CHARAUDEAU (PATRICK), LE DISCOURS POLITIQUE.

LES MASQUES DU
POUVOIR, PARIS, VUIBERT, 2005, 255 PAGES

Bertrand Pirat

De Boeck Supérieur | « Politix »

2006/3 n° 75 | pages 196 à 200

ISSN 0295-2319
ISBN 9782200921248
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 196 Notes de lecture

CHeneupneu (Patrick) , Le discours politique. Les masques du pouvoir,

Paris, Vuibert, 2005,255 pages.

Par Bertrand PtRRr

Triangle - Action, discours, pensée politique et économique

UMR 5206 CNRS/ENS-LSH, Université Lyon 2, IEP de LVon

Un diftrent initial oppose les sciences sociales aux sciences du langage. En constituant
la langue en objet de science, par opposition à la parole, les secondes instituent un rap-

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port théorique à cet objet, qui I'invalide en grande partie aux yeux des premières. Pren-
dre pour objet le langage pour le comprendre pour lui-même éloigne de la
compréhension qu'en ont ceux qui le comprennent pour agir. Forte de cette critique, la
science politique a cessé d'aborder le discours comme le simple véhicule d'un contenu
idéologique - co{ps de doctrine cohérent et systématisé par une mise en forme spécifi-
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quement théorique - pour rendre compte des usages du discours dans le cours de I'acti-
vité politique, à travers les notions de stratégie, de position et de prise de position. Cette
articulation de I'action et du discours - non plus comme thématique (discours de
I'action politique) mais comme pragmatique (action politique par le discours), s'est
trouvée au cæur du programme constructiviste. L'ouvrage de Christian Le Bart (Le dis-
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cours politique, Paris, PUF, 1998) rendait compte de ce déplacement de perspective:
partant des déterminants sociaux du discours et des stratégies des acteurs, il analysait les
depuis

effets sociaux du discours politique et mettait I'accent en dernière analyse sur la cons-
truction discursive de la réalité et la dimension symbolique du travail politique.
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Patrick Charaudeau propose, sous un titre identique, un résultat convergent. Mais

I'itinéraire théorique emprunté est tout autre. L'auteur mobilise certaines catégories
classiques de la rhétorique pour renouveler I'analyse du discours politique. Loin de
depuis -www.cairn.info

constituer un < retour de la rhétorique ), son travail contribue à réaménager les rapports
entre analyse du discours et sciences sociales. Il instaure un dialogue interdisciplinaire
fructueux qui peut s'articuler autour de trois questions. La première concerne la dimen-
cairn convertisseurs

sion agonistique de I'activité politique, qui s'objective dans des épreuves de représenta-
tion instituées. Dans quelle mesure et par quelles modalités la dynamique propre à ces
épreuves s'impose-t-elle à I'ensemble du jeu politique ? La place du discours dans le tra-
vail de représentation politique est centrale. La deuxième concerne les idéologies. Elles
- - - 89.136.186.125

ne s'imposent pas d'elles-mêmes, par leur seule cohérence et leur force intrinsèque de
persuasion. La critique de la notion elle-même a été menée depuis fort longtemps.
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L'auteur lui préfère celle d'imaginaire de vérité, qu'il construit à partir d'un apport de
I'anthropologie politique. Enfin, une approche globalisante tend à surévaluer I'homo-
généité du discours politique énoncé en public, sans prendre en compte les impératifs
de sa réception. La notion d'ethos, aux origines de la rhétorique, perrnet de prendre en
compte la pluralité des contraintes de publicité qui pèse sur les acteurs politiques.
26/07/2020 16h47.

L'ouwage de Patrick Charaudeau se présente comme un essai au format étendu. Il

conjugue la définition d'un objet de connaissance académique, I'exposition des outils
théoriques - stratégies, images et imaginaires discursifs - et des connaissances auxquels
il donne lieu. À ce tableau descriptf du discours politique contemporain s'ajoutè un
16:51 -©©De

questionnement sur son éventuelle dégénérescence et une prise de position explicite-

ment normative pour une n nouvelle éthique >. Rares sont les ouwages qui entendent
donner une telle ampleur à leur propos, mais I'auteur relève ce défi en filant d'un bout à
l'autre de son propoi une métaphoie heuristique : celle du masque. Elle joue à la fois le
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rôle de lieu commun (le pouvoir est tromperie, il dissimule, sa vérité est cachée), et de
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rupture avec ce sens commun: le masque, comme lieu de I'identité, serait aussi < le
Supérieur
 Notes ile lecture t97

résultat de la rencontre entre un sujet qui énonce et un sujet qui interprète [...] il ne
dissimulerait pas, il nous désignerait comme étant notre identité vis-à-vis de I'autre. >
Le discours politque, comme le discours médiatique, est le résultat de cette co-cons-
truction. Il se doit donc d'être considéré dans ce qu'il dit autant que dans ce qu'il ne dit
pas, ( un non-dit qui pourtant se dit aussi, (p. 5). Par cette introduction, le lecteur sait
déjà que I'ouwage, même s'il est un essai, conservera son positionnement scientifique, à
I'encontre des dénonciations de la < propagande > - mot qui s'applique de manière uni-
latérale au discours de l'adversaire politique, et des conceptions purement manipulatri-
ces de la langue, qui surestiment la cohérence du discours tenu en public.
La première partie de I'ouwage définit son objet. Le discours politique n'est relatif ni

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à un genre de discours ni à un contenu idéologique spécifique: ( ce n'est pas le contenu
du discours qui fait qu'un discours est politique, c'est la situation [de communication]
qui le politise, (p. 30). Cette définition pose comme préalable la question de la légiti-
mité des gouvernants, la pluralité des champs sociaux (juridiques, économique, média-
tiques) et des formes de vie politique, dans leur dimension normative (le politique) et
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leur dimension agonistique (compétition pour de postes de pouvoir). D'emblée, I'ana-

lyse du discours politique embrasse ces deux dimensions du discours politique dont
I'articulation constitue son objet même: < le discours des idées se construit à travers le
discours du pouvoir, (p. 34). L'hypothèse de I'auteur, exprimée dans les catégories
classiques de la rhétorique, est celle d'un déplacement progressif du discours politique,
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du logos vers le pathos et I'ethos, < du lieu de la teneur des arguments verts celui de leur
mise en scène > (p. 35). Elle sera discutée tout au long de I'ouwage, tant dans la réponse
depuis

à lui apporter (dernière partie) que dans sa formulation même.

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La seconde et la troisième partie exposent les notions théoriques mobilisées pour

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formuler cette hypothèse. Les contraintes et les stratégies d'acteurs sont discutées puis
appliquée à I'analyse du discours, avant d'être exemplifiée par un répertoire de faits discur-
sifs empruntés à la vie politique française. Du côté des contraintes, le contrat de commu-
depuis -www.cairn.info

nication propre au champ politique est globalement analysé en reprenant la notion de

Marc Augé de < dispositif rituel élargi >, qui articule plusieurs instances (politique,
cairn convertisseurs

médiatique, citoyenne et adversaire). Définies comme des catégories < abstraites, désin-
carnées et détemporalisées , (p.42),les instances structurent la finalité de tout acte de
communication. L'objet de I'analyse du discours n'est donc ni la dimension psychologique
des acteurs ni l'idéologie véhiculée - soumises toutes deux à des variations historiques -
mais les multiples modalités d'articulations entre ces différentes instances, oir se fait et
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se défait un enjeu premier du discours politique - la légitimité - à travers la construction

d'images de loyauté, de protestation ou de dénonciation. De ce point de vue, la légiti-
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mité n'est donc qu'affaire de croyances et de représentations. En effet, la notion d'instance

permet de prendre en compte le caractère multidirectionnel de la parole publique,
résultat d'une anticipation de la réception des messages de chaque instance envers les
aufes, en fonction des catégories qui construisent ces anticipations : attitudes, comporte-
ments, imaginaires supputés. Mais, remarque I'auteur, ( personne n'a la preuve absolue
que ces catégories de cibles ainsi construites co'incident avec des cibles effectives > (p. 48).
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Du côté des stratégies discursives des acteurs politiques, I'accent est mis, là encore,
non sur le contenu du construit idéologique, mais sur la position du sujet dans le pro-
cessus de communication, en tant qu'elle relève d'une identité du n singulier-collectif ,
16:51 -©©De

(p.61). Le porte-parole politique, en tant qu'énonciateur d'une idéalité sociale, doit

fondre la voix du /e dans celle d'un Or nécessairement ambigu: de conviction et de
persuasion. Dramatisation et argumentation sont donc les deux axes d'analyse des stra-
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tégies discursives déployées en politique pour persuader le public. Mais pathos et logos,
parce qu'ils sont portés par des individualités politiques, ne peuvent s'analyser sans la
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prise en compte de I'ethos, à savoir I'image de soi construite par le discours.

Supérieur

rs I politix
 198 Notes delecture

La notion d'ethos est utilisée en sociologie pour appréhender les dispositions mora-
les présentes chez les personnes à l'état pratique. Les jugements en acte dont elles sont
capables existent indépendamment d'une éventuelle systématisation ou mise en forme
théorique. L'ethos a été souvent compris comme une notion renvoyant exclusivement à
des indices empiriques d'ordre infra-linguistique (comportement, attitudes, gestes,
postures corporelles). Or I'usage de la parole est lui-même une pratique. Tout discours
constitue un acte de langage qui engage la totalité de celui qui le produit et de ce qui
produit son énonciation.
Comme le montre P. Charaudeau, la notion d'ethos est susceptible d'éclairer le
point d'articulation entre le langagier et le social parce qu'elle renferme, en elle-même,

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une tension entre un pôle socialement pré-construit - I'identité du locuteur préexiste
au discours et renvoie nécessairement à un être social - et un pôle purement énonciatif
- I'identité du locuteur est construite par son discours. Ces deux dimensions donnent à
la notion d'ethos une dimension authentiquement constructiviste : < le sujet apparaît
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au regard de I'autre dans une identité psychologique et sociale qui lui est attribué, et en
même temps se montre à travers I'identité discursive qu'il se construit , (p. 89). Quelles
que soient les modalités de constitution de I'ethos de I'homme politique, I'image qui en
résulte se présente auxyeux du public comme la réalité unitaire de la personne publique.
Cette réalité sociale imaginaire est I'objet privilégié de I'analyse du discours politique.
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Qu'elle résulte d'effets non désirés, qu'elle soit la résultante d'une pluralité de discours,
I'image de I'homme politique provient d'une < mise en scène sociolangagière, (p. 90)
dans laquelle la totalité du sujet, corporelle, historique et idéelle, est engagée: identité
depuis

sociale et identité discursive fusionnent dans I'ethos. Elles sont redoublées, du côté du
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public, par les stéréotypes, les attributions identitaires aprioriques et essentialisantes.

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L'analyse des ethos politiques ne relève pas d'un simple < retour de la rhétorique o
qui remettrait au premier plan un éventuel art oratoire orienté en finalité. P. Charaudeau
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en fait un véritable concept opératoire d'analyse du discours, qui relie dialectiquement

l'énonciation avec sa situation d'énonciation, elle-même susceptible de prendre en
compte des données socio-institutionnelles. Ce type d'analyse avait déjà été mené
cairn convertisseurs

ponctuellement (Amossy (R.), dir., Images de soi dans le discours. La construction de

I'ethos, l-ausanne, Delachaux et Niestlé, 1999), notamment sur I'ethos présidentiel
(Dominiry (M.), Frédéric (M.), dir., La mise en scène des valeurs. La rhétorique de leloge
et du blâme, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 2001). L'ouwage de P. Charaudeau la sys-
- - - 89.136.186.125

tématise et la généralise à l'ensemble du discours politique. Il rejoint le questionnement

autour de la construction des identités politiques mené par la science politique. Réci-
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proquement, I'articulation entre le maniement du code langagier, les propriétés sociales

des locuteurs et les chances de succès d'un discours dans une arène discursive particu-
lière, sont au centre des préoccupations actuelles des travaux de science politique,
lorsqu'ils mettent I'accent sur la spécificité des micro-espaces publics qui composent la
société. Les acteurs sociaux se doivent de maîtriser une police d'accès à la généralité
qu'il faut être en mesure de respecter pour être pertinent et efÊcient dans un débat
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déterminé. De ce point de lue,
le Comité d'éthique, doit être
pour le discours politique. Les
doivent épouser les différentes
16:51 -©©De
un discours éthique, par exemple celui prononcé devant
prononcé selon un ethos approprié. Il en va de même
formes du discours des députés à l'Assemblée nationale
grammaires, de la discussion ou de la critique, inscrites

dans I'agencement du lieu. La mise en pratique de ces dispositifs sollicite des disposi-
tions incorporées et énoncées.
L'auteur développe la notion d'ethos et catégorise différents ethos politiques à partir
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de nombreux exemples empruntés à la vie politique française contemporaine et plus

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particulièrement à la période 2000-2002. Deux grandes catégories fonctionnelles

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 Notes ile lecture 199

regroupent d'une par les ethos de crédibilité - cet homme est-il digne d'être cru ? - et
d'autre part les ethos d'identification - cet homme est-il (aussi) bon (que moi) ?
On remarquera, parmi ces exemples, l'analyse en terme d'ethos de la défaite de Lio-
nel fospin, entre d'une part la construction d'un ethos de crédibilité, par la dénoncia-
tion des engagements irresponsables de son adversaire direct Jacques Chirac ou la mise
en avant d'un pragmatisme réaliste garantissant un esprit de sérieux et d'autre part, un
ethos d'identification fait de contrôle de soi, proche de la n force tranquille, de Fran-
çois Mitterrand, mais qui, mal maîtrisé, s'est avéré destructeur, transformant le leader
du Parti Socialiste en homme indifférent au peuple de gauche. L'auteur fait de cette fai-
blesse de I'ethos d'identification un facteur, parmi d'autres, de la dispersion des voix de

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gauche au premier tour, cause de l'échec de Lionel iospin.
Cette analyse pose la délicate question du contenu politique des < images > des hom-
mes politiques. Si, dans < une démocratie du public >, les images politiques permettent
au plus grand nombre de prendre part à la discussion publique par leur aspect simplifié
et immédiatement accessible, ce type de gouvemement représentatif ne peut fonction-
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ner démocratiquement que si les < images > politiques correspondent effectivement à
des positionnements politiques et à des orientations de l'action publique distinctes. La
place prise par I'ethos dans le discours politique, telle que I'analyse P. Charaudeau,
laisse d'abord penser que les caractéristiques actuelles de I'espace public renversent les
données classiques de la rhétorique : < ce n'est pas le logos qui pour mieux passer serait
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habillé d'ethos et de pathos, mais I'ethos et le pathos qui fabriquent du logos > (p.236).
Ce renversement accrédite I'hypothèse d'une dégénérescence du discours politique, qui
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fera I'objet de la discussion à la fin de I'ouwage.

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La quatrième partie de I'ouwage est consacrée aux < imaginaires de vérité, du dis-
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cours politique. Partant de la notion d'idéologie, de sa critique et de son renouvelle-

ment par le travail de Teun Van Dijk qui distingue les idéologies professionnelles,
sociales et politiques, I'auteur fonde sa réflexion sur le concept général de représenta-
depuis -www.cairn.info

tion sociale, dans sa dimension socio-cognitive, en distinguant savoirs de connaissance

et savoirs de vérité - notion qui recoupe I'opposition entre jugements de faits et juge-
cairn convertisseurs

ments de valeurs. Mais, remarque I'auteur, la distinction entre ces deux types de dis-
cours est poreuse, tout particulièrement pour le discours politique, dont la
caractéristique est qu'il n cherche à ériger en norme universelle relevant de la connais-
sance ce qui n'est que norme morale relevant de la croyance > (p. 154). La notion
d'n imaginaire >, empruntée à Jean-François Bayart, est mobilisée pour rendre compte
- - - 89.136.186.125

de la cohérence des univers de signification construits par certains discours politiques,

et du caractère socialement situé de ces discours. institués en nonne de référence à
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I'intérieur de certains groupes sociaux. Les usages politiques de ces imaginaires socio-
discursifs ont donc pour but de produire un effet de vérité. La société française a ses
imaginaires propres : imaginaires de la < tradition >, du retour aux sources, pour remo-
tiver les institutions républicaines et prévenir les ruptures entre générations, imaginaire
de la modernité pour rompre avec le passé et justifier I'action et célébrer I'efficacité;
imaginaire de souveraineté populaire où I'entité < peuple > est érigée en acteur histori-
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que unitaire et transcendant. Parce qu'il s'adresse au plus grand nombre, le discours
politique privilégie I'imaginaire du consensus, et tend à effacer la dimension conflic-
tuelle de I'activité politique.
16:51 -©©De

Pour chaque imaginaire de vérité, l'auteur liwe des exemples d'usages dans le discours
public, politique ou citoyen, les déclarations du chef de l'État étant plus particulière-
ment sollicitées. Ces analyses viennent confirmer qu'à mesure qu'ils progressent dans la
carrière, Ies hommes politiques deviennent des professionnels de la généralité et de
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l'action symbolique sur l'ordre des réalités symboliques, du < tenir ensemble n d'une
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société. Le discours politique serait-il phatique par fonction ?

Supérieur

ru | politix
 2OO Notesdelecture

La dernière partie de I'ouvrage est consacrée à une discussion autour de l'éventuelle

dégénérescence du discours politique. Cette question, présente implicitement dans les
nombreux travaux qui prennent la notion d'espace public comme horizon normatif.
L'hypothèse de la dégénérescence a été avancée encore récemment à propos du discours
présidentiel (Mayaffre (D.), Paroles de président, Paris, H. Champion, 2004). À partir
d'un relevé logométrique fondé sur des mesures quantitatives de la diversité et des
récurrences lexicales dans les discours publics des présidents de la cinquième Républi-
que, mais aussi sur la distribution relative des catégories grammaticales, propre à cha-
cun des locuteurs présidentiels, I'auteur constate la faiblesse relative des substantifs et la
prédominance des verbes énonciatifs dans les discours des deux derniers présidents de

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la cinquième République. Ces indicateurs chiftés constituent les indices d'une mise en
scène de la parole présidentielle par elle-même, dans I'accentuation de sa fonction pha-
tique. Ce type de constats quantitatifs vient étayer les analyses qualitatives qui montrent
une prédominance globale de I'ethos sur le logos dans le discours politique contempo-
rain. Ia convergence des diagnostics autorise-t-elle pour autant une interprétation en
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terme de < dégénérescence > ?

Comme I'a montré Simone Bonnafous, le thème de la dégénérescence du discours
politique traverse les propos savants de I'antiquité à l'époque contemporaine. Mais le
questionnement actuel des sciences sociales difFère radicalement d'un jugement porté
sur la qualité intrinsèque des discours des hommes politiques - une dimension dont les
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sciences sociales n'ont pas à prendre en compte, saufà porter, en dernière analyse, un
jugement de nature esthétique sur le n style, de tel ou tel homme politique, et donc à
depuis

sortir du régime de scientificité qui est le leur. Le questionnement contemporain ne

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relève pas d'une appréciation du < beau discours > ou de l'éloquence des seuls hommes
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politiques, mais porte sur < la formation des opinions publiques démocratiques par la
circulation des énoncés, des arguments et des témoignages dans les divers espaces
publics > (Bonnafous (5.) et al., Argumentation et discours politique, Rennes, Presses
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universitaires de Rennes, 2003, p. 255). La réflexion de P. Charaudeau se situe exacte-

ment dans cette perspective. Elle se fonde sur la mise en relation de phénomènes obser-
vables au niveau de chacune des instances qui déterminent le discours politique: le
cairn convertisseurs

déplacement des imaginaires sociétaux et l'éclatement des identités individuelles, les

transformations du militantisme dans ses relations avec les médias, les nouvelles condi-
tions de visibilité médiatique du discours politique, le caractère tactique de la parole
politique, I'affaiblissement des relais d'opinions intermédiaires, l'épuisement des dispo-
- - - 89.136.186.125

sitifs médiatiques traditionnels, et enfin au niveau de I'instance politique, l'eflacement

de l'instance adversaire et la fusion des imaginaires de vérité. Un ensemble de facteurs
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socio-institutionnels aboutissent à des u effets de brouillage > (p. l9 ) qui affectent le

discours politique. L'auteur appelle pour finir à une nouvelle éthique du discours politi-
que qui concernerait toutes les instances déjà évoquées. Fondée sur un ethos d'exem-
plarité et de responsabilité, elle serait cependant exempte de tout fantasme de vérité
cachée, souvent entretenu par le discours médiatique. En dépit de cet appel à une nou-
velle éthique, le discours politique demeure un jeu de masques auquel participent gou-
26/07/2020 16h47.

vernants et gouvernés. L'auteur prévient, pour finir : les masques ne tombent jamais.
La démarche de P. Charaudeau transpose les catégories de la rhétorique en concepts
opératoires de I'analyse du discours politique. En cela, elle rend le discours politique à la
16:51 -©©De

complexité de son contexte et constitue bien une manière de saisir toute sa socialité. À
ce tire, l'ouwage de P. Charaudeau confirme que l'analyse du discours est à compter
parmi les sciences sociales du politique, à moins que l'analyse du discours politique ne
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constitue elle-même un carrefour inter- et transdisciplinaire des études du politique.

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