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UNIVERSITE PIERRE MENDES FRANCE

UFR ECONOMIE, STRATEGIES, ENTREPRISE

MASTER RECHERCHE 2 :

ECONOMIE ET POLITIQUES
INTERNATIONALES
2006-2007
(ENSEIGNEMENT A DISTANCE)

Cours de

« MONNAIE ET FINANCE

INTERNATIONALES »

(F. ÜLGEN)
1

PLAN

PLAN..........................................................................................................................................1
INTRODUCTION ......................................................................................................................3
CHAPITRE I : LA MONNAIE ET L’ECONOMIE MONETAIRE..........................................5
1. 1. Appréhension de la notion de monnaie ..........................................................................6
1. 2. Les problèmes d’intégration de la monnaie dans la théorie de l’équilibre général ......12
1. 3. L’économie décentralisée : une économie monétaire comme système de paiements..15
1. 4. Monnaie de réserve ou monnaie internationale............................................................21
1. 5. Monnaie supranationale................................................................................................23
Bibliographie spécifique du Chapitre I : ..................................................................................26
CHAPITRE II : LES REGIMES MONETAIRES ..................................................................27
2. 1. Les régimes de change : un rappel................................................................................27
2. 1. 1. Changes flexibles..................................................................................................27
2. 1. 2. Changes fixes........................................................................................................29
2. 2. Le système monétaire et financier international (SMI) ................................................34
2. 3. Union économique et monétaire européenne comme système monétaire spécifique ..37
2. 4. Le Système Monétaire Européen : de la convergence à l’instabilité............................38
2. 5. Crises de crédibilité ......................................................................................................42
2. 5. 1. Zones cibles et attaques spéculatives....................................................................42
2. 5. 2. Les attaques spéculatives et le SME.....................................................................46
2. 6. Zones monétaires optimales et Union monétaire européenne ......................................50
2. 7. La zone euro : avantages et limites...............................................................................55
2. 8. La Banque Centrale Européenne ..................................................................................58
Bibliographie spécifique du chapitre II : ..................................................................................66
CHAPITRE III : LES MARCHES FINANCIERS INTERNATIONAUX..............................69
3. 1. Financement international, crédit bancaire international et marchés financiers ..........69
3. 1. 1. Financement international ....................................................................................69
3. 1. 2. Opérations bancaires internationales ....................................................................71
3. 2. Marchés internationaux d’actifs financiers et produits dérivés ....................................73
3. 2. 1. Marchés financiers internationaux .......................................................................73
3. 2. 2. Les produits dérivés..............................................................................................76
Bibliographie spécifique du chapitre III :.................................................................................78
CHAPITRE IV : LA POLITIQUE MONETAIRE ET LA DEREGLEMENTATION ...........79
4. 1. La dialectique des stratégies : régulation et marchés ...................................................81
4. 2. Financiarisation de l’économie et évolution des agrégats fondamentaux ....................83
4. 3. Le paradoxe de la dynamique des innovations : entre l’efficacité et la stabilité ..........86
4. 4. La concurrence et la structure des coûts bancaires.......................................................90
4. 5. Quelle politique monétaire ? ........................................................................................92
Bibliographie spécifique du Chapitre IV :................................................................................96
CHAPITRE V : ENDETTEMENT INTERNATIONAL ET CRISE FINANCIERE............100
5. 1. Risque pays : endettement des nations .......................................................................100
5. 2. Risque de système ......................................................................................................103
5. 3. Instabilité financière ...................................................................................................108
Bibliographie spécifique du chapitre V :................................................................................112
CHAPITRE VI : COORDINATION INTERNATIONALE..................................................113
6. 1. Etat des lieux: Absence d’une véritable coordination ................................................115
6. 2. Une étude sur les conditions d’une coordination effective ........................................119
6. 3. Du sable dans les rouages...........................................................................................122
6. 4. Le Plan Keynes...........................................................................................................127
6. 5. Quelques enseignements en guise de conclusion .......................................................132
2
Bibliographie spécifique du chapitre VI : ..............................................................................134
CHAPITRE VII : UNE APPLICATION : .............................................................................135
CRISE MONETAIRE ET FINANCIERE COMME CRISE DE SOUVERAINETE : LE CAS
DES CRISES ARGENTINE ET TURQUE DU XXIe SIECLE ............................................135
Introduction ........................................................................................................................135
1. Stabilité monétaire..........................................................................................................137
2. Recherche de légitimité et problème de viabilité : une application dans le cas turc ......144
Références bibliographiques ..............................................................................................149
3
INTRODUCTION

Depuis les écrits de John Stuart Mill, les économistes tendent à penser que la monnaie
et la finance sont des variables peu importantes pour comprendre le fonctionnement des
économies de marché. Dans cette tradition, qui s’inscrit bien aussi dans la théorie de
l’équilibre général, les économistes ont construit des modèles sans monnaie et, généralement,
sans secteur financier. En dépit des crises monétaires de la deuxième moitié du XIXe siècle,
cette tradition a continué de dominer la science économique. Mais l’ampleur des crises
survenues dans les deux dernières décennies du XXe siècle a remis au goût du jour les études
bancaires et financières dans l’analyse des conditions de croissance économique. Depuis lors
et avec la vague de libéralisation des marchés en général et des marchés de capitaux en
particulier, la question de l’importance des systèmes monétaire et financier stables est
devenue un domaine de réflexion privilégié tant sur le plan théorique qu’appliqué.
En effet, dans la théorie économique, la prise en compte de la monnaie s’effectue sous
des formes particulières et très ambiguës. La conception de l’économie monétaire et celle des
relations financières sous-jacentes s’en trouvent négativement affectées. La recherche d’une
conception théorique, capable d’appréhender les systèmes monétaires et financiers, mais aussi
l’objectif de déterminer des politiques monétaires adéquates, visant à atténuer sinon à
supprimer les défaillances des marchés, nécessitent alors une approche plus intégrée
(monétaire-réelle) et, peut-être, plus problématique.

La première étape d’une démarche qui se veut pertinente et apte à comprendre les
relations monétaires paraît être la recherche d’une définition rigoureuse de la catégorie
économique première qu’est la monnaie. L’analyse de cette catégorie, préalablement à toute
analyse des relations monétaires et financières, nécessite la construction d’un schéma
d’économie monétaire. Qu’il s’agisse de la monnaie « tout court » ou d’une monnaie
internationale ou supranationale, les fondements analytiques de la construction sont les
mêmes : Comment peut-on présenter, d’une façon intelligible, l’établissement de relations
monétaires entre entités distinctes (agents économiques : individus, Etats, Nations) ?

Une fois que l’étude des fondements théoriques est effectuée, il devient possible et
intéressant de traiter du système monétaire et financier international. Les débats sur la
constitution des zones ou unions monétaires et sur les différents régimes monétaires nous
fournissent des éléments riches et quelquefois contradictoires pour une réflexion élargie et
constructive. Du point de vue de l’analyse économique positive, la tripolarisation du système
4
monétaire et la place que l’euro peut occuper dans cette nouvelle donne constituent un
domaine d’intérêt pertinent.

La prise en compte des mécanismes monétaires et financiers s’avère nécessaire en vue


d’appréhender les modalités de fonctionnement des marchés « ouverts ». Le financement des
opérations internationales, l’intervention des banques à travers le crédit international, les
comportements des taux et des politiques de change, dans un contexte d’incertitude et de
volatilité, l’évolution des marchés internationaux d’actifs financiers et l’apparition
« volumineuse » des produits dérivés sont des préoccupations majeures pour qui veut
comprendre les possibilités de fonctionnement des marchés libres.
Depuis plus de deux décennies, à côté de l’alourdissement des dettes de certains pays,
on observe de forts changements structurels dans les systèmes bancaires et sur les marchés
financiers. La vague de déréglementation et la montée des innovations viennent renforcer
l’évolution particulière des économies modernes et s’ajoutent aux difficultés croissantes de
remboursement de la dette internationale. L’occurrence des crises financières rappelle, à
chaque nouvelle période de difficultés économiques, la nécessité d’assainissement des
systèmes financiers en vigueur.

Le contenu des politiques économiques et, en particulier, celui des politiques


monétaires, change alors avec l’évolution de l’objet auquel les politiques s’appliquent. Les
possibilités effectives d’intervention et les règles défendues par les organismes
internationaux, comme le FMI ou la BM et l’utilité d’une coordination internationale
apparaissent sous un nouveau jour. Ce constat nous pousse à penser les conditions de
coexistence de l’efficacité des marchés flexibles et de la stabilité des relations économiques
internationales dans le domaine monétaire et financier en vue de réduire sinon de prévenir
l’ampleur des crises potentielles.
5
CHAPITRE I : LA MONNAIE ET L’ECONOMIE MONETAIRE

Dans la théorie économique, la prise en compte de la monnaie s’effectue sous des


formes particulières et très ambiguës. Les travaux d’A. Smith, de D. Ricardo et de K. Marx
sont imprégnés des difficultés analytiques qui pré-annoncent les limites des tentatives
d’intégration de la monnaie dans une approche réelle de l’économie. La Théorie de la Valeur
semble ne pas pouvoir s’affranchir des obstacles conceptuels lorsque l’on cherche à
appréhender la monnaie et les phénomènes monétaires dans une économie de marché
décentralisée. L’émergence d’une version utilitariste de l’économie, avec les travaux de
Jevons, de Menger et de Walras ne permet pas d’échapper à ces obstacles. Nombre de
développements de Stanley Jevons et les nombreuses éditions modifiées des Eléments
d’économie politique pure de Léon Walras montrent les hésitations récurrentes des approches
de la valeur sur le sens et le rôle de la monnaie dans l’économie. Les développements de la
Théorie de l’Equilibre Général, avec les formalisations rigoureuses de K. Arrow, de G.
Debreu et de F. Hahn, dans les années 1950-1970, fournissent des résultats négatifs quasi-
définitifs sur le problème de l’intégration de la monnaie dans les modèles d’équilibre et
entérinent l’opposition Monnaie versus Réel, soulignée par J. Schumpeter dans son Histoire
de l’analyse économique.
Il semblerait que la seule modalité cohérente de prendre en compte la monnaie dans
les théories de la valeur est bien celle de la théorie quantitative, qui considère la monnaie
comme une variable neutre, sans utilité intrinsèque, donnée de l’extérieur (exogène) par
l’intervention d’un pouvoir public et agissant quasi-exclusivement sur le niveau des prix et
non sur les valeurs d’équilibre des variables réelles. Qu’il s’agisse des modèles monétaristes
des années 1960-1970, qui supposent l’existence des effets monétaires à court terme, dus au
phénomène d’illusion monétaire devant disparaître à long terme et céder la place au
rétablissement de l’équilibre réel, ou des modèles d’anticipations rationnelles des années
1970-80, qui supposent une super-neutralité de la monnaie, avec des agents rationnels
capables d’échapper aux effets des interventions monétaires des autorités publiques, la prise
en compte de la monnaie s’effectue toujours sous une forme furtive, sans véritable intérêt
analytique dans le fonctionnement de l’économie et dans la détermination du résultat des
opérations privées.
En conséquence de cette conception passive, l’appréhension de l’économie monétaire
et celle des relations financières sous-jacentes s’en trouvent négativement affectées. Avec les
propositions des auteurs comme F. Fischer, à la recherche des fondements analytiques du
6
déséquilibre économique, ou comme R. Clower, en partie dans une lignée keynésienne de la
contrainte monétaire, la monnaie semble prise en compte d’une manière plus sérieuse, mais
toujours aussi conflictuelle à l’égard des fondements des théories de la valeur. On entrevoit, à
partir des années 1980, un regain d’intérêt pour la théorie monétaire dans les travaux des
auteurs post keynésiens, fondés sur les lancinants débats du XIXe siècle autour de
l’opposition monnaie-or/monnaie exogène et monnaie-règles/monnaie endogène. La prise en
compte des possibilités de fonctionnement d’une économie décentralisée, à partir des
questions de financement des activités privées, en dehors de ou parallèlement à l’utilisation
des fonds prêtables (d’épargne), commencent à enrichir le débat en le repositionnant
explicitement au niveau des modalités envisageables d’entreprise économique. La recherche
d’une conception théorique, capable d’appréhender les systèmes monétaires et financiers,
mais aussi l’objectif de déterminer des politiques monétaires adéquates, visant à atténuer
sinon à supprimer les défaillances des marchés, nécessitent alors une approche plus intégrée
(monétaire-réelle) et, peut-être, plus problématique.
Dans la lignée de l’opposition Monnaie versus Réel, il en apparaît que la première étape
d’une démarche qui se veut pertinente et apte à comprendre les relations monétaires paraît
être la recherche d’une définition rigoureuse de la catégorie économique première qu’est la
monnaie. L’analyse de cette catégorie, préalablement à toute analyse des relations monétaires
et financières, nécessite la construction d’un schéma d’économie monétaire, comme le
soulignent les travaux des auteurs comme J. Cartelier.
La question fondatrice de l’Economie politique : Comment peut-on présenter, d’une façon
intelligible, l’établissement de relations économiques entre entités distinctes, dans une
économie décentralisée, devient aussi : Comment peut-on présenter, d’une façon intelligible,
l’établissement de relations monétaires entre entités distinctes (agents économiques :
individus, Etats, Nations) ? Par conséquent, qu’il s’agisse de la monnaie « tout court » ou
d’une monnaie internationale ou supranationale, les fondements analytiques de la construction
s’avèrent être les mêmes.

1. 1. Appréhension de la notion de monnaie

A condition de prendre le soin de ne pas confondre l’appréhension d’une économie de


marché décentralisée et l’analyse d’autres formes de société ayant pu exister dans l’histoire de
l’humanité, on peut remarquer que le problème de définition de la monnaie remonte très loin,
par exemple, à l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, qui annonçait les trois fonctions de la
monnaie, bien connues des étudiants de deuxième année de sciences économiques. Cette
7
façon de penser la monnaie est devenue habituelle de nos jours, à ceci près que l’on a ajouté
un quatrième aspect qui n’apparaît pas dans tous les manuels : la fonction de moyen de
paiement. Ainsi, on adopte aujourd’hui une approche fonctionnaliste qui consiste à énumérer
les différentes fonctions que la monnaie est supposée remplir dans l’économie : monnaie
comme unité de compte, comme moyen d’échange et comme réserve de valeur.
a) La monnaie en tant qu’unité de compte est une proposition essentielle et indépendante
de l’approche analytique adoptée. Il s’agit de préciser une référence commune aux relations
économiques qui sont des relations quantifiables. La monnaie sert à libeller la valeur
économique des biens et services. Elle est le langage économique commun qui existe parce
que le seul nombre abstrait ne permet pas de comprendre (connaître, penser, évaluer,
communiquer) les « choses » en termes économiques. Dire, comme il est coutume dans
l’approche classique, qu’une chaise vaut une heure de travail ne signifie rien si on ne sait pas
à quoi une heure de travail correspond économiquement parlant. De même, comme il est
coutume dans l’approche néoclassique, dire qu’un paquet de cigarettes vaut deux bouteilles de
tant de centilitres de telle bière ne donne aucune évaluation économique objective si on ne
peut pas attribuer un nombre économique de valeur à un paquet de cigarettes ou à deux
bouteilles de bières qui ne sont que des choses physiques, chimiques ou culturelles qui n’ont
pas a priori de signification économique intrinsèque, quelle qu’utilité qu’ils puissent avoir par
ailleurs. Lorsque l’on dit qu’une chaise vaut x unités monétaires, comme une heure de travail
qui vaut les mêmes x unités monétaires, on est en mesure de comprendre ce que cela signifie
économiquement, c’est tout ce dont on a besoin pour les penser économiquement. Ainsi, ce
langage commun permet, comme le disait si bien G. Simmel (1987), d’abstraire les choses de
tout ce qui n’est pas économique pour les réduire à une représentation commune, la monnaie,
comme fondement de la communication économique. Par conséquent, l’unité de compte
souligne la possibilité de comparaison et de confrontation des biens et services économiques.
Une unité de compte abstraite ou une unité de compte concrète (qui n’est que la traduction des
habitudes des sociétés) employée permet de rendre homogènes des biens et services
différents. C’est là qu’apparaît aussi le rôle de la stabilité monétaire. « Compte » signifie aussi
accepter qu’un objet puisse demeurer monétaire, c’est-à-dire économique même en cas
d’instabilité des prix. Or, un raisonnement en termes réels dans une telle situation empêcherait
logiquement la monnaie de jouer ce rôle de langage commun aux unités indépendantes.
Cependant, la définition de l’unité de compte ne répond pas à la question de savoir pourquoi
l’unité de compte et la monnaie se convergent entre elles. Peut-on imaginer une unité de
compte purement abstraite, indépendante de la monnaie, moyen d’échange ? Cette question,
essentielle, renvoie à la controverse Free Banking versus Central Banking, les premiers
8
proposant une séparation des deux fonctions pour une meilleure stabilité de l’unité de compte
(Black, 1987, Hall, 1983).
b) La monnaie en tant que moyen d’échange n’est pas, contrairement à l’attribut d’unité
de compte de la monnaie, une fonction spécifique à la monnaie. Il existe plusieurs
explications de cette fonction.
Selon I. Fisher, l’acceptabilité générale de la monnaie dans l’échange provient du fait
qu’elle représente un droit de propriété, une richesse, une représentation écrite. Mais cette
vision renvoie à une définition étroite de la monnaie, constituée seulement des espèces et des
dépôts à vue. La conception fonctionnelle, évoquée ci-dessus, se résumant aux trois fonctions
de la monnaie, définit implicitement la monnaie en termes de l’offre et de la demande à la
manière des autres biens. On est alors amené à trouver dans le monde réel, une contrepartie,
souvent en termes statistiques, à la notion de monnaie, comme dans les approches
monétaristes à la Milton Friedman et Anna Schwartz (1982). Mais, on ne voit pas ici la
particularité de la monnaie si l’on admet l’idée que la monnaie est ce que la monnaie doit être
dans les modèles de régression statistique! De surcroît, dans les modèles « monétaires »
standard (qui ne sont que des versions particulières des modèles réels), ce sont les biens qui
sont désirés et non la monnaie (la monnaie ne permet que d’acquérir ces biens et n’a pas
d’utilité intrinsèque). Le chapitre 13 de l’ouvrage de K. Arrow et de F. Hahn (1971) est très
clair et précis sur ce point et ne nécessite aucun commentaire supplémentaire puisque l’on
définit les échanges monétaires par référence à une économie sans monnaie à travers les
arguments suivants :
* Efficience des échanges à travers l’utilisation de la monnaie. La monnaie est vue comme
un bien collectif, elle est considérée comme un bien externe. Son acceptabilité dépend de son
acceptabilité (on reviendra sur cette proposition plus loin). L’organisation des marchés accroît
l’efficacité sociale du système économique grâce à la monnaie qui permet à l’ensemble des
agents de réaliser les échanges désirés ;
* La monnaie réduit l’incertitude dans le temps. L’argument de Davidson et de Goodhart
suppose que dans un monde où le passé, le présent et le futur ne sont pas confondus au point
d’équilibre général, la continuité des échanges impliquerait un élément supplémentaire qui
permettrait aux échangeurs de passer des contrats en termes monétaires. Mais cet argument
est tout à fait acceptable dans les modèles séquentiels où les temps de réception et de dépense
des revenus sont séparables. En effet, on peut supposer que la monnaie réduit les coûts de
transaction et fournit de l’information ;
* Le calcul monétaire réduit la matrice des prix que les individus doivent connaître pour
être pleinement informés des valeurs d’échange relatives des biens entre eux. Brunner et
9
Meltzer expliquent l’existence de la monnaie par sa capacité à fournir de l’information aux
contractants. Il s’agit d’introduire la monnaie pour réaliser un gain semblable à l’utilisation
d’une unité de longueur, de poids, etc. Ici, on n’explique pas la monnaie mais on suppose son
existence comme intermédiaire des échanges et le problème est confondu avec celui de
l’existence nécessaire ou non d’un langage économique commun.
Dans ce cadre, Baumol (1952)1 introduit la monnaie à partir d’un arbitrage entre détenir
de la monnaie ou détenir des actifs. Cela aboutit à une proportionnalité directe entre la
quantité de demande de monnaie et les transactions et on retrouve le motif de transaction de la
demande de monnaie. Plus précisément, chez Baumol, il ne s’agit pas de résoudre un
problème de maximisation de l’utilité, mais d’éviter certains désagréments grâce à
l’utilisation de la monnaie en vue de minimiser le coût des échanges. On suppose que
manquer de monnaie au moment des transactions implique des coûts (des pénalités) dus à la
nécessité de liquider des actifs, ce qui provoque en général des frais supplémentaires de

courtage, etc. C’est la fameuse formule de la racine carrée de Baumol : M= 2bT où M est la
i
demande de monnaie qui correspond aussi à un coût total de liquidité, défini comme étant

égal à : C= bT + iM , avec T/M vitesse de circulation des encaisses (de la monnaie), T euros
M 2
déboursés par unité de temps, bT/M coût monétaire des voyages (des opérations de change)
accomplis pour collecter les encaisses, i étant le taux d’intérêt auquel on renonce en détenant
des actifs autres que la monnaie. Les encaisses détenues en moyenne par l’individu pendant
l’intervalle du temps considéré sont supposées être égales à M/2. iM/2 est donc le coût de
détention de ces encaisses. Il convient dès lors de minimiser C, c’est-à-dire de calculer

dC/dM=0. Ceci donne: 0= bT2 + i ⇔ bT2 = i ⇒ M = 2bT .


M 2 M 2 i
En posant : logM=1/2 logT+1/2 logb+1/2log2-1/2logi, la sensibilité de M à T est :
∂ log M
eM / T = =1/ 2 , ce qui signifie qu’une hausse de 100% des transactions (T) implique une
∂ logT
hausse de 50% de M. Il reviendra à Niehans (1978)2 d’améliorer cette version des coûts de
transaction.
Dans la même logique, Hicks (1967)3 suggère que si l’on suppose qu’il existe des coûts de
transaction proportionnels au volume des transactions et si on trouve une marchandise
acceptable sur tous les marchés réduisant le volume des transactions, cette marchandise sera
demandée par tous les agents. Car elle permettrait de réduire le coût de transaction par rapport
1
Voir D. Fischer, 1985.
2
Voir op. cité.
3
Voir op. cité.
10
à une économie de troc. La monnaie faciliterait donc les marchandages intermédiaires. De
même, Patinkin met l’accent sur les inconvénients engendrés par l’épuisement de l’encaisse
au cours de la période des paiements. Les agents détiendraient alors la monnaie afin d’éviter
ce type de désagrément4. On suppose ainsi qu’il existe une demande de monnaie rationnelle
découlant de ces contraintes. Clower réalise le prologue avec la contrainte d’encaisses
préalables où il existe une demande de monnaie imposée au modèle sous l’hypothèse que
seule la monnaie peut acheter les biens, les biens ne pouvant s’échanger directement entre
eux.
c) La monnaie comme réserve de valeur dans le temps. On suppose que la monnaie
acquiert cette fonction en tant que moyen d’échange. Cette fonction signifie que la monnaie
est un actif financier, ce qui pose d’emblée le problème de la substituabilité entre la monnaie
et les autres actifs. Tobin (1958)5 propose un modèle de moyenne-variance. La monnaie n’est
que l’un des actifs détenus dans les portefeuilles des agents. C’est un instrument de réserve
liquide dans les portefeuilles. Les actifs se distinguent les uns des autres par leur rendement
moyen anticipé et par la variance anticipée de leur rendement. La monnaie, par rapport aux
autres actifs qui rapportent un intérêt positif, présente un service unique, la liquidité (la
disponibilité immédiate en tant que moyen de paiement). L’illiquidité se juge alors à la perte
élevée en intérêt qu’encourt celui qui convertit un dépôt à terme en espèces. On revient à la
contrainte de conversion des actifs en monnaie des modèles précédents. Les coûts de sa
détention et de sa conversion étant quasiment nuls, elle présenterait un avantage sur les autres
actifs lorsque les agents doivent utiliser la monnaie comme moyen de report de leur pouvoir
d’achat dans le temps. Les approches d’équilibres temporaires (Grandmont) et d’anticipations
rationnelles (la Nouvelle Ecole Classique de Sargent et Wallace, 1975, entre autres)
considèrent aussi la monnaie sous cet angle. Or, n’importe quel bien (non périssable de
préférence) peut remplir ce rôle, comme nous allons le préciser plus loin.
L’étude habituelle sur la monnaie commence par la dénomination de ces fonctions. Il
convient de remarquer que si ces fonctions ne lui sont pas spécifiques et qu’elles peuvent être
attribuées aussi à d’autres variables (biens, actifs financiers, etc.), alors la définition de la
monnaie à partir de ses fonctions doit être rejetée.
Une question cruciale apparaît à ce niveau : y a-t-il une différence remarquable entre le
moyen de paiement et le moyen de règlement ? Il convient alors de faire une remarque afin de
distinguer le paiement et l’échange.

4
Pour plus de développement sur ces différentes approches, voir Lacoue-Labarthe, 1985.
5
Voir op. cité.
11
L’échange désigne une situation dans laquelle biens ou prestation de services s’équilibrent
par un transfert réciproque jugé suffisant pour que le bien soit remis ou le service rendu. La
réciprocité peut très bien s’effectuer à travers une simple promesse de monnaie et mettre en
jeu le crédit. D’autres éléments que la monnaie, comme la lettre de change, peuvent permettre
la réalisation d’un échange. Le paiement signifient originellement se réconcilier, satisfaire.
Toutefois, dans l’économie le paiement ne signifie pas une compensation définitive puisqu’il
est possible de payer au travers des reconnaissances de dette, c’est-à-dire acquérir un bien ou
un service sans en avoir la propriété définitive. Cette dernière est établie lorsque le règlement
des dettes, ou après compensation multilatérale des comptes de divers agents, le règlement
des soldes non nuls est effectué. Par conséquent, l’instrument utilisé conclut la relation
seulement en situation de règlement. La nature du moyen de règlement s’impose aux parties,
il résulte de l’appartenance des individus à une communauté de paiements dans laquelle les
moyens de s’acquitter sont établis. La monnaie est ce signe de reconnaissance sociale,
générale, à pouvoir libératoire.
Revenons-en pour l’instant, à notre exploration introductive. Dans la première moitié du
XXe siècle, Keynes introduit une approche à partir des trois motifs de détention de la
monnaie : motifs de transaction, de précaution et de spéculation. Les trois fonctions
habituellement reconnues à la monnaie et les motifs proposés par Keynes sont sous-jacents
aux analyses de la détention de la monnaie par les agents. Sans avoir établi une véritable
définition de la monnaie et présenté un argument suffisamment général et pertinent sur son
existence et son utilisation sine qua non dans l’économie, la théorie économique dans sa
version aussi bien néoclassique que keynésienne se contente, à quelques exceptions près, de
reproduire le schéma de la théorie de l’équilibre général concurrentiel ou les propriétés de son
optimalité dans les modèles d’équilibre partiel en termes d’une économie fondamentalement
a-monétaire6. En effet, l’analyse économique contemporaine ne se préoccupe pas des
définitions conceptuelles a priori, mais se cantonne à expliquer la place de la monnaie par
rapport à celle des autres actifs financiers. Elle privilégie l’étude de la demande de monnaie
que les agents expriment sur les marchés, par leur détention d’encaisses monétaires, étant
donnée une offre exogène de monnaie, supposée déterminée par un agent extérieur assimilé à
l’Etat.
Bien entendu, ces quelques exemples de débat n’épuisent pas l’ensemble des travaux
effectués dans ce domaine, dont le principal apport a été de montrer les limites des tentatives
d’intégration de la monnaie dans les modèles dont l’équilibre est obtenu sans monnaie. Afin

6
Il est vivement conseillé au lecteur de se référer à l’article de Jean Cartelier (1998) sur cette question
fondamentale de notre discipline.
12
de resituer l’ensemble du débat sur la monnaie, nous allons maintenant concentrer notre
attention sur le problème d’intégration de la monnaie dans la théorie de l’équilibre général,
problème qui résume, à notre avis, toute la difficulté de la question monétaire dans la théorie
économique quelles qu’en soient les variantes représentatives.

1. 2. Les problèmes d’intégration de la monnaie dans la théorie de l’équilibre général

Le problème principal est de trouver des bases conceptuelles à l’économie monétaire.


Sans cela, notre souci d’étudier les relations monétaires internationales sera sans fondement.
L’un des premiers obstacles que nous rencontrons est le cadre de travail choisi, qui est donné
par un modèle du type néo-walrasien d’équilibre général ou par un modèle du type équilibre
partiel qui en invoque les principales propriétés d’optimalité. En proposant un marché
supplémentaire qui serait celui de la monnaie, on utilise en général les outils traditionnels
pour analyser les questions monétaires. L’équilibre sur tous les marchés étant supposé obtenu,
celui du marché de la monnaie en découle. Mais comme l’équilibre est établi sans monnaie,
son intégration apparaît superflue, puisque avec ou sans monnaie, les résultats généraux ne
sont pas modifiés. C’est ainsi que l’on suppose, dans les modèles de monnaie neutre, le
caractère insignifiant de la monnaie dans la détermination des valeurs d’équilibre des
variables économiques.
Il s’agit avant tout d’un problème de théorie économique pure. Toutefois, ce problème est
lié à d’importantes questions d’économie appliquée et de politique économique. Car pour
pouvoir étudier les relations entre monnaie, revenu et prix, une structure théorique robuste est
nécessaire. Pour étudier les politiques monétaires, nous avons besoin d’une théorie qui
rendrait compte des relations entre monnaie, biens et autres actifs. Afin d’étudier les
considérations micro et macro-économiques sur la régulation des systèmes bancaires et
financiers ou des systèmes monétaires régionaux, nous avons besoin d’une structure
conceptuelle qui traduirait aussi fidèlement que possible le rôle des agents économiques
différents (banques, entreprises, consommateurs, etc.) dans le système de paiements avec
asymétrie de l’information, coûts d’agence, intermédiation financière, etc.
Pour paraphraser Hellwig (1993), nous pouvons dire que le challenge n’est pas seulement
au niveau des fondations conceptuelles, mais aussi au niveau de l’élaboration d’un langage
spécifique adaptable à l’étude des problèmes monétaires.
Essayons de nous resituer dans l’univers néo-walrasien et d’y remarquer quelques
difficultés majeures quant à la compréhension de la monnaie (et donc de l’économie
monétaire).
13
On partira de ce que l’on peut appeler le problème de Hahn (1966) : Pourquoi la monnaie
centrale (fiat money) a une valeur d’échange positive alors qu’elle n’a pas d’utilité
intrinsèque ?
Dans le modèle de Patinkin, si la monnaie sans utilité intrinsèque est détenue seulement
parce qu’elle peut être échangée contre des biens utiles, sous les conditions usuelles sur les
fonctions de demande excédentaire, le modèle a un équilibre général a-monétaire.
L’introduction de la monnaie paraît redondante et d’autres arguments supplémentaires sont
évoqués. Citons-en quelques-uns :
* Dans l’équilibre général temporaire du type Grandmont, la valeur réelle de la fiat money
dans les échanges courants est positive si les agents anticipent que sa valeur réelle future dans
les échanges futurs sera positive ;
* Dans les modèles d’équilibre avec anticipations rationnelles, la valeur réelle de la
monnaie dans tous les échanges peut être positive lorsqu’il en existe un besoin implicite
comme réserve de valeur. Dans chaque échange, il existe une demande de monnaie suffisante
comme réserve de valeur ;
* Dans les modèles de générations imbriquées (Grandmont et Laroque, 1973), la réserve
de valeur est liée à la consommation après la retraite, ce qui donnerait à la monnaie son utilité
indirecte dans le temps ;
* Dans les modèles de précaution (Bewley, 1980), la réserve de valeur permet aux agents
d’amortir les fluctuations de revenu dans le temps ;
* Quant à Gale et Hellwig (1987), la prise en compte des coûts de transaction permet de
montrer que la fonction de réserve de valeur de la monnaie permet aux agents de faire le pont
entre les différents paiements (les versements) du revenu qui sont éloignés dans le temps en
économisant sur les coûts de transaction, comme le rapide rappel précédent des approches de
Baumol et de Hicks l’avait souligné.
Le fondement commun de tous ces arguments est qu’il existe une demande suffisante pour
la monnaie comme réserve de valeur pour qu’elle puisse avoir une valeur positive à
l’équilibre.
Dans les modèles avec anticipations rationnelles, qui sont des modèles souvent utilisés,
l’horizon temporel est supposé infini. Pour chaque transaction, il y a un futur. Toutefois, dans
ces modèles, la fiat money est la seule réserve de valeur. Lorsqu’il y a d’autres actifs,
l’argument de choix de portefeuille (c’est-à-dire l’arbitrage entre différents actifs dans la
composition du portefeuille) prend place. Le rendement des autres actifs doit être inférieur à
celui de la monnaie pour que celle-ci soit utilisée comme la seule réserve de valeur. Ceci nous
amène au problème de Hahn modifié : Pourquoi la monnaie, à rendement explicite nul, a une
14
valeur d’échange positive à l’équilibre alors qu’il existe d’autres actifs qui ont des taux de
rendement propre supérieurs à celui de la monnaie ? La réponse de Hahn (1984) à cette
question est négative. En effet, s’il existe au moins un actif avec une probabilité égale à un,
remplissant cette condition et si cet actif a les mêmes propriétés de liquidité et d’acceptabilité
(marchéisabilité) que la monnaie, alors il n’existe pas d’équilibre d’anticipations rationnelles
avec monnaie.
D’ordinaire, la valeur positive de la monnaie est prise comme une donnée. Or, dans les
conditions d’équilibre walrasien, la monnaie ne peut pas avoir de valeur positive sans que les
anticipations des agents ne se révèlent systématiquement incompatibles ou sans que les agents
ne puissent exploiter systématiquement toutes les opportunités d’échanges que les marchés
walrasiens présentent. Si la monnaie est simplement détenue pour être échangée contre des
biens et services, seules sources d’utilité pour les agents, lorsque les marchés ferment à
l’équilibre, la monnaie doit disparaître des comptes de tous les agents, cédant la place aux
actifs réels ou financiers rapportant un rendement ou ayant une utilité. Sa détention comme
réserve de valeur n’est alors pas justifiable.
Afin de sortir de ce problème, on peut supposer que la monnaie et les actifs n’ont pas le
même degré de marchéisabilité. La monnaie seule sert comme moyen d’échange. Dans des
termes plus rigoureux, il s’agit d’imposer au modèle la contrainte d’encaisses préalables. La
monnaie achète les biens alors que les biens ne peuvent pas acheter les biens, comme l’a
souligné Clower (1986) et comme l’ont développé par la suite Lucas et Stockey (1987). Mais
ceci pose un autre problème, non moins fondamental sur la nécessaire irruption de la monnaie
dans les modèles d’économie décentralisée, à savoir pourquoi la contrainte d’encaisses
préalables doit être imposée. Par rapport à la contrainte budgétaire, l’ajout de cette contrainte
dans l’équilibre walrasien n’est pas a priori évident. D’autant plus que, dans l’équilibre avec
rationnement, l’utilisation de la monnaie dans les échanges implique la généralisation du
rationnement suivant l’idée de demande effective de Clower : les salariés qui sont rationnés
sur le marché de l’emploi ne peuvent pas formuler de demande pour les biens qu’ils
voudraient acquérir sur d’autres marchés faute d’encaisses monétaires préalables. Les
entreprises qui ne peuvent pas vendre leur production contre monnaie ne peuvent pas
formuler de demande effective pour les salariés contre monnaie. Pourquoi dans ce cas, les
agents ne s’engagent pas dans un troc, cherchant à échanger biens et services contre biens et
services sans passer par l’intermédiation d’un moyen d’échange extérieur ? Ceci montre que
l’introduction de la monnaie dans un modèle dont l’équilibre a-monétaire est supposé
démontré, n’est pas rationnelle.
15
La réponse des modèles d’équilibre à prix fixes est la contrainte d’encaisses préalables.
Or, notre question de départ était de savoir pourquoi cette contrainte. On pense alors à Jevons
dans Money and the mechanism of exchange de 1910 : dans un monde d’échanges multiples
et décentralisés, la possibilité de commerce direct entre travail et biens et services est limitée
en raison du problème de la double coïncidence des désirs individuels d’échanger qui sont a
priori des programmes indépendants les uns des autres. On remarquera que cette double
coïncidence des désirs est elle-même la manifestation du principe de la demande effective de
Clower. La demande notionnelle du producteur d’acier pour le travail en contrepartie de son
produit (l’acier) n’est pas pertinente si l’ouvrier de l’usine d’acier ne désire pas acquérir de
l’acier en contrepartie du travail qu’il fournit au producteur d’acier. De la même façon, la
demande effective de l’ouvrier d’acier pour le pain auprès du boulanger est limitée par sa
capacité à offrir à celui-ci quelque chose qu’il serait prêt à accepter en échange. La demande
notionnelle de pain de l’ouvrier en échange de son travail n’est pas pertinente pour le
boulanger qui vend du pain. Il y a une demande et une offre non satisfaites pour le même
bien, les demandes excédentaires ne s’annulent pas. Jevons (1910) et Starr (1989), entre
autres, ont montré que la condition de double coïncidence peut être évitée si l’échange
indirect à travers la monnaie est instauré (cf. aussi d’Autume). On peut remarquer ici un
problème compliqué : l’introduction de la monnaie comme moyen d’échange fournit une
solution au problème de la double coïncidence du mécanisme d’échange direct entre biens,
mais la contrainte d’encaisses monétaires préalables, faisant de la monnaie un moyen
d’échange obligé, s’avère être une source de problème de demande effective. Le paradoxe
vient du fait que ces modèles ne sont pas des modèles d’échanges décentralisés et supposent
des marchés centralisés avec commerce multilatéral à la Walras.

1. 3. L’économie décentralisée : une économie monétaire comme système de paiements

Afin d’échapper aux problèmes évoqués ci-dessus, nous allons supposer des hypothèses
particulières définissant l’économie de marché comme une économie monétaire.
Postuler que l’économie est monétaire c’est postuler que la monnaie est une variable
fondamentale permettant le fonctionnement d’une économie décentralisée, constituée
d’individus autonomes (Ülgen, 1995). Les prix sont exprimés en termes monétaires et les
biens sont achetés ou vendus sur les marchés contre des paiements monétaires ou en termes
monétaires.
Les producteurs doivent financer leur production (achat de matières premières, de biens de
consommation intermédiaires, paiement des salaires, etc.) ou leur investissement
(accroissement des capacités productives) à partir de l’obtention de moyens de financement
16
monétaires. Pour ce faire, ils peuvent s’endetter auprès des banques (c’est le crédit bancaire)
ou ils peuvent émettre des titres auprès des épargnants sur le marché financier. Il existe donc
deux autres groupes d’agents particuliers qui sont les banques et les ménages (que l’on peut
assimiler ici aux salariés). Les banques ont deux activités : elles attribuent des crédits
principalement aux entreprises en créant de la monnaie de crédit et/ou en utilisant les fonds de
dépôts détenus chez elles par les ménages. Dans le premier cas, il y a création monétaire,
c’est-à-dire une expansion des moyens de financement disponibles dans l’économie. Dans le
deuxième cas, elles jouent le rôle d’intermédiaire, à l’instar des autres institutions financières
non monétaires, en permettant la ré-allocation des fonds prêtables. Elles apparaissent alors
aussi comme des gérants de portefeuille. Il convient de remarquer ici qu’il existe un agent
particulier qui n’a pas d’intérêt privé dans le jeu, c’est la banque centrale, liée ou non au
pouvoir politique. Pour l’instant, faisons abstraction de l’Etat et des dépenses publiques et
voyons comment les différentes sphères d’agents prennent place dans l’économie monétaire.
L’économie monétaire est un système de paiements. La monnaie est avant tout une unité
de compte qui permet aux différents agents autonomes d’utiliser le même langage, le langage
des comptes économiques. Les objets et les sujets sont quantifiés grâce à l’utilisation de la
monnaie, unité de compte. Les relations économiques sont exprimées en termes monétaires.
Un bien devient un objet économique dès qu’il est exprimé et effectué en monnaie. Le
caractère utile des biens est un attribut qui est, avant tout, subjectif à chaque individu. Les
biens deviennent sociaux seulement à travers l’acte d’achat et de vente en termes monétaires.
Le système de paiements est fondé sur un processus de création, de circulation et
d’annulation des signes monétaires qui obéissent à des règles communes à tous les agents
économiques. On peut appeler ces règles « des règles monétaires ». La création des signes
monétaires est le moment d’accès à la monnaie pour les agents. Les entrepreneurs accèdent à
la monnaie en obtenant le financement, notamment bancaire, de leur projet fondé sur des
anticipations privées sur l’état futur de leur activité et de l’économie dans son ensemble.
Lorsque les banques considèrent que le projet dont le financement est demandé représente une
perspective de gain positif pour elles, elles acceptent de financer en partie ou en totalité le
projet soumis. Dans ce cas, l’inscription des crédits dans les comptes bancaires au nom de
l’entrepreneur financé se fait à l’actif du bilan sous forme de prêt et au passif sous forme de
dépôt. Ces dépôts ainsi enregistrés sont réputés monnaie puisque l’entrepreneur peut en tirer
des paiements vers ses salariés ou vers d’autres agents. Ces dépôts circulent donc comme de
la monnaie à pouvoir libératoire général alors qu’ils ne sont que le reflet d’opérations
d’endettement-financement privées (entre banque et entrepreneur) fondées sur des
considérations subjectives des parties engagées. Les signes monétaires (ou la monnaie) sont
17
mis, dans cette relation, à la disposition des entrepreneurs pour une durée déterminée
puisqu’ils sont adossés à un engagement de dette qui doit être honoré à échéance. La monnaie
ainsi créée circule dans l’ensemble de l’économie sans distinction de banque ou d’agent qui se
trouve à l’origine de sa création. Les ménages, après réception des revenus monétaires, les
utilisent pour effectuer leur consommation ou leur investissement en biens immobiliers. Les
entreprises utilisent la monnaie de crédit pour payer leurs différents achats de production
et/ou d’investissement. Les dettes privées, circulant sous la forme d’une monnaie générale,
doivent être remboursées. C’est l’instant d’annulation des signes monétaires. Lorsque les
entreprises réalisent leur projet et obtiennent les recettes prévues, elles peuvent rembourser les
banques, ce qui détruit les sommes auparavant créées. Dans le cas inverse, soit l’entreprise se
trouve en défaut de paiement et est déclarée faillie, soit elle trouve un moyen de rééchelonner
sa dette. Cette dernière option fait intervenir en général les épargnants qui, après réception de
leur revenus monétaires versés par les entreprises, n’en consomment qu’une partie et
cherchent à placer l’autre partie, leur épargne, afin d’en recevoir un rendement financier dans
le temps. Ces placements s’effectuent dans les titres des entreprises et servent principalement
à ré-échelonner leur dette. En effet, puisque les ménages ne dépensent pas la totalité de leur
revenu alors que les entreprises sont déjà engagées dans des contrats d’endettement afin de
payer les salaires des ménages (lorsque l’on considère les entreprises comme une seule
sphère, les seuls coûts de production qui apparaissent en dehors de cette sphère sont
constitués des salaires des ménages), la constitution des épargnes par les ménages correspond
à un manque de reflux (de retour) pour les entreprises. Ce manque de reflux qui les empêchent
de rembourser intégralement leur dette doit être compensé par une réallocation des fonds
prêtables ainsi constitués par les ménages auprès des entreprises. Ce moment d’annulation
des dettes est l’apparition du marché financier et permet de redéfinir l’appartenance des
agents à des sphères distinctes (entreprises faillies disparaissent de la sphère des
entrepreneurs, certains ménages deviennent propriétaires des entreprises, certaines banques
font faillites ou sont recapitalisés, etc.). Par conséquent, logiquement, la sphère financière
n’est pas le premier moyen de financement de l’économie, elle ne peut apparaître que si les
activités privées sont déjà financées par le crédit bancaire et si les revenus salariaux sont
versés par les entreprises aux ménages. C’est pourquoi, sans faire de séquence temporelle
rigide, on peut considérer le processus du système de paiements dans l’enchaînement logique
suivant :
Création → Circulation → Annulation des signes monétaires,
18
ce qui est une autre façon de représenter le mode de fonctionnement de l’économie de marché
(économie monétaire), fondé sur deux contraintes représentatives, la contrainte de
financement et la contrainte de remboursement.
Après compensation des comptes de tous les agents dans les livres des banques, des soldes
non nuls apparaissent. Ces soldes non nuls qui traduisent les engagements de dette des
banques les unes envers les autres, représentant les relations de circulation monétaire de
l’économie, nécessitent, comme toute dette, un règlement définitif en un moyen de règlement
commun. Comme personne ne peut régler sa dette par sa propre dette (sinon la notion de dette
n’aurait aucun sens), y compris les banques, un moyen de règlement reconnu par l’ensemble
de la collectivité économique est requis. Ce moyen de règlement est, dans nos économies
modernes, la monnaie centrale, c’est-à-dire l’inscription des avoirs nets dans les livres de la
banque centrale sur les comptes du système bancaire. C’est la banque centrale qui refinance
les soldes non nuls des banques sous des modalités techniques différentes. La banque centrale
apparaît dans ce schéma, non comme un créateur exogène d’une soi-disant monnaie exogène
(la fiat money, par exemple), mais comme le point de repère social des règles monétaires dans
un système de paiements animé quasi exclusivement par les initiatives privées de création des
signes monétaires (des dettes privées) circulant dans l’ensemble de l’économie comme des
signes objectifs (alors qu’ils ne le sont pas). Par conséquent, les règles du système de
paiements, à travers l’utilisation des monnaies privées bancaires (créées à partir des contrats
de dettes entre agents privés), font appel à une règle commune de convertibilité en une
monnaie commune (dite la monnaie centrale), le moyen de règlement (dans l’imaginaire des
agents, il s’agit bien de la monnaie tout court) qui ne doit appartenir à aucun des échangistes
privés (condition d’extériorité du moyen de règlement pour que la dette ait un sens
socialement acceptable). Ainsi, on définit une zone de paiements ou une zone monétaire.
Aujourd’hui, les différentes zones de paiements, c’est-à-dire les différentes zones de
circulation correspondent à des Etats souverains, situation qui a été modifiée dans le cas de la
zone euro puisque depuis 2002, les Etats membres de l’Union européenne, sans avoir encore
totalement perdu leur souveraineté respective, se sont soumis à une même zone monétaire, ce
qui n’est qu’une des variantes possibles des zones monétaires.
La question fondamentale est celle de savoir pourquoi une telle monnaie commune dans
une zone donnée ? La réponse à cette question est déjà contenue dans les développements ci-
dessus. En effet, dans le processus de création et de circulation des monnaies privées, les
relations entre agents privées engendrent la création des dettes. Ces dettes peuvent ne pas
s’annuler malgré la contrainte de remboursement. Les comptes bancaires sont les
représentations consolidées des dettes des agents non monétaires. Périodiquement, ces
19
comptes bancaires qui correspondent à des soldes non nuls sont compensés entre eux. La
partie non compensée (non annulée) doit être réglée. L’intervention de ce que l’on croît être
une monnaie extérieure, la monnaie centrale, répond à cette obligation qui fonde toute la
validité du système de paiements et permet à l’économie décentralisée de « survivre » même
lorsque les dettes ne sont pas annulées en fin de période d’exercice donnée.
On voit ici, par rapport au monde walrasien d’équilibre général, que les agents peuvent
entreprendre des activités privées sur la base de leurs seules anticipations sur l’avenir sans
qu’un équilibre général ne soit a priori établi et ne leur soit indiqué par un centre
d’information. Les entrepreneurs versent des revenus monétaires aux ménages et produisent
des biens et services destinés à être vendus sur les marchés. Si leurs anticipations sont
réalisées, c’est-à-dire si les ventes ont lieu comme prévu, aux prix donnés et aux quantités
estimées, les entreprises reçoivent des recettes monétaires grâce aux dépenses des revenus
monétaires préalablement versés aux ménages-salariés-consommateurs. Elles peuvent alors
rembourser leurs dettes auprès des banques. Lorsque les ménages ne dépensent pas
l’ensemble de leurs revenus monétaires, les dettes des entreprises ne peuvent pas s’annuler
par remboursement effectif. Il faut que les banques rééchelonnent ces dettes si l’on veut
exclure la faillite comme mode de dénouement généralisé du système de paiements. Dans le
cas général et en fonction de l’accessibilité (législative ou économique) des marchés
financiers, les entreprises émettront des titres afin d’attirer les fonds prêtables vers leurs
dettes. Ainsi apparaît un stock monétaire, une quantité de monnaie non dépensée et détenue
par les ménages qui devient, si l’on veut, une sorte de moyen de réserve. Les marchés
financiers apparaissent alors comme un lieu de transformation des excédents des uns (des
ménages) en actifs financiers et des déficits des autres (des entreprises) en des dettes à plus
long terme.
Lorsque les banques créent de la monnaie de crédit, la règle de convertibilité de leur
monnaie en un signe généralement reconnu par l’ensemble des échangistes fait intervenir le
mécanisme de constitution d’une contrainte quantitative, donnée en général par la constitution
des réserves obligatoires, auprès de la banque centrale et imposée par celle-ci. Ces réserves
correspondent à l’inscription dans les comptes de la banque centrale d’une monnaie centrale,
la monnaie commune. Cette monnaie (la fiat money) est créée et prêtée par la banque centrale
aux banques qui doivent régler leurs dettes après compensation aux autres banques dans la
zone de paiements considérée. La banque centrale prélève un coût de refinancement sur le
système bancaire, appelé le taux d’intérêt de référence ou le taux central qui correspond dans
ce cas de figure précis au taux d’escompte. Il existe plusieurs types de taux qui répondent aux
mêmes besoins en monnaie centrale mais qui sont appelés différemment en fonction de
20
l’opération d’intervention envisagée par la banque centrale (taux au jour le jour, taux d’appel
d’offre, taux directeur, etc.). C’est le moyen principal d’intervention de la banque centrale qui
donne aux autorités une possibilité d’appliquer des politiques monétaires sur les marchés
privés en vue d’affecter l’évolution économique dans tel ou tel sens souhaité collectivement
par les décideurs publiques. Lorsque la lutte contre l’inflation est considérée comme la
mission ultime des autorités, comme il est le cas dans les pays européens depuis les années
1980, la politique monétaire sera restrictive, correspondant en général à des niveaux élevés du
taux directeur. Lorsque la croissance fait partie des objectifs des autorités, on pourra observer
des interventions plus mitigées en fonction de l’objectif d’inflation et de l’objectif de
croissance, comme il est le cas dans les missions attribuées à la Réserve fédérale américaine,
dont une version descriptive est donnée par la règle dite de Taylor.
Entre les différentes zones de paiements il n’existe pas de monnaie de règlement
supranational officiel. Ceci pose, à certaines périodes, des difficultés de réalisation des
échanges internationaux, la variable fondamentale du fonctionnement des économies
monétaires n’ayant pas un nom et un contenu a priori défini.
Dans l’étude des moyens de paiements internationaux, le schéma de l’économie monétaire
présenté ici est facilement transposable à l’ensemble des échangistes. Toutefois, la séparation
entre les zones de paiements auxquelles appartiennent ces échangistes empêche ceux-ci de
réaliser une circulation monétaire continue et régulière. La circulation des biens et services
s’en trouve alors négativement affectée faute de moyen de règlement supranational, problème
que les différents systèmes monétaires internationaux cherchent à pallier.
Avant de passer à la suite, remarquons que le moyen de règlement, la monnaie, n’est pas
liée à une quantité donnée de marchandises, appelées richesses réelles dans la théorie
économique a-monétaire. Or, lorsqu’il s’agit de déterminer un moyen de règlement, on
cherche habituellement à le définir en termes d’un bien réel. L’aspect symbolique de la
monnaie, acceptée dans une zone de paiement intégrée, ne suffit pas à régler les soldes entre
zones de paiements séparées. Si tous les soldes s’annulent en fin de période d’exercice, la
seule unité de compte suffirait à faire fonctionner l’économie. Mais l’apparition des excédents
et des déficits non a priori compensables implique la détermination d’un moyen de règlement,
c’est-à-dire du contenu de l’unité de compte.
Pourquoi les différentes zones n’accepteraient pas de fonctionner sur la base symbolique
d’un moyen de règlement commun à toutes ? La réponse évidente, mais non moins difficile à
accepter par la tradition économique est qu’il existe des zones souveraines qui n’accepteraient
pas de se plier au pouvoir d’une seule monnaie. Ce qui peut se pratiquer dans les faits ne
permet pas d’établir un moyen de règlement officiel supranational qui émanerait d’un seul
21
pays. Sur le plan international, chaque Etat apparaît comme un concurrent, un rival, au moins
potentiel, pour un autre. Dans les approches de Free Banking, on cherche à établir un contenu
arbitraire, objectif de l’unité de compte, fondé sur un ou plusieurs biens réels, en supposant
que cela suffirait à empêcher les uns et les autres de tricher. Or apparaît ici le problème
essentiel de la théorie économique : La monnaie n’est pas un bien, même si son contenu peut
être attaché dans la pratique à une « relique » de l’histoire. Quel que soit le contenu choisi
pour l’unité de compte internationale, le schéma de système de paiements conserve sa nature.

1. 4. Monnaie de réserve ou monnaie internationale

Sur le plan des relations monétaires internationales, les systèmes bancaires centralisent les
demandes et les offres de monnaies étrangères contre monnaies nationales (ou contre la
monnaie de la zone de paiements dont ils relèvent). Ce sont des opérations de change. C’est le
solde de l’ensemble de ces opérations après compensation qui, pour une période donnée,
constitue le besoin ou l’excédent net de liquidités internationales de l’ensemble des
ressortissants d’une zone de paiements donnée. Ce besoin dépend bien évidemment du
volume et de la structure des échanges commerciaux. Plus la valeur des échanges
internationaux est élevée plus le besoin de monnaie pour les financer est important.
Par ailleurs, le besoin résulte aussi du fait que les détenteurs de portefeuilles financiers
internationaux arbitrent sans cesse entre diverses formes de placement. Les arbitrages en
fonction des taux d’intérêt (dépendant du degré de mobilité des capitaux et des
réglementations nationales respectives en vigueur), des taux de change, des anticipations de
risque (d’une monnaie par rapport à une autre), du degré de liquidité des placements, etc.,
détermineront les besoins de liquidités internationales. Les comportements des autorités
monétaires pour la défense de leur monnaie, des parités (selon le régime de change en
vigueur) et de leur contrainte extérieure (de l’équilibre de la balance des paiements) influent
aussi sur ce besoin.
La demande de liquidités internationales est fondée principalement sur trois types de
besoin :
- le besoin lié à la nécessité de financer les transactions internationales et qui peut être
satisfait par l’échange de la plupart des monnaies convertibles, utilisées dans le monde ;
- le besoin qui naît de la nécessité dans laquelle se trouvent les banques et, notamment, la
banque centrale, et plus généralement les opérateurs des marchés internationaux de faire face
à des déséquilibres temporaires ou durables de leurs paiements extérieurs. Les opérateurs
conservent alors certaines devises qu’ils estiment les plus solides comme monnaies de
réserves (pour les banques centrales, il s’agit des réserves officielles de change) ;
22
- Une troisième catégorie concerne directement les besoins qui naissent en période de
crise de paiement extérieur. Les lignes de crédit entre différents pays ou les accords
d’assistance auprès des blocs, unions ou institutions comme le FMI sont censés répondre à ce
type de besoin.
Sur le plan fondamental, le concept de monnaie de réserve est dérivé de l’étalon-or et de
son évolution vers l’étalon-change-or. Toutefois, depuis l’abandon des parités fixes contre le
dollar des Etats-Unis, au début des années 1970, et du fait du développement très rapide des
crédits internationaux comme source de liquidités internationales, à côté des réserves des
banques centrales dont l’évolution a été plus lente, le concept de monnaie de réserve a perdu
une part de sa pertinence au profit de celui de monnaie internationale.
Une monnaie internationale est, avant tout, une monnaie tout court. Les fonctions
pratiques restent les mêmes. C’est une monnaie de compte qui sert à libeller les contrats ou à
facturer les ventes des biens et services (la monnaie de facturation). Les négociations
internationales se font alors en cette monnaie. Aujourd’hui, il s’agit principalement du dollar
des Etats-Unis et de l’euro.
La monnaie internationale est aussi un moyen de paiement, d’abord international, et
ensuite, dans certains cas, national lorsque l’économie considérée subit une substitution de sa
monnaie par la monnaie internationale (comme en Argentine vers la fin des années quatre-
vingt-dix). La monnaie internationale est aussi utilisée comme une réserve de valeur dans la
mesure où les agents économiques détiennent des réserves de précaution ou de spéculation en
cette monnaie.
Il existe principalement quatre conditions pour accéder au statut de monnaie internationale
qui déterminent dans quelle mesure les fonctions classiques d’une monnaie peuvent être
remplies, sur le plan international, par un petit nombre de monnaies nationales.
Tout d’abord, la monnaie qui doit être utilisée comme monnaie internationale, doit
s’appuyer sur une économie forte (et en générale dominante) qui joue un rôle majeur dans les
échanges mondiaux. Ensuite, il faut que les marchés et les opérateurs attribuent une confiance
forte à la monnaie qui doit accéder au statut de monnaie international. Ceci implique une
stabilité : peu ou pas d’inflation, équilibre des comptes extérieurs du pays considéré, stabilité
du cours de la monnaie, stabilité des institutions politiques. Toutefois, lorsque l’on regarde de
près la situation actuelle du dollar américain, monnaie internationale de référence, on
remarque que la dernière condition ci-dessus n’est pas entièrement remplie puisque la balance
des paiements américaine n’est pas équilibrée et puisque le cours du dollar par rapport aux
principales devises (le yen, la livre sterling, l’euro) fluctue fortement sur la période 2000-
2005. Par conséquent, ce deuxième critère n’est pas une condition sine qua non de l’accession
23
au statut de monnaie internationale. En troisième lieu, le pays émetteur de la monnaie
internationale doit posséder des marchés financiers libres en ce qui concerne le mouvement
des capitaux. Il faut que ces marchés soient larges (avec une gamme étendue d’instruments
financiers), profonds (marchés secondaires développés) et liquides (capables d’absorber des
volumes importants de transactions sans décalage notable de cours de change). Et, en dernier
lieu, il convient que les autorités monétaires du pays émetteur aient la volonté explicite de
remplir ce rôle en acceptant de n’émettre aucune restriction à la détention de leur monnaie à
l’étranger et à sa libre disposition par les détenteurs.

1. 5. Monnaie supranationale

Il existe de fortes similitudes entre les règles de fonctionnement des systèmes monétaires
en vigueur dans les différentes zones de paiements. Les économies de marchés fonctionnent
en effet sur les mêmes bases monétaires fondamentales. Toutefois, la somme de ces
nombreuses zones de paiements ne nous permet pas d’avoir trivialement un système
monétaire international.
Les grammaires structurales des différentes langues parlées dans le monde peuvent se
ressembler (avec quelques différences au niveau du vocabulaire, c’est-à-dire au niveau des
habitudes de paiement des agents sur chaque marché considéré localement). Mais il n’existe
pas une seule langue internationale officielle qui aurait l’attribut de langue supranationale. Si
vous ne connaissez pas l’italien, vous n’êtes pas a priori sûr de pouvoir parler sur l’histoire de
l’art romain avec le conservateur du musée de Rome.
Les monnaies nationales sont les seules unités de compte dans leur zone de paiements
respective. Certes, on voit apparaître des monnaies circulant facilement dans une majorité des
zones de paiements distinctes, comme le dollar ou l’euro. Mais cette situation a une validité
relative, dépendant des conditions économiques des pays émetteurs. N’oublions pas en outre
que la circulation des monnaies-devises internationales n’est pas générale, mais au contraire
limitée à des paiements bien déterminés. Votre boulanger n’acceptera pas 1,20 dollar au lieu
de 0,80 centimes d’euro pour une baguette lorsque vous vivez en France.
Au sein de l’Europe, on a mis en œuvre une monnaie unique, l’euro, qui a permis
d’unifier l’ensemble des zones monétaires européennes, dans l’objectif d’une unification plus
complète à long terme. Ainsi, l’euro est devenu une monnaie supranationale d’une façon
radicale, en se substituant à toutes les monnaies nationales des pays membres de l’Union
européenne. La question qui se pose consiste à connaître les raisons qui justifient le choix
d’une monnaie supranationale. La réponse varie selon la position théorique adoptée.
24
Du point de vue des théories d’équilibre général, qui correspondent aux modèles en
termes réels, la monnaie n’est pas une variable fondamentale dans l’économie. Son
intégration, lorsqu’elle est supposée effectuée à la manière quantitativiste, ne concerne que le
niveau général des prix. On suppose habituellement une offre exogène donnée de monnaie par
l’Etat. La demande de monnaie, quant à elle, relève des plans de consommation des agents.
Elle est considérée en termes réels et traduite par une demande d’encaisses réelles suivant les
plans d’équilibre des agents.
Sur le plan international, selon les régimes de paiements, les relations entre monnaies
différentes peuvent être identifiées sans problème particulier. En régime d’étalon-or, c’est la
contrepartie en or de chaque unité monétaire nationale qui devrait déterminer sa position vis-
à-vis des autres monnaies. En l’absence de ce type de règles, il suffirait, pour l’approche
réelle, de laisser les monnaies se confronter sur un marché de changes flexibles afin d’en
déterminer les parités à chaque instant.
De ce point de vue, que ce soit au sens de Patinkin, qui affirme que l’aspect unité de
compte de la monnaie est une affaire hors marché, donné par une institution publique et que
les prix monétaires dépendent uniquement des comportements des agents sur les marchés des
biens et services ou que ce soit au sens de M. Friedman, qui étudie le problème sur la base
d’une existence ou d’une absence de banque centrale internationale, en soulignant que
l’adoption d’une unité de compte supranationale impliquerait une interdépendance monétaire
telle que tous les pays devraient adopter un étalon commun et se soumettre à sa discipline,
l’institution d’une monnaie supranationale ne s’avère pas être d’une utilité significative. Selon
les mécanismes habituelles, la discipline monétaire intérieure à chaque zone monétaire
s’exercerait à travers les parités dont les déséquilibres (ou désajustements) temporaires, dus à
une offre excédentaire d’une monnaie par rapport à une autre, se résorberaient par les
mécanismes habituels de l’équilibre général. Or, face aux instabilités observées dans les
régimes de changes flexibles et face à l’inégalité observée entre les monnaies nationales,
d’autres monétaristes, comme McKinnon, plaident pour une coopération monétaire accrue
entre Etats. Cette coopération consisterait en une définition commune d’un indice des prix par
rapport auquel les autorités des diverses zones monétaires contrôleraient leur offre respective
de monnaie.
Cette vision est bien celle de la parité des pouvoirs d’achat. L’économie est
fondamentalement réelle et lorsque les conditions concurrentielles et la libre circulation des
biens et services sont assurées, l’unicité du prix d’équilibre est assurée quel que soit le pays
dans lequel le bien est échangé. Si les marchés des biens et services sont à l’équilibre, celui de
25
la monnaie le sera aussi en vertu de la loi de Walras. La même affirmation est valable aussi
pour le marché des changes et donc pour les rapports entre monnaies différentes.
On soulignera que l’absence d’une analyse spécifique sur la monnaie, comme variable
particulière différente des biens et services, se fait sentir lorsqu’il s’agit de discuter de la
nécessité ou de l’inutilité de l’établissement d’une monnaie supranationale. Une proposition
particulière en vue de l’établissement d’une telle monnaie est avancée par Keynes entre 1942
et 1944 (voir les Collected Writings). Keynes proposait la construction d’un indice des prix du
commerce international. La monnaie de compte supranationale devrait se référer à cet indice
et être émise par une banque supranationale à laquelle les banques centrales des zones
monétaires, jusqu’alors indépendantes, devraient adhérer. Le système est semblable au
système de banques-banque centrale en vigueur dans les économies modernes.
Keynes proposait en effet la mise en place d’une chambre de compensation ou d’une
union de compensation (Clearing Union) au niveau international. Une banque des banques
centrales dont la monnaie, le bancor, se substituerait à toutes les autres liquidités
internationales. Cette banque centrale supranationale émettrait le bancor qui serait utilisé à la
fois comme unité de compte, monnaie de crédit et monnaie de règlement entre banques
centrales nationales, consolidant les comptes des institutions qui appartiennent à leur zone de
contrôle. La perception d’intérêts sur les comptes débiteurs, mais également sur les comptes
créditeurs devrait assurer une répartition entre pays déficitaires et excédentaires des
ajustements nécessaires pour corriger les déséquilibres des balances des paiements nationales.
Keynes confiait en outre, la fixation du taux de change à une négociation entre l’union de
compensation et le pays concerné.
On remarquera dans ce plan Keynes une volonté explicite de centralisation publique
internationale des opérations monétaires à travers un contrôle sur les taux de change.
Cependant, la circulation des monnaies nationales dans leur zone respective n’est pas
supprimée. Les monnaies différentes continuent d’exister. Ce qui change fondamentalement
c’est qu’il n’existe pas de devise-clé officielle, élément de réserve internationale, ni de
marchandise particulière, richesse réelle, comme l’or, qui appartiendrait à telle ou telle zone
de paiement particulière. Les opérations en monnaie nationale seraient évaluées en monnaie
supranationale en ce qui concerne les compensations entre les dettes respectives des zones
séparées. Le moyen de règlement des relations internationales serait alors une monnaie
commune sur laquelle les économies nationales n’ont pas de prise directe.
26
Bibliographie spécifique du Chapitre I :

ARROW, K. et HAHN, F. 1971, General Competitive Analysis, Holden-Day, Inc.


BENASSY, A. et DEUSY-FOURNIER, P. 1995, « La concurrence pour le statut de monnaie internationale
depuis 1973 », dans M. Aglietta (éd). Cinquante ans après Bretton Woods, Cepii-Economica.
BEWLEY, 1980 dans Kareken et Wallace
BLACK, F. 1987, Business Cycles and Equilibrium, Basil Blackwell Inc.
BOURGUINAT, H. 1992, Finance internationale, PUF.
CARTELIER, J. 1996, La monnaie, Flammarion.
CARTELIER, J. 1998, « Monnaie et comportements au marché : de l’interdépendance à la viabilité », in A.
Vinokur (éd.)., Décisions économiques, Economica.
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monnaie.
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University of Chicago Press, NBER
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theory of interest rates. Hahn, F. and F. Brechling, eds. Macmillan, pp.126-135.
HAHN, F. 1984, Monnaie et Inflation, Economica
HALL, R. E. 1983, "Optimal fiduciary monetary systems", JME, 12, pp. 33-50
HELLWIG, M. F. 1993, “The challenge of monetary theory”. European Economic Review, 37, pp.215-242.
LACOUE-LABARTHE, D. 1985, Analyse monétaire, Dunod.
LAVIGNE, A. et POLLIN, J.-P. 1997, Les théories de la monnaie, Repères, La Découverte.
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STARR, R. M. ed. 1989, General Equilibrium Models of Monetary Economies. Academic Press, Inc. San
Diego.
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Economie appliquée, XLVIII, N°4, pp. 29-59.
27
CHAPITRE II : LES REGIMES MONETAIRES

Une fois que l’étude des fondements théoriques est effectuée, il devient possible et
intéressant de traiter du système monétaire et financier international. Les débats sur la
constitution des zones ou unions monétaires et sur les différents régimes monétaires nous
fournissent des éléments riches et quelquefois contradictoires pour une réflexion élargie et
constructive. Du point de vue de l’analyse économique positive, la tripolarisation du système
monétaire et la place que l’euro peut occuper dans cette nouvelle donne constituent un
domaine d’analyse privilégié.

2. 1. Les régimes de change : un rappel

2. 1. 1. Changes flexibles

Dans une insatisfaction relative au fonctionnement de Bretton Woods de l’après


seconde guerre mondiale, les défenseurs d’un régime de changes flexibles (RCfl) ont pris
place, dans les années 1950-70, autour des travaux du chef de file de l’Ecole de Chicago,
Milton Friedman7. RCfl peut être défini comme le régime dans lequel les taux de change se
déterminent quotidiennement sur les marchés par les forces de l’offre et de la demande, en
dehors de toute restriction imposées sur les taux par les pouvoirs publics et ce à la manière de
la détermination de l’équilibre néoclassique sur n’importe quel marché de bien ou de service
(le prix relatif des monnaies étant le taux de change et la quantité du marché étant celle du
change en devise). De ce point de vue, dans un RCfl, lorsque les conditions de compétitivité
sont modifiées pour des raisons diverses, les taux de change ajusteraient automatiquement les
niveaux des variables à leur niveau d’équilibre. Ici, la PPA constitue le mécanisme de
référence de cet ajustement automatique. Par conséquent, la question d’ajustement se
trouverait résolue par les variations des taux de change flexibles à l’instar de n’importe quel
autre marché à travers le mécanisme de variation libre des prix.
Le rôle des spéculateurs, dans ce schéma, est de faciliter cet ajustement. Lorsque, par
exemple, les fondamentaux d’une économie sont modifiés et ont provoqué une baisse de la
compétitivité, les spéculateurs anticiperont une dépréciation de la monnaie nationale et
vendront cette monnaie, impliquant sa dépréciation. La spéculation est considérée alors
comme un élément stabilisateur.

7
M. Friedman 1953, Essays in Positive Economics, Chicago University Press et H. G. Johnson 1970, “The case
for flexible exchange rates, 1969”, Federal Reserve Bank of St. Louis, 52, pp. 12-24.
28
Comme il est supposé qu’aucun problème d’information n’existe sur les marchés, il
n’y a aucune raison pour que les autorités publiques interviennent en vue d’affecter
l’évolution des changes. Les agents économiques privés sont supposés suffisamment incités à
faire usage de l’ensemble des informations dont ils disposent pour établir des anticipations de
long terme sur les taux de change de façon à ne pas se trouver en position de perte.
Johnson (1970, art., cité) pense que l’inconvénient du système de changes fixes de
Bretton Woods dans les années cinquante et soixante a été de ne pas avoir de mécanisme
d’ajustement adéquat et de laisser les comptes extérieurs des différents pays se dégrader dans
le temps. L’auteur argumente que si les changes étaient flexibles, les gouvernements
pourraient utiliser des politiques monétaires et fiscales pour améliorer la situation interne de
leurs économies (stabilité des prix, plein emploi, croissance, etc.), laissant l’ajustement
extérieur s’effectuer par les modifications des changes. D’autant plus qu’en RCfl, il n’y aurait
pas de nécessité pour les gouvernements d’imposer des contrôles des capitaux et des biens et
services et le protectionnisme ne serait pas nécessaire.
Or, Artus et Young8 montrent que les modifications des taux de change dans la
période de flexibilité des années soixante-dix n’ont pas suffi à résoudre les problèmes de
déséquilibre des économies. Dans de nombreux cas, les dépréciations ont été suivies par des
accroissements des salaires, créant des boucles de prix-salaires. Par ailleurs, selon les
caractéristiques des économies comme la Suisse, les modifications des prix engendrées par les
variations des taux de change n’ont pas réduit la demande des biens et services dans la mesure
où la compétitivité se révèle dépendante aussi des facteurs autres que les prix (la qualité, la
différenciation, le niveau technologique, etc.). En ce qui concerne le protectionnisme, les
accords internationaux ont aussi permis dans les années 1950-1960 de réduire le
protectionnisme sans que les changes ne soient flexibles. De surcroît, on a observé
l’augmentation des barrières non tarifaires depuis les années 1970.
Un autre avantage supposé du RCfl est de permettre aux pays d’avoir une autonomie
de politique monétaire, ce qui peut être considéré dans un modèle du type Mundell-Fleming.
Une politique monétaire expansionniste (accroissement de l’offre de monnaie par les
autorités) est associée à une baisse du i et donc du flux des capitaux. La dépréciation de la
monnaie qui s’ensuit permet d’augmenter (par une hausse des exportations et/ou une baisse
des importations) la demande nationale agrégée et de stabiliser l’économie considérée9. Or,

8
J. R. Artus et J. H. Young 1979, « Fixed and flexible exchange rates : a renewal of the debate », IMF Staff
Papers, 26, pp. 654-698.
9
Vous pouvez considérer un modèle IS-LM simple en économie ouverte en changes fixes où la politique
monétaire n’a aucun effet sur le revenu national dès lors que la politique de stérilisation a un caractère
temporaire et doit être contrebalancer par les pouvoirs publics qui doivent respecter le taux de change
préalablement fixé. Voir le cours de macroéconomie de deuxième année.
29
sur ce point il convient de remarquer le fort impact des flux de capitaux sur les taux de change
et sur les possibilités d’ajustement. L’exemple de la Grande Bretagne, durant la période de
politique monétaire restrictive entre 1979-1981, est très instructif. Afin de réduire l’inflation,
le gouvernement britannique a suivi de près les agrégats monétaires. L’augmentation des taux
d’intérêt a alors provoqué une entrée massive de capitaux. Le résultat en a été une forte
appréciation de la livre sterling (avec changes flexibles). Le secteur des biens échangeables en
a été négativement affecté par la baisse de la compétitivité et de nombreuses entreprises ont
fait faillite. Cet exemple constitue un argument montrant que même en RCfl, les
gouvernements ne peuvent pas être indifférents au niveau du taux de change. Le SME était
fondé, en partie, sur ce type d’argument.
Le dernier avantage supposé du RCfl est la protection de l’économie vis-à-vis des
chocs extérieurs. Par exemple, une augmentation de la demande extérieure pour les produits
nationaux provoque une appréciation de la monnaie nationale, ce qui augmente le prix des
exportations et réduit à son tour, la demande extérieure, en laissant ainsi le niveau du revenu
national inchangé (qui est supposé se situer, avant le choc, à l’équilibre). Or, la vérification de
cette hypothèse dépend de nombreux facteurs (la taille de l’économie, la nature des
anticipations-rationnelles ou adaptatives-, les caractéristiques de l’appareil productif, i . e., de
l’offre nationale, le degré de flexibilité des prix, etc.). Bryant et al. montrent par exemple que
la contraction de l’économie américaine vers la fin des années 1980 (réduction des déficits
budgétaire et extérieur) a provoqué une baisse de la production dans les autres pays
industrialisés10.
La raison principale pour laquelle les avantages supposés du RCfl ne sont pas
trivialement validés est que ni les gouvernements ni les agents économiques ne peuvent être
indifférents aux niveaux courants et anticipés des taux de change. Ceci génère une incertitude
(qui n’est pas considérée dans la vision d’équilibre néoclassique) attribuant une place non
négligeable aux mécanismes institutionnels visant à gérer les changes.

2. 1. 2. Changes fixes

Les principaux arguments avancés pour la fixité des changes sont au nombre de
quatre : la recherche d’une plus grande discipline des marchés, la volatilité des changes,
l’élimination des désajustements et les bénéfices d’une monnaie unique.

10
R. C. Bryant, D. A. Currie, J. A. Frankel, P. R. Masson et R. Portes (eds), 1989, Macroeconomic Policies in an
Interdependent World, The Brookings Institution/CEPR/IMF, Washington, D. C.
30
2. 1. 2. a. La discipline des marchés
Les défenseurs du régime de changes fixes (RCF) considèrent que le RCfl est un
régime inflationniste et qu’un RCF permet aux pays d’appliquer des stratégies crédibles de
désinflation en disciplinant leurs marchés. La RCfl est considéré inflationniste en raison de la
rigidité des prix à la baisse11. La dépréciation de la monnaie engendre une hausse des prix
intérieurs, due à une augmentation des prix des produits importés. Or, cet argument dépend à
la fois du poids des produits importés dans l’économie nationale et de la rapidité avec laquelle
le renchérissement des produits importés est reflété sur les prix nationaux, ce qui réduit sa
portée dans les observations.
Une autre idée plus acceptable en faveur de cet argument est la suivante. Un pays qui
veut réduire l’inflation peut choisir de le faire en fixant son taux de change sur une monnaie
dont l’économie est réputée non inflationniste. Il s’agit d’une stratégie de désinflation par
ancrage sur une monnaie forte.
Prenons deux pays, l’Argentine et les Etats-Unis. Supposons que l’Argentine
représente une économie inflationniste avec un déficit du compte courant important et les
Etats-Unis, un pays à faible inflation avec un excédent du compte courant12. L’excédent
américain engendrera une appréciation du $us et les autorités américaines interviendront, en
changes fixes, pour vendre des $ et racheter des devises étrangères (dont les pesos). Ceci
impliquera une hausse de la masse monétaire aux Etats-Unis et maintiendra de ce fait le
change stable. Dans le cas de l’Argentine, le mouvement inverse se produit. Le déficit
engendre une dépréciation du peso et les autorités argentines, pour respecter la fixité du taux
de change, achèteront des pesos et réduiront leurs réserves en devises dont le dollar (et donc
l’offre de monnaie nationale). Comme résultat, l’économie argentine connaîtra une
désinflation et ceci réajustera l’équilibre entre les deux pays. Toutefois, ce processus est
supposé automatique et symétrique (les deux pays ont les mêmes préférences et cherchent à
restaurer l’équilibre). Or, les autorités américaines peuvent très bien vouloir maintenir leur
offre de monnaie fixe et stériliser l’impact des modifications de leurs réserves. Elles peuvent
en effet intervenir sur l’open market et vendre des titres et réduire leur offre de monnaie pour
compenser l’augmentation de la monnaie suite à leur vente de $.
On suppose en général que l’ancrage permettrait au pays inflationniste d’établir une
crédibilité sur sa politique monétaire. Cette idée a été développée depuis les travaux de
Kydland et Prescott (1977) et de Barro et Gordon (1983) par de nombreux auteurs dans un

11
M.Goldstein 1980, « Have flexible exchange rates handicapped macroeconomic policy ? », Special Papers in
International Economics, 14
12
Ce n’est qu’un exemple, fondé sur des suppositions !
31
cadre d’anticipations rationnelles13 et de politique axée sur les agrégats monétaires. Le débat
porte alors sur le choix de cible à considérer pour établir la crédibilité : les agrégats
monétaires ou le taux de change fixe.

2. 1. 2. b. Volatilité et incertitude
Il est souvent affirmé que les changes flexibles, en raison de leur plus grande volatilité,
génèrent davantage d’incertitude et réduisent, par conséquent, le volume du commerce
international. Trois coûts de la volatilité, qui portent préjudice au commerce et à
l’investissement internationaux, sont mis en avant. Le premier coût provient du fait que les
importateurs et les exportateurs se trouvent dans l’incertitude en ce qui concerne les prix des
biens qu’ils envisagent d’échanger si bien qu’ils deviennent réticents vis-à-vis des échanges
internationaux. Deuxièmement, lorsque les firmes ne sont pas en mesure d’établir des plans
d’investissement à l’étranger, fondés sur des prévisions de changes stables, elles éviteront de
s’engager dans des opérations de production et/ou d’investissement internationaux. Et enfin,
des modifications soudaines dans la valeur des réserves de change poussent les agents à
détenir des portefeuilles diversifiés en devises pour contrebalancer les effets de la volatilité
des changes.
Cependant, on remarquera que la validité ou l’invalidité de ces affirmations dépend de
plusieurs facteurs spécifiques comme la taille des firmes ou des économies considérées (une
petite firme n’est pas en mesure de faire face aux variations des changes alors qu’une grande
firme a, en principe, plus de possibilités de constituer des réserves diversifiées de change). De
plus, la possibilité d’établir des couvertures contre les risques de change existe aujourd’hui
mais ne permet pas à l’ensemble des intervenants et pour l’ensemble des périodes d’envisager
une couverture garantie. Par conséquent, à la fois les arguments des changes flexibles et ceux
des changes fixes se révèlent d’une portée relative aux caractéristiques des économies et des
agents et des opérations pris en compte. L’intervention autoritaire sur les marchés des changes
a une visée plutôt pragmatique consistant, non pas à résoudre le problème de déséquilibre du
fonctionnement des marchés imparfaits, mais plutôt à remédier à certaines insuffisances dont
l’asymétrie ou l’absence d’information.

2. 1. 2. c. Les déséquilibres des taux de change


Le déséquilibre ou le désajustement persistant des taux flottants par rapport à leur
niveau d’équilibre de long terme a été étudié par de nombreux économistes. J. Williamson est

13
Voir De Grauwe, 1999, pour les références.
32
sans doute l’un des économistes les plus représentatifs dans ce domaine14. L’auteur calcule
d’abord le taux de change d’équilibre fondamental (TCEF) comme étant le taux qui permet
d’assurer que dans le temps le déséquilibre du compte courant est égal au solde du compte de
capital (il s’agit donc d’équilibrer la balance des paiements), ce dernier étant déterminé par la
relation de l’épargne et de l’investissement nationaux15. Par conséquent, si une économie a
une balance des capitaux déficitaire, alors le TCEF doit être tel qu’un excédent du compte
courant compense le solde du compte du capital. Sous ces conditions, le modèle, dérivé du
modèle de taux de change multilatéral du FMI, cherche à expliquer les désajustements des
années quatre-vingt pour les devises comme $, £, DM et le yen. Lorsqu’il y a désajustement,
par exemple une surévaluation, certains industries deviennent sous-compétitives et
l’économie connaît à la fois une sous-utilisation des facteurs de production, comme le travail)
et une désindustrialisation, ce qui empêche de nouveaux investissements de s’effectuer en
aggravant le contexte d’incertitude croissante sur le futur. En plus, les désajustements
pénalisent les agents qui détiennent des passifs libellés en la monnaie surévaluée ou des actifs
libellés en la monnaie sous-évaluée. Williamson et Miller16 en concluent que pour éviter ces
problèmes, les autorités monétaires devraient intervenir sur les marchés des changes en
essayant de les gérer dans une zone cible avec une marge de + ou – 10% autour d’un cours
pivot (TCEF). Tout dépend alors du « bon » TCEF.

2. 1. 2. d. Avantages d’une monnaie unique et zones monétaires optimales (ZMO)


Par définition, lorsqu’il n’existe qu’une seule monnaie, tous les problèmes dus à la
volatilité des changes, à l’incertitude des marchés de changes et aux coûts impliqués par
toutes les opérations portant sur les changes n’ont plus de raison d’être. En contre partie, il
n’y a plus de possibilité d’intervenir sur les marchés des changes afin d’affecter l’équilibre
économique et toute politique monétaire et de change national disparaît dans ce domaine. La
littérature sur les ZMO17, développée suite, notamment, aux travaux de Mundell et qui a
connu un regain d’intérêt considérable dans les années 1990 avec la crise du SME, porte sur

14
J. Williamson 1983, Exchange Rate System, Institute for International Economics, Washington, D. C. et J.
Williamson (ed), 1994, Estimating Equilibrium Exchange Rates, Institute for International Economics,
Washington, DC.
15
Si S>I, il y a une exportation des capitaux et si I>S, il y a une importation des capitaux.
16
J. Williamson et M. H. Miller 1987, Targets, and Indicators : a blueprint for the international co-ordination of
economic policy, Institute for International Economics, Washington, D. C.
17
Une zone monétaire, c’est-à-dire un espace économique dans lequel les taux de change des monnaies des
économies participantes sont fixes les uns par rapport aux autres, est dite optimale lorsqu’il y a une mobilité
parfaite, à l’intérieur de la zone, des facteurs (le travail et le capital) et lorsqu’il existe un budget fédéral capable
d’absorber les chocs asymétriques que les régions hétérogènes de la zone sont susceptibles de subir. De ce point
de vue, l’Union économique et monétaire européenne était considérée comme une zone non optimale en raison
de la faiblesse du budget fédéral, de l’hétérogénéité des économies membres et de la rigidité du facteur travail.
33
les avantages et les inconvénients (les coûts) d’une union monétaire18. Pour qu’une union
monétaire soit bénéfique, on suppose que trois conditions doivent être remplies : une forte
mobilité des facteurs de production (travail et capital), un degré d’ouverture élevé et une forte
diversification des produits.
Lorsque les chocs de demande sont asymétriques entre les deux pays qui fondent une
union monétaire, l’ajustement nécessaire se fera par la mobilité du facteur travail par exemple.
Supposons comme exemple que deux pays, A et B, veuillent constituer une zone de changes
fixes afin d’établir une zone monétaire. Admettons que le pays A connaît une augmentation
de la demande et le pays B une diminution. Le pays A se trouve confronté à une pression
inflationniste et le pays B au chômage. Si le facteur travail de B peut se déplacer vers A,
l’ajustement se fera sans coût supplémentaire pour les deux économies à travers les variations
des offres et des demandes du travail et donc des salaires jusqu’à ce que l’équilibre (cf. les
modèles flexibles standard) soit à nouveau obtenu.
De même, dans une économie ouverte, les salariés sont plus conscients du fait que la
dévaluation accroît le niveau des prix nationaux et ils augmentent alors les salaires nominaux
afin de compenser cet effet. Par conséquent, les gains en termes de compétitivité, induits par
la variation du taux de change, sont rapidement contrebalancés. L’économie ouverte subit
alors peu de coûts lorsqu’il rejoint une zone monétaire.
En troisième lieu, considérons un choc de demande microéconomique, engendré par
une baisse de la demande adressée à un produit donné. Si la diversification de l’économie est
forte, cette baisse de la demande pour un produit spécifique n’affectera pas l’économie entière
même lorsque celle-ci se trouve engagée dans une zone de changes fixes.
En ce qui concerne la perte d’indépendance de la politique monétaire, on suppose que
lorsque l’intégration entre les pays de la zone est forte, par exemple, lorsque les pays ont des
objectifs communs (disons, la réduction du différentiel d’inflation), alors ils chercheront
volontiers et plus aisément à mettre en place des politiques économiques coordonnées afin de
faire face aux chocs et établiront des stratégies non conflictuelles. Dans ce cas, la constitution
d’une zone monétaire apparaît bénéfique à l’ensemble des pays membres. Toutefois, ces
conditions dépendent de la question de savoir si les pays membres ont les mêmes objectifs et
s’ils acceptent de supporter les coûts du processus de convergence macroéconomique dans le
temps. Ce problème a été vécu, à des degrés divers durant la période 1986-2000, par un grand

18
R. A Mundell 1961, « A theory of optimum currency area, American Economic Review, 51, pp. 657-665, voir
le Revue française d’économie, XVIII(2), 2003, pour la traduction française de cet article et A. Bénassy-Quéré
« Le paradoxe de Mundell », dans la même revue. Aussi R. I. McKinnon 1963, « Optimum Currency Areas »,
American Economic Review, LIII: 4, pp. 717-725, T. Scitovsky 1958, Economic Theory and Western European
Integration, Stanford, pour une vision opposée à celle de Mundell (1961). On peut aussi se référer à R. A.
Mundell 2000, « Global money, currency areas and economic development », World Bank, N°05-2000.
34
nombre de pays de l’Union européenne, qui ont dû faire face à des chocs asymétriques dans le
SME.

2. 2. Le système monétaire et financier international (SMI)

Au niveau mondial, il n’existe pas de monnaie supranationale, unité de compte et


moyen de règlement internationaux qui s’imposeraient à l’ensemble des pays et qui seraient
émis sous l’égide d’une banque centrale supranationale. Par contre, il existe un « système »
composé de nombreux pays (et donc de nombreuses monnaies nationales) qui vise à organiser
les paiements et les règlements dans les transactions internationales à travers l’utilisation
d’une ou de quelques monnaies nationales comme devises internationales.
Si l’on suit Mundell, un système est une agrégation de diverses entités unies par
d’interactions régulières suivant une certaine forme de contrôle et un ordre, à la différence du
système, est un schéma et des modalités selon lesquels le système s’opère. De ce point de vue,
le système monétaire international est l’ensemble des mécanismes gérant les interactions des
pays qui nouent des transactions entre eux, à savoir les instruments monétaires et de crédit
nationaux sur les marchés des biens, des changes et des capitaux. Le contrôle est effectué à
travers les politiques nationales interagissant dans le cadre de coopération. Les lois,
conventions et réglementations qui établissent la structure du système constituent l’ordre, telle
une constitution qui définirait un système politique. Un système monétaire est alors le modus
operandi de l’ordre monétaire.
Cependant, il convient de remarquer avec Aglietta (1994) que bien que le SMI
fournisse le niveau de régulation le plus élevé dans l’économie mondiale, il présente en même
temps les mécanismes les plus vulnérables au changement car « il n’existe pas de chef
d’orchestre dans le concert des nations pour éliminer les conflits nés d’interactions
stratégiques. Il n’existe pas souveraineté supranationale pour garantir la confiance accordée à
une monnaie largement utilisée par les étrangers » (p. ?).
Plusieurs points faibles apparaissent dans la structure du SMI actuel. Déjà l’ordre
monétaire de Bretton Woods, qui était censé établir un système symétrique dans les
obligations et coopératif dans ses modalités de gestion et de contrôle des transactions
internationales à travers le FMI, s’était rapidement transformé, à partir des années soixante, en
un système à leader unique et à obligations asymétriques, ce qui préparé son démantèlement
au début des années soixante-dix. L’évolution suivante à abouti à un système (que certains
qualifient de non système), toujours asymétrique, mais fondé sur un choix de décentralisation
et de libéralisation des relations assez poussées, minimisant le rôle de la coordination et
réduisant considérablement l’importance des règles communes de fonctionnement et de
35
surveillance. Or, pour la viabilité des relations internationales, il semble que le choix d’une
libéralisation macroéconomique et d’un principe de coordination volontaire et sans règle
apparente aboutit à une situation ambiguë dans laquelle se nourrissent à volonté les
déséquilibres monétaires et financiers internationaux.
En effet, la stabilité du SMI actuel est tributaire d’un certain nombre d’incohérences
qui caractérisent sa structure par rapport à ses principaux objectifs qui fondent son existence.
L’objectif déclaré du SMI est d’aider chaque pays à établir la stabilité intérieure et à élever
son niveau de vie. Pour parvenir à ce but, on cherche à promouvoir le commerce et les
investissements sur le plan mondial au travers des accords mondiaux qui doivent aussi viser à
éviter des mesures unilatérales préjudiciables à la prospérité internationale.
Les expériences des années trente qui ont débouché sur des hostilités militaires ont
guidé la conception du Bretton Woods dont le dispositif était alors conçu de manière à offrir
au commerce international un environnement libéral. Le SMI doit être doté d’un mécanisme
d’ajustement. Le FMI a cette tâche sur les problèmes de change et de paiement en facilitant
l’élimination des restrictions sur le règlement des transactions courantes.
Le SMI est principalement fondé sur le libre fonctionnement des marchés. La
responsabilité des autorités revient à garantir le fonctionnement efficient des marchés
internationaux des capitaux et à prévenir toute défaillance. La vague de libéralisation des
marchés financiers et monétaires depuis deux décennies prend place dans une telle politique
générale à l’intérieur de l’OCDE, du GATT et maintenant de l’OMC. Toutefois, on
remarquera que la base du SMI, appuyée sur les forces du marché, ne peut être considérée
satisfaisante que si les marchés fonctionnent de manière efficace. D’une part, les conditions
de cette efficacité sont supposées résider dans l’absence de restrictions autoritaires avec des
politiques monétaire et budgétaire stables et crédibles. A politique monétaire est axée sur la
stabilité des prix, donc elle est par nature restrictive. Mais il est supposé que le rôle de
surveillance du système financier de plus en plus libre et volatil revient aux autorités
monétaires. Etant donné l’ampleur des opérations quotidiennes sur les marchés financiers et
de change, l’intervention des autorités ne paraît plus possible sans une coordination
internationale19.
Les déséquilibres rencontrés dans le fonctionnement des relations monétaires ont de
multiples origines. Lorsque l’on considère les relations monétaires sous la forme de flux de
paiements, le raisonnement en termes de l’économie de réseaux, il convient de prendre en
compte à la fois les flux microéconomiques d’information, de marchandises et de paiements

19
Aujourd’hui, les seuls fonds spéculatifs (hedge funds) gèrent près de 525 milliards d’euros répartis dans 6000
à 7000 fonds, contre 25 millions de dollars en 1990. Ces fonds restent largement en dehors du champ des
régulateurs, ils sont très opaques et souvent enregistrés dans des paradis fiscaux.
36
et les relations macroéconomiques des institutions régulatrices. Malgré de nombreuses
possibilités de diversification des risques exogènes, les marchés financiers sont soumis aussi à
des problèmes d’incertitude endogène qui déclenchent des comportements collectifs
susceptibles de conduire à des inefficacités sérieuses. Les études sur les équilibres multiples,
la volatilité spéculative, la distorsion des prix relatifs, le surendettement et la volatilité des
marchés de crédit offrent autant de domaines d’analyse particuliers en ce qui concerne la
dynamique du déséquilibre financier. De même, lorsque les gouvernements bénéficient de
nombreuses facilités de financement et se lancent dans des politiques discrétionnaires sans se
soucier de la stabilité à terme de leur système monétaire et financier, les attentes des marchés
sont souvent affectées d’une façon ambiguë et relativement erronée. Ainsi, des politiques
antagonistes provoquent de multiples retournements des points de vue à l’égard de l’évolution
future des changes et des variables macroéconomiques, points de vue qui déterminent les
anticipations des opérateurs privés des marchés et qui incitent ces derniers à prendre des
positions peu conventionnelles. Des opinions contraires et contradictoires sont alors formées
sur l’avenir et créent des bulles provoquant des comportements mimétiques débouchant sur
des attaques spéculatives. Cette interaction entre les échecs des autorités et ceux des marchés
produit souvent des effets pervers en déstabilisant les marchés des changes sur lesquels les
taux s’établissent à des niveaux de déséquilibre entraînant des dévaluations ou réévaluations
concurrentielles exubérantes. De telles évolutions créent des externalités qui affectent
négativement le bien public qu’est le SMI (puisque celui-ci concerne la stabilité des relations
internationales) et soulignent la nécessité de la mise en place des règles communes capables
de gérer les relations sous la contrainte de la stabilité du système.
Les marchés sont par nature incomplets et imparfaits. Les travaux sur l’incertitude,
dans la lignée keynésienne, des Post keynésiens (Davidson) et sur l’asymétrie de
l’information, suivant les Nouveaux keynésiens (Stiglitz et Weiss), montrent que les marchés
ne sont pas à même de s’autoréguler d’une manière spontanée. Dans cette optique, les
approches qui considèrent l’économie de marché comme une économie d’emblée monétaire
soulignent que « l’enchevêtrement entre marchés et institutions est l’essence des systèmes
économiques. Cela ne peut se comprendre comme un problème d’agrégation, mais plutôt de
médiation » (Aglietta, 1994).
37
2. 3. Union économique et monétaire européenne comme système monétaire spécifique

D’une zone de libre-échange20 à une union douanière21 et d’un marché commun22 à un


système monétaire commun23 le processus d’unification européenne se dessine dans le temps.
Ce faisant, un débat de fond entre ce que Tsoukalis (1997, pp. 139-140) appelle les
monétaristes et les économistes apparaît. Les premiers, représentés par la France, la Belgique
et le Luxembourg, insistent sur l’importance d’un mécanisme de changes solidaire et sur la
nécessité de renforcer institutionnellement la personnalité monétaire de l’Europe au niveau
international. Les seconds, représentés notamment par l’Allemagne et les Pays-Bas,
privilégient une convergence structurelle. La coordination politique et celle des politiques
économiques sont considérées comme la condition nécessaire d’une évolution vers un
mécanisme de changes crédible et d’une convergence vers le bas des taux d’inflation des pays
membres.
Ces deux tendances sont conciliées imparfaitement dans le Traité de Maastricht (le
Traité) comme prolongement du Traité de Rome dont l’objectif principal annoncé était la
création d’un marché commun mais dont les références sous-jacentes étaient déjà la
convergence des performances et des politiques économiques des membres et la coordination
en matière des taux de change. Ce processus de coordination, qui semble se conclure
aujourd’hui par la mise en place d’une monnaie unique, est destiné à rendre effective l’Union
Economique et Monétaire Européenne (UEM). Des fondements d’une Europe unifiée passe-t-
on ainsi à la réalité d’une Europe unitaire. Comme aboutissement, la création de l’euro et de
la Banque Centrale Européenne (BCE) est un événement sans précédent dans l’histoire
économique et politique dans la mesure où il s’agit de la mise en place d’une monnaie et
d’une banque centrale supranationales enlevant à un nombre élevé de pays leurs souverainetés
monétaires.
Une union monétaire constitue une zone monétaire dans laquelle les politiques sont
gérées conjointement dans le but d’atteindre des objectifs macroéconomiques communs. Le
Rapport Werner de 1970 soulignait, avant même la mise en place du serpent monétaire
européen (1972), trois conditions principales pour une union monétaire: la garantie d’une
convertibilité totale et irréversible des monnaies; la libéralisation complète des mouvements
de capitaux avec l’intégration des marchés bancaires et financiers et l’élimination des marges
de fluctuation avec la fixation irrévocable des parités entre les monnaies membres. Ces trois
conditions semblent quasiment remplies aujourd’hui même s’il subsiste encore des difficultés

20
avec la suppression des obstacles aux échanges
21
avec la mise en place d’une politique commerciale commune
22
avec la mobilité des facteurs et des actifs financiers
23
avec le système de taux de changes fixes
38
qui apparaissent lorsqu’il convient d’assurer la stabilité des mouvements de capitaux et de
faire face aux attaques spéculatives. Ces difficultés nous rappellent d’ailleurs que l’union
monétaire ne semble pas pertinente lorsque la coopération reste au seul niveau d’un
mécanisme de change et de coordination particulière de quelques politiques monétaires. Du
serpent monétaire au Système monétaire européen (SME) et du SME à l’Union, la trajectoire
d’évolution met en évidence les limites des mécanismes d’intervention communs volontaires
et souples. Elle fait apparaître aussi la nécessité logique de l’établissement d’une union dont
les fondements, ainsi que les moyens et objectifs ne doivent plus être dépendants de la volonté
temporaire des participants mais plutôt d’un engagement ferme et irrévocable de leur part.
L’union nécessite alors la création d’une monnaie unique autour de laquelle les politiques
monétaires (mais aussi budgétaires) communes doivent se déterminer. La condition sine qua
non de cette monnaie est la création d’une banque centrale capable d’établir des stratégies
communes crédibles.
Le SME était un arrangement coopératif destiné à fournir aux pays une période
nécessaire de convergence. Mais pour la constitution d’une union pertinente, il ne pouvait pas
représenter à long terme un contexte crédible et il devait être remplacé par une réelle union
monétaire. C’est seulement ainsi que l’union peut apparaître sous une forme stable, différente
d’un engagement de coopération internationale dont on connaît la portée limitée (Ülgen,
1997). En d’autres termes, l’union a besoin d’une monnaie unique dont la stabilité mais aussi
l’acceptabilité comme devise internationale dépend de l’existence d’institutions monétaires et
de surveillance cohérentes (Portes 1999).

2. 4. Le Système Monétaire Européen : de la convergence à l’instabilité

Dans un contexte de passage du Système Monétaire International (SMI) au régime de


changes flottants après le démantèlement des mécanismes de Bretton Woods, les
Communautés européennes établissent un système d’intervention monétaire commun appelé
le serpent (le 24 Avril 1972) en vue d’assurer la stabilité des taux de change. Les marges
autorisées de fluctuation des monnaies sont déterminées au tour des cours pivot et les
interventions sont effectuées principalement en monnaies européennes. Malgré ce début de
coopération, les années soixante-dix connaissent de fortes fluctuations des taux de change des
monnaies membres. A peine un an après l’entrée en vigueur du serpent, l’Italie se retire du
mécanisme commun et est suivie, un an plus tard, par la France24. Le serpent rencontre des

24
A la même période, on assiste à la libéralisation complète des mouvements de capitaux en l’Allemagne alors
que la première phase de l’UEM, qui correspond à l’établissement de la libre circulation des capitaux dans la
Communauté, ne commencera que 16 ans plus tard, le 1er juillet 1990.
39
difficultés d’application dans un environnement hostile. Considérées très destructrices pour le
processus d’intégration européenne, les fluctuations incessantes obligent les décideurs
européens à renforcer les mécanismes communs d’intervention à travers la mise en place d’un
système monétaire plus structuré (Ludlow 1982). Le SME, créé le 8 Décembre 1978, entre en
vigueur le 13 Mars 197925 avec une monnaie commune, l’écu, qui devient l’unité de compte
européenne. Avec le SME débute réellement le processus d’intégration qui a conduit l’Europe
à l’Acte unique de Février 198626, au Rapport du Comité Delors sur l’UEM le 17 Avril 1989
et à la signature du Traité le 7 Février 199227.
Le SME est fondé sur deux mécanismes de fonctionnement et sur trois moyens de
défense communs.
Le premier mécanisme de fonctionnement est le Mécanisme de change européen
(MCE), qui est un système de fixité ajustable des parités. Il s’agit de marges de fluctuation28
permises autour d’un taux pivot (ou central) à l’instar du mécanisme de serpent monétaire.
Afin de maintenir les taux dans les marges, les banques centrales se sont vues assigner le rôle
de surveillant à la marge. Toutefois, il était laissé aux pays la possibilité de modifier le taux
central pour leur monnaie après consultation avec les autres membres du système. Ces
modifications ont été très fréquentes dans la première moitié des années quatre-vingts et entre
1992 et 1993. Pour intervenir, les banques centrales pouvaient recourir aux facilités de
financement à très court terme en utilisant les lignes de crédit reliant l’ensemble des banques
centrales du système entre elles.
Le deuxième mécanisme est la détermination d’une unité de compte, l’écu. Celui-ci est
défini par un panier de monnaies européennes pondéré29. Lorsque les monnaies se déprécient,
leur importance dans le panier diminue au profit des monnaies plus solides. C’est pourquoi il
avait été prévu de modifier le poids de chaque monnaie tous les cinq ans afin de maintenir une
relative stabilité des parts respectives de chaque monnaie à long terme. Ceci se faisait par
l’augmentation du montant des monnaies faibles dans le panier. Mais ce type de réajustement
ne paraît pas judicieux pour la crédibilité de l’écu car il introduit une incertitude quant à sa
valeur future. Dans le Traité, il a été décidé de résoudre ce problème par le gel des montants
de chaque monnaie dans le panier.
La capacité du système à maintenir ou à améliorer ses performances lorsque les
circonstances changent est déterminée par trois grands moyens de défense. Il s’agit, d’abord,

25
La Grande Bretagne reste à l’écart jusqu’en 1990.
26
entré en vigueur le 1er Juillet 1987.
27
entré en vigueur effectivement le 1er Novembre 1993.
28
qui étaient au départ de ± 2.25% et qui ont été élargies à ±15% en Août 1993.
29
Le poids de chaque monnaie qui le compose est calculé en fonction du produit intérieur brut et de la balance
commerciale du pays participant.
40
de défendre les parités à travers une forte coopération monétaire en vue de faire face aux
distorsions financières. Ensuite, il convient de réaliser une coordination relativement
respectée des taux d’intérêt. Enfin, il convient d’avoir un mécanisme de recyclage permettant
au système de contrebalancer les mouvements de capitaux déstabilisateurs en fournissant les
liquidités nécessaires en cas de fluctuation dans la demande des monnaies sur les marchés30.
Contrairement au mécanisme de variations unilatérales des parités du Bretton Woods,
dans le SME une concertation réciproque entre les instances de décision des pays membres
était nécessaire. De surcroît, dans la logique du SME, le réajustement des parités était
seulement un des moyens des plans plus larges d’ajustement économique dont l’objectif
intermédiaire correspondait à une plus grande convergence entre les économies européennes.
Il semble qu’il ne serait pas exagéré d’affirmer qu’en l’absence d’un véritable SMI structuré,
le SME a constitué un système régional relativement stabilisant dans une période de passage
d’un système désintégré (Bretton Woods) à un régime de flottement des monnaies et de
marchés des capitaux libres. Dans son ensemble, le SME a assuré la continuité et le
renforcement du commerce libre entre les pays de la Communauté dans une période où les
échanges commerciaux étaient mis en difficulté en raison des tensions dues au deuxième choc
pétrolier mais aussi en raison des différentiels d’inflation assez importants et des politiques
économiques nationales divergentes31. Par conséquent, le SME a promu à moyen terme
l’ajustement macroéconomique dans les pays membres grâce à son rôle de catalyseur dans le
changement des politiques économiques et dans la défense de la Communauté face à la crise
du dollar américain (Padoa-Schioppa, 1994).
Pendant la décennie quatre-vingt, une baisse considérable des taux d’inflation pour
l’ensemble des pays est enregistrée. Comme Dornbush le souligne (1991, p. 308), il est
certain que les années quatre-vingts, qui correspondent à une période de désinflation générale,
présentent un contexte international favorable. Mais le seul contexte international ne paraît
pas suffisant pour expliquer l’évolution des économies européennes. Le résultat convergent en
matière des taux d’inflation acceptables32 est dû principalement aux effets de crédibilité du

30
Lorsque les agents veulent convertir leurs actifs financiers de la monnaie 1 à la monnaie 2, le système doit
répondre positivement au changement des préférences des agents en retirant les actifs libellés en monnaie 1 et en
émettant à leur place des actifs libellés en monnaie 2. Bien sûr, cette opération de stérilisation ne sera pas
bénéfique à la stabilité du système s’il apparaît des convergences entre les prix et les coûts. Le réajustement sera
sans succès et mettrait en danger le pays dont la monnaie s’apprécie sur le plan de la compétitivité et le pays dont
la monnaie se déprécie sur le plan de la stabilité des prix.
31
L’exemple le plus connu en est les différences entre les deux politiques, française et anglaise au début des
années quatre-vingt.
32
Au vu des résultats obtenus dans le modèle de Blanchard et Muet de 1993 (cité dans Lavigne et Villieu, 1996,
pp. 544-547), la stratégie d’ancrage du franc français sur le DM, qui visait une désinflation compétitive, n’a pas
permis d’augmenter rapidement le niveau de l’emploi. Toutefois, cette stratégie a réussi à éliminer le différentiel
d’inflation entre la France et l’Allemagne et à réduire la prime de risque sur le taux d’intérêt. Elle a surtout
provoqué des changements structurels internes en matière de politique monétaire.
41
SME. En entrant dans un mécanisme de changes fixes (ancrage sur une monnaie crédible)
avec le Deutsche mark (DM), la crédibilité a pu être importée pour certains pays de la zone.
De surcroît, les membres ont déclaré qu’ils acceptaient la responsabilité de maintenir les
parités dans des limites a priori déterminées et rendues publiques. Par conséquent, les
problèmes d’inflation des pays participant à ce mécanisme sont devenus des problèmes
internalisés et ont concerné directement toute l’Union. L’appartenance au SME constituait un
moyen qui facilitait l’application des politiques économiques de redressement dans la mesure
où elle correspondait à la formation d’une coordination-coopération. Ceci, traduit en termes
de la théorie des jeux, signifie la mise en place de règles stratégiques permettant de réduire les
risques des politiques agressives nationales souvent conflictuelles (Oudiz et Sachs 1984,
Sterdyniak et Villa 1993). Même si le SME a été perçu par la suite comme une instrument de
crédibilité des pays membres dans la recherche d’une stabilité des prix, il était, à l’origine,
destiné à rendre effective la coordination des politiques monétaires et à éviter les stratégies de
dépréciation compétitive des monnaies pour exporter le chômage (Lavigne et Villieu, 1996).
Certes, pendant une période relativement longue, le mécanisme de changes fixes n’a
pas su convaincre les marchés. Les marges de fluctuations ont été réajustées plusieurs fois. On
pensait en effet que l’insistance sur la fixité des parités, indépendamment du niveau de la
convergence réelle des économies européennes, buterait sur la réaction des marchés et
engendrerait des résultats décevants. En effet, dans l’évolution vers l’Union, trois voies
étaient possibles. Une première voie est un passage graduel doux fondé sur le principe de
coopération volontaire et la mise en place des politiques macroéconomiques convergentes
(Tavéra 1999). La deuxième est l’intégration des marchés de capitaux33. Mais ces deux voies
rencontrent des problèmes sérieux dans la mesure où le jeu des rapports entre pays membres
reste décentralisé à l’instar des modalités de coopération internationale des politiques
monétaires (du type G7). D’une part, dans de tels regroupements, l’effectivité de la
coopération n’est pas triviale. D’autre part, le problème de stabilité et de contrôlabilité des
fluctuations sur les marchés de capitaux reste posé. Il apparaît nécessaire alors que la main
invisible du marché et la main visible des instances de coordination fonctionnent ensemble.
Une troisième voie est le passage immédiat à l’Union. Le jeu de relations et
d’interdépendances devient centralisé et coordonné.
Le SME était un système hybride visant à concilier ces différentes voies. Mais lorsque
les taux de change sont fixés, l’existence de marges et de monnaies différentes créent la
possibilité de spéculations et les attaques deviennent inévitables. L’expérience a montré que

33
En 1966, Le Rapport du groupe du Professeur Claudio Segré souligne la nécessité d’établir un marché
européen des capitaux non seulement pour la croissance mais aussi pour rendre les politiques communautaires
efficaces dans d’autres domaines.
42
même avec des marges de fluctuations relativement souples et avec des interventions réelles
des banques centrales européennes, il n’était pas toujours facile de contrecarrer les attaques
spéculatives34 (De Grauwe 1997). Le SME, qui a pu jouer tant bien que mal son rôle de
mécanisme de convergence jusqu’aux années quatre-vingt-dix, atteint ses limites au-delà de
cette période. Si l’on suit Podao-Schioppa (1994, p. 14), la crise du MCE a été une faillite de
coordination. Cette faillite ne provient pas de la violation des règles du système par les
membres mais de l’incapacité des membres à aboutir à un accord dans l’espace réservé aux
décisions discrétionnaires. La faillite de coordination révèle une lacune dans les institutions,
ce qui nécessite une refonte radicale de la stratégie d’unification: “ La crise était celle du SME
et non de son remède, l’UEM ” (id., p. 18).

2. 5. Crises de crédibilité

Lorsque le mécanisme des changes fixes mais ajustables rencontre des problèmes de
crédibilité et donc de soutenabilité à long terme, il devient nécessaire de remplacer le SME
par un mécanisme de coordination devant déboucher sur une union. La désintégration du
SME à la suite des difficultés des années 1992-93 constitue un argument en faveur de cette
affirmation.

2. 5. 1. Zones cibles et attaques spéculatives

Les expériences dans le domaine de la gestion des changes, aussi bien dans le cadre du
SME qu’à travers les accords de coordination internationale sous l’égide du G7, ont montré
qu’il existait de graves problèmes récurrents pour les politiques de changes évoluant dans des
zones cibles prédéterminées et annoncées.

2. 5. 1. a. Zones cibles
Flood et Garber35 décrivent une zone cible comme un compromis entre les deux
régimes de change. Des marges de fluctuations explicites sont établies dans une zone
délimitée par des bandes supérieure et inférieure à l’intérieure desquelles les fluctuations des
taux sont considérées comme bénignes, mais au-delà ou en deçà desquelles les autorités se

34
On retrouve ici le théorème d’incompatibilité. Dans son évolution à long terme, le SME rencontre, après une
période de consolidation, des problèmes d’incompatibilité entre le libre-échange, la mobilité des capitaux, les
changes fixes et l’autonomie des politiques monétaires nationales. Il apparaît donc erroné de vouloir appliquer
un mécanisme de changes fixes avec une liberté des mouvements de capitaux et appliquer une politique
monétaire restrictive en vue de défendre le système face à la surévaluation.
35
R. P. Flood et P. M. Garber 1991, « The linkage between speculative attack and target zone models of
exchange rates », Quarterly Journal of Economics, November, pp. 1367-1372.
43
déclarent prêtes à intervenir pour faire revenir les taux à l’intérieur des bandes. L’objectif de
cette règle de politique de change est d’assurer une stabilité des taux sur les marchés en
signalant aux agents que les banques centrales ou autres institutions compétentes sont
déterminées à conserver la relative fixité des changes pour les monnaies constituant la zone de
coordination. Krugman fournit le modèle de base de référence dans ce domaine36. Le taux de
change courant est une fonction linéaire des fondamentaux (incluant l’offre de monnaie et la
vitesse de circulation) et du taux futur anticipé (en log) : e=m+v+γE[(de)/dt] où e est le taux
de change courant, m l’offre de monnaie nationale, v chocs provenant des variations dans les
fondamentaux (représentés par la vitesse de circulation) et E[(de)/dt] est le taux de
modification anticipé du change. Cette expression est dans la tradition des modèles
monétaires avec prix flexibles : - lorsque l’offre de monnaie croît, l’excès d’offre va générer
un déficit de la balance des paiements et e va croître (la monnaie nationale va se déprécier) ; -
si la demande de monnaie augmente, la vitesse de circulation baisse et la balance des
paiements deviendra excédentaire, provoquant une baisse de e. De plus, une variation future
anticipée de e va affecter le taux courant dans la proportion γ. Dans ce modèle, on fait deux
hypothèses centrales : la zone cible est supposée totalement crédible (les marchés y croient) et
la banque centrale intervient seulement à la marge des bandes de fluctuation. L’offre de
monnaie est bien supposée sous le contrôle de la banque centrale qui modifie m pour retenir e
dans les bandes. Dès lors, m augmente lorsque e atteint la bande inférieure et diminue dans le
cas opposé. Ceci signifie que la banque centrale ne stérilise pas les modifications
« automatiques » de l’offre de monnaie qui résultent de ses interventions sur le marché des
changes. Lorsque e est dans les bandes, l’offre de monnaie reste constante. Par contre, la
vitesse de circulation, v, est une variable exogène qui n’est pas contrôlée par les autorités. Elle
est supposée suivre une marche aléatoire continue (elle dépend des comportements, habitudes,
réactions et anticipations des agents privés). La figure suivante illustre la relation entre le taux
de change et les fondamentaux sous le régime de ZC :

36
P. R. Krugman 1991, « Target zones and exhange rate dynamics”, Quarterly Journal of Economics, CVI: 3,
pp. 669-684. Voir aussi P. R. Krugman et M. Miller, 1992, Exchange rate Targets and Currency Bands,
CPER/NBER/Cambridge University Press, L. E. O. Svensson 1992, “An interpretation of recent research on
exchange rate target zones”, Journal of Economic Perspectives, 6: 4, pp. 119-144, pour une synthèse sur cette
approche.
44
Figure 1. Marges de fluctuations et zone cible

e CF

Bande supérieure

ZC
Fondamentaux

Bande inférieure

En changes flottants, m est constante et e change seulement suite aux variations de v,


c’est la courbe CF. Une augmentation de 10% dans les fondamentaux amène à une
augmentation de 10% de e courant (10% de dépréciation de la monnaie nationale). Dans ce
cas, on remarquera que e suit, lui aussi, une marche aléatoire dans le temps dans la mesure où
il est toujours égal aux fondamentaux, tel que E(∆et)=E(ut).
La courbe ZC représente la relation entre e et les taux fondamentaux à l’intérieur des
bandes ciblées. Cette courbe a une pente toujours supérieure à 1, i.e., une variation de 1%
dans les fondamentaux implique une variation de <1% de e. En effet, du fait de l’existence
des bandes limitatives, considérées par les agents comme la référence crédible, la variation de
e est inférieure à celle de v.
Il convient de préciser que ces résultats dépendent de l’hypothèse de crédibilité de la
ZC. C’est parce que les agents prennent la validité de la ZC au sérieux qu’ils restent dans la
zone. Or, lorsque e n’est pas linéairement dépendant des fondamentaux, les anticipations des
agents ne seront pas aussi « sages » et disciplinées qu’on ne le croît. En d’autres termes, si la
crédibilité n’est pas très bien établie, les anticipations ne s’auto-réalisent pas car les agents ne
croient pas en la pertinence des bandes prédéterminées37. De plus, lorsque des chocs
d’envergure surviennent et forcent les bandes de fluctuations et lorsque les autorités ne sont
plus considérées par les agents comme étant en mesure de faire face à ces chocs, la zone cible
37
Voir N. Thygesen 1994, « Etude critique des zones cibles et réflexions sur l’expérience du SME », Revue
d’économie financière, N° spécial et P. Artus 1994 « Zones cibles, marges de fluctuations réduites : théorie,
avantages, crédibilité et difficulté », même revue, même numéro.
45
n’est plus respectée. Interviennent alors les débats sur la possibilité d’élargissement des
bandes de fluctuations « autorisées », ce qui nuit en général à la crédibilité de la ZC.
Les difficultés rencontrées dans les années 1992-94 dans le SME ont montré que,
après des années de stabilité du système de changes fixes européen, la crédibilité pouvait
perdre de son pouvoir de catalyseur dans la détermination des comportements des agents sur
les marchés, cédant la place à des attaques spéculatives38.

2. 5. 1. b. Attaques spéculatives
L’idée principale sur laquelle les modèles d’attaques spéculatives sont fondés est
l’existence des limites quantitatives aux réserves de change détenues par la banque centrale et
le caractère continu des opérations de création de crédit dans l’économie. Les travaux de
Krugman (1979), de Flood et Garber (1994, art., cité) et d’Obstfeld (1986)39 sont fondés sur le
type suivant de modèle avec anticipations parfaites de la part des spéculateurs : Mt/Pt=α0-α1it ;
(α0, α1>0) (équilibre du marché de la monnaie où l’offre de monnaie est égale à la demande
de monnaie réelle, déterminée exclusivement par i) et Pt=etP* (Pt et P* sont les niveaux des
*

prix, respectivement, national et international. C’est la PPA) ; it=i*+ et (l’équation de la


et
*

PINC avec et le taux anticipé de dépréciation de la monnaie nationale) ; Mt≡Ct+Rt (l’offre de


et
monnaie est égale à la somme du crédit intérieur total, C, et des réserves de change, R).
*
Ct =µ ; µ>0, C évolue à un taux constant exogène. L’idée est de montrer qu’une création
excessive de C débouchera sur une baisse de R.
*
*
On a : Mt / etP*=α0-α1(i*+ et ) qui est équivalent à : Mt =α0 etP*-α1i* etP*-α1 et P*) ⇒
et
* *
Mt=β0et-β1 et (β0=(α0-α1i*)P* et β1=α1P*). A un taux de change fixe, et=ê et si et =0, on a :

Mt=β0 ê, Par conséquent : Rt=β0 ê- Ct. Comme ê est constant (régime de changes fixes), la
variation de Rt doit être égale -∆Ct.
Lorsque ∆Ct→∝, à un moment donné, ∆Rt→0 et le régime de change ne pourra plus
tenir. Comme les spéculateurs sont supposés avoir des anticipations parfaites, ils vont
anticiper cette évolution et réaliser que le régime de change deviendra insoutenable. Ils vont

38
De Grauwe 1997.
39
P. R. Krugman 1979, « A model of balance of payments crises », Journal of Money, Credit, and Banking, 11,
pp. 311-325., M. Obstfeld 1986 “Rational and self-fulfilling balance of payments crises”, American Economic
Review, 76, 1, pp. 72-81).
46
dès lors commencer leurs attaques et leurs anticipations s’auto-réaliseront et le change
deviendra flottant (modification du taux de change).
Toutefois, en introduisant de l’incertitude dans les anticipations des agents40, par
exemple, en considérant qu’ils ne connaissent pas avec exactitude le montant de R, on peut
envisager des périodes de crises et de reprises. Les spéculateurs attaquent pour évaluer la
capacité du régime à tenir et se retireront en cas d’échec.
Par ailleurs, on peut élargir le modèle en supposant que les prix ne sont plus flexibles.
Avec fixité des prix, lorsque la compétitivité de l’économie s’amenuise, une surévaluation de
la monnaie du pays, devenu peu compétitif, réduira la crédibilité de la cible de change et
poussera les spéculateurs rationnels vers une attaque spéculative qui se déferont massivement
de leurs encaisses en cette monnaie. Les attaques contre la lire italienne et la livre sterling,
dans le SME des années 1990, s’expliquent en partie par ces arguments.
Ce qui ressort de ces considérations est que les autorités monétaires ne peuvent pas
suivre des politiques qui sont incohérentes avec la cible de change, comme de nombreuses
crises dans les pays d’Amérique latine l’ont montré (Argentine entre 1979-81, Mexique entre
1973 et 1982, etc.), ce qui souligne que la seule fixité des changes ne permet pas de stabiliser
les économies, surtout dans un contexte où les capitaux peuvent se déplacer relativement
librement et les flux de marchandises sont de plus en plus internationalisés.

2. 5. 2. Les attaques spéculatives et le SME

Plusieurs explications ont été proposées sur la crise du SME des années 1992-93
(Eichengreen et Wyplosz, 1993, Eichengreen 1994):
-La surévaluation de certaines devises fait que le MCE ne paraît plus tenable à long
terme;
-La réunification allemande n’apparaît plus comme un choc spécifique sur
l’Allemagne et affecte le MCE. Une étude de Muet (1994) souligne que la récession et les
crises de 1992-93 témoignent de l’incapacité de l’Europe à mettre en place des politiques
coordonnées et cohérentes face aux chocs conjoncturels. Dans une zone de coordination entre
plusieurs monnaies, « la politique d’ancrage au mark avait un sens lorsque l’Allemagne était
un pays à faible inflation et à bas taux d’intérêt » (id., p. 121). Ceci permettait aux pays de
l’union d’importer la désinflation. Mais avec la réunification allemande, la perturbation, qui

40
Dans la mesure où ils ne sont plus supposés détenir toutes les informations requises pour surveiller l’évolution
de C et de R. Mais ils sont toujours considérés comme prêts à attaquer en cas d’anticipations négatives sur la
crédibilité du régime de changes fixes.
47
était alors perçue comme un choc spécifique sur l’Allemagne, revêtait un caractère
communautaire contre laquelle aucune politique commune de financement n’a été engagée.
-La période de récession à partir de 1991. Malgré les critères de Maastricht, les
marchés ont dû conclure que la seule option était un relâchement monétaire face à la montée
du chômage. Par exemple, le débat en France (en été 1993) sur le besoin de réduire les taux
d’intérêt a fourni, entre autres, un signal d’attaque au marché des changes. Les pays les moins
engagés dans le processus d’union monétaire (Italie, Grande Bretagne et ensuite, Espagne et
Portugal) ont été les premiers à être suspectés de vouloir modifier leurs politiques ;
-Les attaques auto-réalisatrices. Les agents anticipent le fait que les autorités
modifieront leur politique économique à la suite d’une éventuelle attaque et qu’elles ne
tiendront plus leur engagement ferme sur les parités. Dans ce cas, suivant Obstfeld (1986,
1998b), les attaques revêtent un caractère auto-réalisateur et c’est la crédibilité des autorités
monétaires qui devient l’angle principal d’attaque.
En général, ces différents facteurs coexistent dans l’apparition des crises du SME. A
partir de 1987, le SME a évolué vers un arrangement rigide des parités. Dans la même
période, la France et l’Italie ont éliminé graduellement le contrôle sur les mouvements des
capitaux. Ainsi, au début des années quatre-vingt-dix, le SME devient un vrai système de
changes fixes mais avec une mobilité des capitaux très élargie. Après plus de cinq ans de
stabilité du SME, le Traité est signé. Toutefois, comme Fitoussi et Flandreau le soulignent, le
Traité préparait le stade ultime avant l’intégration totale et la création de la BCE : “ On
oubliait seulement qu’on dotait par là même les marchés d’un moyen de spéculer sur les
motivations des gouvernements. En cas de crise auto-réalisée, le processus d’unification se
trouvait mis en contradiction avec lui-même, puisque le principe de fixation irrévocable des
parités était violé ” (1994, p. 168). Lorsque les politiques monétaires et budgétaires suivies
par les autorités nationales paraissent incompatibles avec le maintien du régime de change en
vigueur, la stabilité cède facilement à la spéculation41. Si, par exemple, l’un des pays suit une
politique monétaire expansionniste, les agents anticiperont une expansion du crédit intérieur
et un déséquilibre de la balance des paiements suite à la diminution des réserves du pays. Ils
voudront alors se protéger en achetant des devises à la parité défendue par les autorités, ce qui
augmentera davantage la vitesse d’épuisement des réserves de change (Krugman, 1979).
D’une façon plus précise, que les perturbations apparaissent sous forme d’attaques
auto-réalisatrices ou qu’elles proviennent des politiques nationales mal choisies ou des

41
De Cecco (1996) souligne, dans le cas de l’union monétaire scandinave (constituée de Suède, Norvège et
Danemark) dans les années 1870 que la stabilité était obtenue grâce à l’isolation de l’union des flux financiers
internationaux et grâce à la stabilité politique, sociale et militaire.
48
politiques de cavalier libre, deux facteurs les sous-tendent en général: la crédibilité et la
liquidité du système de changes fixes, qui se trouvent souvent opposées l’une à l’autre.
1) Le problème de crédibilité est un problème d’ajustement en cas de choc
asymétrique. Considérons un pays membre du système de changes fixes et supposons un
choc, par exemple une augmentation des salaires, qui réduise l’offre. La conséquence de ce
choc est d’augmenter le déficit courant du pays et de réduire l’emploi et la production. En
présence de rigidités sur le marché du travail, le pays est face au problème suivant: réduire le
déficit en appliquant des politiques monétaires et fiscales déflationnistes et diminuer
davantage le niveau de l’activité économique, ou augmenter la production par des politiques
expansionnistes et augmenter davantage le déficit courant. En changes fixes, le pays a deux
objectifs mais un seul moyen qui est la politique de demande. Un éventuel deuxième moyen,
le taux de change, n’est pas utilisable en principe. Mais les spéculateurs peuvent anticiper que
le pays utilisera ce deuxième moyen malgré ses engagements et qu’il effectuera, par
conséquent, une dévaluation. Cette évolution, réduisant la crédibilité, peut se transformer,
dans le temps, en un cercle vicieux lorsque les anticipations des agents se réalisent
périodiquement sur les marchés. Ce problème sera d’autant plus présent que le pays connaît
une forte inflation. Ce dernier, fixant initialement son taux de change sur la monnaie d’un
autre pays à faible inflation, aura tendance à répondre aux chocs par des dévaluations
surprises. On retrouve ici l’enseignement du modèle de crédibilité de Barro et de Gordon
(1983)42 et des anticipations rationnelles. A terme, les agents économiques intègrent les
comportements surprise des autorités et ne font plus confiance aux annonces de politique de
fixité des changes du pays inflationniste.
2) En ce qui concerne le problème de liquidité en changes fixes, il convient de
déterminer les niveaux de la masse monétaire et du taux d’intérêt pour l’ensemble du système.
Ceci est lié au problème de n-1. Dans un système de n pays, il existe seulement n-1 taux de
change. n-1 autorités monétaires seront forcées d’ajuster leur instrument de politique
monétaire afin de maintenir les taux fixes. Il y aura une autorité monétaire, la énième, qui sera
libre de déterminer sa politique monétaire. Par conséquent, le système a un degré de liberté.
Mais quelle sera la banque centrale qui pourrait (qui devrait) utiliser cette liberté?
Une première solution à la Stackelberg, qui est asymétrique, est l’existence d’un pays
leader qui détermine son taux d’intérêt et le(s) suiveur(s) s’y conforme(nt). Le(s) suiveur(s)
n’a (ont) pas de politique monétaire indépendante. Le pays leader constitue le point d’ancrage
du système.

42
Il s’agit du problème connu sous le nom d’incohérence temporelle des politiques monétaires.
49
Une deuxième solution est symétrique (coopérative). Les pays décident ensemble des
niveaux du taux d’intérêt et de la masse monétaire. Le SME était censé fonctionner de cette
façon. Mais dans les faits ce choix a été dominé par la solidité du DM qui représentait le point
d’ancrage du système. Or, lorsque les crises spéculatives surviennent, nécessitant une
intervention sur le marché des changes, le pays-ancre n’est pas toujours disposé à laisser
fluctuer sa masse monétaire (à la hausse) et son taux d’intérêt (à la baisse) si bien que le
système redevient asymétrique.
Dans le SME, l’une des asymétries fondamentales était engendrée par la politique de
monnaie forte de la Bundesbank, ce qui fondait la relative crédibilité du système mais le
privait en même temps de toute élasticité en débouchant ainsi sur le problème de liquidité.
A partir de 1992, l’Europe connaît une récession relativement forte, ce qui pose le
problème de détermination du taux d’intérêt approprié pour le système. Suite aux pressions
provenant de la réunification, la Bundesbank cherche à renforcer sa politique anti-
inflationniste alors que la France et la Grande-Bretagne préféreraient au contraire réduire les
taux d’intérêt. Les spéculateurs qui observent cette évolution conflictuelle réalisent que les
deux derniers pays seront tentés de couper les liens avec le DM afin de suivre des politiques
monétaires expansionnistes. Par conséquent, en Septembre 1992, la spéculation contre la livre
sterling la fait retirer du MCE. Un an plus tard, une nouvelle crise spéculative contre le franc
français, le franc belge, la peseta espagnole et la couronne danoise est entamée. L’attachement
de la France à la politique de franc fort entrait en contradiction avec la persistance du
chômage au début des années quatre-vingt-dix. L’intensité de la récession en France durant
l’année 1993 et l’augmentation du chômage ont fondé les anticipations d’une réduction des
taux français. Les attaques ont poussé, en Août 1993, les ministres des finances de l’Union à
élargir les marges de fluctuation à ±15%, ce qui correspond à une bande de 30% et rend le
MCE fixe très flottant.
Cette observation a amené certains économistes à proposer la réintroduction du
contrôle des mouvements de capitaux afin de réduire le montant des fonds spéculatifs. Par
exemple, en 1993, Eichengreen et Wyplosz proposent l’union immédiate comme l’une de
deux solutions dont la deuxième est un retour au SME mais avec un contrôle plus élargi sur
les mouvements de capitaux. Toutefois, pour De Grauwe (1997), l’absence de contrôle n’est
pas la cause première des spéculations ; simplement elle les rend plus faciles et rapides à
entreprendre. Les vraies causes se trouveraient dans la rigidité du MCE engendrant le double
problème de liquidité et de crédibilité (Svensson, 1992). De ce point de vue, le SME et le
MCE deviennent inopérants lorsque la période d’ajustement des politiques de convergence
s’allonge. Cette période sert à fournir des rendements élevés mais douteusement productifs
50
aux spéculateurs des marchés. Comme Raymond le souligne, dans l’union monétaire, il ne
s’agit pas de lier entre elles des monnaies différentes gérées par des banques centrales
nationales indépendantes puisque « une telle tentative serait aujourd’hui beaucoup plus
aléatoire qu’au siècle précédent, car le mécanisme régulateur de l’étalon-or n’existe plus et la
liberté des mouvements de capitaux donnerait aux gestionnaires de fonds et aux spéculateurs
le pouvoir de rompre cette alliance » (1996, p. 135).
Il semble que si l’Europe à cette période avait accompli son intégration monétaire sous
l’égide d’une BCE, cette dernière aurait déterminé sa politique monétaire pour l’ensemble du
système et non seulement à partir des seules préoccupations de la politique intérieure
allemande. La crédibilité aurait pu être renforcée d’une façon moins pénible sous l’égide
d’une BCE armée de moyens reconnus définissant et annonçant publiquement la politique
monétaire commune à suivre43. Utilisant un modèle de jeux en termes de politiques
monétaires nationales, Dolado, Griffiths et Padilla (1994) montrent que lorsque les effets des
politiques nationales sont répercutés sur les pays partenaires, les pays ont intérêt à déléguer à
une instance supérieure le pouvoir de décision en matière monétaire. De ce point de vue,
l’aboutissement à l’union monétaire traduit les exigences d’une cohérence logique. Dans la
théorie économique, la faisabilité et la portée de l’union est examinée par l’approche des
zones monétaires optimales.

2. 6. Zones monétaires optimales et Union monétaire européenne

Lorsque l’on adopte le principe d’une union monétaire dans une région constituée
jusqu’ici de zones séparées et distinctes, deux questions se posent : Comment une telle union
peut paraître cohérente lorsque des divergences existent entre les pays membres et quels sont
les coûts et bénéfices d’une telle union pour les pays membres? Bien entendu, ces deux
questions sont intimement liées entre elles dans la mesure où la cohérence et la pertinence de
l’union dépendent en grande partie de la volonté des membres de la soutenir fermement. Ceci
dépend à son tour des coûts et avantages d’un tel soutien pour chaque membre.
Le débat sur l’unification européenne, qui s’est déroulé dans la deuxième moitié des
années cinquante entre Meade (1957) et Scitovsky (1958)44, met face à face deux positions
qui fondent les débats actuels sur l’unification européenne. Meade pensait que pour l’Europe

43
Le but des annonces est de pousser les agents à ancrer leurs anticipations sur les indications de politique
monétaire. Ainsi, on a remarqué en 1999 que dans la lignée de la Réserve Fédérale américaine, la BCE a décidé
de porter à la connaissance du public le biais de sa politique monétaire et a annoncé qu’elle allait devenir moins
accommodante. Recevant ce message, les opérateurs du marché ont anticipé le relèvement des taux directeurs du
4 Novembre 1999. Les interrogations ne portaient plus sur la nature mais plutôt sur l’ampleur du mouvement.
44
Cité dans Mundell, 1961.
51
de l’Ouest, en l’absence de mobilité du travail, un système de changes flexibles serait le
meilleur choix pour assurer l’équilibre de la balance des paiements et la stabilité interne. A
l’opposé, Scitovsky croyait en la supériorité d’un système de monnaie unique, capable de
promouvoir la mobilité des capitaux et du travail en facilitant les politiques d’emploi
supranationales. L’approche des zones monétaires optimales (ZMO), développée dans cette
période, fournit des fondements analytiques pour l’étude de ces questions. Cette approche que
nous devons, entre autres, aux travaux de Mundell (1961)45, de McKinnon (1963) et de Kenen
(1969), insiste plus particulièrement sur les coûts d’une union monétaire. La mise en place
d’une monnaie unique est liée à la condition que les pays participants abandonnent à faible
coût l’utilisation des taux de change et des politiques monétaires nationales comme variables
d’ajustement. Le critère de définition d’une zone optimale est donné par le degré de mobilité
des facteurs (notamment le capital et le travail) dans une région donnée. La voie d’ajustement
est fournie, dans un système de changes fixes, par le degré élevé de mobilité.
Considérons deux pays, 1 et 2 et supposons suivant Mundell (1961) et De Grauwe
(1997), entre autres, un choc de demande qui est traduit par un déplacement de la demande du
pays 1 vers le pays 2. Le pays 1 connaît alors un déficit de sa balance commerciale et le pays
2 un excédent. Face à ces déséquilibres, deux mécanismes de rééquilibrage automatique sont
proposés: la flexibilité salariale46 et la mobilité de la main-d’œuvre47. Lorsque les salaires sont
rigides et la mobilité du travail absente, le rééquilibrage nécessite une appréciation de la
monnaie 2 par rapport à la monnaie 1 afin de réduire la demande 2 et d’augmenter la demande
1. Mais, dans le cas des changes fixes, ce mécanisme ne peut pas être mis en oeuvre. Une
autre possibilité est d’augmenter les impôts dans le pays 2 afin de réduire la demande agrégée.
Les revenus fiscaux ainsi obtenus sont ensuite transférés dans le pays 1 où ils sont dépensés,
ce qui fera augmenter la demande 1. Le déficit de la balance 1 est financé par ce transfert en
provenance du pays 2. Cette solution est applicable dans un pays entre ses différentes régions
à travers le budget national (à travers le système de sécurité sociale, les allocations, etc.). Le
budget central a un effet re-distributif stabilisateur entre les régions qui subissent des chocs de

45
La question que Mundell pose est la suivante : « en supposant que les pays du Marché Commun suivent leur
projet d’union économique, devraient-ils laisser chaque monnaie nationale fluctuer ou serait-il préférable d’avoir
une zone de monnaie unique ? » (1961, p. 657).
46
Le chômage qui apparaît dans le pays 1 provoque, toutes choses étant égales par ailleurs, une diminution des
salaires 1 et la demande de travail excédentaire dans le pays 2 engendre une augmentation des salaires 2. Ces
modifications auront pour effet de réduire les prix 1, les rendant plus compétitifs et stimulant, par là, la demande
adressée au pays 1. Le mécanisme inverse sera observé dans le pays 2 et ce jusqu’à ce que l’équilibre des
balances soit rétabli à nouveau dans les deux pays.
47
Le chômage qui apparaît dans le pays 1 suite à la diminution du niveau de l’activité économique pousse les
chômeurs de ce pays à se déplacer vers le pays 2. L’offre de travail 1 baisse et empêche les salaires 1 de baisser
davantage. Le pays 2 connaît la situation inverse. Grâce à ce déplacement des travailleurs entre les deux pays, les
niveaux respectifs de demande retrouvent des niveaux compatibles avec l’offre du pays 1 et l’offre du pays 2.
52
ce type. Un exemple peut en être donné par le système de compensation entre les länder
allemands, la finanzausgleich. Les chocs ne sont pas évités. Ils sont simplement supportés
dans le temps par l’ensemble de la fédération. Nombre d’auteurs soulignent (Cordier, Jaillet et
Plihon, 1993, Thygesen, 1996, Obstfeld et Peri, 1998) le rôle crucial joué par le budget
fédéral dans la résorption des chocs asymétriques affectant les différentes régions dans les
unions existantes. Par conséquent, une zone monétaire est dite optimale lorsqu’il existe une
flexibilité salariale suffisante et une mobilité de la main-d’œuvre, mais corollairement, il est
souhaitable aussi d’avoir un budget central (dans le cas de l’Europe, il s’agirait d’un budget
fédéral) capable d’organiser des transferts entre régions déstabilisées par des chocs
asymétriques temporaires48. Dans le cas contraire, il est supposé que les asymétries entre les
pays constitueraient des obstacles sérieux à la continuité de l’union monétaire.
Dans l’analyse des asymétries entre différentes régions, Krugman (1991) considère
que l’intégration des échanges engendre des concentrations régionales des activités
industrielles. Comme aux Etats-Unis, l’auteur donne l’exemple de la concentration de
l’industrie automobile en Europe où plus de la moitié de la production est réalisée en France
et en Allemagne. Les chocs spécifiques sectoriels deviendraient dans ce cas des chocs
spécifiques-pays en créant des asymétries sectorielles. Cependant il nous paraît possible de
penser, contrairement à l’analyse de Krugman, qu’avec l’intégration, les activités industrielles
des pays de l’union deviennent très corrélées et les liens économiques les rendent davantage
unifiés. Par conséquent, les chocs ne sont plus des chocs pays mais des chocs industries49 .
Dans cette lignée, selon la vision des Commissions Européennes (Emerson et al., 1991) les
chocs de demande différents apparaissent moins fréquemment dans une union monétaire.
L’argument principal de cette position est que les échanges entre les pays unis forment un
commerce intra-industrie. Ils sont fondés sur l’existence d’économies d’échelle et d’une
concurrence imparfaite à partir de la différenciation des produits. Les pays membres se
vendent et s’achètent les mêmes types de biens. C’est pourquoi les chocs de demande sont
supposés affecter tous les pays de la même façon. L’unification des marchés assurerait cette
évolution et rendrait ainsi les chocs symétriques.

48
La structure de l’union connaît une faiblesse remarquable dans ce domaine. Le budget de la communauté
représente moins de 1.5% du PIB européen alors que le budget central représente au moins 30% du PIB dans les
pays comme les Etats-Unis, le Canada et la Suisse (Cordier et al., 1993, p. 45). A titre de comparaison, on
signalera que le budget de l’Union était de 93,75 milliards d’euros en 2001 (et 98,73 milliards pour 2002) alors
que le budget 2001 de la seule France était de 263,74 milliards.
49
McKinnon souligne qu’à côté du problème de la mobilité inter-régionale du travail, la mobilité inter-
industrielle peut servir de moyen d’ajustement. Lorsque le choc de demande correspond au déplacement de la
demande de 1 vers les produits d’un secteur particulier de 2, développer ce type d’industrie dans le pays 1 peut
ramener les économies à l’équilibre en compensant l’effet déséquilibrant de la rigidité géographique du facteur
travail par la flexibilité technique de l’appareil productif entre les secteurs. (1963, p. 724).
53
Toutefois, il existe trois grands problèmes susceptibles de provenir des divergences
entre les préférences économiques nationales. Lorsque les pays, qui forment une union, ont
des préférences différentes en matière d’inflation, de croissance, de fiscalité ou de chômage,
le coût de l’union peut être différent selon les pays.
1) En matière d’inflation, en supposant que la condition de la parité des pouvoirs
d’achat est respectée, c’est-à-dire que e*=p*1-p*2 (où e* est le taux de dépréciation de la
monnaie 1 relativement à la monnaie 2 et p*1 et p*2 sont les taux d’inflation respectifs des
deux pays), en union, le taux de change étant fixé, les taux d’inflation doivent varier dans la
même proportion. Dans le cas contraire, le pays inflationniste perdra de sa compétitivité en
union.
2) Avec l’union monétaire, les politiques monétaires nationales disparaissent. Mais il
peut exister des différences institutionnelles entre les marchés de travail des différents pays de
l’union. Ces différences feront que les prix et les salaires évolueront différemment même
lorsque les pays ont à faire face aux mêmes chocs (Bruno et Sachs, 1985). Il existe des
modalités différentes comme l’accroissement de l’emploi dans le secteur public, le
financement des dépenses supplémentaires par endettement public, etc. Ces différentes
pratiques échappent en partie à l’union et sont susceptibles de renforcer les asymétries en
rendant les problèmes d’ajustement plus difficiles et plus longs à résoudre.
3) Les différences des taux de croissance aussi sont supposées générer des coûts
supplémentaires dans l’union. Lorsque les taux de croissance des pays membres sont
différents, avec des élasticités-importation du revenu proches50, les pays à forte croissance
verront leurs importations augmenter et donc leur balance commerciale se détériorer. En
l’absence des possibilités de dévaluation compétitive, ces pays seront obligés de suivre des
politiques déflationnistes afin de baisser leurs prix, ce qui débouchera sur un ralentissement
de la croissance. L’équilibre de la balance des paiements et l’harmonisation des taux de
croissance ainsi obtenus aboutissent à des ajustements asymétriques aux dépens des
économies croissantes. Toutefois, ce schéma, qui traduit une contrainte imposée aux pays à
forte croissance, n’a pas de support empirique concluant. Une étude faite par De Grauwe
(1997, p. 27) sur la période 1976-95 montre que les pays à forte croissance et les pays à
croissance plus faible apprécient ou déprécient leurs monnaies sans que l’on puisse
déterminer a priori une politique consciente en fonction des différentiels des taux de
croissance. Il en ressort qu’il n’est pas a priori possible d’établir un lien entre la croissance
économique et la dépréciation ou l’appréciation des monnaies nationales de la zone. Ceci

50
Cette hypothèse semble acceptable dans le cas de l’Europe où les habitudes de consommation des ménages
sont très semblables.
54
justifierait en partie le point de vue de Krugman. La croissance économique implique en
l’occurrence le développement de nouveaux produits ou de produits rénovés. L’élasticité-
exportation du revenu des pays à forte croissance est supérieure à leur élasticité-importation et
est plus élevée que dans les pays à faible croissance. Par conséquent, les pays à forte
croissance peuvent suivre un sentier de croissance sans se heurter au problème de la balance
commerciale et donc au problème de la dépréciation compétitive51. De plus, dans les pays à
forte croissance, la productivité du capital est supérieure aux autres pays, ce qui induit en
général un flux d’investissements et de capitaux étrangers vers ces pays52. Le problème de
l’équilibre de la balance des paiements s’en trouve alors atténué.
D’une façon générale, et en intégrant le problème de crédibilité des politiques
annoncées par les autorités, il est possible de montrer que les coûts des préférences différentes
sont minimisables lorsque les pays adoptent une monnaie unique. Supposons qu’un pays 1,
inflationniste, annonce son adhésion à l’union monétaire avec le pays 2. Le taux de change
entre les deux monnaies, 1 et 2, est fixé. Etant donnée la parité des pouvoirs d’achat, cette
annonce fixe aussi le taux d’inflation du pays 1 au niveau de celui du pays 2. Ceci correspond
à une diminution de l’inflation dans le pays 1. La question est de savoir si un tel arrangement
est crédible ou non. Pour les raisons indiquées plus haut, les autorités du pays 1 auront a priori
tendance à réaliser une dévaluation et par là une inflation surprise réduisant ainsi le chômage
dans leur pays. Mais lorsque les marchés intègrent ce type de comportement dans leurs
anticipations, à long terme la crédibilité du régime de changes fixes sera remplacée par la
formation plus ou moins fréquente d’attaques spéculatives (auto-réalisatrices ou non) et on
retrouvera la courbe de Phillips verticale, sans effet durable de politique monétaire sur le
niveau de l’emploi. Imaginons maintenant que le pays 1 adopte une monnaie unique avec le
pays 2 sous l’égide d’une banque centrale commune dont la réputation est fondée sur une
politique monétaire commune. Dans ce cas, 1 ne peut plus appliquer de politique monétaire
expansionniste à gré. Le pays 1 emprunte dans ce cas la crédibilité à son union monétaire avec
le pays 2 en contrepartie de sa souveraineté monétaire. Alors, la crédibilité du pays 1 est
assurée et le pays 2 n’a pas de coût particulier à supporter. Cette idée est fondée sur
l’enseignement de l’Ecole des anticipations rationnelles et signifie que contrairement au
modèle de Mundell, la dévaluation n’est pas un instrument fréquemment utilisable puisque,
une fois appliquée, elle fait partie de l’ensemble informationnel des agents et perd de son
pouvoir de surprise. De surcroît, avec la constitution d’une zone de monnaie unique, la
51
L’évolution de l’économie américaine, avec une croissance soutenue, et celle de la parité Dollar/Euro montre
que cette proposition peut être justifiée aujourd’hui, au moins à moyen terme.
52
D’autant plus qu’en l’absence d’une incertitude sur les taux de change (fixes en union), les investisseurs des
pays à faible croissance seront enclins à transférer leurs ressources vers les pays à forte croissance afin d’y
bénéficier des taux de rendement plus élevés.
55
politique de dévaluation unilatérale ne peut plus avoir lieu, ce qui permet d’ancrer les
anticipations des marchés exclusivement sur les politiques annoncées de la banque centrale
commune pourvu que cette dernière soit perçue comme crédible par les agents.
Les critères de ZMO sont des critères réels de nature microéconomique et sont fondés
sur l’évaluation du degré de la flexibilité et de la mobilité des facteurs. Alors que les critères
du Traité sont nominaux et fondés sur des variables macroéconomiques et concernent le
niveau de l’inflation, les taux d’intérêt et les politiques économiques. Par conséquent, sous
certaines conditions, l’espace de monnaie unique peut présenter une pertinence réelle
relativement aux avantages considérables qu’il est susceptible de faire apparaître.

2. 7. La zone euro : avantages et limites

A côté des problèmes envisagés théoriquement ou rencontrés dans l’application du


Traité, de nombreux avantages sont soulignés dans la formation d’une zone monétaire. Si l’on
suit l’étude de la Commission des Communautés Européennes (Emerson et al. 1991) et celle
de De Grauwe (1997), il est possible de synthétiser les gains d’une union monétaire en quatre
catégories : gains d’efficience, avantages de la stabilité des prix, dimensions extérieures et
implications pour les finances publiques. Pour notre propos, nous allons exposer seulement
les trois premières catégories d’avantage53.
Les deux premières catégories de gains sont globalement liées à l’avantage
informationnel de l’unification monétaire provenant de la réduction de l’incertitude. La
disparition de l’incertitude sur les taux de change futurs et sur la rentabilité des opérations
d’échange et industrielles avec les autres pays est supposée augmenter le potentiel d’échanges
pour les agents économiques ayant de l’aversion pour le risque. Il convient de souligner que
les erreurs de prévision sur les taux de change sont observables en fin de période alors que les
prix sont fixés en début de la période. L’écart éventuel entre ces deux paramètres correspond
à un coût pour les firmes exportatrices ou importatrices. D’une part, l’existence d’une
monnaie unique élimine le coût qu’entraîne la conversion d’une monnaie de la zone en une
autre. C’est le gain direct de l’élimination des coûts de transaction, estimé à 0.5% du PIB de

53
L’union monétaire est supposée fournir aussi un avantage portant sur les finances publiques. Fondée sur
l’engagement ferme de stabilité monétaire, l’union est supposée capable de discipliner les dépenses publiques en
enlevant aux pays membres la possibilité de financer des politiques nationales expansionnistes par des
dévaluations compétitives. Une restructuration des systèmes fiscaux des pays de l’union en vue de rendre l’impôt
et l’offre de biens publics plus efficients est attendue. Mais comme le Rapport de la Commission le souligne à
juste titre, “ l’instauration même d’une union monétaire suppose cependant une cohérence à long terme entre la
politique monétaire commune et les politiques budgétaires des Etats membres ” (Emerson et al., 1991, p. 109).
Ce problème de compatibilité entre la discipline monétaire supranationale et l’autonomie des politiques
budgétaires régionales et leur financement reste toujours posé et exige une étude plus poussée sur la constitution
d’un budget fédéral.
56
l’Union et représente environ 5% des revenus bancaires provenant des commissions et marges
de change54. D’autre part, l’unification monétaire est supposée accroître la stabilité des prix.
Le principal avantage attendu de la stabilité des prix est bien entendu le contrôle du taux
d’inflation et, par conséquent, la réduction des coûts des politiques de désinflation. Lorsque
les prix sont instables, i.e., imprévisibles, les décisions d’investissement et de production se
révèlent souvent erronées ex post, comme dans les pays à forte inflation. Le mécanisme des
prix ne peut plus fournir une information de qualité pour les produits et investissements dans
le futur. Par conséquent, la prime de risque des investisseurs s’élève et élève à son tour le taux
d’intérêt réel. Ce contexte peut encourager l’apparition des problèmes d’aléa moral55 et/ou
d’anti-sélection56 (Stiglitz et Weiss 1981) liés au caractère asymétrique de l’information
disponible ou au coût élevé de l’information à collecter et à traiter qui sont autant d’obstacles
pour établir des décisions économiques cohérentes.
La troisième catégorie d’avantages concerne la dimension internationale de l’union
monétaire.
Depuis l’adoption, à l’échelle mondiale, du régime de changes flexibles avec la fin de
Bretton Woods, la création de l’euro apparaît comme un événement majeur dans l’évolution
du SMI. A son lancement, l’euro est considéré, à la fois par la taille de la région dont elle sera
la monnaie unique et par les performances économiques des principaux pays qui l’ont promu,
un concurrent direct et respectable du dollar. Un déplacement substantiel des portefeuilles
internationaux vers les actifs libellés en euro est anticipé. Toutefois, depuis 2000 on remarque
une évolution contraire aux attentes puisque la parité euro/dollar fluctue en dessous de la
barre symbolique de 1. Dans les perspectives de croissance à long terme et de rentabilité aux
Etats-Unis, les gestionnaires européens ont procédé à une diversification de portefeuille hors
de l’euro tandis que les entreprises européennes, en quête de restructuration et de
diversification internationale, ont privilégié des investissements de portefeuille et des
investissements directs (IDE) aux Etats-Unis, en provoquant ainsi des sorties considérables de
capitaux longs. Les sorties nettes sous forme d’IDE et de flux de portefeuille ont été de 214,2
milliards de dollars américains en 1998 et de 180,4 milliards en 1999 pour la zone euro tandis

54
Bien sûr ce gain, appréciable pour les entreprises, correspondrait à une perte de revenu pour les institutions
intermédiaires, notamment les banques. Le Rapport de la BCE (ECB 2000) sur la structure des revenus bancaires
en Europe montre le poids relativement considérable des revenus hors intérêt comme les commissions sur les
opérations de change dont l’importance varie selon les pays.
55
Dans un environnement fluctuant, les emprunteurs sont incités à rendre plus risqués leurs projets
d’investissement après avoir obtenu le financement par endettement. Leur comportement devient risqué et peu
conforme au contrat de prêt conclu au départ.
56
Les agents avec des projets peu risqués sortiront du marché refusant de payer des taux d’intérêt élevés.
Resteront alors des emprunteurs potentiellement risqués qui accepteront de payer des intérêts élevés. Le marché
sélectionne ici à l’envers parce que le mécanisme des prix n’informe pas suffisamment bien sur la qualité des
emprunteurs.
57
que pour les Etats-Unis, il s’est agi d’entrées nettes de 238,5 et de 359,0 milliards pour les
mêmes années (BRI, 2000). Alors que les émissions nettes de titres internationaux voient la
part de l’euro passer de 32,8% en 1998 à 38,7% en 2000 aux dépens du dollar américain (dont
la part passe respectivement de 60,3% à 47,7%), la part de l’euro dans les émissions
internationales hors Europe reste constante avec 13,7% du total mondial en 2000 contre
13,3% deux ans plus tôt.
Alors que l’Europe comptabilise 17% des exportations mondiales contre seulement
12% pour les Etats-Unis et 9% pour le Japon, le dollar continue d’être la principale monnaie
internationale dans le financement des échanges entre l’Europe et les pays tiers et entre ces
derniers eux-mêmes, en raison notamment des faibles coûts de transaction sur les marchés
inter-bancaires. De même, bien que les firmes européennes effectuent une grande partie de
leurs exportations dans leur propre monnaie, le poids du dollar reste significatif dans leurs
importations. Le même constat est valable pour les firmes japonaises bien qu’il existe
maintenant une tendance vers la baisse du rôle prépondérant du dollar dans le commerce
mondial.
Même si l’euro, avec le marché et les populations européens qu’il représente, remplit
sur le plan formel les conditions de liquidité et de stabilité pour devenir une monnaie
véhiculaire, la profondeur et la largeur du marché américain restent supérieures à celles du
marché européen57. De surcroît, Bergsten (1997) et Portes et Rey (1998) soulignent que les
modifications importantes sont davantage engendrées par la baisse de performance et les
politiques peu pertinentes des pays dominants que par l’amélioration absolue de la position du
nouveau rival. La croissance américaine, ininterrompue pendant les années quatre-vingt-dix, a
permis de juguler les effets de la dette extérieure et du déficit de la balance commerciale sur la
suprématie du dollar comme monnaie véhiculaire internationale.
L’évolution de l’importance de l’euro dépendra de sa capacité à remplir une partie de
la position du dollar dans le commerce hors Etats-Unis. Bien sûr, la stabilité des cours
dollar/euro et yen/euro est importante. Les agents privés préfèrent utiliser des monnaies qui
présentent de faibles risques d’inflation et de change réel, deux avantages attendus de
l’unification. Mais contre l’inertie du SMI à modifier sa monnaie internationale, les atouts de
l’euro doivent être explicites et réels (Portes 1999).
D’importantes implications sont et seront engendrées pour le fonctionnement et la
gestion du SMI. Avec la monnaie unique, la coordination intra-européenne doit être étendue à
une coordination ferme Etats-Unis-Europe à partir de la mise en place d’un mécanisme de

57
Sur ce point, il convient de signaler que le marché des titres privés en Europe connaît une expansion
considérable dans la mesure où l’émission de titre des sociétés passe de 8,9 milliards d’euros de moyenne
trimestrielle en 1998 à 30 et 16,4 milliards les deux premiers trimestres de 1999.
58
surveillance renforcé (Davanne et Jacquet 2000). Mais à l’heure actuelle, on observe le
développement d’une négligence internationale concernant l’UEM. Cette négligence est le
prolongement d’une négligence antérieure explicitement observée dans le pacte de non-
agression du G7 ; chaque pays membre évitant de critiquer ouvertement les comportements
des autres afin d’éviter que les autres ne critiquent à leur tour ses propres décisions de
politique économique. La coordination se transforme alors en une allégorie d’ignorance.
En attendant la modification des conditions et des volontés en matière de coopération
monétaire, la stabilité et la réussite de la zone euro font appel à la mise en place d’une banque
centrale européenne qui doit être munie de pouvoirs supplémentaires explicites au-delà de son
seul rôle de garant de la stabilité des prix.

2. 8. La Banque Centrale Européenne

La naissance de la BCE apporte un début de solution au problème de la stabilité dans


le SMI. Toutefois, la réussite de cette entreprise dépend de la crédibilité de la zone euro qui
dépend, entre autres, de l’instance de représentation et de surveillance du système monétaire.
Cette instance est (ou devrait être) la BCE.
Dans la continuité des politiques monétaires restrictives des années quatre-vingt-dix,
la BCE semble avoir établi sa crédibilité en matière de la politique anti-inflationniste. Mais
nombre de critiques de l’euro comme Feldstein (2000, p. 5), pensent que dans les deux
dernières décennies, les pays européens ont su maintenir leur taux d’inflation assez bas car ils
avaient le souci de préserver les parités par rapport au DM. Avec la zone euro ce souci étant
supprimé et chaque pays ayant un droit de vote dans la politique commune, la discipline
monétaire anti-inflationniste disparaîtrait. Ceci devrait encourager une inflation relativement
forte dans la zone. En effet, lorsque les différents pays européens se trouvent dans une
situation asymétrique les uns vis-à-vis des autres, il peut y avoir une tendance vers le
relâchement monétaire en vue de résoudre ou de soulager les problèmes macroéconomiques
comme le chômage. Il convient, par conséquent, d’assurer les marchés sur la détermination de
la BCE, réputée indépendante, en matière de politique anti-inflationniste, et sur l’existence
d’une éventuelle discipline des parités ancrées sur le dollar américain, monnaie par rapport à
laquelle l’euro est anticipé constituer une alternative internationale.
Dans cet objectif, la stratégie de la BCE est axée sur l’obtention de la stabilité des prix
à travers deux instruments : donner à la monnaie un rôle prépondérant en fixant une valeur de
59
référence pour l’expansion d’un agrégat monétaire déterminé58 et utiliser une batterie
d’indicateurs économiques et financiers afin d’identifier les grandes lignes de l’évolution
future des prix (Temperton 1999). Le faible taux d’inflation actuel dans la zone euro constitue
un environnement propice pour la mise en œuvre de cette stratégie éclectique tout en
conservant la réputation établie.
Cependant, contrairement à la clarté de l’objectif de la stabilité des prix, les statuts de
la BCE (avec le Système européen de banques centrales, SEBC) et le Traité ne confèrent à la
BCE que des fonctions limitées en matière de contrôle prudentiel et de stabilisation du
système financier. Contrairement à la Réserve fédérale des Etats-Unis (la Fed) qui est
considérée par la loi comme étant responsable à la fois de la stabilité des prix, du plein emploi
et de la modération des taux d’intérêt à long terme, le SEBC n’est pas autorisé à apporter son
concours à la poursuite d’objectifs comme le soutien de l’activité économique ou la stabilité
du système financier. L’article 105(2) du Traité et l’article 25 du Protocole sur le SEBC
évitent le transfert formel des responsabilités au niveau de l’Union en ce qui concerne le
contrôle prudentiel de la zone euro et le rôle de prêteur en dernier ressort de l’Eurosystème.
En conséquence, aucune institution spécifique n’est prévue pour la zone euro. Les alinéas 1 et
2 de l’article 25 soulignent que la BCE doit coordonner et conseiller les procédures de
contrôle dont l’application est laissée aux banques centrales nationales.
L’échange d’informations entre la BCE et les autorités compétentes en matière de
contrôle est régi par la directive BCCI (directive 96/25/CE du 29 juin 1995). S’agissant de la
législation de l’UEM relative au contrôle prudentiel des institutions de crédit et à la stabilité
du système financier, la BCE peut jouer un rôle consultatif et ne doit être consultée que pour
des projets de lois ayant un effet sur la stabilité des institutions financières et des marchés de
capitaux. Afin d’assurer des interactions positives entre la BCE et les autorités de contrôle
nationales, le Traité stipule que la BCE et le SEBC contribuent à la bonne conduite des
politiques adoptées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des
établissements de crédit et la stabilité du système financier. Mais la BCE ne recevra pas
automatiquement d’informations relatives au contrôle. Elle en fera la demande aux autorités

58
La BCE est face au dilemme suivant : déterminer un agrégat contrôlable, de définition relativement étroite et
prendre en compte les innovations financières considérables attendues dans la zone euro, ce qui suppose un
agrégat plus large. L’agrégat, qui doit assurer un compromis entre ces deux obligations, doit être clairement
défini et stable dans le temps s’il doit être utilisé comme un signal crédible sur les marchés. L’agrégat M3 est
choisi comme cible intermédiaire et sa croissance autorisée est fixée à 4,5% pour les années 1999 et 2000 pour
ne se rétablir effectivement qu’autour de 5,5-6% pour ces périodes (BRI, 2000, p. 78) et terminer à 6,4% en
juillet 2001. Ceci montre que cet axe n’a qu’une valeur indicative et ne constitue pas un objectif final dans une
économie où la masse monétaire est déterminée en fonction des besoins des agents économiques d’une façon
endogène et où le principal moyen d’intervention des autorités monétaires est le taux d’intérêt. Ainsi, le taux
directeur est passé de 2,5% en avril 1999 à 3,75% en avril 2000 suite à l’évolution de M3, mais aussi suite aux
nouvelles pressions inflationnistes (dont l’accroissement du prix de l’énergie) dans l’Eurosystème.
60
de contrôle bancaire qui pourront lui en fournir après examen de chaque cas, dans
l’éventualité d’une crise bancaire aux répercussions systémiques. Par conséquent, les
attributions de la BCE en matière prudentielle restent limitées et empêchent que des
informations confidentielles lui soient régulièrement transmises par les contrôleurs nationaux
à travers les banques centrales nationales qui ont la connaissance et le contrôle individuels des
banques. La coopération multilatérale entre contrôleurs européens est un principe qui n’est
pas fondé sur une obligation de jure. La constitution d’un pôle prudentiel autonome au niveau
de la BCE reste pour l’instant un projet lointain (Pfister, 2000). Or, la décision d’intervention
d’urgence en tant que prêteur en dernier ressort de liquidités dépend des informations fiables
et disponibles. Dans les statuts actuels, la fourniture de liquidité ne relève pas des opérations
de politique monétaire et n’est donc pas de la compétence de la BCE. Il en découle que la
zone euro ne présente pas, dans l’état actuel des procédures communautaires, un système de
coordination et de supervision en matière d’information sur les comportements des marchés et
sur l’évolution des paramètres de stabilité du système.
A la lumière de l’expérience de la Fed au début du siècle dernier, Eichengreen (1992)
remarque que « toute tentative de décentraliser le contrôle monétaire au niveau des banques
centrales nationales crée le danger que leur fonction de stabilisation ne soit pas remplie
suffisamment » (p. 33). Lorsque la stabilisation du système monétaire et financier a un
caractère de bien public international, aucune banque centrale nationale ne sera incitée à
internaliser l’ensemble des effets internationaux de report créés par ses propres actions,
« l’efficacité requiert le contrôle transnational » (Eichengreen, 1992, p. 33). Toute opposition
d’intérêt entre les banques centrales nationales et la BCE est susceptible d’engendrer à la fois
des conflits et lacunes dans l’application des responsabilités, définies d’une façon ambiguë, et
des impuissances dans les interventions en cas de crise majeure. La cohérence et la pertinence
des attributs de l’institution centrale qu’est la BCE en souffriront immanquablement.
Les banques centrales nationales conservent une relative discrétion pour assurer la
liquidité des banques nationales dans la mesure où le classement des actifs éligibles en deux
catégories, actifs du niveau 1 et actifs du niveau 2, permet aux autorités nationales d’établir
leurs propres listes de titres éligibles au refinancement de leurs institutions de crédit. Certes,
cette procédure donne une souplesse aux interventions des autorités monétaires de chaque
pays participant sur les opérations spécifiques à leurs zones respectives (Corsetti et Pesenti,
1999). Mais elle laisse en même temps la question suivante en suspens : Les banques
centrales nationales pourront-elles accepter des titres non éligibles pour garantir les
61
découverts des systèmes de paiements ou les opérations d’open market ?59 Le Traité et le
statut de la BCE et du SEBC sont très peu explicites sur les problèmes liés à la réglementation
et à la surveillance des banques et du système financier (Le Cacheux et Magnier, 1993)
surtout dans l’éventualité d’une crise bancaire et financière importante. Ce manque de clarté
est aussi remarquable quant aux définitions des termes « institutions financières » (utilisées
dans les articles 23 et 25) et « institutions de crédit », ce qui signifie que l’application de la
politique monétaire dans le domaine de supervision prudentielle n’a pas reçu une attention
particulière de la part des instances compétentes (Smits, 1997, pp. 235-236, 345, 358)60
Par suite de la création de nouveaux marchés de capitaux paneuropéens, l’essor des
prêts interbancaires trans-frontières non garantis pourrait accroître les risques de contagion,
du moins jusqu’à ce que s’ouvre un marché des pensions couvrant tous les pays de l’UEM et
que se généralise l’emploi des lignes de crédit interbancaires garanties. Des marchés de
capitaux et des systèmes bancaires d’envergure européenne devraient se développer. La
restauration et la consolidation des systèmes bancaires européens devraient s’accélérer avec
l’arrivée de l’euro. Deux conséquences majeures s’en dégagent. Premièrement, il se peut que
la fermeture des banques et la compression des coûts par réduction des effectifs se révèlent
difficiles à mettre en œuvre dans l’immédiat. Il est donc possible que des institutions
inefficaces et non rentables restent en activité et qu’elles prennent de plus en plus de risques.
Alors des mécanismes centralisés seront nécessaires en vue d’assurer la surveillance
financière, la gestion des risques systémiques et le règlement des crises. Deuxièmement, alors
que les banques centrales nationales s’occupent de la surveillance de leur système bancaire
respectif, avec le développement des activités bancaires trans-frontière, le problème de
contrôle doit se re-poser avec acuité. Au-delà des frontières nationales, « un superviseur
national ne peut pas totalement internaliser les implications de ses décisions sur l’ensemble de
la zone euro lorsqu’il se trouve devant le décision de secourir ou non une banque nationale
qui opère sur le plan international » (Corsetti et Pesenti, 1999, p. 337).
D’après les textes statutaires, la BCE doit s’intéresser en priorité à la politique
monétaire résumée dans l’objectif de la stabilité des prix. Elle ne joue qu’un rôle accessoire
dans le contrôle du secteur bancaire61. L’article 18 des statuts permet à la BCE de fournir des
facilités de financement aux établissements de crédit seulement à très court terme (OCDE,

59
Aux Etats-Unis, ce rôle est explicitement assigné à la Fed et à la FDIC. Par exemple, lors de la crise générale
de liquidité pendant le krach boursier d’octobre 1987, le système fédéral américain de réserve a ouvert sans
restriction son guichet de réescompte aux banques pour éviter qu’elles ne ferment les lignes de crédit offertes
aux courtiers en valeurs mobilières et aux sociétés de bourse.
60
Voir la Seconde Directive Bancaire du 15 décembre 1989.
61
Voir les articles 105(5) du Traité et 3.3 des Statuts.
62
1999). Mais dans l’éventualité d’une crise, aucune institution centrale n’est chargée
explicitement de fournir des liquidités ou d’en coordonner l’allocation.
Il s’agit avant tout de savoir s’il existe des mécanismes ou des arrangements grâce
auxquels le SEBC ou les banques centrales nationales interviendront lorsqu’une institution
financière européenne d’envergure éprouve des difficultés dans les paiements dont elle
recevrait l’ordre par TARGET ou par l’un des systèmes de paiements par compensation. Par
exemple, dans le système allemand, les modalités de gestion des crises semblent avoir été
définies de sorte que la Bundesbank n’ait pas à participer au financement des opérations de
sauvetage. Le dispositif comporte trois lignes de défense : - contrôle et réglementation par un
organisme indépendant ; - apport de liquidités à court terme par la liquiditätskonsortialbank62,
apport combiné à des recours aux intermédiaires de marché ; - garantie des dépôts et, au
besoin, injection de fonds publics. Mais un tel dispositif ne paraît pas praticable pour l’UEM.
Aucune institution correspondant au syndicat bancaire allemand ou à la FDIC américaine
n’est prévue pour fonctionner comme une réserve et un fonds de garantie du système63.
L’ambiguïté actuelle des statuts de la BCE dans le domaine de la surveillance et de
l’intervention bancaires permet à l’autorité monétaire européenne de se consacrer
principalement à son objectif de stabilité des prix, objectif qui est censé fonder la réputation
de la BCE. En effet, on peut penser, à premier abord, que cet objectif et l’objectif de stabilité
du système bancaire et financier sont conflictuels. Or, si l’on considère que le premier relève
du long terme et le second du court terme, l’intervention de la BCE comme prêteur en dernier
ressort n’entrera pas en contradiction avec sa politique de lutte contre l’inflation (Bordes,
1991) 64. Cette intervention vise à stabiliser les anticipations des agents en période de panique
en garantissant la liquidité du système dans son ensemble. Elle n’est pas destinée à sauver des
établissements privés mais à les aider contre les problèmes de liquidité temporaires lorsque
les établissements concernés paraissent solvables, suivant la règle de Bagehot. Dans ce cas,
« la distinction entre illiquidité et insolvabilité est (…) essentielle au fonctionnement du
guichet de l’escompte » (Bordes, 1991, p. 113). Le principe d’intervention et de surveillance

62
Syndicat bancaire de liquidité dont le capital est réparti entre la Bundesbank (30%) et des banques de toutes
catégories.
63
Il existe à l’heure actuelle des gisements de garanties éligibles comme la coordination, dans le TARGET, de
5000 institutions de crédit de l’Union autour de 5500 milliards d’euros, dont seulement ¼ est détenu par les
établissements de crédit, ou encore, le système transfontière, Euro 1, de l’Association européenne des banques,
qui regroupe 65 plus grands établissements européens et qui impose aux banques une contribution à un dépôt en
liquide d’un montant égal à un milliard d’euro, destiné à assurer le règlement en fin de journée en cas de
défaillance des participants. Mais pour l’instant, ces fonds sont prévus pour résoudre des problèmes mineurs et
continuent d’exister d’une façon séparée et distincte.
64
Dans le contexte de l’objectif de stabilité des prix, Le Cacheux et Magnier soulignent que par rapport aux
opérations d’open market, par nature moins ciblées, « L’intervention par le guichet d’escompte présente (…) un
avantage certain : elle permet d’injecter de la liquidité dans les acteurs en difficulté, sans augmenter les pressions
inflationnistes ( …) » (1993, p. 69).
63
ne doit donc pas être d’éviter les comportements opportunistes des établissements bancaires
en laissant à l’écart la BCE dans la sauvegarde de la stabilité financière, mais d’établir des
règles de comportements (dont les ratios prudentiels) pour le système bancaire. En fonction de
ces règles, la BCE ne devrait pas avoir de crainte particulière dans ses interventions
stabilisatrices sur les marchés bancaires et financiers par rapport à sa réputation. En effet, la
crédibilité de la BCE n’est pas seulement liée à la politique monétaire restrictive, comme le
montrent les interventions sur la demande agrégée de la Fed pendant l’année 2001, mais
surtout à la stabilité, au sens général, du système monétaire. Or, il existe, semble-t-il une
décentralisation et un laxisme excessifs dans la supervision financière et la régulation de la
zone euro (Portes 1999). L’un des instruments de la politique monétaire unique qu’est la
facilité de prêt marginal est mis en œuvre à l’initiative des contreparties. Par conséquent, il
intervient dans les ajustements des trésoreries bancaires en fin de journée et constitue, en cas
de crise mineur, un moyen pour l’Eurosystème d’éviter d’intervenir de sa propre initiative et
donc de limiter l’aléa moral (Pfister, 2000). Mais pour les risques de plus grande ampleur,
comme le krach d’octobre 1987, l’expérience américaine montre que la seule fourniture de
liquidité de la banque centrale n’est pas suffisante pour réduire les tensions financières. Une
intervention active des banques centrales nationales en matière de collecte d’informations
locales et d’utilisation de liquidités auprès des institutions directement menacées semble
inévitable. Surtout, avec le développement des activités trans-frontière mais aussi les
innovations financières, les dispositifs de sécurité doivent évoluer, ce qui n’est pas encore
prévu dans les statuts explicites du SEBC.
Les procédures applicables peuvent être discrétionnaires au lieu de se présenter autour
de quelques règles rigides et définitives. Mais il nous semble que cette discrétion doit prendre
place dans le cadre de dispositifs clairement établis de façon à ce que chaque institution
communautaire puisse savoir et pouvoir intervenir en temps voulu. La discrétion et
l’ambiguïté ne sont pas synonymes. Dans le manque de transparence des règles sur les
informations et les responsabilités respectives des autorités centrale et nationales, l’ambiguïté
positive vise à minimiser le risque d’aléa moral. Toutefois, contenir l’aléa moral nécessite
l’imposition des modalités de conduite et de contrôle régulier à la fois pour les membres du
système bancaire (Goodhart et Schoenmaker, 1995) et pour les banques centrales nationales
qui continuent de conserver un pouvoir discrétionnaire en matière de surveillance de leur
système bancaire national respectif. Les règles de politique monétaire doivent être
suffisamment larges mais aussi claires et précises que possible. Elles visent avant tout à
organiser l’efficience informationnelle des marchés financiers et des principes d’action
préventive. En l’absence d’une plus grande clarification des relations entre la BCE et les
64
autres acteurs, la stabilité monétaire et financière de la zone euro est susceptible de pâtir de
trois séries de difficulté.
En premier lieu, il semble évident que ce n’est pas parce qu’il n’existe pas de prêteur
en dernier ressort explicite que les opérateurs du marché se comporteront avec une plus
grande aversion pour le risque. Les opérations d’engagement financier ne sont pas toujours le
fait d’agents malhonnêtes cherchant à absorber des fonds importants avant de les engloutir
dans des opérations faillitaires. Il peut s’agir d’opérations productives a priori fondées mais
qui se révèlent ex post erronées en raison de l’évolution non anticipée des marchés et des
risques.
En deuxième lieu, on rencontre un problème d’information. Dans le système bancaire
européen intégré, qui fonctionnera avec plusieurs institutions européennes et sur la base de
recours aux Trésors nationaux, les frontières de partage des responsabilités entre les autorités
nationales et l’autorité centrale restent floues. Les droits et les devoirs respectifs ne sont pas
suffisamment clairement déterminés pour la BCE et les autorités nationales. Le problème
d’information empêcherait probablement la BCE d’établir la différence entre une crise de
liquidité et une crise de solvabilité. Dans la plupart des crises de liquidité, les marchés
mettraient en doute la solvabilité des institutions en difficulté dans la mesure où une
institution solvable est supposée pouvoir emprunter sur le marché monétaire les liquidités
dont elle a besoin temporairement, ce qui n’est pas vrai en période d’instabilité financière.
La troisième difficulté est liée à un principe de bonne gestion en économie de marché.
Debrun et Wyplosz soulignent que dans les modèles décentralisés, « la difficulté réside (…)
dans le processus d’agrégation des accords nationaux » (1999, p. 415) en raison des processus
complexes d’allers et retours entre préaccords nationaux et résultat global final. Les règles
doivent chercher à réduire les risques de défauts de coordination. Dans ce cas, faute de
pouvoir établir des activités bancaires et financières sans risque, le principal objectif est
d’assurer les liquidités des marchés et non de sauver des établissements privés. Cet argument
est lié à l’argument de crédibilité des politiques annoncées et suivies dans le cadre de règles
préétablies (Barro et Gordon, 1983), argument qui constitue pourtant l’un des soubassements
théoriques de la constitution de l’union monétaire et de l’objectif de stabilité de la politique
monétaire communautaire. Dans ce cas, l’attractivité de l’euro s’en trouvera réduite en raison
de l’absence d’une institution arbitre capable de le défendre en termes de liquidité et
d’acceptabilité. Par conséquent, il apparaît plus que nécessaire, sur le plan structurel, de doter
65
les institutions de l’UEM de dispositifs65 capables de déterminer leurs rôles et moyens en cas
de crise majeur.
Une voie judicieuse pour la réalisation d’une véritable union est l’unification
monétaire. Les difficultés de constitution d’une zone monétaire cohérente, soulignées par
l’approche des zones monétaires optimales, peuvent être réduites sinon évitées et se
transformer en des avantages considérables avec l’unification monétaire. Mais la constitution
d’une zone euro ne semble pas pouvoir fournir ces avantages sans l’approfondissement des
mécanismes de surveillance et d’intervention de la BCE. En l’état actuel, la BCE peut
difficilement remplir son rôle de représentant et de garant d’un système soutenable et donc
crédible. Même si l’on accepte, avec Beetsma et Bovenberg (1997) que la délégation du
pouvoir monétaire à une banque centrale indépendante et anti-inflationniste est une solution
supérieure en termes d’utilité sociale66 par rapport à un régime purement discrétionnaire, dans
l’état actuel, les statuts de la BCE ne répondent pas au problème de stabilité globale du
système monétaire et financier puisque dans le domaine des interventions et de supervision, la
BCE reste excessivement discrétionnaire. Les ambiguïtés (positives ou non) existantes
doivent être levées au profit de règles plus précises et respectées capables de gérer les
relations entre les autorités nationales et l’autorité supranationale que doit être la BCE, mais
aussi entre cette dernière et les marchés. Cette évolution apparaît comme une condition sine
qua non de la stabilité et de la réussite de la zone euro. Elle doit accompagner la mise en place
d’un système de coordination internationale dans le domaine monétaire et financier, ce qui
rendrait plus pertinents les travaux des regroupements comme le Forum sur la stabilité
financière67, créé en février 1999 par les ministres des finances et les gouverneurs des banques
centrales du G7, en vue de promouvoir la stabilité financière internationale par
l’intensification de la coopération en matière de contrôle et de surveillance.
Avec l’apparition de la zone euro et la tendance vers une multipolarisation des
systèmes de paiements selon les différentes régions du monde (comme l’Europe, le continent
américain, l’Asie du Sud et du Sud-Est, la Chine et l’Inde), une question intéressante qui se
pose est de savoir si l’on assistera dans un futur proche à une multipolarisation du SMI selon
les zones d’influence des grandes formations économiques et politiques continentales, ce qui

65
Cette affirmation a une signification plus large que le débat règles versus discrétion, initié par Barro et Gordon
dans la mesure où elle ne réduit pas les règles au seul objectif d’inflation. Elle porte, au sens plus large, sur un
ensemble de dispositifs préalables susceptibles de répondre sinon de prévenir les mouvements déstabilisants sur
les marchés monétaires et financiers.
66
En supposant que cet objectif est aussi celui qui correspond à l’ordre de préférences des citoyens. Cf . de
Grauwe 1997.
67
Et comme l’Institut pour la stabilité financière (ISF), créé à l’initiative commune de la BRI et du Comité de
Bâle. L’ISF a pour mandat, depuis 1999, de contribuer au renforcement du contrôle prudentiel pour
l’amélioration des systèmes financiers à travers le monde.
66
ne va pas sans poser la question d’une nouvelle architecture financière internationale et de ses
conséquences sur la stabilité des relations économiques et monétaires internationales.

Bibliographie spécifique du chapitre II :

Aglietta, M., Scialom, L. et Sessin, T., 2000 « Pour une politique prudentielle européenne »,
Revue d’Economie Financière, 60(5), pp. 59-84
Artus, P. 2001 L’euro et la banque centrale européenne. Un premier bilan, Economica
Banque des Règlements Internationaux (BRI). 2000 70e Rapport annuel, Bâle, 5 juin 2000
Beetsma, R. et Bovenberg, A. L. 1997 “Designing Fiscal and Monetary Institutions in a
Second-Best World”, European Journal of Political Economy, 13(1), pp. 53-80
Bergsten, C. F. 1997 “ The impact of the euro on exchange rates and international policy
cooperation ”, in Masson et al., pp. 17-48
Bordes, C. 1991 “Faillites bancaires et politique monétaire”, Revue d’Economie Financière,
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Bruno, M. et Sachs, J. 1985 Economics of Worldwide Stagflation, Oxford, Basil Blackwell
Cordier, J., Jaillet, P. et Plihon, D. 1993 “La conduite des politiques économiques et le
policy-mix dans l’UEM”, Economie et Statistique, N°262-263, 2/3, pp. 37-48
Corsetti, G. et Pesenti, P. 1999, « Stability, Asymmetry, and Discontinuity: The launch of
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Davanne, O. et Jacquet, P., 2000, « Quelle politique de change pour l’euro ? », Revue
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Debrun, X. et Wyplosz, C. 1999 « Onze gouvernements et une banque centrale », Revue
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Banca Nazionale del Lavoro Quarterly Review, Special Issue, March, pp. 55-68
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69
CHAPITRE III : LES MARCHES FINANCIERS INTERNATIONAUX

La prise en compte des mécanismes monétaires et financiers s’avère nécessaire en vue


d’appréhender les modalités de fonctionnement des marchés « ouverts ». Le financement des
opérations internationales, l’intervention des banques à travers le crédit international, les
comportements des taux et des politiques de change, dans un contexte d’incertitude et de
volatilité, l’évolution des marchés internationaux d’actifs financiers et l’apparition
« volumineuse » des produits dérivés sont des préoccupations majeures pour qui veut
comprendre les possibilités de fonctionnement des marchés libres.

3. 1. Financement international, crédit bancaire international et marchés financiers

3. 1. 1. Financement international

Afin d’exporter dans de bonnes conditions (crédit à l’exportation, garanties), de


disposer le plus rapidement possible de la recette des ventes (mobilisation des créances), de
s’implanter à l’étranger (aides et conseils financiers), de se prémunir contre les risques
(commerciaux, de change, de défaut de paiement, couverture) et d’éviter le risque politique
(intervention d’organismes publics comme la COFACE, Compagnie Française d’Assurance
pour le Commerce Extérieur), les entreprises recourent à l’intervention des établissements
financiers afin de réaliser des opérations internationales. Il existe différentes modalités qui
dépendent de la nature des relations considérées.

3. 1. 1. a) Financement du commerce extérieur


Il s’agit des opérations d’achats ou de ventes à l’étranger des biens et services. Le
financement requis peut être à court ou à moyen-long termes.
- Le financement à court terme (échéance de règlement à 18 mois au maximum) :
* Avance en devise (AED) qui est un crédit de trésorerie libellé en devises (à l’importateur ou
à l’exportateur qui obtient les liquidités avant l’échéance) ;
* Mobilisation des créances nées à l’étranger (MCNE) qui s’apparente à un escompte de
papier étranger et qui permet de disposer immédiatement, en monnaie nationale, du montant
de la créance. C’est une opération risquée à la fois pour l’entreprise impliquée et pour la
banque car il existe toujours un risque de non paiement à terme ;
70
* Affacturage (factoring) qui repose sur des effets de commerce émis à l’étranger.
L’entreprise cède ses créances à un factor qui assume le risque de non paiement. Par
conséquent, cette opération comporte un certain coût qui peut être très élevé en fonction du
degré de risque estimé ;
* Crédit documentaire qui est un instrument de paiement international. Le banquier de
l’importateur s’engage à payer l’exportateur à la remise par celui-ci des documents prouvant
l’expédition des marchandises. Le crédit peut être révocable sans notification préalable au
bénéficiaire ou non révocable (qui présente une garantie sûre).
- Le financement à moyen et à long termes :
* Crédit-fournisseur qui est directement octroyé par la banque nationale sous la forme d’une
ligne d’escompte ;
* Crédit-acheteur qui est octroyé au client étranger qui peut régler au comptant l’exportateur
(ces crédits peuvent être libellés en devises). Dans ce type de crédit, la COFACE peut
intervenir jusqu’à 95% de couverture ;
* Crédits spécialisés qui peuvent prendre plusieurs formes : -crédit-prospection qui vise à
financer les dépenses engagées sur de nouveaux marchés (études de marché, frais de
fonctionnement, de publicité à l’étranger, etc.) ; -financement des stocks détenus à l’étranger
(coûts de transferts des biens d’équipement à l’étranger) ;
* Cautions/engagements par signature, délivrés par la banque de l’exportateur, exigés par les
importateurs concernant la restitution d’acomptes, la retenue de garantie, le blocage en
douane des marchandises, la maintenance, etc. ;
* Crédit-bail (leasing) : une société de leasing (généralement filiale d’une banque) achète
comptant à un exportateur un matériel que l’importateur lui rachète progressivement par
location-vente (avantages de paiement progressif, mais plus coûteux) ;
* Compensation : il s’agit d’une forme de troc. Comme il n’y a pas de transaction monétaire,
ce n’est pas à proprement parler un financement sur crédit.

3. 1. 1. b) Financement des investissements directs à l’étranger (IDE)


Ce sont des modalités de financement des implantations locales dans des pays
étrangers avec des motivations relevant des stratégies de multinationalisation.
* Sociétés de capital-risque qui prennent une part, généralement minoritaire, dans le capital
pendant, environ, 5 ans.
* Prêts subordonnés en devises : de 5 à 8 ans, accordés en devises directement à une filiale
étrangère et visant à compléter l’apport en fonds propres directement consenti par la maison-
mère nationale ;
71
* Concours à long terme (jusqu’à 20 ans) à des conditions avantageuses qui associent une
banque et le Crédit national en vue de financer la création ou l’extension d’une activité à
l’étranger ;
* Comité interministériel du développement extérieur (CODEX) qui vise à favoriser
l’implantation à l’étranger pour l’accroissement des exportations.

3. 1. 2. Opérations bancaires internationales

Sur le plan international, les banques privilégient les activités de gros destinées à une
clientèle institutionnelle comme les grandes entreprises multinationales, les banques ou autres
institutions financières (compagnies d’assurance, investisseurs institutionnels) et les Etats, les
institutions monétaires officielles et les collectivités publiques. Les banques assurent la
circulation internationale des capitaux mais aussi le financement (ou l’accès au financement)
des entités internationales au travers des techniques particulières. Dans l’objectif de collecter
des ressources supplémentaires, les techniques développées font apparaître les certificats de
dépôts (à New York en 1961, à Londres en 1966) et les billets à taux flottant procurant des
ressources longues.
Les prêts bancaires internationaux sont octroyés sous forme de prêts syndiqués.
L’existence des syndicats bancaires permet des financements allant de plusieurs millions à
plusieurs milliards d’euros. Il s’agit en général des eurocrédits à taux variable (taux du
marché interbancaire à 6 mois de LIBOR –London Inter Bank Offered Rate- augmenté d’un
spread et des commissions, sous la forme d’une ligne de crédit stand by sur laquelle
l’emprunteur tire à son gré pendant un laps de temps donné. L’amortissement commence
après une période appelée la période de grâce.
Apparus fin 1960 pour financer les multinationales nord américaines qui n’avaient
plus accès au marché de New York, pour lever les capitaux nécessaires à leurs IDE en
Europe, ils virent bientôt le cercle des emprunteurs s’élargir à de grandes entreprises privées
ou publiques dans les pays industrialisés et puis dans les pays en développement (surtout les
gouvernements de ces pays). A partir de 1973, ils sont devenus un instrument de recyclage
des capitaux des pays de l’OPEP. La crise et le moratoire mexicains de 1982 donna un coup
d’arrêt à ces opérations. Depuis 1985, ces crédits continuent de gagner de l’importance dans
le financement des opérations internationales. Les eurocrédits syndiqués passèrent de 19
milliards de dollars américains en 1985 à 138,9 milliards en 1991 en permettant
l’accroissement spectaculaire de l’endettement international. Le volume des crédits accordés
par les banques en 2004 a atteint des sommets. Avec une hausse annuelle de 53% par rapport
72
à 2003, ils ont atteint 2.320 milliards de dollars. La reprise des fusions-acquisitions au niveau
mondial et les conditions de financement favorables proposées par les établissements prêteurs
ont permis aux entreprises de conclure de gigantesques opérations de rachat. Par exemple,
pour financer la reprise d’Aventis, Sanofi a emprunté près de 16 milliards d’euros. De même,
Carrefour a obtenu une ligne de crédit de 1,5 milliard d’euros alors que Philips s’est doté
d’une ligne équivalente de 2,5 milliards de dollars grâce à ces crédits syndiqués. Dans la zone
Europe, Afrique et Moyen-Orient Barclays Capital (avec 67,8 milliards de dollars), Citigroup
(66,1 milliards), BNP Paribas (59,9 milliards), Royal Bank of Scotland (51,6 milliards) et
HSBC (44,2 milliards) constituent la tête de liste des banques arrangeuses des prêts syndiqués
en 2004.
A côté des lignes de crédit syndiqué, il existe aussi des Facilités d’Emission d’Effets
(Note Issuance Facilities, NIFs) qui consistent à dissocier un programme d’accès à certain
volume de capitaux pendant une durée déterminée (de 5 à 7 ans) de l’émission effective, au
gré des besoins de l’emprunteur de titres négociables à court ou à moyen terme. Tant que les
banques du syndicat de prise ferme placent elles-mêmes le papier, préalablement acheté à
l’emprunteur sur une base d’escompte, on est dans le cas des NIFs. Lorsque la prise ferme est
séparée du placement (dès 1982), on rencontre les Revolving Underwriting Facilities (RUFs).
Le chef de file du syndicat de prise ferme peut se voir alors seul mandaté comme courtier
(dealer) pour placer le papier (cette modalité est appelée la technique du sole placing agent).
Mais ce placement peut aussi être confié à un syndicat d’enchères (c’est la technique du
tender panel). En cas d’échec dans le placement du papier, le syndicat de prise ferme le
conserve ou octroie un crédit de substitution à l’emprunteur.
En vue d’offrir des produits plus souples avec des coûts d’opération réduits, les
banques ont introduit dès 1984 les facilités à composantes multiples (Multioption Facilities)
qui permettent à l’emprunteur de diversifier les modes d’obtention effective des fonds
(émission de Notes ou d’Acceptations bancaires). En même temps apparurent les facilités non
cautionnées (Uncommitted Facilities) sans engagement de prise ferme.
Parallèlement à cette évolution, on observe un manque de surveillance sur ces
marchés. L’augmentation des risques, liée en partie à la souplesse, la flexibilité et la
complexité des opérations, débouche à l’été 1974 à la faillite de Herstatt et Franklin National.
Le Groupe des Dix, réuni en septembre 1974, décida de renforcer la coordination de la
surveillance et proposa en 1975 le Concordat de Bâle, renforcé en 1983 consécutif à la crise
de la dette des pays en développement et à la faillite de la Banco Ambrosiano. Le Rapport
Cooke du 15 juillet 1988 aboutit alors au ratio Cooke, en vigueur depuis fin 1992, imposant
73
aux établissements une valeur du ratio Fonds Propres/Actifs du Bilan et du Hors Bilan égale à
8 %.
Ce qui ressort de l’évolution de l’activité internationale des banques est aussi un
problème de concurrence et de profitabilité bancaire. Travailler avec les pays à risque
implique des défauts de paiement alors que les marges bancaires se réduisent de plus en plus.
Elles passent de 150 points en 1976 à 75 points en 1980-80 (100 points équivalent à 1% de
taux d’intérêt). Au moment de la crise de la dette de 1983, la prime appliquée par les banques
était de 150 points pour les pays en développement. Elle est passée à 32 points en 1988. Le
rapport de la Banque des Règlements Internationaux souligne, en 1992, une baisse
remarquable de la rentabilité bancaire, une surcapacité de fonctionnement impliquant des
coûts fixes et de fonctionnement importants. Depuis la fin des années quatre-vingt, les
grandes banques suivent ainsi une politique de provisionnement pour risques et pertes afin
d’assainir leur bilans. Ainsi par exemple, Citigroup procéda à un provisionnement de 3
milliards de dollars pour la seule année 1987.

3. 2. Marchés internationaux d’actifs financiers et produits dérivés

3. 2. 1. Marchés financiers internationaux

Les marchés financiers internationaux (MFI) sont au cœur des problèmes monétaires
et financiers internationaux. Il existe plusieurs types de marchés financiers que l’on regroupe
sous l’appellation de marchés des capitaux.
* Marché euro-obligataire : Une euro-obligation est un titre de créance bénéficiant d’un statut
fiscal privilégié, émis en eurodevise par un syndicat international de banques et placé dans un
d’autres pays que celui dont la monnaie sert à libeller l’emprunt.
* Marché d’émissions étrangères. Ce sont des émissions nationales effectuées par un non
résident, souscrites par un syndicat de banques d’un pays donné, placées principalement dans
ce pays et généralement libellées dans la devise de ce même pays.
* Marché des émissions internationales d’actions. Un syndicat bancaire international assure le
placement et la diffusion d’actions nouvelles émises par des entreprises privées. Ce type
d’opérations, souvent lié à des opérations massives de privatisation, se déroule en parallèle à
des émissions d’actions classiques effectuées sur le marché national de l’entreprise concernée.
* Marché des prêts bancaires internationaux (euro-crédits) correspond à des crédits financiers
à moyen et long termes, généralement non garantis, accordés directement par un ensemble de
banques réunies en syndicat. Ils sont souvent libellés en dollars ou en euros (mais peuvent être
74
aussi multidevises). Il s’agit d’une pure activité d’intermédiation où les banques prêteuses
assument elles-mêmes le risque d’un éventuel défaut de l’emprunteur. Il convient de
distinguer ce mode de financement des prêts de nature commerciale qu’une banque peut
accorder à un emprunteur étranger dans le cadre des opérations d’exportation. Les prêts
bancaires étrangers sont libellés dans la devise du pays auquel appartiennent les banques du
syndicat. C’est le cas par exemple, des crédits-acheteur en euro accordés par les banques
européennes à des importateurs étrangers.
* Les euro-notes. Il s’agit d’émissions, en général, renouvelées d’instruments monétaires à
court terme dans le cadre d’un syndicat de garantie bancaire à moyen terme. L’émetteur
dispose de possibilités variées de tirage. Il peut choisir le montant, la durée ou la devise des
billets (les notes) qui seront proposés à des investisseurs internationaux intéressés par des
placements de liquidités à quelques jours ou sur plusieurs années (euro medium term notes,
EMTN). Ces facilités impliquent un engagement des banques à assurer à chaque tirage le
placement des instruments sur le marché. Il s’agit pour l’emprunteur d’une source de
financement stable fondée sur un recours assuré au marché euro-monétaire à court terme.
* Les euro commercial papers (ECP) placés directement par des dealers auprès des
investisseurs, en général à taux fixe (mais qui peut être assorti d’options). Ces marchés ont
connu un fort développement à partir des années 1990 sous l’effet de la libéralisation des
marchés des capitaux en Europe.
La grande nouveauté des années soixante dix a été l’apparition des marchés
internationaux proposant des titres libellés en devises et échangés entre des intervenants du
monde entier. Le premier marché remarquable de ce type est bien entendu le marché des euro-
devises et ensuite celui des euro-obligations et des euro-actions. Les euro-marchés ont acquis
une autonomie par rapport aux marchés nationaux.
* Les marchés euro-obligataires. Ce sont des obligations qui se différencient des obligations
nationales par le fait que l’émetteur est non résident dans le pays d’émission. Ce sont des
obligations libellées en euro-devises (dans une monnaie qui n’est pas celle du pays
d’émission) et sont émises par l’intermédiaire d’un syndicat bancaire international qui les
place auprès d’investisseurs de différents pays. Elles bénéficient en général d’une exonération
de retenue à la source sur les intérêts (les obligations internationales supportent au contraire la
fiscalité du pays d’émission). Une émission d’éuro-obligation fait intervenir trois types
d’acteurs de nationalités différentes : -l’émetteur : ce sont des entreprises privées, publiques,
des banques, des Etats, des organismes internationaux. L’accès est réservé aux signatures
« solides » et réputées, caractérisées par un bon rating (dans l’ensemble, les emprunteurs-
émetteurs des pays en développement ne représentent que 5% de ce marché). ; -les
75
investisseurs institutionnels (les zinzins) qui sont les principaux souscripteurs. Ce sont les
grandes banques, les compagnies d’assurance, les fonds de pension et les caisses de retraites,
les fonds d’investissement collectifs (OPCVM) et les banques centrales. Les euro-obligations
représentent deux grands avantages : l’anonymat (titres au porteur) et absence de retenue à la
source ; -les établissements financiers organisateurs : ce sont des établissements bancaires
d’envergure et de réputation internationales.
L’émetteur mandate un ou plusieurs organisateurs. Le chef de file (lead manager)
s’entoure d’un pool bancaire (le syndicat) qui fixe certaines conditions (devise d’émission,
type de support financier), c’est un syndicat de garantie et de placement. Le syndicat sollicite
des banques et négocie sur le prix. Alors, un tombstone publié dans la presse avertit le marché
de l’émission de l’opération. Les caractéristiques (durée, taux et type d’amortissement)
varient en fonction des besoins de l’emprunteur (obligations ordinaires à taux fixe, straight
bonds, obligations à taux variables, floating rate notes, obligations convertibles en actions,
datant des années 1960 et remboursables en actions de la société émettrice au cours de bourse
supérieur à celui constaté à la date d’émission, ce qui crée une potentialité de plus-value en
cas de hausse boursière, obligations avec warrant qui est un droit d’option pour l’investisseur
qui peut éventuellement échanger son obligation avec un autre actif dans des conditions fixées
au moment de l’émission, etc.). Il existe deux marchés obligataires : primaire et secondaire.
Le marché secondaire est régulé par l’Association of International Bond Dealers, créée en
1969 qui regroupe les grands dealers (les grands établissements internationaux qui jouent le
rôle de market maker) et qui assure la contrepartie des transactions.
* Les euro-effets : Apparus début 1980, les euro-effets sont à la croisée de trois types de
produits financiers : billets de trésorerie (commercial papers), euro-obligations et euro-crédit
bancaire. Ces titres, en euro-devises et à échéance courte, sont émis dans le cadre d’une
facilité d’émission garantie par un crédit.
Dans cette catégorie, on retrouve les euro-commercial papers et les euro-notes qui
sont des billets à court terme (3 à 6 mois). On a aussi les euro-notes à moyen terme (medium
term notes) qui présentent une modalité d’émission souple, supérieur à 1 an dans le cadre des
facilités d’émission (utilisables selon les besoins). L’émission est effectuée par l’intermédiaire
de courtiers à volonté (au robinet) et non d’un consortium bancaire, l’échéance pouvant varier
à chaque nouvelle émission. L’émission de ces billets est liée à l’évolution des variables
comme le taux d’intérêt. Un niveau élevé du taux à court terme n’incite pas à effectuer des
tirages sur les programmes existants. Depuis la fin des années 1980, des défaillances ont
incité les investisseurs à accorder une attention croissante à la qualité du crédit bancaire.
76
* Les euro-actions : Il s’agit d’actions émises par un résident mais libellées en euro-devises et
destinées principalement aux non résidents. Elles permettent à une entreprise de surmonter
l’éventuel obstacle à son financement que représente un marché national étroit.

3. 2. 2. Les produits dérivés

Les agents doivent faire face à deux risques de marché : le risque de change, lié aux
fluctuations monétaires internationales, et le risque de taux d’intérêt dont les fluctuations se
répercutent sur la valeur des actifs. Les gestionnaires de portefeuille sont confrontés à un
risque de marché spécifique relatif à la volatilité des cours de bourse. Dans les années 1980, la
volatilité des marchés a accru ces risques et de nouvelles techniques de couverture
individuelle se sont développées en faisant apparaître de nouveaux produits dits dérivés dans
lesquels la valeur des contrats découle de la valeur du titre financier qui sert de support aux
contrats. Ces produits de couverture permettent aussi de réaliser des profits d’une anticipation
de taux (spéculation) ou des incohérences de cotation sur les différents marchés (arbitrage).
Les marchés de produits dérivés existent depuis longtemps. Par exemple, au XIXe siècle il
existait un marché dérivé des matières premières agricoles à Chicago. Toutefois, leur essor et
leur extension sont relativement récents. Deux principaux types de produits dérivés existent.
* Les futures. Un futur est un contrat entre deux parties qui s’engagent, l’un à vendre et
l’autre à acheter, à une date (l’échéance) prévue, un montant donné (standardisé) d’un actif
financier de référence (par exemple un bon du Trésor) à un prix convenu à l’avance. A partir
d’un titre de référence (le sous-jacent), les contrats sont standardisés. Le principe de base de la
couverture sur un marché de futures consiste à prendre sur ce marché la position inverse de
celle que l’on a sur le marché physique (ou marché au comptant) pour compenser les pertes
éventuelles sur l’un par les gains éventuels de l’autre. Le contrat ne se résout pas par une
livraison effective de l’actif.
Par exemple, sur le marché des futures de taux d’intérêt, les variations des taux font
courir aux investisseurs un risque de moins-value (hausse des taux) ou de plus-value (baisse
des taux) en cas de vente de l’actif financier avant l’échéance. Ces variations font courir aux
emprunteurs un risque de revenu. Le marché des futures permet de se couvrir sans engager
des sommes importantes. Il s’agit d’une promesse entre les deux parties qui ont comme seule
obligation le versement d’un dépôt de garantie à la chambre de compensation du marché. A
l’échéance du contrat, il suffit de conclure un contrat en sens inverse sans livrer des titres.
L’effet de levier est important puisqu’il est possible de réaliser des plus-values sans débourser
la somme correspondant à la position. Toutefois, la couverture n’est jamais parfaite
77
puisqu’elle a un coût dû notamment aux anticipations des spéculateurs. Si, par exemple, un
opérateur anticipe une baisse du taux d’intérêt, il désirera acheter des contrats à terme. Mais
si, dans le même temps, de nombreux spéculateurs font la même anticipation que lui, le prix
d’achat des contrats va augmenter sous la pression de la demande et les opérateurs paieront
leur couverture plus chère. Mais on remarque que ce type d’inconvénient caractérise tous les
marchés à terme. Le principe des futures de devises est le même. Ce sont des contrats dans
lesquels s’engagent deux parties pour un montant et un taux de change standardisés à
l’avance.
* Les options négociables. Par rapport aux futures, les ON offrent plus de flexibilité. Une
option est un contrat donnant à son acquéreur le droit (mais non l’obligation) d’acheter
(option d’achat=call) ou de vendre (put) une certaine quantité d’un actif sous-jacent (devise,
titre financier, future) à un prix (le prix d’exercice) et à une date (ou jusqu’à une date)
déterminés moyennant le paiement d’une prime. L’acheteur d’un call est un opérateur qui
anticipe une hausse du prix de l’actif sous-jacent. Il se réserve dès maintenant la possibilité
d’acquérir cet actif à un prix moins élevé que celui qu’il anticipe. Tant que le prix d’exercice
reste supérieur au prix comptant, il n’a pas intérêt à exercer cette option. L’acheteur d’un put
est dans la situation inverse. Il anticipe une baisse du prix de l’actif sous-jacent. Il se réserve
la possibilité de vendre cet actif à un prix plus élevé que celui qu’il anticipe. Tant que le prix
d’exercice est inférieur au prix comptant, il n’a pas intérêt à exercer cette option.
La prime est le prix de l’option versée par l’acheteur à la naissance du contrat. Elle
reste acquise au vendeur qu’il y ait ou non l’exercice de l’option. Elle s’exprime en
pourcentage du montant du contrat. L’option est dite américaine lorsque l’acheteur peut
l’exercer à tout moment et elle est dite européenne lorsqu’elle est exercée le dernier jour de la
période optionnelle. L’acheteur et le vendeur ne sont pas dans une position symétrique en
termes de risque. L’acheteur acquiert un droit en payant une prime. S’il s’avère qu’il n’a pas
intérêt à utiliser ce droit, il peut le revendre ou laisser passer l’échéance. Sa perte se limite à la
prime/ Le vendeur souscrit, au contraire, à une obligation lorsqu’il reçoit la prime. Il est lié à
la décision de l’acheteur d’exercer ou non son droit. Son risque est illimité alors que le gain
éventuel (si l’acheteur n’exerce pas son option) se limite à la prime.
Les marchés des produits dérivés ont connu un essor remarquable avec l’utilisation
croissante par les banques des produits dérivés. Le ratio des positions ouvertes sur contrats à
terme (futures) en euro-dollars par rapport à l’encours des actifs interbancaires en dollars des
banques déclarantes à la Banque des Règlements Internationaux est passé de moins de 14%
fin 1987 à 40% fin 1991 alors que dans le ratio Cooke, les instruments dérivés avaient une
pondération nulle. L’essor des produits dérivés se mesure aussi au fait que dans de nombreux
78
cas, les opérations sur contrats à terme ont dépassé en valeur celle des marchés au comptant.
Des coûts de transaction inférieurs, un effet de levier important et une meilleure liquidité ont
été d’importants facteurs de développement de l’activité des marchés dérivés souvent au
détriment des actifs sous-jacents !
Une forte croissance de ces marchés, avec le triple processus de déréglementation,
d’innovation et de décloisonnement, est observée dans les deux dernières décennies. Le
système financier est devenu plus souple, fluide et peu restreint, permettant une réallocation
des fonds d’épargne plus facile. L’intégration des marchés nationaux sur le plan international
a permis aussi à de nombreuses économies d’élargir la gamme des instruments financiers mis
à la disposition des emprunteurs et des prêteurs. Toutefois, la réaction de plus en plus accrue
des opérateurs aux écarts de prix, aux différences de fiscalité et réglementaires sur les
différents marchés, malgré les déréglementations observées sur les marchés nationaux,
s’accompagnent de fluctuations excessives des prix des actifs et engendrent des mini krachs.
Les changements structurels qui accompagnent cette évolution affectent la nature et les
canaux de transmission du risque systémique dans la mesure où les volumes traités
quotidiennement sur les marchés dépassent de loin la capacité d’intervention quantitative des
autorités, la vitesse de propagation des perturbations d’une place à une autre s’accroît
considérablement, les marchés et les institutions deviennent de plus en plus opaques les uns
envers les autres avec l’intervention de nombreux agents hétérogènes.

Bibliographie spécifique du chapitre III :

Banque des Règlements Internationaux, Rapports trimestriels sur l’activité bancaire et


financière internationale, diverses années.
Buiter, W. H. 1998, Financial markets and European monetary integration, Cambridge
University Press.
Fonds Monétaire International 2000, World Economic and Financial Survey. International
Capital Markets, Washington, D. C., Septembre.
Gibson, H. D. 1996, International Finance, Addison Wesley Longman Ltd.
Girardin, E. (éd). 1992, Finance internationale, Economica.
Marquet, Y. 1988, Les marchés d’options négociables sur contrat à terme, Economica.
Ruttiens, A. 2000, Manuel des produits dérivés, Eska.
Simon, Y. (éd). 1997, Encyclopédie des marchés financiers, Economica.
Siroën, J. M. (éd). 1993, Finances internationales, A Colin.
79

CHAPITRE IV : LA POLITIQUE MONETAIRE ET LA DEREGLEMENTATION

Lorsque le volume de crédit qu’elles attribuent augmente ou lorsqu’elles veulent


maintenir ou augmenter leur part de marché dans l’intermédiation, les banques cherchent à
acquérir davantage de réserves monétaires. Ces fonds peuvent être obtenus de plusieurs
façons suivant un comportement d'arbitrage en termes de coût-rendement entre les ressources
alternatives. Ces ressources sont les moyens de refinancement à travers lesquelles les banques
s'approvisionnent en monnaie centrale et en dépôts (liquidités). Sur le marché monétaire,
l'augmentation de la demande impliquera tôt ou tard, une augmentation des taux d’intérêt. De
même, lorsque les banques augmentent leur demande de fonds auprès des épargnants, elles
doivent proposer des taux créditeurs plus attractifs. Ces différentes possibilités
d'approvisionnement en refinancement traduisent la nécessité pour les banques de détenir des
réserves monétaires dont la constitution représente manifestement une contrainte de coût.
L'intervention de la banque centrale passe principalement par une modification de son
taux directeur en vue d’affecter le volume de crédit bancaire et donc, la création monétaire.
L’offre de crédit en est alors influencée quantitativement.
En France, dans les années soixante-dix (la période d’encadrement de crédit), la
banque centrale appliquait des "taux d'enfer" ou de "super enfer" en cas de dépassement des
limites quantitatives prévues pour le crédit bancaire. De nos jours, malgré l'absence
d'encadrement, sur le plan théorique, la contrainte conserve le même caractère qui est de
pénaliser les banques par des taux de plus en plus élevés de refinancement. Bien que cette
pratique présente un caractère discrétionnaire et non périodique, aux Etats-Unis, la Fed (La
Réserve Fédérale) applique des frown costs en vue de contraindre les banques à réduire la
création de monnaie de crédit.
Il ne serait pas inutile de remarquer d'ailleurs que la fonction historique des réserves
obligatoires comme instrument de précaution contre l'insolvabilité des banques s'est
transformée ensuite en un mécanisme de contrôle monétaire utilisé par la banque centrale
(Tobin, 1982). L'obligation de constitution de réserves obligatoires auprès de la banque
centrale joue un rôle particulier dans la mesure où elle donne aux autorités un moyen d'action
directe qui passe en général par l'application des pénalités sur l'activité bancaire (par
l'augmentation du coût de refinancement des banques). Alors que l’appel aux marchés (afin
de transformer les dépôts à vue en de nouveaux produits de passif) ne représente a priori que
le coût d’intérêts créditeurs, la constitution des réserves obligatoires représente une double
contrainte passant par l’intérêt chargé sur le refinancement et par le coût d’opportunité
80
positive que leur détention occasionne. Les banques doivent payer des taux d’intérêt pour
obtenir la monnaie centrale requise alors que les dépôts en réserves obligatoires ne rapportent
en général aucun intérêt68.
Ce mécanisme de réserves, évident dans un système de réescompte, l'est moins dans le
cadre des opérations d'open market qui donnent l'image d'un fonctionnement libre du marché
monétaire indépendamment des taux directeurs de la banque centrale. De même, le caractère
exogène des interventions de la banque centrale sur le marché monétaire est beaucoup moins
net en France qu’aux Etats-Unis. Car ces opérations sont davantage liées aux besoins de
liquidité des banques que du Trésor. Mais il s’agit d’un mécanisme indirect puisque les
banques fournissent aussi des Bons du Trésor pour obtenir de la monnaie centrale. On
considère alors en France, que les opérations de la banque centrale contre effets publics
correspondent à la constitution des réserves non empruntées et les opérations contre effets
privés à la constitution des réserves empruntées. Cet arbitrage affecte le comportement des
banques et détermine en grande partie leurs stratégies de marché.
Dans le contexte actuel de déréglementation et de libéralisation généralisées, les
banques développent la gestion du passif (GP) (liability management, Early et Evans, 1982)
liée aux innovations bancaires et financières, ce qui permet au crédit d'évoluer
indépendamment des postes du passif soumis à la constitution des réserves obligatoires et
donc, de la monnaie centrale (la base monétaire). Cela implique une rupture entre le
financement de l'activité économique et la masse monétaire stricto sensu. Les liens entre la
masse monétaire, le volume du crédit et les dépôts bancaires deviennent confus et les
indicateurs traditionnels monétaires ne semblent plus aptes à fournir aux autorités les moyens
adéquats pour intervenir (Bordes 1992).
Deux conséquences en découlent.
D’une part, le canal monétaire, qui met l’accent sur la politique de rareté de la
monnaie de la banque centrale, perd de son importance.
D’autre part, le canal du crédit, qui suppose que la politique monétaire peut affecter
l’activité réelle par l’intermédiaire de la disponibilité et des conditions d’octroi des crédits
(Bellando et Pollin, 1996) se trouve face à la volatilité des comportements des marchés

68
Toutefois, on remarquera aujourd’hui que l’un des moyens proposés en vue d’encourager les banques à
maintenir un niveau relativement élevé de réserves de sécurité est de rémunérer les réserves qu’elles détiennent
auprès de la banque centrale. Mais cette stratégie est discutable sur le principe. En effet, l’activité bancaire est
une activité privée destinée à générer des gains. Mais comme cette activité est décentralisée, elle est exposée à
des riques. Il revient aux banques de prendre des précautions et la banque centrale doit les guider dans cette voie
en déterminant des règles contraintes afin de les pousser à respecter leurs engagements. La rémunération des
réserves bancaires minimales (ou obligatoires) correspond à une utilisation des recettes quasi-publiques au profit
d’institutions privées, ce qui correspond à un choix arbitraire en faveur du soutien généreux de l’activité des
banques au lieu et à la place de son contrôle réglementaire.
81
financiers lorsque le taux directeur de la banque centrale est modifié d’une façon brutale. Par
conséquent, dans la politique de taux d’intérêt des autorités monétaires, la composition du
financement externe des entreprises, sous l’effet des nouveaux produits ou processus
financiers, devient un facteur déterminant (Kashyap et al., 1993).

4. 1. La dialectique des stratégies : régulation et marchés

Aujourd’hui, les interventions des banques centrales sont effectuées principalement à


travers les opérations d'open market. Comme ces interventions exercent indirectement une
contrainte de coût sur l'activité bancaire de crédit, des réserves additionnelles seront générées
par la structure financière elle-même. Les banques cherchent à offrir de nouveaux produits de
manière à réduire les contraintes réglementaires.
Les ressources requises sont obtenues à travers les innovations bancaires qui obligent
en général les banques à proposer des taux d'intérêt élevés attractifs sur les fonds
d'approvisionnement qui leur permettent d'échapper totalement ou en partie à la contrainte des
réserves obligatoires. Bien entendu, il faut aussi qu'elles puissent répercuter ces coûts
supplémentaires sur leur taux débiteur appliqué à leur client. Si ces conditions sont remplies,
le principe de Goodhart (Goodhart, 1995) entre en jeu: les tentatives des banques centrales de
réglementer ou d'imposer les activités bancaires par un canal conduisent les banques à réaliser
les mêmes activités par un autre canal échappant totalement ou partiellement à la
réglementation. Les participants au marché -dont les banques- cherchent alors à organiser le
marché "autrement" que sous l'égide de la banque centrale.
Le principe de Goodhart est aussi présent chez Gurley et Shaw (1973, p. 46) qui
soulignent que dans toute économie, la structure financière est continuellement remodelée par
les efforts des agents économiques pour échapper aux contraintes financières existantes.
Kindleberger (1994, p. 82) remarque, pour sa part, que "quelle que soit la définition de M (la
masse monétaire), le marché crée de nouveaux agrégats monétaires dans les périodes de boom
pour contourner les limites réglementaires et rend ainsi nécessaire une nouvelle définition de
la masse monétaire".
L’adaptabilité du système bancaire aux modifications de la législation est moins la
preuve d’une synergie nouvelle que d’une dynamique depuis longtemps en oeuvre.
L’évolution du système bancaire dans l’histoire monétaire confirme cette intuition (Hughes,
1960). Dans les années soixante-dix, les banques utilisent les techniques de face à face ou de
prêt par l'intermédiaire de leurs filiales à l'étranger afin d’échapper aux contraintes
82
réglementaires69. Ainsi, le système bancaire influence le niveau de l'activité économique non
seulement par la création de monnaie de crédit mais aussi à travers le volume des fonds qu'il
réussit à obtenir auprès du public en vue de les re-prêter. Kane (1983, 1988) définit cette
interaction comme la dialectique de la régulation.
Toutefois, les innovations ne semblent pas pouvoir être expliquées exclusivement par
les contraintes réglementaires dans la mesure où cette dialectique devient aujourd’hui celle de
la déréglementation. Le processus d’innovations bancaires, amorcé à une époque où la
contrainte de constitution des réserves obligatoires était encore significative, s’est poursuivi
malgré la réduction de cette contrainte. La particularité de la période actuelle est que les
innovations récentes se sont développées non pas dans un contexte de politique restrictive
mais dans une période de déréglementation et de décloisonnement des marchés (notamment
en France depuis le milieu des années quatre-vingts).
En France, ce sont les pouvoirs publics qui sont à l’origine des innovations financières
récentes (de Boissieu, 1986). Les autorités monétaires ont eu l’initiative première dans les
déréglementations et ce dans l’optique de moderniser le système financier français et de
donner un nouveau souffle à la place de Paris. Parmi les facteurs qui ont permis le
développement des marchés de financement direct, on peut évoquer d'une part, le relâchement
du cadre réglementaire avec l'ouverture internationale du marché primaire à partir de 1984 et
la modification de la fiscalité de l'épargne favorable aux achats d'actions et d'obligations. On
remarque ainsi, dans les années quatre-vingts, une montée franche des organismes de
placement collectif de valeurs mobilières (OPCVM) qui offrent aux épargnants les avantages
d'une diversification des placements et des risques. D'autre part, les nombreuses innovations
financières (comme les certificats d'investissements) ont stimulé le marché des actions. A
partir de 1985, avec la création des certificats de dépôt (émis par les établissements de crédit),
des billets de trésorerie (émis par les entreprises non financières), des Bons du Trésor
négociables, des bons des institutions financières spécialisées et des bons des sociétés
financières, mais aussi avec le décloisonnement des différents marchés de capitaux, les
investisseurs disposent d'une gamme de produits diversifiée non seulement en termes de
risques, mais aussi d'échéances, allant de 10 jours à 7 ans70. Mais à côté du poids déterminant
des politiques publiques de modernisation, l'étude des évolutions récentes renvoie aussi aux

69
La technique de face-à-face consiste pour la banque à s'interposer d'une façon "implicite" entre les prêteurs et
les emprunteurs. Ces modalités sont utilisées aussi en France. Lévy-Garboua (1992) souligne que la pratique
actuelle des sicav à grande échelle correspond à la pratique de face à face utilisée dans les années soixante-dix
par les banques.
70
La mise en place du marché à terme d'instruments financiers (MATIF) en Février 1986 visait en effet à
permettre aux investisseurs de se couvrir contre des risques de taux sur les marchés monétaire et obligataire.
83
dynamiques concurrentielles des marchés financiers71. Les banques et autres intermédiaires
financiers répondent aux modifications des marchés par la dynamique de l'innovation
(Podolski, 1986) fondée sur une réponse créative aux contraintes non seulement exogènes -
comme la régulation de la part des autorités monétaires-, mais aussi endogènes -comme les
contraintes dues à l'évolution de la structure des marchés. Ces contraintes influencent les
stratégies d’optimisation de la firme bancaire au niveau organisationnel et prévisionnel
(constitution des réserves, contrainte de liquidité, etc.) (Silber, 1983). Ces stratégies sont
orientées vers une gestion opérationnelle (Lévy-Garboua, 1992).
Face aux changements structurels sur les marchés, les agents suivent des stratégies
nouvelles afin d'éviter ou de ne pas subir les modifications contraignantes soit pour maintenir
leur part de marché soit pour en obtenir d’autres afin de réduire la concurrence. L'innovation
prend place et implique en général des ruptures entre les variables traditionnelles. Par
exemple, la rupture entre le produit (PIB) et les agrégats monétaires peut être vue comme un
phénomène transitoire qui doit céder la place à une stabilisation des relations usuelles
(Simpson, 1984). Le critère de validité de cette hypothèse est le temps de la transition.
Lorsque celle-ci « dure longtemps », il ne s'agit plus de transition mais d'une modification
structurelle des relations mettant les autorités dans l'impossibilité d'intervenir d'une manière
constructive. Auboin (1989) remarque ainsi les difficultés de contrôle de la masse monétaire
par les autorités dans un contexte de déréglementation. De même, Lombra et Torto (1973) et
Lombra et Kaufman (1984) montrent que lorsque les modalités de financement de l’économie
dépassent les liens traditionnels des crédits et des dépôts, l’utilisation de la base monétaire
comme mesure d’action monétaire exogène engendre une erreur de spécification dans le
modèle.

4. 2. Financiarisation de l’économie et évolution des agrégats fondamentaux

Grâce aux innovations bancaires, pour un niveau de réserves donné, les montants
additionnels de crédit et de monnaie peuvent être extrêmement divergents. Le crédit et les
dépenses qui lui sont associées peuvent augmenter indépendamment du niveau des agrégats
étroits et échapper, par conséquent, au contrôle des autorités. Deux résultats importants
découlent de ces relations :

71
Il convient de préciser que l’un des facteurs qui poussent les banques à innover est la demande du marché. Par
exemple, l’accélération de l’inflation accroît le coût d’opportunité de la détention d’encaisses non rémunérées et
pousse les banques à créer des produits à intérêt. Toutefois, on remarquera que les innovations du milieu des
années quatre-vingts ont été effectuées en France dans une période de très faible inflation.
84
1) Considérons, en premier lieu, une évolution où les dépôts à vue sont transformés en
certificats de dépôt, qui sont comptabilisés dans M3, avec un ratio moins important de
réserves72. Ceci signifie que le volume des dépôts diminue. Le volume des réserves
obligatoires, ainsi que la part de M1 ou de M2-M1 dans M3 diminuent du fait de la moindre
progression des dépôts à vue et des billets. A l'opposé, le volume de crédit peut augmenter,
accompagné d'une hausse des taux d'intérêt créditeurs. On peut même supposer que cette
dernière variation engendre une augmentation du niveau des prix relativement
indépendamment de l’agrégat monétaire étroit. L'explication de l'inflation se ferait alors par le
schéma suivant: Augmentation du crédit (sans une augmentation proportionnelle de la base
monétaire) → Augmentation des prix. Ceci va à l'encontre de l'affirmation de Fama (1983)
selon laquelle, dans l'économie73 le contrôle du niveau des prix n'implique pas le contrôle de
l'intermédiation financière: "price level control never has to be weighted against the
availability of credit to finance real activity" (pp. 7-8).
2) Considérons en deuxième lieu l’hypothèse selon laquelle la faible croissance de la
masse monétaire est liée à la réticence des banques à accroître le volume de leur crédit (Kahn
1992). Le ralentissement de la croissance de la masse monétaire indique alors un credit
crunch contribuant au déclenchement ou au maintien de la récession économique (Bernanke
et Lown 1991). Dans ces termes, l'expansion monétaire est vue comme le signe d'une plus
grande disponibilité du crédit. Or, suite aux modifications récentes, cette mécanique est
remise en question dans la mesure où les variations de la masse monétaire sont relativement
déconnectées des dynamiques du crédit.
En effet, une masse monétaire importante peut traduire le fait que les banques ne
réussissent pas à utiliser les dépôts du public pour réaliser une expansion de leur activité de
crédit. Plus la masse monétaire augmente plus les banques se trouvent face à une contrainte de
coût croissant. Car lorsque l'augmentation de la masse monétaire provient du fait que les
agents économiques convertissent leurs créances en des dépôts à vue, les banques doivent
proposer des taux d'intérêt élevés pour retransformer ces dépôts en certificats.
On observe une croissance franche de crédit bancaire alors que les dépôts à vue dans
les banques (DB) connaissent une évolution faible. Cette évolution est surtout remarquable
depuis le décloisonnement officiel des marchés financiers en France. A l’opposé, les rapports
OPCVM/DB et TCN/DB (Titres de Créances Négociables), qui traduisent la part croissante
des passifs bancaires négociables sur les marchés, augmentent régulièrement depuis 1986. Les
72
L'existence de réserves obligatoires sur le marché intérieur a engendré en France en 1990 une délocalisation
des certificats de dépôts que les autorités ont voulu enrayer par la suite, en réduisant substantiellement le taux de
réserves appliqué aux instruments de marché offerts par les banques.
73
où la monnaie est supposée exogène. Voir pour une position opposée, appelée l’approche de monnaie
endogène, Kaldor et Trevithick 1981.
85
modifications de la structure monétaire et financière de l'économie peuvent être observées
aussi par les rapports CB/M et produit intérieur brut/crédit bancaire, PIB/CB. Une
augmentation du rapport CB/M montre une indépendance croissante entre crédit et monnaie.
Une diminution du rapport implique un relâchement des contraintes monétaires imposées par
les autorités ou par les marchés dans la mesure où les banques ne sont plus incitées à proposer
des produits de transformation de leur passif à coût élevé. Ce rapport explique la part de
l'influence du volume du crédit sur la masse monétaire (Spencer, 1989). Ainsi, on obtient pour
C/M2 une valeur égale à 0.71 en 1978.1 et 1.23 en 1995.2 (on obtient la même évolution pour
l’agrégat M3, toujours remarquable à partir de 1986).
Lorsque l’on considère la tendance de la vitesse-crédit de la monnaie en terme de
l’endettement intérieur total (EIT), on obtient le même type de résultats mais avec une stable
continuité de la progression74. Ceci s’explique par le fait que EIT comprend des possibilités
de financement sur les marchés extérieurs et est moins influencé par les conditions de l’offre
de crédit intérieure émanant principalement des établissements de crédit nationaux.
Quant au rapport PIB/CB, une augmentation traduit le fait que le PIB croît
indépendamment du crédit tandis qu'une diminution signifie que PIB croît moins vite que C.
Cela peut s'expliquer par l'augmentation des difficultés de remboursement de la part des
emprunteurs accompagnée d'un ralentissement de la croissance économique et d'un
endettement de plus en plus accru. Toutefois, dans le cas français, l’observation de la situation
des entreprises montre que leur trésorerie nette (donnée par la différence entre fonds de
roulement net global et besoins en fonds de roulement) croît depuis 1990 pour devenir
positive (en termes de variations en %) en 1993. Alors que leur taux d’endettement (par
rapport au financement propre) diminue régulièrement passant de 41% à 32% en 199475. Ceci
dit, ce rapport est un indicateur de stabilité du système de crédit. Tant que le PIB et le crédit
augmentent ensemble, le financement de l’économie sur crédit n'engendre pas une situation
de surendettement. A partir de cette interprétation, les résultats obtenus montrent une
évolution des agrégats de crédit et de l’endettement intérieur total plus que proportionnelle
par rapport à l’évolution du PIB. Les valeurs prises par le rapport PIB/C traduisent une

74
Sur la période 1978.1 - 1995.2, la progression du rapport est linéaire avec les valeurs suivantes: pour EITM2:
1978.1: 1.72 et 1995.2: 3.6 et pour EITM3: 1978.1: 1.29 et 1995.2: 1.99.
75
En France, la baisse du taux d’endettement se poursuit alors que globalement l’endettement intérieur total
augmente plus que le PIB. Cependant, la forte augmentation de EIT par rapport au PIB, dans une période de
diminution de l’endettement du secteur privé n’est pas un phénomène contradictoire. En effet, hormis les Etats-
Unis où le taux d’épargne et le taux d’investissement privés ont baissé parallèlement, les pays industrialisés
(dont la France) ont connu une baisse du taux de l’investissement privé plus fort que la baisse de leur taux
d’épargne dans les années quatre-vingts par rapport à la moyenne des années soixante - soixante-dix (Aglietta,
1991, p. 5). Cette situation a amélioré a priori les positions financières nettes du secteur privé en parallèle avec
la baisse des taux de croissance mais n’a pas suffi à réduire le crédit total par rapport au niveau de l’activité
économique.
86
évolution contraire à celle de C/M. En effet, le premier rapport ne cesse de décroître depuis
1987 (alors que sa moyenne sur la période 1978-1986 est de 0.7 pour PIB/CB) pour atteindre
en 1995.2: 0.53.
Plusieurs conséquences découlent de ces observations demandant une révision
nécessaire mais non moins difficile de la façon dont les autorités monétaires cherchent à
surveiller et à prévoir le comportement des relations d’endettement et de financement des
agents économiques (Lavigne et Villieu 1996). Ces modifications semblent nécessiter de
nouvelles modalités d’intervention qui sont, de nos jours, centrées sur les interventions d’open
market et sur les effets d’annonce que les autorités monétaires espèrent obtenir par la
modification des taux directeurs. La portée de ces interventions importe remarquablement
dans la mesure où elles concernent les relations entre la masse monétaire et le financement de
l'activité économique et affectent l’efficacité et la stabilité du système monétaire.

4. 3. Le paradoxe de la dynamique des innovations : entre l’efficacité et la stabilité

La double origine des modifications des comportements des agents influent sur
l’efficacité et la stabilité du système de plusieurs façons.
Avec la libéralisation et la déréglementation des marchés monétaire et financiers, les
banques perdent nombre de privilèges qu’elles avaient auparavant dans les modalités de
financement de l’économie. Ce phénomène, appelé la « désintermédiation », pousse les
banques à réagir en créant de nouveaux produits en vue de reconquérir leur part de marché
grignotée par les IFNM dans la collecte de l'épargne. Les banques augmentent leur présence
sur les marchés des capitaux non seulement comme intermédiaires mais également comme
emprunteurs et investisseurs. Cette stratégie générale conduit à la mobiliérisation du
financement de l'économie qui consiste à substituer le financement par titres négociables (plus
souple mais plus volatil) au financement par crédit bancaire peu ou pas mobilisable (plus
rigide mais plus stable). Les certificats de dépôt, qui sont des titres transférables sur les
marchés financiers, comme les papiers commerciaux, les acceptances bancaires ou les billets
de trésorerie, rendent le contrôle des opérations monétaires et financières plus difficile à
contrôler. Les changements dans le système monétaire et financier, depuis notamment les
années soixante-dix, semblent affecter la stabilité de la relation Masse Monétaire (M1, par
exemple) - Produit Brut (PIB ou PNB). Par exemple, les comptes NOW, devenus des actifs
liquides attrayants au milieu des années soixante-dix, ont obligé la Fed à redéfinir en 1980
l'agrégat M1. Mais le fait que les nouveaux produits restent exclus de la définition de M1
enlève à celle-ci toute sa pertinence comme objectif intermédiaire. Par exemple, les MMMFs
87
(money market mutual funds-fonds communs de placement), les MMDAs (money market
deposit accounts) qui sont des instruments d'épargne liquide rémunérés et qui ont remplacé
les dépôts bancaires traditionnels aux Etats-Unis, ou les RPs (contrats de rachat journalier) ne
sont pas comptabilisés dans les agrégats monétaires stricto sensu.
A côté des stratégies concernant la gestion de leur passif, les banques développent
aussi des opérations hors-bilan, comme les engagements à l'appui d'émissions de titres par des
émetteurs autres que l'établissement (lignes de substitution des billets de trésorerie) ou les
techniques et les instruments utilisés pour couvrir spécifiquement les risques de marché
(rémérés, swaps, options, contrats à terme, etc.). Ces opérations hors bilan sont destinées à
réduire, pour les créanciers, le problème d'asymétrie de l’information en interposant les
banques entre les prêteurs et les emprunteurs. Deux conséquences en découlent pour les
banques:
(i) D'une part, malgré la désintermédiation, elles continuent de jouer un rôle important
dans le financement de l'activité économique. L'exemple des billets de trésorerie est assez
évocateur. Dans cette pratique, qui permet les opérations de face-à-face, l'emprunteur est tenu
d'assurer auprès d'une banque, l'ouverture d'une ligne de substitution (ligne de crédit) égale à
95% des billets émis en vue de garantir la liquidité du papier à l'échéance. Ceci implique les
banques dans les opérations d’endettement mais d’une façon implicite ;
(ii) D'autre part, l'engagement stratégique des banques dans les opérations volatiles76
et non contrôlées augmente la fragilité du système bancaire face aux variations du degré de
solvabilité des agents engagés dans les contrats de production et/ou commerciaux à partir des
garanties bancaires.
Ces modifications sont supposées augmenter l'efficacité (ou la fluidité) des marchés
financiers et leur rapidité de réaction aux évolutions éventuelles des principaux indicateurs
économiques. C'est le côté positif du comportement des marchés financiers qui est d'éviter
parfois les crises sèches et de permettre une gestion des déséquilibres sans bouleversement
majeur. On peut remarquer que depuis les années soixante-soixante-dix, les paniques
bancaires, comme propagation des défaillances à des banques solvables et à l’ensemble du
système monétaire et financier, n’existent pas au sens strict du terme. Les perturbations qui se
produisent dans le système de paiement ont lieu sous forme d’une multiplication de micro-
crises financières et non généralisées (Lacoue-Labarthe, 1992). De plus, le mouvement de
libéralisation financière, qui réduit la répression financière au sens de McKinnon (1973),
76
Cependant, ce point fait l'objet d'une controverse dans la littérature. Par exemple, Schwert (1989) observe que
la volatilité des cours des actions croît surtout après les crises financières et n'est donc pas responsable de celles-
ci. Par contre l'augmentation des taux d'intérêt et la baisse des dépôts bancaires s'accélèrent avant les crises.
Pour une présentation générale de l'évolution du système de financement et des risques qui y sont sous-
jacents, voir Aglietta (1993), Artus et Lecointe (1991) et Bourguinat et Artus (1989).
88
accentue considérablement la concurrence entre tous les compartiments du marché financier
assurant ainsi une mobilisation plus systématique des ressources d'épargne. Il convient de
remarquer néanmoins que bien que les évolutions récentes aient pu réduire les coûts de
financement des grandes entreprises, elles ne semblent pas avoir bénéficié aux PME en raison
de l'accès limité de ces dernières aux marchés des capitaux et à la procédure d'émission des
billets de trésorerie (Kahn, 1992, Castel et Ullmo, 1991, Bernanke et Blinder, 1992). En effet,
l'accès aux marchés financiers n'est pas toujours possible pour tous les emprunteurs. La prise
en compte du comportement de rationnement en présence d'asymétrie de l'information (Jaffee
et Russell, 1976, Stiglitz et Weiss, 1981) permet de rationaliser les contrats de financement
entre agents à objectifs a priori divergents.
Il convient de remarquer cependant qu’une plus grande circulation des fonds de
financement non monétaires (donc non inflationnistes, dans l'optique traditionnelle) ne permet
pas nécessairement d'assurer un financement stable à long terme. Contrairement à une idée
admise, l'instabilité observée dans la dernière décennie n'est pas totalement due à une création
accrue de monnaie mais à des pratiques particulières de collecte de fonds et de
mobiliérisation/titrisation77 de la quasi-totalité des moyens de financement. Ces derniers, dont
les prix évoluent indépendamment des fondamentaux (fundamentals) de l'économie,
deviennent rapidement négociables et sont de plus en plus exposés aux fluctuations et à
« l'humeur » des marchés (Plihon, 1995, Spindler, 1998).
Deux observations en découlent :
D’une part, avec les innovations, l’efficacité allocative (l’optimalité de l’allocation des
capitaux et la minimisation des coûts de l’intermédiation financière (Plihon, 1996) a bénéficié
de l’émergence de marchés de titres négociables (Metais, 1993).
D’autre part, la stabilité du système financier, c’est-à-dire sa capacité et son aptitude à
faire face aux chocs par des mécanismes soit endogènes78, soit exogènes79, devient
problématique. Nous appellerons ce résultat le paradoxe de la dynamique des innovations.
En ce qui concerne les mécanismes endogènes, les innovations actuelles, tout en
rendant les marchés financiers de plus en plus "contestables" au sens de Baumol (1982),
engendrent aussi des risques globaux. Elles aboutissent en général, non pas à réduire
réellement les risques associés aux taux d'intérêt et aux taux de change mais seulement à les
déplacer. C’est le cas des marchés de produits dérivés qui permettent une protection
individuelle contre les risques et une prise de positions spéculatives à fort effet de levier

77
La titrisation est la transformation des crédits bancaires en des titres négociables. Avec la marchéisation accrue
de leur actif, les banques se trouvent face à un risque des titres de créances négociables.
78
généralisation de la couverture des risques à travers les nouveaux contrats et produits.
79
comme la réglementation et la surveillance.
89
(Plihon, 1996, Cartapanis, 1996) tout en aggravant l’instabilité globale des marchés. La
compatibilité entre l’efficacité microéconomique et la stabilité macroéconomique ne semble
pas aller de soi.
Quant aux mécanismes exogènes, avec la déréglementation, ils perdent de leurs poids
et pouvoir en réduisant les possibilités d’intervention, mais surtout, de prévision des autorités
de surveillance. De ce fait, l'entrée des banques dans de nouveaux domaines d'activité pose
certainement de nouveaux défis aux autorités monétaires (Chase, 1985). C'est ce qu'ont
remarqué les banques centrales après le krach de 198780. Comme en témoignent le Livre
Blanc de 1986-87 et les lois bancaires de 1987, le contrôle de la masse monétaire se révèle
d'un intérêt très limité et la surveillance s'oriente davantage vers la liquidité des
établissements de crédits81 à travers l'observation de la situation des portefeuilles-titres82 des
banques et des opérations hors bilan83 en vue d'augmenter la capacité des autorités à maîtriser
les risques du marché. Ces risques sont de deux ordres, le risque de liquidité et le risque de
solvabilité :
1) Le risque de liquidité apparaît lorsque les actifs sont moins liquides que les passifs
et lorsque les besoins de liquidité immédiats impliquent des pertes dans la
transformation des actifs en liquidité ;
2) Le risque de solvabilité survient lorsque les banques ont des engagements dans des
opérations non solvables comme les crédits non remboursés, les moins values dues
aux variations des taux d’intérêt et des taux de changes, etc., ce qui s’imputent sur
les fonds propres des établissements concernés.
Le développement des opérations inscrites au hors bilan des banques, comme les
swaps ou les NIF (note issuance facilities)84, implique un accroissement du risque (de taux, de
contrepartie) pris par les banques et non directement mesurable comme dans les activités
traditionnelles (BIS 1986). Face à cette évolution, la Fed et la Banque d’Angleterre ont décidé
de façon coordonnée, au début de 1987, de calculer les ratios de fonds propres minima des
banques en fonction du risque attaché aux différents postes du bilan et du hors-bilan. De

80
En Octobre 1987 les intervenants sur le New York Stock Exchange (NYSE) se sont trouvés incapables de
dominer les fluctuations des futures, ce qui a obligé la Fed à intervenir afin de soutenir les market makers et la
continuité des opérations du NYSE.
81
Le risque d'illiquidité résulte moins de l'attitude des déposants que des problèmes rencontrés sur les marchés de
capitaux pour renouveler des ressources de trésorerie. Ces problèmes dépendent de l'appréciation portée par les
prêteurs sur l'état de solvabilité de l'établissement concerné.
82
Il s'agit de nouvelles règles d'évaluation des portefeuilles obligataires détenus par ces établissements. Les titres
de placement et de transaction rapide sont réévalués en permanence.
83
La surveillance des opérations hors bilan consiste à fixer des règles de comptabilisation des opérations sur
instruments financiers à terme de taux d'intérêt par le comité de la réglementation bancaire en surveillant de près
les opérations spéculatives (Matif, opérations de gré à gré, instruments à terme).
84
Les NIF assurent une couverture de crédit pour les emprunteurs se procurant des capitaux grâce au placement
renouvelable d’obligations à court terme, soit grâce à d’autres intermédiaires soit directement sur le marché.
90
même, afin d’assurer la protection des systèmes de compensation, le comité des gouverneurs
des banques centrales du groupe des dix a adopté en 1990 des normes de prévention des
risques dans le domaine financier. Mais ces risques semblent surtout encouragés par
l’augmentation du degré de la concurrence sur les marchés bancaires et financiers.

4. 4. La concurrence et la structure des coûts bancaires

Les innovations et la libéralisation financière conduisent à une concurrence accrue. On


assiste alors à une tendance à la réduction des marges pour certaines activités bancaires et à
une lutte pour une plus grande part de marché. De plus en plus souvent, les crédits sont offerts
à des taux inférieurs à ceux des placements sans risque. Le souci de ne pas perdre leurs parts
de marchés respectives en augmentant leurs prix85 et la recherche de nouveaux clients, dans
un cadre devenu très concurrentiel (la disparition relativement importante des barrières à
l'entrée dans l'industrie financière et la multiplication de produits substituables aux produits
bancaires traditionnels), oblige les banques à ne pas ajuster la tarification des nouveaux
risques. A cela s'ajoute évidemment l'insuffisance de la demande de crédit du secteur privé
face à une capacité d'offre devenue excédentaire qui aggrave la situation en créant les
conditions d'une véritable guerre des prix.
Cette nouvelle donne implique des transformations enregistrées dans la structure des
passifs bancaires et une hausse du coût de leurs ressources (Muldur, 1993). On observe une
diminution de la part des dépôts à vue, qui est passée de 63,9% en 1970 à 37,5% en 1990, et
une augmentation de la proportion du passif rémunérée (comptes d'épargne, comptes à terme,
obligations et certificats de dépôt). La part des ressources à taux de marché (obligations et
autres titres négociables) est passée de 1,9% en 1970 à 41,4% en 1990 (Bulletin de la Banque
de France, 1995). Cette évolution implique un renchérissement franc des ressources bancaires
et va de concert avec le changement des comportements des agents économiques qui se sont
orientés vers des placements plus rémunérateurs (comme les parts d'OPCVM) et aussi
liquides que les dépôts bancaires traditionnels. Par conséquent, pour les opérations avec la
clientèle comme pour les opérations interbancaires, les marges se sont sensiblement dégradées
à la suite d'une hausse du coût moyen des ressources empruntées. Pour les opérations avec la
clientèle, la marge est donnée par la différence entre le rendement moyen des crédits et le coût
moyen des dépôts. Les marges sont passées de 5,7 en 1972 à 3,7 en 1993. Pour les opérations
interbancaires, elle est donnée par l’écart entre le rendement moyen des prêts et le coût moyen
des emprunts, passant de 0,7 à -0,2 sur la même période. Davis (1991) montre qu’avant les
85
Il est possible de considérer ce problème sous l’angle de l’asymétrie des réactions des agents sur le marché,
suivant le modèle de la courbe de demande coudée de Sweezy.
91
crises, les marges sur les crédits et sur les titres flottants baissent parallèlement à un
grossissement du marché des titres flottants et de l’innovation compétitive.
On remarque aussi que le renchérissement des ressources bancaires est accompagné
d'autres facteurs structurels érodant la rentabilité bancaire. En effet sur la période récente, la
part des crédits référencée sur le taux de base bancaire régresse régulièrement en encours, elle
est revenue de 21,7 à 14,1% de l'endettement des sociétés entre 1991-1994. Le phénomène est
à relier au processus de déréglementation financière achevé à la fin des années quatre-vingts.
Les grandes entreprises ont désormais la possibilité d'arbitrer entre différentes sources de
financement externes: endettement auprès des établissements de crédit, mais aussi auprès des
marchés monétaires et obligataires. On observe de ce fait une référence de plus en plus
fréquente du coût des financements aux conditions de marché, ce qui empêche de plus en plus
les établissements de crédit d'imposer le taux de base bancaire. Les facultés de diversification,
qui sont désormais accordées aux firmes financières, autorisent l’adoption de formes
conglomérales (avec production de biens diversifiés et non substituables). Les assurances,
caisses d’épargne et autres firmes financières suivent une stratégie de diversification en
direction des activités traditionnellement bancaires tandis que les banques s’engagent dans
des opérations d’intermédiation financière nouvelles (Geoffron, 1993).
Le CNC (1995) propose l'établissement d'un taux d'usure inversé afin d'obliger les
banques à appliquer des taux d'intérêt avec des primes de risque conséquentes selon la nature
des débiteurs. Cependant, cette politique ne paraît pas facile à mettre en oeuvre dans un
contexte où le ralentissement de l'activité économique et la faiblesse de l'inflation rendent les
taux appliqués suffisamment forts pour l'endettement des entreprises. Par ailleurs, dans ce
type de mesure préconisé, on voit apparaître un problème d’anti-sélection dans la mesure où
l’augmentation des taux débiteurs peut évincer du marché les « bons emprunteurs » et de n’y
laisser que des emprunteurs prêts à entreprendre des opérations à haut risque. Dans ce cas, on
sait que la sélection par l’augmentation des prix devient « adverse », donc non optimale.
Cette évolution appelle deux remarques:
(i) l’intervention des autorités monétaires en vue de contrôler l’étendue des risques
financiers entrepris par les banques devient de plus en plus difficile à mettre en oeuvre à
travers l’augmentation des primes de risque réglementées;
(ii) la création de nouveaux produits et de nouvelles méthodes de financement ne
s'effectue pas exclusivement en période de boom mais aussi dans des périodes où la
croissance économique fléchit fortement.
Les innovations récentes survenues en période de ralentissement de l'activité
économique tendent à renforcer les dynamiques de risque systémique. En effet, ce dernier est
92
défini comme une situation où la défaillance d'une ou de plusieurs banques provoque, par
contagion, la faillite en chaîne d'autres institutions au sein du système bancaire et financier. Il
est généralisable aussi à la sphère réelle. Avec la GP, la déréglementation (le développement
des opérations de marché), les innovations techniques favorisant la propagation des chocs et
la globalisation86 financière (Niehans, 1983) constituent les facteurs déterminants du risque
systémique. Dans ce cadre, l'institutionnalisation de l'épargne (OPCVM) renforce
l'importance des objectifs de rendement à court terme et constitue de ce fait un des facteurs
propres au risque systémique. En raison des possibilités accrues de couverture individuelle
contre le risque, les agents entreprennent des projets beaucoup plus risqués qu’auparavant.
Comme le soulignent Artus et de Boissieu (1988), avec le développement de nouveaux
produits, les gérants des fonds de placement collectif préfèrent une gestion de plus en plus
centrée sur le rendement à court terme plutôt que sur les perspectives de long terme beaucoup
plus stables. Ceci semble être une évolution commune à l’ensemble des économies
monétaires, augmentant par là le degré de contagion des crises d’un pays à un autre avec une
rapidité élevée (Lacoue-Labarthe, 1992).

4. 5. Quelle politique monétaire ?

Il est certain que les interventions des autorités et les filets de sécurité (avec assurances
des dépôts, les fonds de garantie, la coordination des instances de surveillance) ont fait
jusqu’ici la preuve d’une certaine efficacité, « non pas pour empêcher l’apparition des crises
(un rôle qui ne leur appartient pas), mais pour étouffer leur développement et limiter leurs
conséquences » (Lacoue-Labarthe, 1992, p. 408). Il n’en reste pas moins que la création de
nouveaux produits ou de processus permettent aux banques, en particulier, et au système
financier, en général, d’échapper aux efforts de stabilisation des autorités.
Etant donné que les nouveaux produits d'épargne sont très sensibles aux variations des
taux d'intérêt du marché, leur volume varie avec les modifications de ces derniers. Aux Etats-
Unis, lorsque les taux d'intérêt ont baissé, à la fin de l'été 1982, les déposants ont quitté les
produits du type MMMFs ou MMDAs vers les comptes NOW compris dans M1 (Hetzel et
Mehra, 1989). Ainsi, lorsque les agents désirent convertir ces produits en dépôts à vue, la
croissance de la masse monétaire qui en résulte ne stimulera a priori ni la création de crédit ni
les dépenses inflationnistes puisqu’elle provient d’une transformation des portefeuilles des
agents. Il convient de préciser que les agrégats étroits semblent très élastiques aux variations
des taux d’intérêt, « tandis que la sensibilité des agrégats larges (M3, L) aux taux devient
86
La globalisation ou l’intégration internationale des marchés financiers est liée à l’expansion des activités
bancaires et des marchés de valeurs mobilières à l’échelle internationale.
93
incertaine en raison de la substituabilité agrégats larges-titres » (Artus et de Boissieu, 1988, p.
107). Le contrôle des agrégats étroits, à travers les modifications des taux d’intérêt, paraît
donc plus facile que celui des agrégats larges qui doit tenir compte des transferts de
portefeuille prévus ou anticipés entre les différentes formes de titres. Cependant, les agrégats
étroits sont déconnectés des mouvements réels et des besoins de financement de l’économie
puisqu’ils n’évoluent pas toujours dans une proportionnalité bien déterminée avec le crédit.
Afin de tenir davantage compte du comportement effectif des détenteurs de placements
financiers, la Banque de France redéfinit les agrégats de monnaie. Ces derniers regroupent
désormais les moyens de paiement détenus par les agents non financiers résidents et, parmi
leurs placements financiers, ceux qui sont susceptibles d'être transformés rapidement en
moyens de règlement sans risque important de perte en capital. Avec les modifications sur les
marchés financiers (déréglementation et innovations financières), l’intermédiation financière
devient moins prédominante, du moins sous sa forme habituelle. Cette évolution nécessite la
prise en compte d’un agrégat de financement beaucoup plus global comme le crédit intérieur
total -CIT-87 (ou EIT), mais beaucoup plus difficile à contrôler. Si l’interprétation de la
déconnexion entre le crédit et la masse monétaire ne pose pas de problème particulier, la
recherche de solutions pertinentes constitue au contraire une tâche particulièrement difficile
(Icard, 1992, Patat, 1988).
Kashyap, Stain et Wilcox (1993) établissent deux conditions pour que la politique
monétaire puisse affecter l'économie réelle à travers ses effets sur le crédit bancaire: 1) si les
crédits et les autres actifs ne sont pas des substituts parfaits pour les banques, la politique
restrictive peut diminuer l'offre de crédit bancaire, 2) lorsque les crédits bancaires et les
sources de financement non bancaires sont des substituts imparfaits pour les firmes à besoin
de financement, la diminution du volume de crédit bancaire, suite à une politique restrictive
des autorités, a des effets réels sur l'activité économique.
De même, opposant un modèle de cycle d'affaires réel à la règle de politique monétaire
optimale de M. Friedman (Friedman et Schwartz, 1982), Christiano et Eichenbaum (1992)
supposent que les autorités ont une capacité (flexible) à injecter des liquidités sur les marchés
financiers à travers les opérations d'open market plus importante que les agents privés à
travers l'ajustement de leur épargne nominale. Alors, la politique d'accroissement de l'offre de
monnaie, en réponse à l'apparition non anticipée de nouvelles opportunités de production ou
d'investissement réel pour les agents privés (par exemple, les chocs technologiques) est

87
CIT recense la totalité de l'endettement des agents non financiers résidents, obtenu auprès des institutions
financières, sur les marchés de capitaux internes ou par emprunts auprès de l'Etranger. Il comprend donc, outre le
passif de l'Etat, le passif des agents non financiers résidents (titres négociables, crédit bancaire, emprunts
obligataires et euro-crédits).
94
considérée comme optimale. Il s'agit de réduire les tensions sur les taux d'intérêt, dues à un
accroissement du niveau de l'activité économique, et donc, des crédits requis pour le
financement de la sphère réelle. Ici, la priorité est donnée aux possibilités de variation rapide
et flexible de l’offre de monnaie émanant des autorités et évitant le recours quelquefois long
et incertain à l’apparition des innovations monétaires et financières, c’est-à-dire aux
mécanismes des marchés non régulés. Toutefois, avec la prise en compte des innovations
bancaires, qui impliquent une rapidité accrue de déplacement de l'épargne d'un secteur à
l'autre, la supériorité de l'intervention des autorités (et donc de l'offre de monnaie) est réduite
et le financement de l'activité économique peut s'effectuer à travers les variations des
portefeuilles des agents privés88. Un résultat du même type est obtenu par Friedman et
Kuttner (1992). Ces auteurs montrent, pour l'économie américaine sur la période 1960-90 (et
surtout dans les deux dernières décennies) qu'il n'y a pas a priori de relation explicative
pertinente entre le revenu (réel ou nominal), le niveau des prix et les agrégats monétaires (par
exemple M1) et de crédit.
La tendance actuelle des politiques monétaires vers une plus grande intervention sur
les taux d'intérêt provient manifestement de la poussée des innovations qui réduit la portée des
agrégats monétaires en tant qu'indicateurs de politique monétaire. Bernanke et Blinder (1992)
montrent qu'aux Etats-Unis, le taux directeur de la banque centrale (le taux appliqué sur les
fonds fédéraux) est un bon indicateur de la politique monétaire suivie par les autorités. Ceci
provient, pour les auteurs, du fait que ce taux est moins contaminé par les réponses endogènes
des marchés aux conditions économiques que le taux d'accroissement de la masse monétaire.
Mais l’utilisation efficace des taux d’intérêt comme moyen d’intervention rencontre trois
types de problème:
* Les effets réels de la politique monétaire deviennent difficilement identifiables. Les
instruments utilisables, c’est-à-dire facilement manipulables, deviennent de plus en plus rares
dans un contexte de déréglementation généralisée et paraissent impuissants face aux
mutations des marchés financiers. Le poids de plus en plus accru des taux du marché vis-à-vis
des taux directeurs de la banque centrale en constitue un argument actuel;
* L’intervention sur les taux directeurs ne peut être qu’indicatif et doit être calculée
avec précaution. Dans le contexte de marchés financiers libéralisés, les IFNM et les banques
s’engagent dans des opérations de re-prêtage avec des marges volatiles et ont tendance à
appliquer des stratégies offensives par les prix sur les marchés internationaux. A la lumière
des enseignements des modèles d’asymétrie de l’information, lorsque les banques centrales

88
Sauf, bien sûr, dans le cas où les besoins de financement de la croissance dépassent la capacité de financement
des fonds prêtables préalablement accumulés.
95
veulent relever les taux directeurs afin de ralentir l’activité d’intermédiation financière, il ne
paraît pas certain que les intermédiaires tendront à assainir leur position ouverte par une
baisse de leur engagement, par peur de perdre leur part de marché. La conséquence peut en
être une augmentation des coûts des banques et du degré de risque d’insolvabilité à terme des
institutions impliquées dans des opérations spéculatrices ;
* Par ailleurs, il convient de ne pas perdre de vue des contraintes spécifiques
régionales. Aujourd'hui en France, l'intervention des autorités sur les taux d'intérêt -dans le
sens d'une diminution que justifieraient les données fondamentales de l'économie- se trouve
entravée par la contrainte de change résultant de l'appartenance au mécanisme de change
européen. L’intégration des marchés financiers et la libéralisation des mouvements de
capitaux au sein de l’Union Européenne impliquent l'abandon du degré de liberté qu'exige la
politique monétaire.
Ceci pose le problème d’établissement de règles claires de surveillance pour la future
banque centrale européenne. Celle-ci pourrait-elle se contenter d’axer sa politique sur le
niveau des prix en laissant les marchés monétaire et financiers développer des stratégies
volatiles ? Ou bien, devrait-elle aussi prendre en compte la potentialité de crise financière et
prévoir des interventions destinées à assainir le fonctionnement des marchés libres par une
éventuelle re-réglementation ? Dans ce sens, le débat sur la mise en place d’indicateurs et de
ratios portant sur la solvabilité des banques, fait intervenir à nouveau la règle de détention
d’un certain pourcentage de réserves obligatoires, comme moyen de contrainte et de
surveillance effectives pour la banque centrale européenne.
La perte d'autonomie des autorités par rapport aux marchés est donc accompagnée
d’une perte d'autonomie par rapport à l'environnement international, les politiques monétaires
des pays européens étant de plus en plus liées entre elles. Les problèmes posées, d’une part,
par le triangle d'incompatibilité dans un contexte de libéralisation des marchés de capitaux
pour l'intégration européenne et, d’autre part, par l'instabilité observée dans le fonctionnement
de ces mêmes marchés libérés, font resurgir régulièrement la proposition de réforme (Du
sable dans les rouages) de Tobin (1978 et Eichengreen, Tobin, Wyplosz, 1995). Ils semblent
traduire en permanence le paradoxe de stabilité et d'efficacité des marchés financiers. L’espoir
d’une coordination internationale sous-jacent aux rencontres régulières de G7 et la recherche
de règles de « bonne conduite » et d’intervention globales par l’ensemble des autorités
monétaires des économies développées semblent être un premier élément de réflexion sur le
plan à la fois positif et normatif.
Dietsch et Godbillon (1993) remarquent que les banques centrales doivent garder une
certaine ambiguïté (discrétion) dans les règles de soutien et de pénalité envers les banques
96
afin de les inciter à une plus grande prudence. Cette idée peut être rapprochée de celle
proposée, dans un autre contexte, par le courant des anticipations rationnelles: seules les
politiques surprises ont des effets sur les comportements des agents économiques.
Cependant, dans le cas des innovations, le raisonnement doit être inversé. Ce n'est plus
la banque centrale qui est surveillée par les agents rationnels mais ce sont ces derniers qui
échappent au contrôle des autorités. L'objectif du décideur est alors de trouver un moyen
d'incitation optimal pour que les comportements microéconomiques et les objectifs
macroéconomiques puissent se coïncider. Ceci pose d’emblée le problème d’aléa moral dans
la mesure où lorsque les autorités se montrent prêtes à intervenir et à soutenir les marchés
financiers en cas de crise grave, les banques pourront entreprendre des risques de plus en plus
accrus et rendre les marchés davantage exposés aux crises systémiques. L’attitude des
autorités semble importer plus que jamais dans la réconciliation de la discipline du risque
systémique et de l’enthousiasme privé d’entreprendre.
Dans l’accomplissement de cette tâche, l'un des problèmes auxquels les autorités
monétaires sont confrontées est l'obtention et le traitement d'informations fiables sur l'état de
l'économie afin de déterminer les comportements des agents privés. "Si les autorités ont une
bonne information sur l'économie, elles ne sur-réagiront pas et ne provoqueront donc pas de
chocs monétaires indésirés" (Plihon, 1992, p. 338). L'observation de l'évolution du système
bancaire et l'établissement de nouvelles procédures de surveillance font partie de l'ensemble
informationnel des autorités afin d'éviter ce type de danger d'intervention inadéquate et de
pouvoir anticiper avec précision les tendances des variables de financement.

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100
CHAPITRE V : ENDETTEMENT INTERNATIONAL ET CRISE FINANCIERE

Depuis plus de deux décennies, à côté de l’alourdissement des dettes de certains pays, on
observe de forts changements structurels dans les systèmes bancaires et sur les marchés
financiers. La vague de déréglementation et la montée des innovations viennent renforcer
l’évolution particulière des économies modernes et s’ajoutent aux difficultés croissantes de
remboursement de la dette internationale. L’occurrence des crises financières rappelle, à
chaque nouvelle période de difficultés économiques, la nécessité d’assainissement des
systèmes financiers en vigueur.

5. 1. Risque pays : endettement des nations

Le recours à l’endettement international permet de financer le déficit de la balance


courante ou la sortie des capitaux. L’endettement peut accélérer la croissance économique en
finançant les investissements productifs au-delà des capacités de financement national. Elle
peut aussi freiner le développement économique lorsque les charges de remboursement
excèdent les revenus induits par les investissements.
Sur le plan macroéconomique, la dette internationale peut être interprétée comme une
entrée nette de capitaux qui assure le financement du déficit de la balance courante et de la
balance des capitaux. Lorsque l’absorption (Dépenses publiques, G, l’investissement, I et la
consommation, C) eszt trop forte par rapport aux capacités productives du pays et lorsque
l’épargne nationale (S) est insuffisante pour financer I (écart S-I) et le déficit budgétaire (G-T,
T étant les recettes publiques), on est souvent en présence d’une fuite des capitaux. Cette
dernière se mesure comme le stock des avoirs extérieurs acquis par des résidents ou comme le
solde des sorties de capitaux à court terme du secteur privé non bancaire. Ces fuites ont en
général trois sources : blanchiment des revenus tirés d’activités criminelles (drogue, trafic
d’armes, etc.), détournements de fonds opérés par certains dirigeants et carences de la gestion
économique (taux intérêt trop faible, surévaluation de la monnaie, etc.). Bien entendu, la dette
internationale (DI) ne peut se développer que s’il existe à la fois une offre et une demande de
prêts.
Du côté de la demande, les pays en développement (PED) ont lancé, dès les années
1970, des programmes d’investissements lourds dans des secteurs souvent consommateurs de
matières premières énergétiques avec toujours le problème de la fuite des capitaux et
l’absence de marchés financiers capables d’attirer les investisseurs étrangers. La dette
internationale devenait ainsi la principale source de financement. Du côté de l’offre, les
101
banques privées occidentales ont favorisé l’explosion de la DI. Les excédents des pays de
l’OPEP ont été déposés dans les banques occidentales avant d’être reprêtés sur les marchés
internationaux. Les perspectives de développement dans les PED semblaient justifier alors les
prêts accordés. La particularité de l’offre de l’époque était des liquidités abondantes, la vague
de libéralisation, l’accroissement de la concurrence impliquant une guerre des prix et
accompagnée d’une recherche de parts de marché supplémentaires de la part des banques.
Analysons brièvement les facteurs d’évolution de la dette. Supposons que les
mouvements de capitaux d’un pays se limitent aux flux d’endettement ou de désendettement
de nature publique ou bancaire. La dette du pays (D) s’accroît si son solde courant (hors
intérêts sur la dette) est inférieur au service de la dette qui correspond à la fois aux versements
des intérêts (r) et au remboursement du capital amorti (t le taux d’amortissement). Le pays se
désendette dans le cas contraire.
Soit donc : ∆D=D(r+t)-(X-M) (L’écart entre les exportations, X, et les importations, M, est
donné en valeur et représente le solde courant qui est le déséquilibre extérieur). Toutefois, si
l’on prend en compte l’évolution économique du pays, on doit parler du caractère soutenable
de l’endettement et non du niveau absolu de la dette. La part k de la dette dans le PIB
(k=D/Y) se maintient si le taux de croissance de D est égal au taux de croissance du PIB :
∆D/D=(r+t)-[(X-M)/Y](1/k)= ∆Y/Y (=g, le taux de croissance). Si la balance courante (X-M)
est à l’équilibre (=0) et si à la suite d’un accord de restructuration le service de la dette se
limite à r (t=0), alors, ∆D/D=∆Y/Y=r, et le ratio d’endettement reste stable. Si D favorise un
taux de croissance supérieur à r, le ratio de la dette diminue et l’endettement exerce un effet
de levier. De même, la part m de la dette dans les exportations (m=D/X) se maintient si le
taux de croissance de la dette est égal au taux de croissance des exportations : ∆D/D= (r+t)-[1-
(M/X)](1/m)= ∆X/X. Si le solde courant et t sont nuls, il suffit que ∆X/X=r pour que la dette
soit stable. Ces deux conditions doivent être réunies pour que l’accroissement absolu de la DI
soit compatible avec le maintient des indicateurs d’endettement. Intervenir sur la dette
implique que l’on intervienne sur r et t (faibles) et sur le solde courant (à l’équilibre), mais
aussi sur g et m (élevés).
La DI n’est donc pas en soi un signe de mauvaise gestion économique. Au début des
années 1980, la Corée du Sud avait une DI élevée qui était accompagnées cependant par un g
élevé. Il n’y a pas de seuil absolu au-delà duquel une nation peut être qualifiée de surendettée.
Le surendettement est souvent constaté a posteriori, le service de la dette dépassant alors les
possibilités de croissance du pays considéré.
Outre les facteurs évoqués plus haut, la hausse spéculative des intérêts à la fin des
années 1970, consécutive à l’adoption par la Fed d’une politique monétaire restrictive sous la
102
présidence de Paul Volcker arendu la situation des PED difficile. En 1982, le taux de
croissance du commerce international est devenu négatif, les investissements devenant peu
rentables et les équipements sous-utilisés, la chute des prix des matières premières ont fini par
achever les projets de croissance des PED. Aujourd’hui, la structure de la dette est de long
terme et est liée au financement des déficits publics. Avec la phase ouverte en 1982 par la
crise mexicaine, on a connu de nombreux programmes de rééchelonnement de la DI. Le plan
Baker de 1985 approfondissait les mesures consistant à baisser les dettes non garanties et le
plan Brady de 1989 entérinait l’idée d’une accumulation de la DI. C’est le spectre d’une
faillite en chaîne des banques internationales et de la répétition des krachs boursiers de 1931
qui motivent aujourd’hui l’intervention des banques centrales et des institutions
internationales (Banque Mondiale, FMI, Fed). Le FMI n’accorde plus de prêts si les banques
commerciales n’acceptent pas de rééchelonner la dette avec des prêts supplémentaires. Les
banques ont procédé au provisionnement des créances, à la recomposition des portefeuilles de
créances pour réduire le risque global et ont consolidé leurs fonds propres per leurs profits
particulièrement élevés dans les années 1980. Selon le classement des pays à bas revenu et à
revenu intermédiaire, différentes modalités de rééchelonnement et de politiques d’ajustement
structurel sont imposées par le FMI. La crise des années 1980 a montré que contrairement à
l’affirmation de Walter Wriston (alors président de la Citicorp) les nations souveraines
pouvaient connaître la banqueroute et les emprunteurs publics pouvaient être défaillants. Tout
c’est de savoir jusqu’à quel niveau !
Du point de vue des banques, le risque pays est lié à l’incertitude qui pèse sur
l’évolution des variables politico-économiques susceptibles d’entraîner des incidents de
paiement comme des suspensions de remboursement (moratoire) ou des répudiations (refus de
respecter ses engagements de remboursement de la DI). Le problème du risque pays se pose
ex ante, lorsque les banques décident de ne pas accorder des prêts supplémentaires. De ce
point de vue, le risque pays et le risque de l’emprunteur sont synonymes. Le risque pays peut
être considéré dans le cadre d’un schéma d’économie monétaire fondamental évoqué au
premier chapitre. Les indicateurs de risque sont régulièrement calculés et publiés par des
organismes internationaux comme les agences de notation. Ce sont en général des ratios qui
mettent en rapport le montant de la dette par rapport aux réserves de change, au PIB, aux
exportations, etc. le risque peut être approximé aussi par l’écart (le spread) entre le taux
d’intérêt appliqué sur les prêts octroyés à un pays et le taux d’intérêt de référence sur les
marchés (comme le LIBOR) traduisant une prime de risque plus ou moins élevé.
103
5. 2. Risque de système

Le risque de système est une notion macroéconomique et se distingue de la notion de


crise financière par une différence de degré : c’est une forme extrême de l’instabilité
financière qui porte atteinte à la solidité des systèmes financiers et affecte leur capacité
d’allocation du capital d’une façon étendue. Il s’agit d’une réaction en chaîne qui propage des
perturbations chaque fois plus grandes et conduit à un désordre généralisé. C’est donc une
crise généralisée. Ce risque est davantage amplifié par la globalisation financière dans la
mesure où cette dernière mondialise le risque systémique. C’est pourquoi les transformations
monétaires et financières (technologiques et réglementaires) jouent un rôle déterminant dans
l’accroissement de la fragilité financière globale sur les marchés financiers mondiaux de plus
en plus interconnectés et opérant en temps réel.
Les systèmes financiers sont bouleversés par l’évolution des techniques informatiques
et de télécommunication. Les fonctions traditionnelles des intermédiaires financiers (qui sont
le financement de l’activité économique, la gestion des risques et des mécanismes de
paiement) sont impliquées dans les évolutions récentes. Les informations circulent
rapidement, les opérations gagnent en vitesse, leurs coûts diminuent en moyenne. Les
montages financiers sophistiqués sont possibles avec le développement de l’intelligence
artificielle. Par exemple, les techniques d’arbitrage automatisé permettent de déclencher des
ordres automatiques de vente ou d’achat dès que le titre atteint un certain cours. Les
transactions rapides, immédiates et volatiles deviennent quasi autonomes, du moins à très
court terme.
La déréglementation a accompagné ces bouleversements technologiques. Promu par la
réhabilitation de la concurrence, le mouvement de déréglementation, à partir des années
quatre-vingt, imposé en partie par l’internationalisation croissante des opérations financières
et des intermédiaires (avec la suppression des règles entravant la libre circulation des
capitaux), a eu pour conséquence de décloisonner les marchés et d’accélérer les innovations.
Avec l’accroissement du degré de contestabilité des marchés (coûts d’entrée et de sortie très
faibles), les firmes existantes sont soumises aux pressions concurrentielles qui les poussent
vers des stratégies de court terme de plus en plus spéculatives. On voir alors apparaître un
marché global des capitaux. La capacité de financement du monde vient désormais à la
rencontre de tous les besoins de financement en dehors de tout contrôle centralisé. L’horizon
prévisionnel se réduisant, les déséquilibres se transforment rapidement d’un marché à un
autre.
104
La dynamique de risque de système (RS) trouve son origine dans l’incertitude qui pèse
sur l’ajustement de certains prix (taux de change, taux d’intérêt, prix des actifs) et qui entraîne
des comportements particuliers. On peut utiliser ici les enseignements de Knight pour établir
la différence entre le risque et l’incertitude, cette dernière résultant de la dynamique du futur,
de l’irruption du nouveau. L’incertitude n’est pas probabilisable et concerne des cas de figure
singuliers contrairement au risque qui porte sur la probabilité de survenance de tel ou tel
événement en fonction des expériences passées.
Le nouvel agencement financier, son internationalisation, les mutations incessantes de
l’environnement réglementaire, la multiplication des innovations de produit et/ ou de
processus élargissent les zones d’incertitude. La globalisation se traduit par la perte de repères
géographiques, la disparition des contrôles, la fin des zones réglementaires et transforme le
risque en incertitude. Les informations qui circulent rapidement deviennent nombreuses et
changeantes et posent le problème de leur collecte et de leur traitement en temps réel.
L’information devient de plus en plus opaque dépassant la capacité de traitement des agents.
Les comportements financiers en sont affectés.
Les opérateurs tentent de prévoir non pas la valeur fondamentale d’un titre mais
l’opinion moyenne des intervenants. Les règles du concours de beauté de Keynes sont alors à
l’œuvre d’une manière généralisée. Il s’agit d’apprécier les conjectures des autres intervenants
(prévoir ce que les autres prévoient que l’on prévoit,….., ainsi de suite). C’est la spécularité
qui désigne un effet de miroir sous-jacent à la cotation sur un marché financier. Les
comportements mimétiques renforcent la spécularité. En imitant les autres, les intervenants
pensent pouvoir se protéger contre les risques. En l’absence de référent, l’imitation pose le
problème de suivre ce qui est considéré comme la meilleure information. Les agents (dont les
banques) en concurrence accrue tentent d’augmenter leur part de marché à l’instar des
concurrents et appliquent souvent des politiques laxistes de crédit d’une manière opportuniste
en prenant des positions risquées et ouvertes. L’opportunité ne dure qu’un temps réduit et les
décisions doivent être prises rapidement. Lorsque le problème arrive, la fuite des marchés, qui
traduit une augmentation de la préférence pour la liquidité des créanciers, transforme les
difficultés temporaires en des problèmes de solvabilité générale. Le contagion s’installant, les
paniques l’emportent. Ces comportements sont irrationnels pour la théorie standard de la
finance qui considère les marchés financiers du point de la théorie de l’équilibre
microéconomique. Mais dans un contexte d’incertitude, l’alignement sur les autres peut
paraître rationnel pour chacun des agents pris individuellement. Ce sont les marchés qui se
révèlent incomplets (les risques ne pouvant être séparés) ou imparfaits (les informations
disponibles ne s’y traduisent pas correctement).
105
Le RS peut avoir trois principales origines :
* RS lié aux fluctuations des prix. Les fluctuations excessives peuvent être source de crise
financière. Dans le courant néoclassique, l’explication de cette situation est donnée par la
théorie des bulles spéculatives rationnelles, définies comme un écart durable entre le prix et la
valeur fondamentale sur les différents marchés d’actifs financiers. L’étude est menée en
termes d’anticipations auto-réalisatrices. Mais dans ces modèles, l’apparition, la forme et la
disparition des bulles ne sont pas étudiées.
On suppose que le prix d’un actif aujourd’hui (Pt) est fonction non seulement de son
rendement anticipé mais aussi de sa valeur de revente anticipée (son prix futur anticipé) :
Pt = [E(Dt+1/It)+E(Pt+1/It)]/(1+r) où Dt+1 est le dividende (le rendement) pour la période t+1, It
est l’information disponible au temps t, Pt+1 est le prix de l’actif en t+1 et r est la taux
d’escompte. Si l’on suppose que les agents ont des anticipations rationnelles, alors : Pt =
∞ i
∑E (Dt+1/It)/(1+r) +Bt où Bt correspond aux bulles et peut prendre la forme suivante: Bt
i =1

=E(Bt+1)/(1+r), ce qui signifie que la bulle en t est donnée par la valeur anticipée de la bulle en
t+1. Ceci peut aussi s’écrire comme suit : Bt+1=(1+r)Bt+zt
où zt est une erreur aléatoire.
Il en apparaît qu’à court terme, le marché des changes peut correspondre à une
multiplicité d’équilibres, qu’il peut y avoir des écarts entre le taux de change du marché et sa
valeur fondamentale et que le taux de change devient dépendant de sa valeur anticipée
(anticipations auto-réalisatrices). Dans ce cas, lorsque les anticipations qui portent sur
l’appréciation d’une monnaie ne prennent pas en compte les fondamentaux, il en résulte une
demande excédentaire pour cette monnaie, ce qui en modifie le taux de change loin de sa
valeur d’équilibre. Alors, les anticipations s’auto-réalisent et le marché apparaît efficient,
anticipant correctement l’évolution du change. Mais comme les rumeurs l’emportent sur les
calculs rationnels, les anticipations se retournent et la bulle éclate en engendrant un
réajustement violent. En effet, dans l’apparition des bulles, les opérateurs ne semblent pas
utiliser les informations disponibles sur les fondamentaux et établissent leurs prévisions sur
des critères spéculatifs de court terme, ce qui accroît l’importance des désajustements sur les
marchés.
Une autre explication, qui abandonne l’hypothèse d’anticipations rationnelles, porte
sur les stratégies des intervenants en les distinguant en deux groupes : ceux qui considèrent
dans leur calcul les fondamentaux et ceux qui sont à la recherche des occasions de profit de
court terme et qui ignorent les fondamentaux dans leurs opérations instantanées. Ces derniers
forment un milieu hermétique dont les décisions évoluent en permanence en fonction des
106
« nouvelles » qui arrivent sur le marché et déterminent des comportements myopes à très
court terme, bornés et mimétiques. Les anticipations se forment dans ce processus mimétique
tel que les opérateurs établissent leur prévision en fonction de ce que sera l’opinion moyenne
du marché89. Ces modèles sont fondés sur l’idée que les prévisions des différents opérateurs
sont hétérogènes. Deux types précis d’opérateur sont distingués, les fondamentalistes,
utilisant le modèle de sur-réaction de Dornbusch et les chartistes, qui extrapolent l’expérience
passée pour établir des prévisions sur le futur90.
Les fondamentalistes sont supposés adopter une vision de long terme alors que les
chartistes raisonneraient à plus court terme. Par exemple, l’appréciation du $ dans les années
1980 est interprétée comme la prédominance des comportements chartistes sur les décisions
des gestionnaires de portefeuille (alors que les Etats-Unis faisaient face à l’aggravation des
déficits jumeaux -budgétaire et extérieur-91). En vue d’expliquer la chute suivante du $, le
modèle intègre le solde cumulé du compte courant dans l’équation du taux de change courant.
Comme le déficit du compte courant augmentait de plus en plus dans le temps, en partie sous
l’effet du $ fort, le stock net des actifs extérieurs américains baissait. L’endettement extérieur
croissant des Etats-Unis devenant non soutenable, les actifs en $ devenaient de moins en
moins attractifs, ce qui aurait de toutes façons provoqué à terme une dépréciation du $. Dans
cette deuxième explication, les comportements des gestionnaires de portefeuille sont
davantage déterminés par une vision fondamentaliste.
Ce qui ressort de ces nouvelles approches est que la détermination des taux de change
ne dépend pas uniquement et mécaniquement des variables fondamentales ou spéculatives à
très court terme, mais d’un ensemble de facteurs qui comprennent aussi les réactions
« exubérantes » des intervenants sur les marchés. Ce constat semble rendre de plus en plus
compliquée l’élaboration des politiques économiques, surtout dans le contexte actuel où les
opérations financières sont très largement libres des entraves législatives et nationales et les
flux des capitaux sont physiquement de plus en plus rapides et volatils.
* RS lié au système de crédit : Lorsque l’activité de l’entreprise ne valide pas la structure des
dettes passées (le profit inférieur au service de la dette), le risque de l’emprunteur apparaît.
Les règlements sont repoussés dans le temps, l’économie réelle ne valide plus les

89
A. Orléan 1989, « Comportements mimétiques et diversité des opinions sur les marchés financiers », in H.
Bourguinat et P. Artus (éd), Théorie économique et crises des marchés financiers, Economica. Voir aussi
Cartapanis (2004).
90
J. A. Frankel et K. A. Froot 1990, « Chartists, fundamentalists and trading in the foreign exchange market »,
American Economic Review, 80: 2, pp. 181-185.
91
Il y a aussi la notion de habitat préféré qui est utilisée pour expliquer ce phénomène paradoxal. En effet, il est
supposé que les valeurs américaines étaient attractives en raison d’autres avantages offerts par les marchés
financiers américains comme le fort degré de liquidité, de sécurité et de diversité des instruments de placement.
Voir O. Davanne 1990, « La dynamique des taux de change », Economie et Statistique, N°236, octobre.
107
engagements présents et passés. La finance devient spéculative. Il faut emprunter pour faire
face aux engagements. Le financement devient vulnérable aux mouvements sur les marchés
de capitaux et des taux d’intérêt. Chez Minsky (1986) on retrouve le paradoxe de la
tranquillité. En période de croissance, les banques financent des projets peu rentables car le
laxisme l’emporte. La concurrence accentue ce comportement avec la course aux parts de
marché de la part des banques. Des positions de plus en plus fragiles s’accumulent et
s’amplifient. Comme les agents sont myopes vis-à-vis de long terme et des équilibres
macroéconomiques, le surendettement s’installe en tant que phénomène endogène, résultat
des comportements des marchés. Lorsque l’insolvabilité des débiteurs est révélée, la panique
se généralise, les banques se retirent des activités de financement en rappelant leurs créances
et en obligeant leurs débiteurs à couper court à leur projet, ce qui accentue le problème de
survie des débiteurs dans le temps qui ne peuvent plus continuer à financer leur projet.
* RS lié aux mécanismes de paiement : les moyens de paiement (dépôts, compensations
interbancaires, etc.) peuvent être le support d’un risque. Les agents convertissent leurs dépôts
en espèces en rendant difficile les paiements interbancaires. La convertibilité des moyens de
paiement peut alors être suspendue à cause, par exemple, de l’illiquidité des actifs bancaires.
Lorsque le public croît que la qualité des actifs bancaires est mauvaise, il réagit en retirant ses
dépôts dans les banques. C’est la ruée aux dépôts qui est une attitude rationnelle sur le plan
individuel mais qui engendre une crise systémique sur le plan général. Les banques liquident
alors leurs actifs en provoquant une baisse de leurs prix et en procédant à des ventes à perte.
Un problème d’illiquidité temporaire, qui est dû à un court de liquidité de quelques banques
du système, se transforme alors en un problème d’insolvabilité systémique, les créanciers
appelant leurs avoirs avant l’échéance. Par ailleurs, le système de compensation entre banques
peut faire défaut. Lorsque l’on sait que ces systèmes de compensation opèrent sur des
volumes colossaux92, si une banque est mise en faillite alors que sa position est débitrice vis-
à-vis des autres banques du système, le problème de liquidité peut dégénérer en risque de
système. Les risques dépendent du degré de révocabilité du règlement et du niveau et de la
durée des découverts acceptés dans la journée. Dans le cas de la banque Herstatt, faillie en
1974, cette banque avait pris des positions spéculatives sur le marché des changes mais dans
le mauvais sens, ce qui l’empêchait d’honorer ses engagements. Les pertes sur les
contreparties en dollar l’empêchaient de régler les deutschemarks qui avaient été livrés la
veille.

92
Aux Etats-Unis c’est le système Chips : Clearing House Interbank Payment System et en Europe c’est le
Target qui sont utilisés et qui portent sur plusieurs centaines de milliards de dollars et d’euros par jour.
108
Dans l’ensemble, un retournement brutal des marchés financiers fait baisser la valeur
nette des entreprises, diminue la qualité des crédits, crée des situations d’insolvabilité qui
mettent en difficulté les banques. Les banques réduisent leur offre de crédit. Ce resserrement
provoque la méfiance et la ruée sur les dépôts ou au niveau de la compensation interbancaire.
L’effondrement des marchés de titres, le rationnement du crédit se répercutent sur l’économie
réelle par l’intermédiaire de la baisse des investissements.

5. 3. Instabilité financière

Bien que dans la période récente il n’y ait pas eu de crise systémique touchant les pays
développés, dans les pays en développement et plus particulièrement dans les pays dits
émergents, de nombreuses crises financières ont secoué les marchés de capitaux et un grand
nombre d’économies. L’instabilité financière affecte sévèrement le niveau de l’activité
économique. Par exemple le taux de croissance du PIB avant et après les crises sont très
divergents et évoluent dans le sens opposé. Au Mexique le taux de croissance, qui était de 4%
en 1994 est passé à -5% en 1995. La Corée a connu un taux de croissance de 5,5% en 1997 et
de -5,5% en 1998. La Malaisie qui avait un taux de 7,7% en 1997 est passée à -6,8% en 1998.
Une variation de 10% ou plus du taux de croissance équivaut à l’effet de la Grande
Dépression des années 1930 !
En théorie, les marchés financiers remplissent la fonction essentielle de canaliser les
fonds vers les agents qui ont des opportunités d’investissements productifs. Toutefois, le
problème de déterminer les opportunités pertinentes fait apparaître un autre problème
fondamental : l’information asymétrique. La structure institutionnelle des marchés financiers
évolue en partie dans le sens d’une spécialisation dans l’obtention et le traitement des
informations afin de réduire ces risques. Des relations durables avec la clientèle, les lignes de
crédit, etc., sont autant de modalités qui établissent des modalités de fonctionnement réduisant
les risques et les coûts de contrôle. Cependant, sur les marchés financiers, contrairement aux
marchés bancaires classiques, les relations sont aujourd’hui plus volatiles et moins
personnelles. L’instabilité financière survient lorsque les chocs sur le système financier
interfèrent avec les flux d’information de façon à ce que le système financier ne puisse plus
continuer à assurer son rôle de canaliser les fonds vers des opérations d’investissement
productif. Quatre facteurs principaux renforcent le problème d’asymétrie d’information et
donc l’instabilité financière : la détérioration du degré de couverture des bilans du secteur
bancaire, la hausse des taux d’intérêt, l’accroissement de l’incertitude et la détérioration du
degré de couverture des bilans des agents non financiers en raison d’une variation des prix des
actifs.
109
* L’évolution du bilan du système financier. Si les banques et les IFNM ont une
détérioration de leur bilan et donc une contraction de leur capital, elles ont deux choix :
réduire les prêts qu’elles octroient ou augmenter leur capital. Le deuxième choix paraît
difficile dans un contexte de contraction économique si bien que c’est la baisse des crédits qui
constitue la réponse généralement préférée par les banques à la détérioration de leur bilan, ce
qui réduit aussi le niveau de l’activité économique. Les travaux de la Fed montrent le rôle de
ce comportement de repli dans la récession des années 1990. Lorsque les positions ouvertes
des banques augmentent, une panique systémique peut survenir et se transformer en une crise
financière généralisée (crise systémique) surtout si les autorités monétaires n’adoptent pas des
mesures d’intervention rassurantes. La source de la contagion est ici l’asymétrie de
l’information sur la situation exacte des intervenants et du système dans son ensemble, ce qui
incite chacun à se retirer le plus rapidement possible des circuits de dette.
* La hausse des taux d’intérêt. Stiglitz et Weiss (1981) montrent que lorsque le taux
d’intérêt débiteur augmente, cela peut engendrer de l’antisélection dans la mesure où les
emprunteurs potentiellement bons sortiront du marché considérant que le niveau des taux est
au-delà des charges prévus dans leur projet et seuls les mauvais emprunteurs resteront sur le
marché quel que soit le niveau du taux d’intérêt. Cette situation équivaut à une instabilité
potentielle étant donné que les contrats établis sur les marchés sont des contrats de mauvaise
qualité du point de vue du risque qu’ils font courir aux créanciers. Par ailleurs, une
augmentation des taux d’intérêt a un effet négatif sur les bilans. En effet, en ce qui concerne
l’activité traditionnelle d’intermédiation93, les intermédiaires (dont les banques) empruntent à
court terme et prêtent à long terme. Par conséquent, les actifs sont à long terme tandis que les
passifs sont à court terme. Une hausse du taux d’intérêt réduit alors la richesse nette dans les
bilans des intermédiaires94.
* L’accroissement de l’incertitude. Lorsque les agents considèrent que l’incertitude augmente,
les relations de financement se détériorent car les prêteurs ne savent plus bien juger de la
qualité des engagements à financer. Cet accroissement de l’incertitude peut venir de la faillite
d’une institution financière importante, d’une récession ou d’une incertitude provenant de
l’évolution des politiques gouvernementales. Dans tous les cas, l’incertitude est toujours
renforcée par une situation économique (et politique) qui se détériore souvent depuis un
certain temps.
* Détérioration des équilibres des bilans des agents non financiers. Cette détérioration
engendre par définition des problèmes d’aléa moral et d’anti-sélection. Lorsque le prix des

93
Ceci est à distinguer de l’activité bancaire de financement par création de monnaie de crédit qui n’est pas une
opération d’intermédiation.
94
Le taux d’intérêt augmentant le prix des titres baisse sur les marchés.
110
actifs baisse, l’équilibre du bilan des agents non financiers (ANF) est perturbé. En effet, dans
les relations de financement, les prêteurs attribuent les crédits en contrepartie des collatéraux
(des garanties de toute sorte, matérielles ou imaginaires, comme les hypothèques ou la
réputation), la baisse de la valeur des actifs réduit bien entendu ces garanties. La richesse nette
joue un rôle similaire aux collatéraux. Une richesse nette élevée facilite le prêtage mais aussi
elle réduit le risque d’aléa moral, l’engagement du débiteur étant alors lié directement à sa
richesse. De ce fait, lorsque les marchés des produits industriels sont à la baisse, les crises
financières apparaissent.
Avec l’accroissement des taux d’intérêt, suite par exemple, à une politique monétaire
restrictive, les charges d’intérêt augmentent pour les ANF, ce qui réduit le cash flow. De la
même façon, une désinflation soudaine et non anticipée augmentera la valeur des dettes pour
les firmes et leur richesse nette baissera en termes réels. Toutefois, ceci est valable dans les
pays industrialisés (voir les Etats-Unis au début des années 1980). Mais dans les PED, les
engagements sont à court terme et comprennent les anticipations inflationnistes (ce qui,
d’ailleurs, nourrit la haute inflation). C’est pourquoi, dans ces pays, ce sont plutôt les
variations non anticipées des taux de change qui affectent la stabilité financière. Les
engagements en devises font que lorsque le taux de change se déprécie, la dette augmente en
valeur (l’exemple du Chili en 1982, du Mexique en 1994, et de l’Asie du Sud-Est avant la
crise asiatique). On remarque d’ailleurs pour le Mexique et les pays de l’Asie du Sud-Est,
avant les crises, un déficit de la balance courante élevé (5 à 7% du PIB), un flux de capitaux
relativement fort (5 à 14% du PIB), un accroissement du crédit intérieur (17 à 30 % de taux de
croissance annuelle), une valeur élevée de la part des prêts peu sûrs sur le total des prêts
bancaires (5,5 à 15 %), un accroissement des problèmes de liquidité (la part des dettes courtes
en % des réserves de change officielles s’avère élevée).
Dans les années quatre-vingt, ces pays connaissent une libéralisation financière avec le
relâchement des règlementations sur les intérêts et sur les opérations de crédit provoquant un
accroissement des prêts, nourri par les flux de capitaux étrangers. Cette évolution s’est fait
rapidement et d’une façon très risquée. Les gouvernements se sont engagés vis-à-vis des
investisseurs étrangers pour garantir de la solidité des institutions nationales engagées dans
ces opérations de prêt. Les investisseurs ne se sont alors pas donné la peine de collecter des
informations avant d’investir. Un phénomène d’aléa moral apparaît car les institutions
nationale, sachant l’engagement des autorités locales, entreprennent des opérations
potentiellement rentables mais non moins incertaines. De plus, l’ancrage des monnaies au
dollar américain a poussé les investisseurs à considérer les opérations peu risquées à l’égard
de la variation des taux de change. Les opérations s’avérant peu rentables après coup, ont
111
impliqué une détérioration des bilans bancaires, traduisant un problème de solvabilité des
institutions sur les marchés. Le rationnement du crédit intervient et le système passe de la
ponzi finance à la hedge finance, au sens de Minsky. A cela s’ajoute la détérioration des
marchés de produits industriels (au Mexique, fin décembre, le stock exchange, le Bolsa,
connaît une baisse moyenne de 20% des prix par rapport au mois de septembre 1994, en
janvier 1997, le conglomérat majeur de la Corée, Hanbo Steel fait faillite, suivi de Kia Motors
et Sammi Steel. En Thaïlande, Samprosong Land, promoteur immobilier, se déclare
insolvable pour ses dettes étrangères en février 1997 entraînant les institutions financières
travaillant avec lui dans le krach, ce qui a obligé la banque de Thaïlande à injecter 8 milliards
de dollars sur les marchés. En juin de la même année, la faillite de l’institution financière
majeure, Finance One, accroît l’incertitude sur les marchés. Par rapport aux valeurs
maximales du début 1996, les prix des titres industriels coréens baissent de 25% et ceux des
titres thaïlandais de 50%). La baisse de la richesse nette implique une nette détérioration des
bilans des ANF.
Contrairement aux pays industrialisés où les banques centrales interviennent comme
des prêteurs en dernier ressort en suivant des politiques monétaires expansionnistes en cas de
crise en vue de limiter les conséquences à court terme de l’instabilité du système, dans les
PED, où la crédibilité des banques centrales dépend de leur position agressive vis-à-vis de
l’inflation, les politiques monétaires expansionnistes paraissent difficiles à mettre en œuvre.
Comme les contrats de dette sont en général à court terme et en devises étrangères, la mission
de prêteur en dernier ressort et la politique monétaire expansionniste deviennent une tâche à
double tranchant. Dans ces économies, une politique monétaire expansionniste engendre
rapidement des anticipations inflationnistes et provoque une hausse des taux d’intérêt, suivie
des dépréciations, ce qui augmente les charges de la DI et détériore les bilans des
établissements financiers et des ANF. De même, dans l’exercice du rôle de prêteur en dernier
ressort des banques centrales, les marchés pensent que la spirale inflationniste réapparaîtra et
réagissent en fonction. Au contraire, on voit par exemple au Etats-Unis que lors de la crise de
1987 avec le krach du marché des titres industriels, l’intervention accommodante de la Fed
n’a pas engendré de hausse remarquable du taux d’inflation. On en déduit une vulnérabilité
accrue pour les PED face aux chocs financiers et réels. En cas de crise financière, si le taux
d’intérêt augmente, le système bancaire se retrouve en difficulté face à l’accroissement du
risque de l’emprunteur et injecter des liquidités sur les marchés implique en général un
accroissement des déficits publics et provoque des dépréciations.
Ces problèmes sont dus aussi en partie au sous-développement du système financier
dans les PED. En présence d’une forte illiquidité et d’instabilité politique (cf. l’assassinat du
112
candidat Luis Donaldo Colosio en 1994, le mouvement dans l’Etat de Chiapas, etc.) et d’une
faiblesse remarquable face à l’inflation et à la dévaluation, accompagnée d’une dépendance
très forte des mouvements de capitaux étrangers, constituent des facteurs de fragilité dans ces
pays. Dans la promotion d’un système financier sûr et solide, la question de la réglementation
et de supervision du système bancaire et financier, en vue de réduire le risque global, se pose
avec acuité et remet en cause le bien-fondé des la libéralisation des mouvements de capitaux.

Bibliographie spécifique du chapitre V :

Aglietta, M. 2001, Macroéconomie financière, Repères, La Découverte.


Allen, R. E. 1999, Financial crises and recession in the global economy, Edward Elgar.
Bellofiore, R. et Ferri, P. 2001, Financial fragility and investment in the capitalist economy,
Edward Elgar.
Banque des Règlements Internationaux 2000, International financial markets and the
implications for monetary and financial stability, Conference Papers, BIS, March, Vol. 8.
Cartapanis, A. 2004, Les marchés financiers internationaux, La Découverte.
Cohen, D. et al., 2003, Crise de la dette : prévention et résolution, Rapport du Conseil
d’analyse économique, La Documentation française.
Davanne, O. 1998, Instabilité du système financier international, Rapport du Conseil
d’analyse économique, La Documentation française.
Demirgüç-Kunt et al., 2000, Inside the crises: an empirical analysis of banking systems in
distress, IMF Working Paper, WP/00/156.
Hubbard, R. G. (ed). 1991, Financial markets and financial crises, The University of
Chicago Press.
Isard, P. et al., 1999, International finance and financial crises, Kluwer Academic-IMF.
Minsky, H. P. 1986, Stabilizing an Unstable Economy. New Haven (NJ): Yale University
Press.
113
CHAPITRE VI : COORDINATION INTERNATIONALE

Le contenu des politiques économiques et, en particulier, celui des politiques monétaires,
changent avec l’évolution de l’objet auquel elles s’appliquent. Les possibilités effectives
d’intervention et les règles défendues par les organismes internationaux, comme le FMI ou la
BM et l’utilité d’une coordination internationale apparaissent sous un nouveau jour. Ce
constat nous pousse à penser sur les conditions de coexistence de l’efficacité (des marchés
flexibles) et de la stabilité (des relations économiques internationales) dans le domaine
monétaire et financier en vue de réduire sinon de prévenir l’ampleur des crises potentielles.
A l’heure de la globalisation et de la libéralisation concernant une grande partie des
économies, l’instabilité des marchés monétaires et financiers traduit les difficultés rencontrées
dans l’organisation d’un système monétaire international durable. Le débat sur la réforme
monétaire internationale est souvent présenté comme une controverse entre le régime de
change fixe et le régime de change flexible. Dans l’histoire, les différents pays ont tantôt opté
pour un régime de change fixe, tantôt préféré les changes flexibles (Etats-Unis depuis 1980,
Italie en 1992 après la sortie de la lire du Système Monétaire Européen (SME), France début
1920, etc.) ou partiellement contrôlés (attachement de certaines monnaies à des devises
comme L’Argentine au dollar américain, l’Autriche au Deutschmark, etc.) sans que cela
constitue un système monétaire international: « (...) each country may choose to float its
exchange rate, to peg, or to adopt a target zone. But the sum of these decentralized exchange
rate policy decisions will not necessarily constitute a coherent international monetary
system » (Eichengreen 1994, p. 9). La question fondamentale ne nous semble pas être le
choix entre ces différents régimes de change. Les modalités de change et d’interventions
existent sous des formes hybrides. Ce qu’il convient de remarquer est que les pays ne sont pas
en mesure de fixer les taux de change d’une façon continue et stable dans le temps. Les
expériences de changes flottants mais ajustables du système de Bretton-Woods (BW) ou du
SME n’ont duré qu’un temps. En l’absence d’une coordination franche et soutenue, les
coopérations relatives ne permettent pas d’assurer une stabilité permanente.
En effet, les deux régimes de change présentent des avantages respectifs. Les changes
fixes permettent de minimiser les fluctuations engendrées par la volatilité des taux de change
tandis que les changes flexibles fournissent aux autorités la possibilité d’isoler l’économie des
fluctuations. Toutefois, dans un contexte d’information imparfaite et d’aléa moral, les efforts de
mettre en place des systèmes mixtes combinant les avantages des deux régimes rencontrent des
limites. Une solution partielle pour les autorités est d’acquérir une réputation solide pour
défendre des taux cibles. Mais le problème consiste alors à savoir si dans une évolution
114
économique vers une interdépendance de plus en plus forte entre les nations, la réputation peut
être forgée individuellement ou non. Comme Eichengreen le souligne (1994, p. 59 et aussi p.
78), « (...) increases in capital mobility make international monetary arrangements based on
exchange rate targets (...) increasingly difficult to operate. (...) Insofar as further increases are
inevitable, governments may be confronted with a stark choice: to abandon explicit exchange
rate targets or to contemplate monetary unification ».
Dans la littérature, la stabilité des systèmes monétaires est en général étudiée
parallèlement à l’étude du degré de liberté des marchés financiers et les avantages et les
désavantages des déréglementations récentes. On voit resurgir alors des propositions de réforme
du type « Du sable dans les rouages » de Tobin (1978). Le débat est donc situé au niveau des
mouvements de capitaux et de leurs conséquences sur les économies concernées. L’analyse du
problème d’instabilité monétaire et des conditions d’une coordination des politiques
macroéconomiques sur le plan international deviennent dès lors une condition sine qua non pour
formuler de véritables projets d’intervention autoritaire. Le Plan Keynes constitue un premier pas
dans ce sens. Ce plan, développé dans ses grandes lignes pendant la période 1940-1944, trouve
ses fondements analytiques dans le Treatise de Keynes. Il se présente comme une réflexion
profonde et toujours d’actualité.
Afin de discuter des différentes possibilités d’établissement d’un « véritable » système
monétaire international, on présentera tout d’abord un « état des lieux » qui est un bref rappel de
l’évolution de la coordination des politiques économiques depuis les années 1980. Ainsi, on
soulignera les difficultés rencontrées dans l’établissement d’une coordination effective en
l’absence de règles et institutions supranationales.
Ensuite, on étudiera les conditions d’établissement d’une coordination efficace et viable.
On verra qu’il existe de nombreux problèmes qui empêchent une coordination « décentralisée »
de devenir applicable.
Dans un troisième temps, on discutera des diverses propositions de réforme présentées
face au problème d’instabilité observée sur les marchés financiers. Cette discussion nous permet
de remarquer le nécessaire approfondissement des réflexions sur la coordination des autorités
monétaires nationales. Nous étudierons par la suite, brièvement, le Plan Keynes des années
1940-1944. Ce plan se présente comme une réflexion riche d’enseignements sur l’économie
monétaire, sur les conditions d’établissement d’un système monétaire international et sur la
nature de la coordination des autorités. Un ensemble de règles de conduite et de fonctionnement
en émerge alors et permet de souligner les limites dans lesquelles l’instabilité peut être réduite,
sinon évitée.
115
La conclusion implicite de cette étude générale est que l’approche keynésienne et
l’approche libérale ne sont pas des modèles concurrents dans la mesure où leur objet d’étude
respectif n’est pas le même. La première présente une riche esquisse d’une économie monétaire.
Tandis que la seconde utilise un modèle d’économie où l’intégration de la monnaie pose de
sérieux problèmes théoriques et par là, empêche l’économiste de considérer, d’une façon
cohérente, les problèmes d’instabilité monétaire rencontrés dans le fonctionnement de nos
économies.

6. 1. Etat des lieux: Absence d’une véritable coordination

Aujourd’hui, il est généralement admis que le mode d’organisation et les performances


du système monétaire et financier ne sont pas neutres à l’égard du rythme et du sens de
l’évolution économique. A partir de l’observation des évolutions des systèmes monétaires et
financiers, on peut déduire deux aspects remarquables. Premièrement, une plus grande liberté
d’action laissée aux marchés et une plus grande circulation, sur le plan international, des
capitaux semblent augmenter l’efficacité des modalités actuelles d’allocation des moyens de
financement existants à des utilisations diverses. Toutefois, cet aspect ne sera pas développé dans
ce travail. Nous insisterons plus particulièrement sur le deuxième aspect qui concerne problème
de stabilité des systèmes de paiement et les conditions d’une intervention publique lorsque
l’économie est instable.
On remarquera qu’il y a une relation réciproque entre la stabilité du système monétaire et
financier et la stabilité de l’économie en général. En effet, lorsque l’on suppose que c’est la
stabilité et l’efficacité du système monétaire international qui impliquent la stabilité et
l’efficacité de l’économie, l’action sur le système monétaire international engendrera des effets
sur le mode de fonctionnement des économies que l’on peut qualifier d’effets de structure. Mais
lorsque l’on pense que c’est la stabilité de l’économie qui détermine la stabilité du système
monétaire international, il faudra concevoir des actions sur le mode de fonctionnement (sur les
structures) des économies, ce qui aura des effets sur l’efficacité du système monétaire. Selon
l’optique choisie, les instruments d’intervention ne seront pas les mêmes en matière de politiques
économiques.
L’instabilité est définie ici comme l’inadéquation persistante et, en général, non
prévisible et non contrôlable, des variations des grandeurs économiques (comme les prix, les
taux de change, le chômage, les mouvements des capitaux, etc.) à leurs valeurs désirées ou
anticipées95. Par exemple, les mouvements des capitaux, considérés comme un élément

95
Il convient de souligner qu’en dynamique, la stabilité n’a pas le même sens qu’en statique dans la mesure où
en statique, il s’agit d’une absence d’évolution alors qu’en dynamique, le système considéré est en évolution
116
déterminant de l’évolution économique, sont dits déstabilisants lorsqu’ils dépassent dans leur
ampleur et leur évolution les possibilités d’intervention des autorités. On dit alors que
l’économie devient instable, c’est-à-dire qu’elle est susceptible de connaître des crises
« majeures » suite aux comportements des marchés privés. En termes plus généraux, la stabilité
du système monétaire se réfère à sa capacité à répondre aux chocs exogènes ou endogènes afin
d’en minimiser l’ampleur sinon d’éviter une détérioration des conditions de fonctionnement des
marchés qui l’éloignerait d’un état souhaité (d’équilibre « relatif »). Deux types de facteurs
affectent particulièrement la stabilité et la continuité dans le temps des économies:
(i) Facteurs endogènes: les modifications de la structure du marché (le degré de
concurrence ou le type d’oligopole en vigueur), le degré de perfection de l’information
disponible ou à produire, la prévisibilité des fluctuations des prix des actifs (ou le degré
d’incertitude qui règne sur les prix des actifs) ;
(ii) Facteurs exogènes: l’existence et le poids des autorités de contrôle et de surveillance,
l’existence et la capacité des instances de garantie et de règlement général.
En ce qui concerne le premier type de facteurs, l’apparition d’un quasi-marché
international et délocalisé de capitaux échappant à toute régulation nationale unilatérale renforce
aujourd’hui la multiplicité d’innovations des agents privés. En l’occurrence, les innovations de
nature monétaire et financière, en tant que réponse des agents à la modification de la structure
des marchés monétaires et financiers accroissent le degré de réversibilité des engagements
financiers individuels. Sur le plan individuel, cette évolution renforce l’efficacité de
fonctionnement des marchés décentralisés mais sur le plan général, elle correspond à
l’accroissement du risque systémique potentiel96.
Quant au deuxième type de facteurs, on peut remarquer que les innovations constituent
aussi des réponses aux contraintes réglementaires, mais sont permises, en même temps, par les
politiques actuelles de déréglementation et de libéralisation des marchés financiers. Elles
ajoutent aussi au risque global dans la mesure où les instruments hors-bilan qu’elles créent
échappent en partie aux autorités. « Plus généralement, le retard dans l’adaptation des systèmes
de contrôle (...) nationaux (Banques Centrales) et internationaux (Comité de Bâle
principalement) par rapport à l’évolution des activités, des produits et des services
internationalisés, constitue en soi un facteur aggravateur du risque »97 qui devient de plus en plus

(changement) continue et donc instable (par définition) par rapport à un système stationnaire. Dans un système
dynamique tel le système monétaire, la stabilité signifiera une évolution « à peu près » prévisible, attendue.
Comme on va le souligner dans la section 3, la recherche d’un organisme supranational vise à mettre en place
une coordination-coopération pour plus de « prévisibilité ».
96
Le risque de système apparaît lorsque les réponses des agents aux risques qu’ils perçoivent conduisent à élever
l’insécurité générale même si les décisions individuelles paraissent rationnelles sur le plan microéconomique.
(M. Aglietta 1991b, p. 63).
97
Léonard 1996, p. 2 (italiques de l’auteur).
117
étendu à l’ensemble des pays participant aux échanges internationaux. Il est certain qu’il existe
une différence de temporalité entre les réactions des autorités monétaires et les comportements
des marchés. Les banques centrales suivent en général une préoccupation structurelle (à moyen
et long termes) alors que les marchés jouent à court terme et réagissent immédiatement. Les
banques centrales agissent au moment des retournements de tendance pour amplifier les effets de
leur politique. La coordination prudentielle des autorités consiste alors en un renforcement
d’échanges d’information entre contrôleurs bancaires (seconde directive européenne, Comité de
surveillance bancaire, etc.) et une harmonisation du cadre prudentiel (Comité de Bâle).
Toutefois, les conditions et les formes des interventions restent assez floues, ce qui rend les
résultats des coopérations, pour l’instant, inefficaces ou incomplets.
En général, la coordination internationale des politiques monétaires consiste, non pas à
rétablir des règles communes pour un système monétaire international (qui consiste dans
l’ensemble des modalités suivant lesquelles s’établissent les paiements et les rapports de change
entre tous les pays), mais à répondre aux problèmes posés périodiquement par le fonctionnement
des marchés. La réunion des ministres des finances du G5 (Etats-Unis, Grande Bretagne, France
Allemagne, Japon) à l’Hôtel Plaza à New York en Septembre 1985 en est un exemple. Face à la
réalité d’une baisse continue du dollar durant les six mois précédents, le secrétaire du Trésor
américain, James Baker, a abandonné publiquement la politique de défense du dollar fort
reconnaissant qu’elle posait de sérieux problèmes pour l’industrie américaine et a accepté de
participer à la coordination des interventions des autorités des pays du G5 sur les marchés de
change. Cette coordination visait en effet une diminution du cours du dollar. Les Etats-Unis ont
contribué massivement à la vente de dollars et à l’achat de devises étrangères afin de réaliser cet
objectif et la Banque de Japon a augmenté ses taux courts afin de rendre plus attractifs les titres
libellés en yen. Par la suite, les ministres des finances du G7 réunis au Louvre en Février 1987,
au sommet de Venise en Juin 1987 et aux rencontres du FMI et de la Banque Mondiale en
Septembre 1987, ont affirmé la nécessité de coordination en matière de change afin de stabiliser
les marchés financiers. Toutefois, la coordination des interventions sur les taux de change est
seulement l’un des aspects d’une coordination potentielle des politiques macro-économiques.
Une coordination plus large et plus globale semble désirable. Le sommet de Tokyo en Mai 1986
soulignait déjà la nécessité d’une telle coordination et appelait à une surveillance multilatérale et
mutuelle à travers le FMI. Bien que les « détails » d’une éventuelle procédure concertée de
surveillance n’aient pas été précisés et soient restés très vagues, ce vœu commun à tous les
participants a été interprété comme un élargissement des rencontres antérieures entre le FMI et le
G5. A la suite de cet échange de bonnes volontés, le G7 devait examiner une variété
d’indicateurs de politique et de performance macro-économiques et prendre position afin
118
d’adapter les politiques nationales les unes aux autres. Cette coordination est présentée comme le
moyen approprié pour la réalisation d’une croissance plus rapide, éviter les déséquilibres des
balances des paiements et diminuer les taux d’intérêt sur le plan international. La première
réunion de surveillance multilatérale a été tenue à la rencontre annuelle du FMI en Septembre
1986. Les Etats-Unis ont demandé au Japon et aux pays européens de renforcer leur croissance
en vue d’augmenter leurs importations de produits américains. Les pays européens et le Japon
ont demandé aux Etats-Unis de réduire leur déficit budgétaire et de ralentir la chute du cours du
dollar. Mais aucun engagement ni accord n’ont été conclus. L’Allemagne s’est défendue en
précisant qu’elle connaissait une croissance régulière, que la politique monétaire suivie était
adéquate et qu’une baisse des impôts était prévue pour 1988. Le Japon a précisé qu’il connaissait
une croissance soutenue comme prévue dans le Rapport Maekawa et qu’il renforcerait la
demande intérieure afin de devenir moins dépendant des exportations. Le secrétaire Baker a
assuré les autres pays que le déficit budgétaire américain serait éliminé dans les cinq années à
venir comme prévu dans la législation Gramm-Rudman-Hollings et que le gouvernement ferait
le nécessaire afin de réduire ses dépenses pour arriver à cette fin. En d’autres termes, chaque
pays a montré sa bonne volonté et sa bonne conduite en précisant que ce qui avait été fait était ce
qui devait être fait. Mais malgré les engagements solennels des rencontres du Louvre et de
Venise, chaque pays a continué à poursuivre les politiques qu’il jugeait adéquates à l’égard de
ses intérêts nationaux, apparemment non affectés par le processus de coordination international.
Seulement, lorsque le Japon a été convaincu, sur le plan de sa politique interne et non de la
coordination internationale, de la nécessité d’appliquer une politique de relance, qu’il a pu
abandonner sa politique de restriction budgétaire et s’engager dans une politique monétaire et
fiscale expansionniste. A l’opposé, L’Allemagne, non convaincue du bien-fondé, sur le plan
national, d’une telle politique, s’y est opposée et n’a effectué qu’une baisse d’imposition de
moins de 1% de son PIB alors que la réduction du déficit public restait une priorité absolue.
Cette évolution récente montre une absence relative de coordination effective et efficace, les
pays préférant privilégier leurs objectifs internes. Par conséquent, les accords conclus entre les
grands pays ne sont en général pas respectés et la tendance à privilégier les problèmes et
politiques nationaux demeure. Par exemple, au sommet de Madrid, en 1994, bien qu’une
décision de principe ait été prise en faveur d’une plus grande discipline des politiques
macroéconomiques, les pays du G7 ont déclaré publiquement, après le sommet, qu’ils n’étaient
pas prêts pour l’instant, à appliquer ces décisions en raison des considérations nationales.
Pourtant, les économies deviennent de plus en plus interdépendantes, ce qui pose le problème
d’une coordination effective et efficace. Lorsque le jeu non coopératif, son issue est, en général,
119
sous optimal à l’égard du niveau d’optimum collectif atteignable. L’interdépendance empêche
les uns et les autres d’agir en politique individuelle qui soit unilatéralement avantageuse.

6. 2. Une étude sur les conditions d’une coordination effective

Une coordination des politiques macro-économiques peut être définie comme le


processus par lequel les pays participants s’engagent à modifier leurs politiques économiques
d’une façon prévue et supposée être mutuellement bénéfique à tous et ce en prenant en compte
les interdépendances entre les économies nationales. Cette définition souligne que le degré
d’«urgence » d’une coordination dépend de l’interdépendance entre les économies nationales
dans la mesure où les changements de politiques économiques dans un pays aura des
conséquences sur les économies des autres pays. Mais en même temps, ces interdépendances ne
semblent pas a priori garantir une coordination réelle en l’absence d’autres engagements plus
contraignants.
En matière de coordination non contraignante, la problématique apparaît à travers la
question de savoir quelles pourraient être les règles de politiques économiques qui, lorsqu’elles
sont suivies par les pays participants, aboutiraient à la meilleure situation pour chacun. Le
développement de la théorie des jeux montre que lorsque les agents sont censés considérer que
les autres joueurs ne réagissent pas à leurs actions (alors qu’en réalité, c’est le contraire qui se
produit), l’équilibre de Nash n’est pas obtenu à partir d’un comportement rationnel des agents.
Ce problème, sous-jacent au modèle de duopole de Cournot, est souligné par le « non-équilibre »
de Stackelberg: lorsque tous les joueurs suivent une stratégie de leader, en supposant que leurs
adversaires se plieront à leurs décisions, il n’existe pas d’équilibre stable. Tandis que dans les
équilibres conjecturaux cohérents (Sterdyniak et Villa 1993), chaque joueur est supposé anticiper
la variation de la réaction de l’autre à une variation de sa stratégie propre. Le problème consiste
alors à déterminer, pour les joueurs, leur fonction respective de perte compte tenu de cette
anticipation. Mais alors, il conviendrait de connaître exactement les fonctions d’utilité et les
réactions des partenaires, ce que l’hypothèse de jeux répétés permet, dans certains cas, en
supposant que les joueurs obtiennent cette connaissance en examinant dans le temps les réactions
des autres joueurs. Comme le souligne Oudiz (1987), lorsque tous les pays ont les mêmes
instruments, les mêmes structures et les mêmes objectifs, la recherche des politiques unilatérales
visant à exporter le chômage ou l’inflation paraît être une stratégie vouée à l’échec. Afin d’éviter
ce type de comportement (qui existe même en cas de jeux répétés lorsque la coopération
explicite a priori reste absente) déstabilisant à la fois sur le plan national et sur le plan
international, le besoin d’institutions et de règles qui permettraient une prise de décision
120
collective et un rapprochement de la situation coopérative, avec un degré d’optimalité plus élevé
des résultats, se fait de plus en plus sentir.
Un résultat probable en l’absence de coordination peut être donné par le dilemme du
prisonnier. En effet, globalement, les économies auraient intérêt à une relance concertée.
Cependant, elles courent le risque, en l’absence d’une coordination réglementée et lorsqu’elles
relancent unilatéralement, de voir leurs partenaires mener une politique restrictive à l’intérieur
tout en bénéficiant de la relance importée. La solution bien connue de ce dilemme indique que
dans une telle situation, aucun pays ne relance. Le choix de la mauvaise configuration vient de la
nature conflictuelle de la situation décentralisée. La solution passe par la remise du droit de
décision à une autorité supérieure impartiale. Ainsi, Dolado et al. (1994) montrent, dans un
modèle de jeux en termes de politiques monétaires internationales, que dans le cas de
répercussion des effets des politiques nationales sur les pays partenaires, les pays ont intérêt à
déléguer à une instance supérieure le pouvoir de décision en matière monétaire. En utilisant un
modèle de jeux en statique à deux pays, en régime de changes flexibles, Oudiz et Sachs (1984)
aussi font ressortir la supériorité de l’équilibre coopératif sur la solution de Nash. Lorsque deux
stratégies différentes, de dépréciation et d’appréciation, sont envisagées, il est possible de mettre
en évidence l’existence d’externalités ou l’annulation des effets respectifs avec un biais
récessionniste. Il est aussi possible d’envisager des situations où chaque pays conserve son
autonomie mais suite à une répétition infinie du jeu, les pays prennent des décisions
mutuellement avantageuses par peur de se voir infligé des sanctions-représailles dans les
périodes futures. Or, comme le montrent les conditions strictes de viabilité et de stabilité du
cartel, le bon résultat d’une telle entente tacite n’est pas assuré dans le temps et peut déboucher
sur un retour à un équilibre non coopératif de second rang98. Le problème est alors de réconcilier
la coopération et les souverainetés nationales. Cependant, sur le plan empirique, les résultats sont
mitigés (concernant les avantages ou les désavantages des différentes stratégies en jeu coopératif
ou non coopératif) bien que l’on admette, en principe, la supériorité de la coordination. Par
exemple, lorsque l’on élargit le cadre habituel des modèles à deux joueurs à trois pays, la
coordination peut devenir contre-productive car elle peut réduire, pour les participants, les
avantages en engendrant des représailles de la part des autres pays non-membres de la coalition.
Or, lorsque l’on augmente l’étendue de la coalition, la force de la coordination peut faire face
aux éventuelles stratégies opposées des pays non-membres. Dans ce cas, la coordination peut

98
Dans un jeu de cartel avec entente tacite, chaque joueur a intérêt à tricher, par exemple, en dépassant le quota
de production qui lui est assigné par l’accord du cartel, au prix du cartel avant les autres. Individuellement, ce
comportement est rationnel et augmente le gain anticipé du joueur considéré. Mais lorsque l’ensemble des
joueurs se comportent de la même façon, la survie du cartel devient problématique et les joueurs perdent
l’ensemble des avantages qu’ils auraient pu espérer en restant dans le cartel. L’optimum des joueurs est alors de
second rang et les satisfactions ne sont pas maximisées.
121
constituer un avantage absolu en termes de stabilisation des relations monétaires et financières
mais aussi en termes de régularité des échanges commerciaux et des balances des paiements qui
en résultent. La solution ultime serait, bien sûr, d’inclure la quasi-totalité des pays qui participent
aux échanges internationaux comme on va le souligner dans l’étude des mesures de surveillance
des mouvements de capitaux. Mais un problème provenant de la nature des chocs survenus se
pose dans l’étude de l’optimalité d’une coordination effective. En effet, la stabilité du système,
c’est-à-dire sa capacité de répondre aux chocs dépend de la nature de ces chocs. Lorsque ces
derniers sont symétriques -comme dans le cas des pays européens fortement interdépendants-, la
coopération réduit les conflits et supprime en général le problème d’application des politiques
nationales contre-productives. Lorsque les chocs sont asymétriques, la coalition ne permet pas de
les absorber pour l’ensemble des participants, ce qui pose le problème de la convergence des
économies de l’Union Européenne. En cas de chocs asymétriques avec hétérogénéité des
économies, une coordination des politiques budgétaires, à côté de celle sur les politiques
monétaires, devient nécessaire afin de renforcer la convergence des fondamentaux. Mais les
difficultés rencontrées dans la réalisation d’une telle coordination soulèvent la question
d’absence d’un budget fédéral qui permettrait de financer les économies subissant des chocs de
nature asymétrique et de pallier les divergences entre les économies constituantes (Goodhart
1989, Barro et Sala-i-Martin 1992, Blanchard et Katz 1992). Ceci semble renforcer la nécessité
d’une coordination globale et active.
Dans leur analyse des politiques d’intervention de la FED et de la Bundesbank,
Dominguez et Frankel (1993) montrent que les taux de change ($us/DM) ont évolué de façon
cohérente avec les politiques d’intervention sur la période 1982-199099. Seuls les effets
d’annonce apparaissent significatifs et du signe attendu. Malgré la taille réduite des volumes
d’intervention des banques centrales sur le marché des changes, les effets d’annonce se
diffuseraient sur le marché au gré des changements d’opinion que provoqueraient les banques
centrales chez les agents privés.
Le même type d’effet d’ancrage des anticipations peut être trouvé dans la pratique des
zones cibles. Lorsque les opérateurs de marché considèrent l’action et les décisions des autorités
comme crédibles, ils vendront (achèteront) des devises dans le cas où le cours approche le
plafond (le plancher) en anticipant que les autorités vont réaliser des ventes de devises (d’où la
baisse du cours) pour maintenir le cours dans la zone prédéterminée. Ainsi, de par les
anticipations se référant aux interventions futures des autorités, les comportements des agents
permettraient de maintenir les taux dans la zone cible sans que les autorités interviennent

99
Les auteurs montrent que lorsque la politique de stérilisation fournit des signaux aux marchés pour les
politiques futures, elle peut affecter le taux de change sans modifier l’offre de monnaie.
122
effectivement. De ce point de vue, la solidité d’une coordination et la détermination des
politiques communes suivies peuvent créer sur les marchés des repères afin d’ancrer les
anticipations des agents. Ces dernières dépendront dès lors du degré de crédibilité des
engagements des autorités (Barro et Gordon, 1983, Kydland et Prescott 1977). Si les autorités
mènent effectivement des politiques correspondant strictement aux règles annoncées, règles sur
lesquelles les anticipations des agents sont ancrées, la crédibilité de leurs interventions, mais
aussi la crédibilité d’annonce de leurs intentions (créant une menace « sérieuse » sur les
marchés), se renforcent. Toutefois, on peut considérer qu’au fur et à mesure que le recours aux
règles s’accroît et devient automatique (par exemple, en raison d’instabilités répétées des
comportements des marchés) et que les règles se révèlent difficiles à respecter car trop
contraignantes, la crédibilité diminuera.
Sur le plan opérationnel, la crédibilité peut être approximée par les effets observés des
annonces sur les marchés (si le comportement des marchés suit les annonces des autorités, la
crédibilité est assurée). Lorsque les autorités coordonnent leurs actions, la crédibilité est
supposée augmenter grâce à l’accroissement du pouvoir d’intervention de la coalition. De ce
point de vue, l’établissement d’un ensemble de règles simples, transparentes et minimales
(communes à une large coalition) paraît nécessaire. A l’opposé, lorsque les règles sont
nombreuses et lourdes, le contrôle effectif devient compliqué et difficile à gérer. A partir de
règles lisibles, la banque centrale peut annoncer des objectifs et sanctions en cas de fluctuations
estimées dangereuses. L’établissement d’un certain nombre de ratios de prudence vise en effet, à
ancrer les anticipations des marchés et à montrer que les autorités n’hésiteront pas à appliquer
des sanctions en cas de fluctuations déstabilisantes.
Dans l’état actuel de fonctionnement des marchés financiers, le degré de crédibilité et les
effets des politiques monétaires sur le comportement des agents posent de sérieux problèmes de
stabilité. Un certain nombre de mesures ont été proposées afin de répondre à ce problème. Les
travaux dans la lignée de Tobin, peuvent être utilisés afin de résumer ces propositions et d’en
discuter les limites.

6. 3. Du sable dans les rouages

Une légère incertitude sur les intentions des autorités monétaires peut induire une forte
volatilité des marchés financiers. C’est l’un des enseignements que l’on peut tirer des travaux de
l’Ecole des Anticipations Rationnelles. Les fortes fluctuations qui peuvent survenir sur les
marchés des devises engendrent en général une intervention explicite de la part des autorités.
Mais de telles politiques de stabilisation, impliquant des réserves très importantes ou des hausses
123
de taux d’intérêt, paraissent difficilement soutenables en période de stagnation économique ou
d’innovations financières accrues (rendant parfaitement volatiles les prix des actifs sur les
marchés). De ce fait, les gouvernements qui désirent assurer la stabilité du taux de change
deviennent réticents dans l’application de telles politiques. Les attaques spéculatives des marchés
(comme les expériences récentes de l’union monétaire européenne le montrent) semblent alors
contraindre les autorités à rester modestes dans leurs intentions, ce qui limite l’indépendance ou
l’autonomie nationale en matière de politique monétaire, mais ce qui souligne aussi la nécessité
d’une coordination effective entre les différents pays pour accroître la force d’action des
interventions. Face à cette difficulté, les taux de changes peuvent être rendus non flexibles et non
ajustables. C’est l’un des objectifs de l’Union Monétaire. Les taux de change étant supprimés, les
fluctuations de change disparaissent. Mais lorsque l’unification paraît non réalisable à court
terme, les taux de change flexibles mais contrôlés sont préférés au régime de changes fixes. Dans
ce cas, on revient, semble-t-il au point de départ, puisque la liberté laissée aux marchés ou le
degré de flexibilité des taux peut devenir suffisamment grand enlevant aux autorités toute
possibilité d’intervention effectivement stabilisante100. Est-il alors possible de « jeter un grain de
sable dans les rouages de la finance internationale » à la manière de Tobin, dans un contexte où
la libéralisation des marchés financiers et des mouvements de capitaux parait une évolution
« inéluctable »? (Plihon 1994, de Boissieu 1996). Quelles devraient être alors les politiques
applicables et dans quelle mesure l’application de telles politiques peut devenir effective tant que
le mouvement de libéralisation reste le maître-mot des économies modernes?
A l’heure actuelle, la globalisation des marchés financiers et les innovations bancaires et
financières, dans un contexte de déréglementation, ont libéré un flot de transactions
internationales (de l’ordre de plusieurs trillions de dollar comme volume quotidien) qui affecte
l’économie réelle. Les mesures du type « taxe à la Tobin » proposent l’établissement d’une taxe
sur l’ensemble des transactions de change incluant les transactions au comptant et les contrats
sur les futures et options moyennant un pourcentage fixe du montant du contrat considéré. Par
exemple, Eichengreen, Tobin et Wyplosz (1995), soulignant que certains marchés ne s’ajustent
pas parfaitement, proposent l’établissement d’une taxe de ½ % sur les transactions pour une
incursion de trois mois sur un marché monétaire, ce qui se traduirait par un taux annuel de 4 %
(pour les opérations d’un mois, elle est de 12%). Pour des opérations plus courtes, la taxe peut
être plus élevée. La faiblesse de cette taxe pour des opérations à long terme aurait pour mérite de
ne pas décourager les transactions créant ainsi une incitation pour des investissements plus longs
donc plus stables. L’idée d’une réduction de la volatilité des marchés à travers ce type de mesure
se fonde sur l’idée que les horizons des spéculateurs sont plus courts que ceux des investisseurs

100
Comme les crises récentes répétées de l’UEM en témoignent.
124
fondamentaux. Ainsi, la taxe pénaliserait quasi exclusivement les spéculateurs keynésiens. Les
auteurs suggèrent aussi que les taxes sur les achats et ventes des devises s’appliquent d’une façon
générale par tous les pays sous le contrôle d’un international administrator of the system (p.
165). Il y a là la nécessité d’une coordination effective et relativement bien disciplinée et non
d’un simple accord de principe dont l’applicabilité dépendrait de la discrétion de chaque pays
suivant sa politique intérieure. La réalisation d’une telle tâche demande donc l’établissement
d’une institution supranationale plus forte et plus autoritaire que la BRI ou le FMI. Ceci est
d’autant plus vrai qu’avec la globalisation et l’interdépendance accrue des marchés et des
politiques monétaires nationales, aucun pays n’est en mesure, aujourd’hui, de faire face à court et
à moyen termes aux fluctuations des marchés et aux éventuelles attaques spéculatives sur sa
monnaie101. Afin de montrer les éventuelles difficultés de praticabilité efficace de telles mesures,
supposons d’abord qu’une taxe sur les positions de change soit appliquée unilatéralement. La
France impose, par exemple, une taxe de 1 % sur la valeur en francs français sur toutes les
transactions de change (au comptant, futures et dérivés). Une transaction de change est définie
comme un accord spécifiant la livraison des dépôts bancaires libellés en franc français par une
partie contre la livraison d’un dépôt bancaire libellé en une devise étrangère par une autre partie.
Comme les agents chercheront à éviter la taxe, son établissement va immédiatement repousser
les transactions de change hors de Paris, à Londres ou à New York, par exemple. Les opérations
seront alors comptabilisées dans ces centres. Si la France peut imposer cette taxe sur les filiales
des banques françaises à l’étranger, les banques françaises seront exclues des opérations de
change sur devises étrangères. De la même façon, lorsque la taxe est appliquée unilatéralement,
elle conduit à l’élargissement des marges102 dans lesquelles les taux de change sont autorisés à
fluctuer (Garber et Taylor 1995), ce qui peut poser un problème de crédibilité des marges de
fluctuation annoncées par les autorités.
Une autre mesure proposée (Eichengreen et Wyplosz 1993, Eichengreen, Tobin, Wyplosz
1995) est d’imposer aux banques l’obligation de détention de dépôts non rémunérés auprès de la
banque centrale en proportion de leurs positions nettes de change (leur position de change
ouverte) ou sur les prêts libellés en monnaie nationale accordés aux non-résidents afin de
décourager les aller et retour sur les devises à finalité purement spéculative. La durée des dépôts

101
Le stock de titres détenus à l’étranger par les principaux investisseurs institutionnels américains, européens et
japonais atteignait, fin 1991, le niveau record de 3800 milliards de dollars. Les trois principaux fonds de pension
américains (Fidelity Investment, Vanguard Group et Capital Research and Management) contrôleraient
aujourd’hui un portefeuille de plus de 700 milliards de dollar. Tandis que les réserves en devises dont disposent
les autorités monétaires du G7 s’élevaient, fin Décembre 1994, à 325 milliards de dollars. Voir aussi
Eichengreen (1991, chapitre 5) qui souligne la capacité limitée d’intervention des autorités face au poids
croissant des marchés.
102
Lorsque la Banque de France échange 1 unité de monnaie étrangère (a) contre x unités de monnaie nationale
(b) en appliquant à cette opération 1 % de prélèvement obligatoire, le cours réel pour les banques devient:
a (1-0.01)=x.b, ce qui correspond bien à un élargissement de la bande de fluctuation entre a et b.
125
obligatoires peut être fixe ou variable telle que le montant total des dépôts détenus auprès de la
banque centrale soit égal à la position nette de court terme à recouvrer (ou à percevoir) en
monnaie nationale contre la devise étrangère. Lorsque la taxe ne s’applique pas aux transactions
globales mais seulement aux positions nettes au jour le jour, elle dépend des taux d’intérêt au
jour le jour et de la durée des positions de change. Dans ce cas, si la mesure est appliquée
unilatéralement, par la France, par exemple, les banques françaises prêteront aux banques
étrangères en euros au lieu de réaliser des transactions de change (ce qui sera fait à travers les
banques étrangères). Ces prêts seront équilibrés par l’escompte du papier libellé en euros par les
banques auprès de la Banque de France. Les institutions françaises n’auront pas de positions
nettes de change et ne détiendront pas de dépôts obligatoires. De la même façon, lorsque les
autorités obligent les banques à détenir des fonds additionnels sur les positions de change, les
banques préféreront effectuer ces opérations sur des centres non réglementés.
Supposons maintenant que tous les centres financiers des économies industrialisées
coopèrent afin de restreindre les mouvements internationaux de capitaux (et donc de change).
Les interventions évoquées ci-dessus deviendront a priori difficiles à contourner par les agents
privés. Si le G7 ou le G10 coordonne les actions, les opérations s’effectueront sur des places
jusqu’alors secondaires (par exemple, au Singapour). Ceci dépendra bien sûr de l’ampleur des
montants que les banques peuvent déplacer (ou sont prêtes à déplacer) vers ces centres. Mais
comme le remarquent Garber et Taylor (1995), dans la période récente, les banques new-
yorkaises ont jugé acceptable de prendre le risque de déplacer leurs opérations à l’extérieur et de
demander à leurs clients un collatéral (une prime de garantie) de 1 % sur les contrats futurs. Les
investisseurs étrangers ont déposé ces montants de garantie dans des banques au Singapour.
Ainsi, les agents monétaires et financiers créent des moyens nouveaux afin de réduire le coût des
opérations augmenté par les interventions des autorités. En effet, si l’on définit une opération de
change comme le change d’un dépôt bancaire par un autre en une autre devise, le commerce de
gros des devises sera éliminé en faveur des swaps en billets de trésorerie libellés en devises à
travers la création d’un marché de billets suffisamment liquides (par exemple, au jour le jour).
Les billets swapés seront immédiatement transformés en dépôts. Le marché de change en devises
étrangères évoluant vers cette forme, aucune taxe ne sera payée. Si ce type de transaction est
aussi taxé, d’autres méthodes de contournement de la réglementation peuvent être utilisées. Par
exemple, certaines combinaisons de paniers de marchés au comptant et d’options indexées
peuvent présenter un degré de liquidité satisfaisant et permettre aux agents de déplacer les
opérations taxées vers ces formes. Car de telles combinaisons dans un pays peuvent être swapées
pour des combinaisons similaires dans un autre pays, ce qui est équivalent d’une opération de
126
change ordinaire. Dès lors, la taxe doit être étendue à toutes les opérations sur titres et produits
dérivés.
Certes, Eichengreen, Tobin et Wyplosz soulignent que « A clear lesson of Maastricht is
that political solidarity and economic convergence are prerequisites for monetary unification »
(1995, p. 171), mais les mesures proposées posent des problèmes tant en ce qui concerne leur
applicabilité effective que leurs conséquences. Il est une réaction connue des marchés financiers
que toute tentative de réguler les marchés incite les participants à inventer des solutions (en
termes d’innovations de produit ou de processus) afin de contourner la réglementation, ce qui
peut rendre relativement inefficaces, voire contre-productives, les interventions des autorités (cf.
la Loi de Goodhart).
On remarque que la coordination est un préalable à l’établissement d’un système
monétaire international stable. Celui-ci, à travers ses règles de comportement communes à
l’ensemble des participants, vise à empêcher toute politique individuelle cherchant à tirer des
gains unilatéraux par un transfert, sur les autres pays, des conséquences néfastes des mesures
nationales. Il cherche aussi à engendrer des avantages communs à l’ensemble de ses membres
grâce à une stratégie globale sur la base d’interdictions de stratégies de cavalier libre. Pour qu’un
système soit envisageable, il faut donc une coordination forte établissant un régime monétaire
auquel adhéreraient les pays du système. Il convient de souligner aussi que contrairement à
l’approche monétariste103, la politique monétaire ne consiste pas en une réglementation de
monnaie nominale offerte par les autorités au plan national comme au plan international. Elle
procède de la surveillance des pratiques privées de gestion et d’utilisation des signes monétaires
créés d’une façon endogène à l’économie. De ce point de vue, l’absence d’un système monétaire
supranational, à travers une monnaie commune (moyen de règlement à caractère ultime et
universel pour la reproduction d’un ensemble de modalités appliquées aux pays interdépendants)
conduit à une absence de règles contraintes qui pousseraient les différents pays à coordonner leur
politique nationale respective de façon à rendre globalement cohérente la circulation des flux
monétaires et réels. Comme le souligne Léonard (1987, p. 223), « en l’absence de monnaie
supranationale ou internationale, les moyens de règlement internationaux sont constitués par
autant de fractions internationalisées des monnaies nationales; à cette confusion des fonctions
nationales des monnaies et de leurs prolongements internationaux se superpose la question de la
responsabilité de l’éventuel sauvetage d’établissements bancaires internationaux en
difficulté... ».

103
Pour M. Friedman, la rationalité de la régulation des cours entre les différentes monnaies est identique à celle
de la fixation des prix des « carottes » ou des « patates ». (1953, pp. 157-203).
127
Dans une coordination efficace, les contraintes imposées doivent être symétriques pour
tous les pays (or, le SMI fondé sur la domination du dollar crée une situation d’hégémonie par
l’asymétrie qu’il impose aussi bien dans les attributs que dans les droits des participants).
L’établissement d’une banque centrale supranationale permettrait, au contraire,
l’homogénéisation des espaces monétaires autour d’une même règle, la création de crédits sous
l’égide d’un prêteur en dernier ressort impartial qui n’aurait pas d’intérêt dans le jeu et
l’apparition d’un moyen de règlement non équivoque dans l’extinction des soldes non nuls. C’est
ce que l’on retrouve dans le Plan Keynes qui prévoit un accord de clearing, i.e., de compensation
centralisée des opérations privées de paiement à travers les banques centrales. Le solde est réglé
en un instrument de réserve connu ou convenu à l’avance. Dans les Proposals de Keynes, la
limitation de la liberté des politiques nationales à travers la constitution d’une organisation
monétaire supranationale n’est pas spécifique à une période transitoire mais est vue comme la
prérogative fondamentale d’un régime général de stabilité économique internationale. Dans la
solution fiscale de Tobin, la taxation vise à réduire la mobilité des capitaux et à préserver
l’autonomie relative des politiques nationales. Tandis que dans un modèle avec politiques
monétaires strictement coordonnées, l’autonomie nationale est réduite et est remplacée par une
coordination globale, ce qui laisse a priori les mouvements de capitaux libres. La coordination
impliquera probablement une redéfinition et une réadaptation des réglementations spécifiques de
façon à ce qu’aucun agent financier ne puisse avoir d’avantages et positions dominantes sur les
autres. Ceci passe par la suppression des facteurs d’inégalité dans la compétition entre les
différents Etats avant de s’étendre sur les marchés au niveau des agents privés. Le Plan Keynes,
un projet radical de coordination et de coopération n’a pas vu le jour en raison, précisément, de
l’existence d’une répartition inégale des pouvoirs. Contrairement au caractère souvent qualifié
d’irréaliste du Plan Keynes, le Plan White réconciliait la nécessité d’établissement d’un SMI et la
position dominante des Etats-Unis dans l’économie mondiale. La suite du système Bretton
Woods, on le sait, a été l’éclatement du système monétaire international.

6. 4. Le Plan Keynes

La nécessité d’un système monétaire international est justifiée à partir d’un ensemble de
constats qui restent valables autant aujourd’hui qu’en 1944 :
(i) le besoin d’un moyen de paiement et de règlement international ayant une acceptabilité
générale de façon à ce que les compensations bilatérales et les blocages des soldes puissent être
128
évités. La quantité de ce moyen de règlement doit être déterminée par les besoins du commerce
mondial104;
(ii) le besoin d’un système stabilisateur quant aux variations des balances des paiements des
différents pays;
(iii) le besoin d’une méthode par laquelle les soldes créditeurs provenant du commerce
international et qui reste inutilisés puissent être mis en activité dans l’intérêt d’une croissance
internationale;
(iv) le besoin d’une institution centrale capable de gérer la coordination, aidant et supportant
financièrement les autres institutions internationales dans la régulation et la stabilité de
l’économie mondiale. Ainsi, peut-on penser que la réponse à ces besoins permettra d’éviter les
restrictions et discriminations parmi les nations participant aux échanges internationaux.
Les propositions de Keynes, formulées dans les années 1940-44 sous-tendent une idée de
centralisation internationale forte sur le plan monétaire. Néanmoins, sur l’ensemble des échanges
commerciaux, cette idée de centralisation monétaire est destinée à sauvegarder la liberté des
transactions à travers une stabilité monétaire accrue105.
La proposition fondamentale du schéma keynésien est l’établissement d’une union
monétaire fondée sur une monnaie internationale appelée grammor et puis bancor dont la valeur,
en termes d’or106, doit être fixée et acceptée par commun accord préalable107. Les banques
centrales des pays membres tiendront leurs comptes auprès d’une banque de compensation
internationale (BCI). Ainsi, les balances des paiements seront évaluées en monnaie
supranationale.
L’Union Monétaire de Compensation proposée par Keynes est une généralisation du
Banking Principle: établir une BCI dans un système fermé (circuit fermé). Banking Principle est
fondé sur l’égalité nécessaire (comptable) des crédits et des débits, des actifs et des passifs. Si
aucun crédit ne sort du circuit, la BCI ne rencontrera a priori aucun problème de règlement de
ses soldes non nuls vis-à-vis des autres banques centrales. Elle peut dès lors attribuer en toute

104
Une question importante qui se pose ici est de savoir de quels moyens d’intervention les autorités monétaires
disposent, en dehors des contraintes appelées quantitatives (actions sur le volume des signes monétaires)?
105
En effet, Keynes suggère une absence de tout tarif préférentiel, une absence de quotas ou d’interdits aux
importations, une absence d’accord de troc, une absence de restrictions sur l’utilisation des recettes provenant
des relations non commerciales et une absence de toute subvention à l’exportation, en vue de conserver un
caractère libéral aux relations internationales.
106
L’attachement de Keynes à l’or est purement symbolique: « ...gold still possesses great psychological value
which will not have been diminished by recent events; for the desire to possess a gold reserve against unforeseen
contingencies is likely to remain. Gold also has the merit of providing (...) an uncontroversial standard of value
for international purposes, for which it would not yet be easy to find a serviceable substitute (1980, p.85), et ne
peut pas s’expliquer en termes des modèles de New Monetary Economics qui adoptent une vision de la monnaie
dont la « valeur » serait fondée sur une richesse réelle (Cowen et Kroszner 1987). (C’est nous qui soulignons).
107
Ici, nous n’analyserons pas les détails du plan Keynes. il s’agira simplement d’insister sur ses grandes lignes
et de montrer dans quelle mesure il peut présenter une possibilité de coordination effective des politiques
monétaires nationales.
129
sécurité des avances qu’elle juge opportunes à tout demandeur de crédit, étant donné que ces
crédits seront seulement transférés sur les comptes des autres « clients ». Le seul problème que la
BCI puisse rencontrer est de veiller à ce que ses clients agissent eux-mêmes « correctement » et
que ces avances soient fondées et sérieuses du point de vue de l’ensemble de la communauté de
paiements. Il s’agit, bien entendu, de la crédibilité des opérations de financement qui implique
que les crédits distribués doivent paraître sûrs pour que la communauté n’évalue pas
négativement le pouvoir de la Banque108.
Ce problème de crédibilité que l’on rencontre dans le fonctionnement d’un système de
paiements national nécessite, en général, que la Banque crée une rareté artificielle des moyens
de paiement de façon à ce que l’utilisation de son pouvoir universel de financement paraisse
discrétionnaire et non automatique. Cependant, comme il s’agit d’une banque supranationale
indépendante de chaque nation et de chaque banque centrale nationale, il conviendrait d’établir
au préalable des règles de conduite détaillées et des principes généraux clairs et acceptables pour
l’ensemble des participants de façon à ajuster le pouvoir discrétionnaire de la Banque. Pour ce
faire, il est possible de fixer des plafonds d’endettement qui doivent être à la fois rigides, pour la
crédibilité des opérations de financement bilatérales, et flexibles pour que le système pur de
crédit puisse fonctionner sans tension quantitative sur les marchés des biens et services.
Dans un système de crédit fondé sur l’identité comptable sans fuite, la création de crédit
est un processus purement endogène dépendant des besoins de dépenses des unités déficitaires
qui anticipent des gains futurs et qui établissent leurs plans de financement à partir de leurs
prévisions en grande partie subjectives. Il n’est pas a priori possible de prévoir avec exactitude
la fin des opérations (l’obtention d’un équilibre ou l’apparition des soldes non nuls et non
désirés) dans une économie décentralisée. Toutefois, l’établissement même d’une banque
centrale supranationale correspond à une relative centralisation du fonctionnement des
économies nationales et impliquera forcément une atteinte à la liberté d’entreprendre des unités-
membres. Néanmoins, si le fonctionnement des économies ne correspond pas a priori à un
équilibre général et si la possibilité d’avoir un déséquilibre étendu engendrant une crise
systémique n’est pas hors de cause, la recherche d’une coordination internationale peut être
interprétée comme une best next policy ou un optimum de second rang impliquant une
coopération-centralisation minimale mais fondamentale.
Les prémisses, présentes dans le plan Keynes, pour l’établissement d’un véritable
système monétaire supranational, prévoyaient une politique expansionniste en vue de relancer
l’activité économique mondiale. Il semble qu’en période de crise ou de stagnation généralisée,

108
Il s’agit du même problème qui se pose au niveau des politiques nationales. De ce point de vue, le problème
de stabilité ne disparaît pas totalement avec la supranationalisation du SMI.
130
les nations cherchent individuellement à augmenter leurs exportations et à réduire leurs
importations afin de rétablir l’équilibre de leur balance des paiements, comme il est le cas
aujourd’hui. Ceci fait rejaillir des tendances et politiques vers une nouvelle ère protectionniste
malgré les efforts formels des pays développés pour une plus grande libéralisation des échanges
internationaux. Cette tendance risque de conduire l’ensemble des économies vers une guerre à
somme nulle ou à somme négative. L’un des moyens d’éviter cet éventuel désastre est de donner
aux échangistes les moyens sûrs de financer librement (mais autant que faire se peut,
intelligemment) leurs projets109. Mais, permettre aux nations en difficulté des facilités de crédit
ne peut être qu’une solution à court/moyen terme. Il s’agira seulement de donner du temps pour
l’accomplissement d’ajustements structurels nécessaires. Les pays excédentaires verront leurs
comptes devenir créditeurs et les pays déficitaires, débiteurs auprès de la BCI. Le point
important ici est d’établir des mesures afin d’éviter l’accumulation des positions créditrices et
débitrices sans limites. Il s’agit de chercher les moyens d’équilibrer, pour tous les pays, les
balances de façon à ce que le système reste stable et viable à long terme. Pour éviter une
accumulation de surplus par certains pays aux dépens des balances des paiements d’autres pays,
le Plan Keynes prévoyait un contrôle110, par l’union de compensation, de l’évolution des soldes
créditeurs et débiteurs de façon à inciter les pays à équilibrer mutuellement leurs échanges et de
façon à demander aux pays créditeurs de ne pas rester passifs devant l’augmentation de leurs
excédents. Ici, on voit clairement que Keynes suppose implicitement que pour qu’un équilibre
puisse exister dans les échanges, il faut que l’ensemble des échangistes se mettent d’accord sur
des règles coordonnées et a priori respectées par tous. Les gagnants doivent faire en sorte qu’il
n’y ait pas de perdant à long terme! Ceci est une forme relativement forte de centralisation des
échanges qui doivent obéir aux conditions d’équilibre général après l’exécution des échanges et
non avant comme dans les modèles d’équilibre walrasien ou non walrasien.
Afin que les opérations de financement par endettement soient respectables, il conviendra
d’établir des comptes transparents de façon à ce que les positions créditrices et débitrices soient
observables et contrôlables à tout moment. Pour Keynes (1980, p. 50), la force d’une sanction
collective et du danger d’exclusion du système constitue un élément de persuasion réelle pour les
pays qui ne respecteraient pas leurs obligations. En effet, la solidarité ne doit pas impliquer un
problème d’aléa moral, les pays débiteurs comptant sur l’aide de l’union et ne cherchant pas à

109
On remarquera que dans un éventuel système monétaire international, il ne faut pas que l’une des nations
devienne le créditeur ou la banque centrale du monde. Car dans le cas contraire, la crédibilité de ses
engagements ne peuvent être solidement prouvée (car elle cherchera à privilégier, à un moment ou à un autre de
sa suprématie, ses propres problèmes et besoins de financement comme il a été manifestement le cas dans le
système de Bretton Woods). Ceci montre d’ailleurs qu’une banque centrale ne peut être de nature privée, c’est-à-
dire appartenant à l’un des échangistes (cf. le débat Free Banking versus Central Banking).
110
Il s’agit de l’impossibilité, pour les pays excédentaires, de retirer leurs excédents auprès de l’union de
compensation.
131
améliorer leurs balances. Il est nécessaire de mettre en place des sanctions réelles pouvant aller
jusqu’à l’embargo total sur le commerce extérieur des pays concernés. Mais pour qu’une telle
sanction puisse être efficace, il ne faut pas qu’il y ait de fuites, c’est-à-dire il faut une
coordination absolue et étendue le plus possible. De même, le contrôle centralisé des
mouvements de capitaux est vu comme l’un des éléments centraux du système international.
Cela implique un automatisme de contrôle des échanges pour toutes les transactions sur tous les
marchés. Il conviendra alors de distinguer entre les mouvements des fonds flottants et les
investissements véritables, mais aussi entre les mouvements qui peuvent permettre de maintenir
un équilibre (transferts des pays excédentaires vers les pays déficitaires) et les mouvements
spéculatifs (sortant des pays déficitaires vers les pays excédentaires). Pour effectuer de tels
contrôles, il faut que:
- tous les paiements ou envois de fonds passent par les banques centrales et les soldes soient
apurés auprès de la BCI;
- aucun transfert de fonds concernant les capitaux à recouvrer (pour les actifs existants ou futurs
détenus par les non résidants) ne doive être fait sauf autorisation de la BCI111;
- l’offre, à des non résidants, des investissements ou des actifs à acquérir pour la première fois
doive être autorisée par les banques centrales concernées et ne doive pas s’effectuer sans
contrôle;
- les fonds liquides ou flottants, en dehors de ceux qui sont utilisés afin de financer le commerce
courant et en liaison avec l’activité bancaire courante approuvée par la banque centrale
concernée, doivent être prêtés ou empruntés seulement entre les banques centrales;
- la BCI puisse ouvrir un compte en faveur d’un organisme international (Banque
d’Investissement et de Développement Economique (BIDE), par exemple) chargé d’établir des
conditions économiques favorables pour les pays déficitaires. La BCI peut fournir à cet
organisme des facilités d’endettement, ces sommes pouvant venir des comptes excédentaires non
utilisés d’autres pays membres. Ainsi, il s’agira d’aider les pays déficitaires soit dans le
rétablissement de leurs balances devenues déficitaires suite à des problèmes conjoncturels, soit
dans leur développement lorsqu’il s’agit de pays en retard économique. Cette solution, qui
consiste à mettre en place un système productif et de financement structurés et cohérents, paraît
a priori beaucoup plus efficace que les solutions proposées jusqu’ici par le FMI qui consistaient
à menacer les pays en difficulté de suppression ou de suspension de toute aide financière
lorsqu’ils ne respectaient pas les plans de redressement financier du Fonds;
- la BCI, à travers la BIDE, puisse surveiller le respect des contrats. Lorsqu’un pays ne respecte
pas ses engagements, la banque peut suspendre les transactions internationales de ce pays112;

111
La propriété de tels actifs peut être transférée sans restriction.
132
- Sa coopération avec la BIDE puisse permettre à la BCI de devenir le banquier supranational
effectuant des opérations de crédit et de prélèvement sur les comptes des nations concernées. Les
soldes finaux dans la banque montreront ainsi les disponibilités des pays susceptibles de financer
les opérations de la BIDE avec l’avantage d’une centralisation des mouvements de comptes de
l’ensemble du système de compensation des dettes et des crédits. On peut même imaginer que
les banques excédentaires des pays déficitaires endettés auprès de la BIDE utilisent leurs
excédents en vue de rembourser leur dette nationale. Lorsque les excédents dépassent un certain
seuil, le surplus peut être affecté aux investissements internationaux. Ainsi, la banque, en
collaboration avec la BIDE peut intervenir afin de contrecarrer les tendances conjoncturelles
débordantes (contraction ou surexpansion).
La BCI se charge de la gestion de l’union de compensation internationale afin d’émettre
de la monnaie bancaire (grammor ou bancor) pour le règlement des soldes internationaux après
compensation générale. Toutes les banques centrales devront avoir un compte dans la Banque si
elles veulent avoir des relations d’échange avec les autres pays. Ainsi, pense-t-on pouvoir établir
un contrôle des changes. Lorsque les agents veulent obtenir des devises, ils les solliciteront
auprès de leurs banques qui, elles-mêmes, s’approvisionneront auprès de leurs banques centrales
liées à la BCI. Les soldes ainsi centralisés dans les banques centrales seront apurés sur les
comptes détenus auprès de la BCI, ce qui permettrait d’éviter en grande partie les mouvements
spéculatifs de court terme et de stabiliser les échanges commerciaux et les systèmes productifs
nationaux. Dans ces conditions, se pose la question cruciale de savoir dans quelles conditions,
l’efficacité individuelle et la stabilité globale peuvent être rendues compatibles?

6. 5. Quelques enseignements en guise de conclusion

L’enseignement que l’on peut tirer de cette étude est simple. Si les travaux sur
l’établissement d’un système monétaire international ne suivent pas l’ambition de Keynes, le
résultat en sera, au mieux, une coordination timide et temporaire de quelques politiques
économiques composant avec les besoins les plus urgents du moment sans pouvoir mettre en
place un véritable dispositif de sécurité, pourtant nécessaire, pour la survie du système. Une fois
que l’omniprésence du risque de système est admise, la coordination internationale doit viser à
assurer que l’instabilité due à l’incompatibilité a posteriori des décisions privées indépendantes
ne se dégénère en une crise majeure113. Ceci passe par des interventions qui peuvent revêtir un

112
On remarque que dans le Plan Keynes, la contrainte de la discipline est plus forte que dans les financements
accordés par le FMI. De plus, le FMI fonctionne comme un intermédiaire alors que la BCI de Keynes est une
véritable banque centrale.
113
Intuitivement, il est possible de proposer l’enchaînement logique suivant lequel une économie monétaire où la
monnaie est endogène (c’est-à-dire créée selon le besoins de fonctionnement de l’économie), les comportements
133
caractère à la fois prudentiel (contraintes imposées ex ante) et de secours en dernier ressort
(contraintes et interventions ex post). Toutefois, les contraintes imposées ex ante ont des limites
évidentes. Le fonctionnement des économies de marché n’admet pas, logiquement, une
centralisation poussée des procédures de prise de décision. De surcroît, l’évolution des politiques
économiques depuis les années quatre-vingts va dans le sens d’une déréglementation permettant
une libéralisation franche des marchés financiers. L’établissement en commun d’un ensemble de
ratios prudentiels n’est qu’un moyen d’envoyer des signaux directeurs aux marchés. Mais l’on
sait, depuis les travaux en termes d’anticipations rationnelles, mais aussi les travaux sur les zones
cible (Artus, 1994), que les signaux envoyés par les autorités peuvent avoir des limites sérieuses
quant à leur crédibilité lorsqu’ils ne sont pas respectés (en raison des problèmes techniques ou
politiques dans leur application effective) et leur validité peut être remise en cause par les
comportements opposés des marchés. Le seul moyen de disposer de règles prudentielles
respectables est de les assortir de réelles sanctions suffisamment contraignantes aussi bien pour
les autorités des pays qui s’y engagent que pour les agents privés qui dépassent certains seuils
d’instabilité. Dans ce cas, le problème de contournement de ces contraintes par les agents
réapparaît. Reste à proposer alors des moyens d’intervention concertée ex post lorsqu’un risque
d’instabilité majeure apparaît. Dans ce cas, si les autorités jouent automatiquement le rôle du
prêteur en dernier ressort pour éviter toute remise en cause du système de paiements
international, alors en vertu des enseignements des travaux sur l’aléa moral, on peut s’attendre à
ce que les agents prévoient, pour les périodes futures, une continuité des interventions de
sauvetage et s’engagent plus allègrement dans des opérations à haut risque pour l’ensemble mais
à haut rendement sur le plan individuel. Il s’agit, dans ce cas, de la perte de confiance des agents
économiques vis-à-vis des règles communes de fonctionnement violées par un certain nombre
d’entre eux à partir de l’accroissement des positions spéculatives hautement instables. La
coordination du type keynésien cherche à répondre à ces problèmes par une centralisation
relativement forte des comportements des autorités et, par là, ceux des agents privés par le biais
des contrôles internes que chaque banque centrale effectuerait. Une stabilité globale peut être
obtenu mais ce au prix de la limitation des libertés économiques des agents. Le choix entre une
totale liberté individuelle sur les marchés et une centralisation de plus en plus accrue des
opérations de marché par une coalition explicite des banques centrales reste alors problématique.
Hic Rhodus Hic Salta...

non coordonnés des individus (permis par la création de signes monétaires, moyens de financement et de
paiement) peut engendrer des situations d’instabilité (qui est manifestement un problème d’incompatibilité des
décisions individuelles séparées sur le plan macroéconomique) qui ne peuvent être empêchées ou minimisées
dans leur ampleur que par une transformation du jeu en jeu coopératif à travers le contrôle central des relations
monétaires dont les modalités restent à déterminer.
134
Bibliographie spécifique du chapitre VI :

Aglietta, M.1991a Ordre monétaire et banques centrales, in Economie des Conventions, Tome 2,
pp. 2-51, Colloque CREA-CAESAR-CEE, Paris, 27-28 Mars
Aglietta, M. 1991b Le risque de système, Revue d’Economie Financière, 18, pp. 61-89
Artus, P. 1994 Zones cibles, marges de fluctuations réduites: théorie, avantages, crédibilité et
difficultés, Revue d’Economie Politique, pp. 185-195
Cowen, T. et Kroszner, R. 1987 The development of the new monetary economics, Journal of
Political Economy, 95(31), pp. 567-591
de Boissieu, Ch. 1996 Libéralisation financière et politique de contrôle prudentiel, in A.
Cartapanis (éd.), ouv. cité, pp. 142-157
Dominguez, K. M. et Frankel, J. A. 1993 Does Foreign Exchange Intervention Work?,
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Dooley, M. P. 1996, « A survey of literature on controls over international capital
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Garber, P. et Taylor, M. P. 1995 Sand in the wheels of foreign exchange markets: A sceptical
note, The Economic Journal, 105, pp. 173-180
Keynes, J. M. 1980 The Collected Writings, Vol. XXV, Macmillan-Cambridge University Press
Léonard, J. 1987 Keynes et le prêteur en dernier ressort, in M. Zerbato et alii, Keynésianisme et
sortie de crise, Dunod, pp. 192-211
--------------. 1996 Mouvements de capitaux et instabilité financière internationale,
Communication au Colloque Les Mouvements Internationaux de Capitaux, Fondation François
Perroux, Lyon, 31 Mai - 1 Juin
Oudiz, G. 1987 Stratégies économiques européennes: coordination ou confrontation?, in J. F.
Larribau (éd.), Le Système Monétaire Européen en perspective, Economica, pp. 79-108
Plihon, D. 1994 Mouvements de capitaux et instabilité monétaire, Banque de France, Cahiers
Economiques et Monétaires, 43, pp. 145-175.
Sterdyniak, H. et Villa, P. 1993 Equilibres conjecturaux cohérents et coordination des
politiques économiques, Revue d’Economie Politique, 103(2), pp. 221-251
135
CHAPITRE VII : UNE APPLICATION :
CRISE MONETAIRE ET FINANCIERE COMME CRISE DE SOUVERAINETE : LE
CAS DES CRISES ARGENTINE ET TURQUE DU XXIe SIECLE

Référence du chapitre : L’INTEGRATION ET LE DESARROI MONETAIRES ET FINANCIERS : LA


TURQUIE DANS LE MIROIR DE L’ARGENTINE, Faruk ÜLGEN et Jaime MARQUES-PEREIRA,
COLLOQUE GDR CNRS EMMA (Economie Méditerranée Monde Arabe) « LE PARTENARIAT EURO-
MEDITERRANEEN : CONSTRUCTION REGIONALE OU DILUTION DANS LA
MONDIALISATION ? », Université Galatasaray, Istanbul-Turquie, 26-27 mai 2006

Abstract:
MONETARY AND FINANCIAL INTEGRATION AND DISARRAY: TURKEY IN THE MIRROR OF ARGENTINA

This paper deals with the relevance of the monetary regime consisted in a large financial liberalization
throughout an analyze of the first crises of the XXIth century occurred in Argentina and in Turkey. We suggest
an alternative approach in terms of confidence. The confidence is defined following three logics, hierarchical,
methodical and ethical. This approach allows us to identify the particularities of the emergent economies’ crises
while the well-known credibility approach, founded on the New Classical disinflation policies in order to
guarantee the money neutrality through austere monetary and public expenditure policies, does only consider the
problems of transparency and accountability of monetary policies and seems to be too weak in order to
understand these crises. These crises are the expression of a loss of confidence in the validity of monetary rules
both concerning their application by economic agents in the markets and their supervision by authorities. In this
aim, the range and the consequences of the monetary system applied in the 80s and 90s are evaluated regarding
the stability of rules which aim to establish and to strengthen the general confidence in the monetary system. We
remark that the search for the credibility of the authorities facing the inflation through an exchange stabilization
plan comes rapidly into conflict with the task to improve the competitiveness in order to re-equilibrate the
external constraint. The later becomes dependant on the stability of the banking system while the open positions
of numerous banks are piled up. Therefore, the distortion of the monetary system follows an explosive process
with the increasing debts and the monetary creation isn’t found any more on true rules which can be viewed as a
collective reference. The creditors leave their domestic financial commitments and turn toward external
references with confidence as foreign currencies. The financing of the current account calls for a sustained
capital flow, the high volatility of the growth and the increasing interest rates generate a loss of confidence in the
future while foreign investors are marked by a strong aversion for long term commitments. The maturities
become more and more short and the risk increases.

Key words: Argentina and Turkish Crises – stabilization - payment system – confidence and credibility

JEL Classification : E42-E52-F36

Introduction
La vague de libéralisation financière des années 1980-90 a fortement marqué les
projets de restructuration des économies émergentes. Le consensus de Washington, entérinant
l’acception de l’optimalité des mécanismes de marché, considère le retrait de l’Etat et des
règlementations publiques comme une condition sine qua non de l’amélioration des structures
économiques. L’Argentine et la Turquie, adoptant des réformes libérales, ont suivi des
politiques monétaires comparables. A partir de 1980, la Turquie a procédé à des réformes de
libéralisation dont l’ouverture de son compte du capital en 1989. Mais, connaissant des
déséquilibres interne et externe durables, elle a subi deux crises majeures (1994 et 2000-
2001). L’Argentine, suite à une période d’hyperinflation, a mis en œuvre en 1991 la loi de
convertibilité appuyée par une politique de privatisation et la libéralisation du compte du
136
capital. Après une crise financière (1995) et une récession (1998-99), elle a subi une grave
crise bancaire en 2001 conduisant à l’effondrement du système de convertibilité par une
démonétisation déflationniste.
Ce travail analyse les conditions de la survenance de ces premières crises monétaires
et financières du XXIe siècle à travers la question de savoir si pour ces deux économies le
choix du régime monétaire, libéralisant simultanément le compte courant et le compte du
capital, est adéquat ou non. La grille de lecture proposée considère ces crises comme des
crises de confiance en le régime monétaire en vigueur impliquant une fragmentation du
système de paiements. Cette grille semble susceptible d’identifier les spécificités des crises
des pays émergents alors que les paradigmes courants de la crédibilité ne cherchent pas à les
distinguer et ne mettent l’accent que sur les problèmes de transparence et de responsabilité
(accountability) des politiques monétaires. En effet, la littérature considère en général la
question de la stabilité monétaire comme une question d’établissement de la crédibilité des
politiques monétaires nationales. L’approche de la Nouvelle Ecole Classique (NEC) renvoie
la crédibilité à la gestion conservatrice de la monnaie à travers une banque centrale isolée des
considérations politiques. Le paradigme nouveau keynésien (NK) enrichit cette notion par une
règle de discrétion contrainte. Sous l’hypothèse de marchés imparfaits et/ou incomplets et
sous la condition d’éviter les comportements temporellement incohérents, il considère les
interventions discrétionnaires des autorités nécessaires. Ainsi aboutit-on aujourd’hui à la
rhétorique d’un Etat dit marked friendly qui se substitue à celle du retrait de l’Etat. Toutefois,
ce nouveau consensus monétaire s’avère insuffisant pour appréhender les instabilités. Les
pays émergents sont une claire illustration des limites d’une définition de la crédibilité qui fait
l’impasse sur son rapport à la légitimité (ou qui en présuppose l’identité dans sa portée
normative).
La thèse défendue dans ce travail est que la capacité de la politique économique à
prévenir les crises monétaires et financières et à éviter la réduction du potentiel de croissance
est liée à la confiance en la viabilité du régime monétaire. Le rôle des institutions et de l’Etat
s’étend au fond au problème de l’intégrité du système de paiements. Ceci rend utile une
approche en termes de souveraineté de la règle monétaire et renvoie à la question de sa
légitimité. Plus précisément, il s’agit du problème de la gestion collectivement pertinente de
la confiance en la monnaie qui reflète le degré du consensus social sous-jacent.
Notre travail se décline en deux sections. La première section présente la grille de
lecture suivie comparativement aux paradigmes évoqués. La stabilité monétaire est considérée
à travers trois catégories de confiance qui déterminent le niveau de validité collective des
règles de légitimation du régime monétaire. La deuxième section évalue les réformes de
137
libéralisation et leurs conséquences économiques en Turquie dans le miroir de l’Argentine, en
termes de viabilité du système de paiements à l’égard de la problématique de la confiance
qu’inspire le régime monétaire.
1. Stabilité monétaire
Dans la littérature, la problématique de l’instabilité est liée à la notion de crédibilité.
Les politiques monétaires et des dépenses publiques restrictives mises en œuvre suivent
principalement le paradigme NEC visant à garantir la neutralité de la monnaie. Toutefois, ce
choix se révèle peu adapté dans la mesure où il évince la question de la légitimité des règles
en vigueur et donc celle de la confiance en le régime monétaire.
Crédibilité restreinte et économie monétaire
A partir des années 1980 les régimes monétaires administrés et discrétionnaires
s’ouvrent aux mécanismes d’arbitrage des marchés de plus en plus libéralisés. Du rôle de
gouverneur les banques centrales évoluent vers un rôle d’informateur et de surveillant passif
du système monétaire et financier. Avec le développement du paradigme NEC (Lucas, 1972,
Sargent et Wallace, 1975), l’objectif assigné à la politique monétaire se restreint à la stabilité
des prix dans la stabilisation macroéconomique. L’efficacité des politiques est évaluée en
termes de la notion de crédibilité déduite des travaux sur l’incohérence temporelle des
politiques économiques (Kydland et Prescott, 1977, Barro et Gordon, 1983). La crédibilité est
définie comme la possibilité pour les autorités de convaincre les marchés qu’elles respecteront
la politique monétaire annoncée, sous l’hypothèse particulière que les agents formulent des
anticipations rationnelles. En adoptant une politique monétaire de rigueur, les autorités sont
supposées développer une réputation et devenir crédibles et l’inflation plus faible (McCallum,
1997). Or, la stabilisation monétaire dépend à la fois de la perception des réformes par les
agents et de leur application dans le temps. Il convient alors de considérer d’une part, la
pertinence des politiques élaborées (apparaissent-elles légitimes à l’égard des déséquilibres
subis ?) et, d’autre part, la façon dont les réformes sont appliquées et suivies (leur évaluation
par les agents). Sur le premier point, la vision NEC est très restreinte et renvoie à une règle
unique : crédibilité anti-inflationniste par une gestion austère de la monnaie. Le choix revêt un
aspect technique dont la légitimité est supposée aller de soi en termes normatifs : établir une
instance à même d’appliquer la règle de neutralité de la monnaie. Sur le deuxième point, ce
paradigme explique les résultats médiocres par le manque de transparence et de responsabilité
des autorités qui dévieraient des règles annoncées. Les marchés l’anticipant, la crédibilité est
remise en cause et les attaques spéculatives se déclenchent. Dès lors, il n’est posé qu’un
problème politique de résistance d’intérêts corporatifs qui justifierait l’indépendance de la
138
banque centrale qui devient la seule réponse envisageable à l’incohérence temporelle des
décisions.
Aujourd’hui, la nécessité d’accompagner le cadre institutionnel prévalant par des
modifications qui répondent aux contraintes des réformes est un développement positif par
rapport à la vision NEC. Lorsque les marchés sont défaillants, la libéralisation financière peut
ne pas contribuer positivement à la croissance (Stiglitz, 1989), ce qui débouche dans le
paradigme NK sur la proposition de politiques de discrétion contrainte (Bernanke et Mishkin,
1997). Il est considéré alors qu’en raison des faiblesses des économies émergentes, la
libéralisation ne doit pas être appliquée d’un seul coup mais doit être séquentielle en fonction
des capacités d’absorption des structures localesi. Remarquons que ce consensus n’est pas
nouveau. Krueger (1984) précise que la libéralisation doit débuter par l’ouverture
commerciale afin de réduire les déficits structurels avant de s’étendre à l’ouverture du compte
du capital. Edwards et Cox-Edwards (1987) remarquent aussi que la crédibilité des politiques
est plus importante que le calendrier des réformes dans la mesure où lorsque le processus de
libéralisation engagé est considéré par les agents comme susceptible de s’arrêter ou de se
renverser, le programme peut faillir et engendrer une perte du bien-être.
A travers le développement de la financiarisation par la libéralisation, la caisse
d’émission argentine de 1991 et le régime de change à crémaillèreii turc de 1999 cherchent à
établir la crédibilité des politiques monétaires et la légitimité du pouvoir national aux yeux
des marchés internationauxiii. Ce choix engendre aussi une appréciation de la monnaie
nationale qui réduit la compétitivité et concourt à la détérioration du solde commercial. La
résorption du déficit courant devient tributaire des flux de capitaux à court terme très
sensibles aux tâches solaires (Marques-Pereira et Théret, 2004). Le nouveau régime débouche
paradoxalement sur l’effondrement de la légitimité politique interne et de la crédibilité
externe du système monétaire puisque les déséquilibres interne et externe entrent en conflit
avec les réformes. Il s’en déduit que la stabilisation et la libéralisation sont deux objectifs
distincts qui ne sont pas forcément compatibles. La stabilisation vise à rétablir la confiance
tant en le régime monétaire (confiance en la monnaie nationale) qu’en le régime économique
de reproduction (financement de l’économie, croissance, amélioration du niveau de vie, IDE),
ce qui nécessite un consensus d’abord national et, ensuite, international. La libéralisation est,
pour sa part, une vision particulière sur le fonctionnement des marchés et impose des règles
de politique économique dont la portée pour la stabilité est relative. L’amendement de la
vision NEC par le paradigme NK se révèle également restreint et ne permet pas
d’appréhender la stabilité du système en termes de la compatibilité des réformes à l’égard du
problème de la gestion collectivement pertinente de la confiance en la monnaie. Or, les crises
139
qui surviennent montrent une perte de confiance en la légitimité des choix monétaires tant sur
le plan de leur application par les intervenants de marché que sur le plan de leur surveillance
et leur défense par les autorités. Ce point de vue est fondé sur une approche qui considère
l’économie de marché comme une économie monétaire dont les règles constitutives
déterminent les conditions de viabilité du système économique.
La stabilité du régime monétaire est liée aux conditions de reproduction ou de
permanence du système de paiements (Aglietta et Cartelier, 1998) qui est établi sur un
ensemble de règles déterminant les modalités de création, de circulation et d’annulation des
signes monétaires. Ces conditions sont liées aux modalités de légitimation de l’institution
monétaire. Les règles communes qui définissent, délimitent et valident le système de
paiements ne sont pas individuelles mais instituées, s’imposant à tous les individus. La
monnaie a à la fois une dimension sociale (règles et institutions compatibles avec le marché),
supra individuelle, et une dimension privée en tant que moyen d’action individuelle autorisant
les rencontres et négociations entre agents séparés (Cartelier, 1998). Ce principe organisateur
dépend d’une relation verticale fondée sur une hiérarchie : « la monnaie suppose dans sa
construction la référence hiérarchique à l’autorité supérieure tout en étant égalitaire dans le
principe de son usage » (Aglietta et al. 1998, p. 11). La banque centrale, extérieure aux
relations privées de paiement, établit la convertibilité entre des émetteurs distincts et la
circulation routinière des signes monétaires permettent aux règles d’avoir une validité
générale dans la communauté de paiements. La spécification première de la monnaie, l’unité
de compte (Keynes, 1965), donne la forme quantitative aux relations entre agents
économiques et est liée intimement à l’idée de souveraineté en tant qu’attribut du pouvoir
politique qui intervient dans la régulation du système de paiement à travers les vicissitudes du
marché (Aglietta et Cartelier, 1998). L’autorité monétaire est l’ensemble des valeurs
collectives, des normes qui coordonnent les comportements et décisions individuelles et au
nom desquelles la cohésion d’une économie est affirmée. La crise monétaire est alors une
crise de confiance en le régime monétaire à travers une fragmentation du système de paiement
par différenciation des unités de compte selon les réseaux de dette différents dans un même
espace monétaire. Toutefois, la notion de confiance utilisée ici est différente de celle de
crédibilité employée dans la littérature évoquée ci-dessus. Nous entendons par confiance le
fait que les agents économiques croient dans le temps en la validité générale et en la viabilité
des règles du système de paiement dont font partie les autorités.
Les trois formes de la confiance
140
La capacité du régime monétaire à être viable dans le temps dépend de l’état de la
confiance, définie à partir de trois logiques : hiérarchique, méthodique et éthique (Aglietta et
Orléan, 1998, 2004).
La confiance hiérarchique est fondée sur la stabilité de l’unité de compte et sur la
garantie des moyens de paiement par une instance supérieure, la banque centrale. La banque
centrale est distincte des relations interindividuelles et assure la convertibilité de tous les
signes monétaires en une unité de compte, mais elle se trouve contrainte elle-même par les
règles dont elle est censée faire observer le respect par les intervenants. Cette contrainte est
réduite dans l’approche NEC à la gestion conservatrice de la monnaie par des règles anti-
inflationnistes tandis que le consensus NK considère une discrétion contrainte. Mais la
question de la pertinence des choix à l’égard de la viabilité du régime monétaire échappe à ces
deux visions dans l’analyse des crises récurrentes.
La confiance méthodique est liée aux pratiques routinières, c’est-à-dire à l’acception
générale de la monnaie, établie sur la confiance que les règles monétaires sont objectives et
constituent des repères pour les actions futures. Il faut alors que les relations de paiements,
dans la répétition des actes privés, mènent les échanges à bonne fin pour que les agents
considèrent leur communauté des paiements comme nécessaire pour leurs objectifs.
Néanmoins, la seule confiance méthodique ne permet pas de faire face aux situations de doute
généralisé. L’institution qui représente la confiance hiérarchique doit intervenir en suspendant
certaines règles du marché en vue de corriger les hésitations de la confiance méthodique et
d’éviter une panique systémique (méfiance collective). L’intervention du prêteur en dernier
ressort transforme les dettes privées en dette sociale pour contrecarrer la défaillance
généralisée du système de paiements. Mais cette intervention doit être vue par la communauté
comme l’exercice non abusé de l’autorité hiérarchique de façon à ne pas créer une défiance
des créanciers. Eviter cette défiance dont une forme spécifique est le sentiment d’aléa moral,
ne passe donc pas par la disparition de la garantie du prêteur en dernier ressort, ce qui
supprimerait la nécessaire confiance hiérarchique, mais par l’établissement des conditions
dans lesquelles les agents en difficulté peuvent être ou non soutenues (Bagehot, 1873). Là est
la sensibilité extrême du système de paiements qui relève de la confiance éthique.
Dans les économies modernes, la confiance éthique est la croyance en le principe de la
supériorité de l’individu sur le tout social. L’autorité hiérarchique doit veiller à ce que la
valeur économique des contrats privés soit respectée et la reproduction des droits et des
devoirs individuels soit assurée dans le temps. Lorsque la confiance éthique disparaît, elle
supprime aussi la confiance hiérarchique puisque dans les périodes où la dette sociale devient
très élevée relativement à l’élasticité de la croyance des marchés aux interventions de
141
l’autorité, les modalités de financement de la dette créent des conflits. Les périodes de forte
inflation est une traduction du refus des marchés de financer la dette sociale. La défiance à
l’égard de l’institution monétaire se transforme en une méfiance éthique et en un mouvement
spéculatif contre la monnaie nationale et les agents fuient la monnaie au profit des monnaies
allogènes. Une des solutions proposées aujourd’hui pour assurer la stabilité monétaire est
d’établir la stabilité des prix comme objectif ultime. Ceci détermine la matrice d’action des
banques centrales et crée une valeur normative dont la validité est renvoyée à un impératif
éthique (Aglietta et Cartelier, 1998). Toutefois, lorsque la garantie des créanciers est établie
sur la seule règle conservatrice, la crédibilité est réduite à une question d’éthique sans
permettre pour autant de restaurer un consensus social sur les confiancesiv.
La spécificité contextuelle des crises monétaires traduit le caractère contingent, propre
à chaque société, de la conception monétaire et politique de la souveraineté qui détermine le
bon fonctionnement (ou le dysfonctionnement) des ‘propriétés génériques’ de la monnaie
(que sont le compte, le paiement et le monnayage par lequel s’institue la communauté de
paiement comme forme politiquev). La distinction entre ces dernières et leurs usages
contingents caractérise des états de la monnaie correspondant aux trois formes de confiance.
Les états incorporé (monnaie comme étalon de valeur), objectivé (instruments monétaires
servant de moyen de paiement) et institutionnalisé (règles définissant l’unité de compte et les
instruments de paiement et instituant un espace monétaire) de la monnaie définissent une
communauté de paiements. L’état incorporé de la monnaie sous-tend la confiance éthique se
matérialisant par sa capacité à assurer la coordination des transactions par l’acceptation du
système de compte. Celle-ci va de pair avec une régulation de l’émission de moyens de
paiements qui assure le règlement des dettes et la possibilité d’en contracter de nouvelles
(reproduction sociale). La monnaie incorporée et la monnaie objectivée ne sont dès lors pas
concevables comme simples moyens cognitifs d’un ordre spontané de marché – le free
banking défendu par Hayek-, mais sont inséparables de son état institutionnalisé qui établit
l’unicité du système de compte composé de divers moyens de paiement. Le risque de
fragmentation est inhérent à la coexistence d’un système de compte unique et d’une pluralité
de moyens de paiement dont le caractère fiduciaire peut être variable. Il en apparaît la
possibilité de faillites bancaires résultant de la différence de qualité des créances composant
l’actif bancaire, qui n’est enrayée que par la garantie de la banque centrale représentant la
confiance hiérarchique. Le risque de crise monétaire peut devenir une crise de confiance
éthique lorsque la hiérarchie des formes d’endettement et les compromis sociaux qui la
fondent sont contestés.
Dette, confiance et souveraineté
142
La souveraineté est l’élément central qui doit exorciser les conflits et réaffirmer la
légitimité de l’ordre social. Si l’ordre est légitime, la confiance méthodique est garantie par la
confiance hiérarchique (Théret, 2006). Il paraît alors utile de s’interroger sur
l’interdépendance entre la souveraineté politique, déterminant une organisation particulière du
système de paiement et la souveraineté monétaire. L’analyse des crises comme une remise en
cause de la légitimité monétaire fait ressortir une différenciation des usages spécifiques des
propriétés génériques de la monnaie qui conduit à une morphologie des crises monétaires en
deux catégories, les crises internes et les crises externes. Les crises internes se manifestent par
une dégradation des confiances méthodique et hiérarchique et ne remettent en cause que la
légitimité de l’exercice de la souveraineté politique en matière monétaire, c’est-à-dire les
règles de monnayage. Dans les crises externes, le régime monétaire est mis sous tension par la
concurrence d’une monnaie étrangère, soit parce qu’un Etat cherche ainsi à pallier son
incapacité d’assurer la confiance éthique en sa monnaie, soit que cette concurrence résulte de
la volonté d’un autre Etat d’imposer au premier sa propre monnaie. Les crises externes
remettent simultanément en cause la souveraineté monétaire et la souveraineté politique car
l’unité du système de compte est contestée. La perte de la confiance éthique en la monnaie
signifie alors une crise de souveraineté politique. Par exemple, en raison des difficultés de
réguler divers conflits distributifs, l’Etat ne parvient à préserver l’unité du système de compte
qu’en institutionnalisant sa fragmentation par une pluralité de moyens de paiement, ce qui
menace l’inscription territoriale de la confiance éthique.
L’hypothèse de comparaison entre l’Argentine et la Turquie à partir de cette
morphologie des crises monétaires montre la difficulté de rendre cohérentes les formes
monétaire et politique de la souveraineté, difficulté qui traduit l’incapacité des règles de
monnayage à refonder durablement la confiance. Cette difficulté devient manifeste dans la
séquence d’essais infructueux de restaurer les trois formes de la confiance en la monnaie. Ces
essais sont fondés sur un usage fonctionnel des propriétés de la monnaie pour gérer la
répartition par un endettement public qui impose une fragmentation d’abord ouverte et ensuite
dissimulée du système de compte. Le paradigme NEC suppose comme ancrage éthique le
système de prix relatifs et ses propriétés techniques censées rétablir l’équilibre général et
définir l’exercice monétaire de la souveraineté politique. La théorie de la règle de monnayage
est l’herméneutique qui opère la véridiction de la confiance hiérarchique en la monnaie
nationale en permettant celle de la confiance éthique. L’évolution des principes de gestion de
la monnaie qu’énonce la théorie (de la définition d’un objectif d’offre de quantité de monnaie,
à la discrétion contrainte en passant par des règles d’indépendance de la banque centrale et
celles qui en assurent la réputation) doit être alors analysée au regard de la dimension
143
communicationnelle de la monnaie. Cette dimension est claire dans la tentative de
restauration de la cohérence du régime par un ancrage du change et par l’implantation du
régime de concurrence, mais aussi par l’avortement de cette tentative dans une nouvelle crise
monétaire. Il est possible de lire les crises argentine et turque simultanément comme des
crises interne et externe de la règle de monnayage qui impliquent des redéfinitions tant de la
souveraineté monétaire que de la souveraineté politique. Cette lecture permet de préciser les
conditions macroéconomiques et sociales de stabilité de la croissance qui conduisent, au
mieux, à préjuger d’une réduction de sa volatilité si se maintient l’acceptation actuelle des
conditions éthiques des propriétés du système de prix relatifs néoclassique.
Lorsque la Fed prend la décision d’appliquer les moyens de contrôle des prix à la fin
des années 1970, la monnaie devient le seul moyen institutionnel d’un ajustement qui ne peut
plus compter sur le refinancement de la dette externe dans des pays tels que l’Argentine et la
Turquie où l’explosion des conflits sociaux ne permet pas d’envisager un pacte de stabilité qui
institutionnalise la perte substantielle de pouvoir d’achat des revenus du travail qu’a générée
l’explosion du service de la dette externe et les dévaluations. A partir des programmes de
libéralisation, l’unité d’un système de compte qui différencie la mesure de la valeur des actifs,
des biens et du travail devient problématique puisque la confiance méthodique en la monnaie
nationale est focalisée sur sa convertibilité externe. L’état incorporé de la monnaie que permet
la routine des paiements internes (l’ancrage nominal de l’ensemble des valeurs) dépend de la
balance des paiements externes, donc d’une routine financière dont le point de mire devient le
service de la dette publique, son encours et l’échéance des nouvelles émissions. Leur
anticipation est centrée sur l’observation du taux d’intérêt directeur et du risque de change que
celui-ci doit couvrir. C’est là un processus de décisions à la fois privées et publiques. Les
décisions privées les plus déterminantes concernent l’acceptation ou non des prix d’offre et
des clauses contractuelles des bons du Trésor qui sont la référence de la fixation des niveaux
d’offre et de prix par ceux qui disposent d’un pouvoir de marché. Les décisions publiques
doivent ajuster le besoin de financement externe (soldes courant et du capital) aux capacités
de financement externe. Guider les anticipations privées pour faciliter cet ajustement est une
opération plus complexe qu’un simple jeu stratégique de deux agents représentatifs. Il s’agit
de nouer un ensemble de compromis institutionnalisés qui déterminent la convertibilité
externe de la monnaie nationale et les prix relatifs et établissent une distribution des revenus
pour réaliser l’ajustement.
L’institutionnalisation de taux de conversion entre unités de compte différentes de la
valeur relative des actifs, des biens, et du travail assure une répartition de l’excédent
économique qui accroît celle des premiers et préserve celle des seconds à caractère
144
oligopolistique, ceci au détriment des derniersvi. Lorsque la fragmentation du système de
compte entre instruments de paiement débouche sur des niveaux élevés d’inflation, l’autorité
change la règle monétaire. Elle peut mettre en place de nouveaux états objectivés de la
monnaie suivant la NEC qui donne la recette d’un nouvel état institutionnalisé de la monnaie :
la stabilité des prix que permettent les rigueurs monétaire et budgétaire, assorties des réformes
structurelles assurant l’efficacité de l’allocation des ressources par l’autorégulation des
marchés. La confiance hiérarchique en la monnaie est rétablie par la reconnaissance des
nouvelles valeurs de gouvernement universelles qui refondent l’idée de la souveraineté
politique. L’importation de la monnaie internationale par l’ancrage du change permet la
recentralisation du système de compte mais cette règle monétaire qui restaure les trois niveaux
de confiances se révélera une mauvaise règle quant à sa fonctionnalité économique. La
désinflation, par son effet richesse et son effet demande donne lieu à un retour de la
croissance qui permet d’abord la poursuite des gains financiers et des profits d’entreprises,
voire des revenus du travail en proportion de la disparition de l’impôt inflationniste. En
Argentine, les réformes structurelles du marché du travail et de la protection sociale peuvent
être d’emblée mises en œuvre grâce au corporatisme syndical du parti au pouvoir alors qu’en
Turquie les politiques populaires restent encore tributaires de l’idée du conservatisme
crédible. Mais dans les deux cas, la désinflation ne donne pas lieu à une déconcentration des
revenus. Par contre, les forts taux de croissance que les économies connaissent à partir des
régimes monétaires nouveaux (la loi de convertibilité et le système de crémaillère) légitiment
l’internationalisation des valeurs politiques. La leçon de l’expérience argentine est que la
désinflation se transforme en déflation quand il s’avère que le besoin de financement externe,
généré par le déficit commercial et les rapatriements des profits, est insoutenable sans une
réduction des importations. Face à la menace financière, l’orthodoxie paraît la seule réponse
possible. L’augmentation des taux d’intérêts produit alors des effets inverses avec la réduction
de la capacité de financement externe après un retournement de la conjoncture internationale
(crises asiatiques).
2. Recherche de légitimité et problème de viabilité : une application dans le cas turc
La recherche d’une légitimité internationale par une politique monétaire conservatrice
et le régime financier tributaire du renouvellement à court terme de la dette croissante se
révèlent rapidement incompatibles avec le rétablissement des confiances nécessaire pour la
stabilité du régime monétaire. En dépit des politiques dites crédibles, les marchés financiers
préfèrent ne pas répondre aux besoins croissants de liquidité des économies en les plaçant
dans une position d’insolvabilité alors que les autres agents cherchent à se retirer de la
145
communauté des paiements afin de sauvegarder leurs avoirs, ce qui invalide les régimes
monétaires en vigueur.
Des réformes aux crises
A partir de 1980, les systèmes bancaire et financier font l’objet d’une réforme large
visant à libéraliser l’ensemble des marchés dans l’objectif d’une intégration financière. Le
régime monétaire mis en place s’inscrit dans la vision de crédibilité restreinte. En Turquie, le
programme libéral, accompagnant les événements internationaux (évolutions en Iran, en
Afghanistan et au Moyen-Orient), trouve un appui externe mais ne permet pas de restaurer la
confiance du public en le nouveau régime et ravive le conflit redistributif et politique dont la
généralisation à l’ensemble de la société est évitée par le coup d’Etat militaire de septembre
1980. Ce dernier n’empêche pas qu’une première crise interne de confiance méthodique
survient mi 1982. La pression sur les taux d’intérêt et la concurrence accrue entre les banques
dans la collecte des dépôts débouche sur une faillite généralisée des bancaires et sur la
fermeture de cinq banques privées. Ces faillites, provoquant des pertes pour les déposants,
entachent profondément leur confiance éthique en les institutions financières. Parallèlement,
l’efficacité réduite des décisions du pouvoir en place mine la confiance hiérarchique du public
en l’autorité monétaire qui, au nom de la libéralisation des marchés financiers, n’a pas su
réguler les activités d’intermédiation des établissements. Par la suite, l’inflation continue et la
difficulté de retrouver l’équilibre externe et de résorber la dette, accompagnées des
incertitudes sur les politiques économiques, raccourcissent l’horizon de décision des agents.
La confiance en la monnaie nationale se réduisant sur le plan éthique, les agents cherchent des
refuges monétaires externes. Le taux d’intérêt est utilisé par la banque centrale pour intervenir
contre la substitution monétaire et les attaques spéculatives. Mais avec la persistance des
déséquilibres et les incertitudes politiques l’autorité se retrouve incapable de rendre
opérationnelles les stratégies envisagées. Elle se trouve face à des objectifs
incompatibles affaiblissant sa légitimité interne et externe : maintenir une confiance en la
monnaie nationale et rétablir l’équilibre interne par une baisse de l’inflation et forger une
légitimité externe en attirant suffisamment de fonds pour renouveler une dette croissante.
A partir de 1988, tandis que les réformes n’arrivent pas à créer un marché financier
diversifié et profond (Atiyas et Ersel, 1994), la croissance s’essouffle et le programme anti-
inflationniste bute sur des rigidités (Calvo et Végh, 1999). L’ouverture du compte du capital
en 1989 produits deux effets : accroissement de l’endettement extérieur des entreprises et une
entrée nette relative de capitaux contribuant à faire pression sur les taux d’intérêt et à
l’appréciation de la TL. L’accroissement des salaires dans l’industrie manufacturière en 1989
et 1990 permet une hausse de la demande tandis que l’abolition de certaines réglementations
146
sur les produits d’importation provoque une hausse des importations débouchant sur un déficit
commercial de 9,5 milliards de dollars en 1990. L’avis négatif de la Commission européenne
sur la demande d’adhésion (fin 1989) et le conflit du Golfe (1990) détériorent la conjoncture
extérieure. Le compte courant redevient déficitaire et l’inflation reprend son rythme de
croisière. L’économie subit une contractionvii et le taux de change connaît des variations
erratiquesviii. Le déséquilibre externe continue de se renforcerix et le besoin de financement du
secteur publicx augmente fortement atteignant 7,4% du PNB en 1990 et 12% en 1993.
Le choix des autorités de financer le déficit sur le marché intérieur débouche sur une
série de mesures et les banques sont obligées de constituer 12% de leur passif en titres publics
auprès de la banque centralexi. L’accroissement du déficit fait pression sur les taux d’intérêtxii
et imprègne les stratégies des banques dont la position ouverte s’élève à 4,98 milliards $ en
1993xiii. La détérioration des contraintes externes et internes déclenche une forte dépréciation,
une hausse des taux d’inflation et d’intérêt et débouche sur une crise réduisant le taux de
croissance à -6,1. Dans l’ensemble, la libéralisation est suivie par la détérioration des finances
des entreprises et des administrations en encourageant l’accumulation de la dette. Le régime
est fondé sur la redistribution du revenu national en faveur des créditeurs et sur les besoins
d’endettement croissants (Akyüz, 1992). Son horizon de viabilité se réduit à des périodes
comprises entre deux grandes difficultés systémiques (1980-1982, 1983-1988, 1989-1994,
1995-1999, 1999-2001) et est établi sur une confiance à court terme des flux spéculatifs. Mais
comme la confiance méthodique n’est pas renforcée, les comportements des agents,
constamment aux aguets, se transforment fréquemment en une crise interne générale qui,
dédoublée d’une crise externe, augmente en puissance à deux reprises.
En avril 1994, le gouvernement annonce un ensemble de mesures qui ne modifient pas
la structure des difficultés antérieures. La diversification des marchés financiers s’essouffle et
la part des titres privés dans le stock des actifs financiers descend en dessous de 15% au profit
des titres publics (Ülgen et al. 2003, pp. 5-6). Sous le contrôle du FMI, le gouvernement turc
débute à partir de mi-1998 un ‘nouveau’ programme de désinflation. La crise russe d’août
1998, les élections législatives d’avril 1999 et deux grands tremblements de terre fin 1999
engendrent des pressions sur les comptes publics. Le ralentissement de la croissance (-6,1%)
et la persistance d’une inflation forte (68,2%) appellent un autre programme fin 1999 qui vise
à réduire l’inflation structurelle à partir de la stabilisation du taux de change et de la dette
extérieure. Or, les marges de manœuvre dont la banque centrale (TCMB) dispose pour rendre
cohérents à la fois l’objectif de stabilisation des prix et le déséquilibre courant sont très
réduites. La faiblesse des moyens et des modalités de financement du déficit et de l’activité
économique sur des ressources longues, empêchant la confiance méthodique de se rétablir,
147
constitue une raison remarquable de rupture. La viabilité du régime dépend aussi de la
stabilité du système bancaire mais les banques s’attachent à réaliser des profits dans le
financement de la dette publiquexiv. Suivant l’ancrage défendu par l’autorité, les positions
ouvertes continuent de s’accumuler rendant la solvabilité bancaire tributaire de la stabilité du
change (Velasco, 1987)xv. L’incitation à renforcer les bilans bancaires est réduite
(Eichengreen, 2001) alors que le secteur n’arrive pas à asseoir son efficacité (Denizer et al.
2000) et que la qualité de ses engagements se dégrade au profit des opérations à haut risque
(Miotti et Plihon, 2001). S’appuyant sur une confiance hiérarchique spéculative, les banques
marchent du même pas. La capacité de l’économie à faire recycler sa dette s’affaiblit si bien
que les accords de la « marche turque » ne semblent plus assez harmonieux pour que les
créanciers aussi acceptent de continuer à marcher du même pas que les banques nationales. La
garantie fournie par les autorités ne réduit pas la méfiance sur la capacité de l’économie à
répondre à la contrainte extérieure et à assurer la viabilité de la dette dans le tempsxvi. Ainsi,
l’année 2000 évolue sur le fil du rasoir. Les problèmes de légitimité politique et les fragilités
économiques et financières dominent les comportements attentistes des agents. 5 banques
privées insolvables sont transférées au Fonds d’Assurance des Dépôts. Demirbank, qui avait
accumulé des titres publics à travers ses emprunts courts, se trouve en illiquidité et procède à
une vente massive de titres en novembre 2000. La faiblesse de la confiance méthodique
apparaît alors déterminante et les taux d’intérêt accusent de très fortes hausses et les
anticipations des marchés se tournent vers une dévaluation prochexvii. L’économie se retrouve
en position d’illiquidité, les flux de capitaux se renversent et la crise externe de confiance
méthodique devient réellexviii. Malgré une ligne supplémentaire de crédit de 7,5 milliards $
par le FMI en décembre 2000 et la garantie offerte par le gouvernement sur les avoirs
étrangers, la confiance hiérarchique ne suffit plus à enrayer la méfiance méthodique et éthique
et une crise remarquable survient en février 2001xix. La confiance méthodique des créanciers
est ébranlée puisque l’autorité hiérarchique ne semble être en mesure d’ordonner ni les
comportements des banques ni la stabilité de la monnaie nationale. La spéculation contre la
monnaie nationale l’emporte et les règles monétaires nationales se disloquent sous l’effet d’un
double crise, interne et externe. Le risque de système apparaît alors à un double niveau : perte
de signification pour les règles nationales (apparition des références monétaires allogènesxx) et
recherche de la préservation des intérêts privés provoquant la ruée.
Effritement des confiances
La survenance et la sortie d’une crise posent d’une façon récurrente la question de la
pertinence structurelle des réformes et leur portée systémique étant donnés les coûts de plus
en plus exorbitants des essais in vitroxxi. Le choix des réformes prédéterminent la capacité du
148
système à se rétablir d’une façon pertinente dans le temps. La crise qu’a impliquée
l’hyperinflation argentine à la fin des années 1980 est une crise de légitimité de l’exercice de
la souveraineté monétaire interne au système de monnayage. Sans avoir débouché sur une
hyperinflation, le régime de haute inflation en Turquie traduit aussi l’impossibilité d’un état
institutionnalisé de la monnaie qui rende les règles effectivesxxii. Dans les deux cas, la
dollarisation explicite (Argentine) ou implicite (Turquie) de l’économie qui en résulte finit par
la dédoubler en crise externe au système de monnayage. Ceci remet en cause la souveraineté
monétaire et politique quand l’inflation rompt l’unité précaire du système de compte
fragmenté. La règle de l’ancrage du change permet de diffuser dans le corps social les
conditions éthiques que requiert la stabilité des prix mais n’opère qu’une restauration illusoire
des trois formes de la confiance. Les dettes croissantes et l’endettement public excessif
impliquent dans les deux cas une nouvelle crise interne du système de monnayage,
témoignant de l’erreur de conception de la recentralisation de la communauté de paiements.
L’erreur a toutefois une logique politique manifeste : les conditions éthiques du système de
prix relatifs. Dans le cas de l’Argentine, cette crise interne explose sous forme de crise externe
qui voit s’effondrer tant la souveraineté monétaire que la souveraineté politique. Dans la
période suivante, on ne change essentiellement que la règle monétaire en suivant une cible
d’inflation qui est adoptée en Argentine dans sa version hétérodoxe (la dévaluation
compétitive) à l’inverse de la Turquie où sa version orthodoxe d’après la crise a permis pour
le moment au système de monnayage de trouver une plus grande stabilité des prix et de
continuer les réformes structurelles. Dans les deux pays, cette séquence prend racine dans un
déficit de légitimité de la souveraineté monétaire que traduit la fragmentation du monnayage.
Au terme actuel de cette séquence, la question est de savoir si la redéfinition de la
souveraineté monétaire et politique permet désormais de résoudre durablement ce conflit
distributif par une pluralité monétaire, maintenant dissimulée dans un régime de cible
d’inflation. Ce régime doit rendre soutenable la dette publique et faire en sorte que les gains
financiers soient compatibles avec une relance également soutenable de l’accumulation du
capital, ce qui exige une élasticité négative des salaires au besoin de financement externe.
La situation actuelle de l’économie turque traduit précisément la précarité des effets
positifs observés des modifications du régime monétaire depuis que les autorités ont adopté
(en 2001) une politique de règles d’inflation avec un régime de flottement des changes. La
banque centrale est officiellement indépendante depuis avril 2001. Le processus de
désinflation est devenu réel après la crisexxiii. Mais, le passage à un régime de change flexible
ne résout pas le problème des déséquilibres interne et externe. D’une part, les autorités ne sont
pas en mesure de contenir l’inflation en cas d’une dépréciation étant donnée la dépendance
149
financière et monétaire de l’économie vis-à-vis de l’extérieur. D’autre part, la compétitivité de
l’économie ne semble pas s’améliorer si bien que le déficit courant continue de faire pression
sur les taux d’intérêt nationaux en même temps qu’un grand nombre de fragilités qui minent
la confiance des agents en le régime monétaire en vigueur persistent. Malgré de forts taux de
croissance du PNBxxiv, l’évolution de l’indice réel des salaires reste faible (pour le secteur
manufacturier à 90% de son niveau moyen de la période 1994-99), traduisant une absence
d’amélioration du niveau de vie. Les vulnérabilités d’avant la crisexxv sont toujours de rigueur
en 2005.
Dans l’hypothèse d’une réduction des déficits, si les taux d’intérêt baissent, la
disparition des opportunités de rendement impliquera une sortie massive des fonds vers
d’autres places. Puisque l’économie n’est pas encore devenue suffisamment attractive pour
attirer les IDExxvi et la résorption d’une dette colossale n’est pas rapidement réalisable, la
situation macroéconomique se dégradera en raison d’une volatilité des capitaux en se
transformant en une crise externe. Mais ce type de crise ne peut pas être expliqué par la
détérioration de la crédibilité des autorités puisque ces dernières auront respecté leurs
engagements et l’inflation et le taux d’intérêt auraient baissé. Il est fort probable qu’en cas de
la continuité des détériorations tant structurelles que conjoncturelles (coût de l’énergie,
instabilités régionales, instabilité politique intérieure et proximité des élections législatives),
la frilosité des capitaux augmente et le poids de la dette interne et externe accroisse les
tensions sur les taux d’intérêt. Mais au-delà des incertitudes macroéconomiques, peut-on
considérer que soient désormais établies les conditions éthiques qui garantissent les propriétés
techniques du système de prix qui remettent en place le voile monétaire ? Les années 1990
sont, de ce point de vue, une période d’apprentissage de la connaissance du modèle « vrai »
de l’économie, qui s’est avéré chaotique. La stabilité monétaire que permettent l’ancrage du
change et la concurrence était illusoire. Il faut un temps long et des conditions capricieuses
pour rétablir la confiance des agents en le régime monétaire alors que la survenance de la
crise peut se contenter de peu de nouvelles alarmantes. La seule crédibilité calquée sur une
politique monétaire restrictive, même discrétionnaire, ne semble pas suffisante pour réformer
et stabiliser une économie et un système monétaire hautement fragiles.

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Notes :
i
Toutefois, mettre l’accent sur la qualité des institutions et les problèmes de gouvernance revient à supposer que
lorsque les bonnes institutions et règles sont établies, la libéralisation permettrait d’atteindre l’objectif de
stabilité.
ii
ou de parité glissante qui consiste à modifier le taux de change par référence à certaines variables économiques
en fonction d’un calendrier pré-établi. Il est fondé sur un ancrage (la livre turque –TL- est calquée sur un panier
constitué de 1$US et de 0,77€) devant compenser d’éventuels différentiels d’inflation en vue de réduire les effets
sur la compétitivité.
iii
La crédibilité financière est un problème de légitimité dès lors que l’enjeu est l’ancrage nominal des créances.
Il s’agit bien d’un problème de légitimité politique étant donné le gonflement de la dette publique et la limite à la
création de monnaie de crédit qui s’ensuivent.
iv
Les trois niveaux de confiance peuvent être rapprochés des analyses d’Arestis et al. (2003) (qui relient
l’instabilité financière observée dans les pays en développement au faible développement des normes de
confiance et des structures institutionnelles) et de Minsky (1996) (qui décompose la structure institutionnelle en
trois catégories : les autorités qui édictent les règles (confiance hiérarchique), les institutions et usages qui
forment la routine des actions sur les marchés (confiance méthodique) et les administrations qui contrôlent
l’application des règles (normes éthiques)).
v
Le terme de monnayage peut paraître désuet une fois que la définition de l’unité de compte et des instruments
de paiement est aujourd’hui communément désignée par des mots comme émission monétaire ou offre de
monnaie. Si l’idée de règles est bien présente dans la pensée contemporaine, elle renvoie à une réalité extérieure
à la monnaie. Par contre, le terme de monnayage, d’usage fréquent quand il s’agissait de rendre compte de la
définition des unités de compte par le souverain et par les marchands ou les banquiers, relève précisément d’une
152

pensée qui s’attache à comprendre comment le fait de compter et payer est une action collective rendue possible
par des règles devant faire autorité (Cf. Boyer-Xambeu et al. 1990).
vi
plus précisément du travail informel et des preneurs de prix.
vii
le taux de croissance du PNB passe de 9,8% en 1987 à 1,6% en 1989.
viii
La variation de la parité $US/TL qui était de 35% en 1987, est de 78% l’année suivante et de 27,5% et de
26,7% en 1989 et en 1990. En 1991, elle est de 73,4%.
ix
Le solde du compte courant : en 1990 : -2,625 milliards de dollars, en 1991 : -6,433 milliards (balance
commerciale -14,08 milliards). Le taux de couverture baisse de 81,4% en 1988 à 52,1% en 1993.
x
qui suivait une trajectoire descendante, passant de 8,8% en 1980 à 5,7% du PNB en 1989.
xi
Et 5% en réserves libres, le total traduisant leur ratio de liquidité obligatoire. La première part a été ensuite
augmentée à 30%.
xii
IPC en moyenne annuelle passe de 37% en 1986 à 71,7% en 1988 pour s’établir à 68% en 1993 alors que le
taux d’intérêt à terme (sur dépôts à un an) évolue de 48% en 1986 à 83,9% en 1988 (74,7% en 1993). Le taux
interbancaire au jour le jour, de 39,09% en 1986, passe à 69,63% en 1993 (Voir sur www.die.gov.tr ).
xiii
équivalant à 178,4% du capital payé du système.
xiv
La part de la dette sécurisée du gouvernement central détenue par les banques commerciales : 1995 : 20,3% ;
1996 : 31,1% ; 1997 : 54,6% ; 1998 : 59% ; 1999 : 63% ; 2000 : 67,3% ; 2001 : 53,4% (Source : FMI, Country
Statistics).
xv
La position ouverte des banques commerciales : 4,6 milliards $ en 1999 et 8,55 milliards en 2000.
xvi
Après l’ouverture du compte du capital en 1989, la politique de développement est fondée sur les flux de
capitaux encouragés par les différentiels de taux d’intérêt attractifs. Ces opportunités spéculatives contribuaient
aussi à alimenter le poids du service de la dette qui passe de 11,4 milliards de dollars en 1996 à 21,939 milliards
en 2000 et à plus de 24,6 milliards en 2001 dont, respectivement, 4,2 ; 6,3 et 7,134 milliards de dollars pour les
seuls paiements d’intérêt.
xvii
Fin novembre, le plafond des taux courts (1 jour - 1 mois) passe de 70% à 300% et le 4 décembre, il atteignait
2500%. La banque centrale a voulu rester sur sa politique restrictive afin de conserver la crédibilité du
programme alors que le solde de la balance commerciale accusait un déficit élevé (qui était descendu de -14,22
milliards de dollars à -10,44 milliards entre 1998 et 1999 est remonté à -22,37 milliards en 2000). Le solde du
compte courant passait de 1,98 milliards de dollars en 1998 à -1,36 milliards en 1999 et à -9,819 milliards en
2000. Le ratio du solde courant aux réserves nettes de change de la TCMB, qui était de 9,57% en 1998, était de -
5,56% en 1999 et de -42,41% en 2000.
xviii
Pour les années 1998, 1999 et 2000, les IDE étaient de 0,573 ; 0,138 ; 0,112 milliards de dollars alors que les
investissements nets de portefeuille s’établissaient à, respectivement, -6,711 ; 3,429 ; 1,022 milliards. En
novembre 2000, il y a eu une sortie de 5,037 milliards. Les cinq premiers mois de l’année 2001, la sortie nette
était de 3,562 milliards (l’année 2001 totalisait une sortie nette de 4,515 milliards). Pour les flux à court terme,
les actifs s’établissaient à -1,464 ; -2,571 ; -0,812 milliards.
xix
Une dépréciation de près de 60%, les taux courts ont fluctué jusqu’à 5000% entre le 21/12/2000 et le
19/03/2001 pour descendre à 150% vers le mois de mai et à 66% fin 2001.
xx
La part des actifs libellés en devises étrangères sur le total des actifs est passée de 26% en 1998 à 38% en 1999
et celle des passifs libellés en devises sur le total des passifs de 25% à 48%. La part des dépôts bancaires en
devises sur le total des dépôts était de 49,9% en 1999 et de 60,97% en 2001 avec une échéance moyenne de 3
mois.
xxi
Le FMI estime qu’en cas de crise jumelle, la perte cumulée du PIB peut atteindre 15% et le coût global de la
résolution des crises 40%. Voir, par exemple, Kaminsky, 1999.
xxii
C’est, en quelque sorte, un régime de crise des compromis institutionnels que peut démontrer l’économétrie de
leurs effets macroéconomiques. Pour le cas du Brésil voir Bruno, 2004.
xxiii
De 68,5% en 2001, le taux d’inflation est passé à 29,7% en 2002, à 18,4% en 2003 et à 9,3% en 2004, pour
s’établir à 7,7% en 2005 et le taux d’intérêt nominal s’établit autour de 13,5-16,5%.
xxiv
En % : 2001 : -9,5 ; 2002 : 7,9 ; 2003 : 5,9 ; 2004 : 9,9 ; 2005 : 7,6 (source : Institut de Statistique d’Etat).
xxv
baisse peu structurée des dépenses publiques, importance du taux de change dans la stabilisation des prix -
flottement impur et TL surévaluée par rapport au déficit courant (en 2005, le taux de couverture, en déclin depuis
2001, est de 63%. Le déficit courant atteigne 23 milliards $, en détérioration depuis 2002, dû notamment à un
fort déficit commercial de plus de 32 milliards en 2005) et une consolidation fiscale incomplète. En dépit d’un
coût unitaire moyen du travail très compétitif (de 0,26 ; 0,55 pour l’UE à 15 et 0,41 pour la Bulgarie en 2004), la
compétitivité n’est pas acquise. Forte dépendance vis-à-vis des flux de capitaux de court terme malgré un
excédent primaire qui passe de -1,9% du PNB à 3% en 2000 pour s’établir à 6,2% en 2003. Le ratio de la dette
extérieure totale/PNB avoisine 50% alors que celui de la dette intérieure est supérieure à 50%. Près ¼ de la dette
extérieure est à court terme (38,2 milliards sur 170 milliards en 2005) et augmente de 17,3% sur l’année contre
4,8% d’augmentation pour la dette extérieure totale. Même après une période de forte consolidation, la
profitabilité du secteur bancaire dépend principalement des rendements élevés des titres publics et la contribution
des activités bancaires traditionnelles reste toujours très faible.
153

xxvi
En 2003, une nouvelle loi sur les IDE a davantage libéralisé le régime réglementaire sous-jacent sans pour
autant en augmenter considérablement les entrées. Les IDE restent limités à environ 2 milliards de dollars hormis
les entrées de capitaux dans les secteurs privatisés suite à la décision du gouvernement d’abolir en 2004 les
restrictions concernant le rachat des entreprises nationales de télécommunication et minières par les groupes
d’origine étrangère.
154

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