui des
:
chapeau sur la tête ; le dey tint bon sur cet divertissements turcs du Bourgeois Gentil-
article
, et. dit au consul que cela lui était im- homme et de l'Europe Galante.
possible, qu'il ferait soulever tous ses soldats; a II y a à Alger, parmi les Maures qui
y
que pour lui il souhaiterait le pouvoir faire sont établis, des familles très -anciennes. Il y
et que s'il était en campagne, ou en un lieu où en a surtout une, très-nombreuse, qui descend
il pût s'abstenir de ce cérémonial, il courrait des anciens rois maures de Grenade. L'un des
au-devant de M, de Beaucaire pour l'embras- chefs de cette famille vint rendre visite au
ser et le prévenir. On n'insista pas sur cet ar- consul pendant que j'y étais. Ils sont considé-
ticle, qui retarda d'un jour l'audience. M. de rés de leur nation à raison de leur naissance ;
,
Beaucaire ne voulut point que cela arrêtât la mais les Turcs ne mettent de différence entre
négociation. Il parla assis dans une chaise à eux et les gens de la lie du peuple qu'à pro-
bras et découvert à l'audience particulière portion de leurs biens et facultés. Comme
•qu'il eût dans le corridor au second étage, et ceux dont je viens de parler sont riches et
debout les deux fois qu'il parla au dey sous , puissants, et qu'ils ont plusieurs vaisseaux en
la galerie découverte au fond de la cour dont course dont ils sont armateurs, ils sont con-
j'ai parlé
,
qui est le lieu où le dey assemble sidérés des Turcs. On m'a dit aussi que ceux
8 e Livraison. (Etats tbipolitains. )
8
,
114 L'UNIVERS.
de cette maison ne se mésalliaient pas, et que près de six cents aspres de leur monnaie.
comme elle est très • étendue ils ne se ma- « Le commerce n'est pas très-considérable
riaient qu'entre eux. Celui que j'ai vu chez le à Alger. La Provence en tire des laines, des
consul se nommait Ben-Amar; je ne sais quel huiles pour les savons, et de la cire, qui vient
est le nom de sa maison. d'un endroit de la côte qu'on nomme Bougie.
« Alger est une ville fort peuplée ; les rues Je ne sais si le nom de bougie en français en
y fourmillent de monde, quoique dans la tire son étymologie. Quoi qu'il en soit, la cire
saison présente la plupart des particuliers qui en vient est jaune ; ils ne savent pas la
fussent à la campagne. Outre que les camps blanchir. C'est en France qu'on la prépare,
sont partis, c'est-à-dire que les gens de guerre ou dans les autres lieux où on la transporte.
sont dehors tous les ans au printemps, le dey On m'avait promis de me mener dans quel-
forme trois camps de ses troupes ,
qui pénè- ques boutiques voir travailler en broderie
trent dans les terres , l'un du côté de l'est sur des maroquins et à quelques autres ou-
l'autre du côté de l'ouest, et l'autre vers le vrages; mon départ précipité m'en a empê-
midi. Ils vont d'abord dans les villages, pour ché. Ce sont quelques marchands français,
fairepayer aux Maures le carach ou le tribut anglais et hollandais qui y font tout le com-
ordinaire qu'ils doivent au dey. Ils se répan- merce. Les Algériens sont tous soldats ou pi-
dent ensuite dans les montagnes et dans le rates. Depuis peu, outre les consuls de France,
pays inhabité jusqu'à ce qu'ils aient rencontré d'Angleterre, de Hollande, les Suédois y en
le camp des Maures , et qu'ils les aient forcés ont envoyé un , et ont fait un traité de paix
de satisfaire à la contribution. On dit aussi et de commerce avec les Algériens. Us l'ont
que les troupes qui partent d'Alger dans cette acheté à force de présents, de munitions de
saison vont renouveler les garnisons que les guerre et de marine. Les Anglais et les Hol-
Turcs entretiennent dans les places et les forts landais en font autant, et quoique nos traités
qu'ils ont sur la côte et dans les terres. Outre n'en fassent aucune mention, par un article
les Maures, qui sont les naturels du pays , et secret il est arrêté qu'on leur fournira tous
les Turcs , qui en sont les conquérants il y a, , les ans un certain nombre de câbles , de voiles
à ce qu'on assure, plus de dix mille juifs dans et d'ancres. Comme ces gens ne vivent que de
Alger. La plupart sont misérables; il faut leurs prises sur mer, il parait juste qu'en se
qu'ils le soient beaucoup pour rester dans un mettant par la paix à l'abri de leurs courses
pays où ils sont aussi maltraités. Ainsi que on achète ces avantages, en leur fournissant
je l'ai déjà remarqué, un grand nombre tra- ce qui leur est nécessaire pour la navigation.
vaillenten orfèvrerie, et les autres font leur mé- Si les princes de l'Europe voulaient s'enten-
tierde juifs, en exerçant le change et la ban- dre, il serait aisé , je ne dis pas seulement de
que, et en rognant les piastres, au risque de se rendre maître d'Alger, ce qui leur serait
se faire brûler. peut-être plus à charge qu'à profit mais d'o- ,
« La petite monnaie du pays , qui est peut- bliger les Algériens à quitter leur métier de
être la seule qui y soit fabriquée , sont de petits pirates, à cultiver leurs terres et à se livrer
morceaux de laiton blanc, taillés irréguliè- au commerce. Le terrain y est bon ; et si les
rement de la forme d'un carré iong très-min- , Maures n'étaient pas découragés par le pillage
ces, sur lesquels sont empreints quelques ca- des soldats turcs, la plupart des terres ne res-
ractères turcs ou arabes. On prétend qu'il y teraient pas en friche comme elles sont.
en a quelques-uns qui sont d'argent, qu'ils « La nourriture ordinaire Us sout
est le riz.
devraient tous en être, et qu'ils ne sont si aussidans l'usage de couper la viande en
remplis d'alliage que par la mauvaise foi du morceaux longs qu'ils mettent dessécher au
prince, qui s'est servi de ce moyen pour s'en- soleil pour les conserver.
richir, par la persuasion d'un favori ; on ap- « Alger ressemble de loin à une carrière de
pelle cette monnaie aspre. La petite piastre pierres blanches; la ville s'élève en amphi^
en vaut sept cents: il en faut à peu près dix théâtre sur un coteau dont la pointe s'avance
pour faire un para, ou un sol de France. Il au nord dans la mer, et forme le cap de Caxi-
suffit de savoir qu'une monnaie si basse a nes. La ville s'étend est et ouest , et paraît
cours pour en conclure la misère de ce peuple : avoir de loin la forme d'un hunier de vais-»
ils vivent pour cinq à six aspres par jour. Ce- seau. J'ai parlé de la construction intérieure
pendant, hors les choses nécessaires à la vie, des maisons, dehors elles paraissent assez
tout est cher à Alger, .du moins pour les étran- mal bâties ; elles sont de briques, mal liées avec
pu faire faire un gnomon pour
gers, et je n'ai du mauvais ciment, qui est le même qu'ils
une méridienne, composée d'une plaque de emploient à leurs terrasses ; la plupart des mu-
tôle ronde comme le creux de la main et , raillessont blanchies avec la chaux jusqu'à ,
d'une verge de fer grosse comme le petit doigt, une certaine hauteur. Il y a près de la maison
longue d'un pied, à moins d'un écu, qui vaut du dey et dans quelques autres endroits, des
ÉTATS TRIP0L1TA1NS.
cafés, où je ne suis point entré ; ils m'ont paru chrétien surtout le plain-pied des terrasses
,
de grandes salles voûtées, soutenues de co- offrant unefacilité infinie de passer d'une
lonnes on s'y entretient de nouvelles comme
; maison à l'autre. On m'avait assuré que mes
en France; les politiques oisifs et autres fai- instruments n'y couraient aucun risque, et
néants s'y rassemblent souvent. Les germes qu'il était inouï qu'on y volât dans les mai-
des soulèvements et des révolutions y sont sons ni par les terrasses. Effectivement toutes
éclos ; aussi sont-ils remplis des espions du mes affaires ont resté sur celles du consul à la
dey, et de tout ce que j'ai vu à Alger c'est ce discrétion des voisins on n'a touché à
, et
qui m'a le plus rappelé l'idée de Paris. J'ai rien. La promptitude, peu de
la sévérité et le
passé devant plusieurs mosquées ; il n'est pas formalité de la justice , procurent cette sécu-
permis aux chrétiens d'y entrer, sous peine rité. On coupe la main aux voleurs, et on la leur
dit- on, ou de mort, ou de se faire turc. Ils pend au cou ; on les exécute à mort. Les es-
sont ici plus superstitieux et plus attentifs sur claves ne sont point maltraités à Alger, à
cela qu'à Constantinople, où il suffît pour y moins que le hasard ne les ait fait tomber
entrer de quitter ses souliers. Le jour elles entre les mains de quelque patron extraordi-
sont toujours ouvertes, et ressemblent assez, naire;mais en général ils sont assez doucement
autant qu'on peut juger au coup d'œil, à une traités. Quand ils ont quelques talents, ou
église chrétienne sans tableaux ni ornements quelque métier, et un peu d'esprit ils se ren- ,
et dont le pavé serait couvert de nattes de dent quelquefois nécessaires , deviennent les
jonc. Les porteurs de faix ou gens chargés
, maîtres de la maison , ont la confiance du pa-
ont dans les rues de la ville le même droit que tronat couchent avec sa femme ce qu'ils peu- ,
les charrettes chargées ont en France sur les vent avec sûreté lorsqu'ils sont d'accord avec
grands chemins et les porteurs de chaise à elle, sans courir les mêmes risques que les
Paris ils crient : Bâtie! bâtie ce qui veut dire :
: ! étrangers. Alger se sent encore des bombar-
Gare! et n'ont aucune considération pour qui dements ; il y a encore des maisons qui ne sont
que ce puisse être. C'est encore bien pis pas encore rétablies. Il serait aujourd'hui plus
quand on rencontre des femmes à équipage. difficile à bombarder qu'autrefois. Le môle
Cet équipage est une mule, une rosse, ou est bordé de grosses pièces de canon. Le Fa-
une bourrique qui porte sur le dos une espèce nal, qui est un fort à l'entrée , a des batteries
de siège ou de boite carrée ; car tout ce qu'on l'une sur l'autre. J'ai vu un canon de vingt-
voit est une étamine blanche, qui enveloppe la deux pieds, donné par le sultan Sélim, dont le
chaise et la femme , dont à peine aperçoit-on nom est gravé sur la pièce en caractères turcs.
quelquefois le sommet de la tête. On juge Ily a plusieurs forts qui défendent la ville
bien que cet attirail et le Maure qui le con- un au nord, à quelque distance de la ville,
duit ne laissent pas de place de reste dans»les
, qu'on appelle le fort des Anglais, bâti depuis
rues aussi étroites que le sont celles d'Alger; quelques années pour défendre un endroit
et s'il ne se trouvait quelque porte , ou quel- de la rade assez éloigné de la ville, où des bâ-
que coude, on ne saurait réellement où se timents anglais venaient quelquefois mouil-
mettre. Aux heures de la prière, à Alger comme ler, outre le fort de l'Empereur et le fort de
dans toutes les villes mahométanes, un homme l'Étoile, dont j'ai parlé plus haut. Notre chan-
chargé de ce soin monte à chaque minaret, celier m'a assuré qu'on pouvait sans aucun
et par les quatre côtés successivement aver- risque chasser seul à deux ou trois lieues de la
tit le peuple par de grands cris; cela leur ville. Le plus sûr est cependant de prendre un
tient lieu de cloches. Si elles étaient en usage Maure pour guide et pour escorte. L'architec-
chez eux, les Algériens n'en iraient pas cher- ture du pays est moresque ou gothique. Ce
cher loin : il en reste huit de celles qu'ils ont que j'ai remarqué de plus singulier est le cin-
enlevées d'Oran , quand ils l'ont pris sur les tre des arcades qui soutiennent les tribunes
Espagnols, qui sont encore sous une des por- en dedans des maisons. Ce cintre est presque
tes d'Alger. On dit qu'ils en ont fondu plu- les deux tiers d'un cercle, au lieu que nos
sieurs autres. Il y a à Alger des lieux de com- voûtes ordinaires ne prennent pas le demi-
modité , et on ne jette pas, comme à Toulon, cercle. Ils les construisent fort adroitement
les ordures dans les rues : elles sont si étroites et n'ont pas d'autre charpente pour étayer la
qu'il n'y aurait pas où poser le pied. En gé- voûte jusqu'à ce qu'elle soit fermée que de
néral, Alger n'est peuplé que de canaille. Les simples cannes de jonc. »
Maures sont des misérables, et les Turcs qui
viennent tous les ans de Constantinople pour Nous reproduirons ailleurs la partie
s'y établir sont de vrais bandits -ils ne sub-
:
du voyage de la Condamine qui con-
sistent que de leurs rapines et pirateries. C'est cerne les côtes de la Syrie.
pour cela qu'il est fort singulier qu'on soit La Condamine rencontra à Tunis le
plus en sûrelé chez soi que dans un pays célèbre voyageur Shaw dont il fait un ,
8.
116 L'UNIVERS.
éloge mérité. Dans plusieurs circonstan- l'Afrique que le dattier (Phœnix dac
ces il fait ressortir l'exactitude des ré- tylifera), connu de toute antiquité, et le
cits de Thévenot, qui avait parcouru latanier nain (Chamœrops humilis, L.)
l'Orient bien avant la Condamine. Les fruits de ce dernier, quoique foi
Nous avions cru rencontrer dans le peu savoureux, sont, dit-on, mangés pi
Journal de la Condamine quelques in- les Bédouins (1).
dications sur la flore et la faune du Quant au dattier, dont nous avoi
nord de l'Afrique; mais notre espoir a parlé en différents endroits, il est , av<
été déçu : nous n'y avons trouvé qu'une le chameau , aussi nécessaire à l'Aral
courte" notice sur îe Cactus opuntia, L. que l'air et l'eau le sont à tous les êtres
( Opuntia vulgaris ) ou figuier de Bar-
,. vivants. Quelques voyageurs, entre au
barie, répandu dans toute la région très le capitaine Lyon, ont parlé de pa
méditerranéenne , et que l'on croit ori- miers un peu différents du dattier com
ginaire du Nouveau Monde. mun. Serait-ce des espèces différentes
Aux environs d'Alger la Condamine c'est là encore un point à éclaircir (2)
trouva « une espèce particulière de pe- Aune certaine distance du littoral
tits abricots, qui ne quittent pas leur au delà de l'oasis d'Audjéla , on rencon
noyau, qui sont infiniment plus délicats tre une espèce de palmier fort remai
et d'un goût plus relevé que les gros quable, en ce que son tronc (stipe) s
abricots. » Il en conserva des noyaux divise par dichotomie, ce qui est un
pour en essayer la culture en France. caractère assez rare dans cette famill
de monocotylédonées. Ce palmier es
II. le Cucijera thebaica de Delile ( Hy
NOTE SUR LES PALMIERS DE l'A-
phœne crinita de Gaertner, et Hyphasn
FRIQUE. cucifera de Persoon). Les Arabes l'ap
pellent Doum, nom qu'ils donnent auss
Les palmiers constituent la famille la quelquefois au dattier commun. Delil
plus intéressante du règne végétal, non- a trouvé le palmier doum dans la haut
seulement par leur structure et leur Egypte, près des monuments de Philœ
forme, aussi variée que merveilleuse, de Thèbes et de Denderah. Une des île
mais surtout par leurs nombreux usages. du MI , à peu de distance de Girgeh,
Malheureusement , pour ce qui est re- reçu le nom d'île de Doum, à cause du
latif aux espèces africaines, nos connais- grand nombre de ces arbres qu'elle pro
sances sont encore fort bornées. Il fau- duit. En s'élevant dans les plaines près
drait faire pour les palmiers de l'Afrique que stériles qui bornent le désert le ,
quent sur la côte septentrionale de tous les cimetières, et presque toujours un auprès
de chaque marabout. Il est bien rare que les
(I) Nous avons déjà, dans plusieurs occasions, ruines un peu considérables ne soient pas annon-
fait ressortir l'utilité, la nécessité même
d'une cées par quelque dattier qui s'élève de leur in-
semblable expédition, qui ne pourrait être entre- térieur. ( Voyage dans la Régence d'Alger,
prise qu'aux frais du gouvernement. Une man- tome I, p. 188 ; Paris, 1833. )
que pas de savants courageux qui désireraient (3) Description de l'Egypte, Histoire natu-
en faire partie. relle, tome I, in-fol., p. 54 ( Paris, 1809).
ÉTATS TRIPOLITAINS. H7
Théophraste a le premier indiqué le suc , à section nette et dure. Aussi
les
On emploie son feuillage, comme celui ilscontiennent des graines ou spathes partiels
du dattier, pour des ouvrages textiles propres aux rameaux des grappes. Chacun
(irpbç Ta ^Xe-^axa). Il produit un fruit de ces rameaux se termine par plusieurs épis
particulier, bien différent de grosseur, ou chatons couverts d'écaillés imbriquées,
de forme et de suc ; car ce fruit remplit que des faisceaux de soie séparent , et du mi-
lieu desquels sortent des fleurs solitaires fort
presque le creux de la main ( ayiSov x*i-
petites.
poTrXnôéç ), il est arrondi, et non oblong;
« Les fleurs mâles out un calice à six divi-
sa couleur est jaunâtre son suc doux ,
sions dont trois , extérieures , étroites , sont
et d'une saveur agréable ; il ne croît pas
,
!
M. Auguste Saint-Hilaire a développée {Le- six portions ; il est placé au-
presque égales
çons de Botanique ) avec cet esprit de clarté et dessous d'un ovaire à trois lobes. Cet ovaire
de philosophie dont Linné semblait seul avoir
grossit d'une manière irrégulière. Un seul des
le secret. Le nom de [xovocpuéç laisse naturelle-
lobes se développe communément pour for-
[
mal rendu le texte. Ainsi, il traduit xrjv Sèôu-oto- fort sommairement le doum. Il dit que ce pal-
;
xv)xa xaxà xo axéXexoç ëx st xai xà cpuXXa' Siacpe'pet mier croît en Egypte, en Syrie, et en l'île de
, Se, ôxi x. Xv X. par cette phrase : caudice et Crète; il signale comme caractère essentiel la
foliis differt, Or, comme on vient de le
quod, etc. bifurcation de la tige... Quœdam in Syrie et
: voir, le texte original dit tout le contraire. ( Theo- yÈgypio in binos dividunt se truncos : in Creta
phrasii Eresii quœ supersunt Opéra, tom. II, etiritemos, quœdamque in quinos— L'Ecluse et
i p. 82, edit. Schneider; Lips., 1818, in-8°. ) Bauhin n'en ont parlé que d'après Théophraste
Ne serait-il pas à souhaiter que les livres et Pline.
! de Théophraste sur la botanique ( Ilepi <puxwv (3) Le doum a de l'affinité
avec le genre Cha-
i
ïcrxopia ; alxitov cptoxtxtov ) fussent enfin
Tcspl mœrops dont les feuilles ont presque la même
,
traduits du grec en français. Ce serait rendre forme mais dans les Chamœrops l'embryon est
;
118 L'UNIVERS.
tre, et dans chacun desquels se trouve une poussière glauque, comme des prunes w
fra;
semence parfaite. ches.
« Le fruit est un drupe sec, jaunâtre, « La semence ou l'amande de ses fruit
ovoïde, couvert d'une écorce fine, lisse et est d'abord cartilagineuse et remplie d'um
friable, qui cache un tissu particulier de eau claire sans saveur; d'ans les fruits mâlej
fibres. Une pulpe d'une saveur mielleuse et elle se durcit assez pour que l'on puisse ei
aromatique est logée entre les fibres, qui ex- former des anneaux et des grains de chapele
térieurement sont lâches et redressées ; elles faciles à polir. »
naissent d'une couche très-serrée à l'intérieur,
et qui forme une enveloppe ligneuse. Le tissu Onn'avait connu encore que lei,
dense de cette enveloppe ne se continue pas fruits du doum. Delile en a le premier
également de toutes parts pour former la bien décrit les fleurs. Avant ce bota.
paroi d'une loge complète ; il est interrompu niste célèbre, Pocock l'avait sommaire
dans un point à la partie supérieure , qui se ment décrit et dessiné, sous le nom d(
perce aisément. Cette enveloppe contient une Palma thebaica. Bruce le mentionne
amande ou semence de forme conique, quel- également ; mais il attribue aux fruits
quefois presque ovoïde, et élargie par une
une saveur amère , qualité tout à fait
de ses extrémités , qui lui sert de base. Cette
passagère. Forskal le place, sans le dé-
semence est un peu tronquée au sommet,
crire, entre les genres Borassus et Co-
où l'embryon se trouve logé dans une petite
rypha. Gaertner en a formé un genrd
cavité; elle est composée d'une substance
particulier, sous le nom de hyphœne, à
blanche et cornée , qui laisse un vide dans le
centre. La surface est recouverte d'une pel- cause de la position de l'embryon aii
licule brune et écailleuse. sommet de la graine (1). Deux espèces!
« Le bois du doum est plus solide que de ce genre sont décrites dans l'ouvragé
celui du dattier. On en taille des planches de Gaertner : l'une, H. crinita, est le
dont on fait des portes dans plusieurs villages même que \edoum ; l'autre,//, coriacea/
du Saïd. Les fibres de ce bois sont noires, en diffère par son fruit, élargi au sommet
J
et la moelle qui les unit est un peu jaune. Ces fruits se ressemblent d'ailleurs
Le bois des branches est mou léger et , , beaucoup : on découvre dans les deux
n'a point de couleur. Les feuilles sont em- espèces le même tissu de fibres, lorsque'!
ployées à faire des tapis des sacs et des pa-
,
la pulpe et la pellicule des fruits com-
niers fort commodes d'un usage très-ré-
et
mencent à se détruire ; mais ces fibresis
pandu. Les fruits ont une pulpe pleine de fibres;
se séparent plus facilement dans YHÏ
ce qui n'empêche pas les paysans du Saïd
coriacea, que dans Y H. crinita. —I
d'en manger quelquefois. On eu apporte beau-
coup au Caire, où on les vend à bas prix.
VH. coriacea est indigène de Mélindej:
( Zanguebar ), sur la côte orientale dm
On les regarde plutôt comme un médicament
utile que comme un fruit agréable; ils plai- l'Afrique (2). \
sent cependant aux enfants , qui en sucent la La côte occidentale de l'Afrique tro-
pulpe , dont la saveur est exactement celle du picale produit Y Elaeis guineensis, Jacqv
pain d'épice. On en fait par infusion un sor- le palmier à l'huile ou maba des indi-
bet, qui ressemble à celui que l'on prépare gènes. C'est la seule espèce de palmier
avec la racine de réglisse ou avec la pulpe des que renferme l'herbier de Smith, re-
gousses de caroubier. Cette liqueur est douce, cueilli au Congo , pendant l'expédition
et passe pour salutaire. du capitaine Tuckey. Le genre Elaeis
« Le doum ans au mois
fleurit tous les est encore très-imparfaitement connu,
d'avril. Il n'est pas besoin d'aider la
fécon- selon le journal de Smith. D'après Jac-
dation en portant des fleurs mâles sur les
quin, Y Elaeis guineensis est monoïque,
grappes femelles : la poussière des étamines
tandis que Gaertner l'a décrit comme
en volant dans l'air , imprègne suffisamment
les ovaires. Les paysans du Saïd assurent
qu'un doum mâle peut féconder plusieurs (1) Le nom (Thyphœne, du grec Oç>a(vw , je
pieds femelles éloignés. Quoiqu'il avorte tisse, esttout a. fait mal choisi. Nous proposons
le nom, beaucoup plus correct, de epacra ( de
beaucoup de fruits sur les grappes , ils y sont
è%i,sur, et àxpa, sommet), qui rappelle parfaite-
fort serrés ; s'ils nouaient tous , ils manque- ment le caractère essentiel du genre. Il faudrait
raient d'espace pour se développer : une alors nommer le palmier-doum Epacra cucifera.
grappe en produit environ trente ou qua- (2) R. Brown, Observations sur V herbier de
Tuckey. )
ÉTATS TRIP0L1TAINS. 119
dioïque, opinion adoptée, sans exa- pour une espèce de Phœnix (Ph. leonen-
men, par Schrœber, Willdenow et Per- sis), legenre Fulchironia, dédié à M. Ful-
soon. Ce palmier est aussi très-répandu chiron, devra disparaître de la science.
dans l'Amérique tropicale, particulière- Ce palmier a cela de particulier, que ses
ment au Brésil où il est connu sous le
,
feuilles, qui ressemblent tout à fait à
porté en Amérique par des colons por- des tissus. Une autre espèce de Phœnix,
tugais. Son fruit, de forme ovalaire le Ph. paludosa, est également indi-
fournit l'huile de palme. Le suc fermenté gène de l'Afrique ; mais on n'a pas su in-
des jeunes spathes est employé en guise diquer avec précision la contrée spéciale
de vin (vin de palmier). que ce palmier habite. Ces deux espèces
Dans son Journal de l'expédition aux sont cultivées dans les serres du Jardin
bords du Zaïre (Congo) , le professeur des Plantes à Paris (1).
Voici, en résumé, les palmiers de l'A-
Smith fait mention d'une espèce d'ffy-
phsene, dénomination sous laquelle il frique jusqu'à présent connus : ceux
a rangé les palmiers qu'il aperçut,
dont les noms sont suivis de (?) ne sont
encore que vaguement indiqués :
delà Cyrénaïque.
donne sur le fameux sylphium des an-
Convolvulus althœoides. Ibid.
—Uneatus. Ibid. ciens :
j
— tricolor. Ibid. Thapsia sylphium : « Foliis pinnatis; fo-
Lonicera cyrenaica. Collines de la Cyré- liolis multipartitis ; laciniissimplicibus, trifidis,
naïque. omnibus linearibus, elongatis, utrinque hirsu-
Coris monspeliensis. Collines maritimes de tis, margine revolutis. Radix crassa, fusifor-
Lycium europœum. Près de Tripoli. foliacaulina petiolo basi ample dilatato , am-
—a/rum. Désert de la Grande Syrte. plexicauli , pinnata , foliolis plurimis verticil-
Ziziphus vulgaris. Tripoli et Cyrénaïque. latim erumpeutibus , sessilibus, quinqueparti-
— Rochers
lotus. maritimes de la Cyré- tis ; laciniis aliis simplicibus, aliis trifidis pin-
122 L'UNIVERS.
Linum decumbens. Champs près de Tripoli. Sedumbracteatum,~\T iv. (Espèce nouvelle,
Narcissus sevotinus. Entre Lébida et Me- qui diffère du S. cœruleum , Vahl., par ses
surate. feuilles, linéaires, non oblongues-, par ses
Aphyllanthes monspeliensis . Collines de bractées ovales-aiguës; elle est d'ailleurs tout
Tripoli. à fait hispide.) Littoral de la Grande Syrte.
Allium chamœmoly. Ibid. Oxalislibyca, "Viv. (Espèce nouvelle.) Acau-
— odoratissimum. Ibid. lis, scapo umbellifero ; calycinis folio lis
— paniculatum. Littoral de Tripoli. apice biglandulosis corolla quadruplo bre-
Qrnithogalumflbrosum.'Dësert de la Grande vioribus ; foliis ternatis , foliolis obcordato-
Syrte. bilobis, sessilibus , pilis sparsis , hirsutis.
— umbellatum. Collines de Tripoli. Dans les prairies de la Cyrénaïque.
— Pyrenaicum. Ibid. Euphorbia seticortùs. Littoral de Tripoli.
Perwiana.
Scilla Ibid. — trapezoidalis. Littoral de la Penta-
— undulata. Ibid. pole. Cette plante diffère de l'espèce précé-
— maritima. Littoral de Tripoli. dente par sa petite taille et par son ombelle,
Asphodelus flstulosus Ibid. . non quinquéfide, dichotome.
Anthericum trinervium. Cyrénaïque. — heterophylla. Collines sèches de Tri-
Hyacinthus sessiliflorus. Littoral de la poli.
Grande Syrte. Euphorbia paralias. Côtes de Tripoli et de
Hyacinthus botryoides. Collines de Tripoli. la Pentapole.
Frankenïa hirsuta. Littoral de la Grande — dendroides. Ibid.
Syrte. — spinosa. Collines de Tripoli et de la
,
lyce quadruplo laminam superante ; floribus linearibus y margine revolutis ; slipulis con-
axillaribus, racemosis ; calyce setulis articula- formibus ; calycinis foliolis majoribus, exqui-
tis hirlo ; capsulis globosis ; foliis inferioribus site quinquenerviis ; minoribus ovato-rotun-
spathulatis ; superioribus floralibusque lan- datis. Fruit encore inconnu. Ibidem.
ceolatis. Littoral de la Grande Syrte. — ciliatus. Collines de la Cyrénaïque.
— cryptantha, "Viv. (Espèce nouvelle. ) Ca- —ruficomus, Viv. ( Espèce nouvelle.) Carac-
ractères essentiels : Foliis obovato-spathulatis', tères essentiels Stipulatus, suffruticosus, pube
:
hispido-fujfura- siliquis
— laxiflorum. Ibid. ceis,rostrum complanatum longitudine œquan-
— tenue,
Viv. (Espèce nouvelle.) Caractères tibus. Littoralde la Grande Syrte.
essentiels : Foliis alternis, temisque linearibus; Hesperis nitens, Viv. (Espèce nouvelle.)
floribus terminalibus y pedunculatis ; corollœ Caule suffruticoso ; foliis sessilibus , inferio-
labia inferiore bilobo , super iore bifido. Cal- ribus obovato-oblongis , superioribus lato-li-
care subconico , , tubum
recto œquante. Vi- nearibus, obtusis ; siliqua subtetragona.
viani "n'en a pas vu la capsule. Collines sa- Plante très-glabre. Rochers maritimes de la
blonneuses de la Grande Syrte. Pentapole.
— sparteum. Littoral de Tripoli. Erodium laciniatum. Rivage de Tripoli.
Orobanche compacta, Viv. (Espèce nou- — asplenioides. Ibid.
velle. ) Caractères essentiels : Caule simplici — pruinum. Montagnes de la Cyrénaïque.
imbricato , a basi ipsa fiorifera ; spica ovato- — - supragonum. Ibid.
multiflora; bracteis ternis, ovatis; labio su- — tordiliodes. Ibid.
periore bifido , laciniis ovatis, acutis. Littoral Géranium molle. Dans toute la Cyrénaïque»
de la Grande Syrie. -— dissectum. Champs de Tripoli.
, ;,
124
L'UNIVERS.
leguminibus subbinis , incurvis, subcylindrU
Géranium tuberosum. Cyrénaïque.
— robertianum. Ibid.
Champs de Tri-
cis. Littoral de la Grande-Syrte.
Astragalus biflorus, Viv. (Espèce Houvelle.)
Var. parviflorum. Ibid.
Caulescens hirsutus ; stipulis brevissimis ; fo-
poli et de la Cyrénaïque.
,
naïque.
Spartiwn monospermum. Littoral de Tri-
poli.
— sablonneuses du
lanigerus. Collines ri-
vage de Tripoli.
Spartium sphœrocarpum. Ibidem.
— rigidum, Viv. ( Espèce nouvelle.) Caractè-
— de Lébida.
epiglottis. Collines près
obo-\
Suffruticosus, sericeo-argenteus ; foliolis
Cyrénaïque.
vato-cuneatis ; stipulis ovato-obliquis ; pe-
Vicia monanthus. j
dunculis capituliferis , secundis , reflexis ;
Var. $
hirsuta. Rivage de la Pentapole.
— angustifolia. braclearum foliolis obovatis. Collines sèches
— intermedia, Viv. (Espèce )
nouvelle.) Le- de la Cyrénaïque.
— cytisoides. Ibid.
solitarïis hirsutis ;
guminibus subsessilibus
foliolis mucronatis ,
,
in foliis
,
stipulis, bracteisque
hirsutus ; foliolis
sus, ,
linearibus in injerioribus obcordato-cunea-
,
ovato-ellipticis ; pedunculis unifloris , folio tri-
tis; stipulis immaculatis , semisagittatis , in-
tegerrimis. Prairies de la Cyrénaïque.
plo longioribus. Montagnes de la Cyrénaïque.
— sauva. Ibid.
—
unibracteatus, Viv. (Espèce nouvelle.)
obovatis;
Lathyrus aphaca. Ibid. Diffusus, hirsuto-rufescens ; foliolis
— cicera. Ibid. bracleis oblique ovatis; pedunculis axillaribus,
monophylla, elliptica munitis
uni/loris; bractea
Ornithopus scorpioides. Ibid.
Montagnes de Cyrénaïque.
la
Scorpiurus acutifolia, Viv. ( Espèce nou-
velle. ) Pedunculis bifloris ; leguminibus ex-
— ietragonolobus. Collines maritimes de la
Cyrénaïque.
trorsum spinis confertis , hamosis hirtis ; ,
bus, superioribus ternatis y summis pinnatis ; mineuses. (De SwtXôç, doublent %^m,scie\
ÉTATS TRIPOLITAINS, !25
par allusion au fruit, qui ressemble à celui du Catananche lutea, Linn. Collines delà Cy-
Biserrula pelecinus.) Caractères essentiels : rénaïque.
fjigumen uniloculare, polyspermum, in spiram Carduus tenuiflorus. Will. Montagnes de
îrtvolutum; suturis linearibus , valvularum r
la Cyrénaïque.
piano, axi spirœ parallelo. (Voisin du genre Atractylis cœspitosa , Desf. Littoral de
medicago. ) Tripoli.
Diploprion medicaginoides , Viv. Foliis Siaehlina chamœpeuce , Linn. Rochers ma-
tematis; stipulis ovato-lanceolatis ; peduncu- ritimes de la Pentapole.
lis axillaribus ,^filiformibus , nudis capitula- Santolina maritima, Linn. Littoral de Tri-
tis. Collines sablonneuses de la Grande Syrte. doli.
Trigonella peliolaris, Viv. (Espèce nou- àpatanthus. Viv. Nouveau genre de sy-
velle.) Legumlnibus subcapitatis pendulis nanthérées. ( De àTCaTaa) ,je séduis, et àvQoç,
,
pedicellatis , subfalcatis ; petiolo duplo pe- fleur ; parce qu'elle simule une hieracium.)
dunculos super ante ; foliolis obcordato-cunea- Caractères essentiels : Receptaculum palea-
tis ; stipulis obliquis , ovato-acutis
, profonde ceum; pappus sessilis , pilosus ; coroltulœ om-
|
dentatis. Pâturages de la Cyrénaïque. nes hermaphroditœ , radii ligulatœ ; dis ci tu-
Scorzonera serrulata, Viv. (Espèce nou- bulosœ, tubo inferne,filiformi , superne in cy-
velle.) Caulibus unifloris ; foliis linearibus lindrum expans o , ore truncato.
• caljceque glaberrimis seminibus tuberculato. — crinitus, Viv. Hispidus ; foliis obovatis y
sefrulaiis; foliis lineari-acuminatis. Prairies de in pedunculum attenuatis ; scapo unifloro.
la Cyrénaïque. Montagnes de la Cyrénaïque.
Sonchus Tingitanus. Montagnes de la Cyré- Artemisia pyromacha , Viv. (Espèce nou-
naïque. velle.) Fruticosa, incan a ; foliis apicem versus
Apargia taraxaciflora , -~Vi\. (Espèce nou- laciniatis , pinnatisve ; foliolis nunc integvis,
velle.) Setuloso-hispida ; foliis sinuato-pinna- nunc incisis, subteretibus ; superne sulcatis.
tifidis ; floribus paniculatis; calycis foliolis Désert de Grande Syrte.
la
exterioribus Iaxis. Dans le voisinage de Cy- Gnaphalium conglobatum, Viv. (Espèce
I rêne. nouvelle. Fruticosum ; foliis lineari-spathula'
— hastilis. Cyrénaïque. tis ,
)
sessilibus , margine subrevolutis , canes-
!
Hieracium simplex, Viv. ( Espèce nouvelle.) ceatibus , floribus terminalibus congestis, ova-
;
Scapo simplici , unifloro , prope calycem in- to-conicis , truncatis; foliis calycinis adpres-
crassato, squamifero ; foliolis calycinis unica sis, ovato-acutis. Rivage de la Grande Syrte.
i série in cylindrum conn'wentibus ; foliis ob- — slœchas, Linn. Collines sèches de Tripoli.
I; ovato-ellipticis , sinuato- dentatis ;
seminibus — italicum, Roth. Ibid.
|
apicem versus coarctatis. Prairies de la Cy- Senecio laxiflorus, peut-être le Senecio co-
rénaïque. ronopifolius de Desfont. Monticules sablon-
Crépis nudiflora Viv. ( Espèce nouvelle.
, neux de Tripoli.
)
I Setuloso-hirta ; foliis spathulato-oblongis Chrysanthemum pusillum, Viv. (Espèce nou-
dentatis; pedunculis nudis; calyculi foliolis velle. ) Glaberrimum ; foliis radicalibus ob-
\
j:
lineari-setaceis , patentibus ; corolla calicem ovato-ellipticis ,super ioribus lineari-lanceo-
1 paulo super ante ; seminibus stipitatis , trans- latis utrinque integerrimis ; internodiis apice
,
ii verse rugosis. Pâturages de la Cyrénaïque. dentatis, sublinearibus , omnibus sessilibus;
Crépis nigricans. Viv. ( Espèce nouvelle.) caule unifloro. Bords de la Grande Syrte.
i Setuloso-hispida ; foliis caulinis lanceolato- — macrocephalum, Viv. Espèce nouvelle.)(
I amplexicaulibus , sinuato-dentatis , summis Foliis sessilibus , apice palmatis
linearibus ,
I integerrimis ; calyculi foliolis lineari-acutis tridentatisque ; deniibus mucronatis ; summis
patentibus ; calycinis dorso pilis nigris hirtis. integerrimis ; caule unifloro. Près de Tripoli.
Montagnes de la Cyrénaïque. — coronarium. Linn. Montagnes de la Cyré-
Crépis filiformis, Viv. (Espèce nouvelle.) naïque.
Foliis lineari-lanceolatis elVipticisque , inte- Anthémis arabica, Linn. Rivages de Tripoli.
gris vel remote sinuato-dentatis; peduncu- — clavata, Will. Cyrénaïque.
lis aliis radicalibus , filiformibus , unifloris t — maritima, Linn. Rivages de Tripoli.
nudis , aliis mulûfloris , foliolis; bracteis li- Buphthalmum spinosum , Linn. Collines de
nearibus in laxum calyculum confluentibus. Tripoli et de la Cyrénaïque.
;
Cyrénaïque. — asteroideum, Viv. (Espèce nouvelle.)
^
Hedypnois ( Espèce nouvelle.
laciniflora. Foliis alternis , caulinis superïoribus semi- am-
)
Foliis caulinis amplexicaulibus lanceolatis ; plexicaulibus, lineari-acutis ; foliolis calycinis
pedunculis elongatis , superne incrassatis linearibus, trinerviis , mucronatis, radium
nudis; ligulis quadrifidis ; lacinuli apice sextuplo superantibus. Montagnes de la Cy-
;
glandulosi. Littoral de la Grande Syrte. rénaïque.
, . , j j
12G L'UNIVERS.
dorso triplici ordine late dentato ; interiori- rêt de la science mais encore dans ce-*
,
bus rotundatis , vesiculosis, muticis ; caly- lui du commerce à établir des relations
,
cibus corollam œquantibus ; foliis lineari- suivies avec le Soudan, soit à travers le;
lanceolatis, denticulato-ciliatis. Littoral de désert de Sahara soit en passant par les,
,
Le vocabulaire du Begharmi fut écrit temps des langues aussi différentes entre
sous la dictée du fils du dernier sultan de elles. On aurait pu douter peut-êtrede l'i-
?e pays et celui du Mandara, sous la dic-
; dentité de valeur des substantifs rappor-
tée d'Achmet, Mandaran, esclave du tés ci-dessus ; car en fait de semblables
îheik du Bornou. Les mots de l'idiome renseignements il ne faut pas se fier à
le Tombouctou diffèrent totalement de la bonne foi, encore moins aux lumières
3eux recueillis par le capitaine Lyon. des habitants de l'intérieur de l'Afrique.
Dans le monde entier il n'existe peut- Mais pour les noms de nombre le doute
îtrepas d'exemple de pays aussi rappro- n'est plus permis il ne peut y avoir
:
chés les uns des autres, comme le Bor- qu'un son pour prononcer un chiffre.
,
128 L'UNIVERS.
De même qu'on a voulu voir quelque empêcher de faire observer que ces rap-
analogie entre le grec et le chinois , de prochements sont déjà bien nombreux
même aussi on pourra trouver quelques comparativement au peu de renseigne-,
ressemblances de mots en comparant les ments que nous avons sur les idiomes du
langues du Soudan avec les langues sé- Soudan. Serait-il vrai, comme nous l'a-
mitiques et indo-germaniques. En voici vons déjà dit ailleurs sous forme d'hypo-
des exemples En begharmi :
: thèse (1), que la Nigritie, pays mysté-
rieux, a servi successivement de re-
Douro; jour, rappelle l'italien giorno, le
fuge à tous les peuples, de race diffé-
français jour , l'un et l'autre dérivant du latin
rente, qui, tour à tour vainqueurs et
diurnus.
vaincus, ont occupé le littoral de l'Afri-
Bah, rivière, ressemble beaucoup à l'a-
rabe bahr, rivière. que depuis les bouches du Nil jusqu'aux
Beh, maison, en hébreu (phénicien) bet colonnes d'Hercule. Il y a eu des Phéni-
{status construct. de baït). ciens, des Carthaginois, des Romains, <
Tcheri, bois, et al djemmo, bride , sont des des Grecs, des Vandales, sans parler
mots presque tout à fait arabes. des autochthones. Tout cela a disparu.
Ni, femme ; en espagnol , nina. Derrière le désert de Salira, cet océan de
Abey, qui signiiie va-t'en, rappelle tout à sable, ils devaient être à l'abri du glaive
fait le latin abi, va-t'en. des conquérants. Pourrait-on recon-
Ma mon ma même valeur
, , ( dans toutes naître dans les peuplades diverses du
si
les langues indo-européennes). Soudan les descendants dégénérés de ces
antiques nations qui ont joué un si grand
Nous nous garderons bien de conclure
rôle dans l'histoire? C'est là un immense
de ces rapprochements qu'il existe une
problème encore à résoudre.
parenté étroite entre les langues sémi-
tiques, indo-européennes et celles du Sou-
(I) Afrique centrale, etc., p. 211 (dans la col-
dan. Cependant nous ne pouvons nous lection de l'Univers pittoresque).
FIN DE L'APPENDICE.
TUNIS,
DESCRIPTION DE CETTE RÉGENCE,
PAR LE Dr LOUIS FRANK,
Ancien médecin du Bey de Tunis, du Pâcha de Jannina, et de l'armée d'Egypte
;
REVUE,
PAR J. J. MARCEL,
Officier de l'Ordre de la
Légion d'honneur, Ancien membre de l'Institut d'Egypte,
et professeur suppléant des langues orientales au Collège de France
;
des Sociétés Asiatiques de Paris et de Calcutta , des Lincei de Rome , de la Société
littéraire du Kaire etc.
Le docteur Louis Frank était neveu du sa- et lui obtinrent l'amitié particulière de cet
vant médecin Jean-Pierre Frank, dont la cé- habile appréciateur du mérite : le nom de
lébrité a été européenne , et qui mérita la fa- Louis Frank a été cité avec distinction par
veur particulière des souverains de l'Allemagne Desgenettes dans son Histoire médicale de
et de la Russie. l'armée d'Orient (2) où le dévouement et la
,
Sa famille était belge, d'origine française, et science de Louis Frank reçoivent les témoi-
dans ses affections comme dans la carrière gnages les plus honorables.
qu'il s'était tracée,
s'est toujours regardé
il
Mais les travaux de Louis Frank ne se bor-
comme véritablement Français lui-même. nèrent pas en Egypte à ses fonctions médi-
Lorsque nos armes pénétrèrent en Italie cales : répondant avec zèle à l'appel que Des-
dans la mémorable campagne de 1794 et 1795, genettes avait adressé dès son arrivée en Orient
le jeune Frank, qui était alors étudiant en mé-
aux officiers de santé placés sous ses ordres (3),
decine à l'université de Pavie, où il avait déjà en les invitant à recueillir et à lui adresser
obtenu les plus brillants succès, se
bâta d'offrir des notices descriptives sur les différentes lo-
ses servicesau Général en cbef, qui le reçut au calités où leur service les portait, Louis
nombre des médecins ordinaires de l'armée, Frank s'empressa d'offrir à son chef plusieurs
et l'attacha bientôt au service particulier de
mémoires importants, parmi lesquels nous
l'état-major général. nous contenterons de mentionner les suivants:
La manière distinguée dont Louis Frank
8
remplit ces fonctions pendant toute la cam- I Rapport sur l'état sanitaire de l'hôpital
d'Ibrahym-Bey;
pagne mérita le choix du Général en
lui
chef pour l'accompagner dans son expédition
,
2° Mémoire sur commerce des Nègres au
le
Kaire ,et sur les maladies auxquelles ils sont
d'Egypte, et le jeune médecin y rendit à l'ar-
sujets en y arrivant (4).
mée française de tels services qu'ils lui valu-
,
rent fréquemment les plus grands éloges, dans (2) Histoire médicale de l'armée d'Orient, par
les rapports de Desgenettes, médecin en chef, R. Desgenettes; Paris, Crouillebois an X 1802;
, =
2 vol. in-8°.
(5)Lettre circulaire aux médecins de l'armée d'O-
(i) Nous avons pensé qu'il pourrait être agréable
rient , sur la rédaction de la topographie physique
à nos lecteurs de connaître, par cette courte notice, et médicale de l'Egypte (Décade égyptienne,
un savant recommandable dont le nom a été omis tome 1 er , page 29).
par toutes les biographies malgré le droit bien
,
(4) Page 125 et suivantes du IV e volume des Mémoi-
réel qu'il avait de ne pas en être oublié. res sur l'Egypte, publiés pendant les années VII,
re
l Livraison. (Tunis.) 1
,
2 L'UNIVERS.
3° Notice sur la topographie physique et mé- ample moisson de médailles et d'antiquités
dicale de Rosette, opuscule que Desgenettes précieuses , il se décida à quitter une cour où
jugea digne d'être puhlié dans la Décade égyp- nul n'était sûr du lendemain, et où lui-même
tienne fi), et qu'il a inséré en entier dans la se-
conde partie de son Histoire médicale de l'ar- voyait le sabre du Pâcha continuellement sus-
mée d'Orient (2). pendu sur sa tête. Une absence du despote
qui l'avait rendu responsable de sa santé;
Lorsque les éfiorts réunis de l'Angleterre lui fournit l'occasion de s'échapper clandes-
et de la Porte Ottomane eurent contraint les tinement de l'Épire, et il retourna en 1 806 à Tu-
Français à évacuer la belle province que nis, où il était sûr de retrouver un bon accueil
leurs armes avaient conquise, Louis Frank et où du moins- il devait n'avoir aucunemen
suivit encore nos soldats dans leur retour en ,
à toute autre.
promis ce travail comme le tribut de son ami-
dette contrée était l'Épire, sur laquelle les
tié ,et il m'en envoya le manuscrit (3) d'A-
succès d'un heureux rebelle avaient fixé les
lexandrie ( en Italie ) où à son retour en
, ,
tions en 1802. même temps , pour ne pas rejeter sur lui la respon-
Journal littéraire publie au Kaire, en s volumes
(i) sabilitéde mon propre travail , j'ai eu soin de signer
petit in-4°, sous ma direction et celle de Desgenettes. toutes les notes et les éclaircissements que j'ai cru!
(2) Pag. no et suivantes. devoir ajouter au texte de cette publication,
J. J. M.
PREMIÈRE PARTIE
PAR LOUIS FRANK (1).
à faire ce voyage, c'est qu'on m'assurait cessifs sur cette terre inexplorée.
que les Européens , et surtout les Fran- Ce sont ces notes que j'offre au-
çais, étaient plus respectés dans cette jourd'hui au public, et j'ai pensé qu'elles
ville qu'en aucune autre échelle des ré- pouvaient intéresser, non-seulement les
gions barbaresques, et que surtout letitre curieux, mais encore les commerçants ,
de médecin m'y garantissait plus parti- les navigateurs , et peut-être aussi' notre
culièrement un accueil favorable. gouvernement lui-même (3).
Convaincu qu'on ne juge bien un Le lecteur serait trompé dans son
pays qu'autant qu'on s'est préalablement attente s'il espérait trouver ici des des-
instruit de ce qui le concerne sous tous criptions riantes et poétiques, des di-
les rapports, je travaillai dès lors à gressions théoriques ou anecdotiques, qui
me procurer tout ce qui avait pu être pourraient amuser un moment son es-
écrit au sujet de cette partie de la Bar- prit, et le délasser en quelque sorte de
barie; mais quel fut mon étonnement l'ennui que fait souvent éprouver un
de ne trouver qu'un seul voyageur , le écrit d'une nature sérieuse je crois de- :
docteur Shaw, qui s'en fût occupé voir l'avertir que je n'ai cherché, dans ce
avec quelque étendue (2). tableau de Tunis, qu'à être vrai et
utile ; et si cet opuscule consciencieux
(i) Cette Description sera divisée en deux
obtient quelque approbation du public,
parties :1a première
est entièrement l'ouvrage
de Louis Frank ; la seconde partie, contenant
les documents historiques que lui-même dans (3) Cet intérêt , si incontestable d'ailleurs
ses lettres m'invitait à
y joindre, a été entiè- s'accroît pour nous, par les circons-
encore ,
rement rédigée par moi. ( J. J. M. ) tances où nous place la conquête de l'Algérie,
(2) Yoyages de M. Shaw, D. M., dans plu- et surtout par les relations amicales mainte-
sieurs provinces de la Barbarie et du Levant nant établies entre la France et Tunis, rela-
contenant des observations géographiques tions dont la visite en France du Bey de cette
physiques, philologiques, etc.; La Haye, 1743, Régence nous donne un gage éclatant et une
2 vol. in-4 . démonstration riche d'avenir. (J. J. M.)
1.
,
L'UNIVERS.
ce n'est que sous ce rapport qu'il pourra Ce temps une destinée par
fut de tout
espérer de la mériter. pour ainsi dire fatalemen
ticulière, et
Il y a plus : c'est que je dois avouer inhérente à cette partie du monde, d
que ce n'est ici qu'un itinéraire, esquissé conserver inconnues et cachées, comm
dans l'intention d'engager quelque sa- sous les ténèbres impénétrables d'un
vant voyageur qui aura l'occasion et le voile mystérieux, les contrées et les
temps d'entreprendre des recherches nations qui occupent l'intérieur de son
plus approfondies, à perfectionner, parun continent immense , même lorsque son
nouveau travail, celui que je n'ai pu qu'é- littoral y servait de théâtre aux luttes
baucher moi-même. des peuples divers, qui, des autres parties
Les connaissances humaines en gé- du monde , semblaient s'y être donne
néral ne pourraient que gagner, sans rendez-vous, comme dans un champclos
doute, à acquérir des notions aussi pré- pour décider des intérêts de rivalité
cises qu'étendues , sur une contrée qui ou satisfaire des inimitiés, étrangères au
offre de toutes parts une récolte aussi sol sur lequel ils établissaient leur san
intéressante que variée; l'histoire, la glante arène.
géographie, l'histoire naturelle, l'ar- C'est ainsi que , dès les temps histo-
chéologie, la politique, l'industrie, l'étude riques les plus reculés, chassée d'un coii
des mœurs des idiomes , des croyan-
, de l'Asie , une horde de Phéniciens vin
ces, etc., telle est la riche moisson pro- s'implanter par la force au milieu d(
mise par les côtes barbaresques. f)euplades pacifiques et inoffensives d<
Je ne terminerai pas ce préambule sans 'Atlas, et y fonder cette cité orgueilleuse
solliciter l'indulgence du public pour si longtemps l'arbitre de l'Afrique et la
ce travail, qu'il s'apercevra peut-être reine de la Méditerranée, Carthage, don
avoir été rédigé dans une langue qui ne l'empire osa si longtemps rivaliser avec
m'est pas entièrement familière. celui deRome : cette rivalité, mettant en j
Alexandrie, I
er
octobre 1816. l'Espagne et l'Italie elle-même, finit par
appeler les aigles de la République sur ;
CHAPITRE I
er
.
Carthage fut écrasée sous les pas de ses
vainqueurs, et l'Afrique ne fut plus^
Insuffisance des notions antérieures sur Tunis. qu'une province romaine, qui subit pas-
— • Anciennes' révolutions de celte contrée. sivement toutes les révolutions de la Ré-
— Les Phéniciens — Carthaginois — ; les ; publique , de l'empire des Césars et du
Romains — Bas-Empire —
les Van-
le les
Bas-Empire jusqu'à la chute des der-
j
traînait donc une seconde fois sur les Vandales, repoussés successivement de
rivages de la partie du monde qui nous presque toutes les contrées européennes,
est la moins connue, quoiqu'elle soit la vinrent à leur tour jeter leurs essaims
plus rapprochée de cette Europe civilisée, dévastateurs sur les provinces littorales
qui a fourni tant d'explorateurs actifs de l'Afrique, et en disputer par de lon-
et infatigables aux îles les plus imper- gues guerres la possession aux fantômes
ceptibles des mers océaniennes , aux la- impériaux qui régnaient encore nomi-
byrinthes les plus inaccessibles des glaces nativement à Byzance.
polaires. Mais tandis qu'ils étaient à grande
TUNIS.
peine refoulés par les Grecs derrière les jusqu'à la source de ce fleuve , sortant
versants de l'Atlas, et confondaient leur d'une montagne à laquelle il donne le
population septentrionale avec celles nom de montagne des Grâces (Xapt-
des Numides , des Libyens et des Mau- Tcbv).
ritaniens indigènes, qu'ils y avaient Sur la route qui conduit de la Cyrénaï-
eux-mêmes repoussés, un autre colosse que en Nigritie , Ptolémée a connu Pha-
se levait dans les déserts de l'Arabie, et zania, maintenant le Fezzan, à peine ex-
venait faire peser un joug commun sur ploré de nos jours par quelques voya-
les vainqueurs et sur les vaincus. geurs; la position qu'il nomme Cyda-
Le Koran de Mahomet d'une main, mus est aujourd'hui Guadamès, dont
le sabre d'Omar de l'autre , les sectaires nous ne connaissons guère maintenant
de l'islamisme, qui avaient déjà arraché que le nom mais où des restes d'anti-
,
l'Egypte aux gouverneurs que lui avait quités et des traces d'anciennes voies
imposés Byzance, se répandaient,comme romaines indiquent la communication
un torrent que nul obstacle ne peut ar- habituelle qui avait lieu, par ce point in-
rêter, depuis les sables de la Marma- termédiaire, entre les places maritimes
rique jusques aux rochers des Colonnes et les contrées intérieures. Les armes ro-
d'Hercule , dont ils devaient bientôt s'é- maines avaient, en effet, pénétré fort
lancer pour enlever l'européenne Espa- avant de ce côté dans le cœur de l'Afri-
gne à ces rois visigoths qui peu aupara- que et sous le règne d'Auguste , jusque
, ,
vant en avaient expulsé les Vandales. chez les Garamantes (2) , au milieu des
Ce tableau rapide des révolutions su- déserts sablonneux du Sahrâ :
bies par cette zone littorale resserrée Reclusâ nudos Garamantes arenâ.
entre les chaînes de l'Atlas et la mer Mé-
diterranée , suffira pour convaincre que Virgile prophétisait même à Octavius
cette partie de l'Afrique a joué un rôle Csesar des conquêtes au delà de ces peu-
historique non moins important dans ,
ples si reculés :
paravant je venais d'explorer les bords. Et, moins d'un siècle après cette prédic-
Mais, au milieu de ces vicissitudes tion, Lucain ainsi que Silius Italicus
, ,
6 L'UNIVERS.
tenant Ta-Sabah, ou Ta-Saouah (1) ; un tana, Proconsuktris , Byzacena(Z) et
fleuveCnyphus, différent de celui de Tripolitana; et elle était arrosée par
Cinyphs , cité ci-dessus, etc. deux grands courants d'eau, le Rubrica-
Les Arabes aussi paraissent avoir eu tus fluvius, et le célèbre Bagradas (4),
sur les contrées africaines des connais- maintenant Mfdjerdah , qui se jette
sances encore plus étendues que celles dans la mer à Porto- Farina, près de
des Grecs et des Romains leurs colonies : Tunis.
conquérantes ayant pénétré plus avant Le nombre des villes ainsi que des
dans l'intérieur de ce continent , et leurs autres établissements romains que ren-
tribus, d'origine et de mœurs nomades, fermait autrefois ce territoire était bien
s'étant plus facilement incorporées et plus considérable qu'à présent. Celles qui
pour ainsi dire amalgamées aux tribus ont disparu, et dont on rencontre à peine
des anciens Numides, c'est-à-dire des maintenant quelques ruines, sont les sui-
Berbères, qui s'unirent d'autant plus vantes :
vite à leurs vainqueurs, que ces apôtres
armés leur avaient fait embrasser leur Tabraca, Aras Philœnorum,
religion en les soumettant à leur Madaurus (5), Horrea cxlia,,
glaive. Musli, minor (6),
Leptis
Pendant la domination romaine, la Tucca, Ubaha,
portion de l'Afrique littorale dans la- Gypsaria ,
Praesidium
quelle je vais introduire mon lecteur, Su/es, Septimuncia ,
pagnols Jayme et les Anglais James; les Fran- cevoir lui-même les impôts.
çais , de sabbati elles, samedi, et réciproque- Les anciennes villes existant encore
ment de marmor marbre ; , les Latins ont de
même fait somnus du grec utcvoç; de l'ancien (3) Ce nom est dérivé de celui de la ville
nom de Bekkék qiie portait jadis leur ville
,
de Byzacium ou Bizacium, maintenant Begny.
sainte, les Arabes- ont fait celui de Meltkéh, ( J. J. M. )
sous lequel elle est connue aujourd'hui; notre (4) Voyez la note 3 e de
page précédente,
la
adjectif tout se rend par nib dans uu des dia- relativement au changement de B en , dans M
lectes coptes dans un autre par nim , etc.
, et ce double nom ; c'est sur les bords de ce fleuve
(J. J. M.) que Régulus combattit et tua un boa d'une
(i) La syllabe Ta ne doit pas être regardée grandeur prodigieuse. ( J. J. M. )
comme faisant partie du nom moderne de cette (5) Cette ville était la patrie d'un philo-
ville. Cette syllabe n'est autre chose qu'un article sophe célèbre du temps de saint Augustin, et
préfixe qui est encore de nos jours employé
, qui fut connu sous le nom de Maxime de Ma-
par la langue berbère, idiome indigène de daure. ( J. J. M. )
l'Afrique, et que tout prouve avoir déjà existé (6) Il ne faut pas confondre cette ville avec
du temps des Grecs et des Romains. (J. J. M.) celle de Leptis magna , maintenant Lébidah.
(2) Ce golfe tire son nom de la ville tle ( J. J. M. )
Gâbess ou Qdbess ( l'ancienne Tacape) , qui (7) Quelques géographes ont pensé que
subsiste encore dans l'enfoncement le plus re- Porto-Farina avait remplacé l'ancienne Utique.
culé de la courbure que forme la côte. (J. J. M.) (J.J.M.)
TUNIS.
dans la Régence de Tunis et ses dépen- et consiste en blés, huiles, olives, laines,
dances sont les suivantes : éponges savons etc. ; et les produc-
, ,
longitude orientale du méridien de Paris. sent rencon tré de trop grandes d ifficultés
Le Pâchalik de Tunis borné au nord
,
à surmonter, soit que les dépenses fus-
et à l'est par la Méditerranée, a pour li- sent trop considérables , l'exécution de
mites à l'ouest les frontières de l'Algé- ce dessein fut suspendue et on finit par ,
8 L'UNIVERS.
lièrement au petit canal de communica- que de quatre pieds et demi ( un mètre
tion entre la mer et le lac de Tunis. On 50 centimètres ), tandis qu'il devrait en
conçoit de quelle importance est ce canal avoir au moins neuf (trois mètres), pour
pour la navigation dans le lac, étant la résister au canon de trente-six; 2° les
seule voie par laquelle on puisse trans- embrasures sont trop ouvertes : consé-
porter à Tunis les marchandises ; mais quemment l'ennemi aurait la plus grande
cette voie est souvent très-pénible par facilité d'en démonter en peu *de temps
son peu de profondeur. Cette double toutes les pièces; 3° le mur de face de
considération engagea le Bey à accepter la poudrière au lieu d'être placé entre
,
deux projets qui lui furent présentés par deux embrasures , étant dans la direc-
le colonel Frank, l'un des deux ingé- tion de l'embrasure elle-même, il s'ensuit
nieurs hollandaisdontj'aiparléci-dessus. naturellement qu'en cas d'une attaque
Le premier de ces projets consistait on ne pourrait plus y entrer, sans courir
à creuser, latéralement au canal , un les plus grands dangers dans le service.
bassin pour y placer les corsaires et les Il y a entre les forts de la Goulette et
Mais avant d'entrer dans les détails nitions de guerre et de bouche il serait
, :
des travaux du colonel Frank , nous re- encore fort aisé à l'ennemi, quel qu'il fût,
marquerons qu'à l'embouchure du canal d'opérer sa descente, par le défaut ou
il y a une batterie et un petit fort qui l'ignorance absolue des artilleurs.
en défendent le passage : ces moyens Le Bey tient à la Goulette un aga
de défense semblent également super- qui est chargé de vérifier les lettres des
flus ; car on ne voit pas ce qu'on doit capitaines qui arrivent, de lui en donner !
colonel Frank ; elle est armée de douze tif du mot Bahar, qui signifie la mer, et qui
pièces de trente-six ; mais elle a de grands désigne aussi quelquefois les grands fleuves;
défauts, faciles à saisir : le premier, c'est par cette dernière raison qu'on donne, en
c'est que l'épaisseur du merlou n'est Egypte, au Nil le titre de êl-Bahar. ( J. J. M.)
TUNIS.
que deux pieds d'eau (2). Il y a plus, c'est grande Douane , dont le directeur rend
que ces mêmes bas-fonds , se trouvant les effets aux propriétaires, à des époques
entièrement à sec pendant les fortes cha- déterminées.
leurs, laissent à découvert un limon Tout cela se fait avec une simplicité
fangeux et infect : heureusement les et une bonne foi admirables; et quoi-
exhalaisons de ce cloaque, quoique très- que Tunis soit en relation commerciale
fétides, n'influent que très-rarement sur avec l'Espagne, la France, l'Italie, la Si-
la salubrité de l'air et sur la santé des cile, Malte, la Morée, Constantinople,
habitants je m'arrêterai plus particu-
: Smyrne, l'Egypte, etc. , sa douane ne
lièrement à cette circonstance remar- compte tout au plus que huit employés.
quable lorsque je traiterai du climat et Que ce système, sans rouage inutile, est
de la constitution atmosphérique de cette loin de la complication bureaucratique
contrée (3). des douanes de ces Etats européens qui
Il y a dans le lac, près du rivage méri- se disent plus civilisés que l'Afrique (4) !
—
——
maisons; quartiers; rues; mar-
qui tombe en ruine. L'une et l'autre ser-
chés;
,
fortifications; — ; faubourgs —
Tunis — pa-
vent de lazaret aux marchandises sus-
cimetières —
environs de
—
; ;
pectes, ainsi qu'à quelques personnes
atteintes de la peste.
lais du Bey ; maisons de campagne ;
—
anciens aqueducs.
Il y a tout auprès de cette île un mau-
vais môle alentour duquel les marins On peut avancer, sans exagération,
viennent ranger leurs barques l'encom- : que Tunis est une des plus belles et des
brement du bassin est néanmoins si plus grandes villes de la Barbarie mais ;
ïo {L'UNIVERS.
d'aujourd'hui la nomment Tounès ês- percée; les rues sont étroites et non
Chdttrah Tunis l'industrieuse) d'au-
( ; pavées; les maisons sont la plupart
tres la nom de Tounès éz-
décorent du d'une forme carrée avec une grande ;
sante; mais si sa qualification devait qu'un large auvent, ouvert à l'air libre; ils
dériver des sensations qu'éprouve le appellent cette pièce el pateo (6), et les ,
Cette ville est située à peu près à rares, et celles qui en ont deux, plus ra- ;
trois cents toises ( six cents mètres ) de res encore. Elles ont toutes pour toits
distance du lac dont nous avons parlé des terrasses, et cette forme est d'au- ;
dans le chapitre précédent relie est bâtie tant plus essentielle, que ce n'est que
partie en amphithéâtre sur le penchant par le moyen de cette couverture qu'on I
tiers et des serruriers, sont les plus re- des éminences considérables à l'est de
marquables ; il y a aussi plusieurs quar- ces faubourgs; elles résultaient des dé-
tiers pour les marchands
particuliers bris provenant des diverses démolitions
ainsi que des marchés publics, où se de la ville, qui y étaient journellement
vendent tous les objets nécessaires à la charriés : comme ces monticules com-
vie. Le
plus considérable de ces derniers mandaient les fortifications, le Bey,
est Soug-êt~ Tour k (le marché Turk), au d'après les représentations de l'ingé-
voisinage duquel il s'en trouve d'autres nieur, a ordonné de les raser, et ils ont
moins considérables, savoir, celui où été déblayés aux frais des habitants.
les bijoux se vendent à l'enchère, celui Tous les travaux de défense qui exis-
des Nègres (1), et enfin celui des toi- taient à cette époque, et qui existent
les, etc. probablement encore, étaient, malgré
Un autre marché, appelé Soug-êl-Fa- leur faiblesse, suffisants pour arrêter les
leah, est destiné à la vente des épiceries et Algériens, qu'on redoutait le plus alors ;
des quincailleries, et n'est généralement mais ces moyens seraient absolument
habité que par des Juifs ; le plus agréa- nuls contre une puissance européenne.
ble de tous est celui où sont rassem- Autour de la ville sont placés plusieurs
blés les droguistes, chez lesquels on cimetières; mais comme il est d'usage
trouve plusieurs sortes d'essences et de de n'enterrer qu'un seul cadavre dans
parfums précieux. Les gens du pays chaque fosse, leur proximité ne paraît
l'appellent Soug-Taybyn, c'est-à-dire, pas influer sur la santé des habitants
le marché des odeurs suaves; d'autres les plus voisins. Les corps y étaient à
le nomment simplement Soug-Gemaah peine recouverts d'une légère couche de
él-Khâtoun (le marché de la Mosquée terre ; mais les consuls européens ayant
de la Dame ), à cause d'une grande mos- observé, dans la grande peste de 1785,
quée qui porte ce nom , et qu'on ren- que ces endroits fournissaient beaucoup
contre au milieu de ce quartier. On d'exhalaisons putrides, ils firent sentir au
visite avec plaisir et on ne quitte qu'avec Bey la nécessité d'enterrer les cadavres
regret cette halle attrayante , dont l'at- à six pieds (deux mètres) de profondeur :
mosphère est parfumée des odeurs les ce conseil fut de suite adopté , et l'usage
plus délicieuses; celle de l'essence de en a continué depuis.
roses est entre autres si forte et si eni- Au nord-ouest de Tunis , à la distance
vrante, que l'on croit se trouver dans un d'environ une petite demi-lieue (deux
appartement où l'on aurait répandu cette kilomètres), est situé Êl-Bardo, où ré-
précieuse essence avec profusion. side le souverain (2). C'est un assemblage
La ville de Tunis est entourée d'une bizarre de maisons irrégulières, entre
muraille couronnée de créneaux nom- lesquelles se trouve le palais du Bey,
breux ; cependant ce rempart ne pré- entouré d'une grosse muraille avec des
sente pas une grande solidité, et on peut créneaux et des fossés. Ce château que ,
croire que dix coups de canon suffiraient le prince regarde en quelque sorte
pour y faire une énorme brèche. Cette comme une place forte, peut vraiment
enceinte a cinq portes, au delà desquelles l'être pour les Bédouins ; mais située dans
se trouvent des faubourgs très-étendus : une plaine et dominée au nord par des
celui qui est au nord est entouré de montagnes , cette prétendue forteresse
quelques bastions solides, mais sans ne pourrait résister une heure à une at-
rossés. taque régulièrement dirigée des quatre
Ces travaux, qui ne sont pas encore cotés par des troupes européennes.
entièrement terminés , étaient pendant A un quart de lieue (un kilomètre)
(i) Voyez ci-après le chapitre XVI, sur la (2) Voyez la planche n° 3 de Y Afrique
vente des Nègres. Esquisse générale.
, .
12 L'UNIVERS.
nes, ces utiles monuments ayant été rabe insouciant et le Berbère nomade,
abandonnés aux ravages du temps, puis ignorant qu'il foule les cendres des an-;
enfin entièrement démolis (2). tiens maîtres qui asservirent ses pères.
(J. J. M.)
(2) Voyez la planche n° 14. du volume (3) Tasso, Gerusalemme liberata, canto XV.
Afrique, Esquisse générale. (4) Lucanus, De bello civili , lit». II.
TUNIS. 13
« vu Marius assis sur les ruines de Car- mètres) au nord de Tunis, et pour ainsi
« thage. » dire en face de cette Rome qu'elle
Solatiafati devait si longtemps combattre et qui de-
Carthago, Mariusque tulit : pariterque jacentes vait enfin l'écraser.
Ignovere Deis (I).
Italiam contra Tiberinaque longe
Mais un autre désastre, et qui nous Ostia (5).
férence s'étendait encore davantage à peut croire, à peu près le centre de l'an-
l'époque où les Romains n'en étaient pas cienne Carthage ; car il paraît que cette
encore maîtres Strabon donne à la pé-
: grande ville s'étendait depuis les envi-
ninsule sur laquelle Carthage était assise rons de Sydy-Abou-Sayd jusqu'en deçà
trois cent soixante stades de tour, ce qui de Kamart, que nos navigateurs nom-
établirait une circonférence de quarante- ment la Camarte (7).
cinq milles romains; mais il s'abstient D'après la signification du nom de
de préciser les mesures qui pourraient Él-Mersâ, le docteur Shaw a cru y trou-
déterminer la dimension de la ville elle- ver un indice certain pour déterminer
même. l'emplacement du port de Carthage;.
Quoi qu'il en soit de cette dimen- mais pour peu qu'on examine la position
sion précise, les ruines maintenant exis- de la Marse et les deux montagnes qui
tantes déterminent la position de l'an- la séparent de la mer, on reconnaît
cienne métropole carthaginoise sur cette promptement le peu de fondement de
saillie de la côte qui porte encore de nos cette conjecture.
u L'UNIVERS.
C'est inutilement que j'ai cherché cun doute que par cet indice positif .
à reconnaître l'emplacement du Vieux l'emplacement du réservoir général de
Port et du Port Neuf; mais d'après tout cette eau, si abondante autrefois, est fixé
ce que des géographes habiles en ont ici d'une manière incontestable.
le plan de ces deux ports d'après les plus Malgah, et principalement du côté de la :
pourra être postérieurement rectifiée par velies sous les sables et les décombres :
des savants plus instruits dans l'an- ces restes, qui ont traversé tant de siè-
cienne histoire du peuple qui a si long- cles dans un tel état de conservation,
temps dominé la Libye. pourraient indiquer, de la manière la plus
En partant de la Marse pour se rendre positive, que les Carthaginois, ou les Ro-
à la Goulette, et en marchant constam- mains, possédaient dès lors par excellence
ment, ainsi que je pense avoir lieu de le l'art de cette espèce de construction.
croire, dans l'enceinte de l'ancienne Car- Les ruines couvrent ici toutes les par-
thage, on arrive à un santon nommé Abd~ ties du terrain en revanche le territoire
;
Elyâ , puis à un petit village qu'on ap- qu'on appelle la Marse(2) est si complète-
pelle El-Malgah ; ce village est en grande ment déblayé et si bien cultivé, qu'on a
partie bâti sur des citernes, dont les pro- de la peine à se persuader qu'il y ait eu
portions sont réellement gigantesques. là autrefois quelques édifices; mais ce
Quelques-uns des voyageurs qui les ont qui a sans doute favorisé l'industrie dans
visitées ont été tentés de croire que Cet emplacement, c'est qu'on y a trouvé
ces longues voûtes souterraines, dont une qualité d'eau moins saumâtre, et, par
plusieurs sont encore en assez bon état, conséquent, plus propre à favoriser la
étaient jadis des magasins; mais pour végétation que toute celle qui se trouve
,
peu que l'on considère que les célèbres sur le reste de la plage.
aqueducs venant du Zaghouan (1) y Du côté de la Camarte il existe beau-
aboutissent précisément et devaient y coup d'indices d'anciennes construc-
porter leurs eaux , on trouvera sans au- tions ; on y trouve même plusieurs sou-
(i) Voyez dans le volume Afrique, Es- (2) Le mot arabe mersâ signifie un port,
quisse générale, la gravure n° 14, et ci-après comme nous l'avons vu ci-dessus, note 6,
les planches n° 2, 9, 14, i5, et 16. page i3.
TUNIS.
terrains aussi vastes que curieux à exa- l'intérieur du pays ont tellement éloigné
miner, mais que beaucoup de voyageurs Utique du littoral, par la quantité consi-
n'ont pas eu l'occasion de visiter, soit dérable des sables qu'elles charrient, cel-
par défaut de temps , soit par le man- les de la mer, d'un autre côté, ont opéré le
que d'un guide qui pût les conduire dans contraire car tout prouve que les eaux
;
de façon que cet emplacement est éloi- Apollonis promontorium. (J. J. M.)
er
gné aujourd'hui de près de quatre mil- (4) Ce fut l'an 1270 de notre ère, le i juil-
les du rivage de la mer. let, que Louis IX s'embarqua à Aiguës-Mortes
Tandis que les eaux qui viennent de avec ses fils et soixante mille hommes, pour
sa seconde expédition contre les infidèles il ;
(i) Voyez la planche 4, Afrique , Esquisse relâcha d'abord en Sardaigne, et cingla en-
générale. suite de là vers l'Afrique; le 17 du même
;
(a) Medjerdah ou Megerdah ; les géogra- mois il arriva au port de Tunis où il débar-
,
phes ont reconnu dans cette rivière l'ancien qua sans résistance huit jours après il en
:
IG L'UNIVERS.
port a si peu de fond, par ses atterrisse- tre-courant d'une force égale. On croi
inents successifs, qu'il ne permet guère ordinairement que ces courants oppo-
l'entrée qu'à de très-petits bâtiments. sés sont l'effet du flux et du reflux, mais
Cet encombrement du port de Bizerte des observateurs plus éclairés ont re-
accuse la funeste négligence du gouver- connu que ce double phénomène n'est
nement de la Régence; partout on ne voit que l'effet naturel d'une différence al-
qu'insouciance, que dégradations ; et si ternative de niveau entre l'eau de la
on ne connaissait le système , générale- mer et celle du lac lui-même.
ment adopté par ce gouvernement de ne On voit dans ce lac une île au mi-
pas employer de l'argent en réparations, lieu de laquelle s'élève une montagne
on ne pourrait croire qu'on ait pu ainsi assez haute. Il est au reste très-poisson-
abandonner et laisser détruire, par l'incu- neux, et toutes les espèces de poissons
rie, des établissements aussi importants qu'on y prend viennent de la mer, s'in-
pour un État qui songe non-seulement troduisant avec les eaux par ses canaux
aux intérêts de son fisc , mais aussi à de communication. Cette abondance de
ceux de ses sujets. poissons est si considérable, qu'on en
Les navires qui viennent charger des pêche habituellement beaucoup plus
marchandises ou des denrées sont obli- qu'il n'en faut pour la consommation
gés de rester en rade, et même à une de Bizerte.
distance assez considérable, s'ils sont La pêche de ce lac étant affermée, les
d'un fort gabarit. Cette rade offre si entrepreneurs envoient la plus grande'
peu de sûreté, lorsque les vents du nord partie de cet excédant à Tunis , où le
au nord-ouest dominent avec force, qu'il poisson se vend plus ou moins cher, eni
n'est absolument pas rare de voir ces raison de sa conservation; car, comme ;
était représenté avec une tête de bélier, ce qui qui prenait le titre de
second Alexandre,
lui a fait donner par Hérodote (lib. II, cap. 4) avait également adopté ce genre de parure
l'épithète de xpioupocrtouoi;; et par Lucain royale. Le bélier était aussi chez les Grecs l'at-
(lib. IX) celle de fortis cornibus Artimon : tribut de Mercure, protecteur des troupeaux.
la lête de bélier, comme emblème de Jupiter- (J.J.M.)
Ammon, se trouve sur un assez grand nom- Les eaux de Zaghouân sont surtout re-
(3)
bre de médailles. Celles d Alexandre représen- nommées pour la teinture des bonnets feutrés
tent la tête de ce prince ornée de cornes de {tarbouch) en écarlate on trouve aussi à
:
bélier, à cause de la prétention qu'il avait de Zaghouân et aux environs un grand nombre
descendre de Jupiter-Ammon, et ce genre de de blanchisseries.
e
2 Livraison. (Tunis.)
-
18 L'UNIVERS.
maisons de campagne, de préférence à encore existantes au sommet des parois
toute autre localité de ]a province. de cet édifice.
Au milieu d'une multitude de riants Une fort belle colonnade régnait auss
vergers, échelonnés au sud de la ville, tout à l'entour de ce monument; mais
existent encore les restes magnifiques les Maures en ont détaché les colonnes
d'un ancien temple, situé tout près d'une pour orner l'intérieur de la grande mos
belle source d'eau jaillissante, appelée quée deZaghouân, qu'il ne m'a pas été
vulgairement El- Bourg , ou, plus exac- possible de visiter.
tement, A'yn-êl- Bourg (1); on ne peut On aperçoit encore dans la circonfé
s'empêcher d'être frappé d'admiration rence du temple douze niches de gran-
à la vue de la beauté de ce monument, deur humaine, dans lesquelles étaien
dont l'antiquité est incontestable (2). sans doute placées des statues qui 01
L'ignorance d'un peuple barbare, plus successivement été enlevées.
encore que la faux du temps, a attenté à Dans le fond de cet édifice , et dans 1
la conservation de ce temple, soit en dé- portion qu'on peut considérer comme
tachantdes matériaux, pour la construc- l'ancien sanctuaire, on voit égalemer
tion de quelques maisons, soit en fai- une niche plus grande que les précéden
sant des fouilles, que dirige la cupidi- tes, et près d'elle l'autel de la divinité
té, dans l'espoir d'y découvrir quelque à laquelle était consacré ce monument
trésor caché car la recherche des tré-
: Ces douze niches étaient-elles destinée
sors est un des préjugés les plus enra- aux douze grands dieux de l'Olympe
cinés chez tous les peuples orientaux (3). ainsi que l'ont pensé plusieurs antiquai
Comme il n'est pas possible de douter res ; mais alors àqui la treizième, la plus \
que les Romains ont bâti la porte de la grande, était-elle consacrée? Peut-être à j
ville, dont nous venons de faire mention une divinité phénicienne, à une divinité
ci-dessus, on présumera facilement qu'ils locale, protectrice de la ville et du terri- -
laire paraît avoir été à demi voûtée, les deux grands bassins d'eaux vives, qui
comme la Rotonde à Rome ; et on est accompagnent le monument, la preuve ;
autorisé à adopter cette hypothèse, qu'il était consacré aux Nymphes des •
taine à cause du temple dont elle était voi- doubles ravages du temps et des barba- \
sine. A^yn-êl-Bourg signifie littéralement la res (4) : ces deux perrons conduisent, par I
vrage de ceux-ci que des anciens Cartha- au moins, à présent, une centaine d'ar-
ginois. cades entières; mais de là jusqu'au voi-
i
Toutefois , il serait d'un autre côté,
, sinage de Carthage il n'y a guère que
difficile de croire que, le besoin d'eau s'é- des ruines amoncelées et ne laissant rien
! tant fait sentir aux Carthaginois dès la reconnaître de leur antique forme ces :
20 L'UNIVERS.
ces problèmes archéologiques l'atten- la capitale, jusques aux côtes qui dé-
tion des savants explorateurs qui; pour- pendent de l'Algérie.
ront visiter ces contrées après moi. Cette exploration sera suivie de celle
Certes il serait bien intéressant pour de l'intérieur du territoire que ren-
un voyageur de s'occuper plus particuliè- ferme le Quartier A' Été, au sud des can-
rement de la recherche exacte de tout ce tons littoraux et comprendra particu-
,
qui est relatif à l'histoire de ces célèbres lièrement toute la contrée nommée
monuments, soit pour en déterminer la Frygyahou Fryqyah , avec le cours su-
direction précise, depuis leurs réservoirs périeur de laMecfjerdah, les villes nom-
dans l'antique capitale jusqu'à leur breuses assises sur les bords de cette
source, soit pour fixer d'une manière grande rivière et je n'oublierai pas de
,
ments , inscriptions.
Chacune des quatre parties que je viens :
Je n'ai jusqu'à présent rendu compte d'énumérer a été pour moi successive-,
que de mes premières excursions aux en- ment le but de quatre tournées particu- r
virons de Tunis, tant à Carthagequ'à Za- lières, faites à diverses époques c'est :
eu occasion de visiter dans les deux divi- kah — Gap Blanc — Cap Serra — Cap
Negro; — — Cap Roso.
; ; ;
(i) Voyez, sur ces deux divisions du terri- (2) Voyez ci-dessus, page i5.
toire de la Régence, ci-dessus, page 6. (3) Suivant l'usage communément répandu
TUNIS. 21
et qui est regardée comme l'une des laplus haute vénération parmi les popu-
principales du pachalyk., lations environnantes un vieux cheykh,:
plus ainsi qu'un seul lac, qui a reçu des zerte quepar ce même canal, qui estd'une
habitants le nom commun de Bahyrah largeur médiocre.
ben-Zert, c'est-à-dire le lacdeBizerte(l). Le lac de Bizerte était autrefois acces-
Sortant de Tunis par la porte du nord sible aux plus forts bâtiments et a servi
pour se rendre à Bizerte, on longe d'abord d'asile à des flottes entières ; maintenant
pendant quelques instants les bords du dans les endroits les plus profonds il
lac de Tunis qu'on a à sa gauche; puis a à peine quatre pieds et demi (1 mètre 50
laissant à l'orient la vaste enceinte cou- centimètres) de profondeur, et ne peut
verte par les ruines de Carthage , et le recevoir que les plus petites barques.
village d'él-Mersâ, ainsi que la position Dans ce trajet à travers la péninsule,
de Gellâ ( anciennement Castra Corne- on a laissé successivement à sa droite
lia), on se dirige vers le nouveau lit que l'ancienne Clatia, Porto-Farina (5) à
la Medjerdah s'est creusé (2) en se je-
, l'embouchure de la Medjerdah , puis le
tant dans le lac de Porto-Farina. cap nommé par les Arabes Râs-Ze-
On traverse ce fleuve au village tfél- byb (6) et que les anciens appelaient
,
nant que par l'établissement d'un santon l'occident , les îles des Cani / ancienne-
ou ermitage musulman, qui jouit de ment Dracontia).
(i) t'oyez ci-dessus la note i, page 8. la Provence et les autres côtes de la Médi-
22 L'UNIVERS.
guy, etc., qui s'étendent dans les vallées temple érigé en l'honneur de la divinité
nommées Oued-Mossoud (1), et Fry- dont il porte le nom.
gyah, que traverse le cours supérieur Mais avant de visiter cette presqu'île,
du Bagradas (Oued-Medjerdah). où nous devons trouver des débris an-
Ce fleuve, dont la source est beaucoup tiques importants nous devons achever
,
A par di quante n'ha Lïbia più conte; villages, et de douars (4) tout y paraît ;
Che ha d' ambo ï lati del suo)golfo un monte. plus riant , et tout y annonce une plus
24 L'UNIVERS.
grande abondance et une plus grande ruisseau dont les eaux vont se perdre
prospérité. dans le lac de Bizerte.
Cependant toute cette portion du ter- Dix lieues (40 kilomètres) plus loin ,
ritoire ne jouit pas d'une égale fécon- au sud-ouest, est la ville de Baydjah,
dité ; ce que je viens de dire se rapporte qui paraît être la Baga de Plutarque, la
particulièrement aux parties situées aux f^acca de Salluste , et le Vagense Op-
environs de QefJ et de Baydjah, pays pidum de Pline.
désigné parle nom commun de Frygyah, Baydjah est encore aujourd'hui,
ou Fryqyah, dérivé du mot Africa. comme elle l'était du temps des Romains,
On y trouve toutefois assez fréquem- une ville remarquable par son commer-
ment des parties de territoire où le sol ce , particulièrement par celui des blés,
montagneux et coupé de rochers, de étant comme l'entrepôt de tous ceux qui
sables stériles ou de marécages , se re- se récoltent dans la Régence. Tous les
fuse entièrement à toute culture. étés il se tient, au-dessous de cette ville,
muraille.
lieues (20 kilomètres) de Bizerte, s'é-
lève la montagne anciennement nommée
* Un peu plus loin
sur les mêmes rem-
,
f*w«M^i^^
•••• -
l'ouest, on arrive à Testourah ; c'est une
•••::::::;:::::f.TSsr^^:!"
LARiAN. leg. pr Toubourdô , par des descendants des
Maures expulsés d'Espagne.
Dans une des mosquées se lit aussi Cette ville paraît avoir anciennement
l'épitaphe suivante :
porté le nom de Colonia Bisica Lu-
d. M . s. cana (5) ; du moins c'est ce que semble
memoriae sanctissimae
faeminae donatae Afrique , mais encore dans toutes les autres
qvae vixit ANS. xlvi contrées orientales, des dénominations de cette
mensibvs vm. espèce quant à la corruption du B en
: dans M
t- j j m
:
l y^T, .i
Mezd-Bâb, voyez '
ci-dessus la note 3 delà
En ,.
se rendant de Toubourdô a Bazil-
p a „e 5 (j j m }
Mb- Oïl traverse le petit village de Touc- (
3) £ es deux derniers groupes de' cette li-
caber, qui paraît avoir ete l'ancienne gne sont des sigles signifiant Dominis nostris.
ThuccaboH, dont font mention saint Cette épithète n'a été donnée aux princes, soit
|
Augustin et saint Cyprien on ne trouve : sur les monuments, soit sur les médailles,
I
dans cet endroit aucune antiquité remar- qu'à l'époque du Bas-Empire. (J. j. m.)
quable. (4) Gralien devint empereur d'Occident
.
Il n'en est pas de même à Bazil-Bâb l'an 367 de notre ère, et Valentinien II du
(la porte rovale), dont les Maures altè- nom > l'a» 3 75 : le premier régna quinze ans
rent souvent le nom en celui de Mazel- et huit rnois ? le second seize ans six mois
(1) Les Arabes donnent aux familles qui pereur d'Orient, l'an 379 de l'ère chrétienne,
descendent des Maures d'Espagne le nom et il occupa le trône de Constautinople jus-
j
diAndaloussY ( Andaloux). (J. J. M. ) qu'à l'an 3g5.
(2) Bazil-Bàb est un nom hybride, com- (5) Le surnom de Bisïcanus se trouve
posé par les Maures du mot grec (iaaiXeuç donné à l'empereur Aurélien par une inscrip-
(roi) et de l'arabe bâb (porte) la fusion des : tion presque entièrement effacée qui existe
peuplades arabes avec les populations grec- dans un moulin un peu au-dessous de Bazil-
i
ques et romaines a créé, non-seulement en Bâb.
, ,
26 L'UNIVERS.
prouver l'inscription suivante ,
qu'on y Sur le portail d'un temple ruiné on lit :
bersôk, et à cinq milles au nord de cette NEPTVN0 AVG SAC> PR0 SALVTE
dernière ville, on rencontre Toungah, mPm caesarvm (7).
nommée aussi Tounikah; cette grande
ville, l'ancienne Thignica, OU Thigiba l'an i38 de notre ère, et régna vingt-deux ans
Colonia, offre dans sa citadelle un grand sept mois et vingt-six jours.
nombre de ruines et plusieurs inscrip- (4) Marc-Aurèle succéda, l'an 161 deJ'ère
chrétienne , à Antonin le Pieux, et occupa
tions curieuses, parmi lesquelles je ci-
vingt-neuf ans le trône impérial.
terai les deux suivantes :
pour un empereur qui ne régna que six mois, « Et Thomas Libycœ nutantis dextera terrœ. »
depuis octobre de l'an 275 de notre ère, jus- ( J. J. M. )
e
qu'à la fin de mars 276. (6) Justin II du nom, ou
Jeune, succéda le
er
(2) Septime-Sévère parvint à l'empire à son oncle Justinien I , l'an 565 de notre
Fan 193 de l'ère chrétienne, après le meurtre ère, et occupa pendant treize années le
de Didius-Julianus ; et après avoir gouverné trône de Constantinople avec Sophie son ,
l'empire dix-sept ans huit mois et trois jours, épouse, qu'il avait associée à l'empire.
il mourut de chagrin d'avoir pour fils Cara- (7) On trouve souvent dans les inscriptions
calla. les noms des princes qu'elles offraient effacés,
(3) Antonin le Pieux parvint à l'empire non par les effets du temps mais par la ,
TUNIS. 27
'
I
A une demi-lieue seulement (2 ki- En partant de Bazil-Bâb pour se rap-
lomètres ) de Douggah et à une lieue procher de Tunis on suit la direction
! (4 kilomètres) de foubersôk s'élève sur de l'est à peu près dans le même paral-
une colline Bessous, l'ancien Munici- lèle; et, quittant la vallée arrosée par la
pium Jgbiensium, où l'on trouve les Medjerdah, on se jette dans un pays
vestiges de deux temples antiques et d'un montagneux la première position re-
;
vaincus ou détrônés sur les monuments qui (i) Le mot Qeff ou Qoffsigmûeune colline,
leur avaient été dédiés. M»)
(J. J. un monticule, en langue arabe. ( J. J. M.)
,
28 L'UNIVERS.
Turceta; du moins cette induction doit êz-Zéyt, à l'entrée de la péninsule qui
se tirer des fragments d'une inscription forme la partie orientale du Quartier
qu'on y lit encore, quoiqu'elle soit pres- d'Été, et que nous allons rapidement
que entièrement détruite ce que l'on : parcourir.
peut déchiffrer des restes de cette ins- Section Troisième.
cription indique que le monument au-
quel elle appartenait avait été érigé en Partie orientale du Quartier d'Été ; Be- —
l'honneur de Cœlius Alcinus Felicianus, led-êl-Hadarah ; —
Rhadès, Hammâm-êl-
qui paraît être natif de cette ville, et Ayn Souleymân, Toubernôk, —-Péninsule,
,
aura sans doute été donnée à cette cité, environs, offre l'inscription suivante :
ment , les divers surnoms que je viens on suit un chemin qui, partant de
de rapporter :
Bella-Kebira, sur les bords méridio-
LVCINIAE SATVRN1NAE naux du lac se dirige au sud-est cette
, :
(2) Il faut prendre garde de ne pas con- marais salants : voyez ci-dessus, la note
fondre Toubernôk avec Toubersdk, dont il a page 12. ( J. J. M.)
été question ci-dessus, page 26. (4) Boheyréh , Bahyrét en arabe, et Bahyrt
TUNIS. 29
cienne Catada), qui prend sa source et peut être regardée comme la première
dans les montagnes du midi, et se jette cité de la péninsule. A l'époque de sa fon-
dans la mer à peu de distance de Rhadès. dation, elle fut principalement habitée
Après ce passage , se rapprochant de par des familles de Maures chassés de
plus en plus du rivage, une route d'en- l'Andalousie (5) leurs descendants, qui
:
viron une lieue (4 kilomètres) conduit forment la plus grande partie de la popu-
directement aux eaux thermales nom- lation actuelle ont conservé entre eux
,
tres), on est bientôt arrivée la petite Mons Balbus par Tite-Live (8) .Cette
i ville de Souleymân. montagne fait partie d'une chaîne de
Cette jolie ville, construite il y a quel- hauteurs qui fait aux environs de Tou-
ques siècles seulement par les musul- bernôk des tours et retours nombreux,
mans, a été placée par eux dans une po- et forme ainsi ces défilés étroits et dif-
sition agréable , auprès d'une vaste ficilesentre lesquels Massinissa fut en-
!
plaine arrosée par une belle rivière, fermé par Bocchar. Le seul vestige an-
1
dont le cours supérieur est d'environ tique que l'on aperçoive à Toubernôk
I deux milles elle occupe l'angle le plus
:
est un bas-relief placé sur le portail d'un
\
enfoncé et le plus méridional du golfe grand édifice, et représentant deux
grandes cornes de cerf.
;
en idiome mauresque , signifie proprement Sur cette route de Toubernôk à
petite mer, comme nous l'avons dit ci-dessus; Çassr-êz-Zéyl (9) se trouvent, à peu de
mais on donne aussi ce nom aux petits lacs, distance de ce dernier château, les ruines
aux petits fleuves ; voyez ci-dessus la note de de la ville de Djeraado, qui est à la fois
la page 8. (J.J. M. ) à douze milles au sud-ouest de Touber-
(i) Ce nom signifie mot à mot, en arabe,
nôk et h quatre au nord de Faradys (10).
les bains de la fontaine. ( J. J. M. )
On y trouve les débris d'un petit aque-
(2) Ce nom signifie en arabe les bains du
promontoire. (J. J. M.)
duc et des citernes dans lesquelles il
Ce mot arabe ênf, qui signifie propre-
versait ses eaux sur le portail d'un
:
(3)
ment le nez s'emploie aussi pour désigner temple ruiné, comme le reste des édt-
y
(4) Sur le mot Gebel , voyez ci-dessus la (6) Voyez ci-dessus , la note 2, page 28.
note 2 de la page 24 : à l'égard du mot bon il (7) Plin. lib. V, cap. 4.
remplit dans l'idiome barbaresque les mêmes (8) Tit. Liv. lib. XXIX, cap. 3r.
fonctions que le mot dou ou zou dans les au- (9) Voyez ci-après, page 34, l'article sur
tres dialectes, et s'emploie comme celui-ci Qassr-éz-Zéjt.
pour former des adjectifs de qualification ou (10) Voyez ci-après, page 35, l'article sur
de possession. (J. J. M.) Faradys.
,
30 L'UNIVERS.
fices dont la ville se composait, on re- Aqux Ca-
et c'est ici qu'il faut placer les
marque l'inscription suivante. lidx dont parle Tite-Live (2).
Cette inscription, séparée en deux En s'avançant toujours vers le nord,
parties, paraît contenir des détails sur après environ trois lieues ( 12 kilomè-
les diverses sommes fournies par les tres) d'un chemin pénible, on atteint
fondateurs qui avaient concouru à la un cap élevé qui avance dans la mer sa
construction de ce monument. pointe escarpée ; c'est le Râs-Abeyd, le
On lit en effet à droite : Promontorium Herculis des anciens :
Gourbos (les bains de Gourbos), parce les excavations ont fourni des matériaux
qu'elle a également des eaux thermales,
ces immenses masses de pierre : dans Fronte sub adversa, scopulis pendentibus, antrum .-
la partie supérieure, des ouvertures ont Intus aquœ dulces varioque sedilia saxo :
,
pics escarpés , menaçant les nues, Pri- les écueils des Scjuerqui, les îles iEgades , et
sent les efforts des vents et des vagues, Malle elle-même, avec son île de Gozzo et
les îlots de Cumino et de Cuminotto , ainsi
et semblent deux tours avancées , desti-
placés dans l'endroit le plus étroit de la Mé-
nées à couvrir les abords d'une citadelle.
diterranée, resserrée enire la Sicile et le
Envoyant toutes ces circonstances se
cap le plus septentrional de l'Afrique, ne
rapporter avec une exactitude si minu-
sont que les jallons restes jusqu'à notre époque
tieuse à la description que nous fait Vir-
d'une ancienne réunion entre ces deux pla-
gile de la caverne délicieuse habitation
, ges, antérieure à tous les temps historiques^
des Nymphes, où Énée fut conduit par et qui aurait été submergée par le même ca-
Didon on , est facilement porté à croire taclysme qui a fait disparaître l'Atlantide.
,
32 I/UJNIVERS.
de cette vaste mer , mais n'est plus occupé maintenant que par un
tés au milieu
encore pointes les plus élevées des
les château d'architecture moresque, et on
montagnes qui bordent la côte méridio- n'y voit plus aucun édifice antique le ha-:
dire le coin intérieur ) est particulière- torrentiel que se noya Massinissa lors-
ment renommé pour sa fertilité : il est qu'il fut poursuivi par Bocchar, après sa
en général habité et cultivé par les di- défaite (3).
verses tribus des Oueled-Séyd (2). C'est Lorsqu'on a passé cette rivière fa-
surtout dans cette partie qu'on trouve tale, on traverse une plaine non moins
des prairies et des terres labourables ; fameuse par de funestes souvenirs c'est ;
Romains lui avaient donné jadis, à cause mer, qui ronge journellement de plus en
de sa forme, qui ressemblait, disait-on, plus toute cette côte, et on assure qu'on
à celle d'un bouclier cette configura-
: peut encore, dans les temps calmes, dis-
tion lui avait déjà valu antérieurement, tinguer au fond de l'eau, à quelque dis-
de la part des Grecs, le nom de Aottîç ,
tance du rivage , les restes des édifices
dont le nom latin Clypsea n'est que la ensevelis sous les flots.
traduction. Au sud de Gourbah, et presque sous
Cette ville avait été bâtie sur un petit les murs de la ville, est l'embouchure
cap auquel les anciens avaient donné le d'une petite rivière, qui descend des
nom de Taphitis; mais cet emplacement montagnes de l'intérieur, et sur laquelle
on avait élevé un pont de pierre, dont
Voyez ci-dessus, page 3i.
on voit encore les débris ; non loin de la
(i)
(s) Voyez ci -dessus, la note 4 de la page 22,
sur le mot Oueled : Oueled-Séyd signifie les (3) Tit. Liv. lib. XXIX, cap. 3a.
destructive qu'à Curubïs,a emporté la guée à Grenade dans les dernières années du
quinzième siècle de notre ère, et porta alors
meilleure partie.
le nom de Hassan-ben-Mohammea êl-Fâssy.
La portion des ruines de Neapolis
Quand sa patrie , dernier boulevard de la
i
qui subsiste encore offrirait à l'investi-
puissance des Maures en Espagne, fut assiégée
gateur qui aurait le temps de se livrer
en 1491 , ses parents l'emmenèrent encore
à cette recherche un grand nombre d'ins- enfant en Afrique, et lui firent donner une
criptions qu'on aperçoit entaillées sur 'éducation soignée à Fez, alors la métropole des
de grandes pierres longues d'environ sciences dans cette contrée.
six pieds (2 mètres ), sur trois (1 mètre) Il n'avait que seize ans quand il suivit son
'de largeur; mais, par malheur, elles oncle dans une mission que lui avait donnée le
sont tellement effacées, ou encroûtées roi de Fez pour le roi de Tombut ( Tembouc-
de mortier et recouvertes, soit de débris, tou ) ce voyage dui'a quatre années, et fut
:
soit de terre , qu'il serait difficile de les suivi de plusieurs autres dans l'Afrique sep-
|
explorer, et peut-être impossible de les tentrionale, qu'il parcourut souvent comme
déchiffrer. clxargé des affaires de différents princes.
Il traversa l'Atlas, le grand désert du Salira,
Le plus remarquable des fragments
visita l'Egypte, l'Arabie la Perse, la Tarta-
antiques que j'ai pu apercevoir est un ,
cédé à cette ancienne cité, n'a pas été donné en présent au pape Léon X ce pon- :
construite sur le même emplacement : tife, ami des lettres, n'eut pas plus tôt reconnu
la crainte des invasions de ia mer, qui dans arabe un savant distingué, qu'il
l'esclave
avaient détruit la vieille ville, aura sans l'accueillit avec une faveur particulière, et
doute déterminé les fondateurs de la lui accorda une forte pension : bientôt après
nouvelle à la transporter plus avant dans il le fit instruire dans la religion chrétienne,
e
3 Livraison. (Tunis.)
L'UNIVERS.
dont témoignage ne peut manquer
le vantes, qui toutes deux ont bien évi-
d'avoir plus grand poids, nous repré-
le demment été apportées de Qassr-éz-
sente la fondation de Hamâmét comme Zéyt. Voici la première , qui est entière
antérieure seulement de quelques années et non mutilée :
à l'époque à laquelle il écrivait sa Des-
VICTORIAE
cription de l'Afrique : il ajoute que les
ARMENICAE PARTHICAE
premiers habitants de la nouvelle ville
MEDICAE AVGVSTORVM A.
étaient pauvres et misérables, et il pa- S4CRVM CIVITAS S1AG1TANA
raît même que cette cité n'est devenue DD. PP.
florissante que vers la fin du dix-septième
siècle de notre ère.
La seconde n'offre qu'un fragment;
Quoi qu'il en soit, Hamâmét n'est mais elle présente les mêmes conséquen-
maintenant qu'une ville peu considéra- ces que la précédente :
Parmi les inscriptions qu'on rencon- Cette inscription nous apprend que
tre à Hamâmét , je citerai les deux sui- l'ancienne cité Siagitana était gouvernée
par des magistrats qui portaient le titre
nous savons, c'est qu'il était parvenu à un âge de Soufjetés, comme ceux de l'antique
très-avancé, continuellement livré à l'étude Carthage (3).
et à lacomposition d'un grand nombre d'ou-
vrages, dont la plus grande partie ne nous est
Un peu au delà de ces ruines on entre
dans une grande plaine, qui s'étend jus-
pas parvenue. L'un des plus utiles et des plus
importants de ceux que nous connaissons est
qu'à Herklah , et qui est cultivée par les
sa Description de l'Afrique , qu'il avait com-
tribus des Oueled-Séyd, que nous avions
posée d'abord en arabe, à Rome, et qu'il déjà trouvés dans la péninsule.
y
traduisit ensuite lui-même en italien et en En reprenant la direction du sud-ouest
latin. ( J. J. M.)
(i) Le mot arabe hâmâméh (au pluriel ha- (a) Qassr-êz-Zêyt signifie le Château de
mdm) pigeons saiwages.W faut pren-
signifie V Huile. (J.J.M.)
dre garde de ne pas confondre ce mot avec (3) Ce titre de Suffetes dans les
langues
celui de Hammam (pluriel hammâmyn), qui punique ou phénicienne est analogue à celui
signifie des bains chauds , des eaux thermales. de Souffett, que la Bible hébraïque donne aux
(J. J. M.) Juges d'Israël. J. J. M.
TUNIS. 35
allumait sur le sommet des feux pour on a encore environ trois lieues ( 12 ki-
guider les navigateurs. lomètres) pour arriver à Herklah, re-
Cependant cet édifice pourrait bien gardée par la plupart des géographes
n'être qu'un monument funéraire des- comme étant véritablement l'ancienne
tiné à la sépulture communede touteune Adrumetum, qui reçut le nom à'Hera-
famille : c'est du moins ce que Ton peut clea à l'époque de la décadence de l'Em-
supposer en voyant la corniche de l'édi- pire.
fice surmontée de plusieurs cippes en Située au fond de la courbe que dé-
forme de têtes funéraires, ou d'autels, crit la côte du golfe de Hamâmét,
dont les moins ruinés laissent encore lire Herklah est assise sur une langue de
de courtes inscriptions offrant seulement terre resserrée entre la mer et un lac dont
des noms propres accompagnés de titres les eaux se déchargent dans la mer à
de parente : c'est ainsi qu'on lit sur un travers un terrain marécageux : comme
de ces cippes : ce marécage se trouve directement sur
la route qui conduite Herklah, on
V1TELLIO QVARTO PATR. y
avait construit un pont et une chausrce
Sur un autre cippe :
qui longeait le marais et le lac , et il
C. SVELLIO PONTIANO paraît que cette chaussée était l'ancienne
PATRVELI. limite qui séparait la Zeugitane de la
Byzacène; maintenant elle est, avec la
Sur un troisième :
villede Herklah et le château nommé
L. AEMILIO AFRICANO Qassr-Ouâly (2), à l'occident du lac, les
AVVNCVLO. derniers points jusqu'où s'étend le Quar-
Quelle que soit l'ancienne destination tier d'Eté de ce côté.
de ce monument, pour s'y rendre de Ce quartier, qui forme toute la largeur
Hamâmét on a traversé les ruines du territoire de la Régence contient ,
d'un port qui appartenait autrefois à l'espace d'environ trois degrés de lon-
l'ancienne ville iïAphrodiseum, dont le gitude, depuis Sebekhat, le point le
nom est maintenant altéré en celui de plus occidental , jusqu'à Klybéah et
Faradys. Herklah, les deux villes les plus avan-
Cette dernière position n'est plus im- cées vers l'orient. Herklah est en même
médiatement au bord de la mer, mais temps la ville la plus méridionale de ce
à quelque distance du rivage, en tirant Quartier; au delà on entre dans la divi-
I un peu vers le nord-ouest, sur le bord sion territoriale désignée sous la déno-
j
de la grande plaine où sont établis les mination de Quartier d'Hiver, et qui
; Oueled-Sèyd, et au milieu de laquelle comprend toute la partie sud de la Ré-
on trouve encore un monticule, nommé gence.
: Selloum, qui paraît avoir été formé par
les ruines de quelque ancien village. (2) Le mot arabe Quassr signifie château,
I
36 L'UNIVERS.
, Cependant Vitmve (1) nous apprend Cette inscription, la seule bien con-
que les anciens regardaient comme di- servée de Hyblah , ne nous apprend ni
vinités protectrices des fontaines Vé- quels furent les fondateurs du monu-
nus, Flore et Proserpine, et que l'ordre ment ni quel était le nom ancien de la
corinthien était ordinairement préféré ville où il fut érigé, quoique, à en juger
pour la construction des temples qui leur par l'étendue de ses ruines on puisse ,
mais la plupart des inscriptions que por- plus remarquable de toute cette côte, et
taient ces sépultures ont été détruites mérite d'être regardée comme une des
soit par le temps, soit par les Arabes. principales villes de la Régence (3); c'est
Au milieu de ces ruines , le monu- là en effet que se fait le plus grand
ment qui frappe d'abord les yeux plutôt commerce des huiles, des toiles, qui
par sa masse que par sa beauté, est un s'exportent dans tous les ports de la Mé-
grand arc de triomphe portant l'inscrip- diterranée: mais les seuls vestiges d'an-
tion suivante en caractères de près d'un tiquités qui y attestent son ancienne
pied ( 30 centimètres) de dimension : grandeur se réduisent à quelques voû-
tes , à quelques colonnes de granit , et
JMP. CAES. L. SEPTIMfO SEVERO
PERTINACI AVG. P. M. TRIE. POT. III.
IMP. V. COS. II. P. P. (3) Une autre ville du même nom se trouve
PARTH. ARAB. ADIABEN. DD. PP. dans leroyaume de Marok pour distinguer
:
(J. J. M.)
'.18 L'UNIVERS.
à d'autres débris sans importance. qu'offrent ses débris , lui a fait donner
La ville est ceinte de murailles , et par les Arabes modernes le nom de
bâtie à l'extrémité septentrionale d'une Bou-Hadjar, c'est-à-dire la pier-
chaîne de collines qui se prolonge jus- reuse (2).
ques à Soursef, l'ancienne Sarsura, Entre Bou-Hadjar et Demâs , et à
et derrière laquelle on a la vue d'une environ quatre milles de cette dernière
vaste plaine qui a plusieurs milles d'é- position, on rencontre un grand lac d'eau
tendue. salée, qui s'étend jusqu'à une demi-
A une lieue et demie (6 kilomètres) lieue ( 2 kilomètres ) de Toboulbah, pe-
de Sous on traverse une vallée qu'arrose tit village bâti au bord de la mer.
un ruisseau dont les eaux sont fraîches Demâs est l'ancienne ville de Thap-
et claires; puis à une demi - lieue sus ; elle est située sur une langue de
(2 kilomètres) plus loin, sur le pen- terre fort basse, à environ trois milles
chant d'une des collines qui se ratta- au sud-est de Toboulbah. La grande
chent à celle sur laquelle la ville de quantité de ruines que l'on y trouve
Sous est bâtie, on rencontre, à environ pourrait faire croire que c'était, après
un mille du rivage d'une petite baie, le Carthage, la ville la plus considérable
village de Sahalyl, qui offre quelques de ces parages, si d'ailleurs tous les
ruines antiques. renseignements fournis par les histo- ,
Sur l'extrémité d'un petit cap , à cinq riens ne concouraient à prouver son im-
milles de Sahalyl, s'élève la petite ville portance très-secondaire sous les Ro- !
n'y rencontre que peu de marbres de , tyr forment entre eux la baie de Lemp-
colonnes, et d'autres restes d'antiquités : tah, dans laquelle on rencontre plu- j
les Romains, peut-être même par les La première de ces îles, située parallè- j
Carthaginois, dans une position qui lement à la côte, s'étend dans sa Ion- !
nom de Leptis magna , et qui est main- A cinq milles au sud de Demâs , est \
tenant connue sous le nom de Lebidah(l). assise dans une péninsule la ville d'e/-
Cette ville paraît avoir eu autrefois Medéah , ou plus correctement Maha- \
plus d'un mille de circonférence, mais dyah, que les géographes modernes
maintenant on n'y voit plus que le châ- nomment Jfrica, et qui paraît avoir
teau , et un amoncellement de pierres été autrefois une place, forte et impor-
qui paraissent avoir formé autrefois un tante. Son port est creusé dans i'enceinte
môle , du côté du nord. même de la ville, et s'ouvre du côté de
Les ruines d'Jgour sont à quelques Kapoudyah ; mais maintenant les eaux
milles de Lemptah, vers l'ouest; la sont si basses qu'elles ne peuvent qu'à
situation de cette petite ville sur un ro- peine recevoir les plus petits navires.
cher, et l'immense quantité de pierres Léon l'Africain nous apprend que
cette ville doit sa construction au khalyfe
Les ruines de Leptis magna ont été
(i)
visitéesen 1806 par mon ancien ami et col- (2) Le mot hadjar signifie en arabe pierre,
lègue J. D. Delaporte , qui y a recueilli une rocher; nous avons déjà vu que le mot bou,
riche moisson d'inscriptions latines, grecques, altéré par les Maures de celui dedùou (père),
phéniciennes et puniques : il a publié ces entre dans la composition d'un grand nombre
inscriptions en 1 836. (t'oyez Journal Asia- de mots pour former des adjectifs vulgaires.
tique, tome I er de la IIP série , page 3o5 et ( Forez ci-dessus , la note 4 de la
page 29.)
suivantes.) (J. J. M.) (J.J. M.)
TUJN1S. 39
dépouilles les plus précieuses du palais enfin la grande ville du Kaire, fondée
démoli ou de la ville ruinée dont ils immédiatement auprès de Fostatt par
achèvent ainsi la destruction ; et cette les nouveaux khalyfes de la dynastie fati-
manière d'agir n'est pas particulière aux mite.
princes elle est pratiquée généralement
; Toutes ces villes qui se sont rempla-
par tous les habitants des contrées orien- cées l'une l'autre se sont , chacune à
leur tour, embellies et décorées des dé-
(i) Les Fatimites sont les princes d'une
pouilles architecturales des villes aban-
dynastie puissante , qui commença à régner
données auxquelles elles succédaient,
en Afrique l'an 296 de l'hégire ( 908 de l'ère
chrétienne s'empara de l'Egypte l'an 362
et
et il est peut-être telle colonnade , tel
),
de l'hégire de notre ère ). Obeyd-Jllah, portique, tel marbre précieux qui a
( 972
surnommé él-Mahady, en fut le fondateur; ainsi successivement voyagé des temples
il était de la tribu de Ketamah, qui habitait en
de Thèbes à ceux de Memphis puis à ,
et de Fatimah, fille du Prophète, descen- Namque, hominum instar , habent urbes sua
[fâta, superbœ
dance qui valut à sa dynastie le titre de Fa-
Pauperibus cedunt quandoque mapalibus arces,
timite. El-Mahady commença à se faire con-
naître dès l'an 269 de l'hégire (882 de notre Le point le plus oriental des domaines
ère), et le nombre de ses partisans s'étant
de la Régence est l'île de Djerby ou
accru, il vint à bout de s'emparer de Qayrouân
Djerbih, qui, quoique située sur la côte
l'an 280 de l'hégire ( 893 de notre ère ) puis ,
lyfat africain à son fils él-Qâym-be-dmr-Illah. l'une de l'autre, les Orientaux nomment celle-
Les Fatimites sont aussi désignés par les noms ci Tarabolous ês-Chdm, c'est-à-dire Tripoli
à-vis de Gâbês, n'est habité que par une lui assurer la succession du Pro-
toutefois
population nommée Adjym, comme le phète , et il fut trois fois écarté du trône de
port lui-même : le langage de cette peu- l'islamisme par Aboubeker, Omar, et Othmdn.
'
causant ainsi chaque année des fièvres Undes lieux les plus remarquables de
pernicieuses et d'autres maladies épidé- cette province pour l'étendue et la ma-
micjues. gnificence des ruines qu'on y rencontre,
Quelquefois aussi l'eau de l'étang c'est Spaytlah (Vdintimm Suffetula),
où s'abreuvent les bestiaux est presque située à environ douze lieues (48 kilo-
tarie et s'altère par les chaleurs ; cepen- mètres) de Qeff, sur une éminence
dant les habitants n'ont pas remarqué entièrement couverte de genévriers, au-
dans leurs troupeaux d'épizooties habi- près d'un petit ruisseau,
tuelles la cause probable de cette diffé-
: Ce ruisseau coule au nord-est, se perd
rence entre l'état sanitaire des hommes un peu plus loin dans les sables, et re-
et celui des animaux, tient sans doute à paraît ensuite pour continuer son cours
ce que les eaux de la citerne, renfermées vers Guelmah. *
sous des voûtes, sont entièrement sous- Auprès de la ville du côté de l'est,
traites à l'action de l'air, tandis que les s'élève un magnifique arc de triomphe,
eaux de l'étang en reçoivent à chaque d'ordre corinthien, percé d'une grande
instant l'influence. arcade au milieu et de deux petites la-
On trouve à Çayroudn divers débris térales malheureusement l'inscription
:
àntonin .."....."
et même de porphyre ou d'albâtre qui la . N
mutilées ou encroûtées de ciment, qu'il tem P les contigus , dont il ne reste que
est absolument impossible d'en déchif-
quelques pans de murs avec des fron-
frer lamoindre partie. to n s parfaitement conserves
ans chacun de ces temples est une
que quelques géographes
C'est à tort Ç .
de TAfrique par le khalyfe Haroun àr-Ra- Abbâs-Abd- Allah, dont descendants se les
chyd, et s'y rendit indépendant l'an 184 de maintinrent sur le trône pendant un siècle en-
Vhégire (800 de l'ère chrétienne) ce prince
: tier, et furent renversés par les Fatimites l'an
'régna environ douze années, et mourut l'an 296 de l'hégire (908 de l'ère chrétienne.)
196 de l'hégire (812 de notre ère), laissant (J. J. M.)
,
42 L'UNIVERS.
ville de Qassareyn, assise sur une' émi- qu'on peut encore lire sur la façade b
nence autour de laquelle la rivière Derb d'une sépulture ornée de pilastres co-
serpente d'une manière agréable, arro- rinthiens :
sant les belles prairies qui l'entourent.
Sur une éminence qui semble presque PERFEC1T ANNOS LXXX
ET CLAUDIAE MARCIAE
SIB1
suspendue en saillie au-dessus de la
CAPITOLINAE KONIVGI KA.RISSIMAE
rivière , et qui fait face au nord-est QVAE EGIT.. ANNOS LXV. ET M,
s'élèveun arc de triomphe plus remar- PETRONIO FORTVNATO F1L10
quable par la masse de ses matériaux VIX1T ANN. XXXV. CV1
que par l'élégance de son architecture : FORTVNATVS ET MARC1A. PARENTES
il ne se compose que d'une grande KARISSIMO MEMORIAM FECERVNT.
arcade surmontée d'un attique et d'un ,
Si de Spaytlah on se dirige à l'est-
entablement qui semblerait appartenir
sud-est, après une marche d'environ six
à l'ordre corinthien , si les pilastres qui
lieues (24 kilomètres), on arrive à Djel-
le supportent n'étaient évidemment
gothiques.
mah, ou Guelmah, l'ancienne Cilma
ou Oppidum Chilmanense : on y voit
On y lit l'inscription suivante :
un assez grand nombre de ruines, el
COLQNIAE SCILLITANAE entre autres celles d'un temple antique,
Q. MANLIVS FELIX C. FILIVSPAPERIA RECEP- S'il fallait en croire les traditions
TVS POST AL1A ARCVM QVOQVE CVM INSIGN1BVS
des habitants, le nom moderne de cette
COLONIAE SOLITA IN PATRIAM LIBER AL1TATE
EREXIT OB CVIVS DEDICATIONEM bourgade, au lieu d'être simplemenl
DECVRIONIBVS SPORTVLAS CVRIIS EPVLAS, la corruption du nom sous lequel elle
était désignée par les Romains, tirerail
Le nom de Gebel-Megala paraît être
(i)
son origine d'un miracle qui y aurait
un composé hybride comme celui de Bazil-
,
été opéré par un de leurs saints mara-
Bâb. ( Voyez ci-dessus la note 6, page 25. )
bouts.
Gebel-Mégala signifiera alors grande monta-
gne , étant formé de l'arabe gebel (monta-
gne) et du grec {xeyàXYi (grande). (2) Qassareyn signifie en arabe les deua
(J. J. M.) châteaux, les deux forteresses. (J. J. M/
TUNIS, 4-t 4
Suivant cette légende, les eaux de la gées dé piliers massifs, et qui autrefois
rivière de Spaytlah s'étant perdues pour fournir de l'eau à toute la
suffisait
dans les sables, comme nous l'avons vu ville.
ci-dessus (1), le saint vint à bout de les Sous le même parallèle à sept lieues ,
le Bey de Tunis Mohammed a fait sau- tions ne pouvant avoir lieu que par les
ter quatre de ces arcades pour en expul- eaux de deux sources situées l'une au
ser des Arabes révoltés, qui avaient fait centre de la ville, l'autre dans la citadelle:
de l'amphithéâtre une forteresse. la première de ces sources dégorge ses
Dans l'intérieur du monument on voit eaux dans un vaste bassin, destiné pro-
encore les plate-formes des sièges , les bablement autrefois à des bains publics,
galeries, les vomitoria, l'arène presque et qui sert maintenant aux ablutions
circulaire, au centre de laquelle est un des musulmans. Ces deux sources se
puits profond revêtu de pierres de taille. réunissent avant de sortir de la ville, et
A deux lieues (8 kilomètres) au sud- forment ainsi un ruisseau qui pourrait
sud-est de Djemm est Rouggà, l'an-
cienne Caraga , renommée dans le pays
(2)Le nom arabe de Ferryânah paraît
par son Dâmous , immense citerne dont s'êtreformé de celui de Ferraditana, qu'elle
la voûte est soutenue par plusieurs ran- portait dans le moyen âge saint Cyprien.
:
prolonger assez loin son cours si les ha- ruisseau peu abondant d'eau saumâtrej
bitants n'en épuisaient les eaux pour qui coule du côté du sud , mais dont I
l'arrosement de leurs plantations (1). cours ne tarde pas à se perdre dans les
Dans les murailles de plusieurs mai- sables.
sons de la ville et de la citadelle on Non-seulement la plupart des posi-
trouve un grand nombre de débris an- tions les plus méridionales que nou;
tiques brisés et employés pêle-mêle venons d'explorer sont situées sur h
comme matériaux de construction; ces lisière limitrophe du Sahrâ, mai!
fragments de divers marbres, ces enta- encore elles sont déjà presque ceri
blements brisés , ces colonnes , mainte- nées par les envahissements partiel:
nant tronçons informes , ces autels dé- des sables mouvants que pousse vers elle
molis , devaient faire l'ornement de la du grand désert intérieur, l'action ira
ville avant que la barbarie n'eût réduit cessante des vents du midi il noui :
à l'ancienne ville que ce misérable vil- signe qu'une branche sèche, effeuillée, dj
lage a remplacée. pouillée de ses folioles , de ses rameaux, et
r
Cette dernière station du Pachalyk duite ainsi à l'état de bâton et de javelot : 1
Tunisien à l'entrée du Sahrâ a peu branches vertes (ghosn), les dattes ( balaa c
d'habitants, et ils n'ont d'autre eau qu'un thamr), lespalmiers eux-mêmes (nakhi
portent des noms qui n'ont avec celui-ci aucui-
(i) Salluste ( dé Bello Jugurth. ) fait men- analogie. La racine du mot djérid est le ver]'
tion de ces fontaines, auxquelles il donne le djered ( il a dévasté , il a dépouillé ) , et c'e
nom de Jugis Jqua ; et êl-Êdryssy, qui en également de cette racine que s'est formé
parle aussi dans sa Géographie Arabe, leur nom djérdd, donné aux sauterelles à cause
quelquefois
donne le titre à'ét-Termed, qui n'est que la leurs dévastations, qui changent
traduction de l'épithète latine, et comme elle déserts les cantons les plus fertiles et les mie=
J. J. M. ) cultivés. ( J. J. M. )
signifie intarissable. (
TUNIS. 48
construites en branches de palmiers, que ês-Soudàn ( le pays des Noirs ), d'où ils
lient entre elles un mortier de boue et de ramènent des Nègres qu'ils troquent ,
sable. Aucun vestige d'antiquité ne sub- contre des dattes , ordinairement sur le
siste plus dans les lieux habités autrefois pied de deux ou trois qonttars (1) par
par les Cinéthiens, les Machlyes, les tête d'esclave (2).
Auses, et les Maxyes;je me bornerai Le grand lac, ou marais, dont je
donc à une énumération sommaire , et je viens de parler (3) établit dans ses si-
n'entrerai dans quelques détails qu'à l'c- nuosités une ligne de séparation entre
gard de l'immense marécage qui sépare le territoire de Tégous , les hameaux
du Désert les pays habités, et qui paraît qui avoisinent Tozer, et la partie du
avoir été jadis ce Palus Tritonis célé- territoire de Nyfzouah, qui entre autres
bré par l'ancienne géographie. villages comprend Télémyn et Falnas-
Sbekkah(la Cerbica de Ptolémée) sah on donne à ce lac marécageux le
:
fois Tisurus )% situé à quatre lieues ( 16 poteaux indicateurs, les caravanes qui
kilomètres ) au sud-ouest de Tegous ; sont obligées de traverser ce lac ne pour-
cinq lieues ( 20 kilomètres ) plus loin raient que s'égarer dansune route déplus
au sud-ouest , on trouve Neftah ( l'an- de seize milles , au milieu d'un horizon
cienne Negeta ). aussi plat que celui de la mer, et cour-
De là, en traversant le grand marais raient à chaque pas le danger inévitable
on entre au district de Nyfzonâh , où d'être englouties dans les sables mou-
l'on trouve Télémyn ( l'ancienne Al- vants, et dans les gouffres des immenses
mœna ) , à dix lieues ( 40 kilomètres ) fondrières dont se compose presque en-
à l'est-sud-est de Tégous
,
puis , à deux tièrement cet abîme fangeux.
lieues ( 8 kilomètres ) au sud-est , Ebilly Ce marais s'étend de l'est à l'ouest
{autrefois Vepilliam ). sur une longueur d'environ vingt lieues
Les seules traces de l'ancienne domi- (80 kilomètres), et sa plus petite lar-
nation romaine qu'on rencontre dans tou- geur est au moins de six lieues (24
tes ces positions se bornent à quelques kilomètres ); il renferme un grand nom-
fragments informes de marbres brisés bre de petites îles, une entre autres,
îpars en quelques endroits sur le sol sans , située vers l'extrémité orientale, sous
:ju'on puisse y reconnaître le moindre le même méridien que Télémyn, et qui,
Lronçon de colonne, la moindre mou- quoique inhabitée , est remplie d'innom-
lure d'entablement , le moindre mot ap- brables palmiers : s'il en fallait croire
préciable d'aucune antique inscription. les traditions des Maures, la plantation
Le commerce des habitants si peu nom- de cette forêt isolée serait due à une
breux de ce quartier immense ne con- circonstance bien singulière : suivant
siste qu'en dattes, qu'ils échangent con- eux , une armée égyptienne ayant fait
tre de l'orge, de l'huile, de la toile,
et autres objets nécessaires, soit à leur
subsistance, soit à leur habillement, (i) Le qonttar équivaut à cent rotls, ou à
apportés des provinces septentrionales peu près à 5o kilogrammes.
de Tunis , de Tripoli , de l'Algérie et de (J. J. M.)
Marok même. Tozer (2)Voyez ci-après le chapitre XVI, sur le
est le marché le
plus considérable et l'entrepôt le plus
commerce des esclaves nègres.
(3) Palus Tritonis.
fréquenté de ce trafic : les dattes que
(4) Voyez sur le mot Sebekhah, ou Seb-
l'on y vend sontplus estimées ; et
les
khat, ci-dessus la note 1 de la page 12. A
il
y a des marchands qui , faisant ce l'égarddu mot Joudjah, il dérive de aoud,
commerce en grand, les portent à tra- qui en arabe signifie un tronc d'arbre, un
vers le grand Désert jusqu'au
Beled- poteau de bois. ( J. J. M. )
40 L'UNIVERS.
autrefois une invasion dans cette con- dessous de la surface de l'eau, pour
trée, s'arrêta quelque temps sur cette la commodité des baigneurs.
île, alors nue et sans végétation; les Un
de ces bains particuliers porte le
dattes, disent-ils, composaient en grande nom de bain des lépreux ; et l'eau qui
partie l'approvisionnement que ces trou- s'en écoule forme un peu au-dessous un
pes avaient apporté dans leur expédi- étang dont Léon l'Africain fait mention
tion, et lespalmiers maintenant existants sous le nom de Lac des lépreux.
tirent leur origine des noyaux de ces Les sources qui alimentent ces bains
dattes que les Egyptiens y ont jetés. viennent du sud, à un mille et demi au-
On ne peut douter que le Sebkhat-êl- dessus de la ville; leurs eaux se réunis-
Aoudyah ne soit identique avec le Lacus sent ensuite et forment un petit ruisseau
Tritonis des anciens, et l'île aux Pal- qui, partagé en un grand nombre de ca-
miers celle de Phla, dont parle Héro- naux, sert à arroser les jardins et le peu
dote, et dans laquelle Diodore de Si- de terres cultivables qu'offrent les en-
cile prétend que les Amazones libyen- virons de la ville. Ce ruisseau se dirige
nes avaient bâti une ville ,
qu'il appelle ensuite vers l'extrémité orientale du'
Chersonèse (1). grand marais dont j'ai parlé ci-dessus;
Megs est un des plus petits villages mais avant d'y arriver les eaux se per-
du territoire de Nyfzouah , situé à dent dans les*sables , à quelques milles
trois lieues (12 kilomètres ) est-nord- de Êl-Hammah.
est de Ébilly : après l'avoir dépassé, on Les principales tribus arabes et ber-
a devant soi une route de près de trente bères qui habitent le Quartier d'Hivet
milles à travers un terrible désert , où
, sont les diverses branches des Fara]
l'on ne trouve ni une goutte d'eau ni chys et des Ouêled-Séyd : ces dernierj '
La quelque distance
vieille ville est à sont au nord des plaines de FoussanaM
de ce fort et on y rencontre quelques
, et s'étendent jusqu'aux montagnes d'/^
traces d'antiquités; mais il n'y subsiste Loulyah et de y dr ah. H
plus ni édifice remarquable ni monu-» ,
A l'est de ceux-ci, en s'avançant di
ment ni inscription.
, côté de Sbybah et de la montagne nom
Êl-Hammaht\re son nom de quelques mée Djebel-Megala (4), on rencontra
eaux thermales qu'elle possède et elle , les douars des Ouéled-Omrân.
est désignée communément par le titre Les Ouéled-Matty font paître leur
de Hammah-élrGabs, qui lui a été donné troupeaux dans le riche. pays qui avoisin*
afin de distinguer sa position d'une autre Yousef et Zouâryn, et les Ouéled-Ya
du même nom, située à quelques milles goub habitent une campagne non moin
au nord de Tozer, et où se trouvent fertile, presque sous les murs de Qeff
également des bains chauds. Enfin les Rédouins des frontières son
Ceux de Hammah-él- Gabs , quoique lesOuéled-Bou-Gaff, qui disputent fréj
assez fréquentés, sont dans un état quemment le passage de la rivière Serra
misérable et seulement recouverts d'un aux Ouorgahs, tribu formidable don
toit de paille. Il y a plusieurs bassins
de douze pieds ( 4 mètres ) à peu près Le mot Sahel signifie plaine enlangu
(2)
en carré , sur une profondeur d'environ arabe. (J. J.M.)
quatre pieds et demi ( 1 mètre 50 centi- (3) Lear renferme un sanctuaire
territoire
mètres ) , avec des bancs en pierre au- ou santon , consacré à un marabout dont il!
— animaux
;
inimonv domestiques.
bres ;
arbres* rlnmpshniifls. latitude septentrionale, on y jouit en
général d'un air sain et assez tempéré :
sur la variété des productions de chacun vif ni de trop longue durée il est :
48 L'UNIVERS.
Par la suite les Orientaux n'admirent se prolonge quelquefois jusqu a îa moitié
plus dans leur année que trois saisons, de janvier.
c'est-à-dire 1° le printemps , auquel ils Lorsque l'hiver, qu'on nomme Chi-
conservèrent son nom de Raby; 2° l'été, touah, ou Fasl-des-chitâ, est prématuré,
qu'ils nommèrent Sayf; 3° l'hiver, qui il commence quelquefois avec la nouvelle
fut appelé Chitâ : alors l'époque de année des Européens; mais il dure rare-
l'automne était comprise dans celle de ment plus de deux mois ou environ dix
l'été (1). semaines. Les habitants se réjouissent
A l'époqueoù les Arabes ont compté de voir les pluies fréquentes de cette sai-
six saisons ils partageaient en deux épo- son (3), car la fréquence de ces météores
ques chacune des trois saisons ci-des- est pour eux le sûr présage d'une ré-
sus indiquées; mais maintenant l'usage colte abondante, tandis que la siccité à
de compter quatre saisons s'est peu à cette époque annoncerait une prochaine
peu introduit chez la plupart des peu- disette.
ples orientaux. L'hiver pluvieux leur fournit en
Les quatre saisons de l'année ont outre plus particulièrement l'approvi-
beaucoup plus d'analogie avec celles des sionnement de l'eau qu'ils ont soin de
parties méridionales de la France ou de conserver dans des citernes; mais cet
l'Espagne et de l'Italie, qu'avec celles approvisionnement annuel, pour peu
de l'Egypte. qu'on le dissipe mal à propos, ne sufût'
1
L'automne, que les Arabes nomment pas pour tout le courant de l'année.
Fasl dêl-kharyf,y commence ordinaire- Il est du reste bien rare de voir le;
ment en septembre; cette saison est froid parvenir jusqu'au point de la con-;
tempérée et souvent pluvieuse, ou du gélation, et il est plus rare encorede voir
moins fort orageuse. Cette première tomber de la neige j'avoue cependant
:
saison de l'année solaire des Arabes (2) en avoir vu tomber pendant un jour en-;
tier, phénomène qu'on n'avait pas ob-
soit du regain : deux mois de l'année musul- servé à Tunis depuis dix-sept années. •
« le printemps; ainsi sont variables nos dé- Les mois de l'année lunaire des musul-
« sirs et nos destinées. » ( J. J. M. ) mans sont les suivants :
Les mois qui la composent sont les sui- 4° Raby êt-Thdny, ou Chdy êl-Mouloud;
vants :
5° Djemddy êl-Aouel, ou Djoumdd êl-
i° Techryn êl-Aouel; Aouel;
2° Techryn êt-Thdny 6» Djemddy êt-Thdny , ou Djoumdd tl-
;
Quelquefois, surtout vers les époques Ces vents du sud favorisent plus que
équinoxiales, la Régence est exposée à tous les autres le dégagement du gaz
des rafales de ce vent fort impétueux hydrogène carboné ; c'est par cette rai-
du sud-ouest que nous avons vu ci- son qu'il règne alors dans plusieurs en-
dessus nommé parles Arabes Lebetch, droits de Tunis et du reste de la Ré-
auquel les anciens avaient donné le gence une puanteur insupportable, qui
nom tfjfricus, et qui était générale- ferait croire qu'on est plutôt dans une
ment regardé par eux comme le vent des vaste latrine que dans une ville habitable.
tempêtes (2). Cependant j'ai vu avec un véritable
étonnement jusqu'à quel point les Eu-
(i) En
langue franque, Norte, Norte-Le-
|
ropéens établis dans ce pays se sont ac-
vanti, Levante, Schiroco-Ponente,
Garbino, coutumés à cet intolérable méphistisme
Norte-Ponenti. ;
2 ) Africus furibundus,
ilssont si indulgents à cet égard, qu'ils
! ( ac ruens ab occi-
dente hiberno. considèrent ce désagrément comme
bien peu appréciable, et ne s'en plaignent
Senec. Natur. Quœst. V.
Una Eurus NoUuque ruunt, creberque procellis ,
Luctantem Icariis fluctibus Africwm
'
Jfrious . Moroator metuens
Virgil. sEneid. lib. h Horat. Carm. lib. I, od. I,
4 * Livraison. (Tunis.)
50 L'UNIVERS.
aucunement. Il faut vraiment qu'ils se continuellement agitée par les vents , il
croient suffisamment indemnisés par me paraît indubitablement démontré que
d'autres avantages pour tenir aussi peu c'est aux vents seuls qu'il faut attribuer
de compte de cet inconvénient, qui se la salubrité de l'air à Tunis, malgré les
renouvelle à chaque instant aux moin- obstacles qui sembleraient devoir s'y
dres variations des vents et de la tem- opposer.
pérature. Il ne paraîtra pas, je crois, hors de
Il est plus étonnant encore d'observer propos de rapporter ici quelques faits qui
que les émanations qui s'élèvent de ces non-seulement serviront à appuyer ce
cloaques ne soient jamais devenues le que je viens d'avancer, mais qui prou-
germe de maladies épidémiques; on veront en même temps que ce même gaz
doit en dire autant de la corruption concentré dans l'intérieur des navires
des charognes d'animaux morts qu'on exerce souvent des effets pernicieux et
trouve fréquemment jetées çà et là aux léthifères.
alentours de la ville souvent même aux
, La plupart des navires marchands
coins des rues de chaque quartier et partant de Marseille pour aller chercher
dans les impasses peu fréquentées. de l'huile à Tunis ont généralement la
Le docteur Shaw ainsi que plusieurs coutume de remplir la plus grande par-
habitants de Tunis pensent que ces tie de leurs futailles d'eau puisée dans
miasmes sont neutralisés par les éma- le port qu'ils quittent, afin d'empêcher
nations salutaires de la grande quantité le dessèchement et l'écartement des
de broussailles aromatiques qu'on brûle douves.
journellement dans les fours nombreux Dès que les bâtiments sont en pleine
qui servent tant à calciner la chaux mer et fortement agités, il se manifeste j
qu'à cuire le pain, dans lesquels les feux à bord une puanteur détestable ; l'argent
ne cessent ni jour ni nuit d'être al- et l'or y noircissent. Arrivés dans la
lumés. rade de Tunis, ils vident cette eau pour
On ne croira pas qu'il soit nécessaire la remplacer par l'huile qu'ils s'y procu-
j
de combattre cette opinion; car, pour rent , et il n'est pas rare alors de voir
peu qu'on soit versé dans les sciences tomber malades ceux de l'équipage qui
physiques, on sait que le feu en luN sont chargés de ce soin, surtout si après
même , loin de corriger les mauvaises avoir enlevé la bonde de quelques ton-
qualités de l'atmosphère, peut au con- neaux ils ne se hâtent pas de monter sur
traire le vicier en consommant une trop le pont pour y respirer un air non viciée
grande quantité d'oxygène. par les émanations méphitiques de l'en-j
La prévention favorable si générale- tre-pont et des soutes de la cale.
ment répandue à l'égard du feu pour la Nous connaissons des exemples de<
purification de l'air n'a pour fonde- matelots qui ont été atteints d'une fièvre
ment que l'activité des courants qu'il aiguë nerveuse immédiatement après le;
y occasionne et multiplie, et ce n'est vidage des tonneaux; d'autres ont été
par conséquent que dans les vastes édi- frappés de violentes ophthalmies et de
fices, dans les amphithéâtres ou les cécités subites; le seul moyen d'éviter
hôpitaux, qu'on peut sous ce rapport se de tels inconvénients serait d'engager les
promettre de retirer du feu un avan- capitaines des navires à faire monter
tage réel. sur le pont les futailles remplies d'eau
Il n'est pas douteux que la mauvaise pour les vider en plein air : cela serait
odeur qu'on éprouve à Tunis ne dépende sans doute plus pénible, mais cette opé-
du dégagement d'une grande quantité ration ainsi pratiquée éviterait incontes
d'hydrogène sulfuré, car on y observe tablement des accidents graves chaque
constamment que l'or et l'argent s'ils , jour renouvelés.
ne sont pas scrupuleusement enfermés, Les vents d'est {Cherqy) sont plus
noircissent en très-peu de temps et per- frais et moins importuns pour ceux qui
dent entièrement leur brillant métal- les respirent ; mais ils ont l'inconvénient
lique. de porter sur une grande partie de la
Comme ce gaz est de la plus grande ville les exhalaisons des environs du lac,
légèreté, comme aussi l'atmosphère est où pourrit toujours un nombre con-sidé*
TUNIS. s:
rable de charognes et d'autres matières dant on m'a assuré qu'on avait vu pleu-
fétides. voir à Tunis pendant quarante jours de
Les vents du nord (Djerdjy) et du suite , ce qui parut alors un phénomène
nord-ouest (Semaouy) sont les plus remarquable. Dans le Sahrâ surtout et
sains et les plus agréables; on éprouve dans le pays de Djeryd il ne pleut pres-
lorsqu'ils soufflent, surtout en été, une que jamais , et les plus fortes pluies se
sensation de bien-être et de vigueur qui réduisent à quelques gouttes d'eau.
fait facilement oublier l'importunité des Cependant on raconte qu'il tomba à
autres vents. Si ces vents de nord et de Tozer une de ces petites pluies qui dura
nord-ouest régnaient régulièrement en deux heures entières, et qui y occasionna
été, comme ils régnent en Egypte, je les plus fâcheux accidents : les toits des
pense qu'on ne pourrait guère trouver maisons n'y étant construits qu'en bran-
un dédommagement plus agréable con- chages de palmiers, recouverts par des
tre l'intensité des chaleurs; mais comme tuiles d'argile pétrie et séchée au soleil,
ils varient autant en été que dans les la pluie délaya ces tuiles et fit effondrer
autres saisons, on est trop souvent ac- un grand nombre de toits et de murailles
cablé à Tunis par ces chaleurs exces- composées de briques de même nature;
sives. on ne faisait aucun doute que si la pluie
n'y a que très-peu d'eau douce dans
Il se fût prolongée ou eût acquis plus d'in-
les environs de cette ville , et toute celle tensité, la ville tout entière n'eût été
qu'on y trouve est plus ou moins sau- réduite en un immense monceau de
mâtre il est vrai que le peuple de ces
: boue.
contrées n'est pas fort difficile sur la Les premières pluies tombent en sep-
qualité des eaux potables et j'en ai vu
, tembre , quelquefois un mois plus tard ;
souvent boire dont le goût se rappro- c'est alors que les Arabes commencent à
chait plutôt de celui d'une potion mé- labourer leurs terres ensuite, c'est-à-dire
;
dicinale que de toute autre espèce de vers le milieu d'octobre, ils sèment leur
boisson. froment ( qamèh ) et plantent leurs fè-
L'eau du Bardo, quoique généralement ves {foui ) l'orge {chayr\ les lentilles
;
vantée dans le pays, n'est même pas très- (ats) et les pois chiches (garbanços) ne
bonne; aussi le Bey a-t-il la précaution se sèment que deux ou trois semaines
d'en envoyer chercher à quelque dis- plus tard de manière à ce que ces se-
,
tance pa* des esclaves et des bêtes de mailles soient terminées pour la fin de
somme dont les outres se remplissent à novembre.
de certaines sources dans l'intérieur de Si les pluies de l'arrière-saison tom-
la montagne et en rapportent une eau bent vers le commencement d'avril,
pure et salubre. Lorsqu'un particulier, comme c'est l'ordinaire, on est assuré
soit maure, soit européen,manque d'eau, d'une bonne récolte ; la récolte se fait
il un de ces esclaves, qui peu-
s'adresse à à la fin de mai , ou dans les premiers
vent toujours disposer d'une chargeront jours de juin, suivant le temps qu'il a
le prix ordinaire est d'une demi-pias- fait auparavant et les circonstances, qui
tre (1) ; mais si les demandes se multi- peuvent l'avancer ou la retarder de quel-
plient, on paye quelquefois une charge ques jours.
de cette eau une piastre , ou même une Deux boisseaux et demi de froment
piastre et demie. Aussi une grande ou d'orge suffisent pour ensemencer l'é-
partie des habitants ne boit-elle que l'eau tendue de terre qu'une paire de bœufs
des citernes, construites avec soin pour peut labourer en un jour.
conserver l'eau des pluies. Un boisseau en rend ordinairement
Il pleut rarement dans ces climats, et de huit à douze; on m'a cependant as-
surtout en été il est rare que les pluies suré que dans certains districts le fro-
durent plus de deux ou trois jours, après ment rapportait bien davantage ; aussi
lesquels revient le beau temps; cepen- n'est-il pas rare de voir un seul grain
produire douze ou quinze tuyaux on :
4.
L'UNIVERS.
sieurs épis dont chacun en contient quel- Lefoulage du blé étant terminé , on
quefois plusieurs autres. vanne le grain en le jetant avec des
Mais cette fécondité est encore bien pelles à l'opposite du vent, puis on l'en-
loin de celle que les anciens attribuaient fouitpour le conserverdans d'immenses
au froment de l'Afrique, et particulière- fosses, ou magasins souterrains pou-
ment à celui de la Byzacène ; car Pline (1 ) vant contenir jusqu'à trois cents ou
parle d'une plante qui avait produit même quatre cents boisseaux, et aux-
trois cents ou quatre cents tiges toutes quels le nom de matmou-
on donne
nées d'un seul grain , et évalue en gé- rah (1), moyen de conservation que
néral le produit du blé à cent cinquante Pline et Hirtius (2) nous apprennent
mesures pour une seule semée. avoir été pratiqué dans ces contrées dès
Au reste, ces blés varient dans leurs la plus haute antiquité (3).
qualités , suivant la nature du terrain Le en grande partie argileux
sol est
qui les produit; et ceux qui sont récol- ou sablonneux mais il est fertile et
; ,
tés dans les plaines de Bousdyrah sont produit tout ce que l'on peut désirer,
estimés les meilleurs de toute la Ré- pourvu qu'il soit arrosé par les pluies à
gence. Dans quelques districts , où on des époques convenables ; si cette faveur
peut suffisamment se procurer de l'eau du ciel lui est refusée, il devient bientôt
pour les irrigations en été, comme en absolument stérile se refuse à la cul-
,
cap. 3o. — )
Hirt.
tranchantes, et que l'on nomme diras. Bell. Afric. cap. 57.
(3) Pline donne à ces magasins souterrains
(i) Pline, lib. XYIII, cap. 10. le nom de siri.
TUNIS. 53
femelle ; autrement on prend une grappe plus tard. Ce dernier fruit n'est pas re-
mâle entière , et on en secoue la pous- gardé comme dangereux à manger, tan-
sière fécondante sur les grappes des dis que l'abricot ordinaire donne sou-
arbres femelles. C'est cette dernière vent la fièvre et la dysenterie ; aussi
méthode que j'ai vu pratiquer en Egypte, est-il nommé
en langue franque matza-
où les palmiers mâles sont très-nom- franka, c'est-à-dire bornereau des Eu-
breux ; mais le premier procédé est pré- ropéens.
féré dans laRégence , ou les arbres mâ- le mois de juin on a deux ou
Dans
les sont moins communs, et alors un trois espèces de prunes (barqouq ou
seul palmier mâle suffit pour féconder mollys) et de cerises ; mais ces dernières
quatre ou cinq centaines d'arbres fe- sont peu abondantes et presque sans
melles. saveur cependant on les a honorées du
:
L'UNIVERS.
longue et noirâtre, qui reste quelquefois ces jardins il est indispensable d'y avoir
sur l'arbre pendant tout l'hiver. un puits, garni d'une roue à godets que
Les brugnons et les pêches (khoukh) font tourner des chameaux , des bœufs
se cueillent vers le milieu de juillet; ou des chevaux, et au moyen de laquelle
les premiers surpassent les nôtres en gros- l'eau monte à la surface du sol pour se
seur et en saveur les pêches ont une
: distribuer dans les divers canaux d'ar-
odeur exquise, et pèsent quelquefois jus- rosage.
qu'à dix onces. Les maisons de campagne des Tuni-
Les premières grenades ( roummân ) siens diffèrent en quelques points de
sont mares en août elles parviennent
; celles de la ville; dans les premières, le
quelquefois à une grosseur étonnante : pafeo ou ciel ouvert (i) a un bassin d'eau
tfn efi voit qui ont jusqu'à quatre pouces presque toujours jaillissante, tandis que
(11 centimètres) de diamètre et qui les secondes n'en ont pas : si on n'use pas
pèsent une livre (un demi-kilogramme). de la précaution de faire vider souvent
Enfin un fruit qui fait l'unique nour- ces bassins, et de les faire nettoyer soi-
riture d'un grand nombre de pauvres gneusement, il n'est pas rare de voir,
familles pendant les mois d'août et de à l'approche de l'automne, le dégage-
septembre , c'est la figue du nopal ou ment de gaz hydrogène qui s'y forme
opuntia. Ce fruit , hérissé de piquants et s'y accumule, occasionner des oph-
plus longs et plus dangereux que ceux thalmies ou même des fièvres ataxiques
de la châtaigne, a sans doute été apporté et pernicieuses.
de l'Espagne sur les côtes barbaresques; La campagne devient riante et agréa-
c'est du moins ce que pourait faire pré- ble dès que pluies commencent à
les
sumer le nom qu'on lui donne de ker- tomber : elle devient aride, stérile, et
mous dén-nassarâ , qui signifie tejigue d'un aspect déplaisant par la cessation
des chrétiens. des pluies, dès que la saison de la séche-
L'olivier ( chadjerah
- déz - zeytoun resse se déclare.
)
et le noyer \chadjerah-dêl-gouz) don- On rencontre fréquemment des éten-
nent des récoltes abondantes tous les dues de terrain tres-considérables en
deux ans. friche, ou privées de culture par le défaut
L'olivier surtout est très-répandu des bras nécessaires. La dépopulation est
dans toute la Régence ; mais l'huile que telle dans quelques parties de ce pays
son fruit y donne est bien loin d'appro- qu'on voyage souvent pendant plusieurs
cher de l'excellence de celle de notre heures sans rencontrer ni habitations ni
Provence ; aussi ne s'en sert-on guère hommes.
en France que pour les savonneries , où Et cependant, quel heureux pays que
on en fait une grande consommation. celui de la Régence si elle était gouvernée
Je ne crois pas devoir mettre au nom- par une législation sage et prévoyante,
bre des ressources agricoles de la Ré- qui, correspondant à l'importance que ce
gence quelques autres fruits que l'on y
, pays est susceptible d'acquérir, saurait
rencontre en petites quantités les châ-
: favoriser l'industrie manufacturière, en-
taignes {qostâl), plus petites que celles tretenir et améliorer les voies de com-
de France, mais qui ne leur sont pas in- munication, assainir les marécages,
férieures en bonté ; l'arbouse {bou-khan- amener les eaux superflues ou nuisibles
nou); les caroubes {kharroub); les sur les terrains secs et arides pour les
poires sauvages (îddjâs); les coings {se- fertiliser par une irrigation habilement
ferdjel ) ; les nèfles , les jujubes ( zif- coordonnée, et contribuer à l'accroisse-
zouf), etc., ces fruits n'étant cultivés mentde la population, dontla diminution
qu'en petite quantité et en peu d'endroits. est partout sensible, en encourageant les
On voit dans les jardins des environs travaux, la culture, le commerce; en
de Tunis toutes sortes de productions rouvrantles anciennes relations jadis éta-
utiles et agréables ; mais la culture en- blies avec l'intérieur du vaste continent,
tre les mains d'un peuple plus actif et dont Tunis pourrait ainsi devenir l'en-
plus industrieux y rendrait dix fois plus trepôt principal et la clef commerciale,
que les Tunisiens n'en obtiennent.
Pour entretenir la végétation dans (i) Voyez ci-dessus, page 10, note 6„
TUNIS, 53
{dourrâ), des fèves (foui), des pois Jujf, soit Européen, n'oserait fabriquer
(djoulbân) , des haricots (loubyah), des une grande quantité de vin sans avoir
pois chiches ou lupins (hoummous) , préalablement obtenu du bey une auto-
ainsi que de beaucoup de plantes légu- risation spéciale. Laplus grande partie de
mineuses et potagères telles que le chou
, ce que produisent les xignes(dalyah)
(krounb), la laitue (khass), l'artichaut de la Régence est convertie en raisins
(kharchouf) , l'asperge (sekkoum) , la secs (zebyb), dont il se fait une grande
poirée (selq), le pourpier (ridjlah), le exportation pour tous les ports de la Mé-
cardon ( guernyn ou gannaryah ) diterranée.
le cresson (zeyatah), les raves (left- Indépendamment des saisons , dont
beledy), le navet (le ft-mahfour), le rai- nous avons vu les noms
ci-dessus, les
fort (figoul), le persil (kerafess), îe Maures divisent aussi leur année agri-
cerfeuil ( mag donnes ) , l'oignon (bas- cole en quatre époques,qui correspondent
sal) , l'ail (thoum) , le poireau (bey- à peu près aux saisons déjà indiquées.
berouz), l'oseille (hamyddah), la to- Ces époques de l'agriculture, qu'ils
mate (tomâttich) ; mais ces dernières comprennent sous la dénomination com-
sont ordinairement assez chères parce , mune de âouqât-del-fellâhah, sont les
qu'elles ne sont en général que très-peu suivantes :
oranges ( ledjyn ) , les citrons doux ou tout à fait ses meilleures qualités dès
limons (leymou leymoun), les citrons que la sécheresse exile les troupeaux
aigres ( lârendj ), les cédrats ( troundj ). des prairies, et ne leur laisse pour nour-
On peut joindre encore à cette liste riture que des herbes fanées.
quelques poires (neggâs), des amandes Le mouton (êl-ghannâm) a générale-
(leouz ou neouâ), des raisins (âyneb) ,
ment un très-mauvais goût; aussi les
des noix (gouz ou guergda), des noi- personnes un peu aisées ne mangent guère
settes (zelzella), etc. que de l'agneau (kharouf), qui est in-
Mais en général il est fort rare de pou- finiment meilleur, et qui au moins n'a
voir manger aucun de ces fruits dans un pas le goût insupportable de suif qu'ex-
état complet de maturité qui permette hale la chair des vieilles brebis (nadjah)
à leurs qualités savoureuses une entière et des moutons adultes (haohly), envers
perfection, sous un ciel dont la tempé- lesquels la loi musulmane défend de pra-
rature serait si favorable à ce développe- tiquer la castration.
ment. Les Européens voient avec regret Le porc (hallouf) est rare on mange ;
les Maures les cueillir longtemps avant en revanche d'assez bons sangliers
qu'ils ne soient tout à fait mûrs et ils , ( khanzir), quoique l'un et l'autre soient
s'étonnent avec raison que le goût des également interdits par les prescriptions
gens du pays soit flatté à un tel point de l'islamisme.
par la saveur acre et acerbe de ces avor- Les volailles et surtout les poules
tons encore verts. (djedâd ou dedjadj) sont assez abondan-
Le raisin est abondant dans toutes les tes; mais elles ont bien renchéri depuis
56 L'UNIVERS.
environ un siècle; et si l'on compare le Bizerte, et n'estguère mangeable qu'en
prix qu'elles valaient en 1737, époque hiver; mais le bas peuple et surtout les
à laquelle le docteur Shaw a résidé dans Juifs en font leur principale nourriture,
ce pays, on trouvera qu'elles coûtent et le mangent en toute saison, même
maintenant le quadruple des prix de lorsqu'il est presque à demi gâté , dans \
être peint
,
frique, poule de Barbarie ou de Mauritanie , nuler leur privilège pour les criminels, 1,
voule de Pharaon ; quelques naturalistes l'ont élective, comme l'est encore celle de
appelée meleagris. Les œufs de la pintade res- Tripoli et comme l'était alors celle d'Al- ;
sent considérable. S'il manque à cet qui appartient à l'état militaire, ainsi
usage, on ne l'importune pas pour en qu'à la marine.
réclamer l'exécution; mais il tombe en En Europe on aurait bien de la peine
disgrâce ; on ne lui envoie plus mfirman à comprendre comment un seul homme
ni ùaftan jusqu'à ce qu'il ait réparé sa peut faire face à tant d'objets différents
faute. et les diriger avec ordre et précision.
Le firman est une lettre de félicita- Mais il est bon de remarquer que tout
tions émanée chaque année du trône est réduit dans l'administration de ce
impérial et portant confirmation du ti- pays à la plus grande simplicité; de cette
tre primitif de nomination; et le kaftan simplicité, qui sait se passer des rouages
est un manteau long ou vêtement d'hon- compliqués de la bureaucratie euro-
neur qui est présenté au Pacha en au- péenne, découlent naturellement une
dience solennelle par un envoyé extraor- stricte économie dans les dépenses pu-
dinaire de la Porte. bliques et une marche directe et sans
La réception de cette marque hono- détours dans les jugements des tribu-
rifique de la faveur du Grand-Seigneur naux et les affaires gouvernementales.
cause une grande joie dans le Pachalyk, Là où un prince européen aurait be-
et est l'occasion de réjouissances so- soin de cent employés de diverses classes
lennelles à la cour du Bey, qui fête de pour l'administration des affaires d'Etat,
son mieux le porteur du présent impé- quatre ou six écrivains suffisent à Tunis
rial. pour diriger tout ce qui rentre dans ce
Un divan, composé d'officiers pris ressort.
presque dans tous les rangs de la milice Outre une plus grande célérité dans
turke, nommait autrefois dans son sein l'expédition des affaires , outre l'écono-
le Dewletly, c'est-à-dire le lieutenant mie positive d'une administration aussi
du Bey, qui était de droit gouverneur simple, il résulte un troisième avantage
particulier de la ville, et contrebalançait incontestable et bien important , c'est-
souvent l'autorité du Pacha ; mais au- à-dire la facilité que le Bey a par cette
jourd'hui cette nomination n'est plus organisation de surveiller les opérations
qu'une simple formalité, et personne d'un corps administratif si peu nom-
n'arrive par droit d'élection à cette breux , et d'apercevoir d'un seul coup
place importante sans l'agrément bien d'ceil les malversations et les abus qui
positif du Bey, ou plutôt sans sa nomi- pourraient s'y glisser, et qui lui échappe-
nation immédiate. raient nécessairement dans une organi-
Lorsque le Dewletly vient à manquer sation plus compliquée.
par décès ou révocation, l'aga de la Gas- Si le Bey, par exemple, reconnaît
béh (1) lui succède de droit. Le Dewletly qu'un de ses agents vole ouvertement ou
et le divan, qui avaient autrefois un pou- son trésor ou ses sujets, le châtiment ne
voir indépendant du Bey, et qui étaient se fait pas attendre il le punit immédia-
:
sont aujourd'hui entièrement subordon- cet agent emploie, pour cacher ses mal-
nés , et n'ont qu'une influence très-se- versations, des moyens adroits et qui
puissent en imposer assez pour qu'il ne
(i) Voyez ci-dessus la note 3 de la page io. puisse pas être pris, comme on dit vul-
L'UNIVERS,
gairement la main dans le sac, alors En conséquence, loin de lui donner des
le Bey ne manque jamais de frapper preuves de sa faveur, il ne cessa de l'ac-
d'une avanie l'employé suspect, et de lui cabler d'avanies multipliées,afin de le for-
arracher ainsi en un instant, sans forme cer ainsi à restituer la portion du trésor
de procès, la restitution de ce qu'il peut qu'il l'accusait d'avoir dissimulée : le
avoir détourné à son bénéfice pendant pauvre juif, dont la déclaration avait été
un temps plus ou moins long. exacte, fut ainsi réduit à la plus profonde
L'augmentation subite de fortune est misère, et je l'ai vu mendier dans les
communément l'indice auquel se recon- rues de Tunis.
naissent de pareilles infidélités et qui Le Bey, sans être aucunement initié
expose inévitablement celui qui a dé- aux études de la jurisprudence, est le
pouillé les autres à être lui-même dé- juge souverain, non-seulement des cau-
pouillé à son tour : aussi le principal ses importantes, mais encore des moin-
soin des enrichis est-il de dissimuler au- dres différends qui s'élèvent parmi ses
tant que possible un accroissement de sujets. Tous les jours à huit heures du
richesses dont la manifestation pourrait matin il va siéger dans une salle d'au-
les trahir et causer leur perte. dience, où il écoute jusqu'à midi, avec
Ce mode de dépouiller les riches con- une patience admirable, les plaintes et
cussionnaires, qui ne serait qu'une jus- querelles sur lesquelles chacun réclame
tice à la turque s'il se bornait à leur faire sa décision.
rendre gorge de leurs rapines , devient Il paraît se plaire singulièrement
à
souvent suivant le caprice du Bey, un
, ce genre d'occupation, qu'il considère^
acte d'iniquité révoltante. On en pourra même comme plus important de ses
le 5
juger par le fait suivant, qui s'est passé devoirs envers peuple soumis à son
le
sous mes yeux. gouvernement. Je pense aussi qu'il y
Le ministre du Bey Moustafa-Khod- trouve souvent son propre avantage,!
gia, mort il y a quelques années, avait non-seulement par les amendes dont if
un intendant juif, dans lequel il avait la ne manque jamais de frapper la partie
plus entière confiance. Il lui avait remis qu'il condamne, mais encore parce que,
successivement une somme de huit cent comme juge, il apprend à connaître une
mille piastres (environ quatre millions infinité de détails qu'il ignorerait comme
de notre monnaie) cette remise avait
:
prince, et cette connaissance lui est sou-î
eu lieu par versements partiels et dans, vent d'une grande utilité, soit pour son
le plus grand secret, et sans qu'il en fût administration, soit pour ses finances.
fait mention dans aucun de ses regis- Cependant, il ne pourrait guère s'ac-;
tres, ni dans aucune pièce comptable. quitter que d'une bien faible partie de'
Le ministre étant mort sans avoir dis- ses fonctions judiciaires si, comme dans/
posé de cette somme, le juif aurait pu fa- un tribunal européen, il devait s'assujet-
cilement s'approprier ce dépôt inconnu tir à la régularité de certaines formes'
de tous, et en jouir avec toute sécurité; accessoires.
cependant soit qu'il craignît qu'un jour Ici tout se réduit à une exposition
l'existence de cette somme entre ses simple des faits. Chacun plaide indivi-
mains ne pût venir à la connaissance du duellement sa cause sans intermédiaire
Bey, soit qu'il voulût lui donner une et sans autres écrits que ceux qui attes-
preuve de son honnêteté et de son atta- tent le payement ou la dette.
chement, et dans l'espoir d'obtenir ainsi Le Bey, après avoir entendu les deux
sa faveur, il se décida à lui en faire la parties, cherche souvent à se procurer
déclaration. une connaisance plus exacte de l'affaire
Mais le prince, loin de se montrer sa- par des questions et des objections adres-
j
tisfait de cette confession, sentit, au con- sées à chacune des parties , et dès qu'il
traire s'en accroître une avidité sans
, est suffisamment éclairé, ou du moins
bornes ; il se crut fondé à soupçonner qu'il croit avoir bien saisi le fond de
le juif d'une réticence dans sa
déclara- l'affaire en litige, il rend son arrêt, arrêt
tion , et le crut dépositaire d'un trésor décisif et en dernier ressort. S'il faut
beaucoup plus considérable que celui pour achever d'éclaircir l'affaire quel-
qu'il avouait avoir entre les mains. que pièce, quelque témoin, quelque attes-
TUNIS.
tation , la chose est renvoyée à un autre sequins nommés mahboubs (1). Dési-
jour.
rant la recouvrer, il fit proclamer sa perte
les cas les plus importants ou
Dans dans les rues et les places de la ville, par
plus épineux il fait revenir les plai-
les
un crieur. Celui qui avait trouvé l'objet
deurs à une autre audience, pour se perdu était un nomme généralement
ionner le temps de mieux réfléchir sur renommé par sa probité; et dès qu'il
eur cause , ou pour se consulter avec connut le propriétaire de la bourse, il
hommes de loi qu'il appelle auprès s'empressa de la lui rendre. Mais celui-ci,
ies ,
je lui ; mais en général la justice du Bey voyant qu'il avait affaire à un homme
expéditive et un tribunal d'Europe riche, crut la circonstance favorable pour
?st ,
mûr examen. 11 est vrai néanmoins ce différend fut enfin porté devant le Bey.
l'un
lue, même dans ce dernier cas, au moins Le propriétaire de la bourse perdue
Il plaideur a l'avantage de ne pas languir soutenait vivement qu'il y avait dans
dans une pénible incertitude, et évite sa bourse cent sequins, tandis que celui
ainsi des démarches désagréables et des
qui l'avait trouvée affirmait également
Idépenses ruineuses.
avec serment qu'il l'avait rendue telle
également juste d'avouer que qu'il l'avait trouvée.
11 est
Comme il y avait en apparence autant
j
On peut même lui reprocher de pous- sentée aussitôt. Après l'avoir examinée
ser cette circonspection jusqu'à la dis-
avec attention, il en retira le peu de
simulation, à la ruse et à une défiance, sequins qu'elle contenait, et il ordonna
peut-être fondée sur l'expérience de qu'on lui apportât de son trésor cent
vingt-cinq ans d'exercice dans ses fonc- autres sequins mahboubs. Il essaya alors
tions : cette longue expérience lui a fait de les faire entrer dans la bourse, qui ne
acquérir une connaissance exacte de tous put en recevoir qu'environ cinquante :
les détails de l'administration et de tout
puis la vidant de nouveau, il invita le
ce qui importe à son maintien dans son propriétaire à y placer lui-même les
j'Pachalyk. cent sequins qu'il prétendait y avoir
J'assistais souvent à ces séances judi- été contenus. Celui-ci n'ayant pas pu
ciaires; et je regrette de ne pas avoir eu davantage y réussir, le Bey remit dans
Lassez de loisir pour recueillir une série la bourse les vingt sequins qu'elle renfer-
complète des sentences que j'ai enten- mait d'abord, et la donna à celui qui l'a-
dues prononcer; j'aurais pu ainsi faire vaittrouvée enlui disant « Commel'état
:
quitte de ces hautes fonctions judiciaires. « dications désignées par votre adver-
Je citerai cependant ici quelques faits « saire, elle vous appartient légitime-
qui pourront faire connaître la manière « ment et sans que personne puisse vous
'
faires.
Un Maure avait perdu une bourse (i) Voyez ci-après la Notice sur les Mon-
; contenant quelques monnaies d'or ou naies de Tunis.
- j
60 L'UNIVERS.
« propriétaire de la bourse , vous mé- conjugale, toutes les fois que le mari
« riteriez certainement que je vous fisse s'en absentait.
« donner deux ou trois cents coups de On peut aisément croire à l'empres-
« bastonnade : mais il me suffit d'avoir sement que met la veuve à révéler cette
« constaté d'une manière aussi authen- intrigue à son amant, qui, plein de con-
« tique que vous êtes un malhonnête fiance en sa femme, refusa d'abord de
« homme : allez , et gardez-vous de ja- croire la dénonciatrice, et ne se laissa
« mais reparaître devant mon tribunal. » persuader que lorsqu'il lui entendit citer
Voici un second exemple de la manière des faits tellement positifs, qu'il lui fut
dont le Bey rend la justice. impossible de conserver son incrédulité.
Deux Bédouins avaient trouvé une va- Un jour donc, averti parla jalouse que
che égarée dans la campagne; nul ne se le galant de sa femme venait de se glisser
présentait pour la réclamer ; mais cha- dans son domicile, il se hâta de rentrer
cun des deux Bédouins prétendait s'ar- chez lui pour surprendre les deux cou-
roger un droit exclusif à la possession pables; il trouva sa femme seule, contre]
de l'animal trouvé par eux. De là con- son attente; mais il n'en fit pas moins
testation et plainte portée devant le dans toute la maison une recherche qui)
Bey; le juge essaya vainement de con- fut également sans résultats.
cilier l'avidité des deux prétendants ; et Désappointé, il courut aussitôt chezj
ne pouvant y réussir, il leur ordonna l'accusatrice lui faire part de l'inutilité
d'amener devant lui la vache en litige; de son investigation dans toutes les par-
alors il leur dit : « Tout bien qui n'a pas ties de la maison qui auraient pu servir
« de propriétaire reconnu légalement de retraite à celui qu'il voulait saisir-
« m'appartient ; d'après cette maxime la La jalouse réfléchit, l'interroge suc4
« vache ne sera ni à l'un ni à l'autre cessivementsur toutes les cachettes qu'il
« de vous, mais à moi. Que le pro- avait explorées , puis tout à coup « Et :
« priétaire qui l'a laissée égarer vienne « le grand coffre de votre femme lu? ,
« la réclamer; il sera assuré de recevoir « dit-elle , celui où elle serre ses robes
« une punition exemplaire pour sa né- « et ses atours , l'avez-vous visité? —
« gligence à garder ses troupeaux : « Non, vraiment. —
Allez vite, c'est là
« quant à vous , estimez-vous heureux « où elle a caché son amant. »
« de ne pas me voir approfondir davan- Le mari s'élance aussitôt, remonte
« tage cette affaire, et de sortir sans bas- dans la chambre de sa femme, voit le
« tonnade de mon audience; car je vous coffre, en demande la clef, qui lui es
« soupçonne fort de n'avoir pas trouvé d'abord obstinément refusée et qu'i|
« la vache, mais de l'avoir volée. » n'obtient que par la violence : le coffr^
D'autres voyageurs ont suffisamment est ouvert, le coupable y était, en effet*!
fait connaître les dangers que les aven- caché sous quelques robes et quelques
tures galantes entraînent à leur suite, châles.
et la sévérité des lois musulmanes à cet Aussitôt il referme le coffre à double
égard ; je citerai seulement les deux faits tour, enferme sa femme dans un cabinet
suivants, qui se sont passés pendant attenant à la chambre, et court faire sa!
mon séjour, et qui pourront peut-être déclaration au chef de la police récla ,
faire sourire le lecteur par le côté plai- mant le jugement du Bey contre lej
sant qu'ils offrent. couple adultère.
Un Maure de Tunis avait une femme Pendant que le mari outragé prépare;
jeune et joiie; ce qui ne l'empêchait pas ainsi sa vengeance, la femme infidèle!
d'avoir clandestinement des relations n'était pas restée inactive. Une petite!
très-intimes avec une de ses voisines, fenêtre , ouverte au haut de la cloison
veuve et belle, et qui s'était montrée très- pour éclairer le cabinet qui lui servait
disposée à l'accueillir celle-ci, jalouse
: de prison, lui facilita les moyens d'en
de la femme de son amant, dont elle dé- sortir; elle avait une double clef; elle
sirait d'occuper le cœur sans partage, s'en servit pour ouvrir le coffre fatal,
épia tellement sa rivale, qu'elle parvint et donner à son complice une liberté
à découvrir l'introduction secrète d'un dont il s'empressa de profiter.
jeune et beau négociant dans la maison En allant porter sa plainte devant le
TUNIS; êi
se présenter chez elle, sous le prétexte démentir le témoignage de ses yeux sans ;
et l'assure qu'il ne s'était passé chez imprudents comme ils le sont tous fu- ,
62 L'UNIVERS
Bey un passe-port pour aller à Constan- se faire prier, les encourageant même;
tine, dans la Régence d'Alger. Ayant et elle feignit bientôt d'être plus ivre
reçu un refus formel elle s'était décidée
, qu'eux; bientôt aussi ceux-ci furent
à partir furtivement et à se passer de plongés dans un sommeil profond, pro-
la permission refusée; mais bientôt ar- duit par une ivresse dont la chanteuse;
rêtée et ramenée à Tunis devant le tri- avait eu soin de se garantir. Saisissant
bunal du Bey, elle y fut condamnée pour alors le moment favorable, elle s'em-
sa désobéissance à la déportation dans pare adroitement de la clef du cadenas,
l'île de Kerkanah, et elle fut confiée à se délivre de ses chaînes, avec lesquelles
deux soldats cbargés de l'y conduire. elle lie étroitement les deux gardiens en-,
La chanteuse était assez jolie. L'état dormis; puis s'emparant de leurs ar-i
qu'elle exerçait n'annonçant pas des mes et de l'ordre écrit qui constatait
mœurs trop* sévères, ses* conducteurs leur mission, elle se hâta de prendre la
conçurent à l'égard de leur captive des fuite.
projets amoureux, auxquels elle se prêta Malgré leurs velléités erotiques, les!
avec assez de facilité, et qui lui valurent gardiens de la chanteuse n'avaient pas
pendant la route tous les soins et toutes négligé de s'approprier les sequins et les
les attentions que permettait sa situation. petites plaquettes d'or que les femmes
Arrivés à Soussah, ces soldats, se de l'Orient ont coutume de suspendre à
croyant assez loin de la capitale pour ne leur longue chevelure. Ces plaquettes' 1
plus craindre une surveillance immé- d'or et les sequins étaient passés immé-
diate, et pouvoir se livrer impunément diatement des tresses de la chanteuse
à leurs projets d'orgie, achetèrent du dans les bourses des deux soldats ; à son*,
vin et de l'eau-de-vie, en burent assez départ la fugitive à son tour n'oublia pas:
copieusement pour se livrer à la plus de ressaisir les ornements dont elle avait
profonde ivresse. Cependant, avant de été spoliée, et emporta avec elle les deux
s'y abandonner, craignant que leur pri- bourses, sans s'amuser à trier parmi les
sonnière quoique ayant un bras et un
,
sequins qu'elles contenaient ceux qui;
pied enchaînés, ne profitât pour s'évader lui appartenaient et ceux qui apparte-
'
bras et qui fut détachée, permettant d'ail- qu'au milieu de la nuit. Le premier qui
leurs à la captive les mouvements néces- reprit ses sens se sentant fortement re-
,
j
saires pour qu'elle pût s'associer à l'or- tenu par la chaîne dont la chanteuse l'a-
gie de ses gardiens, la chaîne fut fer- vait étroitement accouplé à son cama-
mée par unfort cadenas, dont la clef fut rade, et n'ayant pas encore les idées très-
placée soigneusement dans la poche de nettes, au milieu des ténèbres, se crut
l'un d'eux, l'objet d'une attaque inconnue et se hâta
La femme but avec les soldats sans de faire pleuvoir une grêle de coups sur
celui par lequel il se croyait ainsi retenu.
mime libidineuse , dont les riches débauchés Éveillé brusquement à son tour par cette
de Rome faisaient leurs délices. aggression , le camarade chercha son
Forsitan expectes ut Gaditana canoro poignard , et nul doute que sans le soin
ïncipiat prurire choro , plausuque probata,
qu'avait eu la chanteuse d'emporter
Jdterramtrenmlo descendait renepuella
Irritamentum Feneris languentis, et acres leurs armes , les deux adversaires ne se
Divilis uriicce • fussent entr'égorgés avant toute expli-
JUVÉNAX, XL cation.
Tel de Gadïbus improbis puellce
Cette explication eut lieu enfin, après
Vibrahunt sine fine pritrientes
JLascivos docili tremore lumbos. ...... un long combat et de cruelles meurtris-
Martial, Y, sures dont chacun d'eux, enchaîné corps
TUNIS. 63
»
« pour faire avouer le coupable.
nit à ceux-ci que le pain mais le pois-
;
son étant très-abondant dans ces para- J'ignore jusqu'à quel point cette for-
ges ils peuvent facilement se procurer
,
mule de procédure peut avoir du succès ;
cependant on cite à ce sujet le fait sui-
I, leur nourriture. Cependant ce n'est
i qu'à force de travail que les déportés vant :
ficile à concevoir, si on considère qu'il y fret qu'il avait enfermé dans une de ses
I
en a beaucoup qui sont condamnés pour armoires; le lendemain, voulant prendre
i la vie. ces joyaux pour en aller proposer l'achat
D'ailleursoutre les condamnations
,
à quelqu'une de ses riches pratiques, il
judiciaires, arrive souvent que les
il s'aperçut qu'il n'en restait plus que
neuf dans coffret et qu'une topaze
, femmes des gens riches lorsqu'elles ont
,
le ,
64 L'UNIVERS.
Aucun étranger n'avait pénétré dans reux domestique les cinquante coups de
la chambre où avait été placé le coffret bâton qu'il avait déjà si injustement re-
précieux et il était incontestable que la
, çus; mais il lui alloua pour dédommage-
soustraction n'avait pu être faite que par ment la bague fatale , et ordonna que
un habitant de la maison : les esclaves les quatre cent cinquante coups restant
les domestiques, les membres même de à solder de la bastonnade seraient immé-
la famille furent interrogés, et exacte- diatement administrés au joaillier, dont
ment fouillés , sans que la bague fût re- l'accusation inconsidérée avait manqué
trouvée; les soupçons du joaillier se por- de faire condamner un innocent à la
tèrent alors sur un vieux domestique de- peine capitale. Comme le marchand était
puis plusieurs années attaché à son ser- riche, il est inutile de dire qu'une forte
vice, et, se persuadant de sa culpabilité, amende payée au trésor du Bey dédom-
malgré ses dénégations réitérées, il le magea ce juge perspicace de l'effort
traîna devant le tribunal du Bey, l'accu- d'imagination qui lui avait procuré la dé-
sant du vol commis à son préjudice. couverte de la vérité.
Le malheureux accusé n'avait pour se Au reste, quoique les formalités de pro-
défendre que ses larmes et les serments cédure employées par la justice du Bey
énergiques par lesquels il attestait son soient peut-être en général assez acer-
innocence. D'un autre côté, le joaillier ne bes, les Tunisiens aiment mieux avoir
pouvait alléguer pour appuyer son accu- recours à son tribunal qu'à la juridiction '
sation que le soupçon d'après lequel il des qâdys et des hommes de loi ; et un
l'avait intenté et ïe témoignage de sa
, proverbe commun à Tunis est celui-ci :
|
jeune fille, âgée de douze à treize ans, « Mieux vaut la tyrannie du Turk que
qui déclarait avoir bien réellement vu, « la justice de l'Arabe. »
la veille, son père examiner Tune après Les meurtres sont généralement pu-
l'autre les dix bagues, les compter, et nis par la peine de mort, avec cette dif-
les enfermer dans le coffret, qui n'en férence toutefois que si c'est un Turk i
contenait plus que neuf le lendemain. qui en soit coupable , il est étranglé au
Entre les allégations si opposées et si fort de la Gasbéh, et que si le meurtrier
j
peu décisives de l'accusation et de la dé- est un Maure , il est pendu sur le lieu
:
rité, était plongé dans une perplexité femmes mêmes condamnées pour meur- ;
très) de profondeur, des hommes sont par les musulmans, qu'ils ne sauraient
chargés d'enfoncer le sac avec des per- en permettre l'approche soit aux chré-
,
ches et de le maintenir au fond de l'eau tiens, soit aux juifs et il était même au*
,
jusqu'à ce que la patiente soit tout à trefois réputé si respectable par sa sain-
fait étouffée. teté , que les Beys eux-mêmes n'osaient
Ordinairement le Bey fait couper le plus poursuivre un homme qui s'y était
poignet aux voleurs. La sentence pro- réfugié : le Bey maintenant régnant n'a
noncée, ceux-ci sont conduits pour être osé y faire saisir qu'un seul assassin
opérés à l'hôpital maure, où un juif exé- qui avait égorgé impitoyablement deux
cute le jugement et ampute tant bien petits enfants pour se venger de leur
que mal la main dans l'articulation avec père. Le privilège de la mosquée a dû
un mauvais couteau. cette fois céder devant i'énormité du
Autrefois on trempait le moignon crime et l'indignation générale.
dans du goudron chaud, il en résultait Si cependant le Bey veut absolument
ce qu'il pouvait au mutilé; mais aujour- avoir en son pouvoir quelque malfaiteur
d'hui on fait quelquefois une ligature réfugié dans une des mosquées privilé-
aux grosses artères, ou bien on les tam- giées, voici le moyen qu'il emploie, et
ponne avec de la charpie, sans s'inquié- dont le succès est infaillible.
ter aucunement des suites de l'opération. Il envoie des maçons à la mosquée,
La main coupée est attachée à une fi- avec l'ordre de murer la porte et les
celle et suspendue au col du voleur, qui, fenêtres de la chambre où se trouve le
ainsi châtié, est promené par la ville as- , réfugié , en ne laissant qu'une petite
sisà rebours sur un âne au milieu des
, ouverture par laquelle la voix peut à
huées générales. peine passer cela fait, deux gardes y
:
Le chef des médecins maures (Hakim- sont placés avec la consigne de ne laisser
Bâchy) profite souvent de l'occasion d'un donner au reclus aucune espèce de
de ces supplices pour exercer une avanie boisson ni d'aliments ; il est vrai que
sur quelques chirurgiens européens, en par ce moyen on ne force pas directe-
les faisant appeler par des soldats et les ment le délinquant à sortir de son asile;
contraignant à pratiquer une opération mais, pressé par la faim et par la soif
aussi répugnante. Mais, dans le fond, son il ne tarde pas à demander lui-même son
but réel n'est guère que de les exposer à extraction du saint lieu et sa comparu-
une démarche désagréable et de leur ex- tion devant le tribunal du Bey.
torquer quelque argent au bénéfice du Ces mosquées servent particulière-
juif qui fait l'amputation. ment d'asile aux débiteurs poursuivis
Il y a à Tunis quatre mosquées jouis- pour leurs dettes, et ils s'y trouvent
sant du privilège d'immunité ou d'asile complètement à l'abri des poursuites
et où beaucoup de malfaiteurs se réfu- de leurs créanciers; ils y restent ainsi
gient pour se mettre à l'abri des pour- jusqu'à ce qu'ils aient pu les solder,*
suites de la justice. Cette immunité est ou prendre des arrangements avec eux;
accordée aux mosquées en l'honneur du s'il leur survient cependant quelque
saint musulman ou du fondateur qui y affaire trop importante, et qu'ils soient
ont leur sépulture; cette prérogative absolument obligés de sortir, ils peu-
est attribuée non-seulement à la mos- vent le faire sans crainte d'être moles-
quéeelle-même, mais encore à un certain tés en se munissant d'un chapelet du
espace de terrain qui l'avoisine; de sorte cheykh de la mosquée qui leur sert
que les chrétiens et les juifs peuvent d'asile. Ce chapelet ne se délivre guère
également y trouver un refuge ce qui , par celui-ci qu'à raison de la rétribution
n'est pas absolument rare, surtout lors- d'un sequin Mahboub ( sept francs envi-
qu'ils sont poursuivis pour dettes. ron de notre monnaie) que le débiteur
Mais entre toutes les mosquées qui paye par jour au cheykh dont il obtient
jouissent de ce privilège, il n'y en a ce sauf-conduit.
aucune qui soit en si grande vénération Les Qâdys jugent communément les
que celle de Qayrouân, la ville la plus causes sommaires et les contestations
considérable de la Régence , après celle minimes; mais il y a à Tunis un autre
de Tunis : cet édifice est même si vénéré tribunal supérieur, qui est formé par la
e
5 Livraison. (Tunis.) 5
66 L'UNIVERS.
réunion desQâdys et des jurisconsultes mans ne payent aucune contribution
Les Maures le nom-
les plus instruits. personnelle ou foncière, ni même d'im-
ment Mohakemét-és-Cheryah , ou le position relative à l'état qu'ils exercent;
tribunal du droit divin , le tribunal lé- ce n'est que sur les productions terri-
gal (1). Celui qui croit n'avoir pas été toriales que le Bey perçoit le dixième
bien jugé par les Qâdys particuliers ou de leur valeur brute.
même par Je Bey peut porter son appel La source la plus fertile du revenu
devant ce tribunal, et quelquefois le Bey public, et en même temps la plus rui-
lui-même renvoie à cette juridiction neuse pour les contribuables, provient
certains procès , mais surtout lorsqu'il des gouverneurs ou Qâyds, établis dans
veut favoriser une partie; car, malgré le chaque arrondissement.
proverbe que j'ai cité ci-dessus (2), ce tri- Eneffet, chaque district a un Qâyd(3),
bunal est toujours plus modéré dans ses qui est obligé de payer annuellement au
sentences, quoique souvent il soit beau- Bey une somme déterminée ; et s'il veut
coup trop tardif à les rendre. Les plai- jouir de quelque considération auprès
deurs peuvent aussi s'y présenter direc- du Bey surtout s'il veut rester dans son
,
tement et sans avoir besoin d'un arrêt emploi, il faut qu'outre cette somme
de renvoi ou d'un acte d'appel. fixée d'avance, fasse parvenir à ce prince
i I
encore la loi civile, et même la loi criminelle, river chez le Bey une nombreuse dé-
parce que l'une et l'autre jurisprudences n'ont
pour base que les prescriptions du Koran et (3) C'est du mot arabe êl-Qâyd ou âl-
de la tradition sacrée. ( J. J. M. ) Qâyd, que Espagnols ont formé leur titre
les
(2) J^oyez t ci-dessus, page '64. $ Alcade. (J.J. M.)
m\
putatîondes habitants d'un district, qui Le Bey envoie quelquefois, auprès des
vient solliciter le changement de leur gou- puissances européennes qui bordent ies
verneur quelque fondement qu'aient
:
côtes de la Méditerranée et ayoisinent
leurs réclamations et leurs plaintes , le ses États, des ambassadeurs (Eltchys),
Bey paraît toujours se refuser à les qu'il choisit parmi les riches personna-
écouter mais, comme il leur importe de
;
ges qui l'entourent; ces ambassades
ne pas retourner dans leur pays sans n'ont guère d'autre but que celui de
avoir réussi dans leurs démarches, qui remplir quelques formalités cérémo-
les exposeraient infailliblement à la nielies , ou quelquefois de nouvelles né-
gouvernent les divers districts de la s'entretenir avec les Tunisiens des Etats
Régence sont loin de déplaire au Bey, dans lesquels ils ont séjourné, et surtout
qui y trouve un triple intérêt 'l le:
de se permettre aucunes réflexions corn»
;
présent des réclamants dont je viens de paratives soit en bien soit en mal , entre
!
parler; 2° Sa spoliation du fonctionnaire ies princes européens et le Bey de Tunis.
destitué; 3° le tribut que lui rapporte En effet, pour plaire à ce prince, une
la nomination nouvelle; car ce ne sont qualité importante est surtout une dis-
guère que des personnages très-riches crétion à toute épreuve : et si un envoyé
|
;
ou des favoris qui peuvent aspirer à ces manquait à cette obligation, s'il parlait
!
j
ou Sahab-tabaa , c'est-à-dire garde du queraient d'être tournées en contes ri-
sceau, parce que c'est lui qui imprime dicules par les courtisans du Bey, si
le cachet du Bey sur les ordres qui éma- même il n'était pas accusé d'être devenu
nent du prince ; cachet qui remplace dans un mauvais Musulman et le partisan
tout l'Orient la signature sur les actes des Chrétiens, pour lesquels la popula-
usitée en Europe. tion mauresque tout entière professe un
Au reste, ce ministre a très-peu de pou- mépris souverain et une prompte dis-
,
[
des plus riches et des plus puissants di- la discrétion sévèrement imposée par le
68 L'UNIVERS.
n'avait arrêté mon passage. Un jour officieusement le rapport : toujours est-
« Maure, et nuls autres que des Musul- j'ajouterai que depuis cette scène le Bey
« mans ne passeront par cette porte. » sembla me traiter avec plus de bienveil-
Puis fl répétait avec arrogance « Je suis lance encore qu'auparavant et il est inu-
—
: ;
« au service du noble Bey de Tunis. tile de dire que le passage par aucune
« Et moi aussi répondais-je , je suis
, des portes ne me fut plus refusé.
« maintenant au service de ton Bey La conduite du Bey de Tunis dans cette
;
pîé d'esclaves européens, attachés soit à « son trésor : qu'elle daigne seulement
la maison du Bey, soit à celles de ses « m'appeler, lorsqu'elle sera dans sa
parents. La garde du palais est entière- « salle d'audience pour me dire à l'o-
,
ordinairement en une licence (tezkerék) du prince pour son bouffon fut remar-
ou un privilège qu'il lui concède. Ces pri- quée et à peine eut-on observé la fami-
,
vilèges ou licences sont des permissions liarité dont celui-ci semblait être ho-
d'embarquer ou de débarquer des mar- noré , qu'on se persuada généralement
chandises, dont la quantité et la qualité de sa faveur particulière et de son pou-
sont spécifiées, et qui deviennent par là voir sur l'esprit du souverain. Dès lors
exemptes du régime de la douane. Au ce fut à lui que les solliciteurs s'adres-
reste, ces licences se transmettent et se sèrent; dès lors chaque jour de riches
négocient par des transports et des en- présents lui étaient adressés par ceux qui
dossements, absolument comme des croyaient avoir besoin de ses bons of-
lettres de change. fices. Le Bey lui demanda un jour si sa
Lorsque le Bey sort de la ville, ou bourse n'était pas trop vide depuis que
même du palais, son frère et ses deux les gratifications éventuelles avaient
cousins doivent fndispensablement, d'a- cessé : « O mon prince, répondit -il, elle
près un ancien usage, le suivre, et ne « n'a jamais été plus pleine que depuis
pas cesser de l'accompagner cet usage : « que vous n'y mettez plus rien. » On
paraît n'avoir d'autre origine que la voit donc que la Barbarie a aussi ses
craiiite d'une tentative de leur part pour Roquelaures.
s'emparer de l'autorité par quelque coup Quoi qu'il en soit, le Bey était autre-
de main, que favoriserait, pendant un fois d'une rigidité sans égale envers
moment d'absence, la suspension d'une les gens de son service particulier; il
surveillance incessante et immédiate. leur défendait de converser entre eux;
Dans ses moments de loisir, le Bey et dès qu'il s'apercevait que deux de
s'entretient volontiers avec quelques- ses esclaves se disaient deux mots à
uns de ses courtisans ou admet auprès
, voix basse, il leurfaisait payer cette com-
de lui quelques bouffons, qui par leurs munication interdite par cent ou deux
jeux et leurs plaisanteries font leurs ef- cents coups de bastonnade.
forts pour l'égayer : un de ceux qui C'est vraisemblablement cette rigueur
depuis quelque temps s'était livré à cette excessivedu Bey qui contribua à déter-
espèce de profession, et qui recevait miner, y a quelques années, trois de
il
70 L'UNIVERS.
bre adjacente à celle du Bey, accourut çue, on sera étonné de reconnaître en fui
au bruit, et en cherchant à défendre son un jugement aussi sagaceetaussi éclairé.
maître il reçut, au milieu de l'obscurité, Il parle, lit, et écrit facilement l'arabe
un coup de poignard dans la poitrine et et leturk; langue franque, c'est-à-
la
un coup de pistolet dans la cuisse; l'un dire cet italienou provençal corrompu
des trois assassins fut coupé en mor- qu'on parie dans le Levant , lui est éga
ceaux par les gardes qui vinrent au se- lement familière il avait même voulu
:
assassins ne semblaient être que les re, sa manière de raisonner est précise,
exécuteurs mais on n'a jamais pu vé-
: concise et pressante il saisit avecpromp
:
rifier jusqu'à quel point ces soupçons titude et habileté le point essentiel d'une
pouvaient être fondés. question, et en juge avec autant de pé-
Il se répandit néanmoins un bruit qui nétration que de sagesse : la dissimula-
assignait à cet attentat une autre cause; tion est surtout son talent principal , et
on prétendit que quoique le Bey en fût
,
lorsque l'occasion le demande il joue
la victime immédiate, la conspiration son rôle avec un air naturel dont un co-
était réellement dirigée contre le minis- médien consommé lui envierait l'expres-
tre : on assure que les trois conjurés sion factice.
ayant subi de mauvais traitements de la Si dans l'art de gouverner il ne possède
part de ce haut fonctionnaire, auquel le pas à un degré éminent les qualités qu'on
Bey avait confié la garde particulière regarde comme devant être propres aux
de sa personne, ils avaient imaginé ce grands hommes d'État en Europe s'il ,
moyen étrange de le compromettre et de paraît étranger aux nobles idées qui ca-
le perdre, en s' évadant, comme ils l'espé- ractérisent un génie supérieur, il faut
raient, après l'exécution de leur crime, considérer que c'est un souverain barba-
et en faisant peser sur le ministre même resque, ignorant les principes qui gouver-
l'accusation de cet assassinat. nent les nations civilisées ; mais sans ,
Quoi qu'il en soit de ces deux ver- s'arrêter à ce parallèle, faut avouer il
sions différentes, on assure que cet qu'il administre avec une habileté suffi-
attentat a rendu le Bey beaucoup plus sante pour son pays, qu'il tient d'une
circonspect, plus modéré et plus indul- inain ferme les rênes de son gouverne-
gent surtout avec les gens attachés à ment, et qu'il a su contenir par sa pru-
son service ; et on ajoute que le ministre dence non-seulement les velléités hosti-
lui-même, dont la excessive
sévérité les des Algériens ennemis nés de Tu-
,
avait jusque alors approché de la bar- nis, mais encore les intrigues intérieu-
barie une fois guéri de ses blessures
, I res et les troubles civils ,
qui pourraient
s'est empressé de suivre l'exemple d'in- compromettre la sûreté de l'Etat.-
dulgence et de mansuétude'que lui don- La Régence n'a jamais joui d'une tran-
nait son maître. quillité pluscomplète et d'une situation
Le Bey est d'une haute taille, bien plus florissante que sous le règne de Ha~
fait, bien proportionné dans sa stature, mouda h- Pac hâ ;.jamais les sujets tuni-
et peut, à juste titre, être considéré siens n'ont joui de plus d'indépendance
comme un des plus beaux hommes de et de sécurité à l'égard de leurs ennemis
Tunis : sa physionomie porte le carac- extérieurs; les troupes établies sur le
tère de la finesse et de la perspicacité il : pied actuel sont mieux payées qu'elles ne
a beaucoup d'esprit naturel; et si l'on l'ont été sous le règne d'aucun de ses
considère l'éducation bornée qu'il a re- prédécesseurs ; et quoiqu'on doive les
TUNIS. n
considérer plutôt comme une bande de ticulière contre l'ivrognerie et contre les
pillards que comme une armée régulière, délits qu'elle entraîne après elle.
elles suffisent à la défense au dehors Hamoudah-Pachâ a plusieurs fem-
dans les rapports actuels de la Régence mes; mais ilpasse peu de temps dans
avec ses voisins, et à l'intérieur au main- son hârem ; il y a quelques années on
tien du bon ordre, à la police telle quelle, lui amena une très-jeune esclave, dont
Depuis que Hamoudah-Pachâ occupe une vive impression. Cet enfant n'avait
le trône de Tunis, il ne s'est formé con- que huit ans, et le Bey confia à un de
tre lui aucune conspiration véritable ses renégats, dont il connaissait les ta-
pour l'en arracher car on ne peut don-
;
lents et la fidélité l'éducation de la fu-
,
ner le nom de conspiration à l'échauf- ture odalisque ; mais une fièvre maligne,
fourée dont le guet-apens fortuit et qui causa de grands ravages sur la
improvisé mit ses jours en danger, mais ville entière, moissonna peu de temps
qui n'eut aucune portée politique (l). après cette jeune plante avant que son
Le défaut principal qu'on puisse re- âge eût permis sa transplantation dans
procher au Bey est son avarice et sa cu- le palais du prince : vivement touché de
pidité, fruit de ses fausses maximes sur cette perte, le Bey paraît avoir entière-
la manière dont les hommes doivent ment renoncé aux plaisirs du hârem.
être gouvernés cette avidité le porte à
: Tous ses enfants étant morts en bas
opprimer ses sujets et particulièrement âge et n'en ayant plus pour succéder à
à ruiner le commerce tunisien en se li- son trône, Hamoudah-Pachâ vit sur le
vrant pour son propre compte à des spé- pied le plus amical avec ses cousins, qui
culations commerciales dont aucun né- sont ses héritiers naturels, ainsi qu'a-
gociant particulier n'est en état de sou- vec son frère et ses neveux , qui habitent
tenir la concurrence. continuellement le Bardo. Ses neveux,
Un autre défaut que Hamoudah-Pa- ayant avec eux leurs femmes et leurs en-
châ avait manifesté dans sa jeunesse, fants, accompagnent leur oncle toutes les
mais dont il s'est corrigé depuis, c'est le fois qu'il sort, et prennent part à tous
penchant à l'ivrognerie ; malgré l'inter- ses plaisirs. On ignore encore quel est
diction portée contre le vin par la loi celui de ces jeunes princes qu'il choisira
musulmane, ce prince en buvait avec pour son successeur ; ils sont au nombre
un tel excès, que souvent son ivresse de quatre, dont deux du côté de son frère,
associait à ses orgies ses courtisans, ses deux du côté de sa sœur, tous à peu près
officiers, jusqu'à de simples soldats et de même âge, et quoique lorsque je ré-
ses esclaves eux-mêmes. sidais à Tunis aucun d'eux n'eût encore
Un jour qu'à cet état d'abrutissement atteint la majorité, ils étaient tous déjà
et de déraison il joignit un accès de co- mariés et avaient des enfants.
lère furieuse, il avait ordonné à son mi- L'opinion générale désignait alors
nistre un assez grand nombre d'exécu- l'aîné des fils du frère du Bey comme de-
tions contre des tapageurs
capitales vant un jour succéder à son oncle ; il m'a
dont crime était d'avoir imité
le seul paru à cette époque être un jeune homme
leur souverain dans ses excès bachi- d'un naturel assez doux, mais dont le
ques la réflexion fit naître le repentir
; caractère et l'esprit ne manifestaient au-
dans l'esprit du prince lorsqu'il sortit cunes qualités supérieures. Au reste,
de son ivresse; heureusement que son quoique le plus âgé de ces princes ait
prudent ministre avait osé prendre sur montré quelque prudence dans sa con-
sa responsabilité un sursis à l'exécution duite, aucun d'eux ne paraissait devoir
des ordres qu'il avait reçus. Au reste, le hériter du mérite et des qualités person-
repentir du Bey porta d'excellents fruits. nelles de leur oncle (2).
Depuis ce temps ce prince renonça en-
tièrement à l'ivresse, et même à l'usage (2) Hamoudah-Pachâ a eu pour successeur
du vin etonremarquegénéralementque
; son frère Oihmân, qui trois mois après fut rem-
sa sévérité se signale d'une manière par- placé par son cousin Mahmoud, l'un des fils de
Mo'hamed-Bey, écarlés du trône par Aly-Bey.
(i) Voyez ci-dessus ,
page 69. (J. J.M.)
72 L'UNIVERS.
que la Régence de Tunis n'ait a s
CHAPITRE X.
solde habituelle que tout au plus neuf
à dix mille hommes de troupes, réparties
Forces militaires de la Régence ; troupes—
de terre ; —
recrutement ; —
soldats turks ;
dans tout le territoire.
—soldats maures ; —
troupes arabes
Les trois quarts au moins des milices
auxiliaires —
guerres —
tournées fis- qui sont à la solde habituelle du Bey
—
; ;
par les soldats forces maritimes; service de l'infanterie étant en général mé-
— pusillanimité de quelques États Euro- prisé chez les peuples barbaresques , et
péens envers la Régence. aucun corps d'artilleurs n'y est attaché,
les canons que possède la Régence n'y
L'entretien des forces militaires est étant employés qu'à la défense des forts
une des plus grandes dépenses auxquelles et à l'armement des vaisseaux.
sont nécessairement assujetties les Puis- Le tiers environ de ces forces mili-
sances européennes; il n'en est pas taires si peu redoutables est composé de
ainsi à l'égard de la Régence de Tunis, soldats turks asiatiques , qui passent
et tout concourt à rendre pour le trésor pour être plus courageux que les Mau-
du Bey cette charge très-modérée. res, et que le Bey recrute dans le Le-
Les principales causes de cette écono- vant d'où il les fait venir, par petits
mie sont l'esprit parcimonieux qui règle corps détachés, sous la conduite de chefs,
en général toutes les parties du gouver- de la même nation.
nement, position territoriale du pays,
la Si l'on devait juger cette classe
la facilitéde contenir les populations, d'hommes, ainsi ramassée, d'après tout
et surtout la conduite habituelle des ce que j'ai pu en voir pendant mon sé-j-
Puissances qui peuvent être en guerre jour dans la Régence, il est certain
avec la Régence. qu'on ne saurait la considérer en général,
En effet, il ne s'agit pas à Tunis de ras- que comme une vile canaille, indigne du
sembler, pour la défense du territoire, nom de soldat, redoutée des habitants
et de tenir continuellement sur pied des campagnes, mais méprisée de ceux
une masse considérable d'hommes ré- des villes; et j'ajouterai que le Bey lui-;
gulièrement enrégimentés, de les divi- même est bien loin de leur accorder la
ser en bataillons, en compagnies, en moindre confiance: plus j'ai vu ces ban-
escouades , .pelotons, hiérarchiquement des grossières et ignorantes, et plus je.
coordonnés, sous des chefs permanents et me suis convaincu qu'elles étaient abso-
convenablement instruits; bien moins lument semblables à celles qui , poussées:
encore de les discipliner, de leur ensei- contre l'Egypte du fond de l'Asie Mi-
gner les exercices , les évolutions et la neure, sont venues, à plusieurs reprises,
tactique militaire, d'assurer l'exactitude essayer de nous arracher notre conquête,
de leur solde et de leur nourriture de , mais dont les victoires d'Aboukir, de
les habiller d'une manière réglée et uni- Damiette et d'Héliopolis, ont si sévère-
forme, afin d'avoir ainsi à chaque instant ment châtié les tentatives téméraires.
sous la main un corps d'armée prêta voler Je dois avouer que les soldats orien-
au combat, ou à se porter partout où taux ne manquent pas d'un certain cou-
pourrait l'appeler la répression de quel- rage , surtout lorsqu'ils s'aperçoivent
que désordre. que leur ennemi leur est inférieur en
On n'a, au contraire, dans ce que l'on force, ou lorsqu'ils le voient prendre la
peut appeler l'organisation militaire de fuite ; on peut même leur accorder quel-
la Régence, d'autre but que celui de se que bravoure individuelle dans un com-
procurer, à certaines époques de Tannée, bat d'homme à homme. Mais d'après
la disponibilité du petit nombre de toutes les observations que j'ai été à
soldats strictement nécessaire pour as- portée de faire sur les hommes dont se
surer au souverain, dans chaque arron- composent ces milices, j'ai dû me per-
dissement, la rentrée des revenus pu- suader qu'ils ne seraient pas moins pol-
blics; et l'on sera, sans doute, bien sur- trons que les milices ottomanes qui
pris d'apprendre qu'un prince qui est nous attaquèrent en Egypte, s'ils étaient
le maître absolu d'un pays aussi étendu obligés de marcher à la rencontre de
TUNIS.
permet envers les chrétiens ou les
troupes disciplinées et connaissant la se
tactique militaire des Européens. juifs, il risquerait de la dégoûter de son
Toutes leurs connaissances dans l'art service, et de passer pour un mauvais
de la guerre se bornent à manier un sa- musulman.
bre avec quelque dextérité, à charger Quoique les milices tunisiennes ne
un fusil avec la plus grande lenteur, et portent pas d'uniforme, comme nos
à le tirer sans ensemble et de la manière troupes d'Europe, il n'est pas cependant
difficile de reconnaître les soldats turks
la plus irrégulière ; n'attendez pas d'eux
des feux de peloton, ou des feux de dont elles sont composées, au costume
levantin qu'ils ont conservé à leur
file ;tout se borne dans leurs attaques ,
dant l'appât du butin les engage quel- poignard et un yatagan, qu'ils portent à
quefois à se jeter dans les plus grands la ceinture, et souvent en une carabine
des soldats plus insubordonnés que cette classe de soldats est moins consi-
ceux-ci. dérée que les milices turkes; on les
En dépit de l'interdiction du vin et croit moins courageux et moins bons
des liqueurs fortes portée par les lois soldats, peut-être parce qu'ils sont
musulmanes, ils passent leur vie dans moins insolents et qu'on est moins ex-
une ivresse presque continuelle, et on posé à leurs violences.
les rencontre fréquemment, ainsi privés L'expérience a prouvé que ce petit
de raison, parcourant par bandes les nombre de troupes est plus que suf-
rues de la ville leur khandjâr nu à la
,
fisant pour maintenir l'ordre dans le
dubitablement à quelque mauvais traite- venir à toutes les tribus des Arabes
ment; car leur orgueil leur fait croire Bédouins un appel général, les invitant
qu'ils seraient déshonorés s'ils cédaient à venir dans ces conjonctures au secours
la droite à un infidèle. Les scènes de de la Régence, offrant à ces auxiliaires
cette nature, qui se multiplient chaque l'appâtqui peut le plusles tenter, l'espoir
jour, restent presque toujours impunies, d'un riche butin et du pillage des camps
quoiqu'elles ne soient pas ignorées du ennemis.
Bey, qui feint ordinairement de ne pas Alors, d'après un ancien usage uni-
en avoir eu connaissance si, d'ailleurs,
: versellement établi, chaque tribu s'em-
il voulait châtier cette soldatesque ef- presse de lui fournir un certain nom-
frénée pour chacune des insultes qu'elle bre de combattants , conduits par des
74 L'UNIVERS.
chefs choisis dans chacune de ces peu- pulations les torrents de sang que coûtent
plades errantes. Jamais les tribus arabes les grandes batailles ?
ne manquent à cet appel, attirées par Depuis un temps immémorial, les Beys
l'espoir du butin à faire, non-seulement de Tunis et les gouverneurs qui les ont
sur leurs ennemis, mais encore sur les précédés dans ces contrées sont dans
sujets même de la Régence dont elles tra- l'usage de faire marcher, deux fois par
versent le pays en se rendant au ren-
: an, dans les divers districts de la Régence
dez-vous désigné par le Bey, les Bédouins plusieurs colonnes mobiles de troupes
portent avec eux leurs armes et leurs pour faire opérer la rentrée des contri-
bagages, comme tentes, munitions de butions; la plus considérable de ces co-
bouche et de guerre, et en général tout lonnes est la division turke, forte d'en-
ce qui est nécessaire pour leur campe- viron deux mille hommes: son départ
ment et même, ce qui paraîtra sans
; est annonce huit jours à l'avance, d'après
doute singulier, ils amènent aussi à leur un ancien usage, parles salves de toute
suite leurs familles entières, leurs cha- l'artillerie des différents forts.
meaux et leurs troupeaux de toute es- Pendant les deux journées qui pré-
pèce. cèdent immédiatement celle dans la-
Chaque tribu marche isolément, et quelle l'expédition quitte Tunis, la cons-
établit son camp à part, sous le com- ternation et la terreur régnent dans toute
mandement de son chef respectif. Il la ville : les chrétiens, les juifs, et même ,
quoique le défaut de soins ait fait dégé- manière à les laisser souvent entièrement j
coursiers, qui réunissent des qualités ques malheureux passants ont été griè- ;
de bataille, la tribu qui les a perdus re- saut, tant retentissent de toutes parts
garde, pour cette fois, la victoire comme les coups de pistolet et de fusil, que
décidée contre elle il arrive même: ne cessent de tirer les soldats; de telle
fréquemment, après une affaire qui a eu sorte qu'on croirait se trouver sous des
de tels résultats, que les deux partis se feux de file, dans une bataille rangée.
réconcilient, et chacun d'eux, mettant Ce jour-là aussi la violence des soldats
Voilà en quoi consiste la guerre chez même incendiées par ces forcenés.
ces peuples, qui se croient les plus braves En vain porterait-on des plaintes au
du monde. Les Européens ne se trouve- Bey contre ces excès à ceux qui ont
:
raient-ils pas heureux si leurs chefs ne été maltraités dans les rues il répond
faisaient la guerre que d'après un pareil qu'ils ont mérité leur malheureux sort, \
système, et évitaient ainsi à l'État les par leur imprudence à s'y exposer dans
dépenses énormes qu'entraînent les hos- une pareille circonstance : à ceux dont
tilités prolongées, comme aussi aux po- les maisons ont été pillées, il demande
TUNIS, *5
les noms des pillards, qu'on ne retrouve Au reste , lorsqu'elles reviennent de
jamais. Ainsi les malfaiteurs sont assurés leur expédition
les colonnes turkes
de l'impunité , et les victimes n'ont d'au- sont beaucoup plus tranquilles; et si
tre ressource que leur résignation et leurs les soldats qui les composent voulaient
prières au ciel pour réclamer vengeance. à leur retour se livrer aux mêmes excès
Un négociant de Raguse établi à qui ont marqué leur départ, le Bey,
Tunis avait vu ainsi sa maison saccagée, qui craignait alors d'affaiblir leur zèle
3t ses deux filles, à peine nubiles, enle- et de décourager leur dévouement par
vées par les soldats turks; il réclama sa sévérité, le but de leur tournée étant
jvec les plus vivres instances, et de- rempli suivant ses désirs , se garderait
manda justice aux autorités compétentes: bien de se montrer aussi indulgent
iprès bien des démarches, tout ce qu'il envers eux.
Hit obtenir, c'est qu'on lui rendit sa Au surplus , je dois rendre au Bey
illeaînée; mais la malheureuse, victime cette justice, qu'à l'époque où j'ai quitté
le la brutalité de son ravisseur, était la Régence il paraissait avoir compris la
mceinte : quant à la plus jeune des deux nécessité d'une répression sérieuse pour
eunes filles, malgré toutes les recher- ces excès, et d'une réforme fondamentale
ches et lesréclamations du père elle ne , dans son système d'organisation mili-
>ut jamais être retrouvée, et l'on igno- taire. Il paraissait avoir renoncé à ces
ait encore son sort pendant mon séjour enrôlements, qui ne recrutaient dans l'A-
tTunis. sie Mineure que la lie de la canaille et
Au reste, quelque temps après ce fatal le rebut des populations , vagabonds ta-
ivénenlent, on trouva dans une rue rés, capables de tout hors du bien, et me-
cartée de Tunis le cadavre d'un soldat naçant quelquefois de devenir plus dange-
urk poignardé, et l'on présuma parmi reux pour leurs maîtres, que ceux contre
es Européens, mais sans oser le dire lesquels leur force devait être employée :
rop publiquement, que ce meurtre n'était des enrôlements réguliers devaient avoir
utre chose que la Vendetta du père ou- lieu, surtout dans les îles grecques de
ragé heureusement il ne se trouva
: l'Archipel, dont les naturels, bien autre-
ias le moindre indice qui pût appeler ment civilisés que les bandits asiatiques,
ur lui, de la part des autorités tuni- étaient susceptibles à la fois de fidélité,
iennes, un soupçon qu'il aurait indu- d'ordre, d'instruction et de discipline (1).
•itablement payé 'de sa tête. Lorsqu'une Puissance européenne se
La colonne turke emploie environ trouve en état de guerre avec quelques-
eux mois dans sa tournée, qu'elle uns des États barbaresques, en enten-
mousse jusqu'au Beled-êl-Djerid ; elle dant raconter le nombre considérable de
st toujours commandée par un chef re- prises capturées par les vaisseaux des
onnu pour exercer avec sévérité ses corsaires africains, et les vexations que
onctions d'exacteur; au reste, partout font subir leurs armements aux bâti-
ur le passage de la colonne, se renou- ments marchands même des nations,
aêmes avanies qui ont signalé son dé- de ces Etats a réellement une force ma-
art de la ville, et je m'engagerais dans ritime considérable.
n trop long récit si je voulais raconter Il n'en est pas cependant ainsi. Parmi
ous détailsquej'aiappris, àce sujet,
les les Puissances de la côte barbaresque, le
I moncompatriote et ami Zehler, na- Bey de Tunis n'est ni le plus fort ni le
if de Strasbourg, qui pendant un assez plus faible sur mer : il n'a pas tant de
rand nombre d'années a suivi ces ex- voiles qu'eu pouvait armer le Dey
éditions en qualité de médecin et de
hirurgien du corps expéditionnaire.
(i) Ces projets salutaires ont été réalisés
Les colonnes mobiles composées de
par Hamoudah-Pachd et les Beys ses succes-
roupes maures ne font à leur départ
seurs ; bien plus, des officiers français ont été
ucun bruit dans la ville, et n'y occa- appelés à Tunis pour introduire parmi les
ionnent aucun désordre : et l'on peut troupes nouvelles delà Régence l'organisation
ire que généralement on ne s'aperçoit
'
qu'à mon arrivée à Tunis j'y trouverais cun bâtiment étranger à l'armement,
des indices non équivoques des forts ar- quelle que soit la nation à laquelle il ap-
mements que cette guerre avait dû néces- partienne, ne peut mettre à la voile
siter, et que sa rade ou ses ports m'offri- avant le départ de la flottille ; et cette me-
raient encore une escadre plus ou moins sure, qui peut être dequelque utilité pour
considéra ble ; et cependant, à mon grand la marine du Bey, n'est souvent que
étonnement, je n'ai vu dans la rade de trop préjudiciable aux intérêts des com-
Tunis, que quelques mauvais chebecks merçants et des navigateurs.
désarmés, quelques petites pinques ou Au reste, les armateurs tunisiens sont
tartanes, quelques felouques et un petit loin défaire de la course le but spécial et
nombre de chaloupes canonnières. unique de leurs spéculations maritimes,
J'appris cependant que la plupart et n'ont jamais imité, sous ce rapport,
des bâtiments tunisiens étaient station- leurs voisins les Algériens, puisqu'ils :
je dus rester ainsi dans l'incertitude sur l'égard des Puissances qui leur sonthos-
la véritable force maritime de Tunis, tiles, respectant scrupuleusement les;
jusqu'au moment où ces bâtiments vin- bâtiments des alliés et des neutres. Ce j
rent se réunir dans la rade devant la scrupule n'avait jamais arrêté les Algé- \
Si à cette marine de l'État on ajoute étaient telles, qu'ils imposaient aux ca-
vingt-quatre petits corsaires apparte- pitaines des bâtiments qui s'y trouvaient
nant à des particuliers, montés par quel- à l'ancre l'obligation d'envoyer leurs cha-
ques mauvais marins et encombrés par
, loupes pour les aider à faire de l'eau et ;
autant de soldats qu'il est possible d'y si quelque vaisseau s'y refusait, les Algé-
en entasser, on aura une idée complète riens n'hésitaient pas à l'y forcer, en le
de la force maritime de la Régence. criblant de leurs boulets, ou en montant
Du reste, la plus profonde misère règne à bord et maltraitant l'équipage d'une
à bord de cette dernière classe d'arme- manière véritablement intolérable.
ment aucun des besoins de la navigation
; Les navires français eux-mêmes n'é-
n'y est prévu : ni les provisions de vivres taient pas à l'abri de ces insolentes vexa-
de l'équipage, ni les matériaux pour le ra- tions, qui cependant, il fautl'avouer, tom-
doub et les réparations des avaries éven- baient de préférence sur les marines
tuelles. Une flottille de ce genre va cha- sarde, napolitaine, toscane, génoise et
que année en course; mais elle ne quitte même espagnole. Plusieurs capitaines ont
TUNIS. 71
leurs équipages, enlevés par les Algériens éloignée, sont forcées d'entretenir la
contre toute espèce de droit, ne leur ont paix avec le Bey, au moyen d'un présent
qu'elles s'obligent de lui envoyer tous
été rendus qu'après le payement d'une
les trois ans ; et il serait du moins bien
forte indemnité pour leur rançon. C'était
en vain que des excès aussi criants parve- à désirer que ces redevances périodiques
naient à la connaissance du Bey et des ne se composassent point d'armes de ,
États européens qui ont une marine rine militaire, toute faible qu'elle est,
marchande ; car, tandis qu'on coule bas pour repousser vigoureusement les
quelque petit corsaire tunisien, dont la vexations continuelles du Bey ; il est
valeur est insignifiante, leur flottille même difficile d'attribuer une cause
prend ailleurs un grand nombre de na- vraisemblable à une pareille conduite
vires marchands, dont la riche valeur les et rien ne peut justifier cette lâcheté ou
dédommage amplement de ces pertes. cette nonchalance.
La marine commerciale napolitaine
Tant qu'on ne fera la guerre aux Bar-
baresques que par mer, on ne domptera est tellement intimidée par l'approche
jamais leur orgueil; mais si on débar- du plus petit corsaire barbaresque à
quait sur leurs côtes seulement vingt l'horizon, que l'équipage se hâte aussitôt
mille hommes de nos troupes discipli- de jeter son bâtiment à la côte, et de
nées, verrait bientôt succéder à leur
on s'enfuir dans l'intérieur des terres, quels
audace la terreur et l'humiliation; on que soient les moyens qu'il ait de se dé-
pourrait alors leur dicter des lois, et fendre, et même quand sa défense paraî-
même extirper peut-être entièrement le trait évidemment devoir être supérieure
fléau de la piraterie (1). à la force des agresseurs.
Mais une entreprise de cette nature Ce qui rend les marins napolitains
n'est guère possible qu'à la France ;
Naples, la Toscane, laSardaigne, l'Es- serait plus à désirer encore que les
(2) Il
pagne elle-même, par leur faiblesse , les Puissances européennes osassent s'affranchir
enfin de ce tribut monstrueux payé par la civi-
(i) Ces lignes étaient écrites par le Docteur lisation à la barbarie, et qu'un refus formel,
Frank longtemps avant l'expédition qui a mis appuyé de démonstrations vigoureuses, apprît
Alger en notre pouvoir, expédition qu'il sem- enfin à l'Afrique septentrionale que le bassin
blait dès lors prévoir etappeler de tous ses de la Méditerranée cesse d'être l'apanage, et
pour ainsi dire le domaine féodal, des pirates
vœux.
(J. J. M.) barbaresques.
1* L'UNIVERS.
aussi pusillanimes, c'est qu'ils sont en gé- Placées en face Tune de l'autre , Mar-
néral terrifiés par l'exemple de l'infor- seille etCarthage étaient les deux cen-
tune de leurs compatriotes qui sont tres de ces échanges habituels, auxquels
tombés dans l'esclavage, et par la diffi- l'une fournissait les productions terri-
culté du rachat, qui leur ôte tout espoir toriales de la Gaule tandis que l'autre
,
de retour dans leur patrie cette ter- : y apportait toutes les richesses de l'Afri-
reur avilissante paralyse leur force phy- que centrale, et même celles des régions
sique et morale, dans" le moment même plus lointaines, explorées par les marines
où ils devraient déployer le plus d'é- phénicienne et punique.
nergie et de courage (1). Sur la ligne de son trajet la marine
commerçante des deux contrées trouvait
CHAPITRE XL des points intermédiaires, tels que la Si-
cile, la Sardaigne la Corse et même les
Commerce de la Régence; — exportations, ,
de l'Europe avec le littoral barbaresque nale ; cependant dans les premiers temps
ontdûexisterdèslaplus haute antiquité, de ces communications elles furent plus
et du moment même où quelque com- actives de Carthage à Marseille que de
merce a commencé à s'établir dans cha- Marseille à Carthage; mais quelques
cune de ces diverses contrées. Loin siècles plus tard, lorsque Carthage, deux
d'être un obstacle aux communications fois détruite, eut entièrement perdu son
du commerce entre les deux continents, ancienne force et son antique splen-
la mer qui les sépare offrait au contraire, deur, Marseille s'empressa de lui suc-
aux Européens comme aux Africains, une céder dans la suprématie du commerce
voie facile et un véhicule assuré pour méditerranéen, et d'exploiter avec les
les denrées et les marchandises, dont plus grands avantages les productions
leurs besoins réciproques réclamaient le des côtes barbaresques, qu'elle allait re-
mutuel échange. cueillir avec une activité admirable,
pour les répandre ensuite dans les pro-
Depuis l'époque dont le tableau est
(i) vinces intérieures de la Gaule, dont elle
tracé par leDocteur Frank, et surtout depuis portait à son tour les produits aux peu-
la conquête d'Aiger, les armateurs tunisiens ples du littoral de l'Afrique septentrio-
ont entièrement renoncé à la course mari- nale.
time , et bornent leurs opérations à des spé- Ce commerce enrichit Marseille, et fut
culations commerciales; les redevances an- la cause principale de l'état de splendeur
nuelles que payaient à la Régence les Puis- auquel elle parvint à cette époque; mais
sances trop faibles pour se maintenir en paix ces succès excitèrent l'émulation des
avec Tunis ont également cessé, grâce à l'in-
autres villes méridionales de la Gaule,
fluence delà France; et on assure que depuis
et bientôt elle eut pour rivale, dans ses
quelques années la Régence de Tunis paraît
expéditions transmarines, Narbonne,
marcher à grands pas dans la voie de la civi-
Montpellier, Arles , Agde, Toulon, An-
lisation européenne. Le voyage que le Bey ré-
tibes, Fréjus, surtout Barcelone et les
gnant de Tunis est venu faire à Paris doit
certainement concourir à accélérer < cette
autres villes de la Catalogne littorale :
marche progressive dont peut être regardée
,
elle finit pourtant par éclipser ses ri-
comme une preuve incontestable une telle vales , et reconquérir cette suprématie
pérégrination dans le pays des infidèles , si commerciale que leurs efforts avaient
opposée aux préjugés répulsifs enracinés chez tenté de lui enlever.
les Orientaux. Le commerce de Marseille avec les
(J. J. M.) côtes barbaresques fut quelque temps
TUNIS. 79
paralysé, à l'époque où Rome fut aban- vité, puisque nous savons qu'en l'an 1270
donnée par les empereurs pour Cons- de notre ère, lorsque saint Louis vint
tantinople, et où l'Occident fut livré assiéger Tunis, un assez grand nombre
aux invasions des Barbares; mais ces re- de commerçants français faisaient leur
lations commerciales reprirent une ex- trafic dans ce royaume. Le traité con-
tension nouvelle, lorsqu'après les vic- clu après la mort de ce prince, entre
toires deBélisaire et de Narsès, les rois Philippe le Hardi et le roi de Tunis (1),
de France Childebert, Théodebert, Clo- stipule en faveur de ces négociants d'im-
taire et Chilpéric se firent accorder, par portants privilèges. Suivant un article
les empereurs byzantins Justinien et de ce traité « les marchands chrétiens
Tibère II des capitulations favorables « doivent être respectés et préservés de
villes de la Provence, avec le littoral « doivent être traités à l'égal des mar-
barbaresque. « chands musulmans dans tous les ports
Dès lors les armateurs provençaux « du royaume, et tout ce qui leur aura été
allèrent fonder sur ces côtes des établis- « pris pendant la guerre leur sera res-
sements commerciaux, qui jouissaient « titué. >»
déjà d'une prospérité toujours crois- Tels sont les avantages que recueillit
sante au septième siècle de notre ère, du moins notre commerce de cette expé-
époque de l'invasion des Arabes. dition de saint Louis, entreprise dans
Les perturbations causées par la con- un but non moins politique que reli-
quête durent nécessairement interrom- gieux , et qui , si elle n'avait malheureu-
pre les relations commerciales entre les sement avorté, eut, en mettant entre nos
contréeschrétiennes et cel les qui venaient mains Tunis, ce point central du littoral
de devenir musulmanes ; cependant africain, assuré notre prépondérance
cette interruption ne fut que momen- commerciale sur toutes les côtes barba-
tanée bientôt les Arabes, dont on con-
: resques, et particulièrement dans la par-
nut l'esprit mercantile, reprirent d'eux- tie occidentale du bassin de la Méditer-
mêmes les relations qui avaient mis en ranée.
rapport le commerce des deux contrées : La prospérité dont était redevable à
des capitulations, des concessions favo- l'expédition de saint Louis notre com-
rables aux négociants provençaux, fu- merce avec Tunis prit des accroisse-
rent stipulées par les nouveaux maîtres ments successifs jusqu'au milieu du
du pays; et les communications ami- quatorzième siècle de notre ère; à cette
cales qui s'établirent entre Charlemagne époque elle perdit cet état florissant, par
et le khalyfe Haroun-êr-Rachyd vin- l'épuisement dans lequel les guerres en-
rent encore concourir à activer et pro- treprises pour soutenir les prétentions
téger les opérations commerciales de la de la maison d'Anjou sur la couronne
Provence avec Tunis et les autres con- de Naples jetèrent la Provence et les au-
trées, barbaresques; et les historiens tres provinces du midi de la France :
nous apprennent qu'en l'an 813 de l'ère ce commerce se releva ensuite un peu
chrétienne, un an avant la mort de Char- après l'expulsion des Anglais par Char-
lemagne, le commerce avec l'Afrique sep- les VII, et il dut surtout sa renaissance
tentrionale était florissant dans les aux expéditions commerciales du célèbre
provinces méridionales de la France, argentier du roi Jacques Cœur, qui y
parmi lesquelles on comptait alors la Sar- trouva, dit-on , la source de ses immen-
daigne, la Corse et les îles Baléares. ses richesses; mais il reçut ses plus
Cette prospérité fut ruinée par le dé- grands accroissements de Louis XI, qui
membrement du grand empire français, lui accorda une protection toute parti-
et surtout par l'établissement de la culière.
puissance Aghlabite sur le rivage afri- Les communications commerciales de
cain; cependant à l'époque des croisades la France avec le littoral africain fuient
le génie maritime des peuples de l'Eu-
rope méridionale sembla se réveiller, et (i) Voyez ci-après les éclaircissements
le commerce français avec les contrées historiques de la seconde Partie.
barbaresques avait repris quelque acti- (J. J. M.)
,
80 L'UNIVERS.
brusquement interrompues au seizième commerce français dans ees contrées.
siècle, lorsque ces contrées tombèrent Cet établissement consulaire, dont on
sous la domination de Khayr-êd-dyn apprécia promptement les avantages, fut
que nous connaissons sous son surnom bientôt suivi de plusieurs autres sur la
de Barberousse , et de son frère Ha- riye africaine, à Fez, à Tetouân, à Asfy,
roud] (1). Ces deux pirates y établirent à Moghador, à Aghadir, à âl-Bouzen, à
l'autorité nominative du Sultan otto- Alger.
man; mais leur brigandage et leurs En voyant combien est peu considé-
cruautés effrayèrent le commerce euro- rable la distance qui sépare la France de
péen qui dès lors se tint à l'égard de
,
laRégence de Tunis et combien le tra-
,
quarante-sept années, et l'an 974 de l'hégire de cette ignorance, toutes les marchan-
dises soit d'importation, soit d'expor-
( i566 de notre ère) il laissa le trône ottoman
,
côté des habitants du pays que du côté fâcheux que causera une telle négli-
des Français le commerce de ceux-ci
, gence (2).
subit des détériorations successives , et La chambre de commerce de Mar-
il est réduit dans ce moment à bien peu pour maxime
seille avait autrefois établi
d'opérations, tellement qu'il n'y a au- réglementaire que les négociants qui
,
de terminer quelques affaires , que par son but sans doute, de diminuer
était,
l'espoir d'y former quelques nouvelles ainsi les dépenses annuelles de ces mai-
entreprises capables de les enrichir.
S'il est vrai qu'un des intérêts princi-
(2) Depuis ce temps, et particulièrement
paux de l'État est de faire fleurir son
depuis quelques années , notre gouvernement
commerce , il doit regarder comme in-
s'est occupé avec zèle du rétablissement des re-
dispensable defavoriserparticulièrement
lations commerciales et diplomatiques avec la
Régence : ta visite que le Bey de Tunis a
(i) Depuis l'époque du séjour du docteur rendue à la France n'a pu que concourir à as-
Frank à Tunis le nombre des maisons de surer les liens d'amitié qui unissent les deux
commerce françaises s'est beaucoup accru. États.
(J. J.M.) (J. J. M.)
e
6 Livraison: (Tunis.) 6
82 L'UNIVERS.
la rade, que le Bey, qui avait l'inten-
sons de commerce, afin de leur faciliter
tion d'envoyer un chargement d'huile
par là les moyens d'amasser des fortu-
à Alger, s'empara du bâtiment suédois,
nes, et rie les obligera venir en faire
sans autre prétexte que celui de la com-
iou»r la France à l'époque du retour.
Mais cette loi n'est plus observée au- modité qu'il allait en retirer pour sa
propre opération et il n'éprouva au-
jourd'hui, sous prétexte qu'elle nuisait
,
davantage au pays, et ils restent pour Dans une autre occasion, il plut à
toujours dans cette patrie adoptive, avec un agent commercial du Bey nommé ,
les biens qu'ils y ont amassés, sans pen- Hadgy-Younès, de s'emparer d'une ma-
ser aucunement à rapporter leur fortune nière aussi arbitraire d'une certaine
en France. quantité de jarres appartenant à un
On voit doue qu'il serait peut-être négociant français; celui-ci fut forcé au
également convenable pour l'avantage silence par la crainte d'une plus grande
du commerce de remettre en vigueur avanie. Certes, si le consul doit remplir,
ce règlement, utile à l'intérêt public et les devoirs de sa charge, c'est dans des
(i) Cet état de choses s'est singulièrement (a) Je rapporte ces assertions du docteur
amélioré, et le commerce français est mainte- Frank, en déclinant toule solidarité à l'égard
nant plus florissant à Tunis que dans aucune des accusations qu'il hasarde peut-être un peu
autre Echelle du Levant. légèrement.
6
(J. J. M.) (J. J.M.)
TON.ÏS. ss
cinq à six fois sa supplique avant d'ob- en dispose à son gré, quoiqu'il en ait
tenir une faveur qu'il paye aussi cher. toujours à sa disposition. Quand il a
La coutume qui s'établit de débourser de mauvaise volonté, pour colorer son
la
le montant de la teskeréh avant l'achat refus il l'attribue au refus qu'il prétend
des denrées destinées à être exportées avoir lui-même éprouvé du Bey. Cepen-
entraîne de grands inconvénients ; car il dant la moindre faveur que le Bey pût
peut arriver souvent qu'après l'acquisi- accorder aux négociants français qui
sont établis dans ses États serait la di-
(i) Ces frais étaient, ceux que nécessitaient minution de ces entraves, qui font haus-
la délivrance detezkeréh (permission d'ex-
la
ser le prix du vin pour les consomma-
porter), que l'on obtenait du gouvernement teurs français car il y en a beaucoup
;
cette sentence de minîmis non curât dans la Régence ; il s'en faut de beau- I
prœtor. coup qu'il soit aujourd'hui ce qu'il était I
Rien n'excite plus le mécontentement autrefois. La douzaine de beaux bon- I
du Bey que d'apprendre que, malgré les nets, qui se vendait anciennement 14 fr., I
mesures rigoureuses prises à l'égard du se vend maintenant près du double, sans
débarquement du vin il y a cependant
, que cet accroissement de prix augmente
toujours un certain nombre d'Européens le gain des fabricants.
qui trouvent le moyen d'en faire le com- Le ministre du Bey fait venir directe-
merce clandestin. ment les laines d'Espagne ; les bonne-
Cette boisson a été maintes fois la cause tiers sont forcés de lesprendre de lui
des plus grands désordres; et il est cer- aux prix qu'il en exige,' et il les oblige
tain q^ue si les Maures et les Turcs pou- non-seulement à subir ce monopole des
vaient s'en procurer avec autant de fa- matières premières, mais encore à lui 1
cilité que dans les autres pays, on les fournir les bonnets fabriqués qu'il désire,
verrait à chaque instant commettre les au prix qu'il détermine lui-même. Par i
plus criminels excès. cet acte d'un despotisme usuraire il s'en- j'
Il y a peu d'années que quelques sol- richit, il est vrai, mais aussi il détruit le
'
Les auteurs de ce crime ayant été rose. Tout le monde sait que cette es-
bientôt connus reçurent pour tout châ- sence suave jouit d'une renommée toute
timent une rude bastonnade; mais leBey particulière (2), et que Tunis en fournit I
fut plus sévère envers les marchands de qu'on regarde comme de la première j
vin, car il lit jeter dans le lac tout le qualité ; sans vouloir démentir entière-
vin qui se trouvait alors dans leurs ma- ment cette opinion, je ferai cependant ;
gasins , et un seul négociant perdit plus observer que la majeure partie de cette
de cent mille francs par cet acte de ri- essence précieuse qui entre dans le com- j
en verse une goutte sur un morceau de que cette plante soit assez commune,
papier blanc placé près du feu si le li-
: l'essence qu'on en extrait se vend au
quide s'y volatilise promptement sans même prix que l'essence de nessery,
altérer le papier, l'essence est reconnue parce que les fleurs du jasmin ne four-
pour être parfaitement pure mais si elle
; nissent qu'une très -petite quantité
forme une tache sur le papier, c'est une d'huile essentielle.
preuve de falsification et de mélange
avec des substances hétérogènes. CHAPITRE XII.
La vraie essence de rose de Tunis est
rare et coûte deux tiers de plus par mith- Des poids mesures usités à Tunis ;
et Rottl- —
qâl que celle de Constantinople. Un quin- Àttâry; —
Rottl-Souqy; Rottl-Khod- —
tal (qontâr) de feuilles de roses ne donne
dâry ; —
qyrâtt mithqâl ; , onces — —
—
;
(mâ-ouerd) ,
qui revient à assez bon — ;
comme elle est très-rare, elle coûte 90 à Alger et à Marok on lui donne le :
86 L'UMVERS.
lent 96 rottles-attârys, plus 88 centiè- et de tout autre aliment de même na*
mes. Ce rottl sert à peser toutes sortes de ture.
drogues (otiryah), les matières précieu- Les divers poids de ces trois espèces
ses, les pierreries , les perles , le corail, différentes de livres employées par le
le thé, l'opium, le musc, les parfums de commerce de Tunis sont en général
toute espèce ; il sert aussi à peser les mé- exécutés d'une manière grossière et bien
taux , tels que le fer, le plomb , l'étain éloignée d'une exactitude rigoureuse ;
le cuivre, l'argent, l'or, ainsi que les cependant leur rapport est fixé par l'u-
substances minérales connues sous la sage dans les proportions de 8 à 9 et à 10,
dénomination de demi-métaux. et ce rapport serait celui qui devrait
Le rottl-attâry se divise en 16 onces : être établi par un étalon régulier mais;
et je ferai ici la remarque que la division cet étalon n'existe pas , et parmi les poids
en seize parties est employée commu- em ployés vulgairement dans le co m merce
nément à Tunis, non-seulement pour habituel on en trouve qui ont près de
les poids mais encore pour les mesures
, deux grammes en moins, et un plus
de longueur et de capacité, comme grand nombre qui ont près de six gram-
nous le verrons ci-après, à l'égard du mes en plus.
deraa ou pyk (coudée), du qâfyz, du L'once (ouqyah, pluriel ouqyât)
meltâr\ cette division est même usitée équivautà 31 grammes 68 centigrammes
à l'égard des monnaies et la piastre se
, de notre poids décimal elle se divise en
;
divise en seize qarroubes (1). 8 parties , dont chacune est encore sub-
Les mesures des anciens peuples ad- divisée en 20.
mettaient aussi fréquemment la division Il existe trois espèces différentes de
en seize parties : parmi elles on peut quintaux (qoniârP pluriel qenâttyr ou
citer le pied romain et le pied philété- qenâtter).
réen, qui avaientadopté cette division (2). La première est de 100 roules et sert
,
vre, quelquefois même de bois pour les males est seulement.de 488 millimètres,
plus pauvres débitants; mais toutes en et sert à mesurer les toiles et les étoffes
général , et surtout celles qui sont em- de coton : cette coudée, qui porte aussi
ployées à Tunis pour le mesurage des le nom de pyk-araby ou pyk-beledy
grosses toiles et autres étoffes com- (coudée du pays), est aussi désignée fort
munes, sont d'une exécution tellement souvent par l'appellation de deraa, sans
grossière, et d'une graduation si peu aucune épithète.
exacte, qu'on ne peut que difficilement Cette coudée arabe paraît être iden-
parvenir à une appréciation précise de tique avec celle qui fut autrefois em-
leur longueur totale et du rapport cor-
, ployée par les astronomes du khalyfe^/-
rélatif que devraient avoir entre eux les Mamoun ; car en supposant cinquante-
points de leur division, de manière à sept milles arabes au degré terrestre
établir un échantillon régulier qui puisse qu'ils mesurèrent, et eu attri buant quatre
servir d'étalon unique et légal. mille coudées à chacun de ces milles, on
Pour cela il serait nécessaire de faire trouve avec une différence très-minime
la comparaison entre elles de la plupart la coudée arabe de Tunis pour résultat
de ces règles, et d'en fixer le résultat de la coudée qu'ils ont dû employer dans
moyen, en éliminant celles qui pèchent leurs calculs astronomiques.
soit en plus, soit en moins; et il est à En effet , cette valeur de la coudée
remarquer que ces dernières forment gé- arabe donne pour celle du mille 1,949
néralement le plus grand nombre. mètres ou justement 1,000 toises de nos
Chaque règle porte seize divisions, anciennes mesures; ainsi la coudée
qui devraient être égales; mais il est arabe se trouve être avec la toise dans
rare que la plupart se coordonnent ré- la proportion de 14 à 15, avec le pied an-
gulièrement entre elles; on remarque cien comme 3 est à 2 et avec le mètre
,
même généralement que les deux divi- presque exactement comme 1 esta 2; rap-
sions qui terminent de part et d'autre ports utiles pour simplifier les calculs du
chaque extrémité de la mesure sont plus commerce, et d'autant plus importants à
longues que les divisions intérieures, remarquer que l'emploi de la coudée
et cet excès est trop considérable pour arabe ne se borne pas seulement à Tunis,
pouvoir être attribué au hasard ou à la et que son usage est général sur toutes
maladresse ou à la négligence de l'ou- les côtesbarbaresques, à Tripoli, à Alger,
vrier qui a établi ces mesures il paraî- : et même
dans l'empire de Marok, où l'on
trait plutôt que cet excès est introduite ne se sert d'aucune mesure turke.
dessein, et qu'il est toléré par le gouver- On ne doit pas s'étonner de voir con-
nement comme nécessaire aux besoins servées ainsi jusqu'à nos jours parmi ces
du commerce de détail. peuples les mesures du temps du khaly-
Quoi qu'il en soit de ces imperfec- fat; la position géographique de ces
tions et de ces inexactitudes, les trois contrées, l'isolement des Orientaux dans
mesures de longueur usitées à Tunis leurs croyances, leurs mœurs, leurs usa-
sont les suivantes : ges, font véritablement de cette popula-
, nommé aussi tion un peuple monumental, chez lequel
1° Deraa-êl-hendâzéh
pyk-hendazéh qui équivaut à 673 milli-
,
tout se conserve et se transmet de
mètres de nos mesures décimales; cette siècle en siècle lois, coutumes, habil-
:
coudée sert à mesurer les draps et les lements, mesures, et toutes les choses
étoffes de laine. de la vie, qui sont si variables dans notre
2° Deraa êt-tourky (coudée turke), Europe, sont stables dans l'Orient, et à
qui correspond à 637 millimètres de l'abri de tout caprice de mode et de
nos mesures métriques. Cette coudée changement. Ainsi on trouve encore au-
sert à mesurer les étoffesde soie ou de jourd'hui sur les côtes barbaresques les
On donne aussi
fil. coudée le
à cette lois, les habitudes, les costumes et les
nom de pyk-tourky , et souvent même préjugés qu'y ont introduits les Arabes à
elle est designée par le nom seul de pyk} l'époque de leur première invasion et de
sans épithète. leur conquête.
3° Enfin , deraa-ël-araby ( coudée Quoique j'aie donné le rapport des
iirybe )* dont Sa valeur en mesures déci- trois coudées tunisiennes avec les me*
, ,
88 L'UNIVERS.
sures métriques, j'ai cru qu'il ne serait rellement très-arbitraire, et son exacti
peut-être pas désagréable au lecteur de tude est susceptible d'être contestée.
trouver ici le rapport de ces trois espèces Cette mesure, faite en bois, a la form
de coudées avec l'ancienne aune de d'un cône tronqué, à l'ouverture duque
Paris. une barre prismatique en fer soutien
Cent coudées hendâzéh équivalent à une croix également de fer, placée dans
56 aunes et 61 centièmes; le plan du bord supérieur.
Cent coudées turkes, à 53 aunes et 60 Le sâa ne sert qu'au mesurage du
centièmes ; blé, de l'orge, de toutes les espèces de
Cent coudées arabes, à 41 aunes et grains qu'on apporte au marche, e
9 centièmes ;
des légumes secs , ainsi que du sel et d
Cent anciennes aunes de Paris équi- la farine; le lait, l'huile, le vinaigr
valent à 176 coudées hendâzéh et 64 et autres liquides se mesurent dans ui
centièmes; à 186 coudées turkes et 57 sâa en grès, qui contient un litre
centièmes; à 243 coudées arabes et 38 26 centilitres en mesures décimales.
,
Une autre mesure également assez en sage de plusieurs des mesures usitées '
j
sixième dans leurs calculs. et pour celui des vins en 60 pots , dont
chacun se subdivise en 4 quarts, ce qui
MESURES DE CAPACITÉ. établit 240 quarts pour la contenance
La mesure de capacité à
principale totale de la millerole.
Tunis est le sâa ( pluriel sâân ) , qui Le pot équivaut à un litre et 72 mil-
équivaut, mesure rase, à 2 litres 583 lièmes de litre.
millièmes de litreen système décimal. Ce- Les rapports continuels et immédiats
pendant dans l'usage ordinaire on ne de Tunis avec l'île de Malte ont aussi
nivèle pas le contenu avec une règle, et introduit quelquefois dans la Régence
on emplit la mesure comble en y ajoutant l'usage de la mesure de capacité mal-
du grain jusqu'à ce qu'il se verse de toute taise nommée salma ; cette mesure
part hors de la mesure, au-dessus de la- équivaut à 2 hectolitres plus 897 mil-
quelle il forme un cône ou une pyramide, lièmes.
qu'on appelle kemelah, et dont la cir-
MESURES AGRAIRES.
conférence repose sur l'épaisseur même
des parois du sâa. "La mesure agraire usitée habituelle-
Par conséquent ce mesurage est natu- ment dans la Régence est celle qui est
TUJNIS. 89
nommée feddân, comme en Egypte, ou lois , les usages et les mœurs sont
lui
messâhah, comme à Alger, espèce d'ar- tellement étrangers, qu'ils lui paraissent
pent, dont la valeur est variable suivant barbares.
les localités. La curiosité et l'ambition d'acquérir
On emploie aussi l'expression zoud- de vastes connaissances peuvent, à la vé-
jeh-fered (une paire de bœufs) pour rité faire naître le même mouvement
,
chez
les indigènes.
baisement de mains — consuls — quar-
;
soit
; ;
n'y a pas de doute que le climat de
habitent; — logement; —
Il
tier qu'ils inso-
la Barbarie ne soit plus favorable aux
lence des soldats turks envers les Euro-
Européens que celui de l'Egypte ; leur
péens.
génération y prospère aussi bien que
Le désir du bonheur est de tous les dans leur patrie; et sous ce rapport la
sentiments celui que la nature a le côte barbaresque conviendrait beaucoup
mieux gravé dans le cœur de l'homme mieux aux Français que la vallée du Nil
qu'il soit civilisé ou sauvage; il le fait pour l'établissement d'une colonie.
consister dans le repos et l'abondance D'un autre côté , tous ceux qui ont
qu'il ne peut se procurer dans l'un ou quelque connaissance de ce pays con-
l'autre état et surtout dans le premier,
, viendront avec moi de la réalité de l'ob-
que par des travaux constants et souvent servation, que les Européens, en général,
périlleux. Ce désir, dépassant chez lui la ne manquent guère de contracter par un
plupart des bornes que prescrit la rai- long séjour dans ces contrées les vices
son et la prudence, lui fait surmonter et les qualités morales des Juifs et des
avec constance tous les obstacles; et Maures au milieu desquels ils passent
pour parvenir au but si ardemment désiré leur vie.
on le voit quitter sa patrie traverser les, On fera cependant une exception en
mers, braver les écueils, s'exposer à faveur de plusieurs personnes qui habi-
tous les dangers, et passer sa vie parmi tent depuis longtemps Tunis, et surtout
des peuples dont les institutions, les des Français , qui , dans quelque climat
L' UNIVERS.
ment offre d'un côté quelques agréments y a quelques années que l'Espagne
Il
population a pour les consuls. assister deux fois, afin de pouvoir en bien
Les maisons consulaires jouissent de connaître toutes les particularités.
l'immunité pour toutes les personnes Je me suis donc rendu à l'endroit dé-
qui y ont cherché un asile, et l'entrée signé à cet effet, et la je trouvai groupés
en est toujours gardée par des janissai- dans un coin du pateo tous les consuls,
res, qui font chacun à leur tour l'office en grand uniforme, entourés de plusieurs
de portier; on reconnaît de loin les con- Européens, qui attendaient patiemment
sulats par un long mât fixé sur la ter- l'heureux instant du baisement de main.
rasse, et sur lequel est hissé le pavillon Les consuls défilèrent l'un après l'au-
de leur nation. tre devant le souverain avec les.négo-
,
{%) Le petit Béyrâm {en turk Koutchouk mois de chaouâl, termine le jeûne an Ramad-
Béyrâm) est une des principales fêtes de l'an- ddn ; tandis que ce titre est réservé spéciale-
née musulmane : les Arabes la nomment ment par les Malekites et les Hambalites , et
Youm êl-Qorbân, c'est-à-dire le Jour du Sa- particulièrement par les peuplades barbares-
crifice, qui se célèbre avec une grande pompe ques, ainsi qu'à la Mekke, au Béyrâm solennité
à la Mekke. Cette fête a lieu le io du mois le io du mois de dou-l-hageh ; et par cette
de dou-l-liadjeh , douzième et dernier mois raison lé dernier mois de l'année musulmane
de l'année lunaire musulmane. Cette solen- a reçu en Afrique le nom de lid-êl-Kebyr,
nité dure quatre jours, et le treizième jour du c'est-à-dire la Grande-Fête. lien résulte que.
même mois lunaire est spécialement férié, pour eux le Petit Béyrâm est la fête qui fâîî
h\ clôture du Petii Béyrâm. la clôture du jeûne du Ramadddn,
-'..•<
fêfcg <-\h Grand Béy^àn'. lél-Béi
92 L'UNIVERS.
de main, lui envoya l'ordre de venir chent de mettre à contribution les Chré-
s'acquitter de ce devoir, sous peine d'a- tiens ou les Juifs qu'ils rencontrent.
voir la tête tranchée. Le consul commu- Lorsque ces derniers font quelque résis-
niqua cet insolent message au corps des tance les lutteurs se vengent en les em-
,
duite habituelle avec le Bey est constam- a reconnu l'utilité des avis de ce con-
ment basée sur les instructions qu'ils seiller, dontles profondes connaissances
reçoivent de leurs gouvernements; mais en fait de commerce et de navigation
des motifs, dont je parlerai plus bas, ne pouvaient faire qu'un guide éclairé
me portent, au contraire, à croire qu'ils pour l'administration et la politique de la
ne sont pas fâchés de maintenir ce céré- Régence. Aussi ce consul avait-il mérité
monial, à l'insu de leurs gouvernements, auprès du Bey une faveur toute particu-
auxquels d'ailleurs ils ne communiquent lière, que les autres consuls s'efforçaient
que ce qu'ils croient convenable à leurs en vain d'obtenir.
propres intérêts. Puisque l'ordre établi exige que les
Lorsque la cérémonie du baisement de ccnsuls traitent directement avec le
main est terminée, une musique turque Bey sur les difficultés ou les différends
très-bruyante se fait entendre; et pen-. quelecommerce et la navigation peuvent
dant sa barbare exécution la fête se ter- faire naître, ils doivent sans aucun doute
mine par un singulier spectacle deux : tâcher de se concilier la bienveillance de
hommes , qui n'ont d'autres vêtements ce prince; mais il serait à désirer qu'ils
qu'unéculottede peau, souvent fort sale,
et dont la partie supérieure du corps est
entièrement nue et frottée d'iiuile, se
(i) On sait que le vendredi est le jour férié
des Musulmans pour lesquels ce jour est ce
,
présentent devant le Bey, et, après une
qu'est le dimanche pour les Chrétiens et le
profonde salutation, luttent ensemble en samedi pour les Juifs c'est le vendredi de
:
n'oubliassent pas ieur dignité, en cette Bardo fut assailli par trois soldats turks,
occasion, surtout lorsqu'il s'agit des in- qui lui demandèrent sa bourse en plein
térêts oude l'honneur des nations qu'ils jour, et il fut contraint de se laisser ainsi
sont chargés de représenter; mais aussi voler, sans qu'aucune recherche ait été
il conviendrait que lorsqu'il s'élève ensuite faite pour reconnaître et punir les
quelque difficulté entre le Bey et un con- voleurs.
sul celui-ci fût puissamment soutenu Le frère du consul danois, âgé d'envi-
par son gouvernement, et surtout qu'il ron douze ans, se promenait sur le bord
ne pût être renvoyé par le Bey sans autre de la mer, lorsqu'il jfut attaqué par d'au-
prétexte que celui de sa mauvaise humeur. tres soldats turks, qui lui firent subir les
Pendant mon séjour à Tunis le Bey plus odieux outrages; et cet attentat ne
a expulsé le consul des États-Unis , sans fut pas plus puni que le premier.
lui manifester d'autres motifs que celui La nation française est dans ce mo-
de sa volonté ; or, laplace de consul étant ment la plus respectée à Tunis , c'est-à-
à la fois honorable et lucrative, et peu dire qu'elle y essuie moins d'avanies
pénible à remplir, tous ceux qui ont le que les autres, et que si un Français vient
bonheur d'y être parvenus songent sur- à être insulté , le Bey ou son lieutenant
tout à ne pas la perdre, c'est-à-dire à ne él-Deweletly, ne manquent pas de faire
pas déplaire au Bey; il résulte de là paraître leur mécontentement et de
que dans les discussions qui s'élèvent manifester la résolution de faire châtier
entre lui et un gouvernement le consul les coupables ; mais rarement cette pro-
agittrop souvent avecmollesse, ou même messe,, toute d'apparat, reçoit son exé-
sacrifie les intérêts de sa nation pour cution.
ne pas tomber en défaveur auprès du Quoi qu'il en soit ,'en avouant que de
prince. tous les Barbaresques les Tunisiens sont,
Mais il ne s'agit pas seulement de faire en général, les plus doux et les plus hu-
sa cour au Bey , faut nécessairement
il mains, on doit convenir néanmoins que
la faire encore à son ministre , et avoir les Européens sont souvent exposés à re-
pour celui-ci des complaisances sans cevoir des insultes, lorsque par état ils
cesse exigées. S'agit-il de raccommoder sont obligés de parcourir la ville ; et la
un fusil, une montre dérangée, ou de rencontre des nombreux individus de
quelque autre objet aussi minime ap- différentes nations qui y habitent, ou
partenant au ministre ou aux gens de sa d'une soldatesque insolente et indiscipli-
maison, c'est toujours au consul qu'on née, expose à chaque instant les étrangers
s'adresse, et il ne serait pas convenable à en venir aux prises avec quelque agres-
à celui-ci de réclamer le montant de la seur imprévu , s'ils ne mettent en usage
dépense. Si les consuls ne sont pas en dans ces occasions la modération que
faveur chez le ministre , ils sont assurés dicte la prudence.
de ne pas obtenir celle du Bey ; d'où il Plusieurs faits qui sont arrivés pen-
résulte qu'il faut courtiser le premier dant mon séjour à Tunis viendront à
pour être bien avec le second. l'appui de ce que j'annonce.
Au reste, la considération dont jouis- Un capitaine français ayant été frappé
sent les consuls à Tunis est générale- par un officier de la garnison turke de
ment relative au rôle que joue la puis- la Goulette, le consul de France porta ses
sance qu'ils représentent on y est per-
: plaintes au Bey, qui l'assura que le Turk
suadé que la France et l'Angleterre mé- serait puni sévèrement; mais le coupable
ritent des égards particuliers; mais ces en fut néanmoins quitte pour quelques
égards sont bien moindres envers les jours de prison.
autres puissances qui ont des consuls à Un autre officier de la marine fran-
Tunis. Cependant, quoique les consuls çaise ayant été assailli et volé par trois
soient les seuls Européens pour lesquels soldats turks, le consul adressa égale-
ces égards soient plus ou moins observés, ment ses plaintes*aux autorités tunisien-
ils ne sont pas toujours à l'abri de nes. On
l'assura que les voleurs avaient
toute insulte, et je puis en citer quelques reçu une forte bastonnade ; mais la res-
exemples. titution du vol ne put être obtenue.
Dernièrement un consul venant du Peu de semaines avant mon départ de
94 L'UMVERS.
Tunis, un perruquier français et sa Je passerai sous silence d'autres ob-
femme, enceinte de huit mois, lurent in- servations; seulement je crois utile de
sultés et battus par trois Maures, aux- remarquer, comme un fait particulier à
quels se joignit un groupe de la plus vile Tunis, qu'aucune femme, de quelque
populace; et ils furent si indignement nation qu'elle soit ne peut y débarquer
,
traités, qu'ils furent forcés de garder sans une permission expresse du Bey.
Je lit pendant plus de dix jours :sur les Cette mesure, qui influe puissamment
représentations du consul , on répandit sur le bon ordre et la moralité des habi-
le bruit que les agresseurs avaient été tants, soit indigènes, soit européens,
condamnés à cinq cents coups de bas- n'est pas sans inconvénients, d autant
tonnade et à six ans de galères ; mais plus que le Bey est très-rigoureux sur
rien ne constata la réalité de ce châti- ce point, et refuse souvent l'autorisation
ment, si justement mérité. demandée. Cependant, lorsque les con-
Moi-même , j'ai été également exposé suls français et anglais demandent une
plusieurs fois à de pareilles insultes; permission d'entrée pour une femme de
mais je m'en suis toujours tiré sain et leur nation, ils l'obtiennent assez facile-
sauf, en parlant aux agresseurs avec ment ; mais il n'en est pas de même à
fermeté, et en faisant bonne contenance, l'égard des autres consuls.
surtout en faisant valoir le titre de mes Cependant il est arrivé que deux
fonctions auprès du Bey ; car les Maures Françaises, dont l'une venait rejoindre ,
et même les ïurks rabattent beaucoup son père, l'autre son mari, furent for-
de leur insolence lorsqu'ils trouvent des cées de rester à bord par l'absence mo« !
hommes qui ont plus de courage qu'eux, mentanée du consul , la première pen- ;
surtout lorsqu'ils peuvent craindre que dant une semaine, la seconde pendant
leur délit ne soit porté aux oreilles du trente-cinq jours.
prince , et ne leur attire une punition La France est intéressée , plus que J
grave. toute autre Puissance , à avoir des con- j
devrait exiger que l'homme qui a insulté et qui soient suffisamment instruits dans :
ou frappé. un Français fût remis entre les la science de la statistique pour fournir
mains de notre consul , pour être châtié des renseignements utiles sur la géogra-
J
par ses ordres, ou du moins qu'il subît, phie ancienne et moderne de ces con-
par jugement des autorités tunisiennes, trées, sur l'histoire naturelle, le gou-
une punition publique et exemplaire, qui vernement et le commerce du pays, dont ]
pût prouver d'une manière incontestable on n'a eu jusqu'à présent que des no-
à chaque habitant la ferme volonté du tions très-confuses; les facilités et les
prince de ne jamais laisser impunie avantages que lui procurerait un em-
toute infraction aux égards qui sont dus ploi permanent, et la considération qui j
leur nombre n'est pas positivement dé- sition personnelle; cependant, quoique
terminé; on assure même qu'il est im- cette redevance ait pour prétexte 4e but
possible "de le connaître, et qu'il est de d'assurer leur sécurité , rien n'est plus
leur intérêt de le cacher au gouverne- commun que de les voir outrager et même
ment tunisien. Si cependant on consulte frapper par les Maures; ils reçoivent
l'opinion publique à ce sujet, si on fait même les mauvais traitements ou les
vendre qu'à ceux de leur nation. Mais, des chevaux et des mulets, ce qui leur
quoiqu'il leur soit sévèrement interdit est défendu en Egypte et dans la plupart
dVn débiter aux Maures et aux Turks, ils des autres contrées soumises aux mu-
trouvent habituellement le moyen d'élu- sulmans.
der cette prescription, par des ventes Les femmes juives ont assez généra-
clandestines, qui forment la plus grande lement adopté le costume du pays ; mais
partie du gain de leur fabrication. ce qui les distingue des femmes maures,
Beaucoup d'entre eux font des opéra- c'est qu'elles n'ont que te moitié de la
tions très-actives , en tout genre de né- figure couverte par un crêpe noir, tan-
goce, avec Livourne et Marseille, et l'on dis que les femmes des Maures se voilent
peut assurer qu'une grande partie du le visage entièrement. J'en ai vu un as-
commerce de ces deux places avec Tunis sez grand nombre qui étaient belles et
est aujourd'hui entre leurs mains ; les Eu- bien faites, surtout parmi celles que pare
ropéens même n'en peuvent faire aucun encore la jeunesse; mais la nature gros-
dans la Régence sans avoir à leur servi- sière et la forme désagréable de leur ha-
ce plusieurs sensals, ou courtiers juifs, billement les empêche de faire valoir ce&
96 L'UNIVERS.
avantages ; et leur défaut de soin pour d'une pluie abondante malgré ces actes
;
soutenir leur gorge, qui est communé- de pénitence et ces supplications ferven-
ment fort volumineuse, leur fait perdre tes, la sécheresse continua à désoler le
bientôt toute espèce de charme. Elles pays. Les rabbins se persuadèrent alors
ne se montrent pas trop difficiles à se prê- que les péchés des impies, et surtout
ter aux aventures galantes ; mais elles ap- l'impudicité des femmes répudiées ou
portent les plus grands soins pour ca- veuves , devaient être la seule cause du
cher leurs intrigues amoureuses ; car si courroux céleste ; en conséquence ils fi-
leur mari ou le rabbin de la synagogue rent dans toutes les familles juives des
en avait connaissance elles courraient
, recherches scrupuleuses , à la suite des-
le risque d'être châtiées sévèrement, ou quelles ils découvrirent qu'un assez
même répudiées. grand nombre de ces femmes délaissées,
Il n'est pas difficile à un Juif de répu- ou condamnées'au célibat parla mort de
dier sa^femme, pour peu qu'il puisse allé- leurs maris , avaient un commerce illicite
guer une cause raisonnable pour moti- avec des débauchés , ou même étaient
ver ce divorce ; et plusieurs, sans avoir devenues enceintes par suite de ce com-
recours à cet acte légal prennent une
,
merce criminel : les pécheresses furent
seconde femme, leur loi autorisant la po- châtiées sévèrement ; mais cette punition
lygamie ainsi que la loi musulmane. exemplaire n'empêcha pas que de nou-
Un assez grand nombre de Juifs et de velles recherches n'en fissent découvrir
Juives parcourent la ville en colportant encore un assez grand nombre , parmi
des marchandises que ces marchands am- lesquelles on en reconnut beaucoup de
bulants offrent à acheter dans les maisons relapses, dont le châtiment précédem-
et les harems et il est à remarquer que
; ment subi n'avait pu amender Ja con-
les femmes mauresques ne croient pas duite.
être obligées de se voiler devant un Juif, Tout Juif convaincu d'avoir mangé à
qu'elles ne regardent que comme de vils la table d'un Chrétien ou d'un Maure est
animaux, et qu'elles sont loin de croire fortement réprimandé par le rabbin, en
appartenir à l'espèce humaine. pleine assemblée de la synagogue, et
Comme il est arrivé plusieurs fois que s'il vient à récidiver, il est déclaré déchu
des Juifs et des Juives ont été assassinés de ses droits civils et religieux dans la
dans des maisons, pour s'approprier leurs communauté israélite; son témoignage
marchandises, le Bey a ordonné qu'à n'est plus admis; il est frappé d'ana-
l'avenir les colporteurs de l'un ou de thème, déclaré infâme, et en conséquence
l'autre sexe iraient toujours deux à deux, déshonoré dans l'esprit de tous ceux qui
et que l'un d'eux serait obligé de rester composent sa nation.
devant la porte de la maison pendant Les rabbins ne dédaignent même pas
que son compagnon y entrerait avec ses de s'occuper du règlement des habille-
marchandises. Depuis cette ordonnance, ments ; et ils cherchent à réprimer le
aussi simple que sage , aucun Juif n'a goût des jeunes filles pour l'élégance du
été la victime de l'avidité et de la per- costume, les bijoux les parures et pour
,
vient des fausses déclarations que font le quart de la somme prêtée; chaque
à ce sujet les chefs de la synagogue année porte le même préjudice à l'em-
donnant ainsi à leurs co-religionnaires prunteur et pour peu que celui-ci tarde
;
Dès qu'ils sont assurés de ce premier chrétiens de s'y livrer à Tunis avec au-
,
point essentiel , ils mettent tous leurs tant d'empressement que les enfants d'Is-
soins à garantir le recouvrement de leur raël.
capital et de leurs intérêts par les stipu- Ceux-ci, au reste, sont loin d'être
lations les plus rigoureuses, qu'ils s'ef- découragés par la concurrence soit des ,
forcent de rendre aussi lucratives pour Européens soit des Maures dans toute
, ,
7 e Livraison. (Tunis.)
98 L'UNIVERS.
che et le menton, ne cache que la partie cet alphabet n'a jusqu'à présent été pu-
inférieure de leur visage. blié par aucun voyageur, le lecteur me
On les reconnaît surtout, dans tous saura peut-être quelque gré_de le lui faire
les endroits où il y a des réunions com- connaître.
merciales, non-seulement à leur allure
turbulente et empressée, et à leur physio- SPECIMEN
nomie, qui à Tunis, comme partout
ailleurs, a conservé son type originel,
de Vécriture des juifs de Tunis, $Alger
et de Tripoli (1).
mais encore à leurs voix glapissantes
et criardes, à leur timbre nasillard, au
détestable patois qu'ils emploient entre
eux, si différent des idiomes arabes et
de toute autre langue usitée soit en
Afrique , en Europe.
soit
En langage habituel des Juifs
effet, le
S
de Tunis, dans leurs rapports avec les
Européens, est le jargon informe que
l'on désigne par le nom de langue fran-
que 9 et qui se parle dans toutes les
Échelles du Levant; mais entre eux ils
ne se servent que d'un patois judaïque,
ou hébreu corrompu. La langue franque Le tableau suivant offrira les lettres
est cet hébreu corrompu dont je viens et les Juifs n'ont pas d'autres signes nu-
de parler, ou un mauvais arabe, mêlé méraux.
non-seulement de mots hébreux mais ,
Ce caractère, se trace de droite à
encore de ceux des langues de toutes gauche, que l'hébreu ordinaire
ainsi
les nations qui bordent la Méditer- et l'arabe, mais les lettres n'en sont pas
~ liées entre elles, comme dans la plupart
ranée.
Je ne dois pas oublier d'ajouter ici une des autres écritures orientales.
observation digne de remarque; c'est
que, soit que les Juifs emploient, en (i) Lecture min cind-y'ânâ mosselem
:
écrivant leur correspondance, leur patois alây-k ketyr êslem nalem-ki le-dy l-youm
hébreu corrompu, soit qu'ils se servent talit dyydm.
TUNIS. 99
100 L'UNIVERS.
La taille moyenne est la plus com- résultat du souvenir de ces guerres injus-
mune parmi Maures, pour les hom-
les tes qui, sous de vains prétextes, et no-
mes; cependant on yen rencontre un tamment sous celui d'un zèle mal en-
assez grand nombre qui sont d'une tendu , leur furent faites autrefois par
haute stature tandis que la taille in-
, les Croisés, qui s'acharnèrent si long-
férieure à la moyenne est très-rare. Ils temps à vouloir délivrer la Terre-Sainte
ont généralement le maintien sérieux des maîtres que la victoire lui avait
leur physionomie est mâle ; et si, malgré donnés, et d'en expulser ses pacifiques
ses variétés, je ne la trouvai pas aussi habitants, ainsi que tous ceux qui , n'a-
agréable et aussi belle que celle des dorant pas le Christ, suivaient inno-
Européens, il faut peut-être en attribuer cemment la religion de leurs pères.
lacause au turban qui l'écrase, et à la Que le lecteur veuille bien se rappeler
longue barbe qui la couvre et la dé- les horreurs, les meurtres, et les exac-
forme. tions, que les Croisés commirent à cette
La religion musulmane et le dogme époque de fanatisme tant en Asie qu'en
,
tion et cette ignorance ne sont cepen- perpétuée une haine nationale , dont la
dant pas générales ; car on rencontre de cause paraît juste et naturelle à ces peu-
loin en loin quelques Maures intelli- ples quoique oubliée peut-être du vul-
,
gents, qui se sont dépouillés des vieilles gaire , chez lequel l'instinct de l'habi-
routines et des préjugés populaires, et tude a remplacé le souvenir : ainsi la
dont la croyance est moins vive pour postérité paye souvent les fautes de ses
leurs maximes superstitieuses; ils doi- ancêtres , et la peine du talion tombe T
vent ce progrès surtout aux communica- après bien des" générations , sur les
tions qu'ils peuvent avoir, soit avec les têtes innocentes des descendants des
peuples d'Europe, soit avec les esclaves coupables.
de ces dernières contrées qui sont à leur Il y a cependant quelques occasions
service. où la haine et le mépris pour un Chré-
Le Tunisien en général ne manque pas tien semblent disparaître totalement;
d'aptitude pour différentes branches mais ces circonstances ne naissent que de
d'industrie, et on trouve dans la ville Pégoïsme, et lorsqu'un besoin pressant
de nombreux ateliers où ils fabriquent tourmentant le Maure le force de recou-
des toiles, des gazes, des soieries et sur- rir au Chrétien.Il s'établit alors une éga-
tout beaucoup de bonneterie. lité parfaite entre lui et le Chrétien ce-
:
Les affaires d'intérêt sont les seules lui-ci même jouit quelquefois de la préé-
qui les rendent susceptibles d'émotion : minence ; mais dès que le besoin, ce puis-
aussi se fâchent-ils et crient-ils autant sant moteur, vient à cesser, dès que l'ur-
pour une lésion de la valeur d'un sou, gence qui réclamait un concours est sa-
que les gens les plus intéressés pourraient tisfaite , il est plus fréquent de voir le
le faire parmi nous pour une somme Maure revenir à sa fierté et au dédain
beaucoup plus forte et pour la perte habituel , que de voir succéder sa grati-
d'une fortune entière. tude à sa détresse et au service reçu.
Ils croient fermement que leur reli- Je ne puis nier cependant que j'ai* ren-
gion les rend supérieurs à tous les au- contré à Tunis plusieurs Maures dont le
tres hommes, et ils n'estiment par con- cœur m'a semblé accessible à quelques
séquent les Chrétiens qu'à une bien sentiments de reconnaissance ; ces Mau-
faible valeur, quoique cependant ils les res, qui avaient été esclaves à Malte, et
mettent bien au-dessus des Juifs. qui avaient été mis en liberté par Bona-
La haine qu'ils vouent aux premiers parte, lorsqu'il fit la conquête de cette
paraît, selon toute probabilité , être le île , n'avaient pas oublié ce bienfait du
TUNIS, ÏOÎ
veurs célestes, et de lui accorder tout le des Juifs, de l'un et de l'autre sexe, em-
bonheur qu'il pourrait désirer. brasser la religion de l'islamisme; mais
Au reste, il est facile de témoigner ce qu'il y a de singulier, c'est que les re-
verbalement sa reconnaissance, et je négats de cette nation sont beaucoup
n'ai jamais eu occasion de vérifier par moins considérés que les renégats chré-
des faits l'influence de ces souvenirs en tiens, à tel point que lorsqu'un renégat
ma faveur. J'ajouterai même qu'un de juif vient à mourir, il n'est pas inhumé
ces Maures me demandait l'aumône en dans le cimetièredes musulmans, et il lui
langue franque, et formulait sa sup- est désigné une place particulière et
plique en ces termes, bien étranges dans isolée, tandis que les cadavres des rené-
la bouche d'un musulman. « Donar mi gats chrétiens se mêlent sans aucune
« meschino la carità d'una carrouba, difficulté à ceux des Maures musulmans
« per ïamor délia santissima Trinità de race et d'origine.
« e dello gran Bonaparte. » La manière de vivre des Tunisiens
La classe des Maures admet dans ses est assez simple, et n'admet guère au-
rangs un assez grand nombre de René- cun excès de prodigalité ; on trouve la
gats , dont les descendants sont estimés plupart du temps sur leur table un
Maures pur sang, aussi bienquesi leurs grand plat de kouskousou , avec quel-
ancêtres avaient fait partie des premiers ques herbages ou quelques légumes,
Musulmans conquérants de l'Afrique. auxquels ils ajoutent ordinairement de
La prééminence dont jouissent les la viande de bœuf ou de mouton.
Musulmans dans presque^toutes les oc- Le kouskousou est une espèce de
casions sur les sectateurs d'une autre semoule, pétrie avec une très-petite
religion , le désir d'améliorer son sort, quantité d'eau; on fait sécher ensuite
et l'espoir d'amasser quelque fortune, en cette pâte pour la diviser en très-petits
obtenantla protection du gouvernement, segments et alors on procède à l'as-
,
gats dépend en grande partie encore de mais, en revanche, ils sont tous adon-
l'arrivée plus ou moins nombreuse des nés au vin et à l'eau-de-vie ; et malgré la
aventuriers que la navigation jette sur défense formelle dont la loi musulmane
les côtes barbaresques , et qui y sont frappe ces liqueurs un grand nombre
,
le prochain, et croient, en ne s'enivrant que leur science médicale doit être, plus
pas , avoir pleinement satisfait à la loi que celle de tout autre médecin et sur-
d'interdiction , qui ne spécifie ni l'eau- tout de leurs docteurs ignorants, capa-
rle-vie ni le vin, et ne prohibe que les ble de leur indiquer des moyens efficaces
liqueurs enivrantes. pour rétablir leur vigueur primitive;
Ceux qui se sont livrés à l'ivrognerie toutefois, comme la plupart des méde-
se corrigent quelquefois de ce vice ; mais cins qu'ils consultent, charlatans ou au-
le plus souvent, en renonçant à un excès, tres , ne cherchent à remédier à cette
ils retombent dans un autre, qui consiste débilitation fatale que par des médica-
dans l'usage ou plutôt l'abus de l'opium ments échauffants et des aphrodisiaques
(âfyoun). ne produisent sur des organes
actifs, ils
Les opiophages ;<d ( que le lecteur me usés, au lieu d'une cure réelle, qu'un
permette de créer ce mot) sont assez ré- effet momentané; et même cette lutte
pandus dans la Régence, et surtout à avec lanature épuisée n'est pas sans
Tunis l'excès auquel ils parviennent pro-
; danger pour la santé et pour la vie du
gressivement, dans l'abus de cette sub- patientqui s'estsoumis àleur expérience.
stance délétère, est réellement effrayant, Un vice honteux , dont ma plume se
et j'en ai connu qui en consommaient refuse à écrire le nom paroxisme de la
,
depuis un quart d'once jusqu'à une débauche la plus effrénée, et qui outrage
demi-once par jour. à la fois la nature et les lois morales ,
Ils soutiennent assez généralement est malheureusement trop répandu
que les sensations agréables que ce nar- parmi les Maures, ainsi que parmi une
cotique enivrant leur procure sont de grande partie des peuples de l'Orient.
beaucoup supérieures à celles qu'occa- On doit peut-être chercher la cause
sionne l'ivresse du vin et des autres li- d'une pareille dépravation, qui pervertit
queurs spiritueuses ; mais ils sont trop et dégrade l'instinct naturel du sexe
peu instruits pour comprendre que l'o- masculin dans le mépris qu'inspire aux
,
pium altère bien plus vite et plus puis- Maures et aux autres peuples orientaux
samment leur constitution que le vin et la faiblesse d'un sexe qui , leur accordant
même Teau-de-vie il en est de cette jouis-
: ses faveurs sans leur opposer assez de
sance factice comme de tant d'autres on ; résistance, doit nécessairement, par'cette
n'aperçoit que le plaisir du moment, sans soumission passive à leurs moindres vel-
s'inquiéter sur l'avenir. léités, loin d'exciter et d'aiguillonner
D'après les recherches que j'ai faites leurs désirs , leur inspirer bientôt la
sur la quantité approximative d'opium satiété et le dégoût.
que l'on consomme annuellement à Tu- A cette première cause sont proba-
nis, je regarde comme très- probable blement venues s'en joindre d'autres,
que cette consommation peut monter à soit une inconstance maladive des fan-
près de vingt quintaux par an ; mais il se- taisiesvoluptueuses soit une bizarrerie
,
rait bien difficile de pouvoir évaluer la insatiable qui pousse l'homme oisif à
quantité que les Bédouins et les autres chercher des jouissances moins commu-
habitants des provinces de la Régence nes et plus étranges, soit enfin un raf-
absorbent journellement. finement illimité de volupté plus facile à
Les Tunisiens sont singulièrement por- caractériser qu'à comprendre et à expli-
tés aux plaisirs de l'amour, et s'y livrent quer.
généralement avec ardeur; mais, soit Je pense cependant qu'on aurait tort
qu'ils abusent habituellement avec trop de croire, comme le prétendent quel-
d'excès des jouissances voluptueuses, ques-uns de ceux qui habitent ce pays
soit qu'ils commencent à s'y adonner depuis longtemps, que ce vice a ici une
dès un âge trop tendre , il en résulte extension générale tellement que s'il
, ,
que beaucoup d'entre eux se plaignent fallait ajouter foi à leurs assertions,
de bonne heure d'un épuisement et on pourrait pronostiquer la fortune dont
d'une impuissance plus ou moins com- un homme peut courir la chance, en la
plets aussi c'est particulièrement dans
i préjugeant d'après îe plus ou moins de
ce cas qu'ils aiment à consulter les mé* beauté dont il pourrait être pourvu; au
imlm européens* dans la persuasion reste , j'avouerai qm lertfon m
TUNIS. 10?
dent sur les vastes contrées de l'Asie Régence, il n'en est pas moins vrai de
méridionale et de l'Afrique septentrio- remarquer que la ville de Tunis tout
nale. Les diverses populations barbares- entière semble n'être qu'un vaste bazar,
ques sont, avec quelques nuances, des ou plutôt , si j'ose le dire , une immense
populations sœurs; qui a vu l'une d'elles juiverie.
a vu les autres :
On pourrait dire que le génie du né-
goce plane non-seulement sur Tunis,
faciès non omnibus una
Nec diversa tamen, qualis decetesse sororum. mais encore sur toutes les cités de la
Régence; la capitale surtout semble
La nuance qui paraît donner à la po- n'être qu'une aggrégation A' hommes
pulation tunisienne une teinte morale d'affaires; les places publiques, les
particulière, c'est l'esprit mercantile, rues, les cafés fourmillent de Maures
qu'on pourrait croire lui avoir été légué et de Juifs, et même d'Européens em-
par héritage , de génération en généra- pressés sillonnant la foule stationnaire,
tion, depuis les anciens Carthaginois, coudoyant ceux qui marchent, agents de
héritiers eux-mêmes, sous ce rapport, change ambulants, courtiers, entremet-
des Phéniciens leurs ancêtres, auxquels teurs, flairant les opérations commer-
les Hébreux avaient donné le nom ca- ciales, s'informant du cours des espèces
ractéristique de Cananéens, attestant la et des marchandises, des arrivées, des
propension que les peuples de la Phé- départs des navires, suivant à la piste des
nicie avaient pour le commerce (1). opérations commencées ou en proposant
L'antique reine du commerce médi- de nouvelles ils ne s'abordent qu'en par-
;
terranéen, Carthage, dont les ruines sont lant d'agio, de banco, de doit et avoir.
si rapprochées de la nouvelle capitale Tunis entière est pour l'Afrique ce que
de Y Afrique proprement dite, semble sont pour l'Europe les Bourses de Mar-
en effet présider encore du fond de ses seille , d'Amsterdam ,de Londres et de
débris à l'esprit dont sont animés les Paris,' mais avec une teinte plus pro-
peuples qui ont remplacé ses anciens noncée de brocantage juif, de mesquin
sujets, si industrieux, si adonnés aux regrat et de tripotage illégitime.
Ces instincts commerciaux ont sans
(t) Canaan t en hébreu, signifie mar<- contredit concouru à adoucir la rudesse
tikandf négociant adonné au commerce*
f, primitive de la population tunisienne «
104 L'UNIVERS.
et en font, pour ainsi dire, l'avant- sentiments, la droiture dans leur con-
garde de la civilisation parmi les peu- duite et la sûreté dans leur commerce.
plades barbaresques;^ mais, en revan- Les Maures reprochent aux Turks de
che, on peut reprocher à cet esprit n'avoir qu'un esprit pesant, borné, et
mercantile d'avoir imprimé au ca- dépourvu d'instruction; mais les qua-
ractère des habitants de la Régence lités plus brillantes dont se vantent les
une tendance vers la cupidité qu'on ne Maures ne sont employées par eux qu'à
peut assez déplorer l'avarice naturelle
: nuire par leurs fourberies et à imaginer
aux races arabes et juives se complique des ruses ourdies avec tant d'adresse et
ici de rapacité, d'avidité, et de lési- une apparence de bonne foi qu'il
telle ,
ventés par la ladrerie des débiteurs; cet égard sera suffisamment indiqué
à toute demande d'argent le Tunisien par le proverbe populaire suivant , qu'ils
répond invariablement « qu'il est trop se plaisent à répéter « Vinaigre donné
:
« pauvre pour payer, qu'il est cntière- « est plus doux que miel acheté. » Aussi,
« ment ruiné, et qu'il ne possède abso- il faut se garder de leur rien promettre,
« Jument rien. » Une bastonnade bien ad- à moins qu'on ne soit en état de déga-
ministrée est la seule réplique qui puisse ger sur-le-champ sa promesse , si l'on
triompher de ces allégations les Tuni- : ne veut s'exposer à être tourmenté par
siens payent alors ; mais quand on leur les sollicitations les plus importunes.
demande s'il n'aurait pas mieux valu Ne s'occupant qu'à jouir du présent, les
payer avant cet acerbe argument « A : Maures préfèrent toujours des avantages
« Dieu ne plaise, répondent-ils, que je actuels, quelque modiques qu'ils soient,
« paye jamais avant d'avoir été préala- à des avantages plus considérables, mais
« blement bâtonné. » dépendant encore de l'avenir.
Les mœurs des familles turques éta- Le refus ou même le délai d'un ser-
blies à Tunis sont en général meilleures vice qu'ils vous réclament, et que les
que celles des familles mauresques les : circonstances ne vous permettent pas
Turks sont communément capables de de leur rendre à l'instant même , efface
bons sentiments et d'actions estimables ;
en eux le souvenir de tous les bons of-
cependant on doit avouer que leur bon fices qu'ils ont reçus de vous, et vous
naturel s'est détérioré par leur contact en fait aussitôt des ennemis irréconci-
habituel avec les Maures et surtout
, liables.
avec Renégats, classe d'hommes
les Les présents trop fréquents et à épo-
aussi dangereux à fréquenter que mé- que fixe sont bientôt regardés par ces
prisables; mais cette contagion n'est peuples comme des redevances exigi-
pas tellement répandue qu'on ne trouve bles , et les seules puissances qui aient su
encore à Tunis plusieurs Turks qui s'y se soustraire à ces prétentions intéres-
font remarquer par l'élévation de leurs sées sont l'Angleterre et la France , dont
TUNIS. 105
le Bey ne reçoit de présents que dans des Maures de Tunis et de toute cette partie
occasions rares et importantes, et seu- de l'Afrique septentrionale.
lement lorsque ce complément de l'éti-
quette habituelle est réellement indis-
pensable; mais malgré les tentatives
souvent répétées des souverains de la
Régence, ces deux États se sont bien
t<Bk£)
gardés de laisser convertir en règle leurs
libéralités accidentelles, que, bien dif-
Cette ligne renferme la formule con-
férents des autres princes de l'Orient,
sacrée par la religion musulmane :
dre ici un spécimen de l'écriture barba- taux, ont été si souvent dépeints par
resque suivi du tableau présentant les
, tous, les voyageurs qui ont visité ces
valeurs alphabétiques et numériques contrées que je crois superflu d'entrer
,
des lettres qui composent l'écriture des dans quelque détail à ce sujet, croyant
,
106 L'UNIVERS.
suffisant, pour en faire connaître les n'était admise dans le fort : « Il faut, rc-
variantes au lecteur, de le renvoyer à « pondit le Maure, que vous et vos em-
la planche II ci-après (1). « ployés soyez coupables de bien grands
« crimes, pour qu'on vous en ait puni
CHAPITRE XVI. « en vous séquestrant de toute cohabi-
leur toilette; —
préjugés sur leur gros- Cependant les femmes de Tunis et de
sesse ; —
répudiation ; —
divorce; po-— la Barbarie en général sont bien éloignées
'lygamie; —
réclusion des femmes; —
leur de jouer un rôle aussi brillant que nos
jalousies; leur amusements; — musique dames européennes, et elles sont bien
mauresque; — chanteuses, danseuses pu- loin d'obtenir, dans la société tunisienne
bliques; — ombres chinoises; — bate- une position aussi agréable que celle
— ophiophages; — canivores; —
leurs; dont notre civilisation fait jouir nos
femmes publiques; — mariages — funé- ; compagnes.
— circoncision.
railles ;
Dès qu'une jeune fille se marie, elle
La passion pour les femmes égale au ne peut, sous quelque prétexte que ce
moins celle que les Maures montrent soit, sortir de sa demeure pendant le
pour l'argent; peut-être même pourrait- cours de la première année, et cette pro-
on dire que ce dernier penchant l'em- hibition n'a que de bien rares exceptions
porte sur le premier, et qu'il change ces dans les années suivantes.
harpagons intéressés et cupides en J'ignore sur quel motif est basé l'usage
hommes généreux et libéraux, auxquels de cette réclusion complète , si stricte-
rien ne coûte pour acquérir les femmes ment observée pendant la première an- |
qui ont excité leurs désirs. née du mariage ; mais il est peut-être i
Les Maures sont loin- d'avoir dans vraisemblable que le mari tunisien veut
leurs longs loisirs les mêmes distrac- accoutumer ainsi la nouvelle mariée à
tions dont nous jouissons en Europe ; ne connaître d'autres douceurs et d'au- I
ils ne connaissent ni lecture, ni specta- très distractions que celles que peut lui ,
n'ont ainsi d'autre moyen de passer le n'est pas même une privation pour une
j
temps que les plaisirs du harem, au Mauresque, qui est intimement persua-
milieu de femmes dont la vie désœuvrée, dée qu'il doit en être ainsi d'après les
semblable à la leur, n'est occupée qu'à mœurs établies et qu'elle ne pourrait
,
imaginer et mettre en usage tout ce qui sans crime se refuser à l'observation d'un
j
passion réciproque des deux sexes. Aussi à la volonté du mari auquel elle a été
le célibat volontaire leur paraît-il in- donnée : celui-ci , d'ailleurs, n'a nulle- !
jouissent , et qui est l'avantage corporel Rien n'est plus humiliant pour une
dont elles tirent le plus de vanité. En femme mauresque que d'être remarqua-
effet. ce prétendu charme est si estimé ble par sa maigreur, ou même d'avoir
parmi les Maures, qu'ils le regardent seulement une dégagée
taille sveîte et ;
nos basses-cours. Bien plus, celles à qui des anciens Grecs; mais comme mon
la nature ne procure pas cette démarche état de médecin était de nature à me
ne manquent pas cependant de se la donner le droit de pénétrer dans l'inté-
donner elles-mêmes, sans nécessité, seu- rieur des maisons musulmanes, ilm'a
lement pour se conformer à la mode procuré la possibilité de voir à Tunis
établie, et mettre par là une ligne de plusieurs femmes de la haute classe,
démarcation entre elles et les femmes dont les yeux noirs et vifs, la chevelure
de la basse classe, dont la démarche est d'ébène et la fraîcheur du teint; la ré-
aisée et agile. gularité des traits, et la physionomie
D'après ce préjugé singulier, mais gé- piquante, auraient eu en tout lieu, même
néralement adopté si, par une vie oisive
, en nos pays, des admirateurs, quoique
et sédentaire et par leur manière de se leur manière de se vêtir et de se parer
nourrir, les femmes acquièrent
naturel- fût loin d'être capable de les embellir;
lement cet embonpoint désiré, leurs
si il faudrait en effet n'avoir jamais vu
souhaits les plus chers sont en partie d'autres costumes, pour être tenté de
accomplis; mais si cette obésité n'arrive trouver agréable et élégant celui des
pas spontanément , elles ont recours à dames tunisiennes (2).
des moyens qui passent pour avoir la La parure principale des femmes mau-
propriété d'engraisser : ces moyens sont resques consiste eu une quantité impos-
parfois assez étranges (1) ; mais je m'abs- sible à décrire et à évaluer de perles , de
tiendrai d'en faire ici rénumération diamants et d'autres pierres précieuses
bien persuadé que cette mode n'obtien- et d'innombrables plaquettes d'or, dont
dra jamais de faveur parmi les femmes elles se couvrent pour ainsi dire de la
européennes. tête aux pieds; mais ces parures, quel-
Si , toutefois , on désirait connaître que précieuses qu'elles paraissent, sont
quelque partie de cette pratique hygié- d'un mauvais choix, mal montées, mal
nique, il me suffira de dire que la plus taillées , et placées sans art et sans au-
essentielle et la plus raisonnable consiste cune espèce de goût (3).
à n'user que des aliments les plus nour-
rissants, et à leur associer quelquefois (2) Voyez ci-après la planche 12 , repré-
sentant deux dames de Tunis et de Tripoli,
l'emploi fréquent des médicaments de
dans l'intérieur de [eut harem.
la classe des confortatifs.
(3) Les femmes qui n'ont point de bijoux
(i)Les femmes égyptiennes , chez lesquel- à attacher soit sur leurvêtement, soit aux
les lamode d'obésité n'a pas moins été adop- tressesnombreuses de leur chevelure y sup-
tée que chez les Tunisiennes , mangent pour pléent par le plus grand nombre de pièces
d'or qu'elles peuvent se procurer, qu'elles
y parvenir, outre cerlains mets particuliers,
des aliments aussi étranges que dégoûtants, portent ainsi suspendues; les plus pauvres des
entre au 1res des scarabées de la grande espèce,, femmes du peuple emploient les petites pièces
4cs léssardâ vivants» d? B«trei s'eptites, etc« es mies et les au*
i
1
Bgmbjgftt preadrs uo plaisir pev$iou
108 L'UNIVERS.
Elles ont en outre une manière singu- peintures, qu'on pourrait comparer au
lière de s'embellir, ou plutôt de se défi- tatouage des nations sauvages de l'Amé-
gurer, soit en se teignant les sourcils en rique ou à celui des Nègres, ne s'effa-
noir, soit en les réunissant ensemble par cent que cinq à six jours après avoir été
une prolongation large de quelques li- placées.
gnes, qu'elles opèrent avec la même Souvent même le rouge est un des
peinture non contentes de ce prétendu
; cosmétiques appelés à compléter cette
agrément, comme les femmes de l'E- singulière toilette, et sa préparation est
gypte et de presque tout l'Orient, elles tout à la fois plus simple et moins' coû-
cherchent à faire paraître leurs yeux teuse que celui dont se servent les da-
plus grands en insinuant sous leur pau- mes européennes.
pière du kohol, ou poudre d'anti- Un usage généralement adopté par
moine (1), ce qui noircit tout le tour de les Tunisiennes est celui de se frotter
l'œil , et change tout à fait leur physio- les gencives et les lèvres avec Técorce
nomie en leur donnant un air dur, hardi, de noyer ; cette friction donne à toute
et pour ainsi dire viril. les parties de la bouche la couleur d'o
D'autres femmes, plus ridicules en- range foncée, couleur que les femme
core dessinent , à deux doigts au-dessus
, de ce pays aiment passionnément : elle
des sourcils, un demi-cercle noir, qui prétendent , en outre que l'usage habi
,
ressemble de loin à une ficelle noirâtre tuel de cette écorce contribue puissam
que l'on aurait attachée à l'entour de la ment à conserver les dents; et en effe
tête et qui passerait sur le front. Elles cet ornement si utile de la bouche se fai
emploient également cette peinture noire généralement remarquer chez les Tuni
à distribuer des mouches éparses sans siennes par la régularité de son arran
symétrie sur leur figure; ces diverses gement et par la blancheur, de son
brillant émail; mais il m'a paru plu
probable que cette beauté dépend beau
au cliquetis que produit cette singulière pa-
coup moins de leur spécifique dentifrice
rure, à chacun de leurs mouvements.
que de la manière de vivre dont le
(J. J. M.)
femmes tunisiennes ont l'habitude, e
(i) Stibium, nommé surmahou surméh par
surtout du soin avec lequel elles éviten
les Turks.
Le surméhest un collyre ou une poudre
de manger les mets aussi brûlants qu
impalpable le font la plupart des Européens.
composée d'antimoine l'usage
, :
d'en colorer leurs yeux, établi parmi les fem- La coutume de teindre en couleu
mes de l'Orient s'est conservé dans ces con-
,
orangée l'intérieur des mains, ou ai
trées, depuis les temps les plus reculés jusqu'à moins le bout des doigts , avec le hen
nos jours , et les Prophètes, qui reprochaient néh (2) , est assez généralement adoptée
aux filles de Sion de colorer leurs yeux du
fard noir de la coquetterie ( Cum pinxeris (2) Hennéh est le nom
d'une fleur et d
stibio oculos tuos,
Jéremie, IV, 3o), auraient Cyperus de
l'arbrisseau qui la porte: c'est le
encore le même reproche à adresser aux anciens ( Lawsonia inermis de Forskal ) et, i
femmes de Tunis, d'Egypte, et des autres est communément cultivé dans les jardins di
contrées orientales. Kaire. Il donne une fleur blanche dont le
,
ques qu'elles le laissent bientôt se flé- rer d'une fa'mille nombreuse , la jouis-
,
idecin est souvent consulté par elles sur ment redoutés par elle, celui d'être ré-
les moyens qu'elles pourraient employer pudiée, ou du moins celui de voir une
pour devenir enceintes car une femme
;
rivale la remplacer dans les bonnes
stérile est un être méprisable aux yeux grâces et l'amour de son mari.
du mari maure et même de tous les pa- Les femmes mauresques ont réussi à
rents qui composent la famille; ces accréditer une opinion aussi déraison-
femmes mauresques sentent très-bien nable que ridicule ; suivant elles l'enfant,
)que leur position conjugale manquerait une fois conçu, pourrait dormir plusieurs
[
de solidité si la tendresse paternelle, Mu- années dans" le sein de sa mère , et n'en
nissant à l'amour maternel, pour la con- sortir qu'à son réveil, après cette gesta-
servation de ces fruits de leur union, ne tion prolongée contre les lois de la na-
venait par ce double lien corroborer ture d'après ce préjugé absurde, il y a
:
'celui qui attache les époux l'un à l'autre, des exemples de femmes qui attestent
que leur enfant a dormi plusieurs an-
nées, et qui prétendent que leur accou-
en Orient un grand usage. Les femmes de tou-
chement a été séparé de la conception
tes les classes s'en servent pour se teindre les
par un intervalle de six à huit ans.
ongles et les paumes des mains en rouge
orangé très-vif; cette teinture dure très-long- Ce préjugé, au reste , leur est de la
temps, et résiste à tous les détersifs ordi- plus grande utilité dans deux circonstan-
naires. Elles emploient ce genre singulier de ces importantes tantôt une femme ré-
:
parure principalement aux jours de fêtes et de pudiée, qui devient enceinte quelques an-
réjouissances, et surtout dans les célébrations nées après que son mari l'a abandonnée,
de noces. Cet usage n'est pas moins commun prétend que l'enfant provient néanmoins
aux femmes chrétiennes qu'aux musulmanes. de ce mari et que le fœtus a dormi pen-
,
MO L'UNIVERS.
elles s'attirent un surcroît de considéra- férence qui blesse les droits des autres,
tion et de ménagement, mais encore alors infailliblement la discorde règne
elles parviennent souvent à réaliser ce dans le harem plus ou moins ouverte-
qui n'était d'abord qu'une fiction que ment.
leur intérêt leur avait fait supposer. La jalousie mutuelle des femmes
Il n'y a d'ailleurs pas de doute que mauresques a néanmoins quelquefois ses
l'état de soumission extrême dans le- exceptions. J'ai connu un jeune homme
quel vivent les femmes de ce pays n'ait qui était devenu éperdument amoureux
en grande partie pour cause la crainte d'une jeune fille sa voisine; ne pouvant
d'être répudiées ; et quoique de leur côté ni la voir chez elle ou chez lui, ni l'épou-
elles aient également le droit de deman- ser par son défaut de fortune suffisante, 1
der le divorce, elles usent d'autant plus il prit le parti de se marier lui-même,
rarement de ce droit, qu'elles ne peuvent dans le seul but que sa voisine pût li-
y recourir sans avoir à alléguer des brement, et sans être critiquée, entrer
motifs puissants et bien avérés, tandis dans sa maison, sous prétexte de visiter
que la volonté du mari suffit pour auto- la femme qu'il venait d'épouser. Supé-
riser sa demande. rieur aux préjugés de son pays, où un
La polygamie est moins rare à Tunis mari ne laisse voir sa femme à au-
qu'en Egypte; mais elle a ici, comme cun autre homme , il m'admit non-seu-
partout ailleurs, ses inconvénients. Si lement dans sa maison, mais encore-
plusieurs femmes rivales habitent une dans l'intérieur de son harem, et là
même maison , les querelles, les tracas- je vis et l'épouse et la voisine amicale"
j
Maure , qui avait deux femmes , et qui assez évidente, le mari ne se trouvant j
comptait maintenir l'harmonie et le bon « que sa femme; les journées sont à elle,
j
ordre chez lui après ce triple mariage. « mais les nuits sont à moi. »
« Il n'y a que deux moyens, me répon- Les gens riches et les hauts person-
« dit-il , pour avoir la paix , et les mettre nages du pays ont dans leurs maisons des ;
« loger dans des maisons séparées » il : leurs enfants lorsque ceux-ci ont atteint
est vrai qu'il n'y a guère que les gens très- l'âge de l'adolescence; car ils ne restent
riches qui puissent adopter ce dernier auprès de leurs mères qu'à l'époque où
parti , et le premier moyen est plus à la ils sont encore en bas âge.
portée des maris en générai. Les maris, les femmes et les enfants
Cependant quoique le mari soit maî- prennent leurs repas isolément, et sans
tre absolu chez lui, il cherche commu- se réunir à la même table ; les enfants
nément à entretenir autant qu'il est pos- même ne sont pas admis à la table de
siblel'harmonie et le bon accord, au leur père, usage établi, dit-on, pour
moins apparent , entre ses femmes ; et augmenter le respect dû au chef de la
comme chacune d'elles a sa chambre famille.
particulière et séparée dans le harem, Au reste , chacun de son côté fait ses
il leur consacre successivement une jour- invitations particulières; les hommes
née et une nuit. Si cette attribution a lieu ont pour convives leurs amis, les fem-
avec égalité entre elles, il arrive ordi- mes leurs amies; les enfants, les jeunes
nairement qu'elles se résignent assez vo- gens de leur âge. Cependant cette ma-
lontiers à ce partage conjugal ; mais s'il nière de vivre aussi isolément n'est pra-
en agit différemment et témoigne pour tiquée que par les gens de haute classe;
quelqu'une de ses femmes quelque pré- les marchands et autres particuliers de
111-
TUNIS.
eondition médiocre, sont plus pères et puis ce temps mon empressement à les
prenant leurs repas avec leurs femmes curiosité m'avait précédemment inspiré
et leurs enfants. pour venir les écouter.
Quoique les femmes mauresques soient Aussi , ce qui plaît le plus aux recluses
la plupart du temps si strictement con- et les dédommage en quelque sorte de
finées dans leurs maisons, ou plutôt à l'ennui que leur cause l'absence fré-
cause de cette réclusion même, elles n'é- quente de leurs maris, c'est moins le
prouvent pas moins le désir commun aux chant sauvage de ces musiciennes anti-
deux sexes d'interrompre la monotonie harmoniques, que la vue des danseuses
d'une vie sédentaire par quelques di- publiques, qui exécutentdevantelles leurs
vertissements , ou du moins par quel- danses et leurs exercices avec un laisser-
ques distractions. aller le plus souvent lascif etindécent (1).
La seule qui leur soit permise, et En effet , le grand talent des dan-
seulement encore à certaines époques, seuses consiste à mouvoir avec une
est de faire venir dans le harem des agilité étonnante leurs rems et leurs
chanteuses ou danseuses publiques, hanches, qu'elles secouent en tous les
qu'elles obtiennent la permission d'y sens par des oscillations tantôt graduées
introduire. avec mollesse, tantôt brusquement sac-
Il faut avouer franchement qu'il y a cadées. Cette danse, dans laquelle les
certains plaisirs de convention qui ont pieds et les jambes ne jouent presque
besoin d'être jugés tels d'avance par. le jamais aucun rôle chorégraphique, n'est
préjugé, et d'être assaisonnés par l'at- ainsi pour ces artistes , dépourvues de
tente et le désir, pour obtenir quelque toute pudeur, qu'une série non inter-
prix ; c'est là un reproche qu'on pour- rompue de gestes lubriques et de mou-
rait justement adresser à la plupart des vements obscènes, qui embrasent l'ima-
plaisirs qui ont mérité ce titre de nos gination des spectatrices, mais qui fe-
conventions sociales ; véritablement le raient rougir de honte l'Européenne la
chant des musiciens et des musiciennes plus dépravée.
barbaresques nécessite, surtout, l'in- Les figures de ces danses si étranges
fluence de l'opinion que le préjugé a ré- se composent de postures libidineuses,
pandu parmi les habitants en sa faveur, d'un certain nombre de pas divers, coor-
pour causer le moindre plaisir aux oda- donnés de telle manière, que les dan-
lisques prisonnières qui se délectent à
,
seuses, tout en ayant l'air de se fuir
bare, étrangère à la fois à la mélodie et à que les danseuses publiques ne sont pas
l'harmonie, loin de pouvoir flatter les d'une autre classe que de celle des pros-
oreilles, serait capable d'en briser le tituées.
tympan plus dur.
le Les maris maures accordent à leurs
Bien plus, les voix les plus perçantes femmes un troisième genre d'amuse-
et les plus discordantes sont en général ment, qui est celui de promenades à la
celles qui sont les plus recherchées ; et campagne, où elles sont conduites dans
ces sons criards poussés sans aucune
,
des voitures hermétiquement fermées :
pitié pour les auditeurs, jusqu'aux notes elles y sont accompagnées par une nom-
les plus élevées, hors des extrêmes limites breuse cohorte de domestiques et d'es-
du diapazon musical, firent sur moi claves, qui les surveillent , et qui sont
un après avoir entendu un con-
tel effet très-attentifs à vérifier si le jardin où
cert vocal qui réunissait plusieurs des
meilleures chanteuses de Tunis, que de- (i) Voyez ci- dessus la note 2 de la page 6r*
,
112 L'UNIVERS.
elles font leur promenade est entière- conjugale : portent les proposi
elles
ment à l'abri de ia vue de tout indi- lions , les entrevues. Au
elles facilitent
vidu du sexe masculin. reste , ces intrigues amoureuses n'on
S'il arrivait par hasard que la maison aucunement à craindre d'être trahie
ne lût pas tout à fait isolée , si on n'a- par la saisie de quelque correspondanc
vait pas d'avance acquis la certitude que délatrice ; les demandes et les répons(
les femmes ne pourraient y être ren- se faisant de vive voix par le moyen de
contrées par qui que ce soit, elles ne sau- officieuses intermédiaires, et les femme
raient décemment sortir de l'apparte- tunisiennes ne sachant ni lire ni écrire
ment intérieur dans lequel on les ren- mais comme une aventure galante dé-
ferme, d'où il résulte que souvent elles voilée coûte ordinairement la vie,
sont aussi bien emprisonnées à la cam- tout au moins l'exil à l'île de Kerkanah
pagne qu'à la ville. il n'y a que fort peu de Tunisiennes
Si cependant une femme était tour- même parmi celles dont les sens soi
mentée par un désir irrésistible de s'ab- le plus ardemment impressibles , qi
senter delà maison conjugale, etde se dé- osent se livrer ainsi à leur penchai
livrer momentanément de cette réclusion amoureux ; et c'est vraisemblablemei
auprès de son mari, si même elle avait en cet état de contrainte qui a introdui
vue la conclusion de quelque aventure dans les harems le goût, trop répandu
galante, elle parviendrait quelquefois au parmi les femmes tunisiennes, et même ,
but désiré en affectant une dévotion par- chez les dames du premier rang , du
ticulière, et l'envie d'aller pour quelques vice détestable , qui , dans l'ancienne
jours visiter un saint lieu, autrement dit Grèce, a déshonoré la célèbre Sapho ; et
santon ; c'est ainsi que l'on nomme l'es- on ne saurait croire jusqu'à quels sacri- \
pèce de chapelle où est inhumé un per- fices cette passion monstrueuse peut
sonnage réputé saint par les Musulmans, porter les femmes des harems pour par-
et où il y a toujours un petit sanctuaire. venir à satisfaire un goût qui outrage \
femmes, les autres ne sont ouverts que de l'humanité, de ces immoralités révol- ;
pour les hommes. Si le mari est confiant tantes, qui sont les délices et l'occupa-
et crédule, s'il aime à montrer quelque tion favorite des harems, et je croirais ;
même au saint lieu , pour venir la re- peindre avec trop d'indignation et de j
Les femmes font ordinairement ces aussi répandu dans les rues de la ville
parties de dévotion en compagnie d'au- que dans les harems je me bornerai ici
:
tres femmes leurs amies, et, s'il faut en à quelques détails, m'abstenant de parler
croire la chronique scandaleuse de Tu- des faits de ce genre dont j'ai été témoin
nis, absolument rare qu'elles
il n'est pas à Tunis.
profitent de ce moment de liberté pour En général la décence est peu respec-
quelque rendez-vous secret et quelque tée dans les amusements des Maures,,
infraction aux droits conjugaux. non-seulement en particulier mais en-
Au reste, les femmes maures, naturel- core en public dans la plupart des ca-
:
goût du plus honteux libertinage, non- Ces mêmes historiens racontent que
seulement aux hommes faits, qui se les Carthaginois regardaient la chair des
plaisent à en être spectateurs, mais, ce chiens comme le meilleur des mets, et
qui est d'une immoralité bien plus ré- que les gastronomes raffinés aimaient
voltante aux enfants, qui accourent et
, passionnément à voir leurs tables char-
se pressent en foule à ces scènes scanda- gées de cette nourriture recherchée;
leuses ; combien ce spectacle pervertis- maintenant il se trouve encore dans les
sant ne doit-il pas avoir d'influence sur dépendances de la Régence de Tunis une
leurs sens précoces, qu'il initie au mys- peuplade qui semble avoir hérité des
tère de la débauche, et dont il provoque goûts canivores (4) des anciens maîtres
une imitation bien funeste parles suites de Carthage, et s'être transmis ce caprice
fatales qui en résultent à la fois pour d'une gastronomie bizarre, de généra-
leurs mœurs et leur santé ! tion en génération jusqu'à nos jours :
D'autres danseuses et chanteuses exé- il est, en effet certain que les habitants
,
cutent leurs danses et leurs chants sur de l'île de Djerby, située à l'extrémité
les places publiques, où, surtout pen- orientale de la Régence, dans le voisinage
dant le mois de Ramaddân, on voit ap- des côtes de Tripoli sont également de
,
qu'on voit quelquefois ces jongleurs en- elles sont voilées comme toutes les autres
trer dans une espèce de fureur et d'ivres- femmes; mais on les reconnaît facile-
se, et déchirer à belles dents le corps de ment à leur démarche dévergondée, et
ces animaux vivants; le peuple, qui re- à la hardiesse impudente avec laquelle
garde ces prétendus psylles comme de elles découvrent, soit leur visage, soit
véritables magiciens (1 ), prétend qu'i Is ne quelque autre nudité, devant les hommes
se nourrissent que de serpents, de lé- dont elles tentent l'attaque.
zards et d'autres reptiles qu'ils ont le Les Maures et les Turks, c'est-à-dire
pouvoir de charmer et dont ils rendent tous les Musulmans en général, peuvent
le venin inoffensif. Cette classe d'hom- les fréquenter impunément ; mais mal-
mes serait-elle le reste de cette peuplade heur à l'Européen ou au Juif qui serait
ftOphiophages , que le-s anciens poètes trouvé avec une femme maure quelcon-
nous assurent avoir habité jadis un can- que, quand même elle ferait profession
ton de l'Afrique (2) ? publique de la prostitution il existe une :
Si l'existenced'une telle nation est pro- loi d'après laquelle un Chrétien qui se-
blématique, du moins les historiens et les rait trouvé avec elle devra avoir la tête
poètes nous apprennent que les exercices tranchée, le Juif sera brûlé vif, et la
des psylles étaient au nombre des spec- femme elle-même noyée impitoyable-
tacles offerts à la populace romaine (3). ment dans le lac.
(i) Quand on soupçonne que quelque ser- Impavide hic artus cingit furialibus hydrîs
pent ou autre reptile malfaisant s'est intro- Undique mille gyros stringentibus, anguineisque
duit dans une maison ou un jardin, on ap- Tôt circum arrectis collis, quoi Echidna, palude
pelle un des psylles, et celui-ci, après quelques Lernœo , herculece fuit ausa opponere clavee :
Ille veneniferos lacérât sub denlibus angues
opérations magiques, ne manque pas de Atque cruentato vivos ingurgitai ori,
montrer un de ces animaux qu'il prétend avoir Omnibus ipse feris, cunctisque ferocior hydris :
charmé et forcé de se livrer entre ses mains. Pascitur his etenim, veluti foret escu venenum,
(2) Gens unica terras Çuod fugiant etiam tigrides Libyce atque leones.
Jncolit , a scevo serpenlum innoxia morsu; Ausois.
M armaridee Psylli par lingua potentibus herbis. Qu'on me permette d'inventer celte ex-
(4)
LUCAN.
(3) Ecce voratores serpenlum, plèbe vocati pression, qui me dispense d'employer la pé-
Corpore nudato , sua dant spectacula Psylli : riphrase , mangeurs de chiens.
e
8 Livraison. (Tunis.) 8
,,
114 L'UNIVERS.
II n'y a pas un demi-siècle qu'un ca- qui l'attend dans son appartement ; c'es
pitaine ragusais fut engagé à aller voir là qu'elle se dévoile et se montre à lu
une courtisane maure: des espions, pour première fois le
la : mari seul la
qui l'avaient suivi, ou même qui l'a- déshabille et détache les bijoux dont
vaient peut-être provoqué, les saisirent elle était parée pendant tous ces préli
:
ensemble en flagrant délit, et les condui- minaires la nouvelle épouse garde le plus
sirent l'un et l'autre par devant le Bey ; strict silence, et ne le rompt que quand
ce Prince, ayant constaté le fait, or- son mari lui a offert quelque présent
donna leur exécution selon toute la ri- comme preuve de la satisfaction qu'i
gueur des lois. éprouve de leur union.
Il est vraique depuis cet arrêt rigou- Les filles n'ont ordinairement en ma
reux plusieurs autres Européens, ayant riage que quelques bijoux et quelques
été surpris en conversation criminelle habillements, qui ne figurent pas au con-
par des Maures, ont heureusement trat. A l'égard des autres stipulations
trouvé la possibilité d'assoupir leur af- si le mari renvoie sa femme sans pou-
faire par le moyen de l'argent-, mais ce- voir alléguer contre elle quelque faut
pendant je crois devoir convenir que le grave, il perd tout ce qui est énonc
conseil le plus raisonnable et le plus sûr dans le contrat mais si la femme quit
;
qu'on puisse donner à ceux qui sont son mari, quel qu'en soit le motif, ell
obligés d'habiter parmi les Musulmans n'a plus rien à prétendre de tout ce qu'
et surtout en Barbarie, est d'y amener lui avait donné.
une femme européenne avec eux, ou Si au moment de la séparation
de se vouer courageusement pendant existe des enfants, les garçons resten
leur séjour au 'plus sage célibat. avec leur mère jusqu'à l'âge "de sept ans
La facilité que les Maures ont de à cet âge le mari a droit de les reprendre.
rompre leurs mariages , pour les causes A la mort des hommes et des femmes
les plus légères, a sans doute contribué de toute condition , les Nègres et les
à introduire parmi eux l'usage de lier Négresses de la maison , ainsi que les
les parties dès le plus bas âge sans leur parentes et les amies, se meurtrissent et
consentement. Si les liens conjugaux se déchirent avec leurs ongles le visage
avaient chez eux la même indissolubilité et la poitrine, en poussant de grands
que chez nous, ils apporteraient peut- cris ; la veuve s'habille de noir, et se
être à cet engagement une attention ceint d'une double corde le corps et la
plus sérieuse; mais comme la liberté tête ; puis tout échevelée elle entre
des maris n'est aucunement restreinte, dans la chambre où le corps est déposé : i
et comme le mariage des Musulmans alors ses amies et ses parentes qui y sont
j
n'est, pour ainsi dire , qu'une espèce de réunies redoublent leurs hurlements,-
concubinage, ils ne cherchent point les accompagnés de battement de tambours. \
Lorsque les pères et les mères ont funéraire dure trois jours entiers, pen-
réciproquement disposéde leurs enfants, dant lesquels les amis, les parents et les
les deux familles s'assemblent, et les con- Mollahs ne cessent de faire des prières
ventions matrimoniales sont arrêtées autour du cercueil découvert ; puis on
en présence des Mollahs, et les deux bouche soigneusement avec du coton
fiancés continuent de vivre séparés jus- toutes les ouvertures du corps, et on le
qu'à l'époque où leur âge permet la con- lave avec du camphre et d'autres aro-
sommation du mariage. Alors les deux mates. Le linceul des riches et des pau-
familles se rassemblent de nouveau ; le vres doit être également de toile neuve,
marié, après avoirfait une courte prière, et la famille la plus indigente croirait
et présenté aux gens de la noce le sorbet manquer à la mémoire du mort si elle
avec des parfums va trouver l'épousée,
, ne se conformait à cette formalité.
TUNIS. 115
Te n'entrerai dans aucun autre détail peuples que devrait unir une fraternité
sur le culte et la religion des Maures de la universelle; mais après avoir vu les
Régence; ces détails sont généralement mœurs et la dégradation des peuples bar-
connus , puisqu'ils sont les mêmes que baresques, n'est-on pas amené à penser
ceux des autres nations musulmanes ,
qu'une guerre importée dans ces con-
et surabondamment déjà décrits par tous trées par les Européens serait un in-
les voyageurs; je me borne donc, avant signe bienfait pour elles, puisqu'une
de finir ce chapitre, à présenter ici une armée civilisée pourrait frayer à ces
observation qui m'est particulière, et qui populations par son exemple et les lu-
,
par son caractère hygiénique m'a sem- mières qu'elle répandrait, le chemin de
ble digne d'attention. la renaissance à la raison et à l'amélio-
De tous les usages établis parmi les ration morale, dissiperait progressive-
Maures de la Régence, et qui leur sont ment les préjugés et les vices les plus
communs avec les Musulmans des autres choquants, qui s'y sont enracinés depuis
contrées, celui que je blâmerai le plus, tant de siècles , et les rapprocherait ainsi
comme médecin, est celui qu'ils suivent peu à peu de la classe des nations civi-
relativement à la circoncision de leurs lisées.
enfants mâles. Nous en avons vu un exemple frap-
Cette pratique religieuse des Juifs, ins- pant dans la révolution qu'a opérée en
tituée parmi eux , depuis tant de siècles, Egypte la mémorable expédition des
par les lois mosaïques, a été, comme l'on Français ; cette conquête et cette occupa -
sait, adoptée également par les sectateurs tion/de quatre ans seulement, ont pro-
de l'islamisme; mais, tandis que les Juifs duit sur l'esprit des peuples qui habitent
ont conservé la méthode salutaire de cir- cette contrée de TOrient un effet très-
concire leurs enfants mâles dès le hui- remarquable elles leur ont fait naître
:
tième jour de leur naissance, les Maures le désir de secouer le joug des préju-
ne jugent à propos de pratiquer cette opé- gés; et si jamais les Français viennent
ration douloureuse, et qui souvent n'est arborer leurs drapeaux sur la côtebar-
pas sans danger, qu'après la septième an- baresque, ils y trouveront peut-être un
née. Ils ont grand soin de cacher à l'en- nombre de partisans plus considérable
fant les détails de cette opération, et au qu'ils n'en ont rencontré en Egypte (1).
moment où on la pratique on tâche de
distraire l'attention du petit patient, par CHAPITRE XVII.
un grand fracas d'exclamations pieuses,
de prières bruyantes, de tintamare mu- Commerce des Nègres ; —
leur affranchisse-
— à
courtiers, sensals; criée
l'encan — chasses aux Nègres — cara-
que l'opération est terminée la tristesse
vanes — traversée du Désert —
; ;
règne dans la maison, à cause de la souf- relations
; ;
france qu'éprouve l'enfant, et on s'efforce avec l'Afrique centrale ; — chasse des
de le consoler en lui répétant qu'il est autruches.
bien heureux qu'on lui ait enlevé un
morceau de chair qui le déshonorait, Le nombre des Nègres est considé-
et l'empêchait d'être reconnu pour vrai rable à Tunis ; les maisons et les rues en
Musulman. Le zèle religieux est telle- sont, pour ainsi dire, remplies, et à mon
ment fort chez les sectateurs de l'isla-
Je répéterai ici que cette description
(i)
misme, que l'enfant endure ses souffran- de laRégence de Tunis a été écrite par le
ces, non-seulement avec patience, mais docteur Frank longtemps avant qu'on son-
presque avec gaieté, pour la plus grande geât à la conquête de l'Algérie, et même qu'on
gloire de sa religion et de son Prophète. pût en prévoir la possibilité. Cependant on
Je ne puis certes disconvenir que la voit que dès lors il semblait prophétiser cette
guerre est un fléau pour l'humanité, j'ap- expédition si glorieuse pour la France, et
prouve le philosophe philanthrope qui la qu il l'appelait de tous ses vœux.
regarde comme un acte impie entre des (J. J. M.)
8.
116 L'UNIVERS.
arrivée dans cette ville je ne pouvais d'a- Une seconde cause qui alimente jour
bord conjecturer la cause d'où provenait nellement le Marché des Nègres, c'es
cette surabondance d'individus, que leur qu'ils ont eux-mêmes ledroit de demande
couleur me prouvait évidemment ne pas d'être revendus, lorsqu'ils croient avoi
faire partie des indigènes ce qui motivait
: des motifs pour désirer de courir I
mon étonnement, c'est qu'il n'y a le plus chance d'un changement de maître
souvent qu'une seule caravane, qui en toutefois il est vrai de dire que le plu
amène à peu près mille ou tout au plus souvent cette demande ne leur vau
douze cents chaque année ; tandis que je qu'une rude bastonnade. Le besoin d'ar
les avais vus beaucoup moins nombreux gent est encore un motif qui force que
au Kaire, où cependant chaque année quefois les propriétaires d'esclaves à cett
plusieurs caravanes en amènent un bien vente.
plus grand nombre des différentes con- Les Chrétiens et les Juifs ne peuven
trées de l'Afrique centrale. acheter des Nègres, cette prérogativ
Mais bientôt mes recherches m'appri- n'étant accordée qu'aux Musulmans. Ce
rent que cette multiplicité des Noirs, lui qui veut en acheter examine, avan
dont je cherchais la cause, résultait de tout, avec le soin le plus minutieux, leur
deux circonstances particulières. qualités et leurs défauts physiques; ce
La première, et cette considération examen se fait avec la même exactitude
est plus essentielle, consiste en ce
la et les mêmes détails que pour l'achat
que la peste étant beaucoup plus rare d'un cheval ou de tout autre animal do-
en ce pays qu'en Egypte, il y périt par mestique.
conséquent une moins grande quantité On fait marcher, courir, sauter, se
de Nègres , tandis que la peste semble courber, se plier, se tordre en divers
les attaquer de préférence aux Blancs sens l'esclave, mâle ou femelle, qu'on
sur les bords du Nil (1). examine. On palpe ses chairs; on fait
La seconde provient de la coutume, jouer ses articulations, craquer ses join-
plus répandue parmi les Tunisiens, d'af- tures on explore minutieusement les
,
franchir de temps en temps quelques-uns parties les plus secrètes de son corps ; en-
de leurs esclaves, qui, une fois libres, fin, ce qu'on aura peine à croire, on
sont bien loin d'avoir la moindre envie voit les dames , même de la plus haute
de retourner dans leur pays natal où , classe déguster sur leur langue la sueur
,
sans doute les attendrait un nouvel es- delà jeune esclave qu'elles veulent ache-
clavage, et préfèrent rester à Tunis, de- ter, persuadées qu'elles reconnaîtront
venue pour eux une seconde patrie ils : dans l'appréciation de cette saveur les
se répandent ainsi dans la ville, soit bonnes ou mauvaises qualités de leur
pour y débiter en détails quelques mar- acquisition future.
chandises qu'ils colportent, soit pour s'y Après cet examen si scrupuleux et ,
cheteur ait ajouté quelque chose à son ble lorsque l'esclave a un bel œil , bien
prix, soit que le vendeur ait fait quelque ouvert et bien clair, avec l'albumine bien
concession , le marché se conclut par la nette et bien blanche , les gencives et la
formule bism-illah (au nom de Dieu) langue vermeilles, sans aucune tache
que le courtier semble arracher de force brune ou noirâtre, la paume des mains
au vendeur. et la plante des pieds de couleur de chair,
L'achat est ordinairement condition- les ongles beaux et réguliers : ils pré-
nel, c'est-à-dire qu'on paye la somme tendent que les Nègres qui ont le blanc
convenue seulement après trois jours ;
de l'œil d'une couleur brunâtre ou rou-
mais le marché devient virtuellement geâtre, et sillonné de ramifications de pe-
nul dans le cas où l'on découvre quel- tites veines apparentes , les gencives et
que défaut essentiel. la langue tachées de noir ou debrun, sont
La vente une fois consommée et rati- infailliblement d'un mauvais caractère
fiée par le vendeur et l'acheteur, il y a, et d'un naturel absolument incorrigible.
sur le Marché même, des écrivains {kâ- Je n'ai pas été à portée d'acquérir l'ex-
tebs) qui délivrent un contrat d'achat périence nécessaire pour confirmer ou ré-
(heddjéh), pour éviter toute espèce de li- futer cette assertion ; mais je puis assu-
tige entre les deux parties. rer que j'ai rencontré plusieurs Nègres
On expose aussi à ce Marché un nom- et plusieurs Négresses portant tous les
bre assez considérable de Négresses des- mauvais signes indiqués, et qui cepen-
tinées à être expédiées au Levant, et on dant n'avaient aucune des mauvaises
assure que les spéculateurs font un gain qualités dont on prétendait que ces si-
considérable à ce négoce. gnes étaient les symptômes j'en ai vu ;
Les prix des Nègres et des Négresses d'autres qui étaient du caractère le plus
varient beaucoup, suivant leur âge et la pervers, quoiqu'ils réunissent tous les
valeur intrinsèque que leur donnent leurs signes qui pouvaient motiver à leur
qualités particulières; une des plus bel- égard une présomption favorable.
les Négresses, dans tout l'éclat de la jeu- Beaucoup d'habitants de Tunis, et
nesse, peut ordinairement coûter 600 même quelques Nègres, m'avaient assuré
piastres (1); les jeunes filles sont d'un qu'on rencontrait quelquefois, parmi les
prix plus bas, et leur valeur est sus- esclaves exposés en vente au Marché,
ceptible d'être plus ou moins élevée, sui- des Noirs d'une caste vraiment anthro-
vant qu'elles approchent plus ou moins pophage , et qu'on les reconnaissait à ce
de l'âge de puBerté. Les jeunes garçons, qu'ils avaient une petite queue, ou une
ainsi que les hommes faits, sont beau- prolongation de l'os du coccyx; ils m'as-
coup moins chers, parce qu'ils sont suraient que les Gellâbys, lorsqu'ils s'en
moins recherchés. apercevaient, en faisaient faire l'extir-
pation, et que par cette raison il était
(i) Voyez ci-après la Notice sur les mon- essentiel d'examiner soigneusement si
naies de Tunis, l'on ne découvrait aucune cicatrice à l'en.
118 L'UNIVERS.
droit auquel cette excision devait avoir de cicatrices régulièrement tracées, dans
eu lieu. le seul but d'éviter, par la ciselure de ce
Ce fait m'avait aussi été assuré précé- tatouage en relief, d'avoir le ventre trop
demment en Egypte, et je me suis donné uni , ce qui paraît n'être pas de mode
beaucoup de peine, tant au Kaire qu'à chez elles.
Tunis, pour en acquérir la certitude ocu- Lorsqu'un Européen voit pour la pre-
laire; je dois néanmoins avouer que non- mière fois ce marché de créatures humai-
seulement je n'ai pu l'obtenir personnel- nes, ces Nègres entassés, dont la plupart
lement, mais encore que je n'ai pu re- sont nus, ces jeunes garçons, ces filles
cueillir de tous ceux que j'ai consultés à de tout âge, ces jeunes coquettes si ridi-
cet effet, que des réponses insuffisantes. culement vaines de leurs toilettes bizar-
Parmi les personnes considérables et res et dégoûtantes, ces mères portant
dignes de foi que j'ai questionnées leurs nourrissons collés sur leur sein
pour apprendre d'elles si elles avaient vu il ne peut guère se défendre d'éprouver
de leurs propres yeux des Nègres de un sentiment pénible, qu'un tel specta-
cette espèce, il ne s'en est trouvé aucune cle lui inspire.
qui pût répondre affirmativement à ma Mais si l'on y retourne plusieurs fois,
demande. en voyant la gaieté qui règne parmi ces
Les Nègres que l'on amène du royau- misérables captifs, leur insouciance,
me de Dâr-Four sont d'un beau noir, semblable à celle-des enfants incapables
et ont généralement au plus haut degré de réflexion, et qui est bien éloignée de la
les traits qui caractérisent la race nègre : grave et sérieuse résignation au malheur,
le nez large et écrasé, les lèvres grosses, on est amené à songer que ces infortu-
renversées, et en totalité une physiono- nés savent maintenant que la plus grande
mie qui déplaît sensiblement aux Euro- partie de leur misère est passée, que les
péens ; leurs qualités morales m'ont paru souffrances de la route du Désert ne doi-
être dans un parfait rapport avec leur vent jamais recommencer pour eux, et
physionomie. qu'ils sont prêts à entrer dans une situa-
Quant aux Nègres originaires du Fez- tion plus douce, qui effacera bientôt
zân, ils sont moins noirs, et se distin- jusqu'au souvenir des maux qu'ils ont
guent surtout par leur docilité et leur in- endurés alors on les voit, non pas sans
:
en témoignage de l'affection
toire se fait la réintégration de cet esclave entre ses
que son maître avait pour lui, et en ré- mains, que moyennant un payement de
paration du tort qu'il a fait à l'esclave, six piastres au profit du Premier Eu-
en le retenant forcément à son service. nuque, qui se charge alors déterminer
Lorsqu'une épouse du Bey vient à le différend entre l'esclave et son maître.
mourir, toutes les personnes qui sont de Comme le Premier Eunuque est obli-
quelque considération s'empressent d'a- gé, par son service auprès du Prince, de
cheter plus ou moins de Nègres, aux- résider habituellement au Bardo, il y a
quels ils accordent immédiatement la à Tunis même un sous-chef des Nègres,
liberté.Leur nombre s'élève quelquefois qui a reçu les pouvoirs du Premier Eunu-
à près de deux cents. Ils doivent suivre que, et qui, comme lui, est chargé d'ar-
le cortège funèbre, ayant chacun à la ranger toute affaire contentieuse qui s'é-
main un long bâton, au bout duquel est lève, soit de Nègre à Nègre, soit entre
attachée une pancarte sur laquelle est l'esclave et son maître.
inscrit le certificat de leur liberté. Les Négresses ont également une su-
J'aiconnu un riche particulier qui, périeure qui les régit, les protège contre
ayant fait une chute de cheval si violente, toute vexation, et donne ses décisions
qu'il faillit être tué sur le coup , fit vœu dans les querelles qui peuvent naître
que s'il en guérissait il donnerait la li- entre elles.
berté à dix de ses esclaves. Il guérit heu- Les voyageurs ont avancé plus d'une
reusement, et non-seulement il tint sa assertion souventrévoltante, sur les cau-
parole mais il fournit de plus à chacun
, ses qui forcent les Nègres dans leur
des affranchis quelques moyens d'é- pays natal à subir ainsi l'esclavage :
tablissement. j'ai , à mon tour, profité de mon séjour
Souvent aussi des personnes qui at- à Tunis pour y faire des recherches
tendent une succession, promettent, exactes et consciencieuses sur ce sujet
en cas de réussite, la liberté à quelques- et c'est des Nègres eux-mêmes que j'ai
uns de leurs esclaves, et si leurs vœux tiré mes renseignements.
sont exaucés, la promesse est tenue reli- Quatre principales causes paraissent
gieusement. concourir le plus fréquemment à ré-
Tant qu'une Négresse est esclave, elle duire les Nègres à l'état d'esclavage.
peut aller dans les rues à visage décou- La première est, sans contredit, la
vert; mais dès qu'elle est devenue libre guerre presque continuelle qui ravage
la décence exige qu'elle se couvre d'un le pays des Noirs, et qui provient des fré-
voile, comme les femmes mauresques. quentes dissensions élevées entre leurs
Les enfants des Nègres ne vivent et Rois, ou leurs Sultans; ces guerres ne
ne s'élèvent que très difficilement à se terminent jamais par un accommode-
Tunis ils périssent presque tous dans
; ment ; et les deux partis belligérants ont
la première enfance, et il est infiniment toujours recours au sortdes armes. Tout
rare de les voir parvenir à l'âge d'homme. alors appartient au vainqueur, et les su-
Les mulâtres ne sont pas sujets à cette jets du vaincu deviennent les esclaves de
mortalité, et leur santé ne prospère pas ce nouveau maître. Celui-ci tantôt les
moins que celle des blancs. retient à son service particulier, tantôt
Udghâ, premier Eunuque du Bey, les vend ou les échange contre des arti-
est le chef ou plutôt le Syndic et le cles de marchandises, tels que des pièces
Juge né des Nègres, et cette juridiction de toile bleue, des serviette*blanches, de
est d'autant plus nécessaire que beau- la quincaillerie, des armes, de la poudre,
coup d'entre eux ne connaissent que très- de la verroterie , des habillements , des
imparfaitement la langue du pays. C'est vaches, des chameaux, des chevaux, etc.
lui seul qui a le droit de décider les dif- Lorsque les Nègres se mettent en
férends qui s'élèvent entre eux et rece- campagne, tout ce qui forme leur fa-
voir leurs réclamations. mille suit son chef respectif les femmes
:
Une autre prérogative attachée aux même, soit par dévouement, soit par
fonctions de ce chef, c'est que si un devoir les accompagnent avec leurs en-
,
120 L'UNIVERS.
fants, ce qui fait que le plus ordinaire- la clôture, et par cette ouverture, prati-
ment la suite de l'année excède de beau- quée sans aucun bruit, enleva la petite
coup le nombre des combattants. Négresse endormie, sans que la malheu-
Browne , dans sa relation sur le reuse mère s'en aperçût. Dans la même
royaume de Dâr-Four, rapporte que nuit la pauvre petite'avait été emportée
lorsque le Sultan Terâoub partit pour au loin, livrée à des marchands ambu-
faire la guerre dans le Kordofân, il lants parson ravisseur, qui l'avait échan-
avait cinquante femmes à sa suite, et gée contre quelques provisions de bou-
qu'il en laissa autant dans le lieu de sa che et quelques charges de poudre.
résidence :parmi celles qui suive t ainsi Troisièmement, une autre partie des
les camps, les unes sont chargées de Nègres esclaves est prise sur des hordes
moudre le b'é, de pniser l'eau, de pré- errantes et isolées, qui n'ont m religion,
parer les aliments: à l'exception des ni lois, ni forme de gouvernement.
concubines du Sultan, toutes voyagent D'autres peuplades vivant sous l'au-
à pied, et portent sur leurs têtes une torité de quelque sultan sont conduites
partie des bagages; si l'armée qu'elles par lui à cette espèce de chasse hu-
suivent est vaincue elles ne font guère
, maine; les chasseurs, armés de fusils,
que changer d'esciavage. épient la piste de ces hordes vagabondes,
A ussi, après la mémorable bataille des qu'il n'est pas rare de rencontrer, les
Pyramides, nous avons vu les Nègres et cernent les bloquent , et s'attachent
,
les Négresses que les Mamlouks avaient, surtout à leur couper l'eau : les malheu-
dans leur défaite et leur fuite précipitée, reux bloqués cherchent en vain à se dé-
abandonnés, avec leurs familles, admirer fendre à coups de pierres; lesbloqueurs
et louer la bonté des Français qui n'u-
,
resserrent de plus en plus leur enceinte
saient pas envers eux du droit du vain- et se contentent de tirer de temps en
queur, et leur admiration était d'autant temps quelques coups de fusil, mais en
plus grande, qu'on leur avait représenté l'airseulement et comme moyen d'inti- j
cas sont fréquents, et ne peuvent man- ventes, les articles d'habillements, les
quer de fournir un grand nombre d'es- armes, et les autres marchandises dont
claves ; la même punition s'inflige à celui le Sultan a besoin.
i qui, chargé d'aller faire un achat dans Les provisions de bouche pour la nour-
[i un marché désigné, n'aurait pas rempli riture des Nègres pendant le voyage à
avec fidélité et exactitude la commission travers le Désert ne consistent qu'en maïs
qui donnée.
lui avait été ou blé de Turquie {dourrâ) et quelque
L'opinion assez généralement répan- peu de viandes. Comme les chameaux
I due en Europe que chez les Nègres les sont considérablement chargés, soit de
pères et les mères, et même les parents, provisions d'eau, so.t de marchandises,
vendent au marché leurs enfants au plus telles que gomme arabique, dents d'élé-
offrant, comme les autres animaux do- phant, tamarin, etc., tous les Nègres, à
mestiques, est absolument fausse : les l'exception des enfants au-dessous de d ix
Nègres attachent autant de prix à leurs ans, sont, ainsi que les Négresses, obli-
!
enfants que les nations les plus civilisées : gés de marcher à pied.
« Si vous autres Blancs , me disait une Au moment du départ de la caravane,
« Négresse affranchie pouvez croire à les Gellâbys déploient la plus grande
1
« nous nous ravalions nous-mêmes au- plus revoir jamais leur pays natal , et la
« dessous des bêtes brutes? » crainte d'être maltraités chez les Blancs,
Cependant il est une circonstance qui quoique les marchands emploient toute
a pu donner cours à cette croyance. leur éloquence pour leur persuader qu'ils
Lorsqu'un Nègre meurt, s'il laisse une seront bien plus heureux chez les étran-
nombreuse famille que la veuve ou les gers que chez eux.
parents n'aient pas le moyen de nourrir, Au reste, les Gellâbys sont, pour l'or-
souvent il arrive que le Sultan prend les dinaire, des gens entièrement dépourvus
enfants , sous prétexte d'en faire ses d'humanité, qui ont plus d'égards pour
domestiques et d'assurer ainsi leur sub- leurs chameaux que pour leurs Nègres ;
sistance; il donne alors quelque.récom- car tandis qu'ils permettent à leurs cha-
pense à la mère ou aux parents qui les meaux de prendre le pas en marchant
ont nourris jusque là; mais il fait à leur volonté , sans jamais les presser
ainsi réellement ses esclaves de ces en- pour accélérer leur allure, si quelque es-
fants , vend bientôt aux marchands
et les clave, excédé de fatigue, a peine à les
qui font traite en grand
la et qui , suivre de près, c'est au moyen du fouet,
connus sous le nom de Gellâbys, amè- {kourbadj), qu'ils prétendent ranimer
nent par caravanes les esclaves au Kaire, ses forces épuisées (1)
à Alger et à Tunis.
Ces marchands d'esclaves ne peuvent, Le kourbadj, ou le fouet des Orientaux,
(i)
en effet, se rendre aux lieux de leur estformé par une lanière étroite de la peau
destination qu'en caravanes plus ou de l'élephaut , ou mieux encore par un nerf
de cet animal. Suivant même quelques-uns,
moins nombreuses. Le Sultan du lieu de
on n'emploie que le nerf génital à cet usage.
leur départ nomme un ou plusieurs
Quoiqu'il en soit , ce nerf, à peu près de la
chefs de la caravane ces chefs prennent:
grosseur du pouce, est taillé à la longueur
le titre de êl-Habiry , et sont chargés
d'environ quatre pieds, arrondi et propor-
non- seulement de maintenir l'ordre, tionnellement aminci, de manière qu'à son
mais encore de vendre des esclaves et extrémité, qui est un peu aplatie, il soit ré-
d'autres productions du pays, pour le duit à une grosseur moindre que celle du
compte du Sultan ils ont également
: petit doigt.
pour mission d'acheter, au lieu d'arrivée Ces fouets ne se brisent jamais, et laissent
de la caravane , sur le produit de ces dans lçs chairs de ceux qu'on en frappe des
122 L'UNIVERS.
Quant aux Gellâbys, ils font plus dre que celui que moissonne la traite
commodément la traversée du Désert européenne des Nègres, à la côte de
qui sépare le Soudan (pays des Noirs) Guinée.
de Tunis, montés sur des ânes, qui sont Il arrive à Tunis, dans le cours de
la meilleure des montures pour ce trajet, l'année, diverses caravanes qui y ap-
et garantis des ardeurs du soleil brûlant portent les différentes marchandises et
par un parasol de toile cirée. denrées que produisent les contrées qui
La caravane se met constamment en les expédient ; en temps de paix Constan-'
marche à la pointe du jour, et ne s'ar- tine et quelques autres districts de l'Al-
rête que vers le soir alors les uns al-
: gérie en dirigent plusieurs assez nom-
lument du feu les autres écrasent sur
, breuses vers la capitale de la Régence.
une pierre concave qui fait partie de
,
Les parties les plus éloignées du territoire
leurs ustensiles de cuisine une portion , tunisien envoient aussi à Tunis, à cer-
"
de dourrâ , que l'on fait cuire ensuite taines époques, des caravanes, ordinai-
en forme de bouillie , avec un très-petit rement peu nombreuses; mais ces der-
morceau de viande de vache salée et nières sont regardées comme peu impor-
séchée le repas du matin consiste éga-
: tantes, et n'ont pas un intérêt majeur
lement en une bouchée de dourrâ > mais pour le commerce; les plus considéra-
sans viande. bles sont celles qui viennent de l'inté-
On économise singulièrement l'eau rieur de l'Afrique.
pendant tout le voyage; souvent les Les caravanes que Tunis reçoit annuel-
malheureux Nègres n'obtiennent qu'une lement de l'Afrique centrale sont au nom- :
seule fois à boire pendant toute la jour- bre de trois seulement on les désigne
:
\
core plus de soif que de fatigue. Ghadamissyah, parce que c'est par la
Quelque cruelle que soit cette écono- ville de Ghadâmess qu'elles entrent sur j
mie de boisson, elle est cependant dictée le territoire de la Régence (1 ). Elles appor- :.
dant une traversée de trente-six à qua- qu'elles n'amènent qu'environ deux cents
j
rante journées, c'est-à-dire à peu près Nègres elles sont considérées comme ;
tous les dix ou douze jours. Le second peu importantes, et leur entrée dans la
motif, c'est qu'il périt souvent un grand ville ne fait pas une grande sensation
nombre des chameaux employés à porter sur le marché.
les outres contenant la provision d'eau. Les retraits de ces caravanes consis- j
Cependant, on doit avouer que, malgré tent en draps, toiles, mousselines,
j
ces fatigues et cette pénurie, le nombre soieries, cuirs rouges propres à fabri-
des Nègres qui périssent dans cette tra- quer des chaussures, épices cochenille,
;
achats qui ait quelque importance, car le et à des étoffes de laine de l'espèce la
reste est de peu de valeur. plus grossière. Les retraits se bornent
Les caravanes de Constantiue, au également à fort peu de chose, et ne se
contraire, ainsi que celles des autres dis- composent que d'une petite quantité de
tricts de l'Algérie , lorsque la paix avec sucre et de café et de quelques mar-
,
souvent à 100,000 piastres fortes d'Es- ter, et ils n'y pénètrent que pour y faire
pagne (environ 535,000 francs de notre la chasse des autruches (naâm) et des
monnaie). Ces monnaies, qu'on recher- bœufs sauvages (baqar él-ouahech) , les
che particulièrement à Tunis pour les seuls animaux qui puissent subsister
retraits, étaient soumises de nouveau au sous ce soleil ardent qui embrase l'air,
balancier, pour l'usage du pays , et les et brûle le sol de ses rayons semblables
Juifs s'étaient empressés de profiter de aux émanations d'une fournaise: les cha-
dans laquelle ils trou-
cette circonstance, kals les tigres, les lions les hyènes el-
, ,
vaient une occasion favorable, pour les-mêmes fuient cette terre désolée, sur
exercer leur talent si connu de rogner laquelle ils ne peuvent ni vivre, ni même
les espèces. respirer.
Les articles bruts qu'apportaient les Voici la manière dont se fait cette
caravanes de Constantine consistaient chasse.
en cire vierge , en peaux sèches , tant de Les chasseurs montent à cheval, ayant
bœufs que d'autres espèces diverses d'a- soin de se pourvoir d'une petite provi-
nimaux sauvages ou domestiques mais , sion d'eau ; ils entrent en chasse vers
surtout en d'immenses troupeaux de midi , époque de la journée à laquelle les
bœufs et de moutons. autruches ont coutume de se rassem-
Les retraits étaient à peu près les bler par bandes d'une centaine, plus ou
mêmes que ceux des trois caravanes moins aussitôt que les autruches les
:
; ne consistent qu'en quelques articles im- descend alors de cheval coupe la tête de
,
qu'il leur faisait alors lui rapportait les, enfants vieillards même. Ces mal-
,
les marchandises, le bâtiment, les passa- (i) Il y a deux îles de ce nom dans la Mé-
gers et les hommes de l'équipage, tout, diterranée, l'une sur les côtes de Sardaigne ,
l'autre dans les États du roi de Naples , à
sans exception, était pour eux un béné-
l'entrée du golfe de Saverne : cette der-
fice assuré, qu'ils se partageaient , d'a-
nière porte particulièrement le nom de San-
près des proportions établies d'avance.
Pietro da'frati; celle à laquelle se rapporte
Le capitaine avait droit à tous les ob- dont le docteur Frank donne
le cruel désastre
jets qui se trouvaient dans la chambre
le récit est plusconnue sous le nom de l'île
du navire capturé; mais aussi, s'il n'a- de Saint-Pierre : c'est l'ancienne Accipitrnm
menait pas de temps en temps quelque Insula qui a environ neuf lieues de tour et
,
prise, il risquait de ne plus être em- qui est située au sud-ouest de la Sardaigne,
ployé par la suite à aucun commande- dont elle dépend; elle est bien cultivée, et a
ment, événement qui blessait à la fois des salines qui procurent aux habitants un
son honneur et ses intérêts. C'est pour commerce avantageux.
obvier à cet inconvénient que les capi- (T. J. M.)
126 L'UNIVERS.
sur ses pas après le départ des corsaires, côtes qui avaient été saisis par hasard,
voyait sa maison dévastée, et n'y retrou- épars dans la campagne, c'était une ville
vait plus ni son épouse ni sa famille ché- entière que cette fois les pirates amenaient
rie d'un autre côté, le sombre désespoir
; prisonnière dans leurs bagnes.
d'une mère pleurant la perte de ses en- Dans ce débarquement opéré par les
fants, d'un fils que les brigands avaient forbans de leur gibier humain, les mal-
rendu orphelin en lui enlevant les au- heureux habitants de San- Pietro étaient
teurs de ses jours ; on ne pourra se for- jetés pêle-mêle sur le rivage, épuisés, dé-
mer qu'une bien faible idée du tableau figurés par l'effroi et par les souffrances
déchirant que présentaient ces malheu- de toute espèce, couverts à peine de quel-
reux insulaires miraculeusement échap- ques misérables haillons, ou seulement
pés au désastre général de leur patrie. des lambeaux d'une mauvaise chemise,
Les hommes furent enchaînés, entas- insuffisants pour couvrir leur nudité; la
sés les uns sur les autres, dans la cale du plupart la tête nue, les pieds nus ; les
bâtiment. Les mères, les filles, les en- infirmes et les vieillards hors d'état de
fants se pressaient, hurlaient, et se cher- marcher avaient seuls obtenu la faveur
chaient réciproquement dans cette foule de monter sur des ânes voilà la triste
:
Enfin, après de longues hésitations, il Consul, empressé d'être utile à ces autres
se forma à Cagliari une société qui victimes de l'infortune, et ignorant que
sous des conditions de remboursement depuis longtemps le marché de leur ra-
par annuités, offrait la somme nécessaire chat avait été conclu à 12,000 piastres
pour racheter la population captive de (près de 70,000 francs de notre monnaie),
San-Piétro. fit au Bey la proposition de les compren-
Cette société s'adressa pour reprendre dre dans les clauses du nouveau marché.
une nouvelle négociation à M. De- Suivant ce qu'on peut présumer, la com-
voize , Consul de France à Tunis, qui paraison entre les prix relatifs des deux
fut assez heureux pour faire sentir transactions ouvrit les yeux du Bey, et le
au Bey que dans les circonstances ac- fit repentir d'avoir conclu la seconde, qui
tuelles le roi de Sardaigne était hors lui offrait un profit si inférieur à celui
d'état de fournir la somme d'abord con- qu'il apercevait dans l'autre il annula :
venue; que d'ailleurs ces esclaves, en donc d'une manière fort dure le dernier
grande partie incapables de tout service, traité auquel il avait souscrit, et se ré-
ne pourraient jamais lui être d'une pandit en invectives contre le Consul
grande utilité; qu'enfin différentes Puis- français, l'accusant d'avoir abusé de sa
sances européennes pourraient en récla- bonne foi et de l'avoir indignement
mer un certain nombre, puisqu'il avait trompé dans cette négociation.
lui-même reçu de son gouvernement Des médiateurs désintéressés réussi-
l'ordre de faire cette réclamation en fa- rent cependant à faire sentir au Bey l'in-
veur décent vingt individus, qui avaient conséquence et l'injustice de ses procé-
voulu en vain se réfugiera San-Piétro sous dés , injustice d'autant plus évidente
le pavillon de la France, au moment de qu'il avait déjà touché une partie de la
la descente des corsaires, et dont l'asile somme convenue, et ils vinrent à bout de
avait été indignement violé. le décider à ne pas rompre ainsi un con-
milieu des cris joyeux et des transports nait en général l'esclavage des Euro-
tumulteux qu'occasionnait l'allégresse péens. J'ai parlé ailleurs de la préémi-
parmi ces hommes, qui se voyaient enfin nence dont jouissent à Tunis, comme
128 L'UNIVERS.
dans tout le Levant, les Musulmans sur (7,200 francs de notre monnaie), que le
les Chrétiens et sur les Juifs; malgré ce Bey avait toujours soin de faire peser
préjugé de leur orgueil si un Maure , avec un soin minutieux avant que de
était pris dans ses courses par un bâti- délivrer la déclaration de la libération
ment ennemi, ou s'il tombait par quel- accordée.
que accident entre les mains des Euro- Si toutefois les captifs qui voulaient
péens, le Bey s'empressait de proposer connus pour avoir
se racheter étaient
un échange, et n'appréciait, dans cette une grande fortune ou quelque con-
transaction, ses sujets, d'après un usage sidération dans leur pays , ce dont le
établi, que bien au-dessous de la valeur Bey ne manquait pas de se faire ins-
d'un Chrétien , puisqu'il fallait deux truire, le prix ordinairement établi ne
Maures et demi pour équivaloir à un suffisait plus, devenait absolument arbi-
Chrétien, c'est-à-dire cinq Musulmans traire, et était subordonné au bon plaisir
pour deux Européens. du Bey, dont la rapacité ne connaissait
Les Puissances chrétiennes avaient plus alors de bornes.
été contraintes de souscrire à cet étrange Les Consuls étaient ordinairement
système d'échange, si fort à l'avantage chargés du rachat et du versement de
des Maures, lorsqu'elles n'avaient pas la somme convenue. C'était particulière-
la force de réprimer une injustice aussi ment par leur entremise que les commu-
manifeste; mais, en général, on doit nications des esclaves avaient lieu avec
avouer que ce sont les Européens qui se leurs compatriotes d'outre-mer.
sont fait ce tort à eux-mêmes dans pres- Lorsque les corsaires avaient fait quel-
que toutes leurs transactions avec les que prise, ils la signalaient dès leur en-
Maures. trée à la Goulelte, par une forte canon-
Dans le temps que la Compagnie d'A- nade; tous les captifs étaient ensuite
frique existait à la Calle, elle avait indistinctement débarqués, conduits de-
stipulé avec les Maures que si un d'eux vant le Bey, et obligés, en entrant à la
tuait un Chrétien hors du cas de guerre, porte de la ville, de se découvrir la tête,
il payerait seulement 500 piastres, tan- pour être présentés ainsi devant le
dis que le Chrétien qui aurait tué un Prince.
Maure devait en payer 800. On voit donc 11 traitait ordinairement avec un peu
que des Français eux-mêmes étaient plus d'indulgence et d'égards les capitai-
convenus d'évaluer le sang maure à un nes des navires capturés, les prêtres, les
prix près du double du sang de leurs médecins et les autres passagers de mar-
compatriotes. que, auxquels il permettait quelquefois
Au reste, il y avait dans ce mode d'é- de vivre en ville comme bon leur sem-
change une autre observation à faire , blait ; mais il envoyait
ordinairement les
c'est que, quelle que fût la condition du marins, les laboureurs, les simples arti-
Maure libéré le Bey ne donnait guère
, sans et autres gens du commun à la ,
en échange que des esclaves de la plus Manouba (1) ou aux travaux publics, où
basse classe , et toujours des esclaves ils travaillaient sous l'inspection d'un
maies; si on désirait obtenir des captifs gardien maure.
réputés avoir quelque fortune, ou des Le Bey accordait à chaque esclave,
femmes tombées dans l'esclavage, il pour sa nourriture journalière, deux pe-
s'élevait alors des difficultés graves, et tits pains à peine cuits et faits d'une
le plus souvent un refus formel répon- mauvaise farine gâtée, avec deux pe-
dait à cette demande. tites pièces de monnaie de cuivre équi-
Il arrivait quelquefois que les Chré- valant à environ deux sous en argent
tiens devenus esclaves des Maures trou-
vaient des moyens de racheter leur li- (i) La Manouba est un ancien palais
berté. Dans ce'casle prix du rachat d'un maure, situé à peu de distance de Tunis, et
homme était assez communément de qui, malgré l'élégance remarquable de son ar-
300 sequins de Venise eftèctifs ( ce qui chitecture, a été converti par les Beys en
équivalait à environ 3,600 fr. de notre caserne : il sert maintenant de quartier à un
monnaie) ; celui d'une femme s'élevait corps de cavalerie,
le plus souvent jusqu'à 600 sequins (J. J. M..)
TUNIS. 129
de France ; mais souvent, s'ils ne parta- le peu d'heures qu'on accordait à leur
geaient pas leur modique paye avec leur repas.
surveillant, ils risquaient d'être mal- Les nouveaux arrivés étaient souvent
traités habituellement et même de re- saisis, d'après les causes citées ci-dessus,
cevoir maintes fois des bastonnades de quelque maladie aussi violente que
cruelles sous divers prétextes. dangereuse ces malades étaient aban-
:
Telle était la position pénible à la- donnés aux chances de leur malheureux
quelle étaient soumis , pendant toute sort et privés de tout secours. Ce fut à
leur vie, des hommes qui n'avaient com- un noble désintéressement et à l'huma-
mis d'autre crime que celui d'apparte- nité vraiment héroïque d'un moine espa-
nir à un État qui ne s'était pas rendu gnol de l'ordre de la Trinité, et très-ri-
tributaire du Bey. che, qu'on dut le changement qui s'était
Au reste, sur le nombre habituel des opéré dans les derniers temps.
esclaves qu'on employait aux travaux, Ce bon religieux, étant tombé dans un
une grande partie ne trouvait de terme de ses voyages entre les mains des pira-
à sa misère que quand la Providence profondémentémuducruelaban-
tes, fut
céleste, prenant pitié des souffrances si don dans lequel languissaient les malades
cruelles qu'ils enduraient, daignait les européens; et, loin d'employer l'argent
rappeler dans son sein. qu'il fit venir d'Europe à son propre
Cette mortalité annuelle était vrai- rachat/ pour lequel on exigeait une forte
ment excessive ; mais elle n'est pas dif- somme, il généreusement sa
sacrifia
ficile à concevoir, si on considère que propre au soulagement de ses
liberté
ces hommes, après avoir déjà beaucoup frères. Ayant calculé qu'à l'âge avancé
souffert dans leur traversée, étaient auquel il était déjà parvenu il était pro-
obligés de s'épuiser par le plus dur tra- babiequ'il n'avait plus longtemps à vivre,
vail, sous le bâton de leurs gardiens, sans qu'il lui était à peu près égal de mourir
aucun abri, presque sans vêtements , en à Tunis ou en Espagne, il fit une dona-
proie aux ardeurs délétères d'un soleil tion considérable à son ordre, à condi-
dont les rayons embrasés tombaient à tion qu'il serait fondé pour le soulage-
plomb sur leurs têtes nues pendant toute ment'des esclaves européens, à Tripoli,
une longue journée, et ne recevant cha- à Tunis et à Alger, des hôpitaux dans
que jour qu'une nourriture malsaine, lesquels on leur donnerait, en cas de ma-
qui certainement suffisait à peine pour ladie, tous les secours nécessaires.
prolonger de quelques mois les restes de .
Le bienfaiteur mourut en esclavage.
leur malheureuse vie. D'autres personnes, animées du véri-
11 faut même s'étonner que cette mor- table esprit de charité chrétienne, avaient
talité n'ait pas été plus grande encore, ensuite imité un si bel exemple et voulu
dans ce véritable enfer, auquel l'Afrique concourir à augmenter les fonds de ce
condamnait ses captifs européens; s'il pieux établissement; et on ne saurait dire
en échappait à la mort par hasard quel- combien il en était résulté d'avantages
ques-uns, c'est que l'homme entouré de de toute espèce pour ceux qui avaient
besoins pressants apprend à déployer eu le malheur de tomber au pouvoir des
toute l'industrie imaginable pour s'y corsaires barbaresques (1).
soustraire.
L'un arrachait au sol à moitié brûlé (i) Maintenant la fondation subsiste tou-
quelques racines, quelques herbes sau- jours, mais elle a changé d'objet, et l'établis-
vages , dont il parvenait à se faire une sement charitable a prisuneautre destination :
salade : l'autre trouvait un compa- ce n'est plus l'hôpital des esclaves, mais c'est
l'hospice des Européens, où les voyageurs qui
triote, et en obtenait par ses prières
viennent à Tunis sont sûrs d'élro fraternelle-
qu'il lui avançât quelque peu d'argent, en
ment accueillis par les deux religieux de. Tor-
attendant qu'il en pût recevoir de son
dre de la Trinité qui en ont la direction , et
pays ; d'autres encore , qui avaient le
qui sont chargés, l'un des détails de l'admi-
bonheur d'être plus industrieux, tri- nistration intérieure; l'autre spécialement
de
cotaient, fabriquaient des chapeaux de
l'extérieure.
paille tressée, des jouets, des coffrets, (J. J. M.)
des bourses, rtes cordons, etc., pendant
e
9 Livraison. (Tunis.)
130 L'UNIVERS.
des Nègres —
transmet de la Barbarie est le plus re-
dies ; affections
catharrales
— ophtalmies; — vérole; — maladie
petite
;
doutable. Cependant, d'après les recher-
cutanée — diarrhée, dyssenterie; — dra-
;
ches les plus exactes que j'ai faites pen-
gonueau , ou veine de Médine. dant mes deux séjours dans la Régence,
sur tout ce qui concerne la salubrité de
Les maladies qui régnent le pins com- ce pays, je crois pouvoir franchement
munément à Tunis sont occasionnées en avancer que la peste n'est pas inhérente
général, ou par les vicissitudes rapides à son climat comme plusieurs l'ont
,
juger avec quelque certitude le carac- car il est constant qu'il y a eu, dans le
tère des maladies régnantes pendant la dix-huitième siècle, un intervalle de
saison des fruits, et selon qu'il sont plus quatre-vingt-deux années pendant les-
ou moins abondants. quelles ce fléau n'y a exercé aucun ra-
Ces maladies sont : les diarrhées , la vage.
dyssenterie, les coliques, les fièvres in- En 1785 un bâtiment venu
, de Cons-
termittentes, et même celle qu'on dési- tantinople débarqua des pestiférés à
gne vulgairement sous le nom dejièvre Soussahf et cette cruelie contagion se
putride ; des opthalmies assez analogues répandit rapidement dans tout le pays.
à celles qui ont été observées en Egypte, Le Bey méprisait d'abord, en bon Mu-
et qui se répandent dans un grand nom- sulman, toutes les mesures préventives,
bre de localités pendant l'automne. et les précautions sanitaires que les Eu-
Les maladies chroniques y sont moins ropéens lui suggéraient ; mais lorsqu'il
communes qu'en Europe, et l'on peut vit le fléau exercer ses ravages jusque
rapporter cette rareté a la bonté du cli- dans son palais même, il revint de la ré-
mat, à la simplicité des institutions, des signation que lui inspirait le dogme du
mœurs, et surtout au régime de vie. fatalisme, et, sortant enfin de son insou-
Celles qui se présentent le plus souvent, ciance, i! fit placer dans la salle d'au-
et cependant d'une manière assez iso- dience une barrière qui empêchait qu'on
lée pour ne pas en accuser le climat afri- ne pût l'approcher ; il abolit lecerémonial
cain, sont l'asthme, l'hydropisie, l'apo- du baisement de main, et ne reçut plus de
plexie, la paralysie, les scrophules, la papiers sans les avoir trempes dans du
gravelle, les catharres, les affections can- vinaigre.
céreuses, etc. Comme cependant la mortalité aug-
h'éléphantiasis , vulgairement ap- mentait chaque jour, les Consuls firent
pelé le pied d'éléphant, et décrite par au Bey des observations sur le danger
Prosper Alpin , est peut-être plus fré- d'inhumer les cadavres dans les petits
quente à Tunis qu'en Egypte; je me bor- cimetières placés dans l'intérieur de la
nerai à témoigner combien il esta regret- ville, ainsi que sur le peu de profondeur
ter qu'on ne connaisse encore aucun des fosses aussitôt le Bey défendit l'in-
;
moyen propre à combattre cette terrible humation dans les cimetières delà ville,
maladie, et je ne dirai rien des divers et ordonna de creuser les fosses des sé-
traitements qu'exigent les autres mala- pultures à six pieds au moins (deux mè-
dies que j'ai désignées ci-dessus, parce tres) de profondeur.
qu'ils ne sont ignorés d'aucun des gens La plupart des observations que j'a*
de l'art, etque je crois nécessairede pas- vais eu occasion de recueillir sur la mar-
ser à un point plus important et moins che et la variation de la contagion pes-
connu. tilentielle, dans les différentes saisons, en
TUNIS. 131
Egypte, ne m'ont présenté aucune diffé- qu'ont fait naître à cet égard les faits déjà
rence avec celles qui m'ont été offertes isolément constatés, nul doute alors ne
par cette maladie dans la Régence de serait permis sur l'efficacité des frictions
Tunis; ainsi, par exemple, les accidents d'huile d'olive tiède sur le corps, comme,
étaient plus fréquents lorsque les vents préservatif de la contagion, et même sur
du sud régnaient et lorsque la lune en- l'emploi de ce spécifique, si facile à ad-
trait dans ses différents quartiers. ministrer, comme un puissant moyen
Il faut cependant observer ici que la curatif des pestiférés déjà atteints par
peste ne cesse ordinairement à Tunis la terrible maladie.
que vers la fin du mois de juillet, tandis Les premières observations qui ont
qu'en Egypte le terme de ses ravages a donné l'éveil sur cette découverte salu-
presque toujours lieu à l'époque du sol- taire sont dues à George Baldwin, Con-
stice d'été. sul anglais à Alexandrie (2) ces obser-
:
quittent leurs habits imbibés d'huile, et elle n'est nécessaire qu'une fois seule-
qu'ils se purifient au bain, ils contractent ment le jour où la maladie se déclare.
la contagion aussi facilement que les Si ensuite les sueurs ne sont pas
autres habitants (1). abondantes ,il faut recommencer la
Si une suite d'observations conscien- friction, jusqu'à ce que le malade soit
cieuses et incontestées parvenait à con- dans un état tel qu'il nage, pour ainsi
firmer pleinement les présomptions dire , dans les sueurs ; et alors on ne
doit le changer de linge et de lit que
lorsque la transpiration a cessé.
(i) Cette observation avait déjà été faite en
Egypte par le docteur Desgenettes, médecin Cette opération ne doit se faire que
en chef de l'armée, et elle a été consignée dans dans une chambre bien fermée, et dans
une intéressante notice insérée au journal lit- laquelle on doit tenir un brasier de feu
téraire et scientifique que je publiais alors au
Kaire. Voyez Décade égyptienne, volume pre- (i) Cette observation a également été faite
132 L'UINIVERS.
sur lequel on jette de temps en temps quelques jours de retard pourraient ren-
du sucre ou des baies de genièvre. dre le remède tout à fait inefficace on fa-
:
il faut essuyer soigneusement, avec un sel dans la suite on ajoute peu à peu,
:
morceau d'étoffe chaude, la sueur qui cinq à six fois par jour, une petite cuil-
couvre encore le malade, et qui le tient lerée de confitures de cerises mais il faut
;
en une moiteur qu'il importe de sécher veiller à ce qu'elles soient faites au sucre
absolument. et non au miel , ce dernier pouvant fa-
Ces frictions peuvent être continuées voriser la dyarrhée, qui est regardée
plusieursjoursde suite, jusqu'à ce qu'on comme un symptôme mortel : dans ce
aperçoive un changement favorable, et cas pourtant on ne doit pas pour cela
alors on diminue l'intensité de la force abandonner les frictions ; car on a des
employée aux frottements il n'est pas fa-
: exemples de malades arrivés à cette crise
cile de déterminer avec précision la pro- funeste, et que cependant on est parvenu
gression que doit suivre le frotteur dans à sauver.
la légèreté nouvelle donnée à son action, Lorsqu'on a l'espoir de la guérison
et moins encore de fixer la quantité c'est-à-dire lorsque après cinq à six jours
doit employer à chaque
d'huile qu'il la santé paraît un peu meilleure, on
opérationmais une livre ( un demi-ki-
; pourra donner le matin au malade une
logramme) doit certainement chaque tasse de bon café moka avec un petit
,
pour l'estomac, comme sans anomalie et par Pinel sous celui de scorpio rufus.
pour les intestins. On a beaucoup de peine à empêcher
Ce n'est qu'après le trentième ou le l'intérieur des maisons d'être infesté par
quarantième jour, qu'on accordera un ces animaux nuisibles afin de préser-
:
potage fait avec du bouillon de poulet ou ver leurs habitations d'hôtes aussi mal-
de collet de mouton. L'usage de viandes lé- faisants il y a des Maures qui s'occu-
,
gères ne sera permis que quelques jours pent fréquemment à parcourir les rues
encore après, afin d'éviter les indiges- de la ville pendant la nuit avec un flam-,
tions, qui sontd'autantplus dangereuses, beau allumé et une longue canne, dont
qu'elles sont fréquemment accompa- ils se servent pour faire tomber les scor-
gnées de la récidive des bubons. pions des parois des murailles, le long
Passé cinquante jours ou deux mois, desquelles ces insectes dangereux grim-
on pourra enfin permettre au convales- pent le soir, et auxquelles ils demeurent
cent le veau rôti ou bouilli, un peu de vin attachés pendant les ténèbres.
pris modérément, en lui prescrivant Les Européens ont néanmoins trouvé
d'éviter, non-seulement tout excès, mais que le moyen le plus assuré d'empêcher
encore tout ce qui pourrait être d'une ces insectes de pénétrer dans leurs de-
digestion difficile. meures consiste à faire placer des grilles
On a cru jusqu'à présent assez généra serrées en fil de fer devant les fenêtres
lement que la contagion de la peste se et toutes les autres ouvertures. Si on
communiquait par les organes de la dé- n'use pas, en effet, de beaucoup de pré-
glutition, en prenant pour véhicule l'hu- cautions , on est assez fréquemment
meur salivaire, ou par l'organe de la exposé à être piqué, et les chambres à
respiration , qui absorbait les miasmes coucher elles-mêmes exposent à ce dan-
mêlés à l'air ambiant, ou enfin par les ger les dormeurs pendant la nuit, les
pores de la peau , dont les ouvertures scorpions recherchant particulièrement
multipliées opèrent à chaque instant cette la chaleur des lits occupés.
absorption d'une manière insensible ; Les principaux soins pour se garantir
mais si l'observation faite sur les por- de ce fléau doivent consister à entre-
teurs d'huile est incontestable, il faut tenir la plus grande propreté dans les
nécessairement en conclure que ce der- maisons , à visiter exactement les lits
nier organe est la voie principale par la- avant de s'y coucher, à ne pas coucher
quelle la contagion pénètre dans le corps par terre , et surtout à ne marcher ja-
humain; car si elle pouvait l'envahir mais les pieds-nus. Il n'est pas moins
avec égale facilité par les autres organes, essentiel de ne jamais mettre surtout ,
les frictions huileuses ne seraient plus dans la saison chaude, des souliers ou
on moyen préservatif. des pantoufles sans les renverser aupa-
Depuis la grande peste de Tunis, ravant et les secouer fortement , car il
en 1785, cette maladie a reparu à quatre n'est pas rare que les scorpions s'y glis-
autres reprises; ce qui n'est pas éton- sent et s'y cachent.
nant à concevoir, si on considère que les Il en est de la piqûre de cet insecte
piqué par les scorpions (aqrâb), qui sont de cruelles souffrances les enfants en
;
134 L UNIVERS.
espèce de piqûre vénéneuse; la seule veulent bien se donner la peine de le
particularité qui mérite d'être rapportée tromper ; et la multitude irréfléchie court
ici, c'est que beaucoup de personnes souvent même au-devant des déceptions
emploient avec succès le sel ammoniac ;
les plus grossières dont on tente de l'a-
mais il est toujours essentiel de ne buser.
pas négliger les autres moyens curatifs Au reste à l'égard de la morsure de
,
comme, par exemple, la ligature immé- ceux de ces animaux qui n'ont pas subi
diate , les scarifications, la cautérisation l'opération par laquelle on les met hors
avec un fer rouge, etc. d'état de nuire , le sel ammoniac est
La manière d'employer le sel ammo- également un remède employé fréquem-
niac consiste à en prendre une petite ment avec succès.
portion réduite en poudre et à en frot- , Quoique les Nègres soient générale-
ter pendant quelque temps l'endroit de ments forts et robustes ils sont néan-
,
ia piqûre. Ce même remède est re- moins sujets, en arrivant à Tunis à di-
,
connu en Egypte comme très-utile con- verses maladies, qui sont pour la plupart
tre toute espèce de piqûre des animaux une suite naturelle des fatigues et des
vénéneux, et le succès constant qu'on en privations qu'ils ont subies dans leur
obtient prouve qu'il mérite réellement voyage, si long et si pénible, à travers les
ia confiance dont il jouit. déserts. Une autre cause aussi se joint
On voit à Tunis, à certaines époques, à cette première, c'est la différence no-
des espèces de jongleurs qui manient im- table qui existe entre le climat de Tunis
punément les scorpions; mais un examen et celui de leur pays natal, toujours
attentif a fait connaître qu'ils en avaient plus ou moins rapproché de la Zone
précédemment brisé le dard. Il est re- Torride.
connu, au reste, que la piqûre du scor- Les maladies dont ils sont alors le
pion fauve n'est aussi dangereuse que plus souvent attaqués se réduisent aux
dans les époques annuelles des amours sept classes suivantes :
manient des serpents, les excitent à leur céder aux remèdes ordinaires.
mordre la langue et le nez, etc.; mais, 2° Des ophthalmies accidentelles, pro-
indépendamment de ce que les reptiles duites, comme la maladie précédente, de
de l'espèce des amphibies ne sont pas l'exposition nocturne des Nègres nus à
ordinairement réputés dangereux (2), il toutes les vicissitudes de l'atmosphère,
est fort à présumer qu'on leur a précé- se guérissent presque toujours sponta-
demment arraché les dents avec les vé- nément, et n'ont d'autres remèdes que
sicules contenant leur venin. l'usage fréquent du simple lavage avec
Le peuple ne laisse pas que d'admirer de l'eau naturelle et pure.
ces sortes de jongleries qu'offrent en 3° La petite-vérole {djedrey), maladie
spectacle les prétendus psylles, et il les souvent bien funeste, tant à la vie des
considère comme une espèce de prodiges Nègres qu'aux intérêts des Gellâbys. Elle
magiques (3) car le peuple est partout
; semble être moins fréquente parmi eux
dupe des charlatans de toute espèce, qui au Soudan ( pays des Noirs ) qu'à Tunis ;
mais elle est toujours meurtrière les
:
vénéneux que les autres. Les variétés de assertion, c'est que parmi les Nègres
lézards nous en offrent des exemples. amenés par les caravanes à Tunis j'en
(3) Forez ci-dessus page ix3, ,
ai vu fort peu qui eussent été atta*
TUNIS. 13^
qués de cette maladie dans leur pays. mais cette éruption a lieu sans lièvre
L'éruption de la petite-vérole est or- et sans aucune indisposition morbide,
dinairement très- abondante chez les quelquefois lente, quelquefois rapide,
Nègres et presque toujours elle se fait
, parfois durant quelques semaines, par-
avec plus de difficulté que chez les Blancs; fois stationnaire, et ressemblant parfai-
vraisemblablement parce que les Noirs tement alors à une gale sèche (scabiea
ont la peau plus épaisse et plus com- sicca ); d'autres fois encore les boutons
pacte la fièvre qui précède l'éruption
: s'agrandissent, et, en les perçant, on
est souvent très-violente. y trouve une matière séreuse et puru-
Un médecin européen , s'il n'a pas vu lente, faisant naître dans le corps du ma-
déjà plusieurs fois cette maladie chez lade une démangeaison générale qui ne
,
la ville), sans doute parce qu'on la re- mélange tout le corps du malade, et on
garde comme un effet de l'acclimatement l'expose en cet état au soleil pendant
et du changement que subissent les Nè- quelques heures jusqu'à ce que cette pâte
gres dans leur manière de vivre et leur soitdesséchéeentièrementsurlapeau:on
nourriture; cette maladie est presque conduit alors le malade au bain chaud, et
générale parmi les nouveaux arrivés et , on continue de deux jours en deux jours
on l'a souvent confondue avec la gale, l'application de cet enduit jusqu'à la dis-
soit par la forme des pustules, soit par parition complète de la maladie.
le prurit intolérable qu'elle cause. Cette J'ai encore vu employer quelquefois,
maladie, qui n'est pas contagieuse comme avec un égal succès un Uniment d'huile
,
136 L'UNIVERS.
espèce de remède interne; ceux qui ont une espèce de ver qui s'introduit sous
voulu administrer le mercure doux ou le la peau , et principalement aux ex-
soufre pris intérieurement, n'en ont trémités inférieures du corps. Ce ver
retiré aucun avantage sensible; et la est de la grosseur de la corde à violon ,
maladie, ainsi traitée, n'a eu ni plus ni dite chanter elle, quelquefois même d'une
moins de durée. ténuité encore plus grande ses deux:
gence.
vellement arrivés à Tunis.
Il paraît qu'il se trouve dans les eaux La médecine est exercée à Tunis soit
du Soudan, et peut-être aussi dans celles par des Européens, soit par des Juifs ou
que l'on peut rencontrer dans le désert, des Maures. Je crois superflu de parler
des premiers, les seuls chez lesquels se
(i) Furia infemails , Vena Medinensis trouvent les connaissances indispensa-
Dracunculus , Gordius Medinensis , Dragim* bles à l'exercice de l'art de guérir; mais
tia JEgyptiaca. je crois nécessaire de donner sur les
TUNIS. 137
médecins indigènes quelques détails qui la suite duquel ils ont l'habitude de le
puissent faire connaître en quel état est voir : ils lui demandent des conseils hy-
maintenant l'art de la médecine chez les giéniques , et finissent par lui accorder
Orientaux en général, et en particulier les mêmes titres qu'à son maître; sou-
chez les Maures. vent même ils préfèrent aux consulta-
Sans passer individuellement en revue tions du docteur celles du valet-méde-
les membres de tunisienne, je
la faculté cin, parce qu'elles sont d'abord gratui-
me bornerai d'abord à cette seule obser- tes mais ensuite elles sont payées par
,
vation , qu'il en est en Barbarie à l'égard quelques légers cadeaux, puis enfln elies
des indigènes qui se vouent à l'art médi- ont leur rétribution fixe et leur tarif au
cal, comme dans beaucoup d'autres pays; rabais.
même de notre Europe; ces prétendus Le titre de médecin ainsi acquis par
docteurs forment, dans la Régence et les le drogman juif devient dans la fa-
autres États barbaresques, un bizarre mille un titre héréditaire; le fils est mé-
assemblage d'empiriques sans instruc- decin (hakim) parce que son père l'é-
tion et sans théorie ne se soutenant
, tait, et il a dû transmettre ce titre à ses
parmi les populations qui leur fournis- descendants sans qu'aucun d'eux ait be-
,
sent des patients, que par la tolérance soin de plus d'études et d'instruction
d'un Prince ignorant l'importance qu'il qu'il n'en a fallu à son père et à lui-
devrait mettre à surveiller une classe même on sent par conséquent que j'ai
:
dont l'ineptie peut occasionner des maux bien peu de chose à dire sur les méde-
incalculables à ses sujets. cins juifs.
Les empiriques juifs ou maures de On compte parmi les Maures de Tunis
Tunis n'y deviennent qu'accidentelle- au moins vingt-cinq soi-disant méde-
ment médecins; leur titre de doctor me- cins. Cette faculté a un chef, qu'on ap-
dicus leur échoit sans étude, sans pré- pelle êl-Hakim-Bâchy, et qui n'est pas
paration, et absolument par cas fortuit. plus instruit que ses collègues. Tout leur
Pour mieux faire connaître les causes savoir ne consiste qu'en un empirisme
de cette éventualité accidentelle, il est grossier, et dans la plupart des cas ils
à propos de faire observer qu'un mé- ne connaissent d'autres remèdes que le
decin européen qui vient s'établir dans cautère actuel.
ce pays doit avoir nécessairement, pour Quoique les médecins européens ne
le conduire dans la ville et faciliter ses soient pas subordonnés à ce chef, il est
relations avec les gens du pays, un drog- cependant convenable qu'ils fassent sa
man ou courtier interprète, qu'il trouve connaissance; car il peut quelquefois
assez aisément parmi les Juifs. leur être utile, et son inimitié les expo-
Ce cornac médical, qui dans le fond serait à quelques désagréments.
n'est qu'un domestique, marche devant Les médecins maures ne connaissent
son maître dans ses visites chez les mala- en fait de livres que celui iïAvicenne{i).
des, lui indiqueles rues, les demeures des S'ils ont, outre cela, quelquefois d'autres
clients, est l'interprète et l'intermédiaire
obligé de ses conversations, achète les (i) Le nom à'Avicenneesl tellement connu,
provisions journalières du ménage, pré- même en Europe par sa science médicale,
,
pare, sous les yeux du docteur, les tisa- que je regarde comme inutile d'entrer dans
nes, les infusions, les décoctions, les aucun détail à son sujet; cependant je crois
nécessaire d'ajouter ici une particularité gé-
médecines, etc., et fait dans la ville et
néralement ignorée des Occidentaux : c'est
lesenvirons les commissions de toute
que ce philosophe célèbre n'était pas moins
espèce.
versé dans les sciences mathématiques que
En suivant ainsi pendant quelques
dans les sciences médicales. La belle collec-
années le médecin au service duquel il tion de manuscrits que j'ai rapportée d'E-
est attaché , le Juif acquiert nécessaire- gypte contient d'un ouvrage
le manuscrit
ment une connaissance empirique et composé par des nombres,
lui sur la science
superficielle des remèdes, des formules dont j'ai inséré un extrait dans le Diction-
et des maladies dans lesquelles ses pres- naire des Sciences mathématiques pures et
criptions ont été utiles; les Maures le appliquées, publié par Montf'errier et édité
Confondent bientôt avec le médecin à par Denain, à Paris, i835. (J. J. M.)
138 L'UMVERS.
manuscrits sur la matière médicale, on vertus par les théories les plus absurdes
peut être assuré que la teneur en est et les moins logiques; un autre enfin
toujours basée en grande partie sur les prétend qu'on administre exclusivement
théories de cet ancien auteur. les remèdes qu'il propose, sans daigner
Pour eux le classement général des
, donner la moindre explication, ni sou-
maladies comprend deux grandes divi- mettre aucun raisonnement au jugement
sions celles qui sont occasionnées par
: de ses confrères.
excès de chaleur ou d'échauffement et , Pour peu qu'on ait de l'instruction
celles qu'ils attribuent à des causes froi- et de l'expérience, quand on est témoin
des. La pituite ou l'âcreté du sang, consi- de semblables scènes on ne peut que se
,
dérées par la médecine arabe comme les sentir humilié de cette dégradation de
causes principales des maladies chroni- l'art médical; mais il serait inutile de
ques, sont accusées par elle, peut-être chercher à mettre ces guérisseurs de la
aussi souvent que par la médecine euro- Barbarie sur le bon chemin car leur pro-
;
péenne, des désordres qui se manifestent fonde ignorance est d'autant plus pré-
dans l'organisation humaine. somptueuse, qu'ils n'attribuent qu'à
Les médecins orientaux connaissent, leurs mérites et à leurs talents la con-
comme beaucoup de nos médecins, un fiance dontils jouissent, et croienttoute
certain nombre de formules hors des- science entièrement inutile pour assurer
quelles leur savoir ne les fait jamais leur succès.
sortir, et qu'ils appliquent souvent sans Le prix ordinaire d'une consultation
motif dans les cas les plus divers. est de 7 fr. 50 cent. Les malades aisés
Après avoir parlé des médecins, je payent 3 50 cent, par visite ; et sur
fr.
crois devoir faire la remarque que dans cette somme le médecin, qui est aussi en
aucun pays les Chrétiens, les Maures et même temps pharmacien-droguiste, est
les Juifs ne sont plus empressés qu'à obligé de fournir les médicaments né-
Tunis à demander une consultation : cessaires dans le courant de la journée,
ces consultations sont quelquefois for- et de faire même une seconde visite s'il
mées d'un si grand nombre de médecins, le juge indispensable. Si la maladie est
soit européens, soit indigènes, qu'elles de longue durée il est assez ordinaire de
,
ressemblent bien plus à une assemblée stipuler une convention à forfait, pour
populaire qu'à une société de gens ins- la totalité du traitement; la moitié du
truits, réunis pour l'avantage du malade. prix convenu doit être payée d'avance. Si
Ordinairement chacun lui parle quand on n'insiste pas sur cette dernière condi-
bon lui semble, souvent même plusieurs. tion, on a fréquemment les plus grandes
y parlent à la fois et si à la fin on désire
; peines à obtenir le payement de ses
connaître le résultat de la conférence, il soins.
est presque toujours impossible de ne Au reste, comme les malades se las-
pas s'apercevoir qu'il se réduit à rien sent quelquefois du traitement, ou
par la nature et l'incohérence des opi- quand ils viennent à mourir, il est bon
nions. C'est en vain qu'on prétendrait que le médecin ait quelque payement
faire consulter ces médecins à la manière d'avance en main d'autant plus qu'il
,
;<!e laquelle on distingue facilement vent qu'un Maure délivré de son mal
jl'homme instruit de celui qui ne l'est pas. n'en rapporte la guérison qu'aux secours
I Aussi je dois avouer que ces consulta- de la divinité, et non aux soins qu'il a
tions m'ont toutes paru plus dignes de la reçus du médecin.
scène comique que de la chambre d'un J'ai parlé dans le chapitre précédent
malade l'un propose des corroborants,
: de l'ophthalmie comme d'une maladie
l'autre des désobstruants, sans que ni l'un assez fréquente à Tunis ; elle l'est pour-
ni l'autre motive d'une manière raison- tant beaucoup moins qu'en Egypte, car
nable les prescriptions opposées ; le troi- au Kaire sur dix personnes que l'on
,
sième opine pour une multiplicité de rencontre dans les rues on peut être
,
remèdes compliqués, dont il explique les presque assuré d'en trouver trois aveu-
TUNIS. 139
gles, trois borgnes, et trois ayant mal dont chaque gouttelette a emporté avec
aux yeux ; de manière qu'à peine en voit- elle un atome salin ; cette gouttelette, in-
on une sur dix qui soit exempte de i'o- troduite entre la paupière et les tuni-
phthalmie ou des suites fatales de cette ques du globe oculaire, s'y volatilise de
maladie. nouveau , mais en se volatilisant elle
J'ai entendu plupart des Européens
la laisse dans les pores où elle s'était insi-
attribuer cet état morbide des yeux aux nuée la molécule saline dont elle était
sables du désert, dont, disaient-ils, les chargée, A cette gouttelette ei* succède
vents portent au loin la poussière, etdont une autre , apportant une nouvelle parti-
les molécules impalpables s'insinuant cule saline, dont la multiplicité s'ag-
sans cesse entre la paupière et le globe glomérant successivement forme autant
de l'œil y causent ces lésions incessantes de petits coins aigus pénétrant et déchi-
devenant peu à peu par l'irritation une rant la surface dans laquelle ils sont im-
multiplicité de petits ulcères, d'abord plantés augmentant de plus en plus l'ir-
:
presque invisibles, mais finissant par en- ritation par leur action incisive, ils amè-
vahir la totalité de l'organe visuel. nent l'inflammation, et finissent pardon-
Les observations que j'ai été à portée ner à la maladie une intensité capable de
de faire soit à Tunis, soit antérieurement détruire l'organe tout entier.
en Egypte, me persuadent qu'on doit La médecine arabe ne s'est pas donné
disculper les sables du désert de cette la peine de remonter à ces causes phy-
accusation : en effet, si elle était fondée, siques : suivant les populations orienta-
ce serait parmi les Bédouins, qui habi- les , et même d'après l'opinion des mé-
tent constamment le désert, et dont les decins arabes eux-mêmes, l'ophthalmie
tribus nomades le sillonnent continuel- aurait pour cause unique un mauvais
lement dans tous les sens, que le fléau de regard, un regard malfaisant , jeté
(
lacs, des canaux, et des autres récep- fatigue et d'irritation pour le globe de
tacles aqueux qui avoisinent les villes, l'œil.
et souvent y produisent des marécages Le mauvais œil ou l'œil envieux est
d'eaux stagnantes et putréfiées : en également accusé par les Orientaux de
Egypte c'est surtout au voisinage des toutes les maladies et de tous les évé-
lacs , des étangs et des canaux , et prin- nements fâcheux qui leur surviennent :
annuels du JNil, que les ophthalmies pren- resse un enfant, semble le regarder
nent un caractère endémique; nul doute avec plaisir, ou en fait l'éloge ses pa- ,
140 L'UNIVERS.
peste , l'avortement , l'épilepsie et même
quelque maladie ou de quelque accident
contre les chutes de cheval et les bles-
imprévu (1). ... sures de toute espèce (5).
Un des moyens curatifs qui jouissent
Ces talismans consistaient aussi quel-
de la plus haute réputation parmi les
médecins arabes et leurs clients con- quefois en pierres précieuses, soit char-
c'est-à-dire gées de caractères et de légendes ma-
siste dans des amulettes,
giques, soit non gravées c'est ainsi que
en morceaux de papier, ou fragments
:
quelques-uns
universelle, le don des coups de sabre et desballes;
en recevrait la puissance même portaient pour le même but des petits
le maître sou-
des miracles, et deviendrait de forme octogone , pendus à leur cou
commandant même Korans
verain de tout l'univers , ces
autres intelli- et renfermés dans une boîte d'argent : si
aux génies , aux anges, et aux préservatifs magiques se sont trouvés impuis-
gences célestes: suivant eux, ce
nom n a jus- portaient,
qu'à Adam, a Salo- sants pour défendre ceux qui les
qu'à présent été révélé que sans doute ceux qui les avaient
mon et à Mahomet. ( J. J. M. )
c'est
des
et fabriqués n'avaient pas prévu les cas
Les Musulmans comptent soixante de
(3)
est le dernier
baïonnettes françaises et de la mitraille
dix prophètes, dont Mahomet ( J. J. M. )
c'est par cette raison qu ils
nos canons.
et le plus parfait :
Voyez ci-dessus ce que j'ai dit sur les
lui donnent le titre de
Khdtem el-onbya , qui (6)
eaux thermales de Hammâm-êl-Ayn , de
sceau des prophètes. ( J. J. M. )
signifie le
sem, le même Hammâm-él-Lyf, de Hammâm-êlEnf, de
C'est du mot arabe tel
(4)
notre mot Eammâm-Gourbos, pages 29 et 3o; de Ham-
que le grec TÉXe^a qu'est dérivé
,
page 46.
J. J. M. mâm-êl-Gabs ,
français talisman. ( )
TUNIS. 141
parlent que fort vaguement de deux et rendre avec usure au Bey les sommes
de ces sources, qu'ils n'ont vraisembla- qu'il avancerait pour les réparations in-
blement pas visitées; les médecins du dispensables. Cet endroit serait vérita-
pays paraissent même à peu près ignorer blement charmant si on y faisait des
ce qui les concerne , car les renseigne- plantations d'arbres, des allées qui con-
ments que j'ai pu en recevoir à ce sujet duisissent au bord de la mer, et surtout
ne diffèrent en rien de ceux qui m'ont si l'on y construisait une maison où l'on
été communiqués par le vulgaire. pût se procurer facilement des alimenls,
On compte dans la Régence de Tunis des rafraîchissements, et les autres ob-
douze quinze différentes sources mi-
à jets nécessaires.
nérales; mais je n'ai eu la possibilité Une observation qui m'a semblé sin-
de visiter que les deux principales, dont gulière et devoir appeler l'attention des
parle le docteur Shaw , et qui sont très- naturalistes, c'est que dans les bains
accréditées pour la guérison debeaucoup d'étuves . même dans ceux du Bey, et
de maladies chroniques. La première est dans les eaux qui en découlent , j'ai vu
appelée Hammam-él-Lyf(l) ; elle est si- plusieurs tortues qui semblent se plaire
tuée près de la mer, à trois lieues au sud beaucoup dans ces eaux minérales. Je
de Tunis, et au pied d'un groupe de mon- remarquai avec quelque étonnement
tagnes assez élevées. que ces animaux se distinguaient des
La première source fournit l'eau pour autres individus de leur espèce par une
les bains et les étuves, qui ont naturel- queue de la longueur et de la grosseur
lement à peu près la même température, du doigt indicateur. Je crus d'abord que
que celle que l'on donne artificiellement cette espèce de tortue qui n'a pas l'é-
,
aux bains chauds des différentes villes caille aussi convexe que celles de terre
du Levant. Ces eaux sont claires et lim- était spécialement particulière à ces
pides, médiocrement salines et tant soit eaux et à cette localité; niais des per-
peu après. La teinture de noix de galles sonnes qui connaissaient mieux le pays
leur donne une couleur violette; ce qui que moi m'assurèrent qu'on en voyait
indique assez qu'elles renferment du fer une quantité de cette même espèce dans
en petite quantité; d'aiileurs on peut, tous les étangs de la Régence qui con-
sans cette épreuve, se convaincre de la tiennent de l'eau saumâtre.
présence du métal, par l'examen du ter- A deux cents pas environ des bains
rain qui l'avoisine, et qui est évidemment d'étuves, vers le sud, on trouve une
ferrugineux. seconde source, qui n'est pas aussi con-
L'édifice construit sur cette source sidérable que la première, et que les
est assez vaste , et appartient au Bey, Maures appellent Hammam -él-ar y an,
qui en réserve la moitié pour son pro- c'est-à-dire la source nue (2).
pre usage, ou pour celui des riches par- L'eau qui en découle a à peu près
ticuliers auxquels il veut faire une poli- le mène degré de chaleur que la pre-
tesse; l'autre moitié est destinée au pu- mière; son goût est plus salé, les indi-
blic, et est affermée 1500 piastres par ces du principe ferrugineux y sont plus
an; c'est une espèce de caravansérail, sensibles et l'acide citrique lui procure
,
142 L'UNIVERS.
répréhensible de tolérer un pareil abus, de Carthage. Une partie du chemin qui
que cette eau est très-fréquemment em- y conduit est fort agréable; l'autre, sur
ployée en boisson. Tandis que des va- les bords de la mer et à travers des pré-
létudinaires s'y rendent pour y boire cipices, offre beaucoup de difficultés. Si
l'eau de ce bassin, il n'est pas rare d'y la curiosité m'eût porté à visiter dere-
trouver des Bédouins qui s'y baignent, ce chef cette source, j'aurais pris le parti
qui ne peut manquer d'être très-désa- de m'y rendre par mer, en m'embar-
gréable et répugnant pour les buveurs. quant à la Goidette.
Avec une dépense de 100 francs au Près de Gourhos est enterré un per-
plus on pourrait couvrir cette source sonnage réputé saint par les Maures,
d'une petite toiture et en fermer l'en- et le domaine de l'oratoire élevé sur sa
ceinte avec une porte pour empêcher ces sépulture s'étend sur les eaux miné-
inconvénients; mais l'insouciance, ce rales voisines; aussi sont-elles révérées
vice le plus constant de cette nation, vice comme un saint lieu , et les Musulmans
qu'on ne pourra jamais déraciner que par n'y souffrent aucun infidèle. Quoique je
une impulsion extraordinaire, s'oppo- fusse accompagné par le domestique
sera longtemps encore à une améliora- d'une personne considérée, de la petite
tion aussi urgente et aussi peu coûteuse. villede Souleymân, chargé de me proté-
Quelques malades sont convenable- ger, j'aurais peut-être essuyé le désagré-
ment purgés par deux livres (un kilo- ment de ne pouvoir visiter ces sources,
gramme) de ces eaux; d'autres, pour ob- si le juif-interprête qui était à ma suite
tenir ce même effet, ont besoin d'en n'eût déclaré hautement que j'étais lepre-
boire jusqu'à six livres(3kilogrammes); mier médecin {Hâkim-Bacliij) du Bey,
elles procurentsouventdes déjections al- envoyé par ce prince pour faire un exa-
vinesune heure après qu'on les a bues. men officiel de la qualité des eaux.
Immédiatement après le jeûne du mois Bientôt aux murmures des Musul-
de Ramaddân, on voit une quantité mans succéda ledésirde me consulter, et
extraordinaire de valétudinaires, et sur- je ne tardai pas à être entouré par les ma-
tout des Juifs, se rendre à Hammâm-êl- lades, et même les gens valides qui se
,
Lyf; comme ils ont une confiance aveu- trouvaient là, ou qui venaient des envi-
gle, tant à l'efficacité des bains dans ces rons, attirés, soit par la curiosité d'assis-
eaux qu'à celle de leur boisson il en ré-
, ter à mon examen, soit par le besoin de me
sulte que, la plupart usant avec excès, et demander mon avis sur leurs maladies.
à la fois, de l'une et de l'autre manière Je trouvai dans une large gorge plu-
d'administrer ce remède, ils n'en obtien- sieurs sources d'eau, beaucoup plus
nent cependant pas tout l'avantage qu'ils chaudes que celles de Hammâm-êl~Lyf ;
pourraient retirer d'un emploi mieux on m'avait même assuré que le degré de
raisonné et surtout en isolant les deux chaleur avait assez d'intensité pour cuire
modes de traitement. des œufs; mais l'expérience m'a fait
Dans les maladies vénériennes, cuta- trouver cette assertion fausse , car les
nées, dartreuses, etc., les bains seuls œufs mis dans cette eau et retirés après
opèrent admirablement; plusieurs affec- une demi-heure n'avaient pas subi de
tions du bas-ventre se trouvent soulagées changement sensible.
sensiblement par la boisson de l'eau de Les eaux de Gourbos contiennent une
la seconde source; mais je pense que grande quantité d'alumine; il s'y en
l'état de certains malades est plus sou- cristallise même sur les rochers par les-
vent amélioré par le changement d'air, quels l'eau passe. Les pièces d'argent
que par les bains et la boisson des eaux, qu'on y plonge et qu'on frotte un peu
auxquelles on attribue leur guérison. deviennent d'une propreté et d'une blan-
Une autre source d'eau minérale qui cheur étonnante. La teinture de noix de
jouit d'une grande réputation dans la galles ne leur fait subir aucunealtération,
Régence de Tunis est celle que les Mau- l'acide citrique aucune effervescence.
res appellent Hammâm-êl-Gourbos{\) : Il y a à ces sources des bains d'étuves
elle est située à i'est de Tunis et en face très-médiocres; mais, de plus, on a
creusé dans le rocher plusieurs baignoi-
(i) Voyez ci-dessus, page 3o. res, qu'on remplit et vide à volonté; pour
TUNIS. 143
ces dernières baignoires il est indispen- d'autres sources, sur lesquelles je ne puis
sable d'avoir une tente; on se trouve donner des notions positives , et que
ainsi tout à la fois dans un bain chaud je regrette de n'avoir pu aller examiner.
à l'air libre, et jouissant de Ja vue pit- Je terminerai ce chapitre par une ob-
toresque de la mer. Quel endroitdélicieux servation , plutôt cosmétique qu'hygié-
on pourrait faire de ces bains, s'ils étaient nique, que je n'ai pas trouvé l'occasion
entre les mains des Européens, et si l'art de placer dans les chapitres précédents.
suppléait à l'aridité naturelle des roches L'usage des bains chauds est générale-
qui environnent les sources? ment recherché dans tous les pays orien-
_ Les eaux de Gourbos sont fortifiantes ;
taux. Il y a beaucoup de bains d'etuves
mais quand on en boit en trop grande établis dans la ville de Tunis ; mais il
quantité elles irritent le canal intes- n'y en a que bien peu qui soient élégants
tinal, et occasionnent des purgations et propres, et l'eau des bains est dé-
violentes; elles sont d'ailleurs d'une ef- sagréablement saumâtre. Pour laver la
ficacité supérieure dans bien des cas, tête, pour dégraisser les cheveux, les
en raison de leur plus haut degré de Tunisiens se servent d'une terre argileuse
chaleur ; car je pense que les effets salu- particulière qu'ils apportent du royaume
taires attribués souvent exclusivement de Marok, et qu'ils appellent Tijjel.
aux différentes substances contenues
dans les eau\ minérales dépendent peut-
Ici s'arrêtera cette Description de
être davantage du calorique, qui jus-
Tunis , pour laquelle je regrette de n'a-
qu'ici n'a pas été suffisamment appré-
voir pu recueillir les notes plus étendues
cié, quoiqu'il reconnu que c'est
soit
que m'auraient, sans aucun doute, four-
de la nature.
l'agent le plus actif
nies un séjour plus prolongé dans la ca-
Bruce assure avoir visité à Terianah
pitale de ia Régence et quelques ex-
des eaux minérales qui, quoique très-
cursions dans l'intérieur du territoire;
chaudes, contiennent beaucoup de petits
je m'étais promis d'explorer pius en
poissons vivants et qui paraissent s'y
détail toutes les parties du pays et j'au-
trouver très-bien. Comme ce voyageur
,
SECONDE PARTIE
PAR S. J. MARCEL (I).
tilage ; —
Utique; Tunis sous les Car-
ment dite ( Africa proprie dicta ). -
thaginois; —
guerres puniques; Tunis — La capitale de cette Régence, Tunis,
est située à cent cinquante lieues (600
prise par Régulus et reprise par les Cartha-
ginois ; — Scipion rétablit les remparts de kilomètres) à l'est nord-est d'Alger,
Tunis ; — Massinissa ; Syphax — Juha — à cent dix lieues (440 kilomètres) ouest-
— Jugurtha ; —
révolte des Mercenaires ;
; ;
Certes, si les anciens historiens nous comme existant déjà depuis près d'un
avaient laissé pour l'histoire de la répu- siècle sur la côte africaine avant que la
blique carthaginoise des documents tant princesse tyrienne connue sous le nom
soit peu proportionnés au pouvoir et à de Elyssa ou de Didon (3) n'y vînt abor-
l'opulence de cette fameuse cité, il y der avec une nouvelle colonie, et y jeter
aurait très-peu de peuples au monde les premiers fondements de l'antique
dont les annales offriraient une série de citadelle des Carthaginois (4).
faits plus intéressants; mais tel a été le Au reste, si le génie poétique de Vir-
malheur de cette métropole africaine gile s'est plu à embellir des fictions les
que, malgré ses immenses richesses, plus intéressantes ie berceau de la ville
l'étendue de son commerce, sa politique fondée par Didon, les Grecs, si ama-
consommée et son génie militaire (Car- teurs de fables, n'ont pas laissé l'origine
thago dives opum, studiisqueasperrima de Tunis sans légende romanesque.
belli ), qui l'ont rendue si longtemps for- Suivant quelques scoliastes, Cadmus,
midable aux peuplades voisines, et même ce héros oriental (5), qui joue un rôle
à la puissante république romaine, il ne presque universel dans toutes les tradi-
nous reste cependant que des mémoires tions des temps mythologiques , et que
très-imparfaitssur les grands événements
qui ont dû être signalés par l'histoire tin ; de quatre-vingt-douze ans suivant Tite-
,
carthaginoise. Les principaux faits aux- Live ; de cent-dix-neuf ans, suivant Solin;
d'autres chronologistes, tels que Josèphe et
quels les Carthaginois ont pris part,
Ménandre d'Éphèse, portent jusqu'à cent
et qui ont pu échapper à l'oubli nous,
quarante années cette différence de date.
ont été transmis par les écrivains d'une
Nous n'entreprendrons pas de concilier ces
nation leur ennemie, ou par ceux qui assertions diverses , d'où résulte seulement
étaient favorablement disposés pour l'antériorité de Carthage, généralement re-
leurs adversaires. Ainsi, bien des choses connue et nous ne croirons pas être trop
,
10 e Livraison. (Tunis.) 10
146 L'UNIVERS.
l'on trouve partout, en Egypte en Grèce , Tunis fut à cette époque particulière-
et en Afrique, fuyant la Samothrace, avec ment exposée aux attaques des peuplades
la belle Harmonie, qu'il venait d'enle- africaines, habituellement en état de
ver (1 ), se serait retiré sur les bords du lac guerre avec Carthage tantôt subissant
,
énamourant elle ordonna à ses enfants éclatèrent parmi les barbares firent
d'élever son tombeau au lieu même où échouer leurs desseins , et délivrèrent
elle avait exhalé ses derniers regrets. bientôt Tunis de leur possession éphé-
Non-seulement ils obéirent, mais encore mère.
ils quittèrent les bords du lac Triton, Les premiers siècles de la république
pourvenir fixer leur habitation autour du romaine avaient été loin de faire présa-
monument qu'ils élevèrent à leur mère, ger l'animosité irréconciliable qui devait
et ils donnèrent à cette nouvelle rési- par la suite diviser Rome et Carthage:
dence le nom de Tounah, ou de Tounét, des traités d'alliance avaient même été
qui signifie habitation en langue phéni- conclus entre les deux peuples, dès l'épo-
cienne. que même de l'expulsion des Tarquins,
Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, l'an 508 avant l'ère chrétienne, sous le
on ne peut cependant disconvenir que consulat de Rrutus et de Valerius ; et il
les historiens de la République romaine est à remarquer que dans ces traités,
font déjà mention de Tunis dès le temps ainsi que dans ceux qui les suivirent,
de la première guerre Punique c'est-à- , particulièrement à l'époque de l'invasion
dire dès l'époque qui s'étend de l'an 490 de Pyrrhus en Italie, comme aussi dans
à l'an 513 de la fondation de Rome (deux tous les traités conclus par Carthage,
siècles et demi avant l'ère chrétienne) et ; soit avec Denys de Sicile, soit avec les
que, suivant eux, cette ville tenait alors peuples africains, la ville de Tunis se
le second rang parmi les cités de la côte trouve toujours nominativement men-
africaine. tionnée immédiatement après celles de
Déjà, dans qui précédèrent
les siècles Carthage et d'Utique; circonstance qui
acharnées de Rome et de
les hostilités si constate que dès cette époque Tunis
Carthage on trouve des preuves de l'im- était regardée comme la troisième ville
portance que Tunis avait déjà acquise, du territoire carthaginois.
et du puissant concours que prêta sa Tunis spécialement désignée par
est
marine a celle de Carthage, dans les di- les historiens au nombre des deux cents
verses expéditions que tentèrent les places dont Régulus se rendit maître sur
Carthaginois, soit contre la Sardaigne la côte d'Afrique , après la victoire mé-
et les Phocéens (3), soit surtout contre la morable (4) qu'il avait remportée sur
Sicile. Jmikaret Hannon, dans les parages qui
s'étendent entre la côte méridionale de
Vers le milieu du seizième siècle avant
(i) la Sicile et le cap africain que nous con-
l'ère chrétieune , peu de temps environ avant
le déluge de Deucalion. d'JSmporium, d' Alonis et de Mœnace; ils s'é-
{2) Voyez ci-dessus, page 45* taient aussirendus maîtres de la Corse et de
(3) Vers le milieu du sixième siècle avant la Sardaigne. Toutes ces possessions leur fu-
notre ère , les Phocéens , fuyant la domina- rent successivement enlevées par les Cartha-
tion de Cprus, qui s'étendait sur la Grèce ginois,
asiatique, vinrent s'établir à Marseille , où (4) Dans cette bataille navale, Régulus
cinquante années auparavant ils avaient déjà prit aux Carlhaginois soixante-quatre galères
envoyé une colonie. Les Phocéens avaient et en coula à fond plus de trente ; la descente
étendu leur établissement sur toute la côte qu'ilexécuta alors sur la côte d'Afrique fut si-
depuis le Var jusqu'à l'Èbre, et y avaient gnalée par une nouvelle victoire qu'il remporta
fondé les villes de Nicœa, d'Olbia, dUAgatha, près de Tunis.
TUNIS. 147
ils menaçaient avec avantage les rem- mière guerre Punique avait été terminée
parts de Carthage elle-même; mais Tu- par un traité qui coûta aux Carthaginois
nis, où l'armée des assiégeants avait con- dix millions exigés par Rome au mo-
centré ses forces, resta peu de temps ment même de la signature , la républi-
en sa puissance elle fut bientôt rendue
; que africaine s'était vue menacée d'une
aux Carthaginois par le général lacédé- perte entière par la guerre des Merce-
monien Xantippe, qui défît les Ro- naires.
mains, leur tua trente mille hommes, On donnait le nom de Mercenaires
et fit Régulus lui-même prisonnier. à des troupes soldées par les Carthagi-
Le sort des armes, qui avait livré Tunis nois et recrutées par eux parmi toutes
,
tour à tour au parti victorieux, la soumit les nations qui habitent autour du bassin
définitivement aux légions qui vinrent de la Méditerranée; on comptait parmi
l'attaquer ayant Scipion à leur tête. ces soldats mercenaires, des Espagnols,
Lorsque cet illustre général forma des Gaulois, des Liguriens, des Siciliens,
le siège de Carthage, il fit de Tunis sa des Grecs, et surtout un grand nombre
place d'armes, et, comme Régulus, son d'Africains :la politique du sénat de
prédécesseur, il y établit son quartier gé- Carthage avait cru prévoir toute occasion
néral (I). Afin de mettre la place à l'abri de révolte parmi ces troupes étrangères,
de toute attaque de la part des assiégés, en réunissant sous les mêmes drapeaux
il en répara les fortifications que lui- , dessoldats parlantdes idiomes différents
même avait ruinées pour s'en emparer, etne comprenant pas mutuellement leurs
ety augmenta considérablement les tra- divers langages. Ce système avait réussi
vaux que les Carthaginois y avaient faits tant que la guerre avait duré il n'en fut
;
Après avoir subi le choc des armes suivre toutes les phases des cata-
lui fit
romaines, Tunis avait aussi souffert strophes que la fortune imposa à la pre-
les luttes sanglantes entre Massinissa mière dans ses vicissitudes ennemies,
et Syphax (I), dont son territoire fut le cette proximité l'associa en même temps
théâtre, puis celles qu'entraînèrent l'u-
surpation de Jugurtha (2) et plus tard sâl, espérant ainsi contenir par la reconnais-
sance les desseins ambitieux qu'il soupçonnait
(i) Au commencement de la secondé à son neveu et faire naître l'affection entre ce
guerre Punique, Syphax, roi d'une partie de prince et ses deux cousins.
la Mauritanie, s'était d'abord déclaré pour Il n'en fut pas ainsi ; à peine Micipsa fut-
les Romains, tandis que Massinissa, roi d'une il mort, que Jugurtha fit périr Hiempsàl,
autre partie du pays , avait embrassé la cause qu'il dépouilla, et attaqua vivement Adherhal,
des Carthaginois; mais bientôt l'un et l'autre dont il prétendait aussi saisir la part d'héri-
changèrent de parti , par suite de leurs ini- tage. Adherhal avait réclamé le secours des
mitiés particulières : réunissant ses forces à Romains, qui envoyèrent successivement Ce-
celles àUJElius, Massinissa livra à Syphax, cilius Metellus et Marias pour combattre l'u-
l'an 201 avant notre ère, une bataille, dans surpateur.Jugurtha fut défait , et chercha
laquelle celui-ci fut vaincu et fait prisonnier. vainement un asyle dans toutes les villes de
Mis en possession par les Romains de tous l'Afrique septentrionale; repoussé partout, il
les États qui avaient appartenu à son ennemi, se réfugia auprès de son beau -père, Bocchus,
Massinissa eut un long règne, pendant lequel roi d'une portion de la Mauritanie; mais
il se montra toujours le fidèle allié de la Ré- celui-ci livra aux Romains son gendre, qui fut
publique; il mourut l'an 149 avant noire emmené à Rome et jeté dans une prison, où
ère, laissant cinquante-quatre enfants de di- l'on dit qu'il mourut de faim, l'an 106 avant
verses concubines : il avait chargé en mou- notre ère.
er
rant Scipion le Jeune de faire le partage de (3) Juba 1 du nom avait succédé à son
ses États entre ses trois fils légitimes , Mi- père Hiempsàl; dans la guerre entre Pompée
cipsa , Gulussa, et Mastanabal. et J. Cœsar , il s'était attaché au parti de
(2) Jugurtha était fils de Mastanabal : Mi- Pompée, et l'avait aidé de ses troupes Cœsar, :
cipsa , que la mort de ses deux frères avait après la mort de son rival, revint punir
rendu héritier des provinces que chacun d'eux Juba Ie1 de son alliance contre lui. Juba Ier ,
'
avaient eues en partage, se méfiant du caractère dont les troupes furent taillées en pièces , ne
ambitieux de son neveu Jugurtha, l'avait en- put survivre à sa défaite, et se fit donner la
voyé faire la guerre en Espagne, espérant que mort par Petreius, l'an 42 avant notre ère.
les combats sanglants qui s'y livraient le dé- Son ûhJuba II e du nom avait été amené à
barasseraient d'un prince dont il regardait la Rome pour orner le triomphe de Cœsar ; il
rivalité comme pouvant être dangereuse pour fut élevé à la cour d'Auguste , qui lui fit épou-
ses deux fils auxquels il destinait sa succes- ser Cléopatre-Séléné , fille de la fameuse
sion. L'espoir deMicipsa fut trompé. Jugurtha Cléopatre et de Marc-Antoine , et lui donna
sut unir la prudence au courage, et revint d'Es- le royaume des deux Mauriianies et de la
pagne sain et sauf; alors Micipsa en mourant, Gélulie. Juba II mourut l'an 24 avant notre
l'an 120 avant notre ère, prit le parti d'a- ère; et, après sa mort, ses États, dont Tunis
dopter Jugurtha et de l'associer dans son hé- faisait partie , furent réunis aux provinces ro-
ritage avec ses deux fils Adherhal et Hiemp- maines.
TUNIS. 149
aux retours de fortune qui à diverses , deux empereurs reçurent les lettres
époques devinrent favorables à la ca-
, d'assentiment du sénat de Rome, et
pitale du territoire carthaginois. qu'ils passèrent le peu de jours que dura
Ainsi , à la fin de la troisième guerre leur règne éphémère; c'est là aussi
Punique J'unis avait été ruinée avec qu'ils furent l'un et l'autre détrônés
Carthage par le second Scipion (1) puis, ;
par Capellianus , général des troupes
quelques années avant l'ère chrétienne, restées fidèles au parti de Maximin,
lorsque Auguste envoya une population l'an 238 de notre ère.
de cinq mille hommes d'ans la métropole C'est également à Carthage que Sa-
africaine, pour la faire sortir deses ruines binianus, mécontent de voir le trône
et la coloniser, Tunis partagea les bien- impérial occupé par le troisième Gor-
faits de la munificence impériale comme ; dien , fils du consul Junius Balbus , et
aussi elle vit ses murs se relever, lorsque petit-fils par sa mère de l'empereur pré-
Hadrien rétablissait, vers l'an 125 de cédent, lit éclater contre lui, l'an 240
notre ère, une partie de ceux de Car- de notre ère, une révolte, qui fut presque
thage, à laquelle il donnait le nom de aussitôt étouffée par le gouverneur de-
Hadrianopolis, et qu'il destinait à con- là Mauritanie (3).
tenir les esprits turbulents des peupla- A cette époque le christianisme s'était
des de ces contrées, de tout temps por- déjà tellement répandu sur les côtes
tés aux séditions et aux révoltes. septentrionales de l'Afrique, qu'un évê-
En effet dès l'an 17 de notre ère un ché avait été établi à Carthage; et Tan
naturel du pays, c'est-à-dire un Berbère, 248 de l'ère chrétienne cette Église avait
nommé Takfarmas, avait excité en Afri- eu pour évêque l'illustre saint Cyprien
que une grande sédition, qui s'était éten- qui y fut martyrisé, Tan 258.
due sur presque toute la côte septen- Les populations mêlées des descen-
trionale de cette contrée, et qui ne put dants des Africains indigènes et des
être apaisée par Camillus qu'après une anciens Phéniciens , puis des Grecs et
guerre de sept années et la mort du des Romains, dont les invasions suc-
chef des rebelles. cessives avaient couvert les rivages de
Depuis cette sédition , qui avait man- l'Afrique septentrionale, en repoussant
qué d'enlever toutes les provinces afri- dans l'intérieur du territoire les Berbè-
caines à l'autorité impériale, les Romains res, les Numides , et les autres tribus
avaient eu encore à comprimer plusieurs africaines, se virent accrues à cette épo-
autres soulèvements partiels, sans cesse que par une nouvelle colonie, bien étran-
renaissants parmi les tribus berbères. gère à ces pays.
Sous les empereurs romains du troi-
sième siècle de notre ère, Carthage, qui tions de ses intendants ayant fait révolter
liait toujours ses destinées à celles de cette province, Gordien, âgé de quatre-
Tunis lui fit partager sa renaissance à
, vingts ans fut proclamé empereur par les lé-
la prospérité, dont elle commençait à gions, l'an 2^7 de l'ère chrétienne il associa
:
jouir de nouveau à cette époque. son fils à la dignité d'empereur; mais le règne
En effet l'antique métropole africaine de ces deux princes ne fut que d'environ six
paraît avoir alors repris assez de splen- semaines attaqué par Capellianus , gouver-
:
(i) L'an 146 avant l'ère chrétienne. reur, l'an 241 de notre ère; son règne ne fut
que de quatre années environ; 244 il
et l'an
(2) Marc-Antoine Gordien, surnommé XA-
du prétoire,
fut assassiné par Philippe, préfet
fricain, était né à Rome, l'an 157 de notre
ère; nommé consul l'an 23 1, il fut envoyé lorsqu'il venait de remporter une double vic-
l'année suivante comme proconsul en Afrique: toire sur les hordes desGoths et sur l'armée
150 L'UNIVERS.
En effet, les historiens nous appren- était chassé, et forcéde céder l'épiscopat
nent que vers l'an 260 de notre ère à Majorien.
une forte colonne de Francs, sortis des Né de ces violences le schisme des
,
de la part du même peuple; s'il faut second par les schismatiques; après des
en croire ces mêmes historiens, un excès de tout genre, les deux partis, ne
autre corps de Francs, que l'empe- pouvant s'accorder, en appelèrent, l'an
reur Probus avait transportés près du 314, à l'empereur Constantin , à peine
Pont-Euxin, s'y embarquèrent, l'an 277 devenu chrétien. Le proconsul d'Afri-
de notre ère, et purent, par le détroit que JElianus, que le prince avait chargé
de Cadix, regagner l'embouchure du de pacifier les esprits, ne fut pas plus
Rhin, après avoir traversé dans toute écouté qu'un concile provincial assem-
sa longueur la mer Méditerranée, et pillé blé par l'ordre impérial, et les désordres,
en route les côtes de la Grèce de la , entretenus par les haines religieuses
Sicile, et surtout celles de la Libye, troublèrent encore l'Afrique pendant de
exposées alors à d'autres dévastations , longues années , dont chacune était si-
par les excursions des barbares indigè- gnalée à Carthage et à Tunis par de nou-
nes sortis des gorges de l'Atlas. velles scènes de guerre intestine et de
Les troubles qui agitaient alors l'Em- meurtres.
pire romain ne permettaient pas aux
empereurs de défendre contre ces di- CHAPITRE III.
sectaires, ajouter encore aux fléaux qui survécu à ses deux frères, recueillit par
désolaient leur malheureuse patrie à :
héritage les deux portions que ceux-ci
peine échappés aux persécutions dont avaient possédées.
les avaient accablés les empereurs ro- Ainsi Carthage et Tunis, comprises
mains, ils se persécutaient mutuellement d'abord dans le troisième lot de ce pre-
eux-mêmes. L'an 306 de notre ère , Men- mier partage, cessèrent d'être isolées
suris, évêque de Carthage, était violem- des autres parties du grand Empire ro-
ment arraché de son siège épiscopal , et main , et rentrèrent avec les autres pro-
remplacé par Cécilien; celui-ci à son tour vinces sous l'autorité d'un seul et même
maître ; mais cette réunion ne fut pas
(i) L'an a 86 de l'ère chrétienne. d'une longue durée.
TUNIS. 151
Constant avait voulu pacifier l'Église de Gildon, et qui, ayant encouru sa co-
d'Afrique, et y avait envoyé dans ce but, lère, s'était réfugié en Italie, fut choisi
l'an 349, Paul et Macaire mais les dona- ; pour satisfaire à la fois à sa propre ven-
tistes prirent les armes contre eux à Car- geance (2) et à celle des Romains ; Stîli-
tilage et à Tunis, et la rébellion ne put con, beau-père d'Honorius envoya en ,
être éteinte que dans le sang d'un grand Afrique Massezel avec une petite armée,
nombre de révoltés que leur parti ho- qui remporta une grande victoire sous
nora du nom de martyrs; enfin l'an 355 les murs de Tunis, et Gildon, désespéré
Donat, chef des schismatïques, fut défi- de sa défaite s'étrangla lui-même (3).
,
peuples africains cités par les historiens , tels dont ils furent bientôt chassés par Marc- Au-
que ceux de Mas-sinissa, de Mis-sipsa ou rèle: battus par Jurélien en 270, par Probus
Micipsa, de Mas-lanabal, de Mas-sezel , de en 277, ils réussirent néanmoins à s'établir
Mas-sjli , de Mas-sassyli , de Mazices ou dans la bords du Danube et de la
Dacie, sur les
Mas-syces, etc., paraît n'être autre chose que Theiss: l'an 406 de l'ère chrétienne, une partie
le mot mes ou mis , signifiant fils dans l'an- qui s'était alors jetée en Allemagne y fut vain-
cienne langue numide, et qui existe encore cue par les Francs ; mais les autres, s'étant joints
dans la langue berbère. aux Alains et aux Suèves, passèrent le Rhin,
Ce mot, équivalant ainsi aux mots ben des entrèrent dans les Gaules qu'ils ravagèrent ,
Hébreux, ebn des Arabes, mac des Irlan- jusques en l'année 4 16 de notre ère, et de là pé-
dais, etc., paraît jouer dans la composition des nétrèrent en Espagne, qui dès lors prit, d'après
noms propres africains le même rôle que les leur nom, celui d'Andalousie, conservé en-
formes des noms patronimiques chez les Grecs, core de nos jours par une des provinces es-
tels que ceux de Héraclides, à'inachides, $Â~ pagnoles,
152 L'UNIVERS.
verneur d'Afrique, piour se jeter sur était établi lé siège de son gouverne-
cette nouvelle conquête, qui devait le ment.
dédommager de la perte de ses posses- Cette résistance tardive fut impuis-
sions espagnoles. sante l'an 430 il fut complètement
:
s'apprêtait à profiter de ses ouvertures; vint l'y assiéger, au mois de juin 430 ;
mais il mourut sur ces entrefaites , et mais, peu versé dans l'art poliorcétique,
Genséric, son fils naturel , qui s'empara - il ne trouva d'autre moyen de forcer la
alors du pouvoir, mit à exécution le ville à se rendre, que celui de faire je-
projet dont son père avait fait les pré- ter dans ses fossés un nombre immense
paratifs. de cadavres qui empestèrent l'air et por-
Le nouveau roi de ces Vandales, qui al- tèrent la mort chez les assiégés.
laient jouer un si grand rôle dans l'his- Cependant après quatorze mois de
toire de la ruine de l'Empire romain, siège les Vandales n'avaient encore pu se
avait compris de quelle importance était rendre maîtres d'Hippone; mais pendant
dans cette grande lutte l'établissement cet intervalle leurs détachements avaient
de ses hordes tant sur le littoral africain poussé plus loin leurs incursions sur
que dans les îles de la Méditerranée; la Je littoral, où ils s'étaient emparés des
position de Carthage, de Bizerte, d'Uti- places principales, entre autres , de Car-
que et de Tunis fournissait au prince thage, de Tunis, de Bizerte et d'U-
qui en serait devenu maître les moyens tique.
d'établir une puissance maritime d'au- Devenu ainsi maître de presque toute
tant plus redoutable, que depuis long- l'Afrique septentrionale, Genséric vou-
temps les Romains n'avaient plus de lut s'assurer la possession de ses con-
flotte à opposer aux invasions de leurs quêtes , et, craignant d'y être attaqué
côtes. De ces ports si favorables , les ar- par l'empereur Falentinien III, il par-
mements pouvaient impunément porter vint à obtenir de ce prince un traité qui
le ravage sur tous les points de l'Empire lui cédait les trois Mauritanies, la Nu-
sans rencontrer d'obstacle; de plus, en midie et les autres provinces africaines ,
enlevant ainsi l'Afrique à Rome on que la force des armes avait déjà livrées
affamait l'Italie, qui tirait de ces pro- entre ses mains en tout ou en partie.
vinces ses subsistances et les regardait L'empereur s'était pourtant réservé
comme ses véritables greniers. la possession des villes de Cannage, de
Dès l'année 429 de notre ère qua- Tunis et de tout le territoire qui en dé-
tre-vingt mille Vandales et Alains pendait, bornant ainsi aux provinces oc-
avaient déjà traversé le détroit de Ca- cidentales le territoire dont il faisait
dix débarqué en Mauritanie
et : ef- cession aux Vandales ; mais ceux-ci, peu
frayés de ce déiuge d'envahisseurs, les scrupuleux sur la stricte exécution des
habitants s'étaient enfuis et réfugiés traites , voyant aussi l'impossibilité où
dans les montagnes pour les empêcher
: se trouvait de les y forcer l'empereur,
de se réunir de nouveau et de venir in- trop occupé à se défendre ailleurs contre
quiéter ses derrières, Genséric fit tout d'autres barbares , les Vandales refusè-
détruire sur son passage. Les trois pro- rent de restituer les conquêtes dont le
vinces mauritaniques étaient bientôt -traité leur interdisait la possession, et
tombées en son pouvoir mais quand les
; s'établirent au contraire plus solide-
Vandales voulurent passer plus avant, Bo- ment encore à Caithage et à Tunis.
ni/ace s'aperçut qu'au lieu d'auxiliaires Avec ces villes le reste des provinces
il s'était donné de nouveaux maîtres, et romaines en Afrique tomba bientôt en
il essaya de refouler les hordes conqué- leur pouvoir.
rantes loin de Carthage et de Tunis, où La possession des ports de Carthage „
TUJSIS. w.
et de Bizerte donna à Gensêric
de Tunis de Justinien mais cette éducation ca-
,
lesmoyens de se créer une marine telle- tholique le rendit odieux aux Vandales,
ment puissante, que, comme la républi- que Ton sait avoir adopté les dogmes de l'a-
que romaine au moment de sa plus rianisme, à l'imitation de tous les bar-
grande splendeur, il pouvait dire en par- bares qui à cette époque fondirent de
lant de la Méditerranée « mare nos- toutes parts sur l'Empire romain. Lors-
trum. » C'est de ces ports, et surtout de que les Vandales virent Hildérich per-
celui de Tunis, que sortaient alors ces mettre aux catholiques de rouvrir leurs
flottes formidables qui allaient libre- églises aux évêques exilés de rentrer
,
ment ravager les côtes italiennes, pren- dans leur diocèse et de se reunir en un
dre et piller Rome, dévaster le Pélopo- concile à Carthage (2), le mécontente-
nèse, l'Épire, la Dalmatie, lTstrie, et ment public devint extrême; on résolut
qui revenaient amonceler dans Car- de renverser un ennemi de la religion
tilage et dans Tunis les richesses du arienne, et que ses relations avec Justi-
monde entier. nien faisaient soupçonner du projet ca-
Il beaucoup trop long d'entrer
serait ché de livrer à l'empereur grec les pro-
ici dans quelques détails sur les intermi- vinces africaines.
nables guerres de Gensêric et des empe- Sur ces entrefaites, les Maures s'étant
reurs romains elles furent terribles
: : jetés sur la Tripolitaine et sur la Byza-
l'Empire épuisa ses dernières ressources cène y avaient enlevé plusieurs villes et
pour équiper des flottes destinées à re- tenté une attaque sur Tunis envoyé par
;
mœurs sévères; les jouissances de la dans leur capitale, dont les portes lui fu-
conquête et l'adoption de la civilisation rent livrées; bientôt après une bataille
romaine en firent un peuple amolli et de en rase campagne décida du sort de l'em-
mœurs dissolues. Cependant, malgré pire vandale ; toutes les villes africaines
cette dégénérescence progressive sous turent occupées par l'armée de Bélisaire,
les règnes des successeurs de Gensêric et l'Afrique fut rendue à l'empire grec.
en Afrique, les Vandales ne purent en Gelimer fut emmené prisonnier à
être expulsés que sous le règne de Jus- Constantinople, la nation vandale dis-
Hnien, par les armes de Bélisaire (1), parut les uns furent tués les autres
; ,
après une possession de plus d'un siècle. réduits en esclavage ou incorporés dans
Gensêric était mort l'an 477 de l'ère l'armée byzantine , et envoyés contre
chrétienne; il eut pour successeur Huné- les Perses. C'est à peine si dans les ré-
ric , puis Gunthamundi qui monta sur
le trône en 484; puis Thrasamund , (2) Depuis le premier concile provincial
en 496, puis Hildérich en 523. Hildé- tenu par l'ordre de l'empereur Constantin,
rich avait été élevé à la cour de Cons- dont il a été question ci-dessus, cette ville
tantinople, et il y avait obtenu l'amitié avait déjà vu se rassembler dans ses murs sept
autres conciles, dans les années 3go, 401,
(i) L'an 533 de noire ère. 4o3, 405,407,419 et 484 de l'ère chrétienne.
,
154 L'UNIVERS.
voltes des Maures qui suivirent la con- Constantin avait rendue héritière de la
quête de Bélisaire l'on trouva parmi eux suprématie romaine et chrétienne.
quelques centaines de Vandales; les fem-
mes vandales avaient elles-mêmes été CHAPITRE IV.
expulsées de l'Afrique , et depuis cette
époque il n'est plus question de ce peuple Invasion des Arabes ;
— cinq expéditions con-
dans l'histoire. duites par Amrou, Abd-AHah-ben-Sayd,
Toutefois, cette réintégration de l'au-
Moaouyah - ebn -Khadydjéh, Moussely-
mah - èl - Nazzahy et Oqbah - ben - Nafy
,
torité impériale en Afrique n'eut pas
une durée beaucoup plus longue que ne
— Abd- Allah ben-Zobeyr;
prise de — ;
tardèrent pas à s'élancer sur celles de successives, dont les victoires furent al-
l'Afrique septentrionale, dont ils s'assu- ternativement balancées par des revers.
rèrent la possession, maîgréla résistance La première de ces tentatives de con-
que les Grecs tentèrent vainement de leur quête eut lieu dès l'an 23 de l'hégire
opposer. ( 644 de l'ère chrétienne ).
pu arrêter le débordement des armées et organisé cette province dont il avait été
de Khosroès, qui se répandirent, comme nommé le premier gouverneur, réunit
un torrent dévastateur, sur les côtes ses troupes à Alexandrie, et s'avança sur
égyptiennes et africaines. Carthage et la côte barbaresque il s'y empara bientôt
:
Tunis avaient été saccagées par les Per- de Barqah et de Tripoli d'Occident (3) ;
ses (1); mais l'inondation de ce fléau mais il avait à peine annoncé cette con-
n'avait été qu'éphémère, le patrice qui quête à Omar-êbn-èl-Khettâb\4) , que
gouvernait alors l'Afrique au nom de la mort de ce khalyfe força i'armée vic-
l'empereur d'Orient n'ayant fait que cé- torieuse à renoncer à ses projets d'in-
der momentanément à cet orage passa- vasion et à rentrer promptement en
ger, et ayant presque aussitôt repris Egypte.
possession des provinces dévastées. Othmân, fils &Affân{S) , succéda à
Il n'en fut pas de même à l'égard de
Histoire de l'Egypte , faisant partie de celte d'environ douze années, et il fut tué l'an 35
Collection» de l'hégire (656 de notre ère ).
TUNIS. *55
Omar sur le trône du khalyfat : à peine d'une flotte des Grecs le contraigni t de le
ce prince avait-il été inauguré à Damas, lever et d'aller à leur rencontre : il les dé-
qu'il avait déposé Amrou, malgré tous fit, revint prendre Tripoli, et assiéger
les titresque le conquérant de l'Egypte Qâbès, battit en plusieurs rencontres
avait pour en conserver le gouverne- les troupes impériales, et s'empara de
ment. plusieurs autres villes, entre autres de
Amrou fut remplacé par le frère de Soubayttah , où résidait le gouverneur
lait du khalyfe Abd-allah, surnommé envoyé de Constantinople.
Ben-Saad, ou Ben-Sayd : celui-ci ja- , Un des principaux officiers de cette
loux de la gloire de son prédécesseur, expédition était le célèbre Abd-allah-ben
vouiutaussi s'illustrer par une conquête, Zobêyr, bien jeune encore, mais déjà
dont l'éclat pût éclipser celui de la con- illustré par sa bravoure et qui parvint
quête de l'Egypte. Il obtint du khalyfe depuis au khalyfat (3). Abd-allah-ben-
la permission de porter une seconde ex- Zobéyr fut choisi par le général en chef
pédition en Afrique, pour y étendre à l'oc- des Musulmans pour commander un
cident l'empire des Musulmans , qui , à corps nombreux qu'il envoyait afin de
cetteépoque, commençaitd'envahir avec maintenir les communications; et ce
tant de succès la Perse" et les autres con- furent surtout les manœuvres habiles
trées orientales. de ce corps qui décidèrent la défaite en-
Au lieu de se mettre en défense tière des Grecs.
contre le déluge dans lequel l'islamisme Devenu maître de toute la côte de la
menaçait d'engloutir leur empire dé- Cyrénaïque, Abd-allah-ben-Sayd ajouta
généré, les héritiers de Constantin et de à sa conquête celle de la ville â'Afry*
Théodose, amollis par les délices de By- qyah , dont le Prince fut tué de sa main
zance et tiraillés tour à tour dans les et il en réunit le territoire à son gou-
sens opposés par les divers sectaires qui vernement d'Egypte. Mais le mauvais
s'attribuaient successivement le titre succès d'une autre expédition, qu'il
d'orthodoxes, passaient leur vie avilie avait en même temps envoyée en Nubie,
au milieu des querelles ignobles du cir- le contraignit à renoncer à ses pro-
que (l ) et des discordes religieuses. Pour jets d'invasion sur la côte africaine.
s'opposer au torrent musulman, déjà Informé des progrès de la puissance
maître de l'Egypte et qui menaçait l'A- musulmane sur ses provinces d'Afrique,
frique d'une invasion prochaine," aucune et voulant prévenir l'envahissement de
armée n'avait été réunie à Carthage; celles qui lui restaient encore , l'empe-
mais les évêques y avaient été réunis en reur grec y fit faire des levées considé-
concile (2) , l'an 646 de l'ère chrétienne ; rables d'argent pour subvenir aux frais
et là, au lieu de songer aux moyens de la défense; mais, loin d'y concourir,
de préserver l'Afrique chrétienne du ces levées n'eurent d'autre effet quo
joug musulman, on n'avait pensé qu'à celui de mécontenter les populations;
combattre la nouvelle hérésie des Mo- et, fatigués de ces vexations intolérables,
nothélites. les habitants des contrées non encore
Cependant l'orage grondait déjà dans envahies implorèrent eux-mêmes, l'an
l'Egypte, si voisine; bientôt ses éclats 45 de l'hégire (665 de l'ère chrétienne)
vinrent frapper Carthage elle-même et le secours de Moaouyah, fils dAbou So-
disperser les pères du concile. (4) , qui, après la mort dOthmân,
L'an 27 de l'hégire ( 647 de notre ère ),
Abd-allah, avec une armée de vingt en- Zobéyr fut le qua-
(3) Jbd-Jllah-b
mille hommes se présenta devant la
trième khalyfe de la dynastie des Ommyades ,
,
(2) Déjà, depuis le dernier concile cité ci- âgé de soixante-douze ans, après un règne de
dessus, un autre avait été tenu à Carthage, neuf ans et vingt-deux jours.
l'an 534 de l'ère chrétienne. (4) Moaouyah, hhd'Abou-Sofyan,
d'abord
156 L'UJNÏVERS.
s'était faitproclamer khalyfe (1) , et fut veaux combats illustrer de plus en plus
le fondateur de la dynastie des Ommya- les drapeaux de l'islamisme.
des (2). Tandis que le khalyfe assurait par ces
Ce Prince, débarrassé alors des guerres nouvelles forces la conquête entière des
qu'il avait eu à soutenir contre les par- côtes africaines, l'empereur de Constan-
tisans é'Aly et de ses fils, était devenu tinopleexpédiaitpour combattre les ren-
paisible possesseur du khalyfat, et pou- forts musulmans une armée de trente
vait par conséquent, dans cette circons- mille hommes, qui vinrent établir leur
tance favorable, employer à achever la camp sur le bord de la mer, à Sant-
conquête de l'Afrique ses forces deve- , bartah.
nues disponibles. Ils y furent bientôt attaqués par les
Le khalyfe envoya donc aussitôt dans Musulmans, qui les défirent et prirent
la Cyrénaïque une troisième expédition, d'assaut elle-même.
la ville
commandée par un de ses généraux, Un des épisodes de cette campagne
nommé comme lui Moaouyah, mais dis- fut la première descente des Musulmans
tingué par le surnom de Ebn-Kha- eu Voulant faire diversion aux
Sicile.
dydjêh. forces que l'empereur de Constantinople
Cette nouvelle armée comptait dans envoyait pour défendre ses provinces
ses rangs les plus braves guerriers de africaines Moaouyah-ben-Khadydjêli
,
Enfin une cinquième expédition afri- du nom (3) et Merouân 1 er (4) , furent
,
caine fut celle qui fut conduite jusque presque toujours signalés par une nou-
sur les côtes occidentales de la Mauri- velle extension donnée à l'islamisme dans
tanie par Oqbah, surnommé Ben-Nâfy. les parties occidentales de cette vaste
Ce général y fut envoyé l'an 50 de contrée.
l'hégire (670 de
chrétienne), par
l'ère Sous le règne du khalyfe Abd-êl-
le même khalife (1) qui avait ordonné Melek'ben-Merouân (5), l'an 69 de
les trois dernières des précédentes. l'hégire( 689 de notre ère) , sous la con-
détruite; et cette ville prit des accrois- Yezid l ev du nom et petit - fils de Moa-
sements si rapides , par l'affluence des ouyah I er Ce prince, appelé au trône par le
.
émigrants d'Egypte, qu'elle devint dès droit d'hérédité après la mort de son père,
lors la résidence des gouverneurs que hésita d'abord à accepter l'autorité sou veraine ;
les khalyfes envoyèrent pour exercer puis après l'avoir exercée pendant six semaines
leur autorité sur les provinces africaines. seulement se sentant trop faible pour diriger
,
— conquête de l'Espagne; —
•
;
à-dire de la partie occidentale de ces dèrent bientôt comme une annexe in-
mêmes côtes, dispensable de leur domination afri-
(S Hassan-ben-Noumân fut contraint de caine. Déjà, sous le règne du khalyfe He-
faire sa retraite sur Barqah, et il se tint châm (3), quatrième fils û'Abd-él-Melek.
renfermé dans cette ville jusqu'à ce ,
un gouverneur musulman nommé Bâ
que le khalyfe lui eut fait passer des cher, fils de Safouan, surnommé êl-Ke-
renforts suffisants pour qu'il pût à son lâby, avait commencé à former un éta-
tour reprendre l'offensive.. blissement fixe en Sicile, et l'an 122 de
Grâce à la nouvelle armée que lui ex- l'hégire 739 de notre ère ) Habyb , fils
(
que, et tenta avec succès, l'an 91 de troubles vinrent encore agiter l'Afrique;
l'hégire ( 708 de l'ère chrétienne ) une ils étaient suscités par le chef de la
conquête bien autrement importante, tribu des Zenetes, ou Beny-Meryn,
celle de l'Espagne, où , sous le khalyfat nommé Abou-Qara-êl-Maghyly , qui
de Oualyd i er (1), l'an 92 de l'hégire ameuta contre les Arabes toutes les tri-
( 711 de notre ère ), il porta les armes et bus de l'Occident, et prétendait fonder
la religion de l'islamisme. dans ie Moghreb un empire dont Telmes-
Mais avant qu'un demi-siècle fût
écoulé cette conquête, faite au nom Voyez ci-dessus la note 2 de la page i56.
(2)
des khalyfes d'Orient, leur échappait Hechâm-ben-Abd-êl-Meleh , onzième
(3)
déjà irrévocablement, pour devenir le khalyfe de la dynastie des Ommyades orien-
domaine d'une nouvelle dynastie de taux, succéda à son frère Yèzyd II e du nom,
l'an io5 de l'hégire ( 724 de notre ère) son ;
(i) Oualyd 1 er du nom, fils $ Abd-êl-Melek, règne fut de vingt années environ, et se termina
fut le septième khalyfe de la dynastie Om- l'an 125 de l'hégire (743 de l'ère chrétienne).
myacle ; il succéda à sou père, l'an 86 de l'hé- (4) Huit ans après, le fils de ce Habyb,
gire ( 7o5 de notre ère). Son règne fut de dix nommé Abd-êr-Rhaman , était le chef de l'ex-
avait été faite non-seulement sans le cipales villes des côtes barbaresques pu-
consulter, mais même sans lui en donner rent impunément s'arroger eux-mêmes
avis. un pouvoir indépendant à la fois des
Les dépouilles de ces déprédations khalyfes et des gouverneurs généraux
pouvoir que plusieurs d'entre eux es-
dixième
sayèrent même de rendre héréditaire.
(i) Yezyd-hen-Abd-êl-Meleh fut le
khalyfe de la dynastie ommyade; il succéda Des compétiteurs nombreux s'élevè-
l'an ioi de l'hégire (720 de notre ère ) à son rent successivement, dépouillant leurs
cousin Omar-ben-Abd-êl-Azyz; mais il ne ré- prédécesseurs , dépouillés à leur tour
gna que quatre années, jusqu'à l'an io5 de par une suite de catastrophes partielles
l'hégire ( 724 de l'ère chrétienne ). que l'histoire a dédaigné d'enregistrer
,
e
mettaient à leur égard se bornait à la lah II du nom Abou-Ishâq-Ibraym
,
avaient, il est vrai, été insoumis, mais cinquante-six ans, Tan 196 de l'hégire
non ouvertementrebelles ils netenaient ; (812 de l'ère chrétienne).
aucun compte des ordres du souverain Victorieux de ses ennemis à l'inté-
de l'Islamisme et n'envoyaient au trésor
, rieur, n'ayant rien à craindre du kha-
impérial aucune des sommes qu'ils pré- lyfe, trop éloigné des provinces afri-
levaient en tribut sur les provinces caines pour y tenter une répression
soumises à leur administration; mais difficile, lbraliym-ben>Aghlab était par-
cependant ils étaient restés ostensible- venu à rendre héréditaire son pouvoir
ment dans les formes du vasselage, et sur l'Afrique; et il le laissa en mourant
n'avaient pas cessé de reconnaître dans à son fils aîné, Abou-l-Abbâs-Abd-allah.
tous leurs actes les khalyfes de Bagh- A la mort de son père ce prince se
dcid pour leurs suzerains de droit. trouvait dans la ville de Tripoli; pro-
Ibrahym-ben-Aghlab alla plus loin fitant de cette absence son frère Zyâ-
,
11 e Livraison. (Tunis.) 11
, ,
162 L'UNIVERS.
Les Musulmans battirent à Mazzara Zyâdét- Allah mourut à l'âge de cin-
l'armée sicilienne; et Platha, forcé de quante-un ans et demi (3), l'an 223 de
prendre la fuite, se retira en Calabre, l'hégire (838 de l'ère chrétienne), lais-
où bientôt après il fut tué; le général sant le trône à son frère Abou-l- Aqqâl-
musulman était également mort; et son ôl- Aghlab. Ce prince se rendit surtout
successeur, Mohammed- Abou-l- Djouâ- recommandable par la vigilance qu'il mit
ry , qui, l'an 21 3 de l'hégire ( 828 de no- à préserver ses États de toute attaque
tre ère) avait été assiéger Syracuse, fut et par les largesses qu'il répandit sur les
forcé par une flotte envoyée de Constan- milices son règne, qui ne fut que d'un
:
tinople, non-seulement de lever le siège, peu moins de trois années, fut exempt de
mais encore de se replier dans l'inté- toute espèce de trouble; et il mourut (4)
rieur de l'île, où les Musulmans, battus Tan 226 de l'hégire (841 de notre ère).
sur plusieurs points, privés de vivres, Son fils A
bou-l- Abbâs- Mohammed
se virent réduits à manger leurs che- étant mort jeune , il eut pour succes-
vaux; après deux années de combats seur son petit-fils Ahmed-ben- Abou-l-
qui n'avaient été pour eux que des dé- Abbas , auquel on doit la construction
faites continuelles, ils s'attendaient à du grand aqueduc et de la mosquée qui
une perte inévitable, quand, l'an 215 de sont près de la porte de Tunis. Après un
l'hégire (830 de notre ère), des secours règne d'environ vingt-trois années, il
inespérés leur arrivèrent d'Espagne, laissa, l'an 249 de l'hégire (863 de notre
amenés par Asbay-ben-Ouakyl. Dès lors ère), le trône à son frère Ab ou- Moham-
les affaires changèrent de face ; la vic- med- Zyâdét- Allah II e du nom qui ne ,
toire favorisant de plus en plus les Mu- régna que six mois , et eut pour succes-
sulmans, les Grecs furent enfin forcés seur son neveu Mohammed-ben-Ahmed,
de leur abandonner la possession de surnommé Abou-l- Gharany k , âgé seu-
nie , dont le premier gouverneur, Mo- lement alors de quatorze ans.
hammed-ben-Abd-Allah-ben - Aghlab Ce prince, monté si jeune sur le trône,
prit le titre de roi (1). y mourut également bien jeune encore,
C'est ainsi que la Sicile passa sous la car il n'avait que vingt-quatre ans lorsque
domination d'une branche de la famille la mort le frappa , après un règne d'envi-
des Aghlabites : ce domaine leur fut en- ron onze années (5), l'an 261 de l'hé-
suite enlevé par les Fatymites, qui la gire (875 de Tère chrétienne).
possédèrent jusqu'à ce qu'ils en furent Cette mort transmit le pouvoir royal
expulsés à leur tour par les armes des à Abou-lshâq-Ibrahym, fils de Ahmed-
Normands, que commandait le célèbre ben- Abou-l- Abbâs : le règne de ce prince
comte Roger (2). se signala par deux événements remar-
quabjes ; l'an 264 de l'hégire ( 877 de l'ère
(i) Il mourut l'an a36 de l'hégire ( 85o de chrétienne ) la ville de Syracuse fut prise
l'ère chrétienne), aprèsun règne de dix-neuf ans. par les Musulmans , que commandait
er
(2) Roger I du nom, le dernier des douze Ahmed-ben- Aghlab; et l'an 281 de
fils de ïancrède , seigneur de Hauteville en l'hégire (894 de notre ère) la résidence
Normandie, naquit en l'année io3i de notre royale fut transférée à Tunis, où Abou-
ère il était venu en Italie vers l'an 1048 :
;
Ishâq fit bâtir un palais , dans lequel il
devenu maître de la Sicile par la prise de Pa-
mourut Fan 289 de l'hégire ( 902 de no
ïenne et la conquête des autres places de cette
tre ère ), après un règne d'environ vingt
île , il en chassa
Musulmans, et y rétablit
les
huit années.
la religion chrétienne. L'an 1096 il prit le
titre de grand Comte de Calabre et de Sicile.
Son fils , Abou-l-Abbâs-Abd- Allah IIe
Tous les historiens attestent que le règne de du nom, avait été proclamé roi du vivant
ce prince fut signalé non-seulement par les de son père; mais il lui avait à peine
conquêtes brillantes qu'il remporta sur les succédé qu'il fut tué dans le mois de
Musulmans, mais encore par une adminis-
tration sage et éclairée, qui rendit heureuses seur au trône de Sicile son fils Roger II, dit
les populations sur lesquelles ses armes ve- le Jeune.
naient d'établir son pouvoir. (3) Le mardi 14 du mois de Redjeb.
Roger mourut au mois de juillet l'an 1101, (4) Dans le mois de Raby-êl-âkher.
âgé de soixante-dix ans , laissant pour succes- (5) Dans le mois de Djemâdy-êl doitel.
TUNIS. 163
Chaabân de l'an 290 de l'hégire (l'an 903 aghlabite, dont il était devenu le ven-
de notre ère) il avait régné conjointe-
: geur (1).
ment avec son père un an et cinquante- Bientôt puissance des Successeurs
la
deux jours et seul neuf mois et treize
, ftèl-Mahady se trouva trop resserrée
jours. dans les limites de ses possessions d'A-
Le fils d'Abou-l-Abbâs, nommé Abou- frique les khalyfes fatymites allèrent
:
Nasr, et surnommé Zyadét- Allah III e en Egypte fonder une nouvelle capitale,
du nom succéda à son père
, le règne
: quidevintla seconde ville (2) de l'Orient,
de ce prince fut signalé par les plus et établirent un nouvel empire, qui di-
grands désastres : un rebelle, nommé visa l'islamisme en deux schismes s'a-
Abd- Allah, se mit à la tête d'un parti nathématisant l'un l'autre.
nombreux , défit en plusieurs rencon- Dès lors les khalyfes du Kaire eurent
tres les troupes royales, et, s'emparant plutôt les yeux tournés vers leur rival
d'une grande étendue de pays, força de Bayhdadque vers leurs provinces bar-
Zyadét- Allah à abandonner ses États, baresques,dontilsabandonnèrentlegou-
après un règne seulement de cinq années vernement à différents princes, grands
et dix mois. Le prince détrôné s'était feudatairesplus ou moins indépendants,
retiré en Egypte, d'où il avait dessein plus ou moins soumis à la suzeraineté
de se rendre à Baghdâd; mais l'entrée du khalyfat (3).
dans cette ville lui fut refusée.
A la nouvelle de la défaite et de la fuite (i) Si le lecteur désire connaître plus en
de Zyâdet- Allah, un autre prince de sa détail l'histoire de la dynastie des Aghlabites,
famille, nommé Ibrahym-ben-Aghlab, il pourra se satisfaire pleinement en lisant
la traduction de YHistoire de C Afrique sous
avait tenté dereleverle trône aghlabite ;
la domination des Aghlabites, publiée avec le
il était entré à la tête d'un parti dans
texte arabe d'Ebn-Khaldoun, et des notes
la ville de Qayrouàn , avait rassemblé
aussi savantes qu'intéressantes, par M. A. Noël
les habitants dispersés, et s'était emparé
Desvergers ; Paris, imprimerie de MM. Fir-
du palais; il avait ainsi rétabli la tran- min Didot frères, 184.1 gr. in-8°. ,
cette dynastie puissante, qui avait ré- l'Afrique proprement dite depuis leur trans-
migration en Egypte.
gné pendant plus d'un siècle sur l'Afri-
Je me bornerai donc, à l'égard de ces
que septentrionale et avait conquis la
princes, et pour compléter la série chrono-
Sicile,
logique des souverains auxquels furent sou-
Toutefois le rebelle Abd- Allah ne
mises Tunis et l'Afrique septentrionale, à
jouit pas longtemps de la double victoire donner seulement ici la liste des khalyfes
qui semblait assurer son usurpation. qui composent cette dynastie :
164 L'UNIVERS.
— prise de Tunis par Abd-êl-Moumen ; de toute inquiétude à cet égard put pour- ,
conserver la Sicile sous le joug de l'isla- môurutdans le mois de Redjeb de l'an 501
misme. de l'hégire ( 1108 de l'ère chrétienne),
Temym, de êl-Moëz, eut aussi à
fils laissant le trône de Tunis à son fils Ya-
Gombattreplus d'une rébellion. L'an 455 hyâ, qui mourut l'an 609 de l'hégire
de l'hégire (1063 de l'ère chrétienne), (1115 de notre ère), et dont le court
il réduisit à son obéissance les villes de règne n'offre d'autre événement im-
Sfax et de Soussah, qui avaient pris les portant que l'arrivée de Tripoli au ter-
armes contre son autorité. Trois ans ritoire tunisien, de Mohammed-ben-
après, l'an 458 de l'hégire ( 1 066 de notre Tomrout, surnommé Él-Mahady, qui
ère), il rentra dans Qay rouan, et reprit dans la suite devait être le fondateur de
Tunis, où Ahmed-ben-Nasrouyah s'é- la dynastie des Almohades.
tait établi. L'an 466 de l'hégire (1076 de Yayhâ eut pour successeur son fils
notre ère) l'Arabe Malek-be?i-Alouy, Aly ; ce prince commença son règne en
qui avait osé mettre le siège devant la envoyant une flotte contre les habitants
ville de Mahadyêh, en avait été repoussé de l'île de Djerby, qui s'étaient révoltés
avec perte. Cet échec ne l'empêcha pas et infestaient les côtes d'Afrique par
de se jeter sur Qayrouân, dont il se leurs pirateries; puis, l'an 511 de l'hé-
rendit maître; mais presque aussitôt il gire (1117 de l'ère chrétienne), il alla
en fut expulsé par Temym. assiéger la ville de Qabès, toujours
L'an 481 de l'hégire (1088 de l'ère portée à la rébellion, et dans laquelle
chrétienne), les Normands, victorieux Rafy-ben-Makân, secouru parles trou-
en Sicile et unis aux Grecs , s'étaient pes de Roger (3) , roi de Sicile, s'était dé-
emparé de l'île de Panlellaria (1) , d'où claré en révolte ; Aly éprouva plusieurs
ils menaçaient également Tunis, Bizerte, échecs, qui le contraignirent de lever le
et le reste de la côte africaine; Temym, siège , et Rafy, profitant de ses avan-
déjà trop occupé par ses guerres con- tages , vint à son tour mettre le siège
tinentales, acheta la paix , moyennant devant Mahadyêh; mais il fut défait par
quatre- vingt-mille pièces d'or et la pro- Aly, et se réfugia à Qay rouan, d'où il
messe de renoncer à toute intervention retourna à Qabes.
dans les affaires des Musulmans en Si- Aly n'avait régné qu'environ cinq an-
cile (2). nées lorsqu'il mourut (4), l'an 515 de
En effet, à cette époque un Turk, l'hégire (1121 de l'ère chrétienne).
nommé Chah-Mélik, était venu avec
quelques troupes tenter une invasion (3) Roger II, fils du prince dont il a été ques-
en Afrique; il s'était déjà emparé de tion ci-dessus, dans la noie 2 de la page 162,
Tripoli, lorsque Temym courut à sa ren- était né l'an 1097 de notre ère, et à la mort
contre et le força d'évacuer cette ville. de son père, l'an 1101, il fut proclamé comte
Pendant ce même temps les villes de de Sicile et de Calabrè sous la régence de sa
,
Qabès, de Sfax et de Tunis même s'é- mère Adélaïde. Il prit le titre de roi de Sicile
rendre de nouveau le maître. relles qui s'étaient élevées entre les princes
Enfin, après avoir eu continuellement à musulmans de l'Afrique, le roi Roger II porta
défendre son trône pendant un règne laguerre sur leurs côtes, et y fit plusieurs con-
d'environ quarante-huit années, Temym quêtes. Aussi avait-il pris pour devise ce vers
latin :
(i) En
arabe Qossyrah, la Cossyra des Appuluset Calaber, Siculus mihi servit et Afer.
anciens géographes. Enfin l'an 1 154 ce prince mourut, à l'âge de
Fertilis est Melite sterili vicina Cosyrœ. cinquante-huit ans. Il avait favorisé les sciences,
0\ID. et avait appelé à sa cour les plus savants des
(2) Les Musulmans furent entièrement ex- Musulmans, parmi lesquels ou remarque sur-
pulsés de la Sicile l'an 484 de l'hégire tout le célèbre géographe Êl-Edryssy, qui
( 1091 de l'ère chrétienne). Voyez ci-dessus, composa pour lui plusieurs savants ouvrages,
la note 2 de la page 162, (4) Dans le mois de Raby-êl-àkher.
,
166 L'UNIVERS.
fils Hassan, auquel
Le règne de son En même temps il envoya trois de ses
il ne fut qu'une suite de
laissa le trône, enfants, Yahyâ, Aly et Temym, vers
désastres. L'an 519 de l'hégire (1125 de un prince de ia famille des Bény-Ham-
l'ère chrétienne) les Normands de Sicile med (4), nommé Yahyâ (5),comme l'aîné
s'étaientemparés 3e l'île de Djerby sur la de ses fils.
se virent ainsi maîtres de toute la con- tête d'une armée de cent mille hommes,
trée qui s'étend depuis Tripoli jusques dont il confia la conduite sous ses or-
à Tunis. dres à un général nommé Hassan
Hassan avait abandonné sa ville de comme le prince fugitif.
Mahadyéh , et avait pris avec toute sa Il se rendit d'abord maître de Tunis,
famille la route de l'Egypte, dans le des- puis il alla assiéger Mahadyéh. Pendant
sein de se réfugier auprès du khalyfe le siège il prit possession des villes de
Hâfezz-le-dyn-Illah (1 ); mais en chemin Tripoli, de Sfax, de Qabès , et de tout
il changea d'avis , et, retournant sur ses le territoire qui en dépend une flotte :
pas, il préféra chercher un asile auprès envoyée de Sicile pour porter des secours
d' Abd-él-Moumen , qui venait d'établir à la garnison assiégée fut battue par la
avec éclat la dynastie des Almohades (2) flotte musulmane.
dans le Moghreb êl-Aqsâ (3), dont il espé- Enfin l'an 555 de l'hégire (1160 de
rait obtenir des secours contre les Francs. notre ère), Abd-él-Moumen entra dans
Mahadyéh , où il établit un gouverneur,
(i) Voyez ci-dessus la note 3 de la page i63. et qu'il mit en état de se défendre contre
La dynastie qui porte le nom A'Almo- les nouvelles attaques que les Francs
(2)
hades chez nos historiens, et ftél-Mouahedyn, auraient pu tenter bientôt après il com-
:
c'est-à-dire unitaires, chez les Arabes, com- pléta la conquête des autres places et
mença à paraître en Afrique l'an 5 14 de l'hé- des autres parties du territoire, et se
gire ( ii 20 de l'ère chrétienne). El-Mahady- vit ainsi en possession de toute l'éten-
ben-Tomrout, dont nous avons parlé ci-dessus, due de pays qui avait appartenu aux Zey-
en fut le fondateur. Ayant été chassé de la rites. Toutefois , aucune partie de ces
ville de Marok par Aly, prince des Al/nova- conquêtes ne fut rendue au prince dé-
vides, il se retira à Soussah, où il se fit pro- trôné, et par cette spoliation fut com-
clamer souverain par les tribus qui l'avaient plétée l'extinction de cette dynastie,
suivi dans sa retraite. Cette dynastie, qui
compte douze souverains , parmi lesquels le (4) Cette famille était une branche de celle
plus illustre est Abd-êl-Moumen-ben-Aly, des Zeyrites ; elle descendait de Hammdd, fils
qui succéda à él-Mahady, régna sur l'Afrique de Yousoufet petit-fils de Zéry : elle habitait
et une partie de l'Espggne pendant cent cin- les montagnes situées au sud de la ville de
quante quatre-ans , jusqu'à l'année 668 de Bougie.
l'hégire (1269 de l'ère chrétienne), qu'elle fut
(5) Ce prince était le fils de Azyz-b-Illah
renversée par la dynastie des Merinites ou septième descendant du fondateur de la fa-
Zenètes. mille. Celte dynastie, dépouillée par Abd-él-
(3) Les Arabes désignent par ce nom la Moumen, l'an 546 de l'hégire ( ii5i de notre
partie la plus occidentale des côtes barbares- ère ) , avait régné en Afrique sous neuf prin-
ces, pendant cent soixante années.
TUNIS. 167
qui avait régné sur l'Afrique pendant événements qui eurent quelque rapport
deux cents années. avec Tunis sont les suivants :
Chacune des provinces conquises eut -Tandis que Abou-Yaqoub , petit-fils
son gouvernenr particulier, nommé par et successeurd'Abou-l-Moumen , était
Abdêl-Moumen, et Tunis n'eut pas occupé en Espagne à combattre le roi
un sort différent de celui auquel furent Alphonse, plusieurs troubles avaient
soumises les autres parties du vaste ter- agité ses provinces africaines.
ritoire incorporé par la victoire au grand L'an 568 de l'hégire (1172 de notre
empire des Al monades. ère), une troupe de'Turks, qui avaient
Tant que la dynastie Almohade dont
, quitté l'Egypte sous le règnede Salah-êd-
Marok était la capitale, conserva sa dyn (Saladin) avaient été conduits
puissance en Afrique, Tunis fut gouver- sur les côtes barbaresques par Taq-y-éd-
née par des délégués envoyés de la rési- dyn-Qara-Qouch ; les populations mé-
dence royale , et cette ville fut ainsi en contentes des Arabes indigènes s'étaient
proie aux vexations de nombreux oppres- jointes à ces étrangers, qui s'étaient ren-
seurs, profitant de l'éloignement du chef- dus maîtres de Tripoli, de Tunis, Maha-
lieu du gouvernement pour se supplanter dyéh, et de quelques «autres places im-
et se dépouiller mutuellement, par une portantes.
série non interrompue de petites catas- Abou-Yaqoub se hâta d'accourir pour
trophes intérieures sans aucune impor- repousser les envahisseurs; et il les eut
tance historique, mais dont le peuple bientôt expulsés de ses domaines. Lors-
payait toujours les frais en avanies et qu'il fut entré à Mahadyéh , il y reçut
en spoliations de toute espèce: plus d'une des ambassadeurs du roi de Sicile avec ,
en venir aux mains avec eux ; ils furent (i) La dynastie des princes que nos historiens
battus l'an 556 de l'hégire ( 1161 de l'ère nomment Almoravides ou Marabouts, et que
les Arabes nomment êl-Morabettyn oxxêl-Mo-
chrétienne ) , et les tribus qui
prirent le
latemin> tirait son origine des tribus Hémya-
parti de se soumettre furent immédiate-
rites que le premier khaïyfe des Musulmans,
ment envoyées en Andalousie; mais la
Abou-beker-es-Sadyq, avait autrefois envoyées
majeure partie de cette population, at-
conquérir la Syrie. Quelques-unes de ces tribus
tachée au sol natal se maintint opiniâ-
,
passèrent ensuite en Egypte, et de là dans le
trement en hostilité avec l'autorité des Moghreb avec Moussa, fils de Nassyr, sous
rois de Marok. lequel se fit la conquête de l'Espagne. Ces tribus
Cet état de choses dura sous Abou- ne suivirent l'expédition de Tdreq que jusqu'à
Yaqoub , âl-Mansour-Yaqoub et Nâs- Tandjah (Tanger ), où elles quittèrent ce gé-
ser-le-dyn-Illah, successeurs d'Abd-él- néral, lorsqu'il entra en Espagne : elles allè-
Moumen , jusques à l'an 603 de l'hé- rent chercher dans le Sahra quelque point
gire (1206 de l'ère vulgaire). où elles pussent fixer leur habitation, et peu
Pendant cet espace de temps les seuls après s'emparèrent de Sedjelmesse. Ce fut
168 L'UNIVERS.
l'îlede Mayorque vint avec une flotte
,
à la fin de l'an
593 de l'hégire (1196 de
attaquer Ja ville de Bougie, et s'en ren- notre ère), en apprenant qu'Aly-ben-
dit maître, ainsi que de Tunis, de Ishâq et les Almoravides étaient sortis
Qabès et des autres places principales du désert avec un grand nombre d'Ara-
de ce territoire; ii en chassa tous les Al- bes, dont ils avaient su attacher les tri-
monades, et fit faire la khotbah (1) au bus à leur parti ; mais la maladie le sai-
nom du khalyfe de Baghdâd, Nâsser- sit en route, et il fut forcé de s'arrêter
le-dyn-Illah (2), annonçant ainsi solen- à Marok, où il mourut, dans le mois de
nellement qu'il abjurait toute obéissance Raby-ël-âkher de l'an 595 de l'hégire
envers les khalyfes d'Occident. Al-Man- ( 1199 de l'ère chrétienne), après un rè-
sour accourut aussitôt attaquer les gne de quinze années.
troupes du prince almoravide , les bat- Abou- Abd- Allah -Mohammed, sur-
tit, leur reprit Tunis et toutes les autres nommé Nâsser-le-dyn-Illah , fils d'Aï-
places dont ils s'étaient emparés , et les Mansour, qui succéda à son père, se ren-
força à chercher un asile dans le désert. dit lui-même dans les provinces orien-
Àl-Mansour-Yaqoub était retourné tales d'Afrique, l'an 607 de l'hégire (1205
à la guerre contre les Espagnols; mais il de notre ère). Ce prince vint à bout
se hâta de quitter son armée d'Espagne de pacifier cette contrée et d'y apaiser
tous les troubles que Aly-Ben-Ishaq et
alors qu'unde leurs chefs, nommé Djouhar, de ses Almoravides n'avaient cessé d'y sus-
la tribu dedjoudalah, appela auprès de lui un citer. Il quitta alors l'Afrique pour aller
docteur, nommé Abd- Allah, pour instruire ses continuer la guerre en Portugal ; mais
compatriotes, qu'il regrettait de voir plongés à peine Abou- Abd- Allah fut-il sorti de
dans la plus profonde ignorance. Bientôt l'Afrique , croyant y avoir pleinement
d'autres tribus se joignirent à la première
rétabli son pouvoir, que cette contrée
pour participer à cette instruction ; et Abd-
changeait de nouveau de maîtres, et tom-
Allah leur persuada d'élire pour chef su-
bait des mains des Almohades en celles
prême un personnage recommandable par sa
piété et ses vertus nommé Abou-beker-ben-
des Bény-Hafs.
,
il
;
— Yahyâ-Abou-
;
Almoravides comprend six princes, qui ré- est détrôné par son frère
gnèrent pendant quatre-vingt onze ans sur Zakaryâ du nom
I —
er
êl-Lehyâny
;
il force
l'Afrique et sur une portion de l'Espagne, de- à embrasser — sou-;
la vie religieuse il se
puis l'année 4^o de l'hégire ( io58 de l'ère met aux Almohades — Abou-Abd-Allah-
;
;
se retirèrent dans les déserts et dont les autres tion de Louis en Afrique; —
saint motifs
restèrent possesseurs des îles Baléares. secrets de — Charles d'An-
cette croisade ;
(1) La khotbah est une formule de prière jou de
roi — Sicile;envers ses griefs le
publique qui se fait le vendredi dans toutes les roi de Tunis — premiers ; — succès ; prise
mosquées : l'imam y fait mention du nom du de de Tunis; — invasion de
la citadelle
prince régnant, et cette mention est l'acte so- la peste;— mort de Louis; — saint arri-
lennel par lequel on reconnaît sa souveraineté. vée de de
la flotte — proposition
Sicile;
(2) Nasser-le-dyn-lllah fut le surnom du de paix du de Tunis; —
roi conclu traité
khalyfe Ahmed-abou-l-Jbbas, trente-sixième entre lui et les princes chrétiens — ; re-
prince de la première dynastie des Abbassides ; tour en France de la flotte des Croisés.
il était le fils de Mostaddy-be-amr- Illah, au-
quel il succéda, l'an 575 de l'hégire (1180 de La dernière des dynasties indigènes
notre ère) ; il régna quarante-six ans et onze qui se succédèrent sur le trône de Tunis,
mois, et mourut âgé de soixante-dix ans, l'an et qui y portèrent le titre de Roi, est
622 de l'hégire (1225 de notre ère ), laissant celle des Beny-Hafs ou Beny-Abou-
le trône du khalyfat à son fils Ddher-b-Illah. Hafs. Cette famille tirait son origine
TUNIS. 169
170 L'UNIVERS.
f)ar
suite de ces stipulations pacifiques peine sorti lui-même des fers des sultans
a marine marchande des États chrétiens égyptiens, Louis IX, à son retour en
jouissait sur toutes les côtes barbares- France, prépara une seconde expédition
ques d'une sûreté et de garanties rare- contre les infidèles : il était surtout ex-
ment violées; et le trafic des Européens, cité à ce projet pieux par son frère Char-
libre et protégé sur terre comme sur les d'Anjou , roi de Sicile (2), qui cachait,
mer, d'immenses bénéfices en
réalisait sous le prétexte d'un zèle chrétien et des
faisant refluer les productions de son in- intérêts de la religion, des motifs d'in-
dustrie des points les plus éloignés de térêt personnel et d'un ressentiment
l'Orient. particulier contre le roi de Tunis.
semblait donc devoir être de l'inté-
II En effet, depuis cinq années le prince
a
rêt des puissances chrétiennes de ne musulman avait refusé de payer au roi
troubler en rien un état de choses si fa- de Sicile le tribut annuel auquel Tunis
vorable à la fois à l'Europe et à l'Afri- était assujetti (3) ; et Charles, se trouvant
que ; mais l'intérêt personnel d'un prince trop faible pour aller à Tunis revendi-
vint déranger cet équilibre, et le fana- quer lui-même ses droits les armes à la
tisme religieux fournit le prétexte qui main , persuada à son frère de diriger
devait faire pencher la balance, pour ses attaques sur Tunis, qu'il lui repré-
entraîner l'Europe dans une nouvelle senta comme la porte de l'Egypte, et le
guerre contre les Musulmans. chemin le plus assuré vers la possession
La France commençait à peine à se de cette terre sainte objet de tous ses
remettre des pertes immenses d'hommes pieux désirs.
et d'argent que l'Egypte avait englou- Louis IX s'était donc décidé à l'atta-
ties, lorsque, loin d'être découragé par que de Tunis, treize ans après son re-
les revers de sa première croisade (1), à tour d'Egypte, laissant le gouvernement
de son royaume en son absence à l'abbé
de Saint-Denis et au comte de Nesie, et
La première croisade de saint Louis eut
(i)
s'était embarqué à*Aigues -Mortes (4), le
lieu en l'année 1248 de notre ère; l'armée ei
l 'juilletdei'an 1270 de l'ère chrétienne,
croisée descendue en Egypte se signala d'a-
pour sa seconde croisade, qui devait lui
bord par les plus brillants succès et par la
être encore plus fatale que la première.
prise de Damiette mais elle vit bientôt ses
;
comme invraisemblable, par la plupart de nos qu'ils étaient souverains de la Sicile; et Charles
écrivains européens. Cependant on en trouve d'Anjou, en devenant maître de ce royaume,
les traces dans quelques historiens orientaux ; avait succédé à leurs droits.
et ce qui pourrait lui donner quelque proba- (4) S'il en faut croire les historiens con-
bilité, c'est l'admiration qu'avait inspirée aux temporains, la flotte des Croisés se composait
mamlouks la vertu et la noble fermeté de de dix-huit cents vaisseaux.
leur saint prisonnier, admiration partagée par (5) Le roi de Navarre qui accompagnait
tous les auteurs orientaux , et qui les a portés saint Louis dans sa croisade d'Afrique était
TUNIS. 171
neste influence : l'eau et les vivres man- quête de cette ville, et une fois maître
quaient; déjà un assez grand nombre de la place , il devait la raser, pour
de croisés était mort de fatigue et de pri- ne pas affaiblir, en y laissant une forte
vations ; bientôt une terrible maladie garnison, l'armée qu'il voulait porter en
la peste, se répandit dans le camp de Egypte et en Syrie : toutefois il céda
saint Louis, décima l'élite de son armée ; sans peineaux avis des rois de Navarre et
bientôt il en fut lui-même attaqué ; et de Sicile, et consentit à l'ouverture des
transporté de Carthage, où il avait placé négociations.
son quartier général, à Porto-Farina, il En effet, parmi les princes croisés le
y mourut, le 25 août suivant à l'âge de
, nouveau roi de France était peut-être
cinquante cinq ans , après en avoir ré- celui à qui il devait le plus paraître con-
172 L'UNIVERS.
Une paix ou plutôt une longue trêve mes qui resteraient dues, des cautions
fut conclue entre les Musulmans et les prises parmi les négociants chrétiens;
Chrétiens ; voici les clauses principales Le 8 e et dernier article du traité était
du traité (1) : le plus important pour le roi de Sicile ;
1° Une trêve de dix ans était conve- car c'était pour parvenir à obtenir cette
nue entre les deux parties belligérantes stipulation à son profit , qu'il avait
er
à partir du 1 novembre 1270; poussé Louis IX à la guerre et Philippe
2° Le roi de Tunis devait rembourser le Hardi à la paix.
au roi de France et à ses barons les Cet article portait en effet « que Abou-
frais de la guerre, fixés à 210,000 onces « Abd- Allah-Mohammed , surnommé
d'or ;
« èl-Mostanser-b-Illah, roi de Tunis
3° Les Chrétiens qui s'établiraient « et d'Afrique, khalyfe, prince des
dans les États du roi deTunis y vivraient « croyants (3), payerait à Charles d'An-
en liberté et avec les mêmes franchises « jou, roi de Sicile, chaque année, le
que les naturels du pays ;
« double du tribut auquel Tunis était
4° Il permis aux prêtres et aux
serait « depuis longtemps soumise envers la
moines chrétiens, non-seulement de rési- « Sicile, et qu'il solderait avant le dé-
der dans les États barbaresques, mais fi part des croisés les arrérages des cinq
encore d'y avoir des églises et des mo- « années qu'il avait refusé de payer (4). »
nastères (pour la construction desquels Ce traité pouvait paraître nécessaire
le roi de Tunis leur devait donner des aux deux parties, surtout à l'armée fran-
terrains convenables où ils pourraient
, çaise , ravagée par la contagion pestilen-
servir Dieu suivant leurs rites, enterrer tielle ; cependant s'il obtint l'assentiment
leurs morts, et prêcher publiquement la des princes et des barons, il excita les mur-
religion chrétienne (2) ; mures du reste de l'armée, qui ne parti-
5° Les marchands chrétiens pourraient cipait pas au partage de l'indemnité
venir trafiquer dans ces mêmes États stipulée, et qui, espérant beaucoup des
aux mêmes conditions que les marchands renforts que devait amener le prince
musulmans ;
Edouard d'Angleterre, avait compté
6° Les prisonniers faits de part et sur le pillage de Tunis, ville florissante
d'autre devaient être immédiatement depuis longtemps enrichie soit par h
relâchés; commerce de l'Orient et de l'Occident
7° Le roi de Tunis devait payer comp- soit par les dépouilles des provinces
tant une moitié de l'indemnité stipulée opulentes de la péninsule espagnole.
pour les frais de la guerre , et l'autre Quoi qu'il en soit, ce traité fut mis à
moitié en deux payements égaux , à la exécution, et Philippe le Hardi ramena
fin des deux années solaires suivantes : sa flotte dans son royaume, emportant
il devait de plus fournir, pour les som- avec lui le corps de la royale victime
qu'avait coûté à la France la croisade
(i) L'acte original de ce traité, écrit en d'Afrique.
arabe, exisle à Paris dans le dépôt des Archi- Ainsi se termina ce drame héroïque,
ves nationales. à la fois religieux et chevaleresque, qui
(a) Suivant Guillaume de Nangis , écrivain
avait eu son exorde aux côtes de Pro-
contemporain et quelques autres chroni-
vence, son nœud secret à la cour de Na-
queurs , cet article aurait encore accordé aux
ples, et qui trouvait maintenant son
Musulmans , la pleine et entière liberté d'em-
triste dénoûment aux caveaux funèbres
brasser le christianisme sans encourir la ri-
gueur des lois musulmanes, qui condamnent de Saint-Denis.
sans aucune rémission à la peine de mort les
apostats de l'islamisme; mais l'insertion de cet (3) Êmyr-êl-Moumenyn , titre que nos his-
article dans le traité n'a jamais été prouvée ; toriens ont altéré en celui de Miramolin.
il ne se trouve pas dans l'acte original que (4) Ce traité fut déclaré commun à Bau-
cite la note précédente ; et une telle tolérance douin , empereur de Constantinople, à Al-
est trop en opposition avec les principes de la phonse, comte de Toulouse, à Guy , comte
foi musulmane pour qu'on puisse attribuer à de Flandres, à Henry comte de Luxembourg,
•,
—
beker-Abou-Yahyâ; Omar-Abou-HafsIII
e profitant de quelques traits de ressem-
du nom; — Abou-Hassan-Aly, roi desZé- blance qu'il avait avec él-Faddel, il se
nètes, s'empare de Tunis; —
Ibrahym-ben- présenta comme ce prince lui-même, et
Abou-Faddel. entraîna dans son parti la plupart des tri-
bus arabes, qui alors comme aujourd'hui
Cette croisade entreprise contre Tunis étaient établies dans ces contrées. Ibra-
fut Ja sixième et la dernière, et la catas- hym chercha en vain à résister à l'im-
trophe royale qui venait de la terminer posteur réfugié dans Bougie, auprès
:
acheva d'éteindre chez les barons chré- d'un de ses fils, il ne tarda pas à y périr
tiens ce fanatisme guerrier, qui avait, avec la plus grande partie de sa famille.
sans aucun autre résultat qu£ celui de Le nouvel usurpateur prit alors les
la gloire, dépeuplé l'Europe pendant titres de khalyfe et de prince des fidèles,
deux siècles. lenom d''A bou-l-Abbas-êl- Faddel et le ,
174 L'UNIVERS,
celui de Abou-Beker, surnommé Abou- hadya, où il proclamer kha-
s'était fait
Yahyâ, son fils et son successeur le ; lyfe, sous le titre impérial de él-Mostan-
petit-fils de Abou - Ishâq - Ybrahym ser-b-Illah, porté déjà par trois de ses
nommé Khaled-ben-Zakaryâ, et sur- prédécesseurs ; voyant tous leurs efforts
nommé Abou-l-Abbas , leva l'étendard inutiles, le père et le fils prirent le parti
de la révolte dans la ville de Badjyah de chercher une retraite en Egypte.
1
( Bougie), tandis que Cheykhéd-Doulet Le vainqueur en s emparant du pou-
faisait éclater sa rébellion dans les parties voir prit le surnom àêl-Motouakkel-
orientales du royaume et se rendait Ala-Allah (le confiant en Dieu), et
maître de Tripoli Abou-Beker se vit
: régna sans trouble jusqu'à sa mort, arri-
hors d'état de résister à cette double at- vée au mois de Redjeb de l'an 747 de
taque, et, abandonnant Tunis, qu'il ne l'hégire ( octobre 1346 de notre ère).
pouvait défendre contre ses nombreux Il eut pour successeur son fils nommé
assaillants, il chercha une retraite chez Omar-Abou-Hafs III e d u nom comme le
,
les tribus arabes de la frontière méri- fondateur de la dynastie. Son règne fut
dionale. loin d'être aussi tranquille que celui de
Devenu ainsi possesseur du trône de son père; et il vit de tous côtés les pro-
Tunis (1) , Khaled espérait le transmet- vinces tunisiennes se refuser à reconnaî-
tre à son fils aîné, Omar; mais le règne tre son autorité.
de ce prince fut agité par des troubles Des rebelles s'adressèrent à Abou-l-
continuels et des révoltes sans cesse Hassan-Aly , roi des Bèny-Mêryn ou
renaissantes. des Zénètes (2), et le déterminèrent à
Il y avait à cette époque en Egypte un entrer en armes dans les États d'O-
prince de la famille des Beny-Hafs, qui mar; ce prince éprouva une grande dé-
s'était arrêté dans ce pays, après avoirfait faite auprès de Qayrouân, l'an 748
le pèlerinage de la Mekke ; fils de l'êmyr- de l'hégire (1347 de l'ère chrétienne ), et
Abou-l-Abbas- Ahmed et petit-fils du son neveu, Abou-Faddel-ben-Yahyâ, qui
cheykh Abou- Abd- Allah- Mohammed- avait cherché une retraite à Tunis , fut
él-Leyâny , ce prince se nommait Zaka- tué dans sa fuite.
ryâ-Abou-Yahiâ, comme tant d'autres Abou-l- Hassan- Aly , déjà maître des
princes de sa famille. Il était alors d'un villes de Qossantynah ( Constantine )
âge avancé, sans ambition, et seulement et de Bougie , prit alors possession de
occupé des sciences; cependant, sans Tunis.
être effrayé de l'infortune de son aïeul Depuis cet événement l'histoire nous
il crut l'occasion favorable pour s'em- apprend seulement que le royaume de Tu-
parer à son tour de l'autorité souveraine ; nis passa entre les mains dlbrahym (3),
et, s'avançant vers Tripoli parvint à se
,
fils d'Abou-Faddel, lorsque la dynas-
rendre maître de Tunis. Ayant mis tie des Bény-Méryn fut détruite mais
;
Khaled à mort, il se fit proclamer lui- elle se tait sur les successeurs de ce
même khalyfe, au commencement du prince, qui occupèrent le trône tunisien
mois de Re'djeb de l'année 711 de l'hé- jusqu'à l'époque de la conquête de Tunis
gire (novembre 1311 de notre ère). par le sultan de Constantinople.
Mais bientôt un frère de Khaled, Je crois utile de raconter avec quelque
nommé Abou-Beker et surnommé Abou- détail les événements qui amenèrent
Yahyà, vint de Bougie attaquer Za- pour Tunis cette catastrophe mémo-
karyâ, de sa capitale. Le
et le chassa rable, au récit de laquelle sera consa-
prince détrôné se retira à Tripoli, et son cré le chapitre suivant.
fils Abou- Abd- Allah, désigné par le so-
briquet d'Abou-Darbéh, essaya sans suc- (2) Les princes de la dynastie des Bèny-
cès de se maintenir dans la ville de Ma- Mèryn, ou des Zénètes , régnaient alors à
Telmessân , à Fez et à Marok, où leur do-
(i) On conserve à la Bibliothèque natio- mination s'est maintenue jusqu'à l'an 762 de
nale l'original d'un traité conclu , l'an 712 de l'hégire ( i36o de l'ère chrétienne).
res, fameux pirates, ont été désignés il succéda à son père l'an 926 de l'hégire ( 1 5s
par nos historiens européens sous ce de l'ère chrétienne). Il régna quarante-huit
surnom commun, à cause de la couleur ans, et mourut à l'âge de soixante-quatorze
de leur barbe ; l'aîné portait le nom de ans, dans le mois de saffar de l'an 974 de
Aroudj et le second celui de Khayr-êd- l'hégire (i566 de notre ère) : nos historiens
er
dyn, qui signifie l'élu de la religion, et que le désignent sous le nom de Soliman I du
,
17G L'UNIVERS.
se servir dunom de ce malheureux prince sa victoire , ou si on la doit à l'adulation
pour faire la conquête de Tunis le sul- : de quelques-uns des petits princes dont
tan adopta ce projet une flotte formi-
: les États bordent la Méditerranée, qui
dable, aux ordres de Khayr-êd-dyn, fut aurait espéré par cette basse flatterie
dirigée sur Tunis, et l'on eut soin de ré- se mettre à l'abri des attaques du terri-
pandre d'avance? le bruit que le but de ble corsaire (2).
cet armement était de placer Reschyd Moulay - Hassan s'était vainement
sur le trône de Tunis; mais au moment adressé aux tribus arabes pour les enga-
du départ le prince tunisien, au lieu d'ê- ger à s'armer en sa faveur contre les
tre reçu sur la flotte armée en son nom, Turks alors un de ses renégats lui don-
:
avait été arrêté et jeté dans une prison, na le conseil de recourir plutôt à Charles-
où il finit ses jours. Quint. Cet empereur accueillit d'autant
La flotte ottomane arriva devant Tu- plus favorablement la demande de Mou-
nis. Les Tunisiens, dont Moulay -Hassan lay-Hassan que d'ailleurs il n'avait pas
n'avait pas su se faire aimer, persuadés vu sans mécontentement l'entreprise des
que la flotte turke leur amenait le prince Turks sur Tunis; et il se décida facile-
Reschyd, prirent les armes, chassèrent ment à tenter une expédition contre eux.
leur roi, et ouvrirent leurs portes à Toutefois, dans cette circonstance, son
Khayr-êd-dyn. intention était non défaire une conquête,
L'amiral ottoman se mit en posses- mais seulement de nuire aux ennemis
sion des forts, prit toutes ses mesures de la chrétienté; il chercha à obtenir
défensives et déclara alors aux Maures
, pour cette entreprise la participation des
qu'il ne s'agissait plus de Reschyd, qu'ils autres puissances européennes. Le pape,
avaient cessé d'être les sujets des Bény- le roi de Portugal et l'ordre de Malte
Hafs, et qu'ils avaient désormais pour unirent leurs forces aux siennes, et les
maître le sultan Soliman. Les Tunisiens, flottes réunies se préparèrent à l'attaque
indignés d'une telle mauvaise foi, se sou- de Tunis.
levèrent ; mais la force acheva ce que la lie général des Turks fit aussitôt de-
ruse avait commencé. mander du secours à la Porte-Ottomane ;
C'est à l'époque de la conquête de Tu- mais Soliman, engagé alors dans une
nis par Khayr-êd-dyn que l'on doit guerre d'Asie, lui répondit qu'il ne de-
rapporter la médaille suivante, qui se vait rien attendre de Constantinople
trouve dans les cabinets de quelques dans ce moment , et qu'il eût à se défen-
curieux. dre avec ses propres ressources. C'est ce
que fit Khayr-êd-dyn.
L'empereur avait voulu prendre. en
personne le commandement de cette ex-
pédition (3). Il partit de Barcelone le 31
y lit en effet :
On ne sait si cette médaille, d'un tra-
Khayr-êd-din Pachah Djézayr Soultan
vail grossier, et dont la légende
fort
Tounes :
arabe est très-incorrecte (1) , a été frap-
pée alors par les ordres de Khayr-êd-dyn « Khajr-td-dyn , Pàchâ d'Alger, Sultan
« de Tunis; »
lui-même, pour éterniser le souvenir de
et il peu vraisemblable que Barberousse
est
nom il eut pour successeur son
: fils , Sultan- malgré tout l'orgueil que lui inspirait sa vic-
Sélim-Châh (Selim II). toire, ait pu alors prendre lui-même, sur une
(i) On trouve quelques variantes à celte médaille frappée par son ordre, le titre de
empreinte dans celle que donne O. G. Ty- Sultan d'un royaume qu'il ne venait de con-
chsen (Introductioin rem nummariam Muha- quérir qu'au nom du Sultan de Constantinople,
medanorum), d'après la médaille qui se trouve et comme grand amiral des flottes ottomanes.
au cabinet numismatique de Saxe-Gotha. (3) Une des places de Tunis porte encore
TUNIS. 177
mai 1 535, avec les flottes combinées d'Es- ves avaient été laissés par lui dans la
pagne, de Portugal, de Flandre etde Gê- ville, tandis qu'il allaitdans la campa-
nes, et il sedirigea sur la Sardaigne, où se gne présenter le combat aux Espagnols :
rendirent de leur côté celles de l'Italie et délivrés de leurs gardiens par la réunion
de Malte. Vers la fin de juillet l'armée de toutes les troupes maures en un seul
impériale, composée de quatre cents voi- corps d'armée, les esclaves chrétiens s'é-
les, dont quatre-vingt-dix galères, était taient emparés de Tunis, dont ils ouvri-
arrivée devant Carthage; le débarque- rent les portes à Charles-Quint.
ment s'effectua sans peine, et le quartier L'armée espagnole se retira après
général occupa le lieu même où près de avoir fait un traité avec Moulay-Hassan,
trois siècles auparavant saint Louis avait laissant dans le fort de la Goulette une
assis son camp. Les troupes débarquées garnison de mille hommes sous le eorn-
formaient une armée d'environ vingt- mandementde Bernardin de Mendoza;
sept mille hommes, dont les différents cette garnison devait être soldée par
corps étaient commandés par six bons Moulay-Hassan et on laissa également
;
pes), formant quatre mille nommes, ayant pour Cette seconde restauration ne fut
général le marquis Duguast; pas plus heureuseque la première; et la
2° La division espagnole (nouvelles levées), soumission imposée pur la force aux
huit mille hommes, général le duc à'Albe; Tunisiens ne fut pas de longue durée.
3° La division allemande , sept mille hom- En l'an 1542 de notre ère (949 de
mes, général Maximilien Piedrabuena; l'hégire ), Moulay-Hassan passa en Sicile
4° La division italienne, quatre mille hom-
pour implorer une troisième fois l'assis-
mes, général le prince de Salerne;
tance du roi d'Espagne contre les dis-
5° La division portugaise, deux mille hom-
positions séditieuses que continuait à
mes, général l'infant Louis de Portugal.
montrer la population mais, profitant
;
Ces cinq corps tous d'infanterie, présen-
de son absence , son fils Hamidah se ré-
,
12
e
Livraison. (Tunis.) 12
178 L'UNIVERS.
Musulmans, auxquels se joignirent deux Alarmé de l'extension que prenait la
mille Chrétiens, mauvaises recrueg, que puissance des Algériens par la conquête
le vice-roi lui avait permis de prendre à de Tunis , le roi d'Espagne, Philippe II,
sa solde, et dont il donna le comman- ordonna en 1573 une nouvelle expédition
dement à un gentilhomme napolitain, contre cet État, et en donna le comman-
nommé Lojredo. dement à son frère naturel Don Juan ,
Seconde expédition des Turks contre Tunis; d'une nombreuse artillerie, et accompa-
— Sinân-Pâcha ; —attaque de Tabarkah ; gnées de plusieurs bâtiments de trans-
— débarquement des troupes ottomanes; port portant le matériel et les munitions
— siège de Tunis; —
prise de la Goulette et de guerre.
Tunis par l'armée ottomane; —
massacre Cette expédition, l'une des plus impor-
delà garnison espagnole; —
captivité de tantes qui eût été faite jusque alors par
Moulay-Mohammed-êl-Hafsy, dernier roi
les Ottomans , eut un plein succès.
de Tunis.
L'armée navale quitta Constantinople
le premier jour du mois de Raby-él-
Le sultan Selym-Châh{\) s'était mon-
àouely etse dirigea d'abord vers le port de
tré irrité des succès de don Juan à
Navarin, en Morée, où elle fit une courte
Tunis, et au printemps de l'année 1574
relâche : ayant repris la mer, elle fit
de notre ère (fin de l'an 981 de l'hégire)
voile vers les côtes des possessions véni-
il envoya contre les Espagnols de Tunis
tiennes , qu'elle ravagea ; puis le neu- ,
une flotte formidable, portant quarante
vième jour de sa navigation elle arriva
millehommes et commandée par Sinân- en vue de Tabarkah , où eurent lieu les
Pachâ qui s'était déjà illustré par la
,
premières hostilités.
conquête de VYémen, et qui avait lui-
La garnison de cette forteresse était
même demandé d'être chargé de cette
espagnole : vivement attaquée par les
nouvelle expédition.
Ottomans, elle se défendit plus vivement
L'ancien dey d'Alger, qui était devenu
encore; mais, après un combat acharné,
Qapytân-Pachâ et avait pris le nom de elle fut forcée de céder au nombre et de
Kelijdj-Jly (2), avait saisi avec empres-
se replier sur un autre fort de la côte :
Tunis, jugeant que la ville était trop les retranchements des Ottomans, et
grande pour les moyens de défense leur fit éprouver les plus grandes pertes.
qu'elles pouvaient employer, et que le Sinân-Pachâ crut alors devoir quit-
château, seul point fortifie de l'enceinte, ter son camp de la Goulette, pour venir
tombait presque en ruines (1), avaient pris diriger par lui-même les opérations
le parti d'en sortir, et de se retirer dans contre le fort , et ne retourna continuer
le fort situé en dehors de la porte de la le siège de la Goulette qu'après avoir
Marine, et dont le prince don Juan donne aux deux Pachas ses instructions
d'Autriche avait ordonné la construc- sur le plan qu'ils devaient suivre dans
tion quelque temps auparavant : mais leurs attaques.
ce fort n'était pas encore entièrement Pendant que le siège des deux forts
continua en même temps, Sinân-Pachâ
vit arriver dans son camp Ahmed-Pa-
Les restes de ce fort sont connus des Tu-
(i)
nisiens sous la double dénomination du Bas-
tion ( et- Bastyoun ) et de Kouksou adkàn ; (a) Le mot Seldlidâr signifie proprement
ce lieu sert aujourd'hui de tannerie; et les fon- écuyer. On donne ce titre à l'aghâ chargé du
dations de la citadelle espagnole s'y voyaient soin des armes du sultan, et qui accompagne
encore du temps de Hamoudah-Pachd , dont ce prince en portant devant lui son sabre de
nous parlerons ci-après. cérémonie.
TUNIS. 181
châ nouveau Bey d'Alger, qui
(1) , lui et l'autre jetés dans une prison , en at-
amenait un contingent de troupes , et tendant qu'il fût décidé de leur sort.
qui reçut ordre d'établir- son quartier Ainsi tomba au pouvoir des Musul-
devant la partie méridionale du fort de mans, après quarante jours de siège, la
la Goulette. forteresse de la Goulette, dont la cons-
Ces trou pes fraîches assurèrent bientôt truction n'avait pu être achevée par les
l'avantage aux Ottomans: le 14 du mois Chrétiens qu'en quarante années.
Raby-et-Tâny , un chemin couvert qui Considérant les dépenses qu'exigerait
communiquait à l'ancienbâtiment des la réparation de ce fort après les désas-
douanes, où les Espagnols avaient établi tres d'un siège aussi destructif, Sinân-
leurs avant-postes, fut enlevé après un Pachâ jugea sa conservation inutile ou
combat sanglant; le fossé fut comblé, même dangereuse à une si grande dis-
et sur son emplacement fut élevée une tance du centre de l'empire. Il ordonna
redoute, dont le feu commandait les ou- qu'il fût détruit de fond en comble
vrages extérieurs de la place. et entièrement rasé les troupes otto-
:
!
Un nouveau renfort vint encore ac- manes furent immédiatement employées
croître la supériorité numérique des as- aux travaux de cette démolition, et le gé-
siégeants; Ramaddân-Pachâ, que Ah- néral en chef s'empressa de se rendre de-
med-Pachâ avait laissé pour gouverner vant le fort de Tunis, afin de mettre par
Alger en son absence, avait quitté cette sa prise la dernière main à sa conquête.
ville, et amenait à Sinân-Pachâ un corps A peinearrivé au camp des assiégeants,
de trois mille hommes : il reçut l'ordre Sinân-Pachâ ordonna une attaque gé-
d'aller se joindre aux deux Pachas qui as- nérale, à laquelle il prit part de sa per-
siégeaient le fort près de Tunis, pour les sonne mais, les assiégés se défendant
:
aider a bâter la fin du siège. avec une intrépidité digne d'un meilleur
Enfin , le sixième jour du mois de sort, ce ne fut qu'après deux assauts que
Djemâdy-êl-âouel de l'an 981 de l'hé- les Turks réussirent enfin à arborer leurs
gire (1573 de notre ère), le général en étendards sur les remparts de la place.
chef ordonna un assaut général contre Trois mille Chrétiens périrentdansces
le fort de la Goulette. La garnison espa- deux combats acharnés et le reste de la
;
gnole, épuisée par une suite non inter- garnison, montant à environ cinq mille
rompue de combats, décimée par le feu hommes, sortant du fort presque écroulé,
continuel des batteries contre lesquelles allaprendre position sur la plage, derrière
ses remparts la protégeaient mal, ne des retranchements élevés à la hâte.
put résister aux innombrabiesassaillants Les Espagnols y furent bientôt suivis
qui l'attaquaient de toutes parts ; elle fut et attaqués par les Musulmans; ils s'y
tout entière passée au fil de l'épée : les défendirent avec le courage que donne
Chrétiens, les renégats, les Maures qui le désespoir : la mêlée fut terrible; on
s'y étaient réfugiés, tous tombèrent sous se battait corps à corps, face à face, fer
le tranchant des cimeterres ottomans, contre fer, poitrine contre poitrine, se
et les seuls dont la vie fut épargnée fu- frappant, se saisissant, s'étreignant, se
rent le gouverneur espagnol et Moidey- déchirant l'un l'autre les épées, les ci-
:
Mohammed-êl-Hafsy ,
qui avait succédé meterres, les poignards se brisaient; les
sur le trône de Tunis à son frère Ha- ongles et les dents remplaçaient hor-
midah, et qui fut le dernier rejeton de riblement ces armes dans cette épou-
la famille des Bény-Hafs ils furent l'un
: vantable lutte. Tous les Espagnols fu-
rent massacrés, et il ne resta plus un seul
Chrétien vivant sur la terre tunisienne.
(i) Alimed-Pachà , surnommé él-iskande-
Toutefois sinân-Pachâ, dans ce mas-
râny, parce qu'il était natif d'Alexandrie, fui
sacre général, avait cru devoir épargner
le dix neuvième des Beys qui régnèrent à
Alger; il était parvenu au pouvoir l'an 979 deux cents artilleurs experts dans l'art de
de l'hégire ( 1572 de noire ère). Il avait suc- la fonte des canons; il les envoya à l'ar-
cédé à Memminy, renégat corse, et fut rem- senal de Constantinople , où, attachés
placé, l'an 982 de l'hégire (i574 de notre deux à deux par une chaîne au pied
ère) par un renégat sarde, Ramaddàn, dont ils furent employés à la fabrication de
182 L'UNIVERS.
Cette dernière catastrophe complé- muant de ces peuples , qui lui avaien
tait la victoire de Sinân-Pachâ le 25 du fourni l'occasion d'enrichir l'empire otto-
mois de Djemady-êl-âouelâe l'an 981 man de cette belle province, ne tarderait
de l'hégire ( 1573 de l'ère chrétienne). pas à essayer de secouer le joug imposé
Cette conquête était achetée au prix de par la force militaire, si cette même
la vie de dix mille Chrétiens et de dix force ne continuait son action com-
mille Musulmans (1). pressive, il avait voulu ne remonter
Rien ne retenait plus Sinân-Pachâ sur ses vaisseaux qu'après avoir crée à
sur les côtes d'Afrique; comme trophée Tunis une forme gouvernementale qu'il
de son triomphe, il avait envoyé au Sul- crût capable d'y défendre les droits du
tan les deux seuls prisonniers dont il Sultan contre toute velléité de désobéis-
avait épargné la vie, le gouverneur de la sance et. toute tentative de rébellion.
Goulette, l'infortuné Porto-Carrero, et Il laissa donc à Tunis, en partant pour
Sultan.
milices ; — élection d'un nouveau Divan et Le pouvoir était partagé entre le Di-
d'un Dey; — continuation des troubles ; — van et le Pachâ; celui-ci avait dans ses
mutineries de la soldatesque; —
expulsion attributions spéciales la police, les
et massacre de plusieurs Pachas; —créa- finances et l'administration civile, tan-
tion de Beys indépendants du Pachâ; — que réglait les affaires mi-
Divan
leur ambition; — leurs tentatives pour éta-
dis le
hammed; — Tcheleby.
corps de troupes.
Ces milices, comprises sous. l'appel-
Avant de quitter Tunis, Sinân-Pachâ lation commune de Yoldach, étaient di-
voulut en organiser le gouvernement, visées en deux cents Ortas ou Oddâs
et assurer pour l'avenir à la Porte-Otto- c'est-à-dire en compagnies de vingt-
mane la possession de sa nouvelle con- cinqhommes (4) chacune d'elles était
;
Tous les six mois aussi on choisissait le ils choisirent parmi eux les membres
plus ancien des Boulouk-Bâchys pour lui d'un nouveau Divan à la tête duquel
,
deux Khodjâs (secrétaires), d'un inter- ployer l'autorité qui lui était confiée à
prète (terdjmân) et de vingt-cinq au- contre-balancer celles du Bey et du Di-
tres membres conseillers soit Oddâs- Bâ- van lui-même, envers lesquels il exerçait
chy s (capitaines) , soit Boulouk-Bâchys une opposition permanente.
(colonels). Cette réunion de fonction- Dans cette nouvelle organisation l'au-
naires décidait en dernier ressort de torité du Pachâ-Bey représentant le Sul-
toutes les affaires importantes qui lui tan avait été respectée; il était resté en
étaient soumises, de concert avec l'^M, dehors des excès des Boulouk-Bâchys
président de ce conseil. et du mécontentement des milices; mais
Cet Aghâ ne conservait que six mois cet état de choses ne dura que dix an-
ces hautes fonctions de présidence; nées, et bientôt la forme du gouverne-
mais, à chaque nouvelle élection, son ment de Tunis reçut une modification
successeur était toujours choisi parmi nouvelle.
les Boulouk-Bâchys qui faisaient partie Un Pachâ chargé de dettes ne se fit
du Divan. pas scrupule d'y subvenir par la sous-
Cette prérogative fit bientôt naître traction de cent mille sequins du trésor
parmi lesmembres de cette ciasse pri- public exaspérés par ses avanies et ses
:
et au Dey, qui n'apparaissait plus dans que fois échoué dans leurs prétentions,
les affaires publiques que pour être la et se dédommageaient par une tyrannie
victime des démêlés qui s'élevaient entre spoliatrice exercée sourdement sur les
\eBey et le Divan. populations et les particuliers.
Le premier Dey que les milices avaient Leur inhabileté, égalant leur cupi-
établi avait pris le titre de Khahjfah dité et leur avarice, laissa peu à peu les
(vice-roi, ou lieutenant du souverain); milices turkes établies à Tunis par5ê-
il fut massacré par la soldatesque même nân-Pachâ prendre une influence de
qui l'avait élu, et Ibrahim / er du nom plus en plus croissante, et leur permit
lui avait succédé l'an 993 de l'hegire de saisir elles mêmes le gouvernement;
(1585 de l'ère chrétienne) ; mais, crai- tantôt leur faiblesse avait encouragé ces
gnant un sort pareil à celui de son pré- milices à de nouveaux empiétements sur
décesseur, il se retira à la Mekke , et le peu d'autorité qu'on leur avait laissée ;
préféra une vie tranquille à un pouvoir tantôt leurs violences irréfléchies avaient
flottant et périlleux. provoqué les mécontents aux excès les
Dey, Quârâ-
Ce fut sous le troisième plus subversifs; enfin, à peine vingt
Othmân, que la puissance des Beys com- années s'étaient écoulées depuis la con-
mença à s'accroître, et Mourâd-Bey I er quête de Sinân- Pachâ, que l'an 1003
du nom fut celui qui le porta au plus de l'hégire (1594 de l'ère chrétienne) les
haut degré, usant de l'influence que lui milices se mutinèrent de nouveau, et, s'é-
donnaient ses victoires sur les Algériens, tantdéclarées en révolte ouverte contre le
auxquels il avait enlevé le pays de Keff Pachâ gouverneur, elles chassèrent de
et le Beled-êl-Djeryd. Il se rendit maî- Tunis le fonctionnaire ottoman, et établi-
TUNIS. ÎS5
domination européenne. ;
traire eux-mêmes au joug de la solda- qu'ils inspirèrent, soit par les faveurs et
tesque et à rendre leur pouvoir hérédi- les largesses qu'ils répandirent, ils par-
taire dans leur famille. vinrent à faire reconnaître généralement,
dans toute la Régence , leur pouvoij
186 L'UNIVERS.
comme héréditaire ettransmissible sans ben-Chouk, sur lequel il remporta plu-
élection dans leur famille. sieurs avantages.
L'aîné des deux frères, Aly-Bey, fut Alors, à son tour, il vint mettre le
le premier qui jouit de l'autorité souve- siège devant la capitale dont il avait été
raine fondée sur ce nouveau système. expulsé, et peu de temps après il réussit
La Mohammed-Tcheleby avait
lutte avec à en redevenir le maître.
été violente, mais assez promptement Chaabân, pressé alors plus vivement
terminée; celle avec le Divan militaire encore par les escadres de d'Estrées et
eut une plus longue durée; mais ce fut de Tourville, que ne l'avaient été parcelle
une lutte sans violence, toute d'intri- de Duquesne (2) ses prédécesseurs Él-
gues et de négociations partielles. Hassan (3) et Hosseyn-Mezzomorto ,
Le du règne d'Aly-Bey fut pai-
reste s'était trouvé dans l'impossibilité ab-
n'éprouva aucune secousse assez
sible, et solue d'envoyer le moindre secours à
violente pour mettre en danger le nou- Ahmed-ben-Chouk , qui fut réduit à
veau trône , et en mourant il laissa l'hé- prendre la fuite et à chercher une re-
ritage du pouvoir à son frère. traite à Alger.
Le règne de Mohammed-Bey aurait Ainsi réintégré sur le trône dont il
été aussi tranquille, et également exempt avait été dépossédé, Mohammed-Bey
de troubles dans son assez longue du- rétablit son autorité l'an il 07 de l'hé-
rée, si ses dernières années n'avaient vu gire (1695 de l'ère chrétienne) sur toutes
cette tranquillité interrompue par une les provinces de la Régence , et la con-
catastrophe à laquelle le souverain de serva jusqu'à sa mort sans être davan-
la Régence était loin de s'attendre. tage inquiété par les Algériens, trop
Le Dey qui venait de monter sur le occupés à se défendre eux-mêmes contre
trône d'Alger, Chaabân(i), à la tête les attaques de la France pour pouvoir
d'une puissante armée , marcha à l'im- songer à de nouvelles hostilités contre
proviste contre le souverain de Tunis, leurs voisins, et trop heureux de ne pas
l'an 1100 de l'hégire ( au mois de sep- s'en voir attaqués à leur tour, à titre
tembre de Tan 1689 de notre ère). Il de justes représailles.
assiégea la capitale de la Régence, qu'il Mohammed Bey eut pour successeur
contraignit Mohammed-Bey d'abandon- son second frère, Ramaddân-Bey. Le
ner devenu ainsi maître de la résidence
: règne de ce prince fut pendant quelque
royale, le vainqueur plaça Ahmed-ben- temps paisible et tranquille ; mais la trop
Chouk sur le trône de la Régence; puis grande douceur de son caractère et la
il se hâta de retourner avec son armée, mansuétude qu'il montra dans son gou-
où le rappelait la nécessité de sa propre vernement n'étaient convenables ni aux
défense contre une flotte française. mœurs de ses sujets ni aux circonstances
Cependant Mohammed-Bey s'était ré- critiques dans lesquelles il se trouva; et
fugié chez les Arabes de la frontière ; ce défaut d'une fermeté nécessaire dans
et il réussit à faire embrasser son parti ces pays fut à la fin la cause de sa perte.
par ces peuplades; profitant alors de Son neveu Mourâd-Bey, fils iïAly-
l'absence forcée de Chaabân et de l'em-
barras où jetait ce Dey la guerre sur- (2) Duquesne avait bombardé deux fois
fëey, impatient de monter sur un trône étaient favorables , et devaient lui créer
qui devait lui appartenir un jour par un grand nombre de partisans secrets ;
droit d'hérédité, son oncle n'àvant pas d'ailleurs, les Algériens eux-mêmes ne
de postérité, profita de la faiblesse de pouvaient ils pas, en rendant la liberté à
Ramaddân-Bey pour se former un parti, leur prisonnier, tenter de jeter ainsi
se déclara en révolte ouverte contre son. dans les provinces tunisiennes un bran-
oncle, l'attaqua, le fit prisonnier, et le don de discorde capable d'allumer un
mit à mort pour s'assurer contre tout funeste incendie et de favoriser les pro-
revirement possible des affaires. jets haineux d'Alger, cette éternelle en-
Le règne du prince parricide ne fut nemie de Tunis.
qu'un tissu de cruautés intolérables et Cette crainte inspira à Hassan-ben-
de crimes inouis ce règne dura trop
: Aly l'idée de recourir à la ruse pour se
longtemps pourlebonheurde la Régence; débarrasser du rival qu'il redoutait il :
odalisque mit au monde un enfant tion qu'il croyait avoir subie lui devenait
maie, et, soit que l'amour maternel £Ût de jour en jour plus intolérable.
TUNIS. 180
était parvenu à rassembler, attaquer son gnant que le détrôneront de son oncle
oncle et son bienfaiteur. n'eût fait regarder par le cabinet de Ver-
En apprenant la trahison et l'ingrati- sailles comme annulé le traité qui avait
tude de son neveu, Hassan ben-AlywM été conclu en 1720 entre France et la
rassemblé son armée; il livra bataille au Hassan-ben-Aly il s'était hâté de re-
,
rebelle, le battit, le mit en fuite, et le for- nouveler cet acte conservateur d'une
ça à se réfugier sur le territoire algérien. bonne intelligence, en l'an 1155 de l'hé-
Pendant son séjour dans cette retraite gire (1742 de l'ère chrétienne) tout :
l'état des choses changea bientôt pour lui se rendirent maîtres de Tunis; Aly-
de face. Pachâ fut étranglé sur-le-
saisi et
Alger venait d'éprouver une de ces ré- champ : des
princes vainqueurs
l'aîné
volutions si fréquentes dans les pays fut proclamé Bey avec toutes les for-
soumis au gouvernement militaire et malités usitées, et reçut l'hommage so-
anarchique, où le suprême pouvoir est lennel de ses nouveaux sujets, sous le
souvent le prix décerné par la multitude nom de Mohammed-Bey.
au plus audacieux et au plus criminel :
Jly, monta donc alors sur le trône le jour oublié les châtiments infligés, moins
même de la mort de son frère, sous d'un siècle auparavant, par Louis XIV à
promesse de le restituer à l'aîné de ses l'audace des puissances barbaresques.
neveux dès qu'il aurait atteint l'âge né- La première cause de cette rupture
cessaire pour prendre les rênes du gou- entre la France et Tunis tirait son ori-
vernement ; mais l'attrait irrésistible du gine de l'incorporation de l'île de Corse
pouvoirsouverainetledésirdeperpétuer aux provinces du royaume de France,
ce pouvoir dans sa propre descendance consentie par la république de Gênes,
persuadèrent bientôt à Aly-Bey de violer et sanctionnée par un édit de Louis XV,
ses promesses solennelles ainsi, loin de
: rendu le 15 août 1768.
songer à les accomplir, il mit tout en La Corse avait constamment depuis
usage pour tenir ses neveux à l'ombre, le moyen âge appartenu aux Génois;
et pour mettre en évidence son propre mais ils avaient eu presque toujours à
fils Hamoudâh : il lui donna en consé- lutter contre l'esprit d'indépendance
quence le commandement général des des habitants de cette île, et la dernière
troupes de la Régence, et sollicita pour insurrection, en 1734 et 1735 avait été
lui auprès de la Porte-Ottomane le titre tellement sanglante et terrible, qu'elle
de Pachâ : pour obtenir cette faveur avait forcé la république à réclamer les
du gouvernement de Constantinople, il secours de la France les troupes fran-
:
employa habilement l'entremise et l'in- çaises firent rentrer l'île sous l'obéissance
fluence des ambassadeurs européens, de Gênes; mais leur départ permit bien-
qu'il avait su mettre dans ses intérêts. tôt à la révolte, qui reconnut pour chef
C'est ainsi qu' Aly-Bey parvint à as- Paschal Paoli , de relever une tête plus
surer d'avance à son fils Hamoudah- menaçante : appelées de nouveau par
Pachâ le respect et les suffrages de ses la république, les troupes françaises,
futurs sujets, et ce jeune prince réussit commandées par M. de Maillebôis oc-
tellement à se rendre maître de l'esprit cupèrent, en 1763, les villes et les places
de ses cousins mêmes , qu'à la mort de du littoral; mais les Corses, réfugiés
son père, arrivée, ainsi que nous le ver- dans leurs montagnes se refusaient à
,
êl-Tâny de l'an 1196 de l'hégire (26 saient même disposés à appeler les An-
mai 1782 de notre ère), après un règne glais à leur secours ce fut alors que le
:
de ving-trois ans, ces légitimes héri- ministre Choiseul, craignant de voir cette
tiers du trône furent les premiers à lui île tomber comme celle de Mayorque et
rendre hommage comme Bey souve- comme Gibraltar au pouvoir de l'Angle-
rain de Tunis, et se résignèrent d'eux- terre, traita avec les Génois pour la ces-
mêmes à une condition privée, renonçant sion à la France d'un domaine dont la
volontairement à toute prétention ulté- possession leur était à charge, et qui leur
rieure au trône de la Régence où les
, causait sans cesse des embarras et des
appelaient leurs droits méconnus d'hé- dépenses sansaucune utilité réelle. Paoli,
rédité et les promesses formelles de leur, chef de l'insurrection corse, lutta encore
oncle. pendant un an contre les Français,
Sous aucun règne précédent l'État ainsi qu'il l'avait fait contre les Génois;
tunisien n'avait encore joui d'une tran- mais la vigueur avec laquelle il fut pour-
quillité intérieure aussi parfaite que suivi lecontraigiiit enfin à abandonner la
pendant les onze premières années du Corse, et sa fuite assura la soumission
règne <XJly-Bey, lorsqu'en l'année 1770 entière de cette île.
de notre ère ( 1184 de l'hégire ) ce prince Avant l'occupation des Français Gênes
vit son trôneexposé aux plus grands dan- et l'île de Corse étaient avec le Bey
gers par l'imprudence qu'il eut d'exciter de Tunis dans un état hostile; aussi,
contre lui la colère de la France, avec la- pendant la guerre qu'y soutinrent les
quelle jusque-là il avait vécu sur le pied Français, le cabinet de Versailles avait
de la meilleure intelligence. cru devoir demander au Bey , avec le-
Plusieurs causes concoururent à ap- quel la France était en paix , des pa-
peler les armes de Louis XV contre Tu- tentes pour servir de sauvegarde con-
nis, qui semblait avoir entièrement tre les corsaires tunisiens, aux bâti-
l£2 L'UNIVERS.
nients employés au transport des vivres étaiten guerre avec la France la pêcherie
et munitions que l'armée française était de Tabarkah avait été détruite par Aly-
obligée de tirer du continent": ces pa- Pachâ, et tous les Chrétiens qui l'habi-
tentes avaient été délivrées sans diffi- taient avaient été réduits en esclavage.
culté; mais elles furent jugées superflues Dès lors Tabarkah n'eut plus de pê-
lorsque la Corse fut déclarée partie inté- cherie de corail , dont le privilège ne
grante de la France, les navires corses, fut conservé que par les habitants de la
devenus ainsi navires français, devant Calle Lorsque la paix eut été rétablie
(2).
dès lors participer à toutes les franchises entre Régence et la France, celle-ci
la
çais, qui, forcé de quitter Tunis , alla à de leur droit, osèrent se présenter à Ta-
Versailles faire partager au ministère barkah ou à Bizerte furent immédiate-
son indignation et son ressentiment : ment capturés.
la guerre contre le Bey de Tunis fut Enfin, un troisième motif accéléra le
décidée d'autant plus volontiers que deux commencement des hostilités.
motifs venaient encore se joindre au Un vaisseau de guerre tunisien, armé
premier pour engager la France à une en course, commandé par un Ray s (3)
rupture. nommé Souleymân-êl-Djerby, rencon-
Voici le premier de ces deux motifs : tra en mer un navirede commercd fran-
La pêche du corail abon-
est plus çais en fit venir le capitaine à soi/bord,
, il
dante sur les côtes septentrionales de en exigea des vivres au delà de ses be-
l'Afrique, que sur les autres points de la soins, et s'empara même de force d'une
Méditerranée les Génois avaient fondé
: partie des provisions. Le capitaine fran-
pour cette pêche un établissement dans çais, qui avait voulu réclamer contre cot
l'île de Tabarkah (1), située a trente- abus de la force, avait été maltraité par
huit lieues ( 152 kilomètres) à l'ouest de le Rays et cruellement battu ses do-:
Tunis. Cette pêche leur produisait des léances , portées par lui devant l'Ami-
profits considérables, et ils en jouissaient
en toute sécurité moyennant une faible
(2) La Calle est une petite ville située en-
redevance qu'ils payaient au souverain Tabarkah et Bone elle était occupée par
tre .
de Tunis ; mais cet établissement avait une population presque toute française, dont
passé entre les mains de la compagnie les habitants payaient un droit fixe et annuel
fondée en France sous le titre de Compa- aux souverains de Tunis et à ceux d'Alger.
gnie d'Afrique : à l'époque où Tunis (3) On donne ce titre aux capitaines
des
bâtiments soit de la marine militaire, soit de la
\ (0 Voyez ci-dessus, p. 22. marine marchande.
TUNIS. 193
20 canons, deux galiotes à bombes, une évasive et ne décidant aucun des points
flûte , et, de plus, d'autres navires armés de la demande. Le chef d'escadre se dé-
fournis par la marine de Malte. cida alors à laisser seulement devant
Les vaisseaux français ne firent aucun la Goulette les trois vaisseaux qui en
avaient commencé le blocus, et avec le
reste del'escadre il alla bombarder Porto-
(i) Bataille gagnée sur les bords du Prnuih
Farina et Bizerte. Le bombardement
par le maréchal Romanzof.
de Porto-Farina dura deux jours entiers ;
(2) Le sultan Moustafâ-ben-Ahmed fut le
celui de Bizerte commença le mercredi
vingt-sixième sultan de la dynastie ottomane ;
il est désigné par nos historiens sous le nom
10 Raby-êl-Tâny 185 deVhégire ( août
1
de Moustafd III e du nom. Ce prince, fils 1770), et dura un jour et une nuit; plus
de Ahmed-ben-Mohammed ( Ahmed III), suc- de 300 bombes furent lancées sur la ville,
céda à son cousin Othmân-ben-Moustafd et des brûlots allèrent porter l'incen-
(Othmân III), l'an 1171 de l'hégire ( 1757 de die dans son port. Les habitants, épou-
l'ère chrétienne, et, après un règne de dix-sept vantés, abandonnèrent la ville pour aller
ans environ, laissa, l'an 1187 de l'hégire
,'1774 de notre ère), le trône de Constant! (3) Cet établissement avait été fondé à la
nople à son frère Abdêl-Eamyd-b en* Ahmed. fin du dix-septième siècle.
\V Livraison. (Tunis.) 13
194 L'UNIVERS.
se réfugier avec leurs femmes et leurs contra le navire du Qapydjy-Bâchy,
enfants dansl'intérieur desterres, à l'abri que le commandant fit venir à son bord
des projectiles incendiaires dont l'esca- et avec lequel il s'entretint des affaires
dre française ne cessait d'écraser leurs de Tunis.
maisons," déjà presque entièrement dé- Le Qapydjy-Bâchy , après avoir té-
truites. moigné ses craintes qu'une telle atta-
Un violent coup de vent força l'es- que contre un vassal de la Porte-Otto-
cadre française de quitter le 4 août le mane ne fût capable d'amener une rup-
mouillage devant Bizerte, pour venirre- ture entre la France et le sultan, s'of-
prendre celuide la Goulette : deux jours frit pour être l'intermédiaire d'une
après (le 6 août) elle appareilla de négociation qui pût rétablir la paix
nouveau, et se dirigea vers le sud-est : entre les Tunisiens et les Français ;
elle vint, le 13 août (mardi 21 deRaby- cette offre fut acceptée par le chef'd'es-
él-Tâny, jeter l'ancre devant Soussah, cadre, et l'envoyé ottoman retourna
dont elle commença le bombardement à Tunis, accompagné de M. Barthélémy
dès le lendemain la population se hâta
: deSaizieu, consul de France dans cette
de fuir, et la ville, déserte, fut seule ex- résidence, et de quelques officiers de la
posée au feu des Français, qui lancèrent marine française, chargés de renouveler
sur Soussah plus de mille projectiles. les sept demandes qu'avait formulées le
Après avoir fait subir le même sort au chef d'escadre dans sa dépêche prélimi-
port de Monastyr, l'escadre vint à la naire.
fin d'août reprendre son mouillage de- Aly-Bey donna son adhésion aux deux
vant la Goulette, premières réclamations, dont il reconnut
Les hostilités duraient ainsi depuis la justice ; il repoussa la troisième , la
plus de trois mois, sans que le Bey an- quatrième et la cinquième ; promit de
nonçât plus de propension à céder, et faire examiner la conduite de Sou-
sans que le chef d'escadipe se désistât des leymân-êl-Djerby, qu'il assurait être
conditions qu'il avait imposées; rien en fuite et qu'il ferait punir, si ceBays
ne semblait donc présager un terme était reconnu coupable ; mais il se re-
prochain à cet état de choses, lorsqu'il fusa absolument au remboursement des
arriva à Tunis un Qapydjy-Bachy de frais d'une guerre qu'il assurait lui
Constantinople cet envoyé extraor-
: avoir été injustement intentée , et pour
dinaire de la Porte-Ottomane avait pro- laquelle il prétendait, au contraire,
fité, pou r aborder les côtes delà Régence, avoir lui-même le droit de réclamer des
de l'absence de l'escadre française, oc- indemnités.
cupée alors, dans l'est, aux' bombar- Cependant un armistice fut accordé
dements de Soussah de Monastyr :
et par M. de Broves ; des conférences conti-
le but de sa mission était de demander nuèrent d'avoir lieu , et enfin la paix fut
à Aly-Bey un contingent d'hommes et conclue le 2 septembre sur les bases
de vaisseaux pour aider le Sultan à se suivantes :
défendre contre les Russes, qui le pres- 1° La Corse fut assimilée à la France
saient vivement. pour toutes franchises et les privilè-
les
Voyant que la position du Bey lui- ges qu'assuraient aux Français les traités
même le mettait dans l'impossibilité antérieurs ;
absolue de satisfaire à cette demande 2° Les esclaves corses faits depuis
et le contraignait de réserver toutes ses l'incorporation de la Corse à la France
forces pour sa propre défense, le Qa- devaient seuls être immédiatement ren-
pydjy-Bâchy prit le parti de se rembar- dus par le gouvernement tunisien les :
quer pour retourner à Constantinople, bâtiments corses pris sous pavillon fran-
persuadé que s'il rencontrait l'escadre çais devaient être restitués, ou remplacés
française en mer, il aurait une sauve- par une juste indemnité;
gardé suffisante dans son titre d'envoyé 3° La jouissance de la pêche du co-
du Sultan avec lequel la France était
, rail était prorogée pour cinq années elle ;
avoir trop à se louer du sort qu'il leur « Tripoli, ils conserver intacte la
aient à
avait fait pour vouloir s'engager contre « cargaison entière, ou la partie appartenant
lui dans des entreprises hasardeuses et « auxdits sujets ou États; et même, s'ils
incertaines. « étaient à portée du port pour lequel cette
« cargaison serait destinée, de l'y faire débar-
(ï) Voyez sur cette mesure de capacité, « quer, dans le cas où cette opération serait
ci-dessus, page 88. « praticable sans inconvénient »
13.
,
(96 L'UNIVERS.
et aucune portion de la population tu- Lorsque son beau-frère mourut Ha- ,
nisienne ne songea à former un parti moudah- Pacha ne lui donna pas de suc
en faveur des fils de Mohammed- Bey cesseur à la tête de son gouvernement,
que leur oncle Aly-Bey avait dépouillé et, ne trouvant à sa cour aucun person-
de leurs droits d'hérédité. nage qu'il pût investir de la même con-
Le nouveau souverain de Tunis était fiance annonça la résolution de gou-
, il
né vers le milieu du dix-huitième siècle verner par lui-même , sans premier mi-
de notre ère, et était déjà âgé de plus nistre.
de trente ans lorsqu'il prit possession Cette résolution sembla porter bon-
du trône. heur aux affaires de la Régence; des
avait deux frères et cinq soeurs;
Il agressions tentées par les Algériens fu-
l'aîné de ses frères mourut sans lais- rent repoussées avec de brillants succès
ser de postérité; mais le second de ces par celui des favoris du Bey qui joi-
deux princes, Othmân-Bey, devait survi- gnait aux fonctions de garde des sceaux,
vre à Hamoudah-Pachâ et lui succéder. ou chancelier d'État , celles de capitaine
Parmi les cinq sœurs que Aly-Bey des gardes du palais et de lieutenant
avait données à Hamoudah-Pachâ ,
général des forces militaires de la Ré-
deux furent épousées par le premier mi- gence (2).
nistre de la Régence, Moustafâ-Khod- D'un autre côté, la tranquillité inté-
jah (1), au neveu duquel, nommé Mah- rieure semblait assurée par la résignation
moud, fut mariée la troisième ; Ismayl- volontaire des fils de Mohammed-Bey
Kyahyâ, qui avait été Qapytan-Pachâ dans le rôle secondaire et inactif auquel
de Porte-Ottomane, épousa la qua-
la les avait réduits Aly-Bey, et la seule
trième; quant à la cinquième elle avait
, inquiétude que pouvait concevoir Ha-
préféré le célibat au mariage. Moustafâ- moudah-Pachâ avait rapport à un fils
Khodjah, que Hamoudah s'était choisi de Younas-Bey , nommé Ismayl, ré-
à*la fois pour son beau-frère et son pre- fugié à Alger , où il continuait de sé-
mier ministre, était un esclave géorgien, journer, et que l'on soupçonnait d'avoir
qui avait appartenu au prince avant son été T nstigateur des dernières agres-
avénecnent au trône de Tunis et qui en, sions tentées par les Algériens contre la
avait obtenu la liberté en récompense Régence.
de sa fidélité et de ses bons services; Ces attaques ayant échoué, Ismayl-
toutefois malgré son affranchissement,
, Ben- Younas avait témoigné le désir d'ob-
Moustafâ-Khodjahn'en était pas moins tenir de Hamoudah-Pachâ la permis-
resté attaché à son ancien maître, dont sion de venir résider à la cour de Tunis ;
il conserva la faveur lorsque ce prince en sollicitant cette faveur, il s'était for-
devint souverain de la régence. mellement engagé à abjurer toute pensée
Cette faveur se signala à la fois par hostile envers ce prince, et promettait de
son double mariage avec deux sœurs de se conduire en fidèle sujet la permission :
198 L'UNIVERS.
Cependant l'année suivante, lorsque, « ennemis dela Régence, sur lesquels se
l'an VI de la République (1798), l'expé- « trouveraient des marchandises dont
dition d'Egypte et l'occupation par les « la propriété française serait constatée
Français de eette province, vassale de la « par le manifeste et police de charge-
Porte'-Ottomane, eut été considérée par « ment, elles seront rendues sur-le-
leDivandeConstantinopie comme ca- « champ à qui elles appartiendront.
sus belli, le Bey de Tuais n'hésita pas « Le citoyen Devoize s'engage, de son
à rompre lui-même avec la République « côté, de faire défendre par le gouver-
française et à envoyer ses corsaires nedément de la République à tous com-
contre les bâtiments que la mère-patrie « mandants de ses armements, et no-
envoyait au secours de sa colonie nais- « tamment de ceux de la Corse, de cou-
sante. Les hostilités réciproques conti- « rirsur le pavillon tunisien; et quant
nuèrent entre les deux États, surtout par « aux marchandises trouvées à bord des
Bonaparte, devenu premier Consul, et « bâtiments ennemis de la République ,
elles ne cessèrent que lorsque le Bey de v chargées par des sujets du Bey il sera
,
Tunis obtint un armistice, qui fut signé « usé de réciprocité comme dessus.
à Tunis, le 9 du mois de Raby-êl-àkher « 3° Tout bâtiment pris de part et
de l'an 1215 de l'hégire, c'est-à-dire « d'autre après le 9 fructidor sera rendu
le 9 fructidor an VIII de la République « avec ses équipages et sa cargaison.
armistice, qui n'ont été publiées par au- « ciproquement donné avis de la reprise
cun historien contemporain : « des hostilités deux mois avant qu'elles
«1°A commencer du 9 fructidor « recommencent. »
« toutes les hostilités seront suspendues La
paix définitive ne tarda pas à être
« entre les deux nations. conclue sur les mêmes bases que l'ar-
« 2° Le Bey donnera immédiatement mistice ci-dessus, et dès lors il a régné
« aux commandants de ses corsaires, et entre la France et la Régence une
« à ceux armés par ses sujets, des ordres bonne intelligence qui n'a pas cessé
« de respecter le paviilon français ; et jusqu'à nos jours pendant les dix an-
:
« s'ils venaient à s'emparer de bâtiments nées qui s'écoulèrent depuis ce traité au-
cun événement digne de remarque ne
« moment à Paris, agrée ce témoignage d'a- signala l'histoire de Tunis; mais l'année
« mitié, imprimé ensa présence pour lui 1226 de l'hégire (18U de notre ère) vit
« faire connaître l'artde l'imprimerie. Nous tout à coup interrompre cet étas paisible
« désirons aussi que le Bey de Tunis, prince et prospère par une catastrophe qui ré-
« des princes, Hamoudah-Pacha , trouve pandit la terreur dans toute la Régence.
« dans cette attention l'assurance de l'amitié
« sincère qui existe entre les deux, gouver-
« nements. »
CHAPITRE XVII.
TUNIS. 190
mesure non moins importante pour assu- dats turks formèrent le projet d'exter-
rer désormais sa sécurité. miner le Bey réformateur avec toute sa
Le souvenir des malheurs passés et le famille et ses adhérents, pour nommer
spectacle des troubles continuels d'Aiger, parmi eux un Bey de leur propre nation,
causés par l'esprit inquiet et remuant de comme il se pratiquait à Alger. Déjà
la milice, lui ouvrirent les yeux sur la ils avaient fixé le jour pour l'exécution
nécessité d'enlever aux Turks l'influence de leur complot,: c'était un vendredi
dangereuse qu'ils s'étaient arrogée sur jour férié de la religion musulmane, et
toutes les affaires du gouvernement de auquel le Bey avait coutume de venir
la Régence. Dès lors il s'appliqua à les du Bardo à Tunis, pour se rendre à la
en éloigner par degrés. Du temps de mosquée et y assister aux prières solen-
son père, Aly-Bey, et dans les com- nelles prescrites par la loi.
mencements de son propre règne, les Les conjurés devaient attaquer le Bey
Turks étaient redevenus réellement les et le massacrer avec toute sa cour, au
maîtres de tout à Tunis : Hamoudah- moment même de leur entrée dans la
Pachâ voulut leur substituer peu à peu mosquée ; ensuite se porter en force au
des hommes plus dévoués à ses intérêts, Bardo , et y égorger également le reste
choisis particulièrement parmi ses Géor- de sa famille et de ses serviteurs fidèles.
giens et les renégats européens, ou Averti de la conspiration , le Bey re-
dans d'autres classes qui avaient mérité fusa d'abord d'y croire; néanmoins,
sa confiance aussi depuis cette époque
: soit qu'il conservât quelques doutes
de son règne la Régence de Tunis ne soitquequelque heureux hasard l'eût fa-
peut plus être considérée comme sou- vorisé, il ne quitta pas le Bardo le jour
mise au gouvernement des Turks, et destiné à cet effroyable massacre. Dé-
ce n'est qu'alors que la souveraineté concertés parce contre-temps, les Turks
de Tunis, rendue déjà héréditaire par pensèrent que leur complot pouvait avoir
les Bey s ses prédécesseurs , devint entre été découvert, et, dans le cas où le prince
ses mains un pouvoir indépendant et eût pu l'ignorer encore, ils craignirent,
entièrement absolu. en différant leur attentat jusqu'au ven-
Cependant ce système de réformes dredi suivant, de voir leur secret éventé
salutaires et cette tendance nouvelle par quelque circonstance fortuite ils :
200 L'UNIVERS.
très parties de la côte, afin que de leur ces d'une résistance opiniâtre en les
côté elles arborassent simultanément attaquant réunis à leur sortie.
l'étendard de la révolte. On ignorait de même le nombre des
Mais le Kyahyâ de Porto- Far i?ia, révoltés qui étaient restés enfermés
qui remplissait les fonctions de minis- obstinément dans la Qasbéh\ mais lors-
tre de la marine, s'était hâté, à l'ins- qu'on eut laissé passer les fuyards, dont
tant même où il avait appris les pre- beaucoup échappèrent aux Arabes, cinq
miers actes de la rébellion, d'armer les cents Turks formant le reste de la gar-
Arabes et les Zouaves (troupes maures), nison qui avait défendu la Qasbéh mi-
et avait sans retard pris le fort de la rent bas les armes le disnanche 12 du
Gouletle, dont il soupçonnait la garnison mois de Chaabân ( 1 er septembre), et
de complicité avec les conspirateurs. Au se rendirent prisonniers. Trente chefs
•même moment le premier ministre du environ furent conduits devant le Bey,
Bey entrait, de son côté, à Tunis avec qui leur reprocha sévèrement leur rébel-
toutes les troupes qu'il avait pu rassem- lion, les fit jeter dans les cachots du fort,
bler. et peu après en fit décapiter la plupart.
Les rebelles avaient arboré le pavillon Aussitôt que la tranquillité fut rétablie
vert, drapeau du Sultan Ottoman, dé- dans la ville, leZ?q/envoya aux Arabes de
clarant par )à abolir l'indépendance de nouveaux ordres, leur enjoignant depour-
Tunis, et ne plus reconnaître que la suivre vivement les fuyards et de lespren-
Porte-Ottomane pour souveraine immé- dre vivants, autant que cela serait pos-
diate tous les forts de la ville restés
: sible. A demi morts de faim et de fatigue,
au pouvoir du Bey reçurent aussitôt ils avaient pris le chemin de Tabarkah,
l'ordre de tirer à outrance et sans inter- dont ils avaient dessem de se rendre
ruption sur la Qasbéh, où les Turks maîtres, et dont ils devaient ouvrir les
étaient retranchés, et la canonnade dura portes aux Algériens, avec lesquels Tunis
de part et d'autre depuis six heures du était en guerre.
matin jusqu'au soir. Ceux d'entre eux qui ne pouvaient
Cependant, à l'approche de la nuit suivre la marche de la colonne étaient
les Turks avaient déjà beaucoup ralenti massacrés par leurs propres camarades,
leur feu, lorsque M. Devoize, consul de dans la crainte que, tombant entre les
France, vint offrir au Bey et mettre à sa mains des Arabes qui les poursuivaient,
disposition pour activer le service de ses ils ne leur révélassent le plan de l'expé-
batteries des soldats d'artillerie français, dition vers laquelle ils se dirigaient. Mais
qui venaient d'arriver à Tunis de Malte, ces massacres ne servirent qu'à faire dé-
où ils avaient longtemps été retenus pri- couvrir leur projet; car les Arabes, ayant
sonniers de guerre; le feu de différents trouvé plus de cinquante de ces malheu-
forts fut alors dirigé avec une habileté reux égorgés ainsi le long du chemin
telle, que les révoltés, frappés de terreur, devinèrent que les Turks en suivant
ne virent d'autre ressource qu'une fuite cette route et prenant cette précaution
précipitée, si elle leur était encore pos- barbare ne pouvaient avoir d'autre but
sible. que l'occupation de Tabarkah, et- en
Environ mille sept cents Turks, qui conséquence ils se hâtèrent de joindre
avaient échappé à la canonnade des Fran- cette colonne fugitive et de l'attaquer.
çais, parvinrent en effet à faire retraite. Après deux jours d'une marche forcée,
Le Bey ayant donné ordre à ses troupes les Turks, se voyant atteints par les Ara-
de ne pas arrêter les fuyards au passage bes, malgré leur diligence, n'osèrent plus
bien sûr qu'ils tomberaient infaillible- tenir la plaine, où la cavalerie des Bé-
ment entre les mains des Arabes qu'il douins les aurait facilement exterminés ;
avait chargé d'occuper la campagne aux ils prirent donc le parti de se reti-
environs et de les exterminer. rer sur une montagne nommée Gebel-
Il aurait été d'ailleurs d'autant plus im- Ensaryeh ,
qui est à la distance d'envi-
prudent de dégarnir la ville de troupes ron vingt lieues (80 kilomètres ) de Tu-
pour combattre ces fugitifs désespérés nis ils se mirent donc en état de défense
;
Arrivés au pied de ces hauteurs, les fait monter au pouvoir qu'avec la per-
Arabes se partagèrent en deux corps ;
spective que l'assassinat les en ferait des-
l'un cerna la montagne l'autre mit
, cendre. Par une exception remarquable
pied à terre, et monta résolument à dans ces annales de violences , de meur-
l'assaut :quoique réduits à moins de tres et de catastrophes, Hamoudah-Pa-
quinze cents combattants les rebelles
, châ se maintint paisiblemeut sur le
purent encore tenir longtemps tête aux trône de Tunis pendant trente-trois
Arabes; mais à la lin la supériorité du années : il mourut la veille de la fête
nombre l'emporta six cents Turks mi-
: à'Êl-Fettar (1) de l'an 1229 de l'hégire
rent bas les armes, les autres étaient res- (14 septembre 1814 de l'ère chré-
tés sur le champ de bataille du côté des
; tienne) (2).
Arabes la perte n'avait été que de deux Je ne puis terminer ce récit du règne
cents hommes. La nouvelle de cette vic- de Hamoudah-Pachâ sans dire quel-
toire fut aussitôt portée au Bey, et on ques mots du sceau de ce prince, dont je
prit ses ordres sur le sort que devaient joins ici l'empreinte.
subir les prisonniers.
Ce prince ordonna qu'on lui envoyât
le préfendu Bey, nommé par les rebel-
les, ainsi que les membres du nouveau
ministère qu'ils avaientcomposé et vingt-
sept enfants qui avaient suivi les Turks
dans leur fuite : quant aux autres révol-
tés , il permettait de les tuer tous ; et les
Arabes, de tout temps ennemis jurés
des Turks, exécutèrent cet ordre avec ar-
deur. Le 5 du mois de Chaabân (4 sep-
tembre) tous les prisonniers furent mas-
sacrés, à l'exception de trente -deux,
qui furent conduits au Bardo. Les
cinq principaux chefs furent étranglés J'ai regardé cette insertion comme
avec le faux Bey, et les ministres, ainsi d'autant plus intéressante , qu'elle me
que les enfants, mis en prison : plus tard fournira l'occasion de quelques remar-
les ministres du Bey rebelle subirent le ques curieuses.
même sort que leur chef, après qiïHa- On y lit, dans le cartouche formé par
mondah-Pachâ eut tiré de leurs aveux le cercle intérieur, ia légende suivante,
tous les renseignements nécessaires pour contenant le nom et les titres du prince :
date, ici exprimée en chiffres , se trouve description de son sceau; — réformes; ses
TUNIS. 203
Mahmoud, .qui prit le titre de Pacha, s'é- lement près de deux ans et demi (2). par
tait empare du trône de Tunis son am- ; sa mort, arrivée le 10 du mois de Red-
bition, longtemps dissimulée, était par- jeb de l'an 1253 de l'hégire (il octo-
venue au but de ses désirs ; mais sa jouis- bre 1837), transmit le trône de Tunis a
sance se borna a neuf années trois mois son fils Sydy - Ahmed- Bey , mainte-
et dix jours, et il mourut le 28 du mois nant régnant.
de Redjeb de l'an 1239 de l'hégire ( 30 Ce prince a été proclamé souverain
mars 1824 de l'ère chrétienne). de la Régence le jour même de la mort de
Il laissa le trône de Tunis à son fils, son père, et dès le commencement
Sydy- Houssêyn-Bey , qui fut reconnu de son -règne il a obtenu de la Porte -
pour souverain le jour même de la mort Ottomane la dignité de Pacha, dont le
de son père. titre avait déjà été accordé par le Divan
Ce prince régnait depuis dix années à de Constantinople à plusieurs de ses pré-
Tunis, lorsqu'une catastrophe qu'on était décesseurs.
bien loin de prévoir est venue soudaine- Depuis qu'il a reçu cette faveur, il a
ment changer la position des puissances changé son nom d'Ahmed- Bey en ce-
barbaresques et préparer à l'Afrique sep- lui & Ahmed-Pachâ-Bey, ainsi qu'on
tentrionale un nouvel avenir cet événe- : peut le remarquer dans l'empreinte de
ment fut l'outrage qu'osa se permettre son sceau, que le lecteur verra peut-
envers la France le Dey d'Alger Hous- être ici avec plaisir :
(i) Voyez, sur cet esclavage, ci-dessus le cha- dont il fut lui-même témoin pendant son sé-
204 L'UNIVERS.
mots suivants, tracés en caractères ara- pas vers ce but en interdisant absolu-
bes, remarquables par leur élégance : ment dans ses États la vente à l'enchère
des esclaves, et avait fait fermer le mar-
A'bd-ho Ahmed-Pacha-Beyk (1).
ché où se faisait publiquement cet odieux
Ce de Pachâ ne lui avait pourtant
titre trafic (2). Dédaignant les préjugés du
pas été concédé par la Porte-Ottomane vulgaire des Musulmans contre les
aussitôt après son avènement au trône Chrétiens non-seulement il a accueilli
,
que aussi un beau torse d'une statue en d'autoriser sa création , mais il a voulu
marbre, une élégante mosaïque qu'on en mainte circonstance témoigner son
a ingénieusement placée au fond d'un approbation à cette entreprise, et il s'est
bassin d'eau limpide, dont le cristal fait empressé de lui accorder tous les en-
vivement ressortir les couleurs diverses couragements qui ont été sollicités au-
dont les dessins sont diaprés. près de son gouvernement.
Enfin , la même enceinte renferme des C'est déjà un progrès bien remarqua-
dépendances où un logement a été pré- ble que cette fusion dans une même réu-
paré pour l'abbé Bourgade (2), aumônier nion scolastique et dans une commu-
de la chapelle. nauté d'enseignement des enfants mu-
sulmans avec ceux des Chrétiens, jadis
(i) La construction de cette chapelle a été objet de leur antipathie, et surtout avec
dirigée par M. Jourdain, l'un de nos archi- ceux des Juifs, jusque alors véritables
tectes les plus recommandables par leur goût
parias de l'Orient, à peine regardés par
et leurs connaissances.
(i) Auteur d'un ouvrage conçu dans les
vues les plus utiles, publié par souscription, L'auteur de cet ouvrage emploie les con-
en 1847, chez MM. Firmin Didot frères, naissances qu'il a acquises de la langue arabe
voyage à
lumières de notre Europe dans ces con- Tunis de deux autres fils du roi.
trées, qui s'enorgueillissaient autrefois à
juste titre d'être la patrie des saint Cy- Les relations de sympathie et de bien-
prien,des saint Augustin »., parmi les
veillance réciproquement manifestées de-
Chrétiens ; des êbn Khaledovn (l), des puis plusieurs années entre la France
Léon l'Africain parmi
Arabes, les
et Tunis s'accrurent encore en Tannée
(-2),
et de tant d'autres savants illustres mais ;
1845, et les deux gouvernements virent
qui depuis plusieurs siècles n'ont plus les liens qui les unissaient se resserrer
été fameuses que par l'ignorance la plus de nouveau, par la visite amicale que
abjecte et la plus infâme piraterie (3). vint rendre le duc de Montpensier au
Pachâ de Tunis.
(i)Le nom de ce célèbre historien arabe Le prince tunisien n'avait, sans doute,
est un de ceux qui ont le plus souvent retenti, pu voir qu'avec un secret plaisir notre
depuis quelques années, dans le monde sa- attaque d'Alger humilier la Régence qui
vant ; et les manuscrits que possèdent mainte-
s'était montrée la constante ennemie de
nant de ses ouvrages plusieurs bibliothèques
Tunis; mais ensuite il avait pu être alarmé
de l'Europe ont pu nous convaincre qu'il
de nous savoir si près de lui depuis que
n'y avait rien d'exagéré dans les éloges que
notre conquête avait été complétée. Ce-
lui ont donnés les Orientaux.
Son nom entier pendant, il avait fini par comprendre
est Oualy-êd-dyn-abou-
Zeyd~Abd-êv-Rahman : on ne sait d'où lui qu'il navait rien à redouter du voisi-
cevoir et fêter son hôte chrétien. ou deux chaque année dans le mois de
Le fort de la Goulette salua le prince Ramaddân. On se ferait difficilement
français de vingt-et-un coups de canon : une idée de la somptuosité des appar-
le Bey y avait envoyé au-devant de lui ses tements de ce palais, de la beauté des
deux ministres Sydy-Moustajâ, saheb- marbres, delà richesse des incrustations,
êl-tabè (garde des sceaux), et Sydy- de l'élégance des mosaïques, et de l'ex-
Mahmoud, kyahyat-halq-êl-ouad ( mi- quise délicatesse des sculptures qui le dé-
nistre de la marine et gouverneur de la corent.
Goulette (1) ) : ce dernier n'était pas étran- Le Bey avait eu l'ingénieuse préve-
ger à la France ; car c'est lui qui y avait nance d'en couvrir les murs de gravures
été envoyé par le Bey pour assister au représentant toutes les grandes batailles
sacre de Charles X, en 1825. qui dans le dernier demi-siècle ont il-
Le duc de Montpensier fut reçu à la lustré la France, depuis les premières
Goulette dans unpalaisqueleBey y a fait victoires de la republique en Italie jus-
élever, mais qu'il n'habite que pendant la qu'à la prise de Constantine.
saison des bains de mer. Ayant pris possession de cette magni-
Avant de se rendre à Tunis il visita fique résidence, le duc de Montpensier
les fortifications de cette citadelle, dont reçut la visite de toute la cour du Bey, à
il examina soigneusement toutes les la "tête de laquelle se présentait ie Bey
parties, et dont II passa en revue la gar- du camp, nommé Sydy-Mohammed-
nison, armée à l'européenne. Son atten- Bey.
tion y fut particulièrement attirée par Le titre de Bey du camp est celui
deux anciens canons d'uncalibre énorme, qui est attribué à l'héri ier présomptif
véritables objets d'art, et désignés sous du prince régnant, et qui n'est pas tou-
les noms de Saint-Pierre et de Saint- jours son descendant immédiat : car on
Paul; ces deux pièces d'artillerie, fon- saitque dans la Régence la couronne
ne se transmet point nécessairement du
(r) L'expressionhalq-êl-oudd , qui signifie père au fils mais que le droit de succes-
,
!0S L'UNIVERS.
quoique celui-ci eût un fils, et que pour certains jours consacrés par la re-
maintenant ce flls est le successeur pré- ligiondu Prophète.
sumé â'Ahmed-Pachâ-Bey, dont il n'est
que le cousin.
Le Bey du camp est particulièrement
chargé de la levée des impôts dans les
provinces pour faire cette collecte il
:
dont les conseils ont le plus de poids dans Ahmed-Pacha attendait le duc de
le gouvernement; Sy dy -Moùstafâ- A gha, Montpensier dans la plus belle salle de
ministre de la guerre, autre beau-frère son palais; en l'apercevant il courut
du Bey, Sydy-ben-Ayad, personnage l'embrasser, et le plus affectueux entrer
très-influent et qui appartient à l'une des tien eut lieu entre eux pendant plus
plus grandes familles du pays, les reli- d'une demi-heure. Le prince visita en-
gieux de la mission apostolique , et enfin suite non-seulement les divers apparte-
une nombreuse députation des Français ments du palais, mais encore la caserne
qui résident à Tunis. qui y est annexée, puis de là il se rendit
Le lendemain 21 le duc alla rendre à la Manouba, autre palais magnifique
visite au Bey au palais du Bardo (2). Des des anciens rois maures maintenant,
jolis ouvrages qui feraient honneur à d'habiles foule de visiteurs à turbans; c'étaient
artistes européens. De mœurs douces, d'ha- les protégés de la France, des Grecs
bitudes paisibles, vivant au milieu d'une fa- des Juifs, surtout des Algériens en grand
mille nombreuse , où grandissent ses cinq nombre; la démarche de ces derniers a
filles et ses quatre fils, il jouit en sybarite produit beaucoup d'effet sur la popula-
d'une très-grande fortune, et n'envie nulle- tion tunisienne , regardant comme le
ment le pouvoir souverain. plus bel hommage rendu à la France et à
(2) Voyez sur ce palais ci-dessus, page 11. son ascendant en Afrique cetempresse-
,
homet lui-même. On donne à cette arme sacrée (4)Ces paroles forment le premier verset
le nom de Dou-l-fiqdr, et un axiome souvent du quarante-huitième chapitre du Koran,
répété par les Musulmans est cette phrase : intitulé Sourat-êl-Fatèh ( chapitre de la Vic-
TUNIS. 209
ment des Algériens musulmans établis Le 24 le duc de Montpensier reçut au pa
à Tunis, à comprendre et accepter la nou- lais qu'il habite la visite iï Ahmed- Pachâ-
velle condition de leurs frères d'Alger. Bey lui-même : c'est la première que ce
Le dimanche 22 fut consacré par le prince ait jamais rendue, et la plus grande
duc de Montpensier à la visite de la cha- preuve de l'affection qu'il porte à la
pelle dédiée à saint Louis, où il fut reçu France. Cette visite fut suivie presque
par l'aumônier revêtu de ses habits sa- aussitôt de l'envoi de présents magnifi-
cerdotaux (1); puis il parcourut toutes ques, consistant en superbes chevaux de
les ruines de l'ancienne cité d'Annibal race, un sabre d'un travail merveilleux
depuis le lieu où Ton s'accorde générale- et couvert de diamants, une selle d'une
ment à reconnaître la trace des deux richesse admirable, de riches étoffes, etc.
ports , en passant par les fameuses ci- Le prince français laissa à son tour
ternes si souvent signalées par les voya- aux principaux officiers du Bey de riches
geurs jusqu'au cap à la pointe duquel
, souvenirs de son passage dans leur pays.
l'auteur de ¥ Enéide a placé le bûcher de Le lendemain 25 après avoir visité la
,
d'infanterie s'élevant tout au plus à 5,ooo le 28 juin 1846; il y fut rejoint le 5 juillet
hommes il en porta d'abord l'effectif à 10,000
;
par son frère le duc d'Aumale, et tous deux
hommes, et créa un régiment de cavalerie; quittèrent la capitale de la régence le 7 juillet
quelque temps après il forma un régiment suivant.
14 e Livraison. (Tunis. 14
)
210 L'UNIVERS.
la bienveillance du gouvernement fran- qu'il jugeait si sagement devoir concou-
çais, et la triple confirmation des pro- rir à l'amélioration et au bonheur futur
messes de bonne intelligence et d'appui de son pays.
qu'ilen avait déjà reçues à différentes Aucun des préjugés si anciennement
époques. enracinés dans les contrées orientales ne
put arrêter l'exécution de ce projet d'une
CHAPITRE XX. propagande vraiment philanthropique,
Voyage du Bey de Tunis en France; — son et le Bey s'embarqua au port de Porto-Fa-
embarquement à Porto-Farina ;
— hauts
rina, à la fin de l'année 1262 de l'hégire
(novembre 1846 de notre ère), sur le
fonctionnaires dont il se fait accompagner ;
— sa réception à. Paris; ses visitesaux divers
bateau à vapeur français le Dante , que
monuments et établissements publics ; — ses notre gouvernement s'était empressa
aumônes; — son retour dans ses États. de mettre à sa disposition.
Tl s'était fait accompagner, dans le
Depuis ces royales visites Sydy-Ahmed- voyage qu'il venait d'entreprendre, par
Pachâ-Bey n'avait cessé de saisir toutes une suite nombreuse des Tunisiens les
les occasions dans lesquelles il pouvait plus recommandables parmi lesquels
,
mains de ses sujets, les merveilles qu'il capables l'un et l'autre de seconder ses
en avait apprises. Déjà il avait introduit intentions en étudiant et appréciant nos
dans les États de la Régence plusieurs systèmes administratifs, financiers et
manufactures où se fabriquaient avec les militaires.
laines tunisiennes les draps et les étof- On remarquait aussi à la suite du
fes qui jusque alors avaient été tirés des prince tunisien un autre de ses beaux-
fabrications étrangères il avait annoncé
: rrères, le général Mohammed- Mora-
le dessein de fonder à Tunis une impri- beth, M. Raffo, secrétaire et conseiller
merie, et d'autres projets encore de- de la Régence, le colonel Salah, com-
vaient peu à peu assimiler ces contrées mandant la garde du palais, le colonel
aux pays civilisés de l'Europe. Ahmed-Aly-êl-Diaf, premier secrétaire,
Mais bientôt il voulut donner une les colonels Khayr-êd-dyn et Hassouna-
preuve plus frappante et plus irréfra- Metely, le contre-amiral Hassouna-Mo-
gable du vif et sincère désir qui l'animait raly, le chevalier Lombroso, premier
défaire participer les Tunisiens aux bien- médecin.
faitsde la civilisation européenne non : Le Bey voulut aussi amener avec lui
content des communications habituelles deux vieillards de sa famille : peut-être
avec l'Europe, dont la facilité et la fré- par mesure de surveillance, et afin d'être
quence manifestaient aux peuples de la assuré en les tenant sous sa main qu'au-
Régence les avantages incontestables de cune brigue nuisible contre ses intérêts ne
cette civilisation, et tendaient journel- se formerait à Tunis pendant son absence
lement à la propager parmi eux il ré- , de sa capitale.
solut d'aller lui-même la voir de ses pro- 11 laissa en partant l'administration
pres yeux, dans le principal foyer des lu- de ses États à son cousin Sydy-Hamda
mières qui l'ont créée , et dont à son et à son premier ministre portant le titre
tour elle augmente le progrès et l'éclat. de Saheb-Tabè; mais il défendit expres-
D'après cette pensée, le Rey de Tunis sément à ces deux fonctionnaires qu'il ,
TUNIS. 211
séjour dans cette ville, et à peine y avait- quelques mois auparavant avait été mis
il pris quelques instants de repos, qu'im- sous les yeux d' Ibrahim- Pachâ, et le
patient de connaître la capitale de la souverain de Tunis se montra aussi im-
France , il se hâtait de prendre la route pressionné à ces divers spectacles, si
deRoquevaire, se dirigeant directement nouveaux pour lui ,
que l'avait été le fils
vers Paris.
Partout sur sa route, depuis Toulon (i) Cet interprète était M. Alix Desgranges,
jusqu'à la capitale, Ahmed-Pachâ fut dont j'ai parlé ci-dessus , etqui joint aux
reçu en souverain , et des salves d'artil- fonctions de premier secrétaire interprète
lerie annonçaient son .passage; partout des langues orientales au ministère des affaires
où il s'arrêtait les autorités venaient le étrangères , celle de professeur au Collège de
complimenter , et des gardes d'honneur France et à l'École des jeunes de langues éta-
lui étaient données; les populations blie au collège Louis-le-Grand , sous la direc-
montraient sur son passage un empresse- tion de son frère M. Desgranges aîné.
14.
,,
212 L'UNIVERS
du vice-roi d'Egypte comme lui il ren-
: la variétépittoresque de ses sites, et sur-
dit un juste hommage à la splendeur ar- tout son précieux Musée historique, ob-
tistique industrielle et militaire de la tinrent également le tribut des éloges et
France, qui se plaisait ainsi à dérouler l'admiration du prince tunisien.
successivement devant son nouvel hôte A la grande revue du Champ de Mars,
le tableau de ses richesses en tout genre. dans laquelle se pressait l'élite de l'ar-
Le 25 il visita l'école Militaire et les mée française, on remarqua que, s'asso-
Invalides ; entré dans l'église et arrivé ciant déjà à nos usages européens , et
devant le cercueil de l'Empereur, il se re- s'assimilant pour ainsi dire à ces Fran-
cueillit longtemps. « Voici, dit-il enfin çais qu'il venait visiter, le prince afri-
« celui qui a rempli l'univers de son cain portait les épaulettes de nos offi-
« nom, et dont la gloire éclaire encore ciers généraux et s'était ceint du grand
« le monde! » Comme on lui montrait cordon de la Légion d'honneur dont le
encore l'épée de l'Empereur « Cette : roi lui avait envoyé précédemment la
« épée dit-il, a remporté bien des victoi- décoration (2).
» res ; mais la plus belle c'est quand
, Bien plus, en passant devant le front
« les Français s'égorgeaient entre eux des régiments d'infanterie qui avaient
« de les avoir défendus contre eux-mê- pris une part glorieuse à la guerre d'A-
« mes et de leur avoir donné la paix in- frique et voyant leurs drapeaux criblés
,
sieurs traités conclus entre la France et site ,et fut reçu sur la magnifique ter-
quelques-uns des princes ses prédéces- rasse qui borde' la grande façade du châ-
seurs au trône de Tunis. teau, par le corps entier de l'École de
Lors de sa visite à l'école Polytechni- Saint-Cyr, qu'il passa en revue. « J'ai
que, il assista, dans le grand amphithéâ- « déjà vu, dit-il à ces jeunes élèves,
tre, aux curieuses expériences de physi- « j'ai déjà vu aux Invalides l'ancienne
que et de chimie, dont chacune fut pour « gloire de la France; à la revue de son
lui etpour sa suite l'occasion d'une sur- « admirable armée au champ de Mars,
prise nouvelle, et ouvrait à son esprit les « j'ai vu sa gloire présente; maintenant,
perspectives les plus inattendues. « Je « en vous je vois sa gloire future. »
« ne m'étonne plus, disait-il du grand , Toutefois au milieu des fêtes qui fu-
,
« renom de cette école dans le monde. rent données alors au Bey de Tunis
« J'ai déjà moi-même des remercîments pour célébrer sa bienvenue on prétend
,
« à lui présenter, car c'est de son sein que plus d'une puissance européenne
« que sont sortis les habiles officiers et éprouva quelque jalousie de ce cérémo-
« les savants ingénieurs dont la France nial, et témoigna même son méconten-
<v a bien voulu me prêter le concours ;
tement, de voir traiter en prince souve-
« Tunis leur devra sa régénération fu- rain un Bey, qu'elles s'obstinaient à ne
« ture : la science partage avec l'épée le considérer que comme un simple vassal
« privilège de fonder des empires et de de la Porte-Ottomane.
« les maintenir. »
Versailles, la masse imposante de ses (2) Depuis que le Bey avait reçu à Tunis
grandes eaux l'étendue de son vaste
,
celte décoration il se faisait honneur de s'en
parc, ses magnificences architecturales, parer dans les grandes circonstances» et surtout
dans ses audiences solennelles ; on l'avait vu
(î) Suivant l'usage de cet établissement on se revêtir de cet insigne européen lorsque,
y frappa devant le royal visiteur une médaille avant son départ pour la France, il avait été
commémoraùve de son voyage en France. faire ses adieux au tombeau de son père.
,
TUNIS. 213
faires de la Régence : les réformes sa- ainsi que pour le véritable esprit de cha-
lutaires que le Bey régnant avait entre- rité, le malheur et la compassion répa-
prises, et qu'il a poursuivies avec cons- ratrice sont de toutes les religions et ,
tance et vigueur dans ses États , ont par ces actes de bienfaisance d'un fidèle
soulevé les mécontentements de la par- croyant envers des infidèles, il a mérité
tie la plus fanatique et la moins éclairée d'entendre sur son passage les bénédic-
de la population ; mais, malgré ces dif- tions du pauvre se mêler aux acclama-
ficultés le Bey n'en continue pas avec
, tions louangères des flatteurs et des
moins de pertinacité sa marche progres- courtisans.
sive , et les inspirations de notre diplo- La traversée du Bey pour son retour
matie, qui ont prévalu jusqu'à ce jour à Tunis dura cinquante-deux heures et ,
16 décembre pour aller coucher à Fon-, u princes musulmans en allant dans l'Arabie
214 L'UNIVERS.
Je terminerai ici ce Tableau historique et se conformant à l'usage presque géné-
du passé et du présent de Tunis, où les ralement suivi par ses prédécesseurs , a
lecteurs trouveront même une anticipa- d'avance désigné son cousin Mo hammed-
tion, pour ainsi dire, sur l'histoire de Bey , fils de son oncle Houssêyn-Bey,
son avenir/puisqu'ils y auront appris(l) comme héritier présomptif de la souve-
que Sydy Ahmed- Pachâ-Bey , n'ayant raineté de la Régence :le peu de détails
pas d'enfants qui puissent lui succéder, dans lesquels je suis entré sur le carac-
tère et les habitudes de ce futur souve-
« visiter les deux villes saintes ( Haraméyn ),
rain de Tunis annonce dès à présent
« aspirent à obtenir le de pèlerin de
titre qu'il y sera le digne successeur d'Ak-
« la Mekke {hadjj) ; moi , je serai le premier med-Pachâ-Bey dans ses projets régé-
« qui ait été visiter la terre des Francs pour nérateurs et dans ses efforts pour y
« mériter le titre de pèlerin de la civilisation introduire les sciences, les arts, et les
« européenne ( hadjy frandjy ). »
mœurs de l'Europe civilisée.
(i) Voyez ci-dessus, page 208.
Aly et-Turky.
L Hassan Mohammed.
(1705).
I
III. Mohammed IV. Aly-Bey II. A!y-Pachâ.
(1756). (1759). (1735).
APPENDICE.
— ;
Monnaies de Tripoli
;
;
— font le commerce avec Tunis donnent à
Monnaies d'Alger, du ft_aire , de Marok cette monnaie le nom de bourbine; il en
de Constantinople et d'Espagne ayant Gours faut douze pour équivaloir à un aspre,
à Tunis. par conséquent six cent vingt-quatre pour
composer la piastre tunisienne.
Les monnaies de Tunis n'ayant été Cette pièce de monnaie est presque
données jusqu'à présent que d'une ma- toujours tellement fruste et irrégulière-
nière fort inexacte et incomplète par les ment taillée, qu'elle ressemble souvent à
écrivains qui se sont occupés de la nu- des fragments informes coupés grossiè-
mismatique orientale , et dans plusieurs rement dans une lame de cuivre, et que
ouvrages consacrés à la description des nous ne pouvons en donner ici aucune
monnaies considérées sous le point de empreinte.
vue commercial, j'ai pensé qu'il serait monnaie, qui ne figure
D'ailleurs cette
utile et même agréable au lecteur de ici que pour mémoire, a presque cessé
trouver ici un tableau complet de ces d'être dans la circulation habituelle. Ces
monnaies, présentant, dans un cadre bourbines, qui avaient cours autrefois
resserré, avec leur fidèle empreinte, leurs dans le commerce de détail, en ont peu
rapports respectifs entre elles, et leur à peu disparu ; depuis près d'un demi-siè-
évaluation comparée à celle de nos mon- cle on n'en voyait que bien rarement,
naies européennes. et bientôt cette petite pièce ne sera plus
Je me suis d'autant plus volontiers dé- qu'une monnaie idéale, comme est la
cidé à joindre ici cette Notice que je me bourbe ou demi-aspre , dont je vais
suis vu dispensé par ce travail d'un assez parler.
grand nombre de notes , dont , sans cet Cependant on tient compte des bour-
Appendice spécial, j'aurais inévitable- bines dans les opérations de change, et
ment été forcé de faire l'insertion fré- dans les comptes, qui se tiennent en
quente au bas des pages du texte de l'O- piastres, qarroubes , aspres et bour-
puscule composé par le docteur Frank; bines, comme autrefois nous tenions
il n'était en effet, en rédigeant ses vingt nos comptes par livres, sols et deniers,
chapitres, entré dans aucun détail moné- quoique cette dernière division de la li-
taire, quoiqu'il en eût senti la néces- vre tournois ne fût plus devenue chez
sité indispensable, et s'était borné à nous qu'une monnaie idéale.
m'envoyer une collection des monnaies Au reste, dans cette disparition à peu
tunisiennes, me priant de faire un travail près totale des bourbines hors de la
à ce sujet : c'est ce travail, réclamé par circulation habituelle , on peut voir un
lui,dont je vais mettre un extrait abrégé indice de renchérissement progressif des
sous les yeux du lecteur. denrées et des marchandises de mince
valeur, qui a peu à peu rendu tout à fait
inutiles au commerce minime ces der-
nières divisions de la piastre c'est la :
La pièce de monnaie tunisienne laplus même cause qui a fait peu à peu dispa-
petite dans sa dimension et la plus basse raître chez nous les petites piécettes
dans sa valeur est en cuivre, et nommée de nos anciens deniers.
,
216 L'UNIVERS.
III.
d'être à la fois l'unité du système pon- celui des secondes de 0,2874.Ce qui éta-
déral et du système monétaire. blit une valeur de 218 francs et 89 cen-
times pour le kilogramme d'argent, ainsi
qu'il estpayé dans les changes. Aussi
Enfin la piastre de Tunis, désignée la valeur de l'ancienne piastre était
dans le pays par le nom de riâl, est une de 1 franc 15 centimes en monnaie de
pièce d'argent de bas aloi qui vaut seize
,
France, tandis que la nouvelle ne vaut
qarroubes , cinquante-deux aspres ou qu'un peu moins de 62 centimes et un
nasserys, cent quatre bourbes (fels), et quart.
six cent vingt-quatre bourbines. Le rapport des poids entre ces deux
Je joins ici l'empreinte d'une piastre espèces de piastres est comme 2 est
tunisienne: à 3 ; celui qui résulte de leur diffé-
rence de titre est comme 287 est à 404,
et celui de leurs valeurs intrinsèques et
respectives, comme 8 est à 15.
Au reste dans le cours légal 4 piastres
et demie équivaudraient au mahboub,
dont il sera question ci-après cependant
:
VI.
Soultân el-Berréyn, — ou Khâqân êl-
Baharéyn ,
— Depuis une trentaine d'années on a frap-
Es -Soultân Mahmoud, — Khan, Azz pé à Tunis des pièces d'une plus grande
nasrho. dimension, et qui représentent deux pias-
Souverain des deux continents, —
et Monar- tres on leur donne le nom de ryâléyn.
que des deux mers, — ;
Selym. Cette double piastre est reçue que date l'émission des quarts de se-
pour une valeur de 1 franc 60 centimes. quin (roub-mahboub).
Ces trois pièces d'or portent les mê-
VIL mes inscriptions, et ne diffèrent l'une
Depuis la même époque on a frappé de l'autre que par leurs dimensions res-
aussi des quarts de pectives ; en voici l'empreinte :
piastre, dont je
joins ici l'empreinte :
B
nasfho!
Le Souverain — des deux continents
Le sequin nommé mahboub ou zer-
,
« des et
mahboub, comme à Tripoli, auKaire et « deux mers. — Le Sultan Moustafa —
à Alger, est plus souvent désigné à Tu- « Khan que Dieu,
illustre sa victoire ! »
nis par le nom de soultany.
C'est une pièce d'or à peu près de la Le revers B présente, dans un en-
cadrement pareil, en quatre lignes
dimension d'un sequin de Venise mais ,
(i) Cette année a commencé le vendredi mercredi 3 septembre de l'an 1757 de notre
io avril de l'an i8o3 de notre ère.
,
TUNIS. 219
On rencontre encore de ces pièces por-
tant la date de l'an 1 189 de l'hégire (1776
IX.
de chrétienne).
l'ère
Je ne croirais pas avoir complété, au-
Comme ces dernières pièces sont frap- tant qu'il m'est possible, ce qu'il m'a paru
pées sous le règne d'un autre sultan, important de faire connaître sur les
et offrent des légendes différentes, j'ai
monnaies de Tunis si j'omettais ici les
cru utile d'en offrir également ici l'em- empreintes de deux petites monnaies
preinte :
d'argent, très-minces et déforme carrée,
qui sont d'environ près de deux siècles
antérieures à celles que je viens de dé-
crire, mais qu'on peut cependant ren-
contrer quelquefois chez les changeurs
de Tunis.
Voici l'empreinte de la première :
— de Tunis. »
X.
Les monnaies d'Espagne, telles que la
piastre colonnata, nommée par les Mau-
res bou-medfa , c'est-à-dire la pièce aux
TUNIS ftf
Empreinte du demi-sequin algérien : quelle les Européens donnent le nom de
a -» petit ducat d'or :
A J?
« Sultan , le , fils
— de Sultan.
« »
Dourib — fy — Traboulous-Gharb —
1187.
« Frappé— à —Tripoli d'Occident— 1187 (1). »
La troisième enfin est la pièce d'or que (i) L'année 1 187 de l'hégire a commencé le
les Marokains appellent mitsqàl, et à- la- jeudi 25 mars de l'an 1 773 de l'ère chrétienne.
222 LT7NIVERS,
XIV. du Kaire; c'est que, ainsi que je l'ai déjà
dit ci-dessus, leur valeur intrinsèque ne
concourt pas toujours avec leur valeur
nominative, et qu'il est prudent de ne
les accepter en payement qu'après leur
avoir fait subir l'épreuve du trébuchet
du changeur, et après s'être assuré de
leur titre métallique.
Dans les pays les plus civilisés de l'Eu-
rope, où des lois fixent de la manière la
plus stricte le titre et le poids des es-
pèces d'or et d'argent , et où l'on met en
Cette seconde empreinte est celle d'une
usage les procédés pour
les plus parfaits
variété du sequin de Tripoli qui ne dif-
fère de la pièce précédente , du côté de la y parvenir, il n'est cependant pas très-
rare de rencontrer des pièces de même
face, B , que par les traits qui séparent
valeur dont le titre et quelquefois le
les lignes et par l'insertion du chiffre
poidsne sont pas rigoureusement les mê-
dix-sept au-dessus du niot êbn (fils).
mes ; et ce fait est trop bien connu des es-
La différence du coté du revers, A, sayeurs, etdeceux qui s'occupent du com-
est plus grande; elle consiste surtout en
merce des métaux précieux, pour, que
ce qu'elle ne porte pas le toghrâ impé-
l'on puisse être étonné de voir que les
rial , et qu'elle contient l'inscription sui-
sequins et même les piastres n'offrent
vante, en quatre lignes également sépa-
pas un résultat identique lorsqu'on les
rées par des traits :
soumet à l'essai et au trébuchet , quoi-
ES'Soultân—Selym-Khân^azz nasr-ho! que ces pièces soient frappées la même
— Douribfy Traboulous — Gharb, 1203. année, et on en sera d'autant moins
« Le Sultan — Selym-Khân Dieu sa illustre surpris, qu'on devra se rappeler que les
« victoire !
—
;
J. J. Marcel.
er décembre 1849.
I
5
PREMIERE PARTIE,
PAR LOUIS FRANK.
Page. Page.
Introduction 3 Chapitre VIII. —
Le Bey de Tunis;
Chapitre Premier. — Anciennes révo-
gouvernement de la Régence ; tribu-
naux; anecdotes judiciaires 56
lutions de Tunis; détails géographi-
ques 4 Chapitre IX. — Administration inté-
Chapitre X. —
Forces militaires de la
; . .
Chapitre VIL —
Climat de la Ré- Chapitre XIX. — Maladies les plus fré-
'**>
gence; sol et productions; culture; quentes dans Régence la 1
SECONDE PARTIE,
PAR J. J. MARCEL.
Page. Page.
Chapitre I er . —
Fondation de Tunis ; Chapitre XII. —
Sinân-Pachâ organise
Didon ; guerres puniques ; Tunis sous le nouveau gouvernement de Tunis;
la république romaine." 144 massacre du divan par les milices;
Chapitre II. —
Tunis et Carthage sous tentatives des nouveaux Beys pour
les empereurs romains christianisme. 148 établir l'hérédité dans leur famille. . 182
— Élablissement de
;
APPENDICE.
Notice sur les monnaies de Tunis, de Tripoli, etc. .
ai5
FIN DE TUNIS.
,
,
b a^v». v»^.»^^Wfc»^^»^».
( Les chiffres sans initiale indiquent les pages de Y Algérie,• ceux précédés de T., les pages de Tunis
et ceux précédés de Tr M les pages de Tripoli. )
Abd-el-Kader. Son apparition , page 280; son révolution de juillet, 266. Commandement du —
traité avec le général Desmichels, 282; ses pro- général Clauzel. Opérations militaires jusqu'à
grès, rupture, 283-284 ; mouvements de troupes, l'arrivée du général Clauzel, 266; actes admi-
297 ; gouvernement de l'émir, 300 ; excursion dans nistratifs du er septembre au 31 décembre
I
il attaque Médéah et Miliana, 306; compétiteur Nouvelles tentatives sur Bône, 273 état des cho- ;
d' Abd-el-Kader, 312; incursions, 320; prise de ses à Oran , mesures administratives , 274-277.
la smala d'Abd-el-Kader, 32i; réapparition — Commandement du général Rovigo. Opéra-
d'Abdel-Kader, 334; sa soumission, 344. tions militaires, nouvelle occupation de Bône,
Abousir ( Taposiris), Tr M 5G. progrès de la domination française , 276. —
Aghadem, puits Tr., 103. Commandement intérimaire du général Voirol.
Aghadès, ville. Tr., 103, note. Événements survenus dans les trois provinces »
Aglabites ( Dynastie des ). T., 160. 279; apparition d'Abd-el-Kader, 280; occupa-
Aglabites. Suite de leur histoire, T., I6I-I63. tion de Bougie 281. Commandement du gé-
,
—
Ahmed- Pacha, bey actuel de Tunis. Son néral d'Erlon. Nouvelle organisation politique
sceau, T., 203; réformes, chapelle de Saint- de l'Algérie, 282-283. Gouvernement du ma-—
Louis, collège, 204-305; il reçoit la visite du réchal Clauzel, 286. Expédition de la Mascara,
duc de Montpensier, 206-209 ; il visite la France, expédition de Tlemcen 287 état de la province, ;
son arrivée à Paris, 210-213. d'Alger, 288; est de la régence, hostilités 289. ,
Alger. Bombardé par les Français sous — Gouvernement du général Damrémont 292. ,
Louis XIV , expédition de Duquesne , 247 ; ex- Événements de la province d'Alger, 293. Gou- —
pédition espagnole , en 1775, contre Alger, 252 ; vernement du maréchal Valée 296; évèque ,
gérie depuis 1830 jusqu'en 1848, p. 255 et suiv. ; 1844, administration en 1844, 329; mouvements
causes de rupture entre le dey d'Alger et la des populations indigènes 330; nouvelle orga- ,
France, 256; premières mesures offensives, nisation administrative , 336 ; année 1846 337 ,
;
pal, 265; départ d'Hussein -Pacha , récompenses Airgila, oasis. Tr., G8-72.
15 e Livraison. (Tunis. ) 15
,
Barca, désert. Tr., 15, 72-74. Djidjéli. Expéditions sous Louis XIV, 245-
Bedeau (Le général). Opérations, 314. 240; son occupation par le maréchal Valée, 301.
Bédouins des monts Gourianah. Tr., 9. Dynastie régnante à Tunis. Tableau généalo-
Béled-el-Djerid, pays riche en dattes. Tr., 107. gique, T., 214.
Benghasi ( Hespérie des anciens ). Description
de cette ville, Tr., 27-28. Eltchis , ambassadeur. T., 67.
Beni-Hafs ( Dynastie des ). T., 168-170; suite Erlon ( Le général ). Son commandement en
de leur histoire , 173-176. Algérie, 282-286.
Ben-Salem. Soumission de ce chef, 340. Erythron, ville. Tr., 48.
Berthezène ( Le général ). Son commandement Esclavage des Européens àTunis. T., 124-129.
en Algérie 272-277., Euphrantes, tour. Tr., 18-
Bey. Fonctions, palais, Tr., 67-7 r.
Biskara (Campagne de) en 1844,323. Fezzan. État physique, Tr., 84-85; agricul-
Bizerte. Bombardée par les Français, T., 193. ture, productions naturelles, 85-89; animaux,
Boghar ( Destruction de), 312. 89-91 ; habitants, 91-92; services et forces mi-
Bondjem, ville du Fezzan. Tr., 96. litaires, 92-93; histoire, topographie, 93 et suiv.
Bougie. Occupation de cette ville, 28 f. Flore de Tripoli et des pays environnants. Tr.,
Bou-Maza. Soumission de ce chef, 340. 74 et suiv.; herbier de Della-Cella, décrit par
Bourgade. Directeur du collège français à Viviani, 120-126.
Tunis, T., 205.
Bourmont (Le maréchal). Son commandement Gadamès ( Cydamus de Pline ). Tr., 107.
en Algérie, 264-266. Gara, île. Tr.,2I.
Bousaïda, dans la grande Syrte. Tr., 18. Gatrone, ville du Fezzan. Tr., 100.
Braïga , au fond de la grande Syrte. Tr., 20. Ghad, ville du Fezzan. Tr., loi.
Bugeaud (Le maréchal). Combat de Sikak, 290 ; Gherta-Poulous. Ruines, Tr., 44.
commande la division d'Oran, 29 i ; nommé gou- Ghernès, petite ville. Tr-, 45.
verneur général, 309; occupation de Mascara Ghimenès, ville. Tr.,2I.
destruction de Saïda, etc., 310; départ de l'Al- Ghraat. Station de l'intérieur de l'Afrique,
gérie , 342- Tr., 108.
Gourbos (Eaux minérales de ). T., I4ï>
Chapelle de Saint-Louis, sur les ruines de Gourianah, montagnes près de Tripoli. T., 9.
Carthage. T., 205. Grenna. Voyez Cyrène.
Charles-Quint. Prise de Tunis, T., 177. Guangara ( Wouangara ) , royaume. Décrit
Chenedireh, petite ville. Tr., 47. par Léon l'Africain, Tr., 104.
Chrétiens renégats. T., 101.
Cinyphus, fleuve. Tr., 13. Hamoudah-Pachâ , bey de Tunis. T.,I95-I»7;
Son commandement-en suite de son règne, 197-200; sceau de ce prince,
Clauzel( Le général ).
201-202.
Algérie, 266-272.
Clauzel (Le maréchal). Son gouvernement Hamoudah-Pachâ, bey de Tunis. T., 70-71.
en Algérie, 286-292.
Hassan-ben-Aly , bey de Tunis. Son traité
Consiantine. Première expédition, 290-292; avec la France, 187-188.
Hespérides ( Jardins des ). Tr., 70 et sui*.
deuxième expédition, 295; organisation admi-
nistrative de cette province , 299 ; situation de
Hudia , dans la grande Syrte. Tr., 19.
cette province en 1840, 308; situation en 184-1,
313; situation en 1842, 319; événements aurivés
Juifs.Lmrs mœurs, coutumes, conditions, etc.,
dans cette province , 339. à Tunis, T., 95 et suiv.; femmes juives, 96;
Courants de la Méditerranée. Tr., 24-26. spécimen d'écriture juive, 98-99; renégats juifs,
I0Ï.
Cyrène. Description de la ville ancienne,
ruines actuelles, grottes sépulcrales , récits de
Pacho, de Beechey,etc, Tr.,3l-4I. Kabyles. Leur soumission, 339.
Kabylie. Expédition, 340.
Damrémont ( Le général ). Son gouvernement Kayr-êd-Dyn, amiral turc. Fait la conquête
en Algérie , 292-296. de Tunis T., 176.
,
mes, leur toilette, préjugés sur leur grossesse Silphium. Plante célèbre de la Cyrénaïque
répudiation , divorce , polygamie , réclusion des Tr. , 80 et suiv.
femmes, leur jalousie, leurs amusements, mu- Sockna, ville du Fezzan. Tr. 95, 97. ,
nérailles, circoncision, I06-H2. Soudan. Note sur les langues de ce pays , Tr.
Méchrou, puits du désert. Tr. 102. , 126-128.
Médéah (Expédition de) par le maréchal Soussah. Bombardé par les Français, T. , 194.
ISègres (Commerce des ). Marchés d'esclaves Traité de l'Algérie en 1604 avec la France,
traversée du désert, etc. T. II5-I23. , , traité de 1628,241-242.
Tripoli { régence). Limites, Tr., I ; description
Ôpiophages, ou mangeurs d'opium. T., 102. de l'intérieur, 60 et suiv. ; végétaux , 74 et suiv. ;
Oran. Appartenant aux Espagnols tombe au , aperçu historique, 108
pouvoir des Turcs , 250 ; ville reprise par les Tripoli (ville). Description, Tr. , 2-3; arc de
Espagnols en 1732. triomphe romain, 4; château, 5; histoire de
Oran. État de cette ville après la conquête cette ville, 5-7; ses habitants, 7; vieux Tri-
poli, 8; description de Tripoli par La Conda-
274; prince d'Oran, 289; événements dans cette
province en 1840, 307. mine, 110 et suiv.
,
médecins, et leurs méthodes, etc., 137-139; sour- sacre de la garnison espagnole, T., 179-182.
ces thermales, bains, 140-142; monnaies, 2 15-222.
Tunis (ville). Sa fondation, T., 144-145; son Falée ( Le maréchal ). Son gouvernement en
histoire sous les Phéniciens et les Carthaginois, Algérie, 296-308.
146-148; sous les Romains et sous les chrétiens, Vents étésiens. Leur cause Tr., 23-24.
,
148-150; sous les empereurs byzantins et les Foirol (Le général). Son commandement en
Vandales, 150-154; sous la domination des Algérie, 279-282.
Arabes, 154-157; suite, prise de Tunis, 157-160; Wadi-Rammel. Tr., 10.
dynastie des Aghlabites, 160; juifs, leur com-
merce, spécimen de leur écriture, T., 97-99; Zaffran {Aspis de Strabon). Tr., 17-18.
prise de la citadelle par saint Louis, 171 ; prise Zaghoutan , eaux minérales. T., 143-
parKhayr-Eddyn, 176; prise par Charles-Quint, Zeg-zeg. Royaume, décrit par Léon l'Africain,
177; tombe une seconde fois au pouvoir des Tr., 104.
Turcs 179 organisation d'un nouveau gouver-
, ; Zeghen y village du Fezzan. Tr., 98.
nement, 182-185; beys héréditaires, IS5-I87; Zeliten, village du littoral de Tripoli. Tr., 14.
suite de leur histoire, 187-190; rupture avec la Zéyrites. Leur dynastie, T., 164-166.
France, 19 itraité de paix, 194 ; suite de l'histoire
; Zoara, ville voisine de Tripoli. Tr., 8.
des beys de Tunis, 195-197; rupture avec la ré- Zuila ( Cillalade Pline). Tr., 106.
publique française, armistice, 197-198; Euro-
AVIS.
mites aussi restreintes , et nous avons mis à profit les documents nombreux
publiés à grands frais par le gouvernement , résultant de Y Exploration scien
Nous n'avons pas cru pouvoir mieux nous adresser qu'à M. le capitaine
sion des chefs les plus influents, et surtout de la prise d'Abd-el-Kader, le pays
d'après les voyages les plus récents , M. le docteur Hoefer a joint un appendice
,
ALGERIE.
Texte de M. Caretie.
TRIPOLI.
Planche ( . Arc de Marc-Aurèle à Tripoli. «».*..« é . . » . 3
TUNIS.
Planche 2. Ruine du grand aqueduc de l'ancienne Carthage 18
12. Femmes de Tripoli. ( C'est par erreur que îa planche porte Tripoli au lieu
de Tunis. ) 106
Nota, Ces quatre dernières Planches ont paru avec les livraisons de Maroc, d'où elles devront
être extraites. On peut aussi reporter a l'article Tunis la gravure n° 15, représentant le»
thermes de Zagwan, qui a paru dans le volume de Y Afrique ancienne contenant Car-
thage, etc.
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