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Il n'est pas surprenant qu'on perçoive mal l'unité, les méthodes et les objectifs de
la pragmatique. Voire qu'on les conteste : ils mettent en question des courants
scientifiques dominants, jusque dans leurs fondements théoriques et méthodologiques,
jusque dans l'identité de leur statut disciplinaire, On s'interroge sur l'existence d'une
pragmatique, au singulier, pour lui préférer un pluriel plutôt péjoratif : des
pragmatiques. À la rigueur, c'est dans le champ philosophique, lui aussi très ouvert,
que la pragmatique est habituellement plutôt située.
Que des philosophes se penchent sur les effets concrets du discours n'était pas
nouveau dans les années 1960, où Austin, le premier, inaugura une théorie des actes
de langage. La philosophie s'occupait de langage depuis... l'Antiquité. Les anciens
rhétoriciens étaient déjà des pragmaticiens. Ils réfléchissaient aux liens existant entre
le langage, la logique (notamment argumentative) et les effets du discours sur
l'auditoire. Ils élaborèrent, depuis Platon et Aristote jusqu'à Sénèque, Cicéron et
Quintilien, un modèle classique de la rhétorique fondé sur la connaissance des passions
et des mœurs.
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Pour convaincre, Aristote préconise une méthode « dialectique » qui établit les prin-
cipes d'une pensée dialoguée. Un bon rhétoriqueur (on dirait aujourd'hui un «
communicateur efficace » doit savoir tenir compte de la présence critique de
l'interlocuteur, même sous un monologue apparent. D'où cette notion de dialogue qui
est si prégnante dans la pragmatique moderne. Aristote affine son analyse en proposant
une classification des propositions selon les degrés de prédication, du point de vue
d'une logique sémantique (par exemple, une proposition est une « définition » si le
prédicat peut être échangé contre le sujet, et réciproquement). Ce type d'analyse est
présent dans la plupart des travaux de philosophie du langage jusqu'à nos jours. Enfin,
Aristote appuie sa technique rhétorique sur la démarche du « syllogisme », procédé
formel qui établit une relation cause/conséquence incontestable entre des « prémisses
» et une « conclusion ». On ne peut contester l'affirmation que par le refus des
prémisses. L'exemple classique en est :
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L. Wittgenstein (philosophe anglais d'origine autrichienne, 1889-1951), fut à
Cambridge l'étudiant de Russel. Il en développa une réflexion logiciste sur les
fondements des mathématiques, et devint professeur à Cambridge. Il publia en 1921 un
Tractatus logico-philosophicus où il affirme que les énoncés logiques sont tautologiques
et donc vides de sens, puisqu'ils ne renseignent pas sur le réel, mais qu'ils constituent
un cadre formel a priori pour la connaissance scientifique. Il participa au Cercle de
Vienne, qui réunit vers 1930 des logiciens autour d'un programme fortement inspiré des
travaux de Russel et cherchant à construire une science de la signification cohérente
par une analyse du langage. Après 1930, Wittgenstein délaisse l'analyse de la structure
logique du langage scientifique pour se consacrer au « langage ordinaire ». Il opte alors
pour une position relativiste, assignant à la philosophie la tâche de décrire l’usage
courant du langage, de ses occurrences (les « jeux de langage innombrables et trop variés pour
pouvoir être classés dans une typologie exhaustive »). Il réfute la vision dualiste très répandue
des rapports pensée/langage : pensée et langage sont indissociables et se construisent
mutuellement, dans un but communicatif. Tout cela, au fond, est pensé pour que le
discours philosophique soit conscient des pièges du langage au moyen duquel il doit
nécessairement s’exprimer.
Les questions fondamentales que se sont posées les logiciens les ont amenés à
envisager des problèmes de distinctions conceptuelles qui stimuleront la réflexion des
pragmaticiens. Ainsi, Frege a développé la dissociation « sens » / « référence ». La
référence est extralinguistique, c'est ce dont on parle, objet du monde réel ou
imaginaire. Le sens est le mode de désignation adopté par la langue. L'un et l'autre ne
sont pas identiques. Saussure avait bien vu cette distinction, mais, pour lui, la question
du réfèrent n'était pas linguistique, et seule celle de la relation signifiant (« mot ») /
signifié (« concept ») importait. À sa suite, la linguistique structurale a évacué la
question du rapport au réfèrent. Par contre, pour Frege, l'analyse doit tenir compte du
fait que deux modes de désignation différents comme « le jus de la treille » et « le
nectar des dieux » ont le même réfèrent (l'objet « vin ») mais des sens différents (ils
ne sont pas synonymes). Frege a en outre établi deux principes d'une analyse
sémantique logicienne, le principe de « contextualité » (le sens des mots doit être
examiné à partir du contexte formé par les énoncés où ils sont employés) et le principe
de « vériconditionnalité » (le sens des énoncés dépend de conditions de vérité
référentielle).
Nous avons déjà évoqué l'apport à la pragmatique de celui qui est considéré
comme le fondateur de la sémiotique, C.S. Peirce, à travers la philosophie «
pragmatiste ». Mais c'est en tant que sémioticien, surtout, qu'il fut l'ancêtre direct des
pragmaticiens. Pour Peirce, la sémiotique, mieux que la science des signes, est la
science de la mise en signes. La distinction est importante. Peirce affirme, comme
Wittgenstein, que pensée et signes sont indissociables, et que rien n'est signe en soi,
mais que tout peut le devenir. La pensée elle-même est un signe, dont la réception par
la pensée de l'autre se résume à l'interprétation d'un signe par un autre. Peirce continue
un courant philosophique appelé « nominalisme » qui, de l'Antiquité jusqu'à lui, fut
représenté par Anthistène, Abélard, Hobbes ou Condillac.
C’est cette opération de mise en signe / en pensée de l’univers que Peirce étudie
et nomme « sémiosis ». La sémiosis est ternaire (référent/signifié/signifiant). Mais, pour
Peirce, les pôle de la triade sont : le matériel signifiant (support/véhicule), le signifié
(représenté par le signifiant) et l’« interprétant ». Ce dernier concept mérite
explication. Un signe est quelque chose qui tient lieu de quelque chose d'autre. Il est
communiqué, c'est-à-dire qu'il provoque dans la pensée du récepteur l'apparition d'un
signe connexe. C'est ce signe connexe, plus ou moins équivalent, que Peirce appelle «
interprétant ». Peirce étaye cette classification par une théorie des catégories
transcendantales inspirée par Kant.
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Il a établi la distinction token/type, que l'on traduit en français par « occurrence
»/« type». Le type est le signe comme entité abstraite, idéale, situé du côté de la «
langue » saussurienne. L'occurrence est l'usage concret, en contexte, du type. Le sens
littéral est du côté du type. La signification en contexte est du côté de l'occurrence.
Un énoncé peut être vérité en tant que type, alors qu'en tant qu'occurrence il peut être
faux par rapport au réfèrent. Peirce a également classé les signes en trois groupes : le
« signe-symbole » (associé au réfèrent par une convention culturelle dont l’arbitraire a
été affirmé par Saussure), le « signe-index » (qui ne fonctionne que par occurrence,
puisque son existence même est dépendante d'un contexte, comme la fumée et le feu),
et le « signe-icône » (qui partage quelques-unes des propriétés de son réfèrent, comme
un dessin figuratif). Transposés dans l'analyse de la langue, le signe-index correspondra
à l'embrayeur ou déictique (« Je »), le signe-icône à l'onomatopée.
C'est la plus ancienne définition de la pragmatique connue. L'écart est net avec la
théorie de Peirce, puisque la triade est « éclatée » en relations binaires et que la
méthode retrouve un fondement empirique en substituant l'interprète (récepteur en
chair et en os) et l'objet-référent à l'interprétant (signe). Ces modifications, que
certains condamneront comme des réductions simplistes, interdiront à Morris de
développer le système déductif formel auquel il songeait à ses débuts.
R. Carnap, membre du Cercle de Vienne, assurera les derniers relais pour passer
de la sémiotique à la pragmatique linguistique. Il affirmera l'aspect inévitablement
empirique de la pragmatique, en soulignant que toute linguistique est pragmatique dès
lors qu'elle fait référence au locuteur, et même à la notion de règle, puisque toute
règle existe par un usage.
Parvenus au seuil de ce texte inaugural qu'est How to do Things with Words (Quand
dire, c'est faire), de J.L. Austin, force est de nous constater, à travers la riche filiation
qui y mène, qu'il s'attaque à un problème crucial et controversé. Certes, on a vu se
dessiner, somme toute, et malgré les poussées divergentes des uns et des autres, une
évolution globale vers la question formulée ci-dessus. Mais tout n'est pas joué pour
autant, car les fondements scientifiques mêmes des démarches qui y conduisent
divergent. Inductif ou déductif ? Empirique ou formel ? Les terminologies les plus
complexes se sont multipliées, employant parfois les mêmes mots (c'est un comble !)
pour désigner des concepts différents, ou inversement.
Quelques flous peuvent toutefois être levés avant d'entrer directement dans les
travaux des pragmaticiens.
Référence
Blanchet, P., 1995, La pragmatique. D’Austin à Goffman, Bertrand-Lacoste, Paris.
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ÉCLAIRAGE
La compréhension du langage : processus codique vs processus inférentiels
La compréhension du langage met en œuvre deux types de processus : les processus
codiques et les processus inférentiels.
L'étude des processus d'encodage et de décodage des phrases est prise en charge par
les différents domaines internes de la linguistique (la phonétique et la phonologie, la syntaxe
et la sémantique). Ainsi, il est convenu par exemple que le mot ours désigne un grand
« gros animal, mammifère carnivore plantigrade (Ursidés) au pelage épais, aux
membres armés de griffes non rétractiles, au museau allongé, vivant en Europe, en
Asie, en Amérique ou dans les régions polaires » (lexique : arbitraire du signe). De
même que la concaténation des mots pour former des phrases impose le respect des
prescriptions syntaxiques (règles de grammaire), l'ordre des mots joue un rôle
déterminant dans les phrases : (01) L'ours a mangé le trappeur / (02) Le trappeur a
mangé l’ours
Les processus codiques mis en œuvre pour l'interprétation des phrases renvoient
à l'aspect linguistique formel du langage, qui suppose une association conventionnelle entre
un mot et un message, et donc l'univocité de la signification. Or, l'univocité existe
certes, mais elle est rare : (03) L'ours polaire est un fauve ; (04) Marcel Proust est né à
Auteuil le 10 juillet 1871. (03) et (04) semblent bien revêtir une signification unique ;
pourtant (30) pourrait, dans certains contextes et agrémentée d'une intonation et de
mimiques adéquates, prendre une valeur métaphorique (« mon patron, qui fait preuve
d'une grande froideur, sait se montrer aussi impitoyable que l'ours polaire qui chasse
sur la banquise. »), et un interlocuteur qui ignorerait qui est Marcel Proust (ou qui ne
saurait pas où se situe Auteuil) ne tirerait pas de (04) grand-chose de plus que Jean
Dupont est né à Auteuil (là Saint-Denis) le 10 juillet 1871 (à savoir qu'un individu
nommé Marcel Proust ou Jean Dupont est né un certain jour à un certain endroit).
De surcroît, on constate aisément que l'usage d'une même phrase ne relève pas de
l'univocité : (05) Mon amie est italienne peut être prononcée par divers locuteurs (le
possessif mon renvoie dès lors à des « je » différents), à des moments différents et en
des lieux différents. Les amies (« je ») évoquées seront donc des personnes différentes
; en outre, X amie peut être une personne avec qui le locuteur entretient une relation
d'amitié, ou son amie de cœur, voire sa compagne, etc. Devant (06) L'alcool me rend
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bavard, (07) La télévision m'endort, et selon la manière dont il interprète la situation,
l'interlocuteur peur aboutir à deux solutions opposées : si le locuteur souhaite faire
preuve de réserve, il ne boira pas d'alcool, mais s'il désire prendre la parole, il en boira
; si le locuteur entend veiller, il convient d'éteindre la télévision, mais s'il préfère
dormir, il faut l'allumer.
L'étude des processus inférentiels qui viennent se superposer au code pour livrer
une interprétation complète des phrases relève de la pragmatique. La pragmatique est
donc l'analyse de l'usage du langage, c'est-à-dire qu'elle traite tous les phénomènes
intervenant dans l'interprétation des phrases et qui ne sont pris en charge ni par la
syntaxe ni par la sémantique. L'analyse pragmatique vient donc compléter l'analyse
linguistique pour donner une interprétation complète de la phrase. En effet, il est très
fréquent que la seule analyse linguistique ne permette pas de donner l'interprétation
complète d'une phrase : (09) Jean est parti pour Tokyo et a appris le japonais, (10) Jean
a appris le japonais et est parti pour Tokyo, ici l'interlocuteur déduit soit que les actions
se succèdent dans le temps selon l'ordre (a) Jean est parti pour Tokyo et (b) Jean a
appris le japonais, soit au contraire selon l'ordre (a’) Jean a appris le japonais et (b’)
Jean est parti pour Tokyo, conclusion à laquelle ne permet pas d'accéder l'analyse
purement linguistique (ni du reste l'expression logique, où P ˄ Q = Q ˄ P). De surcroît,
l'ordre chronologique induit souvent une relation de causalité, et donc l'oriente : on
mentionne théoriquement d'abord la cause, ensuite l'effet (« Jean est parti pour Tokyo,
c'est pourquoi il a appris le japonais » vs « Jean a appris le japonais, c'est pourquoi il
est parti pour Tokyo »).
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Par ailleurs, certaines phrases ont la propriété d'en impliquer d'autres : (11) Martin
est parvenu à te convaincre, implique (11’) Martin a essayé de te convaincre ; (12) Si
j'avais invité Marianne, Michel serait venu à ce dîner, implique (12’) Je n 'ai pas invité
Marianne et Michel n 'est pas venu à ce dîner.
De surcroît, l'interprétation de certaines phrases exige le recours à des connais-
sances non linguistiques, à des éléments extérieurs au langage. Ces facteurs peuvent
avoir trait à l’énonciation même, c'est-à-dire au fait de prononcer la phrase :
(14) Tu veux dîner dehors ? Parce qu’il y a un nouveau restaurant qui s'est ouvert
en ville.
L'enchaînement réalisé par parce que porte sur l'acte de questionnement, et non
sur le contenu de la question (comme ce serait le cas dans Tu veux dîner dehors parce
que ma cuisine te déplaît ?)
(18)
- Quelle heure est-il ?
- Le journal télévisé vient de commencer.
La réponse à la question n'est cohérente que si les deux locuteurs savent à quelle
heure débute le journal télévisé.
(19)
- Je vais à la poste.
- Il est cinq heures vingt...
L'intervention du second locuteur signale qu'il est inutile de se rendre au bureau
de poste car à cinq heures vingt celui-ci est fermé.
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(20)
- Ne te gare pas devant l'entrée des voisins.
- On est lundi.
Ces deux répliques, échangées par le conducteur d'une voiture et son passager,
indiquent qu’il est inopportun de se garer devant l’entrée des voisins, mais que cette
consigne peut être ignorée le lundi (p. ex. parce que les voisins sont toujours absents
ce jour-là).
De tels exemples, d'usage courant, montrent bien que cette spéculation ne relève
pas de l'analyse linguistique, mais bien d'une faculté humaine de raisonnement. En se
livrant à cette spéculation, chaque interlocuteur met en jeu la stratégie de l'interprète.
Celle-ci permet de dépasser le décodage linguistique des phrases, qui n'en livre qu'une
interprétation partielle, valable uniquement dans le cas de figure peu fréquent de
l'univocité (L'ours polaire est un fauve) ou des phrases interprétables hors contexte
(Marcel Proust est né à Auteuil le 10 juillet 1871).
La stratégie de l'interprète permet en outre - comme il est judicieux que le fasse
une théorie de l'interprétation des phrases convaincante - de rendre compte du succès
mais aussi de l'échec de l'interprétation. Ainsi, elle explique les malentendus et les
erreurs : l'interlocuteur qui ignore si le locuteur désire dormir ou veiller interprétera
mal (07) ; l'interlocuteur qui ignore si le mot café désigne le breuvage ou un débit de
boissons restera perplexe devant l'ambiguïté de (25) Ce nouveau café a beaucoup de
succès.
Référence
Bracops, M., 2010, Introduction à la pragmatique, Éditions Duculot, Bruxelles
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