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URPS médecins libéraux Ile‐de‐France
SOUFFRANCE
PSYCHIQUE AU TRAVAIL :
Enquête qualitative menée auprès de 46 psychiatres libéraux d’Ile‐de‐France.
Novembre 2016.
Enquête réalisée par le cabinet FJN pour l’URPS médecins libéraux Ile‐de‐France :
Florence Chevalier, Sophie Rougevin‐Baville, Valérie Pont et François Noguès.
Rapport rédigé par Valérie Pont.
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Table des matières
4.1. Contexte ...................................................................................................................................................... 7
4.2. Méthodologie .............................................................................................................................................. 8
5.1. Le patient et sa demande ........................................................................................................................... 10
5.2. La structure de travail ................................................................................................................................ 11
5.3. Le poste de travail et son environnement modèlent souvent le type de souffrance ...................................... 12
5.4. Le service ressources humaines peut « aider » ou intervenir dans la logique d’une « maltraitance » ........... 13
5.5. Les institutions internes, possible recours pour le patient ........................................................................... 13
5.6. Le médecin du travail, un intervenant mal connu ........................................................................................ 14
5.7. Un parcours de soin complexe qui fait intervenir de nombreux acteurs ....................................................... 16
5.8. Les institutions externes à l’entreprise ........................................................................................................ 17
7.1. Faire la part des choses .............................................................................................................................. 19
7.2. La question des arrêts de travail et la responsabilité du psychiatre ............................................................. 21
7.3. Accompagner le patient dans la « sortie de crise » ...................................................................................... 22
8.1. Les médicaments assez largement utilisés .................................................................................................. 24
8.2. Le travail « psychique » inévitable .............................................................................................................. 24
8.3. Donner des informations sur leurs droits .................................................................................................... 24
8.4. Coaching sur la vie professionnelle ............................................................................................................. 25
8.5. Autres outils .............................................................................................................................................. 25
9.1. Définir les concepts utilisés dans le cadre de la « souffrance au travail » ..................................................... 27
9.2. Prendre contact avec les assurances complémentaires et envisager des actions de prévention ................... 28
9.3. Porter la parole des psychiatres auprès des responsables de l’action réglementaire pour engager la
responsabilité financière des entreprises et la responsabilité pénale des dirigeants. .................................... 29
9.4. Concevoir et organiser des actions de sensibilisation et de formation en direction des entreprises .............. 30
9.5. Concevoir et organiser des actions de sensibilisation et de formation en direction des professionnels de santé
et des autres professionnels concernés ........................................................................................................ 31
9.6. Permettre aux psychiatres d’accéder à des services d’information et de support spécialisés ........................ 32
9.7. Améliorer la coordination du parcours de soin ............................................................................................ 32
Annexe 1 : Compte rendu d’entretiens ........................................................................................................... 34
Annexe 2 : Compte rendu des focus group ................................................................................................... 124
Focus Group N°1 du 20 octobre 2016 ........................................................................................................... 124
Focus Group N°2 du 20 octobre 2016 ........................................................................................................... 131
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Résumé synthétique du rapport
Cette enquête sur la souffrance psychique au travail a reçu un écho extrêmement favorable de
la part des médecins psychiatres. En témoigne la participation exceptionnelle à cette étude.
Les psychiatres sont confrontés à des situations complexes. Au volet médical qu’ils
connaissent bien, se rajoutent des vécus professionnels du patient qui diffèrent selon des
structures (entreprises, fonction publique ou hospitalière, profession libérale) ayant des
environnements réglementaires différents. A cela se rajoute une multiplicité d’intervenants
parfois extérieurs au milieu médical : différents services (RH), structures (Délégués, CHSCT,
avocats, inspection du travail), médecins (généraliste, du travail, de la sécurité sociale…) dont
chacun peut faciliter ou compliquer le parcours de soin du patient. Au croisement du travail et
du patient, le médecin du travail est un acteur important même si les communications avec lui
semblent être parfois malaisées.
Souvent, la prise en charge médicale du patient ne peut être conduite dans de bonnes
conditions que s’il est d’abord « mis en sécurité », à travers un arrêt de travail. Bien souvent,
l’arrêt de travail accompagne le patient jusqu’à la sortie de l’entreprise, ou tout au moins du
poste de travail qui a généré la souffrance. C’est pourquoi le psychiatre accompagne son
patient pendant tout le processus de départ de l’entreprise ou du poste, ce départ entrainant
souvent des problématiques surtout réglementaires.
Et la fragilité du patient peut également entrainer le psychiatre à s’aventurer dans des
domaines de compétence qui ne sont pas les siens, le patient étant en demande de conseils sur
les contentieux et les règles de droit, surtout s’il y a une résistance de l’employeur. Car les
employeurs sont de plus en plus réticents à accepter les ruptures conventionnelles qui
permettent pourtant aux patients de s’extraire du milieu anxiogène.
Les psychiatres se demandent alors si ce n’est pas l’employeur qui devrait assumer le coût
financier de la prise en charge médicale du patient.
Ils se demandent également s’il y a du sens à arrêter, parfois définitivement, une personne qui
pourrait travailler dans un autre contexte ou un autre environnement. Enfin, ils se
demandent s’il est « normal » d’arrêter un patient non pour son état de santé mais pour le
soustraire à un contexte qui menace cet état de santé.
S’ils savent bien traiter l’aspect médical des choses, il leur est moins facile de déterminer de
façon précise si la pratique de l’entreprise est réellement à l’origine de la pathologie, et dans ce
cas, si elle est objectivement voire juridiquement condamnable. L’entreprise est plutôt perçue
comme un lieu de maltraitance par négligence, manque de connaissance ou incompétence du
management.
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Une majorité des psychiatres semblent très actifs dans des missions de conseil, de coach,
d’accompagnement dans des domaines qui n’entrent pas de façon évidente dans leur champ de
compétence.
Les modes usuels de prise en charge par les psychiatres sont les suivantes:
‐ L’utilisation de médicaments,
‐ Le travail psychique,
‐ L’information du patient sur ses droits,
‐ du coaching sur l’aspect « professionnel »,
‐ des outils de lutte contre le stress.
Le champ des actions est très vaste, nous avons tenté de regrouper les actions proposées en 5
points :
un travail de définition des concepts (« la souffrance au travail ») pour préciser de quoi on
parle et pouvoir ainsi plus facilement qualifier la situation de tel ou tel patient à un moment
donné. Une définition plus précise de la souffrance au travail permettrait à celle‐ci une
meilleure reconnaissance de la société dans de nombreux domaines : statistiques, coûts,
responsabilités et faciliterait alors la décision politique,
une approche en termes de « support » consistant à rendre accessible aux psychiatres des
services d’information ou de conseil permettant d’identifier sur un territoire donné quelles sont
les ressources mobilisables et comment y accéder dans le respect des règles déontologiques,
un travail à conduire de façon pluridisciplinaire sur la coordination du parcours de soins,
intégrant l’articulation entre les établissements et la médecine ambulatoire, le rôle et la
place que peut jouer chaque professionnel et les différentes solutions de recours en cas de
problèmes spécifiques d’ordre pratique.
Enfin, il serait donc sans doute avisé de rencontrer les assureurs, d’attirer l’attention sur
l’impact des pathologies liées à la « souffrance au travail » et de voir concrètement avec eux les
méthodes et moyens pour améliorer la situation dans l’intérêt des patients et de leurs
familles, mais également dans leur intérêt et dans l’intérêt des entreprises qui sont leur
clientes.
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Remerciements
L’URPS médecins libéraux remercie toutes les personnes qui l’ont aidée à réaliser cette étude, et
notamment :
Les membres du cabinet FJN qui ont mené les entretiens et rédigé ce rapport : Florence
Chevalier, Sophie Rougevin‐Baville, Valérie Pont et François Noguès ;
Les médecins du groupe Santé mentale qui ont piloté l’enquête :
o le docteur Marc Sylvestre, coordonnateur du Groupe santé mentale,
o les docteurs Leïla Alviset, Joël Bardel, Claude Gernez, Philippe Latinis, Eric Tanneau,
membres du groupe ;
Les médecins psychiatres (dont la liste est jointe) qui ont bien voulu prendre du temps sur
leurs consultations pour répondre à nos questions, que ce soit par téléphone ou en rendez‐
vous, et dont nous avons particulièrement senti et apprécié l’implication, et qui nous ont
demandé de leur transmettre le résultat de ce rapport ;
Avec une mention spéciale pour les médecins psychiatres ayant accepté de se rendre aux
focus group du 20 octobre 2016, les docteurs Mariette Aubert, Françoise Besse, Olivier
Brunschwig, Éric Chartol, Dominique Fayaud, Marie‐Bernadette Fieux Lacassin, Gérard
Lansalot, Marie Lesourd, Bernard Rivière et Jean‐Paul Zerath, leurs témoignages ayant été
particulièrement précieux pour la rédaction de ce rapport ;
Sylvie Courboulay, responsable de la communication de l’URPS médecins libéraux Ile‐de‐
France, pour son aide dans l’organisation, les communications en direction des médecins
psychiatres et pour sa vigilance tout au long de cette étude.
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Médecins psychiatres ayant participé à l’étude
Dr Mariette AUBERT Dr Pascal LEGRIS
Dr Philippe BOUHOURS Dr Marie LESOURD
Dr Sylvain BREZAULT Dr Patrick LEYNE
Dr Sophie BEAL Dr Nathalie MARIE
Dr Nathalie BEN KEMOUN Dr Jean‐Daniel MATET
Dr Françoise BESSE Dr Azzedine MENIA
Dr Pascal BOURDOIS Dr Jean‐Bernard NARBAITS JAUREGUY
Dr Elisabeth BRUNET Dr Nicolas NEVEUX
Dr Olivier BRUNSCHWIG Dr Nicolas ORLANDO
Dr Bernard CASTRO Dr Hélène OUAHES
Dr Marie CATALA Dr Françoise PAGES
Dr Michel CHAOUL Dr Marc PEYRON
Dr Éric CHARTOL Dr Catherine PROTIN
Dr Anne FAYAND Dr Marc RICHARD
Dr Dominique FAYAUD Dr Fabrice RIOU
Marie‐Bernadette FIEUX LACASSIN Dr Bernard RIVIERE
Dr Sylvie FISCHER LONKAM Dr Anne SANTAGOSTINI
Dr Evelyne GARY Dr Béatrice SEGALAS
Dr Annie GREBERT Dr Michèle SMADJA
Dr Jean‐Michel GRELLET Dr Sophie STEIN
Dr Jean‐Noël LAEMMER Dr Denise TIMSIT
Dr Gérard LANSALOT Dr Claude VINCENT
Dr Nathalie LEBLANC Dr Jean‐Paul ZERATH
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Contexte et méthodologie
4.1. Contexte
Le groupe « Santé Mentale » de l’URPS médecins libéraux Ile de France a souhaité conduire une
étude auprès des psychiatres libéraux de la région, afin de mieux connaître leurs préoccupations
et d’identifier les actions qui pourraient être menées pour y répondre.
Dans cet esprit, un questionnaire a été adressé aux 1600 psychiatres actuellement en exercice
libéral dans la région. Les réponses permettaient des choix multiples.
A la question, « santé mentale en Ile‐de‐France, quelles sont vos priorités ? », 76 % des psychiatres
libéraux répondants ont choisi la thématique Santé Mentale et Entreprises (Burn out, bore out,
harcèlements, risques psycho‐sociaux).
Le Groupe « Santé Mentale » a alors rédigé un cahier des charges, en vue de confier une
étude approfondie à un intervenant extérieur pour :
« Préciser le positionnement et le rôle du psychiatre libéral dans les prises en charge de la
souffrance au travail »
« Approfondir la notion de prise en charge de la souffrance au travail par le psychiatre libéral :
‐Qualifier les demandes des patients
‐ Recenser les modalités de prise en charge et réponse des psychiatres libéraux
‐Identifier les problématiques liées à ces prises en charge »
La méthode proposée par le cabinet FJN est très pragmatique et interactive, son déroulement
était prévu en trois temps, à partir de l’échantillon retenu (73 médecins)
1‐ Des entretiens non directifs en cabinet et/ou par téléphone ;
2‐ Deux focus group organisés dans les locaux de l’URPS ;
3‐ Une restitution au groupe santé mentale.
L’approche a donc été réalisée de façon ouverte, sans questionnaire préétabli.
Cette approche a été acceptée et mise en œuvre. Ce rapport présente les résultats de l’étude et
les recommandations qui ont été faites par les professionnels consultés.
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4.2. Méthodologie
Préparation
L’URPS nous a remis une liste de 73 psychiatres de l’Ile de France avec leurs coordonnées,
précisant les modalités spécifiques de prise de contact souhaitées par les professionnels
(téléphone ou mail). Chaque médecin psychiatre a été joint au préalable par l’URPS et prévenu
par mail le 14 septembre 2016 de cette enquête et de notre prochain appel « afin de recueillir votre
témoignage, de préciser vos besoins et prendre note de vos recommandations ».
Les entretiens
Les entretiens se sont déroulés du 23 septembre au 20 octobre 2016.
Au sein de la société FJN, ces contacts ont été répartis entre 3 interviewers : Sophie Rougevin‐
Baville, Florence Chevalier et Valérie Pont.
Il a été convenu dès le départ de démarrer les entretiens par des questions ouvertes plus à même
de permettre la collecte d’informations diversifiées, au plus près des préoccupations des
praticiens. Notre méthode d’entretien a été souple et évolutive dans le temps. Dans une première
période, chaque interviewer a été libre de son approche. La méthodologie a ensuite pu être
affinée grâce à une approche concertée. Il y a donc eu au total 39 entretiens téléphoniques et 5 en
face en face, soit une couverture de 60% du panel.
Ce chiffre est tout à fait exceptionnel et montre l’intérêt des médecins concernés pour le sujet.
Habituellement moins de 10% de la « cible » accepte un entretien approfondi.
L’invitation au focus group
Au cours de ces entretiens, il était proposé au médecin de joindre une des deux sessions de «
focus group » organisée le 20 octobre, (pendant les vacances scolaires, permettait aux psychiatres
de mieux s’organiser pour participer). Au total, 10 médecins psychiatres ont participé aux focus
group, dont 8 avaient déjà donné leur témoignage individuel. Soit 14 % du panel.
Ce chiffre est également à noter, concernant des professionnels libéraux ayant une charge de
travail considérable et acceptant de participer à des réunions en fin de journée.
L’animation des focus group
Toujours dans une méthodologie pragmatique et souple, chacun des focus group était animé par
deux consultants. Chaque équipe avait fait des choix d’animation différents : L’une des équipes
est partie d’une synthèse des entretiens téléphoniques en animant le groupe pour permettre
d’en affiner le contenu ; l’autre équipe a laissé la liberté de parole et d’échange aux participants
tout en se laissant la possibilité de proposer des thèmes plus spécifiques identifiés lors des
entretiens.
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Souffrance au travail, une configuration complexe
aux multiples intervenants
Ce qui apparait en premier lieu dans les entretiens, c’est l’explosion du nombre de consultations
concernant la souffrance au travail ces derniers temps, un mouvement qui se dessine depuis
environ 10 ans et s’est accéléré depuis 3 à 5 ans. Cette augmentation rapide crée une surcharge de
consultations chez les médecins psychiatres, alors même que le nombre de psychiatres libéraux
est en diminution.
« De plus en plus de personnes consultent pour des problèmes liés au travail »(7)1
« Nous avons une surcharge de travail, l’amplitude et la densité de nos journées sont importantes, et
nous sommes submergés par ces demandes de consultation pour souffrance au travail. Ce sont des
demandes pressantes, il y a une véritable nécessité, une urgence à recevoir » (8)
La souffrance au travail a une configuration complexe et multiforme. Elle fait intervenir de
nombreux acteurs (entreprise, administration, médical) et nécessite pour apprécier le contexte
et la problématique du patient des connaissances et des interventions au‐delà du champ
médical.
« Pour ma part, j’utilise tous les ressorts qui sont à ma disposition : arrêt de travail, temps partiel,
je leur conseille une réorientation… Oui, ce n’est plus à proprement parler de la psychiatrie, mais les
psychiatres ont toujours eu différentes casquettes. Il est difficile de s’occuper des gens
uniquement sous l’angle de la qualité de leurs neurotransmetteurs ! » (19)
« Si les gens sont déprimés, et pour protéger les patients, je fais quand même des arrêts,
même si ce n’est pas légal »(21)
Cependant, le groupe de psychiatres interrogés a été à même de donner plusieurs
recommandations pour faciliter la prise en charge de ses patients.
Les psychiatres sont confrontés à des situations très complexes, d’une part tenant à des
raisons médicales, qu’ils l’ont l’habitude de traiter et d’autre part à des facteurs externes liées
à la multiplicité des intervenants et à la complexité réglementaire et structurelle.
Nous reprenons ici les éléments qui nous ont été fournis par lors des entretiens et des focus
groups.
1
Tous les numéros entre parenthèse font référence aux numéros de comptes rendus d’entretiens en annexe 1
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5.1. Le patient et sa demande
Comme dans toute consultation, le patient arrive avec son environnement et son histoire
personnelle souvent impactés par les événements vécus dans le milieu professionnel.
Le patient concerné par cette problématique a plusieurs caractéristiques.
Sa demande initiale n’est pas forcément la souffrance au travail. Il consulte pour ce motif ou
pour un autre motif : « Il y a les personnes qui consultent pour ça (la souffrance au travail), mais il
y a aussi les patients qui sont suivis pour autre chose, et qui, au détour d'une embauche,
expriment leurs problèmes au travail. (6) »
Sa souffrance provient du travail ou relève d’une autre origine ou le tout est entremêlé :
« Après, il s'agit de faire la distinction entre des souffrances spécifiquement liées au travail et puis
ce qui relève d'une autre origine. Les choses sont souvent un peu mêlées. On peut vivre à la fois une
souffrance au travail et avoir en même temps une fragilité, soit dépressive ou d'angoisse, de
phobie, etc., qui précède ou accompagne la situation professionnelle.
Il faut donc faire la part des chose ». (3)
« Il y a des facteurs personnels bien sûr qui jouent parfois : le côté présomptueux ou la faculté de
s’aveugler, d’accepter l’inacceptable. Le pire, ce sont les salariés perfectionnistes et performants,
car ce sont de bons petits soldats, et l’entreprise les pousse au maximum ». (8)
« Ce n’est pas n’importe quelle personne qui est en souffrance au travail,
ni à n’importe quel moment de la vie » (Focus group N°1)
Sa souffrance est objective ou subjective :
« C’est difficile de faire ce tri entre ce qui est objectif et subjectif. Certaines situations paraissent
objectivement délétères. Mais beaucoup plus souvent c’est subjectif. Les gens se disent écrasés
par une surcharge de travail à un rythme effréné. Mais ce n’est pas une question d’horaires parce
qu’ils partent tôt. Simplement ils partent tous (dans leur salle de sport par exemple), en ayant
l’impression d’être submergés, envahis par leur travail… » (14)
Enfin, ce patient s’inscrit dans un environnement et une histoire familiale qui peut être aidant ou
non, et qui est souvent impacté par sa souffrance.
« Objectivement, même si on s'attend à être bien traité en entreprise et que cela ne l'est pas tout à fait,
il faut garder à l'esprit qu'on n'y est pas esclave. La part subjective est donc corrélée à la vie
générale, sociale de l'individu. Une personne épanouie dans sa vie personnelle
sera plus à l'abri de ce type de souffrance « (3)
Parfois, les membres de la famille (conjoints, enfants) nécessitent eux‐mêmes une prise en charge,
ce qui leur pose des problèmes économiques. Certains psychiatres disent :
« En fonction des personnes, je suis obligée de baisser mes honoraires car leur mutuelle ne leur
autorise qu’une somme forfaitaire à l’année en remboursement de spécialistes ». (22)
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5.2. La structure de travail
La structure de travail peut être une entreprise (multinationale, PME, artisanale), la fonction
publique ou l’exercice d’une profession libérale. Toutes ces structures ont été évoquées au
cours des entretiens, ce qui signifie bien que la souffrance au travail s’installe dans tous les
cadres de travail et non uniquement en entreprise.
On ne retrouve pas les mêmes types de souffrance au travail en entreprise, ou lorsque la
personne est installée à son propre compte. Pour ces derniers, on aura plutôt affaire à des
« Burn out ». De même, au sein des entreprises, les situations sont diverses en fonction de la taille
de la société. Et au sein même de la fonction publique, les procédures sont variées. Certains
médecins semblent plus « spécialisés » en fonction de leur implantation géographique.
La diversité des structures de travail complexifie la mission des psychiatres. Enfin, il est clair
qu’en fonction de la structure, les déclinaisons de la souffrance au travail ne seront pas les
mêmes ainsi que les possibilités d’intervention ou de règlement de la situation. Ainsi en est‐ il de
l’éventualité d’une intervention de la médecine du travail (Les personnes travaillant à leur
propre compte n’en ont pas), du CHSCT2 ou d’un changement de poste au sein de
l’entreprise…
A noter le nombre de médecins psychiatres citant l’hôpital public et ses dysfonctionnements
comme une source importante de souffrance au travail, tant pour les médecins que les infirmières;
ou ayant eu eux‐mêmes à traverser ces périodes de souffrance dans les structures hospitalières.
Le médecin psychiatre doit se repérer dans des environnements de travail différents :
profession libérale, entreprises privées, fonction publique ou hospitalière… La souffrance du
patient et les procédures réglementaires y diffèrent fortement.
2 Comité d’Hygiène, de Sécurité et de Conditions de Travail
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5.3. Le poste de travail et son environnement modèlent souvent le type de
souffrance
La souffrance au travail se retrouve sur tous les postes quel qu’en soit le niveau hiérarchique.
« Il y a beaucoup de personnes en souffrance au travail, et pas forcément de corrélation entre
les catégories socio‐professionnelles et cette souffrance ».(4)
Il y a également une souffrance peu reconnue qui est celle des personnes à haut revenus. La société
estime qu’ils n’ont pas à se plaindre, que ce sont des problèmes de riches. Ils ont donc peur d’en
parler, on ne leur reconnait pas le droit de se plaindre. Les cas de maltraitance des employés existent
également, les deux existent. (4) »
Le poste de travail fait intervenir plusieurs composantes dont chaque élément peut devenir
l’origine d’une souffrance.
Un management, un supérieur hiérarchique : harcèlement moral ou sexuel, mise au
placard, pression, humiliations….
Des collègues : ostracisme, mise à l’écart, harcèlement
Une charge de travail, un contenu : pression, charge de travail trop importante ou au
contraire inexistante….
Des moyens (matériels, financiers, humains…etc.) qui peuvent être insuffisant ou
inadapté aux objectifs : burn out…
Des délais de réalisation : burn out, pression…
Un environnement de travail : Open space (espace collectif), bruits, territoire,
intimité…
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5.4. Le service ressources humaines peut « aider » ou intervenir dans la logique
d’une « maltraitance »
Il existe dans des établissements publics ou privés ayant un certain nombre de salariés. Il est là
pour appliquer les politiques de l’entreprise.
Une politique RH de l’entreprise peut être la cause de la souffrance au travail, comme on l’a vu
dans des affaires médiatisées. Si l’entreprise est maltraitante, ce service n’a donc aucune utilité,
mais il intervient obligatoirement dans la procédure interne à l’entreprise dès lorsqu’il y a une
plainte concernant la souffrance au travail.
A l’inverse, il peut aussi être « aidant » pour le patient en souffrance, par exemple en
s’investissant dans l’adaptation du poste de travail, la recherche d’un nouveau poste pour le
patient, ou en acceptant les ruptures conventionnelles lorsque la sortie du poste est l’issue
finale.
« J’observe tous les cas de figure, de ceux où il n'y aucune compréhension, aucun effort d'action des
RH jusqu'à l'inverse, des responsables très désireux d'améliorer la situation et qui regrettent de ne
pas avoir eu connaissance plus tôt de cette difficulté. C'est en fait très variable ».(3)
Le service RH, point de passage obligé, peu faciliter ou non la sortie de crise en fonction de la
politique de l’entreprise.
5.5. Les institutions internes, possible recours pour le patient
En fonction de la structure de l’entreprise, on peut retrouver plusieurs autres intervenants qui
jouent un rôle dans les risques psycho‐sociaux internes et qui ont été évoqués pendant les
entretiens :
Un CHSCT (Comité d’Hygiène et des conditions de travail) qui participe à l’évaluation des
risques psycho‐sociaux dans les entreprises : « Je crois au rôle du CHSCT dans l’entreprise. Il faut
arrêter de diviser les gens ». (7)
Des délégués du personnel dont la mission est de défendre les cas individuels, et les
syndicats : « Je prends beaucoup de temps pour conseiller mes patients, leur conseiller d’aller voir le
syndicat » (16)
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Le médecin du travail est un acteur souvent indispensable à la sortie de crise. Mais la
communication entre confrères est malaisée, souvent rendue difficile par des aspects
réglementaires et humains. Dans la pratique, on retrouve toutes les situations de l’absence
totale de relations à une communication très importante.
Organisation :
Tout d’abord, il faut préciser que le médecin du travail existe de manière différente selon les
structures privées ou publiques et n’y a pas toujours les mêmes fonctions. La médecine du
travail n’existe cependant que pour les personnes salariés ou fonctionnaires.
Au sein des entreprises privées, la médecine du travail peut être un des services à l’intérieur de
l’entreprise, ou externalisée dans une association inter‐entreprises.
S’il travaille en interne, le médecin du travail est reconnu comme ayant une meilleure
connaissance des personnes et des tensions spécifiques à l’entreprise ou aux différents
services.
Mais son indépendance pose question à de nombreux psychiatres.
En externe, son aide est souvent jugée moins efficace dans ce type de situation :
Au sein des trois statuts de la fonction publique, la médecine du travail est organisée
différemment ; et elle est organisée autour d’un médecin du travail et d’un Comité Médical.
On remarque toutefois que les psychiatres manquent d’information sur l’organisation de la
médecine du travail. Dans de nombreux cas les patients indiquent que les services n’existent pas
et, en l‘absence de toute information officielle, les psychiatres n’ont d’autre ressource que de les
croire (par ex : cadres de la fonction publique).
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Rôle :
Le médecin du travail joue un rôle important à la fois dans le repérage des pathologies mais aussi
dans le suivi, et les déclarations d’inaptitude nécessaires à la sortie de l’entreprise ou à
l’adaptation du poste de travail. Ses relations avec les médecins psychiatres sont très
variables. Très rarement, il existe des médecins psychiatres au sein du service de médecine du
travail.
Les relations entre les psychiatres et les médecins du travail sont nécessaires mais rendues
compliquées par plusieurs facteurs :
Les règles de déontologie :
« On peut contacter la médecine du travail, mais déontologiquement c’est interdit ».
(focus group N°1)
La méfiance réciproque, les croyances et a priori :
« On se méfie d’eux car ils sont payés par l’employeur ». (Focus group N°1)
Un acteur important de la prise en charge : C’est le médecin du travail qui doit intervenir pour les
avis d’inaptitude et donc aider au déclenchement d’un changement de poste ou d’un
licenciement lorsque l’entreprise le refuse.
« On les contacte quand on a une demande à faire, de licenciement pour inaptitude, ce n’est PAS
pour décrire le patient ». (Focus group N°1)
Il peut également avoir un rôle de conseil, ou tout au moins apporter un feed back utile. Pour
certains psychiatres, il est un soutien très utile avec lequel ils sont en communication étroite pour
parvenir à des solutions efficaces au service du patient.
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5.7. Un parcours de soin complexe qui fait intervenir de nombreux acteurs
Le médecin traitant : C’est souvent le médecin traitant qui envoie en consultation chez le
médecin psychiatre. En effet, le médecin généraliste est limité dans les arrêts de travail qu’il lui
est possible de donner, et a donc tendance à orienter rapidement vers un spécialiste.
Cependant, certains médecins psychiatres constatent que les patients ne leur sont adressés
qu’en fin de parcours donc trop tardivement pour avoir une action efficace.
Le médecin psychiatre : Parfois, le patient arrive directement chez le psychiatre, mais il peut
aussi y être envoyé par le médecin du travail ou le médecin traitant, et dans certains cas par
l’entreprise…
Le médecin du travail : Le médecin du travail envoie facilement ses patients vers les médecins
traitants. Il n’est que rarement formé pour la souffrance psychique, et a donc du mal à évaluer
le degré de risque pour la personne, mais il peut adresser parfois directement des patients chez
les psychiatres.
Le médecin de la sécurité sociale . Parfois, lorsqu’il n’y a pas de possibilité d’avoir un
licenciement pour inaptitude, la succession d’arrêts de travail finira par entrainer une
procédure d’invalidité. A noter que deux médecins psychiatres sur le panel ont été amenés à
justifier des arrêts de travail dans le cadre de questions posées par l’assurance maladie.
Les services spécialisés dans la souffrance au travail. Parfois, la médecine du travail, ou le
psychiatre lui‐même oriente directement vers ces structures spécialisées. Elles sont reconnues
pour avoir une meilleure connaissance du contexte, et des possibilités d’intervention pour
une sortie de crise. Ce ne sont apparemment pas des structures de soin.
Le parcours de soin peut s’avérer complexe pour le patient, en raison du nombre et de la variété
des intervenants (dont plusieurs médecins) qu’il va être amené à rencontrer. Certaines de ces
interventions ne sont motivées que par des raisons de de contrôle.
La place et le rôle du psychiatre est souvent inconfortable et peut rapidement devenir très
compliquée, surtout s’il perçoit des risques importants pour son patient que les autres ne voient
pas ou ne souhaitent pas prendre en compte.
Il faudrait toutefois étudier les situations de façon plus approfondie pour pouvoir en tirer une
analyse pertinente.
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5.8. Les institutions externes à l’entreprise
Le patient en détresse peut soit ne pas être conscient de la nécessité d’agir avec ces acteurs, soit
ne pas savoir comment faire. Dans les deux cas, il va consulter le psychiatre espérant avoir un
conseil sur des plans légaux, contentieux voire jurisprudentiels…
Le psychiatre risque alors de se trouver en dehors de son champ de compétence.
1/ L’inspection du travail peut intervenir en cas de harcèlement moral ou sexuel qui sont
juridiquement condamnables. Elle peut également jouer un rôle de conseil auprès des salariés.
Certains psychiatres conseillent à leurs patients de prendre contact avec ces services de l’Etat, avec
également le risque pour le patient de « perdre le contrôle » de la situation.
2/ Les Conseils de prud’hommes et les avocats peuvent intervenir en cas de contestation
juridique ou de plaintes concernant des comportements prévus par les textes.
Le recours contentieux est souvent la seule solution, mais cette décision nécessite de consulter
un avocat spécialisé.
Les patients demandent souvent aux psychiatres s’ils connaissent « quelqu’un de bien » et il est
très difficile à un professionnel de santé de prendre position sur des domaines aussi loin de sa
spécialité.
Le psychiatre veut pouvoir aider son patient, et donc réunir, si cela est possible, les
conditions minimales à une prise en charge médicale.
Encore une fois pour cela, s’il y a une résistance de l’employeur, cela passe par une « mise en
sécurité » du patient.
Cette solution implique le recours à un avocat, voire une action contentieuse.
On demande souvent au Psychiatre des compétences qu’il n’a pas, dans des domaines qu’il ne
connait que par l’expérience. Pour autant le psychiatre ne peut souvent pas laisser son patient
seul face à son problème.
Ceci pose la question de la formation juridique du psychiatre, s’il le souhaite, ou encore la
question du « support » pour le psychiatre (à qui s’adresser quand il ne sait pas quoi
conseiller à son patient) et de « l’orientation » du patient vers des acteurs ou des structures
spécialisées.
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Troubles du patient et prise en charge financière du coût
induit 3
Les psychiatres recensent chez les patients en souffrance au travail un ensemble de troubles :
des troubles somatiques : digestif, intestinaux, migraines, troubles du sommeil et
alimentaires, manque d’énergie, de plaisir,
des troubles cognitifs : perte de mémoire, difficultés de concentration,
« Mais en attendant, la Sécu paye pour un problème d’entreprise.
Je crois que l’entreprise pourrait payer. »
Il se pose également la question de l’accès au soin des patients et des collatéraux si le reste à
charge est trop important.
Les patients arrivent avec des symptômes divers qui peuvent avoir de graves conséquences,
et les psychiatres se posent alors des questions sur la responsabilité des employeurs dans
cette situation, et notamment sur la prise en charge financière de la prise en charge
médicale du patient (et éventuellement de sa famille ou de ses proches).
Les psychiatres se posent également la question du sens que cela peut avoir de « retirer
durablement, voire définitivement du marché du travail » des personnes se trouvant à un
moment donné dans l’incapacité de faire ce qu’on attend d’elles dans un cadre précis,
mais qui pourraient tout à fait travailler dans un autre contexte ou une autre entreprise.
3 NB : Les consultants du cabinet FJN n’ont aucune compétence ni aucune autorité pour parler de questions médicales. Nous
reprenons ici ce que nous avons pu comprendre des entretiens ou des débats et nous sollicitons l’indulgence des psychiatres pour le
cas où nous aurions mal compris.
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Les difficultés que le psychiatre doit affronter
Si les psychiatres savent bien traiter l’aspect médical des choses, il leur est moins facile de
déterminer de façon précise si la pratique de l’entreprise, est réellement à l’origine de la
pathologie, et dans ce cas, si elle est objectivement voire juridiquement condamnable.
Pour certains psychiatres, la souffrance au travail ne revêt pas de caractéristiques, ni de
difficultés particulières :
« Il faut dépister la dépression et non pas le harcèlement. Le patient mettra du temps à se
reconstituer un jour, il sera déclaré « invalide » sans avoir compris ce qui se passe dans sa vie. Ce
n’est pas satisfaisant. Je pense qu’il faut éviter la piste d’aller dans le milieu professionnel. Il faut
mettre l’accent sur les pathologies réelles, que les gens se remettent en question par rapport à leur
adaptation. Le lieu de travail est un lieu de dépistage possible, pour éviter le casse‐pipe. » (14)
« En tant que médecin, je ne rencontre pas de difficultés. Ces personnes présentent des troubles
anxieux et dépressifs, et ça, ça se traite ! » (1)
La première difficulté est de faire la part des choses dans la souffrance au travail entre ce qui
relève du travail, et ce qui relève d’une fragilité préexistante.
« La difficulté, c'est de se faire une idée précise et documentée des circonstances objectives. Il y a le
discours des patients, et puis ce qu'on en entend, ce qu'on en comprend... Comme on n'est pas,
évidemment, témoin de la situation, concrètement, il y a toujours une part d'inconnu…
Sans douter systématiquement des propos des patients, il faut toujours prendre les choses avec
une certaine relativisation, sans négliger ni nier les effets. Après, il s'agit de faire la distinction entre
des souffrances spécifiquement liées au travail et puis ce qui relève d'une autre origine.
Les choses sont souvent un peu mêlées. On peut vivre à la fois une souffrance au travail et avoir en
même temps une fragilité, soit dépressive ou d'angoisse, de phobie, etc.., qui précède ou
accompagne la situation professionnelle. Il faut donc faire la part des choses ».(3)
Les personnes en souffrance au travail sont des personnes qui ont une fragilité qui s’inscrit dans
un certain contexte. Si le contexte avait été différent, les personnes seraient fragiles mais
n’auraient sans doute pas décompensées. C’est la pression qui les fait décompenser.(7)
. Il y a une augmentation de la charge de travail, et les gens ne peuvent pas dire non, et il y aussi
une part de personnalité : pourquoi certains ne savent pas dire non ? Ils ont bien sur peur de se faire
lourder, mais quelle est la part de leur histoire affective ? de l’obéissance aux parents ?
C’est une question de démission psychique, et par rapport à cela, chacun a sa structure.(13)
Les jeunes de 30 ans sont offusqués si on leur fait une remarque parce qu’ils arrivent à 9h10 au lieu de
9h. Quand c’est comme ça, à 15h, ils ont déjà demandé un arrêt de travail ! Simplement si on leur fait
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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une remarque, comme quoi par exemple leur travail n’est pas terminé… Ce qu’ils me disent c’est
:« On ne me reconnait pas ! On ne reconnait pas ma valeur ! » C’est la position de l’enfant adulé,
surprotégé, qui est brutalement confronté à la réalité de l’école maternelle ! A 25‐35 ans, c’est une
1e réelle confrontation au monde extérieur, ce qui est une épreuve de réalité pour le narcissisme de
ces jeunes très protégés. Alors ils se sentent blessés, et ils trouvent cela injuste. (14)
Sur ce point, la médecine du travail peut être « aidante » parce qu’elle a parfois la connaissance du
milieu professionnel que le médecin psychiatre n’a pas :
« Le confrère aura parfois un avis très intéressant, et ça me permet d’y voir plus clair, sinon on reste
chacun dans son monde. Là ça permet d’avoir une autre vision des choses. Parce que certains de
mes patients psychotiques nous présentent une certaine vérité, et l’avis du médecin du travail
me permet d’avoir un autre regard. Généralement il a reçu la personne plusieurs fois, et il peut
me parler de gros problèmes relationnels, s’il y en a. »(12)
J’ai pas mal de contacts avec eux, par écrit et par téléphone, parce que ça m’aide à avoir une autre
vision. Parfois je peux avoir une vision biaisée d’un patient. J’en ai une par exemple qui «
surdélivre », qui a des exigences élevées. Grâce au médecin du travail, je sais que son chef est plutôt
cool, que c’est elle qui a des exigences élevées. Elle ne veut pas changer, elle est rigide, donc
j’essaie de l’accompagner différemment. Grâce au regard du médecin du travail, ça me permet
d’affiner ma posture d’accompagnement. En même temps quand je les contacte, que je leur fais
un courrier, pour moi c’est déjà un échec, c’est un signal.(10)
Ensuite, si l’origine de cette souffrance est due à l’entreprise, il s’agit de distinguer ce qui
relève des conditions de travail ou d’une réelle maltraitance (harcèlement…). Cette distinction est
importante car elle entraine des aspects juridiques.
En réalité il est rare que les entreprises soient vraiment « malmenantes ». Ca a beaucoup à
voir avec la personnalité du patient : certains peuvent gérer leur travail avec un N+1 pervers,
d’autres non. J’en ai une qui veut que tout le monde autour d’elle change, sauf elle, alors je travaille
sur ses frustrations… (10)
Cela est dû :
A des méthodes managériales « inadaptées », et c’est un euphémisme ;
A l’incompétence des dirigeants et du système de management, dont on peut dire qu’ils n’ont rien
compris à la manière de motiver les personnes ;
Aux soucis de rentabilisation dans l’entreprise, qui est facteur de sous‐effectif ;
A l’inquiétude, la peur du chômage des salariés, parfois aux idées reçues (« on ne trouve plus de travail
après 40 ans ») qui font que les personnes s’accrochent à des postes qu’ils ne peuvent pas tenir ;(…)
Par ailleurs, je ne suis pas loin de la Défense. Je vois bien que parfois les managers peuvent être là
pour faire pousser à la démission. Et puis, les services RH sont également en souffrance, ils ont de plus
en plus de travail, souffrent de surcharge également, font des erreurs, et ne sont pas dans l’accueil et
l’aide aux salariés, et ne poussent pas les actions qui leur donneraient du travail supplémentaire
ou mettraient en évidence leurs erreurs. (8)
Et sur les aspects juridiques, comme on l’a vu plus haut, les règles sont différentes et les
psychiatres peuvent avoir des difficultés à s’y retrouver.
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7.2. La question des arrêts de travail et la responsabilité du psychiatre
L’arrêt de travail est souvent la pièce maîtresse de l’arsenal thérapeutique. La question se pose
souvent de la légitimité à arrêter un patient non au motif de son état de santé actuel, mais pour
le soustraire à un contexte qui menace cet état de santé.
Certains psychiatres déclarent n’avoir jamais recours aux arrêts de travail dans ce type de situation.
Pour la grande majorité d’entre eux toutefois, l’arrêt de travail est obligatoire. C’est même l’élément
essentiel de la prise en charge thérapeutique. Il est d’abord essentiel en premier lieu car justifié par
l’état de santé de la personne. Il est parfois difficile à accepter pour le patient, certains cadres les
refusant.
Il est également important en traitement préventif pour plusieurs raisons :
Il permet de sortir la personne du contexte pour lui permettre de prendre du recul.
Les personnes sont souvent épuisées. Il leur est nécessaire de se reposer.
Si l’entreprise est réellement maltraitante, aucun travail psychique ne peut s’élaborer si le
contexte mets l’individu en mode de survie.
Cela permet à l’entreprise également de réfléchir, se poser des questions sur le mode de
management (Focus Group N)1)
Enfin, il y a pour certaines personnes un risque sérieux de suicide.
L’arrêt de travail posé par un psychiatre ne pose généralement aucun problème vis‐à‐vis de la
sécurité sociale. Un seul médecin psychiatre dit avoir été contrôlé, et les arrêts n’ont pas été remis en
cause. Cela n’est pas le cas des médecins généralistes.
Mais l’arrêt de travail pose aux psychiatres des problèmes éthiques :
Pour certains, lorsqu’on place en arrêt une personne pour la protéger de comportements
abusifs, cela « sur‐victimise » le patient.
Pour d’autres, les arrêts maladie finissent au bout d’un moment à devenir une mesure de
protection et à ne plus être justifiés par l’état de santé de la personne. A ce moment‐là,
certains psychiatres deviennent mal à l’aise, mais sont également conscient de la très grande
difficulté des patients à reprendre leur poste de travail si le poste ou l’environnement n’a pas
été modifié.
« On donne des arrêts de travail pour des harcèlements, parce que les personnes sont incapables de
retourner au travail, dans ce contexte. Mais s’il n’y a pas de volonté de l’employeur de régler la situation,
on renouvelle, et on donne des arrêts de travail de plus en plus longs. Et si en plus, il y a des prud’hommes
et un avocat, cela rallonge encore les arrêts de travail. Il faut que la personne voie le médecin du travail,
qui va nous le renvoyer, puis la revoir. Ce sont encore des mois d’arrêt de travail avant une inaptitude ou
une incapacité.
Si la personne est très mal, ces arrêts de travail sont justifiés. Mais parfois, l’arrêt de travail n’est plus
justifiable par l’état de santé du salarié. Il s’agit juste de le préserver du contexte. C’est un problème
éthique pour nous. »(22)
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7.3. Accompagner le patient dans la « sortie de crise »
Bien souvent, l’arrêt de travail accompagne le patient jusqu’à la sortie de l’entreprise, ou tout au
moins du poste de travail qui a généré la souffrance. C’est pourquoi le psychiatre accompagne
son patient pendant tout le processus de départ de l’entreprise ou du poste, ce départ
entrainant souvent des problématiques surtout réglementaires.
Enfin, il arrive couramment dans les cas graves de souffrance au travail que la personne soit dans
l’impossibilité de reprendre son poste de travail tel quel.
La première mesure conseillée est la reprise sur un poste adapté, soit le même avec une charge de
travail moins importante, soit un autre poste dans l’entreprise. Cela nécessite la coopération du
médecin du travail (inaptitude partielle) et du service RH (recherche de poste). A ce stade peuvent
également intervenir le CHSCT et les délégués du personnel.
« Avant le service Ressources Humaines était vécu comme un lien de soutien pour les salariés.
Maintenant, les RH sont à la solde du patronat. Ils sont là pour virer si besoin. C’est très difficile
d’obtenir des changements de service. » (22)
« Il y a aussi beaucoup de demande pour la MDPH (Maison Des Personnes Handicapées) pour avoir
une reconnaissance de travailleur handicapé. Cette reconnaissance existe pour les cas de
dépression, d’anxiété et de divers troubles handicapants » (16)
Certains psychiatres tentent de refaire travailler leur patient sur des postes à temps partiel : même
cheminement…
Enfin, pour une grande partie des personnes, on s’oriente vers un départ de l’entreprise car il
semble impossible au patient de revenir dans le même environnement. Dans ce cas, le patient
avec l’aide du psychiatre commence par demander un départ conventionnel. De plus en plus
d’entreprises refusent ces départs arguant du fait que si le salarié n’est pas content il doit
démissionner. C’est dans ces cas‐là souvent que les arrêts de travail sont prolongés, le contexte
économique ne permettant pas aux personnes l’absence de revenus.
« Les salariés voudraient bien partir. Ce sont les employeurs qui ne veulent pas. On leur dit
de démissionner. Mais à aujourd’hui, personne ne peut démissionner sans revenus. »(22)
« La souffrance au travail est en nette augmentation depuis 5 ans, à cause du contexte économique.
Egalement, le refus des ruptures conventionnelles est un facteur. »(17)
S’ensuit alors des procédures soit médicales soit juridiques pour permettre au salarié de
quitter l’entreprise tout en continuant à percevoir des indemnités. C’est surtout avec les
entreprises maltraitantes qu’il y a des difficultés pour les psychiatres, car les procédures
aboutissent difficilement et demandent du temps.
« Quand c’est maltraitant : c’est difficile pour nous les psychiatres. » (focus Group N°1)
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Plusieurs stratégies de départ sont possibles en fonction de la personne, son état de santé et de
ce qui s’est passé :
1/ Le médical par la recherche d’une inaptitude au poste de travail dans l’entreprise. Cela
passe par l’intermédiaire de la médecine du travail et nécessite donc la collaboration du
médecin du travail. In fine, l’entreprise est obligée de licencier le salarié, ce qui lui permet de
toucher ensuite le chômage pendant sa recherche d’emploi.
2/ Le médical par l’attribution d’une invalidité de travail. Cela passe par le médecin conseil de
la sécurité sociale, si l’état de santé du salarié est suffisamment et durablement altéré.
Cependant, cette invalidité ne peut s’obtenir qu’après de très longs arrêtes de travail. Là aussi, cela
permet d’obtenir un licenciement et donc une prise en charge financière du salarié.
3/ Le licenciement juridique par l’intermédiaire des Prudhommes fait intervenir des avocats,
parfois des instances représentatives du personnel : syndicats, délégués, CHSCT…
En conclusion, on entend dans les entretiens qu’une majorité des psychiatres sont très actifs dans
des missions de Conseil, de coach, d’accompagnement dans des domaines qui n’entrent pas
de façon évidente dans leur champ de compétence, et dans lesquels ils se retrouvent très
seuls et ne sont pas toujours à l’aise.
C’est pourquoi, certains d’entre eux préfèrent s’en remettre aux services spécialisés dans la
souffrance au travail, services qu’ils estiment plus compétents sur la partie « conseils » et
mieux à même d’informer sur les aspects pratico‐juridique de l’accompagnement dans la
reprise du travail ou la sortie de l’entreprise.
« Sur les services spécialisés en hôpital, ils ne font rien de plus que nous autres médecins psychiatres.
Mais ils connaissent beaucoup mieux l’entreprise que les autres médecins psychiatres. Moi, j’ai eu de
la chance d’y travailler et donc de voir les problèmes. Mais certains de mes collègues n’ont aucune
idée de ce qu’est une entreprise. Ces services sont donc plus spécialisés dans les démarches à suivre
avec l’entreprise. Ce sont principalement les médecins du travail qui leur envoient des salariés. »(22)
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L’élargissement du champ d’intervention du psychiatre
Dans ce contexte, différents modes de prise en charge et de réponses sont faites par les
psychiatres :
8.1. Les médicaments assez largement utilisés
« En règle générale, je ne suis pas très « médicaments ». Cependant, dans certaines postures de
résistance, il y a un risque de sous‐estimation de la souffrance de la personne, donc un risque
suicidaire qui est vrai et qui dure dans le temps. Et pour ces personnes‐là, je peux prescrire des
somnifères, des anxiolytiques, des antidépresseurs…etc. ».(8)
Ce point de vue reflète la majorité des psychiatres
8.2. Le travail « psychique » inévitable
« Il faut essayer de les aider à recréer une image plus réelle et pas un « maquillage narcissique » : Ils
doivent comprendre qu’ils doivent aussi développer leurs qualités, collaborer, travailler en
compétition, s’investir, sublimer leur énergie dans des taches positives. A mes yeux, le travail
n’intervient pas comme un stresseur en soi mais comme une épreuve de réalité. Le narcissisme est
confronté à l’existence, c’est très difficile et il y a un long travail psy à faire. »(14)
8.3. Donner des informations sur leurs droits
« J’encourage les patients à ne pas rester seul, à contacter l’inspection du travail, les collègues,
les syndicats. J’essaie de leur redonner une certaine capacité d’action, au lieu de s’adapter. »(11)
« Je prends beaucoup de temps pour conseiller mes patients, leur conseiller d’aller voir le syndicat,
des avocats, etc. »(16)
« Je conseille à mes patients de prendre un avocat ».(18)
« Ils ne connaissent pas leurs droits. Donc on passe beaucoup de temps à les conseiller sur leurs
droits, parce que leur ignorance est vraiment importante ». (16)
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8.4. Coaching sur la vie professionnelle
L’agenda et les priorités :
« Concernant les conditions de travail, j'essaie de voir avec mes patients ce qui dépend d'eux. On
peut agir par exemple sur la gestion de leur agenda. Je les invite à hiérarchiser les priorités. Ils ne
sont pas obligés de répondre immédiatement à tous les mails ou appels, par exemple. On regarde
ensemble la structure de leur journée et on voit comment procéder différemment. Ça leur permet
déjà de sortir la tête de l'eau ». (2)
Les négociations :
« J’ai une patiente qui est cash, transparente, honnête, et elle se fait avoir par ceux qui louvoient.
Elle est épuisée, en dépression. On a travaillé elle et moi pour qu’elle apprenne à se protéger: à ne
pas tout dire alors que les autres ne disent pas tout.
Je l’ai aidée à préparer un entretien RH » (10)
« J’aide mes patients à négocier eux‐mêmes avec leur direction »(19)
Le bilan de compétence :
8.5. Autres outils
« Je leur conseille des livres ou des films sur le sujet »
« Moi je pratique la méditation, comme Christophe André…pour que ceux qui courent puissent
prendre conscience qu’être en vie, c’est important ! » (10)
« J’utilise avec mes patients les TCC, la cohérence cardiaque, des approches de relaxation, des
petits outils, pour offrir un sas de sécurité, apprendre à s’inscrire dans l’instant, faire un break de
quelques minutes ».(10)
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Recommandations 4
Rappelons que la diversité des situations et la complexité de l’environnement ne rendent pas
facile l’identification de solutions pratiques dont la mise en place serait possible à court terme.
Nous avons ici résumé les principaux domaines d’actions possibles tels qu’ils nous ont été
présentés par les praticiens qui ont participé à l’étude, tant pour ce qui concerne les plans de
communication, de formation ou d’information, ainsi que de support que pour ce qui concerne
les aspects plus fondamentaux (réglementation, questions financières, coordination des acteurs
dans le cadre du parcours de soins…)
Le champ des actions est très vaste, nous avons tenté de regrouper les actions proposées en
points :
un travail de définition des concepts pour préciser de quoi on parle et pouvoir ainsi plus
facilement qualifier la situation de tel ou tel patient à un moment donné. La confusion
actuelle ne facilite pas les choses.
une action réglementaire pour faire évoluer les textes
des actions de formation et d’information tant en direction des entreprises que des
professionnels (psychologues, médecins généralistes, psychiatres)
une approche en termes de « support » consistant à rendre accessible aux psychiatres des
services d’information ou de conseil permettant d’identifier sur un territoire donné quelles
sont les ressources mobilisables et comment y accéder dans le respect des règles
déontologiques.
un travail à conduire de façon pluridisciplinaire sur la coordination du parcours de soins,
intégrant l’articulation entre les établissements et la médecine ambulatoire, le rôle et la
place que peut jouer chaque professionnel et les différentes solutions de recours en cas
de problèmes spécifiques d’ordre pratique.
4
NB : les consultants du cabinet FJN n’ont aucune compétence médicale. Les recommandations proposées ici sont
issues des entretiens ou des débats avec les médecins psychiatres qui ont bien voulu nous répondre.
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9.1. Définir les concepts utilisés dans le cadre de la « souffrance au travail »
Une approche approfondie de ce sujet a été conduite notamment par les membres du focus group
n°1.
Il convient de définir la souffrance au travail pour savoir de quoi on parle de façon précise. La
souffrance au travail, ce n’est pas la même chose que la souffrance par le travail. La souffrance
est liée aux conditions de travail (encadrements, systèmes et méthodes, management et
structure de l’entreprise), et non pas au travail en lui‐ même.
A aujourd’hui, il n’y a pas de définition. Il y a juxtaposition à la fois d’un vocabulaire juridique,
par exemple le « harcèlement » et d’un vocabulaire médical sans garantie qu’il soit compris : « le
burn out », le « syndrome d’épuisement », « dépression »…
Or, la définition impacte la reconnaissance des tiers, de la sécurité sociale, du médecin du travail,
etc.
La définition permet un suivi des nombres, des statistiques et donc au final une imputabilité
des coûts et des responsabilités.
La définition permet d’obtenir des budgets et de faire des recherches, donc de finaliser des
traitements qui pourraient sans doute faire baisser la facture globale de cette souffrance.
La souffrance est liée aux problèmes tels que le harcèlement, la marginalisation,
l’humiliation, la maltraitance…
Lorsqu’on parle d’états anxio‐dépressifs majeurs, on entend une histoire personnelle en amont
alors même que ce peut être les conditions de travail qui ont servi de détonateur. On devrait
parler de pathologie acquise au travail.
Une définition plus précise de la souffrance au travail permettrait à celle‐ci une meilleure
reconnaissance de la société dans de nombreux domaines : statistiques, coûts, responsabilités
et faciliterait alors la décision politique.
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9.2. Prendre contact avec les assurances complémentaires et envisager des actions
de prévention
Les récentes évolutions montrent que le rôle et la place que les Assurances complémentaires
(souvent appelées « mutuelles ») sont appelées à jouer dans le système de santé sont des
éléments centraux à prendre en compte :
pour permettre de caractériser la situation des patients,
pour pouvoir mettre en place des actions de prévention,
pour aider à limiter les situations « inacceptables » et leurs conséquence sur
l’environnement et notamment les membres de la famille du patient.
Les psychiatres interrogés manifestent souvent une grande méfiance vis‐à‐vis des «assureurs »
dont les pratiques ne sont pas toujours exemplaires.
Dans le même temps, l’intérêt financier des acteurs (entreprise, assurance maladie, assureurs) à
trouver des solutions opérationnelles est évident, compte tenu du poids des pathologies liées à la
« souffrance au travail » dans leurs comptes.
Les expériences menées dans ce domaine ont souvent montré que les problèmes sont « localisés
» et que pris à temps, ils peuvent être solutionnés dans l’intérêt de tous. Ceci a été largement
confirmé par les psychiatres dans le cours de cette étude.
Il serait donc sans doute avisé de rencontrer les assureurs, d’attirer l’attention sur l’impact
des pathologies liées à la « souffrance au travail » et de voir concrètement avec eux les
méthodes et moyens pour améliorer la situation dans l’intérêt des patients et de leurs
familles, mais également dans leur intérêt et dans l’intérêt des entreprises qui sont leur
clientes.
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9.3. Porter la parole des psychiatres auprès des responsables de l’action
réglementaire pour engager la responsabilité financière des entreprises et la
responsabilité pénale des dirigeants.
De façon générale les psychiatres ne peuvent travailler que si le patient est « mis à l’abri » c’est‐
à‐dire sorti de la situation qui crée le problème. De nombreux témoignages confirment qu’un
changement de poste ou un changement de service, s’il est réalisé tôt, peut régler la question.
Si ce n’est pas possible, le patient doit quitter l’entreprise et c’est souvent là que se met en place
le « bras de fer » destiné à le faire « craquer » pour qu’il parte sans indemnisation.
Certaines entreprises acceptent le départ négocié, mais ce n’est pas une généralité. La question
du délai qui s’écoule alors est capitale pour la réussite du traitement thérapeutique.
Ces questions ont notamment été débattues dans le focus group N°2 et par exemple :
Sur la médecine du travail : Faire évoluer les conditions de recours à la médecine du travail
afin notamment que le patient puisse y prendre RV même lorsqu’il est en arrêt de travail,
et pas seulement à la reprise.
Sur le droit du travail : poser des limites pour préserver la vie privée, par exemple en
interdisant les mails et appels hors du temps professionnel.
Envisager la prise en charge financière de certains actes de psychologues dans des
conditions à préciser.
Sur la responsabilité financière des entreprises :
Il s’agirait par exemple de mettre en place une contribution directe des entreprises dans la
prise en charge des soins et des arrêts de travail pour un motif lié à la souffrance au travail
(Focus group N°2)
« Il faudrait pouvoir travailler sur la reconnaissance de la souffrance au travail comme une pathologie
du travail pour la sécurité sociale »
« La reconnaissance de ces problèmes de souffrance au travail en maladie professionnelle pourrait
être une avancée. Car on attaquerait l’entreprise à la bourse, cela aurait une influence sur le taux
d’accident du travail et donc sur les cotisations. C’est le seul moyen pour que cela change. » (22 )
« Mais en attendant, la Sécu paye pour un problème d’entreprise.
Je crois que l’entreprise pourrait payer »
Sur la responsabilité pénale des dirigeants :
Les textes existent souvent, mais ont du mal à entrer en application (voir dossier France Télécom),
ce qui n’incite pas les dirigeants à les respecter. Des actions d’accompagnement telles que des
publications obligatoires pourraient également être envisagées, comme cela existe déjà dans
d’autres domaines.
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9.4. Concevoir et organiser des actions de sensibilisation et de formation en
direction des entreprises
L’entreprise est très souvent perçue par les psychiatres comme un lieu de maltraitance, non pas
par choix délibéré, mais le plus souvent par négligence, manque de connaissance ou
incompétence du Management.
Leurs recommandations sur ce sujet ont donc été nombreuses.
Certains recommandent de contacter le MEDEF pour voir si certaines améliorations peuvent
être apportées, notamment :
Construire avec lui une charte sur les bonnes pratiques managériales susceptibles de
lutter contre la souffrance au travail, ou de proposer des solutions ;
Créer une vraie politique de prévention en entreprise, des formations préventives et pas
seulement une heure de sensibilisation aux risques psycho‐sociaux. Il faut former les
cadres, les toucher vraiment dans leur humanité… et faire également des actions de
sensibilisation au niveau de l’enseignement, éduquer les jeunes… (focus group N°1).
Plusieurs psychiatres sont volontaires pour aller former les cadres et managers en
entreprises ;
Améliorer les communications au sein de l’entreprise, et faire référence au fait que
l’homme est plus productif dans un environnement agréable (focus group N°2) ;
Rappeler que les entretiens d’évaluations sont un facteur augmentant les risques
psycho‐sociaux ;
Créer des instances de médiations au sein de l’entreprise pour intervenir sur ces sujets.
(focus group N°2)
Aménager des salles de repos, faire entrer la méditation en entreprise, ainsi que des
pratiques réductrices de stress.
Faciliter l’accès au bilan de compétence pour aider les salariés à rebondir.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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9.5. Concevoir et organiser des actions de sensibilisation et de formation en
direction des médecins et des autres professionnels concernés
La question des actions qui ont été prises (ou qui n’ont pas été prises, alors qu’elles
s’imposaient) se pose fréquemment aux psychiatres qui se retrouvent avec des patients dont ils
ne peuvent plus assurer la prise en charge avec des chances réelles de succès car trop de temps a
déjà été « perdu » depuis la survenance des difficultés rencontrées par le patient.
La recommandation formulée a été de prévoir des formations spécialisées, dans un cadre
spécifique ou pluridisciplinaire, pour accompagner chacun dans son rôle et à sa place.
Pour les médecins généralistes : les former à ce qu’est la souffrance au travail, comment la
diagnostiquer, les risques possibles afin que les patients soient pris en charge plus
rapidement par des psychiatres.
Pour les médecins du travail : Ils ont à rendre compte de la souffrance psychologique alors
qu’ils n’ont pas de connaissance théorique là‐dessus. Ils sont actuellement très intéressés
par les formations cognitives et comportementales. Ils ont aussi à être sensibilisés par les
risques que peuvent présenter ces patients pour pouvoir les diriger directement chez un
médecin psychiatre.
Pour les psychiatres : Ceux‐ci souhaiteraient être mieux formés sur les conséquences
juridiques et financières des procédures liées à la souffrance au travail et des décisions
qu’ils prennent en la matière (Focus group N°2) Mais ils souhaiteraient que soient
organisées de vraies formations avec un contenu intéressant dans une structure pérenne
(focus group N°1).
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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9.6. Permettre aux psychiatres d’accéder à des services d’information et de support
spécialisés
L’idée émise a été de mettre à disposition des psychiatres des services d’information et/ou de
conseil, par exemple par téléphone, quand ils se trouvent dans des situations spécifiques liées à
des problématiques « non médicales ».
Ces services pourraient également conseiller sur les textes applicables, les recours existants, les
ressources mobilisables dans un secteur géographique donné.
Les psychiatres pourraient peut‐être aussi orienter directement les patients vers d’autres
services de ce type (par exemple une liste d’avocats spécialisés, etc.)
9.7. Améliorer la coordination du parcours de soin
Cette question se pose souvent de façon simultanée sur plusieurs plans :
- articulation établissements/médecine libérale
- articulation médecin généraliste et médecin spécialiste
- articulation médical/médicosocial
Outre la question de la formation évoquée ci‐dessus, se pose celle d’un travail pluridisciplinaire à
mener pour mieux identifier les conduites à tenir en fonction des situations rencontrées.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Annexes
Annexes 1 : Compte rendu d’entretiens
NB : Les numéros identifiant les médecins (nom du psychiatre) ne correspondent pas
au rang des médecins ayant participé à l’enquête figurant sur la liste page 6.
Annexes 2 : Compte rendu des Focus Groups
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Annexe 1
COMPTE RENDU D’ENTRETIENS
Nom du psychiatre N° 01
Date 10/10/16 à 16h30
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
En tant que médecin, je ne rencontre pas de difficultés. Ces personnes présentent des troubles anxieux
et dépressifs, et ça, ça se traite ! Maintenant, ce type de situation est redondant et ça devient
préoccupant.
Quels sont mes leviers pour agir ? Il y a plusieurs cas de figure, mais globalement, c'est l'amélioration
de l'état de santé du patient qui lui permet de trouver une solution. Car l'état dépressif empêche toute
réflexion et ne mène qu'à des pensées suicidaires.
Moi, j'oriente mes patients vers le médecin du travail. Non, ils ne l'ont pas forcément déjà vu quand ils
arrivent chez moi. Le médecin du travail peut aider la personne à envisager une solution, cette solution
pouvant être de quitter l'entreprise.
Les RH ? Je n'ai personnellement aucun contact avec les RH. Mais c'est eux qui peuvent proposer des
changements de poste, en concertation avec le médecin du travail, qui, lui, n'a pas ce pouvoir. Moi je
m'occupe des patients, je n'entre pas dans l'entreprise.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
C'est très lourd pour les personnes que je vois, mais je pense à toutes celles qui n'arrivent pas jusque‐
là... Il faudrait qu'il soit plus facile de consulter. Il faudrait aussi faire la différence entre conflit, ou
désaccord, et santé mentale. Les gens focalisent sur la contrariété et ne prennent pas la mesure de
leur état.
Or l'état de santé participe de la perception du problème. Même s'ils ont conscience d'être en
dépression, ils ne voient que la difficulté au travail. Ils sont écrasés par leur problème. Or en agissant
sur l'état de santé, on permet aux personnes d'accéder à leurs ressources, qu'elles soient conflictuelles
(pour engager une procédure, par exemple) ou autres.
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Nom du psychiatre N°2
Date 10/10/16 à 14h15
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
Il y a deux choses : les conditions de travail, d'une part : charge et rythme de travail, changement
de poste sans préavis, sensation des salariés d'être manipulés comme des pions, mépris de leurs
conditions physiques et psychiques, manque de communication entre collègues et avec la
hiérarchie... et le harcèlement moral, d'autre part, qui est encore autre chose. Mais il est évident
que la souffrance au travail augmente, particulièrement dans les grandes entreprises, qui sont de
véritables broyeurs de personnes. Les jeunes, en particulier, sont très touchés.
C'est une situation chronique qui entraîne une dégradation de l'état psychique et somatique. Mes
leviers ? Concernant les conditions de travail, j'essaie de voir avec mes patients ce qui dépend
d'eux. On peut agir par exemple sur la gestion de leur agenda. Je les invite à hiérarchiser les
priorités. Ils ne sont pas obligés de répondre immédiatement à tous les mails ou appels, par
exemple. On regarde ensemble la structure de leur journée et on voit comment procéder
différemment. Ça leur permet déjà de sortir la tête de l'eau.
Si la pression marche autant en entreprise, c'est parce que les gens ont peur. J'apprends donc à
mes patients à offrir moins de prise.
Dans les cas de harcèlement, on s'appuie sur un environnement médical (médecins du travail, de
la Sécu), ça passe par des certificats médicaux, des arrêts de travail, le recours à l'inspection du
travail.
C'est important pour le salarié de sentir qu'il y a tout un réseau qui le soutient !
Quand ce réseau ne fonctionne pas, on est démuni, car les traitements médicamenteux sont une
goutte d'eau dans l'océan.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Oh vous savez, on a le même problème dans le secteur médical ! A l'hôpital où je travaille, je fais
partie d'un groupe de réflexion sur la violence en milieu hospitalier. Quand il s'agit d'un agent
maltraité par un patient, tout le monde est d'accord pour régler le problème. Si c'est un problème
avec la hiérarchie, le poisson est noyé... Et quand c'est un médecin chef de service qui est en
cause, alors là, il n'y a plus aucun moyen d'action. Il faudrait pouvoir mettre à plat les
responsabilités. Au niveau des entreprises, comme la SNCF, qui inflige des conditions de travail
invraisemblables à ses salariés (incohérences faceaux missions, abus de pouvoir, discriminations
raciales...), il faudrait que les inspecteurs du travail fassent leur boulot. Or, actuellement,
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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l'inspection du travail est totalement inopérante.
J'ai le cas d'une personne, licenciée après un changement de direction. Son entreprise a été
rachetée par des Japonais, et ils ont remplacé ma patiente par un plus jeune, moins cher. Ce
problème est énorme, c'est une question de valeurs à interroger. Car tous les secteurs sont
concernés. Et les politiques gouvernementales ne prennent pas le problème à la base.
J'ai une formation en victimologie, je suis à ce titre intervenue dans des commissariats en
banlieues chaudes, et j'ai interrogé des policiers qui travaillent dans des secteurs hyper difficiles.
Tous ont rapporté la même chose : formation insuffisante, absence de considération, d'écoute, qui
conduisent aux dérives qu'on connaît, arrêts de travail, suicides...
C'est au niveau gouvernemental qu'il faudrait agir, mais pas seulement. Car pour l'instant, on se
multiplie les rustines.
Souhaitez‐vous ajouter autre chose ?
J'ai une vision assez pessimiste des choses, car je suis catastrophée par ce que je vois, autant dans
le public que dans le privé. Je peux attester que les médecins eux‐mêmes ne sont pas épargnés et
subissent des pressions de toutes les instances médicales (Sécu) et ordinales.
En tant que psychiatre, on est encore préservé, mais les médecins généralistes sont en première
ligne, on leur demande de produire du soin. Or, pour bien soigner, on a besoin de temps.
Tout médecin aujourd'hui doit être à la fois clinicien, gestionnaire et comptable. Et ce sont
désormais ces deux derniers aspects qui l'emportent. Un de mes collègues s'est vu reprocher par
la Sécu d'avoir prescrit un certain médicament. C'est une forme de mise sous tutelle ! L'exigence
de rentabilité est partout, même à l'hôpital, où un lit ne doit jamais être vide, il faut donc faire des
actes, être rentable. C'est la tarification des actes qui est en jeu.
A l'hôpital comme en entreprise, l'économie prime.
Autre pression : la loi qui nous met en demeure de rendre nos locaux accessibles aux personnes
handicapées. Des enquêteurs, diligentés par la préfecture, viennent vérifier la conformité de nos
cabinets où certains exercent parfois depuis plus de trente ans ! Il faudrait changer des murs dont,
pour la plupart, nous ne sommes pas propriétaires ! Ce sont des préconisations absurdes !
A cela s'ajoutent des patients de moins en moins respectueux de notre pratique. Ils recherchent
un médecin par Internet, en contactent quatre, et choisissent celui qui leur propose le rendez‐vous
le plus rapide. C'est la loi du « tout‐tout‐de‐suite ». Ils prennent rendez‐vous et ne viennent pas
sans prévenir, ils passent leurs coups de fil dans la salle d'attente (l'autre jour, ils étaient trois à
téléphoner en même temps).
C'est un problème de société, les gens ont très peu de conscience de ce qui se passe. Alors que
c'est une question de respect de soi et de l'autre. Il faut faire attention à ne pas lâcher ça ! Les
médecins sont trop perçus comme des producteurs de certificats médicaux et d'arrêt de travail.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°03
Date 10/10 /16 à 10 heures
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
La difficulté, c'est de se faire une idée précise et documentée des circonstances objectives. Il
y a le discours des patients, et puis ce qu'on en entend, ce qu'on en comprend... Comme on
n'est pas, évidemment, témoin de la situation, concrètement, il y a toujours une part
d'inconnu... Sans douter systématiquement des propos des patients, il faut toujours prendre
les choses avec une certaine relativisation, sans négliger ni nier les effets. Après, il s'agit de
faire la distinction entre des souffrances spécifiquement liées au travail et puis ce qui relève d'une
autre origine. Les choses sont souvent un peu mêlées. On peut vivre à la fois une souffrance au
travail et avoir en même temps une fragilité, soit dépressive ou d'angoisse, de phobie, etc., qui
précède ou accompagne la situation professionnelle. Il faut donc faire la part des choses.
Comment je fais cette distinction ? Comme dans toute situation, il faut écouter, poser des
questions, observer, ne pas se contenter de cerner la situation au travail, mais essayer de
cerner le vécu général de la personne et ses antécédents.
Si on peut contribuer à ce que la personne aille mieux sur un plan symptomatique, c'est
évidemment un progrès, maintenant, si elle retourne au travail dans une situation strictement
identique, on peut craindre que le mieux‐être ne persiste pas. Dans le cas d'une personne en
arrêt maladie, par exemple, qui va retourner travailler après un temps de traitement et
d'éloignement, si la situation n'a pas changé, il y a un risque de reproduction des mêmes effets.
Heureusement, parfois, il y a intervention de la médecine du travail et du service du
personnel, qui permet que les choses soient entendues et qu'il y ait une certaine
modification, soit un changement de service, d'affectation, soit un changement d'attitude de tel
responsable ou collègue, ou encore un changement de conditions de travail. Ce n'est donc pas
toujours, heureusement, des choses immuables. Mais si rien n'évolue, il est évident que le
mieux‐être obtenu par la thérapie reste aléatoire et fragile. Auquel cas, il n'est pas exceptionnel
que la personne reste longtemps en arrêt maladie et, d'une manière ou d'une autre, finisse par
quitter son travail, ou, dans les cas extrêmes, soit mise en invalidité. Heureusement, le plus
souvent, ce n'est pas le cas, mais ça peut se produire.
Le plus souvent, il y a intervention de la médecine du travail, mais j'observe tous les cas de
figure, de ceux où il n'y aucune compréhension, aucun effort d'action des RH jusqu'à l'inverse,
des responsables très désireux d'améliorer la situation et qui regrettent de ne pas avoir eu
connaissance plus tôt de cette difficulté. C'est en fait très variable.
Oui, j'ai l'occasion d'être en contact avec la médecine du travail ; mais directement avec l'employeur,
c'est assez rare. Ce qui peut parfois se faire, c'est d'accompagner une demande de l'employé
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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par une demande médicale de modification de son poste, mais, en général, cela se fait en
complément de l'action du médecin du travail. Le médecin du travail communique volontiers avec
le médecin traitant, et réciproquement.
Bien sûr, au niveau des capacités d'action, le médecin du travail est limité, il peut mettre un frein,
bloquer en disant « Telle personne n'est pas capable de travailler actuellement », ou « Il faudrait
telle modification dans son mode d'exercice », mais il n'a pas la possibilité d'imposer un
changement. Il y a certainement des cas où la médecine du travail ne s'implique pas beaucoup,
mais dans mon expérience, c'est peu fréquent, quand il y a une vraie souffrance, évidemment,
quand la personne ne va manifestement pas bien et souffre sur un temps déjà trop long.
Quand les personnes ont été très affectées, il faut évidemment qu'elles soient traitées avec un
temps de repos, etc., mais on observe la plupart du temps que si des modifications
interviennent soit dans l'organisation du travail, soit par un changement de poste ou d'employeur
et d'activité, les gens vont assez rapidement bien ou très bien, alors qu'ils allaient mal ou très mal.
Ce n'est toutefois pas vrai à 100 %, car il y a des personnes qui sont en souffrance au travail mais
risquent de ne pas être bien quoi qu'il en soit pour une période donnée, même s'il y a des
aménagements.
Quels sont les symptômes les plus fréquents dont souffre ce type de patients ?
Des troubles somatiques, digestifs, intestinaux, des migraines, des troubles du sommeil, des
troubles alimentaires, soit sous forme de perte d'appétit ou à l'inverse de compensation avec prise
de poids, et souvent une diffusion d'un manque d'énergie, d'envie, de plaisir, qui se répercute sur
la vie personnelle, familiale, dans la vie de couple, dans les activités, etc. Mais ce qui domine, c'est
une symptomatologie dépressive, et des angoisses parfois jusqu'à des angoisses phobiques. Il y a
des gens qui ont le désir de reprendre le travail, et le jour où ils doivent y aller, ils sont incapables
de sortir de chez eux ou ils vont jusqu'à la porte de l'entreprise et sont incapables de rentrer. On
peut être en souffrance sans connaître ce genre d'extrémité mais ça se voit quand même .
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Que les gens soient informés sur le fait que ça peut arriver et que ce n'est pas forcément de leur
faute ; qu'ils en parlent à la médecine du travail, à leur médecin généraliste, éventuellement à un
spécialiste, et aussi au service du personnel, qui n'est pas systématiquement fermé à l'écoute. Il
faudrait une communication au niveau des entreprises sur le fait que c'est important de parler,
qu'il ne faut pas rester dans son coin. C'est un phénomène qui existe, qui n'est pas du tout
exceptionnel, et qu'il est de
L’intérêt de chacun, bien sûr de l'employé, mais aussi de l'employeur, d'éviter de type de situation.
Parfois, il y a plus d'ignorance que de mauvaise volonté de la part des employeurs. Cela varie aussi,
selon qu'il s'agit d'une petite ou d'une grande entreprise. Généralement, les grandes entreprises
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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ont des services qui permettent de traiter ces questions.
Voulez‐vous ajouter quelque chose ?
Objectivement, même si on s'attend à être bien traité en entreprise et que cela ne l'est pas tout à
fait, il faut garder à l'esprit qu'on n'y est pas esclave. La part subjective est donc corrélée à la vie
générale, sociale de l'individu. Une personne épanouie dans sa vie personnelle sera plus à l'abri de
ce type de souffrance.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°04
Date 12.10.2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Effectivement, c’est une problématique qui revient souvent soit sous forme médiatique (le burn
out par exemple) mais le plus souvent sous une forme plus larvée le harcèlement, un état
d’insécurité globale, l’imprévisibilité du management qui est perçue comme une menace latente.
Il est intéressant par ailleurs de pourvoir attirer l’attention des entreprises et des salariés des
mesures de régulation possible par les TCC, mais vous allez me dire que je prêche pour ma
paroisse.
Ce n’est pas une problématique méchant patron contre gentil salarié. Il n’y a pas forcément de la
malveillance, mais plutôt une incompréhension sur les objectifs, et de la pression. Il y a une
nécessité à la régulation, sinon la pression rebondit en cascade sur tout le monde, tous les niveaux
hiérarchiques. Parfois, c’est l’organisation qui est défaillante, et personne ne le voie, ne le
remarque. Plus l’organisation est grande, plus il y d’inertie et moins on a de recul.
Par exemple, j’ai reçu une patiente en grande souffrance. Elle est directrice commerciale d’une
petite société pour la moitié de la France. Sa collègue démissionne, et elle prend donc en charge
sa partie par intérim pendant le recrutement puis la mise en place et la formation de la nouvelle
recrue. Elle est vraiment en surmenage… Mais voilà, la personne recrutée ne fait pas l’affaire, et
on lui demande si on la maintient ou pas à la fin de sa période d’essai.
Dans ce cas, on voit bien qu’il n’y a pas de malveillance, personne en cherche à la mettre en
défaillance. Mais l’entreprise tire sur les coûts, ne gagne pas beaucoup d’argent, la charge de
travail au départ est très importante. Mais dès qu’une difficulté surgit, ce n’est plus possible pour
le salarié. Cela nécessite une réorganisation.
Il y a donc un intérêt à encourager de façon préventive, à sensibiliser les décideurs aux
conséquences de leurs décisions sur les équipes, parce que des fois, les décideurs les ignorent
complétement, et prennent leur décision avec la meilleure volonté du monde. Les managers
peuvent être des personnes très « opératoires », mais justement elles ne pensent pas, ne
mesurent pas certains sujets. Elles peuvent être dans l’angoisse de la performance, elles sont
compétentes dans certains sujets pas sur d’autres. Par exemple, un ingénieur peut être doué dans
son travail technique, mais être peu sûr de lui voire manquer de compétence dans la gestion d’une
équipe.
Il y a beaucoup de personne en souffrance au travail, et pas forcément de corrélation entre les
catégories socio‐professionnelles et cette souffrance. Ce n’est pas uniquement l’ouvrier à l’usine.
On souffre dès lors qu’on a peu de marges de manœuvres dans son travail.
Il y a également une souffrance peu reconnue qui est celle des personnes à haut revenus. La
société estime qu’ils n’ont pas à se plaindre, que ce sont des problèmes de riches. Ils ont donc
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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peur d’en parler, on ne leur reconnait pas le droit de se plaindre. Les cas de maltraitance des
employés existent également, les deux existent. Selon les époques, certaines choses sont admises,
d’autres non. Il y a un présupposé socio‐contextuel. Par exemple, avant on considérait la
parole des « riches » ou des « puissants » comme une parole vertueuse, à l’opposé du pauvre.
Maintenant, c’est l’inverse la parole du patron est suspectée alors que celle du bas de la pyramide
est supposée être blanche comme une page…
Souvent, en tant que psychiatre, je vois où se situe la difficulté. Mais, je ne peux pas,
déontologiquement, communiquer avec l’inspection ou la médecine du travail. Pour le psychiatre,
aucun moyen de trouver une solution, ni d’agir sur… Comment faire pour être un donneur d’alerte
efficace ? à qui s’adresser ? si on ne peut pas s’adresser à la médecine du travail?
Il faudrait imaginer un observatoire au secret, avec une clause de secret médical qui pourrait
donner l’alerte.
Comment privilégier l’intérêt du patient et celui de l’entreprise ?
Il est rarissime d’avoir des personnes qui viennent par le médecin du travail. Les informations
passent toujours par le malade. Mais le médecin du travail n’est pas traitant. Le médecin du travail
ne doit pas déontologiquement recevoir d’information d’un médecin psychiatre ou non. Si les
salariés ne veulent pas parler au médecin du travail, alors il n’a pas d’informations.
Souvent ça se passe mal, et c’est juste « pas de chance »…
Je donne très très peu d’arrêt de travail pour ce motif pour éviter de tomber dans l’évitement.
L’idée, c’est que le patient reprenne le plus vite possible, car sinon il ne se pose pas de questions. Il
faut travailler ensuite en TCC pour apprendre au patient à définir ses besoins, à les exprimer. Le
patient doit rester proactif, donc le moins d’arrêt de travail possible. S’il y a besoin, j’utilise
également les médicaments.
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Nom du psychiatre N°05
Date 10/10/16 à 16 heures
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
Je dois d'abord vous préciser que je suis psychiatre, spécialisée dans la thérapie de couple. Je vois
donc surtout le retentissement de ce problème sur la vie de couple.
La principale difficulté que rencontrent mes patients est celle de la reconnaissance, qu'ils n'ont
généralement pas chez eux et ne savent plus où trouver quand cela se passe mal au travail.
La plupart des gens sont fragilisés par les méthodes de management. Ils vivent sous pression.
Ces facteurs environnementaux se traduisent dans la sphère privée par une baisse du désir, des
troubles de l'éjaculation (éjaculation précoce, etc.)
Pour les célibataires, le travail est souvent perçu comme un refuge, ce qui fait obstacle à leur
possibilité de reconstruire une vie de couple. Certains de mes patients travaillent parfois au‐delà
de l'entendement, jusqu'à 2 h du matin, de peur de rater la signature du siècle !
Voilà rapidement ce à quoi je suis confrontée. Le jour où l'on comprendra que le lieu de travail est
un lieu d'attente de reconnaissance... Et qu'il suffirait qu'on leur dise qu'ils bossent bien et qu'ils
sont utiles !
Ce que je fais ? Je les invite à se questionner sur leurs valeurs, le sens du travail, la place qu'ils lui
donnent dans leur vie...
Je leur conseille aussi de faire un bilan de compétences. Ils ont besoin qu'on les aide à réfléchir, et
à partir de ce bilan, ils élaborent souvent avec ingéniosité un nouveau projet professionnel.
Je ne fais pas d'arrêt de travail, mais, quand il y a maltraitance, j'essaie de contacter le médecin du
travail pour monter un dossier. Il m'arrive aussi de faire des certificats quand les médecins du
travail n'osent pas le faire eux‐mêmes. Souvent, ils ont peur de stigmatiser le salarié en le
déclarant « inapte ». Je leur demande alors de préciser que la personne est « inapte dans ce lieu
de travail ». Ce type de licenciement pour inaptitude « contextualisée » permet à beaucoup de
rebondir.
Oui, la collaboration avec les médecins du travail est importante, et eux ne demandent que ça !
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Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
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Nom du psychiatre N°06
Date 10/10/16 à 15 h
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
La difficulté, c'est qu'on ne voit pas ce qu'on peut faire ! Ils se sentent victimes. Autrefois, on leur
disait « Changez de boulot ! » mais maintenant, ce n'est plus possible.
Moi, je les mets en arrêt maladie. Certains collègues disent qu'il ne faut pas le faire, mais moi, je le
fais. Mes autres leviers ? Tout dépend du moment, à quel endroit du parcours ils en sont quand ils
me consultent. J'essaie de les armer. Je leur conseille notamment des livres sur le sujet qui leur
permettent de voir un tas d'exemples et de s'y retrouver. Moi, je ne peux pas leur fournir tous
ces exemples. Il faut trouver la bonne astuce. Car aucune recette n'est bonne pour tous, il faut
ajuster.
Il y a des gens qui se sentent persécutés, et il est difficile de les conseiller, car ils n'écoutent pas.
Alors qu'avec un bouquin, ils vont trouver l' « astuce » qui leur convient. Après il faut «greffer »
ça, et que la greffe prenne. Mais il faut d'abord trouver l'astuce et lui vendre le machin ! Bref,
c'est du sur‐mesure à chaque fois.
J'ai remis au travail et à temps plein des patients en invalidité qui étaient « foutus » aux yeux de
tout le monde.
Je pense à une institutrice. On lui a mis deux autistes dans sa classe. Les enfants s'échappaient
régulièrement (dans une classe, il y a toujours deux portes qui doivent rester ouvertes). On lui a
ensuite reproché d'être incompétente. Elle a craqué et a été remplacée par une jeune
institutrice qui elle‐même n'a pas tenu plus de quinze jours. On voit bien que ça ne vient pas de la
personne.
La plupart des dépressions sont liées au fait que les gens ne sont pas en mesure d'effectuer
correctement leur travail. Les ordres contradictoires, notamment, peuvent conduire à des
passages à l'acte. Je me souviens d'un DAF embauché pour assainir une entreprise qui coulait. Dès
qu'il pointait un dysfonctionnement dans un service, on lui disait : « Non là, tu ne touches pas, c'est
ma cousine. Là, non plus, c'est mon oncle, etc. » Aucune de ses préconisations n'était retenue, alors
que la société menaçait de déposer le bilan. Le DAF a fini par avoir des bouffées délirantes.
Il y a les personnes qui consultent pour ça (la souffrance au travail), mais il y a aussi les patients qui
sont suivis pour autre chose, et qui, au détour d'une embauche, expriment leurs problèmes au
travail. J'observe que le harcèlement relève souvent de l'incompétence de l'encadrement. Une de
mes patientes était employée comme directrice de magasin. Au moment de son embauche, ils
étaient trois, mais comme l'affaire ne fonctionnait pas bien, elle s'est retrouvée au bout de
quelques mois seule à tenir la boutique de 9 heures à 20 heures sans pouvoir ni manger ni pisser !
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Vous imaginez la détresse de cette femme ? Après un arrêt maladie, elle a pu reprendre en mi‐
temps thérapeutique, mais elle s'est vue rétrogradée de gérante à simple vendeuse. De toute
façon, elle n'est plus en mesure d'occuper le type de poste qu'elle tenait auparavant. Et
aujourd'hui, elle n'attend qu'une chose : que la boutique ferme pour être licenciée, car elle n'est
pas en état de rechercher un autre travail. Des exemples comme ça, je pourrais vous en citer plein
! Ces personnes sont détruites, c'est ignoble !
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Les lois existent ! Mais elles ne sont ni appliquées ni applicables !
Carrefour dit n'embaucher que des volontaires pour travailler le dimanche. La réalité est qu'ils
embauchent essentiellement des temps partiels. Quand vous touchez 800 euros par mois,
comment faites‐vous vivre en région parisienne ? Les « volontaires » pour les heures supp' sont
faciles à trouver. Alors ils peuvent dire en effet qu'ils n'embauchent que des « volontaires ». Ils se
servent de ces temps partiels comme variables d'ajustement.
C'est la logique financière qui est en jeu. La pression s'exerce en cascade des actionnaires
jusqu'aux employés de base.
Certains cadres, très responsables, prennent tout sur eux pour ne pas répercuter sur leur équipe le
stress qu'ils subissent d'en haut. Ceux‐là se consument de l'intérieur.
La médecine du travail, quand elle est présente, ce qui n'est pas toujours le cas dans les petites
structures, ne fait pas ou ne peut pas grand‐chose. Alors qu'on pourrait être dans des systèmes
gagnant‐gagnant.
J'ai l'exemple d'une enseignante dont la personnalité posait problème. Le comité médical a fait en
sorte de lui faire reprendre le travail le 30 juin. Elle a été payée durant les deux mois d'été et a pu
faire son pot de départ en retraite lors de la pré‐rentrée scolaire, le 2 septembre. Voilà une «
sortie par le haut ».
Mais on ne peut pas faire du sur‐mesure à grande échelle.
Et que faire face à la violence que vivent au quotidien les petites vacataires ? Comment prouver
qu'on vous a mis la main aux fesses ? Il y a certaines cultures d'entreprise, comme le BTP, où
seules les femmes qui se comportent et répondent comme des mecs sont tranquilles. Mais tout le
monde n'a pas cette capacité d'adaptation. On ne peut donc pas armer tous les gens de la même
façon. Il faut partir de la personnalité du patient et du contexte professionnel spécifique.
Les open spaces, par exemple, sont des lieux de harcèlement parfaits ! Les salariés subissent à la
fois le bruit – dans l'industrie, on fournit aux ouvriers des bouchons, mais, dans les open spaces,
on considère normal de travailler dans le bruit... –, la déconcentration, le fait que chacun peut
voir votre écran, ce qui favorise la paranoïa (je parle de la paranoïa de personnalité, celle qu'on
développe quand on est fatigué), tout cela génère un état de stress qui harcèle tout le monde à la
fois !
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Les caissons mobiles aussi – ces bureaux occupés alternativement par différentes personnes –
favorisent la dépersonnalisation : pas moyen d'y laisser vos affaires, encore moins un cadre
photo, vous devenez un objet.
Un adulte qui va mal n'a pas toujours les mots pour le dire. Il se fout en l'air physiquement ou
psychiquement.
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Nom du psychiatre N°07
Date 07.10.2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Je reçois de plus en plus de personnes concernées par la souffrance au travail. Je suis installée
depuis peu, mais j’ai longtemps exercé en CMP.
De plus en plus de personnes consultent pour des problèmes liés au travail. Bien sûr, il y a une
fragilité particulière chez ces personnes. Mais il y a aussi un « leurre » entre ce qui est demandé et
ce qui est possible de faire. C’est un problème sociétal même s’il relève également de la
psychanalyse car il heurte les personnes dans leur sensibilité. Il y aussi de moins en moins de
solidarité (ce qui ne relève pas de la psychanalyse). Cependant, les personnes les plus fragiles
sont celles qui en pâtissent en premier.
La psychiatrie évolue. Les délires maintenant sont des délires informatiques, alors qu’avant le
thème était plutôt sociétal (les sorcières, les élections, etc.). Il n’y a plus de grandes crises
d’hystérie. Il y a maintenant de plus en plus de fragilité narcissique, et de moins en moins de
névrose structurée.
Les types de management sont devenus odieux (dans le public et dans le privé), ils n’ont plus
de sens. Les personnes ne trouvent plus de sens à leur travail. Les gens décrochent…
Les gens sont déstabilisés par ce qu’on peut leur dire à leur travail, des horreurs… Ils arrivent
effondrés au cabinet. Notre rôle est de les aider à se reconstruire.
Pour le médecin du travail, son rôle est de plus en plus difficile. Son champ d’intervention
semble de plus en plus limité. Je crois au rôle du CHSCT dans l’entreprise. Il faut arrêter de diviser les
gens.
Les personnes en souffrance au travail sont des personnes qui ont une fragilité qui s’inscrit
dans un certain contexte. Si le contexte avait été différent, les personnes seraient fragiles
mais n’auraient sans doute pas décompensées. C’est la pression qui les fait décompenser.
Quand la personne est fragile, je donne un arrêt de travail. Je fais une prise en charge
psychothérapeutique et médicamenteuse. Une fois que la personne se sent bien, je mets fin à
l’arrêt de travail.
Recommandations ?
Il faudrait plus de centres spécialisés en Hôpital Psychiatrique.
Je souhaiterais, mais ce n’est pas mon rôle, connaitre mieux l’entreprise. Mais ce n’est pas
mon rôle.
Mon attente est d’avoir plus de contact avec la médecine du travail. L’articulation entre
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l’entreprise et la personne en souffrance ne relève pas de la psychiatrie, mais de la
médecine du travail.
Je suis intéressée par une rencontre autour de ce thème. Mais attention, on doit rester psychiatre,
c’est‐à‐dire médecin des personnes, et en pas se laisser entrainer dans un rôle de gardien de la
société. Il faut rester vigilant quant à notre rôle.
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Nom du psychiatre N°08
Date 30.09. 2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Nous avons une surcharge de travail, l’amplitude et la densité de nos journées sont
importantes, et nous sommes submergés par ces demandes de consultation pour souffrance au
travail.
Ce sont des demandes pressantes, il y a une véritable nécessité, une urgence à recevoir.
Ces motifs de consultations sont, en très nette augmentation. J’en reçois des nouvelles toutes les
semaines. Bien sûr, cela a toujours existé, mais je remarque une aggravation particulière depuis
un an, même si j’ai repéré ce mouvement de croissance depuis déjà 5/6 ans.
Cela est dû :
A des méthodes managériales « inadaptées », et c’est un euphémisme ;
A l’incompétence des dirigeants et du système de management, dont on peut dire qu’ils
n’ont rien compris à la manière de motiver les personnes ;
Aux soucis de rentabilisation dans l’entreprise, qui est facteur de sous‐effectif ;
A l’inquiétude, la peur du chômage des salariés, parfois aux idées reçues (« on ne trouve
plus de travail après 40 ans ») qui font que les personnes s’accrochent à des postes qu’ils
ne peuvent pas tenir ;
A l’inégalité dans l’efficacité de la médecine du travail. Parfois, le médecin du travail est
inexistant, parfois surchargé, parfois très efficace. Parfois, les personnes me sont adressées
par le médecin traitant.
Il y a également le fait qu’il y a plus d’attention porté par les salariés à ces problèmes de
souffrance au travail. On hésite moins à consulter pour ce motif. Enfin, l’encadrement des
entreprises n’hésite pas à recommander aux salariés de voir son médecin traitant lorsqu’il y a
des soucis de souffrance au travail.
On a également de la souffrance au travail chez les libéraux, mes confrères, des avocats… On note
la présence parfois d’une forme d’aveuglement sur ses propres possibilités. Ils pensent qu’ils
peuvent tenir certains rythmes intenses, mais ils n’ont pas toujours de compétence
d’organisation, et cela se termine parfois en surmenage.
Il y a des facteurs personnels bien sur qui jouent parfois : le côté présomptueux ou la faculté de
s’aveugler, d’accepter l’inacceptable. Le pire, ce sont les salariés perfectionnistes et performants,
car ce sont de bons petits soldats, et l’entreprise les pousse au maximum.
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Je donne facilement des arrêts de travail. Cela dépends de l’évolution de la personne, et cela peut
aller jusqu’à plusieurs mois. J’espère qu’on ne viendra pas nous ennuyer pour cela. En règle
générale, je ne suis pas très « médicaments ». Cependant, dans certaines postures de résistance, il
y a un risque de sous‐estimation de la souffrance de la personne, donc un risque suicidaire qui est
vrai et qui dure dans le temps. Et pour ces personnes‐là, je peux prescrire des somnifères, des
anxiolytiques, des antidépresseurs…etc.
Dernièrement, on observe un vrai durcissement dans les politiques d’entreprises. La rupture
conventionnelle est de moins en moins acceptée. C’était beaucoup plus facile auparavant.
Par ailleurs, je ne suis pas loin de la Défense. Je vois bien que parfois les managers peuvent être
là pour faire pousser à la démission. Et puis, les services RH sont également en souffrance, ils ont
de plus en plus de travail, souffrent de surcharge également, font des erreurs. ; Et ne sont pas
dans l’accueil et l’aide aux salariés, et ne poussent pas les actions qui leur donneraient du travail
supplémentaire ou mettraient en évidence leurs erreurs.
Les recommandations
Ma première recommandation serait d’éduquer les cadres, et de les faire réfléchir sur la
souffrance au travail, leur rappeler qu’ils ont affaire à des êtres humains, qu’ils ne doivent pas plier
devant certaines exigences de la Direction.
Je serai disposé à participer à des formations sur ces thèmes, pour leur montrer comment la
souffrance au travail peut engendrer de la destruction individuelle, mais aussi la destruction du
tissu social ; pour aider les cadres à « ouvrir leur pensée ».
Vis‐à‐vis des salariés, il faut leur apprendre à ne pas accepter l’inacceptable. Il faut savoir poser des
limites. Parce que cela peut arriver à tout le monde d’être en position de fragilité, de
souffrance… si l’on vit un divorce par exemple.
Enfin, il y a un autre facteur qui est la trop grande proximité actuelle des équipes avec leur n+1,
n+2… Les salariés se livrent beaucoup trop facilement à leurs supérieurs hiérarchiques et ensuite
ces confidences sont exploitées.
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Nom du psychiatre N°09
Date 29.09. 2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Ma première remarque, c’est qu’il y a ces dernières années une nette augmentation du nombre
de personne ne souffrance au travail. J’en reçois de plus en plus chaque semaine. C’est une
véritable explosion. J’en ai reçu six cette semaine.
Ces personnes viennent me voir pour plusieurs motifs, parce qu’elles ont des vécus de
harcèlement, ou à cause de la pression croissante sur les résultats ou parce qu’elles vivent une
dévalorisation, un manque de reconnaissance. Tout cela fait que la demande de consultation pour
ce motif de souffrance au travail est en forte croissance.
Le problème principal qui est posé, c’est la difficulté de les maintenir au travail après la période de
« souffrance ». L’arrêt de travail est nécessaire au début quand ils arrivent en consultation. Mais
quand ils vont mieux, ils ne se voient plus du tout retravailler dans la même société. Ils veulent
quitter leur entreprise avec un licenciement. Mais, les entreprises refusent souvent, et
demandent que les personnes démissionnent pour ne pas avoir à payer d’indemnités. Du coup,
l’arrêt de travail est prolongé…parce qu’il faut évaluer les conséquences pour leur santé du retour
au travail.
Les médecins du travail commencent à être sensibilisés. Souvent, tout cela finit par aboutir à
une inaptitude au poste ou à l’entreprise, selon s’il y a ou non des reclassements possibles.
D’ailleurs, ces personnes en souffrance au travail me sont adressées soit par la médecine du travail,
soit par le médecin traitant.
J’ai peu de cas de « burn‐out ». Cela concerne plutôt le management.
Quelles recommandations ?
Le monde du travail est maintenant d’une telle sauvagerie que je ne vois pas ce qui peut changer.
C’est un problème économique et politique.
Ce qui est possible à réaliser, c’est que la présence des médecins du travail soit plus
importante en entreprise, en nombre mais aussi sur des sujets d’organisation du travail, de
management, etc.
Je ne suis pas sure que les médecins du travail connaissent vraiment bien l’entreprise.
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Nom du psychiatre N°10
Date 10.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Je reçois beaucoup de patients qui souffrent de stress au travail. Il y a environ 30% de bons
diagnostics, où le burn‐out est avéré. Aujourd’hui on met tout dans le burn‐out : les gens
accumulent des problèmes et mettent ça sur le dos du travail. Il y a un problème de gestion du
stress, de stress cumulé, et là il y a un travail énorme à faire. Les gens ont du mal à s’arrêter.
L’ambiance de l’entreprise est de plus en plus mal vécue, les conditions de travail, en open space,
l’indifférence, le manque d’humanité. Il y a de plus en plus d’administratif, le N+1 ou N+2 qui met
la pression, et qui lui‐même la subit. Ce sont souvent des personnalités qui veulent bien faire, des
perfectionnistes, qui ont des exigences élevées. Il y a peu de cas de vrai « harcèlement » par le
patron. Les gens se donnent des tâches à accomplir, et tout leur paraît vain : ils sont à bout, et ça
part dans tous les sens. Ils enchaînent les « To do lists » à longueur de temps, ils deviennent moins
efficaces, ont moins de temps pour leur vie de famille. Ils n’arrivent pas à cloisonner, d’ailleurs on
vit dans un monde où on n’arrive plus à cloisonner. Ceux qui ont des gros postes me disent qu’ils
sont dans une prison dorée, ils ne veulent pas quitter leur entreprise parce qu’ils sont bien payés.
Ils souffrent parce qu’on ne tient pas compte de leurs remarques, parce que c’est très
technocratique. Il y a parfois des N+1 ou N+2 qui ont des troubles de la personnalité et qui sont
dans la manipulation.
En réalité il est rare que les entreprises soient vraiment malmenantes. Ça a beaucoup à voir avec la
personnalité du patient : certains peuvent gérer leur travail avec un N+1 pervers, d’autres non.
J’en ai une qui veut que tout le monde autour d’elle change, sauf elle, alors je travaille sur ses
frustrations…Parfois quand il y a authentiquement un cas de harcèlement, on travaille pour faire
sortir la personne de l’entreprise! Il y a des cas où ça ne fait pas de doute. Les gens sont
véritablement épuisés, on les arrête pour qu’ils puissent repartir ailleurs. Ils peuvent se réintégrer
ailleurs.
Les médecins du travail
Les patients sont méfiants vis‐à‐vis d’eux, parce qu’ils croient qu’ils sont biaisés et ils doutent de
leur indépendance et de la confidentialité, ils pensent que les choses vont remonter au patron.
Pour moi quand je les connais, je vois leur rôle comme de mettre une limite, de réaménager
l’environnement.
J’ai pas mal de contacts avec eux, par écrit et par téléphone, parce que ça m’aide à avoir une
autre vision. Parfois je peux avoir une vision biaisée d’un patient. J’en ai une par exemple qui «
sur‐délivre », qui a des exigences élevées. Grâce au médecin du travail, je sais que son chef est
plutôt cool, que c’est elle qui a des exigences élevées. Elle ne veut pas changer, elle est rigide,
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donc j’essaie de l’accompagner différemment. Grâce au regard du médecin du travail, ça me
permet d’affiner ma posture d’accompagnement. En même temps quand je les contacte, que je
leur fais un courrier, pour moi c’est déjà un échec, c’est un signal.
Des fois le patient décrit une ambiance difficile, et parfois il se trouve qu’on a plusieurs
patients qui travaillent dans la même société…ça nous donne une idée. Je sais par exemple que
les sociétés de luxe ne font pas de cadeau. J’ai un patient, toujours insatisfait, et qui est souvent
arrêté. Je sais que son employeur a toujours proposé le mieux possible pour lui. Alors moi j’essaie
de faire du renforcement positif par rapport à ce patient, parce que j’ai eu son médecin du
travail, et je sais qu’il a eu la possibilité d’avoir du télétravail.
Conflit de valeurs
C’est vraiment une question de conflits de valeurs : quand il y a un trop grand décalage entre les
valeurs de la personne et de la société, quand on n’est pas en phase, quand il y a des trucs cachés,
ou une vacherie qui est faite (humiliations, trahisons)…ça cristallise des choses par rapport à
leurs valeurs éducatives. La non‐reconnaissance, ça épuise. J’ai une patiente qui est cash,
transparente, honnête, et elle se fait avoir par ceux qui louvoient. Elle est épuisée, en
dépression. On a travaillé elle et moi pour qu’elle apprenne à se protéger: à ne pas tout dire
alors que les autres ne disent pas tout. Je l’ai aidée à préparer un entretien RH, elle a dû
prendre sur elle pour ne pas donner toutes les réponses, et elle a été ravie de pouvoir le faire, de
pouvoir évoluer.
Ma patiente qui veut que tout le monde change autour d’elle mais surtout pas elle, elle est
pareille à la maison, donc elle va dire à sa fille « t’es conne ». Elle a un certain schéma cognitif de
pensée. En TCC on arrive à faire des choses avec ça. Cette patiente a deux enfants, elle insulte
la grande parce qu’elle est épuisée quand elle rentre, et elle veut que ça file doux à 17h. Je lui
ai refusé un arrêt de travail (je ne fais pas des arrêts de travail facilement, mais parfois je n’ai
pas le choix, parce que les patients se mettent en danger). Après j’ai fini par le faire parce qu’elle
ne pouvait plus faire face. Elle aurait besoin de prendre un congé parental, pour être dispo pour
ses enfants, mais le problème c’est que les gens veulent tout : gagner de l’argent, etc. C’est aussi ce
contexte de crise : les gens veulent dire qu’ils réussissent, faire face pour tout payer. C’est un
problème sociétal.
Médecins débordés
Les consultations explosent en psychiatrie. On est débordé par toutes ces problématiques ! Je suis
obligée de refuser des patients. Il y a un vrai mal être, ça nous stresse. On doit être efficace.
J’ai aussi mes limites, parfois je suis crevée. J’ai besoin de gérer mon énergie et mon temps et il y
a de moins en moins de médecins. Maintenant je sais ce que je peux donner, et j’ai appris à faire
des auto‐évaluations, sinon il y a « fuite en avant ». Le burn‐out du médecin, on n’y échappe pas !
Je vois des généralistes hors champ, épuisés. On n’est pas les moins exposés au suicide ! Si je
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veux rester efficace et pertinente dans ma pratique, je dois rester nette, avoir cette conscience‐
là. La méditation, c’est une manière de prendre soin de moi. On fait aussi entre médecins des
séminaires pour débriefer de nos galères, du retentissement des patients sur notre boulot.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faut un réel effor t sociétal : on est dans une spirale : on a tendance à courir partout et à
dire qu’on est débordé…avant il y avait une notion de temporalité, dans la vie de nos
grands‐parents, quand il fallait se déplacer pour aller faire des démarches, aujourd’hui ça
nous échappe. Il y en a qui me disent : « Je veux un RDV mais je ne suis pas dispo entre
8h30 et 20h. » Quand c’est comme ça, je leur dis que moi non plus. Ça ne fait plus de sens
de ne plus prendre le temps de vivre…alors il y a les accidents somatiques, les infarctus,
qui sont comme des électrochocs, ou certaines maladies somatiques, qui engendrent
une réelle réflexion. La vie ça n’est pas d’être débordé tout le temps ! mais ça, ça n’est pas
à la mode. Moi je pratique la méditation, comme Christophe André…pour que ceux qui
courent puissent prendre conscience qu’être en vie, c’est important ! J’utilise avec mes
patients les TCC, la cohérence cardiaque, des approches de relaxation, des petits outils,
pour offrir un sas de sécurité, apprendre à s’inscrire dans l’instant, faire un break de
quelques minutes.
Prévention des risques psycho ‐ sociaux : Il faut pouvoir repérer les symptômes
rapidement. Ce qui est important c’est de ne pas attendre trop longtemps avant de
consulter, de faire déjà un point quand le mal être s’installe, quand on commence à
dormir moins bien, quand on est trop anxieux. C’est compliqué de prendre RDV pour
certains, qui trouvent que les psychiatres c’est pour les « fous ». Pour eux ce n’est pas
naturel, et il faut les encourager. Il y a ceux qui sont déprimés et qui ne veulent pas le
reconnaître. Certains arrivent et sont à la limite de l’hospitalisation, ils sont
psychologiquement laminés, ils ont attendu 1, 2 ou 3 ans, et là c’est perdu, c’est trop
difficile à ce stade de remonter un projet professionnel. Il faut mettre à disposition des psys
en entreprise, comme c’est déjà le cas parfois. Je reçois pas mal de patients par ce biais‐là.
Formation des médecins généralistes : il faudrait donner des outils aux médecins traitants. Le
burn out, ce n’est pas la même chose que les troubles anxieux, ou l’anxiété de performance.
Les MG ne sont pas clairs par rapport à ça, et c’est normal. Ils manquent d’outils et, faire un
diagnostic en 10mn, c’est pas comme ça que ça se passe. Ils peuvent juste dire que la
personne est « stressée ». Pour eux c’est compliqué de faire un diagnostic juste, et c’est
pour ça que c’est important qu’ils puissent passer la main. Parce que c’est délicat. Et puis
ils peuvent être amenés à prescrire des antidépresseurs très vite, et à dire qu’on va faire
un arrêt pour 8 jours… et là les gens répondent qu’ils n’ont pas le temps de s’arrêter… et le
burn‐out, ça n’est pas à mettre à toutes les sauces.
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Nom du psychiatre N°11
Date 11.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
C’est un motif de consultation fréquent. Mais je ne peux pas le chiffrer. Je ne me souviens pas de
l’enquête et je ne crois pas y avoir répondu. Je dois vous dire que je ne fais pas de prescription ni
d’arrêt de travail, je reçois les patients pour un travail psychothérapeutique, mais je ne fais pas de
TCC, mon travail est d’orientation psychanalytique. Je travaille avec d’autres médecins qui eux font
les prescriptions et les arrêts.
L’épuisement, le harcèlement, le stress, tout cela va ensemble, en tout cas c’est ressenti comme
tel par les patients. J’ai des salariés d’entreprise de tailles variables, et des autoentrepreneurs, qui
n’ont pas forcément choisi de le devenir, parfois c’est leur ancien employeur qui leur demande de
s’installer dans ce statut qui est précaire et qui offre très peu de protection. Ces gens peuvent être
dépendants s’ils n’ont qu’un seul client, ils vivent du stress et de l’épuisement.
Je m’intéresse à cette problématique aussi pour des raisons personnelles : j’ai aussi une activité
salariée, dont je me dégage parce que j’ai moi aussi eu des déboires en tant que médecin salariée!
Les cellules d’écoute dans certaines entreprises…ça existe… oui. Le problème c’est que le
management s’empare extrêmement rapidement de notion comme celle de la souffrance au
travail, des risques psycho‐sociaux, etc. à tel point que ces notions sont vidées de leur contenu. J’ai
par exemple travaillé dans un IME avec des équipes d’éducateurs. C’est un travail difficile
d’accompagner des ados et enfants en souffrance. C’est un secteur touché lui aussi par la crise. On
y subit des pressions évaluatives, à cause des nouvelles normes, etc. On nous a fait faire une
formation sur la « bientraitance », à laquelle la Direction n’a pas participé, pensant sans doute
qu’ils n’étaient pas concernés… ? C’est comme pour dire après: « Oui on s’occupe de la
bientraitance, puisque tout le personnel a été formé. »
En hôpital de jour, où je travaille aussi avec des jeunes, les conditions sont assez dures, il y a un
taux d’absentéisme élevé dans ce secteur d’une manière générale, avec des arrêts de travail
prolongés. Que ce soit l’entreprise ou la direction, ils s’emparent de ces mots, de ces termes là
pour les vider de leur contenu. On peut faire des stages et des formations, mais si rien ne change
au niveau de du management, ça ne sert à rien. Ce que je vois du nouveau style de management,
même dans le secteur hospitalier est très dur… avec des pressions évaluatives, des questions de
rentabilité, comme en entreprise. Ces mots sont vidés de leur sens, le mot «humain » par
exemple… tous ces mots sont très rapidement galvaudés par la Direction.
Evidemment le taux de chômage élevé modifie le rapport de forces en entreprise, et tout le
monde ne peut pas se permettre « d’aller voir ailleurs ». C’est la porte ouverte à tous les abus !
Je n’ai pas de formation particulière sur ce thème, je me forme seule au gré des lectures. Je veille à
ne pas figer la personne en position de victime, en tenant compte des réalités, et en rapportant
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aussi les difficultés à tel aspect de leur histoire individuelle. Parfois les gens se sentent très
coupables de ce qu’ils subissent au travail…C’est compliqué pour les personnes qui n’ont pas une
histoire propre, une vie, ils vont d’autant plus se raccrocher au travail. Et quand celui‐ci est
maltraitant, ceux qui y investissent tout sont d’autant plus fragilisés. Ce sont des gens qui se sont
rendus taillables et corvéables à merci, qui n’ont pas eu de reconnaissance, et qui n’ont pas su se
défendre. Ils sont particulièrement investis, peut‐être de façon excessive, sans mesurer ce qu’elles
peuvent attendre, en perdant de vue ce qui est important pour elles. Ce sont des personnes très
scrupuleuses, honnêtes.
J’ai une patiente qui est à France Télécom, elle avait ses propres difficultés…après son burn out
elle a été écoutée par les RH et le médecin du travail, et puis rapidement, elle s’est retrouvée dans
une situation similaire d’avant son burn out : on lui disait qu’il fallait qu’elle parte à 17h mais la
charge de travail était telle que c’était impossible : Ce sont des personnalités qui ne peuvent pas
partir si le travail n’est pas fini. C’est une spirale infernale. On leur a dit que « faire le travail = c’est
CA qui est bien ». On n’apprend pas aux gens à se protéger !!!!! Alors moi je fais un peu de
pédagogie avec eux, j’essaie de leur apprendre.
Les médecins du travail ?
Je ne sais pas, je n’ai pas trop de contacts avec les médecins du travail. Et puis leur pouvoir d’agir
reste limité. Les autoentrepreneurs n’ont pas de médecins du travail, en tout cas pas encore. Je
sais que ma patiente de France Télécom s’était sentie persécutée quand son psychiatre avait
envoyé un courrier au médecin du travail. Et puis il fut savoir que le médecin traitant, au sens large
du terme, est tenu par la confidentialité !
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je ne sais pas… faire la révolution ?
J’encourage les patients à ne pas rester seul, à contacter l’inspection du travail, les collègues, les
syndicats. J’essaie de leur redonner une certaine capacité d’action, au lieu de s’adapter. Merci et
n’hésitez pas à me tenir informée des résultats de votre enquête, c’est une question qui
m’intéresse et qui est assez présente dans les séances, même si on est formé à traiter l’histoire
familiale et les actes manqués, les rêves, etc…D’ailleurs le travail apparaît aussi dans les rêves ! Je
n’avais pas pris le temps de répondre à la 1e enquête, mais je serai ravie de répondre à d’autres
questions si ça ne prend pas plus de 45mn.
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Nom du psychiatre N°12
Date 10.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
C’est un thème de plus en plus fréquent en consultation. Je me suis installé en 1989 et c’était rare
comme problématique à l’époque. Ça remonte vraiment aux 10 dernières années. J’ai fait
quelques formations complémentaires sur ce thème, parce qu’en tant que médecin, on n’est pas
du tout formé à ça, et ça devrait faire partie de la formation, les éléments médico‐légaux, etc. J’ai
fait ça en FMC (formation médicale continue) et sans ça, j’aurais été perdu. Comment savoir ce
qu’il faut écrire sur les certificats, ou ne pas écrire, que dire ou ne pas dire au médecin du travail ?
Quel certificat faire ? Un arrêt ? Un accident du travail dès le départ? Ça peut avoir des grosses
conséquences si on ne s’y prend pas bien, on peut faire facilement des bêtises. Il faut une bonne
formation pour pouvoir aider sans nuire. Il y a vraiment des aspects juridiques dont on ne m’a rien
dit durant mes études. C’est un problème médical qui déborde sur le social et le juridique. Au
début je ne voulais pas les prendre ces patients parce que je ne savais pas comment les aider.
Comment savoir quelle est la place du médecin traitant, du psy, etc. C’est extrêmement complexe
! Il faut faire valoir les droits du patient et en même temps éviter l’invalidité, ou si oui, voir au bout
de combien de temps…
Il y a peu de patients vraiment concernés par la problématique du harcèlement. Généralement
c’est du STRESS, qui conduit à du burn out : on a plus à faire, plus vite, et on travaille chez soi, en
plus. Quand il y a des cas de harcèlement, les patients emploient eux‐mêmes le terme et c’est le
cas. Ils ont un patron épouvantable, qui leur en veut, qui est contre eux.
On s’y retrouve à peu près quand on écoute les patients, pour faire la part des choses entre le
professionnel et ce qui relève du perso. Aider, ça peut prendre des mois. Plus l’arrêt dure, et plus
la reprise sera dure. Il y a toutes ces questions à aborder…
Le stress, à SFR, est global : tout le personnel est concerné. Il y a beaucoup d’arrêts, dus au style
de management. Il y a tous les stades, et ça dépend aussi de la personnalité de chacun. Beaucoup
d’aspects professionnels renvoient à des questions autour de : ne pas être apprécié, ne pas être
aimé, à différentes fragilités personnelles.
Les fonctionnaires, on arrive à leur trouver d’autres postes, administratifs, ou pas, des mutations,
alors que dans le privé, même quand il y a l’appui du médecin du travail, des fois il n’y a pas
d’aménagement possible. Quand il n’y a pas d’autres postes, il n’y en n’a pas. Ou alors on se fait
déclarer inapte, et là, il y a un licenciement. Jusqu’où faut‐il aller ? Si la personne est licenciée à 50
ans, ça va être difficile de retrouver du travail. Ou bien alors on essaie d’aider la personne à tenir,
au risque que ça craque après…C’est pas entre nos mains ! Nous on colmate, mais c’est très
difficile de soigner quand on n’a pas tous les éléments.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Les médecins du travail ?
Certains sont très humains, compréhensifs. D’autres sont moins accessibles. Généralement ils sont
très bien et souvent dépassés, débordés. Ils ont une marge de manœuvre très étroite et peu de
possibilités d’intervention. Ils jugent seulement l’aptitude (ou l’inaptitude) du patient. Ils sont
démoralisés.
Je les appelle facilement, si le patient est d’accord bien sûr. Certains ont la super pêche (et là je me
demande ce que ça cache !), et d’autres disent : « on peut tenter ça… bof… ». Ils sont contents
qu’on les appelle ! Ils ne sont jamais appelés par les médecins traitants ! Alors que rien de
l’interdit, au contraire, tant qu’on est guidé par le désir de contribuer au mieux‐être du patient. Et
mes patients apprécient que je contacte le médecin du travail, parce qu’il a une capacité d’action.
C’est comme une forme de soutien pour eux de savoir qu’on se contacte pour eux, qu’il y a une
prise en compte de leur situation, que quelque chose « circule » à leur sujet. J’aborde avec ces
confrères la question du travail, principalement, à moins qu’il y ait quelque chose de spécifique
par rapport à la sphère privée de mon patient, et à ce moment‐ là je valide avant d’appeler que
mon patient est d’accord, mais en général je reste sur la sphère du travail.
Le confrère aura parfois un avis très intéressant, et ça me permet d’y voir plus clair, sinon on reste
chacun dans son monde. Là ça permet d’avoir une autre vision des choses. Parce que certains de
mes patients psychotiques nous présentent une certaine vérité, et l’avis du médecin du travail me
permet d’avoir un autre regard. Généralement il a reçu la personne plusieurs fois, et il peut me
parler de gros problèmes relationnels, s’il y en a. Avec lui, on peut examiner ce qui peut être fait
ou pas dans le cadre de la boîte, si on continue à se battre ou pas. Je vais plus ou moins loin en
termes de partage d’infos avec eux, en fonction de leur réaction. J’essaie dans tous les cas, et je
vois comment ils me répondent…
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je ne comprends pas comment les entreprises aujourd’hui continuent à faire les mêmes
grosses erreurs. Tout le monde sait qu’une équipe qui va bien produit plus. Il y a des études qui
le montrent, au Japon notamment ! Le chiffre d’affaire augmente quand les gens sont heureux.
Plus on met la pression et la compétition, et plus l’entreprise risque de dysfonctionner. C’est
assez simple ! C’est très étrange que le management continue de mettre cette pression sur les
équipes. Le problème c’est la mise en œuvre. J’ai une patiente qui a un poste important à la SNCF :
elle travaille sur la prévention des risques psycho‐sociaux : elle a beau faire des conférences un peu
partout qui marchent très bien, tout le monde dit « oui oui », mais elle trouve que ça n’a pas
une efficacité formidable. C’est vraiment la question de la mise en œuvre, les gens sont toujours
d’accord sur le principe et après… J’ai aussi une amie, qui travaille en milieu hospitalier dans
l’instance (dont j’ai oublié le nom) qui veille à la gestion des conflits et à la surveillance, pour
s’assurer que ce qui est fait est conforme… Elle me dit que son travail est épuisant et a peu de
résultat: tout le monde lui dit «oui », et rien n’est appliqué.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Donc mes recommandations sont les suivantes :
Formations pour les employeurs : pour qu’ils comprennent que rendre leurs salariés
heureux augmente à terme leur chiffre d’affaire !
Formation et fiches pratiques pour les médecins traitant qui sont en 1e ligne, sur ce qui
peut être fait : des fiches pratiques, concises, précises, sur l’évaluation du degré de stress, le
harcèlement, le burn‐out, et la place du médecin, et les choses à éviter / à faire.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°13
Date 10.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone –Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Je suis épuisée, je fais un travail de recherche très important, et j’ai du mal à être concentrée avec
tous mes RDV. Je reçois des ados et des adultes, les ados ont de plus en plus de phobie scolaire,
c’est déjà énorme, et presque tous les adultes disent qu’ils ont des problèmes au travail. Ados
et adultes, tous sont aigris. Il y a une augmentation de la charge de travail, et les gens ne peuvent
pas dire non, et il y aussi une part de personnalité : pourquoi certains ne savent pas dire non ?
Ils ont bien sur peur de se faire lourder, mais quelle est la part de leur histoire affective ? De
l’obéissance aux parents ? C’est une question de démission psychique, et par rapport à cela,
chacun a sa structure.
On en fait toujours plus, et il n’y a aucune gratification : on ne dit pas merci. Que ça soit les gens
modestes ou les gros cadres. C’est comme une forme d’esclavage: on leur en demande plus sans
jamais les remercier. On ne leur demande pas leur avis, ils sont contraints. De plus en souvent on
me parle d’ambiances délétères au travail. La majorité de mes patients ont 30‐45 ans, et tous sont
actifs. Il y en a seulement un ou deux qui sont bien au travail, c’est tout. J’arrive à en remettre sur
pied quelques‐uns.
Je suis trop fatiguée pour faire le bilan de tout cela. Les gens disjonctent à cause du management.
Et que voulez‐vous que le psy fasse ? A part mettre les gens en arrêt. Je les écoute beaucoup,
passionnément, mais quel sens ça a ? Pour quelqu’un qui est submergé par son N+1, qui les
pressurise ? Est‐ce vraiment de l’ordre de la maladie ? L’assurance maladie paie pour des
troubles causés par le management…et c’est le cas de tous mes nouveaux patients. On ne fait
plus de la psychiatrie ! Ce n’est pas à l’assurance maladie de payer ça, ces indemnités journalières
du monde du travail !!! Ca a un coût monstrueux.
Les mails contribuent à cette folie. Les gens travaillent le dimanche, ils reçoivent un mail le
samedi alors qu’ils sont en arrêt maladie ! Il y a une forme de persécution, et internet y
contribue. Comme facebook pour les ados. Internet c’est un outil génial, mais il abolit toute
transcendance : les jeux de mots sont impossibles sur internet, tout ce qui est de l’ordre du
symbolique, qu’on peut faire avec la parole, jongler avec les mots, ça peut ne pas être compris par
internet et ça peut se retourner contre soi. Il y a une dimension paranoïaque sur internet. Dès
qu’il y a une histoire de hiérarchie, ou même une rupture sentimentale par mail, c’est
aberrant. Quand on utilise les mails en situation de tensions, en mettant en copie 25 personnes…
ça crée des salades psychiques très lourdes, et des prises de tête tout le week‐end. Ca contribue
à la fatigue professionnelle. Il faut y réfléchir.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Médecins du travail :
Très souvent je conseille au patient d’aller voir le médecin du travail. J’ai de rares contacts avec
eux à cause du secret professionnel. Une ou 2 fois, j’ai pu donner un petit coup de pouce pour que
le médecin intervienne. Déclarer un patient inapte, ça pose question... Les gens ne sont pas des
demeurés.
Quel retour j’ai de mes patients quand je les envoie chez le médecin du travail ? Très bonne
question… Voyons voir. Je n’ai pas tellement de retour en tête là. Il y en a qui font du très bon
travail. Il faudrait chiffrer pour que ce soit cohérent. En général je les évite, et ça se passe en
dehors de mon cabinet. Il faudrait que je fasse un recensement. Il y a vraiment une enquête
épidémiologique à faire ! Parce que là je vous réponds d’une manière floue. Si on me rémunérait
pour de vrai, correctement, je serais prête à faire cette étude. Je reprendrai tous mes nouveaux
patients depuis un an, ça serait vraiment intéressant à quantifier ! Parce que je suis confrontée à
cette problématique, j’ai le nez dedans !!! Je suis contente que vous fassiez cette enquête URPS,
c’est un problème monumental. Je serai prête à faire ce travail, juste là, je suis débordée.
Je n’ai aucune relation avec les médecins conseil.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faut changer la politique managériale. Il faut améliorer la gestion RH, c’est très important. Il faut
que ça se passe au niveau du Ministère de l’économie, et non pas de la Santé : ça a à voir avec les
entreprises, avec le politique. En même temps il y a des entreprises qui fonctionnent bien. Il y a
une quantité de gens qui se préoccupent de la santé mentale en entreprise, et de la bonne santé
de la société. Il y a des choses à faire à l’échelle locale. Il y a des choses qui se font dans des petites
boîtes, éthiques, notamment chrétiennes, qui réfléchissent avec les gens, où il y a de l’humain. Il y
a quelque chose dont j’ai entendu parler qui s’appelle « Nouvelle Donne »
(www.nouvelledonne.fr), un mouvement plus ou moins politique, avec une perspective une vision
écologique. Je vous recommande « Non‐assistance à peuple en danger » de Pierre Larrouturou (cf.
Nouvelle Donne).
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°14
Date 07.10.2016
Entretien réalisé Sur place – Sophie Rougevin Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Ce thème est très à la mode depuis 15 ans environ. C’est bien vu d’en parler… Le livre de MF
Hirigoyen a été un énorme déclencheur évidemment. Ça a marqué le public.
Ces patients représentent la moitié de ma patientèle. Le déclencheur pour eux ce sont les
relations difficiles avec les collègues ou la hiérarchie, ou avec des subordonnés qu’on n’arrive plus
à gérer. Les gens viennent me voir en ayant déjà fait leur diagnostic, en se basant sur ce qu’ils ont
vu sur internet (« J’ai vu sur internet que j’avais ceci, ou cela, le syndrome d’Asperger, etc. ») sur
un mode plaintif et revendicatif…
C’est important de faire le tri, d’évaluer le degré du trouble réel, anxieux ou pas, voir quelle
intensité. C’est difficile de faire ce tri entre ce qui est objectif et subjectif. Certaines situations
paraissent objectivement délétères. Mais beaucoup plus souvent c’est subjectif. Les gens se disent
écrasés par une surcharge de travail à un rythme effréné. Mais ce n’est pas une question
d’horaires parce qu’ils partent tôt. Ce n’est plus comme dans les années 90‐2000 où les jeunes
« loups » restaient la nuit au bureau. Maintenant les gens qui restent après 17h se font avoir par
les autres. Simplement ils partent tous (dans leur salle de sport par exemple), en ayant
l’impression d’être submergés, envahis par leur travail…
Globalement ils ne sont pas contents de leur emploi. Il y a énormément de méfiance entre
collègues, la peur d’être mal interprété, etc. Les jeunes de 30 ans sont offusqués si on leur fait une
remarque parce qu’ils arrivent à 9h10 au lieu de 9h. Quand c’est comme ça, à 15h, ils ont déjà
demandé un arrêt de travail ! Simplement si on leur fait une remarque, comme quoi par exemple
leur travail n’est pas terminé… Ce qu’ils me disent c’est : « On ne me reconnait pas ! On ne
reconnait pas ma valeur ! » C’est la position de l’enfant adulé, surprotégé, qui est brutalement
confronté à la réalité de l’école maternelle ! A 25‐35 ans, c’est une 1e réelle confrontation au
monde extérieur, ce qui est une épreuve de réalité pour le narcissisme de ces jeunes très
protégés. Alors ils se sentent blessés, et ils trouvent cela injuste.
En plus du terme « harcèlement moral », on a en corollaire, le terme « pervers narcissique », qui
ne veut rien dire du tout et qui est utilisé à tort et à travers, et qui en psychiatrie devrait signifier :
celui qui jouit de sa propre image. Ce que les gens interprètent comme un comportement sadique
n’est en fait constitué que de reproches. C’est un véritable système de pensée et c’est difficile de
sortir les gens de leur dépression une fois qu’ils ont établi leur propre diagnostic étiologique. C’est
difficile de les amener à parler de comment ils en sont arrivés là, de ce qui se passe dans leur vie
personnelle, ou de ce qui ne se passe pas justement... !
Il faut essayer de les aider à recréer une image plus réelle et pas un «maquillage narcissique»: Ils
doivent comprendre qu’ils doivent aussi développer leurs qualités, collaborer, travailler en
compétition, s’investir, sublimer leur énergie dans des tâches positives. A mes yeux, le travail
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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n’intervient pas comme un « stresseur » en soi mais comme une épreuve de réalité. Le narcissisme
est confronté à l’existence, c’est très difficile et il y a un long travail psy à faire. Les gens sont
aveuglés par leur image de la situation. Parce qu’ils croient qu’ils sont « sérieux, actifs, et surdoués
» (parce que les parents leur disent ça, sous couvert de cette idée qu’il faut que les enfants aient
une bonne estime d’eux‐mêmes !). Alors ils veulent une aide face au travail, mais cette aide est
ambivalente: en fait c’est « Aidez‐moi à faire reconnaître le préjudice que j’ai subi ». Pour eux
l’origine est extérieure, ils ont du mal à faire un travail d’introspection. Ils disent s’ils se font
convoquer dans le bureau du chef qu’ils se sont fait « démolir ».
En fait le patient souffre à cause de sa maladie, pas de son arrêt. L’arrêt est nécessaire, avec
traitement. Il y a une phase de dépression patente, avec troubles envahissants. Il faut entamer
une réflexion sur eux, faire germer l’idée que ça vient de l’intérieur. Pour les patients de 50 ans,
qui sont à la limite de cette génération, il est évident que pour eux il faut s’investir dans le travail.
Là, le harcèlement est plus réel, en relation avec une forme de concurrence par rapport aux
autres, plus jeunes qui veulent leur poste. Pour ceux de 50 ans, on n’est pas dans « le choc
narcissique de la 1e rentrée scolaire ». L’épuisement n’est pas par rapport au travail, mais par
rapport à la concurrence. Il y a un problème de conflit de génération. Contrairement à avant, il n’y
a plus de progression automatique en fonction des efforts fournis. Ça n’existe plus. Ceux qui sont
fraîchement diplômés débarquent et prennent leur place. C’est insupportable. Les patients se
sentent déjugés, déprimés. C’est nuisible pour tout le monde : pour ceux qui en sont victimes
parce que leurs postes sont pris, et pour ceux de 28 ans, qui débarquent et à qui on fait croire
qu’ils savent faire plus de choses. C’est une situation affreuse pour les deux. J’ai une patiente
comme ça, de 28 ans, qui croyait sincèrement qu’elle était meilleure. Ce sentiment de supériorité
l’a déstabilisée. Ca génère du mépris, c’est traumatisant pour les deux. En plus en l’écoutant
davantage j’ai réalisé qu’elle avait eu ce poste là au bout de 4 mois après son entrée dans la boîte
simplement parce que son père connaissait telle personne… bref, c’était une histoire de piston, et
ça n’avait rien à voir avec ses compétences à elle, sauf qu’elle y croyait dur comme fer.
Et c’est dans tous les domaines. Je connais des artisans qui n’arrivent pas à se verser le salaire
qu’ils versent à leurs employés, et qui doivent finir les chantiers qui ne sont pas terminés parce
que les salariés sont partis. Il y a une évolution sociale massive et inattendue, qui a des
conséquences au niveau de la santé. Parfois il faut encourager les personnes à tenir. Je prescris
aussi des arrêts, quand il y a trouble dépressif, anxio‐dépressif…Et dans les arrêts je ne fais que
décrire la pathologie que je vois. Le patient lui est frustré avec ce que j’écris et il a du mal à faire le
lien.
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Les médecins du travail
Les patients viennent chez moi par le bouche à oreille, où parce que le médecin du travail leur a
parlé de moi. Les médecins du travail sont surchargés. J’ai beaucoup de contacts avec eux. Ils sont
sous pression et ne savent pas gérer, ils ne comprennent pas la situation. Le monde a changé
brutalement sans que personne ne soit prêt. Ils récupèrent les gens les plus caricaturaux, ceux qui
se plaignent, des cas inextricables, qui arrivent dans un état !!! Ils sont complètement troublés par
les situations qu’ils gèrent.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faut dépister la dépression et non pas le harcèlement. Le patient mettra du temps à se
reconstituer un jour, il sera déclaré « invalide » sans avoir compris ce qui se passe dans sa vie. Ce
n’est pas satisfaisant. Je pense qu’il faut éviter la piste d’aller dans le milieu professionnel. Il faut
mettre l’accent sur les pathologies réelles, que les gens se remettent en question par rapport à
leur adaptation. Le lieu de travail est un lieu de dépistage possible, pour éviter le casse‐pipe. Les
avocats se sont jetés sur les affaires et mettent l’accent sur le médiatique. Il faut remettre ce
dossier sur le plan médical plutôt que sur le plan médiatique.
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Nom du psychiatre N°15
Date 07.10.2016
Entretien réalisé Sur place – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Les médecins du travail ? Ça dépend… certains s’impliquent. Ou pas.
J’ai eu une patiente qui pendant 2,5 ans a été cadre et victime de harcèlement moral et sexuel
dans son entreprise d’industrie automobile. C’était la seule femme, c’était une culture
d’entreprise plutôt macho, le harcèlement a commencé dès son arrivée. Elle avait alerté le
médecin du travail, plusieurs fois, sans effet. Je l’ai prise en urgence, je pense qu’elle aurait fait
une tentative de suicide si elle n’avait pas pu obtenir un RDV rapidement. Son médecin traitant lui
avait fait un arrêt de 15 jours à l’époque, que j’ai prolongé. Elle a eu un 1,5 an d’arrêt de travail.
Elle s’est mise à la méditation, elle a été suivie aussi par un psychologue, et elle a fait une
formation, elle a changé de voie professionnelle. Elle avait été en contact avec une avocate
spécialisée, et elle avait des éléments pour son dossier. Au bout de 6 mois d’arrêt, elle a été
convoquée par le médecin conseil de la sécu, elle a bien expliqué sa situation et il a validé. Il a dit «
je vais faire un courrier au médecin du travail ». Elle avait aussi fait un courrier au DRH, et ça
n’avait rien donné. Elle a bénéficié d’une rupture conventionnelle. Elle a été indemnisée par Pole
Emploi.
En revanche, je me souviens d’une autre patiente, une femme africaine avec une pathologie
psychotique qui était « hôtesse de caisse » (il ne fallait pas dire caissière avec elle). Elle avait un
traitement neuroleptique, et le médecin du travail a fait des efforts pour adapter son poste, pour
qu’elle n’ait pas à faire la fermeture par exemple. Quand elle s’est heurtée avec sa chef (parce que
ce n’était pas un caractère facile ma patiente !), elle a aussi reçu du soutien du médecin du travail.
Une autre patiente qui a eu un problème neurologique en relation avec le stress professionnel a
vécu du management par la terreur, dans une très grosse boîte. Elle a été reconnue travailleur
handicapée et a obtenu un travail à temps partiel. Ça aurait dû être reconnu et pris en charge
comme un accident du travail, et ça n’a pas été fait. Elle avait de grosses séquelles suite à son
accident neurologique. Mais comme elle avait une volonté de fer, elle a récupéré pas mal et a
changé de service. Le médecin du travail dans cette situation a été une vraie caricature : malgré le
fait qu’elle était censée bénéficier d’un suivi rapproché en tant que travailleur handicapé, il faisait
comme s’il ne l’entendait pas, comme s’il ne voulait pas la recevoir en entretien, comme s’il était
toujours très pressé. C’était ridicule. Elle avait un pied qui fonctionnait moins bien, elle aurait dû
être envoyée chez un neurologue pour faire une série de bilans, pour évaluer si c’était une
conséquence de son accident ou pas, ça n’a pas été fait. Ça s’est révélé être une maladie auto‐
immune, qui pour moi était liée au stress !
Les maladies auto‐immunes explosent, comme les pathologies thyroïdiennes et la thyroïdite, des
maladies rhumatismales (spondylarthrite, fibromyalgie, diabète chez les jeunes), tout cela est dû
au stress. J’ai un patient, qui était ingénieur chez Dassault, qui développe la maladie de Parkinson,
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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c’est invalidant. Beaucoup de retard a été pris parce qu’il n’a pas été envoyé chez un neurologue à
temps. Là, le médecin du travail est à l’écoute, et la mutuelle doit pouvoir compléter…mais ce
n’est pas toujours évident. Il y a beaucoup de stress dû aux relocalisations. Il y a eu 2 suicides dans
la boîte. Cet homme a besoin que son temps de travail soit aménagé pour prendre en compte sa
maladie professionnelle, s’il est reconnu travailleur handicapé, il pourrait bénéficier de ça.
De toute façon, avec les médecins du travail (activité qui a maintenant été rebaptisée« Santé au
travail »), il y a un problème d’indépendance, et ils ne sont pas très motivés généralement. De
mon temps, ceux qui choisissaient cette voie ‐ qui n’était pas du tout populaire ‐ c’était ceux qui ne
souhaitaient pas vraiment comment dire… faire du terrain, c’était un peu… comme une planque. Il
y avait peu d’implication. Ça risque de ne pas s’améliorer avec la loi travail de El Khomri. Le CHSCT,
avec la nouvelle loi travail, perd de ses prérogatives !
Mais peut être que de nos jours il y a un aspect « santé publique » qui peut être motivant pour
certains ? Il y a une pénurie de médecins en ce moment de toutes façons, comme de psychiatres,
on n’en forme plus, suite aux normes européennes. C’est valable pour toutes les spécialités.
En entreprise, les espaces « open space » sont catastrophiques, comme les plateformes, c’est une
horreur. D’ailleurs, aux Etats Unis, ils en reviennent un peu. Il y a un problème de nuisances
sonores, et c’est un gros facteur de stress.
Que ce soit en entreprise ou dans la fonction publique, la souffrance est partout. J’ai eu une
patiente magistrat, extrêmement intelligente, agrégée de philo, qui a été obligée de muter pour sa
carrière. Elle s’est retrouvée sous les ordres d’un pervers narcissique qui s’est acharné sur elle. Elle
a alerté la présidente du tribunal, qui lui a répondu qu’elle était au courant, et qu’on ne pouvait
rien faire. Il n’y a pas de médecine de prévention, ni de médecine du travail dans ces cas‐là. C’est
pareil pour les enseignants, ou alors il leur faut aller au Rectorat. Dans la magistrature, il y a des
suicides sur le lieu de travail…alors qu’il y a des textes de lois à appliquer ! Ma patiente qui
travaille dans un tribunal administratif est bien placée pour le savoir… dans la pratique le tribunal
est en dehors de la loi ! Ma patiente est arrivée à un stade où elle me disait : « Je ne peux plus
penser » : ça, c’est le résultat du travail du pervers narcissique ! Elle ne pouvait plus ouvrir un livre,
elle qui lisait tellement. Elle était en état quasi végétatif : je l’ai envoyée faire un bilan chez un
neurologue, elle n’avait rien : juste le stress et la dépression. Elle avait certes une pathologie assez
lourde, bipolaire, et finalement elle a eu sa mutation. Elle aurait pu faire une demande de congé
longue durée, mais sa mutation l’a sortie d’affaire.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Milieu hospitalier :
J’ai eu une autre patiente, psychologue dans un cadre hospitalier, qui faisait partie du CHSCT, et
qui a subi du harcèlement moral de son chef de service. Elle aussi avait des troubles bipolaires. Elle
était très intelligente. Elle a essayé de négocier une mutation ou une rupture conventionnelle.
Dans le même service, il y avait un autre médecin qui était le mari de la chef de service, les deux
apparemment étaient des pervers narcissiques. La situation est en cours, elle a obtenu un arrêt de
travail avec un MG. Elle était hyper mal, a deux enfants en bas âge. Et dès qu’elle n’est pas au
travail, elle va bien. Elle veut démissionner. En milieu hospitalier, il n’y a pas de médecin du travail
pour les médecins, par contre elle comme elle est psychologue, elle a en principe accès au
médecin de la structure associative qui l’emploie.
Il n’y a pas de médecine de prévention pour les médecins hospitaliers, et certains collègues
dérapent. C’est au chef de service de gérer en principe, d’inviter ces personnes à faire quelque
chose, se faire soigner etc., mais je peux vous dire que parfois ils ne gèrent rien du tout. En tant
que praticienne hospitalière, j’ai vu mon chef de service recruter 3 personnes complètement
incapables de travailler. Je les ai repérées tout de suite, ils avaient de grosses pathologies psy. Et
au bout d’un mois, l’un était déjà en arrêt… (soupir)…
Ca me rappelle cette histoire de ce médecin, Jean‐Louis Megnien, qui s’est défenestré en 2015, à
l’hôpital Georges. Il avait eu une pathologie psy, avait été mis au placard, et après un congé longue
durée il devait reprendre son poste et quand il est arrivé pour le faire, son bureau était fermé. Il y
a eu une enquête interne auprès de l’AP‐HP, une expertise devait être faite par un Comité
Médical, des experts, c’est obligatoire pour les congés longue durée, avant la reprise…
Je vois aussi que parmi les jeunes confrères qui arrivent, beaucoup sont moins résistants, plus
fragiles. Malgré le « repos de sécurité » obligatoire, qui n’existait pas avant, ils sont fatigués
rapidement et disparaissent à 16h dès que leur service est fini.
Il y a aussi les conditions de travail des infirmières de nuit, qui développent des troubles du
sommeil. L’apparition des horaires alternés, c’est une catastrophe parce que l’organisme est
déréglé. C’est démontré par des études. Les infirmières qui travaillent de nuit développent plus de
cancers du sein. Il y a eu récemment 5 suicides d’infirmiers, dont 2 à Reims
(http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1555103‐marisol‐encore‐combien‐de‐suicides‐d‐
infirmiers‐pour‐que‐tu‐daignes‐t‐exprimer.html). Des promesses avaient été faites par rapport à la
loi Bachelot, Marisol Touraine était combattive, mais la loi Hôpital Santé Territoire Patient est
toujours là. Et il n’y a pas assez de moyens pour les hôpitaux publics. Le personnel souffre, et là ce
sont des décisions politiques qu’il faut prendre.
Les médecins généralistes (MG) sont sous pression : ils font des arrêts pour 15 jours et après ils
sont contrôlés par les délégués de l’assurance maladie. Nous, les psychiatres, pas encore. Je
connais une jeune généraliste qui a dévissé sa plaque rapidement après avoir été contrôlée par la
sécu. Elle travaillait en Haute‐Marne près d’usines où les conditions de travail étaient très
difficiles. Elle faisait régulièrement des arrêts pour les gens qui n’en pouvaient plus. La sécu l’a
accusée d’en faire plus que les autres MG, qui eux étaient en zone résidentielle, où les gens
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étaient à la retraite. Elle était dans le collimateur, et la sécu lui a dit qu’ils allaient lui envoyer un
médecin conseil qui allait valider ses décisions directement pendant ses consultations. Absurde !
En même temps, les MG reçoivent des primes en fin d’année s’ils prescrivent peu d’examens
complémentaires... Donc mes patients me racontent que leur MG ne leur prescrit pas de bilan
sanguin, ou autre. Ils me disent : « Mon MG ne me propose rien. » En même temps il y a des MG
en burn‐out, parce que leurs salles d’attentes sont pleines et qu’ils n’ont pas de temps…
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faut des réponses sociétales ou politiques : l’accès aux soins, le problème du non
remboursement est une question politique. Il y a le problème du parcours de soin: ça coûte
cher d’aller voir un spécialiste. Seules quelques mutuelles haut de gamme prennent ça en
charge. Il faut faciliter la prise en charge par des psy, c’est important parce qu’il y a une
pénurie de psychiatres. Je sais que l’épouse du professeur Hardy avait mis en place un
partenariat « Réseau Ville Hôpital » avec l’assurance maladie dans les Yvelines, qui prenait
en charge une partie des consultations psy, mais cela est tombé en désuétude.
Il faut aussi de la méditation : Comme vous avez pu le voir dans ma salle d’attente, ici nous
invitons les patients à pratiquer la méditation. Je fais régulièrement des formations avec
l’AFML, et j’en ai fait 2 qui étaient des initiations à cette pratique. Ça serait bien que les
entreprises s’y mettent, d’ailleurs Christophe André, qui a démontré l’impact de la
méditation sur les douleurs chroniques, l’anxiété, etc. et qui exerce juste à côté à Ste Anne,
a dit dernièrement lors d’une interview sur France Info avec Olivier Delagarde (« Moi
président »), qu’il rendrait, s’il le pouvait, cette pratique obligatoire dès la maternelle ! Les
études scientifiques montrent que cela aide à prévenir les rechutes, à la Pitié Salpetrière, il
y a d’ailleurs un groupe de méditation en néphrologie.
Prévention : Il faut des interventions auprès des salariés. Je sais par exemple qu’il y a eu
des ateliers à France Télévision, mais ça reste encore minoritaire. Dans certaines
entreprises, il y a quelques réunions pour la prévention des risques psycho sociaux,
beaucoup d’argent est investi, et puis il n’y a pas de suivi…
Formation sur la souffrance au travail : il faudrait former les médecins généralistes. Moi
j’avais eu une journée de formation avec MF Hirigoyen. Les MG ont le devoir de se former
régulièrement, et l’Ordre des médecins est censé vérifier cela.
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Nom du psychiatre N°16
Date 05.10. 2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Je reçois beaucoup de patients concernés par la souffrance au travail. Cette souffrance au travail
est essentiellement due aux relations avec le responsable hiérarchique. C’est en général
lorsqu’un nouveau Responsable arrive ; il malmène alors les anciens, veut tout changer, et
changer également son équipe, virer les anciens…
Je prends beaucoup de temps pour conseiller mes patients, leur conseiller d’aller voir le syndicat,
des avocats, etc. S’il y a trop de difficultés, également le médecin du travail. Souvent, celui‐ci est
déjà au courant d’un problème dans la société, et on s’achemine alors vers une inaptitude.
Les arrêts de travail concernent fréquemment des troubles dépressifs. Souvent il s’agit de
personnes ayant déjà une fragilité.
J’ai des contacts avec les médecins du travail. Souvent, ils m’appellent pour avoir un avis de
psychiatre avant d’émettre un avis d’inaptitude. Et puis, il eut y avoir des fraudeurs. Le médecin du
travail peut aussi le repérer. Je ne me sens pas toute seule.
Il y a aussi beaucoup de demande pour la MDPH (Maison Des Personnes Handicapées) pour avoir
une reconnaissance de travailleur handicapé. Cette reconnaissance existe pour les cas de
dépression, d’anxiété et de divers troubles handicapants.
Concrètement, la reconnaissance de travailleur handicapé permet à la personne d’être mieux
considérée dans l’entreprise (du fait des quotas de travailleurs handicapés). Cela limite les
licenciements, car les handicapés sont plus difficilement mis à la porte notamment dans certaines
entreprises.
Très souvent également, l’entreprise attend la démission du salarié. Elle ne veut pas de
licenciement. Dans ce cas, cela se passe avec la médecine du travail. Le médecin du travail
prononce l’inaptitude pour le licenciement. Les médecins du travail ont généralement une bonne
connaissance des processus de l’entreprise, elles sont « connues » pour ces pratiques. Mais, là
aussi, cela concerne des personnes fragiles.
Si l’entreprise ne veut rien comprendre, alors c’est très compliqué pour nous. On accompagne le
patient longtemps. Après trois ans, il passe automatiquement en invalidité si la Sécurité sociale est
d’accord. Mais parfois, il arrive que la sécurité sociale refuse et les oblige à reprendre. Dans ce cas,
le patient retourne auprès du médecin du travail pour un avis d’inaptitude.
Il faudrait parler plus souvent de la souffrance au travail dans les médias, que les personnes soient
mieux informées. Beaucoup de patients sont malheureux mais ne relient pas cet été à de la
souffrance au travail. Ils ne connaissent pas leurs droits. Donc on passe beaucoup de temps à les
conseiller sur leurs droits, parce que leur ignorance est vraiment importante.
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Je vois de plus en plus de cas, et au moins un nouveau par mois. Avec souvent des patrons très
sadiques, méchants, mauvais, surtout dans les TPE et les petits commerces. Les victimes sont
souvent des femmes sans qualification qui ont vraiment besoin de travailler. Il y a beaucoup de
problèmes dans le milieu du commerce, également par un manque de qualification du patron.
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Nom du psychiatre N°17
Date 30.09. 2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Mes patients viennent de la Défense. Je suis confronté à de la souffrance au travail pour tous les
niveaux de management.
Le patient est généralement très affecté. La reprise du travail, c’est faire repartir le bon petit
soldat au front, cela le ramène à une situation anxiogène. Pourtant c’est une démarche obligatoire
à un moment, il n’y a pas de solutions. Le médecin psychiatre est alors contraint de donner des
arrêts de travail. Sinon…
Cela concerne plus souvent des salariés qui travaillent dans des petites sociétés. On trouve le plus
souvent soit un vécu de harcèlement, soit un rejet de la part des collègues ou de l’équipe, soit un
surmenage dû à la charge de travail.
Une des solutions serait la réduction du chômage. Il y aurait alors moins de pression sur les
salariés. A notre niveau, c’est plutôt la soustraction du milieu anxiogène qui produit des effets, et
puis travailler avec le patient pour qu’il puisse rebondir sur d’autres projets de vie, et un autre
travail.
Il faudrait pouvoir travailler sur la reconnaissance de la souffrance au travail comme une
pathologie du travail pour la sécurité sociale. Heureusement, la sécurité sociale aide les patients et
accepte les arrêts de travail sans difficultés. Il y a un vrai besoin de collaboration avec la sécurité
sociale de reconnaitre que la souffrance au travail est quelque chose d’important. C’est très
important.
La médecine du travail est un rouage important mais parfois très débordée. Je travaille en
concertation avec elle, mais toujours à l’initiative du médecin du travail. On essaye de trouver
ensemble une solution qui peut être soit l’invalidité, soit l’inaptitude à tous les postes de
l’entreprise lorsqu’il n’y a pas de solutions de reclassement interne.
La souffrance au travail est en nette augmentation depuis 5 ans, à cause du contexte économique.
Egalement, le refus des ruptures conventionnelles est un facteur.
Souvent le patient arrive trop tard, ou le médecin du travail l’envoie trop tard. Il faudrait que le
médecin du travail décèle plus tôt les problèmes. J’ai peu de communication avec les médecins du
travail, ou seulement avec quelques‐uns. Il n’y a pas de communication directe bien sûr, c’est
toujours par l’intermédiaire du patient. Il n’y a pas d’appels téléphoniques ni d’un côté, ni de
l’autre. Je pense qu’ils pourraient être soulagés de savoir que des médecins psychiatres sont à leur
disposition en cas de besoin.
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Nom du psychiatre N°18
Date 07/10/16 à 9h30
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
Il y a un aspect médical et un aspect administratif.
Du point de vue médical, on a affaire à des dépressions, souvent sévères. Et la difficulté,
contrairement aux autres dépressions, c’est qu’on ne peut pas les guérir complètement tant que le
problème au travail n’est pas résolu. On peut juste apporter une amélioration.
La différence aussi, c’est qu’on met les patients en arrêt de travail, alors que dans d’autres cas de
dépression, le travail, quand il se passe bien, peut aider les gens à aller mieux. Les arrêts de travail
sont aussi plus longs : de 6 mois à deux ans. Le temps que les procédures aboutissent, c’est très
long. On prolonge donc des personnes qui pourraient travailler dans un autre contexte
professionnel.
Autre difficulté : on ne connaît pas bien les droits ni les procédures. Je conseille à mes patients de
prendre un avocat, mais personnellement, je n’ai pas de réseau d’avocats. Et je ne peux pas
conseiller mes patients.
Dans la fonction publique, les procédures sont encore plus compliquées.
D’une façon générale, les médecins du travail ne sont pas à l’écoute des patients. J’observe qu’ils
ne sont pas très aidants pour les changements ou aménagements de poste. Peut‐être ne le
peuvent‐ils pas, je ne sais pas. Leur intervention se résume souvent à déclarer l’inaptitude
définitive du salarié afin de permettre la rupture du contrat de travail.
Les RH, de leur côté, ne font rien. Sauf quelques‐uns, très investis dans cette problématique, qui
recherchent vraiment des solutions.
Ethiquement, en tant que psychiatre, on n’est pas là pour juger si les faits rapportés sont vrais ou
faux. On ne peut que constater la dépression. Mais en attendant, la Sécu paye pour un problème
d’entreprise. Je crois que l’entreprise pourrait payer.
Certains patients rencontrent aussi des problèmes avec leurs indemnités, qui peuvent prendre
plusieurs mois avant d’être versées. Quand on a affaire à un véritable harcèlement, il arrive que
l’employeur bloque les versements en prétendant ne pas avoir reçu l’arrêt maladie ou en ne
retournant pas le formulaire à la Sécu. Je vois ça dans 20 % des cas. Cela ne fait qu’aggraver l’état
du patient, placé en difficulté financière.
Tous vivent très mal d’être poussés à la démission : « C’est moi qui suis harcelé et c’est moi qui
dois partir ! » Je ne peux évaluer la situation au travail, encore une fois, je ne vois que la
dépression qui en résulte.
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Même s’il y a parfois des « personnalités difficiles » dont on se dit que ça ne doit pas être facile de
travailler avec, il n’en demeure pas moins qu’elles sont en souffrance et que cela ne justifie pas
qu’on les harcèle. Elles pourraient tout à fait travailler dans un poste aménagé. Cela dit, ces cas
sont rares, la plupart de mes patients sont des personnes qui ont travaillé 15 ou 20 ans dans la
même entreprise sans aucune difficulté et qui voient leurs compétences remises en cause du jour
au lendemain lors d’un changement de direction ou d’une restructuration ou du rachat de leur
entreprise.
Il y a des situations particulièrement douloureuses pour la personne : je pense à une de mes
patientes, employée à l’accueil, à qui on a supprimé le téléphone, l’obligeant à se déplacer sans
cesse.
Les salariés subissent trop de pression et manquent de repos.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Dans ce type de situation, il faudrait qu’il y ait une enquête rapide des RH dès qu’un problème est
signalé.
Il pourrait aussi y avoir une instance de médiation qui facilite les accords.
La loi interdit au salarié de voir le médecin du travail durant son arrêt maladie. Il ne peut le voir
que lors de la consultation de pré‐reprise, soit à la fin de son arrêt de travail.
L’employeur, de son côté, n’a pas le droit de contacter le salarié durant son congé maladie.
Le patient se trouve donc contraint de se débrouiller seul pour trouver une solution. Il y a là peut‐
être quelque chose à revoir…
Certaines entreprises cumulent les arrêts de travail. L’inspection du travail pourrait intervenir et
pénaliser l’entreprise.
Et puis les RH devraient être mieux formés.
Je voudrais dire aussi que les psychologues sont très aidants pour établir des diagnostics. Mais je
ne peux y envoyer mes patients car ils ne seront pas remboursés.
Certains psychologues travaillent à l’hôpital mais on ne peut avoir accès à leur service que si l’on
est suivi par ailleurs à l’hôpital. Or leur contribution est très utile aux psychiatres, pas seulement
pour les cas de souffrance au travail. On pourrait imaginer qu’on puisse leur reverser certains
actes.
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Nom du psychiatre N°19
Date 07/10/16 à 13 h
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
C’est un phénomène rarement totalement isolé, mais pris dans des déterminations
personnelles.
La difficulté est de trouver des interlocuteurs, médecins du travail, services sociaux, qui puissent
entendre cette souffrance.
Il s’agit aussi de faire la part des choses : est‐ce la propre problématique du sujet qui a changé ou
bien les conditions de travail qui ont évolué ?
Les patients que je reçois sont pour la plupart en butte à une hiérarchie exigeante. La pression
qu’elle exerce sur eux se retrouve d’ailleurs à chaque échelon de cette hiérarchie.
Les conditions de travail sont plus difficiles qu’auparavant, il y a moins de tolérance face aux
personnes qui ne sont pas tout à fait carrées dans leur emploi. Avant, on parvenait à aménager
des postes pour des gens qui présentaient de légers troubles psychiatriques ; aujourd’hui, ce n’est
plus possible. L’idéal de performance peut mettre les personnes en grande difficulté. Il y a chez les
salariés un véritable désarroi face aux menaces qui pèsent sur eux.
Pour ma part, j’utilise tous les ressorts qui sont à ma disposition : arrêt de travail, temps partiel, je
leur conseille une réorientation… Oui, ce n’est plus à proprement parler de la psychiatrie, mais les
psychiatres ont toujours eu différentes casquettes. Il est difficile de s’occuper des gens
uniquement sous l’angle de la qualité de leurs neurotransmetteurs !
Mon approche est plus psychanalytique que psychiatrique, et ce type de prise en charge ne peut
se limiter à une thérapie médicale stricte. Tous les symptômes psychiatriques sont pris dans cette
problématique.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Qu’on n’oublie pas que les hommes ne sont pas des machines… Il faudrait que les RH prêtent une
attention particulière à ces risques, notamment à la question du suicide, même si elle a toujours
d’autres racines.
Les relations avec le médecin du travail peuvent être déterminantes pour régler des cas lourds.
Quand on trouve une compréhension dans l’entreprise, on peut s’appuyer sur des dispositifs
comme la rupture conventionnelle pour sortir de la crise.
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Nom du psychiatre N°20
Date 03/10/2016
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Je ne rencontre pas de difficultés particulières. Ce sont des personnes en dépression, vous savez.
La plupart arrivent après 4 voire 6 mois d’arrêt prescrits par des généralistes, qui les dirigent
ensuite vers un psychiatre car ils ne savent plus quoi faire. Moi je les prolonge, car ces personnes
sont dans l’incapacité de reprendre leur travail. Il s’agit de dépressions graves, d’états dépressifs
sévères, associés parfois à des stress post‐traumatiques. Les symptômes courants sont le
ressassement, les troubles du sommeil, la prostration… ce qui relève en effet du champ de la
psychiatrie.
J’ai été repérée par certains généralistes comme attentive à ces questions. Du coup, ils m’envoient
ce type de patients.
Il m’est arrivé, sur un mois, que tous mes patients soient dans cette situation. Donc tous en arrêt.
La Caisse n’aime pas ça, évidemment. Ils ont tous été convoqués par la Sécurité sociale, mais les
médecins conseils n’ont pu que constater que leurs arrêts maladie étaient justifiés. Je ne fais pas
d’arrêt de complaisance.
Ces arrêts répétés conduisent au bout d’un certain temps à l’invalidité. C’est à ce moment‐là
souvent que l’employeur propose une mutation ou que le salarié démissionne, à défaut de pouvoir
conclure une rupture conventionnelle. Mais il arrive aussi que le temps permette de régler une
situation. La souffrance au travail dépend souvent d’une personne en particulier dans le service du
patient ou d’une situation de surmenage. En tant que psychiatre, je peux parler de burn‐out, ces
états d’épuisement liés à une overdose de stimuli négatifs, mais je ne parlerai pas de harcèlement,
car cela relève de critères juridiques précis, comme des insultes répétées. Alors même si l’on peut
considérer que le harcèlement téléphonique, par exemple, est une forme de harcèlement
managérial, s’il n’y a pas d’insultes, les juristes ne l’entendent pas ainsi.
Dans les attestations que je fais parfois pour l’employeur, j’indique seulement que la personne« se
sent harcelée ».
J’avais un patient menuisier ébéniste. Sa société s’est reconvertie dans les cuisines. Il a dû
travailler du jour au lendemain sur du contreplaqué ! Et on lui en demandait toujours plus. Il a
craqué !
Il y a aussi les personnes qui ont subi un accident du travail et dont je prolonge l’arrêt, car ils ne
sont pas en état de retravailler. Ils présentent des conduites phobiques dès qu’on évoque leur
travail ou qu’ils se trouvent à proximité de leur entreprise. Là encore, on retrouve les troubles
obsessionnels, il s’agit bien de symptômes psychiatriques.
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Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faudrait qu’une association de psychiatres rédige une charte qui sensibiliserait les employeurs et
les cadres.
Dans les années 90, j’avais assisté à un colloque qui réunissait psychiatres et juristes autour de
cette question. Cette idée de charte avait été évoquée dans la recherche de solutions et il me
semblait que cela progressait au niveau des entreprises.
Après les suicides chez Renault et Orange, force est de constater qu’on assiste à un recul.
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Nom du psychiatre N°21
Date 28.09.16
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
De quelle enquête me parlez‐vous ? Ça fait longtemps, je ne me souviens plus…
Bon, les problèmes que je vois, c’est que tout est magouillé, il y a vraiment une grande hypocrisie
dans le monde du travail. Ca magouille sec! Il y a des choses à faire bien sûr, mais c’est d’un ordre
plus général. Souvent à la Direction, il y a beaucoup d’hypocrisie…pas de cohérence. Presque tout
le temps mes patients (affectés par la souffrance au travail) ont des problèmes relationnels et/ou
de hiérarchie. Il n’y a pas assez de cohérence dans la hiérarchie ni d’honnêteté ! Les gens sont
broyés par ça. Ce n’est pas le cas dans les petites entreprises, mais dans les grandes : là il y a des
problèmes de rapports sociaux et d’honnêteté. J’en ai plein des patients dans ce cas‐là ! C’est une
question d’organisation politique, des questions de rapport de pouvoir, plus que de réelle
efficacité professionnelle. Il y a beaucoup de gens pour lesquels c’est difficile, bien sûr ce sont des
personnes qui ne sont pas très haut placées dans la pyramide, en termes de hiérarchie. J’ai eu un
cas éprouvant dans une entreprise pharmaceutique, un cas de conflit avec la Direction, et j’ai fait
un arrêt maladie à la demande du Médecin du travail, qui a finalement abouti à une démission. Ça
a été dur. Heureusement qu’il y a les arrêts de travail, ça rend service. Sinon la situation devient
invivable. Légalement, on n’a pas le droit de faire un arrêt de travail pour un problème
professionnel, mais cette femme était prête à se foutre en l’air, et pour que ça arrive aux
prud’hommes, ça va prendre du temps. Si les gens sont déprimés, et pour protéger les patients, je
fais quand même des arrêts, même si ce n’est pas légal. Parfois bien sûr les patients ont des
problèmes plutôt de personnalité, mais quand ils sont super mal, on n’a pas le choix ! Ce n’est pas
des feignants ! C’est un imbroglio infernal ! Il y a des gens bien sûr qui ont des problèmes
personnels, et ça se reproduit dans le boulot, il y a une résonnance…mais il y a aussi des choses
inadmissibles. Des cas de harcèlement, où on oblige la personne à partir ailleurs. C’est beaucoup
plus dur qu’autrefois.
Mes relations avec les médecins du travail sont bonnes. Je n’ai aucun problème avec eux, ni avec
les médecins de la Sécu d’ailleurs. Je leur explique à tous la situation. Une fois, le médecin de la
sécu a dit : « C’est le dernier arrêt, après quoi il faut trouver autre chose », et en fait nous étions
d’accord lui et moi, nous disions la même chose finalement, parce que je disais aussi à mon patient
qu’il fallait qu’il démissionne, qu’il ne pouvait pas rester comme ça. Ça avait duré un an.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je ne sais pas comment les choses pourraient être autrement. Je ne sais pas ce qu’on peut faire.
Les instances qui ont été mises en place, comme le CHSCT sont noyautées. C’est très difficile pour
un salarié de se faire entendre de manière simple. Il y a de tels jeux politiques et institutionnels. Et
les prud’hommes, ce n’est pas terrible, ça dépend vraiment de sur qui on tombe : 63% des cas
sont rejugés en appel, c’est énorme, ça veut dire que plus de la moitié des cas sont mal jugés.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Des fois aussi il y a des médiations…ça reste très difficile… très judiciarisé. La justice vous
savez, ce n’est pas toujours juste, c’est juste l’application du droit ! Le monde s’est judiciarisé,
comme aux US : quand il y a violence, c’est tout judiciarisé, les gens bougent seulement ce qu’ils
veulent…c’est une grande machine juridique…le système ne protège pas les gens. Il y a des
gens tordus partout !!!
Le CHSCT il ne faut pas compter dessus. Heureusement parfois il y a des choses qui marchent avec
l’Inspection du Travail. Une fois celle‐ci est intervenue pour aider une patiente, c’était une
concierge argentine, une femme cultivée qui n’aurait pas été concierge si elle était restée dans
son pays. Elle a été harcelée par le syndicat de copropriété. Des fois, les gens sont acculés, il
y a de quoi débloquer !
J’ai très peu de contact avec les médecins généralistes (MG): vous savez je suis de formation
analytique, les patients viennent chez moi par le bouche‐à‐oreille. Parfois, pour des cas précis, je
contacte les MG…j’avais une patiente déstructurée…une allumée, tout le monde pensait qu’elle
était folle, j’ai contacté son MG parce que je pensais vraiment qu’elle avait un problème au
niveau rectal, et j’avais raison. En tout cas, je contacte les MG quand il y a du danger, et avec
l’accord des patients. J’ai de bons rapports avec eux.
Je n’ai pas d’autres idées. Vous savez je connais peu le monde de l’entreprise. En médecine
libérale, on est un peu isolé. C’est un métier où on est assez seul quand même…En tout cas on a un
rôle de tampon : c’est illégal d’arrêter quelqu’un qui a des problèmes au travail, pourtant tout le
monde le fait…il y a l’officiel et ce qu’il faut faire !
Je n’ai pas fait de formation sur le burn‐out. Moi j’arrête mes patients aussi sec. Il n’y a pas de
médocs à donner. Il faut souffler pendant 15 jours, être un peu tranquille. C’est ça qui soigne
parfois. Il faut du temps pour soi.
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Nom du psychiatre N°22
Date 29 septembre 2016
Entretien réalisé Entretien individuel en face à face – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Depuis 15 ans, il y a une nette accentuation de ce problème. C’est une pression considérable. Les
employeurs n’hésitent plus à dire « tu fais ça, ou tu vas aller dehors ». D’ailleurs, il y a des centres
spécialisés dans la souffrance au travail, l’un à Poissy, et un deuxième, je crois à Clamart ou par là.
Ce sont des services spécialisés dans les hôpitaux. C’est presque les 2/3 de mes cas maintenant.
On donne des arrêts de travail pour des harcèlements, parce que les personnes sont incapables de
retourner au travail, dans ce contexte. Mais s’il n’y a pas de volonté de l’employeur de régler la
situation, on renouvelle, et on donne des arrêts de travail de plus en plus longs. Et si en plus, il y a
des prud’hommes et un avocat, cela rallonge encore les arrêts de travail. Il faut que la personne
voie le médecin du travail, qui va nous le renvoyer, puis la revoir. Ce sont encore des mois d’arrêt
de travail avant une inaptitude ou une incapacité.
Si la personne est très mal, ces arrêts de travail sont justifiés. Mais parfois, l’arrêt de travail n’est
plus justifiable par l’état de santé du salarié. Il s’agit juste de le préserver du contexte. C’est un
problème éthique pour nous.
On fait porter à la sécurité sociale, un problème qui est d’un autre ordre, management, social,
économique…
C’est une souffrance terrible pour les salariés. Il n’y a pas de choix. Soit il y a une incapacité qui
oblige l’employeur à licencier, soit c’est la continuation des arrêts de travail.
Les salariés voudraient bien partir. Ce sont les employeurs qui ne veulent pas. On leur dit de
démissionner. Mais à aujourd’hui, personne ne peut démissionner sans revenus. J’ai eu le cas d’un
délégué syndical qui voulait faire un abandon de poste tellement il n’en pouvait plus. Mais comme
il n’a pas de revenus.
C’est vraiment une souffrance terrible.
Cela est dû aux modifications des techniques de management depuis les 10 dernières années.
Je reçois essentiellement des cadres supérieurs, aux alentours de 50 ans et d’un haut niveau de
compétence. C’est une population fragile parce que la donne est changée par rapport à leurs
habitudes de travail. Maintenant, on leur dit « peu importe les moyens, il faut arriver à l’objectif
rapidement ». Il ne leur est plus possible d’aller en profondeur dans les sujets. Il y a une
discordance entre leur perfectionnisme et l’attente de résultat immédiat. D’où leur épuisement, et
les Burns Out. Le rapport avec leur hiérarchie devient difficile. Il leur est impossible de survoler les
sujets, de « mal faire » sinon cela entraine de la mésestime de soi. Et il ne leur est plus possible de
prendre le temps de bien faire les choses.
Lorsque j’ai travaillé chez XX, les médecins du travail m’envoyaient principalement des cadres
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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supérieurs. XXX m’avait embauché à la médecine du travail sur la volonté du médecin du travail
coordinateur qui a eu un jour un problème avec un délirant dans l’entreprise. J’étais consultante
de la médecine du travail.
Sur les services spécialisés en hôpital, ils ne font rien de plus que nous autres médecins
psychiatres. Mais, ils connaissent beaucoup mieux l’entreprise que les autres médecins
psychiatres. Moi, j’ai eu de la chance d’y travailler et donc de voir les problèmes. Mais certains de
mes collègues n’ont aucune idée de ce qu’est une entreprise. Ces services sont donc plus
spécialisés dans les démarches à suivre avec l’entreprise. Ce sont principalement les médecins du
travail qui leur envoie des salariés.
L’employeur mets des bâtons dans les roues ; par exemple en refusant d’octroyer des ruptures
conventionnelles, en émettant des propositions « irrecevables » pour les salariés ayant de
l’ancienneté par exemple, ou en faisant tout simplement trainer en espérant que les gens
craquent….
Avant le service Ressources Humaines était vécu comme un lien de soutien pour les salariés.
Maintenant, les RH sont à la solde du patronat. Ils sont là pour virer si besoin. C’est très difficile
d’obtenir des changements de service.
En plus, il y a la pression du chômage : ou bien tu te conformes, ou bien tu pars…. Et de surcroit,
une baisse inadmissible des propositions salariales.
Des solutions :
Les mutuelles deviennent catastrophiques. On a autorisé les mutuelles privées à modifier
les remboursements si la personne respecte le parcours de soin avec des médecins qu’elles
choisissent. Du coup, les consultations de spécialistes hors de ce parcours sont plafonnées.
En fonction des personnes, je suis obligée de baisser mes honoraires car leur mutuelle ne leur
autorise qu’une somme forfaitaire à l’année en remboursement de spécialistes.
Ce système accentue les différences et les disparités sociales. Les mutuelles ont un effet
catastrophique.
La reconnaissance de ces problèmes de souffrance au travail en maladie professionnelle
pourrait être une avancée. Car on attaquerait l’entreprise à la bourse, cela aurait une
influence sur le taux d’accident du travail et donc sur les cotisations. C’est le seul moyen
pour que cela change.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°23
Date 04/10/16 à 11h45
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
Il y a pas mal de difficultés, que je n’ai pas hiérarchisées, mais disons qu’en général, l’entreprise a
du mal à accepter, à reconnaître le principe du burn‐out. La question qui se pose alors est : qui va
le reconnaître ? Les médecins du travail sont souvent filandreux…
De mon côté, je suis confronté à une incertitude quand j’établis ce type de diagnostic: est‐ce que
ça va passer ?
Quant au patient, la difficulté concerne son identité professionnelle. Il a accepté tout et n’importe
quoi, ne comprend plus ce qu’on lui demande, et ne sait pas comment sortir de cet état victimaire.
Les nouvelles formes de management ne proposent comme réponse que des coachings qui créent
une pression supplémentaire sur le salarié déjà sous pression. Certains de mes patients travaillent
7 jours sur 7, 15 heures par jour… Ils ont perdu leurs repères. Il y a comme une forme de
pesanteur cryptée, que les salariés ne parviennent pas à décoder.
J’ai quarante ans de métier et j’observe une nette évolution de ce phénomène depuis cinq‐six ans.
Même si cela s’inscrit plus globalement dans une évolution des structures psychologiques.
On a de plus en plus affaire à des pathologies dissociées. Les gens ont de plus en plus de mal à
communiquer, à trouver leurs repères, ils se laissent plus facilement déborder et soumettre par un
discours manipulateur.
Même si le travail psychologique associé aux médicaments fonctionne, et qu’une fois le divorce
avec l’entreprise consommé, les personnes peuvent rebondir, leur avenir reste dégradé, et ils sont
touchés à vie : le burn‐out a altéré leur capacité à occuper des postes similaires, ils acceptent donc
des emplois généralement moins qualifiés, alors que ce sont pour la plupart des personnes qui ont
un haut niveau d’études, et qui occupaient des postes à responsabilité. Il faut compter un an
environ pour se remettre d’un burn‐out, qui affecte néanmoins de façon durable l’estime de soi.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je suis pour la culture de la prévention. Cela dit, il existe déjà des textes, mais il faudrait les mettre
en place. Les RH devraient être plus attentifs aux risques psycho‐sociaux. La plupart du temps, ils
ignorent ces signes. Je ne sais pas si la Sécu, dans sa volonté actuelle de tout contrôler, peut
intervenir à ce niveau‐là… Il faudrait aussi revoir l’indépendance des médecins du travail…
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°24
Date 29 /09/2016
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Je ne peux rien pour vous, Madame, je ne vois pas ce que je pourrais vous dire. Je m’occupe des
patients, pas de l’entreprise. Je veux dire que j’ai une posture plus psychanalytique que
psychiatrique, je considère donc que la dépression est un phénomène endogène à l’individu et
non exogène.
Pensez‐vous que l'entreprise n'a aucune influence sur l'individu, notamment dans les situations
dites de harcèlement ?
Non, d'ailleurs les patients ne m'aiment pas, car je leur dis que le problème est en eux et non à
l'extérieur, ça leur déplaît mais tant pis, et ceux qui veulent des arrêts maladie vont voir ailleurs,
car je n'en fais pas.
Je sais que ce n’est pas une position partagée par les psychiatres, mais moi je me considère
davantage comme psychanalyste, c’est pourquoi je ne peux pas vous aider.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°25
Date 05 /10 /16 à 15h30
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
La spécificité de ce type de patients est qu'ils présentent des troubles cognitifs majeurs. Même
lorsqu'ils sont arrêtés depuis plus de six mois, ils vous parlent de leur travail comme s'ils y
étaient encore. Ils ressassent en permanence. Ce sont donc de vraies pathologies
psychiatriques. Les neurones ont été atteints, il faut reconstruire le cerveau. Cela prend
environ deux ans.
Ça touche principalement les personnes méticuleuses, perfectionnistes, travailleuses et
dévouées, qui se retrouvent à travailler 60 à 70 heures par semaine. A ce rythme, ils ne
tiennent pas plus de deux ans. Surviennent alors les pertes de mémoire, les difficultés à se
concentrer, et l'incapacité de travailler. On peut aller travailler en étant triste, déprimé ou
même avec des idées suicidaires. Bref, tant que le cerveau fonctionne. Mais les troubles
cognitifs empêchent le cerveau de fonctionner correctement.
Je demande toujours à mes patients : "Est‐ce que vous lisez ?" La plupart répondent non. Mais
quand ils disent oui, je leur demande s'ils se souviennent de ce qu'ils ont lu. Et là, ils me
répondent que non, qu'ils ont relu trois fois la même page et n'ont rien retenu. C’est un signe.
Aujourd'hui, on est bombardé de mails et de textos toute la journée. Et on attend que vous
répondiez immédiatement. Les entreprises veulent faire travailler les hommes à la vitesse des
machines.
La spécificité des cadres est de ne pas être tenu à des horaires stricts. Ils se retrouvent du coup à
faire un nombre d'heures incroyable. Certains de mes patients m'ont dit rentrer chez eux le soir à
23h30, alors qu’ils avaient quitté leur domicile le matin à 6h30.
Ils pensent que c'est normal, et certains refusent même d'être arrêtés.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faudrait réduire les horaires de travail. Qu'on arrête de faire travailler les gens 60 heures par
semaine payées au lance‐pierres en leur faisant croire que c'est normal. Car c’est l’excès de
travail qui conduit à la pathologie. Il faut arrêter de penser que les hommes sont des
machines.
Et puis démuseler les médecins du travail.
Enfin, reconnaître ces cas comme maladies professionnelles. Je le fais pour certains patients, et
cette reconnaissance permet de doubler leur indemnité, ce qui est déjà ça.
Les RH devraient renforcer les mesures de prévention. Donner des missions sans donner les
outils pour les réaliser conduit aussi les gens à craquer.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°26
Date 06/10/16 à 13h30
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Le plus compliqué, souvent, est de comprendre le monde des services en entreprise. Beaucoup de
patients rapportent des situations de harcèlement – sexuel ou moral – ou rencontrent des
problèmes d’adaptation à leur poste. C’est difficile à mesurer quand on n’y est pas. Les médecins
du travail ne prennent pas de risques. C’est donc aux libéraux, généralistes et psychiatres, de se
positionner sur une situation en entreprise à laquelle ils n’ont pas accès. Je suis obligée de
prescrire des arrêts de travail le temps de procès qui peuvent durer jusqu’à deux ans. Cela « sur‐
victimise » la personne, qui, après avoir subi une situation de souffrance au travail, se voit placée
en position de « malade », ce qui renforce son sentiment d’exclusion.
Autre difficulté, les patients sont convoqués par la Sécurité sociale, et vivent mal d’être perçus
comme des « profiteurs », ce qui leur laisse penser qu’il faut « surjouer ».
Ethiquement, je trouve aussi gênant que ce soit au salarié mis en difficulté de quitter l’entreprise,
comme les femmes battues contraintes de quitter leur domicile.
Autre situation compliquée : j’ai une patiente intolérante aux ondes magnétiques. Le médecin
généraliste ne peut pas l’arrêter, car ce n’est pas une pathologie reconnue. Il l’envoie donc chez le
psychiatre. Mais que peut‐on faire quand la souffrance au travail est liée à une pathologie qui
n’est pas reconnue ?
Il manque un rouage entre nous et les entreprises. Alors que la pression au travail génère une
souffrance permanente.
Dans les grandes entreprises, la difficulté tient au fait que tout est très hiérarchisé, les
responsabilités sont diluées… La médecine du travail reste souvent assez lointaine du terrain. Les
entreprises nous ouvrent rarement les portes. Elles n’ont pas envie que des psychiatres viennent
voir ce qui s’y passe. Un psychiatre, ça fait peur ! Et puis, se pose pour nous la question du secret
professionnel.
Alors j’aide mes patients à négocier eux‐mêmes avec leur direction.
Oui, c’est du coaching, et cela déborde du champ d’action du psychiatre, mais vous savez, nous
sommes souvent appelés à en sortir, dès que nous faisons de la neurologie, par exemple.
Heureusement, de plus en plus de RH et médecins du travail s’intéressent à la souffrance au travail
et se forment.
Et quand on peut coopérer, ça arrive, on parvient à trouver des solutions d’adaptation ou bien à
négocier une rupture.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Il y a de la part de certains RH et médecins du travail une vraie prise de conscience du
problème et l’envie d’agir.
Je reçois, en tant que patients, des médecins du travail et des responsables des ressources
humaines. Eux aussi subissent la pression.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
– On pourrait envisager, sur le modèle des synthèses hospitalières, de rassembler médecin
généraliste, médecin du travail, psychiatre et RH pour évoquer les problèmes rencontrés par
les salariés.
– La reconnaissance, depuis quelques mois, du burn‐out comme maladie professionnelle a
ouvert des portes. Pour éviter d’avoir à justifier les arrêts de travail, on pourrait imaginer,
comme cela se pratique pour le cancer, de définir pour chaque personne un protocole de
soins incluant tant de mois d’arrêt de travail, par exemple. Ces recommandations
officielles pourraient être établies par des spécialistes de la souffrance au travail.
– Il faudrait aussi que davantage de personnes soient formées à ce sujet au sein des
entreprises. Nous, psychiatres, intervenons déjà dans les écoles avec les médecins
scolaires. Pourquoi pas en entreprise ?
– En amont, il pourrait y avoir au sein de l’entreprise un service qui accueille les
personnes qui rencontrent un problème, quel qu’il soit, avant qu’elles craquent. Car
quand les salariés souffrent d’une situation professionnelle, ils ne vont pas voir un
psychiatre, ils ne se sentent pas malades, et ils ont raison. Et la médecine du travail
est souvent la dernière roue du carrosse…
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°27
Date 05/10/16 à 10 h
Entretien réalisé Par téléphone – Florence Chevalier
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Il faut savoir que les gens ne viennent pas directement me voir, ils me sont envoyés par leur
généraliste. C’est le généraliste qui est en difficulté. Et c’est pour ça qu’il me les envoie ! Et quand
ils arrivent chez moi, eh bien c’est moi qui ne sais pas quoi en faire ! Car ils sont déjà en fin de
parcours, après des mois d’arrêt de travail. Leur situation est bloquée : s’ils retournent au travail,
le risque est qu’ils soient placardisés. Quand une démarche auprès des prud’hommes a été
engagée, ils gagnent généralement en première instance, puis l’employeur fait appel, ce qui
prolonge encore la situation.
Ce que les salariés désirent, c’est quitter l’entreprise avec une compensation salariale. Mais les
employeurs s’y refusent. Quel est le rôle du psychiatre dans ce contexte ?
Certes, les conflits au travail sont souvent la reproduction de conflits antérieurs au sein de la
famille. Mais cela ne justifie pas l’attitude de certains petits chefs. C’est une explication, pas une
justification.
Les implications sociales et financières sont telles que les patients ne peuvent se satisfaire d’une
thérapie familiale.
Cette problématique ne relève pas de la psychiatrie, mais résulte d’une société sclérosée.
Les médecins du travail, pour la plupart vendus à l’employeur, sont incapables de remplir leur
fonction.
La société française est une société culpabilisante, et ce depuis l’école. On impose aux gens des
responsabilités qu’ils doivent assumer seuls, il n’y a pas de solidarité. Tout est fait pour leur faire
perdre l’estime d’eux‐mêmes. C’est un système pourri, qui génère une immense souffrance au
travail. Et ça, ça ne relève pas de la psychiatrie !
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
C’est un problème social, pas psychiatrique ! Or on psychiatrise un problème social… Les
psychiatres ne doivent pas accepter d’entrer dans ce jeu‐là !
C’est le problème de l’individualisme, du « tout‐pour‐ma‐gueule », il faudrait modifier les rapports
sociaux, et, à mon niveau, je ne peux pas intervenir là‐dessus… Bref, je suis pour la révolution !
(rires)
On peut aider les gens à dormir, leur prescrire des médicaments, mais ce sont des emplâtres sur
des jambes de bois. J’en prescris à mes patients, mais ni eux ni moi ne sommes dupes. C’est le pot
de terre contre le pot de fer…
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Et même si leur conflit au travail porte les réminiscences de conflits familiaux avec leur père, leur
sœur, leur frère, etc., ces personnes n’ont pas envie qu’on touche à leur passé, ils ne viennent
pas me voir pour ça !
Il y a des hôpitaux avec des services spécialisés dans la souffrance au travail. J’y envoie mes
patients.
Mais je pense que le problème doit être traité localement par les médecins du travail. Un
simple changement de poste pourrait bien souvent régler le problème, mais ils n’ont pas ce
pouvoir‐là.
Les médecins généralistes ont aussi un rôle à jouer, ils devraient être formés pour ne pas
laisser les patients s’enfoncer dans le déni d’eux‐mêmes.
Peut‐être que les psychologues…. Ou les coachs… Je ne sais pas… En fait, c’est une question à
cheval entre une problématique sociale et une problématique personnelle.
Le sociologue Alain Ehrenberg (l’auteur de « La Fatigue d’être soi »), dans son livre « La
Société du malaise », oppose l’individualisme français délétère à l’individualisme américain, qui
soutient la progression de l’individu. Je pense que c’est une bonne référence pour nourrir cette
réflexion.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°28
Date 28.09.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Depuis quelques années, on voit de plus en plus de gens qui sont en burn‐out et en dépression
liées au travail. Parfois pour nous aussi c’est un peu lourd, et on se demande si ça va nous arriver
également !
La pression augmente comme dans toute la société, il faut du rendement ! Les ordinateurs et les
téléphones portables finissent par annihiler les gens, qui ne sont plus tranquilles chez eux le soir. Il
n’y a plus de coupure vie privée / vie pro, c’est aberrant, les gens se laissent entrer dans ce type de
fonctionnement, et ils n’arrivent plus à dire non, à cause de la pression, parce qu’ils veulent garder
leur place, et peut‐être aussi un sens à leur vie. C’est difficile pour les gens de s’arrêter et de se
remettre en cause, et il y a aussi des abus de la hiérarchie. J’ai une patiente, qui était secrétaire
dans une petite boîte, elle s’est énormément investie, la boîte s’est agrandie, d’ailleurs
bizarrement ça a abouti à la création d’une 2e entreprise, et finalement, son patron a abusé d’elle
sexuellement ! Elle est en arrêt maladie maintenant, c’est son Médecin traitant qui me l’a envoyée
pour une aide psychothérapeutique. Il l’a prise en charge au niveau médicamenteux, et il lui a fait
son arrêt maladie.
Avec les MG, ça dépend. Je m’adapte. En gros il y a deux types de cas :
- Soit il n’y a pas de MG et je m’occupe du traitement, je prends les contacts avec les
Médecins du Travail, et parfois ça va en justice. Parfois les patients reçoivent une lettre
leur disant qu’ils n’auront plus d’indemnité journalière à partir de telle date, alors je
contacte le Médecin Conseil. Certains MG ont peur des arrêts maladies, certains ont eu des
ennuis avec la Sécu. Nous, pour l’instant, on est davantage épargné par la Sécu. Les MG ne
savent pas trop prescrire les antidépresseurs, ils n’ont pas eu de formation par rapport à
ça. C’est spécifique, il faut agir au niveau biologique, au niveau pratique, et faire un arrêt.
- Soit le MG assure, la prise en charge est bonne, et là je fais un travail de fond
psychothérapeutique, de soutien, et je vois les gens fréquemment, pour les aider à se
remettre en cause, pour voir comment leur comportement les a amenés là où ils en sont.
C’est un travail de long‐terme, de réflexion, c’est ce que je préfère.
Parfois j’envoie mes patients à des psychologues, mais le problème c’est qu’ils ne sont pas
remboursés et tout le monde ne peut pas se le permettre. Je sais que certaines mairies ont mis
en place des services de psy comme à Athis Mons ou à Orly, mais je ne connais pas la qualité
de ces psychologues, ni comment ils sont payés, sans doute par les mairies, parce que les patients
ne paient presque rien, entre 5 et 10 euros la séance… mais je doute de la qualité…
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Je me suis formée seule sur ce thème de la souffrance au travail, j’ai beaucoup lu, notamment les
livres de Marie France Hirigoyen sur le harcèlement, et en allant à des colloques. Et puis j’ai
appris en pratiquant, les patients m’apprennent des trucs. On se forme sur le tas.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faudrait former davantage les MG. C’est un problème de société, et les Médecins du travail
devraient être davantage formés également. Il faudrait faire de la prévention en entreprise pour
que les gens soient traités. Il y a vraiment des erreurs de management, et des pervers partout. Il
faut trouver les moyens d’empêcher cela.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°29
Date 03.10.2016
Entretien réalisé Sur place ‐ Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous à dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Il y a une forte demande des patients sur ce thème, en augmentation depuis 25‐30 ans, à
cause de l’évolution de la société, des 35 heures, du chômage, des ordinateurs, etc. C’est mon
amie Marie France Hirigoyen qui m’a orienté sur tout ça, et mes patients également. Ça fait 20
ans. Au début j’ai commencé par le thème du harcèlement général, lié à la famille, puis au
harcèlement professionnel qui est très répandu. Depuis un an, je fais partie du groupe
« Souffrance et travail » et pendant 2 ans j’ai formé une centaine de coach (pour la société
Média Coaching) ainsi que des RH à l’identification des risques psycho‐sociaux.
Il y a 3 aspects : le stress, le burn‐out, et le harcèlement. Parfois ces 2 aspects se confondent,
l’épuisement pouvant résulter d’un stress, ou de harcèlement moral ou sexuel avec un N‐1. Le
harcèlement managérial est assez fréquent, et mis en œuvre par des personnalités assez
douées, qui relèvent, en termes de comportement psychopathologique, de perversion
narcissique, dénuée d’affect. Avant on les appelait les paranoïaques. Ils ont des bons postes et
n’ont aucune limite. Le fonctionnement managérial est comme ça. Pourtant toutes les lois
existent…mais elles ne sont pas mises en œuvre ! Cette société est fascinante !
Parfois les employeurs vont faire cela pour mettre les personnes délibérément en situation
d’échec, pour les pousser à partir. J’ai eu un cas d’une femme qui avait eu un poste à
responsabilité, progressivement on lui a demandé de passer les commandes de papeterie, de faire
des photocopies, puis de couper du papier toilette qui n’était pas à la bonne dimension... Il y a
beaucoup de violence psychologique, depuis 25‐30 ans, le contexte professionnel entraîne
cela. Ça peut entraîner des hospitalisations quand il y a tentative de suicide. Il y a des
conséquences terribles, notamment pour les mères célibataires. Il y a parfois des cas d’agression
au travail, verbale et physique pour les personnes qui travaillent à l’hôpital ou dans les services
publics. J’ai quelques cas comme ça. Il y a aussi des choses graves, choquantes, qui peuvent aller
en justice. Une de mes patientes a accouché prématurément à cause d’une situation de
harcèlement, et son bébé est mort. Le harcèlement managérial n’est jamais reconnu, même
quand il y a un reporting H24 qui circonstancie les différentes étapes. Ca entraine des
décompensations sur un mode anxieux et des dépressions, qui sont tous les symptômes
classiques de la psychiatrie. Dans le privé ou dans le public, c’est pareil. En fait tout le monde
est touché par le harcèlement, parfois même des médecins du travail.
En cas de harcèlement, la personne doit se reconstruire, avoir un nouveau projet de vie. Ça
prend du temps. J’ai des patients qui ont la cinquantaine, je sais qu’ils ne pourront pas
retrouver de boulot. Ils sont fragilisés, c’est complexe. On arrive à des situations d’invalidité
parfois. Il faut un accompagnement sur le long terme, et bien documenter de tels cas pour le
médecin conseil… certains ont une très bonne écoute, et d’autres sont de vrais murs ! Et
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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quand vous avez été harcelés, tomber sur un mur, c’est difficile. Mais la plupart sont très
efficaces.
Etant donné mon lieu d’exercice, mes patients sont des cadres dirigeants, des personnes à haut
salaires, mis sous pression. Ils vivent beaucoup de stress et d’anxiété, qui étaient déjà là où qui
sont accentués par la charge de travail. Je leur donne un traitement d’antidépresseurs et
d’anxiolytiques. Les symptômes physiques sont importants avec des conséquences médicales
sérieuses (hyper‐tension, troubles musculo‐squelettiques), parfois psychosomatiques : dermato,
gynéco, ce sont des choses à prendre au sérieux, tout y est…tous les symptômes, ce qui est
encore plus vrai dans les cas de harcèlement ou d’épuisement professionnel. Il y a des
dépressions, de la procrastination, du refus de travail, des situations d’échec, des addictions aussi
parfois: de l’alcoolisme, ou dans ce quartier, de la cocaïne…j’ai un patient qui prend l’avion pour
Los Angeles tous les 15 jours, il prend de la cocaïne pour tenir. Il y a des changements de
comportements, de l’agressivité. et ça a des conséquences : violences verbales et physiques,
avec des procédures en justice. Tout ça ce sont des conséquences directes du stress, de ce mode
de vie. Dans ces cas‐là, je travaille avec le médecin traitant, qui initialisent l’arrêt de travail, si ce
n’est pas déjà fait quand le patient vient chez moi. Je demande aux médecins de faire ça, parce
que si c’est moi qui fais l’arrêt, ça peut avoir des conséquences désastreuses si le patient a
besoin de faire un emprunt par exemple. Souvent ça dure plusieurs mois, voire plusieurs
années. 99% du temps, les cas de harcèlement sont avérés, cela se confirme avec les différents
documents, il n’y a pas d’exagération tout est parfaitement circonstancié.
Il y a beaucoup d’interface, en externe et en interne pour les patients :
En interne : le CHSCT, les délégués syndicaux, le médecin du travail, etc.
En externe : les psys, les avocats, l’inspection du travail…les gens y vont.
Je dirais que je travaille vraiment en équipe, avec les médecins traitants, les psychologues, les
avocats (nécessaires en situation d’abus), parfois avec le médecin du travail et les coachs, pour
aider les patients à refaire leur CV. C’est assez exceptionnel, c’est dû au fait qu’ici, les gens sont
bien entourés, ils s’en sortent mieux. Il m’arrive de faire des courriers pour les experts nommés
par les banques ou les assurances, et de mettre les patients en mi‐temps thérapeutiques sur
plusieurs mois (bien sûr, pas pour les cas de harcèlement, mais plutôt pour les cas d’épuisement,
après un certain temps.) Les médecins traitants se débrouillent de mieux en mieux, le nombre
d’arrêts augmentent, ils sont de plus en plus sollicités sur ces questions. Il serait aussi important
de les avertir et de les former, qu’on ne parle pas de « harcèlement moral » sur un arrêt…j’en vois
trop qui font ça, qui se lâchent !
Je fais des TCC, parce que les gens ont besoin de s’exprimer, de dire ce qu’ils vivent. C’est pour ça
que les médecins traitants me les envoient. J’essaie d’aider mes patients à sortir de leur statut de
victime, qu’ils se reprennent afin d’arrêter ce processus infernal de la victimisation.
Je remarque aussi parfois, une apparition des symptômes du Stress Post Traumatique chez ces
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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patients…les problèmes de rêves de flash‐backs, comme s’ils avaient été des victimes directes.
C’est un constat récent que je fais, que je n’ai pas encore partagé avec mes confrères. C’est vrai que
le contexte parisien joue un rôle : j’ai eu des pics de consultation en janvier et en novembre
après les attentats.
Il y a très peu d’accidents de travail, on reste sur la terminologie d’arrêt de travail. Le
reclassement maladie en « accident du travail », ça ne marche jamais. J’ai même arrêté de faire
les démarches dans ce sens, ça ne sert à rien. Maintenant il faut se contenter de faire des arrêts et
essayer de récupérer un gros chèque pour que la personne puisse partir. Il n’y a jamais de
reconnaissance de l’entreprise, même quand on a utilisé tous les moyens en interne. Les RH sont
rarement soutenants pour le salarié en question, et moi j’ai très peu de contacts avec eux.
Pourtant, ce sont eux qui devraient notre cible prioritaire. Eux sont susceptibles d’aider s’ils
comprennent les enjeux.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Tout cela a un coût en santé publique très important, incalculable…Il faut mener des actions
globales : de la psycho éducation en prévention de la dépression en milieu professionnel. Il faut
cibler les RH des boîtes du CAC 40. Je ne veux pas citer de noms, vous pourriez les prendre toutes.
Les grands groupes ne savent pas résoudre ce type de problèmes, ils ont besoin d’apprendre.
Ça doit infuser en interne. Si ça n’est pas pris en compte au sommet, c’est difficile…il y a
vraiment un décalage entre les principes éthiques et la réalité. Il faut parler aux RH de manière
constructive, diplomate évidemment…ne pas les accuser de plein fouet, et leur montrer le gain à
diminuer les risques psycho sociaux en termes de productivité professionnelle. Les RH que
j’ai formés, ils étaient scotchés ! Aujourd’hui encore, plusieurs coachs me contactent et il
m’arrive de conseiller des personnes en entreprise. Il y a des RH qui sont soutenants, il y a un
mouvement de balancier qui va à l’opposé de la tendance générale, et on peut l’accentuer si on
sait comment leur parler.
Il y a plusieurs ressources que je vous recommande :
Le site de souffrance et travail : http://www. souffrance‐et‐travail.com
Stress et risques psychosociaux au travail, comprendre, prévenir, intervenir, de Bruno
Lefevre et Matthieu Poirot
Stress, burn out et harcèlement moral , de Roland Coutanceau, Rachid Bennegadi, et Serge
Bornstein
Le médecin libéral face à la souffrance au travail, « c’est une ressource très complète,
parfaite ! »
Il y a aussi un livre intéressant sur le bore‐out : « De l’ennui au bore out. »
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°30
Date 03.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous à dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Vous savez moi je suis en fin de carrière. Aujourd’hui on met les gens sur des voies de garage
jusqu’à ce qu’ils soient mis en arrêt, puis dehors. C’est une porte de sortie facile pour régler un
problème économique. On commence à poser des difficultés aux personnes, ensuite on les harcèle,
petit à petit, jusqu’à la mise à pied, au placard. Et là c’est la déprime. C’est pervers. Ce sont les
effets de la crise économique. On crée de la pathologie.
Le problème c’est le barrage total depuis quelques mois avec les médecins de la sécu. On ne peut
plus échanger avec eux. Il n’y a plus d’espaces de discussion, c’est comme s’ils étaient « aux
ordres. » Il n’y a plus aucun espace de discussion. Alors on est très isolé, on prend acte…Les
patients sont en très mauvais état. Je fais des arrêts maladie jusqu’à 2 ou 3 ans, jusqu’à
l’invalidité. Avec les médecins de la sécu, c’est encore plus criant, c’est un énorme problème :
alors on envoie des courriers, on ne sait pas où ça arrive, ni si la confidentialité est vraiment
respectée. Avec certains médecins du travail de la vieille école, on peut encore discuter. Dans
certaines entreprises, je m’interroge sur la neutralité et l’impartialité des médecins du travail,
qui sont plus au service de l’entreprise que du patient.
On est piégé, on n’a pas d’issue. La prise en charge psychiatrique se fait en principe avec un tiers
qui nourrit un espace de réflexion : le patient, le psychiatre, et une 3e personne qui propose
des pistes : avant on pouvait échanger avec eux, pour des longs arrêts voire de l’invalidité.
Maintenant c’est fini.
Je n’ai pas fait de formation spécifique sur le burnout par contre je suis en train de me former à la
méditation, qui se développe. Les gens veulent moins de prescriptions, et davantage d’outils
qui leur permettent d’être autonomes. Le burnout c’est un terme « fourre‐tout », qui renvoie à
un échec personnel, alors que ce sont les gens les plus sérieux / consciencieux
/impliqués, les plus sensibles qui sont impactés. Ils prennent au sérieux ce qu’on leur dit. C’est une
perte de l’estime de soi terrible, c’est une perte d’une partie d’eux‐mêmes, leur identité au
travail, qu’ils croient perdue dans une telle situation. Ça demande un long travail de
reconstruction de leur image, avec des conséquences économiques désastreuses.
Je n’ai pas de contacts avec les médecins traitants. Les patients ne recherchent pas ça, ce qu’ils me
révèlent en consultation est trop personnel, trop intime, et ils préfèrent ne pas montrer ça à leur
généraliste. Soit le MG prend tout en charge, soit les patients ne lui en parlent pas et ils viennent
me voir d’eux‐mêmes. Je préfère cela d’ailleurs, ça facilite le transfert qui est de meilleure
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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qualité. Et puis les médecins traitants n’ont pas le temps…ils sont dépassés avec seulement
15mn de consult. S’il est débordé, il peut m’en envoyer bien sûr, mais c’est rare.
Alors moi je signe des arrêts de travail, de 3 mois en 3 mois, jusqu’à la fin… Les patients sont
blessés, on travaille sur des questions de honte, très profondes, qui prennent du temps.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
C’est terrible, quand on est en empathie avec un patient, et qu’on ne peut rien proposer. Alors
dans ce cas‐là, on travaille sur le deuil, mais ce qu’il faudrait c’est que l’URPS travaille pour
débloquer la situation aves les médecins du travail et de la sécu pour qu’ils puissent collaborer
avec nous, ça serait fort utile. Les médecins du travail jouent un rôle clef : ils ont un pied dans
l’entreprise et peuvent déclarer la personne inapte, et lui permettre de se réorienter vers un autre
poste ou une formation.
S’il y a des formations prévues avec l’URPS, je suis preneuse, et j’aimerais rester en contact. S’il y a
des listes de confrères qui sont intéressés par ces problématiques, ça m’intéresse aussi de les
avoir. Tenez moi au courant de ce que vous faîtes, de ce que donnera votre travail d’enquête
parce qu’on est assez isolé nous !
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°31
Date 03.10.2016
Entretien réalisé Sur place – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous à dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
De quelle enquête parlez‐vous ? Je n’ai répondu à aucune enquête ! Et l’URPS, c’est quoi, un
syndicat ? …alors c’est sur la souffrance au travail de qui ? Ah ! Des patients, je croyais que c’était
de nous….
Alors les patients…je n’ai pas une grosse activité vous savez. Il y a un MG qui m’a envoyé deux
patients récemment, des gens extrêmement diplômés, qui s’ennuient au travail. On les traite
comme des déprimés, ce qu’ils finissent par être. Je contacte les médecins du travail seulement
s’ils me le demandent. Les gens savent le risque d’être en arrêt. Je fais des arrêts de travail longs si
nécessaire, et je n’ai aucun complexe par rapport à ça. J’ai reçu une visite de la sécu l’année
dernière, qui m’a dit : « On vous suit. Vos arrêts ont augmenté de 600%, mais compte tenu de
votre activité, c’est ok. » Les MG ont beaucoup plus de problèmes avec la sécu que moi. Les MG, je
leur écris, pour les informer du suivi des patients quand ils sont dépassés.
J’ai eu un flic, qui allait mal. Je lui ai demandé s’il n’y avait pas une prise en charge à la préfecture,
il m’a dit qu’il ne voulait pas que ça se sache qu’il aille voir quelqu’un, donc il préférait venir me
voir en privé. Enfin il vient 2 fois par mois, donc on ne fait pas un gros travail. Je lui avais fait deux
arrêts au bout desquels il a décidé de reprendre le travail, ça s’est très mal passé évidemment,
mais là il a décidé de faire intervenir les syndicats.
J’ai aussi un cadre de chez Orange, qui ne comprenait pas qu’on accuse sa boîte de harcèlement. Il
disait qu’il fallait être efficace au travail, et qu’il ne comprenait pas de quoi on parle quand on
parle de harcèlement à Orange. Je vois aussi des gens qui ont fait HEC ou des hautes écoles
d’ingénieurs, et qui voudraient en fait être boulanger ou menuisier… c’est étonnant, moi j’ai fait
de longues études parce que j’étais lent, mais au moins j’avais l’impression que mon travail avait
du sens. Eux, non.
Il y a 20 ans je me souviens d’un haut fonctionnaire que j’avais en consult, il me disait qu’il prenait
du prozac parce que ça le boostait…Aujourd’hui je prescris des antidépresseurs si besoin, ça aide à
se détacher…j’ai un de mes patients comme ça, qui a décidé de quitter sa boîte en se faisant
recruter par des chasseurs de tête.
Vous savez moi, en terme de souffrance au travail, j’ai été mis à la porte au bout de 12 ans de
service par la Direction… j’ai beaucoup souffert de l’entrée des économistes dans le monde de
l’hôpital à cause de la loi HPST, et des contraintes de gestion. Beaucoup de confrères, comme moi,
et même de grands chercheurs, ont été mis à la retraite du jour au lendemain comme ça…A
l’hôpital j’avais été attaqué parce que je prescrivais des médicaments qui coutaient chers parce
qu’ils étaient peu connus à l’époque. Ah… on a souffert à l’hôpital avec l’informatisation
obligatoire du médical…ils appelaient ça « la médicalisation de l’informatique », alors que c’était
le contraire ! Récemment j’ai vu une de mes anciennes élèves, qui travaille dans un hôpital assez
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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chic dans le 17e, et elle m’a dit « Vous savez, on travaille moins bien qu’avant à l’hôpital »…j’étais
choqué d’entendre ça !
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je ne sais pas, ce n’est pas le gros de ma clientèle.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N° 32
Date 04.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous à dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Il y a 10‐15 ans, on n’entendait jamais parler de cette problématique, maintenant c’est
extrêmement fréquent. Les gens décompensent, sont en grande souffrance, les arrêts durent très
longtemps, plusieurs années. Ça se termine par de l’inaptitude, des licenciements, et des
inscriptions à Pole Emploi. Parfois, il y a des recours aux prud’hommes. A plus de 60 ans, je
diminue mon activité, je ne prends plus de nouveaux patients, sauf si un MG me le demande. Je
fais des arrêts de travail sans souci, je n’ai pas de problème avec la Sécu, je leur explique la
situation si besoin et ça se passe bien.
Récemment j’ai eu une patiente d’origine russe, de 40‐45 ans, qui a quitté son pays, parle
parfaitement français et qui travaille à Carrefour dans les bureaux. Je l’ai mise en arrêt pour 6
mois, mais je sais que ça va durer bien plus. La hiérarchie a modifié son poste, elle a demandé des
explications parce qu’elle estimait qu’elle n’était pas traitée de la même manière que ses
collègues. Ça s’est mal passé… Psychologiquement, les gens touchés par cette problématique sont
« fragiles » au départ… enfin, dans leur histoire personnelle, il y a un souci masqué. Ils se
surinvestissent au travail, ils veulent être parfaits, et dès qu’il y a un accrochage avec un supérieur
hiérarchique, ils craquent. Pour cette femme, ce qui s’est passé professionnellement, elle l’a pris
comme une attaque personnelle… Elle est divorcée d’un Français et a deux enfants assez grands,
alors elle est un peu seule. Elle‐même a eu un père alcoolique, violent, qui battait sa mère devant
elle… alors dès qu’avec l’entourage professionnel ça se passe mal, les personnes prennent ça
comme une atteinte à leur personnalité. Ça entraine une dépression, ça peut aller jusqu’à des
poussées suicidaires. Ça touche à des traumatismes anciens.
Pour ces états anxio‐dépressifs, je prescris des antidépresseurs, et je leur dis que le traitement
c’est au moins pour un an (et dans ma tête, je sais que ça durera plus longtemps). Quand les gens
ont accepté l’idée qu’ils sont malades (parce que c’est vraiment de ça dont il s’agit, c’est une
maladie sociale !), et qu’ils acceptent de prendre des médicaments (ce qui est difficile pour eux), il
y a une étape de franchie. Après je travaille avec eux en psychothérapie une fois par semaine ou
tous les 15 jours, pour leur apporter du soutien, et les aider à reconstruire leur personnalité, faire
émerger ce qui les a fragilisés.
J’ai des contacts avec la médecine du travail quand on parle de reprise, après la visite auprès du
médecin conseil. Ça se fait rarement par téléphone, plutôt par courrier, si c’est possible pour la
personne de réintégrer son poste. A ce moment‐là, les médecins du travail sont utiles. Sinon,
l’inaptitude est déclarée, et l’employeur l’accepte. Avec les médecins conseil je n’ai pas de souci
non plus, même si je fais des arrêts de travail longs. Je leur explique, et ça se passe bien.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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J’ai eu une formation sur le burnout par internet, je crois que c’était par le biais de l’AFML
(Association pour la formation des médecins libéraux). Je n’ai pas recours à des services
d’hospitalisation spécialisés, j’envoie si nécessaire mes patients dans des cliniques privées de la
région.
Souvent les patients refusent la rupture conventionnelle, parce que pour eux ça serait accepter
d’être mal traité. Ils veulent une reconnaissance de « l’employeur bourreau »… Quand l’inaptitude
est déclarée, à ce moment‐là, ils estiment qu’il y a reconnaissance de leur position de victime…
Moi, si j’étais en souffrance au travail, à leur place, je préfèrerai m’enfuir ! Eux, non. Ils veulent
être reconnus comme « maltraités », pour être entendus dans ce qu’ils ont vécu, alors ils
s’accrochent, au lieu de partir. C’est un besoin d’empathie, oui, c’est ça…
J’ai eu un patient qui est venu me voir pour me parler de son gestionnaire RG qui le
« persécutait », et quelques temps plus tard, le même gestionnaire est également devenu mon
patient ! La 2e personne n’a jamais eu conscience de ce qu’elle avait fait à la 1e, et moi je n’ai rien
dit, évidemment, ce n’était pas mon rôle…Ils travaillaient tous les deux pour le groupe YYY.
Finalement l’un est parti en retraite anticipée et l’autre a repris avec un mi‐temps thérapeutique.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je ne sais pas…il y a 10‐15 ans, il y avait au niveau de la Direction des entreprises plus de flexibilité
en terme de mobilité dans les postes à pourvoir, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Il faudrait que les
directeurs soient attentifs au bien‐être du personnel, comme ils l’étaient avant… ça manque
aujourd’hui, c’est plus raide ! Il y a une forme d’intransigeance. Sensibiliser les RH ça ne résout pas
le problème parce que vous savez, j’en ai moi, des RH en consultation. Ils souffrent tout autant de
la pression de la hiérarchie et de leurs difficultés personnelles.
Il y a aujourd’hui des formations, où on les met ensemble pour qu’ils se sentent « en équipe »… les
gens n’y croient pas en y allant, et après il n’y a pas d’impact finalement, de toutes façons les gens
font semblant, parce qu’ils sont obligés par leur patron d’y aller…c’est du temps perdu, c’est à la
mode en ce moment.
Pour moi, stress, épuisement et harcèlement sont corrélés et liés à un surinvestissement au
travail. Les gens se sent mal considérés, et il y a des conflits qui démarrent avec la hiérarchie
quand c’est comme ça (mais je ne sais pas qui a commencé, et ce n’est pas à moi de le dire). La
plupart de ces personnes épuisées supposent qu’on veut les virer, ce qui n’est pas nécessairement
le cas. L’épuisement vient d’une incapacité à fournir le travail attendu. La hiérarchie devrait leur
dire : «C’est ok, tout va bien, on vous garde votre place, mais allez‐ vous reposer un peu, deux
mois… » en les éloignant de l’environnement où ils se sentent incompétents. Ce qu’il faudrait,
c’est une hiérarchie plus bienveillante.
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Nom du psychiatre N°33
Date 05.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
J’ai beaucoup d’expérience à ce sujet, c’est une grosse partie de ma patientèle. En même
temps je ne sais pas quoi vous dire, ce ne sont que des cas particuliers ! Ca dépend de plein de
choses, du statut de la personne par rapport à son travail, c’est très difficile de parler de cela en
généralisant…Ca dépend des cas, c’est très difficile de répondre à votre question !
Avec les médecins du travail, parfois ça se passe très bien. Et parfois pas bien. Et parfois, il n’y en
n’a pas. J’ai une patiente qui faisait de l’aide à domicile : son entreprise n’avait pas cotisé à la
médecine du travail ! j’ai contacté l’ACMS (service interentreprises de santé au travail), et on s’est
rendu compte que son entreprise ne s’était pas inscrite…Ca a été très très très compliqué…
On a du contacter l’inspection du travail, et c’était très gênant pour ma patiente qui ne voulait
pas nuire à son entreprise. Donc ça a été très compliqué pour elle de quitter son entreprise parce
qu’il n’y avait pas de médecin du travail.
J’ai aussi eu une patiente qui s’est suicidée : elle travaillait dans un hôpital, et était harcelée par
le médecin chef… Elle était très très très mal, elle demandait simplement une mutation, à changer
d’hôpital. Mais pour les médecins c’est très compliqué, le DRH ne s’occupe pas des médecins à
l’hôpital, mais uniquement des autres membres du personnel. Bref elle est allée voir l’instance
qui s’occupe des médecins, où elle a reçu une fin de non‐recevoir, où on lui a dit : « Je ne veux
pas entendre parler de ça. » Elle s’est pendue et a laissé 3 jeunes enfants derrière elle. La police
a interrogé le chef de service, qui a raconté qu’elle était bizarre, ce qui n’était absolument pas
vrai. Elle était juste déprimée. On a dit à son mari qu’elle était un peu folle. C’était horrible. Moi
j’étais complètement démunie face à ça. J’ai appelé la police, qui m’a dit « L’affaire est classée,
on n’a pas besoin de votre témoignage. Cette femme était un peu folle. » La vérité c’est qu’il y
avait du harcèlement professionnel, que je n’ai pas réussi à faire valoir, parce que c’était des
médecins. Ça m’a très profondément affectée…ça me rendait malade. Je me suis demandée ce
que je pouvais faire pour donner ma version. On m’a dit d’écrire une lettre au Procureur de
la République, avec copie au Conseil de l’ordre des médecins. En 24h, j’ai été convoquée au
Conseil de l’ordre, qui a essayé de m’intimider en me demandant : « Que voulez‐vous faire ? ce
n’était pas du harcèlement ! C’était une difficulté professionnelle. » Ils m’ont fait la morale… «
Vous prétendez qu’elle ne s’est pas suicidée ? A quoi ça vous sert de faire ça ? » J’ai eu du mal à
défendre mon truc, j’ai expliqué que je n’allais rien faire du tout, que j’avais simplement écrit
cette lettre pour que les 3 petites filles, en grandissant, puissent savoir que leur mère n’était
pas folle quand elles auront accès au dossier... Tout ça pour dire que quand il n’y a pas de
médecin du travail, c’est très compliqué.
Autre cas complexe : le Comité Médical. Pour les gens qui travaillent à la poste par exemple. Les
délais sont très compliqués. J’ai eu une patiente, qui a été longtemps arrêtée, en arrêt maladie
donc. Puis elle a voulu reprendre en mi‐temps thérapeutique (Catégorie C des impôts).
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Entre le moment où elle a dit être prête et le moment de sa reprise, 6 mois se sont écoulés. Ça a
été laborieux. On a tout fait pourtant avec le médecin traitant… et tout passait par le Comité…
une vraie lenteur administrative !
Et puis il y a aussi les situations précaires. Une jeune femme qui travaillait comme
contractuelle à la police, qui n’avait pas été titularisée. Elle ne pouvait plus aller au travail
parce qu’elle y souffrait trop de harcèlement. Elle a perdu son poste comme contractuelle. Elle
est restée enfermée chez elle en dépression, sans sortir, pendant 1,5 an. Elle avait une
dépression très grave. C’était très lourd. Ça s’est dénoué quand elle a décidé de changer de
région. Quand on est titulaire, c’est plus facile. Sauf les problèmes d’inertie administrative dans
la fonction publique. Le harcèlement ne sera jamais reconnu en tant que tel.
La situation des médecins eux‐mêmes est très compliquée. Eux aussi peuvent être en situation
précaire: c’est le problème des gens en libéral : j’ai eu un médecin généraliste qui était en burn‐out,
très mal… la prise en charge pour incapacité dans ce cas‐là est très difficile ! Il a repris pour des
raisons financières, mais ça traîne, il n’est pas bien…Que faire dans ce type de cas ? Il y a un
papier à remplir pour la Caisse, je l’ai rempli, mais ensuite ?
Quand quelqu’un est en dépression mais que ce n’est pas lié au travail, le travail aide la
personne à retrouver un équilibre, et si le lieu de travail est bienveillant, ça peut aider. Mais
généralement beaucoup ne veulent pas reprendre au même endroit. Ils veulent un
changement de poste, qui est difficile à obtenir. Alors je leur fais des arrêts de travail, et je me sens
coupable par rapport à la sécu, parce qu’il faut de longs arrêts de travail pour organiser une
reprise ailleurs ! J’ai eu une patiente qui ne voulait pas reprendre…je l’ai secouée ! et ça a
marché. Je lui ai dit : « Jusqu’à quand ça va durer les arrêts ? » Ca a eu l’effet d’un électrochoc sur
elle. C’était au bout de 5 mois d’arrêt. Elle n’était pas prête mais la situation était figée. Elle ne
voulait pas reprendre dans le même établissement. Elle a revu sa copie finalement. Elle y est
retournée après avoir été en contact avec le médecin du travail. Elle a repris en mi‐temps
thérapeutique et s’est lancée dans un projet de reclassement, ce qui l’a aidée.
Ça dépend, parfois j’essaie d’aller faire aller la personne vers une pré‐retraite. C’était le cas
d’une autre femme qui se sentait en marge, n’arrivait pas à s’intégrer. Maintenant qu’elle est
partie à la retraite, elle va beaucoup mieux. Ça peut se solutionner quand la personne peut
arrêter de travailler.
Les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. Dans le privé les gens ont peur de
perdre leur travail, lors des rachats de boîtes ou des délocalisations, j’en ai une comme ça, qui est
dépressive et qui a des rhumatismes, ça va être beaucoup pour elle de faire 2h de transport chaque
jour pour continuer à aller travailler. Maintenant il y a aussi des entreprises qui proposent
des cours de relaxation, de yoga, c’est très positif. Les personnes fragiles dont je m’occupe qui
ont besoin de repos sont très susceptibles par rapport aux remarques et elles ont du mal à
tenir. La sécu refuse de plus en plus les aménagements. Et les pensions d’invalidité, payées
par la CRAMIF quand tous les droits ont été épuisés sont de moins en moins acceptées depuis
deux ans. Ces pensions avaient permis de conserver dans l’emploi certaines personnes…plus
fragiles, qui ne tiennent pas dans le système tel qu’il est aujourd’hui, des personnes pour qui
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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le médecin traitant et moi‐même avions demandé une pension d’invalidité, parce que ces
personnes ne se sentaient pas capables de reprendre un temps plein…
Dans le public, avec les réductions d’effectif, on demande aux gens d’effectuer la même
charge de travail. J’ai un comptable qui bosse dans une mairie qui est dans cette situation,
chaque fin de mois il est débordé, en surcharge de travail pour faire les facturations.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Faciliter la mobilité au sein des entreprises, et que les entreprises acceptent les ruptures
conventionnelles, mes patients voudraient ca… l’entreprise en général freine et pousse les gens à
bout pour qu’ils démissionnent.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°34
Date 23 septembre 2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
- les burn‐outs, dus aux problèmes relationnels avec l’entourage hiérarchique et/ou avec les
collègues,
- les erreurs de management : il faut minimum 1 mois d’arrêt de travail, voire 3 ou 4 mois
d’arrêt pour obtenir un changement de poste,
- les arrêts de travail à rallonge : c’est extrêmement budgétivore pour la Sécu, les
employeurs ne sont pas foutus d’utiliser les ruptures conventionnelles, alors que tout le
monde est ok pour se séparer ! Certains refusent, c’est ridicule !
Heureusement j’ai fait une formation sur le burnout, c’était très bien et ça m’a dégagé de mes
obligations…il y a des km de réglementations, on est dans l’incantatoire avec le cadre du
travail, mais sur le terrain c’est plus compliqué. Quand il y a maltraitance de la hiérarchie, ce
n’est pas elle qui a raison. Depuis cette formation, maintenant je prends contact avec le
Médecin du travail. Bon moi en tant que pédopsychiatre, évidemment je ne rencontre pas cette
problématique avec les enfants, mais je vois que pour 95% des adultes concernés, la rupture
conventionnelle ne se fait pas ! La mobilité interne en entreprise prend un temps fou. C’est
diabolique, parce que dès que les gens changent de poste, ils s’épanouissent, c’est sidérants.
Et en attendant, derrière, il faut médicaliser. C’est de l’énergie et du temps perdu. Ce qui coûte
le plus cher, ce sont les arrêts maladies. C’est un gaspillage monstrueux…Un traitement, ça
coûte 1500 euros par an. Pour avoir un arrêt en rupture conventionnelle, ça peut prendre
minimum 6 mois d’arrêt, voire un an et demi, voire des années… évidemment il y a la limite des 3
ans d’invalidité, mais quand même… J’avais ça sur la patate, ça me fait du bien d’en parler à
quelqu’un !
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Depuis 5 ans, il y a quand même une prise de conscience, que le management est mal foutu, et
qu’il y a de la souffrance. Et quand ça remonte aux RH, ça bouge. Parfois il faut se taper du
contentieux, et faire 12 mois en arrêt maladie, alors que c’est évident qu’il y a un problème de
management. Il faut quand même une grande entreprise qui a la possibilité de recaser les gens
bien sûr. Quand il y a une multitude de postes, les gens arrêtent de souffrir et redeviennent
performants dès qu’on les change. Narcissiquement, c’est sympa de ne pas les maintenir dans un
poste où ils souffrent, et le fait de les changer de poste, ça les revalorise.
Bien sûr c’est normal de « ritualiser » au sein de l’entreprise, on ne va pas changer quelqu’un de
poste dès qu’il / elle verse quelques larmes, bien sûr que non. En même temps ça serait important
que les gens puissent être vraiment entendus, dans un cadre, avec certains délais, qu’il y ait un
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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véritable échange, qu’on puisse s’inscrire dans un dialogue avec la direction. A la CPAM, on voulait
prendre contact avec la représentation du MEDEF au niveau départemental pour échanger là‐
dessus, et puis finalement ça a traîné et ça ne s’est pas fait. Faire une démarche auprès du
patronat, ça serait une bonne chose.
Il y a parfois une couverture complémentaire, ça dépend des entreprises. Il faut leur foutre les
assurances au cul pour leur faire remarquer le ratio pertes/gains au niveau productivité. Il
faudrait un contrôle médical systématique pour faire un état des lieux. Un contrat d’assurance avec
une option « litige contentieux », et l’assurance pourrait fournir un juriste pour boucler le dossier
si le comptable patauge, ou alors proposer une aide logistique pour raccourcir les délais de sortie
de crise. Pour les accidents du travail, il y a bien une forme de mutualisation au patronat, ils ont
pu faire ça, alors pourquoi pas dans le cas des arrêts maladie ?
Je peux vous dire que pour le bâtiment, le patronat a morflé ! Tout est hyper calé maintenant pour
éviter les accidents du travail, parce qu’ils se sont collés la pression entre eux ! Du coup, si les
complémentaires pouvaient mettre la pression aussi sur ce dossier là, ça les ferait bouger. On
va payer ça combien de temps encore ? Ça ne bougera que si on fait bouger les lignes
économiques. Les assurances bouffent leur marge dans ces dossiers. Ça a bougé pour les
accidents du travail, ça peut bouger pour les arrêts maladies. Vu que nous les médecins on est là
pour maintenir les gens en respiration artificielle, les gens tiennent, ils s’accrochent… Moi j’ai
rajouté dans ma liste de contacts des avocats maintenant ! Quand mes patients ont un
problème au travail, je les envoie à un avocat, c’est absurde ! (J’ai appris ça au cours de ma
formation sur le burnout, que j’ai faite en ligne il y a deux ans grâce au Dr. S. . D’ailleurs dites‐lui
merci de ma part, c’était bien !)
Il faut un retour cybernétique dans les contrats d’assurance. Et il faudrait faire un point au
bout de 3 mois d’indemnisation. Le médecin n’a pas à foutre son nez dans tout ça, car le
médecin du travail est très respectable (certains sont vraiment neutres, et pas du côté du
patronat). Moi je veux bien discuter avec eux.
De toute façon, le patron finit par craquer. Il vaut mieux envisager de faciliter les ruptures, au lieu
de jouer la montre…moi je signe des arrêts parce que les ruptures ne sont pas signées. Alors
que le patron va finir par se faire taper aux prud’hommes … il n’y échappera pas, à la rupture !
Il faut que l’indemniseur demande à discuter avec les RH, et autour d’un « tableau de bord »,
pour que l’assureur puisse faire le point sur les indemnisations, en demandant au patron « Vous
allez où là avec tel salarié? Est‐ce qu’on peut vous filer un coup de main sur le juridique ? » Il faut
que ça soit simple, qu’il n’y ait pas trop de bureaucratie. C’est absurde les arrêts maladie… je n’ai
pas fait 12 ans d’études et 40 ans d’expérience professionnelle pour faire des arrêts maladie ! Ça
ne fait pas de sens ! Bien sûr je suis ok de faire ça pour la veuve et l’orphelin, quand c’est justifié,
mais sinon c’est absurde.
Bien sûr parfois il y a un dialogue de sourd, un conflit entre le salarié et le patron et les deux
pensent que l’autre est « une tête de cochon », et là il faut vraiment un tiers, quelqu’un
d’extérieur, qui pourrait être l’assureur et qui dirait au patron « Respiiire ! »… pour l’aider à
comprendre…parce que les avocats eux pendant ce temps‐là, ils font tourner le compteur… Ce
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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n’est pas dans leur intérêt que des délais se raccourcissent. Alors que l’assureur lui, peut coller un
malus aux fesses du patron, qui lui veut payer moins… Oui, je crois que ça serait une bonne chose
que l’URPS parle avec eux et avec le MEDEF pour débloquer tout ça.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°35
Date 05.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème et sur la manière dont s’effectue la prise en charge de vos
patients ?
La « souffrance au travail » c’est une entité qui n’existe pas en psychiatrie. Et pourtant, tous les
jours nous y sommes confrontés. C’est un problème social…mais officiellement, il n’y a pas de «
névrose de travail » ou de « burn‐out »… alors que c’est pourtant au niveau du travail qu’a
démarré le souci majeur. Ça représente un coût exorbitant pour l’assurance maladie.
Il y a énormément de stress pour les personnes en open space, où il y a une absence d’intimité et
une grande promiscuité, notamment pour ces mamans qui ne peuvent même plus passer un coup
de fil pour voir si les enfants sont bien rentrés de l’école… alors une antidote que la société a
trouvé c’est le travail à la maison, mais ça c’est aussi une manière de ramener du stress à la
maison !
J’ai un cas d’un enseignant qui est venu me voir, parce qu’il a un conflit très important avec la
Direction de son établissement. Il est en stress. Et pourtant cette notion là non plus ne fait pas
partie de la nosographie. Mais, pour ce qui est de l’anxiété ou des « troubles de l’adaptation », on
sait faire. Les phobies, les dépressions on en voit tous les jours. La réponse classique, c’est de
saupoudrer d’antidépresseurs et de tranquillisants, alors qu’on se répugne à faire cela ! Il ne faut
pas médicaliser à outrance, pour ce type de problème, ce qu’il faut c’est de la psychothérapie. On
a des méthodes très efficaces et rapides: les TCC, que j’affectionne particulièrement. Elles ont fait
leur preuve, ce sont des méthodes établies et dont l’impact est démontré scientifiquement dans le
monde entier. Alors bien sûr on pourrait inviter les gens à faire de la méditation, mais moi je ne
suis pas bouddhiste, et je ne suis pas là pour faire de la religion. Pour le syndrome post
traumatique par contre, alors là oui, on peut penser à d’autres méthodes, comme l’EMDR.
Pour les cas de harcèlement, on a besoin d’avoir quelques connaissances en droit, parce que si un
patient se plaint qu’on lui a demandé de rester 15mn en plus au boulot, ça n’est pas du
harcèlement. A l’inverse, dans d’autres situations, on aura besoin d’un conseil juridique pour
défendre un patient. En tout cas nous avons toute une panoplie de de réponses thérapeutiques.
Une difficulté pour les fonctionnaires, c’est que leur arrêt maladie soit accepté par les «Comités
Médicaux Départementaux ». En tout cas moi je n’ai aucun problème avec l’assurance maladie, qui
ne contrôle rien. Je fais des arrêts de travail quand cela me paraît nécessaire. On peut faire ce
qu’on veut. Et pourtant les arrêts de travail coûtent très cher. Bien sur la sécu s’attaque aux cas
qui relèvent de la complaisance, mais en tant que psychiatre je n’ai pas de compte à rendre à la
sécu : d’ailleurs il n’y a pas de contrôle ni sur le, ni sur la durée, ni sur les prescriptions. Comme
certains, je pourrais me contenter de prescrire des médicaments… Alors qu’en fait, en 4 mois
de traitement TCC, le patient s’en sort… il n’a pas besoin de prendre des médicaments pendant
30 ans ! Les psychologues coûtent encore moins cher à la sécu, vu qu’ils ne sont pas remboursés.
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C’est important que les patients apprennent à gérer le stress. Le stress peut engendrer des
réactions d’hypocondrie, notamment parmi les jeunes adultes qui font toute une batterie
d’examens, alors que ce n’est pas du tout nécessaire. Quand le cerveau est malade, alors le
corps l’exprime, c’est logique. L’anxiété fabrique des problèmes somatiques : palpitations,
infarctus, sensation de mort imminente, comme cette femme qui me dit : « je sens que je vais
mourir »…moi je lui dis que ça fait longtemps qu’elle dit ça…
Concernant les médecins du travail, c’est délicat. Il y a une coutume autour du secret
professionnel, qu’ils ne peuvent pas parler des gens qui viennent les voir. Seulement quand ils
disent « y a un souci dans tel service », ça oriente…Eux n’attendant pas grand‐chose des
médecins traitants. Et nous aussi nous sommes tenus par le secret professionnel. Eux aussi, mais
ils sont obligés de rapporter les incidents, ou les sites ou les personnes qui en souffrent, et cela
peut stigmatiser des patients déjà fragilisés. Bien sûr, quand on connait certains médecins du
travail, c’est différent, là on peut partager. En fait ils sont sous pression ! Eux aussi sont sous
stress ! J’en connais un qui a dû démissionner car éthiquement il ne pouvait plus travailler selon
ses principes…car l’entreprise, elle, ne veut pas d’accidents. A l’inverse, un employé absent
coûte cher à la sécu, sans parler de son efficience professionnelle.
D’un autre côté, la plus grande société pharmaceutique en France offre à ses salariés une salle de
relaxation, des cours de gym, des fauteuils de massage, de la méditation, et même le droit de faire
la sieste… (ça c’est quand même le grand apport de la méditation bouddhiste et de Mao
Zédong: le droit à la sieste.) Bref, ces directives de bien être sont inscrites noir sur blanc dans
cette compagnie. Ce que j’en pense ? Je crois que tout ce qui est bon pour l’individu, pour
diminuer le stress, l’absentéisme, la souffrance, le tourisme médical, la surconsommation de
médicaments c’est positif. Pour moi toute initiative favorisant l’efficience des employés et
favorisant la communication est bienvenue. Pourtant ces initiatives peuvent déplaire aux
syndicats radicaux, qui veulent avoir des gens en colère et qui considèrent ces initiatives comme
des manipulations de la direction. Alors qu’en fait il est prouvé par des études scientifiques
internationales que ces approches sont efficaces, et que plus on exploite les gens, et plus c’est
dur.
Et puis il faut garder en tête que dans les autres pays, ça ne se passe pas comme ça. En
Allemagne, il y a des sanctions quand les arrêts de travail sont trop nombreux. En France, la sécu
paie et ne contrôle rien. Et puis il y a aussi que les gens cachent, alors les chiffres que nous
avons ne sont qu’une sous‐estimation de la réalité, comme on ne peut pas parler
ouvertement de « souffrance au travail » !
Je vous signale que l’Académie de médecine a fait en début d’année une présentation sur les
différents aspects du « stress » (puisque ce terme là non plus ne fait pas partie de la nosographie
et qu’on parle de « troubles anxieux »), donc maintenant il est légitime d’y faire allusion mais
administrativement ça n’est toujours pas accepté. Et comme la sécu n’a pas changé sa
nomenclature depuis 50 ans, ça ne risque pas de changer tout de suite, surtout que ce n’est pas
l’époque où on va « élargir » la liste des thèmes acceptés ! Les caisses des maladies
professionnelles ne sont pas déficitaires, il y aurait de l’argent à récupérer, mais le but politique
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en ce moment c’est de montrer qu’on réduit les dépenses, pas qu’on améliore le soin…d’ailleurs
ça se voit avec les consultations des MG à 23 euros…
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Nosographie : Se battre pour obtenir la reconnaissance nominative du stress au travail, le
burn‐out, le bore‐out (ce qui est délicat puisqu’officiellement tout cela n’existe pas), et
mieux traiter, parce que c’est facile de distribuer des médocs, mais il y a des effets
secondaires gênants associés aux tranquillisants (dépendance, perte de vigilance, problème
de sécurité routière, etc.) Et le harcèlement c’est un terme juridique, pas un terme
médical. Il faut aussi parler de la souffrance des chômeurs et des personnes qui partent à la
retraite. Il y a vraiment de la souffrance là aussi. D’ailleurs l’assurance maladie commence à
s’intéresser à la préparation du départ en retraite, pour éviter que les gens aillent trop mal.
Former les médecins du travail et les étudiants en médecine, les initier aux TCC, parce que
l’efficacité de ces dernières est reconnue, alors que la psychanalyse est connue pour être
coûteuse et inefficace ! Et d’ailleurs je vous informe qu’il y a 13 mutuelles qui prennent
cela en charge ! Depuis 30 ans, les médecins du travail sont formés à raison de12 par an. Il
faut que les médecins du travail puissent être initiés pour pouvoir reconnaître ce genre de
troubles.
Prévention au niveau des entreprises : elles sont intéressées. Il faut sensibiliser les patrons
pour améliorer la qualité du climat. Ca fait avancer les choses.
=> L’URPS peut apporter son concours à travers des textes, des échanges et le résultat de cette
enquête que vous êtes en train de faire.
D’ailleurs j’en profite pour remercier l’URPS grâce à laquelle j’ai pu rencontrer tous les
partenaires utiles dans des conditions confortables dès ma nouvelle installation, et d’ailleurs j’ai
deux collègues élus dans cette institution. Merci beaucoup.
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Nom du psychiatre N°36
Date 19.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Dans ce type de situations, il y a 3 choses à considérer:
le patron , ou la personne désignée par le consultant comme source de difficulté (peut‐être
il s’agit d’un pervers narcissique ou d’un manipulateur),
l’organisation du travail de l’entreprise, de quel type de boîte il s’agit, comment elle
fonctionne, quel est le rythme de travail, est ce qu’on demande beaucoup d’horaires ou
pas, jusqu’à quelle heure les gens travaillent‐ils ? la boîte est‐elle « hors la loi » en termes
d’horaires ?
la question de la fragilité de l’employé : s’il a des assises solides, il tiendra le coup. En
général, les situations à problème remontent à l’enfance…
J’ai plusieurs cas de patients dans ces situations. Les gens solides ne se laissent pas manipuler. Ils
partent, ou ils trouvent d’autres solutions. Une de mes patientes est tombée sur une chef
perverse. Appelons la « Anna » : elle n’avait pas de diplôme et sa chef lui faisait faire son travail.
Au début elle a vu cela comme une opportunité fabuleuse. Et en même temps l’autre en a profité,
et ça a « clashé ». C’était une personne relativement solide : elle a eu un arrêt, puis elle a négocié
son départ, elle s’en est bien sortie, et elle a récupéré une estime d’elle‐ même. C’est un cas très
positif.
J’ai un autre cas, d’un travailleur maghrébin : manipulé par des patrons‐voyous. C’est allé aux
prud’hommes. Il s’est laissé manipuler pendant des années avant de craquer. Il ne connaissait pas
les lois, il n’avait pas d’appui. Je l’ai aidé à contacter la direction du travail. Je ne sais pas ce que ça
a donné, s’il y a eu un licenciement ou une rupture conventionnelle.
Il y a des professions très angoissantes : comme les comptables. En période de bilan, j’en vois
beaucoup qui craquent. Ils ont énormément de demandes : comme un travail à la chaîne, il y a une
notion de rendement. Il y a aussi les professeurs des écoles, où les métiers de justice…Et les
policiers, mais là c’est autre chose. On ne choisit pas ce type de professions par hasard…la police
ou la justice…C’est souvent que dans le milieu familial, il s’est passé quelque chose…c’est un
métier que l’on fait par « réparation ». Et les conducteurs de métro, de train, quand les gens se
suicident sur les rails devant eux…ça fait des traumatismes.
J’ai eu un cas d’une femme qui a attaqué son employeur, qui faisait du REMBAL (viande périmée
remise en vente). Cette femme était la passionaria de la Rembal !!! Elle était à la fois dans la
souffrance mais aussi dans la jouissance…
J’ai eu une patiente qui avait fait une erreur de facturation. Elle a fait une dépression suite à cela,
et elle est en arrêt depuis 2 ans. Au début il n’y avait aucune raison qu’elle fasse une dépression
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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pour cela…Et puis, au fur et à mesure, c’était comme un oignon…des couches. Des angoisses de
mort, une forme d’immaturité, un sentiment de persécution.
Les médecins du travail ?
Je les connais assez mal. Sont‐ils investis dans leur rôle ? Dans quelle mesure peut‐on collaborer
avec eux ? Ça m’arrive d’être en contact. Généralement, je fais des courriers. Si c’est plus
compliqué, j’essaie de les rencontrer si c’est nécessaire… Je ne suis pas sûre de bien gérer ces cas,
je me suis formée il y a longtemps avec MF Hirigoyen… et elle préconisait cela, de rentrer en
contact avec les médecins du travail. En tout cas je le fais si le patient le demande. Il faut
essayer d’organiser au mieux les choses.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Il faut une vraie réflexion au niveau de la société. L’affaiblissement des syndicats est un vrai
problème. Avant, il y avait les délégués du personnel…tout est une question
d’organisation.
Il faut informer davantage les médecins (généralistes et psychiatres) afin qu’ils puissent
informer mieux les patients. Ce n’est pas notre rôle au départ, mais nous avons besoin
d’être mieux formés.
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Nom du psychiatre N°37
Date 17.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
Je suis beaucoup confrontée à cette problématique dans mon travail. Je suis médecin agréée par
l’ARS, donc en tant qu’expert avec un profil secteur public, je fais partie de différents Comités
Médicaux, ministériels, pour des collectivités territoriales, ou pour le rectorat de Versailles. Dans ce
type de cas, la prise en charge est très codifiée, les traitements adaptés et le soutien psychologique
fourni. Le travail est de restaurer le narcissisme de la personne qui se trouve en situation de
harcèlement grave, et généralement ces situations font écho à quelque chose qui s’est passé dans
l’enfance, une forme de maltraitance intra‐familiale. Parfois il y a enfermement dans une forme de
sinistrose, et généralement on est dans l’évitement du lieu de souffrance. Dans les grands corps de
l’Etat, on arrive à réinsérer ces patients, grâce à un changement de lieu d’affectation, à une reprise
à mi‐temps thérapeutique. Dans les ministères ou dans l’éducation nationale il est possible d’avoir
une mutation (quand les profs ont eu des classes difficiles, ils sont démolis pour longtemps). Je vois
une augmentation des congés de longue maladie, ou de mise à la retraite pour invalidité, ça dépend
de la capacité de résistance des gens, de leur fatigabilité. C’est une question de personnes, la
hiérarchie peut être harcelante parfois, et dès qu’il y a départ du supérieur ou affectation sur un
autre secteur, ça va mieux. Parfois c’est très dur de muter, dans certaines administrations
notamment, plus que dans une Mairie.
C’est difficile de prouver des situations de harcèlement, en général les patients n’ont pas gardé des
traces matérielles de preuve, et les collègues ne veulent pas témoigner. Parfois la souffrance au
travail est aussi due à un changement d’environnement, à une délocalisation en banlieue éloignée
par exemple, parce que les services administratifs s’agrandissent, alors passer de 3/4d’heure de
trajet à 1h30 voire 3h, ça créé une souffrance réelle pour la personne qui a atteint un certain âge. On
ne réagit pas pareil à 25 ans qu’à 40.
Je vois beaucoup de burn‐out. Ce sont souvent des gens qui sont perfectionnistes, dévoués, qui vont
tenter de pallier à l’absence d’un collègue à cause des réductions de poste, des gens qui vont
prendre du travail à la maison le week‐end. Et quand ils craquent, il faut minimum un an pour les
récupérer à cause du trop‐plein de fatigue. Alors j’octroie des congés maladie longue durée quand
c’est comme ça.
La reconnaissance de la maladie pro, c’est plus rare, il y a des avantages liés, mais ça arrive. Je vois la
même similitude entre privé et public : il suffit qu’un chef de service un peu «bonasse » parte à la
retraite et qu’il soit remplacé par un jeune cadre dynamique, formaté pour faire travailler les autres :
les employés ayant la cinquantaine sont jugés pas assez «créatifs» ou «performants», et cela suffit
pour être un déclencheur. De jeunes employés peuvent être pris là‐dedans également. On les
pousse à partir parce qu’ils ne sont pas assez performants, et c’est douloureux. C’était un peu ce qui
s’est passé à l’hôpital Pompidou l’année dernière quand le professeur s’est suicidé. Les méthodes de
travail avaient changé, et on avait même changé le verrou de son bureau, pour le pousser à partir…
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Je vois aussi des réactions de syndrome post‐traumatique chez ces patients (mécanismes de
rumination, cauchemars), mais souvent c’est une répétition de situations anciennes, avec
souvent un cumul de choses, un deuil des parents, une fragilisation… Et si le supérieur devient
menaçant, ça les fait craquer.
Les médecins du travail ?
Ils sont très réceptifs, ils aident à protéger et parfois ils ne peuvent pas faire grand‐chose. Il y a la
possibilité de saisir le CHSCT mais je n’ai pas de vision là‐dessus, sur l’impact. En même temps il
ne faut pas trop faire traîner pour qu’ils reprennent une activité, sinon ils s’installent dans le
statut de malade, avec une forme de phobie, et ils ne reprendront pas…donc après un an, c’est
bien de pouvoir reprendre.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je ne sais pas… Il faudrait être attentif à la prévention, à aider les gens à se réinsérer.
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Nom du psychiatre N°38
Date 20.10.2016
Entretien réalisé Par téléphone – Sophie Rougevin‐Baville
Qu’aimeriez‐vous dire sur ce thème, et sur la manière dont s’effectue la PEC de vos patients ?
J’ai pas mal de cas en ce moment, de burn‐out (BO) ou de harcèlement. Le BO c’est ce qu’on
appelait avant « la dépression d’épuisement » sauf qu’avant on ne prêtait pas attention aux
symptômes physiques, notamment cardio‐vasculaires, qui signalent un BO. Le harcèlement ça
n’est pas un diagnostic médical…et aujourd’hui on hospitalise des gens qui n’en peuvent plus !
Nous, on a intérêt à poser un diagnostic de dépression, qui est supposé être lié aux conditions de
travail Ce qu’on veut c’est protéger le patient et le mettre en arrêt.
Les médecins du travail ?
C’est compliqué. Que peut‐on faire ? Parfois ils peuvent être compréhensifs et prononcer
l’inaptitude au poste, ce qui légalement donne l’autorisation au patron de licencier.
En théorie, on n’est pas censé avoir de relations directes avec eux, sauf s’il y a accord du patient,
et ce dernier en général considère que le médecin du travail est du côté du patronat. On ne peut
pas être totalement transparent avec eux. Je me souviens notamment d’un patient, qui était
harcelé, et qui n’a pas été du tout soutenu par son médecin du travail, qui a raconté tout ce qui lui
avait confié en entretien à son patron. C’est remonté jusqu’au Conseil de l’ordre, et puis ça s’est
arrêté là…
J’ai eu un autre cas, d’une femme médecin du travail, qui n’avait pas du tout pris en compte mes
recommandations, et qui m’a appelée affolée quand mon patient a débarqué dans son bureau en
lui disant qu’il allait se suicider. Elle est tombée sur mon répondeur (puisque je ne décroche pas !),
et je ne l’ai jamais rappelée, parce que c’était bien trop tardif. Ce patient était suivi par l’hôpital
intercommunal de (…) pour souffrance au travail justement. C’est allé jusqu’aux prud’hommes.
C’est un exemple caricatural d’un médecin du travail pas soutenant !
Il y a deux ans j’ai fait une intervention auprès de généralistes : je leur ai dit de ne rien transmettre
aux médecins du travail. C’est dangereux. Il y a des textes, des articles, et des lois sur ce point : le
médecin du travail ne soigne pas le patient. En cela, je ne suis pas autorisé à trahir le secret
médical. Si je le contacte, c’est par le biais du patient, parce que celui‐ci le souhaite, mais c’est très
compliqué.
C’est très difficile pour eux d’être impartial. Ils sont dans une position délicate, entre le marteau et
l’enclume. J’ai fait un remplacement de 15 jours quand j’étais interne, dans une société
d’assurances…c’était flagrant : le médecin du travail fait partie du patronat, des cadres : les
directeurs vous considèrent comme faisant partie de LEUR monde, ils vous disent en parlant d’une
salariée : « Celle‐là, elle a de sacrés problèmes ! » Vous êtes clairement entre pairs avec eux, vous
faîte partie de l’encadrement !
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Dans la fonction publique, c’est différent, la médecine de prévention est extérieure à
l’administration.
J’ai été psychiatre en hôpital, je n’ai reçu aucun soutien, et il y a de la maltraitance….Je suis
aujourd’hui retraité actif, j’ai commencé à l’hôpital de (…) en 19(…), où j’ai exercé pendant plus de
trente ans. Quand je suis arrivé à la retraite, j’ai prolongé d’un an pour rester à l’hôpital. La 2e
année, j’ai voulu prolonger encore et la Chef de Pôle a vu ça d’un mauvais œil, elle m’a imposé de
faire mes consultations au CMP et non plus à l’hôpital. Elle voulait que je sois en retraite
immédiate sans tenir compte de mes patients, de mon ancienneté, et du surcroît de travail que
mon départ allait représenter pour mes confrères. C’est une question de sectorisation : Le CMP est
en principe à (…) et en fait il est à (…). La Chef de Pôle ne voulait pas qu’on fasse de consultations
externes. D’un seul coup, quelqu’un qui a 25 ans de moins que moi m’impose de travailler d’une
certaine manière sans tenir compte de l’aménagement de mon travail, ni du surcroît pour les
confrères…c’est absurde. Il y a des diktats qui tombent, de la direction des hôpitaux et qui
répondent uniquement à des calculs foncièrement comptables. Tout ce qui compte, c’est de faire
des économies, parce qu’ils reçoivent des primes…on leur demande de faire des économies sur le
dos de leurs confrères, c’est une vraie mentalité de contremaître. La direction se fiche de ce qui se
passe. A (…), il y a plusieurs postes de psychiatres qui ne sont actuellement pas pourvus : la
direction s’en fiche, il faut faire des économies, et peu importe comment. Le côté médical, on ne
va pas voir, on s’en fout. La Chef de Pole se retrouve du côté de la Direction, ça reproduit le même
système que dans le privé…il n’y a plus de confraternité, le Chef de Pole considère ses confrères
comme des subalternes. Et la Direction est très contente de se dégager de tout cela. Cela est dû à
l’augmentation du pouvoir administratif sur les hôpitaux…
Avant nous avions un internat à l’hôpital, pour nous retrouver. Maintenant avec la réforme des
études, il n’y en a plus. Il a été fermé, pour faire des économies. Ensuite le club des médecins a été
fermé. On nous a dit : « il y a une salle de réunion, vous n’avez qu’à l’utiliser. » Mais pour cela il
faut la réserver, elle n’est pas toujours disponible, parce que la Direction l’utilise. Progressivement,
il n’y a plus eu de lieux pour que les médecins puissent se rencontrer… Il n’y a plus d’échanges,
plus de possibilité d’harmoniser nos pratiques. A (…), il y a un nouvel hôpital qui s’est construit. Les
psychologues doivent partager leur bureau. On leur a dit « il faut vous arranger entre vous, vous
avez trois bureaux, arrangez‐vous. » Vous vous rendez compte, un psychologue, sans bureau ? Ses
consultations, il les fait où ?
Dans cet hôpital on a mis des psy pour prévenir la souffrance au travail, les professionnels ont été
très sollicités par le personnel, alors la direction a décrété qu’on ne pouvait plus les consulter
qu’en dehors des heures de travail, parce que ça gênait sinon…mais comme dans ces
consultations, ce qui ressortait, c’était des critiques du mode de management, que c’était comme
un exutoire, le poste a été supprimé…parce que la Direction n’a aucune envie d’entendre des
critiques !
Il y a vraiment une baisse de la considération qui conduit au burn‐out. On est de plus en plus
déconsidérés. C’est déprimant. Je suis content d’en être parti, au moins, j’ai échappé à ça en
partant en libéral, même si on a plein d’autres soucis aussi à ce niveau‐là, toujours à cause de
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l’administration, comme le fait de devoir faire des travaux d’accessibilité pour les handicapés
immédiatement, sans tenir compte des ressources de chacun, de savoir si on a des problèmes ou
pas. La SNCF a le droit d’attendre 9 ans avant de faire ces aménagements handicapés, et nous,
nous devons le faire tout de suite…alors moi j’ai déménagé. Il y a vraiment un système
bureaucratique et comptable stupide. Il faut donner aux gens les moyens de travailler pour être
plus productifs…Les chiffres de l’UFML sur le nombre de médecins et d’anesthésistes suicidés est
effrayant.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
L’hôpital et la clinique, c’est pareil. Il n’y a plus de pouvoir médical. Les décisions sont prises par les
non‐médecins. L’hôpital est géré comme une entreprise, alors que non, on n’a pas choisi ça, on a
fait ce métier pour que l’hôpital soit un lieu où on SOIGNE. On demande aux gens de faire 35h
d’affilée, de garde…Il faut redonner une valeur aux métiers difficiles, comme les infirmiers, les
flics…toutes ces professions, ces gens, on les démolit sciemment. Ce qui compte aujourd’hui c’est
la rentabilité. Il faudrait inverser cela, et je ne vois pas comment. Je suis pessimiste.
C’est la même chose dans le privé et dans le public. Il y a le poids des ARS, qui dirigent tout…ça me
fait rigoler la création de la HAS (Haute Autorité de Santé), qui décrète comment on doit soigner…
Ce qui compte c’est le respect de l’autre, d’aborder les gens avec RESPECT. Et la dignité aussi. On
voit les gens se faire vilipender dans les médias (les patrons, les médecins), des décisions sont
prises contre eux, il y a de l’humiliation, tout cela est « dépressiogène ». La 1e cause du burn out
c’est d’être déconsidéré. Tout le monde s’en fiche. Il y a vraiment une absence de reconnaissance.
C’est ça qui compte : la reconnaissance de la valeur du travail des gens. Il faudrait redonner ces
valeurs‐là.
Au niveau structurel, il y a ces petits chefs, qui pressurent les autres, comme ces Chefs de Pole. Il
faut vraiment modifier le système !
C’est bien qu’on en parle…
Tenez‐moi au courant des résultats de l’enquête !
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Nom du psychiatre N°39
Date 03.10. 2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique ‐Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Elle dit se sentir concernée, qu’elle aimerait influer sur le confort des personnes dans l’entreprise.
Il y a une augmentation du nombre de personnes touchées par la souffrance au travail, et une
impuissance des médecins psychiatres.
Cette impuissance est partiellement due à l’absence de médecins du travail, ou à des médecins
du travail qui sont eux aussi pieds et poings liés par l’entreprise. En effet, il y a des entreprises où il
n’y a pas de médecins du travail.
Les arrêts de travail finissent par poser problèmes car les personnes sont au bout d’un moment
aptes à reprendre le travail, mais les manières ou le contexte de la reprise ne leur conviennent
pas. Ainsi, l’entreprise ne permet pas de reprendre le travail en douceur. Il n’est pas possible
de reprendre sur un mi‐temps ou un temps partiel au moins un mois avant une reprise
effective à temps complet. On est obligé de passer par un mi‐temps thérapeutique avec des
délais d’arrêts de travail plus longs…
Pour les personnes ayant des syndromes d’épuisement, accompagnés éventuellement de troubles
anxieux et/ou dépressifs, il n’y a pas de solutions autres que les arrêts de travail longs, surtout si
la médecine du travail n’est pas adaptée.
Pour le harcèlement, les gens arrivent fréquemment en première consultation avec cette
plainte. C’est très social, très à la mode. Au départ, il est difficile de savoir si c’est un vrai
harcèlement ou un syndrome d’épuisement. Mais on se rend compte dans notre pratique que le «
harcèlement » est assez rare statistiquement par rapport au nombre de personne arrivant avec
cette plainte initiale. Les syndromes d’épuisement sont beaucoup plus fréquents.
Quelles recommandations ?
Il faudrait travailler sur une passerelle avec « après », après l’arrêt de travail, trouver des solutions
autres.
Par exemple, on pourrait travailler avec les médecins de CPAM pour que celle‐ci aide à la reprise
du travail, notamment sur des mi‐temps thérapeutiques. Aujourd’hui, il faut attendre 6 mois
l’accès en longue maladie qui permet d’introduire un mi‐temps thérapeutique. Pour les
pathologies de souffrance au travail, il faudrait réduire ce délai à 3 mois. Ainsi, on éviterait les
longs arrêts de travail pour les personnes souffrant de syndrome d’épuisement. L’URPS pourrait
être un interlocuteur auprès de la CPAM.
Je n’ai pas de problèmes avec la sécurité sociale sur la longueur des arrêts de travail que je donne
comme par exemple mes collègues généralistes. Mais cela pourrait arriver.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Une meilleure connaissance de l’entreprise pourrait parfois nous faciliter les choses.
La souffrance au travail représente 10 à 20% de mes consultations. C’est en nette
augmentation depuis 3‐4 ans soit parce que le climat social est de plus en plus difficile ou/et parce
que les français sont aussi de plus en plus sensibilisés aux facteurs de stress. Enfin certaines
méthodes de managements incluant des logiciels avec une pondération horaire sont
tellement déshumanisées qu’elles entrainent obligatoirement de la souffrance au travail.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°40
Date 03.10. 2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Depuis 3‐4 ans, les demandes de patients pour des problématiques de conflits au travail
embouteillent les consultations, et sont de grands pourvoyeurs d’arrêts de travail.
La situation est paradoxale. On arrête des personnes de longs mois pour des pathologies non
classiques, celles liées à la souffrance au travail ; et on se pose des questions pour donner un arrêt
de travail à une personne schizophrène. Parce que l’on fait attention au nombre total d’arrêt de
travail que l’on donne.
Il y a un changement dans la manière dont les personnes arrivent en consultations psychiatriques.
Il y a 30 ans, les personnes arrivaient toujours par le biais du médecin du travail. Alors que
maintenant, elles viennent directement la plupart du temps, même si certaines sont envoyées par
les médecins du travail ou les généralistes.
Nous autres psychiatres, nous n’avons pas eu de formation spécifique sur la vie en entreprise que
nous ne connaissons pas. Nous la découvrons à travers le discours de nos patients au fur et à
mesure de notre pratique. J’aimerais avoir une formation plus spécifique. Il y a à l’hôpital de
Garches un service spécifique sur la souffrance au travail. Mais ce service est très encombré, il faut
trois mois avant un premier RV. Je demande à mes patients de prendre contact avec eux. D’une
part, ils ont une meilleure connaissance des entreprises, des types de conflits et de situations ainsi
que des recours (ils ont plus de recul). Mais cela me permet aussi de tester la motivation de mes
patients…
Le vrai problème, c’est également de repérer les fraudeurs des autres. Certaines personnes
veulent juste un arrêt de travail.
Dans les personnes authentiquement en souffrance, il s’agit souvent de mise à l’écart (tendance à
être isolé, placard..) ou des plans sociaux en entreprise…
Cela entraine souffrance et dépression.
Quelles recommandations ?
La formation sur l’entreprise est une piste à suivre.
Enfin, il faut également créer plus de consultations spécialisées du type de l’hôpital de Garches
pour « dé‐saturer » les services spécialisés.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°41
Date 28 septembre 2016
Entretien réalisé Par téléphone – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Ce ne sont pas forcément des difficultés. Mais, je suis très sollicitée pour des arrêts de travail.
D’abord, il y a le problème des ruptures conventionnelles que les employeurs refusent à leurs
salariés, ensuite il y a une mauvaise gestion des RH.
Souvent, je donne des arrêts de travail pour de longues périodes, par exemple 9 mois, alors que ce
n’est pas vraiment justifié par la pathologie au‐delà de trois mois. On le fait pour épargner le
salarié. Quand c’est une procédure prud’homale, alors là, les délais sont encore plus longs. Et il
faut continuer à protéger le salarié. L’arrêt de travail protège le salarié. Sans arrêt de travail, celui‐
ci démissionne et n’a pas d’indemnités. Je ne comprends pas pourquoi les employeurs refusent les
ruptures conventionnelles.
Je suis une ancienne psychiatre, j’ai travaillé trente ans en hôpital. Donc je connais bien. Je
m’appuie parfois sur les médecins du travail, car certains sont très actifs. Mais là aussi, les délais
sont longs pour avoir un certificat d’invalidité pas avant 6 mois. Le certificat d’invalidité permet
d’obliger l’employeur à licencier.
Quand il y a un problème de management, l’employeur envoie le salarié chez son médecin
traitant. Il gère donc de manière individuelle des problèmes collectifs. Parfois, un arrêt de travail
d’un mois permet une prise de recul du salarié. Mais le plus souvent, l’employé est au placard, et
la situation perdure. On est face à des personnes qui pourraient retravailler mais dans un contexte
différent.
Le généraliste m’envoie les patients car il sait que je peux prendre le temps. Pas lui.
Et puis, il ne faut pas se leurrer, il y a une grande hostilité du salarié à la reprise du travail. Ce
problème est accentué aujourd’hui par les refus de rupture conventionnelle. Je ne comprends pas
pourquoi les employeurs refusent ces ruptures.
Il y a beaucoup de déprimes, de surmenages mais pas de grosses maladies, ni de pathologies qui
nécessiteraient des arrêts de travail aussi long. Ce n’est que pour préserver les salariés. Je n’ai que
très peu de personnes en burn out.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Je ne sais pas. Est‐ce que ce que je dis rejoint ce qui est exprimé par mes collègues ? Ou est‐ce
uniquement moi ? Je n’ai pas d’idée. Il faut que les employeurs acceptent plus facilement les
ruptures conventionnelles. On utilise les « psy » pour faire du contrôle social, pour gérer les gens
qui sont dans des situations sociales difficiles…
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Nom du psychiatre N°42
Date 06.10.2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique – Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
Un certain nombre de mes patients sont en souffrance au travail. La tendance «souffrance
psychique », on la trouve partout… Le monde de l’entreprise va sur la tête. Les stratégies de
management sont nulles. Et la plupart du temps, la souffrance causée par le n+1 est cautionné
par le n+2.
Je donne des arrêts de travail généreusement : il faut empêcher les salariés de subir ce qu’ils
subissent, et donc prolonger les arrêts autant qu’il est possible de le faire.
La plupart du temps, la solution pour le salarié se trouve à l’extérieur de l’entreprise dans un
nouveau boulot ; mais parfois il peut y avoir un poste aménagé ou un retour dans l’entreprise au
poste de travail.
J’ai peu de contact avec les médecins du travail. Ceci n’est pas un problème médical, c’est un
problème de société. Mais bien sûr, il faut un suivi de la personne et un traitement
médicamenteux.
Recommandation ?
Je le répète, c’est au niveau politico‐social que l’on peut faire quelque chose, pas au niveau
médical.
De mon temps, après 30 ans dans l’entreprise, on vous donnait une médaille du travail ; on ne vous
virait pas ! C’est la société qui change.
Les mises en invalidité (3 ans d’attente) ou incapacités sont exceptionnelles, mais une information
spécifique sur ces deux aspects serait utile.
Je n’ai jamais eu d’inquiétude sur les arrêts de travail que je donne.
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Nom du psychiatre N°43
Date 14 /10/16 à 12h30
Entretien réalisé Par téléphone ‐ Florence Chevalier
Quelles difficultés ou spécificités rencontrez‐vous avec les patients dont la souffrance est
directement liée au travail ?
Le plus difficile est de faire entendre aux entreprises la nécessité d’aménager quelque chose pour
ces personnes, ce qui est souvent mal compris, car il ne s’agit pas d’un aménagement physique,
mais d’un aménagement du temps de travail, ce qui n’est pas toujours bien perçu par la
hiérarchie. Il faut passer par le médecin du travail. On ne peut pas intervenir directement. Par
ailleurs, on n’a pas tous les éléments pour juger. Un patient délirant me racontait qu’on lui volait
ses affaires, alors que le médecin du travail me rapportait qu’il effrayait tout le monde dans son
service.
Ensuite, ces personnes manifestent souvent une certaine lenteur au travail, qu’on ne leur
pardonne pas. Et quand l’employeur se montre conciliant, ce sont les collègues qui vivent mal le
report sur eux d’une partie de la charge de travail. Car, contrairement à d’autres postes aménagés,
la difficulté de la personne à occuper son poste ne se voit pas : pas de fauteuil roulant, pas de bras
en écharpe… La souffrance n’est pas visible…
C’est dans les PME que ce type de situation pose souvent le plus de problèmes, car la personne a
rarement la possibilité de changer de poste. Cela conduit à des arrêts de travail plus longs. Le
salarié n’a pas d’autre choix sinon que de démissionner.
Et durant l’arrêt maladie, il est impossible d’accéder à des formations comme celles de Pôle
Emploi, par exemple, qui permettraient au patient de se reconvertir.
Mais il y a aussi des souffrances bénignes qui se résolvent d’elles‐mêmes dès qu’on en parle. En
revanche, quand ce n’est pas négociable, ça finit souvent aux prud’hommes.
Quand la personne continue de travailler, néanmoins, on peut envisager des aménagements.
Certaines associations, comme l’ARIM, peuvent être d’un grand soutien pour trouver des
solutions.
Quelles seraient vos recommandations, ce que vous aimeriez voir se passer ?
Dans ces cas‐là, les médecins du travail ne sont pas toujours chauds pour déclarer l’inaptitude. Il
faudrait donc établir une mention spécifique : « inaptitude pour souffrance au travail ».
Par ailleurs, beaucoup d’employeurs ne comprennent pas que la lenteur puisse être durable. Il
faudrait que les RH soient mieux informés à ce sujet.
Il n’existe aucune aide pour orienter les personnes durant leur arrêt maladie. Le patient se
retrouve seul à chercher du travail comme un chômeur.
URPS médecins libéraux Ile‐de‐France, cabinet FJN « Souffrance psychique au travail : rôle des psychiatres libéraux », novembre 2016.
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Certaines personnes se sentent harcelées et c’est compliqué à gérer sans soutien juridique.
Personnellement, je ne sais pas quoi faire, car intervenir risque d’envenimer une situation déjà
délicate.
Il faudrait adjoindre un psychologue – plutôt qu’un psychiatre – au médecin du travail.
Et que la médecine du travail soit indépendante. La plupart des médecins du travail sont
frileux, et n’ont pas les coudées franches.
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Nom du psychiatre N°44
Date 06.10.2016
Entretien réalisé Entretien téléphonique ‐ Valérie Pont
Quelles difficultés rencontrez‐vous dans le cadre de cette problématique ?
J’ai le sentiment que les situations de souffrance au travail sont de plus en plus fréquentes.
Certains patients arrivent par des avocats en droit du travail, et pas seulement des médecins
généralistes.
Ce sont des cas de harcèlement, burn‐out…
C’est préoccupant car la fréquence augmente. Quand les patients sont âgés de plus de 45‐50 ans, il
y a une remise en cause professionnelle. La projection sur l’avenir est plus complexe car les
opportunités de rebondir sont différentes, surtout s’il recherche uniquement un poste salarié.
Pour les autres cas, c’est plus facile. Un jeune peut retrouver une activité.
Parfois, il y a une vraie pathologie associée. Si le symptôme est clair, je donne des médicaments.
Mais la stratégie thérapeutique la plus efficace est l’arrêt de travail. Cependant, le retour au travail
peut alors être difficile, surtout si l’arrêt a été long.
Pour les médicaments, il s’agit soir d’une prescription ponctuelle, soit des traitements par exemple
d’antidépresseur pour un an. L’arrêt de travail est la médecine la plus efficace, je n’ai aucun
complexe à l’utiliser. C’est le plus efficace pour élaborer un projet ou pour gérer la rupture avec
l’entreprise. 8 mois, ce n’est pas exceptionnel. Et oui, je suis un mauvais prescripteur pour la sécu.
Il y a des personnes qui n’ont jamais eu de difficultés « psy » et pour lesquelles la situation
professionnelle déclenche la souffrance au travail. Et il y a aussi des personnes vulnérables où le
travail aussi peut être un déclencheur !
Je suis très fréquemment en contact avec le médecin du travail, car il est membre du CHSCT et
doit donc alerter les Ressources Humaines sur les risques psycho‐sociaux, et c’est important qu’il
puisse le faire (Je ne le contacte évidemment qu’avec l’accord du patient).
C’est important surtout s’il y a un médecin du travail dans la structure. L’impact n’est pas le même
avec une structure inter‐entreprises.
Quand les entreprises sont très délétères pour les patients, avec une absence de volonté, je donne
un certificat médical qui précise que « le symptôme est en relation avec la souffrance au travail ».
C’est un certificat détaillé qui reprend tout l’historique. Ce certificat est amené par le patient à la
visite de reprise de la médecine du travail. Je précise que le patient est inapte dans cette
entreprise à tous les postes de travail. Puis la médecine du travail valide. L’entreprise a alors
l’obligation de démarrer une procédure de licenciement dans un délai d’un mois.
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Recommandation ?
Il faudrait des formations à destination des RH. Il y a une vraie absence de conscience des
risques psycho‐sociaux.
Il faudrait développer les relations entre les médecins du travail et les généralistes et
psychiatres.
Je relève principalement trois situations :
o Harcèlement, la plupart du temps par le supérieur hiérarchique,
o Burn‐out, provoqué par une surcharge de travail soit ponctuelle (changement de
process), soit des fusions ou réorganisations de l’entreprise,
o Surmenage par les personnes de l’encadrement, qui n’ont pas toujours conscience
de trop travailler.
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Annexe 2
COMPTE RENDU DES FOCUS GROUP
Focus Group N°1 du 20 octobre 2016
Définition de la souffrance au travail : de quoi parle‐t‐on ?
Il faut définir la souffrance au travail, sinon c’est un gadget de psychiatre, incompréhensible, et
faire la différence avec « dépression », « harcèlement », etc. Tous ces mots n’appartiennent pas à
la nosographie psychiatrique.
Dès qu’on nomme une chose : elle apparaît : dès qu’on a commencé à parler de « souffrance au
travail », il y a eu des cas.
La souffrance au travail ce n’est pas pareil que la souffrance PAR le travail.
C’est un sujet fondamental : on y est confronté en tant que psychiatre, on cherche les causes. La
souffrance viendrait du travail ? C’est difficile de faire la part entre les causes perso et le champ du
travail…
Dès qu’il y a difficulté, on leur dit : « c’est un problème personnel ».
Pour nous, c’est important de définir ce qu’on entend par « souffrance au travail ».
Cela impacterait la reconnaissance des tiers : de la sécu, des médecins du travail parce qu’il peut y
avoir une dérive, quand on dit : « Ce qui se passe au travail, ce n’est pas la cause ! »
Y a des gens fragiles, et c’est pour ça qu’il n’y a pas de définition : ce sont des arguments par
rapport à la sécu… alors on fait du bricolage !
Souffrance = problème de harcèlement / marginalisation / humiliation / maltraitance : de plus en
plus souvent.
Etat anxio‐dépressif majeur : il y a quelque chose en amont. Chez tous les patients : il y a une
histoire personnelle. On dit « Ce n’est pas étonnant que ça lui arrive à lui. »
On parle de pathologies « acquises au travail ».
La sécu parle de trouble anxio dépressif, mais le handicap n’est pas reconnu.
Ce n’est pas considéré comme une maladie, c’est risqué pour le patient, et ça peut invalider toutes
les procédures qui vont suivre après pour lui. Notion qui n’est pas officiellement reconnue, il n’y a
pas de justificatif : ça fait un coût énorme sans imputabilité.
Il faut la rendre officielle, parce que son coût est exorbitant, il faut la faire reconnaître. L’académie
de médecine vient de faire une présentation sur le burn‐out (anciennement : « dépression
d’épuisement »).
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Il faut une vraie reconnaissance administrative de ce problème pour pouvoir faire une recherche,
c’est capital.
Syndrome post traumatique.
Stress ou somatisation sans « souffrance » : il y a des patients qui nous disent : « ah oui je fais de
l’asthme, mais uniquement au travail ». Ce sont des manifestations somatiques sans souffrance.
Important de dire de quoi on parle, que ça apparaisse au tableau des maladies professionnelles.
Différence entre : maladie acquise au travail (souffrance suite à cela, et congé LD) : difficile à faire
reconnaître et accident du travail.
Alors comment on fait nous avec tout ça? On triche ! On parle « d’épuisement réactionnel »,
« d’état anxio dépressif », on désigne sans nommer, on a à être du côté de la personne !
Qui en souffre et pourquoi ?
Certains disent : « Ce n’est pas n’importe qui qui est victime de souffrance au travail. »
D’autres disent : « Ça peut arriver à quiconque. »
Ce qui compte, c’est un thérapeute qui écoute vraiment, s’intéresse, est dans la relation, offre un
espace d’accueil sur mesure, adapté à chaque cas.
La souffrance est liée aux conditions de travail (encadrement, systèmes méthodes, management,
structure de l’entreprise, etc.) pas au travail en lui‐même. Bien sûr il y a des personnes
paranoïaques, et des jeunes qui veulent grimper, c’est normal. Il y a aussi des entreprises vraiment
maltraitantes. Il y a les deux. On peut voir les personnes dont on estime que l’entreprise est
maltraitante.
Parfois le patient accepte la maltraitance : il n’y a plus de limite, on est dans l’intoxication, avec
80h de travail/semaine. Quand il y a « décompensation » : on les voit à ce moment‐là. Les gens qui
souffrent en entreprise non maltraitante : ceux‐là on peut les aider avec des « aménagements »
(dans les cas de handicap par exemple).
Quand c’est maltraitant : c’est difficile pour nous les psychiatres.
C’est plurifactoriel, dû à la globalisation, la pression augmente sur les individus.
Pour les libéraux (avocats, médecins, et toute situation professionnelle où il y a un fort taux
d’individualisation), il y a ce délai de 90 jours de carence et le fait que le travail soit individuel : ça
fait peser sur le psychisme tout un poids, une course à la rentabilité, et cela dans tous les métiers.
A la banque, quand il y a relation personnalisée avec les clients = c’est risqué pour la banque… Un
patient, employé de banque qui avait une éthique et de bons contacts avec les clients, ne pouvait
pas les exploiter et leur faire signer des documents qui étaient clairement à leur désavantage.
Il a explosé.
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Salariés : robotisation, plus d’humanité…
Infirmière : tout est « protocolisé » : elles craquent !
Il y a une perte du rapport humain et du sens du travail. Ça n’a plus de SENS: quand on en est là,
on est très avancé dans la destruction.
Karoshi : mort subite au japon / USA (Accident cardio vasculaire), comme les lapins qui
meurent si on leur fait peur…
Les relations avec les médecins du travail :
On peut contacter la médecine du travail, mais déontologiquement, c’est interdit. Beaucoup de
choses se font par téléphone. On les contacte quand on a une demande à faire, de licenciement
pour inaptitude, ce n’est PAS pour décrire le patient. On se méfie d’eux, parce qu’ils sont payés
par l’employeur. C’est un viol du secret professionnel, et ça risque d’être défavorable au patient.
Ca dépend de si on les connaît ou pas, et de là où en est le patient.
« Depuis 30 ans, je forme les médecins : eux sont démunis, se sentent coupés, ils sont tenus au
secret professionnel, mais on a l’impression de le trahir. »
Fiche de risque psycho sociaux, conseils : on suggère du télétravail, des aménagements de poste…
ARIM : association qui s’occupe du handicap.
Parfois certains médecins du travail ont peur des patients, ils se demandent s’ils sont dangereux,
ils nous interrogent sur des points précis.
Parfois le médecin du travail zélé se fait virer parce qu’il est trop du côté des patients (dans les
administrations régionales, dans les entreprises publiques).
Hôpital St Antoine : formation cognitive comportementale pour les risques psycho sociaux : Les
médecins du travail sont très intéressés, ils ont à rendre compte de la souffrance psychologique
alors qu’ils n’ont pas de connaissance théorique là‐dessus ! Ils ne sont pas formés en psychiatrie,
ils ne sont pas thérapeute, c’est juste pour faire de l’orientation. Ils font un diagnostic rapidement,
ils veulent pouvoir orienter (psychiatrie = stigmatisant = toxicos, patients dangereux, etc.)
On parle de souffrance « acquise au travail »
Ce qu’ils veulent c’est comprendre les pathologies qu’ils rencontrent au premier chef.
Arrêt / Non arrêt :
Parfois les patients sont déjà arrêtés, les généralistes (MG) nous les réfèrent parfois.
L’arrêt est une « pièce maîtresse » pour protéger la personne, un abri contre la maltraitance, pour
permettre un début de distanciation par rapport à ce qu’elle vit.
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C’est aussi l’envoi d’un message à l’entreprise. Au bout d’un moment dans l’encadrement, on se
pose des questions. On le voit car l’entreprise recherche alors le contact avec le salarié pour
comprendre.
Ce sont beaucoup de cas particuliers, imprévisibles : c’est difficile d’en parler de manière globale.
Il y a un diagnostic contextuel, familial, beaucoup de paramètres, il faut voir tous les aspects
sociaux, maltraitance…ce qui s’est passé, et on choisit un arrêt de travail + ou – long.
Important de voir le contexte, s’il y a complaisance ou pas, il y a une très grande variété.
Au début j’essayais de ne pas faire d’arrêt, mais ça ne marche pas ! Ca augmente la souffrance de
laisser la personne sur place. Il faut qu’il/elle puisse être détaché de l’entreprise.
Ce n’est peut‐être pas une solution, mais c’est un élément de solution.
Seuls les psychiatres peuvent en faire car les MG sont fliqués par la sécu…et puis il y a ce fameux «
ROSPE » (=une forme de rémunération sur les objectifs de santé publique : quand il est dans la
mauvaise catégorie, le MG perd des indices pour toucher son forfait à la fin de l’année !)
La sécu considère que si le patient de consulte pas de psychiatre : il ne se soigne pas. Le patient
doit se soigner : c’est une obligation légale.
Il n’y a pas de psychiatre à la sécu = ils ne peuvent pas apprécier le travail du psychiatre. Au bout
d’un an, le patient est convoqué.
Dans l’encadrement : on lui pose des questions, il y a la tonalité des messages qui change. Quand il
y a multiplicité des arrêts au sein de la même entreprise, parmi les fonctionnaires territoriaux, les
médecins du travail (peu efficaces en entreprise) sont sollicités par un grand nombre de salariés.
Il y a aussi les services de santé inter‐entreprises, et là c’est différent, ils ne connaissent pas la
réalité du contexte… alors qu’un bon médecin du travail dans une grosse boîte connaît le salarié,
sait certaines choses, il connaît la boîte, l’encadrement… mais ce n’est pas une garantie.
Comité Médical départemental : C’est pour examiner les arrêts de longue durée (6 mois), un
contrôle.
L’arrêt doit être négocié : qu’il y ait une stratégie de soins, comment le patient va s’inscrire
dedans… Il y a un calcul clinique négocié avec le patient.
Souvent il faut insister pour les arrêter. Ils ont peur de l’arrêt car ça les désigne par rapport à
l’entreprise ou à la famille, qui a la croyance que « Quand on est en bonne santé, on travaille, il
faut travailler ! » Or il y a un effondrement de la personnalité, et ça prend du temps à reconstruire.
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La sortie d’entreprise pose question : que faire ?
Licenciement pour inaptitude ? Rupture conventionnelle ? une invalidité ? On est dépendant du
médecin du travail en situation de maltraitance
La plupart du temps, les gens ne veulent pas reprendre leur poste. Inaptitude : c’est un mot fort !
On n’a pas accès à Pole emploi après, ni à des formations prises en charge, on peut rester comme
ça jusqu’à l’invalidité, avec une pension à un taux très bas. C’est vécu comme une injustice
flagrante
Le système se retourne contre eux.
Parfois il faut un avocat plus qu’un psychiatre ! En cas de symptôme post‐traumatique ou de
harcèlement, il faut évoquer la loi.
Parfois l’inégalité des traitements dans la même boite rajoute une difficulté, c’est important que le
traitement soit homogène entre les personnes.
Enfin, plus on est bas dans la hiérarchie, plus il y a d’arrêts. Les cadres sup ont des méthodes
défensives que les autres n’ont pas.
Mais lorsqu’ils travaillent 70h/ semaine (émulation / compétition / surinvestissement), l’entreprise
ne peut PAS ne pas être au courant de l’inflation du travail !
La nouvelle tendance serait que les encadrants viennent et disent aux salariés : «tu travailles
trop».
Mais c’est risqué… et les médecins qui font 2x 35h, on leur dit de lever le pied peut‐être ? Grâce à
une obligation européenne transposée en France, on n’a plus le droit de travailler après une garde
en hôpital, mais en pratique cela n’est pas respecté. Le « repos compensateur » ne se prend pas,
et c’est de votre responsabilité s’il y a un problème après… Les médecins sont ceux qui font le plus
de burn‐out, et c’est aussi le taux de suicide le plus élevé.
En libéral, l’arrêt de travail chez les médecins est pris en charge après 90 jours de carence ! Il faut
vraiment être très malade pour se mettre en arrêt.
Les petites boîtes aussi n’ont pas de marge de manœuvre, le patron ne voudra pas entendre parler
d’inaptitude.
Ici, nous vivons dans le luxe : aux USA : on ne peut pas avoir d’arrêt !
Dans la fonction publique, il y a le Comité médical. Ça prend du temps, le Comité se réunit une fois
par mois. Mais s’il y a un retard dans l’administration, c’est au bénéfice du patient. Pour
l’éducation nationale, ça tourne bien. Dans les mairies, où vont les papiers que nous envoyons ?
Ne pas se fier au « secret administratif », dans les mairies, ils ouvrent toutes les enveloppes !
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Recommandations :
Il faut une vraie politique de prévention, des formations préventives, et pas seulement «une
heure de sensibilisation ». Il faut former les cadres, les toucher vraiment, dans leur
humanité, toucher les gens…et faire des journée ou demi‐journées avec des cas cliniques
pour recontacter la sensibilité des dirigeants.
Egalement une sensibilisation au niveau de l’enseignement, éduquer les jeunes, parce que
les étudiants en école de commerce sont déjà formatés.
Des aménagements spécifiques sur les lieux de travail : certaines (grosses) entreprises ont
des salles spécifiques pour lutter contre le stress au travail : pour la gym, la
relaxation, parce qu’ils savent qu’ils paient la moitié des arrêts de travail et aussi parce que
ça fait « bien » quand les conditions de travail sont meilleures. Et parce que les RH eux‐
mêmes sont stressés de virer les gens.
Une recherche pour évaluer le coût de cette problématique et de la prise en charge
actuelle : La souffrance au travail est la 2e cause d’arrêt après le mal de dos. Il faut de
l’argent pour mener une réelle recherche, pour vérifier le coût de la prise en charge, pour
démontrer que tel ou tel traitement peut agir dans tel ou tel cas. Ce type d’étude a été
réalisé à l’étranger. En Allemagne, les recherches ont montré que si on traite bien le
patient, cela coûte 6 fois moins cher à tout le monde. En France, on n’évalue pas ces
frais. Alors que c’est l’argent de la sécurité sociale. Il s’agit de faire de la prévention
sociale et de contacter les entreprises pour cela !
Formation aux méthodes thérapeutiques pour les médecins : ces formations vont
rapporter à la Sécu, l’URPS devrait demander à la Sécu de reconnaître ces formations qui
aident les patients. Il faut des formations rémunérées, diplômantes et continues (DPC),
concrètes, sur lesquelles les médecins peuvent s’appuyer.
Promouvoir la méditation : c’est devenu une mode, et c’est bien d’en parler. L’état
d’esprit de la société passe par le changement au niveau du grand public, et donc par la
mode !
Les mécanismes internes : Il faut que les gens entreprennent des actions collectives,
comme dans cette entreprise où ils se sont regroupés pour dénoncer la femme du
patron qui était folle. Parfois, c’est très long pour mettre ce type d’action en place. A
BMW, je me souviens que le chef a fini par dégager après l’intervention du médecin du
travail.
Les CHSCT ont du mal à jouer leur rôle, à soutenir les personnes. Quant aux syndicats, ils
ont un double rôle, à la fois présent pour protéger les travailleurs, mais aussi avec de plus
en plus de discours pour aider les personnes à supporter, à s’adapter au travail ; et non pas
à le dénoncer. Ils apportent parfois du soutien, mais ils aident surtout à supporter le
stress, au lieu d’être force de proposition pour permettre d’adapter le travail aux
personnes.
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Le mot de la fin…
C’est une limite que les psychiatres rencontrent : c’est un problème d’organisation sociale,
politique, hors du champ médical. Il s’agit de modifier les structures… Le médecin n’est pas là pour
aider la personne à s’adapter mais pour remettre en cause le travail. S’il y a maltraitance, il faut le
dénoncer.
C’est au patient s’il le veut de voir un avocat, mais il faut aussi les aider dans cette démarche.
Il faut connaître la loi, par exemple le harcèlement, pour faire avancer les choses. L’entreprise est
dans l’obligation de faire cesser le harcèlement, et d’en donner la preuve. L’avocat met tout cela
en langage juridique.
A l’opposé, le burn‐out n’existe pas juridiquement. Il faudrait plus d’élément pour le définir.
D’où l’importance d’une formation juridique.
Parce qu’il faut dénommer, et faire un diagnostic, et qu’à partir de cela on peut traiter en fonction
de la pathologie. Il faut également demander à l’assurance maladie de reconnaitre ces formations.
Parce qu’on sait ce qu’il faut pour que ça marche :
‐ Un bon thérapeute,
‐ Humain,
‐ Qui s’intéresse,
‐ Qui a l’expérience,
‐ L’accueil,
‐ La créativité.
Parce qu’on fait du « sur‐mesure ».
Il faut impérativement des formations bien placées, intéressantes et rémunérées ; des formations
sérieuses dans une structure pérenne. Pas seulement pour les psychiatres, mais également pour
les médecins généralistes.
Il faudrait également contacter le MEDEF.
Il faudrait contacter les assurances privées pour que l’argument financier soit pris en compte.
Il faut aussi dégager de l’argent pour la recherche afin que les traitements soient plus efficaces, et
que cela permette d’équilibrer les comptes. En Allemagne, les traitements sur la souffrance au
travail ont fait diminuer les coûts de 1 à 6.
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Focus Group N°2 du 20 octobre 2016
Dans ce groupe, l’option retenue a été de présenter aux participants une synthèse des réponses
aux questionnaires, que nous n’avons pas reprise ici (cf. infra). Nous n’avons indiqué que les
principales contributions des participants regroupées dans les chapitres concernés
Les psychiatres face à la souffrance au travail
Question de la "blessure narcissique" et "estime de soi" ‐ difficiles à remonter
Grand sentiment d'injustice (le "harceleur" reste en poste et la "victime" part)
Position du psychiatre : la fonction est de soigner le patient, comme on est « du côté » du
patient, on est "soupçonné" de prendre position, (sous‐entendu contre l’entreprise)
Question de l'arrêt qui "dure" alors même que le patient va bien en raison du délai de
procédure pour le licenciement. Ça peut durer longtemps, mais on ne peut pas le
« renvoyer » au travail
« Devoir arrêter des personnes qui, dans un autre contexte, pourraient travailler »
Souvent l’arrêt de travail change beaucoup les choses, c’est un outil thérapeutique, mais cela ne
suffit pas.
Les généralistes ne peuvent plus faire des arrêts de longue durée (c’est encore possible pour le
psychiatre).
« Les médecins du travail ne prennent pas de risques, c’est aux libéraux, généralistes et
psychiatres de se positionner sur une situation en entreprise à laquelle ils n’ont pas accès. »
Cela dépend beaucoup du médecin du travail. Le médecin du travail peut faire une déclaration
d’inaptitude pour faciliter le départ de l’entreprise, mais il faut le convaincre
« Armer » le patient : « Si la pression marche autant en entreprise, c’est parce que les gens ont
peur. J’apprends à mes patients à offrir moins de prise. »
Par exemple déconseiller de démissionner.
« On est pris en otage » « la position est très inconfortable » « on ne s’oppose pas à
l’entreprise, mais à la façon dont la personne est traitée ».
Parfois le patient vit cela comme un deuil.
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Ouvrages sur le sujet : « Je leur conseille des livres ou films sur le sujet qui leur permettent de voir
un tas d’exemples et de s’y retrouver. »
ex : MF Hirigoyen, Marie Peze
« J’aide mes patients à négocier eux‐mêmes avec leur direction. Oui, c’est du coaching, mais de
toute façon, nous sommes sans cesse appelés à déborder de notre champ, ne serait‐ce que
lorsque nous faisons de la neurologie »
La question est souvent plus de coacher le médecin du travail
Cela dépend aussi beaucoup de l’âge du patient
La médecine du travail a peu de pouvoir d’action, excepté de déclarer l’inaptitude, mais certains
médecins du travail refusent de le faire (« de peur de stigmatiser le salarié ? »)
Question de la fonction publique : médecins du travail pour les cadres ?
Question des enseignants : problème pour dialoguer avec l’administration, ont des
règles propres.
Question des personnels hospitaliers
Question des services inter‐entreprises (connaissent moins ? plus libres d’agir ?)
Questions réglementaires (impacts de la loi El Khomri ?)
Les contacts avec les RH restent exceptionnels
Très bonnes et très mauvaises expériences
On les voit maintenant davantage faire quelque chose
« Les nouvelles formes de management qui ne proposent comme réponse que des coachings
exercent une pression supplémentaire sur le salarié en difficulté»
Les personnes sont ainsi désignées comme responsables de la situation
Il y a un impact des fusions et souvent une nette dégradation des conditions de travail suite à
des restructurations.
« Que l’inspection du travail fasse son travail ! »
Transformer les entretiens d’évaluation annuels :
« Il faudrait y inclure une personne neutre comme un psychologue ou un médecin du
travail pour que les conditions de travail puissent y être évoquées. » +++
Ce type d’entretien a amené un grand nombre de décompensations…
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Au lieu de gérer l’individu, peut‐on envisager une approche collective
Il serait utile de former les managers, tenir compte de ce qui existe en psycho, etc.
Faire référence au fait qu’un environnement agréable est plus productif
Modifier la réglementation pour mieux responsabiliser les entreprises (au plan financier mais
aussi responsabilité pénale des dirigeants)
Nous aimerions nous occuper plus des questions médicales
Rédiger une charte « bonne conduite » à remettre aux entreprises et qu’elles
s’engageraient à respecter, qui serve aussi de référence…
Formation des médecins
Il faudrait peut‐être former les médecins aux réglementations. Par exemple sur les
conséquences financières de nos décisions médicales, nous sommes utilisés… Il va nous
arriver ce qui est arrivé aux médecins généralistes.
Mettre en place des supports pour le psychiatre
Intérêt d’un support téléphonique, juridique, etc. : permettre l’accès à des experts, mais
question du financement : le service doit être accessible gratuitement au psychiatre.
Intérêt pour faire le point sur les pratiques : faire le point sur ce qui se passe dans
l’entreprise
Information des patients sur les consultations hospitalières :
Porter à la connaissance du public celles qui existent.
Améliorer la coordination des parcours de soins avec les autres professionnels concernés
Questions posées par « non professionnels de santé » ‐ Une expérimentation intéressante
a été lance e par l’ARS IDF pour les enfants. Peut‐on faire cela pour les adultes ?
Travailler en collaboration avec les psychologues, etc.
Conclusions du groupe N° 2 : sur toutes ces questions, le groupe « Santé Mentale » de l’URPS
pourrait faire des préconisations et les faire connaître aux responsables et personnes concernées.
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