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- Doctorat de l’Université de Paris I-

PANTHÉON - SORBONNE

Démographie

PRATIQUE DU TERRAIN
Méthodologie et techniques
d’enquête

Tome 1

THÈSE
Nouveau régime
(Arrêté du 30 mars 1992)

Présentée par
‘Bernard LACOMBE

sous la direction du
Professeur Bernard GROSSAT

Année 1996- 1997


Note du Diffuseur
Cet ouvrage est la reproduction en I’dtat de l’exemplaire de
soutenance Les Presses Universitaires du Septentrion ne
peuvent être tenues responsablesdes « coquilles » ou toutes
autres imperfections typographiques contenues dans les
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En application de la loi du 1 Juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle, il est interdit
de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou
du Centre Français d’Exptoitation du Droit de Copie (20, rue des Grands Augustins - 75006 Paris)

0 Bernard LACOMBE
I.S.B.N. : 2-284-01251-5

PRESSESUNIVERSITAIRES DU SEPTENTRION
Ruedu BarreauBP 199 59654Villeneuved'Ascq CédexFrance
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AVERTISSEMENT :
le hors-texte du pourquoi d’une thèse

Une thèse est un exercice intellectuei auquel il est coutume de se livrer


en début de carrière de chercheur. Je m’y suis personnellement consacré dans
les années 1965-70, mais l’exemplaire de ma rédaction a disparu 1 la suite
d’incidents politiques dans le pays où j’exerçais. On peut donc s’étonner que je
me remette à cet exercice après trente années et plus de recherches empiriques
et la publication de nombreux articles et de quelques livres, surtout quand on
saura que j’ai tramé cette interrogation avec moi depuis plus d’années encore.
Je sais qu’on comprendrait que j’écrive un livre sur cette question du « terrain »,
mais pourquoi le soutenir en thèse ?
C’est pour deux raisons essentielles que je soumets ce travail comme
thèse : la première est que cet exercice demande un effort personnel que je
crois irremplaçable. Je pense salutaire qu’un jury réclame d’un candidat d’avoir
fait l’effort de tenter de cerner un sujet dans ses axes essentiels, exercice dont
on peut se dispenser quand on écrit un ouvrage, et, d’autre part, d’affronter
l’épreuve d’une soutenance où ses idées seront critiquées, ses arguments dé-
montés, ses manies de style contestées et où seront mises en évidence les limi-
tes de sa recherche bibliographique.
Ce travail a servi de colonne vertébrale à toute ma vie de scientifique.
Pourquoi alors réclamer l’onction universitaire alors que je sais bien que ma
conception du terrain scientifique va porter la marque de qui je suis et de ce
que j’ai fait ? Mais mon parcours est pluriel : d’autres, de ma génération, l’ont
également vécu. Une thèse demande peut-être plus de distance et de sang-froid
d’écriture que je ne suis capable, mais le sujet que je traite est le travail scienti-
fique, même si sa toile de fond est un peu de l’ordre d’un discours sur l’action.
Aussi me paraît-il qu’affronter un jury en Sorbonne est reconnaître que ce dont
je parle est bien de la connaissance scientifique.
Je n’ai pas l’intention de biaiser et de tenter de faire accroire à mes ju-
ges une quelconque innocence. C’est sur l’expérience accumulée, un vécu et
des actions pratiques de recherche que je me fonde pour traiter ce sujet. Malgré
l’emploi du ‘nous’ singulier et le respect des usages, je formulerai mes conclu-
sions sur cette longue réflexion professionnelle dans un style qui aura peut-être
quelques aspérités, mais je crois que l’Université pourra les admettre, car elles
sont I’expression d’enjeux que je pense stratégiques pour le travail en sciences
de l’homme et de la société.
Je suis convaincu que, sans théorie,
il n’y aurait pas d’observation.
Charles DARWIN
[Lettre à Lyell du 1.6.18601
DhDICACE

Pour Lotis Henry, qui sut m’inculquer l’exigence de la science sans tuer
I’utopie et l’engagement qu’elle réclame.
À deux amis disparus : Dominique Hervé, qui n’eut pas le temps de
donner sa mesure, et Jean-Claude BO~~SS~U.
Tous uois savaient ce que terrain veut dire, ils en connaissaient la ri-
chesse et avaient mesuré l’humilité qu’enseigne la pratique. Je sais que ce
travail est une part de ce qu’ils m’ont laissée.

Ce travail n hi>teraitpas si quelques amitiés, appuis et reumntns ne l’avaient mmis de temps


à autre sur son erre. Rondn hommage à tous ne peut sefaire,]; wudrais donc k dédier à que~ues&eres
embl6matiques de mon imaginaire sciènts$que :
Tout d’aboti! je ne pourrais oublier mes maîtrw, que j’ai si souvent mnteste’s mais qui ont su
traiter avec mansuhude et amit mes insolences. ParticuLièrement Monsieur Wn& mon instituteur à
Niamey, qui m hpptit à penser et traduire mes idées, et de Monsieur Lafg, qui m ‘apptit La t@eur de b
rbitoriqueJ?rancaise. Lapassiou et /a hidit& les menaient.
Que Michel N’Dige, Dyodj Damanam, qui m kmmpagna si longtemps sur le terrain au SC-
@a/, soit celui qui accepte ma gratitude au nom de tous les enquêteurs et interptites queucj’ai connus.
QU?I ne garde de notre nncontm, brigue en l’ocn<ntwce, que I’exahation des enthousiasmes que nous
ayons ~nwés sur k terrain.
Que Marie-Louise Senegal Sar, de Diahanor, re@ue, au nom innombrable de toutes ceiles et
de tous ctux qui mht accueif/i, infotmh et hébergé dans mes voyages, l’e+ression de ma gratitude.
Lhnie sur soi qu éfk mon festait m’a beaucoup appris sur fe libre&% du sujt dans ses eforts de mai-
trise des ‘structures sociales’ et dans iëuolution de la so&?é.
Que Rageiio Martine? Flot-h soit celui qui ttphente in’ ceux à quij’ai voulu transmettn
l’héritage intellectuel que j’avais typ et les enseignements d’une pratique hent$que.

Que Sonia Comboni Salinas, Franfois Doumenge, Abdessaiem Kamoun, Abel Ebonsué
Nkoungoumu, Jean Séwrac et Christian Vaieniin anvptent ici le nmeraèment que je leur adresse au
nom de tous ceux qui funnt mes msponsab/es hiérarchiques et qui m’appuyèrent, passant outre mon
insolence, mes humeurs et mes emportements, car ih surent recounaitn l’exzkenn qui me menait. Que
Benjamin Dioue Franck Hagenbuchr-Sam&mti, Br&ima Kassibo, /os.! Manuel Judre? NsXeT et
AbdeKader Sid Ahmed soient, de mes mmpagnons de travai4 ceux qui témo&nent ici que h recherche
na2 de passion, se nourrit de mlkaborationr et vil de volonté. Je ne saurais oubhr ks administra@ de /a
rpchercbe et de b mopération qui m’ont aidi au LU~~S des années, que Syhiaue Chapelet, Chrhtiane
HeIiegouarc’h, Martba Luna et IsabeIe Voisin nfoivent pour eux l’expression de ma m~onnaissance.

Ne pouvant remercier toutes les personnes qui m’ont aidé, et sachant que j’oublierai foHjours
que.+ ‘un, je dirai, au nwrs des cbapitms, ce que je dois à ielui-ci ou à celle-k?, mais]> remetvie par&-
liènmenf mon dincteur de thèse, k Pm~sseur Benrard Gmssat, qui accep/a en 1994 que je npmnne /e
ptvjet d’uue thèse sur !a question du terrain ‘oubitie’ en 1986 à (a suite d’une nomination comme chef de
de)atiement, ptvmotion qui m’interdit de me L,onsarrer à une ~p~/vn personnelle de longue haleine. Il vi>
aller et venir, suer’ caime et imnie, nos idées de I’êcre au néanf et m$bmquement. Quand nous saumns
B fa.fin dr,jlm ~+j’e.@m qu’il ne sera pas défu de ce travaiI, si peu académique ma& l’onction univer-
sitaire à bqueie ilprt!tend.
Pratique de terrain :
Méthodologie et techniques d’enquête.
Mise en place du thème

La trilogie mythique hypothèse, expérimentation, conclusion est le


modèle de la découverte scientifique. Certaines disciplines scientifiques
- dont la quasi totalité des sciences sociales -, ne disposent pas de la moda-
lité “expérience reproductible” dans leurs processus de connaissance : le
terrain y paraît la variable essentielle de la connaissance du rCel chez elles.
Mais le terrain est-il bien un point de départ de la chaîne d’elaboration des
connaissances scientifiques, ne serait-il pas second, apres tout un processus
intellectuel qui prépare la collecte et la détermine ? Quelle relation y a-t-il
entre les idées a priori et la collecte ? Définir le terme ‘terrain’ sera néces-
saire ; ce n’est pas seulement le contraire de lointain, de théorie ou d’abs-
traction dans ses acceptions courantes ; c’est un espace concret et un lieu où
se déploie la connaissance. Mais ne voit-on pas pratiquement que ce qu’on
s’attend à voir ? N’entend-on que ce que nos conceptions nous ont préparé à
comprendre ? Et ne parlons-nous pas uniquement dans l’espace limité de
nos langues ? Sur quelle base donc peut-on se fonder pour faire un terrain
(connaissances, méthodes, théorie) ? Quelle connaissance retire-t-on de la
pratique d’un terrain scientifique où l’observateur est dans l’objet observé ?
Quelle est la nature du fait scientifique acquis ? Quel lien y a-t-il entre ob-
servation et concepts a priori ? Quel est le rôle de la variable personnelle
dans la pratique du travail scientifique ? Quel est le poids de l’implicite et du
formel ? Y aurait-il des faits scientifiques sans méthode ? Un terrain sans
théorie existerait-il ? Pourrait-on avoir, à un bout d’une échelle, une théorie
sans preuves et des faits sans perspective iI l’autre ? Toutes ces interroga-
tions, nous les avons faites natres. La vérité que nous voulons mettre au jour
parait fluctuante, jamais définitive. Il nous semble nécessaire de préciser, et
de défendre aussi, une activité scientifique, celle de l’observation, de lui
donner un champ d’exercice. Même si nous pensons qu’avec seulement du
terrain il n’y aurait pas de connaissances scientifiques, sans lui nous n’en
aurions pas non plus. Et, naturellement, nous serons confronté avec la ques-
tion des sciences sociales ou sciences humaines (mais toute science n’est-
elle pas humaine !) : sont-ce des sciences ? Ou bien seule leur pratique se-
rait-elle scientifique ? L’orthodoxie des sciences physico-chimiques est-elle
un absolu ?

Pour étudier ces questions, que nous nous sommes posees voilà près
de trente ans, nous avions deux stratégies : soit les aborder du point de vue
intellectuel en effectuant des étudesde philosophie des sciences,soit, du
point de vue de la pratique, en exerçant une professionque nousjugions au
plusprèsde ce projet. C’est cette secondevoie que nousavonschoisie. L’on
penseraque nousavons visé trop large pour pouvoir débroussaillerune telle
perspective.Cela n’est pasinexact : notre propre carrière scientifique nousa
mêléà de nombreux projets et, chaquefois que noussommesrevenu à notre
idée de fond, nous avons bien été conscient desdifficult& que nous affron-
tions. Surtout que, la littérature Cvoluant, nous allions, d’ttape en étape,
dans desquestionsplus largesencore: l’épistémologiedes sciencesphysi-
ques, les renouvellementsdu darwinisme, les avancéesdes travaux de la
réflexion sur l’épistémologiedessciencessociales.., et la modedu ‘terrain’,
devenue un deschevaux de bataille de la réflexion en anthropologie(depuis
que Malinovski a mis le terrain commeétapeincontournable)et en politique
(où le concept émergedepuisquelquesannéescomme en contrepoint de la
« virtualisation » danslaquellenousplonge la modernité),ainsi que le justi-
ficatif idéologiqued’institutions entieres.Transforméen ‘mot-valise’ chargé
de fantasmeset d’authenticite, ‘Terrain’ est devenu l’éponyme d’une revue,
et ‘Enquête’ également.Espacescientifique incontournable,égalementobjet
d’enjeux dansla communautéscientifique, le terrain a émergéau cours de
cette dernière décenniecomme point focal du travail en sciencessociales.
Aussi bénéficions-nousde cesréflexions et avons-nousdu nous « recycler »
durant ces deux dernières anntes ’ pour revoir la littérature accumulée. Nous
ne prétendons pas la maîtriser, nous avons surtout voulu recentrer notre
projet.

Notre recherche porte sur « méthodologie et techniques d’enquête et


pratique de terrain ». Peut-être faut-il s’exp!iquer sur ce titre : d’une part
nous voulons entendrece qu’est l’espace scientifique de l’enquête de ter-
rain. D’autre part, nous voulons exposer les d@érentes techniques de
l’enquête en sciencessociales.Enfin, nous voulons offrir un ensemblede
propositionssur le terrain. Le terrain est une parcelledu vécu et une activité
scientifique. Il restera cette contradiction, même si on arrive a résoudre,
dansun futur lointain, la questionde l’objectivit6 des scienceshumaines;
cette contradiction est au cœur de notre interrogation et de cette thèse.C’est
donc dire que nous ne pensonspas clore un débat (re-)naissant.Au con-
traire, nous voulons proposerde nouvelles pistesafin de conforter la cons-
truction des sciencessociales,commesciencesà part entière. Les défis aux-
quels est confronté le monde moderne rend urgente cette prise en compte
des sciencesde l’homme et de la société comme forces propositionnelles
dansl’évolution en cours,

Notre activité professionnelles’est dérouléedurant de longs séjours


en Afrique et en Amkrique Latine, elle a portée surla démographie,la socio-
économieet des projets de recherchemêlant sciencesnaturelleset biologi-
queset sciencessociales.Cestrois axes de notre pratique : travail scientifi-
que dans des pays étrangers, enquête démographique,enquête socio-
économiqueet projet multidisciplinaire serontla basede notre réflexion.

’ C’est en 1994 qu’après bien des hésitations nous avons décid6 de rédiger nos réflexions
sur le sujet et surtoul d’effectuer une thèse, ce qui transformait profondément notre appro-
che : l’exercice demandant une connaissance approfondie de ce qui a ét6 produit sur le
sujet ; nous devions de nouveau nous lancer dans des recherches documentaires avec tous
les risques de dérive inhérente à la recherche documentaire, où le plaisir de lecture retarde,
jusqu’à l’empêcher, le devoir d’écriture.

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Quoique cette thèse porte sur la pratique et non pas sur la théorie,
nous faisons nôtre la phrase de Darwin mise en exergue à cette introduction
et que nous pouvons traduire en notre langage en disant : l’oeil ne voit et
l’oreille n’entend que ce que le cerveau est préparé à percevoir. La théorie et
le concept sont donc d’une absolue necessité sans que cela annule le pro-
blème de déterminer la triple question de : comment voir, comment entendre
et comment trouver. Autrement dit : Comment chercher ? Comment enquê-
ter et observer ?
Nos sources et notre réflexion nous entraînèrent trop loin et nous de-
vions sérier notre question si nous voulions Pr&endre avancer dans cette
analyse. Notre interrogation a largement dépassé toutes nos prévisions et
cette recherche ‘tout azimut’ courrait le risque de trop embrasser et de mal
étreindre. Comme nous l’avons dit, nous avons glissé d’une interrogation
sur l’action à une reflexion sur le terrain dans le travail scientifique sans
pour autant abandonner cette notion très large qui reste en arrière-plan de
nos interrogations. À la rédaction de cette thèse, nous prenons conscience de
ce qui pourrait être une dérive.
L’apparition dans le langage commun du terme ‘terrain’ est en partie
responsable de ce qui pourrait être une déviation. En effet, en six ans, la
référence au concept ‘terrain’ est devenue de plus en.plus fréquente dans le
langage courant, particulibrement dans la presse, et la politique en a fait de-
puis moins de cinq ans un de ses termes de référence. Un événement para-
digmatique pour notre propos, l’élection présidentielle française de 1995, a
donné un “véritable statut scientifique” à ce concept en analyse politique
puisque ce terme est aujourd’hui utilisé pour expliquer des résultats electo-
raux ou pour rationaliser l’échec de certaines politiques sectorielles. Dans
l’élection présidentielle de 1995, il avait été couplé avec la question des
sondages. Un debat s’en était suivi sur la nature de l’information et la ques-
tion de la réalite des images fournies par des enquêtes. Ces débats illustrent
bien une question qui est au cœur de notre interrogation : la nature de la
collecte sur le terrain, mais, aussi, ils la dépassent. Nous reconnaissons que

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ces analyses Ctendaient nos conceptions hors d’un champ scientifique stric-
tement maîtrisé et nous avons donc décidé de les exclure de notre projet
stricto sensu. Nous signalerons seulement les extensions possible de notre
propos dans le cours de notre rédaction.

Nous devons donc préciser ce qui nous paraît novateur dans notre
projet par rapport aux problématiques jusqu’à présent développées sur la
question du terrain.

D’habitude, le terrain est soit envisage d’une manière extensive et


c’est alors « l’expérience pratique ou le lieu oh l’on s’informe ». Dans cette
acception, le terrain c’est le laboratoire, la réalisation d’une enquête, la pra-
tique, tout cela est envisagé comme l’autre pôle de l’abstraction, de la théo-
rie, de l’intellectualisme. C’est l’immersion dans un problème et une prati-
que qui sont en cause. Dans l’autre acception du terme, il est conçu et
n’existe que comme l’immersion dans une population que l’on étudie. Son
archétype est alors l’observation-uarticinante chère aux ethnographes. Les
géographes se definissent par l’espace, à l’image des historiens qui defini-
raient l’axe principal de leur travail par le temps, Les ethnographes
(ethnologues et anthropologues) pratiqueraient-ils une discipline fondée par
le terrain ? Nous avons des doutes sur des clivages scientifiques dont le cri-
tère serait les conditions d’apparition des faits sociaux. La méthode fonde-t-
elle une science ? Nous ne le croyons pas plus, ainsi que l’expose magistra-
lement Jean-Claude Passeron (1992) : l’objet est identique en histoire, en
géographie (humaine), en anthropologie, en sociologie... Ce qui diffère,
c’est les compétences, les corpus analysés, les méthodes de démonstration.
En conséquence, si l’optique des ethnographes, qui se fondent sur une me-
thode pour affirmer leur identité, est valable puisque nous n’existons socia-
lement que dans le champ de pouvoirs identitaires, mais leur prétention à
monopoliser cette méthode est, quant a elle, erronée.
D’une manière générale on situe une espèce de gradation entre les
techniques d’observation quantitatives, les techniques d’observation quali-
tatives et le terrain. On va ainsi, croit-on, du plus scientifique au plus fin, de

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l’objectif au subjectif, du général au particulier, jusqui& atteindre l’ineffable.
Nous n’avons pas du tout cette vue des choses et voici selon nous la ques-
tion telle qu’elle se pose :

L’observation est un fait humain et biologiquement déterminé, elle


ne porte jamais que sur des étants, des choses qui existent, singulières et
historiques par definition. La science, elle, veut obtenir un ensemble
d’observations pures, a-singulières et a-historiques, par le biais d’un langage
de synthèse (ou theorique, ou généralisant). La science est un processus de
connaissance intellectuelle pure. L’observation est une opération concrète et
un intermédiaire entre une réalité contingente, complexe, multiple, situCe
dans le temps et l’espace et une connaissance d’ordre intellectuel. Le terrain,
alors, est le lieu où existent les faits. L’observation dispose de multiples
techniques et methodes (et on retrouve ici les concepts de ‘quantitatif’, à un
bout de la chaîne, et de ‘qualitatif’ à l’autre) et le terrain fournit une
‘expérience’ à celui qui le vit. Dans le cadre d’un travail scientifique, le ter-
rain donne une dimension qualitative, globale et émotionnelle, une intuition
des faits, dont l’intérêt est l’objet d’une partie de notre thèse. Le terrain est
donc un certain rapport empirique au concret. Le terrain et donc à la fois
extérieur puisqu’il existe indépendamment de l’observateur et dépendante
de l’observation puisque celle-ci intègre l’observateur. De cette contradic-
tion, il est inutile espérer s’extraire.

Nous n’avons donc pas une observation qui répondrait à un schéma


en cascade : quantitatif / qualitatif I’ terrain, tel qu’il existe implicitement en
de nombreuses ttudes, mais un schéma en binôme : observation / terrain.
Cette manière de découper l’espace épistémologique permet de restituer tout
son statut à l’observation et de la placer antérieurement aux débats dichoto-
miques dérivés : quantitatif-qualitatif, macro-micro, global-local,, . L’obser-
vation ainsi resituée, dépend de la théorie, on n’observe que ce que l’on
s’attend à voir 2. Et l’expérimentation n’est qu’une des formes spécialisée de

2 Yves Coppens parlait lors d’une conférence d’un de ses collègues paléontologues disant,
descendant de la Land-Rover et posant le pied sur des ossements pré-hominien, «Ici, il n’y
a rien a voir » (Bordeaux, décembre 1996, Société d’écologie humaine).

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l’observation, comme ses dérives modernes que sont les différentes prati-
ques de la simulation scientifique.

Face à une position qui voit les procédures qualitatives et quantitati-


ves comme un empilement (on va du qualitatif au quantitatif ou J’inverse
selon que l’on est “partisan” du premier ou du second) ou un circuit (on va
alternativement et circulairement de l’un à l’autre) nous proposons quant ci
nous une optique non-dichotomique où les deux procédures sont conjointes
mais en proportions inégales. L’observation chez l’homme (ou I’Homme)
procède de nos sens ; sur le plan scientifique, deux sens sont privilégiés :
l’un est la vue, l’autre l’ouïe. L’observation participante, qui est le nec plus
ultra des procédures qualitatives, implique surtout la vue (Laplantine,
1996) ; est-ce que l’ouïe ne serait pas privilégiée dans la collecte quantita-
tive ? D’une certaine manière cela nous paraît être exact. À la nuance près
que l’observation participante, par définition, implique la totalité de l’être,
donc la totalité de ses sens (odorat, kinésie.. .)

Nous avons finalement la logique du plan que nous développerons :


qu’est-ce que la science, que sont les sciences sociales ? L’historicité systé-
matique des faits et l’intrusion du sujet dans le champ de l’observation étant
deux contraintes de nos disciplines. Cette question de la science s’est révé-
lée préalable à l’etude de l’observation, compte tenu de notre problématique
initiale restée permanente au cours de ces années : que1 est le statut des
sciences qui ne disposent pas de l’expérimentation ? Nous avons cru néces-
saire de la développer plus largement que nous n’en avions l’intention en
Premiere partie, car, pourquoi chercher et que chercher ? Dans cette partie,
nous aborderons également les questions liées à la pratique du travail en
équipe et multidisciplinaires qui a fait émerger des difficultés qu’aujour-
d’hui nous pouvons nommer quand hier les chercheurs individuels s’en ar-
rangeaient dans leur pratique scientifique isolée.

En seconde partie nous traiterons de l’observation : pour les sciences


sociales il s’agit de la collecte avec ses deux grandes pôles quantitatif et
qualitatif. Enfin, le terrain sera traité en troisième partie : que signifie de

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vivre la collecte au quotidien, là où les faits apparaissent et se produisent,
quand on exclut l’expérimentation de son analyse comme nous l’avons dé-
cidé quant à nous. Le terrain est donc le lieu objectif où les faits se produi-
sent et où ils existent ; mais le terrain est aussi le lien, la relation entre un
chercheur, c’est-à-dire un être humain qui a un projet scientifique, et cet
espace mental et physique. Tout le corps de cette thèse est centre sur la col-
lecte : le pourquoi et le comment.
En préalable 21ce corps principal de notre thèse, sera traité le corpus
sur lequel nous nous appuyons et la mise en perspective historique du sujet
et pourquoi nous en sommes partie prenante. En postface nous traiterons
dans un court chapitre de l’expression du terrain, car la question des scien-
ces sociales ne se limite pas aux difficultés épisttmologiques de définition et
à l’inclusion de l’observateur dans le champ de l’observation, elle est aussi
dans l’expression, en langue naturelle, des faits observés. Par ailleurs, la
question de l’absence d’objectivité dans les sciences traitant de l’homme
amène l’intrusion de la sensibilité, laquelle fonctionne par l’analogie et le
non-verbal. Comment passer de l’analogique au logique ? (René Barbier,
1997). Nous verrons que cette question, qui nous a aussi accompagné tout
au long de notre carrière, et que nous ne ferons qu’effleurer par la force des
choses, est une des grandes interrogations actuelles que se posent les diffé-
rents praticiens et chercheurs en sciences de l’homme et de la société et sur
la quelle débouche logiquement notre travail.
Nous nous mettrons parfois en sci‘ne, pas pour nous satisfaire de
quelconques aveux, mais parce que le ‘terrain’, s’il apporte une expérience,
ne l’apporte qu’à celui qui le vit. Il est donc impossible de s’abstraire d’un
processus expérientiel que l’on veut exposer. Mais ce n’est pas nous-même,
notre « moi » qui expliquent ces incursions, c’est que l’objet même de notre
recherche passe par la conscience du chercheur. Considérons l’ouvrage ma-
gnifique de Nigel BARLEY, 1992, Un anthropologue en déroute. Barley
parle certes de lui, mais comme individu, même si c’est Monsieur Barley
qui a la diarrhée, qui est piqué par les moustiques, insulté par les néo-

12
coloniaux français, étonné par les Dowayo. Il est l’archétype de l’ethno-
graphe et sa situation est paradigmatique de la situation du chercheur sur le
terrain. Nous-même, sans prétendre à la même rtkssite, si nous utiliserons
qui nous sommesou qui nousavonsété, c’est parceque ce serala seulema-
nière d’exprimer une situation plus générale,plurielle, vécue par d’autres,
avec d’autresoccurrenceset d’autres incidences,maisqui, grossomodo, de
leurs expériences,auront tiré des conclusionsidentiques (ce qui confirme
que, pour être personnel,le terrain n’est pas pour autant n’importe quoi).
Nigel Barley a dû son succèsa une certaine manière de mettre en scène
« mon terrain et moi » - d’autres furent moins heureux dansle mêmeexer-
cice -, maisson expérienceest bien celle que nousavonscollectivement eue,
et nousne sommespasle seul à s’être reconnudansce portrait d’une rela-
tion d’un hommeparticulier avecun terrain particulier. Le terrain, commele
voyage, le tourisme, le mariage,la famille.. . est un espacesocialementdé-
terminé, vécu par chacun selon des modalitésspécifiquesqui leur sont, 21
l’un et à l’autre, propres (propresau phénomène,propresà la personnequi
l’éprouve). La subjectivité n’empêchepasl’objectivite, car celle-ci n’existe
quepar le déploiementde celle-là. Nous pensonsdonc que, mis à part quel-
ques dérapagestoujours possiblesde notre part dans cette rédaction, nos
lecteurs entendront notre projet quand il réclamera l’expression de notre
Cquationpersonnelledansle coursde cette rédaction.

Nous savonscombienle sujet fera encorecouler d’encre car il touche


à la nature mêmedessciencessociales.

13
À mes amis, gens de terrain, qui parfois sont
amers devant les discours qu’ils entendent sur
ces pays et ces cultures qu’ils aiment tant:

Je suis voyageur et matin, c’est-à-din un menteur et un imbé-


de aux yeux de cette classe d ‘imvains pansseux et superbes
qui, ah l’ombre de leur cabinet, pMosopbent à perte de vue
sur le monde et ses habitants et soumettent impénèusement ka
nature à leurs imaginations. Ptvcé& bien singuliec bien in-
concevable de h part h gens qui, n’ayant rien obsemés par
eux-mêmes, n ‘hivent et ne dogmatisent que d’qprès les obser-
vations empruntées à ces mimes voyageurs auxquels ils rj4-
sent la faculté de voir et de penser.

Bougainville
L’yage autour du monde

3 Cité par Kilani, 1994 : 92, de Leclerc, 1979 : 49


Conventions graphiques :
Les possibilités informatiques donnent au rédacteur-dactylo des pos-
sibilités un peu trop «ouvertes » parfois et nous avons voulu profiter de
certaines possibilités du système utilisé :
Pour les guillemets nous avons décidé :
l $...’ quand nous voulions seulementattirer l’attention sur le fonc-
tionnementde concept de certainsmotsisolés;
. “...” quand nous voulions soulignerun terme ou une expression
fonctionnant en concept ;
. « ,., » quand nousnouspermettionsune expressionde facture un
peu trop extra-universitaire.
Par exemple: ‘terrain’ signifierait le concept de terrain, et “méthodes
d’enquête” signifiant alors l’ensemble du corpus de ces méthodes;
« terrain » signifie notre doute sur l’usage du terme que nous utiliserions
ainsidansune phrase.
Les citations sont toujoursen italiques,mêmequandelles sont suffi-
sammentconnuespour que nous ne mettions pasla référence. Nous souli-
gnonsd’un trait les raresmotsque nousvoulons mettre en valeur pour éviter
les risquesd’incompréhensionquand la phrasepourrait prêter i3confusion.
En généralles citations font l’objet d’un paragrapheparticulier formaté dif-
féremment des autres du textes (décalé à droite et à gauche et l’intervalle
entre les lignes est simple). Quand les citations sont soulignées,sauf men-
tion contraire, c’est le texte original qui l’est.
Les notes sonten basde pagesansrenvoi à la fin du chapitre, sauf le
cas d’une annexe. La gestionautomatiquedesnotesen bas de page est tou-
jours un problèmeet nousnousexcusonsde cellesqui déborderaientd’une
page ou seraientrejetéesà la pagesuivante. Nous avons autant que faire se
peut évité cespetits desagréments au lecteur, maisl’informatique a certaines
curiositésque nous n’avons’pu éliminer. Elles sont numérotéespar bloc :
Introduction, Chapitre préliminaire, puis partie par partie, chapitre final et
conclusion.
Sommaire

Avertissement, Dédicace, Mise en place du thème, Sommaire 2


Introduction : Thème et corpus 18
A- Collecte et terrain : processus et maturation d’une idée et ses conditions d’analyse
21
B- Le Corpus rassemblé pour cette recherche 39
C- Conceptions scientifiques d’une générafion : terrain et réflexion imtiturionnelie
53
Ille Partie : la science comme action et problème : science et société 73
A- Qu’est-ce que la science 77
Chap. 1 : Le monde et la connaissance 78
Chap. 2 : La science et les sciences 88
Chap. 3 : La demande sociale 105
Chap. 4 : L’information scientifique 122
B- Paradigmes et piéges : les grands dkbatsde la pratique des sciences sociales
131
Chap. 5 : Problématique et totalitt : deux grands thèmes 134
Chap. 6 : Le terrain comme paradigme 143
Chap. 7 : Échelles et niveaux 150
Chap. 8 : Continuit el rupture 166
Chap. 9 : QuaUt et quantités 184
Chap. 10 : L’expkimentation et la simulation 196
C- De Goldnrann à Passeron, 30 ans de sciences sociales 224
D- Lu question des compétences, approche de la dtfmographie 239
Ifmc Partie : Méthodologie et techniques d’enquête 247
Chap. 1 : Les enquêtes démographiques par sondage en Afrique francophone, exemple
d’une situation scientifique dans la collecte directe d’information sur le terrain. La situation
en 1965 254
Chap. 2 : L’enquête, lieu de confrontation probltmatique 268
Chap. 3 : La collecte : avant, pendant, après 279
A- Les colleeres quantitatives 291
Chap. 4 : Les diffkrentes dimensions des enquêtes quantitatives 294
Chap. 5 : Pourquoi des enquêtes démographiques ? Démographie et politique 320
Chap. 6 : Le questionnaire et les questions 338
Chap. 7 : Les sous-produits d’une collecte : analyse des données dkrivées d’une enquête,
exemples, usages et conditions de validité 366
B- Les collectes qualitatives 397
Chap. 8 : Les instruments de la collecte qualitative 401
III imc Partie : Le terrain 422
Chap. 1 : Les diffbrentes acceptions du terme “terrain” 426
Chap. 2 : Le terrain, rkalitt multiforme de la pratique 468
Chap. 3 : Le Colloque de sociologie d’Abidjan, 1972 506
Chap. 4 : Paroles de terrain 520
Chap. 5 : Terrain : voyages, aventure.. et récits 540
Chap. 6 : Le terrain des anthropologues 582
L’expression du terrain 628
Conclusion 640
Annexes 664
Bibliographie 665
Verbatim 776
Entretiens 811
Plan détaillé 840
INTRODUCTION:

THÈME et CORPUS
Dans ce chapitre introductif, nous allons cadrer notre recherche dans
son long, très long (trop long ?) processus de gestation. En effet, nous
« portons » ce livre depuis plus de 30 ans. 11a orienté tous nos choix de car-
rière, ou plutôt il a reduit a néant tout choix rationnel de carrière ‘. Après
tant d’années, nous reconnaissons avoir eu du mal à entamer cette redaction,
car notre recherche était devenue une espèce de hobby que nous traitions
avec indulgence, peu soucieux d’en faire un objet universitaire ou scriptu-
raire. Et puis, est arrivé un moment où la question a cessé de vraiment nous
motiver : il était temps d’abandonner totalement le projet et de passer aux
pertes et profits ce qu’il nous avait apporté et ce dont il nous avait privé, ou
de produire nos conclusions. Comme nous pensons qu’il n’est jamais bon de
ne pas établir un bilan, il nous était impossible de laisser les choses en
l’etat : tout doit avoir une fin. Souvent, la vie nous prive de la grande expli-
cation et laisse en nous, et dans les rapports que nous entretenons avec les
autres et le monde, des zones d’Ombre, des insatisfactions, - des blessures
parfois, comme cet air de musique entendu dans une rue qu’offenbach cher-
cha toute sa vie à retrouver, en vain. À un moment, nous en sommes donc

arrivé à la conclusion qu’il fallait mettre un terme ztcette interrogation ou


accepter une critique publique des conclusions, malgré l’imperfection que
nous ressentons quant à leurs construction et expression, Le travail scientifi-
que ne conclut jamais définitivement, il marque seulement une étape, nous
situons explicitement notre travail dans un continuum : nous avons cherche
à savoir ce qui s’était fait avant nous et autour de nous. Nous espérons que
notre effort aidera ceux qui voudrons faire avancer l’action scientifique de fa
collecte, comme pratique intellectuelle et comme action.

’ Par exemple, nous ne sommes pas resté au Séndgal pour pouvoir acquérir d’autres expé-
riences au début de notre carribre, nous ne sommes pas ‘rest6 en démographie, ni n’avons
vis6 A consolider les positions de pouvoir que nous avons occupées... nous n’étions pas
totalement inconscient de l’avantage incomparable que nous aurions eu à être une ‘taupe
monomaniaque’ (Einstein), spécialiste de l’enquête multidisciplinaire au SBnégal, des re-
gistres paroissiaux, de l’étude fine de la fécondité, et de la mortalité infantile au sevrage,
mais ce n’btait pas notre projet et les ennuis que nous avons connus, malgré quelques
‘coups de blues’ bien légitimes, nous les avons toujours assumés.

19
Cette partie introductive se divise en sous-chapitres : le premier re-
tracera l’historique et les conditions de maturation d’une idée qu’aujour-
d’hui nous présentons comme th$se à l’Université de Paris 1. Chemin fai-
sant, il donnera les grandes lignes des recherches empiriques que nous avons
réalisées comme propédeutique a cette thèse. Le second sous-chapitre expli-
citera l’ensemble du corpus d’informations sur lequel nous nous appuyons :
la bibliographie sur le sujet, les références annexes ou connexes, les enquê-
tes personmelles réalisées. Le dernier chapitre traitera de l’émergence au
cours du temps du concept de terrain en centrant notre analyse sur les con-
ceptions scientifiques d’une génération, la nôtre.

20
A - Collecte et terrain : processus et maturation
dkne idée et de ses conditions d’analyse

Historique d’une idée

Le terrain devient un théme à la mode, une revue porte ce nom, de


nombreux articles lui sont consacrés dans des revues, ainsi que des numéros
spéciaux. Pourtant, le projet que nous exposons ici n’est pas venu de la
mode actuelle : il a pris naissance il y a trente huit ans et il a déterminé toute
notre vie professionnelle, L’incident qui nous permet de donner une date de
départ à cette idée est sans intérêt ici puisqu’il nous entraînerait à parler de
la pré-histoire d’un événement en lui-même ténu et perdrait le processus
d’analyse dans les méandres des émotions et les cheminements chaotiques
d’une confession, insincére par obligation. Mais nous devons quand même
préciser cette idée d’origine quand elle s’est portée sur le champ de
l’exercice du travail scientifique, puisque l’on verra que notre orientation
n’est pas totalement dans le « vent » actuel où parler du terrain évite souvent
d’en faire. Dans notre jeunesse, un professeur nous avait fait un reproche
semblable : pourquoi parler de méthode quand toute la question est de
l’appliquer ! La méthode n’est valable que si elle s’applique à la spécificité
de l’objet étudie !

Notre ambition de départ était methodologique : nous espérions que


l’on pourrait concevoir des méthodes efficaces pour saisir le réel et donner à
celui-ci un statut théorique. De cette ambition, ou de cette illusion, nous
sommes bien revenu, mais revenu heureux d’avoir navigué si loin. La ques-
tion d’origine était de déterminer ce qu’était la ‘pratique’ générale et scienti-
fique dans les disciplines scientifiques qui ne disposaient pas de I’expé-
rimentation. Quand l’expérimentation est impossible, non pas tant pour des
raisons éthiques (qui existent et nous les verrons, mais dont le rôle épisté-
mologique est mineur ou médiatisé à travers d’autres impossibilités) que

21
pratiques (comment reproduire une situation singulière qui ne s’est jamais
produite et ne se reproduira plus ? ), est-ce que l’expérience a un sens perti-
nent, un contenu scientifique ? Nous étions confronté, à cette Cpoque OÙ

naissait la Pc République, aux rapports qu’entretenaient la pensée et


l’action ; l’époque était ‘sartrienne’, on se sentait responsable de tout et l’on
voulait que notre action répondît aux nécessités du monde. Nous étions jeu-
nes, cette explication suffit peut-être. Mais cette notion de « pratique à ob-
jectif scientifique » a naturellement évoluée et nous sommes passé d’une
conception générale qui magnifiait la théorie à une conception dont la mo-
destie nous a paru telle, qu’un temps nous avions abandonné ce projet.

Au cours de ces trente et quelques années, à la faveur des circonstan-


ces vécues et des pistes qui s’offraient, les unes freinant notre autonomie, les
autres élargissant ou rétrécissant notre projet personnel, et toutes empêchant
cette rédaction ; nos idées ont fluctué entre un «qui trop embrasse mal
étreint », informe de par son ambition démesurée, a un noyau dur que nous
pourrions résumer comme étant « le vécu sur le terrain » qui est la tendance
actuellement a la mode et frise à penser le vide « magmaeux » d’où naît
toute Pensé:e, sujet d’ordre littéraire plus que scientifique : sur cette question
Lao-tzeu nous écrirait quelque poème qui ne déparerait pas le Tuo tê king.
La ‘pratique scientifique’, sujet global sur lequel nous avons erré des an-
nées, dépassait notre intérêt en incluant toute l’activité scientifique et, se
confondant a la science en train de se faire, frisait le vide de trop d’ambition.
La science ne procède que par étapes, tentons donc d’apprécier celle que
nous connaissons actuellement avec lucidité pour., ,
Saisir le simple et embrasser le primitif
Réduire son moi et brider ses désirs. (Lao-tzeu)
Ce mouvement de balancierdu tout au rien s’estdonc quand même
stabiliséet, d’étape en étape, la ‘pratique’ s’estréduite à la collecte de ter-
rain comme activité scientifique. Souvent délais& parfois abandonnéou
oublié, le thèmedu terrain estdonc revenu de soi-mêmedansnotre réflexion
et nous acceptonsaujourd’hui d’en traiter malgré l’imperfection concep-
tuelle où nous l’amenonset l’indécision dans laquelle nous sommesde sa-

22
voir si le discours sur la connaissance est une connaissance. Indécision ou
indifférence. Mais notre sentiment est, qu’en réalisant ce travail, nous pro-
duisons non pas un plaisir que nous voudrions partagé, entre nous, qui écri-
vons, et le lecteur éventuel, un plaisir d’échange fondé sur un kit
d’expérience et d’expériences. mais aussi une connaissance particulière
parmi d’autres connaissances, toutes concourant a une connaissance géné-
rale dont la raison d’existence est hors de notre sphère d’interrogation. Ce
que nous pouvons dire à l’appui de cet essai est tout l’apport que nous avons
trouvé à lire et étudier les propos méthodologiques de nos devanciers, ainsi
que tous ceux qui ont un peu levé le voile sur leur manière de faire, que le
produit qu’ils aient fourni soit une œuvre littéraire, une expérience ou une
expérimentation, un voyage ou une aventure, un morceau de vie,

Nous devons noter qu’ayant le choix entre plusieurs institutions


d’accueil, et donc plusieurs stratégies professionnelles, nous sommes entré
et resté à I’Orstom (Institut français pour la recherche scientifique pour le
développement en coopération) car il correspondait au premier chef a notre
orientation de fond, malgré l’inconfort que nous y avons trouvé (il y était en
particulier déconseillé d’effectuer des recherches personnelles et de soutenir
des thèses dans I’O.R.S.T.O.M., quand ce sigle était l’acronyme de Office
de la recherche scientifique et technique outre-mer 2). Mais ailleurs n’aurait
peut-être pas été plus facile pour nous, vu la causticite de notre tempéra-
ment. Ce choix professionnel, pour &re totalement assumé, doit donc abou-
tir à presenter le résultat de nos réflexions, quelle que soit leur valeur intrin-
sèque : nous nous devons cela à nous-même.

Un autre argument nous oblige à produire cet ouvrage : nous avons


l’assurance que les données, qui sont le produit de l’observation des faits,
sont une partie déterminante du travail scientifique et que leur qualité de-

* Par convention, quand nous parlons de « I’ORSTOM ». nous I’dcrirons en majuscules


quand ce sigle est I’acronyme de Office de la recherche scientifique et technique outre-mer
(en toute logique nous devrions écrire toujours« O.R.S.T.O.M. », mais l’habitude était ain-
si) et « I’Orstom » quand il fonctionne comme nom, depuis son changement en 1982 en
Institut français pour la recherche scientifique pour le dtveloppement en cooperation,
l’ancien nom ayant Cte conserve.

23
pend de la manière dont est conduite l’observation et pas seulement de la
manière dont elle est envisagée (la trop fameuse problématique). L’obser-
vation n’est pas seulement un point de vue, c’est aussi une action et c’est cet
acte et cette pratique, que nous voudrions faire avancer pour améliorer la
qualité du travail scientifique. Car nous restons persuadé de l’importance
d’un travail scientifique de qualit& L’humanitC est « allée trop loin » pour
« laisser faire la nature », qu’elle a dévorée et qui ne va plus survivre qu’à
travers nous, comme dans certains cauchemars de science-fiction. Sans
avance scientifique ((cEncore », pourraient dire les sceptiques), une phéno-
ménale régression, explosion ou implosion attend la population humaine, et,
si l’avenir existe pour nous, il ne peut exister qu’avec la recherche scientifi-
que 3. Nous voulons donc aujourd’hui limiter notre projet à la question de
l’observation de terrain dans les sciences sociales. Sujet en soi-même suffi-
samment vaste. Et dans le cadre de l’observation, nous avons décidé de nous
limiter à la pratique des enquêtes et de l’observation de terrain.
Nous aurions pu, nous qui avions une si haute opinion de la théorie,
nous lancer dans la philosophie et analyser cette question d’un point de vue
externe, mais tel n’a pas tté notre projet ; nous voulions traiter la question
du point de vue de la pratique. La recherche épist6mologique nous paraissait
un discours de seconde main car il nous semblait qu’il manquait 4 une base
documentaire sur la question, mis à part les grands textes disponibles, ceux
de Lévi-Strauss, de Durkheim, des grands anthropologues anglais et améri-
cains, Margaret Mead, Gregory Bateson et l’incontournable Bronislav Mali-
novsky, ainsi que la flopée des récits de voyages dont peu sont utilisables
dans l’objectif qui est le nôtre. Nous devons dire aussi, par modestie bien

‘Jean d’ormesson, (Le Figaro, 3 avril 1997) : Nous sommes condamnés à avancer. La
poursuite de l’effort scientifique est indispensable pour esquisser des solutiorrs aux pro-
blémes qu’ont créés ses découvertes. D’Ormesson, commentant le dernier ouvrage de Fran-
çois Jacob, ne pense qu’aux sciences biologiques, mais c’est des sciences sociales que ris-
que de venir la r6ponse !
4 Nous reconnaissons aujourd’hui avoir été quelque peu léger dans nos jugements : il suffit
de lire les grands Cpistémologues modernes pour voir qu’ils ont tous dkbutc! après de solides
études scientifiques. Mais la pratique et l’étude ne sont pas équivalentes cependant.

24
entendue, que notre position sur le discours épistémologique n’est pas un
absolu : la pratique de l’épistémologie demande des qualités de théorisation
dont nous sommes certain qu’elles ne sont pas de celles dont nous pouvons
nous vanter. Que d’autres puissent le pratiquer avec bonheur ne fait pas de
doute et nous avons grandement retiré de nos lectures d’Habermas, Steigler,
Conche, Thuillier, Latour, Dewey OU Popper pour citer ceux que nous avons
sous la vue alors que nous écrivons.. . Mais nous devrons avouer notre in-
suffisance en la matière. Nous ne sommes pas un grand lecteur ; nous avons
toujours eu des difficultés à comprendre ce qui n’était que des idées abs-
traites pour nous, c’est-à-dire quand rien ne les liait à notre expérience.
Nous n’avons compris vraiment les sondages que lorsque nous avons eu à
remplacer un ménage absent sur le terrain ; Habermas, que nous n’avions
pas compris, nous a paru lumineux quand nous avons pu le raccrocher à nos
travaux ; nous n’avons compris le débat sur ‘IongitudinalAransversal’ des
démographes dans les années 60 qu’en écrivant notre livre sur Fakao ; les
thèses sur la mimésis et le bouc émissaire de René Girard nous ont paru très
claires en écrivant sur la sorcellerie au Congo comme jalousie.. . ; enfin,
c’est en faisant une analyse que nous avons pu avoir l’impression de com-
prendre quelque chose à Freud et épigones.. , Ce travail aurait grandement
profité d’une fréquentation de Wilhem Dilthey, aujourd’hui, il nous semble
accessible intellectuellement et nous regrettons de ne pouvoir l’inclure dans
ce travail, lui qui a si justement dit :
Il n’est de chose, d’objet, que pour une conscience et dans une con-
science. 5
On comprendra que nous ayons eu des difficultés à aboutir dans ce projet
puisque chaque expérience nouvelle nous demandait d’être entendue jus-
qu’au bout et nous écartait chaque fois de notre erre. Cependant, cette nou-
velle insuffisance de notre pensée ne nous paraît pas une raison de surseoir
encore. La science n’est jamais que temporairement certaine et notre point

‘Cité par René Milhau, in Encylopedia Urriversalis, 1 : 95, “Wilhem Dilthey, 1833-191 l”,
trad. de Jean Rtmy, Le monde de I’esprif, Tome 1 : 95 ; trouver hors des bibliothèques les
ouvrages de Dilthey estunegageure.

25
de vue, qui est celui d’un praticien, peut présenter un indrêt, car la philoso-
phie de la science n’est pas seulement du ressort des philosophes. Les
scientifiques eux-mêmes, du rang desquels nous nous plaçons résolument,
ont aussi un apport à produire dans ce champ de la réflexion. Non pas que
cela fera avancer la science, comme Poppers, Feuer et Chalmers l’ont si-
gnalé, mais parce que les sciences sociales, de par leur caractere historique
- leur historicité et leur liaison avec l’ensemble des phbnomènes culturels -
n’avancent qu’a la mesure de la compréhension dans laquelle nous sommes
de notre propre histoire : être consciemment un être conditionné (Dilthey),
ce qui nous demande d’assimiler les ressorts de notre pratique, ce à quoi
cette thèse prétend de contribuer.

Cependant, si nous exprimons ici les défauts que nous voyons à no-
tre travail, que l’on n’en déduise pas que c’est par humilité : notre point de
vue est tout différent. Nous avons fait des choix et pour répondre à notre
question et pour réaliser ce travail. Ces choix présentent des avantages, ils
comportent aussi des inconvénients, Nous assumons ceux-ci et presentons
ceux-là à la critique publique. Par ailleurs, nous pensons que toute chose
existe et se réalise dans des contraintes et que l’examen de ces contraintes
est une obligation intellectuelle pour qui prétend effectuer un travail scienti-
fique. Quand nous presentons des résultats statistiques, nous tenons à préci-
ser leur fiabilité. Celle-ci est toujours liée à la critique des sources et à
l’analyse des intervalles de confiance. Pour nous, une moyenne n’est qu’une
idée et, pour la discuter, nous exigeons de connaître quelle population de
base est en cause et le f o qui entoure le chiffre. Une idee ‘subit’ le même
traitement : d’ou vient-elle, à quelles contraintes elles satisfait, dans quelles
limites reste-t-elle valable, quelle est son étendue ? Quand passe-t-elle, de
« bonne idée », une idée erronee.. . Nous nous sommes beaucoup intéressé à
ces questions de logique des situations concrètes, que ce soit la tyrannie des
petites décisions, la théorie des jeux, celle des logiques sociales, l’origine et
la cause, les moments de rupture. C’est donc une véritable déformation pro-
fessionnelle chez nous de discuter des fondements et préciser les limites de

26
ce que nous avançons. C’est pour cela que nous signalons les défauts que
nous voyons à notre travail, et que nous assumons, sachant qu’il en présente
d’autres que nous ne voyons pas. À notre décharge nous dirons que nous ne
pouvions pas en même temps passer toutes ces années à faire du terrain et à
fréquenter les bibliothèques. NOUS travaillons pour gagner notre vie depuis
l’âge de 19 ans, soit donc 40 ans de vie professionnelle. Cette expérience
acquise ne pouvait pas seulement avoir que des avantages car les médailles
sans revers n’ont jamais été inventées. Nos orientations, qui se reflètent dans
cette thèse, comme ceux de tout un chacun, sont à la fois produites par le
hasard et la nécessité, et résultent de choix, les uns clairement définis et
d’autres dont la source nous est obscure. Nous n’aurions pas refusé une vie
de rat de bibliothèque, nous l’avons souvent enviCe. Tel cet archiviste qui
traque dans les archives la trace des bateaux engloutis et, ayant determiné le
lieu de leur naufrage, vend son information à des chercheurs de trésors ; ou
tel ce très vieux japonisant que nous avions rencontré jeune étudiant au Ma-
hieu (Boulevard Saint Michel), devenu depuis un fustlfood, dans la salle
calme et studieuse du premier étage et qui avait consacré sa vie à nos col-
lections orientales... Simon Leys entrevu a la télévision, à quarante ans de
distance, nous l’a rappelé : même voix, même physique, et, surtout, cette
recherche précise de l’expression de I’idte, car les idées sont importantes.
Étaient importantes. Et c’est parce que nous exposons les nôtres dans une
telle enceinteoù les idéesgardentde la valeur que nousdisonsde quoi elles
sesont nourrieset de quellescarenceselles nousparaissentsouffrir. Ce fai-
sant,nousexprimonsun fait, pasun meaculpa.

Comptetenu descontraintesque nousnousimposions,il nousfallait


acquérir une discipline scientifique sur laquelle nous appuyer pour ce tra-
vail. Nous avons cherche,dèsnotre premièreannéede licence à l’Université
à déterminer quelle discipline scientifique de sciencessocialesnous pour-
rions adopter qui nous mèneraitau but... Pourquoi les sciencessociales?
D’autres disciplinesseseraientprêtéesa cet objectif. Les sciencesnaturelles
d’observation par exemple, mais leur partie technique nous paraissaittrop

27
importante ; par ailleurs, l’tpoque ne se prêtait pas aux changements
d’orientation trop brutaux pour un jeune homme en sursis d’incorporation
avec notre dernière guerre coloniale en cours. Pourtant, nous nous sommes
posé la question et avons bien hésité sur les autres voies possibles. Un cur-
sus universitaire éclate était possible à l’époque et nous avons constitué nos
études d’orientations différentes : démographie, cartographie, géographie,
psychologie, anthropologie économique et histoire economique.. . Nous
voulions une discipline disposant de techniques bien définies, ayant un lien
avec des disciplines scientifiques ‘dures’ (physique ou biologie). Les scien-
ces sociales présentaient certes l’intérêt d’exclure (quasiment)
l’expérimentation. Mais toutes ne convenaient pas à notre projet. Nous
avions délaissé l’anthropologie économique malgré l’intérêt intellectuel que
nous y trouvions et abandonné la géographie qui présentait d’autres incon-
vénients (elle était à l’époque en pleine crise épist6mologique et on s’y sen-
tait un peu sur la défensive). Quant à la psychologie et psycho-sociologie,
par quoi nous avions commencé nos études universitaires, nous les avons
abandonnées car l’expérimentation y reste possible, même si de fortes ré-
sistances éthiques s’y opposent (voir les travaux de Joule et Beauvois,
1992) ; de leur approche, nous avons tiré des orientations qui se revelèrent
riches : l’une vers la psychanalyse, l’autre vers les recherches de dynamique
de groupe, questions sur lesquelles nous reviendrons.

Peut-être faut-il que nous modulions notre superbe en avouant deux


défauts qui ont grandement facilité nos choix : le premier est une certaine
nonchalance qui nous a souvent empêché de nous concentrer sur notre ob-
jectif et nous a fait prendre davantage les chemins de traverse et suivre
l’école buissonnière que d’aller droit à notre but. Nous sommes un excellent
nageur en mer et en fleuve : la natation en milieu naturel enseigne que le
chemin le plus court d’un point a un autre n’est pas une ligne droite mais la
ligne brisée qui évite les obstacles, utilise les courants adverses et, de dérive
en effort violent, vous mene au but. Il nous est difficile de savoir en quoi
cette manière d’être nous a facilité la tâche, nous pouvons seulement dire

28
qu’elle l’a souvent freinée. Le second est un défaut d’ordre intellectuel.
Nous admirons sincèrement ces grands liseurs de livres qui dévorent, 2, 5 ou
7 heures par jour, lisent sans effort, s’oublient dans la lecture. Nous-même,
nous le regrettons beaucoup : nous n’avons point cette qualité La lecture est
chez nous une longue rêverie. Il nous faut en géneral des mois pour finir un
livre qui nous plaît et la philosophie et tout ce qui porte sur des idées est
alors l’objet d’une lecture qui dure longtemps : des mois de transhumance.
dans la pensée des autres. Nous ne sommes pas capable de lire Weber ou
Marx entre deux portes, Mauss, Elster ou Passeron au galop, Conche ou
Stiegler dans le métro... seuls les livres techniques ou nous procurant de
simples informations peuvent être « consommés » en bibliothèque en un
temps raisonnable. Notre vie hachée et nomade ne nous a guère facilité la
vie stabulatoire des rats de bibliothèque. Ce n’est pas un défaut physique,
nous pouvons lire très vite les ouvrages informatifs ou le journal, la lecture
rapide nous est innée, mais nous lisons par plaisir et les livres qui nous ré-
sistent (comme disait Valéry), nous occupent des journées entières, comme
si nous les ré-écrivions dans notre tête. Quant a ceux qui ne nous plaisent
pas, nous les abandonnons sans vergogne. Ce défaut est dirimant quand on
veut faire de la logique ou de la philosophie ou d’autres recherches d’ordre
théorique : il faut «trop » lire par rapport à ce que nous sommes capable
physiquement de faire. Notre vie à I’Ccart des grandes villes, dans les villa-
ges africains en particulier, a naturellement aggravé cette tendance native,
« Sur le terrain » comme on dit, certains lisent des « polars », nous, nous
avons lus les Grecs, la Bible, les grands livres de l’Islam. .., non par es-
broufe mais par hygiène, et parce que nous allions beaucoup à pieds. Porter
Thucydite, pour le mode « ruminatoire » sur lequel nous fonctionnons, c’est
porter beaucoup d’heures de paix, de parenthèses et de voyages intérieurs en
un poids restreint. Peut-être que, dans ces conditions, viser l’onction univer-
sitaire est-il périlleux.

L’exercice de la démographie, comme discipline scientifique, a failli


pourtant nous détourner totalement de notre projet initial. Elle connaissait

29
une forte dynamique dans ces années et avait l’avantage d’allier sciences
sociales et mathématiques, théorie et enquêtes et l’exposé des données fai-
sait appel à tout un appareillage cartographique. Pourtant, faute de hargne
personnelle suffisante pour continuer dans cette voie, ou bien suivisme
d’opportunitCs financières de recherche, nous avons dérivé vers le montage
d’enquêtes multidisciplinaires. On pourrait ajouter deux autres raisons, plus
à notre honneur : une conception assezstricte de la démographie,science
essentiellementfondée sur le calcul, suivant en cela Louis Henry, hommede
grandeculture, qui nousen avait totalement « contaminé», et une pesanteur
institutionnelle qui bloqua lespotentialitésque nousaurionspu être en droit
d’espérer.Avec les outils intellectuels dont nousdisposionsen mathémati-
ques, il n’était guère possibled’envisagerfaire mieux que notre étude pu-
bliée par les Éditions de I’Orstom en 1969 : Fukuo... Nous avons eu à
l’époque une claire conscience,partagée l’avons-nous appris ensuite par
Louis Henry, de la haute qualité de cette étude qui mêlait le dépouillement
et la critique de documentsd’archives -travail d’ordre historique -, ainsi
qu’une enquêtede terrain approfondie,avec observationparticipante de lon-
gue durée dansles communautésen causeet enquêtespar questionnaires.
Tout cela ne nousa pourtant guèretraumatisé,conscientde ce que beaucoup
d’événementsseproduisentdansune vie que nousavons « voulus », comme
GeorgesDandin ; il est en d’eux commedespéchésavouésa la confession:
on lesa cri&%“par pensée,par action et par omission”,

Professionnellementil nous fallait un métier, nous étions entré à


1’O.R.S.T.O.M. (Office de la recherchescientifiqueet techniqueoutre-mer),
organismepublic de droit français, parce que cet organismecorrespondait
bien a notre projet d’effectuer des recherchespratiques.Mais, soit à cause
des événementssignalesplus haut, soit que notre idée nous tenait trop à
cœur et plus que nousle croyions, soit qu’elle nousait empêchéde prendre
vraiment au sérieux nos travaux proprementdisciplinairesréalisésau cours

30
de ces années en démographie et socio-économie 6, le résultat est que nous
ne pouvons échapper à aboutir ce projet aujourd’hui. Notre abandon des
pays et sujets de recherche successivement explorés dès que nous avions
achevé la tâche tirant de chaque expérience ce qui nous était demandé ‘,
nous paraît un signe d’une logique personnelle plus profonde que nous
l’avions longtemps pensé : la permanence l’a largement emporté sur le
changement.

Mais si l’idée initiale a perduré sur son erre, elle fut à l’image de ce
couteau dont on a changé alternativement la lame et le manche : notre pro-
blématique a bien évolué et aussi nos intérêts, et l’on ne peut être trop sOr de
parler, aujourd’hui, le même langage qu’hier. Au départ notre idée était la
pratique ; elle est aujourd’hui limitée à la collecte et aux contraintes qu’elle
rencontre sur le terrain. c’est pour cela que nous ferons plus appel à notre
exercice de la démographie et à la socio-démographie d’enquête qu’à
l’anthropologie culturelle et sociale, discipline dans laquelle nous nous re-
connaissons aussi. Ancien élève des équipes Balandier, Sautter, Mercier et
Maquet et de Bourdieu, Passeron, Godelier et Sahlins nous ne pouvons pas
reprendre à notre compte le discours sur le terrain comme unique source de
connaissance ainsi que l’envisagent certains anthropologues. L’appel à la
seule discipline anthropologique simplifie trop la question en lui donnant
une coloration par trop personnelle et émotionnelle, légitime pour certains
travaux, mais qui n’a pas été notre tasse de thé. C’est pour cela que notre
thèse enregistrée s’intitule très officiellement : Pratique de terrain : métho-

dologie et techniques d’enquête. ‘Techniques’ au pluriel, ‘Méthodologie’,


‘Enquête’ et ‘terrain’ au singulier.

‘Q uo1 ‘9ue nous n’ayons pas à rougir des travaux pakuliers que nous avons effectub dans
ces disciplines, dont voici les publications les plus marquantes : Fukao (1969), Mortulitf
infantile er sevrage (1970), Migrafion et santé menttlle (197 1), Le deuxième bureau (1986).
Congo-Océan (1989), La boue er la poussière (1992).
’ Quand nous exécutions un contrat institutionnel (rédaction d’un rapport de synthése) et
quand l’opportunité s’en dessinait en écrivant une série d’articles ou un ouvrage - si nous
voyions une possibilité de publication.

31
Au cours de ces décennies, nous avons donc accumulé notes et do-
cuments que nos voyages successifs ont dispersés en partie. Ayant exercé
notre profession de chercheur 3 l’étranger (18 pays), il était fatal que nos
archives pe,rsonnelles souffrissent de ces déménagements : par deux fois
elles furent détruites. Les événements politiques qu’a connu le continent
africain n’titaient pas propices à une accumulation ‘. Aujourd’hui, nous
avons reconstitué une documentation, où les restes de celles passées se mê-
lent aux documents plus récents. C’est en mètres linéaires que nous pour-
rions l’évaluer mais nous devons reconnaître qu’une vie consacrée à aller
sur le terrain effectuer des enquêtes, produire des documents de synthèse dès
les données sorties de l’ordinateur, ne nous ont pas préparé au long chemi-
nement intellectuel de la thèse que nous reconnaissons plein de difficultés,
compte tenu des habitudes de travail que nous avons acquises au fil des ans.
Nous avons effectué trois types de rédactions au cours de notre vie profes-
sionnelle : le compte-rendu d’enquête, qui analysait tableau par tableau les
données ou discutait point par point les demandes des financiers de
l’enquête, soit des synthèses de données très imparfaites, alors il fallait tout
lire et rédiger un rapport pour un public composé en général de politiques, et
des articles et communications, exercice de faible ampleur qui pouvait entiè-
rement tenir dans notre mémoire. (Nous avons déjà abordé cette question
dans notre ouvrage, Partenariat scientifique, 1996) L’exercice de thése, qui
demande une évaluation de la documentation existante, est d’une autre am-
pleur. Ceci ne se comprend bien que si l’on entend que nous travaillions
dans des pays oti la documentation faisait fortement défaut et où
l’information de base était soit obsolète ou fortement datée, soit hétérogène,
soit orale, et donc peu fiable.
Aussi décidons-nous de nous lancer dans cette rédaction en nous
fondant sur notre connaissance de première main du sujet et cette longue

* Nous avons systématiquement dkposé la plupart de notre documentation aux Archives de


la Rue Oudinot, mais il ne s’agit pas de cela : il s’agit de nos fichiers, de nos notes.et de
tous nos cahiers de travail furent dispersés.

32
série de réflexions qui ont émaille notre ‘pratique’ de scientifique en espé-
rant que les défauts que nous signalons ne soient pas trop dirimants pour une
soutenance de thèse.

Le corpus d’information

Nous ne limitons pas notre recherche à la seule expérience que nous


avons accumulée, nous avons aussi constitué un certain nombre de corpus
d’information, leur diversité et le caractère peu classique de cette these nous
oblige à y revenir plus abondamment au chapitre suivant, Hétérogene à
l’image de notre itinéraire, incomplet certainement, moins savant qu’oppor-
tuniste, ayant été rassemblé dans les à-coups d’une vie voyageuse et délais-
sant une partie de I’énorme masse que sont en train de « sédimenter » la
pratique anthropologique récente et le renouveau de la problématique des
voyages et du tourisme, ce corpus doit être arrêté au point où il en est sous
peine de ne jamais aboutir dans cette rédaction.

Conception de cette rédaction

Notre projet est donc centré sur la pratique du terrain dans les en-
quêtes, nous exposerons à chacune des Etapes de notre rédaction l’état des
débats tels que nous les connaissons et tenterons d’y positionner nos con-
ceptions telles qu’elles découlent de notre problématique. Nous n’éviterons
pas les jugements tranchés; ayant un go& certain pour la polemique ainsi
que la faiblesse de nous exprimer parfois en des formules abruptes, C’est
donc une thèse sur l’importance de la collecte et de la .pratique de terrain
dans le travail scientifique que nous allons soutenir plus qu’une synthèse sur
la question de la collecte et du terrain. Nous serons cependant contraint,
exercice de thèse y oblige, d’analyser la question telle que d’autres auteurs
l’ont exposée.

Présentation du parcours professionnel

Il n’est pas coutume dans une thèse de se livrer à une présentation


personnelle, mais il est difficile de ne pas dire que notre vie professionnelle

33
a été le terrain d’expérience de cette thèse. En effet, cette thèse garde la
marque de ce qu’à l’origine nous avions pensé qu’elle serait : une thèse sur
travaux, mais les circonstances et notre éloignement de France et de ses ré-
gles administratives nous a écarté de cette solution.

C’est un hasard externe au projet qui nous occupe aujourd’hui qui


nous a amené en Faculté de lettres et sciences humaines. Après la propé-
deutique, première année d’université à l’kpoque, nous n’avions pas d’idée’
précise sur ce qui pouvait nous intéresser sinon entrer dans le secteur privé
pour repartir d’où nous venions : à l’étranger (notre famille étant de cette
diaspora française dispersée par le monde : marins, marchands ou militai-
res.. .) Quelques études de psychologie et de géographie menées en parallèle
avec des statistiques et une incursion en administration des entreprises, et
nous nous sommes fixés en démographie quand notre idée de traiter de la
pratique dans les sciences ne disposant pas de I’expkrimentation a émergé
en notre esprit. Nous ‘reprochions’ a la psychologie de disposer de
l’expérimentation, à la géographie d’être un point de vue spatial sur les faits
de la société (comme l’histoire nous paraît être un point de vue focalisé par
le temps). La démographie, par contre, nous parut convenir, capitalisant nos
études mathématiques antérieures, disposant d’une spécificité logique im-
portante (par son aspect de physique sociale), et l’importance de la collecte
qu’elle manifestait - selon la perception que nous en avions, car cette posi-
tion n’a rien de rationnel quand on considère cette discipline, mais il est si-
gnificatif que notre imaginaire ait sélectionné cet aspect aux d6pends des
autres. Ceci étant, nous n’en avons pas moins continué à explorer d’autres
voies. Nous nous rappelons avec amitié les cours d’Ernest Labrousse, histo-
rien, à l’École pratique des hautes études (future EHESS, École des hautes
études en sciences sociales), qui nous a initié, par l’analyse des setiers de la
fin de l’Ancien régime, à I’Ctude documentaire et à la critique des sources ;
il nous inculqua une discipline rigoureuse qui explique notre réussite ulté-
rieure dans l’exploitation des registres paroissiaux à des fins d’analyse dé-
mographique. De même, la fréquentation des Hautes études nous amena aux

34
cours de Maurice Godelier sur l’anthropologie économique, discipline nais-
sante en France, puis à ceux des sociologues ‘duettistes’ ’ Pierre Bourdieu et
Jean-Claude Passeron à l’École normale de la rue d’Ulm, sans omettre de
continuer en cartographie jusqu’aux cours et recherches de Jacques Bertin.
Bertin se posait des problèmes d’exploitation non-classiques de données et
tentait de trouver de nouvelles orientations d’analyse avant que
l’informatique ne se répande et que les programmes pour ordinateurs des
élèves de Benzécri ne dévient l’ensemble de la recherche dans d’autres di-
rections.
Nous étions orienté vers les études africanistes, comme élève de
MM. Balandier, Maquet, Mercier et Sautter (Paul Pélissier n’enseignait pas
l’année où nous fréquentions l’École des Hautes études). Nous avons réalisé
ensuite une première recherche d’exploitation des registres paroissiaux con-
frontés à une enquête de terrain, sous l’aimable suggestion de Victor Martin
qui nous obtint les autorisations nécessaires de Mgr Hyacinthe Thiandoum,
qui venait de remplacer Mgr Lefebvre, dont on se souvient de la réputation
politique sulfureuse dans sa défense de ‘tyranticide’ - de Gaulle étant ce ty-
ran. Ce furent nos premiers travaux, dont la réussite faillit nous détourner de
notre projet, Ensuite, pour pouvoir achever la refonte de notre thèse de Troi-
sibme Cycle avec le Pr Gilles Sautter ” nous revînmes au Sénégal et nous
nous sommes lancé dans une seconde phase de notre carrière : les grands
projets multidisciplinaires prenant appui sur les financements internationaux
que l’on pouvait obtenir par les interrogations démographiques. Nous avons
également exercé notre activité non pas au sein de l’Office de recherche
scientifique et technique outre-mer mais plutôt dans les Instituts de statisti-
ques nationaux : INSRE (Institut national de la statistique et de la recherche
économique de Madagascar), INS (Institut national de la statistique de Tuni-

9 L’expression ‘duettistes’ est de Passeron lui-même, entretien, octobre 1996.


” Cette thése de Troisieme cycle a I’EPHE, qui faisait 600 pages dactylographiées plus les
annexes, dont on nous demandait de reprendre la partie géographique introductive, disparut
finalement lors d’un voyage. II nous en reste des fragments et la partie démographique a été
publiee sous le nom de : FAkXO, Sér~égal, Dépouillement de registres paroissiaux et en-
quête démographique rétrospective -Mdthodologie et r&dtats- Orstom, Paris, 1970, Coll.
Travaux et documents no7 : 156 p.+ annexes et a fait l’objet de quelques articles.

35
sie), puis au sein de l’Enquête mondiale sur la fécondité à Londres (World
Fertility Survey) qui fit de nous de ces experts internationaux qui sillonnent
le monde prêchant la bonne parole de la technique du “centre”, comme
d’autres prêchent d’autres discours. Mais la perte de la totalité de nos docu-
ments de terrain, oti étaient consignées toutes nos observations depuis
quinze ans, nous amena A retourner outre-mer pour retrouver nos interroga-
tions en pratiquant de nouveau du ‘terrain’ : cet épisode fut congolais au
sein de la DGRS du Congo (Direction générale de la recherche scientifi-
que). . . En renouant avec notre projet central en 1984, nous avons repris la
lecture de l’épistémologie telle qu’elle avait pu avancer durant toutes ces
années passées ZI courir le monde et a oublier pourquoi nous le courrions.
Nous avions le projet de soutenir une thése de Troisième cycle sur un nou-
veau thème, la précédante ayant disparue corps et biens. Nous fréquentions
alors le Centre d’Études des programmes économiques du Ministère des
Finances et. nous avons effectué une incursion dans le secteur privé des en-
quêtes de consommation. NOUS avons ainsi assimilé les techniques de re-
cherches de ce secteur bien trop méprise de la collecte de faits de société.
Une nomination A la charge de Directeur déltgué chef de département à
l’orstom, a interrompu, comme nous l’avons déjà signalé, cet épisode. Un
séjour au Mexique de cinq ans nous a permis revenir B notre projet :
« qu’est-ce que le terrain ? Qu’est-ce que la pratique ? Pourquoi et comment
la collecte ? quand et de quelle manière on doit appliquer telle technique
plutôt que telle autre ?. . I »

Durant ces longs périples nous avons connu, par notre travail, de
nombreux pays en voici la liste :

Pays d’affectation :
1965-67 : Sénégal 1967-68 : France 1968-70 : Sénégal
197 l-73 : Madagascar 1974-76 : Tunisie 1976-78 : Royaume-Uni
1979-8 1 : France 1982-83 : Congo 1984-89 : France
1989-93 : Mexique 1994-... : France

36
Pays de missions pour travail de recherche de courte et moyenne durée :

Belgique, Bénin, Burkina


Chili, Italie, Cameroun
Kenya, Côte d’ivoire, Mali
États-Unis, Niger, Équateur
Togo, Haïti, & Pérou
pour mkmoire :
Guadeloupe & Martinique

Dire ce que nous devons à chacun de ces pays et aux amities nouées
ne se peut. Par une part ou une autre de ce qu’ils sont, ils ont éveillé en nous
quelque chose, qui peut-être s’y trouvait, mais qui sans eux serait resté igno-
ré. Nous sommes conscient de ce qu’ils ont fait de nous et de la dette inex-
tinguible contractée. Cette thèse est un hommage que nous ne pouvions
éviter de leur rendre, car notre projet central de rédiger un jour cette étude
reste la seule justification que nous détenons pour nous être permis de tant
prendre et de si mal donner.
Dans ce sous-chapitre, nous avons voulu expliciter les fondements
historiques de notre recherche. Notre thèse d’aujourd’hui a certes suivi nos
interrogations mais elle a aussi subi certaines circonstances que nous avons
vécues, lesquelles ne furent pas toutes favorables. Notre exigence interne
explique quelques-uns de nos retards ; certains relèvent d’une relative non-
chalance qui frise parfois l’indifférence ainsi que d’une conception ludique
du monde qui nous a empêché de prendre au strieux de nombreux enjeux ;
d’autres relèvent de causes externes independantes de notre volonté, comme
la perte de notre documentation en 1972 et en 1978. . . Mais comme il est dit
dans les textes sacrés : qu’importe le chemin, s’il mène à Dieu “. Une vie
est toujours une cascade de choix et d’obligations, on choisit dans les con

” Pour le lecteur qu’inquikterait l’irruption d’une 6ventuelle transcendance extra-


scientifique, disons que c’est quand même une des leçons que l’on peut tirer du Jow-pou-
f’oan (La chair comme tapis de prière) de Li Yu (1600-1680, J.-J. Pauvert éditeur, Paris,
1962. Cet ouvrage a été republié dans une nouvelle traduction Editions Philippe Piquier.
Paris, 1996 : 273.

37
traintes et le temps sélectionne dans nos espérances : c’est presque une défi-
nition de la liberté que nous donnons ici.
Au cours de notre longue errance autour du sujet, nous avons abordé
des questions dont certaines sont frappées d’obsolescence, soit parce
qu’aujourd’hui elles ont été bien avancées par d’autres auteurs (par exemple
on dispose maintenant d’excellentes synthèses sur l’épistémologie des
sciences physiques -celle de Chalmers, 1990, en est un exemple -), soit
parce qu’elles se sont révélées erronées comme chemin vers l’explicitation
de notre projet. Pour ces raisons, le sous-chapitre suivant traite du corpus
général des informations sur lesquelles nous nous fondons pour traiter de la
question de la collecte et du terrain.

38
B - Le corpus d’information rassemblé
pour cette recherche

Toute recherche se fonde, même si elle se pose comme partant d’une


large expérience accumulée au fil des ans, sur un corpus. Compte tenu de la
fluidité du sujet que nous nous proposons de traiter, il est nécessaire que
nous nous attardions sur notre corpus

Corpus bibliographique

La bibliographie que nous produisons en annexe 1, reste incomplète


car nous avons Egaré de nombreuses références sur lesquelles, pourtant,
nous avons longtemps réfléchi ou sur lesquelles nous possédons des notes
manuscrites. D’autres références ne peuvent figurer ici, que nous ne pour-
rons citer que de mémoire : l’important nous paraissant d’affirmer que les
idées développées ici ou la ne nous sont pas personnelles (par exemple le
rapport de Reverdy sur les Sérères “), ou ne paraissent pas telles (nous
avons eu beaucoup de surprises au cours de la révision de notre corpus
d’information : des idées ou des citations que nous attribuions à d’autres
étaient bien différentes dans le texte original que ce que nous avions
“fantasmé” à leur propos). Cette bibliographie ne reprend pas l’ensemble de
ce qui nous a intéressé au cours de ces années : nous avons annoté la totalité
ou presque (une erreur de notre part s’avère toujours possible) de certaines
revues, dont Population. Pourtant, peu de références de cette revue figurent
dans notre corpus. De même pour la revue de vulgarisation ,!,a Recherche.
Pour d’autres revues scientifiques de vulgarisation, telles que National Geo-
graphie ou Pour la .science, nous n’avons pas procédé à l’exploration sys-
tematique de ce qu’elles pouvaient nous fournir. Nous n’avons donc pas
repris toutes nos notes accumulées, mais largement trié et exclu ce qui pa

” CINAM, Dakar, 1962 ou un peu avant, document multigraphié d’une centaine de pages
en 21 x 27. Il est référencié chez Jacques Brochier, 1968.

39
raissait marginal ou extérieur à notre propos. On sera peut-être étonné de
l’abondance des références puisées dans la presse. A cela, il y a deux rai-
sons : la première provient que le niveau des journalistes scientifiques per-
met aujourd’hui de disposer d’une information fiable sur les expériences,
découvertes et problèmes scientifiques en lisant leurs « papiers », dont l’in-
formation est recueillie en général aux bonnes sources ; beaucoup de jour-
nalistes redonnent à lire aux scientifiques le compte-rendus qu’ils font sur
les travaux de ceux-ci. Il en est de même pour les cinéastes (on dit aussi
« vidéastes D) qui produisent des films vidéo de grande qualité conceptuelle.
On est obligé de nuancer ces affirmations en ce qui concerne les journalistes
de radio qui sont souvent un peu « légers » dans leur désir quotidiennement
renouvelé d’un « scoop ». Signalons également que même quand on est in-
formé par ailleurs, les « papiers » des bons journalistes scientifiques sont de
parfaits resumés (et Le Monde, pour ne citer que lui, les produit en collabo-
ration avec des revues comme Nature ou Lu Recherche, ce qui leur donne
une qualité indéniable). La seconde raison est que dépouiller une littérature
scientifique hors de sa propre discipline, sans le garde-fou d’un mentor qua-
lifié qui explicite clairement les enjeux, est un exercice extrêmement dange-
reux. La lecture des philosophes modernes le prouve suffisamment qui dé-
duisent, pour des sujets que l’on connaît de Premiere main, des conclusions
errantes, non par inintelligence, mais parce que la logique de travail d’une
discipline n’a rien d’évident, et se dispenser du long apprentissage par im-
prégnation qu’une discipline requiert s’avère périlleux. La rédaction d’une
thèse n’est pas une conversation de salon et, au cours de cette rédaction,
nous avons souvent éprouvé toute la fragilité de certains de nos arguments et
la nécessité soit d’y renoncer, soit de les étayer par de longs détours. (Sans
parler des cas où l’exploration des arguments nous a fait changer
d’opinion IX).

l3 Ainsi, un des arguments que nous avons toujours fourni sur les sciences sociales, ttail
qu’elle n’étaient pas matures et que l’avenir leur donnerait des fondements plus assurés.
Nous ignorons si cette idée nous est venue toute seule, ou si nous l’avons puisé dans une
conversation ou chez Merton (introuvable en librairie depuis plusieurs anntes), puisque
Passeron (1!)92 : 352) signale qu’il a exprimé cette position dans un de ses ouvrages, idke

40
Pourtant, quand on a un sujet en tête (et nos premières notes qui ont
survku aux naufrages successifs de nos archives sont datées de juin 1963),
on a tendance a projeter son obsession intellectuelle sur tout. C’est ainsi
que, sur la masse de documents que nous avions collectée et conservée, nous
n’avons gardé que le dixième (en volume) dans ce corpus, le reste nous a
paru marginal ou manquant de pertinence au sujet, ou totalement hors sujet :
parfois nous n’avons même pas retrouvé l’idée initiale qui nous l’avait fait
conserver comme pertinent. Ce tri a été une tâche longue qui nous a occupé
plusieurs mois. Il a fallu entrer dans une pensée, qui fut certes la nôtre, mais
que nous ne reconnaissions plus. L’exercice aurait été par trop narcissique si
le perte de nos fichiers de notes et de fiches bibliographiques et la disconti-
nuité de nos notes et coupures n’avaient pas 6té la logique interne de
l’accumulation. Avec ce qu’il nous restait, il a fallu ré-orienter notre travail :
choisir est exclure, il nous a Cot%é quelques états d’âme pour décider. Mais,
même si nous-même contestons certains de nos choix positifs ou négatifs, il
nous paraît que ce corpus correspond grosso modo h ce que nous avons
voulu et ce que nous avons investigué en vue de ce travail. Disons que notre
corpus bibliographique nous paraît être une image correcte de ce que nous
avons voulu réaliser au cours de cette recherche.

Les rCférences accumulées ressortissent à six rubriques :


1. ouvrages scientifiques publiés ;
2. articles et chapitres d’ouvrages publiés (scientifiques) ;
3. articles de revues de vulgarisation ;
4. études et rapports de littérature grise (dont thèses) ;
5. littérature informelle ;
6. bibliographie personnelle.

Sans chercher l’exhaustivité, nous avons voulu exposer les chemins

ancienne d&jh puisqu’avancCepar Auguste Comte. Or, les lectures de cette dernièreannke
nous ont amené 13 trouver cette «opinion » totalement sans intérêl, même si, en tant
qu’argument polémique dans nos travaux multidisciplinaires, cela reste valable, surtout
qu’il faut bien parfois se donner cc type de raison si l’on veut travailler dans des secteurs
difficiles : on y espére bien, c’est humain, que l’avenir fournira des réponses aux questions
d’aujourd’hui.

41
de traverse que notre recherche avait explorés. D’une part parce que de
nombreuses réflexions de cette thèse proviennent de sources parfois inatten-
dues pour le lecteur, d’autre part parce que les scientifiques n’ont pas le mo-
nopole de la connaissance scientifique, enfin parce que les sciences sociales
posent des problèmes spécifiques. La science constitue une activité intel-
lectuelle et rationnelle (car ses conclusions sont en rapport avec le réel
qu’elles veut exprimer en vue de sa maîtrise). La discussion de savoir si
l’adéquation de la description du monde dépend totalement de l’observateur
est une discussion dont on ne peut s’abstraire pour traiter un sujet tel que le
‘terrain’.
Nous avions un peu fait fleche de tout bois : la ‘littérature grise’ a
largement Cte utilisée. La distinction phvsictue entre littérature grise et litté-
rature publiee est difficile à déterminer aujourd’hui compte tenu des progrès
de présentation obtenue dans les revues et publications informelles moder-
nes. Mais, comme on peut le voir, peu de références publiées émergent des
anntes antérieures à 1980. Avant les années 80, la totalid des réflexions
méthodologiques appartenait aux ‘cuisines’ de la science et ces documents
ne se trouvaient pas dans les allées balisées des publications scientifiques.
Plus tard, on a vu des publications apparaître qui avaient déjà répandu leurs
idées par les chemins informels des relations interpersonnelles que la com-
munauté internationale entretenait généreusement par le biais de ses collo-
ques. Si les photocopieuses n’avaient pas la diffusion qu’elles possèdent
actuellement, le nombre de scientifiques était plus restreint et un débutant
entrait facilement dans l’échange généralisé des informations. Mais le ré-
seau n’etant pas formel on n’avait pas accès comme maintenant aux référen-
ces internationales. Notre corpus porte la trace de ces manques mais nous ne
pensons pas que cela le frappe de nullid.
Nous avions, au cours de notre carrière, effectué un gros effort pour
rassembler cette “littérature grise”, non-imprimée, de diffusion aléatoire, et
souvent liée à l’amitié ou à l’appartenance à un réseau. Pour autant, ce cor-
pus n’a aucun caractère clos et systématique : rassembler cette littérature,

42
par définition non-officielle, n’a pu se faire qu’au hasard, les collections
déposées étant d’accés réservé. Par exemple, il nous a fallu plus de cinq ans
pour rassembler, avec l’appui de Jean-Pierre Dozon, la collection complète
du colloque des sociologues ORSTOM tenu en Abidjan en 1971. La distinc-
tion physique entre littérature grise et littérature publiée ttait souvent diffi-
cile compte tenu des progrès de présentation realisée dans les revues et pu-
blications informelles modernes : des livres ne sont que les simples copies
sur offset carton de version dactylo. On ne peut prendre le critère de la dif-
fusion comme déterminant : des ouvrages sont mieux connus par leur ver-
sion ‘provisoire’ (en multigraphie, la diffusion pouvait dépasser 200 à 250
exemplaires) qu’en édition imprimée ; c’est souvent le cas pour l’édition
française ou espagnole quand l’tditeur est un éditeur confidentiel dont on ne
sait trop de qui relève la diffusion, ou qui met au pilon la collection com-
plète dans l’année qui suit l’impression. Les travaux ~‘AMIRA (INSEE-
Paris), publiés en notes informelles ont eu une diffusion qui ferait pâlir
d’envie bien des ouvrages et revues. Ceux qui les connaissent, compren-
dront que nous ayons mis sur le même plan l’ouvrage multigraphie Manuel
des enquêtes démographiques par sondage en Afrique (CEA-ONU, 1974) et
le livre publié Décrire, expliquer, prévoir de Benjamin Montalon. Finale-
ment, nous n’avons pas conservé cette présentation car le terme
“multigraphié” devient pratiquement impossible à utiliser aujourd’hui où
une partie de notre documentation est faite de copies ou de textes digitalisés
grâce à la reconnaissance graphique par ordinateur.
Nous avons utilisé les ouvrages littéraires, ou dits de littéraires. Ces
auteurs sont ceux que l’on pourrait classer comme n’ayant pas une profes-
sion universitaire ou de penseurs officiels. Pourtant, Les îles d’Aran de Syn-
ge, le Voyage à Rodrigues de Le Clézio ou Nus, féroces et anthropophages
de Staden n’ont rien à envier, en qualités d’observation et d’exposé, à de
grands professionnels d’aujourd’hui. De même les Swift, Carberay et Ex-
melin, tous auteurs de vies et aventures des pirates et flibustiers, (dont ils
ont été pour les deux derniers), les auteurs de relations de voyages Caillé ou

43
Maignien, Steinbeck (Voyage avec Charley), les journalistes comme John
Reed (sur les révolutions mexicaine et russe) ou Alan Riding (Distant
Neighbors, A Portrait of the Mexicuns), appartiennent à la « littérature in-
formelle ». Nous avons tgalement puisé dans la littérature produite par des
scientifiques quand ces études sont des œuvres de fiction ou des relations
extra-scientifiques pertinentes pour notre propos comme Pierre Pfeffer
(Bivouacs à Bornéo) ou Bernard Lortat-Jacob (Les indiens chanteurs de lu
Sierra Mudre). Enfin, nous avons conservé un certain nombre de nos pro-
pres travaux dans lesquels de nombreux exemples seront naturellement pui-
sés.
Nous aurions voulu adopter une presentation de ce corpus qui re-
prenne la logique de sa constitution, mais cela nous aurait obligé a reprendre
à part une bibliographie des titres cités et alourdi encore la presentation ma-
terielle de notre thèse. Nous classons donc les références par ordre alphabé-
tique des auteurs et des annees, le corpus bibliographique fera également
fonction de bibliographie. Il nous semble que la présentation adoptee souli-
gne l’origine multiple de nos idées et permet de rendre aux auteurs et à la
communauté intellectuelle leur dû. Mais nous citerons dans le corps de
l’ouvrage ces documents afin d’aider le lecteur intéressé à les retrouver.
Enfin, comme il est des “miels toutes fleurs”, ce travail a “ratissé large”
et suivi toutes les pistes que nous avons perçues comme potentiellement
intéressantes. Il y eut certes des échecs mais beaucoup d’orientations se rt-
vélerent fecondes. Il n’en reste pas moins que ce corpus ne contient que des
références connues de première main, En effet, quand nous avons repéré des
documents intéressants que n’avions pu consulter, nous les mettions alors en
note infrapaginale.

Mis à part, et ne faisant pas l’objet d’une recension systématique,


nous avons constitué de nombreux dossiers regroupés en fonction des thè-
mes abordes. Puisant dans ce que nous trouvions au fil de nos péregrina-
tions, nous avons rassemblé, selon différents axes, des blocs d’informations

44
qui ont constitué des dossiers que nous utilisons selon les besoins de la ré-
daction. La simulation, les enquêtes d’opinion, l’expression de l’expérience
et l’écriture, l’expérimentation, les recensements, les voyages, les différen-
tes évaluations numériques d’un fait historique, la serendipity (découverte
apparemment par hasard). . . ont été les grands axes de ces recueils
d’information, recueils qui tiennent plus du glanage que d’un travail systt-
matique, mais sur une si longue période nous avons pu constater une im-
pressionnante redondance des informations.
Mention particulière doit être faite d’une collecte sysdmatique de
toutes les acceptions du terme terrain et de ses usages. Ainsi que des mots
sémantiquement apparentés : collecte, pratique, action.. .
Comme tout chercheur nous avons accumulé par ailleurs un grand
nombre de notes, sur fiches, sur feuilles.. . enfin, le désordre habituel d’un
intellectuel. La disparition de nos fiches de synthèse a hypothéqué ce travail
sans pour autant le compromettre. Nous avons constitué un fichier informa-
tique de ce qui pouvait presenter de l’intérêt pour cette thèse.
Enfin, les cahiers et carnets de terrain que nous avions pu conserver,
puisqu’eux aussi ont disparu par deux fois a des passages de frontières. La
Premiere fois ils ont Cté très officiellement saisis avec la rédaction de notre
premiére thèse de Troisième cycle, la seconde... nous ne saurons jamais,
n’ayant reçu que les colis vides sans un mot d’explication, et ne voyant pas à
quoi, en dehors d’enrober des cacahuètes ou pour allumer un feu, pourraient
bien servir ces cahiers, déjà à peine lisibles pour nous.

Toute cette documentation n’a pas le même statut. Une très grande
partie se presente comme une toile de fonds de notre réflexion, mais certains
documents s’avèrent importants pour nous, que nous serons amenés à citer
plus souvent, compte tenu de leur valeur, ou que nous ne citerons pas
croyant développer notre pensée quand c’est la leur qui serait plagiée en
toute bonne foi : on a l’ouvrage de Chevry sur les enquêtes statistiques, celui
de Negroni sur la critique des gens de terrain en Afrique (Les colonies de

45
vacances), celui de Caplow sur les enquêtes, de Gramsci sur la politique
comme accord de l’action et de la pensée, de Godeliet sur la problématique
de l’anthropologie économique, de Henry sur la celle de la démographie.. .
Nous ne pouvons omettre notre ami Rémi Clairin ; les travaux, auxquels
nous participions : ceux du Groupe de démographie africaine (GDA puis
GDD) et d’AMRA 14, groupequi unissaitdesprofessionnelspraticiens de la
recherchede terrain de I’INSEE de la Coopération et de I’ORSTOM ; les
documentsproduits par le Centre d’Étude Africaine de I’ONU d’Addis-
Abeba, du CELADE ” de Santiago-du-Chili ont constitué des points de ré-
férencepour nous au coursde cesannées.Nous n’avons pasrepris la biblio-
graphie spécifique que nous avions établie quant aux travaux de
I’ORSTOM, recenséset analysesdansun documentde synthèsedu Groupe
de démographieafricaine de 1974 et celle portant sur la famille (1981). Et,
depuiscette date, nous n’avons conserve que quelquestitres car le gros de
l’effort méthodologiquede cet institut en matièrede collecte est resté ante-
rieur aux années1980. Une mention specialedoit être faite aux travaux de
l’École de Palo Alto et aux documentsde Chapel1Hi11(Université de North
Carolina) : ils ont été nos bibles tout au long de nos réflexions. C’est dire
tout ce que.nous devons à ces personneset a ces groupes: si c’est au point
de confondre leurs apports avec nos propres réflexions dans ce travail, ce
n’est pas forfanterie ou oubli, c’est parce que ce travail a tté parallèle au
leur et le continue.

Corpus de questionnaires

Au fil des annéesnous avons accumuléquestionnaireset carnetsde


collecte, le lot desquestionnairesreprésenteplusieurscartons, nous aurions
voulu l’exploiter pour cette thèsemaisnous craignons,d’aprèsles sondages
que nousavons réalisés,que l’information ne puisseêtre exploitable au vu
descoupessombresqu’ont produit la perte de nos documents: en effet, no-

l4Avec le tempset l’extension de ses sujets et zones d’intervention, I’acronymeAMIRA


devint le nom du “groupe de recherche pourI’am6lioration des méthodes d’investigations
en milieux informels et ruraux d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
” Centre latino-américain de recherche démographique.

46
tre idée initiale était de confronter les exploitations mises a la disposition du
public avec l’information collectée. Nous aurions voulu prouver un certain
nombre d’idées avancees dans ce travail, que les collectes mal conduites
mènent à une perte de temps et d’argent, et que le fantasme de la collecte
Cot&techer car une enquête doit être ‘pilotée par l’aval’, c’est-à-dire par les
analyses que l’on veut obtenir. NOUS nous sommes donc contente de revoir
les questionnaires un à un pour en retirer des observations d’ordre qualitatif,
mais nous n’avons pas effectué une analyse quantitative de ces questionnai-
res, ce qui ne se pourrait faire que si on avait un Cchantillon aléatoire de ce
type de documents. Nous ne pouvons même pas prétendre que ce corpus ait
véritablement Bté utilisé dans notre thèse en considérant l’orientation qu’elle
a prise au cours de la rédaction.
À part de ce corpus documentaire, nous avons collecté, par enquête
directe, un certain nombre d’interviews sur la question du terrain.

Corpus d’interviews

L’idée de depart etait de soumettre un certain nombre de nos collè-


gues à des interviews non-directives pour établir un questionnaire de type
‘questionnaire d’opinion’ et le’soumettre à un échantillon statistiquement
représentatif de nos collègues de I’ORSTOM, EHESS, CNRS et Université.
Mais le projet n’a pu être mis en œuvre pour des raisons indépendantes de
notre volonte (a l’époque il existait une forte tension dans le monde de la
recherche entre le corps des chercheurs et les directions : les années 70 fu-
rent celles qui mirent la dernière touche aux grands enterrements de la
France ‘traditionnelle’, dont 1968 ne fut qu‘un des signes, mythique quant à
lui...)
En 1981-82, nous avons lancé cependant une série d’interviews li-
bres sur la question du terrain (interviews non-directives avec des questions
ouvertes et en puisant dans la parole du sujet les relances nécessaires). Une
centaine de personnes ont été interviewées, mais il ne nous reste que

47
soixante-dix compte-rendus de séances et une trentaine en bandes magnéti-
ques couvrant l’integralité de l’interview.
Notre idée a été d’interviewer des personnes choisies dans des sec-
teurs très différents de l’activité sociale : démographes, chercheurs de
I’Orstom, des enseignants et des praticiens de diverses branches. Nous
avons ainsi rencontré dans le cadre formel de l’interview des représentants
de commerce, des professeurs de yoga, des psychanalystes, des militants
syndicaux, des hommes politiques, des hauts fonctionnaires.. .
À l’occasion de ces interviews, nous avons pris conscience de
l’intérêt que présentaient certains secteurs que nous n’aurions pas envisagés
auparavant, En particulier le ZEN nous a beaucoup intéressé à cause du rap-
port qu’il entretient à la pratique ainsi que de la dénonciation par les maîtres
zen de la dégradation de la pensée dans l’action en soi. Les débats des prati-
quants d’arts martiaux nous ont retenu également notre attention. 11 y eût
aussi la psychanalyse où, suivant ce qu’affirme Manoni dans Un commen-
cement qui n’en finit pas, nous avons voulu voir de plus près ce qui était
différent dans la pratique psychanalytique par rapport à la théorie freu-
dienne, lacanienne, et aux autres ricochets de la théorie originelle : nous
avons engagé une analyse personnelle qui nous a rendu plus prudent que
nous ne l’étions sur la theorie et plus circonspect encore sur la thérapeutique
qu’elle prétend être ; par contre, nous restons enthousiasmé par l’apport no-
vateur du divan comme ‘terrain’ et ce voyage a l’intérieur de l’être en a valu
bien d’autres.
À ce corpus personnel, nous pouvons ajouter certains textes produits
par différents groupes sur leur rapport au terrain. Très peu ont été publiés
mais certains, que nous avons pu rassembler, sont des textes de première
main sans prétention et très éclairants. Nous ne mettons pas dans cet ensem-
ble toute la tendance moderne ‘ethnométhodologique’, dont l’optique
« nombrilesque » et prétendument littéraire dommage grandement la sincé-

48
rité 16. Dans les années antkrieures, de nombreux rapports ont vu le jour,
« rapports-“dtfoulatoirs” » certes, mais qui avaient une grande authenticité :
le terrain n’était pas encore devenu un exercice littéraire. On a destextes de
Larue, de Sodter, des sociologuesde I’Orstom (sur l’instigation de Georges
Balandier qui avait organiséun colloque en Abidjan en 1971 et désirait
comprendrela situation connue par seschercheurs).Nous avons beaucoup
lu, quandl’occasionnousétait donnee,les rapportsd’élèves, ou les relations
particulièresde recherchequi ‘tournaient’ mal. Une grande partie de notre
critique de l’interdisciplinaire se fonde sur cette littérature informelle et non
publique, que nous ne citerons donc pas directementmais à laquelle nous
voulons rendre hommageici. Une littérature faite souvent de pleurs et de
rage, et non pas forcément de pleurnicheries: il n’est que de lire le journal
de Malinovski ou les deux récentsouvragesde Nigel Barley pour compren-
dre que chacun d’entre nous qui a fait du terrain a vécu grosso modo les
mêmeschoses,souffert les mêmesaffres et nourri les mêmesdésirs in-
avouables...

Corpus Orstom

L’ORSTOM (Institut français pour la recherchescientifique pour le


développementen coopération)est un organismede recherchequi concentra
le concept de terrain comme paradigmeinstitutionnel ; appartenant nous-
mêmeà cet organismeno& disposonsd’une large documentation interne
rassembléeau cours de trente ans de carrière et des audits dont cet orga-
nismea été l’objet. Ce qui nousa paru pertinent pour notre sujet regroupe,
en dehorsdesouvragespubliéspar cet organismesur lui-mêmeen 1983 et
en 1990-91(Projet d’établissementde I’Orstom), et sur cet organismepar le
CNER (1993) (Commissionnationale d’évaluation de la recherche) et le
CNC (1995) (Comiié national d’évaluation de la rechercheen coopération)
représenteune massedocumentaireimportante,même aprèssélection: cinq

l6Ici également
nousdevonsséparer
la pensCe
desmaîtres
et celle des élèves. Les fonda-
teurs ont créé une m&hode adapta A leur objet d’Ctude, prenant parfois le biais d’un conflit
organisé contre I’esrablishttwu pour se faire leur place au soleil. Plus épigones qu’élèves,
leurs suivants et admirateurs ont radotk en exploitant un filon.

49
boîtes d’archives plus les ouvrages. Nos réflexions sur le sujet figurent dans
les nombreux documents de littérature grise qui sont cites dans notre biblio-
graphie et dans deux ouvrages (1995 et 1996) que nous ne reprendrons pas
ici naturellement. Nous avons rédigé toute une étude sur le terrain et
I’Orstom et notre conclusion nous a nous-même étonné : le terrain s’est mis
à fonctionner comme idéologie justificatrice de cette institution. Comme
cette thèse ” n’est pas une thèse sur les institutions françaises, nous avons
donc décide d’exclure cette rédaction qui prenait un tour par trop marginal.

Corpus d’expériences

Une partie de notre expérience a fait l’objet de publications. Mais


beaucoup d’actions de recherche n’ont rien produit d’écrit. Ainsi, nous
avons participé a de nombreux expéditions de sciences naturelles, sur les-
quelles nous n’avons pas rédigé quoique ce soit, si ce n’est des notes épar-
ses. Certes, comme il est dit plus haut, nous avons été de ceux qui ont écrit
sur ce qu’ils vivaient : nos rapports de chercheurs (deux boîtes d’archives) et
nos rapports de tournées (quand ils étaient exigés, deux boîtes d’archives
également) seront donc mis à contribution dans ce travail ; de même que ce
qui nous reste de nos cahiers de terrain où se mélangent états d’âme et ob-
servations, réflexions imbéciles et éclairs d’intelligence. Nous utiliserons
ainsi les expériences de collecte auxquelles nous avons été associé. Si nos
critiques paraissent féroces parfois, que cela soit clair qu’il n’y a en notre
esprit aucune méchanceté ou règlement de compte : nous espérons, en criti-
quant nos propres erreurs et celles des autres, aider la recherche de terrain à
avancer. Nous restons bien conscient que certaines erreurs étaient inévita-
bles au moment où elles furent faites, soit parce que les connaissances du
moment, ou disponibles pour le/les Chercheur/s, ne permettaient pas de s’en
garder, soit parce qu’elles ne sont que la conséquence d’ambitions louables
mais prématurées (ce que l’expérience prouve mais qu’il était parfois diffi-
cile de prévoir), soit parce que le terrain lui-même a des ruses qui font

” Ouvrage sous presse Terrain et société, du réel et du virtuel dans la société française.
L’Hamattan.

50
échouer tout le projet : il ne faut pas considérer le terrain et l’enquête
comme un bloc passif mais, au contraire, comme un p6le dynamique d’une
relation dans laquelle sont le scientifique, les hypothèses, les idees a priori
et tutti quanti. Le terrain a savie, la comprendreest peut-être un desobjec-
tifs de cet ouvrage ; il constitue le produit d’une négociation entre un cher-
cheurou une équipe avecdessujets,un lieu et un temps.

Avec l’apparition de l’informatique, nous avons pu mener plus mé-


thodiquementla conservationde nos réflexions et nous avons constitué un
ensemblede fichiers de notes d’environ 189000 mots au total, auxquels
s’ajoutent d’autres, d’environ 100000 mots qui regroupent les étudesspé-
cialementrédigéesdansl’optique de cette thèse(pour donner une idée cette
thèsereprésentei 200 000 mots).

Mais autant dire tout de suite que la rédaction n’a avancé qu’à partir
du moment où nous avons acceptéde renoncer à toute cette “richesse” do-
cumentairequi nous noyait. Nous avons donc relu l’ensemble... et oublié
les détails pour écrire. Reprenantparfois tel ou tel Clémentune fois la ré-
dactionfinie, maisavecprécautionde peur de dériver encore.

La démographie et l’anthropologie, cœur de notre recherche

Nous ne voudrions pasinduire en erreur le lecteur qui pourrait pen-


ser que nous nous situonscomme ‘multispécialiste’ - les Mexicains disent
‘todologo’ qu’ils modifient en ‘rodoloco’ @go, logos, loto, fou) Nous
avonsau contraire, dèsque s’estpréciséenotre idéed’entrer dansla recher-
che scientifiquepour écrire sur la questionde la pratique, du terrain et de la
collecte, décidéde pratiquer une discipline scientifique : ce furent la démo-
graphie et l’anthropologie économique; cette dernière souffrit de ce que
nouseûmesquelque réussitedans la première,qui était aussifinancée lar-
gementet permettait donc une accumulation d’expériences.Car une autre
voie aurait pu être choisie: une orientation purementphilosophique... mais
ce n’était ni notre genre, ni nos capacités intellectuelles, comme nous
l’avons déjà dit. Par contre l’exercice de la démographie,avec l’ouverture

51
dont nous disposions sur l’anthropologie, nous a permis d’avancer large-
ment dans l’exploration de notre sujet : le terrain comme mode de connais-
sance spécifique. La montée en puissance de grandes enquêtes multidisci-
plinaires nous a personnellement permis de participer A tout un effort de
collecte (conception et terrain), d’analyse et d’exposition d’informations
sociales mettant en œuvre tant le quantitatif que le qualitatif, pour prendre la
dichotomie tarte-à-la-crème en usage, et que nous affinerons dans ce texte.
C’est donc pour cela que les données anthropologiques et démographiques
sont celles sur lesquelles s’appuie notre réflexion, qui se nourrit également
de deux autres axes, de seconde main ceux-la : les sciences biologiques,
disciplines pour lesquelles nous avions beaucoup hésité, et philosophie des
sciences, discipline que nous ne sommes pas certain de bien maîtriser mais
dont nous nous sommes beaucoup nourri.

Nous fondons donc cette recherche sur un ensemble documentaire


d’origine diverse : sources scientifiques et autres sources, sur un grand
nombre de récits d’expériences vécues, sur les compte-rendus de travaux de
terrain, sur des interviews réalisées à propos et sur notre propre expérience
qui a été dirigée dans cette direction durant plus de trente ans. Nous recon-
naissons l’insuffisance de certaines réflexions et plaidons pour rappeler
qu’une bonne partie de notre documentation a été‘détruite en deux occa-
sions, parce que durant toutes ces annees nous étions comme la tortue : nous
portions notre maison sur notre dos et, parfois, nous avons perdu quelques
écailles.
Il nous reste l’espoir que notre réflexion sur une pratique d’aussi
longue durée présentera un intérêt et méritera l’onction universitaire de la
thèse nouveau régime.

52
C - Conceptions scientifiques d’une génération :
terrain et réflexion institutionnelle

L’hypothèse centrale de Feuer

Dans un de ces livres qui vous marquent et vous accompagnent, fi-


gure pour nous Einstein et le conflit de générations, de Lewis S. Feuer
(1974) (nous l’avons lu en 1981). Nous en avons fait le centre de nos rt-
flexions, si nous nous permettonsd’appeler ainsi les vagues mouvements
qui nous emportent parfois. Enthousiasmé,nousavons prêté si souvent cet
ouvrage qu’on finit par nous le garder 18.Cet ouvrage analysel’émergence
de nouveaux concepts dans l’école de physique des années1900, quand
cette sciencea cru qu’elle avait tout compris et que rien de nouveau ne naî-
trait pour elle dans le futur... Ce n’est pas tant de la crise de la physique
dont nousvoulons parler que du concept central de la biographie que Feuer
a réalisésur Einstein : chaquegénération, dit-il, a un paradigme,une con-
ception des choses.En ce qui concerne les scientifiques,cela ne peut que
toucher tgalement leur travail scientifique. Feuerdéclare:

Ce que le jeurre Einstein a apporté aux faits scientifiques, c’est le désir


d’en établir la théorie de manière nouvelle, plus en rapport avec les as-
pirations et les sentiments d’un groupe d’étudiants révolutionnaires
qu’avec les règles des autorités scientifiques établies.
(110)
Nous ne pouvons que nous accorderavec ce schéma,non que nous
fussionsrévolutionnairesnous-même,n’ayant ni la foi, ni cet enthousiasme
béat, élémentessentield’une bonneadhésionà une meute. Mais nous som-
mesbien d’accord sur le fait, soulignépar de multiples autresétudes”, que
l’on n’existe qu’en s’opposant.Chaquegénérationtissesapropre légendeen
s’imaginantdes mythes, Parmi les mythes que nous avons caressécomme

” Le problème
n’estpas tantdeperdreun ouvrage que de perdre les notes dont on l’avait
surchargé.
‘9PatriceBollon(1990)et lesautresétudessurla modevestimentaire comme
processus
d’identifîcation
chez les géntrations qui accèdent au stade adulte parexemple.

53
novateurs quand nous avions plus de foi et d’enthousiame qu’aujourd’hui,
trois nous paraissent intéressants à souligner dans ce travail :

l le premier a porté sur le concept de terrain. Nous étions des fanati-


ques de la ‘pratique’ ;

9 le second est la perception de l’autre comme acteur indépendant,


ceci est le volet décolonisation ;

l le troisième a porté sur le concept d’institution - nous étions con-


tinuellement en ébullition pour adapter les structures que nous habi-
tions, qu’elles fussent universitaires, disciplinaires, étatiques.. ., aux
buts et raisons d’être de ces structures.

Lewis S. Feuer (1974) a donc particulièrement étudié, B propos du


« conflit de gt?nérations » dans lequel a baigné Enstein (l’expression est
d’Einstein lui-même), le poids de cette variable générationnelle dans les
mutations scientifiques, élaborant à ce sujet la notion “d’isomorphème”,
idée philosophique centrale, selon Feuer, de l’épistemologie. Cette notion
est parente de celle de “paradigme” de Thomas L. Kuhn, de “modèle” de
Lord Kelvin, ou encore des “vues sur la nature” de John T. Merz (Feuer,
1974 : 263). Avec le temps et la distance, on peut évaluer, a partir des scien-
ces sociales, que la génération âgée aujourd’hui de 50-60 ans, avait aussi
une vue particuliére sur la nature.

Sans trop projeter la notion de conflit de générations, il y eut cepen-


dant, dans les annkes 1960, une rupture générationnelle, sensible sur les
plans économiques et politiques, et, en ce qui concerne les sciences sociales
à tout le moins, un clivage épistémologique : les sciences sociales quittaient,
pour le meilleur et le pire, le vieux navire des humani& pour celui, qu’elles
jugeaient plein de merveilles, des sciences. On pourrait même soutenir que
le passage par le marxisme eût dans cette mutation ses racines les plus for-
tes 20.

*’ Une anecdote donnera un peu la mesure de l’enjeu : un de nos camarades d’ttudes entra
au Crédit Lyonnais comme économiste en 1963. Après les tests, les entretiens en cascade,
enfin, dernikre Btape, il fut re$u par le patron, sinon du Lyonnais lui-même du moins de

54
Pratique et terrain

L’importance de la pratique a été un point focal de notre pensée et de


notre vocabulaire, Nous passerons sur les détails ridicules, non par pudeur,
mais parce qu’ils sont hors de notre sujet. Que le lecteur sache seulement
que nous les assumons, comme il est normal pour quelqu’un qui n’a pas la
prétention de refaire le monde et le passe, et à qui personne, ni lui-même, ne
demande de renier quoique ce soit. Nous ne voulions plus des grands senti-
ments, et pas plus les actes qu’ils dictaient, mais nous prétendions aux fins
qu’ils proclamaient, et cela dans l’emphase propre à la jeunesse et B ses en-
thousiasmes *’ . . . Appliqués en politique 21de nombreuses bagarres de rues,
que l’on fusse de droite ou de gauche 22, spectateur ou acteur, il était fatal
que nous déportions ce que nous étions, notre idéal, hors de la sphère émo-
tionnelle où ces conceptions étaient nées.

Dans des disciplines où l’expérimentation n’est pas possible, et qui


ne disposaient pas d’un consensus comme en disposaient les sciences natu-
relles 23, la pratique prenait une importance que les travaux de nos devan-
ciers, surtout de la tradition française, niaient - du moins par l’exposé qui
nous en était fait. Ce n’est qu’incidemment qu’on apprenait que Darwin
avait été sur le ‘Beagle’, que la science répondait à des questions concrètes,
que... nos maîtres avaient fait du terrain. Le terrain de nos maîtres se diluait
trop souvent dans des plans-bateau qui, d’étage en étage ou de niveau en
niveau (ou de cercle en cercle concentriques) en arrivaient aux vraies ques-
tions (la version marxiste de ces plans allaient de l’infrastructure aux super-

I’arbopagedirecteur. Cela donna le dialogue suivanl après un peu de discussion oiseuse


autour du curriculum vitrz du candidat et de ses desiderata : Le directeur : M Avez-vous été
communiste ? » Gros silence, le postulant : * Oui ». « Êtes-vous toujours marxiste ? » Après
un autre silence : «Non » « Vous pouvez aller, déclara le directeur, ceux de votre genéra-
tion qui n’ont jamais étt marxistes sont des imbéciles qui n’ont rien compris à leur temps.
Ceux qui le restent sont des idiots qui n’entendent rien au monde moderne. La banque n’a
besoin ni des uns, ni des autres. »
” Un dessin de Lauzier nous a toujours amusé : un jeune boutonneux déclamait en page de
couverture d’une revue de bandes dessinées : J’ai dix-sept ans, je n’ai rienfait de ma vie, je
suis un inutile, je n’ai qu’à disparaître.
22C’est-à-dire ‘pour’ ou ‘contre’ la guerre en Algérie, l’époque avait ses raccourcis.
23 Nous éviterons les termes sciences de la nature, car toutes le sont, et sciences humaines,
car aucune ne l’est pas.

55
structures). Le particularisme d’une recherche particulière se noyait dans le
global. Rappelons aussi que les sciences sociales s’enseignaient historique-
ment : c’est par l’étude de toute,la littérature antérieure qu’on apprenait les
connaissances nécessaires. Le processus d’apprentissage s’effectuait par
assimilation : on lisait, on s’imprégnait et chacun pour soi en tirait ce qu’il
pouvait. D’origine scientifique, nous étions choqué de ce que, même en dé-
mographie, on n’apprenait pas le schéma de Lexis en premier, mais par la
construction d’une table de mortalité, dont l’incohérence logique nous a
frappé dès le début (l’astuce consistant (1 créer une fausse « génération du
moment >)). Au point que l’analyse longitudinale, qui a été la grande histoire
d’amour de notre vie de scientifique, était jugée impossible par certains dé-
mographes à l’époque. Or, comment faire comprendre la logique d’une table
de mortalité fondée sur une génération fictive, si on ne l’explique pas, soit
totalement historiquement depuis son inventeur, soit totalement logiquement
en l’abordant alors le pur schéma de Lexis qui croise le temps et l’âge et
permet de décrire les générations ? On peut regretter, et nous sommes de
ceux qui le déplorent, que l’histoire et la philosophie des sciences ne soient
pas une matière des études de sciences, mais on ne peut tomber dans l’excès
inverse de notre époque d’étudiant où l’histoire de la discipline était l’alpha
et l’oméga de l’apprentissage de nombreuses disciplines de sciences socia-
les.

À tort certes, pour nous aujourd’hui, nous avions le sentiment que les
« dts étaient pipés » : nous suspections les auteurs de démontrer ce qu’ils
avaient pour instruction de démontrer. Leur refus de parler de la science en
train de se faire accroissait notre suspicion que la science ne pouvait qu’être
à la solde de grands intérêts. Nous accusions la pensée de retrouver des af-
firmations antérieures à son développement. Le procès d’intention était pa-
tent, mais la fréquence de travaux d’une franche banalité nous paraissait
justifier notre opinion. Nous ne savions pas qu’avec d’autres idées, d’autres
problématiques et d’autres méthodologies, notre époque (c’est-à-dire nos
contemporains et nous-même personnellement) produirait une aussi bonne

56
proportion d’ouvrages de la même banale scholastique, quoique diffkrente
dans sa musique. D’une certaine manière, nous pensions que le travail
scientifique dépendait tout entier de la problématique -du point de vue
donc - et de la méthode. Il pouvait être « génial » parce qu’il l’était en soi
(opinion qui nous paraît curieuse aujourd’hui ci simplement l’énoncer). Nous
pensions que le complexe problématique u méthode pouvait seul aboutir
une recherche. Seule l’historicité d’une recherche pouvait en expliquer le
caractère exceptionnel. Nous avions fait la critique intelligente de ces idées
courantes a I’6poque qui plaçaient au-dessus de l’humanité des personnes
particulières en elles-mêmes 24. Nous reconnaissions les personnes
d’exception, mais nous attribuions en partie ou en totalitt leur exception au
contexte historique et social. Ou alors ils Ctaient tels que, notre modestie ne
nous accordant aucun génie - pas plus hier qu’aujourd’hui -, ils nous parais-
saient exemplaires mais inimitables. Les premiers travaux novateurs appa-
raissaient pourtant, qui prenaient en compte les différents mouvements des
sciences sociales. Ce qui pour nous est le maître-livre de cette époque alIait
paraître : Les contes de Charles Perrault, de Marc Soriano. Sur un petit vo-
lume de cent pages, il mettait à jour des merveilles. II utilisait l’histoire ins-
titutionnelle (formation de l’État et statut de l’intellectuel-propagandiste),
les recherches psychanalytiques (la question des jumeaux, à l’époque un des
fers de lance de la psychologieet dont les résultatspermirent les avancées
de Soriano), les analysesdu matérialismedialectique, l’analyse historique
issuedesAnnales.. . Aujourd’hui encore, il nous réconcilie avec nous-même
en justifiant nos inquiétudes et assurantnotre probl&matiquede rupture.
Maurice Godelier faisait des ravages parmi les vingt étudiants qui

24Conception
dontcertainespersonnts reslentbienprisonnières commeGeorges Soffert, à
propos
d’Einstein,
voir infra,3&“”partie; c’est au nom de ces id8es qu’une personne Ctait,
en soi, exceptionnelle ; Einstein les partageait, donna son cerveau A la science, ce qui nous
avait paru du plus grand comique à I’dpoque. Reste que certaines personnes soient excep-
tionnelles, quece SO~I dansleurvblocik?, commeMarie-Jose Pérec,leursens kinésétique,
comme Bubka, leur sens de la répartie comme Sacha Guitry, leur rythme cardiaque comme
Indurain ou l’acuité de leur vue etc. . . est une évidence que nous ne contestons nullement.
Mais ces qualités exceptionnelles ne constituent qu’un capital qui n’explique rien, car il est
beaucoup plus courant qu’on le croit. Certains affirment que nous n’utilisons qu’un pour-
centage infime de nos capacités tant physiques qu’intellectuelles et affectives, et fondent sur
cette observation de grands espoirs pour le futur de l’humanité.

57
l’entouraient, dont la plupart étaient des étrangers. Louis Althusser semblait
n’être qu’un modeste (car il s’asseyait à un banc d’éléve) et remarqué (car il
prenait toujours la parole en premier) étudiant aux cours de Bourdieu et Pas-
seron à la rue d’Ulm... Michel Debré appelait à résister aux parachutistes,
de Gaulle tançait un quarteron de généraux et nous-même passions nos nuits
à corriger des copies alimentaires dans des couloirs froids et mal eclaires, en
gardant les domiciles parisiens d’intellectuels menacés d’être plastiqués.. . II
nous semblait alors que le terrain serait ce lieu oh la pensée et l’action se
réconciliaient, tout comme s’y réconciliaient la science et la sensibilité.
Utopie, utopie.. . quand tu nous tiens.
Il est nécessaire, compte tenu de l’importance du sujet, de faire un
détour sur la question du travail de terrain et la place qu’il était appelé B
prendre, temporairement, dans le travail scientifique -puisqu’aujourd’hui,
les générations montantes, saturées de machine et plantées sur les avantages
acquis, l’oublient quelque peu.

Les scientifiques qui furent nos maîtres parlaient peu des travaux de
terrain qu’ils avaient engagés. Au contraire, même en géographie, on insis-
tait sur le raisonnement logique dans l’opportunité d’une recherche. Lors des
excursions on nous demandait de vérifier la théorie, car c’était ainsi que l’on
enseignait : le réel prouvait la pensée, il en était issu. Georges Gurvitch ré-
gnait en maître sur la sociologie *’ et il ne paraissait point qu’il y eût de salut
hors du savoir livresque, auquel contribuaient, comme par hasard, ceux qui
couraient le monde sur leurs pieds et non sur les ailes de la pensée.
D’ailleurs, Lévi-Strauss déclare, dans I’Anthropologie structurale que beau-
coup de ces récits sont impossible à utiliser, ce qui nous a paru dès la pre-
mière lecture bien trop pessimiste : d’une part, on ne sait où ira la science et
ses capacités d’analyse, d’autre part de nombreux exemples prouvent qu’on

” Qui ne se souvient pas des questions en chausse-trappe de ce grand sociologue ? « Quel


est le troisikme auteur du Manifesfe communisre ? » en reste un des classiques. Certes il
existe, mais tout le monde n’est pas familier d’Auguste Cornu, auteur d’une biographie de
Marx, dont ne savons pas si elle a pu Etre achevée (elle est citée dans notre corpus*biblio-
graphique pour les trois premiers tomes).

58
a pu analyser des questions incroyablement obscures (comme par exemple la
preuve, en utilisant les r&its mythiques en apparence des Norvégiens, que
les Vikings non seulement ont été en Amérique mais en sont revenus 26.
Notre expérience personnelle des Archives coloniales de la Rue Oudinot où
nous gagnions notre vie infirmait cette appréciation 27. Enfin, l’exploitation
des archives et l’usage divers qu’en fait l’histoire comme discipline, mon-
trent qu’il y a toujours quelque chose à tirer de documents. Ce n’était qu’au
détour d’un exposé que l’on apprenait comment travailler sur le terrain. Les
conseils que l’on nous donnait l’étaient à voix quasi-basse, comme, Place
Pigalle, les vendeurs à la sauvette proposaient des images., . Rappelons ici
ce que nous avons dit de l’apprentissage par imprégnation qui était de mise
en sciences sociales.

Le terrain ne paraissait qu’une scorie du travail scientifique chez nos


maîtres. Il semblait relever de la sphère de l’intime et du personnel ineffa-
ble. Il servait a faire de la littérature, sauf chez certains que leur statut met-
tait hors de portée, la Margaret Mead de Mœurs et sexualité en Océanie, ou
le Claude Lévi-Strauss des Tristes tropiques.. . on y mêlait Les sept piliers
de la sagesse et on débattait de savoir si Les Sanchez d’Oscar Lewis étaient
de la science ou de la littérature.. . Nous 6tions loin d’imaginer que paraîtrait
Nous avons mangé la forêt de GeorgesCondominas.Tout comme les an-
thropologuesignoraient la bombequi allait éclater quelquesannkesaprès2
la suite de la parution du journal de Malinovski. Pour entendrele terrain, il
fallait trouver, circulant sous le manteau, les manuelspolycopiés de Paul
Pélissierou de Maquet ou encorede Marcel Mauss, dont les notesrestaient

x Le continentamtricainétaitvisibledetrésloinde par la rbfractionlumineuse surles


nuagesen ceslatitudesqui donnent une image de terre continentale inversée. Un autre
exemple est la determiqation du site d’Alésia par recouvrement de cartes géomorphologi-
ques et d’une carte de même nature ttablie k la lecture des commentaires de Jules C&ar {les
reférences de ce travail sont kgardes), où l’auteur a d(l laisser sacarrière puisque tout le
monde sait que le site d’Alésia est dtfïni par l’industrie du tourisme et non pas par la
science. Une troisième reférence peut être lue dans Lu Recherche, 283-1996, d’Arie S. Is-
sar : Ca Bible et la science font-elles bon mCnaae : les plaies de I’Éevote et de I’Exode Das-
sées au crible de I’hvdronéoloeie.
” Nous pouvons ici saluer la mémoire de Monsieur Laroche qui dirigeait ces Archives, et
rendre hommage a Madame Pouliquen qui fut lant d’années notre chef de service dansle
dépouillement et le classement de ces archives.

59
introuvables, «épuisées ». Y étaient données quelques recettes, que nous
recopions à la main, avant de nous plonger dans la littérature anthropologi-
que anglaise, avec son prestigieux Notes and Queries on Anthropology.
D’ailleurs, chose étonnante, on avait entendu parler avec mépris des notes
de collecte dresstes pour les administrateurs de la France d’outre-mer, elles
paraissaient la marque d’un non-professionnalisme, d’un amateurisme
voyeur et touriste.. . Il fallait se référer aux œuvres publiées, dont la nature
élaborée ne nous échappait pas. Personnellemen, nous ne voyions pas la dif-
férence entre les lettres de Cortès au Roi d’Espagne, les Commentaires de
Jules César, les Immémoriaux de Victor Segalen, les Argonautes de Bronis-
law Malinovski, et les Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss 28. Tout
comme nous paraissent bien semblables aujourd’hui les Carnets d’enquêtes
d’Émile Zola, le Voyage à Rodrigues de Le Clézio, « le journal de terrain »
de Bronislaw Malinovski ou Nous avons mangé la forêt de Georges Con-
dominas, livres publiés soit par leur auteur soit par leurs admirateurs. Le
terrain n’etait exprimé ; directement, que par des récits de voyage, bien inté-
ressantsdocuments pour la science, ou par des écrits, journalistiques comme
ceux de John Reed, oulitteraires comme ceux de Victor Segalen. Mais Lévi-
Strauss nous mettait en garde en disant qu’il les haïssait, eux et leurs au-
teurs. Qui ne connaît l’incipit de Tristes Tropiques :

Je hais les voyages et les explorateurs.


Certes nos maîtres avaient fait du terrain, mais a part Pierre Gourou
qui l’affirmait au Collbge de France, et Jacques Maquet qui, en s’excusant
de raconter sa vie, l’avoua un jour de lassitude, on n’en savait rien. Comme
l’expérience du divan, le terrain était à vivre, pas à commenter (il semblait
un lieu de l’inavouable, comme ce mythe du divan où l’on croit que le pa-
tient déroule aux oreilles horrifiées ou perverses de son analyste des pensées
que la langue commune ne peut décrire et qui proviennent d’un magma
d’horreurs enfouies). On pouvait, au mieux, fabuler dessus et nourrir des

28 À juste titre Richard Pottier se propose d’tcrire un jour les Tropiques joyeuses, comme
les veuves peuvent l’être et comme on le sait bien à lire les ouvrages de Negroni (cf biblio-
graphie).

60
conversations d’après-boire. La science, telle Minerve sortant armée et cas-
quée de Jupiter, sortait de même de l’entremêlement des livres et du libre
jeu de la pensée. Le reste n’existait pas. Cela se faisait, « en pensant stoï-
quement à l’Angleterre », mais cela ne se disait pas 2g. Proclamer que New-
ton était un adepte de l’alchimie à laquelle il avait consacré plus d’heures
qu’à la physique des astres était extrêmement risqué, autant que de procla-
mer dans un catéchisme que Saint François d’Assise éjaculait dans ses crises
extatiques et que Sainte Th&èse d’ Avila connaissait des orgasmes durant
ses adorations. Choses qui, les unes et les autres, se trouvent cependant
écrites sans gêne dans les textes des uns et des autres. Ceux-ci n’avaient pas
plus honte de ces manifestations de leurs corps que celui-là de l’application
de son intelligence aux sciences occultes s” (Pierre Thuillier, 1983).

En fait, c’était l’impression que nous tirions de ce qu’on nous ensei-


gnait 31. Nous étions moins «révolutionnaires » que nous le supposions à
l’époque, d’ailleurs nous faisions cette ‘révolution’ mentale avec l’appui de
certains de nos professeurs. Nous pensons en particulier a l’historien éco-
nomique Ernest Labrousse et a tous ses jeunes collègues de Annales, deve-

” Jean Ferrat chante qu’une femme honnête n’a pas de plaisir, on a un peu cette image avec
le chercheur de terrain, ou pas d’ailleurs. Or la recherche, un des derniers artisannat du
monde, est un lieu ludique et de bonheur. On y trouve ce dernier bien plus souvent qu’au
travail à la chaîne dans une usine ou dans nombre de professions. Nous en avons frequentes
de nombreuses dans notre vie et nous sommes certain que c’est une grande chance
d’exercer un metier qui donne plaisir, jeu et bonheur, malgré quelques petits épisodes en-
nuyeux ou périlleux, intellectuellement s’entend ! Nous nous rappelons qu’à nos debuts,
nous dtions gêne de trouver autant de joies dans la vie sur le terrain. II nous semblait que
notre travail n’arriverait jamais a produire quelque chose d’intéressant et que nous man-
quions définitivement d’esprit de sérieux. L’homme n’esr pasfiit pour le travail, la preuve
c’est que cela le fafigue etait un des grands slogans de I’epoque, et, maigre Le droit à la
paresse de Paul Lafargue (1880, publié par Maspero dans les annees 60), l’ennui paraissait,
au moins sérieux d’entre nous, comme un des ingredients de la science.
3o Pour celui qui avait le gout du risque, il etait amusant de signaler B ses amis trotskystes
que Marx avait fait un enfant a sa bonne et qu’il les avait abandonnes tous deux (on a perdu
la trace du fils en Australie), ou aux communistes que Marx était un soulographe bien alle-
mand qui et% fait merveille comme étudiant à Rennes où il se serait attiré le respect de ses
collégues, et que Jenny, son épouse qui ttait noble de naissance et petite-bourgeoise de
mentalitt, refusât toujours de recevoir les amies d’Engels car celui-ci ne les avait pas Iégi-
timées par mariage..
3’ Pierre George un jour, nous signalât l’importance qu’il accordait aux connaissances li-
vresques acquises par voie de diplômes : ayant eu son certificat d’histoire ancienne trop
facilement selon lui, il nous dit avoir repris ces ttudes apres son agrégation et passe de lon-
gues et penibles heures a re-apprendre ce qu’il avait mal appris precédemment. Nous nous
souvenons parfaitement de la mention qu’il avait faite de cette pénibilité de l’étude qu’il
s’était inflige.

61
nus depuis des sommites universitaires, qui enseignaient à I’EPHE, l’École
pratique des hautes études (et nous ne pouvons passer aujourd’hui rue de
Varenne sans avoir une pensée émue pour eux, pour nous). Mais le temps
était à l’affaiblissement du mandarinat. Admirateurs ou adversaires des
grands mandarins, nous percevions bien l’effondrement d’un certain travail
scientifique, d’un statut de ‘savant’ s2 pour celui, plus modeste et mieux
adapté à notre modernité démocratique, de travailleur scientifique. La thèse
d’état, cet exercice d’une vie (et le lecteur doit sourire en lisant cette thèse
qui ne voulait pas être une thèse d’état) devenait un exercice qui perdait sa
légitimité. Les instituteurs, premiers intellectuels de l’ancienne sociéte à
perdre leur statut, devenaient un groupe de pression qui luttait pour ses ac-
quis et manifestait ses états d’âme (Les Temps modernes, Esprit, Lu NEF,
les trois revues-phares de l’époque, s’y penchaient immanquablement à cha-
que saison d’automne). Le monde n’était plus ce qu’il était, nous croyions
qu’il allait être nouveau, d’autres pensaient qu’un Satan rouge envahissait le
monde.. . Le travail en équipe devenait une évidence, on ne savait trop que
mettre dans cette notion, mais elle nous ravissait : nous la confondions
quelque peu avec les conversations de café et la mixité. Le terrain, ou la
pratique, dans ce contexte, nous paraissait ce qui nous permettrait de trans-
cender les difficultés et de faire émerger le monde nouveau.

Nous lisons également dans d’autres évenements qui traversèrent


notre génération ce besoin d’action concrète, d’engagement physique dans
un processus de connaissance, par exemple les mouvements politiques
(Robert Linhart, 1978 ; Christophe Bourseiller, 1996) qui précédèrent les
retours a la terre des annees qui suivirent 1968, date charnière car mythique.

C’est dans ce contexte que I’Orstom, comme institution qui <<ne


vous fatiguait pas la tête de grandes théories », comme nous le signalait un
ami, Marc Cohen, qui le quitta car il voulait, lui, s’interroger sur l’essence
du monde (comme nos propres théories nous semblaient sans faille, une

32 Marcel Mauss parle en toute modestie des bonheurs de la vie de savant, chose impensable
aujourd’hui ! (Non le bonheur, mais le qualificatif de savant).

62
institution qui fQt comme une auberge espagnole où nous devions apporter
nos idées nous paraissait parfaitement adéquate B notre point de vue et à
notre projet de intellectuel) nous parut être une institution repondant à notre
désir d’affronter le réel. La pièce de Claudel, Tête d’Or, était presentée a
l’Odéon, et une réplique nous est restée en mémoire :
Faire ! Faire, qui me donnera la force de faire ?
La réponse, quant à nous, nous paraissait simple : le terrain serait ce
qui nous libérerait, il était le lieu où la vérité naît, où les yeux se dessillent,
où l’expression se réalise, car l’idée, quand elle est juste, trouve son expres-
sion adéquate.. .
Définir ce que nous entendions exactement par terrain, nous en
sommes bien incapable. Nous avons bien nos premières notes qui datent de
ces années qui suivirent les Accords d’Evian pour l’indépendance algé-
rienne, mais elles confondent pratique et terrain, mythifiant celui-ci par
l’aura de celle-là. Et le jeune homme qui les a écrites nous est devenu quel-
que part totalement étranger (il ne serait peut-être pas trop satisfait d’être le
père de l’homme qui écrit cette thbe. i Quién sabe ?) Il reste cette interro-
gation que nous assumons aujourd’hui d’entendre.
Mais ne masquons pas que notre travail s’effectuant outre-mer, dans
les pays africains d’expression française, nous ne pouvions pas nous abs-
traire de ce contexte. Ce deuxième aspect de notre réflexion nous paraît im-
portant, car il a profondement determiné notre perception des choses en
nous interdisant de penser la question du terrain indépendamment des con-
traintes sociologiques de son exercice.

La décolonisation : l’époque néo-coloniale comme passage à la modernité

Tout le monde n’a pas aujourd’hui dans ses souvenirs d’enfance des
images de corps suppliciés à coups de matraque plombée, de mechta rasées,
de prisonniers mutilés, et ce regard insoutenable des humiliés : les coloni-
sés... La colonisation dure, que nous avions vue de près, n’était pas encore
un lointain souvenir au début de notre vie professionnelle. La presse regor-

63
geait de faits de ce genre qui tenaient à la situation de liberation des peuples
opprimés comme on disait alors. Les deux millions de Pieds-Noirs, qui
cherchaient à se faire oublier en France même, étaient une marque encore
toute chaude d’un passé. Ce passe, à la destruction duquel nous avions con-
sacré tant d’années, n’était pas pour autant effacé. Nous avions tous une
claire conscience de ce que “l’autre” existait, peut-être d’une manière moins
bavarde qu’aujourd’hui, mais cette conscience était plus aiguë nous semble-
t-il. Qu’elle ait amené certains à être ‘Pieds-Rouges’, allant en Algérie faire
la révolution que ce pays se ‘devait’ de ‘nous’ faire, selon les grands mythes
de la gauche de l’époque (Voir Jean Rolin, 1996), soit qu’elle en ait poussé
d’autres au ‘cartiérisme’ : « Puisque ces pays ne veulent pas de nous, lais-
sons-les » J3, la reconnaissance de l’autre comme acteur a part entière de
l’histoire, nous paraît avoir été une des caractéristiques de notre pensée en
tant que génération nouvelle (pour l’époque : nous étions la génération
montante).
L’époque était sartrienne : nous étions coupables de tout, du massa-
cre des Tcheques à la Montagne Noire à celui des Vietnamiens, des aberra-
tions du Traité de Versailles à la crétinerie de l’abolition de 1’Edit de Nan-
tes, des tortures de l’Inquisition a celles de l’Armée française en Algérie,
des camps de concentration au commerce triangulaire., , L’idée avait eu un
grand retentissement avec le film de Clouzot : Nous sommes rous des assas-
sins. Finalement, cette ambiance donnait à chacun une grande responsabilité
personnelle dans ce qui se passait autour de lui ou à l’autre bout de la pla-
nète. Nous avions des difficultés à ne pas nous sentir impliqué en chaque
mouvement, ce qui heurtait fort la hiérarchie structurt5e qui nous encadrait et
qui traitait la rupture de conception qui était la nôtre comme une poussée
juvénile d’acné. Ces deux précédentes ruptures, épistémologique quant au
terrain et décolonisation allaient se concentrer pour donner une caractéristi-
que importante de notre génération, avant que la poussée et l’affer-

” Carti&isme : d’aprés le nom du journaliste Cartier qui lançacette idéede ‘politique de


Monroe’ pour la Franceet l’Europe dansun articlefracassantde Paris-Match.

64
missement des suivantes ne la noie dans un tout indifférencié : il s’agissait
de la réflexion institutionnelle sur les structures.

Les structures, de quoi on attend tout, ou presque...

Malgré le mepris que nous affichions pour le droit comme discipline,


nous en étions imprégnés jusqu’à la moelle. Tous nos efforts se passaient,
en quelque activité sociale que ce fut, a adapter les structures aux objectifs:
Nous voulions définir ceux-ci avec précision pour organiser ceux-là. À
l’tchelle nationale, le débat faisait rage à propos de la constitution de la
toute jeune Cinquieme République. Nous débattions avec passion des arti-
cles de Viansson-Ponté et Duverger. Les billets d’Escarpit dans Le Monde
en faisaient également mention. Au moindre débat politique, nous nous je-
tions sur tous les journaux, dépensant en presse ce que le cinéma n’avait pas
absorbé. Le droit faisait partie notre vie intellectuelle. Il en fat comme pour
la décolonisation : que nous fussions d’accord ou non, c’était un fait. Ceux
qui déploraient la décolonisation voulaient un divorce complet avec les
pays, ceux qui l’approuvaient l’esperaient tout autant. De même en matiére
de droit : nos pensions que tout jeu a une règle, que la connaître permet de
gagner, quitte ensuite a la détruire, qu’on soit d’accord ou non n’était pas en
cause, chacun tentait de tirer les choses vers son bord. Au fond, nous étions
des conservateurs a la Talleyrand - qui s’appuyait sur les traditions jusqu’à
ce qu’elles cèdent.
À l’échelle internationale, le conflit sino-soviétique, l’enlisement
américain au Viêt-nam, les évolutions du Commonwealth et de la Commu-
nauté française, les « coups de gueule » de De Gaulle contre le « machin »
onusien, le jeu des pays en recherche d’indépendance entre violence et droit,
tout cela montrait et démontrait un monde en rapide mutation. La croissance
économique était de 7 a 8 % par an, le revenu doublait tous les dix ans...
Pour qui savait observer, il était évident que la poussée des cadres s’effec-
tuait en permanence dans les entreprises, et ce fut un des aspects les phrs
occultés de 1968, qui fut aussi une lutte pour les cadres et techniciens de

65
prendre le pouvoir ou de participer au pouvoir dans le monde économique et
du travail.

Une fois admis que le terrain était le lieu privilégié du travail scienti-
fique, nous avons toujours réfléchi, le nous est collectif, aux questions
d’organisation. Autant dire tout de suite que la divergence avec les généra-
tions qui nous ont directement suivi a été dramatique d’incomprkhension.
Nos jeunes collègues ne comprenaient pas ce souci que nous avions de met-
tre systématiquement à plat les fondements organisationnels, qui, par cer-
tains côtés, devait être ridicule, comique, et énervant. C’est sur ce plan que
notre divergence technique s’est très vite manifestke avec les institutions qui
nous permettaient pourtant d’effectuer notre travail et de réaliser notre vo-
cation.

L’absence de réflexion institutionnelle sur l’accord nécessaire entre


les fins et les moyens et la nécessaire adaptation des structures aux questions
scientifiques s’est bien manifestée sur les projets multidisciplinaires qui fu-
rent le cheval de bataille des institutions travaillant pour le développe-
ment 34. Ce type de projets a provoqué des conflits dans le cercle clos de
professionnels attachés à leurs idées ou, n’en ayant pas, soucieux du pouvoir
et des signes du pouvoir (on ne dira jamais assez comment la population des
chercheurs apprécie les signes extérieurs de considération, dont les publica-
tions ne sont que la partie la plus visible et la plus légitime 35). Aucune
évaluation des consCquences n’avait été réalisée ni avant, ni au cours de la
mise en place de ces projets, Et après on a préféré oublier les drames connus

34Ce qui ne poseraitguère de problèmes trop graves sinon d’inefficacité. Ce qui s’est passé
provient du fait que la réflexion sur le sujet étant nkcessaire pour qui dirige. La bureaucratie
s’est emparée de la question et l’a traitCe comme elle aime ?I traiter les questions : en
l’instrumentalisant (J. Habermas, La lechkque et lu science comme « idéologie a).
” Les chercheurs sont peu habitués au regard extérieur et rbagissent très mal aux intrusions
du monde rtiel dans leur monde virtuel : notre manie collective de la reconnaissance par les
pairs est un des étonnements de ceux qui nous regardent quand l’occasion leur est donn6e
de nous étudier, comme nous étudions les insectes et les mœurs bizarres de ceux qui ne sont
pas nous : cadres d’une entreprise, marginaux d’une banlieue, ou Papous, ou Persans...
(Voir les interventions des extkieurs if la recherche scientifique dans le colloque CNRS La
recherche scientifique face aux enjeux... 75-95, les 20 ans des SPI, CNRS, 3 novembre
1995, cf. Bibliographie). On peut dire aussi qu’ils rkagissent très mal B la critique et à
l’humour (C’ Voyage en Orstomie de Naymard, 1995, ou Fugue en Sorbonne mineure de
Tolra, 1996). tr& mal accueillis par les milieux mis en cause.

66
durant le déroulement de ces grandes recherches collectives. Il est vrai que
la tradition des projets menés comme des opérations militaires (tout comme
étaient menées les expéditions de géophysique), empêchait la prise de con-
science du caractère novateur des projets multidisciplinaires et de leurs spé-
cificités en termes de problèmes scientifiques. Les conflits scientifiques
étaient restés jusque-là au niveau de conversations de cafe et de RLP j6. Ces
conflits ttaient d’ordre scientifique mais furent traités comme des querelles
de personnes, Pourtant, dès les années 6570, quand étaient apparus ces
grands projets impliquant une foule de disciplines, on avait entendu pas mal
de coups de semonce, mais ces expériences furent refusées. Or, nous savons
bien que les conflits, même s’ils prennent une tournure personnelle, naissent
de divergences d’ordre épistémologique, pour ce qui concerne les milieux
scientifiques 37. Et plus celles-ci sont ténues, au sens où elles sont in-
appréciables de l’extérieur et brouillées de l’intérieur aux acteurs de par le
gonflement des rancœurs personnelles, plus les conflits sont aigus. C’est pas
parce qu’on n’arrive pas à déterminer précisément la cause du conflit que
cette cause est dirimante en termes d’action de recherche. Nous reviendrons
sur cette question en proposant quelques-uns des exemples que nous avons
rencontrés. L’absence d’évidences théoriques n’empêche donc pas la réalité
des différences épistémologiques dans les recherches multidisciplinaires ;
elles se focalisent alors sur des oppositions de personnes, oppositions féro-
ces que le temps n’efface jamais - comme si de n’avoir pas compris pour-
quoi on s’opposait ne permettait pas d’éteindre l’opposition. On le constate
a contrario, dans les ‘concessions’ qu’étaient les stations d’essais ou

x Radio-langue-de-pute : étaientappeléesainsi les conversations en petit comité où des


gens isolés dechargeaient ainsi les tensions accumulées par une vie confinee, en disant du
mal des absents. On trouve la même thérapie de groupe dans les milieux d’ambassades (voir
Lawrence Durrell : Sauve qui peur ! scènes de lu vie diplomarique. 1996, et les deux autres
ouvrages publies par le même tditeur de Dunell)
” L’explication par la mimésis (cftravaux de Rent Girard) ne pourrait fonctionner qu’avec
des groupes humains constitués, ce qui n’est pas le cas d’équipes forméescommedes équi-
pagesde bateaux, au hasard des besoins. Que des phénomènes de type “bouc Emissaire”
soient fréquents en milieux scientifiques est certain, mais ils ne sauraient expliquer la plu-
part des situations que nous avons observees.
d’exploitation (les stations expérimentales en Afrique ou les plantations de
caoutchouc des Terres Rouges en Indochine), qui auraient dû être des lieux
parfaits pour ces types de conflits, or on n’en vit jamais. Au contraire, les
gens qui ont VCCUdans ces univers concentrationnaires n’en gardent que de
bons souvenirs, ou racontent les mauvais sur le mode de la plaisanterie.
Comme on se souvient d’un service militaire, d’un séjour B l’hôpital ou
d’une traversée. Les pires moments sont magnifiés, ce ne sont plus des rtcits
mais les chants d’une geste glorieuse. Les situations, même difficiles, quand
elles sont comprises, finissent par être admises. Alors que celles qui restent
incompréhensibles gardent toute leur charge d’émotivité. C’est pour cette
raison que nous pensons que l’éclaircissement théorique de divergences ob-
jectives dans le travail scientifique reste fondamental si l’on veut monter des
équipes pluridisciplinaire (chapitres 7 à 9 de la 1”’ partie).

Avec l’arrivée des chercheurs en sciences sociales, l’équilibre hiérar-


chique qui existait dans les projets n’impliquant que des sciences dites du-
res, ou sciences rigides, disciplines historiquement bien compartimentées, a
été bouleversé. Auparavant, les projets étaient d’un mode d’organisation de
type ltonin ou de meute : une discipline régnait sur le projet, avec à sa tête
un cacique type chef de bande, coiffé d’un mandarin externe, parisien en
général, qui assurait la ltgitimité scientifique de l’ensemble. Une organisa-
tion pyramidale obligeait les dominés à se montrer discrets. Le modéle ap-
pliqué à ces équipes etait celui du poulailler. II fallait tirer partie de cette
expérience sur le plan organisationnel pour évoluer, ce qui ne s’est pas fait.
L’ironie est toujours que les applications possibles des sciences sociales ne
sont jamais realisées ni dans l’enseignement, ni dans la recherche. Par
exemple, un rapport sur le multidisciplinaire a et6 produit à I’Orstom, il est
à lui seul une curiosité (Ph. Couty, 1989). Il tient plus du cabotage que de la
navigation en haute mer, On trouve dans ce texte l’exposé en balancier
d’avantages aussitôt contestés par le contrepoids des inconvénients, et réci-
proquement comme le déclare la dialectique : rien n’est parfait mais tout est
simple dans la complication, le reste étant complexe dans l’évidence. Mâti-

68
ne de quelque cabotinage culturel, il ne quitte pas les questions éculées et les
repenses rabâchées, il cite Platon et Aristote dont on sait le poids dans la
science expérimentale : au moyen-âge, on avait débattu de savoir si l’huile
gelait en hiver, on avait consulté les textes grecs et brOlé les inconscients qui
avaient suggéré qu’on pouvait attendre l’hiver pour poser une jatte d’huile
dehors et constater. Fi que diantre ! Quelle vulgarité. Ce texte nous paraît
avoir fait régresser l’analyse (et nous aborderons cette question car elle
‘interpelle’ sur l’autre dimension des rapports scientifiques : pas plus qu’une
autre activité, la science est à l’abri de manipulations de pouvoirs et le com-
bat s’avère plus obscur que ne le laissent supposer les enjeux officiellement
proclamés).
Personnellement, cette inquiétude qu’il y ait autre chose que des que-
relles de personnes dans ces projets multidisciplinaires nous amena a une
action tendant à entendre les conflits de personnes et à effectuer a la suite de
nombreuses expériences de dynamique de groupe a engager une analyse
(psychanalyse). En effet, l’isolement que nous avions connu ne nous avait
pas permis d’élaborer une pensée collective, seule à même d’entendre un tel
problème puisqu’il est vécu par plusieurs personnes. Notre idée de base était
que si les questions de personnes faisaient éclater les groupes naturels (en
l’occurrence des équipes pluridisciplinaires), il fallait intégrer les rapports
interpersonnels dans le montage de tels groupes. Deux ans d’analyse qui se
sont terminés par un ‘acting out’ classique quand nous avons compris que le
problème ne venait pas de là mais de l’immaturité des questions abordées.
Au diable la psychanalyse, et retour aux sables mouvants de l’épistémologie
des sciences sociales. Chaque discipline scientifique a un point de vue, cer-
tes, mais aussi une tache aveugle, laquelle se manifeste dans les travaux in-
terdisciplinaires dès que les disciplines sont proches, Faire travailler un an-
thropologue et un astronome ne pose pas de problème, mettez un sociologue
et un ethnologue ensemble, il n’en va plus de même.
II n’y eût finalement qu’une analyse épistémologique qui nous donna
raison, et c’est avec bonheur que nous en avions traduit en espagnol pour

69
nos collègues mexicains les meilleures pages ; elle porte sur les systèmes
d’information geographiques et la question des divergences d’échelles et a
été menée par Christian Mullon (1991, 1992) et par Jacques Noël (1990).
Ces textes, sur lesquels nous reviendrons, explicitent bien les divergences
objectives, d’ordre logique, entre les Echelles tout d’abord : les diffeirences
quantitatives provoquent, à certaines échelles, ou à certains seuils, des diffé-
rences de nature s8, et aussi entre les données : de nature différente, les don
nées ne sont pas additionnables comme de vulgaires, ou purs, êtres mathé-
matiques, incolores, inodores et sans saveur. Mais avant de conclure, nous
devons aborder un point qui pour nous est évident, mais ne participe de
l’évidence générale des scientifiques et des citoyens : la science se fait-elle
seule, d’un ample mouvement vers la connaissance, ou bien y a-t-il une de-
mande sociale, et laquelle ?

Sans trop exagérer le phtnomène, il nous semble que le terrain


comme concept cpistémologique a eu des racines collectives et s’est mani-
festé en tant qu’objet indépendant durant ces années influencées par la pen-
sée marxiste, Les œuvres choisies de Gramsci était notre livre de chevet.
Nous avons voulu, dans ce chapitre, ‘cadrer’ cette question, il était fatal,
qu’en contrepoint, on fit le portrait d’une certaine jeunesse. Et tant pis si
c’était la nôtre.

Y * *
*

Dans ce chapitre d’introduction nous avons voulu expliciter les bases


méthodologiques, les corpus de nos références et l’historique de la naissance
et du développement de notre idée initiale. Nous allons maintenant aborder

x8On trouve la même questionen sciences naturelles : pour les êtres petits le magnétisme
est plus important que la pesanteur, et un chien qui serait gros comme un tléphant serait
comme un tléphant, pas comme un chien (cf. Stephen Jay Gould, 1982). On trouvera un
bon e.xemple de ces changements quantitatif/qualitatif dans l’article de Mphane Deligeor-
ges, A la limite Dossible du oetit. La musaraiene Btrusaue. mammifère de moins dc trois
grammes in La Recherche, 290-1996 : 38-39.

70
le cadre même de notre thèse, son corps central : méthodologie d’enquête et
pratique du terrain.

Dans une première partie nous allons traiter des grandes questions
posées par la science comme activité sociale aujourd’hui normée par des
règles, des rites et des lois. Nous tenterons de faire le bilan des idées expri-
mées en relation avec l’objet de notre recherche, dans les nombreux écrits,
intelligents et pertinents de nos devanciers : l’épistémologie est une science
réflexive parfaitement élaborée, même si la question des sciences sociales
continue à être un douloureux et conflictuel problème, du moins pour ceux
que taraude l’espérance de réponses définitives. Dans cette partie, nous
analyserons les grands paradigmes et pièges des actions scientifiques et pré-
ciserons le statut des sciences sociales.

Dans une seconde partie, nous exposerons la méthodologie


d’enquête, en distinguant enquêtes quantitatives et enquêtes qualitatives.
Malgré l’artificialité du procédé, l’opposition quantitatif / qualitatif reste
commode pour préciser ce dont on parle. En effet, cette opposition que nous
reprenons s’avère pratique, et, de toute façon, elle est courante même s’il
existe un continuum entre ces deux pôles. Dans cette partie, nous nous cen-
trerons sur la collecte démographique, car le sujet reste trop vaste pour
aborder la question gén6rale des enquêtes quantitatives.

Dans une troisième partie, nous exposerons notre analyse sur le ter-
rain, en détaillant les diffërentes acceptions du terme, en exposant les diffé-
rentes pratiques qu’il entraîne et en donnant une série de propositions qui
permettront d’avancer a ceux qui voudraient explorer la question ?Ileur tour.
Nous accorderons beaucoup d’importance aux différentes interprétations du
terrain et axerons notre intervention sur l’anthropologie qui est, de toutes les
disciplines scientifiques, celle qui se déclare de terrain par « essence ».

71
PREMIÈRE PARTIE

SCIENCE ET SOCIÉTÉ
Toute vérité doit être vtcue avant d’être dire.
BernardPingaud,’

Le travail scientifique, terme que nous préférons employer à celui de


‘science’ (ccLa science, cette nouvelle noblesse », disait Arthur Rimbaud
dans Une Saison en enfer), est un travail, et, comme tout travail, relève d’un
certain nombre de contraintes sociales. C’est a l’examen et à la critique de
certaines de ces contraintes que nous allons nous livrer dans cette seconde
partie. Pour cela, nous avons beaucoup lu, en désordre et en oubliant de
nombreux auteurs , pour citer les noms qui se présentent à notre mémoire en
écrivant : Feyerabend, Bloor, Thuillier, Kuhn, Dewey, Goode, Latour, Ser-
res, Progogine, Koyré, Passeron, Blanché, Devereux, Bourdieu, Jacob,
Merton, Mills, Stiegler, et nous avons lu également de nombreuses biogra-
phies de scientifiques : d’Enstein, de Darwin, Lavoisier, Messmer, Malthus,
Freud, Reich, Mauss, Bachelard, de Broglie. Nous avons aussi exploité de
nombreuses biographies de chercheurs quand nos fonctions administratives
nous ont donné accès à cette documentation, dont nous ne ferons pas état
explicitement naturellement. Nous avons beaucoup exploré les conditions
d’émergence d’koles, de mouvements de pensées scientifiques, de théories
(création des écoles de Palo Alto et du mouvement qui se créa autour du
concept de chaos, naissance de la sociologie et de l’anthropologie, de la
physique moderne, poussée de l’analyse longitudinale en démographie.. .) ;
nous avons dépouillé La Recherche en totalité depuis sa création et Pour la
Science en partie ; nous avons consulté au hasard de nombreuses revues.
Avons-nous bien lu et bien compris toute cette documeritation ? Cela n’est
pas sûr car nous lisons lentement et chaque ligne d’un texte est la source
d’une foule de réflexions que nous laissons aller ; par ailleurs nous avons eu
le défaut de vivre et de travailler d’abord et de tenter de comprendre après
ce que nous avions vécu et rencontré dans notre pratique 2. Notre intention

’ In L’Arc, Introducaonau num6ro«Lévi-Strauss », 1967, Comment on devient structura-


&.&
’ Karl Popperet Marcel Concheont procédt inversemen1,croyantà la raison, ils l’ont
debusquée là où elle se réfugiait pour échapper a l’esprit humain. Nous avons beaucoup
d’admiration de ces grands esprits, analystes fins, travailleurs acharnés de in pensde, mais
n’a jamais été de confronter les livres aux livres, les pensées aux pensées.
Nous n’avons jamais confronté que notre perception du monde avec celles
des autres, et, parfois, nous devrons signaler ce que nous en déduisons sur le
plan de nos conceptions scientifiques 3, et notre conception professionnelle
du travail de terrain avec celles des autres. En ce qui concerne le dernier
point, nous sommes souvent reste dans l’étroite sphère de notre propre
pratique collective (collecte dans les pays en développement), cependant, à
l’occasion de cette rédaction, nous avons largement Etendu notre recherche
des autres positions et trouvé le récit d’autres pratiques que la n&re. Nous
tenterons d’en écrire avec humilité sans pour autant effacer le point de vue
que nous avons. Nous ne voulons donc pas traiter du terrain et de l’enquête
comme un absolu et nous n’avons pas la prétention de rivaliser avec des
épistémologues comme Popper, des philosophes comme Habermas, des
sociologues comme Passeron, nous voudrions, partant de notre pratique de
terrain, expliciter ce en quoi elle nous paraît nécessaire à toute pratique
scientifique, sans pour autant répkter ce que d’autres ont dit, et mieux que
nous ne saurions le dire.
Nous signalons cependant, que cette thèse rédigée, nous trouvons
d’autres pistes. Certaines impasses sont volontaires, elles n’en restent pas
moins des erreurs : il nous a échappé l’intérêt que nous aurions eu a lire Paul
Ricœur ; d’autres ne sont que le reflet de notre manque de formation en
philosophie, comme celle de Wilhem Dilthey.
Après avoir envisagé la nature de la science, à la fois comme exer-
cice intellectuel et comme exercice social, nous allons nous attarder sur les
sciences sociales, sciences molles opposées aux sciences dures, ou “sciences

nous n’avons aucune honte de notre propre parcours. Nous bénissons le ciel, au contraire
que des gens comme eux aient explore les possibles de la philosophie et de la science, car
ils nous donnent ainsi a la fois la cl6 de certains de nos actes et l’unification des productions
anarchiques de notre esprit. Ce qui était hors de notre atteinte.
3 Nous savons que notre méfiance sur les grands idees et les grands sentiments, nos concep-
tions probabilistes de l’univers proviennent de notre sentiment d’un univers chaotique,
lequel sentiment provient de ce que nous sommes ne et avons étt enfant dans un monde qui
s’effondrait : les colonies françaises, Et que le scepticisme que nous en retirons est la racine
de notre indulgence pour des idées adverses, qui nous paraissent autant fragilement fondees
que les nôtres.
flexibles” ? Sciences dans leur démarche mais dont les conclusions ne se-
raient pas des « résultats scientifiquement prouvés ». . . Ensuite nous aborde-
rons la question de l’information scientifique, celle du terrain, comme para-
digme incontournable dans les sciences sociales et enfin, les grandes ques-
tions de la recherche : problématique, qualitatif/quantitatif, globaMoca1.. .,
et enfin l’experimentation et la simulation.

76
A- Qu’est-ce que la science ?

Dans cette sous-partie seront abordés les problèmes généraux des


sciences et de la place des sciences sociales dans le débat Cpistémologique
moderne. C:ertaines hypothèses seront proposées pour tenter de comprendre
en quoi les sciences sociales sont des sciences d’une nature spécifique qui
ne met aucunement en cause leur statut : en effet les sciences “nobles” ou
considérées comme telles (physique & biologie) montrent déjà entre elles
des contrastes non-réductibles qui permettent de comprendre que
l’accentuation des problèmes épistémologique est constante entre les scien-
ces de la matiére, les geosciences (et la “planétologie”) et les sciences de la
nature, la complexité maximum étant atteinte par les sciences de l’homme et
de la socitté qui ne disposent ni de la mathématisation ni de
l’expérimentation. Mais l’émergence des simulations permet d’aborder la
question sous un autre angle que nous présenterons. Une conclusion scepti-
que se dégage de ces examens où on tente de distinguer entre les faits
compte tenu des théories qui permettent de les coordonner, ce qui est
« déduisible P des observations d’une part et le récit qui peut être fait de ces
connaissances d’autre part.

77
Chapitre 1
Le monde et la connaissance

Ce n’est certes pas le moindre charme


d’une Worie que d’êrre réfutaable
Nietzche, Par deld le bien et le mai

Avec cette question : Qu’est-ceque la science? - qu’il a sous-titree


Popper, Kuhn, Lukatos, Feyerabend -, Alan F. Chalmers a fait un livre
pétillant d’intelligence et illumine,de bon sens.Mais que l’on ne s’y trompe
pas, il ne parle que des vraies sciences,celles qui suivent le modèle de la
physique,c’est-à-dire, soyonsclair, la physiqueet elle seule.Sa conclusion,
quant aux sciencesbiologiqueset socialesest pour le moins nuancée,car
Chalmersreconnaît se limiter à la seule physique comme tous les autres
épistémologuesqui l’oublient et tirent jugement de leur sphbreparticulière
pour traiter de toute science.En sasphèred’épistémologuede la sciencede
la physique, Chalmers défend des positions dont nous ne serions guère
éloigné : la physique existe, on peut décrire son processusde découverte
(lequel n’est jamais prévu dans la philosophie note-t-il bien lui-même,
commel’avait déjà fait remarquerKarl Popper), on peut décrire sesrévolu-
tions et évolutions, sesparadigmes,les détails de sesdécouvertes,sesétats
d’âme, du moins ceux des physiciens, et surtout sa particularité qui est
double: sciencefondée sur l’exuérimentation et oui utilise les mathémati-
guespour expliciter sesthèses,hypothèseset théories,et sesrésultats.Est-ce
la science? On ne sait, c’est un savoir parmi d’autre, peut-être plus facile à
analyser,à découper,à comprendregrâce au processusde l’expérimentation
et à l’exposition mathématiquedesrésultats,qui malgré toutes les subtilités
analyséespar Chalmersdonnent une (certaine) certitude, quand la pratique
dessciencessocialesmèneraitplutôt 21l’incertitude.

Cet ouvrage estremarquableà deux titres : d’une part, il sommeavec


intelligencela littérature épistémologiquedesgrandsauteurs,d’autre part, il
exprime une penséeautonomea-religieusequi reste au plus prés des faits
(Chalmers n’est pas de ceux qui sont entrtS en religion qu’elle fQt Poppé-
rienne ou Kuhnienne). Il note que
Les philosophes ne possèdent pas le moyen de l&férer sur le critère à
satisfaire pour juger acceptable ou ‘scient$que’ un domaine de savoir.
Chaque domaine de savoir peut être analysépour ce qu’il est.
(262)
L’étude de ce livre, après la lecture laborieuse de tant de textes origi-
naux, a été, nous le reconnaissons, une découverte qui a mis en place nos
connaissances éparses que nous n’avions pas personnellement la capacité
d’unifier.

Observation et théorie, le cycle de la poule et de I’suf

Il est fréquent que l’on veuille qualifier les débats sur la théorie et
l’observation en un conflit casuistique du type de celui de la poule et de
l’œuf qui, provenant l’un de l’autre ne connaîtrait pas de fin en remontant le
temps, sauf qu’à le trop remonter on tomberait sur une cellule originelle
unique, puis sur une molécule tout aussi unique d’oii serait sortie la vie. En
s’abstenant d’entrer dans ce débat fort bien analysé par d’autres, disons que
toutes les théories de la connaissance le prouvent : on ne voit que ce que
l’on s’attend à voir. A l’autre bout de cette chaîne on en est Cgalement arrivé
à affirmer qu’on n’apprend que ce que l’on sait (Kurt Lewin) 4 sans définir
d’où viendrait cette connaissance sinon qu’elle proviendrait d’une expé-
rience originelle de laquelle tout dépendrait. Mais cette seconde position ne
dit pas alors pourquoi, devant le même fait, les conclusions que l’on peut en

4 Ce qui dans un certain cadre ttait vrai mais a fait de gros ravages dans la pidagogie
moderne qui a oublié qu’elle avait pour but de faire avancer la connaissance des blèves en
un secteur particulier et pas seulement de leur enseigner ‘rien’ qu’ils n’ignorent par la
ptdagogie. La pkdagogie et les sciences de l’éducation ont pour fonction d’aider une
pratique sociale : celle des enseignants, et de faciliter les prises de décision dans le secteur
considéré. Si seule la pédagogie pouvait apprendre aux dléves, cela voudrait dire que les
connaissances seraient pkexistantes dans la conscience individuelle. Elles seraient dans
l’air et l’enseignement n’aurait pour fonction que de les cristalliser dans l’esprit des tlèves
(au sens du De l’an~our de Stendhal). L’absurdité de rkduire l’enseignement à une simple
maïeutique socratique a fait d’knormes ravages en France en ddgradant le “modèle républi-
cain de l’école” en un nivellement par le bas. Nous verrons (3”mC PARTIE) que la question
doit être bgalement critiquée dans la pratique de terrain et la theorie de Y&ole d’ethno-
95méthodologie.

19
tirer, et en tirent les personnes, soient si différentes. Pour se limiter aux
questions scientifiques, les pommes n’ont pas attendu Newton pour choir et
plus d’un dormeur fut réveillé par la chute d’un corps sans en déduire les
lois de la gravité des corps célestes. Donc l’observation reste bien sous la
contrainte de l’attente intellectuelle du sujet.
Nous allons donc analyser quelques-unes des grandes positions sur la
science mais, avant il est peut-être plus simple de synthétiser une partie de
nos positions pour abréger notre propos qui ne porte pas sur la science mais
sur l’observation non-expérimentale dans le travail scientifique.

Déclaration de principes, énoncé d’hypothéses ou d’articles de foi

Nous sommes obligé, pensons-nous, de nous situer dans le champ


des définitions, définitions que nous ne chercherons pas à préciser ici préci-
sément : nous sommes persuadé que le réel existe indépendamment de nous,
mais nous pensons qu’il est in-connaissable. L.e réel, c’est notre univers, qui
est définissable d’ici et maintenant au Big Bang, au mieux. Nous ne formu-
lons aucune hypothèse sur l’être, le néant, le chaos, le doute, la souffrance,
le plaisir et toutes ces sortes de choses dont notre vie a tous est faite (Marcel
Conche, 1990, 1994). Il nous suffit de les constater pour fonctionnelles,
inévitables, nécessaires, incontournables.. . En dehors de ‘notre univers
galactique’ nous ignorons si quelque chose ou entité existe ou pas et, à vrai
dire, ces interrogations et notre incapacité à y donner une quelconque ré-
ponse ne nous ont jamais empêché de dormir : nous vivons, et même très
bien, dans le doute absolu. Nous aurions fait un très bon chrétien, ou un très
bon musulman, ou un très bon parsi car, au fond, les réponses aux grandes
interrogations, interrogations que nous faisons nôtres, nous laissent totale-
ment indiffkrent, et, en cela, on comprend bien que les observations distan-
tes de Montaigne et les doutes critiques de Gramsci aient été nos références
constantes avant que la pensée construite de Conche nous soit connue, que
nous nous sommes appropriée.

80
Sommes-nous un bon scientifique ? Excellente question à laquelle
nous ne pouvons pas répondre. Dire que nous ayons tout fait pour l’être
serait un mensonge que notre manque d’esprit de sérieux nous interdit de
proférer. Car, et la nuance est importante, être un scientifique ce n’est pas
participer à une croyance et à satisfaire à ses rites, c’est avoir une certaine
action de connaissance et nous pouvons donc dire tout de suite que le plaisir
que nous avons à lire Feyerabend ne nous entraîne pas à épouser ses théses
sur la science, comme pratique equivalente à celles du vaudou ou de la
danse du ventre. Nous sommes parfaitement conscient que travailler dans le
secteur de la recherche scientifique nous a permis à la fois d’exprimer notre
marginalité émotionnelle, de lui donner un sens et de la faire accepter, sans
nous obliger à accepter tous les rites et mythes de la société des scientifi-
ques, sociéte humaine et sous-culture à la fois : nous savons le prix que nous
avons payé pour ces manifestations d’individualisme, les compromis et les
compromissions que nous avons du accepter pour trouver des accommode-
ments avec la ‘société savante’, et nous jugeons que, de toute façon, il est
bien agréable d’être dans une société et un temps qui nous aient épargné
d’être un héros (ou un lâche), car c’est une condition tout aussi modeste et
obscure que celle d’être humain. La référence a Gramsci a pu Ctonner :
pourtant, nous avons le sentiment que si son temps eut été autre, il n’aurait
pas eu le sentiment de la nécessité de son sacrifice 5.
Nous sommes donc persuadé qu’une « vtrité » du monde existe ob-
jectivement, mais la connaissance que nous en avons est stricfeement ins-
trumentale. (Quant nous parlons de monde, d’univers, il s’agit désormais
strictement de celui que nous percevons parce que nous y habitons). Le
premier de nos instruments est nous-mêmes et nos sens. Nous considérons
depuis plusieurs années déjà que notre intelligence est un sixième sens, tout
aussi coherent avec que les cinq autres (d’ailleurs les physiologistes distin-
guent d’autres sens, ou capacités, telle la kinésie). Le monde que notre

’ Gtamsciest mort dans les geôles mussoliniennes en 1937 après onze ans de captivitb ; ses
‘32 cahiers*, tcrits en prison, furent miraculeusement sauvés, soustraits à la police fascite
dans la chambre mortuaire par sa belle-sœur.

81
pensée perçoit et construit, est réel, même si ce n’est pas tout le monde,
c’est le monde tel que se laisse voir. Michael Guillen (1983) émet d’ailleurs
cette même hypothèse, et dans les mêmes termes que nous sans que nous
pensions rien lui devoir pourtant :
Mon explication personnelle de cette coïncidence /des théorèmes ma-
thématiques avec les faits du monde réel extérieur] part de la supposi-
tion que 1‘imagination humaine est, littéralement, un sixième sens. [...]
les idées mathématiques.. . sont.. . des observations. Nous percevons la
réalité avec notre imagination selon moi, de la même manière qu’avec
nos cinq sens. LA coïncidence entre le monde réel et les perceptions de
ce sixième sens est analogue à celle qui existe.entre ce même monde et
nos perceptions sensorielles : vue, ouïe, toucher, goût et odorat.
(1985 : Il)
Et d’ajouter que les mathématiciens, en tant que scientifiques,
n’appréhendentle monde que par cet unique sensau contraire des autres
scientifiques(mais ceci n’est pastout à fait exact si l’on seréfère à Mendel-
brodt qui n’entend rien qu’il ne voit, tel Saint Thomas; voir aussiles obser-
vations de David Ruelle -1991” sur les différences de tempéramententre
physicienset mathématiciens).

Nous savonsbien que l’autre hypothèse,celle qui dit que le monde


n’est que notre représentation,est adoptéepar beaucoup de scientifiques.
C’est cette position qu’exprime, dans Le langage du changement, Paul
Watzlawick (1980), éminent représentantde cette École de la nouvelle
communicationde Palo Alto qui estune de nossourcesd’inspiration :
Quant à l’homme, sa pekeption du monde est et restera toujours une
construction de l’esprit, elle n’a pas d’autre existence démontrable.
Noussommesbien d’accord sur la premièrepartie de cette expression,mais
à titre polCmique6.

Le mouvement de perception et d’invention, de découverte et de


constructionest le même,on ne peut les séparer,mêmesi en certainesopé-

‘Cela ne veut pas dire qu’il faille avoir une « idkologie » totalement conforme A sa prati-
que, car Einstein, pour ne prendre que lui, était un déterministe et a travaillé beaucoup en
probabilités pour ses découvertes ; ce fut le cas de très nombreux physiciens... Nous
connaissons un jésuite spécialiste en sciences sociales, dont la pratique et les positions
scientifiques ne diffèrent guère des nôtres ; les démographes appartiennent aux deux bords
également..

a2
rations on peut distinguer : Vénus existe pour nos sens, Vulcain par le calcul
et pour nos instruments ; une voiture est inventée, mais l’explosion des gaz
découverte. Une de nos positions de base, importante pour la suite de notre
démonstration, est que le ‘sujet connaissant’ est un être total. Même
l’équation e=mc2 n’est pas un pur produit de l’esprit ; John D. Barrow va
même jusqu’à pouvoir affirmer :
Même L’arithmétique contient une part de hasard. Certaines de ses véri-
tés ne peuvent être vérifiées que par la recherche expérimentale. Vue
sous cet angle, l’arithmétique commence à ressembler à une science ex-
périmentale. (1996 : 99)
Le monde est connaissableparce que nous sommesen cohérence
avec ce monde(nousen faisonspartie et en partageonsles caractéristiques):
nous ne croyons donc pas que les mathématiquessoient le seul reflet de
notre structure mentale(Jean-PierreChangeuxet Alain Connes,1989 ; John
D. Barrow, 1996).Nous croyons que l’univers est mathtmatique (mais qu’il
n’est probablementpas que cela : la biologie et le social sont là pour nous
alarmer à un éventuel espoir de reduction a une équation de base de
l’univers danssoncontenantet danssoncontenu). Ceci étant, nouspensons,
par conviction raisonnée,que l’homme est un animal doué de parole, du
sensdu nombre,de l’espace,de l’infini (il n’est pasforcément le seul), de la
conscience... Aucune démonstrationscientifiquement fondée ne peut ac-
tuellementtotalementjustifier cette prise de position : les nombreusesexpé-
riencesen cours sur les capacitésdu cerveau, la vision, la perception etc.,
noussemblentdonnerbeaucoupd’indicesen faveur de notre position. Quant
au sensde l’infini, sanssavoir si les épistémologuesaccepteraientnotre
position, il nous sembleque les sentimentsressentisde la transcendanceet
l’invention (ou l’évidence - le débat n’est pas d’ordre scientifique) de la
divinité sont des argumentssuffisants7. De toutes les façons, pensantque

‘John D. Barrow (1996). Page 58 : « Sans doute l’esprit humain a-t-il un penchant naturel
pour l’intuition mathématique. L’histoire ne nous donne pourtant pas de preuve à l’appui de
ce que j’avance. Il n’existe aucune trace de notion abstraite de nombre avant les debuts de
la civilisation heMnistique. » Pages 80 er sq, Barrow aborde la question des constructivistes
qui, voulant fonder les mathématiques a partir des seuls nombres entiers ‘évidents’ 1, 2 et le
calcul, en arrivent A rejeter comme non-acceptables logiquement l’infini et le raisonnement
par l’absurde.

83
l’univers nous dépasse totalement, ainsi que nous l’avons signalé précé-
demment ( à propos de Conche, 1990) nous ne sommes pas a la recherche
d’une réponse, nous contentant d:interrogations sans réponse mais œuvrant
pour réduire l’espace de ces interrogations (en ouvrant par là-même d’autres
chantiers, l’inconnu progresse plus vite que le connu).

Biologiquement, l’être humain est «apte » à un certain nombre


« d’operations » et d’expériences, mais la mise en place de ces opérations et
de ces capacités demande une éducation humaine : voir les travaux de Lu-
cien Malson (1971) à propos des enfants-loups ; les travaux dont rend
compte Boris Cyrulnik confirment l’intuition qu’avait eu Konrad Lorenz
(voir ses travaux sur la pie-grièche et les oies, 1969) que l’instinct n’est pas
une chose innée, «brute de coffrage », mais un processus d’événements qui
se construira si et seulement si un certain ordre se met en place qui permet
l’émergence de ces instincts : de ce point de vue, la continuité de l’animal à
l’homme ne fait aucun doute ‘. Yves Trotter (1992), par exemple, signale
que les muscles qui nous permettent de voir en trois dimensions
(phénomène de disparité rétinienne) est miseen placedéjà chez le singe.Le
programmegénétiquede chaqueespèceest particulier, plus ou moins com-
plexe en terme d’inné et « d’acquerrable» et l’homme, en tant qu’espèce,ne
fait pasexception. Sur certainspoints, par exemplela non-violence, qui peut
être considéreecommeune « valeur », certainesespécesanimalesparaissent
plus proche de cette valeur que l’humanité dont on connaît le penchantpour
la guerre et l’anéantissement(de l’autre, des autres,de la nature...) On ne
peut donc dire que le programmegénétiquehumain soit « meilleur » que
celui du vers de terre, mais il paraît plus complexe. Par exemple, chez
l’hommela marchedemande‘la vision d’adultesmarchantdebout’ pour que
l’enfant ait envie de marcherdebout (capacitéqui existe à la naissanceet se
« perd » (s’oublie) dans les premièresheuresde la vie - signalonsque le

’ Cf Lacombe,
1996, lors d’une conférence à Bordeaux B la Socikté d’Écologie humaine,
nous remarquions que la différence entre sexe ne paraît pas uniquement culturelle, cons-
truite par la socikté, si l’on examine les données mais les faits nouveaux collectbs par
l’éthologie et les travaux de psychologie.

84
jeune chimpanzé a également le même réflexe mais qu’il le perd, quelque
soit l’apprentissage qui lui est infligé), la parole se met en place dans les
premières années de vie, la sexualisation, biologique certes, se met en place
très vite mais s’éveille à la puberté (les bébés de sexe identique ont des
caractéristiques trans-culturelles semblables entre eux, et fort différentes de
celles de l’autre sexe ; rappelons que dès les premiers mois un bébé « sait »
de quel sexe il est), cependant cette sexualisation demande des stimuli bien
spécifiques, : l’arrivée des premières règles, observation qui peut se faire
facilement par enquête (Charreau, Lacombe et Vignac, 1970), varie non par
le climat (les femmes des tropiques etant plus « précoces », - le parler gras
colonial dit : « chaudes » -) mais par le genre de vie : les stimuli urbains, la
concentration de population dans les villes, la multiplicité de conjoints
potentiels, provoquent une précocité des règles quand la vie campagnarde
induit des retards. Il y a fort a parier que le sexe masculin lui-même connaît
la même regle, mais des raisons techniques rendent l’observation plus diffi-
cile. Même pour des traits très élaborés, la « nature » est là qui a tracé son
sillon que la «culture » va exploiter (en admettant que nature et culture
soient opposées, ce que nous ne croyons pas du tout, la culture étant la
nature de /l’homme) : Freud pensait que la scène primale était inscrite dans
le substrat biologique et, sans avoir plus de preuves que Freud pour
l’affirmer, nous en sommes personnellement totalement persuadé (Claude
Le Guen, 1982 ; Oscar Mannoni, 1980 et 1982), tout le monde n’est pas
L’homme sur loups, qui fit de cette scène, vue ou imaginee et nullement
inventée le point central de sa névrose - car la scène est certaine : l’enfant
qui la rêve étant là comme preuve de son occurrence, l’enfant est la preuve
des rapports sexuels de ses parents, mis à part quelques mythes religieux. La
contre-preuve de ce substrat biologique de comportements sociaux chez
l’homme comme espèce est donnée par l’étude des enfants autistes et de
l’examen du babillage chez les bébés-filles qui, l’expérience l’a revélé,
‘appellent’ plus que leurs frères le dialogue avec les adultes, et non
l’inverse, comme on le croyait il y a vingt ans, C’est le bébé qui appelle, et

85
non le parent qui l’inciterait à répondre par des « arreu arreu » initiaux.
Nous n’utilisons pas l’argument de l’inceste que l’on a cru longtemps
comme complètement social quand il est lui aussi inné : dans les troupes de
singes à harem (chez les cercopithèques d’Éthiopie ou les colobes), les
jeunes femelles, filles du mâles dominant, sont refusées par celui-ci. Des
observations rapportées par Cyrulnik (1983, 1993), Braconnier (1996) mon-
trent bien l’effet, indépendant de la culture, de l’évitement sexuel entre
parents (rappelons cette observation des enfants de kibboutz, élevés ensem-
ble et qui ne se sont pas mariés entre eux car la trop grande proximité empê-
che l’attachement. On a aussi celle des garçons de familles monoparentales
urbaines actuelles, et donc élevés par leur mère, qui quittent la maison sans
bien être capables de dire pourquoi si ce n’est dans la nécessité qui est la
leur d’aller rejoindre des ‘jeunes célibataires’ oi1 ils achèveront leur matura-
tion psychique). Cela n’ôte rien aux analyses anthropologiques de l’inceste
dans les sociétés (E. Badinter, 1992 ; F. Héritier, 1993).

Imaginer l’homme, et plus étroitement le scientifique, comme vierge


de toute donnée antérieure est absurde. L’anthropocentrisme du constructi-
visme n’arrive pas à convaincre que la base que l’on prend soit si ‘basique’
que cela, que ce soit pour les mathématiques, que l’on fonderait à partir des
seuls nombres, ou pour l’observation, où il s’appelle alors le positivisme
logique, où seuls les faits fonderaient une théorie : avant l’observation pré-
existe un donné, et pour le travail scientifique cela s’appelle la pensée, la
théorie. On ne voit que ce que l’on s’attend à voir, on n’entend que ce que
l’on s’attend à entendre, on ne perçoit que ce que notre pérception a préparé.
La serendipity, qui serait la découverte par hasard n’est pas un contre-

exemple, c’est simplement le signe que nos attentes sont et conscientes et


inconscientes. Les découvertes de la pénicilline par Flemming et des
« rayons uraniques » par Becquerel sont là pour le prouver 9 : quand on

’ Encore que pour la pénicillinece soir le laborantinde Flemming qui ait « remarqué » la
curiosit6 qui a permis la dtcouverle des antibiotiques, quant B Becquerel, pas même lui a
compris pourquoi il avait développédes pellicules et effectue des expériencescomplète-
ment ‘en aveugle’; sans parler de la difficulté qu’il y avait b interpréter une observation
totalement surprenante (Lawrence Badash, 1996).

86
trouve sans chercher, c’est qu’on cherchait sans savoir ce qu’on voulait
trouver. U suffit de changer de réveil pour s’apercevoir que sa sonnerie
surprend par son incongruité dans le sommeil : on ne «comprend » pas ce
qui arrive, et le sommeil n’est pas la seule cause de ce fait. On ne « sait »
pas. Comme Victor de l’Aveyron (Lucien Malson, 1971), qui n’entendait
pas un coup de fusil a trois mètres mais réagissait à un froissement de
feuilles dans la pièce voisine, L’ouïe n’est pas un sens brut, le cerveau pré-
existe déja. Aucun de nos sens n’est brut, mais aucune pensee n’est indé-
pendante. En cela nous sommes entièrement d’accord avec ce que nous

avons compris de Karl Popper :


les vretnières théories (c’est-à-dire les vremières solutions vrovisoires
avancées vour résoudre des vroblèmes) et les vremiers vroblèmes eux-
mêmes ont dû, en oueloue sorte. naître simultanément.
(1989 : 186)
[souligné par Popper lui-même)
D’une autre manière, on peut dire que l’homme est né en même
temps, dans l’échelle de l’evolution s’entend, que les problèmesqu’il se
pose.RenéeBouveresse(1986),mentionnejustement que Popper s’estposé
le problèmeavec des argumentsd’ordre biologique en ce qui concerne les
‘premiers’problèmes,car, depuisque l’humanité a pris sonessor,la théorie,
la pensée,précèdetoujours la perception et la prise de consciencedu pro-
blème.

Nous croyons donc a une liaison profonde entre l’existence d’un


problèmeet de sa solution. Mieux dit : nous les croyons CO-existantscar,
tout comme nous ne voyons pas (sauf pour les besoinsde l’analyse) de
différence entre le corps et l’esprit, entre la nature humaine et la culture,
nous ne voyons pas qu’un problèmepuisseexister indépendammentde ses
conditionsde solutions,ou alorsc’est la mort ou la folie, ce qui est un tout

autre problème.
Nous reprendronsl’exposé dogmatiquede nos ‘positions’ plus tard,
maisil nousparaît en avoir assezdit pour reprendrel’analyse de notre ques-
tion sur la naturede la science.

87
Chapitre 2
La science et les sciences

On aura peut-être remarque que nous utilisons beaucoup le terme de


“discipline scientifique”, ce n’est pas par goût de remplissage de notre texte
ou pédantisme, mais, quand il est au singulier, le substantif “science” est
souvent ambigu de par sa polysémie entre discipline scientifique d’une par
et LA scienced’autre part. Tout commenouspreféronsle terme “travailleur
scientifique” à celui de chercheur (autrefois on disait tout simplement
“savant”, commel’utilise d’une manièretout à fait ordinaire Marcel Mauss,
passeulementpour lui maispour la communautéprofessionnelleà laquelle
il appartient (<<notre vie de savant» dit-i! quelquepart en toute simplicité),
nous préférons la modestie, mieux dit, la banalité, du terme “discipline
scientifique” car le problèmesepose de savoir si on a une scienceunique,
avec différents aspects,ou des sciencesmultiples, dont l’ensemble alors
formerait LA science.

La nature de la science

La nature de la scienceestune questionqui occupedesbibliothèques


entières,il nous semblequ’en debattre ici dépassele cadre que nous nous
sommesfixe. Il faudrait confronter toute la réflexion philosophique: Hume,
Dewey, Sartre, Heidegger,Habermas; confronter, commeChalmers!‘a fait,
la penséedesgrandsépistémologuesde la physique; parler de ceux qui sont
à la jonction de la philosophie et de l’épistémologie comme Bachelard,
Thuillier, Lacour.. . ; en appeler aux sciencessociales,Passeron,Weber,
Gurvitch, Bastide, Lévi-Strauss, Marx, Godelier.. . ; parler des différents
courants nés de la biologie : Claude Bernard, Monot, Jacob, Gould... ; de
ceux nés des études comportementalescomme Eslter, Beauvois, Cyrul-
nik,... et de ceux qui fusentdestravaux theoriques: Mendelbrodt, Thom, de
Gennes,Ruelle.. . la tâche est hors de nos capacitéset de notre projet, qui
reste essentiellement pratique : le terrain et la collecte : pourquoi, pour quoi
faire et comment.

La science est une saisie intellectuelle du monde. On doit distinguer


la science, en tant qu’activité pratique, de la technique, même si, à un niveau
supérieur elle ne s’en distingue guère (Bernard Stiegler, 1994), et la suite de
notre exposé genéral se fonde sur cette Equivalence. Nous disons que, dans
sa forme actuelle, la science rtpond à des questions et à des besoins. Les
intellectuels aiment à penser que c’est surtout une valeur. Nous avons gardé
de notre jeunesse militante une forte prévention contre ce critère quandil est
pris isolémentet que l’on fait semblant de ne vouloir comme bénéfice à
notre activité scientifique que la culture et les émotions esthétiquesou de
connaissanceque l’on retire de sonexercice (Bruno Latour, 1996 ‘O). Dans
un article en l’honneur de Jean Dieudonné de 1987, nous trouvons cette
observation:
Le but ultime de la science n’est ni l’utilité publique ni l;lxplication des
phénomènes naturel. C’est l’honneur de l’esprit humain.
En quoi il seréfkre a Évariste Gallois qui écrivait en 1831 :
Lu science est l’œuvre de l’esprit humain qui est @riné à étudier plutôf
qu’à connaître, à chercher qu’à trouver la vérité.
Nous ne connaissonspas de tâche qui ne finissepar être investie affective-
ment par ceux que la sociétécharge de I’extcuter. On parlait autrefois du
gout de la belle ouvrage qu’avaient les gensdesmétiers, on a chez Marcel
Aymé une très belle pagesur toute la valeur que donneun facteur rural à son
travail et sonClogede la marche.Mais on peut «en dire autant de toutes les
activités. Engels, dansla Situation de la classeouvrière en Angleterre, parle

” Dans cet ouvrage Latour trace le portrait d’un biologisre en capitaliste sauvage, redres-
sant ainsi le portrait d’un scientifique comme ‘non-Professeur Tournesol’ : logique, froid,
informe du milieu et de ses règles sauvage. II fait un parallèle rhssi entre le cycle et la
capitalisation de l’argent chez Marx et ceux des Bnoncés scientifiques, dans les deux cas on
a plus-value, dans les deux cas, on a une logique de pouvoir et de puissance. L’industriel,
via l’argent et la marchandise, le scientifique via l’information et les situations.. .
‘t Christian Colombani in Le Monde du 1/7/87, qui se fonde sur I!expression de Jacobi dans
une lettre a Legendre en 1830. Que ce ne soit pas seulement I’utilite et aussi l’honneur, est
concevable, mais l’expression choisie nous apparaît particulierement malheureuse, et
obsolete.
l2 Cite. par Robert Bourgne, 1982 : 1326.

89
aussi de cet amour du métier chez des ouvriers de certaines industries pol-
luantes de l’époque, alors même que les conditions effroyables de leur
travail les assuraient de ne pas atteindre 40 ans, ce dont ils étaient con-
scients. Le travail scientifique, de ce point de vue, ne nous paraît pas excep-
tionnel et son intérêt est semblable à celui de tout autre : ressemeler une
savate, tcrire un roman, enseigner à des potaches ou monter un circuit élec-
trique. L’homme est tissé de passions, il ne fait rien sans passion, il est donc
normal que la recherche scientifique en soit aussi imprégnée. D’ailleurs,
cette concentration sur la tâche jusqu’a l’oubli de soi apparaît à Popper
comme un des fondements de l’humanité (ne se produisant chez l’animal
que dans des situations de concentration en tant que prédateur ou en tant que
proie inquiète). « C’est que pour trouver, il faut penser longtemps », disait
Henri Poincarré. La connaissance scientifique ne nous parait pas plus noble
qu’une autre, simplement elle est pIus intéressante sur le plan intellectuel
(elle procure parfois sur le plan manuel beaucoup d’intérêt par le bricolage
technique qu’elle comporte) ou esthétique ‘s et a quelque chose à voir avec
un jeu, et généralement moins fatigante sur le plan physique (c’est, quoi-
qu’on en dise, essentiellement, une activité de bureau). L’objectif de la
science est un objectif concret de saisie et de domination du monde, elle a
été pratiquée par toute les sociétés dans la mesure où l’humanité suit les
résultats de l’expérience, et on sait que l’homme a eu une action consciente
sur son milieu dès l’origine de la pensée. On a pu constater par exemple que
les forêts de populations de chasseurs-cueilleurs n’étaient pas indemnes de
l’action consciente de l’homme qui tendait à aider à se reproduire preféren-
tiellement les espèces qui l’intéressaient. De même les selections vtgétales
et animales n’ont pas eu heu au hasard, Mais cette activité scientifique

l3 James Gleick, 1989, ?I propos d’Albert Libchaber pages 246-268, dans un chapitre
justement intitulé : L’expérimenrareur) et, pour l’esthétique (Mendelbrodt, et ce couple de
biologistes espagnols, prix Nobel de biologie 1992, que l’on s’est plu & traiter de rourte-
maux de la science car ils travaillent ensemble sur la biologie du cerveau et dont I’epouse
disait qu’elle tenait a ce que ses images scannérisées soient non seulement signifiantes, mais
belles, car l’esthétique était une manière de mieux appréhender intellectuellement les
informations que l’image contenait.

90
restait limit.ée et aléatoire, par contre avec le développement de civilisations
avancées, on a pu constater l’apparition de classes d’intellectuels et de
« cultures d’ingénieurs » qui ont réuni des connaissances et des pratiques
remarquables comme performances, mais elles restaient dispersées comme
recettes, cela marchait, certes, mais on ne savait pas trop pourquoi et il n’y
avait pas une liaison théorie/pratique. Léonard de Vinci est un bon exemple
de ce type de gens, plus ingénieurs que savants, bricoleurs comme le sont les
lauréats du Concours Lépine, mais pas expérimentateurs patients d’une idCe
projetant une action de connaissance. Car 19 est peut-être la différence : un
chercheur moderne est quelqu’un qui ne cherche pas un resultat d’action
mais un résultat de pensée et qui, pour l’obtenir, observe. Les ingénieurs du
moyen-âge eux, cherchaient un résultat pratique : pour trouver la meilleur
poudre ils procedaient certes par essais et erreurs mais ils visent un resultat
mesurable concrètement. Aujourd’hui, on tente de mesurer les détails des
effets et d”en déduire systématiquement ce qu’il faudrait faire pour obtenir
le meilleur mélange détonnant. Résultat d’action contre un résultat de pen-
sée telle nous paraît être la révolution introduite par Galilée, qui parlait
d’ailleurs d’expériences de pensée.

La science comme sphère d’activité, autonome et déterminée sociale-


ment

Dans nos sociétés modernes, la science est devenue une activité so-
ciale, c’est-à-dire une extension autonome de la société. Les sociétés savan-
tes ne sont plus des clubs secrets, l’activité savante n’est plus a l’image du
Pr Tournesol ou au Pr Nimbus, elles sont normées socialement, financées
par le contribuable, d’une manière ou d’une autre (aux États-Unis on dirait
« par le consommateur B), les chercheurs sont engagés dans des carrières, ils
ont des syndicats, qui disputent de profils de carrière et René Latour (1996),
dans le chapitre déjà cité de Portrait d’un biologiste en capitaliste sauvage
compare à juste titre l’ambition des scientifiques avec celle qui meut
d’autres citoyens en d’autres secteurs d’activité, Mais ce serait oublier un
phénomène dont il faut souligner l’importance : un bon scienttjlque est un

91
opportuniste (Christian Valentin 14), surtout s’il travaille la « matière »,
c’est-à-dire fonde son travail sur l’observation (et non sur des textes) qu’elle
soit d’expérimentation ou de terrain parce qu’alors, il faut savoir affiner et
inventer des méthodes et profiter de la moindre opportunité pour avancer.
Le second point que l’on peut appeler à la barre de ce petit procès en réa-
lisme, serait de dire qu’une des définitions souvent invoquée de
l’intelligence est la capacité d’adaptation du sujet. Les recents remous de
l’association contre le cancer, I’ARC, et les intérêts de son Président Cro-
zemarie, n’ont rien d’exceptionnel et rappellent que dans notre sociéte la
politique, les affaires, la science ou le sport sont des ‘lieux’ où l’ambition
- légitime - peut s’épanouir jusqu’à utiliser des moyens que la morale ne
saurait approuver (affaires Carignon ou Médecin, affaire Tapie et
l’Olympique de Marseille, pour citer les plus fracassantes). Sur un mode
plus ludique, nous avons du CAES du CNRS (1983) : Science et imaginaire
qui est une analyse des conditions sociales de la science.
Nous n’allons pas reprendre cette question en détail, nous lui avons
consacré un ouvrage précCdemment (1996 : Le Partenariat scientz$que),
disons seulement que l’appareil scientifique d’un État moderne est d’une
grande complexité : institutions, laboratoires plus ou moins privés, univer-
sites.. . officines diverses, et que les travailleurs scientifiques, terme que
nous préférons à celui de chercheurs, effectuent des recherches comme des
bons fonctionnaires : Neuf heures - midi, deux heures - six heures. Et que,
comme la société est faite comme elle est faite, il n’y a rien de plus normal.
Ils cherchent, ce ne sont pas des ‘trouveurs’. L’idée qu’ils soient dévoués
hors limites humaines à leur tâche est une phraséologie idéologique qui n’a
rien à voir avec le quotidien d’une catégorie de travailleurs qui, comme les
autres, ont aujourdhui conjoint et enfants.. . Nous connaissons des maçons
qui maçonnent à la lumière des lampes car leur bonheur est de maçonner,
nous connaissons des chercheurs qui cherchent 18 heures sur 24. . . Nous
connaissons de tout et le contraire. Ce que nous affirmons, c’est qu’en ce

r4Communicationpersonnelle.

92
qui concerne la passion de leur métier, les travailleurs scientifiques ne sont
pas plus ex.ceptionnels que les autres. Ce qui est important de comprendre,
par contre, est que la société moderne ait créé des institutions dont le but est
de chercher, elles dépendent des logiques nationales pour leur financement
et leur statut, mais toutes les sociétés modernes consacrent une partie de leur
budget à cet effort. On peut s’interroger au pourquoi de cet effort : il nous

semble qu’on peut avancer deux raisons. La première est que nos sociétés’
modernes découpent les activités et spécialisent institutions et individus ; la
seconde est le mouvement interne de chaque sphère spécialisée qui tend B
accroître son autonomie face à la structure de la société prise dans son en-
semble.
Une caractéristique du monde des scientifiques tient à sa précoce
mondialisation. Dès le moyen-âge, il possédait cette caractéristique : Erasme
correspondait avec toute l’Europe, Avicenne était d’origine arabe, Descartes
vivait en Hollande... C’est d’ailleurs a cause de cet aspect que le nouveau
monde découvert s’appelle ‘Amérique’ : c’est a Wadseemüller, membre
d’une petite société savante, le Gymnasium de Saint-Dié, que l’on doit
‘l’erreur’. Tiré en 1OOcjexemplaires dans la ville même en 1507, son ou-
vrage fit le tour d’Europe, et, trois décennies plus tard, Mercator l’adoptera
sur ses fameuses cartes du monde.

Cette mondialisation donne au monde scientifique, mais pas seule-


ment à lui (pensons à la jet society), un aspect particulier de grande frater-
nité. Les résultats sont revendiqués par chaque pays mais la réputation, elle,
est internationale. Urbain-Jean Le Verrier écrasera dans la mémoire des
Anglais eux-mêmes John Couch Adams dans leur découverte concomittante
de l’existence d’une planète déviant la courbe d’Uranus... Les migrations
des scientifiques de par le monde sont fascinantes a observer : Lotka, Elster,
Reeves, Selodowska-Curie iront en France, Clairin, Ruelle, Girard, Serres,
Van de Walles aux États-Unis, Popper, Elias, Marx en Angleterre. Cepen-
dant, cela ne freine pas l’existence de sphères scientifiques nationales bien
identifiées, comme le signale si justement Wolf Lepenies (1991) qui, dans

93
Les trois cultures, parle des écoles sociologiques allemande, anglaise et
française, Mais le plus important est l’internationalisation du travail scienti-
fique : de ce point de vue, l’ouvrage de James Gleick (1989), Uz théorie du
chaos, est très parlant. L’effort qui a amené au jour cette théorie s’est dé-
roulé aux quatre coins du monde, chaque pays bénéficiant des apports des
autres, chaque découverte frappant d’obsolescence tous les travaux menés
ailleurs dans la même direction et qui n’avaient pas abouti 15.
La communauté scientifique, ou la communauté des scientifiques est
une communauté internationale qui a donc des caractéristiques nationales l6
et beaucoup de scientifiques « slaloment » entre les contraintes nationales
pour effectuer une carrihe internationale, et réciproquement. Mais elle a
aussi une caractéristique internationale importante : les découvertes ne sont
faites qu’une fois : la Premiere. En ce qui concerne le premier point des
auteurs se sont amusé à décrire ces mondes clos de gens qui se connaissent,
se fréquentent, échangent des conjoints dans la plus pure tradition primitive
(cf Tolra - pseudonyme d’un de nos grands anthropologues -, 1996, avec sa
dtlicieuse Fugue en Sorbonne mineure, ou les romans de Tony Willerman
(1989) ou de David Lodge (1992 et 1993) et surtout l’étude sociologique
pleine de force et d’ironie de François de Négroni (1977) intitulé Les colo-
nies de vacances, et, naturellement, une grande partie de l’œuvre de Pierre
Bourdieu). La science, c’est souvent Clochemerle (Laburthe-Tolra, 1996),
mais cela est au fond rassurant et sain : les scientifiques sont des êtres hu-
mains.
L’existence dans nos sociétés modernes d’une sphère scientifique
disposant comme toute autre activité sociale d’une certaine autonomie n’a
rien d’évident et on ne peut pas affirmer que cette activite qui fonctionne
heureusement depuis quelques siècles va survivre aux bouleversements que
nous connaissons. L’affaire provoquée par la découverte du virus du SIDA

“Cf. les travaux du sociologue des sciences Bruno Latour, de David Bloor, 1976, du
groupe Pandore, 1982.
l6 On lira dans Edmund Leach (1970) et Nigel Barley (1983) des opinions bien intéressan-
tes sur les milieux scientifiques français.

94
est là pour nous alerter. Ceci étant, et pour l’instant, « le théorème sociolo-
gique » énoncé par Alan F, Chalmers (1976), « fonctionne » : au moment où
nous parlons, la pulsion tpistémologique de découverte de théorèmes nou-
veaux et d’observations et expérimentation neuves existe dans nos sociétés
et est favorisée, ou jugee encore nécessaire par nos gouvernants. Mais rien
ne dit que cela continuera, ne serait-ce que parce qu’après la fusion générale
des sociétés en une société mondiale (l’autre cas catastrophique d’une ex-
plosion qui rayerait notre terre de la carte céleste peut être éliminé de
l’analyse car la suppression d’un problème n’est pas sa solution) il se pour-
rait que nous en arrivions à une sociéte immobile ou lente, décrite par la
science-fiction (Pierre Boulle, La planète des singes) et dont certaines so-
ci&& historiques ont montré la force et la permanence, et, dans ce cas, la
scienceserait inutile socialement.

Qu’est-ce que la science ? une conclusion en forme d’interrogation

La science est la continuation de la main-mise technique de


l’humanité sur son milieu, l’homme lui-même étant egalementle milieu de
l’homme. L’homme est a soi-mêmeson propre environnement. C’est une
activité intellectuelle d’observation et d’analyse d’un monde extérieur qui
nous correspond, pour autant qu’on l’observe actuellement : notre monde
d’ici au Big Bang. Les sociétésmodernesont dévolu a une certaine classe
techniquela sciencecommeactivité norméeet socialementdeterminc’e: les
travailleurs scientifiques. Dans cette classede personnes,un sous-groupe
s’intéresseparticulièrementa la façon dont la sciencesefait, se produit. Ces
philosopheset sociologuesdes sciencesn’ont aucune influence, de leur
propre aveu, sur les avancéesde la science,par contre ils en ont une sur la
conceptionde ce qui & et n’est nasscientifique. Là où l’affaire secorse et,
nous en arrivons à un des thèmesde basede notre réflexion : Popper, Laka-
tos, pour ne citer qu’eux, partent en guerre contre la sociologie pour lui
dénier tout statut scientifique ; Lakatos verse même dans l’insulte en accu-
sant les sciencessocialesde « pollution intellectuelle ». Pourquoi ? parce
que la seule science qu’ils admirent et discutent, est la physique : de

95
l’infiniment grand, l’univers, B l’infiniment petit, les particules atomiques, le
monde, selon eux, s’expérimente et se décrit avec le langage mathématique,
est soumis à la vérification expérimentale et donc à la reproduction des
procédures. En procédant ainsi, ils utilisent la biologie (juste pour quelques
hypothèses et affirmations), la logique et la philosophie, et font donc, quoi-
qu’ils en aient, des sciences sociales. Mais cela ils ne le revendiquent pas :
c’est à croire que la seule science sociale qui ait un statut de science soit
l’épistémologie de la physique.

Y aurait-il science et science ?

Physique, biologie, sociologie, les trois sciences, ou les trois cultu-


res... reprenons un peu cette discussion : on peut dire que la question se
résume à trouver des Cquivalences et des différences entre ces trois grands
types de sciences à quoi se résument les autres disciplines annexes, con-
nexes, parallèles ou convergentes :
l la ph.vsique : la chimie, à lire nos épistémologues s’y rattache sans pro-
blème apparent, nous acceptons cette affirmation, car nous n’avons au-
cune possibilité de contester la question. Elle dispose de
l’expérimentation et du langage mathtmatique pour s’exprimer. Pour le
langage mathématique, nous n’exprimons aucun désaccord : les mathé-
matiques telles qu’elles sont expriment remarquablement et décrivent
avec perfection le monde physique ainsi que les recherches d’episté-
mologie l’ont parfaitement bien prouvé. Mais quant à l’expérimentation
cela ne nous semble pas si tvident en ce qui Concerne l’univers.
D’ailleurs Louis Lliboutry dans un article sur les modèles signalait
(1985 : 272) :
la nécessité absolue des modèles dans ces sciences exactes non expéri-
mentales que sont la géophysique ou l’astronomie.

Pour l’infiniment petit, on voit bien que l’expérimentation «trouve » les


vérifications nécessaires. Par exemple, les découvertes qui ont valu le prix
Nobel de physique en 1995 à Frederick Reines et Martin L. Perle, sont celles
du neutrino, qui après avoir étC prédit par Pauli ont été mis en évidence

96
(dont l’existence a été mise en évidence) par ces chercheurs. Ces découver-
tes, qui sont des vérifications d’existence prédite, sont reproductibles par
d’autres physiciens, sitôt qu’ils ont à leur disposition des réacteurs de la
puissance de celui de Savannah River. Mais comment affirmer que les
théories concernant l’univers soient prouvées par les expériences ? Ce sont
seulement des observations.. , de terrain. Le terrain dans ce cas est la
l’univers, et c’est des sondes qui mesurent, avec une sophistication instru-
mentale que l’on connaît : satellites d’astrométrie comme Hipparcos, satei-
lites que l’on dirige vers les planètes les plus éloignées et qui voguent vers
le soleil.. . Avec quelques échecs comme ce Mars-96 qui a éclaté avec la
fusée russe qui la transportait en novembre 1996... Les mesures que l’on
obtient vérifient les calculs, mais le commun des mortels oublie que, pour
les calculs qui sont vérifiés, pour les théories qui sont prouvées
(provisoirement), d’autres prévisions sont controuvées. Celles-là tombent
alors aux oubliettes. De même la composition de notre bonne vieille terre :
ce que l’on sait c’est des releves, réalisés à partir des événements naturels
que sont les tremblements de terre qui font résonner la croate terrestre
comme une cloche, et des théories qui les organisent, mais tout le reste est
spéculation. Quand on lit Hubert Reeves, auteur prolifique (1988, 1996),
c’est très enthousiasmant, mais rationnellement, on reste un peu gêné devant
tout le discours en termes littéraires qui est brodé autour de quelques équa-
tions. Ces discours ont certes pour but de rendre compréhensible Je phtno-
mene a des non-spécialistes, mais la façon dont ils sont émis fait croire à
une certitude qui n’est nullement dans les faits réellement connus. Les phy-
siciens, astrophysiciens ou pas, se fondent sur le caractère prédictif de leur
science pour affirmer qu’ils ont prévu ce qu’ils ont observés, mais ils ou-
blient aussi ce qu’ils avaient prévus et qu’ils n’ont pu observer. La réponse
qu’ils font est de dire qu’ils s’étaient trompés, qu’ils n’avaient pas trouvé la
bonne théorie. Mais alors, leur taux d’erreur réel, quel est-il ? Nous ne
voulons pas diminuer la puissance de calcul et de prédiction de la physique,
mais nous ne sommes pas certain qu’une grande part « d’esbroufe » ne fasse
prendre, au vulgum pecus que nous sommes, des vessies pour des lanternes,
des doutes pour des certitudes. Le modèle de la physique comme science
parfaite n’est donc pas aussi parfait qu’on veut nous le faire accroire.
Les géosciences sont un peu particulieres, leur statut est quelque peu
celui de l’astronomie, l’expérimentation n’y est guère que “naturelle” car
permise par des incidents provoqués par la nature (volcan, tremblements de
terre...) mais leur caractère scientifique tient aux prévisions que l’on peut
réaliser par la suite de l’occurrence d’un événements ou sa mesure (comme
l’est la mesure de l’éloignement des galaxies), mais le calcul ne permet pas
véritablement des previsions, ou bien à très court terme (explosion d’un
volcan, rupture d’une faille terrestre), comme pour le temps qu’il va faire.
On peut cependant nuancer notre première affirmation quant au caractère
« physique » de la chimie, car en ce qui concerne la chimie organique, nous
avons déjà un saut qualitatif qui fait que les mathématiques ne sont plus si
aisément applicables, ce qui nous amène au problème de la biologie, avec la
nuance que comme en physique, nous trouvons ici encore, le même phéno-
mène d’adéquation entre le monde et la structure qu’il donne à découvrir :
L’ADN s’inscrit dans une évolution chimique logique de l’univers. (88)
.. .
Le monde moléculaire est un monde de signes, la chimie est son langage.
(Joël de Rosnay, 1996 : 90)
Mais c’est déja de biologie qu’il s’agit.
l la biologie a laquelle nous raccrochons toutes les sciences de la vie pose
d’autres problèmes. Son statut scientifique est incontestable et incontesté.
Nous n’avons pas lu une ligne qui conteste le caractère scientifique de ce
groupe de disciplines. Et même Popper s’en sert pour fonder ses théories,
alors qu’il nous semble que, malgré leur intérêt novateur à l’époque, les
travaux de Konrad Lorenz ne sont pas aussi incontestables que le jugeait
Popper (mais Lorenz était des rares a travailler dans cette voie, on doit le
reconnaître). Elle regroupe des disciplines où l’expérimentation est reine,
mais où les mathématiques ne sont plus le seul langage. Du moins les
mathématiques telles qu’elles règnent actuellement. René Thom (1983,

98
1993) affirme qu’elles ne traitent pas la qualité, mais seulement ce qui est
mesurable. II propose d’autres orientations, dont la comprehension nous
échappe devons-nous reconnaîlre, orientations qui sont pourtant des ma-
thématiques puisqu’il a obtenu la Médaille Fields 1958 pour les résultats
de ses travaux.. . Il a pu ainsi permettre quelques avancées en des disci-
plines biologiques pures, ou d’autres, qui incluaient certains phénomènes
psychiques comme des questions de santé mentale. Il s’avoue ‘topologue
universel’, ‘métaphysicien du continu’ et a travaillé par sa théorie des
catastrophes les problèmes de la rupture, si fréquents dans nos disciplines
sociales. Le titre d’un de ses ouvrages : Prédire n’est pas expliquer, nous
donne déjà une piste qui nuance encore l’affirmation de la physique
comme unique modèle de la science : la biologie prédit, mais à l’intérieur
d’un continuum. En effet c’est grâce au « théoréme de continuité » enon-
cé par Cuvier au siècle dernier que la biologie prévoit : prenons le cas de
la lignée humaine, tout ce que l’on raconte est fondé sur quelques traces,
quelques chicots et bouts d’os, à part Lucy, notre cousine bipède et arbo-
ricole :
On sait, grâce aux lois de corrélations de l’anatomie comparée inven-
tées par Cuvier, que telle dent s’inscrit dans tel type de crâne, que tel
crâne se place sur tel type de colonne vertébrale, que telle colonne ver-
tébrale s’associe à tel type de squelette appendulaire, que tel squelette
soutient tel type de musculature, etc. Par déduction, on parvient à passer
de la dent à l’animal.
(Yves Coppens, I996 : 115)
Aux détails de scénarios près, nous nous trouvons quand même dans
des descriptions d’un possible éminemment probable. Et pour tous les pro-
blèmes étudiés par les biologistes on peut affirmer qu’aux méconnaissance
près, les scénarios établis sont « vrais », dans l’ici et maintenant imperma-
nent de la science. Mais nous ne voyons plus les mathématiques. Nous
n’appelons pas mathématiques les «tripatouillages » de chiffres auxquels on
se livre dans ces disciplines. Ce n’est pas énoncer une vérité mathématique
de dire que la gestation humaine est de 9 mois, celle d’un kangourou de
quelques 5 jours etc., alors qu’il est mathematique de dire que lI=3,1416. . .
Ces constats ne sont pas « prédits » par une théorie quelconque : on constate

99
le fait en le mesurant. La cohérence trouvée entre les comportements
d’animaux et leur milieu est seulement le fruit d’un raisonnement qui con-
fronte des événements d’ordre divers d’une manière logique. « Exit les
maths. u

JJ n’en reste pas moins que l’observation se double


d’expérimentationspossiblesqui vont permettrede prouver, par experiences
multiples, le bien-fondé des ‘théories’, lesquellessont en quelque sorte
prédictives mais par des opérations formelles de logique et non par des
formulations mathématiquementconstruites,comme le fit Claude Bernard
danssa fameuseIntroduction à la médecine expérimentale. Et une fois de
plus, on doit voir qu’a la différence de la physique, on peut expérimenter
sansavoir besoind’une théorie préalable(RenéThom, 1993: 130). Popper
dira que le darwinismen’est pasune théorie scientifique puisqu’on ne peut
la falsifier, et il lui accorde un statut de programmede recherche: or ce
simplestatut, quoiqu’il en dise, sert à explorer le passéde l’hominisation et
à «coller » les morceaux d’os que l’on trouve ici et là, au hasard ou par
fouilles orientéeslogiquement,or, s’il avait raison,le darwinisme ne servi-
rait a rien. Mais cette conclusion, personnene peut la soutenir, car, il le
confirme lui-même, on n’a rien de mieux à proposer. On voit apparaître
dansles sciencesbiologiquesle comparatismecommearmede connaissance
(voir par exemplel’étude de StephenJay Gould sur le Pouce du Panda dans
l’ouvrage du mêmetitre (1983), sestrois articles sur ce qu’il a appelé la
« trilogie du zèbre », (1984) et les travaux de Darwin qui a pu élaborer sa
théorie en se fondant sur cette méthode (S.J. Gould, 1979 : Darwin et les
grandes énigmes de la vie)

À mi-chemin entre la biologie et la sociologie que nous allons


maintenantexaminer, est la psychologie, qui d’un côtCcomporte une partie
expérimentale forte (même en ce qui concerne la micro-sociologie ou la
psychologie socialecf. Jean-LéonBeauvois, 1992), quoique les conditions
d’expérimentation deviennent quelquefoisd’une telle finesseque les preu-
ves peuvent n’être que des artefacts d’observation. On a ainsi de nombreu-
sesobservations sur l’enfance, on peut se référer à l’article de Peter Mitchell
(1992) sur la perception chez l’enfant et tous les autres travaux publiés dans
la revue de vulgarisation scientifique sur les bébes et les jeunes enfants, dont
les applications donnent toute la validité possible aux expériences réalisées
(Jean Piaget, 1970-a ; François Marchand, 1989, Britt-Mari Barth, 1994,
Antoine de la Garanderie, 1990 et tous les autres travaux sur la dyslexie et
les problèmes scolaires 17).
l la sociologie maintenant (et nous reviendrons plus tard à propos de ce
condensé « sciences sociales - sociologie », mais il plus simple de parler
ainsi à gros traits) : elle complexifie le schéma des sciences tel que nous
l’avons esquissé. D’abord, les mathématiques ne sont plus utilisées que
sous leur forme de statistiques et les mathématiques aujourd’hui disponi-
bles ne sont pas aptes à résoudre les questions qu’elle se pose. Les trois
disciplines les plus élaborées dans cette voie sont la démographie,
l’économie et la linguistique ‘*. La seconde faisait beaucoup rêver les
épistémologues, mais elle est surtout efficace pour prédire le passé et
montrer qu’il ne pouvait être que ce qu’il fut. La démographie elle, par ce
qui la rattache a la biologie n’est qu’une mise en évidence de constantes
(inconstantes et friables, comme le rapport de masculinité à la naissance)
et le déroulement chiffré de tendances lourdes qui parfois frisent la tau-
tologie “. Dire que les démographes se trompent toujours n’est qu’un cas

” Nous faisons mention ici des travaux vtritablement expérimentaux sur la pédagogie, pas
sur les elucubrations a la française comme celle qui a donné que les mathématiques moder-
nes furent appliquées B grande tchelle apres des essais «expérimentaux » réalises. sur des
professeurs de mathématiques du secondaire motivés ! Pages 73-74 John D. Barrow (1996)
se moque cruellement de cette pédagogie aberrante née dans le cerveau chromé de quelques
bureaucrates en mal de promotion et illumines par Jean Dieudonné du groupe Bourbaki, tels
Saint Paul sur le Chemin de Damas par le Dieu des chrétiens.
‘*Jean-Claude Passeron (1992) et in revue Enquête, na l-1995, en arrive lui-aussi B distin-
guer ces trois disciplines comme particuliéres dans le corpus des sciences de l’homme et de
la société.
l9 Un de nos collégues n’avait il pas observe ces deux faits fondamentaux : que les naissan-
ces d’une gentration sont autant de morts quand elle sera éteinte et que « l’enquête prouve
que c’est gtnéralement les femmes qui font les enfants ». On nous dira qu’il existe de
partout des Monsieur de La Palice potentiels et que la démographie n’en a pas le monopole.
Cequenousconvenonsdebonnegrâce.

101
particulier que de dire que les chercheurs en sciences sociales se trom-
pent toujours. La linguistique est la discipline qui séduit le plus les épis-
témologues, mais les schémas et démonstrations qu’elle utilise relbvent
de la logique et non des mathématiques. Quant aux espoirs que souléve
René Thom, il nous faudra attendre que les mathématiciens nous trouvent
des axiomatiques et des théorèmes adéquats a nos problématiques.
L’expérimentation, elle, n’est pas possible. Elle n’existe que dans des cas
rares, à la fois pour des raisons déontologiques, quand bien même ces
raisons n’arrêtent jamais les « savants fous » qui fleurissent toujours dans
les régimes totalitaires, mais surtout pour des raisons que les faits qui re-
lèvent de ces disciplines sont intrinsèquement uniques et non renouvela-
ble. Comment reproduire la Révolution française ou Ia découverte de
l’Amérique ? On ne peut. Même si on reproduit un événement, il ne res-
semble jamais au précédent car la société a changé, les acteurs ont changé
et ne sont plus les mêmes, le contexte a changé... rien n’est pareil. Et il
ne faut pas s’arrêter aux boutades prises au sérieux par des idéologues
comme la phrase de Lénine disant que la révolte de 1905 n’était que la
répetition générale de celle de 1917.. . La Revolution de 1917 n’est pas
celle de 1905, la preuve est qu’elle ne lui ressemble pas. Alors où est le
probléme ? René Thom dtclare à juste titre (certes a propos de sa propre
théorie des catastrophes) :
.*. une ambiguïté. Les gens disent volontiers que tout doit être vt!rtfïé par
l’expérience. Il serait plus juste de faire une distinction entre expérience
et expérimentation. Si l’on étend l’expérimentation à l’expérience, il y a
peu de choses que j’ai dites où l’on ne puisse trouver une représentation
ou une confirmation dans l’expérience. Mais aujourd’hui on ne se con-
tente pas seulement de l’expérience, on veut de l’expérimentation. Or je
pense que l’expérimentation ne devient nécessaire et utile qu’à la condi-
tion que l’on dispose d’un schéma théorique sous-jacent assez précis qui
permette effectivement d’avancer des prédictions. Or le schéma des ca-
tastrophes ne permet en principe pas d’en faire qui soient susceptibles
d’être utilisées pragmatiquement. Il faut, pour utiliser une prédiction de
manière pragmatique, qu’elle soit quantitative.
(1993 : 33-34)
Cette distinction entre expérimentation - impossible en sciences so-
ciales - et expérience, qui inclut l’observation et l’accumulation d’obser-
vations est fondamentale pour notre propos. Quant aux théories qui sont

102
élaborées par la sociologie, on doit remarquer qu’elles ne sont pas exclusi-
ves I’une de l’autre, on est extrêmement gêne de devoir reconnaître que
quoiqu’elles se contredisent, les théories ne s’excluent pourtant pas. Par
ailleurs, elles ne s’incluent pas l’une dans l’autre forcement (Einstein con-
tient Newton qui contient Galilée alors que Marx -qu’il l’ait cru ne fait
aucun doute - ne contient pas Ricardo qui contiendrait Quesnay qui contien-
drait les Économiques d’Aristote), elles coexistent et tclairent les différentes
facettes d’un même fait, au mieux. Au pire, elles restent inutiles ou hors de
propos scientifiquement,

Avant d’aller plus loin nous proposons ces conclusions à ce stade de


notre propos :

l la physique, modèle des sciences telles que les conçoivent les épistémo-
logues, est fondte sur le triptyque : mathématisation (quantitative), expé-
rimentation, prediction. Mais les extrapolations qui en sont faites par la
médiatisation en vigueur dans nos société du spectacle, n’ont pas le ca-
ractère scientifique qu’on leur prête. Certains récits du Big Bang frisent
le mythe, ou y sombrent ;
l la chimie organique et a fortiori la biologie et les autres sciences de la
vie ne sont pas ‘mathématisables’ ; elles se fondent pour avancer sur
I’experlmentation et la logique formelle pour avancer. Elles utilisent
certes les méthodes quantitatives et font usage de la statistique. La com-
paraison prend de l’importance chez elles. Elles présentent un tissu logi-
que ou de continuite, que manifeste clairement le «‘théorème de cohC-
rente » de Cuvier. Fondées sur l’expérimentation et l’observation, ces
disciplines ne disposent pas de schemas théoriques qu’elles peuvent
soumettre à l’expérimentation. Cette dernière se déroule indépendam-
ment et par tâtonnement sans que le but a atteindre soit clair ;
l les sciences sociales, elles, ne disposent quasiment pas d’expé-
rimentation, ni de théories fermes, elles ne sont pas ‘mathématisables’ et
utilisent la logique formelle ; le comparatisme est leur seule arme pOUr

103
Elaborer des conclusions. Leurs thCories ne sont que des programmes de
recherches et leurs conclusions soumises aux variations du temps et de
l’espace. De 1’Histoire. Elles peuvent être quantitatives et faire usage de
la statistique, mais elles ne sont pas « mathématisables ». Enfin, ce n’est
pas parce qu’elles seraient immatures 2o qu’il faut les exercer en croisant
les doigts. Leur statut est, et restera pour l’horizon historique qui est le
nôtre, dans l’ambiguïté que nous leur connaissons.

” R.K. Merton Cmettaitcette hypothèse, dont nous avons dit qu’elle nous paraissait appar-
tenir plus à l’argumentaire polémique qu’à l’argumentaire logique, contestée également par
Passeron, 1996.

104
Chapitre 3
La demande sociale

Qu’est-ce qui fait courir un scientifique ? Le désir de célébrité, la


soif de la connaissance, la faim ? Ou bien ne serait-il qu’un jouet de déter-
minations sociales ? C’est, nous semble-t-il, dans une conception plus sou-
ple des determinations sociales et individuelles que l’on peut expliquer
l’existence de la recherche scientifique. Le chercheur collectif ne serait-il
pas le vtritable sujet des avancées scientifiques car il aurait intégti la de-
mande sociale, dont il est un des acteurs ?

La demande sociale.. . nous ne serons pas très bavard sur cette ques-
tion, car nous pensons que chacun a des opinions bien ancrées fondées en
grande partie sur la perception qu’il a de sa propre personnalité et des rai-
sons qui le font agir, Beaucoup de gens répugnent à ne pas se penser al-
truistes par essence et ont du mal à accepter les déterminations qui fondent
les bons sentiments qu’ils ressentent. Au contraire de beaucoup d’autres
personnes, nous pensons, suivant’en cela le texte magnifique d’Henri Lefè-
vbre sur Marx sur la liberté *‘, que notre liberté ne peut exister que si on
accepte ses propres determinations. 11 illustrait parfaitement la phrase de
Dilthey dejà citée que nous devions être consciemment un être conditionné.
Pour nous, l’homme, à sa naissance, n’est qu’un potentiel (Malson, 1964) et
il est, et a tout a construire, dont sa liberté. C’est une grande partie du fond
du débat féministe né durant les années de notre jeunesse (on pense au
fameux slogan lancé par Simone de Beauvoir : On ne naît pas femme, un le
devient 22, dont on remarquera qu’il nous est difficile de l’accepter ‘s)...
Mais nous entendons parfaitement que cette position un peu cynique in-

2’ La rBférence de ce petit ouvrage, qui comportait des extraits de Marx préfacés par Henri
Lefibvre alors qu’il ttait au Parti communiste, a été égar6e : le livre nous ayant été définiti-
vement emprunté, nous n’avons pu la retrouver.
” Le deuxième sexe, Gallimard, Paris, 2 Tomes, 1949.
23 Notre conférence a Bordeaux à la SociBté d’écologie humaine, dkcembre 1996.
commode ; la même gêne saisit ceux qui, lisant Bourdieu à qui on deman-
dait ce qu’il aimait, répond : «Ce qu’aiment les gens dont je partage
l’habitus ». C’est peu pottique, c’est vrai. De même, nous entendons par-
faitement les grands discours sur l’amour et son éclosion, depuis les obser-
vations désabusées de La Rochefoucault (Beaucoup de gens ne tomberaient
pas amoureux s’il n’avaient pas entendu parler d’amour) jusqu’aux protes-
tations d’Oscar Manoni (L’amour de transfert entre un analyste et sa pa-
tiente est a& de l’amour, 1982). Nous admettons que beaucoup de choses
que nous vivons sont issues d’un libre jeu aléatoire entre ce qui nous cons-
truit, ce que nous vivons et ce que nous sommes seuls à ressentir. Aussi
pensons-nous que batailler sur cette question : la science activité indivi-
duelle ou la science activit6 sociale, est d’assez peu d’intkrêt. Ce que nous
pouvons cependant contester c’est la position de la gratuité des approches
scientifiques.

Nous n’aborderons pas directement cette question dans notre travail,


mais l’activité scientifique est une activité qui demande énormément
d’énergie mentale et la manière dont les Français traitent leur classe intel-
lectuelle (Nonmet l’intellectuel sur un piédestal et “le gonflement des che-
villes” qui s’ensuit génère certaines maladies d’ordre mental : Le chercheur
ne s’autorise que de lui-même, disait Jean Naymard (1995), parodiant ainsi
une citation cékbre de Lacan. Le problème de cette auto-définition est qu’il
faut &tre bien solide psychologiquement pour l’assumer totalement, car il
faut toujours garder à l’esprit le groupe de référence qui est celui de tout
homme : n’oublions pas que les scientifiques, ou pré-scikntifiques, OU intel-
lectuels de toutes les époques antérieures étaient très liés entre eux et
s’écrivaient régulièrement : penser à Érasme, ou à Descartes, ou aux écoles
de la philosophie grecque (Conche, 1987, 1994). Nous avons, quant à nous,
toujours tSté frappé par les proximités psychologiques entre les tares qui
affectent les artistes et celles qui affectent les chercheurs français (les AmC-
ricains sont plus rationnels sur ces questions). En général, on rapproche les
activités scientifique et artistique sur le seul plan de la créativité, ce qui est

106
minimiser les rapprochements au côté positif des choses. Une attitude plus
rationnelle sur le rôle modeste du chercheur et sur le statut de l’intellectuel
en France assainirait les finances de l’État pour une activité devenue normée
socialement, restée encore très artisanale en pratique, quoique son caractère
collectif ne saurait plus faire de doute nous semble-t-il. Il n’en reste pas
moins que nous pensons qu’une grande partie des productions scientifiques
actuelles en sciences sociales du moins, pour celles-la nous sommes com-
pétent croyons-nous, ne sont que de douces élucubrations. Certaines ont
pourtant eu pour conséquences des milliers de morts : le mode de produc-
tion asiatique appliqué par les Khmers Rouges par exemple, ou le mode de
production féodal appliqué par les Hutus au Rwanda avant que Ies vents
mauvais qu’ils avaient soulevés ne se renversent. Hildegard Ruzibiza (1976)
protestait contre le fait que l’on attribuât à l’Afrique de l’Est un schéma
d’analyse qui supposait que la classe dominante était de très faible propor-
tion - moins du pour cent I par rapport à la classe dominée - cas de l’Europe
féodale -, alors que les Tutsi pouvaient représenter jusqu’au tiers du total de
la population des royaumes de l’Afrique de l’Est, qu’ils fussent Hutu ou
Tutsi.
Se fondant sur l’expérience historique certaines personnes pensent
que les scientifiques visent la connaissance pure. C’est d’ailleurs toujours ce
qui est rtaffirmé par nos hierarques quand ils veulent canaliser les activités
scientifiques modernes, «pour mieux faire passer la pilule » des restrictions
budgétaires et des mises au pas. Certes, cette position était grosso modo
valable autrefois. Du moins pour les scientifiques qui n’etaient pas « trop »
asociaux, puisque, souvent, on ne trouve pas trop de distinction entre un
savant socialement qualifié de fou et un fou qui se croit savant. Tout comme
on peut discuter à Ilinfini sur la question de l’art à propos des activités
“maçonniques” du Facteur Cheval ou le passe-temps pictural du Douanier
Rousseau ; de même de savoir si l’activité d’alchimiste de Newton était
encore de la science ou plus du tout de la science. Trancher ces questions
avec des phrases définitives qui ne seraient pas la conclusion de longues

107
analyses cancrètes de l’activité de ces personnes et des résultats concrets
qu’elle a obtenue, nous ne nous le permettrons pas. Il n’en reste pas moins
que longtemps, ce schéma de connaissance pure a pu fonctionner sans trop
de problèmes. Mais ces gens du passé n’étaient jamais des professionnels de
la recherche. La recherche était leur passe-temps, comme d’autres prati-
quaient la chasse, les tables tournantes ou le whist. Avec la Révolution
industrielle sont apparus les professeurs qui ont grossi cette classe
d’intellectuels savants qui faisaient de la science leur passe-temps favori,
dont Lavoisier nous paraît être un bon exemple et dont Théodore Monod
reste, au statut social et aux sources de revenus mis à part, un parfait exem-
ple de psychologie individuelle. Des savants «purs », comme La Conda-
mine, financé par le Roi et ses societés savantes (Simon Leys, 1983), etaient
assez rares et c’était peut-être l’expression individuelle d’un hobby
“collectif dont il faudrait parler 24. La stratégie sociale poursuivie par ces
savants-professeurs ou ces professeurs-savants (leur “arrivisme”, leurs
ambitions autant intellectuelle que personnelle) était conforme à un certain
état de nos sociétes (et présente beaucoup de points communs avec leurs
équivalents mandarinaux de l’Empire de Chine, (Joseph Needham, 1973) à
certains de besoins de leur temps et de leur société et aussi une certaine idée
qu’ils avaient d’eux-mêmes et de leurs désirs de connaissance, L’exemple
nous parait pertinent de ces deux intellectuels contemporains (entre eux)
comme Ibn Khaldûn (1332- 1406) et Pierre Roger de Beaufort (1329- 1378),
pape sous le nom de Gregoire XI, dont on possbde sur l’activité scientifique
de nombreux documents quand il était évêque de Clermont. On peut citer,
pour bien préciser cette position, la phrase conclusive d’un article de Chris-

z4 Mais même dans ces cas, on peut sdrieusement s’interroger : l’Ancien Régime ne s’est
pas seulement intéresse 14envoyer des savants en astronomie, science dont l’impact sur le
quotidien des gens ttait assez faible, il a aussi, par exemple pour Madagascar, envoye des
botanistes qui ont recueilli tout ce qu’ils ont pu : et la, ce n’était pas totalement et con-
sciemment s gratuit » si l’on se réfère aux instructions royales. De même le Père Hue alla
sur commande jusqu’en Mongolie (Simon Leys, La forêr en feu, 1983) Les grandes décou-
vertes ont essaimé sur la planète ; envoyés par leurs autorités politiques respectives, de
multiples ‘chercheurs’ de toutes nationalités se sont répandus de par le monde. Leur poly-
valence est un modèle qui a duré jusqu’à récemment. Les mass-média en entretiennent la
nostalgie (emission sur Monod en avril 1997). les institutions le mythe (Orstom, 1994 :
Images et visages).

108
tian Colombani dans Le Monde (1. 7.1987) à propos de Jean Dieudonnt
(qui fut le dieu donné au groupe Bourbaki) :
Les jours d’aridité, rencontrez donc un mathématicien. kcoutez le mys-
tère des nombres et des figures, admirez ce témoignage vivant des hautes
abstractions où l’homme peut atteindre, et rafraîchissez-vous dans cette
évidence masquée : le but ultime de la science n ‘est ni l’utilité publique
ni i’explication desphénomènes naturels. C’est l’honneur de l’esprit
humain.
(Selon l’expression de Jacobi dans une lettre à Legendre en 1830)
On ne peut que douter de ce type d’affirmation partiale et partielle.
La nature humaine est complexe, ambiguë, faite de chair et d’esprit,
d’idéologie et de rationalité, de désirset de besoins(les Congolaisjoliment
disent: de soif et defaim), cesparolesà l’emporte-piècesne font rien avan-
cer. Une autre observationnuanceet replacehistoriquementde telles asser-
tions sur LA science,il vaut la peine de la citer intégralement,c’est celle de
ClaudeLévi-Strauss:
Il nous semble d’abord que, dans l’histoire des sociétés, les sciences
physiques ont bénéficié au départ d’un régime de faveur. De façon para-
doxale, celui-ci résultait du fait que, pendant des siècles, sinon pendant
des millénaires, les savants se sont occupés de problèmes par quoi la
masse de la population ne se sentait pas concernée. L’obscurité dans
laquelle ils poursuivaient leurs recherches fut le manteau providentiel à
l’abri duquel celles-ci purent demeurer longtemps gratuites : en parti-
culier, sinon peut-être (comme il eût mieux valu) dans leur totalité.
Grâce à quoi les premiers savants ont eu le loisir de s’intéresser
d’abord aux choses qu’ils croyaient pouvoir expliquer, ce à quoi les au-
tress’intéressaient.
j...] La situation s’est retournée depuis quelques années, sous l’effet des
prodigieux résultats acquis par les sciences exactes et naturelles. et l’on
note une sollicitation croissante s’exerçant à i’égard des sciences so-
ciales et humaines, pour qu’à leur tour elles se décident à faire la
preuve de leur utilité.
(Claude Lévi-Strauss,mai 1966, in Aletheia 4 : 193)
11nous sembleque si l’on peut admettre,d’une manièrenuancée,la
gratuité des activités scientifiques dans les siècles passés,on ne -peut
l’accepter aujourd’hui comme seule admissible: d’une part parce c’est se
limiter à une analyse d’ordre psychologiquequi ferait du seul individu le
moteur de l’avancée de la science,d’autre part parce que cela supposeque
l’État resterait indifférent à tout ce qui peut concourir à sa gloire et à son
efficacité, enfin parce que la science a une logique interne, comme toute
activité, humaineou matérielle (toute chose,tout être, concourt à sa survie

109
et à son développement) et le mouvement brownien des stratégie indivi-
duelles fait que, s’il existe un besoin social, une chose va être utilisée. La
poudre noire fait «boum », mais a été utilisée pour les feux d’artifices et la
guerre.. . le cuivre fait de beaux bijoux, mais aussi des haches etc.. . Donc,
poser le problbme en termes d’individus est inadéquat. On a un chercheur
collectif qui est en œuvre, lequel « avance » au hasard des besoin, des idées,
des possibilités.. .

Le simplisme comme système explicatif

En restant aux limites de nos capacites d’analyse, nous voudrions


ouvrir une large parenthèse qui n’est pas du tout « hors-sujet » et avouer
notre étonnement des vues manichéistes et schématiques qui entachent les
études sociologiques (terme pris dans son sens le plus genéral possible) :
dernièrement nous regardions à la télévision le documentaire tourné sur la
révolte malgache de 1949 : parmi les Malgaches il y a deux interprétations
concurrentes de ce qu’il faut bien appeler le sacrifice du premier militant
arrêté part les Français : il aurait été à la solde des Français - ou il aurait été
manipulé par eux - qui l’auraient assassinés pour pouvoir «charger » le
MPLM, au bien il aurait été un authentique héros. La révolte de l’fle
Rouge 25aurait été provoquée préventivement par le colonisateur, ou bien ce
fut l’œuvre de quelques excités, ou bien le plan m0ri par tel ou tel.. . Qui ne
voit pas que l’explication est à déterminations multiples ? Que la révolte
malgache de 1949 a Cté tout autant manipulation du colonisateur
qu’aspirations sincères ? Quant à ceux qui ont été broyés; ce n‘est pas qu’ils
étaient manipulés, c’est qu’ils étaient « manipulables » vu leurs positions-
charnière et cela quoiqu’ait été la sincérité de leur action. Parfois, nous le
pensons, l’une d’elles peut être déterminante et tirer la totalité, mais les
autres y concourent car, sans elles, rien ne se serait passé. Parfois la victime
est purement la victime, elle est totalement « innocente », victime involon-
taire ; parfois elle concoure a son asservissement ou à sa perte, mais parce

” Voir le film : L’insurrecfion de I’he Rouge, de Daniéle Rousselier, pr6fac6par Alexandre


Adler, Ane, 1994,60 mn.

110
que son asservissement et sa perte se seraient produits de toute façon, quel-
que soit son jeu, ou la riposte qu’elle ait tentée : elle devait être « mangée »,
elle n’a contribué qu’a la maniére de l’être. Comme le cerf forcé est finale-
ment massacré quelque soit la stratégie de survie qu’il ait choisie : elles
étaient toutes « mauvaises ».

Une explosion volcanique donnée est le résultat de nombreuses


“causes”, personne n’en privildgierait une, unique : pression de la nappe du
magma, rupture du manteau solidifié, pluies extérieures ayant saturé et
affaibli ce manteau, autres conditions internes et externes... On le sait, on
analyse. Mais qu’il se produise l’équivalent en sciences sociales et tout est
réglé en quelques assertions imbéciles et un ou deux boucs émissaires : Mai
68 ? Un juif allemand. La révolte malgache ? Le Gouverneur ou le MPLM.
Le Viet Nam ? Ho Chi Minh. Le stalinisme ? Staline (dirit Trotsky, person-
nage subtil, mais quand il ne s’agissait de son ennemi principal, il devenait
sectaire probablement pour nier, qu’avec Lénine, il lui prépara activement
les conditions d’émergence). On cherche, en sciences sociales, où les phé-
nomènes sont encore plus complexes que dans les sciences de la nature, des
réponses simples, univoques ou simplistes à des déterminations concouran-
tes multiples 26. Le phénoméne nous a toujours étonné. Du temps de la
Guerre froide, tout avait une cause unique : l’impérialisme américain et ses
valets français étaient la cause de tout, ou bien la politique communisto-
soviétique. C’était à croire, comme nous le faisions souvent remarquer que,
dans ce cas, et selon chaque système explicatif, les « claques » qu’ils rece-
vaient l’un ou l’autre étaient des « auto-claques ». Dans tine telle optique, le
régime communiste soviétique a programmé la construction du mur de
Berlin parce qu’il avait en vue la Perestroïaka. Or les situations sociales sont
complexes, tout le monde en est bien d’accord. Il y a un mélange de con-
traintes (démographiques, de conditions matérielles d’existence., .), d’effets
pervers (l’accumulation néfaste ou bénéfique de décisions individuelles,

26Les phbnomenes sont plus complexes parce que leurs déterminations sont celles de la
matière, qui continuent d’agir, avec en plus les consciences individuelle et collective qui
réagissent.

111
contradictions de logiques), d’idéologie, de hasards individuels, de straté-
gies et d’aveuglement., . et on ramène tout cela iI une décision unique. Un
volcan explose et tout le monde est bien d’accord que c’est parce qu’ici et
maintenant sont reunies les conditions de son explosion ; c’est un événe-
ment unique, une conjonction de faits. Mais qu’explose la Yougoslavie et on
va sombrer dans des schématismes et des jugements que renierait pas
l’Inquisition. Il est vrai que l’analyse des Cvenements recuse souvent les
analyses aléatoires. Que la nature soit déterministe - comme l’aurait aimé
Einstein -, ou pas - comme le soutient Conche -, est indécidable, indémon-
trable. La conclusion que donne la science n’est jamais que temporaire, elle
donne raison à l’un, puis à l’autre (et chacun reste convaincu dans le trt-
fonds de son cœur de ce qu’il pense contre la théorie dominante du jour). Il
est plus aisé de pratiquer les sciences en étant déterministe. Cela simplifie le
problème : il a toujours une solution, reste à la trouver. Mais dans la ma-
nière dont sont pratiquées les sciences sociales, on reste etonné qu’on les
veuille déterministes d’une manière bête, ou bestiale. On leur trouve tou-
jours un élément explicatif simple. Pourtant le jeu des grandes structures, la
« tyrannie des décisions individuelles » *‘, la dynamique historique, le jeu
des acteurs et les relations dialectiques entre le tout et les parties.. . tout cela
devrait interdire de parler à l’emporte-pièces. Pour suivre Feuer (1978), on
peut affirmer que si e=mc2 dépendait de Zurich et son bouillonnement
intellectuel et d’Einstein et ses interrogations ** - l’un sans l’autre n’aurait
rien donné -, de toute façon on aurait trouvé la relativité (qui alors ne
s’appellerait pas la relativité, nom très particulier que lui a donné Eisntein,
écho des interrogations de l’Académie Olympia, à laquelle il appartenait
avec les autres jeunes de sa genération 2g). On aurait attendu un peu pour
trouver la formule, Mais il y a de multiples manières de parler du monde, et

27 Référence kgarée, ouvrage traduit de l’américain, dont le titre etait Lu tyrannie des petifes
décisions.
2sEinstein était un individu exceptionnel, mais tout individu est exceptionnel puis-
qu’unique. Seuls certains ont la chance de le montrer.
” L’autobiographie de Popper (1974) donne rtellement à vivre le bouillonnement de la
jeunesse zurichoise de ces années.

112
nombreuses sont celles que l’on ne connaîtra jamais. Basil Davidson
(philosophe américain) :
Il existe unè foule de manières de parler du monde, dont la plupart ne
seront jamais découvertes.
(Le Monde,28.6.1994)

Revenonssur cette questiondu hasard,épineuseentre toutes, nous le


reconnaissons.
Il est vrai qu’isoler le hasard,le reconnaîtrecommealéatoire
(conjonction apparemmentaleatoire de lignéesdéterminéesd’événements)
est gênantintellectuellementparlant. Einsteinutilisait les probabilité comme
un pis-aller dansun univers qu’il pensait déterminé,nous-mêmepostulons
le déterminismeparce que nousne sommespascapablesde penserle monde
commealéatoire,ce qui est notre sentimentprofond.

Il nous faut rtcuser les analysesindividuelles de ce que veulent les


gens: Faidherbe a conquis le Sénégalparce qu’il voulait l’abolition ede
l’esclavagepour en arrêter l’approvisionnementà la source(volonté d’ordre
individuel), les g6néraux du Putch d’Alger étaient sincèreset Dzerjinski
fonda la sinistreGuéptou pour faire le bien. DansL’orme du Mail, Anatole
France présenteune scèneterrible d’une action décidée avec une lucidité
féroce par un directeur d’école au nom de ses« valeurs»... Les conditions
individuelles de décisions d’action sont dénuéesde valeurs explicatives,
maispas de consequences(voir les travaux de la psycho-histoire: Bizière,
1986). L’enfer est pavé de bonnesintentions. Donc les intentions sont nulles
et non avenues.Elles n’expliquent pasle développementde la science: elles
n’expliquent que le “pourquoi” d’Einstein découvrant la relativité (Feuer,
1978), ou celui de Christophe Colomb débarquanten Amérique (qui n’y
serait peut-êtrepas arrivé s’il avait été financé par le Roi d’Angleterre ou le
Roi de France a causede la latitude de son point de départ). Par contre si on,
prend la phrase de Jacobi cité par Colombani plus haut comme étant
l’expression d’un chercheur collectif, le but ultime de la science .. . est
1 ‘honneur de l’esprit humain. On ne peut pas non plus accepter cet excès
d’honneurcar y prétendentalors, avec plus de titres peut-être, l’humanisme,

113
la charité, la compassion, l’amour, etc... Donc, pourquoi seulement lu
science, cette nouvelle noblesse, dont se gaussait Rimbaud ?

Dire au contraire que le chercheur n’est qu’un assoiffé d’honneurs et


d’or, que Christophe Colomb n’aimait que la richesse, que Cortès n’aimait
que le pouvoir, que Becquerel ou Nobel ont inventé « sur ordre » est tout
aussi stupide. Combien, enrichis, n’ont-ils pourtant pas repris la mer 1
Combien, glorieux, n’ont pas repris le chemin de la paillasse ? A chaque cas
particulier ses conditions particulières. Comment alors doit-on, selon nous,
poser le problème ? Que ce soit pour les grandes découvertes de l’esprit
humain (au rang desquelles on peut mettre celle de l’Amérique par les occi-
dentaux), on peut dire que le vrai phenomène est «quelque part » entre
l’individu et le collectif, variable selon le point en discussion. Mais que
jamais l’un est sans l’autre et l’autre sans l’un. Même dans le cas des décou-
vertes de Mendel pensons-nous. Nous en tenons à notre hypothèse de
« chercheur collectif », qui nous paraît une solution tEgante pour traiter le
problème sans avoir la prétention de régler : 1’ les cas particuliers, 2” la
généralité complexe.
Notre hypothèse de base est que l’individu, LE chercheur, a integrb
l’ensemble des déterminants de sa société et des problèmes, comme l’artiste
d’ailleurs avec qui il a certains points communs comme on l’a signale.
Sinon, ce n’est pas un chercheur, sinon, ce n’est pas un artiste. Par ailleurs,
en tant qu’individu le chercheur (laissons l’artiste aux critiques d’art), a
besoin de vivre, il a aussi de l’ambition, il a envie de faire quelque chose
d’intéressant de sa vie, il a sa propre définition de ce qui l’intéresse lui.. . On
a donc un profil de carrière glissant d’un plan à l’autre dans une carrière
réussie. (Tout comme une vie réussie est un glissement de plans à plans :
privé, public ; travail, loisir ; sentiments, contraintes...) On peut se référer
au Portrait d’un biologiste en capitaliste sauvage de Bruno Latour (1996 :
100-130). Le chercheur individuel assimile les besoins de la science de son
temps, et c’est ce phénomène qui explique que les idées que nous explojtons
sont celles que nous avons eues jeune. Les besoins, ce sont les problèmes :

114
la vitesse de la lumière pour Einstein, l’analyse longitudinale pour de muiti-
ples sciences depuis 30 ans, la structure pour la génération qui nous a précé-
dé... et il va chercher l’opportunité concrète de ce “sentiment”, de cette
intuition, de ce feeling. S’il se trompe, il échoue. Et l’échec est monnaie
courante. On est bien d’accord en peinture qu’il y a de grands maftres, des
peintres mineurs et tous les autres qui n’ont produit que des « croûtes ». En
toute activité sociale c’est pareil : nous connaissons cent réparateurs de
motocyclettes sur la Region parisienne, 3 sont des génies, 10 sont bons.
Avec les autres, Il est préfèrable de vérifier les réglages.

Nous voudrions analyser notre cas en ce qui concerne deux recher-


ches : celle sur Fakao et celle sur la “sante mentale”, pour faire comprendre
notre point de vue que nous reconnaissons avoir du mal a exprimer en de-
hors de sa forme synthétique de c( chercheur collectif ».

Lorsque nous sommes arrivé au Sénégal en 1964, notre ambition


était d’effectuer une recherche et une seule puis de nous diriger vers le
secteur privé des bureaux d’ttudes. Ces contraintesnous avaient amenéà
penserà effectuer une monographie,de quoi ?, peu nous importait à vrai
dire. Nous n’avions pas penséque nous pourrions faire quelque chose en
démographie,vu Ies problèmesde datation desévénementsen Afrique, et
nous restions très ouvert aux possibilités qui s’offriraient, Ce que nous
savions (nous sommestoujours aussi sQr de ce que nous pensionsalors)
c’est que nos études de démographienous avaient laissé fort dubitatif.
N’ayant pas exactement compris le débat transversal/longitudinalqui, pa-
raît-il, divisait I’INED à l’époque (notre intérêt pour ies cours de Louis
Henry, nousles avions cru fondé sur notre goût pour desétudesd’histoire),
quand le R.P. Victor Martin nous parla de l’idée d’exploiter des registres
paroissiaux, ce fut une illumination. Nous nous rappelonsque nous n’en
avions pasdormi de la nuit, comprenanttout ce que nous pouvions tirer de
cette idée : exploitation de registresparoissiaux,mais surtout confrontation
avec une enquêterétrospective de terrain. Et danscet ordre : dépouillement
J& enquête.L’analyse longitudinale, concept que nous n’avions pas vrai-
ment compris mais qui nous parut aller de soi : rapporter les événements
dans leur suite à l’individu qui les vit, devait être appliquée comme décou-
lant de données que notre imagination nous présentait comme réelles. Quant
à la technique même de l’analyse longitudinale, il fallut l’intervention, que
nous pourrions qualifier de “musclte” de Louis Henry - qui ne passait rien à
ceux qu’il estimait -, pour nous faire comprendre théoriauement ce que nous
faisions dans ce travail 3oCe fut la même chose, le génie mis à part, lequel.
ne figure pas dans notre camp, qu’Einstein comprenant, dans une conversa-
tion de caf’6 avec Alfred Grossmann, tout l’intérêt de l’analyse matricielle
pour « son » problème. Dans ce cas-ci, il paraît que la volonté individuelle,
la « soif de connaissances nouvelles » ait été le moteur. Pourtant, ce faisant,
il semble &Vident que nous répondions, quant à nous, en engageant cette
recherche, à la « demande sociale » : à la croisée de plusieurs chemins, ceux

de l’avenir des recherches dans le secteur considért, ceux des besoins en


connaissances que nous éprouvions, notre ambition de maîtriser une disci-
pline scientifique, faire quelque chose qui ne soit pas une redite, mener une
vie intéressante quelques années au Sénégal, s’occuper durant un séjour
obligatoire,. .
Dans le deuxième cas, tout fut différent, et nous avons là, au con-
traire un financement que nous obtenons pour et avec un ami, Jean-Louis
Ravel, psychologue, qui travaillait avec le Pr Collomb à I’HôpitaI psychia-
trique de Dakar-Fann et qui nous avait demandé quelques « tuyaux » statis-
tiques. L’OMS de Genève, Organisation mondiale de la santé, voulait ef-
fectuer des études sur l’adaptation en termes de sante des migrants ruraux a
la ville. La question ne nous intéressait pas et nous avions donc proposé « le
bébé » à Ravel. De fil en aiguille (réticences de I’OMS à la psychiatrie,
amitiés personnelles, possibilités institutionnelles., .), on monta un très gros

‘a II nous avait montrk en particulier que nous n’avions pas réussi à comprendre théorique-
ment que nous utilisions des faits k la fois comme concepts, comme Evénements et comme
individu (par exemple, un naissance est un Événement chez la mère, un individu et une fin
de grossesse.. .)

116
projet,. Les détails vécus sont sans intérêt, pourquoi ceux-ci plutôt que ceux-
là ? Comme l’affirme Theodore Caplow (1970) : qu’importe. Le chercheur
n’est pas comptable de préciser pourquoi il fait ceci plutôt que cela,
l’important étant qu’il le fasse et bien. Mais la logique de ce projet “santé
mentale et physique des migrants de Niakhar vers Dakar” (Lacombe et al,
1977) nous entraîna fort loin : vers les phénomènes d’adaptation, sur la
mesure des migrants zone de départ / zone d’arrivée, sur la mesure de la
santé mentale selon les hypothèses de Leighton, sur la ville, sur le retour
identitaire des migrants avec l’âge, sur la notion de groupe de migrants, etc.
Dans les deux cas, nous voyons que la demande sociale est une &-
mande intégrée par le chercheur. C’est une demande qu’il transforme en défi
personnel, mais qui lui est extérieure : a un certain moment de l’état de la
science, il existe certains problèmes (nous parlons quelquefois de
“l’inconscient” d’un système ; ce qu’il semble viser, vision un peu téléolo-
gique il est vrai, mais nous n’avons pas les capacités théoriques pour résou-
dre tous les problèmes qui se posent à nous 31). Pour des raisons qui font que
l’on est un scientifique ou non, on les intègre au plus profond de soi pour les
poser et les résoudre, avec ou sans succès. Mais certaines questions restent
immatures ; tout en étant latentes, elles flottent dans l’air, comme des idées,
elles restent impAcises, car « imprécisables » dans l’état actuel des problé-
matiques scientifiques ; tout individu doit se méfier d’être des rares et mar-
ginaux à les chérir. 32

3’ Nous reparleronsde cette questionà propos de l’anthropologie et ce qu’en dit Bourdieu


en 3tmc partie.
32 On comprendra que la folie n’est pas loin si l’on veut avoir raison contre tous. Ou que
l’on soit atteint par le dtcouragement devant trop d’opposition (le nôtre concernant la
continuation de nos recherches sur l’exploitation des registres paroissiaux confrontée B des
enquêtes de terrain n’a pas ett pour rien dans notre orientation scientifique ulthrieure). Mais
on doit bien constater que beaucoup de travaux sans grand int&êt ont frisa le génie. Nous
devons nous abstenir de jugements dksobligeants, mais comme devant certaines œuvres
d’art, quand on regarde certaines recherches, on ne peut que se dire que l’auteur est passé &
côtt du problbme, B c6te de la demande sociale. L’auteur paraît avoir toutes les cartes en
main mais il ne les joue pas. Parce qu’il n’a pas compris, ou pas OS~, ou parce qu’il n’en a
pas eu le courage. Ou que c’&ait trop tôt (mais en g&kral, dans ce cas, le chercheur le
perçoit, sauf si la guerre qu’il a engagé contre le monde entier pour faire admettre ses idées
a fini par lui déranger ses facultés mentales. Dans ces cas, le phénomène du “bouc em&-
saire” de la midsis chère à Rend Girard fonctionne i% plein et l’on comprend bien que ce
fut le cas de quelqu’un comme Reich, victime autant de I’establishmenc que de lui-même.
La demande sociale existe donc même quand elle est peu apparente.
De toute façon, c’est elle qui va accorder les financements de recherches
ultérieurs. Ceci est clair nous semble-t-il pour des recherches extrêmement
coûteuses en astronomie, mais aussi pour de simples projets de sciences
sociales. Cependant, continuer contre vents et marées un projet intelligent
mais condamné socialement, c’est risquer sa santé mentale. Nous en som-
mes totalement persuadé. Nous disposons de quelques exemples de gens qui
n’étaient ni plus bêtes ni plus fous que nous et qui pourtant le devinrent et le
sont toujours pour s’être dispensé de ce recours au réel collectif de l’état
actuel de la science. Avoir raison trop tôt c’est avoir tort. Et nous sommes
bien d’accord avec Popper (1989) quand il fustige le concept de scientifique,
d’artiste ou de novateur incompris, comme Btant une grosse bêtise de ro-
mantiques.
La demande sociale a un autre sens que nous ne pouvons pas omettre
ici : c’est la logique interne de la science, secteur par secteur. Cette logique
interne de la science est souvent contestée par ceux qui soit l’aimeraient à
leur botte et attribuent le choix des sujets de recherche qui émergent à une
main étrangère qui voudrait déstabiliser l’État (on a eu en France un bon
exemple avec les remous post-1968 quand tout sujet sociologique était
contesté par la hiérarchie administrative). Elle l’est aussi par ceux qui trou-
vent bien pratique de croire que si c’était eux qui définissaient les sujets de
recherche, ce serait parfait. On a eu ce genre de tendance « apocalyptique »
durant les trente dernières annees. Les reformes de 1’Orstom de 1982 et les
debats qui les ont précédées en sont un parfait et ubuesque exemple
(Orstom, 1982). Illusion de croire que l’inverse de ‘mauvais’ est ‘bon’,
quand il peut être pire. Ainsi, le constat de ce que la science africaniste était
‘coloniale’, position ‘rationnelle’ vu le contexte historique, a amen6 certains
à vouloir la rendre non-coloniale. L’idée de départ était bonne mais le ré-

Par contre la théorie du Big Bang a et6 menée par un physicien ancien avocat, qui sut faire
admettre sa théorie rtvolutionnaire en arrivant.. a faire signer l’introduction négative a son
article par son opposant le plus dangereux, pape de la discipline dans les années 20-30 !, la
signature a facilite la lecture de l’article et désarmé les opposants qui ne voulaient pas
heurter un favori du grand chef).

118
suitat n’a jamais été à la hauteur des intentions. La raison est que, dans une
activité humaine,il est difficile de séparerlescausesdes effets :
Nous croyons que, comme dans toute société totalitaire, les produits
(statistiques entre autres) du système colonial sont le reflet des formes
monolithiques du pouvoir et qu’à ce titre, dans un premier temps, il est
vital de s’interroger sur la place des statistiques de population dans
[‘ensembleet, dansutt secondtemps, de cerner notre positionperson-
nelle, en tant qu’analyste, face au système et ces produits
(Raymond Gervais, 1986 : 13)
“Nettoyer” une discipline de son caractbre raciste par exemple
(l’anthropologie, culturelle ou physique) est louable, mais ne peut se con-
tenter d’intentions et de bonnevolonté. Nous nousen étions rendu compte
en nous lançant dans la refonte des basesd’enquête (Gueye et Lacombe,
1977).Tout cela était inttressantmaisd’une productivité incertaine.

Prenonsl’exemple du ménagecomme unit6 d’observation : que ce


soit pour desraisonsobjectives pures (qui diraient que le ménageserait un
concept opératoire obligatoire), ou pour des raisonsque les outils mis au
point au cours de plusieursgénérationsde scientifiquessocialementdéter-
minésdes sociétésoccidentalessonf ainsi qu’ils fonctionnent avec ce con-
cept et/ou que ce concept est critiquable maisqu’on n’ait rien pour le rem-
placer, le résultatest le même.On a aussila possibilitéde faire du racismeà
l’envers et de déduire que ce qui n’est pas occidental est “bon” scientifi-
quement(et donc que c’est les Noirs qui ont découvert l’Amérique comme
il l’a été soutenuà Dakar en 1991, alors que le problèmeest idiot puisque
l’Amérique a été découverte concrétementpar les Indiens et intellectuelle-
ment par Amerigo Vespucce33). On a quelquestextes intéressantssur le
sujet, de la part de gens que nous estimonsfort, surtout quand ils ont su
raison garderdans“l’iconoclastie” militante (Copans,1979,Edmund Leach,
1968, Temps Modernes, 1971, Copanset al, 1975, Jomo Kenyatta, 1960,
Gérard Leclerc, 1972, Abdoulaye Bara Diop, 1989...)

33 Quant a I’idCe que des hommes venant d’autres continents aient pu débarquer par hasard
en Amérique, comme ont dériv6 sur des îles vég&ales des animaux à la suite de longues
errances en mer, elle est tellement Cvidente qu’en discuter est sans intérêt : le probléme
n’estpas le fait, c’est les conséquences - linguistiques, techniques, génétiques.

119
Retenons que la demande sociale est en partie liée à une demande
interne a la science, elle connaît a l’évidence un certain nombre de dévia-
tions d’ordre politique (ou d’oppositions politiques), mais aussi un certain
nombre de raffinements qui sont des demandes internes de la disciplines.
Mais on peut s’interroger sur ce qui est, déjà, des déviations de la demande
sociale, qui n’est plus la demande de la science et de la sociétt, mais des
demandes formulées par un sous-groupe qui se croit en charge de la science
particulière qu’il gère, comme un rentier ses capitaux : on doit à cette atti-
tude de belles déviations comme les delires sur le terrain par les anthropolo-
gues, ceux sur le quatrième, puis cinquième etc., chiffre après la virgule des
statisticiens, la description des « margouillats à la colonne vertébrale tor-
due » (Notes africaines, 1955), celle des petits bancs du Senégal, la poésie
du Big Bang, les délires sur la physique bouddhiste et autres joyeusetés de
scientifiques en folie qui s’oublient dans la tâche et oublient leur tâche.

Car enfin, dernier aspect, qui est assez désagréable mais inévitable :
la demande sociale c’est aussi l’effet d’un groupe de pression, les scientifi-
ques, qui se battent avec les armes de leur société pour survivre dans leur
être, comme tout être vivant. Une société humaine est composée de groupes
d’hommes qui ont des intérêts (intellectuels et matériels) en commun et qui,
« naturellement », les défendent et cherchent à les étendre. Les scientifiques
n’échappent pas à la règle, Dieu merci, comme les mineurs, les cheminots,
les médecins, les internes des hôpitaux, les fonctionnaires ou les camion-
neurs et tout autre groupe socio-professionnel. En demographie, les recen-
sements internationaux nous ont toujours plus paru être l’effet d’un groupe
de gens ultra-spécialisés sur la question, que d’un évident besoin de la re-
cherche démographique 34. Nous avons assisté à quelques échecs d’im-

M C’est une réflexion que nous avons souvent entendue dans les services statistiques natio-
naux des pays africains que les recensements que leur rkclamaient les officines spécialis6es
des Nations Unies ne correspondaient pas aux besoins exprimés par la struture de I’fitat.

120
plantation de sujets de demande sociale : le coQt de l’enfant, par exemple 35.
Parfois, c’est la société qui pousse à la consommation : on a aujourd’hui un
bon exemple de ce type de demande sociale avec les études sur le SIDA, oil
il y a plus d’argent que de groupes scientifiques sérieux, même en élargis-
sant le concept aux marges du <<pas-du-tout-sérieux » (mais en excluant les
purs folkloriques) 36. Il est toujours étonnant de voir une activité humaine
déviée de son origine et de sa pertinence par des intérets individuels aggluti-
nés en logique sociale. Mais l’examen actuel des ONG charitables sur le
Tiers Monde est plein d’enseignements : quoiqu’on en dise, beaucoup sont
devenues des moyens de voyager sans débourser un sou. Sans parler des
scandales récents qui ont affecté des ONG comme I’ARC, association pour
la recherche contre le cancer, qui n’est qu’un petit morceau de la part émer-
gée de l’iceberg (Lacombe, 1996) 37.

Mais après avoir dit le négatif, redisons le positif : la science est une
activité sociale collective et si l’on peut critiquer certaines déviations de ce
groupe de scientifiques, ce que l’on peut dire, c’est qu’il fonctionne encore
dans nos sociétés. Bien malin qui dira pour combien de temps encore et bien
imprudent qui dira que c’est pour l’éternité.

35 Quand, au Colloque d’Edimbourg sur l’histoire demographique de l’Afrique (African


Historical Demography, 1981), nous avions reçu la reconnaissance sociale de nos travaux
sur Fakao et qu’un de nos interlocuteurs americains regrettait que nous eussions abandonné,
notre réponse n’avait tté que celle-ci : scientifiquement oui, mais en terme de santt men-
tale ? Le lecteur comprendra toute la reconnaissance que nous avons éprouvée pour Louis
Henry et plus tard JC Caldwell qui seuls, durant tarif d’années, reconnurent l’intérêt de ce
travail sur les registres paroissiaux ! Quand il furent repris, la mode était venue des grands
thémes, et l’affaire est dbsormais entendue. Aujourd’hui, les changements en Afrique sont
tels que ce projet n’a guère de chance de se voir utilisé (pensons aux “mines” qu’étaient le
Ruanda, le Burundi, le Zaïre, le Burkina dans les années 60 ou 70 !)
%n spécialiste international signalait en 1994 qu’il y avait de sérieuse diffcultbs à dépen-
ser les credits alloués, même en prenant les bquipes peu sérieuse qui P&endaient travailler
sur le SIDA.
“Dans les projets farfelus d’ONCi dont nous avons eu récemment connaissance (mars
1997) figure un projet pour un pays du sud de la Méditerranée fondé sur une étude qui ne
concernait que quelques départements limitrophes de I’Ile et Vilaine., . La supercherie
apparut parce que celui qui avait « vendu b> le projet avait oubli6 de nettoyer le texte des
références franco-françaises l Mais « l’etude » avait mobilise à travers le dit pays :
5 «experts humanitaires », 5 véhicules tout-terrain, pour transporter femmes et enfants
naturellement. Cas exceptionnel ?

121
Chapitre 4
L’information scientifique

L’information scientifique est une des questions-clés des sciences de


l’homme et de la société. Dans les sciences physiques, la mathhmatisation
permet une élaboration raffinée des faits aux théories et la compréhension
claire des différences entre fait brut et fait élaboré, ne pose pas de problèmes
dirimants à la recherche.

Connaissance vulgaire, connaissance scientifique

Les sciences physiques et chimiques, dans leur développement contem-


porain, peuvent être caractérisées épistémologiquement comme des do-
maines de pensées qui rompent nettement avec la connaissance vulgaire.
(G. Bachelard, 1992 : 12) L3s]
À la diff6rence dessciencesphysiquesoù l’information scientifique
est aujourd’hui parfaitement norméeet en rupture avec le senscommun et
avec nos perceptions, tant en ce qui concerne la nature des phénomènes
observés,que le caractère de haute technologie des instrumentsutilisés et
que l’expression des résultats par des outils mathématique(au point où
quelquesphysiciens, parmi les plus grands et les plus révolutionnaires de
notre époque,doutent que nous« comprenions» ce que nousmettonsà jour,
car ce que nousdécouvronsest trop en rupture avec notre senscommun 3g),
les sciencesde l’homme et de la société, elles, restent d’une incroyable
banalité dansleur expression,quelquesoit le caractèreraffiné des concepts
d’observationet d’analysemis au point. Et d’ailleurs, logiquement,plus que
pour les autressciences,la mode langagièrese saisit desconceptsélaborés
et desmotsforgés par ces disciplinesdanssesdébatsde socibté.

38Nous citerons en général Bachelard dans l’efficace compendium qu’en a dressé Domini-
que Lecourt au PUF : Bachelard, Épistémologie, rextes cfwisis, 1992. Les textes utilisés
dans ce chapitre sont ceux tirés de Rationalisme uppliqué, 1949, ouvrage que nous n’avons
d’ailleurs pas en référence.
‘YCette observation est un argument qui nous paraît à verser dans le dossier que ce que
nous dbcouvrons existe bien indépendamment de nous, même si le langage particulier dans
lequel nous le d6crivons dtpend lui de nous.
Bachelard, quant aux sciences physiques, déclare que cela est du au
caractère indirect de la mesure en physique et en chimie (entre une balance
Roverbal et un acdltrateur à particules, la différence est effectivement de
nature et relève d’un saut qualitatif et non pas seulement quantitatif). Il en
déduit :
Le seul fait du caractère indirect des déterminations du réel scientifique
nous place dans un règne épistémologique nouveau. [...]
. .. théorèmes réifib.. .. ce que 1‘homme&& dans une technique scientifi-
que.. . n’existe pas dans la nature et n’est même pas une suite naturelle
des phénomènes naturels.
(1992 : 13)
Car pour observer des phénombnes, l’homme provoque des opéra-
tions qui n’existent pas dans la nature.
Bachelard nous propose là une possibilité de distinguer deux types
d’expérimentation : les expérimentations qui, par des opérations physiques
n’existant pas dans la nature, produisent des phénomènes qui, en tant
qu’événements particuliers n’existent pas dans la nature (ne serait-ce qu’à
cause de leur pureté d’apparition), comme la séparation des isotopes,
comme le courant électrique dans une patte de grenouille par exemple, de
l’expérimentation de phénomènes qui existent indépendamment, qui pré-
existent, comme l’observation des planètes par des télescopes placés sur des
sondes spatiales. Peut-on dire que cela est comme les observations de scien-
ces naturelles ? Oui, car les observations sont répétitives, même si les évé-
nements singuliers ne le sont pas. Peut-on alors dire comme celles de scien-
ces sociales ? Non, car les événements sont singuliers et ne sont pas repro-
ductibles pour celles-ci.
Pourtant, on peut affirmer que l’information scientifique a une ca-
ractéristique : c’est une information construite selon une procédure qui vise
à l’objectivité dans le but de soutenir des analyses dans un domaine précis.
Et c’est ce caractère qui la distingue d’une autre information. On peut dire,
certes, qu’une information quelconque peut devenir une donnée scientifique,
mais elle doit pour cela subir une série de manipulations critiques qui la
norment pour un usage donné. Les historiens sont tellement familier de ces

123
opérations que le lecteur trouve « normal » les analyses préalables qu’ils
effectuent de leurs documents, mais toute discipline doit recourir à cet effort
quand elle utilise des informations : la critique des sources effectuée
d’Ernest Labrousse sur les setiers de l’Ancien régime qui établissaient le
prix du grain avant la Révolution française (Cours EPHE, Paris, 1964),
celles de Fleury et Henry (1965) sur les registres des paroisses, celles de
Paul Murray Kendall (1971) sur les rapports des ambassadeurs vénitiens
auprès de la Cour de France à la Sérénissime République de Venise ou de
Jean-Louis Planche (1995) sur le pogrom algérois de 1925, portent tous la
marque de ce professionnalisme qui se fait oublier tellement il paraît
« kvident ». Ce travail préalable, en matière de sciences sociales, est primor-
dial et premier. On le trouve dans les disciplines biologiques également
(Darwin, Gould, Coppens., ,)
La distinction qu’il faut savoir faire est celle qui sépare donnée et in-
formation. Pour traiter de ce sujet, nous disposons de deux documents
d’importance quoique de litthrature grise 4o Ils vont servir de base B notre
propos, et montrer que les projets empiriques mont& avec la meilleure
bonne foi et le plus grand enthousiasme, ne solutionnent pas forcément les
problèmes conceptuels, qui doivent être trait& à leur propre niveau : scienti-
fique.

Donnée et information

Les données représenk-nr les valeurs mesurées d’un paramètre et per-


mettent de connaître quantitativement une dimension arbitraire d’un
phénomène. L’information est le résultat d’une déduction et d’un ensem-
ble d’indicateurs, elle est très d#kile à quantifier. fille ne oeut être uti-
lisée pue dans le domaine où elle a été faire.
(J. Noël, 1991 : 4) [souligné par l’auteur]
C’est la mise en place de grands projets de systèmes d’information
géographique qui a révtlé les imprkcisions sur lesquelles reposaient les
études de sciences humaines. En effet, il s’est révélé que la sommation

4o Jacques Mullon, 1992, L’Orstom et les systèmes d’information géographique, Rapport au


Conseil scientifique de I’Orstom, 1992, multigr. : 31 et Jacques Noël, 1991, et si... SIC,
une t&%Mtection renouvelée, Orstom, Paris, 1991, multigr. : 5 + 8. Ces documents nous
avaient paru tellement importants que nous les avions traduits en espagnol en 1992.

124
d’une masse hétérogène d’informations en une base de données informati-
ques posait de nombreuses difficultés conceptuelles.

L’étude de Christian Mullon (1992) fait état des projets différents


montés en télédétection et bases de données (30 exemples) et des dédllu-
sions entraînées par les échecs, prévisibles pourtant, car ce n’est pas un
simple matériel, informatique en l’occurrence, qui va solutionner les diffi-
cultés objectives que connaissent les différentes disciplines scientifiques.
Avec l’apparition de machines informatiques performantes (en particulier le
matériel Sun fonctionnant avec Unix), de logiciels performants (en particu-
lier SAS) et les observations satellitaires (Spot...) il est venu l’idée à plus
d’un scientifique que l’on pourrait effectuer aisément des synthèses en
superposant les informations de différents ordres, la machine se chargeant
de donner les resultats aux questions les plus incongrues. Daniel Hiernaux
(1989) fut, parmi les adorateurs de ce nouveau dieu montant au firmament
de la science, l’un des plus excessifs dans l’espoir de transmettre à
l’informatique la solutionde nosdoutes.Les différents essaisne répondirent
pas à l’attente et ce fut l’honneur de Christian Mullon d’aider à cerner le
problème:

Un SIG (systèmed’information géographique)est, dit-il, la conjonc-


tion de trois axes :

l un outillage permettant la superpositionsde cartes (et c’est ainsi que les


définissentlesanglo-saxons);
l une basede donnéesgéographiquementdéfinies, ainsi qu’un matériel de
gestionde cesdonnées;
l un systbmed’information qui coordonne la collecte des dondes, leur
gestionet leur diffusion selonune dimensionspatiale.

À l’essaiest’apparuque l’on n’avait pastenu compte des subtilités


entre donnéeset informations, en effet, les divergences d’échelles entre
données(Mullon, 1991: les transferts d’échelles),les différencesde nature
entre informations, et lescapacitésdifférentes entre l’homme et la machine
ont créé de très nombreux problèmesque peu d’équipesont su OU PU SO~U-

125
tionner. Dans le premier probleme doit &re versé l’inexactitude foncière
entre géographie et géométrie, la première n’est pas la seconde (la terre est
ronde, on l’avait parfois oublié, les mesures de base étaient fluctuantes).
Dans le dernier problème relevé, signalons, chose tvidente tout autant, que
le cerveau de l’homme n’a rien a voir avec le système de calcul d’une ma-
chine : prenons un exemple simple, la télédétection (image satellitaire)
prend des mesure en un point donné et « mesure » un carré de 100 métres ou
mille mètres de côté, quand on réalise des images a partir de ces mesures en
cartes et qu’on les jouxte, l’œil n’a aucun problème pour « voir » les che-
mins s’ils sont assez larges pour être saisis par le « système 0, mais la ma-
chine elle, n’arrive pas à les calculer, elle ne peut calculer la jonction de
pixel à pixel. Le cartographe, pour rendre visibles les différences, va accen-
tuer tel trait, agrandir telle zone.. . tous choix que la machine ne peut faire,
trop exacte pour approximer en fonction d’un œil et d’un regard qu’elle ne
possède pas.
Les informations ne sont pas des données, Jacques Noël nous a four-
ni dans la phrase liminaire de son texte une définition parfaitement opéra-
toire entre ces deux concepts. 200 mètres est une donnee, une haute altitude
une information. On voit tout de suite les conséquences dynamiques de cette
distinction : le sexe est une information que l’on peut transformer en don-
née, l’âge est une donnée, que l’on peut transformer en information (l’âge)
que l’on peut transformer a son tour en donnée (0 an, l-4 ans, 5-9 ans, etc.),
la catégorie socio-professionnelle, qui peut être fondbe sur des informations
et des données (les revenus, la zone d’habitation, la taille de la famille...)
est une information que l’on transforme en donnée (classe 1, 2 etc.) Et Noël
de conclure :
Dans un GIS (matériel-logiciel) on désire traiter les informations comme
des données et, en calculant un résultat, en faire une nouvelle informa-
tion. (1991 : 3)

126
Et Noël d’insister que le pilotage de tels projets ne doit être confit
qu’au thématicien (Daniel Delaunay 4’) et sous le contrôle strict du raison-
nement et de la représentation des donnkes initiales dans le cadre d’une
application stricte et non fantaisistedesméthodeset techniques.11égratigne
en passantles grandsprojets régionaux ou quasi-continentaux,dont il dit

que
la conception.. . relève des fantasmes des docteurs Folamour de
l’informatique.
Car une méthoden’estjamais « tout-terrain », elle ne vaut que ce que
vaut son application, c’est pour cela qu’en ce qui concerneles SIG, Mullon
dira, en analysant la circulation d’information du monde réel aux données
brutes, lesquellesvont aux basesde donnéesqui alimentent les documents
de synthèsepour revenir au monderCe1dansle schémasuivant :.

1 monderéel ;d;ùnnées brutes 1

documentsde synthèsee basede donnée


Selon les combinaisonsdes axes privilégiés de cette configuration,
Mullon (1992 : 15) détermine7 types de systèmesd’information géographi-
que :
l pour l’aménagement
l pour la cartographiestatistique
l pour l’édition

0 pour la gestionspatiale
l pour la production cartographique

l pour desobservatoires

l pour desconservatoires

L’information scientifique n’est donc pas neutre par rapport aux dé-
marchesempiriqueset saqualité dépend,on peut arrêter ici cette analyse,de
la qualitk desoutils intellectuelsd’appréhensionet de la qualité desdistingo
qui sontfaits par leschercheurs.

” Information particulière, D. Dalaunay a monte le projet SIG de Puebla, Mexique, 1991-


1993 et celui de Tijuana, 1993-1996. Auparavant il avait mont& la base de donnée agraire
de l’Équateur. Voir in Mullon, 1991.

127
Des ouvrages prétendument scientifiques

Longtemps nous avons été étonné de ce que certaines études ou cer-


tains ouvrages nous laissaient une impression mitigée. Comme si la per-
sonne qui les avait rédigés avait usurpé sa qualité de scientifique. Ceci
arrive fréquemment en science sociales que tout le monde s’estime habilité à
traiter. Ceci est également normal dans un projet philosophique car tout un
chacun a le droit de se poser les grandes questions :
« D’où viens-je, où vais-je, quefais-je, en quel étatj’erre ?»

En sciencesphysiquesou biologiques, les erreurs sont moins fré-


quentes.Les mathématiquesinclinent à la modestieles auteurs,de mêmeen
biologie, quoique la fantaisiene soit pasexclue, surtout en ce qui concerne
les animaux vivants et prochesde nous (étudesCcritesavec force anthropo-
morphismedansune certainelittérature, voir Florence Burgat, Animal, mon
prochain, 1996).On a de nombreuxexemplesde gensqui n’ont aucunesprit
scientifique, dans un ouvrage precédent (Lacombe, 1996), nous donnons
quelquesexemples. Nous pourrions en donner d’autres : une étude pour
utiliser les cratères de volcans pour y mettre des reserves d’eau (ou les
seulesquestionsoubliées étaient: où trouver l’eau, les couches de lave
étaient-elles étanches),une étude de l’impalpable urbain... Nous revien-
dronssur cette questionen ce qui concerneles « faux terrains», maisdisons
tout de suite que de nombreusesrecherchesen sciencessocialesparticuliè-
rement sont menéessansgarantiesépistémologiques(car la discussiondes
fondementsd’un travail est plus malaiséequ’en sciencesnaturellesou phy-
sique).

Le systèmemédiatiquedominant en vigueur aggrave bien évidem-


ment cette tendance.Les œuvres remarquéesne sont pas forcément remar-
quables(mais peuvent cependantl’être naturellement),puisque des ouvra-
ges, parce que intellectuellementmineurs, obtiennent une forte réputation
dans le milieu des médias,ou bien parce qu’un parfum de scandaleen
émane (penseraux campagnesrkgulièrementouvertes sur 1’Ève originelle
ou la languepremière..., ou la sociobiologiede Wilson ou le mode de pro-

128
duction asiatique de Marx 42). Sont ainsi mis en évidence des travaux qui
bénéficient dans le public de l’aura de travaux scientifiques quand ils ne
sont que de.seconde main, de vulgarisation, ce qui est en soi honorable mais
dont la réputation scientifique est usurpée (parfois avec la meilleure bonne
foi de l’auteur qui, ne sachant ce qu’est le travail scientifique en sciences
sociales, se prend pour tel pour avoir passi: une semaine chez les Dayaks ou
cinq ans au Mexique,..) Nous avons frequemment ce probléme de confu-
sion avec des littéraires, qui croient que tout est dans l’expression et des
naturalistes, qui croient que tout est dans l’observation, et qu’il suffit donc
d’y aller pour savoir et qui confondent des conversations de bivouac avec
une recherche menée jour apres jour, entretien après entretien, dans le doute
et a contradiction des faits).
Il faut bien dire que : ou bien cela a un sens de lire Gurvitch, Marx,
Weber, Sauvy, Landry, Mauss etc. des heures entières, et alors il faut bien
reconnaître que les sciences sociales existent (même si on ne leur attribue
pas les mêmes critères de scientificité que la physique et qui les rapproche
en beaucoup de points communs avec la philosophie), ou bien cela n’a
aucun sens et alors il faut supprimer tous les scientifiques hors les physi-
ciens et quelques biologistes.. . et revenir aux humanités (et c’est alors que
de nouveau pointe notre interrogation de l’observation et du terrain qui
permettront d’établir des lignes de démarcation des différentes approches).
Dans cette littérature de vulgarisation, intéressante et pleine de rap-
prochements heureux et de réflexions pertinentes nous pouvons citer, en ce
qui concerne l’histoire, les ouvrages « parallèles » de Mauriac et Aragon,
l’un sur les États-Unis, l’autre sur l’Union Soviétique, l’ouvrage de Le
Clézio sur Le rêve mexicain ou la pensée interrompue ou celui de Pierre-
Jean Rémy, Chine, un itinéraire, 1977.. . Certains laissent rêveur : les au-
teurs parlent plus d’eux-mêmes que de ce dont ils sont sensésparler, comme
ces psychanalystes d’auteurs ou d’hommes politiques en disent plus sur eux-
mêmes qu’ils n’éclairent le personnage qu’ils sont sensés dévoiler. Nous

42 Dont on connaît surtout l’application qu’en firent les Khmers rouges au Cambodge.

129
reconnaissons notre jugement sévère, mais il tient au fait, qui nous paraît
patent, que certains auteurs, ne sachant pas critiquer les informations dont
ils disposent, n’ont pas les capacités techniques de leur ambition. En ce qui
concerne les pays africains l’affirmation nous apparaît encore plus évidente.
On a ces ouvrages mi-journalistiques mi-évidences, qui frisent le ridicule,
quand ils n’y sombrent pas. Certains sont pourtant r6alisés par des gens dont
la compétence est indéniable, mais cette compétence est mise en œuvre en
contre-emploi : les travaux de sociologie de vulgarisateurs sont souvent
d’une bêtise affligeante, alors que ces personnes, dans l’exercice de leur
profession, sont parfaitement respectables et compétentes. Nous disposons
ainsi d’une pseudo-sociologie, qui est a la sociologie ce qu’est la littérature
de gare A la littérature. Et qu’on ne croit pas parce que l’on dispose d’une
jolie plume que cela autorise à écrire des ouvrages «scientifiques » : ce
n’est toujours que de la pseudo-science, et rien qu’un discours, au mieux,
d’homme cultivé (on trouvera toute une critique de cette sociologie de gare
dans Les colonies de vacances de François de Negroni, 1977). Tout scienti-
fique en fait l’expérience A l’occasion d’une conférence ou d’un cours : il est
extrêmement difficile de tirer des ouvrages hors de sa discipline les infor-
mations pertinentes nécessaires, car si on perçoit clairement l’argumen-
tation, on n’arrive pas à la critiquer pour l’utiliser ; cette observation permet
de comprendre que, quelle que soit leur culture personnelle et leur qualité
littéraire, de nombreux ouvrages ne durent pas plus que le bruit du tam-tam
de la renommée. Notre époque ktant celle des télescopages, on voit cette
pseudo-sociologie rejoindre les travaux « nombrilistes » de certains
“convertis” à l’ethnométhodologie qui, sous le prétexte que l’observateur est
dans l’observation sociale, occupent des pages entières à l’exposé de leur
moi quand ce n’est pas de leurs problèmes intestinaux. Il nous paraît donc
nullement superfktatoire et parfaitement ntcessaire de faire l’inventaire des
difficultCs propres au travail scientifique en sciences sociales.

130
B - Paradigmes et pièges :
les grands débats scientifiques
de la pratique des sciences sociales

Dans cette sous-partie sont abordées les grandes questions qui font le
débat dans les sciences sociales, quitte ZI effleurer certains points sur les-
quels nous reviendrons dans la suite du texte. Les difficultés propres aux
sciences de l’homme et de la société seront étudiées à la lumiere des travaux
menés dans le cadre des projets multidisciplinaires, excellents révélateurs
des ambiguïtés qui freinent la mise en commun des connaissances dans une
action de recherche ou de synthetisation d’informations scientifiques et de
données rassemblées par plusieurs professionnels differents.

Les sciences sociales se fondent sur certaines evidences, ou sur cer-


tains paradigmes, ou sur certains programmes., ., certains de ces paradigmes
sont des pièges que l’avancée des travaux collectifs et multidisciplinaires
mettent en évidence, après que des querelles parfois “sanglantes” aient
entaché le bon déroulement des travaux des tquipes pluridisciplinaires.
Nous voudrions dans ce chapitre traiter des questions qui nous paraissent
faire problème et alerter le lecteur, et l’éventuel candidat à ce type de re-
cherche, des difficultés inhérentesa l’action de recherche. L’imbrication
étroite de certainsdesdifférents axes que nousallonsdetailler ne facilite pas
l’exposé de ces difficultés et contradictionsqui sont commeun point aveu-
gle de nos analysesquand nouspensonssouvent manquerd’un pont invisi-
ble que nous trouverions à franchir avec confiance, comme Indiana Jones
franchit le précipice vers le Graal par la seuleforce de safoi. Aussi, certains
desexemplesseréféreront à plusieursordresde causesen mêmetemps.Ces
exemples seront tirés de la littérature que nous connaissons,certes, mais
principalement de nos propres recherches,que nous ayons eté l’animateur
principal de la rechercheou un simpleexécutant.

131
Nous devons cependant tout d’abord lever une ambiguïté. Dans son
ouvrage sur Les nouvelles sociologies, Philippe Corcuff parle de ces con-
ceptsappariésdeux a deux qui ont permisaux sciencesscoialesd’avancer et
de seconstruire :
Depuis leurs débuts, les sciences sociales se débattent avec toute une sé-
rie de couples de concepts [*..] Ces paired conce&, comme les ont
nommés Reinhard Bendix et Bennett Berger, tendent à nous faire voir Le
monde social de manière dichotomique. Ils invitent le chercheur à choi-
sir leur camp [...] Or la répétition et la solidification de ces modes de
pensées binaires apparaissent assez ruineuses pour la compréhension et
1‘explication de phénomènes sociaux complexes.
(Philippe Corcu& 1995 : 8)
La penséedichotomiquen’est pascelle que nousallons contesterici.
Commediraient nos vieux paysans: « Ça a eu paye ». Aujourd’hui, lutter
contre ces dichotomiesn’a guère d’intérêt car, soit l’opposition par couple
est heuristique,et alorspourquoi s’en priver ? Soit elle est culturelle (c’est-
a-dire déterminee par la culture du chercheur et non par la logique de
l’objet) et elle est inutile dansle casprécis, dont il ne sert à rien de faire une
généralité.

Les quatre chapitresqui vont suivre ne sontpas, malgré les apparen-


ces pour certains, organisésen paired cancepfspar la “tradition”, comme
‘micro’ / macro, ou ‘qualitatif / quantitatif.. . ce sont seulementdes pôles
bien utiles pour s’exprimer, maisqui ne nousfont pasoublier l’équateur et
les tropiques de cet espacemental. Surtout c’est l’acceptation qu’il y a des
césuresirrémédiablesentre certainesapproches: s’il est bien évident que
l’on va sansproblème du micro au macro, par exemple, de proche en pro-
che, cela n’implique pasqu’il n’y ait pasdesseuils,qu’ils soient quantitatifs
(une tonne plus un grammec’est toujours une tonne, un grammeplus une
tonne ce n’est plus un gramme),qualitatifs ((t cette phraseexiste » est un des
anagrammes
possiblesde « 5 e, 1 c, 3 t, 1 p, 1 h, 1 r, 1 a, 1 i, 2 s, 2 blancs»),
d’échelle (écourter la suitedesnombresaprèsla virgule modifie les résultats
et a fait apparaîtreles phénomèneschaotiques),de nature (divisée à l’infini
l’eau devient une molécule)... Mais tous ces seuilsne fonctionnent pas, en
mêmetemps, au mêmeendroit, et peuvent parfois être anodins,ou hors de

132
l’approche choisie. Cependant, sauf quand le chercheur est parti sur une idée
d’opposition centrale à la pensée qu’il développe hic et nunc, on oublie ces
seuils et nous voudrions donc les rappeler, car c’est ce défaut principal qui
nous semble actuellement en œuvre dans les sciences sociales.

133
Chapitre 5
Problématique et totalité, deux grands thèmes

Deux grands thèmes agitent les chercheurs en sciences de l’homme


et de la société : la problematique et le fait social comme totalité, nous
allons nous attacher à débroussailler ces deux questions qui nous paraissent
liées avant d’avancer dans l’étude de notre sujet.

La question de la problématique

La problématique est un des mots des plus couramment employés en


sciences sociales sans pour autant que l’on sache très bien ce qu’il signifie.
Son usage contradictoire amène de grandes difficultés dans la définition des
recherches. Il est vrai que son sens est double (Le Robert) : « 1. Qui fuit
problème » et « 2. qui pose un problème, est dzftkile à faire, à obtenir ». Le
premier sens renvoie A aléatoire et hypothétique.. . ce qui est tout un pro-
gramme problématique. Dans le travail scientifique, la problématique est
une mise en perspective et un point de vue. Dans les sciences physiques et
biologiques la problématique est annulée par l’appareillage technique et la
définition précise des plans d’expérience ou du problème 2~résoudre ; en
sciences sociales, le flou des objets scientifiques accroît le poids du dis-
cours, parfois nécessaire, sur la probltmatique. Dans les réformes qui tou-
chèrent les universités depuis les grandes vagues de 69, on a vu fleurir ce
mot.

Dans certaines disciplines la pratique de la définition de la pioblé-


matique s’est substituée a la pratique de l’enquête. On a eu l’impression que
le discours sur la méthode et les fondements de la recherche l’emportait
parfois sur l’action concrète de recherche, que celle-ci impliquât une action
de terrain ou une orientation dans une littérature et des archives. Ii est vrai
que, devant la sclérose des sciences humaines il y a quarante ans, on pouvait
se réclamer de mythes novateurs, mais après 1968, il y eut, en France,‘mais
pas seulement, un vent de problématique soufflant sur le paysage des scien-
ces de l’homme et de la société. Pour avoir été de ceux qui levèrent leurs
voiles pour avancer, nous ne pouvons nier le fait, mais des grands mots ne
font pas de grandes idées et il faut reconnaître qu’au bout du compte le bilan
n’est guère positif, On peut signaler les dégâts provoqués par exemple par
l’ethnomtthodologie (Alain Coulon, 1996), discipline que forgèrent quel-
ques insatisfaits de l’absence de l’observateur dans l’ethnographie et que des
zélotes empressés ont pris comme argent comptant pour exprimer leurs
délires personnels. Les fondateurs de l’ethnomethodologie tirèrent de leur
propre terrain et de ses difficultés spécifiques, de leur propre expérience en
actes, leur méthodologie. Le problème vint de ce que certains de leurs tpi-
gones firent des conclusions de leurs maîtres, une religion : « Mon terrain ;
Mon moi et le terrain ; Mon terrain et moi ; Nous, les autres et moi, etc. » Il
y eut ainsi en France, postérieurement à 1968 des discours qui manquaient
de bon sens mais pas de vocabulaire, la richesse de celui-ci cachant
l’indigence de celui-là. A I’Orstom par exemple, le discours sur la problé-
matique se mit dans les annees 80 à remplacer tout discours sur la méthode
et la technique. On eût ainsi des débats surréalistes où la politique tiers-
mondiste, l’idéologie marxiste, la pensée structuraliste et la prétention
scientifique se mélangérent dans un délire enthousiaste (Orstom, 1983 :
1298 pages dont beaucoup auraient pu ne pas être écrites) et totalement
inefficace sur le plan scientifique (qui trop embrasse mal étreint). Au Mexi-
que, nous devions retrouver ces mêmes debats quelques années plus tard
(Lacombe et Seck, 1992). Pourtant, il suffit que quelques années passent
pour frapper d’obsolescence les discussions sur la problématique alors que
les faits collectés et repérés restent toujours un bien commun et collectif. Ils
continuent à nourrir l’activité scientifique : vérité de base trop souvent ou-
bliée. Le débat sur la problématique a provoqué en France un retour au
débat d’idées, cher aux Français, aux dépends d’un débat sur les faits, selon
le vœu d’IÉmile Durkheim qui disait :

135
jusqu’à présent, la sociologie a plus ou moins exclusivement traité non
de choses, mais de concepts.
(1963 : 19)
Pour certaines disciplines, celles qui connaissent un fort degré de
formalisation, la problématique est largement déterminée par la méthodolo-
gie mise en œuvre : systématique, statistique, étude de la parenté, démogra-
phie par exemple. En soi, la méthode est, pour elles, une problématique
contraignante laissant peu de place à la problématique individuelle. S’il est
sain et utile et nécessaire de discuter des fondements sociaux, politiques et
épistémologiques de cette méthodologie, il est assez vain de la remettre en
question à chaque travail particulier. Or, l’habitude se prend d’éplucher les
problématiques dans les collectifs de travail en les traitant comme des pro-
blématiques d’ordre personnel alors qu’elles relèvent très souvent de métho-
dologies dont on demande la collaboration. La modestie s’impose : utiliser
une méthodologie scientifique c’est accepter d’elle le bon et le mauvais.
Il faut remarquer que ces discussions sur la problématique n’entraî-
nent pas forcément un approfondissement théorique, c’est plut& l’inverse
que l’on peut observer. Le verbiage n’est pas de la théorie. Les travaux empi-
riques sont encore plus empiriques avec le verbiage académique (même si
l’académie est celle d’une groupe anti-académique) que chez ceux qui se
contentent des balises du travail scientifique normé par la tradition scientifi-
que de leur discipline.
Nous nous sommes interrogé sur l’origine de cette mode qu’est de-
venue la “problématique”, une relecture au hasard du Dieu caché de Lucien
Goldmann (1959), nous permet de supposer que, comme beaucoup de con-
cepts qui ont fleuri après 1968, celui de problématique n’est qu’un avatar
d’un concept marxiste 43du matérialisme dialectique, celui de totalité :
La catégorie de Totalité, qui est au centre même de la pensée dialectique
nous interdisait d’emblée toute séparation rigoureuse entre la réflexion
sur la méthode et la recherche concrète qui ne sont que les deux faces
d’une seule et même médaille. (71

43 En 1970 un commentateur remarquait : «Aujourd’hui tout le monde est marxiste ou


marxien. Même ceux qui sont contre SO~I imprégnés [de la pensée de Marx] ».

136
Goldmann, dans cet ouvrage, et particulièrement dans son chapitre
premierle tout et les parties, défendun programmefort, dont la problémati-
que ne seraitqu’un ricochet médiatisé.C’est bien un programmeau sensoù
Karl Popper déclare que le matérialisme dialectique est un programme
scientifiqueet non pasunethéorie. Les postulatsde basesont :

l la partie n’existe et n’est analysablequ’en fonction du tout, mais la tota-


lité n’existe que danset par sesexistencespartielles;
l il n’existe pas de point de départ certain et de questiontotalement réso-
lue ;
l «La marche de la connaissance apparaît ainsi comme une oscillation

perpétuelle entre les parties et le tout » ( 15) ;


l la construction de l’objet scientifique est une des plus ardues qui se
puissetrouver : comment, pourquoi et où faire passerla frontière qui
permetde dire “ici, danscet espacemental, est une totalité et voilà où et
commentelle seraccrocheau niveau supérieur”
C’est pourquoi, bien qu’on ne puisse jamais arriver à une totulité qui ne
soit elle-même élément ou partie, le problème de la méthode en sciences
humaines est celui du découpage du donné empirique en totalités relati-
ves suffisamment autonomes vour servir de cadre de travail à un travail
scientifique.
(Goldmann, 1959 : 21)
D’ailleurs Goldmannva tenter de definir son « objet » comme étant
une vision du monde. Et nous pourrions dire que le programmequ’il tente
d’expliciter est effectivement une vision du mondedansle travail scientifi-
que tel qu’on le cherchât a cette époque et dont nous avons parlé en pre-
mièrepartie a proposdu terrain commeparadigmed’une génération:
Une vision du monde c’est précisément cet ensemble d’aspirations, de
sentiments et d’idées qui réunit les membres d’un groupe [..,] et les OP-
pose aux autres groupes.
(Goldmann, 1959 : 26)
Faceà ce programmefort auquelGoldmann va consacrerson chapi-
tre XII (264-290), Épistémologie, nousdevons quandmême nous interroger
sur l’abatardissementdu concept en problématique,passe-partouten scien-
cessociales,instrumentde la recherche,disposantcommeun avion renifleur
d’une géométrievariable, au point qu’on pût lire, dans les documentspu-

137
blies par 1’Orstom en 1983, cette phrase : « Changer d’unité de recherche,
c’est changer de problématique ». Or une unité de recherche est un lieu
administratif où s’exécute un certain programme de travail, un ensemble
concret de tâches ; la problematique est une ligne de force, une vision des
choses. Si on comprend qu’on puisse changer d’unité administrative quand
la tâche est achevée, on ne voit pas comment on pourrait changer de pro-
blématique, à moins de confondre ce terme avec un plan de travail, variable
par définition en fonction de l’objet, saupoudré de pensées épistémologi-
ques, assaisonne d’un zeste de sentiment(alisme) et pimenté d’idées politi-
ques (subversives 44). Le conflit de la problématique allait reveler toute sa
force d’implosion quand on le verra affronter les problemes concrets de la
recherche, lesquels se résolvent dans le cadre de certaines orientations (des
problématiques) précises et particulières de disciplines historiquement
construites (démographie, sociologie, histopire, cartographie, etc.) ou en
émergence (systèmes d’information géographique, télédétection, bases de
données, analyses mathématico-statistiques de Benzécri.. ,) La société de
consommation avait digeré les enseignements des épigones marxistes et
marxiens, celle du spectacle les vidait de tout sens. Du matérialisme dialec-
tique, la problématique n’a gardé qu’un fumet évanescent et une fonction
idéologique : masquer le vide et l’incompétence. Et aujourd’hui on peut dire
que la problématique est a la totalité ce qu’est la fumée au feu, l’expression
corporelle à la danse : un programme faible, apte à tout, comme le vin rosé
est bon à tout et propre à rien. Cela explique son succèset la faible efficacité
heuristique qu’on est bien obligé de lui attribuer.
La faiblesse de la « croyance >>en la probltmatique vient de ce que
ses tenants, ceux qui prônent le primat de la problématique dans le travail
scientifique, que ce soit en sciences sociales ou dans les autres, supposent
qu’une “bonne problematique” ne peut que donner un “bon travail”, ce qui
est mettre les bœufs avant la charrue et supposer que la fin justifie les
moyens ; ceux-ci on les connaît, celle-là reste incertaine. Dans se travaux

4 Dans un caf.5 parisien s’entend.

138
sur la pensée scientifique de Thomas H. Morgan (1866-1945), l’historien
des sciences Garland E. Allen (1985) montre au contraire que c’est en re-
nonçant aux grands mythes de leur époque que les biologistes de la fin du
siècle dernier purent &udier les mécanismes pour eux-mêmes et, en privilé-
giant cette ‘courte-vue’, trouver en systématisant I’exp8rimentation.
Morgan, ainsi que beaucoup d’autres chercheurs de sa génération, finit
par s’opposer à la démarche spéculative telle qu’elle était en vogue dans
la tradition. (1985 : 595)
Or, justement, ce ‘spéculatisme’ mettant en exergue la “probl6matique” en
sciences de l’homme et de la société n’est que la marque d’une volonté de
compliquer le débat, freiner l’avance des sciences sociales, au nom d’un
esthttisme idéologique de type idéaliste. Nous constatons que ces program-
mes à base de problématique sont des programmes qui privilkgient la sub-
jectivité, le caractère visionnaire de l’idéologie politique, l’anathéme sur les
autres, et l’émotion partagée. Nous contestons cette attitude individua-
liste 45. La problématique est un programme scientifique faible, et c’est en le
gardant faible qu’il peut alors aider la difficile avancées des sciences socia-
les. D’ailleurs, nous ne sommes pas le seul a condamner cette attitude. Jean-
Pierre Olivier de Sardan, dans une étude in Genèses, 1993, déclare (et notre
appropriation de son observation vu le contexte est parfaitement légitime) :
On sait que certains anthropologues et historiens assument volontiers de
n’être que des bavards, acceptant ainsi à la fois le choix du tout ou rien
et la position du rien. Ce qui est un enfer pour les autres devient, para-
doxalement, paradis pour eux-mêmes, et vice-versa : il sufit de dévalo-
riser l’épistémologie scientiste et de revendiquer le subjectivisme de leur
démarche, I’ineffabilité de leur expérience, ou la textualité de leur écri-
ture. (1993,: 148)

En conclusion, et sans dire que les discours sur la problématique ne


serviraient de rien pour ceux qui auraient à cœur de r&.oudre leurs problè-
mes de recherche scientifique, on doit les remettre à leur juste place : un
effort préalable et suivi d’éclaircissement des bases de toutes sortes sur
lesquelles on fonde son travail scientifique. Consacrer son effort scientifique

45 En science, I’ubjectivirC se concr&ise exclusivetnenr au niveau collectif - et non au


niveau individuel - par effet des contrôles croisés el puiblics sur les faits, les thiories, les
assomptions, les mkhodes, qui sont exercées par l’ensemble des scientifques. Rodolfo
Samcci, épidémiologue italien, in Le Mande. 12.1996.

139
a éclaircir cette question est aussi inutile que celui que fournirait un enfant
qui tenterait de définir comment on marche et qui ne tenterait de marcher
que lorsqu’il atirait compris le dét$l de la marche. Nous avons entendu une
mère dire à sa fille : «Tu ne te baignerasque quand tu saurasnager» 46 .
C’est exactement le problème: il faut penserun peu et tenter un peu, en
mêmetempset en alternance.Il faut Vingt fois sur le métier remettez votre
ouvrage, aller de la totalité au détail, et retour et encore aller., . Et ne pas
confondre idéologie et travail, mêmesi tout travail est emprunt d’idéologie,
mêmesi tout travail est imprégnéde l’âme et du corps, de l’être entier de
celui qui le réalise.

« Fait social total »

Le vœu d’Émile Dukheim était de prendreles faits sociaux comme


des faits totaux 47, Beaucoup d’encre a coulé sur cette question et nous
n’allons pasajouter desconsidérationspeu fondéesà toutes celles, si perti-
nentes,de nosdevanciers.Notre point de vue est essentiellementpratique :

l Lesfaits sociaux sont totaux pour nousen cela qu’ils sont le creusetd’un
ensemblede déterminationsqui les rendentinterprétablesselonplusieurs
dimensions,chacunerelevant d’une ou plusieursdisciplines;

. Un fait social est total au sensoù il implique la totalité de la structure


sociale, même s’il paraît divergent, même si, ce même élément se re-
trouve dansune autre totalité fort différente. Le manipuler“bouger” tous
les autresplans.

Par exemple, en ce qui concerne la première acception, une société


peut être machiste,cas dessociétésjaponaiseet méditerranéennes
et donner
à la femme un statut tout a fait différent. Les «racines » de ce machisme
sont effectivement tout différent dans les deux. De même, une fécondité
donnée,de 6.7 enfants par femme en fin de fécondité peut recouvrir des

46 Cette stupidité, entendue en 1951, la petite fille était notrecamarade de classe, estde
celles qui nous ont illuminé et interpelld jusqu’à aujourd’hui.
47 Un anthropologue, et non des moindres, faisait remarquer que, quelque part, cette for-
mule n’ktait que la forme savante de la remarque que tout est dans tout et réciproquement.

140
données fort différentes quant à la société, à la mortalité infantile, à la nup-
tialité etc. On conçoit bien par contre que les éltments ne sont pas là au
hasard, et comme exemple de la seconde acception du terme on peut suivre
Jean-Robert Pitte (1991) à propos de la cohérence des plans historiques et
géographiques impliqués par la passion culinaire en France. Ce qui ne veut
pas pour autant dire que nous disposions d’une continuité de la matière et
que d’un élément on puisse déduire un autre etc. jusqu’a voir se derouler un
schéma plausible du reel (ce qui n’est le cas en paléontologie ou en linguis-
tique - Coppens, 1996 ; Merritt 1997). Cas par cas, la cohérence paraît donc
solide.
Le sens d’un élment dépend de 1‘ensemble cohérent de 1‘œuvre entière.
(Goldmann, 1959 : 22)
Le fait que la société globale puisse ainsi se “concentrer” en une de ses
parties est selon nous l’origine de la multiplicite de facettes que revêt un fait
social et qui le rend à la fois difficile à interpréter d’une maniére
“définitive”, comme est “définitive” la théorie de la chute d’un corps lancé
en l’air et qui décrit une parabole, et d’autre part susceptible de recevoir de
multiples interprétations paralleles et non pas inclusives comme en sciences
physiques.
Les faits de socittés sont en effet interprétabies d’une manière non
contradictoire, d’une part, et non inclusive, d’autre part. Alors que la physi-
que newtonnienne inclut celle de Galilée, un fait de société peut être inter-
prété selon un corpus de référence ou un autre : le psychohistorien Lloyd de
Mause (1986) interprète la defaite belge de 1940 selon le défaitisme du roi
Albert, mais d’autres probltmatiques, plus brutales, fondées sur la force
pure en jeu dans un conflit militaire, expliquent cette défaite. Le mythe
d’Oedipe est interprétable par la psychanalyse, mais aussi par la théorie de
Girard du bouc émissaire. Un fait économique peut trouver plusieurs répon-
ses selon diverses théories : on peut appeler Keynes ou Marx, la production
ou les finances. Selon nous, cette ubiquité du fait social dans plusieurs
théories me tient pas tant à l’insuffisance de chacune des théories que de
l’impossibilité des théories des sciences sociales à prendre en compte la

141
totalité du phénomène qu’est un fait social. Avec de nombreuses curiosités
que les acteurs eux-mêmes injectent : il y a des « éléments accidentels », au
sens où Lucien Goldmann (1959) et Althussser (1964) en parlent : Montes-
quieu croyait en la noblesse et fonda cependant une partie de la pensée
révolutionnaire, Fichte était croyant mais fonda l’athéisme. A moins que le
développement d’un élément ne devient un kyste social : celui du juridisme
dans la société américaine et qui s’exporte dans le monde entier comme
modèle normt, va provoquer des blocages qui ne font que commencer car
l’antidote américain (individualisme et sociologie des petits groupes ne sont
pas exportés par l’Amérique - en prenant l’hypothèse pas du tout certaine
que ce juridisme ne finisse par bloquer la société américaine elle-même 48).
Nous pouvons aussi penser que cette nature totale du fait social pro-
vient de ce que tout fait social est le produit d’agents qui négocient leur
présence et leur existence en chaque moment et chaque lieu de la société, et
que cette présence permanente (CXimmanente ») des agents sociaux explique
en partie pourquoi toute la structure, d’une certaine manière autant que
d’une manière certaine se reflète dans chaque fait social.
Après ces deux questions générales, la ‘problématique’ et le ‘fait so-
cial total’ s’ajoutent de nombreuses difficultés de l’analyse scientifique ;
certaines sont spécifiques aux sciences sociales, d’autres ont une portée plus
générale. Malgr6 nos efforts, nous ne sommes pas parvenu à une synthèse
logique des liaisons entre ces différentes difficultés, toutes cependant tour-
nent autour d’une dichotomie de nature et non pas un clivage qui serait
d’ordre quantitatif, nous allons en traiter sans véritable ordre car tout ordre
mis dans cette liste reste chaotique puisque non fondée en termes logiques.

48 Tocqueville avait bien vu les consbquences de la démocratie qui pouvait parfaitement


dériver, notre histoire en donne la preuve, vers la médiocratie. Ceci étant, l’histoire .n’est
que changement, à long terme, tout se rt%oudra, Keynes en Ctait bien conscient.

142
Chapitre 6
Le terrain comme paradigme

Les sciences sociales affirment le paradigme du terrain comme étant


leur creuset de définition. Il est nécessaire d’éclairer ici cette notion, quoi-
qu’elle fera le fond de la quatrième partie de ce travail.
De tous les grands discours que l’on entend sur les sciences de
l’homme et de la société, le plus fréquent porte sur le terrain, considéré
comme un lieu t5pistémologique privilégié de la pratique scientifique dans
ces disciplines. Pourtant, Marcel Mauss n’en fit pas, du moins l’affirma-t-il.
De son temps, a simplement voyager en France, on avait la possibilité
d’exercer son sens ethnographique en regardant la forme des pains et celle
des tuiles des toits - notre pays était encore un pays imprégné d’un folklore
puisant ses racines dans une longue tradition,. . De toute façon, cela
n’empêcha pas Marcel Mauss de produire un manuel de terrain (1967),
thème d’un de ses cours 4g. A lire ses travaux, on ne peut douter qu’il n’ait
lui-même disposé d’une expérience qu’il n’avou& jamais.
On peut parler ‘terrain’ pour sillonner l’Afrique Centrale du fleuve
Congo 21l’Atlantique comme Gilles Sautter, pour braver les volcans comme
Haroun Terzieff ou 1’Attique comme Charcot... Mais on parle aussi de
terrain, simple extension du terme ‘terrain de recherche’, a exploiter ligne à
ligne des documents que ce soit des registres paroissiaux (Louis Henry, ou
Jean Ganiage), ou les états de prises de bateaux de pêche (François Dou-
menge), ou des listes d’esclaves transportés d’Afrique a Maurice et La
Réunion (Jean-Michel Filliot). . . On voit donc que le terme de terrain, dans
son sens large, doit être réservé, au mieux, à la donnCe de départ : et alors,
les textes grecs vieux de 40 siècles sont effectivement le terrain de Marcel
Conche, au sens où c’est son matériau de base, et alors les statistiques de

” Publié plus tard par ses éléves d’après leurs notes.


pêche sont le terrain d’une macro-économiste des pêches comme Marie-
Hélène Durand ? Mais c’est quand même différent de la grotte de Tautavel
pour Henry de Lumley, la Rift Valley pour Yves Coppens, et 1’Adamaoua
pour Nigel Barley. Tant de choses diverses regroupées sous le même nom ?
Ce qui est net pour ces scientifiques cités, c’est l’effort personnel,
l’affrontement permanent avec des informations que l’on travaille et retra-
vaille. Mais dans ces acceptions, ce qui est traité c’est d’enquêtes et pas
seulement de terrain : en fonction d’un pourquoi, le scientifique se donne les
moyens de répondre à une question en allant collecter les faits là oh ils sont.
Et même en mer pour les oceanographes “. La question difficile est donc la
définition du terrain, Si l’on prend une définition trop restrictive, le terrain
devient le seul bien d’une unique discipline : l’anthropologie culturelle et
sociale ; l’ethnographie, pour employer un vocabulaire ancien qui renvoyait
à d’autres classifications que les américaines (l’ethnologie travaillant plus
sur les textes que sur le «terrain » même, ces lieux où vivent les gens, avec
lesquels s’exerçait l’ethnographe). Trop large, la notion de terrain se con-
fond avec celle « d’enquête ». Le terrain, en une première approximation, est
le lieu où l’on recueille les informations et les données nécessaires au travail
scientifique. On peut élargir le concept de terrain : parler de terrain quand on
Ctudie l’industrie pétrolière et que l’on visite des usines. Celui qui s’enferme
des mois entiers dans une petite communauté, que ce soit un village Fali du
Cameroun (Chantal Gauthier), ou un groupe de clochards à Paris (Patrick
Gaboriau), celui qui parcourt la forêt pour recueillir plantes ou échantillons
minéralogiques tous paraissent bien mériter qu’on dise qu’ils “font du ter-
rain ” “, mais est-ce que la participation à des meetings politiques, des repas

SaDans un reportage(la Cinq, mars 1997) sur les baleinesbleues,le reporter parle de ceux
qui sont chez eux. traquant grâce aux sondes envoyant des messages par satellites placées
dans le gras épais de ces mammiferes, on les voit dans le films traitant les donnbes sur leurs
ordinateurs et sans transition, image suivante, il revient aux bateaux et SUT le bateau
« l’homme de terrain » (sic), qui poursuit les baleines du nord au sud, a travers les 7 mers et
les cinq océans. La mer est donc un lerrain, parce que l’objet d’observation y vit. Par
contre, Isabelle Autissier utilise uniquement ce mot pour parler de son avance dans la
course (173).
” Le botaniste Achmad Jahja Kostermans a collecté sur l’Asie tropicale une masse de
plantes telle, qu’on évalue à 2 500 ans de travail de botanistes qualifies pour les seules

144
de famille, la fréquentation des cimetières (Jean-Didier Urbain) ou des seins
nus sur les plages (Jean-Claude Kaufmann) ou celle du personnel politique
français (Marc Abélbs) ou encorq les marabouts africains à Paris (Liliane
Kuczynski) sont des «terrains » ? L’hôpital est-il le terrain du médecin et le
ciel tout entier celui de l’astronome 52 ? On voit, à simplement énumtrer ces
cas particuliers, que le terme pose quelque problème.
Pourtant, si on peut traiter sous le vocable « enquête » toute recher-
che en sciences sociales : enquête documentaire, visites des espaces géogra-
phiques, interviews de personnes, peut-on en déduire qu’il en soit de même
pour le terrain autrement que sous une forme métaphorique ? Prenons les
affirmations suivantes : les archives sont le terrain de l’historien, les écrits
de Flaubert sont le terrain de Victor Bromber, les contes de Pairault ceux de
Marc Soriano, les sagas norvégiennes celui de Marcel Mauss, les statistiques
de I’LNSEE sont celui de l’économiste.. . On sent bien qu’un imperceptible
glissement sémantique s’est produit : les affirmations précédentes sont
exactes, mais fausses aussi. C’est vrai au sens où c’est cette mati&re brute
que chacun travaille et retravaille ; c’est faux au sens où, alors, on devrait
dire que les cartes sont « aussi >>le terrain du géographe (qui les aurait bâties
à partir de tournées de terrain), ses propres cahiers d’enquête sont « aussi »
le terrain de l’anthropologue (qui les a écrit sur le terrain), les questionnaires
sont & le terrain du démographe (qu’il n’a pas pu tous remplir sur le
terrain, même s’il a participé à cette opération), etc. Une autre remarque est
plus d’ordre linguistique : le vocabulaire visuel et donc spatial est détermi-
nant dans notre manière de concevoir : notre système culturel l’a fortement
favoris6 aux dépends des autres sens (c’est la fameuse dimension cachée
chère à Edward Hall, 1971) ; signalons en français l’usage du «je vois »,
« vois-tu ? » etc. donnant à entendre une illumination brutale de la comprt-
hension comme d’un coup d’œil ‘j, de même a-t-on vu ces dernières années

analyses if fin d’enregistrement ! A 84 ans il continuait à dicter ses notes étendu sur son lit
(Narional Geographic, April 1991).
” Celui de l’astrologue ne fait par contre aucun problème : c’est celui de son imaginaire.
s3 Nous avions Bté témoin d’une scène assez touchante dans un avion : un couple de retrai-
tQs,dont le mari avait rtcemment perdu la vue autant que nous ayons pu le déduire de

145
l’émergence du « quelque part » et du terme « lieu » 54, reférences spatiales
pour désigner des phenomènes qui ne relevent en rien de cette dimension.
Mais est-ce bien un terrain le désert de Théodore Monod, ou celui de
Wilfred Thesinger, ou la Gréce de Jacques Lacarriere ? Ne seraient-ce pas
plutôt des lieux d’expansion de l’âme ? Ou des occasions pour se rencon-
trer ? Peut-on parler de terrain pour les théoriciens du Big Bang, comme
Hubert Reeves ? Pourquoi pas ? Après tout eux aussi se confrontent 2 la
dure réalité de l’observation scientifique. Et est-ce un terrain la piste du
Castellet ou celle du Mans pour un pilote de courses ? Alors, la chair
comme tapis de prière serait, pour le jeune lettré Wei yang cheng, un terrain
et la toile blanche celui du peintre ? Pousser l’argument a l’avantage de
montrer qu’il est nécessaire d’éclaircir la question et pour ce faire on doit
s’interroger sur la finalité du travail et sur le mode de son exercice et pas
seulement sur le mot étendu a l’infini tel que l’usage est en train de
l’imposer 55.
Pratiquement toutes les sciences sociales se donnent le terrain
comme paradigme, ce faisant elles se pensent originales, ce qui n’est pas
exact : l’observation sur le terrain est le fait de très nombreuses disciplines
de sciences naturelles (si ce n’est la totalité), de certaines sciences physiques
(au moins a certaines de leurs etapes historiques 56.,Ce peut &tre aussi le
moment particulier dans un travail pour un spécialiste des géosciences
comme le vulcanologue Tony Montfret. D’un autre côté, toutes les sciences
sociales, malgré leurs dires, ne sont pas du tout fondées sur l’observation de

l’ensemble de la situation, Ccoutait les descriptions de sa femme sur l’escale que nous
venions de faire et quand il comprenait parfaitement, il s’exclamait : « Oui, oui, je vois, oui,
c’est clair... », là où un aveugle eut pu dire plus correctement : « J’entends, je comprends ».
Q Le terme “lieu”, au singulier, a eu un suc& inesptré ces derniéres annbes en français :
u mon mariage est un lieu où je wte sens bien » (une femme, tmission radiophonique,
1993), « mon cours defrançais est le lieu où se développe ma Pens&e H, (un professeur qui
nous parlait). Cette habitude est manifestement venue de tout un mode langagier sorti tout
droit de Barthes et Foucault mais que la langue commune a saisi avec passion, comme ce
vigoureux *<tout à fuir » qui est devenu un des clichés ecult?s de la conversation post-
moderne et banalisé jusqu’à ne signifier qu’un ‘oui’ dubitatif (Tout à fait Thierry est devenu
une expression de nos collegiens et lyceens et signifie le Cause toujours de la n6tre).
” Voir en annexe 2.2.
5b Les travaux de Charles Marie de la Condamine ou ceux de Pierre Louis Moreau de
Maupertuis, pour mesurer la longueur d’un arc de 1O, l’un en Équateur, l’autre en Laponie.

146
terrain : la psychologie, la socio-psychologie, l’histoire.. . Certains, tra-
vaillant sur des sources autres (externes à leur propre logique scientifique),
ne demandent pas forcément des observations directes, comme l’économie,
la démographie, la linguistique. Dans ces disciplines, le terrain n’est
l’apanage que de quelques professionnels travaillant sur des sujets specifi-
ques, il n’est pas fondateur de la discipline. Seule I’ethnologie/ethno-
logie/anthropologie 57 s’attribue le terrain comme seul fondement et critere
unique de son travail. Peut-on décider que le terrain soit des gens que l’on
affronte et dont on confronte les paroles et affirmations ? Le tri que l’on
opère dans les renseignements recueillis ?.. . C’est limiter le terrain à la
seule anthropologie, définition réductrice ici encore.
Cette multiplicité en elle-même est donc un problème ? Comme on
tourne en rond avec une grande facilité sitôt que l’on s’interroge, il faut bien
se dire qu’il y a une autre question cachée. Cette question nous paraît être
celle de l’observateur comme instrument d’observation, Seuls les épigones
de l’école d’ethnométhodologie ont eu l’audace de franchir le pas et de
remplacer le discours sur le terrain par un discours sur l’observateur - de
l’observateur sur l’observateur - (Alain Coulon, 1987), dont Carlos Casta-
neda est un bon représentant. Xavier de Maistre se contentait d’un Voyage
autour de ma chambre, eux vont chez « l’autre absolu » pour se raconter. On
a un charmant petit livre imaginaire et parodique de Bernard Lortat-Jacob,
1994, Indiens chanteurs de la Sierra Madre, l’oreille de l’ethnologue, tout
d’ironie, sur ce terrain particulier qu’est soi-même confronté au terrain. Pour
la description de ce terrain, on a aussi The innocent Anthropologist de Nigel
Barley (1983), “sur-traduit” en français par Un anthropologue en déroute
(1992) 58.

” Les débats sont, par periode, tres aigus dans la profession des ethnologues pour savoir
s’ils font de l’ethnologie, de l’ethnographie ou de l’anthropologie, ce débat, de l’extérieur,
frise la casuistique. Les gdographes savent l’autre niche linguistique, celle des géologues,
occupte ; quant aux demographes, ils leur arrive de contester l’etendue de leur discipline
mais ils ne combattent pas encore pour une ‘démologie’ aux relents un peu démagogiques.
*s Techniquement la “surtraduction” cionsiste à surligner le sens originel des mots,
“l’understatement” et3 ttt plus heureux pour cet ouvrage pleine d’humour, anglais naturel-
lement.

147
La pénibilité physique ou psychologique du ‘terrain’ est quelquefois
citée pour établir une différence, l’argument est irrecevable. L’équipee de la
découverte du passage du Nord-Ouest (McClintock et Admundsen -1992-)
a-t-elle ete moins ou plus pénible que celle de Tombouctou par Rend
Caillé ? Et les souffrances de Gaspard Théodore Mollien (1977) lors de son
voyage à pieds en Afrique Occidentale en 1818, sont-elles diminuées d’être
comparées a celles de l’équipée autrichienne Payer-Weyprecht, dont le
calvaire est raconté dans ce grand texte que sont Les efrois de la glace et
des ténèbres, de Christoph Ransmayr (1989) ? Va-t-on se mettre à juger de
la qualité scientifique des terrains en fonction de la survie des chercheurs ?
Les thèses se mesureraient en souffrances et plus en nombre de pages et la
qualité scientifique aurait pour aune la durée du calvaire, et les meilleures
seraient celles que l’on n’a jamais écrites ” puisque les savants auraient
sacrifié leurs vie sur l’autel de la science. Il serait comique de voir le titre de
Docteur délivré uniquement à titre posthume ce que conclurait un raisonne-
ment par l’absurde. Les murs de la Sorbonne seraient noircis de nouvelles
plaques de marbre où défileraient les nouveaux noms des morts au champ
scientifique. Pousser le raisonnement en montre l’inanité : le vécu et la
pénibilité n’ont rien à voir avec la définition scientifique d’une méthode
scientifique, si le terrain est une méthode scientifique, ce que nous croyons,
et les meilleures thèses sont celles qui existent.
Limiter le terrain au seul déplacement plus ou moins touristique est
abusif (Lacombe, 1996, Urbain, 1991, 1995), car ce déplacement est d’une
durée finalement extrêmement brève dans la vie d’un chercheur : les docu-
ments demandent, pour parler bref, un long travail de première main et tout
cet effort personnel fait autant le terrain que le voyage sur place. Que ce
voyage soit loin dans l’espace (le Népal pour Marc Gaborieau) ou le temps
(la guerre des hoplites grecs pour Victor Davis Hanson) ou l’étrangeté (les
marabout de Paris pour Liliane Kuczynski, 1995). C’est cette effort de

59 Pousser un raisonnement B la limite prtsente, on le voit, un certain int&êt. Les mathéma-


ticiens disent : raisonnement par l’absurde.

148
problématiser des informations recueillies qui fait toute la valeur heuristique
du terrain, et l’on comprend que ceux qui croient s’en dispenser ne produi-
sent finalement que des compilations plus ou moins journalistiques. En
général de moins bonne qualité que celles recueillies par les journalistes qui,
n’ayant pas la prétention (en génbral, pour les bons) a «faire original »,
peuvent, en interviewant les specialistes, produire des synthèses de valeur.
Mais le terrain n’est pas un certificat de qualité scientifique, et on connaît
des vies entières passées à faire du terrain qui n’ont rien produit, et alors,
peut-on parler encore de terrain dans ce cas-là ?

En conclusion, le terrain comme paradigme essentiel en sciences so-


ciales ne paraît pas pertinent. Pourtant si le mot reçoit un tel usage (surtout
chez ceux qui n’en font guère), c’est bien qu’il répond à une fonction. Cette
fonction paraît être que c’est la caution trouvée par les praticiens de sciences
sociales pour justifier qu’ils ont toujours à l’esprit que les faits de sociétés
sont l’expression de la totalité. Le ‘terrain’ est le moyen pour le chercheur
de retrouver (ou de prouver, ou d’affirmer) ce «phénomène social total »
qui reste sa « ligne ble.ue des Vosges » (“y penser toujours, n’en parier
jamais. “). Pourquoi fait-il ainsi l’économie de répéter la théorie au profit
d’une pratique ? Pourquoi nos maîtres ne parlaient-ils jamais de terrain et si
peu de méthodes alors que nous avons tant méthodologisé et dialectisé et
que nos successeursparlent tant de terrain, confondant techniques sophisti-
quées et méthodes, pensée et épanchements de l’âme ? Qu’il y ait un évident
phénomène de société qui déborde largement le cadre scientifique d’une part
(depuis la vogue hippie au fantasme de l’action, sans parler de l’émotion
comme vertu cardinale des sociétés occidentales) et que, d’autre part, il soit
conséquent à l’émergence de méthodologies automatiques ne fait aucun
doute. Une fois de plus les mots nous piègent : les éclaircir et préciser leur
contenu sera une tâche que nous devrons reporter pour notre quatrième
partie.

149
Chapitre 7
Échelles et niveaux

Autour de la question d’échelles et niveaux, nous allons traiter dans


ce chapitre les différents points connexes au sujet dans les sciences sociales
(macro/micro, local/global., .). Ces questions se règlent assez bien quand on
reste a l’échelle du chercheur individuel, son bon sens lui suffit pour régler
les problèmes qui se posent à lui. Par contre, dans les travaux collectifs,
nous aboutissons souvent à des contradictions «explosives », et pour les
équipes, et pour leurs recherches.

L’observateur en sciences sociales n’a souvent guère le choix de la


position qui est la sienne. L’experimentation ne lui etant pas donné, il doit
puiser dans de multiples sources, directes ou indirectes, ses informations. ?Le
résultat est qu’il est souvent confronté à des informations hétérogènes. Nous
allons dans ce chapitre examiner quelques-uns des couples opposés les plus
voyants de notre travail collectif : macro/micro, global/local, limites spatia-
les et changements d’échelles, avec la mise en evidence d’une difficulté
majeure : les biais sont irréductibles, comme le montrent de mieux en mieux
les avancées actuelles qui, avec les bases de données informatisées, font
« éclater les contradictions ». La question qui se pose est que l’échelle d’ob-
servation change le phénomène lui-même et pas seulement la vision que l’on
peut en avoir. On ne voit pas “plus ou moins gros” : on ne voit pas la même
chose. Nous ne disposons pas de théorie unificatrice, aujourd’hui. Nous n’en
disposerons peut-&tre jamais.

De la nature des informations

Antonio Gramsci, à propos des études marxiennes, disait déjà dans


ses Cahiers la prudence avec laquelle il faudrait puiser dans les différentes
sources, inégales de valeur et de signification : la biographie, la vie intel-
lectuelle, les ouvrages de circonstances, les textes remaniés (jusqu’au re-
niement parfois) et jamais publiks, les textes publiés, les lettres et les
brouillons.. . (Gramsci, 1957 : 77-80). Certes, pour les grands auteurs, leurs
hésitations sont la source délectable de thtises et d’approfondissements. Leur

moindre état d’âme fait les blandices de leurs disciples, épigones et com-
mentateurs. Au point que Montaigne n’est jamais publié sans ses va-et-
vient, ses remords et ses annotations. Sur les papiers préparatoires de Flau-
bert, on a même un roman dblicieux : Le perroquet de Flaubert, du très fin
Julian Bames (1984) et un essai de Mario Vargas LLosa : Lu orgia perpetua
(1975). Pourtant ces réussites ne doivent pas inciter à oublier de se méfier de
ces informations hétérogènes difficiles d’utilisation sans précautions,
comme l’enseignent si bien les historiens, qui savent qu’un document brut
n’existe jamais, et que tout l’art est de le faire parler.
Il suffit d’avoir une fois tenté de soumettre à l’analyse secondaire un
matériel recueilli en fonction d’une autre problématique, si neutre soit-
elle en apparence, pour savoir que les data les plus riches ne sauraient
jamais répondre complètement et adéquatement à des questions pour
lesquelles et par lesquelles ils n’ont pas été construits.
Bourdieu, Chamboredon, Passeron, 1968 : 62-63 6o

Des observations de la même eau figurent chez Lucien Goldmann :


Tout d’abord, comment délimiter cette œuvre ? Est-ce tout ce que
l’auteur a Etudié et écrit, y conipris les lettres et les moindres brouillons
et publications posthumes ? Est-ce seulement ce qu’il a publié ou destiné
à la publication ?
(1959 : 19)
La distinction et l’appel Li la prudence qui nous paraissent devoir être
retenus dans le fond de la pensée de Gramsci peuvent être resumés dans le
caractère immédiat ou non de l’information (on peut éviter l’apparentement
du couple « pensée définitive », définitif étant un bien grand mot pour parler
de science). Dans les travaux de sciences sociales, on a une fâcheuse ten-
dance à l’tgalisation des informations : un texte officiel sert de preuve à un
texte oral, etc. Le grand reproche que nous adressons aux travaux, et à cette
critique nous n’échappons pas forcément nous-même dans nos propres
écrits, c’e.st de présenter des analyses qui utilisent des arguments d’ordre

60No~s avions mis la totalitb de la citation en exergue de notre ouvrage Fakao... 1969.

151
hétérogène. Louis Henry ” nous l’avait personnellement reproche, qui était
un critique vigilant. Il nous avait convaincu de produire, isolée, la partie
démographique de notre premier travail, justement parce qu’elle s’appuyait
sur une homogknéitk de sources et d’arguments (Fakao..., 1969).
Les faits n’ont pas la même « résistance » A la critique, certains attei-
gnent la certitude et les arguments qui en découlent de même : le plus trivial
serait de dire que si on vous coupe la tête vous mourrez, fait sur lequel tout
le monde s’accorde. Celui-la est sfir. A l’autre bout de la chaîne, pensons 21
ces « seuils psychologiques » dont les médias nous entretiennent : celui & 5
francs du prix de l’essence, porté maintenant à 10, sans que pour autant la
révolution promise des consommateurs ait eu une quelconque amorce.
D’autres faits sont farfelus, pour beaucoup de gens, mais pas pour tout le
monde : par exemple nous pensons que la liaison entre notre kriture et
notre caractère, et celle entre notre naissance et les astres, si elles existent,
sont hors de notre capacité de perception, en conséquence tout argument de
graphologie ou d’astrologie, ou de toute autre technique divinatoire, nous
apparaît totalement stupide 62. Mais d’autres personnes leur donnent une
parcelle de réalité., . De toutes les façons, chacun balance entre des certitu-
des absolues et des incertitudes totales et chaque fait ou chaque argument va
se situer sur ce continuum qui lie les unes et les autres. En matière scientifi-

” II s’agissait de notre premier gros travail, de 500 pages environ, qui devait être soutenu
en thèse de Troisiéme cycle sous la direction du Pr Gilles Sautter. À la suite d’incidents
politiques le texte disparut, c’était le deuxiéme tome de l’ouvrage de démographie Faho...,
Lacombe 1969.
62 Ce qui ne nous empêche pas d’avoir fait des Gommes de Robbe-Grillet un de nos romans
favorisel d’Au dessous du volcan de Malcom Lowrynotrelivre-culte, de trouver beaucoup
de plaisir A lire Nostradamus et surtout ses commentateurs qui disputent B Pierre Dac en
jongleries intellectuelles. Et de consulter régulièrement les prCdictions astrologiques qui
nous inléressent toujours, alors même qu’elles ont trois ou quatre ou dix ans d’âge et
portent sur la semaine prochaine d’un temps révolu, d’être un passionk de Yi Kin... car
c’est de l’ordre de la sensibilité. pas du rationnel et de la logique. Et si, dans des moments
d’indécision, il nous arrive de prendre des orientations en tirant une pièce en l’air, c’est que
nous pensons que l’univers ktant irrationnel (pour nous au moins), il faut souvent prendre
des ddcisions dans des situations logiquement indécidables ; souvent une ddcision est
meilleure qu’une non-dtcision, qui est une d6cision de toute façon (‘meilleure’ non logi-
quement mais psychologiquement, pour la même raison qu’attaquer est plus facile que se
d6fendre). Dkider une position rationnelle d’une manière irrationnelle n’est pas du tout
irrationnel. Voir dans notre Corpus bibliogruphique, sur la rationnalité des prises de déci-
sion : JonElster, 1987 ; Godelier, 1966 ; Beauvois et Joule, 1992 ; Gtrard-Varet et Passe-

152
que, il paraîtrait normal que l’on fonctionnât avec des certitudes absolues
logiquement construites. Or c’est complètement faux. Au mieux nous pou-
vons dire notre axiomatique des principes sur quoi nous nous fondons, les
faits auxquels nous « croyons » et dérouler les raisonnements logiques.. . Au
mieux et in ahtracta, car les raisons de nombreux actes sont la partie im-
mergée de l’iceberg de notre obscure conscience de soi et du monde. Mais
nous savons tous que ce n’est pas “rationnel” et “économique”, le langage
des jeunes d’aujourd’hui dirait « que ça prend trop la tête ». On ne peut, à
chaque pas, repenser le monde. En matiére de science et d’argumentation
sur des faits, nous devons, comme en tout, nous contenter d’une voie
moyenne, que nous qualifions de juste (juste entendu comme contraire
d’incorrect, pas d’injuste 63), ‘Juste’ par rapport à nos moyens, ‘juste’ par
rapport à. nos objectifs. Ce qui est un peu juste, pour continuer a jouer sur ce
mot perfide.
Aujourd’hui, avec l’éclatement des sciences provoqué par la crise de
l’université, les facilités de communication et la montee des travaux collec-
tifs, nous nous trouvons souvent devant des travaux intellectuellement
gênants car ils font appel a différents registres d’argumentation qui sont
utilisés par l’auteur pour avancer. Le cas le plus patent est l’utilisation de
chiffres dans une étude qualitative. Le plus comique que nous ayons ren-
contré dans notre vie est une.etude médicale fondee sur trois cas où l’auteur
présentait ses données en pourcentages : le retour systématique de 33 %,
66 % et 100 % nous avait alerte 64. Dans des études sociologiques on voit
brusquement l’auteur assener des chiffres, qu’il a parfois collectés lui-
même, dont on ne voit pas qu’ils soient autre chose que des affirmations

ron, 1995 ; sur le Yi kin : Javary, 1989 ; sur l’astrologie : Jean-Claude Pecker, 1983, Pierre
Couderc, 1974.
63 Une histoire courrait du temps du communisme,c’est un ‘camarade’qui demandeB un
dirigeant du Parti ce qu’est la voie juste et droite que doit suivre un bon communiste et
l’autre de lui dire : B droite c’est le révisionnisme, B gauche c’est le trotskysme et la voie
droite c’est la ligne brisée qui va de l’un a l’autre en un mouvement alterné perpétuel.
64Dans un autre cas, une etude de géographie rurale, l’auteur présentait des statistiques
«bizarres B (8 ou 9 %, 18 ou 22 %, 38 ou 42 % etc.) ; alerté par les curiosids des chiffres
pour des concepts qui se recoupaient, nous étions alle voir l’auteur qui nous avait gentiment
avoué qu’il avait 5 parcelles sous observation et qu’il avait juste changé les chiffres pour
correspondre b son sentiment qualitatif et faire plus vrai pour le quantitatif !

153
gratuites. En tant que chiffres, ils n’ont aucune résistance dans leur cons-
truction et l’auteur les utilise parce qu’ils «collent » à son sentiment des
choses. Un chiffre, comme un fait, comme une idée, est un outil intellectuel
construit et, hors son mode de construction, il ne vaut pas plus qu’un bavar-
dage sur les planètes de notre constellation personnelle, ou la configuration
des hexagrammes de la chute de baguettes d’achillte du yi kin ou de
l’histoire racontée par les cartes lors du tirage d’un tarot. L’article de Flo-
rence Weber sur l’ethnographie armée par les statistiques 65, et d’autres
ouvrages de méthode (Benjamin Matalon, 1988) insistent également sur la
nécessaire prudence qu’il faut savoir déployer dans l’usage de techniques
mixtes : c’est un précepte de la peinture, on peut l’accepter en sciences
sociales.
Un sociologue que nous avions interviewé pour ce travail nous avait
gentiment ~ffirrné, contrit, qu’il ne travaillait que sur les questionnaires qui
lui paraissaient «corrects » en fonction de la perception qualitative qu’il
avait de la situation. II éliminait de ses calculs ceux qui ne lui convenaient
pas. Il utilisait certes des questionnaires fermés, des équipes d’enquêteurs,
mais il ne croyait pas aux résultats issus de cette méthode. Son propos était
qu’il lui fallait utiliser des questionnaires parce que la demande qui lui était
faite et les financements obtenus l’y obligeaient. Pour le reste, il les lisait
tous et les abandonnait apr&s avoir tiré quelques chiffres qu’il corrigeait en
fonction de son sentiment de I’exactitude des réponses. Il reconnaissait
honnêtement sa pratique ; l’ennui c’est qu’il utilisait les chiffres comme
« preuve ». Cette attitude est bien plus répandue qu’on ne le croit chez les
partisans des méthodes d’immersion dans les populations ttudites. Nous
l’avons retrouvée chez plusieurs personnes, souvent dénuées du scrupule
d’aller voir elles-mêmes de quoi il retournait sur place. Les démographes et
autres statisticiens d’enquêtes affirmeront leur non-culpabilité en ce qui
concerne ce type de pratique : nous n’acceptons pas leur refus, car nous

65 Journée d’étude ‘sociologie er statisfiques’ , Paris, octobre 1982 (INSEE, 1982).

154
l’avons rencontrée plus d’une fois chez nos collègues 66, et, en ce qui con-
cerne des données fines ou des points difficiles d’analyse (comme l’étude de
la famille), nous savons la facilité, qu’il y a de verser dans de telles erreurs.
Dans une etude démographique sur l’Afrique, nous nous étions étonné de ne
pas trouver de femmes sans grossesse, pensant à un biais d’observation 67.
Nenni, nous fut-il répondu, mais comme c’était « impossible », « tout le
monde sachant » que les femmes africaines sont perclues d’enfants, on avait
corrigé vaillamment les femmes affectées de stérilité définitive en les faisant
mères d’un ou deux enfants, selon l’impression qualitative que donnait leur
cas. Au nom de la moyenne que de violence on ne fait pas à la variante.
De même, on peut citer les arguments puises à différents registres
des sciences sociales. On a comme bon exemple les démarches approxima-
tives où se mélangent les genres, les textes, les écritures : pourtant une carte
ne se lit pas comme un palimpseste, un chiffre comme un écrit, une parole
comme une photographie (voir les travaux actuels de Jean-François Werner
sur la photographie populiste en Afrique de l’Ouest), la traduction d’une
émotion comme celle d’une idée. C’est le grand reproche que nous adres-
sons aux articles de Michèle Cros, dont son ouvrage (1990) est exempt : elle
traite son matériel psycho-sociologique (dessins d’enfants) comme si c’était
du matériel anthropologique. C’est pour cela que l’exercice intellectuel de
ces auteurs qui se fondent sur des documents pour fonder une lecture an-
thropologique nous paraît si intéressante : ils sont confrontés, pour avancer,
à une des difficultés cruciales des sciences sociales qui est la lecture adé-
quate des faits (adéquation entre la construction et l’interprétation des
faits) : citons, entre autres, le numéro l-1995 de la revue Enquête (articles
de Jacques Revel, de Gérard Lenclud...), Foucault et la folie (1961) ou les

66 Dans deux cas precis, il était question d’oubli d’enquêtés : dans les deux cas, on a
« redressé PD l’échantillon des ‘nombres absolus, au nom de la sacréso-sainte moyenne
inchangee, mais la variante elle l’etait, et serieusement !
67 Nous-même, pour notre dtude de Fakao, n’avions pas trouve de femmes sans grossesse,
Louis Henry, qui ne passait rien aux lravaux qu’il estimait, nous avait fortement critiqué (et
recevoir un “savon” Louis Henry dtait une Bpreuve !), c’est en faisant la gtnealogie du
village que nous avions trouvé le biais : les femmes stériles quittaient leur communaud
d’origine.

155
prisons (1977), Conche et sa lecture de Pyrrhon, Veyne et ses conclusions
sur la Colonne trajanne (1991),Victor Orozco et les guerres indiennes dans
le Chihuahua (1992), et tant d’autres historiens ou anthropologues se fon-
dant sur des documents historiques (Julio Caro Baroja, Georges Duby, Jean-
Louis Flandrin, Victor Hanson.. .)
C’est donc dire que la nature des informations, hétérogènes, essen-
tielles car obtenues souvent en dehors de toute observation « construite »,
inconstructibles et non reproductibles, en un mot inexpérimentables, fait,
des sciences sociales, des disciplines fragiles au maniement incertain.

A ces observations, sont connexes celles qui concernent les diver-


gences de point de vue, le halo de l’idéologie ou de la vision scientifique sur
l’observation, celle de la divergence des sources et de la contradiction des
informateurs. Pour en terminer, nous voudrions citer le remarquable petit
opuscule où Jean Norton Cru a résumé son ouvrage Témoins, publié en 1928
à compte d’auteur : il y établit une hiérarchie entre la qualité de ses sources
en fonction de l’authenticité du rapport de I’auteur avec son kit. Norton
Cru eût beaucoup d’ennuis avec les va-t-en-guerre et les anciens combat-
tants de J’arrière. Il y traitait de la verité a la guerre de 14-18 ; il a beaucoup
de relation avec un ouvrage introuvable aujourd’hui sur la conquête de
Madagascar par Mathos et celui d’Hanson sur la guerre des hoplites grecs
(1990), sans ce parti-pris d’exprimer l’horreur que l’on trouve dans Le feu
de Barbusse. Cet opuscule s’appelle Du témoignage (1967) :
Notre époque estfière de son esprit scientifique, elle se pique de ne rien
accepter sans contrôle, il lui faut des preuves issues d’une expérimenta-
tion rigoureuse. Encore faudrait-il ne pas faire d’exception, ne pas ac-
cepter sans contrôle l’interprétation traditionnelle de certains phénomè-
nes humains observables et vérifiables
(24)
Norton Cru va d’ailleurs aller plus loin mettant en cause la qualité
des informateurs, qu’il définira précisément pour son propre corpus qui
regroupera 282 vrais ‘temoins’ de la guerre, et critiquera les historiens de la
guerre :
(Les bons témoins Kimpjlin, Genevois, Delvert sont cités une, trois, cinq
fois par Palat, mais le témoin Veaux, abondant, héroïque, légendaire et

156
fort suspect, est citk 89,fois.. . Le Goffic est cité 26 fois malgré les contes
et légendes dont il remplit sa compilation d’anecdotes du front. Les
mauvais tt!moins amhent Palat à endosser des absurdités. («...les cada-
vres étaient si serrés qu’ils se tenaient debout parmi les ruines. >;..)j
(54)
On ne sauraittrop insister,en conclusion,sur la nécessitéde la criti-
que des sources,le recadragedes informations dans la situation de leur
collecte, avant d’utiliser les informations et les traiter comme des données.
Mais une fois adoptéesaprèsla critique externe, une information ou une
donnéedoivent &tre critiquées par une critique interne. Les chiffres pour
cela ont un grand intérêt : si on prend deux mesuresou plus d’un même
phénomène,la migration par exemple, on peut arriver à desconclusionsfort
différentes, d’une part parce ce qui est mesuréest deux (ou plus) événe-
ments particuliers diffdrents du mêmephénomène(par exemple durée de
présenceau lieu, date d’arrivée ou présenceà telle date passée),d’autre part
parce que l’inconscient de l’analyste n’intervient pas dans le calcul lui-
même(alors que le raisonnementqualitatif s’infléchit imperceptiblementet
amènea descompromisboiteux avec lesfaits).

Nous voudrions citer, en démographie,deux élémentsexemplaires:


la mesurede la migration par la durée passéeau lieu de l’enquête ne donne
jamais un résultat identique à la mesureobtenuepar le lieu de résidencea
une date de référence(une personnenéeà Pariset enquêtéeAParis va donc
répondre “depuis toujours”, alors qu’elle a pu s’en absenterpour une pé-
riode supérieureà la périodede réfkrencechoisieet dansles critères décidés,
et que c’est ce dernier retour qui nous intéressesur le plan scientifique de
l’étude desmigrations),Cette dernibre,malgr6soncaractèreimparfait vu de
l’extérieur est bien plus résistantecar sa collecte est moins biaisée69. En
effet, la premièreprt%entel’inconvknient que l’informateur donne toujours
la date de sapremière arrivée au lieu d’enquêteet non celle de sa dernière

” En retranscrivant
cette phrase, cela nous rappelle une confkrence de Raoul Follereau, le
chantre de la lutte contre la lbpre, il avait, orateur emporté par I’kmotion, déclamé : « Et ce
pauvrehomme m’a serrk la mainet humblement s’est retiré, sa main était restée dans la
mienne... » II nous est quelques fois arrivt: de risquer notre vie, celle-là fut bien involon-
taire, mais le rire, en excès, est dangereux pour la santk.

157
arrivte quand il s’est absenté du lieu où il est enquêté ‘O. Chacun peut en
faire l’expérience : nous l’avions faite pour prouver le fait a un ministre en
Afrique qui ne nous croyait pas et tenait à voir figurer cette information sur
le questionnaire. « Depuis quand vivez-vous ici, à quelle date situez-vous
votre dernière venue ici [dans la capitale] ? », lui avions-nous demande.
« Depuis ma douzième année, nous repondit-il, à la fin de mes études dans
le primaire, pour entrer en sixième. » Je lui fis remarquer que notre question
portait sur sa dernière venue, il en fut d’accord : «Douze ans. » « Et vos
études en France, de huit ans, où vous étiez absent d’ici ? », lui avons-nous
demandé.. . Mais l’expérience ne convainc que les convaincus et la question
fut maintenue.

L’autre exemple porte sur l’usage de la formule de Chandrar-Sekar


et Deming : soient deux sources mathématiquement independantes de col-
lecte de l’information, un événement cppeut figurer dans la source 1 et dans
la source 2. Nous avons un tableau à double entrée : figure ou non en
source 1, figure ou non en source. 2”.

Somme 2

On voit que certains événements n’ont été saisis ni par la source 1 ni


par la source 2. Chandrar Sekar et Deming ont donc établi une formule
établissant le calcul des événements (p qui ne sont ni saisis par la source 1 ni
non plus par la source 2, en cas d’indéuendance totale entre les deux sour-
ces, au sens mathématiques du terme. Nous nous sommes essayé a calculer
dans notre enquête Fakao (Lacombe, 1970) ces événements que nous

69Soyonsclair : aucunedonnCe recueillie auprés d’un informateur et recueilli par un scien-


tifique est sans biais !
” Il y a donc encore de nombreuses recherches particulières B mener sur le plan méthodoio-
gique, et cette question en une qui ne manque pas d’intérêt.
” Chandra Sekar C. and Deming W.E., 1949, Jv!ethod of Estimatino Birth and Death Rates
and the Extend of Retzistratioc. Journal of& american S~atisticul Association, 44, 1948 :
101-l 15.

158
n’avions pu saisir ni par les registres paroissiaux et ni par enqu&te : notre
résultat était aberrant. Nous avions exposé ce cas à Nairobi au colloque de
1969 (S.H. Ominde and C.N. Ejiogu ed., 1972) et Chandrar-Sekar, qui était
présent dans la salle, avait opiné à notre avis : il n’y a pas d’independance
entre deux sources quand on se fonde sur des informations qui sont relevées,
en dernière instance, auprès des mêmes personnes : en effet, si un sujet ne
donne pas une information en source 1, sauf oubli momentané, il aura ten-
dance, inconsciemment ou consciemment, à celer l’information à la
source 2. Chandrar-Sekar avait d’ailleurs fait le récit de l’établissement de
sa formule, née d’un “terrain” particulier qui était les données des recense-
ments indiens.. . la masse des données permettait I’hypothése d’indepen-
dance mathématique, l’application «bête et méchante », à des données
autres était imprudente, il fallait d’abord vérifier que l’hypothèse mathéma-
tique était bien vérifiée.

Cohérences et incohérences des approches micro- et macro-

Une première difficulté de « détail » peut être décrite : celle des ap-
proches entre disciplines différentes, les une étant micro- et les autres ma-
cro-. Beaucoup de projets collectifs sont montés en croyant que les deux
approches se complètent, ce qui n’est pas faux, mais au sens le plus trivial :
un objet social a ‘n’ dimensions - cas type de toute réalité sociale. La ques-
tion du macro- et du micro- biaise l’entendement : logiquement on pense
qu’un fait est mieux vu avec deux dimensions qu’avec une seule et que si on
l’observe de près l’image scientifique sera plus parfaite.que de loin. Mais,
d’une part, la complétude entre les deux images n’est pas une complétude à
un (le micro donnant par exemple p% et le macro q% et que p+q=l). Rien ne
permet de penser que cela soit. D’autre part, pourquoi deux dimensions et
non pas plusieurs ? (Point sur lequel nous reviendrons dans la discussion sur
le multidisciplinaire).
Par ailleurs, très souvent on n’observe pas la même chose selon
l’échelle, croire que l’union de ces visions soit réductible à une discussion

159
sur la problématique n’est pas une opinion défendable. Dumontier nous en
avait déjà fait l’observation pour les études sur l’éducation : on ne pouvait
ajuster les visions offertes par les études ponctuelles avec les études globa-
les 12.

À ce propos le meilleur exemple que nous ayons est celui tiré d’une
enquête sur la migration des Voltaïques (on dirait aujourd’hui des Burkina-
be) vers la Côte d’ivoire. Des études statistiques globales montrèrent, ou
démontrèrent, que cette migration de travail n’était pas “rentable” vu du
pays d’origine, l’actuel Burkina (Jean-Louis Boutillier, André Quesnel,
Jacques Vaugelade, 1976). Des études suivant des migrants (Jean-Marie
Kohler, 1972) démontrèrent le contraire. Les premières se fondaient sur un
calcul statistique d’un gros échantillon par la méthode de l’enquête renou-
velCe 73. Les secondes, plus anthropologiques, suivaient certains migrants et
calculaient les sommes rapportées. Biais de méthode ? Certes, mais ce n’est
pas le même phénomène qui était observé, même si les faits sociaux obser-
vés étaient identiques.

À cette question micro-/macro- se rattachent deux autres, que nous


allons traiter tour à tour : :

* fait statistiqueet fait significatif ;


* les divergencesd’échelle.

Les changements d’échelles

Longtemps les changementsd’échelle n’ont retenu l’attention que


des cartographesou bien des sondeurs.Même dansles sciencesnaturelles,
ces questionssemblentne pas avoir été largementétudieesquoiqu’il allait
de soi que la questionseposait en termesprécis (StephenJay Gould, 1979,
1983):
La prégnante des lois d’échelle qui interdit, entre semblables extrêmes,
la simple replication proportionnelle des paramètres anatomiques, phy-

“Centre d’ttude des programmes Economiques, Paris, cours 1980-1981.


” Cette méthode partait d’une enquête antérieure, dont on recherchait les personnes pré-
sentes lors du premier passage et absentes au second réalisée quelques années apr&s
(enquête mise au point par Jacques Vaugelade).

160
siologiques et mktaboliques.
Stéphane Deligeorges, 1966 : 50 74
C’est d’ailleurs dans ces deux cas précis que nous les avions ren-
contrés comme problèmes : le premier lorsque nous avons dû effectuer une
synthèse de la documentation pour notre étude sur les communautts rurales
de la Pointe de Sangomar (Lacombe, 1967), l’autre pour l’établissement de
la base de sondage de l’enquête sur la migration et la santt mentale, les
migrants sérères de Niakhar à Dakar (Lacombe et al, 1977 : 60-66). Les
changements d’échelle sont désormais bien étudiés dans la finesse de leurs
effets divergents. Christian Mullon (et al, 1991, à propos des transferts
d’échelles, et 1992, à propos des systèmes d’information géographique) et
Jean-Pierre Treuil (1997, sur l’univers multi-agents) ont Bté de ceux qui ont
permis de souligner en les synthétisant les difficultés spécifiques aux chan-
gements et transferts d’échelles. La mise au point d’outils communs B plu-
sieurs disciplines comme le montage de bases de donnéeset de systèmes
d’information gbographique a beaucoup aidé d’une part à la mise en évi-
dence des incompatibilités et d’autre part aux possibilités restreintes de
réduction des contradictions, le mot ‘réduction étant pris en son sens quasi
médical de ‘rdduction des fractures’. Des solutions techniques existent qui
ne règlent pas la totalitt du problème, car si 1’Cchelle spatiale peut trouver
des solutions, la vraie question, et Mullon souligne bien le fait, se pose dans
«l’identification du niveau auquel se situent les sources de variabilité »
(1992 : xv).

Le global et le local

Le global et le local sont une des formes particulières des divergen-


ces entre échelles spatiales ; c’est aussi l’expression d’une divergence de

74 Stkphane Deligeorges a écrit un certain nombre d’articles sur ces questions en sciences
biologiques : l’extrait suivant est tiré de son article sur la salamandre g6ante. mais il a écrit
aussi un article (1996) sur une limite possible du petit : la musaraigne étrusque (plus petit
animal connu ex aequo avec le vampire colibri). Il signale que l’observation que les varia-
tions de taille entraînaient des conséquences qualitativement très grandes a été une des
observations de Galil6e. On pourrait rappeler les effets drastiques des troncatures après la
virgule pour la découverte du chaos par Lorenz (Gleicke, 1989).

161
niveau 75ou de structure globale / unité ou individu ; on peut dire que c’est
la réalisation spatiale du macro/micro.. . la question se pose frequemment
avec celle de la representativité de la monographie. S’éreinter a prouver
qu’une monographie est representative est une aberration mentale : une
monographie peut être exemplaire, ou révélatrice, significative en ceci ou
cela, mais elle n’est pas statistiquement représentative, son efficacité scienti-
fique de démonstration n’est pas du même ordre, du même niveau. On ne
peut simplement que soutenir que c’est un cas non aberrant, moyen ou
médian.
C’est sur des observations semblables que l’École de Palo Alto a
fondé son étude du changement et des paradoxes : un paradoxe est soluble
dans une méta-structure où son caractère paradoxal se dissout (Watzlawick,
Weakland et Fisch, 1981, Changements) car le passage d’un niveau a un
métaniveau se fait par rupture qualitative et discontinuité. Le problème qui
nous intéresse ici est l’affirmation qu’on ne peut sans imprudence grave et
erreur épistémologiques passer du global au local et du local au global.

Les limites spatiales

Les limites spatiales relèvent en partie du phénoméne d’tchelle qui


n’est pas un phénomène spatial pur : il s’agit des limites des zones
d’observations. Il a par ailleurs à voir avec les unités d’observation, thème
plus gtnéral. Nous allons expliquer le phénomène en prenant le cas de
multiples disciplines en œuvre en même temps mais le chercheur individuel
est confronte identiquement au problème, que son “inconscient” résout avec
économie, chose impossible en collectif. Les decoupages de l’espace ne sont
pas les mêmes selon la discipline ou selon le phénomène étudié. Quand on
veut établir des « synthèses » ou des cartes synthétiques, le probléme alors

” Un numérospécial de 1961 des Cahiers du Centre d’études socialistes 6tait consacrea


cettequestiondes analyses de niveaux. On a aussi une étude de Jean-Pierre Vigier, 1961,
1963 : la théoriepostuledes niveaux différents de qualite qui iraient de l’infiniment grand à
l’infiniment petit (suivant en cela une id6e de Blaise Pascal) dont aucune theorie physique
unifibe ne pourrait rendre compte. Nos connaissances tpistémologiques ne nous permettent
pas de dire si cette theorie était un de ces efforts marxisto-marxiens de I’aprés-guerre pour

162
explose sur le plan conceptuel (Lacombe, 1995, Des lignes de crêtes comme
limite...). Résumons cette question que nous avons rencontrée dans un
travail collectif :
Dans un projet mené dans le nord Mexique, les lignes de crêtes, sont
adoptées comme limite (critère imposé par l’hydrologie). Elles délimitent
ses bassins hydrographiques. Ceux-ci ne correspondent jamais limites que
les hommes ont mises en place. Elles ne correspondent pas plus aux besoins
des autres disciplines, mais la question dans ce cas ne gêne personne : dans
les sciences naturelles la problématique, le champ scientifique, les outils
technique et la mtthodologie, que l’on peut résumer en disant la
“construction de l’objet”, sont établis dans l’évidence partagée d’une longue
tradition scientifique (même si la discipline scientifique est relativement
neuve, plus récente en tout cas que la sociologie). Aucun chercheur ne
conteste le champ et l’objet d’un autre chercheur. Mais pour les limites
d’État l’utilisation des données statistiques de I’INEGI (rappelons que le
Mexique est un État fédéral), les limites scientifiques de l’hydrologie ne
coïncidaient en rien.. , L’INEGI, l’organisme de statistiques du Mexique,
présente ses données selon un critère politico-administratif : localidad,
municipio, estudo. Il fallait donc opérer des calculs d’approximation pour
analyser les données par États et grandes régions administratives, qui ne
correspondent pas aux bassins ou aux sous-bassins... Les données statisti-
ques par municipio, quand elles étaient disponibles, ne correspondaient pas
plus à ces régions “naturelles” que les hydrologues jugent indiscutables : les
lignes de crêtes. Les communautés humaines ne prennent jamais en compte
les lignes de crêtes comme limites entre territoires socialement definis. On a
voulu donc se dispenser de ces données “officielles” et préparer une recher-
che de collecte directe, Mais on est tombé de nouveau sur le point central
que les lignes de crêtes ne sont pas des limites acceptées naturellement par

rksoudre le gouffre que la science ouvrait sous les pieds de la religion marxisto-marxienne
ou bien si elle a un quelconque int6rêt. Voir aussi M. Vassails, 1963.

163
les sociétés humaines. L’unité de base des enquêtes et l’exploitation statisti-
que des données ne correspondaient jamais aux divisions hydrologiques. Au
Mexique, la matérialité des limites établies par les hommes pour marquer
les propriétés ou les territoires appropriés, est parfois marquée par un long
mur qui court dans la nature et l’orientation de ces murs n’a rien à voir avec
les pentes dont ils se moquent totalement, ni pour ni contre. Ils ne sont ni
parallèles ni perpendiculaires aux courbes de niveaux, aux lignes de crêtes
ou à quoi que ce soit. Bien au contraire, et c’est assez “naturel”, sur le plan
humain s’entend, les sociétés locales tentent de couvrir un espace hétérogène
pour diversifier leurs ressources : un morceau de plaine, un morceau de
pente, un morceau de montagne, un morceau de flanc sous le vent, un autre
sur le vent, une part d’adret, une part d’ubac.. . on peut nourrir des bêtes et
faire des cultures de maïs, blé et haricots, affronter les mauvaises années et
exploiter les bonnes, s’approvisionner en ressources naturelles (SO& dont on
fait du tequila, plantes grasses de collection vendues aux amateurs, fibres
naturelles. ..) On a donc un système fractal : quelle que soit l’échelle, les
limites naturelles (que les hydrologues voudraient voir adopter) et les limites
humaines ne coïncident pas, De l’État/région hydrologique, au plus petit
bassin possiblelexploitation agricole, rien ne va.
Si l’on prend les autres disciplines, le problème est moins crucial (en
termes de collecte d’information), mais tout aussi ardu. La géologie ne cor-
respond pas aux lignes de crêtes, tout géographe qui a fait une coupe géo-
morphologique le sait. Parfois, certes, quand l’orientation de la crête est
perpendiculaire aux vents dominants, surtout à ceux .qui apportent des
pluies, alors la ligne de crêtes peut être une frontière impressionnante de
précision entre une forêt et un espace herbeux ou désertique. Mais quand
cela n’est pas le cas, quand l’orientation du réseau est la même que celle des
vents, les pluies tombent alors également sur chaque flanc. Que la ligne de
crête soit parallèle aux pluies, que la géologie soit semblable et les sols
identiques de chaque cW de la ligne de crête (identiques de nature physi-
que, identiques en pluviométrie ou autre effet climatique.. .) et alors rien qui

164
manifeste sur le terrain une limite autre que celle, topographique, prisée par
les hydrologues. Pour les autres scientifiques, comme pour le commun des
mortels, la ligne de crêtes n’est pas une limite adéquate. Il n’y a aucun dé-
terminisme, autre qu’hydrologique, dans la définition des bassins.
On voit, d’après cet exemple, et lors du colloque sur les Territoires,
liens ou frontières ? (Paris, Institut de géographie, rue Saint Jacques) octo-
bre 1995), où beaucoup d’autres exemples furent fournis que les limites
spatiales souvent omises lors des travaux de terrain posent des problèmes
subtils ou dirimants, mais à ne jamais oublier.

Mais les contradictions que l’on trouve dans le travail scientifique ne


sauraient, malheureusement, se limiter aux questions que nous avons abor-
dées dans ce chapitre, d’autres se manifestent quant a la ‘continuité’.

165
Chapitre 8
Continuité et rupture

Les sciences biologiques disposent d’une continuité de la matière


dont ne disposent pas les sciences de l’homme et de la société. Nous
n’abordons pas dans ce chapitre la question sous son angle théorique mais
sous son point de vue pratique tel qu’il apparaît dans I’ensemble des travaux
multidisciplinaires dont nous disposons aujourd’hui à titre d’exemples :
unités d’observation, nature de l’informateur.. . entraînent des ruptures
irréductibles dans les données de sciences sociales.

Continuités et ruptures

La plupart des recherches en sciences sociales supposent une conti-


nuité des phénomènes, postulat assez contradictoire avec les querelles fa-
rouches que se livrent certaines disciplines scientifiques. En effet, il est
courant de voir glisser l’analyse d’un plan à un autre, du détail au général
par exemple, et, sans autre précaution que verbale, une métaphore prend
statut de démonstration. Pourtant, il est assez clair qu’au contraire de la
biologie, la sociologie, elle, ne dispose pas de “continuité de la matiére”
pourrait-on dire. Nous avons insisté sur ce point précédemment. Cette ques-
tion permet de comprendre que l’on passe facilement d’un point de vue B un
autre. Prenons un exemple comme la fécondité. On peut « l’expliquer » avec
une certaine thkorie sans pour autant que d’autres clefs d’interprétation
soient frappées de nullité.
Certains sujets de recherche ne sont pas des sujets de recherche, nous
nous sommes souvent interrogé pour savoir oh était la racine de ce <‘non-
être” et il nous a paru que c’était dans cette particularité des faits sociaux
d’être interprétables selon différents modes qui ne sont pas miscibles. Certes
René Girard, 1986, dans son ouvrage intitulé Des choses cachées depuis la
fcmdution du monde, a cm pouvoir affirmer que la mimésis, cette imitation
qui fonderait notre personnalité humaine, est la base à quoi pourrait se
ramener, et qui éclairerait, de nombreux phénomènes psychiques, institu-
tionnels et autres. Mais comment croire qu’il ait vraiment raison 1 Il
s’appuie sur la science pour affirmer que sa “théorie du bouc émissaire”
synthétiserait des pans entiers de ce que l’on sait de l’homme, par les my-
thes, la psychanalyse etc., mais on éprouve quelque difficulté à adopter son
enthousiasme, car, même si cela se passe (ou paraît se passer) dans les
sciences physiques, où la continuité de la matière, malgré les difficultés
d’élaborer les équations de synthèse qui réuniraient les différents champs de
forces connus, ne semble pas faire (trop) de problèmes, on ne voit pas pour-
quoi cela s’appliquerait aux faits de l’homme et de la société. D’ailleurs les
travaux issus de l’hypothèse centrale de Girard, que ce soient ceux de disci-
ples ou ceux de Girard lui-même nous paraissent peu convaincants. En
particulier son dernier ouvrage (1990), sur Shakespeare, ne nous a pas du
tout convaincu : c’est trop beau, tout “colle ‘trop’ bien”. Il nous semble que
Girard fait une erreur sur la continuité des phénomènes qu’il étudie et que
son principe rtducteur du bouc Emissaire ne fonctionne que dans un champ
très précis de phénomènes sociaux et pas dans tous, comme il le croit.
Tout le monde connaît l’observation sur les psychanalystes, dont les
analyses éclairent plus la conscience de celui qui l’émet que celle qu’elles
sont censees éclairer. Tous ceux qui, comme nous, ont une expérience psy-
chanalytique, savent que l’analyste propose des interpretations qu’il leur
revient à eux de la discuter, de la confronter avec leur propre expérience
intime, le retour au réel, en l’occurrence, la perception de la conscience en
analyse, est primordial. Sans ce garde-fou, les analyses d’tcrivains sont
largement d’aimables spéculations (Serge Tisseron, 1985 ; Jean-Pierre
Winter, 1996). Le maniement des concepts psychanalytiques sortis de leur
champ de fondation et d’exercice est très délicat (Georges Devereux, 1980,
1983). On trouve de multiples exemples des aberrations de l’ethno-
psychiâtrie en acte dans les travaux de Tobie Nathan (1993) et la polémique
qu’il ouvrit dans Le Monde en fin 1996 où certains de ses collègues, dont

167
Fethi Bensalam, moins emportés qu’il ne l’est, lui répondirent vertement en
termes logiques et non sur le seul terrain de l’émotion et de l’anathème qu’il
affectionne particulièrement (Le Monde 22.10.96 ; Le Monde, 4.12.96).
D’ailleurs, Nathan reconnaît être :
« Plus ou moins bien [considéré]. Mais je ne suis nullement un clan-
destin. Je suis professeur... »
(Le Monde, 22.10.96 )
Lx Arsène Lupin, portrait d’un caractère lb, de Gérard Guasch (1997), ne
tombepasdansce travers, dénoncéégalementpar Élizabeth Roudinesco:
La psychobiographie, cette façon de tout psychanalyser , cette manie
interprétative, beaucoup de mal, mais la psychanalyse
afait n’en est pas
comptable. À moins de s’y être adonnée elle-même.
(Lire, Avril 1997 : 56)
En effet, dansson ouvrage, Guasch analyseLupin et non pas son créateur,
Maurice Leblanc, qui a donné de nombreusesindices sur son héros. Par
ailleurs, il met en rapport cesindices avec les théoriesen vogue à l’époque
de Leblanc. Alors que TisseronmélangeTintin et Hergé et son unique inté-
rêt est de laisserrplaner le doute : on ne sait pasqui de Hergé et Tintin est le
fils de l’autre..

Ceci étant, notre remarqueacerbene supposepasque nousrefusions


le droit à la psychanalysed’interpréter des faits de société. Mais la cohé-
rence de ce qu’elle est par rapport à d’autres méthodesfait que souvent
l’auteur de ces psychanalysesexprime des Cvidencesou des contrevérités.
Par exemple l’historienne américaineLynn Hunt a écrit le ‘roman familial
de la révolution française’ avec le problèmeque sa “lecture” « évacue » les
autresinterprétations.Danssacritique de l’ouvrage Nicolas Weill 77déclare
qu’ainsi :
L’historiographie américaine de la Révolution étale, ainsi, et sa radica-
lité et ses limites.
Mais (indépendammentdes débats franco-français sur la propriété de la
parole légitime sur LA Révolution), et on l’aura souvent remarquécar nous

76 Le terme ‘caractère’ du titre est à lire dans son sens anglais : a characrer, un personnage
imaginaire.
” Lynn Hunt, 1995 : le roman familial de la rkvolution française, trad. par JF Sené, Albin
Michel éd. 1995 : 262 ; ouvrage commenté par Nicolas Weill dans Le Monde du 3/2/1995.

168
le faisons continuellement remarquer, il nous semble que la radicalité des
débats en sciences (sociales et autres) provient souvent de ce que les limites
des méthodes appliquées ne sont pas connues et que les acteurs en cause se
déchirent pour des questions dont ils n’ont pas la solution.

Un anthropologue avait par ailleurs fait remarquer que l’on pouvait


prendre au hasard une série de mots et qu’un structuraliste en tirerait une
étude d’une logique irrefutable. Avec le même procédé les surréalistes ont
produits des écrits intéressants. Qui ne voit pas qu’à partir de la liste sui-
vante (tirée du Petit Robert en ouvrant lespagesau hasardet en tirant le 5éme
nom en gras): 411 commanditaire,633 dévisser,877 fabliau, 1185 inspec-
teur, 1483 nettoyant, on peut tirer des vues d’une grande profondeur :
d’abord, la fréquencedesdoubleschiffres danschaquenombre (11, 33, 77,
11) permetl’exercice de la numérologie,ensuiteon lit clairement cefabliau
où un commanditaire, inspecteur, dévisse un nettoyant ? Ou bien : comme
nettoyant, un inspecteur, poussé par le commanditaire, utilise un fabliau.. .
Molière, déjia,nous en avait fait rire : Me font, Marquise belle, mourir, vos
yeux, d’amour. Le principe logique est toujours irréfutable en soi. Seule
l’action que l’on peut en tirer fonde savéracité et par sonadéquationau réel.
Or notre joli fabliau n’a aucun ancragedans le réel 78, Souvent dans les
analysesde sciencessociales,les exercices d’équilibrisme intellectuel sont

‘* La methode des noms au hasard est également un teste de fluidité verbale trbs appréciee
de la culture française. Un groupe d’instituteurs avait BtC amen6 a plancher quatre heures de
suite sur une série semblable de noms : “dieu, gentration, inconnu, surprise” et une des
institutrices avait patiemment attendu quatre heures qu’on lui donne la permission de sortir,
sur sa feuille elle avait écrit : Seigneur, je suis enceinte, el je ne sais qui. L’exercice est
tellement prise dans notre système éducatif que nous fondons la selection de notre 6lite
administrative sur cette capacité qui tient plus de l’esbroufe de clown que de la réflexion.
En tant qu’exercice mental ce n’est pas sans intérêt. Un de nos professeurs, que
j’interrogeais si je devais, faire Sciences Politique nous l’avait déconseillé en nous disant :
« Quand on dit “Reine d’Angleterre” à un historien, il vous argumente sur la royauié
britannique, un journaliste vous parle des frasques de la couronne, un géographe traite de
Iu la part de la royauté dans la construction du paysage. un élève de Sciences Po, lui, vous
demande : “Voulez-vous ma r6ponse en trois parties-trois paragraphes, ou en thèse-
antithèse-synthèse, ou en deux parties - statique-dynamique ? - trois paragraphes ?” Cela
vous ne savez. que trop bien le faire, ce qu’il vous faut à vous, c’est un carcan, faites de la
géographie ». (nous devions cela à la formation que m’avait imposée M. lafay, notre
professeur en “rhétorique”. Georges Pérec S’&ait fait une spécialité de faire donner aux
mots, par leur hasard, tout leur poids de vérité..

169
irréfutables parce qu’on ne peut pas leur trouver de racines dans la réalité.
Ce qui n’est pas du tout le cas des analyses en sciences naturelles où, ce que
nous appelons la continuit du réel joue à plein : prenons l’exemple de la
paléontologie, Yves Coppens nous raconte nos ancêtres (1983, 1996), il
imagine un scénario mais la validité de ce scénario est testée par les décou-
vertes ultérieures ” qui peuvent l’améliorer, le renforcer ou le controuver,
alors qu’en sciences de l’homme et de la société l’expérience infirme rare-
ment une analyse particulière, on est obligée de la mettre de c&é en atten-
dant que des faits semblables éclairent le cas, mais souvent l’analyse est trop
specifique pour être bouleversée par des ttudes réalisées sur le même cas
avec d’autres instruments (une conclusion psychanalytique n’est pas forcé-
ment mise en cause par une étude macro-économique par exemple : la dé-
faite belge de 1940 est une chose, l’attitude du Roi Albert autre chose
- Lloyd de Mause, 1986) : un fait n’est pas “épuisC” par une interprétation
partielle, au contraire de la physique par exemple. De même un halieute
(Fournier, communication personnelle, 1972), fin mathématicien, nous
signalait qu’à une série de nombres pris au hasard, s’applique toujours une
loi : la difficulté est patente dans les analyses de tests statistiques (Lacombe-
Vaugelade, 1969) -en raffinant à l’infini, on arrive toujours à prouver ce
que l’on veut prouver -. Avec un intervalle de 5 %, on ne doit pas oublier
que 5 % donnent une assuranceerronée, etc.
Nous voudrions ici parler un peu plus abondamment de la question
des politiques de population qui nous paraît poser des questions du même
ordre. Tout démographe croit qu’il arrivera à étudier les politiques de popu-
lation. Ce fut aussi notre faiblesse, jadis. Mais cette question est scientifi-
quement insoluble : les faits qui sont embrassés par une telle optique sont
trop différents, trop divergents, pour que l’on puisse espérer aboutir. En
1980-86, il y eût B I’Orstom des tentatives pour fonder des politiques de

“Par exemple, l’hypothèse que l’homme de Néandertal était un rameau paraMe a dté
prouvte par la nature de son ADN enfin isolée en juillet 1997 seulement (in Cell,
11.7.1997).

170
population comme sujet de recherche. Une note émanant d’une commission
scientifique disait :
que des recherches sur les politiques de population soient mises en (EU-
vre le plus rapidement possible. Il s’agit d’un domaine que la commis-
sion considère comme fondamental et qui paraît devoir donner lieu à la
mise en place d’une équipe à pari entière.
Notre réponse(F. Sodter et B. Lacombe,Novembre 1984) traitait des
différents échecsde projets de ce type, depuis celui de la Division de la
population A New York à celui d’un groupe de recherche marxiste... En
effet, la remarqueest communede dire que Marx a laissétoute la question
de côté en tant que corpusconstruit de réflexion, alors qu’il en parle partout.
L’idée a donc été de refonder cette question. Charles Bettelheim, dans un
polycopié du CDU s” de Paris avait établi un texte de grand intérêt, qui fut
de ceux qui déterminèrent notre appétenceà la démographie,mais... on
n’arrive pas à aller plus loin, mêmesi on arrive à faire plus long que les 80
ou 100 pages, aujourd’hui perdues, qu’il avait produites. Rémy Clairin
affirmait que la CL4 avait financé un groupe de recherchesau Mexique sur
la question.Si ce groupe n’avait rien rt5digéen dehorsde textes de problé-
matiquede recherche,Rémy Clairin pensait,commenous-même,que c’était
parce que ce sujet était un « non-sujet» scientifique, tout simplement.Nos
amis Canadiensde Montréal (Joël Gregory, 1980: Bibliomarx) ont aussi
tentCde poursuivre ou reprendrecet effort.. . maissi tout le monde a échoué
à traiter de ce sujet “scientifiquementcommed’un sujet scientifique” et non
pascommeun sujet de droit, ou de jurisprudence,ou d’observation jouma-
listique ou sociologiquedesfaits de sociCtés...ce n’est pas parce que ces
hommeset ces femmes,qui s’attachèrentà cette question,étaient stupides,

“NOUS n’avons pu retrouver la r<ofhence de ce document malgrk son importance pour


nous, il a disparu
denotre documentation personnelle, Bettelheim traitait en particulier de la
crise de la pomme de terre en Irlande, première colonie de l’bpoque moderne ; un autre
ouvrage du CDU, sur les villes mt?diterranéennes, important de par la logique d’analyse, de
BernardKayser,fait également défautdans notre corpus bibliogruphique.

171
c’est parce que le phénomène ‘politique de population’, sujet sur lequel tout
le monde a des opinions et des lumières, des informations et des données,
est trop complexe. Il fait appel à trop de dimensions hétérogènes de la réalité
sociale pour être traité en termes scientifiques (ce qui n’empêche pas que
l’on peut « écrire » dessus, que ce soit des pamphlets, Michel Debré en avait
fait un de ses exercices favoris, ou des descriptions de cas concrets... qui
sont à la recherche scientifique ce que sont des briques pour une maison).
En tout cas, le défi que Sodter et nous-même proposions que, si les politi-
ques de populations existaient comme objet scientifique, alors on pourrait
voir au jour un ouvrage comme Théories et modèles de la macro-économie,
d’Alain-Pierre Muet, n’a pas été relevé. Sœur Anne n’a rien vu venir. Auch
ado about nothing.

Un des travaux les plus remarquables, selon nous, où a été pris en


compte cette discontinuité de l’information, reflet d’une discontinuité plus
profonde des faits eux-mêmes, est l’étude de Rogelio Martine2 et Javier
Ortiz, 1993, sur le trajectoire scolaire d’étudiants de sociologie mexicains.
Nous pouvons citer aussi un maître-livre, celui de Marc Soriano sur Les
Contes de Charles Pairault (1968). où il est fait appel, dans une même
visée, à la psychanalyse, 21l’histoire, à la psychologie (des jumeaux), à la
littérature et à la sociologie politique sans pour autant qu’une tendance
fusionnelle de ces différents apports masque les hiatus de l’information et de
l’analyse.

Les unités d’observation

Les unités d’observations sont également un problème connexe aux


questions territoriales enoncées précedemment. Nous possédons sur cette
questions de nombreux travaux réalisés par le groupe AMIRA (acronyme de
“amélioration des méthodes d’investigation et de recherche appliquées au
développement”). Fondé par I’Orstom, ~‘LNSEE et le Ministère de la Coopé-
ration, ce groupe, composé de statisticiens et de socio-économistes et long-
temps dirigé par Gérard Winter, a beaucoup fait pour affronter intelligem-

172
ment les questions pratiques d’enquête de terrain, en Afrique particulière-
ment, avant de se dissoudre. Nous-même, y participant a titre de membre,
avons suivi les débats qui s’y déroulèrent et contribué par certaines analyses
à la discussion *t d’autant que celle-ci répondait à nos propres interroga-
tions. Un ouvrage de synthèse a été produit sur les unités d’observation,
édité par Jean-Marc Gastellu (1982). On pourrait reprendre le même type
d’analyse que ce qui a tte dit sur les territoires et frontières : chaque disci-
pline, ou chaque objectif scientifique, construit une base d’observation et un
découpage conceptuel du réel, et ce découpage ad hoc contredit celui d’a-
côté. Ainsi, les besoins des études de consommation définit un espace social
que l’on pourrait qualifier comme « ceux qui mangent la même cuisine »,
mais sur le plan de la production agricole, on a l’exploitation qui ne corres-
pond pas forcément à l’unité démographique du ménage pour les recense-
ments et à coup stIr diverge du couple pour la fécondité, mais que faire en
cas de polygamie, comme nos travaux avec Charreau et Vignac (1970) l’ont
prouvé ? On a un ttude de Chebika (oasis de Tunisie) par Jean Duvignaud
(1964), qui s’amuse des démographes en prouvant que leurs definitions sont
déplorables. . . C’Ctait le début de la grande mode du « stupide comme du
quantitatif ». Or, le problème, c’est que cette recherche de Duvignaud, qui
nous avait par ailleurs beaucoup intéresse, se donnait comme un absolu
quand il n’était qu’un relatif et la “vérité anthropologique” qu’il dévoilait
n’ttait pas plus efficace, en l’absence d’orientations précises et fermes,
qu’une “vérité démographique”. On ne reviendra jamais assez sur le fait que
c’est l’utilité (l’objectif poursuivi) qui détermine de la valeur du concept et
de l’instrument. Les unités d’observations, fluctuantes selon l’objectif, sont
donc à lier decidement a l’objectif visé : c’est en fonction de lui que l’on
doit juger de leur pertinence, c’est-à-dire de leur efficacité.
Nous pouvons revenir sur ce concept de ‘cuisine’ comme unité
d’observation en économie africaine de l’ouest, tel que Jean-Marc Gastellu,
le lança par un article fort alerte : Mais où sont ces unités économiques que

” Lacombe 1972, 1975, 1982, 1984. 1989.

173
nos amis cherchent tant en Afrique (1978). Dans un ouvrage (198 1) Gastellu
reprit également cette discussion. Nous nous arrêterons là au strict point de
vue de l’observation initiale et non de sa discussion économique :

Dans les villages de Ngohé (Sine sénégalais), Jean-Marc Gastellu par


une immersion dans ces villages (observation participante classique, mais
l’étude avait un objectif économique) en arriva à la conclusion que l’unité
économique pertinente était la cuisine. Comme son observation recoupait
largement notre propre observation sur une autre zone sérère sz du Saloum
sCnégalais (Lacombe, 1972 83), nous avions dCcidé de préciser la réalit de
cette unit6 d’observation ‘nouvelle’, en effectuant dans le cadre de l’enquête
dtmographique de l’arrondissement de Niakhar (dans le Sine également,
comme Ngohé) au recensement des cuisines, concession par concession (la
concession équivaut à une famille étendue, Lacombe, 1983 84). Quel ne fut
pas notre étonnement de voir la proportion de cuisines “fondre” au fur et
mesure de l’enquête de terrain ? Il n’y avait pas de biais géographique, pas
de biais d’équipe d’enquêteurs, les définitions paraissaient bien calées, un
briefng g6néral n’aboutit à rien, il fallut voir de près de quoi il retournait.
Nous ne mettons absolument pas en cause la validité de l’observation de
Gastellu sur Ngohé, mais nos conclusions titrées du recensement de
l’arrondissement de Niakhar mit en bvidence que la cuisine ne pouvait, pas
plus qu’une autre unité conccc?teconnue, r6soudre le probl&me de “ces unités
économiques que nos amis cherchent tant en Afrique”, dont il avait fait le

*2 Nous gardons la vieille transcription du terme ‘s&ère’. Les SBnbgalais,B juste titre,
utilisent de nouvelles graphies plus conforme aux prononciations vernaculaires. De même,
les Malgaches ont voulu redonner if leur capitale le nom originel qui est le sien : Antanana-
rivo, mais nous ne voyons pas pourquoi il faudrait pour nous les adopter par suivisme de
mauvaise conscience. Les Anglais disent London, et nous écrivons toujours Londres, Les
Portugais disent Lisboa et nous 6crivons Lisbonne. D’ailleurs nous n’avons pas compris
pourquoi les SénCgalais n’ont pas retranscrit Dakar en Ndakaru, qui est son nom vernacu-
laire. C’est différent poui Bandyul, l’ancien Bathurst puisqu’il y a eu changement de nom
(Bandyul est le nom vernaculaire s6rére de cette ville d’ailleurs), ou Benin pour Dahomey.
II est curieux que chaque fois que les Français sont confronté concrètement avec leur passC
colonial, ils surenchérissent dans la décolonisation comme s’ils Btaient toujours des ac-
teurs !
83 L-es Communautés rurales de la Pointe de Sangomar, Sine-Saloum, S&égal.
84 La question est très complexe et nous la laissons de côté ici : Famille et thidence dans
les villages de la Pointe de Sangonrar. Étude pour la rtunion du CICRED de décembre
1983. Paris : 32.
titre de son article. En effet, au d6but de la saison chaude et skche préc6dant
les pluies, les gens s’occupent, charité bien ordonnée, de leurs propres
champs. Les femmes travaillent 21leurs champs personnels et, durant cette
période, puisent, pour elles et leurs enfants, dans leurs greniers personnels.
Le mari, s’il prétend manger avec elles doit fournir du grain ; quant aux
autres membres du ménage, ils travaillent leurs champs personnels et se font
leur frichti à part ou bien donnent leur quote-part, lequel détermine
l’existence d’une ‘cuisine virtuelle’ - déclarée comme cuisine concrète. Plus
tard, ces personnes travailleront sur les champs de leur ménage, plus ou
moins élargi s’il y a plusieurs épouses et affiliés (parent un peu âgé du mari
par exemple, dgpendant), dans ce cas, il n’y aura plus qu’une cuisine pour
l’ensemble de ce groupe domestique. Quand ces terres seront cultivées,
et/ou, le grenier afférent vidé, les membres du ménage vont coopérer collec-
tivement à la culture de champs de caractère plus collectif encore, par
exemple celui de la famille élargie, celui de la concession, jusqu’à travailler
en grand groupe le ma mâk, champ collectif du quartier.,. et alors la
‘cuisine’ seraréalide par quelquesfemmes,pour l’ensemblede la commu-
nautéen cause... et on a alors moins d’une cuisine par concession... ce qui
est absurde.IA cuisine, loin de fonder une unité socialeétait définie par des
liens sociaux.

Pour conclure donc notre observationsur lesunités d’observation, on


peut dire :

l une mêmeunit6 d’observationn’estjamaistout terrain géographique;


l une mêmeunité d’observation n’estjamaistout terrain conceptuel ;
l le réel n’offre jamais toute prête une unité qui soit à la fois concrète et
conceptuelle.

Sauf exception naturellement, mais valable alors dans un ici et


maintenant restreints, ce qui était peut-être le cas de Ngohé, étudié par
Gastellu.

175
Qui répond au nom de qui ?

L’unité d’observation est aussi des personnes interviewees, en elles-


mêmes et sur elles-mêmes, ou comme “porte-parole” d’une unité qui les
inclut. C’est le cas des ‘chefs de ménage’, qui parlent au nom de leur mé-
nage (réalité concrete au sens où un groupe de personnes le forme), ou des
femmes, qui parlent (par exemple) de leurs fécondité (réalite qui n’a pas
“d’autonomie d’expression”, si on peut s’exprimer ainsi), Jusque là il n’y a
pas de problème. Mais tout se complique quand, pour un ménage, disons
une famille restreinte (couple plus enfants), on interroge l’homme et la
femme : ils peuvent avoir des vues divergentes sur les sujets les plus divers,
y compris ceux qui ne devraient pas ‘poser de problèmes’ : ce peut être le
nombre d’enfants (nous avons rencontré plusieurs fois le cas et pratiquement
chaque fois, en vérifiant dans le détail, c’est.. . le mari qui avait raison quant
au nombre d’enfants), les revenus, les dépenses, les droits de propriété etc.. .
Quel informateur privilégier ? Le chercheur individuel, comme nous l’étions
dans les cas cités trois lignes plus haut, résout facilement la question. Quand
on fait des enquêtes collectives, ce n’est pas évident de trancher et, sauf a
avoir organisé la double collecte (dans l’exemple choisi sur les hommes et
les femmes, mais ce pourrait &tre les chefs de ménage et leur fils aînt, etc.),
on affronte des biais d’enquêtes insolubles. On obtient des images differen-
tes d’un même réel (si ce réel existe, comme le nombre de bêtes possédées
par le ménage, mais ce n’est pas certain : une femme qui possède des co-
chons les soustraira des biens du menage quand son mari les inclura, tous
deux avec d’excellentes raisons logiques, de tradition, d’usage, objectives,
juridiques et pratiques.. ,)

De même les échantillons, on croit que les échantillons, qui “parlent”


au nom de la population totale, sont neutres. C’est faux : un échantillon
statistique, d’une certaine manière, est un individu. Il est représentatif des
grandes variables mais pas des variables de détail, peu représentées dans
l’échantillon vu sa taille absolue. Dans le projet de Chalco, ville de Mexico
(Lacombe et ai, 1992) nous avions plusieurs équipes et un plan de référence

176
(établi par Jorge Gonzaléz Aragon) qui était une base cartographique com-
mune. De cette base, les différents chercheurs ont tiré des sous-tkhantillons
représentatifs pour leur problématique particulière. Les “images” fournies
lors des premiers traitements informatiques par ces sous-enquêtes particuliè-
res (sous-enquêtes par rapport à l’échantillon ayant été utilisé pour l’enquête
collective disposant d’un questionnaire complexe ou ‘complet’) étaient
divergentes. Certains des chercheurs se sont serieusement accrochés à la
sortie des premiers résultats.. . alors que l’image définitive donnée par les
différents travaux soutenus dans le cadre de projet (thèses nouveaux régimes
de Sonia Comboni (Nanterre, 1996), Dominique Mathieu (1995, Toulouse),
José Manuel Ju&rez (Paris 1, 1964), ou Jean-Michel Eberhard (1995, Paris
4) par exemple) sont confondantes de convergence sur les grands thèmes.
Mais dans le cadre de la synthèse que nous avions du produire à la fin des
premières analyses, nous avions été dans l’obligation de délaisser certaines
conclusions parce que nous ne pouvions, de l’extérieur et « à chaud », tran-
cher entre professionnels Cgalement compétents, sérieux et informés, mais
dont les divergences tenaient aux divergences “d’individualité” des tchan-
tillons.
L’information est donc relative à l’informateur, à sa position dans la
société, à son sexe, à son statut social... sans parler de ses caractéristiques
personnelles : certaines personnes n’ont rien à dire sur certains sujets et
quand on les interroge on obtient ce que l’on voit et entend sur nos medias,
où des gens qui n’ont rien à dire se voient forcés par des journalistes pressés
de le faire savoir, parfois maigre eux. Ce n’est insulter personne que de dire
que certains ne savent pas bien s’exprimer (Marcel Achard ne desserrait pas
les dents des journées entières *‘, un chanteur-compositeur français talen-

*’ On connaît l’histoire de Marcel Achard mis lors d’un grand raout à coté d’une sémillante
personne qui se dépensait sans compter pour nouer le contact avec lui. Achard restait de
marbre. La soirée tirant B sa fin, la jolie personne craque et lui dit : N Soyez gentil, Mon-
sieur Achard, j’ai parie que j’arriverais a vous vous faire dire quatre mots a, et Achard de
répondre : * Vous avez perdu ». D’Achard on a aussi l’histoire oh lors de l’épuration, il
Btait allt en prison voir un autre homme de lettres, qui n’t?tait nullement de ses amis, pour
marquer sa solidarité avec ce que le Tout-Paris considérait comme une injustice, mais
n’avait pas le courage de l’exprimer publiquement dans ces temps de surenchbre. Marcel

177
tueux et très connu, Chedid, paraît supporter les interviews que le système
médiatique moderne lui fait subir comme un vrai calvaire. Et il faut bien
aussi entendre que l’enquête est en grande partie un processus de connais-
sance qui recours à l’oralité et le recours à l’informateur fait de celui-ci un
maillon stratégique de la collecte (Laplantine, 1996).

De quelques points « mineurs »

Notre ambition n’est pas de repertorier la totalité des difficultés que


l’on peut rencontrer, mais on peut cependant en lister rapidement quelques-
unes avec l’ambition de montrer que la pratique est souvent imprudente
d’une part et, d’autre part, pour signaler que l’observation doit, pour être
efficace, clarifier le plus qu’il est possible le champ de sa perception.

Discret et continu

Les phénomènes sont soit discrets, c’est-a-dire qu’il apparaissent et


disparaissent (les individus d’une population sont discrets) ou continus (la
population est un phénomène continu). Mais un objet scientifique en-soi
n’existe pas : quelque soit sa nature, l’objet construit peut être different :
l’.Qge ou le temps sont continu, pourtant on les étudie comme discontinus
(tel âge, ou telle année).

Objet qualirutiJ objet quantitatif

De même en ce qui concerne la qualité des objets scientifiques, on ne


doit pas confondre ce qu’ils paraissent être dans notre mode sensible et leur
traitement scientifique : si le sexe est une donnée qualitative, elle se prête
très bien à un traitement quantitatif. Par contre l’âge qui est une donnée

Achard resta toute une heure sur un tabouret face au prisonnier,,. sans dire un mot,, puis
partit quand le délai fut ~COUIC.
quantitative (et continue comme il l’a été dit au paragraphe précédent)
s’analyse comme une donnée qualitative classée.
Les analyses suivent les mêmes errances : un entretien qualitatif peut
parfaitement être étudié quantitativement par l’analyse dichotomique, de
même d’ailleurs que les modalités d’un état... On voit là encore que les
nouvelles technologies unifient la pratique scientifique et rendent obsolètes
la plupart des conflits qui faisaient rage dans les années 60 et 70, et dont la
survivance n’est qu’un jeu social d’attardés ou un masque sur des conflits de
pouvoir au sein des équipes scientifiques.

Diachronie et synchronie

A priori, il pourrait sembler que diachronie et synchronie soient de


nature bien définie, pourtant les chercheurs vont allègrement de l’un à
l’autre quand ils veulent prouver quelqu’idée. On a les éternelles querelles
polarisées par une histoire sans présent et une anthropologie qui fait du
présent sans histoire. Les démographes sont familiers de forger un instru-
ment dans la diachronie et de l’utiliser dans la synchronie comme on le voit
avec les tables de mortalité. Construites a partir de générations fictives elles
expriment mieux le réel d’être exposées dans le moment. Nous avons vu
précédemment comment le temps pouvait jouer de vilains tours au cher-
cheur quand nous avons exposé les résultats de notre enquête sur les cuisi-
nes en pays sérere de la région de Niakhar.. . Sans trop insister, l’extension
dans le temps de conclusions est aussi hasardeux que leur extension dans
l’espace. Le moment n’est qu’un morceau monographique non-représentatif,
il ne faut pas l’oublier. C’est aussi un ‘individu’ (un morceau de réei con-
cret) et comme tel, ses caractéristiques “individuelles” peuvent l’emporter
sur la part de généralite qu’il recele, comme tout individu. Nous savons que
cette manibre de présenter les choses n’est pas courante, pourtant, nous
pensons qu’elle est exacte et devrait recevoir plus d’attention en sciences
sociales qu’ailleurs où, le temps se déroule d’une manière irréversible

Achard resta toute une heure sur un tabouret face au prisonnier... sans dire un mot, puis
partit quand le délai fut écoulé.

179
(Conche, 1990 : 221-260). La pratique scientifique touche à «l’ordre du
monde » (Conche, 1990 : 241), elle se doit d’en tenir compte.

Passé et avenir

L’École de Palo Alto (Yves Winkin, éd., 1984) a largement critiqué


le marxisme parce qu‘il privilégie la connaissance du passé pour en déduire
l’avenir, La réussite globalement négative des économies de l’Est Europeen
ne lui donne pas tort. La tendance, en France particuliérement, est de trouver
le “pourquoi” des choses aux dépends du “comment” inscrit dans leur fonc-
tionnement. Privilégier le pourquoi amène à un allongement de la recherche
dans le temps de travail (enquêtes historiques longues) et une incertitude
quant aux r&wltats. De toutes les façons, une fois que l’on sait, si l’on sait
jamais, pourquoi les choses sont devenues ainsi, cela ne donne aucune
indication pour savoir ce qu’elle vont devenir et comment les faire devenir
autrement. Nous n’avons pas de position personnelle ferme sur ce sujet
délicat, mais nous sommes persuadé qu’une recherche tournée vers la dé-
termination du passé n’est pas heuristique pour l’tvaluation des conditions
futures, Mais les recherches tournées strictement vers l’utilitaire tournent
vite court également. Il nous semble, ici encore, que la solution ne saurait
être individuelle. La recherche est le fruit de l’action d’un « chercheur col-
lectif », dont il reste à organiser plus intelligemment l’activité qu’aujour-
dhui...

Phénomène et situation

Nous reconnaissons que la différence entre phénomène et situation


pourrait être passée sous silence, mais notre passé de démographe nous
l’interdit. Dans une étude scientifique, très souvent une information inter-
vient en plusieurs endroits, quand c’est une donnee, nous disons qu’elle
apparaît en plusieurs sous-fichiers. Un même Cvénement peut être un phé-
nomène, une situation, un individu : Louis Henry nous avait obligé pour
notre étude de Fakao (1969) à préciser notre vocabulaire, et donc notre
pensée : une naissance est un évenement pluriel : c’est un début de vie pour

180
l’enfant, une fin de grossesse et un début d’allaitement chez la mère, c’est
aussi un événement pour la population, et l’apparition d’un individu. De
même, la noce n’est pas le mariage : dans nos sociétCs on connaissait un
court laps de temps entre le mariage civil, religieux, social (les noces elles-
mêmes), la consommation : si on excluait les fiançailles, tout se passait en
vingt-quatre heures. Aujourd’hui les choses ont changé et le mariage a perdu
ce caractère ordonne et total qu’il avait dans notre société (Lacombe, 1982).
Cela peut paraître trivial exprimé ainsi, mais les grandes idées ne sont pas
forcément complexe et beaucoup de recherches très complexes auraient été
mieux menées si leur auteur s’était livré à ce “nettoyage” conceptuel préala-
ble.

Structure et mouvement

Nous avons avec structure et mouvement un phénomène semblable à


celui abordé prkcédemment de diachronie et synchronie. Le glissement
sémantique, méthodologique et conceptuel du continu à l’instantane, comme
celui du global au local, comme celui du micro au macro est ici mieux
connu quoique tout aussi négligé. En effet, on peut passer mathématique-
ment de la structure au mouvement, mais pas l’inverse a cause de
I’existence de la constance d’intéaration, fréquemment oubliée dans des
travaux mathématiques tendant a traduire les modèles empiriques 86. L’idée
de base est de passer de l’un de ces Btat a l’autre sans problème, mais nous
croyons que c’est une illusion. Trop de preuves nous semblent avoir été
données par les travaux que nous connaissons.
Dans un cours au CEPE, Jean Cartelier et aussi dans son ouvrage
avec Carlo Benetti (1980), aborde cette question des difficultés de passer
entre la structure (la richesse) au flux (la marchandise), Marx avait cru

*’ Perrier, Rieu, Sposito et Marsily, 1996 : Models of the wuter retention curve for soils
with a fractal pore size distribution, voir particulièrement l’observation B propos de Two-
Parameter Mode! page 3026 où sont critiques des auteurs ayant fait I’&onomie de cette
constance d’intégration.

181
trouver le point de liaison en faisant de la théorie de la valeur son passage
du nord-ouest, mais les équations macro-économiques actuellement ne
paraissent pas devoir confirmer ses thèses. Boutillier, Quesnel et Vaugelade
ont également produit (1977), en démographie, à propos des migrants mossi
de Haute Volta (Burkina actuel) une analyse où le flux et le stock se révèlent
irréductibles l’un à l’autre. Peut-être avons-nous en sciences sociales des
impossibilités du même genre que celles que l’on trouve dans les sciences
physiques dans lesquelles on accepte de ne pas pouvoir saisir en même
temps la vitesse et la position. Vouloir donc lancer des recherches pour
trouver ces passages du nord-ouest chers à Michel Serres, n’est peut-être pas
une absurdité théorique mais c’est sfirement une erreur tactique, actuelle-
ment tout au moins.
Observons aussi que très souvent sont m6langés trois types de don-
nées : les données de structure, synchroniques qui sont une photographie de
“l’ici et maintenant”, les donnCes longitudinales, qui sont le suivi continu
d’une même population ou d’un même phbnomène sur une période plus ou
moins longue, et les données dynamiques résultat de l’interaction de plu-
sieurs facteurs, qui mêlent et mixent des données de structures avec des
séries temporelles (avec plusieurs recensements les démographes obtiennent
des évaluation de migrations). En démographie et en économie, les choses
sont à peu près claires, il semble que dans d’autres disciplines ce ne soit pas
le cas.

En conclusion générale ZIces chapitres 5 à 7 qui ont exploré les diffé-


rentes contradictions dans l’information en sciences sociales, avec les con-
séquences que l’on a montrées quant aux projets multidisciplinaires, nous
dirons que quoique la nature présente une continuité certaine entre les phé-
nomènes, qu’insensiblement on aille du local au global, du petit au grand en
passant par le moyen, du continu au discontinu, etc., il n’en reste pas moins
que la nature elle, ne se donne pas ainsi a capter et que nos instruments,
physiques ou conceptuels pour la saisir ne sont jamais parfaitement ad6quats

182
et donc jamais parfaitement transmissibles d’un terrain à l’autre, d’un sujet à
l’autre. Prenons l’exemple de cette côte chère à Mendelbrodt (Gleick, 1989,
129) : c’est toujours la même plage, mais. si vous grossissez votre vue, vous
n’arrivez pas à lisser mieux votre tracé entre l’eau et la terre et, dans
l’infiniment petit, chaque grain de sable, chaque molécule d’eau augmente
la distance du tracé à.. . l’infini. Il faut atteindre les mesures atomiques pour
que le processus d’allongement de la c8te cesse, tout comme alors cesse le
problème qui se dissout dans le néant... Reconnaître ce dCfaut de notre
perception du monde est essentiel à la compréhension des données scientifi-
ques que nous construisons, que nous inventons, même si, quelque part,
elles appartiennent au monde qui nous est donné.
Pourtant, nous n’en avons pas terminé avec ces irritantes contradic-
tions que les sciences de l’homme et de la société se plaisent à nous dévoiler
dans l’effort que nous faisons pour approfondir nos connaissances scientifi-
ques, tout un ensemble de questions ardues se cachent derrière un débat
éculé et essentiel entre qualité et quantité.

183
Chapitre 9
Qualité et quantité

Quantité et qualité, monographie, le travail individuel et collectif


sont les trois plus importants items qui nous paraissent les pommes de dis-
corde de la question quantitatif/qualitatif, faux probléme s’il en est, même
s’il est utilise de garder ce couple de mots pour converser sur les grandes
tendances de la science.

Cas statistique, cas exemplaire

L’analyse statistique suppose que les données rassemblées ont une


structure implicite. Tel est le postulat de l’analyse statistique : soit un en-
semble de données, l’analyste suppose que, quelque soit l’hétérogénité de
ces données (temps, espace, objets d{crits...), une structure cohérente est
‘décrite’ par ces données. Ces données ont un ‘lien’ et l’analyste doit le
mettre en évidence. On oublie toujours, quand on critique une analyse sta-
tistique (ou toute autre d’ailleurs), que ce postulat doit être admis, et que
seul le résultat compte, qui est la preuve logique de l’existence d’une cohé-
rence, et de la définition logique de cette cohérence et de ses limites.
Dans une analyse quantitative, ce qui importe, c’est la description
des diff&ents états des variables. II est trbs rare que l’on puisse a priori ou a
posteriori définir l’étendue du champ de variation. De, toutes les façons,
quoique l’on fasse, quelque soit l’effort réalisé pour circonscrire la question,
on a toujours des cas qui sortent des normes que l’on s’est fixé. En démo-
graphie, on a deux cas bien clairs : celui de la résidence, celui de l’état de
mariage. Sur ces deux concepts nous avons personnellement beaucoup
écrit 87, car les difficultés ne sont pas d’ordre politique (‘impérialisme’ des
Occidentaux qui imposeraient leurs normes aux pays africains, ce qui est
leur faire trop d’honneuret surestimeleurs capacitésde maîtrise du mouvc-

ment du monde), ni techniques(commentdécidertel ou tel cas), maisépis-


témologique: la fluidité du réel est trop grandepour entrer dansnotre cadre
de définitions, mêmeraffiné à l’infini. Mais, aux réductionsacceptéesprès,
on arrive à décrire le phénomènedansles termesde l’analyse, et on rejette
les cas bizarres, aberrants,mal vus ou mal construits... D’une certaine
manière,l’analyste retombesur sespieds: si (et seulementsi) il a employé
une “bonne” methoded’analyse,il arrive à extraire d’une foule de données
une structure dbmonstrativeou explicative “correcte”. Dans les étudesqua-
litatives, on ne procèdepasainsi : la structure desphenomeneétant cachée,
comme pour le statisticien,et la totalité cherchéeéchappant,on va recher-
cher au contraire le cassignificatif, celui qui éclaire la structure.

Dans un travail [Lacombe, 1969), nous avions pu effectuer le rap-


prochement des deux types de cas, suivant l’hypothèse que, puisque les
Sérèressont matri-linéaire (dévolution des bienspar les femmes)et virilo-
Caux (résidencechez l’époux), alors, quand une femme est en visite, c’est
plut& avec une de sesfilles (élément essentielpour la mémorisationde la
parenté)qu’un de sesfils qu’elle sefait accompagner: le calcul « prouva »
que l’hypothèse se vérifiait : le fait pertinent était vérifié par la statistique.
Dans l’enquête précédemmentcitée des migrants vers la Côte d’ivoire, le
cas a étt plus douloureux. Les anthropologues(sociologuesetc.), suivant la
filière de connaissancesinterpersonnellesqui les amèneà puiser leurs in-
formations danstous les stratesde la société,avaient, par la force des cho-
ses,eu dans leur ‘tchantillon d’observation’ des personnagesimportants,
des caciquesdu systèmesocial mossi. Personnesrares en effectif absolu
mais qu’un anthropologuene peut Cviter de rencontrer. Ces personnesal-
laient donc, au nom des fonctions qu’elles exerçaient, « faire la quête » en
Abidjan auprèsdes migrants originaires de leur zone d’influente.. . et ils
ramenaientchacunbeaucoupd’argent. Les démographeseux, avaient peu de

*7 1967 -avec S. Charreau-, 1968, 1968 & 1969 -avec J. Vaugelade-, 1974 -avec A. Bel
Hadj-, 1975, 1979 -avec L. Gueye-, 1982 -avec P. Saada-, 1982 -avec R. Clairin-, 1982,
1984.

185
chance de “tomber” sur ces ‘Cvénements statistiques rares’ **. Effective-
ment, ils n’en eurent pas dans leur échantillon aleatoire... La divergence
entre les apports des deux disciplines était dramatique et insoluble, chacun
optant pour sa religion : l’aléatoire quantitatif ou l’ineffable qualitatif. Une
étude avait donc été refaite pour accorder les violons : l’expertise par la
macro-économie avait de nouveau divergé des résultats des études écono-
miques fines. Le problème était insoluble, il faut l’admettre : le cas statisti-
que ne correspond pas au cas significatif.
Nous voudrions aussi rapporter un autre exemple. Gérard Althabe
(1966), dans son étude sur les Betsimisaraka de Madagascar, conclut de son
observation qualitative (enquête participante), que les Betsimisaraka se
vêtent en traditionnel pour cultiver le riz de montagne, traditionnel, alors
qu’ils s’habillent à l’européenne pour travailler sur les champs de rapport
(cultures de rente). La conclusion nous avait paru personnellement trop .
belle... Un jeune agronome de la SATEC ” séduit, comme beaucoup de
gens, dont nous, par l’hypothèse, voulut la vérifier : il fit soigneusement
noter deux saisons entières les habits portés par un tchantillon aleatoire de
paysans selon la nature des cultures effectuées, traditionnelles ou de rente.
Le résultat n’a pas correspondu à l’hypothèse : celle-ci n’était pas vérifiée.
La conclusion tiree par le jeune agronome disant qu’Althabe (1966) avait
fait une mauvaise observation, négligeait l’écart de temps entre
l’observation statistique et l’observation anthropologique, l’échantillon etc.
De plus, même si l’anthropologue a été quelque peu optimiste et trop rapide
dans sa conclusion, l’hypothése générale qu’il avait posée sur la societé
betsimisaraka n’était pas pour autant “démolie” par la “vérification” statisti-
que... Une fois de plus, nous rencontrons ici l’incompatibilité entre une

“Cependant, les sondages produisent quelques fois des gags savoureux : en 1956,
l’enquête au 1/20” de la Guinée, colonie française à l’époque, avait trouve dans son Bchan-
tillon l’evêque de Conakry. Les resultats publièrent dans la catégorie professions : “total
Guinée, évêques = 20”. L’évêque demanda gentiment au service de statistique si on aurait
l’obligeance de lui presentet ses 19 autres collègues.
89 Nous ne nous souvenons pas de son nom.

186
observation fondée sur des cas exemplaires, qui révèlent une structure, et
une observation statistique, qui la décrit “.

Qualitatif & quantitatif

Le clivage quantitatif / qualitatif fait partie des dichotomies que l’on


se plaît a débattre. On pourrait citer d’autres couples tout aussi pervers,
comme fondamental / applique.. . II faut d’abord écarter l’envie de brocarder
ceux qui se sont complus, ou se complaisent encore, dans ces vaines que-
relles, ou ces querelles que nous jugeons vaines : le qualitatif n’existe pas.
Pas plus le quantitatif. C’est seulement un couple de pensée, pratique pour
discuter, mais qu’il ne faut pas prendre au sérieux sous peine de tomber
dans un épisode du Quichotte, par exemple la fameuse bataille contre les
moulins à vent.
Dans une étude sur la question, Philippe Couty, du Groupe Amira,
avait très sérieusement schématisé la question en plaçant le qualitatif
comme une procédure préalable aux procédures quantitatives. Sans affirmer
qu’a un certain niveau de discussion cela peut s’entendre (pour la construc-
tion d’une enquête quantitative par exemple), c’est tres abusif : où est la
poule, où est l’œuf? Éternelle question, question sans intérêt. Le quantitif
est un ordre de connaissance, le qualitatif, un autre. Pour connaître, il faut
utiliser les deux modes et savoir ce que l’on perd comme information et
certitude quand on utilise l’un ou l’autre.
D’une manière générale, on attribue au qualitatif une qualité qu’on
doit lui nier si l’on se refère à l’évidence que l’on n’observe que ce que l’on
attend (voir la première partie de ce travail) : le qualitatif serait spontané, ce
serait une observation non-organisée.. . C’est, en science, ce qu’est le spon-
tanéisme des masses en politique, ce spontanéisme cher à Rosa Luxem-
bourg. Les travaux mathématiques de René Thom (mcdaille Fields 1958)
devraient alerter cependant les tenants du qualitatif. Il serait «plus hu-
main », disent-ils, car il tient compte du sujet, on parle avec lui, on l’inclut

w Du verbe ‘décrire’, et non pas du verbe ‘dhier’, quoiqu’en pensent des qualitativistes.

187
dans la collecte de l’information, quand il n’en est pas le décideur de la
recherche comme dans certaines dérives de l’ethnométhodologie. De dérive
en dérive, le qualitatif prend une allure de procédure qui saisirait l’objet
scientifique dans toute son étendue et en restituerait toute la profondeur.
C’est confondre, en ceci, le don d’expression avec la réalité décrite. Il nous
semble qu’il y a une erreur méthodologique dirimante : l’objet scientifique
est un morceau bien circonscrit du réel dont l’existence est méthodologique,’
ce n’est pas un objet ‘en-soi’, c’est un objet construit. Rappelons cette
observation de Lucien Goldmann :
Pour le chercheur, la signt$cation du fait individuel ne dépend, en effet,
ni de son aspect sensible immédiat - il ne faut jamais oublier que pour
l’historien le donné empirique est abstrait - ni des lois générales qui le
régissent, mais de l’ensemble de ses relations avec le tout social et cos-
mique dans lequel il est inséré.
(1959 : 265)
Par ailleurs, ce qui nous gêne le plus c’est qu’il est trop souvent le
cheval de bataille de gens qui se refusent à aborder les questions scientifi-
ques sur lesquelles ils se fondent. La dernière fois où cet argument nous fut
opposé, il était exprimé, dans un projet multidisciplinaire fondé sur
l’hydrologie (dont nous filmes obligé devant le résultat de refuser de voir
figurer notre nom dans le rapport final) sous la dénomination de “démarche
naturaliste”, “saisie globale du milieu”, “expression des qualités du pay-
sage” , “expression des relations unissant qualitativement les phénomènes”
et autres billevesées. C’était, à la science, ce qu’étaient les pr6dictions de
feue Madame Soleil à la prévision économique. Précédemment, dans un
projet antérieur, ce fut au nom de la qualité de vie dans un projet sur
l’urbanisation ; encore avant, c’était au nom de l’intimité du sujet qu’agresse
l’attaque sorcière, etc. Chaque fois que cet argument est utilisé comme
argument (et non comme tendance dans un champ épistémologique de
possibles), chaque fois l’expérience nous a amené à mettre en cause ulté-
rieurement la compétence professionnelle du chercheur ou son incapacité h
se plier à toute discipline collective de recherche (en général cette dernière
caractéristique est corrélée avec une forte capacité à imposer une discipline

188
de recherche aux autres). Robert Pirsig (1974) traitera justement cette con-
ception qualitative de ‘romantique’ :
L.e style romantique est inspiration, imagination, création, intuition, les
sentiments 1‘emportent sur les faits. Le romantisme joue l’ut-2 contre la
science. Il ne se laisse pas guider par la raison ou par des lois, mais par
le sentiment, l’intuition, la sensibilité esthétique. Dans la culture nord-
européenne, ce style est fréquemment associé à la féminité - une asso-
ciation qui ne s’impose aucunement.
Pirsig, 1974 : page 65 de la traduction française
Or le qualitatif n’a rien à voir avec la qualité, ou du moins peu à voir.
C’est un reste, n’en déplaise à ceux qui le defendent. Quand on ne sait pas
comment qualifier une méthode, ou qu’on ne sait pas comment la définir
parce que c’est rien et n’importe quoi on la juge “qualitative”. Mais les
méthodes dites couramment qualitatives ne sont pourtant pas “n’importe
quoi” : les travaux sur la parenté, l’analyse de Richard Pottier sur
l’anthropologie du mythe (1994), ceux de de l’École de Palo Alto sur la
communication, de Beauvois et Joule sur la manipulation (1994), de Wolf
Lepenies sur la science et la litterature... ne sont pas des travaux
“qualitatifs”. Ce sont des travaux scientifiques : l’affinage des observations,
l’affûtage des instruments, la rigueur des analyses, la clarté des expositions,
tout contribue à «objectiver » les conclusions et à les universaliser. Une
enquête qualitative, faite sans questionnaire, peut être rigoureusement me-
née. On le voit bien dans les enquêtes de consommation ou d’évaluation de
publicités par les techniques de focus group (cf 3émepartie). Nous avons
réalisé dans le secteur privé des bureaux d’études de telles recherches ; ce
qui ttait remarquable était que nous étions à chaque fois plusieurs enquê-
teurs nantis d’un simple protocole d’investigation limité à quelques lignes et
souvent à une unique question et, en travail de groupe, nous confrontions les
informations collectées et les conclusions auxquelles chacun aboutissait :
elles avaient une remarquable convergence. Dire qualitatif n’est pas dire
personnel, sensible, ineffable.. . On doit ici aussi devoir moduler les juge-
ments habituels. Qualitatif n’est pas quantitatif, mais il peut être normé
(analyses de parenté ou de linguistique, une partie des mathématiques,
même si on aboutit pour certaines à des calculs). Quantitatif n’est pas arith-

189
métique : le «chiffre », cette bête noire, cette « obscénité » que réprouvent
tant d’adeptes de sciences sociales vissés sur le fauteuil de leurs ignorances
et de leurs incapacites, n’est pas seulement un nombre, c’est aussi une idée.
Et à lui ne se limitent pas les mathématiques. Nous pourrions dire que ne
sont pas mathématiques les analyses statistiques qui tiennent de la
« cuisine » des chiffres
Le quantitatif n’existe pas plus que le qualitatif, Il est tout aussi
divers dans ses approches et ses résultats. Depuis que l’usage des machines
informatiques s’etend, toutes les disciplines y recourent. On a pu ainsi, en
analyse dichotomique, ttudier les abbayes cistériennes de France et détermi-
ner comme cistériennes des abbayes qui n’étaient pas nomenclaturées
comme telles (et les recherches purement qualitatives historiques confirmè-
rent le fait). Comme le qualitatif, le qualitatif est un énorme «pot » dans
lequel on mêle l’arithmétique la plus simple avec, à l’autre bout de la
chaîne, les analyses à la Benzécri. Le calcul informatique est-il vraiment
quantitatif ? La statistique est un autre champ que le quantitatif, elle est bien
differente du quantitatif bête.
Ce que l’on peut affirmer c’est que le qualitatif n’existe que parce
que le quantitatif existe. Ce sont les deux pôles d’un continuum ou d’un
‘discontinuum’ (le passage d’une méthode ou d’une technique à l’autre n’est
pas forcément continu, et certaines techniques sont ‘discrètes’ au sens ma-
thématique du terme). Limiter le qualitatif au sensible et le quantitatif au
nombre est la marque de l’esprit étroit d’infirmes scientifiques. Enfin, des
tvénements sont qualitatifs, comme le sexe, qui se quantifie si bien, d’autres
sont quantitatifs, comme l’âge, que l’on ne peut traiter que comme qualité
(classe des ‘un an’, des ‘deux ans’, des ‘trois ans’ etc...) Alors... il faut
arrbter ce verbiage et tenter de cerner, pour chaque cas, pour chaque objet,
dans chaque visée, les définitions, les méthodes, les instruments et ne pas se
battre contre des moulins.
Il est un apologue qui dit que la recherche de la seule qualité amène à
la folie, il s’agit du merveilleux roman Robert M. Pirsig (1976) : Zen and

190
the Art of Motocycle Maintenance, nous nous sommessouvent plu à en
conseillerla lecture :

C’est ça qui les épuise. D’y penser sans arrêt.


(p.75, édition française)

De la monographie

La monographiedemandeque l’on s’arrêtesur elle commeopération


de rechercheet de compte-rendud’une recherchecar elle reste très prati-
quée, quoiqu’elle soit effacée derrière des problématiquesthématiquesqui
occultent parfois que le recueil s’est opéré dans une unité de lieu que
n’aurait pasrenié notre théâtreclassique.

L’exercice de la monographien’a de sensque si l’on recherchedes


élémentsfins reliés entre eux par les sujetsobservés.Seule une monogra-
phie permetd’effectuer (non pasen principe maisen pratique) desanalyses
rapprochantles différents événementsvécuspar une personneet non pasun
grouped’événementsElet d’événementsE2 chacuns’étant déroulésdansdes

populations~1 et ~2 que l’on supposeidentiquesou semblables... Quand on

disposede documents on peut effectuer des observations longitudinales


calculer desprobabilitéset passeulementdestaux.. . ” LUIoù le bât blesse,
c’est que l’on veut toujours étendrelesconclusionsde ce que l’on a observé
sur un petit espaceou un peîit groupe à l’ensemble.Cette erreur est fré-
quente en Afrique où nous avons beaucouptravaillé car les donnéesman-
quent et il faut bien sefier à ce dont on dispose,mais le problèmeest qu’on
oublie que c’est sur des donnéesmonographiquesque l’on se fonde et non
sur desobservationscontrôléesstatisdquement.

Notons que l’extension desrecherchesde type expérimental esi dans


le mêmecas: ainsi la SATEC étendit-elle au Sénégaltout entier sesconclu-
sionsfondéessur desessaisen station parfaitementvalables (elle avait parié
sur l’augmentationde la production d’arachidedu quart, alors que les essais

” Une probabilid ne peut être calculée que si chaque individu du dknominateur peut figurer
méthodologiquement au numérateur, sinon on a des taux, car la population du num6rateur
n’est pas issue de celle du dénominateur.

191
en station promettaient beaucoup plus, mais pourquoi a-t-elle choisi le
quart ? et pas la moitié ou 10%. . .) Là encore, on étend des conclusions à
l’espace total sur la foi de travaux ponctuels, en eux-mêmes irréprochables.
Pourtant, une recherche nous paraît remarquable, c’est celle intitu-
lée : Rapport de I’INED ir M. le Ministre desAffaires sociales sur la régu-
lation desnaissancesen France, de 1966, ainsi que l’étude sur la fécondité
de Louis Henry (1959 & 1961), qui toutes ont su ajuster, en une même
analyse prudente et pleine de finesse, les informations tirées de monogra-
phies et d’ttudes ponctuelles en confrontation avec des données macro-
démographiques. L’anthropologue, qui vise a obtenir des données par
l’observation participante est de ceux qui pratiquent le plus cet exercice,
mais on peut regretter que le désir de faire de grandes choses masque aux
chercheurs d’autres disciplines l’intérêt de ces recherches ponctuelles dont
la grande richesse tient aux possibilités nombreuses d’analyses fines, les
Anglo-Saxons disent, à juste titre, sophistiquées. Les socio-économistes qui
lancèrent l’anthropologie économique dans les années 1960-80, furent aussi
de ceux qui illustrèrent savamment cet exercice, citons Alfred Schwartz
(1971), Gérard Ancey (1974), Jean Roch (1972)... En démographie, on eut
ceux d’André Podlewski (1966), de François Sodter (1981), Daniel Benoît
(1976). . . Sans parler de toutes ces recherches lancées par l’école de démo-
graphie historique initiée par Louis Henry sur les familles genevoises, Jac-
ques Henripin (1954), Jean Ganiage (1960, 1963)... On pourrait citer aussi
les recherches organisées en Afrique par Balandier, Maquet, Mercier, Saut-
ter et Pélissier, en sociologie et géographie. Sautter et Pelissier (1964) inau-
gurèrent ainsi une série de recherches de terroirs dans un article paru dans
L’Homme : Pour un atlas des terroirs africains. Structure-tyue d’une étude
de terroir. Toutes ces recherches précises ont démontré la fécondité du
genre, décrié car il lui a été demandé ce qu’il ne pouvait pas fournir. La plus
belle fille du mondene peut donner que ce qu’elle a, ici comme ailleurs
cette parole reste exacte. Il nous semble nécessaire de « redresser la barre »
en ces temps où les jeunes chercheurs se posent facilement de grandes ques-

192
tions et oublient comment y répondre. La vraie question a été la confusion
de la monographie et du catalogue. Les exemples que nous avons cites sont
bien loin des collectes, certes dépassees, qui ont été la manière de faire
avant les années 50, issues des conceptions des travaux de Frazer, Taylor,
etc., où une liste de questions étaient posées a des administrateurs et des
missionnaires, dont les repenses, collationnees a Londres, à Paris ou à Ber-
lin, devenaient le socle d’analyses ou d’elucubrations g2. C’est le remplis-.
sage des questions posées dans le fameux Notes and Queries, ouvrage de la
Société anthropologique de Londres, aux innombrables rééditions, où tout
ce que l’on peut se poser avait été prévu. Aujourd’hui, on ne peut plus pro-
céder ainsi, mais le cadre monographique qui a servi à ces recherches, que
ce soient celles des familles genevoises ou du Burkina, que ce soit des ter-
roirs du Congo ou la sorcellerie d’un village français, reste valable, iI est
seulement nécessaire de cerner la question centrale autour de laquelle doit
s’organiser la collecte et l’exposé des résultats d’un fait social total choisi
dans le vaste champs des déterminants des sociétés humaines. Un des argu-
ments contre Super Phénix était que ce projet se fondait sur des résultats en
éprouvette et appliqués en vraie grandeur sans études préalables intermédiai-
res (chaîne ARTE, mars 1997, lors d’une émission sur cette centrale nu-
cléaire, l’argument était avancée par un directeur de recherches en physiques
du CNRS),

Chercheur individuel, chercheur collectif

Tous les énoncés de problèmes qui ont précédé .et que nous avons
détaillés au cours de cette seconde partie peuvent faire penser que devant

” Alfred M&aux, dans son ouvrage sur L’Île de Pâques, a largement pourfendu ces mythes
nés de quelques lectures sur des récits auto-glorificateurs de voyageursplus nourris des
voyages de Sinbad le marin et de l’odyssée d’Ulysse que d’informations rigoureusement
contrôlées. Cette critique venant d’un des maîtres de l’anthropologie se fondait sur une
expérience de première main : «II (A.M.) érair m-t.6 un chercheur à l’ancienne mode,
gardant un peu de l’esprit aventureux de ces voyageurs ou pionniers d’il y a quelques
siècles dont il a toujours fortement goûté les récits. » (Michel Leiris, pr6face au Vaudou
hai’tien, Gallimard, [1958], TEL 1968 : 35’7).

193
tant de chausse-trappes les chercheurs auraient bien du mérite. La question
n’est pas si grave cependant pour la bonne raison que tant que l’hypothèse
sociologique chère a Alan F. ChaImers (1987) qu’il existe un monde de
scientifique attache à résoudre scientifiquement des problèmes, le chercheur
individuel, sauf cas pathologique (mais est-ce de recherche que l’on parle
alors ?), n’existe pas : il appartient à une communauté dont l’existence
garantit une normalité de fonctionnement individuel et de travail. Nous
avons rendu à plusieurs reprises un hommage à nos maîtres qui nous ont
empêché de tomber dans des pieges que nous nous étions généreusement
construits ou que nos données nous tendaient. Ils ne faisaient que ce
qu’aujourd’hui nous-même faisons : empêcher de jeunes enthousiasmes de
se rompre le cou dans des entrelacs de définitions, des vides de concepts, ou
des fosses de problèmes insolubles 93. Une autre raison intervient : le bon
sens existe, et individuellement un chercheur perçoit bien, dans sa banale et
bienfaisante normalitt, s’il délire de trop g4. Le problème se pose au-
jourd’hui pour deux raisons connexes qui tendent à faire du travail scientifi-
que, ce dernier haut lieu de l’artisanat, un problème d’équipe :
l la demande sociale exerce une forte pression sur la recherche scientifique
et le travail de recherche devient un travail socialement normalisé, sou-
mis à une évaluation des cotlts. Il est nécessaire d’optimiser les investis-
sements consentis ;
l les objets scientifiques sont de plus en plus collectifs et impliquent des
collaborations de personnes différentes, souvent de spécialités différen-
tes.

Nous y avons souvent fait référence : beaucoup des problèmes que


nous abordons dans cette partie ont été mis en évidence par l’action pratique
de recherche et non pas par la philosophie, même si l’on savait que ces
problèmes existaient théoriquement. Henri Poincaré avait compris les Cqua-

” Insolubles ici et maintenant, la science ne traite que du problème présent.


” Une psychanalyste nous dit une fois : «Le sur-moi, Monsieur, va sert ! » C’est d’ailleurs
un des bons côtC de I’tzdipe.

194
bons de base du chaos (dès 1899, alors qu’il travaillait sur les mouvements
des planètes il avait vu que des systèmes déterministes peuvent, selon
l’approximation numérique choisie, entraîner des comportements erratiques,
mais l’absence d’ordinateurs à l’epoque rendit cette observation intellec-
tuellement intéressante mais sans plus), pourtant, ses observations étaient
restées d’amusants paradoxes jusqu’à ce que Edward Lorenz (1963 au MIT)
bouleverse la science après les premiers travaux climatologiques démontrant
l’&er papillon par simulation informatique en ayant pris deux au lieu de
quatrechiffres aprèsla virgule danssesinformationsde base(Gleick, 1989 :
25-51, Ruelle, 1991 : 87-95). C’est les systèmesd’information géographi-
ques qui mettent à jour les problèmesd’échelle et de nature de données
(Mullon, 1992, Noël. 1991). C’est donc les travaux collectifs qui exigent
que, dèsleur conception, nousprenionsen compte cescontraintesque nous
analysonsici. Le risqueest d’enlisernos travaux, d’invalider nos résultats...
et de nousbrouiller avec tous cesamisavec lesquelsnousavons pris tant de
plaisir à travailler.

Pourtant, l’apparition de nouveaux modesde recherchespermis par


l’informatique généraliséevont probablement profondement changer la
donnede nostravaux dansle futur. Nous voulons parler de la simulation.

195
Chapitre 10
Expérimentation et simulation

La simulation a bouleversé le paysage scientifique par l’apport tech-


nologique qu’il permet. Dans ce chapitre, pour en parler avec profit, nous
devront repartir de l’observation et de l’expérimentation afin de proposer un
éclaircissement du débat en sciences sociales.

Les informations scientifiques

Tout scientifique sait combien il est difficile d’utiliser la littérature


scientifique produite en dehors de son propre champ d’expkrience. On com-
prend que nous ayons beaucoup hésité à traiter de la question de la pratique
et du terrain en dehors de notre expérience de socio-démographe. Pourtant,
il nous semble que ce faisant, nous pouvons effectivement faire avancer la
connaissance de ce sujet crucial. Il y a quinze ans, quand nous avions dû
délaisser ce projet parce que nous étions submergé d’autres tâches, le plan
que nous avions adopté était largement différent de celui que nous suivons
ici parce que l’on ne disposait pas des nombreuses recherches qui sont ve-
nues au jour lors de ces deux dernières décennies grâce à l’apport et à la
diffusion de la micro-informatique qui a permis aux professionnels con-
frontés 21des problèmes originaux d’appliquer leurs idées, de traiter deurs
problèmes, d’échouer pour beaucoup, de réussir pour certains, Aujourd’hui,
tenant compte de toutes ces avancées, il nous semble important d’accepter
“de courir des risques” et d’examiner les enseignements que l’on peut tirer
du champ multidisciplinaire pour aboutir à une analyse pertinente, ou, au
moins, à l’ouverture de pistes que d’autres, mieux armés, pourront emprun-
ter avec plus de profit. Pour tenter de comprendre ce qui se faisait en
d’autres champs de la connaissance, nous avons souvent eu recours aux ou-
vrages de base des scientifiques mais ceux-ci, quand nous les lisions, ne
nous disaient pas forcément en quoi ils étaient novateurs, en quoi ils étaient
erronés. Nous ne disons pas que les auteurs se trompent mais qu’ils
s’expriment dans le cadre d’un certain corpus de connaissances, comme
nous-même ici qui supposons connu du lecteur un certain référentiel
d’items, de faits, d’observations et d’analyses. Quand on n’appartient pas à
la discipline, on a tendance à prendre pour argent comptant des conclusions
que l’auteur lui-même sait fragiles, mais il sait que ses lecteurs (ceux pour
qui il écrit) le savent aussi et redresseront l’observation sans qu’il lui soit
besoin d’insister. Nous avons souvent dQ utiliser les r6sultats de disciplines
éloignées de la nôtre ; cela peut se faire et se fait bien souvent en citant les
conclusions des auteurs, mais il est difficile d’utiliser les processus en œu-
vre dans les autres disciplines. On voit bien ces difficultts quand on lit les
gonflements médiatiques de dkouvertes scientifiques : depuis I’Ève noire,
jusqu’à la nature de Lucy, née à la science en 1974, dont Yves Coppens vous
explique qu’elle est une australopithecus afarensis et avait les jambes qui
partaient dans tous les sens et kait donc une arboricole, ce qui est vrai, doit
l’être, mais qu’un non-spécialiste ne peut absolument pas “contester”. On
pourrait aussi gloser sur les délires quant a la descendance de Cro-Magnon
chez ceux qui n’ont aucune compktence particulière. De temps en temps,
avertis de ces difficultés, des auteurs vous les signalent : Catherine Vincent,
dans Le Monde daté du 5 avril 1996, titrait intelligemment :
Selon la génétique, l’homme moderne serait apparu en Afrique.
D’après une étude sur lés populations humaines subsahariennes, nos
proches ancêtres seraient issus d’une même communauté initiale qui au-
rait essaimé, il y a environ 100 000 ans. Mais cette lecture ne convainc
pas l’ensemble des chercheurs.
Et on nous présente les trois scénarios possibles : celle dite de 1’Arche de
Noé, celle du “candélabre”, celle de l’évolution réticulée. Pour faire un mé-
chant jeu de mots, c’est réticuler pour mieux sauter par dessus son igno-
rance.
Qui n’a pas «tiqué » en lisant des écrits de seconde main sur des
questions de population ou d’économie, dans les secteurs qu’il connaissait ?
Actuellement où les organisations non-gouvernementales font florès, on est
souvent confrontc! à des articles d’un enthousiasme débordant mais d’une

197
pauvreté intellectuelle effrayante à l’aulne des critères de la recherche
scientifique que ces organisations prétendent atteindre, alors même qu’elles
sont composées de gens dont aucun des diplômes n’a rien à envier aux nô-
tres mais oui n’ont nas la pratique de ce dont ils parlent. Le cas arrive aussi
dans les milieux scientifiques. Nous avons par exemple le souvenir d’un
article paru dans Population sur les « grands ensembles » dans les années
60, l’auteur, démographe mathématicien, traitait dans ces pages de
l’interview libre comme d’une méthode d’interview up to date, (les jeunes
d’aujourd’hui diraient : une enquête top), alors qu’elle était, déjà, une mé-
thode largement éculée (qui reste toujours valable, comme on le dira en troi-
sième partie - la question n’est pas de critiquer une technique -), méthode
qui lui paraissait devoir combler tous les «trous » de la connaissance. Son
enthousiasme juvénile était charmant mais montrait plus son incompétence
sur la collecte qu’il ne validait l’interview libre. Le travail en équipes pluri-
disciplinaires nous a convaincu que la lecture des seuls produits directs des
recherches d’autrui amenait souvent a des erreurs monumentales.. . que dis-
sipe un entretien, mais pas forcément. Des travaux comme ceux de Gon-
zalez Barrios (1992) sur les sols salés de la Laguna (Nord Mexique), ne
peuvent par être « critiqués » par quelqu’un comme nous ; les évaluations
des pompages dans les nappes phréatiques (travaux de Bouvier, Ch&ez
Cortés, Huizar et Niedzielski) dans le cadre du projet Chalco que nous diri-
gions (Lacombe et al, 1992) sont, pour un non-spécialiste d’hydro-géologie,
incompréhensibles dans leur processus mental et technique, Un autre exem-
ple auquel nous avons été confronté personnellement a été la rédaction de la
synthèse collective, dont nous étions personnellement chargé, des Oasis de
Z’Atucama (désert du Nord Chili) (Nufiez & Pourrut et al, 1996). Des ques-
tions de base étaient impossibles a résoudre pour nous : devions-nous traiter
du Niho (nom scientifique ENSO), cette masse froide qui migre d’ouest en
est vers le Pérou ? Comment également trancher entre les différentes hypo-
théses présentées par les professionnels entre leurs évaluations des nappes
phréatiques et les hypothèses concernant leurs migrations ? Comment enfin

198
coordonner l’information d’un transect avec celle d’une aire ?... Nous
n’avions pas de réponse, même en nous étant plongé dans les “textes” origi-
naux (théses., .) Un dernier exem,ple peut être présenté en sociologie de la
musique, ou en ethno-musicologie.. I on ne sait trop, en simplement parler
c’est déjà entrer et prendre position dans les conflits qui déchirent les pro-
fessionnels de ces Ccoles. Pourquoi ne sont-ils pas d’accord ? On ne le sait
pas si on est pas soi-même de la partie. Pourtant, malgré leurs divergences,
parfois acerbes, tous sont des professionnels respectables : Defrance, 1993,
Lortat-Jacob, 1994, Boudinet, 1995, Laborde, 1995, Zemp, 1979, 1978,
1995, Stiegler, 1986, 1996.. , Personnellement, nous admirons leurs travaux
respectifs, la qualid des données qu’ils apportent, la validité des analyses
qu’ils en établissent, la pertinence des études qu’ils produisent.. . et, vrai-
ment, nous n’avons pas encore compris depuis deux ans où est le pro-
blème g5, et cela parce que la technicité des débats de fond place les diver-
gences hors de notre portée intellectuelle et sensible, même si nous perce-
vons que transcrire la musique pygmée dans une gamme occidentale doit
être un problème technique difficile. Certains de nos collègues concluent
que ce doit être des conflits de personnes, mais nous n’en croyons rien :
c’est ce que l’on avait déjà déduit - à tort, aujourd’hui cela est “évident” -
sur d’autres dtchirements d’équipes comme celle de l’enquête chargée de
l’enquête sur la migration Mossi (Boutillier, Kohler et al, 1972), ou sur ceux
qui ravagèrent nos équipes “santé mentale” (Sénégal, 1969) ou ‘projet Chal-
CO’ (Mexique, 1990). Quand des scientifiques ne sont pas d’accord sur des
questions qu’ils n’arrivent pas B définir clairement, les ,problèmes person-

” Nous avions deux ouvrages de « musicologie » et avions demand6 A deux collègues ne se


connaissant pas, leur avis sur ces livres, le hasard ayant voulu que chaque livre appartienne
B une des Ccoles opposées à celle de chacun de nos deux collégues et néanmoins amis.. . La
force tmotionnelle de leur opposition el de leur refus de discuter des ouvrages nous avaient
stupG5 et nous avait remis en mémoire certains des conflits d’koles scientifiques que nous
avions observés dans notre vie. C’est pour cela que nous pensons que le fond doit avoir
quelque rtalité mais nous ne savons pas laquelle.

199
nels se greffent et font exploser des antinomies de caractère et favorisent par
ailleurs l’apparition de phénomènes de groupes, cliques et coteries. Il en est
de même des considérations sur le lent cheminement de l’hominisation à
travers les quelques morceaux d’os trouvés ici et là, à des millénaires de
différence dans le temps, et des centaines ou des milliers de kilomètres dans
l’espace.
Par ailleurs, l’époque est aux mélanges des genres et au multidisci-
plinaire. Fréquemment nous trouvons des « convertis » d’un genre nouveau :
des sociologues convertis au chiffre, des statisticiens convertis au qualitatif ;
d’honnêtes chercheurs, conscients des insuffisances de leur propre travail,
ont la faiblesse de croire que celui des autres pourrait y suppléer. Ils espèrent
que la vérité existe ailleurs, au lieu de se dire que, peut-être, elle n’existe
pas. C’est souvent le cas de ceux qui ouvrent des voies nouvelles. Face a ce
défaut, qu’assurément nous avons eu bien souvent nous aussi et tant d’autres
avec nous, il nous a semble que le recours à la litttrature de vulgarisation
écrite par des scientifiques reconnus qui écrivaient tant pour leurs pairs spé-
cialistes que pour le grand public scientifique averti, était primordial. Ce qui
explique que nous ayons beaucoup analysé et fiché les revues scientifiques,
en consacrant ?I La Recherche une attention particulière par un dépouille-
ment quasi-complet de la collection. Notre objectif étant de comprendre,
dans ses nuances, le phénomène de la simulation, fille moderne de
l’expérimentation.

Observation, expérimentation et simulation

Comme nous l’avons vu, beaucoup d’auteurs assimilent expérimen-


tation et expérience (l’expérience acquise, pas l’expérience que l’on cons-
truit), et expérimentation avec observation. Le Premiere couple de terme
nous paraît erroné : l’expérience (au sens défini par la précédente paren-
thèse) et l’expérimentation ne sont pas reliées. Sauf par le biais du terrain,
comme on le verra en quatrième partie. Par contre, le second couple de ter-
mes est lui tout à fait pertinent, pour une raison liée au développement mo-
deme de la technologie scientifique. C’est en effet par un glissement sé-
mantique que, à cause de la montée en puissance dans l’observation de la
technologie (informatique ou autre) que l’observation prend le statut d’expé-
rimentation,

Il ne faut pas croire, cependant, que nous pensions que ce triptyque


soit précis et qu’un cas particulier aille dans une direction ou une autre : là
encore nous polarisons le débat car nous pensons, ici comme ailleurs que le
réel se joue de nos limitations et qu’un continuum existe. Les situations in-
termédiaires existent qui bouleverseraient dans le détail notre propos, qui ne
reste valable que parce que, si nous ne radicalisons pas notre propos, il ne
nous serapaspossiblede traiter la question.

Prenonspar exemple la cosmologie,aujourd’hui, on penseque nos


sensperçoivent I’héliocentrismede notre monde,ce qui est faux. On ne le
perçoit pas plus qu’au moyen-âgeou chez les Pygméesdu siècle dernier :
c’est notre esprit qui le perçoit, pasnossens.ConanDoyle, à la fin de sa vie,
fit une émissionde propagandepour le spiritisme, son argument a été
d’affirmer l’existence de cette dimensioncachéesur la preuve qu’il énonçait
des faits (sic) dont il avait l’expérience Q6,Ayant perdu son fils, il espérait
entrer en contact avec le disparu et tout é16mentqui renforçait son espoir
était transformé en fait. Nous pourrions aussiciter ces centainesde mille
d’Américains persuadésd’avoir été enlevés (sic) par des Extra-terrestres.
Lorsqu’Amstrong marchasur la lune, desvoitures avec haut-parleurssillon-
nèrent Dakar pour affirmer que ce n’était paspossibleet que ce qui avait été
vu à la télévision n’était que propagandeaméricaine,commepouvait le ju-
ger avec bon sensbon tout musulman.Galilée devait dire à propos de Co-
pernic, qui avait adoptécette « hypothèse» :
Je ne peux qu’admirer ceux qui ont opté pour l’héliocentrisme en dépit
du témoignage de leurs sens.

%Ii collectionnait
ainsilespreuvesdel’existence desfées,en particulierdes‘photos’tru-
quéesquelui vendaient fon cherdesfaussaires
(desimages devisagesdefemmes ensur-
impressionfloue sur la photo de son fils décédé. ..) (émission de la chaîne &TE,
10.9.1997).

201
L’observation

L’observation est une operation inhérente à la nature animale, c’est


d’elle que les être vivants animés tirent leur alimentation et leur survie. Pour
l’homme, quand elle devient de science, l’observation est une opération
“naturelle” de base : il fait pour cela appel à ses sens et aux images que son
cerveau en retire. Pourtant, on est d’accord que les simples prolongations de
ses sens appartiennent encore a l’observation : la vision par un télescope,
celle par un microscope, celle par un amplificateur de son ou de tout autre
amplificateur, conformes a ce modèle “naturel” : le raisonnement est de se
dire que si nous avions la vue plus perçante, l’ouïe plus fine, l’odorat plus
affirmé, le toucher et le go& plus affinés, nous verrions, entendrions, senti-
rions ces choses car elles restent dans notre aire de sensibilité g7VOn peut
prendre l’exemple des lunettes infra-rouge qui nous permettent de voir une
source de chaleur la nuit et donc de repérer des animaux qui existent
“vraiment”. Mais l’instrumentation sophistiquée actuelle nous présente des
objets qui n’existent pas : la télédétection nous donne une image en pixels
qui n’existe pas, c’est notre matériel qui transforme ces données enregistrées
en données perceptibles par nos sens, ainsi en est-il de la géodésie par satel-
lite. De même, les travaux d’Hugo Zemp (1979), musicologue qui analyse
par la vue des données d’audition dans ses analyses de la musique ‘Aré’aré
des Îles Salomon, montrent que ce qui est analysé n’est plus des faits
d’observation, tout en étant toujours des « observations de terrain ».
L’observation doit donc rester dans cette plage étroite : on observe
avec nos sens, plus ou moins augmentés artificiellement, des objets qui
existent et que nous percevons dans le registre que nous ressentons. C’est un
peu la question des enregistrements numériques des sons qui nous font en-
tendre une recomposition et non pas le son originel enregistré comme il
l’était avec une bande magnétique ou sur un disque de cire ou de vinyl. On a
actuellement des opérations de nettoyage de vieux enregistrements où

202
l’opérateur qui nettoie la bande son travaille avec la vue, par ordinateur, en
ôtant tout le brouillage qui se présente sur écran.. . C’est un travail technique
visuel qu’un sourd peut parfaitement faire de même. De même quand les
« planétologues » vous disent qu’il y a de l’eau sur Mars ou sur un astéroïde
de Neptune cela ne veut pas dire qu’ils l’ont vue, cela veut dire que des
analyses informatiques des bandes de donnees recueillies par une sonde, leur
fait dire que dans le spectre des ondes enregistrees on a celles correspondant
à H20. L’observation s’étend donc vers un aspect « d’observation par ins-
trumentation » (Michel Soutif, 1979).

L’expérimentation

L’expérimentation n’est pas fréquente dans les sciences sociales, on


la trouve en psychologie, et aussi en économie :
L’économie expérimentale (en émergence en France) peut se définir
comme une activité de création, contrôlée par le chercheur, de situations
économiques réelles impliquant des agents économiques réels, de façon
à pouvoir tester des comportements dans des contextes bien identifiés et
reproductibles. Elle permet ainsi de valider ou de prtkiser le domaine de
pertinence d’une théorie, mais aussi de faire apparaître des régularités
empiriques, susceptibles de produire des hypothèses donnant lieu à une
mathématisation.
(Comité national CNRS, 1997 : 566)

Deux acceptions nous paraissent être recouvertes par le terme


d’expérimentation (ou celui « d’expérience », au sens d’expérience de labo-
ratoire, d’expérience in vitro, in vivo, etc.) :

l expérience de simulation, c’est-à-dire que l’on construit le phénomène ou


un autre qui va permettre d’entendre le phénomène sous observation
scientifique. C’est le cas des expériences menées par Claude Bernard
qu’il a popularisées dans sa fameuse Introduction à la médecine expéri-

mentale “, suffisamment connues pour qu’on n’y revienne pas ;

” C’est ainsi qu’amplifit! 10 000 fois, le grignotement d’un termite est parfaitement audible.
Et celui d’une termitiere en action fait l’effet d’une braise nue sur quoi une légère ondée se
répand, un bruissement inquiétant plus qu’un ronronnement joyeux d’ailleurs !
98 Le lecteur aura compris notre goût des petites histoires (nous reconnaissons être en cela
très influence par les ouvrages américains), aussi allons nous raconter cette “blague” qui
donne un sens clair a notre propos : un polytechnicien dresse une puce a sauter a son ordre
et ce premier but atteint, il lui coupe une patte, deux pattes, etc., et, jusqu’à l’avant-dernière,
la puce saute mais de plus en plus difficilement. Quand il lui coupe la dernibre patte, notre

203
expérience d’observation, ce qui est le cas des « observations in vivo »
utilisant une haute technicité pour exister, ou recomposantle phénomène
observé par l’instrument dans un langagevisuel, sonore ou intellectuel
perceptible par nos sens,expériencestelles que la physique moderneet
l’astronomie les produisent actuellement. Les observations sont d’une
grandetechnicitk, d’ailleurs une nouvelle professionen est née: lespla-
nétologues.Ces expériencesd’observation mettent à profit le matkriel
dessondesspatiales(Voyager 2, 1989 ; Ulysse, 1994 ; Hipparcos, 1996 ;
Galileo, 1997.. . “), ou des expériencesnaturelles prévisibles (passage
des cométesde Halley, ou celle d’Hyakutake (mars 1996), ou encore
Hale-Bopp (mars 1997) - qu’on n’avait pas vu depuis4200 ans*Oo-, et
naturellementles éclipsestotales ‘O’. Pour lesMnements inopinéstels la
chute inattendusdes météorites,les tremblementsde terre, les éruptions
volcaniquesou les cycloneset les raz-de-marée,il faut espérerqu’un ob-
servateurou un instrumentfiables les enregistreracorrectement,étant au
bon endroit au bon moment. ‘02

La sondeGalileo a, en janvier 1997,détermint la nature particuliére


des lunes de Jupiter : 10, Europe, Ganymède, Callisto, mais sansimage (à
causede probl&mestechniquesde l’enregistreurs)cependant les mesures,
elles,ont pu être retransmiseset l’on en a déduit (on ne l’a pasvu) que 10est

X demande à la puce de sauter, et celle-ci, sourde aux injonctions de son maître qu’elle a si
fidélement servi, reste immobile, et le polytechnicien note sur sa feuille d’observation : « La
puce a les organes de l’ouïe dans les pattes, car, quand on les lui coupe, elle devient
sourde ».
99Le taux d’tchec est assez important : perte des 4 satellites de la mission Cluster, ceux
d’Ariane 5, 1996 ; Hete, Mars 1996.. .
IM Dtcouverte indtpendamment dans la nuit du 22 au 23 juillet 1995 par deux astronomes
qui lui ont donnb leurs noms.
‘O’C’estainsiqueprtvoyantle passage d’une comète en mai 2012, cométe nommée Wirta-
nen, la mission européenne Rosetta prévoit d’y poser deux sondes pour vérifier que les
comètes sont bien contemporaines de l’origine du monde.
‘02Nous ouvrons juste une parenthèse sur ces hasards qui permettent B la science d’avoir de
vraies expériences en signalant que certaines conditions naturelles creent de véritables labo-
ratoires : on a les oasis sous-marines (François Doumenge, 1992) encore & peuprès intactes,
maintenant quela moindreîle a Ctt contaminée parl’homme d’unefaçonoud’uneautre
(voir les Galapagos et les oasis qu’&aient les espaces coraliens), ou bien l’oasis sous-
terraine de Movile, découverte a l’occasion d’un sondage en 1986, où on déja Cté rbperto-
riées cinquante espbces nouvelles et une symbiose étonnante. Voir Cristian Lascu, Radu
Popa et al, 1993, b grotte de Movilé : une faune hors du temos in La Recherche, et Jean-
François Augereau L’oasis du monde oerdu. Le Monde, 9.9.92.

204
volcanique, Europe et Callisto sont couvertes de glace, Ganymède a un
champ magnétique.. . Cela étant « prouvé » par plusieurs équipes indépen-
dantes, on peut « croire » l’« observation ». Toute la littérature scientifique
vulgarisée actuellement apporte d’autres observations de faits, qui ne doi-
vent rien à l’observation directe : ce qui est «observé » est une mesure (à
partir de l’observation d’Edwin Hubble, 1929), celle du bruit de fond de
l’univers (Amold Penzias et Robert Wilson, 1969). De petits faits, par-ci
par-là, confirment une thkorie « globalement positive » :
Un siècle de recherches, de tâtonnements, a permis aux théoriciens de se
bâtir un scénario superbe qui retrace toute la genèse de l’Univers, du
Big Bang, l’explosion initiale, jusqu’à la formation du système solaire.
En dépit des doutes de quelques-uns, ce u modèle standard » emporte
toujours l’adhésion de la quasi-totalité de la communauté astronomique.
Reste que toute théorie, aussi élaborée soit-elle, n ‘est qu’un modèle sus-
ceptible d’être remis en cause à chaque nouvelle découverte. Le modèle
standard n ‘échappe pas à la règle. Et il a été particuliérement mis à mal
ces derniers temps.
(Jean-Paul Dufour, Le Monde, 18/4/96)
Si bien que chaque nouvelle mesure bouleverse la carte de nos cer-
titudes. Par le satellite d’astronomie Hyparcos :
. ..quelques certitudes sur la banlieue de la terre vont s’effondrer
titraient les journaux en mars f9?6.
Car le fond n’est pas le récit en verbal qui est fait, que ce soit par
Reeves pour l’histoire de l’univers, ou celui de Coppens, pour l’histoire de
I’Homme, c’est les faits : quelques mesures pour le premier, quelques mor-
ceaux d’os pour le second. Ceci étant, dans l’état actuel de nos connaissan-
ces, les récits qui nous sont proposés par l’un et par l’autre “collent” les
morceaux d’une manière satisfaisante. C’est tout ce qu’on peut dire.
Signalons à ce propos la critique faite par un astronome qui relève
les incomprthensions ou les délires des uns et des autres :
On lit partout que « le Big Bang est la violente explosion qui a donné
naissance à l’Univers ». Tout est faux dans une telle proposition, qui
confond le début de l’Univers (qui échappe à toute description scientifi-
que) et le début de l’intelligibilité de l’Univers.
(Jean-Pierre Luminet, 1994 : 42)
Mais, ce qui est remarquable aujourd’hui avec ces développements
de la technologie moderne d’observation par la mesure, c’est que l’on re-
vient au schéma mythique de la science : une théorie provoque une observa-
tion, qui prouve ou non.. . Mais, quand on discute avec des spécialistes des
géosciences, on apprend, la première fois avec stupkfaction, qu’il y a de
multiples théories et que l’une ou l’autre devrait bien être prouvée. L’ut~
d’eux (dont ignorons le nom), qui s’est présenté à nous comme « clochard
ou maître sonneur », car, disait-il, «J’étudie la terre comme cloche, et je
tente de l’entendre en analysant les r6sonances qu’elie produit quand elle
craque », et qui se moquait avec une joyeuse férocité de ses collègues
« cosmomédiatiques » (sic) qu’il prenait pour des charlatans. A le voir avec
ses collègues dans une salle de conférence face à un tableau noir rempli
d’équations, ce monsieur paraissait pourtant tout aussi compétent que ceux
sur qui il ironisait. D’ailleurs, on trouve des reférences du même type dans
la littérature. Reprenons l’article dans Pour lu science, déja cité de Jean-
Pierre Luminet (1994 : 44) :
Ce cadre formel [de la relativité générale] permet de concevoir une
grande variété de modèles de l’Univers.

Qu’observe-t-on depuis quinze ans ? Des retouches compliquées et in-


vraisemblables apportées successivement aux modèles d’inflation pour
les rendre conformes aux faits.
D’ailleurs il conclura gentiment (page 48) Bpropos des idées de la simplicité
topologique que nous attribuons à l’univers par :
*.. on se met dans la position de la fourmi qui, au milieu du désert, est
persuadée que le monde entier est composé de grains de sable.
Mais, par bonheur, la science est une activité collective et les scienti-
fiques ne sont pas encore trop contaminés par le système médiatique ; un
accord se fait pour n’accepter une thkorie comme prouvée, pour un certain
temps, que si une convergence de preuves se produit en sa faveur, Une hi-

rondelle ne fait pas le printemps, une preuve ne fait pas une théorie.
On pourrait aussi parler de ces techniques d’observation-
expérimentation mises au point, comme le titrait un numéro du Monde :
Bardés d’électroniques,
les animaux sauvagesWavaiUenrpour la science
(Le Monde 7.9.1996)

206
Et c’est ainsi qu’on apprit que des manchots, des baleines bleues et des
saumons sillonnent le globe avec un émetteur que les satellites suivent à la
trace et que le phoque de Weddell descend en apnée d’une heure à - 600
mètres, qu’un cormoran va à - 120 mètres.. .
Pourtant, les expériences dans l’espace ne sont pas toutes des expé-
riences d’observation, ce peut être de l’expérimentation pure et simple,
comme celles que permettait la station Saliout-6 (comptes-rendus dans la
presse en 1982) et celles qui lui ont succédé : le développement de la physi-
que en apesanteur, et la biologie humaine ont grandement profité de ces
« laboratoires de l’espace ».
Nous voudrions enfin préciser la différence entre expérimentation
d’observation et expérimentation de mesure de phénoménes provoqués, par
la remarque suivante : si la première concerne bien les sciences cosmologi-
ques, les secondes semblent permettre les grandes avancées de la physique
et être beaucoup plus assurée. Certes, nos sens ne peuvent pas « voir » un
neutrino, un boson ou un graviton, mais l’observation que l’on peut en faire
étant contrôlée expérimentalement, on est bien plus assuré des résultats,
même si l’observation de cet infiniment petit est le relevt de sa mesure et
pas la photographie de son existence (mais ce peut être la trace de son exis-
tence).
Nous devons signaler que certains faits ne peuvent être compris que
par la simulation numerique qui permet de comprendre qu’ils sont la quin-
tessence d’un phénomène et pas seulement un “hasard”. Ainsi les travaux
sur la bicyclette, ou sur le lance d’une balle de base-ball, ou encore l’étude
mathématique du fameux but marqué grâce à un tir brossé shooté par Plati-
ni, dans la rencontre France-Hollande en 1981 et qu’a Ctudié le professeur
Istvan Berkès de Lyon 1 qui a du utiliser la theorie des «effets Magnus »
pour en venir à bout (cet effet explique les balles slicées des services de Mac
Enroe, fameux tenniman, le “saut” par dessus les arbres des balles de golf, et
la traversée l’Atlantique en 1975 de I’Alcyon, ce navire expérimental de
Cousteau, grâce à des voiles qui étaient.. . des cylindres d’aluminium). Sans

201
la simulation informatique qui reproduit les contraintes de certains de ces
« coups », on ne pourrait comprendre ces « faits ».
Une Ctude avec des modéles réduits sur les déformations des trains
nous permet aussi d’avancer dans notre sujet : il s’agit des déformations des
trains. Louis-Marie CIBon dans un numéro du Monde déclare :
L’utilisation d’un modkle réduit présente 1‘intérêt de montrer un proces-
sus global de déformation. Mais elle ne permet pas d’apprécier toutes
les déformations véritables. Aussi ne remplace-t-elle pas un essai en
vraie grandeur.
(Le Monde, 10.10.1996)
Et un essai en vraie grandeur, dont on imagine le coût, ne remplace pas non
plus un véritable accident, mais celui-ci alors est un événement particulier
dont il est difficile parfois d’extraire la généralité qu’il contient.
Citons un exemple d’expérimentation un peu sophistiquée : les
éclipses totales naturelles sont trop rares pour qu’on ne compte que sur elles
pour analyser et comprendre, alors elles sont reproduites artificiellement
grâce au ‘coronographe’ du Français Bernard Lyot depuis 1930. En montant
cet appareil sur des satellites comme Yohkoh ou Soho, on a encore avancé
dans l’étude du soleil mais les astronomes reconnaissent que les éclipses
réelles et les éclipses artificielles, obtenues par l’exp&rimentation du coro-
nographe, donnent des informations complémentaires ‘03.
La grande caract&istique des deux types d’expérimentation est
qu’elles sont reproductibles. On affine, de programme d’observation en pro-
gramme d’observation, les mesures, et, quand elles divergent, on trouve soit
l’erreur, soit la cause logique, et on ouvre de nouvelles incertitudes. On peut
aussi voir que l’expérimentation n’est jamais aussi simple qu’on l’imagine :
celle de Galilée (Pierre Thuillier, 1963) ou celle de Gregor Mendel (dont on
est certain qu’il a “trafiqué” ses résultats sur les petits pois car ils sont
« statistiquement » impossibles) ne sont en rien l’application d’un simple
programme de recherche qu’il n’y avait qu’à dkrouler. La subtilité des situa-
tions concrètes est d’ailleurs confondante : Lewis S. Feuer, 1978, sur Ein-

‘03Les observations sont complhentaires, déclare Serge Koutchmi, de l’Institut d’astro-


physique de Paris (Le Monde, 26.9.1996).

208
stein ; Stephen Jay Gould, 1979, sur Darwin ; James Gleick, 1989, sur les
découvreurs du chaos.
Pourtant, insensiblement, POU~ en arrivons au cœur de notre débat :
une partie de l’expérimentation n’est pas de l’observation, mais de la simu-
lation Même si on l’appelle encore de l’expérimentation num&ique par
ordinateur (titre d’un article dans La recherche de Jean-François Colonna et
Marie Farge, 1987). Il est intéressant de voir que ces deux auteurs ‘04 com-
mencent leur article sur la question de nos sens - c’est d’ailleurs les deux
premiers mots de l’article ‘Os- et Marie Farge a également réalisé une im-
portante recherche sur l’expression, pour nos sens visuels, des données ob-
tenues par le calcul, «dans une approche résolument pragmatique », dit-
elle, page 454. Car le problème fondamental est effectivement ces sens qui
sont les notres, dont nous avons abondamment parlé plus haut, trop peut-être
pensera le lecteur ‘06 :
Le problème du dépouillement des résultats produits est donc tout aussi
délicat et essentiel que celui de la validation initiale et mise au point du
modèle sous-jacent.
Dans ces conditions, l’idée de faire des facultés de reconnaissance de
l’ail le principal outil d’analyse des données ou des résultats de calculs
semble naturelle. En effet, l’œit, associé au cortex visuel, possède une
large bande passante permettant une perception globale de formes colo-
rées surgissant d’un environnement changeant, mouvant et bruité. En
outre, l’esprit humain qui procède par images mentales demande des
images “e.xIernes” pour être stimulé, confronié à de nouveaux probtè-
mes, mené sur la voie de nouvelles découvertes et solutions, Enfin, la vi-
sualisation facilite les fonctions associatives et mnémoniques du cer-
veau. Ces d@rentes raisons ont concouru à l’emploi, aujourd’hui très
répandu, de matériels graphiques variés permettant d’analyser de façon
visuelle les résultats d’expériences numériques.
(451)
Après cette parenthèse, nous pouvons aborder le sujet de la simula-
tion, dont on verra, via la question des modèles et du numérique, qu’elle est
aussi complexe que l’expérimentation.

Iw II se trouve que nous avons traaillé, sur nos données sur la sorcellerie au Congo, avec
Jean-François Colonna, 1985.
‘OsNos sens nous permetrent de déceler des régularités dans le monde qui nous entoure.
Colonna et Farge, 1987 : 445.
‘06 II nous paraît important de déceler chez d’autres scientifiques qui ont pour objectif de
faire entendre leurs travaux, notre souci d’entendre comment nous connaissons. Voir les
travaux d’ A. de la Garanderie (1990).

209
La simulation

La simulation recèle quant à elle deux grands axes : le premier est la


modélisation, et le second est l’expérimentation numérique. Nous voyons
que notre vocabulaire d’une part ne correspond pas à la richesse des faits
que nous voulons mettre à jour et que, d’autre part, les notions que nous
analysons sont toutes des notions limites et que l’on passe d’une acception à
l’autre et une même procédure peut être a la fois et tout autant observation,
vérification, expérimentation et simulation : l’expérimentation est comme
un pont logique entre l’observation et la simulation, car elle est B la fois ob-
servation, expérience, modèle intellectuel, modèle numérique., . Des simu-
lations ne sont que des expérimentations sophistiquées : on a ainsi les études
d’altitude réalisées par la COMEX et les universitts de Paris et Marseille :
on a installé un caisson à Marseille de façon à pouvoir simuler la montee de
l’Everest. Si certaines simulations sont bien connues, comme les souffleries
pour l’établissement de modéles aérodynamiques d’avions, de bateaux, de
bicyclettes même, d’autres sont plus novatrices, comme le montrent ces
quelques exemples d’usage de la simulation :
De nombreux scientifiques souhaitent le faire [fabriquer la vie en labo-
ratoire]. C’est le domaine très récent de ce que l’on appelle la ‘vie arti-
ficielle’ qui comprend plusieurs approches. On peut réaliser des synthè-
ses de molécules, ou encore susciter une évolution spontanée en tube à
essai, en créant des conditions de sélection darwinienne pour fabriquer
des molécules qui se reproduisent. On peut faire aussi sauter quelques
étapes en utilisant la simulation par ordinateur. On parvient aujourd’hui
à fabriquer des robots insectes.. . Certains chercheurs veulent kgalement
fabriquer d’autres formes de vie, à base de silicium par exemple.
Joël de Rosnay, 1996 : 91-92
Par la simulation informatique, on a pu « inventer » (en quel sens?
trouver ou fabriquer de l’inexistant, du virtuel auquel on donne vie ?) le
visage d’une américainede 22 ans décédeea Austin (Texas, USA) il y a
prèsde 10 000 ans,et modeler,grâce à du caoutchoucsynthétiquespéciale-
ment mis au point, le visagede cette inconnuequi prend ainsi visagedansle
monderéel.

On a eu aussila miseau point de poissons-robots


par plusieursdqui-
pes scientifiques de par le monde. La propulsion de ces « engins» qui

210
« imitent la nature » (rappelons cependant le fameux : « Quand l’homme
voulut imiter les jambes, il inventa la roue >>) reproduisent par des
« machines » les simulations réalisées par l’observation, et impliquent un
ganime variée de techniques et de recherches (voir en particulier Trantafyl-
~OU,in Pour la science, 1995). On n’est pas encore dans un univers d’objets
virtuels, c’est au contraire l’ancrage dans le réel d’objets reproduisant des
variables naturelles qui sont prises en compte.
Si on décompose l’objet et la situation, on arrive, selon que le pre-
mier est réel (nature ou miniature) et la seconde r6elle (artificielle ou vir-
tuelle), à une série de situations dans laquelle se rangent plus ou moins bien
les différents cas recensés. On peut distinguer donc plusieurs phénomènes :

l l’objet est une miniature de l’objet réel, I’exptrience est réelle


mais, par la force des choses, miniature également. Les effets ne
sont pas mesurable en vraie grandeur puisqu’on ignore les effets
d’tkhelle pour l’épisode en vraie grandeur (l’effet d’échelle d’une
bombe atomique de 1 000 megatonnes est différent de celui mul-
tiplie par 1 000 d’une bombe d’une mégatonne). C’est le cas des
accidents de trains (procédé déjà utilisé par Clouzot pour son fa-
meux déraillage de train dans son film La bataille du train portant
sur la Rtsistance), des effets en soufflerie.. , À cela on peut ratta-
cher toutes les situations expbrimentales agronomiques en sta-
tion ;
l l’objet est réel mais la situation est simulée, on trouve énormé-
ment d’expériences de ce type dans les effets en soufflerie où l’on
introduit des objets strictement identiques à celui dont l’on veut
tester les caractéristiques ; A cela on peut rattacher également
toutes les situations expérimentales agronomiques in vivo, chez le
paysan par exemple ;
l l’objet est un artéfact matériel, un modèle : c’est le cas de la cy-
bernétique, il « reproduit » l’objet réel dont il est un modèle, sim-

211
plifié ou partiel, la situation est, quant à elle, réelle au sens qu’elle
existe matériellement ;

l l’objet est matériel, miniature ou artefact, mais la situation est


virtuelle, c’est le cas de certaines animations cinématographi-
ques ;

l l’objet et la situation expérimentale sont virtuelles, c’est le cas de


la simulation numérique.

Mais toutes ces expérimentations reposent sur la qualité des données


qui décrivent les situations réelles. Prenons deux cas : Lucy, dont au début
on fut certain qu’elle était un bipède, la construction de la lignée
d’hominisation prenait un certain sens, lequel fut compliqué quand on se
rendit compte que Lucy était « encore » un singe qui remontait dans ses ar-
bres. Lorsque k President Chirac decida de refaire des expérimentation en
vraie grandeur de bombes atomiques à Mururoa (1993, l’argument avancé
avait été que nos armées ne disposaient pas d’assez de données fiables pour
effectuer des expérimentations numériques. Car un modèle ne vaut que par
sa concordance avec la réalité qu’il prétend atteindre (Norbert Wiener,
1962).

On a l’arrivée actuelle de simulations qui reproduisent les accidents


réels dans les prétoires et dont la visée est scientifique :
Ces productions plus atibitieuses sont réalisées en deux temps. Tout
d’abord, un logiciel de simulation intègre les paramètres relevés sur le
terrain et procède aux calculs et interpolations requis... On passe en-
suite à la seconde étape, somme toute secondaire, consistant à mettre en
images les résultats obtenus par simulation.
(Le Monde 24.3.1997)
On ne peut être plus clair sur le refus d’irréel qu’implique de tels procédés
commele montrent lestravaux de Colonnaet Fargecités par la suite.

DansL’uffuire Tournesol (pages51 et 52), nous voyons une simula-


tion où Hergé fait état d’une expérimentation en miniature où le chef de
l’armée bordure fait s’écroulerun modèleréduit de Mahattan sousl’impact
desondesde choc misesau point par le ProfesseurTryphon Tournesol.

212
A propos de la sonde Mars-96, et de son échec (novembre 1996),
Jacques Paul, astrophysicien déclare (in Le Monde) :
Les échecs sont de moins en moins bien anticipés [pour des raisons sou-
vent budgétaires]... Les ingénieurs ont tendance à accorder trop de
confiance aux simulations, au détriment des modèles réels. Le chercheur
adopte parallèlement la mentalité de <Ijoueur de roulette » en jouant sa
carrière sur une expérience à haut risque.
On voit 18 apparaître une distinction entre simulation et modèle, la
nuance, pour les spécialistes, est importante. Nous pensons comprendre de
quoi il s’agit, mais nous ne sommes pas certains d’arriver dans ce texte à
préciser cette nuance.
La simulation est née de la modtlisation (Lliboutry, 1985) :
au départ simple schéma mécanique reproduisant les propriétés de
l’objet étudié. (1985 : 272)

Il faut appeler modèle la schématisation de la réalité Qui offre


prise aux calculs, et non pas les calculs qui s’en déduisent logi-
quement.Le réel est injkiment riche et interconnecté. Son étude
demandequ’on isole une partie aussi autonome que possible, que
l’on n’en retienneque lesprocessuset lesgrandeursessentiels.
(1985 : 273) [souligné par l’auteur]
On connaît des modèles en sciences sociales : au prix de nombreuses
simplifications, on étudie la variation des variables de certains phénomènes.
En économie et démographie, le fait est courant (Carlo Benetti & Jean Car-
telier, 1980 ; Louis Henry, 1953, 1964, 1972 ; Léon Tabah, 1966). On a aus-
si les fameuses tables de mortalité de Coale et Demeny ‘O’, les travaux sur la
mortalité des moins d’un an de Bourgeois-Pichat 1946 & 195 1, son ouvrage
sur les populations stables et quasi-stables de 1978 ; ceux de Rémy Clairin,
1983, 1985 ; le Manuel X des Nations Unies, 1985.. . Ce sont des schémas
qui permettent des calculs quantitatifs et des tests.
Mais ces modèles restent, pour autant que nos connaissances ma-
thématiques puissent en juger, des modèles mécaniques, en effet, nous
sommes loin dans les sciences sociales d’arriver à l’établissement de ce que
Lliboury nomme des modèlesphysiques qui intègrent les promiétés des

‘07 Ces tables-types de mortaN apparurent dks l’après-guerre dans la fin des années 40.

213
phénomènes ‘O*, on doit se contenter de modéliser les awects des phénomè-
nes. Par contre une autre modélisation intervient, qui est la modélisation
mathématique, dont Lliboury déclare qu’elle est obligatoire quand les ruptu-
res d’échelle des phénomènes les mettent hors de notre portée sensible :
L’étude des particules élémentaires a montré qu’aucun modèle physique
établi à notre échelle ne pouvait rendre compte des propriétés de la ma-
tière à l’échelle de l’atome et au-delà, vers l’infiniment petit.
(1985 :272)
Pour cescas,on ne disposedonc de modèlesmathématiqueset, si les
sciencesde la terre disposentde modèlesphysiques,l’hydrologie est la seule
à pouvoir utiliser desmodèlesmathématiques‘Og.Pour le physicien, le pas-
saged’un modèlephysiqueà un modèlemathkmatiquea étB un progrès(on
est passéde formules mathématiquesempiriques21des modèlesphysiques
fournissantdesliaisonsmathématiques),maison ne peut croire que ce serait
partout identique. Lliboury a d’ailleurs cette formule savoureuseque nous
ne pouvonsque reproduire:
Que ceux qui croient qu’un modèle mathématique, «démarche de
l’esprit à buts prédictifs, et se traduisant par des calculs », est ce qu’il y
a de plus élevé dans la pensée humaine, songent qu’un horoscope est
aussi un modèle mathématique : il n’a que le tort de ne correspondre à
aucune réalité, présente ou future.
(1985 : 273)
Dans leur article déjà cité, Colonna & Farge (1987), vont assimiler
l’expérience numériqueavec l’expérience de laboratoire,en lui donnant les
mêmescaractéristiques(fécondité de comportementsinattendus par exem-
ple, aideau raisonnement,formulation de nouvellesthéories..,), ils donnent
de nombreuxexemplesoù la simulationinformatiquea prédit desétatsde la
matièreque l’on ne pouvait pasobserveret que l’on a soit observésensuite,
à titre de vkrification plusieursannéesaprès,soit les conclusionsont été
justifiées par d’autres observationsultkrieures. L’enthousiasmedes deux
auteurspour l’expérimentationnumériquen’est pascontraire au scepticisme
développépar Lliboury, en effet ils reconnaissenteux-mêmes:

‘OsD’ailleurs
nousnevoyonspascomment cetypedemodèles pourraitbienarriverdansles
disciplines
tellesquelesnôtres,saufexceptions
limitées, car il nous semble que, compte
tenu des rapports dialectiques qui sont le fond des phénomènes sociaux, nous n’arriverons
peut-être jamais à définir quelles sont les propriétés de la « matiére sociale ».

214
l’intérêt de l’approche numérique n’est pas de remplacer l’expérience,
ce qui serait d’ailleurs dangereux et illusoire. Le numérique, tout comme
la théorie, a besoin de l’expérience de laboratoire pour confirmer ou in-
firmer ses prédictions (...] En faity l’expérimentation sur ordinateur ne
remplace pas l’expérimentation en laboratoire, mais lui est complé-
mentaire : l’intérêt du numérique est d’ouvrir de nouveaux champs
d’expérimentation.
(Colonna & Frage, 1987 : 448)
Ils situent de toute façon l’intervention de I’expbrimentation numéri-
que dans un second temps, après qu’une modélisation adéquate ait été cons-
truite. Quel est donc le caractère novateur de cette expérimentation par rap-
port à une mod6lisation ? Il nous semble qu’elle réside dans la construction
d’un artefact mathématique du continuum d’espace-temps par un espace-
temps discontinu. Ce continuum est prdsent dans la simulation physique
d’un objet placé dans une soufflerie par exemple, et par la mesure des effets
qui sont des effets simulés (non-réels). Au contraire des effets mesurés dans
une simulation physique qui sont, eux, réels, même si la situation est un
artefact.
Dans la simulation phvsiaue. l’artefact c’est les effets ; dans une si-
mulation numériaue, l’artefact c’est la situation. Dans la simulation infor-
matique l’espace-temps est remplact par des variables discrktes, par un
échantillon de points et un échantillon d’instants.
pour résoudre la plupart des problèmes, il faut à la fois une taille mé-
moire importante, pour stocker les valeurs du champ en chaque point du
maillage, et des temps de calcul d’autant plus longs que le pas de temps
choisi est plus petit.
(Colonna % Frage, 1987 : 450)
Comme on le voit alors, l’expérimentation par ordinateur est incon-
tournable. De même on pourra aiskment procéder à un.5 simulation de vol
d’une fusCe compte tenu que les paramétres sont connus (attraction des pla-
nètes, gravité terrestre, poids de la fusée, force de ses propulsions successi-
ves...) quand une simple mod6lisation ne donnerait qu’une ligne générale.
On a aussi les simulations des trafics routiers urbains, qui, suivant plusieurs
modélisations, permettent, après essais et vérifications sur le réel (par

‘09 C’est un hydrologue amtricain, Amorocho, qui, le premier, parla de modèle.

215
exemple « le trafic du week-end de Pentecate quand le temps est beau »),
des prévisions et des conseils (lesquels modifient la situation).
Le propos de Louis Lliboury (1985) est quelque peu différent, il se
pose le problème de validité du modèle par rapport au réel :
En sciences de la terre, les expkriences sont relativement très limitées...

Les modèles réduits, en souflerie, canal noyé ou autres, servent à ré-


soudre un problème de mécanique trop compliqué pour être traité par le
calcul numérique, mais ils supposent l’établissement préalable d’un mo-
dèle physique du phénomène étudié, à partir d’obsewutions et de mesu-
res de terrain.
I.-I
Qu’est-ce qui va alors, lorsqu’il n’y a pas d’expérimentation possible,
constituer des tests pour une théorie en sciences de Ia Terre ? Eh bien,
c’est l’élaboration de modèles physiques, permettant de retrouver des
valeurs numériques mesurées (les données sewant aux tests) à partir
d’autres valeurs numériques mesurées indépendantes (les données ser-
m qui tient lieu d’expérimentation.
(1985 : 274)[souligné par I’auteur]

Il est un aspect de la simulation qui nous paraît important, que l’on


ne trouve qu’en peu de cas ‘isolés’, c’est-à-dire qu’elle est signalée comme
telle en peu de cas, maisqui devrait cependant s’étendre : c’est la simulation
ayant pour objectif de Pr&iser ce que l’on va observer. Nous l’avons trou-
vée définie dans un document sur les Corn&es, présenté sur La Cinq en avril
1997 : la cohorte de comètes Schumaker-Uvy devait s’écraser sur Jupiter.
L’impact dut être simulé par ordinateur afin de savoir ce qui pouvait se pro-
duire, afin de préciser ce qu’il fallait s’attendre à observer afin de pointer les
télescopes, dont Hubbles. C’est donc d’Australie qu’on put positionner les
observateurs (car l’écr&ement du fragment W devait se produire sur la par-
tie obscure) et d’Hawai d’où l’on pourrait observer les impacts après
l’écrasement. Mais la nature même du phénomène d’impact devait être si-
mulé afin de déterminer exactement l’objet «explosion » qu’on pouvait
s’attendre à voir et organiser l’observation. Un gros travail informatique
prépara donc l’observation qui fut alors possible : l’impact serait passé
‘inaperçu’ ou mal défini sans cette simulation préparatrice.

216
Donc, proposons quelques définitions pour conclure ce long exposé
incontournable :
l l’observation, c’est le fait d’utiliser nos sens pour saisir le monde exté-
rieur et, quant au plan scientifique, déceler certaines des régularités du
monde ; on inclut sous ce terme les procedures qui étendent nos sens
dans des spectres qui ne sont pas les leurs (grossissement des phénomè-
nes, par extension de nos capacités sensorielles : vision infra-rouge, au-
dition des ultra-sons) ;
l l’expérimentation, c’est la reproduction « artificielle » d’un phénomène,
soit pour l’isoler, le purifier des « parasites » (Michel Serres, 1979, 1980)
et observer ou mesurer l’effet d’une variable ;
l la modélisation, c’est la construction d’une image évolutive d’un phé-
nomène (un bon exemple nous paraissent être les robots issus de la cy-
bernétique, Norbert Wiener, 1962) ;
l la simulation, c’est la reproduction d’une situation par la dynamisation
numérique d’un phenomène ;
l l’expérimentation numérique, où seuls les calculs travaillent, une fois
fournies les variableset les lois du système introduites en machine.
Chaque procédure scientifique particulière mise au point par les
chercheurs actuellement ne rentre pas dans une catégorie et une seule, on a
en effet un appel à une ou plusieurs techniques et plusieurs procedures
mentales pour une seule opération scientifique. La encore, le réel se joue de
nos classifications.
Dans un rapport sur Le calcul scientifique, le CADAS (1992) ’ KJmet
au même niveau les activids scientifiques traditionnelle : expérimentation et
construction de théories, et calcul scientifique avec l’apparition des ordina-
teurs. L’intérêt de cette synthèse, comme celles établies par certaines sec-
tions du Comité national de la recherche scientifique pour l’année 1996
(Comité national CNRS, 1997 : 15-30 ; 109-124 ; 299-300 ; 560-567) est de

“’ II s’agit d’un rapportdu Comité des applicationsde l’Académie des sciences, in Comp-
res rendus, 1.9.1992 : 63-83.

217
montrer qu’on est en train d’assister a une véritable révolution scientifique,
avec la montée en puissance du calcul parallèle. Au stade actuel,
l’ordinateur est en train de mettre BOUSune forme opératoire la connaissance
scientifique et de rompre la séparation qui existait entre recherche fonda-
mentale et les diff&entes applications et bricolages. On sait que les sciences
de l’homme sont tri3 en retard, n’utilisant l’ordinateur que comme une ma-
chine à 6crire perfectionnée (on n’a même pas encore établi un programme
qui permettrait de pouvoir utiliser aisément les références de terrain, verba-
les donc, pour de nouvelles interrogations, et pas seulement pour celles prt-
vues à l’avance pour lesquelles la demande n’existe (encore) pas. On en
reste encore à des fiches bibliographiques avec items préétablis et interroga-
tion d’informations verrouillées par une liste fermée de termes définis ‘Il).
Mais la situation se renversera assez brutalement car les capacitCs de calcul
disponibles permettront de modéliser et de simuler des situations qui ne
seront pas seulement de l’économie ou de la démographie.

En ce qui concerne notre expérience personnelle, nous voudrions


rappeler que nous avions tenté de montrer pourquoi, dans une enquête a
passages répétés d’une ville-banlieue de Dakar (Pikine), la population appa-
rente diminuait. Nous avions montré (Lacombe 19’70, 1972) que le phéno-
mène tenait B la nature de la définition temporelle de la migration-résidence
et qu’il n’y avait pas de solution technique à ce biais de méthode de défini-
tion dans la collecte. En effet, quand les passages de recensement sont rap-
prochés et inférieurs à un an, on a un phénomkne chaotique avant une stabi-
lisation au bout de deux ans. Lorsque nous avions produit cet article, on
s’était quelque peu moqué de nous, mais le biais a affecté ensuite toutes les

“’ Anne Sauvage, au SHADYC de Marseille, met au point un projet informatiquepour


l’analyse SQAW qui tente de résoudre ce type de difficulds, mais nous ignorons où en est le
projet et s’il prend en compteles diffkrenles conlrainlesque nous dnonçonssanspour aulant
être capablede les rtsoudre. Les mddecins utilisent des programmes fondés sur un proces-
sus mathtmatique de classement très complexe ; l’obtention du brevet est extrêmement
coûleuse. Pour cette catkgorie de professionnels, le coût est déja de 3 000 B 6 000 FF (selon
la complexitt demandte qui dépend de la spkialité médicale), malgré toutes les aides pro-
venant des laboratoires pharmaceutiques.

218
enquêtes de ce type sans que personne ne s’en soit trop soucié, sauf un jeune
étudiant americain, qui ne fit pas non plus carrière ensuite en démographie
et qui, lui, avait démontré théoriquement la même chose, non à partir de
données empiriques comme nous l’avions fait, mais par simulation infor-
matique. Nous regrettons de ne pouvoir ni citer ce livre, ni citer le nom de
l’auteur, mais nous nous portons garant de leurs existences respectives :
nous les avons rencontrés effectivement. Mais l’ouvrage a disparu en 1973 à
la suite d’une mise à sac de notre bureau. L’ouvrage faisait 500 pages envi-
ron, dont 400 de calculs, son auteur modelisait les différentes variables
(durée de résidence, flux de migrants, intervalles entre passages de recense-
ment.. .)
Nous avions aussi, avec Claude Meillassoux dans les années 80,
pensé modéliser les différents systèmes de parenté africains selon
l’existence ou non de l’esclavage comme facteur interne. Par ailleurs, nous
avions également tenté de modéliser les ponctions démographiques realisés
par la traite des noirs a partir des informations disponibles (tant des bateaux
partants d’Afrique de l’Ouest que des capacités des sociétés africaines en
surplus démographiques, ces dqcuments furent perdus dans les incidents
cités précédemment. L’usage de la règle à calcul et de I’additionneuse a
main dont nous disposions comme seuls outils à cette époque, permet de
comprendre que nous n’ayons pu aller très loin dans cette voie, mais nous la
pensons prometteuse. Car, autant il nous paraît difficile qu’une modélisation
simple soit vraiment d’un grand intérêt en sciences sociales, autant il nous
semble que des simulations intégrant les variables tant qualitatives que
quantitatives des modèles de société permettront d’avancer, même si nous
savons que ce n’est pas des modèles fondés sur les qualités physiques des
populations et des sociétés qui seront établies.

Nous pensons avoir exprimé dans ces pages un optimisme raisonna-


ble sur les futures avancées des sciences sociales. Le travail scientifique,

219
David Ruelle l’a déjà dit (1991), est difficile, contraignant. Nous croyons
que c’est un travail qui a deux jambes :
l l’observation
. la théorie
Certains les voient opposés, en conflit permanent. Ils choisissent leur
camp, comme René Thom (1983, 1993), qui affirme le primat de la théorie
sur l’observation. Nous avons affirmé ici que, sans l’esprit qui conçoit
(l’esprit au sens de cerveau humain), les faits n’existeraient pas. Mais llr se
limiterait notre accord avec Thom. Dans une entretien avec Roger-Pol Droit
il affirme :
Je rappelle que la pensée doit primer sur l’observation et la collecte des
données. J’ai soutenu devant l’Académie des sciences que la théorisa-
tion est plus essentielle que l’expérimentation. Cela a soulevé chez mes
confrères un beau tollé..
(Le Monde, 23.1.1995)
On peut n’être que d’accord avec la première phrase : on en voit que
ce que l’on conçoit. Mais on ne peut être d’accord quand il poursuit et qu’il
confond expérimentation, observation et la préoccupation «des petits détails
expérimentaux ». Où est le point de divergence ? Il est manifeste, et si nous
nous référons à cet article du Monde c’est qu’il était certain que nous l’y
trouverions clairement exprimé. Effectivement, on a la remarque suivante
avec laquelle nous sommes en desaccord :
Il paraît en général préférable de pouvoir agir sur les phénomènes que
de tenter de les comprendre. Je ne pense pas que ce soit là Ia vocation la
plus haute de la pensée scientijque.
(Le Monde, 23.1 I 1995)
Quel est le besoin de vouloir dire que l’homme est tout l’un ou tout
l’autre ? Tout esprit ou tout corps. Que des intérêts matériels ou que des
idées angéliques ? Marx disait : l’homme, c’est le maître et l’esclave. La
science, c’est la théorie et la pratique. Pourquoi chercher plus loin ? Que
certains priviltgient dans leur travail la théorie, comme Thom, ou l’analyse,
comme Colonna et Farge cités quelques pages plus haut, ou l’enquête,
comme nous, c’est un problème de compétences, d’aire d’application de ses
compétences professionnelles et pas du tout un acte de foi en faveur d’un

220
primat de la théorie, de la simulation ou du terrain. Comme si nous devions
choisir entre notre père et notre mère, la pratique ou la theorie, la jambe
droite ou la jambe gauche, le cerveau droit ou le cerveau gauche... ? On
peut discuter du point à certains moments, dire que, ici, il y a trop
d’observation et pas assez de réflexion, que là on trouve développement
nevrotique de finesses de calcul sans intérêt... Qu’à un certain moment,
dans tel champ scientifique, il y ait trop de recueils imbéciles de données
sans intérêt et à un autre qu’il faudrait se poser et r&lCchir... Ce peut être
vrai, mais ce n’est pas le problème : à un moment, les chercheurs ne rem-
plissent pas les tâches nécessaires au stade où est la connaissance. Au-
jourd’hui, il nous semble que les données recueillies sans théorie sont la
plaie de nos disciplines : on a une répétition des procédures et des observa-
tions qui ne font rien avancer. Ainsi nous voyons apparaître des recherches
sur le clochards, sur les marabouts africains à Paris. Les travaux de Gabo-
riau pour le premier, de Kucsynki pour les seconds sont intéressants, mais a
quoi va servir de recommencer la même chose sans hypothèse nouvelle ? “*
On comprends que certains sujets demandent de nombreux chercheurs pour
avancer dans la collecte : l’anthropologie de l’entreprise (Monique Sélim,
1991, -1997 ; Nicole Fazzini-Feneyrol, 1995 ‘13) ; l’étude des groupes
d’immigrés en France (Catherine Choron-Baix sur la communaute laotienne
en France est pratiquement la seule à effectuer des recherches de ce type) ;
les bandes de jeunes dans les banlieues et les risques de l’alcool (Maryse
Esterlé-Héribel) par exemple, dont on voit bien l’importance pour l’avenir
de notre société. On comprend qu’il faille, pour maîtriser notre avenir, plus
de données que celles dont nous disposons qui sont journalistiques ou de
fiction (ne déprisons pas Ia fiction. Des films comme La haine sont impor-

‘12 Dans Clochard. L’univers d’un groupe de sans-abri parisiens, Gaboriau se reconnaît
deux prkcurseurs, l’un est le fondateur du concept de « culture de pauvreté », Oscar Lewis,
in Cinq familles.. . , l’autre, Colette Petonnet, est auteur de quelques études sur la situation
française, chez Maspero et Galilee entre 1968 et 1981. Mais ici nous insistons sur le con-
cept de répétition d’etudes sans qu’une nouvelle problematique d’observation soi1 valable-
ment Claboree; nous ne contestons pas les produits actuels mais le fait que leur Assite
entraîne certainsjeuneschercheurs vers la rbpetition de ces ‘terrains’ (la France noble a été
le terrain de trois ou quatre thèses, les riches bourgeois parisiens de deux.. .)
“‘Les apprentissages du changement dans l’entreprise, L’Harmattan, Paris, 1995 : 304

221
tants pour entendre notre société, mais ce n’est pas des analyses ‘14). Mais
bientôt il va y avoir autant de chercheurs sur les marabouts que de mara-
bouts, les premiers analysant les seconds et les seconds exploitant les pre-
miers, Cette répétition est différente de celle que l’on est obligé de lancer
sur l’exploitation des registres paroissiaux en France (Fleury et Henry,
1965) puisque pour obtenir un résultat national, il fallait étudier cas par cas.
Il en a été de même pour le programme d’atlas des terroirs de Pélissier et
Sautter, 1970). Nous savons bien qu’il n’y a aucun sujet scientifique mineur,
mais un sujet scientifique surexploite perd de son intérêt, si personne n’a
réussi avant vous à en «tirer quelque chose » d’intéressant et de nouveau,
mieux vaut ne pas conclure trop vite que c’est parce qu’ils avaient, eux, la
tête vide 1’5. Surtout qu’il y a beaucoup d’autres questions névralgiques qui
restent sans observations : les banlieues, les différentes populations
d’immigrés, la sociologie de l’éducation, etc.
Actuellement, nous pensons qu’en sciences sociales on est loin
d’avoir fait le plein des données nécessaires, et tri3 loin d’avoir élaboré des
« problématiques » nouvelles pour des recueils heuristiques de données
nouvelles. Les données’nouvelles ne sont pas des données sur des champs
ignorés, ce sont des données construites adéquatement à des positions
scientifiques heuristiques. Le chercheur est un être collectif, au sens où
l’entendait Gramsci et il faut toutes les compétences s’y développent : voir,
entendre, analyser, quantifier, qualifier, lire, exposer, écrire.. .
On a l’impression qu’il pourrait y avoir, entre théorie et observation,
une espèce de « no man’s land » abstrait où l’homme de science ne pourrait
survivre. Pourtant le travail pratique, en particulier dans les travaux collec-
tifs le montre bien : ce «désert » pullule d’animaux bizarres : modbles,
analyses divers, conclusions, idées, macro, micro, niveaux, Cchelles, local,
global.. . des bêtes de toute sorte. On est bien loin du tableau schématique

‘14Tout comme les romanspoliciersde Chester Himes sont de vt?ritables recueils de socio-
logie du Harlem des anntes 50, avec ses deux héros Ed Cercueil et Le Fossoyeur, ou So-
merset Maugham pour le racisme au quotidien dans ses nouvelles de L’archipel des sirénes.
“’ Si ta tête heurte un pot n’en déduis pus trop vite que le pot est vide, proverbe chinois ou
observation que nous nous sommes souvent faite ?

222
de Thom dont les précisions sur ce qu’est la théorie ne résiste pas à une uti-
lisation. Ce qu’il dit est inttrressant mais d’aucun usage pratique (pas pour
une action sur les pht?nomènes, mgis pour comprendre les phénoménes aus-
si).
On retrouve donc l’hypothèse sociologique chère à Alan F. Chalmers
(1987) : dans la science en train de se faire, une question essentielle et tou-
jours occultée reste le personnel des scientifiques : que font-ils ? Pourquoi le
font-ils ? Que veulent ? On retiendra cependant de ce qui prkède que deux
facteurs sont largement favorisés par la science moderne : le calcul et les
capacités visuelles. On voit qu’un problème se pose. N’irions-nous pas vers
un univers virtuel qui ne satisferait que le sens de la vue, le calcul étant
l’intermédiaire entre le monde et notre sensibilité ? Tout n’est pas calcula-
ble, mais est-ce si important que cela dans l’envahissement de notre monde
par le virtuel auquel on assiste actuellement ? Pour tout système existe un
seuil de complexité, comme le rappelait Jacques-Louis Lions dans sa leçon
inaugurale au Collège de France en 1973, et, au-delà de ce seuil, le contrôle
des comportements des systèmes devient hasardeux. Que la science mo-
derne n’ait pas épuisé toutes les joies et fécondités du virtuel et du simula-
cre, nous en sommes persuadé. Un jour ou l’autre le réel, chassé par la porte,
reviendra par la fenêtre, et au galop, comme le naturel. II faudra bien alors
de nouveau accorder au rkel, au terrain et 21leur observation leur place, place
que ne lui dénie, mis à part quelque farfelu, aucun scientifique, car le réel
est notre maître 3 tous.

223
C - De Goidmann à Pusseron
30 ans de sciences sociales’

Deux textes, qui nous paraissent importants, permettent de mesurer


le chemin parcouru par les sciences sociales en trente ans. L’ouvrage de
Lucien Goldmann sera confronté à celui de Jean-Claude Passeron sur quel-
ques points et l’on verra que, contrairement à ce qui est dit, les sciences so-
ciales, devenues sciences de l’homme et de la sociéd, ont fait beaucoup de
chemin et qu’on ne peut continuer affirmer les poncifs et les accabler de
quolibets malveillants car si l’image qu’elles ont dans le public ne change
guère, elles-mêmes et en elles-mêmes changent et avancent dans le champ
des connaissances auxquelles elles apportent leur quote-part.

L’examen des difficultés du travail scientifique ne doit pas nous


masquerque nous œuvronsdansle cadre des sciencesde l’homme et de la
sociétéet quec’est l’explicitation de ce sur quoi ellessont fondéesque nous
avons voulu développerdanscette secondepartie. Nous voudrions mainte-
nant permettre au lecteur de mesurerl’énorme avance qu’elles ont connue
durant ces trois décenniesdurant lesquelless’est exercée notre activité.
Nous répétonsque, quelquesoit le niveau de reflexion que nous avons eue
au cours de ces années,c’est surtout dans des actions pratiques que nous
avonsrencontrécesdifficultés et que notrejugements’estforme, et c’est sur
ces actions de rechercheque nous nous fondons pour écrire ce travail, La
récenteparution d’ouvragesde Jean-ClaudePasseron,l’un sur le raisonne-
ment sociologique (1992), l’autre sur le modèle et l’enquête (avec Gerard-
Vallet, éd., 1995) nous permet de confronter la situation actuelle avec un
ouvragequi faisait fureur quandnousavonsdébuté: il s’agit de J’ouvragede
Lucien Goldmannsur sciences humaines et philosophie avec, comme sous-
titre : qu’est-ceque la sociologie( qui datait de 1952et est cité ici dansson
Cdition de 1966), qui concluait un cheminementqui menait du marxisme à
la sociologie(Murxisnte et sociologieantérieurde quelquesannées).

224
Dans cet ouvrage de Goldmann, on trouve tout ce que la sociologie
- et les sciences sociales avec elle -, allait traîner après soi durant ces trente
années : un abus de suffisance, une méconnaissance des sciences physiques,
un mépris du quantitatif, une surévaluation du global jugé seul apte à donner
un sens à tout. Il est bien curieux de le relire trente ans après. Un des livres
de référence de Goldmann : George Lukacs, Histoire et conscience de
classe, que nous aurions pu ficher dans noire corpus bibliographique, nous a
fait l’effet d’un revenant d’être ainsi citC à chaque page, il est désormais trop
loin de ce que nous apprécions aujourd’hui, de notre problématique actuelle,
pour que sa relecture nous soit d’une quelconque utilité. Critiquer
Goldmann, pour nous, c’est, quelque part, tuer le père, même si ne nous
sommes jamais reconnu son fils. En le relisant, nous lisons toute une pensée
qui nous a nourri et toute la gêne que nous ressentions et qui nous avait
écarté de la philosophie et amené à nous enthousiasmer pour les travaux
d’Ernest Labrousse et de ses collègues médiévistes. Si Goldmann avait rai-
son, cela se saurait. À le lire et à le relire aujourd’hui, on se dit : « C’est trop
beau, Si c’est vrai, c’est trop simple. »
Cette littérature marxiste nous a toujours enchant par son aspect lo-
gique et, en même temps, c’est elle qui nous a guéri de la logique trop rigide
appliquée en sciences sociales, car, même honnêtement, quand un raison-
nement de science sociale est impeccable, on a de grandes chances d’être
dans une impasse ou dans une mauvaise observation. D’ailleurs, Goldmann
fait la même remarque A propos de Durkheim, trop bon sociologue pour
avoir à la lettre suivi ses propres conseils de traiter les faits sociaux comme
des choses.. . (Marx, plus conscient, plus lucide ou plus cynique, avait pro-
clamé qu’il n’était pas marxiste).
Nous allons prendre quelques points pour préciser notre sentiment :
Goldmann attaque résolument la mise en place des sciences de
l’homme face aux sciences de la nature. Déjà, on voit que le discours est
entièrement philosophique. C’était l’époque des grandes idées dont on
croyait qu’elles donneraient la réponse aux petits problèmes, lesquels, selon

225
la religion en cours, ne pouvaient avoir d’existence en dehors des grandes
tendances. Goldmann s’en distingue résolument :
...apparition d’une valeur durable et commune aux différents groupes
sociaux la maîtrise de la nature, avait permis la constitution d’un corpus
considérable de sciences physico-chimiques à la fois a-historique, non-
dialectique et extraordinairement efficace et opératoire.
Dans les sciences humaines cependant, tous les essais de penser sur le
modèle des sciences dites <Yexactes » ont donné fort peu de résultats ef-
fectifs. (13)
Mais les raisons qu’il va donner de cette rupture ne sont pas, con-
vaincantes : c’est l’appel à la totalité, qui donne son sens à tout, et la nature
dialectique des faits sociaux. Mais Goldmann va s’empêtrer pour définir ce
qu’il appelle une totalité, qui est toujours une sowtotalit6 tant qu’on en-
globe pas l’humanité toute entière. On aboutit à un truisme : une totalité
c’est ce qui est fonctionnel pour une analyse sociologique. Nous reconnais-
sons que notre auteur est plus subtil que nous le sommes, mais ses partis-
pris le gênent quand il thtorise, alors qu’il est très convaincant dans son
magnifique Dieu caché, où le praticien de l’analyse des textes est alors dans
son élément et où il mettra en œuvre son idée.. .
d’une réalité humaine totale. s’exurimant sur tous les plans de la vie so-
&&. (701
Goldmann va donc parler de la méthode cartésienne, qui a deux prin-
cipes : le premier est de considérer une communauté comme un « objet
d’étude », ce qui est une « déformation scientiste » ; le second est de diviser
en “chacune de ses difficultés” un tout trop compliqué car trop complexe.
Mais là, il n’est pas non plus d’accord car ce serait, dit-il :
« valable jusqu’à un certain point en mathématiques et en sciences phy-
sico-chimiques, s’avère inutilisable en sciences humaines où le progrès
de la connaissance ne va pas du simvle au comvlexe, mais de l’abstrait
au concret par une oscillation continuelle entre l’ensemble et ses par-
ties. D (90)

On ne voit pas très bien de quoi il retourne et si, nous le citons, c’est
parce que cet ouvrage qui se veut scientifique ne l’est en rien, aux normes
d’aujourd’hui. Il vaut mieux recourir au bon vieux Gramsci (1959), dont les
position théoriques restaient théoriques et a qui la pratique politique qu’il
détenait donnait quelques lumi&es pertinentes sur l’action,

226
Goldmann, sur la lancée des questions de sciences, affronte la ques-
tion de l’objectivité. II parle, pour la séparation du matériel et de l’idéel,
d’abstractions provisoires, qui, parce qu’elles seraient provisoires, sont
alors légitimes. L’usage du mot même abstraction, montre toute l’influence
de la pensée non seulement marxiste, mais physique et, 21travers la pensée
marxiste, de la penste physique telle qu’elle était en vigueur au siècle der-
nier. Ce qui est étonnant c’est les affirmations sans exemple sur les sciences
physico-chimiques et le recours a des arguments du début du siècle. On dé-
cèle le Lénine critique de Mach, dont Fueur (1974) a montré toute l’inanité,
et l’Engels de la dialectique de lu nature “‘. Ses références datent quelque

peu. Il ne parle pas de Bachelard et se fonde sur Poincarré pour énoncer que
la première thèse du chercheur en sciences sociales est de ne pas fonder de
jugement de valeur. Ce qui
requiert du sociologue qu’il étudie les faits sociawc « comme des cho-
ses » c du dehors », mais ne se demande pas si cela est &istémolot+
auement possible.
(33)
L’objectivité, va dire Goldmann, ne dépend pas de l’individu et de sa plus
ou moins haute moralité ou intelligence ou pondération, mais de la classe
sociale à laquelle il appartient et qui lui accorde un certain degré de liberté
(sous caution naturellement. )
La gêne que nous décelons chez ce grand professionnel de l’analyse
sociologique de la littérature, quand il parle des sciences sociales en général,
c’est celle qui l’enserre dans la contradiction : il critique certains des travaux
antérieurs mais cette critique n’est légitimée que par le politique (lecture de
classe, manque de pensée dialectique et refus de la totalité) :
Fin dernière vour le chercheur, la pensée scientifique n’est qu’un moyen
pour le groupe social et pour l’humanité entière. Pa

‘16 A I’kpoque, dans un de ses cours B I’EPHE, Maurioce Godelier avaiyt dtclart que le
pointy de tangence d’une droite sur un cercle était une rksolution dialectique. Comme la
stcante devient tangente puis de nouveau sécante, nous avions conteste cette interprétation
(il n’y a pas de saut qualitatif, c’est un simple phénomkne circulaire). Baby, lors d’un oral ZI
l’Institut de sciences politiques avait demandé a un Btudiant (Jacques Abeillé) un phéno-
mène dialectique dans la nature, devant le silence de l’étudiant, il avait lui fourni l’exemple
de la lune, « coincée » entre la terre et le soleil et qui serait en kquilibre dialectique.. . or la
lune s’éloigne de la terre au point où la vie l’a enregistré dans les croissances de certains
coquillages (Stephen Jay Gould, 1982). L’équilibre serait-il de la dialectique ?

221
Ainsi Goldmann va rejeter les monographies (47 et sq.), parce
qu’elles n’ont pas de vision d’ensemble. Comme’elles occultent l’ensemble,
affirme-t-il, elles sont inutiles. II ya même jusqu’à débiter des âneries et en
retranscrire comme paroles d’Évangiles :
La recherche empirique (monographie, statistiques, enquêtes, etc.) dé-
pend d’un système d’ensemble et ne répond qu’aux questions que lui
pose le sociologue.
(8:)
La méthode monographique est le meilleur moyen de se fermer 1‘horizon
devant le problème.
G. Lukacs, 1923
Il est vraiment contre les tendancesqui nous ferons rallier les Etudesde
communautésrurales et celles de terroirs (cf. Pélissieret Sautter, 1964, et
lestravaux initiés à I’EPHE VI” sectionpar Balandieret al). Pourtant, il y a
une critique forte chez lui (au sensoù en scienceon parle d’hypothèseforte)
quandil affirme que :
L.es données comme telles dépendent, elles aussi,de la vision consciente
ou implicite de l’enquêteur. Il n’y a pas de faits bruts. Aucune enquête,
aucune monographie n’est jamais intégrale, Elie oose certaines aues-
fions ù la réalité et choisit les faits à la lumière de ces auestions.
(48)
Et Goldmannreviendraalors sursonhypothèsede base:
Il en résulte un ensemble de travaux à la fois de plus en plus nombreux,
vastes et développés sur le plan quantitattx mais aussi, pour la plupart,
de plus en plus routiniers et dépourvus d’élaboration théorique
(9)
C’est là une des faiblessesde cet ouvrage : en critiquant légitime-
ment une certaine tendancede travaux menésà courte vue, il en déduit que
la théorie sociologico-politiquequ’il proposerésoudrale problème.Ce fai-
sant, il se place hors de tout débat épistémologiqueet toute discussionest
impossible.

Goldmann a écrit ce livre en 1956; dix ansaprès, à la faveur de la


guerred’Algérie et du gauchissement
politique conséquentde la jeunesse,le
marxismeavait fortement influencé la rechercheen sciencessociales,ce qui
fait qu’à l’époque déja, nousallions vers d’autres modèles.Ce qui nous ap-
paraît évident, aujourd’hui, c’est que nous étions dgjà des héritiers de ‘cette
pende critique, que nous en ayons compris les détails (comme des Jean

228
Copans, Passeron.. ,) ou pas (ce qui était manifestement notre cas person-
nel). Certes, nous restions critiques envers ces études sans vision, mais nous
voulions faire ces monographies et ces recherches mono-disciplinaires, avec
notre propre regard, notre propre pensée. D’une certaine manière, Goldmann
disait ne pas contester l’utilité des monographies, mais il voulait qu’on les
intègre en une vision d’ensemble (47). Entre l’ensemble et la partie, il nous
parait aujourd’hui tvident que nous avions fait notre choix tout en gardant
en tête les critiques.
Pour Goldmann, il est facile de choisir entre deux sociologies diffé-
rentes et antagonistes : il suffit de choisir celle qui inclut l’autre, elle est plus
complète (53). Mais comment décider de ce qui est meilleur in abstructo ?
Car, comme deux méthodes ne donnent pas le même résultat, la meilleure
n’est pas celle qui inclut l’autre, c’est celle qui est la plus productive. On l’a
bien vu quand on suit Feuer (1974) : la postérité en physiciens de Lénine est
nulle ; celle de Mach, que le grand chef bolchevique croyait tuer intellec-
tuellement par sa critique, a eu pour «petits-enfants » : Eisenberg, Ein-
stein,. . . et tout le « gratin » de la physique moderne.
De partout, on voit que Goldmann confond chercheur et théoricien, il
a beau s’en défendre, il a un profond mépris pour la sociologie d’enquêtes et
les r&ultats de l’observation. Les faits ont tort, seuls Marx et Lénine, et leur
angelot Lukacs, ont raison. D’ailleurs il traitera les résultats américains avec
un profond mépris, se faisant gloire de ne pas les lire (81). Sa critique de la
sociologie américaine se limitera aux aspects les plus caricaturaux des tra-
vaux de Lewin, Moreno et autres psycho-sociologues ou micro-sociologues
de l’école américaine. Pourtant Gramsci avait déjà dit que si l’on veut dé-
faire un adversaire sur le plan intellectuel, ce n’est pas le maillon le plus
faible qu’il faut attaquer, mais le plus fort, différenciant en cela la lutte in-
tellectuelle de la lutte militaire ; car on ne convaincra pas, en se moquant de
ses ‘manières baroques de penser’, un second couteau quand on aura laissé
le leader intellectuel à l’abri des attaques. II est curieux que Goldmann n’ait
pas attaqué ces questions d’enquêtes : il avait tous les moyens intellectuels à

229
sa disposition, mais il est passé à côté car il ne s’intkessait qu’à la littéra-
ture. En matière de sociologie non-littéraire (hors la littérature) il n’avait pas
de comprkhension des problèmes.

À sa propre question, « Qu’est-ce que la sociologie ? » Goldmann


n’avait au fond aucune réponse à proposer ; cela nous le comprîmes parfai-
tement pr6fkrant la lecture de Gramsci, des monographies tant décriées et
des grands textes sur des problèmes (notre éblouissement à l’Esmi sur le
don a été un desgrandsmomentsd’exaltation que nous ayonsconnus).Au-
tant qu’on puissecomprendresonraccourci, il met Le Bras au mêmeniveau
que Lévi-Strausset les traite tous deux de chercheursappartenant« à cette
tradition de recherches concrètes ». 11manifesteaussiun mépris souverain
pour l’ethnographie. Toutes ces positions théoriquesne l’empêcheront pas
de seplaindre :
A part quelques spkialistes qui perpétuent une ancienne tradition de re-
cherches concrètes, la sociologie contemporaine perd, de plus en plus, le
contact avec la réalité.
(7-V
Il est vrai que les recherchesconcrètesc’est l’étude des textes con-
crets (littérature ou écrits politiques), et qu’un texte marxiste, parce que
marxiste, estconcret.

Goldmannestun peucommeJanus.Quand il parle en marxiste, on a


l’impressionde lire desmots creux, et quandc’est le scientifique qui parle,
alorsle bon sensrevient au galop :
Il n’y a pour la recherche, aucune règle générale et universelle si ce
n’est celle de s’adapter toujours à la réalité concrète de l’objet étudié.
(118)
À la base de la distinction entre les bons et les mauvais schémas, il y a,
ainsi, comme à la base de toute pensée scient$que, le seul critère de la
vérité, l’adéquation de la pensée à la réalité objective.
(1-j
On est bien d’accord, mais le degré de généralité est tel qu’on
n’arrive pasà y croire. Ce bon vieux Gramsciest bien plus prkis dansses
critiques et sesessaisde construction de ce que l’on pourrait appeler une
sociologie,cherchant lesarticulations réellesdesproblèmeset ne parlant de
généralitésquequandcelles-cipeuvent être évidentesou sont sansprobl’ème

230
d’intelligence. Même derrière des statistiques, celles de l’ouvrage
d’Halbwachs sur Les classes ouvrières et les niveaux de vie, Goldmann lit
les classes sociales, la révolution en marche et la dialectique marxiste écra-
sant l’hydre du capitalisme impérialiste d’État.
Malgré ses critiques de Gurvitch, celles qu’il proférait contre la so-
ciologie et la psycho-sociologie américaine, la monographie, les études de
cas et les statistiques, Goldmann n’a pas moins eu une influence que nous
ne renions pas. Aujourd’hui encore, on trouve des points que l’histoire de
nos disciplines a enrichi, Prenons sa remarque :
L’histoireet la sociologieétudientlesmêmes
phénomènes.
(18)
et nous nous retrouvons personnellement sur les mêmes positions énoncées
par Passeron dans le numéro 1 de sa revue Enqudte (1995). Mais chez
Goldmann, c’est la lecture des insuffisances (politiques) de l’une et de
l’autre auxquelles il croit suppléer par les points forts de l’autre et de l’une.
Il croit qu’en faisant agir les deux connaissances il arriverait à pallier les
défauts de l’une par l’autre, mais c’est une position trop optimiste.
L’histoire, c’est la connaissance du spécifique, du non-reproductible.. .
l’historien cherche la vérité, celle d’un fait.. . tout cela est bouillant de mots
mais vide d’idée.
À l’aube de notre carrière scientifique, nous étions baigné dans un
refus : celui de ces plans-bateaux comme nous les appelions alors, celui de
ces études où, à l’image des physiciens (ou à l’image de l’image qu’ils
avaient des physiciens), les chercheurs en sciences sociales coupaient un
morceau du réel et le trituraient jusqu’à plus soif, croyant qu’à copier leurs
illustres aînés et dieux en épistémologie, ils fabriquaient de la science. Dans
cet étouffement, des penseurs comme Goldmann nous interessaient, propo-
sant une critique et un appel a la totalité La totalité peut rester hors de notre
saisie, elle n’en reste pas moins le global à ne jamais oublier car il ne se fait
jamais oublier quand on travaille sérieusement une question, isolée par la
force des choses et la faiblesse de nos moyens intellectuels. Mais en dehors
des critiques souvent injustes qu’il faisait (pensons à celles qu’il profère

231
contre Gurvitch, dont le meilleur élève à I’Bpoque était Balandier dont la
Sociologie actuelle de l’Afrique Noire (1949) reste un des grands ouvrages
des années 60). En dehors de ces critiques, Goldmann apportait peu. Mais
son intérêt ttait peut-être de proposer ce programme flou car il ne nous em-
pêchait pas d’aller chercher chez Sauvy, Gourou, Bourdieu, Godelier, Saut-
ter, Balandier, Mercier, Labrousse, Pressat, Barbut, Bertin, etc, ce que
Goldmann ne pouvait nous donner : des règles d’enquête, des techniques
d’observation, des m6thodes d’analyse. Toutes choses avec quoi se fait la
science en actes.
Jean-Claude Passeron dans les ouvrages cids (1992 et 1995, voir
aussi son interview avec Raymonde Moulin et Paul Veyne, 1996) permet de
mesurer le grand pas effectué par les sciences sociales depuis 30 ans.
Fondateur du SHADYC, laboratoire du CNRS et de I’EHESS de Mar-
seille, acronyme de Sociologie, histoire, anthropologie des dynamiques

culturelles, Passeron a mis en exergue de la problématique scientifique de


cette équipe (dirigée actuellement par Jean-Louis Fabiani), qui produit une
excellente revue dont le titre est tout un programme : Enquête, le triptyque
anthropologie, histoire et sociologie en partant d’un triple constat que nous
devons citer intégralement plutôt que de le paraphraser :
* Il est devenu Pvident que ces trois disciplines sont confrontées à des
objets construits sous des contraintes méthodologiques et argumentati-
ves qui sont de même nature, même si toutes les conséquences de cette
évidence sont loin d’avoir été tirdes : leurs escarmouches de frontières
continuent à faire peser sur la communication des résultats de recherche
une charge inutile de malentendus corporatifs.
* Ces disciplines - et à vrai dire toutes les sciences sociales lorsqu’on
les considère comme sciences historiques - sont indiscernables par les
caractéristiques sémantiques de la langue de description du monde
qu’elles utilisent comme la forme des démarches interprétatives qui fon-
dent leur intelligibilité commune.
* Leur sens scient$que tient à la pertinence empirique, c’est-à-dire à
leur ambition de rassembler des données sociales par l’enquête, de les
construire et de les interpréter par la comparaison statistique et/ou his-
torique. Leur point d’honneur méthodologique est de ne point démordre
d’un tel projet empirique face aux d@kultés inéluctables que rencon-
trent les sciences sociales pour mettre en rapport la pluralité de leurs
langages théoriques avec l’observation.
([Passeron] Au lecteur, no l-1995 Enquête : 7)

232
Il nous paraît significatif que nous, qui avons été séparé durant deux
décennies complètes de ce qui se faisait en France et qui ne pourrons jamais
rattraper notre retard de lectures, ayons abouti séparément, de par la seule
logique de notre travail scientifique, aux mêmes conclusions : la cohérence
des approches, l’inanitk des classifications des disciplines scientifiques né-
cessaires et historiquement déterminées par des conditions nationales,
l’évidence que ce qui fait un chercheur de sciences sociales c’est la logique
de ses travaux et que cette logique se rit des classifications car elle suit celle
du n?el étudié ’ “, et que :
L’exhortation à i’interdisciplinarité est une vieille lune des bureaucra-
ties scientifiques
([Passeron] in Enquête, 1991-1, Au lecteur : 7)
Et que le problème n’est pas dans les mots mais dans les compétences indi-
viduelles que d6veloppent les chercheurs dont l’action de recherche pratique
doit seulement ne pas oublier le « Grand Tout » dans lequel s’effectue leur
travail et dont ils ne doivent pas oublier le poids dans ce qu’ils font de parti-
culier et parcellaire, parce que le travail scientifique est <(comme ça ».
C’est à juste titre que Passeron a écrit, ce que nous avons déja dit et
6crit nous-même (comme en 1982, lorsque les grands vents des mythes ra-
vagèrent l’institution de recherche A laquelle nous appartenons ont soufflé,
nous protestions contre « le multidisciplinaire comme religion » ‘18 (Orstom,
1983) et tant d’autres aussi confrontés aux mêmes problémes rkels du travail
scientifique :
La non-appartenance à une école n’est pas ici une clause de style : nous
recherchons des confrontations vraies.
([Passeron] in Enquête, 1991-1, Au lecteur : 8)
On voit déjà, à la comparer à la problématique politique de Gold-
mann, le chemin parcouru, on peut lire également cette avancée dans les

“‘C’est aussi ce que disait Jean Copans, dans un article de 1979 : D’un africanisme à
m : La reconstruction des structures sociales autochtones est de fait une description
du pas&. Le fameux présent ethnopravhiaue krait un passé qui s’ignorait : l’ethnologie
s’attache à des bpoques datées et on peur dire que tout le monde, d un moment ou à un
autre de sa carrière, a fait de l’histoire. (1979 : 58).
“s Nous avions eu ce mot que nous ne pouvons que rép6ter ici : « Nous sommes plusieurs à
avoir cru que mai 1981 6tait I’t5lection prdsidentielle, nous ne savions pas que c’était un
vote sur 3 millénaires d’épistémologie occidentale ».

233
travaux empirique de Passeron et l’affrontement accepté avec les autres dis-
ciplines plus spécifiques de par leur objet, leur logique ou leurs mtthodes
comme la linguistique, la démographie, l’économie : cela a donné cet ou-
vrage édité avec Gérard-Val]et sur le modèle et l’enquête, et les discussion
sur la rationalité, tant des systèmes que des acteurs (Elster, 1987, Walliser,
1977).
Aujourd’hui, la science a bien avan&, le nier, comme le fait Philippe
Couty (1990 : Sciences sociales et recherche multidisciplinaire à L’Orstom),
pour qui le débat épistémologique n’est qu’un intéressant jeu d’idées, est
aberrant. Citer Aristote, et autres Grecs, et traiter du multidisciplinaire
comme il l’a fait, c’est en rester à un mode de pensée antérieur aux interro-
gations de Goldmann qui, pour être datées, n’en sont pas moins intéressan-
tes. Mais cette position ne peut naître quand chez quelqu’un qui n’a affronté
aucun des problèmes actuels des sciences sociales dans sa pratique scientifi-
que, chercheur de tour d’ivoire et synthétiseurs de textes. Couty, pour paro-
dier Laurent Fabius, est l’épistémologie ce que le Front National est à la
politique : il pose les bonnes questions mais rkpond Li côté.
Les travaux de Passeron parlent bien de ce dilemme duquel ne sor-
tent pas les travaux critiqués :

l l’illusion scientiste voulant forcer nos disciplines à entrer dans le double


carcan de la mathématisation et de l’expérimentation (dont se dispensent
à 50% les disciplines biologiques.) ;
l la tentation herméneutique qui ferait des sciences sociales un amusement
intellectuel, une danseuse pour esthètes attachks à l’immobilité du
monde, un aimable sujet de conversation d’après-boire, justifiant tous les
épanchements du « moi », véritable sujet de ce type de recherches,
Certains autres auteurs, comme Alain Testard “‘, en tiennent tou-
jours pour que les sciences sociales puissent être des sciences comme les
autres, cette illusion doit être combattue car elle n’évite aucun des auteurs à

“’ Alain Testard,Pour les sciences sociales, essai d’épiste?mologie, Christian Bourgeois,


Paris. 199 1.

234
signaler quand même que les sciences sociales sont « différentes », par une
part de ce qu’elles sont, des sciences « nobles », dont nous avons vu qu’elles
ne se ressemblent pas non plus entre elles. En fait, le problème n’a aucune
solution valable. Notre expose ne pretend convaincre personne sauf sur plu-
sieurs point quAnous semblent d’un accord général :
l les sciences sociales sont historiques, ce qui implique le particulier y a un
statut différent :

l la mathématisation y est marginale et essentiellement « numérico-


statistique » ;
l l’expérimentation y est marginale, le comparatisme essentiel ;

l l’observateur étant partie prenante dans l’observation complique encore


la question de l’objectivité.
A quoi nous ajouterions une position qui nous est commune avec des
gens comme Passeron, Pottier, Olivier de Sardan et que nous exprimons
sous deux aspects reflexifs :
l I’épistémol~ogie mise sur pied pour les sciences physiques et biologiques
(Kuhn, Feyerabend, Popper, Latakos, etc.) n’a rien, mais absolument
&, à voir avec la pratique scientifique des disdplines scientifjques qui
étudient l’homme et la société ;
l que cet étrangete ne diminue en rien leur validité scientifique, tout
comme le fait que la biologie ne soit pas mathématisable ne diminue pas
son caractère scientifique, que tout le monde lui reconnaît.
Nous sommes certain que nous aurions pu effectuer la même analyse
avec un autre thème, comme celui de la théorie des jeux : qu’on juge de la
différence entre Michel Plon, 1976 et son ouvrage sur La théorie des jeux :
une politique de l’imaginaire, et celui de Jon E]ster, 1987, Le laboureur et
ses enfants, deux essais sur les limites de la rationalité et celui de Louis-
André Gérard-Vallet et Jean-Claude Passeron, éd., 1995, Le modèle et
l’enquête. Les usages du principe de rationalité dans les sciences sociales
ou de Bernard Walliser, 1995, L’intelligence de l’économie, OY de

235
d’Auturne et de Cartelier, 1995, L’économie devient-elle une science
dure ?... De l’id&ologie au départ, de la discussion de problémes techniques
avec de l’idéologie à l’essai de comprendre aujourd’hui ce qui meut nos
sociétCs.. . tout un mouvement s’est produit ces deux dernières décennies. Il
a touché l’ensemble des sciences sociales, à des vitesses diverses (la démo-
graphie s’est « idéologisCe » assez tard et ne nous paraît pas en être totale-
ment sortie, mais de la démographie, notre métier, nous ferons un chapitre à
part). Et cela est, pour nous, important et « rassurant » quant a la capacitt
des sciences de l’homme et de la société à aborder les problémes de la so-
ciété mondiale en train de se construire : si le grain ne meurt, l’espoir sera
permis.
Il est important que des esprits intelligents et cultiv8s comme Passe-
ron et Testard explorent non seulement les frontières entre disciplines
scientifiques, celles dures et nobles, celles molles et incertaines, mais aussi
le contenu de cet espace méthodologique. Grâce à eux, on y verra plus clair
dans quelques années et l’on pourra mieux entendre ce que sont les sciences
sociales et leur apport. Que nous ne soyons pas d’accord avec certains ne
nous gêne aujourd’hui plus. Notre dksaccord, par contre, est total avec ceux
qui dénient aux sciences sociales toute scientificité, qu’ils soient épistémo-
logues comme Latakos, poètes ès sciences comme Philippe Haeringer
(1982), ou philosophes en économie comme Philippe Couty (1996) “O. Que
Popper et attaque le marxisme, nous l’entendons, qu’il attaque la psycholo-
gie adlérienne, nous l’entendons. Là où il nous hérisse et nous le jugeons
pour crétinisme avancé, c’est quand il les attaque au nom de la logique de la
physique. Autant reprocher à la choucroute de ne pas être sucrée et à l’ébène
de ne pas donner des roses bleues. Une discipline doit sejuger en elle-même
d’une part et en regard de la pratique dont elle prétend rendre compte
d’autre part.
Les philosophes ne possèdent pas le moyen de légiférer sur le critère à
satisfaire pour juger acceptable ou « scientifique un domaine de savoir.

lzn Philippe Couty, La apparences intelligibles. Une expérience uj-icaine, Arguments,


Paris, 1996.

236
Chaque domaine de savoir peut être analysé pour ce qu’il est. Autrement
nous pauvons nous demander quels sont ses buts, [...], quel sont les
moyens utilisés pour y parvenir et quel degré de succès ils atteignent.
(Chaimers, 1990 : )262

Après avoir donc traité de l’objet de ce travail et du cadre épistemo-


logique tel que nous pouvons l’entendre à travers notre pratique
d’anthropologue ayant effectué des enquêtes qualitatives, dites
d’observation participante dans des populations étrangères, et celle de dé-
mographe passionné de recherches longitudinales dont l’originalité est de
poser des problèmes de méthode extrêmement pointus.
Mais avant, nous devons faire ici l’aveu que, dans cette deuxiéme
partie de notre thèse, nous avons été aux limites de ce que nous pouvions
expliciter des fondements de notre travail. Nous savons bien, et sans un ex-
cès d’orgueil qui tournerait à une masochiste modestie, que notre activid, de
laquelle nous tirons la quasi-totalité de notre connaissance du monde, a
surtout et6 toumee vers la résolution de problèmes pratiques et que nous ne
sommes pas des grands lecteurs qui gardent en leur cabinet leurs lectures en
fiches, À l’image du Petit Poucet, nous avons semé derrière nous, non des
miettes de pain, mais nos feuilles de lectures, nos livres, souvent prêtés et si
rarement rendus. Nos références sont à l’image de cette vie un peu épar-
pillée qui a 6th la notre : un patchwork. D’autre part, les livres ne nous par-
lent que si nous pouvons les raccrocher à une expérience concrète que nous
aurions. Enfin, il nous semble que, dans ce long effort, il y avait une logi-
que ; cette logique nous avons tenté dans ces deux premières parties de la
restituer car, si nous avons quelque chose à apporter, c’est peut-être dans
l’explicitation de ce rapport particulier que nous avons eu vis-a-vis de la
connaissance intellectuelle. Après avoir relevé les difficulds rencontrées
dans notre pratique du métier de démographe d’enquêtes larges et collecti-
ves et de sociologue quantitativiste étant intervenu et ayant dirigé de nom-
breux projets multidisciplinaires à but pratique (c’est-à-dire répondant à une
question precise comme par exemple la famille congolaise ou la pêche dans
le Delta cenrral du Niger au Mali . . .) et avoir replacé les conclusions que

237
nous avons tirées de ces pratiques d’observation, de collecte, d’enquêtes et
de terrain dans le cadre des débats contemporains tels que nous pouvons
intellectuellement les appréhende,r, nous allons aborder maintenant la ques-
tion de la collecte par enquêtes, qui fera l’objet de la seconde partie de cette
thèse.

238
D- La question des compétences :
Qu’est-ce que la démographie ?
Dans ce chapitre est analysée la question de la discipline démogra-
phique comme discipline des sciences de l’homme et les problèmes que
posent les competences face aux champs scientifiques d’expression socia-
lement déterminés. Nous devons ce chapitre au lecteur vu l’importance de
notre démarche qui s’appuie en grande partie sur la pratique de cette disci-
pline, même si nous faisons seulement un bref rappel de contraintes
d’existence puisque la seconde partie de notre thèse prendra largement appui
sur les informations collectées en démographie.
Comme il l’a été dit, nous avons une conception unitaire des scien-
ces de l’homme et de la société, cependant, cela ne suppose pas pour nous
que des disciplines n’existent pas dans ce champ epistémologique géntral.
Nous pensons, au contraire, que l’histoire de la pensée et les histoires natio-
nales et internationales (l’histoire des institutions) ont constitué des champs
socialement définis d’exercice de professions et de compétences. Nous di-
sons que ces champs de compétences existent et qu’on ne peut pas s’en
désintéresser sur un plan pratique. Croire que des diplômes d’études supé-
rieurs permettraient de passer de l’un à l’autre est une grave erreur, trop
souvent repetée. Ce qui ne signifie pas qu’on ne puisse et ne doive trans-
gresser ces règles administratives constituant le champ scientifique, mais il
faut le faire avec précaution. Notre position n’est pas contradictoire avec
une position rigide sur les competences. On peut prendre l’exemple de
l’histoire : longtemps, elle était restee une matière littéraire avant de deman-
der maintenant de fortes compétences dans le maniement du numérique. Il
ne faut pourtant pas trop s’obnubiler sur ces difficultés dues aux études de
formation car on a bien vu des professionnels devenir pas trop mauvais dans
un exercice qui,, précédemment, les rebutait, mais incontournable dans leur
stratégie de recherche. À condition de pouvoir faire cette mutation, nous

239
sommes persuadé, vu notre passé professionnel, que ces glissements de
compétences sont utilisés paf certains pour masquer soit une incapacité per-
sonnelle dans le champ défini, soit un esprit intrinsequement brumeux ou
une incapacitk à exercer la profession de scientifique. C’est par pure charité,
née dans le terreau d’une culture judéo-chrétienne, que nous ne donnons pas
d’exemples. On nous permettra de contester l’existence dans la rCalité de
travaux qui devraient figurer au catalogue des objets insolites ‘*‘. De même,
nous nous permettons de signaler que, dans les travaux manuels, un maçon
ne sait pas faire de chaises et un plombier ne répare pas la télévision. Le
raisonnement ne doit pas s’arrêter à ‘la main à charrue’ mais concerne aussi
‘la main à plume’, puisqu’elles se valent, affirmait Rimbaud.
Cette attitude est très différente de celle qui exige de devoir glisser
de «profession » parce que l’objet qui intkresse le chercheur réclame
d’autres approches. Encore ne faut-il pas, là encore, abuser. Viser quelque
chose d’impossible dénote que le chercheur a perdu pied avec le réel, or
c’est dans le réel que s’effectuent les recherches et leur vérification. Ainsi,
un économiste (de formation) s’intéressant à I’Ccologie, ne va pas devenir
un écologue naturaliste, mais va intégrer cet intérêt et des connaissances
écologique dans l’économie ou ré-injecter dans son nouveau champ ses
compétences d’tconomiste (Marie-Hélène Durand, Cconomiste des pêches,
OU Jacques Weber, sociologue des pêches artisanales). C’est fréquemment le

cas dans les nouveaux champs disciplinaires avant qu’ils aient atteint un
“statut” disciplinaire, comme l’écologie, l’anthropologie économique ou la
démographie. Mais ce n’est pas le lieu où l’amateurisme peut se développer.
On pourrait citer le cas d’autres essais, non transformés dans le champ des
disciplines, comme ceux sur la pédologie et les paysages (Chatelin, Richard
et Leneuff, 1982). Sans parler d’une hypothétique « science de l’urbain »
(Lacombe, 1996, Partenariat scientifique : 39, note 24), ou de celle du sec-
teur informel (Lisa Peattie, 1987).

12’ Le curalogue des objets introuvables, coll. Le livre de poche.

240
Sans aller dire, avec certains, sur la foi d’une mésinterprétation de ce
que devait affirmer plus tard, Hermann Minkowski, étonné devant la
« réussite » d’Eisntein :
Pour moi, ce fut une immense surprise, car, du temps de ses études, Ein-
stein était un paresseux. 11 se souciait des mathématiques comme d’une
guigne.
(cité in Feuer, 1974 :94)
qu’Albert Einstein etait “nul en maths” et qu’il ne devint “bon” que quand il
vit à quoi elles pouvaient lui servir, on doit cependant bien dire que son intt-
rêt pour les nouvelles mathematiques de son époque (en quatre dimensions)
fut tardif; c’est son ami Marcel Grossmann qui les lui expliqua et fut son
mentor en la matière (CO-auteur pour la partie des développements mathé-
matiques de l’ouvrage d’Einstein sur la relativité généralisée de 1913, qu’il
ne signa pas, mais nullement l’inventeur de la relativité comme théorie ré-
volutionnaire). Dans un temps comme aujourd’hui où la fluidité des statuts,
des rôles et des fonctions devient un état normal d’anomie, on doit méditer
cet exemple : un des freins de l’avancée des sciences sociales est le refus du
“technicien”, et, plus généralement de la position d’appui, d’aide à la re-
cherche. Chacun en tient pour signer et, surtout, ne pas paraître pour un
simple adjuvant du travail collectif. Ceci n’est qu’un des effets de ce que
nous appelons «le modèle du chercheur comme modèle dominant », du
moins en France, modèle que nous avons sévèrement critique dans Le Par-
tenariat et Le voyage en Okomie de Jean Naymard. Combien de fois nous
sommes nous, personnellement opposé à voir notre nom figurer pour des
tâches qui relevaient de la technique (celle de la collecte,,ou celle de la con-
ception technique, ou celle encore de l’appui à la rédaction...). C’est pour
cela que nous apprécions la technique du « générique » qui a l’avantage de
rendre à chacun son dtl sans pour autant faire accroire des “menteries”. NOUS
ne sommes que des’ artisans : le chercheur aujourd’hui cherche, “trouver”
demande d’etre au bon moment au bon endroit et pas seulement de
l’intelligence et de i’imagination scientifique. Il n’en reste pas moins que le
manque de techniciens dans les sciences de l’homme et de la sociéte est un
probleme auquel il faudrait bien un jour se confronter (Alain Costes, 1997,

241
note que pour les SHS (sciences de l’homme et de la société) du CNRS
30 % des ingénieurs et techniciens n’exercent pas une activité conforme à
leur statut, mais que, par ailleurs, beaucoup de chercheurs ont des fonctions
d’ingénieurs.
Pourtant, avant d’écarter ce sujet de notre réflexion, il nous semble
qu’il y a un problème quand on « s’amourache » d’une technique ou d’une
discipline sans se donner les moyens de la maîtriser. Il en est ainsi de ceux’
qui sombrent en une discipline étrangère et bien Ctrange pour eux, croyant
l’avoir assimilée pour en avoir lu quelques livres, et bénéficier par ailleurs
des passerelles administratives d’équivalence qu’ils prennent pour des di-
plômes lourdement acquis à la suite d’années de travail. Avec les technolo-
gies modernes et la montée en puissance de l’idéologie multidisciplinaire
(quand ce qui est nécessaire, c’est le travail collectif), on a vu souvent le cas
de « colonisation » de certaines aires scientifiques par des gens qui y appor-
té, avec leur enthousiasme, leur vide conceptuel et leur absence de logique :
le cas est patent avec les bases informatisées de données, l’exploitation des
enquêtes par micro-informatique et les systèmes d’information géographi-
que... Les passages d”une discipline à une autre sont des opérations pé-
rilleuses. On peut parler des réussites : Franz Boas, devenu le grand anthro-
pologue.que l’on connaît, Rémy Clairin de chimiste devenu démographe ou
Jacques Tournon de physico-chimiste devenu ethno-botaniste (1995). . . On
peut quand même parler des échecs de ces médecins devenus démographes,
qui ont cessé l’exercice du noble art sans acquérir une autre compétence, ou
bien de ces matheux convertis à l’ethnologie sans s’être donnés les moyens
d’une reconversion professionnelle. On doit à ce type de gens des travaux
simili-scientifiques quand ce n’est pas des simili-travaux scientifiques dont
on reste étonné qu’ils continuent à être financés par des institutions sérieu-
ses.
A bien y réflechir, il est nécessaire de distinguer les “reconversions”,
plus ou moins totales, des glissements de compétences, des utilisations de
compétences externes pour une problématique scientifique inchangée. Dans

242
ce dernier cas se rangent Albert Einstein ou Ernest Labrousse, dans le pre-
mier se rangent Rémy Clairin, Jacques Tournon ou Albert Jacquard I mais
tous se sont reconvertis -. Par contre c’est g6néralement dans le glissement
des compétences que se rangent la majorité des chercheurs que leur logique
interne, ou celle de leur travail, mènent d’un champ scientifique à un autre :
Pierre Cantrelle, passé de la médecine à la démographie via les vaccinations,
Jean-François Werner, passé de la médecine à l’anthropologie via la mede-
cine urbaine, Boris Cyrulnik passe de la médecine a l’éthologie via la psy-
chiatrie, Jack Cioody passé de la littérature à l’anthropologie via l’expérience
de la guerre, Daniel Delaunay passé de l’économie aux systèmes
d’information géographique via l’analyse des recensements démographi-
ques. Compétences glissantes qui répondent à des défis nouveaux.
Nous devons affirmer ici que l’existence de ces disciplines-champs
de compétences, pour être artificielle (mais quoi n’est pas artificiel avec
l’être humain ‘? ‘22) ne sont pas moins efficaces sur le plan pratique et que
s’en dispenser, comme on se dispense de règles sociales, est périlleux. Pas-
ser de l’une à l’autre de ces disciplines, demande plus d’humilité que ne le
reconnaissent les règles administratives d’équivalence et un sérieux
“recyclage” dans les cas où l’éloignement est maximum. C’est, selon nous,
l’origine des <(b&tises » (car un chat est un chat, et il est inutile de le nier)
profMes par des esprits éminents comme Popper ou Latakos jugeant les
sciences de l’homme et de la socitté du piédestal de la physique théorique.
Le grand danger est dans ces gens qui sautent d’une discipline à
l’autre sans trop se soucier de logique et de reconversion et qui dérivent
d’incompétence en incompétences, que nos institutions françaises sclérosées
entretiennent dans leur névrose individuelle, coiiteuse au contribuable.

La démographie, quand nous avons débuté dans notre profession


était une science jeune. L’équipe de I’INED regroupée autour d’Alfred Sau-

‘22 Albert Einstein : Du point de vue de la logique, IOUS les concepts, même ceux qui sonf
les plus proches de l’expérience, sonf... des conventions choisies librement. (cité in Feuer,
1974 : 112).

243
vy (et avant de Landry) était une équipe faite de gens venus d’horizons très
divers 123.Elle nous paraissait bien correspondre à notre projet : visant la
totalité de par le fait qu’on en pouvait détacher le chiffre sur les hommes de
la sociologie, de l’histoire, de l’éthologie, de l’écologie.. . et bien définie par
une technique. À l’époque où on nous l’a enseignée, on procédait encore
comme les sciences sociales le faisaient, historiquement : après Graunt vint
Malthus, puis Lotka, puis Landry, puis Sauvy. . . Pressat l’enseignait plus
comme technique et son effort de rationalisation doit être salué ici, même si,
quelquefois, cette optique nous frustrait. Seul Henry, selon nous, tentait d’y
mettre un peu d’ordre, en enseignant à la fois la technique et le bien-fondé
de cette technique. Relativisant l’outil il le rendait plus « percutant ».
Nous avons toujours eu vis-à-vis de la démographie la position de
ceux que nous reconnaissons comme nos maîtres : Louis Henry et Rémy
Clairin :
science ayant pour objet l’ktude des populations humaines et traitant de
leur dimension, de leur structure, de leur évolution et de leurs caractères
généraux envisagks principalement d’un point de vue quuntitatg
(Dictionnaire démographique multilingue des Nations Unies, 1958)
On peut aussi citer Guillaume J. Wunsch :
If most, if not ail, demographic expianations are statistical explanations,
the choice of the correct statistical mode1 is crucial.
(1984 : 10)

(Notons que Wunsch, malgré cette position ‘dure’, ne tombe aucunement


dans des délires de démographie science ‘falsifiable’ , ou autre qualité qui la
rendrait équivalente en “noblesse” avec la science physique. Il conclura
d’ailleurs sur ce mot de Merton : la science est une institution qui fait une

vertu du scepticisme).

‘*’ Aujourd’hui, c’est une science installée. Avec ses institutions, ses gourous, ses cliques,
ses mythes et ses tics. Remarquons que cette « autonomie » du «champ démographique »a
pu se réaliser en France de par les insuffisances de la sociologie en procédures quantitatives
et de par la personnalité d’Alfred Sauvy qui transformât son a os B ronger », I’INED, en
institution découpant une part du savoir institutionnel. Dans les pays anglo-saxons, la force
de la sociologie quantitative en a fait une annexe de la sociologie. Notons, petit trait de
notre histoire personnelle, que notre étude sur Fakao ne put devenir « thbse de troisiéme
cycle » en Sorbonne parce que la démographie n’avait pas B l’époque de statut universitaire
dbfini.

244
Nous sommes resté donc quant à nous attaché a cette définition
‘étroite ou dure’ de la discipline. Quand les ravages de la « problématique »
politico-globahsante prirent le dessus, nous nous en sommes éloigné jus-
qu’au renoncement, engageant une longue et pénible reconversion profes-
sionnelle vers nos premières amours sociologiques, tout en gardant la varia-
ble collecte de terrain et analyse des données.
Sans pour autant penser aussi abruptement que V.A. De Ridder, dans
son hommage pour le centenaire de la mort d’Adolphe Quetelet à I’Aca-
démie Royale de Belgique, nous étions pour une démographie centrée sur
les faits et les chiffres, dont la logique nous apparaît, de par les raisonne-
ments normés en logique qu’ils impliquent, parfois contradictoire avec les
autres raisonnements qu’il est nécessaire de faire quand on étudie les faits de
population :
11 y a, rappelons-le, deux démographies, la pure et l’incertaine,
l’analyse des faits et leur interprétation.
(De Ridder, in Adolphe Quételet, 1974 : 24)
La montke en puissance sur le plan international de la démographie,
par ce qu’on peut nommer le « catastrophisme américain » qui a caressé le
rêve le dominer l’explosion démographique par la science, n’a pas été etran-
gère à ces dérives. En effet, la démographie, fut pour notre génération ce que
sont les études sur le SIDA actuellement : une « inépuisable pompe à finan-
ces ». Cet afflux d’argent avait amené dans cette discipline une masse de
chercheurs qui ont dévié vers cette discipline leurs interêts intellectuels per-
sonnels. C’est ainsi qu’on vit au Congrès de Liège un orateur ethnologue
d’origine défendre l’idée que nous devions modifier notre conception de la
population et des tables de mortalite pour les sociétés où les morts font tou-
jours partie de la «population ». Il n’y eut aucun tollé, juste une résignation
chez certains.

245
DEUXIÈME PARTIE

MÉTHODOLOGIE
ET
TECHNIQUES D’ENQUÊTES
Avant d’aborder la troisième question, centrale, de ce travail, le ter-
rain, nous allons parler de celle des enquêtes, plus générale que ce qui nous
préoccupe, mais qui, en quelque sorte, le définit. De nombreux ouvrages ont
vu le jour qui ont fait grandement avancer la connaissance de la méthodolo-
gie et des techniques des enquêtes. C’est pour cela que nous commençons
cette partie en parlant « d’une » origine : celle que nous avons connue, nos
ttudes faites, en Afrique, en mars 1965. C’était la fin du grand programme
d’enquêtes lancé par les Français dans leurs anciennes colonies, alors que les
Britanniques avaient conçu de leur côté un grand programme de recense-
ments. Dès la fin des années 60, les Américains prirent pieds sur le continent
africain, et leur effort était si patent, si coordonné, que nous avions pense
que l’tlimination de la puissance française (éviction qui connaît un regain de
vigueur actuellement par les tvénements de l’est africain, la crise ruandaise
et la ‘transformation du Zaïre en Congo), se ferait dans les 15 ans qui ve-
naient. Nous estimions, comme beaucoup de collègues, que les annbes 80
verraient le glas de toute une époque, celle qui commença au milieu du
siècle dernier. Nous nous étions trompe d’une décennie ou deux, au
mieux.. . Grâce a la complicite de la victime française (B. Lacombe, 1996,
Partenariat scientifique), nous assistons aujourd’hui à la fin de cette période
ouverte au milieu du siècle dernier. Mais la lucidité politique permet
d’affirmer que cette période coloniale n’est qu’un épiphbnomène vu à
l’échelle de vie de ces peuples millénaires : les Europeens partent de
l’Afrique, chasses par le reflux de l’histoire. Certains pensent que c’est au
profit des Américains, ce qui nous paraît une vue totalement a-historique.
L’histoire nous dira ce qu’il en sera exactement. Mais revenons B notre
propos.
Nous avions, au début des années 80, caressé l’idée d’effectuer une
synthèse des diff&entes méthodes d’enquête.. . Ce projet nous paraît main-
tenant obsolète pour trois raisons :
0 la premibre est qu’un énorme effort a été réalisé sur la vulgarisation
méthodologique et que cette thèse n’a pas pour prétention de refaire ce qui
est fait ;
l la seconde est qu’il nous semble qu’un tel projet, aujourd’hui, se devrait
de prendre en compte non la généralit6, mais la singularité, ce qui est un peu
le projet soutenu par Theodore Caplow (1970 ’ ) dans les conférences qu’il
fit à la Sorbonne et dont il tira cette petite merveille qu’est son ouvrage,
c’est-à-dire l’enquête comme mouvement de saisie spécifique d’un terrain et
d’une problématique ;
l enfin, dernière raison, il nous paraît illusoire de vouloir traiter ce sujet
sous l’angle que prend cette thése, qui embrasse notre expkrience en trop de
domaines différents, même si on se restreint au complexe des enquêtes
démo-socio-économiques, et en mettant dans le terme ‘socio’ tant
l’anthropologie que l’histoire... Reprendre une synthèse méthodologique
serait un ouvrage considérable en soi. Il faudrait rkrire le Benjamin Mata-
Ion (1988) ou le William J. Goode et Paul K. Hatt (1952), ou, en se limitant
strictement à une discipline ou à un champ de collecte comme la démogra-
phie, fusionner William Seltzer (1973) avec Dominique Tabutin (1984),
- auteurs d’ouvrages homonymes : La collecte des données démogruphi-
ques -, avec les manuels des officines internationales et ceux des collectifs
méthodologiques qui ont fleuri en France et aux États-Unis (manuels du
Groupe de démographie africaine et ceux de l’llniversity of North Carolina,
de Chapel Hill, avec sa collection Laborutories for Population Statistics).
Autant dire, en clair, que l’interêt ne nous paraît pas évident au niveau actuel
où nous en sommes collectivement de la production intellectuelle en la
matière, déjà inflationniste. Trop tardive, cette orientation peut être aban-

’ Cet ouvrage est épuisé, interrogbes, les Cditions Armand Colin nous ont rkpondu qu’elles
ne le republieraienl pas car un autre ouvrage d’une autre nouvelle collection le remplaçait
désormais !

249
donnée dans la présente rédaction. En tant que projet futur, il nous paraît
arriver trop tôt : il faudra attendre quelques années pour qu’une nouvelle
problématique naisse des travaux actuellement en cours en matière de col-
lecte multidisciplinaire et de besoin d’alimentation des bases de données.
Parmi toutes les expériences de collecte que nous avons connues,
certaines ont Bté d’une grande complexité dans les objets que nous étions
chargé de collecter. Pourtant, nous n’avons jamais trouvé « pire » que dans
des questions aussi simples que celles de la démographie. C’est-à-dire que la
démographie est dejà aussi complexe qu’un autre sujet de science sociale. À
vouloir simplement relever l’âge ou la résidence, on sait toutes les difficul-
tes méthodologiques que l’on peut trouver dans le recueil de toutes les au-
tres variables : on est en face du problème de la définition des faits pour
qu’un accord se réalise entre l’enquêté et l’enquêteur, entre un réel multi-
forme et une formulation scientifique. Déjà, dans certaines recherches fines,
le sexe pose parfois des problèmes, pour les décès d’enfants en bas âge
(nous avons même le cas d’un enfant décedé à 15 ans dont la mère elle-
même ne put nous dire le sexe) ; on a aussi des problèmes avec les noms,
soit parce que traditionnellement ils font l’objet d’interdits (cas chez les
populations peules - F. Sodter, 1980 ou P. Riesman, 1974 -), soit parce
qu’on en change au cours de sa vie (les Malgaches sont coutumiers du fait,
Coulaud, 1973), soit parce que la variabilité est faible (dans certaines popu-
lations arabes les noms sont très rtpétitifs, comme en Haïti ou chez nos amis
anglais). À bien y réfléchir, on ne voit donc pas de “faits simples” à observer
ou a recueillir. William Seltzer (1970 : 1), le signalait déjà :
Les statisticiens s’intéressent à la collecte et à l’analyse de données sur
divers aspects du comportement humain : économique, social, démogra-
phique, psychologique. D’une manière générale, on s’accorde à consi-
dérer que dans ces grands domaines, ce sont les statistiques démogra-
phiques qui présentent le moins de dt#kultés.. . les concepts de base en
la matière sont u définis d’une façon à la fois soutenable du point de vue
de la logique et adéquate de celui de la réalité » (Myrdal, 1968)...
Le lecteur ne doit donc pas craindre que nous réduisions notre sujet
en nous centrant sur la collecte démographique, car les autres collectes
presentent des difficultés identiques, même si elles sont quantitativement

250
supérieures. La. raison en est que la démographie relève certes des faits qui
sont biologiques et qui peuvent être objectivement décrits mais elle relève
aussi des faits sociaux (la parente, la residence, les variables-cadres écono-
miques ou sociales sans lesquelles elle parlerait dans le vide) qui eux ont
une complexitt identique aux autres disciplines des sciences de l’homme et
de la société quand on les appréhende d’une manière quantitative. Prenons
l’âge, que seules certaines populations envisagent d’une manière quantita-
tive, ou comme un attribut quantifîable (W. Seltzer, 1973 : 12), pour les
autres, le chiffre est un non-sens, aussi aberrant que de compter sa richesse
au nombre des ses bœufs, son pouvoir au nombre de ses divisions, et son
être personnel et social au bilan de son compte en banque. Donc, choisir la
démographie pour parler des enquête n’est pas appauvrir le débat, c’est lui
conserver toute son authenticite.
Par ailleurs, si nous allons centrer notre débat sur les enquêtes socio-
démographiques ou socio-économiques dans l’expbience essentiellement
africaine que nous avons, ce n’est pas pour insuffisance d’informations,
mais par trop-plein. Nous avons acquis une expérience de collecte par en-
quêtes en des genres tri% divers, sur 3 continents et nous n’avons pas vu de
grandes différences dans les difficultés, les erreurs, les bêtises. . . Alors,
pourquoi aller chercher des exemples de seconde main quand nous en avons
avec nous par expérience directe ? Nous essayerons, sans considération de
lieu, ou de promoteur ou de logique, de puiser ici et là des informations
diversifiées afin de presenter au lecteur des considérations qui ne l’ennuient
pas trop sur un sujet que nous savons rébarbatif, même s’il nous a occupé et
passionné des années entières, sur lequel nous avons bavardé avec des per-
sonnes très differentes - des experts internationaux aux villageois
d’Afrique -, dans des stages, des séminaires, des colloques et des congrès, et
qui nous a accordé tant de fins plaisirs de l’esprit pour une raison qu’il n’est
peut-être pas indifferent de mentionner :
L’effort scientifique est une volonté prométhéenne de saisir le
monde. Mais le monde se refuse à notre saisie. Nous sommes comme des

251
pêcheurs qui préparons nos lignes et nos filets, mais le poisson est subtil et
nous échappe. Nous avons souvent eu ce sentiment : il nous semblait avoir
tout organisé, chassé l’inclassable par la porte, mais il revenait par la fenê-
tre. Au detour d’un questionnaire apparaissait un cas que nous n’avions pas
prévu, que nous ne pouvions pas prevoir, car le réel nous tchappe. Combien
de fois n’avons-nous pas entendu de nos contradicteurs : « Donnez-moi de
l’argent et je ferai une bonne enquête, vous, les démographes, les statisti-
ciens, n’avez rien compris. » Et, quelquefois, nous avons eu la chance de
pouvoir relever le défi : nous avons donné à des jeunes impatients les
moyens de faire... Ils reçurent du réel les mêmes claques qu’il nous a don-
nées. L’enquête.. ., quelles leçons de modestie ne donne-t-elle pas. Mais
quels moments nous a-t-elle pas accordés. Que d’amitiés n’y avons-nous pas
connues. C’est toujours banal de dire qu’on a aimé les gens qu’on a côtoyés.
Les noms nous ont échappé, mais pas les visages. Il se mêle dans notre
mémoire, cette femme qui, dans le djebel tunisien, nous parlait de la déré-
liction d’être une mal-mariée et de ce maçon de Diahanor qui s’intéressait
aux étoiles et aux mystères de I’univers. Il y eut ce charretier de Ngetj qui
donna notre nom à son cheval. C’était presque un hommage d’immortalité.
Et cette enquêtrice de Douala qui nous parlait en pleurant des misères que
lui faisait son « chaud » dont elle était éperdument amoureuse et, enfin, pour
arrêter la une liste qui serait trop longue, cet enquêteur de l’enquête fécon-
dite d’Haïti qui fut, comme nous nous sommes souvent plu a le dire, « notre
meilleure enquêtrice » car il savait faire parler les femmes sur les sujets les
plus délicats et remplissait les questionnaire avec une grande intelligence
critique. Souvent nous nous entretenions des difficultes qu’il y avait à cons-
truire des questionnaires qui fussent a l’abri de l’erreur. L’expérience est
commune de percevoir que le rtel déborde nos cadres mentaux et intellec-
tuels, et de s’en entretenir avec des gens très divers : l’expérience de
l’enquête est commune à tous, c’est une structure de base de l’humaine
condition. Ce qui a fait dire à André Warusfel(l980 : 5) :
Une observation, si élémentaire soit-elle, si primitif que soit celui qui s’y
livre, amène automatiquement une comparaison.

252
Et quel plus grand plaisir que de comparer ce que l’on voulait à ce que l’on
obtient et de voir comment les autres se sont sortis de mauvais pas que vous-
mêmes avez franchi ?

Nous pouvons aussi rappeler ici avec amitié des gens comme Gérard
Théodore et Chadli Tarifa, comp6tents et scrupuleux, qui relisaient chaque
questionnaire Zten perdre la vue ; Mamadou Diagne, qui nous apprit tant de
la collecte, Bachir Mbacké, Ousseynou Gueye, qui savaient faire d’une
enqu&te de terrain un lieu ludique, Oumar Sow, Ernest (Ndyaré) Faye, Ah-
med Tidiane Sène qui “crapahutèrent” avec nous sur tant d’enquêtes, Bruno
Disaine, Ndjana Atangana SttSphane, Abdou Karim Diop, qui furent autant
nos collaborateurs, nos amis que nos patrons.. .
Mais cet hommage rendu aux ruses de l’enquête, nous allons dans
cette partie tenter de rendre, le plus rationnellement possible, les diffhrentes
enquêtes possibles. C’est a un inventaire des grandes difficultés des métho-
des et des techniques que nous convions le lecteur, remettant en quatrième
partie les ruses de l’enquête qui sont aussi celles du terrain.
Deux premiers chapitres vont introduire le sujet des enquêtes, une
première sous-partie va examiner les techniques d’enquêtes quantitatives et
une seconde les qualitatives, Nous préférons procéder ainsi, car nous allons
ainsi du plus simple au plus complexe dans l’exécution, même si nous pen-
sons qu’une enquête quantitative est plus difficile 2 concevoir et B mettre sur
pieds qu’une enquête qualitative.

253
Chapitre 1
Les enquêtes démographiques par sondage en Afrique
francophone, exemple d’une situation scientifique dans la
collecte directe d’informations sur le terrain.
La situation en 1965

Dans ce chapitre sont analysés les fondements des donnees démogra-


phiques sur l’Afrique francophone, d’une part parce que ces données don-
nent une idées des méconnaissances des années 60, d’autres part parce qu’un
de ces grands mouvements de collecte qui agitèrent le Tiers monde est ainsi
synthétisé dans ses apports et ses insuffisances historiquement determinées.
Il nous semble important, pour dessiner ce que nous devons pouvoir
apporter a l’analyse de la question des enquêtes, d’aborder les connaissances
qui etaient disponibles dans les années 60 en démographie africaine quand
nous avons commence à travailler. Ce rappel historique nous apparaît néces-
saire et utile, mais que l’on comprenne bien que nous avons « pris le train en
marche » en 1965 et que notre expérience personnelle ne nous permet pas de
distinguer dans cette analyse nos premiers travaux avec ceux qui
s’achevaient, c’est-à-dire l’enquête Sine Saloum avec les enquêtes r&ro-
spectives a passage unique.
Nous nous limiterons à cette question des « enquêtes rétrospectives a
passage unique par sondage » pour une raison de compétences personnelles
mais aussi parce qu’il nous semble que nous pouvons devoiler ici une part
de ce qui a étt le mouvement scientifique depuis 30 ans. Nous ne doutons
pas que d’autres exemples seraient également pertinents.
Dans les pays anglophones, la « mode » était aux recensements, les
Français prirent dans leurs colonies une autre voie qui fut celle des enquetes
par sondage, au 1/20*” en général. Cette manière de faire était tirée des
leçons que nous avions retiré des enquêtes socio-économiques mekes
parailblement d’une part et, d’autre part, parce que c’est I’INSEE qui prenait
en charge les opérations. Les deux grandes enquêtes socio-éconoomiques
réalistes en primeur a ce grand mouvement de collecte avaient été celle du
Fleuve Sénégal de la MISOES (1956) et celle de Bongouanou (Côte
d’ivoire) (Boutillier, 1692) De ces volumes de données (première enquête,
celle de Guinée, 1955, dernière enquête, celle du Sénégal, 1962) I’INSEE,
en collaboration avec I’INED et I’ORSTOM, sous l’égide du Ministère de la
Coopération, devait sortir deux volumes de synthèse, regroupant les fasci-
cules parus entre 1962 et 1968, intitulé Etudes de synthèse.

Pourquoi des enquêtes par sondage rétrospectives h passage unique ?

L‘introduction des ktudes de Synthèse ‘pose de la manière suivante


l’ensemble des problèmes méthodologiques qu’ont dû affronter les initia-
teurs des grandes enqu&tes rétrospectives ?I un seul passage réalisées en
Afrique.
l La méthode des enquêtes par sondage s’est imposée comme méthode pour
deux raisons principales :
- aucune infrastructure matérielle et humaine n’existait en Afrique;
- aucune information valable n’était disponible, les dénombrements
administratifs fournissaient seulement une information globale.

l La méthode était neuve, il fallut innover et tâtonner.


l La base de sondage était défectueuse car :
-d’une part les informations administratives qui étaient utilisées
présentaient des carences réelles ;
- d’autre part, un fort tcart existait entre les unités administratives
et les unités sociales réelles ;
- enfin, les enquêtes préalables ne pouvaient redresser ces erreurs
par manque de temps et de crédits.

Cependant, l’apport fut largement positif. Quoique les informations


soient à fa fois approximativement incertaines. (Introduction : lO), elles ont

’ Nous citons le num6ro de I’btude en chiffres romains et le numtro de la page.

255
eu le grand mérite d’exister. Elles portaient sur des données habituellement
non-recueillies dans les pays développés, ou recueillies différemment :
+ données dites collectives
3 données longitudinales
3 données sur les migrations
Les études de synthèse elles-mêmes effectuent l’analyse critique des
enquêtes de trois manières différentes :
l par la critique interne, particulièrement dans la partie Fécondi-
té : niveau ;

l par la critique externe : la partie Mortalité : niveau fait appel aux métho-
des comparatives et à l’appareillage thkorico-empirique de la dbmogra-
phie pour élaborer sesconclusions ;
l par l’étude des résultats d’un point de vue différent de l’analyse dhmogra-
phique. Trois auteurs, avant d’être dkmographes, sont l’un médecin, l’autre
sociologue, le troisième ethnologue : et ce n’est pas un des moindres mé-
rites de ces études de synthése que d’avoir rassemblé sur un même sujet
(la démographie en Afrique), des personnes dont les préoccupations
étaient si diverses.
Les études manifestent une grande prudence de leurs conclusions.
Par exemple page III-48 :
Nous aboutissons à deux conclusions opposées. En fait cela vient de ce
que nous avons été obligés de poser un certain nombre d’hypothèses
pour voir comment les choses se passent, sans pouvoir tirer ces hypothè-
ses des données elles-mtmes.

Observations critiques sur cesenquêtes

La plupart des observations qui vont suivre ont été maintes fois fai-
tes, y compris par les promoteurs des enquêtes eux-mêmes. L.e seul objectif
que nous avons est ici de les rassembler, de montrer combien elles étaient
générales, ceci afin de resituer ces enquêtes dans leur contexte.
Le contexte politique ne doit jamais être oublié. L’on ne dira jamais assez
que, succédant et coexistant avec les dénombrements administratifs à.buts

256
fiscaux de la colonisation française, les enquêtes menées par des statisticiens
dbmographes & des fins scientifico-administratives n’ont pu être tri% favora-
blement perçues des populations. Cependant, d’une manière générale, l’on
peut dire que les enquêtes par sondage ont facilité, dans les populations,
l’éclosion d’une comprkhension plus exacte, sinon des buts qu’elles visaient,
du moins que les objectifs n’étaient pas fiscaux.
Cependant certaines gênes subsistent, et dans une note datée d’avril
1968, Abidjan, pages 4 et 5, se trouve cette observation :
De nombreuses difficultés rencontrées sont inhérentes à tous les recen-
sements en Afrique : .. .
- sous estimation de la famille par crainte d’impôts . . ,
- imprécision des déclarations relatives aux activités secondaires, par
crainte de l’imp&...
- d’une manière générale, et en dépit de séances d’information répétées
auprès des notables et de la population, il est extrêmement dificile de
vaincre [es réticences de la population. Il faut dire que les administrés
ont d’exce%lenles raisons de ne pas croire que le recensement que nous
réalisons n’est pas comme les autres et ne servira en aucun cas à I’éta-
blissement de l’impôt, à la perception des cotisations du parti et n’est pas
le signe avant-coureur d’un u déguerpissemenr » ‘suivi d’une démolition
du quartier.
En des termes semblables, le problème se pose dans tout pays d’Afri-
que francophone : la population a une certaine perception des opérations
«recensements » et agit en consttquence. En innovant, les enquêtes par
sondage ont dO vaincre ces préjugés nés d’une situation bien claire : être
inscrit sur une liste de recensement équivalait à payer l’impôt de capitation.
Les Techniques d’Enquêtes (1956) de l’enquête de Guinée effleurent
la question et ne l’abordent pas de front en l’esquivant par un argument
technique. Répondant a l’objection formulée page 89 :
II n’est pus prouvé que de telles enquêtes ne pourraienr être assurées par
ces mêmes responsables à moindre frais.
Le rapport répond page 90 :
Le doute est permis, chefs de région ou de subdivision ont à faire face à
des exigences très diverses et l’expérience prouve que [...], il me semble
donc exclu d’espérer qu’une telle enquête aurait pu être décentralisée et

3 Le déguerpisement consiste B chasser manu militari toute la population d’un quartier


spontané pour rkupérer le terrain pour des opérations immobilibres (un quartier d’Abidjan
en a été l’objet en aollt 1997, la presse française s’en est fait l’tcho).

251
réalisée à une époque imposée à tous par l’ensemble des responsables
d’unités administratives régionales.
Enquêter pour la premièrefois entraînedesdifficultés avec la popu-
lation, La preuve est fournie a contrario par l’enquêtepermanenteà passages
répétés.Pour celle de Sine Saloum,Cantrelle (1966 : 17) note à ce propos :
D’une façon générale, les visites renouvelées de la même équipe d’en-
quêteurs disposent favorablement la population à leur égard. LQ popu-
lation acquiert la preuve qu’il ne s’agit pas d’impôts et qu’on ne peut lui
nuire. Elle semble sensible à la continuité de [‘entreprise.
Le manque de connaissancedu milieu est maintesfois souligné par les
promoteursdesenquêtes:

Dansles Techniques d’enquête 1956,il est signalé:


Dans la mesure où les crédits et les délais d’exécution d’une enquête si-
milaire le permettraient, il y aurait lieu, semble-t-il de prévoir quatre
semaines supplémentaires de préparation gtkérale avant la formation
proprement dite des enquêteurs.
Deux semaines seraient consacrées à préciser l’inventaire et les parti-
cularités des secteurs soumis à l’enquête. les deux autres seraient utilisés
à une enquête commune préalable sur le terrain, permettant de régler à
l’avance les principaux points encore litigieux (plan de sondage en par-
ticulier). (54 et 55)
Un tel vœu répondaità la constatationque ce mêmerapport faisait
Une partie importante de la préparation de l’enquête restait encore à
accomplir le 10 octobre 1954, au moment où le personnel d’encadrement
se .trouvait rassemblé en Guinée, pays d’ailleurs nouveau pour la plupart
de ces membres. [...]
C’est d’ailleurs l’un des enseignements de l’enquête de savoir que .. . -
plus lonn délai est nécessaire (en dehors descontactsojjïciels) pour
parvenir à une connaissance, même sommaire, du pavs et des hommes.
(Souligné par les auteurs) (17)
Par contre l’enquête réaliséedans la subdivision de Bongouanou
(Côte d’ivoire) (Boutillier et al, 1902) les auteursinsistent sur le bénéfice
tiré d’unelongueprésencede 15mois avec la population,

Sanspouvoir établir véritablement une différence entre les enquêtes


menéesen l’Afrique anglophoneet celles menéesen Afrique francophone,il
faut cependantsignalerque les deux types de colonisation ont eu quelques
conséquencesau niveau qui nous occupe: l’administrationdirecte des Bri-
tanniquesfavorisait la naissanced’administrationslocales autonomes,per-
manenteset largement prisesen main par les autochtoneseux-mêmes.La

258
politique française restait plus réticente vis-à-vis des élites locales et moins
bien informée de la diversité du milieu humain. Les enquêtes françaises, du
moins les premières, se construisirent à partir de cette inégalité.
L’on trouve un Cchec de cette attitude dans Technique d’enquête. À
propos de « l’Accuei1 de I’Administration », il est signalé :
On a pu relever ainsi un certain scepticisme sur la possibilité d’obtenir
des renseignements valables par interrogatoires menés exclusivement
par des agents africains. (1956 : 13)
Le même rapport fait état des expériences étrangères pour souligner :
Ces tentatives ont été entièrement couronnées de succès et c’est dans le
même esprit, que l’emploi de tels enquêteurs avait été décidé dès l’étude
préliminaire de l’enquête de Guinée.
(551
Dans ces conditions il est probable que les enquêtes françaises
étaient plus d&fectueuses dans la connaissance du milieu que les enquêtes
britanniques. Ceci a eu des conséquences sur les enqu&tes elles-mêmes :
essentiellemen,t à deux niveaux : la définition des concepts et l’établissement
de la base de sondage.

Il ne s’agit pas de noircir le tableau et de déclarer que les concepts de base


n’étaient nullement définis. Cependant leur définition restait trop subjective
car liée à une. perception globale de type administratif. Pour l’enquête de
Guinée, les quatre Ctudes approfondies de type monographique ont été réali-
stes en même temps que l’enquête elle-même. Par ailleurs aucune enquête
approfondie d’ethno-sociologie n’avait été effectuée préalablement. Quant à
la littérature disponible elle était maigre : administrative mais quasi-
confidentielle, ou orale, car on avait peu écrit sur l’Afrique à cette époque 4.
Les multiples contraintes propres 21cette première enquête rendent ce fait
compréhensible. Ce qui est regrettable c’est que les enquêtes nationales qui
suivirent celle de Guinée n’aient pas tenté de corriger ce défaut. Au con-
traire, l’impression que l’on retire de l’examen de cette série d’enquêtes est

’ Rappelonsque quandnousavons commenck Btravailler sur les S&i?res du Sénkgal, alors


qu’aujourd’hui ce qui leur est consacr8 fait des bibliothèques entiéres, l’information dispo-
nible consistait en deux opuscules datant de 1892 et 1896, d’un article du R.P. Gravrand, et

259
que la qualité s’est dégradee avec le temps, celle du Sénégal ayant été déplo-
rable, malgré quelques exploitation pertinentes comme celles de Victor
Martin (1970).
Les bases de sondage se sont révélées difficiles ?I établir. Le manque de
connaissances que YAdministration avait des pays de son ressort en était la
cause principale, En second les promoteurs étaient confrontes à la non-
adequation des documents administratifs avec les problèmes démographi-
ques. Dans I’Étude démographique et économique en milieu nomade, il est
dit(T.1.: 11):
Cette unité administrative ne correspond que rarement à la réalité.
et l’on voit au fil de pages la base de sondage changer avec les difficultés au
point qu’on finit par se demander ce qu’il en reste. Par ailleurs ce même
rapport signale :
Les recensements administratifs sont de date variable.
(77)
et conclut que ces gênes sont Ioin de se compenser :
. .. on arrive ainsi à une sorte de cristallisation des erreurs.
(78)
Il est vrai qu’il s’agit là dune enquête pilote en milieu nomade et
qu’en règle génerale les difficultés politiques y Ctaient moindres. Mais le
fond de la question restait identique : la base de sondage est défectueuse.
Robert Blanc déclare dans son Manuel :
L’expérience montre que les listes dont dispose l’ldministration, si elles
peuvent géntralement être considérkes comme satisfaisantes du point de
vue de la complktude, ne sont, le plus souvent, pas à jour et surtout ce
qui est plus grave, correspondent palfois à des groupements artificiels,
constitués pour les besoins de l’administration et sans grand lien avec la
réalité. (1962 : 86)
Le rapport Techniques d’enquête (1965) y consacre des paragraphes
très pertinents et conclut ainsi quant aux conséquences de cet état de cho-
ses :

de notes manuscrites du R.P. Martin, ainsi que le bref dictionnaire franco-sbr&e du


R.P. Ezzano, enfin des 100 pages de Reverdy de la CINAM.

260
La méthode de sondage proprement dite gagnera toujours, quant à elle,
à être la plus simple possible. Même si cette opinion n’est pas partagée
par l’ensemble des techniciens en sondage dans les milieux sous-
développés, les organisateurs de cette enquête ont acquis la conviction
qu’il n’est pas J& d’appliquer des méthodes hautement raflnées à une
prospection qui demeure, de toute façon, imprécise et entachée pour des
postes importants, d’erreurs d’observation qui, pour être diflcilement
appréciables n’en sont pas moins notables.
(1965 : 90-91)
Une deuxième critique peut être faite quant a l’établissement des ba-
ses de sondages. Et la simple lecture des titres des publications l’indique :
étude démographique et economique; étude démographique et agricole,
enquête nutrition-niveau de vie, etc. . . . Dans l’enquête de Guinée cela est
signalé :
Force est de constater qu’en Afrique comme ailleurs, les problèmes éco-
nomiques retiennent davantage l’attention et que les enquêtes économi-
ques annexes ont obtenu un bien plus grand succès auprès des autorités
administratives que l’enquête purement démographique.
in Technique d’enquête (1965 : 13)
Les constquences de ce mélange furent finalement assez peu profita-
bles à la dtmographie. On pourrait reprendre ici le paragraphe intitulé
“économie contre démographie’* d’un article de Louis Henry (1966) où est
constat6 le « grignotage » que la démographie subit dans une situation de
concurrence.

Cette multiplicite d’objectifs (pas moins de 5 dans l’enquête en milieu


nomade) rend difficile l’établissement dune base de sondage. Ainsi, dans
l’Enquête démographique Centre Oubangui (1960) de 1959 la base de son-
dage doit être : à la fois agricole et démographique, homogène par rapport à
un groupe ethnique, homogène par rapport a une division geographique
dune part et administrative d’autre part. À quoi s’ajoutent les contingences
liées à la mtthode des sondages.
De même trouve-t-on dans l’.??tude démographique du premier sec-
teur agricole de Côte d’ivoire (1958) cette observation :
L’échantillon agricole hait stratifié selon le sol et la vocation agricole
des differents villages, l’échantillon démographique s’est trouvé automa-
tiquement stratifié selon les mêmes critères. 11 ne sera toutefois pas fait
usage de cette strati’cation dans la présentation des résultats, sa liaison

261
avec les phénomènes démographiques étant par trop incertaine.
(5)
Pour conclure ii n’y a pas mieux que cette citation de Gilles Saut-
ter (1966) au sujet des enquêtes par sondage, au Congo où semble être ré-
sumée toute la question :
Regrettons seulement Ia délimitation assez contestable des «strates» uti-
lisées au Congo. Il ne s’agit pas seulement des concessions - inhitables -
à la carte administrative. Mais, en calquant leurs divisions sur des aires
ethniques et des régimes agricoles, les organisateurs ont fait crédit, a
priori, à des faits dont rien ne prouve qu’ils ont effectivement un rapport
avec la démographie. De même la corrklatioti dans l’espace est loin
d’être étroite, ils s’exposaient soit à créer des divisions bâtardes, soit à
devoirfaire, dans chaque cas particulier, un choix plus ou moins gratuit
entre les deux principes de délimitation. C’est bien ce qui s‘est passé...
(47)
La méthode rétrospective, I’bvaluation des douze mois précédents et
l’évaluation de l’âge ont dû être utilisées comme un pis-aller en Afrique à
défaut de toute autre méthode possible.
Les organisateurs des enquêtes démographiques en Afrique ont pleine
conscience des difiicultés auxquelles ils se heurtent et sont les premiers
à reconnaître l’impetiection d’une méthode que l’on rejette ordinaire-
ment en Europe comme ne présentant pas les garanties nécessaires, celle
de l’interrogatoire sans recoupement avec des obsewations objectives.
(R. Blanc, 1959 :12).
Cette critique n’en est bien évidemment pas une. C’est une simple constata-
tion.
Les enquêteurs ont posé aux organisateurs de multiples problémes. Dès
l’enquête de Guinée ceux-ci sont abordés. Cinq sortes de problèmes sont
évoqués dans les rapports des différentes enquêtes :
l différences de langues et d’ethnies ;

l différences de milieu geographique et social (urbain/rural ; castes) ;


l différences d’âge (la jeunesse des scolarisés, seuls aptes a remplir les
questionnaires, ne facilite pas la situation de l’interview dans une population
africaine où l’âge est un critère fondamental dans les rapports humains, et la
jeunesse des enquêteurs ne plaide pas en leur faveur auprès des chefs de
ménages, qui peuvent considérer un jeune adulte comme un enfant ;

262
l différences de sexes (pour 1’6tude de la fécondité, l’engagement d’enquêtri-
ces n’a jamais eté possible dans les enquêtes par sondage) ;

l difficultés de recrutement : à noter ici que ces difficultés très contraignan-


tes pour les premières enquêtes vont s’amenuisant avec la forte proportion
dans beaucoup de pays de personnes scolarisées depuis un long temps.
Voici quelques notations glanées dans la littérature a ce sujet :
Il faut souligner le faible niveau intellectuel des candidats qui, joint leur
jeune âge, n’a certainement pas facilité l’exécution du travail.
Les agents ont notamment tendance à assimiler le recensé à un membre
de leur famille et à lui attribuer un âge correspondant. De même ils con-
sidèrent le plus souvent leurs propres coutumes comme générales.
En résumé le faible niveau technique des enquêteurs, les rigueurs du mi-
lieu, les di$ïcultés du contrôle ont considérablement nui à la qualité des
renseignements recueillis.
En revanche il convient de signaler l’excellent esprit dont a fait preuve
la majorité des enquêteurs, leur bonne volonté et leur conscience.
. .. les perturbations infligées h telle ou telle communauté rurale par des
citadins un peu trop stîrs d’eux, même s’il s’agit de faits isolés, n’ont pas
gagné partout aux enquêteurs une collaboration sans réserve de la po-
pulation.
Plus subtils étaient les biais dus aux différences hiérarchiques où
s’entremêlent le traditionnel et le nouveau : critères ethniques, de caste,
d’origine sociale, de statut, de scolarité.. . Dans l’enquête en milieu nomade
est signalke la difficulte de trouver des personnes instruites à l’école fran-
çaise en dehors des castes inférieures (lesquelles ont du fournir les contin-
gents de scolarisés réclamés par I’Administration française, les hautes castes
s’en étaient dispensées et y ayant envoyé leurs esclaves).
De même Gilles Sautter (1966) signale :
L’attitude cavalière de certaines équipes de recenseurs, les perturbations
infligées à telle ou telle communauté rurale par des citadins un peu trop
sûrs d’eux, même s’il s’agit de faits isolés, n’ont pas gagné partout aux
enquêtes une collaboration sans réserve de la population. f-51)
En conclusion, une critique globale doit être adressée aux enquêtes réalisées
après celle de Guinée, et cette critique s’adresse plus spécialement aux
enquêtes nationales, et deux citations introduiront le sujet :
l la première, de Gilles Sautter 1966 : 49 (note no 7), signale :

263
Regrettons soit dit en passant que les publications exposant les rksuhts
des dernières enquêtes démographiques, celle du Congo et du Gabon en
particulier, livrent si peu d’élétnenrs de critique interne, sur les méthodes
employées et le déroulement des opérations.
l la seconde déclare, de Franck Lorimer 1961 : 39
These subsequent inquiries have usually been carried out with use of a
smaller sampie and with less elaborate supervision of procedures and
analysis of information rhan in the initial pilot project.
(Lorimer fait ici mention sous ce terme de l’enquête de Guinée).
Ces deux objections sont d’autant plus importantes que les études ne
consacrent que quelques lignes aux problèmes méthodologiques et au dé-
roulement de l’observation elle-même, Tout se passe comme si les promo-
teurs de ces enquêtes pensaient que tout a été dit dans le fascicule Technique
d’Enquête de 1956, et que désormais rien ne pouvait être ajouté. D’une
certaine manibre, on comprend que la qualité méthodologique se soit dégra-
dée avec une telle position. Mise à part l’enquête pilote en milieu nomade au
Niger (1966) qui consacre, parce que c’est son but exolicite, une large place
à la description des difficultés pratiques rencontrées, seule l’enquête de
Bongouanou fournit quelques lumières.
Pourtant l’on peut légitimement penser que chacune de ces enquêtes,
se déroulant dans des lieux écologiquement très divers et portant sur des
populations très différentes, présentait plus de particularités individualisan-
tes que leurs promoteurs semblent le penser par leur silence. Pratiquement
certaines modifications ont bien été apportées mais on ne peut les saisir
qu’au prix de longues confrontations de questionnaires. Cependant, ceci
apparaît dans les différents tableaux tracés par les auteurs des Études de
Synthèse, ce qui explique que l’un d’entre eux écrive (page I-6) :
Malgré l’assez grande homogénéité des méthodes et des concepts utili-
sés, les résultats n’ont pas toujours été présentés d’une manière stricte-
ment comparable ; leur signification et leur degré de validité ne sont pas
toujours les mêmes ditne enquête à l’autre.. Il est écrit dans un rapport
d’enquête au Gabon que les questionnaires utilisés étaient les mêmes que
ceux de Côte d’ivoire mais adaptés à des conditions différentes : mais
celles-ci nIétaient pas explicitées et les modl&ations restaient incon-
nues.

264
Nous savons combien la description de ce genre de données qualita-
tives à l’excès, de type expérimental et donc difficile à expliciter est pénible
à écrire, il semble toujours que l’on est hors sujet, Pourtant c’est par elle
qu’une large critique des données est possible puisque seule cette description
fournit la possibilite d’une critique des sources, les sources étant l’enquête
elle-même. Cette observation est surtout valable quand on sait le caractère
trop qualitatif ‘du sondage par rapport au caractère théorique de son élabora-
tion. De degré en degré le sondage finit par être autant dQ au bon sens qu’à la
théorie mathérnatique, et donc, pour l’utilisateur des résultats, la description
du bon sens finit par avoir autant d’importance que celle des procédés de
calcul.
Une science procède avant tout comme elle peut, et par cons&uent au
hard.

déclarait Marcel Mauss (Nanuel, 1967), cette observation semble avoir été
le credo des enquêtes suivant celle de Guinée puisqu’aucune amélioration n’a
été explicitée, chaque enquête améliorant ses procédures au hasard des
collaborations qu’elle réunissait. Une telle attitude semble avoir entraîné un
certain piétinement dans la recherche de terrain, Celle-ci était coupée de
toute recherche théorique sur les méthodes ; elle n’a pu s’ajuster à un état
changeant de l’analyse démographique. Cette coupure a été peut-être aggra-
vée par le fait que la collecte des données et leur analyse n’ont souvent pas
été le fait d’une même équipe, ou bien que jamais une même équipe ait été
chargée de plusieurs enquêtes (malgré la présence certaine d’éléments euro-
péens ou africains, qui ont suivi plusieurs enquêtes successives). Cette
négligence dans la remise en cause continuelle de la méthodologie de col-
lecte expliquerait pourquoi finalement aussi peu de tableaux ont été sortis
comparé à l’ampleur des questionnaires mis en œuvre : c’était seulement au
stade de l’exposition des données que certaines questions s’avéraient inutili-
sables. Les biais de methodes ont souvent été assimilés à des biais
d’observation et ceux-ci à des négligences.
Un tel travers n’est pas propre à notre discipline. R est également dé-
noncé dans une critique de trois ouvrages méthodologiques anglo-saxons,

26.5
intitulée : Le m&ier d’anthropologue par Jean Copans (1967). Ce qu’il écrit
de l’anthropologie pourrait être repris intégralement à notre compte pour la
démographie :
L’anthropologie comme toutes les sciences humaines, nécessite une dou-
ble initiation théorique et pratique. Mais comment doit-on aborder les
problèmes posés par laformution théorique proprement dite et la prépa-
ration à la pratique du terrain ?Jusqu’à présent, une nouvelle solution a
prévalu, celle de la facilité, qui a consisté à réduire cette formation à la
lecture d’ouvrages monographiques. Or la plupart de ces ouvrages pos-
sèdent une vice épistémologique grave : on ne connaît absolument pas
les conditions de leur élaboration. Le contexte de l’enquête, la manière
dont les matériau sont recueillis puis traités, les obstacles rencontrés
par le chercheur, les particularités de son terrain : autant de problèmes
qui ne sont abordés qu’en passant et avec une telle pudeur qu’on est en
droit de suspecter la qualité scientifique de ces ouvrages.

Comme on le voit, ces enquêtes étaient des enquêtes démographi-


ques rétrospectives du moment, l’idée était de renouveler les données en
apportant des possibilités d’analyse longitudinale. C’est tout cet effort qui
devait faire la gloire des démographes de la période 1965- 1980.
C’est dans cette conjoncture, nous devions d’une part participer à la
première enquête à passages rkpétCs menée par le Dr Cantrelle au Sénégal :
l’enquête du Sine Saloum (Cantrelle 1969), et monter l’enquête par con-
frontation de Fakao, qui rapprochait les données recueillies par
l’exploitation de registres paroissiaux avec une enquête démographique
rétrospective. L’enquête de Cantrelle ttait née d’un besoin de monter un état
civil et S’&ait construite à partir des insuffisances des enquêtes à passage
unique rétrospectif des enquêtes par sondage de I’INSEE, de l’intérêt de
maîtriser la mesure de la population de base par un recensement initial
complet. Elle s’inspirait d’une enquête réalisée dans le delta du Yang-t&, en
Chine, par Chiao et a1 en 1932-35 qui avaient fondé la méthode. Elle devait
être développée ensuite par l’enquête de Maroantsetra menCe par Francis
Gendreau à Madagascar (1969), de I’Adamaoua par Andr& Podlewski au
Cameroun (1970), et surtout celle, nationale, de Tunisie 1968-69. Au Maroc,
une autre mtthodologie, d’inspiration plus anglo-saxonne, voyait le jour,

266
menée par Krotki et Rachidi (1972) enquête dite PGE/ERAD, de double
collecte, qui e.xploitait les idées déjà développées en Inde par Chandrar-
Sekar et Deming. Toute une méthodologie nouvelle de collecte devait ainsi
voir le jour, jusqu’à celle de Quesnel-Vaugelade sur les migrations mossi,
fondée sur une idée déjà développée par Hurault dont l’analyse avait été
réalisée en partie par Louis Henry (1969 et 1970) qui utilisait les enquêtes
administratives, quand Quesnel et Vaugelade partaient de l’enquête rétro-,
spective par sondage de la Haute Volta menée quelques années avant par
Rémy Clairin. Parallèlement, les analyses « suivaient » le mouvement :
Chandrar-Sekar, Deming, Brass, Bourgeois-Pichat, Demeny, Coale et Clai-
rin, pour parler des plus grands, qui faisaient flèche de tout bois et tentaient,
par la théorie, de combler les vides de la connaissance et d’utiliser tout
renseignement disponible.

267
Chapitre 2
L’enquête, une situation problématique

Une enquête est une rencontre entre deux personnes différentes ;


c’est à travers ces différences que va se construire l’information scientifique.
C’est aussi une relation interculturelle : différence profonde entre les deux
acteurs, mais surtout différence de par l’objectif du questionnaire qui va
tenter de transformer une parole en faits scientifiques. Par ailleurs les pro&-
dures sont différentes selon que l’enquête est qualitative (plus visuelle) ou
quantitative (plus orale). De toutes les façons, une enquête se fait à plu-
sieurs, même dans une relation duelle, car la vérité, en matière de sciences
sociales, est le produit d’une négociation entre l’enquêteur et l’enquêté, ou
les enquêtés.

Procédures quantitatives et qualitatives dans l’enquête

L’enquête est la situation normée socialement où l’on recueille des


informations là où elles existent. C’est donc une situation interpersonnelle
précise orientée vers un but qui ne concerne qu’une seule des deux person-
nes idéalement confrontées, Un continuum existe entre les deux procédures-
pales : l’une est dite quantitative, l’autre qualitative,
Les dénominations des procédures n’ont rien à voir avec ce qui est
recueilli : chiffre ou autre information (photo, plan, objet, paroles...) mais
avec le cadre loaioue de collecte des informations, Une enquête quantitative
est une procedure qui collecte les informations en suivant un plan de col-
lecte final nommé « questionnaire ». Les enquêtes qualitatives, elles, suivent
des procédures informelles non systematisées, en tant que procédures de
collecte, mais pas forcément en tant que problématique (le maximum de la
procédure étant résumé dans la technique ethnographique de I’enquête-
participation).
Dans les premières procédures, les quantitatives, l’initiative de
“L’enquêteur fmal” qui recueille les informations ou les données, est quasi-
ment nulle : dans l’idéal, il suit un questionnaire, coche des cases et peut
même disparaître quand on donne le questionnaire à remplir à l’enquêté.
« l’enquêteur fmal » devient un simple grouillot qui porte les questionnaires
du lieu d’enquête au bureau d’enquête. Dans ces enquêtes, la division du
travail est la règle : on parle de concepteurs d’enquête, de contrôleurs,
d’enquêteurs, de questionnaires, de chiffreurs, de captureurs, de program-
meurs, d’analystes et de rédacteurs.. . Dans les procédures qualitatives, la
qualité des observations dépend largement de la qualité personnelle de
l’enquêteur, de: son degré d’implication. Dans l’idéal, cet « enquêteur final »
est aussi l’enquêteur initial et celui qui écrira le document final. Mais Ca-
plow (1970) nous décrit de nombreuses enquêtes collectives qui nuancent
fort cette “position à la limite” que nous décrivons (L’école de Chicago,
pp. 27 et sq, Mddletown, pp. 34 et sq par exemple). Nous excluons, sauf
pour en faire mention par-ci par-là, les procédures d’enquête sur documents
qui ne mettent en scéne que le chercheur (ou le scientifique, ou l’enquêteur,
ces termes étant interchangeables au niveau où nous nous situons) et qui
présentent un tout autre ensemble de procédures. La démographie s’est
beaucoup appuyée sur les documents pour devenir une science. On peut
même affirmer que c’est encore la base de la documentation démographique,
plus que les enquêtes directes ayant pour objectif central le recueil de don-
nees démographiques :
Le recensement, l’état civil et l’enquête constituent assurément la trilo-
gie fondamentale de l’observation en démographie.
(Tabutin, 1984 : f49)
Mais pour les pays où nous avons travaillé, en Afrique francophone,
les recensements administratifs (établis pour servir l’impôt de capitation mis
en place par le colonisateur français) n’ont pas fourni beaucoup “de grain a
moudre” pour les démographes, mise à part l’expérience de Hurault (1969 et
1970). Il y eut aussi un travail de Joseph Boute, qui avait dans les années
soixante un projet pour I’ex-Congo belge, mais nous ignorons le r&ultat

269
final de ce projet. Nos essais personnels ne nous ont rien fourni, sauf en ce
qui concerne des calculs macro-économiques (B. Lamy et J.-Cl. ROUX, 1969,
étude multigraphiée suivie d’un article méthodologique la même année),
auquel nous avions participe. De même Gilles Sautter (1966), pour sa mo-
numentale thése de géographie 5, ou nous-même avec Jacques Vaugelade et
Bernard Lamy dans un chapitre de synthése sur le Sénégal dans l’ouvrage
collectif de SI-I. Ominde et C.N. Ejiogu (1972) ‘.
L’état civil est également au cœur de la recherche de donnees sur le
mouvement naturel en démographie, mais malgré les essais de Cantrelle
(1969) ou Podlewski (1970), les conclusions n’ont pas été probantes. Quant
à nous, seuls nos travaux sur l’etat civil à Madagascar réalisés avec Bruno
Disaine (1973) nous ont apporté quelques satisfactions quant à la prtcision
des données obtenues par l’état civil en pays africains. On comprend que
nous ayons 6tC amené à privilégier l’obtention de données démographiques
par enquêtes et que ces techniques aient retenu toute notre attention. Ce qui
nous amène à traiter de la situation de l’enquête, fondement de la recherche
démographique telle que nous l’avons pratiquée. Mais, avant toute chose,
nous devons traiter d’un point qui porte sur la situation même de l’enquête :
l’enquête représente une situation interpersonnelle qui ressort d’une situa-
tion bien connue, l’enquête est une situation interculturelle.

L’enquête, situation interculturelle

Toute rencontre contient en soi une relation interculturelle puisque


chaque personne, non seulement est biologiquement unique, mais aussi est
culturellement unique, puisque son passe, ses connaissances (sa culture),
l’histoire du groupe humain dont elle est I’héritiere (la culture de son
groupe), sa trajectoire personnelle.. sont uniques également. On peut donc
mettre de l’interculturel en tout, comme en tout on peut mettre n’importe
quoi en tout, mais, en ce qui concerne la situation concrète de l’enquête, il

’ De l’Atlantique au Fleuve Congo. Une géographie du sous-développement.


6 Population Growth and Economie Development in Africa (actes du colloque de Nairobi
de décembre 1969).

270
nous semble impossible d’omettre ce fait en preambule : la situation de
l’enquête est essentiellement interculturelle.
Comme on l’a décelt dans les remarques faites précedemment par les
rapports des enquêtes en Afrique francophone, on a une série de différence
enquêteur/enquêd que nous voudrions citer sans trop nous y étendre, mais
que nous ne pouvons pas omettre : si l’on se réfère au terme d’habitus, forgé
par le sociologue Pierre Bourdieu, qui exprime que nous avons des com-
portements qui ne nous sont pas personnels mais qui sont le reflet de ce à
quoi nous adhérons de par certaines dimensions de notre être (au sens ou
une personne est un univers à ‘n’ dimensions), la situation d’enquête est un
heurt de deux habitus qui vont devoir s’ajuster a travers la procédure
d’enquête :
1. Par chance, la situation d’enquête s’est fortement banaliste de nos jours
alors qu’elle était plus problématique autrefois. Sans qu’on se méfie de ce
que vous puissiez être le représentant des impôts, l’enquêteur doit affronter
une situation inégale où l’un sait ce qu’il veut et l’autre ne sait pas ce qu’il
doit dire ;
2. La notion de langage va être déterminante. C’est en général par la parole que
l’on recueille les données, même si une part de visuel intervient et si les
enquêtés estiment, à juste titre, que l’attitude d’un enquêteur est celle d’un
voyeur (François Laplantine, 1996 : 1 I-25). Cette difference entre la parole
et le regard est d’un grand poids entre l’enquête quantitative et l’enquête
qualitative. En effet, l’enquête qualitative, dont l’archetype est l’observation
participante est, elle, fondée sur la vue, quand l’enquête par questionnaire
passe essentiellement par la parole ;
3. Toute diff&en,ce entre deux personnes explique certains dysfonctionnements
de la relation : les femmes ne réagissent pas comme les hommes, pourtant il
faut dire que, contrairement à la « religion » prônée par la “modernité” dans
la collecte, les hommes n’enquêtent pas moins bien les femmes que les
femmes, et réciproquement. Nous avons toujours affjrmé que notre meilleur
enquêteur sur les femmes pour l’enquête fécondité (projet de l’Enquête

271
mondiale sur la fécondité) ttait un homme, qui savait faire parler les dames
sur le plus intime d’elles-m&mes. Cette observation a également et6 faite
pour l’enquête Kinsey (Theodore Caplow, 1970) : certains enquêteurs,
même jeunes, savaient faire parler de vieilles dames puritaines sur ces ques-
tions tabous de leur sexualité. Centralement, ces différences n’ont pas
l’importance qu’on leur accorde en géneral, simplement, pour des raisons de
cofks, il est plus simple de prendre des femmes pour enquêter des femmes,
leur tâche est plus facile. En matière d’enquête quantitative, nous pensons la
question surestimée ’ et pour l’enquête qualitative, on fait avec ce qu’on est,
et la variable sexe n’est qu’une des nombreuses variables de l’équation
individuelle globale avec quoi femmes et hommes enquêtent. La vraie ques-
tion est : est-ce que leur travail est meilleur ? Notre expérience nous fait
penser que cela n’a rien à voir avec le sexe. Nous avons vu des enquêtrices
interviewer magistralement des hommes de pouvoir imbus de leur statut.
Être une femme peut être un désavantage, mais une bonne enquêtrice en fera
un atout. La question selon nous est sociale : on a vu émerger les femmes, et
cela en toute Iégitimid, dans les enquêtes, parce que le mouvement général
était mondial qui accordait une place aux femmes. On s’est servi, idéologi-
quement, de cet argument technique (‘les femmes sont pour les femmes’,
argument qui avait en plus l’avantage de faire baisser les cottts
- contrebalancé par de multiples gènes, provoquées parfois par des dames
habitutes à un certain statut et qui n’avaient aucun intérêt personnel à en
déroger : avant elles, les ‘lettrés’ des villes transplantés à la campagne nous
avaient vaccines contre ces errements) en toute bonne foi ‘pour certains, mais
les plus lucides, qui avaient l’expérience de la collecte, qui savaient diriger
des équipes, y mettaient un autre contenu. Personnellement, notre point de
vue a tté une recherche consciente de plus d’égalité et pas de meilleure
qualité des informations collectees, ce qui depend de la qualification per-
sonnelle, du degré de compréhension des buts de l’enquête, de la considéra-

’ Mais nousl’avons toujours personnellement et tactiquement dtfendue afin d’ouvrir les


enquêtes aux femmes ; la formation et le niveau des enquêteurs nous paraît la question
essentielle sur le plan technique,

212
tion que I’on porte à ce travail : une femme vaut un homme, l’inverse est
exact aussi ;
4. Une des difficultés rencontrées dans la situation d’interview est d’amener
l’enquêté à partager un certain nombre de notions qui sont en totale diver-
gence avec ses M~irus : par exemple, accepter qu’on cherche g quantifier
son fige, a définir une dénomination personnelle ‘tout terrain’ (un nom uni-
que), qu’on découpe son habitat en unités définies.. . Demandez à un Fran-
çais de se définir par ses revenus monétaires. C’est pourtant ce que fait
toujours l’enquêteur, car, quelque soit le chemin qu’il fasse, il doit faire
admettre sa logique par “l’autre”. Personnellement, nous avons toujours
perdu du temps à faire comprendre notre travail à une deux personnes des
lieux ou nous enquêtions, elles savaient ensuite, mieux que nous aurions pu
le faire, faire entendre aux sujets les réponses que nous cherchions, car elles
seules avaient la finesse pour entendre les incompréhensions que notre
recherche provoquait.
5. On est toujours étonné que la situation d’enquête puisse se nouer malgré les
divergences entre les personnes en présence, surtout quand rien ne prépare la
situation d’interview (aucun ‘hors-texte’, pour prendre un concept de la
sociologie en litttrature), mais c’est donc une simple situation de rencontre
interpersonnelle qu’il va falloir transformer en situation objective
d’interview.

On ne peut donc dire que la situation soit vraiment exceptionnelle :


alors, pourquoi le paraît-elle ? Apres avoir tenté d’y entendre quelque chose
qui ne soit pas banal, comme ce que nous avons Cnoncé précédemment sous
les cinq points, nous en sommes arrivé à la conclusion que l’enquête est un
lieu de confrontation culturelle par excellence car c’est une situation où une
pratique scientifique tente de saisir une pratique coutumière qui n’a, en
général, aucune tvidence chez les sujets de l’enquête. On ne peut se limiter
en effet à croire qu’est seulement interculturelle la situation que nous avons
connue dans les pays etrangers ; nous n’avons pas eu le sentiment d’avoir
des problème,s différents en Région parisienne qu’à la Guadeloupe, au Séné-

213
gal qu’en Haïti, à Madagascar qu’au Mexique, à Dakar qu’à Chalco... Par
contre, chaque fois, ce qui nous a surpris c’est la réflexivité de la situation :
poser des questions, c’est accepter d’y répondre soi-même si le sujet vous la
renvoie au visage ’ ; poser des questions c’est tenter de traduire une pratique
ou des informations en donnees, avec la distinction que nous avons déve-
loppée au chapitre 3 de la IFme partie. La situation d’enquête est donc à la
fois une confrontation interpersonnelle et interculturelle.
On a aussi la dimension linguistique. La langue est évidente et on ac-
cepte cette différence, surtout si on travaille dans un pays et une société
différents de la notre. Ce que nous ressentons, à l’expérience, c’est que la
langue qui nous a construit, nous la Ainjectons dans la langue que nous
utilisons. C’est pour cela que les grandes idées qui nous ont bercé (que l’on
pourrait en arriver à débarrasser nos techniques de leur lieu de naissance - la
culture occidentale -), ne sont pas aussi viables que nous l’aurions aime. A
partir de là il y a deux attitudes extrêmes : refuser de changer, de s’adapter,
refuser la situation concrète dans son originalité, ou bien nier les bases de la
technique et vouloir tout bouleverser. Les deux attitudes sont communes, et
souvent se mélangent inconsciemment chez un même professionnel. Qu’une
pensée née en une langue survive en une autre, nous en avons de multiples
exemples et vérifie un des théorèmes énoncés par Popper : un concept n’est
pas lié à une langue. Mais, plus gravement, tout un système culturel peut
freiner cette traduction. Un autre piège est là, plus subtil, qui apparaît quand
on parle, quand on croit parler la même langue. Tobie Nathan signale lui
aussi ce piège de la proximité linguistique à propos des entretiens avec des
migrants :
*.. même s’ils parlent correctement le français :(en note : surtout s’ils
parlent correctement le français].
(1993)

* Lors d’une enquête nationale pour le compte du projet d’Enqu&te mondiale sur la fbcon-
dit& nous avions assistt A un conflit surr6aliste entre une enquêtrice, choquke qu’on lui
demandât ses pratiques sexuelles, quand elle interrogeait une femme dans une maison sur
les mêmes questions.

274
D’autres différences apparaissent quand on confronte des personnes
ayant des bases géographiques différentes : on parle des cultures urbaines et
des cultures rurales, mais on a aussi les différences de classes sociales. Ces
différences entre enquêteur et enquêté se manifestent très fortement. Le
travail en Afrique Noire a présenté souvent le piège de deconsidérer les
personnes des villes, jugées moins ‘authentiques’ et perverties au profit de
l’image qu’offrirait le milieu rural. Nous avons retrouvé cette image mythi-
que du bon sauvage-Bécassine en Amérique Latine. Disons,
qu’effectivement, plus on peut rtçduire la difference, mieux se déroule
l’enquête, mais, comme celles entre personnes de sexes différents, ces diffé-
rences ne sont pas irrémédiables et dépendent de la qualité des personnes en
elles-mêmes. A l’expérience que nous avons, il y a statistiquement autant de
personnes manquant de finesse dans un village au fin fond de la brousse que
dans un bar-tabac parisien, et les gens intelligents abondent dans la même
proportion en tous les milieux et toutes sociétés.
Dans cette situation, on doit considérer la situation d’interview,
qu’elle se réalise avec ou sans un questionnaire, comme une interface, une
situation de traduction linguistique d’une situation reelle en un artefact
mental, le fait scientifique, seul retenu par le scientifique. Malgré toutes les
idéologies en cause sur le terrain, la situation d’interview, avec ou sans
questionnaire, est une situation artificielle normée par un objectif : le recueil
de donnees.
L’interview est donc d’abord enrrevue de deux personnes, qui ont en-
semble une conversation, qui poursuivent un dialogue ; à certains égards,
l’interview paraît être une sorte d’interrogatoire. Entrevue, conversation,
dialogue, interrogatoire sont des phénomènes psychosociaux comparables à
l’interview qui ne s’identifie cependant à aucun d’eux. L’interview ne se
confond pas avec l’entrevue. On est pourtant tenté de les assimiler parce que
la première suppose la seconde : il faut bien une entrevue de l’interviewer et
de l’interviewé pour que l’interview ait lieu ; parce que le mot interview est
l’équivalent anglais du mot français entrevue : quelque raison doit. bien

275
justifier cette équivalence. - Mais s’il ne peut pas y avoir interview sans
entrevue (a moins d’élargir exagérement le sens du terme, on ne saurait
appeler interview une suite de questions posées par dléphone par une per-
sonne à une autre), il peut en revanche y avoir entrevue sans interview
comme le signale Daval (1963) dans une étude sur 1‘interview comme phé-
nomène psychosocial.

Maintenant, si l’on considère l’ensemble de ces variables, on voit


bien que la rencontre de deux personnes « différentes sur tout » demande du
doigté et une certaine intelligence de la situation, mais cette rencontre, au
fond, se passe bien en général. Les différences interviennent d’une façon
dirimante bien plus souvent quand on a ‘oublié’ qu’on est différent. Rete-
nons qu’à qualité égale et moyenne d’enquêteur, il vaut mieux employer des
enquêteurs ayant avec les enquêtes une plus grande proximité d’origine, de
classe, de lieu, de sexe. Mais un trés bon enquêteur vaut une très bonne
enquêtrice, un blanc vaut un noir, un Indien vaut un urbain.. . et reciproque-
ment.
La situation d’enquête est finalement assez stéreotypée malgré le
grand nombre de variables qui interviennent. Il n’y a pas de recettes de
comportement, en dehors de la reserve en terrain inconnu, de l’acceptation
de l’autre, et de l’acceptation de soi, celle-ci donnant celle-là. En effet, les
gens, même quand ils ont des difficultés à apprecier vos différences et à les
accepter, finissent par les assimiler. Ils font la même erreur que nous : ils les
perçoivent comme différences individuelles et sur ce plan-18 les acceptent
totalement (profonde unité de la nature humaine) mais achoppent sur
l’incompréhensible qu’est la différence culturelle car ils ignorent la cohé-
rence externe a votre propre personnalité. Dans la relation interindividuelle,
on est habitué depuis la plus tendre enfance, à la différence, mais on ne
s’habitue jamais complètement à la différence interculturelle (on peut la
manipuler, mais c’est différent). On est perçu correctement individuellement
par les gens mais chacun est stupide devant une dimension culturelle incon-
nue qui se manifeste dans un comportement individuel donné. Et, en ce qui

276
concerne l’enquête, la vraie différence est dans le conflit que peut ouvrir la
contradiction entre le langage amical que l’on tient a l’interviewé et la logi-
que de la stratégie que nous suivons. On joue sur l’interpersonnel pour
capter des informations que nous construisons ensuite en faits scientifiques.
Comme toute situation humaine, la situation d’enquête est complexe par la
motivation des protagonistes mais sa dimension principale est de confronter
une culture de type scientifique à une culture qui n’a, en général, pas cette
dimension dans sa propre configuration.
L’enquête est une situation artificielle entre deux personnes repré-
sentant chacune un groupe. Si le groupe référentiel de l’enquêteur n’est pas
évident car l’enquêteur vient (en général) d’ailleurs, c’est un référent vir-
tuel ; celui de l’enquêté est réel (en général) car présent : les enquêtes se font
souvent chez l’enquêté et les proches de celui-ci sont toujours là.
La situation est artificielle au sens où elle est déterminée de
l’extérieur, indépendamment d’une occasion de la vie normale de l’un ou
l’autre, quoique te scientifique soit 18parce qu’il est scientifique profession-
nel, ou payé par le scientifique (individu ou institution).
Nous devons aborder maintenant une autre question qui est au cœur
de la situation d’enquête : I’empathie entre personnes, même si elle est un
fait, que certains contestent et dont la discussion est hors de notre sujet ‘,
passe, en matière d’enquêtes, par les deux sens principaux des hommes : la
vue et l’audition.

L’ouïe et le regard

On va aborder dans cette partie la question des procédures quantitati-


ves et des procédures qualitatives. Ce que l’on peut noter c’est qu’elles sont
différentiables A la limite selon l’organe sensoriel qu’elles privilégient : on
peut dire que dans les enquêtes qualitatives c’est la vue qui est privilégiée.
Le summun étant l’enquête participative ethnographique, qualitative par
excellence (Laplantine, 1996, insiste sur ce point tout au long de son ou-
vrage) où la vue est essentielle, même, curieusement, quand il s’agit d’une
enquête sur la musique comme l’apologue de Lortat-Jacob (1994) : Indiens
chanteurs de la Sierra Madre, Sous-titré : L’oreille de l’ethnologue. Par
contre, dans les enquêtes quantitatives par questionnaires, c’est l’oreille qui
est le sens le plus utilid puisque les renseignements sont recueillis auprès
d’enquêtés dont la parole est essentielle (on exclut ici les enquêtes où c’est
l’enquêté qui remplit son questionnaire).

On peut s’étonner de ce classement, mais il a une certaine logique :


dans l’enquête statistique, le sens qui est le plus utilisé est l’oreille. Il suffit
de lire tous les manuels de collecte démographique, c’est le seul dont il est
fait mention explicitement. On ‘demande’, on ‘pose la question’... par
contre, dans l’enquête participative de type anthropologique, on regarde, on
observe., . Dans un remarquable travail d’ethnologue sur les procès des
nationalistes basques à Paris, Denis Laborde, musicologue, spécialiste des
aèdes basques, les bertsulari, décrit les scènes telles qu’elles se déroulent
sous ses yeux, comme si le contenu des discours n’était qu’un bruit de fond,
1997 ‘O.

On comprendra donc que nous analysions les enquêtes selon ces


deux pôles, en sachant que beaucoup d’enquêtes réelles mélangent allègre-
ment les différents plans, procédures, modes, outils de collecte. Nous tente-
rons donc de décrire les grandes procédures, sans trop alourdir le texte pour
signaler ces mélanges de genres, mais on devra cependant le comprendre
lors de l’énoncé de nos exemples sans s’étonner de notre silence sur la
permanence de ce phénomène.

9Voir les travaux du psychosociologueMeaucorps, ou de Nédoncelle,La communication


des conscience, B ce sujet.
” In i Creer, saber ? Juicio y referencia en 10s procesos de militantes vascos en Park, A
paraître.

278
L,e temps est une banalité du vécu humain, aussi paraît-il surprenant
que nous découpions le sujet d’une collecte selon lui, mais cet axe est stra-
tégique dans une collecte. Démocrite disait : On ne se baigne jamais deux
fois dans le même fleuve, en ce qui concerne les enquêtes, cette v&ité est
souvent oubliée : une collecte est une opération à étapes temporelles, plus ou
moins radicalement coupées entre elles et de nombreuses difficultés
s’élèvent quand ce qui devait être exécuté lors d’une étape a Cté oublié, ou
mal fait : les conditions du terrain, étant historiques, sont changées, même
pour des disciplines qui disposent d’un objet scientifique plus stable que
l’homme.
Nous voulons donc mettre en évidence, selon notre position précé-
demment exprimée de cohérence du champ scientifique étudié, la collecte
vue comme un tout. Un des éléments qui nous paraît bien signifier cette
cohérence interne, au-delà des idées reçues, c’est qu’on ne voit pas que la
collecte ne pas soit unique quand on l’examine comme un processus tempo-
rel : la collecte proprement dite comprend un « pendant », a un « avant » et
s’achkve par un « après ».
Contrairement à ce qui en est dit, le déroulement même de
l’opération de collecte est la ptriode la plus brève des trois. Dans toute une
vie de chercheur professionnel ayant une grande réputation et un bonne
production, la collecte atteint deux, trois ans, cinq tins au mieux dans une vie
productive de trois ou quatre décennies. Même si l’on additionne lei mois de
travail collectivement consacré à, mettons, un recensement simple (c’est-a-
dire en multipliant les agents par le nombre jours travaillés réellement) on
constate que c’est très peu, La collecte dans le cas d’un recensement prend
moins de temps que l’archivage, le nettoyage, la capture, la correction des
données (certaines pratiques n’incluent pas ce contrB1e a posteriori des
questionnaires par les enquêteurs eux-mêmes, mais il nous semble qu’elle
est néfaste “), ,. Même pour les simples agents recenseurs, la durée de la
formation l’emporte largement sur la durée de collecte et les corrections des
documents prend une bonne partie du temps de collecte de terrain. En terme
de coûts, selon le travail qualifié, le dkséquilibre est encore plus grand : le
travail préalable et le travail d’exploitation et d’analyse l’emportent large-
ment. De même, si l’on prend le simple « enquêteur de base », on voit que la
duke de son travail est bien inférieure au temps de correction et capture des
données recueillies. Mais ii est vrai qu’il est plus prestigieux de courir le
monde que de l’éplucher en bureau. L’aventure au fin fond d’un bureau à
manipuler des questionnaires n’a pas l’aura de récits de route magnifiés par
l’imagination. Prenons un simple accident et comparons ces deux informa-
tions qu’il nous a été donné de connaître :
Une land-rover du recensement se retourne dans un oued soudain en
crue. Les quesrionnaires ont &ré sauvés par 1‘héroïsme d’un agent recen-
seur &i a sauté s’étant attaché aux dossiers enveloppés dans une forte
toile cirée et que ses camarades onf sorti de l’eau en lui envoyant une
corde. (Tunisie, 1975)
C’est magnifique et glorieux. C’est de héros dont on parle. C’est l’Iliade.
Voici l’autre :
Mangées par Les termites, les poutres du toit se sont effondrées sous la
tornade. Fortement endommagés, les documents onr été retirés de des-
sous les décombres par les enquêteurs sous une pluie battante.
(Sénégal, 1967, Congo, 1981)
Galoper tout nus sous la pluie et les éclairs, avec des lampes-tempête à
pétrole défaillantes, c’est Clochemerle. Pour avoir vécu ces deux types
d’événements, Ie second nous a beaucoup plus impressionné que le premier.
Mais le récit en est sans intérêt. Nous pourrions aussi parler de ces naviga-
tions oi1 nous accrochions nos questionnaires en paquets à des jerrycans
vidés, préfémnt les données à l’essence, qui ont été des moments si brefs

” Les enquêteurs sont parfaitement capables de s’auto-critiquer. au moins les uns les autres,
et de vtritïer chaque soir le contenu de leurs questionnaires, dont eux seuls peuvent savoir
inf&er les manques et erreurs car ils se souviennent de l’entretien fait quelques heures
avant. On peut exiger des questionnaires remplis au mieux et ne pas d6responsabiliser les
enqu&teurs.

280
dans notre vie mais qui nous ont donné de si jolis récits, quand entreposer
les documents dans un endroit sur, a l’abri de la pluie, des termites et des
chévres, des enfants et de notre propre fatigue à venir nous a occupé des
journées entières. Racontes, ces récits vous font passer pour un bureaucrate
invétéré reste au « stade anal », comme l’avait fait si gentiment remarquer
un psychanalyste ” soucieux de nous éclairer sur les tréfonds de nos person-
nalités tandis qu’avec nos chefs d’équipe nous rangions les dossiers, retar-
dant d’autant le repas. Pourtant, une bonne collecte est plus une longue
patience qu’un acte d’illuminé.

Prkparation d’une collecte

Une collecte est une opération de rassemblement des informations.


La prédde un ensemble de travaux dont un connaisseur, Theodore Caplow
(1970 : 113-114), declare :
Une vieille recette veut qu’on enseigne aux étudiants qui préparent une
thèse qu’il faut compter deux mille heures pour mener à bien une re-
cherche. Ces heures se partageant en quatre parts égales : 500 heures
pour la préparation, 500 heures pour la collecte des données, 500 heu-
res pour l’analyse des données et 500 pour 1‘interprétation des resultats.
Comme la plupart des recettes, celle-ci est trop simple... elle rappelle au
chercheur inexpérimenté la nécessité d’accorder une importance @gale à
chacune de ces étapes ; son penchant naturel le poussant à raccourcir le
temps de prtfparation d’une recherche.
Quel que soit le type de collecte que I”on va effectuer (de I’enqu&e
documentaire à l’observation participante), le travail préalable est essentiel :
préparation des outils, collecte des informations sur la zone, revue des pro-
cédures engagées par d’autres, exploration de la littérature et des archives., ,
Un temps énorme - nettement supérieur, à l’expérience personnelle que nous
en avons, 21 ce “quart” dont parle Caplow -, doit être consacré à ce
« débroussaillage » qui nous mène d’une idée, plus ou moins vague, a
l’exécution d’une collecte.
Certes, une grande partie de ce travail est effectue par les études que
nous avons realisées préalablement, à l’université, mais en ce qui concerne

‘* Rappelons que le « stade anal » est celui auquel est censé “rester” un “collectionneur.”

281
l’objet spécifique étudie, encore faut-il savoir ce qui est connu de lui (<tTout
lire avant », disait à ses étudiants Georges Balandier au Centre d’ktudes
africaines de l’École pratique des hautes études dans les années 1962-63),
préciser ce que l’on veut soi-mbme chercher, définir les modalités pratiques
de recherche, en sachant que la réalité changera le beau plan que l’on a tracé,
mais sans lequel on va à l’aventure et on se perd.
La recherche préalable inclut l’examen tant des connaissances empi-’
riques rassemblées sur les questions qui sont liées que les connaissances sur
la zone sous étude. Dans notre cas, en ce qui concerne notre premier travail
Fakao, où nous avons exploité des registres paroissiaux confrontés a une
enquête rétrospective de terrain, nous avions lu tout ce qui avait 6té publié
par I’INED (Institut national d’études démographiques) sous la direction de
Louis Henry sur l’exploitation des registres paroissiaux en France (Henry,
Ganiage, Henripin., .), les ouvrages méthodologiques qu’il avait produits
avec Michel Fleury (1965), les différents rapports méthodologiques et de
résultats des enquêtes rétrospectives réalisées en Afrique francophone (voir
le premier chapitre supra), et les documents existants sur l’ethnie sérère et le
Sénégal du Sine Saloum, littérature B vrai dire limitée à l’époque (nous
avions passé aux Archives nationales du Sénégal de journées entières à
dépouiller les dossiers que mettait généreusement à notre disposition Mon-
sieur Maurel, responsable des archives dans les années 60). Il aurait été bon
que nous puissions tester nos idées sur place, mais, par la force des choses,
le travail ne put &tre précédé d’aucun préalable en dehors du fait que, par la
CINAM, nous avions pu effectuer des sondages sociologiques dans les
paroisses qui pt-ésentaient de l’intérêt pour notre projet (selon les orienta-
tions que nous avait fournies le RP Victor Martin 13).
Personnellement nous incluons dans ce panel de travaux préalables,
la possibilité d’aller baguenauder dans les lieux futurs des enquêtes, fussent-
elles quantitatives, même si le projet est strictement précis (comme un sim-
ple recensement). On apprend beaucoup des difficultk que l’on va affronter

” Il s’agissaitde Mont Roland,chez les Sér6res Ndut, Fadiuth, Palmarin(Fakao).

282
à tout simplement se promener dans les lieux des futures enquêtes. De mul-
tiples questions vont se poser (où resider, où s’approvisionner, les diffkultes
de communication.,,). Tout un ensemble de questions pratiques émerge,
qu’il est souvent inttressant de connaître avant. Dans un autre exemple, il
nous avait suffi d’aller dans le Sud Tunisien avant le recensement prévu
pour 1975 pour voir que, quelques soient les arrangements, que l’on faisait
subir au concept de “ménage” nous allions au devant de difficultés
d’application des définitions à la réalité sociale d’un Sud largement dominé
par des familles résidentielles élargies. Point n’était besoin de faire des
sondages préalables, il n’y avait qu’à regarder autour de soi l’organisation de
l’habitat. De même qu’aller dans Tunis et voir les « bidonvilles aériens » sur
certaines maisons ne devait pas manquer de poser des difficultés concep-
tuelles, hors de toute difficultés possibles de rapports avec la population.
C’est dans cette étape que les rapports de terrain réalisés par nos pré-
décesseurs nous aident le plus. Nous-même avions Bte largement aide par
celui de Reverdy, charge d’études de la CINAM, qui avait rédigé après un
mois d’immersion dans un village sérère, un rapport à la fois personnel et
cadré (il s’inttressait à la mise en place de cooperatives arachidières) qui
nous a permis d’affronter notre premier « terrain » avec quelques atouts qui
nous auraient fortement fait défaut si Reverdy ne S’&ait pas livré en toute
modestie à ce petit exercice (1960), qu’admirait aussi très fort Denise Paul-
me. Mais depuis, malgré l’expérience que nous avons pu acquérir, nous
n’avons jamais trouvé que les rapports trop personnels, centrés sur le moi du
chercheur ou la sptcificité de leur terrain (ce qui d’une certaine manibre est
la même chose, comme l’avers et l’envers sont une seule medaille unique)
soient d’une quelconque utilité car l’expérience qui est exprimée l’est faite
en termes et dimensions trop personnelles et spécifiques pour être utilisa-
bles. Ce n’est pas le style qui est en cause, c’est un abus d’originalitt, lequel
peut être exprimé en un langage lisse et objectivité. Nous pouvons en reve-
nir à ce livre déjà cité au cours de notre travail de Nigel Barley (l992), ou
celui de Paul Rabinow (l988), ou encore celui de Hugo Zemp (1995) : dans

283
chacun, l’auteur, pour parler de soi, n’en exprime pas moins une face des
difficultés qu’une collecte contient. Parler de soi n’est pas forcément
l’expression d’un égotisme, ce peut être aussi une maniére de parler vrai de
ce dont on est compétent pour parler.
Tous les bons auteurs en matière de collecte (CEA-UNESCO, 1974,
Manuel des enquêtes démographiques par sondage en Afrique 14), Tabutin
(1984), Caplow (1970) recommandent une pré-enquête comme partie inté-

grante des travaux d’une collecte. Normalement, dans cette phase, l’on teste
en “vraie grandeur” la méthode, le questionnaire, l’exploitation et
l’analyse.. . Nous avons fait beaucoup d’enquêtes, et donc, pratiquement
autant de pré-enquêtes, parfois même, comme lors du projet Chalco, mene
entre 1’Orstom et la UAM-Xochimilco à Mexico (1989-92), seulement la
pré-enquête (celle-ci ayant tellement ‘bien’ réussie, qu’il avait été inutile de
dépenser plus d’argent pour l’enquête elle-même,) ; ce fut également le cas
de l’enquête Oursi (Sodter, 1980). Pourtant, malgrk ce qui en est dit, nous ne
sommes pas persuadé de ce qu’une pré-enquete definie comme test total de
la procédure (la pré-enquête comme reduction de l’enquête elle-même) soit
une pratique qui corresponde au,dogme tel qu’il est proclamé dans la litté-
rature. D’une part, quand elle est réalisée, elle demande, sauf dans le cas
d’opérations très coûteuses où elle ne représente qu’un cotit marginal (cas
d’un recensement), une mobilisation financiére et énergétique très elevée.
Personnellement, notre expérience ne nous a pas montré un cas où elle ait
été réalisée totalement. Pas un cas. Ses enseignements n’ont jamais été tirés,
que ce soit pour garder ou exclure ou question litigieuse, pour changer une
définition (ce qui aurait supposé qu’on l’exploite en totalité pour déterminer
les exploitations et les analyses à garder), pour modifier une logistique. On
doit entendre, pour les grosses enquêtes, qu’elles sont souvent le résultat de
négociations épineuses entre plusieurs acteurs et que l’on ne peut les remet-
tre en cause quand un certain acquis de compromis a été décidé. Quand c’est
une ‘petite’ enquête, le petit nombre de personnes en cause se contente de

l4Cet ouvrageavait pourrkdacteur principal Christopher Scott.

284
mémoriser qualitativement les erreurs relevées. Nous acceptons une de
notre positioncritique : notre expérience présente un biais certain, car elle est
en effet surtout africaine et le peu d’expériences antérieures que nous possé-
dions collectivement (les scientifiques œuvrant en Afrique) lors de la mise
en place des projets d’enquêtes démographiques ou socio-économiques
faisait que les professionnels faisaient défaut. Dès 1965, peu de pays
n’avaient aucune expérience, et, pour le meilleur et pour le pire, on a plus
procédé par ajustement des projets aux compétences, et connaissances,
acquises et aux contraintes budgétaires et de logistique qu’aux contraintes
mises en évidences par les pré-enquêtes. Caplow souligne l’importance de
ces pré-enquêtes dans l’expérience américaine, nous ne doutons pas non
plus que, pour les recensements français, cette tradition soit respectée, mais
notre témoignage est que les pré-enquêtes auxquelles nous avons assistées
n’ont pasapporté de modifications au projet final. Et, souvent, elles ont été
utiliséespour étudier des sujetsqui ttaient en soi difficiles, afin d’obtenir
desinformations sur des milieux spécifiques(milieu urbain, milieux noma-
des...) On s’explique d’autant mieux le fait que, quand on porte un très
grand soin aux préalablesd’une enquête,commenousl’avions fait à Chalco
(ville satellite de Mexico), nous ayons fini par ‘reculer’ devant l’enquête
elle-mêmeau vu desrésultatsde la pre-enquête.Réaliserle projet aurait plus
que doubléles coûts pour une “vérité statistique”qui n’aurait été que margi-
nalementmeilleure (et inférieure.. . à l’erreur de sondage.) En accord avec
nos colléguesmexicains nousavions donc préféréconserver nos ressources
pour d’autres recherchesde terrain plus pointues et plus spécifiques: sur
l’habitat, sur la migration, sur l’éducation, sur l’environnement,. . Ayant
travaillé dansdespays africains où le poids desorganisationsinternationales
et de leursexperts étaienttrès forts, nousreconnaissons
notre vue biaiséepar
les demandesqu’ils formulaient, contradictoiresavec les touts qui étaient
allouésaux servicesstatistiquesnationaux danslesquelsnous étions affecte
comme technicien, Ceci étant, notre réserve sur la conception d’une pré-
enquête (qui supposedans l’absolu que l’on ne sait a), n’est pas une

285
réserve sur le soin à accorder à la préparation d’une enquête, au test des
questionnaires, a la mise au point des définitions etc., mais une réserve sur
l’application d’un dogme que chacun tourne au gré des vents qu’il rencontre.
La phase préal,able d’une collecte est pour nous primordiale, souvent omise
ou bâclée, elle inclut tant un énorme travail intellectuel qu’une longue pré-
paration pratiq,ue : beaucoup de gens peuvent aider à la realisation d’une
enquête, prendre langue avec eux, entendre leurs critiques, évaluer la mesure
de leurs prudences nous apparaît une absolue nécessité, et une sagesse bien
employée.
Entre parenthèses, ici, nous pouvons traiter de la question des en-
quêtes de contrôle post-censitaire. Au moyen d’une enqu&e par sondage, on
tente d’évaluer les defauts de l’observation de la collecte. La seule qui soit
parvenue à notre connaissance, qui ait été menée d’une manière scientifique
et exploitée jusqu’à son objectif ultime, est celle de M. Vangrevelinghe
(1963), elle portait sur le recensement français de 1962. La procédure
(appliquée également au dernier recensement français) est inttressante mais
coûteuse et inapplicable dans les conditions dans lesquelles nous avons
exercé notre métier de démographe.

Le déroulement d’une collecte

Une collecte de terrain, qui est la phase ‘pendant’ d’une enquête,


connaît un certain nombre de contraintes. Cette phase active est souvent la
plus propice & des récits et marque souvent ses acteurs. Pannes de voitures,
fréquentation de gens inconnus, amitiés dans les bivouacs sont de bien
beaux souvenirs qui souvent occultent le caractère méticuleux de “la col-
lecte en train de se faire”. Dans les enquêtes quantitatives comme on en
réalise en démographie, les questions matérielles l’emportent bien souvent
sur les difficultés scientifiques. Les difficultés de logistique et les aléas
climatologiques annulent le poids des difficultés scientifiques : les défini-
tions inadéquates ici ou maintenant, les refus de réponse, les biais de col-
lecte. Dans les enquêtes par sondage, le fait devient plus grave car le dérou-

286
lement de la procédure peut engager le fond de la proctdure. Ainsi dans
l’Enquête nationale démographique (1968-1969) de Tunisie, la proddure
de remplacement ‘à chaud’ des ménages absents avait compromis
l’exploitation fine de certains résultats car les menages remplaçants
n’avaient pas du tout la même structure que les ménages remplacés, ce qui
ne s’est vu qu’à l’exploitation “. Il est donc important de “tout prévoir” en
sachant qu’on ne prévoit jamais tout. La correction sur place, au fur et à.
mesure, des documents recueillis, en toute enquête, est fondamental. On ne
peut remettre cette tâche ‘après’, en se disant “qu’on reviendra”. Même si on
revient, tout a changé : les lieux, les gens, les conditions.. . On ne se baigne
jamais deux fois dans le mêmejleuve. Cette maxime vaut pour toute en-
quête. Le fameux Notes and Queries on Anthropology le dit : chaque soir,
revoyez vos notes, recopiez-les, faites des doubles, mettez vos papiers en
sureté. Dans toutes les enquêtes que nous avons réalisées, nous avons tenu
des cahiers de notes, cahiers d’écolier comme le recommandait Georges
Condominas 16, et demande a nos collègues de se soumettre à cette con-
trainte. Cette discipline est extrêmement difficile à ‘tenir’, comme toute
astreinte quotidienne : quand la fatigue envahit, ou bien qu’on vous a fait
boire pour vous fêter, ou que l’énervement vous fait oublier des documents
(au Mali, nous avions ainsi perdu un lot d’enquêtes qu’il a fallu refaire : il
avait fallu vider le vehicule enlisé, nous n’avons pas retrouvé le lieu précis
où s’était produit l’incident perdu parmi des dunes). Durant une enquête, le
grand ennemi est la fatigue, physique et psychologique (il est fastidieux
d’interroger et de poser toujours les mêmes questions, d’entendre les mêmes
réponses). C’est là, selon nous, la grande leçon de la pratique des enquêtes
de terrain. Dans les enquêtes participantes d’ethnographie, cette lassitude
psychologique est moindre car l’anthropologue sur le terrain est un peu
comme l’acteur, dopé par le vécu du spectacle (encore qu’il faille moduler le

” IA?fait fut suffisamment exemplaire pour être également rapport6 par Sektzer, 1974 : 26 :
11 existe lut danger réel que les méflages nouvellement formb soient sous-re@sen$és.. . Ce
genre de probléme s’est pose dans l’erquêre démogruphique tunisienne et à Guanabara.

287
fait à lire le journal de Malinovski, nos propres cahiers ou les récits de Bar-
ley ou Rabinow). Mais aucune procédure, quantitative ou qualitative n’est
dispensée de ce travail le soir, a revoir notes et questionnaires, à déceler les
manques, à pointer les défauts de l’observation, à s’interroger sur la collecte
du jour, sur sa moisson.
La collecte sur le terrain est une question préparée à l’avance à une
réalité que l’on connaît plus ou moins bien, dont la réponse, en elle-même,
posera un certain nombre de défis. Croire qu’une excellente préparation
annule l’imprévu de la réalité est une erreur dont il faut se garder. Certains
ont affirmé qu’il y a quelque chose de l’action militaire dans la collecte de
terrain : à I’ONU, un de leurs experts disait que le meilleur recensement
jamais réalise l’avait été par un ancien général. Peut-être était-ce un mauvais
général et un bon statisticien, aussi l’observation vaut pour ce qu’elle est :
une boutade. Mais comme toute opération de terrain, une collecte vaut ce
que vaut sa préparation et la capacité des équipes sur le terrain a répondre
aux imprévus (climatologiques, scientifiques, occasionnels, logistiques). La
collecte de terrain terminée, une autre géhenne débute, la plus longue :
après, que faire de ces données ?

Exploitation et analyse

Comme il y a un ‘avant’ et un ‘pendant’, il y a un ‘après’. Là com-


mencent de longs mois, ou de longues années de travail : classement des
documents, vérification des pièces, des cahiers, des données, chiffrement
des donntes et des informations, exploitation, rédactions. Des incohérences
doivent être situées : sont-ce des incohérences de réponse, de collecte, de
logique propre aux sujets, de contradictions logiques entre systèmes (le réel
et le scientifique). Cette phase est semblable pour toutes les recherches et ne
se limite pas aux seules collectes quantitatives. C’est une phase de travail
sur documents, un travail de fourmi. C’est l’ttape la mieux connue, celle qui

“La totalitt de nos cahiers de terrain a tté détruite B la suite d’un pillage de notre bureau.
Un de nos collkgue s’est fait voler sa valise avec les notes d’un terrain de trois ans dans un
akroporl,.. Les conseils de prudenceque nousdonnonsne nousavaientpasservi.

288
est la plus normée universitairement parlant. Chaque discipline a ses procé-
dures, ses codes, ses tics d’analyse et d’exposition. En temps également,
c’est celle qui prend le maximum de temps dans la totalité d’un travail
d’enquête. C’est aussi le moment de vérité. De nombreuses collectes ne
voient jamais cette phase. On estimait au service de statistiques des Nations
Unies que la majorité des collectes n’aboutissait jamais B cette phase.
Christopher Scott avait même déclare un jour : 90 %. Nous pensons ce
chiffre valable de toute façon ” si l’on rapporte cette observation non au
nombre des collectes mais à celui des données collectées : au plus 10 % des
données collectées servent Li une analyse. Car, d’une part, il y a les enquêtes
qui ne sont jamais exploitées ou analysées, soit parce qu’elles ont et6 mal
conçues, ou mal exécutées, ou maladroitement exploitées, et, d’autre part,
parce que la plupart des données collectées... ne servent à rien, sont inex-
ploitables, soit parce qu’elles sont collectées a des buts externes à l’analyse
même, soit parce qu’elles sont collectees pour faire fonctionner la ‘machine-
collecte’ et elles n’ont de raison d’être que de permettre la collecte
d’informations. La déperdition faramineuse d’informations est souvent
décourageante pour les débutants. Devant la minceur des rksultats qu’ils
comparent à l’énormité et au sérieux des efforts de collecte, certains se
découragent et préfèrent ‘oublier’ leurs données et abandonner leurs projets
de redaction.
S’il est une chose contre quoi on doit mettre en garde les scientifi-
ques c’est de faire une comparaison entre le travail de collecte soi-même et
les résultats qu’ils en sortiront. Entre le ‘vécu’ de la collecte de terrain et la
minceur des rdsultats, il y a effectivement un grand hiatus. Dans les enquêtes
de types ethnographiques, le problème est quelquefois aigu car les données
ont été collectées par le chercheur seul qui se sent ainsi mis en cause per-
sonnellement par la minceur des conclusions qu’il en tire. Dans les collectes

” Même si alors il est trop optimiste, mais de toutes les façons le problème n’est pas quan-
titatif et parler ainsi est plutôt une manière de dire qu’une évaluation rigide.

289
collectives, la mise en cause personnelle est moins forte et la mesure du
temps de collecte entre moins dans le ‘calcul’ des analystes. Par contre,
entre en compte l’espèce d’espoir qui saisit quand on perçoit la masse de
données engrangdes dans les banques de données et les ordinateurs, et on se
décourage, apks des mois de calculs, de voir la montagne de papier accou-
cher d’une souris ‘*. C’est pour cela que nous avons toujours vigoureuse-
ment combattu l’enthousiasme débordant de certains débutants qui se décou-
ragent ensuite.. Leur déception ‘après’ l’enquête de terrain est la mesure
contraire de leur passion ‘pendant’.

Pour conclure, nous pouvons affirmer qu’une collecte est une opéra-
tion qui se preSpare avec soin, qui s’exécute avec imagination et qui laisse
derrière soi, pour de longs mois studieux, une masse documentaire qu’il faut
mettre en ordre, organiser, analyser et traduire en termes scientifiques ou
intellectuels d’ordre diffërent de celui de la collecte elle-même.

‘~POU~ notre travail sur Fa&, les tableaux publiés ne représentent que 2 A 3 96 des ta-
bleaux rtalis&. Quand on pense que chaque tableau demandait une demie journde de tris
manuels et une journée de calculs avec l’additionneuse B main et la régie & calcul, on
comprendra que: le découragement nous ait parfois saisi., . Situation bien commune.

290
A - Les collectes quantitatives
Avant de traiter les enquêtes quantitatives, et compte tenu de
l’importance que nous allons accorder à la démographie d’enquête dans
notre propos, nous devons faire une courte parenthèse sur la définition de la
démographie comme discipline scientifique afin de préciser notre position
de professionnel en collecte de données démographiques et socio-
économiques dont trente années d’activité fonde aujourd’hui un certain
profil professionnel plus que des études aujourd’hui lointaines.

La démographie commediscipline scientifique

La démographie est une discipline scientifique qui, de proche en pro-


che, peut être étendue à la totalité, ou presque, des sciences sociales. Les
démographes sont relativement d’accord pour lui donner un ‘noyau dur’ qui
est l’analyse démographique des chiffres de croissance de la population.
Science sociale, la démographie est une discipline quantitative dans ses
fondements. Si la population mondiale ne connaît que naissances et décès,
(on n’a pas encore de mesure de la mortalité des cosmonautes dans
l’espace), la croissance d’une population est par contre régie également par
la migration. Au départ, analyse résiduelle des populations d’unités spatiales
définies, la migration est devenue aujourd’hui une partie fondamentale de la
démographie, quoiqu’elle relkve autant des autres disciplines (sociologie :
insertion des populations étrangères ; psychologie : adaptation des migrants ;
économie : main-d’œuvre ; géographie : peuplement ; histoire : transferts de
population...) On pourrait même affirmer que ces autres disciplines élabo-
rent autant de modes de mesure qu’il leur est nécessaire pour répondre Èi la
spécificité de leurs définitions que la démographie elle-même.
La démographie est fille de l’administration, laquelle est fille de
l’impôt, c’est dire tout le poids du ‘chiffre’ en démographie. Les premières
mesures de la population remontent à 3000 avant notre ère (Dominique
Tabutin, 1984 : 18). L’existence de ‘chiffres’ ‘sur la population a donné
naissance à des analyses et cette discipline est autant née de d’interrogations

291
d’ordre de Ia philosophie politique que de possibilités de répondre à des
interrogations numériques pratiques. Les premiers “démographes” ont cher-
ché à analyser les données disponibles pour effectuer des mesures ” et
certains “inventeront” la collecte en procédant à l’interview directe.
A. Deparcieux, dés le XVII ème, interrogera quelques centaines de femmes
sur leur vie génesique passée (Louis Henry, 1963). On pourrait dire que, née
du chiffre, la démographie s’en est abstraite. Cela est vrai en partie, mais
parce que l’interrogation numérique a conquis des secteurs de plus en plus
vaste de la connaissance sociale. Par contre, l’analyse quantitative reste au
cœur de cette discipline : la démographie des débuts a abouti à la création du
schéma de Lexis. Le schéma de Lexis combine, dans un espace graphique à
deux dimensions : Ie temps (en abscisses) et l’âge (en ordonnées). Son
intérêt est de présenter les individus par génération (figure page suivante).

Diagramme de Lexis
Selon la construction actuellement en usage
(élaborée par Roland Pressat
Lirée de Chrislophe Vandeschrick, 1992 : 1249)

Ages

t lsochrone

Certes, depuis que Lotka a mis au point cette présentation des don-
nées “, les méthodes d’analyse et les statistiques sont venues apporter de
grands changements à l’analyse démographique, mais on peut considérer

l9 lohn Graum utilisa les bulletins de dCcés publiés par les paroisses londoniennes pour
construire la premiére table de mortalilé.

292
que ce schéma reste le noyau de l’analyse numérique en démographie et que
cette analyse numérique reste le noyau dur de la discipline.
Il n’est pas de notre point de vue de limiter la démographie a la seule
analyse des chiffres : structure des population, entrées (naissance, immigra-
tion) et sorties (de&, émigration). Sinon, cette thèse, qui considère que la
démographie est une des disciplines des sciences sociales, n’aurait aucun
sens. D’ailleurs, la démographie est une science encore jeune et ses prati-
ciens “sortent” de spécialités universitaires très différentes : Clairin était
chimiste, Sutter était médecin, Calot, statisticien, Pison, naturaliste, Sodter,
économiste, Raulin, anthropologue.. . Mais chacun produit les considéra-
tions externes au travail purement démographique avec les outils et les
compétences qu’il manie le mieux et étend vers ses compétences person-
nelles le champ scientifique né de l’analyse démographique. C’est dire qu’en
dehors de ce noyau dur, il y a autant de manières de pratiquer la démogra-
phie qu’il y a de démographes, afortiori dans la recherche où la nature des
travaux finit par fonder une spécialité et rend illusoire l’idée qu’un cher-
cheur en vaille un autre : chaque chercheur, de par ses compétences est
‘unique’, en toute modestie s’entend.
L’intérêt de la démographie pour notre sujet est donc de nous per-
mettre de le skier en parlant essentiellement des techniques quantitatives
d’enquête en démographie. D’autres exemples, tout aussi pertinents pou-
vaient être pris, comme les enquêtes socio-économiques, mais d’autres
professionnels et praticiens nous paraissent pouvoir le faire avec plus de
compétences, comme nos collègues de l’orstom, Alfred Schwartz, socio-
économiste, OU Gérard Ancey, économiste sociologue. Contentons-nous de
parler avec le moins d’incompétence possible du sujet en choisissant nos
exemples dans ce champ scientifique de la demographie.

2o Lotka avait construit un graphique dans le sens inverse de celui utilisé aujourd’hui, plus
logique selon notre mode de pens6e ‘de gauche A droite’ (INED, 1991).

293
Chapitre 4
Les différentes dimensions des collectes quantitatives

Les collectes quantitatives sont très diversifiées, nous insistons en-


core sur le fait que ce qu’elles recueillent est centralement des données
puisque leur objectif est de pouvoir effectuer des analyses quantitatives.
Nous ne voulons pas redonner ici une classification des différentes appro-
ches (CEA-ONU, 1974 ; D. Tabutin, 1984 ; B. Matalon, 1988) remarqua-
blement traité par d’autres auteurs. Nous voudrions aider ceux qui engagent
des recherches de terrain à préciser leur problématique de collecte et à
mieux evaluer la procédure qu’ils mettront en œuvre en vue de répondre aux
problèmes qu’ils se posent, ou qu’on leur pose.

Définition d’une enquête quantitative-type

Une enquête quantitative est déterminée par l’usage d’un question-


naire parce qu’elle vise a une analyse numérique et statistique de ses résul-
tats.

Accessoirement, une seconde dimension intervient qui est que la


collecte est effectuée en général par plusieurs personnes :
II est très rare qu’une seule personne réunisse les compktences voulues
l...], et c’est pourquoi les meilleures êtudes sont presque toujours des
entreprises collectives.
(William Seltzer, I974 : 44)
Mais la nature collective n’est pas un critère déterminant: les enquêtesde
François Sodter sur Mariatang, de Daniel Benoît sur Kongoussi-Tikaré,de
Gérard Ancey au Burkina, de Jean Roch chez les Mourides au Sénégal
(1972) ou de Philippe Couty sur les circuits de commercialisationau Tchad
(1964) ont été desenquêtesindividuelles, c’est-à-direeffectuéespar un seul
et unique chercheur, parfois aidé par un agent qui était tellement lié au
chercheurqu’il est difficile de distinguer l’apport de l’un et de l’autre dans
l’élaboration de l’information collectée.Dansnotre enquêtesur Fakao, nous
étions avec Michel ‘NDiaye qui nous servait d’interprete. Avec les longs
mois de présence dans les villages de la Pointe de Sangomar, Sénégal, il
était né entre nous une profonde connivence et des relations de travail ex-
trêmement étroites, un mimétisme que ne rompit pas notre compréhension
du sérère. À cette nuance près, on peut considérer que le travail était indivi-
duel. Mais même individuel, le travail est décomposé en phases logiques
organiques. Les différents moments de la collecte sont parfaitement définis.
Certes, toutes les collectes sont décomposables, mais pas fordment décom-
posées a priori. Les enquêtes quantitatives ‘souffrent’ d’une certaine rigidi-
té. C’est leur faiblesse, mais c’est aussi leur force.
Si donc: la nature collective ou individuelle ne nous semble pas dé-
terminante, la variable définissant une enquête quantitative nous paraît être
l’usage d’un questionnaire, dont la plupart des questions ont un champ
défini de réponses, dont certaines, ou la plupart, sont des donntes (des
quantités) :
L.es données représentent les valeurs mesurées d’un paramètre et per-
mettent de connaître quantitativement une dimension arbitraire d’un
phénomène. (J. Noël, 1991 : 4)
Il s’agit de l’âge, des revenus, mais aussi de dates, de durées, de lieux.. .
Cela ne signifie pas qu’un questionnaire se limite à des données, il
recueille aussi des informations :
L’informarion est Le rksultat d’une déduction et d’un ensemble
d’indicateurs, elle est très dtflcile à quantifier.
(J. Noël, 1991 : 4)
Les informations recueillies permettent de définir ou de cadrer les unités
d’enquête, ou plus exactement les enquêtés : nom, filiation, religion, etc...
qui permettentd’analyserles données.
Nous reconnaissons volontiers que certaines enquêtes démographi-
ques ont pu être réalisées sans questionnaire fixe. Ce fut notre cas à Fakao,
pour des raisons de logistique (longues marches a pieds, poids excessif
d’exemplaires de questionnaires fixes à remplir, difficultés diverses qui
firent que nous avons utilisé un simple cahier d’écolier pour écrire car le
papier glacé et la couverture plastifiée des couvertures supportaient

295
l’humidité). Mais les questions, nous les savions par cœur, ainsi que leur
succession. Nous disposions d’un questionnaire-type pour nous rappeler ce
qui aurait pu nous tchapper, que nous examinions, avec Michel NDiaye,
avant de ‘lâcher’ la personne interviewée.
Nous proposons donc d’utiliser le terme «collecte quantitative »
pour «toute opération interrogeant d’une manière systématique un certain
nombre de personnes, avec des questions toujours identiques relevant des
réponses dans des grilles fermées, qui seront analystes selon des procédures
quantitatives (numériques et statistiques) ».
Une enquête quantitative relève des informations et des données, et
vise à obtenir une analyse des donnkes collectées. C’est cette perspective qui
les détermine et leur donne leur rigidité. C’est donc par ces deux axes qui les
fondent que nous devons les étudier :
- les données recherchées, et
- les questionnaires.
Mais avant, nous devons envisager les grands types d’enquêtes, en
utilisant celles de démographie pour ne pas nous disperser, ce qui nous fera
déjà errer malgré nous.

Les classifications possibles des enquêtes démographiques

Plusieurs axes permettent de différencier les enquêtes démographi-


ques : la complttude géographique en est un, un autre est la complétude
scientifique, un troisième sera la spécificité... Nous allons en examiner
quelques-uns sans prétendre épuiser le sujet qui est parfaitement bien expli-
cité dans l’ouvrage de Dominique Tabutin, 1984, Lu collecte des données
démographiques. Nous allons uniquement donner, ci-après, les grands axes
d’une classification des collectes démographiques. Quand on prend une
collecte empirique, on a forcément un mélange sui generis de ces différentes
dimensions.

296
Recensement et sondage, un débat

Les recensements ont paru dbs le début de la statistique de popula-


tion comme le seul moyen de savoir les chiffres. Alors que les enquêtes
«sociologiques » (ou ce qui en tenait lieu), n’ont pas t5té soumises à cette
contrainte, car l’esprit humain est construit de telle manière qu’il se fait une
opinion à partir d’informations partielles : tout un chacun trouve midi ZIsa
porte et il nous suffit de quelques informations pour en déduire nos conclu-
sions. Par contre. l’expérience commune nous montre combien nous som-
mes rapidement en désaccord dès qu’il s’agit d’évaluer quantitativement un
phénomène. On comprend donc que pour les faits de population, on ait vite
recouru aux recensements, 3 000 ans avant JC pour la Mésopotamie, 2 238
pour la Chine.. . Le recensement d’Hérode est célèbre, qui fit migrer le
couple Marie et Joseph jusqu’à son lieu d’origine au point de départ mythi-
que de notre ère 2’. On constate donc que le recensement est né avec l’État.
Les sondages ont émergé grâce aux progrès des mathématiques et ils ne sont
apparus, comme méthode scientifiquement validée, qu’au siècle dernier,
aprés quelques essais de calculs de probabilité qui cherchaient une martin-
gale gagnante aux jeux de hasard.
Le débat entre ces deux procédures est assez simple : il est financier
et qualitatif. IJn recensement demande une mobilisation d’agents en grand
nombre, dont l’encadrement est cofiteux. Cette masse d’informations et
d’agents amène une baisse de la qualité de l’observation. Pour être efficace,
un recensement doit viser la simplicité. Par la méthode des sondages, on
peut, B un coftt moindre, embaucher des agents de meilleure qualité
(formation), faciliter la logistique (transport, encadrement), donc augmenter
le nombre des questions et le champ intellectuel de la collecte. Mais des
difficultés interviennent alors. Elles portent sur la représentativité : un son-
dage ne vaut que ce que vaut la présence minimum d’une variable étudiée et

” Nos compktemces en christologie sont minces mais ce recensement se serait déroulé en


l’an 6 avant JC.
le caractère tranché des différences 22. Les formules mathématiques donnent
une fausse assurance car la collecte dans les sondages provoque des biais qui
s’amplifient dans les calculs. ,
Les avantages de la méthode des sondages, du point de vue des coûts et
de la qualité des activités de terrain, sont maintenant bien reconnus par
les spécialistes de la recherche démographique. Cependant, on perd
parfois de vue les responsabilités qui incombent à ceux qui appliquent
cette technique pour la collecte des données.
(W. Seltzer, 1974 : 43)
Et Seltzer de recommander de s’adjoindre des spécialistes en sondages,
tellement la question est difficile a résoudre.
Malgré tout ce qui est dit sur les sondages, on voit très rarement les
intervalles de confiance prksends dans les résultats.
Malgré ce problème important de l’erreur de sondage, ii est relativement
rare que les démographes en tiennent compte. Souvent les résulats sont
présentés sans intervalles de confiance, sans calculs de tesfs de signifi-
cation.. . comme s’il n’y avait aucun problème statistique.
(D. Tabutin, 1984 : J 16)
À notre connaissance, pour toutes les enquêtes dkmographiques en
Afrique francophone qui furent réalisées entre 1956 et 1966, seul le rapport
sur celle de Madagascar (publié par Francis Gendreau, 1966) présente les
intervalles de confiance. Il est vrai que l’enquête ayant 6th réalisée en 1966
par Michel Volle et le rédacteur pouvait faire confiance aux données. Celui
qui fait l’enquête est souvent réticent, psychologiquement, à diminuer la
valeur de ses données, à moins qu’il ne craigne d’ajouter, par une évaluation
mathkmatique, une erreur d’optimisme à l’erreur d’observation qu’il craint
d’avoir faite. Comme le dit Seltzer :
Manifestement, il existe une interaction très directe entre les erreurs
d’échantillonnage et les erreurs de mesure...
(Seltzer, 1974 : 44)

22C’est-&-direque si une variable est rare dans I’tchantillon elle n’est plus discriminante ;
par ailleurs, si la diffbrence entre deux sous-populations est faible la taille de I’dchantillon
croit trks vite pour les distinguer, ainsi, pour ‘mesurer’ le sex ratio il est necessaire de
posséder un échantillon de 550 000 individus pour le connaître. car c’est la diffërence entre
les effectifs qui détermine les capacids d’analyse, et non pas l’effectif global. Les sondages
en politique sont aussi assez reprtsentatifs des diffïcukés de l’estimation des paramétres :
plus les gens pensent pareil, plus la taille de l’échantillon doit croître pour les distinguer.
Ici, comme ailleurs, c’est le maillon le plus faible qui fait la force de la chaîne.

298
Une image est souvent employée pour définir l’erreur d’une enquête par
sondage : c’est l’hypoténuse d’un triangle rectangle dont un des côtés, le
plus petit, est l’erreur de sondage, l’autre, beaucoup plus grand, l’erreur
d’observation. Mais ce n’est qu’une image.
JJ ne faudrait pas en conclure que les recensements, eux, soient par-
faits. JJ y a toujours une erreur de complétude, spatiale et qualitative, les
vieillards, les enfants, les marginaux, ttant souvent l’objet d’une mauvaise
observation dans les grandes opérations, même quand elles sont menées par
un général d’intendance.

Structure et mouvement

Les enquêtes peuvent se distinguer entre celles qui visent à obtenir


l’État de la population (ou d’une situation) et donc sa structure, et celles qui
visent à déterminer le mouvement. L’idéal souvent caressé est d’obtenir les
deux, mais comme nous l’avons signalé en seconde partie, la contradiction
se fait rapidement jour entre ces deux types de données (Jacques Vaugelade,
1982 dans un article sur Les stocks et les jlux dans l’étude de la migration).
Le grand classique de 1’Ctude de la structure est le recensement, base de tout
travail de collecte en sciences sociales, même si les autres disciplines ne
demandent pas autant de finesse que la démographie pour des variables
comme I’age (mais elles vont en demander plus pour d’autres, comme le
statut socio-économique pour une enquête de main-d’œuvre). Dans une telle
problématique, l’enquête cherchera à obtenir une photographie de la popu-
lation selon plusieurs variables : lieu de résidence, lieu de naissance, sexe,
âge, filiation, statut matrimonial, profession, activité., ,) Le temps n’in-
tervient pas, sauf pour la résidence : de façon à éviter les doubles comptes et
les omissions, on va tenter de prtciser les personnes qui pourraient être
réclamées par deux, ou plus, unités d’enquête et distinguer entre population
de fait (celle qui a dormi ici, par exemple) de la population de droit (celle
qui réside ici en principe). Ce peut être les hommes mariés et polygames ou
les personnes a qui la société donne un statut résidentiel assez flou (du point

299
de vue scientifique s’entend) et qui peuvent être réclamées par leur père ou
leur conjoint (au Sénégal tant que la compensation matrimoniale - dite
souvent à tort dot quand elle l’inverse - n’est pas payee, en France parce que
le jeune vit toujours chez ses parents tout n’y dormant jamais). Mais on voit
aussi que de multiples cas particuliers se posent, véritables casse-tête des
enquêtes démographiques : les gens qui n’ont dormi nulle part, parce
qu’elles voyageaient, ou celles qui sont parties d’ici sans arriver ailleurs...,
même pour le plus simple des recensements, on voit que la démographie ne
peut se contenter de ratiociner sur des définitions exclusivement logiques et
que les normes de la société posent leur marque.

IX mouvement peut être appréhendé par des enquêtes très diverses :


enquêtes rétrospectives à passage unique (interrogation des personnes sur un
passé proche, d’au plus un an), à passages répétés (on repasse à intervalles
réguliers), par observation continue.. . Tout cet appareillage technique, plus
ou moins sophistique a été célébré, par des auteurs comme Benoit, Boute,
Cantrelle, Henry, Krotki, Quesnel, Scott, Sodter, Van de Walle, Vaugelade
et d’autres naturellement, dans diverses publications d’un grand intérêt et
dont l’ancienneté des dates ne doit pas en décourager la lecture pour
d’éventuels débutants : leurs textes restent toujours actuels et ils n’ont pas le
poli de textes ultérieurs qui font parfois penser que les questions sont réso-
lues, alors elles ne le seront jamais.

Tant dans l’organisation de la logistique que dans celle des instru-


ments, les enquêtes demandent une spécificité technique, une adéquation
instrumentale a l’objet visé qui rend difficile d’accepter I”illusion qui consi-
dère «qu’une enquête est un train et un problème est un wagon ». « Quel
wagon voulez-vous accrocher ? » avons-nous entendu demander au Sénégal.
La encore, le vieux proverbe dit vrai : qui trop embrasse mal étreint.

Enquêtes multi-objectifs

Les enquêtespeuvent être centréessur un objectif majeur, et tout le


questionnaireet l’organisation lui sont soumis,ou avoir plusieursobjectifs.

300
Le coût de certaines observations amène les concepteurs à tenter de saisir le
maximum de phénomènes. Cette tendance a bien été critiquée par William
Seltzer, et nous partageons totalement son point de vue : nous avons
l’exemple d’un recensement auquel nous avions participé et où l’âge, varia-
ble fondamentale, avait une questions (âge ou date de naissance) quand
l’activité des femmes en avait six, obligatoires pour toutes pour seulement
conclure si oui, ou non, elle avaient une activité professionnelle. La com-
plexité de la détermination de l’activité féminine, dont nous ne dénions
nullement l’importance, faisait que les enquêteurs passaient une dizaine de
minutes par femme d’âge actif alors que relever les âges de la totalité des
membres d’un ménage ne leur prenait pas cinq minutes. L’analyse avait
ensuite prouvée que les données sur l’activité féminine dépendait... de
l’enquêteur (sexe de I’enquêteur, conception du travail féminin) et des équi-
pes d’enquête (formation) et que les âges dépendaient des zones géographi-
ques : là où les gens savaient leur date de naissance, il n’y avait rien à dire,
mais pour le reste du pays, c’était n’importe quoi.
Cette conception d’imaginer une collecte « comme un train » fait des
ravages dramatiques dans les collectes et en oblitère plus d’une, On pourrait
pour employer une image que nous avons forgée pour convaincre les com-
manditaires et que nous utilisions chaque fois que nous devions
‘conseiller’ : une enquête donnée, vu les financements disponibles, la logis-
tique possible, ie niveau de recrutement et de formation, va obtenir 100
d’information. S’il y a dix questions, chacune aura un poids en qualité de
10, s’il y en a cent, de 1. . . . tout en sachant que la dégration n’est pas arith-
metique mais exponentielle. Si avec dix questions, on a un poids de 10, avec
20, on a un poids de 4, avec 30, un pojds de 2 etc., . Ceci, naturellement, est
une image, une mttaphore, qui permet d’entendre ce qui se passe : plus le
train est gros, avec la même machine pour le traîner, moins il ira vite, et ces
diminutions d’efficacité ont des seuils successifs, au dernier, le train reste à
quai.

301
Transversal et longitudinal

On peut moduler les paragraphes préctdents en parlant aussi


d’enquêtes transversales et d’enquêtes longitudinales. Nous pensons que
nous sommes de ceux qui, Blèves de Louis Henry, avons donné toute la
place qu’elle mérite à l’enquête longitudinale. D’ailleurs, cet effort se lit
également en d’autres disciplines (les travaux de Christian Valentin en
pédologie, de Morat en botanique, portent aussi la marque évidente de ce
souci : suivre une zone sous observation durant plusieurs années). Mais
comme y avons précédemment insisté (première partie), on ne doit pas
confondre étude ad hoc du mouvement qui est l’étude du mouvement par
observation directe de ce mouvement, avec la mise en Evidence du mouve-
ment par la comparaison de deux états (ce qui peut se faire avec deux recen-
sements successifs). L’étude de la dynamique de la population comme Rémy
Clairin le fit (1970-80), que l’on trouve dans les travaux de Quesnel et
Vaugelade (1975), ou les travaux d’observation suivie (Waltisperger, 1974),
et les études longitudinales s’appuyant sur des documents confrontes a des
enquêtes (Lacombe 1969) sont radicalement différents dans l’essence des
faits rapportés avec les manipulations plus ou moins hasardeuses de données
qui transforment en cascades des données d’un certain type en données d’un
autre, procédé justifié quand l’on manque d’informations et qu’il faut bien
tenter de savoir certaines choses malgré une situation défavorable en qualité
et quantité d’informations. C’est ainsi que Brass, Bourgeois-Pichat ou Clai-
rin se sont brillamment illustrés dans l’essai de transformer des données
incomplètes en données cohérentes en s’appuyant sur une cohésion, une
continuité de la matière, propre aux données biologiques telles que la démo-
graphie les manipule 23.

23 Les données démographiques “de base” sont d’ordre biologiques, nous ne disons pas
‘naturelles’, terme que nous récusons totalement. On bénbfïcie 18 aussi d’une continuité qui
permet de dire que si on a telle pyramide d’âge, on doit avoir une table de mortalité dans
une ‘fourchette’ donnke. On peut citer l’étude de la mortalité par la survie des parents
directs des personnes enquêtees. comme idée pertinente de ce genre de travaux qui permet-
tent de combler les manques d’information. Pour ces travaux et leur résumé, voir RCmy
Clairin, 1985, Contribution à l’analyse des données démographiques imparfaites des pays
africains.

302
À ce propos, on doit faire une parenthèse importante : on ne doit ré-
server le terme ‘longitudinal’ que lorsque les événements sont rapportés aux
individus qui les vivent précisément lors de la collecte et que l’observation
de l’état et celle du mouvement sont deux opérationsdifférentes, nous ne
disonspas ‘indépendantes’puisqueces deux observationssont ‘vécues’ OU
‘subies’par les mêmespersonnes.En effet, très souvent l’observation de la
personneet celle desévenementsqu’elle vit sontsaisiesen mêmetempslors
de la même opération ce qui modifie la nature statistique de l’observation
(par exemple dansune opération rétrospectivecomme celle citée de Clairin
pour l’enquête Haute-Volta de 1962, on ne saisit que les personnesayant
connu l’événement, cellesqui ne l’ont pasconnu sont absentes,et celles qui
l’ont connu mais ne sont plus là pour en parler, également).Ce biais est très
fréquent et signalépar d’autres auteurs.Cela amènedonc à bien distinguer
les enquêtesqui ne disposentque d’une seule technique d’observation de
cellesqui disposentde deux ou plus.

Les collectes disposant de plusieurs stratégies d’observation

Certainescollectes ne mettent en œuvre qu’une seuleprocédure de


collecte desfaits : par questionnaireunique à un seulpassaged’un coté de la
ligne, par l’exploitation de documents,l’enquête qualitative, le passagede
plusieurs questionnairesdifférents sur plusieurs échantillons différents et
d’autrestechniques(télédétection, cartographie..,) à l’autre bout. On a ceci
idéalement, car même un recensementd’amplitude restreinte manipule
plusieurs techniques (cartographie, questionnairesdifférents, documents
administratifs...) Mais noussommesde ceux qui pensentque pour obtenir
des donnéesdémographiques(de simplesdonnéesdemographiquespour-
rions-nousajouter), il est nécessairede rester ouvert, méthodologiquement
parlant :

de ce genre [... sur la validite des donnéesobtenues


Des incertitudes
dansle cadred’enquêtesà viséeunique...], impliquant In mesure de va-
riables ddmographiques de base, ont conduit un certain nombre de per-
sonnes ayant l’expérience du travail sur le terrain, dont moi-même, à lti
conclusion qu’il est souvent nécessaire de vérifier les informations four-

303
nies par l’enquête au moyen de données recueillies de manière indépen-
dantes et mises en parallèle, cas par cas, avec celles qui reposent sur les
estimations...
(W. Seltzer, 1974 : 29) 24
On peut aussi se référer à l’ouvrage de Theodore Caplow (1970), qui
incite explicitement à ne se priver d’aucune source, d’aucune méthode pour
assurer ses faits. Mais cela, c’est ‘avant’ et ‘apr&s’, pour la prkparation de la
collecte et l’analyse et la discussion des résultats. Ce que nous affirmons,
c’est que les enquêtes complexes, parce qu’elles visent des phénomènes
d’observation complexe, comme les enquêtes longitudinales, demandent très
souvent, pour être réalis6es, le concours d’axes divers dans la collecte. C’est
donc reconnaître que les enquêtes de grande complexid dépendent de cir-
constances particulières, comme celles de registres paroissiaux en Afrique,
celles sur le suivi de grossesses,etc.
Nous pouvons citer en exemple notre propre enquête sur Fakao,
(1970), où nous avons explicitement réalisé plusieurs enquêtes pour viser le
même objet : la mesure des grandes variables démographiques de la struc-
ture et du mouvement. Sans même aborder la question de l’usage de
l’enquête-participante, car nous vivions chez l’habitant 25, nous devons
signaler que pour la seule démographie il y avait eu : le dépouillement des
registres paroissiaux, des fichiers, celui des stutus animarum (recensement
de la population, 6tablis par le Père Berhaut, cs spj, reconstitution des fa-
milles (couplage des enfants rapportés à chaque mère), l’enquête de terrain
couplant recensement et enquête rétrospective sur les événements des douze
derniers mois, interview de chaque femme survivante en prenant comme
base la reconstitution de ses enfants baptisés ou ondoyés (et donc décédés),

24En toute logique, Seltzer parle d’une questionIdgèrement diffbrente a notre point de vue,
maisqui dans le fond est identique : pour s’assurer des données, plusieurs points de vue et
des méthodes de collectes diffkrentes sonf primordiaux (Seltzer) ; pour obtenir des données
confrontant deux ordres (par exemple structure et mouvement), il faut des données mettant
en relation des données appartenant à deux collectes fond6es diffkremment en termes
thtoriques.
2s Nous vivions bien naturellement dans la famille de Michel NDiaye pour l’étude de terrain
de Fakao même, mais pour le village de Diahanor et celui de Ngallu, nous avions transfëré
nos pénates dans ces villages meme, connus B l’avance et oh nous n’avions pas eu de
difficultés à obtenir une habitation au sein d’unfulang, concession de m6nage au sein d’un
abind, concession ou famille thugie.

304
interviews spécifiques pour les femmes décédées en interrogeant la parenté
et les voisines, retour sur les documents (cas des enfants dont on n’arrivait
pas à déterminer la mère aux seules mention des documents) et enfin, cons-
titution de la généalogie (qui nous a permis de constater le biais de notre
enquête malgré le soin que nous avions pris : les femmes définitivement
stériles avaient quitté le village après plusieurs mariages infructueux). Par
ailleurs, nous avions réalise le plan des villages, en partant de photographies
aériennes, l’étude des conditions économiques et sociales, en particulier sur
la migration -détermination de la résidence -, interview des hommes
- exposition aux risques de grossesse des épouses - 26 a leur retour de cam-
pagne, terme désignant au Sénégal les migrations temporaires de travail
(périodicité annuelle d’une saison). . . Cela pour la seule demographie et en
dehors des autres recherches plus anthropologiques sur le système de pa-
renté, le travail, les cultes, les traditions, etc., toute la panoplie du ‘parfait
petit ethnographe’ en quelque sorte. Toute cette collecte, extrêmement riche,
n’avait pour but que de nous assurer de la qualité de nos données démogra-
phiques, qualité jamais totale, presentant encore des défauts - dus en parti-
culier que nous avions dQ inventer la méthode en l’appliquant -, mais il y a
quelque imprudence à croire que l’on peut arriver à @IIJ saisir du réel. La
vraie question est d’effectuer les recherches de précision avec soin, et
d’arrêter quand, par rapport au sens global de l’enquête, on en arrive à des
gains marginaux (et donc prohibitifs comparés aux cottts moyens de
l’enquête elle-même). Cette question doit être abordée ici, car elle pose le
problème très général de ces enquêtes qui n’en finissent jamais, parce que
l’on n’arrive pas à trancher entre des informations contradictoires, ou parce
qu’on n’arrive pas à décider d’arrêter un terrain, car il manque toujours
‘quelque chose’.

26Nous avionsmême repris la fiche de fëcondite des épouses en interrogeant les hommes,
signalonsque quelques-uns avaient une meilleure connaissance de la vie genésique de leurs
épouses qu’elles-mêmes. Leur appui avait Cte précieux pour distinguer les morts-nés des nés
vivants. Nous avions pu ainsi également préciser les cas de longue infécondite pour
s’assurer qu’elles n’avaient pas pour origine un évitement entre époux ou une absence du
mari, ou toute autre raison d’ordre relationnelle dans le couple.

305
Observation sur les informations supplémentaires
Toute personne qui a le sens et l’expérience de l’enquête et du terrain
sait bien qu’il arrive un moment où les informations ‘bouclent’ : l’ensemble
des données obtenues se présente comme une structure qu’un supplément
d’information détruit et met en cause. Savoir que faire de cet élément nou-
veau, qui ne peut plus être véritablement confronté à l’ensemble et le con-
tredit, est extrêmement délicat, mais notre expérience nous a souvent porté à
le rejeter, non parce qu’il ‘niait’ le travail antérieur mais parce que, sauf cas
particuliers, il était seulement hétérogène et d’un autre ordre que les élé-
ments composant le système d’information telle qu’il avait été construit.
Nous préférons donner en note trois exemples finalement solutionnés tirés
de notre enquête :

par deux fois une information qu’on nous avait donnke ‘contredisait’ tout
un pan de notre génCalogie de Diahanor. De guerre lasse, n’arrivant pas à
trancher, nous l’avions récusée. Pourtant, par hasard comme on dit, nous
avions obtenu de long mois après la ‘réponse’ : dans les deux cas nous
avions affaire à des naissances illégitimes qui avaient été gommées de la
mémoire du village (les enfants d’une femme avaient été adoptés par le
dernier époux, mais les enfants ayant hkités de leur père à la suite d’un
accident génkalogique fréquent dans les sociétés villageoises quand une
lignée s’éteint, la contradiction nous Ctait apparue ;

dans le deuxième cas les enfants d’un homme portaient le Cm, matro-
nyme du père, ce qui impliquait un inceste du point de vue social, en fait
la mère était totalement ttrangère 21l’ethnie du village, Elle avait été
‘nationalisée’ par les villageois qui avaient intCgrés les enfants dans le li-
gnage maternel de leur père, leur mtre n’en ayant pas n’étant pas sérère ;

Un troisième cas dont nous nous souvenons bien était la contradiction de


l’interview entre deux époux concernant le nombre des naissances de la
femme. Elle niait cette naissance, pourtant relevée dans les registres, lui,
à qui nous mentionnions juste ce que nous avions pensé être une erreur de
transcription (puisque nous n’hésitons jamais à expliciter ce que nous fai-

306
sons avec les sujets de nos enquête et que l’homme revenait de campagne
quelques jours avant et nous interrogeait sur le pourquoi de nos ques-
tions), nous a affirmé que cet enfant avait bien vt5cu quelques jours et
qu’il était de sa femme. La femme niait toujours et ses amies, sauf une
qui se tQt très vite, l’appuyaient. Un jour, alors qu’elle pilait le mil, alors
que nous passions, Michel NDiaye lui adressa une de ces phrases ironi-
ques que les gens s’adressent dans les villages sérbres ou l’on aime “se
mettre en boîte” affectueusement. La femme etlt une illumination, nous
rappela pour nous dire, s’étouffant de rire, qu’effectivement, son mari
avait raison, elle avait bien eu cet enfant, et les autres femmes d’opiner.
Nous avons rejeté l’information, qui bouleversait complètement la vie
génésique du sujet. Pourtant, quelque temps après, nous avons rencontré
la même femme, elle rentrait de puiser de l’eau, elle était seule et nous
aussi ; elle s’est alors excusée avec la retenue qu’obligeait et la situation
d’isolement et le port d’une bassine de trente litres d’eau sur la tête :
l’excès de douleur, m’avait-elle alors dit, expliquait son oubli. Il faut
comprendre que l’expression des émotions individuelles fortes, de dou-
leur ou d’affection, ne sont guère favorisées dans des socittés où les sen-
timents individuels sont normés et cadrés, acceptés dans certaines situa-
tions précises socialement privilégiées et refusées dans les autres. La
mort d’un bCbé ne supposait pas de trop s’attendrir dessus selon la norme
sociale en vigueur, mais les interdits n’empêchent pas les vécus, d’où
l’oubli. Bien évidemment, il fallut reprendre toute l’affaire et reconstruire
la vie genésique de la femme, avec son aide naturellement, son mari, pré-
sent, ne pipant mot, quant aux autres femmes... elles n’étaient pas la.
Dans les trois cas, la logique de ces faits, pourtant objectifs, n’était
pas la même que les autres faits collectes : conflit entre la parenté biologique
et la parenté sociale dans un cas, application du système de parenté dans une

307
situation exceptionnelle (afin de retrouver la norme), conflit d’ordre psycha-
nalytique de la personne dans le troisième 27.

Ces remarques ne sont pas anodines quand on pense aux nombreuses


collectes qui ne sont jamais publiées. Dans de nombreux cas, le perfection-
nisme de la collecte est en cause, qui converge avec un manque de réflexion
sur les fondements théoriques de la collecte (et peut aussi converger avec
d’autres causes, errements et erreurs). En effet, les informations collectées
ne le sont jamais innocemment, elles ie sont parce que l’on suppose qu’elles
recèlent, derriére leur désordre apparent, une structure logiquement détermi-
nable. Quand on cherche systématiquement toutes les sources convergentes,
on arrive, bien évidemment, à des contradictions - surtout si l’on n’a pas
assez refléchi au statut épistémologique du fait scientifique, fait construit et
non pas brut (et l’on retrouve ici la logique de la raison qui nous a amené à
la rédaction de la seconde partie).

Les faits scientifiques sont des faits construits, ce qui signifie qu’un
fait ne vaut que par la méthode qui l’a mis au jour. En conséquence, la non
équivalence des faits, en “poids épistémologique” selon l’ensemble de la
structure visee et mise en évidence, axiome de base d’un programme scienti-
fique, exige une grande prudence méthodologique dans les construction de
la preuve si l’on veut raisonner scientifiquement.

Que l’on comprenne bien que si, en demographie, on trouve de tels


problèmes, dans les autres disciplines de sciences sociales, «c’est la ga-
lère », dirait-on familièrement. Nous sommes personnellement toujours
irrités de voir les chiffres utilisés dans un discours politique comme des

” II nous semble que l’on a actuellement dans I’actualite un bon exemple de ce supplément
d’information avec l’affaire des epoux Aubrac, où une information suppltmentaire - un
ragot ou la discussion d’un délai -, détruit la totalité du dossier si on I’integre dans l’analyse
réaliste sans elle. Certains disent que l’histoire jugera, ce qui est remettre B demain ce que
l’on peut faire le jour même et oublier que l’histoire n’existe pas, n’existent que les histo-
riens, qui trouveront chacun midi à leur porte. On pourrait rappeler qu’une information, ii
partir du moment où elle est dite et enregistrée prend une vie autonome : le scandale des
complots juifs avec l’ouvrage apocryphe sur Les sages de Sion ou les ‘recits’ d’OVN1 pren-
nent, d’avoir simplement étC imprimés, un statut en discussion constante qui permet toutes
les derives (I’fle de Pâques ou le désert de I’Atacama comme bases d’arrivée des extra-
terrestres n’etant pas les moins farfelues).
idées 28. On peut aussi signaler toutes ces manipulations d’idées que l’on
trouve dans certains textes d’analyse statistique ou bien l’utilisation de
statistiques dans un texte fondé en logique de type linguistique.

Période d’observation

Si dans une opération de dknombrement pur, le délai d’observation


est, idéalement, nul (temps d’observation instantané), l’étude du mouvement
de la population implique le temps d’observation. Certains démographes
recourent d’ailleurs au concept “d’individus-années” et comptent en
“individus muldpliés par le temps d’observation” les populations sous ob-
servation. L’observation peut être rétrospective, c’est-à-dire qu’au temps t
on observe rétrospectivement les événements que l’on relève par
l’intermédiaire des membres d’une population qui les ont connus. Ce peut
être aussi une observation suivie, quand on a un enregistrement continu des
événements.(état civil), ou répétée, quand on passe à intervalles r6guliers sur
les mêmes unités sous observation. Reste que, dans tous les cas, la définition
de cet espace de temps est extrêmemenl importante et peut changer beau-
coup les conclusions scientifiques.
Nous voudrions présenter deux exemples : le premier porte sur Pi-
kine, ville satellite de Dakar (Lacombe et al, 1970). Une observation d’un
échantillon de Pikine, ville qui, dans ces années, croissait très vite, nous
avait donné un résultat assez étonnant : la population... baissait quand la

ville s’étendait. Nous avions déjà bté alerté lors de l’examen des données de

28 « Des recherches portant sur plusieurs années ont mis en évidence que la seule pratique
de la Méditation Transcendantale faisait baisser les dkpenses de santé de plus de 50 % (et
pour les maladies cardio-vasculaires, 85 %). » (tract de Benoît Frappé candidat du parti de
la Loi naturelle - secte dirigée par Maharishi -, élections française, mai 1997). On trouve
dans un tract du Front national, pour les élections de mai 1997, de semblables affirmations :
il est assént une série d’affirmations chiffrkes : baisse de 1,3 % des impbts, de l’inskcuritt
pour de 7 46 (Le Chevallier), baisse de 50 % des effectifs de la police municipale (MCgret),
-14 % de I’indcurit6, -17.6 % du prix de l’eau, -4 % de la taxe d’habitation (Bompard), etc.
Qui ne voit pas que cette avalanche est complétement hétérogéne et que tous les calculs,
m&mes s’ils son!. exacts, dkpendent totalement des définitions 1 Qu’ils dépendent totalement
du discours qui est par ailleurs tenu, et que ce sont des idées qui sont exprimdes, et non pas
des chiffres qui eont fournis ?

309
Delbard, qui effectuait une enquête pour la CINAM vers 1966, mais le fait
n’avait pas eu la force qu’il avait pris pour une enquête où nous ttions
étroitement mêlé. Après beaucoup de tâtonnements pour trouver OÙ 6tait
l’erreur, nous avions, en analysant les fiches de migration, trouvé le biais :
en fait, une population résidente est composee de sous-groupes hetérogènes.
On a les résidents vrais, qui sont nés au lieu de résidence, et les nouveaux
venus : plus un nouveau venu est « ancien » dans sa résidence, moins il aura
tendance à en partir. On comprend parfaitement qu’un provincial installé à
Paris depuis vingt ans ait moins de chance d’en partir qu’un étranger venu
depuis 3 mois. Or, pour l’enquête, on distingue toujours la règle, qui définit
la population de droit, du fait d’être ou pas au lieu d’enquête. Au premier
passage de l’enquête, on enregistre tous les résidents de droit et de fait qui
ne font pas problème (parce qu’ils disent être de Pikine, et que ce fait est
ancien) et d’autres qui disent qu’ils resteront, mais ils sont arrivés trés ré-
cemment depuis une semaine ou un mois, et d’autres enfin déclarent qu’ils
ne sont pas de Pikine mais qui y résident depuis un an ou plus.. , La règle est
alors de prendre tant le critère de droit que le critère de fait et de donner au
temps un délai, de trois mois en l’occurrence. Au second passage, on mesure
les departs des inscrits au premier passage. Les gens qui ttaient au premier
passage depuis trois mois mais sont partis au quatrième de leur résidence à
Pikine sont classés comme des emigrés, mais les nouveaux venus eux, ne
sont inscrits que s’ils sont là depuis au moins trois mois... De plus,
l’intervalle entre passage peut être de trois mois, ou de six mois, selon le
cas, on voit tout de suite que les combinaisons de ces facteurs peuvent être
cumulatives et donner des résultats surprenants. C’est ce qui s’était passe
pour cette enquête *‘. Pourtant, nous ne sommes pas le seul à avoir rencontré
ce phénomène. Une ttude américaine de 1965, dont nous avons malheureu-
sement perdu la reférence, avait été réalisée par un étudiant en démographie

‘Y Notre rapport sur le sujet avait 616 fortement critiqut! : les techniciens parce que nous
mettions en cause la technique, les politiques parce que l’argumentation Btait trop complexe
et ils craignaient d’affaiblir leur dossier de demande de subvention et ils en tenaient pour un
chiffre convenable et aussi haut que possible de croissance de la ville satellite : u Si Dakar
c’est 9 %, Pikine c’est au moins le double » nous avait-on affirme.

310
quantitative qui, utilisant l’informatique, ce qui était nouveau pour l’epoque,
avait traité de lla même question. Son auteur s’était pose la question théori-
que de cette ambiguïté incontournable de la démographie de mêler les dtlais
de résidence avec l’intention de resider pour analyser l’effectif de la popula-
tion et sa structure (en fonction du fait que les immigrés n’ont pas la même
structure de population que les résidents), et tous les paramétres qui en
découlaient. Il avait également porté attention aux premières recherches
d’enquêtes à passages répétés et avait abouti à la même observation : la
simulation montrait que la population enregistree, même croissant forte-
ment, pouvait aunaremment ‘baisser’ selon l’importance de la mobilid
interne des sous-groupes en regard de la permanence de leurs étapes migra-
toires 30.
Dominique Tabutin (1984 : 120 et sq) envisage deux delais pour les
enquêtes : celles qui s’accordent une longue période de réference, celle qui
prennent une courte période. A longue période de référence appartiennent
les rétrospectifs de la vie génésique des femmes, ou ceux sur la vie migra-
toire (Rémy Clairin en Haute-Volta). Les périodes plus courtes regardent les
événements de l’année precédant l’enquête retrospective pour avoir le mou-
vement naturel 3 défaut d’avoir un état civil ‘convenable’ en qualité et com-
plétude. On a aussi une autre manibre d’apprécier les bvénements passés en
relevant la date du dernier événement de telle catégorie. Cette période peut
être très variable selon I’evénement considéré : naissance ou dé&, migra-
tion, date d’achat de tel bien.. .
On voit tout de suite la difficulté de faire des enquêtes complexes
rassemblant des données dont le pas de temps d’occurrence est variable : les
naissances chez une femme ne se produisent pas tous les trois mois 3’, quand

” C’est curieusement d’avoir trouvé cette étude de simulation qui a “légitimé” notre obser-
vation. Car une observation est toujours Contest&e, alors qu’une dtude thborique, même
farfelue, a toujours droit au respect. Ainsi, a Madagascar, les résultats d’une enquête avaient
étt? jugts recevables « parce que la table de mortalité qui avait ét6 calculée 6tait conforme à
la table xyz des Coale et Demeny ! Curieux renversement des choses où l’on prend con-
science que la rkalité a tort. L’Ccrit témoigne du virtuel et de la vérité.
31 Rappelons ce sage proverbe vietnamien : une femme met 9 mois pour faire un enfant,
mais 9 femmes ne mettent pas pour autant 1 mois pour en faire un.

311
on mesure la migration on doit respecter un certain délai pour le “non-
retour”, et si on veut observer certains achats, le délai est très variable : de
un jour pour l’achat du poisson, à plusieurs mois pour celui d’un sac de riz à
plusieurs années pour l’achat d’une maison. Tous ces probltmes complexi-
fient excessivement les prises d’information sur le terrain.

Le cœur d’une investigation scientifique, et sespériphériques

La liste des variables relevées dans les enquêtes démographiques est


quasi-infinie. Infinie au sens mathématique du terme. Quand on étend trop le
nombre de ces variables, on change le nom de l’enquête, on parle alors
d’enquête socio-démographique, ou socio-démo-économique, ou globale et
cela ne saurait s’arrêter puisqu’une variable en appelle une autre, que cha-
cune éclaire les autres, et que pour obtenir une donnée précise, par exemple
l’âge, on peut établir un ensemble de questions de plus en plus complexes
dans les pays qui ne disposent pas d’état civil. Ou bien le mariage dont la
fluidité sociale peut être telle qu’on peut inventer des dizaines ou des cen-
taines de questions pour définir le risque d’exposition à la grossesse d’une
femme. Raffiner dans l’tlaboration des nuances d’appréciation est la portte
de tout scientifique, et la tentation est donc permanente. En la matière, on
peut faire confiance à la logique autonome des techniciens qui peuvent
raffiner et approfondir sans jamais se lasser les sous-questions pour éclairer
un problbme, soulevant par la-même d’autres problèmes que vont élucider
d’autres questions.. . Le chat se mord la queue, occurrence fréquente en
matière intellectuelle.
La démographie va tenter de savoir la résidence, l’état matrimonial,
l’âge, le sexe, et va devoir pour cela préciser les noms et filiations à
l’intérieur de l’unité de collecte. Elle peut aussi viser le mouvement et savoir
les résidences successives, ou la dernière résidence, ou la présence a telle
date, et avec qui et pourquoi etc. Ou bien vouloir collecter la fécondité, les
décès. . . À partir de là, on peut raffiner, aller vers la santé et la consomma-
tion médicale, ou vers l’économie, ou vers les relations sociales, vers

312
l’activité économique ou la vie sexuelle... On peut relever l’ethnie, la reli-
gion, les derniers rapports sexuels ou le nombre de vaches, le nombre de
commensaux ou la durée du mariage. . . Exagération ? Non : il suffit pour
s’en convaincre de regarder certains questionnaires. Certaines enquêtes
nationales financées par le projet de YEnquête mondiale de fécondité don-
naient le vertige par le luxe non pas des détails dans le relevé mais de la
‘vastitude’ des relevés, le champ des problèmes envisagés par leurs ques-
tionnaires : habitat, vie matrimoniale, vie des maris, écologie, maladies,
soins, etc.
Nous sommes obligé ici de dire résolument notre point de vue qui
s’oppose à celui d’autres professionnels d’enquête : autant nous jugeons
légitime le raffinement des questions pour obtenir une donnée fiable pour le
champ spécifique abordé par une enquête, ceci quand le niveau de formation
des enquêteurs le permet, autant nous contestons l’élargissement des ques-
tionnaires à des secteurs éloignés de l’objet central de l’enquête. Il nous
semble qu’alors on tombe dans un travers technocratique du même type que
ceux qui ravagent notre administration française, où l’on soupçonne toujours
le sujet administré de vouloir tromper son monde et où l’on établi
d’innombrables pièges qui alourdissent la collecte des informations sans
pour autant l’améliorer (notre Sécurité sociale 6tant l’exemple le plus cari-
catural). Ce point n’est en rien extérieur a la collecte et nous l’aborderons
par la suite dans les paragraphes consacrés aux questions des questionnai-
res : s’il est légitime de s’assurer de l’exactitude des réponses aux questions
quand le sujet peut se tromper, il ne faut pas confondre un questionnaire
quantitatif avec un test de Rorchach et un questionnaire démographique ou
socio-économique avec une plongée dans l’inconscient.
On peut nous dire que l‘expérience française s’inscrit en faux parce
que les questionnaires du recensement français sont lourds et copieux et
remplis par 1e.senquêtés eux-mêmes. Mais qui peut s’illusionner encore sur
la qualité des réponses fournies depuis les années 1970 ? Jusqu’au recense-
ment de 196î!, effectivement, les citoyens remplissaient correctement Jeurs

313
questionnaires. La France était bien alphabktisée, l’État était vu positive-
ment, la population flottante ou marginale en effectif restreint et une enquête
de contrôle avait bien montré la qualité de cette observation pour le recen-
sement de 1962 32. Il en est depuis tout autrement : l’immigration n’est pas
forcément francophone, les marginaux sont légion, les citoyens se méfient
de l’État, et plus d’un contribuable, pour avoir déclaré sa salle de bains au
recensement et la voir apparaître sur ses impôts locaux, a l’expérience que le
secret statistique est une illusion . . . D’ailleurs, l’habitude s’est prise
d’alléger la collecte en effectuant des investigations par sondage durant le
recensement, avec un sous-ensemble d’enquêteurs de haut niveau sur
l’tchantillon choisi pour l’investigation.
Il semble pourtant que la solution soit peu viable en pratique, puis-
que l’intérêt d’un recensement est de fournir une base de sondage et que
l’intérêt de joindre les deux opérations, recensement et enquête par sondage,
est surtout d’ordre logistique (abaissement des collts). Une solution nous
paraissait être, en ce qui concerne certains des pays africains que nous avons
connus, de saisir l’habitat par un recensement permanent afin de tenir des
fichiers de ce que certains appelaient “fichiers de village” (P, Richard, 1975,
D. Gasse, 1978.. .) et d’utiliser ce “recensement permanent” comme base de
sondage et d’enquête démographique stricto sensu. Car il y a une espèce de
‘malédiction’ sur la démographie d’être confondue, en tant que discipline
scientifique, avec les collectes administratives (aujourd’hui, le recensement
permet de calculer le nombre de députés possibles, puisque la fiscalité a fait
de tels progrès qu’en gtnéral, sauf déviations particulières, toujours possi-
bles et très fréquentes, on ne l’utilise pas en principe pour le calcul des
impôts), ou de servir à collecter des données géographiques et économi-
ques...

32INSEE, Direction géndrale, Division “dtmographie” Recensemenr démographique de


1962, Érude de I’exhausfivilé du dénombrement, INSEE, multigr., Novembre 1963 : 48 +
planches(a notre connaissance cette étude sign6e GVG, ttait celle de M. Vangrevelinghe).

314
La monographie en démographie

En matière de collecte, la monographie n’est pas -et de loin - une


pratique courante de la démographie. Pourtant, on trouve un certain nombre
d’exemples, qui ont fourni des résultats appreciables tant en démographie
pure que pour des axes particuliers de la recherche démographique. La
caractéristique générale de ces études est leur productivité en termes de
finesse des données rapportées, et leur richesse en liaisons prouvées entre
phénomènes, dont l’analyse longitudinale. Ce qui définit la monographie
démographique par rapport à tout autre opération c’est le recensement et
l’enquête de la totalité d’une zone géographiquement continu, Cette défini-
tion exclut tout sondage.
Dominrque Tabutin (1984 : 149 ef sq) a également traité de la ques-
tion déclare quant à lui :
On peut les définir comme des études en général très localisées, caracté-
risées par un nombre relativement faible d’unitks observées et donc par
une grande qualité d’observation, sans souci de représentativité régio-
nale ou nalionale.
C’est, en effet, par la qualité des observations que se justifie les monogra-
phies, qui permettent des études fines et complexes des interrelations entre
les differentes variables démographiques, contextualisées dans la globaiité
sociale et économique de la population étudiée.
La démographie historique est fille de l’histoire et de la démogra-
phie, comme le montre bien le Manuel rédigé en collaboration par Michel
Fleury et Louis Henry (1965). À la suite de ces travaux, et couplant le dé-
pouillement des registres paroissiaux avec des enquêtes rétrospectives, nous
avions monté l’observation des communautés rurales dépendant de la pa-
roisse catholique de Palmarin (pointe de Sangomar, Petite Côte, Sénégal).
Nous avions réalisé deux monographies, l’une intitulee Fakao (1970), l’autre

315
Diahanor (1972), deux villages parmi les villages formant la paroisse 33. À
la suite de ce travail, Daniel Benoît, Patrick Livenais et François Sodter
firent d’autres monographies du même type au Burkina.

Jean Hurault (1969, 1970, 1976) avait aussi effectué une monogra-
phie fort originale a partir des recensements dits ‘administratifs’ s4 sur le
lamidat de Banyo (Cameroun). Il avait re-visité les zones qu’il avait autre-
fois recensées comme administrateur de la France d’outre-mer et utilisé ces
documents comme base de nouvelles enquêtes. La méthode avait été reprise
par André Quesnel et Jacques Vaugelade (1972) Haute-Volta pour mesurer
la migration de la population mossi vers les pays côtiers, mais cette demiere
étude statistique large n’a aucun caractère monographique. De même
l’enquête Nabeul de l’Équipe médicale belge de Nabeul, Tunisie, qui obser-
vait en continu toute la province du Cap Bon par sondage (plusieurs années
d’observation : B. Lacombe, A Marcoux, AStroobant, 1976).

En démographie africaine de langue française, il y eut aussi une forte


poussée de la méthode monographique, même si ces méthodes
s’appliquèrent & des populations relativement large, comme les enquêtes
menées par Pierre Cantrelle (1969 : 55 000 personnes sous observation) et
André Podlewski (1970 : 15 000 personnes sous observation), ces deux
opérations ayant pour objectif initial le test d’implantation d’un état civil
dans les zones sous observation. À ces opérations on peut ajouter l’étude
réalisée par Francis Gendreau (1969) sur Ambinatelo. Il y eût aussi, dans le
cadre de la MISOES, étude du Fleuve Sénégal en 1956, quatre monogra-
phies de villages (Boutillier et al, 1962).

33 Les deux autres - qui se trouvaient a plusieurs heures de marche et de pirogue - Mar Lodj
et Mar Sulu n’avaient pas une qualité de documents religieux et une anciennete religieuse
suffisants pour justifier l’application qui avait donné de si bon résultats avec Diahanor et
Fakao. Quant au trois villages de Ngallu ils braient pratiquement totalement musulmans et
l’enquête realisée n’a jamais tté publiée ne présentant aucun intérêt démographique.
j4 On appelait ‘recensement administratif dans les colonies françaises les operations de
recensement des menages et familles imposables. Ils avaient, de par leur nature fiscale et
aussi parce qu’ils servaient de base pour lever des troupes, tres mauvaise presse dans la
population et leur qualité était contestable en regard de la démographie mais ils foumis-
saient une bonne idee de la population (avec une large sous-estimation des non-imposables,
vieillards et enfants).

316
Mais, une fois de plus, les mots et nos définitions ne recouvrent pas
des réalités bien définies. En regard d’une discipline, un travail peut être
monographique sans l’être pour l’autre. Le cas se produit quand une disci-
pline, par nature, ne peut effectuer un travail qu’en s6lectionnant ses infor-
mateurs, alors que le démographe ne peut prétendre à cette définition de
‘monographie’ que si la totalité de la population est sous observation. Ainsi,
André Podlewski (1966) avait également réalisé une monographie ayant une
forte dimension socio-anthropologique, celle sur un groupe de forgerons
Mafa (Cameroun), mais cette monographie socio-anthropologique n’était
pas vraiment une monographie démographique puisque le critère de la po-
pulation observée n’était pas spatial mais social. De même le travail sur la
migration que nous avions effectué sur le Sine sérère, n’avait aucun carac-
tère monographique du point de vue démographique, même si on pourrait
parler de monographie sociologique : en effet, la population observée était
obtenue par sondage dans une zone administrative définie précisement sur le
plan géographique.
On a donc eu des monographies démographiques mais elles r&la-
ment chaque fois une observation d’un effectif minimum de 10 000-20 000
personnes et le maniement de tant de données dépasse rapidement les forces
d’un seul scientifique. On comprend donc qu’il soit assez difficile de réali-
ser des opérations de ce type quand on veut obtenir des résultats significatifs
en eux-mêmes et pas seulement en rapport avec les autres etudes semblables
(ce qui est le cas pour les participants au programme ‘registres paroissiaux
anciens’ de Fleury et Henry, 1956). La monographie en démographie est
rarement enthousiasmante pour un jeune chercheur à cause de son caractère
limité du fait même de la discipline. Pourtant, grâce a ce type de recherche
on a la possibilite de mettre en rapport des phénomènes difficiles à unir avec
les autres méthodes. Par exemple, c’est elle qui a permis la mise en évidence
des particularites du sevrage en Afrique de l’Ouest (Lacombe et Vaugelade,
1970,) et c’est elle qui a permis aussi de pouvoir obtenir des données fiables
sur la fécondité des mariages et pas seulement des femmes : en effet, on a,

317
du fait même que ‘toute’ la population est étudiée, la mise en évidence des
phénomènes de stérilité qui étaient niés quand nous avions débuté notre
travail en 1965 (les femmes stériles ont tendance à emigrer et ceci fausse
naturellement les calculs). Dresser les généalogies de la population ‘totale’
est possible dans le cas d’une monographie et impossible autrement. Par
ailleurs, ces enquêtes permettent de multiplier l’effectif par le temps
d’observation (Fakao représente 3 000 personnes observées pendant 30 ans,
le Sine Saloum 35 000 personnes pendant plus d’une d6cennie 35), et ce,
malgré les changements de stratCgies d’observation que le temps entraîne
(pour l’enquête du Sine Saloum la stratégie d’observation a étt irrégulière et
a changé, Dominique Waltisperger, 1974). Les registres paroissiaux de nos
enquêtes n’ont pas une couverture identique dans le temps de par le fait que
certains responsables de la paroisse étaient moins attentifs à la tenue des
registres que d’autres (cela se voyait bien aux actes d’ondoyés, où les pa-
rents n’étaient pas forcément notés certaines années ou pour certains villa-
ges).
Quoique le probléme soit parfois tourné pour faire des monographies
démographiques qui restent plus qualitatives dans leurs informations que
quantitatives dans leurs données, nous ne sommes pas certain que ce soit de
la démographie si aucune conclusion quantitative ne peut en être tirée. Cer-
tes, en ce qui concerne les études de registres paroissiaux en France, il y a un
certain intérêt collectif à effectuer ces recherches, dans beaucoup d’autres
pays, l’intérêt est assez faible sauf à fournir aux données une dimension
autre (médicale, génétique, économique...) et... Prendre le temps
d’observation nécessaire, comme l’ont fait des démographes qui se sont
brillamment illustrés par ce type de recherche (Gilles Pison, 1982).

” Les enquêtes fondées sur des registres paroissiaux, comme celle de Kongoussi-Tikare
(Orstom, 1980) avaient 2036 femmes sous observation et 9794 enfants, celle de Mariatang
(F. Sodter et a[, 1979) avait 1830 femmes et 9224 enfants, et Réo (D. Benoit, 1976) 866
femmes... tous ‘observés’ plusieurs années par les registres paroissiaux. Au dtpart, les
enquêtes du Sine Saloum couvraient deux zones, l’une de 35 000 et l’autre de 20000
habitants).

318
Les collectes démographiques empiriquement réalisées, de par le fait
qu’elles répondent à une interrogation précise, ne répondent jamais à une
classification unique : une enquête peut être par sondage, purement de dé-
mographie, impliquer seulement l’évaluation de la structure, avoir quelques
approfondissements sociologiques, ou être un recensement, évaluant les
mouvements migratoires et délaissant toute autre dimension Cconomique ou
sociale, Car une bonne collecte répond à une problématique scientifique ou
administrative précise, elle est accordée aux financements disponibles,
adaptée au terrain et aux potentialités logistiques et module sa complexité au
temps imparti et à la qualification que l’on peut donner aux enquêteurs.. .

La stratégie d’observation que nous avons toujours proposée pour


répondre à la fois aux contraintes du milieu d’enquêteet aux besoinsde la
démographieestla suivante :
- un recensementpermanentde l’habitat, remis à jour constammentpar un
service ad hoc ;
- un recensementléger, limite, aux questionsessentielles,soit une dizaine
en tout, de périodicité de cinq ansou moins;

(cesdeux opérationsayant pour objectif de fournir les deux usa-


gesessentielsdes recensements: nombre d’électeurs et basede
sondage)

-une série d’enquêtes spécifiquesvariable en taille d’échantillon et en


lourdeur des questionnaires,répondant ainsi aux demandes sociales en
informations.

- des investigations explorant des questionsparticulières, pour lesquelles


une imaginationmtthodologique particulikre doit être développée.

A la questiod: pourquoi des enquêtes? nousavons déjà répondu en


plusieursarticles et communications.Reprendreles grandeslignes desidées
exprimées de nos positions ne nous paraît pas superflu. Ce sera l’objet du
chapitre suivant.

319
Tout chercheur a une conception implicite de la
réalité: la seule d@rence est entre ceux qui
l’explicitent et qui l’ignorent ou le cachent.

A. Bahri A., M. Bekele, 1971

Le couple science et politique à propos de la collecte de donnCesdé-


mographiques en pays en développement a été une des questions que nous
avons eues à affronter au cours de notre carrière. La question ne peut donc
être délaissée, même si nous allons nous limiter essentiellement aux cas
africains. Pourtant, sans recourir au cas dramatique du Biafra, ou la mise en
évidence des rapports démographiques incita cette province du Nigéria à
tenter une aventure vers l’indépendance, nous savons que la démographie
n’entretient pas un rapport neutre avec la politique. Nous avons déjà signalé
l’étroite liaison entre formation de l’État et recensements. Plus proche de
nous, nous avons vu les derniers recensements europeens (principalement
Allemagne et France) irriter la population parce que trop pointilleux et
violant leur intimite. Le résultat a été un fort taux d’erreur enregistré dans
les années 80 pour les recensements de cette décennie-là.

Problématique

Une politique générale d’investigation ne peut être envisagée sous un


aspect strictement technique. En effet, sur quoi doit porter l’investigation
démographique ? Les faits démographiques certes, mais lesquels ? Qui dit
planification de l’investigation dit choix, dit exclusion. Quelles sont les
urgences et quels critères permettent de dire que telle ou telle donnée est
‘urgente’ et qu’il est impératif de lui consacrer les ressources disponibles,
rares ?
Une première observation peut être faite : le financement des enquê-
tes démographiques dans la plupart des pays dont la croissance de la PO~U-
lation est stratégique pour le long terme de l’humanité n’est pas le seul fait
des États. Il est assure en effet en majeure partie par des organisations inter-
nationales et par des pays et des institutions étrangères. Cette participation
financière extérieure influe sur le contenu des enquêtes, lesquelles doivent
être dans la ligne des conseils donnés ou suggérés. Car l’aide fmancière n’est
pas un simple don. Elle est toujours assortie d’un certain nombre de deman-
des précises, elle s’accompagne de l’octroi de personnels qualifiés qui sont
plus dépendants du donateur que du pays d’accueil.
Une deuxième observation porte sur le caractere très occidental de la
pensée démographique. Celle-ci en effet est totalement modelte par la con-
ception de l’analyse, numérique en particulier, et par la division de la prati-
que scientifique d’une société en pratiques scientifiques parcellaires auto-
nomes. Cette caractéristique est la conséquence de la division du travail dont
la cause reléve également (mais pas seulement) de l’analyse politique des
pays capitalistes. Elle relève aussi de l’efficacité technique des sociétés
modernes.
Ces orientations de fond dans lesquelles baignent la démographie ne
la rendent pas forcément apte à résoudre les problèmes de développement
économique et social de pays entrés récemment dans l’orbite de l’économie
des pays riches et dont les traditions culturelles, une partie de l’économie et
certaines formes sociales restent étrangéres à l’économie mondiale domi-
nante. Mais ce n’est que la conséquence de l’hégémonie intellectuelle (car
politique et économique) des pays développés.
Ceci rappelé, il est nécessaire d’envisager le besoin des données dé-
mographiques; à deux niveaux principaux : idéologico-politique et techni-
que, et à deux échelles principales : nationale (besoins internes) et interna-
tionale. Le croisement de ces deux critères complique l’élaboration d’une
politique générale d’investigation applicable à un nombre aussi grand que
possible de pays.

321
Examinons successivement les deux critères :
a) Une investigation, étant une prise sur le réel, ne peut être neutre. Il a déjà
été parlé du contexte général, tconomique et intellectuel, cependant des
effets du même genre se manifestent dans une investigation donnée. Inutile
de faire mention des pressions politiques directes tendant à influer sur
l’évaluation de telle ou telle masse de la population ; pour prendre des
exemples anciens : Cvaluations minimisant les massacres perpétrés pendant
une répression coloniale, sous-estimation volontaire d’un groupe en le scin-
dant en sous-groupes et en omettant le nom générique qui est historiquement
le sien ou en procédant à l’opération inverse pour justifier une politique au
nom de la majorité.. . De tels procédés sont suffisamment évidents pour que
l’on s’abstienne d’en disserter ;
b) Une autre forme, plus subtile, à laquelle n’tchappe aucun démographe est
celle qui privilégie certains types d’enquêtes pour des raisons d’ordre non
technique qui tiennent à trois facteurs essentiels :
- Sa formation : un démographe statisticien de formation ne privi-
légie pas les mêmes techniques qu’un démographe sociologue de
formation (sans prendre compte des préférences contre nature que
sont le fétichisme des mathématiques chez le sociologue et le « feti-
chisme des contraintes sociales chez le statisticien.. . qui sont le fruit
de nos ignorances aggravées par des conditions de travail en vase
clos). Pour un même besoin, “toutes choses égales par ailleurs”, des
approches totalement divergentes peuvent être mises en œuvre. Lié à
ce point est l’esthétisme dans lequel baignent certains travaux scienti-
fiques : le démographe n’est pas exempt d’un travers tres frkquent de
raffinement des procédures, ce qui repond à des preoccupations plus
personnelles que techniques ;
-La langue utilisée implique une ouverture prf5férentielle a certai-
nes methodes et procédures, et la fermeture aux autres, ce qui met
parfois en question l’objectivité du jugement scientifique compte te-

322
nu des connaissances acquises à un moment donnC par l’ensemble
des démographes ;
-La demande dominante en données sur les faits de population est
déterminées par les préoccupations des pays développés, principaux
financiers des enquêtes démographiques qui ne peuvent Ctre réalisées
sans un budget relativement important.
Un exemple en la matière est particulièrement évident, il porte sur
les données en matière de fécondité. Ce qui est curieux est la non-
reconnaissance par les milieux scientifiques du poids de cette demande
explicitke pourtant par les milieux politiques. Un rapport de la Fondation
Ford le rappelle opportunément :
En 1959 lorsque la Fondation a pour lu première fois envisagk de SUD-
ventionner la biologie de la reproduction, afin d’appeler l’attention des
milieux scientifiques sur le contrôle de la fécondité, cette discipline ne
représentait qu’un faible atrruit pour les jeunes chercheurs de talent.
C’est pourquoi les premières subventions de la Fondation ont été con-
çues de manière à attirer vers cette discipline des spécialistes compé-
tents... À mesure que l’action de la Fondation se développait, ses diri-
geants se sont systématiquement efsorcés de trouver des chercheurs
compétents dont les travaux pourraient contribuer à une meilleure com-
préhensian de la fécondité humaine et de son contrôle. Ces chercheurs
ont été incités à élargir leurs activités et, dans les cas appropri& à éta-
blir des groupes de recherches interdisciplinaire.
(O.C.D.E., 1969 : 164)
Parmi d’autres rapports nationaux ou d’organismes nous trouvons
dans cette même publication nombre de préambules de ce genre :
L’un des traits caractéristiques de l’aide suédoise au développement est
que la priorité absolue y est assignée au planning familial.
(O.C.D.E., 1969: 95)
Pour résoudre la contradiction entre le blocage économique et l’ex-
pansion démographique dans le Tiers-Monde, les pays développés préfèrent
agir sur celle-ci plutôt que sur celle-là. L’action sur la croissance dhmogra-
phique - donc sur la fkcondité, facteur déterminant - est moins coûteuse
et ne porte pas atteinte aux situations privilégiées. Inutile d’aborder l’optique
biologique qui prédomine dans cette conception du développement des
sociétés humaines. Le modèle biologique permettant l’économie d’analyses
historiques concrètes.

323
Pourtant, pour politiquement déterminées qu’elles soient, les deman-
des en données démographiques ne sont pas sans rationalité technique : il ne
s’agit pas de jeter l’enfant avec l’eau du bain. Ainsi les données sur la fécon-
dité permettent la prévision à long terme de la population et sont donc né-
cessaires aux projets en agriculture dont l’effet ne dure que 20, 10 OU 5 ans,
selon la progression démographique. L’on comprend bien que les finance-
ments, le choix des solutions et leur réussite soient influencés par la con-
naissance que nous avons de la croissance démographique. En effet, la
dimension des projets en agriculture ou dans l’industrie exige que l’avenir
soit plus ou moins correctement perçu.
C’est ainsi que nous ne pouvons partager l’opinion de certains démo-
graphes qui, poussant le raisonnement à la limite, déclaraient que la notion
de décès est totalement déterminée par le système culturel et qu’il faut révi-
ser nos concepts dans des sociéds où la coupure entre le monde des vivants
et celui des morts n’est pas aussi tranchée que dans les socittés occidentales.
Dans le même ordre d’idée le retour systématique au tombeau familial des
corps des décedts loin de leur pays annihilerait, selon certains, la notion de
migration dans des populations où cette pratique a lieu.
La notion d’utilité de l’information appelle également des remarques.
L’échelle géo-politique est très différente selon le type de données recueillies
par les enquêtes démographiques. Certaines données couvrent un éventail
trbs large de besoins, par contre certaines autres ne répondent qu’à des be-
soins spécifiques : ceux du pays où elles sont recueillies ou bien ceux res-
sentis à l’échelle mondiale. C’est ainsi qu’en général nhis les données col-
lectées sont fines (sophistiquées, disent les anglophones) plus leur utilité est
internationale.
Soit une enquête rassemblant des données très fines sur les interval-
les entre naissances. Il est honnête de reconnaître que ces données ne sont
que peu utiles au pays dans lequel elles sont rassemblees quand elles ne
portent que sur une aire restreinte : elles ne sont pas significatives a t’echetle
nationale. Par contre, elles trouvent leur intérêt en étant confrontées a des

324
séries d’autres pays et d’autres époques. Ainsi, les données de la France
ancienne peuvent, confrontées à des séries semblables (canadiennes, séné-
galaises, suédoises, japonaises...), fournir une évaluation de niveaux de
fécondité en régime non-malthusien, et être utilisées par tous les pays pour
leurs perspectives de population.
C’est donc par un détour international » que ces données peuvent être
utilisées au niveau national. Et rejeter systématiquement certaines investiga-
tions sous prétexte qu’elles n’ont pas d’intérêt national direct est une optique
erronée.
Par ailleurs, il faut souligner que certains pays présentent une im-
portance majeure pour l’étude de certaines questions : la France pour le
développement du malthusianisme, le Canada pour l’évaluation de très hauts
niveaux de fécondité, le Gabon pour l’infertilité.. . L’avance des connaissan-
ces mondiales sur les faits de population n’est indifférente - ou ne saurait
être indifférente - SI aucun pays. Et l’obtention de certaines données, guère
utilisables à l’échelle d’un pays, sont d’importance pour les tvaluations inter-
nationales : ainsi pour les ajustements il est nécessaire de posséder des
données sur les structu;es de la population à un niveau fin. Pour un pays
donné, des renseignements plus grossiers et moins coûteux suffisent, compte
tenu de l’échelle de l’action administrative.
Nous voyons que l’investigation démographique est entravée par de
multiples contraintes et que les solutions techniques ne peuvent être qu’un
compromis entre plusieurs tensions d’ordre et de niveaux différents : cultu-
rels, conceptuels, politiques, financiers.. .

Les besoins en données démographiques

Pendant longtemps, la démographie a surtout puisé ses matières premiè-


res dans les publications de statistiques offuzielles. Ces dernières portent
pour une grande part sur les résultats des recensements de population et
de l’enregistrement des faits d’état civil. On a longtemps cru qu’on pou-
vait tout demander à ces documents. On se rend compte aujourd’hui
qu’ils ont leurs limites. La tendance est plutôt à les simplifier et à de-
mander aux enquêtes la collecte de renseignements plus variés.
Mais il y a plus encore : en dehors des buts administratifs pour lesquels

325
ils ont été créés recensement et état civil ont toujours eu surtout une mis-
sion d’information. On leur demande d’augmenter notre savoir, et cela
sufJisait tant que la démographie se bornait à décrire les phénomènes.
Dans l’enquête par sondage, on observe pour voir sans qu’on sache à
l’avance ce qu’on va trouver. On lui demande d’accroîtrenotre connais-
sance. Elle est devenue indispensable le jour où la démographie a VOULU
comprendre les phénomèrles.
(Bourgeois-Pichat P., 1971 : 99-110.)
Plusieursorganismessont demandeursde faits de population. Nous
allonsen premier lieu tenter de lescaractériser:

-les États. Ce terme regroupe les organesadministratifs et économiques


despays ;
- les organisationsinternationalesspécialiséesdans les problèmesde po-

pulation.

Les besoinsde ces deux groupes portent essentiellementsur des


donnéesde base(de structureet de mouvement):

- lesdémographeset lesinstitutions de démographie;


- enfin, les institutions et les travailleurs scientifiques qui ne sont pas

spécialisés
en démographie.

Cesdeux derniersgroupesont desbesoinstrès diversifiés. Ils ont en


commun de demanderprioritairement des donntes tr&s fines et dé-
tailltes, cesdonntes serontdites spécifiquesdansce texte. Signalons
que les démographes,scientifiqueset institutions, peuvent être natio-
naux ou non, privés ou publics. (Cette simplification n’est introduite
ici que pour desraisonsde cIart&, nousn’ignoronspasce qu’elle a de
schématique),

Pour les donnéesde base, le compromisest assezsimple à réaliser


entre les États et les organisationsinternationales,celles-ci se bornant à
inciter, à normaliseret a aider les investigationsnécessaires(recensements,
enquêtespost-censitaires,amélioration de l’état civil). Mais i] n’apparaîtpas
évident que lesÉtats trouvent utiles toutesles donnéesqu’ils recueillent lors
des grandesopérations de collecte (recensementset enquêtesnationales).
C’estainsi qu’un expert en planification remarquaitque ]a tolerancepour la
planification à moyen termeest très grande:

326
Au Cameroun les évaluations faites par divers services ou organismes
pour telle ou telle donnée globale dtrèrent de 10 à 20 %, ce qui n’a pas
de conséquence pratique importante à moyen terme. À long terme il
pourrait y en avoir mais alors les hypothèses sur l’évolution de la fécon-
dité et de la mortalité deviennent déterminantes.
(Gérard Winter, 1971 : 554)
Et cet auteur conclut ainsi :
Le planificateur dans un pays comme le Cameroun se satisfait de peu :
des ordres de grandeur sur quelques données nationales et régionales et
sur leur évolution à moyen terme ou leurs perspectives à long terme,
d’ailleurs, il n’est pas persuadé lui-même que l’utilisation qu’il en fait est
déterminante pour la prise de décisions ou la définition des orientations.
Ceci nous apparaît d’autant plus évident que les imprécisions sur les
autres données économiques et sociales tant internes qu’externes au pays
sont très souvent plus importantes. En effet, c’est à long terme que les varia-
bles démographiques deviennent déterminantes. Leur contrôle est à court
terme sans action sur le développement historique. Le démographe apparaît
ainsi facilement comme un esthète ou un visionnaire laïque.
De même si nous prenons l’exemple de la politique scolaire, sans nier
que connaître les effectifs des classes d’âges scolaires est important
(l’exemple français des années 1950 est là pour le montrer), il faut bien voir
que, dans les pays africains, le coût élevé d’un enseignement à l’européenne
et l’impossibilité des États à assurer son extension posent le problème en
termes non statistiques : ou bien ne pas modifier l’enseignement et le réser-
ver à une elite., ou bien modifier tout le système d’enseignement. Savoir où
sont les enfants et combien ils sont est pratiquement superfétatoire dans un
tel contexte. Mais une fois les choix politiques faifs, les investigations né-
cessaires seront trés différentes. Il en est de même pour ce qui est de l’assis-
tance médicale. Car dans le mode d’administration actuel, les statistiques
dites officielles se révèlent suffisantes.
Les organisations internationales sont, par contre, beaucoup plus
motivées pour obtenir des données aussi fines que possible :
-d’une part, elles sont sous l’hégémonie intellectuelle de la pensée dite
occidentale qui est analysante (décomposer le tout en autant de parties qu’il

327
est possible) et quantifiante (l’hygiène c’est d’avoir une salle de bains, le
bonheur c’est d’en avoir deux) ;
- d’autre part, elles prennent l’optique gestionnaire des affaires sociales qui
sont remises dans les mains d’administrateurs dits compétents, et se refusent
à envisager la liaison directe entre la statistique et la non-autonomie des
cellules sociales. Dans la mesure où les cellules sociales de base sont privées
de la détermination de leurs objectifs, ou du moins de leur devenir, le poids
majeur reste celui de décisions exogènes. Le cas le plus connu est celui des
entreprises multinationales qui décident pour leurs filiales lesquelles n’ont
qu’à s’incliner. Dans ce cas de figure d’organisation il est alors nécessaire de
disposer d’abondantes données statistiques pour décider, puisque l’expé-
rience concrète manque au groupe central qui dCtient le pouvoir de déci-
sion 36 ,.
- enfin, compte tenu de leurs schémas mentaux, elles ne peuvent effectuer
des comparaisons internationales que sur le mode numérique.
C’est en ceci que nous semble rt%ider l’aspect décevant de certains
recensements qui appliquent des concepts importés et dont l’exécution souf-
fre a l’évidence de l’inadéquation aux réalités sociales (en particulier pour ce
qui est des capacités d’exécution) d’où l’aspect parfois publicitaire de ces
opkrations. On ne peut pas dire que les organisations internationales soient
coercitives et obligent à tel OU tel aspect, c’est l’ambiance qui l’est. On ne
peut reprocher à un État de vouloir lui aussi son recensement, on ne peut
cependant que constater que « faire » un recensement est devenu un slogan,
une « opération vitrine », qui empêche certains États de ,réaliser une opéra-
tion utile a leurs besoins.
Pour les données spécifiques, les compromis deviennent beaucoup
plus malaisés. L.e nombre des interlocuteurs, le caractère non normalisé des
données à recueillir, les divergences de conception et les intérêts
(scientifiques ou personnels) expliquent cela. Il faut bien constater que ces

“Anne Beekhuisen,1997, Enjeux du management et communicarion au sein d’une entre-


prise inrernalionale, le cas de Rohm and Huas France, 192 pages, Mémoire du CELSA.

328
compromis se font dans la ligne des rapports de force, concrétisés par le
financement. Par ailleurs, les institutions étrangères et internationales sont
actuellement encore les plus aptes à modifier les projets présentés, à cristal-
liser les projets latents et à susciter des projets nouveaux.
Dans le meilleur des cas, c’est le développement autonome des con-
naissances qui souvent est la motivation essentielle des individus et de
groupes de recherches plus ou moins indépendants et peu fortunés. C’est-à-
dire que c’est le problème scientifique en cause qui les motive en premier
chef sans intérêt matériel direct pour eux sinon de continuer if faire ce qui les
intéresse.
Pour d’autres institutions, force est de constater que leurs objectifs ne
sont pas aussi scientifiques que l’on a tendance à l’affirmer. Certaines orga-
nisations abattent leurs cartes, ne serait-ce que par leur intitulé et l’exposé de
leurs buts ; et a cela il n’y a rien que de très normal, D’autres cependant
restent sous un couvert d’impartialit6 et prônent une politique de population.
Dans un document de la Commission Économique pour l’Afrique intitulé
Examen du contenu dkmographique des plans de développement africains
(CE-A., 1971-a), l’on trouve un panégyrique en faveur de la limitation des
naissances sous couvert d’affirmer la nécessité d’inclure les doanées démo-
graphiques dans les prévisions du plan et de mettre sur pied de véritables
politiques de population. Les arguments de ce texte sont strictement nkgatifs
et alarmistes comme : « les pays africains vont à la catastrophe à cause de
leur croissance démographique ». Ce document ne fait d’ailleurs que repren-
dre les craintes exprimtes par le Secrétariat des Nations-Unies qu’il cite en
pages 2 et 3 où les côtés positifs d’un accroissement de la population et les
raisons positives de la planification familiale ne sont pas envisagées. Quoi-
qu’il soit affirmé que, :
.*. une politique démographique ne doit pas être interprétée comme étant
une politique de réglemenfafion de la population.
(C.E.A., 1971 : 3)
il est dit quelques lignes après que les huit États qui ont une politique de
population ont justement une politique de type malthusien.
À ce jour, huit pays africains.. . ont des politiques de population officiel-
les dont le principal objectif est la diminution du taux d’accroissement de
la population par la réduction de la fécondité grâce à la planification
spontanée de la famille.
(C.E.A., 1971-a : 3)
Et il signaleque sansêtre officielle cette politique est amorcéedans
une vingtaine d’autrespays. Une des phrasesfinales de ce rapport mérite
d’êtrecitée :
**. l’impression générale qui se dégage de cette étude est qu’une plus
grande attention aurait du être accordée à l’aspect démographique de la
planification économique, surtout si l’on considère que les caractéristil
ques démographiques africaines, et surtout le taux de croissance, com-
promettent les efforts que les gouvernements africains déploient pour
relever les niveau de vie.
(C.E.A., 1971-a : 14)
Ainsi qu’il l‘a été dit dans la première partie, il serait difficile de
soutenir que les donnéesdémographiquesne servent à rien d’autres qu’à
dominer, par cela encore, les pays africains ; les donn6esdémographiques
sontbien évidemmentutiles et mêmenécessaires.
Mais tout se passecomme
si l’on cherchait des preuves que la démographiedu Tiers-Monde est sou-
mise à une croissanceeffrénée qui entraîne le sous-développementet son
cortègede maux.

À partir du moment oti il veut accroître son bien-être, un pays ne


peut se dispenserde connaître les structureset les mouvementsde sa popu-
lation et d’agir en conséquence.Surtout que ne rien faire est encorefaire une
politique de population. Peut-être est-ce la pire despolitiques. Il faut aussi
bien voir qu’aucunpays ne peut sedésintéresser
de ce qui sepassechez lui.

Un pays moins développé peut fort bien se passer de Laboratoire de phy-


sique ou de chimie et utiliser les résultats de recherches faites ailleurs,
alors qu’il ne peut se dispenser de recherches sur les problèmes sociaux
et culturels : ici la matière à étudier est originale et elle comporte des
répercussions particulières. C’est sur place qu’il faut étudier le problème
et de chercher la solution.
(P. de Bie, in UNESCO, 1954 : 29)
Si l’on récapituleen tentant de dégagerle noyau non-idéologiquedes
investigationsdémographiques,l’on peut établir le tableau suivant selon le
groupe demandeurde donnéeset le type de donnéesdémographiquesen
décomposantau maximum lesdonnkes.

330
L’examen de ce tableau montre que, quoique tout soit dans tout et ré-
ciproquement, les besoins ne sont pas identiques. Les organisations ont des
besoins moindres que les fitats en,matière de données de base. Et les démo-
graphes et institutions tirent par contre le plus grand profit des bases de
sondage qui sont une retombée des recensements.
Par contre, les données spécifiques n’intéressent directement les États
que quand elles répondent à un problème vécu par eux. L’intérêt des pays
pour une investigation est :
1. en raison directe de liaison entre les conditions nationales sptcifi-
ques et les buts de l’enquête ;
2. en relation avec l’échelle de l’investigation, c’est-à-dire quand le
champ de l’enquête répond au champ d’intervention 37.
On peut présenter deux exemples :
- une étude sur l’infécondité au Gabon servira directement ce pays
où ce problème se pose. Mais une enquête ponctuelle sur la fécondité
ne peut servir immédiatement le pays où ces données ont été collec-
tées : les résultats sont exemplaires, peut-être extrapolables, mais nul
n’en peut être certain. Les résultats ne seront utilisables que lorsqu’ils
auront eté digérés par de multiples analyses comparatives. Et les au-
tres pays voisins en tireront autant de bénéfice. Nous avons là a l’œu-
vre un effort scientifique mondial qui est bien indifférent aux frontié-
res et aux intérêts à court et moyen termes. Par contre, une enquête à
l’échelle nationale qui fournirait des intervalles entre naissances peut
être utilisée dans les calculs perspectifs de la population du pays sans
hypothèses d’intuition ;

” Nous empruntons cette notion de champ d’intervention à Guigou (1971) qui distingue très
justement à propos de la sociologie rurale le champ d’analyse, ensemble des facteurs qui
jouent sur un phénomène, qui est le champ dans lequel évolue le scientifique du champ
d’bttervention, groupe objet et sujet de l’analyse, qui est le champ sur lequel le politique
agit, car dans le cas où il n’y a pas de coïncidence entre eux le processus théorique qui
transforme en concepts optratoires les résultats scientifiques est long et subit des detours
« internationaux ». On peut dire que la 6~ science mondiale «rumine » les donnees particu-
liéres pour les rendre utilisables dans l’action.

331
- une enquête qui porterait sur les jumeaux, en proportion notable-
ment supérieure en Afrique, ou sur l’endogamie, plus facile à étudier
dans certaines populations africaines qu’en Europe par exemple, est
une enquête qui apporterait beaucoup aux sciences fondamentales,
mais il est compréhensible qu’elle paraisse hors sujet du développe-
ment pour le planificateur, car elle l’est à l’échelle de la planification.
Si une enquête porte sur une petite zone de quelques dizaines de vil-
lages, il est bien évident que, pour intéressante qu’elle soit, une telle recher-
che peut donner des idées au politique, mais elle ne lui permet pas d’agir en
connaissance de cause. Pour être utilisable sur le plan national, une telle
enquête doit porter à l’échelle nationale.
Après avoir explicité les besoins en données démographiques en
particulier en envisageant la liaison existant entre le type de données et les
différents utilisateurs, nous allons envisager maintenant les différentes
méthodes d’enquête dont dispose le démographe pour recueillir les données
nécessaires. Il est a remarquer que les méthodes sont secondes a une pro-
blématique d’investigation. Donc, d’une certaine manikre, elles sont pure-
ment techniques (le cadre politique au sens large était déterminé). Cepen-
dant elles portent parfois la marque de l’école de pensée qui a présidé à leur
conception et a leur mise au point.

Les différentes méthodes d’enquête

11 y a des modes en démographie africaine comme dans toutes les en-


treprises humaines.
(Étienne Van de Walle, 1971: 1)
Dans toute science d’observation, les résultats ne valent que ce que va-
lent les observations d’où ils sont tirés. La précision est la première
qualité d’une bonne observation.
(Louis Henry, 1964 : Vl).
Les différentes méthodes d’enquêtes sont largement discutées dans
les milieux scientifiques actuels, de nombreuses références peuvent être
fournies. Notre objectif ici n’est que de les comparer.

332
Les données de base peuvent être obtenues :
- pour les donnees de structure par le recensement ou par une en-
quête par sondage qui suppose une base de sondage adéquate ;
-pour les données de mouvement par l’exploitation de l’état civil,
qui fait toujours défaut, ou par des enquêtes par sondage. Actuelle-
ment, ces enquêtes sont de trois types : rétrospective, de confronta-
tion ou à passages répétés (voir tableau précédent).
Les données sur les migrations extérieures aux frontières et les mi-
grations intérieures sont obtenues par des statistiques administratives pour
les premières (mais les statistiques aux frontières sont souvent sujettes à
caution) et, pour les secondes, par analyse d’un recensement, ou la compa-
raison de plusieurs, et par enquêtes spécifiques.
Les donnees spécifiques sont obtenues par des enquêtes de types trés
divers (INED, INSEE, ORSTOM, SEAE, 1972). L’imagination des promo-
teurs, les conditions nationales sont plus importantes que la theorie pour la
détermination du type de ces enquêtes. Leur importance est de frayer des
voies nouvelles a la méthodologie. Le sujet est tellement vaste qu’il n’est pas
possible de l’aborder dans ce texte.
Examjnons donc les seules méthodes envisagées qui sont :
- les recensements,
- les enquêtes rétrospectives,
- les enquêtes par double collecte,
- les enquêtes dites à passages répétes,
- l’exploitation de l’état civil.

Les recensements
Plusieurs documents de la Commission dconomique pour l’Afrique
abordent ce sujet (CEA 1968, 197 1-b) speccifiant pour les pays africains les
recommandations de I’ONU (Etudes statistiques, no’ 44 et 45 de la série M ;
ONU, 1969).

333
La tendance est de simplifier ce type d’investigation de façon à amé-
liorer la qualité de l’observation et de ne recueillir que des données dont
l’exploitation et l’analyse sont certaines. Cette méthode ainsi mise en œuvre
permet d’obtenir : la structure par âge et sexe et la population administrbe
par zone géographique et dans certaines conditions une base de sondage
pour des enquêtes spécifiques.
L-43 enquêtes rhospectives

Dans ces mêmes documents I’ONU et la CEA prônent la mise en


place d’enquêtes rétrospectives post-censitaires.
Étienne Van de Walle s’est interrogé sur les raisons de la d6faveur
dans laquelle cette méthode était tombée :
L’enquête démographique rétrospective, a qui on doit l’immense majorité
de nos connaissances sur la mortalité, la fécondité et l’accroissement
naturel en Afrique tropicale, est tombée en défaveur en Afrique franco-
phone,.. (alors qu’elle a) enfin une postérité en Afrique anglophone. On
avait peut-être trop attendu de l’enquête : elle devait à la fois remplacer
les recensements et l’état civil.
(Étienne Van de Walle, 1971 : l-2)
Effectivement ces enquêtes sont quelque peu mises au pilori, mais n’est-ce
pas parce que l’on connaît leurs défauts ? Ce qui justement est un avantage
très apprkiable puisqu’alors les analyses peuvent en tenir compte.
L’intCrêt principal tient a deux faits importants : elles sont peu coû-
teuses et n’exigent pas des prévisions budgktaires 51long terme.

Les enquêtescomplexes
Si les premiétes méthodes ne prêtent plus guère à discussions, on
propose parfois de les abandonner au profit de méthodes nouvelles. Mais ces
enquêtes restent l’objet de controverses très disputkes. Deux m6thodes sont
en cause :
- la méthode d’évaluation du rythme d’accroissement démographi-
que (en anglais : Population Growth Estimation) qu’il est plus exact,
sur le plan méthodologique, de désigner sous le nom de méthode de
la double collecte ;

334
- la méthode d’observation suivie par enquête à passages répétés.
Ces deux méthodes ont en commun d’obtenir des données d’état civil plus
sbires par confrontation de deux relevés ou par répétition de deux recense-
ments.
Voici la définition des deux méthodes :
1) Méthode de la double collecte
,!.a technique consiste à collecter simultanément par des systames indé-
pendants les données relatives d’une population donnée. Les deux sour-
ces (enregistrement et enquête) sont comparées cas par cas, ainsi nous
obtenons trois catégories d’événements :
- événements enregistrJs par les deux sources,
- événements enregistrés par la premi&e source, et
- événements enregistrés uniquement par la dewième source.
Il y a une quatrième catégorie d’événements qui ne sont observés n’ par
l’une ni par l’antre des deux sources de notre systkme. L’estimation de
cette derniére quantité constitue un des objectifs essentiels du système.
On distingue deux étapes dans l’opération du couplage. Une première
étape de recherche qui consiste a confronter les données recueillies par
les deux sources et à faire leur comparaison : une étape d’appariement
au cours de laquelle on décide s’il s’agit de la même unité statistique
(personne, ménage, etc.).
(K.J. Krotki et M. Rachidi 197.2 : 224)
2) En&?te à vassages révétés
Il s’agit d’une observation nominative répétée. La répétition de l’obser-
vation concernant un même individu évite le recours aux questions ré-
trospectives.. . sauf pour les enfants nés et décédés entre deux passages
de l’enquêteur. En pratique elle prend la forme d’un fichier nominatif de
pooulatioq établi au cours d’un recensement initial et mis à jour oar des
visites oe ‘r’ rodwues
’ à domicile.
(Pierre Cantrelle 1969 : 1)
Quelques notables différences apparaissent entre ces méthodes :
- la première porte son attention sur les événements, la seconde sur
les personnes ;
- la double collecte est seule à faire appel 21des hypothèses mathé-
matiques et & se justifier mathématiquement dans son exploitation.
Elle découle de la théorie alors que l’enquête à passages r6p&és est
née de la logique concrète de la pratique du terrain qui permet de
multiples contr6les internes de l’information recueillie.

335
Cependant ces differences ne fournissent pas des critères de choix.
Ces deux méthodes ont très souvent été opposées l’une à l’autre. En fait leurs
fondements étant différents, leurs résultats ne peuvent que l’être. Le choix
entre elles doit plus être dans l’évaluation de leurs coQts et dans leur adéqua-
tion aux objectifs de l’enquête et aux conditions de realisation que dans
l’idte a a priori que l’une est supérieure à l’autre.

Sans parler de la question des coûts et des facilités plus ou moins


grandes qu’ont les pays à s’engager dans l’une ou l’autre de ces méthodes ; il
est possible de constater que la double collecte semble une méthode plus
purement démographique et plus centree sur l’obtention des taux de crois-
sance ; l’enquête à passages repetés au contraire semble en outre apte à
permettre l’analyse longitudinale et un élargissement de la démographie à
des enquêtes pluri-disciplinaires. La double collecte réclame plus de temps
(enquête de terrain et travail de bureau) en raison des confrontations et des
vérifications systématiques qu’elle implique.

Et nous pouvons reprendre à notre compte cette observation faite à la


1 lèm” session de la Conférence des Statisticiens à Manille :

L’accent a été généralement mis sur l’importance primordiale qu’il con-


venait d’accorder au soin mis dans la préparation, i’organisation et la
conduite des travaux, beaucoup plus semble-t-il que dans le choix de la
méthode elle-même.
(Robert Blanc, 1972 : 4)

L’état civil

Nous savons que l’état civil est déficient dans les pays africains.
Commele disait L. Henry : L’état civil estune tradition. ‘si celle-ci n’estpas
implantée,l’état civil n’a alorsqu’unefaible couverture.

Les travaux sur l’état civil sont nombreux mais déçoivent toujours.
Le problèmetient en ceci que l’état civil est difficile à utiliser car sonexten-
sion est relative a l’administrationet sonutilisation statistiqueest une ques-
tion essentiellementdémographique.Ainsi sansrenoncer à sonexploitation
(certainsCtatscivils sont (presque)utilisables: états civils de certains cen-
tres urbainset en générallesétats civils malgaches,maghrébins...), ne faut-

336
il pas trop en espérer à court terme sur le plan scientifique en dehors des
exceptions signalées. Ce qui ne doit pas empêcher de voir que l’état civil ira
en s’installant, affermissant son aire et la qualité de sa couverture. Un très
grand effort administratif et scientifique doit donc être réalisé pour son
amélioration. Nais encore faudrait-il pour ces pays africains que les États ne
se délitent pas (Congo, Ruanda.. .)

Notre effort dans ce texte a principalement consisté à tenter de dé-


voiler les fondements politiques, culturels (et parfois ethnocentristes) aux-
quels les demographes et statisticiens sont soumis. Et aussi ce que l’on
pourrait appeler « l’ethnocentrisme techniciste » qui fait oublier à un corps
technique, celui des démographes, que les moyens qui sont mis a leur dispo-
sition ne sont pas pour satisfaire leur curiosité, fat-elle scientifique, mais
pour accomplir certaines tâches au nom de la collectivité. La question reste
stationnaire, les progrès restent faibles. Nous plaidons pour l’élucidation de
nos préjuges et l’apurement de nos conceptions. Là est la seule solution pour
que nous puissions fonder nos propositions de choix d’investigation d’une
manière rationnelle, c’est-a-dire conforme à des objectifs globaux
(économiques, sociaux, culturels et idéologiques, pour tout dire politiques)
dont la défini,tion ne peut être qu’extérieure à notre discipline prise isolé-
ment.
Nous réclamons l’explicitation des présupposés politiques de toute
pratique scientifique, et de la nôtre en particulier, pour sa véritable adéqua-
tion aux conditions sociales de notre époque. Le temps est peut-être venu de
prendre réellement conscience de cette dépendance pour que la démographie
ne serve plus d’alibi aux sous-développements.

331
Chapitre 6
Le questionnaire et les questions
,

Questionnaire et questions sont les deux principaux axes de défini-


tion d’une enquête quantitative. Dans ce chapitre, ils sont analysés dans
leurs grandes dimensions. Ceci fait, nous terminerons par l’analyse des
variables démographiques essentielles.
Les questionnaires nous paraissent être la dimension essentielle qui
permet de définir les enquêtes quantitatives, et les questionnaires sont un
ensemble de questions. Nous allons donc les analyser ici, sans pour autant
refaire des manuels bien faits par les autres auteurs. Nous voudrions donner
les lignes générales qui président à leur conception.

Questionnaire et guide d’enquête

Un questionnaire est souvent confondu avec un guide d’enquête, qui


est la liste des questions, plus ou moins bien rangée et organisée, qui sert à
explorer un sujet, Paul Ptlissier 38 avait parfaitement illustré ce genre, tout
comme l’ouvrage base des travaux de terrain Notes and Queries, ou l’aide-
mémoire de Jacques Maquet (1954) 3g. À tous ces efforts de clarification de
ce que l’on peut collecter sur le terrain appartient aussi le Manuel
d’ethnographie de Marcel Mauss, publié par ses élèves en 1947. Quand on
effectue une enquête de terrain, ou même une recherche quelconque, il est
essentiel ou peut être interessant d’établir un tel ‘pense-bête’, nous revien-
drons sur ce sujet. Mais un questionnaire n’a rien à voir avec un aide-
mémoire. Qualitativement, c’est un instrument d’essence totalement diffé-
rente. Y insister lourdement n’est pas inutile :

38Plan de monographie du village, Notes de cours, EPHE VI” section, dactylo [-19601 : 19
et Répertoire des questions à poser pour une étude de villuge, Notes de cours, EPHE VI’
section, dactylo (-19601 : 19.
39MAQUET, Jacques, Aide-mtkoire d’ethnologie africaine, Bruxelles 1954 (nous ne
possédons de ce livre qu’une copie en multigraphie sans autre rtlference).
l Tout d’abord c’est un instrument qui sera appliqué sur le terrain aux
,sujets de l’enquête (ou à l’objet, si l’on recueille des faits visibles, mesure
de champs, etc.) ;
l C’est un instrument intermédiaire entre l’enquêteur et le sujet intervie-
wé ;
l C’est un ou.til entièrement orienté par la problématique de la collecte,
c’est donc un instrument “piloté par l’aval”, c’est-g-dire parce que l’on
recherche (a.lors qu’un guide d’enquête est piloté par l’amont, par ce qu’il
est possible de collecter et les interrogations de la discipline scientifique
impliquée) ;
l C’est un outil, normé, appliqué en totalid 4o par une procédure répéti-
tive ;
l C’est un outil susceptible d’être analys6 par une exploitation statisti-
que 4’, quelque soit l’orientation d’analyse envisagée a priori ;

l Leur forme ou celle de ieurs questions n’entrent pas en ligne de compte


(questionnaires directif ou semi-directif, questionnaires en tableau ou en
liste, format normal - portrait - ou à l’italienne.
Nous allons aborder certains de ces points en discutant des questions
elles-mêmes, aussi allons-nous traiter en priorité le point qu’un question-
naire est un instrument qui est tout entier soumis à l’idée que l’on veut
suivre, c’est dire qu’une enquête quantitative est une enquête toute dirigée
par l’aval : les tableaux finaux que l’on veut obtenir.

‘OCe dttail est extrêmement important : beaucoup d’enquêtes sont inexploitables parce
qu’on y a enquêtt “à la tête du client” ; une rkponse peut ne pas figurer, mais il faut être
certain que la question, elle, a été poste. Le mieux 6tant de pouvoir distinguer si le sujet ne
savait pas r6pondre (il ignorait lui-même la réponse), ou ne voulait ou pouvait rkpondre (il
connaissait la r6ponse mais pour des raisons diverses n’en a pas fait part à l’enquêteur).
” Signalons que si l’on prend un questionnaire comme celui que nous avions utilisd pour le
recueil des gknéalogies, ou pour le relevé des parent&, on n’a aucune difficulté A ‘chiffrer’
informatiquement les informalions, les transformer en données, transformer du qualitatif en
modalités, en ‘cas’ et leur appliquer toutes sortes d’analyses statistiques, la plus simple Btant
dichotomique : “pour tel fait, ai-je une information ? oui ou non”.

339
Les tableaux recherchés

Tous les spécialistes des enquêtes s’accordent a penser que, vu le


formalisme des procédures quantitatives, une fois assimilees les règles
méthodologiques de la discipline scientifique exercée. et ici nous nous
limiterons a la démographie, ainsi que le champ que veut couvrir une col-
lecte, ce qui est important à définir, c’est les tableaux que l’on veut obtenir.
Cela signifie que ceux-ci devraient être, idéalement, tracés dès le dtbut :
quelles variables veut-on ? Quel intervalle de confiance va-t-on leur accor-
der - dans le cas d’un sondage - ? Quels croisements entre variables seraient-
il possible d’obtenir a priori (c’est-à-dire en tenant compte des expériences
antérieures) ?
Une collecte quantitative n’est en rien une opération en aveugle. On
dispose de nombreux manuels listant les tableaux que l’on doit rechercher
imperativement et ceux qu’il serait souhaitable de disposer. Les organismes
spécialisés des Nations Unies ont énormément travaillé ces questions et ont
produit de nombreux et remarquables manuels. Il est vrai que l’abondance
de ces manuels embrouille un peu car ils sont eux-mêmes le produit de
compromis entre professionnels dont les deux tendances contraires sont :
recueillir peu et analyser la totalité de l’information et des données, ver,rus
recueillir le maximum et tenter d’exploiter ce qui pourra l’être.
L’on retombe sur le fait que, malgré toutes les précautions et les es-
poirs de normalisation, les conditions nationales et locales ainsi que les
tendances personnelles des concepteurs sont déterminantes dans le dessin
général d’un questionnaire. Pourtant, idéalement, il ne faudrait pas collecter
ce dont on n’est pas certain qu’il sera analysé. D’autre part, il ne faudrait pas
collecter ce que, techniquement, on ne pourra pas exploiter.
Dans la réalité, ce qui se fait est des allers-retours entre ces différents
pôles : on va de ce que l’on cherche à ce que l’on peut obtenir, tentant tou-
jours de glisser quelque chose “qui pourrait servir”.

340
On peut certes songer à laisser quelques “portes ouvertes”, des ques-
tions dont on ne sait pas si ‘&Onva vraiment en sortir quelque chose”. En ce
qui concerne les questionnaires de démographie, ou de questionnaires sur
des sujets bien ciblés, dont l’objectif est centré sur un recueil de données
(quantitatives donc), cette pratique peut être suivie, à condition de rester
dans des limites très strictes : cela ne peut porter que sur un nombre très
restreint de questions (2 à 4 %). Cette pratique peut se r&?ler payante B
condition de n’avoir aucun caractère systématique et même de rester excep-
tionnel.

Le questionnaire

Le questionnaire fait l’objet de beaucoup d’attention de la part des


professionnels, surtout dans la mesure où il sera confié, in fine, h des en-
quêteurs livrés pfus ou moins a eux-mêmes. Pouvons nous offrir une défini-
tion d’un questionnaire ? Proposons celle-ci :
Un ouestionnaire est un document normalisé permettant trois oné-
rations : couvrir le champ scientifîoue étudié. consigner les infor-
mations et les données. permettre une capture informatieue aisée.

C’est un ensemble de questions, lesquelles doivent être posées,


idéalement, dans le même ordre et de la même maniere Li chacun des sujets
de l’enquête. A l’expérience, on se rend compte que, même quand elles sont
soigneusement redigées, les enquêteurs, surtout les bons enquêteurs, ne
suivent pas la règle qui leur est imposée de lire les questions, Ayant assimilé
la logique de l’enquête, ils se libèrent des contraintes ‘papier’ pour élaborer
une manière personnelle de recueillir les données. Cette manière de faire est
trés gênante en ce qui concerne les enquêtes en psychologie mais en démo-
graphie le problème est différent. Car le questionnaire, qui comporte très
souvent des tableaux à remplir, doit être critiqué par l’enquêteur en même
temps qu’il le remplit. A l’enquête, certaines incohérences sont fournies par
le sujet. Certaines ne sont incohérentes que parce que le cas n’avait pas été
prévu, d’autres le sont parce que le sujet n’accorde pas la même importance

341
que le démographe A certains faits relevés : on a parlé de l’âge, fait numéri-
que pour le démographe, fait social pour le sujet ; on connaît aussi toutes les
difficultés d’appréhension du travail féminin dans les familles. Pour pallier à
cette difficulté, on peut décomposer un questionnaire en sous-rubriques
homogènes, chacune visant a relever, au bout du compte, l’information ou la
donnée recherchée. Mais derrière son apparente simplicit6, son ‘évidence’,
la démographie relève des faits extrêmement complexes et il n’est pas pos-
sible de transformer en une batterie de questions un questionnaire de dé-
nombrement. Nous retombons ici sur la question de ‘l’évidence’ des scien-
ces sociales qui amène à sous-estimer les difficultés propres du hiatus exis-
tant entre langage scientifique et langage commun 42. Certains questionnai-
res de dénombrement des membres d’un ménage sont présentés pour le
relevé de terrain des informations, sous forme de questionnaire ‘à
l’italienne’ On pratique de même ainsi pour les fiches de fécondité ou les
migrations.. . On comprend bien que, pour remplir ces tableaux, il ne soit
pas inutile que l’enquêteur se libére du cadre pour suivre une logique qui lui
soit personnelle et qui réponde aux contraintes ici et maintenant de la situa-
tion d’interview. Pour pallier à ce ‘défaut’ - en regard de la pure logique -,
nous avons toujours accentué la formation des enquêteurs sur la révision au
calme, après l’interview mais sur place, des questionnaires avec les person-
nes enquêtbes, plut& que sur l’exigence du respect d’une règle formelle...
inapplicable 43. En matière d’enquête, la forme ne doit jamais l’emporter sur
l’esprit.
On peut caractériser les questionnaires par la nature des questions
qu’ils contiennent. C’est-à-dire que ce qui est pris en compte c’est la nature

42 Nous avons beaucoup insistk sur toutes ces questions en seconde partie. On remarque
qu’en dkmographie on s’est ‘laisse aller’ B I’Cvidence du recueil de faits largement com-
muns et qui participent B une tvidence culturellement définie mais qui n’est pas gtnéralisa-
ble selon les cultures. Par ailleurs, la démographie, ‘fille’ scientifique du fonctionnement de
l’État, a sous-estime. les questions de collecte, ou bien a pris la religion régnant en une autre
discipline (comme en psychologie, cfinfra A propos des questions-Pi&ges).
” Ce qui suppose de former les enquêteurs A cette situation interpersonnelle et intercultu-
relie (logique commune, logique scientifique) qu’est l’enquête et impliquer le sujet dans
l’obtention d’une vérité scientifîque par le questionnaire, vtritabte base de ndgication entre
enquêteur et enquêtés.

342
des questions principales pour qualifier un questionnaire. Car aucun ques-
tionnaire n’est totalement un “questionnaire fermC”, il contient toujours des
questions ouvertes qui impliquent un recueil d’informations et non pas de
données (cf Chapitre 4), par exemple les identifiants, nom, prénoms.. . En
démographie un questionnaire est très souvent un tableau de dénombrement
à remplir. Les questions sont, généralement, juste de simples en-têtes, quoi-
que même certains recensements aient tenté de donner le libellé total de la
question (Tunisie, 1975).
Un questionnaire est donc composé de lots de questions, organisés
entre eux, et les questions sont plus ou moins organisees entre elles. On peut
distinguer ces ‘lots’ et les questions selon leur usage dans l’enquête
(questions de gestion ou d’obtention d’information). Nous allons maintenant
examiner ces deux questions, puis nous examinerons l’organisation interne
d’un collectif de questions ayant une vision informative unique (dit
‘batterie’ de questions).

Questions de gestion, questions pour la collecte

Nous négligeons de parler de lots de questions (batterie) car ici le


terme ‘question’ est utilisé sur un mode générique (que la question soit
unique ou décomposte n’entre pas en ligne de compte), nos remarques et
analyses portent tant sur les batteries de questions que sur les questions
elles-mêmes.
Dans une collecte, on doit distinguer les questions selon leur objectif.
Les renseignements recherchés sont globalement de deux.sortes :
l ils servent à la gestion de l’enquête ;
l ils servent a obtenir des renseignements exploitables, et alors on
obtient soit des données, soit des informations.
Pour effectuer une collecte il faut recueillir une masse d’informations
dont le but n’est pas scientifique, mais purement organisationnel. Dans le
questionnaire de base d’un dénombrement, pour obtenir une simple pyra-
mide des âges de la population, nous avons besoin du sexe et Page. Mais

343
pour nous assurer de la qualité de ces données, on doit relever les noms et
prénoms, la filiation, la date de résidence, etc. D’autres ‘renseignements’
sont consignés sur les questionnaires : lieu, numéro du dossier, noms des
enquêteurs etc. Ces informations n’ont parfois comme utilité que de
s’assurer de la qualité générale de l’enquête, permettre des recoupements et
conforte le caractère logique de l’ensemble. (Par exemple la parenté permet,
quand l’âge est connu approximativement par les sujets eux-mêmes, de ne’
pas attribuer aux enfants un âge superieur à celui de leur mère). Certaines de
ces informations sont des données utilisees non en elles-mêmes mais pour
faire l’analyse des données, comme la durée de présence au lieu de résidence
pour déterminer si les individus appartiennent à la population de droit ou de
fait. D’autres vont permettre d’étudier, en tant que données principales,
d’autres phénomènes ; on pense naturellement au lieu de naissance qui,
croisé a la résidence, donne une mesure des migrations (ce qui est différent
du lieu de résidence 21telle date, qui vise à construire une mesure de la mi-
gration en soi et n’a pas d’usage ‘administratif’). Toutes ces informations ou
données collectées pour gerer l’enquête et les questionnaires, nous propo-
sons de les appeler “données sous-produits” et nous leur consacrons le
chapitre 7 de cette partie.
Les autres questions d’un questionnaire ont, elles, pour objectif de
saisir un phénoméne comme le sexe, l’âge, la présence à telle date,
l’activité.. , mais là encore il faut distinguer entre :
l les données (ou informations) qui visent à mesurer directement un
phénomène (sexe, âge), qui sont les données principales ;
l les données qui visent à cadrer les autres donntes, qui sont les
données véritablement déterminantes pour l’enquête.
Si les premières sont claires et stratégiques, les secondes sont relati-
ves et secondaires. Elles n’ont pas d’intérêt “en-soi”, elles n’ont de validitt?
que par rapport au sujet principal.

344
Nous en arrivons a proposer trois sortes d’informations et de données
collectées :
l Données (ou informations) fondamentales ou principales, celles
qui concernent les phénomènes directement sous études ;
l Données secondaires permettant de cadrer les premières ;
l Données de sous-produits, qui sont des informations collectées
pour la gestion d’une enquête et qui peuvent ensuite être analy-
sées..
Contrairement aux apparences, la qualité des données de sous-
produit peut être meilleure que celle de données secondaires (par exemple,
on peut analyser les noms d’un recensement : Cyncynatus, Girogi, Greivel-
dinger, 1972, Ctude faite pour le recensement français, avec une grande
fiabilité : l’information est excellente) et même plus fiable que les données
principales (par exemple l’$ge dans les enquêtes africaines est incertain).
Mais, souvent, elles n’ont d’intérêt que pratique et sont de faible qualité :
par exemple la terminologie de parenté des membres d’un ménage sont
approximatives (penser au terme cousin en français, ou celui de frère ou de
neveu en Afrique) car toutes les parentés sont classificatoires, même si
chaque système fait intervenir la classification à un niveau différent de la
parenté. En Afrique, la terminologie classificatoire touche celle des pères ou
mères 44, on a des oncles selon une lignée (maternelle ou paternelle) et pas
selon l’autre où ils sont frères. NOUS oublions souvent que notre système de
parenté étant bi-linaire (équivalence logique des lignées maternelle et pater-
nelle), il décrit malaisément les autres systemes de parente de par le monde.
De même, le nom, qui est un élement très stable dans notre société, est

44 Tous les frères de mon pbre sont mes pères et leurs enfants sont mes germains - parenté
patrilinkaire - ou mes ‘cousins’ - parente matrilinéaire -, toutes les sceurs de ma mère sont
mes mères et leurs enfants sont mes ‘cousins - parenté matrilinéaire - ou mes ger-
mains- parent6 patrilineaire - ; mais jamais mes ‘cousins’ (A la française) ne sont tous en
même temps mes germains ou mes ‘cousins’.

345
fiable 45 (sauf pour les épouses), alors qu’aux États-Unis, on change facile-
ment de nom ce qui ne choque personne. À Madagascar, le nom évolue avec
l’âge et le statut social.

Nous insistons sur cette qualité des données et informations diffé-


rentes selon leur statut scientifique et leur aisance plus ou moins grande à
être saisie dans une situation culturelle donnée. Pourtant, il est recommandé,
quand on cherche une information sensible pour la collecte, de procéder à un
ensemble de questions emboîtées dont la conclusion nous fournira
l’information ou la donnée recherchke.

Lesbatteries de questions

Quand une donnée est difficile à collecter, il est d’usage de rempla-


cer une question par une ensemble coordonné de questions. Cette manière de
procéder a été largement utilisée en démographie africaine. Pour l’âge, on ne
va pas demander « quelle est votre date de naissance ? », mais on va deman-
der l’âge à tel événement connu de tous (méthode du calendrier historique),
ou classer les individus selon leurs âges relatifs, ou avec ceux qui avaient le
même âge qu’eux (quand on a des classes d’âges pour cette société)... Ces
questions sont largement abordéés dans les travaux ci& (CEA-ONU, 1974,
D. Tabutin, 1984...) On a eu de nombreuses expériences sur les différentes
possibilités d’améliorer l’âge en situant cette donnée dans un ensemble de
recherches, c’est-à-dire en décomposant cette question en d’autres amenant
collectivement le résultat poursuivi (G. Pison, 1980 ; B. Garros et A Colvez,
198 1, C. Scott et S. Sabbagh, 1970.. ,)

” La diversité des noms de famille est une particularité française, due historiquement a
l’effondrement ancien des lignages et clans et ?t la naissance de la famille nucléaire, cfMarc
Bloch [1939], La société féodule, Albin Michel, Paris, 1968 : 702, Edward Shorter, 1977,
Naissance de la famille moderne, Le Seuil, Histoire, Paris, 1977 :382 ; voir aussi pour les
autres systèmes de parenté : Robin Fox 1969, Kirrship and Marriage, Penguin Books,
London, 1969 : 271 ; D. de Coppet, F. Eliet et M. Panoff, 1966, Esouissc d’un glossaire de
~o;îr~~~ L’é;hy; Bull. c+ CJA, 1?66 ; Paul Wald, 1977, La variabilite dans la termi-
e: e par n mme critère d’adeouation de I’analvse -I’exemole de la terminologie
consannuine francaise, L’Humme, , 1977, XVII (2-3) : 23-70 ; Claude Vogel, 198 1, Parenfé
et r&ulation sociale, Manuel d’étude de lu parenté et de l’alliance, Centre Universitaire de
Saint Denis, 1981, dactylo : 419.

346
On peut citer aussi, comme exemple, l’ensemble des questions po-
stes par les enquêtes sur la fécondité pour déterminer si la femme vivait
maritalement ou non (et était ‘exposée’ au ‘risque’ de grossesse), car la
question « &tes-vous mariCe ? », n’est pas forcément valable, VU que le
concept de mariage peut être distinct de celui de cohabitation entre époux :

Nous restons imprégnb du fait que, dans notre sysféme culturel, mis à
part le contratfinancier entre époux, qui se passait devant notaire pour
les fiançailles quelques mois avant le mariage proprement dit, le ma-
riage comportaii une quasi confusion temporelle entre cérémonie civile
(passage devant Monsieur le Maire); religieuse (passage devant Mon-
sieur le Curé), sociale (la noce) et le début de la vie sexuelle (nuit de no-
ces). Tous ces événements coïttcidaient étant vécus dans la même jour-
née, à quelques heures près, par les époux. En d’autres sociérés, ei au-
jourd’hui même en France, ces événements sont disjoints dans le temps,
ils peuvent même se produire à quelques années de distance. Ne voyons-
nous pas aujourd’hui de “vieux couples” convoler légalement accompa-
gnés par leur progéniture ?
(Lacombe, 1983 : 80 )
Donc, de multiples questions peuvent être ndcessaires pour obtenir
une réponse ‘simple’ : « vivez-vous maritalement avec quelqu’un ? ». Une
cascade de questions organisée en arbre de possibilités affine l’approche en
fonction des réponses. La réponse réside, quelque par au bout de cette
chaîne de ouilnon : la réponse oui à la question n amène à poser la question
ni], non, la question n+î, etc.
On comprend qu’en sociologie on ait systématiquement fait appel à
ce type de procédure vu que la réponse est attendue comme complexe ! On a
un exemple avec l’enquête sur la famille congolaise que nous avions réali-
sée : pour savoir si les gens “croyaient à la sorcellerie en ce qui les concer-
nait” de multiples questions abordaient les ‘risques’ d’ensorcellement et
l’analyse permettait d’obtenir une réponse à une question qui n’était appa-
remment pas posée d’une manière personnelle directe 46.
Il nous semble qu’une des difficult6s de montage des questionnaires,
souvent omise dans les manuels est, une fois de plus, la confusion de lan-

46 La question a la sorcellerie existe-t-elle ? » 6tait posée avec d’autres questions sans lien
les unes avec les autres, par contre des batteries de questions exploraient la maladie,
l’héritage, les relations de parenté, la fratrie, toutes affaires qui sont des hauts lieux de la
sorcellerie en pays Kongo.

347
gage entre langage courant et langage scientifique 47. Empiriquement, on a
engagé de nombreux efforts pour rendre le langage scientifique accessible
aux sujets, et pour sortir, quant aux études en Afrique, de notre phraséologie
centrée sur nos langues et cultures occidentales. Théoriquement on erre un
peu en oubliant le pourquoi de ces diffërences que l’on attribue trop facile-
ment à ces différences entre cultures anthropologiques (différences entre
langues et entre nations) quand il nous semble que nous avons plus à faire
avec la nature de la science. Cette observation est particulièrement perti-
nente si l’on concerne la nature de la question d’un questionnaire.

Les questions

Lu question du scientifique n’est pas celle du questionnaire

La question d’un questionnaire n’est pas la question que se nose le


démographe, ou le sociologue, ou l’économiste... ce n’est pas une interro-
gation épistémologique. Si cela était, on demanderait à la population : quel
est votre taux de mortalité ?, ou aux femmes : dites-nous en toute franchise,
quel est votre taux de fecondité cumule ? Or, à exprimer l’idée ainsi, on rit.
Quoique bien commune et constamment répétée, la remarque paraît pourtant
idiote. Elle est significative des débats que nous avons eus des années durant
et que nous avons voulu résumer en certains chapitres precédents (celui sur
les paradigmes, celui sur Goldmann, et le chapitre 5 précédent) : c’est la
confusion des concents emuirictues avec les concepts theorioues qui est le
fondement des aberrations. Cette confusion explique celle entre les luttes
nationales pour l’indépendance (donner une base plus nationale, plus con-
forme à la réalité sociale aux concepts) et les attaques contre les fondements

” Question
déja abordde au chapitre 2, à propos de l’enquête. situation interculturelle.

348
scientifiques de la collecte 48. Nous avions fait une communication avec
Lamine Gueye: (1979) : Approche pour une reformulation des concepts
utilisés en dém:ographie dans les pays africains, nous avions été étonnb de
l’accueil très froid qu’elle reçQt. Il ne nous semblait pas qu’elle méritât tant .
d’indifférence.. . jusqu’à ce que nous prenions conscience que la rationalité
des idées exprimées étaient en soi un acte iconoclaste : “certes, la famille
sénégalaise n’a rien à voir avec l’organisation de la famille française, certes
la conception du ménage est marquée par les conceptions occidentales mais
dire que l’on peut se dispenser de ces concepts en démographie est-il un pas
que l’on peut franchir sans état d’âme ?” mais cette manière de poser les
problèmes est sans intkrêt, car elle pose un problème technique rationnel
quand on aime: aujourd’hui les dkbats de civilisation, fussent-ils artificiels.
De s’exprimer en langage courant, verbal, les sciences sociales pa-
raissent un bien commun a l’humanitt entière. Il n’est personne qui ne se
sente gêné d’en discuter et les dtviations actuelles du systéme global média-
tique (la société du spectacle disait Debord) ne facilitent pas les choses.
Comment résikter a l’appel de la célébrité quand elle vous atteint, et vous
corrompt ? On pourrait supposer que nous-même regretterions de ne pas être
corrompu, coincé comme tout le monde, dans l’incélébritt qui est la nôtre.
Nous nous contentons de l’anonymat collectif dans lequel germent nos
idées ? C’est excès d’orgueil. Certes on peut se demander pourquoi notre
avis n’est pas plus sollicité, qui n’est pas plus bête que ceux que nous lisons

ici et là de célébrités ? Qui peut nier qu’il se reconnaît dans ce portrait ?


Qu’on s’en glorifie ou qu’on s’en attriste, c’est le lot commun. Mais ces
mêmes gens qui tiennent «le haut du pavt » évitent soigneusement

48 Nous ne pouvons dtriver sur la question ethnique mais que l’on constate ce qui se passe
actuellement avec les luttes pro-ethniques où les militants - dont le combat nous parait tout 2
fait valable, les Jivaros ont autant de droits que les baleines - n’acceptent le regard scientifï-
que de l’anthropologue que si celui-ci met un mouchoir sur la science et embrasse la cause,
dont il lui est totalement interdit de discuter les fondements. Nous pensons que cette
« dtviation », que nous nommons ainsi parce que nous pensons que la science a un discours
a tenir qui n’est pas le même que celui de la société et de ses groupes sociaux, a son origine
dans la confusion des genres : littérature, voyage, exotisme, ethnologie, journalisme...

349
d’aborder des questions techniques de sciences dures, ou alors ils le font au
nom de la politique, de Dieu ou de grandes valeurs (le ‘développement’, le
‘peuple’, la ‘civilisation’) : du boys sujet quoi. On l’a bien vu avec le débat
sur la « mémoire de l’eau » du Pr Benveniste, ou celui sur le vaccin anti-
paludique. Qui a pris position de nos grands intellectuels ? Personne, ce qui
était normal. Mais pourquoi alors prendre position sur des problt?mes tech-
niques quand ceux-ci sont du ressort des sciences sociales ? Parce que cha-
cun croit y entendre quelque chose.
Prenons deux exemples : l’un est la question des sondages durant les
campagnes électorales, il n’est personne ayant accès aux média qui n’ait son
opinion et la fasse savoir. Maurice Druon, littérateur français, membre de
l’Académie française, n’hésitera pas à entrer en bataille contre les sondages
(c’est-à-dire contre l’image qu’il en a -Le Figaro, 30/4/95 -), les accusant
de forfaiture. Son argumentation est une discussion interne des résultats des
sondages. L’autre question est celle dite de “la vache folle”, on pourrait
prendre celle de Dolly, la brebis clonée... là, plus personne. Ou bien ceux
qui s’expriment vont le faire au nom des grandes valeurs. Nous n’avons
aucune discussion interne des ‘inconvénients’ de la crise ou de la méthode !
Qui a dit les problèmes posées par les femmes mknopausées pour la viabilité
physique des enfants ? On parle de Dieu, des réticences l’Église, desfama
islamiques, mais des problèmes de santé des enfants, pas un mot ! La diffi-
cultk est que même si les scientifiques des sciences ‘dures’ entrent dans les
débats journalistiques, leurs équations ou leurs expériences sont là-bas, au
fin fond des laboratoires, bien à l’abri du vulgum pecus.‘En sciences socia-
les, ce n’est pas la même chose. Les commentaires journalistiques qui sont
faits des travaux de sciences sociales débattent des idées sans discuter les
faits. T]s sont en général écrits par les pairs des auteurs et entrent dans une
politique auto-laudative collective d’un groupe dont les membres se ren-
voient les compliments par ascenseur interposk. Dernièrement, un membre
de notre intelligentsia, célébrissime parmi les grands de notre systbmc cultu-

350
rel, a produit un livre que personne n’a compris, non parce qu’il est trop
intelligent ; nous craignons quant à nous qu’il n’y ait rien à comprendre.
De participer au système gén6ral de la culture, les sciences sociales
en sortent amoindries. Dans les Ctudes sur les systèmes de collectes, si l’on
prend le document de la CEA-ONU (!974), on voit toutes les précautions
verbales utilisées par leurs auteurs dans les critiques, car ils savent combien
la critique technique que l’on peut faire des idées en sciences sociales est
fragilisée par le fait qu’elles appartiennent au bien commun 4g. Elles sont
techniques, ma.is aussi elles sont communes. Nous ne sommes pas libérés de
la pression de la société du spectacle en sciences sociales.
Peut-être que l’on peut penser que nous dérivons, mais il nous sem-
ble qu’au contraire nous sommes en plein dans le sujet : la question du
scientifique n’a rien à voir avec les questions d’un questionnaire, car
Une question est une formulation normalisée permettant d’approcher
une information ou une donnée dans le cadre d’une stratégie de collecte.
Visant un champ scientifique, elle permet d’obtenir une information, et
faciliter la capture informatique de la donnée.

Une question n’est pas un problème, c’est un instrument de la collecte.

Lu question est tournée vers l’aval : Penquêté

Une question a pour objectif de relever une seule et unique informa-


tion, d’une manière non ambiguë en sachant que l’idéal n’existe pas. La
seule contrainte qu’elle doit avoir est d’être entendue d’une seule manière
par le sujet de l’enquête. Il y a donc des questions de mots (comme les
terminologies de parenté), ou de grammaire 50. L’important est donc de
savoir ce que la question voudra dire pour l’enquêté et si les réponses qu’on

49 Voyons ce que: dit William Seltzer (1974) après une discussion critique lucide des metho-
des de collectes : Toutefois, elle demande du temps et est par conskquent onéreuse, et dans
l’expérience rapportCe [. , ,], les résultais qu’elle a permis d’obtenir ont seulement été
faiblement meilleurs que ceux que pourraient fournir des questions classiques, relatives à
l’âge, poses judicieusemenr. Néanmoins ces deux auteurs ont conclu que c la méthode de
la cohorfe serait certainement utile... Y
Sa En français, au contraire des autre langues, il ne faut jamais utiliser les phrases interro-
négatives, car le Français répond toujours au positif de la question, A la question : « Jean
n’est-il pas l&? », le Français répondra non s’il n’est pas là, alors que le Séndgalais, le
Malgache, le Chinois, l’Allemand répondra oui (oui, il n’est pas là). Le Français a entendu
la phrase en posilif.

351
fournit, dans le cas de réponses fermées, correspondent bien à des cas so-
cialement acceptables par le sujet (Eviter qu’il ne se ‘réfugie’ dans les répon-
ses‘lie ne sais pas” ou “autres”).
De même, là où d’autres langues ont des mots l’un négatif l’atitre po-
sitif, le français ne dispose souvent que d’un seul : par exemple ‘jamais’
recouvre les ‘ever’ et ‘never’ anglais. D’où les résultats déplorables obtenus
par une question du genre « Avez-vous jamais étt5à Paris ? » dont on ne sait
si c’est une question positive, négative, si jamais signifie ‘pas du tout’ ou
‘une fois’... Quand on rédige les questions et que les enquêteurs vont les
décliner en plusieurs langues, la seule solution est de bien faire comprendre
ce genre de problème de traduction.

Une question prkvoit des réponses ouvertes ou fermées

Une question fermée est une question qui demande un nombre de ré-
ponses définies à l’avance ou une donnée numérique. Les questions suivan-
tes relèvent des données : « quel âge avez-vous ? », ou bien «Combien
gagnez-vous ? », Elles relèvent des qualités qui seront facilement transfor-
mées en données : « Possédez-vous une voiture ? », la réponse est oui ou
non. Le sexe est également une information qualitative facilement exploita-
ble quantitativement comme si c’était une donnée. C’est finalement le cas de
toute question dichotomique. Or on peut dkomposer toute information ou
donnée en une série de questions dichotomiques (prenons un cas trivial de
traiter l’âge comme variable dichotomique : on décompose en “le sujet a 1
an ? ” Non, “2 ans? ” Non, “3 ans ?” Oui, “4 ans ? ” Non, etc. La procédure
manque de finesse mais, informatiquement, elle est efficace.)
Une question ouverte relève des réponses verbales, par nature extrê-
mement diversifiées. Par exemple on peut poser la question : « Que pensez-
vous de la démographie ? » On peut restreindre les choix en cadrant les
réponses et ‘obliger’ le sujet zi répondre dans un des cas précis donnés. Le
problème de ces cadres de rkponses trop contraignants c’est qu’ils sont en
contradiction avec la nature de la question et les sujets risquent soit de se
réfugier dans les catégories ‘poubelle’ que sont les réponses « iutres

352
-préciser- » ou ,«ne sais pas » qu’il est difficile de récuser dans la pratique de
l’interview car les deux interlocuteurs perçoivent bien que le jeu est faussé
par le cadre offert par l’éventail fermé des réponses.

Certaines questions sont, par obligation, ouvertes dans toute enquête,


comme les réfërences du sujet (nom, prénom, etc.) mais on a pris l’habitude
de classer les questionnaires par la nature des questions centrales selon
qu’elles sont ouvertes ou fermées. On parlera donc de questionnaires ouverts
ou fermés, et Id’enquêtes de même, sans voir que la plupart des enquêtes
utilisent des questionnaires dont la simple vue montre qu’ils ne sont pas
fermés alors qu’ils sont considérés comme fermés par le concepteur.. . qui
oublie le chiffrement des informations. Le cas des dénombrements est pa-
tent : les questionnaires en tableaux amènent les enquêteurs à prendre des
réponses verblales pour certaines variables (comme la profession ou
l’activité économique). . . repoussant les difficultes au chiffrement des ques-
tionnaires, avec plus d’imprécisions que si le choix avait éte fait sur place,
en face de l’enquêté qui sait, lui, quelle est sa situation personnelle mieux
qu’un grouillot au fond d’un bureau quelques mois après.

Les rtfponses évasives

Quelque soit le type d’enquête, le concepteur ne peut éviter que les


sujets ne répondent pas à la question. «Ne sais pas », « Pas de réponse »
sont alors inscrits sur les questionnaires ou cochés dans la liste. L’analyse
prouve que les réponses de ce type sont des réponses refuge en cas de diffi-
cultés devant le problème posé. Répondre « non » demande souvent beau-
coup de courage au sujet, qui préfère donner une réponse evasive de façon à
ne pas heurter l’enquêteur. Souvent les normes de politesse exigent une
certaine réserve, incompatible avec la nature d’une enquête. En malgache,
dire non est impoli, aussi facilite-t-on les réponses en mettant les phrases en
forme interro-négative, dont nous avons dit qu’il fallait l’éviter par contre en
français pour des raisons de logique. Mais souvent aussi, la réponse pro-
fonde du sujet, lui demande trop de peine pour être précisée, et il préfère
s’abstenir. Dans notre enquête sur la famille congolaise, les hésitations à

353
fournir une réponse comme la croyance à la sorcellerie ont pu être analysées
(Gaspard Boungou et al, 1984). En effet les non-réponses étaient des oui
inavods. L’analyse des sujets montraient que les sujets qui avaient répondu
“non, je ne crois pas aux agressions sorcières”, vivaient des situations SO-

ciales où les risques d’être agressés en sorcellerie étaient quasiment nul dans
la configuration particuliere de leur système de parenté (par exemple, ils
n’avaient pas d’oncles) ; ceux qui répondaient “oui” avaient eu maille à,
partir avec quelques agressions sorcières ; quand à ceux qui s’abstenaient,
on peut résumer en disant qu’ils « croisaient les doigts » espérant qu’aucun
sort ne leur serait jeté, mais ils étaient potentiellement dans une configura-
tion favorable pour être agressés au moindre incident que connaîtrait leur
communautt ou leur famille (risque naturel portant sur les biens et les gens).
D’autres auteurs ont insisté sur ces aspects et sont arrivés aux mBmes con-
clusions. Pour être plus exact, c’est ces études qui nous avaient amené à
étudier ces cas “. L’usage de questions en batterie permet de distinguer les
personnes qui ne sont pas impliquées par la question de celles qui ne répon-
dent pas. Mais la difficultt est d’obliger les enquêteurs a cocher ces répon-
ses « non concerné » et ne pas classer tous les sujets en « ne sais pas ». Sous
peine d’alourdir considérablement les questionnaires, il faut se méfier de
recourir trop à ces finesses et limiter ses ambitions aux secteurs dont on sait
a priori qu’ils vont toucher la sensibilité du sujet et être :

l source de difficultés d’analyse, si on les conserve sans précaution et

l sources d’analyses pertinentes si on les conserve en prévoyant que les


non-réponses peuvent être significatives.

Les questions factuelles et d’opinion

Quoique le démographe se targue de relever des faits, très souvent il


relève des opinions. L’âge que l’on a peut en être une. Nous pourrions don-
ner un exemple : lors de notre travail dans le Bas Saloum, deux sujets

” Nous avions récolté une bonne documentation sur le sujet mais celle-ci s’est trouvée
dispersée. II y avait en particulier une strie d’études françaises réalisées sur la famille d’un
grand intbrêt et que nous n’avons pu retrouver. Elles dmanaient de sociologues des services
de santt.

354
avaient le même âge: ils étaient n& la même année (tous deux ayant été
baptisés a la naissance), mais ils n’étaient pas du même mur, classe d’âge en
sérère. L’un d’eux, étant fils d’un notable et d’une force peu commune, avait
‘sauté’ dans la classe d’$ge précédente, comme chez nous un élève doué
saute une classe à l’tcole. On l’avait marié également très jeune. L’autre
correspondait il la moyenne de niveau social et de caractéristiques person-
nelles de sa société : le mariage était un événement qui se produirait dans un
lointain qui viendrait bien un jour. L’un et l’autre de ces sujets, d’un com-
mun accord, SI~donnaient 21 et 29 ans ; l’un se disait «petit » et l’autre
« grand ».
Quelles que soient les modalités recherchées il est nécessaire de ne
pas soi-même biaiser ses questions en les construisant de telle manière que
les sujets de l’enquête puissent “s’évader” vers des opinions aux dépends
des faits. Dans certains cas, il est très difficile de distinguer la norme du
fait : par exem.ple on pourrait penser a la double question qui concernent le
même fait : « quand pensez-vous que l’on est majeur ? », « quand avez-vous
été majeur ? » Quand la société française était bien structurée, la réponse de
« 21 ans » était celle que l’on obtenait : le fait et la norme coïncidaient. On a
eu le même probléme avec l’âge au sevrage (nous passons sur la subtilité du
phénomène) : si la ‘tradition’ oblige la mère a sevrer son enfant à 18 mois,
grosso modo, c’est-a-dire a lui donner une alimentation adulte sans pour
autant renoncer & le faire téter, mais en privilégiant le fait qu’elle lui donnait
une alimentation adulte, elle va répondre “18 mois” à la question du sevrage.
Il semblait que cela se passait ainsi au Sénégal dans les années 70. Jacques
Vaugelade et nous-même avions obtenu, pour les enfants observés par
l’enquête « santt5 mentale et migration » : une mesure systématique de 18
mois, inquiétante compte tenu de sa fréquence. Nous avions donc pensé que
nous avions relevé une ‘opinion’ et pas un fait, mis à part quelques cas
particuliers ; mais c’est justement ces cas particuliers qui fondaient l’analyse
antérieure car dans ce cas la mère s’étonnait elle-même de ne pas avoir pu
sevrer l’enfant à l’âge habituel.

355
II est donc toujours nécessaire de puiser dans l’arsenal des questions
la possibilité de relever les faits plutôt que les opinions, dont on ne sait
jamais si elles sont personnelles ou collectives. On le voit bien avec les
élections en France : pour la présidentielle de 1995, “tout le monde” donnait
Monsieur Balladur gagnant. Donc, si l’on demandait si Balladur allait être le
futur président, les sondes répondaient : « oui ». Avoir une opinion person-
nelle dans cette configuration n’avait aucun sens pour quelqu’un qui est
pragmatique. Quand la norme est trop prégnante, les opinions personnelles
ne peuvent pas s’exprimer, elles n’arrivent d’ailleurs parfois même pas à la
conscience du sujet contraint par son habitus.
Dans l’expérience que nous avons, nous prenons toujours la précau-
tion quand nous voulons relever un fait ‘épineux’ de le faire précéder par
une question d’opinion et nous désamorçons la potentialité émotionnelle de
la question qui nous importe. Par exemple, si l’on interroge un chef de
famille musulman et qu’on lui demande : « À I’Aïd, sacrifiez-vous un mou-
ton ? », il va répondre : « oui ». Se contenter de cette réponse pour dire que
“tous les chefs de famille sacrifient un mouton à 1’Aid” est aberrant, même
si tous disent sacrifier un mouton, car ils donnent une norme, pas un com-
portement. La question doit être posée ainsi : «Avez-vous au dernier Aïd
sacrifié un mouton ? », le résultat est meilleur. Mais si on veut obtenir des
réponses plus fiables encore, il faut ‘dtculpabiliser’ les sujets en leur de-
mandant si c’est vraiment nécessaire de sacrifier un mouton à I’Aid, etc.
pour leur donner la possibilité de ne pas trouver leur propre comportement
“honteux” ou déshonorant. On a donc toute une dynamique déculpabilisante
qu’il faut savoir inscrire dans un questionnaire... quitte à ne pas utiliser
cette information, qui souvent pourtant est très intéressante sur le plan mé-
thodologique ou pour d’autres experts en d’autres disciplines. Parfois, nous
avons même fait effectuer une lecture d’un petit texte situant les questions,
leur échelonnement, et terminant par des questions anodines qui suivaient la
seule question dont la réponse nous importait, Il ne s’agit pas de piéger le
sujet mais de s’assurer qu’il répondra en claire connaissance de cause en

356
évitant les « voies de garage », sans lui donner - nous le reconnaissons - la
possibilité de déterminer par lui-même ce qui nous fait problème. Mais nous
ne mettons pas de chausse-trape.

Les questions-piéges

Nous ne posons jamais, personnellement, de questions-pièges. Nous


sommes là-dessus, en dtmographie et en recherches en collectes sociales et
économiques, totalement opposé à ces manipulations. Quand vous passez un
test de psychologie, vous savez que vous allez être l’objet d’une manipula-
tion s2, quand vous acceptez une enquête de démographie, vous devez savoir
que son concepteur cherche a avoir de bons renseignements, et donc réalise
les procédures pour les obtenir (des techniques en aveugle permettent
d’obtenir des repenses sans que l’enquêteur connaisse le contenu de ce que
lui répond le sujet). On ne doit pas confondre un questionnaire de sciences
sociales avec un test de Rorcharch. Les procédures dont nous disposons
suffisent largement, bien maniées, pour résoudre nos problèmes de collec-
teurs de faits sans prendre le sujet pour un minus habens ou un menteur
potentiel, le tout sans pour autant augmenter les cot%sde collecte. On ne doit
pas mtlanger les genres en matière de collecte quantitative.

Le libellé desquestions

L’idéal1serait que les questions soient posées dans le même ordre et


de la même maniere pour tous les enquêtes. Formuler clairement ce vœu
permet d’en montrer l’inanité : les sujets ne sont pas les mêmes le matin et à
midi, un jour de semaine ou en repos... Certes, on ne peut l’eviter, mais
pourquoi alors vouloir éviter que les enquêteurs soient différents quand c’est
tout aussi impossible ? Les enquêtes démographiques et de sciences sociales
en général ne sont pas des enquêtes de personnalité, on cherche des infor-
mations et des données stables.

” Les rbgles en France sont de refuser désormais ces manipulations, le résultat est que notre
école de psychologie prend un retard considérable sur le plan international, Cf Beauvoiset
Joule, 1992. Car l’expérimentation est seule h même de permettre des avances dans cette
discipline. On ne l’accepte que pour les enfants !

357
Par ailleurs, l’exptrience prouve que les bons enquêteurs se libèrent
du carcan bureaucratique que leur imposent les “cerveaux chromés” des
concepteurs d’enquêtes, dont nous sommes.
En conclusion, il faut savoir que si les questions doivent avoir un li-
bellé, su par cœur par les enquêteurs dans le cas d’un questionnaire en ta-
bleau, non pour les brimer, mais pour leur permettre de se libérer de la
contrainte-papier. Cela est de l’ordre de la formation qui a pour but de les
amener à se motiver pour l’obtention de bonnes données. Mais le mieux est
l’ennemi du bien et convaincre de la validité une équipe n’est pas aisé ; part
ailleurs, les contraintes du terrain font voler en éclats nos plus belles inten-
tions...Nous n’avons pas d’idée précise pour fournir une conclusion géné-
rale ; en dehors du cas particulier du niveau des équipes, du sujet pr6cis du
questionnaire, de l’accueil de la population, la discussion est selon nous sans
intérêt : si c’est le terrain qui décide, alors on ne peut discuter que les cas
concrets.
Enquêter, c’est faire confiance dans les hommes et les femmes que
l’on emploie, jouer un jeu clair avec les sujets, et faire son travail avec le
maximum de serieux et de bon sens, une fois définis les objectifs recher-
chés, connus tous les pieges de l’enquête et avoir modéré ses désirs de don-
nées aux contraintes du milieu.

Les variables

Nous n’allons pas traiter des variables, les discuter dans leur détail,
et brocarder les délires qui se fondent sur elles comme nous aurions ten-
dance à le faire. En traiter avec objectivité, Dominique Tabutin l’a excel-
lemment fait (1984), nous-même, qui tentons de transmettre ici une expé-
rience, nous voudrions formuler certaines observations A propos de la col-
lecte de quelques variables majeures dont le cas n’aurait pas été abordé
précédemment, en nous centrant sur les donntes moins directement démo-
graphiques, plus sociologiques, et en traitant leur définition, leur collecte et
leur analyse. D’une manière générale, on doit cesser de croire que l’on peut

358
effectuer des analyses plus fines que ne le rend possible la qualité des don-
nées telles qu’elles ont été collectkes. Notre analyse va être brève car nous
allons plut& largement traiter ces informations dans le chapitre suivant, avec
les “sous-produits” d’enquête

Les unités d’observation

Qu’est-ce que l’on observe et qui va parler au nom de ce quoi on ob-


serve ? Voilà un des grands dilemmes de la méthodologie d’enquête. Sur les
unités d’observation, le groupe Ah4lRA a effectué une compilation des posi-
tions contradictoires des professionnels (Amira, 1987), a laquelle nous
avions nous-même participé, Par ailleurs G. Ancey, 1984 et 1989 et
J.-M. Gastellu, 1978 et 1980, ont produit des études séparées sur cette ques-
tion. La difficulté principale est que ce que l’on observe pratiquement, sur le
terrain, n’est pas forcément ce que l’on observe scientifiquement. Il y a un
hiatus entre l’objet méthodologique sous observation pratique et l’objet
méthodologique sous observation scientifique. Le cas est patent avec la
démographie : on observe le ‘ménage’ (Gueye et Lacombe, 1979), avec les
difficultés de définition que l’on connaît (famille ? groupe de résidents ?. . .)
alors que ce qu’on analysera, l’objet scientifique, est l’individu. Par contre,
dans d’autres recherches, pour les études de terroir, c’est le village qui est
analyse (P. Pélissier et G. Sautter, 1964) et ce qui sera observe c’est les
unités d’habitation et de production.. . Tenter de résoudre ces contradictions
nous apparaît impossible. Il faut seulement les prendre en compte comme
des contraintes. Jean-François Werner, 1993, a propos des phénomènes liés
à la drogue, souligne l’impossibilité de prendre une seule unité
d’observation : pour sa recherche, le chercheur doit «ratisser » large et
appréhender le phénomène dans toutes ses manifestations (ce qui est pour
lui un argument pour la pratique de l’enquête-participante).
La solution qui nous paraît de bon sens et qui a été adoptée empiri-
quement par de nombreux chercheurs est d’effectuer des investigations
emboîtées, utilisant des questionnaires différents pour avancer dans la col-
lecte des données de terrain, changeant ainsi de modèle de questionnaire à

359
chaque niveau 53, La limite empirique est naturellement d’ordre pratique :
comment demander ‘trop’ à des enquêteurs, malgré tout le soin apporté a
leur formation ? Car, même pour un seul chercheur, la multiplicité des
approches et des éléments à prendre en compte diminue très sérieusement la
qualité de l’observation, comme nous l’avons montré pour notre propre
travail à Fakao (Lacombe, 1969). Le mieux étant l’ennemi du bien, le col-
lecteur de terrain ne doit jamais l’oublier, lui qui, contraint par le temps de
la collecte ne peut le remonter pour corriger ses erreurs d’observation (pour
des raisons de coots, pour des raisons d’évidence : on se baigne jamais deux
fois dans le même fleuve, la situation d’aujourd’hui n’est pas celle qu’on
avait observéequelquessemainesavant... Même le géographe,qui peut se
targuer d’avoir un objet d’observation moinschangeant,est prisonnier de ce
temps: les saisonschangentle paysageet aucuneannéen’est l’image de la
précédente...

On peut aussisignalerque la definition de certainesunités d’enquête


dépend... de leurs membres,ou d’un de leursmembres.La taille d’une unité
collective va bien Cvidemmentdépendrede l’effectif despersonnesqui s’y
rattachent. La difficulté est plus subtile qu’il n’y paraît de prime abord, en
effet, on défini le tout et les partiesdans, avecet par leur relation. Résultat
fréquent, on obtient une situation que l’École de Palo Alto a bien étudiée :
une situation de double contrainte (P. Watzlawick, 1979, 1981). Parfois
aussi,une unité est définie par un de sesmembres: on sesert pour définir le
groupe descaractéristiquesde son chef: sexe, âge, situation matrimoniale,
revenus,catégoriesocio-professionnelle.,
. Que ces unités collectives soient

sociales (famille, association..,), statistiques (ménage, exploitation.. .),


physique (maison, atelier...) on peut les définir, les caractériser par des
caractéristiquesde l’individu qui s’en déclare, ou est accepté comme, le

” Le Delta cenrrul du Niger au Mali; ensemble de documents pour l’enquête-cadre de


I’Orstom-Ministère de la Coopération, Orstom, Paris-Bamako : 200 (environ, multigr). Voir
l’ouvrage de synthèse : Jacques Quensière, éd., 1994 ; La pêche dans le delta cenrrul du
Niger ; Karthala / Orstom, 1994.2 tomes, + h.t. : 496.

360
chef. Nous avons pu aussi appliquer ces différentes variables à des groupes
temporaires, que nous avons appelé ‘groupe de migrants’54.

L’unit6 d’observation est donc d’une définition primordiale, défini-


tion qui se trouve sur une étroite ligne de crêtes dont un versant est ce que
l’on veut observer et l’autre ce que l’on peut observer.

Posons la question à qui l’on veut, la repense paraît évidente :


l’interviewé est la personne sur qui on cherche des renseignements. Dans la
réalité de l’enquête de terrain, ce n’est jamais totalement exact. D’une part
parce que la personne peut ne pas être là durant toute la totalité du passage,
et il faudra se contenter de ce qu’en diront ses proches, lesquels ont une
connaissance parfois incertaine des faits majeurs, sans parler de refus plus
ou moins déguisé de donner des renseignements (P. Riesman, 1974 ;
F. Sodter, 1984) “), et sans mentionner la bonne volonté de certains de vous
donner quand même un renseignement, comme ces gens qui vous « donnent
la route » d’une manibre erronée afin de ne pas vous affliger de vous infor-
mer qu’ils n’en savent pas plus que vous.. . Par ailleurs, sur les émigrants, il
est difficile de les appréhender directement (même dans le cas de collecte de
données au lieu de départ et au lieu supposé d’arrivée, comme Jacques
Vaugelade et nous-même - t977- l’avions effectué pour la migration vers la
ville de Dakar des Séréres de Niakhar).

On conçoit que les données ne soient pas de qualité identique selon


la personne qui répond sur la personne enquêtée, De nombreux travaux ont
été effectués sur ce sujet 56, plein d’intérêt, qui permettraient théoriquement
de redresser certaines données, sinon quantitativement du moins quahtati-
vement, mais dont l’analyse est trop difficile et abandonnée par les démo-
graphes. Comme si, tant de travail pour finir par douter de son résultat,

s4Lacombeet Lamy, 1969 ; Lacombe, 1972-b. 1974, 1984- b.


SS Ces deux auteurs ont enquêtk chez les Peuls et rencontré un cas limite de refus de rC-
ponse. Par respect, on ne donne pas le nom des autres ni d’autres renseignements, par
rkserve. on ne vous le dit pas, et par jeu, on invente !
s6 Scott, Vaessen, Copulibaly, Verral, vers 1985. document interne de la WPS de Londres.

361
n’&ait pas de trop dans la longue géhenne d’une enquête de terrain. Notre
explication, pour être psychologique, ne nous apparaît pas moins la
meilleure sur l’abandon de ce type de recherches méthodologiques visant à
mesurer la qualité de la collecte d’une enquête donnée 57.

Lu nuptialité

La nuptialité est un phénomène qui fut assez facile A appréhender


dans les pays occidentaux quand les différents actes sociaux qui sanction-
nent l’établissement d’un nouveau couple étaient quasiment confondue dans
le temps. Si l’on prend le cas du ‘mariage’ classique des pays appartenant à
notre système culturel (notre civilisation telle qu’elle a fonctionné quelques
siècles, ou telle qu’elle s’est plue à en donner l’image) on doit remarquer
que, mis à part le contrat de mariage (acte notarit) et fiançailles (annonce
officielle de la future union), tout le reste est concentré en une ou deux
journées : cérémonie civile (passage devant le maire) mariage religieux
(promesse entre époux à l’église), noces (cérémonie sociale joignant voisins
et parentés) et consommation de l’union (cérémonie pride de la nuit de
noces). Le démographe pouvait ainsi prendre cette journée comme point de
départ de l’entrée en période de “risque de grossesse” de la femme. Le
schéma reste idéal, mais il fonctionnait plus ou moins, avec des variantes
régionales ou folkloriques. C’est sur le fait qu’une dot n’a pas été ver& que
tout le film L’homme tranquille de John Ford est fondé : la belle Irlandaise
rousse ne se reconnaît pas mariée tant qu’elle n’a pas ‘récupéré’ les quelques
sous qui sont son honneur de jeune fille.

L’application du concept opératoire à d’autres civilisations a entraîné


de nombreuses complications : les autres systemes sociaux se plaisent à
emmêler tout. Certains préféraient débuter par la cérémonie privée avant les

STIl est toujours regrettableque les échecspartielsd’une collecteet, aforriori, les enquêtes
qui échouentne reçoivent pas la publicité nécessaire. Soit par défaut de planification
prtalable, soit par rejet par le ‘terrain’ (la population) de l’enquête (P. Riesman, 1974 ;
F. Sodter, 1980), soit parce que le problème tlait insoluble ScienUïquemenS soit par
incapacité du chercheur, on constate qu’un voile pudique tiss6 de silence est jet6 sur ces
expériences. Emmanuel Fauroux, économiste, avait produit un document intéressant Sur un
de ses tchecs vers 1967, c’est un des rares cas que nous connaissons.

362
cérémonies officielles, d’autres ne reconnaissaient la paternité du ‘conjoint’
que si les bien.s de la compensation matrimoniale avaient &té versés par la
famille de l’époux a la parenté de l’tpouse. D’autres paraissaient ne
s’occuper de rien, considérant l’affaire comme privée : dans Le dit du Genji,
ce roman japonais de la poétesse Murasaki-shikibu, son traducteur René
Sieffert se doit de nous préciser dans sa préface :
Faute de mieux, j’utilise, comme il esr d’usage, ces termes de droit occi-
dental que sont n mariage, ~POUX, épouser >A En fait l’on verra, à la
lecture même du Genji, que ces mors n’ont gut?r< de sens dans les usages
de l’époque. L’union entre un homme et une femme esr une affaire stric-
tement priblée, et non une institution juridique ou religieuse. Sa solidité
repose uniquement sur la volonté des intéressés, et plus encore, peut-
être, sur la pression que la parenté de l’un ou l’autre des « époux » pou-
vait exercer sur le partenaire. Rapport de force extrêmement précaire,
d’autant plus que la femme èn principe habite dans sa famille, où
l’homme vient la retrouver et où sont en général élevés les enfants ; ce
qui facilite une forme de polygamie simultanée ou intermittente, parfai-
tement admise dans les mœurs, ef relativement confortable pour l’homme
dnns la mesure où les femmes avaient peu de chances de jamais se ren-
contrer ; ce qui, du reste. n’évitait pas toujours les drames de jalousie...
(Sieffert : 16)
Rémy Clairin, en additif a notre étude sur notre article Nuptialités,
avait fourni d’autres exemples. Dans notre étude sur L.e deuxième bureau

congolais “, nous avions aussi étudié un autre cas, une autre ‘bizarrerie’
(par rapport B nos normes idéologiques naturellement).
Aujourd’hui, les bouleversements de la cartographie de l’espace ma-
trimonial, unifie quelque peti le monde comme le montrent bien les travaux
d’Edward Shorter, Alain Bihr, Thérèse Locoh, Jean-Claude Kaufmann 5g...

La situation tkonomique

L’activité économique est souvent relevée dans les enquêtes démo-


graphiques. Malgré le désir qu’on peut avoir, ces variables sont secondaires
et doivent se plier à,une règle de simplicité. Nous prendrons l’exemple de
l’activité des femmes et des enfants : en la matière, on ne peut pas suivre la
voie des définitions économiques en usage dans les grandes collectes

s* JQmtialités, SIATECO n”35 septembre 1983 : 77-82, avec une note de Rémy Clairin.
“Voir les nombreux travaux de ces auteurs en bibliographie.

363
d’informations Cconomiques. Nous ferons part de notre expérience lors du
recensement de Tunisie de 1975. Nous avions trouve de fortes différences
régionales dans l’activité de ces deux groupes : nous nous étions rendus
compte que les différences entre régions n’étaient que des différences entre
équipes de recensement. Nos collbgues plus attachés aux concepts économi-
ques réduisaient le travail des aides à la production directe pour le marché,
ceux qui manifestaient des tendances de sociologues, prenaient en compte
l’activite comme ‘economique quand cette activité produisait des biens et
services, quelque soit le destinataire final (intra ou extra familial), le con-
sommateur potentiel de ces biens et services.

La migration

La migration est un des grands thèmes de la démographie. Long-


temps on ne s’est intéresse qu’aux individus. À la faveur de donnees parti-
culières (des fiches de déplacement dans des enquêtes où nous recherchions
les émigrés là où l’on déclarait qu’ils allaient - la déclaration étant faite au
lieu de départ sur les émigrés -), nous avions pris conscience que les migra-
tions se faisaient en groupe, même si le délai de temps n’était pas un instan-
tané. Un homme émigrait, ses fils le rejoignaient au bout d’un an, puis son
épouse avec les plus jeunes enfants, enfin, les enfants d’âge intermédiaires
migraient. La cause de la migration était pour le premier ‘économique’, pour
les grands enfants parfois mais le plus souvent ‘familiale’, de même que
l’épouse et les petits enfants, quant aux adolescents le motif était ‘scolaire’.
Si tout le groupe familial émigrait en même temps, ils etaient tous classés en
migration ‘économique’, , . Il est inutile de s’étendre plus sur la contradic-
tion : le phénomène est complexe, son analyse aussi, et là tout dépend de ce
que l’on recherche : la ventilation et l’analyse des donnees dépend de
l’objectif de la recherche. Proposer une seule orientation est une erreur, mais
on entend bien que la difficulte est quand on se lance dans des comparai-
sons. En ce qui concerne des données sur la famille, Michel Garenne (1981)
avait vu les insuffisances de sa propre recherche de synthèse .La taille des

364
ménages en Afrique Tropicale @. Cela ne veut pas dire que ce type de syn-
thèse est à éviter, au contraire, mais les conditions de constitution des statis-
tiques est aussi important que les chiffres. eux-mêmes et il est sage d’en tenir
compte dans ce genre de travaux.

On pourrait étendre encore ces variables dtmographiques recueillies


au cours des enquêtes démographiques, il nous semble que les exemples
présentés signalent suffisamment les difficultés pratiques rencontrées et le
constant confkit que reprtsente une enquête de terrain entre concepts et
réalités, contraintes et libert&. dans le choix de l’observation. Jamais tout à
fait libres, jamais totalement soumis, questionnaires et questions se situent
dans un entre deux fait de bon sens (devant les faits, devant les moyens) et
de soumission aux règles des contraintes théoriques de la discipline scienti-
fique exercée.

6oCommunicationpersonnelle.

365
Chapitre 7
sous-produits d’une collecte
analyse des données dérivées d’une enquête.
Exemples, usages et conditions de validité

Dans les enquêtes, un lot de questions est consacré à l’identification,


un autre au cadrage des données specifiquement visées par la collecte. Les
informations et données produites par ces questions sont peu utiliskes en
démographie, pourtant leur intérêt est patent et un certain nombre de recher-
ches ont pu être fondtes sur elles. La question est plus vaste que celle des
seules collectes démographiques, aussi ce chapitre traite-t-il de la question
en précisant les conditions épistémologiques d’utilisation de ces sources
marginales mais cependant pleines d’intérêt.

L’examen d’un rapport d’enquête commence très généralement par


ces termes : “L’objectif de l’enquête était.. .” et très souvent on trouve quel-
que part plus loin dans le rapport : “Mais on a pu aussi,. . “.

Les auteurs sont toujours conscients du phénomène de couvrir un


champ plus large que leur investigation de départ.
Sigmund Freud l’avait noté quant à lui dans sa Contribution à l’his-
toire du mouvement psychanalytique (1968 : 82).
Mais le chercheur trouvait souventplus qu’il ne voulait trouver
(ce faisant, il semblefaire une citation connue de seslecteurs). Que rares
soientleschercheursqui trouvent égalementce qu’ils cherchentest une autre
question,ils obtiennent, hélas,moins que ce qu’ils voulaient, tout en obte-
nant plusque ce qu’ils ne cherchaient.

L’objet de ce chapitre est d’étudier ce phénomène,en se limitant aux


enquêtesdémographiques.Nous verrons à partir d’exemplesconcrets com-
ment peut être poséela questiondu sous-produitdesenquêtesdemographi-
ques,car qui dit produit défini, recherché,et produit plus large, obtenu, dit
bien qu’une enquête, fournit, par sa simple application, des données autres,
des sous-produits.

Les informations périphériques

Toute pratique scientifique vise un objectif à travers une certaine


méthode.
Le résultat obtenu peut se décomposer en deux ordres :
l le rtkultat visé, appelé “objectifs” (principaux et autres) ;
l les informations périphériques.
Il peut ;arriver que celles-ci soient plus intéressantes que celui-là, qui
parfois peut ne pas être atteint. Ce cas n’est pas d’école si on considère
l’énorme quantité de travaux de collecte qui dorment en l’état documents
bruts jamais analysés.
Le deploiement dune pratique scientifique ne peut se limiter au
champ précis visé, surtout dans les sciences sociales où la saisie des phéno-
mènes connexes est obligatoire car ces phénomènes sont liés au phénomène
lui-même que l’on veut observer, ou bien ils sont partie intégrante de toute
collecte.
Par exemple, dans toute enquête il est nécessaire de repérer les su-
jets : lieux, dates, . . . , noms et prénoms. Pour s’en tenir à ces derniers, on
remarque qu’ils peuvent faire l’objet d’une analyse particulière d’un recense-
ment.
Cela a et6 realisé pour la France pour déterminer les noms de famille
les plus fréquents (Cyncynatus et al, 1972). On pourrait aussi deceler les
modes dans l’attribution des prénoms par un examen des données fournies
par l’état civil, Un colloque de la Sociétt de Démographie Historique s’est
tenu à Paris en 1980 sur les prénoms (A, 1980). Mais l’on voit bien qu’une
telle analyse, sur un matériau qui n’est pas destiné à priori aune telle exploi-
tation, ne répond qu’à un champ très étroit quant aux noms et prénoms. En
effet, si l’on veut savoir comment les gens s’appellent, il est nécessaire de
monter une enquête ad hoc seule susceptible de permettre de connaître les

367
surnoms, diminutifs, qualificatifs.. . (Georges Bouchart, 1982). Dans une
telle enquête les noms et prénoms se trouvent être à la fois une information
pour l’exécution de l’enquête et une information pour l’objet de l’enquête.
Une autre étude porte sur l’âge attribué par les médecins à leurs
clients. Les medecins recueillent cette information pour “avoir une idée” sur
leurs clients. L’analyse statistique de cette “idée” montre que l’erreur sur
l’âge est plus importante qu’on aurait pu le penser (B. Garros et A. Colvez,
198 1). Et ceci est un argument de plus de se méfier de toute information qui
n’est pas reliée a ses conditions d’obtention.
L’expérience prouve donc que toute enquête draine une information
secondaire liée à sa pratique même. 11y a des nom-prénoms, mais il y a aussi
la nuptialité dans une enquête de fécondité, la fécondité des hommes dans
une enquête généalogique... Ces “petites choses” peuvent devenir très im-
portantes. Tous les scientifiques le savent : on investigue une question, a
laquelle on trouvera une repense (ou pas) et d’autres questions se trouveront
dévoilées par cette investigation. Très souvent l’on se trouve dans la position
de celui qui cherchant de l’eau trouve du pétrole, reste à l’heureux élu à
remarquer sa trouvaille et à ne pas reboucher le trou !
Ainsi Philippe Couty, 1981, à propos de l’ouvrage de Jean-Yves
Marchai, Chronique d’un cercle de l’AOF, déclare :

une fois de plus, le sous-produit d’une enquête se rkvèle au moins aussi


intéressant que sa recherche principale !
Le complexe objectif / méthode

Quand on examine une enquête démographique,‘l’on a affaire à un


complexe “objectif / méthode”.

En effet le mouvement doit être rapporté à une population de rdfé-


rente sauf dans certaines investigations comme l’utilisation des registres
paroissiaux, que ces travaux se pratiquent dans le champ de l’analyse de la
démographie historique ou dans celui des enquêtes de confrontation reali-
séespar divers auteurs : Benoit, Sodter,. . . en Haute-Volta - Burkina actuel.

368
La méthode explicite l’objet, car elle est objet peut-on dire. Ou plutôt
l’objet n’est rien d’autre qu‘une approximation à travers une méthode. Ii n’en
reste pas moins que c’est l’examen des questionnaires qui permet de déter-
miner le champ exact de l’investigation.
Les enquêtes démographiques visent deux objectifs :
l le premier est l’analyse de l’état de la population, c’est une photographie de
la structure de: la population : répartition des individus selon différentes
caractéristiques, en classes naturelles ou plus ou moins socialement déter-
minées : sexes, âges, instruction, situation matrimoniale, profession, . . .
l le second objectif des enquêtes démographiques est l’analyse du mouve-
ment conçu comme passage des individus d’un état à un autre. Le mariage
est le passage de l’état de non-marié à celui de marié, le divorce l’inverse. Le
veuvage est pour un des conjoints un retour à l’état de non-marié, comme
conséquence de l’événement qui a frappé le décès de l’autre conjoint. Mais
on connaît des événements difficiles à qualifier : un polygame suite a un
divorce ou à un veuvage reste toujours marié.. .
Tout changement de situation sociale ou biologique (le simple
vieillissement) est susceptible dune appréhension de type démographique.
De même que toute population au sens statistique du terme de collection est
susceptible d’analyse démographique : un corps de métier, un troupeau, un
parc automobile, une clientèle.. . Mais de toute façon, il faut bien considérer
que cette population ou cette collection ne sont appréhendées et étudiées par
la démographie qu’à travers les individus qui la composent.
Nous a.vons donc deux types d’informations :
l des données d’État et des données de mouvement, et
l des individus et des données collectives.
Certains individus sont aussi des événements. Ainsi un résident nou-
veau est à la fois un résident et un migrant ; un nouveau-né est à la fois un
nouveau résid.ent, une naissance, une fin de grossesse. Il est donc un événe-

369
ment, et pour la population (en tant que naissance), et pour la mère (en tant
qu’accouchement), mais il est aussi un individu de la population.

Dans la pratique même du métier de démographe, il est difficile de


distinguer toutes ces nuances, mais dès qu’on exécute des enquêtes raffinées
ou des analyses sophistiquées, la question doit être posée.

Notons que les enquêtes de mouvement sont en fait très rares. Ce qui
est étudié c’est une succession d’état, un film, composé d’une succession de
photographies, c’est le rapprochement d’images fixes qui donne l’illusion du
mouvement. Les véritables enquêtes sur le mouvement ne peuvent être que
des enquêtes longitudinales saisissant les mouvements eux-mêmes et non
seulement les situations : l’état de marié est la conséquence du mariage,
mais celui-ci n’est observé qu’en conséquence du rapprochement entre deux
états successif : non-marié, marie.

D’une manière générale, en démographie, on distingue analyses lon-


gitudinales et transversales. Cependant cette distinction est sommaire
comme nous l’avons déjà dit et il faut regarder précisément que la démogra-
phie se caractérise par trois types de travaux :

1. ceux qui analysent les données transversales simples. Il s’agit là des analy-
ses de recensement : photographie de la population à un instant donné.

2. ceux qui analysent une série de données transversales, plusieurs recense-


ments par exemple, ou bien qui confrontent des données, portant sur la
même population, qui sont d’origine différente : état civil et recensement par
exemple, mais qui n’effectue pas un appariement cas par cas.

3. ceux qui effectuent des analyses longitudinales, c’est a dire qui suivent,
non plus la population prise globalement, mais les individus de cette popu-
lation, appariant cas par cas les modifications d’état des individus, au cours
du temps d’observation, Ces études longitudinales sont souvent des études
de générations mais peuvent toucher toute cohorte pertinente determinable
(cohorte de mariage.. .)

370
Nous avons donc trois types de données démographiques :
1. les donnés d’état (recensement) ;
2. les donnés dynamiques (état civil, succession de recensements) ;
3. les données longitudinales (suivi des individus statistiques d’une cohorte).
Revenons sur un aspect de la demographie pertinent pour notre pro-
pos : qui dit démographie dit nombre, cependant une enquête démographi-
que collecte parfois des informations non-statistiques. De celles-ci nous ne
parlerons point : nous nous limiterons à l’examen des données internes à
cette discipline : donc à des données statistiques, en excluant la masse im-
portante des données non-quantitatives qu’une enquête amasse, tant sur le
plan de la méthode que sur le plan de la connaissance sociale et économique.

Ménage et famille en démographie.

Les enquêtes démographiques se fondent, pour réaliser leur travail de


collecte, sur des unités de résidence dites ménage, ou famille. Il s’agit de
groupes de personnes, en principe apparentées, ayant le même toit et parta-
geant les repas.
En Afrique, l’on distingue très genéralement la concession. Zaka, yir,
mbind, keur, . . . chaque langue a son vocable pour désigner cette unité rési-
dentielle si typique qu’est un groupement de maisons limité dans l’espace par
une clôture ou par une étendue non-bâtie, et qui regroupe des unités sociales
que les Européens veulent a toutes forces dire “famille étendue” quand ils
sont sociologues et exploitation quand ils sont agro-économistes (Jean-
Marc Gastellu, 1980). Ceci étant il n’en reste pas moins que l’enquête de
terrain prend appui sur ce groupement pour compter les individus, et l’expé-
rience prouve que la concession évite double-compte et omission, du moins
dans des conditions sociales normales. Cette dernière precision est donnée
ici pour signaler que les grandes crises sociales et économiques perturbent la
résidence et donc les enquêtes démographiques. Les années de sécheresse
que l’Afrique de l’Ouest a connu doivent surement avoir laissé des traces

371
dans les differentes dimensions des études dtmographiques.. . sans parler de
l’urbanisation galopante qui frappe ce continent également.

L’idte est donc venue à plusieurs personnes d’analyser les informa-


tions ainsi groupées, quelques soient les réserves que l’on peut faire sur leur
validité sociale.

Au Sénégal, pays largement privilégié par l’existence d’une équipe


d’hommes de terrain qui se formèrent sur le tas depuis plus de 25 ans, l’on’
sait que la concession relevee par les enquêtes ne correspond pas à la con-
cession visible sur le terrain.

A juste titre, les enquêteurs n’hésitent pas à scinder une concession


dite “concrete”, géographique, spacialement déterminée, en plusieurs, si les
habitant estiment qu’ils forment plusieurs unit&. Le concept en oeuvre n’est
donc pas exactement la concession, c’est le ménage, sans pourtant qu’il faille
trop chercher à le définir, sinon on tombe dans des problèmes de définition,
dont la solution est tout aussi arbitraire.

Victor Martin (1970) a ainsi analysé les informations de l’enquête


rétrospective de 1960-61 pour le Sénegal, en n’utilisant que les données de la
région du Sine-Saloum: Sa connaissance de la région et des populations lui a
permis une utilisation approfondie des resultats obtenus.

D’autres auteurs se sont livrés a l’analyse des données telles que les
enquêtes et recensements démographiques les produisent (Michel Garenne
1981, b ; B. Lacombe 1975,1982).

Deux types de procédure sont utilisés : la premiére consiste à se


contenter des données telles qu’elles paraissent dans les publications d’en-
quêtes. En géntral, dans ce cas, les unités collectives, ménages ou familles
sont déterminées par le chef de ménage, mais la composition démographi-
que interne n’est pas, ou rarement, prise en compte, (seul l’effectif est fourni)
(P. Saada, 1980).

La seconde, elle, repart du document de base et ré-analyse à partir


des informations brutes les unités collectives. Avec les moyens informati-

372
ques disponibles actuellement, essentiellerkent l’accés direct i3 l’ordinateur, si
tout le document de base est chiffré, on n’a pas besoin de retourner au do-
cument d’enqubte lui-même. Mais si l’on a omis seulement un renseignement
alors les analyses secondaires peuvent être compromises.
C’est ainsi qu’en C&e &Ivoire l’enquête à passages répétés a quelque
peu négligé cette question des données collectives, en partant du principe -
bon B priori si on l’entend comme précaution, et mauvais si on le transforme
en certitude -’ que les informations sur les ménages sont de mauvaise qua-
lité en Afrique puisque la population ne s’organise pas ainsi.. . Et pour la
strate d’Abidjan, la Direction de la Statistique avait décidé d’engager (en
1982) un chiffrement particulier supplémentaire de la parenté.. . sans préju-
ger de la qualité de cette information en regard de la complexitt des règles
en usage dans les populations et la pauvreté du vocabulaire français en la
matière.
Nous avons avec les familles/ménages/concessions un des sous-
produits les plus intéressants des enquêtes démographiques. C’est un produit
sQr, payant pourrait-on dire et le temps n’est plus oit l’on se moquait de ceux
qui s’y attachaient. Ainsi en Algkrie, a partir du recensement de 1966, une
exploitation particulière a été réalisée (CNRS, 1966), dont on peut seule-
ment regretter qu’elle n’est pas été valorisée par une analyse 31la hauteur de
l’effort fourni pour le chiffrement et l’exploitation informatique. Signalons
que le CICRE,D a pris ce type de données comme base de son projet inter-
national d’étude de la famille (voir Louis Roussel in CICRED 1980). Termi-
nons en disant que la qualité de l’exploitation et de l’analyse peuvent donner
un statut scientifique de premier ordre aux informations jug6es habituelle-
ment comme des sous-produits d’enquêtes.

Le groupe de migrants

Les enquêtes démographiques saisissent des individus et l’analyse


démographique les considère comme des atomes indépendants dont on saisit
le lien statistique entre eux et entre les différents événements qui les affec-

373
tent. Cependant, évidence, ces individus vivent en société : et donc les évé-
nements qu’ils connaissent ont aussi des conséquences susceptibles d’analyse
de groupe. C’est ce que nous avons fait pour les migrants (B. Lacombe,
1969, 1972-b, 1975-c).
L’analyse du groupe de migrants est venue d’une part de l’évidence
que la migration n’est pas un phénomène individuel et d’autre part de l’exa-
men des documents d’enquête où ce fait apparaissait avec des références du
genre : “suit un tel pour.. .“, “parti avec sa mère”, “a suivi son mari”.
La migration étant un phénomène collectif, il restait à savoir com-
ment l’on pouvait appréhender le problème.
La notion de groupe de migrants découle donc directement de celle,
tout aussi empirique, de ménage ou de famille pour la population résidente.
Le groupe de migrants est défini par :
l sa taille, de 1 a n ;
l la nature de la migration, sa cause immédiate ;
l les liens entre migrants, ceux de parenté principalement ;
l l’identité des lieux de départ et d’arrivée ;
l l’identid des dates ;
l l’existence d’un chef de groupe, celui que les migrants disent suivre ;
l les caractéristiques essentielles des migrants, sexe et âge en pafliculier ;
l la durée d’observation.
Ce dernier point, la durCe d’observation demande quelques explica-
tions. Elle est le délai entre départ (émigration) ou I’arrMe (immigration) et
la date de l’enquête. Elle introduit un point de méthode essentiel : ainsi pour
une enquête à passages répétés, elle est de 3,9 mois chez les immigrés et de
4,4 mois chez les émigrants (banlieue de Dakar : Pikine, voir B. Lacombe,
1972),
La raison est que l’on repère les émigrations dans un fichier et plus le
délai entre deux passages d’enquête est important, plus le nombre d’émigra-
tions est élevé ; par contre pour les immigrations, on ne saisit que les immi-

314
grants restes sur place, qui ne sont pas repartis, Les migrants ont des caracté-
ristiques sociales tres différentes des résidents. Leurs ménages sont de taille
plus restreintes (B. Lacombe, 1975), ils sont de moyenne d%ge plus jeune...
Et en particulier ils ont la bougeotte. C’est une population instable et, en
quelques pays, ce sont des nomades au ralenti (les Antandroy à Madagascar,
par exemple (G. Roy, 1963)). Ainsi dans les enquêtes à passages répétés,
nous voyons apparaître des immigrés-emigrds : arrivés avant un passage
d’enquête, ils partent peu après et sont repérés comme émigrants par le
passage suivant. Mais ceux qui sont arrivés et partis entre deux passages
d’enquête ne sont pas saisis, même si leur durée de résidence à ce qu’il faut
bien appeler une étape, a été plus longue que celle des immigrés-émigrés
reperés. Les moyens informatiques de I’tpoque où furent faites ces études
(B. Lacombe, 1972) ne permettaient pas de modifier un plan d’exploitation
quand celui-ci avait été tracé, et ce phénomène des immigrés-émigrés avait
été sous-estimé quant à son intérêt méthodologique lors de la mise au point
des tableaux informatiques.
Ainsi apparaît l’originalitb des migrants et de leurs groupes, comme
sous-produit de l’analyse des groupes de migrants : ils sont différents des
ménages de residents, ce que l’on ne soupçonnait pas à priori. Le migrant
n’est pas l’inverse du resident ainsi que l’on pouvait le penser (cette idée
apparaît implicite dans la conception des enquêtes) : il est autre, Quel autre ?
cela dépassait les donnees statistiques disponibles et demandait d’autres
recherches (voir B . Lacombe et al., 1977).
L’analyse du groupe de migration a été rendue possible par le retour
au document de base et par l’utilisation des mentions marginales portées lors
de l’enquête par les enquêteurs. Sans toutes ces notations marginales, le
phénomène de groupe dans la migration aurait été grossi.
En effet, les groupes au départ sont plus importants que les groupes
de migrants eux-mêmes. Ainsi, prenons un divorce : il provoque la disper-
sion de la famille : tous partent, admettons au même moment, mais dans des
endroits différents : l’homme comme chef de la famille reste, ses fils vont

375
rejoindre leur oncle dans un autre village et les enfants en bas âges partent
avec leur mère. Nous avons deux groupes de migrants, quand au seul exa-
men des dates nous aurions conclu à un seul. Il est nécessaire de pouvoir
juger avec la date, le lieu, la cause et non pas se contenter de la date, puisque
le lieu est une donnée qui se révéle peu fiable. Par contre aux immigrations,
la date permet de déceler le caractère perlé des arrivées que l’on juge par
télescopage, groupées. Donc une simple exploitation informatique ne permet
pas une vue parfaitement correcte du phénomène - mais elle donnerait ce-
pendant une approximation non négligeable, puisque tous les Cvénements
migration qui se seraient produits au même moment seraient regroupés, ce
qui est grossier mais pas totalement inexact.
L’analyse des causes se trouve profondément bouleversée par ce sys-
tème. Si un homme rejoint une zone pour cultiver, sa famille l’accompagne
pour “raisons de famille”, donc pour la migration de groupe, et même pour
la migration perlée dont il a étt fait mention plus haut, la cause doit être
celle qui détermine l’ensemble des personnes à migrer et non les causes
annexes ou conséquentes.
Pour mener cette analyse des groupes de migrants, il a fallu bâtir des
outils appropriés à caté des indices classiques (% de population de telle
sorte, rapports de masculinité...) ce furent entre autres :
l la distinction “groupe d’isolé” (1 personne), “groupe collectif” (2 personnes
et plus).
l la nature du groupe (parenté, village...), et la proportion de ménages biolo-
giques.
l la taille moyenne des groupes collectifs
l la frequence relative des isolés, en tant qu’individus et en tant que groupes.

Validité des procédures

Exploiter les donnees sous-produits d’enquêtes, amène à s’interroger


sur la validite de la procédure quant a l’exemple des groupes de migrants :

316
1. les causes du phénomène sont-elles mieux définies, ou au contraire sim-
plifiées, en affectant a chacun des membres et au groupe tout entier la cause
affectant la migration du chef de groupe ? L’enquêteur notait : “raison de
famille” car “suit le chef de groupe”, mais n’est-ce pas la relation, de parenté
essentiellement, qui amène l’enquêteur à noter “cause familiale”, car s’il n’y
avait pas parenté le lien de groupe ne serait-il pas refusé par l’enquêteur lui-
même ? Et alors il serait plus intéressant de ne garder que les dates et partir
du fichier des individus pour créer les groupes ! Certes, les deux procédures
seraient intéressantes à confronter. D’autres amèneront la question un peu
plus loin que nos interrogations.
2. l’image du phénomene migratoire apparaît tronquee. Ce n’est en effet pas
une image pleine et entière car elle n’est qu’en apparence l’inverse de la
résidence. L’enqu&te quant à elle, visait la residence qui permettait de définir
la population de base, dénominateur des taux à calculer. Mais l’analyse
poussée de la migration fait apparaître d’une part le biais des migrants qui ne
font que passer et d’autre part la non-réflexibilité entre la migration et la
résidence. Il y a dans toute population des sous-populations dont le statut de
residence est variable.
3. le phénomène comme expression de la réalité sociale s’est écrasé au profit
du phénomènes comme expression de la réalité méthodologique de l’enquête.
Dans une étude (B. Lacombe, 1975) nous avons montré à propos de
données tunisiennes sur le Recensement de 1966 et l’Enquête Nationale
Démographie Tunisienne de 1968-69 (qui était une enquête à 3 passages)
que la taille moyenne des unités collectées est plus restreinte pour celui-ci
(4.96 personnes par ménage) que pour celui-là (5.19 personnes par ménage).
La raison est ;a la fois méthodologique et sociale. Ou plut& elle est l’imbri-
cation des deux car la raison sociale n’existe pas en dehors de sa saisie par
une méthode. D’une part, l’observation, étant répétée, saisit mieux les émi-
grations que les immigrations (B. Lacombe, 1974). et donc la taille des
ménages y est plus restreinte que pour un passage unique. D’autre part, la
“perte” d’un individu pour un petit ménage est proportionnellement plus
importante que pour un gros, ce qui modifie profondément la répartition des
ménages selon la taille entre l’enquête et le recensement. Enfin, les petits
mknages migrent plus aisément (ils sont de formation plus récente, ont une
moyenne d’âge des individus plus jeune, ont un habitat plus précaire). Et
surtout, l’expérience le prouve, ils migrent plus fréquemment. Ce dernier fait
avait d’ailleurs fortement perturbé la base de sondage de l’enquête citée.
Nous avons une autre bon exemple, mais un exemple a contrario
cette fois-ci :
Une des ethnies (par prudence nous gardons ce terme dans le vague
actuel, et restons dans le cadre des considtrations tracées par Philippe Cou-
ty, Guy Pontié et Claude Robineau, 1981, sur la question, nous y adhérons
pleinement) du Sénégal, les Sérères, a une règle de parenté matrilinéaire
(c’est-à-dire que charges et biens sont détenus par les hommes, suivent les
lignées féminines), mais la règle matrimoniale est la virilocalité : l’épouse
rejoint le mari. II apparaît alors au niveau des déplacements occasionnels et
des migrations un phénomène trés fréquent : quand une femme retourne
chez ses parents et qu’elle s’y rend accompagde d’un enfant, cet enfant est
presque systématiquement une fille. Ce détail, pour le relever, exigeait que
l’on s’interroge sur les conskquences possibles du systkme de parenté sur la
dkmographie (B. Lacombe, 1969) ; il est une des chances qu’accorde parfois
l’analyse des sous-produits. Merton appelait cela la SERENDIPITY, qui est la
trouvaille au hasard, au hasard apparent. (Merton, 1965).
Cependant il faut bien en convenir ; la plupart des remarques qui
peuvent être faites relèvent plus fréquemment de la critique méthodologique
que de l’information scientifique proprement factuelle,

Les événements matrimoniaux

Une autre étude de sous-produit, très pertinente pour notre propos,


est celle de la nuptialitc5 dans une enquête à passages rép&és (Lacombe et
Vaugelade, 1972). Cette étude a pris en compte la totalitt des unions, repd-
rées pendant l’observation démographique, que ce soit les mariages, les
divorces, les veuvages.
Une exploitation des unions nouees ou dénouées pendant l’observa-
tion démographique a eu lieu, pour des raisons tenant à l’informatique dis-
ponible à l’époque, elle est partie du document de base de l’enquête elle-
même. Il n’y a pas eu de rapprochement informatique de ce nouveau fichier
avec le fichier des individus et des événements relevés pendant et par cette
même observation.
Dans un premier temps, chaque changement de situation matrimo-
niale repéré a amené la creation d’une fiche, après confrontation les doubles
ont été élimines et leurs renseignements originaux portant, soit sur le con-
joint, soit sur l’événement repris, a été retranscrit sur l’autre fiche. Comme il
fallait prendre une règle, c’est la fiche du conjoint de sexe masculin qui a été
gardée.
Ici déjà on voit qu’une information méthodologique sur l’observation
était disponible mais n’a pas tté conservée : l’origine de chaque renseigne-
ment. Il est vrai qu’a l’époque le fait de se lancer dans cette opération parais-
sait déjà suffisamment périlleuse.pour ne pas trop lui demander...
La raison du fait que l’on peut trouver deux traces d’un événement
matrimonial tient au fait qu’il affecte un couple, lequel est donc saisi, pour
les couples résidents, deux fois : à travers chaque membre du couple, car ce
sont les individus qui sont prioritairement observés et non les unions. Si un
seul des membres du couple appartient à la zone de recensement, on obtient
une seule trace de l’événement. Notons que pour un veuvage, seule une trace
est obtenue puisqu’il n’a pas été explore les décès des maries, ce qui apparaît
au fond être une erreur. Il est vrai qu’avec les moyens informatiques dispo-
nibles aujourd’hui, où le démographe a un accès immédiat avec les informa-
tions engrangees dans l’ordinateur, quand “tout” a été chiffré et apuré, de tels
errements ne se produiraient plus.
La fiabilité des données est très entachée par leur mode de collecte,
pour un événement tel que le mariage nous avons la moitié des &ges non

319
déclares pour les époux et 10% pour les épouses. Pour les divorces, ce pour-
centage tombe à moins de 10% pour les hommes et moins de 5% pour les
femmes et a pour les deux sexes au veuvage. Or ces pourcentages sont, de
fait, la proportion de conjoint inconnu, car non saisi par l’enquête (c’est un
non-résident). Et donc, contrairement à ce que l’on pourrait croire, plus le
pourcentage d’omission d’âge est fort, plus l’observation est complète. en
termes relatifs, Et donc si les mariages sont relativement bien saisis, les fins
d’unions le sont tres mal, en particulier les veuvages.
La vraie question d’une telle exploitation n’est pas l’information pos-
sédée mais l’information manquante. Il y a donc deux sortes de biais : le
premier est sur la saisie, le repérage, de l’événement lui-même par une en-
quête qui n’a pas pour objectif de saisir l’événement, et le deuxième biais est
celui de la complétude de l’information sur l’événement repéré. Pour les
mariages, l’on observe que, le couple n’étant pas formé, l’un des conjoints a
toute chance de ne pas être saisi dans des societés où la cohabitation immé-
diate n’est pas la règle, mais on peut les repérer correctement. Par contre,
pour les divorces au contraire c’est la saisie même de l’événement qui est
improbable.
Notons un deuxième phtnomène : c’est quand l’autre, l’absent, est un
homme que les renseignements manquent le plus, Sans que l’on puisse
l’affirmer, l’expérience et les données permettent d’avancer que les femmes
s’abstiennent de renseigner l’enquêteur même quand elles savent, et n’inven-
tent pas quand elles ne savent pas : ceci découle directement des biais rele-
vés par ce travail quant aux ethnies et religions ofi il est remarqué que
l’homme affecte toujours à son épouse une identité culturelle commune, ce
qui n’est pas le cas pour la femme.
Pour saisir les effets des règles de cohabitation entre epoux, l’analyse
secondaire avait relevé l’evenement lié à l’événement matrimonial. En effet
très souvent, c’est cet Cvtnement lié qui permet de deceler l’événement
matrimonial lui-même : un départ masque une émigration suite a un divorce,
par exemple. De tous ces événements liés, c’est la migration qui est le plus

380
important. Cette migration touche exclusivement ou quasi-exclusivement les
femmes (qui rejoignent le domicile conjugal (mariage) ou celui des parents
(divorce, veuvage)). Dans les 2/3 des cas pour un mariage et 8/10 des cas
pour un divorce, la femme migre dans cette région du Sénégal. Par contre le
veuvage n’entraîne une migration que dans 1 cas sur 20, mais sur 20 reoérés,
ne l’oublions pas.
Nous voyons donc là, malgré les defauts de l’information une con-
firmation de I?mportance des conséquences pour une femme d’un change-
ment de situation matrimoniale dans un système où la résidence est determi-
née par le père ou I’ipoux. Surtout si l’on considère que cela n’affecte que
marginalement les hommes : environ 1% des hommes migrent suite à un
divorce ou un veuvage.
Il y a quelques effets secondaires dues aux règles de parenté matrili-
néaires mais une étude (B. Lacombe et al., 1977) a montre que ces liens
étaient, quand ils jouaient dans la règle de résidence, extrêmement solides ;
ce qui explique que quand l’on a affaire à un mariage préférentiel c’est-à-dire
mariage entre cousins croises : un homme Epouse la fille du frère de sa mére
(qui n’est pas forcément sa cousine germaine, nous sommes en parenté
classificatoire), et avec résidence chez le pére de la femme (et donc en appa-
rence résidence du couple chez la femme, mais ce n’est qu’une apparence), le
divorce est trhs rare et statistiquement non perçu, d’où la quasi - absence
d’événement lié “migration de l’homme” suite à un divorce, et pour le ma-
riage cela ne se voit pas puisque l’homme réside depuis plusieurs années
chez son oncle, frére de sa mère et père de sa future épouse, (en termes de
parenté classificatoire ne l’oublions pas).
Cette notion “d’événement lié” défini comme “l’événement provo-
qué” par l’évenement matrimonial, et dont la détermination obligeait au
retour aux documents de base de la collecte apparaît importante et sa fré-
quence est mesurée malgré la qualité des données, qui n’étaient pas bâties
pour saisir les changements matrimoniaux.

381
Remarquons que si nous avons eu l’idée de relever cet événement lié
c’est essentiellement parce que cet Événement marginal, noté dans les mar-
ges des documents de base était bien souvent le signe du changement ma-
trimonial : c’est par la migration, en particulier, ou la simple absence, que
l’enquêteur percevait un problème et qu’il lui était donné l’information du
changement de situation de la personne enquêtée. Et donc, l’on voit l’impor-
tance de l’existence sur les documents de ce type de traces, car ce sont elles,
qui font l’information, le fait n’existe pas indépendamment de ce qui le
révèle.
Il faudrait ici se référer aux travaux de Louis Henry (1967) sur les re-
cherches en démographie historique où un biais apparaît toujours : la vie
matrimoniale est reperee par la fécondité, et toute la question est de rendre
indépendante celle-là de celle-ci... “L’histoire se fait avec des documents”,
tel est le titre du chapitre 3 de H.-I. Marrou (1975). Et l‘on peut aussi se
référer au livre de Paul Veyne (1979).
Les dates des Evénements matrimonial et lies sont toujours très pro-
ches ; ils se produisent dans le même mois (au sens de durée), d’où la nkces-
site, et pas seulement l’intérêt, de ne pas se restreindre au champ étroit des
visées précises d’une enquête. Toute enquête doit mordre sur les marges de
son champ d’observation et porter attention aux informations secondaires
necessaires à sa collecte principale, et l’analyse doit prendre en compte la
totalité de l’information sans décider à priori quoi est bon et quoi est négli-
geable.

Intérêt des données secondaires

À partir de ces quelques exemples, on peut affirmer la validité de


l’analyse des sous-produits d’enquête. Cependant il faut, en conclusion,
avancer plusieurs observations.
Les analyses secondaires paraissent souvent des amusements et sont
critiquées comme des amusements. Mais il faut bien l’affirmer : il n’y a pas
de problème scientifique mineur. On ne sait pas où soufflera le vent. En

382
conséquence il n’est pas besoin d’espérer de grandes choses pour avoir l’au-
dace de tenter une recherche. Que l’on soit plein d’ambition, ou pas, pour son
travail, en probabilité on appartient à la cohorte des gagne-petits de la re-
cherche. La science qui avance à pas de géants, le fait toujours après avoir
piétiné longtemps.
Ii est vrai que cette position demande comme corollaire que les tra-
vaux qui se soldent par un échec fassent aussi l’objet d’un compte-rendu,
mais le système de la communauté scientifique ne le permet pas... en effet
on ne parle des travaux dont les résultats sont probants, or les erreurs de-
vraient être dites, cela éviterait de les recommencer.
Les analyses secondaires sont des analyses très cofiteuses en temps,
les ouvrages auxquels nous faisons référence ne sont très souvent que la
partie émergée d’un iceberg de travail, mais ceci n’est pas un argument pour
abandonner, car alors toutes les sciences sont là pour témoigner que l’arbre
de la réussite, une découverte, masque la forêt des échecs et des essais sans
lendemain. Mais cet argument de la minceur des résultats des analyses
secondaires en égard à l’énormité du travail fourni n’est pas valable. C’est
une confrontation des coûts et bénéfices réels qui serait nécessaire, et nous
doutons que cela tourne a l’avantage des travaux lancés à l’aveugle. L’on
pense 21ces enquêtes conçues comme des énormes trains auxquels on ratta-
che un questionnaire de plus “parce que ça ne coute pas plus cher”, comme
nous le disait un promoteur. II oubliait alors qu’une enquête ne peut pas,
avec un niveau d’organisation donné, avec un coQt donné et une qualification
donnée d’une équipe d’enquêteurs, saisir plus dune quantite d’information
déterminée, augmenter cette quantité revient à diminuer la qualité de I’en-
semble collecté. Il y a un phénomène de vases communiquants entre la
quantite et la qualité.
Nous avons donc affaire à une économie de moyens et il est quand
même moins coOteux et plus facile de se livrer à une analyse secondaire qui
permet de tester des hypothèses que d’engager un lourd travail de collecte
dont le résult;at probable sera mince, ce que l’expérience prouve. Nous n’au-

383
rons pas la cruautt de citer un exemple, mais les exemplesne font pas dt-
faut.

D’autre part, mieux vaut une analysede donkes imparfaites (et non
pas une analyseimparfaite de donnéesparfaites, s’il existe jamais des don-
néesparfaites !) que le lancementd’une enquêtesur une idée avec tous les
risquesd’échec: il y a trop « d’enquêtes-bidon
», et qu’on ne vienne pasnous
parler desprétenduspré-tests.C’estdéjà trop tard, l’enquêteest décidéeet le
pré-testne suffit pasà la frapper de mort car l’on pensetoujours corriger les
erreurs: de toute façon on ne sait comment faire une enquêteque quand on
la faite et qu’elleestfinie.

Les analysessecondairesfaites sur lesenquêtesdémographiquesont


de largesretombéesméthodologiquessur le plan de la collecte mêmeet sur
l’évaluation de la qualité desdonnéesprincipalesrecueillies.Certes,et Rémy
Clairin (1981 et 1982)en a fait la critique, la mémoirecollective est fragile
en collecte, maisceci n’empêchepascela.

Les analysessecondairespermettent non seulementune amélioration


méthodologiquemaisaussiune améliorationsensiblede la vision que l’on a
d’un phénomène,et permettentIlinclusion de nouvelles orientations scienti-
fiques dansla collecte.

Par ailleurs il faut insistersur le fait que la massedes donnéesinex-


ploitéesest un véritable scandalesi l’on considèreles colts de la collecte et
le manque de donnéesen pays africains. Les démographesd’analyse se
copient l’un l’autre, chacun raffinant sur les raffinements de son prédeces-

C’estainsi qu’il nous a été donne.d’examiner les différentes évalua-


tions réaliséespour la populationde la Côte d’ivoire (avant que les données
du recensementne paraissent),l’effet généralétait comique : une hypothèse
devenait une certitude laquelle fondait une hypothèse...Et sur les enquktes
régionalesréaliséesvers 1965et l’étude de buis Roussel(1967), qui avait
fait la synthèse,on trouvait une successionde travaux : chacun était sérieux,
maisl’ensemblerestait asseztriste à contempler.Et cesanalysesse font sans

384
que leurs auteurs aient recours à de nouvelles orientations qui justifieraient
de nouvelles hypothèses.
La démographie science sérieuse ou science humoristique ? Mais à la
décharge des analystes et des faiseurs de rapports, dont nul ne peut contester
le sérieux, il faut dire que l’on a une situation absurde : des analystes sans
données et des données sans analystes. Ce doit être les effets de la division
du travail en démographie.
On “passe trop vite sur le problème de la sous-utilisation flagrante
des résultats des enquêtes passees”. (Gérard Winter, 1981).
Rappelons à ce propos la remarque dtsabusée de Jacques Dupâquier
à propos des travaux de démographie historique :
Personne ne pourrait dire au juste combien de villages français ont été
étudiés en bonne règle depuis la parution de Crulai (1959). Les estima-
tions varient de 100 à 300. Beaucoup de monographies paroissiales ont
été entreprises quasi-clandestinement ; beaucoup ont été entreprises qui
n’ont pas été achevées ; la plupart demeurent inédites et les résultats
semblent devenus propriété privée de quelques professeurs d’Université
qui se réservent d’en tirer parti, sans qu’on ait toujours la garantie qu’ils
puissent aboutir ; les fiches sont très rarement déposées à UNED ou
dans les archives, contrairement à ce qui avait été prévu, Enfin, des mé-
moires accessibles auT chercheurs, dont une partie seulement a été pu-
blike.
Jacques Dupâquier, 1972-1973
C’est toute la situation des travaux de démographie qui est ici exposée...
Or, pour en revenir a la question des données, seule une analyse
permet de conclure sur leur interêt. Les condamner sans examen (et ne pas
diffuser leur étude) n’est pas une politique scientifique défendable. En effet,
il est de coutume de taire les échecs (pour ne pas nuire à l’auteur de l’en-
quête, ou aux auteurs des analyses...) mais il faudrait au contraire les offi-
cialiser. Il n’y a aucune honte à rater une enquête, sauf pour ceux qui ne
savent pas quelle géhenne est une enquête sur le terrain et qui jugent de la
collecte du haut dune illusoire supériorité d’homme à plume sur l’homme à
enquête. Il n’y a aucune honte à ne pas aboutir dans une analyse, Le cas est
trop frequent que l’erreur soit répétée par une nouvelle enquête “bis”. Le cas
est trop fréquent aussi, nous avons plusieurs exemples en tête, chacun W%JJ,

385
où l’on a fait refaire par un autre une étude de données qu’un analyste précé-
dent avait étudié sans succès, non pas parce qu’il était incompétent, mais
parce que les données elles-mêmes étaient inanalysables pour le point de vue
imposé du moins.
Une tendance générale dans les rapports d’enquête est celle de ne pas
faire une véritable critique des données. Les données présentées sont criti-
quées, ou plutôt cadrées, mais l’on préfère ne pas parler de ce dont on n’est
pas sûr pour affirmer les résultats dont on se croit sur. De même, a posterio-
ri, les analyses secondaires d’enqu&es démographiques ne se livrent pas à la
qualité des sources, soit l’enquête est jugte “bonne” et on l’accepte dans
toutes ses parties et resultats, soit on la trouve “mauvaise” et on l’enterre
pudiquement. Mais la question ne se pose pas du tout comme cela : d’une
part une enquête n’est jamais parfaite. Il faut la juger par rapport 21ses objec-
tifs, atteints ou non, et pour une analyse secondaire, il se peut que le
“hasard” fasse que la fiabilité d’une enquête qui est un échec par rapport à
sesobjectifs soit bonne voir même excellente.
Sans porter de jugement sur sa qualité, il est de fait que l’enquête ré-
trospective du Sénégal de 1960 a produit peu de résultats, cela n’a pas empê-
che Victor Martin d’en tirer une étude intéressante des ménages de la région
du Sine-Saloum. (Martin 1970).
Une analyse secondaire est une analyse sur des donnees secondaires
dont la qualitt en principe, est infërieure, aux autres données de l’enquête.
Les chiffres sont trompeurs : ils sont pleins de fausse assurance. La critique
que l’on peut en faire n’est que rarement interne. On a des chiffres hétérogè-
nes, une enquête n’est jamais homogène : un recensement très complet peut
avoir mesuré l’activité économique d’une manière deplorable. Les analyses
secondaires demandent tout un travail d’analyse des sources et pas seulement
une analyse critique interne de la valeur des chiffres, lesquels sont très sou-
vent lissés, polis et “parfaits”.

Jl nous a été donné d’entendre qu’une table de mortalité obtenue par


une enquête était bonne parce cruelle correspondait, après lissage, à une des

386
tables-types de mortalite des Nations Unies. La primauté généralement
accordée au chiffre théorique aux dépends des données d’enquête explique
ce genre d’aberration : on construit des tables-types pour pallier au manque
d’informations et dans un second temps on est prêt à rejeter toute informa-
tion qui est en desaccord avec des palliatifs théoriques.
Rappelons que le rapport de masculinité a été très longtemps jugé
intangible entre 104 et 105 garçons pour 100 fîlles à la naissance. Toute-
enquête qui ne trouvait pas ce chiffre fatidique était jugée défectueuse : il
faudrait faire une étude de démographie comique qui rassemblerait toutes les
justifications que les faiseurs d’enquêtes ont apportes pour justifier les rap-
ports de masculinité qu’ils obtenaient. Nous-mêmes, nous nous sommes
livrés à quelques remarquables et périlleux discours explicatifs
(B. Lacombe, 1973).
Ce détour est nécessaire si l’on veut comprendre que les résultats
d’enquête sont surtout, quoiqu’on en dit, méthodologiques car il n’existe pas
de fait scientifique sans son habillage méthodologique. Et l’analyse des sous-
produits d’une enquête permet de mieux connaître cet habillage et par con-
séquent les faits scientifiques eux-mêmes. Mais si l’apport factuel est géné-
ralement plus faible que le méthodologique, il n’en reste pas moins impor-
tant, et nécessaire pour toutes les raisons dites plus haut (test d’hypothèses et
cor%essentiellement).
De toutes les façons il faut comprendre que la critique des sources,
des documents, de la collecte, des données, par tous les moyens possibles,
est un des devoirs des démographes à un quelconque stade de leur travail
pour une meilleure connaissance des faits de population. Mais cette attitude
critique doit être encore plus vigilante pour les sous-produits d’enquête.
Il semble qu’au moins deux conditions doivent être remplies pour se
livrer à des analyses secondaires dune enquête :
l l’analyste connaît parfaitement la sociéte en cause, surtout s’il s’agit d’in-
formations sociales, ou bien domine parfaitement la démographie, s’il

387
s’agit d’informations purement démographiques, et alors il saura ce que
les chiffres disent ;
l l’analyste a fait l’enquête, et alors il sait ce que les chiffres ne disent pas.
A quoi il faut peut-être ajouter, dans l’un et l’autre cas, un bon moral
et le goût de la recherche de la petite bête. Et puis, après tout, il faut être un
peu sérieux. Qu’est-ce que la démographie sinon un énorme sous-produit de
la paperasserie administrative ? Nte d’un accident historique : l’existence de
bulletin de décès des paroisses anglaises dont les classes riches se servaient
comme signal d’alarme d’épidémies de peste et que John Graunt eut l’idée
d’exploiter à des fins que nous appelons aujourd’hui scientifiques
(E. Vilquin, 1978), la démographie s’est construite sur les recensements et ce
n’est que récemment qu’elle se fonde d’une manière autonome par sa col-
lecte. Et là nous voyons la place de la démographie africaine de langue
française avec les enquêtes rétrospectives à passage unique dont l’originalité
étonne encore, et l’effort, que l’on ne peut que toujours admirer, de Louis
Henry et de la démographie historique qu’il a fondée avec ses méthodes et
ses techniques. Mais toute science n’est pas autre chose au départ qu’une
scorie d’une autre, ou d’autres, tout comme l’ensemble de l’activité scientifi-
que n’est qu’un avatar du fonctionnement de la societé. Alors peut-être que la
question posée : celle de la légitimité de l’analyse des sous-produits, n’est
qu’une question it réponse évidente. Comme toute question a partir du mo-
ment où elle est correctement posée. Et la réponse est que l’on ne peut amé-
liorer la connaissance démographique, conçue comme collecte et analyse
imbriquées, sans recourir vigoureusement aux analyses secondaires des
enquêtes démographiques.

La preuve statistique comme faisceau de preuves construites

La meilleure image que l’on puisse donner de la connaissance statis-


tique est un faisceau convergent de preuves. Nous avons souvent déclaré
dans cette thèse que le chiffre n’était qu’une idée. Cela ne signifie pas que
nous pensions qu’il ne soit que cela mais c’est aussi une idee, un concept.

388
Un nombre exprime en conséquence une certaine rationalité. Si l’on prend le
débat ouvert par Florin Aftalion (Le Monde, 25.6.96), sur la pauvreté ~IX

États-Unis, on lit que les études sont accusées d’erreurs méthodologiques


qui grossissent le phénomène. II recevra la contradiction de François-Xavier
Merrien, de I’TJniversité de Lausanne qui va discuter méthode aprés me-
thode, indice aprés indice, de ce qui est en cause. 11va procéder systémati-
quement en examinant le contexte de l’indice utilisé, par exemple la posses-
sion d’un logement (forte aux Etats-Unis, où 40 % de pauvres possedent leur
logement), indique-t-elle la richesse ? Selon Merrien la réponse est négative,
parce que, le phénomène étant frequent, il perd le caractère discriminatoire
qu’il a en Europe, et d’autre part, dit-il :
Ne confondons pas propriété d’un gîte sans valeur et possession d’un
patrimoine.. .
Merrien aurait pu ajouter que la propriété du logement est fr$uente en zone
rurale sans ,que cela indique quoique ce soit du point de vue du niveau de
vie. Il propose un autre contre-exemple, assez savoureux :
Faudrait-if conclure de que moins de 25 % des Suisses sont propriétaires
que nous avons aflaire à un pays pauvre 1
Merrien, pour discuter, et c’est là où nous voulons en venir, se fonde sur un
faisceau de preuves :
Les études comparatives les plus sérieuses, celles menées par le Luxent-
burg lncome Study Group, dirigé par Timothy Smeeding, ont pris en
considération l’ensemble des biais méthodologiques possibles et proposé
plusieurs critères d’analyse indiscutables.
“Analyses indïscutables” car, justement, discutées en toute clarté. On discute
sur les fondements des positions et des chiffres, pas sur les chiffres eux-
mêmes, qui ne sont alors que des mots. Cela module sérieusement la
“vérité” qu’apporteraient les chiffres. Les journalistes, et chacun des ci-
toyens dans ses polémiques, utilisent des chiffres qu’ils lancent, comme
autant de mots à l’emporte-pièces : “la France a 4 300 milliards de francs de
déficit cumuk” va donc « fonctionner » de la même manière qu’un argu-
ment de debater à la Chambre des députtk Alors que chaque spécialiste,
pour lui, dans sa sphère de compétences, est d’une grande prudence. Dans

389
une discussion, les démographes vont être très discrets sur les arguments
demographiques, qu’ils connaissent bien et dont ils savent les faiblesses
dans la construction ; mais ils vont par contre facilement s’emporter sur
d’autres, sur lesquelles leurs compétences sont plus contestables. II serait
mieux que l’on prenne garde aux chiffres comme on prend garde idées, et
d’admettre qu’il en est de ceux-là comme de celles-ci : la valeur tient au
nombre de preuves.
Il y a aussi une dynamique du calcul qui fait que de fil en aiguille, on
en arrive à dire des absurdités : ainsi quelques-uns de nos collègues ont, à
force de raffinements, produit un indice de remariages qui n’&ait, exprimé
en formule, que le nombre de remariages, ou bien le rapport du nombre de
conjoints actuels sur le nombre conjoints total, tout cela exprimé avec force
hypothéses, constantes et inconnues. L’un d’eux, emporté par l’enthou-
siasme de ses données, avait conclu d’une étude sur les relations entre les
unions et la fécondite :
. .. en génkral, dans les couples, c ‘est les femmes qui font les enfants.. ,
Dans une étude sur une population de scientifiques, après avoir
constaté que les personnes de sexe masculin dominent à plus de 80 %, un
auteur, analysant leur situation matrimoniale conclura dans une étude de
1987 :
On constate que les conjoints sont à 90 % des femmes.
Le fait n’a rien d’anormal ni de logique, mais exprimé ainsi, il était risible.
Que celui qui n’a jamais péché, oublieux du réel dans le méandre de
l’analyse des chiffres, lui jette la première pierre. Et que chaucn se sou-
vienne que l’usage du bon sens ne doit jamais être abandonne.

Le nombre n’est qu’une idée quantitative

Nous voulons revenir sur un sujet abordée déjà dans une note : la
conception que l’on a, dans notre société du nombre. Le nombre, est conçu
comme l’expression de la vérin5 et il est assené sans discussion. Par ailleurs,
il nous semble que nous avons suffisamment insisté, le quantitatif n:a de

390
valeur que par rapport à son mode de collecte. Nous voulons dtvelopper
cette double observation.
Par rapport aux idées exprimées en langue naturelle, un nombre est
facilement critiquable. On a plus facilement la capacité de discuter de sa
‘valeur’ parce que on sait bien que sa constitution demande a être précisée :
le nombre de morts durant une guerre inclut-il les gens qui, de toute façon,
seraient morts durant cette période ?... L’exemple est trivial, mais, a
l’expérience, nous pouvons constater que les nombres sont discutés d>une
manitre naturelle sur leur mode de constitution. Il n’en reste pas moins que
répondre à l’énoncé d’un nombre est difficile, cela demande de remonter
plus haut que lui, avant «qu’il ne naisse », si l’on peut s’exprimer ainsi.
Dans les polémiques, cela est très clair, qu’elles portent sur les immigrés, les
pauvres, la richesse des mythiques 100 familles qui posséderaient le pays ou
l’effectif des animaux de compagnie.. . Les variations du «trou » de la
sécurité sociale en France (on n’entend jamais parler des entreprises d’État
qui ne payent jamais leurs cotisations par exemple), ou celles du montant de
la dette sont de bons exemples du chiffre qui fonctionne comme idéologie.
Un chiffre « cloue le bec » à l’adversaire, qui ensuite en présente un autre
qui lui paraît, à lui, plus plausible... Mais on n’a jamais une discussion sur
le fonds.
Par contre, une idée, elle, peut être discutée au niveau de son énoncé.
On répond à l’idée, on ne répond pas à son mode de construction. D’ailleurs,
débattre du fondement des idées paraît être l’apanage des intellectuels.

Nous pouvons prendre l’exemple des dernières incartades du minis-


tre actuel de l’Éducation nationale française : en déclarant que l’absentéisme
touchait 10 % des enseignants, il a oblige ses adversaires potentiels a discu-
ter du chiffre, et non, du fait. Aurait-il énoncé que l’absentéisme ravageait le
« mammouth » qu’est cette institution, c’est le fait qui aurait été nié (et son
«recul », disait la presse, du 1 %, cachait un autre Pi&ge : «c’est 250 000
enfants à la rue », était un autre petit chef-d’œuvre de debarer). Il en est de
même des 700 000 «emplois-jeunes » promis par notre actuel gouveme-

391
ment. Le chiffre avancé a été discuté, et très peu d’articles ont remonté la
filière et « mis à plat » le fond du chômage, qui est en fait la véritable dis-
cussion.. . qui est ainsi Evitée. II en fut de même il y a moins d’un an à pro-
pos de l’immigration. On se jetait à la tête des chiffres et seul le rapport
Weill (août 1997) a permis une discussion car il ne parlait pas de chiffres.
Enfin, dernier exemple pris dans l’actualité : la semaine de 35 heures (de
travail) est quand même bien le meilleur moyen de détourner l’attention des
forces économiques qui travaillent notre sociéd et des énormes problèmes
que pose la modernisation à notre pays.
On se doute que le débat touche trop au cœur de ce qui est discuté
dans cette thèse pour être écarté d’emblée, et, sans prétendre apporter des
vues extrêmement neuves, nous voudrions préciser que, pourtant, un nombre
n’est jamais qu’une idée exprimée sur un mode quantitatif.
Nous n’allons pas abuser de la patience du lecteur, mais nous vou-
drions signaler deux exemples qui démontrent cette idée :
Le premier est le comptage des manifestants lors de la manifestation
du 23 février 1997. Presse et radio s’étaient moquées de ce que Libération
avait intitulé :
Comptage des manifestants, le grand écart. La préfecture de police n’a
pas recensé la foule autour du cortège.
Le résultat est, qu’officiellement, on a eu 33 000 manifestants, quand
les organisateurs en ont annoncé 150 000 de leur côté. La préfecture de
police avait dû donner les bases de ses calculs : entre telle et telle rue, soit
69 165 m2, à raison de 2 m* de manifestant en marche. et en excluant les
spectateurs qui, physiquement ne manifestaient pas avec leurs pieds. Libé-
ration écrivait :

Cette fois-ci, les observateurs ont été frappés par le caractère nettement
fantaisiste du chiffre de la prkfecture de police.
(François Wenz-Dumas, 24.2.1997)
Une fois de plus ici, nous ne discutons pas du fonds mais de la forme : le
chiffre de 33 000 est ‘faux’ parce qu’émotionnellement, l’idée était qu’il y
avait eu plus de manifestants compte-tenu de l’adhésion populaire A la mani-

392
festation (les applaudissement des spectateurs, etc., .) Les observateurs
pouvaient contester le chiffre et tout le monde de reprendre l’étonnement a
son compte. Pourtant, pour une fois - car le cas reste quand même rare -, la
préfecture avait Bnoncé la base de ses calculs et cette base n’a pas été con-
testée par les adversaires, sauf dans le détail, mais presque en termes de
plaisanterie : quelle était la proportion de couples amoureux dans les mani-
festants ? Ils utilisent alors, à deux, moins de 2 mz par couple, quand on sait
que les gens de gauche, majoritaires dans cette manifestation, expriment
plus facilement l’étroitesse de leurs liens que d’autres... Et d’autres ré-
flexions de la même eau. À part ces observations, il était proclamé que les
spectateurs étaient des manifestants, comme si voter avec ses mains équiva-
lait a voter avec ses pieds. Le fond du problème : qui adhérait B la manifes-
tation, a été écarté. On comprend qu’ensuite nous ayons tant de difficulté à
analyser des événements comme ces grèves que les Français font par
« professions interposées » (ils appuient une grève qui les gêne en
l’approuvant tacitement puisqu’ils en acceptent les inconvénients pour eux :
celles des cheminots, des routiers, des internes en médecine., .), si déjà, on
n’est pas capable de comprendre la vtrité qui se masque derrière la forêt des
chiffres.
Dans un tout autre ordre, rappelons que le rapport de I’INED sur
l’avortement en France de 1966 (Rauport de I’INED à M. le Ministre des
Affaires sociales sur la régulation des naissances en France) avait soulevé
des vagues de protestations de ceux qui en tenaient pour 1 à 2 millions
d’avortements. Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensons de ce
travail de très grande finesse intellectuelle. Le problème était que la four-
chette donnée par les auteurs du rapport ne correspondait pas a la sensibilité
« catastrophiste » en vigueur dans ces années-la sur cette question.
Les morts de guerre sont un des sujets les plus âprement discutés et
les chiffres avancés sont toujours présentés d’une manière polémique. Sou-
vent, l’effectif présenté par un auteur n’est pas le résultat d’une analyse, qui
alors donnerait une fourchette. En fonction de la configuration de la polémi-

393
que en vigueur au moment où il l’énonce, l’auteur choisit un chiffre, comme
il choisirait un argument. Dans un ouvrage consacrk à l’abbé Pierre, Michel-
Antoine Burnier et Cécile Romane (1996 : 28-29) se livrent à une bonne
synthèse de l’effectif des victimes juives du nazisme selon différentes sour-
ces pour discuter une observation de l’abbé déclarant 2 la station de radio de
France-Inter à propos des 6 millions de victimes juives :
Les juifs ont exagéré sous le coup de l’émotion, c’est bien normal.
Burnier et Romane concluent leur analyse en disant :
Gilbert énonce un chiffre, Hilberg un autre. Comment ? Deux historiens
qui ne donnent pas le même chiffre ! C’est louche, conclut Garaudy, re-
layé par son ami l’abbé Pierre.
En effet, les chiffres différent et la marge entre les deux chercheurs,
18 %, n’est pas mince.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Que la comptabilité du malheur n’est pasfacile.
(Burnier et Romane, 1996 : 30)
Mais ce n’est pas seulement le malheur qui est difficile a mesurer,
c’est l’usage même du chiffre dans notre société qui est en cause. Un chiffre
n’est jamais qu’une idée et pourtant on l’assène comme s’il était ‘vrai’.
L’arbre cache la forêt.En fait ce n’est pas 6 millions ou plus, OU moins qui
est en cause, et Bumier et Romane le voient bien, c’est le fondement même
de l’évaluation de la reconnaissance réclamée par les juifs : s’ils sont déici-
des, ce chiffres n’est pas cher payé le luxe d’avoir sacrifié le Christ. Or les
juifs ont étk massacrés parce que juifs, comme les non-Serbes ont été mas-
sacrés parce que non-Serbes en ex-Yougoslavie et que, selon qu’on est Hutu
ou Tutsi, on est toujours massacrd en Afrique de l’Est et au Congo ex-Zaire,
et c’est cette horreur-là qui est le scandale. Le reste n’est que du
« pinaillage » dont l’objectif est de parler de quelque chose sans le nommer,
de reconnaître ses partisans sur le fonds en ne l’abordant pas,
Dans un article sur les massacres de Skif du 8 septembre 1945, on
va aller de 5 a 6 000 personnes massacrées à 85 000 :
Chercheurs et historiens ne sont pas près de s’entendre sur un bilan pré-
cis. (Ali Habib, Le Monde, 14-15.5.1995)

394
Mais surtout Ali Habib continue :
Mais il ne fauit pas laisser les chiffres devenir 1‘arbre qui cache la for2t
er occulrr, avec cette sinistre arithmétique, 1‘événement lui-même.
(Ali Habib, Le Monde, 14-15.5.1995)
D’ailleurs, déjà, le général Duval, « le boucher du Constantinois »
comme l’appelleront les Algériens avait prévenu les autorités dans son
rapport sur la r6pression :
Je vous ai donné dix ans de paix, mais tour doit changer en Algérie.
Un fait est certain : il n ‘est pas possible que le maintien de la souverai-
neréfrançaise soit exclusivement baske sur la force.
(Cité par Ali Habib, Le Monde, 14-15.5.1995)
On aurait les mêmes conclusions a faire sur les massacres de Mada-
gascar de 1949.. . 90 000 ? 400 000 ou dix fois moins dans la Vendée durant
la Révolution française ? 40 millions durant la Révolution culturelle chi-
noise ?... Alors que la vraie question est le sens de ces massacres, ce qu’ils
ont signifié et ce qu’ils ont produit en conséquence, en particulier le trauma-
tisme qu’ils ont laissé : pensons aux dragonnades sous Louis XIV, qui ont
marqué les Cévennes protestantes jusqu’à aujourd’hui. Ce qui ne veut pas
dire que chercher g préciser les dégâts humains est inutile, mais c’est une
autre discussion, d’ordre historique. Les idées, quand on les habille de chif-
fres, se perdent dans Je méandre des discussions sur leur mode de calcul.
Ces querelles masquent ainsi le fonds : et le fonds est une idée. Nous avons
par contre un excellent documentaire qui, sans esquiver la question des
chiffres, traite du sens : il s’agit de celui de Serge Vialle (1996), Le drame
de Suipan, cette île japonaise où la presque totalité de la population s’est
suicidée devant l’arrivée américaine Cet exemple donne aux chiffres leur
vraie valeur dans une discussion, comme d’ailleurs dans l’article cité d’Ali
Habib : l’arbre des chiffres ne doit pas cacher la forêt des faits.
Parce que les faits sont extrêmes et caractéristiques, on peut plus fa-
cilement utiliser les chiffres de catastrophes pour traiter des exemples, mais
les autres, plus courants, que l’on utilise au fil de nos raisonnements et de
nos analyses, posent le problème identique que nous ne nommons pas des

395
quantité en citant un nombre, mais que nous exprimons une idée sous une
forme quantitative.

Notre conclusion est donc que le débat entre quantitatif et qualitatif


n’a pas la rigidité qu’on lui attribue généralement. Nous aurions grand inté-
rêt à l’entendre, cela éviterait que les quantitativistes récusent les idées et les
qualitativistes les chiffres quand idées et chiffres n’existent que dans la
limite étroite des bases de leur construction.

396
B - Les collectes qualitatives
Dans cette seconde sous-partie de la méthodologie des enquêtes, se-
ront analysées les différents axes des procédures qualitatives de collecte.
Composée d’un seul chapitre et de sous-chapitres, elle analyse les différen-
tes méthodologies, leurs contraintes et les difficultés de fusionner les démar-
ches quantitatives et qualitatives. Les collectes qualitatives vont être beau-
coup plus rapidement traitées car elles touchent directement au concept de la
pratique de terrain et, par nature, se posent en termes plus généraux. Nous
avons dans le troisième chapitre de cette partie traité des problèmes com-
muns à toutes les collectes (<<avant, pendant, après ») et nous allons donc
aborder les questions spécifiques à ce type de collecte. Écartons tout de suite
l’idée que le qualitatif soit « le monde moins le quantitatif ». On le considère
facilement comme un fourre-tout dans lequel entreraient tous les autres
modes de recherche, depuis la recherche documentaire jusqu’au « tout azi-
muth » méthodologique. Ce serait un peu « la prose de la collecte » et, pour-
rait dire un Monsieur Jourdain des sciences sociales : chacun fait de la col-
lecte qualitative sans le savoir. Par ailleurs, le qualitatif est souvent traité
comme un mode opératoire tenant de la grâce et de l’ineffable. On retrouve
là les difficultts de définitions si magnifiquement traité dans ce roman de
Robert M. Pirsig (1974) Zen and the Art of Motorcycle Maintenance, dont
l’édition angle-américaine de Corgi Books annonce sur la page de couver-
ture :
This book Will change the woy you think and feel about life.
où le héros-narrateur ira jusqu’à la folie pour définir ce qu’est la qualité 6’.
Dans son acception scientifique, ce qu’il est convenu d’appeler le
‘qualitatif’ reste impregné de cette double contrainte qui marque la
‘qualité’ : d’une part “ce qui n’est pas quantitatif’, d’autre part “une appré-
hension ‘romantique”’ de la réalité, selon la terminologie de Phèdre, le héros
de Pirsig. Phedre dit aussi ‘pré-intellectuelle’ et il parle de réalité subjective
(l’esprit) oppode à une réalité objective (la matière).

397
Le qualitatif comme non-quantitatif

~a qualitatif, comme “non-quantitatif’ est aisé à entendre : cela si-


gnifierait que l’on n’utilise pas de chiffres, mais ce n’est pas très exact dans
le sens que le chiffre n’est pas forcément quantid et que beaucoup de procé-
dures statistiques, dans leurs applications concrètes, tiennent beaucoup de la
‘cuisine’. Du moins était-ce l’avis d’Alan Levine, mathématicien du projet
santé mentale et migration au Sénégal 62, auteur de plusieurs livres tr&
pointus qui affirmaient qu’ils étaient fondés, de par la nature des statistiques
sociales, sur le bon sens et non pas sur de la théorie mathématique bien
affirmée 63. Pourtant, la qualité est souvent conçue comme un pré- ou un
anté-quantitatif, C’est un peu cette idée qu’Andre Lalande suppose dans son
Vocabulaire technique et critique de la philosophie 64, que suit en partie
Philippe Couty dans son article de 1983 Qualitatifet quantitatif:
Mani&e d’être, source des impressions sensibles, la qualité constitue
une donnée, dont la continuité ou la répétition donnent lieu à détermi-
nation quantitative, dénombrement.
(Lalande, 1975 : 864)
Le Petit Robert affirme la même chose, nous dit Couty, mais notre auteur est
trop fin pour ne pas voïr les limites de cette évidence 65 :
LA conclusion,triviale, c’est que perceptiondesqualitéset dénombre-
mentdesquantitésformentdeux composantes d’une seuleet même dé-
marche; et qu’à proprementparier la distinctionentre recherchequa-
litative et recherchequantitativemènedansuneimpasse.
(Coq, 1983: 91)
Examinant les différentes variables, Couty fournit un tableau des différences
entre les procédures et récuse l’idée courante que les specialistes du quanti-
tatif fussent moins fins d’esprit que les autres :

” Ce roman est en partie autobiographique.


62 Voir dans notre bibliographie les différents documents produits par cette enquête, dont
notre livre Exode rural et urbanisation nu Sénégal, 1977.
63 Ce qui n’aurait pas étonne un auteur comme Pierre Lavalle (197 1 in CBC 3), qui souli-
gnait le poids du flair, de I’exptrience et du consensus des initiés pour la validation d’un
théorème mathtmatique.
64 PlJP, Paris, 12’ 6d., 1976.
65 Nous ne saurions faire grief a Philippe Couty de ne pas aborder la question de la matht-
matisation innee de l’esprit dans I’espece humaine, discussion hors de son propos et que
mènent un certain nombre d’auteurs, comme Barrow, Changeux, Cyrulnik (1983), Guillen,
tous discutés en premiére partie de ce travail.

398
L’esprit de finesse, la capacité d’improviser et d’adapter, l’aptitude à
traiter la nuance, sont tout aussi nécessaires au statisticien qu’au cher-
cheur “qualitatif”.
(Couty, 1983 : 95)
Qui nierait, par exemple,que meneruneenquêtequantitative comme
un recensement,est une opérationquantitative ? L’objectif, les donnéessont
quantitatifs, maisl’opération elle-mêmeest in-chiffrable. Elle est fondée sur
desrelations de personnes,deschoix irrationnels,des orientations idéologi-
quesetc. ... Pourtant cet article ne noussatisfait pascar si tout est danstout
et réciproquement, à quoi bon analyserles diffkrences ? Or, si l’on en croit
le mathématicienRené Thom (1991 : 66-68) le souci de quantification qui
est le propre de notre sociéténe serait qu’un artefact technique (un univers
discret est techniquement plus facilement mesurablequ’un autre, compte
tenu de notre propre constitution historique)et la part de l’univers qui serait
quantifiable est très restreinte, mêmesi cette part est historiquementfavori-
séepar notre systèmeculturel (id. : 74). On ne peut se contenter de défini-
tions négatives, et peut-être comprend-on maintenant le long détour que
nousavons effectué en premièrepartie sur les questionsscientifiques géné-
rales quand nousavons discuté de : objet qualitatzx objet quantitatif, et des
analysesdu chapitre 9 : Quantiratif et qualitatif. Opposerquantité et qualité
estpratique sur le plan desdiscussions,maisla distinction est trop grossiére
pour être vkritablement opératoire.La qualité, et le Phèdre de Pirsig en fit la
triste expérience, est un peu un miroir aux alouettes.Nous pensonsque la
réflexion sur le qualitatif et les méthodesqu’il implique doit être envisagée
positivement. Sur le plan scientifique de la méthode,qui nous intéresseici,
et si l’on refuse de se laisseréblouir, comme des volatiles, par le jeu du
soleil dansle strasstournoyant de la ‘qualité’, parler de techniquesde col-
lectes qualitatives n’est pas parler de rien. Au contraire des autres auteurs,
nousdéfinirions le quantitatif par rapport au qualitatif en disant : le quanti-
tatif, c’est des méthodeswalitatives oui meuvent aboutir à des résultats
numérioues.

Si les procéduresde connaissancesont donc essentiellementqualita-


tives, (même si elle est innée, la capacité de calcul est une capacité parmi

399
d’autres de l’esprit humain), leur diversité est extrême et peu
‘normalisable’ ; pourtant, il n’en reste pas moins que l’on peut donc définir
un certain nombre de proctdures que l’on dira ‘qualitatives’ parce que leur
démarche est originale en soi et que le produit qu’elles visent n’est pas un
produit de remplacement, à dclfaut, mais spécifique. Et c’est donc a
l’examen de cette originalité et cette autonomie méthodologique que nous
allons nous consacrer.

Note annexe sur lestechniquescartographiques

Nous ne voulons pas, dans ce travail, traiter des techniques cartogra-


phiques, d’une part parce que ce sont des procedures qui font appel B un
autre corpus intellectuel, un autre corpus technique et méthodologique et à
d’autres capacités. Nous les écartons comme nous avons déjà kart6 les
procédures méthodologiques documentaires. Disons simplement que, dans
leur mode d’expression, elles sont autant qualitatives que quantitatives. Par
contre, elles nous paraissent relever de la mesure dans leurs proddures de
collecte (coordonnées spatiales, fréquence d’apparition d’un événement dans
un espace donné.. .) Une bonne partie de notre activité professionnelle a été
consacrée au recueil de données géographique et a leur expression cartogra-
phique, y compris dans ses formes modernes de constitution de système
d’information géographique, mais nous n’avons pas de compétences suffi-
santes pour nous fonder sur cet ensemble de travaux et produire des vues
présentant un intérêt patent sur les distinctions que nous essayons de démê-
ler ici en ce qui concerne la collecte.

400
Chapitre 8
Les instruments de la collecte qualitative

Ce chapitre unique se compose de sous-chapitres, où seront analysés


les différentes méthodologies, leurs contraintes et les difficultés de fusionner
les démarches quantitatives et qualitatives.
Les collectes qualitatives ont pour trait spécifique que chacune des
collectes envisagée est unique, difficile reproductible, et a pour prkalable un
caractère qu’elles partagent avec toute autre collecte une information obte-
nues sur deux points :
l le sujet que l’on voulait traiter (question scientifique de fond, probléma-
tique scientifique, éclaircissements méthodologiques., .)
. le lieu sur lequel on voulait enquêter (repérage, documentation.. .)
Gardons en mémoire que nous considérons la discipline et les compétences
des scientifiques précistes avant, et que les compétences d’exploitation ne
sont jamais définies totalement à ce stade. En effet, l’expérience prouve que
les chercheurs modifient leurs compétences d’analyse en fonction des be-
soins de la recherche qu’ils poursuivent (Einstein devint mathématicien,
Delaunay devint spkcialiste des systbmes d’information géographique.. .
comme nous l’avons déjà traité en deuxième partie : pp, - ).
L’on constate dès lors que la méthode de collecte qui va être mise en
œuvre dépend autant de l’observateur que des conditions spécifiques
qu’offre l’objet soumis à observation. Dans les collectes qualitatives, l’objet
observé et l’observateur, et leur rencontre, créent la méthodologie, laquelle
est difficilement tranférable en une autre configuration. D’où le sentiment
d’unique que donnent ces recherches, et les contestations que l’on entend sur
leur caractère scientifique. La généralisation des résultats n’a aucune évi-
dence : tout est inscrit dans une configuration particulière de l’espace et du
temps, d’un état particulier de l’objet observé et du sujet observant. Mais ne
revenons pas sur la justification du terme « “sciences” sociales ». . . abon-
damment traité en seconde partie.
Dans ce chapitre nous allons envisager le guide d’enquête comme
instrument essentiel de ce type de recherche qui, disposant de peu
d’instruments techniques de recueil (car l’enregistrement brut
- magnétophone ou camera - n’est qu’un moyen d’engranger de
l’information et non un moyen spécifique de recherche) se doit de construire
son observation de plus ‘haut’ qu’une enquête quantitative où de multiples
instruments (questionnaires, releves etc.. .) contraignent l’observation et la
rendent plus efficaces. Ensuite, dans un second sous-chapitre, nous aborde-
rons la questions des grands types d’enquêtes qualitatives. Dans un troi-
sième , nous verrons une tentative de fusion en étudiant de près une étude de
démographie qui a voulu joindre les deux types de travaux.

La collecte qualitative en science, pour être moins formalisée que la


collecte quantitative n’en est pas moins un ensemble de procédures appli-
quées systématiquement a des fins qui visent un recueil d’informations
normées. Elle dispose d’un ‘grand’ instrument : le guide d’enquête, un seul
véritable outil : l’intelligence. De celle-ci, Marcel Mauss en a tout dit, il
suffit de supprimer le mot “science ethnologique” et de le remplacer par
“science de l’homme et de la société”, on peut conserver le singulier :
La science ethnologique a pour fin 1‘observation des sociétés, pour but
la connaissance des fairs sociaux. Elle enregistre ces faits, au besoin elle
en établit la statistique et publie des documents qui offrent le tna.ximum
de certitude. L’ethnographe doit avoir le souci d’être exact, complet ; il
doit avoir le sens des faits et de leurs rapports entre eux, le sens de pro-
portions et des articulations.
(Marcel Mauss, Manuel d’ethnologie, 1947 : 5)
De celui-là, le guide d’enquête, nous disposons de nombreux ouvra-
ges qui précisent son contenu et ses limites. A la limite, il y a confusion
entre le plan de l’ouvrage que l’on veut écrire et le plan de recherche (ce qui

402
est la pratique de l’école anglaise en sciences sociales). Quand c’est un
questionnaire, ce questionnaire se compose de questions ouvertes, c’est-a-
dire de questions qui recueillent du matériel essentiellement verbal (dont
une partie de l’analyse peut être quantitative par des méthodes de type di-
chotomique). Des auteurs comme Marcel Mauss, dans son Manuel, Maquet
dans son Aide-mkmoire, Paul Pelissier dans sesplan et rkpertoire (1960 a 8z
b) et ses questions (1965) et tant d’autres, dont ceux du fameux Notes and
Queries, ont eu à cœur de laisser la liste des questions et problèmes qu’il
leur paraissait essentiel d’investiguer. L’établissement d’un guide d’enquête,
est la tâche principal d’une bonne recherche qualitative. Car tout ne peut être
observé, il faut choisir, a priori, dans le grand champ des possibles, celui
que l’on va labourer et les axes qui apparaissent déterminants a relever, au
cas où... Pourtant, la realité va souvent se jouer de ces plans, préétablis.. .
sans lesquels on ne verrait pourtant rien. Une fois Etabli, le guide d’enquête
doit être refondu par périodes, tliminant les éléments superfétatoires, in-
cluant les probltmatiques nouvelles qui apparaissent, les nouveaux axes qui
prennent de l’intérêt. Cette manière de procéder n’est pas le signe d’une
insuffisance intellectuelle (les difficultés concrètes auraient été mal éva-
luées) mais celui d’une prise en compte des particularités de la réalité qui
apparaissent au fur et à mesure de la recherche. En effet, les procédures
qualitatives ont pour principale qualité de pouvoir être modulées en fonction
des circonstances locales et de l’instant - c’est aussi une obligation de les
adapter -. Alors que les procédures quantitatives, une fois lancées, ne peu-
vent pas être modifiées sauf dans le détail.

Les questionnaires

Le guide d’enquête comporte également des questionnaires. Ces


questionnaires n’ont pas pour but d’enregistrer strictement des informations
que de permettre un recueil aussi souple que possible des informations. Les
plus stricts sont des questionnaires ouverts, et donc susceptibles d’être mo-
difiés dès qu’une piste imprévue apparaît. Alors que dans le cas des enquê-
tes quantitatives, les questionnaires, sous peine de collecter une information

403
hétérogène, doivent &tre fixes, quelqu’imparfaits qu’ils paraissent au cours
de l’exécution de la tâche de collecte (certes, les débutants les modifient : en
retouchant les questionnaires et qn changeant l’ordre des questions... mais
les corrections introduisent d’autres erreurs et les procédures de correction
sont infinies, coûteuses et sans rentabilité). Nous voyons qu’une collecte
qualitative peut se permettre un peu ce qu’elle veut : elle est ouverte, per-
méable, c’est son atout, c’est sa faiblesse, car maniée avec trop d’optimisme,
elle recueille des informations hCtérogènes, dans un champ trop ouvert et
d’analyse difficile.
Nous connaissons beaucoup d’exemples de ces collectes qui n’ont
jamais utilisé, ?t la rédaction, les informations collectées avec les question-
naires. Se contentant de ce qu’il a ~&TU, de ses cahiers de notes, le chercheur
écrit son rapport. Ceci n’est pas gênant quand il s’agit de recherches empiri-
ques ayant un objectif d’information (recherches appliquées ou bien
“recherches journalistiques”), mais pour des recherches qui visent à être
scientifiques, ceci est un dkfaut grave. D’une certaine manière, les question-
naires ttaient une méthode comme une autre de d’enquêter pour compren-
dre.,, On doit noter que souvent les questionnaires “physiquement”
n’existent pas. Les chercheurs prennent leurs notes sur d’autres documents,
des cahiers bien souvent. Le questionnaire qu’ils utilisent n’est qu’un docu-
ment a part, un pense-bête qu’ils suivent plus ou moins fidèlement. En effet,
le sujet interrogé déborde, quand on le laisse parler, les cadres étroits que
l’on s’était fixé pour l’interviewer ; par ailleurs, la technique qualitative de
l’enquête permet de reprendre dans les propres paroles dti sujet de quoi faire
rebondir la conversation. Chaque sujet a des choses à dire, chacun est riche
en des points particuliers et l’on suit plus facilement la pente qu’il imprime
A la conversation que la pente que l’on voudrait lui faire suivre. Le résultat
est une grande richesse, trop grande parfois : un éparpillement, de nouvelles
pistes, qui devront être vérifiées chez d’autres informateurs.
Dans les procédures quantitatives, le questionnaire utilisé est fermé,
pour les questions formant explicitement l’objectif de la recherche. Dans les

404
procédures qualitatives, le questionnaire, quand il est utilisé, n’est qu’un
guide d’entretien et un récapitulatif des questions. Les questionnaires sont
donc des questionnaires ouverts, qui recueillent des réponses diversifiées, de
type verbal, qui sont analysées par des proddures longues : recoupements
pointilleux, relectures infinies, questionnements permanents de validité,
confrontations répétées de cohérence... (Daniel Little, 1991 ; Benjamin
Montalon, 1988 ; Raymond Quivy et Luc van Campenhoudt, 1996). La
tâche d’un enquêteur qualitativiste n’est pas plus une géhenne que celle d’un
quantitativiste, mais ce dernier a des opérations plus marquee : le doute sur
les données se fait par Etapes : on analyse et corrige chaque questionnaire,
ensuite on analyse chaque type de réponse, ensuite on cherche a déceler la
structure latente derrière l’amas des réponses. Le qualitativiste, lui, à chaque
étape, doute de ce qu’il a collecté, en mesure les insuffisances. Là où le
statisticien écrit qu’il aurait été bon de disposer de telle donnée pour con-
clure (mais il s’arrête la car il ne dispose pas de ces données et ne peut les
obtenir : trop tard !), le qualitativiste va lui tenter de savoir si un brin de
réponse ne gît pas quelque part en un recoin oublié de ses documents. Et
souvent, il repart sur le “terrain” vérifier, ce qui lui donnera d’autres doutes,
d’autres affres. Et allonge les délais !

Les longs délais du qualitatif

Car nous arrivons ici à la grande difficulté que posent les enquêtes
qualitatives : elles demandent des délais d’exploitation extrêmement Clevés.
Ce sont des procédures très « gourmandes en temps de travail », surtout que,
souvent, il s’agit du travail d’une seule personne. En soi, le temps, en masse
est variable d’une enquête à l’autre et d’un type d’enquêtes à l’autre -(entre
qualitatif et quantitatif) et nous n’oserions pas affirmer laquelle est plus
longue qu’une autre, mais le caractère individuel des enquêtes qualitatives
fait traîner les délais. Un chercheur qui travaille dix ans sur une enquête
qualitative, a passe dix ans en masse de temps et dix ans en délai, soit une
masse-temps identique à une Cquipe de 12 personnes qui ont effectué une
enquête en un an, mais le dtlai pour cette Équipe est de un an !

40.5
Les cahiers d’enquête

Le travail qualitatif demande de rediger chaque soir son cahier. II


faut écrire ce qu’on a vu, ce qu’on a entendu, y compris ses états d’âme,
puisque l’observateur est inclus dans l’observation, C’est un travail fasti-
dieux mais essentiel car c’est le document qui donne la cohérence aux inter-
views, aux observations, aux notes éparses qui composent le quotidien et la
production d’une enquête qualitative. Sans viser un objectif qui prendrait la
forme d’un ouvrage de ‘souvenirs’, comme Tristes Tropiques de Lévi-
Strauss, ou de Nous avons mangé la forêt de Condominas, pour parler de
deux célèbres ouvrages et réussites de ce “genre littéraire” tres prisé des
Français, la tenu d’un tel document est essentiel dans les enquêtes qualitati-
ves. Tous les échecs dont nous avons été témoin tiennent à l’oubli de la
règle de la tenue d’un cahier d’enquête (mis à part l’ambition démesuree de
« tout » savoir qui ravage certains projets).

La diversite extrême des techniques d’enquête qualitatives nous


amène à un classement en grandes catégories des collectes qualitatives :
l relevés cartographiques et documentaires (pour mémoire)
l proctdures d’observation
0 entretien
l interview de groupe
l observation participante
La généralité des termes utilisés donne une idée de la difficulté
d’appréhender le sujet quand on décide de le traiter ainsi.

406
L’observatiori

L’observation est un des « techniques » de l’enquête qualitative. Est-


ce vraiment une technique ? Le chercheur qualitativiste est, par certains
côtés un “voyeur”, qui regarde tout, cherche à noter tout ce qu’il remarque,
et à remarquer tout ce qu’il voit 66. La bonne observation se fait avec un
regard neuf, il y a quelqu’ascèse à se donner chaque jour un regard neuf, à
voir les choses d’une manière qu’on n’avait pas le jour d’avant. Observer,
c’est s’étonner, c’est écrire ses observations, sans savoir si cela «vaut la
peine » ; la peine est une question métaphysique qui est sans int&êt dans la
collecte qualitative : « Tu vois, tu notes. Tu ne te poses pas de question ».
Combien de fois n’avons-nous pas répété cette formule à nos “élèves” et à
nos jeunes collégues. Observer, c’est exercer son regard, tenter de donner un
sens à ce que l’on voit pour mieux l’aiguiser. Que l’on observe une danse
comme Hélène Bouvier, un cimetière comme Jean-Didier Urbain, un procès
de militants basques comme Denis Laborde, une réunion électorale comme
Abélès, un entretien medecin occidental - malade lao comme Richard Pottier
(1996) le processus mental est le même : qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce
qui s’échange, qu’est-ce qui a sens ?

L’entretien

L’entretien est un ature des grands outils de la recherche qualitative.


Réalisé souvent avec le pense-bête d’un questionnaire ou d’un corpus
d’interrogations, l’entretien est une procédure ouverte de collecte
d’information qui suit plus les connaissances propres au sujet que les con-
naissances que cherche à acquérir le chercheur. La règle d’un entretien est de
laisser “parler”, selon sa propre logique, l’interviewé. Il faut lui renvoyer,
avec ses propres mots, sa propre parole. Mis ainsi en confiance, valorisé
parce que on le laisse s’exprimer, l’interviewe donne à la fois le meilleur de
lui-même et sa connaissance des questions qui sont débattues entre lui et son
interviewer. L’entretien est un jeu à deux, un jeu où l’enquêteur doit savoir
laisser le sujet donner son point de vue. On ne répètera jamais assez com-
bien un entretien est traumatisant pour l’enquêté (l’enquêteur, quant à lui, l’a
voulu) et sa mise en confiance, tant dans sa relation avec l’enquêteur que
dans l’ici et maintenant de l’entretien est un des facteurs de la réussite.
Les meilleurs enquêteurs en entretien individuel sont aussi des
voyeurs. Certains ont l’art de faire parler, d’autres, plus gêné par ce voyeu-
risme, ont quelque gêne SI explorer ainsi les mobiles profonds. Pourtant.
certaines interviews se “renversent” dans leur perspective : alors c’est
l’enquêteur qui devient enquêté et ces moments, il faut savoir les vivre et
répondre avec la franchise que l’on demande aux questions. L’exemple que
nous pouvons prendre, qui est caractéristique des entretiens que nous avons
menés, est le cas des enquêtes sur les rapports sexuels pour des enquêtes
dhmographiques fines ‘informelles’. Au regard indiscret, 6 combien, que
nous portions sur leur vie, des enquêtés nous retournaient nos questions et
nous interrogeaient. Il fallait alors accepter ce renversement de la situation et
répondre en toute clarté, celle-là même que nous leur réclamions. Un travail
de Véronique Moulin% sur les actes chirurgicaux présente également les
mêmes contraintes que’nous énonçons ici : elle sut dominer, pour des ques-
tions difficiles dans un contexte difficile (opération de la prostate), ce ma-
laise dans lequel est mis le sujet en s’incluant soi-même dans ce processus
d’tlucidation d’une situation difficile pour une femme, par définition à l’abri
de ce genre d’acte chirurgical.
L’autre caractéristique des entretiens est que leur analyse passe par
une analyse de contenu du texte produit par I’enquêtk. ‘Quand on effectue
des enquête dans sa propre culture, les mCthodes d’analyse sont très
‘sophistiquées” et très techniques ( ), et aussi très difficiles a mener jusqu’au
bout. En fait, trbs souvent, les chercheurs se contentent d’une voie médiane
entre l’analyse de texte et l’analyse de contenu. Quand on travaille en
d’autre sociétés que la sienne, et surtout dans une langue différente, les

66Cela ne supposepasque le quantitativisteseraitpour autanthabilité B s’abstenir de noter


ce qu’il voit et de tenir un cahier d’enquête, mais l’habitude n’en est pas prise.

408
analyses de contenu sont impossible, on se contente alors d’une analyse
aussi fine que possible de l’information rapportde à ce que l’on peut savoir
du texte, ou ce que l’on peut déduire du texte a partir d’un certain nombre
d’axes (sémantique, formules utilisées.. .)

L’interview de groupe

La technique d’interview de groupe, issue de celle de la dynamique


de groupe, est assez peu utilisée en recherche scientifique où elle n’a pas le
SUC&S qu’elle connaît dans les recherches de marketing et les tests de publi-
cité, pourtant certaines expériences ont été réalisées en démographie 67.
Nous-même l’avons utilisée, en dehors de nos travaux dans les groupes
prives, pour étudier certaines questions L’interêt de cette méthode est
qu’elle permet de diminuer ce que l’on doit appeler «le stress de
l’enquêté ». Souvent l’enquêté est mis en cause par la situation de
l’enquête : situation interculturelle type, ainsi que nous l’avons expliqué au
chapitre 2 supra : L’enquête, situation interculturelle. Les techniques dites
defocus group en anglais, sont très riches parce que le sujet peut parler de
soi sans être obligé de se mettre en scène lui-même, sans être oblige de
s’avouer. Par ailleurs ces situations permettent, apres avoir «chauffé » le
groupe, de le faire délirer sur le plan de l’imaginaire et d’explorer non la
réalid, mais son V&U et ses représentations.

Cette technique réclame que l’animateur (on ne peut plus parler


d’enquêteur alors), puisse noter les productions verbales des enquêtes (ces
productions sont dites verbatims en langage technique). Ce sont des paroles,
des phrases à l’emporte-piéces, un peu comme les « brèves de comptoirs ».
On a profusion d’images verbales dont le traitement est délicat. L’analyse
s’effectue à plusieurs niveaux. Le regroupement des verbatims par thème,
l’elucidation de leur signification doit se faire aux differents plans de leur
contenu (verbal pur : association de sons ; images ; idées.. .)

67 Focus Group Research, SpecialIssue, in Srudies in Family Planning, Vol. 12, N.12, Dec.
1981 : 405-460.

409
La difficulté de cette technique est qu’elle rompt l’equilibre entre le
meneur de jeu et les sujets. Or, pour que les sujets ‘sortent’ de leur interview
satisfaits, heureux et à l’aise, il est nécessaire de leur renvoyer le contenu de
la production du groupe, ce qui doit se faire “à chaud”, ce qui représente
toujours une petite difficulté. Par ailleurs, ce type de groupe a toujours
tendance à dériver vers un consensus qui se produit sur des points annexes
au projet de recherche : il est necessaire d’user de doigté pour que le consen-
sus se produise sur les points de la recherche et que le groupe travaille glo-
balement et pas en sous-groupes qui en casseraient la dynamique. C’est pour
cela que ces groupes doivent respecter, dans leur dimensions, les règles des
T-groups : jamais moins de 6 membres, jamais plus de 10. Il est évident
qu’il doit y avoir une langue commune : on ne peut effectuer ce type de
recherche avec des gens dont on ne parle pas la langue, alors que les inter-
views peuvent se dérouler avec un ‘truchement’, un interprète.

L’observation participante

L’observation participante est le nec plus ultra des techniques quali-


tatives. Son invention est attribuée à Bronislaw Malinovski dont le Journal
d’ethnographe parut longtemps après sa mort soigneusement épuré des
«états d’$me » scandaleux qu’il contenait, par sa sœur, Valetta. Dans ces
notes écrites pour lui-même, Malinovski avoue se piquer à l’arsenic, désirer
les femmes de Nouvelle-Guinée. On est loin des récits « léchés » publiés
depuis, à mi-chemin entre l’aveu impudique et les truismes, qui émaillent la
production moderne. Il faut, pour lire ces documents, repenser aux travaux
de Jean Starobinski sur le Rousseau des Confessions (1971) : LA transpa-
rence et 1 ‘obstacle 68, le mensonge, l’affabulation, le transfert sont des di-
mensions que l’on jamais oublier quand on examine ce type de documents.

bs Dans ce travail, Starobinski met fortement en doute les aveux de Rousseau qui ont pour
fonction non d’avouer, mais de masquer.

410
La technique (ou est-ce une méthode, ou est-ce un mode d’être ?) de
l’observation participante est de vivre parmi les gens que l’on veut Etudier,
de partager leur vie, de les observer, de leur parler, d’avoir avec eux des
entretiens dirigés et informels, de participer a leur fête,, . de devenir eux-
même, de devenir “comme eux”. , . Illusion, certes, car on ne cesse pas parmi
les Papous d’être un bon Français ou un bon Anglais, d’être un « innocent
anthropologist », pour reprendre le titre du fameux et récent ouvrage de
Nigel Barley (1983), cette petite merveille d’humour et d’ironie.
Mais c’est déjà du terrain, de sa r&alité et des fantasmes qu’il recèle
que nous parlons.. .

Il est curieux de produire sur une méthode aussi riche : les collectes
qualitatives, un si mince chapitre. Mais c’est parce que nous arrivons là à la
quintessence des difficultés que posent les sciences sociales, sciences certes,
selon nous, mais dont l’objet est si particulier puisque pluriel et unique.
Quand on examine la production des chercheurs, on ne peut tirer que quel-
ques recettes, ou une multitude. Si c’est quelques, alors c’est des grosses
ficelles de bon sens, si c’est une multitude, alors c’est une recension des cas
possibles. Car une bonne enquête qualitative est une heureuse rencontre
entre une personne et des personnes, entre le chercheur et une population,
entre une recherche et un terrain. C’est la maîtrise par un sujet scientifique
de son équation personnelle. Souvent on trouve des réflexions du genre
« comme je suis une femme j’ai pu.. . », « parce que je suis un homme j’ai
pu entrer dans le cercle de ceux qui détenaient . . . », ou ,bien « vu mon âge
avancé, les contacts ont Cté aisés car le respect que les , , , portent aux per-
sonnes âgées m’a permis de . . . » sans vouloir trop diminuer les qualit&
individuelles, ni nier les facilités rencontrées par tel ou telle, force est de
constater que l’instrument étant la personne, si elle était un homme alors
certaines choses étaient possibles, et l’on ne saura jamais ce dont elle a CtC
privée d’être un homme enquêtant en tel endroit, aupr&s de telles personnes,
en telle année.. . Finalement, les chercheurs disent qu’ils ont réussi grâce à

411
tel ou tel du groupe Etudié. Mais si le chercheur est ‘bon’, tenace, efficace, si
tel et tel qui lui ont facilité la tâche n’avaient pas existé, il aurait rencontré
d’autres personnes qui lui auraient facilité l’observation... qui aurait été
différente, ou presque semblable, cela dépend du cas, puisqu’on ne parle
jamais chaque fois que d’un cas particulier.

Nous reconnaissons ne pas aborder la question de la comparaison


que les sciences de l’homme et de la société peuvent effectuer pour tirer des
conclusions plus générales de ce rassemblement de cas particuliers. Nous
avons préféré défendre les sciences sociales face à un certain scepticisme
scientiste que débattre des capacités de la recherche en sciences sociales
d’arriver à donner un sens scientifique plus global à cette collection de faits
que rassemblent les recherches qualitatives.

Mais nous devons quand même nous inscrire en faux contre les af-
firmations qui font peser sur les recherches qualitatives une illégitime suspi-
cjon. Nous prendrons la remarque d’Albert Jacquard, (1978 : 171)

Les « sciences humaines N qui prétendent au statut de « vraies


sciences » doivent en payer le prix : un minimum de rigueur dans
Les définitions, de discipline dans les mesures.
Pourquoi un minimum ? De la rigueur, tout simplement de la rigueur, dans
l’espace épistémologique imparfait où elles sont, ici et maintenant. Il est vrai
que Jacquard débat de la validité du quotient intellectuel - le QI, objet expé-
rimental et non pas objet cokret, - tel qu’il est mesuré par les psychologues
et non des sciences sociales en général. Mais il écrit quand même « sciences
sociales ».

L’idéal pourrait être de mêler les deux approches : quantitative et


qualitative, non pas comme mouvements coordonnés d’une même recherche
mais intervenant à des niveaux différents ou à des temps successifs (faire du
qualitatif avant ou di quantitatif avant selon les certaines propositions dont
le Groupe AMIRA s’était fait l’écho dans ses publications) mais comme
mouvements conjoints. Il nous semble qu’il y a là une grave erreur métho-
dologique. Le meilleur texte exprimant cette position est celui de Y. Charbit,
V. Petit, M.-Cl. Lacides, Paper VNFPA, NY Dec.1995 : 23 sur « Village

412
monograph », Using CERPAA ‘s methodology in population, health and family
planning programmes. Danscette étude, par ailleursfort intéressantesur le
plan méthodologiqueet méritoire pour les risquesqu’elle se plaît i?~
prendre
les auteurstentent d’annexer a une démarchede collecte dbmographiqueune
démarche anthropologique. Pourtant, le résultat n’emporte aucunement
l’adhésion.

3. La fusion
méthodologique :
quantité + qualité

Dans leur article de 1995, « Village monograph u, Charbit et ai an-


noncent :
... a multidisciplirtary methodology, so-called « village monographs »
which would in particular link closely quantitative and qualitative
methods, in order to contribute to a really explicative analysis of demo-
graphie behaviour. Q-3)
Pourtant, et on le voit tout au long du texte, il n’y a pasde méthode
qualitative mise en œuvre, on n’utilise que des questionnaires,et ce n’est
pas parce qu’un questionnaireest moins fermé qu’il est qualitatif. Il nous
sembleque les précisionsque nousavons donnéesplus haut nousdispensent
de r&insister. L’ambition affichee par les auteursest louable mais souffre
d’être affirmée sansaucuneréflexion préalable.Or les informations et don-
néesproduitespar les deux sortesde techniques,quantitatives et qualitati-
ves, sont héttrogènes,problèmequi n’est absolumentpas vu par les auteurs.
Ils ne paraissentmêmepas l’envisager. Que des donnéespuissent passer
d’un statut (quantitatif) à l’autre (qualitatif), commele sexe, (et réciproque-
ment, comme l’âge) ne paraît poser aucunproblème. Or le statut des infor-
mations face aux données(JacquesNoël, 1995) mCritait mieux que cette
manièrecavalière d’en disposer.

On est bien obligé de constaterque le qualitatif fonctionne, dans ce


texte, comme un principe idéologiquejustificateur de la démarche.Le cas

413
est très frequent. En mal de précision, les statisticiens ont toujours le senti-
ment qu’en faisant du qualitatif ils résoudront les imperfections de la col-
lecte, (La “conversion religieuse” inverse est tout aussi fréquente, ainsi que
nous l’avons signalé). L’idte sous-jacente est la suivante : “il existe une
solution définitive à notre problème, reste à mettre en œuvre une technique
pour la trouver ; il existe une explication, elle doit gésir quelque part dans
l’amas des faits”. Mais il y a, en science comme dans la vie, de nombreux
problèmes sans solution et ce n’est pas en complexifiant la collecte qu’on
résoudra les contradictions objectives qu’elle recèle, hic et nunc. La vraie
question, avec la méthodes et les techniques, est d’accepter leurs limitations,
d’exploiter au maximum leurs conditions de validité et de “pressurer” les
données, leur faire “rendre gorge” de ce qu’elles recèlent dans le champ
épistémologique adéquat de leur recueil.
Un deuxième présupposé court dans le texte : une technique est neu-
tre. Certes on peut accorder que, jusqu’à un certain point, elles le sont plus
ou moins, et encore ce n’est pas sur, et que, de toute façon, cela n’empêche
pas de “faire-comme-si”. D’une certaine maniére on peut affirmer qu’une
méthode ou une technique sont neutres dans le cadre de leur fondations.
Mais le cas ici est plus grave : ce qui est manipule dans ce texte se prête bien
aux critiques de Jttrgen Habermas (1993) ou de Bernard Stiegler (1995), la
technique entraîne avec soi autre chose et les résultats de son application ne
sont pas neutres, Mais il est affirmé :
The methodological tools only need adjustement, but not complete
rethinking when a new issue is adressed.. (3)
IA, on a un grave problème, car la position est en elle-même contes-
table : le only est de trop. II est légitime que, disposant d’un appareillage, les
demographes, ou d’autres, s’en servent et exploitent les données ainsi col-
lectées, mais ce qui n’est pas épistémologiquement valide c’est de dire que
les outils (le terme est intéressant) externes au champ épistémologique
manié par la discipline produisent des données adéquates aux problemes
dans le champ epistémologique de la discipline. Ce sont des évaluations
approchées, en marge, mais pas des données directement utilisables et aussi

414
assurées et certaines que celles qui sont au cœur de la discipline exercee...
(et en démographie, c’est le schéma de Lexis qui est le cœur de la disci-
pline). Nous avons parlé plus haut des données secondaires : collectées
secondairement, sur des bases théoriques différentes des données visées par
la recherche, elles ne peuvent avoir la même validité.
Sans plus ample procès d’analyse, les auteurs en concluent donc que
la technique de la monographie de village, telle que non définie malgré les
apparences, est applicable a tous les cas :
It was designed to be used in a great diversity of cultural and national
contents, and to study a great variery of population issues and stages of
programme implementation. (3)

Il y a tromperie sur la marchandise dans la page 4 à propos des deux


niveaux. L’hypothèse de fond est de type psychosociologique, et en cela elle
est valable, mais elle n’est pas signifiante en dehors de ses limites :
l Hypothèse 1 ,* ‘rhe inter-individual level’ ;

l Hypothèse 2, ‘the community level’...


alors qu’ils sont tous deux parfaitement homogènes. D’une batterie
d’interrogations pour soi (le chercheur), on bâtit une batterie de questions
pour des individus (sujets de l’énquête et objets du questionnement)... alors
qu’on annonce avoir change le paradigme de base : l’unité de recherche
n’est pas l’individu mais le village... D’où l’on trouve des affirmations dans
un sens (page 5) que la structure n’est pas la somme des parties mais qu’un
choix individuel est une somme d’interactions, ceci Btant contredit page 7...
Mais comment obtenir d’une belle ce que la belle n’a pas ? La belle est une
batterie de questionnaires, et la somme de données de ce type n’est que du
numérique, pas du global. Il n’y a pas de recherche qualitative, parce que
l’on ne sait pasce qu’est le qualitatif dansl’affaire, sinon du quantitatif flou.
On en fait pas du qualitatif en remplaçant le chiffre par le verbe, ni quantita-
tif en faisant des additions de choux et de carottes. Mélanger les genres est
dangereux.
La vraie question est d’exercer son métier : les statistiques atteignent
les structures, elles savent aussi les mettre en évidence. Mais I’klairage

415
qu’elle jettent n’est pas de la même consistance scientifique que celui de
l’anthropologie. Cela aussi il faut l’accepter, et modestement, et ne pas se
lancer dans des opérations certes rentables sur le plan de la publicité, mais
improductif en termes scientifiques si elles sont réalisees dans les eaux
troubles d’un no epistemology’s land. La recherche scientifique n’a rien à
voir avec la shifting cultivation. Ce n’est pas une agriculture sur brtilis,

abandonnée sitot qu’infeconde. Il faut suivre le conseil de La Fontaine, dont


on pourrait reprendre la fameuse leçon du Laboureur et de ses enfants :
Travaillez, prenez de la peine,
C’est le fond qui manque le moins.
Le scientifique n’est pas un nomade qui irait de science en science,
butinant pour faire son miel ; il a plus à voir avec la taupe monomaniaque
chère à Einstein. L’exercice d’une discipline est une discipline et les varia-
tions aux marges doivent se fonder sur une pratique affirmée et pas être des
professions de foi de charbonnier. Nous reconnaissons avoir eu nous aussi
cette tendance, trait de jeunesse, mais nous reconnaissons être fatigués de
voir ces grands projets « qui trop embrasse mal étreint » où les fruits, jamais,
ne tiennent la promesse des fleurs de la rhétorique. Nous reprocherions aux
auteurs de croire que, parce qu’elles s’expriment en langage courant, les
méthodes de l’anthropologie sont assimilables à la simple lecture des ouvra-
ges. Leur apparente lisibilité les rendent opaques. L’exercice de
l’anthropologie demande, pour être maîtrise, des années de lecture et de
travail, des années de terrain et de réflexion sur un certain type
d’informations recueillies avec des méthodes dont la simplicité technique est
le revers d’un investissement émotionne1 extrême. Que l’on cherche le pont
entre anthropologie et techniques quantitatives est une bonne chose, Doris
Bonnet (1984), Nicolas Herpin, du Groupe d’ethnomethodologie quantita-
tive de Paris VII, nous-même et tant d’autres le tentent, mais il faut le faire
en toute clarté des bases épisttmologiques et non pas réduire « l’autre disci-
pline » à un faire-valoir.
L’attitude anthropologique est l’ouverture à l’attention flottante, c’est
une technique qui a ses limites et ses atouts, dont les résultats sont en partie

416
normés (par exemple parenté) et d’autres inédits car contingents au
« terrain » (entendu comme un complexe de chercheur, lieu, culture...) Ré-
duire l’anthropologie à la prise en compte du global, du tout, ou de techni-
ques d’intervention sur le terrain est un schéma intellectuel réducteur. Sur la
question du tout, on voit bien que les démographes, gênés par l’influence du
tout, le découpent pour pouvoir le prendre en compte. Ce qui gêne n’est pas
qu’ils le découpent, ils ne peuvent faire autrement, mais qu’ils continuent à
croire qu’ils manient la totalité. On doit aussi remarquer que l’idée n’a rien
de nouveau : le Community L.evef de l’enquête mondiale sur la féconditb
partait aussi de la même idée, et il n’a jamais pu produire des résultats B la
hauteur des investissements. L’absence de réussite des autres dans cette voie
ne doit pas être prise ?I la légère. On peut échouer sans pour autant être
limité intellectuellement. Pensons aux essais d’études et de questionnaires
en batterie de niveau village, il faut entendre que les échecs des projets du
Gabon, Zaire, Sénégal, Centrafrique etc., sont signifiants d’une réelle diffi-
culté. L’échec a des racines épistémologiques. On ne sait pas ce qu’est un
village. Les auteurs du papier que nous commentons, non par méchanceté
mais parce que cet article a l’avantage d’être signifiant, s’aveuglent quelque
peu. On comprend leur enthousiasme, mais on regrette qu’il soit fond& sur
un mépris inconscient de la validité et de l’apport des procédures quaiitati-
ves et du sérieux qu’elles réclament pour être mises en œuvre.
On trouve, page 6, un mélange des raisons objectives et des raisons
justificatrices. Par ailleurs, on mélange les plans ante et post. La méthode
démographique est statistique. Elle est construite et valide dans ce champ
d’incertitude. Or on transforme des réponses qui sont collectées sous forme
statistique et qui tirent leur validité de leur champ de collecte de probabilité,
comme des faits signifiants individuellement. On mélange, à propos de la
fécondité le vécu avec la mesure. Les détails ne sont pas signifiants, même
s’ils correspondent à des vécus et a des rkponses et ils n’ont aucune cohé-
rence logique avec des taux de fécondité. Du moins pas a ce niveau, pas
avec cette méthode réductrice.

417
Les auteurs se posent des problèmes de démographes qu’ils résol-
vent, avec brio, en démographe avec des méthodes de démographes, et ils
ont raison : ils ne font la que pratiquer avec competence leur métier. Leur
erreur est de croire qu’ils peuvent absorber d’autres sciences. Le fait est
patent dans leur bibliographie qui est interne à la démographie et mieux,
interne au cercle étroite des démographes qui font la même chose que et qui
se posent les mêmes questions. Nous pourrions critiquer plus en detail ce
texte qui a l’avantage d’être écrit par d’excellents scientifiques, mais la
methode du mklange des genres les amène à des erreurs d’appréciation (page
6, 21propos de la discussion des familles monogames, ou a propos de la
polygamie ou de la prostitution, qui sentent « l’ethnocentrisme à plein
nez » 69). Ce n’est pas une insuffisance intellectuelle, ni un supposé ethno-
centrisme ressenti qui les amènent a ces erreurs, c’est l’usage d’une méthode
composite qu’ils ne maîtrisent pas. À commenter ces pages, nous nous
rappelons de la sévérité de Louis Henry et de la volée de bois vert qu’il nous
assenait quand il estimait que nous faisions erreur, c’est lui qui nous a appris
que l’exercice de la science est une ascèse, pas un éclatement. La démogra-
phie de ces auteurs se veut être explicative à tout prix, et explicative comme
discipline scientifique, ce qui est abuser de ses forces. Les observations
qualitatives ne sont assurées par aucun garde-fous issus des approches qua-
litatives et on en arrive à des observations qui frisent l’invention du couteau
à couper le beurre : le qualitatif, c’est de l’ineffable habille d’oripeaux
scientifiques, ou d’horribles peaux scientifiques. C’est du quantitatif mou.
La démographie peut au mieux définir des traceurs qu’elle peut utiliser
quantitativement pour donner une approche statistique et approchée des
phénomènes. La science totale de l’homme n’est pas née.

e9 Page 9, or il y a en wolof un mot pour désigner la femme qui fait l’amour pour le plaisir
et sans compensation monetaire du don qu’elle fait de sa personne (katyapan), le contraire
de notre prostituée donc... la prostituée reçoit de l’argent contre ses services sexuels mais ce
n’est pas parce qu’une femme reçoit de l’argent qu’elle est une prostituée... sauf pour nous,
qui offrons des bijoux et des fleurs... La question est plus fine que cela culturellement
parlant (on ne peut donc dire que la colonisation ait autant influencé les coutumes wolof
comme certains se plaisent a l’affirmer car c’est oublier que les remarques que l’on peut
faire sur certains rapports homme/femme au Sénégal sont deja faites par Labat au XVII”).

418
La contamination de l’ethnographie se manifeste par la prise au sé-
rieux de bobards : cela fait bien de dire qu’on a vu des choses extraordinai-
res. Comme maintenant on n’a @us les femmes a plateaux et les troupeaux
d’éléphants, on raconte qu’on a des problèmes d’enquête sous prétexte que
des gens croient que les ancêtres sont toujours vivants. Il faut quand même
dire hautement que les auteurs profèrent là des bêtises. « Même » un Dogon
sait bien qu’il y a une différence entre un mort et un vivant alors que verba-
lement il considère que tous deux font partie de son lignage ou de sa maison.
Les morts sont morts. Et cela pour tous les hommes de la terre. Même dans
le chagrin le plus profond (c’est d’ailleurs pour cela qu’on ressent cette
douleur). La vraie question, en démographie, est d’affiner les questions pour
ne pas tomber dans ce piège ethnographique et culturel qui fait qu’utilisant
un certain vocabulaire par manque de maîtrise de la langue on en arrive à
des incompréhensions ; cessons de faire croire qu’il y a un problème de
fond, c’est un problème souvent linguistique, de césures qui n’existent pas
dans nos langues et peuvent exister dans d’autres, ou l’inverse... Ce que
nous reprochons aux auteurs ce n’est pas d’avoir fait ce travail c’est de
croire et de vouloir nous faire accroire qu’ils font de l’anthropologie (page
11). La contamination anthropologique se lit enfin à un autre niveau : nous
avons déjà dit combien un anthropologue, dans ses recherches, doit savoir
s’inclure dans son enquête et ses entretiens s’il veut aboutir 2 un résultat.
Pour les techniques de type Focus Group, nous en avons également parlé.
La conséquence est que pour ces chercheurs, renvoyer auprès des popula-
tions leurs observations est la mise en évidence de leur non-manipulation de
ces sociétés et l’acceptation de leur autonomie : c’est à elles de faire le choix
de ce qu’elles gardent et rejettent et non à l’anthropologue. Franck Hagen-
bucher au Congo, Jean-François Werner au Sénégal, Olivier de Sardan au
Niger pour ne parler qu’à titre d’exemples, ont ainsi procédé. Les auteurs de

419
Village monograph imitent ces procédures : il y a chez eux un complet
mélange entre enqu&te scientifique et retour sur la population enquêtée avec
un militantisme interventionniste « limitation des naissances » a mille lieues
de l’esprit de l’anthropologie. Et cela serait une autre histoire.

Mais c’est déjà du terrain que nous parlons et de ses effets sur ceux
qui le pratiquent.

420
ACHEVÉ D’IMPRIMER SUR LES PRESSES
DE L’.A.N.R.T.

Dépôt légal OCTOBRE 1999


- Doctorat de l’Université de Paris I-

PANTHÉON - SORBONNE

Démographie

PRATIQUE DU TERRAIN
Méthodologie et techniques
d’enquête

T.ome 2

THÈSE
Nouveau régime
(Arrêté du 30 mars 1992)

Présentée par
Bernard LACOMBE

sous la direction du
Professeur Bernard GROSSAT

Année 1996-l 997


Note du Diffuseur
Cet ouvrage est la reproduction en /‘état de l’exemplaire de
soutenance Les Presses Universitaires du Septentrion ne
peuvent être tenues responsables des « coquilles » ou toutes
autres imperfections typographiques contenues dans les
pages ci-après.

En application de la loi du 1 Juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle, il est interdit
de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou
du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (20, rue des Grands Augustins - 75006 Paris)

@Bernard LACOMBE
I.S.B.N.:2-284-01251-5

PRESSESUNIVERSITAIRES DU SEPTENTRION
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ThI:03 2041 66 80 Fax:03 2041 66 90

Web http : lIwww.septentrion.com


TROISIÈME PARTIE

TERRAIN
ET

CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE
Erratum

Parmi quelques fautes de langue une erreur s’est glissée qui porte sur le sens :
Page 561 du tome deux de Pratique du terrain, méthodologie et techniques
d’enquête, de Bernard Lacombe, il faut lire non pas :
“L’aventure fait le récit et non pas le récit fait l’aventure”,
ce qui est un truisme, mais bien :
C’est le récit qui fait l’aventure et non pas l’aventure qui fait le récit.
Ce qui est l’observation logiquement paradoxale qui découle de l’ensemble de la
démonstration.
Desembarcamos logo na espaçosa
Parte, por onde a gente se espalhou,
De ver cousas estranhas desejosa,
Da terra que outro povo iiao pisou.
Porkm eu, cas pilotos, na urenosa
Praia, por vermos em que parte estou,
Me detenho em tomar do Sol a altura
E compassar a universal pintura

CAMOENS OSLusfadas, (canto V, 0 26) ’

La question du terrain est d’un abord plus difficile que nous ne


l’avions pensé au préalable. Notre idée initiale était qu’elle était liée à cer-
taines dimensions comme “voyage et tourisme”, “aventure”, “outre-mer”,
“ethnographie”, “enquête”, “action”, “présence de l’observateur dans
l’observation”. . . certes, mais nous pensions que nous pourrions dgblayer
sans trop de difficulté ces parentés. Il se révèle que notre tâche est plus com-
plexe que nous l’avions pensée et que même en restreignant le champ de
notre concept, il est un peu tonneau des Danaïdes. Nous allons cependant en
préalable examiner sur quelle documentation nous nous fondons pour cette
troisième et dernière partie .

Corpus de l’expression du terrain

L’étude du ‘terrain’ va donc être fondée sur quelques corpus que


nous définissons comme suit, et dont nous voudrions exclure notre expé-
rience personnelle.
1. Nous connaissons les grandes analyses sociologiques ou anthro-
pologiques : Bourdieu, Goody, Kilani, Laplantine, pour citer les plus im-
portantes ;
2. Nous disposons par ailleurs de nombreux textes de profession-
nels : Barley, Malinovski, Rabinow, Condominas, Haudricourt, Uvi-
Strauss.. . ; des nuniéros spéciaux des revues Terrains, de L’Homme et la

Société; des introductions à de nombreux ouvrages d’ethnologie : Bouvier,

’ Nous débarquons bientôt sur la vaste étendue, où se répandent nos hommes, avides
d’observer les 6trangetts d’une terre qu’un autre peuple n’a pas foul6e. Moi, pourtant, pour
savoir où je suis, restant avec les pilotes sur la gréve sableuse, je m’affaire B calculer la
hauteur du soleil et & compasser la carte de l’univers. Traduction de Roger Bismut.
Luca, Selim, Hagenbucher...et des articles parus dans des compilations ou
des revues diverses : Paulme, Pottier.. .

3. Les manuels divers : Notes and Queries, les manuels de Blanc,


Henry, Maquet, Mauss, Montalon.. , ; ainsi que les manuels d’enquêtes des
divers organismes pour leurs enquêtes (WWEnquête mondiale sur la fécon-
dité), instituts statistiques nationaux, dont I’INSEE, 1’1~s de Tunisie, J’INSRE
de Madagascar, organisations internationales (FAO, OMS, BIT). . .

4. Les compte-rendus de colloques spécialisés et de cycles de forma-


tion : colloque des sociologues tenu en Abidjan, 1972, colloque Orstom du
cinquantenaire en 1995 ; les stages d’enquêtes du Groupe de démographie
africaine.. , ; des ouvrages d’institutions (Institut Pasteur, C&%D, BDPA,

ORSTOM, INRA) .. .

5. Les récits de terrains de non-professionnels de la collecte scienti-


fique : Staden, Le Clézio, Gameray, et toute la littérature des voyages.. .

6. Des productions sur la question par des Ccoles particulières : celles


de I’Orstom, du CIRAD ‘, de l’École de Palo Alto, de I’ethnométhodologie. ..

7. Une compilation de tout ce que nous avons relevé au fil des an-
nees, qui a étC en partie seulement mis en fichier informatique, et dont nous
donnons un échantillon (au dixième environ) en annexe 2 sous le titre : Ter-
rain : concepts, mots parents et contraires, qui permet d’explorer la poly-
sémiedu terme danssonusageactuel.

8. Les interviews que nous avions réaliséesen 1981-82 (et jusqu’en


1985 d’une manière occasionnelle),dont plus de la moitié (et la quasi-
totalité du lot de 1981-82) a Cte conservée.Nous avons regroupé en an-
nexe 3 une sélectiondesverbatims3de cesinterviews ;

‘Ouvrages collectifs du CIRAD sur les différentsinstituts


qu’il a regroupes
(IMVT, IRHO,
les jardins d’acclimatations...)
‘Le terme ver/~arim désigne des phrases extraites d’interviews. Ce terme est devenu
‘celebre depuis son usage par Jacques Attali dans son ouvrage du même nom, suivi d’un
numéro, puisque Monsieur Attali est particuliérement fkcond en ouvrages, mais son usage
est utilise depuik plusieurs décennies dans les études de marche. telles que nous les avons
pratiquées : ils accompagnaient toute ttude, sur une publicite ou sur un produit, réalisees a
partir de groupe de consommateurs selon la technique dite de l’interview de groupe style
jocus group : CJT gtudies in Familv PlanninP, 198 1.

424
Tel est donc le corpus sur lequel nous nous appuyons pour établir
cette étude sur le concept de ‘terrain‘.

Note sur l’analyse des verbatimd

Que ce soit pour les verbatims tires de nos lectures, ou pour les en-
tretiens, nous n’avons pas utilisé de techniques d’analyse de contenu.
Comme le disent les differents auteurs (Ghiglione, Matalon, Bacri (1985) :
Transparence de la langue, cohérence du discours ne sont qu’illusions.
Il y a toujours un à-côté, un arrière-plan, un ailleurs de ce qui est dit, et
c’est là que le discours prend sens.
(1985 : 189)
Ces auteurs soulignent que ces analyses de contenu demandent donc un
contenu continu et non pas des «brèves », comme nous allons l’utiliser.
Pour les entretiens, nous aurions pu effectuer ce type d’analyse proposition-
nelle du discours, mais nous ne l’avons pas fait car :
Plus l’analyse est fine, plus les résultats seront affectés par les condi-
tions d’obtention du discours.
(1985 : 186)
Et nous ne pensons pas qu’avec la distance de temps qui séparait nos inter-
views de leur analyse, ainsi que l’hétérogénéité du mode de conservation qui
était le leur, une telle analyse aurait présenté une quelconque scientificité
supplémentaire. Nous nous sommes donc contenté de suivre les grandes li-
gnes proposees par Laurence Bardin (1993) sans entrer dans le détail des
discours que nous avions recueillis.

425
I

Chapitre 1
Les grandes acceptions du terme “terrain” :
le mot et la chose

Les idées ne sont pas fuites pour être


pensées, mais pour être vécues.

André Malraux, LA condition humaine

Ce chapitre va aborder les différentes acceptions du terme terrain, la


variété de son usage en français, en l’examinant tel qu’il est fréquemment
employé par les média et tout un chacun, et la confusion qu’il prend à par-
fois être confondu avec la pratique, (ce qui amena notre propre réflexion de
celle-ci à celui-là).
Nous avons accumulé durant les années de gestation de ce travail de
nombreuses notes portant sur le ‘terrain’, la ‘pratique’ et l’action chaque fois
que nous rencontrions ce concept ou un autre qui nous paraissait apparentés
(depuis ‘avoir le nez dans le guidon’, ‘*etre près des gens’ à ‘tour d’ivoire’).
Nous avons transcrit la plupart de ces informations dans un ficher informati-
que que nous avons intitulé : Verbatims sur le ‘terrain’. Comme on s’en
doute, toutes ne sont pas utilisables directement, puisque notre idée même a
évolué et dérivé. Beaucoup donc ont été abandonnée dans notre analyse.
Cependant, nous en présentons un extrait, au dixième environ, en annexe 2 :
Sélection des verbatims du corpus des rtfférences que nous avons directe-
ment utilisés. On entendra bien que ce « corpus » est dévié de par le carac-
tère non-systématique dans le recueil. Par ailleurs, nous n’avons par repris
les références d’ouvrages spécialisés où ce terme apparaissait trop souvent :
ouvrages de collecte, ouvrages d’anthropologie, ouvrages spécialisés sur le
terrain : en conséquence ne figurent pas les noms de Bourdieu, Malinovski,
Laplantine, Soustelle Sun Tsu et autres stratèges, Clairin et autres démogra-
phes d’enquêtes, Ancey et d’autres spécialistes des enquêtes socio-
économiques de terrain, les auteurs du groupe AMIRA et autres spécialistes
de la collecte statistique, ceux de la FAO, de I’OMS ou du PNLJD et autres
professionnels des organismes internationaux et les auteurs sur le zen et
l’importance de la pratique dans cette école comme Suzuki, Herrigel.. . Leur
absence n’est pas la marque de notre indifférence à l’égard de leurs travaux
que celle de leur trop grande importance pour notre sujet.
Ce qui est frappant, dans ce travail, a été la polysémie du terme et du
concept ainsi que son intrusion dans le champ lexical courant : rare et spé-
cialisé jusqu’aux années 80, le terme lui-même est devenu fréquent, puis
courant, jusqu’à devenir un mot passe-partout.
Le terrain est donc devenu a la mode depuis quelques années. Il est
difficile de parcourir la presse sans qu’une fois au moins le mot n’apparaisse
pas et, à chaque page, il sera fait référence sinon au terme lui-même, du
moins à un concept parent ou opposé. Nous avons ainsi collecté, au fil des
années, cette masse de verbatims comme on dit dans les bureaux d’études
qui pratiquent les études de marché. Depuis 5 ans, l’abondance de la mois-
son a découragé notre patience. En effet, le terme s’est largement vulgarisé.
Notre hypothèse d’explication est que l’émergence du concept est corrélée,
négativement, avec la virtualisation et la globalisation de nos vies, et positi-
vement avec l’idéologie de l’individualisation et l’émergence de la valeur
accordée au quotidien et aux petites choses. Nous n’insisterons pas sur ce
point, car ce n’est qu’un sentiment diffus que nous exprimons ici et pas une
affirmation construite : disons, pour résumer, que le ‘terrain’ est l’exact
contraire de l’abstraction des determinants qui dominent la sociéte et le pen-
dant de la valorisation du vécu. Nous présentons donc en annexe un choix
de ces phrases tirées de divers documents ; le choix reste encore trop large,
mais il nous semble permettre, au lecteur qui le désirerait, de se faire sa pro-
pre opinion sur le bien-fondé de nos analyses. L’exploration de ce corpus de
verbatims pour une analyse précise dépasse bien évidemment le cadre de ce
travail, aussi, nous fondant sur quelques exemples, nous allons tenter ici
d’explorer le champ sémantique abordé. Pourtant nous allons exclure dès le

427
départ de ce corpus de verbatims le terrain tel qu’il est conçu par les anthro-
pologues, pour lui consacrer un chapitre entier (3&, partie, chapitre 5).
Le terrain est un mot qui a quelques mots parents, différents selon le
contexte d’utilisation : en politique on dira ‘la base’, ‘les militants’, ‘nos
électeurs’. . . , en démographie, on parlera de ‘visite’ ou ‘passage’, de
‘village’, ‘d’enquêtés’. . . On utilisera énormément d’expressions métaphori-
ques, qui renvoient toujours à un terme d’opposition et l’on peut jouer à les
assembler, dans un exercice digne du Capitaine Haddock : “ce II ‘est pas les
têtes d’œuf qui ont les mains dans le cambouis”(1996); “le directeur de
coursen’a pas à avoir le nez dans le guidon” (1996) ; “vainqueurs sur le
terrain ils ont été privés de leur victoire au tapis vert” (1997). . . On a donc
des couples d’opposition que nous examinerons. Mais disons que terrain,
sauf dans son acception purement spatiale ou géologique, renvoie toujours à
un extérieur : le militant à la direction, l’enquêteur au concepteur, et, en ma-
tiére scientifique, le terrain à la théorie. Il est parfois cependant pris dans un
sens de totalité, sans réferer à un «hors-texte » ou à un pôle qui le mettrait
en valeur ou le deprecierait. Mais cela est rare et le terme renvoie alors à son
origine spatiale : on parle du terrain que l’on gagne ou qu’on perd, au propre
et au figuré (mais le poids du métaphorique est intéressant a noter même
dans les paroles trouvees de coureurs).
Parfoisaccepterdeconcéderunpeude terrainau débutpour en regagner
plusaprès.
(IsabelleAutissier,1977: 173)
Notre effort va cependant s’attacher a analyser le concept que le mot
lui-même et à définir quel est son usage. Enfin, nous examinerons ]es hom-
mes qui s’en réclament.

Le terrain, pôle d’une opposition

Le concept de terrain n’apparaît que rarement isolé. 11 est toujours


pris dans une opposition, ou dans une dialectique : il renvoie à une totalité
qui le dépasse dans laquelle son «opposé » est toujours présent implicite-
ment ou explicitement.

428
Si l’on exclut le terrain comme procbdure de collecte scientifique, on
peut noter que le cinquième de nos fiches porte sur le terrain comme p61e
d’une tension : dans son article L’énarchie revisitée, Roger Fauroux déclare
que les futurs dipl6més devront :
... un an sur le terrain, hors de Paris et si possible hors de France - dont
six mois dans une entreprise privée et le reste dans un service public - et
un an d’études, le temps pour chaque élève de se constituer, en tra-
vaillant durement, la boîte à outils technique qui lui permettra d’exercer
correctement son métier.
(Le Monde, 12.3.1987)
Le terrain est ici oppost!à études.L’idée était 18: ne pas faire des adminis-
trateurs uniquement «hommesde dossiers», mais des administrateurstout
court. On peut donner quelques autres citations. Sur France Inter, le
14.2.1994,Michel-Édouard Leclerc déclareà proposde son livre, La révolte
des caddies et il dit :

Décalage entre les débats du GATT et les réalités du terrain.


Finalement, on déprécietoujours les autresquand on revendique le terrain,
ainsi le reste est qualifié par défaut... Dans l’émission à 7 sur 7, du
30.4.1995,Alain Juppédéclarera:

J’ai plus appris en faisant campagne pour des élections que dans les ca-
binets ministériels.. .
Il dira aussile mot terrain pour la visite desvilles de province qu’il opposera
au ‘concept’ de Paris, capitale nationale et centre du pouvoir. C’est
d’ailleurs pour cela que Le Monde justifiera dansson édition du 27-28juillet
1997le cumul toléré pour le nouveauPremierministre :

S’il [Lionel Jospin] est demeuré conseiller général de Cintegabelle.


pour garder un contact avec le terrain, s’arrachant même à venir visiter
ses électeurs...
Mais ce type d’action volontariste au plus proche du terrain, garde,
malgré la sympathiedes commentateurspolitiques, un arrière-fond critique
que l’on décèledansl’article consacréà Martine Aubry : Une énarsuesur le
« terrain » :

Dès le retour de la droite au pouvoir, elle s’est lancée dans la politique


associative, en créant, en 1993. la Fondation Agir contre l’exclusion
(Face), puis, en 1995, le Mouvement Agir. Résolue à faire n de la politi-
que autrement U, elle entend être présente « sur le terrain », en particu-

429
lier pourfaire barrage au Front national dans les quartiers difJlciles que
la gauche, selon elle, a abandonnés. D’autres, avant elle, s’y sont es-
sayés, qui ont bén&cié, comme elle, de l’attention des média. Il lui ap-
partiendra de prouver qu’elle n’est pas seulement une habile communi-
catrice et qu’elle est capable de mener à bien une action à long terme.
(L.-eMonde, 21.11.1995)
Car il y a malgré tous les discours, un mélange des genres et la sincérité du
terrain n’est pas accordke ?+qui manifeste trop d’habiletg et de capacités en
communication. C’est pour cette image “sincère “que plaide un candidat du
Val d’Oise aux élections cantonales de 1994 dans son auto-présentation
(exercice on ne peut plus insincère pour un tract militant) :
.. . Militant engagé, je ne souhaitais pas devenir un ‘apparatchik’, un
professionnel de la politique, afin de garder intacte toute ma liberté. ti
- Vous êtes donc aussi un homme de dossiers ?
- En effet.. .
- Vous êtes aussi un homme de terrain. Connaissez-vous bien le canton ?
- Je 1‘habite depuis dix ans.. .
On a là l’opposition qui se dessine entre ‘terrain’ et ‘dossiers’. Cette
opposition plaide plus pour l’aspect positif d’hommes sachant manier les
deux bouts de la chaîne, mais on peut donner cependant cette autre notation
que l’on trouve à propos de l’affaire dit Afsaire du petit Grégory, entendue à
la tC1évision le 19.2.1985 :
Les (nouveaux) enquêteurs épluchent les dossiers, le terrain c’est pour
plus tard.
Souvent ‘terrain’ est opposé à ‘bureaux’. On a la déclaration d’un
technicien de surface (terme politiquement correct pour désigner un balayeur
des rues). Interviewé à la télévision en 1996, il déclare qu’il a préféré cet
emploi parce qu’il est un :
homme de terrain... [qu’il] aime le terrain... pas les bureaux
Ce sera d’ailleurs ainsi que se positionnera dans un débat public tél&isé
Laurent Fabius, commentant les chiffres de la baisse du chômage :
... [au contraire des chiffres de baisse] on constate sur le terrain tous les
jours que le chômage,... mais arrêtons-nous sur les chiffres avant
d’aborder les réalités humaines...
(A2, le 30.4.1997)
D’une certaine manière, Fabius reprenait l’antienne que dans Le monde des

430
Non-A, (1950 : 27 1) Van Vogt lançait :
Ce n’était plus le moment de remâcher les faits et les chiffres dans la
sollicitude de son bureau. L’heure &ait venue de se coltiner avec le réel.
Sur le terrain.
Ch&ina Frosne dans son ouvrage modestement titré François (1997 : 138 )
le portraitura ainsi fort aimablement :
Jamais Fabius n’avait « léché les enveloppes » dans un local miteux du
parti, jamais le « terrain » n’avait crotté ses chaussures bien cirées.

Dans Jamais, plus jamais, (d’lrving Kershner, 1983) James Bond ré-
plique :
Avec des balles à blanc !... Mais on a de meilleurs réflexes sur le ter-
rain.

On l’a mis dans des situations de simulation, auxquelles il a mal répondu ;


on lui trouve donc de mauvais kflexes, ce qu’il se voit reprocher par son
supérieur. Mais Bond est parfaitement légitimé de rkpondre par cette remar-
que car on sait bien que nos réactions dans le réel sont toujours différentes
de celles que l’on a ‘% l’entraînement”. Ce sera d’ailleurs le thème de films
comme Hara Kiri et de certains western, en particulier celui qui raconte
l’histoire d’un homme extrêmement rapide, à l’entraînement, mais qui a
peur d’aller affronter un adversaire. En ce qui concerne James Bond, c’est
l’inverse : comme beaucoup de politique, il lui faut le feu de l’action. Dans
ce film, en contrepoint de cette réalité-terrain affirinée par Bond, l’image
caricaturale de la bureaucratie revient à plusieurs reprises, dans l’image du
chef de Bond, dans celle du consul britannique aux Antilles, dans celle ren-
voyée par le vieux bricoleur de @nie qui reproche aux temps nouveaux que
les choses soient gérées désormais par une bureaucratie tatillonne et sans
âme.
Une autre opposition se décèle dans des citations comme celle de
Michel Crozier à propos de l’intérêt qu’il trouve à travailler pour
l’industrie :
C’est le travail en vraie grandeur : analyser la réalité, et non pas avoir
une vision purement théorique des problèmes.

431
Tous les autres participants a ce numéro spécial de I'ANVIE (CNRS, 1997)
insistent sur le poids de la réalite, du terrain, c’est-à-dire de la pratique au
plus fin des chosespour parler de l’intérêt d’une collaboration sciencesde
l’hommeet entreprise.

Le terrain, enfin, c’est ce qui s’opposeà ‘idéologie’ :


...[Vitrolles] lui ofsre [à M. Mégret] l’aura d’homme de terrain qui lui
manquait à côté de celle d’idéologue qu’il n’a cessé d’exploiter.
(Le Monde, 20.2.97)
On entendbien là queMonsieur Mégret reçoit l’onction politique du terrain,
entenducomme une complétuded’homme politique. Ou, comme le dira un
marin à une radio en 1995:

Passer plus de temps à la soute qu’à la barre.


Le terrain, là, c’est ce qui est le vrai, mais en même temps le salissant,
l’obscur, celui auquel tout hommepolitique doit se soumettrepour ne pas
recevoir le reproche qu’un député « du terrain » appliquait a son adversaire
« parachuté» par les appareilsparisiensdansune circonscription du Val de
Marne :

Députéfantôme, on ne l’a jamais vu sur le terrain


(radio, mai 1997)

Nous pouvonsenfin elever le debaten commentantune longue émis-


sion sur l’opus Dei (Arte, 1997). La Theologie de la Libération, théologie
révolutionnaire dont l’emblèmelatino-américainest la croix et le fusil, est
décrite par le commentateurcomme « venant de la baseet néedu “terrain” ».
Cette idéologie est opposéeaux mouvementstels que ceux desjésuites ou
de l’opus Dei, qui visent le sommetde l’État et magnifient la structure, la
hiérarchie, l’ordre et l’autorité, le centre. La Théologie de la Libération
quant à elle la première valorise les masses,l’initiative individuelle, le ter-
rain, la spontanéité.

En matière de guerre, le terme est bien Bvidemmentfort utilise car


les batailles se gagnentet se perdent sur le terrain, au contraire des guerres
qui se gagnentrarementsur le terrain. Dans la bataille, la dimensionterrito-
riale est déterminante.Le concept est plus souvent utilisé que le terme lui-

432
même pour des raisons de redondance systématique, comme le témoigne la
citation suivante :

J’ai la conviction que le peu que j’ai appris de la guerre est venu de mon
intérêt pour la bataille et le combat au détriment de La stratégie et de la
tactique.
(Victor David Hanson, 1990 : 46)
Ce n’est que par le travail de “l’arrière” que le travail de terrain de-
vient payant et seséchecssont toujours qualifiés comme étant ceux qui au-
raient do comprendrela qualité de travail deshommesde terrain :

Le renseignement belge avait prévenu également [de l’imminence des


attaques allemandes par les gaz du 22 avril 191.5 et sq] [...et d’autres
informations] Mais les sewices de renseignements ne valent que ce que
valent leurs capacités à traiter les informations qu’ils reçoivent : ils
II ‘ont pas cru à celles-ci.
(Le Monde, 1.8.1994)

On a aussil’opposition du terme terrain avec le terme ‘dossiers’,le


couple maintefois signalédu conflit entre ceux qui savent, parce qu’ils l’ont
vécu et ce qui savent, maisd’une connaissancedéviée, presqueperverse, de
ceux qui ne connaissentque par ïes papiers et par ouïe dire. Pour parler
d’une enquêtesur les survivants des campsnazis (1996), on voit deux au-
teurs travailler de concert, afin de recueillir la part de verité qui peut encore
l’être, l’un sur lesdocuments,l’autre auprèsdesvictimes survivantes :

Les incertitudes ne sont pas près d’être levées : Broué a exploré les ar-
chives, Vacheron le terrain, autant qu’ils pouvaient 1‘être.
Le terrain ici, tout en étant 8pposéa archives, est le groupe desgenssurvi-
vants, on voit que le terme peut être d’un usagefort souple.De même,dans
un article du Monde (24.2%) Auschwitz, ou la sociologie de la violence,
NicolasWeill déclarera:
À titre de n terrain » de sa sociologie concentrationnaire, Wolfgang
Sofsky a utilisé abondamment le récit de témoignage, aujourd’hui si dis-
crédité par l’historiographie. Belle réhabilitation pour ces textes qui re-
couvrent ainsi dignité et intérêt scientifique, parce qu’eux seuls repro-
duisent l’épaisseur d’une « normalité » dans la terreur.
Car le terrain n’est pastout, mêmesi les dossierssont du «terrain » comme
le dit Weill. Au sujet de la Nouvelle Calédonie,on lira un reproche, latent

433
dans la presse française concernant le monde politique soupçonné de ne pas
trop se soucier de la realité du ‘terrain’ :
Une fausse idée de la situation sur le terrain .. . l’aurait conduit à sous-
évaluer les conséquences de la décision finalement arrêtée.
(Le Monde, 19.2.1985)
Ce qui nous amène à une définition louangeuse d’un bon administrateur
dans ce portrait dressé pour la nomination de Martine Monteil comme di-
rectrice de la Brigade criminelle en 1996 :
Martine Monteil, nouvelle patronne de la <Ycrime » :

Puis, sept années durant, elle apprend sur le terrain les rudiments de la
lutte contre les trafiquants. Planques interminables dans les « sous-
marins », interpellations de suspects préalablement a$celés » par les
preuves recueillies pendant des semaines de filature, « chansonnettes »
des interrogatoires prolongés parfois deux nuits durant, ritournelles des
procédures. L’ascension de Martine Monteil dans la hiérarchie..,
(Le Monde, 2.2.1997)
..* est donc bien légitimée dans cet article du Monde du 2 février 1996. Car
le ‘terrain’ est particulièrement crédible pour nos média, on a pour exemple
celui des commentaires qui ont accueilli l’ouvrage de Dominique Prieur ex-
Sophie Turenge rendue célèbre par le fiasco de l’affaire Greenpeace du
Rainbow Warrior, article d’Edwy Plenel intitulé L’honneur d’une « agente
secrète :
Ironie tragique d’une affaire qui nuira durablement à la réputation des
services secrets français : si les hommes de terrain avaient été écoutés,
un jeune photographe portugais, militant de Greenpeace, ne serait peut-
être pas mort noyé en allant récupéré ses appareils sur le navire entre
les deux explosions., .
(Le Monde, 12.5.1995)
Ce qui donne l’image de quelques frustrations, ainsi Jacques Chancel, dont
on apprit qu’il avait « vécu un an sur le terrain en Indochine » déclare :
Nous étions sur le terrain, d’autres passaient huit jours ils faisaient une
conférence à Pleyel...
Pour certains le terrain c’était les bras.
(Apostrophe, 23.5.1985)
Il est toujours amusant de voir que le concept de terrain s’applique
« automatiquement » à l’outre-mer, comme qualitatif potentiellement neutre,
mais jamais en France, où il prend alors un caractère d’authenticité, style

434
« quintette pour mythes français : saucisson, camembert, gros rouge, ba-
guette de pain et béret basque ».

Mais le terrain n’est pas forcément connott positivement dans ses


acceptions courantes. En effet, lorsque le mot est cité, il est toujours positif,
nous n’avons que de rares exemples où il est utilisé d’une manière critique.
À propos des femmes de gendarmes t% colère en raison des mutations géo-
graphiques qui frappent leurs époux et déstabilisent leur vie familiale, on
lit :
Lu direction de la gendarmerie a emporté l’adhésion en faisant valoir
que l’expérience révèle un réel phénomène d’ « a u des personnels
au-delà d’une dizaine d’années sur le terrain : le gendarme risque de
devenir complice d’une population qu’il aura trop longtemps fréquentée
et il perd sa crédibilité professionnelle.
(Le Monde du 28.8.1996)
Quoique le terrain ne soit donc pas un lieu idyllique de vérité systé-
matique, il est significatif qu’il soit ainsi valorist dans la perception politi-
que française, mais l’analyse complète de cette dimension ou de cette ex- .
ception françaises dkpasse le cadre de cette recherche et nous la laissons en
l’état comme nous l’avons déjà signalé.

D’une manière générale, nous voyons donc que, dans une première
approche, le terrain est un p6le proche par rapport au lointain, concret, par
rapport à abstrait, modeste, par rapport B lucratif. Et salissant aussi. On le
verra quand les gens de terrain se caractériseront eux-mêmes,
Les aventures de Valérian, « agent spacio-temporel », accompagné de
sa charmante Laureline, les héros de J.-C. Mézières et P. Christin, présentent
le portrait d’un couple d’agents « de terrain », traversant l’espace-temps a
des vitesses « supra-luminiques ». Un des ressorts des épisodes comiques de
ces récits en bandes dessinées est le conflit perpétuel de Valérian avec la
bureaucratie intergalactique de « Galaxity », dont « le chef ». Laureline,
quant à eIle, est toujours plus subtile ; elle joue B la marge des codes.
L’épisode Bienvenue sur Aljlolol est le plus pertinent pour notre propos,
celui où l’homme de terrain Valérian est le plus chargk des ambiguïtés de

435
son rôle (agent de développement, agent proche des populations indigènes,
la tête près du bonnet et le cœur dégoulinant de bons sentiments, interface
manipulé par les uns et les autres.. . ) et aussi où les bureaucrates sont les
mieux représentatifs de leur fonction.. . bêtes, attachés à l’exécution “dans
les temps” de leurs tableaux de bord, attachés aux formes (vestimentaires et
de langage), aux codes (importance des grades) et toujours prompts à accu-
ser Valérian et Laureline d’&tre en vacances perpetuelles aux frais de la ré-.
publique. Et d’un cynisme à faire rougir un de ces agents que la CIA et le
KGB finançaient : quand leurs plans sont remis en cause, ils n’hésitent pas a
traiter les hommes comme du matériel dépassé. On a dans le dernier ouvrage
sorti « copie conforme » des originaux d’Edgard P. Jacobs, L’affaire Francis
Blake 4, cette réflexion, que ne renierait pas Denis Tillinac quand cet écri-
vain se matérialise en croisé de l’anti-bureaucratisme :
- J’avoue craindre le pire à son sujet.
- C’est le risque couru par les soldats de l’ombre que nous sommes mon
vieux. Et ça, c’est une chose que ces têtes d’œuf de politiciens ne pour-
ront jamais comprendre. Good Luck, Blake ! Vous en aurez besoin !
Mais l’opposition n’est pas toujours une contradiction insoluble,
nous avons le récit recueilli a la télévision lors d’une émission sur la répara-
tion dans l’espace du télescope Hubble (Arte, avril 1997). Nous voyons
comment les astronautes « prirent le pouvoir » face aux techniciens sur terre,
avec leur assentiment, dans la juste reconnaissance de la position de chacun
des deux groupes, Il est vrai que cette situation n’est pas française. Car, en
France, on sait que les faits ont tort et que l’on condamne plus ceux qui jet-
tent l’alarme que ceux qui mettent le feu. Pour fermer la porte, seuls ceux
qui « étaient sur le terrain », flottant dans l’espace, avaient vu la solution que
tous ceux qui etaient à terre ne pouvaient envisager, malgré leur nombre et
quoiqu’ils soient plus « frais » que des hommes et femmes qui travaillaient
en apesanteurdans le stresset la fatigue. Ce dessaisissement
au profit des
hommesen action, les astronautesStory et Musgrave, astronautes,le garde-
ront comme un des grands moments de ce vol :

4Éd. Blakeet Mortimer/Studio


Jacobs,
Bruxelles,1997: 68; «remake
» parJeanVan
Hamme etTedBenoit.

436
Nous n’avions aucune expérience des portes mal ajustées, il a fallu ap-
prendre sur le tas. . .. (Story)
Il a fallu beaucoup de persuasion pour convaincre les gens au sol qui
trouvaient le remède disproportionné. .. . Lu salle de contrôle finit par
céder aux astronautes : « OK, *Allez-y Tom, si vous avez une solution,
OK. » (Musgrave)
Et Musgrave d’ajouter :
Un a eu le feu vert et cinq minutes plus tard les portes étaient fermées. 11
s’était passé quelque chose. On avait finalement décidé de nous laisser
faire. « Ce sont elcX qui sont là-haut, laissons-les faire. » En cas de pro-
bkne à l’avenir, l’équipage aura carte blanche.
Il y eut donc un grand moment, quand la terre décida que ceux qui étaient
“là-haut” pouvaient avoir une meilleure appréciation des choses.
Cette histoire illustre parfaitement bien le fait que la contradiction
terrain/bureau n’est pas une « contradiction antagoniste », comme aurait dit
le Grand Timonier, mais une contradiction dont on doit tenir compte. Dans
la vie, c’est au concret que doivent se mesurer les choses. Comme le disait
P. Darmon (1982 : 32) :
Les chirurgiens dissèquent, les médecins dissertent, mais ces derniersfi-
rent rarement progresser l’anatomie.

Le terrain comme del et action

Que le terrain soit lié B l’action, nous n’en doutons point, ne serait-ce
que par le fait que c’est par une réflexion sur celle-ci que nous en sommes
venu à poser le problkme du ‘terrain’. Cependant, comparaison n ‘est pas
raison et il nous faut mieux justifier ce point de vue. La preuve que nous
pouvons avancer est que le terrain en travail scientifique est une action, non
parce que, dans son interprétation marxiste, la science serait une saisie du
réel, mais parce que pour comprendre le monde, il faut non seulement le
penser (l’imaginer, le théoriser), mais aussi mettre en oeuvre des procédures
qui sont des actions, comme l’observation et l’expérimentation, qui, au sens
le plus vulgaire, sont des actes et procédures corporelles et kinesthésiques,
même si nous savons, suivant en cela Piaget (1970 : 91) que :
. .. sur le terrain, également, la perception n’est jamais seule à l’œuvre.

437
On comprendra pourtant combien le corps est important chez les
gens de terrain, ceux qui se disent et se vivent tels, tel que du moins on peut
le dtterminer A travers leurs propres récits (et nous pensons que cette dimen-
sion est une partie non négligeable de leur capacité à se faire entendre.. . et a
se faire fustiger).
L’action se déroule en un lieu, et ce lieu est souvent dit terrain. Mais
ce lieu terrestre déterminé n’est jamais traité comme uniquement géographi-
que ou spatial, il est exprime sur un mode métaphorique, même quand il est
très chargé de son sens premier de terre, terrain, terrestre.. .
La reprise des actions sur le terrain.
(Le Monde, 12.2.1985, [ah FLNKS, Nouvelle Calédonie])
Même dans cette première notation, on voit bien que le terme, qui renvoie à
la « chose militaire », déplace le point de vue de l’analyste, car ce n’est pas
le terrain qui compte, c’est que l’action y soit portée, sur le plan politique.
Par contre, .pour Danton, c’est du choc militaire pur qu’ il est question :
Danton sait parfaitement qu’accepter un choc, sur le terrain, entre des
bataillons français débiles...
(Henri Guillemain, 1996 : 84)
Une seconde notation nous entraîne dans une autre extension du terme :
Il engage de plus en plus la CIA sur le terrain, jusqu’à la compromettre
dans des opérations douteuses.
(Le Monde, 4.2.1981, William Casey [Chef de la CIA])
Le sens métaphorique est ici très fort, car le terrain est composé d’actions
multiples, intercontinentales et pas seulement ponctuelles. Enfin, dans cette
dernière citation, que nous pouvons prendre pour illustrer notre propos, c’est
d’action pure que l’on parle :
Un des hommes de terrain les plus redoutables de I’IRA.
(Radio, 26.06.1985, [ais de l’arrestation d’un membre de I’IRA])
On lira encore la métaphore guerriére :
S’il est un terrain sur lequel Bill Clinton a raison de se sentir fort, c’est
bien celui de 1‘économie.
(Le Monde, I-2.9.1996)

438
Le terrain est vu aussi comme un processus, c’est ainsi qu’on dira en
1983, alors que la configuration technique est favorable au moteur à es-
sence :

Le diesel perd du terrain sur le marché automobile.


(presse, commentaire d’une étude, 1983)
Et veut-elle dire combien les chosespeuvent devenir critiques, Madame
Notat de la CFDT déclarealors :

La colère gagne du terrain.


(Le Monde, 27.8.1996)
À moinsqu’on ne lise, dansle mêmeregistre :
Les contrôleurs de gestion gagnent du terrain.
(Le Monde, 17.9.1996)
Ce qui est différent de cette phrased’Ardrey, z1propos de la philosophie du
social contract :

Une telle philosophie a préparé le terrain...


(interview, journal, 1993)
Là, le terrain est purementmétaphorique.

L’espace est en effet une source inépuisable,du moins dans notre


culture, de métaphores5. NOUS en avons déjà fait mention pour
l’accentuation, dans notre langue, destermesrelatifs à la vision dansnotre
premièrepartie. On trouve, dansune interview de Marc Augé dans Le Ma-
gazine littéraire de novembre 1988, une gammeétenduede différents em-
plois concurrentset convergentsdu terme :
C’est un africaniste. Entendons que son ‘terrain’ privilégié est
l’Afrique.[...] Mais son terrain, c’est aussi la France, nous-mêmes...
[Commentaire du journal]
.. .
[Marc Augé :]
- Le fait d’être sur le terrain, quotidiennement, pour une longue durée.

5
La culture malgache est Qalement très « spatiale » : la langue malgache est très riche de
termes positionnant dans l’espace. Ainsi, un auteur a pu situer le lieu d’émission des grands
discours d’Andriaponimerina, le roi fondateur du royaume merina des hauts plateaux, en
reprenant les termes qui émaillent les discours du roi. En effet, la langue malgache, la où le
français ne dispose que de ‘ici’ et ‘la’, dispose de plusieurs « adverbes » (que nous quali-
fions ainsidansnoslangues), selon qu’ondésigne une chose proche ou lointaine, que l’on
voit ou qui est contenue, qui est en bas ou en haut etc.

439
[Question du journal à propos des religions :]
-Il y a un terrain qui doit être passionnant à étudier: les États-
Unis... ?
Le terrain c’est aussi le réel, là où se passe les choses, qu’elles soient
spatiales ou pas, On pariera de « vérité-terrain » en ttlédétection pour
l’opération de vérification de la réalité de l’existence d’objets détectés sur
les cartes obtenuespar les différents programmes6, Edmond de Bemus et
Yveline Poncet (198 1 : 16) diront ainsi :
Les opérations de terrain ont été consacrées à vériper f’existence des
objets repérés au cours des opérations de laboratoire.
Quoiquecertainsfinissent par sedire que le réel soit plus en questionque sa
représentationdansl’image que notre modernitéen a :

Aujourd’hui, toute assertion est recevable, c’est le réel qui doit se justi-
fier. (Alain Schifres, L’Express, 31.10.1996)
Devant cette débauchede réel, certains sententla fatigue les saisir.
HarounTerzieff à France Inter, le 19.9.1994,disait :
J’en ai tellementfait des volcans que j’en suis saturé !
Cette saturationdu terrain, tous les gensde terrain en tiennent compte avec
l’expérience. Cela fait partie de la gestion de soi que doit acquérir tout un
chacun. Contre elle, ceux qui le pratiquent le modulent afin de l’adapter 3
leur propre sensibilité. Jean-LouisBoutillier aimait y aller six semaines,
nous-mêmeet Claude Meillassoux, trois, du moins quand nous avions la
possibilitéde moduler la duréede notre séjour. Mais même,car alors, nous
allions quelquesjours à l’extérieur, dans d’autres villages prendre l’air.
Claude Herry, qui effectuait des enquêtesurbainesen Abidjan, le terrain se
limitait, par la force des choses,à la journée, par journées répétéesdurant
toute la durée de l’enquête (on n’est pasdansla mêmesituation que d’être
dans un même lieu pendant plusieurs mois de suite). À Pikine, Jean-
FrançoisWerner y habita. D’autres y ont pas& des annéesde suite, comme
GeorgesCondominas... Toutefois, la régle est variable, et tout est problème
d’opportunité et de sensibilité (celles des autres n’étant jamais à prendre
dans l’absolu mais en relation avec nous-mêmes. les observateurs-

6 Voir Marc Souris,


Leprogramme
Savarre,
Orstom, 19%.

440
participants). D’une certaine manière, l’opération est différente selon que
l’on reste dans un même lieu ou dans plusieurs, auquel cas nous-même
n’avons jamais rencontré de limite. La règle générale est que, quand on de-
vient l’autre, quand on finit par être non plus un observateur mais un acteur,
alors la saturation se produit. Dans un village, quand on finit par être un ac-
teur, un « villageois comme les autres » si l’on peut s’exprimer ainsi
(métaphore dont nous savons qu’elle est fausse), il est temps d’en partir, ou’
d’y prendre racine.

Le terrain comme action est une des acceptions les plus courantes du
terme :

S’il dirige les enquêtes concernant l’assassinat du juge Renaud ou l’enlè-


vement de Christophe Mérieux, M. Franquet ne déserte jamais tout à fait
le terrain.
(Une vision internationale, Le Monde 2 7.1.1981)
C’est aussi un lieu où sejouent les choses les plus concrètes de la vie :
La liberté ne s’arrache plus, elle se vit sur le terrain.
(Nouvel Observateur, 11.1.1985)
Ce qui vaut pour les femmes qui se libèrent pour le Nouvel observateur,
vaut aussi en politique et François Léotard dira, à propos des cantonales de
1995 lors d’une rkunion R.P,R.-UDF en février 1995 :
On prend le pouvoir où il se trouve, on prend le pouvoir sur le terrain.
Le terrain, comme lieu privilégié de l’action, qui dictent sa loi, on rappellera
ce qu’en a dit François Mitterrand en 1983, lors de la r6vision du pro-
gramme socialiste :
Lorsqi’on gouverne, il faut savoir épouser le terrain.
Et l’on peut terminer sur la note humoristique d’un film à propos de ces
gens qui parlent beaucoup mais agissent peu ou mal. Un malfrat sympathi-
que déclarait :
Il ne tient pas la route. C’est toujours comme ça avec les prétentieux :
« moi, je... moi, jeu,. » Sur le terrain, il n’y a plus personne !
(Les tontonsjlingueurs, 1958)
Tant il est vrai que de la coupeaux lèvres.. .

441
Le terrain comme vécu

Lieu où se déroule l’action, le terrain est aussi un lieu qui est V&X.

Ce vécu est un des archétypes sur’ quoi va se fonder une grande partie de la
légende du terrain. D’ailleurs, Jean-Paul Sartre, à propos de l’ouvrage
d’Albert Memmi (1966), Portrait du calonisé,écrira sur :

... l’importance, la richesse irremplaçable de l’expérience vécue.


Ce qui s’approchebien de cette remarqued’un hippie américain faisant la
route dansles années1970:

Pour voir clair en soi, s’immerger complètement dans quelque chose de


complètement différent.
(télévision, ARTE)
Mais déjà pointent certainesambiguïtésque le terrain traîne avec soi. D’une
part le terrain est toujours lié à l’action et au vécu terre-à-terre, mais il se
nuance toujours de quelque misérabilisme.On trouve cet apparentement
dansun article du correspondantdu Monde a Yaoundé :
M. Pasqua s’est employé à peaufiner son image d’homme de terrain qui
veut «faire du pratique pour changer au quotidien la vie des gens, dont
la misère nLst en rien comparable à la nôtre ».
(Le Monde, 28.2.1995)
On voit que même pour un homme politique français, le terme terrain ne
« colle »jamais mieux que quandil est appliqué à une connaissanceoutre-
mer. Et l’Afrique est le meilleur que nous ayons.D’autre part, l’idée du ter-
rain &ant associé21la difficult6 de la vie, on verse aisémentdansdesconsi-
dérationssur les pauvresgens.Pourtant, s’il est une choseque le terrain a à
voir avec le vécu, c’est que, comme lui, il demandeune sincérité absoluede
l’acteur, qu’il soit scientifique OU pas. Car, comme disait l’acteur Tom
Hanks :

On ne peut pas jouer un rôle si on joue faux, il faut donc, quelque part,
partager le personnage, s’identijïer avec, même dans une portion la plus
infime soit-elle, trouver ce pont entre lui et soi pour jouer le reste, la to-
talité du personnage.
Et c’est peut-êtrece qui est souventen causedanslesdifférents récits
qu’on lit du terrain. On ressent,parce que l’auteur a arrangé son texte, ou
parce qu’il tente de mentir au lecteur et veut lui faire accroire dessituations

442
que l’on n’arrive pas à lui attribuer, comme un mensonge. Nous parlerons de
ce phénomène quand nous ferons mention de <cfaux-terrains », ou de ter-
rains amplifiés par leur « raconteur » qui se croit plus sur la Canebière que
dans une contribution à une production scientifique.
Les ethnologues de terrain en Asie du Sud-Est et en Océanie occidentale,
racontent (mais n’écrivent guère) que, dans ces pays, pour aller à la
selle et il faut prendre un bâton : non pour s’essuyer avec, mais pour
écarter les porcs domestiques ou les chiens car ceux-ci sont friands des
déjections humaines.
(A.G. Haudricourt, 1977)
Ils disent, mais n’écrivent pas. La nuance est d’importance. Car il est plus
facile d’en parler que d’en écrire du terrain. Il existe des cahiers de terrain
qui ressemblent à des journaux de jeunes filles du XIXème siècle, ennuyeux
à souhaits, où l’auteur ne vous fait grâce de rien. Ce sont des récits de ser-
vice militaire ou d’accouchement. Il ne faut pas confondre les histoires
d’après-boire et les récits bien armés. Tout le monde n’a pas la verve de
San-Antonio, la faconde de Rabelais pour parler de scatologie, ni celle de
Serge Soutine pour parler de fessees‘. En effet, si (et quand) le terrain est du
vécu, alors il fait partie de l’expérience commune et pour parler de
l’expérience commune, ou pour la rendre (en film, en peinture.. .), il faut du
talent. Amateurs, s’abstenir.
Une autre liaison avec le vécu est à comptabiliser dans notre recher-
che, c’est la liaison entre le terrain et l’intuition. Mais, pour s’exercer,
l’intuition doit se fonder sur une base solide de connaissances préalables que
de Balandier (qui disait qu’il fallait tout lire avant de se rendre sur le ter-
rain), à Binion, chacun souligne :
La méthode intuitive., . travail préliminaire colossal de recherches
qu’exige cette méthode.. , maîtrise absolue de la documentation.
Toute enquête .. . risque d’être faussée par un apport subjectif de l’en-
quêteur . .. Ii ne s’agit nullement de substituer l’empathie, l’intuition aux
recherches objectives ; il s’agit de s’enquérir de la réalité subjective des
sujets .., de leur sens intérieur, en longeant dedans, en s’immergeant,
mais ceci seulement en connaissance de cause objective, pleine et en-
tière. . ../car] ce qui complique et éclaire à la fois le processus intuiti$
c’est qu’ir’ n’aboutit que par la voie de I?nconscient. (1982 : 63)

’ SergeSoutine,Lafesske, Le livre de poche.

443
Et Dieu sait que l’inconscient ne se maîtrise pas aisément. Sinon, On ne peut
distinguer le délire du rationnel :
C’est une construction ingénieuse apportée aux faits et non pas déduite
d’eux. (Binion, 1982 : 471
Roger Nimier écrivait à Jacques Chardonne :

Un regard neuf brouille tout. Il faut avoir des rapports de mémoire ef de


famille avec les objets ou les événements pour en parler.
(lettre du 13.1.1984)
Écho de cette remarque de Maupassant dans une lettre à sa mère :
C’est le pays le plus ouvert et découvert que je connaisse et cependant
l’horizon m’en a paru étroit et borné. C’est que cet horizon là paraît
large et ouvert, qui est familier à l’œil et cher au cœur.
(13.9.1875 “)
On ne peut p?s mieux dire que l’horizon n’est pas vu par l’œil mais perçu
par le cœur, les barreaux des prisons sont dans l’âme du prisonnier.. .
Le fait nous semble parfaitement avéré sous peine de devoir consta-
ter, comme le RP Yvon, capucin et aumônier des Terre-Neuvas, (1937 :
121) :
.., la cruelle désillusion de constater que la prosaïque réalité des choses
ne répond pas toujours aux élucubrations poétiques de l’imagination.
Le fait se remarque quand on voit des professionnels de la photogra-
phie, mandat& par le prestigieux National Geographic, venir modestement
dans un pays, nantis pourtant d’un texte et d’une liste de photos à prendre
(exemple : « chèvre broutant debout un acacia au Burkina >>)d’abord aller,
venir, s’imprkgner de la lumière, prendre le pouls du pays, assimiler quelque
chose de l’impalpable, avant de se lancer dans l’exkution de ]a commande.
Les premières photos leur servent de « mise en jambes », comme on dirait,
Ce sixième sens est largement revendiqut par les gens de terrain quand ils
parlent d’eux :
NOUS sommes du terrain, nous avons essentiellement notre instinct.
(Radio, 26.6.1985 [a/s de gens aidant les prisonniers de droit commun])
Ainsi que le disait Umberto Ecco :

* Malcpassanf..., Mus&e des Terre-Neuvas, 1993 : 94.

444
Les simples ont quelque chose de plus que les docteurs, qui souvent se
perdent à la recherche des lois les plus générales. Ils ont l’intuition de
l’individuel. Mais cette intuition, toute seule, ne suff pas. L.-essimples
éprouvent we vérité à eux, peut être plus vraie que celle des Pères de
l’Église, mais ensuite ils la consument en gestes irréfléchis. (1982 : 259)
Mais les « simples » savent qu’
Il estimpossible
de simulerIesconditionsde la courseà l’entraînement.
(Aari Vatanen, Tour de Corse, 1982)
et donc qu’ils resteront toujours ntcessaires.

Le terrain comme niveau de base

Le terrain n’est pas que l’action, il est aussi, et surtout, le lieu d’une
activité terre-à-terre, au ras des pâquerettes, le nez dans le guidon et toute
autres sortes-d’expressions que la langue française privilégie et qui nous
ramène au temps où elle était bien vivante, pas lignifite par les faux politi-
ques de nos administrations ni appauvries de superlatifs par les mtdia :
La roue de l‘activité intellectuelle est bien aujourd’hui voilée, de plus en
plus dépendante d’oligopoles éditoriaux et des rythmes médiatiques. À
force d’avoir le nez dans le guidon, on ne perçoit plus que la réflexion
perd progressivement son tranchant critique.
(Le Monde, 27.01.1996)
Le terrain acquiert son contenu ambigu dans cette tension «positif
versus négatif ». C’est donc une avalanchede termesqui connotent au plus
près de la réalité.

Quand il [Balladur] va dans le métro, il se rend, disent toutes les ra-


dios, sur le terrain ; idem quand le ministre de l’éducation nationale visite les
étudiants, il se rend sur le terrain dit la presse (1994).
Elle fait du porte-à-porte, elle fait du terrain
(ais de Mme Chirac, A2 31.10.96)
L.u politique, cela s’apprend. Il y a des écoles et de bons professeurs.
Quand il parle du Parti communiste français, on dirait que M. Leroy ra-
conte ses universités. Il faut aussi des travaux pratiques. Il les mène dans
un village perdu...
9
(Le Monde, 16.5.1997)

9Sousletitre :C a. M. Lerov est auiourd’hui * r


UOE,

445
Qui dit terrain dit local, à courte vue, limité, opposé & national, large, Straté-

gique, sur le tas, ainsi dira-t-on que Vitrolles, dont la municipalité est prise
par le Front national :
Vitrolles, c’est le signe de la fin des militants ; jïn de la culture de la
cage d’escalier.
(une radio, février 1997)
Le terrain est donc le plus haut niveau de l’action, celui du réel, du
quotidien, du train-train, de l’action politique de rue, à courte vue, sans trop
de perspectives mais avec la bonne volonté du militant. Une connotation un
peu courte mais sympathique, que reprend sans vraiment le vouloir Jacques
Barrot qui, aux Cantonales de 1995, dira :
Moi, je suis un homme de terrain, je témoigne.. ,
De tout cela, il faudra se souvenir lorsque l’on rencontrera la mention .-
du mot ‘terrain’ dans les textes scientifiques car, comment supposer que des
textes écrits en langue naturelle” puissent s’abstraire du poids social des
mots qu’ils emploient? Comment pourrait-on parler de terrain en faisant
abstraction de la charge affective que notre culture nationale a mis dans son
usage linguistique ?

Le terrain, lieu de voyage : tourisme et aventure

Dans la critique d’un ouvrage de Courtillot “, un commentateur dé-


clare :
Dans ce livre, Vincent Courtillot convie le lecteur à parcourir avec lui
l’aventure qui l’a conduit du Tibet à l’Inde pour soumettre les hypothè-
ses à véri$cation expérimentale.
Le terrain est donc agglutiné aux voyages et a l’aventure. Ce n’est
pas sa moindre ambiguïté dans la langue française et dans l’imaginaire
qu’elle véhicule. Mais peut-être parce que le terrain est lié au voyage, à tort
pensons-nous puisqu’on peut très bien faire du terrain chez les marginaux

” Languenaturelle: même si les scientifiquesutilisent un certain nombre de concepts qu’ils


expriment avec des mots « fabriqués » ou avec des termes qu’ils d&ournent de leur sens
commun, la plupart d’entre eux utilisent les langues communes pour exprimer les résultats
de leur recherche en dehors des mathématiciens, des physiciens et d’une partie des chimis-
les.
” Vincent Courtillot, Lu vie en carasrrophe, Fayard, Paris, 1995 : 279 .

446
punks, gothics, piercings, grunge et autres mangas comme Ted Polhemus,
anthropologue londonien spécialisé (Arte fdvrier 1996) et donc rester chez
soi. De même, le voyage est Ii+ à l’aventure, ainsi que la science dans
l’imaginaire collectif”. Par ailleurs, de très nombreux articles paraissent qui
assimilent un travail de science Liune aventure plus ou moins policière, et on
consultera avec inttrêt deux articles parfaitement bien documentés qui illus-
trent notre propos : Fanny Cornuault traque les mœurs alimentaires du dodo
de Maurice et Jorge Wegener et al, le scénario de piégeage de fourmis dans
une goutte d’ambre 13. On pourra se rappeler aussi que le premier roman
traduit en français de Tony Hillerman, Là où dansent les morts (1989) est
une enquête policière fondée sur un fait scientifique (sans oublier l’ancêtre
de tant de policiers scientifiques Sherlock Holmes, le fils du Dupin d’Edgar .-
Poë) 14.Freud lui-même n’a-t-il pas dit :
Je ne suis ni un savant, ni un observareur, je suis un conquistador, un
aventurier. 15
Prenons les notations prises lors de deux émissions sur Théodore Monod 16,
qui marquent bien notre propos, ainsi que leurs commentaires dans la
presse :
Le dernier grand savant-voyageur :
. ..il es! le dernier, et le plus cklèbre - des grands naturalistes du siècle.
(Le Monde, juillet 1997)
Au cours de cette émission télévisée diffusée sur la chaîne Arte, il sera dit de
lui :
Il note tour, [,.,] seul compte [pour lui] le plaisir d’être sur le chemin du
mystère.
Ceci renvoie à un autre « mCtier » de terrain, celui de journaliste :

l2 L’aventure humaine: la légende des sciences est une bmission de Robert Pansard-
Besson et Michel Serres, diffuske durant I’Bte 1997 sur Arte.
” Cornuault Fanny, 1997, piététiaue et tour de taille du dodo. L’oiseau disoaru avait un
faible Dour les œufs de tortue, La Recherche, 299- 1997 : 76-80 ; Wagener Jorge, Brandio
Roberto F., Baroni Urbani Cesare, 1997, Le mvstére de la chambre iaune (suite et fin\. Des
fourmis olus stress& eue d’autres, sous une oluie de résine, Lu Recherche, 298-1997 : JO-
44.
l4 Les romans d’Hillerman fourmillent de notations sur le terrain et ce qu’il apprend, quant à
Holmes, nous avons accumulé des pages entiéres de notations sur le même sujet.. .
“Citation faite de mémoire.
“A la tClBvision, sur France 3 et sur Arte, printemps 1997.

447
On fait un métier romanesque.. ., les voyages, l’exotisme.. .
(Christine Ockrent, Bouillon de Culture, avril 1997)
Pour se donner I’aura du baroudeur, au Paris-Dakar de l’été 1996, alors que
l’on voit les coureurs se raser, (car c’est inconfortable n’est-ce pas, de ne pas
être rasé avec le casque qui vous enserre le menton), Gérard Holtz, lui, ne se
rase pas, à moins qu’il emmène avec lui un « coiffeur-raseur de loin »,
Quelques journalistes sensibles se moqueront, comme nous, de le voir trois
semaines durant commenter la course avec une barbe de quatre jours bien
peignée. Mais on ne peut pas dire que cette image, celle d’un homme de
science grand voyageur, soit très récente. Dans son Supplément au voyage

de Bougainville, Diderot décrit son héros ainsi :


Il est aimable et gai : c’est un véritable Français lesré, d’un bord, d’un
traité de calcul différentiel et intégral, et de l’autre, d’un voyage autour
du globe.
.. .
- La course a été longue ?
-Je l’ai tracée sur ce globe... (1972 : 142)

Avec, naturellement, une petite pique :


Né avec le goût du merveilleux, qui exagère tout autour de lui, comment
l’homme laisserait-il une juste proportion aux objets, lorsqu’il a, pour
ainsi dire, à justifier le chemin qu ‘il a fait, et la peine qu’il s’est donné
pour aller les voir au loin. (145)
Et, à propos d’ironie, comment ne pas citer des extraits de ce billet de Fran-
çois George à propos d’un ministre féru de terrain :
ET IA SENTENCE TOMBA, irréfutable : un ministre de terrain doit aller
sur le terrain !. Ainsi parla Jean-Pierre Raffarin, en chargedes PME,
du commerce et de l’artisanat.
Dorénavant et à partir de maintenant, le dit-minisrre et son ministère
feraient manœuvre d’encerclement du terrain. Soigneusement, systé-
matiquement, ponctuellement. .. .
Le ministère s’installerait une semaine par mois en province ! Telle
fut la décision. . . .
Une semaine par mois cela faisait si l’on comprair bien, douze semai-
nes par an ! Bigre ! Une sacrée expédition, provinciale comme d’au-
tres furent polaires.
Il fallait s> préparer., ..
Imagine-t-on bien l’aventure insensée ?Douze semaines en ballon, en
province, à la campagne presque. Du pur Jules Vernes. Ou alors du
Dauder sous la glorieuse conduite du rond M. Raffarin qu’on dirait de
Tarascon. .. .
Le ministère aux champs. Le ministère en tête, son fusil à emplois sur

448
le dos et ses bandes molletières, prêt à la traque du lion et à tous les
sacrijïces. . ..
La colonne Raffarin était prête, les chaussures cirées.
(L.e Monde, 64.1994)
On a aussi une aventure hilarante, présentée avec tout le serieux que requiert
l’aventure, une émission sur l’fle de Pâques (LA 5, 5.7.96), où Bernard de la
Motte et Henri Garcia, qui veulent retrouver sur le terrain les traces du culte
de l’homme oiseau des Rapanui, laissent dire par la présentatrice qu’ils ont
retrouvé, l’ocre des guerriers qui se peinturluraient, dans une grotte sur la
falaise. Les guerriers, disent-ils, devaient descendre une haute falaise, plon-
ger dans la mer faire trois kilomètres à la nage jusqu’à un rocher et prendre
l’œuf d’un oiseau sacré, opération qu’ils font realiser par une belle jeune
femme, plus fragile elle-même qu’un œuf, vêtue d’un paréo que sa beauté ,.
rend d’ailleurs parfaitement superRu. Quant au spectateur, il voit bien qu’ils
ne nagent que trois mètres jusqu’aux falaises de l’île, descendent en rappel
celles de Pâques.. . Tout est faux, merveilleusement kit&... Le mythe, in-
venté probablement, ainsi que le fait que les falaises soient abandonnees, de
même que ce culte oublié depuis le XV bme siècle (sic : date répétée plu-
sieurs fois), époque à laquelle débarquent les curés qui l’auraient combat-
tu... Les héros s’enfoncent ensuite dans une caverne abandonnée disent-ils
depuis cette date, alors que son entrée est largement dégagée et abondam-
ment frequentée, cela se voit sur le film.. . Alfred Métraux a dO se retourner
dans sa tombe, lui qui avait tenté de mettre un peu de rationalité dans le
mythe de I’fie de Pâques j7. Dans une veine semblable, Christine Bravo
(France-Inter, 25.6 1996) présente un tableau apocalyptique du Mexique,
avec des araignées larges comme la main sur les murs, des serpents partout
etc., mais si on est piqué ce n’est pas grave (l’auditeur doit donc être rassuré
sur le sort de la présentatrice) : « deux jours de gonflette et pfutt.. . ça dispa-
raît », aux dires de l’aventureuse voyageuse. De telles imbécillités, cela VOUS

” Mythe d&jja repris dans un flm des ann6es 70, avec des extra-terrestres et leurs représen-
tants « vieux sages zen » etc. Bulle Ogier Btait l’Occidentaie convertie aux vraies valeurs
que les extra-terrestres maintenaient sur notre planète grâce & des relais que des hommes
d’exception, mi-sages, mi-sorciers entretenaient.. . Tout dernibrement un hebdomadaire a
refait sa « une » sur ce mythe qui a d’aussi beaux jours devant lui que le monstre du Loch
Ness.

449
met mal a l’aise et vous rend honteux, mais ce sont les inévitables scories du
mythe de l’aventure qui, pour parodier Marx, frappe deux fois : la première
dans la tragédie (Mungo Park, René Caillé), la seconde dans le ridicule (La
Motte et Garcin, Bravo, Holtz., .).

Amyntas ” d’André Gide est, en fin du siècledernier, un desvoyages


esthétiquesde l’auteur ; on y trouve Cgalementtout un florilège d’idées re-
çues,bien Ccritesnaturellement,surle voyage :

Les Français ne sont pas là, ils ne savent pas y aller. (28)
Les Français ne viennent jamais là. (32)
Je n’ai jamais rencontré que deux sortes de Français en voyage (et la
plupart du temps je n’en ai pas rencontré du tout) ; les intéressant, qui
s’isolent et ne perdent nulle part le sens qu’ils ne sont pas chez eux ; les
autres, ceux qui se groupent, tapageurs, communs, répugnants... ” (127)
On nousdonneà sentir l’inconfort desvoyages :

Il y a des jours pour se demander si c’est la viande qui est trop dure, ou
le couteau qui ne coupe pas. Au demeurant le résultat est le même : on
n’aplus faim. (95)
Ll comparerales Françaisaux Anglais.. . On aura droit à une séancede pos-
session,on louera les chantsarabesdont il obtient la traduction :

Je ne sais s’ils plairont à ceux qui ne connaissent pas le pays ; a peine si


j’ose dire que je les trouve très beaux et que je crois la tradition orale de
cette pobie arabe, ancienne et moderne, digne d‘occuper le folklore,
Voici deux de ces chants... (51)
On a aussil’élitisme desvoyageurs, pour qui le voyage est le meilleur che-
min pour étaler sa culture gréco-latine (manieque l’on retrouvera avec Bru-
ce Chatwin, 1988) :

Je voudrais, ce matin, pouvoir aller au Louvreet relire du L.a Fontaine.


(88)
Après tout, tout le monde n’est pasobligC d’être comme le héros de
Gontchgarov ; Oblomov, dont on peut citer les pages 161-162“. Anti-
touriste absolu, il répond à son ami André Stoltz qui abondait dans le sens
du médecind’Oblomov lequel lui conseillait de voyager :

Stoltz se mit à rire :


- Ce sont là de bien petites misères, et si tu souffres, c’est de ta faute.

” Citations
tirées de l’ouvrage dans la collection Folio, 1987.
l9 Gontcharov : Oblomov [Folio, Gallimard, 19821 [l’ouvrage date de 18981.

450
Tu dors trop.
- Tu appelles cela de petites misères. Si tu avais entendu tout à l’heure
ce que disait le Docteur, tu parlerais autrement. Il m’a ordonné de partir
immédiatement pour l’étranger; sinon je risque une fort mauvaise af-
faire : l’apoplexie.
- Et qu’as-tu répondu ?
- Que je ne partirai pas.
- Mais pourquoi ?
- Voyons ! Il a encore ajouté que je devais aller dans la montagne, faire
un voyage en Égypte, ou en Amérique..
-Eh bien, fit Stoltz avec sang-froid, tu peux te rendre en Égypte en
quinze jours, en Amérique en trois semaines.
- Toi aussi, André !. . . Je n’avais qu’un ami raisonnable, et il a la ber-
lue ! Qui songe à aller en Égypte ou en Amérique ? Les Anglais. Dieu les
a créés spécialement dans cette intention. Ils n’ont pas assez de place
chez eux. Mais nous autres ! Pourquoi veux-tu que nous voyagions, à
moins que nous ne soyons désespérés, dégoûtés de la vie ?
Mais n’était-ce pas aussi le point de vue de Flaubert dont son ami Maxime
\.
du Camp avait déclaré :
Le mouvement, l’action lui étaient antipathiques, Il eût aimé voyager,
s’il 1‘eût pu, couché sur un divan et ne bougeant pas.. .
Vaste programme que devraient mkditer tous ceux qui voyagent pour
ne rien voir trop occupés sont-ils de ce qui les habite, afin de pouvoir dire,
comme Gide dans Amyntas :
Dans l’automne de Nkmandie, je rêve au printemps du désert.
Peut-être les gens ont-ils des difficultts à entendre l’observation
commune que Borges (1971 : 88) résumait ainsi dans There are more
&:

Pour voir une chose, il faut la comprendre.

Le terrain comme observation

Le terrain est d’abord, en ce qui concerne le travail scientifique, une


observation. Dans un dossier CNRS (1997), nous trouvons cette remarque,
parfaitement judicieuse en ce qui concerne les sciences sociales, l’auteur
proclame :
un attachement à la méthode exptirimentule et donc au travail de ter-
rain.

451
Marc Gaborieau (1978 : 137) signalera le poids prédominant de
l’observation, du terrain sur le processus mental de l’observation scientifi-
que :
Notre souci premier a donc été de partir non d’une théorie, mais d’une
expérience de terrain et des matériaux et observations, souvent inatten-
dus, qu’elle avait permis de rassembler. En d’autres termes, il ne s’agis-
sait pas d’expliquer ceux-ci en fonction de concepts tout faits ou à la
mode mais, en s’appuyant sur eux et sur les présupposés (plus ou moins
conscients au départ) de chacun de nous, de laisser surgir les concepts
qui puisse en rendre compte et les justifier.
Le terrain est observation, observation du réel, qui demandeune accoutu-
manceaux paysages,aux gens:
Mais le paysan d’aujourd’hui ne pouvait se découvrir à travers les li-
vres. Nous avons dû parcourir toutes les “provinces”. Il nous a fallu
longtemps pour nous “‘habituer” comme on dit en Haïti, avec les choses
ef les gens de la campagne. (Paul Moral, 1961 : 9)
Personnellement,nousne prenonsjamais de photographiesquand nous arri-
vons dans un pays pour une longue durbe. Car nous savonsque nous ne
connaissonspasla lumière, les faits singuliers,ceux qui sont courants. Mais
il faui aussisavoir combien le terrain est toujours une observation singu-
lière, l’observateur étant dansl’observation. On a trop coutume de dire que
cela est surtout le fait dessciencessociales,les autres aussiconnaissentce
phénomène:

... l’étuded’un mêmematériel possible, à savoir ici les divers spécimens


d’archaeoutervse, par plusieurs spécialistes compétents ne les conduit
pas nécessairement aux mêmes interprétations. A l’extrême, c’est au ni-
veau même de l’observation que les points de vue d@rent.
(Éric Buffetaut, 1977 : 998)

L’homme de terrain, portrait en patchwork

Au contraire de l’orstomien, dont JacquesCharmes(1997) affirme


qu’il est un homme, l’homme de terrain ne perd rien à être une femme. On
peut se souvenir de DenisePaulmeou d’Alexandra David-Néel, lesquelles

n’attendaientpas d’une quelconqueautorité mâle pour en faire, au contraire


de celle qui affirme dansunepublicitC de 1996:

Yves Rocher m’a donné tous les moyens pour réussir. Je suis une femme
de terrain.

452
L’homme de terrain est vu comme .un «baroudeur », un actif;
comme le dira Pradel à Monsieur Rouge (A2, 15.1.1987) :
Vous avez fait 6 000 Km, vous n’avez pas fait du travail en chambre ?
Mais aussi comme quelqu’un, homme ou femme, que l’on délègue spécia-
lement pour effectuer des tâches qui sont définies d’avance, on l’a vu à pro-
pos de la mission sur le satellite Hubble, on en a aussi une image plus loin-
taine que donne Jean-Yves Blot (1983 : 78) :
Être astronome au XVIIIème siècle demandait pafois, au-delà de la té-
nacité d’un savant, la témérité d’un aventurier. La carte du monde se
construisait à ce prix..
L’abbé de la Caille ” était de ces hommes qui payaient de leur personne
l’exercice de leur science. Laissant les joies douillettes de son cabinet
parisien.. .
Il est significatif qu’à part certaines, et rares, mentions, on ne trouve pas de
portrait de l’homme de terrain, en dehors d’ouvrages, comme celui de Si-
mon Leys (La forêt enfeu), sur la “personnalité” des hommes de terrain. On
présente l’aventureux, le risque-tout, au besoin même la tête-brlilée, mais
rarement connoté avec le terrain pris en tant que concept, Dans un article
intitulé Un ancien chef wérillero a Cté extradé en Argentine, Christine Le-
grand déclare :
Homme d’action plus que théoricien politique, Gorriaran Mer10 a parti-
cipé à l’enlèvement et à l’assassinat du président de Fait en Argentine,
Oberdan Sallustro, en mars 1972, soit quatre ans avant le coup d’État
militaire de 1976.
(Le Monde, 4. II. 1995)
Et l’on retrouve ici le schéma précédemment étudié d’une relation purement
conflictuelle entre le terrain et I’arrBre, le bureau, le centre. . . dans cette
notation :
Quand l’l?tat se mêle d’être industriel...
Un sombre tableau :
L’animation, le ni management )J des équipes d’hommes, au sein de la di-
rection de l’armement terrestre (DAT), incombe donc à des gens davan-
tage portés vers la spéculation intellectuelle que vers l’action, vers l’au-

2oC’est I’abbt de la Caille qui donna son nom à la passe du Saint-Géran, en souvenir du
bateau naufrage. (que l’on a retrouvé certes, mais pas là oh l’abbé de ia Caille crDt qu’il
était). 11servit de modble à Bernardin de Saint-Pierre qui eut la carte en main 15 ans aprhs
lorsque capitaine-ingénieur il parcourut l’île. Il en tira un livre qui n’eut aucun succès, dans
lequel il décrivait la rbalité de l’île de France avec ses gens petits, intrigants, esclavagistes
(lui-même eût des esclaves et savait de quoi il parlait)...

453
torité que vers la compétence, vers le pouvoir plutôt que vers l’expé-
rience, vers le carriérisme plutôt que vers la réussite professionnelle.
Pluton 21.
(Le Monde, Il 2.1987)
La questionest aussique ce qui est observésur le terrain ce n’est pasce qui
‘manipulé’ dans les bureaux, c’est des idées, des archétypes, des données
sortiesde leur contexte parasitaire,des abstractionset non des faits histori-
ques, fugaces,impermanents,qui sont ceux que vivent les hommesde ter-
rain. La relative faiblessede l’image nuancéeque l’on peut avoir des hom-
mesde terrain, ce n’est pas dansnos notesde lecture ramassées
çà et là que
nous la trouverons mais dans la littérature spécialisée.Comme le disait
Alain Touraine du sociologue, mais on peut parfaitement l’appliquer à
l’homme de terrain :

Le sociologue n ‘observe pas la réalité sociale, mais des pratiques.


(1995 : 25)
Il est vrai qu’il est difficile, vu la pkgnance du mythe de
l’équivalence : terrain = voyage + aventure, de reconnaître les aspectsné-
gatifs de l’aventure quandelle s’habille d’oripeaux scientifiques,

Nous avons deux exemplesde la gênequi a saisi la pressequand un


prétendu scientifique voulut rester plusieurssemainesau fond d’un gouffre
pour prouver on ne sait quoi (1994) et l’épisodeDéléage(fkvrier 199.5),qui
traversa l’Atlantique en cinquante cinq jours en nageantet n’arriva pas B
convaincre car les seuls courants marins expliquaient largement sa
« progression» transatlantique.On entendbien alorsles efforts déployéspar
lesrallymen du Paris-Dakarpour justifier leurs raids, ou ceux desmarinsdu
Vendée-Globepour authentifier la validité de leursvoyageset de leurs souf-
frances (que personnene leur a demandéde subir, ils l’oublient bien sou-
vent). La contestation la plus violente vint de l’épisode DelBagecar il a été
soupçonnt de malversationquant à la rkalité de son aventure. Bertrand Poi-
rot-Delpech fit dans Le Monde, un billet cinglant, L’effet Corv&ne
(8.2.1995) qui mériterait d’être reproduit en totalité tant il cerne bien la

2’ Pseudonyme employé par un groupe de cadres civils du GIAT.

454
question de l’inutilité de ces « aventures ». Citons seulement son deuxième
paragraphe :
À la question : « Qu’allez-vous faire là-bas ? u, Gide s’enchantait de ré-
pondre : « J’attends d’v être uour le savoir. » Ainsi le futur auteur du
Voyage au Congo, pensait-il vanter la vraie curiosité, ouverte sur son
cher imprévu, par opposition à celle des convaincus d’avance en mal de
vérifications.
(Le Monde, 8.2.1995)
Les hommes de terrain sont toujours au bord de la contestation qui
peut les déstabiliser, car l’aventure est belle mais ceux qui la vivent au pre-
mier degrC, sans la transmuter en or littéraire ou cinématographique, sont
soupçonnés d’être travaillé comme par une drogue, car, la finalité niée - et
comment arriver à faire croire qu’on va trouver du nouveau aujourd’hui ? -
leur tentative est suspecte. Ils s’inventent des buts, des prétextes, comme s’il
était nécessaire de justifier une aventure. Mais s’ils entrent dans ce cercle
vicieux de la justification sociale, c’est bien parce que ‘ils espèrent une re-
connaissance sociale de leur aventure. Ce dont ils pourraient se dispenser
(en se finançant d’une autre manière que par la publicité, en agitant moins
de gens autour de leur exploit, en ne demandant pas ZIla science de suivre
leur ptriple ou leur performance). Il en est ainsi de ces explorateurs moder-
nes qui tentent de faire croire que leur exploit a un sens scientifique (quand
pour ceux qui s’enterrent, dont les deux amis qui se brouillèrent après moins
d’un mois sous terre, au cours de l’année 1996, la science n’a plus que faire
de ces cobayes volontaires). Justifier par l’action est tout aussi lassant,
quand les casse-cou des films nous saturent d’exploits. Mais ceux qui ten-
tent le diable pour leur seul plaisir et que les caméras saisissent par hasard,
ou presque, emportent toute notre estime, ainsi celui qui sejette dans un filet
du haut d’une falaise, afin de prouver.. . rien selon lui, juste le droit de dire,
pour l’avoir vécu : « c’est fabuleux N.Au fond, c’est le frisson de la mort qui
le tente, et l’on sait que, s’il échoue, il en mourra, ce qui tire du spectateur
une approbation silencieuse polie de qui n’est pas concerné 22.

‘* Ce qui est nettementdifférent du casde ces fous qui prennent, pour jouer B la roulette
russe, les autoroutes h contresens et risquent la vie des autres autant que la leur, et plus de
vies que celle qu’ils mettent en jeu.

455
NOUS avons plusieurs exemples de ces gens de terrain qui parlent
abondamment d’eux vis-à-vis de cette pratique. Le cas de Marie-Claire
Gentric est particuliérement caricatural par tout le fatras idéologique dont
cette dame enrobe une vocation qui reste parfaitement respectable. Voici ce
qu’en dit un numéro d’Ouest-France, de l’été 1995 :
Grâce à Marie-Claire Gentric, une école en haut de Himalaya. Le Festi-
val parraine le projet humaniste.
62 jours de marche extrême dans des conditions extrêmes. Marie-Claire
Gentric a découvert sur le toit du monde, des hommes de courage con-
frontés aux conditions de vie les plus dures. Elle leur tend aujourd’hui la
main.
« Je marche à la passion N. M.-C. Gentric, 49 ans, est née à Plozévet.
Depuis l’âge de 17 ans, elle parcourt le monde.
L’Afrique, l’Inde, L’Amérique du sud. Entre deux voyages, elle travaille
comme conseillère à Paris. À la voir si frêle, si menue, d@cile de l’ima-
giner dans les situations les plus extrêmes, exposée aux conditions les
plus dificiles. Et pourtant, jamais elle ne choisira la facilité.
». Les sentiers balisés, elle
les laisse aux autres. Guidée par « les chemins de traverse et les Rens de
passaae », elle voyage selon Son cœur. Un long voyage vers les autres,
vers elle-même qui la mène à l’automne 1992 au cœur de IlHimalaya où
elle posera quelque temps son sac.
Car là-haut à 400 m d’altitude, c’est le choc.
Le chemin pour y parvenir a étédificile, « mais à veine arrivée, i’ai su
qu’il n’avait vas été vain. Tout Y était si lumineux ».
Un environnement de vremier matin du monde.
Lu vallée est coupée du reste du monde Marie-Claire décide pourtant de
s’y rendre, seule et sans autorisation. Le Dolpo est une enclave tibétaine
au nord du Népal, un endroit où personne ne se rend jamais, car les
chemins à flanc d’Himulaya sont trop dangereux, Et l’hiver, la neige et la
glace, le rendent de toutes maaières inaccessibles. Pour y arriver la Plo-
zévétienne marchera 62 jours. Altitude, corniches escarpées, le chemin
est dur. * Par endroits. il fallait eniamber le vide. il n’y avait plus de
frace». Les muscles tétanisés par l’effort, pliée en deux par une intoxi-
cation alimentaire, le sotifle court, elle poursuit néanmoins sa route.
Une marche forcée qui bizarrement restera son meilleur souvenir. « &&
m’a dévouillée de tout, remettant ma vie à sa juste vlace ». Elle arrive au
petit village de Dho, dans « un environnement de premier matin du
monde ». Les familles vivent dans les maisons-forteresses, sans chauf-
fage, sans fenêtre autour du foyer de la pièce principale. Le bétail est
maigre : yaks, chèvres et moutons. Pour toute nourriture, un peu de fa-
rine, d’orge grillé, lapée à même la gamelle, avec un peu de thé salé au
beurre. Aucune médecine, même traditionnelle. Les populations ne doi-
vent leur survie quIà leur seule résistance physique. Malgré ces condi-
tions d’existence très rudes, hommes, femmes et enfants N démontrent
une ioie de vivre étonnante associée à une immense confiance dans la
vie». Ce peuple courageux confronté à un monde de force de dureté
« sui » va droit au cœur de Marie-Claire. Elle

456
se lie d’amitié avec unefamille et décide de venir en aide à ce peuple de
nulle part, de lui donner des moyens d’étudier et de préserver sa culture.
Depuis deux ans les « trekkers » ont fait leur apparition...
< Action-Dolpo Y naît en avril 1993. Grâce aux dons des adhérents et au
parrainage d’enfants, une école a vu le jour. Elle fonctionne avec un
professeur népalais, d’autres projets sont aujourd’hui en cours, dont une
antenne-santé.
Le festival de Plozévet qui chaque année parraine soit un projet, soit une
personne, dans un but humanitaire a décidé cette année de soutenir l’ac-
tion de M.-C. Gentric.
L’enfant du pays ne sera pas au rendez-vous du festival, mais sur le toit
du monde aux côtés de ses amis afin de poursuivre sa mission.
Et après ?
On the road again.. ,
On est obligé ici de faire mention de tout un courant actuel en faveur
du terrain qui s’institutionnalise dans les organisations non-
gouvernementales qui sont actuellement un des lieux institutionnels de dé-
tournement de la rente à l’échelle mondiale. Nous avons largement traité de
cette question dans un ouvrage précédent (Le partenariat, 1997) et nous n’y
reviendrons pas. Disons seulement que, vu l’importance du phénomène, il
devient urgent de l’analyser en détail. Il n’est pas indifférent que Mme Gen-
trie trouve le créneau «charité » pour continuer à vivre sa passion ou sa
marginalité, car d’autres ont su trouver d’autres créneaux pour satisfaire les
leurs (Franc;ois de Négroni, 1977 en a fait la critique, mais on peut aussi se
référer aux récits au premier de&, pour la majorité, rassemblts par Jacques
Charmes en1997).
Un ouvrage de Georges Zottola : Récits d’un routier du développe-
ment 23, est aussi bien significatif de ce que les experts du terrain qui essai-

ment dans le Tiers-monde s’imaginent être. Nous en donnons quelques cita-


tions qui peuvent intéresser le lecteur :
Cette guerre, dont l’enjeu est la survie d’un milliard d’hommes et le dé-
colage socio-économique de près de cent pays, je l’ai vécue sur la ligne
de feu (9)
. . La zone endémique couvre une vaste partie de l’île, aux deux-tiers oc-
cupée par la jungle.
- Vous vous battez donc dans la jungle ?
- Par la force des choses. (16)

23 L’Hmattan, 1996 : 117.

457
Nous traquons le parasite dans le sang de l’homme comme l’anophèle
dans la jungle. (17)
Que les étudesrécentes(1983-1984)24aient prouvé que le paludismene soit
pas« à l’état sauvage», ne gênepersonne” :
- Des sittges, me dit avec un sourire.. .
... très gentils.. . ce qui est un peu gênant, c’est que parfois ils viennent
farfouiller dans nos dossiers et emportent une fiche de malade.
La bureaucratieest-elle soluble dansla jungle ? Et aprèsle sourire,
voici l’héroïsmeet la douleur participante :

La nuit où il fut assailli par des nuées de moustiques sur une piste per-
due de Sennar, El Docktor El Kébir ne prit aucune précaution. A des-
sein. Il voulait être frappé par le mal, pour mieux comprendre ceux qui
en souffrent et qui en meurent. Pour être farouchement motivé dans son
combat contre le « démon bancal >j.
Pour mieux affronter l’ennemi et le vaincre. (291

Je voulais voir en Amkrique latine le menu peuple, l’humble consomma-


teur aux prises avec les difficultés de tous les jours. Si mes pas m’ont
conduit au Mexique et au Guatemala, c’est que des expériences passion-
nantes y sont en cours, qui méritent d’être contées.
(97)

Et là, on a un tableau apocalyptiquede ces pays, ce qui, du moins pour le


premier, est un peu surfait. C’est d’ailleurs le mêmestyle que l’on rencontre
chez Christine Bravo. Elle a passéune annéesabbatiqueau Mexique et nous
le raconte d’une sauvagerieoriginelle que n’aurait pas osé Staden pour le
Brésil du XVf-, dont nous avons déjà dénoncé l’ambiguïté : alors, c’est
dangereuxou pas ? On retrouve la mêmeambiguïté de gloriole chez Zotto-
la :
Je suis rentré de Madagascar atteint probablement de paludisme et ab-
solument enthousiaste. (51)
L’homme de brousse porte cravate et col rigide, mais sa tâche n’est pas
moins d@cile. (6%
On croirait lire Alexandra David-Née1 qui disait conserver sespro-
pres habits. Mais elle, elle portait quand même des vêtements adaptés,
mêmes’ils n’étaient pastissésdansle poil de yack et si sa casquetten’était

24 Alain Richard, 1983 ; Jean-François ‘J’rape, 1984 etc.


‘s Un chercheur a étudit durant trente ans le paludisme des chauves-souris.. . quand le leur
ne se transmet pas g l’homme et celui des communautés villageoises environnantes n’avait
rien à voir avec celui des cavernes.

458
pas en poil de chameau comme celle du Père Bugeaud de la chanson. Et
toujours la légende militaire :
. .. le projet 017 - ou, comme nous préférons l’appeler, Opération El
Alamein -, .. (87)

Sans parler des mélanges d’images qui montrent que la qualité de


l’information de base n’est pas la première caractéristique de ce genre de
littérature de caravanskrail :
Les Peuls semblent indomptables, qui parcourent encore la savane, em-
menant leurs zébus, avec leurs armes rutilantes : l’épée, l’arc, les Pè-
ches. Croisés du Sahel coiffés à la Tamerlan, armada de la steppe, en-
gagée, dirait-on, dans une superproduction fellinienne. Et leurs femmes,
parées comme des Antinéas, étincelantes de sequins.
(Ill)
Quand on écrit sur ses voyages, ne jamais oublier sa culture. On fait comme
faisait Isidore Ducasse pour devenir Comte de Lautréamont : on pille gaie-
ment les encyclopédies. Mais même pour le pillage, il faut du génie. Ca-
moëns en avait, qui puisait dans les abstracts de 1’Cpoque pour ne pas se
tromper dans les références mythologiques qu’il utilisait (Roger Bismut,
1996 26.Enfin, le bouquet final :
Je voulus connaître l’expert.
oit homme vint à moi : le visage hâlé, le regard et le sourire chaleureux,
le port naturellement noble, la silhouette juvénile malgré la soixantaine
toute proche, sanglé dans un blazer de$anelle bleue.
*<.
Hans J. Bredo, un personnage de légende. Un Homme. (116)
Cela finit le livre. Ce livre où on aura reconnu au passage la copie du Dit du
Prétendant de Saint John Perse, le plagiat de Marco Polo, les images du Dr
Albert Schweitzer, l’image du scientifique qui s’inocule le mal pour le com-
battre *‘. . .
Il n’y a pas à dire, un livre de voyage, c’est de la culture étal6e sur de
la distance, Et puis, comme le disait Italo Calvino dans Le chevalier inexis-
tant :

Croire que tout mouvement est un bien, est une pensée d’homme d’action.

26 Introduction B Cam6ens, Os Lusfadas, Paris : R. Laffont, 1996.


*’ La légende est bien connue et un des premiers combattant de la fibvre jaune en mourut.
(cette histoire se trouve dans tous les bons ouvrages de médecine tropicale).

459
Si nos notes de lecture sont quasi-muettes sur l’inutilité fréquente de
l’action, cette question sera abondamment traitée par contre par les profes-
sionnels que nous avons interviewés.

Les images d’une congruence de l’action et de la pensée

Le chercheur de terrain n’est pas seulement le Nemrod du fait brut et


la brute du vécu, ce peut être la partie d’un homme complet, une image un
peu semblable à celle de l’homme de COUTque donnait Balthazar Gracian.
C’est un peu ce que l’on note dans les quelques portraits elogieux que l’on a
pu lire précédemment, comme celui de Martine Monteil, nommée à la tête
de la « crime », ou celui de Mgr Decourtray, dans un article intitulé : Iv&
Decourtray : un intellectuel et c(homme de terrain, (Le Monde, 26.4.1985) :
A la fois intellectuel et « homme de terrain * comme if se qualifie lui-
même, ce théologien et exégète de soixante-deux ans.. .
Citons également trois autres notes, parmi de multiples autres : 1996, por-
trait du Général Guillaume Sauville de Lapresle dans Le Monde. Il est fait
référence au terrain, celui de seshommes sur le terrain. Mais il sait aussi :
... se mouvoir avec adresse et compétence dans les états-majors les plus
complexes.
D’un autre on apprendra :
N’a-t-il pas appliqué ses idées sur le terrain, à Conflans-Sainte-
Honorine, la ville des Yvelines dont il est le maire 7
(Le Monde 13.6.1986)
Et d’un troisibme il sera dit :
La mort l’empêcha d’écrire le livre qu’il avait en tête pour ramasser les
fruits de son expérience. C’est là le sort de trop d’hommes à la pointe
des combats. L’action les dévore.
(Pierre Drouin, au sujet de Jean Schwœbel, Le Monde, 27.9.1994)

Les gens de terrain ne sont pas seulement décrits comme des esprits
particulier, il faut rappeler ce que disait Nietzsche de lui-même :
Tout mon génie est dans mes narines. lin : Clément Rosser, 1983 : 831
Car tout homme qui prétend à l’expérience du terrain, doit se justifier d’une
sensibilité corporelle sans laquelle il ne peut pas prétendre être crédible, et

460
ce n’est pas par hasard que nous avions relevé cette remarque de Sylvie
Guillem, danseuse-étoile :

J’ai un besoin absolu de danser. Mon corps est un instrument. Il me


permet à la fois de m’exprimer mais aussi de découvrir des territoires
inconnus. (1995)
Cette exaltation du corps, nousla trouverons dansles récits des gensde ter-
rain. Engagementphysique, référencespermanentesau corps, au contact,
aux différents sensen éveil permanentpour voir, entendre, sentir, toucher,
mesurer... tout cela est sanscesseréférencé dans les discours que nous
avons entenduset qui fondent une partie de la légendede vie intensequ’ils
vivraient. SignaIons, car les référencesvont abonderpar la suite, que les
gensde terrain semblentavoir deux parties de leur corps qu’ils privilégient,
dont ils parlent directement ou indirectement beaucoup: les pieds et
l’estomac.

L’écriture du terrain

L’écriture.. . L’écriture.. . Sous ce vocable nous mettons aussi les


moyensaudio-visuels disponiblesaujourd’hui, mais dirigés vers un public
(il y a trente ans nous y aurions inclus les conférencesqui sont aussi un
“genre”, maisun genreoublié).

Un article paru dans le magazine L’Express (décembre 1994), &


marchandd’histoiresvraies,soulignait à proposde Ryszard Kapuscinski :

Ryszard Kapuscinski travaille à l’ancienne. Cet artisan du grand repor-


tage cisèle ses voyages, distille ses articles, peaufine ses livres. Ii prend
son ternps, ce qui ne se fait plus guère. Kapuscinski, 62 ans, dont qua-
rante ans de baroud, est un perfectionniste. Un homme ‘du passé, assu-
rément. Un dinosaure du journalisme. (L’Express : 10.12.1994 : 51)
Cette manièrede travailler est effectivement bien perdue aujourd’hui où le
systèmemédiatiquemédiatisetout et le relativise, finissant par lui enlever
toute réalité. Pour le terrain, cela pose de sérieux problèmes,car qui dit
« parolesde terrain » dit « parolessur la rBalité » et l’on peut se référer aux
ouvragesde Norton-Cm sur le témoignageou de Hanson sur la guerre des
hoplites grecs. Nous pensons devoir insister, après d’autres auteurs
(Baudrillard étant le plus fécond en la matière, ainsi que les Situationnistes

461
de Strasbourg.. .), sur la virtualisation de notre monde, sans nous lancer pour
autant dans une analyse qui dépasse nos compétences. Citons cependant ce
qu’en dit Wim Wenders (1994) :
Avant les images animées, la réalité n’était pas remise en question, sauf
par quelques philosophes. Aujourd’hui, le critère de réalité est ce qui
semble réel, non plus ce qui esz réel.
J’ai visionné tout ce qui a été tourné à Berlin à la fin de la deuxième
guerre mondiale, notamment par les armées russes et américaines. Les
Russes tournaient en 35 mm, en noir et blanc, alors qu’ils avançaient ez
prenaienz la ville rue par rue. A l’Pvidence, de nombreux plans ont été
filmés plusieurs fois, après que les participants eurent répété. L’image
célèbre du soldat soviétique qui descend le drapeau nazi du Reichstag a
été refaite et refaite, pendant toute une journée. Cette prise très réaliste
est complètement mise en scène.
En revanche, si& arrivés à Berlin, les Américains ontfrlmé en 16 mm et
en couleurs. Ils onz fait des travellings le long des boulevards détruits,
d’une manière documentaire. Mais ces prises donnent aujourd’hui I’im-
pressiond’avoir été enregistrées dans des studios hollywoodiens. Il n’y a
eu aucune mise en scène, et pourtant on croirait facilement l’inverse. Le
film qui était fidèle à la réalité a l’air factice, alors que celui qui est fac-
tice a l’air terriblement réel.
L’apparence a pris le pas sur la vérité, au point de faire paraître la réa-
lité inadéquate. Aujourd’hui, les gens ne préjêrent pas seulement le film
à la réalité, ils ajustent la réalité au cinéma.
(Puissance du cinéma, L.e Monde, 14.12.1994)
Écrire du terrain doit être distinguéd’en parler, car si la secondeopé-
ration est le bien commun de l’humanité, le rapport à l’dcriture, lui, obéit à
un certain nombre de contraintesspécifiqueset sefait toujours selonun mo-
dèle, un moule, un genre littéraire (au sensde verbal), La difficulté d’en
traiter selit chez Mérimte, qui fit l’éloge funèbre de Stendhal d’une manière
si peu académiquequ’il dQ publier son Clogesansnom d’auteur et sousle
simpletitre de hb.. .

Faute de pouvoir exprimer ce que l’on sent, on décrit d’autres sensa-


tions qui peuvent être comprises par zout le monde,
(19)

Nous aimions l’entendre parler des campagnes qu’il avait faites avec
1’Empereur. Ses récits ne ressemblaient guère aux relations officielles.
Dans une affaire fort chaude il haranguait les soldazs près de se déban-
der voici en quels termes : n En avant s. n. d. D. J’ai le cul rond comme
une pomme,soldats ! J’ai le cul rond comme une pomme ! » - R Dans le
moment du danger, disait B, cela paraissait une harangue ordinaire et je
suis persuadé que César et Alexandre ont dit dans de telles occasions
d’aussi grosses bêtises. » (III

462
On voit toute la différence entre ces paroles sans sens, qui ne prennent sens
que dans l’urgence d’une débâcle, et les discours polis dont on affuble les
grands chefs, surtout quand ils ne sont pas dénués de talent littéraire comme
Napoléon Ier. C’est le moins qu’on puisse dire : Stendhal parlant comme
Henri Beyle racontait comme il l’avait entendu ce qui est éloigné des phra-
ses du genre :
Pressé de toute part, I’Empereur, grandi par la fureur sainte qui le sai-
sissait, cria aux hommes que le doute saisissait et quij7anchaient SOUS la
mitraille : N La France, Soldats, vous regarde ! La gloire est devant
vous, la honte derrière nous. Avançons ! » 2x
qui traduiraient la même idée, mais en termes plus politiquement corrects.
Par ailleurs, l’expression du terrain amène les auteurs à plus parler
d’eux-mêmes que de ce qu’ils voient. Ou plutôt, ils sont le prisme qui dé-
compose le terrain en un subtil nuancier. Dans une série d’articles consacrés
à des voyages, François Maspero a cette phrase significative de ce qu’est le
voyage, surtout quand on revient sur ses pas :
Tout éîait chargé de réminiscences infinies.. .
(Le Monde, 20.8.1996)
Nous voyons bien qu’ici ce qui est déterminant, ce n’est pas le voyage, mais
le voyageur. Où est le terrain 1 Enfermé dans le cœur de celui qui raconte,
ou dans le style du récit ? Nous ne contestons pas l’interêt de ce type de lit-
térature.. Claude Roy le fit (te Monde, 1995) dans un long récit. Nous-
même pourrions presenter ce que nous avons écrit sur notre retour à Niamey,
trente ans après 2Q,mais notre objectif, qui Btait semblable puisque nous
avions effectué cette rédaction pour une publication de type journalistique,
n’était pas d’effectuer un compte-rendu d’un ‘terrain’, mais une confronta-
tion du Niamey que nous avions connu enfant et du Niamey de décembre
1994. L’orientation était bien la même que celle de Claude Roy place dans
des conditions semblables de «retour au pays natal » quelques décennies
plus tard.

‘s Nous nous permettons d’inventer ici la « parole écrite u qui serait la traduction par un
historien hagiographiste le u s.n.d.D. J’ai le cul rond comme une pomme ».
*’ Retour uu pays nural. sera publiC dans une revue camerounaise en 1998.

463
Parler de ses voyages n’est plus parler de pays inconnus dont on tente
de donner une image à des gens qui l’ignorent, c’est surtout parler de soi. On
a bien le droit de parler de soi, et ce droit, tout le monde l’a, mais on ne peut
pas présenter cela comme un récit de voyage, sinon de voyage intérieur à
propos d’un voyage géographique. La tendance des « voyageurs » est de
donner une image fausse de ce qu’ils voient en écrivant l’ivresse, forme lit-
téraire fixée.
Lors de nos travaux au Mexique, sur Chalco (1992) était parue une
étude sur cette zone particulièrement déshéritée de la ville de Mexico dans
Le Monde, qui avait fort irrité tous les membres de notre !quipe. Misérabi-
liste 3oelle était plus significative de notre ethnocentrisme collectif que d’un
vrai journalisme d’investigation. Que Monsieur Fottorino pense ce qu’il
pense, c’est son droit, mais ce n’est pas son droit de présenter ses œillères
comme la réalité, ni de fabriquer des chiffres comme on fabrique des phra-
ses3’.
Un document a contrario peut être présenté qui montre qu’une autre
stratégie était possible : lors de ce projet Chalco une équipe d’Antenne 2 est
venue a Mexico pour réaliser un film.. . conforme à l’article de Fottorino qui
avait bien fait pleurer les chaumiéres. Cette équipe nous a contacte, José
Manuel Juarez ainsi que d’autres membres de notre groupe d’études partici-
pèrent au tournage tout en proposant des analyses plus conformes aux faits

” Éric Fottorino, Un enfer à Mexico. À Chalco, dans la banlieue de la capitale mexicaine


400 OOOfamilIes s’enrassent dans un rerrain vague (Samedi, 8 décembre 1990). Le Monde
auteur, n’avait pas jugé bon de se faire Ccho des protestations (et l’auteur de repondre
d’ailleurs). On peut donner un exemple de la Itgèreté de traitement de l’information dans
cet article : les plus midrabilistes journalistes de Mexico donnaient 400 OtXJ habitants, ce
chiffre btait presque coherent, malgré son exagération : entre 250 et 350 000 selon nos esti-
mations, Fottorino a transformb ce chiffre en ‘nombre de familles’ et tout g l’avenant,, .
” Julian Barnes, Le perroquet de Flaubert, (1987 : 98-99) parle des erreurs en littératures,
comme les 600 braves qui chargeaient dans le poème de Tennyson, 607 victimes... II avait
suivi le Times qui rendait compte de cette fameuse charge de la brigade légère durant la
guerre de Crimée. On lui fil remarquer qu’il y en avait plus, sept cents, mais sept cents en
anglais n’a pas le même rythme que six cents et Tennyson garda son vers rejetant la vbrité
historique. De même, quelle est la couleur des yeux de Madame Bovary... Flaubert varie Ià-
dessus. Qu’importe le réel quand on est ecrivain, car la vérité recherchbe n’est pas d’ordre
informatif mais émotionnel.

464
que ce qu’en disait Fottorino, Cette petite Cquipe d’antenne 2 32 a dû se bat-
tre afin de faire prévaloir notre point de vue, devenu le sien, pour justifier un
film «réaliste » (qui d’ailleurs eut par cela même une audience plus forte
que celle attendue), 11est donc possible d’écrire sur le terrain en le rendant
intéressant, sans pour autant sombrer dans le delire et se prendre pour un
grand aventurier. L’article de Fottorino remplit d’admiration pour le courage
du journaliste qui a traîné ses guêtres là-bas, quand le film d’Éric Perrin,
Kristian Autain et Richard De La Fuente remplit d’une compassion vraie
pour ces Mexicains qui se battent pour leur dignité car, il n’idéalise à aucun
moment le travail de recherche que nous y effectuions. Ce film est bien la
preuve qu’un autre discours est possible et... nécessaire maintenant qu’on
ne peut pas croire que l’aventure ne soit pas au coin de la rue, pour repren-
dre un très beau livre sur ce thème de Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut
en 1979.
Peut-on rappeler ce qu’en disait déjà Simon Leys (1984 : 16), à pro-
pos d’Orwell :
Ce que l’art invisible et si efficace d’Orwell illustre, c’est que la « vérité
des faits >i ne saurait exister à l’état pur. Les faits par eux-mêmes ne
forment jamais qu’un chaos dénué de sens : seule la création artistique
peut les investir de signification, en leur conférant forme et rythme.
Lknagination n’a pas seulement une fonction esthétique, mais aussi
éthique. Littéralement, il faut inventer la vérité.
(Souligné par l’auteur, 1984 : 16)
Nous pensons aussi, comme Leys, que l’écriture invente la rkalité,
comme on dit de ,qui découvre un trésor enfoui en terre qu’il en est
l’inventeur. L’écriture, Leys la limite ici au cas artistique, mais (et c’est clair
dans son ouvrage sur Orwell) son point de vue le dCpasse largement : c’est
de toute écriture qu’il s’agit. Donc, pour écrire sur le terrain, il faut lui don-
ner forme, tirer du chaos des faits, une logique scientifique pour le démo-
graphe, l’historien, ou l’anthropologue, ou documentaire et communicatrice

QEric Perrin réalisateur,Kristian Autain cinéaste et Richard De La Fuente preneur de son,


À bout de soufie, film Antenne 2, Paris, Mai 1991, avec la collaboration scientifique de
l’équipe CEE-Orstom-UAMX.

465
pour Autain, Schwartz 33, Orwell.. ., artistique pour ceux qui le peuvent,
comme Flaubert, Doisneau, ou Maupassant.. . Et tant mieux si on a les deux,
comme chez Jules Renard, qui, dans Nos frères farouches, a été si authenti-
que dans son témoignage sur la paysannerie que l’historien américain Eugen
Weber a pu largement y puiser pour son ouvrage sur La jïn des terroirs
(1983).

Nous voudrions formuler une dernière remarque.Très souvent, le


passageà l’kcriture d’une expériencefait l’effet de « vide-mémoire ». Ce fait
nous a toujours surpris. Mais, il rend les témoignagessérieusementcontes-
tables quandils ne se fondent passeulementsur la mémoire mais aussisur
celle de deux expériences: la première de l’avoir vécu, la seconde, de
l’avoir écrit. Primo Levi (1994 : 22) se fait honnêtementle témoin de ce
fait :

Je me rappelle de tout cela à travers ce que j’ai écrit ; mes écrits jouent
pour moi le rôle de mémoire artificielle, et le reste, ce que je n’ai pas
écrit, se résume à quelques détails ».
De l’écriture comme vide-mémoire... Quand le récit prend la place du réel

L’expérience est d’autant plus étonnanteà vivre quand on n’a pas


écrit soi-mêmemais quand d’autres l’ont écrit pour vous et on entend par-
fois racontersapropre vie 34.

Dans ce sous-chapitre,nous avons voulu traiter du terrain tel que


l’image en est donnée en recourant a la documentation ordinaire. Nous
n’avons cependantpastrop cédé à la facilité en assénant.aulecteur les mas-
sesde citations qui auraient été possibles.Certes, le lecteur pourra se dire
que, dansce chapitre, la penséea été le plus court chemin d’une citation à

33 Alfred Schwartz, 1975, La vie quotidienne dans un villoge guéré.


l4 Ce fait nous est arrivé a propos d’un
incident - enlisement dans un marigot d’une voiture
quandchargeaient destléphants - quenous avons entendu raconter ensuite. Personnelle-
ment, nous pensons avoir vécu nettement plus dramatique et pkilleux : la voiture Btait fia-
ble, le chauffeur excellent, les Biéphants à distance. Trois raisons pour rester calmes et at-
tendrel’issue,favorablecomme on pourraitle regretter ?Ilire cette thése. Maisle récitqui
nous en a bté fait nous a donnd, l’espace d’un instant, l’illusion d’être un grand baroudeur.
Ou un bus been.

466
une autre mais nous avons cependant le sentiment d’avoir suivi une logique
donnée par les verbatims eux-mêmes. Nous n’avons pas cherché à donner de
l’information recueillie au hasard de nos lectures une autre image que celle
qu’elle donne : un terrain éclaté entre plusieurs images contrastees qui vont
et viennent de l’action à la réflexion, de l’aventure au vécu, de connotations
positives aux connotations négatives.
Nous voudrions maintenant aborder, sans trop nous y Ctendre, la
conception du terrain comme pratique.

461
Chapitre 2
Le terrain, réalité multiforme de la pratique

Le terrain comme pratique, en tant que sujet de réflexion, vient chez


nous d’une réflexion sur la pratique que nous avons voulu centrer sur le
terrain. Car il y a d’autres pratiques. Nous citons souvent la « pratique admi-
nistrative », trvidente pour qui consulte des archives : on s’aperçoit bien
souvent que les gens de la direction centrale des administrations ont une
connaissance mieux construite que les gens du terrain, trop obnubilés par
leur vécu et la courte vue qu’il donne. On le voit parfaitement quand un
politique vient avec un certain programme tiré de sa pratique, de sa connais-
sance du terrain et reprend des idées qui n’étaient pas les siennes : le point
de vue changeant, l’absurdité de la courte-vue qu’il avait le saisit alors. Ce
n’est pas seulement adaptation au système, c’est aussi adaptation au terrain :
un terrain plus global, car il y a autant de terrains que de points de vue,
comme il y a autant de cartes qu’il y a d’échelles. De multiples exemples
historiques se présentent : les virages politiques des ministres successifs de
Louis XVI qui aboutissaient tous à la nécessité d’une réforme, les virages
pris par les dirigeants israéliens devant l’attitude à tenir devant les Palesti-
niens (à l’exception du gouvernement actuel 36). L’examen des textes dispo-
nibles sur la décolonisation française, de la Loi-Cadre Deferre à la fondation
de la Communauté française par de Gaulle montre bien que les
« bureaucrates » de Paris savaient que la décolonisation était possible quand
les «hommes du terrain » eux étaient incapables de l’envisager (et ceux qui
ont suivi l’incroyable gâchis algérien depuis 60 ans ne pourront nous contre-

” Des Isrdliens ont d’ailleurs mis en rapport la tactique de Benyamin Nétanyahau et celle
d’Adolf Hitler, “deux pas en avant, un pas en arrière”, qui a la particularité de « coincer »
l’adversaire dans une contradiction insoluble puisqu’il a toujours un gain, et que protester
signifie que c’est lui le mauvais joueur. Cela paraît aussi la tactique tlaborée par les « coups
de gueule ,a du ministre actuel de notre Education nationale, Claude Allègre face au
«mammouth » dont il a la charge. Nous parlons de tactiaue, pas positions politiques...
dire). Nous allons ici aborder donc quelques exemples qui pourront éclairer
notre propos.

Terrain et politique

Il nous semble avoir présenté suffisamment d’indices dans la pre-


mière partie de ce chapitre pour avoir convaincu que l’emploi du terme
terrain et des concepts qui lui sont liés sont d’un grand usage dans l’analyse
politique actuelle. Nous voudrions seulement résumer notre étude mise en
annexe 2.1 sur l’élection présidentielle de 1995 car elle nous paraît poser des
problèmes intéressants
En 1994, le candidat Jacques Chirac paraissait « perdu », comme si la
longue course qu’il avait effectuée depuis trois décennies échouait. Or, il
engagea une « campagne électorale de terrain » qui renversa complètement
la situation et finalement, il remporta l’élection face à Edouard Balladur qui
semblait avoir tous les atouts et était donné gagnant. Ce qui nous a paru
intéressant, c’est cette intervention de Chirac en tant qu’homme de terrain.
D’ailleurs, dans le dernier livre hagiographique Ecrit sur lui, et qui parut
après l’échec des Législatives anticipées de 1997 (Anne Fulda, 1997), les
caractéristiques de candidat le désignent bien comme un « homme de ter-
rain ». Face a lui, une équipe qui n’avait pas compris que les batailles ne
sont perdues qu’une fois achevées. On va assister a un très grand nombre
d’erreurs qui ressortissent a la nature de l’expérience de terrain (erreurs
psychologiques : tout est terminé avant d’être joué, face a des acteurs qui se
trouvaient ainsi exclus du jeu de la négociation qu’est toute élection ; erreur
d’images comme les essais que fit le candidat Edouard Balladur voulant
«faire peuple », ce qui ne lui correspondait en rien et le fit paraître insin-
cère...). Cette élection, que nous avions attentivement suivie car elle nous
paraissait, sur trois points essentiels de notre réflexion, est exemplaire : sur
le terrain et ce qu’il faut faire et ne pas faire, sur la nature de l’information
en matière de sciences sociales et sur les sondages.

469
Opportuniste, peu soucieux au fond des grandes idees, ouvert sur les
autres, bon vivant et aimant les contacts, tel est le portrait qui est fait de
Jacques Chirac par Anne Fulda (1997). Il aime le terrain et s’y révèle. Mais
il ne sait pas moduler ce sens du terrain quand, pour une raison ou une autre
il cesse de pratiquer le terrain. C’est ce qui explique que ces qualités vont se
retourner en defauts quand, oubliant ses promesses, il appliquera une autre
politique (puisque lui n’y croyait pas, il pouvait penser que pour les Français
il en était de même). Pour des raisons psychologiques, il va s’enfermer dans
une situation dont il pensera sortir par cette anticipation d’tlections (Denis
Jeambar, 1997). Le problème, nous semble-t-il, est qu’un homme de terrain,
quand il perd le contact avec ce terreau sur quoi ses qualités fleurissent, perd
plus facilement le contact avec le réel qu’une personne de cabinet, qui, elle,
fera confiance a l’information indirecte, dont elle aura plus coutume de tirer
sa connaissance du monde. La faiblesse des gens de terrain est de ne faire
confiance qu’à leur « bon sens » et à leurs contacts. Ce sont des gens de
l’instant, pas de la continuité : des coups de génie au combat, mais un man-
que de strattgie. Nous avons souvent eu l’occasion de formuler cette obser-
vation à propos de nos collègues qui, pour une raison ou une autre, étaient
déconnectés du ‘terrain’. Ils effectuaient alors des bévues phénoménales, des
erreurs d’appréciation terribles qui se révélaient d’autant plus catastrophi-
ques qu’ils laissaient pourrir la situation, confiant dans leur charisme rela-
tionnel pour redresser la situation. Nous avons vu ainsi quelques hommes de
terrain placés en de hautes directions et diriger tout leur service dans une
impasse. En effet, ils ne disposaient pas matériellement-de temps suffisant
pour collecter eux-mêmes l’information et l’information que nous - leurs
adjoints - leur donnions était jugée non valable puisque, eux seuls, se quali-
fiaient aptes à l’évaluer. Ils modulaient leur perception sur leurs connaissan-
ces passées mais les situations, comme les villes, changenr plus vite que le
cœur d’un mortel.

Il ressort donc de cette petite incursion dans la politique que si le ter-


rain existe, et il nous sembleque l’Événement que nous avons choisi est

470
parfaitement emblématique, il n’en reste pas moins qu’un terrain passé ne
protège pas d’un terrain à venir. Au contraire, la victoire sur le terrain est
souvent le gage d’une défaite ulterieure si elle n’a pas été intégrte dans un
schéma stratégique. On est autant du côté de Sun Tzu que de Clausewitz et
assezloin des recettes de Jeminy 37.

Terrain et journalisme

Le journalisme est également une activité où le terrain est de très


grande importance. Nous avons certes le journalisme d’investigation, qui
paraît parfois si proche de la sociologie. Alain Coulon (1996) rappelle que
l’un des fondateurs de l’École de Chiacago, Robert Park, était un ancien
journaliste qui avait transposé les mêmes techniques dans le champ de
l’investigation sociologique. La différence est donc parfois ténue :
Il ne renie pas son passé de journaliste. À ses yeux, le sociologue est une
« esuèce de suver-revorter- il informe de manière un peu vlus vrécise et
avec un veu oh de recul aue la moyenne »
(12, note 8)
Voir le sociologue comme un journaliste au ralenti, est un peu la même
position que celle de Éliane Métais (1980 : 74-75) 38, qui donne à
l’ethnologue d’autres qualités: celles du missionnaire et celles du dillettante.
De nombreuses œuvres de journalistes atteignent un très haut niveau
qualitatif, cependant il y a deux acceptions du terme ‘terrain’ chez eux qui
font problème et expliquent, sauf à être un tenant de l’école ethnométhodo-
logique (voir infra), que cela ne peut être que « par hasard », par qualité
purement personnelle de l’auteur, que leur travail est une œuvre scientifi-
que :
l le terrain comme lieu de leur pratique de collecte d’information ;
l le terrain comme ?bsence de pratique de ce dont ils parlent.
Nous devons nous expliquer :

” On pourrait avoir tendance à lire son ouvrage ainsi, son auteur s’étant refusé à dtvelopper
trop les aspects stratbgiques, Cvidents pourtant quand il parle de la guerre nationale.
‘s Se reporter plus loin dans le texte : hane M&ais et l’ethnologie involonhire.

471
Quand Jean-Paul Kauffman, journaliste et grand reporter, est a116aux
Kerguelen, et en a retiré un livre, à mi-chemin entre le reportage de confes-
sion et l’analyse socio-journalistique des hivernants de la base, il effectue du
terrain au premier sens du terme. L’incipit de l’ouvrage précise :

Toute mon enfance, j’ai rêvé des Kerguelen.


Et cela donne tout le ton à son livre, d’un tr&s grand intérêt et que
nousreprendronspar ailleurs. Il va parler de sessentimentssur ces îles, de
l’hivernage, il va aussipuiser dansl’abondantedocumentationdes rapports
sur les hivernages... Et l’arche ? Eh bien, l’arche des Kerguelen n’existe
plus, elle a disparu, rongée par la mer, commele temps a rongé l’âme des
hommesperdus dans l’infini des Kerguelen et les diskersjg, auteurs des
rapportsau vitriol sur la communautédes chercheurs-bureaucrates.
Ils peu-
vent geindresur leur mesquinerie,ce ne sont que deshommesaprèstout. Et
dansce livre, Kauffman offre d’excellentes pagessur l’aventure, la sienne,
et celle desautres,

Mariana Otero avec son preneurde son Manuel Naudin, a fréquenté


les lieux de son tournage, dans un collège de Saint-Denis, pendant un an,
avant de passerà l’actibn. Elle a « misé sur la durée», passantdes mois
avant dansles lieux et avec lesgenssanslesfilmer (&TE, septembre1994),
effectuant par là même une véritable enquête-participation, Elle a réalis&
pour sonfilm, un terrain, cela ne fait aucundoute.

Dans le cas de ce genre mettant en scènela fiction, le docu-drama,


PascaleBreugnot, productrice déclare:

NOUS avons respecté la réalité telle que l’enquête l’a établie sans aller
au-delà de la réalité.
(Le Monde, 22.11.1996)
Affirmation qui n’engagequ’elle et que l’on reprendra dansnotre chapitre
final sur l’expressiondu terrain.

C’est dansce sensqu’un photographeque nous avions interrogé sur


le terrain nousa répondusur le ‘terrain’ tel qu’il l’entendait :

‘9Concaténation
de « Directeur Kerguelen ».

472
C’est quand j’exécute un boulot, que ce soit piquer une photo en douce
dans un HLM pour un reportage ou tirer le portrait nickel d’un & de
coca cola. Que j’utilise la lumière qui m’est donnéeou que jefabrique le
moindre reflet en artificiel sur le métal luisant, c’est pareil. Le terrain,
c’est aussialler dans les rues,‘voler des images aux passants. C’est le
travail !
Le photographeLarry Clarke (exposition hiver 1992), a de son côté
affirmé :
Vivre ce que l’on photographie. Photographier ce que l’on vit.
Lan-y Ciarke est de cesphotographesqui ont fait de leur vie le thème de leur
art, leur art servant à exprimer ce qu’ils ont vécu et vivent. Ce n’est plus du
journalisme.Il se réfère AEugen Smith qui, dansles années50 avait décidé
de partager la vie de ceux qu’il photographiait, afin d’en saisir la psycholo-
gie, disait-il, car qu’est-ceque la psychologie d’une photo ? Ce n’est pas un
discourssur une image,c’est la vérité du sujet qui, elle, vous renfre dans la
gueule, comme cette photo de Larry Clarke de deux jeunes gens nus dans
une baignoire,et qui en dit plus sur la dérive de la drogue que tout discours.
Clarke, joignant sa propre perception aux refus esthétiques de Smith,
s’inclut dans le sujet, ou plutôt ne s’en exclut pas et rend les photos pIus
cruellesencoreque leursthèmes4’.

Nous pouvons égalementmentionnéun deuxième sensau terme ter-


rain pour lesjournalistes, c’est celui, ntgatif, qui apparaît quand ils visent 31
produire des œuvres de niveau scientifique. Nous pourrions prendre de
nombreux exemples. L’un d’eux nous paraît intéressant,c’est l’ouvrage
d’Elizabeth Badinter 42(1992). Tout le livre est fondé sur des opinions et
met sur le mêmeplan les romans,traités aussitôtde véridiques : Proust est
homosexuel,sesromansle prouvent, donc ce qu’il dit sur l’homosexualité
est vrai et en quelque sorte « nourri d’enquêtesde terrain ». Tous les infor-
mateurssont mis, sanscritique des sources,sansmise en perspective des
faits rapportésou desopinionsémises,sur le mêmeplan :

4ocari: boîtembtallique
enfer blanc.
4’En France,le photographeBernardPlissou, auteur du Voyage mexicain, se r6féreexpli-
citement à la démarche de Clarke.
42XY, de 1‘identité masculine, 1992.

473
Kafka = Freud = Hite= Grass= Diderot = Girard= Veyne etc.

Une confusion totale entre littérature et vie réelle est faite : des fem-
mes écrivent des romans dont le htros est un homme et Flaubert n’était pas
une femme quand il a écrit Madame Bovary. La création artistique suit des
cheminementsqui ne sont pasceux du ‘terrain’, mêmesi les auteurspuisent
dans un ‘terrain’ la source d’une partie de leurs écrits. Ainsi “l’homme
mou”, tendancede notre culture certes,devient explicative de la tristessedes
garçonsdevant la perte du père (226), alors que la vie modernepeut être g
l’origine essentielledes deux faits : l’émergencede l’homme mou 0 la
tristessedes garçons.La mythologie a le mêmestatut que les observations
de Cyrulnik, comme si un mythe était une observation scientifique et que
l’ttymologie grecque puisse fonctionner comme une preuve. Le caractère
composite des preuves n’est pas présenté,or chacune a un statut logique
différent. Quant aux chiffres, ils n’ont de valeur que quand ils prouvent
l’opinion émise par l’auteur (m&me quand il est contraire aux thèses,on
explique que,justement,celui-là n’est passignificatif).

Loin de nousde contesterle droit à quiconquede s’exprimer, ce qui


nous gêne c’est qu’au nom du ‘terrain’, pratique de l’enquête, collecte de
l’information, on s’arroge la légitimité d’un terrain de travail de collecte
d’informations de base.

Le grand reproche que nous adressonsà ce type de travaux


(puisqu’ils sont ainsi catégoriséspar les journalistes - il n’est que de les
entendreparler dansles médiade leur œuvre, ce qui est facile puisqueleurs
collèguesles font abondammentparler -), c’est que, pour combler ce man-
que (indépendammentde la difficulte qu’il y a B apprécier la qualité de
travaux de disciplinesscientifiquesque l’on ne pratique pas soi-même),on
donne le primat à l’émotion. Or, on ne soulignerajamais assezles problè-
mes déontologiquessoulevéspar le primat actuel de l’émotion qui, sur le
plan épistémologiqueaussi,provoque un biais dangereux. En ce qui con-

474
cerne les enfants Caroline Eliacheff 43, psychiatre d’enfants, le signale dans
une interview :
Les bons sentiments ne s@sent pas, loin de là ; ils sont même assez
dangereux... LA compassion, professionnellement, ne sert pas à grand
chose. Et la rigueur éthique est exactement ce dont les enfants ont be-
soin. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas les aimer. Mais ce n’est pas
cela qui est opératoire avec eux.
(propos recueillis par Valérie Duponchelle, Le Figaro, 16.1.97)
Jean-François Werner, 1995 44souligne à propos d’un texte :
. .. le texte de Bertoud montre bien les limites dans lesquelles un travail
de nature scientifique est vite enfermé quand il se fonde quasi-
exclusivement sur des informations de seconde main. (1)
II précise également que n’est pas respecté :
.<ale trépied épistémologique : autonomie par rapport au politique, au-
tonomie conceptuelle..., autonomie méthodologique.. . (7)
l La première condition suppose les autorisations du politique (pour étudier
en l’occurrence l’usage des drogues), il faut donc que le chercheur puisse
construire ses categories indépendamment du caractère licite et illicite
des drogues.
À mon sens, la démocratisation d’une société ne se limite pas à
1‘établissement d’un type particulier d’organisation politique, elle passe
également par la mise à la disposition des citoyens de savoirs scientif-
ques présentés sous une forme accessible. cv
l La seconde condition suppose la rupture avec une parole scientiste, fondé
sur les sciences naturelles, pour qu’elles puissent
déployer leurs pouvoirs heuristiques. (9)
l Enfin:
Cette façon de complexifier le problème /en le resituarit dans toute sa
complexité sociale : urbanisation, exclusion, crises de la jeunesse...] ex-
plique pourquoi les sciences sociales sont souvent considérées comme
des empêcheurs de tourner en rond par les hommes de pouvoir qui ont
un penchant prononcé pour les solutions simples à des problèmes com-
pliqués. . .. (9)

43Vies privées, de 1‘enfant roi à 1‘enfant victime, 1996.


u Citt? dans le texte dactylographié.
Dont la conséquence méthodologique est :
. .. l’élaboration d’un savoir scientifique [qui] ne peut faire i’économie
d’une collecte d’informations obtenues par des méthodes d’observation
directe.. . (11)
Ce terrain, au second sens du terme manque totalement à des journa-
listes qui sortent de leur sphère de compétences, comme elle manque à toute
personne qui sort de sa sphère de compétences. Nous ne faisons pas de
l’an&journalisme, profession qui a toute notre estime, comme toutes les
autres, simplement, elle a ses exigences et on ne peut tolérer n’importe quoi,
même si le système médiatique leur est acquis et les met hors de la critique.
Que certains journalistes produisent des livres hors-pairs ne justifie pas que
l’on s’abrite derrigre leur réussite pour Ccrire n’importe quoi. Autant certai-
nes pages, comme celles d’articles de journaux, nous font sourire de par les
connaissances scientifiques que nous avons acquises, sans que nous en
déduisions que nous soyons habilité à les critiquer car ce sont des articles de
périodiques et en écrivant ces articles ils effectuent un travail qui est totale-
ment de leur ressort et on entend bien qu’ils ne savent pas tout, autant il est
gênant que les journalistes arguent de leur position privilégiée dans le sys-
tème médiatisé de la soci&é moderne pour nous infliger leurs propres erre-
ments conceptuels. Georges Suffert, dans Le Figaro du 3 avril 1997, à pro-
pos du livre de Denis Brian, Einstein, le génie de l’homme (1996) 45, porte
un jugement dithyrambique sur le ‘génie’ d’Einstein lui donnant des causes
‘psychologique’, c’est-à-dire internes (quand nous semble-t-il, Fueur dans sa
biographie sur cet indéniable grand homme montre bien que le génie c’est,
en grande partie, être au bon moment au bon endroit) et donc s’étonne de
deux critiques, dont la première touche à la sphère privée une fille abandon-
née, et cela l’étonne, quand on ne voit pas pourquoi un mathématicien génial
ne serait pas aussi une « crapule » dans sa vie privée (en mettant les choses
au pire). Les lettres à Mileva rendues publiques récemment (1996) montrent
que le génie n’empêche nullement d’être un goujat {et on ne sait pas, puis-

45Einstein, le génie de l’homme, 1996.

476
qu’elle s’est tue, ce que l’on pourrait dire de Mileva 46). La seconde critique
demande à citer intégralement Suffert :
Deuxième énigme, Eisntein et les quantas. Jusqu’à son dernier jour, il a
été convaincu qu’il existait une solution d’ensemble. Il n’acceptait pas
les quantas parce qu’il était fondamentalement déterministe.
Or les quantas, c’était l’acceptation de l’indétermination du monde. La
formule fameuse : « Dieu ne ioue vas aux dés » résume exactement cette
interrogation.11 ne s’est jamais soumis. Avait-il tort ? Avait-il raison ?
Depuis une décennie, Eisntein retrouve des disciples. Comme lui, ils
souhaitent découvrir la force unique qui réunifiera l’ensemble de la phy-
sique. Mais ce qui étonne, c’est la raison de son entêtement. Physique-
ment, mathématiquement, Einstein avait tort.
Mais il écoutait en lui des voix pour nous inaudibles. Était-ce une illu-
sion ou une intuition ? Nous n’en savons encore rien.
Il est assez comique de voir combien cette capacité extraordinaire de
lecture de Suffert (il lit en un an ce que nous ne lirons pas dans toute notre
vie), l’amène à croire que la religion dominante actuelie serait que les
champs de force électromagnétique, faible, gravitationnelle et nucléaire ne
sont pas unifiables, alors que la question est de dépasser le modèle standard
en vigueur depuis les années 1970 qui attribue à l’électron une particularité
élémentaire.. . ce qui peut être controuvé par de prochaines observations, qui
suivront de nouvelles hypothéses provoquant des expérimentations. Scienti-
fiquement, ce qui est excitant, c’est que ceux qui aimeraient que les forces
s’unissent et ceux qui aimeraient qu’elles restent in-synthttisables, seront
tout aussi excites du résultat “final”, mais ils resteront les uns et les autres
dans leur vie ce qu’ils sont : bonnes ou mauvaises epouses, bons pères ou
égoïstes obtus, sportifs ou casaniers.. . tous resteront physiciens et se pose-
ront de nouvelles questions qui consolideront la nouvelle théorie, jusqu’a ce
qu’elle cède elle aussi. Ce qui nous amuse, en l’occurrence, c’est de voir
qu’un non-scientifique prenne les dernieres conclusions de la science, non
comme des ragots, ce qu’ils sont en fait à l’échelle historique, mais comme
des conclusions définitives. Mais on ne peut reprocher à Suffert d’affirmer

46 La sagesse populaire disait autrefois que dans les affaires de couples, « personne d’autres
que les conjoints ne tenaient la chandelle »... vérité qui doit être utilisée quand on analyse
ces situations. De ce point de vue, le modéle du genre : prudence et honnêteté, est l’ouvrage
de Day sur Lowry.
cela car il est journaliste et a donc toute raison d’écrire sur Einstein, et tant
mieux s’il incite ce faisant ses lecteurs B aller plus avant.
Einstein aurait d’ailleurs été d’accord avec notre interprétation - et ce
en toute humilité -, lui qui donna son cerveau à la science lequel s’est trouvé
sur le marché des antiquités américaines, comme un vulgaire caleçon de la
Reine Victoria chez Christie’s. La différence étant que la reine possédait
autant de culottes fendues que Madame Marcos de paires de chaussures et
qu’Einstein, comme tout un chacun, ne possédait qu’un cerveau, d’un poids
sans intérêt d’ailleurs.
La même question que nous abordons avec les journalistes est traitée
par Claude Le Cuen (1982 : 158) à propos des psychanalystes amateurs :
C’est le type même de remarques que peuvent porter des exégètes non-
analystes (ou des analystes pris dans l’idéologie de ceux-ci) et qui mé-
connaît que la psychanalyse ne se justifie et ne se comprend que parce
qu’elle est aussi et d’abord une pratique.

L.eterrain mis en zen

Le principe fondamental de la vie du wndo


est n d’apprendre en faisant N.

D.T. Suzuki. 1972, tome 1: 389

La pratique est un des points fondamental de la théorie zen, origi-


naire de Chine, le rch’an. Ce qui nous a amené à explorer cette voie a été
l’interview d’un chercheur qui en était un adepte. Le tch’an est mythique-
ment fondé par Houeï-nêng, simple charbonnier, qui était un illettré selon
l’idéologie du zen, mais que la force interne de sa pratique a amené à l’illu-
mination.
L’autre aspect qui nous avait intéressé dans cette école est le mépris
de la pensée discursive à l’occidentale, par l’intérêt porté à la pratique de la
méditation, sans laquelle tous les raisonnements greffés sont dénués de tout
intérêt :
Lorsqu’il {le zen] parle d’expérience personnelle, cela veut dire aborder
le fait de première main et non pas par un intermédiaire, quel qu’il
puisse être.
(D.T. Suzuki, 1972, tome 1: 18)

478
Enfin, un aspect souvent souligné dans les textes que certaines prati-
ques seraient « nocives » et renforceraient l’ego au lieu de l’annihiler. C’est
un des aspects qui est frkquemment souligné dans la littérature sur
l’illumination. Certaines pratiques, oubliant le but, privilégjent les moyens,
les prenant pour celui-la :
La pratique du samadhi, d’un autre côté, n’implique pas ce type de con-
centration [sur une bougie etc...]. Il est très important de réaliser cela.
Ces pratiques de concentration concourent largement à renforcer l’ego,
même si ce n ‘est leur but conscient.
(Chogyam Trungpa, 1976 : 160)
Alexandra David-NCel s’enfait d’ailleurs l’écho (1951 : 229) :
D’une idée très belle en elle-même, celle du sage qui initie le jeune
homme au résultat de ses longues méditations, le système de l’enseigne-
ment donné par le gourou en est venu à couvrir les plus absurdes prati-
ques et les plus grotesques individus. Ce n’est point que l’on ne rencontre
de respectables gourous, j’en ai connu, mais ils sont rares et ne souffrent
point de publicité faite à leur sujet.
Un autre point est l’acceptation du caractèreunique de chaqueexpé-
rience et de la nécessitéqu’il y a a la transmettrequand même,malgré cette
« infirmité » liée à cette richesse:
C’était inévitable, car chacun de nous possède sa propre expérience in-
térieure, qu’il lui faut expliquer dans des termes créés par lui-même et
qui varient naturellement en piofondeur et en étendue.
(D.T. Suzuki, 1972, tome I: 63)
Nous reconnaissonsqu’en écrivant cespages,nous allons à la limite
de la légitimitt du concept que nousexplorons, est-ce la mtditation qui est
le terrain du bouddhistezen ? Il noussembleque oui, maispasseulement.Il
y a toute cette école de penséequi fait que ce ‘terrain’ n’est pas un terrain
vécu «au ras des pâquerettes» mais au contraire nourri par un but :
l’illumination.

Les maîtres du zen donnent 1 leurs élèvesdes problèmes,dits koan,


qui ont la particularité d’être logiquementinsolubles.Celui que nous préfé-
rons est celui-ci : “on sait le bruit que deux mainsfont l’une contre l’autre,
et le bruit d’une seule main, quel est-il ?” L’objectif de ces koan est
d’amener l’tltve a l’illumination. Un jour, par hasard, parce qu’on lui a
écrasélesdoigts dansla lourde porte du monastère,ou parce qu’il a entendu

419
un bruit, ou parce qu’une musique lui est venu de l’âme, ou encore parce
qu’il a compris le problème, l’élève à son tour est saisi par la connaissance
fulgurante de l’illumination.
Il comprend qu’il n’y avait rien à comprendre et tout lui est désor-
mais simple, au-delà de toute connaissance inutile.
Nous avons souvent tenté de comprendre ce qui faisait que cette il-
lumination devait être permanente. Nous n’avons jamais eu de réponse. La
question ne paraît jamais être posée. Là, selon nous, est la difficulté. Le
terrain aussi illumine celui qui a compris ce qu’il est, mais son effet ne dure
pas, et nous sommes bien conscient que celui de l’illumination ne dure pas
davantage, On peut se dire que la pratique endurée pour l’obtenir permet de
l’assumer comme pratique par la suite pour que son effet perdure :
Nous devons nous souvenir que le Boudha subit cette discipline SOUS la
direction de ses deux maîtres.. . et même après son illumination, il fit de
cet entraînement aux exercices du dhvâna une règle pour ses disciples.
(D.T. Suzuki, 1972, tome I : 174)
Le terrain, lui, ne permet pas cela parce que nous nous trouvons de-
vant un phénomène qui n’implique pas uniquement celui qui le vit mais
aussi ceux avec qui il se « fait ». On sait également que certaines illumina-
tions sont « ratées », et 1’Cpouse de Shunryu Suzuki se moquait de son mari :
un jour qu’on lui faisait remarquer que le maître ne parlait jamais de
l’illumination, « Tout simplement parce qu’il ne l’a jamais connue ! », ré-
pondit-elle 47.
Nous verrons que le problème se pose à l’identique pour la psycha-
nalyse, mais avant, nous voudrions donner les grandes lignes d’une recher-
che que nous avons engagé sur les arts martiaux japonais, auxquels nous
nous étions intéressé parce que nous ne comprenions point comment se
faisait la victoire dans les arts les plus violents, où tout coup port6 est mor-
tel, quelque soient les protections utilisées, qui ne font qu’écarter les risques
d’accident. On dit en kyodo : Un sabre, une vie. Le combat devrait vite

47 Huston Smith. in Shunryu Suzuki, 1977 : Il. II continue ainsi son récit : le Roshi
(Shunryu Suzuki) fir mine de lui donner une tape de son t?venrail avec consrernarion et
chuchota le doigt sur les kvres : n Chu1 ! Ne le lui dis pas ! N

480
cesser faute de combattants. Pourtant tel n’est pas le cas et il ne nous paraît
pas anodin de voir comment une pratique a pu résoudre la difficulté.

L’action simulée dans les arts martiaux 48

La lecture des revues d’arts martiaux qui paraissent en France est


pleine d’intérêt. Nous y recherchions ce qu’un adepte de ces arts avait ré-
pondu à notre interrogation : comment se fait-il qu’il y ait des combats
quand la technique suppose que le vainqueur tue le vaincu ? Comme disait
les grands maîtres du sabre : un sabre, une vie. Nous y avons trouvé une
réponsequYaurait pu figurer dansle chapitre de la simulation, mais nous y
avons rencontré tout un débat sur la vérité et la sinckrité. Sortant de la pure
pratique (et de l’esprit qui les anime), ces revues dérivent parfois sur les
fantasmesdesrédacteurs,desdisciples, ou de certains maîtres, qui ne doi-
vent rien à Guy Delage le nageurtransatlantique.Certains dCliressont risi-
bles : ils font appelà la physiquemodernepour justifier la force de l’esprit et
parodient (sansle vouloir certes)les thèsesdu jésuite Nédoncellequi fondait
la preuve de l’existence de Dieu sur la communication des consciences4g.
Voici ce qu’en dit le très sérieux Karaté (no 105, 1984) dans un article
intitulé Aïkido :

L’enseignement du Koto-Tama inclut une vision messianique, Mais il y a


aussi, si vous voulez, un département de l’étude des sons, une vision his-
torique et même thérapeufique.
. ..
Mais il y 4 plans pour rejoindre la vie : 0U.O.A.E. Si vous prenez le
Chant du Bouvier, qui est une façon occitane très ancienne que me
chantait ma grand-mère quand j’étais petit, à l’intérieur de cette chan-
son, vous retrouverez des brides du Kota-Tama.

Le Kota-Tama était il y a 4 000 ans encore enseigné au Japon,


.. .
Le plan de A, plan du cœur, de l’expansion est encore plus élevé. Dans la
pratique, c’est l’artiste qui subit plein d’influentes, qui va vers le grand,
le beau, le vrai, qui cherche mais qui n’a pas la clé, le principe se situe
au plan de E, c’est le plan de l’initié. C’est Jésus, par exemple, un

48 Nous devons à Pierre Juvincq les informations ainsi que le prêtgénéreux de sa documen-
tation et de revues sélectionnCes du budo : Karurd et Bushido.. . Nous le remercions de nous
avoir aidé à sélectionner les textes les plus interessants pour notre thèse et de nous avoir
Bclairk cette voie dont il est des pratiquants qui I’honorent.
49Lu communication des consciences, 1950.

481
homme-Dieu. Un homme qui a réalisait la quinteessenceen lui. Mais il
faut rapprocher ces 4 capacités d’une époque, étant donné que chaque
époque est placée sous une voyelle et notre époque actuelle (ère de la
discorde) est placée sous le domaine du Dieu OU.
(Serge Mairet, L’art du Budo : 103 : 25 )
Le lecteur va peut-être nous demander la clef de ce charabia mystico-pédant,
nous ne l’avons pas, si elle existe elle n’existe que dans la tête de Michel
Soulenq, président-fondateur du CGERCCE 50, D’ailleurs il terminera avec
la tarte à la crème des temps moderne où tout est dans tout et réciproque-
ment :
Le professeur Charron ji, qui a étudié le Koto-Tama, a des théories qui
sont celles des physiciens modernes. Pourtant rien n’est plus rationnel
que la physique mais il commence à parler de ;a sentimentalité des ato-
mes.

Une des dérives amusantes qui apparaît dans l’examen des arts mar-
tiaux est le délire de certains des méthodes qui vont à la limite : au départ est
le combat, ensuite la technique pour en obtenir plus sarement la victoire. La
reconnaissance du mental/moral (pour ne pas dire moralité) dérive sur une
pratique liant le corps et l’esprit, la technique et l’idée, l’intérieur et I’exté-
rieur jusqu’à la fusion du geste et de la pensée. Ensuite, et alors seulement,
commencent les dérives. La première est séduisante, c’est celle qui amène à
une conception haute de la pratique : par la pratique (du sabre, de l’arc, du
bouquet, du service à thé . ..) l’homme s’élève jusqu’à la maîtrise de soi.
Quelque soit la voie choisie, elle mène A la sainteté. Tous les chemins mè-
nent ?IRome, comme l’a ironiquement illustré Boccace.

j” Groupe culrurel d’etudes et de recherches sur la coordination du corps et de l’esprit. Le


rtdacteur de KururC donne les précisions suivantes : Le mouvement -qui regroupe de
nombreux scientifiques et des personnalitds comme Olivier Giscard d’Estaing, frère...,
Jean-François Delon, rkalisareur, frère... etc.
” Nous parlons bien du Pr Charron, pas du Pr Choron, l’article n’est nullement humoristi-
que, nous rassurons le lecteur du sérieux avec lequel est écrit cet article, qui va mélanger
allègrement les Cathares, la physique du Pr Charron, le mysticisme, les religions, les arts de
combat.. , Une véritable symbiose pour notre temps, qui d’ailleurs s’achève car cette civili-
sation marérielle arrive à sa fin, et que Maître Nokazono nous dit que vers 2011 nous
verrions de trPs grands changements qui commencent à s’opt?rer. La comète Bopp-Hall
n’élait-elle donc que l’étoile annonciatrice de ces changements ?

482
Ensuite, dérive obligée pour les pratiques mortelles de sports de
combat, on en arrive à ne pas toucher l’adversaire : un sabre une vie. On est
dans une phraséologie de western; américains où les tireurs les plus rapides
s’entretuent. On est donc obligé d’élaborer des situations «canada dry »,
« comme si », simulant le réel mais ne le reproduisant pas. Ce qui amène des
ripostes de pratiquants honorables un peu vexés de voir leur pratique per-
vertie : Yarnada Jorokichi (1863-1930) dCclare ainsi :
Après la mort de mon maître [Sukakibara Kenbichi, 1829-18941, la voie
du sabre semble avoir perdu l’essentiel car, bien que les pratiquants
soient nombreux, l’art d’aujourd’hui est décalé de son principe et n’est
pas digne du véritable kendo . . . J’invoque cependant les dieux pour que
le kendo japonais renaisse et que son essence trouve un prolongement.
Il cite le grandmaître du sabreToru Shirai (1783-1850) :
Il y a autant d’adeptes du sabre que d’étoiles mais ils s’étiolentpresque
tous à partir de 40ans. Si la voie du sabre ne dure qu’au moment de
l’épanouissement de la force physique, elle n’est pas fondamentalement
différente du combat de coqs. Je pensais que c’était le comble de la stu-
pidité d’avoir consacré vingt années de ma vie à une chose aussi déri-
soire . .. J’avais alors vingt-huit ans.
Et Toru Shirai va ainsi rallier l’&cole zen pour atteindre l’illumination à
trente-neuf ansqu’il définira comme: fusion totale de l’énergie,ki, du sabre,
ken, et du corps, fui. C’estdonc par le dimensionspirituelle que le budo se
confond avec la vie.

Que la pratique des arts martiaux, comme toute autre pratique hu-
maine, finisse par être dévorée par les conflits de pouvoir et les jalousies
interindividuelles, apparaît à la lecture desétudespubliées.La situation de
l’aïkido esttrès éclairantede ce point de vue.

L’aïkido est divisé, il ne cesse d’y avoir des confitss2.

Mais ces divisions sont inhérentesà une technique qui ne veut/peut aller
jusqu’àla confrontation finale qui verrait un desdeux adversairemourir au
combat. Pourtant les structures(voies) différentes, tiennent plus aux techni-
quesqu’aux conceptionset :

s2 Maître Nocquet, 61éve de Ueshiba, frbre ennemi de maître Tamura, autre 61éve
deUeshi-
ba, qui abondera dans le même sens.

483
Finalement, les experts sont toujours d’accord, eux ils font de i’aïkido,
les diffërences tiennent aux différences morphologiques plus qu’à des
différences de conception fondamentales’.
Au contraire, certains ne veulent pasimporter descésureset leursconflits au
seinde leur école :
J’ai peu d’klèves mais ils sont fidèles, je ne veux pas faire miennes les
querelles intestines qui secouent les arts martiaux dans le monde actuel.
(Sensei Chibana)
Tous les grandsmaîtres reconnaissent(Nocquet, Tanura, Chibana .. .) qu’il
est normal que leurs élèves aillent voir ailleurs. Car le but d’un vrai maître
est de faire que l’élève devienneun maître, commele but, la raison d’être du
tuteur est de faire que l’arbre deviennefort et indépendantde lui. Ils ne sont
I&que pour aider l’élève à être soi-mêmece qu’ils sont : uniqueset forts.

Un autre point desdébatsnousparaît important pour notre recherche,


il s’agit de la sincérité de la pratique. Car la pratique renvoie au réel et aussi
à la sincéritéde l’être qui la pratique. Le terrain demande&être réalisé,mais
si on n’a pasenvie d’en faire et qu’il faut quandmêmey aller, on peut dC-
vier l’obligation vers des “actions molles”. La sincérité et le mensonge- la
dissimulation- est donc un dilemme que l’on rencontre dans les textes sur
les arts martiaux. Deux exemplessont éclairants:

Le premier (Bushido,no 1986,janvier 1986: no 26) est une interview


de JacquesQu&o où sesentla mystification.

l C’està proposdu HIGI, techniqueaffirmée secrèteoù c’est la puissance de


l’esprit qui semanifesteselonQuéro et où le détenteurde cette technique

bloque toute attaqueadversepar le seul mental.Une action à distancesur


les hommes,comme d’autresprétendent, sansprestidigitation et par la
seuleforce du mental, tordre A distance la matière, une petite cuiller où
je-ne-sais-quoid’autre. Il est intéressantde regarder ]a photo qui prend
une allure d’instantanéd’un faux combat. On ne croit pas au combat car
ce n’estpasdesactes: le dénomméQu&o « bloque » un de sesélèvesqui
tient son sabrelevé. Il le fige dansune statureagressivede super-marché.

” Interviews communes de Messieurs


Nocquet
et Tamura, in Bushido, n”8, 1984.

484
La photo révéle que ni l’un ni l’autre n’y croient (ia maîtrise des corps’ a
laissé parler les visages) 54.

l Au contraire, dans un autre article du Bushido (no 12, 1984 : 27 et 33),


sur Mitususuke Harada, on voit la sincérité des échanges entre les deux
combattants concentrés sur leurs actes (et sur l’une des photos le corps et
le visage tordu de douleur de l’élève de Harada n’est pas de la simulation).
Au niveau du texte, les deux interviews sont aussi contrastées : celle de
Qu&o est pure langue de bois, celle de Mitususuke Harada est, elle, d’une
franchise brutale. Ainsi, Quéro affirme avoir une dCmarche personnelle dans
le HIGI mais ne relève pas que son interviewer, lui, signale qu’il n’a aucun
scrupule à la monnayer publiquement. De même, il déclare que - sinc6rité
n’a pas besoin de vérification extérieure, aussi ne prend-il pas un cobaye
inconnu puisqu’il n’a rien à prouver. Admirable raisonnement circulaire tels
que ceux fabriqués par toute pratique sans valeurs. Pour Qu&o, il est donc
valide de procéder à ses blocages mentaux d’attaques au sabres avec ses
propres élèves, puisque, de toute façon, avec des inconnus cela marcherait
aussi. Etc.
Par contre, la sincérité de l’interview réalide avec l’autre maître des
arts martiaux est claire. On est loin de toute phraséologie. L’intervieweur le
questionne sur un maître :
Pourquoi F. S. n’a-t-il pas stoppé ces pratiques si cela ne correspondait
pas à ce qu’il avait enseigné ?
Mitususuke Harada : Il était très âgé... il était presque sénile...
Mitususuke Harada a des jugements tranchés sur le laisser-faire et
« l’amateurisme total » qui devient monnaie courante avec la commerciali-
sation due au succès des arts martiaux.
Le judo a été pour moi une passion. Je dois dire que le judo tel qu’on le
voit actuellement me navre.
À ce propos le maître Kano m’a fait part d’un entretien qu’il avait eu
avec le baron de Coubertin. Celui-ci avait proposé de poser une candi-
dature pour que le judo soit reconnu comme discipline olympique. Le

y Le rtdacteur de l’article se fera I’tkho des reproches adresses à Quéro par la


«profession » : c’est des techniques d’hypnose au mieux, de la mystification au pire. Rap-
pelons que c’est ce type de reproches qu’adressent les maîtres zen A certaines pratiques
« perverses », ou perverties.

485
maître avait répondu que cela lui était impossible car le judo n’était pas
un sport. Pour bien exprimer son idée, il aurait dit à son interlocuteur :
«En France, vous avez sur tout le territoire un grand nombre d’églises
qui sont des lieux spirituels. Le judo pour moi est une église car il ensei-
gne comme ces lieux de culte, un sens moral à l’homme.
(André Louka, 1986 : 41 *s)
Avoir peur, craindre une situation est une marque de connaissance.
Ceci est remarquépar les maîtres du kendo, et les militaires de toutes les
nations: n’a paspeur celui qui ne comprendrien, ce n’estpasune preuve de
couragemais d’inconscience.La peur est un signede bon sens56et de pru-
dence.

Commetraité d’une pratique, de l’esprit qu’elle réclameet de celui


qu’elle donne, la voie des arts martiaux correspond remarquablementà
certainesde nosinterrogations. On y a mêmela deviation de la pratique, au
nom de l’esprit qu’elle donne, vers une idéologie, de type syncrétique bien
souvent,puisquepris en chargepar certainsindividus ceux-ci y coulent leurs
fantasmeset ce qui leur sert de pensée.Venons-endonc maintenantà ce que
l’on peut dire desliaisonsentre psychanalyseet terrain.

Terrain et psychanalyse

De nombreux auteurs, dont les plus grands, comme Lévi-Strauss,


traitent le terrain commeune analyse.Ils le mettent comme une étape initia-
tique qui donnerait un connaissancedont l’usage serait indefiniment recy-
clable dans les étudesen cabinet qui seraientfaites ensuite. Pour explorer
cette voie, nous avons donc pratiqué une analyse.Nous ne traitons pas ici
desrapportsentre psychanalyseet anthropologieou toutes ces autresétudes
de grand intérêt que nous citons en bibliographie (Georges Devereux en
particulier, l980), mais nous analyseronsles rapports entre la théorie psy-
chanalytique et l’analyse elle-même,la cure, dite aussile divan, Nous avons
en particulier trois auteursqui en ont parlé avec une grande intelligence,
faisant la distinction entre Ie divan et la théorie, commedeux momentsliés

” Le moîrre Mochizuki raconte, Bushido, n” 26, janvier 1986.


” Le ManSchaI Ney disait : Qu’on m’amène celui qui dit qui ne connaît pas la peur, je la
lui foutrais moi !

486
et disjoints qui n’autorisent pas un simple glissement de l’un à l’autre : il
s’agit d’Oscar Manonni (1981 & 1982), Claude Le Guen (1982) et Serge
Viderman (1992). Nous ne disons pas que d’autres auteurs n’en ont pas
par& d’une manière directe ou indirecte (et nous citons certains de ces
ouvrages en bibliographie), mais il nous semble que nous pouvons nous
arrêter à ces auteurs pour affirmer que le corpus des textes (Freud, Klein,
Reich, Deutsh, Kardiner, Lacan...) ne recouvre pas l’expérience originale
que donne le divan et l’espèce de liberté intérieure qu’elle fournit au sujet.. .
si elle est réussie. Car, comme la pratique de la méditation peut avoir des
condquences sauvages imprévues 57, les psychanalyses ratdes reconstruisent
l’ego dans un sens assez peu favorable aux rapports sociaux heureux. II nous
semble que l’étude réalisée par François George, L’effet y’au d’poële est
parfaite sur le problème ,
Le lacanisme fournit un spécimen de choix. Si, tout doucement, sa théo-
rie commence à prendre le charme désuet des dentelles de Paris jaunis-
santes, venant s’éteindre dans les quiètes délices des à-côtés universitai-
res, sa pratique, elle, tend à se caricaturer elle-même et accroît la viru-
lence de ses effets et de ses contaminations.
(Le Guen, 1982 : 277)
Nous avons donc là deux moments très différents d’une science, si la
psychanalyse n’est une science c’est du moins une pratique scientifique :
celui des textes et théories et celui d’une pratique, qui présente suffisam-
ment de points commun avec celle du terrain pour que sa relation soit si
souvent citée par les auteurs de disciplines attachées à la validité du terrain
comme pratique scientifique. C’est d’ailleurs selon nous la faiblesse des
critiques énoncées, à propos de la psychanalyse, par René Girard qui reste
trop au niveau des textes. Nous appuyant sur les analyses fécondes de Gi-
rard, nous pensons que si Freud a tant « manipulé » ses thèmes théoriques,
c’est en parce qu’il avait cette permanence du « terrain » qu’étaient les
analyses qu’il suivait. Le Guen (1982 : 22) a raison d’insister sur le fait qu’

s’ D.T. Suzuki, 1972, met en cause les pratiques de concentrations visuelles (sur une bougie
par exemple) comme ttant lourdes de conséquences psychologiques néfastes ouvrant la
porte à des comportements pathologiques. On trouvera aussi chez Lacarrihre (1975) des
critiques adressées par les mystiques sur des expgriences mystiques qui sont de l’ordre du
pathologique et pas de l’adoration du divin. Choggyam Trungpa (1976 et 1979).

487
Une psychanalyse limitéeà sapratique (...) n’est plus qu’un bricolage
de guérisseur vite condamné à se dégrader en sous-produit médical.
Ce qui nousparaît, soit dit en passant,tout à fait le casdes« travaux » médi-
CO-médiatiques
de Tobie Nathan. il nous remet à l’esprit cette remarquede
Freud à proposde Jung. Freud sedemandaitsur quelle pratique Jung pouvait
fonder de tellesthéories.
Danssonouvrage et sesarticles Tobie Nathan voit bien la paille dans
l’œil de sesvoisins maisresteaveugleà la poutre qui lui voile le regard.Une
analysede détail montre que sa pratique ne correspondpas ?I sesdires et
qu’il interviewe les maladesqui lui arrivent en français au contraire de ce
qu’il laissesupposer.Tobie Nathan (1993 : 50 et sq). On est toujours le
« professionnellementnul de l’autre », Tobie Nathan,ethnopsychanalyste,se
moquedonc de ceux qui n’utilisent pas le truchementd’un interprète et ne
se font pas contraler, quand ils reçoivent des passantsmigrants, par un
locuteur externe à la relation médecin-malade.Mais qui ne voit pasque cela
ne règle paspour autant le probléme? L’observation est saine,mais pour-
quoi la transformer en un absoluquand on sait très bien que c’est souvent
impossible? Nathan dispose-t-il ainsi d’un infirmier qualifié linguistique-
ment et en matière de santémentale,a chaquefois qu’il reçoit un malade ?
Pasdu tout. Il est désagréablede voir ainsi desaffirmations qui en première
approchesont des affirmations d’ouverture (vers l’autre étranger)et qui sont
en fait des actesde terrorisme. En fait, on prend une pratique stupide, iégi-
timée ou non, historiquementou par la situation, pour Enoncerune évidence
qui paraît alors un trait de génie. C’est bien le cas d’un psychiatre recevant
aujourd’hui un Antillais seul à seul, alors que son hôpital regorge
d’infirmiers desîles, ou un médecinfrançais recevant à l’hôpital de Dakar-
Fann un maladesCnégalais..
., mais mêmeavec un interprète qui n’est pas
formé, on se demandebien de quoi il retourne en tant que relation psycha-
nalytique par rapport à la norme actuelleacceptéepar la profession.

Je ne parviens toujours pas à comprendre comment des cliniciens ayant


baigné dans une ambiance psychanalytique, comme le sont tous les psy
chopathologistes aujourd’hui, peuvent encore recevoir des patients mi-
grants, même s’ils parlent correctement le français. en note :[en note :

488
surtout s’ils parlent correctement le français] sans l’aide d’un interprète
capable de discuter les connotations de tel mot, le paradigme de telle
idée ou de telle représentation.
(Tobie Nathan, 1993 : 50) ”
Nous sommestout à fait d’accord avec l’observation, ainsi que nous
le signalonsdansles questionsde l’enquête commerelation culturelle, mais
il n’est pasintéressant,sauf a préciser les dégâtsfaits par cette pratique, de
stigmatiserune pratique professionnelle,dont, de toute façon, il n’y a pas
grand choseà en attendre si elle est pratiquée par des imbéciles ou sur des
gensque leur situation socio-économiquemarginaliseet que la sociététraite
commedes déchets.Le scandalen’est pas de savoir qui tient la chandelle
dans une relation qui n’est qu’un pis-aller donnant bonne conscienceaux
humanistes.

Par ailleurs,Tobie Nathan (1993 : 56-57) va tirer argumentde ce que


la relation thérapeutiquese déroule en un huis-clos à deux pour expliquer
qu’il n’y ait :
.,. aucun corpus incontestable -publié et donc réfutable - de séances
psychanalytiques.5q.
Nathan est un cas bien intéressantde déport desréglesde validation
de la physique vers les sciencessociales,en l’occurrence la psychanalyseou
l’ethnopsychanalyse.Il voudrait avoir un corpusd’observationset un corpus
de concepts d’interprétation indiscutables,quand on n’est pas certain que

cela existe vraiment pour les autresdisciplinesqui lui servent de modèles.


Sans parler de l’astronomie et de son Big Bang, on voit bien qu’un sol
n’existe pas indépendammentdesméthodesmisesen œuvre par un pédolo-
gue pour le décrire. Les descriptionsd’hier perdent beaucoupde leur sens
aujourd’hui. Aujourd’hui, on le découpeen ions, cations, et molécules, mais
demain, il sepeut que cette mtthode soit dkpassée,même si, et on en con-
vient aisément, les descriptions physiques d’un chimiste sont plus
« objectives >>que les descriptions faites par un psychiatre a propos d’un
malademental. Mais lessciencessocialessont ainsi.

saOn noteraquela virguleestbienPlac&e


après
aujourd’hui, pasavant,cequi affaiblirait
notrepropreargumentation.

489
Après cette critique un peu emportée de Tobie Nathan, nous allons
cependant souligner son apport. 11donne quelques raisons très pertinentes de
l’échec de la validation de la cure thérapeutique, et certaines des raisons sont
suffisamment transdisciplinaires pour qu’on les reprenne ici (56-59) :
l pas de corpus d’interprétation, les inductions faites ne sont pas normées ;
l absence de témoins lors de la relation (mais cela ne règlerait pas le pre-
mier point selon nous) ;
l les concepts sont trbs généraux, globaux, grossiers ; on ne peut analyser
le détail. Il n’y a pas de concepts de détail, on doit se contenter de grands
‘mots’ comme inconscient, refoulement.. . ;
l les concepts ne permettent pas de mettre en œuvre une véritable stratégie
de recherche (Nathan pense que c’est impossible et nous aussi) ;

l l’observateur induit dans l’observation un vécu qui l’empêche de dépas-


ser ce qu’il observe sauf à sauter dans l’inconnu (Nathan déclare exacte-
ment : il existe une distance énorme entre le déroulement d’une séance et les
concepts censés en rendre compte, page 58) ;

l l’observation est faite par des observateurs qui se ‘versent’ pourrions-


nous dire, avec leur être toute entier dans l’observation, influe sur l’autre par
son être propre (langage gestuel, paroles...), par la spécificitb de
l’expression qu’il donne à ses observations. Dans la situation d’analyse, on
comprend bien, selon qu’il réponde «Vous vouliez coucher avec votre
mère », « Tous les petits garçons veulent coucher avec leur mère », « Votre
mère », (et cela en mettant des formes et intonations interrogatives, interro-
négatives, réprobatives ou jubilatoires, on voit bien l’effet sur le patient.)

En sciences sociales, en général, cela reste valable et se manifeste


SOUS la forme de ce ‘contre-transfert culturel’ de l’observateur sur une situa-
tion qui n’appartient pas au corpus bibliographique et est donc dévalorisée,
surtout en situation interculturelle aggravée (où le clivage technique, scienti-
fique se double d’un clivage de cultures) quand la parole de l’autre est tota-

59Le grand mot poppdrien est lâché : ‘réfutable’.

490
lement dévalorisée. Ainsi le psychiatre méprisera-t-il l’interprétation d’un
marabout comme ‘magique’ quand la sienne propre l’est tout autant. Ou
bien elles ont un même rapport, quoique pas Cquivalent, avec la connais-
sance rationnelle, et, dans certains cas, le plus irrationnel n’est pas celui
auquel on pense).
La véritable question est l’instrument en sciences sociales,
l’instrument est très souvent strictement humain, donc, en aucune manière,
calibré, calé, étalonné.

La liaison de la pratique psychanalytique avec la question du terrain


se fait en de multiples raccordements, en partie parce que le terrain est un
bien commun à toutes les sciences sociales, en partie parce que la relation
psychanalytique est de toutes Ies autres pratiques, de concert avec
l’anthropologie, celle qui pose le mieux trois questions :

l la question de la sindrité de l’acteur qui pose celle de la validité de son


observation ;
l la question de l’observateur comme instrument ;
l la divergence entre le corpus théorique qui justifie l’observation et son
(in)adéquation au réel observé.
Enfin, nous restons, ici aussi, « douteux » comme diraient les Con-
golais, sur la permanence de l’effet de « liberration intérieure » que donne
l’analyse. Ce qui nous amène à reposer la question, que nous ne resoudrons
pas mais que nous ne pouvons pas ne pas citer : est-ce qu’un terrain suffit à
un scientifique qui pratique une discipline centrée sur le terrain, pour rester
en permanence en éveil ?

L’écrivain et le terrain

D’autres pratiques pourraient être analysées, celle qui règle


l’élaboration de la jurisprudence en regard de la loi, et celles, plus scientifi-
ques des différents rapports que des sciences entretiennent avec la pratique,
le terrain et l’expérimentation, mais nous limiterons définitivement nos

491
incursions sur la question de terrains réalisés par des auteurs littéraires.
Nous allons choisir deux auteurs, non pas Zola, ou un autre auteur natura-
liste, mais John M. Synge, 1902.
C’est sur les conseils du pobte Yeats que Synge, impécunieux Irlan-
dais de passage à Paris, et ayant étudié l’irlandais au Trinity College, va aller
aux îles d’Aran à cinq reprises en 1898-1902. Il en rapportera une relation
de la vie sociaie, où il s’implique avec beaucoup de finesse et nous donne
bien 3 sentir et comprendre ces îliens, dernier isolat d’une Europe qui se
modernise. C’est une étude de géographie sociale, qui ferait toujours hon-
neur dans la littérature géographique de notre temps. Ce qui est a noter c’est
la motivation que présente W. B. Yeats dans son Autobiogruphie :

Je le pressai d’aller aux îles Aran pour y trouver une vie qui n’eût pas
été exprimée en littérature.
On croirait lire les conseils d’un professeur de la Sorbonne : « Allez voir les
***, personne n’y a jamais travaillé ! » Et effectivement aux îles Aran,
Synge trouva le bonheur et acheva son ouvrage, peu de temps avant
d’achever sa brève vie, durant le dernier séjour qu’il y fit. Il y avait échappé,
selon ses propres termes :
... à la sordidité des pauvres et à la nullité des riches.
Ne croirait-on pas lire les motivations principales des candidats aux
voyages ? De même, c’est la permanence contre les changements dont il ne
vnlait pas la peine de traiter ici que Synge va privilégier :
Les autres îles sont plus primitives, mais elles subissent elles-mêmes
beaucoup de changements dont il ne valait pas la peine de traiter ici.
(Synge, 1902 : II)
On trouve, ce qui est normal de la part d’un Irlandais, beaucoup
d’humour “. Cependant, la description de l’observation participante d’un
homme qui explique comment il lui a fallu chercher et construire sa place

M,Par exemple : La pluparr des krrangers qu’ils voienr dans les îles sont des gens qui
étudient la philologie, et ils ont étP amenés à conclure que les &udes linguistiques, parti-
culièremenr I’hde du gaëlique, sont la principale occupation du monde exrérieur. (1902 :
31).

492
chez les îliens, comment il est impliquC dans certains épisodes de leur vie, et
qui raconte des gens qu’il considère comme ses contemporains et des com-
patriotes, et non comme des bêtes curieuses (comme pourrait parler Bécas-
sine qui, lorsqu’elle « s’y met », constitue un bon modèle des ridicules de
certains de nos Trissotin de l’ethnographie). Au fond, ce n’est pas tant par le
contenu que ce livre ne paraît pas pour ce qu’il est : un compte-rendu ethno-
graphique, mais par son regard, tout de modestie et de délicatesse, d’humour
et d’humilité, de distance et d’implication, mais c’est par ce regard qu’il
mériterait d’être un modèle de rédaction. Car l’objectif de Synge était pure-
ment littéraire. Il cherchait un sujet, et Yeats lui en procura un.
L’ethnographie par surcroît. Ainsi Synge est stupéfait de voir le degré de
réflexion de gens qui paraissent complètement sous l’emprise d’une culture
orale, mais d’une culture. Et l’on trouve des notations qui rappellent les
désirs enfouis de Malinovski :
L’absence complète de timidité ou de gêne chez la plupart de ces gens
leur donne un charme particulier et, quand cette belle jeune femme se
penchait sur mes genoux pour regarder de plus près une photographie
qui lui plaisait, je ressentais plus que jamais l’étrunge simplicité de la
vie de l ‘fie. (8.5)
A certains t!gards ces hommes et ces femmes semblent être étrangement
loin de moi. Ils ont les mêmes émotions que moi et que les animaux, et
pourtant, alors qu’il y aurait beaucoup à dire, je ne peux pas leur parler
davantage qu’au chien qui gtmit aupr2s de moi dans un brouillard de
montagne.
Je ne puis passer une heirre auprès d’eux sans ressentir le choc d’une
idée inimaginable, et puis, peu après, le choc d’une vague émotion qui
leur est familière comme à moi. (931
Comme tout bon ethnologue, Synge caresse le rêve d’une virginité des
premiers temps de 1’humanitC :
Ces distinctions existent aussi dans l’île du milieu, mais là-bas elles
n’ont pas eu d’effet sur les habitants, parmi lesquels règne toujours une
égalité absolue.
. ..
II y a un humour fantasque et parfois effréné dans l’île du milieu, mais
jamais ce rire allant jusquii l’extase à demi-sensuelle. Peut-être un
homme doit-il avoir un sentiment d’intime détresse, inconnu là, avant de
se moquer du monde aussi railleusement. (128)
On peut se demander pourquoi ce livre est aussi fort alors que son
auteur avait un objectif totalement littéraire. Il nous semble qu’il a été trans-

493
cendé par son sujet ; une correspondance s’est établie entre lui, ces îles et
leurs gens. Et, c’est malgré la littérature qu’il en est arrivé a faire cet ou-
vrage d’authenticité.
Le Clézio a été de ceux qui ont tenté de passer de la littérature à
l’anthropologie. Son ouvrage sur le Mexique (1971), qui fut un succès de
librairie, prouve bien que l’on ne s’improvise pas anthropologue. Un autre
ouvrage, sans prétention, est plein d’intérêts pour notre propos. Il s’agit de
Voyage à Rodrigues, journal (1986), qu’il a tenu pour la documentation
rassemblée pour son roman Le chercheur d’or (1989). Il s’agit là d’un vrai
journal de terrain, ce qui nous permet d’insister sur le fait qu’un journal ne
se tient pas pour soi mais en vue d’un travail. C’est cette adéquation qui lui
donne tout son inttrêt. D’autres récits de terrain pourraient ici montrer la
validité de cette affirmation comme celui de John Steinbeck, Voyage avec
Charley (1995). Ce qui est intéressant dans la comparaison qui s’impose ici,
c’est que le voyage avec Charley (qui est le caniche français de Steinbeck)
est un journal destiné à être publié dès avant la fabrication du voyage, alors
que celui de Le Clézio a Rodrigues est un journal qui se révèle a posteriori
« publiable », (même si’ Le Clézio a pense le publier dès le début, il n’a
sîirement pas oublié que son travail principal était romanesque),
Le «travail de terrain » des écrivains est toujours un des grands su-
jets de discussion des amateurs de littérature. Certains critiques louent les
livres pour correspondre à la vie de leur auteur, ainsi ht-on a proposde Jack
London :
.. ses livres sont une autobiographie à peine romancée.
Il est le romancier qui a vécu ses livres.
(Francis Lacassin, 1994 ‘t)
Ce qui est un non-sens, car un livre de littérature est d’abord un livre
d’écriture, pas un livre fondé sur la restitution du réel extérieur. Surtout si
l’on sait que Jack London fut accuse de plagiat car il achetait quelquefois les

” Jack London, deFrancisLacassin,Éd Bourgeois,


1994; critique de Eric Ollivier. Le
Figaro du 12X.1994.

494
sujets de ses livres à d’autres, ses copains, pour les aider, parce qu’ils lui
convenaient., .
Il accumulait lucidement toutes, les expériences et recueillait tous les té-
moignages à sa portée pour en faire le miel de son œuvre.
Mais Lacassin doit reconnaître que ce que vise London, tout comme ce que
vise Zola, ce n’est pas la vérité ethnographique, c’est la vérité littéraire
Mais il croit au roman, il ne se contente pas de conter et de rendre la
réalité vécue. Il sait qu’il porte des romans très forts.
La question est de vivre et pas seulement d’écrire, et alors on est en face de
cas et de choix individuels :
Un ecrivain doit avoir pratiqué d’autres métiers. Si vous ne faites
qu’écrire des romans, vous vous tournez de plus en plus vers vous-même,
vous ne voyez ni les gens ni ce qui se passe autour de vous.
(Robertson Davies, canadien âgé de 82 ans, Le Monde, 1995)
Mais certains, comme Proust, n’en ont pratiqué aucun, de métier... Le cas
est plus subtil avec Jules Renard qui lui est effectivement B la limite de
l’ethno1ogie62 ; comme d’ailleurs pour Les fies d’Aran de Synge.
Ce qui permet à Éric Ollivier de conclure :
London, dit Lacassin, c’est la littérature de vérité, servie par un œil
d’ethnographe ; « une tranche de vie saignante qu’on jette à lafigure du
lecteur.
On ne pouvait douter que l’occasion ne soit pas saisie pour confon-
dre litterature et sociologie, car c’est toujours ainsi que l’on procède sitôt
que l’on n’a pas une définition esthetique de la litterature, mais une défini-
tion logiquement informative. Rappelons que Flaubert ayant le projet
d’écrire un roman sur le second Empire, Zola lui demanda s’il était parvenu
a s’introduire dans ce monde, et Goncourt de ricaner dans son journal
(1877), oubliant que Flaubert ne manquait guère d’expérience en ce qui
concernait l’Empire, depuis la cour impériale jusqu’aux filles de joie :
Flaubert prend maintenant l’habitude de faire ses romans avec des li-
vres.
Nous sommes bien d’accord avec Pierre Mertens qu’il y a toute une
partie de la littérature qui est informative, indépendamment des sens esthéti-

495
ques et autres sens complexes que les formes modernes d’analyses stylisti-
ques peuvent leur trouver. Et aussi que les artistes ont un flair qui les fait
précéder la réalisation du r6el 63. En effet, on a des sens logiques, explicites,
comme les exemples que nous avons présentés chez les autres littérateurs.
Tout comme nous avons des œuvres non-littéraires, qui sont des livres écrits
avec un style dont la cohérence avec le sujet est admirable (certaines pages
de Malinovski sont très belles, et tous les bons livres d’ethnologie four-
millent de belles pages et d’expressions heureuses comme dans Richard
Pottier, 1994, dont les premières pages, d’un ton primesautier, donnent à
entendre l’humour de l’auteur malgré le sujet sévère qu’il traite : le mythe).
Mais le style, ni surtout les effets de style, ne sont visés par leurs auteurs, on
a simplement un accord harmonieux entre un mode d’expression et une
matiére à dire, un équilibre heureux de la forme et du contenu, même si
c’était le contenu qui Btait visé et pas la forme. Par contre, l’autre miracle,
c’est quand un écrivain à travers son effort sur la langue pour l’expression,
glisse un contenu dont la force principale sera d’être conforme au réel
(Synge, Zola, London.. .)

On a une curieuse vision de la vérité en matière d’art, ce qui permet


d’avoir une curieuse vision de la vérité en matière de science. Il y a confu-
sion entre la vérité litteraire, ou artistique, qui est d’ordre esthétique, et vise
une émotion, et celle de la science, qui vise la raison. Comme le disait For-
tassier en introduction à un roman de Balzac :

Si riche que soit l’information du romancier, elle ne lui fournit jamais


que de In réalité : cette réalité qui bâcle tout, qui néglige de nouer les
fils de la tapisserie, qui propose des faits sans cause précise, des actes
sans mobile assuré, des vies qui n’arrivent pas à faire des destinées, en-
w e auvres individus qui ne se haussent pas au rôle de héros ou de
f d&
types.

62Voir notre remarque supra, au sujet d’Eugen Weber, 1976, qui a beaucoup utilis6 Renard
pour Lafin des terroirs.
63 Ainsi un producteur des Guignols de l’lnfo (Canal Plus) signalait que le caractére de
pointe de la fausse information qui étaitdonndedanscette imission tenait au caractère
«artiste» descréatifs.Ainsiavaient-ils inventéle grandméchant de la World Company
quand personne encore ne parlait de mondialisation et du cynisme des affaires économiques
mondiales,.
M Balzac, une tén&breuse affaire. Introduction deR.Fortassier
(1979: 17).

496
Nous voudrions maintenant tenter de démêler les relations entre litté-
rature et terrain par l’examen de trois ouvrages : par ordre de parution, Hans
Staden (1557, 1979), Nus, féroces el anthropophages, John Steinbeck (1962,
1995), Voyage avec Charley, Georges Condominas (1957), Nous avons

mangé la forêt. Trois récits de terrain, trois grands livres, trois expériences
vécues intensément. Le premier homme était marin-marchand, il est tombé
dans les mains d’indiens de la côte bresilienne actuelle et apprend à
« manipuler » ses maîtres pour tenter d’échapper au sort d’être mangé ; le
second est un écrivain qui, dans une crise de doute, veut renouer avec son
peuple ; le troisième écrit, des années après, sur son expérience B Sar Luk,
chez les montagnards du Vietnam.. . C’est l’intensité de ce qui est qui per-
met aux anteurs de justement dépasser le cadre étroit de leurs émotions. On
retombe dans le même problème énoncé a propos de Synge : le littérateur
s’efface derrière l’ethnographe parce que ce qui est vécu transcende la
personne, même si c’est elle et elle seule qui l’a vécu. On est loin du nom-
brilisme esthétisant de Chatwin ou des fulgurantes de style de Morand.
L’exercice de la science réclame plus de modestie et moins d’ambition post-
morfem que la littérature :

C’est un des traits de ce que l’on peut appeler l’effort scientitïaue que de
se savoir essentiellement caduc et voué au dépérissement : marque toute
négative, certes, et d’une considération plutôt mélancolique pour lésprit
“littéraire”, toujours porté à escompter quelque gloire posthume.
(Gérard Genette, 1972 : 269)

Seul un scientifique peut affirmer :


Je n’ai presque jamais quitté la baie protégée de l’expérience directe
pour la spéculation. Quand cela m’est arrivé, je l’ai regretté car les con-
séquences ne m’en paraissent pas des meilleures.
(Freud, in Le Monde 3.7.1992)

Pour rendre compte, avec vérité, d’un terrain, il faut l’avoir


«digéré », et l’avoir fortement vécu, Sinon, on glisse dans la relation de
voyage pédante ou dans l’exercice raisonné des caractéristiques stylistiques
de sa culture : l’humour pour un Britannique, les mots d’esprit pour un
Français et l’étonnement pour un Persan.

497
Mais cependant nous voudrions plaider pour un “métier”, celui de
romancier, ou de nouvelliste. Nous avons un excellent contre-exemple que
la littérature existe quand on ne la rencontre pas. Dans une skie de récits,
intitulés Ht@ de la Revolucibn (nous n’avons que le texte en espagnol publié
en 1975) John Reed tente de “dépasser” son expérience admirable de la
Revolution mexicaine, celle qui l’a amené à Ccrire ces reportages qui font
partie de la légende du journalisme, comme les écrits d’Arthur Londres. Ce
sont des nouvelles de fiction : du style, rien a dire. C’est bien Ccrit, mais
pompeux et didactique. Chacune des nouvelles est totalement sans intérêt.
On n’arrive pas à croire un mot de ces pages qui n’ont, d’inventé, que le fait
qu’elles ne soient pas tirées d’observation vécue, car elles sont logiquement
plausibles. C’est du réalisme socialiste. Reed se révèle totalement incapable
d’imaginer, ce que le moindre romancier raté réussi en simplement respirant.

Portrait d’un homme de terrain

L’action n’est pas la vie, mais une façon de gkher quel-


que force, un bervement.
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Délire II, ‘Faim’

A partir de Malraux, de Lawrence et de Ernst Von Salomon, Roger


Stéphane fit le Portrait de 1‘aventurier (1965), nous allons tenter de dessiner
celui d’un homme de terrain à travers l’ensemble de la documentation que
nous avons rassemblee. Disons que nous allons plutôt dresser le portrait de
l’homme de terrain dans le cas de travaux où existe une forte division du
travail. Nous laissons à une consœur éventuelle le soin de tracer le portrait
d’une femme de terrain (entre Isabelle Eberhard et Mary Kinsley, Denise
Paulme et Yveline Poncet, Hélène Bouvier et Nathalie Luca, nous pensons
qu’il y a matière et que notre portrait à la hache n’hypothéquera pas la fi-
nesse des traits du visage de la femme de terrain).
Le politiculfy correct interdit d’appeler un chat autrement qu’un felin
aliéne. Pourtant on ne prendrait pas un daltonien pour refaire la Chapelle
Sixtine. Pourquoi est-il alors interdit de dire que tous les chercheurs ne sont

498
pas capables des mêmes tâches ? Certains sont meilleurs en ordinateurs,
d’autres en calcul, d’autres en synthese, d’autres en analyse. L’expérience
qu’Enstein avait montée pour mesurer la vitesse de la lumière n’a jamais
abouti, mais il a trouve E=m? . Mais Libchaber, lui, est plutôt un grand
expérimentateur du chaos.. . aucune honte à cela pour un professeur de
physique théorique à l’École Polytechnique. Les sciences, pour avancer, ont
besoin de théoriciens géniaux et d’expérimentateurs non moins géniaux. Et
donc d’observateurs non moins géniaux. Rtduire l’observation B un acte
passif, a un coup de chance ou à une simple application de la théorie revient
à s’interdire de comprendre quoique ce soit au processus de decouverte. On
peut affirmer : il en est de même pour l’observation de terrain,
On trouve normal de recruter des gens en bonne santé pour faire des
sports de compétition, des bons linguistes en espionnage, des personnes qui
ont une bonne oreille pour faire de la musique. . . pourquoi est-ce que le
terrain ne demanderait pas des capacités particulières ?
Le terrain demande certaines caractéristiques, de débrouillardise, de
santé, de bricolage, de disponibilite psychologique, d’intelligence. Les tra-
vaux de psychologie et ‘de pédagogie ont montré la diversité des intelligen-
ces, les chercheurs de terrain ne sont qu’un cas particulier. Même grands
lecteurs, les conditions du terrain ne permettent pas forcément de se plonger
en permanence dans la littérature scientifique. Nier cela est une absurdité.
Certes, l’on peut rêver que chaque scientifique devrait être une mix-
ture d’Enstein pour l’imagination, Poincarré pour les connaissances mathé-
matiques, Claude Bernard pour l’observation, Libchaber pour
l’exptrimentation, Mandelbrot pour la fantaisie, Lévi-Strauss pour la cul-
ture, David Ruelle pour l’indépendance, Sigmund Freud pour la fécondité,
vulgarisateur comme Stephen Jay Gould, écrivain comme Michel Serres et
médiatique comme Yves Coppens.. . mais cela n’est qu’un rêve. En science,
comme en beaucoup de choses, il faut être mur et être là au bon endroit, au
bon moment. Tout le monde ne peut pas avoir le Nobel, il faut donc que
d’autres se contentent de vivre tout en exerçant correctement leur travail
scientifique, La question que nous posons est donc : est-ce que la profession
de chercheur de terrain existe ?
On peut être un excellent0 chercheur sans viser de mourir dans un
fauteuil de l’Académie. Et répétons qu’on peut &tre excellent sans pour
autant être un chercheur. Beaucoup de travaux de collecte de terrain ne
demandent pas des qualités de chercheur. Il faudrait casser le mythe actuel
qui proclame que travailler dans le secteur recherche c’est être un chercheur
(la question n’est pas de connaître le statut administratif de chercheur OU

technicien, mais celle d’avoir la mentalité et l’esprit de recherche). On peut


être un travailleur scientifique de haut niveau, avec une thèse excellente, et
être totalement incapable d’effectuer de la recherche, passée cette dernière
étape universitaire.
Le travail de terrain est souvent une activité de jeunesse, mais pas
forcément. Ce que l’on sait, c’est qu’il demande de la sant6 physique et
certaines particularités intellectuelles qui sont plus en rapport avec ses per-
ceptions globales que d’autres (voir les travaux de la Garanderie, Wallon,
Piaget, Cyrulnik., .), et d’autres, psychologiques, comme celles qui concer-
nent la résistance à l’isolement par exemple 65. Avec le temps, les change-
ments de situation personnelle, l’apparition d’un conjoint et d’enfants dans
la vie, la maturation de leur projet scientifique, les chercheurs éprouvent
plus de difficultés à effectuer du terrain. Au premier terrain, toht est décou-
verte, Avec le temps, la curiosité s’émousse, l’expérience fait que le temps
d’observation est raccourci car les hypothèses naissent plus rapidement et le
temps de découverte du terrain diminue au profit du temps de terrain comme
vtrification d’hypothèses. Les grandes expéditions, qui duraient plusieurs
années tendent, avec les transports modernes rapides, à se raréfier. Pourtant
il n’en reste pas moins que certains d’entre nous font du terrain de travail un
lieu de plaisir et que d’autres préfèrent nettement l’enrichissement des sou-
venirs qu’ils ont retirks du terrain à la répétition de cette expérience. Que

65 C’est un fait bien connu que beaucoup de personnes «craquent » psychologiquement


dansl’isolement total ou social au bout d’une semaine B quinze jours. La plupart au-del& de
trois mois se brisent, les autres se fossilisent (voir Silvio Bellico, Mes prisons).

500
certains chercheurs s’adonnent avec plus de compétences à l’analyse et 21
l’informatique ne choque personne. Qu’il puisse en être de même pour le
terrain semble poser un problème, or c’est une activité n6cessaire pour des
disciplines qui ne disposent que peu d’expérimentation, où la réponse aux
questions et où des questions elles-mêmes gisent enfouies dans une gangue
de vécu qu”il faut vivre si l’on veut en tirer le noyau scientifique. Que cer-
tains d’entre nous puissent continuer assez tard cette activité quand la majo-
rité n’a pas tendance « à jouer les prolongations » est une évidence. Pour-
quoi n’en pas faire un atout ? Telle est la question.
Par ailleurs, l’expérience de l’affectation de longue duree, de plus
d’un an ou deux est essentielle pour comprendre certaines choses : comment
faire la sociologie d’une population sans connaître les conditions climati-
ques qu’elle subit ? Il y a un phénomène d’imprégnation essentiel à
l’intelligence scientifique, Marcher des dizaines de kilomètres donne un
autre sens au travail qu’un survol aérien en pilotage automatique avec une
simulation informatique fondée sur des modèles tirés des informations de
télédetection.
Le profil-type du chercheur est de type “glissant”, c’est-à-dire que,
les études achevées, le chercheur en certaines disciplines s’engloutit dans
une phase de terrain ; puis suivront des analyses, ensuite des synthèses et de
l’enseignement.. . et l’Académie, française ou suédoise.. . Maintenant, cer-
tains peuvent préférer courir le monde, accumuler les données pour d’autres,
sans trop vouloir en faire œuvre personnelle, écrite ou autre. Ce type de
personnes existe et il est Cvident qu’il faut savoir canaliser les chercheurs de
terrain, qui doivent renoncer, s’ils veulent durer en ce métier, a exploiter
leurs données eux-mêmes. Allant d’un terrain à l’autre, ils ne peuvent pre-
tendre au recyclage permanent de leurs connaissances que suppose la re-
cherche. Dans certains travaux, ces gens sont essentiels dans le processus de
formation des nouvelles générations de chercheurs, les jeunes ayant besoin
d’appui en matière de terrain et pas seulement en matière de formation
intellectuelle. La tradition française privilégie l’intelligence abstraite quand

501
les formes de l’intelligence sont très variables, et que l’adaptation à un
milieu nouveau en est une des formes, et celle-là est absolument nécessaire 2
qui prétend au terrain. Dans la vie, il n’y a pas que les livres et les idées :
excusez du peu, mais il y a aussi la vie.
On peut donc se demander si, utilisant les uns et les autres, les jeunes
et ces quelques fanatiques du terrain, l’on ne pourrait pas trouver une solu-
tion pour que l’ensemble du corps de recherche puisse disposer d’un lot
d’observateurs de terrain ? Dans certaines disciplines le défi est aise et déja
soutenu par l’existence d’un corps de techniciens ou de chercheurs de ter-
rain ; en d’autres disciplines, le gant est plus difficile B relever, surtout
quand il s’agit de pays étrangers, où le remplacement de ce type de cher-
cheurs est assez rapidement réalisé par des nationaux. En tout état de cause,
cela ne suppose pas que, si de tels professionnels existaient, il faille suivre le
fâcheux exemple qu’ont donné certaines institutions, nationales et interna-
tionales, laissant « pourrir » loin de ses racines sociales ce type de personnel.
Cela suppose que la durée d’affectation devrait être plus courte que 4 ans, et
donc ne pas couvrir un projet scientifique de longue durée... Même les
hommes de terrain ne doivent pas être maintenus ainsi sans freins ni garde-
fou sur des terrains en situation d’isolement ; il faut les ressourcer sociale-
ment sous peine de transformer l’agence qui les emploie en organisme
d’émigration. Que faire de quelqu’un qui a vécu, déconnecte des realites de
son pays pendant dix ans ?
Ceux qui ne feraient pas du terrain le point focal de leur activité de-
vraient être soumis a des regles, dans lesquelles entreraient l’animation
scientifique et la production collective et pas seulement les papiers qu’ils
auraient signés. Mais ceux qui feraient seulement du terrain devraient éga-
lement être soumis à d’autres contraintes, . . Tout est donc affaire
d’organisation collective du nécessaire travail d’équipe.

La liaison entre l’homme d’action et certaines attitudes de droite et


même fascistes est toujours un débat ouvert, comme si l’action entraînait
avec soi une attitude individualiste « d’anarchiste de droite ou de fasciste de

502
gauche ». C’est une accusation que nous avons souvent entendue dans notre
vie d’outre-mer : avec le fait que c’était peut-être le prix à payer de ne pas
s’adonner a l’étude. Il y a aussi une attitude de mépris des connaissances,
fait quelque peu curieux quand on parle de travail scientifique, mais il y a de
cela : c’est l’action qui est privilégiée, l’action concrète, le réel, le réel ma-
gnifié. Et, enfin, on retrouve certaines de ces attitudes dans l’attitude élitiste
de l’écriture. L’action à tout crin se nourrit d’elle-même et nous avons relevé
le fait dans nos verbarims d’interview : en dehors du terrain, on n’est rien.
En fait, en dehors du terrain on redevient une personne quelconque noyée
dans une population de clones de soi-même. On a un des symptôme de la
désespérance des hommes de terrain : ils ont commandé, dirige, ont eu le
sentiment d’être importants, et ils ne sont plus rien. La charge affective de ce
mot est toujours étonnante dans les couloirs des divers services de la coopé-

ration française que nous avons arpentés. Il y a du Capitaine Conan chez


l’homme de terrain.

Marie Balvet a écrit un ouvrage sur Drieu La Rochelle (1984) où les


relations avec un certain nombre de caractéristiques du terrain et des gens du
terrain « sautent aux yeux ». Par exemple :
L.e regard est très important pour Drieu qui, toute sa vie, a conf% à
l’échange spontané par les yeux une grande valeur. (82)
Ce sentiment d’immediateté .et d’assurance est aussi partagé par les hommes
de terrain, et ils en retirent une assurance renouvelée puisqu’ayant agi,
même en cas d’échec, ils ne savent pas s’il fallait agir (ou non-agir) autre-
ment. Ce fut d’ailleurs pour nous à cette lecture que nous avions saisi toute
l’importance du regard, soulignée par Laplantine, dans l’observation de
terrain.

Mais la discussion de ce livre de Marie Balvet, que nous avions soi-


gneusement analyse a l’époque en fonction de notre projet, montre aussi les
limites et les dangers de cette assurance : si l’on prend le cas de Drieu,
l’observation est biaisée par l’assurance permanente de la confiance absolue
à accorder à la vue. Finalement le regard est biaisé par trop d’assurance ; le

503
regard s&ctionne du point de vue de celui qui regarde. Le regard est donc
dangereux si aucun contrôle ne prend le relais, car, alors, on ne regarde que
ce qu’on a envie de voir. On doit donc se méfier du recours à « l’observation
biaisante » qui est souvent celle des écrivains, qui, à juste titre, sélectionnent
dans le réel ce dont ils ont besoin pour leur démonstration artistique ou
esthétique. Mais le scientifique doit connaître tous les autres aspects,
s’éduquer à les voir, les repérer, les observer, même s’il les rejette par la’
suite, parce qu’il analyse un morceau du monde, dont il devra rendre comp-
te. La procedure de l’artiste est differente puisque l’œuvre d’art elle, est une
totalité, ce que ne prétend jamais être une œuvre scientifique.

Par contre le mépris de l’intellectuel, fréquent dans la penste fa-


sciste, n’est pas une caractéristique des hommes de terrain que nous avons
rencontrés. Bien au contraire, ils étaient toujours plutôt prêts Zrreconnaître
les ‘normaliens’ (cette bête noire de Drieu) comme leur plus-égal, s’ils les
savaient capables sinon de se « coltiner » le terrain,. , au moins de reconnaî-
tre le mérite de ceux qui « allaient au charbon », s’embourbaient et... s’en
sortaient.

Enfin, le portrait du « chef », tel que le dresse Drieu, pourrait bien fi-
gurer comme trait caractéristique d’un homme de terrain, et plus d’un s’est
reconnu dans nos essais quand nous ne citions pas de qui était la phrase et 5
qui elle s’appliquait :
C’est un homme qui a de 1‘expérience -c ‘est d’elle qu ‘il tire son savoir,
son savoir-faire, bien plus que par les livres- et du courage dont il fait
preuve. (170)
Il nous semblait inutile de préciser que Drieu achève ainsi la phrase : « . . . il
fait preuve, avant tout à la guerre. »

Tout cet examen nous a renvoyé à une analyse d’un mythe, celui de
Tobie Nathan. Nous pensons que l’émergence du concept terrain dans le
mythe courant vthiculé par les média vient de deux choses :

504
l d’une part de la confusion entre terrain et aventure dans la propre littéra-
ture scientifique et on doit constater que le go& de la litterature de voya-
ges (succès des collections sur les voyages et l’aventure, collection Phé-
bus, ou celle dirigee par Michel Le Bris, en particulier, salon des I%n-
nanfs voyageurs de Saint Malo, 1997...) est postérieur à l’émergence du
terme te:rrain comme terme courant dans la littérature journalistique sur la
politique ;

l d’autre part l’tmergence de valeurs humaines fondées sur la personne,


l’authenticité des relations, la force du V&U. D’une certaine manière,
ceux quX « faisaient la route » dans les années 60, qui ont maintenant en-
tre cinquante et trente ans, ont “gagné”, imposant à une société consen-
tante ses valeurs d’authenticité et de découverte, mais notre sociCté a fait
du mythe un de ses mythes : un mythe de consommation 66.
C’est donc à se demander si nous n’avons pas plutôt exploré un lieu
de fantasmes et si nous ne nous sommes pas écarté de notre sujet. Explorons
maintenant cet apparentement terrible qui existe entre terrain et aventure, et
le récit qui en est fait comme lieu de fantasmes.

66 Un article du Monde (juillet 1997), signalait que les enfants de ces fameux routards
baient des grands consommateurs de... voyages organisbs, sans surprises et parfaitement
caks sur le plan financier.

505
Chapitre 3
Le colloque de sociologie d’Abidjan, 1972

Sous l’impulsion de Georges Balandier, Professeur en Sorbonne et


président du Comité technique de sociologie-anthropologie de L'ORSTOM, il
fut organisé un colloque des sociologues en Abidjan où deux “grilles de
lectures” devaient être analysées et remplies par chacun des agents à la
lumière de sa pratique professionnelle naissante. L’une d’elles semble avoir
eu un intitulé du genre “processus de connaissance(s)“, mais nous n’en
savons pas plus. À lire les critiques qui sont adressées a cette grille, on se
demande si la difficulte de &Pondre n’etait pas le reflet d’une certaine diffi-
culté à l’établir. Les débats scientifiques étaient largement immatures,
comme nous l’avons signalé en première partie).
Le contexte historique nécessaire pour comprendre les textes est le
suivant : le chercheur ORSTOM
des annees 70, est un chercheur qui travaille
outre-mer. Ses méthodes, ses interrogations, n’ont pas de grandes différen-
ces avec celles de ses collègues be par le monde. La France est un pays en
plein développement et malgré certains retards, n’a pas à rougir de la com-
paraison internationale. Le français, comme langue est incontestt, et seuls
quelques-uns (dont nous étions) doutent qu’elle continue à bénéficier de son
aura internationale. Par ailleurs, la “science française”, qui a tout les incon-
vénients d’être une province mondiale, en a aussi les avantages. On peut
continuer B croire que les tendances de travail françaises sont des particula-
rités b6néfiques. On est encore dans l’ambiance d’une affirmation nationa-
liste des vertus et qualites françaises. Enfin, en ce qui concerne l’Afrique, la
décolonisation, c’est-à-dire le passage de la colonisation 3 la néo-
colonisation, s’est passée correctement. Dans les colloques internationaux,
nous sommes confrontés à des Africains qui défendent avec plus d’ardeur

que nous-mêmes la parenté qui relie les membres de la francophonie...


Certes, on entend quelques discordances, surtout en ce qui concerne les
chercheurs en sciences sociales, dont les comportements vont trancher avec
ceux de leurs collègues des sciences dures (mais ceux-ci les rejoindront très
vite sociologiquement parlant) ; on voit aussi que la néo-colonisation n’est

pas la parfaite indépendance ; et, enfin, le développement en France, n’est

pas aussi harmonieux qu’on l’attendait. « Ça bouge », mais en grande partie


dans le bon sens, puisque 1’Histoire a quand meme un sens à l’époque.
Disons que les débats épistémologiques des annees 50 étaient dépassés pour
les nouvelles générations de scientifiques et que les positions épistémologi-
ques de ces dernibres étaient très politiques et idéologiques (marxisme, tiers-
mondisme.. .)67.
D’aprés une des réponses, on peut déduire que la grille “production
des connaissances” portait sur trois thèmes :
l la problematique et la théorie ;
0 les rapports enquêteur/enquêtés ;
l methodes et techniques.
Tout d’abord, malgré la mince information pertinente qui nous reste,
on doit souligner l’expression d’une conscience aiguë de la crise vécue par
l’institution et la volonté exprimée d’en « sortir par le haut », c’est-à-dire par
l’affermissement d’une problématique scientifique construite. Les auteurs ne
vont pas sombrer dans l’anecdote, ou bien, quand anecdote il y a, c’est pour
effectuer des Mairages extrêmement pertinents de situations exemplaires.
Les chercheurs se mettent en scène non pour exprimer quelque part trop
personnelle d’eux-mêmes, mais parce qu’ils ont conscience d’exprimer par
là une part de leur condition professionnelle. L’objection présentée par l’un
des participants est que cette grille construirait un colloque de Babel:

67La majorité des chercheurs n’avait que deux à cinq ans de vie dans l’institution qui les
htbergeait et tous avaient étb « secoués » par la crise de mai 68. Disons en préalable que ne
participant pas nous-même a ce colloque, nous n’avons pas été destinataire des documents.
D’autre part, mal@ l’intention préalable, jamais ils ne furent publiés. Enfin, il nous a été
très difficile d’en obtenir copie. Nous devons egalement signaler que nous n’avons jamais
réuni la totalité de la liste des participants et que pour les 23 participants repér6s (chiffre
minimum donc), seuls 14 ont laissé une trace. Nous ne disposons donc que de 20 tiponses
sur les 28 qu’ils tirent puisqu’il existait une réponse par grille, Nous remercions Jean-Pierre
Dozon qui nous fit copie de ce que la bibliothéque du centre ORSTOM de Petit Bassam,
Abidjan.

507
. .. sa formulation occulte et une absence de problématique risquent de
faire tourner court l’entreprise en cantonnant les différentes participa-
tions à l’anecdote et le colloque à des discours humanistes entrecoupés
de recettes de gargote dans le plus pur style panovien.
(Georges Dupré)
Cette objection, ou plutôt cette crainte, n’a pas, a la lumiere des textes dis-
ponibles, fait dévier les participants. Au contraire, la fraîcheur et la sincérité
des observations presentées est remarquable. La fréquence des reférences
marxistes (Marx, marxistes et marxiens) est la preuve d’une réflexion pro-
fonde sur les déterminants du travail scientifique en « situation néo-
coloniale ».
Dès que l’on travaille dans les pays du Tiers-monde, on se heurte à une
ambiguïté fona’amentale, qui est celle de notre objet, ou de notre mé-
thode. (Bernard Schlemmer)
Le recours aux traces écrites, l’exploration des archives sont systé-
matiques -pour ce second point signalons qu’il fallait parfois beaucoup
d’astuce et d’acharnement pour recourir aux archives dans les pays africains
où la passation administrative due aux indépendances était a son moment le
plus fort et créait des désorganisations ponctuelles inévitables. Le travail de
recherche est chaque fois vu des trois points de vue : étude du cas concret,
apport théorique et méthodologique, analyse documentaire fournissant une
profondeur historique. Les seuls reproches qui sont parfois faits par les
textes disponibles sont que les methodes d’enquêtes empiriques n’ont pas
et6 assezassimil6es par le chbrcheur avant son dtpart sur le terrain :
Une double nécessité se faisait jour, améliorer l’état de l’information
par enquête, tout en constituant la problématique de cette enquête même.
(Georges Dupré)
On doit noter la frequence avec laquelle les chercheurs sont autoritai-
rement déplacés d’un champ d’étude à un autre. Contre mauvaise fortune ils
font souvent bon cœur et, Pierre Étienne ira presque jusqu’à s’en fcliciter.
Pourtant, ce n’est pas soumission aux diktats de l’administration si l’on en
juge par cette formule de conclusion qui en dit long sur la tranquille anar-
chie de ce brillant chercheur :
Je pense toutefois qu’il conviendrait de laisser aux chercheurs la liberté
de participer seulement au thème qui les intéresse et même, si aucun

508
d’eux ne les intéresse, éventualité peu probable, mais qu’il convient
pourtant d’envisager, la liberté de ne pas participer du tout.
(Pierre Étienne)
En fait, l’adhésion des chercheurs à l’institution ainsi qu’aux instructions
qu’ils recevaient permettait ce type de direction hiérarchique du personnel,
commune à l’époque, aujourd’hui impensable.
Les directives que j‘avais reçues (Marie-José Jolivet)
On est encore dans une société française oti les ordres reçus 6taient acceptés’
et observés :
Aussitôt que je fus arrivé..., je fus informi par le directeur du centre que
je ne travaillerai pas dans le Sanwi mais à BouakL ,. (Pierre Étienne)
Un des sujets qui attire le plus les r&lexions de nos sociologues con-
cerne la vie sur le terrain, la relation réflexive dans laquelle ils entrent en
allant dans les villages, car c’est toujours de villages qu’il s’agit :
En Afrique tropicale, où la majorité de la population travaille de la Ferre
et où donc l’urbanisation ni l’industrialisation n’ont encore atteint une
grande ampleur... (Jean-Yves Martin)
Un seul fait honnêtement mention de son désir d’exotisme, tous les
autres s’appuyant sur Marx, Mauss ou Gurvitch pour fonder leur projet :
. .. cette contrée qui ‘m’avait si fortement impressionné quelques années
auparavant, sur laquelle il n’existait pratiquement aucune littérature, et
qui devait encore pouvoir offrir au chercheur avide de dépaysement une
“aventure” humaine authentique. Ce choix du terrain...
(Alfred Schroartz)
Par contre, nous n’avons aucune référence à l’image que pouvait donner ce
type de travail dans la communauté nationale d’origine, c’est-à-dire le pres-
tige personnel que l’on pouvait retirer, en France, de travailler outre-mer.
Cette absence est étonnante car elle apparaîtra dans nos interviews : le
voyage, l’aventure, comme continuation d’une lignée familiale ou comme
éléments valorisants sur le plan personnel. Ainsi, même la ‘recherche’
comme éltment de prestige social est absent, alors qu’il apparaîtra comme
un éltment déterminant dans nos interviews de 1982.
Globalement, nous restons bien dans la lignée de la probl6matique
dont avons parlé en première partie à propos de Lucien Goldmann (1” partie,
Cl.

509
La teneur des réflexions presentées étonne aujourd’hui de par la sou-
plesse des approches méthodologiques affirmées. Tous les chercheurs prati-
quent une ouverture méthodologique qui interrogerait nos jeunes universitai-
res. C’est pour des raisons de conformité, ou non, a leurs projets scientifi-
ques qu’ils critiqueront telle ou telle méthode. Aujourd’hui où les méthodes
quantitatives sont fortement décriées et où chacun parle abondamment de la
pertinence de son approche du terrain, nos textes manifestent une grande
modestie :
. .. sans jouer la comédie du mimétisme à tout prix et dont, d’ailleurs, les
Baoulé ne seraient certainement pas dupes, je m’efforce d’une part de
m’intégrer le plus possible à la vie du village et d’autre part de pertur-
ber le moins possible les activités habituelles des villageois, autant en ce
qui concerne leurs activités de production que de leurs activités cultuel-
les. (Pierre Etienne)
Il faut donc procéder par étape, du plus accessible au moins accessible,
le plus accessible ktant le mode concret d’occupation de l’espace, au-
trement dit, la forme d’habitat.
(Jean-Yves Martin)
Tous travaillent avec questionnaires et entretiens libres. Certains en
arriveront a parfaire leurs approches et à les systématiser :
Le principe de base de ma méthode de travail a toujours été de commen-
cer par mesurer ce qui pouvait l’être dans le village. Ce type de démar-
che permet de conserver, en attendant que naisse un véritable climat de
confiance, des rapports relativement neutres avec la population,... Ce
n’est que dans une seconde phase, une fois les données qualitatives col-
lectées,qu’ il était procédé à une approche qualitative.
(Alfred Schwartz)
Car c’est le terrain qui dirige la recherche, qui la détermine, et tous expri-
ment cette soumission au réel :
De même, je suis profondément convaincu que chaque terrain réclame
qu’on réinvente - OK tout au moins qu’on réadapte - pour lui une pro-
blématique qui lui soit propre ainsi qu’une technique et des méthodes
spécifiques. (Pierre Étienne)
Et ils pourraient souscrire a cette observation de l’un d’entre eux, que tous
expriment :
À mon sens, toutes les techniques, toutes les méthodes d’approche meri-
tent d’être essayées à condition que ce soit à bon escient, à condition de
ne pas avoir en elles une foi aveugle, à condition de bien apprécier les
limites de leur validité, (Pierre Étienne)

510
On note deux tendances, égales en poids. II y a ceux pour qui le terrain fait
la théorie qu’ils utilisent, les opportunistes peut-on dire. Il y a ceux pour qui
les préoccupations théoriques trouvent à s’exprimer sur le terrain.. . que le
hasard leur a dom&. Car c’est là où le bât blesse pour certains qui partent
nantis de marxisme, lestés du concept jugé O@ratoire de classes sociales
pour les appliquer quasiment manu militari sur leur objet d’étude. Fort
heureusement, les hommes disent et font, mais pas forcément la même
chose : la pratique de ces sociologues ne souffrira pas toujours de leurs
positions.
Mais on est loin des grands déclarations anthropologiques, qui pour-
tant frappaient toutes les autres institutions française, dès cette époque :
Je n’ai jamais eu l’intention de pratiquer, si peu que ce soir, l’ethnologie
‘participame’, mais pas davantage tenté de m’intégrer pleinement au
groupe viLlageois étudié étant bien consciente d’en être tout à fait inca-
pable. .Ma seule ambition s’est bornée à être acceptée comme une espèce
de témoin de passage, ce qui déjd n’est pas tellement évident
(Marie-José Jolivet)
D’autres, arguant de leur sujet de recherche plus rkgional, même en tra-
vaillant sur une seule ethnie, affirmeront la même tranquille assurance qu’il
est inutile, ou impossible, d’effectuer des observations-participantes. A
fortiori de parler la langue des sujets de leur observation.
L’apprentissage de la langue n’est pas à l’ordre du jour. Ils se con-
tentent tous de passer par des truchements et B se servir d’interprètes, sauf
un seul qui fera l’effort de l’apprendre, sur le tas prkise-t-il (mais il n’existe
aucun manuel de cette langue 68).
J’ai donc choisi de m’exprimer en français, ce qui était perçu comme
parfaitement normal de la part d’une ‘mérropolilaine’, tout en encoura-
geant mon interlocureur à me répondre en créole, chaque fois que je
senrais qu’il y étair porré. II est peut-être de meilleure solurion. Mais,
compte-tenu de ma personnalité et de ma manière de concevoir le travail
de terrain, c’était, je crois, la voie la plus sage.
(Marie-José Joliver)

68Alors que nous-m&meavionsdisposé des grammairessérkresCtablies par les Peres du


Saint Esprit, en particulier celle du PBre Ezzano, c6lébre cm? de Fadiouth.
et un autre sociologue dira :
..* le village ne constituait pas une unir& pertinente, il nous a donc fallu
abandonner l’espoir de mener cette recherche à partir d’une monogra-
phie villageoise, avec les mt%hodes d’enquête en profondeur qui lui sont
liées. (Bernard Schlemmer)
Il est remarquable que personne n’essaye de dissimuler qu’il travaille
ainsi, car tous travaillent ainsi. Des sociologues de cette époque, un seul à
notre connaissance parlait des langues africaines (Schwartz) et un autre
pratiquait le poular (Weber). Parler français est ‘normal’, employer un inter-
prète est la règle. D’ailleurs, et la plupart y fait référence, ils arrivent dans
des pays où des aînés, des anciens, une communaud française les encadrent,
les appuient, ou les briment :
En fait, les sociologues sont considérés d’une façon générale, au niveau
local au moins, comme des inuriles pouvant bventuellement devenir nui-
sibles i...] cette opinion est d’ailleurs largement partagée par une
grande partie de la “société européenne” qui nous considère comme des
farfelus venus étudier des petits problèmes n’ayant d’in&& que pour
une poignée d’intellectuels désœuvrks.
(Guy Pontié)
Il est vrai que Mai 68 n’était pas loin, que l’idéologie de l’État attribuait, à
cause du Mouvement du 22 mars, au sociologues. En France du moins, mais
Paris lançait la mode à cette époque.
Le mode de présentation des résultats des recherches privilégie net-
tement l’exposé des problbmatiques et la tentative de faire « coller » faits
observes et théories professées. La modestie dans l’empirisme des observa-
tions ne se reflète pas dans les comptes-rendus réalis&. Sauf pour ceux,
rares si l’on en juge aux exposés, qui affronteront la soutenance d’une thèse
(de troisième cycle) :
Le mode de présentation adopté pour l’exposé de mes résultats s’est
sciemment voulu rrès académique. Comme il s’agissait d’un premier tra-
vail, je n’ai ri aucun moment cherché à faire œuvre originale mais sim-
plement à appliquer un certain nombre d’outils théoriques [d’écoles di-
verses]. (Alfred Schwartz)
On obtient cependant des observations d’une certaine finesse sur le
malaise qu’ils ressentent du porte-à-faux dans lequel ils se trouvent :
Pendant très longtemps, pendant la première année de terrain, j’ai &4
trks inquiet car la plupart des traits baoult? ne cadraient pas avec ce que

512
j’uvais appris à l’université et à L’EPHE ou dans les livres. Je me de-
mandais si nous étions vraiment idiots, si nos aînés anthropologues
n’étaient pas un peu borgnes, ou si la socitté baoulé était particulière-
ment ‘vicieuse’ et ne relevait d’une sorte de sociologie tératologique, en
fait, il y avait unpeu de vrai dans ces trois hypothèses.
(Pierre Étienne)

Il nous paraît donc que nous étions a une chamii%e : on a pris con-
science d’un manque et chacun tvolue vers une modification des comporte-
ments. Cela ressort d’une manière très claire, pourtant, on décèle la raison
pour laquelle 1’Cvolution ne se fera pas vers une.anthropologie participante,
ni non plus vers une systématisation d’enquête plus ou moins quantitatives
avec insertion dans des équipes de recherche : le travail pluridisciplinaire
laisse des blessures dites avec économie et les procédures quantitatives sont
rejetées comme mutilantes. Quand les deux étaient cumulées, la Aaction
était franche :
La perspective de travailler en équipe et dans le cadre d’une enquête
pluridisciplinaire par sondage avec un lourd appareil statistique ne me
réjouissait guère. (Pierre Étienne)

Pourtant, à la lecture de ces textes nous avons un étonnement : le


terme ‘terrain’ est remarquablement absent des analyses, nos jeunes sociolo-
gues ne l’utilisent pas tout en parlant de lui, le mot n’apparaît qu’une dizaine
fois, et encore, dans la totalité des textes.. , La chose existe puisqu’on ne
parle que de ça : on parle d’enquête, de village, de Baoulé, de Guéré, de
Sakalava, on écrit sur le couple terrain/théorie, mais le mot n’a pas acquis
d’autonomie et il ne “fonctionne” pas en dehors d’une acception étroite et
n’a pas pris le poids idéologique qu’il a acquis 69. Quani au ‘moi’, au “moi
sur le terrain”, il reste très discret, et, a contrario, il n’en prend que d’autant
plus de poids. Les sociologues ne sombrent pas du tout dans l’anecdote,
contrairement aux craintes qu’ils avaient exprimées. Ils se repèrent dans
l’espace de l’enquête et se positionnent par rapport aux contraintes qui les

” L’involution dtnoncée par tant d’auteurs de cette institution n’avait donc rien de fatale-
ment nécessaire mais une 6volution n’aurait pu se faire que facilit6e par des structures et
une direction scientifiques, Elles ne furent pas mises en place et firent cruellement dkfaut.
On en voit les effets a posteriori par le développement de I’ORSTOM : quand les change-
ments arrivèrent, une décennie plus tard, l’habitude était prise.

513
encadrent et, si on peut leur reprocher quelque chose, ce serait de trop parler
de leur problématique. Leur corps et leur fime sur le terrain ne sont pas leur
tasse de thé, par contre, ils ne nous cèlent rien sur leur esprit et leurs posi-
tions en problematique scientifique. Si ces textes ont ‘vieilli’, c’est par ce
côté outrageusement « militant de la pensée scientifique », pas par ce qu’ils
donnent à entendre de leur pratique de terrain, qui s’efface derrière un con-
fort institutionnel et un inconfort politique : la recherche outre-mer paraît à’
tous un long fleuve tranquille dont, à suivre le cours, mènera certainement à
la reconnaissance des sciences sociales et au développement ; quant aux
Africains, puisque l’expérience rapportée est essentiellement africaine, on ne
note que leur indifférence quand ils appartiennent à la structure d’État et leur
roublardise quand ils sont des villages (l’homme blanc prend conscience
qu’il n’est pas le maître, cette reconnaissance n’a rien d’insultant pour
l’époque : face à une idéologie coloniale paternaliste imprégnant les cadres
de l’administration - anciens ou nouveaux, blancs ou noirs donc -, les cher-
cheurs mettent en évidence les potentialité des acteurs).
Dans le cadre des festivités qu’il a célébrées pour son cinquantenaire,
I’Orstom a également produit de nombreux textes. Mais nous nous écarte-
rions de notre propos car, comme d’ailleurs nous l’avons abordé à propos
des arts martiaux, on dériverait sur l’usage de la pratique et du terrain et non
pas de la pratique et du terrain comme fondement d’action et de recherche.
En effet, il y a eu dans cette institution une dérive que nous ne faisons que
signaler sans nous y attarder : celle de la construction d’une idéologie sur le
concept de terrain ‘O. De même, nous en commenterons ‘pas les deux docu-
ments que sont les deux ouvrages l’un de photographies, l’autre de textes
produits par I’Orstom. 11s’agit de :
COkCtif OrStOIIl, Visages et images, I!,‘ORSTOM a 50 ans, ORSTOM,
Paris, 1994 : 217.
Collectif Orstom, Mille et une histoires Outre-Mer, Ballade pour
un recueil de souvenirs à l’occasion du cinquantenaire de

“B. Ci. Lacombe, Terrain et société, essai sur le virtuel et le r&el. A paraître, 1997 OU
1998.

514
I’Orstom, 1944-1994, Orstom, Paris, 1997 : 347 (Jacques Charmes,
éditeur)
Le premier, un recueil de photographies, montre le terrain tel qu’il
est conçu : éprouvant, difficile, ’ dangereux. On grimpe des falaises, on
s’enlise dans les sables (et des chameaux tirent hors des dunes des véhicules
essouffiés), on mesure sous l’oeil attentif d’un guépard de passage. On passe
des gués et des rapides., , l’aventure, donc. Mais il y a quelques à-côté : « les
cases » des « expatriés », luxueuses villas sous le soleil, avec des cocotiers,
qui donnent l’autre versant de l’aventure de l’homme blanc sous les tropi-
ques. Il est curieux quand même que le second degré ait échappé aux com-
pilateurs de ces documents d’ordre privé, présentés comme documents
officiels.
Nous avons un second document tout aussi important pour nous
donner I’image du terrain comme dérive idéologique. Non contente de se
ridiculiser par l’image, l’institution a persisté et signé un second recueil, de
textes cette fois-ci, poétiquement intitulé : Mille et une histoires Outre-Mer.
Ballade pour un recueil de souvenirs à l’occasion du cinquantenaire de
I’Orstom (1997). L’incipit de la préface, signée du compilateur Jacques
Charmes, donne le ton de l’ouvrage :
On dit du chercheur de 1‘Orstom qu ‘il est « rustique ».
Il nous semble que cet ouvrage aurait mérite de ne pas être produit,
surtout comme compte-rendu officiel de cinquante ans d’existence de gens
qui ont fait collectivement progresser la science en pays tropicaux et qui
meritaient peut-être mieux que ce qui risquerait d’être une épitaphe.. . Cer-
tains disent que cette derive était inévitable : l’exemple du CIRAD et de ses
productions a l’occasion des mêmes anniversaires “, montre qu’il n’en est
rien, Les differents documents produits par cet organisme sont mesurés, ils
Cvaluent le passe et l’expérience acquise et se posent le probleme du futur en
termes pondérés et en fonction du réel. On a aussi un autre document im-

” Bonneuil Christophe & Kleiche Mina, 1993, Du jardin d’essais colonial à lu station
exp&rimentule 1880-1930, ÉMmenfs pour une histoire du CIRAD ; Charpentier Jean-Marie,
1995, L’lnsfirut de recherche sur les fruits ef agrumes, 1942-1984, De I’IFAC rS I’lRFA ;
CIRAD, 1994, Images de la recherche, LE COUD.

515
portant : le numéro special de La Recherche, 1997, numero 300 : 300 uns de
sciences. Mais ces discussions nous entraîneraient dans d’autres analyses,
celles du terrain comme ideologie et fondement institutionnel.
Si l’on prend la periode post-coloniale de I’Orstom, à partir des an-
nées 60 donc, l’on remarque que la régression (au sens freudien) est mani-
feste : de la prise en compte de la ‘réalité’ comme lieu épistémologique à
part entière, à l’évasion de la realité dans le mythe (la periode actuelle) en
passant par une tentative de maîtrise de l’action sur le réel (le terrain comme
moment de la recherche et principe de réalité des conclusions de la recher-
che), la derive est totale. Le terrain devient la caricature de lui-même. Cela
est regrettable car la Puissance publique française a beaucoup donné pour
fonder une recherche de terrain en concentrant en une institution de nom-
breux atouts. L’exptrience ne prouve pas forcément que c’était une erreur et
que, sur le seul terrain, on ne puisse fonder une institution ayant vocation
scientifique, mais il y a quelque chose de cela. Car, quand on examine le
détail de la vie de cette institution, même si on abstrait de son évolution les
aspects français et coloniaux, il n’en reste pas moins qu’on ne voit pas
comment une telle structure eut .pu affronter le monde moderne en restant
fondée sur le terrain comme socle de l’activité scientifique. Cette discussion
est difficile à mener et nous entraînerait trop loin, dans une analyse fine de
l’histoire scientifique sur les pays tropicaux et sur la politique de recherche
par gros organismes tels que la France les affectionne et les dérives corpora-
tistes de la société française, cependant nous restons convaincu qu’une telle
analyse mettrait iI jour que la situation de I’Orstom aujourd’hui dépend
largement d’une erreur stratégique : avoir voulu fonder sur le seul terrain
une politique scientifique. Il nous semble que le problème ne concerne pas
seulement cette institution mais beaucoup d’autres, Nous avons auparavant
parlé de l’ouvrage de Georges Zottola, nous pourrions aussi citer celui de
Kaufmman sur la base des Kerguelen dont nous reproduisons quelques
extraits en annexe à ce chapitre.

516
Du savant qui se déguise en colonial pour être chercheur, au colonial
qui se déguise en chercheur pour conserver une rente de situation, tel est le
cheminement suivi par une institution dont la pertinence pour notre propos
6tait parfaite et l’on comprend que, malgré notre esprit critique et notre
ironie, nous y soyons reste comme agent, car aucune autre institution ne
nous aurait permis une telle abondance de notations sur la question 72 qui
nous intéresse depuis tant d’années : qu’est-ce que le terrain, quelles con-
naissances en retire-t-on dans des disciplines où l’observation de la nature
est l’unique source de connaissances.

Pour effectuer cette recherche sur la question du terrain, nous avions


effectué entre 1981 et 1985 des interviews de personnes dont la carrière était
toute Centr&e sur la collecte in situ de donnkes,c’est à l’analyse de ces inter-
views que nousallonsconsacrerle chapitre suivant.

Note annexe au chapitre : Un djour aux Kerguelen

Le savantcomme‘baroudeur’n’est pasune imagestrictementOrstom,


mêmesi cette institutionsecomplaîtg enentretenirle mythe.De nombreuxtextes
sontdisponibles,pourdesraisons« d’exotisme» par rapportaux points centraux
de notre thèse,nouschoisissons d’analyserl’ouvrage de Jean-PaulKauffman,
L’arche des Kerguelen, Voyage aw Îles de la Désolation (1994).
Jean-PaulKauffmanestjournalisteet grandreporter,il est allé, aux Ker-
guelen,et ,ena retirt?un livre, à mi-cheminentre le reportagede confessionet
l’analysesocio-journalistique deshivernantsde la base.L’incipit de l’ouvrage
déclare :
Toute mon enfance, j’ai rêvé des Kerguelen.
II va fouiller danslesgrimoiresde la rdsidence
et danslescahiersde bord
dela basedeshivernants:
‘Les vieux papiers de la RPsidence sont presque aussi délectables que
l’eau-de-vie du disker. Chaque lanière dénouée est un’ millésime nou-
veau. Les années anciennes sont les plus savoureuses. Je ne me lasse pas
de palper le papier cristal des débuts que la frappe trop pénétrante de la
machine-à-écrire a gaufré. Tous ces rapports consignés sur papier éco-
lier, pelure ou carbone sentent l’huile de lampe”. Pour la plupart de ces
hommes de terrain qui les ont rédigés, on devine qu’écrire fut une cor-
vée, voire une souffrance. Cependant, ils se sont tous appliqués à ra-
conter leur mission.

” Ce qui ne signifie pas que nous n’aurions pas pu trouver d’autres institutions qui satisfas-
sent ce projet, mais aucune d’entre elles n’a, à notre connaissance, priviltgié le terrain B ce
point.

517
Un seul paraît y avoir trouvé du plaisir. Il donne d’ailleurs ce conseil à
son successeur : “Tenez votre iournal de bord: fastidieux mais irrem-
placable. C’est l’histoire des mémoires de Danaeau : rien de D~USvénible
à lire mais auand on recherche le détail de telle ou telle iournée à la
cour de Louis XIV, on ne le trouve sue là”. (p. 194) (Rapport de mission
1959-1960).
L’installation provisoire de 1950 comprenait quatre baraques préfabri-
quées en boiser trois logements t?di$éssur place.L.echef de missionde
l’annee 1951 porte un jugement sur cet établissement : “Caractère hé-
roïaue mais mattaue d’ornanisation’! Son successeur conteste totalement
ce point de vue : “Un séjour aux Kereuelen ne présente maintenant rien
d’hérofaue”. Évoauant “l’esvrit-mission”. il retnaraue aue “ce sont sur-
tout ceux aui en sont dkr>ourvus aui en varlent”..Selon lui, “le chauffaae
central et l’eau courante chaude ne contribuent vas à renforcer l’esvrit
pionnier”. Il divise d’ailleurs les hivernants en deux catégories: les
‘bourneois” et les “vionniers” (195)
À la mesure que je dépouille ces notes, je m’aperçois que les membres de
ces communautés éphémères n’ont pas toujours vécu en bonne entente.
Dans le huis clos de Port-aux-Français, chaque pkrip&ie, chaque inci-
dent sont démesurément grossis. Lu déception perce, surtout dans les
rapportsdesmédecinsqui s’essaient au bilan psychologique de la mis-
sion sortante. “Petite année de Detites sens’! Le même médecin, citant
Saint-Paul, ajoute : ‘Là où ne souffle pas l’esvrit est la mort”.
Voilà pour l’année 1959-1960.
“On nous affecte maintenant des hommes comme s’ils devaient servir à
Carcassonne ou à Périnueux. ‘C’est la rancon d’avoir voulu faire passer
Kernuelen vour une Côte d’Azur”, note le chef de missionde la même
année,
Apparaît aussila rivalit entre militairesdesservicestechniqueset scientifiques,
lesquels
... tiennent à conserver une des marques et prérogatives de l’intellectuel
fiançais : la crasse”.
Le diskerde la trente-troisième
mission(à partirdesannées60, on prendra
l’habitudedenuméroterchaque’hivernage) écrit :
La science est un r>eu l’État dans l’État. Un budget propre entretient une
certaine autonomie.
Quant aux membresdesservicestechniques,le diskerde la uingt-quatrièmemis-
sionlesjuge ainsi:
La finalité de la base au’ils édifient et animent finit oar échaooer à bon
nombre de ces braves gens aui ne voient olus ici pue leurs vrovres oro-
blèmes de béton, de fermes. de fuites d’eau, de câbles coupés. de difi-
cuités de vropaeation”. Le disker de la vingt-septième confirme * “C’est
l’intendance aui orime et d’abord celle du béton, le oroaramme iP=
blant seul intéresser Paris”.
Pourquoi vient-on aux Kerguelen ? Chacun propose son explication.
L’unparle de “mvstioue”,l’autrede “miraae tartarinesaue”. S’il y a une
légende des Kerguelen, écrit le médecin-commandant de l’année 1960-
1961, c’est une “légende confortable sui iustifie toutes les ano&ies
d’organisation. toutes les insuffisances de réalisation et fait écran à
toutes critiaues. Elle a l’avantage de transformer en exploit le seul fait

518
d’y avoir vécu. 1.., ) C’est une l&ende stérilisante varce au’elle comoli-
aue inutilement les choses simvles”. Le diskerde la vingt-cinquièmemis-
sionironisesurun “folklore cherchant à glorifier la bête australe. notion
darwinienne oui voudrait que l’hivernane transforme l’homme et aue
l’évolution soit toujours en sa faveur sinon à sa gloire”. Le diskerde la
trentièmemissionassure: “Le bien-être &aéral a tué l’esprit collectif
PAF (Port-aux-Francais) n’est olus une mission : c’est un établissement
où vivent des fonctionnaires aui travaillent et raisonnent en fonctionnai-
&Le diskerde la trente-troisième missiondkplorequeson@déces-
seurlui ait léguésix mille litresde vin.
Cet aspectcourtelinesque estsouvent évoqué.L’undesdiskersobserveque
Port-aux-Francais n’est oas la base d’une mission scientifiaue ou météo-
roloaiaue. mais la Ca&le administrative d’un district D~US orienté vers
l’exéaèses_ede t xtes administr ti
m’! Le disker de la vingt-septilme mission constate non sans amer-
tume : “Tous dénoncent les mêmes carences, soulèvent les mêmes vro-
blèmes, orooosent les mêmes solutions, et tous affichent Dar avance la
certitude de n’être DLU entendus”.
Le médecin de la trente-troisième mission émet la même critique : u
proiet existe. tout se oasse comme s’il était confïsaué, Dar une instance
lointaine située à Paris oui détînit iusaue dans ses moindres détails les
activités et les conditions de vie sur la base : affectation des véhicules,
consommation de beurre. etc. “
Ces rapports qui ressassent à longueurd’année le même désenchante-
ment ne m’apprendront plus rien. Comme l’écrit l’un deux : “A Keraue-
len. onarrive
prédécesseurs : on reoart un r>eu désabusé. content tout de même si l’on
a réussi à faire aussi bien”. Aucunne parle vraiment des îles, excepté le
disker de la trente-cinquième .mission qui conclut ainsi son racporti
“J’en ai connu le meilleur et le vire. L.e meilleur. la beauté sauvaae et
grandiose de ces îles. Le pire, les hommes avec leurs mesauineries dé-
placées dans ce cadre”“. (196-197-198)
Qn croirait lire le compte-rendu
d’un decesbtablissements, dit centresou
mission,qu’ont seméslesFrançaisdansleursterrescoloniales.A tout prendre,ce
pourraitêtre Ecrit par LawrenceDurell (19951996)et porter sur les ambassades
britanniques:
12 diplomatie était une profession calme et paisible pratiquée avec une
reposante niaiserie dans une centaine d’officines .. . rt$arties à travers
le monde. Ce n’était guère plus éprouvant que la théologie pour un
Écossais. (1996: 21)
II suffit de mettre« recherche» à la placede diplomatie,et laisserle resteinchan-
gépourresterdansla plusnuevérité.

519
Chapitre 4
Paroles de terrain 73

Il existe un consensus quand on parle de terrain.


On en parle dans le vague. Sitôt qu’on l’explore,
ça explose en ‘x’ dimensions Varic?es.
(interview, 1982)

Des 72 interviews que nous avions réalisées en 1981-82 et jusqu’en


1985 d’une maniére occasionnelle, plus de la moitié (dont la totalité du lot
de 1981-82) a été conservée (bande magnétique et notes sur papier). Pour les
autres, il nous reste soit des notes, soit des fiches resumées que nous avions
établies après la passation des entretiens. Plus de la moitié de nos interviews
concernent des professionnels et collaborateurs de I’Orstom. Le tiers de
l’échantillon est compose de chercheurs et techniciens des pays où nous
avons travaillé, Africains ou Latino-Américains. Nous avons regroupé, en
annexe 3, une sélection des verbatims de ces interviews. Ces notations nous
paraissent particulièrement pertinentes et certaines seront utilisées comme
illustrations de notre texte.
Nous ne procéderons pas pour ce chapitre comme pour le chapitre 1,
où nous suivions le cours sinueux linéaire des citations, car, ici, les citations
ne sont que la part émergée de l’iceberg des interviews, pour reprendre un
cliché éculé mais pertinent. Les interviews sont biaisées par deux contraintes
toutes deux relatives à l’époque : l’état de l’interrogation sur le terrain, l’état
de nos propres interrogations ; c’est pour cela que nous ne prétendons pas
dans ce chapitre établir une recherche précise fondée sur analyse de conte-
nu 74 . Nous analyserons a grands traits les enseignements de ces entretiens.
Pour aucun des sujets interrogés la question ne fait doute : le terrain
existe et tous, d’une manière ou d’une autre, l’ont rencontk La différence
va venir de deux ordres. Le premier est : comment ont-ils ressenti et réfléchi

73Nous remercions ici particulièrement Claude Meillassoux, qui, en nous encourageant dans
notre projet et en acceptant d’être interviewé le premier, légitima notre enquête auprès de
collbgues plus dubitatifs.
au probl&me, quelle est l’interrogation qu’ils avaient ? L’autre est la nature
collective ou pas du travail dans lequel ils se situent. Tous (sauf deux) ont
au moins une expérience de la totalité de la chaîne de travail, de
I’ttablissement :
l du plan général du travail (constitution de la problématique, de
l’échantillon, du choix de l’observation) ;
l de l’enquête directe sur le terrain ;
l de l’analyse ;
l de la rédaction.

Dans le premier axe, on peut dire que plus le sujet a r&léchi au pro-
blème, plus il va penser le terrain comme ‘surdéterminé‘ politiquement et
contestera Il’ethnocentrisme de nos approches.
L’ethnologie n’a été que ça, le placage de nos idéologies sur des socié-
tés.. .
...
En 65, on croyait au développement. Alibi tout trouvé : on travaillait à la
grande a?uv& En 71, on y’croyait encore, mais le masque tombait, len-
tement. A ce moment là, le problème a pu se poser d’une contradiction
énorme entre les idées personnelles et le métier. Bien stîr que cela me
gêne !

Je n’aime pas une mentalité ruraliste que les chercheurs transposent


dans leur travail. Ordre éternel des campagnes, profondément conser-
vateur. Monde école. Des gens vont en outre-mer pour retrouver ça :
tradition, contre-aspects acculturés. Vision politique qui obscurcit la vi-
sion de ces sociétés., ,
...
J’ai toujours fait du terrain, situation des coloniaux...
Les Africains se poserontle problème de savoir comment faire avec cette
donnéesocialepour isoler l’approche techniquequi, en fit et par tous, n’est
pasvraiment remiseen cause:

On me traite d’acculturé, or je suis profondément enraciné dans le ter-


roir. C’est une part obscure de moi, l’expression de mon subconscient...
Dans ces cas-là(quand la prise de consciencedesambiguïtésdu ter-
rain étaient clairement entenduespar le sujet), l’interview a véritablement
été non-directive : dès la première question, la litanie sortait : voyage, tou-

l4 GIS, 1980 ; Ghilione, Matalon et Bacri, 1985 ; Bardin, 1993.

521
risme, ethnocentrisme, subtilité des sujets que l’on enquête - négociation de
la vtrité à construire autant qu’à inventer -, travail, questions et question-
naire ou pas, la pratique, l’écriture. Dans le second cas, nous avons plus
souvent dQ prendre la parole, demander des éclaircissements (technique
classique du « miroir réfléchissant » cher à Carl Rogers), et poser d’autres
questions plus spécifiques.
Dans le second axe, on peut dire que le terrain n’est à aucun moment’
apprécié « en-soi » dans notre Echantillon d’interviewés ; pour tous, le ter-
rain n’est qu’un moment de la recherche ou de leur travail. II n’est jamais
considéré comme pouvant disposer d’une quelconque finalité. II n’est pas
plus considéré comme pouvant initier une recherche. Il n’est jamais qu’un
maillon. Par contre, les positions vont diverger selon deux orientations :
quand l’étape de terrain fait partie du travail personnel ou quand la personne
interrogée se situe dans un continuum professionnel dont elle occupe un ou
plusieurs échelons. Notre échantillon se compose tout de même de person-
nes qui ont une connaissance plus ou moins directe de la totalité de la chaîne
de fabrication du ‘produit’ qui est l’objectif, collectif ou individuel : le livre
(ou le rapport final), auquel ils ont participé indirectement ou directement au
moins une fois.
Nous n’avons pas d’exemple probant que le terrain soit vu comme la
« réalité ». Il est une réalité, certes, mais pas plus importante qu’une autre et
la recherche est clairement appréciée comme une prise d’informations sur un
réel que l’on ne prétend pas connaître en totalité mais seulement dans son
rapport avec une certaine méthodologie d’enquête. Par contre, nous avons
beaucoup de réflexions qui tentent de préciser où commence le terrain, et ou
il s’arrête pour des gens qui étaient souvent en affectation de longue durée
dans un pays étranger.
Terrain synonyme d’affectation. ..
...
Affectation n’est pas terrain, mais se balader à travers ton pays
d’affectation est du terrain.. .

522
Nous avons relevé de nombreuses réactions de chercheurs et professionnels
free-lance qui regardaientavec envie les coopérantsqui abondaienten Afri-
que en ces années.Ils leur reproc$aientd’abuserun peu de la confusion des
deux créneaux : affectation et terrain.

L’affectation outre-mer n ‘est pas du terrain, c’est une planque.. .


D’une manièregénérale,on considèreque c’est du terrain quand une prise
de connaissancedu pays danssa diversik-5est à reconnaître mais on le dit
sansforfanterie : on semeut dansdesévidenceset on ne se sent pas obligé
de sejustifier à chaquepas,

Le terrain, c’est la Côte d ‘Ivoire. C’est pas un terrain, un lieu précis,


c’est d’être ici. Les lagunes c’est mon terrain, tu peux préciser, mais
même pas.. .
La questionpouvait seposerd’une manièreplus ambiguëpour ceux dont les
sorties (les “missions” «en brousseb))étaient financées, et on retombait
alors dansle probléme classiquede l’honnêtetk personnelle,certains ayant
des positions rigoristes et d’autres des positions plus souples.On avait, si
l’on préfère, l’attitude typiquement française qui fait un compte global et
celle, plus anglo-saxonneet juridique, attachéeau détail de chaque opéra-
tion, en voici deux exemples:
Même quand je ne fais rien, je fais de la recherche, car sur ma feuille de
paye est inscrit : VTchercheur ». Et le terrain, c’est quand je suis payé
pour ne pas être chez moi.

J’essaye d’être honnête par rapport à moi-même, de ne pas abuser des


deniers publics 75. Je fais des fausses factures sans état d’âme excessif
car nos règles comptables ne correspondent pas à la réalité du terrain,
mais je riens à ne pas gagner de l’argent avec les frais de mission, pour
ne pas pourrir comme ces vieux qui se font du C.F.A. sans vergogne. Je
dépense tout sur place. 76
Par ailleurs, le terrain est conçu professionnellementd’une manière
très large par rapport au senscourant d’aujourd’hui : le terrain c’est là où
sont lesdonnées:

” Rappelons que les frais de mission englobaient les per diem, viatique qui permettait de
vivre sur le terrain, hors de chez soi, et les frais de terrain qui couvraient matkriels, entre-
tien, véhicule, fournitures.. .
76 C.F.A., franc de la communaut6 française, valail a I’epoque 2 centimes et la zone franc
6tait une zone protégée, bénéfique b la multiplication par deux de toute dpargne.

523
C’est faire du terrain que de parcourir le monde pour aller voir des raf-
fineries, l’une dernière l’autre. Tenter de comprendre les nuances des
productions, la réalité des chiffres qu’elles fournissent. Tu parles avec
les directeurs, les techniciens, les manœuvres, et t’en apprend de belles !

...
les statistiquessontune imagedu réel, mais parfois le réel n’existepas !
Aller y voir te 1 ‘apprend. Je suis allé voir une usine, j’avais 1‘adresse et
tout, des contacts et tout... Eh bien, l’usine n’existait pas ! C’était une
usine-pub ! II y en avait plein comme ça, avec des annonces dans Le
Monde Diplomatique du genre a Cherchons pour usine telle, à tel en-
droit, ingénieur(e)s . .. etc . ! » La rigolade : des « ingénieureuses s dans
un pays pareil ! Ces usines gageaient la dette, tu vois ? Eh bien, le ter-
rain, c’est cette vérité-là qu’il t’apporte. Et si le pays est beau, t’as aussi
les yeux remplis de merveilles, c’est tout. C’est quand même pas ta faute
si ces usines-là t’ont pas bousillé le paysage, non ?
.. .
Visiter des usines, aller chercher 1‘info là où elle est, dans la tête des
gens, chez des bureaucrates obtus, ça aussi c’est du terrain.,,
L’enquête documentaireseradonc toujours estiméedu terrain par nos inter-
locuteurs, mêmes’ils ne considèrentpasque ce soit un ‘terrain’ de la même
nature que le ‘terrain’ :
L’enquête documentaire, c’est une autre approche du terrain qui utilise
d’autres filières. Des médecins non déclarés comme tels car utilisés par
grandes entreprises. Je les récupérais par le biais des thèses obligatoi-
rement soutenues avant exercice de la médecine...
.. .
Les documents c’est un terrain théoriquement oui, mais en pratique ce
n’est pas du tout la même chose...
Il est intkressantde voir les sujetsde nos interviews hésiter entre une
description analytique du terrain difficile à meneret qui les entraîne sur les
terrainsmouvantsdesdéfinitions sectaires,et unedescription pointilliste qui
les renvoie a donnerdesexempleset à virer dansl’anecdote.. .

Le terrain comme étape ou comme moment

Le terrain, tel que nos entretiens le dessinent,n’est pas une réalité


complexe sur le plan technique même si elle reste techniquement
« inattendue» :

On a beau avoirfait des études, ce que j’ai appris, c’est du vent. Tu dé-
chantes.. .

Les compétences de départ, les études, cela ne te sert pas à grand chose,
le terrain dépend de qui tu es pas de ce que tu sais.

524
C’est, au contraire, une étape dans le déroulement temporel d’une recherche,
qui ne tient sa légitimité que de par le sérieux avec lequel on peut le réaliser
comme processus de connaissance.
Du plaisir en travaillant, voilà le terrain ! Pas toujours du plaisir à vrai
dire. Pas toujours du travail, faut dire. Reste que si y’a pas idée de tra-
vail, y ‘a pas de terrain.. .
Par contre, il est appréciécomme 6tant chargé d’un vécu extrême-
ment fort qui dépasselargement le cadre étroit de la collecte directe
d’informations. Il n’y auraque les anthropologuespour reconnaîtrequ’il est,
en soi, la sourced’informations sur leur objet d’étude. Pour les spécialistes
desenquêtesquantitatives, il n’est que la sourced’un meilleur entendement
de la réalit& Cependant,c’est l’objectif qui prime, d’où cette remarque:
Un bon scientifique qui n’aime pas le terrain fera un meilleur terrain
qu’un charlot qui aime le terrain et ne sait pas où il va. L.e premier fait
du terruin, le second du tourisme.. .
Le travail est vu par tous comme un processusqui part d’une ques-
tion très large, formulée a partir d’une discipline (quelle est la fécondité ?),
ou à partir d’une méthode(que donnerauneenquêteà passagerépétée?), ou
à partir d’une interrogation scientifique (application de l’anthropologie
économique; la pêche artisanale-question poséepar les halieutes et les
ichtyologues-) ou a partir d’une question du client - en général l’État -
(quelle population ? quel apport représentela migration ?)

Une enquête commence quand on sait où on va. Un terrain n’existe


qu ‘enfonction des objectifs qu ‘on se donne.. .

On se pose un certain nombre de problèmes, on imagine un certain nom-


bre de variables qui pourraient fournir les réponses. Ott teste et on mo-
difie quand on penseque la réponse a été mal comprise. Mais quand elle
est bien comprise (on croit avoir une bonne réponse) on ne sait pas si on
a induit la rt!ponse que l’on voulait.. .
Et quand setermine-t-elle ? Quand on est manipulé par les genschez
qui on vit, répondenttous lesethnologues:
Quand les gens te manipulent sur ton terrain, c’est le signe qu’il estjîni.
t’as plus qu ‘à gicler.. .
Son objectif est la rédaction (on ne parle pas de livre ou d’article,
car, à l’époque, la plupart de ceux que nous interrogions étaient dans des

525
structures où les publications n’étaient qu’un “plus” que leur interdisaient
leurs longs éloignements de la «métropole B). La rédaction est le produit
final, qui permettra la sortie dans le public des conclusions du travail. Entre
les deux bouts de cette chaîne s’égrènent les Ctapes diverses qui amènent de
la question initiale toujours vague au produit fini. Une des « légendes » mise
en pièces par nos interviews est l’image de l’homme de terrain incapable
d’écriture, quoiqu’il le paraisse en une première approche de ce que nous
présentons comme extraits :

On se laisse pousser vers le terrain car on se sait inapte pour


l’écriture...
.~,
L’exercice de l’écriture est UII exercice de la pensée...
Car souvent la rédaction desrapports de terrain, en ce qui concerne
les « quantitativistes», est une deslourdes tkhes dont ils sont chargés; il
est vrai que leurs talents personnelssur ce plan ne sont pasmis en valeur à
causedu côté anecdotiquedes leçonsdu terrain. Il y a 18non pas une diffi-
culté d’expressionpersonnelleou liée à un choix personnel« par défaut »,
mais bien une difficulté objective : comment traiter du terrain, difficulté
récurrente“. Nous devonsaussidire que les ponts entre disciplinesne sont
pasencoremis en place. Nous sommesau début desefforts des administra-
tions centrales pour faire émerger une recherche multidisciplinaire (dont
nous pensonsque loin de s’installer, elle a, au contraire, concrètementré-
gressé,mais, aujourd’hui, ORs’abrite plus souvent derrière ce vocable justi-
ficateur). Les chercheursn’ont pas une claire consciencequ’ils se situent
bien souvent au sein de problématiquesplus largesqui les dépassent,et ils
sereplient, sagementnous semble-t-il, sur ce qui est de leur maîtrise : leur
discipline, leursconnaissances,
leurscompétences.Le cas est assezétonnant
quand on considèreceux qui œuvrent au sein d’équipesmultidisciplinaires
(statisticiens, sociologues, informaticiens, démographes..,) et avec des
niveaux hiérarchiques complexes (concepteurs, démographes,enquêteurs,
informaticiens,captureurs,analystes,dessinateurs,
rédacteurs...)

” Que l’on trouve égalemenr chez les analystes.

526
L.e terrain est donc bien un moment, que nul ne saurait isoler des au-
tres comme partie d’un tout dont l’intérêt ne se justifie que par le résultat
final de la chaîne de travail. Mais c’est sur son intérêt que va se situer le
débat.

Le débat sur l’importance du terrain

Le terrain sera donc vu selon l’importance qui lui est accordée. On


peut distinguer ceux qui vont le situer comme second par rapport à la pro-
blématique de l’enquête en gtnéral (de la question à la rédaction) et ceux qui
vont en faire une étape fondamentale de l’étude de la réalité. Dans ce second
groupe, nous allons avoir ceux qui, travaillant dans une chaîne continue de
collecte et ‘d’analyse, vont vouloir donner un « statut » au terrain, à cause des
grandes opérations statistiques et des probkmes spécifiques qu’elles posent,
que, par expérience, certains professionnels résolvent mieux que d’autres.
D’une manière générale, le terrain est estimé épistémologiquement
“soumis” g la problématique de recherche ‘*. Ce qui lui est reconnu quasi-
systématiquement, c’est sa capacité heuristique et la force avec laquelle il
peut imposer sa propre logique à l’enquête. Il est évident que cette impres-
sion sera cl’autant plus forte que l’enquête est qualitative, que son plan de
travail est souple. Tous les ethnologues et les sociologues concluront ainsi :
on a des idkes, on va sur le terrain, et après, c’est lui qui dirige, La qualit
premiére dans la recherche de terrain est l’opportunisme “. En règle géné-
rale, tous reconnaissent, quantitativistes ou qualitativistes, que la perfection
n’existe pas :
C’est quand une enquête est finie, que tu sais comment il fallait la faire.
Mais si tu repars de ça, tu retrouves la même conclusion... Processus de
contestation sansfin...
La question clé est donc de s’adapter, ce qui paraît évident à tous. La
question sur laquelle tous les interviewés sont d’accord, quelque soit leur
discipline et leur mktiet :

“Nous employons ici le terme recherche, travail global, enquête dans sa totalité, etc.
comme synonymes ou kquivalents.
” Christian Valentin (communication personnelle).

527
La collecte devrait être l’opkration la mieux prise au skrieux et la plus
préparée, or on fait des trucs merdiques. De toute façon, les enquêtes Q
niveau, ça n ‘existe pas.. .
Rester modeste c’est accepter que le terrain donne des leçons : savoir que
l’action n’est jamais parfaite dans le réel, telles sont les positions exprimées.
D’ailleurs, les leçons des autres sont de peu d’utilité :
L’observateur privilégié... J’ai été influencé par cette lecture d’tllthabe.
Le résultat est que j’ai été l’observateur passif de ma propre enquête sur
le terrain. Mon enquêteur, lui, était heureux... Les recettes des autres,
c ‘est de la connerie. Ça aussi, on l’apprend sur le terrain.. .
.. .
La collecte d’information est primordiale. Sans le terrain il n’y a rien. Si
tu fabriques une grille tu tombes carrément à côté. Au début, j’avais une
grille, des idées claires. Cela n’a pas été payant et j’ai été perdant. J’ai
maintenant des idées mais pas articulées sur quelque chose de précis...

L’espacemental dbcelépar le ‘terrain’

Le terrain est qualifié comme un espace mental qui inclut la collecte


et comme une réalité extérieure qui permet l’accomplissement d’un projet.
Nos interlocuteurs ne le chargent pas, comme il l’est aujourd’hui, d’une aura
d’aventure. Il est vrai qu’interrogés par nous, qui tentions de préciser ce
qu’était le terrain « objectivement », ils ne pouvaient pas trop se lancer dans
des récits anecdotiques comme le terrain en est fécond. Intervieweur et

interviewés savaient A quelle réalité concrète de vie dans les villages, de


transport dans des conditions difficiles.. . référait une grande partie de la
réalité du terrain. Mais cet aspect ‘aventure’ n’était pourtant pas jugé déter-
minant :
On ne raconte pas ses vacances, comment raconter sort terrain ? Emo-
tionnant et banal.. .
C’est pour cela que les connotations ludiques que l’on peut relever
dans nos interviews ne sont pas déprisées ; il en est de même que pour
l’aventure intellectuelle que représentent une analyse de données ou bien
une rkdaction : on n’est pas obligé de souffrir pour les réaliser. On peut les
faire dans la joie et le bonheur. Les bonheurs simples de l’artisan ne sont pas
exclus de la recherche. En conséquence, le tourisme, les voyages, l’aventure,
les relations entre la vocation pour la recherche, ou l’enquête, ou l’outre-

528
mer... à l’enfance... sont vues avec tranquillité et bonne conscience. « Les
choses sont ainsi » disent-ils ; l’habitus de l’époque n’est pas aux tourments
métaphysiques de l’ethnométhodologie :
Antécédent familial de voyages qui a certainement joué...
Notre étonnement sera grand de remarquer combien de coopérants sont
enfants de diplomates, de fonctionnaires de la France d’outre-mer, qui ont
« recyclé » pourrait-on dire toute une tradition familiale dans un projet per-
sonnel. Car, au contraire de ce que l’on pourrait croire, cet aspect n’est pas
de ceux qui sont racontés d’une manière systématique par les sujets en
« situation naturelle » et, sans l’interview, nous n’en aurions su alors que
nous connaissions certains d’entre eux depuis plusieurs années :
Ma mère est une Africaine (rires). Très claire elle aussi. Avec mon père,
tu comprends,.. Reste que je suis un «frisé serré ».
C’est pourtant par le terrain réalisé que le chercheur se jugera comme
compétent.. b y a, en l’affaire, de l’épreuve initiatique, mais au sens authen-
tique du te.rme : si on vainc sur le terrain (si on se vainc soi-même naturel-
lement), alors on a acquis une auto-reconnaissance de la validité de son
projet.
J’ai su par cette expérience que j’étais capable de vivre en brousse
même sans savoir la langue...
On fait partie d’une communauté de gens qui « sauront », qui pourront juger
le travail des autres. Cette expérience initiatique donne effectivement le
droit au sujet qui l’a subie de discuter ce que les autres présentent comme
leur propre recolte. Nous avons là une des contradictions que rencontrent
nos interlocuteurs : le terrain n’est pas essentiel à une bonne science, puis-
qu’on connaît de nombreux grands chercheurs qui n’en ont pas fait, mais
cela concerne les « grands », les autres, nous, devront procéder autrement
pour arriver à une connaissance qui permette de parler. Les grands thémes
sont tous dévoilés : on en est, historiquement, au stade de l’accumulation
d’informations et d’études parcellaires. On ne peut plus raconter n’importe
quoi, et donc il faut aller voir sur le terrain, prendre la mesure du rkel :

529
On ne peut plus fantasmer, il n’y a plus de terrain vierge. On ne peut
plus raconter n ‘importe quoi sur l’Afrique.. .
Le terrain va donner cette sensibilisation ‘basique’ au réel et permettre
d’entendre l’apport des autres, qu’il soit de la collecte ou de l’analyse.
Le terrain permet donc d’entendre la validité des données que l’on a soi-
même recueillies et de pouvoir critiquer les données que d’autres ont pro-
duites. Et plus encore de pénétrer intimement dans la logique des analyses
que l’on peut lire dans les ouvrages finis : s’il y a forfaiture, prétendent tous
nos interlocuteurs, on est capable de la percevoir en ayant affronté soi-même
l’Épreuve du terrain, même si le terrain qu’on a soi-même effectué n’est pas
un modèle du genre.
Pour les enquêtes quantitatives, la nuance est la même : comment
parler de données quand le chercheur de terrain rapporte des faits ? Com-
ment théoriser quand on n’en voit que des incidents, des anecdotes ? Les
structures sociales, alors que ce sont des relations entre personnes que l’on
voit ? D’ailleurs, et le fait nous sera souligné par deux interlocuteurs à pro-
pos de l’ouvrage d’Emmanuel Terray (1972) : ce n’est jamais à partir de leur
propre terrain que les gens théorisent, mais à partir de celui des autres.
« C’est plus facile (nous dira l’un d’eux que nous citons de mémoire), de
traiter de sale capitaliste un planteur dont, on lit la description dans un
livre, que le monsieur que 1‘on connaît bien, dont on sait qu’il est pressuré
de toutes parts par ses inféodés, et qui devra se pendre rituellement au
baobab si la nourriture vient à manquer à son groupe de dépendants ! » Il
est vrai que c’est toute la différence que l’on peut trouver entre une donnée
et un vécu. Cette question de divergence de points de vue, nous l’avions déjà
relevée en première partie de ce travail et elle reste toujours a l’œuvre chez
les praticiens de la medecine quand on les inclut dans une enquête collec-
tive : le conflit ne tarde jamais a surgir entre ceux qui étudient la maladie et
ceux qui s’intéressent aux malades.

Le fait que le terrain ne finisse par se résumer que par des anecdotes
« incroyables » au sens premier du terme, fait problème a nos interlocu-
teurs :

530
Les gens qui parlent de collecte égrènent une suite d’anecdotes. C’est
toujours du vécu, c’est important mais on n’arrive pas à en sortir...
Ce caractère anecdotique sur lequel tous insisteront, fait probléme pour la
transmission de la connaissance accumulée sur le terrain :
L’expérience du terrain ne se transmet que par anecdotes et platitudes,
on n’arrive à sortir autre chose que des recettes...

L’expérience ne se transmet pas bien entre deux personnes, y compris


sur le même type d’enquête car il manque toujours une analyse critique
de cette phase de terrain.. .
Car :
Les anecdotes racontées sont signifiantes de qui les raconte...

Les enquêteurs

... la question est de savoir jusqu’à quand tu dék-


gues [aux enquêteurs]. Dans une enquête statis-
tique tu es obligk de déléguer ta confiance à quel-
qu’un du niveau infkrieur. fl n’est pas obligatoire
de faire la collecte soi-même. Mais si tu élargis
la démographie, le terrain est indispensable...

Les enquêtes statistiques se fondent sur l’emploi d’enquêteurs, car la


taille des populations observées dépasse les capacités d’une seule personne.
Mais dans la citation présentée, notre interlocuteur distingue entre
l’encadrement d’enquête et le terrain que lui-même peut être amené à
«faire ». L’un des dtbats que l’on retrouve dans nos interviews, est
l’autonomie ?Iaccorder a ces collecteurs de base. Tous, pratiquement, optent
pour la confiance appuyée par une solide formation de leurs équipes. Les
sociologues se font l’écho d’une querelle qui agita les milieux
« qualitativistes », celle de savoir si l’on pouvait prendre des enquêteurs
pour observer les structures sociales et autres dimensions bien subtiles des
sociétés humaines, Le débat avait tourné court pour deux raisons qui appa-
raissent bien dans nos notes : la première est un refus de la situation colo-
niale (Déjà que je ne voulais pas de boy ! nous dira un interlocuteur), l’autre
est le refus d’une relation quantitative par rapport au terrain. A l’époque se
met en place un mépris des statistiques qui n’était pas apparu dans les textes
antérieurs disponibles. Il faut dire que les moyens d’analyse des chiffres

531
n’étaient pas aisés a mettre en place avant l’arrivée de l’informatique per-
sonnelle quand la grosse informatique avait frappé d’obsolescence les
moyens humains mis en place jusqu’aux années 70 : on ne pouvait plus
obtenir des budget pour des équipes de dépouilleurs de données, placés à la
chaîne sur de longues tables, comme on le faisait auparavant 80. Par ailleurs,
la statistique se complexifiait. Les «bonnes vieilles méthodes » étaient
dévaluées, les nouvelles encore pbdantes. Il est quand même intéressant de.
voir que des sociologues qui, au départ (aux débuts de leur carrière), accep-
taient qu’une partie de leur information soit statistique, en soient venus à
théoriser des répulsions ou des difficultés de coordination des donnees et des
informations, en refus du quantitativisme :
Quand je réalise un contrat, je fais des enquêtes avec enquêteurs. Bien
obligé ! Et moi, je cours le pays h côté avec un interprète. Au rapport,
j’écris ce que j’ai vu. Les questionnaires remplis, je les lis et prends des
notes. Puis je mets un type qui fait des petits bâtons dans des colonnes
avec les réponses et quand ça ne me dérange pas, je mets les chiffres
[dans mon texte]. Comme ça, tout le monde est content.
Nous avons donc une théorisation qui s’est mise en place estimant que le
qualitatif était incomparablement supérieur à toute autre procédure.

Les enquêtés

Les sujets des enquêtes, qu’elles soient anthropologiques ou statisti-


ques (démographiques ou socio-économiques), sont peu présents dans nos
entretiens. Il se peut que ce soit par biais d’interview ou bien parce que nos
interlocuteurs étaient plus sensibles aux aspects globaux des enquêtes de
terrain. Il se peut aussi que ceci soit dtt au fait que la grande partie de notre
échantillon soit compode de personnes travaillant outre-mer. Dans ce cas,
ils auraient eu quelque difficulté a parler de ce qui est, en partie, un indicible
d’ordre psychanalytique : leur vécu le plus intime sur le terrain. Pourtant,
deux souligneront, qui avaient l’expérience de terrain en France et pas seu-
lement en outre-mer :

ao- Le dkpouillement à la main des documents permettait des contrôles serres..., dira l’un
d’eux.

532
Le terrain partout c’est pas facile. Il faut y croire...

Modula spécificité : les problèmes de collecte sont les mêmes partout.. .


Point sur lequel notre propreexpérienceconverge.

L’image qui est présentéedes enquêtesn’est pas du tout une image


passive,les enquêtessont desacteurs de l’enquête, qu’il faut savoir impli-
quer dansla recherchesi l’on veut que lesinformations soientde qualité :
Il faut que l’enquêté voit l’intérêt, sa mémoire en depend...
. ..
Les enquêtés ? Des malins ! Et qu’ils te baisent bien bon, patron !
Même danscette appréciationa l’emporte-pièce,son apport et son autono-
mie sonttoujours reconnus:

L’enquêté est un parasite de l’information. Il t’enquiquine...


De nombreusesobservationsdans nos interviews montrent que la situation
d’enquête est une situation reflexive, mais sur le pôle non personnel, sur
l’autre, nos interlocuteursrestentrelativement discrets.

Une revendication : reconnaître le ‘terrain’ comme un mCtier

Métier très dévalorisé alors que leur rôle est essentiel...


.. .
Un homme de collecte, c’est un homme de caractère, acharné, trempé.
Sinon tu n’arrives pas au bout. il faut y croire mordicus, coup de dé-
prime, problème de famille. L+erecensement c’est ton gamin...
D’une manièregénérale,le travail de terrain est toujours estimé pé-
nible, affectivement, physiquement,émotionnellement.Compliqué par de
multiplestracas:

Le terrain : risque, inconfort, fatigue, travail excessif; vie précaire, c’est


plus dégueulasse que le camping, alors les gens disent : « le terrain c’est
de la merde », et on parle des bêtes de terrain et pas des hommes de
collecte. Le tourisme alors n’est qu’une maigre compensation...
Dans les pays tropicaux, les natifs eux-mêmes,fréquemmentorigi-
nairesdes villes quand ils sont recrutés pour être enquêteurs,ont des pro-
blèmesd’adaptationphysique,sitôt que l’on quitte les capitales.Cette abon-
dance de contraintes et de difficultés aggrave les conditions d’isolement
auxquellesde nombreusespersonnes,de toutes nationalités, ne s’habituent
pas. Les terrains brefs sont toujours « faisables» et gratifiants, les longs

533
terrains sont éprouvants, ne serait-ce que parce qu’ils « déconnectent » de la
réalité sociale de la personne, de son background. Cette observation est
valable quelque soit le niveau des gens de terrain, qu’ils soient enquêteurs,
ou contrôleurs, ou bien chercheurs... Notre expérience personnelle a tou-
jours plaidé pour les capacids d’adaptation aux terrains des personnes (sur
les plans émotionnel, mental et physique), plutôt que leurs qualités intellec-
tuelles aux tests. De toute façon, une personne brillante qui « craque » perd
beaucoup de son brillant. Les tests de recrutement ne sont pas déterminants
dans des pays où les diffbrences culturelles ne permettent pas leur calage
adCquat ‘l, Q uand une seule personne enquête pour son propre compte, elle
reste seule juge de son enquête et de son terrain (avec les gens chez qui elle
se trouve, mais la mansuétude des gens pour un étranger totalement incom-
préhensible est infinie). Ce n’est qu’avec le temps que l’on saura si sa re-
cherche est valable ou pas. Souvent, quand elle a manqué de sens
d’adaptation, le résultat est semblable à celui obtenu quand elle a manqué de
sens scientifique ; un voile pudique de silence recouvre alors ce genre de
travaux. Le probléme est différent quand on a affaire & des travaux collectifs
produisant des données, des chiffres, qui eux vont rapidement être soumis à
la critique internationale des spécialistes. On comprend alors que ce soient
ces spkcialistes des enquêtes statistiques qui vont donc Etre les seuls, démo-
graphes ou économistes, à s’interroger sur le statut du terrain comme mCtier,
et celui des hommes de terrain comme spécialistes, dans une chaîne de
travail et de professionnels.

” Nousvoudrionsici raconterune anecdote qui date de 1967. A l’époque, IBM avait d6cidé
« d’africaniser » (terme préfbré B « sénégaiiser » compte tenu du grand nombre de fonction-
naires « sénégalais » originaires des anciens pays de I’AOF (Afrique occidentale française),
puisque Dakar était la capitale de toute I’AOF et Saint Louis du Sénégal avant 1958) et
donc la personne chargée de cette opbration était un cadre de 55 ans environ, d’IBM-
France, venu avec tout un staff de psychologues et psychom&riciens pour recruter les futurs
informaticiens.. Aucuncandidatn’était valable.Ce monsieur, (il nous avait lui-même fait
ce récit), a donc consullé New York qui lui avait rGt&é les ordres d’africanisation. A la
suite d’un conflit avec ses sficialistes en lests, il les rapatria tous. II convoqua les candidats
sénégalais, les choisit et, pour quinze prévus, il en sélectionna dix-sept, estimant qu’il
pourrait ainsi être tranquille. Les stages furent très concluant, aucun des stagiaires ne fut
recale. 11saccomplissaient leurs tâches & merveille. Étonnt?, le repr&entant d’IBM leur refit
passer les tests : rbsultats identiques & la première fois. ,, La morale est que ce monsieur
avait comprisce que normalementles psychologues eussent dO.savoir qu’un test est font-

534
Disons d’abord qu’il ne s’agit en rien d’une déqualification selon nos
interlocuteurs : être quelqu’un de terrain n’a rien d’infamant. Pour effectuer
du bon terrain, en dehors des grandes opérations du type recensement qui
pourraient avantageusement être dirigées par des militaires, les enquêtes
demandent, pour être exécutées sur le terrain, autant de compétences que
pour être analysées. Mais ces compétences ne sont pas un acquis profession-
nel, c’est une donnée de caractère. Une variable personnelle. On naît « de
terrain », on devient « démographe » pourrait être un bon résumé de ce qui
nous a été dit. Toutefois, ce qui gêne est de plusieurs ordres :
l d’une part, l’aura de la collecte et la nature les besoins sont contrebalan-
cées par toute cette masse de documents recueillis en pure perte, puisque
la majorité des enquêtes n’est jamais exploitée... parce qu’elles ont été
mal faites, ou parce qu’elles ont été mal conçues ;

l d’autre part, les gens de terrain ont mauvaise presse, il est parfois dits
d’eux que ce sont des baroudeurs, satisfaisant sur le terrain leur goût de
l’aventure. Quand ils sont fréquentables, ce seraient alors des personna-
lités ludiques, comblant sur le terrain leur goût du tourisme.. , On les ac-
cuserait facilement de détourner les fonds publics pour la satisfaction de
névroses personnelles ;

l enfin, ils ne respecteraient pas les instructions qui leur sont données (par
incompétence dit l’accusation, par adaptation rétorque la défense).
On doit dire que le portrait des « analystes » dressé par nos interlocuteurs
n’est guere plus favorable. Mais, vu le thème de nos interviews, l’indulgence
des interviewés était acquise aux gens de terrain, même quand ils se si-
tuaient du c8tC de l’analyse ‘*. Car pour tous, ne pas avoir fait de terrain,

bon de la culture et que les mesures de QI ne sont pas mathématique mais dtpendent tota-
lement du contexte. (Que sais-je ?,n”626. Pichet. 1994).
** On accuse les analystes de raconter n’importe quoi avec n’importe quel chiffre sans se
preoccuper de savoir sa validité par rapport au reel : c’esr pas des créareurs, c’est des
triparouilleurs. Ils sont souvent accuses d’abuser de leur position au bon bout de la chaîne.
Enfin, ils dilapidaient les deniers publics tout autant que l’homme de terrain en proposant
des enquêtes irrbalistes ou impossibles : on impose des standards linguistiques qui ,n’onl
pas cours dans la population, en est un bon exemple.

535
qu’ils aient seulement travaillé en France ou qu’ils disposent d’une expé-
rience internationale, est très mal jugée :
Celui qui a coliectk les données en sait les limites.. .
*..
celui qui a fait du terrain est moins dogmatique.. .
même si tous seraient bien d’accord avec cette observation :
Crapahuter en brousse : degré zéro du terrain.
On voit que, chaque fois, on se trouve en un discours B double face
qui va d’un aspect 21l’autre d’une manière chaotique sans se stabiliser sur
une image. Les hommes de terrain ?
des aventuriers
.. .
des organisateurs
..,
des baroudeurs
Ceux qui ont pratiqué les enquêtes en tiennent tous pour
l’importance stratégique de cette phase du travail collectif : il faut lui accor-
der toute l’attention voulue. D’une part, une collecte est vue comme impor-
tante : pour chaque professionnel, pour lui donner une idée des difficultés
concrètes qui se cachent derrière les données qu’il aura à analyser, mais,
d’autre part, l’tvidence est qu’il faut des données et que les enquêtes quan-
titatives sont collectives. Par ailleurs, on s’apercevait a l’époque que beau-
coup d’enquêtes ne valaient rien (la confrontation des informations mani-
festait des contradictions qui’relevaient bien plus souvent de la qualité diffé-
rente des collectes que de leur nature ou du temps). Les besoins étaient
grands, or, la collecte est quelque chose de pénible, qui demande un go0t
personnel pour être menée à bien, collecte après collecte. On a aussi une
tendance : celle de se dire qu’une fois qu’on a connu le terrain, autant laisser
un autre en faire pour vous comme dans la potion magique : les effets se-
raient permanents quand on est tombC dedans. A l’autre bout de la chaîne,
on a ceux qui déduisent de leur expérience (qu’ils s’orientent vers la collecte
ou l’analyse en fonction de leur évaluation de 1’intérêt, pour eux, de l’une et
l’autre) que la collecte est une phase importante et voudraient qu’elle soit
mieux considérée dans la chatne de la production de données.

536
Il y a unefatigue physiqueet une saturation mentale...
Celles-ci entraînent des dommages qui n’ont rien d’anodins, mais ces dom-
mages ne sont pas d’ordre de la santk physique contrairement aux légendes :
Déconnexion des hommes à l’écart de tout pendant de longs mois. Cela
contribue 0 leur image d’être à côté de la plaque. Ce n’est jamais eux
qui mangent les marrons, ils arrivent quand le gâteau est bouffé. Ils sont
méprisés car ils sont à l’écart de l’information. Je suis intimement per-
suadé que la partie collecte estdédaignée car c’est un boulot très dur...
Certaines personnes se révélaient «bonnes ou excellentes » et
d’autres peu enclines à «courir la brousse » pour rechercher des informa-
tions, préfkant, par compétence ou par go&, l’analyse et les Etudes. Par
simple modestie, certains, qui s’étaient pourtant « frotds au terrain », cons-
tataient que leurs propres enquêtes n’avaient pas la qualité qu’ils avaient cru
y mettre et ils concluaient :
Une bonne enquête ? C’est uneenquête faite par un type qui estbien, qui
est valable quoi, en qui tu te dis que tu peux avoir confiance.. .
On voit le renversement de valeurs qui s’opère : on ne juge plus l’objet
« donnees » en soi mais relativement à son découvreur. Ce n’est pas le trésor
qui fait l’inventeur, c’est l’inverse, comme dans cette folie moderne où le
prix d’un tableau dépend de sa signature 83.
Il faut enquêter auprès des gens qui ont fait le terrain pour savoir,..
Mais comment savoir si le terrain ne s’apprend que par imprégnation et par
anecdotes ?
La revendication est tgalement assumée par les gens de terrain eux-
mêmes qui aimeraientêtre mieux considérés.
Je trouve ignoble que notre boulot ne soit pas plus encensé...
Et ils sesententvictimes de l’aura du terrain :

Le terrain n’intéresse les gens que quand c’est pas scientifique.


...
L’anecdote, la plus plate, a un statut, c’est très moderne et ce n’es? pas
propre aux gens de terrain.. .

s3 Picasso dînait avec quelques amis et au moment de payer, personne n’avait de quoi,
chacun ayant esptré que le maître, n’est-ce pas..., et le maître,lui, se promenait sans
argent... Picasso fit sur une nappe de papier un dessin et le donna au reslaurateur :
« Revendez-le, vous aurez largement de quoi pour vous rembourser ». L’amphitryon de-
manda que le dessin fat signd et Picasso de r6pondre : « Je vous achète le repas, pas le
restaurant !»

537
Nous retrouvons IA l’éternel dilemme entre « les gens d’en haut » et
« les gens d’en bas », le bureau et le chantier, la main à plume et la main a
charrue., . Certes, leurs critiques f’analystes peu scrupuleux est bien venue,
mais les critiques sont toujours acceptables, quand la question n’est pas de
critiquer « les mauvais » mais « les bons » :
L’analyse : sport en chambre, on rame dans sa salle de bain.. .
Comme donneurs de conseils, les analystes sont souvent très contestés :
Problème de la boulimie de variables, on veut cacher son incapacité à
résoudre un problème par un nombre important de questions. Or, un
problème simple peut se poser simplement peut-être...
Le danger étant de prendre ce que l’on a pour de l’argent comptant, la diffi-
culté de travailler des données que l’on ne connaît pas est une observation
qui sera reprise par les quelques informaticiens que nous avions interrogés :
On ne peut pas pallier les défauts de la collecte donc elle est importante.
On peut se donner des résultats présentables qui ne sont pas trop dépri-
mants à voir, mais s’ils sont trop trafiqués, ETsalés », ils seront controu-
vés par des enquêtes ultérieures. L.a clé est le cheminement temporel.
Une fois la collecte loupée, on ne peut plus sauver grand chose. Si la
collecte est mal conçue, on ne peut pas s’en tirer..,
...
Les gens ont des données, des tableaux de chiffres, de plus en plus de
calculs, de plus en plus sophistiquks, on croit que ça existe d’emblke. On
ne s’intéresse pas à savoir comment ça a été collecté tant qu’on n’a pas
fait de terrain...
Éternelle revendication des personnes de notre échantillon : en avoir
fait, au moins une fois, avoir assimilé cette expérience, en avoir retiré quel-
qu’humilité... tel est le terrain, ce moment d’un long travail, qui tire de
celui-ci sa logique, sa vérité, son authenticité et sa légitimité.
À revoir les interviews des gens de terrain, nous avons, toutes choses
égales par ailleurs, été frappe! de la parenté entre ce qu’ils en disaient et cette
remarque de Florence Burgat à propos des bouchers, tant dans l’image dé-
valorisée qu’ils se donnent parfois (nous sommes mal-aimés nous dira l’un
d’eux) et par l’assurance qu’ils ont de prksenter un créneau professionnel
spécifique et irremplaçable :
La tâche de mettre à mort les animaux destinés à la boucherie devrait
faire l’objet d’une formation professionnelle. Or, il n’en est rien. S’il est
une activité qui ne s’improvise pas et requiert des qualités physiques,

538
des connaissances techniques, mais aussi des qualités psychiques, c’est
bien celle-ci. [...] Reconnaître le caractère réellement professionnel de
ce mktier reviendrait L$le valoriser en lui donnant un autre sens que ce-
lui d’un”sale boulot” par lequel il faut bien passer, mais dont surtout
nous ne voulons rien savoir. l...] On comprend qu’il ne leur reste plus
[aux tueurs des abattoirs] qu’à choisir entre la honte d’exercer une acti-
vité socioalement dévalorisée et la fierté de tuer avec plaisir, ainsi que le
montrent les quelques témoignages que nous possédons.
(1995 : 52)
Mais comparaison n’est pas raison.. .

Le terrain, un ingrbdient dans la qualité desdondes

Le terrain, ça ddpend de l’usage qu’on veut


en faire : rêverie, catalogue, annuarre.. .

Le terrain n’est donc pas la collecte, il est une enveloppe qui enferme
à la fois le projet scientifique et le chercheur. Cet espace physique où se
recueillent les données est aussi un espace mental qui permet de les com-
prendre et, par ricochet, il met en position d’initié celui qui a franchi
l’épreuve. La compréhension des données des autres est alors possible. Cela
ne signifie pas que le terrain donne une autorité morale, il donne une pru-
dence critique, tant par rapport à son propre travail qu’à celui des autres.
Telle est la conclusion qu’imposent nos interviews : le terrain existe, ce
n’est pas un fantasme, mais il n’existe pas seul. Son image est quelque peu
différente de cette proclamation, qui, par son verbe mérite d’être citée :

Le terrain, c’est un rravail d’artisan. C’est notre bois,


notre cuir. C’est là qu’es, le talent du chercheur...

539
Chapitre 5
Terrain : voyage, aventure
. . . et récits

Se os antigos FilOsofos, que andaram


Tantas terras, por ver segredaos delas,
As maravilhas que eu passei, passaram,
A tao diversos ventos dando as velus,
Que grandes escrituras que deixaram !
Que influ@o de sinos e de estrelas !
Que estranhezas, que grandes quakîades !
E tudo, sem mentir, puras veralades.

CAMOENS OsLust’adas, (canto V, 5 23) 84

Le terrain est intimement lié un phénomène que nous pensons avoir


mis en évidence, qui est celui de la ré-appropriation du quotidien par les
acteurs de notre société (et comme une thèse de sciences sociales s’écrit en
langue naturelle, nous sommes bien dans l’obligation de mesurer, pas à pas,
le vocabulaire, le contexte et les structures dans lesquels nous nous expri-
mons pour arriver à donner un sens aussi objectif que faire se peut à notre
texte). Mais il a un autre versant, qui est celui des voyages et de l’aventure.

On peut s’interroger, avec François Laplantine (1996 : 74), sur la rai-


son pour laquelle le terme est né (mieux dit : s’est déporté d’un sens com-
mun) de désigner un espace à celui de définir une expérience lointaine. Nous
ne pensons pas avoir une réponse claire mais la comparaison de Laplantine
nous apparaît pleine d’intérêt et, comme nous ne pouvons pas aller plus
avant, nous allons la citer intégralement et ne l’enrichir que par touches, au
cours de ce chapitre et des suivants, car la thtorie du terrain est l’objet d’une
élaboration collective (au chapitre suivant, a titre d’exemple, nous donnons

84Si les anciensphilosophes, qui parcoururent tant de pays pour en voir les secrets, avaient
connu les merveilles que j’ai connues, en donnant les voiles if des vents si divers, quels
vastes 6crits et des astres n’y auraient-ils pas laissb. Quelle influence des signes et des
astres n’y auraient-ils pas vue ! Que d’étrangetés, que de grandes qualités ! Et ce n’ktait
pourtant, sans mentir, que la pure vtrité (traduction de Roger Bismut).
les noms des quelques équipes CNRS impliquées dans cette recherche mC-
thodologique) :

Il se pourrait bien que la peinture, au sens académique du terme, ait


commencé comme les débuts du roman et aussi comme les débuts de
l’ethnographie : par la perspective ouverte par les voyages et l’aventure
illimitée (Piero Della Francesca, La Reine de Saba ; Tintoret, La Voie
LYJ& ;’ Lkry, fiistoire d’un vovape fait en la terre du Brésil ; Thevet, &
singularités de la France antarctiaue ; Cervantès, Don Ouichotte ; Di-
derot, Jacaues le Fataliste). Puis, tant en peinture, en ethnologie que
dans le roman, le lointain cède progressivement la place au prochain. A
mesure que l’univers est découvert, on explore le quotidien.
Pour le roman, Madame Bovary est à la fois le roman du quotidien,

puisque Flaubert répète souvent qu’il veut écrire un livre sur rien (et quoi de
plus vide que le vécu le plus trivial ?) et un roman ouvert sur l’imaginaire et
l’aventure, l’un amenant au désastre et la seconde au vulgaire (nous pensons
à ce marchand de rêve, personnage fugace et omniprésent du livre, le ven-
deur de colifichets qui perdra Emma Bovary : Monsieur Lheureux). Cet
exemple nous permet d’ajouter une notation a l’observation de Laplantine :
est-ce que la fonction de l’art est de traduire le réel ou de faire rêver ? Et le
genre « vo,yages )>participe des deux. Ce sera, selon nous, une des raisons
pour lesquelles on insiste toujours sur la qualité de l’kriture des travaux
ethnographiques pour justifier qu’ils seraient excellents, alors que nous
persistons 21croire que l’écriture n’est qu’un « plus » dans un ouvrage scien-
tifique tcrit en langue naturelle.

Dès le départ de ce chapitre qui voudrait traiter des voyages, de


l’aventure et de leurs récits, nous nous trouvons enfermé dans une logique
qui ne nous permet pas de bien les distinguer, car ils paraissent intimement
imbriqués, s’expliquant et se nourrissant l’un l’autre. Qu’est-ce qu’un
voyage s’il n’est aventureux, qu’est-ce qu’une aventure si on en est l’unique
dépositaire ? Il faut* même a la geste anonyme, un aède qui chante
l’indicible :

Ô combien d’actions, combien d’exploits ctlèbres


Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres
Où chacun, seul témoin des grands coups qu’il donnait...
(Pierre Corneille, Le Cid, vers 1296-1298)

541
Comme cet Elpénor, qui n’apparaît qu’une fois dans l’Odyssée, et
qui ne laissera de ses actions que la trace de ce qu’elles existbrent : le nom
n’est que l’ombre de l’aventure. Jean Giraudoux en fit un petit roman paro-
dique (Elpénor), pour combler l’injustice du manque. Mais être chanté par
Homère, n’est-ce pas déjà la gloire ? Un tombeau plus glorieux que celui
que recélent ces noms martel& sur des marbres ou du simple grés et que ne
peuvent lire que des spécialistes d’écritures oubliées.

La distance fait la valeur

Nous voudrions prendre un Cvénement, quelconque ou magnifique,


pour montrer que sa valeur, dans notre société, va dépendre de son caractère
lointain. Nous en avons connus un semblable, dans lequel nous avions ris-
qué de perdre la vie, l’un s’est passe a Lyon et l’autre en Haïti : dans les
deux cas, nous avons passé de longues heures sous la menace d’une arme a
feu. Le premier est sans intérêt, et le second tout autant. Pourtant, si nous en
faisons le récit, le second paraît une aventure et le premier un fait-divers.
Nous nous sommes souvent demandé pourquoi un Bvénement qui s’est passé
dans un contexte connu-par nos interlocuteurs est un fait-divers quand il est
paré de couleurs extraordinaires alors que quand il se produit dans une
situation que ne peuvent pas voir nos interlocuteurs il paraît incroyable. Par
exemple avoir faim au point de manger n’importe quoi, il se pare des cou-
leurs de l’aventure. Un fait-divers est une aventure qui s’ignore... et reci-
proquement.

Nous connaissons tous ces récits de Résistance (Seconde guerre


mondiale), ils sont en général magnifiques. Nous devons à un poète, René
Char, d’en avoir donné un qui paraît trivial : il parle de son compagnon
Olivier le Noir qui lave son pistolet à l’eau, car il est sali des débris de
l’homme qu’il a abattu quelques heures auparavant :

Un justicier rentrait, son labeur accompli, comme un qui, ayant bien


rompu sa terre, décrotterait sa bêche avant de sourt’re à la flambée de
sarments.
(RenCChar, Feuillets d’Hypnos, 1943-1944 : no 217).

542
D’où vient donc cette extraordinaire présence de faits que nous ne
pouvons pas connaître de par notre expérience quotidienne ? C’est parce que
nous pouvons, a partir d’un récit, d’une gravure, d’une photographie, imagi-
ner, rêver et même « délirer » dessus. Le voyage, de cette manière, nous rend
« présent au monde » (il faudrait savoir l’allemand pour forger une expres-
sion philosophique adéquate, le français n’étant pas propice à cet exercice).
Un ouvrage célèbre de Georges Condominas a pour titre L’exotique est
quotidien. C’est une évidence pour qui a vécu ces situations peu banales
(puisque nous ne les vivons pas dans la banalité d’un quotidien réglé). NOUS
pensons qu’il faut renverser la proposition et affirmer que le quotidien est
exotique quand on sait le débarrasser de la crasse de l’habitude, lui 6ter le
masque coutumier qui, telle une peau d’âne, cache la beauté de la princesse.

Dans les voyages, on vit des aventures qui ne sont qu’une succession
de faits-divers qui prennent leur importance de ce qu’ils n’ont aucun con-
-. Ou bien qu’il faut construire le contexte. Ce sont des événements qui
apparaissent comme fortuits, inattendus. Alors même qu’ils sont vus par les
acteurs comme parfaitement « normaux ». Nous avons un ami qui, dans une
rue de Paris, a essuyé une rafale mitraillette, qui ne le visait pas mais à
laquelle il réchappa en glissant sur la chaussée mouillée alors qu’il se re-
tournait et entendait la fuite precipitée d’un quidam (une « histoire de ha-
sard » comme les affectionne Hergé pour sauver son Tintin). Cette occur-
rence est, objectivement, extraordinaire, car il n’est pas courant que cela
arrive à Paris. Beaucoup de personnes ont également connu cet épisode
durant des periodes troublées dans les pays dits en développement que des
troubles sociaux graves traversaient. L’épisode est tout à fait « ordinaire »,
puisqu’on se méfie en permanence qu’il se produise et on est extrêmement
précautionneux. Pourtant, cela paraît extraordinaire. On meurt dans le pre-
mier cas, c’est un accident, dans le second c’est la conclusion d’une vie
aventureuse.

Nous avons souvent fréquenté des gens vivant « en brousse ». .Cela


paraît extraordinaire. Mais si VOUS enlevez le gdpard qui leur sert de chien,

543
la mangouste qui leur sert de chat, le lion qui est dans sa cage à l’entrée du
jardin, vous n’avez affaire qu’a un retraité un peu bizarre au fin fond de la
Beauce ou de la Lozère, qui a un renard apprivoise dans sa maison et trois
loups dans un enclos. Leur vie était souvent d’une incroyable monotonie. Ils
nous rappelaient cet aga turc qui domine le village du Christ recrucifk de
Nikos Kazantzakis : des gens quelque peu en marge de la communauté qui
les avait accueillis et qui pouvaient, de par leur situation d’étranger, bénéfi-
cier d’avantages que n’avaient pas les membres de la communauté.

Nous avons connu également des étrangers int6grés. II est facile de


parler d’intégration quand, professeur marie avec une personne du pays,
vous êtes professeur au Lycée français, ou cadre dans une entreprise fran-
çaise à Paris, disposant de moyens financiers pour vous ressourcer chez vous
régulièrement et que votre communauté d’origine est suffisamment nom-
breuse la on vous êtes immigrant pour garder le contact avec votre passé. Ce
sont des étrangers intégrés qui conservent toujours un cordon ombilical
vivant avec leur communauté d’origine. La question que nous posons n’est
pas celle-ci, nous parlons de gens qui ont coupé leurs liens avec leur milieu
et sont devenus acteurs d’autres.socittés. Nous avons connus des gens qui
étaient devenus ainsi Mexicains OU Sénégalais, Congolais ou Tunisiens,
Français ou Anglais.. . et qui ne tentaient jamais de revenir en arrière. Chez
certains, leur apparence physique les rendaient reconnaissables pour ne pas
être des natifs un Dahoméen à Dakar (aujourd’hui on dirait un Béninois) ;
un Libanais et un Français, chacun dans un petit village de la région de
Diourbel (Stnégal) ; un Sénégalais dans le Mayombe congolais ; quelques
Français au Congo (que les natifs appelaient avec leur humour habituel :
« mundelemanioc »), en Angleterre ou a Madagascar.. . et d’autres encore.
Ces gens n’avaient.. . rien à dire. Une fois racontés l’aventure de leur migra-
tion initiale et quelques incidents de leur adaptation, ils n’btaient que des
gens du pays. Ni plus ni moins intéressants, cela dépendait de leur person-
nalité et de leur faconde. Certains se sont fait reconnaître dans un français
hésitant. Ainsi une dame anglaise dans le nord de l’Angleterre qui tenta de

544
dire quelques mots dans sa langue maternelle.. . et qui s’amusait de ne plus
pouvoir parler *‘. Arrivée quarante ans avant, elle s’y btait mariée, avait eu
des enfants et n’avait jamais repassé le Char~nel. L’Angleterre lui suffisait,
et surtout l’&osse où elle partait toujours en vacances. Pourquoi aller
ailleurs si on est heureux ? nous avait-elle confié. Des collègues nous ont
fait le récit de ce Malgache « blanc » sorti de la forêt sakalava, un homme de
plus de soixante ans, qui a tranquillement parlé avec eux, puis est reparti
avec ses petits-fils amusés d’avoir entendu leur grand-père parler en français
avec des étrangers qui lui ressemblaient de peau. Il avait choisi de vivre dans
la forêt dès sa libération du service militaire et se moquait totalement
d’entendre parler de son pays natal et des changements du monde. Nous en
avons fréquenté un au Maghreb, dont une indiscrétion nous apprit qu’il était
« souri », et plus exactement Français. Nous n’avons pas pour autant rompu
son « anonymat » de notre côté.

Nous pourrions aussi signaler le cas de Suzanne Wenger, sur laquelle


Michèle Maringues a fait un article (h Monde, 6.9.1997). Suzanne Wenger
vit au Nigéria depuis plusieurs décennies, devenue prêtresse yorouba
d’obatala, au sanctuaire d’oshogbo, elle sculpte et peint un art sacré dont
elle est des derniers représentants :

... voilà une femme qui est allée très loin -jusqu’où exactement ? - pour
se défaire de ses habitudes culturelles, qui ne mange qu’à l’africaine
(hormîs le café et le pain beurre du matin, denrées bien exotiques à Os-
hogbo), dont les pieds sont bleuis par les teintures des vastes batiks
qu’elle compose sur un thème unique, le cruel théâtre des dieux.
On trouve chez la grande prêtresse une notation qui recoupe bien les nôtres.
À propos de quelques convertis pour quelques mois qui fréquentent les
sanctuaires yoroubas :

Mais « c’est un iournalistg,, dit-elle avec indulgence, jl svmoathise en


restant malgré tout à l’extérieur ». Elle, y est entrke corps et âme dans

*5 Exactement comme ce voisin que nous avions 21 Mexico qui attendit trois ans pour nos
dire qu’il savait parfaitement parld le français, langue qu’il avait Pratiqu&e uniquement
pendant trois ans dans sa jeunesse, alors qu’il parcourait la France en bicyclette pour une
thèse qu’il avait oubliée, ainsi que le français. II avait prkféré faire fortune que s’ennuyer
dansles universités.. . selon ses dires.

54s
l’aventure périlleuse où l’on entre dans le dernier cercle des grands
prêtres yoroubas, conscients que leur savoir va s’éteindre.
Nous avons abondamment parlé de ces gens car, dans les livres de
voyageurs, on nous les présente comme des cas extraodinaires, des person-
nes exceptionnelles, ce qu’elles sont il est vrai, mais c’est dans le récit qui
en est fait qu’elles le sont. Car tous ces gens ont en commun d’être parfai-
tement ordinaires. Du temps de la colonisation, on les accusait souvent
d’être des « interdits de séjour », de s’être « bougnoulisés ». Mais ils ne sont
pas plus extraordinaire qu’un Trappiste ou qu’un anachorkte. Ils avaient
assumé un choix fait une fois, et étaient loin de l’agité professionnel qu’est
le voyageur.

Est-ce que c’est par nécessité ou logique de la science que les scien-
ces sociales finissent par s’intéresser au prochain au dépit du lointain ? Paul
Jorion exprime une position ambiguë lorsqu’il déclare (1985 : 41 86):

La bonne ethnologie urbaine esr plus difJicile à écrire que la rurale, et la


bonne ethnologie rurale plus di@cile que l’exotique. Car comme le veut
la sociologie - sinon 1‘optique - plus 1‘objet est proche, plus on a de mal
à le distinguer. La ville, cela va de soi, beaucoup trop, la campagne cela
va encore un peu de soi : « Ce sont des gens comme nous, n’est-ce
pas ? ». LA Nouvelle-Guinée, cela ne va plus de soi. C’est pour cela que
le pauvre est plus facile à ethnologiser que le riche, non pas parce que le
pauvre est plus facile à ethnologiser que le riche, non pas parce qu’il est
pauvre, mais parce qu’étant pauvre il est nécessairement lointain aux
yeux de l’anthropologue commun, donc plus facile à expliciter [ce qui ne
veut pas dire plus facile à. expliquer) que le riche trop proche, car iden-
tique à lui.
Mais si on va sur des terrains proches parce que les lointains devien-
nent interdits ou quotidiens (dans une vision d’un exotisme désenchanté
abâtardi par l’encadrement ludique de «Clubs Méd » en tout genre), on
garde la «distance » comme mode d’écriture. Alors que cette distance ne
nous apparaît pas un concept empirique valable pour décrire ce qui se passe
quand on rédige Ùne étude scientifique en langue naturelle. Nous
n’entendons pas la raison qui ferait que nous écrivions en langue naturelle
préférentiellement sur le lointain alors que les physiciens ont abordé le

86 Texte daté de novembre 1985 et traitant de l’ethnologie sous le titre &anescence &en.
tu& de l’objet, in : Orstom, 1986, Bull. n” 19 : 41

546
prochain (l’experience la plus commune, à quoi, au sens où l’on peut pren-
dre notre observation, on peut raccrocher, malgré tout, la cosmologie et la
révolution copemicienne). Ici, nous pensons avoir affaire une fois de plus à
une des grandes ambiguïtés des sciences sociales, qui est le passe littéraire
qu’elles traitent avec soi (Wolf Lepenies, 1990 87), Sortir de la littérature est
un mot d’ordre que l’anthropologie de terrain se doit de suivre.

Notre position affirme que l’exotique est un quotidien qui paraît ex-
traordinaire parce que le contexte nous est inconnu. Donc le voyage est
propice à l’élaboration de cette image glorieuse, comme la guerre d’ailleurs,
car leur cadre de reférence n’est pas coutumier. En conséquence, tout évd-
nement dont le cadre nous est ttranger va prendre des colorations imaginai-
res, ou plutôt « faire travailler l’imagination ». Mais aussi, ce qui va donner
au voyage son caractère définitif d’évenement extraordinaire est le récit qui
en sera fait et qui fait rêver en tant qu’inconnu imaginé, raconté brièvement
(incomplttement) selon un code qui enfle chaque Cltment.

Le récit construit la valeur

Rien ne me plaît davantage que d’aller


voir le monde et de le raconter à autrui.

Philippe Meyer, 1993 : 11

Voyager c’est raconter à autrui, écouter c’est rêver. De ce double


mouvement convergent naît toute la beauté des voyages, leur merveilleux.
Et comme en toute communication, l’un et l’autre, conteur et auditeur,
suivent un code. Le voyage doit être périlleux, la moindre anicroche doit
faire trembler ; il doit être initiatique, son cheminement est une découverte
de soi, dont la conclusion est aussi normée que celle de la morale d’un conte
de fée « il se mariérent et eurent beaucoup d’enfants ». En l’occurrence,
ayant découvert sa vtrité, le voyageur se tourne vers les autres pour les faire

s’ Dans son ouvrage sur Les trois cultures, entre science et litthature, l’avènement de la
sociologie, Wolf Lepenies traite de la naissance de la sociologie Coinc&e entre science et
littérature, pour trois pays : l’Angleterre, l’Allemagne et la France.

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bénéficier de son illumination - par l’écriture, la sédentarisation ou d’autres
voyages - ; du moindre fait, le voyageur fait un joyau : vous êtes assis mé-
ditant auprès d’un feu de cheminée, ou vous chauffant au soleil d’hiver dans
un parc savoyard et dans la brume du matin le Mont Blanc reste caché ?
Quelle médiocrité ! Lui, il est assis méditant auprès d’un feu de bouse de
yack, dont l’odeur pregnante embaume la nuit de son âcre odeur sauvage ;
ou bien il se glisse sur le rocher, pour profiter du rare soleil qui perce les
arbres dans le froid matin, alors que seuls les yeux du cœur voient le Kili-
mandjaro que masque la brume. La moindre rencontre du voyageur est une
découverte de fraternité humaine : vous parlez à votre boucher ? Quelle
banalité ! Lui qu’un acte aussi simple qu’acheter un bout de viande fait
s’entretenir, d’égal à égal, avec un homme que son rapport avec le sang et le
cuir rapproche des Dieux, soude avec la nature.. , Et si le récit fonctionne
c’est que chacun est bien d’accord pour être dupeur ou être dupé. Tout le
monde est dupé en fait quand celui qui parle croit ce qu’il dit. Quand on
nous demande comment était tel ou tel pays et que nous répondons sincère-
ment, nous décevons toujours : on nous prend pour un rabat-joie. Quand
nous «jouons le jeu », emporté par la bêtise, la nôtre et celle des autres,
alors tout va bien.

L’autre technique des récits de voyage est le technique de la liste :


vous énoncez une liste de faits et de nom, un inventaire à la Prévert : “La
Paz, un troupeau de biches, Serengueti, un tapir, un iceberg, trois ratons-
laveurs...” Et... « ça marche ». On vous prend pour un grand voyageur. Un
admirateur d’Alavaro Mutis nous parlait de lui, nous lui avions répondu que
nous l’avions rencontré. « Quel effet » n’avons-nous pas fait ! Pourtant, si
vous résidez quelque temps à Mexico, que vous avez une activité mondaine
dans les cercles français, il n’est pas difficile de rencontrer Alvaro Mutis,
qui, pour des raisons personnelles, fréquente assezla communauté française,
Si nous étions Allemand, la performance aurait peut-être Cte plus remarqua-
ble.

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Donc, le rCcit de voyage est un genre littkraire, un des plus anciens
du monde avec celui de l’épopée, dont il garde encore une forte parentk. Et
souvent le récit se fait par écrit, puisque I’Ccrit reste, et donc le “voyageur-
qui-écrit” réutilise ceux qui n’ont fait que causer. Une grande part des récits
de voyages sont des récits en poupées russes quand l’auteur rend hommage
aux autres, ce qu’il peut oublier de faire, comme le fameux bagnard évadé
Papillon (Henri Charri&e, 1969). Mais ce voyageur qui écrit est alors crédité
d’être « intéressant », non pas parce qu’il raconte, ce qui serait trop trivial et
il faut masquer son plaisir, mais par la manière dont il krit, qui est la mar-
que de l’élévation de l’âme vers le Beau.

Il n’est de voyageur qu’on ne loue pour la beauté de son style. Nous


avons lu beaucoup de ces rCcits et sommes amateur de littérature, mais nous
pensons dangereux de confondre les genres et les styles. Certains récits sont
effectivement exprimés par des gens disposant d’un style qui rend plus
intéressant ce qu’ils racontent, ou qui mettent des résonances esthétiques
dans leur textes (penser à comparer par exemple une photo d’Alain Bom-
bard dérivant sur son rafiot et Le radeau de lu Méduse par Delacroix **),
mais beaucoup ne s’expriment que dans un bon style, celui d’une personne
normalement constituée disposant d’une culture écrite. Comme on voit des
dessins de ces jeunes Anglaises qui faisaient leur voyage touristique en Italie
et qui, sachant dessiner, ont croqué qui la Tour de Pise, qui les Thermes, qui
le Coliste. Le contenu de ces dessins est purement informatif (et n’ayant
aucune capacité en cette technique, nous restons toujours admiratif). Le fait
de dessiner ou d’écrire en transmettant a une émotion d’ordre esthétique
par le simple arrangement des lignes ou celui des mots (et surtout par ce que
sont les silences des dessins et des textes, ce qu’ils donnent a imaginer et
non plus à voir, avec les résonances qu’ils traduisent) est une capacitd que
nous admirons, mais ce n’est pas pour cela qu’un document de voyage est

88 Delacroix a mis des chaussettes aux naufragés du premier plan parce qu’il n’arrivait
jamais à peindre correctement les pieds. II a effectut pour la composition de ce tableau,
surrkaliste avant la lettre, de véritables enquêtes sur les tempêtes, le flottement de corps et
troncs d’arbres en mer. II a interrog6 les survivants longuement, afin que l’imagination
rejoigne la r-&alM.

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intéressant, ce qui ne rend pas moins interessants ceux qui, ayant quelque
chose à dire, l’expriment justement. Le défaut de « littératurisme » est fré-
quent en français, moins dans les autres langues - européennes du moins, car
les Chinois semblent posséder ce défaut (nous ne faisons cette remarque que
par ouïe dire). Certains s’exclament sur cette qualité inhérente aux récits de
voyage, mais les récits de voyage sont intéressants en soi, et parfois très bien
écrits. Ceux qui lisent d’autres textes le savent bien. C’est un art, après tout,
commun, d’écrire correctement. Comme parler d’ailleurs : certaines person-
nes parlent bien, s’expriment avec bonheur, d’autres avec moins de verve.
Le jeune incapable de discours comme le rival de Cyrano de Bergerac, le
jeune Christian de Neuvillette, cet inapte de l’expression que Rostand pré-
sente autant comme un benêt n’est qu’un infirme de la parole. Il y a certes
des infirmes de la plume, si l’on prend les choses ainsi, mais cela reste
limité et les cas particuliers ne font pas qu’écrire serait extraordinaire. Les
gens ont un style plus ou moins aisé, mais ce qui se conpit bien s’énonce
clairement (Boileau). Les discours habituels sur le style déclarent qu’ecrire
serait un don, que certains auraient et d’autres non. Le maniement de la
langue 6crite nous est donné, de par l’éducation que nous avons reçue, du
moins jusqu’à la décennie passée. Il serait culturellement plutôt naturel de
bien Ccrire que de mal écrire. Écrire est parler d’une certaine manière, selon
un code défini, qui, quoique différent de la langue Parl&e, n’en est pas moins
un code naturel (sans même suivre les theories de Chomski sur la grammaire
générative, on peut quand même dire que la grammaire de l’écrit n’est
qu’une des formes de la grammaire de l’oral, pas plus compliquée que
l’assimilation des codes d’un genre littéraire oral). Par contre le dessin,
quoique chacun semble être potentiellement capable de dessiner, est une
particularité exigeant d’être au moins encouragee et éduquée pour exister 89,

*’ Nous n’avons pas de textes scientifiques sur quoi nous appuyer pour cette affirmation,
mais tous les peintres et dessinateurs que nous avons connus affirment ce fait de la capacit6
innée du dessin en chaque membre de I’espéce humaine. Les conditions sociales ne per-
mettent pas à ce donnt (qui n’est donc pas un don) d’émerger, au contraire, notre sociétb
aurait plut& tendance, en le qualifiant de don, Z+l’étouffer. Nous serions en face du même
processus que pour les mathématiques, instrument, dans la sociétb française, de clivage

550
Cette vision idéaliste de l’écriture est une des plaies des travaux en langue
naturelle et en sociologie en particulier.

Dans une préface anonyme (signee L.C.) aux Émotions de Polydore


Marasquin (18574980) de Léon Gozlan, auteur célèbre de son temps qui
termina président de la Soc&? des Gens de Lettres et autres sociétés
d’auteurs de la République des lettres françaises du siècle passé, on trouve
une notation à laquelle nous adhérons :

Léon Gozlan n’est pas un grand écrivain ; on peut même se demander


s’il fat un écrivain : il serait beaucoup plus juste d’afJirmer qu’il fut un
brillant journaliste, féru de littérature. Mais une telle distinction n’avait
pas encore cours au moment où il publia ses livres.
Gozlan, lui-même entré par hasard et nécessité dans la littérature
après une vie de bourlingueur désargenté, ne croyait pas à sa propre gloire,
qu’il gérait avec l’honnêteté de quelqu’un qui aurait fait fortune aux îles (sa
fortune à lui Btait un stock d’aventures de première main ou pas, qu’il ex-
ploita intelligemment en bon bourgeois).

Aujourd’hui, mis a part le fait que la petitesse du monde rend peu


intéressant les récits des voyageurs sur ce monde connu, la distinction,
journaliste versus ecrivain, existe, on continue à nous asséner des ouvrages
qui sont du journalisme ampoulé ou de la littérature de soi. Même ceux qui
ont quelques titres comme auteurs y succombent comme Pierre-Jean Rémy,
à propos d’un retour en Chine publié en 1977 :

Voilà, on l’a compris, j’ai eu honte de Tsinan ; et dix ans après, j’en ai
encore honte. Comme cet autre voyageur, quelques mois avant mon pas-
sage, qui s’était indigné de la douleur, de la misère...
(76)
Sian est aujourd’hui pour moi le tournoiement ocre et rouge, jaune,
orangé d’un grand moment de Chine pleine.
(1261
On voit dans ces deux citations que le voyage est 1?1pour donner idée
de la riche,ssedu moi-voyageant, de l’humanité de son regard, de la richesse
intérieure de son âme, de l’acuité du style de sa plume. L’objectif final est

culturel et de sélection et qui sont donc interdites à ceux qui n’auraient pas la « bosse des
maths B.

551
cela : parler de soi, pas de la Chine. La Chine de la Révolution culturelle, on
ne la trouve qu’ici et là, tparpillée, ou plutôt on n’a que son reflet dans le
miroir d’un esprit d’exception. Chez Simon Leys (1971), excellent écrivain
également, pour parler de la Chine, brime au contraire son expression. Il
laisse « l’acteur Chine » au premier plan dans sa chronologie de la Révolu-
tion culturelle ; on y trouve une mise en évidence de cette même révolution
et de l’arnaque grandeur Chine qu’elle était, grandeur non pas nature mais
continentale. On ne peut pas dire, ce serait injuste, que Rémy est ‘inférieur’
à Leys, mais le but de l’un n’est pas celui de l’autre, sauf pour la manibre
dont on nous les présente, jeu auquel Ie premier se prête mais pas Leys. On a
aussi l’ambiguïté du titre de l’ouvrage de Rémy : Chine, un itinéraire. On
entend bien, après avoir lu le livre, que c’est un cheminement intérieur sur
fond de Chine, celui d’un être tcorché se détachant devant des ombres chi-
noises.. . Le jeu continuel est de mêler le soi et le voyage. Il y a fort a parier
que plus de gens auront lu l’itinéraire chinois de Rémy que l’analyse de
Leys, mais, dans le long terme, pour comprendre la Chine et sa Révolution
culturelle, Les habits neufs du Président Mao resteront des pages incontour-
nables. Il n’y a pas que la pensée qui soit biodégradable, comme le dit si
joliment Leys, les clichés aussi le sont.

Un autre auteur, et non des moindres au palmarès des grands voya-


geurs, est Alexandra David-Née]. Elle va voyager des dizaines d’années au
Tibet, dont elle sera un des grands propagandistes. Nous ne voulons pas
diminuer la valeur, grande, de cette dame décidée et de la qualite, extraordi-
naire (au sens premier du terme) de son périple, tant géographique
qu’intellectuel et émotionnel, mais ce qui nous intéresse ici est le &
qu’elle en a laissé (le pluriel serait mieux dit). Malgré tout son cheminement
personnel, David-Née1 n’est jamais absente et, loin de le lui reprocher, cela
ne fait que conforter notre point de vue que le voyage, a partir du moment
où on le raconte, est, un récit de soi. Cette dimension personnelle ne peut
être rayée par personne. Même dans ses remarques les plus favorables, on

552
ressent l’ethnocentrisme qu’elles expriment. Ce qui donne la mesure de la
difficulté qu’il y a à n’être pas soi-même touiours, sauf pour les malades.

.. . je me maintenais strictement dans les observances que l’hygiène et


mes habitudes héréditaires me dictaient. Cela ne froissait personne et,
bien au contraire, m’attirait du respect.
(1951 : 63)
Ce qui, en toute objectivité est une évidence dans des pays où l’habit
fait le moine et oti chaque groupe ethnique, chaque activité économique et
chaque rang se marque par le vêtement. Alexandra David-Née1 mentionnera
chaque fois que ce sera nkcessaire l’anti-voyageur, qui est le touriste, cette
“bête noire” de nos professionnels de I’errance :

Je ne suis pas allée dans l’Inde en touriste ; tout au long des nombreuses
années que j’y ai passées je me suis cantonnée dans une unique recher-
che : l’étude des aspects profonds de la mentalité religieuse des Indiens.
(1951 : 274)
Car le voyageur, au contraire du touriste, prétend avoir une fonction sociale
noble, intellectuelle, ce qui va très vite l’amener à « se prendre au sérieux »
dans ses textes 90, quelque soit l’origine de sa vocation littéraire (le besoin
comme Ella Maillard, les encouragements de Joseph Kessel ébloui par son
style, comme Henry de Montfreid, la vocation littéraire, comme Chatwin,
l’argent comme Antoine qui navigke deux ans, écrit un livre et repart... et
ne boudons pas leur plaisir, quand c’est aussi le nôtre). Ceux qui font la
route dans le silence sont nombreux, mais un voyage n’existe que si socia-
lement on en parle et le seul qui puisse le raconter est celui qui l’a vécu. Le
problème est que le talent manque, alors, on se coule dans le moule d’un
genre, avec ses tics et sesclichés.

La discussion sur la fonction sociale du voyageur reprend par inter-


mittence dans les média, cette caisse de résonance de nos sociétés. Dans Le

wLa visite du salon des Étonnants voyageurs de Saint Malo en juillet 1997 ttait aussi
instructive que le skrieux avec lequel étaient racontés les rtcits de voyages fut impression-
nant. C’est une activitt sociale vue comme trks valorisée par ceux qui racontent. (et,
d’ailleurs, ils racontent toujours les mêmes épisodes d’un groupe B l’autre qu’ils reçoivent.
On avait ainsi une avalanche d’anecdotes enfilkes comme les perles d’un collier que les
aventuriers-auteurs présentent A chacun des groupes qui les entourent. Tout est maintenant
appris par coeur, jusqu’aux jeux de mots, aux mots d’esprits, expressions du visage.. .)

553
Monde du 17 janvier 1997, a propos du Ven’dte-Globe, Christophe de Ches-
nay Ccrit ce qu’a affirmé Marc Thiercelin :

De tout temps, les hommes ont défié les éléments pour découvrir, pour
s’enrichir, mais surtout pour avancer dans la connaissance. C’est un
sang de découvreuret d’aventurierqui couledansmes veines. Estimons-
nous heureux qu’il y ait encore des aventures à réaliser et des hommes
pour leur donner vie.
Une des « aventurières » de cette course, Christine Chabaud, proclame le
cercle Etroit de la tribu à laquelle la participation de la course donne exi-
tente :

Après cette course il faudra qu’on se retrouve, qu’on se raconte. Seuls


ceux qui l’ont vécue peuvent parler le même langage.
Nous sommes certains que si nous disions à Chabaud qu’elle est élitiste (ce
qu’elle aurait parfaitement le droit d’être), elle protesterait, car le jeu est
toujours subtil : «j’ai fait ce que vous auriez pu faire, car vous avez envie de
le faire, mais c’est moi qui l’ai fait ». Pourtant, il n’y a rien à raconter ; ceux
qui savent savent ; les autres, qui ont financé la course, il leur restera à rêver
sur des bribes d’aventure. L’aventure reste à jamais opaque à qui ne l’a pas
vécue, car elle reste incompréhensible en dehors des cadre sociaux de son
expression aux acteurs eux-mêmes.

J’ai seul la clef de cette parade sauvage.


Proclamait Arthur Rimbaud à juste titre, Parade. ”

Nous espérions bien que sortirait un ouvrage sur cette course du


Vendée-Globe, car nous étions certain que l’on verrait ressortir tous les
poncifs du genre « voyages ». On doit à Isabelle Autissier, un ouvrage paru
en septembre 1977. Il n’est pas sans inttrêt de voir ressortir certaines tech-
niques que nous avons exposées en première partie :

À l’école on l’appelait le cahier de texte, celui sur lequel on notait jour


après jour les numéros des exercices à faire et les énoncés des problè-
mes à préparer. J’ai mon cahier de texte à bord. Liste mi-poétique, mi-
technique, une liste à la Prévert, où voisinent les détails d’un « bu u in-
formatique, les soucis du réchaud grippé ou une fastidieuse réparation
de la chute de la grand-voile.
[suivent des exemples de ce fameux cahier, 1231

9’ Rimbaud, Poksies complètes, 6d. Garnier, Paris, 1971.

554
Mais l’essentiel est de raconter l’émotion du voyage et de
s’interroger sur la métaphysique de l’action, en des pages pottiques (de
facture pottique suivant en fait une rhétorique bien possédée par l’auteur) :

Que sont quelques fous navigants qui jouent à se poursuivre d’un océan
à l’autre et à quoi servent-ils ? Je ne me sens pas dans la peau du mi-
santhrope inutile. Je ne me réfugie pas, en course, loin de la société. De
mon pont désert, je me sens très intégrée à mon monde, à sa vie écono-
mique, sociale, culturelle. L,es marins découvreurs du XVn’“‘, faisaienr
sponsoriser leurs navires par de riches marchands à 1’afSûr de nouvelles
routes commerciales ; sur ces mêmes routes nous portons les couleurs
d’entreprises marchandes qui convertissent notre notoriéG en dévelop-
pement économique. Les marins de jadis concouraient au partage du
monde, étaient les chantres de la civilisation blanche et de ses valeurs ;
nos aventures fascinent en partie car elles portent un retour au sentiment
de nature, de simplicik, de solidarité et d’engagement individuel. Ainsi,
seule au bout de la planète, me voilà actrice, comme tous, du monde tel
qu’il est. Tant mieux, je le revendique, j’espère en vivant ainsi, apporter
ma pelite pierre de couleur dans ces sociétés souvent grises et noires.
[. .. ] Un œil sur le compas, 1‘autre sur la vague qui fuit, par ce bel après-
midi du Pacijïque, je barre en écouranr Radio-France International. [*..]
J’ai papoté en Standard C avec Christophe... comme si nous étions à la
terrasse de la buvette du coin. [...] 50 villageois algkriens.. 200 000
Hutus qui agonisent... Est-ce que mon monde est fou ou me suis-je sim-
plement désaccoutumée de la barbarie ? Est-ce de vivre dans le beau qui
rend plus poignante l’horreur, pourtant quotidienne ?
Moi ici, eux là-bas. Il ne suflt pas de dire que j’ai de la chance. Bien
sûr, je mesure ma di@rence de statut [...]
Pour nous bientôt, sous les feux de la rampe, les difJicultés cesseront, on
nous célébrera comme des héros quand d’autres finiront anonymes, as-
sassinés pour avoir seulement voulu vivre.
Un jour, la mer qui se sentait en appétit,avait tentbde me croquer d’un
coup de déferlante.. , (159-160)
IsabelleAutissier, ou son CO-rédacteur,avec lequel elle a écrit l’ouvrage en
voix alternées,commeune saynètebucolique de Virgile, citent Alain Gau-
tier, (vainqueur de la 2èmeédition du Vendée-Globe)qui; lui, n’avait pas du
tout la position émotionnelleen vigueur :

Je suis un sportifavant d’être un aventurier.


Isabelle Autissier va nuancerce propos en disant qu’il parlera ensuite des
disparus,ce qui n’a rien d’extraordinaire, puisqu’ils l’avaient fait au Tour de
France pour Jalaberten 1994ou 95 et cela à chaquefois : the show must go

on. Ce qui fait que l’on est toujours à la limite de fa sincérité, non pas des
sentimentspour les morts en mer, ou sur la route, mais sur le discoursqui

555
est fait à propos des morts. Quoi de plus naturel que de les associer ? Rien
d’extraordinaire a ce type de positions, mais, quand il s’agit d’aventuriers
professionnels, on se met à s’exclamer que ce serait « formidable ». Sur le
plan informatif on ne trouve rien : par exemple que signifie ces voyages que
l’on passe dans le cocpit de son engin comme un astronaute dans la bulle de
son satellite ? Car ces sportifs de haut niveau... ne barrent jamais. Tout est
automatique. On trouve un parti-pris systématique de féminité, avec des
références cultes continuelles, sous la présence immanente des anges tuté-
laire, Slocum, Moitessier.. . Quant aux réfërences a la camaraderie obligte et
exaltante, cela finit par faire boy-scout.. .

De toute façon, il y a tromperie sur la marchandise : Autissier nous


parle aventure, alors qu’il n’est question que de sport, et c’est uniquement
de compétition sportive dont il est question, mais les sportifs marins ont
encore la possibilité de se masquer derrière l’aventure ! Comme l’avaient
encore récemment les alpinistes qui ont dévalué eux-mêmes l’aventure de
leur démarche pervertie en sport (OU ennoblie en sport selon l’échelle des
valeurs) en réalisant des records. De Slocum, le premier navigateur autour
du monde en solitaire, à Isabelle Autissier, il y a un monde. Tout comme il y
en a un de Michel Siffer qui fit de sa passion de la spéléologie le terrain
d’expériences limites en survie dans les cavernes - utiles dans ces anntes-
là -, aux « charlots » qui s’enferment ici et là pour faire parler d’eux, qui y
réussissent parfois, et ensuite, leur livre à la main, courent les salons pour
vendre leur soi-disant aventure où ils ont risqué leur vie, ce qui n’a absolu-
ment rien d’aventureux. Guy Delage, traversant l’Atlantique à la nage, avait
à peine réussi a nous faire vibrer avec une histoire de requin qui était venu le
flairer ; raconté par Garcia Marquez à propos d’un naufragé involontaire
dont, jeune journaliste il avait écrit le récit, cet épisode avait une autre allure
et une autre authenticité.

Naturellement, nous avons cherché à déceler quel était le modèle


suivi pour la technique littéraire. Là, nous devons reconnaître notre étonne-
ment. Nous nous doutions bien que ressortiraient tous les thèmes, mais pas

556
que la technique du r6cit serait aussi Claborée. La technique du récit est celle
employée par le Malcom Lowry d’Au-dessous du volcan, ce qui rend in-
compréhensibles certains passages où la concaténation du temps et des
événements n’est pas suffisamment maîtrisde.

Le récit est une copie

On n’a jamais un regard neuf, on ne voit jamais le nouveau qu’à tra-


vers le filtre de l’ancien, celui qui a formé notre esprit, notre regard. Qui est
notre esprit et notre regard. Le nouveau n’est jamais vu qu’à travers l’attente
que l’on en avait. Laplantine et Kilani insistent sur ces réminiscences qui
permettent de traiter la terre indienne abordée indienne par Colomb, qui va
rechercher dans le stock connu d’images pour la décrire, sur la description
de la Baie de Rio par Lévi-Strauss etc. L’esprit humain, et c’est normal, va
du connu à l’inconnu. On décrit Venise pour ressembler 21 Bruges
(ironiquement chez Pierre Daninos et chez Sempé), un dromadaire est un
chameau a une bosse, et réciroquement... etc. Si cela est, pourquoi donc
s’étonner de l’incroyable banalité des descriptions ? L’œil ne voit que ce le
cerveau lui autorise. Il faut que l’expérience soit banalisée pour être assimi-
lCe, comme on dit qu’un événement traumatisant (être pris dans un grave
accident ou un attentat), demande de passer par la moulinette de la parole
pour être vidée de son côtC incompréhensible et inassimilable pour cela.
Nous avons connu des gens (médecins, pompiers, militaires, anciens des
camps...) qui avaient V&U une succession de situations d’une violence
inouïe (pour nous), mais qui leur semblait naturelle car’ils avaient élaboré
une sorte ‘de <<grammaire » de dtcryptage des situations. C’est d’ailleurs le
risque couru actuellement, après un long silence pour inintelligibilité des
faits, que les paroles que l’on recueille des gens revenant des camps
d’extermination : il y a fort à parier que cela devienne un genre. Comme ce
titre de livre : Y a-t-il quelqu’un qui parle anglais et qui a été violée (lors
d’événements en Afrique), phrase qu’un journaliste anglais ou americain
lançait & la cantonade, en quête d’un tel témoignage - il avait fait le plein de

551
massacres et c’est une femme violée qu’il recherchait, mais pour une télévi-
sion américaine, il fallait qu’elle parle anglais. Cela seul manquait à son
« tableau de chasse » de grand reporter. Du grand professionnalisme, n’en
doutons pas.

Parfois le voyageur rencontre quelqu’un, de sa propre culture natu-


rellement (car ceux des autres cultures doivent être des sédentaires pour
donner une aura supplémentaire à son pèlerinage), qui conteste l’intérêt de
ces déplacements sans fin :

L’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un
énervement.
(Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Délire II : faim)
Alors, il aura droit aux mêmes réflexions sur sa médiocrité que ceux qui
contestaient le raid Paris-Dakar, le Vend&e-Globe, l’ascension du Mont
Blanc avec un bébé de quelques mois (afin de battre un record, le précédent
étant tenu par un enfant), ou la traversCe du dCsert avec un colley, nommé
Passy, Cassis ou Chassis ou un nom de ce genre (car il était de race et son
initiale était fixee) en hommage euphonique & la fameuse Lassie, « Ce qui
n’avait jamais étéfait avant », nous souligna le maître, extrêmement fier de

]eur performance (il est vrai que le 4x4 était climatisé.) C’est l’aventure
version GuinessBook of Records. Ou encore cet homme qui traversa le
désert du Hoggar en 1989 avec une brouette., . À moins qu’on n’encense le
sédentaire, mais cet excès d’humilité fleure bon 1’orgueil :

À mon retour, il s’est trouvé beaucoup de gens qui n’étaient pas partis,
pour me dire qu’avec un peu de fantaisie et de concentration ils voya-
geaient tout aussi bien sans lever le cul de leur chaise. ‘Je les crois vo-
lontiers. Ce sont des forts, pas moi. J’ai trop besoin de cet apport con-
cret qu’est le déplacement dans l’espace. Heureusement d’ailleurs que le
monde s’étend pour les faibles et les supporte, et quand le monde,
comme certains soirs sur la route de Macédoine, c’est la lune à main
droite, et la perspective d’aller chercher derrière l’horizon un village où
vivre les trois premières semaines, je suis bien aise de ne pouvoir m’en
passer.
Nicolas Bouvier, in L.e Lecteur, juin 1997
C’est à croire qu’il n’y a qu’en Macédoine que la lune ffit à main
droite ! À moins qu’il ne faille encore citer Rimbaud (Ouvriers) :

558
Le Sud me rappelait les misérables incidents de mon enfance, mes déses-
poirs d’été, [‘horrible quantité de force et de science que le sort a tou-
jours éloignée de moi.

La surenchere de l’aventure

L’aventure reste le grand ressort publicitaire de ces voyages, or il


faut bien que chacun se rabatte sur ce qu’il a vécu. Face a des périples au-
trement périlleux que ceux qu’ils ont réalises, nos voyageurs modernes, et
d’autres passés, travaillent soit dans la surenchère, soit dans la broderie
stylistique, les deux parfois. Certains de ces voyages ne sont que des
« terrains-Canada-Dry » pour reprendre le « concept » publicitaire connu. Ils
produisent des ouvrages qui sont souvent d’un grand intérêt littéraire, mais
pas forcément. Certains reprennent les poncifs les plus éculCs de l’exotisme
ou des banalités qui expriment mieux la bêtise du critique - extérieur (et qui
fait donc passer son étonnement pour de la profondeur) - que l’étrangeté des
moeurs prétendument exposées. Toute une littérature coloniale ou post-
coloniale, et maintenant la littérature-ONG est écrite à base de force senti-
ments de compassion (pour l’autre) et d’indignation (pour la culture de
‘départ’, nous les occidentaux nantis et indifferents). Ainsi un voyageur
s’était extasié sur les mariages entre femmes 92 apres l’avoir relié au terme
« père femelle » du systeme de parenté, sans voir le ridicule des traductions
littérales et que les deux concepts n’ont rien 21voir.

Dans les excellents ouvrages littéraires, Bruce Chatwin est un cas


très significatif de la pratique « culte » des grands voyageurs pressés (mais le
terme ne se dit plus, on n’ose plus faire du Paul Morand) qui se prennent
pour de grands découvreurs. Son livre Le chant des pistes, consacré aux
aborigènes australiens, est particulièrement significatif avec cette construc-
tion à base de souvenirs dont l’intimite est prolongée artificiellement par le
style, donnant une aura particulière à chaque rencontre, rencontres de gens
tous extraordinaires, entrelardées de citations toutes plus ‘cultes’ l’une que

g2 Néron S’&ait bien mari6 avec son favori aprks tout., Mais le sens est tout différent, le
«mariage » entre femmes en l’occurrence n’est qu’un contrat sans aucune trace
d’homosexualit6. Le détail importe peu ici. Le fait existe, s’en gausser est une b&tise.

559
i’autre, d’ailleurs de grand intérêt. Une s&ieuse concurrence aux Robert,
Larousse etc. de citations. Ces Songlines sont le récit d’un voyage PIUS OU
moins initiatique que l’auteur nous inflige à travers les pistes des aborigè-
nes.Son ridicule, n’en déplaiseaux nombreux admirateursde Chatwin quE
nous agresserontpour ces affirmations, nous paraît patent. Nous n’arrivons
pas quant à nousà prendre au sérieux une secondece salmigondisde lieux
communs. Il se peut qu’en anglais ces Songlines soient une merveille de
style, nous n’avons pu en trouver un exemplaire pour nous en donner une
idée approximative. Il est vrai que la traduction françaiseest pédante. Il se
peut aussique ces Songlines ne soient pas de la qualité de sespremiers
livres ou, du moins, du premier,Paragonie, et que, le succèsaidant, Chatwin
ait cédéla qualité à la quantité, maisle roi est nu et le contenu du Chant des
pistes remarquablement vide, ou plutôt ne contient que l’âme
« ethnométhodologique» de son auteur. Il n’y rencontre que des gensextra-
ordinaires: le Père Térencequi sait si bien faire bouillir l’eau du thé tout en
lisant «Les Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim, qu’un

autre ami lui avait envoyé d’Angleterre », on imagine sanspeine la qualité


du breuvage,alors non content de maîtriser cette techniquesi particulière, il
sort des commentairesd’une banalité digne d’une tmission culturelle de
super-marchésur les «peuples premiers», comme on pourrait dire. On
aurait pu penser que, depuis Durkheim, les sciences anthropologiques
avaient produit quelquesavancéesplus percutantesque ce classiquerespec-
table maisdaté. Hélas non, on ne badinepasavec “LES TEXTES”.Cependant,
la littérature de pointe est aussiconnue,Lévi-Strausspar exemple :
En vérité, bien qu’elle tentât de se tenir au courant des dernières rhéo-
ries, bien qu’elle se colletât avec les livres de Lévi-Strauss...
Ceci étant, l’auteur a de la culture : il l’étale à chaquepage, et la pen-
sée,ou ce qui en tient lieu, c’est-à-dire l’ineffable sentimentdu vécu et de
l’authenticité, y est le plus court chemin d’une citation à une autre. Son
assemblage
tient plus du koan illogique desécolesde zen et d’un poèmede
Prévert que d’une volonté explicite et profonde (l’assemblageau hasardde
textes en soi chacun profond est automatiquementproducteur de sens,ce qui

560
Cvite à l’auteur de faire la preuve qu’il pense par lui-même, les mots se
chargeant de cette fonction dévolue à la matière grise chez un imbécile
moyen). Parfois, il nous inflige uqe longue série de citations sans transitions
où 1’Eskimo fréquente Vico, Humboldt fricotte avec Heidegger, les Bochi-
men mêlent leurs voix à celles des Égyptiens (anciens, on s’en sera douté,
est bien précisé dans le texte). . .
Certes, on a quelques trivialités époustouflantes de vérité :
On dirait que nous sommes bons pour attendre, dit-il en haussant les
épaules.
Et avant de se coucher, on va admirer la Croix du Sud. Les femmes y sou-
rient toujours comme dans les tabloïds de glamour et l’intensité émotion-
nelle des rencontres entre personnes de sexe opposé est telle qu’il ne se
passe rien : ce n’est pas une femme à chaque étape, c’est pas de femme du
tout (et réciproquement). Rien de ce qui peut distraire le voyageur OU la
voyageuse de leur quête n’est permis. On trouve de tout dans ce livre, véri-
table compendium de clichés sur le terrain, où règne « une chaleur canicu-
laire », ce qui paraît normal à midi. On y trouve même les frustrations, et
cette résignation qu’enseigne le terrain ?i qui l’affronte et le pratique.
L’auteur souligne toujours ‘soi’ et les ‘autres’ : il sait Ccrire et subtilement
montre son héroïsme. Ainsi il souffre dans son périple de l’inconfort, mais
« le policier regagna sa voiture climatisée»q3. Par ailleurs les aborigénes
sont merveilleux, forgés par la longue patience de l’humanité que le progrès
n’a pas corrompue, Authentiques, sortant de longues lignées de shamanes,
leurs curriculum vitae ne dépareraient pas les tickets distribués par les clan-
destins aux bouches de métro, qui nous vantent tous les vertus puiskes dans
la tradition de quelque mage, magicien ou marabout africain.. . (Kuczynski,
1995, annexes). Enfin, on a quelques réflexions dont une seule suffit à
montrer que l’auteur, dans le chant des pistes, n’a trouvé que celui de son

” Nous avons pris ces trois citations pages 103, en ouvrant au hasard, car le livre est truffé
de ces banalUs bien-pensantes : de la nécessité de marcher avec des tongs 21 la difficulté
d’avaler un met peu appétissant comme un beefsteack. L’alimentation est toujours un sujet
ad hoc pour exprimer la souffrance, comme la lune entre des cocotiers pour exprimer la
beaute,la mer pour l’infini et le ciel pour la transcendance.

561
âme. L’extrait suivant montre en plus que l’auteur n’a rien compris. Il fait
subir une distorsion aux observations d’un agent, en ne comprenant même
pas ce qu’il lui dit (refus de donner le nom d’un mort n’est pas le refus de
témoigner, ce qu’il conclut, page 107) :
- Et les témoins ?
- Les témoins aborigènes, dit-il, ne sont pas toujours faciles à utiliser. Ils
refusent, par exemple, que l’on nomme le mort par son nom.
Vous voulez dire qu’ils n ‘ont pas voulu témoigner ?
:ç a rend le travail d@cile pour le ministère public.
On se croirait dans du Ionesco. On n’échappe à rien dans ce salmi-
gondis d’idées reçues : « Avez-vous Cré initié ? » Le lecteur frémit en pensant
que ce beau et romantique jeune homme, Bruce, puisse être suspendu à un
arbre comme Conan The Barberian le fut à “l’arbre de la vérité”, brOlé au
soleil comme Clint Eastwood dans Le bon la brute et le rruand, et lardé
d’épines comme Saint Sébastien de flèches 94. La question n’est donc pas
seulement de vivre quelque chose d’extraordinaire - fait après tout bien
banal -, ni faire vibrer quelque journaliste, fusse de titres Select, comme
Lire, Le lecteur, Le Monde ou Le Figaro, mais de transmettre cette expé-
rience dansson authenticité.La questionest IB, pasailleurs.

Un autre auteur, dont nouS avons déjà parlé, est plus intéressant car il
s’est essayé au terrain scientifique en vivant de longs mois chez desIndiens
du Mexique : il s’agit de J.M.G. Le ClCzio. Il en a Sorti des ouvrages d’un
grand intérêt mais tous de facture uniquement littéraire, où l’imagination
s’exerce pour le plaisir de s’exercer, si bien que chacunedes observations
est suspecte. On sait bien que l’auteur parle en connaissance de cause, mais
cette connaissance ne peut être utilisée sans une fine critique car elle est
exposéeemmêléedu verbe le plus fort. Son ouvrage sur le Mexique a tous
lesdéfautsdesouvragesdont la percéesur le marché(fort grande,ce fut un
des ouvrages best-sellersdes années1988-89) tient plus à la célébrité de

44Un des aspects systtmatique quel’on trouvedansles r6cits de voyage c’est l’épisode
«juste avant d’arriver» : l’auteurestdécouragk, maisun signe lui apparaîtet ii continue.
Nousmême, juste avantd’arriver,noussommes au contraire exalté: lagéhenne estfinie,ou
bien le bonheur s’achéve, de toute façon,la messe est dite. Il est assez curieux que cet
tpisode ‘de type initiatique” se retrouve aussi dans la vie des savants. par exemple la
découverte de Becquerel estainsiracontée.
La découverte delapdnicillinedemême...

562
l’auteur qu’à la qualité de l’ouvrage. Il rappelle fâcheusement les ouvrages
parallèles qu’avaient produit Maurois et Aragon, l’un à la gloire des États-
Unis, l’autre à celui de l’Union Soviétique, des ouvrages non seulement de
seconde main, mais surtout des ouvrages de gens sans pratique scientifique
-.réelle On reste toujours étonné de l’élitisme des Français, ignorant tout des
sciences sociales, qui s’amourachent du moindre essai a condition qu’il soit
à sa portée, et dont le rapport à la vérité ne les préoccupe aucunement.
Comme disait, à propos d’Arthur Rimbaud, Alain Bosquet (1958) :
Cette légende est donc la vérité, et il ne peut être que secondaire de se
référer à une vérité plus consistante, fondée sur des données irréfuta-
bles. (Le Monde, 1991)
En la matière,Le Clézio a été aux sources,aux archives (d’ailleurs Maurois
et Aragon également)maissonétude dessourcesn’est pasune étude scienti-
fique. Ni l’un ni les autres n’ont de compétenceset de pratique de cette
technique. Le résultat c’est qu’on a des «citations pour faire vrai », et le
texte paraît bourré d’exotismes.Où est le travail de terrain de l’historien qui
se ‘coltine’ avec le sensde chaquedocumentsur lequel il fonde sa pratique
et la légitimité de sa parole ? Dans la mêmeveine, L.e Clézio a également
publié les commentairesd’un tr2.sintéressantlivre de photos sur les Indiens
chez lesquelsil a séjourné. Sa pratique de terrain est une fausse-pratique
scientifique,mêmesi c’est une vraie pratique de touriste ou de cheminement
spirituel, c’est un voyage initiatique. Que ce voyage initiatique donne
1’Extasematérielle (1971) qu’il a par ailleursécrit, ou le chant du Trunsibé-
rien de Cendrars,c’est du pareil au même.Au mieux, on aurait des essais,
mais le terme essaiest aujourd’hui malheureusement
décrié car il fait ama-
teur et maintenantlesvoyageurssont desprofessionnels.

Pourtant, Le Clézio a effectivement produit un ouvrage qui est un vé-


ritable document sur la pratique du terrain, il s’agit de Voyage à Rodrigues
(1986), Danscet ouvrage, l’auteur raconte comment il a rassembléla docu-
mentationpour son romanLe chercheur d’or, où il romancela quête de son
grand-pèred’un trésor qu’un Privateer y aurait enfoui. Pour des raisons
personnelles,Le Clézio, qui recherchepar-delà la documentationpour son

563
roman, a comprendre son grand-père, a fait un véritable travail de terrain,
fondé tant sur la documentation qui lui était restée, que son effort
d’empathie, par-delà les années, d’une véritC qui fut celle d’un autre. On
pourrait dire de Le Clézio ce qu’il dit sur son grand-père :
Il n’y a pas d’archéologie sans tkriture. ..> signes à demi-effacés... Ce
sont ces traces que cherche mon grand-père, jusqu’à oublier le vrai but
de son enquête, jusqu’h s’oublier soi-même. (97)
Car dans son Journal du Voyage à Rodrigues Le Clézio a oublié J.M.G. Le
Clézio et s’efface devant un autre, devant une vérité qui n’est pas la sienne,
même si cette vérité fraye son chemin A travers celle de J.M.G. Le Clézio. Il
y a aussi que Le Clézio fait un vrai terrain de professionnel, tout comme
Zola enquêtant, car l’un et l’autre rassemblent de la documentation et des
émotions pour des romans qui sont le produit de leur activité profession-
nelle.
L’effort du terrain c’est donc une recherche de la vérité d’un autre,
que cet autre soit matériel (objet ou paysage) ou soit un être vivant (disparu
ou encore observable), et non @asrecherche de la vérit6 pour la vérité, ou
recherche de la vérité pour soi, car dans le premier cas, quoi de mieux que
de s’exercer à la méditation, assis en lotus sur un coussin, comme le recom-
mandait Boudha, ou d’aller errer de par le monde, comme Théo Lésoualc’h
(197 1) courant le monde du Maroc au Japon, ou de tant d’autres, qui donnè-
rent parfois a leur quête un but précis que, sagement, ils dilapidkent sitôt
atteint : pensons à ces corsaires et pirates qui n’eurent pas la sagesse de
Surcouf ou de Morgan et perdirent dans l’alcool et les femmes les fortunes
qu’ils avaient acquises en course. Mais Surcouf et Morgan 95 n’étaient pas
allés en course sur mer pour le seul plaisir, mais pour un objectif externe
qui, pour être acquis, demandait de composer sans cesse entre le plaisir (car
ces hommes aimaient leur ‘détestable métier’ comme l’appellent les chroni-
queurs des XVI@“” et XIXème siècles) et l’objectif poursuivi (mais qui peut
exercer son métier sanss’y investir, sansy prendre goQt?). On connaît à ce
propos l’anecdote de cet Anglais disant à Surcouf que les Français étaient

95DanielDefoe [ 17241,
1991&1992; J.IgnacioRubioMafie,1984.

564
bien méprisables qui couraient les mers pour l’argent quand, eux ne cher-
chaient l’aventure que pour l’honneur et la gloire, a quoi Surcouf, qui ne
manquait pas d’esprit, cela est bien connu, avait rétorqué qu’il était bien
normal que chacun recherchât ce qui lui manquait.

On peut nous dire que nous nous éloignons de notre sujet, mais nous
sommes certain qu’au contraire, nous sommes en plein dans la question du
terrain. Car le terrain est imprégné de cette phraséologie et de cette idéolo-
gie. Ce n’est pas pour rien que l’école ethnométhodologique a (a eu plut&
en ce qui concerne les États-Unis, cela passera en France également puisque
c’est une mode) le succès qu’on lui connaît. Elle «titille » trop l’inconscient
collectif de nos sociétés quant au voyage et à sa nature merveilleuse, quant à
l’aventure et son effet « illuminatoire ». Signalons que les romans de Ramuz
sont moins prisés que les récits de ceux qui disent arpenter ces mêmes
montagnes. Frison-Roche avait été de ceux qui avaient réussi le difficile
amalgame de présenter les courses en montagne sous l’angle d’un quotidien
(Premier de cordée). Ramuz, lui, ne parlait que de paysans.

Le lecteur peut se demander pourquoi nous bataillons contre cette


culture « culte H du terrain confondu avec les voyages eux-mêmes confondus
avec l’aventure. La raison est double : d’une part épistémologique car nous
plaidons pour une sdparation drastique entre littkature, une des mère nourri-
cières des sciences sociales (Wolf Lepenies, 1990), et, d’autre part, contre
l’aliénation que ces récits d’aventures de super-marché provoquent dans
notre culture (au sens anthropologique) ; ils transforment le monde en vi-
trine pour touriste5 ennuyés 96, qui ne sortent de chez eux que pour pouvoir
louer le lieu 00 ils rt%ident : « Enfin chez nous ! » ; en fait, ces récits dttour-
nent les gens de ce qui est leur propre vie, au profit de l’insatisfaction qu’ils
l’auraient ratée en croyant comme vrai les discours poético-imaginaires des
« voyageurs professionnels ». Il est vrai que nos contemporain5 ont peut-être

% Les touristes se plaignent toujours de la nourriture, des gens, qui refusent d’être photo-
graphiés comme s’ils étaient des monuments ou des animaux d’un safari, des chauffeurs de
taxi qui les volent etc. D’où qu’ils viennent leur discours est le même (il suffit de traverser
plusieurs fois le Channel et la Manche pour entendre les discours insultants des Britanni-
ques sur nous et les nôtres sur eux. Leurs bêtises se valent.

565
besoin d’un univers virtuel qui leur soit donné de toutes pièces. Notre civili-
sation produit une culture d’infirmes de l’âme dont une partie n’existerait
qu’en dehors de l’existence des ,sujets : dans les rêves du tourisme, les
amours princières et les voyages merveilleux.. .

L’aventure, espace mythique

Pourquoi l’aventure paraît-elle, quelle qu’elle soit, parée de couleurs


aussi chatoyantes ? Nous pensons que c’est parce qu’elle apparaît comme
une révélation de l’être. La déstabilisation de la personne a l’occasion de cet
événement rend celle-ci propice à une ouverture, comme la déstabilisation
d’une psychanalyse et d’un terrain, et l’on comprend l’étroite relation que
les anthropologues voient entre cette dernière et l’expérience du terrain.
Sapée dans ses certitudes, déstructurée par la nouveauté, la personne est
d’emblée capable d’entendre des nouveautés qui, pour lui être apparues chez
elle dans un contexte familier, lui paraîtraient « tvidentes ». Le regard est
soudain «dessillé ». On atteint h vérité, ou bien on atteint - vérité. Dans
les deux cas, l’illumination fonctionne et pour celui qui a vécu l’expérience,
et pour celui qui l’imagine. Car nous ne pensons pas le voyage, l’aventure,
le terrain, sans cette dimension socialement déterminée par tout le fatras
littéraire et culturel que nous traînons avec nous et qui dévie notre vue de la
réalité des choses au profit de la représentation culturelle que nous en
avons : chacun porte en soi Ulysse et Sindbad pour l’imaginaire, Tartarin,
Pemberton et Münchhausen pour la hâblerie.

Il n’est que de lire les récits de voyage des voyageurs professionnels


pour s’en convaincre (on conviendra que c’est devenu une véritable profes-
sion aujourd’hui). Inutile d’aller chercher très loin. Pour le numéro du Lec-
teur de juin 1997, consacré au salon des l&znants voyageurs de Saint
Malo, Nicolas Bouvier parle d’Ella Maillard. C’est un extrait de son dernier
livre L’échappée belle, éloge de quelques pérégrins 97. Le parti-pris de
présenter cette dame, remarquable en tous points (mais les gens remarqua-

97 Paris : Métropolis, 1997, 168 pages.

566
bles, même ceux qui restent chez eux, sont légion pour qui sait les remar-
quer), comme remarquable parce que c’est une grande voyageuse devient
finalement gênant. Sans voyages, nous pensons qu’elle resterait ce qu’elle
est, sauf pour les amateurs de ce type de littérature. Une demiere émission
de juillet sur les « motards » en Amérique, présentait le portrait d’une autre
vieille dame qui gagna un grand nombre de raids en moto et en moto-cross
(avec des machines de 400 kilogrammes) et qui racontait ses raids (et les
images d’époque montraient sa maestria au guidon) avec beaucoup
d’humour et de distance. Elle circule toujours en moto malgré ses presque
quatre-vingt ans et nous paraît, quant à nous, tout aussi «extraordinaire »
comme personnalité, comme capacité d’endurance et de souffrances endu-
rées que Ella Maillard, dont nous ne discutons point les mérites, mais le
& qui la fait extraordinaire parce qu’elle a voyagé. L’aventure fait le récit
et non pas le récit l’aventure.

Ce qui nous semble au contraire plus significatif, dans toute cette


littérature de voyageurs professionnels, c’est leur égotisme et leur autosatis-
faction de soi. Ils vont au bout du monde, certes, mais leurs sensations les
préoccupent plus que ce qu’ils voient et entendent, et s’ils écrivent des livres
sur leur voyage, c’est davantage pour parler d’eux que du monde ; ils sont le
joyau d’un voyage qui leur sert d’écrin. Certes,. parfois, comme Ella
Maillard le reconnaît honnêtement, ils écrivent parce qu’il faut bien vivre et
que ces récits se vendent bien. Autrefois, parce que le monde était inconnu,
aujourd’hui, parce qu’il est un déclencheur de rêves. Et chacun aujourd’hui
y va de sa chansonnette, jusqu’au ridicule :

Un environnemenr de premier matin du monde.


déclare avoir trouvé Marie-Claire Gentric dans son voyage, qui dure depuis
30 ans, une belle constance, admirable en soi.

Un épisode emblématique

Nous pouvons prendre un archétype, parmi tant d’autres, L’ombre


blanche au pays des Pupous, qui a la particularité de traîner avec soi tous les

567
poncifs .et soulever toutes les autres difficultés d’objectivation de ce phéno-
mène. Christophe de Ponfilly (Arte, septembre 1996) a fait un film d’une
heure sur l’Irian Jaya. L’auteur du film déclare dans une interview à Sylvie
Kerviel (Le Monde 8-9.9.96) :
L’ombre blanche, vous pouvez le voir comme un documentaire, mais
pour moi c’est avant tout un film d’aventure.
Cela, c’est ce qui est dit et nous ne doutons pas de l’intérêt de ce
film, le problème est que nous l’avons vu indépendamment de toute infor-
mation préalable, et, avouons-le, d’une manière un peu injuste puisque d’un
point de vue professionnel, c’est-à-dire dans l’optique de cette thèse. Cepen-
dant, notre perception ne manque pas d’intérêt. Le film relate une expédition
réalisée dans le but de découvrir une prétendue vallée perdue, une tâche
blanche au cœur de la Nouvelle-Guinée. L’auteur, par la voix d’un narrateur,
se met généreusement en scène (en tant que voix ofs, et centre son regard sur
la petite troupe menée par Franceschi. Les autres, les Papous, ne sont que
des faire-valoir de l’étrangeté de la situation. Ils sont comme les arbres et les
montagnes, la pluie et le brouillard : du décor. Et ainsi va la litanie des
observations qui ponctuent les images, les surlignent, comme un maître au
tableau noir vous dit : « Regardez : ceci est important », mais dont l’effet est
celui du guide qui vous : «Ici, Mesdames, Messsieurs, vous êtes priés de
vous émouvoir » ‘* :
Il va vers cette petite tache blanche qui l’obsède.
(voix ofl

Les voix @qui commentent tout au long du film, sont indiscernables telle-
ment elles jouent sur le registre de la confidence retenue : des voix rêveuses,
romantiques mêmes, théâtralement romantiques : Y
Ce jeune capitaine nous emmène à la mort.
(un compagnon, voix ofs,

On ne sait pas si on reviendra mais on est dans la valMe perdue.


(un compagnon, voix ojf)

98 Un dessin de Lauzier (in Un certain malaise, Dargaud, 1974 : 26) présente quatre « baba-
cool » se présentant devant un gourou indien qui leur déclare : «Eh bien, vous mez
l’illuminaiion simple à 1.000 dollars, ou alors la super illumination à 2.000 dollars, qui
vous donne droit à la sagesse suprême, bdatitude mystique, contact avec la divinitt! rtc. »,
on a envie d’ajouter « American Express Accepted ».

568
Ces montagnes où Fransceschi et ses compagnons risquent leur vie
(voix off)
Notons qu’on risqueplus sa vie en traversantla place de la Concorde
qu’a marcherdans la forêt. Nous auronsdes referencesà la préhistoire, aux
dinosaures,B JurassicPark (on a des lettres, car tout voyageur qui se res-
pecte possède des lettres). Mais on parle des serpents, on souligne
l’inconfort, on nous fait admirer des pieds blesséset des cameramenen
battk-dress (bien élégantsmalgré la longuedistanceparcourue).

Cette référence au danger est omni-présentedans les paroles, pas


dansce que l’on voit : l’armée indonésienne,les grandescompagniespréda-
trices, lesPapous,cannibalesà souhait... lesporteursqui ont peur.. . dont on
nousdit qu’ils ne veulent pasaller plus loin, maisqui iront jusqu’au bout du
voyage cependant.Une bagarredansune mission,dont on ne voit rien. Mais
cela est sansimportance; on nous le dit et on doit croire sur parole des
Tartarin de banlieue. On nous le repète : Dieu quel dangeron affronte pour
vivre cette aventure (ou bien : qu’on subit pour vous ?) et (vous en ?) rap-
porter desimagesinédites.
Ils n’ont jamais vu de blancs ils sont très effrayés.
(un compagnon, voix ofJ?
C’est vraiment le bout du monde.. . quandcette situation est très fré-
quente.En beaucoupde villages en Afrique ou en Asie on n’en a pasplus vu
que ces Papousperdus: ce qui n’effraye bien que les enfants (tous les noirs
qui sont allés dans un village d’Europe avant la télevision où les enfants
n’ont jamais vu de noirs, tous les blancs qui sont allés dans un village
d’Afrique avant la télévision qui n’a jamaisvu de blancsle savent bien : les
enfantsont peur et les plus grandss’approchentet vous frottent la peau pour
voir si ce n’est que votre peauserait seulementsaleou peinte).

Mais on ne nous épargne rien de ce que l’homme blanc apporte


commebienfait : on soigneune femme aux seinsbien évidents,. .. d’un bobo
au tibia. Miracle du cinémaqui cadre à la fois la jambe et les seinsnus. On
aura droit à des considérationssur l’avenir de «ces gens» qui ne dépare-
raient pas les murmuresmondainsproféres 21un mechoui du Club Méditer-

569
ranée de Djerba (on aura d’ailleurs des réflexions grassesqui en sont dignes,
elles). Enfin.. . le touriste, c’est l’autre (Jean-Didier Urbain, 1991) : on
remarque bien que les missionnaires sont les fourriers des marchands et on
oublie d’avouer que soi-même on ne vaut pas mieux, Derrière le globbe-
trotter curieux circulent les religieux et les marchands. Rappelons ce fait
bien connu de la colonisation de l’Afrique, entre autres, que les découvreurs,
les voyageurs, quelqu’aient été leurs sentiments personnels, à partir du’
moment où ils n’ont pas gardé pour eux leur aventure, qu’ils l’ont rendue
publique, n’ont été que des fourriers des maux de la civilisation qu’ils
fuyaient. Et de ce point de vue aussi, ce film est intéressant car emblémati-
que d’une attitude : le touriste pollue, et de ce point de vue, qui sort de chez
lui en est un. Par exemple, il est amusant de voir que ces découvreurs qui ne
vous font grâce d’aucun des maux qu’ils rencontrent : moustiques et ser-
pents, maladie aux tripes ou fièvres malignes, oublient complètement de
signaler qu’ils exportent avec eux des maladies dont leurs bénéficiaires,
quant à eux, n’ont jamais demande qu’on les en gratifie. Quant au récit,
puisque le film est un récit :
c’est sur la vie dei gens
(Pon$lly, Le Monde g-9.9.96),

Il est typique, certes, non de la “vie des gens” mais de celle que ces voya-
geurs (se) racontent, qui vont au bout du monde pour vous en faire le recit,
c’est-à-dire pour raconter leurs états : ceux de leur âme, ceux de leurs
pieds... (C’est peu de dire que les pieds sont, avec l’estomac, le deuxième
organe essentiel des voyages : Lanzmann, Monod, Ancey,9g.. . Cela n’est pas
faux, puisque dit que l’on voyage à pieds pour en faire le récit, mais il faut
admettre que c’est le genre qui vaut cela, alors que les problèmes intestinaux
et leur soulagement ne sont jamais cités. Or si les pieds sont importants,
c’est parce que le “genre” en a décidé ainsi). Il est probable que le film se
compose, en temps, de 70 % de vues sur u moi et mes maux, mes penséeset
mes mots », 5 % sur les montagnes, 5 % sur les cures, 10 sur les pollueurs

w Dans une note comiquesur le ‘pataugas’ pour AMIRA, 1972, il en fit un éloge appuyéet
délirant d’humour.

570
de l’île (les bâtisseurs d’une «chaussée des géants B), reste 10 % sur les
Papous., , mais comme objets du touriste. Malgré son auteur, malgré la
qualité du travail et quelques scènes interessantes (mais absolument pas
remise en situation), le film est une « connaissance du monde »-sof, comme
on dit qu’il y a des porno-soft. Et l’ethnologie est de l’ethnologie-VSD ou
Paris-Match, comme on parle de la psychanalyse-Super-marché.

Par ailleurs, signalons que de nombreux commentateurs ont flairé


quelques supercheries dans la composition du film : comme diraient les
Irlandais de Vincennes ou les victimes de la supercherie du crâne de
Piltdown (1912) et d’autres supercheries scientifiques, le film, comme un
site archéologique ou la scène d’un crime, ont été « salés ». Le découvreur
de la «vallée perdue » de la Nouvelle Guinée aurait mis en scène ses
« sauvages », tout comme la police avait mis des armes chez les Irlandais et
que le crâne anglais était composé de la mâchoire supérieure d’un homme et
celle inférieure d’un ouran-outang, les deux ‘modernes’ IM). Intuitivement,
c’est également notre impression. En admettant même que le fait soit faux et
que le film soit sincère, il n’en reste pas moins que ce film participe large-
ment à l’idéologie du voyage et de l’aventure telle que nous la contestons. Il
rappelle fâcheusement le temps où, pour faire de l’ethnographie, on convo-
quait les informateurs sous le baobab (image on ne peut plus fausse puis-
qu’un baobab ne donne pas d’Ombre),

Nous ne voulons pas laisser au lecteur l’impression que nous profi-


tons de ce film documentaire pour déverser notre acrimonie. Nous parlons
de ce film car il est rtussi mais il pose un problème de fond, Ce documen-
taire perd de son ambiguïté lorsqu’on le regarde de nouveau, après lecture de
commentaires et interviews. Mais un film doit se suffire a lui-même, une
œuvre ne doit pas avoir besoin de considérants extérieurs pour être enten-
due, son message est interne.

J&&e blanche au Davsdes Paaous, n’est pasnon plus un document


ethnologique. Le réalisateur va montrer comment un des derniers mon-

‘Oo Voir une étude sur les fraudes scientifiques de Blanc, Chapoutier et Danchin, 1980, et
une autre de Thuillier, 198 1.

571
des vierges de notre planéte est en train d’être absorbé par la civilisa-
tion moderne.
(Catherine Humblot, Le Monde 8-9.9.96)
De ce point de vue, on peut dire que le film est excellent, mais nous ne

sommes pas critique d’art. Nous voulons pointer un ensemble de phénomè-


nes tournant autour du travail de terrain en sciences sociales et traiter des
conceptions qui lui sont liées (tourisme, voyage, connaissance scientifique
désintéressée, dévouement à l’autre, charité chrétienne, esprit mission-
naire.. .), dont certaines font problème, dont d’autres posent ‘certains’ pro-
blèmes ; elles sont des scories gênantes dans l’avancée des sciences sociales.
Un passionné des déserts (Philippe Frey) raconte à la radio
(15.7.1997), son « trip » : survivre avec le minimum d’eau, de chameaux
etc. Quand il parle de ses chameaux morts, il ferait s’évanouir Brigitte Bar-
dot. Pourtant, il choisit ses chameaux avec soin. Il a vécu avec les Bushmen,
avec des Indiens reliques de la frontière mexicaine. Son idéologie est assez
stupide : il parle de ces Indiens comme s’il s’agissait des survivants d’une
ère de fer, quand ce sont les parias d’un développement capitalistique
(insoumis certes et nobles en cela). Il refuse le terme de voyage initiatique,
mais parle du « voyage d’un naturaliste », avec des Indiens « de bas niveau
technologique », « vivant avec rien », « nus »... transformes en plantes
reliques. 11 démarre l’émission en dtlirant avec tous les poncifs de
« l’aventure ». Puis reviendra a une optique plus rationnelle. On a bien le
sentiment qu’il avait été motivé à l’excès avant par la presentatrice, et qu’il
reprit son quant à soi au fil de l’émission. Mais l’ensemble est bien de notre
époque, de notre sociéd du spectacle : ce que l’on fait n’a de valeur que si
on en parle. On doit être celèbre, ne serait que 5 minutes dans une radio
locale, au moins une fois dans sa vie.
Pourtant, dans le fatras de la production littéraire, ou simili-littéraire,
sur les voyages, émergent certains récits qui arrivent, malgré l’aliénation qui
est notre lot commun a tous, à exprimer une réalité : cette conjonction fra-
gile, cette rencontre, au sens fort du terme, entre un lieu et soi. Ce lieu peut
être un espace, mais aussi des gens ou des animaux.. .

572
Un terrain malgré lui

Certains voyages, ou certains terrains donc, pour ‘faux’ qu’ils fussent


dans leurs objectifs, se révélèrent « performants » quant aux résultats écrits.
Parmi de nombreux exemples possibles, celui de Hans Staden, sur lequel
s’appuya Montaigne dans son chapitre XXX1 du Livre 1 des essais, Des
cannibales, dont la qualité d’observation est louée par Claude I&i-Strauss.
Mais là, nous avons expliqué que cette réussite tenait au choc émotionnel
reçu et à la nécessité de manipuler (et donc de la comprendre) la société qui
l’avait fait prisonnier. De même, le premier tour du monde en bateau n’a pas
été fait pour être raconté. Joshua Slocum, ([ 18991 1990) avait peu de chan-
ces de l’achever et s’il en a fait le récit, ce n’est pas la performance qu’il
loue, mais à son bateau a qui il rend hommage. Comme si le recit réussi ne
venait pas d’un acte volontaire mais de l’illumination vraie reçue par
l’auteur.. . On pourrait aussi citer Bernard Moitessier (1995) qui décrit bien
sur quelles bases personnelles s’est construit sa decision de ne pas finir,
comme on entendait de Londres qu’il fut fini, son voyage autour du monde.
On a donc des «terrain malgré lui », et, en général, c’est le premier texte
écrit par ces auteurs, qui le font sur cette première expérience : Monfreid,
auteur prolifique par la suite en est un bon exemple. Ensuite, Don Juan
géographiques au ralenti, les voyageurs professionnels égrènent leurs péré-
grinations d’un livre à chaque voyage.. . Jusqu’à devoir ou pouvoir écrire un
“guide du routard”, constcration qui arrive à certains, comme nous le faisait
remarquer un jeune « auteur-voyageur » en septembre de 1997, qui pérégrine
par la France en attendant de pouvoir faire des sentiers’plus exotiques. Le
fameux Lawrence d’Arabie aussi, quoiqu’il ait fait un livre (dont il détruisit
le manuscrit), n’a pas fait son épopée arabe w l’écrire, même s’il l’a
vécue en ,(<intellectuel », acteur-spectateur comme nous le sommes tous. À
moins que, ne se prenant pas au sérieux mais à l’affllt de la bêtise du monde,
ils n’en profitent, comme des charlatans profitent des gogos. Nous ne
l’avons jamais lu, mais il nous semble, à l’entendre, que le chanteur Antoine
en est un bon exemple. « L’entretien d’un bateau coûte cher », comme. il le

573
faisait remarquer pour son dernier livre.. . de cuisine de marins. Les livres de
cuisine se vendent bien également, alors un livre de cuisine qui fait voya-
ger...

Finalement, on pourrait aussi parler de ces récits littéraires de voya-


ges que leur auteur n’a pas fait. On a le fameux Supplément au voyage de
Bougainville de Diderot, le Rimbaud en Abyssinie d’Alain Borer, et surtout
l’écrasantÉloge de la glace et des ténèbres de Christoph Ransmayr,voyage
initiatique, voyage répétitif (on refait le voyage dlun autre dansune situation
quasi-borgèsienneque l’on répbte à l’identique), et, au moins en littérature,
commesi souvent dansla vie :

Ainsi se termine 1‘aventure, un jour, avec la vie, et 1‘on sait qu’on n’a
plus rien à conquérir.
(Le Clézio, 1988 : 62)

Le voyage est un terrain, et réciproquement

Le terrain est connoté à voyage et nous avons donc dQ analyser ce


phénomène du point de vue qui nous occupe. La raison de ce que
l’anthropologie est avant tout une sciencedu lointain plus que du prochain,
est en grandepartie à l’origine de cet engouement,Par ailleurs, les sciences
coloniales, plus que les autres(mais on ne parle pasde sciencesmétropoli-
taines) ont eu tendance à magnifier l’épisode voyage, quand ce n’est pas
l’épisodeaventure et sonavatar pluriel : aventures.

Départ de chez soi, décentrementde la personne:


J’ai quitté Paris, et même la France, parce que la Tour Eiffel finissait
par m’ennuyer trop.
(Maupassant, 1890 ‘*‘)
le voyage est un chemin vers soi-mêmeet on comprend que l’analyse de la
personnequi pérégrineait tant d’importancedanslesécrits. L’être va visiter
d’autres lieux, d’autres gens,frbquenter des espacescanailles, bouges,bor-
dels et bas-fondscomme Corto Maltese, ou merveilleux : temps de l’Inde,
pagodeschinoisesou ruines incascommeTintin. Mais, sauf à de rares mo-

‘O’Maupassant..., Musée des Terre-Neuvas (1993 : 134). II s’agit du troisiéme recueil de


kits de voyages : La vie errante, 1890.

574
ments, l’autre est sans présence malgré sa permanence en tant que décors.
Ce n’est pas un hasard si Tchang est une rarett chez Hergé, car les relations
affectives demandent, pour être nouées, une rtkiprocité qui n’est pas celle
que l’expérience des voyages puisse donner. On ne s’y marie pas, et on se
souvient de ses parents comme on se rappelle les lieux d’enfance, pour se
dire que, quelque part, on existe autrement que comme un regard, comme
une image (pour les autres). Alors, pour donner un sens it cette errance, on se
crée des espaces imaginaires qu’embellissent contes et légendes, car la
réalité crue du quotidien ne saurait les justifier.
Un des éléments de la littérature de voyage est le regard que l’on
porte sur l’autre, avec cette difficulté que pour écrire et avoir du SUC&Sdans
ce genre de littérature, il faut répondre aux lois du genre. On n’a donc pas de
notations comme celle d’Hélène Bouvier (1995 : 16) :

L’expérience de terrain fut bien stîr composée de moments inkgaux en


intensité, de périodes d’assimilation inconsciente, de compréhension eu-
phorique ou de rejet catkgorique, véritable manège de sensations, d’in-
tuitions et d’idées, ce qui est le lot de toute observation participante.
Nos auteurs sont obligés de respecter l’image du « bon blanc », même s’ils
la contestent. Comme le signale Pierre Bourdieu (1972), c’est la perfidie du
genre. On suit la r&gle, puisqu’on l’ignore comme active, alors qu’un an-
thropologue digne de ce nom l’intègre dans son discours. Alexandra David-
N6el (195 1 : 332) admire la bravoure et le courage individuel et collectif des
blancs en Inde, grâce auxquels leurs fautes sont relativisées. Que leur mépris
des natives les ait aidé dans ce courage méprisant, elle le reconnaît, mais son
admiration va bien dans le sens de sa culture et non daris celui de son hin-
douisme (?). On a vu aussi Chatwin et quelques verbatims de nos inter-
views.. . On peut se poser la question, mais nous avons déjà la réponse :
occupé de leur ‘moi’ les voyageurs n’accordent au reste du monde, hommes
et paysages, que le rôle de faire-valoir. Ce sont des esthètes, et la même
attitude se retrouve chez les collectionneurs, mais ceux-ci sont ‘clairs’, sauf

575
lorsque, se prenant au jeu médiatique, ils finissent par donner à leur passion
une justification sociale, quand rien de social ne la justifie”‘.

Paul Morand, le voyageur’pressé qui se fuyait autant qu’il visitait, et


les critiques élogieuses à l’excès du Monde ne nous ont guère incité à le
relire ‘03, écrivait un livre par voyage. Car parler de ses voyages est un des
grands agréments qu’ils offrent, plus que les paysages, plus que les beautés
dont s’est nourries le regard. On est un peu comme les critiques qui ne vont
voir les œuvres d’art que pour les commenter. La différence n’est pas si
grande : la critique doit être malveillante et le commentaire de voyage doit
être laudatif, c’est juste une question de genre littéraire.
Aller au bout du monde pour un bout de conversation.
(Barbey d’Aurévilly)
a raconté à deux reprises, à deux semaines d’intervalle, Meunier dans deux
émissions de télévision (FR3 et Arte, juillet 1997)
On connaît Marco Polo, mais il n’Ctait pas le seul à parcourir les
pistes d’Asie pour rapporter les biens rares que l’Occident prisait ; on ne
connaît pas tous ces Vénitiens et ces Génois qui parcoururent les pistes
d’Asie qui fondaient la richesse des villes italiennes. Des voyages, on ne
connaît que les récits. Pourtant de nombreuses femmes et hommes se sont
contentés de vivre cette passion, mais elle leur appartenait. Ils étaient
comme ces anachorétes qui, découvrant Dieu, ne se sentent pas le don de
transmettre ou de convaincre. La liberté qu’ils ont acquise leur suffit. Nous
avons ainsi connu un journaliste qui a fait la route durant dix ans, il écrit et
sait écrire, mais n’a jamais écrit sur cette vie qu’il a menée. De même, deux

‘O*Une strie d’articles parusdansLe Monde, &é 1997,tracele portrait de certainsgrands


collectionneurs, qui réduisent les objets et les cultures en objets de consommation esthéti-
que, qui cherchent A justifier leur passion par une utilitC sociale.
‘03 On dit toujours “relire”, cela ne serait pas exactement le terme approprit pour Paul
Morand dont nous avons lu quelque chose et tentt de lire quelques œuvres, mais en pure
perte car nous n’avons pas vu où il nous apporlerait quelque chose, cependant, nous recon-
naissons, au bruit de l’éloge qui en est fait (voir encore Le Monde des Livres du 8 aont
1997, sous la plume de Christine Rousseau, l’encens parfumer Bgu OLihea, avec des
chations de Philippe Sollers), au bruit de cet Eloge, donc, nous ne doutions point que notre
silence sur l’homme pressé soit un scandale d’ignorance de notre part. Nous possédons tout
un dossier sur Morand, des textes lus, mais vraiment, prendre cet auteur pour un vrai voya-
geur est selon nous une erreur, car c’était un feu-follet.

576
jeunes gens ont traversé l’Afrique du nord au sud, d’ouest en est.. . ils sont
l’un architecte en province et l’autre cadre d’industrie et ne parlent de leurs
trois années d’aventures a personne. Et ainsi de suite, leur nombre est lé-
gion. Ils ont vécu pour eux. Nous avons connu également un résistant glo-
rieux : il quitta la France en 1947 pour ne plus qu’on l’ennuie avec des
honneurs qui l’importunaient. Itftre du bond, pas de la cur&e, disait René
Char.

On connaît le Colonel Lawrence, maisqui se souvient de Glubb Pa-


cha ? Si le premier n’avait pasécrit, ou s’il était mort, les Sept piliers de la

sagesse n’eussentjamais été bâtis, puisque le manuscrit de jeunesse,qui


portait sur les villes de l’Islam glorieux, avait été brillé par Lawrence lui-
même,qui reprit le titre. On n’aurait de cette aventure humaineque ce que
des genscomme Lacouture ou Assouline nous en dirait... Il y aurait trois
lignes dansune encyclopédie. Qui aurait envie d’en savoir plus, de lire et
relire les quelqueslettres qu’il écrivit où se révèlent certains traits impor-
tants ? Sans les Sept piliers le colonel Lawrence ne serait pas Lawrence
d’Arabie, et pourtant, Lawrencea été Lawrence.

Et Montfreid ? Il n’était pas seul, nous avons connusle fils d’un de


sescompagnonsen arnaqueset de pirateries, mais les autres sont restés
silencieux. La Mer Rouge ne contenait pas seulementMontfreid et Corto
Maltese. Ont-ils pour autant moinsvécu, ou vécu moins « vrai » ?

Finalement, tout ne serait-il pas récit ? puisque l’homme est avant


tout parole, et que cette parole lui a permisde dominer la nature en lui évi-
tant de se dominer lui-même? Et alors, on comprendque nous ayons toute
une littérature qui n’est qu’une écume,et pasforcément la plus vraie, mais
forcément la plus faussenon plus.

Constaterque les recits de voyagesproviennent de récits de voyages


est une des désillusionsde ceux qui lisent les récits de voyages en les pre-
nant au premier degré commela description d’un voyage est une deschoses
que nous trouvons relativement comique. Elle permet de comprendre
qu’utilisés comme sources,les récits de voyages doivent être sérieusement

577
critiqués et que Lévi-Strauss a bien raison de haïr. Pierre-Jean Rémy ‘04,
grand bibliophile devant l’éternel, remarquait que Stendhal avait puisé ses
Mémoires d’un touriste dans Millin. Mais tous, ne rencontrons-nous pas nos
voyages déjh écrits par d’autres, qui eux-mêmes, à l’exemple de Leif
L’Heureux ‘05, ont sûrement été précédes d’autres Vikings, et ceux -là par
des Lapons.. . L’individu n’est jamais condamné qu’à écrire sur un palim-
pseste son histoire jamais complètement dite, jamais complètement nou-
velle.

Le voyageur, l’aventurier cherchent le chemin, le but est vide. Pour


le chercheur lui, l’objectif existe, il en cherche le chemin, Comme les fonc-
tionnaires chinois, qui pratiquaient la méditation, diffèrent du moine qui
recherchait l’illumination, les anthropologues pratiquent le terrain pour
écrire un ouvrage d’un genre bien dtfini : une œuvre scientifique.

La littérature de voyage comme genre

La littérature de voyage pose problème, du moins dans la conception


que nous en avons. Nous nous sommes longuement interrogé sur son pour-
quoi spécifique, puisque cette thèse n’est pas sur l’esthétique des genres
littéraires. Notre position aujourd’hui serait la suivante : chaque individu est
multiple, la preuve en est qu’une même personne au cours du temps ou
selon les circonstances peut être extrêmement différente également. C’est
une manière de poser les questions qui a donné de très grandes œuvres
littéraires comme Le quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell, où le
même récit est repris par des protagonistes différents et ‘c’est a peine si on
reconnaît les htros d’un roman dans les suivants tellement une personne
peut ne pas - ressembler. C’est egalement tout le jeu des analystes politi-
ques qui tentent de déterminer qQ est leur héros (Anne Fulda pour Chirac,

rM Le Figaro, 14 novembre 1996.


‘OsUne carte de 1440 fait mention de Vinlanda Insula, que Bjarn et Leif, heros viking
auraient découverte ir l’ouest de notre continent, elle est deposee g Yale, Le parchemin date
bien du XVémCmais pour le dessin de la carte, la controverse continue. De toute façon, dans
les années 60, les Norvégiens Helge et Anne Stine Ingstad ont prouvé au Carbone 14
l’existence de vestiges archéologiques vikings datant du X’“” sur le site de l’Anse aux
Meadows, sur l’île de Terre-Neuve.

578
1997, Christine Clerc pour Mitterand, 1982). Donc, jusqu’ici rien que de très
trivial. Or le voyage condense le changement de la personne affrontée Q des
situations inattendues. Le voyage compresse le temps, le densifie et des
changements qui se produiraient en années se realise en semaines, ou en
jours. Par ailleurs, la brutalité de ces changements provoque ce que les
adeptes du zen nomment ‘illumination’, cet Eureka ! qu’aurait poussé Ar-
chimède dans son bain, La littérature amoureuse en est remplie, qu’elle
nomme coup de foudre et qui naît, lui, de la jeunesse, en gén6ra1, epoque
propice à la ‘densification’ du temps vécu. Le voyage permet donc
l’émergence de « moi )>possibles, latents, et la littérature de voyage permet à
ces potentialités d’émerger dans la conscience du lecteur en les montrant à
l’œuvre chez un autre. Il est necessaire que le processus d’implication du
lecteur se produise, Et pour cela, la présence de l’auteur comme ‘identique’
au lecteur est essentielle. Ainsi, loin de devoir rester absent, il est fonda-
mental que l’auteur soit présent, qu’il soit narrateur ou narrataire (le narra-
teur implicite, Proust pour le Petit Marcel qui longtemps se coucha tôt et qui
lui tient la plume), pour reprendre la distinction classique de l’analyse sty-
listique. Il faut que le processus se produise, que la “mayonnaise” imaginaire
d’identification se réalise : «je vis ce que je lis ».
Chacun s’avère multiple et le récit de voyage a pour fonction de faire
émerger ces potentialités individuelles, de leur donner une existence fugace
mais non moins réelle que les rêves (endormis) qui permettent aux êtres
vivants (les tortues rêvent aussi) d’assimiler “d’endormir” nos expériences
traumatisantes (et la perte d’identités multiples). L’acceptation de ne pas
être autre que ce qu’on est, doit en être une si l’on en juge a toute la masse
de frustrations que révèlent les jeux de rôles et les ntvroses provoquées par
« l’abus de virtuel » que l’on voit apparaître actuellement. La littérature de
voyage et les films documentaires, ont peut-être pour fonction d’une part de
donner vie à ces potentialités, d’autre part de nous faire librement accepter
les limites quotidiennes. Quant à ceux qui écrivent cette littérature, ne serait-
ce pas pour les mêmes raisons ? Pour se réapproprier leur propre expérience,

519
se persuader qu’ils bien ont vécu ces choses extraordinaires, ces premiers
matins du monde dont parle Le Gentric, et que chantait Cats Stevens avant
de devenir dévot musulman ?
La littérature de voyage est essentielle, et le processus de voyages
aussi pour ceux, comme les touristes, qui ne veulent pas vivre du nouveau
mais vivre la réassurance de la validité de leur expérience quotidienne. Peut-
être que la différence entre le voyageur et le touriste est celle-ci : le touriste’
va vérifier qu’il est bien là où il est et ce qu’il est, le voyageur lui, acceptant
qu’il aurait pu être autre. A cette aulne, reconnaissons que beaucoup de
voyageurs professionnels sont des touristes et que nous avons rencontré
beaucoup de touristes qui ont su mettre en jeu leur existence dans un regard
ou dans un voyage, Les voyageurs professionnels, aujourd’hui ou le monde
est ratissé par l’information, n’ont plus le monde à raconter. Il est connu en
ce qui concerne l’information que l’on dispose sur lui. Nos voyageurs sont
alors comme tous ceux qui écrivent : il faut avoir quelque chose à dire de
nouveau, et les voyages n’offrent rien de bien nouveau, et les émois des
voyageurs est u thèmes qui commence à être archi-éculé ; alors, ils doivent
se rabattre sur les vieilles recettes de la littérature : ce quelque chose à dire
est la maniére de le dire (pour que le lecteur ou le spectateur en ce qui con-
cerne les arts visuels etc.). ce n’est pas le monde qui est à dire, c’est le re-
gard sur le monde, dans l’assurance que l’on sache écrire son regard, que
l’on puisse transmettre la flamme du regard que l’on porte sur le monde,
quand on a accepté qu’il n’y avait plus rien a dire. Ou alors, on écrit dans un
autre registre, celui de l’ethnologue de terrain... a condition de ne pas ré-
écrire la nièmemonographie sur les tireurs de pousse ou les chauffeurs de
taxis. Les voyages en sont au roman tel que Flaubert l’envisageait : presque
de l’art pour l’art, écrire sur rien. Ce rien pour lui, étant une médiocre pro-
vinciale suicidée dans une petite ville normande pour avoir trompe son mari,
dont il fait un mythe, parce qu’il s’écria: Lu Bovary c’est moi! Si elle
n’avait été lui, elle ne serait restée qu’une ligne dans un journal, un livre
raté, tombes de papier métaphore de la tombe réelle d’un cimetière passé

580
depuis au bulldozer pour un lotissement de maisons préfabriquées ou
d’immeubles à loyer modéré. Quand leur objectif, à nos voyageurs, est de se
financer en prenant de l’argent aux gogos, alors, leur but est ‘louable’, le
commerce mène le monde ; il est irritant de les voir occuper l’espace infor-
mationnel et tromper des honnêtes gens, mais sans la complicité de la vic-
time, le monde irait de travers, surtout parce que ce faisant ils participent à
la virtualisation du monde et à son processus d’irréalisation - et c’est pour
cela que la complicité de nos média leur est acquise totalement. Mais pour
ceux qui veulent vraiment transmettre la parcelle d’expérience humaine
qu’ils recèlent, il est bon qu’ils méditent cet avertissement d’auteur :

Author? Note

Wbat~ikws is based on actual owmwms. Althongh mucb bar


been changedfor rhetoricalpuposcs, it mur! be ngardcd in ifs CI-
seme asjact. Howevcr, it shoufd in no ‘yoy 68 associa!ed wi?b thc
gnat body offactaal inf0mation mhting to ortbodox Zen Bwd-
dbist practh. 0’s net ueeyfachat on motonycks, eitbcr.
Robert hi. PIRSIG, 1974
zen and lb8 Arl of motorcyck maintenance

Être neuf, ce à quoi ils prétendent, cela ne se peut que s’ils trouvent
une parcelle inconnue de l’humanité à dire, ou une manière nouvelle
d’exprimer une parcelle connue de l’humanité. Peu ont eu la chance de
posséder du nouveau et de l’exprimer, dans la forme et dans le fond : et
même à bien réfléchir, nous ne voyons personne qui pourrait s’en vanter.
Mathématicien, physicien ou homme de lettres, chacun ne fait jamais qu’un
pas de plus, plus ou moins grand.

581
Chapitre 6
Le terrain des anthropologues Iw

Le lecteur ne manquera pas de se demander quels sont les


moyens que j’ai utilisés et les conditions dans lesquelles j’ai
travaillé. Il s’agissait d’abord d’r!tablir des liens sociaux, de
m’installer au sein du groupe que je voulais étudier, de me
faire accepter par tout le monde comme &ant des leurs.
(Rabedimy,1976)

Le terrain, noyau dur d’une science

Les anthropologues ‘O’ revendiquent le terrain comme fondement


méthodologique de leur discipline ‘08. Mais cette base ne leur est pas exclu-
sive. Les geographes également pourraient revendiquer cette méthode
comme constitutive de leur discipline. Hérodote, ancêtre éponyme d’une de
leurs grandes revues, a pris un soin jaloux à consigner les dires de ses in-
formateurs, même s’il privilégie ce qu’il a vu à ce qu’on lui dit (Claude
Calame, 1995 : 207). Hérodote est revendiqué également par les anthropolo-
gues, et Boas, un des pbres fondateurs de la discipline, était, de par ses
études, géographe. Mais pour la -geographie, le terrain est plus “classique” :

‘06 Je remercie ici particulierement Maurice Codelier, qui m’initia a l’anthropologie, Claude
Meillassoux qui me conseilla pour redonner une direction à mon premier travail de terrain
au Senbgal (ma première observation-participante ayant eu lieu plusieurs années auparavant
en Alsace), Marshall Sahlins pour m’avoir aidé à entendre le passage entre idées du terrain
et théorie anthropologique, Richard Pottier pour les pistes qu’il m’a fournies pour la rédac-
tion de ce chapitre.
“’ Repétons que nous confondons dans un même vocable les différentes acceptions de la
profession : ethnographe, ethnologue ou anthropologue, les trois termes sont Equivalents
aux nuances du texte prbs, ainsi que nous en débattrons plus bas dans ce chapitre.
‘Os Des bquipes du CNRS s’intéressent fort egalement a ce sujet, elles travaillent sur
l’épistémologie de la discipline (documents divers, Commission nationale no38 ; cette liste
n’est peut-être pas exhaustive mais donne une idCe de la force de cette r&Yexion, entre
autres :
Jean-Luc Jamard et Georges Guille-Escuret, Epistémologie, m&hodologie et histoire de
l’anthropologie ; Birgit Muller, Réflexion sur les méthodes de recherche sur le terrain ;
Gérard Lenclud, &ristdmologie de l’anthropologie (trois autres thèmes de cette unité de
recherche sont connexes : Histoire de l’anthropologie, Ethno-sciences, Sciences cognitives
avec d’autres chercheurs comme Michel Izard, Francis Zimmermann, Carlo Severi) ; Jean
Boutier, Jean-Claude Passeron, Jean-Louis Fabiani, Epistémologie, méthodotogie et histoire
des sciences ; Daniel Becquemont et Maria Pia Di Bella, Histoire et épistimologie de
l’anthropologie ; Serge Grunzinski et Nathan Wachtel, Anthropologie et anthropologie
historique. Ne sont cités ici que les responsables des programmes,
il s’agit d’aller voir, sur place, les choses du paysage pour en rendre compte.
Et leur moyen d’expression privilégit des géographes (idéologiquement, pas
forcément pratiquement) reste la carte. Pour les anthropologues, la notion est
beaucoup large et plus subtile, de par la formation même de leur discipline.
Disons que, même si d’autres tenants de disciplines de sciences de l’homme
et de la société, géographes, archéologues ou sociologues, ont eu une prati-
que tout aussi subtile et fine de leur pratique de terrain que les ethnographes,
et si leurs textes l’expriment avec autant de subtilité, comme pour Joël
Bonnmaison et Jean-Robert Pitte, jamais les tenants de ces disciplines ne
revendiquèrent cette pratique personnelle comme étant constitutive de leur
science, au contraire de l’anthropologie. Le risque a parfois été qu’en certai-
nes œuvres, le terrain s’est réifié et fonctionne comme idéologie, ainsi que
cela s’est produit pour des institutions, comme nous l’avons déjà signalé.
Certains auteurs, et non des moindres, comme Mondher Kilani (1994 : 37),
en concluent d’ailleurs :

. .. on peut tirer la leçon de l’impasse actuelle de l’anthropologie classi-


que : elle refuse de considérer les implications de l’idéologie et fige la
méthode en une idéologie de terrain en soi.
Nous avons dit quant à nous qu’une partie de notre refus « génCrationne1
»
d’une certaine pratique des sciencessociales,partait du constat de ce que
certainesœuvres,en particulier les monographies,étaient une

standardisation des interrogations “objectives des cultures” [. . .] à


l’origine de la production de monographies répétitives qui effacent les
différences entre les sociétés au projït de similitudes qui se traduisent
par un certain nombre de réifications des formes et des significations.
(Kilani, 1995 : 76)
Ce n’est pas dt?ssesoriginesque le ‘terrain’ a pris l’importance d’un
paradigmedans l’anthropologie, mêmesi sesfondateursrécents‘09,comme
Henry L. Morgan, avait a effectué du terrain, pour son premier ouvrage,
effacé par le succès de Ancient Society : The League of Iroquois (1857).

‘09 Car on peut remonter trés loin et dkceler les prkoccupations les plus actuelles de la
discipline Hannon (- 470 JC), Général carthaginois qui frkquenta, sur ordres de sa cit6 la
côte d’Afrique, HBrodote (- 400 JC) qui visita le monde ancien de Babylone à l’Égypte,
jusqu’8 Rousseau qui herborisa a Ermenonville, en passant par Ibn Batuta (XIVtme) qui
dkcrivit l’Empire du Mali ou Ibn Khaldun (XV’“) qui analysa le cycle infernal des sociétés
maghrébines.. .

583
Franz Boas, qui se méfiait des grandes synthèses, plantait quant à lui sa tente
en Terre de Baffin parmi les Eskimo dès 1887 ‘lo. Mais t’étaient des excep-
tions et les ancêtres des anthropologues étaient des gens «de cabinet »
comme dirait Bougainville. Parfois, ils préparaient des questionnaires que
devaient leur remplir leurs ‘informateurs-voyageurs’, et c’est de ces ques-
tionnaires que sont issues les fameuses Notes and Queries (premières Cdi-
tions sous la direction de Tylor dès 1874, avec remises à jour périodiques),
dont l’objectif était d’aider les non-spécialistes à recueillir des données pour
les savants (desquels se comptait à juste titre Mauss). Durkheim a écrit Les
formes élémentaires de la vie religieuse (1912) à partir de la seule docu-
mentation existant en bibliothéque sans être jamais allé en Australie (il se
fera « épingler » par Evans-Pritchard qui n’aimait pas les penseurs... qui
n’ont jamais vraiment vécu à la dure “‘). AU fond, ils pratiquaient les cultu-

res comme nous étudiions l’anglais dans nos lycées autrefois : comme le
latin, sans s’occuper qu’il ne soit pas, lui, une langue morte. Philippe La-
burthe-Tolra (1991 : 419) signale même le cas de Célestin Boug]é (années
20)...
qui avait écrit une thèse très consciencieuse sur les castes en Inde, [il]
aurait refusé une bourse de voyage qu’on lui offrait pour ces pays en di-
sant : n Inutile d’y aller, j’ai tout lu sur la question ! u
Pourtant, ils avaient de nombreux exemples de la validité d’aller
ailleurs voir les choses si lion pense que le fondateur de la linguistique
comparée, William Jones, membre de la haute administration des Indes,
avait pu en ddterminer les parentés et filiations entre les langues europeen-
nes et les langues indiennes (72 ans avant Charles Darwin, L’origine des
espèces), ainsi qu’il en fait Ctat dans son Discours de Calcutta à la Société

“O Voir Terrain et thtorie avant Malinovski, in Kilani, 1995 : 68 et sq.


“’ Boon (1982 : 8) in Kilani (1995 : 88). On retrouve 18 un des thbmes du terrain comme
Bpreuve initiatique éprouvante, que Pottier se propose parfois de ré-écrire sur un air
d’offenbach : Les tropiques joyeuses par exemple. Notre premier terrain, dans la Pointe de
Sangomar, fut un modèle du genre « vivre a la dure ,, : la mer, les cocotiers, les plages de
sable fin, un climat idyllique ; les troupeaux de biches et de singes dans la kobala, les
grands vols d’oiseaux migrateurs sur le fleuve Saloum ; du poisson, de la viande et des
fruits ; du riz et du mil (et le bonheur le matin du couscous dans du lait caillé avec du miel
sauvage.) ; du vin de palme et de l’alcool ; des villageois adorables, des hôtesses accortes et
bonnes cuisinière ainsi qu’un interprbte qui est resté un ami depuis trente ans.

584
Scientifique de la Ville (1786). Vivant en Inde il en pratiquait plusieurs
langues (Merritt Ruhlen, 1997).
C’est ensuite, a partir de la monographie fondatrice de la méthode de
Malinovski (1922), Les Argonautes du Pact$que occidental, que le terrain
est devenu un paradigme incontournable de l’anthropologie. Malinovski a en
effet défini la méthode d’enquête-participation : vivre au milieu des sujets
de l’enquête jusqu’à se faire oublier comme étranger. Tel est du moins la’
leçon qui en a été historiquement retenue jusqu’au « coup de tonnerre » qu’a
été la publication de son journal où la réalité a paru, enfin, plus complexe (et
quelque part nous semble-t-il plus conforme a l’expérience que chacun avait
quand il s’était livré à cette expérience),

Nous n’entrerons pas dans le débat de savoir de qui l’anthropologie


est la fille aînée : de l’impérialisme, comme le disent certains, ou si elle
.. . a eu sa source dans la curiosité pour le pittoresque et l’« étonnant »
comme le soutient Eliane M&ais (1980 : 22). A vrai dire, nous ne croyons
pas à ces explications univoques ‘t2 et pensons plutôt qu’un concours de
circonstances, lié à l’émergence de la pensée occidentale, a favorisé la cons-
truction de l’interrogation anthropologique. Ce qui ne suppose pas qu’il y ait
«plusieurs anthropologies » car l’interrogation est bien dans la lignee de
notre civilisation, même si elle ne reste plus l’unique propriétaire de cette
pratique scientifique, comme elle ne l’est pas plus de la chimie OU de la
physique nucleaire.

L’ethnologie involontaire

Paul-Rmile Victor avait déclaré (1995) :


J’ai fait de l’ethnologie sans savoir ce que c’était... C’était une ethnolo-
gie parlicipante. C’était, sans que je sois préparé, vivre avec une famille
eskimo, partager tout avec eux, vie quotidienne, travaux, nourriture, fê-

“* De même quand Yves Lacoste lia la naissance de la géographie a l’art militaire : faire
des cartes pour faire mieux la guerre. II nous semble qu’en matière de faits de sociéte, on
n’a jamais des causes simples : la naissance de l’ethnologie comme celle de la geographie
sont aussi des faits sociaux totaux. Et donc les individus (leur psychologie, leur ddviance,
leurs desirs de gloire ou d’argent.. .) et les grandes forces sociales interviennent (Économie,
religion, institutions, culture, désir de connaissances.. .)

585
tes, jeux, amitiés, amour, . . . tout.
Devenir comme eux, être reconnu par eux comme l’un des leurs et, en
même temps les étudier, tout noter, tout dessiner. Au fond une ethnologie
amoureuse. (Le Monde, 9.3.1995)

Cette situation est plus fréquente qu’on ne le croit. Dernièrement nous avons
dirigé le mémoire d’une jeune étudiante qui a effectué un travail remarqua-
ble en réussissant pleinement son enquête-participation ethnologique dans
une entreprise Ii3 . Et même avant la lettre. On a cité les grands ancêtres que
se reconnaissent les anthropologue (Herodote, Ibn Batuta...) mais nous en
avons un autre plus proche de nous qui nous paraît présenter un intérêt aussi
grand, il s’agit de Hans Staden ([1557] 1990) qui, dans Nus, féroces et
anrhropophages, raconte son expérience avec des Indiens de la Côte du
Brésil et comment il a pu, d’une part échapper au sort d’être mangé, d’autre
part quitter la communauté indienne. Il a vraiment écrit un livre d’une clarté
étonnante sur la logique de l’anthropophagie (Montaigne utilisa sa relation
pour ses essais intitulés tes Cannibales et Les Coches). Personnellement,
nous considérons ce texte comme véritablement exemplaire ; il ne rougirait
pas d’être écrit aujourd’hui, comme d’ailleurs quelques pages d’Ibn Khal-
dun : du terrain et de la réflexion, ou plutôt, du terrain avec de la pensée,
l’un et l’autre dans une intime intrication.
On trouverait aussi chez les lettres que les jésuites envoyaient à
Rome de leur expérience chinoise (Lettres édijïantes et curieuses de Chine
par des missionnaires jésuites, 1702-1776), de pures pages d’ethnologie et
pas seulement des relations de voyage comme le sont en général les textes
que nous a légués le passé, le nôtre ou celui d’autres sociétés ‘14, y compris
ceux de Montaigne sur son voyage en Italie.

“’ Anne Beekhuisen, Enjeux du management et communication au sein d’une entreprise


internationale, Le cas de Rohm and Huas, CELSA, Paris IV, septembre 1997 : 192 (mbmoire
suivi en collaboration avec le Pr. Isabelle Wacquez).
Il4 II existait une collection dont nous n’avons pas retrouve la trace « II existe toujours un
reporfer » qui donnait le point de vue des sociétes que l’Occident a dominé avant qu’elles
ne soient dominees : on y trouve en particulier dans le volume consacre ii la Chine, des
pages etonnantes. Le projet de comprendre l’autre est donc un projet qui dépasse largement
le cadre etroit du developpement de notre civilisation et fonde donc notre opinion que
l’anthropologie, née, en tant que science, en Europe-Amérique, n’est pas une science
purement « civilisationnelle », si on peut risquer ce néologisme.

586
L’opération « terrain involontaire » peut être collective ; ainsi Yves
Defrance (1993 : 198) déclare à propos du mouvement qui sauva une partie
de notre patrimoine musical populaire :

C’est donc contraints que les folklewc [musiciens qui revivifièrent et


“popularisèrent” le folklore régional] se mirent en quête de répertoires
originaux et authentiques. Apprentis ethnographes, ils aSfinèrent leurs
techniques d’enquête sur le terrain tout en tissant des liens d’amitié avec
leurs “informateurs “. Parfois maladroits, mais toujours sincères, ils
sauvèrent du péril, en chercheurs amateurs, un pan non négligeable du
fonds français de chansons, airs instrumentaux et techniques de jeu.

Mais revenons à cette relation entre voyage et terrain. Elle est la


source de multiples confusions. Eliane M&ais (1980 : 74-75) disserte de
savoir en quoi l’ethnologie sedistingue du journaliste qui écrit pour infor-
mer rapidement un public étendu, du dilettante sans finalité ni profondeur,
du missionnairehomme d’un système de valeurs et en conclut que :

Ces trois hommes résident en l’ethnologue qui, en outre, est plutôt in-
adapté à sa propre société.
À vrai dire cette dernièreobservation nousparaît curieuseau sensoù réflé-
chir vous met toujoursdansune position marginalepeu conforme à la norme
sociale.Un chimiste paraît peut-être mieux intégré socialementet vivre sa
marginalité comme le Dr Jekyll. Il nous semblequ’il est sans intérêt de
définir négativement une discipline. Ce n’est pas parce que des activités se
ressemblentqu’elles sont identiques. C’est un faux probl&me,même si la
pratique de terrain accentueencorecette ressemblance(que l’on retrouvera
dans notre chapitre de conclusion entre écriture romanesqueet écriture
anthropologique).Il est vrai que l’anthropologue, en étudiant une société,
met en causeles sociétéset la siennepropre plus facilementqu’un biologiste
qui étudie les coccinelles. Pourtant, les anthropologuesexagèrent bien sou-
vent leur marginalit et la force de leur critique, d’autant plus que tout texte
ethnographiqueest un texte pour un certain public, dans une logique de
promotion socialeau sein d’un corps de professionnelset qu’il faut savoir
plier l’échine pour passerou savoir utiliser d’autres leviers comme Mali-
novski et Radcliffe-Brown le firent en utilisant le public cultivé de leur

587
temps pour forcer les portes étroites de l’anthropologie en cabinet qui ré-
gnait en Europe et en Amérique (Adam et al, 1995, passim). Et même exa-
gèrent-ils la force contestataire de leur discipline elle-même. Les trajets de
vie des biologistes ou des astronomes sont aussi subtilement a-sociaux que
ceux des tenants des sciences de l’homme et de la société et leurs travaux
parfois plus «décapants » qu’une monographie sur les Ubous ou une re-
cherche sur les hôpitaux ou la consommation de crack (pensons aux travaux
de Joël de Rosnay ou de Luca Cavalli-Sforza.. .).
L’anthropologie n’est pas à définir dans ses frontières mais dans son
noyau dur ; nous pouvons en proposer une définition :

I’anthronologie est une pratique scientifique étu-


diant les sociéds. fondBe sur l’encmête-participation
ou des données produites par cette technique. qui
exprime ses travaux dans une langue naturelle.

A utiliser chaque élément, on voit que de nombreuses pratiques sociales


convergent vers des pratiques anthropologiques, et l’ouvrage collectif
d’Adam, Borel, Calame et Kilani (1995) en est une excellente preuve. Nous
ne proposons cependant pas cette définition comme étant le produit d’une
réflexion très raffinée, elle présente l’avantage, pour notre propos,
d’avancer.

Ethnographie, ethnologie, anthropologie

Claude Lévi-Strauss (1958 : 385 et sq) est le grand responsable de


l’invention d’une lecture du corpus anthropologique comme une fusée B
trois étages : ethnographie, ethnologie, anthropologie :
l ethnographie : observation, description, rkcits bruts ;
l ethnologie : science comparative généraliste et synthétiste ;
l anthropologie : production de théories sur le social.
Il s’agissait, dans le projet de Lévi-Strauss, de fonder la discipline comme
autonome et le modkle suivi a Bté celui proposé par les sciences biologiques
(Jean Copans, 1979 ; Marie-Jeanne Bore], 1955). Radcliffe-Brown postulait

588
également une séparation drastique entre observation et théorisation, en
laissant de côtk le saut périlleux, au double sensdu terme, qui amène de
l’une à l’autre “‘.

En tant qu’outil de caractérisationd’une œuvre, la distinction nous


paraît intéressante:, on peut facilement qualifier ainsi, pour raccourcir le
propos un travail ethnographique,ethnologique, anthropologique, jusqu’à
faire ce que font les marinsquand ils donnentun cap qualitatif : Nord-Nord-
ouest... Mais cette classification gêne d’autres points de vue dont nous
allons expliciter lesprincipaux. Levons d’abord une ambiguïté : ce n’est pas
du tout parcequ’il y aurait caractérisationd’une sciencenoble et de sciences
vulgaires. Entre lescapacitéstechniquesd’un menuisierde l’École Boulle et
cellesrequisespour balayer la rue, nousadmettonsdesdifférences, pourquoi
passur le plan intellectuel donc ?

Notre critique est donc la suivante :

l D’une part, nousavons toujours une extrême m&iance pour les formules
percutantesécritesdansune languenaturelle dont on perçoit tout de suite
qu’elles ne pourraient pasêtre exactement traduites dansune autreslan-
gue d’un niveau scientifique équivalent. Une langue naturelle se fonde
sur des distinctions sémantiquespurement indigènes(et en l’occurrence
ici, la langue indigèneest le français), qui expriment un découpageparti-
culier du temps, de l’espace,de la sensibilité... Elle traîne avec soi des
habitus d’une subtilitt parfois confondante ‘16.Edmund Leach (1970) en
a déjà fait la critique à propos d’autres évidences rapportéespar Lévi-
Strausset les difficultés rencontréespour la traduction desgrands livres
de ce géantde l’anthropologie “‘.

“’ Voir M.J. Bore1 (1987) : La sch&matisation. la descrintion et le neveu utérin, in revue


Européenne des sciences sociales, in Adam et al, 1995 : 262.
Il* Ainsi nous-même, qui, comme 1ou1 un chacun, a ses clauses de style personnel, faisions
un cours au Mexique et utilisions les concepts partial et partiel.. . Nous tîmes un pop total
en traduisant d’après la seule prononciation, car en langue espagnole mexicaine la nuance
n’existe pas, problème que nous ne nous etions jamais posé.
‘17 Nous nous sommes toujours demande comment on arrivait a traduire en espagnol OU en
anglais les ouvrages de Bourdieu, avec ses balancements réflexifsl réflexions balanc6es qui
sont un de ses tics stylistiques. Sur les problèmes de la traduction, lire en particulier Kilani,
(1994 : 14 et IS), où il cite également les propositions de Geertz.

589
l D’autre part, ainsi que nous l’avons expliqué en première partie, nous
doutons de la validité autre que « technique » des découpages actuels en-
tre sciences de l’homme et de la société. En conséquence, plusieurs autres
sciences ou disciplines scientifiques peuvent concourir à l’anthropologie
définie comme étage noble et supérieur de la fus6e : histoire, géograpa-
hie, démographie, paléontologie, linguistique., . ;

l Enfin, et c’est notre objection majeure, nous ne croyons pas du tout, ainsi
que nous l’avons développé en première partie, à l’observation pure. On
n’observe pas sans théorie sous-jacente. Albert Einstein l’avait bien af-
firmé dans une de ses lettres :
C’est la théorie qui décide de ce que nous sommes en mesure d’observer.
Nous reconnaissonsle fait emnirictuequecertainespersonnesparais-
sent, ou sont, ou choisissentd’être, plus gensde terrain que d’études, mais
elles ne sont jamais uniquementG de terrain car on ne rapporte pratique-
ment aucun fait social comme on peut rapporter une dépouille d’animal,
comme ces peaux d’okapi, de panda ou de aye-aye qui existaient 21New
York avant qu’on retrouve des « exemplaires» vivants. On peut certes glo-
ser surdesfaits rapportés,commel’a fait Fanny Cornuault à propos du dodo
(1997), ou commefont les historiensou lespréhistoriens,maisc’est que, par
manquede données,il faut bien faire avecce qu’on a : ces textes ne sont pas
des textes, ce sont des traces. Plus tard, quand toutes ces sociCtésqui au-
raient pu faire la fierté de I’humaine diversité auront disparu, on sera bien
obligé d’en passerpar là, mais pour aujourd’hui, on ne peut arguer d’un
manqueà venir pour justifier une pratique dansle présentlis. Dans l’état
actuelde noscapacitésd’observationde faits qui continuent d’exister, même
s’ils disparaissentà grandspas,on est bien obligé de reconnaître que certai-
nes personnesprésententde plus grandescapacitésd’adaptation et d’autres
de plus grandescapacitésde lecture et de mémorisation.Certainespersonnes
sont très kinésétiqueset « pensent» avec leurs corps, et d’autres plus pure-

“* C’estpourcelaquenouspensons queUvi-Strauss et Kilanisonttroppessimistes quand


ilsparlentdetoutescesobservations
inutilisables. Aujourd’hui, certes. Dans l’avenir, c’est
peut-être tout ce qui restera pour reconstituer ce que fut la richesse de nos sociétés,

590
ment cérkbrales ou purement sensorielles ‘119 , La diversité des capacités entre
les hommes est quasi-infinie, phtnomène on ne peut plus normal puisque lié
à l’évolution et au caractère uniqve de chaque individu, soi-même mélange
unique tiré de deux configurations particulières de gênes. . . Mais cela ne
justifie pas que l’on en déduise qu’il y aurait « des brutes de terrain » pour
collecter, et des « crânes d’œuf » pour théoriser. Nous contestons l’idée qu’il
faudrait avoir “tout lu” pour “tout savoir”. Surtout aujourd’hui où les che-
minements de la pensée sont exposés par de multiples média. Mais, d’une
manière générale, on dit souvent d’idées “qu’elles sont dans l’air” et on est
toujours ktonné de les retrouver, avec des nuances près, dans de multiples
têtes en même temps. Wallace faillit faire perdre a Darwin la paternité de la
sélection naturelle. De doctes professeurs dissertent B qui appartient telle ou
telle invention... Leif L’Heureux a abordé le Vinland vers 1000 quelques
siècles dans la vue de Christophe Colomb, qui ne savait pas plus que Leif
qu’il avait « découvert B l’Amérique, déjà découverte par l’Indien, faut-il le
souligner ? Armando Aranda A. (1990) signale que Kuhn rejette le fait
qu’une découverte soit le fait d’un unique. On a l’exemple connu de
l’oxygène par Lavoisier, Stephen Hales avait bien isolé ce gaz 40 ans avant,
mais il n’a pas « su » qu’il avait découvert quelque chose, ce n’était qu’une
observation expkrimentale. C’est sur l’insistance de C. W. Sheele (chimiste
suédois) que Lavoisier a lancé son expérience concluante, parce qu’il avait
la théorie de la combustion à sa disposition ou en intuition paradigmatique
(idée vague mais bien problématisée, en face d’une insatisfaction de théories
disponibles, de la religion scientifique en cours). Mais I’idke de l’expérience
a tté détaillée par Lavoisier et c’est cette théorie qui donne sens, qui donne
au fait son statut scientifique lzo,

‘19 Il est bien connu des musiciens que certains mémorisent le morceau parce qu’ils le
jouent ou parce qu’ils le dansent et d’autres par la vue, et d’autres par l’ouïe.. .cfBritt-Mari
Barth (1994), Antoine de la Garanderie (1990).
Izo Ce même auteur, Armando Aranda A., signale que la dtcouverte de I’AmCrique est
d’ailleurs le meilleur cas de serendipify que l’on puisse pkenter. Nous pouvons aussi
signaler cette distinction trouvée dans les propos d’un historien, Jean Delumeau, (Le Monde
23.10.1996), dans un article intitulé: L’hisrorien, humble el nécessaire enquêteur qui
dtclare : Le plus souvent, un documenr sort de l’ombre à la suite d’enquktes systétnaliques,
parce qu’on a pratiqué des fouilles dans un lieu qu’on avait de sérieuses raisons de deviner

591
Or les hommes de terrain sont des professionnels eux aussi, qui se
dirigent pour des raisons d’appétence personnelle, de masochisme parfois,
de capacités différentes surtout vers l’observation. Ils ont effectué des études
eux aussi et sont donc en possession du stock des recherches. De même nous
connaissons une technicien en hydrologie qui a ttudié les traces romaines
sur l’eau en Tunisie, parce que ses travaux d’hydrologie et ses intérêts per-
sonnels le lui permettaient. Il n’est pas nécessaire, même si cela est souhai-
table, d’avoir lu Lévi-Strauss OU Saussurepour comprendrela fécondité de
la structure,ni de s’être interrogésur la théorie fonctionnaliste pour observer
une sociétécommeun tout coordonné... ce qui se sait aprèsles étudesini-
tiales est souvent disponible sous forme de remarquesglanées ici ou la.
Enfin, quandon part desmêmesprémices,qui est la sciencede sontemps,et
qu’on se voue à l’observation, on retrouve une convergence phénomt5nale
des intérêts et des observations... Laburthe-Tolra (1991 : 419) a raison
d’insister cependantsur :
... d’une façon plus générale, en anthropologie comme ailleurs, les plus
grands créateurs sont régulièrement les plus cultivés. C’est en maîtrisant
l’état du savoir que l’on peut faire progresser la science, et seul un es-
prit ouvert sur de multiples perspectives peut innover et 1‘enrichir.
Mais la modestie ne peut pas faire espérer être des grands créateurs, la
scienceest une activitt socialebanalisée,il faut l’accepter pour le plus grand
nombred’entre nous.

Deux parenthèses

Ici, nous devons ouvrir deux parenthèsesqui sont liées à notre sujet,
car ellesnousparaissentessentielles.

fécond ou parce qu’on a exploré un fonds d’archives auparavant delaissé. Mais parfois
aussi la découverte est inattendue. Les manuscrits de Qûmran ont et.4 découverts par
hosard, ainsi que les grottes préhistoriques de Lascaux et du Pont-de-l’Arc. . . . Ces nou-
veaux témoins enrichissent notre connaissance, mais ils peuvent devenir embarrassants et
bouleverser des certitudes acquises (par exemple, nous pouvons citer les découvertes
archCologiques récentes de marques desacrificechezlesIncasquidérangent l’image qu’on
avait d’eux et ont tté aussitôt contestées). II y a aussi que les dkcouvertes immédiatement
sont classées comme scientifiques parce que la classe des chercheurs est à l’afj%it de
l’événement improbable et certain qu’est la découverte.. . L’histoire n’est pos une science
exacte, mais une science humaine. Elle ne peut donc aboutir à des reconstructions cre!di-
bles que par la mise en consonnance de témoignages divers et l’audition de nombreux
témoins.

592
1. Nous avions insisté dans notre chapitre préliminaire sur la question géné-
rationnelle et avions expliqué, nous référant a Fueur (1978), à propos
d’Einstein, le programme scientifique sur lequel s’appuyait notre
propre génération. L’idée que nous développons ici est de la même
nature :
Nous pourrions aussi présenter un argument qui n’en est pas un mais
qui, compte tenu de l’accord général qu’il recueille nous paraît inévitable :
les observations sont plus importantes que les discussions en chambre. Les
idées sont « bio-dkgradables » a dit Simon L&ys (1971) ; r6pétons ce que
nous avons souvent affirmk au vu de l’expérience : la surface sociale occu-
pée par les querelles d’écoles est plus impressionnante que la profondeur
historique de leurs débats et leur féconditd de leurs épigones. Combien de
pages de revues occupCes pour débattre du “mode de production asiatique” ?
Plus que l’expérimentation en vraie grandeur qu’en firent les Khmers rouges
et qui pourrait vraiment en citer quelque conclusion d’intérêt incontestable ?
Très peu d’oeuvres théoriques changent le monde, alors que des observations
en grand nombre l’ont bouleversé sitôt qu’elles ont trouvC un cadre où
s’exprimer, être entendues, assimilées : de la découverte du feu à celle de
l’Amérique, de celle des Galapagos à celle de la radio-activité... Il est vrai
que quelques théories ont transformé aussi le monde : de l’héliocentrisme à
la gravitation universelle, du darwinisme à la psychanalyse... Ce sont des
grands coups de tonnerre qui changent certes la pensée mondiale.
.. . il convient de se souvenir que les données nouvelles acquises “dans le
cambouis” et les idées anti-conformistes font beaucoup plus pour la
construction de la théorie que l’actualisation des vieilles polémiques.
(André Langaney, 1997 : 124)
On n’observe qu’avec le stock de connaissances et d’idées disponible
et on exagère leur pertinence par rapport à la science vivante et en devenir.
Les gens de terrain en savent tout autant que les théoriciens, même s’ils ne
savent pas la même chose et de la même manière. De toute façon, il faut en
finir avec ce snobisme des chercheurs :
« Une fameuse égyptologue devant laquelle on vantait un jour les trou-
vailles et découvertes de huer martela : « Mais enfin ce n’est qu’un ar-’

593
chitecte ! » En quelque sorte, de quoi se mêlait-il ?
(Le Monde, 27.51997)
On a aussicette réflexion de JurgisBaltrusaitis, historien lithuanien :
Lu méthode qui consiste à confier à quelqu’un une liste de choses à
trouver est pernicieuse et inutile, car on cherche certaines choses et l’on
en trouve d’autres qui sont meilleures; si l’on confie la recherche à
quelqu’un on ne trouve rien du tout.
(Le Monde, 23.12.1983)

Sauf cas particulier, l’observateur privilégié de la sciencereste le scientifi-


que.

Il est hors de questionque nous niions la force des analysesthéori-


ques, mais que l’on cessede les mettre toujours au premier plan surtout
quand on sait que l’on doit certainesdécouvertesau fait que leur inventeur
ignorait qu’il fut impossiblede les découvrir ‘*‘. Le schémaclassiquethéo-
rie/hypothéselobservationlvérification avant d’être classiqueest largement
purement conceptuel. c’est ce qui nous permet de comprendre pourquoi
Wallace constataégalementla sélectionnaturelle en œuvre dansles îles de
l’hrsulinde et d’Indonésie, pourquoi les jésuites firent tant d’observations
pertinentessur la Chine - l’un et les autres étaient au fait de la sciencede
leur temps.Quant à Hans Staden,nous ignoronstout de ce marin, peut-être
aussi cultivé que l’était Cortés, considére bien souvent a tort comme
l’illettré qu’était Pizarre ou Louis Gameray, qui ttait médecin...

Dans sa thèse déjà citée, Martine Muller, 1983, signale le cas de


“l’autodidacte” André Schwartz-Bart, qui certes n’avait pas fait d’études
« officielles » maisqui appartenaita une famille oh la discussiondesthèses
de la Thora était un sport de pratique quotidienne.

“’ Nous avions dit deja que lorsque nousavionsrapport6 nos génealogies des villages de la
Pointe de Sangomar, un chercheur de I’INED les avait déclarees « impossibles » et nous
demanda de prendre la porte avec nos « problemes idiots ». L’expérience a tort. Un autre
exemple du poids des “idées flottantes” est notre travail sur les registres paroissiaux au
Sbnégal. Le RP Martin avait ttC decourage de le faire lui-même car “on” lui avait affirmé le
probléme insoluble - il nous le confia car notre intention était d’effectuer une recherche
d’anthropologie economique et pas une pure Ctude de demographie mathematique, ce
qu’elle devint pourtant. Enfin, nos analyses longitudinales n’ont Cte possible que parce que,
pas très bon Blbve a I’IDUP. nous n’avions pas compris la querelle qui déchirait les ddmo-
graphes dans les années 60. Et quand nous affirmons que seuls Henry et Caldwell (puis
ensuite Boute et Van de Walle) avaient compris l’intérêt de notre travail, ce n’est en rien
une clause de style.

594
Dire que les gens de terrain sont sans culture est une invention des
mauvais synthétiseurs de la science, faux théoriciens, sorbonagres ou sorbo-
nicoles dépeints par Rabelais et moqués Tolra dans Fugue en Sorbonne
mineure (1996), Diafoirus de la science, Tartuffe(s) de la connaissance et
pédants rats de bibliothèques : Inutile d’y aller, j’ai tout lu sur la question !
C’est comme la légende des femmes intelligentes qui seraient laides : toutes
réflexions ‘qui dépeignent mieux ceux qui les profèrent que celleskeux qui
sont Visé(e)s. Henry, Langaney, Coale, Brass et tant d’autres que nous avons
connus dans notre vie de chercheur, n’ont jamais soutenu ces idées imbéci-
les. Par contre, il est exact que quelqu’un qui passe son temps à enquêter, ne
peut en m&me temps frequenter les bibliothèques. Ce genre d’évidences est
d’ordre pratique, pas théorique.

2. Une seconde parenthèse nous paraît devoir être ouverte, qui puise direc-
tement dans notre expérience, et nous nous en excusons (mais dans
son ouvrage de vulgarisation intitulé, L’homme, Jean Rostand y fait
également mention nous semble-t-il).

Chaque société produit des “intellectuels”, que, par commodité, nous


classerons ainsi, dont la nature personnelle réflexive a pu s’épanouir dans
leur société. BS ont pu «passer » dans une autre société et y acquérir des
talents que leur société ne pouvait leur donner. Nous pensons à Jean-
François Rabedimy, auteur d’une excellente thèse sur le sikily de Madagas-
car, ou Safi Faye, au départ institutrice sénégalaise. Ces personnes ont pu
manifester leurs qualités d’observation et de reflexion, leurs capacités
d’analyse et de redaction et écrire des ouvrages qui ne cèdent en rien quant à
la fluidité de leur expression aux «professionnels » dont nous sommes.
Nous pourrions citer des exemples personnels : Oumar Sow, Ernest Faye,
Dem Baïdi, Pierre Ndiaye, qui, malheureusement, en partie parce que (pour
les deux premiers) nous n’avons pas eu la force morale personnelle de les
encourager (et cela nous est un regret cuisant dont nous ne sommes pas fier)
n’ont pu produire dans le champ intellectuel moderne ce que leurs qualités
leur auraient permis de produire. Le cas est fréquent pour des gens comme

595
nous qui avons travaillé dans les pays dits en développement : souvent nous
avons eu affaire à des gens cultivés dans leur culture, qui auraient pu devenir
autre chose que ce que leur des+ social leur a bâti. Ils avaient l’étoffe de
gens de terrain et les capacités d’ethnographes : santé, go& du contact,
finesse des rapports sociaux, facultés d’expression ‘22.

L’observation est de la théorie

L’observation est donc une activité scientifique, comme l’expé-


rimentation. Nous y avons insisté souvent au cours de cette thése, le meilleur
exemple restant celui donné par James Gleick (1989 : 246-268) qui a écrit à
propos d’Albert Libchaber un chapitre justement intitulé : L’expéri-
mentateur, mais Libchaber n’est pas le dernier venu en théorie puisqu’il était
professeur 2 Normale Supérieure et à Polytechnique. Einstein lui-même a
tenté de mesurer la vitesse de la lumière selon la rotation terrestre. Et l’on
peut douter des remarques de Lévi-Strauss sur Malinovski qu’il traite de
meilleur observateur que théoricien. La production intellectuelle ne se fait
que dans le complexe indémêlable de l’état de la théorie et de la capacité
d’observation des scientifiques.
De toutes les façons, si le terrain en vint g jouer un r6le emblémati-
que c’est parce qu’
Il en vint à signifier essentiellement que les données devaient être re-
cueillies par des professionnels et non par des amateurs,
(Kilani, 1995 : 71)
On pourrait également renverser la proposition et affirmer que les
grands théoriciens sont aussi des hommes de terrain et dés expérimentateurs
(Gilles de Gennes en est un bon exemple, 1994)

‘*’ Nous pouvons ici rappeler qu’il est absurde de croire que l’activité intellectuelle est une
faculte qui exige une scolarit6 de type française. Un exemple personnel est le suivant : nous
avions recruté un «boy-cuisinier » qui ne parlait pas le français, en quelques mois il le
parlait et nous l’avions surpris à tenter de lire et écrire le français. En quelques mois, nous
l’avons. Pris en main et il sut trés vite lire et écrire en français ; B la suite de quoi, il nous
achetait Le Monde tous les jours, même quand nous étions absent «en brousse » et le lisait.
La seule grande difficulté qu’il avait eue, était de faire les ‘6’ et les ‘9’ A la française et non
pas & l’arabe. Diffcultt propre à qui passe de l’écriture de droite à gauche à celle de gauche
B droite.

596
Si nous traitons plus précisément cette discussion ici, c’est que, jus-
tement, l’anthropologie permet d’en parler avec plus de pertinence puis-
qu’elle a fait du terrain son noyau dur. Les entretiens sur lesquels s’appuie
notre chapitre 3 n’avaient pas permis d’aboutir à une véritable discussion car
le débat s’y révélait immature.

Dans les années 60, Meillassoux et Copans s’étaient « accrochés »


sur la possibilité d’utiliser des enquêteurs en ethno-socio-économie (et plus
de dix ans après, dans l’interview que nous avions réalisée, le premier reve-
nait encore sur cette question en exprimant que son opposition restait in-
changée). Nous pouvons donner une réponse à la Ponce Pilate, donner rai-
son à l’un et donner raison à l’autre. On n’observe pas sans théorie, certes,
mais on peut observer sans pour autant afficher une compréhension intel-
lectuelle claire du corpus scientifique du moment.

L’observation insaisissable

L’observation en anthropologie passe donc par le terrain. une partie


de cette observation peut être déléguée (plans, relevés, temps de travaux.. .)
mais il est vrai que la cohérence entre l’observation et la présentation finale
de cette observation rend problematique la plupart des délégations d’autorite
pour les prises de décisions scientifiques, ce qui n’est pas le cas pour des
disciplines fondées sur les observations statistiques (les observations statis-
tiques n’existeraient pas sans décisions délégutes à tous les niveaux). De
même, ce qui est produit est un livre. A afin de disposer des observations
reelles, une tendance se fait jour actuellement : celle de discuter “sur piè-
ces”, et ces pièces sont bien naturellement les cahiers de terrain, ou ce qui en
tenait lieu. Autant nous trouvons important que les anthropologues
s’intéressent aux cahiers de terrain, autant nous pensons qu’il faut dénoncer
l’illusion qui se fait jour à travers cette pratique : si on prend les cahiers de
terrain comme l’o et I’n de l’anthropologie, il y a fort a parier que les cher-
cheurs transforment leurs cahiers de terrain en.. . œuvre définitive - la ten-
dance se fait jour et le risque n’est pas illusoire, Par ailleurs, il faut quand

597
même signaler que de toute façon, la coupure entre le terrain et le texte
définitif existera toujours puisque nous ne saurons jamais (et
l’anthropologue de terrain lui-même bien souvent) ce qui s’est effectivement
passe sur le terrain, dans l’ici et maintenant à jamais enfui de l’enquête. Le
journal de Malinovski est certainement plus “vrai” que le journal d’un jeune
chercheur qui postule que son texte «brut » sera peut-être un jour publié,
mais pas forcément plus “vrai” que ses œuvres définitives au regard de la
science.
Le grand problème que pose selon nous l’utilisation des « notes de
terrain » est l’impossibilite de construire en anthropologie des bases de
données :
. .. ses bases de données ne sont, actuellement, ni cumulatives ni recycla-
bles par d’autres chercheurs, sous des formes quelque peu normalisées.
(Bore[, 1995 : 203)

Personnellement, nous avions tenté, lors de l’enqu$te famille au Congo


(1981-1982) d’établir avec nos collègues une base d’informations, suivant
d’ailleurs l’idée que Meillassoux nous avait donnée vingt ans auparavant :
une fiche par fait. L’idée, pour réussir (si elle concrétisable, ce que nous
croyons quand même) aurait demandé plus de continuité dans l’existence de
notre équipe.
Une autre difficulté surgit qui tient à cette illusion que la pensée
pourrait englober le réel (or : LA carte n’est pas le territoire), et que bro-
carde Borges dans son texte sur la cartographie lz3 : pour dresser des cartes
de plus en plus prdcises, un peuple les établit 5 des échelles qui finissent par
être du I/l et, naturellement, le projet s’annihile de lui-même, et il n’ reste
que des lambeaux en quelques déserts, investies par des animaux et des
mendiants.. .
En 10s desiertios del Oeste perduran despadazadas Ruinas del Mapa,
habitadas por Animales y Mendigos ; en todo el Pais no hay orra reli-
quia de las Diciplinas Geografîcas.
Comme le dit Laburthe-Tolra (199 1 : 427) :

‘*’ Museo, del rigor en la ciencia, en français in L’auteur et autres textes, nr$ Gallimard,
Paris, 197 1.

598
La reproduction intégrale du passé exigerait autant de temps que le pas-
sé lui-même et son analyse deviendrait impossible.
La sciencene peut viser qu’à construire desmodèlesdu réel, elle ne
peut prétendreviser la réalité.

On peut discuter de savoir si les donneesrapportéespar le travail


anthropologique sont des données au sens où Jacques Noël le discute
(1991). À l’évidence non. Mais nous n’avons pas de possibilité théorique
d’avancer le débat. Ce n’est pasde simplesinformations, ce sont des don-
néesau sensmétaphoriquesparce qu’elles sont‘construitesà partir des in-
formationscollectéessur le terrain. Selon nous,traiter les textes bruts, donc
les notes de terrain, comme étant des données,constitue une erreur gros-
sière, dont nous ne nous sentonspas capable de determiner réellement en
quoi. Cette question reste ouverte, mais nous nous refusons, par confort
intellectuel, de faire semblantde ne pas voir que là aussigît un problème
pour lequel nousn’avons pasde solution à proposer.Les efforts actuelsde la
discussiondu texte ethnographiquecomme« objectif », de la relation cogni-
tive entre la penséeet le réel avanceront probablementquelquessolutions
provisoires.

Certains arguentde ce que la population « ethnographiquiable» dis-


paraissant,nous serionsobliges de {crécupérer» les notes de terrain pour
faire avancer la connaissance.Nous en doutonsfort pour deux raisons:

1. Si nous nous referons a ce qu’en dit Primo Levi’ cité plus haut, que la
mémoire peut avoir tté vidée par la littérature écrite par l’auteur, si le
tempsne lui a pasmanqué,commeil a manqueà Pierre C]astres,on peut
sedemanderquel intérêt vont presenterles notes,sinon à faire desgloses
interminables.Ceux qui ont fait plusieursterrains différents, ou qui ont
peu publié, comme Haudricourt, ont-ils des notesutilisablespar d’autres
qu’eux-mêmes? La questionmérite d’être posée.Elle s’ttait poséepour
notre amie Dominique Hervé, que la mort emportajeune et que nous ci-
tons dans notre dédicace. L’intérêt de ces cahiers bruts ne nous paraît
valable qu’en ce qui concernela penséedes‘grands’ et l’étude sociologi-

599
que de la population des chercheurs (des études comme celles de Bruno
Latour, ou de Pierre Thuillier, en histoire de la pensée scientifique donc) ;

2. À l’avenir, les cahiers de terrain des anthropologues seront marqués par


leurs propres limites du temps de leur rtdaction et donc ne seront pas
plus importants que d’autres documents comme les photographies, les
films, et les autres enregistrements sonores que produisent nos soc&
téslZ4...)
De nombreux anthropologues pensent comme Maurice Bloch qui
nous disait qu’il espérait bien que l’on brftlerait toutes ses notes, lui mort
(Communication personnelle, Madagascar, 1972). D’autres vont vouloir
donner à leur travail de terrain un poli définitif tout en étant provisoire. Ils
tiennent leurs cahiers de terrain comme s’ils devaient les publier dans la
collection Terre humaine de Plon, ou comme les rédigeait Victor Segalen,
ou Paul Valéry.. . l’usage de l’informatique va faciliter ce genre de rédac-
tions faussement spontanées. Et ce n’est pas l’abondance des sorties
d’articles fondés sur des notes qui se prétendent « brutes » qui vont nous
encourager à plaider pour ce-type d’hypothèses : c’est au recueil même qu’il
faudra de nouveau s’organiser.

La monographie anthropologique contestée

Malinovski fut le fondateur de la monographie ethnographique telle


qu’elle fut ensuite répétée jusqu’à la sclérose (ce qui fut une des critiques
que notre génération adressa à ce “genre”). La pensée même de Malinovski
est d’une grande finesse, mais, comme toujours, les éleves chosifient la
pensée du maître (Adam et af, 1995) dans une pratique de «science nor-
male ». La publication du journal de terrain retrouvé dans ses papiers (1967,
édition en langue anglaise), devait être a l’origine d’un bouleversement de
l’idéologie dominante. Ce fut la fin de l’anthropologue comme «héros
culturel » (Kilani, 1995 : 100).

Itl Travaux sur la photographie africaine de Jean-François Werner, 1997, recherches en


cours, expositions diverses rkalisées de par le monde actuellement. (FNAC, ft?vrier 1997).

600
LR découverte derrière l’auguste et lisse figure de 1‘auteur des &~QZ
m de l’homme de terrain Malinovski, pris par le doute, la colère, la
rage ou le désespoir et vociférant contre les indigènes qu’il se plaît
parjois à traiter de « nègres » et de « brutes » a semé le trouble dans
plus d’un esprit. L’illusion ‘d’empathie et de transparence entre
l’observateur et ce qu’il observe, qui caractérisait la sutjace des mono-
graphies, s’accommodait mal de l’image d’un chercheur qui piétine et
s’égare sur son terrain, rencontre des difficultés à établir des relations
et à collecter des informations, qui avoue parfois un sentiment d’inutilité
et d’égarement et enfin dont le travail est haché, lacunaire et s’effectue
par bribes. (Mondher Kilani, 1995 : 82)
Lorsque nous avions reçu les conseils de terrain de Claude Meillas-
soux au Sénégal en 1964, nous avions parlé avec lui de nos difficultés sur le
terrain. Il nous avons répondu joyeusement que pour lui il en était ainsi et
que ce devait être pareil pour tous les autres qui vivaient la même expé-
rience. Mais il est vrai que personne n’en parlait et qu’il semblait ir chacun
qu’il n’6tait qu’un débile puisqu’il lui semblait être le seul à éprouver des
difficultks comme celles que montre Kilani à propos de Malinovski.
Ce qui nous paraît intéressant c’est une crise de la monographie pre-
nait naissance dans les années 60, d’une manière totalement indkpendante, le
journal de Malinovski ait été publié. Ce renversement de perspective a
fourni la possibilité d’abrkger, selon nous, la difficile critique de ce genre,
dont la fkcondité avait été si grande durant tant de décennies. La situation
6tait mûre, tant socialement (du point de vue des anthropologues et autres
chercheurs en sciences sociales), et du point de vue de l’anthropologie pour
arriver à des études qui, tout en se disant « monographiques », n’étaient plus
celles de communautés isolées (plus ou moins artificiellement par le cher-
cheur) mais d’un théme dans une culture, comme l’avaiknt déji3 produit des
chercheurs comme Georges Balandier. De toute façon, la vtrité recherchée
n’Ctait plus un absolu inaccessible, mais une véritt négociée entre deux
acteurs : l’anthropologue et la communauté d’accueil.

Le terrain n’est pas l’enquête (seulement) : le regard et la parole

Nous disons bien, l’enquête est le regard et la parole, pas la vue et


l’ouïe. L’anthropologue sur le terrain n’est pas une simple éponge qui pour-

601
rait s’imbiber de la culture du groupe qui l’héberge et qu’il restituerait dans
son étude, monographique ou pas. En effet, le discours que va tenir
l’anthropologue de son terrain n’est pas contenu dans ce seul terrain mais
dans les interrogations de la science telles qu’il les entend quand il met en
œuvre sa pratique d’observation-participante. Tout comme on ne peut limi-
ter son observation à ce qu’il consigne dans son journal, et qui remonte à sa
conscience quand il effectue le travail d’élaboration de ses observations en
données. Le chercheur découpe un espace visuel dans ce qu’il lui est donné
de vivre (de voir et d’entendre), c’est pour cela qu’il n’y a pas kgalement
d’observation sans théorie.. . La vue du chercheur est donc partiale et par-
tielle. Et elle doit être acceptée ainsi. Mais, plus que la vue, c’est le regard
qui est impliqué :
Voir, c’est percevoir des images.
Lu perception ethnographique n’est pas, quant à elle de l’ordre de
1‘immédiateté de la vue, de la connaissance fulgurante de 1‘intuition,
mais de la vision (et par conséquent de la connaissance) médiatisée,
distancée, différée, rékvaluée, instrumentalisée (...) et, dans tous les cas,
retravaillée dans 1‘kcriture.
(Laplantine, 1996 : 17)
Cette perception visuelle n’est pas passive, comme toute perception visuelle
d’ailleurs, mais elle est éduqué& professionnellement, a ne pas être aiguë.
C’est une vue d’affat pourrait-on dire, pas une vue de qui épie. Un regard
d’attente. Toute personne ayant fait du terrain le Sait : le meilleur moyen
pour ne rien voir est de montrer que l’on regarde, car alors les gens se ca-
chent, ou bien cèle leurs sentiments. Il faut entrer dans le quotidien des gens
et le regarder, et pour cela enlever de la vue le c6té agressif du regard. Nous
pensons que cette distinction est une des portes de l’incompréhension totale
dans laquelle on est du travail d’anthropologue et des erreurs
d’interprétation faite sur l’enquête-participation, en plus de celles relevées
par Adam, Calame ou Kilani a propos de Malinovski (1995). Dans de nom-
breuses sociétés, on ne regarde pas les gens ; on ne regarde pas un Malgache
manger par exemple (Jean Paulhan,, 1972 ‘25), Si on vous présente un bébé

‘25Jkrit en 1912, Paulhan l’avait garde pour lui ; il n’a &é publié qu’aprés sa mort.

602
wolof et ne vous Ccriez pas : « Qu’il est beau ! », non, dites : « Dafa nyawo »
et la mère sera satisfaite, sinon vous lui porterez le mauvais œil. Cela est
bien connu, pourtant, quand on effectue un travail ethnographique, cela a
une constquence directe : quand on dit qu’on est « intégré » cela ne signifie
pas que vous êtes considéré comme un membre de la communauté, cela
signifie seulement que vous faites partie du paysage, comme Sirius fait
partie de notre thème astral, et que vous ne perturbez pas le quotidien. On
n’est pas intégré, sous pretexte de travail ethnographique, ni non plus cou-
leur muraille, mais, au moins, on peut acquérir ce que nous appellerons un
« regard oublié », un regard qui se fait oublier parce que nous arrivons B le
masquer derrière une vue «normale ». C’est, nous semble-t-il ce que veut
dire Francis Affergan, dans Exotisme et altérité (1987 : 143) quand il dit que
l’ethnographe doit apprendre :

. .. à être aftent$ mais aussi et surrout à être inattentif


Une personne est un être global, si l’esprit peut diriger le corps, le corps
dirige égalementl’esprit ‘26.Faites semblantde croire et bienf6f vous croi-
rez, parodiait GeorgesBrassens,de mêmepour l’ethnographe: en éduquant
sa vue, il règle son esprit, On pourrait à notre tour parodier Brassens127et
dire : Faites semblantde ne pas regarder et bientôt vous verrez.

On pourrait s’interroger sur le pourquoi de la naissance de


l’idéologie de l’observateur-participant intégré. Adam et al, 1995, insistent
sur la mauvaiselecture destextes de Malinovski. L’explication noussemble
exacte, maiscourte. Au mieux, elle ne fait qu’expliquer le coup de tonnerre
de la publication du journal en 1967, qui «remettait les pendules à
l’heure ». 11nous sembleque la vraie question est, pour l’anthropologue,
d’affirmer la légitimité de ce qu’il va ensuite raconter. Le Kc’est vrai, j’y
étais » du voyageur est remplacé par «c’est vrai, car j’en suis» de
l’anthropologue initié. Que maintenantles anthropologuessoient piégéspar
cette idéologie n’est qu’un « retour de bâton » désagréable(on ne peut plus
parler desIndienssi on n’est pasIndien répertorié,on ne peut plus parler des

‘X CfGérard Guasch, 1990, Qu’est-ce CIU’UII théraoeute osvcho-comorel ?

603
femmes si on n’en est point, etc. ‘**). En tout cas, affirmer « c’est vrai, j’en
étais » est une absurdité : “c’est vrai, j’en étais” pour un événement est déjà
bien contestable. On connaît la fameuse participation de Fabrice Del Dongo
à Waterloo. Si un événement dure suffisamment de temps pour qu’on ait le
temps d’assimiler l’expérience, cela peut ne pas être inexact, mais qu’est-ce
que cette affirmation veut bien dire pour un expérience vécue il y a x années
et qui n’a duré que quelques mois ‘*’ ? À condition qu’on ait, en le vivant,
que l’on vit un évenement. Ceux qui voyaient la Libération de Paris ou de
Bordeaux en 1945 devaient être dans cette situation : ils avaient conscience
de l’événements. Nous-même avons vécu un événement exceptionnel, ré-
pertorié aujourd’hui dans les grands événements, à vrai dire, alors que nous
avions conscience de ce qui se passait, jamais nous n’avons perçu en le
vivant ce que les récits et descriptions en ont fait ‘30. Cette expérience tem-
poraire ne valide rien du tout. N’en peut rester que le professionnalisme
avec lequel a été menée l’observation-participante, qui comme tout profes-
sionnalisme ne vaut que par les limites acceptées et assumées.

Par ailleurs, quoique l’anthropologie soit fondée sur la vue et le re-


gard, le poids de la parole et de l’information rapportée prend toute son
importance. Qui dit conversation, dit négociation. Alors que la vue, elle, ne
se négocie pas et pour qui voit, l’autre n’est jamais qu’un objet. Alors que la
parole elle, n’a pas du tout le même statut dans la perception. Elle se déroule
dans le temps, elle demande à être décryptée et elle est, comme un costume,
à analyser pour être comprise. On peut plus facilement mentir par la parole

12’ Tout texte n’est donc jamais qu’une glose ?


‘**Dans un article récent, Bourdieu s’est fait écharper a ce propos, Doukicose ? dirait
Zazie. Cette affaire qu’il faille « être dedans » pour être légitime n’est qu’un des nombreux
aspects de la tendance moderne de remplacer ta raison par l’emotion ? Qu’en l’occurrence
les anthropologues rejouent la scène de « l’arroseur arrosé », ne fait qu’accroître le doulou-
reux sentiment que la complicité des victimes est toujours nécessaire pour que se mette en
place une idéologie.
‘29 A l’Institut d’administration des entreprises, avant de faire un stage, le « patron des
patrons » de l’époque (1962) était venu nous faire une confërence avant que nous n’allions
« sur le terrain », en stage d’entreprise, et il nous avait fait une remarque que nous n’avons
jamais oubliée : «quelque soit l’intensité de ce que vous allez vivre, n’oubliez jamais qu’un
ouvrier, lui, n’en sort jamais et qu’il le sait ».
13’Au point que c’est sur photographies que nous avons ‘reconnu l’événement comme
etant celui auquel nous avions participé.

604
que par le corps. D’ailleurs, le mensonge réfère toujours à la parole, jamais
au corps, la distinction est fréquente dans les langues, alors que le paraître
est plus subtil et plus difficile. La, vérification à chaque instant de la parole
est un des aspects les plus lassants des enquêtes de terrain comme nous le
signalait un de nos interview& (chapitre 3) :
Cette métamorphose, cette adaptation est une souffrance, il faut bien le
reconnaître. On ressent une animosité quand un second informateur
contredir le premier. Par$ois, c’est cette contradiction qui est l’objet à
comprendre.. .
Vivre au sein d’une communauté - par exemple - ce n’est pas seule-
ment observer, c’est aussi entendre, en attention flottante également, de
nombreuses conversations « anodines », de celles que nous tenons tous les
jours dans notre quotidien. Il s’agit là d’une fonction essentielle du langage
qui est la fonction phatique.
Adam (1995 : 230) l’explique ainsi :
La fonction phatique, centrée sur le contact, est totalement dégagée de la
fonction informative. Elle est présente dans des signes très particuliers,
dépourvus de sens dons la langue ou qui ont perdu leur sens premier
pour simplement établir, prolonger ou interrompre la conversarion.
C’est tous ces petits mots et silences, ces hum, s’pas ? de nos professeurs de
mathématiques, tout à fait, tu vois ? etc.. . C’est aussi par ce type de ponc-
tuations verbales que passent beaucoup d’informations malgré tout. Signes
vides, formules rituelles, ils signifient le fin réglage que nos relations subis-

sent en permanence et dont la maîtrise est ?Iinterpréter pour l’anthropologue.


Une grande partie de ce que nous disons ne veut rien dire, l’anthropologue,
sur le terrain, est lui aussi pris dans ce réseau sonore et pas seulement dans
le kaléidoscope d’images qu’il tente « d’entendre ». Il y a aussi les informa-
tions non-verbales : plut& des informations gestuelles ou comportementales,
dont les sp6cialistes pensent qu’elles expriment 80 % de l’information don-
née dans une conversation.

L’anthropologue comme intrus professionnel (Geertz 13’) est une des

variables importantes qui permet de comprendre que la situation de terrain,

13’ Ch? par Adam, 1995 : 249.

605
comme celle d’interview, n’est pas une situation « naturelle », sa logique est
scientifique. Cette place de voyeur qu’a l’anthropologue, unanimement
reconnue par tous, est de celle qui affirme bien que si la vue (l’observation)
et la parole (l’enquête) sont les deux axes du travail de l’anthropologue,
c’est bien le signe que sa situation n’est pas celle d’un acteur de la société,
situation qui serait la sienne s’il n’était pas anthropologue.
Philippe Laburthe-Tolra donne un récit que nous reproduisons car il
nous paraît exemplaire de la position d’enquêteur, intrus professionnel, et
celle d’acteur, dont le point de vue est totalement différent :
Le jardinier allemand Zenker, qui vit seul chez les Ewondo de Yaoundé
s’y marie, apprend la langue, leur pose alors des questions sur leur his-
toire et leurs généalogies. II n’obtient que des réponses évasives et en
conclut qu’ils n’en savent rien.[. ..] Quatre ans plus tard, le junker lieu-
tenant baron van Stein zu Luuznitz, ayant fait saisir à certains chefs que
chez lui la noblesse se fonde sur la lignée, obtient des renseignements
extrêmement précis sur une profondeur de huit à douze générations...
(Laburthe-Tolra, 1991 : 430)
Il se peut que le jardinier n’était pas tr&s futé, mais ce qui est certain
c’est qu’il se situait comme acteur et nous savons, par nos interviews et de
nombreuses confessions que quand on est trop impliqué sur son terrain,. , on
ne voit rien, on est trop occupé kremplir son rôle social, il faut en partir, On
est passé de l’intrus au citoyen, et tout le monde sait que celui-ci est mani-
pu16 par la communauté et ses acteurs bien plus fortement que l’observateur-
participant, qui, toujours, se situe, même intégrk a la Malinovski, quelque
part du côté de Sirius.
Nous avons parlé précédemment des gens qui étaient devenus
« autres » et dont la caractéristique était qu’ils n’avaient rien à dire et à en
dire. Il nous semble que le jardinier Zenker ttait de ceux-là. Il avait certes
posé la question, mais la réponse soit, en fait, ne l’intéressait pas {et au fond
celle qu’il obtenait devait bien l’arranger), soit qu’il n’avait pas à l’entendre
(du point de vue des grandes familles dont il était g8nétiquement exclu, par
définition « raciale » personnelle ou par son épouse). Toutes les personnes
qu’il nous a été donné de rencontrer n’avait au mieux qu’un simple récit :
celui de leur départ « de là-bas » et de leur arrivke « ici )). Devenus Français

606
ou Anglais, Américain ou Mexicain, Sénégalais ou Malgache, ils étaient
devenus des Français, Anglais.. . Sénégalais, Malgaches très ordinaires, pour
qui d’avoir étk autre chose que ce qu’ils étaient, n’était un étonnement que
quand un événement fortuit le leur rappelait.

Nous avons dit qu’un anthropologue sur le terrain n’est pas une
éponge, qu’il disposait de la vue et de l’ouïe pour procéder i%ses enquêtes, et
que la manière dont il vivait était aussi importante que ce qu’il 6tait amené à
observer consciemment, il faut pourtant bien qu’if « sorte » de lui-même et
arrive à «pénétrer » la communauté d’accueil, on comprend que
l’empathie 13’ est donc une qualité essentielle de l’anthropologue. Ce n’est
pas parce que l’on ait quelque mal 2 mesurer la fonction d’empathie qu’elle
n’existe pas et ne peut être appréciée (au contraire, par exemple, de qualités
d’ordre purement physique comme la rapidité à la course ou les capacités à
apprkcier les couleurs (un tisserand de chez Saint-Gobain - en tapisseries -en
distingue au moins 300 à l’embauche et 500 ou plus par la suite). Laplantine
déclare (1996 : 20) :
L’ethnographe est celui qui doit être capable de vivre en lui la tendance
principale de la culture qu’il étudie.
Laplantine fait mention dans cette notation de deux éléments, le
premier est l’empathie, qui consiste à être un peu dans la « peau des gens »,
et la seconde qui est de pouvoir travailler quand même, en dehors toute
sympathie particulière, de tout « atome crochu », de tout <<fit » particulier
comme diraient les bridgeurs, avec le sujet, avec le pays ou avec les gens.
Empathie ne signifie pas sympathie et l’on peut travailler sans appétences
particulières sur un sujet ou un autre. Evans-Pritchard a travaillé sur la
sorcellerie chez les Zandé parce qu’elle leur était importante. Et non pas
parce qu’il y portait quant à lui un quelconque int&êt. Ce fut également
notre cas pour le Congo ‘33. Chez les Nuers, Evans-Pritchard a dQ

“’ Voir l’ouvrage de Nédoncelle, s.j. : L’empnthie, -1954 ; voir également les travaux de
Maucorps, diffusés en un ou deux Que sais-je ?
13’ Lacombe : Congo-Ockan..., 1989 et Syrbe..., 1992. On a un texte intéressant de Sciac-
cia, La sorcière et le capitaine, qui raconle pourquoi il a bit sur la ce théme : parce qu’il
avait trouvé dans les archives de Sicile les minutes du pro&. Mais ensuite, ses lecteurs et

607
s’intéresser au bétail. Travailler chez les pasteurs, qui pour chaque plante
ont plusieurs noms selon qu’elle est jeune ou mature, selon qu’elle se situe
dans telle association vtgetale ou telle autre... demande de s’intéresser un
minimum à la botanique. Jusqu’à parfois devenir compétent, Nous avons le
cas de Yves Delaporte (1994) qui, dans son article Entre nature et cultures :
l’insecte de collection, s’intéressea 1’ . Il montre qu’il lui a
fallu tout d’abord « montrer patte blanche» en manifestant sa compétence
sur la matière et presenternon seulementune collection personnellemais
aussiobtenir la publication de quelquesarticles d’entomologie pure, sous
peine de se voir refuser l’actes a l’observation-participante du groupe des
fanatiquesde la collection d’insectes.

Dans les sciencesbiologiquesles auteursreconnaissentavec facilité


ce qui leur a permis de travailler ou pas. Pourquoi ne l’accepte-t-on en
sciences sociales? On sait bien que l’on ne peut faire des études
d’ethnomusicologiesi l’on est inculte en musique.Denis Laborde (1997) a
une double carrière de musicienet d’anthropologue,Hélène Bouvier (199l),
avant d’étudier les arts corporels des sociétés de danse maduraise
(Indonésie)a fait des étudesmusicaleset de la danseen même temps que
desétudesd’ethnologie.. . SabineTrebonjac, sur la Chine, a écrit Le pouvoir
en chantant, car l’ethnomusicologiel’a amenéea l’anthropologie politique,
maiselle est musicienne&. Le terrain dicte sa voie. C’est la logique des
faits qu’elle recueillait qui l’amenait à analyserle pouvoir à travers la musi-
que qu’elle se proposait d’étudier et qu’elle était compétentepour analyser,
aussibien en musiquequ’en anthropologiepolitique.

sesamiss’acharnaient a lui confier des recits de sorcellerie, dont il n’avait que faire et ne
lisait même pas. II en fut de m&me pour nous : après nos récifs de la vie sorcière, nos
lecteurs et nos amis nous ont confie des récits, offert des livres sur la sorcellerie.. . que nous
n’avons non plus jamais lus. La sorcellerie Ctait importante pour les Kongo, nous y avons
travaillé ; s’ils avaient aime la scatologie ou la mbtéorologie, nous nous y serions «collés ».
Syrène, est un « roman » fondé sur le cahier d’un informateur et s’est construit sur la trans-
criptionenfrançais defantasmes d’un ‘psychotique’ vili (Selon Richard Pottier, notre héros
n’est pas un hystérique, comme nous le pensions, mais un psychotique).

608
Parmi de nombreuses citations possibles nous présentons la suivante
qui montre qu’en biologie aussi l’observateur dévie l’observation, mais
personne n’en fait un drame, ou une religion, comme en sciences sociales :

La sensibilité du chercheur entre en jeu dans le ce délicat problème de


catégorisation : l’ampleur de son échantillon mais aussi lafinesse de son
oreille lui feront distinguer, chez une espèce donnée, dix cris fondamen-
taux .. . ou bien vingt. [a/s de l’étude des cris des singes]
(Gautier J.P. et Deputte B., 1983 : 54)
On peut mêmeaffirmer, et tous ceux qui ont fait des terrains diffé-
rents en ont l’expérience : depuis les tristes tropiquesjusqu’aux tropiques
joyeuses, des terrains européensjusqu’aux terrains les plus exotiques, de
pays idylliques à d’autres austbres,de sociétésdureset en pleine décompo-
sition ou d’autres oh le presentgarde(ou paraît garder) sesracinesintactes,
le terrain reste toujours un lieu où doit se manifester l’empathie du cher-
cheur. Même si on n’estime absolumentpascertainespratique sociales(ne
pas boire ou se saouler, machisme, pratiques sexuelles plus ou moins
« façon-façon » - commeMaurice Godelier en rencontra sur son terrain.. .),
on doit manifestersescapacitésd’empathie, ou alors, par honnêtetéprofes-
sionnelle,ne rien en écrire ensuite.

La vue et le regard, l’entretien négocié et la prise de notes,


l’empathie.. . tout cela ne fait pas seulementl’anthropologue, il lui restera,
quand il serasorti de son observation-participanteà traduire pour les autres
cette opération d’ecriture et parfois de parole (enseignement),est une étape
que noustraiterons en chapitre final.

Plusieurs de nos interviewés, praticiens des enquêtes statistiques


avaient insistésur le point que l’enquêten’était pasle terrain :

Différence entre collecte et terrain...


Nous pensonsdevoir revenir un peu sur cette nuance,car c’est là la grande
différence que nous avons trouvée entre les anthropologueset les autres
praticiens dessciencessociales,et mêmedes sujetsqui Btaient biologistes.
Pour un anthropologuetout est enquête,tout est terrain ; pour un autre spé-
cialiste non : le terrain, dont aucun ne déprise l’intérêt, englobe l’enquête,

609
qui est faite souvent par d’autres, qui consiste à faire des relevés, à soumet-
tre des questionnaires, a visiter des sites. Ils reconnaissent tous tirer partie de
cette expérience personnelle de telrain : quant à la qualité des données qu’ils
analyseront plus tard, quant à l’explication qu’ils pourront lui donner, quant
à des idees d’analyses que, sans ce terrain, ils n’auraient pas eues. Ii y a donc
une césure, mise plus ou moins loin du questionnaire et plus ou moins près
du chercheur, mais il y a toujours une césure.
On peut se demander si une telle césure, quoiqu’ils en aient,
n’existerait pas pour les anthropologues ? Nous pensons que cette rupture
existe indépendamment de l’observateur, mais qu’elle est d’ordre plus inti-
mement personnel. La rupture se produit entre les données de
l’anthropologie et celles de l’anthropologue (les données qu’il collecte sur la
société et dont il négocie le contenu par la parole, qu’il mesure, photogra-
phie etc.),. Ces de ces seules dernières qu’il est partie prenante. Ces données
le concernent exclusivement et il aurait tout autant d’implication dans le
métropolitain, dans un café ou en restant à un feu rouge. Nous ne pouvons
pas proposer de clivage sUr dans le cadre de cette recherche, mais nous
pensons que si “tout est terrain”, alors, il y a quelque part, quand même, une
zone blanche, un point aveugle que le terrain ne pénètre pas, car ils appar-
tiennent totalement à la vie du chercheur etq u’il ne pourra jamais transmet-
tre.

L’observateur observé

L’intégration de l’observateur est dans le champ même de l’observation.


(François Luplantine, 1996 : 21)
est un des axiomes de base de l’anthropologie et son talon d’Achille puisque
son produit peut être contesté comme scientifique. Nous avons vu en pre-
mière partie, à propos de la mathématisation du monde, que la question
restait toujours pendante de savoir si le monde était mathematique ou si ce
n’etait que l’image que nous en avions. Ici, point de mathématiques, seule-
ment des tableaux de la vie des autres en langue naturelle. La question est
plus aiguë puisqu’on se doute bien que les Sérères vus par le Père Gravrand,

610
Gastellu, Delpech ou nous-mêmes ne se ressemblent pas. Pas seulement
parce que l’un a travail16 & plusieurs centaines de kilomètres de l’autre mais
parce que chacun est différent de l’autre. Affirmer que pour la science les
S&&es c’est la somme des points de vue, revient à nier toute possibilité de
discours scientifique puisque le discours est impossible B tenir tant qu’un
homme, sérère ou pas, n’aurait pas donnC son point de vue. On en revient à
cette espèce de folie d’exprimer la totalité, ce gofit sordide de l’infini qui
saisit parfois notre culture dans l’instinct qu’elle est en train de développer
de tout garder (dont le projet de Steven Spielberg de conserver la mémoire
des rescapés de l’holocauste en les interviewant tous ‘34 n’en est qu’un des
indices, comme les commémorations dont les Français sont si friands mais
qui tendent à devenir un sport national ‘35). La vraie question n’est pas de
considérer cela comme un handicap, mais comme une donnée d’exercice des
sciences sociales. Un psychanalyste dirait : « il faut accepter la castration »
(Françoise Moreigne ‘36) qui n’est rien d’autre que la limitation du simple et
banal réel, qu’il faut, chacun, accepter
Une certaine tendance se dessine « d’excuser » les sciences sociales,
ou de les magnifier en disant qu’en physique on trouve le même phénomène.
Parce que l’on trouve sous la plume de physiciens des formules du genre de
celle Lestienne et Paty, au sujet du principe de complémentarité : de Niels
Bohr (1974 : 651) :
Le principe repose sur la constatation de ce que nous sommes en ce
monde à la fois
pcteurs et Spectateurs et qu’il y a une contradiction entre
ces deux conditions : cette contradiction dialectique...

‘Y Laurent Greilsamer : wet Le Monde 1.4.1995 « Dans ses


éditions du 15 mars, L.e Monde a r&W les grandes lignes de cette entreprise dont le but
est d’offrir en héritage aux gtkérations futures les ultimes depositions des dernikres victi-
mes sauves du système concentrationnaire. D’où la m&alomanie gtkéreuse du pari:
Spielberg s’apprête à faire recueillir par ses 6quipes des Gmoignages dans le monde entier.
D’où son tempo amdricain : les entretiens dureront deux heures maximum, en une seule
prise. ce qui laisse songeurs les professionnels de l’interview, conscients que le souvenir ne
se livre ni si aisément ni si rapidement. Surtout pour des hénements aussi traumatisants
qu’un skjour en camp de concentration sur lequel on a fait silence cinquante ans.
‘S Pour parodier certains, qui prennent les jeux de langue pour ceux de la penste, nous
pourrions dire, pour ridiculiser ces entreprises par ailleurs estimables et faites avec la
meilleure bonne foi : dans commtmoration, il y a commhre.
‘X Communication personnelle, 1980.

611
Se fondant sur le fameux principe d’incertitude tnoncé en 1927 par Heisen-
berg, certains en arrivent a dire qu’en physique, c’est fondamentalement
pareil. Même si cela est vrai, cela ne règle en rien la question de l’objectivité
du discours en sciences sociales, alors que celui de l’electron est toute ré-
glée, sauf à chercher l’incertitude dans les confins de nos certitudes. Le pas
de temps des phenomènes et la distance à l’objet rendent l’univers physique
non historique et l’observateur extérieur. Il convient de ne pas « tomber dans
le panneau » qui nous est offert par tous ces discours poétiques fondés sur
quelques équations par des physiciens qui, à force de désir de médiatisation,
en oublient quelque peu les fondements logiques de leur discipline.. .
On est ici confronté à la possibilité de tenir un discours sur l’homme
qui soit autre chose qu’un discours d’un individu sur ce qu’il pense de
l’homme. Il nous semble que tout tient dans l’objectif, le but que l’on se
fixe. Même si le discours de Reverdy (1960) sur les St%ères n’est pas le
nôtre, il n’est pas le nôtre dans la partie la plus vécue de notre expérience,
mais dans la partie objective de ce qu’en dit Reverdy. C’est bien de connais-
sance qu’il s’agit. Et les éloges que nous lui adressons, comme ceux que
Marguerite Dupire avait également accordé à ce court texte de 100 pages,
sont bien la reconnaissance que le discours de Reverdy n’est pas un délire
personnel mais rend bien compte d’une part objective de ce que sont les
Seréres. D’ailleurs, si l’on avait tenu compte de ses observations pour
l’extension de la culture attelée et de la fumure, ainsi que dans
l’implantation du système cooperatif, on aurait eu moins de déboires dans
les années 60 au Sénégal (Jacques Brochier, 1968). Tous iesdiscours ne sont
pas équivalents car certains expriment une réalité objective, une réalité qui
permet, par le retour au réel d’affirmer que les choses sont bien ainsi. La
vérité est que l’on ne peut pas tenir le même discours sur le même objet, car
l’objet n’est jamais le même, et la rapidité des changements de mentalité et
de socitté n’est pas prise en compte par une profession parfois attach&z à la
permanence des choses comme un chien à sa gamelle. Cela n’est qu’un

612
défaut temporaire et historiquement dtterminé, et non un fondement théori-
que de la discipline.

IA discours ethnométhodologique

Il est sain que des écoles naissent parmi les courants de


l’anthropologie, nous voudrions effectuer un bref détour sur l’ethnomé-
rhodologie. Cette école, fondée par Harold Garfinkel (dans les années 50)
redonne au sujet exposant son observation toute son importance. L.e pro-
blème est venu du caractère polémique qu’il lui donna, et qui devait attirer à
l’ensemble de l’&ole une volée de bois vert de Lewis Coser, président de
l’Association américaine de sociologie au congrès de 1975, dans sa Presi-
dential Address (Alain Coulon, 1996 : 109). Il nous paraît significatif que
Cosel ait attaqué en même temps la sophistication réifiante et instrumentali-
sCedu courant statistique et celle qui finit par nier toute approche, classique,
objective et globalisante : celle de l’ethnométhodologie.
Le terme même d’ethnomtthodologie est à renvoyer aux autres ter-
mes comme ethnobotanique, ou ethnomusicologie. . . Il s’agit d’une École
qui veut définir les méthodes qu’un groupe élabore pour négocier ses struc-
tures. Personnellement, nous pensons qu’il existe un inconscient à tout
système social et que tout n’est pas de la maîtrise des acteurs ; les acteurs ne
possèdent pas la totalité de leur système social (qui est plus que la somme
des points de vue des acteurs 13’). M ais cette école a raison d’insister sur le
caractère négocié des structures sociales. Comme l’a affirmé Pascal Bruck-
ner :
Ce dont il faut se défaire, c’est de la croyance en une loi de I’Nistoire
échappant à ses acteurs et se réalisant à leur insu.
(Le Monde, 20.8.1996)
Garfinkel a raison de protester contre certaines tendances de la so-
ciologie à traiter les acteurs, qui seraient des idiots culturels, comme des

“’ Ainsi dans I’évtnement devenu célèbre dont nous avons btt5 acteur, il nous semble que
I’tvtnement ne correspond pas à notre V&U, mais que c’est l’événement qui a eu raison, pas
notre vécu et celui de nos CO-acteurs, chacun et tous n’ayant pas la V&it6 de ce qui S’&ait
passé alors.

613
pions d’un méta-système. Si la tentative de Garfinkel et de ses fidèles ‘38 est
pleine d’intér& par la reinttgration de l’observateur dans le champ de son
observation, la reconnaissance de la capacité des sujets a entendre leur
système, à négocier avec lui et entre eux sont pertinentes ; leur négation
qu’en dehors de cette conscience généralisCe, rien n’existerait, nous paraît
critiquable. On en arrive bien évidemment à mettre l’accent sur la relation
des sujets, et de qui effectue le terrain avec les sujets (car l’ethnométho-,
dologie, naturellement allergique au chiffre, privilégie l’enqu&te-participante
comme méthode de terrain). Il est obligatoire que la remise en cause de cette
école rejoigne le point de vue post-moderne qui met le sujet engagé dans la
recherche comme point focal du discours. Mais, pour parler de soi, pourquoi
chercher un alibi social ou scientifique ? Faire parler les sujets, les estimer
comme seuls capables d’avoir un avis pertinent signifient qu’alors la socio-
logie et l’anthropologie sont des sciences tautologiques. Si vous n’êtes pas
partie prenante des sujets, vous n’avez alors aucun droit de parler. Si vous
n’êtes pas Indien ou Africain : « Taisez-vous sur nous ! » nous dit-on, et
certains anthropologues ne récoltent, après tout, que ce qu’ils ont semés : ils
n’ont rien à dire puisqu’ils se considèrent comme ces interpretes qui tradui-
sent en simultané les débats dans les congres internationaux. Mais
l’anthropologie et les sciences de l’homme et de la sociéte, elles, ont un
discours à tenir, et ce discours est normé par le réel. Les histoires de vie,
maniées sans précaution posent de sérieux problèmes, que tous les sptcia-
listes reconnaissent mais que, dans le feu de l’action de recherche on oublie
parfois (Gaston Pineau et Jean-Louis Legrand, 1996). Ce.n’est pas un hasard
si les cas de refus des conclusions d’études anthropologiques recenses ces
dernières années portent sur deux histoires de vie publiées par leurs auteurs,
l’une a provoqué des protestations en cascade des compatriotes du premier
narrateur, quant a l’autre elle a fait l’objet d’un autodafé dans les règles de

13’ Curieusement, il nous semble que les positions exprimées par Mao Tst-tung dans Des
enquêtes, sont trbs proches de celles de Garfmkel, il est vrai que selon Coulon (1996 : 119)
marxistes et ethnométhodologistes s’entendraient bien ; Mais Mao Btait-il marxiste 7 Marx
ddj& doutait que lui-même le fût.

614
l’art : toute une rue s’est cotisée pour acheter les livres et les brOler. Il nous
semble que les auteurs ce ces livres avaient oublié cette observation :
L’écriture descriptive, en particulier dans la recherche ethnographique,
ne consiste pas à « communiquer des informations » déjà détenues par
d’autres, à exprimer un contenu déjà là et déjà dit, mais à faire advenir
ce qui n ‘a pas encore été dit, bref à faire surgir de 1‘inédit.
(Luplantine, 1996 : 35)
Il est indéniable que certains des concepts opératoires que cette école
présente sont d’un grand int&êt, par exemple celui d’indexalité, qui signifie
que, dans un entretien, ou dans toute situation, une partie du contexte est
absente, c’est-&-dire que la situation se réfère à un « hors-texte u, d’ordre
informatif, qui ne permet pas de rbduire la situation à une monade indgpen-
dante. C’est ce que nous avons signalé précédemment en disant que le
« terrain » n’est pas seulement voir, mais assimiler un certain nombre de tics
langagiers, qui paraissent dépourvus de sens informatifs mais sont essentiel
à l’ajustement des sujets entre eux. Il ne s’agit pas seulement des termes
deitiques qui situent l’entretien (entre qui, de quel temps et de quel lieu il est
fait mention), mais de tout l’ensemble des termes qui situent le contenu de
l’entretien, lequel ne se réduit pas aux termes explicites qui sont utilisés par
les acteurs. Pour autant, ce n’est pas parce que la première partie de
l’affirmation suivante est exacte que la seconde le soit :
.. . le sens est toujours local et qu’il n ‘y a pas de généralisation possi-
ble... (Coulon, 1996 : 33)
Car alors, ce serait toute science qui serait impossible car ce qui se produit
n’est jamais que des événements ici et maintenant, que ce soit l’explosion
d’une étoile ou la naissance d’un papillon. Si nous étions grain de sable,
nous reconnaîtrions tous les grains de sable différents et nierions alors, si
nous suivions Garfinkel, les lois mathématiques qui régissent notre écoule-
ment collectif selon certaines conditions d’hygrométrie et de pente, au nom
de l’interaction qui existerait entre nous. Pourtant, de nombreux travaux
montrent qu’il existe une différence entre ce que nous ressentons et ce que
nous disons ressentir, le dernier est facile d’accès, le premier demande des
procédures indirectes pour être approché (Brigitte Steinmann, 1996).

615
Il nous paraît qu’une grande part de la critique de Lewis est perti-
nente, ne serait-ce que parce que les questions que choisissent de traiter les
adeptes de cette école, « collent » au mieux avec la théorie qu’elle a déve-
loppé ; sa fécondité est certaine, mais sa dérive religieuse est lassante. Cer-
tains termes du vocabulaire forgé par l’ethnométhodologie, fanatisée dans
son mouvement d’identification, restent emprunts d’un esprit de chapelle.
On craint parfois qu’il ne soit invente l’eau chaude. C’est un peu le senti-
ment que nous avons quant au concept d’accountibility, «caractéristique
réflexive et rationnelle » qui nous paraît soit evidente, soit &tre de l’habitus
intégré consciemment par les acteurs. Nous avons ce type de crainte avec
certaines «inventions », comme celle de la PLN, programmation neuro-
linguistique (de Lassus, 1992 ; Upineux et al, 1994), que nous avions étu-
diée pour ce travail, car nous pensions qu’elle abordait certains points qui
nous intéressent. Ses résultats nous paraissent, après un solide examen,
d’une complexid pédante. Ils ressemblent à la danse du chat se mordant la
queue qui tente de vous persuader qu’il y a quelque chose, mais quoi ? Seuls
les croyants, derviches tourneurs d’une pseudo-science, vous affirment qu’il
y a quelque chose à entendre. Ils vous plaignent que l’intelligence de la foi
qu’ils ont ne vous ait pas, également, illuminé, vous qui demandez si ce
n’est pas d’esbroufe qu’il s’agit, comme l’astrologie, la divination et autres
pratiques magiques fondées sur l’habileté - de celui qui devine - a faire
prendre des vessies pour des lanternes. Et on entend bien que c’est un auto-
portrait que cette affirmation de Tobie Nathan de déclarer qu’il n’y a pas de
différence entre Freud et shaman.
La critique la plus grave que nous pouvons adresser à l’école ethno-
méthodologique est la croyance que toute sociologie serait naturelle. Gar-
finkel et son équipe vont totalement contre cette remarque de Marx déjà
citée : si l’essenceet 1‘existencecoïncidaienl, la scienceserait inutile. Cette
école estime que rien ne sera su de plus qu’interroger les gens. Ce qui, dit
d’une autre manière, equivaut à affirmer la connaissance impossible, puis-
que, comme nous l’avons signalé, on ne peut interroger tout le monde et
qu’il manquera toujours un «témoin ». Par ailleurs il y a un piège, claire-
ment dénoncé par Pierre Bourdieu (1972 : 95) :
Mais le piège idéologique est à double fond et, ici comme ailleurs,
l’ardeur démysttjïcatrice se mystifie elle-même lorsqu’elle se laisse em-
porter par son élan : à prendre trop au sérieux les discours indigènes,
on risque de donner un simple écran idéologique pour la norme ou la
règle de la pratique ; à trop s’en déjïer, on risque d’ignorer la fonction
sociale du mensonge socialement aménagé et encouragé, un des moyens
dont disposent les agents pour corriger, par la seule habileté que leur
donne une paflaite Mîtrise des stratégies symboliques, les effets des
stratkgies imposées.
En règle générale, le mouvement ethnométhodologique, dont
l’intérêt est patent, n’est qu’une illustration de plus des phénomènes de
mode en sciences sociales, terreau fertile comme l’est le gotlt de l’apparence
dans l’espèce humaine. La mode se dégonfle aux Etats-Unis mais bat son
plein en France avant qu’un autre clou ne chasse celui-là. Tant que les
sciences resteront ainsi imprégnées des épisodes et langages qui leur ont
donné naissance, il en sera ainsi, sous la forme grave, car, sous la forme
légère, toute science est sujette à la mode ainsi que le montrent bien les
sociologues des sciences.

Retour au pays d’lro

Trente ans après un premier travail, Claude Pairault est revenu sur les
lieux de son premier terrain et a écrit Retour au Pays d’ko, Chronique d’un
village du Tchad (1994). Le retour sur des terrains anciens est de plus en
plus fréquemment réalisé par les anthropologues. Celui de Pairault est une

‘39 Raymond Aron, 1965, Democrutie et totalitarisme, Gallimard, Paris pp. 145149. Citant
Raymond Aron qui ne voyait pas chez les sujets les tendances dénoncees quant au compor-
tement de leur classe sociale, Bourdieu montre bien que le groupe n’est pas réductible à la
conscience de ses membres. Mais, contre les affirmations d’Aron, qui, par démarche in-
verse, dédouanent le groupe de ce que ne pensent pas systematiquement ses membres (par
exemple que les capitalistes seraient de droite) on peut assez facilement acquerir
l’expérience que cette position apolitique est celle de quelqu’un en cours normal de son
existence, qui n’a pas “refléchi au probleme” comme on dit, ou qui n’a pas VCCUune situa-
tion de crise. Nous avons ainsi pu constater, dans les pays étrangers qui connaissaient des
mouvements sociaux, combien la communauté française se « droitisait » deplorant les
dégâts de ce qu’elle applaudit quand il a éte le fait de la Revolution française ou de la
Commune, et se sentant plus en sécurité a cote d’une caserne française, dont elle deplorait
la presence quelques jours avant. La réalite existe, et il arrive à des gens prote& de par
leurs fonctions, de la (re-) d6couvrir. Quelqu’un disait déjà : Chassez le naturel, il revienf
au galop (Boileau).

617
belle réussite et il est donc intéressant de s’y attarder un peu. L’anthro-
pologue revient dans le même village qui avait ét6 le premier dans lequel il
avait vécu et travaillé pour ses débuts d’ethnographe. L’auteur nous restitue
avec beaucoup de finesse ses premiers contacts, ses dEconvenues, ses dé-
couvertes. A la retraite, quand il retourne et écrit ce livre, il a gardé la fraî-
cheur de ses d6buts et grâce à ses notes et à tout ce professionnalisme qui
fait le travail de terrain irremplaçable quand il est réalisé par un spécialiste,
il nous donne ainsi toute la distance qui relie le jeune anthropologue à celui
de la maturité. Cet ouvrage va nous permettre de mesurer ainsi, plus con-
crètement, ce qu’est l’anthropologie de terrain.
Comme tout ethnologue en fait l’expérience, je me suis vite rendu compte
qu’il esr vain de prétendre dépasser une connaissance superficielle de la
réalité sociale si on ne se familiarise pas, d’une manière ou d’une autre,
avec la substance langagière de cette réaliré. (13)
La langue donc, tout d’abord, pour parler, pour comprendre, pour
faire partie, serait-ce comme étranger, avec la population. Quant à la mé-
thode, c’est bien celle de l’attention flottante et du regard :
Pour continuer avec la stratégie d’attention jlottante, je pourrais dire
que mes journkes se passaient à ouvrir les yeux sur ce qui m’entourair.
(18)
C’est la lente construction, avec les villageois de la réalité ethnologique SI
travers les multiples événements du quotidien :
Autre illustration de ma ‘passivité’ : mon enquête n’a pas progressé par
quesrionnaires, sauf dans des cas déterminés, tels que recensement ou
interrogatoires généalogiques. S’il existe une différence entre ce qu’on
appelle sociologie et ce qu’on nomme ethnologie, ce n’est pas une dijqé-
rente d’objet, mais de méthode et de technique. L’enquête sociologique
se présente souvenr comme extensive; elle cherche des indicateurs
qua@ables et invite au recours mathématique, d’où 1‘usage habituels
de questionnaires. L’enquête ethnologique (ou K anthropologique » ou
e ethnographique N) suppose une investigation intensive, elle implique
une participation, -ce qui m’obligeait à demeurer sur place le temps
qu’il fallait pour pénétrer la réalité villageoise au rythme de cette réali-
té. (17)
Le rythme qu’expose Claude Pairault est effectivement fondamental
et doit être retenu : pénétrer la réalité villageoise au rythme de cette réalité.
L’autre intérêt de cet ouvrage est de nous donner à voir la différence entre la
pratique ethnographique et la pratique statistique. Il raconte avoir été con-

618
front6 à une équipe démographique qui va venir faire le recensement en
deux jours, travail qui lui avait pris deux mois. Mais, au lieu de contester
“l’autre” discipline, comme le fit Duvignaud dans Chebika, Pairault nous
montre que ce n’est ce n’est pas la même réalité qui est vue et visée par les
autres, quantitativistes, et lui, anthropologue, qui gardera la même stratégie
de passivité avec les collaborateurs. Enfin, il montre bien que le chercheur
Btranger est manipulé par les uns,
.. . qui recherchent son ombre.. . (22)
comme il le dit si bien et d’autres, plus indifférents en apparence et qui
jugeront sur pièces le nouveau venu.
. .. perdre son propre temps pour entrer dans celui des autres, autant
faire que peut.
(23)
Mais cet effort, cet investissement, sont payants car deux ans aprbs, dit-il :
.. . je faisais partie du paysage.. . (25)
Un autre point nous apparaît inttressant à souligner, car nous avons
là un document sur la réalité d’un terrain : il s’agit de ce qui est une des
tartes à la crème des gens de terrain qui veulent toujours paraître « initiés ».
À propos d’un collègue Célèbre qui s’était fait initier, M. Jaulin, auteur d’un
ouvrage célèbre sur cet épisode j4’, il déclare modestement :
S’il arrivait qu’une information me soitconfiée en secret, je considérais
comme normal de renoncer à sa publication, quel qu’en pût être l’intérêt
scientifique. (26)
Lots de sa soutenance de thèse, avec film, Pairault nous rappelle que
le Pr R. Bastide lui avait signalé qu’il manquait les odeurs. Le propos n’est
pas anodin, car il manque toujours quelque chose et il est vain de vouloir
donner ou Pr&endre donner la totalité. Mais l’ouvrage ne se réduit pas à ce
récit, folklorique et mCthodologique, des débuts de l’auteur, ce qu’il faut
retenir c’est le constant va-et-vient entre I’expCrience scientifique et les
gens, qui sont ici situés en chair et en os, avec leur histoire singulière, la
singularité de leur histoire collective (la guerre, les relations avec des admi-
nistrateurs, les conflits d’homme à homme et ceux provoqués par les statuts

619
sociaux différents et leurs situations contraires). Et si nous avons choisi de
le commenter, c’est qu’il situe bien quel est l’effort de terrain et le rapport
que peut entretenir l’anthropologqe avec les sujets concrets et non pas abs-
traits et caricaturaux qui sont la matiére avec qui, plus que sur quoi, travaille
le chercheur.

Autant il nous paraît que l’anthropologie a raison de faire du terrain


un élément paradigmatique de son apport scientifique, ne serait-ce que parce
que cet effort permet d’aborder des orientations qui, sans cette mise en
évidence exemplaire de l’approche ‘terrain’ resteraient occultées, autant se
« l’approprier » nous paraît illusoire : né de la pratique scientifique de
l’observation en de nombreuses sciences, ayant acquis son « autonomie » au
sein de l’anthropologie, le terrain reste une approche que ne peut dépriser
aucune discipline scientifique. Un autre argument peut être également pré-
senté : le ‘terrain’ tel que l’anthropologie l’a pratiqué tient son origine de
l’observation-participante en des sociétés qui nous paraissaient
«primitives ». Or, 1’Ctude de « l’indigène » meurt B grands pas. Il ne nous
reste, de ces sociétés, de ces cultures, que des reliques éreintées par les
vagues de la mondialisation, des lambeaux décharnés ballott& par le vent de
l’histoire, que s’obstinent à découvrir des pseudo-scientifiques en mal
d’authenticité. L’anthropologie, pourtant, leur survivra - si l’humanitt! survit
elle-même à la perte de sa diversité. Et si la science survit, vivante, et non
pas chosifiée comme un trait culture1 d’une culture née à la Renaissance et
morte avec l’effondrement du Mur de Berlin, coup d’envoi du renouveau
d’une mentalité pré-logique dont le « déconstructivisme » philosophique
pourrait servir de justificateur « logique » sur lequel se bâtirait une religio-
sité dévide : comme dans La planète des singes de Pierre Boul]e, nos des-
cendants se contenteraient d’une science religieuse normte et dogmatique.

14’la nmrf Sara,coll. TerreHumaine,Pion.


J’ai appris quelque chose, j’ai atteint quelque
chose, et pourtant je ne puis vous le communiquer.

Lie-tseu 14’

Le lecteur peut se demander où finalement se placerait le terrain et


s’il aurait une quelconque existence en ce qui concerne le travail scientifi-
que. Ii nous semble que, malgré certains défauts inhérents à la maniére dont
nous avons aborde le sujet, nous avons pu faire quelques propositions pour
considérer cette opération, le terrain, sur un plan rationnel. Nous avons en
même temps voulu que l’apport de la subjectivite ne soit pas nié, car sa
présence est ‘irrémédiable’. Nous n’avons pas hésité a effectuer de longs
parcours externes pour cerner notre ‘terrain’, franchissant des frontières que
le travail universitaire que nous présentons aurait peut-être demandé de
mieux respecter. Mais nous pensons que, lie à la pure action humaine, le
terrain ne saurait en être abstrait. Il n’est qu’une parcelle des capacités
d’observation de notre espèce « pensante et trebuchante ». L’observation est
une activité qui implique la totalité de l’être. Nous avons tenté de restreindre
nos dérives, mais nous ne pouvions pas cependant nier cette évidence :
l’homme observe avec ses sens, les cinq bien répertoriés, mais aussi les
autres, moins mis au jour, comme la kinésie et d’autres facultés qui, sans
être bien clairement entendues aujourd’hui, sauf quand leur manque revble
une infirmitt chez un individu, sont aussi importantes pour notre compré-
hension du monde.
Malgré les critiques que nous avons formulées; le terrain, tel que
nous en avons défendu la conception, trouve sa validite dans le processus
que nous avons essayéde dévoiler. Mot courant, qui charge de la polysémie
de son poids social le travail scientifique, le terrain reste une opération
essentielle à la recherche en géntral et à la recherche en sciences de
l’homme et de la société en particulier. Notre intention était de mieux déve-
lopper la continuité (dans une certaine rupture) des processus mentaux du

14’ Lie-tseu, in Philosophes tao)stes, La Pléïade : 386.

621
terrain dans ses differentes formes : enquêtes multidisciplinaires et travail
sur documents, cependant la sagessedemande d’arrêter.
Peut-être certains trouveront-ils notre approche un peu « impres-
sionniste ». Nous savons ne pas être exempt de ce defaut, qu’a renforcé chez
nous une longue pratique d’un travail scientifique très diversifié, où la ré-
solution ‘ici et maintenant’ des problèmes était plus importante que les
fondements théoriques de l’action.
Malgré les carences de ce travail, nous espérons avoir permis que le
travail de terrain reprenne sa véritable place dans nos activités scientifiques :
celle de l’observation du monde par un observateur. Nous avons plaidé pour
que cet observateur soit accepté, pas forcément magnifié. Nous avons aussi
plaidé pour une necessaire modestie de notre profession de travailleur scien-
tifique, dont le poids dans le développement de nos soci&tb nous apparaît
stratégique. Au-dela de certaines dérives modernes, nous avons défendu une
conception globale et non-techniciste du terrain : une activité aussi ration-
nelle qu’émotionnelle, comme, d’ailleurs, l’ensemble des relations que
l’homme entretient avec son monde et que nous-mêmes, femmes et hom-
mes, entretenons entre nous. Nous avons en partage ces facultés, et si les
sciences sociales font problème, c’est bien parce que pour être epistémolo-
giquement comprises, il nous faut accepter ces contradictions qui sont les
nôtres : faits de chair et d’esprit, de solitude et de solidarité, nous devons
nous accepter pour les accepter. Accepter nos limites pour accepter celles
des sciences sociales. Les sciences physiques ne renvoient pas plus au bleu
paradis éther6 des sciences pures que nos règles et nos ‘idéaux seraient des
modèles sans faille dans notre vt5cu.
Nous savons que notre démarche était trop fondée sur l’action et le
mouvement. Le manque d’analyses conceptuelles nous paraît évident mais
pas rédhibitoire a notre démarche. C’est d’ailleurs en toute connaissance de
cause que nous exposons devant un jury composé de professionnels de la
recherche démographique et sociologique et non pas d’epistémologues.
Nous avons voulu tenter de voir, à travers une pratique particulière, la prati-

622
que des enquêtes centrées autour d’une interrogation « anthropologico-
démographique », pratique tant qualitative que quantitative, le poids de
l’observation, celui de l’observateur, la qualite des informations que l’on
pouvait esperer améliorer. Nous reconnaissons avoir embrassé large et visé
haut mais l’heure nous paraît venue que les praticiens apportent leur pierre a
l’enrichissement de leur pratique. Le discours sur la pratique que nous nous
sommes efforcé de tenir ici est, aussi et surtout, un discours DOUTla prati-
que : une défense et illustration de l’enquête. Et cela dans l’acceptation de
l’imperfection de toute pensée et de toute action.‘Nous pouvons dire ici que
nous avons toujours su celle-ci imparfaite ; pourtant, avant de nous engager
dans notre carrière de chercheur, nous avions caressé l’espoir que celle-là
pouvait connaître la perfection, La démonstration des nombres imaginaires
fait partie pour nous des grandes œuvres d’art de l’esprit humain, avec quel-
ques autres œuvres d’art dont la fonction n’avait pas pour visée unique
l’expression artistique : un bison de Lascaux, un masque baoulé, un vase
aztèque en obsidienne, une maison bretonne coincée entre mer et rochers.. .
Mais il faut s’y faire, l’imperfection est inhérente B ce que nous sommes,
reste à la reduire, ce que nous avons tenté. La connaissance suprême que
promet Tchouang-tseu a qui sait s’arrêter, est ironiquement modeste, mais
l’espoir de la partager n’en est pas amoindri :

Celui qui apprend vise quelque chose qu’il ne peut


apprendre ; celui qui agit agit sur quelque chose
sur lequel il ne peut pas agir ; celui qui discute
vise quelque chose qui dchappe à toute discussion.
Ainsi, qui sait s’arrêter la où tout homme ne peut
plus connaître atteint la connaissance suprême. Si
quelqu’un n’accepte pas cette limite naturelle, le
cours du ciel te tiendra en échec.

Tchouang-tseu “*

14’ Tchoiuang-tseu, in Philosophes taoïstes, La Piéïade : 264.

623
Observation sur le cheminement des trois premières parties
Comme nous l’avions dit en préalable dans le chapitre d’avant-
propos qui précédait le corps de cette thèse, notre idée de traiter de la
“pratique” dans le processus de connaissance scientifique a débouché par
des cheminements que nous sommes bien incapables de dessiner au-
jourd’hui, sur la question du terrain. Pour être analysCe, l’observation dans.
des disciplines qui ne disposent pas de l’expérimentation comme socle de
leur pratique nous a demande un long préalable sur la nature de la connais-
sance scientifique, puisque, d’une certaine manière, il n’était pas innocent
que nous ayons exclu l’étude philosophique ou épistémologique de notre
approche qui fut une approche par critique interne (Jean Piaget ‘43), en ayant
choisi de pratiquer et de produire en deux champs scientifiques li6s par la
pratique du terrain, mais autonomes l’un par rapport à l’autre : la démogra-
phie et l’anthropologie économique, et cela, ‘dans des pays africains ou
latino-américains, malgr6 quelques incursions en pays européens et dans des
organismes officiels, malgré quelques prestations dans des bureaux d’études
privés.
Après cette premibre partie où nous avons traité de la nature des
sciences sociales dans le champ scientifique. Nous avons pu parler de
l’enquête en nous centrant sur l’enquête démographique, dont la complexité
était largement suffisante pour notre propos, malgré sa simplicité apparente
compar6e a des disciplines comme la sociologie ou l’économie.
Dans la troisième partie, nous avons traité du terrain. Nous n’avons
pas centré notre recherche sur le terrain tel qu’il est pratiqué dans la seule
anthropologie. En effet, il nous semble que le «terrain » n’est pas plus
propriété d’une science - l’anthropologie - (phrase que nous avons souvent
entendue), que la carte n’est celle des géographes, ou les archives celles de
l’historien. Notre tentative a donc été de rechercher ce qui pouvait

‘43On se rkfkrera à l’analyseparticuliérementaiguë de Marie-JeanneBorel, 1995 : 38, de


cette questionimportante soulevéepar Piaget et des consbquences qui dbcoulent de ce
distingo.

624
s’entendre à travers la configuration mentale du terme ‘terrain’, dont la
polysémie et l’emploi social posent en soi problème.
Nous avons donc voulu drainer une partie de nos interrogations dans
cette thèse,, tout en étant oblige d’en délaisser d’autres : le rapport entre la
loi et la jurisprudence par exemple, le rapport entre terrain et expérimenta-
tion dans certaines sciences comme l’éthologie, le rapport entre le ‘terrain’
et la littérature, plus intéressant selon nous à traiter à partir de Proust qu’à
partir de Zola, mais ceci serait une autre histoire...comme tant d’autres
histoires, esquissées en chemin, que nous n’avons jamais exploré en profon-
deur ici. Notre travail au sein des équipes de recherche auxquelles dont nous
participions n’a pu pour autant être suspendu pour une réflexion sur la ques-
tion du terrain. C’était un peu une contradiction dans laquelle nous sommes
entré autrefois et que nous assumons aujourd’hui. Nous considérons donc :
la recherche que nous présentons ici comme personnelle, même si nous
avons bénéficié d’appuis institutionnels pour la mener à bien.
Il n’en reste pas moins que nous avons centré ce travail sur le seul
‘terrain’ comme collecte. Ce qui nous a intéressé au premier chef dans ce
travail, c’est la capacid de la science à appréhender le monde à travers un
processus de connaissance pratique qu’est la collecte de terrain. Sur la des-
cription du monde par la science, nous sommes reste chaque fois aux fron-
tieres du sujet. Pourtant, cette question nous a peut-être autant préoccupé et
dev(r)ait faire l’objet d’un second ouvrage. Car nous n’avons pas fait que
“collecter”, nous avons aussi écrit de nombreux ouvrages de style très diffé-
rents et nous nous sommes posé, à travers notre pratique de rédacteur, un
ensemble tout aussi riche de questions. Actuellement, cette pratique de
«transmission de l’expérience par les textes » est très à l’honneur avec les
études sur la positivité des discours scientifiques, anthropologiques en parti-
culiers (Kilani, Affergan, Calame, Passeron, Pottier, Sperber, Latour, GOO-
dy, Geertz...), les recherches sémiologiques (Ecco, Urbain..,) et les nom-
breuses reférences sur les conditions de collectes que l’on peut désormais
trouver (LRvi-Strauss, Condominas, Gibbal, Malinovski, Dibie.. .) et les non

625
moins abondantes études sur le voyage, l’aventure et le tourisme (Meunier,
Urbain, Kaufmann), sans parler des études sur le genre littéraire qu’est
devenu la “littérature de voyage” (Michel Le Bris et son salon de Saint
Malo...) Il nous semble que nous ne pouvons passer cette question de
l’expression sous silence, aussi lui consacrons-nous le chapitre suivant, qui,
comme le chapitre d’avant-propos est en partie externe aux corps de cette
thèse tout lui étant lié. Nous avons insisté suffisamment sur notre position
de fond quant a une certaine rationalité du travail scientifique, d’une part, et
de son caractère collectif, d’autre part. Ce n’est pas nous, qui admirons si
fort la pensee de Marcel Conche, et son petit article h-e Grec en particulier,
qui, adopter les positions, que nous jugeons irrationnelles et individualistes,
des « déconstructivites » et des anti-réalistes.
Ce que les hommes ont en commun est la raison et pas seulement
l’émotion. Remettre l’émotion, historiquement brimée peut-être, à sa juste
position, ne suppose pas que nous puissions nier le fondement de la relation
rationnelle qui unit l’homme au monde. Nous ne pouvons pas nous priver
des messages de notre cerveau reptilien, comme dirait Jean-Pierre Chan-
geux, mais ce n’est pas une raison pour brimer ceux que l’évolution a cons-
truit au-dessus et qui font de nous des animaux dénaturés, pour le pire,
souvent, pour un meilleur, peut-être, si la science cesse d’être ce qui accroît
la maEtrise de l’homme sur la nature et devient ce qui accroît l’accord de
l’homme avec la nature... Nous n’aborderons pas en soi la question de
l’interprétation, mais nous devons donner au lecteur des pistes quant a la
question de ce complexe « interprétation-expression » ‘des connaissances
scientifiques apportées par la pratique de la collecte de terrain. Ce sera donc
l’objet du chapitre suivant, hors-texte d’une longue réflexion sur la pratique
de terrain : comment exprimer cette pratique ? Le pourquoi étant évident : le
travail scientifique est collectif et chaque scientifique doit transmettre a la
communauté les conclusions du sien.

626
EXPRESSION DU TERRAIN

ET

CONCLUSION
Author’s Note

W~IU~~D~~OIVS is based on actual occurrences. Althorgh mucb


bas been cbangedfor rbetoricalpuposes, ii must be regarded in
its essence asfact. However, it should in no way be associated
with the great bob offactual infoormation relating to orthodox
Zen Buddbist practice. It> not very factual on niDtOpif?S,
either,

Robert M. PIRSIG, 1974 : 3


Zen arzd the Art ofmotar&e maintenance

L’écCture, avec ses diverses procédures de schématisatioa, est


bel et bien l’élément indilpensable pour organiser fe~érience
de tertain de l’antbmpologue et /e tran@mcr en produit in-
tellectuel.

Mondher Kilmi, 1994: 31


L’invenfion de /‘autre, essaissur le discours anthmpologique
De l’expression scientifique

Collecter des informations est une chose, organiser l’information, la


traiter, une autre. S’il s’arrête à la collecte, le scientifique n’a travaillé que
pour lui. La connaissance qu’il a puisCe il est seul à en avoir l’usage. JI lui
faut maintenant transmettre l’information, la socialiser, lui donner une forme
collectivement assimilable par les autres.
Cette question nous a autant préoccupé que celle qui fait l’objet de
cette thèse, sinon plus. L’interrogation est encore plus ancienne. Elle tient
plus intimement encore aux fibres de quoi nous sommes tissé. Mais cette
question personnelle peut être négligée. Cependant, nous voulons que ce
chapitre de «pré-conclusion » mette un terme à notre recherche. Dans la
question de l’expression scientifique une double ambiguïte doit être abor-
dée :

l la confusion des niveaux d’analyse et d’expression ;


l la confusion de l’expression esthétique et de l’expression scientifique.

Les grands modes d’expression des résultats

Les produits scientifiques sont issus d’un long processus producteur


durant lequel le chercheur utilise un certain nombre d’instruments d’analyse
et d’expression qui sont identiques à ceux qu’il utilise pour produire le pro-
duit final (livre ou article) à l’usage de la communauté scientifique. Ce glis-
sement d’outils à des usages différents ne va pas sans poser de sérieux pro-
blèmes, qui paraissent souvent inattendus, même chez ceux qui ont admis
que l’on ne parle pas comme on ecrit, et réciproquement (pas seulement en
français où les deux langues ont parfois des differences caricaturales).
Nous n’allons pas traiter en détail chacun d’eux, ce qui nous entraî-
nerait au-delà de notre propos, mais nous allons prendre quelques exemples
sur les trois grands modes d’expression des résultats qui sont :
l les cartes et graphiques ;

l les statistiques ;

l la langue naturelle.
Chacun de ces modes d’expression a une « grammaire », une logique
d’exposition. LA confusion générale vient que l’on ne sépare pas les deux
usages de ces modes : l’usage interne au chercheur ou au groupe de cher-
cheurs engagés dans une même action de recherche, et l’usage externe.
En effet, tous ont effectivement deux faces, qui sont les deux ver-
sants d’un travail scientifique : celle où cartes et graphiques, chiffres et
phrases sont a la fois informations et analyses, donntes de base et instru-
ments qui organisent l’information d’une masse de documents, et celle où ils
sont des instruments d’explication et de transmission a l’usage du lecteur.
Le défaut de la culture français se manifeste avec force en matière de
connaissances sémiologiques où le dessin n’est pas une des priorités de no-
tre systéme de sélection : il vaut mieux avoir une bonne mémoire et un fai-
ble QI qu’un fort QI et des dons en dessin et tenter de comprendre les aber-
rations des manuels scolaires. Jacques Bertin (1967, 1977 et 199.5) a été de
ceux qui ont beaucoup “travaillé” le sujet de l’utilisation des cartes et gra-
phiques et il a montré que ce langage avait effectivement les deux faces d’un
travail scientifique : la “face amont”, de travail, où cartes et graphiques per-
mettent de mettre de l’ordre, ou de révéler l’ordre latent, dans une masse de
documents - ils sont un instrument -, et la “face aval”, de communication, où
cartes et graphiques sont des instruments d’explication - ils sont un langage.
Des travaux pédagogiques ont montré la grande différence qui existe
entre les individus, la question pédagogique étant comment, quand on est un
enseignant ayant telles caractéristiques, on peut enseigner à un élève ayant
des caractéristiques « opposées » ‘. Par exemple La Garanderie (1990) a

’ Travaux de La Garanderie (1990), et la partie la moins 6sotérique de la PNL (Lassus,


1992).

631
étudie le moment où chacun de nous intègre les connaissances, et la manière
dont il le fait (il divise, dans une première approche les auditifs et les vi-
suels, et la mémorisation procède de deux manières differentes : le sujet se
mettant ou pas en scène). Donc, d’une manière naturelle, chacun d’entre
nous «bricole » avec ce qu’il est pour aboutir à ce qu’il veut ; le vrai pro-
blème c’est quand, trouvant lumineux ses propres cartes et graphiques, on
les inflige au lecteur. Un certain professionnalisme est né en France depuis
les efforts initiés par Bertin pour donner ii l’expression graphique toute sa
valeur, mais ce mode d’analyse, d’une part, et ‘d’expression, d’autre part,
n’est pas encore assez utilisé. Il ne le sera que quand les habitudes de travail
et de régulation changeront dans les équipes scientifiques, ce qui n’est pas
pour demain en ce qui concerne la majorité de notre profession de cher-
cheur.
Les statistiques sont aujourd’hui mieux maîtrisées qu’elles ne
l’étaient il y a quelques décennies. Ce qui n’empêche pas qu’il ne nous sem-
ble pas que le chiffre soit entendu comme il devrait l’être, nous avons insisté
particulièrement sur ce fait, mais nous sommes alarmé par l’abondance des
documents que nos jeunes collègues sortent de l’informatique et que leur vie
entière ne suffira pas pour les lire. Il y a là aussi une grande différence entre
les tableaux que l’on utilise pour comprendre les données et ceux que l’on
doit présenter aux lecteurs pour qu’ils comprennent notre demonstration. Il y
a là toute une réflexion à tenir sur la redaction de nos travaux, surtout avec
ces temps d’inflation des communications, inflation que nous ne maîtrisons
pas.
Nous pensons qu’une réflexion doit aujourd’hui être engagée pour
que la documentation scientifique distingue entre ces idées qu’il est impor-
tant que nous en fassions part, et ce qui les fonde : idées, démonstration,
illustration, tel nous paraît en être le triptyque. La différence tient entre le
corps de l’ouvrage, ou de l’article, et les annexes qui peuvent aujourd’hui
rester dans des banques de données, alors qu’autrefois nous etions obliges de

632
les publier si nous voulions que nos données soient utilisees par d’autres.
Fleury et Henry en parlent (1965), à propos de la publication des données
des études de paroisse, et nous avions suivi leurs conseils pour notre ou-
vrage de Fakao (1970).

Raison et émotion

Poincaré déclarait :
Rien n’est objectif que ce qui est identique pour tous ; or on ne peut
parler d’une pareille identité que si une comparaison est possible, et
peut être traduite en une N monnaie d’échange w pouvant se transmettre
d’un esprit à l’autre. Rien n’aura donc de valeur objective que ce qui est
transmissible par le discours, c’est-à-dire intelligible. ’
Nous sommes tous culturellement, en tant que descendants intellec-
tuels de la raison grecque, des gens qui avons privilégié la raison. La science
telle que nous la connaissons s’est fondée sur elle. Mais, depuis l’époque
romantique, monte la tendance à prendre en compte l’émotion comme fac-
teur de connaissance. L’Cmergence des sciences sociales dans le champ
thtorique de la science n’est donc pas pour nous un effet de mode, c’est une
«tendance lourde » de la culture mondiale : devant nous se profile une con-
naissance scientifique peut-être plus anthropologiquement humaine, moins
objective que ce à quoi nous étions habitués de penser. Là oiI certains de nos
contemporains voient un impérialisme, celui des sciences, nous lisons quant
B nous une tendance de différenciation entre science, art, éthique. Nous
sommes à ce moment de rupture, et comme tout moment de rupture, il n’est
pas aisé à vivre et à entendre. Il nous semble que nous allons évoluer vers
une prise en compte du sujet pensant dans la pens6e scientifique, et donc de
l’émotion, et pas seulement de la pensée rationnelle sur laquelle s’est fondée
notre civilisation.
Pourtant nous devons, au stade où nous en sommes, et pour faciliter
le débat, nous élever contre une tendance qui finit par occulter complète-
ment le débat : celui de l’expression esthétique du terrain, où la part du sujet
est effectivement essentielle, puisque c’est toute sa perception qui fait la

* Henri Poincart, lu valeur de la science, Flammarion, Paris, 1970.

633
“richesse” d’un terrain, Le terrain est une activité essentiellement tempo-’
relle, demain sera différent. Alors que le travail théorique est intemporel :
c’est une activite logique. ,
Aux États-Unis, dans la mouvante philosophique des déconstructi-
vistes 3), on en arrive à des positions anti-réalistes à force de relativisme, et
littéraires B force de tirer le travail et son rendu vers les conditions du travail
et le vtcu de l’ethnographe.
Un mythe parcourt donc toute la littérature du terrain, avec la com-
plicité active des “hommes de terrain” : que l’expression de leur exptrience
est belle, litttraire. L’argument a été avancé pour Malinowski par Laplantine
( 1996) à propos de son Journal :
.. . sans procéder à une transmutation du réel, les plus grands textes de
1‘ethnologie scientifique sont aussi ceux qui arrivent capter avec préci-
sion cette sensibilité proprement littéraire.
(1966 : 52)
Malgré notre admiration pour le livre de François Laplantine, nous ne som-
mes pas certain de cet intérêt, car les journaux ne sont pas des textes scienti-
fiques. Ce sont des textes pré-scientifiques, où l’auteur écrit avec ce qu’il est
-corps, esprit et âme si l’on peut dire - sans une critique totalement con-
sciente de son travail scientifique ; il écrit sans tri prealable, au fil de la
plume et, tenir ces journaux, dont nous estimons grandement l’intérêt
‘littéraire’ et ‘scientifique’ (pour la pensée de l’auteur et l’histoire de la dis-
cipline), comme des textes scientifiques à part entière est une erreur que
dénonçait déja Antonio Gramsci (1957 : 77-80) et dont nous sommes fait
l’écho précédemment : comment mêler les brouillons avec les œuvres ache-
vées, vues et revues par l’auteur pour publication ? Surtout, dans le cas de
Malinowski, que l’original est écrit essentiellement en polonais, revu par sa
soeur (qui, de son propre aveu, ne paraît pas lire parfaitement le polonais),
peu d’accord par ailleurs sur les dérives du desir qu’exprimait son frère pour
ces belles aux seins nus des îles, et dont l’édition française est traduite de
l’anglais ! Nous affirmons la même chose à propos des Camcr,r d’enquêtes,

634
Une ethnographie inkdite de lu France d’Émile Zola (1993), de grand inté-
r& mais qui ne sont pas une œuvre achevée qui prétende au statut scientifi-
que. Ni littéraire non plus.
Nous sommes bien d’accord avec la r6flexion de Georges Condomi-
nas à propos de ce merveilleux ouvrage d’H6lène Bouvier sur La matière
des émotions (1995) que, vu la qualité de son écriture, la publication de ses
carnets de terrain serait d’un grand intérêt, mais nous maintenons que si
Hélène Bouvier les publiait révisés ce n’est pas la “même chose”, le “même
produit”, que si elle les publiait bruts. Mais l’intérêt de ces carnets tiendra
plus à l’authenticitt? qu’ils entretiennent avec la matière des émotions,
qu’avec la plume plus ou moins alerte d’Htlène Bouvier.
On trouve dans l’ouvrage re-édit6 en 1992 du Major Gordon Laing
(qui visita Tombouctou deux ans avant Rent5Caillé, mais fut massacré sur le
chemin du retour et ses notes disparurent) sur son exploration du Sierra
Leone, présenté par Chantal Edel, 1992, la même rdfkrence littéraire lauda-
tive :
L’auteur révèle, en même temps que l’explorateur,.. . un réel talent litté-
raire. (page 4 de couverture)
Or, même si les Éditions France-Empire n’en font pas mention, il est
évident que l’ouvrage est traduit dans la langue française des années 30 du
XIXème siècle. Qu’on en juge par ces quelques échafitillons :
Ils me quittèrent d’un air très mécontent et même malhonnête. (45)
*.. la racine est fibreuse et n ‘a pas à beaucoup près.. . (Il 1)
. . . [ils] m’invitèrent à leur aller rendre visite (13 1)
Je ne prétends d’ailleurs tirer aucune induction de cette ressemblance
que je regarde comme accidentelle. (111)
Et aussi l’écriture plutôt fantaisiste des ethnies, lieux, et même le
mot guiriot pour griot, musicien-gCnéalogiste, dont Sorthographe n’était pas
fixée a l’tpoque. Bien au contraire, cet ouvrage est écrit dans un style sans
apprêt (pour l’époque), un style prkis, où le Major Laing distingue ce qu’on
lui a dit de ce qu’il a lui-même observé, ce qu’il dkduit de ce qu’il a cru

’ P. Stoller, The tarse of erhnographic Ihings. The senses of apprenticship among the Son-
ghaïof Niger, 1987, Chicago Univ. Press.

635
comprendre avec une honnêteté remarquable. II n’ecrit pas pour faire vibrer
le lecteur mais pour le convaincre.. . et surtout, il écrit pour les honnêtes
marchands qui ont financé son expédition, dont le souci littéraire ne devait
pas depasser l’espérance des profits ! Il est absurde de dire que cet ouvrage,
passionnant par ce qu’il est et l’expérience humaine qu’il traduit, et soit
d’une lecture agreable parce que bien écrit (en anglais) et traduit dans une
langue surannée, qui accroît la distance et permet d’accepter les innocences
morales qu’il manifeste, qu’il soit un monument litteraire. C’est le livre bien
écrit d’un monsieur qui savait écrire sa langue et qui a trouvé un bon tra-
ducteur.
Venons-en maintenant à l’ouvrage The innocent Anthropologist de
Nigel Barley, 1983, cette pure merveille d’humour anglais, qui pourrait
prendre date avec les nouvelles de Saki ou Trois hommes dans un bateau.
On peut dire qu’il a reçu du public un large accueil par ses qualjtes
d’expression, mais en tant qu’ouvrage d’anthropologie, ce n’est qu’un
‘plus’, un ‘plus’ bien agreable entre deux thèses indigestes. La réussite de
Barley vient de ce que son ouvrage est vraiment un ouvrage d’anthropologie,
qui en plus est bien écrit parce que I’auteur a su utiliser les atouts de sa cul-
ture nationale, l’humour, pour exprimer une verité que tout scientifique a
vecue. Car, pour un lecteur français, ce livre a le charme indéniable d’une
manière de voir (distance humoristique) qui n’est pas fréquente chez nous,
mais est courante en Angleterre. Nous attribuons au style ce qui n’est qu’un
effet culturel. Tout comme Chantal Edel déclare que Laing est un grand
écrivain, abusée qu’elle est des bonheurs archaïques de la langue (de la tra-
duction ou de son original anglais).
Il est symptomatique que les Français, dont tous les chefs politiques
se piquent de talent littéraire jusqu’au ridicule et abreuvent le public de leurs
états d’âme sur papier glacé, parlent de tout en « littéraires », quand dire que
c’est bien écrit, lisible, fourmillant d’expressions heureuses est normal.
Quand on sent bien quelque chose, on l’exprime heureusement, et il est

636
normal que des gens qui ont en poche une licence de lettres, des thèses et
des articles, s’exprimassent correctement.
À ce propos, rappelons ce que Karl Popper disait dans son autobio-
graphie (1989) : les assertions scientifiques doivent pouvoir &tre exprimées
en des langages et des langues divers ; elles ne peuvent dépendre de
l’expression qui leur est donnée, ici et maintenant par un auteur, sous peine
d’être alors seulement des expressions sentimentales, et elles sont alors irré-
futables (que l’on soit d’accord ou pas avec le caractere non-poppérien des
sciences sociales, on entendra qu’il faille pouvoir discuter des idées, du lo-
~OS, sinon, il n’y a plus ni science ni discours, ni rien, rien d’autre que des
états d’âme).
Trop d’ouvrages d’essayistes de langue française sont des festivals
d’images verbales, merveilleuses, qui n’avancent à rien. Nous pensons a cet
ouvrage si pertinent de Pascal Bruckner, Les sanglots de l’homme blanc, qui
repètent trois ou quatre fois la même idée dans un style éblouissant qui finit
pas aveugler le lecteur le plus intéressé. On a aussi, et notre critique pourra
sembler un peu osée, Michel Serres, dont le verbe précède la penste et qui,
après avoir intéressé ses lecteurs par le Passage du Nord-Ouest (198 l), en a
laissé plus d’un sur sa faim au point qu’un de ses critiques avait d’ailleurs
declart! que son voyage des sciences physiques au sciences sociales finissait
par ressembler au cabotinage d’un bateau errant.

En matière scientifique traduttore traidore n’est pas valable, ce qui


est perdu, dans le passage d’une langue à l’autre, n’est pas scientifique. Et
même l’émotionnel peut se transmettre. Nous en voulons pour preuve
l’ouvrage d’Edmund Leach, Lévi-Strauss (1970), a propos de la traduction
de son livre La pensée sauvage en anglais :
But the four year .gap between the publication of the French and the En-
glish editions is an index of the problems of translation. The present en-
glish version (The savage mind) is the work of several hunds. The text
has the approval of Uvi-Strauss himself but has been dexcribed by an
American critic as “execrable” and the translator was originally com-
missioned by the English publishers has repudiated a11 responsability !
Trouble starts even with the title.
(chapter 5, Words and Things, pages 84-94)

631
Leach montre combien les sens auxquels se rkfère Lévi-Strauss varient et
rendent difficile la traduction rationnelle du texte (G the Frazer-Lévy-Bruhl-
Sartre notion... », page 87). Parce que, dit-il, Lévi-Strauss s’appuie trop sur
les résonances émotionnelles et référentielles du français pour exprimer des
idées dont nul ne peut contester l’intérêt, mais qui demanderont un effort de
rationalisation de la part de ses successeurs.
Il est évident qu’un auteur Ccrit dans sa langue, mais a trop jongler’
avec les structures grammaticales de sa langue, avec les résonances émo-
tionnelle des mots et avec les images culturelles favorites qu’elle véhicule, il
dilue la pensée rationnelle et l’affaiblit; Cette leçon ne doit pas être oubliCe
quand on loue un auteur de bien écrire, ou de placer un texte d’un premier
jet, comme un journal, au rang d’écrit scientifique.
L’écriture scientifique d’ouvrages en sciences de l’homme et de la
société doit donc suivre les règles des ouvrages de sciences en général : être
clair, et pour cela suivre les règles grammaticales et la sémantique de la lan-
gue dans laquelle ils sont traduits. On doit tenir des discours rigoureux, un
loges au sens grec du terme, proposer des explications qui sont des modèles
de la réalité étudiée 4.
Nous avons une interview de Wim Wenders 5 qui déclarait :
Avant les images animées, la réalité n‘&tait pas remise en question, sauf
par quelques philosophes. Aujourd’hui, le critère de réalité est ce qui
semble réel, non plus ce qui est rkel.
J’ai vision& tout ce qui a été tourné à Berlin à la fin de la deuxième
guerre mondiale, notamment par les armées russes et américaines, Les
Russes tournaient en 35 mm, en noir et blanc, alors qu’ils avançaient et
prenaient la ville rue par rue. A l’évidence, de nombreùx plans ont kté
filmés plusieurs fois, après que les participants eurent répété. L’image
célèbre du soldat soviétique qui descend le drapeau nazi du Reichstag a
été refaite et refaite, pendant toute une journée. Cette prise tr& r&liste
est complètement mise en scéne.
En revanche, sitôt arrivés à Berlin, les Américains ont filmé en 16 mm et
en couleur. Ils ont fait des travellings le long des boulevards détruits,
d’une manière documentaire. Mais ces prises donnent aujourd’hui l’im

’ Pour suivrece qu’en disait Michel Serresdanssesémissionssur la sciencede l’été 1997


sur la chaîne ARTE
5puissance du cinémg, Le Monde Mercredi 14.12.1994 : 20.

638
pression d’avoir été enregistrées dans des studios hollywoodiens. Il n‘y a
eu aucune mise en scène, et pourtant on croirait facilement l’inverse. Le
$lm qui était fidèle à la réalité a l’air factice, alors que celui qui est fac-
tice a l’air terriblement réel.
I-.1
L bpparence a pris le pas sur la vérité, au point de faire paraître lu réu-
.lité inadéquate. Aujourd’hui, les gens ne préfèrent pas seulement le film
à la rkalité, ils ajustent la réalité au cinéma.
Henri Bauchau, écrivain belge, article de Marion Van Renterghem a
écrit sur Mao, Gengis Khan., Oedipe...
Mon Brabant natal me fournit assez pour mon imaginaire, et puis, la
Chine, lu Mongolie, la Perse, ces pays me laissent libre parce que je n ‘y
suis jamais ailé. Il n’y a rien là-bas que j’aie pu entendre ou voir, qui
retienne mon imagination.
et Marion Van Renterghem d’ajouter :
. .. 1‘essentiel pour lui n ‘est pas ailleurs mais à sa place, entre le bureau
et le divan. Sa route est là, à l’intérieur de lui-même, ce qui donne à son
soufle un air d’épopée.
(Le Monde du 11.8.95)
Il nous semble qu’il y a confusion entre littérature et expression du
terrain, arguer de l’émotion pour faire de l’art, et de l’exotisme pour faire du
journalisme, c’est confondre les fonctions sociales. Ce mblange des genres
est très pernicieux.
La visée d’un écrivain (littéraire, si l’on peut insister) est, comme
Simon Leys (1984 : 16) le disait à propos d’Orwell :
Orwell réarrange toujours les faits : il les modifie subrepticement pour
leur permettre de mieux révéler la vérité.
Un artiste vise à exprimer la sensibilitt, a transmettre l’émotion,
cette émotion que Claude Simon met, ZIjuste titre, comme fondement de son
écriture. Un scientifique qui rend compte de son terrain doit exprimer le
sujet qui exprime du réel, pas le sujet qui donne à lire sa dtception, vtcue ou
pas, de son horizon d’attente par rapport au terrain, de ses états d’âme et
autres billevesées, qui sont de l’apanage de l’art, lequel a pour objectif de
nous faire partager ces émotions par l’intermédiaire de quelques personna-
lités mkdiumniques comme le sont les artistes. On trouve cette observation
chez Jean-Louis Curtis qui, dans Lectures en liberté, s’interroge (1991 :
135 147) sur Shakespeare a-t-il voyagé ?, et il répond :

639
La seule évidence interne de l’œuvre shakespearienne est que cette œu-
vre a été conçue et qu’elle existe en termes purement théâtraur. Elle est
d’abord vision et forme ; accessoiremenr, témoignage. Shakespeare n’a
sans doute connu du monde extérieur que Stratfard, Londres et la cam-
pagne anglaise, Sa scène est l’Univers, non parce qu’il a parcouru
l’univers, mais parce qu ‘il le portait en lui.
Nous avons un excellent ouvrage de Félicien Marceau, Le roman en
liberté 6, qui exprime parfaitement le fait, mais vu du côte du romancier, pas
du côté du scientifique :
Que tout écrit soit témoignage, cela est bien évident. Que le romancier
soit un témoin, et parriculièrement un témoin de son temps, cela est Lvi-
dem aussi -et on voit même mal commenr il pourrait ne pas l’être. [...]
..< si un témoin réussit à m’intéresser à un quelque chose, mon mouve-
ment naturel sera de me mettre en que”te d’autres témoignages sur le
même sujet. En matière de livres, c’est ce qui m’arrivera si je lis un ma-
nuel de botanique. [...] Mais cela n’arrivera certainement pas pour un
roman. Si je lis, par exemple, b Vice-consul, de Marguerite Duras, et
que l’ouvrage me séduise, je ne vais pas me précipiter chez le libraire
pour lui demander un autre roman sur les us et coutumes des vice-
consuls. J’irai plutôt lui demander un autre roman de Marguerite Duras.
Actuellement, la confusion qui amène à « faire du style » en sciences socia-
les, vient autant du fait que nous tcrivons en langue naturelle que de celui de
notre limitation actuelle dans la description de “cas”, dont nous avons déjà
signalé que la description répétée n’était pas forcément du travail scientifi-
que réel, même si, institutionnellement, elle est reconnue comme telle.
Est-ce que cela veut dire que le chercheur en sciences sociales doit se
priver de transmettre cette part commune à nous tous ? Pas du tout, mais à
condition d’en avoir le talent particulier, Qu’il utilise la photographie,
l’expression littéraire ou la vidéo. Pas sérieux s’abstenir. Personnellement,
nous faisons de «bonnes » photos.. . professionnelles. Elles n’ont aucun
caractère artistique. Nous sommes suffisamment sensible à cet art pour le
déterminer sans aucune hésitation. Ceci étant, nous nous sommes exercé a
transmettre par écrit ce que l’on peut ressentir sur le terrain, donner à vivre
aux lecteurs les dimensions Emotionnelle de la vie quotidienne dans la dra-
maturgie de la sorcellerie (Lacombe, 1989, 1991). Mais nous n’avons pas pu
refaire cette opérations sur d’autres sujets . . . parce que nous ne sommes pas

’ Gallimard. 1978.

640
un artiste. Nous n’avions pas transcrit notre univers personnel mais celui du
terrain que nous avions effectué au Congo. La nuance nous apparaît impor-
tante. Même dans le recit intitule Le fusil, où est mis en scène une relation
cedipienne classique sur un mode tres onirique, au contraire de ce qu’ont cru
des lecteurs, nous n’avons que retranscrit le récit qui nous avait été fait, et
d’ailleurs le héros de l’histoire s’y était bien reconnu.
Finalement, nous prendrons à Théodore Monod ce qu’if disait de
l’ouvrage sur l’Afrique Occidentalefrançaise de Jacques Richard-Molard :
Ajouterai-je que 1‘agrément de la forme, ce constant souci d’harmonie et
d’élégance ne sont pas des qualités secondaires pour un ouvrage.. .
(1949 : VI)
Car la science, et pas seulement les sciences sociales, se fait pour E%re
transmise, et la sensibilité de l’expression est un des moyens que nous avons
pour nous faire comprendre.

Note sur un ouvrage de Renc?Barbier ’

Alors que nous achevons ce travail, nous trouvons un ouvrage qui


rejoint parfaitement le thème de notre thèse. L’auteur, René Barbier (1997),
est un sociologue des sciences de l’éducation et traite dans L’approche
transversale. l’écoute sensible en sciences humaines, de l’expérientiel et de
sa transmission. On comprend que la question soit importante pour
l’enseignement. Ce qui nous a intéressé, c’est qu’il en arrive, par des voies
différentes des nôtres, à traiter des mêmes questions : la nature de la science,
l’observation (l’enquête pour nous) et I’expérientiel (chez nous : le terrain).
Ses références sont assez semblables aux nôtres. Plus intéressé que nous le
sommes par la poésie, sur quoi il fonde de grands espoirs pour la connais-
sance, et le bouddhisme, qui lui paraît devoir solutionner les contradictioons
dans lesquelles se trouve la nature humaine, il est d’une grande richesse
d’analyse sur les questions que nous avons abordées : celle de la critique de
l’ethnométhodologie, des phénomènes d’empathie.. . Les differentes catégo-
ries d’observation (neutre, impliquée et ‘non-attachée’ chez lui), les instru-

’ Nous remercionsGilles Boudinet de cette « piste » bibliographique, entreautres.

641
ments (cahiers, questionnaires, guides d’enquêtes.. .), le chercheur collectif,
l’écoute, la vue. . . attirent également son attention. Et, naturellement,
l’importance de la sensibilité dans la connaissance et dans sa transmission
sont centraux dans son ouvrages, dont les conclusions sont à la fois conver-
gentes aux nôtres et divergent fort par le parti-pris émotionnel sur quoi il
fonde son approche. Même l’abondance et la diversité de son corpus biblio-
graphique rejoint celles du nôtre.. .
Est-ce B dire que nous aurions pu nous dispenser d’écrire cette thèse
et de procéder à un renvoi général à cet ouvrage ? Pas tout à fait : il repré-
sente un point de vue excessif que nous ne partageons pas. Barbier privilégie
trop, selon nous, l’émotionnel, et en arrive à nier le travail scientifique en
l’étendant à la poésie, à la littérature, etc.. . . Il est vrai que son objectif étant
la sociologie de l’éducation, il est normal qu’il se préoccupe plus de cet as-
pect que nous. Nous pouvons cependant reprendre à notre compte nombre
de ses observations. Par exemple, nous avons ici dit ce que lui-même ex-
prime de cette manière :
Aujourd’hui, nos paradigmes, nos méthodes de recherches confirmées,
nos rapports circonscrits entre chercheurs et objet d’étude, sont profon-
dément remis en question, Un point tout à fait nouveau : l’émergence
inéluctable du sujet concerné par la recherche dans l’univers feutré des
chercheurs [...]. Les sujets ne sont plus des rats de laboratoires mais des
personnes qui ont décidé d’être présentes à l’œuvre de connaissance.
(254)
Cette présence du sujet dans’ j’œuvre de connaissance, nous l’avons vu dans
les récents affaires médicales, comme ces congrès de scientifiques sur le
sida où les malades sont venus interrompre les débats techniques de spécia-
listes d’une manière intrusive et violente (Jean-François Werner ‘).
Certes, certains aspects de cet ouvrage nous «hérissent » et prennent
le contre-pied de ce que nous avons avanct! ici maintes fois. Emporté par sa

’ Communicationpersonnelle,1991.

642
fougue et sa gCnérosité, Barbier modèrepeu ses avis. Pour lui, André Gide
est un grand ethnologue :
Certains carnets d’ethnologues sont de v6ritables chefs d’œuvre littérai-
res, Gide de retour du Tchad, nous en a donné un avant-goût, continué
par Michel Leiris dans son Afriaue fantôme (1934).
(269)
Tout est dans tout et réciproquement est un slogan que nous ne prati-
quons peu.
Barbier finira par conclure d’ailleurs :
Il faut redonner vie au mot amour en sciences humaines.
(289)
Ce qui est tout un programme. L’avenir triera entre nos positions
respectives, mais nous sommes certain que nos deux démarches ne sont pas
innocemment concourantes.

643
CONCLUSION

Le lecteur se sera peut-être demandé si nous n’avons pas écrit trois


ouvrages independants : un sur la nature de la science, un autre sur la col-
lecte demograpbique, un troisième sur le terrain.. .Nous ne pouvons pas nier
que nous ayons exprimé ces trois thèmes en les ayant cadrés, les séparant par
l’analyse. Mais il nous semble que l’interrogation interne qui les lie et les
exemples que nous avons donnés, montrent bien que nos trois parties sont
cohérentes à une interrogation, celle du terrain. Quant au chapitre final de
conclusion qui précède, il est consacré à l’expression, thème essentiel au-
jourd’hui où la sociéte demande à pouvoir tenir une opinion sur chacun de
ses secteurs d’activites. Toute pratique sociale est soumise à une transpa-
rence des procédures suivies par les différents corps de métiers, depuis la
justice et la medecine, au nucléaire et aux médias.. .

Enquêter pour savoir, connaître pour transmettre

Nous avons longuement expliqué, d’une manière polemique parfois,


pourquoi il nous semblait que l’activité scientifique est une activité d’ordre
rationnel qui n’a pas pour fonction la satisfaction du « sujet enquêtant » mais
la socialisation large de ses connaissances, dans lesquelles son vécu et son
mode d’approche sont, pour les sciences sociales, aussi importants que la
part rationnelle (indépendante du sujet). La présence de l’observateur dans
son observation entraîne que le regard qui est porté exprime un complexe
temporel qui ne sera jamais reproduit ailleurs, comme tout fait inscrit dans
l’histoire. Il ne nous paraît pas important d’en débattre trop, puisque, au
contraire de Popper qui y voyait un problème, nous n’y voyons qu’une con-
trainte. Il est vrai que nous sommes peut-être en accord si l’on entend par
contrainte un problème sans solution.. . Entendons donc que l’observation,
capacité inhérente aux espèces vivantes disposant de capacités cognitives,
n’est un mode d’appréhension scientifique E si son projet est un projet de
connaissance d’une part, transmissible, d’autre part. On ne peut arguer de
comparaisons entre sciences pour juger que certaines ne le seraient pas
quand d’autres le seraient (Chalmers, 1987). La seule position rationnelle et
dénuée de polbmique nous paraît de dire que certaines disciplines ont des
résultats d’extension plus large que ceux obtenus par d’autres. Les discipli-
nes du monde physique, lequel peut être expérimenté artificiellement et
mathématisé, sont moins dépendantes des conditions historiques de
I’observation que les sciences de l’homme et de la société, qui paraissent
comme « enfermées » dans l’unité irréductible de chacun des cas et affron-
tées a un défi permanent de savoir si les conclusions sur un cas peuvent
s’appliquer a un autre, A moins que le pas de temps des phénomènes ne soit
infiniment plus large que celui de l’observateur, ce qui expliquerait tout.
Réaliser une observation aussi « nette » que possible, où la person-
nalit de l’auteur ne brouille pas toute l’information en la rendant tellement
dépendante de lui qu’elle est intransmissible, est l’ambition de tout cher-
cheur. Mais comment rendre cette information, dont on sait qu’elle reste
contingente à son observateur? Nous voudrions, dans cette conclusion,
aborder quelques-uns des problèmes que nous avons eu l’occasion de repé-
rer dans notre pratique, pour donner ainsi des orientations à d’autres cher-
cheurs.

Les différentes instrumentations de la collecte : l’illusion technologique

La collecte s’est, depuis quelques années, complexifiée avec


l’apparition de nombreux matériels depuis la prise de son et la prise de vue,
la filmographie par vidéo etc. Depuis que nous exerçons, soit maintenant
plus de trente ans, le temps passe vite !, nous avons vu de nombreuses ten-
tatives prônant de se decharger sur ces nouvelles technologies pour résoudre
les problèmes de l’observation. Ces montagnes de papier ont toujours fini
par accoucher d’une souris, et, quand elles ont abouti, c’est les projets mon-
tés qui sont à verser au dossier des chimères, ces êtres inviables sortis des
cornues de chimistes fous. C’est même devenu la spécialite de certains de
proposer des techniques « ultra-modernes » qui ont toujours pour particula-

645
rité d’tchouer puisqu’elles ne sont jamais appliquées. Nous pensons aux
“travaux” d’un « spécialiste d’enquête » qui sévit à l’echelle internationale ‘,
qui n’ont certes pas vieilli puisqu’ils restent toujours des promesses : nul, lui
compris, ne s’est risqué d’appliquer ce genre d’idées. Mais on sait que “dire
c’est faire” en certaines sociétés et, de ce point de vue, la communaute
scientifique, comme la communaud des politiques, se contente souvent de
promesses qui n’engagent jamais que ceux qui les écoutent. Nous nous per-
mettons de douter par exemple du sérieux des considtrations brillantes de
Michel Serres quant au passage du nord-ouest entre sciences physiques et
sciences sociales, toujours annoncé et jamais franchi.
Pourtant, le progrès en matiere de collecte existe et on ne peut jeter
l’enfant avec les eaw sales du bain. Il faut reconnaître que l’emergence de
nouvelles techniques favorise en rapidité et fiabilite la collecte limitée jadis
aux vieux cahierskrayons. Cependant, nous voudrions insister sur une évi- .
dence qui semble toujours oubliée : ces nouvelles techniques raccourcissent
le temps de collecte, celui d’exploitation et celui d’analyse, mais pas du tout ’
l’accoutumance du chercheur avec ce qu’il étudie. Au contraire, pourrait-on
dire, l’augmentation rapide de la documentation l’enlise : par l’informatique,
que de chercheurs ne sont pas noyes par des tableaux et documents carto-
graphiques « crachés » par la machine. Par ailleurs ces nouvelles technolo-
gies rtclament des normes diffërentes dans le travail collectif, que nous
n’avons pas encore réussi B mettre en place dans les sciences sociales. La
confusion soigneusement entretenue entre chercheur et technicien, celui-ci
étant vu comme un « inférieur » et étant donc, compte tenu des normes
mandarinales de la société françaises, moins bien payé, corrompt tout le
système. Or, un technicien faisant fonction de technicien peut être de très
haut niveau, comme on le voit dans les sciences dures utilisant des matériels
coûteux, et disposer de plus de compétences techniques qu’un chercheur.
NOUS excluons ici les question de statut social de notre soci&é mandarinale

’ On a aussi les matbriels propos& pour effectuer des collectes directes par ordinateur...
Comme si le travail d’un enqu&teur, fût-ce d’un recensement simple (questionnaire suc-
cinct), Ctait semblable il relevé de compteur de gaz.

646
qui a embauché certains sur un poste de technicien et non de chercheur.
Nous-même, en de nombreux projets, avons eu un statut de technicien, spé-
cialiste en montage d’enquêtes, et pas de chercheur. En matière de recher-
ches collectives, on est toujours le technicien d’un chercheur.. . et les rôles
sont interchangeables.
Mais ce qui distingue selon nous un chercheur d’une autre personne
travaillant dans le secteur scientifique c’est qu’il doit avoir un « imaginaire
scientifique ». Ce qui n’est pas le cas pour les embauches, où la règle suivie
est l’ancienneté de présence dans la liste d’attente des embauches et
l’habileté à se présenter sous un jour favorable aux examinateurs. Nous
sommes de la génération qui a beaucoup critiqué les mandarins à l’ancienne
qui alourdissaient notre système universitaire de leurs règles et de leurs jeux.
Mais leur remplacement par de petits mandarins aux pieds nus et collecti-
vement irresponsables n’est pas une évolution qui nous rend fier de nos
combats de jeunesse.
Un dernier élément est à prendre en compte pour ces nouvelles tech-
nologies : elles attirent souvent, dans les premières années de leur émer-
gence, des personnes inefficaces en d’autres secteurs qui replient sur ces
nouvelles «niches » leur stérilité intellectuelle. Parfois, cas rares, ils s’y res-
sourcent ; en général, ils ne font que brouiller un peu plus leur difficile
émergence, même si eux-mêmes, borgnes au pays des aveugles, font illusion
quelque temps. Ces nouvelles technologies attirent autant et même plus que
l’administration de la recherche, maintenant que les postes d’administrateurs
rklament, de ceux qui les occupent, compétences et exptrience.
La recherche n’avance pas à coups de matériels nouveaux mais par
des idées nouvelles, des problèmes nouveaux, de nouvelles observations.
C’est pourtant le premier mythe que poursuivent certains, qui confieraient
volontiers à la technique robotisée le soin de faire avancer la science. Or les
nouvelles techniques, on l’oublie trop souvent, demandent une culture pour
être maîtrisées. Pour des techniques nouvelles, la «culture » n’existe pas
puisque ses œuvres maîtresses sont à construire ; l’apprentissage de type
formel n’est pas encore au point, il faut alors être créatif et motivé pour les
assimiler et les faire progresser (une culture s’acquiert par imprégnation
lente des règles à suivre pour produire du beau, ou de l’efficace... comme
assimilent leur langue et leur culture les enfants, cf Bourdieu, 1972, pp 174
et sq : structures. habitus et nratiaues). C’est cette évidence qui a été oubliée
dans les nombreux tournants technologiques que nous connaissons depuis
vingt ans. Nous ne pouvons faire tout un développement sur la question,
mais on oublie trop souvent que, si l’écriture nous est naturelle, compte tenu
de nos études, si nous maîtrisons la langue Ccrite (pas tous malheureuse-
ment), nous ne maîtrisons que ma! le cinéma, et encore moins bien la viddo,
qui n’a pas les mêmes caractéristiques techniques que le cinéma. I! en est de
même de la photographie et de l’enregistrement sonore - pour s’en convain-
cre, il suffit de suivre un seul des professionnels de ces techniques. Le
«super » matériel dont on peut disposer aujourd’hui nous fait oublier
qu’avant l’objectif est l’œi! qui est derrière et le commande, avant le micro,
est l’oreille qui l’oriente. Avant le système d’information géographique, est
le thématicien (Daniel Delaunay ‘O). Le resultat de l’hypertrophie actuelle de
la technique, jointe aux, problèmes sociaux dénonces au paragraphe précé-
dent, est le glissement vers I’esthétisme. Combien de fois avons-nous vu des
démonstrations de télédétection où le seul intérêt des cartes exposées était
purement esthétique : leurs auteurs vantaient leur beauté et une question sur
leur usage les rendait muets. Ainsi une photo scientifique est dite belle ou
pas, quand on devrait savoir si elle a un sens ou pas. Et si elle a un sens,
alors, il faut choisir, parmi d’autres, celle qui est la plus esthétique. I! en est
de la forme esthétique des travaux scientifique ce qu’il en est du design en
industrie : prime la fonction de l’objet, et, tant qu’à le fabriquer, autant le
faire beau ! Le plaisir de la belle ouvrage est un des bonheurs d’un métier,
quel qu’il soit.
Le materiel informatique introduit un changement qualitatif dans
toutes les activites humaines. Maintenant qu’il devient convivia!, chacun

l” 1992, communication personnelle,

648
peut se croire chercheur, ou musicien ou peintre, à manipuler des structures
auxquelles il n’entend rien, que son cerveau n’appréhende pas, que son
oreille ne peut percevoir et que sop aeil ne peut discriminer.

La refonte bpistémologique est une nécessité permanente des sciences

Par rapport aux sciences physiques et biologiques, dont les démar-


ches sont objectivistes, les sciences de l’homme et de la socitté, où
l’observateur est observé en permanence, nkessitent une réflexion perma-
nente sur les fondements théoriques qui les soutiennent. Cette réflexion doit
se réaliser par étapes, sitôt qu’un blocage apparaît, puisque l’observateur est
partie prenante de ce blocage.
Nous sommes à l’aube d’un blocage sérieux des sciences sociales, en
France tout au moins, si nous n’acceptons pas de voir la réalité en face : la
recherche est une profession comme une autre, et, comme une autre, elle
demande certaines compktences, lesquelles ne se trouvent pas concentrées
chez la même personne. On peut avoir un imaginaire, des compétences
techniques, des compétences d’expression et des capacités (physiques : ouïe,
vue, santé etc. l1 ) mais tout en même temps n’est pas de l’ordre du possible.
La montde de véritables recherches collectives va demander de profondes
réformes de nos mentalités. Et celle de recherches multidisciplinaires, une

profonde révision de nos schémas épistémologiques.


À propos de la nécessaire révision drastique des fondements épisté-
mologiques des sciences de l’homme et de la société, nous rappelons à la

” Nous avons signalé qu’une personne de terrain devait avoir de la santé, et aussi certaines
capacités d’anticorps, fait que l’on oublie souvent : deux anecdotes 8 ce propos. Sont venus
en transit pour un week-end deux personnes, le père et le fils, emmenés à 50 Km de Brazza-
ville, dans un lieu que l’on croyait sans tsé-tsé, ils sont revenus tous deux avec la maladie du
sommeil. il est manifeste qu’une telle prédisposition est d‘ordre gén&ique (nous-même
sommes trés sensible au paludisme, notre mère l’était, quand notre pàre et notre sœur n’ont
eu en trente ou quarante ans de vie sous les tropiques qu’une seule crise, et bénigne !) Un
entomologiste, Perera, avait une vue totalement hors normes, au sens propre du terme, il
avait une vue d’aigle et, de plus, une perception de couleurs très btendue, c’est-à-dire qu’il
repérait un cam6lton de 3 cm de long, gris, sur un palmier à 20 ou 25 mètres, nous-même
qui étions a 20 cm de la bête, lors d’une tournée a Madagascar, ne le voyions pas ! II a fallu
qu’il bouge pour que nous le repérions enfin ! Nous avons aussi eu une professeur
d’espagnol qui lisait le moindre graffiti que nous pouvions 6crire au fond de la classe en le
commentant assez sauvagement, car elle avait aussi dnormément d’humour.

649
réflexion du lecteur l’observation de Pierre Bourdieu (1972 : 164-166) à
propos de l’objectivisme en anthropologie : la linguistique saussurienne et la
sémiologie de Panofsky se sont construites en liant d’une manière évolutive
dans leur procès de construction :
.*. l’opération par laquelle toute science objective se constitue en cons-
tituant un système de relations objectives irréductible tant aux pratiques
dans lesquelles il s’accomplit et se manifeste qu’aux intentions des sujets
et à la conscience qu’ils peuvent prendre de ses contraintes et de sa lo-
gique. (1W
Disons, pour simplifier une pensée plus complexe au risque de la dénaturer,
que la linguistique structurale se fonde sur un processus d’élaboration in-
terne qui, d’étape en Ctape, a culminé dans les fameuses thèse de Ferdinand
de Saussure. Il en fut de même pour les thèses sur la peinture de Panofsky.
Par contre, en anthropologie, l’intuition géniale de Claude Lévi-Strauss a été
de prendre le concept de structure pour l’appliquer aux faits de société, rac-
courcissant le processus intellectuel. Cependant, en court-cicuitant des éta-
pes qui manquent actuellement à l’élaboration théorique, cette avancée crée
aujourd’hui les distorsions que connaît l’anthropologie (la sur&aluation de
l’observateur, le bricolage de certains concepts comme “l’inconscient col-
lectif’ qui comblent les manques de la théorie.. .)
Placés dans une situation de dépendance théorique par rapport à la lin-
guistique, les ethnologues structuralistes ont souvect engagé dans leur
pratique l’inconscient éoistémolopiaue qu’engendre l’oubli des actes par
lesquels la linguistique a construit son objet propre : héritiers d’un pa-
trimoine intellectuel qu’ils n’ont pas eux-mêmes constitué et dont ils ne
savent pas toujours reproduire les conditions de production, ils se sont
satisfaits trop souvent de ces traductions littérales d’une terminologie
dissociée de l’ordre des raisons dont elle tient son sens, faisant
l’économie d’une réflexion épistémologique sur les conditions et les li-
mites de validité de la transposition de la construction saussurienne.
(166)
En ce qui concerne la démographie, depuis John Graunt au XVtirne
siècle, elle a pu élaborer ses propres procedures et élaborer sa théorie au fur
à mesure de l’avancée des besoins et de celle des techniques de collecte et

d’analyse. Le mouvement fut cohCrent, même si, dans le détail, on peut le


trouver chaotique. La naissance de l’analyse longitudinale montre que la
collecte et l’analyse ont eu un parallélisme haché, mais, ZIl’échelle d’une ou
deux décennies, il n’en paraît plus rien, comme un ligne brisCe paraît, a dis-
tance, fluidement lineaire.

Problématique de la collecte

Notre travail s’est situé dans l’effort permanent des scientifiques


pour améliorer les instruments de collecte. Pourquoi la collecte ? Pourquoi
les instruments ? Deux questions jointes mais différentes.
La collecte est un moment du travail scientifique qui peut remettre en
cause les conclusions scientifiques. Les instruments, théoriques ou techni-
ques, doivent être améliorés parce que la collecte, qui n’est jamais neutre
même sans que la conscience intervienne, est un acte profondément volon-
taire et donc susceptible d’avancées stratégiques. Même si, comme en eth-
nographie, l’homme est l’instrument principal, les outils mentaux dont il
dispose et les questions auxquelles ils doit répondre par l’observation sont
susceptibles d’être rendus plus performants.
C’est dans cet effort permanent d’affinement des outils que ce situe
ce travail.

Le cheminement d’une interrogation

A partir d’une observation que nous avions entendue lorsque nous


étions jeune et qui nous avait étonné, nous en étions arrivé à une simple in-
terrogation sur ce qu’était la pratique. Très vite, nous en etions à nous dire
que la pratique scientifique pouvait nous aider à préciser une réponse. De
multiples autres déterminations nous ont amené sur la question du terrain et
nous avons laissé celle-ci diriger notre carrière - et notre vie aussi, dans la
mesure où sa profession occupe beaucoup chacun. Par ailleurs, la recherche
n’est pas une activité qui cesse lorsque vous arrêtez de travailler ; les ques-
tions qui vous habitent investissent la personne au-delà du temps imparti au
travail Egal.
Parti donc de l’idée du terrain dans des disciplines qui ne disposent
pas de l’expérimentation, nous avons engrangé au fil des années lectures et

651
observations, petits faits et réflexions, le tout dans un grand désordre, mal-
gr6 quelques moments de recentrement, a l’occasion d’une lecture, ou de la
rédaction d’un rapport d’enquête. Mais la vie gtographiquement agitee que
nous avons eue, l’absence de base stable dans une profession d’affectations
successives diverses, a amené la destruction d’une partie des notes que nous
avions accumulées. Ce qui nous est resté est l’image d’archives anciennes :
des documents importants ont disparu, d’autres, mineurs, ont et6 conservés.
Le tri du bon grain et de l’ivraie nous a occupé de longs mois avant que nous
puissions saisir ce qui paraissait devoir être retenu. Comme en tout travail,
ce n’est pas le résultat de cette saisie informatique qui a été bénéfique, c’est
le retour sur un chemin parcouru autrefois, et dont la difficulté rencontrde
par la rédaction est la marque. Nous ne savions plus par où prendre cet amas
d’interrogations. Pourtant, quand nous avons cerne la triple interrogation
jointe de notre questionnement : la science, l’enquête et le terrain, la rédac-
tion a tté relativement rapide, même si nos dérives continuelles nous ont
tenu écarté de la voie principale.
Nous avions conçu notre travail comme une synthèse de notre vie
professionnelle, mais la logique de la rédaction, et le desir de ne pas nous
mettre en scène plus que de raison, nous a amené à approfondir des ques-
tions que nous avions tenues pour réglées pour notre propre entendement,
mais qu’il nous a fallu cependant nourrir des travaux d’autres auteurs, Nous
pourrions prendre l’exemple de l’importance du regard dans l’enquête de
terrain. Pourtant, malgré ce qu’ont en dit les grands spécialistes de l’anthro-
pologie, nous avons le sentiment de laisser ce point très en friche car il nous
paraît necessaire de faire appel à d’autres sciences que les sciences de
l’homme et de la société pour un nécessaire approfondissement.
Nous avons voulu limiter notre appel a de nombreuses disciplines au
cours de cette recherche (la psychologie, la géologie, la géomorphologie, les
sciences naturelles dans leur parties débattant du sens de l’évolution,. .), à la
fois parce que nous savons bien que l’on ne peut, sauf métaphoriquement,

652
faire appel a des résultats externes à notre travail et que l’assimilation de ces
resultats, a la formation desquels nous n’avons aucun titre, est périlleuse.
Certains lecteurs pourront être choqués que nous ayons si souvent
fait mention a une ‘nature’ humaine d’ordre biologique ou génétique (par
exemple pour le regard, pour la parole, pour les capacitts cognitives). Pour-
tant, nous avons, autant que nous l’avons pu, restreint ces affirmations qui,
chez nous, se nourrissent d’une perception profondément unitaire du monde’
vivant : nous ne croyons pas à l’esprit comme disjoint du corps, et croyons à
l’unité de l’individu et à la nécessaire cohésion des êtres, nous ou d’autres
- ce que l’éthologie animale nous démontre -, et l’homme n’est que l’une des
espèces vivantes.
De même, nos positions d’ordre politique, nous n’avons pas voulu
les masquer, sans pour autant ressentir la nécessite de les affirmer urbi et
orbi et extérieurement aux besoins de notre travail. La question n’était pas
de savoir quels sont nos votes, mais de ne pas non plus celer la base même
de nos positions en tant que membre d’une culture - parmi d’autres cultures
tout aussi valables sur la terre -, et en tant qu’atome particulier de
l’évolution de cette culture, quand le point de vue de Sirius, cher a
l’universitaire et garant de son objectivité, nous paraissait intenable. Nous
savons bien que, du lièvre, c’est le bout de l’oreille qu’on repère en premier,
mais comment ne pas reconnaître parfois qu’on en est un quand on est sur
un terrain découvert et qu’il faut alors être ce que l’on est ?
Il en a été de même quant à nos positions d’ordre éthique. Comme
les précédentes, elles se sont échappées dans notre texte, mais elles sont une
partie constitutive de certaines de nos affirmations. Enfin, toujours dans
cette idée de « comment écrire sur le terrain si on n’est pas soi-même », nous
avons tenté de tenir la bride a notre ironie et à nos emportements sans pou-
voir prétendre avoir reussi a masquer notre insolence naturelle.

653
Science, collecte, terrain

Des lecteurs se seront peut-être fait la réflexion que, partir d’une dé-
finition de la science pour traiter &.I terrain, est du « remplissage » de thèse.
Pourtant, le long developpement de notre première partie sur la science n’a
été aucunement « volontaire ». Nous pensions nous limiter a quelques con-
siderations et traiter uniquement des incohérences d’appreciations de certai-
nes contradictions des sciences sociales (macro/micro ; local/global.. .), soit
un ou deux chapitres. ..La logique même de notre démonstration nous a
obligé à être plus prolixe. 11 nous semble que cette “dérive” n’est
qu’apparente et que sa logique n’est pas dans notre tête mais dans les faits.
On ne peut pas traiter d’une question méthodologique des sciences sociales
sans s’interroger sur la validité de celles-ci, c’est leur faiblesse actuellement,
qui perdurera tant que le débat actuel sur leur validité ne sera pas arrivé à
une maturité convenable. Par ailleurs, c’est dans cette première partie que
nous avons traité des questions qui se posent actuellement dans les projets
multidisciplinaires de sciences sociales afin de réserver la seconde partie A
l’enquête démographique, n’ayant pas voulu étendre encore notre sujet aux
enquêtes socio-économiques que nous avons aussi beaucoup pratiquées.

De l’unité actuelle des sciences de l’homme et de la sociétir

Les sciences de l’homme et de la société, vocable qui nous paraît


préférable au terme sciences sociales (et réaffirmons ici que toutes les scien-
ces sont humaines puisque produits de l’humanité) sont encore extrêmement
unifiées malgré la dispersion apparente de leurs méthodes et de leurs cor-
pus... et de leurs statuts institutionnels. En cela, nous avons pu vérifier que
nos réflexions personnelles n’avaient rien d’iconoclaste. Jean-Claude Passe-
ron et l’Équipe du SHADYC en étaient arrives, en partant de prémices diffé-
rentes, aux mêmes conclusions. Cela ne signifie pas qu’il faille croire que
tout est dans tout et indifférencié, car n’est diminué en rien le poids de la
technicité qu’un métier exercé jour après jour apprend : analyse des textes et
des archives et de leur sens pour un historien, analyse des faits quotidiens

654
pour un anthropologue, validité du critère spatial pour un géographe, vérité
des données construites sur des informations pour un démographe.. . Non,
cela signifie seulement qu’aucune d’entre elles n’a le mot de la fin dans le
debat épistémologique, que leur rencontre est nécessaire. Que la jonction se
fasse sur un problème ou sur une interrogation, sur un fait ou une applica-
tion, cette concours est nécessaire, ce qui ne signifie pas, qu’en l’état actuel,
la fusion que préconisent certains, qui considerent les sciences sociales
comme un melting pot épistémologique, soit une solution adéquate. Nous
croyons au dur et patient travail de la recherche, cette passion rémunért!e que
nous permettent certains de nos concitoyens moins bien lotis.
À l’heure actuelle, la liberte est grande pour les travailleurs scientifi-
ques des sciences de l’homme et de la société de choisir, dans les cadres
institutionnels qui les encadrent, seuls ou d’accord partie avec les membres
de leurs profession, le sujet qui les intéresse. La question que nous posons, à
laquelle nous ne pouvons pas répondre, et pas seulement parce que nous la
posons en conclusion mais parce que nous n’en avons pas une claire idée,
est la suivante : est-ce que tout sujet de recherche est valide ? Certains nous
paraissent complétement farfelus, car ils sont menés en dépit du bon sens le
plus elémentaire, tant sur le plan des compétences mises en œuvre que sur
celui des techniques pretendument employées pour mener a bien le travail,
D’autres le sont parce que l’on ne voit vraiment pas ce que l’on pourra en
«sortir », la politique de population est de ceux-ci. En biologie nous nous
rappelons ce chercheur qui venait à son bureau de l’IFAN de Dakar chaque
jour depuis cinq ans voir si le scorpion qu’il avait en observation Ctait tou-
jours vivant. Il était par ailleurs trés compétent pour la pêche, qu’il pratiquait
de multiples manières et qui l’occupait trop pour qu’il puisse vraiment faire
autre chose que d’apposer son 'R.A.S'. quotidien sur son cahier
d’observations ; nous ne doutons pas que sa recherche s’est conclue comme
chacune de ses observations : Rien A Signaler. L’Institut français d’Afrique
Noire de l’époque coloniale avait ainsi quelques perles assez remarquables.
D’autres institutions ont pris depuis le relais. Ce qui choque dans cet exem-

655
ple, ce n’est pas qu’un chercheur ne fasse rien, car des gens qui sont suffi-
samment subtils pour s’être trouvés une niche écologique où ils coulent des
jours heureux, il y en a dans tous les secteurs d’activités. Les paresseux in-
telligents, qui savent manipuler les institutions a leur profit, sont légion. Ce
qui nous avait scandalisé dans ces années 60, Ctait que la stupidité de ce
‘projet’ avait été pourtant acceptée par des autorités scientifiques. Nous
avions rencontré au Congrès de Population d’Accra (1974), un Polonais qui
s’intéressait aux jumeaux. « Pourquoi ? », lui avions-nous demande. « Parce
qu’aucun sujet scientifique est mineur », nous affirma-t-il. Nous avons eu
depuis souvent l’occasion de reprendre l’idée de cette conversation dans nos
réflexions. Mais nous n’avons pas réussi à être persuadé que ce fut vrai.
Certes, Darwin s’était posé des questions d’apparence triviale comme : “les
moutons ne se ressemblent pas autant qu’on le croit puisque certains bergers
identifient chacune des bêtes”, ou “pourquoi les pierres disparaissent-elles
des champs ?” La première l’a amené là où on sait et la seconde est B
l’origine d’un livre monumental sur l’action mécanique des vers de terre.
Aucun sujet n’est peut-être mineur quand il est neuf, car on lui trouvera des
développement originaux, mais quand il est éculé ? Que signifient ces étu-
des engrangées l’une derrière l’autre, sur un sujet identique ? Que ce soit sur
les différents HLM de Paris, ou les clochards, ou la noblesse, ou les entrepri-
ses de ceci ou de cela, ou bien les hopitaux, pour prendre quelques uns des
sujets en vogue actuellement,. . Nous n’avons pas de réponse pour décider si
c’est la problématique qui pêche ou bien le sujet qui n’est pas assez porteur.
Nous croyons que la serendipify existe qui nous fait trouver des choses in-
attendues. Nous avions pense lui consacrer tout un chapitre, mais il nous
aurait fait deriver encore. Ceci étant dit, la serendipity tient autant B
l’observateur qu’à la richesse intrinsèque de l’objet observé. Notre étude sur
Fakao, réalisée dix ans avant, n’aurait pas permis de deceler ce que nous
avons pu analyser ; dix ans après, les actrices du changement démographi-
que que nous avions mis en évidence (changements dans la fécondité et dans
la mortalité des enfants) auraient été trop âgées pour nous donner des infor-

656
mations fiables... Le lecteur voit bien qu’il y a tout un débat important qui
se dessine derrière cette simple interrogation : tout et n’importe quoi est-il
inttressant a étudier ? Le problème se posera de plus en plus avec les dérives
actuelles de disciplines telles que l’anthropologie, réduite au pré carre me-
tropolitain ; on a aussi la sociologie qui étudiera des objets de plus en plus
anodins sans avoir la capacite peut-être de faire le saut qualitatif que Kauf-
fman (1966) a su faire a propos du “linge sale” dans une famille ; enfin, la
démographie va-t-elle affiner son étude de tel ou tel groupe, de telle ou telle
variable que l’on menera unité après unité, de plus en plus loin derrière la
virgule ? Il ne faut alors pas s’étonner que les ouvrages deviennent plus ex-
plicites sur le rapport du chercheur avec son objet que sur l’objet lui-mEme .
Cette fuite vers le subjectivisme permet seule de différencier et autorise à
croire que ce qu’on a fait n’est pas inutile, puisque parler de soi est inépui-
sable nouveau. Le vide scientifique est comblé par le trop plein de
l’tmotion. Nous voulions poser ces questions, elles ont dépasse nos possibi-
lités, mais il est important qu’elles soient reprises par d’autres.
La science est un travail socialement déterminé, qui répond à une
certaine demande. Qu’une partie de la demande soit interne à “la science” ne
fait pour nous aucun doute ; nous restons sceptique sur le manicheïsme de la
profession face aux politiques et à ses injonctions : les scientifiques sont
aussi corporatistes que n’importe quel groupe de nos sociétés. Mais une
partie de la demande est externe, avec, cependant, une difficulté supplé-
mentaire que l’on ne sait pas y poser les bonnes questions aux sciences so-
ciales, Celles-ci doivent donc prendre en compte l’éclaircissement des de-
mandes, leur traduction en des termes techniques qui sont les leurs, ce qui
implique un renoncement aux facilites actuelles qu’octroie une certaine ir-
responsabilité dans laquelle se complaisent des disciplines qui n’ont de
compte à rendre qu’à elles-mêmes de par l’indifférence du public et des au-
torités qui les representent. Nous entendons bien que les physiciens ou les
biologistes peuvent engager des actions de recherche coordonnées quand on
leur donne un ordre tel que : “Allez dans la lune !” (ce qui n’est pas méta-

657
phorique dans leur cas), ou qu’on leur pose une question comme : “Que faire
contre le sida ?“, mais que répondre quand on vous demande, comme un
ministre nous l’avait demandé : «Pourquoi ces gens ne veulent-ils pas se
développer ? » Il nous faut non seulement entendre la demande, mais
l’éclairer a ceux-la même qui nous la posent.. . et nous financent.

Du renoncement B l’art

Les sciences de l’homme et de la société s’expriment sous la forme


du langage naturel, ce qui fait que toute personne maniant la langue naturelle
s’estime compétente et, si elle ne comprend pas, en déduit que l’auteur est
un imbécile. Pourtant, un sage proverbe ne dit-il pas, qui est attribué aux
Chinois - on ne prête qu’aux riches - :
Si ta tête heurte un pot, n’en déduis pas trop vite que le pot est vide.
Certains chercheurs en sciences sociales aggravent la spécialisation
de leur jargon pour couper le cordon ombilical que nous entretenons avec le
sens commun via la langue. On dit des Américains et des Anglais qu’ils sont
stparés par la même langue ; on pourrait dire la même chose pour les scien-
ces sociales et la societé civile : elles sont séparées par la même langue.
D’autres chercheurs suivent une autre stratégie. Le désir d’être entendus les
amène à gommer les différences et à vouloir être compris de tous. La tenta-
tion est d’autant plus grande qu’ils sont, en général, « littéraires » de forrna-
tion. (Classer les scientifiques entre litteraires et... scientifiques est, on en
conviendra, déjà tout un programme). D’où le souci de faire des textes que
le ‘système et ses agents’ loueront comme beaux. Ce qui est différent du
souci de la forme, qui lui est obligatoire : on parle pour être compris, il faut
pour bien énoncer, manier correctement son instrument : la langue. On a
parfois dit que les sociologues étaient des romanciers ratés, mais on est tou-
jours le raté de quelque chose, car de nombreux romanciers, comme Léon
Gozlan (185’7, dont nous avons parlé au chapitre quatre de la troisième par-
tie), sont des sociologues ratés ; et les journalistes seraient-ils a la fois les
ratés de romanciers et de sociologues ? Et les sociologues des journalistes

658
ratés ? Et tournez manéges !. . , Non, tout ce classement à la hache et à coups
de belles formules de conversation de caf6 ne font pas avancer l’analyse.
Wolf Lepenies a 6crit (1992) sur l’émergence de la sociologie entre
la littérature et la science. Ii nous semble qu’une régression se dessine pour
de nombreuses disciplines par le double biais du post-modernisme, avec la
tendance ethnométhodologique (dont l’existence est le signe d’une problé-
matique personnalisante de la science, et dont l’influence est parfois di-
recte), et du journalisme et des media en général. Faut-il tuer l’art dans la
science ? Notre réponse doit être quelque part : oui. Même si nous plaidons
pour la prise en compte des sujets dans le processus de la connaissance
scientifique, nous pensons que nous avons affaire à deux problkmes diffé-
rents, sans avoir la possibilité d’en effectuer la démonstration.
Nous avons achevC cette rédaction en parlant de l’expression scienti-
fique, il nous semble que c’est un secteur qui est appréhendé par morceaux
disjoints, différents de discipline à discipline ; chaque scientifique a ten-
dance à réifier ou à dkifier ses propres proddures et à dépriser les autres,
Nous croyons que, là aussi, un grand effort de formalisation devra être réali-
st dans la décennie qui vient.

C’est quand on achève un ouvrage que l’on a la clef de ce qu’il fallait


faire pour le réaliser. Cette thése ne saurait faire exception A la r&gle. Cepen-
dant, nous ne pensons pas que nous changerions le plan qui est celui-ci. Par
contre, nous avons le sentiment de ne pas avoir réussi à unifier notre propre
pratique de terrain entre le dkmographe et l’anthropoltigue de terrain que
nous avons la prt%ention d’être, ne serait-ce qu’un peu (anthropologue et
démographe, la pr&ention est peut-être excessive). II nous semble qu’une
autre tentative devrait être plus rigoureuse dans ses démarches documentai-
res. Nous avons conscience que nous aurions dQ examiner la totalib5 de la
collection Terres humaines de Plon. Cette rédaction a pris souvent du retard
car, bourrelé de remords quand nous avions lu les livres et mal pris des notes
(ce qui est le cas de nombreux travaux en statistiques d’enquête, alors que

659
nous n’avions pas l’habitude de raturer nos exemplaires d’ouvrages ou de
documents), ou possédé de regrets quand nous découvrions de nouvelles
rkférences (par exemple celle qui vient de paraître (septembre 1997) sur les
questionnaires de démographie, mais résolument abandonnée), nous nous
sommes lanct parfois dans des lectures supplémentaires ou dans des relectu-
res. Notre pratique professionnelle, qui nous faisait écrire par étape de deux
ans les résultats des travaux du séjour C~OI&, avait fortement amoindri les
capacités professionnelles que nous avions acquises à l’université. Et nous
savions être plus performant sur des articles ou de courts ouvrages (ou dans
des ouvrages composés de chapitres bien séparés) que sur des œuvres de
longue haleine. La rédaction de cette thése a donc ét.5 une épreuve contre-
nature que nous avons cependant acceptée compte tenu de l’enjeu : nous
voulions que nos idées puissent être disponibles au public, ce qu’assure une
thèse.
Ceci étant, nous n’avons aucunement l’intention de surseoir à
l’achèvement d’une aventure intellectuelle personnelle, en espérant que,
malgré ses défauts, ce texte réponde à des problèmes rencontrés par d’autres
collègues et qu’il sera un cran de.plus dans la chaîne de la longue émergence
des sciences sociales. Car nous croyons que les sciences sociales sont des
sciences, même si la reproductibilitk de leurs conclusions et les conditions
d’application de leurs résultats seront ‘toujours’ problématiques. Toujours,
étant un mot d’tternité que nous employons pour l’espace de notre propre
vie naturellement. Les Malgaches disent que « demain, c’est demain ». C’est
une profonde vérité qu’il ne faut jamais oublier, en travail scientifique parti-
culikement.
Les interrogations actuelles de l’anthropologie nous apparaissent im-
portantes car heuristiques et son projet de comprendre l’humaine nature dans
sa diversité est une aventure qui, nous l’espérons, continuera. Dans son ef-
fort de répondre pratiquement aux interrogations de la société et dans son
souci de formaliser son approche des faits sociaux, la démographie nous
paraît être exemplaire, et son projet d’entendre la nature humaine comme

660
culturelle et biologique reste un de ses grands apports. Nous devons a l’une
et à l’autre beaucoup de joies intellectuelles. Nous avons voulu, a notre
échelle individuelle, contribuer à leur avancée. Nous sommes des tâcherons
du scientifique sur lesquels l’histoire des sciences ne perdra pas son temps 2
démêler l’apport ; cette modestie n’est ni feinte, ni amère. Nous avons vou-
lu, en écrivant cette thése - tout comme nous l’avions recherché pour notre
travail en partenariat avec nos colkgues africains et américains -, à réaliser
pleinement et lucidement le travail qui nous était échu et que nous avons
voulu inscrire dans un projet général de compréhension de l’action. La ré-
daction de cette thése nous a été personnellement d’un grand apport, il nous
reste 21espérer que notre. effort puisse servir à d’autres.

661
En apposant le mot :

/ ia
Nous voudrions rappeler ici l’amitié de ceux qui ont compté pour
nous durant cette longue carrière :

Tout d’abord les sujets de nos enquêtes, qui nous ont parfois mené la
vie dure, mais ne nous ont jamais mesuré l’amitié qu’il nous portaient et qui
nous ont toujours accueilli sur le terrain ;
Nos collaboratrices et nos collaborateurs, enquêteurs, chauffeurs,
guides et interprètes ;
Nos collègues et les administratifs tant ceux du Cnrs, de l’lnsee, de
I’Orstom, des Universités, que ceux des institutions des pays qui m’ont ac-
cueilli.
Je remercie ceux qui ont accepté de me faire profiter de leur expé-
rience en acceptant d’être interviewés sur la question du terrain.
Un tel travail sur une aussi longue période ne se fait pas sans l’appui
de nombreuses personnes : certaines ont été citées dans le texte, d’autres
n’ont pu l’être, qu’elles soient ici remerciées, particulièrement :
Jim Allman, Marie-France Beauvois, Gilles Boudinet, Gaspard Boungou, Michble
Catz, Bernard Chevallier, Jacques Colombani, Monique Coquelin, Daniel Dansoko, Basil
Davidson, Daniel Delaunay, Anne-Marie Derocle, Luc Descroix, Mamadou Diagne, Abdou
Karim Diop, Benjamin Diouf, Christian Dors, Jean-Pierre Doumenge, F&ia1 Drosso, Marie-
Hélène Durand, Suzanne Durret, Georges Estievenard, Ernest Faye, Jacques Fortin, Luiz
Frigoletto, Jacques Fortin, Catherine Fourgeau, Chantal Gautier, Jorge Cionzaléz Aragon,
Gérard Guasch, Ousseynou Gueye, Henry Godard, Rosalind Hackett, Josiane Hoorelbecke,
Michael Horowitz, Jean-Louis Janeau, Brbhima Kassibo, Joseph Kong, Pascale Lacombe,
Jacques Laronche, Martha Luna, Jorge Llop, Sabine Lacombe, Marie-Christine Marcoux,
Alain Marliac, Marie-France Medana, Alain Marcoux, Françoise Moreigne, Jacques Noël,
Teresa O’Brien, Monique Orlhac, Javier Ortiz, Claude Pairault, Jocelyne Petit, Augusta
Perelli, Yasmine Pertev, Claude Poilly, Pierre Pourrut, Bernard Pouyaud, Denis Pryen,
Tovo Rabetsitonta, Jean-Louis Ravel, Jean Rivelois, Muneera Salem-Murdock, Monique
Selim, Ahmed Tidiane Sène, Jean Séverac, Mamoudou Si, François Sodter, André! Stroo-
bant, Chadli Tarifa, Amalia Telléz, Arthur Tsouari, Eva Ulmer, Yup Verhulst, Jean-
François Werner, Jean-Michel Yung.. .

et tant d’autres queje ne puis citer.

Et à ma famille, à qui j’ai quelque peu gâchél’année 1997 pour la


rédactionde cette thèse.

662
ANNEXES
ANNEXE 1.1

CORPUS BIBLIOGRAPHIQUE

GÉNÉRAL
Table des matières :

Avertissement et mode d’emploi du Corpus page 649

Page de début de l’initiale du premier auteur des références :

A 671
B 674
C 685
D 698
E 703
F 704
G 707
H 715
1 720
J 722
K 724
L 726
M 739
N 745
0 747
P 749
Q 755
R 755
S 760
T 766
U 769
V 770
W 773
Y 775
Z 776
AVERTISSEMENT

et mode d’emploi du Corpus

Ce corpus reprend les types de documents suivants sur lesquels nous nous
sommes appuyé pour raisonner sur la question de la collecte et du terrain
dans la pratique scientifique :
1. ouvrages scientifiques publiés
2. articles et chapitres d’ouvrages publiés (scientifiques)
3. articles de journaux (quotidiens ou de vulgarisation) et revues
générales
4. études et rapports de littérature grise (dont thèses)
5. littérature informelle
6. Bibliographie personnelle
Cette bibliographie contient quelques références d’émissions de télévision
pertinentes sur ce travail (voyages et sciences). Les articles de presse
(quotidienne ou hebdomadaire), à l’exception de rares dossiers, sont exclus,
nous les citons en notes infra-paginales dans le texte.

Les aléas de la production de ce travail ont, par effet secondaire, permis


une large recherche de references bibliographiques. Par ailleurs, quand on a
un sujet en tête, on se nourrit de tout. Pourtant, malgré l’abondance des
références, nous avons été très selectif pour ce corpus : nous avons éliminé
de ce corpus bibliographique ce qui divergeait véritablement des points de
vue exprimes ici, mais nous avons pensé que, sans chercher l’exhaustivité,
notre recherche documentaire personnelle, et les chemins de traverse qu’elle
avait explorés, ne manqueraient pas forcément d’intérêt pour une réflexion
sur le sujet. D’autres pistes de références peuvent être mieux défrichées, les
pistes littéraires par exemple et toute la production des critiques sur la
littérature : nous n’y avons fait que des incursions, dont ce corpus témoigne,
et qui apparaissent parfois dans notre texte. On a aussi la littérature des
voyages sur lesquels s’appuient beaucoup d’ouvrages d’ethnologie. Certains
sont de veritables ouvrages d’ethnologie (Les îles d’Aron de Synge, le
Voyage à Rodrigues, journal de Le Clézio ou Nus, féroces et
anthropophages de Staden : le premier est une petite merveille de
géographie sociale, le second n’aurait pas à rougir de figurer dans la
littérature paralli$le produite par des scientifiques et le troisibme avait tout
compris et rapporte des mécanismes ethnologiques de l’anthropophagie),
tout comme certains ouvrages qui se disent d’ethnologie sont plus
l’expression d’une individualité que celle d’un travail (un travail sur soi plus
qu’un travail sur la matière), mais leur abondance nous rendrait injuste de
n’en citer que certains. Au départ nous avions diffkrenciés les rt5férences de
ce corpus selon la fonction sociale de leur auteur “non-scientifiques de
profession”, et “professionnels de la recherche”. Notre objectif central étant
l’éclaircissement de l’épistémologie des sciences sociales la pratique de
collecte et de terrain et les modes d’exposition de l’information recueillie
sur le terrain mais on en a vu la complexite entre littérature et science...
Nous avons tout au cours de notre carrière effectué un gros effort pour
rassembler la “littérature grise”, non-imprimée, de diffusion aléatoire, et
souvent liée à l’amitié ou à l’appartenance à un réseau. Pour autant ce
corpus n’a aucun caractère clos et systématique : rassembler cette littérature,
par définition non-officielle, n’a pu se faire qu’au hasard, les collections
déposées étant d’accès réservé. Par exemple, il nous a fallu plus de cinq ans
pour rassembler, avec l’appui de Jean-Pierre Dozon, la collection complète
du colloque des sociologues ORSTOM tenu en Abidjan en 1971 ! La
distinction physique entre littérature grise et littérature publiee ttait souvent
difficile compte tenu des progrès de présentation réalisée dans les revues et
publications informelles modernes : des livres ne sont que de simples copies
sur offset carton de version dactylo ! On ne peut prendre le critère de la
diffusion comme determinant : des ouvrages sont mieux connus par leur
version ‘provisoire’ (en multigraphie, la diffusion pouvait dépasser 200 à
250 exemplaires) qu’en édition imprimée ; c’est souvent le cas pour
l’édition française ou en espagnol quand l’éditeur est un éditeur confidentiel
dont on ne sait trop de qui relève la diffusion, ou qui met au pilon la

668
collection complète dans l’année qui suit l’impression ! Les travaux
d’AMlRA (INSEE-Paris), publiés en notes informelles ont eu une diffusion
qui ferait pâlir d’envie bien des ouvrages et revues. Ceux qui les connaissent
comprendront que nous ayons mis sur le même plan l’ouvrage multigraphié
Manuel des enquêtes démographiques par sondage en Afrique (CEA-ONU,
1974) et le livre publié Décrire, expliquer, prévoir de Benjamin Montalon.
Nous avons cependant tente de respecter la norme et ont été classes en
‘littérature grise’ tous les documents dont la publication ne paraissait pas
certaine (manque d’un éditeur et imprimeur identifiés). Des erreurs auraient
pu se glisser dans notre classement pour des raisons qui n’ont rien B voir
avec un quelconque jugement de valeur. En effet, le sujet abordé dans notre
texte a beaucoup plus été traité dans la littérature informelle que dans la
littérature publiée. Finalement, nous nous sommes généralement abstenus de
conserver ce mode de référenciage, sauf quand la distinction était sans
aucun problème.
Une autre raison nous pousse à donner l’ensemble de ce corpus et non
un choix des références citées explicitement : certains titres font un peu
partie de notre perception des choses : après tant d’années nous les avons
tellement intégrés qu’ils se trouvent ici ou là paraphrasés ou critiqués, à
moins qu’ils n’aient servi à des développements qu’aujourd’hui nous ne
pouvons isoler de ce qui leur a donné naissance. Nous pensons donc que
l’hommage est necessaire à ces travaux même s’ils n’apparaissent pas
isolément cités dans notre texte. Les ouvrages autobiographiques de Louis
Garneray et de A.O. Exmelin, gentilhommes de la flibuste et fins
observateurs, le roman de Christophe Ransmayr, les effrois de la glace et
des ténèbres qui relate l’expédition austro-hongroise vers le p61e Nord de
Carl Weyprecht et de Julius Payer nous ne nous paraissent pas démériter
d’avoir autant nourri nos réflexions que le Tambours d’eau du regretté Jean-
Marie Gibbal, ou le fameux Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss. En
épistémologie, il ne nous a pas semblé que le romancier Robert M. Pirsig
diminuât l’aura du philosophe Marcel Conche ou du scientifique David

669
Ruelle : il nous parait que le concept de qualité traité par le premier,
d’annarence par le second et de chaos par le troisième, supposent autant de
connaissances et de réflexion. Et, de même, les analyses du journaliste Alan
Riding ou celles de l’essayiste Pascal Bruckner ne se faisaient aucunement
de l’ombre à celles du sociologue François de Negroni ou du sémiologue
Jean-Didier Urbain. Nous savons ce que toutes ces lectures nous a apporté
et, signaler leur intérêt, pour qu’un autre avance dans la même recherche en’
s’appuyant sur les directions que nous avons explorées, ne nous paraît
nullement errone.
Enfin, comme il est des “miels toutes fleurs”, ce travail a “ratissé large”
et suivi toutes les pistes que nous avons perçues comme potentiellement
intéressantes. Il y eut certes des échecs mais beaucoup se révélérent
fecondes. Nous avons donc puisé non seulement dans la littérature la plus
générale, du Zoo ou lettres qui ne parlent pas d’amour de Victor Chklovski
à celle la plus spécialisée de notre discipline avec les Méthodes d’estimation
des statistiques démographiquesimpar&aitesde Rémi Clairin mais aussi
dans notre propre production écrite qui traduit notre expérience accumulée
durant tant d’années, en Europe, en Amérique Latine et, principalement, en
Afrique : c’est la raison pour laquelle nos travaux figurent dans ce corpus
(nous en présentons le quart qui nous paraît pertinent). Ils sont la trace d’une
longue réflexion.

Disons que si nous avons conservé le mode alphabétique des auteurs


pour présenter ce corpus, c’est parce qu’il sert également de bibliographie à
notre texte, nous n’avons pas voulu alourdir l’ouvrage en répétant
syst6matiquement les titres : aurait-il fallu le faire par chapitre, par partie, ou
par volume, pour tout le texte ? Il nous semble que la présentation de la
totalité des références en annexe facilite, au lecteur, la recherche éventuelle
d’un titre.

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776
ANNEXE 1.2

VERBATIM

SÉLECTION DU CORPUS

DES RÉFÉRENCES
VERBATIM :
Sélection de phrases où apparaît le mot ‘terrain’
et un concept semblable ou contraire
Note : Dans la masse des documents releves durant plusieurs années, nous présentons ici
une selection significative de ce que nous avons relevé et dont le total reprdsente un fichier
informatique de 190 000 mots. Ce document représente quant à lui 19 000 mots, soit 10 o/o
du total des notes collectees pour ce travail. Et, naturellement, les ouvrages portant directe-
ment sur notre sujet n’étaient pas fichés dans le détail, ou quand ils l’etaient (si nous ne
possédions point l’ouvrage ou l’article), ces fiches n’ont pas étb reprises dans ces fichiers
informatiques mais dans un autre, de taille moindre puisqu’il fait dans les 100 000 mots. On
comprendra que ne figurent pas ou peu les noms de Bourdieu, Malinovski, Laplantine,
Soustelle, Sun Tsu et autres strateges, Clairin et autres démographes d’enquêtes, Ancey et
d’autres spécialistes des enquêtes socio-économiques de terrain, les auteurs du groupe
AMIRA et autres spécialistes de la collecte statistique, ceux de la FAO, de I’OMS ou du
PNUD et autres professionnels des organismes internationaux et les auteurs sur le zen et
l’importance de la pratique dans cette école comme Suzuki, Herrigel.. , Leur absence n’est
pas la marque de notre indifférence à l’egard de leurs travaux que celle de leur trop grande
importance pour notre sujet. Chaque note était qualifiée dans son rapport avec les grands
thèmes de notre travail (terrain, expression, voyages & tourisme, action, etc.) Nous avons
selectionné exclusivement celles qui portaient explicitement la mention «terrain » et ex-
clues celles qui avaient été utilisées dans d’autres chapitres ou à l’occasion d’autres travaux.
L’abondance des notes collectées et I’btendue du sujet - tel que nous l’avons défini -, nous a
amené à ce type de choix un peu drastique afin de ne pas trop deriver par rapport a notre
thème central.
1. - 19 18, FOCH à Clemenceau, Note sur ligne du Rhin novembre 1918 :
« C’est, sur le terrain dans le domaine militaire, courir au-devant des plus
grands risques. »
2. - 1936, STENDHAL, 1936 : 24 : L’abbesse de Castro :
“Lorsqu’on esr tenté de connaître les pays étrangers, il faut s’attendre à des
idées bien saugrenues, bien différentes des nôtres”
3. - 1937, RP YVON, capucin et aumônier des terreneuvas, 1937 : 121 :
« la cruelle désillusion de constater que la prosaïque réalité des choses ne ré-
pond pas toujours aux élucubrations poétiques de l’imaginarion ».
4. - 1942, CHRISTIE Agatha (un roman de 1942)
Vous êtes de ces gens qui vont faire du commerce aux quatre coins de l’Empire
et qui reviennent tout bronzés, la bouche pleine de clichés et d’histoires sur les
indigènes et les bons Anglais.
5. - 1950, VAN VOGT A. E., p. 27 1
Ce n’était plus le moment de remâcher les faits èt les chiffres dans la sollici-
tude de son bureau. L’heure était venue de se coltiner avec le réel. Sur le ter-
rain.
6. - 1953, J.-P. VERNANT utilise beaucoup le terme terrain dans le sens de
sphère d’activité ou zone de pensée : « Mais, sur ce terrain, les recherches des
premiers sages allait rejoindre les préoccupations des sectes ».
7. - 1954, MARROU H.-J., 1954 : 69
Un stock déterminé de documenrs représente une masse inépuisable de rensei-
gnements, car il existe un nombre infini de questions différentes auxquelles,
bien interrogés, ces documenrs sont susceptibles de répondre : l’originalité de
l’historien consistera souvent à découvrir les biais par lequel tel groupe de do-
cuments, déjà croyait-on, bien exploités, peut être versé au dossier d’une ques-
tion nouvelle.
8. - 1957, STADEN Hans, 1957 : 230
EnfinP si quelque jeune étourdi ne veut
croire ni ma parole ni celle de mes té-
moins, qu’il s’embarque pour ce pays, après avoir invoqué l’aide de Dieu, et
qu’il y aille. Je lui ai indiqué le chemin, il n’a qu’à suivre mes traces, car le
monde est ouvert à celui que Dieu veut aider.
9. - 1958 (vers), Les Tontonsflingeurs, [film], à propos de qui arrive en retard au
rendez-vous :
« Il ne tient pas la route. C’est toujours comme ça avec les prétentieux : ‘moi,
je.. moi, je.. ‘. Sur le terrain, il n’y a plus personne ! ».
10.- 1960, LE BRAS G., 1960 : 89
Les recherches du sociologue seront dans un premier temps, toutes Super$-
cielles. Il observera ce qui se compte, ce qui pèse et se mesure avec le seul sou-
ci d’être exact et complet. A cette phrase, on souhaiterait que fut réservé le nom
de sociographie. Il s’agir d’une véritable phase et non d’un préambule : la so-
ciologie est d’abord une science descriptive.
1 1.- 1960, MALINOVSKI
l’ethnologie fut pour moi une évasion romantique hors de notre culture trop
standardisée ». Et suit cette accusation : « L’ethnologie s’est retranchée.. pour
mener une existence de romantisme et de loisir dans son paradis d’anri-
quaire ».ln Mercier P. 1960 : 436.
12.- 1961, Balandier lui affirmait à juste titre qu’
avant d’aller sur le. terrain il faut tout lire.
13.- 1961, MORAL Paul (1961) :
9 : « Mais le paysan d’aujourd’hui ne pouvait se découvrir à travers les livres.
Nous avons parcouru toutes les ‘provinces’. Il nous a fallu longtemps pour
nous “habituer” comme on dir en Haïti, avec les choses et les gens de la cam-
pagne. » .
14.- 1963, MERTON R.K., 1963 : 14
Seuls. ceux qui n’ont du sujet qu’une connaissance livresQue et qui n’ont jamais
pratiqué la recherche empirique peuvent croire que la fonction exclusive ou
simplement principale de la recherche est de vérifier des hypothèses prééta-
blies... La recherche joue un rôle plus actif...., elle suscite. refond. réoriente et
clarifie les théories et les conceptions de la sociologie. .
15.- 1963, MERTON R. K., 1963
- 66 : Une théorie explicitement formulée ne précède pas invariablement l’en-
quête empirique et (...) le théoricien n’est pas inévitablement le flambeau qui
éclaire la route vers de nouvelles observations.1963 : 66
- 50 : Malinovski a riré du terrain lui-même ses théories sur la magie.
- 56 :Après tout, les théories solides ne fleurissent que dans un terrain riche de
faits pertinents, et les techniques nouvelles nous aident à enrichir ce terrain.
- 65 : Le processus de l’enquête empirique soulève des problèmes qui pour-
raient rester longtemps ignorés par la recherche théorique.
16.- 1966, C. WRIGHT MILL$ 1966
En 9 pages (355-363), Wright Mills traite des « sources ». Il dit qu’il a «utilisé
des études faites sur le terrain », par d’autres sous-entendu, des bibliographies,
des interviews (faites par lui, ou qui lui ont Bté confiées) , des statistiques, et
l’usage de concepts et de vocabulaires, chez Marx, Weber..
On voit que WM ne magnifie pas le travail de terrain, car cela lui apparaît évi-
dent. II a une grande connaissance du travail de terrain, de la littérature sur son
sujet. Le terrain en tant que tel n’est qu’un ajout de vécu, car il appartient à
cette société et le sujet dont il traite il le rencontre tous les jours, en laissant
traîner ses oreilles dans les boutiques, lorsqu’il mange, à la radio.., ce qui n’est
pas le cas d’un anthropologue qui devra saisir une différence (dans uen diffé-
rence, retrouver une similitude).
17.- 1966, SARTRE (préface à Memmi,l966, Portrait du colonisé)
« l’importance, la richesse irremplaçable de l’expérience vécue. »
18.- 1967, COPANS Jean, 1967 « LBvi Strauss face à Rousseau ou la censure du
politique ». p. 37 :
« Léthnologie de terrain, bien que relativement récente, ne possède pas encore
de conscience de soi »,
ce fait selon Jean Copans continue. p. 41 : Or « la nécessité d’une idéologie de
terrain chez Lévi Strauss qui comble un vide ou plutôt qui se saisisse comme
pratique ». (malgré Griaule)
« La légitimité du terrain est nécessaire aussi à l’auteur. Il serait possible de
faire l’histoire de l’apparition de cette pratique dans le champ français et de
l’élaboration idéologique correspondante » mais Lévi Strauss lui, malgré les
reproches de E. Leach.. .
J. Copans cite page 78 un texte de M. Mauss pour qui «nous ne manquons
nullement d’observateurs. Il n’est pas de personnel colonial plus apte à com-
prendre l’indigène, plus intime avec lui, que nos administrateurs, nos oflciers,
nos médecins... Il n’est pas de savants qui soient, au même point, dénués de
préjugés, si dangereux dans ces études de race et de religion ».
[Or ce progrès par rapport à Mauss est nié par la débauche actuelle] .
19.- 1967, Marcel MAUSS, 1967, Manuel . ... page II
La sociologie er l’ethnologie descriptives exigent que l’on soit à la fois char-
tiste, historien, statisticien... et aussi romancier.
20.- 1970, un hippie américain faisant la route, années 1970 :
« Pour voir clair en soi, s’immerger complètement dans quelque chose de com-
plètement différenr ».
21.- 1970, BARTHES Roland Sans paroles 1970,22 :
La masse bruissante d’une langue inconnue constitue une protection délicieuse,
enveloppe l’étranger (pour peu que le pays ne lui soit pas hostile) d’une pelli-
cule sonore qui arrête à ses oreilles toutes les aliénations de la langue mater-
nelle : l’origine, régionale et sociale, de qui la parle, son degré de culture,
d’intelligence, de goût, l’image à travers laquelle il se constitue comme per-
sonne et qu’il vous demande de reconnaître. Aussi, à l’étranger, quel repos ! J>
suis protégé contre la bêtise, la vulgarité, la vanité, la mondanité, la nationa-
lité, la normalité. La langue inconnue, dont je saisis pourtant la respiration,

780
l’aération émotive, en un mot la pure signifance, forme autour de moi, au fbr
et à mesure que je me déplace, un léger vertige, m’entraîne dans son vide arti-
ficiel, qui ne s’accomplit que pour moi : je vis dans I?nterstice, débarrassé de
tout sens plein. Comment vous êtes-vous débrouillé là-bas, avec la langue ?
[... J Sous-entendu : Comment assuriez-vous ce besoin vital de la communica-
~OU plus exactement, assertion idéologique que recouvre l’interrogation
pratique : il n’v a de communication que dans la parole.
22.- 1970,FIMI Giuseppe,1970: 367
Pour Gramsci, l’approfondissement théorique seul n’est justifié que si
« l’exploration de terrain » n’est pas possible. Mais elle doit être réalisée dès
que, les conditions changent, elle le devient.
GRAMSCI : « Ii est bien évident que l’on ne peut combattre avant d’avoir pro-
cédé à l’examen du terrain ».
23.- 1970,PIAGET Jean,1970
91 : « sur le terrain, également, la perception n’est jamais seule à l’œuvre »
91 : « s’il existe une connaissance logico-mathématique pure, en tant que déta-
chée de toute expérience, il n’existe pas réciproquement de connaissance expé-
rimentale pouvant être qualifiée de ‘pure’ en tant que détachée de toute orga-
nisation logico-mathématique. »
On perçoitmaisoncorrigecetteperception,cfl’expériencede cescyclistescir-
culantà Innsbrückavecdeslunettescorrectricesde 180 ! L’intelligencemodi-
fie donc la perception.Il n’y a pasde données purementsensorielles,
on est à
peu prèssûr que le cerveauintervient dèsle premierstadede la perception.
Pour Piaget, la seuledistinctionentre philo et scienceserait que celle-ci
s’occupedu particulieret celles-làdu général.
24.- 1972,DROUIN P.,Le Monde, 10.051972
Il pourra inventer des techniques, guère des &.
25.- 1973,NEEDHAM,
ii est certain que l’observation, précise et inlassable, est une pierre angulaire
de la science. (p. 48).
26.- 1974,LESTIENNE et PATY, [a/s du principede complémentarité
: de Niels
BOHR] 1974: 651
Le principe repose sur la constatation de ce que nous sommes en ce monde à la
fois acteurs et spectateurs et qu’il y a une contradiction entre ces deux condi-
tions : cette contradiction dialectique.. .
27.- 1975,AUGE Marc 1975: 18
La contradiction ou au moins la complexité est dans la réalité obsewée. Qu’en
est-il de la «famille » ?.
28.- 1976,KUMMER Hans,1976: 1010
Sans hypothèses vérijiables et sans catégories adéquates, les premières tentati-
ves de la prématologie de terrain semblaient vouées à l’échec. Une des causes
principales de cette stagnation était que, si l’on observait bien des signaux de
communication entre individus, on ne faisait rien d’autre que les enregistrer et
les comptabiliser. On ne cherchait pas à comprendre leur fonction par rapport
à la stabilisation des structures sociales. On faisait pour ainsi dire des statisti-
ques alphabétiques sans se soucier du sens des phrases.
Les propres récits sont venus du fait qu’on a préféré, dans l’analyse d’une rela-
tion entre deux individus (relation binaire), la notion de qualité de la relation à
la notion de fréquence des comportements mis en œuvre dans la relation.
[Il y a aussi« la succession des stades de comportements >j],
29.- 1976,RABEDIMY 1976
« Le lecteur ne manquera pas de sedemanderquels sont les moyensquej’ai
utilisés et les conditions dans lesquelles j’ai travaillé. Il s’agissait d’abord
d’établir des liens sociaux, de m’installer au sein du groupe que je voulais étu-
dier, de me faire accepter par tout le monde comme étant des leurs ». .
30.- 1977,BUFFETAUT Eric, 1977: 998
En outre, et cela se produit souvent aussi en paléontologie, l’étude d’un même
matériel possible, à savoir ici les divers spécimens d’archaeootervse, par plu-

781
sieurs spécialistes compétents ne les conduit pas nécessairement aux mêmes
interprétations. A l’extrême, c’est au niveau même de l’observarion que les
points de vue dtrerent. .
3 1 .- 1977, PAULME Denise Sanga 1935 : Elle y décrit le déroulement hasardeux
de sa « vocation » africaniste l’illumination :
(p. 1 :) « Je sortis du premier cours de Marcel Mauss éblouie : je n’avais pres-
que rien compris, mais j’étais subjuguée » .
(p. 8 :) avec Déborah Lifchilz avec qui elle devait partir sur le terrain elle va
passer quelques vacances avec pour « voir si nous nous supportions mutuelle-
ment ».
(p.9 :) Son premier contact : «Je doutais sérieusement de mes capacités ». Sa
collecte était nulle, trop de blancs (<( mission Griaule ))) et il lui a fallu attendre
que la vie normale reprenne « le premier terrain ». .
32.- 1978, GUILLOT B. et LE BRIS E. (1978 : 129-141)
on voir bien que la théorie est une chose ; constamment penser les marchés et
les informatrices une autre où - à priori on ne sait pas celui qui est déterminant
et l’on voudrait tout
L’enquête sur Les marchés n’est pas chose aisée. Les variations saisonnières
d’activité imposent l’enquête longue. Les marchés, lieu d’observation privilé-
giée parce que s’y trouve rassemblée une population nombreuse, apparaissent
aussi, du fait de la masse d’individus et de transactions, comme un véritable
chaos.
33.- 1978, GABORIEAU M., 1978 : 137
Notre souci premier a donc été de partir non d’une théorie, mais d’une expé-
rience de terrain et des matériaux et observations, souvent inattendus, qu’elle
avait permis de rassembler. En d’autres termes, il ne s’agissait pas d’expliquer
ceux-ci en fonction de concepts toutfaits ou à la mode mais, en s’appuyant sur
eux et sur les présupposés (plus ou moins conscients au départ) de chacun de
nous, de laisser surgir les concepts qui puisse en rendre compte et les justifier.
34.- 1979, FROMM Eric Du Talmud à Freud 21.10.1979
On ne peu; vraiment comprendre un étranger que si on l’a été soi-même quel-
que part. Etre étranger, c’est être aussi chez soi partout. Les deux choses vont
de
« - Si vous regardez le jeune nkvrosé que vous étiez à Francfort, et que yo:;
le comparez à ce que vous êtes aujourd’hui, à ce que vous avez accompli, que
ressentez-vous ?
-Question difficile. Je crois que je commencerais par dire que tout est en
nous. Nous sommes le bébé de six mois, nous avons dix-huit ans et nous som-
mes ce que nous sommes aujourd’hui, en même temps. Nous sommes même ce
que nous pourrions être dans dix ou même vingt ans. C’est peut-être la question
essentielle : avons-nous une impulsion s@samment puissante pour développer
le meilleur en nous. »
« Dans chaque être ii y a un optimum de ce qu’il peut devenir. Tout n’est pas
possible, et tant d’hommes perdent leur vie à tenter de devenir ce qu’ils ne peu-
vent pas être, tout en négligeant d’être ce qu’ils pourraient devenir. C’est une
perte de temps et un échec. Chacun devrait donc commencer par imaginer
quelles sont ses limites et ses possibilités ».
« De même, il faudrait pouvoir être conscient de l’effort, et même du courage
qu’il nous faudra pour atteindre l’optimum, un peu comme un pianiste sait le
nombre d’heures de gammes qu’il lui faut faire pour parvenir à la petfection ».
« C’est quand même curieux que tant d’hommes s’imaginent que bien vivre ne
demande aucun travail ».
35.- 1979, ANDREAU J., 1979 : 19
Il est indispensable de commencer par la description la plus minutieuse et la
plus éclairée possible, minutieuse, parce que I’Histoire, quelque soit son objet,
introduit à des mondes inconnus, dont il faut essayer, le plus longtemps possi-
ble, de sauvegarder la spécificité. .
36.- 1979, BAZlN l., Le bal des sauvages, 1979
Le sauvage ne se rencontre pas tel quel, sur le “terrain “, pas plus dans les fo-

782
rêts d’Amérique qu’ailleurs. Car nul n’est sauvage en soi et pour soi. C’est un
état relatifqu ‘on revêt au regard d’un autre.. (p. 180)
Tous les ethnologues qui prétendent avoir acquis un point de vue sauvage sur
le monde transformant du même coup, aux yeux des badauds émerveillés leur
« expérience de terrain » en une mystérieuse initiation - devraient, quand ils se
rencontrent dans les couloirs du CNRS, imiter les haruspices romaines : ce se-
rait au moins le début de la gava scienza en ethnologie. [in Bazin, 1979,1861
Quandune partie de la presse s’indigne de tel « crime sauvage » et qu’uneau-
tre s’enthousiasme pour telle « grève sauvage », les énoncés ont en commun de
véhiculer implicitement une vision éthique du monde social, dans le contenu esr
seulement inversé : ici résurgence négative de la bestialité naturelle, là surgis-
seur positif du désir naturel de liberté. La production et la consommation ac-
tuelles de « sauvagerie » ethnologique sont à relier à cette éthique de la sparta
vérité au nom de laquelle on tend, au moins dans certains milieux, à considérer
a priori comme bonne toute activité dite « sauvage » c’est-à-dire qu’on pré-
sumeinorganisée et « naturelle » parce qu’apparemment indépendante ou
même ennemie des grands « appareils ». [in Bazin, 1979,186,Sauvage].
37.- 1979,GINSBURG, 1979: 208,À proposdesdifficultés de la paléontologie
d’aujourd’hui
et deslacunesdesconnaissances[G. signaleaussiqu’àla lumi&re
desfaits nouveauxlesanciensfossilespeuventêtreréinterorétéset surtout&
nalvsés]:
« Mais la terre est généreuse et révèle sans cesse des richesses cachées. Tous
les ans, une immense moisson de documents paléontologiques est exhumée du
sein de la ferre, sur l’étendue de la planète. Il faut rendre ici hommage à
l’acharnement et à la ténacité de tous les chercheurs qui pratiquent des fouilles
sur le terrain et ne reculent jamais devant les difficultés les plus ,.. épouvantes,
recherchant des saisons entières sous les climats les plus rudes, dégageant des
squelettes dans des roches de la dureté du gravite ou remuant des tonnes in-
vraisemblables de sédiments meubles à la recherche de minuscules dents de
rongeurs. Et tous ces efsorts sont finalement couronnés de succès ».
La paléontologie ne souffre que d’un manque de fossiles. Des fouilles de plus
en plus nombreuses et menés de plus en plus finement sont la condition préala-
ble et nécessaire pour permettre le développement des idées en paléontologie,
pour compléter la grande fresque de l’histoire de la vie, en comprendre le sens
et situer à sa plus juste valeur la place de l’homme et des animaux dans la na-
ture.
38.- 1979,GODIN J.-CI. démontrela faiblessede l’argumentation : » Sansaurres
éléments de démonstration » quelesarguments d’autorité(‘je sais’,‘j’ai vu’, ‘j’ai
vécu’)». [C’estje crois la grandefaiblessedesgensde terrainn’arrivantpasà
étayerde leurexpérienceleursrecherches]
39.- 1979,GOULD St.J., 1979: 150
Il n’existe pas de «faits purs » dans notre monde complexe, et la nouvelle or-
thodoxie injluence l’analyse de toutes les informations.
40.- 1979,VIRIEUX-REYMOND A., 1972:
Une des qualités essentielle de l’observateur est de savoir regarder, les yeux
bien ouverts, l’esprit bien libre de tout préjugé, de toute idée préconçue trop
absolue. (46)
Si elle érair infuillible, l’inruition(qui peut se définir comme une vision sans
aucun intermédiaire entre l’esprit et l’objet qu’il veut appréhender) serait le
meilleur des moyens pour découvrir, derrière le mouvant des phénomènes, les
invariances des lois qui le régissent et les lient les uns aux autres. Malheureu-
sement l’intuition commet des erreurs, [. . .] la pensée doit considérer l’inruirion
comme un moyen defournir des hypothèses qui devront être vérifiées. (41).
41 .- 1981,ATLAN Henri? (GuittaPessis-Pasternak) Le Monde, 14.06198 I
- Question\ Peur-on en déduire que votre double recherche scientifique et tal-
mudique nous fournil plutôt des instruments de réflexions des méthodes d’ana-
lyse
- Réponse\ Certainement. Il n’y a pas de doute que l’expérience de la ré$‘~xion
talmudique est uneexpérience irremplaçable en tant que méthode critique ex-

783
trêmement rigoureuse, peut-être même davantage que la recherche scientifi-
que, parce qu’il est beaucoup plus dangereux de s’y tromper : on n’y dispose
pas des expériences et de la résistance de la matière même garde-fou
(H. Atlan).
42.- 1981, BERNUS E. et PONCET Y., 1981 : 16
Les opérations de terrain ont été consacrées à vérifier l’existence des objets
repérés au cours des opérations de laboratoire ! .
43.- 1981, CASEY William [Chef CIA . ..]. Le Monde, 04.02.1981
11 engage de plus en plus la CIA sur le terrain, jusqu’à la compromettre dans
des opérations douteuses.
44.- 1981 Le Monde 2 7.01.1981, Une vision internationale :
S’il diiige les enquêtes concernant l’assassinat du juge Renaud ou l’enlèvement
de Christophe Mérieux, M. Franquet ne déserte jamais tout à fait le terrain.
45.- 1982, Mordilla& journaliste g Libération, TFl, Apostrophe, 1.5.1.82
« Ce qui fausse les enquêtes c’est que l’enquêté sait que l’enquêteur partira
après son enquête. » .
46.- 1982, TF2, John BERGER, résident en France dans un village depuis 20 ans :
« les recettes, ça demande un manque de sincérité ». .
47.- 1982, GUILLAUME Le Monde. Economique 1982 : 271
Je ne sais pourquoi, mais je n’ai jamais vu une machine qui, parfaite dans la
description des philosophes, se soir révélée ensuite parfaite dans son fonction-
nement mécanique.
48.- 1982. BINION. 1982 : 63
Toute énquête ..: risque d’être faussée par un apport subjectif de l’enquêteur .
Il ne s’apit nullement de substituer I’emDathie l’intuition aux recherches obiec-
tives ; il s’agit de s’enquérir de la réalité subjective des sujets . . . de leur sens
intérieur, en longeant dedans, en s’immergeant, mais ceci seulement en con-
naissance de cause objective, pleine et entière.
La méthode intuitive.. . travail préliminaire colossal de recherches qu’exige
cette méthode... maîtrise absolué de la documentation. 13
Lors d’une absorption emphatique, le moi se fend en deux, il est identifié avec
son objet tout en observant, se scrutant, de manière détachée objective.. . Ce
qui complique et éclaire à la fois le processus intuitg c’est qu’il n’aboutit que
par la voie de 17nconscient. [Sur illumination] 73
L’historien de la science qu’était Bergson faisait valoir à juste titre que toutes
les grandes découvertes sur la nature de l’univers étaient issues d’une absorp-
tion momentanée totale de [‘observateur dans l’observé. 14
C’est une construction ingénieuse apportée aux faits et non pas déduite d’eux.
41.
49.- 1982, DESCAMPS Christian La sociologie mondiale de Georges Balandier
24.02.1982
- La France était dans une situation étrange. Des gens comme Mauss ne prati-
quaient guère le terrain. Pourtant, de l’autre côté de la Manche, les anthropo-
logues anglais vivaient aux quatre coins de l’empire.
- L’école anthropologique anglaise avait ses grands personnages. Evans Prit-
chard était un seigneur. Des gens comme Radclifle, Brown Leach, Malinowski
ou Fortes, avaient constitud une école. En France, nous avions une autre for-
mation plus intellectuelle, plus philosophique. L’influence de Mauss était
énorme sur Lévi-Strauss, Métraux, ou Bataille. Mais il est vrai que l‘expérience
directe était - à cetfe époque - abandonnée aux collecteurs de faits, qui étaient
souvent des militaires ou des administrateurs. On leur doit, d’ailleurs, les pre-
miers grands textes ethnologiques de langue française. L’Angleterre connais-
sait ce que l’on a appelé une anthropologie de gouvernement. Evans Pritchard
a occupé cette fonction. son grand livre sur les Nuers est un ouvrage qui ré-
sulte d’une enquête commandée .
- Certains intellectuels africains prônent une ethnologie africaine, reprochant
aux anthropologues occidenram d’&re des pillards.
- J’admets que l’ethnologue ne doit pas être l’interprète unique de ce qu’il voit,

784
tnais je n’accepte pas du tout qu’on interdise à quelqu’un d’extérieur de parler
d’une société. D’ailleurs, à l’intérieur de ma propre société, les paysans pour-
raient m’interdire de parler de leur vie quotidienne, de leur monde... Ce genre
de raisonnement est absurde, parce qu’il amènerait à ne parler que de lui-
mêtne.
50.- 1982, FAVRET-SAADA et Contreras, 1982
« Nous avons écrit ce livre à partir de notes de terrain prises au jour le jour
par /‘une de nous » « Les notes ont été réécrites. » JFS dit que son premier
travail de terrain a été de se couler dans les habitudes villageoises.
2600 pp dactylo, dont 200 seront utilisées dans l’ouvrage de 1977.
« Nous avons entrepris de réécrire ensemble ce texte qui, à l’origine, n’était
qu’un outil de travail - pour dégager le mouvetnettf de la recherche avec ses
tâtonnements, ses hasards, ses impasses, ses avancées. » (10).
51.- 1982, GASTELLU J.-M. Les gens d’en haut, les gens d’en bas (p. 5 :) « Les
sophistications du traitement de l’information sont un acquis des deux derniè-
res décennies. Mainrenant, il convient de porter l’attention sur le recueil des
données de terrain ».
(p. 36 :) « Chacun doit élaborer sa méthode en fonction de sa problématique et
de son terrain ».
(p. 37 :) « Retour au réel » « moins de dogmatisme, plus de souplesse ».
Conclusions des participants. Rapport de synthèse des textes reçus au
3 1.08.1982. Groupe de travail “Unités d’observation” AMIRA, septembre
1982: 38.
52 .- 1982, GODELIER M., 1982
L’anthropologie est en passe de devenir la discipline sociale la plus diversifiée
et la plus rigoureuse. 11faut dire qu’en France, depuis quinze ans, les .anthro-
pologues ont multiplié les travaux de terrain et acquis la base etnpirique qui
étaient la force de leurs collègues anglo-saxons.
53.- 1982, GONTCHAROV : Oblomov, [1898], pp, 161-162
C’est l’anti-touriste absolu. II répond à son ami André Stoltz qui dans le sens du
médecin d’Oblomov conseillant à celui-ci de voyager :
Stolrz se mir à rire :
- ce sont là de bien petites misères, et si tu souffres, c’esr de ta faute. Tu dors
trop.
- Tu appelles cela de petites misères. Si lu avais entendu tout à l’heure ce que
disait le Docteur, tu parlerais autremenf. Il m’a ordonné de partir imtnédiare-
ment pour l’étranger ; sinon je risque une for? mauvaise affaire : l’apoplexie.
- Et qu’as-tu répondu ?
- Que je ne partirai pas.
- Mais pourquoi ?
- Voyons! Il a encore ajouté que je devais aller dans la montagne, faire un
voyage en Égypre, ou en Amérique.. .
- Eh bien, jït Stoltz avec sang-froid, tu peux te rendre en Égypte en quinze
jours, en Amérique en trois semaines.
- Toi aussi, André !. .. Je n’avais qu’un ami raisonnable, et il a la berlue ! Qui
songe à aller en Égypte ou en Amérique ? Les anglais. Dieu les a créés spé-
cialement dans celle inrenrion. Ils n’ont pas assez de place chez eux. Mais nous
autres! Pourquoi veux44 que nous voyagions, à moins que nous ne soyons
désespérés, dégoûtés de la vie ?.
54.- 1982, REMAUD Philippe La charité contre les pouvoirs, Le Mon-
de, 03.10.1982
Le dévouement est toujours aussi nécessaire mais il ne suffit plus. » Il nous faut
des -vrais managers, avec une touche de sainteté, explique Michel Rousseau,
du Comité européen d’aide aux réfugiés (6). Nous n’envoyons que des spécia-
listes cotnpérenrs et efficaces. Pas question de consrituer des équipes de pau-
tnés qui tenfetu de régler leurs problèmes outre-tner ».
Même son de cloche à A.T.D.-Quart monde : « On refuse les volontaires sans
contpétence. Nous donnons en outre une formation de dix-huit mois : le quart
monde a sufJisatnment de problèmes pour ne pas se retrouver en charge de

785
gens qui veulent résoudre les leurs ».
Le aoint de vue de Suzanne, aartie avec Médecins sans frontières, est plus
1 . .

nuancé : En fin de compte, on a toujours un problème à r;gler : un petit kuc


qui fait qu’on a envie de s’engager, de partir. Les motivations sont multiples :
déboires sentimentaux, goût de l’qventure. Reste qu’il y a d’autres façons de se
distraire : les conditions de vie sont diflciles, le travail astreignant et très dur.
Et, une fois dans le coup, on oublie ses motivations pour d’abord faire face aux
réalités.
55.- 1982, SOURNIA J.Ch., 1982 : 9
Nous apprenons beaucoup sur nous-mêmes en écrivant moins l’histoire de nos
réussites que celle de nos sottises et de nos retards.
56.- 1982, THUILLIER P. [sur Marat], 1982 : 387
J. A. LOHNE a montré que Newton est parvenu à ses idées sur la réfraction
autrement qu’il ne l’a dit en exposanr sa prétendue « expérience cruciale ». De
même, il faut reconnaître que les expériences newtoniennes ont souvent été
conçues avec beaucoup d’opportunisme, de façon à conjkner telle ou telle
« découverte », Comme le remarque C. G. GILLISPIE, c’est précisément l’art
d’un bon expérimentateur. .
57.- 1982, Umberto ECCO, 1982 : 259
Les simples ont quelque chose de plus que les docteurs, qui souvent se perdent
à la recherche des lois les plus générales. Ils ont l’intuition de l’individuel.
Mais cette intuition, toute seule, ne sufit pas. Les simples éprouvent une vérité
à eux, peut être plus vraie que celle des Pères de l’Eglise, mais ensuite ils la
consument en gestes irréfléchis.
58.- 1982, VATANEN Aari (courant du Tour de Corse, 1982)
Il est impossible de simuler les conditions de la course à l’entraînement.
59.- 1982, Nouvel Observateur, 20.03.1982
La recherche, aujourd’hui, c’est un métier.
.
60.- 1983, FAVRET-SAADA Jeanne, 1983 : 41
« Or l’ethnographie... ne peut se désigner comme science qu’à condition d’ef-
facer la trace de ce que fut le travail sur le terrain ». « Il est convenu [... J que
ces deux éléments ne peuvent être évoqués qu’hors-texte ».
J’aurais pu suivre l’exemple de tel ethnographe qui, après quelques années de
travail sur le terrain, choisit de s’y installer définitivemenr et juge inutile di’n-
former quiconque de ses trouvailles parce que la recherche scientijïque lui pa-
raît dérisoire en regard de la plénitude qu’il éprouve quotidiennement. Pour
moi, qui ai vécu ces années dans la peur et dans la fascination (mais de quoi, je
l’ignorais tout à fait), la rédaction de cet ouvrage m’a paru être un moyen con-
venable (sans plus) d’y comprendre quelque chose. 1983 : 125-126.
61.- 1983, BESSON R., .[ R. Besson : Délégué à la Recherche à la Technologie
pour la Région de Franche ComtC] 1983
Je ferai cette présentation en tant qu’homme de n terrain » qui affronte jour-
nellemenr les problèmes au plus près de la réalité.
62.- 1983, CHARMES J., [In Journées ORSTOM, janvier 19831
Le secteur non structuré [... où] les diverses théories qui s’affrontent... sont
dépendanfes des méthodologies d’enquête. .
63.- 1983, Dans le James Bond Jamais, plus jamais, (d’Irving Kershner, 1983)
Bond que l’on met dans des situations de simulation a de mauvais réflexes et se
les voit reprocher par son supérieur répond : « Avec des balles à blanc !. ..Mais
on a de meilleurs réflexes sur le terrain. » Et d’ailleurs dans ce film en contre-
point de cette réalité terrain affirmée par Bond, l’image caricaturale de la bu-
reaucratie revient à plusieurs reprises, dans l’image su chef de Bond, dans celle
du consul britannique aux Antilles, dans celle renvoyée par le vieux bricoleur
de génie qui reproche au temps nouveaux que les choses soient gérées désor-
mais par une bureaucratie tâtillonne et sans âme.
64.- 1983, GAUTIER J.P. et DEPUTTE B., 1983 : 54
Lu sensibilité du chercheur entre en jeu dans le ce délicat problème de catégo-
risation : l’ampleur de son échantillon mais aussi la finesse de son oreille lui

786
feront distinguer, chez une espèce donnée, dix cris fondamentaux . ou bien
vingt.[a/s de l’étude des cris des singes] .
6S.- 1983, Le diesel perd du terrain sur le marché automobile,
66.- 1983, MITTERRAND François 1983
Lorsqu’on gouverne, ilfaut savoir épouser le terrain.
67.- 1983, Jean-Yves BLOT, 1983 : 78
Être astronome au XVIII” siècle demandait parfois, au-delà de la ténacité d’un
savant,* la témérité d’un aventurier. La carte du monde se construisait à ce
prix.. A l’Académie des sciences de Paris, il avait fallu les voyages de Mau-
pertuis en Laponie et de La Condamine au Pérou pour faire admette que la
terre, suivant en, cela la théorie du savant anglais Newton, n’était pas parfai-
tement ronde.
L’abbé de la Caille était de ces hommes qui payaient de leur personne
1 ‘exercice de leur science. Laissant les joies douillettes de son cabinet parisien.
C’est l’abbé de la Caille qui donna son nom à la passe du Saint-Géran, en sou-
venir du bateau naufragé (que l’on a retrouvé certes, mais pas là où la Caille
crût qu’il était) qui servit de modèle a Bernardin de Saint-Pierre qui eut la carte
en main 15 ans après lorsque capitaine-ingénieur il parcourut l’île (il en sortit
un livre qui n’eut aucun succès, où il décrivait la réalité de l’île de France avec
ses gens petits, esclavagistes (lui-même en eût), faisant du cfa, intrigants..
68.- 1983, NIETZSCHE
Tout mon génie est dans mes narines. [Cité in Cl. Rosset, 1983 : 831.
69.- 1983, SERRES M. 1983 : 140
Si l’épistémologie se réduit à une logique du fonctionnement des méthodes as-
sortie d’une sociologie concrète des groupes en conjlit, alors la science n’est
plus que de l’ordure ordinaire.
70.- 1984, Dpt H. ORSTOM, 1984
Suivant les méthodes habituelles de [‘ORSTOM, ce sont des études de terrain,
des études de cas qui seront conduites.
71.- 1984, Fr. DOUMENGE, 1984
« Grâce aux enregistrements de données plus nombreuses et plus fréquentes..
la zone.. commence à être mieux observée et les échanges eau-atmosphère peu-
vent y être maintenant quantifiés.. . Il est possible d’essayer d’intégrer dans un
système global des manifestations apparemment aussi aberrantes que celles
des cyclones.. »
72.- 1984, LEYS Simon, 1984
Ce que l’art invisible et si efficace d’Orwell illustre;c’est que la « vérité des
faits » ne saurait exister à l’état pur. Les faits par eux-mêmes ne forment ja-
mais qu’un chaos dénué de sens : seule la création artistique peut les investir
de signification, en leur conférant forme et rythme. L’imagination n’a pas seu-
lement une fonction esthétique, mais aussi éthique. Littéralement, il faut &
venter la vérité. 1984 : 16
Orwell réarrange toujours les faits : il les modifie subrepticement pour leur
permettre de mieux révéler la vérité. 1984 : 19.
73.- 1984, Le Monde, 13.01.1984,
[Lettre de NIMIER Roger à CHARDONNE Jacques, 4.01.591
Un regard neuf brouille tout. Il faut avoir des rapports de mémoire et de fa-
mille avec les objets ou les événements pour en parler.
74.- 1985, Télérama, no 1826 12-18.01.1985 : 103 ; à propos de ‘raconter’,
J. ABOUCHART a déclaré à son retour d’Afghanistan
« Il y a beaucoup tropde mythomanes dans ce métier ».
75.- 1985, POPEREN Jean Antenne 2, 11.02.1985
Les socialistes sont que de terrain. .
76.- 1985, [ak de l’arrestation d’un membre de I’IRA] Radio, 26.06.1985
Un des hommes de terrain les plus redoutables de I’IRA. ,
77.- 1985 Le Monde, 12.02.1985, [a/s FLNKS]
LA reprise des actions sur le terrain.

787
78.- 1985, Le Monde, 15.02.1985
Ils croient pouvoir faire l’économie d’une réponse - sur le terrain même occupé
par le Front National .
79.- 1985, [a/s Nvelle-Calédonie] Le Monde, 19.02.1985
« II semble qu’il y ait eu d’abord, sur le terrain, un départ de transmission »
[des ordres venant d’en haut].
« Une fausse idée de la situation sur le terrain et l’aurait conduit à sous-
évaluer les conséquences de la décisionfinalement arrêtée ».
80.- 1985, [a/s Capitaine SaffraylLibération, 21.02.1985
Mais, gendarme territorial, homme de terrain, donc il lui fallait à tout moment
savoir prendre les initiatives à la mesure de problèmes.
81.- 1985, Le Monde, 28-29.04.1985
Celui qui est dans le secteur public aura, par exemple dans un cabinet ministé-
riel, une vision macro-économique des choses. Celui qui est à la tête d’une en-
treprise privée d’importance moyenne, ou relativement grande, aura une vision
des choses sur le terrain. Ces deux éclairages de la réalité donneront en quel-
que sorte plus de relief à la photographie. .
82.- 1985, BARROT J. [UDF - Cantonales 851
Moi, je suis un homme de terrain, je témoigne.. .,
83.- 1985, NORGE, [Cité dans Le Monde] Le Monde, mai 1985
Le réel. Maintenant j’en ai assez de vivre dans le poétique, rugit Alphonse. Je
veux du réel, moi : je me jette dans la vérité, dans le clair, le concret, le palpa-
ble. Voilà, voilà, c’est décidé, mais sacré nom, ça se trouve où, tout ce réel ? .
84.- 1985, LOGEART Agathe. Le Monde, 13.06.1985
« Méfiants devant lëtal du boucher, nous avions appris à l’être face aux infor-
mations contradictoires que l’on nous assène sur la question. Tour à tour mis
en garde puis rassérénés, nous avons été dressés à douter de ce que l’on nous
dit. »
85.- 1985, CHANCEL J. ». [A « vécu un an sur le terrain en Indochine >>] Apos-
trophe, 23.05.1985
« Nous étions sur le terrain, d’autres passaient huit jours ils faisaient une con-
férence à Pleyel ». « Pour certains le terrain c’était les bras ».
86.- 1985, CHEVENEMENT J.-P.
Une sortie sur le terrain sera organisée afin de sensibiliser, avec notre con-
cours, les membres de l’équipe.
[On voit ici que le terrain est utilisé pour sensibiliser (donc ordre de I’éduca-
tion) ceux qui vont le faire] Cire. CAB12In” 149 25 .O1.1985.
87.- 1985, Il manque au simulateur de voler
[Un pilote d’essai parlait de la nécessité de I’ktraînement, radio, 19851.
88.- 1985, Nouvel Observateur, 11 .Ol. 1985
[ak des femmes libérées] [sous entendu : tous les jours]
Lu liberté ne s’arrache plus, elle se vit sur le terrain. .
89.- 1985, Radio, 26.06.1985 [a/s de gens aidant les prisonniérs de droit commun]
Nous sommes du terrain nous avons essentiellement notre instinct.
90.- 1985, Mar DECOURTRAY : un intellectuel et « hommede terrain». Le
Monde, 26.04.1985. A proposde la nomination de 28 nouveaux cardinaux :
À La fois intellectuel et« homme de terrain » comme il se qual$îe lui-même, ce
théologien et exégète de soixante-deux ans... .
91.- 1985, NOBLECOURT Michel, 13.06.1985 :
Ainsi, M. Bernard Henry secrétaire général des Pays de Loire, a souligné que
l’échec de la flexibilité avait révélé « un énorme décalage entre le terrain et la
confédération 8 [CFDT]. .
92.- 1985, WALTER Dominique, Le Monde, l-2.09.85
Cette démarche ethnologique n’exclut aucunement la réflexion critique. A la
question posée dans li’ntroduction du guide de l’exposition (144 p., 10 DM) :
« Une représentation scientifique exempte de tout jugement de valeur est-elle
possible ?, la réponse est claire : certaines coutumes, quelle que soit la logique

788
interne de la société concernée, impliquent des injustices telles qu’il est impos-
sible de suspendre son jugement. Peut-on, par exemple, rester indifférent, au
nom de l’observation scientifique, devant le meurtre en Inde des jeunes mariées
dont la dot est jugée insuffïsante. [afs d’une exposition sur La MariCe].
93.- 1986, DUBOURDIEU L. Le culte du miroir 1986, 15.03.1986 : 38
Les techniciens, depuis le « terrain »jusqu’à la direction... ,
94.- 1986, Le Monde 13.06.1986
N’a-t-il pas appliqué ses idées sur le terrain, à Conflans-Sainte-Honorine, la
ville des Yvelines dont il est le maire ? .
95.- 1986, MENU J.-C. [Chargé de mission pour les problèmes de la Mer], La
lettre de la Nation, 1986
Mais dès vendredi prochain, Jacques TOUBON engagera la campagne « sur le
terrain » en rendant visite au 13ème arrondissement dont il est maire. Une
trentaine de « balades u dans le quartier sont prévues. J. TOUBON y participe-
ra quelques fois et présidera les grandes réunions publiques qui auront lieu les
17, 20 et 27 février et - pour la clôture de la campagne - le 14 mars.
96.- 1987, PRADEL G à ROUGE F. A2, 15.01.1987
Vous avez fait 6 000 Km vous n’avez pas fait du travail en chambre ? ,
97.- 1987, PLUTON [Pseudony,me employé par un groupe de cadres civils du
GIAT], 11.02.1987, Ouand I’Etat se mêle d’être industriel.. .
Un sombre tableau :
L’animation, le « management » des équipes d’hommes, au sein de la direction
de l’armement terrestre (DAT), incombe donc à des gens davantage portés vers
la spéculation intellectuelle que vers l’action, vers l’autorité que vers la com-
pétence, vers le pouvoir plutôt que vers l’expérience, vers le carriérisme plutôt
que vers la réussite professionnelle. .
98.- 1987, Le Monde Dim.-Lun. 27-28,12.1987
[. .] Mais qui peut encore imaginer aujourd’hui les Eichmann et consorts sous
les traits de sadiques paranotàques ? La « solution finale h> a nécessité des
chefs de gare plus que des hommes de main, des organisateurs plus que des
tueurs.
99.- 1987, FAUROUX Roger L’énarchie revisitée, L’ENA Le Monde 12.03.1987
la scolarité y est courte et résolument orientée vers la préparation immédiate
aux etnplois publics : un an sur le terrain, hors de Paris et si possible hors de
France - dont six mois dans une entreprise privée et le reste dans un service
public - et un an d’études, le temps pour chaque élève de se constituer, en tra-
vaillant durement, la boîte à outils technique qui lui permettra d’exercer cor-
rectement son métier. .
lOO.- 1987, «La contre-offensive à mener sur le terrain de la communication »
(Le Point, 20.4.1987)
«Madelin et lui partagent la même passion du combat politique, la même ex-
citation de la bataille. Mais l’un, Madelin, tient plus du prédicateur, du lan-
ceur d’idées, sûr de trouver dans le libéralisme un puits ‘aux vérités renouve-
lées ; l’autre, Longuet, plus pragmatique, plus chiraquien, a l’âme d’un gla-
diateur. Madelin dévore les livres ; Longuet aime le * terrain U, et sa femme,
Brigitte, pagoois l’asticote : « Ce soir, Alain était le plus intelligent.. Evidem-
ment, il lit. Lui.. ! » (Le Point, 20.4.1987)
On a là, résumées, les différentes caractkristiques et les qualités que l’on attri-
bue à l’homme de terrain, plus concret que théorique, plus actif que réflexif,
plus agité et, selon les critères en vigueur dans notre sociétk française, plus li-
mité intellectuellement. .
101.- 1987, Le Monde, 31.01.1987 [À propos de Mr Balladur]
Il est dif&ile de savoir ce que le “sphinx” a retenu de son long passage sur le
terrain » c’est-à-dire du temps qu’il était PDG de la GSI. ,
102.- 1987, Note a/s d’un projet multidisciplinaire, ORSTOM, 1987
Le projet s’est voulu unitaire au début, dès sa conception, sachant que très vite
les réalités du terrain, l’avancement des travaux, les logiques de disciplines
amèneraient une dispersion des chercheurs. En 1987 il faut faire un pas de

789
plus que les remarquables travaux de référence que nous avons comme ceux de
Claude ROBINEAU ou de Jean-Paul MINVIELLE, qui furent menés par des
individus tout seul sur des sujets neufs. Nous savons maintenant l’intérêt et la
possibilité pratique de tels travaux qu’il faut élargir et mener sur un plan col-
lectif et pluri ou multidisciplinaire. C’est une question scientifique actuelle
qu’il faut affronter avec audace et sans pusillanimité personnelle et dans un
esprit d’entraide entre professionnels différents.
103.- 1988, LIZEAU Jacques [Mars chez les Indiens du Venezuela] Radio, 1988
Le problème n’est pas d’être accepté par les Yanomani, c’est de s’accepter soi-
même sur le terrain .
104.- 1988, Le Monde 07.12.1988
Comme quoi on peut être méconnu à Paris et pionnier honoré sur le terrain. .
105.- 1988, Marc AU&, prCsenté dans le Magazine Littéraire de nov. 1988
« C’est un africaniste. Entendons que son ‘terrain’ privilégik est l’Afrique. »
« Mais son terrain, c’est aussi la France, nous-mêmes.. »
Marc Augé : « Le fait d’être sur le terrain, quotidiennement, pour une longue
durée. »
Question du journal à propos des religions : «Il y a un terrain qui doit être
passionnant à étudier : les &tats-Unis ? » .
106.- 1989, (Radio 1989)
entre les principes et la réalité du terrain (il y a un monde). .
107.- 1990, HOROWITS W. Pour faire un artiste, il faut, au même niveau le (la
tête, l’intelligence). Quand au son c’est personnel.
« C’est dificile de faire remonter tous les renseignement du terrain ».
[à propos des accidents dont on n’a pas la statistique immédiate, un gendarme
colonel déclare à A2 à 13HOO a/s des accidents de Toussaint].
108.- 1990, KEEGAN J. Le modèle occidental de la guerre, à propos de son au-
teur, Hanson, : Introduction, page 8
Et il était en mesure de le faire non seulement parce qu’il était un spécialiste de
I’tlntiquité doué de méthode, possédant une connaissance solide des textes,
mais aussi parce qu’il avait de son sujet la connaissance qui est la meilleure de
toutes, la connaissance pratique. Fils d’une famille de viticulteurs de Califor-
nie, il avait soigné, taillé et vendangé des vignes.
Victor David HANSON, 1990, page 46, souci du détail :
J’ai la conviction que le peu que j’ai appris de la guerre est venu de mon inté-
rêt pour la bataille et le combat au détriment de la stratégie et de la tactique.
109.- 1992, John F. SMEETS :
dès 41, les Français de Clermont Ferrand étaient anti-pétainistes, mais sans re-
mettre en cause le film de Max Ophuls, il faut dire qu’il a dû dramatiser les in-
terviews et a donc créé un biais d’enquête.
1 lO.- 1992, a/s enquête-participation :
à propos du photographe Larry CLARKE (exposition hiver 1992) :
« Vivre ce que l’on photographie. Photographier ce que l’on vit »,
Larry Clarke est de ces photographes qui ont fait de leur vie le thème de leur
art, leur art servant à exprimer ce qu’ils ont vécu et vivent. Ce n’est plus du
journalisme.
II se réfère à Eugen SMITH qui dans les années 50 avait décidé de partager la
vie de ceux qu’il photographiait, afin d’en saisir la psvchologie, disait-il, car
qu’est-ce que la psychologie d’une photo ? ce ne va être qu’un discours sur une
image, quand la vérité du sujet, elle, elle vous rentre dans la gueule, comme
cette photo de Larry Clarke de deux jeunes gens nus dans une baihgnoire, et qui
en dit plus sur la dérive de la drogue que tout discours. Ce qui a fait, avec les
refus esthétiques qui étaient ceux de Smith, qu’il s’inclut dans le sujet, ou plu-
tôt ne s’en exclut pas et rend les photos plus cruelles encore que leurs thèmes.
(En France, Bernard Plissou, du Voyage mexicain, se réfère explicitement à la
démarche de Clarke).
Ill.- 1992, I! Monde, 03.10.1992, HODEIR Catherine
Aristide Briand anôtre oublié de la paix :En 1888, Jules Verne publie Deux ans

790
de vacances : le héros, Briant, s’inspire-t-il du petit Nantais né le 28 mars 1862,
camarade de son fils ? Comme son homonyme, Aristide Briand est amoureux
de la mer et aussi du vagabondage, qui, dit-il, « vous apprend en quinze jours
plus qu’en quatre ans de vie politique et dix ans d’études ». Rebelle à l’effort
approfondi, il ne ressemble e? rien au normalien Jaurès, qui relèvera
l’« ignorance encyclopédique » d’un ministre des affaires étrangère capable de
situer le Venezuela en Asie. En politique extérieure comme en politique inté-
rieure, dira paraît-il Clémenceau, contrairement à Poincaré, « il ne sait rien,
mais il comprend tout ».
112.- 1992, Une annonce des Biscuits BELIN
Un chef de ventes : « très pro » pour des produits, La région : le sud-ouest
L‘équipe : des chefs de secteur, en prise directe avec le terrain.
Les missions :
atteindre et même dépasser, les objectifs de C.A. et part de marché,
:f ormer,
. animer et motiver les équipes de vente.
- Veiller, par une gestion vigilante, à la meilleure rentabilité des investisse-
ments commerciaux.
- Développer l’image de marque du groupe en demeurant à l’écoute du client et
de ses besoins.
Jusqu’ici, rien que de très classique. Vous même êtes diplômé de Sup. CO., et
possédez déjà à la fois une solide expérience (4 à 5 ans) de la vente et de lu
grande distribution.
113.- 1992, VAN EECKHOUT Laetitia Les français exportent leur savoir-faire
culturel dans le monde entier. . . . . Didier Repellin a ouvert un centre de forma-
tion pour enseigner aux artisans locaux les techniques de couverture, de net-
toyage, de décoration en stuc, de travail du gypse. « C’est en travaillant avec
les gens du pays que l’on développe les échanges culturels les plus profonds,
révèle-t-il. L’exercice du métier est ici passionnant : il ne consiste pas simple-
ment à dispenser des conseils, mais à monter et mener à bien des projets avec
eux ».
. « On ne part pas par simple envie d’exotisme. Il faut avoir une vraie afjkité
avec le pays », a#ïrme Jean Digne, . . . .
114.- 1993, [Notation de Videlier]
Les gens de terrain ont toujours de solides convictions (ex. : Orwell). Quant
aux autres ils changent d’avis comme de chemises (ex. : Mine). .
115.- 1993, À la Réunion « Chirac est à l’écoute, bonheur d’être sur le terrain »
(une radio).
116.- 1993, ARDREY (social contract)
Une telle philosophie a préparé le terrain.. ..
117.- 1993, HOURS B. in Islam et développement au Bangladesh, L’Harmattan,
Paris 1993
67 : “Au Bangladesh, Iéthnologue , comme tout étranger occidental, est
dbbord considéré comme un agent de développement, avant-garde d’un projet
qui va apporter des sources de revenus dont il faut bénéficier. C’est pourquoi
les notables sont particulièrement bienveillants durant les premières semaines
de l’enquête. Chacun insiste sur les besoins du village dont il serait le meilleur
interprète. Pompes d’irrigation, caisses de médicaments, crédits pour rknover
la mosquée, tout est à faire car les paysans sont peu éduqués et dépourvus de
moyens.. La pratique de l’enquête montrant que je m’intéressai à l’organisation
sociale, aux usages de l’islam, provoqua un retrait rapide et discret des nota-
bles du village, qui n’appréciaient pas de ne pas être considérés comme les
seuls informateurs valables. Leur statut n’appelle aucun commentaire de leur
part car il n’est pas problématique, au contraire du reste des villageois qui ai-
ment en parler, évoquer leurs frustrations et aspirations.”
II évite de se dire Chrétien, malgré l’apparente facilité que cela lui aurait procu-
ré. Il faut assumer ce que l’on est sur le terrain.
68-69 : “Cette méthode, extrêmement souple nécessite du temps et elle suppose
d’être dépourvue de tout objectif opérationnel.”
Page 94, signale les différences entre urbain et rural, en rural, l’Islam ne fait pas

791
problème, car il est une valeur évidente on en parle au niveau de la pratique,
alors qu’en ville, le fait d’être soupçonné d’être chrétien, de véhiculer des va-
leurs étrangères, et aussi le poids de l’information globale chez les urbains les
faits plus méfiants, plus idéologiques, on parle moins de pratique que de doc-
trine.
118.- 1993 Arlette CHABOT (sur A2, décembre 93) :
‘Avec l’etnploi, le Président revient sur le terrain de la politique intérieure”.
119.-1993BOURDIEU a/sdeshommesdescience,radio15/12/93:
“il faut aller sur le terrain, or les gens sérieux n’ont pas le temps”.
120.- 1993Le Monde du 30 déc. 93, parleen trois endroitsde la questiondu ter-
rain :
“La mort d’un poète en Algérie” (non-signé,éditorial)(p.1) :
Le paradoxe veut qu’au moment où d’aucuns tentent de donner un peu de con-
sistance li’dée de “dialogue national” autour de quelques principes élémentai-
res de vie en commun, certains s’emploienr, sur le terrain, à la rendre impossi-
ble. Comme si la victoire d’un camp sur l’autre était une vue de l’esprit.
Autre citationà proposde la guerreentreArménienset Aziris, on dit que:
..Aliev.., malgré sa forte popularité, ne paraît pas en mesure d’accepter ces
condirions et semble acculé à chercher quelques victoires sur le terrain, tout en
misant sur l’épuisetnenr de 1’Artnénie et sur un changement d’attitude de Mos-
cou.(p.6)
A proposde la Nouvelle Calédonieon lit ceci : Il s’agitd’un compte-rendu
#ouvragedeDanielDommel.La Nouvelle-Calédonie aumilieudu gué,p. 8
Si sa connaissance intime du terrain n‘est pas intime, sa maîtrise des dossiers
est en revanche solide, suflsamment précieuse en tout cas pour nous offrir un
salutaire recul. (FrédéricBobin).
121.- 1993,LapinLapin, deColineSEREAU :
Nous les tâcherons, on se tape les contacts foireux »
(LapinLapinparlantauxbureaucratesinterstellaires).
122.-1993,LE GUILLEDOUX Dominique,Fatimanecomprendplussonnays.Le
Monde Vendredi29.10.93» Lorsauén 1990 le DOUVOir s’est aaercu au71 avait
en face de lui ut1 parti - le FIS -‘qui avair cotkitué un rése& k&ciatif in-
croyable, il a donné les moyens .aux c démocrates » de créer des associations
indépendantes et d’occuper le terrain. L.u conquête de la démocratie exigeait
qu’on aille se battre, se salir les mains en s’intéressant à la manière dont les
gens vivaient, comment ils pensaient, et, en particulier, comment ils en étaient
arrivés à être sensibles à la démagogie des islamisres » .
123.-1993,MEYER Philippe,1993: 11
« Rien ne meplaît davantagequed’aller voir le monde et de le raconter à au-
trui ».
124.-1993,MINGALON Jean-LouisDe Malakian & Verneuil, Le Monde Jeudi
21.11.93: 13
Autobiographie ? « Non, répond Henri Verneuil. Une histoire transmise par un
bon conteur ne peut être autobiographique. Le conteur s’oublie, il devient un
fétnoin qui raconte. Tout est vrai, sauf que je m’octroie le privilège de mentir
un fout petit peu. Par exemple, dans le film, pour la mort du père, j’ai écrit ce
que moi, etlfant, j’aurais voulu entendre à la mort du mien ».
125.-1993,TRINCA Roger,Affaire Villemin : aperçusd’unpièrremédiatiaue.Le
Monde. Jeudi18.11.93
Les journalistes ont-ils été les corbeaux de la Vologne ? Lu question a été po-
sée, et reposée hier, à la barre de la cour d’assises de Côte-d’Or, où, après des
gendartnes et des experts en audiométrie, trois journalistes ont été entendus.
Lu première, Laurence Lacour, ancienne correspondante d’Europe 1 dans
l’Est, aprk avoir suivi l’aflaire depuis le début, a démissionné de sa station en
partie à cause du dégoût que lui a inspiré la furia ayant amené à la dénoncia-
tion de Christine Villetnin. Son témoignage, dépassionné, précis, a sur(ouI dé-
monrré la mécanique du piège médiatique ayant atnené à la mort de Laroche et
à l’hypothèse «folle » du crime maternel.

192
En gros, deux reporters étaient sur le terrain. L’un « travaillait » sur la piste de
la mère, l’autre sur celle de Laroche : «Au départ, nous n’avions pas d’idées
préconçues, nous croyons à l’aristocratie du journalisme de terrain p, argue
Patrick Mahé. .
126.- 1993, Yves DEFRANCE, 1993 : 198
« C’est donc contraints que les folkleux [musiciens qui revivifièrent et
“popularisèrent” le folklore régional] se mirent en quête de répertoires origi-
naux et authentiques. Apprentis ethnographes ils affinèrent leurs techniques
d’enquête sur le terrain tout en tissant des liens d’amitié avec leurs
“informateurs”. Parfois maladroits, mais toujours sincères, ils sauvèrent du
péril, en chercheurs amateurs, un pan non négligeable du fonds français de
chansons, airs instrumentaux et techniques de jeu. »
127.- 1994 Dans les milices du POUM en Espagne en guerre civile, G. Orwell
acquis quelques solides convictions dans la pratique :
“Cette expérience assez rare de la vie et de l’organisation du monde lui forgea
quelques solides convictions. ”
128.- 1994 Quand il [Balladur] va dans le métro, il se rend, disent toutes les ra-
dios, sur le terrain; idem quand le ministre de l’éducation nationale visite les
étudiants, il se rend sur le terrain dit la presse.
129.- 1994, Le Monde, 13.1.94, (titre)
« Les cadres moyens de la République
Moins considérés que les élus locaux, dont la décentralisation a renforcé les
pouvoirs, les députés s’accrochent au terrain électoral ».
130.- 1994, BERAND Paul, Sénateur mort « Un authentique réunionnais » : Le
Monde
« Il se définissait volontiers comme un « mangeur de riz », par rapport aux Eu-
ropéens mangeurs de pain.. . il considérait aussi avec circonspection les théo-
ries élaborées dans les états-majors « parisiens » qu’il abhorrait ».
131.- 1994, Elections municipales de 1994
un candidat se présente : «Militant engagé je ne souhaitais pas devenir un
‘apparatchik’, un professionnel de la politique, afin de garder intacte toute ma
liberté. »
« - Vous êtes donc aussi un homme de dossiers ? - En effet... - Vous êtes aussi
un homme de terrain. Connaissez-vous bien le canton ? - Je l’habite depuis dix
ans... ».
132.- 1994, LEVI Primo 1994 : 22
Je me rappelle de tout cela à travers ce que j’ai écrit ; mes écrits jouent pour
moi le rôle de mémoire artificielle, et le reste, ce que je n’ai pas écrit, se ré-
sume à quelques détails ». [Mais l’écriture vide fa mémoire ! .
133.- 1994, le Monde, 2.2.94, Georges Chehata ANAWATI (père dominicain initia-
teur du dialogue islamo-chrétien, » (J.P. Péroncel-Hugoz)
« Quittant souvent son monastère bibliothèque de I’Abbasieh, dans une ban-
lieue populaire cairote, Georges Anawati était aussi un homme de terrain, à
1‘aise aussi bien sur les épais tapis bédouins du Colonel Kadhafi qu’avec les
anciens parias christianisés.. capable de discuter dans le détail des faits les
plus humbles de la vie quotidienne en islam que d’improviser brillamment sur
Aristote, Bnergson, Maurras, Massignon, Nasser ou Saddam Hussein.
II disait à propos de l’Inquisition :
«Avec les jésuites, ça aurait été encore bien pire ! )>.
134.- 1994, HÉRITIER Françoise : 229
Mais si les techniques d’observation sont certes très différentes entre notre
époque et notre civilation occidentale et d’autres époques de notre histoire (ou
d’autres histoires que la nôtre à différentes époques), en revanche, les moyens
intellectuels diffèrent peu : observation, comparaison, voire expérimentation,
généralisation.
135.- 1994, JAUGEREAU .-F. Profession : chercheur d’os Le Monde 07.12.1994
D’une dent, ilfait une mâchoire. Dicte mâchoire, il fait un museau, une gueule.
D’un fémur, il fait une patte. Et voilà la matière qui se transforme, le puzzle qui

793
s’assemble. Décrit par Philippe Taquet dans 1’Emureinte des dinosaures, le
corps reprend bientôt forme.
En exerçant son métier, le chercheur d’os jouit « d’un double privilège ».
« Fasciné par la durée des temps géologiques et saisi par le mystère des origi-
nes, il est « voyageur du temps ». Naturaliste, aimant les senteurs et les souffles
de l’harmatran, il est, afirme Ph. Taquet, « voyageur de l’espace ».
« Antiauaire d’une nouvelle espèce. il m’a fallu auarendre, écrivait Georges
Cuvier en 1812, à déchiffrer et à restaurer ces monuments. à reconnaître et à
raourocher dans leur ordre primitif les fraarnents épars dont ils se comuo-
m». Presque fout esf dit. Sauf peut-être cette émotion intense du chercheur
d’os qui découvre sur le flanc ouest du mont Arli...
Cette jubilation intense de la découverte, Ph. Taquet, l’a connue. Parfois, le
miracle s’est produit, comme en 1976. .
136.- 1994, L’Express 10.12.1994 : 51
KAPUSCINSKI Ryszard Le marchand d’histoires vraies
Ryszard Kapuscinski travaille à l’ancienne. Cet aitisan du grand reportage ci-
sèle ses voyages, distille ses articles, peaufine ses livres. Il prend son temps, ce
qui ne se fait plus guère. Kapuscinski, 62 ans, dont quarante ans de baroud, est
un perfectionniste. Un homme du passé, assurément. Un dinosaure du journa-
lisme.
137.- 1994, Radio 24.2.94, une jeune femme d’une ONG en Bosnie, 24 ans
“sur le terrain, c’est le système D qui prédomine”.
138.- 1994, WENDERS Wim Puissance du cinéma Le Monde Mercredi
14.12.1994 : 20
Avant les images animées, la réalité n’était pas remise en question, sauf par
quelques philosophes. Aujourd’hui, le critère de réalité est ce qui semble réel,
non plus ce qui est réel.
J’ai visionné tout ce qui a été tourné à Berlin à la fin de la deuxième guerre
mondiale, notamment par les armées russes et américaines. Les Russes tour-
naient en 35 mm, en noir et blanc, alors qu’ils avançaient et prenaient la ville
rue par rue. A l’évidence, de nombreux plans ont été filmés plusieurs fois, après
que les participants eurent répété. L’image célèbre du soldat soviétique qui
descend le drapeau nazi du Reichstag a été refaite et refaite, pendant toute une
journée. Cette prise très réaliste est complètement tnise en scène.
En revanche, sitôt arrivés à Berlin, les Américains ont filmé en 16 mm et en
couleur. Ils ont fait des travellings le long des boulevards détruits, d’une ma-
nière documentaire. Mais ces prises donnent aujourd’hui l’impression d’avoir
été enregistrées dans des studios hollywoodiens. Il n’y a eu aucune mise en
scène, et pourtant on croirait facilement l’inverse. Le film qui était fidèle à la
réaliré a l’airfactice, alors que celui qui estfactice a l’air terriblement réel.
Làpparence a pris le pas sur la vérité, au point de faire paraître la réalité in-
adéquate. Aujourd’hui, les gens ne préfèrent pas seulement le film à la réalité,
ils ajustent la réalité au cinéma.
139.- 1994 France Inter, 14.2.94, Michel-Édouard LECLERC est venu parler de son
livre, la révolte des caddies et il dit :
“Décalage entre les débats du GATT et les réalités du terrain”
Finalement on déprécie toujours les autres quand on revendique le terrain, ainsi
le reste est qualifié par dkfaut.
140.- 1994, Le Monde, 1.3.94 à propos des élections cantonales françaises :
Avec le sous-titre «Nous allons avec le terrain », on trouve ces remarques « La
politique ce n’est pas notre rôle », déclare en écho, Jacques Mercusot. « Nous,
nous allons avec le terrain, avec les gens, avec les maisons » K Avant d’entrer
en séance, on laisse nos idées politiques avec nos manteaux dehors » observe
Camille Lumberton .
141.- 1994, Archives : Marc FERRO (rapporté dans Le Monde du 2.3.94) :
Lu sacralisation des archives constitue le talon d’Achille des historiens. Elles
ne sont jamais qu’un témoignage et pas toujours de vérité.
142.- 1994, Le Monde, 3.3.94 à propos des élections cantonales en Dordogne

794
Sur le terrain, ils ne parviennent pas toujours à dissuader certains militants, en
désaccord avec les investitures accordées par les appareils politiques, de se
présenter.
l43.- 1994, Jean-Louis ÉTIENNE sur le volcan Erebus (,% Monde, 8/3/94)
titre : « Les images du Cousteau des glaces » et dans le texte : « Se définissant
comme “l’ambassadeur sur le terrain des sciences naturelles” et voulant être
un lien “entre la science qui se fait et la science qui s’enseigne”. Il avait vendu
par avance les images à Elf (8 millions de francs) et promet que : « Les images
seront très belles ». A ce prix, et quand on pense à la modestie des Krafft, on
reste confondu quand même de la force de notre société du spectacle. les ima-
ges.
144.- 1994, Pierre MAZEAUD, député, à A2, le 28 avril 1994 :
la politique est l’art du quotidien.
145.- 1994, Le Monde 8-915194
“Ce contrôle formel (des magistrats financiers) a des limites. Il ne permet pas
de découvrir si certaines dépenses sontfictives. ..(x) a connu quelques surpri-
ses en se rendant sur le terrain. ”
Dans le même article cette autre phrase (initiale de l’article) :
“Enfermé dans son bureau, il fait parler des liasses de papiers”.
l46.- 1994 Naroun TERZIEFF : France Inter : 19.9.94 :
“j’en ai tellementfait des volcans que j’en suis saturé”.
147.- 1994, Pierre GEORGE (billet dans Le Monde, 20/9/94, à propos d’un scratch
d’avion) :
«Double contrôle même, l’ordinateur et l’homme, la science de l’un,
l’expérience de l’autre venant se conjuguer et se compléter. »
148.- 1994, Pierre DROUIN, au sujet de Jean Schwœbel, Le Monde, 27.9.94
« La mort l’empêcha d’écrire le livre qu’il avait en tête pour ramasser les
fruits de son expérience. C’est là le sort de trop d’hommes à la pointe des com-
bats. L’action les dévore. »
149.- 1994, Renseignements (Le Monde, 1.8.94)
«Le renseignement belge avait prévenu également [de l’imminence des atta-
ques allemandes par les gaz du 22 avril 1915 et sq] [..et d’autres informations]
Mais les services de renseignements ne valent que ce que valent leurs capacités
À traiter les informations qu’ils reçoivent : ils n’ont pas cru à celles-ci.
l50.- 1995, VICTOR Paul-Émile Le Monde Jeudi 09.03.1995
J’ai fait de l’ethnologie sans savoir ce que c’était... C’était une ethnologie par-
ticipante. C’était, sans que je sois préparé, vivre avec une famille eskimo, par-
tager tout avec eux, vie quotidienne, travaux, nourriture, fêtes, jeux, amitiés,
amour, .. . tout
Devenir comme eux, être reconnu par eux comme l’un des leurs et, en même
retnps les étudier, tout noter, tout dessiner. Au fond une ethnologie amoureuse.
l51.- 199.5, ti femmes-jlics » : C’est un de ses voisins, commissaire de police, qui
est à l’origine de la vocation de Viviane. Souvent confroniée aux problèmes de
délinquance, elle passe la majeure partie de son temps sur le terrain. Une vie
rude qui la passionne. [Femme Actuelle, 19951
152.- 1995, Isabella L. (Le Monde, 25.4.1995)
Vous ne pouvez pas en avoir 1‘expérience ; c’est comme s’il y avait une autre
peau sous lu mienne et que cette peau s’appelait Auschwitz
l53.- 1995, LEOTARD P. [Réunion R.P.R.-UDF à propos des cantonales]
28.02.1995
On prend le pouvoir où il se trouve, on prend le pouvoir sur le terrain. ,
lS4.- 1995, [Affaire du « petit Grégory » télévision 19.02.19951
Les (nouveaux) enquêteurs épluchent les dossiers, le terrain c’est pour plus
tard.
155.- 1995, Inspecteur Derrick (série télévisée)« Chaque question doit être posée à
un moment précis ».
156.- 199.5 : 18.1.95 à TFI, à 4 heures du matin, Histoires naturelles

195
un cinéaste animalier qui travaille en Sologne dit qu’il est trop préoccupé par
les réglages des focales, de la mise au point de la lumière et du cadrage pour
voir quoique ce soit, il ne remarque rien. Pour voir, il lui faut écarter l’appareil
et ne regarder qu’avec ses yeux.
1.57.- 1995, Rue des Entrepreneurs( France-Inter), avril 1995
à propos des coopérations avec l’kranger, la question signale un des spécialis-
tes est que
« les entrepreneurs doivent parler le même langage que leurs partenaires. »
158.- 1995, POIROT-DELPECH Bertrand La fausse dispute Le Monde 1204.95
Leur soi-disant rivalité fratricide et leur refus de débattre les ont dispensés de
tout programme. Leurs visites [sur le conflit de la présidentielle] filmées sur le
terrain et les fausses cruautés des seconds couteaux ont monopolisé la campa-
gne,.
159.- 1995 Alain JUPPÉ à 7/7 le 30 avr 95,
J’ai plus appris en faisant campagne pour des élections que dans les cabinets
ministériel.~
Il dira aussi le mot terrain pour la visite des villes la semaine passée, des villes
de province qu’il opposera au concept de Paris.
160.- 1995, Le Monde 05.07.1995 :
Visite éclair à Carnes-Lès-Gonesse. M. Juppé a donné un sens à cette visite :
« il n’y a pas de quartiers oubliés, a-t-il dit. Il faut être sur le terrain. Le plus
grave pour un ministre, c’est de se laisser enfermer dans son bureau.
161.- 1995, PORTELLI Hugues Le Monde 05.0595
« Le balladurisme existe-t-il ? » se demande justement H. Portelli [Pr. de
sciences politiques à Paris II]. La réponse est négative car il existe pas de ter-
rain spécifique sur quoi il pourrait se réformer ; ce n’était qu’une idée sarko-
zlenne... s.
162.- 1995, PIOT Olivier Le Monde 28.06.95 Échanger pour échanger .-* La SNCF
souhaite responsabiliser ses cadres au plus orès du terrain
Très peu d’intervenants lors de la table ronde ; il est vrai que la présence de la
plupart des directeurs centraux - n’a guère aidé à délier les langues. « C’esr
bien. confiait à chaud un chef d’établissement, mais les vraies difficultés qui
vont se Doser sur le terrain n’ont oas été franchement abordées ».
En dépit, donc, d’un contexte qui se voulait propice à la spontanéité, l’am-
biancé état? à la retenue. A l’image de nombre& discours qui Se sont volontiers
abrités derrière les subtilités de l’expression technocratique.
163.- 1995, Le combat de Mme Suu KY1 Le Monde Mercredi 12.07.95
Il est probable, aussi, que les épreuves auront appris à Mme Syy Kyi le « sens
du terrain » - difficile dans un pays aux mains d’une équipe militaire brutale
mais nullement stupide.
164.- 1995, Une énarque « sur le terrain ». 2 l.ll.l995 [Martine AUBRY]
Ministre du travail auorès d’Edith Cresson mis de Pierre BéréPovov. il lui a
sufsi de deux ans pou’r imposer son autori;é dans l’action gou”ver&mentale.
Porte-parole de Lionel Jospin pendant la campagne présidentielle, il lui a fallu
moins de trois mois pour occuper une place de choix dans le débat public. .._
[Martine AUBRY] devenue, à quarante-cinq ans, l’une des personnalités ma-
jeures de la scène politique française.
Mais si son ascension a été rapide, elle a été précédée d’un solide apprentis-
sage. En choisissant, à sa sortie de I<ENA, déntrer au ministère du travail
plutôt qu’au Conseil d’État, M. Aubry s’est dotée d’une spécialité qui lui a per-
mis de bénéficier d’un statut d’expert, tout en lui conférant une image
« sociale >>. Sa carrière dans l’administration, à des postes de responsabilité de
plus en plus importants, et son passage dans les cabinets ministériels de Jean
Auroux et de P. Bérégovoy, sans compter sa brève incursion dans le monde de
Pechiney, ont accru son expérience, qui a fait d’elle une interlocutrice privilé-
giée des partenaires sociaux.
Quant a son savoir-faire politique, elle continue de l’acquérir méthodiquement,
Fille de Jacques Delors, elle a baigné depuis son enfance dans un milieu qui la

196
préparait à l’exercice de responsabilités publiques. Au Parti socialiste, elle a
fait partie des n quadras » appelés à prendre la relève des « éléphants » . Pru-
dente, ou lucide, elle a refusé de céder aux pressions de ceux qui l’incitaient à
se porter candidate à l’élection présidentielle. Son baptême du feu électoral,
elle l’a subi, aux côtés de Pierre Mauroy, aux élections municipales de Lille.
Dès le retour de la droite au pouvoir, elle s’est lancée dans la politique asso-
ciative, en créant, en 1993. la Fondation Agir contre l’exclusion (Face), puis,
en 1995, le Mouvement Agir. Résolue à faire « de la politique autrement », elle
entend être présente « sur le terrain », en particulier pour faire barrage au
Front national dans les quartiers dificiles que la gauche, selon elle, a aban-
donnés. D’autres, avant elle, s’y sont essayés, qui ont bénéficié, comme elle, de
l’attention des médias. Il lui appartiendra de prouver qu’elle n’est pas seule-
ment une habile communicatrice et qu’elle est capable de mener à bien une ac-
tion à long terme. .
165.- 1995, Jean GANDOIS (Président du CNPF, Les Échos, 1%16/12/95) :
En France, nous ne sommes pas habitués au dialogue. Si ce dialogue est trop
long, les lobbies se mettent en place et parviennent à retarder ou à faire
échouer les réformes.
166.- 1995, À la Réunion « Chirac est à l’écoure, bonheur d’être sur le terrain »
(une radio), 1995.
167.- 1995, À propos de Henry de LUMLEY et de la grotte de Tautavel :
les poubelles de la préhistoire sont bavardes pour qui sait les entendre.
168.- 1995 Dans un rapport de laboratoire du CNRS, est dite activité de terrain,
toute mission, documentaire ou de rencontre que font les chercheurs, c’est
donc le terrain qui flotte avec le chercheur et non pas le chercheur qui rencon-
tre son terrain.
169.- 1995 : Tom HANKS, acteur :
On ne peut pas jouer un rôle si on joue faux, il faut donc, quelque part, parta-
ger le personnage, s’identifier avec, même dans une portion la plus infime soit-
elle, trouver ce pont entre lui et soi pour jouer le reste, la totalité du person-
nage.
170.- 1995, BAUDETMarie-Béatrice Les belles oeuvres du Musée social,
6.9.1995
Le Musée devient par conséquent un véritable institut de recherche où ies mis-
sions se multiplient. Les spécialistes vont sur le terrain, en France comme à
l’étranger. Celui-ci en Angleterre afin d’étudier les trade-unions...
. ..elle ne permet même plus, même avec les aides ponctuelles du ministère de la
culture, de poursuivre les enquêtes de terrain.
171,- 1995, CNRS, in La Note, 1995, n”l2, à propos de l’évaluation :
« Certains (chercheurs} sont plus portés vers la théorie, d’autres vers
l’expérience, d’autres se distinguent par leur volonté d’ouverture. »
172.- 1995, Alain TOURAINE, Pour la sociologie
25 : « Le sociologue n’observe pas la réalité sociale, mais des pratiques. »
173.- 1995, BEUVE-MERY Alain Un syndicalisme nouveau : Dans les entremises
publiaues. ce sont les syndicats ouuosés aux réformes aui voient leur audience
accroître. 1.02.95
A France Télécom et à la Poste, la CFDT paie les « ratés » de la réforme. Qui
est-ce qui modifie le statut de deux exploitants publics. Signataire des accords
de requalijïcation. elle ne s’est pas donnée les moyens de contrôler l’applica-
tion sur le terrain de ce qu’elle avait soutenu. Son revers électoral ést encore
plus net dans les collèges * exécution », chez les agents. Sa position se main-
tient chez les cadres et les cadres supérieurs, où elle demeure la première or-
ganisation syndicale.
II voir dans ces résultats, la traduction de son travail de proximité sur le ter-
rain. « 11 existe une patiaite adéquation entre les votes recueillis par SUD et
son implantation locale », explique Thierry Renard, secrétaire de Sud.
La prime est allée à la CGT qui esr le principal syndicat de proximité, présent
dans routes les unités d’EDF-GDF.

191
174.- 1995, BREHJER Thierry Jacaues Chirac rearend son dialome de candidat
sur le terrain, Le Monde Dim.-Lundi 1 et 02.10.1995 : 6 :
Au cours de sa visite au Havre, le président de la République a réafSirmÉ sa
volonté de tenir les promesses de sa campagne électorale ec s’est efforcé - avec
succès - de prolonger les échanges directs qu’il avait eus pendant un an avec
les Français.
Ce capitaine ne veut pas s’enfermer dans la salle des cartes. Il tient à rencon-
trer tous ceux qui , quels que soient leurs postes, peuvent l’aider à faire avan-
cer le navire dans la direction fixée.
175.- 1995, DAMAS10 Hanna et Antonio Les tourtereaux du cerveau Libération
02.05.1995
Antonio est le théoricien, celui qui interprète les expériences, Hanna, neuro-
anatomiste, « est chamuionne pour itnaginer et construire des exaériences »,
adtnire son mari. Elle a aussi mis au point des techniques qui permettent d’ob-
tenir de superbes images du cerveau en 3 D.
Mais elle a surtout un don pour fabriquer des images esthétiquement très &OJl-
riantes. fl Mais images doivent d’abord être bonnes scientifiauenent. Mais
j’aime aussi au’elles soient belles », reconnaît-elle.
C’est justement en cherchant à comprendre ce qui se passait dans la tête de ces
personnes incapables de prendre des décisions, de reconnaître les visages de
leurs proches ou de donner des noms aux objets les plus simples, que Damasio
a élaboré sa théorie sur les emotions et la raison.
« J’ai commencé à cornurendre que la raison est forcément intirnentenr liée à
l’émotion », déclare-t-il.
176.- 1995, DENJAU Jean-François Cari à l’Est Le Figaro Magazine Vend.
28.04.1995
Il y a ceux dont le voyage est le métier et qui écrivent sur leurs voyages, II y a
ceux dont le métier est d’écrire et qui aiment voyager. Quand on ne peut plus
distinguer qui l’emporte, l’écrivain ou le pays, on est dans la littérature du
voyage.
Tout auteur est UJI voyageur : autour de lui-même. Tout voyageur est un auteur
puisqu’il invente et découvre. J’ai bien dit voyageur, A ne pas confondre avec
touriste dont la meilleure définition reste : « habitant d’une tour »
Sont indispensables à la littérature de voyages deux qualités littéraires contra-
dictoires : la passion et l’humour. Développer l’intérêt pour les autres à tel
point que l’on puisse participer à leur vie, devenir les autres. Et au contraire
garder assez de distance envers ceux qu’on rencontre comme envers les événe-
ments qui surviennent pour pouvoir les peindre et que dans le trait, la main ne
tremble pas.
177.- 1995. Le Monde. 12.1995. a/~ de NOTAT Nicole, l’oninion A des militants de
la CFDTsur elle
Elle a découvert le patronat autour d’une table de négociation dans les années
80, journées à l’occasion d’un piquet de grève. Cela se ressent aujourd’hui.
178.- 1995, G. BOUDINET (1995), 27 : à propos de l’exploration de l’acteur en
musique d’intrusion récente :
« Les terrains d’étude de ces recherches [d’invariants anthropologiques] ont
principalement été constitués soit par le corps, soit par l’évolution psychologi-
que du sujet musicien. »
179.- 1995, GODELIER (1995 : 124)
« une méthode sérieuse, le pragmatisme ».
180.FR3 01.05.1995
Les syndicats demandent qu’on les laisse faire sur leur terrain.
Laissez les partenaires s’entendre directement entre eux. .
181.- 1995, HUMBLOT Catherine Albert Maysles. pionnier de la caméra légère
Le Monde 13.04.95
Cheveux blancs, regard vif derrière des lunettes, Albert Maysles fait partie des
« grands N de l’histoire documentaire. Cet ccincontournable », âgé aujourd’hui
de soixante-huit ans, a révoluiionné le genre au début des années 60 en se

798
dressant contre l’establishment, avec un petit groupe de cinéastes (parmi ies-
quels Drew, Pennebaker, Leacock) et en imposant un cinéma proche des gens.
Il a été l’un des premiers à se servir d’une caméra lénère avec son svnchrone.
contribuant à la-naissance de ce fameux courant app\lé « cinéma dI$ect », 0;
« cinéma-vérité » (bien qu’il n’aime pas trop cette deuxième appellation qu’il
trouve « présomptueuse )j).
Vendre est un métier que Maysles connaît bien. Mais vendre est aussi K un
jeu » dans lequel le cinéaste voit le rêve américain. « Chaque commis vovazeut
est un Lindbern en Duissance, dit-il. Ce n’est uas I’Atlantiaue qu’il faut traver-
se,; c’est le seuil de la maison. Le vendeur aui entre est son propre héros, il
tient son futur entre ses mains ».
182.- 1995, LEGRAND Christine Un ancien chef puérillero a été extradé en Ar-
gentine Le Monde Sam. 04.11.1995 : 4
Homme d’action plus que théoricien politique, Gorriaran Mer10 a participé à
l’enlèvement et à l’assassinat du pr&ident de Fait en Argentine, Obera’an Sal-
lustro, en mars 1972, soit quatre ans avant le CO& d’&tat militaire de 1976.
183.- 1995, Les écolonistes «de terrain » craienent le discrédit de leur mouve-
-,ment . Le Monde Mercredi 1.02.95
« trois écoles, trois rigolos ! », se désespèrent certains militants devant la can-
didature de Dominique Voynet, Antoine Waechter et Brice Lalande.
AfJligeant, consternant, fâcheux, nul, ridicule : les vrais écologistes, ceux qui,
depuis plusieurs dizaines d’années parfois, se battent sur le terrain - contre un
barrage, une carrière, un tunnel, we voie autoroutière -, n’hésitent pas long-
temps pour qualijïer le gâchis, la catastrophe que représente, pour eux, la tri-
ple candidature annoncée de Brice Lalande, Dominique Voynet et Antoine
Waechter à l’élection présidentielle.
184.- 199.5, MEYER Philippe 1995
« Quant à son retour sur le terrain, on comprendra vite qu’il s’agit du terrain
de son grand-père ». (sur VGE)
48 : [à propos de l’élection de CARDO en lieu et place de Rocard :] « Un
homme qui personnifie tout ce dont le rocardisme s’est réclamé : un laboureur
de terrain, un complice des associations, un auditeur attentif des gens ordinai-
res ».
: « Tant de bonheurs peuvent conduire à l’exaltation et léxaltation à la
J:ute ». [sur VGE] 1995.
185.- 1995, notion de terrain, un marin (radio)
« Passer plus de temps à la soute qu ‘à la barre »
le terrain là c’est ce qui est le vrai, mais en même temps le salissant, l’obscur.
186.- 1995, Ouest-France, Cté 1995 :
Grâce à Marie-Claire GENTRIC, une école en haut de Himalaya. Le Festival
parraine le projet humaniste.
62 jours de marche extrême dans des conditions extrêmes. Marie-Claire GEN-
TRIC a découvert sur le toit du monde, des hommes de courage confrontés aux
conditions de vie les plus dures. Elle leur tend aujourd’hui la main.
« Je marche à la passion ». M.-C. Gentric, 49 ans, est née à Plozévet. Depuis
l’âge de 17 ans, elle parcourt Le Monde.
L’Afrique, l’Inde, l’Amérique du sud. Entre deux voyages, elle travaille comme
conseillère à Paris. A la voir si frêle, si menue, dlficile de l’imaginer dans les
situations les plus extrêmes, exposée aux conditions les plus diflciles. Et
pourtant, jamais elle ne choisira la facilité,
« J’aime me retroùver au milieu de nulle part ». Les sentiers balisés, elle les
laisse aux autres. Guidée par « les chemins de traverse et les Eens de uas-
-ge», elle voyage selon son cœur. Un long voyage vers les autres, vers elle-
même qui la mène à l’automne 1992 au cœur de I’Himalaya où elle posera
quelque temps son sac.
Car là-haut à 400 m d’altitude, c’est le choc.
Le chemin pour y parvenir a été difJicile, « mais à peine arrivée. j’ai su qu’il
n’avait vas été vain. Tout y était si lumineux ».
Un environnement de premier matin du monde.

799
La vallée est coupé du reste du monde Marie-Claire d&ide pourtant de s’y
rendre, seule et sans autorisation. Le Dolpo est une enclave tibétaine au nord
du Népal, un endroit où personne ne se rend jamais, car les chemins à flanc
d’Himalaya sont trop dangereux. Et l’hiver, la neige et la glace, le rendent de
toutes manières inaccessibles. Pour y arriver la Plozévétienne marchera 62
jours. Altitude, corniches escarpées, le chemin est dur. « Par endroits. il fallait
eniamber le vide, il n’y avait V~USde trace ». Les muscles tétanisés par l’efSor&
pliée en deux par une intoxication alimentaire, le soufle court, elle poursuit
néanmoins sa route.
Une marche forcée qui bizarrement restera son meilleur souvenir. 4~Elle m’a
dévouillée de tout, remettant ma vie à sa iuste vlace ». Elle arrive au petit vil-
lage de Dho, dans « un environnement de premier matin du monde ». Les fa-
milles vivent dans les maisons:forteresses, sans chauffage, sans fenêtre autour
du foyer de la pièce principale.. Le bétail est maigre : yaks, chèvres et moutons.
Pour toute nourriture. un oeu de farine, d’orge grillé, lapée à même la gamelle,
avec un peu de thé salé ah beurre. Aucune médecine, n;ême traditionnelle. Les
populations ne doivent leur survie qu’à leur seule résistance physique. Malgré
ces conditions d’existence très rudes, hommes, femmes et enfants « démontrent
une ioie de vivre étonnante associée à une immense confiance dans la vie S. Ce
peuple courageux confronté à un monde de force de dureté « gui exclut toute
comulaisance ~j va droit au cœur de Marie-Claire. Elle se lie d’amitik avec une
famille et décide de venir en aide à ce peuple de nulle part, de lui donner des
moyens d’étudier et de vréserver sa culture.
Depuis deux ans les « irekkers » ont fait leur apparition,. .
« Action-Dolvo » naît en avril 1993. Grâce aux dons des adhérents et au par-
rainage d’enfants, une école à vu le jour. Elle fonctionne avec un professeur
népalais, d’autres projets sont aujourd’hui en cours, dont une antenne-santé.

Le festival de Plozévet qui chaque année parraine soit un projet, soit une per-
sonne, dans un bur humanitaire a décidé cette année de soutenir l’action de M.-
C. Gentric.
L’enfant du pays ne sera pas au rendez-vous du festival, mais sur le toit du
monde aux côtés de ses amis afin de poursuivre sa mission.
Et après ?
On the road again.. . .
187.- 1995, Le Monde, 13.05.1995
Peut être John Major... s’inspira-r-il de la longue campagne à la base de Chi-
rac pour lancer sa reconquête de l’opinion britannique d’ici au scrutin de
1997.
188.- 1995, Le,Monde Vendredi 12.05.95, E. PLENEL L’honneur d’une « agente
secrète ». [A propos de PRIEUR Dominique ex-TURENGE Sophie de l’affaire
Greenpeace du Rainbow Warrior]
Ironie tragique d’une affaire qui nuira durablement à la réputation des services
secrets français : si les hommes de terrain avaient été écoutés, un jeune photo-
graphe portugais, militant de Greenpeace, ne serait peut-être pas mort noyé en
allant récupéré ses appareils sur le navire entre les deux explosions....
189.- 1995, Sylvie Guillem, 1995 :
« J’ai un besoin absolu de danser. Mon corps est un instrument, Il me permet à
la fois de m ‘exprimer mais aussi de découvrir des territoires inconnus. Y
190.- 1995, TINCQ Henri Le refus des femmes-prêtres déclaré « infaillible » uar
&~Jz. 21.11.1995
. ... la note du cardinal Ratzinger réplique que « l’.!?nlise ne trouve vas la
source de sa foi et de sa structure dans les orincives de la vie sociale de cha-
gue moment historiaue. N .
191.- 1995, Une réclame curieuse dans un journal d’ingénieur fait référence au
terrain d’une manière on ne peut plus codée :
« -Alors Charlotte, vous êtes finalement de retour ? - Oui, et déjà sur le ter-
rain ajîn de vous trouver chaussure à votre pied ! »
On ne peut mieux dire, en distordant la grammaire française (on surligne avec :

800
vous.. votre), que le terrain est là pour rendre proche de qui vous êtes, dans vo-
tre individualité. Que vend cette dénommée Charlotte ? seuls les initiés le sa-
vent, mais l’usage du mot est bien dans la ligne de nos remarques.
192.- 1995, vérité terrain : à propos de la « découverte » de l’Al&andrie engloutie
aux lV et Vème siècles nar suite de séismes. on trouve dans un article de Scien-
ces et avenir, cettenotation:
« pour détecter les vestiges enfouis sous les sédiments son équipe [de Franck
Goddio]a utilisé des moyens techniques pointus tels les magnétomètres à mul-
tirésonnance. Ce sont ces relevés qui viennent d’être vérifiés grâce à une cam-
pagne de plongées. »
193.-1995,VincentCOURTILLOT, La vie en catastrophe, Fayard,Paris,1995: 279
L’hypothèseque l’extinction desespècessoit originaired’une explosiond’un
astéroïde
a étéexposéla premièrefois en 1980
« Dans ce livre, Vincent Courtillot convie le lecteur à parcourir avec lui
l’avenrure qui l’a conduit du Tibet à l’Inde pour soumettre les hypothèses à vé-
rification expérimentale. »
194.-1995,WEILL NicolasAuschwitz. ou la sociologiede la violenceLe Monde
24.02.95
A titre de « terrain » de sa sociologie concentrationnaire, Wolfgang Sofsky a
utilisé abondamment le récit de témoignage,aujourd’hui si discrédité par
l%istoriographie. Belle réhabilitation pour ces textes qui recouvrent ainsi di-
gnité et intérêt scienrifque, parce qu’eux seuls reproduisent l’épaisseur d’une
« normalité » dans la terreur.
195.-1995,Le Monde15.09.1995
Monsieur Balladur lui-même n’a pas négligé la campagne de terrain. Depuis la
fin du mois d’août, flanqué .,., il visite les marchands et les commerçants.
196.-1995, YAOUNDE Les bonnesparolesafricainesde CharlesPasauaLe
Mon& 28.02.95
Au menu de sa visite en République islamique de Mauritanie - menu diffusé par.
ses services - jgurait un déjeuner avec le Chef de l’État. « C’est une chose ex-
cevtionnelle : il va susvendre le ieûne du ramadan pour moi ,v, s’était-il flatté
avant de débarquer, jeudi 23 février, à Nouakchott, première étape d’une tour-
née africaine qui devait le conduire au Sénégal, en Côte d’lvoire, au Gabon et
au Cameroun. A la tête d’un pays qui pratiaue un islam sans complexes, le pré-
sident Ould Taya ne sautor&a- ceberidant pas à rompre le carême musulman,
fût-ce même pour honorer son hôte du jour, Charles Pasqua, « l’ami des Afri-
cains », flanqué du très gaulliste Pierre Messmer, ancien gouverneur des lieux

..,>M. Pasqua s’est employé à peaufiner son image d’homme de terrain qui veut
«faire du pratique pour changer au quotidien la vie des gens, dont la misère
n’est en rien comparable à la nôtre ».
197.- Le Monde, 17.9.96 (Le Monde Initiatives)
Les contrôleurs de gestion gagnent du terrain.
198.-1996,à proposdes6lectionsdeGardanneet entitre, Le Monde 10110/96,
Roger Meï compte sur le « terrain x pour rassembler les voix à gauche
L’article seconclut:
Du « terrain » donc, encore et toujours, pour cet élu local qui, avant le premier
tour, disait, en parlant de lui : * Les gens votent l’homme ».
199.- 1996,(Rue des Entrepreneurs) techniques : notion de contrainte,selonce
quel’on fait, un type disaità proposdesbricoleursquela sallede bainsest la
piècequi a le plusdecontraintesqu’uneautrepièce.
200.”1996,FR3, ChristineOCKRENTparle.Un juge pour enfantsface à elle, et
un député,celui desYvelines.Elle s’adresse au juge : « Vous qui êtes homme de
terrain », or l’autrea fort agi, surle terrainjustement,en faveur des marginaux,
n’enest doncpasun ? [objet scientifique,objetconstruit],
201.-1996,Henri GUILLEMAIN, 1996: 84
« Danton sait parfaitement qu’accepter un choc, sur le terrain, entre des ba-
taillons français débiles.. »

801
202.- 1996, « Ils arrivent, en éclaireurs, regardent, écoutent, tâtent le terrain » à
propos des premiers retours d’exilés à Sarajevo, 20.3.96.
203.- 1996, Jacques Chirac, plus à l’aise sur le terrain que dans son palais de
l’Elysée, Président de terrain, président de proximité Divers presse, en mars
1996.
204.- 1996, Le Monde, 31.09.1996, GURREY Béatrice, M. Bavrou. muré dans le
silence
Le ministre de l’éducation nationale ne pourra pas continuer à dire indéfini-
ment qu’il,faut « laisser faire le terrain ».
205.- 1996, KANSO Khaled
« Allez faire un tour au Liban, faites un petit sauvage par ci, une petite enquête
sociologique par là, vivez quelques semaines dans ces régions du Liban sud qui
restent sous les bombes... vous verrez une réalité autre que celle dont on VOUS
parle... »Le Monde, 9-10.06.96 .
206.- 1996, Le débat sur le Front national en France ces derniers mois fait énor-
mément référence au terrain (Le Monde 24.10.96) :
« le Front national marque des points sur le terrain social ».
207.- 1996, Le Monde, 27.01.1996
La roue de l’activité intellectuelle est bien aujourd’hui voilée, de plus en plus
dépendante d’oligopoles éditoriawr et des rythmes médiatiques. A force d’avoir
le nez dans le guidon, on ne perçoit plus que la réflexion perd progressivement
son tranchant critique.
208.- 1996, MÉRIMÉE (1996) sur Stendhal (hb) (article nécrologique anonyme)
19 : « Faure de pouvoir exprimer ce que l’on sent, on décrit d’autres sensarions
qui peuvent être comprises par tout le monde. »
11 : « Nous aimions l’entendre parler des campagnes qu’il avait faites avec
1’Empereur. Ses récits ne ressemblaient guère aux relations oficielles. Dans
une affaire fort chaude haranguait les soldats près de se débander voici en
quels termes : ti En avant s. n. d. D. J’ai le cul rond comme une pomme, sol-
dats ! j’ai le cul rond comme une pomme .t> - « Dans le moment du danger,
disait B > cela paraissait une harangue ordinaire et je suis persuadé que César
et Alexandre ont dit dans de telles occasions d’aussi grosses bêtise.~. »
209.- 1996 Laurence DURRELL, Sauve qui peut !
4 1 : Vous savez dans quelle horreur il tient tout ce qui ressemble à l’action.
43 : [il] a développé un style d’action vraiment afligeant : adapté, je n’en
doute pas à la nature du terrain [en français dans le texte], il n’en est pas
moins terrifiant pour ceux qui ont reçu une éducation convenable.
210.- 1996 Le Monde, 21.5.1996
Un nombre croissant de journalistes [américains] tentent de répondre à ces
questions [posées par les dérives de la presse] en enquêtant sur le terrain.
21 l.- 1996, le portrait du Général Guillaume Sauville de Lapresle dans Le Monde
fait référence au terrain, celui de ses hommes «sur le terrain ». Mais il sait
aussi « se mouvoir avec adresse et compétence dans les états-majors les plus
complexes »
212.- 1996, Le terrain se vulgarise, ainsi l’Association SOS Racisme a envoyé des
jeunes des banlieues à Dakar dans les quartiers pauvres pour leurs vacances.
L’expérience ethnographique est donc, d’une certaine manière, commune dé-
sormais. (Le Monde du 22 août 1996).
213.- 1996, Les incertitudes ne sont pas près d’être levées : Broué a exploré les
archives, Vacheron le terrain, autant qu’ils pouvaient 1‘être.
On entend bien ici que le terrain c’est les survivants (de la Résistance).
214.- 1996, Louis Viannet, a/s de l’agression contre Nicole Notat lors de la mani-
festation du 17.1 .Y6 :
« cela donne une impression de désunion syndicale alors que la réalité sur le
terrain.. È>
215.- 1996, Maladie de Kawasaki (originaire du Japon et quelques cas à Lille) (Le
Monde, 20-21.10.96)

802
La cause de cette affection étant inconnue, le diagnostic est, pour l’essentiel,
clinique. .
216.- 1996, Michel Gauthier, du Parquet de Paris, à propos de Jean-Louis Bru-
guière, juge anti-terroriste, L.QMonde, 23-2416196 :
« Au moins, lui, il s’active, il va sur le terrain ».
2 17.- 1996, Roland Topor :
Quand on pense, on a tous les droits ; quand on agit, c ‘est autre chose.
218.- 1996, Un responsable de la police scientifique français, émission du
“Téléphone Sonne” 12.02.1996.
Pas de bonne police scientifique sans de bonnes techniques de collecte des faits
sur la scène du crime.
219.- 1996, M. Vaillant, un des maires d’arrondissement de Paris :
Est-i/ raisonnable que, pour décider de 1‘heure et la fréquence du nettoyage de
telle petite rue, il ne soit pas possible d’en discuter localement 1 Plus on
s’éloigne du terrain, moins on a de chance de régler les problèmes !. .
220.- 1996, MORAL Paul (1961) :
9 : « Mais le paysan d’aujourd’hui ne pouvait se découvrir à travers les livres.
Nous avons parcourir toutes les ‘provinces’. Il nous a fallu longtemps pour
nous “habituer” comme on dit en Haïti, avec les choses et les gens de la cam-
pagne. »
22 1.- 1996, Rapport scientifique 1992- 1996 CNRS, UPR299, p.29
Pour permettre d’effectuer des comparaisons et de retrouver une certaine ho-
mogénéité dans cette diversité des approches et des sites, une grille commune
de travail pour l’enquête de terrain a été élaborée.
222.- 1996, Sous le titre : Martine Monteil, nouvelle patronne de la « crime », on
trouve :
Puis, sept années durant, elle apprend sur le terrain les rudiments de la lutte
contre les trafiquants. Planques interminables dans les « sous-marins », inter-
pellaGons de suspects préalablement «ficelés » par les preuves recueillies
pendanr des semaines de filature, « chansonnettes » des interrogatoires pro-
longés parfois deux nuits durant, ritournelles des procédures. L’ascension de
Martine Monteil dans la hiérarchie.. est donc bien légitimée dans cet article du
Monde du 2.2.96.
223.- 1996, sur Chirac, Un an après, Pascale Robert-Diard, Le Monde, 7 mai 1996
« C’est un président serein qui reprend, mercredi 24 janvier, son bâton de pè-
lerin pour partir “à la rencontre des Francais, sur le terrain” parce que, dit-il,
il ne veut pas se “laisser eflfermer derrière les murs de Paris et de l’klvsée”.
Fidèle à la méthode qui lui a réussi pendant sa campagne...
. ..houspillant les ministres, leur “insuffisante volonré de vérifier sur le ter-
&l”... ».
224.- 1996, Un technicien de surface, interviewé à la télévision, un balayeur donc,
dkclare qu’il a préféré cet emploi de balayeur des rues parce qu’il est un
« homme de ferrain », « qu’il aime le terrain », «pas les bureaux ».
225.- 1996, GEORGE P., Le Monde : RAFFARIN DE TARASCON, 06/04/96.
“ET LA SENTENCE TOMBA, irréfutable : “Un ministre de terrain doit aller
sur le terrain !Y Ainsi parla Jean-Pierre Raffarin, en charge de PME, dti cottt-
merce et de l’artisanat”.
“Dorénavant et à partir de maintenant, le dit-ministre et son ministère feraient
mattœuvre d’encerclement du terrain. Soigtteusetnent, systématiquement,
ponctuellement.
Le tninistére si’nsrallerait une semaine par mois en province ! Telle fut la déci-
sion “.
“Une semaine par mois cela faisait si l’on comptait bien, douze semaines par
an ! Bigre ! Une sacrée expédition, provinciale comme d’autres furent polaires.
Il fallait s) préparer.
Imagine-t-on bien l’aventure insensée ? Douze semaines en ballon, en pro-
vince, à la catnpagne presque. Du pur Jules Vernes. Ou alors du Daudet sous
la glorieuse conduite du rond M. Raffarin qu’on dirait de Tarascon’!

803
“‘Le ministère aux champs. Le ministère en tête, son fusil à emplois sur le dos et
ses bandes molletières, prêt à la traque du lion et à tous les sacrifices”.
“La colonne Raffarin était prête, les chaussures cirées’:
226.- 1996, aventure, le 517196 sur la 5, une émission sur 1’Ile de Pâques
Bernard de la Motte et Henri Garcia, qui veulent retrouver sur le terrain les tra-
ces du culte de l’homme oiseau des Rapanui, ils disent (laissent dire par la pré-
sentatrice) qu’ils ont retrouvé, l’ocre des guerriers qui se peinturluraient, dans
une grotte sur la falaise,
les guerriers devaient descendre une haute falaise, plonger dans la mer faire 3
km à la nage jusqu’à un rocher et prendre l’œuf d’un oiseau sacré qu’ils font
prendre par une femme fragile comme un œuf, vêtue d’un pareo que sa beauté
rend superflu, ils nagent trois m&res jusqu’au falaise de l’île, descendent en
rappel celle de Pâques, tout est faux scandaleusement faux, le mythe inventé
ainsi que les falaises abandonnées avec le culte depuis le 15” siècle date à
laquelle débarquent les curés, le 15” ! (sicj’ai bien dit) Ils s’enfoncent dans
une caverne abandonnCe depuis cette date alors que cette entrée est largement
dégagée et abondamment fréquentée, cela se voit sur le film.
227.- 1996, Le Monde, 27/8/96,
« La colère gagne du terrain », Mme Notat, .
228.- 1996, Fr-Inter, Comptoir des entrepreneurs, 20.7.96, sur Gilbert Puech, in-
terviewé :
« linguiste de terrain, en quelque sorte explorateur et conservateur des lan-
gues x (Dominique d’Ambert) ;
Claude Hagège : « Parler de ces langues, ne veut pas dire les parler ».
229.- 1996, Émission sur la police scientifique à Arte, le 8.8.96,
distinction entre criminalistique et criminologie, la première analyse après,
post-mortem, la scéne du crime et en déduis des choses extraordinaire ; la se-
conde elle piétine à dire pourquoi il y a des assassins.
Tout dépend de l’enquête initiale, d’où la formation, depuis 1985. de
« techniciens de la scène du crime », qui vont recueillir intelligemment ce qui
doit l’être. Le prélèvement est du ressort de la police, l’analyse du ressort des
scientifiques, qu’ils soient allemands ou français, les différents responsables
interrogés insistent sur cette dichotomie.
230.- 1996, François Maspero, Le Monde, 20.8.96. Dans une série d’articles con-
sacrés a des voyages, il a cette phrase significative de ce qu’est le voyage, sur-
tout quand on revient sur ses pas :
« Tout était chargé de réminiscences infinies ».
231.- 1996, Le Monde, 28.8.96 à propos des femmes de gendarmes en col&re à
cause des mutations géographiques :
« la direction de la gendarmerie a emporté l’adhésion en faisant valoir que
l’expérience révèle un réel phénomène d’ » usure s des personnels au-delà
d’une dizaine d’années sur le terrain : le gendarme risque de devenir complice
d’une population qu’il aura trop longtemps fréquentée et il perd sa crédibilité
professionnelle ».
232.- 1996, Le Monde, I-219196
« S’il est un terrain sur lequel Bill Clinton a raison de se sentir fort, c’est bien
celui de l’économie. »
233.- 1996, ais Front national, Le Monde, 22.10.96
« toutefois les discours de combat ne suffiront pas à répondre aux angoisses et
refus qu’exprime le Front national. Il faut qu’ils soient d’abord relayés sur le
terrain, par une présence active et une attention de tous les instants portée aux
souffrances des populations. »
234.- 1996, Tobie Nathan, Le Monde, 22.10.96
« Ayant été initié théoriquement (par Devereux), j’avais très envie d’aller ex-
périmenter cela sur le terrain ».
235.- 1996, A2 31.10.96 ais Mme Chirac :
« elle fait du porte-à-porte, elle fait du terrain ,j.

804
236.- 1996, Une publicité d’embauche dans Femmes actuelles, n”631-1996
« Yves Rocher m’a donné tous les moyens pour réussir. Je suis une femme de
terrain ».
237.- 1996, Alain Schifres (L’Express, 31.10.96)
« Aujourd’hui, taule assertion est recevable, c’est le réel qui doit se justifier. »
238.- 1996, Le Monde du 22 novembre 1996 : pour explorer les frontières du de la
fiction et du réel, la télévision a inventé le docu-drama ce qui am&ne pas mal
de confusion de genres :
« C’est sans doute pour limiter les dégâts de ces escapades à hauts risques que,
depuis plusieurs années, les chaînes onr créé un nouveau label, le ‘docu-
drama ‘, sorte de fourre-tout hybride qui permet à la fiction de rejoindre, sans
états d’âme, la réalité, à moins que ce ne soit l’inverse. »
Mais le problème est double : d’une part la logique TV demande des happy
ends, difficiles à croire pour des drames comme des massacres collectifs, on
vend parce qu’on parie du temple solaire, mais ce n’est pas crédible, d’autre
part, tout n’est pas « mis-en-scènable », on ne peut faire réel et parler de choses
qui en sont à la limite. Dans cet article, le producteur Pascale Breugnot prévoit
de suivre la question de la vache folle à travers une dynastie de paysans, on voit
là que c’est faisable, alors que la secte du Temple solaire ou celles que
l’histoire récente a vu sombrer qui en Guyane Britannique dans un ranch du
Texas, demandent plus que du talent, c’est-à-dire quelque chose qui a à voir
avec le génie de Welles ou de Kubrick.
II est vrai qu’a priori il y a une erreur, P.B. d6clare en effet au journaliste
(Daniel Psenny) :
«Nous avons respecté la réalité telle que l’enquête l’a établie sans aller au
delà de la réalité »
Mais qu’est-ce que la réalité ? ce n’est pas parce qu’elle a été établie par en-
quêtes policière et autres qu’elle est plus vraie, car même si l’on voulait décrire
cette réalité dans un travail scientifique du massacre de la clairière du Vercors
du 16 décembre 1995, il faudrait mettre en scène l’affaire de telle manière
qu’elle prenne un air de réalité, par des moyens qui ne sont pas ceux du docu-
dratna mais qui ne sont pas moins des méthodes, des techniques d’illusion.
239.- 1996, Le Monde 22.05.96
Côté professionnel, à défaut d’avoir collectionné les promotions, ils ont savou-
ré leurs victoires sur le terrain : l’oblenrion de la prévoyance, la mise en place
de la mutuelle, i’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise, les ré-
ductions des délais de carence maladie, les pauses cotnplémentaires, les heures
supplémentaires accordées en priorité aux « temps partiel »...
[Terrain ici, lieu où l’on vit] .
240.- 1996, Le Monde, 13.06.1’996
Persuadé que « la sémantique est auiourd’hui un des terrains de l’affrontement
intellectuel et uolitiaue » et que « les mots ont une imr>ortance caoilale u pour
l’image de son parti, qu’il présente comme une force alternative à la gauche et
à la droite, M. Le Pen entend combattre sur ce terrain là.
241.- 1991, Le Monde, 18.1.97, titre et sous-titre :
G Alain Juppé examine, sur le terrain et en direct, l’avancée des réformes. Le
premier ministre s’est déplacé dans l’Aisne pour rencontrer des chefs
n’entreprise et prêcher l’optimisme, déclarant que “la bonne réponse [aux
problèmes] c’est la confiance, l’enthousiasme, c’est se battre“ » .
242.- 1997, Le Monde, 20.2.97 a/s élections Vitrolles
..victoire d’une équipe, ils citent en exemple un travail de terrain de longue
haleine et une campagne électorale agressive.
..[Vitrolles] lui offre là M. M&et] l’aura d’homme de terrain qui lui tnan-
quait à côté de celle d’idéologue qu’il n’a cessé d’exploiter. ,
243.- 1997 avril, Émission sur les hauts fonctionnaires FR3,
Dominique Perben, ministre, à propos des énarques :
« s’ils tâtent du terrain, ils voudront y rester »
La présidente des élèves de I’ENA :

805
« un technocrate c’est un fonctionnaire qui n’a jamais rencontré des buts à sa
mesure. »
PhilippeCannard:
« il constate quotidiennement que l’enseignement à l’ENA favorise prudence et
conformisme.. , tout le contraire de la prise de risque »
Monique Sené, physicienne du CNRS, combattra le SuperPhénix:
« Théoriquement c’est vrai... en éprouvette », maisdansla réalité,pour rendre
productifle procédé,il y a loin : elleparleradeserreursdecalcul sismiquesetc.
Edith Cresson: on essaye de faire des politiques des rois fainéants.
244.- 1997,Noël Mamère,à Vitrolles, 6.2.97
« Nous avons abandonné le terrain du militantisme, nous nous plaisons dans le
corlfort bourgeois de nos appareils ».
24.5.-1997,Dansun dossierCNRS(1997):
« un attachement à la méthode expérimentale et donc au travail de terrain » .
246.- 1997,11.4.97,radio,PierreBouteiller
Étant entendu que le terrain se trouve partout sauf dans les ministères,.
247.- 1997,Le Monde surThéodoreMonod
titre : « Le dernier grand savant-voyageur » et le débutde l’article dit : « il est
le dernier, - et le plus célèbre - des grands naturalistes du siècle. s
248.- 1997,ChristineOckrent,ChezPivot, avril 1997
à proposde songrandamouravecun cheikharabe: « on fait un métier roma-
nesque.. ., les voyages, l’exotisme.. ».
249.- 1997ChristinaFrosneFrançois, Le seuil,Paris,1997:237 ; 138:
Jamais Fabius n’avait « léché les enveloppes u dans un local miteux du parti,
jamais le « terrain » n’avait crotté ses chaussures bien cirées.
250.- 1997,« La politique, cela s’apprend. Il y a des écoles et de bons professeurs.
Quand il parle du Parti communiste français, on dirait que M. Leroy raconte
ses universités. Il faut aussi des travaux pratiques. Il les mène dans un village
perdu,. .. » Le Monde, 16mai 1997,sousle titre Ancien communiste, amide M.
Pasoua.M. Lerov estaujourd’huicandidatUDF.
25I.- 1997, À propos de Bitter scent, un ouvragede Michel Bar-Zohar sur
« l’histoiresans fard » deL’Oréal :
« Il ne s’agit pas là d’un travail d’investigation et les nombreux témoignages
recueillis par 1‘auteur viennent surtout confirmer ce qu’on avait lu dans la
presse au cours des dernières années. » (Florence Noiville, Lc! Monde,
17.1.97).
252.- 1997,LEBEAUAndré,1997
Cela renvoie à la question des géologues etc. qui voient plein de choses sur le
terrain mais qui ne prennent pas de notes, ou bien vont tomber dans l’encyclo-
pédisme d’un.plan à tiroirs, tel qu’ont produit des administrateurs coloniaux
passés à la recherche. On a un autre point de vue quand ces mêmes adminis-
trateurs ont traités une question qui devait être liée à leurs intérêts intellec-
tuels, comme celui qui a écrit sur le droit foncier sévère entre autre.
D’ailleurs, c’est une des idées qui posent la nécessité d’aller sur la lune poul
envoyer des géologues, qui verront ce que des machines ne pourront pas voir.
253.- 1997Titre d’un numérospécialdu Monde Voyages: 20.2.1997
Terre de mers
254.-SuzanneWenger, in Le Monde, 6.9.1997: artcile de Michèle Maringues,
Suzanne‘Wengerest au Nigéria, devenueprétresseyorouba d’obatala, au
sanctuaired’oshogbo:
Mais « c’est un iournaliste,, dit-elle avec indulgence, il svmuathise en restant
malgré tout à 1‘extérieur ». Elle y est entrée corps et âme dans 1‘aventure pé-
rilleuse où I’on entre dansle dernier cercle des grands prêtres yoroubas, con-
scients que leur savoir va s’éteindre.
..
..voilà une femme qui est allée très loin -jusqu’où exactement ? - pour se dé-
faire de ses habitudes culturelles, qui ne mange qu’à l’africaine (hormis le café

806
et le pain beurré du matin, denrées bien exotiques à Oshogbo), dont les pieds
sont bleuis par les teintures des vastes batiks qu’elle compose sur un thème
unique, le cruel théâtre des dieux.
255.- 1997, Dans un article du monde portant sur les restructurations économiques
à « courte vue » (titre de l’article), nous étions certain de trouver la référence au
terrain (in Le Monde, 12.3.97 article de Lætitiane Van Eeckhout) : elle figure
effectivement latente dans l’article, mais son dernier paragraphe mérite d’être
cité tout entier car il définit parfaitement bien un des aspects du «terrain » :
« Jacques Chérèque veut néanmoins rester optimiste. “Tout n ‘est oas uassé à la
tratwe. dit-il. Le dévelootJemeni local est bien vivant. De nombreuses acrions
sont entreprises, sui amorcent ces mutations au ras des orîauerettes.” Si au ni-
veau central on n’a rien appris, le terrain fourmille d’initiatives créatives.
Reste cependant à transformer celles-ci en une dynamique nationale. »
Qui dit terrain dit local, à courte vue, limité, opposé à national, large, stratégi-
que, sur le tas.
256.- 1997, l’action, résultats : En cas d’accident d’opération, la Cour de Cassa-
tion, en février 1997, a tenu à préciser que les chirurgiens sont tenus à une
obligation de moyens mais pas à une obligation de résultats, comme le récla-
maient les patients, car le résultat de l’acte chirurgical est « la matérialisation
d’un aléa inhérent à tout acte chirurgical ».
257.- 1997, Laurent Fabius, A2, commentant les chiffres de la baisse du chômage :
« [au contraire des chiffres de baisse] on constate sur le terrain tous les jours
que le chômage,... mais arrêtons-nous sur les chiffres avant d’aborder les réa-
lités humaines... » (3014197).
258.- 1997, La Théologie de la Lib&ation, théologie révolutionnaire, dont
l’emblème latino-américain est la croix et le fusil, est décrite comme venant de
la base, née du “terrain”. Cette idéologie est opposée aux mouvements tels que
les jésuites ou l’opus Dei, qui visent le sommet, magnifient la structure, la hié-
rarchie, l’ordre et l’autorité, le centre, quand la première valorise les masses,
l’initiative individuelle, le terrain, la spontanéité. (Emission sur I’Opus Dei;
Arte, 1997).
259.- 1997, Le monolorme des solitaires, Christophe de Chesnay, Le Monde,
17.1.97
à propos du Vendée Globe : «De tous temps, les hommes ont défiés les élé-
ments pour découvrir, pour s’enrichir, mais surtout pour avancer dans la con-
naissance. C’est un sang de découvreur et d’aventurier qui coule dans mes
veines. Estimons-nous heureux qu’il y ait encore des aventures à réaliser et des
hommes pour leur donner vie. » (Marc Thiercelin)
«Après cette course il faudra qu’on se retrouve, qu’on se raconte. Seuls ceux
qui l’ont vécue peuvent parler le même langage. » dit Catherine Chabaud, la
seule femme à rester en course.
Mais en fait, il n’y a rien à raconter car ce que l’on vit est trop simple pour être
dit, trop compliqué pour être compris par d’autres, caractére unique des expé-
riences, or le logos est un discours rationnel trans-personnel, c$ Conche.
260.- 1997, Michel Crozier exprimant son intérêt à travailler avec l’industrie :
« C’est le travail en vraie grandeur : analyser la réalité, et non pas avoir une
vision purement théorique des problèmes. » in CNRS, 1997 no spt% avec
I'ANVIE, tous les autres participants à ce numéro insistent sur le poids de la
réalité, du terrain, c’est-à-dire de la pratique au plus fin des choses pour parler
de l’intérêt d’une collaboration sciences de l’homme et entreprise.
« action encore , celle de citoyens de plus en plus soucieux de leur cadre de
vie, qui ont souvent été à l’origine des engagements électoraux en exprimant
sur le terrain un refus déterminé. »
On entend bien ici que c’est par des actions, que le terrain s’exprime, 1997.
‘26l.- 1997, Jean-Marie ANDRÉ, Le Monde, 23-23/2/1997, titre d’un article :
La théorie et In réalité du terrain (sur l’immigration)
262.- 1997, Théodore Monod, il note tout, un présentateur -1997 Arte- :
« seul compte [pour lui] le pluisir d’être sur le chemin du mystère ».

807
263.- 1997, un vioIoniste, et compositeur, après avoir dit qu’il se tenait à l’écart
des grands mouvements de la mode médiatique ajoute : «jefais ce que je veux,
parce que je vais sur le terrain.. je vais dans les salles, les petites salles, je joue
ici ou là, où la musique m’emmène, [en classique, en jazz].. j’aime voir les
gens, leur parler.. Il faut aller sur le terrain, dans les écoles, les petites clas-
ses.. » (Radio, mars 1997).
264.- 1997, Vitrolles, prise du pouvoir municipal par le Front national, février
1997 :
Vitrolles, c’est le signe de la fin des militants ; jïn de la culture de la cage
d’escalier ; cette défaite réclame le retour à la base, réalisée par le FN, et la
télé montre les ramifications lancées par le FN pour conquérir la ville.
265.- 1997, (Jorge Castafieda, Le Monde, 8/4/97), à propos de Laurent Désiré Ka-
bila,
jugé par Ernesto Guevara, Le Che :
Le grand reproche qu’il lui fera, en dehors de trop aimer les femmes et l’alcool,
c’est d’être des révolutionnaires préférant les grandes réunions internationales
au terrain des opérations .
266.- 1997, élections mai 1997
Sarkozy : « il faut désormais coller azc réalités de terrain »
Balladur : « ilfaut être cohérent et ne pas dire une chose et son contraire ».
267.- 1997, un candidat contre un autre, Val de Marne, mai 1997 (radio)
« Député fantôme, on ne l’a jamais vu sur le terrain ».
268.- 1994, radio : La lutte contre le terrorisme c’est 4/5 de renseignement et 1/5
d’action
269.- 1997, titres du Monde, Initiatives, 25.6.97
Privilégi& le terrain, un choix « ph.ilosophique »
Les actions coordonnées des élus au plus près du terrain.
270.- 1997, Le Monde, 27 juin 1997 (Frédéric Martel à propos de Pierre Bourdieu,
dont l’auteur déclare :
...on reste circonspect devant le parrainage prestigieux qu’il ofrait... alors
même qu’il ne paraît pas maîtriser son « objet » (ce qui reste problématique
pour un chercheur). Est-ce avec le seul objectif de retrouver sur le terrain des
« études gay » selon les propres mots au colloque de Beaubourg, « une radica-
lité » que les sciences sociales « routinisées » ont perdue ?.
271.- 1997, Le Monde, 3 juillet 1997 :
« les deux anciens ministres qui avaient apporté leur soutien à M. Chirac pen-
dant la campagne présidentielle envisagent de se rendre, ensemble, pendant
dix-huit mois, dans les vingt-six régionsde métropole et d’outre-mer, pour
« écouter et dialoguer ». « Je vais vous aider », leur a aussitôt annoncé M.
Chirac en leur demandant de venir régulièrement lui rendre compte de leurs
travaux. ,.. La démarche qu’ils ont proposée pourrait d’ailleurs fournir au
Chef de l’État de nouvelles occasions de visiter le terrain, qui figurent déjà en
bonne place dans les réflexions sur la communication présidentielle des mois à
venir. «Allez, on se remet au travail ! », a régulièrement lancé Jacques Chirac
à ses hôtes élyséens. »
272.- 1997, Sarkozy, 7.97
« redonner une utilité à 1‘acte militant >>
273.- 1997 , Le Monde, 27-28 juillet 1997 :
«S’il [Li’onel Jospin] est demeuré conseiller général de Cintegabelle, pour
garder un contact avec le terrain, s’attachant même à venir visiter ses élec-
teurs.. ».
274.- 1997, André Langaney, 1997 : 124
Face à la stérilité des affrontements [...], il convient de se souvenir que les
données nouvelles acquises « dans le cambouis » et les idées anti-conformistes
font plus pour la construction de la théorie que l’actualisation de vieilles po-
lémiques... .

808
SANS DATE :
275.- CONFUCIUS
<(Le Maître dit : .!?tudier sans réfléchir est vain ; méditer sans étudier est pé-
rilleux. » (1,16)
« Le Maître dit : Les fautes sont caractéristiques de ceux qui les commettent. À
ses fautes
mêmes, on reconnaît un homme de bien d’un homme de peu. » (IV, 7)
« L’homme de bien n’a pas d’attitude rigide de refus ou d’acceptation. Le juste
esr sa rènle. » (IV. 10)
« Le Ma?tre dii : Par ieur nature, les hommes sont proches ; c’est à la pratique
qu’ils divergent. » (XVII, ).
276.La lutte contre le terrorisme c’est 4/5 de renseignement et 115 d’action.
277.- DURKHEIM (Méthode.. .)
il est nécessaire... de remplacer le fait interne qui nous échappe par un fait
externe qui le symbolise et d’étudier le premier à travers le second.
278.- Maxime Du Camp, a/s de Flaubert :
«Le mouvement, l’action lui étaient antipathiques, Il eût aimé voyager, s’il
1‘eût pu, couché sur un divan et ne bougeant pas.. »
279.- BORGES There are more thinas
Pour voir une chose il faut la comprendre.
280.- CALVIN0 Italo [In Le chevalier inexistant] :
« Croire que tout mouvement est un bien est une pensée d’homme d’action s.
[Pense Charlemagne].
281.- DIDEROT Supplément,., (142), description de Bougainville :
« Il est aimable et gai : c’est un véritable Français lesté, d’un bord, d’un traité
de calcul difJerentie1 et intégral, et de l’autre, d’un voyage autour du globe. »
« - Et son style ?
« -Sans apprêt ; le ton de la chose, de la simplicité et de la clarté, surtout
quand on possède la langue des marins.
fl - La course a été longue ?
< -Je l’ai tracée sur ce globe.. » (142)
145 : « Né avec le goût du merveilleux, qui exagère tout autour de lui, comment
1‘homme laisserait-il une juste proportion aux objets, lorsqu’il a, pour ainsi
dire, à justifier le chemin qu’il a fait, et la peine qu’il s’est donné pour aller les
voir au loin. »
148 : « Nous avons respecté notre image en toi. »
175 : « Va où tu voudras ; et tu trouveras presque toujours l’homme aussi fin
que toi. Il ne te donnera jamais que ce qui lui est bon à rien, et te demandera
toujours ce qui lui est utile. »
282.- DROIT Roger-Pol Un entretien avec Jacques Poulain :
« L’activité philosophique devient un élément essentiel de l’expérimentation
contemporaine de l’homme »
. . Ce qui domine, avec la naissance des sociétés modern’es, c’est l’expérimen-
tation. Cette notion ne désigne pas simplement les expériences scientifiques,
mais, de manière beaucoup plus vaste, le fait que toutes les sagesses acceptées
auparavant ont été remises en cause. Il nb a plus moyen de construire une
doctrine qui puisse prétendre détenir, une fois pour toutes, les normes de la
conduite humaine, édicter les manières de répondre aux besoins de la vie hu-
maine, $xer définitivement les droits et les devoirs.
283.- DURKHEIM
Les faits sont souvent paradoxaux :.
284.- FREUD :
« Je ne suis ni un savant, ni un observateur, je suis un conquistador, un aventu-
rier » (citation faite de mémoire).
285.- GIRAUDOUX Jean
Le privilège des grandes c’est de voir les catastrophes d’une terrasse.
286.- Indiana Jones, à propos de son père, joué par Sean Connery

809
Père est un rat de bibliothèque, pas un homme de terrain.
287.-JOUVET Louis(Mémoires),
C’est avec les machinistes, dans l’action, que j’ai tout appris du théâtre.
288.-LAFORGUEJules
Méthode méthode que me veux-tu ? Tu sais bien que j’ai mangé du fruit de i’in-
conscient
[Cité enparBachelardà Poétiquedela rêverie].
289.-PASCAL, Lespensées
Et ainsi quand on leur reproche que ce qu’ils recherchent avec tant d’ardeur ne
saurait les satisfaire, s’ils répondaient qu’ils ne recherchent en cela qu’une oc-
cupation violente et impétueuse qui les détourne de penser à soi, ils laisse-
raient leurs adversaires sans répartie. Mais ils ne répondent pas cela parce
qu’ils ne se connaissent pas eux-mêmes. Ils ne savent pas que ce n’est que la
chasse et non la prise qu’ils recherchent.
290.-Tylor, Frazerdistribuaientdesquestionnairesde par le mondeet analysaient
les réponsesdes administrateurs et desmissionnaires, (on peut se poserla
questionsur les mythesanalyséspar Lévy-Strauss),Malinovski a rompuavec
cette tradition; Mead, elle, interrogeait des jeunes filles aprés les cours
d’anglais,ce qui expliquebeaucoupqu’elleait pu conclureà l’absencede com-
plexessexuelschezlesSamoa.
291.-Bartholoméde Las CASAS (1552), encomendero lui-même,à Cuba,avait
uneexpériencede premièremainde l’étatde servitudedesindiens.Mais l’on
peut supposer que soncomportementindividueln’avaitpasla cruautéde ceux
qu’il dénonce.Vers la fin de savie, au centred’uneimmensetoile d’informa-
teurs,il était tenu aucourantde ce qui sepassaitpar sonréseaude correspon-
dants.
292.-POULET, [In Études critiques no l]
« La bonne façon de juger et de se laisser prendre aux choses » .,. « n’être
pris que par les entrailles N.
293.- PROUST,[In Guermantes II : 1041
On poursuit la réalité. Mais à force de la laisser échapper, on finit par remar-
quer qu’à travers toutes ces vaines tentatives où on a trouvé le néant, quelque
chose de splide subsiste, c’est qu’on ce qu’on cherchait.

810
ANNEXE 1.3
VERBATIMDESENTRETIENS
1981-1982
GRILLE D’INTERVIEW 1981-1982
sur la notion de terrain
Items pour l’entretien

Cette grille était utilisée lors des interviews pour relancer le sujet interviewé.
Les items suivants étaient utilises selon les orientations données par le sujet
lors de l’entretien. Ou bien pour relancer ou recentrer l’interview. Toutes les
questions étaient bien centrées dans le vécu du sujet et placéedanssapropre
démarche,en utilisant autant que possiblesespropresconceptset son voca-
bulaire personnel.Une soixantained’interviews furent réalisées; selonplu-
sieursdécoupagesdisjoints, on peut dire que la moitié de l’échantillon com-
portait des démographe; les deux tiers des sujets étaient de 1’Orstom; la
moitié desinterrogesl’a été en pays étranger; le quart de l’échantillon était
composéd’étrangers. Aucune analyse quantitative n’a tté tentée compte
tenu de la trop grandediversité desthèmesabordespar les sujets,du mode
de recueil des interviews, qui ne prévoyait pas ce type d’exploitation, et la
mauvaise conservation de certains documents sonores. Une quinzaine
d’interviews complémentairesavait été réalisées, mais une partie de
l’archivage a été defectueux ; d’autres, une dizaine, dont la date de recueil
fut 1983-84, sont introuvablest la collecte ayant été moins systématique,
l’archivage en fut défectueux. A notre déchargenous devons dire que ces
interviews semi-directives «bouclaient » : l’information était largement
redondante,dèsles trentièmesinterviews, comptetenu desconceptionstrès
homogènesà l’époque sur la question du ‘terrain’, concept flottant qui
n’avait pasacquis“l’autonomie d’usage”qu’il a actuellement.
Nousavions mis au point un questionnairede deux pages,pour une enquête
quantitative, mais nous nousétions heurté à la définition d’un univers pour
effectuer un échantillonnagecorrect : nousaurionsdû procéderà un mailing
et tout le monde sait le faible taux de réponseet les biais entraînéspar ce
type d’enquête.Finalement, sur moinsde la centained’interviews réalisées
moinsd’une cinquantaineseuIementestutilisabledansleur totalité.. .
Nous listons ici les Verbatimles plus pertinentsdes réponses.Nous remer-
cions CatherineFourgeaude nous avoir aidédanscette sélection.
Exposé liminaire : « Je vous remercie d’avoir accepté cette interview, mon ob-
jectif est de connaître la dimension que revêt le terrain dans des disciplines scien-
tifiques qui ne disposent pas de l’expdrimentation. C’est le cas des sciences so-
ciales, mais certaines comme la psychologie en disposent, et d’autres, qui ne sont
pas des sciences sociales, comme l’astronomie, n’en disposent pas. Ce que je vou-
drais c’est avoir votre propre opinion sur la notion de terrain, comment vous con-
cevez ce que vous mettez derrière ce terme : terrain. Le terrain, qu’est-ce que
c’est ? >J
. Que faites-vous aujourd’hui ? au sens de quel est la tâche précise que vous ac-
complissez dans votre métier ?
. Le terrain ? La collecte ?
. L’expérience ? Les expériences ? La pratique ?
. Outils / Méthode / Résultats ?
. L’action ? Le tourisme ?
. La serendipity, la decouverte au hasard ?
. L’épistémologie ?
. Le quantitatif et le qualitatif?
. La théorie, théorie et pratique ? Le bricolage ?
. La science, les sciences, les disciplines scientifiques ?
. Collecte, exploitation, analyse et rédaction d’une enquête ?
. Qu’est-ce qu’un questionnaire ?
. Qu’est-ce qu’une question ?
. Qu’est-ce qu’une question scientifique ?
l Qu’est-ce qu’une question d’un questionnaire ?
. Idéologie, conception a priori ; le pragmatisme ?
. La parole et la mémoire ?
. Marxisme et structuralisme ?
. La division du travail intellectuel ? Et dans une enquête ?
l L’enquête et le modèle de la guerre : « le meilleur recensement réalisé l’a été
par un ancien général d’intendance » ?
. Les enquêtes documentaires ?
. La question de la domination sur l’Afrique ?
. En parier beaucoup, n’en écrire jamais, pourquoi peut-on dire cela sur la ques-
tion du terrain ?
. Science et idéologie ?
. Le terrain : - qu’est-ce que c’est ?
- à quoi cela sert-il ?
- comment cela est-il vu ?
. S’impliquer qu’est-ce que c’est ? Cf. Favret-Saada : « On n’est pas obligé de
faire des sciences humaines, mais si on en fait, on doit s’impliquer. »
. Le concret ? Le réel ?
. Le hasard ?
. Ici et maintenant, est-ce une démarche scientifique ?
. L‘histoire et la philosophie dans leur jonction avec la pratique scientifique ?
l Quels sont les problèmes concrets saillants rencontrés ?
l Est-ce un cheminement ou un hasard, qui a amené le sujet à ses prises de posi-
tions actuelles ?
. Définition personnelle du terrain (question reprise au fil de l’interview pour
cerner les changements d’opinions par l’entretien) ?
l Terrain et pratique ?
l Collecte/exploitation/analyselredaction ?
l Tourismelterrain ?
l Voyagelterrain ?
l Interviews libres et les autres ?
l Objet scientifique/objet construit ?
l Le fait et le fait scientifique ?
l Le fait et son interprétation ?
l La démographie est-elle un langage ?
l Terrain et affectation (sejour de longue durée outre-mer) ?
l En histoire, y a-t-il un terrain ? qu’est-ce ?
l En métropole, y a-t-il un terrain ? qu’est-ce ?
l La colonisation a-t-elle un rapport avec le terrain type Orstom ?
l Pluridisciplinaire, multidisciplinaire, interdisciplinaire ?
l Méthode individuelle et collective, par ex. pour ce second point, la statistique ?
l Les différents types d’enquêtes :
l recensements
l données d’état civil
l données historiques, statu animmxm, registres, recensements admi-
nistratifs, dénombrements
l registres de population, les fichiers, les registres d’hôpitaux etc.
l enquêtes rétrospectives
l Les enquêtes directives ?
l Les questionnaires fermés, les interviews libres ?
l Voir et entendre sur le terrain ? dormir chez l’habitant, y manger, l’attention
flottante 1
l L’exploitation de ces différents types de documents ?
l Les données secondaires et données de seconde main chacun juge son enquête
particulière
l Pourquoi dit-on souvent « mon village », « mon terrain »
l L’arsenal des outils, la boîte à outils ?
l Qu’est-ce qu’un chiffre, une donnée, une information ?
l Un terrain’ est-il essentiel au travail scientifique ?
l Le terrain : problème technique, relationnel : déontologie ?
0 Politique, colonialisme, impérialisme, néocolonialisme ?
l Le vécu, est-ce du scientifique ?

814
. Les étapes du terrain :
l idée
l conception, projet
l questionnaire
l sondage
l les questions
l exécution
l les corrections a posteriori
l exploitation
l analyse
l rédaction
l Les besoins des pays ?
l Les besoins internationaux ?
l La créativité s’exerce-t-elle sur le terrain ?
l La projection de soi sur le terrain ?
l Nature de l’objectivité de l’observateur ?
l Terrain et joie ?
l Des gens de terrain existent-ils ? Ont-il ‘caractére’ particulier ?
l L’autonomie de la rédaction ? L’écriture ?

815
Verbatim des interviews de 81-82
(aucun ordre logique n’est mis dans cette liste)

1. - À
la fin de l’enquête, j’avais le sentiment que je gâterais le terrain. Ce n’est
pas ce qui s ‘est passé..
2. - À la.fin pénible, on est manipulé, or notre statut est externe à eux...
3. - À partir des questions que je me pose, je lis ensuite.. .
4. - À propos des informations de Hunt, observateur des potlach et des modifica-
tions en cascade de Boas et Mauss : L’ethnologie n’a été que ça, le placage de
nos idéologies sur des sociétés.. I
5. - Afiner les données n’apporte pas de valeur ajoutée...
6. - Afrique, côté exotique...
7. -Aller dans un endroit perdu, en pleine brousse, dificile d’accès, moins ac-
culturé, ça offrirait un autre charme...
8. - Aller sur le terrain procède d’un fantasme plus que d’une nécessité..
9. - Analystes : présentateurs de résultats...
lO.- Antécédent familial de voyages qui a certainement joué...
Il. - Apprendre, la langue, comprendre, humilité à l’égard des choses car elles
sont construites, elles ont une cohérence intellectuelle, elles ont un rapport
avec le ciel même si pour toi c’est débile...
12. - Après, on remarque des détails..
13.-Arriver à la pénétration du terrain pour voir le problème à travers de ces
gens., .
14.- Atmosphère de grandes vacances..
15.- Attention jlottante ? Oui, disponible pour percevoir. Mélange d’observations
et de contacts humains.,.
16. - Attitude mythique des géographes : de la simple collecte, naîtront des hypo-
rhèses.. .
17, - Au niveau internarional, il n’y a pas de brochette de « bêtes de terrain » qui
pourrait t’imposer une prise au sérieux de la collecte...
18.- Au premier terrain, terrain pour la collecte, A la fin. on n’est qu’un moyen
d’obtenir un produit...
19. - Aucune théorie n’invalide l’autre en sciences humaines..
20. - Avant l’enquête, savoir on veut aller...

21.- Bagarre à quand on a voulu mettre sur pied un cours [pratique avec collecte
réelle] sur l’expérience de terrain...
22.- C’est beaucoup l’imprégnation qui permet de comprendre ce qui se passe...
23.- C’est d’abord une pratique tant qu’on en a pas fait, on a du mal à savoir ce
que c’est...
24.- C’est des gens bo@s de connaissance qui se prennent pour des Pic de la
Mirandole. Or, tu dois connaître et reconnaître qu’il te manque tout un acquis
culturel et hérédo-culturel...
25.- C’est en écrivant qu’on s’aperçoit de ce qu’on a à dire...
26.- C’est en écrivant que s’est construit réellement des choses que j’avais vues
sans les observer..
27.- C’est être en prise directe avec les gens, vivre avec eux, leur parler pour es-
sayer de tout saisir.. . ,
28.- C’est faire du terrain que de parcourir le monde pour aller voir des rufine-
ries, l’une dernière l’autre. Tenter de comprendre les nuances des productions,
la réalité des ch#res qu’elles fournissent. Tu parles avec les directeurs, les
techniciens, les manœuvres, et t’en apprend de belles !
29. - C’est ingrat le terrain, être voyeur...
3O.- C’est le moyen de collecter des données personnelles dont on est sûr. Expé-
rience du moment : on s’est défendu parce qu’on savait que les données étaient
bonnes. Les petits camarades qui sont venus après s’en foutaient qu’elles
soient bonnes...
31.- C’est pas des créateurs c’est des tripatouilleurs [les analystes]...
32.- C’est pas innocent de poser certaines questions à un moment donné, on est
ceci, on est cela, à un moment donné. J’ai eu honte de poser certaines ques-
tions. . .
33. - C’est quand j’exécute un boulot, que ce soit piquer une photo en douce dans
un HLM pour un reportage ou tirer le portrait nickel d’un m de coca cola.
Que j’utilise la lumikre qui l’est donnée ou que je fabrique le moindre reflet en
artificiel sur le métal luisant, c ‘est pareil. Le terrain, c’est aussi aller dans les
rues, voler des images aux passants. C’est le travail !
34.- C’est quand une enquête est finie que tu sais comment il fallait la faire. Mais
si tu repars de ça, tu retrouves la même conclusion... Processus de contestation
sans fin...
35. - C’est terrible. Après ça s’arrange.. .
36.- C’est tout ce qui, comme je le sentais là, tout ce qui pouvait me tirer de la
France, de ma région, d’autres gens, d’autres manières de penser...
37.- C’est un honneur que je leur fais (aux autres) de manger, dormir et boire
avec eux.. I
38.- C’est un imbécile, tout X qu’il est. Il te suit sur le terrain comme un petit
chien, alors que toi tu cours après ces enquêteurs. Il confronte dans sa tête,
parce qu’il a tout lu. Mais il voit rien si tu ne lui dis pas. II fait du tourisme, le
problème c ‘est qu ‘il croit faire du terrain. Il ne comprend que ce qu ‘il lit, mais
il n’est pas capable d’en faire de la recherche, il en fait des résumés, même pas
des synthèses. Mais c’est lui qui a le pouvoir !
39.- C’est un témoignage que tu apportes, c’est plus ou moins scientifique, c’est
de la littérature mais il faut laisser une trace : bande ou cours...
40.- C’est un travail comme un autre, comme le bureau, mais c’est fatigant physi-
quement. De toute façon, vous rencontrez toujours des problèmes...
41.- C’est une « aventure » car ça les a confrontés à une autre réalité à côté de
laquelle ils sont passés totalement. Cela parce qu’ils vont sur le terrain faire
une enquête, pas vivre l’autre ou vivre une expérience...
42.- Ça change d’une année à l’autre...
43.- Ça m’amusait d’aller sur le terrain, comme tout le monde, quoi...
44.- Ça me démoralise un peu, aucune certitude sur la validité de ta mesure...
45.- Ça s’apprend ? Oui, à saisir les choses dlréremment. Autre regard, est-ce
que ça va me changer (pas envie) ? Je ne pense pas, sais pas...

817
46.- Ce qu’il y a de dingue c’est que les gens font comme si ils y croyaient et tu
fais n’importe quoi. Ou tu fais les choses en fumiste (et alors tu fais les choses
mal). Ou tu fais semblant d’y croire, toujours même questionnaire et des rap-
ports bidons.. .
47. - Ce qu ‘on est fondamentalement depuis quelques années, je me rends compte
que j’agis en faisant ce que je suis. Je le fais parce que c’est bien comme ça,
comme je le ressens. J’essaie toujours de bosser avec d’autres...
48.- Ce type de terrain, il est naturel qu’il ait une grande importance en Afrique.
L’information ne peut venir que du terrain au sens géographique et agronomi-
que car il faut aller la recueillir malériellement sinon eIle n’existe pas...
49. - Celui qui a collecté les données [en] sait les limites...
50.- Celui qui a fait du terrain est moins dogmatique...
.51.- Certains vivaient ça mal...
52. - Cette connaissance des gens et du terrain est pour cela indispensable...
53. - Cette métamorphose, cette adaptation est une souffrance, il faut bien le re-
connaître. On ressent une animosité quand un second informateur contredit le
premier. Patioois, c’est cette contradiction qui est l’objet à comprendre...
54.- Ceux qui ontfait la collecte doivent participer à l’analyse...
55.- Collecte : collecte de données ;
56. - [Comme] un photographe : voyeur professionnel...
57.- Comprendre comment a été collecté le chiffre, sa fiabilité...
58.- Comprendre le terrain c’est comprendre comment est rempli un questionnaire
et quelle est la valeur de tel chtffre...
59.- Connotation très coloniale de nos terrains africains. Pratique coloniale in-
volontaire. C’est comme ça...
60.- Côté érotique du contact, refusé par les hommes qui le magnifient...
61. - Côté séduction il faut faire du charme, sinon les gens ne répondent pas...
62. - Crapahuter en brousse, degré zéro du terrain..
63.- Croire à une enquête c’est croire que les données qui sont dedans ont été
obtenues correctement...
64. - « DAC vêtement tropical Y, H DAC Safari croisière », près du Théâtre de la
Porte Saint Martin, pas loin de I’Orstom, t’as jamais remarqué ça ? Génial,
non ? Et signijïcatiJ; n’est-ce pas ?
65.- Dakar-Djibouti, méthode coloniale de mobilisation, on convoquait les gens...
66.- Dans ce cas, il faut savoir être modeste, avoir conscience des manques du fait
qu ‘on n ‘a pas pu aller sur le terrain..
67.- Dans la mesure où on pense pas que ces sociétés sont meilleures ou pires, on
peut les défendre sans croire à des valeurs (et alors on sera sincère) : présen-
tation idyllique, refus des traits négatifs, portrait poli...
68.- Dans les archives pas pareil, discours idéologique de l’époque...
69. - Dans les corrections, des contradictions : le risque est constant d’éliminer les
cas les plus riches et les plus complexes...
70.- De Paris, avec des données de 2’ main, je ne sais pas ce qu’il y a derrière les
chiffres..
71.- Déconnexion des hommes à l’écart de tout pendant de longs mois. Cela con-
tribue à leur image d’être à côté de la plaque. Ce n’est jamais eux qui mangent
les marrons, ils arrivent quand le gâteau est bouffé. Ils sont mépris& car ils
sont à 1‘écart de 1‘information. Je suis intimement persuadé que la partie col-
lecte est dédaignée car c’est un boulot très dur...
72. - Déçu par les résultats, mais pas seul responsable de La faiblesse relative de
l’enquête. Relativement content d’avoir sorti les résultats...
73.- Des gens ne voient rien, ça les emmerde. Exemple : un médiéviste s’était con-
verti à l’ethno-histoire, il avait tout compris, pensait-il. Manque d’humilité..
74.- Des gens sont victimes d’une certaine idée. Négligence de l’écriture, de
l’expression...
7S.- Deux façons pour un démographe :
-pour drainer les données, questions en faisant abstraction société interne.
-fonder la collecte quantitative sur connaissances préalables
76. - Deux parties dans notre travail : produire des connaissances ; théoriser, se
construire..
77.- Différence entre collecte et terrain .
78.- Différence entre gens modestes et pas, ceux du terrain ont mieux pris con-
science de leur insuflsance, dans un bureau c’est diflcile de voir que ce qu’on
dit est complètement con...
79. - Donc, la pratique que j’ai sur le terrain est fait de ce que je suis, mais le ter-
rain et la démographe font partie de ce que je suis...
BO.- Du plaisir en travaillant, voilà le terrain ! Pas toujours du plaisir à vrai dire.
Pas toujours du travail, faut dire. Reste que si y’a pas idée de travail, y’a pas
de terrain. I.
81.- Élitisme du pauvre, c’est rien d’autre que ça le terrain !...
82.- En 65, on croyait au développement. Alibi tout trouvé : on travaillait à la
grande œuvre. En 71, on y croyait encore, mais le masque tombait, lentement.
A ce moment là, le problème a pu se poser d’une contradiction énorme entre
les idées personnelles et le métier. Bien sûr que cela me gêne !
83.- En Afrique, la part d’entubage et de tromperie est énorme (relations inégali-
taires). Il n’y a pas à être très fier, ni de la camelote que l’on fourgue, ni de la
pilule que /‘on fait passer. ~.
84.- En fait les problématiques ça meurt...
85. - En matière de recherche scientifique. aucun problème n ‘est mineur
86.-En opération, on ne pense pas. On agit ou on pense : d’où l’importance du
programme du recensement...
87.- En sociologie, vu l’état d’avancement de la méthode on pouvait devenir con,’
pas de barrière, au contraire de la démographie...
88. - En soi, cela ne rime à rien.. .
89.- Enquêteur : la question est de savoir jusqu’à quand tu délègues. Dans une
enquête statistique tu es obligé de déléguer ta confiance à quelqu’un du niveau
inférieur. 11n’est pas obligatoire de faire la collecte soi-même. Mais si tu élar-
gis la démographie, le terrain est indispensable...
90.- Enseigner la collecte par friction, c’est indicible, je ne suis pas crédible...
9/.- Enseigner toutes les conneries qu’on a faites, peu de gens acceptent..
92.- Envie d’aller voir ailleurs, d’être différent...
93.- Envie de changer de société, de cadre de vie. Ça m’intéressait et en même
temps, les travaux purement théoriques ne tn’intéressaient pas, j’avais plus de
goût pour appréhension globale etc. Le terrain était essentiel...
94.- Et perception intuitive seule pas bon, il faut un complément quantitatif...’
819
95. - Être pris dans les paradoxes de sa propre recherche.. .
96.- Evans-Pritchard chez les Nuer et les Azandé a répondu au défi du terrain par
une adaptation adéquate aux conditions de son travail.. .
97.- Exemple : tous les travaux universitaires se ressemblent quelle que soit
1‘école..
98. - Extension du terrain.. .
99.- Faillite de mon enseignement...
lOO.- Faire des Km...Atler d’un village à l’autre...Un peu trivial mais impor-
tant...Perception visuelle, vu s’en pén&rer...C’est une forme d’approche pas
positiviste, viscérale. Il faut piger le paysage, le piger avec ses tripes.. .
IOI.- Fantasme des questionnaires en langue. Tu multiplies les enquêteurs et tu
perds en qualité d’enquêteurs la finesse de la langue. On peut émettre des
doutes sur des questions qui nécessitent des telles subtilités de langage, ce
n’est plus de la statistique, c’est du qualitatif alors autant faire du bon quali-
tatif que du mauvais quantitatif.. .
102.- Honnêtement envie de travailler à l’étranger, école navale quand gamin...
103. - Ici je suis quelqu ‘un, je suis un blanc.. .
104.- Idées sur un terrain magnifié avec des concepts pas trop sûrs. Avec culture
différente, douteux., .
105.- Il existe un consensus quand on parle peu du terrain. On en parle dans le
vague sitôt qu’on explore, ça explose en X dimensions variées. . .
106.- Il faudrait faire une réflexion sur la manière de produire des connaissan-
ces.. .
107.- Il faut aller sur le terrain d’abord etfaire le questionnaire ensuite. Idées non
réalistes...
108.- Ilfaut avoir collecté pour avoir bien analysé...
109.- Il faut avoir conscience de ses incapacités, certains n’ont pas assez con-
science de leurs manques. Sentiment de science infuse. Conclusion coupée de
la réalité.. .
IlO.- Ilfaut enquêter auprès de gens qui ontfait le terrain pour savoir...
lll.- 11faut être bien convaincu pour le faire passer. Il faut prendre des enquê-
teurs motivés etformés...
112.- Ilfautfaire de ses enquêteurs des collaborateurs...
I13.- Il faut le terrain pour savoir ce que sont ces données. On a beau raconter
aux gens tant, qu’ils ne l’ont pas fait, ils ne se rendent pas compte que c’est
d’abord une pratique...
114.- Ilfaut que l’enquêté voit l’intérêt, sa mémoire en dépend...
115.- Il faut s’adapter, il faut savoir être opportuniste vis-à-vis des intérêts des
interlocuteurs car chacun d’eux ne sait pas la même chose que le voisin...
116.- Il faut savoir ce que l’on veut de façon précise et en déduire quelques ques-
tions. Rester sur un plan impersonnel donne des réponses plus vraies.. ,
1 i7.- 11faut savoir le budget avant de faire le projet On chiffre des bagnoles dont
on ignore si elles seront là, des durées d’interview quand on ignore le ques-
tionnaire qui sera fait..
118.- Il faut savoir quand on a des différences de taux etc...
119.- Il faut toucher à tout, faire de l’ethno, de la linguistique, de la toponymie
n sauvage ». Cette manière d’être « touche à tout u est inhérente au terrain...

820
i20.- Ilfaut un iraterlocut&rprivilégié au début...
121.- Il faut une ligne directrice sur ce que tu veux expliquer, les phénomènes que
tu veux expliquer et les données qui te sont nécessaires...
122.- II n’y a pas de recettes...
123.- Il n’y a plus d’exotisme et maintenant des interrogations théorisées, plus
objectivées, plus intimes, plus spontanées (des rapports avec les gens)...
124.- Ii y a des gens qui se retrouvent plus dans la parole, pas moi...
125.- Il y a MMfossé, il ne-faut pas faire semblant. Si on fait semblant, on prend le
problème par le mauvais bout...
126. - Il y a un tourisme obligatoire pour connaître.. .
127.- Il y a une fatigue physique et une saturation mentale.. .
128.-Image de baroudeur...
129.- Implications ? L’axe profond de l’ethnologie, c’est la mauvaise conscience
des Européens...
130.- Importance du travail de collecte, sous-estimé voire négligé. Exemple N* :
de toute façon, il y aura toujours des erreurs donc pas la peine de s’en faire, de
se compliquer la vie, l’analyse permettra d’y pallier... Il dit ça parce qu’if est
payé pour faire que le Bureau produise des données. Mais c’est des connerie, il
le sait bien : après la collecte, c’est trop tard...
131.-Inutile d’aller sur le terrain. Qn va seulement exciter les enquêteurs de
temps en temps. La lecture des documents ne donne pas le toucher et l’odorat.
Le terrain permet d’intérioriser...
132.- J’ai collecté des données neuves, non collectives...
133.- J’ai débuté à faire le coup de feu, j’ai trouvé dans la recherche le moyen de
continuer à être heureux...
134.-J’ai décidé de garder le subjectg Il f au t f awe avec. C’est ça que les gens
vivent, c’est moins qu&tifable, mais ça correspond plus à une réalité, à un vé-
CU...

135.- J’ai découvert en Amérique Latine ce que signifiait d’interviewer les gens
dans leur langue et non pas comme en Afrique par le moyen d’un interprète.
Même chez des gens qui avaient une langue indienne, ils parlaient suffisant-
ment l’espagnol pour que je puisse les interviewer tous...
136.- J’ai en tant que femme moins de problèmes de pouvoir...
137.- J’ai eu envie d’apprendre à penser autrement, pas d’être autre.
138.- J’ai fait surtout un travail ethno parfait mais à vivre super pénible...
139.- J’ai passé trop de temps sur cette exploitation, après coup je me dis ça...
140.- J’ai perdu deux ans comme cela. Moulin à vent. Je voulais vérifier mes idées
et positions. Aujourd’hui, j’ai inversé la démarche et j’ai l’impression que cela
marche mieux comme cela..
141.- J’ai rien fait, c’est un endroit délimité où je choisis d’étudier quelque chose
de précis.. .
142.-J’ai su par cette expérience que j’étais capable de vivre en brousse même
sans savoir la langue...
143.- J’ai toujours fait du terrain, situation des coloniaux.
144.- J’ai travaillé chez les Peulhs, le mensonge et la moquerie comme institu-
tions, c ‘est pas triste.. .

821
14X- J’ai un regard, puis après je suis un glaçon, je vois, j’analyse. Drôle de cir-
cuit en soi.. .
146.- J’ai vécu ça sans culpabilisation, en terme de plaisir. ..
147.- J’aurais dû te parler de mes rapports avec mon boy, du groupe femmes à B*
et de la beauté des palmiers... c’est du terrain tout ça...
148.-J’aurais tendance à penser que le problème est dans la péréquation des
moyens dans la chaîne complète du travail. Le terrain c’est la collecte des
données mais cela mériterait d’être discuté. II y a un seuil au-delà duquel le
coût additif n’est plus en rapport avec l’intérêt. Gain marginal de
1‘information. Le terrain est en aval.. .
149.- J’avais pas de statistiques en collecte de données, non exploitables. Le ter-
rain, c’est pas le couloir des ministères et ce n’est pas ça pour les petits cama-
rades. Le village, fantasme...
150.- J’entends par enquête de terrain, l’opération qui consiste à obtenir des ren-
seignements auprès de la population lesquels serviront à un but précis...
151.- J’essaie de suivre mon questionnaire dans l’ordre même si les gens antici-
pent. J’essaie de ne pas guider les gens d’une manière trop rigide même si on
répond à côté, pour moi j ‘estime qu ‘on me répond à la question.. .
152.- J’essaye d’être honnête par rapport à moi-même, de ne pas abuser des de-
niers publics. Je fais des fausses-factures sans état d’âme excessif car nos rè-
gles comptables ne correspondent pas à la réalité du terrain, mais je tiens à ne
pas gagner de l’argent avec les frais de mission, pour ne pas pourrir comme
ces vieux qui se font du C.F.A. sans vergogne. Je dépense tout sur place. ’
153.-Jamais travaillé avec un questionnaire, les gens se fermaient comme des
huîtres.. .
154.- « Je vais faire de la recherche » dit tout le monde :
- le terrain devient la béquille des indigents intellectuels. Et on ne te contredi-
ra jamais sur ça, le terrain est tangible même si c’est mal fait.
-tout le monde se mêle de la recherche, du savoir : sécurité. Recherche de
sécurité donc vous ne pouvez me contredire car c’est des chiffres, des maths,
c’est du terrain...
155.- Je crapahute mais pas gloriole, mesure du temps, des Km, certains définis-
sent leur travail comme ça, plantent volontairement leur bagnole, aiment
qu’elle soit pourrie.. .
156.- Je crois que la rigueur que l’on exige de l’anthropologue, un plan de travail
qui doit s’accomplir, un schéma ordonné d’enquête, pèse sur la confession à
faire car en définitive rien n’a marché comme prévu. ‘Sur le terrain, j’ai
l’impression de cafouiller. Les autres, je suis sûr que c’est pareil...
157.- Je croustillais sur la collecte...
158.- Je dis avec force que la collecte doit être liée aux opérations ultérieures...
159.- Je le verrais [le terrain] de manière péjorative, fantasmé...
160.- Je m’adapte à des tas de milieux, il y en a que je n’aime pas, on m’y trouve
sympa mais moi je n ‘ai pas envie d’éclater, de me détruire, j’en sors., .
161.- Je me laisse désormais orienter par les données de base. Je suis paresseu-
sement actif...
162.-Je milite pour une spécialité des hommes de collecte...

’ C.F.A., franc de la communauté française, valait à I’dpoque 2 centimes et la zone franc


était une zqne protégée bénCfique a la multiplication par deux de toute épargne.
822
163.-Je n’aime pas une mentalité ruraliste que les chercheurs transposent dans
leur travail. Ordre éternel des campagnes, profondément conservateur. Monde
école. Des gens vont en outre-mer pour retrouver ça : tradition, contre-aspects
acculturés. Vision politique qui obscurcit la vision de ces sociétés...
164.-Je ne dis jamais terrain... L’équivalent pour moi les missions...
16X- Je ne rentrais pas dans les mosquées, je ne participais pas aux fetes par
pudeur pour les gens et lorsque j’ai dit que je partais on m’a invité à plein de
cérémonies. 11y avait un revirement à mon égard et moi même je me suis rendu
compte que je n’étais pas de trop. I<
166.-Je ne sais pas, ça m’a plu au lycée déjà... attirance, un certain je ne sais
quoi... un goût d’exotisme. Justement quand j’étais au lycée, vivre ce qui était
dans les livres.. .
167.” Je partais en mission pour avoir des journées vacances...
168.- Je pense pour qu’une collecte soit bonne qu’il faut s’investir. ..
169.- Je suis relativement déçu par les résultats. Peut-être pour le même effort on
aurait articulé quelques questions un peu différentes et on aurait davantage
d’informations à analyser...
170.- Je suis tombé dans le piège qui s’est offert : orgueil personnel, la remise en
cause dans I’exploitation, j’ai voulu prouver que j’étais capable de le faire...
171. - Je trouve ignoble que notre boulot ne soit pas plus encensé.. .
172.- Je trouve 1 ‘action d’un ethnologue sur le terrain extrêmement dérangeant, à
la limite’malsaine. 11sne veulent pas étudier, ils veulent vivre...
173.- Je veux faire du terrain pour comprendre ce qui se passe...
174.- Joie très intense, ou dépression excessive. Expérience de la limite de soi-
même. Tu te découvres toi-même et dans la mesure où tu acceptes que le ter-
rain choisisse pour toi, alors que tu vois que tu étais dedans avant...
175.- Justification pseudo scientifique : quand on est sûr d’un fait, même si on a
pas un faisceau de preuves avéSes, on afirme. C’est du journalisme.. .
176.- L’affectation outre-mer n’est pas du terrain, c’est une planque.. .
177.- L’analyse : sport en chambre, on rame dans sa salle-de-bains...
178.- L’anecdote, la plus plate, a un statut, c’est très moderne et ce n’est pas pro-
pre aux gens de terrain..
179.- L’anecdotique a un statut tel qu’il n’en a jamais eu avant. Va de pair avec la
culture orale, la télévision, valorisant le moindre vécu...
180.- L’aspect terrain ne nécessite pas un démographe qui est un analyste de la
chose. Mais ça ne donne qu’une compréhension des gens sur lesquels tu vas
discourir après. Un bon démographe n’est pas forcément un bon type de ter-
rain. Mais ce n’est pas incompatible...
181.- L’enquête documentaire, c’est une autre approche du terrain qui utilise
d’autres filières. Des médecins non déclarés comme tels car utilisés par grun-
des entreprises. Je les récupérais par le biais des thèses obligatoirement soute-
nues avant exercice de la médecine...
182.- L’enquêté est un parasite de l’information. Il t’enquiquine. ..
183.- L’ethno est une discipline aussi scientifique que la bande dessinée...
184.- L’exercice de l’écriture est un exercice de la pensée. ..
185.- L’expérience du terrain est toujours limitée par rapport à l’expérience hu-
matne. ..

823
186.- L’expérience du terrain ne se transmet que par anecdote et des platitudes,
on n’arrive à sortir autre chose que des recettes.. .
187.- L’expérience ne se transmet pas bien entre deux personnes, y compris sur le
même type d’enquête car il manque toujours une analyse critique de cette
phase de terrain...
188.- L’expert ne doit pas se mettre dans un bureau à côté. Il faut s’insérer dans
des équipes locales.. ,
I89.- L’homme de collecte c’est le gynéco du chiffre... L’analyste L’obstétricien
des données.. .
190.- L’informaticien est un entremetteur, il démystifie...
191.- L’interlocuteur privilégié, rigolo...
192.- L’observateur privilégié... J’ai été influencé par cette lecture d’Althabe. Le
résultat est que j’ai été l’observateur passif de ma propre enquête sur le ter-
rain. Mon enquêteur lui était heureux... Les recettes des autres, c’est de la
connerie. Ça aussi, on l’apprend sur le terrain...
193.- L’observateur transforme les données d’observation, tu admets le biais de
l’observation...
194.- L’observation c’est chiant, on attend, aller-retour sans fin sur la plage, ou
en pirogue.. .
195.- L’obsession, c’est le bouquin à la fin...
196.- L’ORSTOM est une administration qui choisit des gens calmes, couleur mu-
raille, des moutons qu’on puisse oublier dans leur pré. J’ai eu l’occasion de
voir à Dakar des vieux de 40 ans devenus improductifs, ils étaient finis. Sortis
de I’ORSTOM, c’est la cloche...
197.- La collecte d’information est primordiale. Sans le terrain il n’y a rien. Si tu
fabriques une grille tu tombes carrément à côté. Au début, j’avais une grille,
des idées claires. Cela n’a pas été payant et j’ai été perdant. J’ai maintenant
des idées mais pas articulées sur quelque chose de précis..
198.- Lu collecte de données impose des contraintes qui te mettent entre parenthè-
ses.. .
199.- Lu collecte devrait être l’opération la mieux prise au sérieux et la plus pré-
parée, or on fait des trucs merdiques. De toute façon, les enquêtes top niveau,
ça n ‘existe pas.. .
200.- Lu collecte est faite par dessus la jambe. L’enquêteur ici avait une initiative
quasi totale avec un questionnaire qui n’est qu’un support...
201.- La collecte est une culture scientifique déterminée...
202.- L.-a collecte se fait sur le terrain, donc c’est lié. Alors qu’on n’en parle pas
pour les autres phases...
203.- La collecte, c’est l’articulation d’un ensemble de procédures, Une opération
isolée [dans le pays] est sans intérêt au pays car son contexte est internatio-
nal...
204.- La collecte, c’est terriblement physique. 11 faut se déshabiller, il faut
s’adapter. . .
2OS.- Lu division du travail est nécessaire, vu la taille des opérations...
206.- La durée de son terrain a été phénoménale : dix ans, ou quinze, je ne sais
pas ! Mais son œuvre écrite n’est pas la hauteur. Décevant : il n’arrive pas à
traduire ne serait-ce qu’un peu ce qu’il a compris chez ces gens ! Des bouts

824
d’articles, des récits de café... Il boit à cause de ça : la stérilité, ou trop de ter-
rain ?
207.-La durée du terrain a son importance, si de courte durée, difficile de
s’imprégner et de bien comprendre les gens que l’on rencontre...
208. - La moitié du budget pour 80 % de l’observation et l’autre moitié 20 %.
Point fondamental de l’exhaustif...
209.- La notion de terrain : production de la connaissance, chacun à un mode de
travail très personnel...
210.- La pratique de terrain créée des déchets car rien n’est programmé. C’est ça
le capital d’expériences et de connaissances que 1‘on accumule et qui sera va-
lorisable après.. .
21 l.- La problématique se fait avec le terrain.
212.- La qualité est-elle agrandie par le terrain ?
213.- La réalité du voyage, c’est l’attente. Peu de rencontres fabuleuses, pas de
rencontres avec les gens du pays, surtout avec des routards...
214.- La réalité ne suffït pas certes, mais elle met les idées à l’épreuve...
21.5.- La rédaction : tu n’as plus cette certitude, tu n’as plus ce réel, ta réalité
observée.. .
216.- La salle des archives c’était un terrain, mon bureau plein de roses étant mon
terrain...
217.- La salvation par le Tiers-Monde...
218.- La science est l’expression d’un groupe, les enquêtes démographiques de
terrain aussi. Suwivront-elles à la disparition du premier ?
219.- La seule phase scientifique en démographie, c’est l’interprétation. Toute la
partie terrain, exploitation c’est technique, purement technique...
220.- La statistique protège contre la déviance...
221.- La subjectivité, pleurage de l’information...
222.- La théorie n’accepte pas le hasard, tout est déterminé. Mais le hasard des
entretiens amène par des questions parfois inutiles, des découvertes.. .
223.- Le bricolage est un travail compensatoire et collect$ Il dépend de la dimen-
sion de 1‘échantillon..
224.- Le bricolage ? c’est du terrain sans objectif sans problématique...
225.- Le coût des in$ormations marginales est très grand. ,.
226.- Le danger est de s’investir trop, tu intériorises et alors c’est toi que tu ren-
contres et pas ton terrain...
227.- Le dépouillement à la main des documents permettait des contrôles serrés...
228.- Le droit à l’échec, important le droit à l’échec. Des terrains ratés, parce que
le terrain, parce que la saison, parce que toi t’as pas la forme. Que ça vienne
de l’artiste ou de la matière, qu’importe, le résultat est là...
229.- Le fait se dissout, un fait n’est pas un fait, Il y a toujours une part
d’interprétation... ’
230.- Le fait est étroit, n’y entend pas qui veut...
231.- Le laxi,sme de I’ORSTOM, y’en a qui en crève...
232.- Le mystère, ce côté mystère, qu’on peur donner au terrain...
233.- Le mythe de l’enquêteur qui sait, lui, parler aux populations...
234.- Le nombre de barjots qui peuvent vivre en Afrique leur marginalité !...

825
23X- Le pouvoir est imposé par des analystes. Le savoir livresque ne vaut rien en
collecre. Il faut faire passer une sensibilk!. ..
236.- Le premier terrain le plus riche, et ça diminue, le troisième ennui. Dans des
coins différents, je n’ai pas envie.. .. .
237.- Le présupposé est favorable au terrain mais le fond du drame c’est le refus
systématique du penseur statistique à se salir les mains. Les gens refusent de se
heurter à des problèmes concrets,..
238.- Le problème de la formulation d’une question dans le non-directif: il faut
dans un questionnaire formuler une même question selon plusieurs angles
d’attaque. Il y a la question et la réponse aussi. Tout est brouillé et pour s’y,
reconnaître, il faut matérialiser par des exemples et chercher des exemples
concrets. Il faut parler sur des cas concrets. Dans un pays, un ethnologue con-
nu avait expliqué les sculptures des bas-relief comme étant des interdits des
grandes familles. Moi, j’ai relevé les interdits et je n’ai pas trouvé de relation.
Fatigué d’interroger, je dis aux vieux « le type qui a fait ça il était content » et
les vieux ont dit « eh oui, on fait ça quand on est content ». Les vieux m’ont
avoué ensuite qu’ils ne voulaient pas me décevoir...
239.- Le questionnaire c’est le début de la réponse à la question que tu te poses. Il
se rapporte en partie à tes propres fantasmes...
240.- Le questionnaire est un document statistique, je préfere le motformulaire...
241.- Le rapport d’enquête agence le vécu...
242.- Le recensement pilote n’est pas le test du questionnaire mais de
l’organisation. Le questionnaire est testé bien avant le recensement-pilote, ne
serait-ce que pour faire parvenir les questionnaires imprimés dans les ré-
gions., .
243.- Le respect de la norme dans un atelier de codification, il faut la vivre, 1.5
jours à la pe$o et tu leur parles avec respect...
244.- Le schéma explicaiif demande connaissance de terrain au sens large et
éventuellement des retours...
24S.- Le terrain c’est la phase d’applicarion d’un questionnaire. L’enquêteur esr
neutre. Le démographe a une idée préconçue. Tu ne peux pas faire une enquête
si lu n’as pas de but.. .
246.- Le terrain c’est le lieu où tu vas tirer toute la substance de l’enquête et un
lot de dossiers est un terrain...
247.- Le terrain c’est pas concret, c’est un projet de connaissance. Il 1‘est quand
tu vas vérifier une hypothèse..
248. - Le terrain c’est :
-pratique individuelle, expression sensible immédiate, aspect indispensable
en tout domaine. Irremplaçable car source même de la perception. Mais on
voit l’arbre par la forêt,
- la forêt est vue par la pratique collective de tous les acteurs.
249.- Le terrain ça dépend de l’usage qu’on veut en faire : rêverie, catalogue,
annuarre...
250.- Le terrain ça donne une ouverture qu’on n’a pas ici (en France) : se dépay-
ser, l’avoir été une fois...
251.- Le terrain ça peut être un bureau. Premiers contacts avec des collègues...
252.- Le terrain calme la névrose. On se fait plaisir à faire du camping et à vivre
dans l’inconforr...

626
253. - Le terrain classique, on se donne une région et on passe tout le monde de la
région, qui est le champ de l’enquête...
254.- Le terrain en France c’est pas facile. LA première matinée, les gens sont
tous déprimés : 60 % de réponsef ; 20 % de refus ; 20 % d’absence (dont si-
mulée).
255.- Le terrain est une imprégnation. Deux terrains: superviser, se balader,
comprendre un environnement.. .
2X- Le terrain n’intéresse les gens que quand c’est pas scientifique.
257.- Le terrain partout c’est pas facile. Il faut y croire. Il faut le faire dans un
objecttfprécis auquel on croit. Sinon c’est dégueulasse.. ,
258.- Le terrain relativise l’information et les déformations successives...
259.- Le terrain s’apprend sur le terrain. .
260.- Le terrain : des claques dans la gueule, si t’en intelligent ! et après, tu l’es
plus encore.., Si t’es con, le terrain c’est de l’eau sur un canard...
261.- Le terrain : je suis intimement persuadé que l’on aménage sa vision des
choses en fonction de son vécu intérieur.. .
262.- Le terrain : risque, inconfort, fatigue, travail excessiJ vie précaire, c’est
plus dégueulasse que le camping, alors les gens disent : « le terrain c’est de la
merde et on parle des bêtes de terrain et pas des hommes de collecte ». Le tou-
risme alors n’est qu’une maigre compensation...
263.- Le terrain, au ras des pâquerettes, quoi !
264.- Le terrain, c’est ce que tu oublies et tu fais revivre...
26X- Le terrain, c’est ce qui n’est pas médiatisé, ce qui ce ne se passe pas du re-
gard de l’observateur.. .
266.- Le terrain, c’est évident. Ceux qui font pas, c’est un Charlot, un jean-
foutre...
267.- Le terrain, c’est l’expérience. Il faut en posséder car le livre ne te fait pas
flairer les trucs énormes et’ la bêtise humaine. Une chose vient d’une connerie
monstre que seule l’expérience t’amène à voir. Le flair, le senti, tu ne les as
pas si tu n’as pasfait de terrain...
268.- Le terrain, c’est la Côte d’ivoire. C’est pas un terrain, un lieu précis, c’est
d’être ici. Les lagunes c’est mon terrain, tu peux préciser, mais même pas...
269.- L-e terrain, c’est la pratique professionnelle. C’est un cheminement, on pri-
vilégie trop l’aspect enquête...
270.- Le terrain, c’est pas le bon hôtel le soir. Mieux vaut 5 jours de terrain qu’un
mois à traîner (ballade, tourisme...). Quand tu fais du terrain tu n’es pas très
heureux. Loin de là : inconfort... Phénomènes de la vie, aberrants, qui te font
mal, si tu te gardes de toute atteinte à ton système de valeur, tu t’impliques
tnais tu connais mal...
271.- Le terrain, c’est recruter des enquêteurs et des informateurs, c’est des dé-
marches administratives...
272.- Le terrain, c’est S’intéresser8 c’est démonter le fond des mécanismes so-
ciaux..
273.- Le terrain, c’est toute la chaîne d’information :
-des cons qui disent : la codifc’estpas un travail de cadre...
- ilfaut aller contre l’idée de 1‘INED que seule l’analyse compte.. .
274.- Le terrain, c’est un travail d’artisan. C’est notre bois, c’est notre cuir. C’est
là qu’est le talent du chercheur...
827
275.- Le terrain, c’est une auberge espagnole, si t’as rien en toi, tu vois rien.. .
276.- Le terrain, chose nécessaire ne fait que renforcer les idées qu’on a avant...
277.- Le terrain, contact physique. Ramassage, connaissance tactile.
278.- Le terrain, orgueil et humilité.. .
279.- Le terrain, y ‘en a qui disent que c’est pour éclairer les données qu’il faut en
faire, mais ne serait-ce pas une vessie plutôt qu’une lanterne ?
280.- Le travail est collect$ chacun a le sien, qui au four, qui au moulin. Quand
le train est lancé, c’est trop tard pour penser. Lu collecte ça se prépare,
l’exécution pour le centre, c’est du détail. A chacun son boulot.
281.- Le travail informatique est directement proportionnel au défaut de travail de
terrain. Si celui-ci est malfait, il faudra bricoler les données...
282.- Le travail un peu ingrat de praticien de la démographie...
283.- Les africains disent « vous n’avez rien compris parce que vous n’êtes pas
dans le systètne ». On peut leur répondre exactement le contraire car on est
tous bourré de carcan idéologique et serré dans des oeillères...
284.- Les aléas du terrain, c’est rater un abcès amibien que tu ne repères pas chez
un malade et tous les autres malades de ce type s’abstiendront de venir...
285.- Les analystes on s’en moque parce qu’ils n’ont pas vu le terrain, mais chez
eux il y a autant de charlots que chez les prétendus « terréneux > de m... Ce
n’est pas parce qu’ils n’ont pas vu le terrain qu’ils sont mauvais. Ils sont mau-
vais, point, trait. Le non-terrain dévie la question.
286.- Les anecdotes racontées sont signifiantes de qui les raconte...
287.- Les archives sont un terrain, c’est là que j’allais puiser mon information. Tu
as toujours des éléments qui contredisent ta théorie dans le terrain, dans
l’observation...
288.- Les autres professionnels africanistes genre clampin. anecdotiques. P*. pas
fait de terrain. R*. anecdotique... Comportements colonialistes...
289.- Les chiffres sont utiles pour I’ONU, pas pour le pays. Le redressement des
données, l’analyse critique, ça ne sert pas au pays...
290.- Les compétences de départ, les études, cela ne te sert pas à grand chose, le
terrain dépend de qui tu es pas de ce que tu sais. .
291.- Les conditions de la collecte sont une question occultée par le chercheur
quand il parle de son travail...
292.- Les conditions de travail sur le terrain sont telles qu’on ne peut pas dire
comment on l’a fait. Une certaine pudeur, tu vois on est un peu gêné, on n’est
pasJier de ce qu’on a fait, on ne peut exposer d’une manière formalisée, nor-
malisée, ce qui ressemblerait à une méthode d’enquête...
293.- Les documents existent, ils ne font pas problème...
294.- Les Dogons, je n’y crois pas... C’est trop beau !
295.- Les données ne sont pas des données mais des faits...
296.- Les enquêtés ?Des malins ! Et qu’ils te baisent bien bon, patron !
297.- Les erreurs de départ ne se rattrapent jamais...
298.- Les gens de terrain détournent les règles et leurs règles de référence, c’est
une évidence de terrain, une espèce de débrouille...
299.- Les gens ne voient pas l’intérêt de la collecte...
300.- Les gens ont des données, des tableaux de chiffres, de plus en plus de cal-
culs, de plus en plus sophistiqués, on croit que ça existe d’emblée. On ne

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s’intéresse pas à savoir comment ça a été collecté tant qu’on n’a pas fait de
terrain. ..
301.-Les gens ont du mal à se dévoiler pour les questions qui leur tiennent à
cœur, alors il faut recouper 1‘information.. .
302.- Les gens ont une armature intellectuelle qui leur permet de débarrasser
l’anecdote de son côté anecdotique...
303.- Les gens parlent beaucoup de leur vécu, côté aventure, exotique. C’est ça
qui les a intéressé. En fait, il ne leur est pas arrivé une aventure. Ça les a sorti
du quotidien...
304.- Les gens qui ont fait du terrain, c’était leur époque la plus faste...
305.- Les gens qui parlent de collecte égrainent une suite d’anecdotes. C’est tou-
jours du vécu, c’est important mais on n’arrive pas à en sortir...
306.- Les grandes enquêtes, le terrain c’est de la gestion...
307.- Les herbiers sont insufisants, car il y a les odeurs, les couleurs, qui sont très
importantes sur le terrain.. .
308.- Les hommes de collecte ont tous cette suite de caractères saillants...
309. - Les hommes de terrain ? Des aventuriers !. . .
310.- Les hommes de terrain ?Des organisateurs...
311.- Les jeunes célibataires de 1’ORSTOM s’éclataient, ils se faisaient exploiter,
mais ça n’empêche pas le plaisir...
312.- Les légendes y ‘en a plein, totalement fausses. Tu parles aux gens, ils te di-
sent : « sur le terrain, je lis des polards ». Tu vas avec eux, ils lisent peu de
polards, sauf ceux qui en lisent de toutes facons. Autre mythe : les types de ter-
rain sont incultes, c’est faux, mais c’est pas des théoriciens. Tu peu-x peut-être
pas investir dans ta vie dans les contacts humains et dans une mécanique de
tête. Il y a des exceptions, mais la recherche est faite par des nanas et des mecs
normaux
313.- Les médecins ne repèrent pas les femmes enceintes, alors que les enquêteurs
ils les voient...
314.- Les plus grandes révélations du terrain c’est affectifplus qu’intellectuel...
315.- Les questions créent les réponses : les gens inventaient un droit devant moi,
ils théorisaient leur pratique pour un discours pour moi...
316.- Les routards font des discours, anecdotes fabuleuses, mythiques.,,
317.- Les statistiques sont une image du réel, mais parfois le réel n’existe pas !
Aller y voir te l’apprend. Je suis allé voir une usine, j’avais l’adresse et tout,
des contacts et tout... Eh bien, l’usine n’existait pas ! C’était une usine-pub ! Il
y en avait plein comme ca, avec des annonces dans Le Monde Diplomatique du
genre « Cherchons pour usine telle, à tel endroit, ingénieur(e)s .. . etc. ! » La
rigolade : des « ingénieureuses ti dans un pays pareil ! Ces usines gageaient la
dette, tu vois ? Eh bien, le terrain, c’est cette vérité-là qu’il t’apporte. Et si le
pays est beau, t’as aussi les yeux remplis de merveilles, c’est tout. C’est quand
même pas ta faute si ces usines-là t’ont pas bousillé le paysage, non ?
318.- Les terrains, ces monuments de bonne volonté, quand ce n’est pas de pure
charité coloniale !
319.- Les trois quarts des collectes en France sont un bouillon total, pire qu’en
Afrique...
320.- Les vieux en Afrique, vieux routiers de la palabre qui t’embobinent...
321. - Libertê. ,.

829
322.- Ma déception vient qu’on trouve plus d’intérêt aux sous-produits (habitat,
ménage) qu’aux buts explicites de l’enquête (mortalité, fécondité)...
323.- Ma mère est une Africaine (rires). Très claire elle aussi. Avec mon père, tu
comprends.. , Reste que je suis un «frisé serré ».
324.- Mais les gens eux n’ont pas l’impression d’être dans un rôle...
325.- Malaise quand on rentre en France, il faut s’adapter. On n’est qu’un numé-
ro. Ici on me porte en triomphe. Pour des villageois, je suis leur mundélé
[blanc]...
326.” Même quand je ne fais rien, je fais de la recherche, car sur ma feuille de
paye est inscrit : « chercheur ». Et le terrain, c’est quand je suis payd pour ne
pas être chez moi.
327.- Même quand le pays n’est pas sympa, il y fait son trou, sa niche. Il s’y en-
dort. L’orstomien est tout sauf un aventurier, cè n’est pas un baroudeur et
même pas un touriste..,
328.- Mémoire collective qui fait qu’ils ont tout raconté aun blancs...
329.- Métier très dévalorisé alors que leur rôle est essentiel [les gens de terrain]...
330. - Modula spéc&ité : les problèmes de collecte sont les mêmes partout.. .
331.- Mon effort, et mes lectures, ont été du côté des praticiens...
332.- Mon exotisme, il est colonial...
333.- Mon passé colonial ça a joué au départ, c’est certain, dans le choix de par-
tir.. .
334.- Motivation insuffisante au début quand je lis la théorie...
33-i.- Mots parents ? vieux briscards, rodage, équipes rodées, le nez. dans le gui-
don, tout ce qui relève du courte vue et du mec sympa qui fonce. C’est Poulidor
quoi, toujours devant mais jamais premier !. . .
336.- Nous bons civilisés, eux bons sauvages. Le problème n’est pas là, inutile
d’avoir des jugetnents moraux car si ces sociétés ont survécu c’est qu’elles
présentaient une cohérence. Elles sont, même si elles sont condamnées...
337.- Nous sommes des étrangers, considérés comme tels, et ils ont padaitement
raison. Déjà, ils n’aiment pas qu’on s’habille comme eux; mais manger et
parler comme eux oui. On est un blanc, blanc lié à l’administration, on reste
un blanc.. .
338.- Nous sommes les mecs qui faisons le tapis rouge en salopette...
339.- Nous, on est des techniciens. On sait concevoir une maquette de question-
naire. On cherche et on regarde si on peut obtenir le renseignement...
340.- Observation participante : acquérir la confiance, je suis revenu un peu de
ça...
341.- On a beau avoir fait des études ce que j’ai appris, c’est du vent. Tu déchan-
tes.,
342.- On a le droit de bricoler, on peut faire des enquêtes, ce n’est pas illégitime,
mais ça ne doit rien coûter au pays..
343.- On achève bien les chevaux, on devrait pouvoir achever des enquêtes, et des
rédactions, pareil ! L.e travail raté mérite la charité chrétienne : le passer par
les pertes et profits. Boum ! requiast in pace et silencium Des analyses, pa-
reil...
344.- On cherche la réalité et on est sa propre rkalité...

830
345.- On dit qu’on analyse les chiffres, en fait 1‘analyse c’est 1‘adaptation des
chiffres à l’idée que l’on a, or il faudrait être capable de produire des données
sans forcément être capable de les interpréter.. .
346.- On élude le problème du test, on y va bille en tête...
347.- On fait du terrain quand on est jeune et on le raconte après, quand on est
moins jeune. Et quand on est vieux qu’est-ce qu’on raconte ? Sa jeunesse OU
son terrain ?
348.- On gonfle, on devient mégalo. Je suis mégalo...
349.- On impose des standards linguistiques qui n’ont pas cours dans la popula-
fIOn...
350.- On lève des lièvres, il faut se former sur le tas, les collègues ne sont pas
disponibles pour t’aider...
351.- On me traite d’acculturé, or je suis profondément enraciné dans le terroir.
C’est une part obscure de moi, l’expression de mon subconscient...
352.- On n’arrive pas à transmettre cette expérience. Ils y croient comme on ra-
conte une histoire...
353.- On ne parle pas du terrain au niveau analyse et assez peu au niveau prépa-
ration...
354.- On ne peut critiquer son terrain car on scie à ce moment là la branche sur
‘laquelle on est.. .
355.- On ne peut faire du qualitatif et du quantitatif en même temps...
356.- On ne peut pas avoir la même chose dans les livres, on a à travers les au-
tres, on a sa sensibilité.. .
357.- On ne peut pas dire que la personne a fait tnoins bien son travail si elle a
seulement exploité le recensement...
358. - On ne peut pas pallier les défauts de la collecte donc elle est importante. On
peut se donner des résultats présentables qui ne sont pas trop déprimants à
voir, mais s’ils sont trop trafiqués, « salés », ils seront controuvés par des en-
quêtes ultérieures. L..a clé est le cheminement temporel. Une fois la collecte
loupée, on ne peut plus sauver grand chose. Si la collecte est mal conçue, on ne
peut pas s’en tirer...
359.- On ne peut pas parler de terrain en vrac, il faut sérier les problèmes. . .
360.- On ne peut plus fantasmer, il n’y a plus de terrain vierge. On ne peut plus
raconter n’importe quoi sur l’Afrique...
361.- On ne raconte pas ses vacances, comment raconter son terrain ? Émotion-
nant et banal..
362.- On ne sait jamais les événements dont les gens se foutent ou non. ..
363.- On ne travaille pas en équipe, on a des individualités juxtaposées...
364.- On parle assez peu, il approuve en fait en utilisant des sources indirectes.. .
36.5.- On part avec un projet et on tombe sur des interlocuteurs qui ont d’autres
préoccupations que la tienne...
366. - On part revivre la situation dans leur cocotte personnelle.. .
367.- On peut bouffer à tous les r6teliers ses problèmes épistémologiques...
368.- On peut être affecté sans faire de terrain. Un peu illusoire. Ça dépend de
l’objectif que l’on a. Quand l’information n’existe pas, il faut aller sur le ter-
rain sinon on estfumiste...
369.- 011 peut inventer le terrain ? Oui...

831
370.- On reste toujours un étranger sur le terrain, même avec ces simulacres
d’initiation qui ne sont que des faits donnés à de grands enfants capricieux.
Ceux qui y croient se mystifient, des gens (étrangers) se sont adaptés aux con-
ditions locales (se sont fondus à la population) mais jamais un ethnologue.. .
371.- On se comprend entrefemmes,‘reste que j’étais une blanche...
372.- On se laisse pousser vers le terrain car on se sait inapte pour l’écriture.. .
373.- On se pose un certain nombre de problèmes, on imagine un certain nombre
de variables qui pourraient fournir les réponses. On teste et on modifie quand
on pense que la réponse a été mal comprise. Mais quand elle est bien comprise
(on croit avoir une bonne réponse) on ne sait pas si on a induit la réponse que
1‘on voulait.. .
374.- On voit les enquêteurs sous l’aspectjlicage, mais on pourrait les voir sous
l’aspect communication...
375.- Opposition entre gens du terrain qui essaient de saisir une restitution qui
n’est pas la leur et qu’ils doivent aller voir et des africanistes en chambre...
376.- Pas de boy au début...
377.- Pas de définition car ça peut-être n’importe quoi...
378.- Passé le premier choc, t’es forcé d’avoir une démarche interprétative par
rapport à ce que tu sais, à ce que tu crois comprendre, tu n’as jamais de virgi-
nité par rapport à l’objet, faut-il l’avoir ?
379.- Personnalités individualistes : faire un effort physique ; travail de titan, de
fourmi.. .
380.- Plein de types se cassent la tête, tournent autour du pot, il faut poser la
question. Ça raccourcit le temps de terrain. On regarde, on cause, on pense, on
cause, et on regarde encore...
381.- Plus une région est attrayante, meilleur sera le terrain...
382.- Portrait de l’homme de collecte : coffre physique ; chaleur physique. Il faut
s’imposer par la voix, être démonstrati5 être un peu futé, convaincre...
383.- Pour certains il faudrait des rewriters, car les gens s’expriment mais
n’arrivent pas à faire un texte lisible...
384.- Pour les analystes, le terrain c’est le sale boulot dont tout le monde se fout
même ceux qui disent le contraire...
385.- Pour moi la collecte de l’information est quelque chose de très vécue et ça
se passe plus au niveau de la conversation que de l’intellect...
386.- Pour moi, il faut un informateur qui résout en 5 mn ce qui à toi demandera 3
jours.. .
387.- Pour moi, le terrain c’était plutôt des interlocuteurs administratifs...
388.- Pour moi, les rapports avec mes collègues étaient sufisants. Mais on m’a
dit : « maintenant tu vas aller sur le terrain » alors que moi-même j’avais déjà
eu l’impression d’avoir été lancé sur quelque chose que je ne connaissais pas.
Beaucoup de Parisiens ignorent la différence entre les chifSres obtenus par en-
quête, recensement... Qualité, profondeur de la réponse différentes. J’ai une
très grande curiosité pour les gens...
389.- Pour un analyste, permet de comprendre les sources d’erreur. Ce qui est
déterminant c’est comment les gens acceptent l’enquête. En France, même ré-
férence globale, les gens acceptent mieux. Non je n’ai pas travaillé en
France...

832
390.- Pour un archéologue, c’est marcher, apprendre le pays avec la semelle de
ces souliers...
391.- Prendre les choses comme elles sont et non comme on voudrait qu’elles
soient.. .
392.- Presque anecdotique, car ce sont les gens qui théorisent leur expérience. Les
gens s’élèvent à un trPs faible niveau d’abstraction...
393.- Problème d’insensibilité : on peut être utile tout en prenant son pied. ..
394.- Problème de la boulimie de variables, on veuf cacher son incapacité à ré-
soudre un problème par un nombre important de questions. Or, un problème
simple peur se poser simplement peur-être...
395.- Problème de tqmber sur des « barjots complets » sur le terrain et de s’en
satisfaire. Autre problème : sur le terrain, on peut vivre sa marginalité plus fu-
cilement.. .
396.- Qu’est-ce que je foutais là, blanc avec de l’argent. Je devais les aider, je
devais payer. J’avais l’idée naïve de ne pas instaurer des rapports d’argent
avec les gens avec qui j ‘enquêfais.. .
397.- Quand je réalise un contrat, je fais des enquêtes avec enquêteurs. Bien obli-
gé ! Et moi, je cours le pays à côté avec un interprète. Au rapport, j’écris ce
que j’ai vu. Les questionnaires remplis, je les lis et prends des notes. Puis je
mets un type qui fait des petits bâtons dans des colonnes avec les réponses et
quand ça ne me dérange pas, je mets les chiffres [dans mon texte]. Comme ça,
tout le monde est content.
398.- Quand je me crève la paillasse, je culpabilise moins mais la réponse peut
être également mauvaise...
399.- Quand les gens te manipulent sur ton terrain, c’est le signe qu’il est fini, t’as
plus qu’à gicler...
400.- Quand les problèmes de ton terrain deviennent des problèmes personnels, tu
as du mal à débrouiller l’écheveau, à fixer l’essentiel...
401.- Quand an était petit, on voulait être explorateur. Amis : chanteur de pop. ..
402.- Quand on fait un truc très gros, on mélange tout et cela ne donne pas forcé-
ment un bon pot-au-feu...
403.- Quand on fait une enquête, on sair quelles sont les questions qui ont été
rentables et les autres...
404.- Quand on ne sait pas la langue, on n’obtient qu’un résumé de la réponse...
405.- Quand on sait pas où on va, on va dans le mur...
406.- Quand société hérérogètte et en minorité, tu fais toujours du terrain ethno.
J’en fais comme Monsieur Jourdain faisait de la prose...
407.- Que signijïe 10 cas multipliés par le taux de sondage si les 10 ont, en plus,
été « corrigés », on corrige ses gosses pour les faire entrer dans le moule.. .
408.- Que vaut une information obtenue de quelques rares personnes quand
d’autres auraient dir le contraire. Un seul afirme avec de grands mots ef théo-
rie : l’ethnologue lui-même...
409.- Quel intérêt de faire une enquête démographique, ça sert à moi...
410.- Quelquefois on a à faire à des personnes très chaudes. Soit qu’elles ont des
problèmes, soir qu’elles voient mal la personne qui leur vient...
411.- Querelles d’école, on se jette à la tête, théoriciens, praticiens...
412.- Questionnaire : C’est un support physique de la prise des informations mais
il peut beaucoup varier dans sa forme...
833
413.- Questionnaire : c’est un truc qui permet de quant$er un peu les concepts...
414.- Questionnaire ? un ensemble de questions reliées entre elles. L’ordre logi-
que des questions est très important pour l’enquêteur, pour l’enquêté...
415.- Questions ? Ce qui vient avant la réponse...
416.- Quoique parfois ça y ressemble, le terrain c’est pas le Médtiterranée...
417.- Rapport colonial : Ça fait partie de l’exotisme. Tu passes dessus, c’est sur
des faits gênants dans le vécu, on ne peut être pris comme un égal, il faut en
jouer tactiquement. Des choses sont permises, d’autres non, c’est différent
pour un africain...
418.- Rapport colonial, discipline au fond assez odieuse...
4JP.- Rapport du terrain dominé par le problème technique du recueil de
l’information.,
420.- Rapport négatlfau terrain : on reste extérieur...
42J.- Réécris les données et j’en rediscutais avec les gens, et aussi avec ceux de
ma culture...
422.- Regarde L... il dit qu’il va aller sur le terrain faire des choses, mais il ne
fera rien. Il croit qu’il va, par le terrain, combler ses insuffisances intrifuèques.
Sa non-méthode, son non-objet scientifique, sa non-compétence dans sa disci-
pline scientifique. Il n’y trouvera jamais que ce qu’il contient lui-même : le
vide absolu, sidéral et sidérant qui l’habile. Il glissera d’une incompétence, la
sienne, vers urte autre que lui permettra la structure de la Coopération fran-
çaise. Il était mouvais proJ il a été mauvais technicien, il sera mauvais sur le
terrain, parce qu’il est mauvais...
423.- Relation affective très étroite avec ton boulot...
424.- S’éclater, nécessaire à la compréhension, jeter sa gourme...
42X- Sans aucune culpabilité, c’est une expérience humaine...
426.- Sept ans sur le site, sept ans sur le terrain... de longues années sur le terrain
m’ontfourni un réservoir de données...
427.- Si je n’avais pas relevé le défi, j’aurais échoué,,.
428.- Si le bouquin n’est pas là, qu’on craque avant la$n on n’a rien fait...
429.- Si on était sérieux, enquêter sur la réalité c’est déformer la réalité. Ça al-
tère..
430.- Si on n’a pas d’expérience concrète de quelque chose, on n’a pas de mesure
de l’expérience des choses, et de la qualité des données fournies par une col-
lecte. .
43J.- Si tu prends les informations de quelques-uns : empirisme, ça autorise le
dogmatisme.. .
432.- Si tu vis dans la représentation de ta pratique tu sors de ta pratique...
433.- Sur le terrain on se vide de ses préjugés en les découvrant...
434.- Sur le terrain, les gens se moquent de toi, Napoléon Chagnon avait été bi-
zuté chez les Yana-Mati , les gens s’éclataient à lui donner des noms complè-
tement absurdes pour répondre à ses questions.., Pareil avec Paul Reisman
chez les Peulhs en Haute Volta. Il en a chié !...
435.- Sur le terrain, on a d’immenses plages désertes où on n’obtient rien...
436.- Sur le terrain, on est confronté à des circonstances qui sont en fait la vie.
Qui ne sont pas maîtrisables intellectuellement d’emblée, et qui ne te permet-
tent pas de théoriser immédiatement sur le terrain. En fait, je crois que sur le

a34
terrain, on ne comprend pas ce qui se passe. Sauf à avoir des moyens et de
pouvoir se retirer pour mettre de l’ordre dans tout cela.
437.- Sur le terrain, on part avec une petite équation personnelle et ils te CO?I-
frontent à ça. C’est des rêves d’adolescence...
438.- Sur un terrain, l’essentiel de ton information est verbale...
439.- Sursis de la vie d’étudiant...
440.- T’as des types de terrain qui ne regardent aussi que les chronos et les bor-
dereaux. T’as des analystes qui fonctionnent comme des ordinateurs. IDUP, on
cherche à former de parfaits analystes, c’est une école d’application de techni-
ciens...
441.- T’en a qui te bassinent avec leur vie sur ie terrain, leur pipi-caca, mois on
s’en fout ! On se doutent bien qu’ils urinent et défequent et que quand t’as pas
de chiotards il faut bien que tu fasse ça où tu peùx. Ça n’a rien à voir avec la
méthode scientifique et les résultats de ta recherche nom d’une pipe. Faut être
un peu sérieux.. .
442.- T’en as qui sont doués sur 1‘analyse intellectuelle. Avec un terrain d’un an,
ils se font de la dot. pour une vie. Ils ont pas envie de repiquer. À côté, ou à
l’opposé comme, tu veux, t’as des gus qui aiment crapahuter, qui aiment sentir
leur corps, jouir, souffrir... Eux, ils iront vers le terrain, si les circonstances
leurs sont données.
443.- Tant qu’on est sur le terrain, on accumule, on accumule...
444.- Terrain associé à un certain plaisir pur, sans mystification...
44.5.- Terrain et collecte ça se confond assez. Les documents c’est un terrain théo-
riquement oui, mais en pratique ce n’est pas du tout la même chose...
446.- Terrain et tourisme : pas sage ; certaine permanence.. .
447.- Terrain ou collecte, querelle d’épicier...
448.- Terrain sans théorie ? Oui, sans objectg non...
449.- Terrain synonyme d’affectation. C’est décevant, vexant, alors on s’excite sur
la méthodologie avec un peu de bouteille, on obtient la même chose dans son
bureau (en les estimant) car ils savent qu’on ne peut avoir de ch@res précis...
450.- Terrain : anesthésie lente mais sûre des idées politiques dans la mesure où
on fonctionne dans ce systt?me là, comme on ne peut pas passer sa vie à se
chercher des alibis, on n’en cherche plus...
4Sl.- Terrain : c’est du travail et du plaisir. C’est une imposture d’écrire,
l’enquête voit les faits par le petit bout de la lorgnette. Personne ne met les
bémols. Affectation n’est pas terrain, mais se balader. à travers ton pays
d’affectation est du terrain.. .
452.- Terrain : société d’accueil avec relation de travail et relation quotidien :
logement, nourriture...
453.- TerrairJpraticiens ? Ça dépend comment il part et ce qu’il en retire. Faire
un recensetnenr, ce n ‘est pas être praticien.. .
454.- Théorie du terrain ? Domaine de l’intuitif, du vécu quotidien. C’est comme
la vie de tous les jours, difJicile d’en sortir des idées géniales...
4X- Toujours l’impression que ce qu’on va publier n’est pas intéressant,
n’apporte rien. ..
456.- Tourisme, ersatz du terrain. J’ai beaucoup voyagé, c’est un monde particu-
lier, plus restreint que celui du voyage. Les gens recréent dans les univers où
ils voient leur monde...

835
457.- Tout échantillon n’est pas bon à observer, tout terrain n’est pas automati-
quement signijïcat$. .
45X- Tout terrain est biaisé par 1‘ethnocentrisme. Le problème est de maîtriser ce
biais., .
459.- Toute enquête qui ne produit pas de chifSres n’a servi à rien sauf éventuel-
lement à former les gens qui l’ontfait...
460.- Travail du terrain dans enquête : à mon avis elle est formidable c’est-à-dire
qu’elle est irremplaçable. Les sciences humaines ne sont pas des sciences
exactes mais justement il y a tout le côté vécu, senti, il est indispensable à la
démarche, à la recherche plutôt.
461.- Travail et collecte la même chose ?Non, la collecte est une partie du terrain
mais le travail comprend également toute la prise de contact du milieu par le
chercheur par une meilleure connaissance du milieu. L.a collecte c’est la phase
« prise d’information ». ..
462.- Travail sur discours, et non surfaits en Amérique Lutine...
463.- Travailler, c’est produire...
464.- Très érotisé...
465. - Tu enfles un peu dans un pays pareil, côté pouvoir..
466.- Tu finis par regarder ta propre société avec des yeux d’ethnologue...
467.- Tu ne comprends pas davantage, mais tu éprouves davantage, bête de dis-
tinguer les deux.. .
468.- Tu ne peux pas distinguer le contenu de la forme. Ça forme un tout indisso-
ciable. Là est le problème. Peut-on le séparer ?
469.- Tu peux être un imbécile, tu apprends quand même.. ,
470.- Tu peux pas tout voir, même sur le terrain. Alors si y ‘a plusieurs enquêteurs,
tu peux pas les piquer tous. La conjiance, c’est Fa que tu dois savoir cons-
truire, pour savoir ce que valent tes info...
471.- Tu sélectionnes, tu ne produis pas tout fait...
472.- Tu transpires ton milieu par tous les pores de ta peau,.. Un autre Jlément
parasite du questionnaire est le concepteur...
473.- Un bon scientifique qui n’aime pas le terrain fera un meilleur terrain qu’un
Charlot qui aime le terrain et ne sait pas où il va. Le premier fait du terrain, le
second du tourisme..
474.- Un bon terrain c’est ce qui ne se raconte pas, car t’as vécu ça simplement,
concrètement, comme t’aurais vécu autre chose. Les anecdotes qu’il laisse sont
apparemment plus glorieuses, car si tu dis : « Un jour, au Kénya, alors qu’un
éléphant nous chargeait, Smith a dit : c’est une bonne occasion pour ne pas
boire notre thé, je le trouve froid », ça en jette ; par contre si tu racontes
qu’alors que ton tableau ne tombait pas carré, Smith a dit..., tout le monde te
prend pour un débile mental, sauf les idiots qui croient que c’est toi qui fait de
l’humour !..
475.- Un démographe peut faire de la démographie, le reste du monde n’en a rien
à faire...
476.- Un homme de collecte, c’est un homme de caractère, acharné, trempé. Sinon
tu n’arrives pas au bout. 11faut y croire mordicus, coup de déprime, problème
de famille. Le recensement c’est ton gamin...
477.- Un intello a un savoir qui est imposé. Notre légitimité scientifique, ils s’en
foutent. On les emmerde...

836
478.- Un mauvais questionnaire est trop long ou trop imprécis, c’est-à-dire qua-
litarif.. .
479.- Un peu de scepticisme sur le travail mais fier, j’ai su le faire.
480.- Un questionnaire c’est un turf-dents dont personne ne peut se servir après
vous. » Tristan Bernard’s copyright.. .
481.- Un quesdonnaire esf différent selon l’objectg c’est 1’abouGssemenl d’un
cheminemenr analytique. Si ce cheminemeni est flou, l’objectif est ouvert. Mais
un questionnairefige les choses, donc c’est un aboutissement, ilferme...
482.- Un quesrionnaire esr une projection, un outil...
483.- Un questionnaire : c’est un moyen de production de la connaissance. Il faut
en faire la critique. Instrumenr dangerewr, rendu nécessaire, il introduit une
distance, c’est un filtre.. .
484.- Un questionnaire ? Il faut un enquêteur qui t’en rapporte plein, tu lèves ton
sourcil, tu le files à un autre, lui 1‘exploite, et toi lu analyses, le maître etc...
485.- Un questionnaire, c’est le moyen d’obtenir les informations dont tu as be-
soin pour obtenir des informations. C’est un objet que tu présentes à X person-
nes différentes et dont tu obtiendras les mêmes informations. L’enquêteur doit
être abstrait pour supposer que les informations sont objectives. Une question
c’est la plus petite quantité d’informations que tu puisses appréhender...
486.- Un recensement c’est un bateau qui prend l’eau de toute part, on passe son
temps à colmater: 10 % d’imbécillités; 20 % de malices sur 5 millions
d’habitants : 1,5 biaisent...
487.- Un recensement c’est un château de cartes, sitôt qu’on touche à quelque
chose ça modifie ailleurs...
488.- Un recensement est en fait d’intérêt secondaire. Par contre, la cartographie
de l’habitat, elle est essentielle pour la gestion du pays...
489.- Un recensement pilote : les grandes manœuvres...
490.- Un sondage bricolé, c’est tirer de mauvaises unités et attraper les bonnes
qui sont derrière...
491.- Une anecdote à la place d’un concept, voilà comment les gens font...
492.- Une bonne enquête dépend d’un bon terrain, phase essentielle...
493.- Une bonne enquête ? C’est une enquête faite par un vpe qui est bien, qui est
valable quoi, en qui tu te dis que tu peux avoir confiance...
494.- Une bonne enquête, c’est celle qu’on ne fera jamais...
495.- Une bonne enquête, c’est quand on arrive à tirer les meilleurs résultats pos-
sibles vers L’objectif qu’on s’est donné.. ,
496.- Une collecte parfnite c’est du type recensement Mais j’ai jamais fait...
497.- Une définition du terrain correspond à une certaine pratique. Et X terrains
car X pratiques.. .
498.- Une enquête a un côté « aventure », content quand on l’a fait, on se rend
compte. Ils se rendent compte après.. .
499.- Une enquête multi-objective n’est adaptée à aucun des objectifs. Étendre la
finesse de l’investigation, c’est comme étendre le champ géographique, au-delà
d’un certain seuil on ne fait plus de statistique car on mélange des choses qui
ne peuvent pas l’être...
.500.- Une enquête se commence quand on sait où on va. Un terrain n’existe.qu’en
fonction des objectifs qu ‘on se donne.. .
501.- Une personne saisit des choses et toi autre chose...
831
SO2.- Une question c’est un maillon en soit, pas forcément quantijïable ou utilisa-
ble. C’est des pions que tu fais avancer. C’est le poids de l’expérience. On sent
ce qui va ou va pas. C’est du flair...
503.- Une question c’est un tableau...
504.- Une réponse négative est plus vraie qu’une réponse positive. ..
SOS.- Va et vient : ce que je suis et le terrain...
SO6.- Vécu, le terrain : très simplifié, très personnel, assez chiant sur le plan per-
sonnel.. .
507.- Vision un peu passéiste qui a influencé le choix de cette profession. J’ai par
contre depuis dépassé ce point de vue...
50X- Visiter des usines, aller chercher l’info là où elle est, dans la tête des gens,
chez des bureaucrates obtus, ça aussi c’est du terrain...
509.- Voyeurisme...
510.- Y’a pas de terrain c’est un gag, c’est mon idée à moi au milieu d’autres
gens. On peut y voir un bordel. J’appelle ça terrain car tâche à accomplir...
511.- Y’a rien de plus excitant et de plus décevant que le terrain. Tu ramènes des
cahiers, des cassettes et t’as pas grand chose. Après c’est moi qui parle et qui
interprète. Peu l’accepte...

838
PLAN DÉTAILLÉ
PLAN DÉTAILLÉ

2 Avertissement
4 Dédicace
5 Mise en place du thtme
16 Sommaire
18 Introduction : Thème et corpus
21 A- Collecte et terrain: processus et mafurafion d’une idée et ses conditions
d’analyse
21 Historique d’une idée
33 Le corpus d’information
33 Conception de cette rédaction
33 Présentation du parcours professionnel
39 B- Le Corpus rassemblé pour cette recherche
39 Corpus bibliographique
46 Corpus de questionnaires
41 Corpus d’interviews
49 corpus Orstorn
50 Corpus d’expériences
51 La démographie et l’anthropologie, cœur de notre recherche
53 C- Conceptions scientifiques d’une génération : terrain et réflexion institution-
nelle
53 L’hypothèse centrale de Feuer
55 Pratique et terrain
63 La decolonisation : L’époque néo-coloniale comme passage a la modernité
65 Les structures de quoi on.attend tout

73 p Partie : la science comme action et problème : science et société


II A- Qu’est-ce que lu science
78 Chan. I : Le monde et la connaissance
19 Observation et theorie, le cycle de la poule et de l’œuf
80 Déclaration de principes, énoncés d’hypothèses et articles de foi
88 Chau. 2 : La science et les sciences
88 La nature de la science
91 La science comme sphère d’activité, autonome et déterminée socialement
95 Qu’est-ce que la science ? Une conclusion en forme d’interrogation
96 Y aurait-il science et sciences ?
105 Chao. 3 : La demande sociale
110 Le simplisme comme système explicatif
122 Chao. 4 : L’information scientifïaue
122 Connaissance vulgaire, connaissance scientifique
124 Donn&es et informations
128 Des ouvrages pretendument scientifiques
131 B- Les grands débats de la pratique des sciences sociales
163 Chap. 5 : Problematique et totalité : deux grands themes
134 La question de la problématique
140 Le fait social total
143 Chao. 6 : Le terrain comme oaradieme
150 Chan. 7 : Echelles et niveaux
150 De la nature des informations scientifiques
159 Les changements d’échelles
161 Le global et le local
162 Les limites spatiales
166 Chao. 8 : Continuite et ruoture
166 Continuit& et ruptures
172 Les unités d’observation
176 Qui répond au nom de qui ?
178 De quelques points « mineurs »
181 Structure et mouvement
184 Chap. 9 : Oualite et ouantites
184 Cas statistique, cas exemplaire
187 Qualitatif et quantitatif
191 De la monographie
193 Chercheur individuel, chercheur collectif
196 Chao. 10 : L’expérimentation et la simulation
196 Les informations scientifiques
200 Observation, exptrimentation et simulation
202 L’observation
203 L’expérimentation
210 La simulation
224 C- De Goldmann à Passeron, 30 ans de sciences sociales
239 D- LA question des compétences, approche de la démographie
247 IIL”u Partie : Méthodologie et techniques d’enquête
254 Chao. 1 : Les enquêtes démoerauhiaues par sondage en Afrioue francoohone :
exemple d’une situation scientifique dans la collecte directe d’information sur le
terrain., en 1965
255 Pourquoi des “enquêtes rétrospectives a passage unique” ?
256 Observations critiques sur ces enquêles
268 Chao. 2 : L’enouête. lieu de confrontation vroblematiaue
268 Procédures quantitatives et qualitatives dans l’enquête
270 L’enquête, situation interculturelle
277 L’ouïe et le regard
211 Chaa. 3 : La collecte. avant, oendant, après
219 Préparation d’une collecte
281 Le déroulement d’une collecte
286 Exploitation et analyse
291 A- Les collectes quantitatives
291 La démographie comme discipline scientifique

842
294 Chap. 4 : Les différentes dimensions des enquêtes auantitatives
294 Définition d’une enquête quantitative-type
296 Classifications possibles des enquêtes démographiques
297 Recensement et sondages, un debat
299 Structure et mouvement ’
300 Les enquêtes multi-objectifs
302 Transversal et longitudinal
303 Les collectes disposant de plusieurs stratégies d’observation
306 Observation sur les informations supplémentaires
309 La période d’observation
312 Le coeur de l’investigation scientifique et ses péripheriques
31.5 La monographie en démographie
320 Char>. 5 : Pourquoi des enquêtes démoeraohiaues ? Démoeranhie et oolitiaue
320 Problématique
325 Les besoins en données demographiques
332 Les différentes mbthodes d’enquête
338 Chan. 6 : Le questionnaire et les UUeStiOnS
338 Questionnaire et guide d’enquête
340 Les tableaux recherchés
341 Le questionnaire
348 Les batteries de questions
358 Les variables
366 pCha .l:
enquête. exemples, usages et conditions de validité
361 Les informations périphériques
368 Le complexe objectifslméthodes
371 Ménage et famille en ddmographie
313 Le groupe de migrants
316 Validite des procedures
378 Les événements matrimoniaux
382 Intérêt des données secondaires
388 La preuve stalistique comme faisceau de preuves construites
390 Le nombre n’est qu’une idée quantitalive
391 B- Les cdecres qualitatives
398 Le qualitatif comme non-quantitatif
400 Note annexe sur les techniques cartographiques
401 Chan. 8 : Les instruments de ta CoLlecle aualitative
402 Le guide d’enquête
403 le questionnaire
405 les longs délais du qualitatif
406 les cahiers d’enquête
406 Les grandes catégories d’enquêtes qualitatives
407 L’observation
407 L’entretien
409 L’interview de groupe
410 L’observation participante
413 De la fusion méthodologique quantitatif et qualitatif

843
426 III hc Partie : Le terrain
423 Corpus de l’expression du terrain
425 Note sur l’analyse des verbatims
426 Chas. 1 : Les diffkrentes acceptions du terme “terrain”. le mot et la chose
428 Le terrain, p61e d’une opposition
431 Le terrain comme ri+el et action
445 Le terrain comme V&u
446 Le terrain comme niveau de base
451 Le terrain, lieu de voyage : tourisme et aventure
435 Le terrain comme observation
452 L’homme de terrain, portrait en patchwork
460 Les images d’une congruence de l’action et de la pensée
461 L’tcriture du terrain
468 Chan. 2 : Le terrain. réalité multiforme de la uratique
469 Terrain et politique
471 Terrain et journalisme
478 Le terrain mis en zen
481 L’action simulCe dans les arts martiaux
486 Terrain et psychanalyse
491 L’écrivain et le terrain
498 Portrait d’un homme de terrain
506 Chap. 3 : Le colloque de sociologie d’Ahidian. 1972
517 Note annexe : Un skjour au Kerguelen
520 Chao. 4 : Paroles de terrain
524 Le terrain comme étape et comme moment
527 Le débat sur l’importance du terrain
528 L’espace mental décelt par le terrain
531 Les enquêteurs
532 Les enquêtks
533 Une revendication : reconnaître le terrain comme un métier
539 Le terrain, un ingrédient dans la qualité des données ’
540 Chao. 5 : Terrain : voyages. aventure.. . el rkcicits
542 La distance fait la valeur
541 Le récit construit la valeur
557 Le r&it est une copie
559 La surenchère de l’aventure
566 Aventure, espace mythique
567 Un Cpisode emblématique
573 Un terrain malgr6 lui
514 Le voyage est un terrain, et réciproquement
578 La littérature de voyage comme genre
582 Chao.
582 Le terrain, comme noyau dur d’une science
585 L’ethnologie involontaire
588 Ethnographie, ethnologie, anthropologie
592 Deux parenthbses
596 L’observation est de la théorie
591 L’observation insaisissable

844
600 La monographie anthropologique contestee
601 Le terrain n’est pas l’enquête, seulement : le regard et la parole
610 L’observateur observé
613 Le discours ethnométhodologique
617 Retour au pays d’Iro
624 Observation sur le cheminement des trois parties
628 Expression du terrain et conclusion
630 De l’exoression du terrain
630 Les modes d’expressions des résultats
633 Raison et émotion
641 Note sur un ouvrage de Rend Barbier
644 Conclusion
645 Enquêter pour savoir, connaître pour transmettre
645 Les différents instruments de la collecte : l’illusion technologique
649 La refonte épistémologique est une necessité permanente des sciences
651 Problématique de la collecte
651 Le cheminement d’une interrogation
654 Science, collecte, terrain
654 De l’unit6 actuelle des sciences de l’homme et de la société
658 Du renoncement a l’art
662 «fin u
663 Annexes
664 Bibliographie
666 Table des matiére
667 Avertissement et mode d’emploi du corpus
671 à 103 AàF
704 à 122 GAJ
124 à 147 Ha0
149 à 760 PàS
766 à 176 TàZ
776 Verbatim
811 Entretiens
840 Plan détaillé

845
ACHEVÉ D’IMPRIMER SUR LES PRESSES
DE L’.A.N.R.T.

Dépôt légal OCTOBRE 1999

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